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Bandes dessinées Entretiens Roman en feuilleton Récit de voyages Poésie

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Ajana est une revue gratuite, indépendante et sans publicité consacrée à l'aventure. Dans ce numéro, les (més)aventures d'une hôtesse d'accueil, un récit de voyage dans la campagne slovène, l'arrivée d'un étudiant chinois en France, le trip d'un fêtard sous alcool, l'histoire d'un chien jeté dans les toilettes d'un aéroport, un poème enivrant sur l'amour et le début d'une grande aventure.

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BD : «Le beau métier d’Hôtesse d’Accueil» par Sylvaine Ayache

Entretien de Cécile Roumiguière par Thomas Arlès

BD : «Koncept» par Emmanuel Debuire-Baratz

Récit de Voyage : «Slovénie Vidi Vici» par Fiat Luxy

BD : «Ma vie en France» de Peng Wang

Entretien de Carole Chaix par Thomas Arlès

BD : «Vol direct pour les toilettes» par Laura Donnadille

Feuilleton : trois premiers chapitres d’un roman d’aventure par Thomas Arlès

Poésie : «Les jours se passent la main» par Barbora Ruláková

Retrouvez les contributeurs de ce numéro sur leur site ou blog personnel :

- Thomas Arlès : http://thomas.arles.free.fr (entretiens, conférences, histoires, articles divers...)

- Sylvaine Ayache : www.sylvaineayache.com (dessins, illustrations, bandes dessinées)

- Emmanuel Debuire-Baratz : http://edbz.tumblr.com/ (photographies)

- Laura Donnadille : http://madmikado.deviantart.com (dessins, bandes dessinées)

- Fiat Luxy : http://chemdetrav.blogspot.fr/ (textes autobiographiques)

- Sayabandith Souvanthong : https://www.flickr.com/photos/sayze/ (photos)

ou sur le site de la revue : http://ajana.revue.free.fr

Sommaire

Iconographie :

1ère de couverture : logo Ajana par Laura Donnadille ; photo de Sayabandith Souvanthong ; p 5 : portrait de Cécile Roumiguière > photo d’Aurélie Wandenweghe ; p 6 : première de couverture du roman «Dans les yeux d’Angel» > illustration de Sylvain Bourrières ; p 7 : illustration de l’album « le fil de soie» > dessin de Delphine Jacquot ; p 8 : couverture du roman «Lily» ; p 9 : illustration de «sur un toit, un chat» > dessin de Carole Chaix ; p 18 : façades sur les rives de la Ljubljanica à Ljubljana > photo de Thomas Arlès ; p 20 : les toits de Ptuj > photo de Thomas Arlès ; p 26 : portrait de Carole Chaix > dessin de Laura Donnadille ; p 27 : Carole Chaix (au centre) en train de réaliser la fresque nocturne lors des estivales de l’illustration de Sarrant 2015 avec Natali Fortier (à gauche) et Cyrille Pomès (à droite) > photo de Thomas Arlès ; p 28: affiche des estivales de l’illustration de Sarrant 2015 > dessins de Carole Chaix et Delphine Perret p 64 : «nid d’automne» par Laura Donnadille ; 4ème de couverture : «clairière de lune» par Laura Donnadille

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Textes et dessins : Sylvaine Ayache

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Pouvez-vous résumer votre parcours ?

J’ai commencé par être scénariste des Médiévales de Carcassonne il y a bien longtemps. Je suis passé ensuite du monde du théâtre au livre, au livre jeunesse notamment. Mon premier ouvrage édité a été « l’école du désert » en 2004.

Avez-vous rencontré des obstacles ? Comment les avez-vous contournés ?

Des obstacles, il n’y a carrément que ça ! Au début, je ne connaissais rien au monde de l’édition, notamment l’édition jeunesse, car je suis d’une génération qui avait beaucoup moins de livres pour enfants qu’aujourd’hui. J’ai découvert l’offre actuelle à 42 ans seulement. J’envoyais au début des textes aux éditeurs par la Poste sans me préoccuper de ce qu’ils faisaient. J’ai compris très vite que c’était une grosse erreur. J’ai ensuite ciblé. J’ai envoyé « l’école du désert » chez Magnard où travaillait Jacques Chabou. Il a aimé le texte et m’a proposé de le publier. Une fois qu’on a le pied dedans, c’est un peu plus facile, même si on a autant de textes publiés que de refusés, en ce qui concerne les albums

Seule auteure invitée des estivales de l’illustration de Sarrant en 2015, Cécile Roumiguière, la cinquantaine, ne publie des livres que depuis une dizaine d’années. Manque de talent? Pas du tout. Elle multiplie les récompenses dans la France entière. Cette Aveyronnaise d’origine remplit le pari d’écrire des livres poétiques ancrés dans la réalité. Dans «le fil de soie», elle évoque le génocide des Rroms lors de la seconde guerre mondiale, et dans Lily, son dernier roman destiné aux adolescents, elle utilise comme toile de fond la guerre d’Algérie. Par sa sensibilité, sa délicatesse, la justesse des images et

ses personnages forts, elle nous émeut et nous fait réfléchir à la fois. Bien que destinés aux enfants ou aux adolescents en premier lieu, les adultes peuvent aussi y trouver leur compte.

La tisseuse de mots

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en tout cas. Pour les romans, c’est un peu différent. Rien n’est jamais acquis. Il faut toujours remettre le chantier en route. Vos livres sont plutôt mélancoliques et poétiques. N’est-ce pas un frein à la publication ?

Cela dépend des éditeurs. C’est sûr ce qui est le plus facile à publier est le petit poney rose à paillettes avec une princesse sur le dos si possible. Je ne suis pas du tout dans ce créneau là. J’ai réalisé le livre « la princesse au palais » avec Carole Chaix. Mais la princesse est une jeune fille qui commence à avoir ses règles et son palais est un café. J’aime détourner les clichés. Mes textes ne sont pas toujours mélancoliques. J’en ai écrit aussi des plus rigolos, même s’ils ne sont pas à se tordre de rire. « Dans les yeux d’Angel » n’est absolument pas triste. Or, la couverture illustre un enfant au regard très triste, mais c’est un hasard. Je ne sais pas si le côté mélancolique est un frein à la publication. Ce qui l’est, c’est plutôt d’écrire sur des

sujets difficiles. Cela peut faire peur aux éditeurs. Mais pour moi, ces thèmes sont une force. Je fais ce que j’aime, et je n’écrirai jamais quelque chose qui irait contre ma nature. Vos livres abordent des thèmes très durs comme le génocide des Rroms ou la guerre d’Algérie. Comment réussissez-vous à parler de ça aux enfants ?

C’est un peu une gageure. Dans l’album « le fil de soie », le thème central est la transmission d’un souvenir d’une grand-mère à sa petite fille. C’est quelque chose de très important qui revient souvent dans mes ouvrages. En l’écrivant, je me suis demandé quel secret la grand-mère pouvait révéler à sa petite fille et comment. Il fallait que ce soit quelque chose de très fort pour ne le révéler que maintenant, mais elle ne lui transmet pas par la parole. Le grand silence qui a suivi la période des camps de concentration et d’extermination m’est tout de suite venu à l’esprit. J’aurais pu bien sûr parler des juifs, mais il existe

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déjà de nombreux livres sur la Shoah. Je n’avais pas envie qu’il y ait redondance. Et puis beaucoup ont fait ça mieux que moi, donc je ne sentais pas ma place là-dedans. Le génocide des Tziganes, il n’a pas été reconnu pendant longtemps et on en parle peu en comparaison. Je me suis posé la question de la légitimité de mon travail, car je n’ai aucun lien avec cette culture. J’avais tellement envie d’écrire sur ce sujet que je l’ai fait. Les enfants peuvent lire le livre sans comprendre qu’il s’agit de cela, s’ils sont trop petits. Mais comme le thème central est la transmission, ce n’est pas très grave : ils le reliront plus tard. Mes livres peuvent être lus à des âges différents. La guerre d’Algérie, c’est pareil. En fait, c’est l’histoire d’une jeune fille qui veut devenir danseuse, mais le thème est celui de l’émancipation. Entre ce qu’elle voulait être, ce qu’elle veut être et ce que son entourage veut qu’elle soit, elle trouvera sa propre voie. Il se trouve que c’est pendant la guerre d’Algérie que son frère part au front, mais lui aussi va s’émanciper de sa vie de soldat appelé. Même si le thème principal est celui de l’émancipation, évoquer la guerre d’Algérie est pour moi essentiel compte tenu des événements récents. Je pense que l’on n’a pas assez débattu de cette période de l’Histoire, et elle reste encore une blessure à vif.

Comment construisez-vous vos personnages ? Vous recueillez des témoignages de personnes qui ont survécu à ces événements ?

Parfois, je rencontre des personnes qui me parlent de quelque chose, et cela me donne envie d’en parler. Je suis née en 1961, donc j’avais des copines dont les papas avaient fait la guerre d’Algérie. A l’âge de 13 ans, j’ai rencontré un prêtre ouvrier qui m’en a beaucoup parlé. J’ai grandi dans le sud de la France, et cela revenait souvent dans les conversations, car il y avait beaucoup de gens qui avaient connu ces événements d’un côté comme de l’autre. Je tresse des fils entre les souvenirs des gens que je rencontre et ma documentation. Je peux mélanger des souvenirs très éloignés. Par exemple, l’absence du frère parti faire la guerre peut simplement venir de l’absence de quelqu’un, même si celui-ci n’est pas forcément parti en Algérie ou un frère. Tout ça est tressé. D’ailleurs

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« texte » et « tisser » ont la même étymologie.

Comment construisez-vous vos romans ? Faîtes-vous un plan avec toute l’histoire ou écrivez-vous au fil de la plume ?

J’ai essayé de m’appliquer, mais je pars sans faire de plan. Je sais quand même où je vais : au départ, j’ai des personnages et je sais comment ils vont évoluer. Il y a trois ans, j’ai suivi une formation à la FEMIS pour adapter des romans en scénarios. Pour un scénario, le plan est essentiel : il faut très souvent articuler l’histoire et les personnages de façon presque mécanique. J’ai donc essayé d’appliquer cette structure à un roman, mais je n’y suis pas arrivée : ça me bloquait. J’avais même un logiciel d’écriture de scénario avec des cases à remplir. Mais les cases pour moi, c’est comme les lignes sur un cahier, je n’aime pas : il me faut des pages entièrement vides. Si j’ai un plan,

il manque du souffle, et les personnages manquent de liberté.

Et la fin, vous la connaissez dès le début ?

La fin, non, elle peut changer en cours d’écriture, mais j’ai la trame dès le début. Dans « Lily », Lily ne va pas devenir ballerine à l’Opéra de Paris comme son entourage l’aurait voulu et comme elle pensait vouloir au début. Elle s’échappe de ça. En revanche, je ne savais pas au début si le frère allait déserter ou pas. ça m’est venu après. Comme c’est un personnage secondaire, je n’y ai pas autant réfléchi que Lily. Il aurait pu mourir aussi. Tout reste ouvert : même pour la fin, je ne suis jamais sûre.

Choisissez-vous les auteurs avec lesquels vous travaillez ou sont-ils imposés par les éditeurs ?

Comme je viens du monde du cinéma, l’image est très importante pour moi. Au début, je croyais naïvement qu’en proposant un texte à un éditeur, on

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pouvait soumettre un style de dessins voire un nom d’illustrateur. En fait, ça ne passe pas comme ça. En général, c’est l’éditeur qui crée les duos. Mon premier album, « à l’ombre des tilleuls », c’est l’éditeur qui a choisi Sacha Poliakova, et il se trouve que j’ai été très satisfaite de son travail. Pour « entre deux rives, Noël 43 », mon deuxième album, j’ai suggéré le nom de Natali Fortier à mon éditeur, car son univers colle parfaitement au mien, et elle a été choisie. C’était la première fois que je proposais le nom d’un illustrateur à un éditeur. Ensuite, j’ai porté des projets à deux. Pour « le fil de soie », j’avais découvert le style de Delphine Jacquot, et j’ai pensé que son travail serait parfait pour mon texte. J’en ai parlé à l’éditeur et il a confirmé, mais là, Delphine et moi avions déjà discuté sérieusement du projet. Avec Carole Chaix, c’est un vrai travail en duo. Avant même que j’écrive un mot, on discute de ce que l’on va faire. On a déjà réalisé deux albums, et on a un projet en cours de bande dessinée que nous construisons pas à pas. Au niveau de la structure de l’histoire et des thèmes abordés, on a beaucoup de choses en commun, donc le travail se fait naturellement, même si on prend notre temps. Parfois, je pars de ses dessins pour écrire certains passages. J’ai beaucoup de chances de travailler avec elle, car notre collaboration est très riche.

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Propos recueillis par Thomas Arlès le 19 juillet 2015 à Sarrant

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Texte et dessins : Emmanuel Debuire-Baratz

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Bientôt quatre semaines que je suis à l’auberge espagnole slovène, dans ma bulle.

Le rythme y est quelque peu particulier. Les jours sans pluie, les durs, les hommes, quoi, se lèvent vers 7h et filent bosser dehors pendant que les flemmards (comme moi) prennent leur temps et préparent un brunch qui tue. Appelle les autres vers 10 ou 11h, qui viennent se sustenter. Un joli moment du matin, qui débute quasi systématiquement par un verre de schnaps. Le schnaps prend une place assez importante ici. Un peu dur au réveil, mais efficace ! Pensée annexe : j’ai découvert être la seule dont les oreilles font mal quand elle boit du schnaps. Les autres ont l’estomac brûlé, moi c’est les oreilles. C’est légèrement inquiétant quant à mes circuits internes.

Après le gros petit déjeuner, chacun file à sa tâche. Depuis mon arrivée, les hommes construisent une grande cabane pour loger convenablement la faune qu’ils entretiennent. Bouba la cochonne, ramassée dans la rue par Lena en plein Ljubljana. Grise et poilue, déambule à sa guise et fouille le compost en grognant. Elle est très drôle. Une dizaine de lapins lapines, des poules, des

Slovénie Vidi Vici

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canards, des paons paons, deux oies qui me suivent en permanence en essayant de m’impressionner de leurs cous tendus, becs en l’air, mais qui s’enfuient dès que je m’approche. Couardes. Et un pigeon voyageur qui a posé ses valises et dont la tête ne me revient pas ; on ne s’aime pas beaucoup, lui et moi. Il m’attaque quand j’entre dans son périmètre, et je l’insulte bassement, ce dont, de toute évidence, il n’a cure.

Les hommes sont à la cabane, donc, concentrés entre deux bières jusqu’à la tombée de la nuit. Les femmes, Rose et moi, à la cuisine, comme au bon vieux temps. Mais la cuisine, ici, se fait lentement, et tendrement. On teste des trucs, on épice, on herbe, on cuit, on frit. Et on fait des desserts. Chaque jour un nouveau. Un gâteau bananes/chocolat, des galettes des rois aux amandes ou aux noisettes, des pommes fourrées de purée de noix, une tarte au chocolat, un muffin géant bananes/chocolat, un strudel, des croissants, une tarte tatin, un gâteau au gingembre, et j’en passe.

L’enthousiasme est général, toujours, et encourageant. Le seul hic c’est qu’ils veulent manger tous les jours, c’est fou ça. Avoir encore et toujours de l’inspiration, avec peu de matière première et encore moins de variété, je comprends maintenant ma mère soupirant le soir, mais qu’est-ce qu’on va manger ?... trois semaines et demi que je prépare à manger pour 5 à 10 personnes, j’en peux plus, les gars, faites-moi des pâtes au beurre et des pizzas surgelées.

Outre la cuisine, si on veut, et si on a le temps, mais on a plein de temps, on désherbe, on plante de l’ail, on casse des noix, on vernit des planches, on va faire les courses, on nourrit les animaux, on va se balader dans la forêt. Et on s’occupe du compost tous les deux jours ! Retourner les deux tas qui ornent le chemin et s’émerveiller de les sentir plus chauds à chaque fois. Aujourd’hui, on y a mis des pommes de terre à l’abri dans du papier alu, pour voir si elles cuisent. Haha.

Et quand 18h arrive, avec la nuit bien tombée, on déjeune. Autour de la table, le feu crépitant dans la cuisinière comme-chez-ma-mémé. On mange, on rigole, on écoute de la musique et on se rend compte que la dance des années 90 était la même ici que chez nous, et puis on joue parfois.

Il y a aussi les soirées où Urban a une chouette idée.

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Le 1er novembre, par exemple, il a proposé très sérieusement d’aller se promener au cimetière. Fossé culturel. Le 1er novembre, les Slovènes illuminent les tombes de bougies, et les gens vont se promener au cimetière en famille. C‘est étonnant, et assez surréaliste. Ce champ de bougies sur les stèles, ce silence envahissant de respect, dans la nuit.

Un autre soir, il a décidé que c’était le bon pour aller acheter des tuiles pour le toit de la cabane. On s’est enfournés à 4, à 20h, dans l’automobile, pour joindre à 40km de là, dans la pluie, le brouillard et la nuit noire, Slovenia by night, des tuiles entassées contre une grange inaccessible. En empiler 250 sur le char d’un tracteur, dans la boue, glissante, avant de les recharger dans la remorque de la voiture, couronner le tout d’un verre de vin maison à avaler cul sec (ça rigole pas) et rentrer à 30 à l’heure parce que la voiture a du mal à tirer tout ça, décharger dans le noir. Dormir.

Je ne précise pas que les tuiles, on ne les a évidemment pas déchargées à côté de la cabane parce que ce n’était pas possible. Il a fallu que je les trimballe le lendemain, de la palette au chantier, 30 marches d’escalier et une trentaine de mètres dans une pente boueuse, 250 tuiles de 1,5 kg chacune. M’est avis que c’est une punition à la Prométhée, j’ai du déplaire aux Dieux pour qu’ils m’envoient systématiquement dans des endroits où il faut charrier des tuiles.

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Aussi, on est allés chercher un bébé chien dans une ville qui s’appelle Ptuj (prononcer Ptouille), autant avouer que mon humour d’enfant de 5 ans a resurgi, j’ai rigolé de ce nom pendant des heures. D’ailleurs rien que d’y penser, je rigole encore, et non je n’ai pas honte de rire pour des broutilles. Ptuj, haha.

Encore, j’ai passé un court weekend à Ljubljana, invitée à un festival de théâtre d’impro. 4 spectacles aux frais de la princesse, oui Madame ! j’ai mes entrées. Tout était en anglais s’il vous plaît ! j’ai presque tout compris. J’ai demandé aux Slovènes comment et pourquoi diable ils parlaient tous parfaitement anglais, ils arguent tous la VO à la télé. Un autre m’a répondu que la Slovénie, petit pays, se devait de s’ouvrir au monde. Quoi qu’il en soit leur excellent niveau met en exergue notre mauvais, j’en ai passablement honte. Fort heureusement pour moi, j’ai trouvé la parade: je raconte avec force détails, et maintes erreurs de langue, que j’enseigne l’anglais en France, et la stupeur combinée à l’hilarité rendent mes interlocuteurs beaucoup plus tolérants à mon égard. Je suis une victime du système français, que voulez-vous, mon bon Monsieur.

Bref, j’ai passé un weekend théâtre à Ljubljana, entrecoupé de burek, kebab local, de chocolats chauds à la vodka et de balades solitaires dans les rues étroites. Deux jolis jours, vraiment.

Le temps passe, le temps passe ! différemment, ici. La vie en communauté me ramène une dizaine d’années en arrière, plutôt agréable pour un temps déterminé, surtout avec des bienveillants. Mais, malgré toute cette simplicité et cette douceur de vivre qui se dégage de l’auberge espagnole, malgré la profonde bonté d’Urban, l’énergie de Lena, l’humour décalé d’Igor et le flegme adolescent de Rose, malgré les multiples rencontres et malgré Tchitche le chat aveugle qui ouvre les portes, il est bientôt temps pour moi de reprendre la route. Je vais aller voir ailleurs si j’y suis...

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Texte : Fiat Luxy

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Texte et dessins : Peng Wang

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Invitée d’honneur des estivales de Sarrant en 2015, Carole Chaix, la quarantaine, illustre des albums pour enfants en faisant preuve d’une grande originalité. Très libres, ses dessins sont richement composés, mélangent le noir et blanc et la couleur. Carole Chaix n’essaie pas de coller aux textes qu’elle illustre, mais s’approprie les mots pour en dégager toute leur fantaisie avec le plus grand respect pour le travail de l’auteur. Cette démarche a séduit Cécile Roumiguière avec qui elle forme un vrai duo.

La liberté dans le trait

Pouvez-vous résumer votre parcours ?

Si je devais le résumer, ce serait en tant que dessinatrice. Je me suis aperçue que j’aimais dessiner au collège. J’ai commencé par dessiner Gaston Lagaffe, le personnage de BD créé par Franquin. Ensuite, je n’ai pas arrêté de choisir des matières avec des arts plastiques. J’ai passé un bac Arts Plastiques, j’ai fait les Beaux Arts et l’école des Arts Décoratifs à Paris. Depuis la fin de mes études en 1995, je suis illustratrice. Je dessine tout le temps, et maintenant, je peux choisir les auteurs avec qui je travaille.

Avez-vous rencontré des obstacles ? Comment les avez-vous contournés ?

Je n'ai eu que des obstacles, et ce, pendant longtemps. L'illustration, telle qu'on me l'a enseignée aux Arts Décoratifs était en section « arts ». Moi, je suis plus plasticienne. Illustrer, c’est raconter quelque chose, tandis qu’être plasticienne, c’est inventer quelque chose avec tout le champ des arts plastiques. Au début, je ne savais pas comment il fallait faire une illustration. Ce que je proposais aux éditeurs était un peu décalé, donc j’ai été refusée chez plein de maisons d’édition. Par la suite, j’ai eu quand même envie d’imposer ce que j’étais. Je sais

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maintenant que ces refus m’ont permis de changer un peu. Et depuis 15 ans, mes illustrations sont publiées. Avant cela, comme j’avais tellement envie que mes histoires et mes personnages vivent, je concevais des expositions. C’était une façon de transformer le lecteur en spectateur. Grâce à ça, j’ai été repérée par un éditeur, et ça a commencé à marcher pour moi. A partir du moment où un éditeur dit oui à un illustrateur, il est visible dans les bibliothèques, et ensuite, par le bouche à oreille, il est invité à droite à gauche. Ce côté décalé, un peu OVNI de mes dessins fait partie de mon style, donc je suis plus acceptée. Du coup, je suis assez fière de mon parcours, car je me suis accrochée. Notre métier oscille entre le facile et le difficile. Il faut donc trouver l’équilibre. J’ai envie de faire ça toute ma vie, mais je pense que j’aurai toujours des contournements à faire. Je ne reviendrai pas en arrière, mais j’ai l’impression parfois d’être sur un rond-point. Beaucoup d’illustrateurs qui ont une démarche artistique sont dans ce cas. On a plusieurs chemins possibles. On ne sait pas quelle est la bonne direction, mais on assume notre choix, quitte à prendre parfois des chemins de traverse. Ce sont rarement des autoroutes, mais plutôt des départementales ou des nationales avec des détours.

C'est la deuxième fois que vous êtes invitée aux estivales de Sarrant. Qu’est-ce qui vous plaît tant ici ?

J'ai été invitée la première fois en 2014 par la librairie-tartinerie et la bibliothèque de Sarrant. Depuis quelque temps, je choisis les endroits où j’ai envie d’aller. Je

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ne connaissais pas le Gers, à part un peu Auch. Sarrant et sa librairie m’étaient aussi inconnues. J’ai rencontré Didier et Catherine, les gérants de la librairie, six mois auparavant à Montreuil. Ils riaient très forts en lisant mes livres. C’était un bon début pour faire connaissance. Ils m’ont proposé de venir à la librairie. J’ai tout de suite accepté. Ils ont envie d’entretenir les liens sur plusieurs années pour constituer une équipe homogène. Cette année, j’ai donc eu le titre d’invitée d’honneur, tout comme Delphine Perret qui était là aussi l’année dernière. Ce que j’aime ici, ce sont les rencontres et les échanges spontanés avec les visiteurs. Nous ne sommes pas sur un piédestal, et on a vraiment le temps de discuter avec qui l’on veut. J’ai l’impression que les estivales sont à part. Ici, on rencontre de « vrais » gens. Cela nourrit mes images. Je suis donc contente de revenir, mais je pense aussi qu’il faut que ce ne soient pas toujours les mêmes personnes. J’aimerais venir en tant que simple visiteur et participer à une masterclass animée par une autre personne que moi. Cette année, Delphine et moi avons choisi d’inviter une auteure qui n’est pas illustratrice, car les images n’existent pas sans les textes. Et je voulais rajouter quelque chose par rapport aux événements du début de l’année. L’image doit être facile à décoder, même si chacun peut l’interpréter différemment. Elle peut exprimer de la colère, mais ne doit pas inciter au meurtre. Il faut donc avoir un engagement politique sur ça. Je pense que le fait de rencontrer Didier et Catherine me rassurent sur le milieu professionnel du livre.

Vous avez dessiné l’affiche du festival. Que représentent les bonshommes noirs ?

Je l’ai faite à quatre mains avec Delphine Perret. Elle et moi avons eu envie de proposer une affiche à quatre mains. C’est un exercice que j’aime bien malgré tout. Avec Delphine, c’était difficile, car nous avons des styles très différents, mais c’était assez rigolo de travailler avec elle, car nous sommes parties sur plein de pistes différentes. On a représenté le village de Sarrant

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par les maisons. Les silhouettes représentent tout le monde sans distinction. Elles peuvent déambuler dans tout le village de jour comme de nuit avec au dessus de la tête des livres ou du papier. C’est vraiment l’esprit de Sarrant.

Quelle part de liberté prenez-vous par rapport au texte ?

Mon illustration est totalement libre dans les brouillons. Par la suite, elle n'est pas forcément meurtrie ou frustrée, car elle devient de plus en plus juste par rapport au texte. Une illustration doit raconter quelque chose, parfois sur une double-pages. Il ne faut donc pas se tromper. Lorsque je dessine dans mes carnets ou sur une grande toile, je n’ai pas cette contrainte. Dans les illustrations, il faut un chemin narratif. J’expérimente dans mes carnets de recherche. Ensuite, il faut que je mette au propre cette liberté. Pour cela, il faut que je bluffe l’auteur. Il y a aussi l’éditeur qui va canaliser ma créativité. Avec le mien, Thierry Magnier, je n’ai pas l’impression que ma liberté soit censurée. Sinon, j’arrêterais de travailler avec lui. Ma créativité est certes dirigée, assistée, mais toujours enthousiaste et encouragée. Je sais aussi à qui j’ai affaire. Mon style décalé ne conviendrait pas à tous les éditeurs.

Choisissez-vous les auteurs avec lesquels vous travaillez ou sont-ils imposés par les éditeurs ?

Depuis une dizaine d'années, je travaille avec qui j’ai envie. Soit c’est moi qui choisis les auteurs, soit ils viennent me voir et j’accepte ou non de collaborer. Cette rencontre avec l’auteur est essentielle si je veux faire naître un projet. Après, l’auteur ou moi présentons le projet à un éditeur. Depuis sept ans, je travaille comme ça, et ça me convient tout à fait. Je travaille souvent avec des amis ou des collaborateurs proches. Plus tard, j’ai envie d’écrire mes propres histoires, car des fois, j’ai envie de travailler seule, et rencontrer l’auteur peut prendre du temps. Avec Cécile Roumiguière, auteure avec laquelle j’ai travaillé le plus, j’ai deux projets : une sorte de carte-jeu où le lecteur peut suivre un itinéraire assez dingue, et une sorte de roman graphique dessiné.

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Propos recueillis par Thomas Arlès le 19 juillet 2015 à Sarrant

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Cette BD a été réalisée dans le cadre des 24 heures de la bande dessinée à Angoulème. La consigne était la suivante : réaliser un récit en bande dessinée constitué de 22 pages, d’une couverture et d’une 4e de couverture, alternant une case muette et une case avec du texte, à partir du fait divers suivant lu dans la presse :

‘’Son chiot est refusé dans l’avion, elle le noie dans les toilettes de l’aéroport’’.

Texte et dessins : Laura Donnadille

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Le texte qui suit est le début d'un roman en cours d'écriture : il n'a pas encore de nom. Il est destiné aux enfants et aux adultes. La suite paraîtra dans d'autres numéros.

I

Dans un petit village, perdu en plein milieu d’une forêt épaisse de chênes, de châtaigniers et de noisetiers, des hommes et des femmes vivaient en harmonie. Personne n’avait donné de nom à cet endroit, et il n’apparaissait sur aucune carte. Alors, rares étaient ceux qui passaient par là. Le village n’avait pas vu d’étrangers depuis de longues années. Il fonctionnait sans monnaie. Tout le monde se rendait mutuellement des services, sans se soucier de la rentabilité de son travail. Chaque villageois profitait des compétences des uns des autres tout en valorisant les siennes. Ce système obligeait les habitants à travailler pour profiter des services des autres.

La dernière fois qu’un étranger était venu, il n’était pas reparti du village. Excellent botaniste, il avait vite trouvé sa place, car ses connaissances sur les plantes permettaient aux habitants d’être soignés ou de trouver de la nourriture dans la forêt. Comme tous les villageois dépendaient des uns des autres, c’est eux qui décidaient si un nouveau venu pouvait s’installer ou non, et lorsque quelqu’un souhaitait partir, même si cela arrivait très rarement, ils s’arrangeaient pour trouver un remplaçant aux alentours.

Ce système fonctionnait à merveille. Seul un individu ne le cautionnait pas. Il s’était autoproclamé maire du village, et perdait son temps à créer des lois inutiles que personne ne respectait. Sans grand charisme, il n’avait pas réussi à manipuler qui que ce soit, et sans grande compétence, il ne pouvait travailler dans le village. Comment cet homme pouvait encore vivre là ? Monsieur Trani avait la chance d’avoir une fille remarquable que tout le monde adorait. Bien que très douée et plutôt indépendante pour son âge, Iris ne pouvait encore subvenir à ses propres besoins, alors le village l’aidait tous les jours. La petite fille de 8 ans détestait son père, mais par pitié, elle lui donnait la moitié de la nourriture qu’elle recevait des autres habitants. Gênée de ne pas pouvoir donner autant qu’elle recevait, elle ne cessait d’apprendre le plus de compétences possibles, et déjà, elle savait lire, compter, écrire et dessiner très bien. D’ailleurs, Iris désertait les bancs de l’école et préférait étudier la forêt autour du village. Elle s’y promenait chaque matin, et essayait un sentier différent à chaque fois. Afin de ne pas se perdre, la petite fille dessinait le plan du bois sur son carnet.

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Un jour d’automne, près d’une rivière, elle aperçut un vieux monsieur dormant nu sur un duvet de feuilles mortes. Plutôt âgé, il portait de longs cheveux gris et crépus, ainsi qu’une longue barbe qui lui servait de couverture. Ses vêtements très usés séchaient sur la branche d’un chêne à côté de lui. Voulant jouer à la rivière, Iris sortit du sentier et traversa le tapis de feuilles mortes qui crépita sous son poids. Soudain, le vieil homme se réveilla brusquement, prit le bâton à côté de lui, le planta dans le sol, et s’écria : « Hein, qu’est-ce que c’est ? »

Lorsqu’il vit Iris, il se calma et dit : - Ah, c’est toi qui m’a réveillé ! Je croyais que c’était un sanglier. Excuse-moi de me présenter ainsi, mais j’ai lavé mes vêtements à la rivière et je me suis assoupi.

Il se leva, et enfila son pantalon reprisé plusieurs fois. Iris ne regardait plus le vieil homme : elle s’était concentrée sur le bâton planté dans le sol. Objet à la fois modeste et magnifique, le corps était noueux et laissait apparaître des craquelures, tandis que le pommeau en volutes, finement sculpté, représentait une tête de loup aussi menaçante que captivante. Des billes de verre blanc à la place des yeux accentuaient cette expression. Qui aurait eu le courage de s’approcher de cette horrible bête ? C’est ainsi que le vieil homme pouvait dormir tranquille : cette arme inoffensive effrayait toutes les bêtes sauvages y compris les loups. Le vagabond ne dit un mot, car il voyait la petite fille fascinée par le bâton : ses yeux étaient grand ouverts et elle affichait un sourire radieux. « Que c’est beau ! dit-elle » et demanda : « C’est vous qui avait fait ça ? »

Le vieil homme répondit modestement : - Oui, tu sais quand on voyage comme moi, on s’ennuie parfois, alors il faut s’occuper.

- Vous êtes un voyageur, comme ceux qui sont dans mes livres ? C’est la première fois que j’en rencontre un ! J’en ai de la chance !

- Oui, je suis un explorateur, et j’essaie de comprendre le monde en rencontrant plein de gens différents, tout en faisant des découvertes. Tu veux savoir pourquoi je suis ici ?

- Ah oui ! s’écria Iris, toujours insatiable de curiosité.

- Je m’appelle Georges. Je suis originaire de ce village, et je viens revoir un de mes amis pour lui annoncer ce que j’ai trouvé. J’ai découvert à quelques

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lieues d’ici un œuf immense au sommet d’une montagne, plus gros que le plus gros œuf de dragon connu à ce jour.

- L’oiseau qui l’a pondu doit être gigantesque !

La petite fille ouvra ses bras le plus possible : - Au moins comme ça !

Georges rit aux éclats pendant un moment : il n’avait pas ri comme ça depuis longtemps. Iris, un peu vexée rétorqua : - Pourquoi vous rigolez comme ça ? C’est pas bien de se moquer !

Le vieil homme cessa de rire et dit : - Je ne me moque pas de toi ! Au contraire, tu as l’air très douée pour ton âge. Tu es du village à côté ? Tu dois connaître mon ami. Il est aussi vieux que moi, et bricole des machines volantes.

Iris qui connaissait tous les habitants fut surprise de ne pas avoir vu cet homme : - Non, je ne le connais pas : il ne doit pas sortir beaucoup de chez lui.

- Oui, ce doit être ça, répliqua Georges. Mais il voyage beaucoup aussi, alors il ne doit pas être là.

La petite fille changea de sujet : - Vous devez avoir faim ? Vous êtes tout maigre !

Et sans que Georges n’ait eu le temps de répondre, elle courut vers un vieux châtaignier. Georges l’observa au loin. On aurait dit qu’Iris avait retiré un gros morceau de bois du tronc de l’arbre pour révéler un coffre à trésors. Elle prit de cette cachette un morceau de pain.

La nourriture à la main, elle revint vers l’homme pour la lui offrir. Georges la remercia et croqua dans le morceau de pain : « Croustillant et moelleux, un petit goût de noisette, une légère acidité. Délicieux ! Je connais ce pain, c’est celui du village : il n’a pas changé. Je me rappelle que l’ami dont je t’ai parlé habitait la maison à côté. Allons-y !

Georges récupéra son bâton et ses quelques affaires, puis se dirigea vers le village. Iris le suivit en toute confiance.

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II

Iris et Georges traversèrent les sous-bois. En cette journée d’automne, le soleil matinal avait du mal à traverser l’épaisse toiture de verdure formée par les arbres : seules quelques ombres mystérieuses étaient projetées sur le sol. L’odeur de l’humus se mélangeait au parfum des buis et de la menthe.

Iris s’arrêta pour cueillir quelques mûres sur des ronces en bordure de chemin. En prenant bien garde de ne pas toucher les épines, elle détacha les fruits un par un, et lorsqu’elle en eut récolté une bonne poignée, elle les avala toutes d’un coup. Elle adorait leur goût sucré et légèrement acidulé. Pendant ce temps, Georges était occupé à ramasser des girolles. Pas facile de repérer ces champignons jaune vif, car ils se confondaient avec le tapis de feuilles mortes, mais l’homme avait l’œil, et grâce à ses connaissances sur la forêt, il pouvait anticiper leur lieu de pousse. Après en avoir ramassé quelques bonnes poignées à l’aide de son couteau de poche, il les mit dans un grand sac en tissu. Il appela ensuite ensuite Iris pour lui montrer sa cueillette : - Iris, viens voir ce que j’ai trouvé ! dit-il de sa voix légèrement éraillée.

La petite fille, toujours en train de déguster les mûres sauvages, n’avait même pas remarqué que Georges avait cueilli des champignons. Elle se rapprocha du vieux bonhomme sans dire un mot, mais elle murmurait une chanson. Georges ouvra grand son sac devant elle. Iris s’écria avec peur : - Ah, des champignons, il ne faut pas en manger, c’est du poison : ça peut tuer ou rendre fou !

Georges rétorqua calmement : - Mais non, certains oui, mais ceux-là sont délicieux ! Tu as quand même un peu raison : il faut faire très attention.

Il en sortit un du sac pour le montrer à Iris : - Regarde, celui-là ressemble un peu à une trompette et se mange en omelette. Quand je les ramasse, j’en laisse toujours quelques uns pour les animaux sauvages ou les autres visiteurs de la forêt.

La jeune fille, maintenant rassurée, répondit : - C’est Omar qui m’a dit ça.

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Georges demanda : - Qui est Omar ?

- C’est le sorcier du village. Je l’appelle comme ça, car il une barbe pointue bien taillée. Il porte une robe et connaît très bien les plantes. Je l’aime beaucoup : il est très gentil, et il m’apprend plein de choses. Des fois, il parle une langue que je comprends pas. Je trouve ça beau.

- Ah je comprends pourquoi il ne voulait pas que tu touches aux champignons. Tu sais que ce ne sont pas des plantes ?Iris étonnée : - Ah bon ?

Et ils poursuivirent leur route. Iris courait devant et prenait uniquement les chemins qu’elle connaissait. Georges boitant un peu essayait de ne pas la perdre de vue, car il ne se rappelait plus exactement de l’itinéraire. Heureusement, de temps en temps, la jeune fille prenait le temps de s’arrêter. Soudain, l’homme cria : - Iris, tu es sûre que c’est le bon chemin ?

Elle répondit par l’affirmative au loin. A ce moment là, elle l’attendit jusqu’à ce que Georges la rattrapât pour lui montrer la carte qu’elle avait dessinée sur son carnet.

Le vieil homme, plein d’admiration, s’écria : - C’est toi qui a fait ça ? C’est magnifique ! Et quelle précision ! Tout y est : les clairières, les arbres remarquables, les chemins, les sources, la rivière, le village, et ta cachette, bien sûr. En plus, la carte semble être à l’échelle.

Iris qui ne comprenait pas pourquoi le vieil homme parlait d’échelle dit : - Non, je n’utilise pas d’échelle. Parfois des tabourets ou des chaises, mais jamais d’échelle. C’est bien trop lourd et encombrant. Georges rit : - Ah non, pas ces échelles-là. « A l’échelle » veut dire que les distances sur ton dessin conservent les proportions de la réalité.

Iris répondit : - Je le savais, d’abord ! C’était pour rigoler !

Et elle se mit à rire.

Plus tard, ils arrivèrent au village. A l’entrée, apparaissait l’école. Georges tira sur une poignée : il venait d’actionner une cloche en bronze au dessus

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d’un petit portail. Une femme assez âgée, aux traits fins et l’air très sérieux s’approcha. C’était Mme Lagarde, l’institutrice. - Bonjour, monsieur ! Vous me ramenez Iris ? C’est gentil ! Mais sachez que se balader torse nu de cette façon ne se fait pas.

Elle s’interrompit, car elle reconnut un petit détail sur une hanche de Georges. L’homme portait un numéro tatoué, et seule l’institutrice savait à quoi il correspondait. Georges était très pudique sur l’origine de ces chiffres, et il n’avait confié son histoire qu’à Mme Lagarde, car les deux s’étaient aimés très fort à une époque. Soudain, le visage de la dame se détendit. Elle esquissa un sourire, ses yeux retrouvèrent leur éclat, et elle embrassa Georges.

Iris en profita pour rejoindre d’autres enfants dans la cour partagée entre parcelles à jardiner et jeux. Elle en vit un qu’elle ne connaissait pas, alors elle se dirigea vers lui pour faire sa connaissance. Quand la jeune fille s’approcha de lui, le garçon devint tout rouge. Personne ne venait spontanément lui parler, et comme il était trop timide pour aborder les autres, il restait seul à toutes les récréations et lisait, étudiait ou s’occupait du jardin.

Iris lui demanda : - Tu fais quoi ? Comment tu t’appelles ?

Le garçon balbutia : - Joël... j’apprends mes tables de multiplication.

- Tu veux que je te fasse réciter ? 9 fois 3 ?

- 25 ! non 22 ! peut-être 28... hésita Joël.

- Ah non, ça fait 27. Je vais t’apprendre un truc pour retenir la table de 9. Ouvre grand tes mains, les paumes vers toi. Puis plie le doigt le plus à gauche.

Elle s’assit à côté de lui et lui montra. Le garçon l’imita. Elle continua : - Le nombre de doigts à gauche de celui plié indique le chiffre des dizaines, et ceux à droite indiquent le chiffre des unités. Donc 9 fois 1 ça fait...

- 9 ! répondit Joël avec assurance.

- Bien ! 9 x2 ?

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Le garçon déplia son pouce, puis plia l’index de sa main gauche. Il y avait maintenant un doigt à gauche et huit à droite. Joël s’empressa de répondre, car il avait tout compris : - 18 !

- Bravo ! s’écria Iris.

- Plus difficile : 9 fois 6.

Il plia maintenant l’auriculaire de sa main droite.

- 54 !

La cloche sonna à nouveau : elle annonçait la fin de la récréation. Mme Lagarde devait retourner en classe. Avant de quitter Georges, elle lui posa une couverture sur ses épaules et lui attacha avec une épingle. L’homme était maintenant vêtu d’une cape. L’institutrice lui remit aussi une lettre que son ami Louis, le bricoleur de machines volantes, lui avait laissé. L’enveloppe était scellée et était marquée «à Georges ». Lorsque l’institutrice partit rejoindre ses élèves, il ouvrit l’enveloppe et lut la lettre qu’elle contenait :

Cher Georges,

J’ai découvert pendant un de mes voyages un œuf gigantesque en plein désert. Je ne sais pas quel oiseau a pu pondre quelque chose de tel. La coquille est extrêmement solide. J’ai donc élaboré le plan d’une énorme couveuse afin de faire éclore l’œuf et de découvrir son secret. Ce serait amusant que tu l’aies découvert, toi aussi. J’ai laissé chez moi le plan de la couveuse et la carte de son emplacement précis. Je suis très heureux : ma femme Jeanne est enceinte, et va bientôt accoucher d’un petit Joël ou d’une petite Nina. Mon fils Emmanuel et ma fille Joséphine travaillent bien à l’école. Je t’embrasse.

Ton ami Louis

Quelle surprise eut Georges à la lecture de cette lettre ! Il existait donc un autre œuf et Louis l’avait découvert. Combien y en avait-il ? Où se trouvaient-ils ? Le premier, au sommet d’une montagne, un deuxième en plein désert. Plus que jamais, Georges était déterminé à percer le secret de ces œufs mystérieux.

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III

Comme Iris était occupée à arroser les dernières tomates et planter des choux, Georges ne l’attendit pas, et quitta l’école seul. Il voulait retrouver la boulangerie « Chez Jeanne », car il savait que Louis vivait à côté. Il se rappelait qu’elle se trouvait sur la grande place en haut du village. Il traversa les rues pavées bordées de maisons à pans de bois. Un peu plus tard, il atteint la place où gisait une grande halle. La boulangerie était reconnaissable : sur la porte en bois verni ornée de fer forgé, était accrochée une sculpture en pâte de sel. Elle représentait le visage d’un homme très souriant à l’air malicieux. Georges n’eut pas de mal à reconnaître son ami Louis. L’homme entra sans frapper. Le matin, les habitants du village venaient chercher leur pain, et la porte était ouverte. En voyant Georges, la jeune femme en train d’enfourner des pains dit :

- Ah, vous êtes nouveau ? Nous n’avons pas de vagabonds d’habitude, alors je n’ai rien pour vous, à moins qu’un habitué oublie de venir. Repassez plus tard, sait-on jamais !

Georges ne répondit rien pendant un moment, car il fut intimidé par cette femme qui même le front en sueur, habillée d’un tablier et de vêtements enfarinés, dégageait un charme naturel. Était-ce ses formes généreuses et harmonieuses, son regard vif, sa voix chaude et rassurante, ses beaux longs cheveux noirs ondulés ou son goût du travail bien fait qui mettaient le routard en émoi ? Tout ça à la fois. Devant une telle beauté, Georges se sentait sale et avait honte de renvoyer une image de vagabond. Après un petit moment, il répondit : - Vous devez être Joséphine, la fille de Jeanne et Louis ? Je m’appelle Georges.

Soudain, la jeune femme posa sa pelle à enfourner, s’essuya le front dégoulinant de sueur délicatement avec une serviette, et s’écria : - Vous êtes le Georges que j’ai connu petite, le grand ami de mon père ? Ça fait au moins quinze ans que je ne vous ai pas vu !

- C’était aussi la dernière fois que j’ai vu Louis, il y a seize ans. Comment va-t-il ?

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Le visage de la jeune femme s’assombrit.

- Vous ne savez pas donc pas ? Peu avant la naissance de mon petit frère Joël, il est reparti en voyage. Il ne nous a jamais dit où il est parti, mais il ne devait s’absenter qu’un mois : il avait promis d’être présent à l’accouchement, mais depuis, personne ne sait ce qu’il est devenu. Je le déteste ! Ce qu’il a fait est profondément égoïste ! S’il avait été là, peut-être que ça ne se serait pas passé comme ça !

- Et où est Jeanne ?

- Comme mon père était absent, mon frère a assisté ma mère pour son accouchement, mais même si c’est quelqu’un de très intelligent, il n’avait que 12 ans et aucune expérience, alors il a fait ce qu’il a pu. Cela n’a pas été suffisant. Nous avons réussi à sauver l’enfant, mais ma mère n’a pas survécu. La jeune femme éclata en sanglots.

- Il m’a écrit une lettre qu’il avait remise à Mme Lagarde. Elle n’est pas datée, mais d’après ce que tu me dis, elle aurait été rédigée peu avant son dernier voyage.

Joséphine recouvra ses esprits : - Une lettre ? Je n’étais pas au courant. De quoi parle-t-elle ? - D’une grande découverte. Il m’indique aussi qu’il a gardé une partie de son journal chez vous, ainsi qu’un autre document très utile. Et il se réjouissait d’avoir bientôt un nouvel enfant.

- Mon père était très secret sur ses découvertes. Peut-être qu’il en parlait à ma mère, mais Emmanuel et moi n’avons jamais rien su. Pourtant, on lui posait plein de questions, mais il y répondait toujours de manière évasive. Et il a toujours fermé la porte de son atelier à clé. D’ailleurs, il est toujours fermé, et personne ne sait où est la clé. Par respect pour son travail et sa personne, nous ne voulons pas casser la porte. Cette pièce est comme son tombeau.

- Quand nous étions petits et que je rendais visite à Louis, on cachait souvent des objets un peu partout dans la maison. Laisse-moi chercher : je suis sûr que je trouverai quelque chose d’intéressant.

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- Vous pouvez essayer, mais je ne suis pas du tout sûre que vous trouverez quelque chose. Mon frère et moi avions aussi beaucoup de cachettes : nous les avons déjà vérifiées. Justement, mon père n’aimait pas qu’on fouille dans ses affaires : il n’aurait jamais mis la clé de son atelier ou son journal là où nous mettions notre nez.

- Bon esprit de déduction ! Je vais quand même en essayer deux ou trois après manger. Tu veux déjeuner avec moi ? J’ai ramassé des girolles.

En défournant ses derniers pains, Joséphine répondit :

- Ah oui, avec plaisir ! Je vais me changer et je vais chercher des œufs chez le voisin. Pendant ce temps, allez chercher une planche et des tréteaux dans la cave et installez la table sous la halle. J’ai envie d’être dehors.

Pendant que la jeune femme était en train de se changer, Georges emprunta un escalier en colimaçon pour aller chercher la planche et les tréteaux. Il prit d’abord les tréteaux car le tout était trop lourd pour un seul aller. Lorsqu’il remonta la grande pièce en bois, l’homme un peu affaibli par tous ses voyages eut du mal à la porter. La planche cognait sans arrêt les murs et les rampes de l’escalier. Il traversa un grand couloir, puis passa le perron. En passant, Georges emporta sans faire exprès le portrait en pâte à sel qui était accroché, avec la planche. Celui-ci tomba et se brisa en plusieurs morceaux. Pendant que Georges installait la table, Iris était revenue, des tomates à la main. Elle vit la porte en bois et fer forgé grande ouverte et la sculpture brisée sur le sol. Elle posa les fruits sur la table, et ramassa les morceaux de pâte à sel. Elle remarqua qu’un gros bout de fer dépassait, alors elle s’écria :

- J’ai trouvé quelque chose !

Georges qui avait fini se rapprocha d’elle et lui dit : -Montre-moi !

Il prit le plus gros morceau, et essaya de dégager le métal. Georges et Iris avaient sous leurs yeux une clé. S’agissait-il de celle de l’atelier de Louis ?

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Texte : Thomas Arlès

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Les Jours se passent la mainA la lumière des NuitsSous les cloches de dimanche

L’un après l’autreChacun son tourRaconte une histoireUne histoire des pas et des ombresQui mijotent dans l’absoluQui passent derrière les miroirsComme des fantômes inconnusDes aventures nocturnesRemplissent les verresDans des bars assoiffésLà où tes lèvres videsCherchent un refugeLa chair, la chaleur, le plaisir,Pour se nourrir.

Adam et Eve,Roméo et Juliette,L’Amour et le Sacrifice,Mon corps est Ton âme.

Nous courons auprès du TempsCherchant un abriDans les temples des horloges.

- Nous tous, dépourvus, pendussur un bout de bois en forme de croix

Poésie

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Poème : Barbora Ruláková

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