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Page 1: REPERES - Institut Français De L'educationife.ens-lyon.fr/publications/edition-electronique/re...Eco, Six promenades dans les bois du roman etd'ailleurs, Grasset, 1996 Ce numéro
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REPERES

Rédactrice en chef: Catherine TAUVERONSecrétaire de rédaction : Gilbert DUCANCELDirecteur de publication : Anne-Marie PERRIN-NAFFAKH, directrice de l'INRP

COMITÉ DE RÉDACTION

Jacques COLOMB, Département Didactiques des disciplines, INRPMichel DABENE, Université Stendhal, GrenobleIsabelle DELCAMBRE, Université Charles de Gaulle, LilleGilbert DUCANCEL, IUFM de Picardie, Centre d'AmiensClaudine GARCIA-DEBANC, IUFM de ToulouseMarie-Madeleine de GAULMYN, Université Louis Lumière, Lyon IIFrancis GROSSMANN, Université Stendhal, GrenobleDanièle MANESSE, Université Paris VFrancis MARCOIN, Université d'ArtoisMaryvonne MASSELOT, Université de Franche-ComtéAlain NICAISE, Inspection départementale de l'E.N. d'Amiens ISylvie PLANE, IUFM de PoitiersYves REUTER, Université Charles de Gaulle, LilleHélène ROMIAN (rédactrice en chef de 1971 à 1993)

Catherine TAUVERON, INRP, Didactique des disciplines, Équipes Français ÉcoleJacques TREIGNIER, Inspection départementale de l'E.N. de Barentin, 76Gilbert TURCO, IUFM de Rennes

COMITÉ DE LECTURE

Suzanne ALLAIRE, Université de RennesAlain BOUCHEZ, Inspection générale de la Formation des MaitresJean-Paul BRONCKART, Université de GenèveMichel BROSSARD, Université de Bordeaux IIJean-Louis CHISS, ENS de Fontenay-Saint-CloudJacques DAVID, IUFM de Versailles, Centre de Cergy-PontoiseRégine DELAMOTTE-LEGRAND, Université de Haute NormandieFrancette DELAGE, Inspection départementale de l'E.N. de RezéSimone DELESALLE, Université Paris VIIIClaudine FABRE, IUFM de GrenobleJacques FIJALKOW, Université de Toulouse-Le MirailMichel FRANCARD, Faculté de Philosophie et Lettres, Louvain-la-NeuveFrédéric FRANCOIS, Université Paris VGuislaine HAAS, Université de DijonJean-Pierre JAFFRÉ, CNRSDominique LAFONTAINE, Université de LiègeRosine LARTIGUE, IUFM de Créteil, Centre de MelunBernadette MOUVET, Université de LiègeElizabeth NONNON, Université de LilleMarie-Claude PENLOUP, Université de Haute-NormandieMicheline PROUILHAC, IUFM de LimogesBernard SCHNEUWLY, Université de GenèveFrançoise SUBLET, Université de Toulouse Le MirailJacques WEISS, IRDP de Neuchâtel

Rédaction INRP - Département Didactiques des disciplines29, rue d'Ulm 75230 PARIS CEDEX 05

REPERES

Rédactrice en chef: Catherine TAUVERONSecrétaire de rédaction : Gilbert DUCANCELDirecteur de publication : Anne-Marie PERRIN-NAFFAKH, directrice de l'INRP

COMITÉ DE RÉDACTION

Jacques COLOMB, Département Didactiques des disciplines, INRPMichel DABENE, Université Stendhal, GrenobleIsabelle DELCAMBRE, Université Charles de Gaulle, LilleGilbert DUCANCEL, IUFM de Picardie, Centre d'AmiensClaudine GARCIA-DEBANC, IUFM de ToulouseMarie-Madeleine de GAULMYN, Université Louis Lumière, Lyon IIFrancis GROSSMANN, Université Stendhal, GrenobleDanièle MANESSE, Université Paris VFrancis MARCOIN, Université d'ArtoisMaryvonne MASSELOT, Université de Franche-ComtéAlain NICAISE, Inspection départementale de l'E.N. d'Amiens ISylvie PLANE, IUFM de PoitiersYves REUTER, Université Charles de Gaulle, LilleHélène ROMIAN (rédactrice en chef de 1971 à 1993)

Catherine TAUVERON, INRP, Didactique des disciplines, Équipes Français ÉcoleJacques TREIGNIER, Inspection départementale de l'E.N. de Barentin, 76Gilbert TURCO, IUFM de Rennes

COMITÉ DE LECTURE

Suzanne ALLAIRE, Université de RennesAlain BOUCHEZ, Inspection générale de la Formation des MaitresJean-Paul BRONCKART, Université de GenèveMichel BROSSARD, Université de Bordeaux IIJean-Louis CHISS, ENS de Fontenay-Saint-CloudJacques DAVID, IUFM de Versailles, Centre de Cergy-PontoiseRégine DELAMOTTE-LEGRAND, Université de Haute NormandieFrancette DELAGE, Inspection départementale de l'E.N. de RezéSimone DELESALLE, Université Paris VIIIClaudine FABRE, IUFM de GrenobleJacques FIJALKOW, Université de Toulouse-Le MirailMichel FRANCARD, Faculté de Philosophie et Lettres, Louvain-la-NeuveFrédéric FRANCOIS, Université Paris VGuislaine HAAS, Université de DijonJean-Pierre JAFFRÉ, CNRSDominique LAFONTAINE, Université de LiègeRosine LARTIGUE, IUFM de Créteil, Centre de MelunBernadette MOUVET, Université de LiègeElizabeth NONNON, Université de LilleMarie-Claude PENLOUP, Université de Haute-NormandieMicheline PROUILHAC, IUFM de LimogesBernard SCHNEUWLY, Université de GenèveFrançoise SUBLET, Université de Toulouse Le MirailJacques WEISS, IRDP de Neuchâtel

Rédaction INRP - Département Didactiques des disciplines29, rue d'Ulm 75230 PARIS CEDEX 05

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REPERES n° 21-2000

DIVERSITÉ NARRATIVE

Sommaire

PrésentationCatherine TAUVERON, INRP 3

Récits : Approches didactiquesNarratologie, enseignement du récit et didactique du françaisYves REUTER, THEODILE, Université de Lille 3 7

Ce que le récit oral peut nous dire sur le récitElisabeth NONNON, THEODILE, IUFM de Lille 23

La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits : intérêts et problèmesPatricia LAMMERTYN, THEODILE, Université de Lille 3 53

Récits : Media et culturesRécits enfantins en situation de contacts de langues et de culturesFabienne LECONTE, Université d'Orléans, ESA 6065 Dyalang 79

« II nous faut des preuves ». Compétences de lecteurset compétences de spectateurs : l'exemple du récit policier télévisuelBrigitte CHAIX, François QUET, IUFM de Grenoble-Valence 95

Récits : Projets disciplinaires, projets de formationHistoire, Géographie, Éducation civique, trois disciplinesaux prises avec la diversité narrativeFrançois AUDIGIER, Université de Genève 121

Le cycle de vie du Cerisier : une narration « scientifique » ?Elisabeth BAUTIER (ESCOL), Danièle MANESSE (INRP),Brigitte PETERFALVI (INRP), Anne VERIN (INRP) 143

Sujet et héros du récit biographique. L'exemple des histoiresde vie enseignantesRégis MALET, Université Lille 3 165

Note de synthèseSophie GONNAND, Harriet JISA 185

Actualité de la recherche en didactique du français 191

Notes de lectureFrancis GROSMANN, Isabelle DELCAMBRE,Gilbert DUCANCEL, Noëlle CORDARY et Jacques DAVID 1 93

SummariesNick CROWTHER and Gilbert DUCANCEL 209

Numéro coordonné par Yves REUTER et Catherine TAUVERON

REPERES n° 21-2000

DIVERSITÉ NARRATIVE

Sommaire

PrésentationCatherine TAUVERON, INRP 3

Récits : Approches didactiquesNarratologie, enseignement du récit et didactique du françaisYves REUTER, THEODILE, Université de Lille 3 7

Ce que le récit oral peut nous dire sur le récitElisabeth NONNON, THEODILE, IUFM de Lille 23

La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits : intérêts et problèmesPatricia LAMMERTYN, THEODILE, Université de Lille 3 53

Récits : Media et culturesRécits enfantins en situation de contacts de langues et de culturesFabienne LECONTE, Université d'Orléans, ESA 6065 Dyalang 79

« II nous faut des preuves ». Compétences de lecteurset compétences de spectateurs : l'exemple du récit policier télévisuelBrigitte CHAIX, François QUET, IUFM de Grenoble-Valence 95

Récits : Projets disciplinaires, projets de formationHistoire, Géographie, Éducation civique, trois disciplinesaux prises avec la diversité narrativeFrançois AUDIGIER, Université de Genève 121

Le cycle de vie du Cerisier : une narration « scientifique » ?Elisabeth BAUTIER (ESCOL), Danièle MANESSE (INRP),Brigitte PETERFALVI (INRP), Anne VERIN (INRP) 143

Sujet et héros du récit biographique. L'exemple des histoiresde vie enseignantesRégis MALET, Université Lille 3 165

Note de synthèseSophie GONNAND, Harriet JISA 185

Actualité de la recherche en didactique du français 191

Notes de lectureFrancis GROSMANN, Isabelle DELCAMBRE,Gilbert DUCANCEL, Noëlle CORDARY et Jacques DAVID 1 93

SummariesNick CROWTHER and Gilbert DUCANCEL 209

Numéro coordonné par Yves REUTER et Catherine TAUVERON

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AVERTISSEMENT

Utilisation de l'orthographe rectifiée

Après plusieurs dizaines d'autres revues francophones, REPÈRES appliquedorénavant les « Rectifications de l'orthographe » proposées en 1990 par leConseil supérieur de la langue française, enregistrées et recommandées parl'Académie française dans sa dernière édition. Les nouvelles graphies sontd'ores et déjà, pour plus de la moitié d'entre elles, prises en compte dans lesdictionnaires courants. Parmi celles qui apparaissent le plus fréquemment dansles articles de notre revue : maitre, accroitre, connaître, entrainer, événement,...

© INRP, 2000ISBN : 2-7342-0838-5

AVERTISSEMENT

Utilisation de l'orthographe rectifiée

Après plusieurs dizaines d'autres revues francophones, REPÈRES appliquedorénavant les « Rectifications de l'orthographe » proposées en 1990 par leConseil supérieur de la langue française, enregistrées et recommandées parl'Académie française dans sa dernière édition. Les nouvelles graphies sontd'ores et déjà, pour plus de la moitié d'entre elles, prises en compte dans lesdictionnaires courants. Parmi celles qui apparaissent le plus fréquemment dansles articles de notre revue : maitre, accroitre, connaître, entrainer, événement,...

© INRP, 2000ISBN : 2-7342-0838-5

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PRESENTATION

Catherine TAUVERON, INRP

« Les gamins jouent avec des chevaux de bois, des poupées ou des cerfs-volants, afin de se familiariser avec les lois physiques et les actions qu'ilsdevront un jour accomplir vraiment. De la même manière, lire [écrire] unrécit signifie jouer un jeu par lequel on apprend à donner du sens à l'im¬mensité des choses qui se sont produites, se produisent et se produirontdans le monde réel. »

Umberto Eco, Six promenades dans les bois du roman et d'ailleurs,Grasset, 1996

Ce numéro a quelques points communs avec l'ouvrage intitulé La descrip¬tion : théories, recherches, formation, enseignement (1) dont il a été renducompte ici même (Repères 19) : parenté du projet, parenté des questions qui seposent sur les objets d'étude, description / narration, si étroitement imbriquésdans le récit. Ces parentés nous invitent à emprunter aux auteurs un certainnombre de citations à peine modifiées qui, valant pour la description, valentaussi pour la narration (on se permet donc la substitution des termes). Un mêmeconstat de départ : les écrits théoriques et didactiques sur la narration (commesur la description) « se caractérisent souvent par une approche formelle, par uncentrage sur les textes littéraires, au détriment de la diversité sociale ; par uneréflexion inaboutie sur les fonctions du narratif » ; cette approche formelle peuouverte à la diversité des formes et des fonctions ne répond pas précisémentaux difficultés des élèves. Un même projet, ou presque, quoique moins ambi¬tieux : « repenser la [narration] au travers de quatre entrées, celle de sa définition(statut, organisation, fonctions...) ; [celle de la pluralité de ses manifestations] ;

celle de sa place et des problèmes qu'elle soulève en formation desenseignants ; celle de son importance, de ses effets postulés et des difficultésrencontrées dans les disciplines scolaires, français, histoire, [géographie, éduca¬tion civique], sciences expérimentales ».

Dans ce projet, « Diversité narrative » est à entendre dans toute sa diver¬sité.

Diversité tout d'abord d'approches didactiques possibles du récit qui ne seréféreraient pas seulement aux modèles formels de Adam ou Greimas. YvesReuter, comme il l'avait fait pour la description, « réinterroge les modes de for¬malisation du récit les plus couramment retenus comme référence dans lesclasses » qui prennent pour axe principal l'analyse « interne ». II se livre « à unexamen critique du passage de la narratologie dans l'espace de renseignement-apprentissage » et, posant qu'on ne peut penser l'introduction de modèles théo¬riques sans également repenser l'espace théorique spécifique de la didactiquedans son ensemble, ouvre des pistes pour construire autrement les questionsde l'apprentissage du récit. De manière très voisine, Elisabeth Nonnon montrecomment les descriptions du récit écrit ont oblitéré dans le champ scolaire lesspécificités de la narration orale, sa dimension dialogique, sa polyphonie natu¬relle, ses enjeux identitaires et affectifs, ses fonctions sociales, culturelles et

PRESENTATION

Catherine TAUVERON, INRP

« Les gamins jouent avec des chevaux de bois, des poupées ou des cerfs-volants, afin de se familiariser avec les lois physiques et les actions qu'ilsdevront un jour accomplir vraiment. De la même manière, lire [écrire] unrécit signifie jouer un jeu par lequel on apprend à donner du sens à l'im¬mensité des choses qui se sont produites, se produisent et se produirontdans le monde réel. »

Umberto Eco, Six promenades dans les bois du roman et d'ailleurs,Grasset, 1996

Ce numéro a quelques points communs avec l'ouvrage intitulé La descrip¬tion : théories, recherches, formation, enseignement (1) dont il a été renducompte ici même (Repères 19) : parenté du projet, parenté des questions qui seposent sur les objets d'étude, description / narration, si étroitement imbriquésdans le récit. Ces parentés nous invitent à emprunter aux auteurs un certainnombre de citations à peine modifiées qui, valant pour la description, valentaussi pour la narration (on se permet donc la substitution des termes). Un mêmeconstat de départ : les écrits théoriques et didactiques sur la narration (commesur la description) « se caractérisent souvent par une approche formelle, par uncentrage sur les textes littéraires, au détriment de la diversité sociale ; par uneréflexion inaboutie sur les fonctions du narratif » ; cette approche formelle peuouverte à la diversité des formes et des fonctions ne répond pas précisémentaux difficultés des élèves. Un même projet, ou presque, quoique moins ambi¬tieux : « repenser la [narration] au travers de quatre entrées, celle de sa définition(statut, organisation, fonctions...) ; [celle de la pluralité de ses manifestations] ;

celle de sa place et des problèmes qu'elle soulève en formation desenseignants ; celle de son importance, de ses effets postulés et des difficultésrencontrées dans les disciplines scolaires, français, histoire, [géographie, éduca¬tion civique], sciences expérimentales ».

Dans ce projet, « Diversité narrative » est à entendre dans toute sa diver¬sité.

Diversité tout d'abord d'approches didactiques possibles du récit qui ne seréféreraient pas seulement aux modèles formels de Adam ou Greimas. YvesReuter, comme il l'avait fait pour la description, « réinterroge les modes de for¬malisation du récit les plus couramment retenus comme référence dans lesclasses » qui prennent pour axe principal l'analyse « interne ». II se livre « à unexamen critique du passage de la narratologie dans l'espace de renseignement-apprentissage » et, posant qu'on ne peut penser l'introduction de modèles théo¬riques sans également repenser l'espace théorique spécifique de la didactiquedans son ensemble, ouvre des pistes pour construire autrement les questionsde l'apprentissage du récit. De manière très voisine, Elisabeth Nonnon montrecomment les descriptions du récit écrit ont oblitéré dans le champ scolaire lesspécificités de la narration orale, sa dimension dialogique, sa polyphonie natu¬relle, ses enjeux identitaires et affectifs, ses fonctions sociales, culturelles et

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REPÈRES N° 21/2000 C. TAUVERON

cognitives, singulièrement dans les interactions scolaires quotidiennes, et com¬ment les recherches sur le récit oral, dont elle fait la revue, n'ont pas eu l'échoqu'elles méritaient. Patricia Lammertyn, enfin, en mineur, parce que tel n'est pasl'objet central de son propos, plaide pour une prise en compte, au-delà des cri¬tères textuels et linguistiques, de la composante imaginaire, tout en interrogeantses effets ainsi que son articulation avec les formes classiques de l'évaluationscolaire.

Diversité des formes narratives, ensuite, selon le médium qu'elles emprun¬tent. Récits purement langagiers, écrits ou oraux mais également récits sémioti-quement mixtes comme l'est le récit de fiction télévisuel et singulièrement ledessin animé, thème central de l'article de François Quet et Brigitte Chaix.Diversité qui cache une parenté si l'on veut bien admettre que textes et filmsincitent à des démarches interprétatives proches à bien des égards et ont leurplace légitime dans le cadre d'une didactique de la compréhension. Diversitédes formes narratives, selon la culture des sujets et les modes de circulationfamiliaux et sociaux aussi, comme le montre Fabienne Leconte à partir del'exemple d'enfants de migrants issus de familles africaines où la tradition oraledu contage est prégnante mais revêt des formes variées dont l'école a tout inté¬rêt à tenir compte. Diversité, enfin, des réactions et des difficultés des élèvesselon que la consigne appelle des formes narratives différentes (récit fictionnelou récit de vie), et selon les représentations qu'ils se font de l'écriture, objet cen¬tral de l'article de Patricia Lammertyn : l'auteur catégorise les productions obte¬nues en croisant un double ensemble de critères, relevant et de la maitrise desformes textuelles et du contenu mis en scène et s'interroge à partir des quatregroupes de textes ainsi identifiés sur les facteurs qui induisent tel ou tel compor¬tement et sur les représentations de la tâche sous-jacentes à ces comporte¬ments. On voit en particulier comment les bons élèves issus de milieuxculturellement favorisés, parce qu'ils intègrent les normes scolaires et peuventles expliciter, privilégient le pôle formel au détriment de la qualité inventive ducontenu, comme s'ils redoutaient de mettre en scène leur imaginaire ou savaientque l'école n'attend pas qu'ils le fassent. Les élèves en difficulté ou moyens, àl'inverse, tout en ne méconnaissant pas les normes scolaires, se représententl'imaginaire comme espace d'absolue liberté qu'ils aiment à explorer sans soucide la forme.

Diversité des fonctions et des valeurs attribuées à la narration selon les dis¬ciplines ou les situations d'apprentissage, enfin. On soulignait, dans l'ouvragecité, à quel point, dans les disciplines scientifiques, chez les chercheurs commechez les enseignants dans leur classe ou en formation, était sous estimée lafonction heuristique de la description, considérée bien souvent comme unebase empirique de données, préalable à d'autres opérations de conceptualisa¬tion et de raisonnement ultérieures, de plus haut niveau. Et l'un des enjeuxmajeurs des auteurs (deux d'entre eux, François Audigier et Anne Vérin, sont ànouveau sollicités dans le numéro) avait été de montrer, à rencontre des idéesreçues, que la description, loin de seulement « permettre à l'explication, à l'argu¬mentation de se développer, de se concrétiser », loin de seulement « faciliter lacompréhension et la crédibilisation », dans la mesure où elle construit un ordrepar le travail énonciatif, aide à la construction du savoir. Ainsi conçue, la des-

REPÈRES N° 21/2000 C. TAUVERON

cognitives, singulièrement dans les interactions scolaires quotidiennes, et com¬ment les recherches sur le récit oral, dont elle fait la revue, n'ont pas eu l'échoqu'elles méritaient. Patricia Lammertyn, enfin, en mineur, parce que tel n'est pasl'objet central de son propos, plaide pour une prise en compte, au-delà des cri¬tères textuels et linguistiques, de la composante imaginaire, tout en interrogeantses effets ainsi que son articulation avec les formes classiques de l'évaluationscolaire.

Diversité des formes narratives, ensuite, selon le médium qu'elles emprun¬tent. Récits purement langagiers, écrits ou oraux mais également récits sémioti-quement mixtes comme l'est le récit de fiction télévisuel et singulièrement ledessin animé, thème central de l'article de François Quet et Brigitte Chaix.Diversité qui cache une parenté si l'on veut bien admettre que textes et filmsincitent à des démarches interprétatives proches à bien des égards et ont leurplace légitime dans le cadre d'une didactique de la compréhension. Diversitédes formes narratives, selon la culture des sujets et les modes de circulationfamiliaux et sociaux aussi, comme le montre Fabienne Leconte à partir del'exemple d'enfants de migrants issus de familles africaines où la tradition oraledu contage est prégnante mais revêt des formes variées dont l'école a tout inté¬rêt à tenir compte. Diversité, enfin, des réactions et des difficultés des élèvesselon que la consigne appelle des formes narratives différentes (récit fictionnelou récit de vie), et selon les représentations qu'ils se font de l'écriture, objet cen¬tral de l'article de Patricia Lammertyn : l'auteur catégorise les productions obte¬nues en croisant un double ensemble de critères, relevant et de la maitrise desformes textuelles et du contenu mis en scène et s'interroge à partir des quatregroupes de textes ainsi identifiés sur les facteurs qui induisent tel ou tel compor¬tement et sur les représentations de la tâche sous-jacentes à ces comporte¬ments. On voit en particulier comment les bons élèves issus de milieuxculturellement favorisés, parce qu'ils intègrent les normes scolaires et peuventles expliciter, privilégient le pôle formel au détriment de la qualité inventive ducontenu, comme s'ils redoutaient de mettre en scène leur imaginaire ou savaientque l'école n'attend pas qu'ils le fassent. Les élèves en difficulté ou moyens, àl'inverse, tout en ne méconnaissant pas les normes scolaires, se représententl'imaginaire comme espace d'absolue liberté qu'ils aiment à explorer sans soucide la forme.

Diversité des fonctions et des valeurs attribuées à la narration selon les dis¬ciplines ou les situations d'apprentissage, enfin. On soulignait, dans l'ouvragecité, à quel point, dans les disciplines scientifiques, chez les chercheurs commechez les enseignants dans leur classe ou en formation, était sous estimée lafonction heuristique de la description, considérée bien souvent comme unebase empirique de données, préalable à d'autres opérations de conceptualisa¬tion et de raisonnement ultérieures, de plus haut niveau. Et l'un des enjeuxmajeurs des auteurs (deux d'entre eux, François Audigier et Anne Vérin, sont ànouveau sollicités dans le numéro) avait été de montrer, à rencontre des idéesreçues, que la description, loin de seulement « permettre à l'explication, à l'argu¬mentation de se développer, de se concrétiser », loin de seulement « faciliter lacompréhension et la crédibilisation », dans la mesure où elle construit un ordrepar le travail énonciatif, aide à la construction du savoir. Ainsi conçue, la des-

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Présentation

cription a pu être définie comme « une opération de schématisation faite par lelangage pour donner forme à des objets du discours de sorte que cette formeait une signification pour le locuteur lui-même et son interlocuteur », « opérationtrès voisine de l'interprétation ». Dès qu'il est question de parler du réel, la narra¬tion inspire la même méfiance épistémologique, à laquelle peuvent être répon¬dus les mêmes arguments. On trouve l'écho de cette méfiance dans lesconduites scripturales et les discours des enfants étudiés par PatriciaLammertyn : en situation de devoir raconter un épisode marquant de leur exis¬tence, les enfants se sentent contraints et brimés par les données factuelles quiappellent, dans leur représentation, le strict respect ; ils n'envisagent en aucunemanière devoir se livrer à un travail d'interprétation / fictionnalisation, rendupourtant nécessaire par le simple fait que la réalité est mais ne signifie pas etque la raconter c'est lui donner une signification, par le simple fait que « lamémoire, c'est déjà une forme de l'imagination, une forme de la fiction » (2) ;

inféodés aux faits, ils ne s'investissent pas en tant que sujets dans la tâche,quand, comme le montre Régis Mallet, « ce qui est réalisé dans l'espace du récitde vie, c'est tout autant un acte performatif qu'une présence performative », quisuppose la construction du sujet énonçant. Du côté des enseignants, dans lesdisciplines scientifiques, la narration est également perçue comme le fruit d'uneopération cognitive primaire d'enregistrement de faits attestables et, à ce titre,dévalorisée par rapport à l'explication. François Audigier le souligne avec force,la position, attestée en Géographie ou en Éducation civique, est particulièrementparadoxale dans la discipline Histoire qui se méfie autant ou plus que les autresde l'histoire. Si l'Histoire scolaire se méfie de l'histoire, alors qu'il conviendrait,dans les classes, de les réconcilier, c'est parce que la narration, embourbéedans le réel et le factuel, ne saurait se comparer, sur le plan de la valeur intellec¬tuelle, à la prise de distance et de hauteur, à l'obligation d'abstraction et deconceptualisation qu'incarne l'explication. Peu importe au demeurant que lesgrandes explications du monde et de l'homme dans le monde aient transité pardes histoires appelées cosmogonies et mythes, que les religions révélées s'ap¬puient toutes sur des récits paraboliques qui valent explication et argumenta¬tion, ou ne doit-on pas plutôt voir là précisément l'origine de la représentation ?Le récit n'est qu'une pré ou infra-théorisation, une enfance de la pensée explica¬tive. De là à penser qu'elle est une pensée explicative de l'enfance, il n'y a qu'unpas que franchissent, d'une autre manière paradoxale, certains enseignants defrançais invités à réagir aux nouvelles instructions pour le lycée et dont L'écoledes lettres (« 100 points de vue de lecteurs sur la réforme », numéro spécial,15 mars 2000) rapporte les propos : l'introduction des écrits d'invention est ainsipointée par quelques-uns, parmi les « dispositions jugées les plus rétrogrades »,

comme « aveu que le lycée n'est plus qu'un prolongement du collège (vive lerédac !) », ou pire comme une « régression au primaire » (« l'invention n'est pasle fait des adolescents mais des enfants »), une volonté « d'abaissement duniveau d'exigence », étant entendu que « les jeux créatifs de la rédaction nesauraient remplacer les exigences plus abstraites d'une écriture fondée surl'analyse et la synthèse des effets stylistiques dans telle ou telle oeuvre ».

Contradiction, là aussi, d'une discipline, le Français, qui fait des récits des écri¬vains son fonds de commerce prestigieux, qui survalorise la narration littéraire etses auteurs et qui, dans le même temps, les renvoie avec mépris aux amuse¬ments de la petite enfance. A propos du cycle de vie du cerisier, c'est-à-dire

Présentation

cription a pu être définie comme « une opération de schématisation faite par lelangage pour donner forme à des objets du discours de sorte que cette formeait une signification pour le locuteur lui-même et son interlocuteur », « opérationtrès voisine de l'interprétation ». Dès qu'il est question de parler du réel, la narra¬tion inspire la même méfiance épistémologique, à laquelle peuvent être répon¬dus les mêmes arguments. On trouve l'écho de cette méfiance dans lesconduites scripturales et les discours des enfants étudiés par PatriciaLammertyn : en situation de devoir raconter un épisode marquant de leur exis¬tence, les enfants se sentent contraints et brimés par les données factuelles quiappellent, dans leur représentation, le strict respect ; ils n'envisagent en aucunemanière devoir se livrer à un travail d'interprétation / fictionnalisation, rendupourtant nécessaire par le simple fait que la réalité est mais ne signifie pas etque la raconter c'est lui donner une signification, par le simple fait que « lamémoire, c'est déjà une forme de l'imagination, une forme de la fiction » (2) ;

inféodés aux faits, ils ne s'investissent pas en tant que sujets dans la tâche,quand, comme le montre Régis Mallet, « ce qui est réalisé dans l'espace du récitde vie, c'est tout autant un acte performatif qu'une présence performative », quisuppose la construction du sujet énonçant. Du côté des enseignants, dans lesdisciplines scientifiques, la narration est également perçue comme le fruit d'uneopération cognitive primaire d'enregistrement de faits attestables et, à ce titre,dévalorisée par rapport à l'explication. François Audigier le souligne avec force,la position, attestée en Géographie ou en Éducation civique, est particulièrementparadoxale dans la discipline Histoire qui se méfie autant ou plus que les autresde l'histoire. Si l'Histoire scolaire se méfie de l'histoire, alors qu'il conviendrait,dans les classes, de les réconcilier, c'est parce que la narration, embourbéedans le réel et le factuel, ne saurait se comparer, sur le plan de la valeur intellec¬tuelle, à la prise de distance et de hauteur, à l'obligation d'abstraction et deconceptualisation qu'incarne l'explication. Peu importe au demeurant que lesgrandes explications du monde et de l'homme dans le monde aient transité pardes histoires appelées cosmogonies et mythes, que les religions révélées s'ap¬puient toutes sur des récits paraboliques qui valent explication et argumenta¬tion, ou ne doit-on pas plutôt voir là précisément l'origine de la représentation ?Le récit n'est qu'une pré ou infra-théorisation, une enfance de la pensée explica¬tive. De là à penser qu'elle est une pensée explicative de l'enfance, il n'y a qu'unpas que franchissent, d'une autre manière paradoxale, certains enseignants defrançais invités à réagir aux nouvelles instructions pour le lycée et dont L'écoledes lettres (« 100 points de vue de lecteurs sur la réforme », numéro spécial,15 mars 2000) rapporte les propos : l'introduction des écrits d'invention est ainsipointée par quelques-uns, parmi les « dispositions jugées les plus rétrogrades »,

comme « aveu que le lycée n'est plus qu'un prolongement du collège (vive lerédac !) », ou pire comme une « régression au primaire » (« l'invention n'est pasle fait des adolescents mais des enfants »), une volonté « d'abaissement duniveau d'exigence », étant entendu que « les jeux créatifs de la rédaction nesauraient remplacer les exigences plus abstraites d'une écriture fondée surl'analyse et la synthèse des effets stylistiques dans telle ou telle oeuvre ».

Contradiction, là aussi, d'une discipline, le Français, qui fait des récits des écri¬vains son fonds de commerce prestigieux, qui survalorise la narration littéraire etses auteurs et qui, dans le même temps, les renvoie avec mépris aux amuse¬ments de la petite enfance. A propos du cycle de vie du cerisier, c'est-à-dire

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REPÈRES N° 21/2000 C. TAUVERON

d'un fait scientifique inscrit dans la temporalité, Anne Vérin, Elisabeth Bautier,Danièle Manesse et Brigitte Peterfalvi étudient précisément à quelles conditionset sous quelles formes, la narration peut apporter sa contribution à unedémarche explicative en sciences expérimentales ou à l'inverse l'entraver. Enfin,Régis Malet, après avoir étudié le statut du récit et du narrateur-héros dans lediscours biographique oral adressé, fait le bilan des recherches qui se préoccu¬pent de comprendre les ressorts de l'activité enseignante à partir de l'expé¬rience enseignante même, telle qu'elle est rapportée par les sujets dansl'histoire de leur vie professionnelle, puis interroge la pertinence du transfert dela pratique du récit de vie dans la formation.

NOTES

(1) Yves Reuter (éd.), (1998), Presses Universitaires du Septentrion,

(2) J.-L. Borges, in Jean Montalbetti, « Entretiens avec Jorge-Luis Borges », Le maga¬zine littéraire, n° 148, mai 1979

REPÈRES N° 21/2000 C. TAUVERON

d'un fait scientifique inscrit dans la temporalité, Anne Vérin, Elisabeth Bautier,Danièle Manesse et Brigitte Peterfalvi étudient précisément à quelles conditionset sous quelles formes, la narration peut apporter sa contribution à unedémarche explicative en sciences expérimentales ou à l'inverse l'entraver. Enfin,Régis Malet, après avoir étudié le statut du récit et du narrateur-héros dans lediscours biographique oral adressé, fait le bilan des recherches qui se préoccu¬pent de comprendre les ressorts de l'activité enseignante à partir de l'expé¬rience enseignante même, telle qu'elle est rapportée par les sujets dansl'histoire de leur vie professionnelle, puis interroge la pertinence du transfert dela pratique du récit de vie dans la formation.

NOTES

(1) Yves Reuter (éd.), (1998), Presses Universitaires du Septentrion,

(2) J.-L. Borges, in Jean Montalbetti, « Entretiens avec Jorge-Luis Borges », Le maga¬zine littéraire, n° 148, mai 1979

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NARRATOLOGIE, ENSEIGNEMENT DU RÉCITET DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

Yves REUTERÉquipe THÉODILE - EA 1764

Université Charles-de-Gaulle - Lille III

Résumé : Cet article propose une réflexion critique sur le passage de la narrato-logie dans le champ de la didactique du français. Après un retour sur le contextede son introduction et les espoirs qu'elle a suscités, il étudie les transformationsqu'elle a subies et propose un bilan hypothétique de ses effets. Il élabore enfinun programme de recherche portant sur l'enseignement-apprentissage du récitdans un cadre proprement didactique qui ne réduit donc pas ses questions à

celles des applications possibles d'une théorie élaborée dans un autre champscientifique.

Depuis quelques années, les critiques se sont multipliées à l'encontre de lanarratologie et de ses utilisations dans le champ de la didactique aussi bien dela part de théoriciens (1) que de formateurs ou d'enseignants. D'une certainemanière, ce numéro de Repères en constitue un écho. Serait-ce à dire qu'aprèsune période d'enthousiasme, il serait urgent de jeter le bébé avec l'eau du bain ?Cela me paraîtrait pour le moins hâtif. C'est donc à un examen critique du pas¬sage de la narratologie dans l'espace de l'enseignement-apprentissage que j'in¬vite le lecteur en me proposant d'étudier les problèmes que cela soulève avantd'évoquer, de manière prospective, la possibilité de construire autrement lesquestions de l'apprentissage du récit dans un contexte didactique qui mesemble en profonde mutation.

1. DE L'ENGOUEMENT AU FIGEMENT

1.1. L'engouement initial : la volonté rénovatrice

II n'est sans doute pas inutile de rappeler que, dans les années 70-80, lanarratologie a suscité un enthousiasme certain, aussi bien dans le champ desthéories littéraires (voir les revues Littérature, Poétique...) que dans celui de l'in¬tervention didactique et de la réflexion sur celle-ci (2) à une époque où la didac¬tique (qui ne s'appelait pas encore ainsi) était en quête d'identité.

Cet engouement se fondait sans nul doute sur des dimensions cognitive,pédagogique, politique, institutionnelle... inextricablement mêlées. Ainsi, et pourne mentionner que quelques éléments de l'état d'esprit de l'époque (3), je note¬rai :

- un sentiment de convergence avec des configurations épistémologiqueset politiques (structuralisme, marxisme...), voire des disciplines (sociolo-

NARRATOLOGIE, ENSEIGNEMENT DU RÉCITET DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

Yves REUTERÉquipe THÉODILE - EA 1764

Université Charles-de-Gaulle - Lille III

Résumé : Cet article propose une réflexion critique sur le passage de la narrato-logie dans le champ de la didactique du français. Après un retour sur le contextede son introduction et les espoirs qu'elle a suscités, il étudie les transformationsqu'elle a subies et propose un bilan hypothétique de ses effets. Il élabore enfinun programme de recherche portant sur l'enseignement-apprentissage du récitdans un cadre proprement didactique qui ne réduit donc pas ses questions à

celles des applications possibles d'une théorie élaborée dans un autre champscientifique.

Depuis quelques années, les critiques se sont multipliées à l'encontre de lanarratologie et de ses utilisations dans le champ de la didactique aussi bien dela part de théoriciens (1) que de formateurs ou d'enseignants. D'une certainemanière, ce numéro de Repères en constitue un écho. Serait-ce à dire qu'aprèsune période d'enthousiasme, il serait urgent de jeter le bébé avec l'eau du bain ?Cela me paraîtrait pour le moins hâtif. C'est donc à un examen critique du pas¬sage de la narratologie dans l'espace de l'enseignement-apprentissage que j'in¬vite le lecteur en me proposant d'étudier les problèmes que cela soulève avantd'évoquer, de manière prospective, la possibilité de construire autrement lesquestions de l'apprentissage du récit dans un contexte didactique qui mesemble en profonde mutation.

1. DE L'ENGOUEMENT AU FIGEMENT

1.1. L'engouement initial : la volonté rénovatrice

II n'est sans doute pas inutile de rappeler que, dans les années 70-80, lanarratologie a suscité un enthousiasme certain, aussi bien dans le champ desthéories littéraires (voir les revues Littérature, Poétique...) que dans celui de l'in¬tervention didactique et de la réflexion sur celle-ci (2) à une époque où la didac¬tique (qui ne s'appelait pas encore ainsi) était en quête d'identité.

Cet engouement se fondait sans nul doute sur des dimensions cognitive,pédagogique, politique, institutionnelle... inextricablement mêlées. Ainsi, et pourne mentionner que quelques éléments de l'état d'esprit de l'époque (3), je note¬rai :

- un sentiment de convergence avec des configurations épistémologiqueset politiques (structuralisme, marxisme...), voire des disciplines (sociolo-

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REPÈRES N° 21/2000 Y. REUTER

gie, psychanalyse, sémiotique, linguistique...) ou des pratiques artistiques(Nouveau Roman...) qui avaient le vent en poupe ;

- un sentiment de convergence avec des théoriciens ou d'autres rénova¬teurs critiquant l'appareil scolaire, ses contenus et ses formes de trans¬mission (voir les travaux d'Althusser ou ceux de Bourdieu et Passeron...)ou, plus précisément, l'enseignement du français (et notamment l'histoirelittéraire, la rédaction...) ;

- des convictions militantes qui établissaient des parallèles très forts entreespaces politique, théorique et pédagogique (pour le dire d'une façon quiapparaît aujourd'hui caricaturale), dominaient des idées selon lesquellesles « avancées » sur chacun de ces terrains pouvaient être bénéfiques, demanière homologique, pour les autres : ainsi le progrès scientifique étaitconçu comme l'allié des forces progressistes dans les espaces politiqueet scolaire et, sur ce dernier terrain, de « meilleurs » contenus auraient dûpermettre un « meilleur » enseignement qui aurait dû lui-même permettreun « meilleur » apprentissage ;

- un sentiment de solidarité, au sein même de l'école, avec d'autres mili¬tants, centrés sur d'autres objets (pédagogie, jeux poétiques...) ;

- des espoirs d'opérationalisation de la narratologie pour lutter contrel'échec, socialement marqué, grâce à la mise en uvre d'un discoursmoins légitimant (4) et plus précis sur l'organisation des textes (5), d'uneouverture des referents textuels (contes, fantastique, Nouveau Roman...)ainsi que des exercices possibles...

1.2. Les formes du figement

La volonté rénovatrice évoquée précédemment a dû - comme c'est majori¬tairement le cas dans les institutions - composer avec d'autres forces, d'autrescourants et d'autres instances. Cela s'est effectué à différents moments pendantces vingt dernières années ce qui a sans doute fait subir plusieurs torsions -outre les dérives déjà inscrites au départ (cf. 1 .3) - au projet initial. Je m'arrêteraiici, de manière sélective et de façon trop succincte, sur trois de ces dimensions :

l'intégration dans des cadres traditionnels, les compromis institutionnels(accompagnés de confusions entre les espaces didactiques) et les renforce¬ments dus à des recherches ultérieures.

1.2.1. L'intégration dans des cadres traditionnels

Nombre d'éléments de la narratologie ont été en effet - même au prix desimplifications et de confusions (cf. 1 .3) - récupérés dans des cadres tradition¬nels : assimilation du schéma quinaire au plan traditionnel préconisé pour larédaction (6), transformation de notions qui étaient des outils d'analyse en outilsnormatifs, activités d'étiquetage sur le modèle de la grammaire, utilisation desconcepts dans un but évaluatif (réinstaurant les valeurs anciennes pour dépré¬cier les formes narratives paralittéraires ou orales...), cloisonnement maintenuentre types de textes, entre approche des textes et des phrases, et occultationdes récits courants ou d'autres disciplines...

REPÈRES N° 21/2000 Y. REUTER

gie, psychanalyse, sémiotique, linguistique...) ou des pratiques artistiques(Nouveau Roman...) qui avaient le vent en poupe ;

- un sentiment de convergence avec des théoriciens ou d'autres rénova¬teurs critiquant l'appareil scolaire, ses contenus et ses formes de trans¬mission (voir les travaux d'Althusser ou ceux de Bourdieu et Passeron...)ou, plus précisément, l'enseignement du français (et notamment l'histoirelittéraire, la rédaction...) ;

- des convictions militantes qui établissaient des parallèles très forts entreespaces politique, théorique et pédagogique (pour le dire d'une façon quiapparaît aujourd'hui caricaturale), dominaient des idées selon lesquellesles « avancées » sur chacun de ces terrains pouvaient être bénéfiques, demanière homologique, pour les autres : ainsi le progrès scientifique étaitconçu comme l'allié des forces progressistes dans les espaces politiqueet scolaire et, sur ce dernier terrain, de « meilleurs » contenus auraient dûpermettre un « meilleur » enseignement qui aurait dû lui-même permettreun « meilleur » apprentissage ;

- un sentiment de solidarité, au sein même de l'école, avec d'autres mili¬tants, centrés sur d'autres objets (pédagogie, jeux poétiques...) ;

- des espoirs d'opérationalisation de la narratologie pour lutter contrel'échec, socialement marqué, grâce à la mise en uvre d'un discoursmoins légitimant (4) et plus précis sur l'organisation des textes (5), d'uneouverture des referents textuels (contes, fantastique, Nouveau Roman...)ainsi que des exercices possibles...

1.2. Les formes du figement

La volonté rénovatrice évoquée précédemment a dû - comme c'est majori¬tairement le cas dans les institutions - composer avec d'autres forces, d'autrescourants et d'autres instances. Cela s'est effectué à différents moments pendantces vingt dernières années ce qui a sans doute fait subir plusieurs torsions -outre les dérives déjà inscrites au départ (cf. 1 .3) - au projet initial. Je m'arrêteraiici, de manière sélective et de façon trop succincte, sur trois de ces dimensions :

l'intégration dans des cadres traditionnels, les compromis institutionnels(accompagnés de confusions entre les espaces didactiques) et les renforce¬ments dus à des recherches ultérieures.

1.2.1. L'intégration dans des cadres traditionnels

Nombre d'éléments de la narratologie ont été en effet - même au prix desimplifications et de confusions (cf. 1 .3) - récupérés dans des cadres tradition¬nels : assimilation du schéma quinaire au plan traditionnel préconisé pour larédaction (6), transformation de notions qui étaient des outils d'analyse en outilsnormatifs, activités d'étiquetage sur le modèle de la grammaire, utilisation desconcepts dans un but évaluatif (réinstaurant les valeurs anciennes pour dépré¬cier les formes narratives paralittéraires ou orales...), cloisonnement maintenuentre types de textes, entre approche des textes et des phrases, et occultationdes récits courants ou d'autres disciplines...

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Narratologie, enseignement du récit et didactique du français

On pourrait ici se poser deux questions complémentaires qui mériteraient,sans nul doute, des études approfondies. La première consisterait à se deman¬der ce qui, au sein même de la narratologie (comme mode de questionnementet type d'approche) était susceptible de favoriser cette forme d'intégration. Jepense, par exemple, au caractère décontextualisé, abstrait, formel et distanciéde l'objet, sans doute proche par certains aspects de tendances scolaires et del'idéologie lettrée, évacuant dans un même mouvement les dimensions pragma¬tiques du récit, certainement plus éloignées de ces types de pensées, sansdoute aussi plus difficilement didactisables, voire potentiellement mieux articu-lables à des courants novateurs en pédagogie. La seconde question consisteraità se demander, sur le modèle de ce que ChevaUard (1 985) écrivait à propos dela réforme des mathématiques modernes, si la narratologie - avec les caracté¬ristiques que nous avons mentionnées précédemment ainsi que son origine« scientifique » et son aura de nouveauté (7) - n'a pas permis de réinstaurer une« bonne » distance entre savoirs scolaires, savoirs courants et savoirs savants etde réévaluer par là même l'autorité (cognitive) des enseignants sur le récit.

1.2.2. Les compromis institutionnels

II me semble aussi que ces « rencontres » entre volonté novatrice et poidsdes traditions ont engendré une dialectique complexe entre diverses formes decompromis sur le terrain des pratiques et à différents niveaux de l'institution :

instructions officielles, manuels, voire même formation des enseignants.

II y avait sans doute là des bénéfices de modernité réalisables à peu defrais, puisque cela ne remettait pas forcément en cause - ce qui est, économi¬quement et institutionneUement, extrêmement coûteux - les démarches pédago¬giques et que, de surcroît, cela pouvait s'articuler, à certaines conditions, auxvaleurs les plus classiques (cf. 1.2.1).

Dans cette perspective, les questions liées à la transposition didactiqueétaient implicitement résolues sur le mode de la transférabilité directe : les for¬mateurs et les prescripteurs divers « simplifiant » les savoirs savants pour lesenseignants qui, eux-mêmes, les « simplifiaient » pour les élèves (8). En fait,dans la mesure où des questions telles que « Quels savoirs pour qui(chercheurs ? formateurs ? enseignants ? élèves ?) et pour quoi ? » (9) n'étaientpas réellement explicitées, les contenus de la narratologie ont été simplifiés,dilués, détournés... dans une confusion entre didactiques - recherches didac¬tiques, didactique de la didactique (10), pratiques didactiques - sur laquelle Eli¬

sabeth Nonnon (1994, 1998) met l'accent à juste titre et qui perdure encore.

1.2.3. L'étayage par des recherches ultérieures

La situation que je viens d'évoquer a encore été renforcée par des phéno¬mènes d'étayage liés à différents courants de la recherche, par exemple la psy¬chologie cognitive (voir Denhière et Legros 1987 ou Fayol 1985) ou les travauxautour des typologies de textes (sur ce point, voir aussi Nonnon 1994 : 151-152).

Narratologie, enseignement du récit et didactique du français

On pourrait ici se poser deux questions complémentaires qui mériteraient,sans nul doute, des études approfondies. La première consisterait à se deman¬der ce qui, au sein même de la narratologie (comme mode de questionnementet type d'approche) était susceptible de favoriser cette forme d'intégration. Jepense, par exemple, au caractère décontextualisé, abstrait, formel et distanciéde l'objet, sans doute proche par certains aspects de tendances scolaires et del'idéologie lettrée, évacuant dans un même mouvement les dimensions pragma¬tiques du récit, certainement plus éloignées de ces types de pensées, sansdoute aussi plus difficilement didactisables, voire potentiellement mieux articu-lables à des courants novateurs en pédagogie. La seconde question consisteraità se demander, sur le modèle de ce que ChevaUard (1 985) écrivait à propos dela réforme des mathématiques modernes, si la narratologie - avec les caracté¬ristiques que nous avons mentionnées précédemment ainsi que son origine« scientifique » et son aura de nouveauté (7) - n'a pas permis de réinstaurer une« bonne » distance entre savoirs scolaires, savoirs courants et savoirs savants etde réévaluer par là même l'autorité (cognitive) des enseignants sur le récit.

1.2.2. Les compromis institutionnels

II me semble aussi que ces « rencontres » entre volonté novatrice et poidsdes traditions ont engendré une dialectique complexe entre diverses formes decompromis sur le terrain des pratiques et à différents niveaux de l'institution :

instructions officielles, manuels, voire même formation des enseignants.

II y avait sans doute là des bénéfices de modernité réalisables à peu defrais, puisque cela ne remettait pas forcément en cause - ce qui est, économi¬quement et institutionneUement, extrêmement coûteux - les démarches pédago¬giques et que, de surcroît, cela pouvait s'articuler, à certaines conditions, auxvaleurs les plus classiques (cf. 1.2.1).

Dans cette perspective, les questions liées à la transposition didactiqueétaient implicitement résolues sur le mode de la transférabilité directe : les for¬mateurs et les prescripteurs divers « simplifiant » les savoirs savants pour lesenseignants qui, eux-mêmes, les « simplifiaient » pour les élèves (8). En fait,dans la mesure où des questions telles que « Quels savoirs pour qui(chercheurs ? formateurs ? enseignants ? élèves ?) et pour quoi ? » (9) n'étaientpas réellement explicitées, les contenus de la narratologie ont été simplifiés,dilués, détournés... dans une confusion entre didactiques - recherches didac¬tiques, didactique de la didactique (10), pratiques didactiques - sur laquelle Eli¬

sabeth Nonnon (1994, 1998) met l'accent à juste titre et qui perdure encore.

1.2.3. L'étayage par des recherches ultérieures

La situation que je viens d'évoquer a encore été renforcée par des phéno¬mènes d'étayage liés à différents courants de la recherche, par exemple la psy¬chologie cognitive (voir Denhière et Legros 1987 ou Fayol 1985) ou les travauxautour des typologies de textes (sur ce point, voir aussi Nonnon 1994 : 151-152).

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REPÈRES N° 21/2000 Y. REUTER

Le premier courant, étudiant les performances des sujets en production eten réception ou l'évolution de ces performances selon l'âge, a repris - sans for¬cément les interroger (1 1) - des notions issues des théories textuelles en généralet de la narratologie en particulier et, ce faisant, les a en quelque sorte naturali¬sées (12).

Quant au second courant (voir notamment les travaux de Jean-MichelAdam) - évacuant aussi les dimensions pragmatiques et posant la formalisationdu récit provenant de la narratologie en référence (13) -, il a aussi conforté, voirenaturalisé, ce modèle en rejetant en position dominée narration et mise en texteet en rigidifiant les cloisonnements entre types (14)...

1.3. Les modalités du transfert de la narratologie

Si l'on veut cependant ne pas en rester à des oppositions qui risqueraientde tourner à la caricature entre novateurs et traditionnalistes, il convient sansdoute de concevoir que ce que j'ai appelé le figement était inscrit en germes ycompris dans les modalités de reprise de la narratologie chez ses promoteursdans le champ de l'enseignement, même s'il a été accentué par la suite. Je mecontenterai de mentionner ici six de ces modalités déjà bien explorées : l'occul¬tation des débats externes, l'occultation des débats internes, la simplification duréfèrent, l'accentuation de certains de ses pôles, sa dogmatisation, certainesconfusions notionnelles.

Ainsi, les débats entre approches théoriques du récit (narratologie ef autres(15)) ont été en quelque sorte évacués, hypostasiant ainsi un réfèrent théoriqueposé conséquemment comme unique (16). II en a été de même pour les débatsthéoriques internes à la narratologie, occultant divergences synchroniques (voirles débats entre Brémond et Greimas autour du poids respectif des actions etdes acteurs) et évolutions diachroniques (voir l'histoire des débats sur la notionde point de vue (17)). Complémentairement, le réfèrent théorique choisi a étésimplifié, non seulement en raison des explications notionnelles destinées à unautre public que celui des chercheurs mais aussi par toute une série d'opéra¬tions éliminant tendancieUement les dimensions cognitive ou argumentative desrécits (voir les travaux de Greimas) ainsi que des notions importantes telle quecelle de rôle thématique (18), ou encore minorant d'autres concepts pourtantpertinents pour l'analyse des récits courants ou scolaires tels ceux de scènes oude sommaire (Reuter 1994a).

A ces simplifications se sont ajoutées, dans nombre de manuels et parfoisen formation, des confusions déjà maintes fois relevées entre fiction et narration,voix et perspective ou encore actants et acteurs... De surcroît, certains pôlesdes recherches narratologiques ont été accentués au détriment d'autres. II enest ainsi des modèles les plus généraux (le schéma quinaire ou le schémaactantiel...) au détriment des modèles génériques plus spécifiques (19).

Enfin et fondamentalement, la narratologie - exportée sur une autre scèneque la scène théorique - a été dogmatisée. Le transfert a ainsi érigé en lois etinstruments de prescription, de proscription et de normalisation, ce qui avait à

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REPÈRES N° 21/2000 Y. REUTER

Le premier courant, étudiant les performances des sujets en production eten réception ou l'évolution de ces performances selon l'âge, a repris - sans for¬cément les interroger (1 1) - des notions issues des théories textuelles en généralet de la narratologie en particulier et, ce faisant, les a en quelque sorte naturali¬sées (12).

Quant au second courant (voir notamment les travaux de Jean-MichelAdam) - évacuant aussi les dimensions pragmatiques et posant la formalisationdu récit provenant de la narratologie en référence (13) -, il a aussi conforté, voirenaturalisé, ce modèle en rejetant en position dominée narration et mise en texteet en rigidifiant les cloisonnements entre types (14)...

1.3. Les modalités du transfert de la narratologie

Si l'on veut cependant ne pas en rester à des oppositions qui risqueraientde tourner à la caricature entre novateurs et traditionnalistes, il convient sansdoute de concevoir que ce que j'ai appelé le figement était inscrit en germes ycompris dans les modalités de reprise de la narratologie chez ses promoteursdans le champ de l'enseignement, même s'il a été accentué par la suite. Je mecontenterai de mentionner ici six de ces modalités déjà bien explorées : l'occul¬tation des débats externes, l'occultation des débats internes, la simplification duréfèrent, l'accentuation de certains de ses pôles, sa dogmatisation, certainesconfusions notionnelles.

Ainsi, les débats entre approches théoriques du récit (narratologie ef autres(15)) ont été en quelque sorte évacués, hypostasiant ainsi un réfèrent théoriqueposé conséquemment comme unique (16). II en a été de même pour les débatsthéoriques internes à la narratologie, occultant divergences synchroniques (voirles débats entre Brémond et Greimas autour du poids respectif des actions etdes acteurs) et évolutions diachroniques (voir l'histoire des débats sur la notionde point de vue (17)). Complémentairement, le réfèrent théorique choisi a étésimplifié, non seulement en raison des explications notionnelles destinées à unautre public que celui des chercheurs mais aussi par toute une série d'opéra¬tions éliminant tendancieUement les dimensions cognitive ou argumentative desrécits (voir les travaux de Greimas) ainsi que des notions importantes telle quecelle de rôle thématique (18), ou encore minorant d'autres concepts pourtantpertinents pour l'analyse des récits courants ou scolaires tels ceux de scènes oude sommaire (Reuter 1994a).

A ces simplifications se sont ajoutées, dans nombre de manuels et parfoisen formation, des confusions déjà maintes fois relevées entre fiction et narration,voix et perspective ou encore actants et acteurs... De surcroît, certains pôlesdes recherches narratologiques ont été accentués au détriment d'autres. II enest ainsi des modèles les plus généraux (le schéma quinaire ou le schémaactantiel...) au détriment des modèles génériques plus spécifiques (19).

Enfin et fondamentalement, la narratologie - exportée sur une autre scèneque la scène théorique - a été dogmatisée. Le transfert a ainsi érigé en lois etinstruments de prescription, de proscription et de normalisation, ce qui avait à

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Narratologie, enseignement du récit et didactique du français

l'origine, comme tout concept, le statut d'outil heuristique. A des pratiques d'in¬vestigation ont donc succédé, dans un espace social différent (20), des pra¬tiques applicationnistes et d'étiquetage.

Ainsi naturalisée et fétichisée, la narratologie est devenue tendancieUementà l'école - à rencontre du projet de ses fondateurs - te modèle emblématiquedu récit, occultant ainsi ses spécificités : clôture et centrage sur l'objet au détri¬ment des pratiques de lecture et d'écriture, du rapport au contexte et aux fonc¬tions, des questions de réussite et d'effets (Labov 1978), du poids du réfèrentsur son fonctionnement (voir Clanché 1988 et 1992, Kaïci 1992 ou Lammertin icimême) ou des variations selon les espaces sociaux, les disciplines, et lesgenres...

2. UN BILAN À QUESTIONNER

Entre engouement et figement, novation et tradition, transfert initial et ins¬tallation sur la durée, est-il possible d'établir un bilan des usages de la narratolo¬gie et de ses effets dans l'espace scolaire ? Rien n'est moins sûr...

2.1. Un hypothétique état des lieux

En premier lieu, il convient de noter, me semble-t-il, que l'état des lieux estparticulièrement difficile à dresser. II s'agit là d'un problème qui n'a rien de spé¬cifique au récit et que l'on rencontre en didactique quelle que soit la questionprise en considération. On ne peut que le regretter en souhaitant que plus deprogrammes de recherches y soient consacrés. A partir de ce manque, onconviendra donc que ce qui concerne les pratiques effectives dans les pointssuivants (2.2 et 2.3) est parcellaire et hypothétique.

2.2. Des bénéfices indéniables

Malgré les analyses précédentes, il me semblerait absurde de ne pas rele¬ver toute une série d'apports issus de la narratologie (21) (cf. 1.1) même s'ils sesont sans doute, quantitativement et qualitativement, inégalement réalisés :

- des analyses plus précises (22) des textes donnés à lire, écrire et analyseraux élèves, ce qui a engendré, potentiellement, de meilleures articulationsdans l'enseignement de certaines pratiques : la production narrative, engénéral (Ruellan 2000) ou à partir d'une entrée spécifique (par exemple, àpartir du personnage, voir Glaudes et Reuter 1 996 et surtout Tauveron1995), la lecture (23), le commentaire des textes, l'évaluation des écrits(Reuter 1994b et 1998 et les travaux du groupe EVA) ;

- l'explicitation possible des notions adoptées, sans commune mesureavec celles utilisées antérieurement (24) ;

- des possibilités de décloisonnement entre analyse des textes et analysedes phrases ;

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Narratologie, enseignement du récit et didactique du français

l'origine, comme tout concept, le statut d'outil heuristique. A des pratiques d'in¬vestigation ont donc succédé, dans un espace social différent (20), des pra¬tiques applicationnistes et d'étiquetage.

Ainsi naturalisée et fétichisée, la narratologie est devenue tendancieUementà l'école - à rencontre du projet de ses fondateurs - te modèle emblématiquedu récit, occultant ainsi ses spécificités : clôture et centrage sur l'objet au détri¬ment des pratiques de lecture et d'écriture, du rapport au contexte et aux fonc¬tions, des questions de réussite et d'effets (Labov 1978), du poids du réfèrentsur son fonctionnement (voir Clanché 1988 et 1992, Kaïci 1992 ou Lammertin icimême) ou des variations selon les espaces sociaux, les disciplines, et lesgenres...

2. UN BILAN À QUESTIONNER

Entre engouement et figement, novation et tradition, transfert initial et ins¬tallation sur la durée, est-il possible d'établir un bilan des usages de la narratolo¬gie et de ses effets dans l'espace scolaire ? Rien n'est moins sûr...

2.1. Un hypothétique état des lieux

En premier lieu, il convient de noter, me semble-t-il, que l'état des lieux estparticulièrement difficile à dresser. II s'agit là d'un problème qui n'a rien de spé¬cifique au récit et que l'on rencontre en didactique quelle que soit la questionprise en considération. On ne peut que le regretter en souhaitant que plus deprogrammes de recherches y soient consacrés. A partir de ce manque, onconviendra donc que ce qui concerne les pratiques effectives dans les pointssuivants (2.2 et 2.3) est parcellaire et hypothétique.

2.2. Des bénéfices indéniables

Malgré les analyses précédentes, il me semblerait absurde de ne pas rele¬ver toute une série d'apports issus de la narratologie (21) (cf. 1.1) même s'ils sesont sans doute, quantitativement et qualitativement, inégalement réalisés :

- des analyses plus précises (22) des textes donnés à lire, écrire et analyseraux élèves, ce qui a engendré, potentiellement, de meilleures articulationsdans l'enseignement de certaines pratiques : la production narrative, engénéral (Ruellan 2000) ou à partir d'une entrée spécifique (par exemple, àpartir du personnage, voir Glaudes et Reuter 1 996 et surtout Tauveron1995), la lecture (23), le commentaire des textes, l'évaluation des écrits(Reuter 1994b et 1998 et les travaux du groupe EVA) ;

- l'explicitation possible des notions adoptées, sans commune mesureavec celles utilisées antérieurement (24) ;

- des possibilités de décloisonnement entre analyse des textes et analysedes phrases ;

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REPÈRES N° 21/2000 Y. REUTER

- la prise en compte de textes auparavant minorés (contes, fantastique,paralittératures...) au sein d'un discours analytique potentiellement indé¬pendant d'une imposition de valeurs ;

- l'ouverture des exercices possibles par la reprise ou la création d'activitésrenouvelant les pratiques d'apprentissage du récit : complètements,puzzles, choix dans la construction fictionnelle, variations dans les voix oudans les perspectives, parodies...

- la mise en relation - à partir de l'image du meccano : le texte que l'ondémonte et que l'on remonte - du récit, et des opérations de lecture etd'écriture ce qui, à l'époque, non seulement n'avait rien d'évident maisencore permettait de faire passer les élèves de l'imitation - admirationimposée de textes modèles à l'utilisation - appropriation de textessources...

Comme on peut s'en rendre compte, ces apports sont potentiellementénormes, hier comme aujourd'hui...

2.3. Des limites certaines

Les limites de la narratologie dans l'enseignement sont non moins cer¬taines (25). Sans vouloir m'attacher à la tâche impossible de toutes les relever, jementionnerai d'un côté les problèmes structurellement hors du champ de la nar¬ratologie (26) mais néanmoins importants dans l'espace didactique (les relationsà la lecture et à l'écriture, les questions liées au réfèrent, à la fiction, à la créati¬vité...) et de l'autre, ceux qui sont potentiellement produits par la narratologieelle-même, au moins dans un usage tendancieUement applicationniste de celle-ci par exemple, en production, la stéréotypie ou la sous-estimation des ques¬tions de mise en texte ; par exemple, en réception, la volonté de « retrouver » cequi est constitutif des hypothèses de la narratologie (schéma quinaire, schémaactantiel...) au détriment de leur mise en heuristique (pour comprendre etspécifier l'organisation des récits) et de leur mise à l'épreuve (27).

2.4. Retour sur quelques questions didactiques

Que penser de cet hypothétique état des lieux dans une perspective didac¬tique ? J'avancerais volontiers qu'il est tributaire - entre autres facteurs - de laconfiguration de pensée d'une époque « pré-didactique » où l'importation d'unmodèle issu d'un autre espace théorique, sans repenser l'espace théorique spé¬cifique de la didactique (Reuter 1 994 et 2000), ne pouvait qu'engendrer majori¬tairement de l'applicationnisme. II s'agissait, en simplifiant toujours à l'extrême,de transférer sur des objets d'enseignement - apprentissage « classiques » desthéories récentes sur ces objets, indépendamment de leurs relations à l'ensei¬gnement - apprentissage et sans réfléchir au cadre didactique lui-même, auxproblèmes rencontrés par les élèves, aux objectifs possibles, aux démarches...Comme je l'écrivais au début de cet article, on a sans doute fonctionné à cetteépoque sur l'illusion qu'une « meilleure » théorie engendrerait un meilleur ensei¬gnement qui, lui-même engendrerait un meilleur apprentissage. Les mécanismes

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REPÈRES N° 21/2000 Y. REUTER

- la prise en compte de textes auparavant minorés (contes, fantastique,paralittératures...) au sein d'un discours analytique potentiellement indé¬pendant d'une imposition de valeurs ;

- l'ouverture des exercices possibles par la reprise ou la création d'activitésrenouvelant les pratiques d'apprentissage du récit : complètements,puzzles, choix dans la construction fictionnelle, variations dans les voix oudans les perspectives, parodies...

- la mise en relation - à partir de l'image du meccano : le texte que l'ondémonte et que l'on remonte - du récit, et des opérations de lecture etd'écriture ce qui, à l'époque, non seulement n'avait rien d'évident maisencore permettait de faire passer les élèves de l'imitation - admirationimposée de textes modèles à l'utilisation - appropriation de textessources...

Comme on peut s'en rendre compte, ces apports sont potentiellementénormes, hier comme aujourd'hui...

2.3. Des limites certaines

Les limites de la narratologie dans l'enseignement sont non moins cer¬taines (25). Sans vouloir m'attacher à la tâche impossible de toutes les relever, jementionnerai d'un côté les problèmes structurellement hors du champ de la nar¬ratologie (26) mais néanmoins importants dans l'espace didactique (les relationsà la lecture et à l'écriture, les questions liées au réfèrent, à la fiction, à la créati¬vité...) et de l'autre, ceux qui sont potentiellement produits par la narratologieelle-même, au moins dans un usage tendancieUement applicationniste de celle-ci par exemple, en production, la stéréotypie ou la sous-estimation des ques¬tions de mise en texte ; par exemple, en réception, la volonté de « retrouver » cequi est constitutif des hypothèses de la narratologie (schéma quinaire, schémaactantiel...) au détriment de leur mise en heuristique (pour comprendre etspécifier l'organisation des récits) et de leur mise à l'épreuve (27).

2.4. Retour sur quelques questions didactiques

Que penser de cet hypothétique état des lieux dans une perspective didac¬tique ? J'avancerais volontiers qu'il est tributaire - entre autres facteurs - de laconfiguration de pensée d'une époque « pré-didactique » où l'importation d'unmodèle issu d'un autre espace théorique, sans repenser l'espace théorique spé¬cifique de la didactique (Reuter 1 994 et 2000), ne pouvait qu'engendrer majori¬tairement de l'applicationnisme. II s'agissait, en simplifiant toujours à l'extrême,de transférer sur des objets d'enseignement - apprentissage « classiques » desthéories récentes sur ces objets, indépendamment de leurs relations à l'ensei¬gnement - apprentissage et sans réfléchir au cadre didactique lui-même, auxproblèmes rencontrés par les élèves, aux objectifs possibles, aux démarches...Comme je l'écrivais au début de cet article, on a sans doute fonctionné à cetteépoque sur l'illusion qu'une « meilleure » théorie engendrerait un meilleur ensei¬gnement qui, lui-même engendrerait un meilleur apprentissage. Les mécanismes

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Narratologie, enseignement du récit et didactique du français

de la transposition didactique ont donc fonctionné sur le mode (inconscient) dela didactisation d'une théorie avec une question implicite qui était sans doute« Comment didactiser le récit ? » et non « Quels modèles didactiques du récitpour quel enseignement - apprentissage du récit au sein de quelle didactiquedu français ? »

Est-il possible, maintenant que la théorisation didactique s'est autonomiséeet construite, de déplacer le questionnement ?

3. PENSER DIDACTIQUEMENT L'ENSEIGNEMENT -APPRENTISSAGE DU RÉCIT ?

Je poserai d'emblée, en tant que corollaire des analyses précédentes, qu'ils'agit d'abord d'éviter l'écueil qui consisterait à rejeter la narratologie en bloc enrecherchant dans l'espace théorique extra-didactique une meilleure théorie. Ceserait à mon sens reconduire les mêmes erreurs en se contentant de changer deréponse tout en conservant la même question, tout aussi inadéquate qu'aupara¬vant.

Or, comme j'ai essayé de le montrer ailleurs (Reuter 2000), la didactiques'est autonomisée et construite, devenant consciente de nombre de phéno¬mènes et tentant conséquemment de penser la transposition didactique (28) etde produire ses propres questions. Qu'est-ce que cela peut signifier en l'occur¬rence ? Quel programme de recherches peut-on tracer pour penser l'enseigne¬ment - apprentissage du récit dans ces nouveaux cadres ? Je proposerai, danscette perspective, toujours provisoirement et trop succinctement, six directionsde travail (29) tout à fait complémentaires dans mon esprit.

3.1. Quel état des lieux ?

La première direction, en relation avec mes analyses antérieures (cf. 2.1),consiste à dresser un état des lieux des pratiques d'enseignement du récit,qu'elles impliquent ou non la narratologie, afin de pouvoir élaborer une cartogra¬phie de ces pratiques, des effets qu'elles provoquent, des problèmes qu'ellespermettent de résoudre et de ceux sur lesquels elles achoppent.

En l'absence d'un tel instrument, nombre de débats me paraissentcondamnés à rester en grande partie spéculatifs. De même, cela condamne lesdécisions de changement ou d'absence de changement à être prises indépen¬damment d'une véritable analyse des intérêts des élèves.

3.2. Quelles pratiques narratives ont les élèves ?

De la même manière, il me semble urgent d'avancer dans la connaissancedes pratiques (et des représentations) des élèves, même s'il s'agit d'un chantierencore plus important, en tenant compte, autant que faire se peut, de deuxtypes de données complémentaires, au moins :

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Narratologie, enseignement du récit et didactique du français

de la transposition didactique ont donc fonctionné sur le mode (inconscient) dela didactisation d'une théorie avec une question implicite qui était sans doute« Comment didactiser le récit ? » et non « Quels modèles didactiques du récitpour quel enseignement - apprentissage du récit au sein de quelle didactiquedu français ? »

Est-il possible, maintenant que la théorisation didactique s'est autonomiséeet construite, de déplacer le questionnement ?

3. PENSER DIDACTIQUEMENT L'ENSEIGNEMENT -APPRENTISSAGE DU RÉCIT ?

Je poserai d'emblée, en tant que corollaire des analyses précédentes, qu'ils'agit d'abord d'éviter l'écueil qui consisterait à rejeter la narratologie en bloc enrecherchant dans l'espace théorique extra-didactique une meilleure théorie. Ceserait à mon sens reconduire les mêmes erreurs en se contentant de changer deréponse tout en conservant la même question, tout aussi inadéquate qu'aupara¬vant.

Or, comme j'ai essayé de le montrer ailleurs (Reuter 2000), la didactiques'est autonomisée et construite, devenant consciente de nombre de phéno¬mènes et tentant conséquemment de penser la transposition didactique (28) etde produire ses propres questions. Qu'est-ce que cela peut signifier en l'occur¬rence ? Quel programme de recherches peut-on tracer pour penser l'enseigne¬ment - apprentissage du récit dans ces nouveaux cadres ? Je proposerai, danscette perspective, toujours provisoirement et trop succinctement, six directionsde travail (29) tout à fait complémentaires dans mon esprit.

3.1. Quel état des lieux ?

La première direction, en relation avec mes analyses antérieures (cf. 2.1),consiste à dresser un état des lieux des pratiques d'enseignement du récit,qu'elles impliquent ou non la narratologie, afin de pouvoir élaborer une cartogra¬phie de ces pratiques, des effets qu'elles provoquent, des problèmes qu'ellespermettent de résoudre et de ceux sur lesquels elles achoppent.

En l'absence d'un tel instrument, nombre de débats me paraissentcondamnés à rester en grande partie spéculatifs. De même, cela condamne lesdécisions de changement ou d'absence de changement à être prises indépen¬damment d'une véritable analyse des intérêts des élèves.

3.2. Quelles pratiques narratives ont les élèves ?

De la même manière, il me semble urgent d'avancer dans la connaissancedes pratiques (et des représentations) des élèves, même s'il s'agit d'un chantierencore plus important, en tenant compte, autant que faire se peut, de deuxtypes de données complémentaires, au moins :

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REPÈRES N° 21/2000 Y. REUTER

- l'évolution de leurs pratiques, hors école, selon âge, sexe, catégoriesocio-professionnelle des parents et selon le type de réfèrent et le type desituations ;

- l'évolution de leurs pratiques, à l'école, selon les mêmes critères et selonle type d'enseignement - apprentissage (cf. 3.1) en n'évacuant pas, pourdes raisons de commodité méthodologique, ce qui se passe dans desmodes de travail pédagogico-didactiques qui impliquent, par exemple,projet et multiples réécritures (Ruellan 2000).

L'enjeu est ici double : penser les écarts entre ces deux séries de pratiqueset, conséquemment, ce qui serait susceptible de les aider à s'étayer mutuelle¬ment ; penser les lieux les plus féconds de l'intervention didactique en précisantd'éventuels palliers de progression et lieux de résistance.

3.3. Penser le récit au sein de la didactique du français

II me parait aussi constitutif de la nouvelle configuration disciplinaire quej'évoquais de penser ce qui a trait à l'enseignement - apprentissage du récit ausein d'une conception d'ensemble de la didactique du français (30) qui effectue,plus ou moins consciemment, des choix primordiaux quant aux contenus, quantà l'articulation entre savoirs et valeurs, quant aux relations entre savoirs etsavoir-faire, quant aux relations entre « français » et autres disciplines, quant auniveau d'exigence, quant aux finalités, quant aux conditions de l'enseignementet de l'apprentissage, etc. II en va non seulement de la cohérence d'ensemblede l'enseignement - apprentissage du français mais aussi de l'autonomie de ladidactique. En effet, faute de pouvoir théoriser ce cadre général, elle s'expose àproduire des variations sur des objets qui lui sont imposés sans véritablementse donner les moyens d'objectiver les effets de cette imposition.

3.4. Objectifs et outils

C'est, à mon sens, dans ce cadre global - encore insuffisamment théoriséet débattu - qu'il est possible de construire, de manière spécifiquement didac¬tique, les objectifs et les outils dévolus, selon les cas, à l'enseignement -apprentissage du récit « en tant que tel » ou à l'enseignement - apprentissagedu récit au service d'autres objectifs.

En effet, et pourvu qu'on soumette à un examen critique les objets d'ensei¬gnement que la tradition scolaire nous a légués, « enseigner le récit » n'a rien denaturel ou d'évident. S'agit-il de se centrer sur des objets (textuels) ou sur despratiques (31) ? S'agit-il d'apprendre à raconter (par écrit ? par oral ? tous lesgenres ou certains seulement ?) ou encore à écouter, à lire, à comprendre, àanalyser, à interpréter des récits (auquel cas ces compétences sont relativementautonomisées ?) ou s'agit-il d'apprendre à dire, écouter, produire, lire, écouter,analyser, interpréter des discours (auquel cas le narratif est posé comme (sous)composante de savoir-faire (ou d'objets) plus généraux) ?

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REPÈRES N° 21/2000 Y. REUTER

- l'évolution de leurs pratiques, hors école, selon âge, sexe, catégoriesocio-professionnelle des parents et selon le type de réfèrent et le type desituations ;

- l'évolution de leurs pratiques, à l'école, selon les mêmes critères et selonle type d'enseignement - apprentissage (cf. 3.1) en n'évacuant pas, pourdes raisons de commodité méthodologique, ce qui se passe dans desmodes de travail pédagogico-didactiques qui impliquent, par exemple,projet et multiples réécritures (Ruellan 2000).

L'enjeu est ici double : penser les écarts entre ces deux séries de pratiqueset, conséquemment, ce qui serait susceptible de les aider à s'étayer mutuelle¬ment ; penser les lieux les plus féconds de l'intervention didactique en précisantd'éventuels palliers de progression et lieux de résistance.

3.3. Penser le récit au sein de la didactique du français

II me parait aussi constitutif de la nouvelle configuration disciplinaire quej'évoquais de penser ce qui a trait à l'enseignement - apprentissage du récit ausein d'une conception d'ensemble de la didactique du français (30) qui effectue,plus ou moins consciemment, des choix primordiaux quant aux contenus, quantà l'articulation entre savoirs et valeurs, quant aux relations entre savoirs etsavoir-faire, quant aux relations entre « français » et autres disciplines, quant auniveau d'exigence, quant aux finalités, quant aux conditions de l'enseignementet de l'apprentissage, etc. II en va non seulement de la cohérence d'ensemblede l'enseignement - apprentissage du français mais aussi de l'autonomie de ladidactique. En effet, faute de pouvoir théoriser ce cadre général, elle s'expose àproduire des variations sur des objets qui lui sont imposés sans véritablementse donner les moyens d'objectiver les effets de cette imposition.

3.4. Objectifs et outils

C'est, à mon sens, dans ce cadre global - encore insuffisamment théoriséet débattu - qu'il est possible de construire, de manière spécifiquement didac¬tique, les objectifs et les outils dévolus, selon les cas, à l'enseignement -apprentissage du récit « en tant que tel » ou à l'enseignement - apprentissagedu récit au service d'autres objectifs.

En effet, et pourvu qu'on soumette à un examen critique les objets d'ensei¬gnement que la tradition scolaire nous a légués, « enseigner le récit » n'a rien denaturel ou d'évident. S'agit-il de se centrer sur des objets (textuels) ou sur despratiques (31) ? S'agit-il d'apprendre à raconter (par écrit ? par oral ? tous lesgenres ou certains seulement ?) ou encore à écouter, à lire, à comprendre, àanalyser, à interpréter des récits (auquel cas ces compétences sont relativementautonomisées ?) ou s'agit-il d'apprendre à dire, écouter, produire, lire, écouter,analyser, interpréter des discours (auquel cas le narratif est posé comme (sous)composante de savoir-faire (ou d'objets) plus généraux) ?

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Narratologie, enseignement du récit et didactique du français

Mais on peut aussi viser, w'a les récits, à développer les capacités à gérerdes referents imaginaires ou réels, à stimuler la créativité, à récapituler le vécu,voire les aptitudes à la métacognition, à la résolution de problèmes ou auxdémarches heuristiques...

S'agit-il encore d'intervenir sur des difficultés tributaires de l'âge (voir lesanalyses de Clanché, 1988 et 1992, sur les positions éthiques des jeunesenfants réticents devant le « mentir-vrai » de la fiction réaliste) ou liées au niveauscolaire ou à la catégorie sociale d'appartenance (voir les problèmes de dissy¬métrie entre force de l'investissement et qualités formelles de l'écrit soulevéespar Kaïci 1992 ou ceux du rapport au langage et aux situations de communica¬tion soulevées par Bautier et Rochex 1998 ou Lahire 1993) ?

A-t-on comme objectif de donner le goût de lire (ou d'écrire) ou d'introduireaux questions de légitimité littéraire ?

S'agit-il enfin (et la clôture est ici arbitraire) de viser la réalisation de récits« bien formés » d'un point de vue structurel et / ou correctement écrits (auregard des normes grammaticales) et / ou contextuellement pertinents et / ouintéressants (et pour qui ?) ? On conviendra qu'il s'agit là de choix cruciauxmais complexes sur lesquels les décisions se prennent en général implicitement.On conviendra encore que, bien souvent, la plupart de ces objectifs sont pré¬sents mais reliés et hiérarchisés sous des formes différentes assez peu objecti¬vées, explicitées et justifiées. On conviendra enfin que, selon les objectifs, leschoix concernant la progression, les démarches, les situations de travail, lestextes ressources, eto. seront sans doute fort différents. Et qu'il ne peut en êtreque de même pour les théories de référence...

3.5. Les referents théoriques

En effet, selon les questions traitées, il n'est pas possible de faire appel auxmêmes paradigmes théoriques - ou au moins selon les mêmes modalités (32) -et pour chacune de ces questions, au sein d'un même paradigme, différentesthéories sont généralement en concurrence, voire en conflit.

Pour toutes ces questions de surcroit - puisqu'on est dans le champ de ladidactique - plusieurs types de referents théoriques doivent être convoqués enmême temps pour articuler les trois pôles en jeu : celui qui concerne les sujets(leurs pratiques, leurs représentations, leurs opérations mentales...), celui quiconcerne l'objet visé (savoirs ou savoir-faire), celui qui concerne l'enseignement- apprentissage qui les met en relation.

II convient encore de remarquer que, sur chacun de ces pôles et plus parti¬culièrement ici pour ce qui touche au récit, les referents théoriques n'apparais¬sent pas également didactisables, au moins du point de vue économique (33).

Conséquemment - et toujours en fonction du cadre didactique global etdes objectifs retenus - certaines théories seront sélectionnées ou privilégiées,au moins en partie, transformées pour être appropriates et articulables avecd'autres (sur le même pôle ou sur les deux autres), travail complexe qui se situe

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Narratologie, enseignement du récit et didactique du français

Mais on peut aussi viser, w'a les récits, à développer les capacités à gérerdes referents imaginaires ou réels, à stimuler la créativité, à récapituler le vécu,voire les aptitudes à la métacognition, à la résolution de problèmes ou auxdémarches heuristiques...

S'agit-il encore d'intervenir sur des difficultés tributaires de l'âge (voir lesanalyses de Clanché, 1988 et 1992, sur les positions éthiques des jeunesenfants réticents devant le « mentir-vrai » de la fiction réaliste) ou liées au niveauscolaire ou à la catégorie sociale d'appartenance (voir les problèmes de dissy¬métrie entre force de l'investissement et qualités formelles de l'écrit soulevéespar Kaïci 1992 ou ceux du rapport au langage et aux situations de communica¬tion soulevées par Bautier et Rochex 1998 ou Lahire 1993) ?

A-t-on comme objectif de donner le goût de lire (ou d'écrire) ou d'introduireaux questions de légitimité littéraire ?

S'agit-il enfin (et la clôture est ici arbitraire) de viser la réalisation de récits« bien formés » d'un point de vue structurel et / ou correctement écrits (auregard des normes grammaticales) et / ou contextuellement pertinents et / ouintéressants (et pour qui ?) ? On conviendra qu'il s'agit là de choix cruciauxmais complexes sur lesquels les décisions se prennent en général implicitement.On conviendra encore que, bien souvent, la plupart de ces objectifs sont pré¬sents mais reliés et hiérarchisés sous des formes différentes assez peu objecti¬vées, explicitées et justifiées. On conviendra enfin que, selon les objectifs, leschoix concernant la progression, les démarches, les situations de travail, lestextes ressources, eto. seront sans doute fort différents. Et qu'il ne peut en êtreque de même pour les théories de référence...

3.5. Les referents théoriques

En effet, selon les questions traitées, il n'est pas possible de faire appel auxmêmes paradigmes théoriques - ou au moins selon les mêmes modalités (32) -et pour chacune de ces questions, au sein d'un même paradigme, différentesthéories sont généralement en concurrence, voire en conflit.

Pour toutes ces questions de surcroit - puisqu'on est dans le champ de ladidactique - plusieurs types de referents théoriques doivent être convoqués enmême temps pour articuler les trois pôles en jeu : celui qui concerne les sujets(leurs pratiques, leurs représentations, leurs opérations mentales...), celui quiconcerne l'objet visé (savoirs ou savoir-faire), celui qui concerne l'enseignement- apprentissage qui les met en relation.

II convient encore de remarquer que, sur chacun de ces pôles et plus parti¬culièrement ici pour ce qui touche au récit, les referents théoriques n'apparais¬sent pas également didactisables, au moins du point de vue économique (33).

Conséquemment - et toujours en fonction du cadre didactique global etdes objectifs retenus - certaines théories seront sélectionnées ou privilégiées,au moins en partie, transformées pour être appropriates et articulables avecd'autres (sur le même pôle ou sur les deux autres), travail complexe qui se situe

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REPÈRES N° 21/2000 Y. REUTER

inéluctablement dans la pluralité et non dans l'unicité référentielle et qui - aumoins en recherche - ne peut faire l'économie de la formalisation de la com¬plexité aussi bien pour des raisons de connaissance que de transférabilité oud'efficacité (éviter, par exemple, les dissonances voire les contradictions à pro¬pos d'un même objet).

II en va de même de la résolution de problèmes très concrets pour l'inter¬vention didactique tels que la sélection des contenus et des notions, la progres¬sion envisagée, les genres et les textes - sources travaillés, les questionsposées, l'évaluation des écrits des élèves et leur acceptabilité... On conviendraainsi, à titre d'exemple quelque peu ludique, que les différentes définitions durécit que je rappelle dans les lignes suivantes, n'ont pas la même pertinenceface aux problèmes évoqués et sont susceptibles de s'articuler à des choixpédagogiques fort différents :

« La notion de récit minimal pose un problème de définition qui n'est pasmince. [...] Pour moi, dès qu'il y a acte ou événement, fût-il unique, il y ahistoire car il y a transformation, passage d'un état antérieur à un état ulté¬rieur et résultant. [...] une histoire n'a pas besoin d'intéresser pour être unehistoire. » (Genette, 1983, 14)

« Nous définirons le récit comme étant une méthode de récapitulation del'expérience consistant à faire correspondre à une suite d'événements(supposés) réels une suite identique de propositions verbales. [...] Le récitn'est donc qu'un moyen parmi d'autres de récapituler l'expérience passée.Ce qui le caractérise, c'est que les propositions y sont ordonnées tempo¬rellement, en sorte que toute inversion modifie l'ordre des événements telqu'on peut l'interpréter [...] » (Labov, 1978, 295-6)

« Je me suis attardé sur ce sujet [...] pour montrer que l'une des formes lesplus universelles et les plus puissantes du discours dans la communicationhumaine est le récrt. La structure du récit est même inhérente à la praxis del'interaction sociale avant qu'elle ne parvienne à son expression linguis¬tique. Je voudrais maintenant avancer une proposition plus radicaleencore, en affirmant qu'il existe une « impulsion » vers la construction derécits, qui détermine l'ordre de priorité dans lequel les formes grammati¬cales sont maîtrisées par le jeune enfant.Comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, le récit exige quatrecomposantes grammaticales pour être effectivement mis en éuvre. II

requiert d'abord un moyen de mettre en lumière l'action de l'individu ; c'estl'« agentivité » (une action dirigée vers un but, contrôlée par des agents). II

faut ensuite qu'un ordre séquentiel soit établi et maintenu (les événementset les états doivent être « linéarisés » selon certains standards).Troisièmement, il faut une sensibilité à ce qui est « normal » et à ce qui nel'est pas dans l'interaction humaine. Enfin, le récit a besoin de la perspec¬tive du narrateur : dans le jargon des spécialistes de la narration, il ne peutêtre « sans voix ». » (Bruner, 1991 , 89)

« Un texte narratif relate simplement une séquence temporelle d'événe¬ments ; un récit relate une séquence causale d'événements pertinents parrapport à un protagoniste qui poursuit un but ou résoud un problème. »

(Black et Bower 1980, 279)

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REPÈRES N° 21/2000 Y. REUTER

inéluctablement dans la pluralité et non dans l'unicité référentielle et qui - aumoins en recherche - ne peut faire l'économie de la formalisation de la com¬plexité aussi bien pour des raisons de connaissance que de transférabilité oud'efficacité (éviter, par exemple, les dissonances voire les contradictions à pro¬pos d'un même objet).

II en va de même de la résolution de problèmes très concrets pour l'inter¬vention didactique tels que la sélection des contenus et des notions, la progres¬sion envisagée, les genres et les textes - sources travaillés, les questionsposées, l'évaluation des écrits des élèves et leur acceptabilité... On conviendraainsi, à titre d'exemple quelque peu ludique, que les différentes définitions durécit que je rappelle dans les lignes suivantes, n'ont pas la même pertinenceface aux problèmes évoqués et sont susceptibles de s'articuler à des choixpédagogiques fort différents :

« La notion de récit minimal pose un problème de définition qui n'est pasmince. [...] Pour moi, dès qu'il y a acte ou événement, fût-il unique, il y ahistoire car il y a transformation, passage d'un état antérieur à un état ulté¬rieur et résultant. [...] une histoire n'a pas besoin d'intéresser pour être unehistoire. » (Genette, 1983, 14)

« Nous définirons le récit comme étant une méthode de récapitulation del'expérience consistant à faire correspondre à une suite d'événements(supposés) réels une suite identique de propositions verbales. [...] Le récitn'est donc qu'un moyen parmi d'autres de récapituler l'expérience passée.Ce qui le caractérise, c'est que les propositions y sont ordonnées tempo¬rellement, en sorte que toute inversion modifie l'ordre des événements telqu'on peut l'interpréter [...] » (Labov, 1978, 295-6)

« Je me suis attardé sur ce sujet [...] pour montrer que l'une des formes lesplus universelles et les plus puissantes du discours dans la communicationhumaine est le récrt. La structure du récit est même inhérente à la praxis del'interaction sociale avant qu'elle ne parvienne à son expression linguis¬tique. Je voudrais maintenant avancer une proposition plus radicaleencore, en affirmant qu'il existe une « impulsion » vers la construction derécits, qui détermine l'ordre de priorité dans lequel les formes grammati¬cales sont maîtrisées par le jeune enfant.Comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, le récit exige quatrecomposantes grammaticales pour être effectivement mis en éuvre. II

requiert d'abord un moyen de mettre en lumière l'action de l'individu ; c'estl'« agentivité » (une action dirigée vers un but, contrôlée par des agents). II

faut ensuite qu'un ordre séquentiel soit établi et maintenu (les événementset les états doivent être « linéarisés » selon certains standards).Troisièmement, il faut une sensibilité à ce qui est « normal » et à ce qui nel'est pas dans l'interaction humaine. Enfin, le récit a besoin de la perspec¬tive du narrateur : dans le jargon des spécialistes de la narration, il ne peutêtre « sans voix ». » (Bruner, 1991 , 89)

« Un texte narratif relate simplement une séquence temporelle d'événe¬ments ; un récit relate une séquence causale d'événements pertinents parrapport à un protagoniste qui poursuit un but ou résoud un problème. »

(Black et Bower 1980, 279)

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Narratologie, enseignement du récit et didactique du français

« Nous croyons que les récits décrivent des problèmes ainsi que les plansdes personnages pour les résoudre. » (idem, 286)

« Si les récits sont des traces des activités de résolution de problèmesmises en uvre par les personnages, alors la représentation de la structuredes récits doivent être similaires à la représentation de la résolution desproblèmes. » (ibidem, 292)

« On peut affirmer que le récit - le texte narratif - possède une structureglobale hiérarchique qui confère aux différents événements (même si leurordonnancement chronologique est déconstruit) une certaine valeur diffé¬rentielle que traduit le schéma de la « super-structure narrative » :

Schéma 1 séquence narrative

Résuméou entréepréface

(PnO)

OrientationSituation

initiale

(Pn1)

Complication

(Pn2)

Actionou

Évaluation

(Pn3)

Résolution

(Pn4)

Situationfinale

Chuteou

Morale

(Adam 1987,4)

« Somme toute, nouer une intrigue, c'est introduire un événement singulierqui déclenche l'action (et / ou l'évaluation) et permet de sortir de la situa¬tion initiale que celle-ci soit problématique ou non. En ce sens, « nouer »

doit être compris comme désignant une opération spécifiquement narrativede mise en texte, indépendamment de toute dimension sémantique.L'ultime critère du récit est donc la présence, dans un texte d'action, d'unN et d'un Dénouement. » (Revaz 1997, 195)

3.6. Distinguer les espaces didactiques

II me semble que ce programme doit impérativement être complété,comme je le signalais précédemment (1 .2.2) par des recherches visant à distin¬guer et à spécifier les espaces des recherches en didactique, de la didactiquede la didactique (en tant que discipline de formation des enseignants) et despratiques didactiques (en tant que discipline scolaire), cela afin d'éviter touteréalisation caricaturale de la transposition didactique les mélangeant (Nonnon1998 : 166) et de réfléchir aux besoins spécifiques de chacun de ces espaces,aux savoirs nécessaires pour les chercheurs et / ou pour les formateurs et / oupour les maîtres et / ou pour les élèves en fonction des objectifs visés, des com¬pétences en place, des difficultés rencontrées...

Pour conclure cet article, certainement décevant aux yeux de certains dansla mesure où il pose plus de questions qu'il n'apporte de solutions, je dirais

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Narratologie, enseignement du récit et didactique du français

« Nous croyons que les récits décrivent des problèmes ainsi que les plansdes personnages pour les résoudre. » (idem, 286)

« Si les récits sont des traces des activités de résolution de problèmesmises en uvre par les personnages, alors la représentation de la structuredes récits doivent être similaires à la représentation de la résolution desproblèmes. » (ibidem, 292)

« On peut affirmer que le récit - le texte narratif - possède une structureglobale hiérarchique qui confère aux différents événements (même si leurordonnancement chronologique est déconstruit) une certaine valeur diffé¬rentielle que traduit le schéma de la « super-structure narrative » :

Schéma 1 séquence narrative

Résuméou entréepréface

(PnO)

OrientationSituation

initiale

(Pn1)

Complication

(Pn2)

Actionou

Évaluation

(Pn3)

Résolution

(Pn4)

Situationfinale

Chuteou

Morale

(Adam 1987,4)

« Somme toute, nouer une intrigue, c'est introduire un événement singulierqui déclenche l'action (et / ou l'évaluation) et permet de sortir de la situa¬tion initiale que celle-ci soit problématique ou non. En ce sens, « nouer »

doit être compris comme désignant une opération spécifiquement narrativede mise en texte, indépendamment de toute dimension sémantique.L'ultime critère du récit est donc la présence, dans un texte d'action, d'unN et d'un Dénouement. » (Revaz 1997, 195)

3.6. Distinguer les espaces didactiques

II me semble que ce programme doit impérativement être complété,comme je le signalais précédemment (1 .2.2) par des recherches visant à distin¬guer et à spécifier les espaces des recherches en didactique, de la didactiquede la didactique (en tant que discipline de formation des enseignants) et despratiques didactiques (en tant que discipline scolaire), cela afin d'éviter touteréalisation caricaturale de la transposition didactique les mélangeant (Nonnon1998 : 166) et de réfléchir aux besoins spécifiques de chacun de ces espaces,aux savoirs nécessaires pour les chercheurs et / ou pour les formateurs et / oupour les maîtres et / ou pour les élèves en fonction des objectifs visés, des com¬pétences en place, des difficultés rencontrées...

Pour conclure cet article, certainement décevant aux yeux de certains dansla mesure où il pose plus de questions qu'il n'apporte de solutions, je dirais

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REPÈRES N° 21/2000 Y. REUTER

volontiers que la communauté des didacticiens n'a sans doute pas encore prisla mesure des déplacements de la pensée qu'impose la didactique et qu'elleconstruit pourtant avec ténacité. Le cas du récit en est un bon exemple dans lamesure où l'on voit encore comment des propositions théoriques très intéres¬santes ou des propositions pratiques très judicieuses peuvent être construitesdans un rapport aveugle à l'héritage d'objets scolaires. Le cas de la narratologieest complémentairement éclairant quant aux zones de confusion entre espacesdidactiques et aux difficultés à se situer dans une configuration proprementdidactique en « s'accrochant » à des modes de pensée antérieurs liés à uneépoque où celle-ci n'était pas autonomisée. Reste maintenant à travailler pourque des recherches didactiques spécifiques (sur le récit, l'orthographe...) soientcohérentes avec le projet didactique global qu'elles spécifient en retour...

NOTES

(1) Parmi les critiques les plus intéressantes, voir les analyses de Nonnon 1994 et 1998,auxquelles cet article est très fortement redevable.

(2) Voir, notamment les numéros 1 -2 (1 974) à 1 4 (1 977) delà revue Pratiques.

(3) Je recommande aux plus jeunes lecteurs, entre autres, la lecture de l'éditorial dun° 1-2 de Pratiques, suivie de (l'introduction de) l'article initial « Essai d'analysestructurale du « Chat Noir » d'E. A. Poe. Pour une application pédagogique ».

(4) La narratologie - on l'oublie parfois - ne traite pas des questions de légitimité (ou devaleurs) accordée aux récits qui, pour elle, relèvent de la sociologie ou de l'ethnolo¬gie culturelle.

(5) Structures du récit et de la description, « dépassement » de la dichotomie floue entrefond et forme, déplacement des questions du < pourquoi ? » au « comment ? » desfaits textuels...

(6) Et notamment de l'état initial avec l'introduction et de l'état final avec la conclusion.

(7) Due, au moins en partie, au retard dans les traductions de Propp en France et à lasous-estimation de travaux tels ceux de Souriau.

(8) Je prie le lecteur de bien vouloir m'excuser pour la simplification extrême à laquelleje me livre moi-même pour tenter de présenter plus clairement certains problèmes.

(9) Et sous quelles formes ?

(10) Ou didactique de la formation disciplinaire (cf. Brassart et Reuter 1992).

(11) Au moins dans un premier temps.

(12) Cela pose d'ailleurs de véritables problèmes d'articulation entre théories du texte etthéories du sujet auxquels la didactique ne peut éviter de se confronter, pas plusd'ailleurs que les théories du texte ou les théories du sujet...

(13) Pour de multiples raisons parmi lesquelles un effet d'antériorité ou une impression deplus grande adéquation aux cadres théoriques mis en place.

(14) Même au corps défendant de ses promoteurs.

(15) Pour avoir une idée d'autres approches possibles, voir - entre autres - Black etBower 1984, Bruner 1991, Debray et Pachoud 1992, Jolies 1930/1972, Labov 1978,les travaux de Richur ainsi que les articles de Nonnon 1994 et 2000 et de Brassart1993.

(16) Or la sélection d'un réfèrent théorique parmi d'autres possibles est une opérationfondamentale.

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REPÈRES N° 21/2000 Y. REUTER

volontiers que la communauté des didacticiens n'a sans doute pas encore prisla mesure des déplacements de la pensée qu'impose la didactique et qu'elleconstruit pourtant avec ténacité. Le cas du récit en est un bon exemple dans lamesure où l'on voit encore comment des propositions théoriques très intéres¬santes ou des propositions pratiques très judicieuses peuvent être construitesdans un rapport aveugle à l'héritage d'objets scolaires. Le cas de la narratologieest complémentairement éclairant quant aux zones de confusion entre espacesdidactiques et aux difficultés à se situer dans une configuration proprementdidactique en « s'accrochant » à des modes de pensée antérieurs liés à uneépoque où celle-ci n'était pas autonomisée. Reste maintenant à travailler pourque des recherches didactiques spécifiques (sur le récit, l'orthographe...) soientcohérentes avec le projet didactique global qu'elles spécifient en retour...

NOTES

(1) Parmi les critiques les plus intéressantes, voir les analyses de Nonnon 1994 et 1998,auxquelles cet article est très fortement redevable.

(2) Voir, notamment les numéros 1 -2 (1 974) à 1 4 (1 977) delà revue Pratiques.

(3) Je recommande aux plus jeunes lecteurs, entre autres, la lecture de l'éditorial dun° 1-2 de Pratiques, suivie de (l'introduction de) l'article initial « Essai d'analysestructurale du « Chat Noir » d'E. A. Poe. Pour une application pédagogique ».

(4) La narratologie - on l'oublie parfois - ne traite pas des questions de légitimité (ou devaleurs) accordée aux récits qui, pour elle, relèvent de la sociologie ou de l'ethnolo¬gie culturelle.

(5) Structures du récit et de la description, « dépassement » de la dichotomie floue entrefond et forme, déplacement des questions du < pourquoi ? » au « comment ? » desfaits textuels...

(6) Et notamment de l'état initial avec l'introduction et de l'état final avec la conclusion.

(7) Due, au moins en partie, au retard dans les traductions de Propp en France et à lasous-estimation de travaux tels ceux de Souriau.

(8) Je prie le lecteur de bien vouloir m'excuser pour la simplification extrême à laquelleje me livre moi-même pour tenter de présenter plus clairement certains problèmes.

(9) Et sous quelles formes ?

(10) Ou didactique de la formation disciplinaire (cf. Brassart et Reuter 1992).

(11) Au moins dans un premier temps.

(12) Cela pose d'ailleurs de véritables problèmes d'articulation entre théories du texte etthéories du sujet auxquels la didactique ne peut éviter de se confronter, pas plusd'ailleurs que les théories du texte ou les théories du sujet...

(13) Pour de multiples raisons parmi lesquelles un effet d'antériorité ou une impression deplus grande adéquation aux cadres théoriques mis en place.

(14) Même au corps défendant de ses promoteurs.

(15) Pour avoir une idée d'autres approches possibles, voir - entre autres - Black etBower 1984, Bruner 1991, Debray et Pachoud 1992, Jolies 1930/1972, Labov 1978,les travaux de Richur ainsi que les articles de Nonnon 1994 et 2000 et de Brassart1993.

(16) Or la sélection d'un réfèrent théorique parmi d'autres possibles est une opérationfondamentale.

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Narratologie, enseignement du récit et didactique du français

(1 7) Voir les travaux de Rabatel 1 997 et 1 998.

(1 8) Sur l'intérêt de cette notion, voir Glaudes et Reuter 1 996 et 1 998.

(19) On peut se demander, ici encore, si certains de ces choix centrés sur la narrativité« pré-textuelle » la plus abstraite et la plus générale sont les plus pertinents du pointde vue des pratiques didactiques et de leurs objectifs...

(20) Même si on a pu retrouver aussi, dans certaines publications universitaires, cesmêmes dérives.

(21) Pour une première approche, voir Reuter 1996 : 28-31 .

(22) Cela concerne plus particulièrement l'organisation de la fiction (actions, person¬nages...), les distinctions et relations entre fiction et narration (voix, perspectives,ordre...) et mise en texte (jeux des temps, des désignateurs...)...

(23) Avec, par exemple, pour l'enseignant, des moyens plus précis de justifier le choixdes textes par rapport à ses objectifs et aux difficultés des élèves (voir, sur ce point,le travail de Catherine Tauveron sur les textes « résistants », Tauveron 1999).

(24) Ce qui permet d'en favoriser la construction par les élèves eux-mêmes. La « clarté »

des notions n'a donc pas seulement des valeurs scientifique ou magistrale (rendre lediscours du maître plus accessible / plus adaptable), elle est aussi une conditionimportante pour changer les démarches pédagogiques en rendant possible laconstruction des savoirs par les élèves.

(25) Ce qui est normal dans la mesure où non seulement ce n'est pas sa vocation pre¬mière mais encore où, comme pour toute autre théorie, cela la distingue de l'idéolo¬gie qui ne connaît pas de limites...

(26) Même si on peut articuler certains de ses apports avec des problématiques qui pren¬nent en compte, centralement, ces questions (cf. 2.1 et la note 32).

(27) Ce qui est d'ailleurs un travers très fréquent, quelle que soit la théorie retenue pourl'approche des textes. Combien d'étudiants, voire de critiques, sont émerveillés dansle cadre d'une approche psychanalytique des textes, de retrouver des fantasmes ori¬ginaires sous-jacents ou, dans le cadre d'une approche marxiste, de retrouver des« traces » des conflits socio-politiques ?

(28) Ce qui ne l'empêche nullement, de continuer à produire nombre de ses effets à l'insudes acteurs éducatifs.

(29) Ici encore en très forte convergence avec Nonnon 1 994 et 1 998.

(30) Ce qui pose de rudes problèmes pour la pratique didactique et aussi pour larecherche didactique en raison non seulement de la spécialisation des chercheursmais encore des frontières entre recherche et idéologie.

(31) « Le texte n'est pas seulement l'objet d'un corpus de savoirs, de connaissances àposséder, il renvoie à un ensemble de pratiques, de savoir-faire à mettre en auvre(lecture - écriture), et la relation entre les deux ordres de maîtrise ne va pas de soi[...]» (Nonnon 1998: 154).

(32) Ainsi la question de l'intérêt produit n'est pas au cÑur des préoccupations de la nar¬ratologie - contrairement à l'approche de William Labov - mais on peut parfaitements'en servir pour tenter de rendre compte d'un certain nombre d'effets de lecture.

(33) Elisabeth Nonnon (1998 : 157) remarque à juste titre qu'a priori les réflexions deRicRur, Veyne ou Bruner ne donnent lieu, immédiatement, à aucun savoir appre-nable sur le récit et à aucun exercice.

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Narratologie, enseignement du récit et didactique du français

(1 7) Voir les travaux de Rabatel 1 997 et 1 998.

(1 8) Sur l'intérêt de cette notion, voir Glaudes et Reuter 1 996 et 1 998.

(19) On peut se demander, ici encore, si certains de ces choix centrés sur la narrativité« pré-textuelle » la plus abstraite et la plus générale sont les plus pertinents du pointde vue des pratiques didactiques et de leurs objectifs...

(20) Même si on a pu retrouver aussi, dans certaines publications universitaires, cesmêmes dérives.

(21) Pour une première approche, voir Reuter 1996 : 28-31 .

(22) Cela concerne plus particulièrement l'organisation de la fiction (actions, person¬nages...), les distinctions et relations entre fiction et narration (voix, perspectives,ordre...) et mise en texte (jeux des temps, des désignateurs...)...

(23) Avec, par exemple, pour l'enseignant, des moyens plus précis de justifier le choixdes textes par rapport à ses objectifs et aux difficultés des élèves (voir, sur ce point,le travail de Catherine Tauveron sur les textes « résistants », Tauveron 1999).

(24) Ce qui permet d'en favoriser la construction par les élèves eux-mêmes. La « clarté »

des notions n'a donc pas seulement des valeurs scientifique ou magistrale (rendre lediscours du maître plus accessible / plus adaptable), elle est aussi une conditionimportante pour changer les démarches pédagogiques en rendant possible laconstruction des savoirs par les élèves.

(25) Ce qui est normal dans la mesure où non seulement ce n'est pas sa vocation pre¬mière mais encore où, comme pour toute autre théorie, cela la distingue de l'idéolo¬gie qui ne connaît pas de limites...

(26) Même si on peut articuler certains de ses apports avec des problématiques qui pren¬nent en compte, centralement, ces questions (cf. 2.1 et la note 32).

(27) Ce qui est d'ailleurs un travers très fréquent, quelle que soit la théorie retenue pourl'approche des textes. Combien d'étudiants, voire de critiques, sont émerveillés dansle cadre d'une approche psychanalytique des textes, de retrouver des fantasmes ori¬ginaires sous-jacents ou, dans le cadre d'une approche marxiste, de retrouver des« traces » des conflits socio-politiques ?

(28) Ce qui ne l'empêche nullement, de continuer à produire nombre de ses effets à l'insudes acteurs éducatifs.

(29) Ici encore en très forte convergence avec Nonnon 1 994 et 1 998.

(30) Ce qui pose de rudes problèmes pour la pratique didactique et aussi pour larecherche didactique en raison non seulement de la spécialisation des chercheursmais encore des frontières entre recherche et idéologie.

(31) « Le texte n'est pas seulement l'objet d'un corpus de savoirs, de connaissances àposséder, il renvoie à un ensemble de pratiques, de savoir-faire à mettre en auvre(lecture - écriture), et la relation entre les deux ordres de maîtrise ne va pas de soi[...]» (Nonnon 1998: 154).

(32) Ainsi la question de l'intérêt produit n'est pas au cÑur des préoccupations de la nar¬ratologie - contrairement à l'approche de William Labov - mais on peut parfaitements'en servir pour tenter de rendre compte d'un certain nombre d'effets de lecture.

(33) Elisabeth Nonnon (1998 : 157) remarque à juste titre qu'a priori les réflexions deRicRur, Veyne ou Bruner ne donnent lieu, immédiatement, à aucun savoir appre-nable sur le récit et à aucun exercice.

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REPÈRES N° 21/2000 Y. REUTER

BIBLIOGRAPHIE

ADAM J. M. (1987) : « Approche linguistique de la séquence descriptive »,

Pratiques, 55, Les textes descriptifs, septembre.

ADAM J. M. (1992) : Les textes : types et prototypes, Paris, Nathan.

BAUDET S. (1986) : « La mémorisation du récit chez l'enfant : origine sociale etaccès à l'information en mémoire », L'année psychologique.

BAUTIER É. et ROCHEX J. Y. (1998) : L'expérience scolaire des nouveauxlycéens. Démocratisation ou massification ? Paris, A. Colin.

BLACK J. B. et BOWER G. H. (1984) : « La compréhension des récits considéréecomme une activité de résolution de problèmes », dans Denhière G. (éd.) : //était une fois... Compréhension et souvenir de récits, Lille, PUL.

BRASSART D. G. et REUTER Y. (1992) : « Former des maîtres en français : élé¬ments pour une didactique de la didactique du français », Études de lin¬guistique appliquée, 87, Recherches en didactique du français et formationdes enseignants, juin-septembre.

BRASSART D. G. (1993) : « Les stratégies de compréhension des textes narra¬tifs. Unicité ou diversité », Spirale, 9, Littérature enfantine I de jeunesse,Lille, mai.

BRÉMOND C. (1973) : Logique du récit, Paris, Seuil.

BRUNER J. S. (1991) : ...Car la culture donne forme à l'esprit. De la révolutioncognitive à la psychologie culturelle, Paris, ESHEL.

CHEVALLARD Y. (1985) : La transposition didactique, Grenoble, La pensée sau¬vage.

CLANCHÉ P. (1992) : « L'enfant de neuf ans, le réel et l'imaginaire », CahiersBinet-Simon, 632, Lire et écrire l'imaginaire à l'école, Toulouse, ERES.

CLANCHÉ P. (1988) : L'enfant écrivain. Génétique et symbolique du texte libre,Paris, Centurion.

DEBRAY Q. et PACHOUD B., éds. (1993) : Le récit. Aspects philosophiques,cognitifs et pathologiques, Paris, Masson.

DENHIÈRE G. et LEGROS D. (1987) : « L'interaction Narration - Description dansle récit. Étude de la mémorisation de différents types de séquences des¬criptives. », L'année psychologique, 87.

EVA (1991) : Évaluer les écrits à l'école primaire, Paris, Hachette.

EVA (1996) : De l'évaluation à la réécriture, Paris, Hachette.

FAYOL M. (1985) : Le récit et sa constmction, une approche de la psychologiecognitive, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé.

GENETTE G. (1983) : Nouveau discours du récit, Paris, Seuil.

GLAUDES P. et REUTER Y. (1996) : Personnage et didactique du récit, Metz,Centre d'analyse syntaxique de l'Université de Metz, diffusionCRESEF-Pratiques.

GLAUDES P. et REUTER Y. (1998) : Le personnage, Paris, PUF, collection Quesais-je ?

GREIMAS A. J. (1966) : Sémantique structurale, Paris, Larousse.

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REPÈRES N° 21/2000 Y. REUTER

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Narratologie, enseignement du récit et didactique du français

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dans Le parler ordinaire, Paris, Minuit, tome 1 .

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niveaux de cohérence dans les pratiques didactiques du récit au collège »,

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NONNON É. (2000) : « Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit », Repères,21 , Diversité narrative.

PROPP V. (1928/1965) : Morphologie du conte, Paris, Seuil.

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semestre.

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REUTER Y. (2000) : « Éléments de réflexion à propos de l'élaboration concep¬tuelle en didactique du français » à paraître dans Marquillo M., éd. :

Questions d'épistémologie en didactique du français.

RICuUR P. (1983, 1984, 1985) : Temps et récit, Paris, Seuil (3 tomes).

RICUR P. (1990) : Soi même comme un autre, Paris, Seuil.

RUELLAN F. (2000) : Un mode de travail didactique pour l'enseignement -apprentissage de l'écriture au cycle 3 de l'enseignement primaire, Thèse deDoctorat Nouveau Régime, Université Charles-de-Gaulle - Lille III.

SOURIAU E. (1950) : Les deux cent mille situations dramatiques, Paris,Flammarion.

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REPÈRES N° 21/2000 Y. REUTER

TAUVERON C. (1995) : Le personnage. Une clef pour la didactique du récit àl'école élémentaire, Neufchâtel, Delachaux et Niestlé.

TAUVERON C. (1999) : « Comprendre et interpréter à l'école : du texte réticentau texte proliférant », Repères, 19, Comprendre et interpréter à l'école.

VEYNE P. (1978) : Comment on écrit Thistoire ? Seuil, rééd. Points.

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REPÈRES N° 21/2000 Y. REUTER

TAUVERON C. (1995) : Le personnage. Une clef pour la didactique du récit àl'école élémentaire, Neufchâtel, Delachaux et Niestlé.

TAUVERON C. (1999) : « Comprendre et interpréter à l'école : du texte réticentau texte proliférant », Repères, 19, Comprendre et interpréter à l'école.

VEYNE P. (1978) : Comment on écrit Thistoire ? Seuil, rééd. Points.

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CE QUE LE RECIT ORAL PEUT NOUS DIRESUR LE RÉCIT

Elisabeth NONNONThéodile Lille III. IUFM de Lille

Résumé : Le récit oral est un grand absent des discours sur le récit dans le cadrescolaire alors qu'il est omniprésent dans les interactions de la vie sociale, de lavie d'une classe notamment, et qu'il est depuis longtemps un objet d'investiga¬tion dans d'autres champs. A certains égards, son étude confronte à une altéritépar rapport à ce qu'on dit à l'école des récits écrits : altérité constitutive du sup¬

port émotionnel et analogique de la voix et du rythme, caractère de performancedans l'instant et la communication partagée ; mais aussi altérité simplement dueau fait qu'il a été étudié à partir d'autres questionnements, mettant l'accent surses fonctions identitaires, sociales et axiologiques, sur son hétérogénéité et sa

variété. Mais beaucoup d'aspects mis en lumière pour les récits oraux valent enfait pour tout récit (le ton, la littérarité notamment) et son étude est comme unrévélateur.

Paradoxalement, alors que la bibliographie du récit est immense, trèsvariée dans ses questionnements et ses champs d'application, le spectre desréférences mobilisées en didactique reste étroit et homogène, et laisse de côtédes pans entiers de la réflexion existante sur le récit, produisant des effets d'hé¬gémonie et de généralisation indue d'approches partielles. C'est un domaine oùapparait de façon frappante la logique sélective des phénomènes de transposi¬tion didactique : les principes de cette sélection sont à interroger, car ils ren¬voient à des choix épistémologiques et idéologiques plus généraux de ladidactique du français, comme j'avais tenté de le montrer à propos de la didac¬tique du récit au collège (1).

Un des exemples en est la quasi-absence de références au récit oral.Beaucoup de modèles largement vulgarisés en didactique, présentés commemodèles du récit en général, valent en fait pour les textes écrits, souvent pourdes catégories très spécifiques de textes écrits (les contes, notamment, dont onprend peu en compte la dimension sociale et orale de contage). Pourtant, la nar¬ration est à l'oral une des formes les plus primitives, fréquentes et significativesde l'interaction sociale entre les hommes, comme l'ont montré nombre de tra¬vaux en anthropologie, en sociologie ou en ethnométhodologie (2). Dans lemonde scolaire plus spécifiquement, le récit était jusqu'il y a peu la conduitediscursive la plus couramment sollicitée sous forme orale, d'ailleurs souventdans des conduites mixtes mêlant l'oral et l'écrit, chez l'enseignant lors de lalecture d'histoires comme chez les élèves, qu'il s'agisse de bribes de récits devie dans les entretiens du matin, de narrations s'appuyant sur la lecture

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CE QUE LE RECIT ORAL PEUT NOUS DIRESUR LE RÉCIT

Elisabeth NONNONThéodile Lille III. IUFM de Lille

Résumé : Le récit oral est un grand absent des discours sur le récit dans le cadrescolaire alors qu'il est omniprésent dans les interactions de la vie sociale, de lavie d'une classe notamment, et qu'il est depuis longtemps un objet d'investiga¬tion dans d'autres champs. A certains égards, son étude confronte à une altéritépar rapport à ce qu'on dit à l'école des récits écrits : altérité constitutive du sup¬

port émotionnel et analogique de la voix et du rythme, caractère de performancedans l'instant et la communication partagée ; mais aussi altérité simplement dueau fait qu'il a été étudié à partir d'autres questionnements, mettant l'accent surses fonctions identitaires, sociales et axiologiques, sur son hétérogénéité et sa

variété. Mais beaucoup d'aspects mis en lumière pour les récits oraux valent enfait pour tout récit (le ton, la littérarité notamment) et son étude est comme unrévélateur.

Paradoxalement, alors que la bibliographie du récit est immense, trèsvariée dans ses questionnements et ses champs d'application, le spectre desréférences mobilisées en didactique reste étroit et homogène, et laisse de côtédes pans entiers de la réflexion existante sur le récit, produisant des effets d'hé¬gémonie et de généralisation indue d'approches partielles. C'est un domaine oùapparait de façon frappante la logique sélective des phénomènes de transposi¬tion didactique : les principes de cette sélection sont à interroger, car ils ren¬voient à des choix épistémologiques et idéologiques plus généraux de ladidactique du français, comme j'avais tenté de le montrer à propos de la didac¬tique du récit au collège (1).

Un des exemples en est la quasi-absence de références au récit oral.Beaucoup de modèles largement vulgarisés en didactique, présentés commemodèles du récit en général, valent en fait pour les textes écrits, souvent pourdes catégories très spécifiques de textes écrits (les contes, notamment, dont onprend peu en compte la dimension sociale et orale de contage). Pourtant, la nar¬ration est à l'oral une des formes les plus primitives, fréquentes et significativesde l'interaction sociale entre les hommes, comme l'ont montré nombre de tra¬vaux en anthropologie, en sociologie ou en ethnométhodologie (2). Dans lemonde scolaire plus spécifiquement, le récit était jusqu'il y a peu la conduitediscursive la plus couramment sollicitée sous forme orale, d'ailleurs souventdans des conduites mixtes mêlant l'oral et l'écrit, chez l'enseignant lors de lalecture d'histoires comme chez les élèves, qu'il s'agisse de bribes de récits devie dans les entretiens du matin, de narrations s'appuyant sur la lecture

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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON

d'images séquentielles et d'albums, ou de la restitution d'histoires racontées.Ces dernières situations ont constitué longtemps la source privilégiée de recueilde données pour évaluer le langage des élèves, ce qui brouille les cartes commele montre Blanche-Benveniste, la complexité cognitive des opérations mises enjeu dans la compréhension et la mise en mots de récits empêchant de situer le

lieu des difficultés de langage (3).

Cette généralisation et cette exclusion renvoient à plusieurs tendancescaractéristiques en didactique du français, du moins si on se place au niveaudes références les plus vulgarisées et d'une bonne part des manuels et outilsdidactiques en usage dans les classes (séquences, grilles d'évaluation, savoirsmis en jeu).

La première est la méconnaissance générale des discours oraux, qui sevérifiait jusque ces dernières années dans leur statut peu légitime comme objetde connaissance, aussi bien dans les champs théoriques des sciences du lan¬gage que dans les pratiques en classe. C'est un des indices d'une difficulté dela didactique du français (du moins sous ses formes prescripfives) à se confron¬ter à des domaines de travail où l'explicitation des normes et la définition desenseignables, non garanties par une longue tradition scolaire, sont moins sécuri¬santes pour elle.

L'élimination des références à la narration orale renvoie aussi à des dimen¬sions qui ne sont pas spécifiques à l'oral, et dont il est simplement un révélateur.Ainsi la prédominance de modèles axés sur les structures formelles, au détri¬ment d'approches privilégiant, dans l'activité narrative, les aspects fonctionnels,culturels, identitaires et la référence à des valeurs communes limite les outils decompréhension des narrations, à l'écrit aussi bien qu'à l'oral.

En troisième lieu, le postulat implicite d'une quasi-symétrie des opérationsde lecture et de production laisse penser que les schémas décrivant les caracté¬ristiques structurelles des textes terminés peuvent être transposés pour guiderla production : cela vaut pour les récits écrits, mais aussi pour d'autres discours,comme l'argumentation. Or, on peut faire l'hypothèse qu'il faut, pour expliciterou aider la dynamique d'engendrement de la narration, recourir à d'autres outils.Cette dimension d'engendrement apparait plus nettement dans le récit oral, quigarde toujours quelque chose d'un événement et d'une dimension processuelle.

Parler de récit oral, surtout au singulier, en l'opposant au récit écrit rejoint laquestion plus générale du statut à donner à l'opposition entre oral et écrit.

Historiquement, la nécessité pour les linguistes ou les sociolinguistes delégitimer l'étude de l'oral face à la prédominance de l'écrit a amené à le consti¬tuer en territoire autonome, en affirmant sa dignité comme objet d'étude à partentière, et la spécificité de ses fonctionnements. Au delà des histoires et straté¬gies internes aux champs théoriques, on doit admettre d'importantes diffé¬rences sur le plan anthropologique, psycholinguistique, linguistique, ce qui peutamener à opposer l'ordre du scriptural et l'ordre de l'oral. Mais, en même temps,les linguistes qui ont le plus montré l'originalité des fonctionnements oraux,comme Culioli, Blanche-Benveniste ou Gadet (4), refusent la dichotomie écrit-

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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON

d'images séquentielles et d'albums, ou de la restitution d'histoires racontées.Ces dernières situations ont constitué longtemps la source privilégiée de recueilde données pour évaluer le langage des élèves, ce qui brouille les cartes commele montre Blanche-Benveniste, la complexité cognitive des opérations mises enjeu dans la compréhension et la mise en mots de récits empêchant de situer le

lieu des difficultés de langage (3).

Cette généralisation et cette exclusion renvoient à plusieurs tendancescaractéristiques en didactique du français, du moins si on se place au niveaudes références les plus vulgarisées et d'une bonne part des manuels et outilsdidactiques en usage dans les classes (séquences, grilles d'évaluation, savoirsmis en jeu).

La première est la méconnaissance générale des discours oraux, qui sevérifiait jusque ces dernières années dans leur statut peu légitime comme objetde connaissance, aussi bien dans les champs théoriques des sciences du lan¬gage que dans les pratiques en classe. C'est un des indices d'une difficulté dela didactique du français (du moins sous ses formes prescripfives) à se confron¬ter à des domaines de travail où l'explicitation des normes et la définition desenseignables, non garanties par une longue tradition scolaire, sont moins sécuri¬santes pour elle.

L'élimination des références à la narration orale renvoie aussi à des dimen¬sions qui ne sont pas spécifiques à l'oral, et dont il est simplement un révélateur.Ainsi la prédominance de modèles axés sur les structures formelles, au détri¬ment d'approches privilégiant, dans l'activité narrative, les aspects fonctionnels,culturels, identitaires et la référence à des valeurs communes limite les outils decompréhension des narrations, à l'écrit aussi bien qu'à l'oral.

En troisième lieu, le postulat implicite d'une quasi-symétrie des opérationsde lecture et de production laisse penser que les schémas décrivant les caracté¬ristiques structurelles des textes terminés peuvent être transposés pour guiderla production : cela vaut pour les récits écrits, mais aussi pour d'autres discours,comme l'argumentation. Or, on peut faire l'hypothèse qu'il faut, pour expliciterou aider la dynamique d'engendrement de la narration, recourir à d'autres outils.Cette dimension d'engendrement apparait plus nettement dans le récit oral, quigarde toujours quelque chose d'un événement et d'une dimension processuelle.

Parler de récit oral, surtout au singulier, en l'opposant au récit écrit rejoint laquestion plus générale du statut à donner à l'opposition entre oral et écrit.

Historiquement, la nécessité pour les linguistes ou les sociolinguistes delégitimer l'étude de l'oral face à la prédominance de l'écrit a amené à le consti¬tuer en territoire autonome, en affirmant sa dignité comme objet d'étude à partentière, et la spécificité de ses fonctionnements. Au delà des histoires et straté¬gies internes aux champs théoriques, on doit admettre d'importantes diffé¬rences sur le plan anthropologique, psycholinguistique, linguistique, ce qui peutamener à opposer l'ordre du scriptural et l'ordre de l'oral. Mais, en même temps,les linguistes qui ont le plus montré l'originalité des fonctionnements oraux,comme Culioli, Blanche-Benveniste ou Gadet (4), refusent la dichotomie écrit-

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

oral et le terme même de langue orale (parlant plutôt de français parlé), opposéà celui de langue écrite : ils montrent qu'il n'y a qu'un système, mis en uvreselon des régimes différents entraînant des façons différentes de faire sens(linéarité temporelle ou spatiale, matériau intonatif et paraverbal opposé à l'abs¬traction du matériau graphique), dans des conditions d'énonciation différentes,ce qui amène notamment une organisation de l'information différente (parexemple en ce qui concerne la thématisation).

On peut se poser les mêmes questions quand on réfléchit sur la notion derécit oral : où faire passer la frontière entre ce qui serait spécifiquement oraldans la narration orale (le rôle de la voix et du corps, par exemple), et ce quirelève de la narration en général, réalisée ici dans des conditions enonciatives etcontextuelles particulières, qui permettent un éclairage différent sur des fonc¬tionnements beaucoup plus généraux du récit ?

Les analyses du récit oral peuvent apparaitre comme spécifiques par rap¬port à celles du récit écrit. II a été érigé en objet d'étude dans des champs dis¬tincts de ceux qui s'intéressaient aux récits écrits : l'anthropologie, lapsychanalyse et la pathologie, avec les récits de rêve et les entretiens cliniques(5), la sociolinguistique avec des analyses d'entretiens ou de récits de vie (6).Les histoires disciplinaires ont ainsi amené à accentuer son altérité par rapportaux pratiques que nous jugeons légitimes dans nos propres cadres culturels : onle voit comme apanage de sociétés primitives ou de cultures traditionnelles, demalades mentaux ou de locuteurs de milieu populaire, sur lesquels se sont cen¬trées beaucoup d'analyses d'entretiens ou de récits de vie (7). Et en mêmetemps, on voit bien qu'une approche anthropologique ou clinique de récits écrits(récits de rêves, journaux intimes.) mettrait en évidence des parentés, autantque des différences.

La frontière établie entre discours oraux et discours écrits recouvre égale¬ment une séparation la plupart du temps abusivement figée entre des genres dediscours : on identifie oral et genres du discours quotidien (ce que Bakhtineappelle des genres premiers, constitués dans divers contextes d'échange ensituation), et discours écrit et genres seconds, institutionnalisés (qui selon lui« absorbent et transmutent les genres premiers de toutes sortes ») (8). Enadmettant l'hypothèse d'une telle dichotomie entre ces deux pôles, on voit biencependant que l'écrit et l'oral peuvent se trouver des deux côtés, et que desdiscours écrits et des discours oraux mis en euvre dans des « genrespremiers » peuvent partager un certain nombre de caractéristiques, qui n'appar¬tiennent pas en propre à l'oral.

Par ailleurs, la majorité des situations scolaires de récit, comme la plupartdes situations professionnelles actuelles, sont à la fois orales et scripturales,langagières et iconiques : restitution de textes lus, contes mémorisés et mimés,commentaires d'écrits, avec tout un continuum de pratiques, depuis la lecturejusqu'à l'improvisation. Ces interférences constantes et complexes entre lesdeux ordres, dans les pratiques ordinaires de notre société lettrée, interrogeégalement la partition dichotomique entre oral et écrit.

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

oral et le terme même de langue orale (parlant plutôt de français parlé), opposéà celui de langue écrite : ils montrent qu'il n'y a qu'un système, mis en uvreselon des régimes différents entraînant des façons différentes de faire sens(linéarité temporelle ou spatiale, matériau intonatif et paraverbal opposé à l'abs¬traction du matériau graphique), dans des conditions d'énonciation différentes,ce qui amène notamment une organisation de l'information différente (parexemple en ce qui concerne la thématisation).

On peut se poser les mêmes questions quand on réfléchit sur la notion derécit oral : où faire passer la frontière entre ce qui serait spécifiquement oraldans la narration orale (le rôle de la voix et du corps, par exemple), et ce quirelève de la narration en général, réalisée ici dans des conditions enonciatives etcontextuelles particulières, qui permettent un éclairage différent sur des fonc¬tionnements beaucoup plus généraux du récit ?

Les analyses du récit oral peuvent apparaitre comme spécifiques par rap¬port à celles du récit écrit. II a été érigé en objet d'étude dans des champs dis¬tincts de ceux qui s'intéressaient aux récits écrits : l'anthropologie, lapsychanalyse et la pathologie, avec les récits de rêve et les entretiens cliniques(5), la sociolinguistique avec des analyses d'entretiens ou de récits de vie (6).Les histoires disciplinaires ont ainsi amené à accentuer son altérité par rapportaux pratiques que nous jugeons légitimes dans nos propres cadres culturels : onle voit comme apanage de sociétés primitives ou de cultures traditionnelles, demalades mentaux ou de locuteurs de milieu populaire, sur lesquels se sont cen¬trées beaucoup d'analyses d'entretiens ou de récits de vie (7). Et en mêmetemps, on voit bien qu'une approche anthropologique ou clinique de récits écrits(récits de rêves, journaux intimes.) mettrait en évidence des parentés, autantque des différences.

La frontière établie entre discours oraux et discours écrits recouvre égale¬ment une séparation la plupart du temps abusivement figée entre des genres dediscours : on identifie oral et genres du discours quotidien (ce que Bakhtineappelle des genres premiers, constitués dans divers contextes d'échange ensituation), et discours écrit et genres seconds, institutionnalisés (qui selon lui« absorbent et transmutent les genres premiers de toutes sortes ») (8). Enadmettant l'hypothèse d'une telle dichotomie entre ces deux pôles, on voit biencependant que l'écrit et l'oral peuvent se trouver des deux côtés, et que desdiscours écrits et des discours oraux mis en euvre dans des « genrespremiers » peuvent partager un certain nombre de caractéristiques, qui n'appar¬tiennent pas en propre à l'oral.

Par ailleurs, la majorité des situations scolaires de récit, comme la plupartdes situations professionnelles actuelles, sont à la fois orales et scripturales,langagières et iconiques : restitution de textes lus, contes mémorisés et mimés,commentaires d'écrits, avec tout un continuum de pratiques, depuis la lecturejusqu'à l'improvisation. Ces interférences constantes et complexes entre lesdeux ordres, dans les pratiques ordinaires de notre société lettrée, interrogeégalement la partition dichotomique entre oral et écrit.

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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON

La narration orale peut, par certains côtés, présenter des caractéristiquesspécifiques par rapport à l'écrit. Elles tiennent à trois facteurs principalement :

ses caractéristiques enonciatives, en particulier sa dimension interiocutived'événement de parole, puisqu'elle s'inscrit dans un dialogue, même si elle estmonologale ; son fonctionnement en face à face porté par la voix, le jeu desregards, et tout ce que le langage peut avoir d'engagement corporel ; enfin sesfonctions et enjeux dans l'interaction, la façon dont elle émerge d'autresconduites, puisqu'elle présente rarement un effet de clôture et d'isolementhomogène comme le récit écrit. Mais, là aussi, on peut penser que ces caracté¬ristiques valent aussi dans une certaine mesure pour le récit écrit, et qu'ellesn'ont été minimisées en didactique que par la prééminence d'approches forma¬listes. En ce sens, les discours oraux sont des révélateurs de fonctionnementsplus généraux du discours, comme on a pu le voir par exemple pour l'argumen¬tation, et s'intéresser à la narration orale peut aider à éclairer l'approche desnarrations écrites.

1. LA DIMENSION DIALOGIQUE DE LA NARRATION ORALE

Les spécificités du récit oral tiennent d'abord à ses caractéristiques enon¬ciatives, liées à la situation d'interlocution où il émerge.

Sauf dans une situation comme celle du conteur (9), où le droit d'occuperla scène interiocutive est garanti par un rôle institutionnel, ou de genres secondscomme le récit radiophonique, le récit advient à l'oral dans un contexte interac¬tionnel de dialogue, et le plus souvent à partir d'autres conduites discursives. Cerapport immédiat au contexte existant et au réel des énoncés d'autrui serait,pour Bakhtine, une des caractéristiques des genres premiers (10). II est doncimportant, pour l'étude du récit lui-même, d'analyser, comme le dit Charaudeau,« comment s'institue une parole de récit dans une situation de communicationdonnée » (11), en fonction de quoi elle impose le silence, comment elle s'orga¬nise en fonction de l'intrusion possible, et comment cet ancrage dialogiquemarque le fonctionnement même de la narration orale. D'autre part, voir com¬ment le récit émerge de contextes marqués par l'hétérogénéité discursive obligeà interroger ses relations avec d'autres formes de discours, argumentation ouexplication, et les formes de passage de l'un à l'autre, par exemple dans lesentretiens. Cela amène à s'interroger sur les rôles divers que les narrationsjouent dans l'interlocution.

1.1. La narration dans le dialogue

La référence majeure est ici Labov, qui dans un chapitre célèbre du Parierordinaire analyse « la structuration du vécu à travers la syntaxe narrative » à par¬tir de narrations orales de jeunes noirs des ghettos, en mettant l'accent à la foissur la dimension interactionnelle, et sur la fonctionnalité identitaire et culturelledu récit.

L'organisation, les caractéristiques linguistiques du récit sont pour lui fon¬damentalement dialogiques : il s'agit, en contexte conversationnel, d'imposerune prise de parole monologale, de garder la parole en prévenant les irruptions

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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON

La narration orale peut, par certains côtés, présenter des caractéristiquesspécifiques par rapport à l'écrit. Elles tiennent à trois facteurs principalement :

ses caractéristiques enonciatives, en particulier sa dimension interiocutived'événement de parole, puisqu'elle s'inscrit dans un dialogue, même si elle estmonologale ; son fonctionnement en face à face porté par la voix, le jeu desregards, et tout ce que le langage peut avoir d'engagement corporel ; enfin sesfonctions et enjeux dans l'interaction, la façon dont elle émerge d'autresconduites, puisqu'elle présente rarement un effet de clôture et d'isolementhomogène comme le récit écrit. Mais, là aussi, on peut penser que ces caracté¬ristiques valent aussi dans une certaine mesure pour le récit écrit, et qu'ellesn'ont été minimisées en didactique que par la prééminence d'approches forma¬listes. En ce sens, les discours oraux sont des révélateurs de fonctionnementsplus généraux du discours, comme on a pu le voir par exemple pour l'argumen¬tation, et s'intéresser à la narration orale peut aider à éclairer l'approche desnarrations écrites.

1. LA DIMENSION DIALOGIQUE DE LA NARRATION ORALE

Les spécificités du récit oral tiennent d'abord à ses caractéristiques enon¬ciatives, liées à la situation d'interlocution où il émerge.

Sauf dans une situation comme celle du conteur (9), où le droit d'occuperla scène interiocutive est garanti par un rôle institutionnel, ou de genres secondscomme le récit radiophonique, le récit advient à l'oral dans un contexte interac¬tionnel de dialogue, et le plus souvent à partir d'autres conduites discursives. Cerapport immédiat au contexte existant et au réel des énoncés d'autrui serait,pour Bakhtine, une des caractéristiques des genres premiers (10). II est doncimportant, pour l'étude du récit lui-même, d'analyser, comme le dit Charaudeau,« comment s'institue une parole de récit dans une situation de communicationdonnée » (11), en fonction de quoi elle impose le silence, comment elle s'orga¬nise en fonction de l'intrusion possible, et comment cet ancrage dialogiquemarque le fonctionnement même de la narration orale. D'autre part, voir com¬ment le récit émerge de contextes marqués par l'hétérogénéité discursive obligeà interroger ses relations avec d'autres formes de discours, argumentation ouexplication, et les formes de passage de l'un à l'autre, par exemple dans lesentretiens. Cela amène à s'interroger sur les rôles divers que les narrationsjouent dans l'interlocution.

1.1. La narration dans le dialogue

La référence majeure est ici Labov, qui dans un chapitre célèbre du Parierordinaire analyse « la structuration du vécu à travers la syntaxe narrative » à par¬tir de narrations orales de jeunes noirs des ghettos, en mettant l'accent à la foissur la dimension interactionnelle, et sur la fonctionnalité identitaire et culturelledu récit.

L'organisation, les caractéristiques linguistiques du récit sont pour lui fon¬damentalement dialogiques : il s'agit, en contexte conversationnel, d'imposerune prise de parole monologale, de garder la parole en prévenant les irruptions

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

et en régulant l'attention des auditeurs, de s'acheminer sans équivoque vers laclôture pour maitriser la restitution de la parole à autrui. Cette performativitéexplique l'importance, dans le récit oral, des unités de discours charnières, quiancrent la narration dans le flux de l'interaction : l'ouverture, qui justifie la prisede parole par une annonce résumant l'événement comme digne d'attention, oupar une négociation pour rendre acceptable la transgression de l'alternance destours ; la clôture, qui marque la complétude de la narration et le retour au pré¬sent de renonciation par une chute, un bilan, et qui indique que le locuteur cèdela parole pour revenir au dialogue.

Mais, à l'intérieur même de la narration, l'altérité est aussi sans cesse pré¬sente, de deux façons. Ce qui pour Labov commande la structure narrative estla tension face aux questions possibles de l'interlocuteur, qu'il s'agit d'anticiperet d'intégrer au récit, même quand il s'impose comme monologue : c'est cettetension dialogique qui constitue la force d'engendrement de la narration.Certaines de ces questions commandent les étapes de la présentation de lafable, et rejoignent les descriptions traditionnelles (de quoi parle-t-on ? Etaprès ? Comment cela a-t-il fini ?), même si, à la différence des structures durécit des écoles structuralistes, les parties qu'il distingue (résumé, indications,développement, conclusion, chute) renvoient moins à l'organisation du contenuqu'à des types de discours différents (12).

Par contre, la question centrale à prévenir prioritairement, qui concernel'enjeu et l'intérêt du récit (« so what ? » et alors ?) touche à un ensemble beau¬coup plus neuf de phénomènes discursifs, que Labov regroupe derrière le termed'évaluation (notion centrale dans son système théorique, avec une acceptionbeaucoup plus large), sur lesquels repose la qualité narrative et la différenceentre bons narrateurs et narrateurs quelconques ; cet aspect de la compétencenarrative distingue aussi les narrateurs selon l'âge. Pour la narration, la compé¬tence d'évaluation correspond à la capacité de rendre sensible la pointe, ladignité narrative du récit, sa dimension d'inédit et sa signification pour le narra¬teur : c'est montrer pourquoi on raconte cela, en quoi cela vaut la peine d'êtreraconté. L'évaluation peut correspondre à des segments de discours centrés surl'interlocuteur, des décrochages énonciatifs introduisant un commentaire axiolo¬gique explicite du récit : par exemple une morale, qui en dégage à la fin letopique. Mais elle est aussi présente au cur de la narration, dont elle sous-tend la dramatisation et la complexité. Selon Labov, la complexité ne vient pasdes unités proprement narratives (qui relèvent de la simple successivité, d'oùl'auditeur infère normalement des relations consécutives sans qu'elles soientexplicitées), mais de conduites discursives hétérogènes, inscrites dans l'organi¬sation narrative elle-même : ruptures et va-et-vient temporels, anticipations etrétroactions, comparaisons et négations, évocation de ce qui aurait pu avoirlieu, pauses explicatives, discours rapporté et monologue intérieur. La tensionevaluative et dialogique, sur laquelle repose la signification du récit, tient aussi àla suspension de l'action et à la dramatisation, qui régule l'attention de l'auditeurpar des moyens linguistiques et paraverbaux : jeu avec la durée (retardements,ellipses), techniques d'intensification (répétition, comparaisons, accumulation,jeux sonores). La compétence narrative ainsi décrite est indépendante de la cor-

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

et en régulant l'attention des auditeurs, de s'acheminer sans équivoque vers laclôture pour maitriser la restitution de la parole à autrui. Cette performativitéexplique l'importance, dans le récit oral, des unités de discours charnières, quiancrent la narration dans le flux de l'interaction : l'ouverture, qui justifie la prisede parole par une annonce résumant l'événement comme digne d'attention, oupar une négociation pour rendre acceptable la transgression de l'alternance destours ; la clôture, qui marque la complétude de la narration et le retour au pré¬sent de renonciation par une chute, un bilan, et qui indique que le locuteur cèdela parole pour revenir au dialogue.

Mais, à l'intérieur même de la narration, l'altérité est aussi sans cesse pré¬sente, de deux façons. Ce qui pour Labov commande la structure narrative estla tension face aux questions possibles de l'interlocuteur, qu'il s'agit d'anticiperet d'intégrer au récit, même quand il s'impose comme monologue : c'est cettetension dialogique qui constitue la force d'engendrement de la narration.Certaines de ces questions commandent les étapes de la présentation de lafable, et rejoignent les descriptions traditionnelles (de quoi parle-t-on ? Etaprès ? Comment cela a-t-il fini ?), même si, à la différence des structures durécit des écoles structuralistes, les parties qu'il distingue (résumé, indications,développement, conclusion, chute) renvoient moins à l'organisation du contenuqu'à des types de discours différents (12).

Par contre, la question centrale à prévenir prioritairement, qui concernel'enjeu et l'intérêt du récit (« so what ? » et alors ?) touche à un ensemble beau¬coup plus neuf de phénomènes discursifs, que Labov regroupe derrière le termed'évaluation (notion centrale dans son système théorique, avec une acceptionbeaucoup plus large), sur lesquels repose la qualité narrative et la différenceentre bons narrateurs et narrateurs quelconques ; cet aspect de la compétencenarrative distingue aussi les narrateurs selon l'âge. Pour la narration, la compé¬tence d'évaluation correspond à la capacité de rendre sensible la pointe, ladignité narrative du récit, sa dimension d'inédit et sa signification pour le narra¬teur : c'est montrer pourquoi on raconte cela, en quoi cela vaut la peine d'êtreraconté. L'évaluation peut correspondre à des segments de discours centrés surl'interlocuteur, des décrochages énonciatifs introduisant un commentaire axiolo¬gique explicite du récit : par exemple une morale, qui en dégage à la fin letopique. Mais elle est aussi présente au cur de la narration, dont elle sous-tend la dramatisation et la complexité. Selon Labov, la complexité ne vient pasdes unités proprement narratives (qui relèvent de la simple successivité, d'oùl'auditeur infère normalement des relations consécutives sans qu'elles soientexplicitées), mais de conduites discursives hétérogènes, inscrites dans l'organi¬sation narrative elle-même : ruptures et va-et-vient temporels, anticipations etrétroactions, comparaisons et négations, évocation de ce qui aurait pu avoirlieu, pauses explicatives, discours rapporté et monologue intérieur. La tensionevaluative et dialogique, sur laquelle repose la signification du récit, tient aussi àla suspension de l'action et à la dramatisation, qui régule l'attention de l'auditeurpar des moyens linguistiques et paraverbaux : jeu avec la durée (retardements,ellipses), techniques d'intensification (répétition, comparaisons, accumulation,jeux sonores). La compétence narrative ainsi décrite est indépendante de la cor-

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REPÈRES N" 21/2000 E. NONNON

rection linguistique, les narrateurs de Labov racontant en langue « non-standard ».

Un des intérêts du travail de Labov pour la didactique, outre sa mise enlumière de la dimension interactionnelle et significative du récit, est que tout ense dégageant de la norme unique de correction linguistique de la langue stan¬dard, il cherche à définir de façon fonctionnelle ce que pourraient être desindices de qualité, de réussite pour une conduite discursive donnée, et à donnerun statut, à côté des facteurs d'intelligibilité du récit, à ce qu'on peut appelerdes facteurs d'intérêt. C'est une préoccupation assez rare dans les descriptionsdu français oral, dont la force est justement d'être non normatives, mais qui, dece fait, laissent de côté la question de la qualité ou du progrès, dont les ensei¬gnants ne peuvent faire l'économie. La notion d'évaluation narrative est de cepoint de vue opératoire dans un travail sur la narration (et au delà, sur d'autresconduites discursives, comme je l'avais montré pour les conduites d'exposition,dans l'exposé (13)).

1.2. La narration comme interaction

Nombre d'études du récit oral se situent plus ou moins dans le prolonge¬ment de cette perspective, en donnant toute son importance à la dimensioninteractionnelle que Labov, selon Brès, aurait mise en lumière sans suffisammentl'exploiter, en restant trop tributaire d'une approche monologique centrée surl'organisation des événements racontés (14). Elles développent cette dimensiondialogique du récit oral dans deux directions. II s'agit, d'une part, de mieuxdégager le fonctionnement dialogique interne au récit lui-même, la polyphoniequi en est constitutive, en analysant par exemple l'alternance du récit et ducommentaire, sensible dans un usage des temps verbaux plus subtil et instableque dans une dichotomie monde relaté / monde commenté (1 5), ou le fonction¬nement du discours rapporté.

Surtout, alors que les récits étudiés par Labov restaient en un sens prochesdu récit canonique (récits monologiques homogènes en réponse à un thèmeproposé, du type la bagarre la plus mémorable), beaucoup d'études récentes sesituent au croisement de l'analyse du récit et l'analyse conversationnelle,domaines restés longtemps distincts (16), pour étudier le récit conversationnelcomme une véritable construction interactive entre interlocuteurs engagés dansune même activité.

Quasthoff notamment considère « chaque interaction comme une tâche destructuration que les participants ont à résoudre ensemble », et « le fait deraconter comme une tâche interactive commune au narrateur et à l'auditeur »,

réalisée selon des modalités particulières dans le cas d'interactions inégales,entre adulte et enfant par exemple. Elle le montre en analysant comment se réa¬lisent dans l'interaction trois dimensions des activités narratives, où la compé¬tence varie selon l'âge des élèves. La première, l'unité narrative, répond toujoursà une contrainte globale apparue dans le cours de la dynamique interactive :

une annonce du narrateur provoque, par exemple, une question ou une relancede l'interlocuteur, qui suscitent à leur tour un enchaînement, soit par une unité

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rection linguistique, les narrateurs de Labov racontant en langue « non-standard ».

Un des intérêts du travail de Labov pour la didactique, outre sa mise enlumière de la dimension interactionnelle et significative du récit, est que tout ense dégageant de la norme unique de correction linguistique de la langue stan¬dard, il cherche à définir de façon fonctionnelle ce que pourraient être desindices de qualité, de réussite pour une conduite discursive donnée, et à donnerun statut, à côté des facteurs d'intelligibilité du récit, à ce qu'on peut appelerdes facteurs d'intérêt. C'est une préoccupation assez rare dans les descriptionsdu français oral, dont la force est justement d'être non normatives, mais qui, dece fait, laissent de côté la question de la qualité ou du progrès, dont les ensei¬gnants ne peuvent faire l'économie. La notion d'évaluation narrative est de cepoint de vue opératoire dans un travail sur la narration (et au delà, sur d'autresconduites discursives, comme je l'avais montré pour les conduites d'exposition,dans l'exposé (13)).

1.2. La narration comme interaction

Nombre d'études du récit oral se situent plus ou moins dans le prolonge¬ment de cette perspective, en donnant toute son importance à la dimensioninteractionnelle que Labov, selon Brès, aurait mise en lumière sans suffisammentl'exploiter, en restant trop tributaire d'une approche monologique centrée surl'organisation des événements racontés (14). Elles développent cette dimensiondialogique du récit oral dans deux directions. II s'agit, d'une part, de mieuxdégager le fonctionnement dialogique interne au récit lui-même, la polyphoniequi en est constitutive, en analysant par exemple l'alternance du récit et ducommentaire, sensible dans un usage des temps verbaux plus subtil et instableque dans une dichotomie monde relaté / monde commenté (1 5), ou le fonction¬nement du discours rapporté.

Surtout, alors que les récits étudiés par Labov restaient en un sens prochesdu récit canonique (récits monologiques homogènes en réponse à un thèmeproposé, du type la bagarre la plus mémorable), beaucoup d'études récentes sesituent au croisement de l'analyse du récit et l'analyse conversationnelle,domaines restés longtemps distincts (16), pour étudier le récit conversationnelcomme une véritable construction interactive entre interlocuteurs engagés dansune même activité.

Quasthoff notamment considère « chaque interaction comme une tâche destructuration que les participants ont à résoudre ensemble », et « le fait deraconter comme une tâche interactive commune au narrateur et à l'auditeur »,

réalisée selon des modalités particulières dans le cas d'interactions inégales,entre adulte et enfant par exemple. Elle le montre en analysant comment se réa¬lisent dans l'interaction trois dimensions des activités narratives, où la compé¬tence varie selon l'âge des élèves. La première, l'unité narrative, répond toujoursà une contrainte globale apparue dans le cours de la dynamique interactive :

une annonce du narrateur provoque, par exemple, une question ou une relancede l'interlocuteur, qui suscitent à leur tour un enchaînement, soit par une unité

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

narrative minimale, soit par une justification du refus de raconter. La deuxièmedimension, la cohérence sémantique dans la construction du contenu, supposeune structure relationnelle entre un événement qui fait rupture, et l'adaptation ducomportement des protagonistes : en ce sens, comme l'avait déjà montréBruner (17), la narration s'organise autour de diverses réactions humaines poursurmonter un problème et réintégrer le non-régulier dans un ordre. Enfin, la troi¬sième dimension concerne les modes narratifs : un même événement peut êtreverbalisé dans plusieurs formes globales, soit sous forme de rapport (une« récapitulation de l'événement, considéré comme achevé du point de vue dumaintenant de la situation de parole »), soit sous forme de récit scénique (une« verbalisation de l'événement du point de vue du vécu d'une des personnesimpliquées dans l'événement »). Selon elle, « c'est de cette mise en perspectiveque procèdent les moyens linguistiques propres au récit scénique : discoursdirect, présent historique, atomisation du continuum événementiel » (18).Comparant sur ce point les narrations d'un incident produites par des enfantsd'âge différent dans des cadres interactionnels scolaires différents, elle montreque les plus jeunes (5 ans) différencient peu ces modes narratifs, qu'à partir de 7ans ils travaillent à les différencier de façon stéréotypée selon le guidaged'adultes (des questions sur les personnages, leurs réactions et leurs paroles,par exemple), et que les plus âgés (10 ans) peuvent les utiliser sans appui del'adulte. Mais l'entrée dans l'un des modes narratifs et son développementdépendent fortement des interventions de l'interlocuteur. C'est l'interaction quifait découvrir le potentiel scénique de la représentation d'un événement : un nar¬rateur qui a commencé par une annonce de nouvelle ou un simple rapport defaits, peut être amené à développer un véritable récit scénique en fonction ducomportement évaluatif de l'interlocuteur, auquel le modèle de discours narratifet les caractéristiques linguistiques mis en ouvre se trouvent donc étroitementliés (19). Les structures des narrations (au sens de processus interactifs structu¬rés, fonctionnellement fondés), leur degré d'élaboration diffèrent beaucoupselon les types de narration, leur fonction, les critères pragmatiques et situation-nels. Ces travaux rejoignent les travaux sur l'acquisition, dont Quasthoff montrequ'elle est à penser dans une perspective interactionnelle.

D'autres travaux analysent les modalités de réalisation interactive de l'éva¬luation, les interlocuteurs pouvant collaborer dans la formulation de jugementsaxiologiques ou de la morale : cela apparait notamment dans les récits de confi¬dence ou les séquences narratives de la conversation familière analysées parTraverso, où on peut avoir une véritable partition à deux voix, et pas simplementdes interventions de régulation ou des questions de la part du partenaire (20).De Gaulmyn analyse une des modalités de ce travail de co-énonciation chez dejeunes enfants, quand les reformulations et reprises d'un interlocuteur à un autresont explicitement métalinguistiques ou metadiscursives, en montrant leur rôledans la genèse de la narration. Les enfants savent, selon elle, organiser des acti¬vités langagières de contrôle relatives aux tours de parole et à la gestion théma¬tique, mais ont besoin d'interventions de l'adulte pour réguler la formulationnégociée des termes de l'énoncé et les rôles des partenaires ; l'échange doitsouvent être médiatisé et relayé par l'adulte pour que la reformulation d'unenfant par un autre soit possible et permette de réaliser en collaboration unetâche d'organisation du discours narratif au départ impossible pour eux (21).

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

narrative minimale, soit par une justification du refus de raconter. La deuxièmedimension, la cohérence sémantique dans la construction du contenu, supposeune structure relationnelle entre un événement qui fait rupture, et l'adaptation ducomportement des protagonistes : en ce sens, comme l'avait déjà montréBruner (17), la narration s'organise autour de diverses réactions humaines poursurmonter un problème et réintégrer le non-régulier dans un ordre. Enfin, la troi¬sième dimension concerne les modes narratifs : un même événement peut êtreverbalisé dans plusieurs formes globales, soit sous forme de rapport (une« récapitulation de l'événement, considéré comme achevé du point de vue dumaintenant de la situation de parole »), soit sous forme de récit scénique (une« verbalisation de l'événement du point de vue du vécu d'une des personnesimpliquées dans l'événement »). Selon elle, « c'est de cette mise en perspectiveque procèdent les moyens linguistiques propres au récit scénique : discoursdirect, présent historique, atomisation du continuum événementiel » (18).Comparant sur ce point les narrations d'un incident produites par des enfantsd'âge différent dans des cadres interactionnels scolaires différents, elle montreque les plus jeunes (5 ans) différencient peu ces modes narratifs, qu'à partir de 7ans ils travaillent à les différencier de façon stéréotypée selon le guidaged'adultes (des questions sur les personnages, leurs réactions et leurs paroles,par exemple), et que les plus âgés (10 ans) peuvent les utiliser sans appui del'adulte. Mais l'entrée dans l'un des modes narratifs et son développementdépendent fortement des interventions de l'interlocuteur. C'est l'interaction quifait découvrir le potentiel scénique de la représentation d'un événement : un nar¬rateur qui a commencé par une annonce de nouvelle ou un simple rapport defaits, peut être amené à développer un véritable récit scénique en fonction ducomportement évaluatif de l'interlocuteur, auquel le modèle de discours narratifet les caractéristiques linguistiques mis en ouvre se trouvent donc étroitementliés (19). Les structures des narrations (au sens de processus interactifs structu¬rés, fonctionnellement fondés), leur degré d'élaboration diffèrent beaucoupselon les types de narration, leur fonction, les critères pragmatiques et situation-nels. Ces travaux rejoignent les travaux sur l'acquisition, dont Quasthoff montrequ'elle est à penser dans une perspective interactionnelle.

D'autres travaux analysent les modalités de réalisation interactive de l'éva¬luation, les interlocuteurs pouvant collaborer dans la formulation de jugementsaxiologiques ou de la morale : cela apparait notamment dans les récits de confi¬dence ou les séquences narratives de la conversation familière analysées parTraverso, où on peut avoir une véritable partition à deux voix, et pas simplementdes interventions de régulation ou des questions de la part du partenaire (20).De Gaulmyn analyse une des modalités de ce travail de co-énonciation chez dejeunes enfants, quand les reformulations et reprises d'un interlocuteur à un autresont explicitement métalinguistiques ou metadiscursives, en montrant leur rôledans la genèse de la narration. Les enfants savent, selon elle, organiser des acti¬vités langagières de contrôle relatives aux tours de parole et à la gestion théma¬tique, mais ont besoin d'interventions de l'adulte pour réguler la formulationnégociée des termes de l'énoncé et les rôles des partenaires ; l'échange doitsouvent être médiatisé et relayé par l'adulte pour que la reformulation d'unenfant par un autre soit possible et permette de réaliser en collaboration unetâche d'organisation du discours narratif au départ impossible pour eux (21).

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REPÈRES N° 21/2000 E- NONNON

Cette gestion à plusieurs voix de la narration apparait en particulier dansles interactions à visée d'apprentissage. S'attachant à une des situationsmixtes, fréquentes à l'école, d'oral ancré dans l'écrit, précédemment évoquées,Rosat analyse des interactions d'aide à des élèves de maternelle en difficultéautour de la restitution de contes, « formats interactionnels caractérisés par lefait qu'enfant et adulte co-construisent un conte dialogué, selon une répartitiondes places enonciatives oscillant en fonction des capacités / difficultés de l'en¬fant en cours de production ». Les interventions étayantes de l'interlocutriceadulte concernent selon elle principalement trois domaines : le cadrage de lasituation et l'aide pour s'engager dans la place énonciative du conteur, la planifi¬cation des phases (souvent anticipatrice, par focalisation sur le devenir d'un per¬sonnage par exemple, mais aussi rétroactive, par reformulation, demanded'élucidation), et le maintien d'un monde de fiction constant (en s'ajustant auxfréquents changements de monde de l'enfant). Ces interventions interviennentcomme véritable aide à la construction narrative, quand le format interactionnelréussit à être modulable selon les moments et les degrés de difficulté, maisdeviennent un contre-étayage « quand elles empêchent l'enfant d'occuper laplace énonciative qui lui est assignée par la situation de communication » (22).Dans la même situation de restitution orale de conte, dont elle montre les enjeuxcognitifs et psychiques pour de jeunes enfants, Delamotte-Legrand étudie aussi« quelques figures de l'action langagière engagée par les participants », en parti¬culier les modalités de commentaire, de reformulation et de guidage de l'adulteet leurs effets sur le récit de l'enfant, ainsi que les décalages interprétatifs etinteractionnels entre interlocuteurs (23). On trouve aussi des analyses de ce typeà propos de récits conversationnels d'expérience entre natifs et non-natifs. Onrejoint ici une réflexion plus générale sur la notion d'étayage langagier dans ledialogue inégal, chez Hudelot notamment (24).

2. LA NARRATION COMME PERFORMANCE ET DRAMATURGIE,ET LA DIMENSION D'ORALITÉ

La narration orale relève toujours de l'événement, de la performance,comme le dit Zumthor : « c'est le propre de la situation orale que transmission etréception y constituent un acte unique de participation avec co-présence, celle-ci engendrant le plaisir : cet acte unique, c'est la performance » (25). Ce partageest pour une grande part d'ordre sensible et émotionnel, lié à la qualité de lavoix, à la présence corporelle. II suppose des modes de construction des signifi¬cations portés par la qualité spécifique de l'oral comme matériau analogique,faisant appel au souffle et à la modulation de la voix (26). Cela devrait amener àétudier les caractéristiques narratives, comme les formes de structuration tem¬porelle, de mise en relief et de dramatisation, la construction des personnages,la cohérence, à partir d'une prise en compte des phénomènes prosodiques(intonatifs, mélodiques, rythmiques, accentuels).

2.1. Les éléments prosodiques dans l'organisation du récit oral

Les phénomènes prosodiques, dont l'importance est grande pour l'appré¬hension des discours oraux, recouvrent un ensemble complexe et hétérogène

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Cette gestion à plusieurs voix de la narration apparait en particulier dansles interactions à visée d'apprentissage. S'attachant à une des situationsmixtes, fréquentes à l'école, d'oral ancré dans l'écrit, précédemment évoquées,Rosat analyse des interactions d'aide à des élèves de maternelle en difficultéautour de la restitution de contes, « formats interactionnels caractérisés par lefait qu'enfant et adulte co-construisent un conte dialogué, selon une répartitiondes places enonciatives oscillant en fonction des capacités / difficultés de l'en¬fant en cours de production ». Les interventions étayantes de l'interlocutriceadulte concernent selon elle principalement trois domaines : le cadrage de lasituation et l'aide pour s'engager dans la place énonciative du conteur, la planifi¬cation des phases (souvent anticipatrice, par focalisation sur le devenir d'un per¬sonnage par exemple, mais aussi rétroactive, par reformulation, demanded'élucidation), et le maintien d'un monde de fiction constant (en s'ajustant auxfréquents changements de monde de l'enfant). Ces interventions interviennentcomme véritable aide à la construction narrative, quand le format interactionnelréussit à être modulable selon les moments et les degrés de difficulté, maisdeviennent un contre-étayage « quand elles empêchent l'enfant d'occuper laplace énonciative qui lui est assignée par la situation de communication » (22).Dans la même situation de restitution orale de conte, dont elle montre les enjeuxcognitifs et psychiques pour de jeunes enfants, Delamotte-Legrand étudie aussi« quelques figures de l'action langagière engagée par les participants », en parti¬culier les modalités de commentaire, de reformulation et de guidage de l'adulteet leurs effets sur le récit de l'enfant, ainsi que les décalages interprétatifs etinteractionnels entre interlocuteurs (23). On trouve aussi des analyses de ce typeà propos de récits conversationnels d'expérience entre natifs et non-natifs. Onrejoint ici une réflexion plus générale sur la notion d'étayage langagier dans ledialogue inégal, chez Hudelot notamment (24).

2. LA NARRATION COMME PERFORMANCE ET DRAMATURGIE,ET LA DIMENSION D'ORALITÉ

La narration orale relève toujours de l'événement, de la performance,comme le dit Zumthor : « c'est le propre de la situation orale que transmission etréception y constituent un acte unique de participation avec co-présence, celle-ci engendrant le plaisir : cet acte unique, c'est la performance » (25). Ce partageest pour une grande part d'ordre sensible et émotionnel, lié à la qualité de lavoix, à la présence corporelle. II suppose des modes de construction des signifi¬cations portés par la qualité spécifique de l'oral comme matériau analogique,faisant appel au souffle et à la modulation de la voix (26). Cela devrait amener àétudier les caractéristiques narratives, comme les formes de structuration tem¬porelle, de mise en relief et de dramatisation, la construction des personnages,la cohérence, à partir d'une prise en compte des phénomènes prosodiques(intonatifs, mélodiques, rythmiques, accentuels).

2.1. Les éléments prosodiques dans l'organisation du récit oral

Les phénomènes prosodiques, dont l'importance est grande pour l'appré¬hension des discours oraux, recouvrent un ensemble complexe et hétérogène

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

d'éléments aux fonctions diverses, à la fois organisationnelles et expressives.Ce n'est pas le lieu de présenter précisément les divers aspects de cette notioncomplexe, qui relève de plusieurs définitions selon les théories, comme lemontre Rossi (27). Pour montrer l'étendue des phénomènes concernés, on peutreprendre les éléments distingués par Gumperz derrière le terme de prosodie :

« l'intonation (niveau des tons mis sur les syllabes et les courbes qu'ils compo¬sent), les changements d'intensité, l'accent (trait de perception qui comprendgénéralement des variations dans le ton, l'intensité et la durée), les variations delongueur des voyelles, le rythme (segmentation de l'énoncé par des pauses),accélérations et décélérations (qui s'inscrivent dans des segments ou les traver¬sent) et les modifications d'ensemble dans le registre de parole » (28). L'analyseprécise de ces différents paramètres a été longtemps freinée par des raisonstechniques et méthodologiques : ce n'est que récemment, à la suite d'unelongue évolution technologique, qu'on est en mesure de donner des descrip¬tions rigoureuses et non intuitives sur des corpus plus longs qu'un ou deuxénoncés.

Cependant, même s'il subsiste beaucoup de points mal connus, on com¬mence à mieux connaître les relations des divers paramètres de l'intonation etles modalités précises de ses diverses fonctions : sa fonction expressive, étu¬diée par Fonagy notamment (transmettre sur le mode analogique une informa¬tion de nature expressive, qui peut être plus ou moins concordante avec lecontenu explicitement exprimé et créer, en cas de décalage, un effet d'« irration-nalité contextuelle »), et surtout sa fonction organisatrice. La fonction organisa¬trice a été étudiée d'abord sur le plan syntaxique, dans le cadre de l'énoncé,pour la démarcation d'unités significatives et l'interprétation de leur statut : onpeut maintenant parler d'une « grammaire de l'intonation », pour reprendre l'ex¬pression de Morel (29). Elle joue un rôle fondamental dans la cohérence et leguidage de la compréhension, mais aussi dans l'ajustement des partenaires etla co-énonciation, comme le montre Morel : en signalant la hiérarchie des cadreset des thèmes, les éléments présupposés, connus ou nouveaux, focalisés oulaissés en arrière-plan, elle permet une cohérence des enchaînements d'uninterlocuteur à l'autre. II s'agit là, selon Rossi, de fonctions structurantes (démar-cative, thématisante, distinctive, intégrante), qui relèvent de la compétence lin¬guistique.

Mais même si le rôle démarcatif et hiérarchisant de la prosodie joue aussi àl'échelle d'unités significatives plus grandes (ouverture, épisodes, charnièresnarratives), ces analyses n'ont encore pu trouver que peu d'équivalent au niveaude discours plus longs. Dans un article ancien analysant les éléments organisa¬teurs d'un récit oral, Fillol et Mouchon avaient déjà montré que les changementde débit (accélération, ralentissement) et la longueur des pauses avaient effecti¬vement un rôle démarcatif en lien avec d'autres éléments organisateurs du récit(temps verbaux, répétitions.) : les séquences délimitées par des pauses longuescorrespondent selon eux presque toujours à des unités narratologiques (30).Mais leur approche, assez technique, ne faisait pas intervenir le travail d'inter¬prétation de l'interlocuteur. Ce sont surtout les travaux en analyse conversation¬nelle et en ethnographie de la communication qui ont mis en lumièrel'importance de la prosodie, entre autres indices de contextualisation, pour

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

d'éléments aux fonctions diverses, à la fois organisationnelles et expressives.Ce n'est pas le lieu de présenter précisément les divers aspects de cette notioncomplexe, qui relève de plusieurs définitions selon les théories, comme lemontre Rossi (27). Pour montrer l'étendue des phénomènes concernés, on peutreprendre les éléments distingués par Gumperz derrière le terme de prosodie :

« l'intonation (niveau des tons mis sur les syllabes et les courbes qu'ils compo¬sent), les changements d'intensité, l'accent (trait de perception qui comprendgénéralement des variations dans le ton, l'intensité et la durée), les variations delongueur des voyelles, le rythme (segmentation de l'énoncé par des pauses),accélérations et décélérations (qui s'inscrivent dans des segments ou les traver¬sent) et les modifications d'ensemble dans le registre de parole » (28). L'analyseprécise de ces différents paramètres a été longtemps freinée par des raisonstechniques et méthodologiques : ce n'est que récemment, à la suite d'unelongue évolution technologique, qu'on est en mesure de donner des descrip¬tions rigoureuses et non intuitives sur des corpus plus longs qu'un ou deuxénoncés.

Cependant, même s'il subsiste beaucoup de points mal connus, on com¬mence à mieux connaître les relations des divers paramètres de l'intonation etles modalités précises de ses diverses fonctions : sa fonction expressive, étu¬diée par Fonagy notamment (transmettre sur le mode analogique une informa¬tion de nature expressive, qui peut être plus ou moins concordante avec lecontenu explicitement exprimé et créer, en cas de décalage, un effet d'« irration-nalité contextuelle »), et surtout sa fonction organisatrice. La fonction organisa¬trice a été étudiée d'abord sur le plan syntaxique, dans le cadre de l'énoncé,pour la démarcation d'unités significatives et l'interprétation de leur statut : onpeut maintenant parler d'une « grammaire de l'intonation », pour reprendre l'ex¬pression de Morel (29). Elle joue un rôle fondamental dans la cohérence et leguidage de la compréhension, mais aussi dans l'ajustement des partenaires etla co-énonciation, comme le montre Morel : en signalant la hiérarchie des cadreset des thèmes, les éléments présupposés, connus ou nouveaux, focalisés oulaissés en arrière-plan, elle permet une cohérence des enchaînements d'uninterlocuteur à l'autre. II s'agit là, selon Rossi, de fonctions structurantes (démar-cative, thématisante, distinctive, intégrante), qui relèvent de la compétence lin¬guistique.

Mais même si le rôle démarcatif et hiérarchisant de la prosodie joue aussi àl'échelle d'unités significatives plus grandes (ouverture, épisodes, charnièresnarratives), ces analyses n'ont encore pu trouver que peu d'équivalent au niveaude discours plus longs. Dans un article ancien analysant les éléments organisa¬teurs d'un récit oral, Fillol et Mouchon avaient déjà montré que les changementde débit (accélération, ralentissement) et la longueur des pauses avaient effecti¬vement un rôle démarcatif en lien avec d'autres éléments organisateurs du récit(temps verbaux, répétitions.) : les séquences délimitées par des pauses longuescorrespondent selon eux presque toujours à des unités narratologiques (30).Mais leur approche, assez technique, ne faisait pas intervenir le travail d'inter¬prétation de l'interlocuteur. Ce sont surtout les travaux en analyse conversation¬nelle et en ethnographie de la communication qui ont mis en lumièrel'importance de la prosodie, entre autres indices de contextualisation, pour

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l'ajustement des interlocuteurs et leur convergence dans la façon de scander lesséquences du discours. Gumperz souligne « le rôle que jouent les mécanismesprosodiques, comme les contours d'intonation, la position de l'accent et l'as¬pect mélodique, dans la segmentation du flux de paroles, le signalement desconnexions thématiques et la communication d'informations quant à l'activité encours », et pour « déterminer les points privilégiés, distinguer l'information anté¬rieure de celle qui est produite à l'instant même, l'essentiel de l'information sub¬sidiaire portant sur ce qui a déjà été dit » (31). Gulich montre, par exemple àpropos d'exposés oraux, comment les locuteurs usent de tels marqueurs destructuration et de variations de « style prosodique », ayant pour double fonctionde signaler la continuité et la discontinuité (32). Mais relativement peu d'ana¬lyses conduites dans cette perspective sont encore disponibles pour le récitoral.

S'il est difficilement pensable actuellement, pour des enseignants, de s'en¬gager dans une analyse très précise de ces phénomènes, qui nécessite unappareillage important et une grande technicité, on peut au moins tirer de cesétudes la conviction que les phénomènes intonatifs, loin d'être un résidu affectiféchappant à toute connaissance objective, font partie à part entière des appren¬tissages linguistiques et discursifs : ils sont des éléments d'organisation des dis¬cours oraux qui n'ont pas à être dévalorisés par rapport aux marqueurs destructuration et aux indicateurs de cohérence décalqués du fonctionnement detextes écrits, qui figurent dans beaucoup de grilles d'évaluation des récits. Lameilleure connaissance de la complexité de ces phénomènes devrait aider à nepas disqualifier de façon trop hâtive le recours aux éléments paraverbaux pourconstruire la cohérence du discours et l'intercomprehension, en en faisant unecaractéristique des locuteurs non experts ou du langage populaire (33).

2.2. Dramaturgie et polyphonie dans la narration orale

Une autre fonction de la prosodie dans l'élaboration des significations durécit oral a été plus invoquée, sinon étudiée précisément : il s'agit de sa dimen¬sion expressive, mimétique et axiologique, qui relève directement de la perfor¬mance. Bakhtine a souligné le rôle, dans la signification, des accents et del'intonation, vecteurs privilégiés de l'évaluation, à la frontière entre individuel etsocial (34) ; mais, chez lui, voix a plutôt un sens métaphorique, en ce qu'il s'estsurtout préoccupé des discours écrits. La narration à l'écrit peut en ce sens êtrepolyphonique, mais à l'oral cette caractéristique se marque par la voix et lesaccents au sens propre, dans leur dimension sonore et charnelle. En cela la nar¬ration orale relève de la dramaturgie de la parole décrite par Goffman (35).L'intonation est un vecteur privilégié de la polyphonie dans le récit oral, audouble sens que le terme a dans les écrits de Bakhtine, d'intégration de laparole de locuteurs multiples (comme personnages du récit) et de multiplicitéd'énonciateurs de la narrration.

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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON

l'ajustement des interlocuteurs et leur convergence dans la façon de scander lesséquences du discours. Gumperz souligne « le rôle que jouent les mécanismesprosodiques, comme les contours d'intonation, la position de l'accent et l'as¬pect mélodique, dans la segmentation du flux de paroles, le signalement desconnexions thématiques et la communication d'informations quant à l'activité encours », et pour « déterminer les points privilégiés, distinguer l'information anté¬rieure de celle qui est produite à l'instant même, l'essentiel de l'information sub¬sidiaire portant sur ce qui a déjà été dit » (31). Gulich montre, par exemple àpropos d'exposés oraux, comment les locuteurs usent de tels marqueurs destructuration et de variations de « style prosodique », ayant pour double fonctionde signaler la continuité et la discontinuité (32). Mais relativement peu d'ana¬lyses conduites dans cette perspective sont encore disponibles pour le récitoral.

S'il est difficilement pensable actuellement, pour des enseignants, de s'en¬gager dans une analyse très précise de ces phénomènes, qui nécessite unappareillage important et une grande technicité, on peut au moins tirer de cesétudes la conviction que les phénomènes intonatifs, loin d'être un résidu affectiféchappant à toute connaissance objective, font partie à part entière des appren¬tissages linguistiques et discursifs : ils sont des éléments d'organisation des dis¬cours oraux qui n'ont pas à être dévalorisés par rapport aux marqueurs destructuration et aux indicateurs de cohérence décalqués du fonctionnement detextes écrits, qui figurent dans beaucoup de grilles d'évaluation des récits. Lameilleure connaissance de la complexité de ces phénomènes devrait aider à nepas disqualifier de façon trop hâtive le recours aux éléments paraverbaux pourconstruire la cohérence du discours et l'intercomprehension, en en faisant unecaractéristique des locuteurs non experts ou du langage populaire (33).

2.2. Dramaturgie et polyphonie dans la narration orale

Une autre fonction de la prosodie dans l'élaboration des significations durécit oral a été plus invoquée, sinon étudiée précisément : il s'agit de sa dimen¬sion expressive, mimétique et axiologique, qui relève directement de la perfor¬mance. Bakhtine a souligné le rôle, dans la signification, des accents et del'intonation, vecteurs privilégiés de l'évaluation, à la frontière entre individuel etsocial (34) ; mais, chez lui, voix a plutôt un sens métaphorique, en ce qu'il s'estsurtout préoccupé des discours écrits. La narration à l'écrit peut en ce sens êtrepolyphonique, mais à l'oral cette caractéristique se marque par la voix et lesaccents au sens propre, dans leur dimension sonore et charnelle. En cela la nar¬ration orale relève de la dramaturgie de la parole décrite par Goffman (35).L'intonation est un vecteur privilégié de la polyphonie dans le récit oral, audouble sens que le terme a dans les écrits de Bakhtine, d'intégration de laparole de locuteurs multiples (comme personnages du récit) et de multiplicitéd'énonciateurs de la narrration.

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

2.2.1. La narration comme mise en scène d'interactionssociales

Une fonction importante du récit oral quotidien est de « portraiturer desinteractions ». La parole des uns et des autres, les rapports de force interper¬sonnels dans les situations relatées sont un noyau de la narration : « la mimésisd'autres locuteurs est chose courante dans le récit oral, véritable arène defigures que le narrateur fait parler de leurs propres voix » (36). Du moins chez lesadultes, le récit oral se situerait plus du côté du « récit de paroles » que du« récit d'événements », selon la distinction opérée par Genette (37) : dans cer¬tains récits oraux quotidiens, cette dimension de mimésis, d'évocation styliséeet théâtralisée de scènes sociales à travers la parole des protagonistes relègueau second plan la diégèse qui en fournit l'occasion. Cette fonction de stylisationdu social par la description et la catégorisation des acteurs a été soulignée enethnométhodologie et en analyse de la conversation, qui y voient un savoir,commun aux membres d'un groupe culturel, sur le fonctionnement des interac¬tions et du langage. Goffman parle d'imitation de façons de parler ou d'accents,« clichés intonatifs » témoignant de fonctions catégorisantes et dramaturgiques,on pourrait dire métacommunicatives, du récit oral (38).

Ce fonctionnement du discours rapporté dans le récit oral a été bien étudiéchez les adultes. Pour les enfants, on dit souvent que la compétence à entrerdans un mode narratif scénique, comme dit Quasthoff, est assez tardive, et lerecours au discours rapporté de personnages dans la narration apparait commemarque de complexité. Pour Bruner au contraire, cette fonction dramaturgiqueet polyphonique est d'emblée fondamentale dans la genèse du récit chez lespetits enfants : touchant de près à la prise de rôles et à l'exploration des signifi¬cations subjectives, qui sont pour lui un fondement de la narration, « un récit nepeut être sans voix ». Mais, dans la première parole, cette mise en perspectivesmultiples d'un événement à travers les réactions de plusieurs participants est« principalement réalisée par le cri et autres expressions affectives, par le niveaud'accentuation et autres figures prosodiques, plutôt que par des moyens lexi¬caux ou grammaticaux », comme il l'évoque à propos des interjections, change¬ments vocaux et imitations dans les soliloques d'une petite fille, suivie dansl'évolution de ses récits spontanés (39). Pour Goffman, cette pratique très pré¬coce d'enchâssement de voix multiples appartenant à « toute une ménagerie »

de figures qui ne sont pas moi, mise en jeu sous forme ludique dans l'interactionavec les adultes, permettrait ensuite de pouvoir raconter sa propre expériencepassée, et le dédoublement que suppose le récit (40). François montre aussi,dans des analyses de récits oraux de jeunes enfants, que cette polyvocité esttrès précoce (41).

2.2.2. Variations de cadre énonciatif et de position du narrateurdans le récit oral

Dans un deuxième sens du terme, la polyphonie renvoie moins à la multipli¬cité des locuteurs mis en scène qu'à la pluralité des positions adoptées par lenarrateur, et aux changements de cadre communicatif au cours de la narration

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

2.2.1. La narration comme mise en scène d'interactionssociales

Une fonction importante du récit oral quotidien est de « portraiturer desinteractions ». La parole des uns et des autres, les rapports de force interper¬sonnels dans les situations relatées sont un noyau de la narration : « la mimésisd'autres locuteurs est chose courante dans le récit oral, véritable arène defigures que le narrateur fait parler de leurs propres voix » (36). Du moins chez lesadultes, le récit oral se situerait plus du côté du « récit de paroles » que du« récit d'événements », selon la distinction opérée par Genette (37) : dans cer¬tains récits oraux quotidiens, cette dimension de mimésis, d'évocation styliséeet théâtralisée de scènes sociales à travers la parole des protagonistes relègueau second plan la diégèse qui en fournit l'occasion. Cette fonction de stylisationdu social par la description et la catégorisation des acteurs a été soulignée enethnométhodologie et en analyse de la conversation, qui y voient un savoir,commun aux membres d'un groupe culturel, sur le fonctionnement des interac¬tions et du langage. Goffman parle d'imitation de façons de parler ou d'accents,« clichés intonatifs » témoignant de fonctions catégorisantes et dramaturgiques,on pourrait dire métacommunicatives, du récit oral (38).

Ce fonctionnement du discours rapporté dans le récit oral a été bien étudiéchez les adultes. Pour les enfants, on dit souvent que la compétence à entrerdans un mode narratif scénique, comme dit Quasthoff, est assez tardive, et lerecours au discours rapporté de personnages dans la narration apparait commemarque de complexité. Pour Bruner au contraire, cette fonction dramaturgiqueet polyphonique est d'emblée fondamentale dans la genèse du récit chez lespetits enfants : touchant de près à la prise de rôles et à l'exploration des signifi¬cations subjectives, qui sont pour lui un fondement de la narration, « un récit nepeut être sans voix ». Mais, dans la première parole, cette mise en perspectivesmultiples d'un événement à travers les réactions de plusieurs participants est« principalement réalisée par le cri et autres expressions affectives, par le niveaud'accentuation et autres figures prosodiques, plutôt que par des moyens lexi¬caux ou grammaticaux », comme il l'évoque à propos des interjections, change¬ments vocaux et imitations dans les soliloques d'une petite fille, suivie dansl'évolution de ses récits spontanés (39). Pour Goffman, cette pratique très pré¬coce d'enchâssement de voix multiples appartenant à « toute une ménagerie »

de figures qui ne sont pas moi, mise en jeu sous forme ludique dans l'interactionavec les adultes, permettrait ensuite de pouvoir raconter sa propre expériencepassée, et le dédoublement que suppose le récit (40). François montre aussi,dans des analyses de récits oraux de jeunes enfants, que cette polyvocité esttrès précoce (41).

2.2.2. Variations de cadre énonciatif et de position du narrateurdans le récit oral

Dans un deuxième sens du terme, la polyphonie renvoie moins à la multipli¬cité des locuteurs mis en scène qu'à la pluralité des positions adoptées par lenarrateur, et aux changements de cadre communicatif au cours de la narration

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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON

(42). Selon Gumperz « la prosodie permet de signaler et négocier les modifica¬tions d'activité, ou les transitions de l'une à l'autre » (43). Elle est un des« taquets » indiquant les incessants changements de perspective et de distancedu locuteur par rapport à ce qu'il dit et à l'interlocuteur. Revendiquant l'analogieavec la pratique musicale, Goffman parle de « mode » pour évoquer ce pouvoirdes moyens prosodiques de transformer la façon de cadrer l'activité langagièreen cours (44). Cette modalisation par la voix (le locuteur, dit Goffman, « hausseses sourcils vocaux »), touche aussi aux variations entre les moments où il prenden charge, en son nom, la narration d'événements particuliers attestés (parexemple dans le témoignage), ceux où il les commente, ceux où il relaie uneparole gnomique générale, où il instaure un rapport ludique etc.. Cette dimen¬sion de la polyphonie comme pluralité des positions enonciatives du mêmelocuteur est celle qui a fait l'objet de l'analyse linguistique de Ducrot, même sicelle-ci porte plus sur de petites unités que sur des mouvements discursifs deplus grande portée à l'intérieur de conduites comme le récit (45).

Ces variations de prise en charge, de statut d'énonciateur, et leur signale¬ment par la prosodie existent aussi dans la lecture à voix haute de récits écrits :

les changements intonatifs signalent si l'énonciateur se soumet à une lecture lit¬

térale du texte, quel degré de distance ou de liberté il prend avec lui, quand il

raconte en son propre nom. Les enseignantes de maternelle, notamment, racon¬tent ou lisent souvent aux élèves des contes, qu'elles transposent spontané¬ment pour les rendre accessibles à l'écoute, en utilisant toutes sortes derégulateurs de l'attention. Morel et Nacar ont étudié les moyens prosodiques uti¬lisés dans deux situations (raconter et lire à voix haute un même conte), en secentrant sur la thématisation contrastive (Cendrillon par rapport à ses s parexemple), la focalisation, le discours rapporté. Elles montrent les phénomènescommuns aux deux pratiques (« autonomisation des séquences discursives parla baisse de mélodie, emphatisation d'éléments importants, explicitation desreferents, économie d'adverbes d'intensité ou de modalité appréciative, grâce àla focalisation intonative »), et les modifications apportées spontanément autexte écrit par la lecture expressive (déplacements dans l'agencement théma¬tique, recours constant à et pour assurer la liaison et la cohérence du récit,donné à une grande hauteur intonative après une finale basse, plutôt qu'à despauses pour marquer les points et virgules du texte). II s'agit de « capter lecontenu de mots clefs d'un énoncé, pour les restituer de façon plus frappante etmaintenir l'attention des enfants » (46). Étudiant ces transpositions parmi diffé¬rentes pratiques de restitution de contes chez des enseignantes de maternelle,depuis la lecture littérale jusqu'aux techniques du conteur centrées sur lecontact avec l'auditoire, Grosmann observe « à quel point les jeunes auditeurssont sensibles au marquage prosodique qui signale le moment où on passe dela lecture proprement dite à une lecture reconstruite et non littérale ». Pour lui,cette forme spécifique d'adaptation d'un texte écrit au cours de l'interaction ver¬bale, peu étudiée malgré sa fréquence et ses enjeux discursifs, « joue un rôlecapital dans l'accès au texte écrit, parce qu'elle permet de régler ponctuelle¬ment des problèmes liés à l'ordre scriptural concernant la continuité thématiqueet la construction de la référence, et parce qu'elle assure une fonction de recon¬textualisation : commentaires et explicitations permettent de préciser l'orienta¬tion argumentative qui est donnée, ici et maintenant, au texte lu » (47). Cette

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(42). Selon Gumperz « la prosodie permet de signaler et négocier les modifica¬tions d'activité, ou les transitions de l'une à l'autre » (43). Elle est un des« taquets » indiquant les incessants changements de perspective et de distancedu locuteur par rapport à ce qu'il dit et à l'interlocuteur. Revendiquant l'analogieavec la pratique musicale, Goffman parle de « mode » pour évoquer ce pouvoirdes moyens prosodiques de transformer la façon de cadrer l'activité langagièreen cours (44). Cette modalisation par la voix (le locuteur, dit Goffman, « hausseses sourcils vocaux »), touche aussi aux variations entre les moments où il prenden charge, en son nom, la narration d'événements particuliers attestés (parexemple dans le témoignage), ceux où il les commente, ceux où il relaie uneparole gnomique générale, où il instaure un rapport ludique etc.. Cette dimen¬sion de la polyphonie comme pluralité des positions enonciatives du mêmelocuteur est celle qui a fait l'objet de l'analyse linguistique de Ducrot, même sicelle-ci porte plus sur de petites unités que sur des mouvements discursifs deplus grande portée à l'intérieur de conduites comme le récit (45).

Ces variations de prise en charge, de statut d'énonciateur, et leur signale¬ment par la prosodie existent aussi dans la lecture à voix haute de récits écrits :

les changements intonatifs signalent si l'énonciateur se soumet à une lecture lit¬

térale du texte, quel degré de distance ou de liberté il prend avec lui, quand il

raconte en son propre nom. Les enseignantes de maternelle, notamment, racon¬tent ou lisent souvent aux élèves des contes, qu'elles transposent spontané¬ment pour les rendre accessibles à l'écoute, en utilisant toutes sortes derégulateurs de l'attention. Morel et Nacar ont étudié les moyens prosodiques uti¬lisés dans deux situations (raconter et lire à voix haute un même conte), en secentrant sur la thématisation contrastive (Cendrillon par rapport à ses s parexemple), la focalisation, le discours rapporté. Elles montrent les phénomènescommuns aux deux pratiques (« autonomisation des séquences discursives parla baisse de mélodie, emphatisation d'éléments importants, explicitation desreferents, économie d'adverbes d'intensité ou de modalité appréciative, grâce àla focalisation intonative »), et les modifications apportées spontanément autexte écrit par la lecture expressive (déplacements dans l'agencement théma¬tique, recours constant à et pour assurer la liaison et la cohérence du récit,donné à une grande hauteur intonative après une finale basse, plutôt qu'à despauses pour marquer les points et virgules du texte). II s'agit de « capter lecontenu de mots clefs d'un énoncé, pour les restituer de façon plus frappante etmaintenir l'attention des enfants » (46). Étudiant ces transpositions parmi diffé¬rentes pratiques de restitution de contes chez des enseignantes de maternelle,depuis la lecture littérale jusqu'aux techniques du conteur centrées sur lecontact avec l'auditoire, Grosmann observe « à quel point les jeunes auditeurssont sensibles au marquage prosodique qui signale le moment où on passe dela lecture proprement dite à une lecture reconstruite et non littérale ». Pour lui,cette forme spécifique d'adaptation d'un texte écrit au cours de l'interaction ver¬bale, peu étudiée malgré sa fréquence et ses enjeux discursifs, « joue un rôlecapital dans l'accès au texte écrit, parce qu'elle permet de régler ponctuelle¬ment des problèmes liés à l'ordre scriptural concernant la continuité thématiqueet la construction de la référence, et parce qu'elle assure une fonction de recon¬textualisation : commentaires et explicitations permettent de préciser l'orienta¬tion argumentative qui est donnée, ici et maintenant, au texte lu » (47). Cette

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

dimension de contextualisation, fondamentale selon Gumperz dans l'engendre-ment des discours et leur sens d'événement pour les sujets, est souvent scoto-misée à l'école : la priorité y est donnée aux genres seconds etdécontextualisés, souvent abordés presque d'emblée, sans toujours prendre letemps d'un réel ancrage dans l'expérience et dans la parole vive.

2.3. Le rythme et les modes analogiques d'engendrementdes significations

Ces différences dans le matériau narratif et dans les conditions de contactqui caractérisent les formes orales et écrites de narration ne jouent pas seule¬ment pour des réorganisations ponctuelles du discours. Elles touchent à sesformes d'engendrement et de structuration, plus musicales (comme dans lecontage (48)), associatives ou portées par la force des signifiants (parentéssonores, rythmiques, expressivité des mots).

Bruner souligne que l'efficacité du récit pour l'enfant dépend de sa littéra¬rité (49). Dans beaucoup de genres oraux, contes ou récits de rêves, l'associa¬tion est un organisateur du discours. Les associations (rapprochements formels,symétries, glissements de proche en proche, par contiguité ou ressemblance)sous-tendent un fil thématique lâche, balisé par des « répétitions à diversniveaux structurels, qui s'organisent autour de séries », et opèrent comme ponc¬tuation rythmique du récit (50).

Au delà, ces différences touchent au mode de construction de la significa¬tion dans le récit oral, plus analogique et proche du poétique. Selon Zumthor,« les glissements de registre, les mouvements latéraux du langage, les ambiguï¬tés participant à la construction progressive du discours » amènent « uneimpossibilité de se maintenir au niveau du littéral, une ouverture constante surles résonances analogiques » (51). Le déroulement même du récit oral met enjeu des modes de construction des significations non dénotatifs, que Françoisessaie de cerner à l'aide de plusieurs notions, comme celles de « significationsdessinées » et « atmosphériques » (par opposition à analytiques et dénotatives).Une partie des significations que porte le récit ne sont pas localisables en unpoint précis du discours, ni attribuables à une unité linguistique particulière, ellestiennent à son fempo, son rythme, sa gestion de la temporalité particulière de lanarration, et sont montrées par l'ordre de son déroulement, sans être directe¬ment traductibles (lenteur, déroulement sinueux ou circulaire, ruptures et sautsthématiques rapides, piétinement) (52) ; elles suscitent une tonalité, une « atmo¬sphère », et participent ainsi à Paccordage affectif (53).

Analyser les conduites langagières orales oblige en effet à prendre encompte la dimension souvent occultée de l'expérience émotionnelle, qu'Auchlintente de cerner à travers des notions comme accord intérieur, calibrage, réso¬nance (54). D'où l'importance aussi, dans la narration orale, de cette autre méta¬phore musicale qu'est le ton. Bakhtine avait déjà insisté sur « le rôleexceptionnel du ton, l'aspect le moins étudié de la vie verbale », « lié au rapportdu locuteur à la personne de son partenaire » (55) ; ce point a été développé parMaingueneau, pour qui « le genre discursif, versant typologique, formel du mode

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

dimension de contextualisation, fondamentale selon Gumperz dans l'engendre-ment des discours et leur sens d'événement pour les sujets, est souvent scoto-misée à l'école : la priorité y est donnée aux genres seconds etdécontextualisés, souvent abordés presque d'emblée, sans toujours prendre letemps d'un réel ancrage dans l'expérience et dans la parole vive.

2.3. Le rythme et les modes analogiques d'engendrementdes significations

Ces différences dans le matériau narratif et dans les conditions de contactqui caractérisent les formes orales et écrites de narration ne jouent pas seule¬ment pour des réorganisations ponctuelles du discours. Elles touchent à sesformes d'engendrement et de structuration, plus musicales (comme dans lecontage (48)), associatives ou portées par la force des signifiants (parentéssonores, rythmiques, expressivité des mots).

Bruner souligne que l'efficacité du récit pour l'enfant dépend de sa littéra¬rité (49). Dans beaucoup de genres oraux, contes ou récits de rêves, l'associa¬tion est un organisateur du discours. Les associations (rapprochements formels,symétries, glissements de proche en proche, par contiguité ou ressemblance)sous-tendent un fil thématique lâche, balisé par des « répétitions à diversniveaux structurels, qui s'organisent autour de séries », et opèrent comme ponc¬tuation rythmique du récit (50).

Au delà, ces différences touchent au mode de construction de la significa¬tion dans le récit oral, plus analogique et proche du poétique. Selon Zumthor,« les glissements de registre, les mouvements latéraux du langage, les ambiguï¬tés participant à la construction progressive du discours » amènent « uneimpossibilité de se maintenir au niveau du littéral, une ouverture constante surles résonances analogiques » (51). Le déroulement même du récit oral met enjeu des modes de construction des significations non dénotatifs, que Françoisessaie de cerner à l'aide de plusieurs notions, comme celles de « significationsdessinées » et « atmosphériques » (par opposition à analytiques et dénotatives).Une partie des significations que porte le récit ne sont pas localisables en unpoint précis du discours, ni attribuables à une unité linguistique particulière, ellestiennent à son fempo, son rythme, sa gestion de la temporalité particulière de lanarration, et sont montrées par l'ordre de son déroulement, sans être directe¬ment traductibles (lenteur, déroulement sinueux ou circulaire, ruptures et sautsthématiques rapides, piétinement) (52) ; elles suscitent une tonalité, une « atmo¬sphère », et participent ainsi à Paccordage affectif (53).

Analyser les conduites langagières orales oblige en effet à prendre encompte la dimension souvent occultée de l'expérience émotionnelle, qu'Auchlintente de cerner à travers des notions comme accord intérieur, calibrage, réso¬nance (54). D'où l'importance aussi, dans la narration orale, de cette autre méta¬phore musicale qu'est le ton. Bakhtine avait déjà insisté sur « le rôleexceptionnel du ton, l'aspect le moins étudié de la vie verbale », « lié au rapportdu locuteur à la personne de son partenaire » (55) ; ce point a été développé parMaingueneau, pour qui « le genre discursif, versant typologique, formel du mode

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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON

d'énonciation, n'est que le pendant d'un autre, moins souvent appréhendé, leton ». Le ton, « qui ne se donne jamais à voir, mais est partout présent, dissé¬miné sur tous les plans discursifs, par lequel le contenu du discours prend corpspartout grâce au mode d'énonciation », s'appuie sur une double figure del'énonciateur, « un caractère inséparable d'une corporalité, d'une certainemanière d'habiter son corps » (56). On rejoint par là l'éthos des rhétoriciens,« enonciation tendue vers le coénonciateur, qu'il faut mobiliser pour le faireadhérer physiquement à un certain univers de sens », indissociable de la façondont le locuteur se montre à travers la manière de dire, « de la scénographie oùla voix de l'énonciateur s'associe à une certaine détermination du corps » (57),dans une certaine énergie de la parole, une contagion communicative (58). Lanarration orale, avec cette part de performance liée à l'engagement du narrateur,à la particularité sensible de sa présence et de sa parole, met donc en évidencel'importance de ce en quoi un récit est non traductible, non réductible à sesinvariants et à son appartenance générique.

Cependant, ces dimensions n'apparaissent spécifiques au récit oral queparce que les approches dominantes ne les ont pas vraiment prises en comptedans l'analyse des récits écrits : c'est dans le cadre d'une conception formalisterigide du récit qu'on peut raisonner en termes d'oppositions binaires entre écritet oral (59).

Ainsi on peut dire que tout ce qui relève de la voix, des significations analo¬giques s'impose pour comprendre le fonctionnement du récit à l'oral, mais quecette dimension est fondamentale aussi pour le récit écrit, particulièrement lesrécits littéraires : selon Maingueneau, « l'éthos met particulièrement en évidencela dimension analogique de la communication littéraire » (60), qui rejoint sur cepoint le fonctionnement de l'oral. Selon Meschonnic, la question, pour l'écritaussi, est de savoir « comment se fait la signification d'un texte, et comment ellese fait chaque fois spécifiquement » (61). Se référant à Benveniste, et par oppo¬sition à l'organisation fixe de formes régulières qu'est le schéma, il définit le dis¬cours comme rythme, et le rythme comme organisation par un sujet dumouvement dans le langage (62). C'est pourquoi il distingue à côté de l'opposi¬tion binaire écrit / parlé, « un troisième mode de signification que masquait ledualisme du signe », l'oral, caractérisé selon lui par un primat de la prosodiedans le mouvement du sens : avec l'oralité, c'est de « l'organisation du mouve¬ment d'une parole dans le langage qu'il s'agit » (63). Meschonnic peut dire en cesens que « le paradoxe de la littérature est d'être le lieu où s'accomplit au maxi¬mum cette oralité » (ce qui est différent de l'imitation du parlé comme chezCéline). Les écrits élaborés reprennent et transposent ainsi les carcatéristiquesde l'oralité, comme le dialogisme et la dimension émergente, dynamique de laparole, de même que les oraux sont structurés, nourris par les organisationsécrites.

Le récit oral, par l'importance qu'y ont la prosodie et l'intonation, et à tra¬vers elles l'engagement du narrateur, est en ce sens un révélateur, qui signale lanécessité de prendre en compte dans la construction de la signification la dyna¬mique même de la prose, son énergie, et la présence du dire d'un sujet dansl'écrire. II faudrait bien sûr accepter d'écouter, ou de lire les récits d'enfants avec

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d'énonciation, n'est que le pendant d'un autre, moins souvent appréhendé, leton ». Le ton, « qui ne se donne jamais à voir, mais est partout présent, dissé¬miné sur tous les plans discursifs, par lequel le contenu du discours prend corpspartout grâce au mode d'énonciation », s'appuie sur une double figure del'énonciateur, « un caractère inséparable d'une corporalité, d'une certainemanière d'habiter son corps » (56). On rejoint par là l'éthos des rhétoriciens,« enonciation tendue vers le coénonciateur, qu'il faut mobiliser pour le faireadhérer physiquement à un certain univers de sens », indissociable de la façondont le locuteur se montre à travers la manière de dire, « de la scénographie oùla voix de l'énonciateur s'associe à une certaine détermination du corps » (57),dans une certaine énergie de la parole, une contagion communicative (58). Lanarration orale, avec cette part de performance liée à l'engagement du narrateur,à la particularité sensible de sa présence et de sa parole, met donc en évidencel'importance de ce en quoi un récit est non traductible, non réductible à sesinvariants et à son appartenance générique.

Cependant, ces dimensions n'apparaissent spécifiques au récit oral queparce que les approches dominantes ne les ont pas vraiment prises en comptedans l'analyse des récits écrits : c'est dans le cadre d'une conception formalisterigide du récit qu'on peut raisonner en termes d'oppositions binaires entre écritet oral (59).

Ainsi on peut dire que tout ce qui relève de la voix, des significations analo¬giques s'impose pour comprendre le fonctionnement du récit à l'oral, mais quecette dimension est fondamentale aussi pour le récit écrit, particulièrement lesrécits littéraires : selon Maingueneau, « l'éthos met particulièrement en évidencela dimension analogique de la communication littéraire » (60), qui rejoint sur cepoint le fonctionnement de l'oral. Selon Meschonnic, la question, pour l'écritaussi, est de savoir « comment se fait la signification d'un texte, et comment ellese fait chaque fois spécifiquement » (61). Se référant à Benveniste, et par oppo¬sition à l'organisation fixe de formes régulières qu'est le schéma, il définit le dis¬cours comme rythme, et le rythme comme organisation par un sujet dumouvement dans le langage (62). C'est pourquoi il distingue à côté de l'opposi¬tion binaire écrit / parlé, « un troisième mode de signification que masquait ledualisme du signe », l'oral, caractérisé selon lui par un primat de la prosodiedans le mouvement du sens : avec l'oralité, c'est de « l'organisation du mouve¬ment d'une parole dans le langage qu'il s'agit » (63). Meschonnic peut dire en cesens que « le paradoxe de la littérature est d'être le lieu où s'accomplit au maxi¬mum cette oralité » (ce qui est différent de l'imitation du parlé comme chezCéline). Les écrits élaborés reprennent et transposent ainsi les carcatéristiquesde l'oralité, comme le dialogisme et la dimension émergente, dynamique de laparole, de même que les oraux sont structurés, nourris par les organisationsécrites.

Le récit oral, par l'importance qu'y ont la prosodie et l'intonation, et à tra¬vers elles l'engagement du narrateur, est en ce sens un révélateur, qui signale lanécessité de prendre en compte dans la construction de la signification la dyna¬mique même de la prose, son énergie, et la présence du dire d'un sujet dansl'écrire. II faudrait bien sûr accepter d'écouter, ou de lire les récits d'enfants avec

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

cette qualité d'accueil, comme une voix qui cherche à se faire entendre dans saqualité particulière, même à travers la banalité ou l'incohérence des chosesdites : avoir, comme le dit François, une vision esthétique des récits d'enfants,en interrogeant l'expérience particulière de la production narrative, même balbu¬tiante et de son écoute, même professionnelle, comme une expérience esthé¬tique (64).

3. LA NARRATION ORALE COMME ACTIVITÉ SIGNIFIANTEET SES FONCTIONS

Comme le rappelle Zumthor, « le texte oral répugne plus que le texte écrit àtoute analyse qui le dissocierait de sa fonction sociale et de la place qu'elle luiconfère dans la communauté réelle ; de la tradition dont peut-être il se réclame,explicitement ou de manière implicite ; des circonstances où il se fait entendre.Le texte oral tient par là aux conditions et aux traits linguistiques déterminanttoute communauté orale » (65). L'ancrage des études du récit oral dans unchamp anthropologique, clinique ou sociologique a amené à mettre au premierplan la question de ses fonctions sociales et épistémiques et de sa dimensionactionnelle. Pourquoi raconte-t-on, que fait-on en racontant ? En quoi le récitest-il porteur de connaissances, comment participe-t-il à la régulation des rela¬tions sociales et à la construction des identités ?

3.1. Les enjeux épistémiques et identitaires du récit oral

Dans une perspective anthropologique, on peut dire que, pour les membresd'une société donnée, la pratique orale de récits lors de rassemblements com¬munautaires ou de séances d'arbitrage où est rendue la justice « apprend la vie,les règles du groupe, la logique des événements, les manières de vivre, le prévi¬sible et l'imprévisible. Les récits ont pour fonction d'assurer la transmission desrègles et des modalités de leur application, permettent de juger du degré d'ex¬ception ou de familiarité du délit, fournissent des critères pour l'appréciation dela gravité » (66). Ces fonctions épistémiques et régulatrices sont amplementsoulignées dans la description des sociétés traditionnelles ; elles sont parfoisévoquées dans les marges de notre culture, pour l'étude des faits-divers parexemple. Mais, paradoxalement, elles ne sont pas souvent mises au premierplan dans la littérature didactique, mais aussi dans les pratiques scolaires pourles récits écrits, même ceux dont la fonction patrimoniale est importante : lerécit n'y est pas abordé explicitement d'abord comme lieu de transmission deconnaissances ou de structuration de l'expérience (en dehors de la référence àBettelheim pour les contes de fées, qui fait effectivement partie de la cultureenseignante). Même quand on travaille le conte, où pourtant ces fonctions d'ap¬prentissage et d'intégration aux catégories d'une culture commune sont siimportantes, son rôle dans la connaissance du monde, la construction de caté¬gories de jugement et l'intégration des règles sociales chez les jeunes enfants,est assez peu thématisé dans les discours didactiques sur l'apprentissage durécit, par rapport aux apprentissages liés à la structuration de la trame narrative(le schéma narratif reste la référence explicite prioritaire). Cette quasi-absencede thématisation dans les discours didactiques explicites ne veut pas dire que

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

cette qualité d'accueil, comme une voix qui cherche à se faire entendre dans saqualité particulière, même à travers la banalité ou l'incohérence des chosesdites : avoir, comme le dit François, une vision esthétique des récits d'enfants,en interrogeant l'expérience particulière de la production narrative, même balbu¬tiante et de son écoute, même professionnelle, comme une expérience esthé¬tique (64).

3. LA NARRATION ORALE COMME ACTIVITÉ SIGNIFIANTEET SES FONCTIONS

Comme le rappelle Zumthor, « le texte oral répugne plus que le texte écrit àtoute analyse qui le dissocierait de sa fonction sociale et de la place qu'elle luiconfère dans la communauté réelle ; de la tradition dont peut-être il se réclame,explicitement ou de manière implicite ; des circonstances où il se fait entendre.Le texte oral tient par là aux conditions et aux traits linguistiques déterminanttoute communauté orale » (65). L'ancrage des études du récit oral dans unchamp anthropologique, clinique ou sociologique a amené à mettre au premierplan la question de ses fonctions sociales et épistémiques et de sa dimensionactionnelle. Pourquoi raconte-t-on, que fait-on en racontant ? En quoi le récitest-il porteur de connaissances, comment participe-t-il à la régulation des rela¬tions sociales et à la construction des identités ?

3.1. Les enjeux épistémiques et identitaires du récit oral

Dans une perspective anthropologique, on peut dire que, pour les membresd'une société donnée, la pratique orale de récits lors de rassemblements com¬munautaires ou de séances d'arbitrage où est rendue la justice « apprend la vie,les règles du groupe, la logique des événements, les manières de vivre, le prévi¬sible et l'imprévisible. Les récits ont pour fonction d'assurer la transmission desrègles et des modalités de leur application, permettent de juger du degré d'ex¬ception ou de familiarité du délit, fournissent des critères pour l'appréciation dela gravité » (66). Ces fonctions épistémiques et régulatrices sont amplementsoulignées dans la description des sociétés traditionnelles ; elles sont parfoisévoquées dans les marges de notre culture, pour l'étude des faits-divers parexemple. Mais, paradoxalement, elles ne sont pas souvent mises au premierplan dans la littérature didactique, mais aussi dans les pratiques scolaires pourles récits écrits, même ceux dont la fonction patrimoniale est importante : lerécit n'y est pas abordé explicitement d'abord comme lieu de transmission deconnaissances ou de structuration de l'expérience (en dehors de la référence àBettelheim pour les contes de fées, qui fait effectivement partie de la cultureenseignante). Même quand on travaille le conte, où pourtant ces fonctions d'ap¬prentissage et d'intégration aux catégories d'une culture commune sont siimportantes, son rôle dans la connaissance du monde, la construction de caté¬gories de jugement et l'intégration des règles sociales chez les jeunes enfants,est assez peu thématisé dans les discours didactiques sur l'apprentissage durécit, par rapport aux apprentissages liés à la structuration de la trame narrative(le schéma narratif reste la référence explicite prioritaire). Cette quasi-absencede thématisation dans les discours didactiques explicites ne veut pas dire que

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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON

ces aspects ne soient pas pris en charge implicitement, par la pratique intuitivedes enseignants, et ne suscitent pas des apprentissages incidents, à travers lafréquentation régulière d'albums notamment.

Ce qui est souligné en anthropologie comme fonction épistémique explicitedes récits codifiés de la tradition (mythes et sagas, cas de la jurisprudence, évé¬nements mémorables, paraboles) l'est aussi dans les études micro-sociolo¬giques et ethnométhodologiques des multiples récits qu'appellent les situationsd'interaction plus ou moins codifiées de la vie sociale : plaintes ou audiences autribunal, entretiens médicaux, biographiques (67). Elle l'est aussi des récits infor¬mels qui nourrissent les interactions quotidiennes (témoignages, anecdotes,confidences), par lesquels les membres d'une communauté ajustent et confor¬tent leurs catégories d'appréhension de l'expérience, leurs valeurs, leurs filia¬tions. Cette fonction catégorisante et structurante des récits apparait, quoiquede façon très différente, dans les pratiques ritualisées de récits appartenant à laculture commune (récits de fiction ou mémoire appartenant à l'histoire dugroupe d'appartenance) et dans ce grand versant de la narrativité que sont lesrécits d'expérience personnelle, notamment à travers les narrations conversa¬tionnelles.

II faudrait donc étudier chez l'enfant, non seulement les réalisations linguis¬tiques des récits et leurs transformations, mais aussi les fonctions interactives etcognitives mises en uvre dans ses pratiques narratives en situation, aux diffé¬rents moments de son évolution. L'analyse des conduites narratives du jeuneenfant chez Bruner a l'intérêt de présenter l'apprentissage du récit commeentrée dans un « jeu de langage » au sens d'action partagée, avec l'intricationdes dimensions cognitives, interpersonnelles et discursives. II aborde la narra¬tion par les fonctions sociales, culturelles et cognitives qu'elle remplit en situa¬tion dans l'environnement social de l'enfant. A travers les multiples récitstransmis par la tradition culturelle ou improvisés par son entourage pour com¬menter et rendre lisibles les expériences quotidiennes, il apprend à négocier lesens à donner aux conduites et à s'accorder sur leur interprétation : ainsi le récitd'excuse peut changer la valeur d'une conduite, par la mise en séquence desactions à l'intérieur d'ordres différents où elles trouvent place dans un réseau derelations (de cause à conséquence, but à moyen) et par la mise en scène de l'in¬tentionnalité. Les récits sont ainsi un lieu privilégié pour la construction de rela¬tions logiques et la compréhension des règles : on peut penser, à la suite deLuria, que les récits constituent « des interprétants précoces pour les proposi¬tions logiques, avant que l'enfant dispose de l'équipement mental pour lesmanipuler en ayant recours aux calculs logiques qui se développent plus tard »

(68). Cette analyse de la pratique précoce du récit renvoie, chez Bruner commechez Vygotski, à une conception plus large du développement de l'intelligenceet des connaissances à travers les formes culturelles et les uvres esthétiques.Bruner souligne la pluralité des modes d'élaboration du sens, dont certains, for¬tement contextualisés, gardent une autonomie par rapport aux exigences devérifiabilité ou de justification logique : ainsi les modes de signification liés auxrelations intersubjectives, ceux qui concernent les liens entre événements, acteset paroles, et les modes normatifs, qui intègrent les événements dans descontextes définis par des obligations, des déviations et des conformités. Ces

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ces aspects ne soient pas pris en charge implicitement, par la pratique intuitivedes enseignants, et ne suscitent pas des apprentissages incidents, à travers lafréquentation régulière d'albums notamment.

Ce qui est souligné en anthropologie comme fonction épistémique explicitedes récits codifiés de la tradition (mythes et sagas, cas de la jurisprudence, évé¬nements mémorables, paraboles) l'est aussi dans les études micro-sociolo¬giques et ethnométhodologiques des multiples récits qu'appellent les situationsd'interaction plus ou moins codifiées de la vie sociale : plaintes ou audiences autribunal, entretiens médicaux, biographiques (67). Elle l'est aussi des récits infor¬mels qui nourrissent les interactions quotidiennes (témoignages, anecdotes,confidences), par lesquels les membres d'une communauté ajustent et confor¬tent leurs catégories d'appréhension de l'expérience, leurs valeurs, leurs filia¬tions. Cette fonction catégorisante et structurante des récits apparait, quoiquede façon très différente, dans les pratiques ritualisées de récits appartenant à laculture commune (récits de fiction ou mémoire appartenant à l'histoire dugroupe d'appartenance) et dans ce grand versant de la narrativité que sont lesrécits d'expérience personnelle, notamment à travers les narrations conversa¬tionnelles.

II faudrait donc étudier chez l'enfant, non seulement les réalisations linguis¬tiques des récits et leurs transformations, mais aussi les fonctions interactives etcognitives mises en uvre dans ses pratiques narratives en situation, aux diffé¬rents moments de son évolution. L'analyse des conduites narratives du jeuneenfant chez Bruner a l'intérêt de présenter l'apprentissage du récit commeentrée dans un « jeu de langage » au sens d'action partagée, avec l'intricationdes dimensions cognitives, interpersonnelles et discursives. II aborde la narra¬tion par les fonctions sociales, culturelles et cognitives qu'elle remplit en situa¬tion dans l'environnement social de l'enfant. A travers les multiples récitstransmis par la tradition culturelle ou improvisés par son entourage pour com¬menter et rendre lisibles les expériences quotidiennes, il apprend à négocier lesens à donner aux conduites et à s'accorder sur leur interprétation : ainsi le récitd'excuse peut changer la valeur d'une conduite, par la mise en séquence desactions à l'intérieur d'ordres différents où elles trouvent place dans un réseau derelations (de cause à conséquence, but à moyen) et par la mise en scène de l'in¬tentionnalité. Les récits sont ainsi un lieu privilégié pour la construction de rela¬tions logiques et la compréhension des règles : on peut penser, à la suite deLuria, que les récits constituent « des interprétants précoces pour les proposi¬tions logiques, avant que l'enfant dispose de l'équipement mental pour lesmanipuler en ayant recours aux calculs logiques qui se développent plus tard »

(68). Cette analyse de la pratique précoce du récit renvoie, chez Bruner commechez Vygotski, à une conception plus large du développement de l'intelligenceet des connaissances à travers les formes culturelles et les uvres esthétiques.Bruner souligne la pluralité des modes d'élaboration du sens, dont certains, for¬tement contextualisés, gardent une autonomie par rapport aux exigences devérifiabilité ou de justification logique : ainsi les modes de signification liés auxrelations intersubjectives, ceux qui concernent les liens entre événements, acteset paroles, et les modes normatifs, qui intègrent les événements dans descontextes définis par des obligations, des déviations et des conformités. Ces

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

modes primitifs sont ensuite incorporés au sein du mode narratif ou de la pen¬sée propositionnelle : « le récit est une des formes de niveau plus élevé, permet¬tant d'introduire de la cohérence dans les trois premiers ordres d'élaboration dusens ». Sa richesse spécifique est de leur donner une portée d'extériorisation dela mémoire et d'appréhension logique plus générale, tout en gardant l'ancragedans des contextes particuliers (69).

Apprendre la pratique du récit, c'est donc pour un enfant faire ces par¬cours, en explorant successivement ses usages pour une investigation sur lemonde et les relations sociales, en fonction des questions qu'il peut se poser.Bruner cite ainsi dans son ouvrage et s'appuie sur les observations de Nelson,qui a suivi les narrations orales spontanées d'un fillette en notant leur évolutionfonctionnelle : elle utilise tour à tour le récit pour apprendre à séquentialiser lesactions, pour explorer les liens entre intentions et moyens, causes et effets, pourréintégrer dans un ordre les infractions à la loi ou la régularité, pour confronterune pluralité de perspectives intersubjectives sur une action. Ancré dans l'intérêtpour le problème de la transgression et de la réintégration dans un ordre à tra¬vers l'activité discursive, le récit est très précocement une exploration desmodalités et des logiques normatives dont a parlé Greimas. De même, à traversla curiosité pour les réactions de protagonistes différents à un même événe¬ment, il est très précocement polyphonique et centré sur la confrontation desubjectivités, à travers la prise de rôles et le jeu sur les voix. Ce sont pour lui cesenjeux prioritaires, qui fondent les fonctionnements narratifs privilégiés par l'en¬fant aux divers moments de son histoire personnelle.

Cette fonction organisatrice et exploratoire du récit s'accompagne d'enjeuxidentitaires et de construction de l'image de soi, particulièrement nets dans lesrécits d'expérience personnelle. Labov parle de « structuration du vécu à traversla syntaxe narrative », montrant le rôle que joue le récit dans la construction del'identité et la maitrise de l'expérience : c'est particulièrement important pourdes enfants ou des adolescents à l'identité en devenir, au carrefour de systèmesde catégorisation multiples et instables, comme le montre Bachmann à partir durécit par un jeune délinquant d'un épisode marquant de son expérience (70).Cette fonction identitaire a particulièrement étudiée dans des récits liés à l'immi¬gration (71), des entretiens biographiques et des récits de vie (72). Elle rejoint lesanalyses de Ricoeur sur l'identité narrative et le récit comme réponse deconcordance à une expérience de discordance temporelle et à l'aporie du temps(73).

La narration orale est aussi souvent source de plaisir, qu'il s'agisse du plai¬sir de conter, dont Zumthor parle comme d'un « plaisir de domination, associéau sentiment de piéger celui qui écoute, capté de façon narcissique dans l'es¬pace d'une parole apparemment objectivée » (74), ou plus largement, d'uneexpérience esthétique partagée par celui qui raconte et celui qui écoute, qu'ils'agisse d'invention, de mensonge ou d'expérience stylisée. François développecette approche dans l'analyse de narrations d'enfants, en reprenant les troisaspects que Jauss a isolés à l'intérieur de l'expérience esthétique (75) : plaisirde la poesis, celui de faire et de jouer librement du mélange des mondes, de latrangression des interdits ou des impossibles dans un espace de jeu caractérisé

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

modes primitifs sont ensuite incorporés au sein du mode narratif ou de la pen¬sée propositionnelle : « le récit est une des formes de niveau plus élevé, permet¬tant d'introduire de la cohérence dans les trois premiers ordres d'élaboration dusens ». Sa richesse spécifique est de leur donner une portée d'extériorisation dela mémoire et d'appréhension logique plus générale, tout en gardant l'ancragedans des contextes particuliers (69).

Apprendre la pratique du récit, c'est donc pour un enfant faire ces par¬cours, en explorant successivement ses usages pour une investigation sur lemonde et les relations sociales, en fonction des questions qu'il peut se poser.Bruner cite ainsi dans son ouvrage et s'appuie sur les observations de Nelson,qui a suivi les narrations orales spontanées d'un fillette en notant leur évolutionfonctionnelle : elle utilise tour à tour le récit pour apprendre à séquentialiser lesactions, pour explorer les liens entre intentions et moyens, causes et effets, pourréintégrer dans un ordre les infractions à la loi ou la régularité, pour confronterune pluralité de perspectives intersubjectives sur une action. Ancré dans l'intérêtpour le problème de la transgression et de la réintégration dans un ordre à tra¬vers l'activité discursive, le récit est très précocement une exploration desmodalités et des logiques normatives dont a parlé Greimas. De même, à traversla curiosité pour les réactions de protagonistes différents à un même événe¬ment, il est très précocement polyphonique et centré sur la confrontation desubjectivités, à travers la prise de rôles et le jeu sur les voix. Ce sont pour lui cesenjeux prioritaires, qui fondent les fonctionnements narratifs privilégiés par l'en¬fant aux divers moments de son histoire personnelle.

Cette fonction organisatrice et exploratoire du récit s'accompagne d'enjeuxidentitaires et de construction de l'image de soi, particulièrement nets dans lesrécits d'expérience personnelle. Labov parle de « structuration du vécu à traversla syntaxe narrative », montrant le rôle que joue le récit dans la construction del'identité et la maitrise de l'expérience : c'est particulièrement important pourdes enfants ou des adolescents à l'identité en devenir, au carrefour de systèmesde catégorisation multiples et instables, comme le montre Bachmann à partir durécit par un jeune délinquant d'un épisode marquant de son expérience (70).Cette fonction identitaire a particulièrement étudiée dans des récits liés à l'immi¬gration (71), des entretiens biographiques et des récits de vie (72). Elle rejoint lesanalyses de Ricoeur sur l'identité narrative et le récit comme réponse deconcordance à une expérience de discordance temporelle et à l'aporie du temps(73).

La narration orale est aussi souvent source de plaisir, qu'il s'agisse du plai¬sir de conter, dont Zumthor parle comme d'un « plaisir de domination, associéau sentiment de piéger celui qui écoute, capté de façon narcissique dans l'es¬pace d'une parole apparemment objectivée » (74), ou plus largement, d'uneexpérience esthétique partagée par celui qui raconte et celui qui écoute, qu'ils'agisse d'invention, de mensonge ou d'expérience stylisée. François développecette approche dans l'analyse de narrations d'enfants, en reprenant les troisaspects que Jauss a isolés à l'intérieur de l'expérience esthétique (75) : plaisirde la poesis, celui de faire et de jouer librement du mélange des mondes, de latrangression des interdits ou des impossibles dans un espace de jeu caractérisé

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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON

à la fois par sa fermeture et son ouverture ; plaisir de Yaisthesis, du ressenti etde l'accordage affectif ; plaisir de la catharsis : (Jauss parle d'identificationcathartique), de la régulation des affects, liée à la prise de rôle et à la découverted'une existence d'autres en nous (76).

3.2. Les fonctions discursives de la narrationdans l'interaction

Si l'on s'attache aux récits effectivement produits en situation « naturelle »,

on se heurte forcément à la question de l'hétérogénéité. Comme je l'avais mon¬tré en parlant de la dimension dialogique du récit, chez Labov notamment, et dufait qu'il intègre diverses séquences discursives liées à l'évaluation (commen¬taires, explications, discours intérieur.), on peut dire que l'hétérogénéité estconstitutive de la narration, même quand elle se présente sous forme relative¬ment identifiable par rapport à son environnement dialogal, comme dans lesrécits étudiés par Labov.

Mais il est rare que le récit à l'oral se présente sous forme close, isolée,sauf dans certaines situations institutionnelles, et le plus souvent on a à faireavec des récits intégrés à d'autres conduites discursives, par rapport auxquellesla narration assume différentes fonctions. Lacoste analyse ainsi ces « situationsd'hétérogénéité discursive, où le narratif fait irruption dans du non-narratif », parexemple dans une situation d'entretien. II s'agit pour elle de « rompre avec uneattitude taxinomique, pour en venir à l'analyse des processus internes deconstruction », notamment des formes de narrativisation du discours, ou, audelà d'une dichotomie entre récit fonctionnel et récit non-fonctionnel, de repérerles processus de fonctionnalisation et de défonctionnalisation des séquencesnarratives par rapport au contexte discursif (77). On a ici à faire, non pas à desrécits au sens où l'entend Labov, c'est à dire des conduites sociales riches etdifférenciées, unifiées par l'évaluation, mais à « du récit », qui prend souventplace dans un environnement argumentatif, en jouant comme témoignage,moyen de susciter une vraisemblance, explication, preuve, et de façon plusgénérale, établissement ou confirmation d'un savoir d'arrière-plan commun avecl'interlocuteur. II s'agit plutôt de bribes étroitement mêlées au commentaire, oùon passe incessamment du générique au déictique, d'un système de catégori¬sation à un autre, et où l'opposition présent / imparfait / passé composé estremplacée par une combinatoire plus souple d'adverbes, de locutions, d'expres¬sions générales. Comme d'autres conduites orales, la narration orale apparaitcomme le domaine de l'hétérogène et de la variation et fait éclater les typologiestrop rigides. Mais ici encore, elle ne fait qu'éclairer un aspect du fonctionnementdes récits écrits, que masquent les formes scolaires quand elles sont trop rigi¬

dement codifiées.

On voit donc que la pratique sociale réelle du récit correspond à desformes très variées, dont le récit construit, tel que l'a décrit Labov, avec l'impor¬tance centrale de l'évaluation, n'est qu'une manifestation. Barberis rappelle quetous les récits ne sont pas évalués : l'activité narrative consiste souvent plutôt àrelater, résumer, rappeler, pratiques qui ont aussi des fonctionnalités socialesmultiples (78). S'agit-il encore de récits ? Dans cette perspective, il est plus inté-

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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON

à la fois par sa fermeture et son ouverture ; plaisir de Yaisthesis, du ressenti etde l'accordage affectif ; plaisir de la catharsis : (Jauss parle d'identificationcathartique), de la régulation des affects, liée à la prise de rôle et à la découverted'une existence d'autres en nous (76).

3.2. Les fonctions discursives de la narrationdans l'interaction

Si l'on s'attache aux récits effectivement produits en situation « naturelle »,

on se heurte forcément à la question de l'hétérogénéité. Comme je l'avais mon¬tré en parlant de la dimension dialogique du récit, chez Labov notamment, et dufait qu'il intègre diverses séquences discursives liées à l'évaluation (commen¬taires, explications, discours intérieur.), on peut dire que l'hétérogénéité estconstitutive de la narration, même quand elle se présente sous forme relative¬ment identifiable par rapport à son environnement dialogal, comme dans lesrécits étudiés par Labov.

Mais il est rare que le récit à l'oral se présente sous forme close, isolée,sauf dans certaines situations institutionnelles, et le plus souvent on a à faireavec des récits intégrés à d'autres conduites discursives, par rapport auxquellesla narration assume différentes fonctions. Lacoste analyse ainsi ces « situationsd'hétérogénéité discursive, où le narratif fait irruption dans du non-narratif », parexemple dans une situation d'entretien. II s'agit pour elle de « rompre avec uneattitude taxinomique, pour en venir à l'analyse des processus internes deconstruction », notamment des formes de narrativisation du discours, ou, audelà d'une dichotomie entre récit fonctionnel et récit non-fonctionnel, de repérerles processus de fonctionnalisation et de défonctionnalisation des séquencesnarratives par rapport au contexte discursif (77). On a ici à faire, non pas à desrécits au sens où l'entend Labov, c'est à dire des conduites sociales riches etdifférenciées, unifiées par l'évaluation, mais à « du récit », qui prend souventplace dans un environnement argumentatif, en jouant comme témoignage,moyen de susciter une vraisemblance, explication, preuve, et de façon plusgénérale, établissement ou confirmation d'un savoir d'arrière-plan commun avecl'interlocuteur. II s'agit plutôt de bribes étroitement mêlées au commentaire, oùon passe incessamment du générique au déictique, d'un système de catégori¬sation à un autre, et où l'opposition présent / imparfait / passé composé estremplacée par une combinatoire plus souple d'adverbes, de locutions, d'expres¬sions générales. Comme d'autres conduites orales, la narration orale apparaitcomme le domaine de l'hétérogène et de la variation et fait éclater les typologiestrop rigides. Mais ici encore, elle ne fait qu'éclairer un aspect du fonctionnementdes récits écrits, que masquent les formes scolaires quand elles sont trop rigi¬

dement codifiées.

On voit donc que la pratique sociale réelle du récit correspond à desformes très variées, dont le récit construit, tel que l'a décrit Labov, avec l'impor¬tance centrale de l'évaluation, n'est qu'une manifestation. Barberis rappelle quetous les récits ne sont pas évalués : l'activité narrative consiste souvent plutôt àrelater, résumer, rappeler, pratiques qui ont aussi des fonctionnalités socialesmultiples (78). S'agit-il encore de récits ? Dans cette perspective, il est plus inté-

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

ressant d'observer et de structurer ce continuum de pratiques, ses fonctionssociales et intellectuelles et ses fonctionnements que d'appliquer un modèleunique a priori du récit. Les travaux qui ont pris en compte la variété des genresnarratifs oraux formels ou informels (récit radiophonique, témoignages, blagueset histoires drôles, confidences, récits de rêve ou de mensonge, résumés d'his¬toires lues ou de films (79)) ont montré des variations importantes de la formenarrative, qui incitent à se méfier de tout modèle rigide et uniforme de la produc¬tion d'un récit.

II faudrait mieux reconnaître, et connaître, dans leur diversité fonctionnelleet leurs fonctionnements, la gamme des conduites narratives orales mises enÎuvre dans les interactions scolaires quotidiennes, depuis les ouvertures decours, où l'enseignant demande de réactualiser l'expérience vécue en commun(sortie, tâche intellectuelle menée ensemble) à des fins de socialisation et deconstruction d'une culture commune, de relater le travail du cours précédent, oude faire le bilan de la démarche en fin de séance, jusqu'aux séances ritualiséesde restitution d'histoires patrimoniales faisant partie de la culture scolaire. Entreces deux pôles, la narration se pratique sans cesse à travers toutes lesconduites de paraphrase de textes pour mieux les comprendre, de résumé oude description d'expériences pour les structurer et les mémoriser, et par lesrécits d'expérience personnelle intervenant sous forme ritualisée à visée desociabilité (entretiens du matin), ou comme bribes dans le tissu des échangesdiscursifs (à titre de justification, d'accordage affectif, d'exemple etc). Pour lesraisons évoquées précédemment, méthodologiques et techniques, mais sansdoute aussi par suite de choix théoriques, cette description de la sociabilité nar¬rative ordinaire à l'école n'a pas pu être encore réellement engagée, ou l'a étéde manière partielle (en se centrant sur les fonctions littéraires et culturelles deséchanges autour des albums, par exemple) (80). II faudrait ainsi observer lesvariations d'un type de narration à l'autre, et dégager des catégories permettantde les comparer : récits situationnels / décontextualisés, restitution / invention,s'appuyant sur un support verbal homogène / sur un support multisémiotique(album en images), récits faisant appel à l'expérience partagée ou une connais¬sance commune (en situation de rappel, notamment) / récits à fonction informa¬tive construisant verbalement une référence inconnue. Prendre en compte cettevariété permettrait d'éviter une approche trop modélisante et restrictive, et detravailler avec leurs critères propres et leur fonctionnalité, sans idée préconçue,les multiples occasions de relater ou de raconter qui se présentent en classe. Ence sens aussi, les études sur le récit oral éclairent des dimensions qui valentpour tout récit, même écrit. Elles nous incitent à nous méfier des dichotomies etdes schémas rigides a priori, pour accepter la diversité des pratiques socialesréelles et la complexité des modes de construction des significations.

CONCLUSION

Par la nature de son objet, par les traditions scientifiques dans lesquelleselle a pris naissance, l'analyse de récits oraux pose à la narratologie des ques¬tions épistémologiques plus générales sur le statut des concepts génériques etdes événements de parole, qui n'en sont jamais une application. Elle confronte àla question de la spécificité et de l'hétérogénéité de conduites discursives en

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

ressant d'observer et de structurer ce continuum de pratiques, ses fonctionssociales et intellectuelles et ses fonctionnements que d'appliquer un modèleunique a priori du récit. Les travaux qui ont pris en compte la variété des genresnarratifs oraux formels ou informels (récit radiophonique, témoignages, blagueset histoires drôles, confidences, récits de rêve ou de mensonge, résumés d'his¬toires lues ou de films (79)) ont montré des variations importantes de la formenarrative, qui incitent à se méfier de tout modèle rigide et uniforme de la produc¬tion d'un récit.

II faudrait mieux reconnaître, et connaître, dans leur diversité fonctionnelleet leurs fonctionnements, la gamme des conduites narratives orales mises enÎuvre dans les interactions scolaires quotidiennes, depuis les ouvertures decours, où l'enseignant demande de réactualiser l'expérience vécue en commun(sortie, tâche intellectuelle menée ensemble) à des fins de socialisation et deconstruction d'une culture commune, de relater le travail du cours précédent, oude faire le bilan de la démarche en fin de séance, jusqu'aux séances ritualiséesde restitution d'histoires patrimoniales faisant partie de la culture scolaire. Entreces deux pôles, la narration se pratique sans cesse à travers toutes lesconduites de paraphrase de textes pour mieux les comprendre, de résumé oude description d'expériences pour les structurer et les mémoriser, et par lesrécits d'expérience personnelle intervenant sous forme ritualisée à visée desociabilité (entretiens du matin), ou comme bribes dans le tissu des échangesdiscursifs (à titre de justification, d'accordage affectif, d'exemple etc). Pour lesraisons évoquées précédemment, méthodologiques et techniques, mais sansdoute aussi par suite de choix théoriques, cette description de la sociabilité nar¬rative ordinaire à l'école n'a pas pu être encore réellement engagée, ou l'a étéde manière partielle (en se centrant sur les fonctions littéraires et culturelles deséchanges autour des albums, par exemple) (80). II faudrait ainsi observer lesvariations d'un type de narration à l'autre, et dégager des catégories permettantde les comparer : récits situationnels / décontextualisés, restitution / invention,s'appuyant sur un support verbal homogène / sur un support multisémiotique(album en images), récits faisant appel à l'expérience partagée ou une connais¬sance commune (en situation de rappel, notamment) / récits à fonction informa¬tive construisant verbalement une référence inconnue. Prendre en compte cettevariété permettrait d'éviter une approche trop modélisante et restrictive, et detravailler avec leurs critères propres et leur fonctionnalité, sans idée préconçue,les multiples occasions de relater ou de raconter qui se présentent en classe. Ence sens aussi, les études sur le récit oral éclairent des dimensions qui valentpour tout récit, même écrit. Elles nous incitent à nous méfier des dichotomies etdes schémas rigides a priori, pour accepter la diversité des pratiques socialesréelles et la complexité des modes de construction des significations.

CONCLUSION

Par la nature de son objet, par les traditions scientifiques dans lesquelleselle a pris naissance, l'analyse de récits oraux pose à la narratologie des ques¬tions épistémologiques plus générales sur le statut des concepts génériques etdes événements de parole, qui n'en sont jamais une application. Elle confronte àla question de la spécificité et de l'hétérogénéité de conduites discursives en

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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON

situation, fortement tributaires d'un contexte, d'une dynamique interiocutive,d'une multitude de facteurs intriqués qui entrent dans sa dimension de perfor¬mance non complètement réitérable et prévisible, et à celle de modes de géné¬ralisation ajustés à cette spécificité, qui n'achètent pas la généralité etl'invariance au prix d'une réduction des récits au plus petit commun dénomina¬teur (81). Au même titre que l'analyse de récits écrits, mais de façon plus évi¬dente, elle s'attache à des pratiques discursives qui sont des pratiques sociales,ancrées dans des enjeux pragmatiques, culturels et identitaires, des fonctionsde partage de connaissances et de valeurs, et qui sont intriquées à d'autres sys¬tèmes sémiotiques intriqués en interférences avec elles (gestes et habitus cor¬porels, action partagée, écrits et dessins) : elles confrontent aux limitesd'approches seulement formalistes. On ne peut ainsi s'intéresser aux narrationsorales en situation sans se poser, d'emblée et au premier chef, la question :

pourquoi raconte-t-on, que fait-on en racontant ? Cette question n'est certespas spécifique au récit oral, mais on peut penser qu'une certaine tradition sco¬laire formaliste, centrée sur les genres écrits comme objets d'enseignements,susceptibles d'un apprentissage en quelque sorte auto-centré, l'a souvent relé¬

guée au second plan.

Par ailleurs, l'analyse de conduites discursives comme le récit montre leslimites d'une approche dichotomique, reposant sur une partition stricte entrepratiques orales et pratiques écrites. Du point de vue de la description des pra¬tiques sociales orales effectives, d'abord, cette partition se révèle indéfendable :

dans notre société lettrée, la plupart des situations professionnelles et scolairesmêlent l'oral et l'écrit, le langagier et l'iconique, selon des configurations variéeset complexes qui demandent des compétences spécifiques (commentaire narra¬tif d'images, traces écrites à partir d'une narration orale, narration s'appuyantsur un canevas écrit, gloses et reformulations portant sur un texte écrit, selontous les degrés de paraphrase et de distance.). Du point de vue de l'analyse desdiscours, également, prendre en compte l'originalité des fonctionnements desnarrations orales renvoie sur bien des points, comme on l'a vu, à des caractéris¬tiques des narrations en général, qu'elles soient orales ou écrites, pour les¬quelles l'oral joue comme un révélateur : ainsi la dimension interiocutive etconfigurationnelle, la polyphonie et la variété des positions enonciatives, la litté-ralité et l'importance des significations non dénotatives, l'hétérogénéité et la plu¬

ralité des fonctions pragmatiques (expliquer, témoigner, exemplifier, réfuter.), ladimension de partage de connaissances, de catégories de jugement et devaleurs. On peut dire que les pratiques écrites élaborées intègrent, transposent,stylisent certaines dimensions de la parole orale, comme le dialogisme, la sou¬plesse des positions enonciatives, la figuration d'une dynamique d'engendre¬ment, la tension evaluative ; inversement, les oraux élaborés se nourrissent desmodes d'organisation et de réflexivité de l'écrit.

Pour des enseignants, s'engager dans une connaissance technique etdétaillée des caractéristiques linguistiques et discursives des récits oraux,notamment dans le domaine des phénomènes prosodiques, est sans douteactuellement difficile, et nécessiterait du temps, un lourd appui technologique.Prendre connaissance de travaux sur les récits oraux pourrait au moins per-

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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON

situation, fortement tributaires d'un contexte, d'une dynamique interiocutive,d'une multitude de facteurs intriqués qui entrent dans sa dimension de perfor¬mance non complètement réitérable et prévisible, et à celle de modes de géné¬ralisation ajustés à cette spécificité, qui n'achètent pas la généralité etl'invariance au prix d'une réduction des récits au plus petit commun dénomina¬teur (81). Au même titre que l'analyse de récits écrits, mais de façon plus évi¬dente, elle s'attache à des pratiques discursives qui sont des pratiques sociales,ancrées dans des enjeux pragmatiques, culturels et identitaires, des fonctionsde partage de connaissances et de valeurs, et qui sont intriquées à d'autres sys¬tèmes sémiotiques intriqués en interférences avec elles (gestes et habitus cor¬porels, action partagée, écrits et dessins) : elles confrontent aux limitesd'approches seulement formalistes. On ne peut ainsi s'intéresser aux narrationsorales en situation sans se poser, d'emblée et au premier chef, la question :

pourquoi raconte-t-on, que fait-on en racontant ? Cette question n'est certespas spécifique au récit oral, mais on peut penser qu'une certaine tradition sco¬laire formaliste, centrée sur les genres écrits comme objets d'enseignements,susceptibles d'un apprentissage en quelque sorte auto-centré, l'a souvent relé¬

guée au second plan.

Par ailleurs, l'analyse de conduites discursives comme le récit montre leslimites d'une approche dichotomique, reposant sur une partition stricte entrepratiques orales et pratiques écrites. Du point de vue de la description des pra¬tiques sociales orales effectives, d'abord, cette partition se révèle indéfendable :

dans notre société lettrée, la plupart des situations professionnelles et scolairesmêlent l'oral et l'écrit, le langagier et l'iconique, selon des configurations variéeset complexes qui demandent des compétences spécifiques (commentaire narra¬tif d'images, traces écrites à partir d'une narration orale, narration s'appuyantsur un canevas écrit, gloses et reformulations portant sur un texte écrit, selontous les degrés de paraphrase et de distance.). Du point de vue de l'analyse desdiscours, également, prendre en compte l'originalité des fonctionnements desnarrations orales renvoie sur bien des points, comme on l'a vu, à des caractéris¬tiques des narrations en général, qu'elles soient orales ou écrites, pour les¬quelles l'oral joue comme un révélateur : ainsi la dimension interiocutive etconfigurationnelle, la polyphonie et la variété des positions enonciatives, la litté-ralité et l'importance des significations non dénotatives, l'hétérogénéité et la plu¬

ralité des fonctions pragmatiques (expliquer, témoigner, exemplifier, réfuter.), ladimension de partage de connaissances, de catégories de jugement et devaleurs. On peut dire que les pratiques écrites élaborées intègrent, transposent,stylisent certaines dimensions de la parole orale, comme le dialogisme, la sou¬plesse des positions enonciatives, la figuration d'une dynamique d'engendre¬ment, la tension evaluative ; inversement, les oraux élaborés se nourrissent desmodes d'organisation et de réflexivité de l'écrit.

Pour des enseignants, s'engager dans une connaissance technique etdétaillée des caractéristiques linguistiques et discursives des récits oraux,notamment dans le domaine des phénomènes prosodiques, est sans douteactuellement difficile, et nécessiterait du temps, un lourd appui technologique.Prendre connaissance de travaux sur les récits oraux pourrait au moins per-

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

mettre, en revanche, d'apprendre, ou réapprendre à écouter les narrations desélèves, sans se décourager et se fixer sur des objectifs inatteignables.

Pratiquer réellement la narration à l'oral dans la classe pose de multiplesproblèmes : de temps, de technique, de socialisation des différences sociales etculturelles entre élèves, qui risquent ainsi de devenir plus publiques et de mena¬cer l'espace neutre de la classe. II est difficile aussi, en dehors des petitesclasses, de concevoir en quoi raconter à l'oral peut être un travail scolaire, diffé¬rent de ce qu'on fait quand on raconte en contexte extra-scolaire : d'où lerecours à des consignes plus ou moins strictement codifiées, et à des normesqui cherchent à juste titre à dessiner un espace d'apprentissage scolaire et à lelégitimer, mais qui sont souvent décalquées de l'écrit, et donc décalées et peuopératoires. Prendre connaissance de travaux sur le récit oral peut aider àrenoncer à des normes décalées, à se centrer sur des axes de travail plus opé¬ratoires : ainsi le travail sur l'évaluation et l'élucidation des raisons de raconter, laprise en compte de l'interlocution, du questionnement de l'interlocuteur, pourlequel on peut s'appuyer sur les analyses de Labov. Ces travaux peuvent aidernotamment à ne pas méconnaître l'importance des éléments paraverbaux dansles conduites narratives, à favoriser leur développement, leur prise deconscience et leur contrôle par les élèves, en relativisant des modèles de lacohérence et de la complexité narrative inspirés des récits écrits. Ces travauxpeuvent ainsi avoir une fonction de légitimation des narrations orales déjà pré¬sentes dans la classe, en en montrant l'importance et l'intérêt.

Cette importance et cet intérêt peuvent concerner les multiples pratiquesnarratives non canoniques inscrites dans les échanges ordinaires de la classe,qui assument des fonctions centrales dans la constitution d'une culture com¬mune et la construction intellectuelle : comptes rendus d'expériences partagées,de démarches menées en commun, analyses de situations problématiques, rap¬pels de découvertes, résumés structurant des acquis ou la mémoire du groupe,restitution de lectures. Les enseignants les pratiquent intuitivement, en lesconsidérant souvent plus comme des formes de régulation liées à la gestion declasse, que comme des situations à part entière d'exercice et de développe¬ment de conduites narratives. Pourtant, l'observation montre qu'y sont mises enjeu des compétences qui peuvent se développer, progresser, se complexifier(dans la catégorisation des actants, l'explicitation des relations, des change¬ments de niveau comme le passage du témoignage au commentaire), et doncdes axes de travail à expliciter pour l'enseignant. Mais cela suppose de renon¬cer à l'image de conduites discursives à l'état pur et stable, bien identifiablescomme récit ou comme description, ou explication, pour exploiter sans modèleunique a priori les séquences hétérogènes, polyvalentes et instables inscritesdans les discours en situation.

Cet intérêt concerne aussi les narrations plus facilement identifiablescomme récits, récits d'expérience ou récits de fiction, plus ou moins directe¬ment paraphrasés de récits lus ou entendus. A l'oral, en situation ordinaire, l'en¬gagement personnel du narrateur dans sa narration, l'investissement émotionnelde l'auditeur dans l'écoute font qu'on est plus facilement porté à y entendrel'expression d'une voix singulière qui cherche à se faire entendre, à partager une

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

mettre, en revanche, d'apprendre, ou réapprendre à écouter les narrations desélèves, sans se décourager et se fixer sur des objectifs inatteignables.

Pratiquer réellement la narration à l'oral dans la classe pose de multiplesproblèmes : de temps, de technique, de socialisation des différences sociales etculturelles entre élèves, qui risquent ainsi de devenir plus publiques et de mena¬cer l'espace neutre de la classe. II est difficile aussi, en dehors des petitesclasses, de concevoir en quoi raconter à l'oral peut être un travail scolaire, diffé¬rent de ce qu'on fait quand on raconte en contexte extra-scolaire : d'où lerecours à des consignes plus ou moins strictement codifiées, et à des normesqui cherchent à juste titre à dessiner un espace d'apprentissage scolaire et à lelégitimer, mais qui sont souvent décalquées de l'écrit, et donc décalées et peuopératoires. Prendre connaissance de travaux sur le récit oral peut aider àrenoncer à des normes décalées, à se centrer sur des axes de travail plus opé¬ratoires : ainsi le travail sur l'évaluation et l'élucidation des raisons de raconter, laprise en compte de l'interlocution, du questionnement de l'interlocuteur, pourlequel on peut s'appuyer sur les analyses de Labov. Ces travaux peuvent aidernotamment à ne pas méconnaître l'importance des éléments paraverbaux dansles conduites narratives, à favoriser leur développement, leur prise deconscience et leur contrôle par les élèves, en relativisant des modèles de lacohérence et de la complexité narrative inspirés des récits écrits. Ces travauxpeuvent ainsi avoir une fonction de légitimation des narrations orales déjà pré¬sentes dans la classe, en en montrant l'importance et l'intérêt.

Cette importance et cet intérêt peuvent concerner les multiples pratiquesnarratives non canoniques inscrites dans les échanges ordinaires de la classe,qui assument des fonctions centrales dans la constitution d'une culture com¬mune et la construction intellectuelle : comptes rendus d'expériences partagées,de démarches menées en commun, analyses de situations problématiques, rap¬pels de découvertes, résumés structurant des acquis ou la mémoire du groupe,restitution de lectures. Les enseignants les pratiquent intuitivement, en lesconsidérant souvent plus comme des formes de régulation liées à la gestion declasse, que comme des situations à part entière d'exercice et de développe¬ment de conduites narratives. Pourtant, l'observation montre qu'y sont mises enjeu des compétences qui peuvent se développer, progresser, se complexifier(dans la catégorisation des actants, l'explicitation des relations, des change¬ments de niveau comme le passage du témoignage au commentaire), et doncdes axes de travail à expliciter pour l'enseignant. Mais cela suppose de renon¬cer à l'image de conduites discursives à l'état pur et stable, bien identifiablescomme récit ou comme description, ou explication, pour exploiter sans modèleunique a priori les séquences hétérogènes, polyvalentes et instables inscritesdans les discours en situation.

Cet intérêt concerne aussi les narrations plus facilement identifiablescomme récits, récits d'expérience ou récits de fiction, plus ou moins directe¬ment paraphrasés de récits lus ou entendus. A l'oral, en situation ordinaire, l'en¬gagement personnel du narrateur dans sa narration, l'investissement émotionnelde l'auditeur dans l'écoute font qu'on est plus facilement porté à y entendrel'expression d'une voix singulière qui cherche à se faire entendre, à partager une

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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON

certaine qualité d'expérience ou un certain rapport au monde, non un répertoirede savoir-faire. La lecture de récits écrits d'élèves aussi pourrait être, au moinspartiellement, une telle expérience interprétative, et pas seulement une vérifica¬tion d'acquis ou de savoir-faire non maitrises. Elle l'est certainement, dans biendes cas, à l'école, intuitivement, pour les enseignants, mais sans que l'expé¬rience d'intérêt, ou d'émotion, ait des mots pour s'expliciter et devenir un objetde travail légitimé par des savoirs. De même, dans la pratique intuitive d'ensei¬gnants lors de narrations en coopération, avec des enfants jeunes notamment,sont mis en des étayages subtils, des régulations portant sur des facettesdifférentes de l'activité narrative, comme ceux qui ont été décrits par les cher¬cheurs précédemment cités ayant observé ce type d'interactions. Ces pratiquesorales d'interaction intuitive en situation, mettant en jeu des savoirs implicitesdes enseignants, sont sans doute plus riches que les critères et savoirs expli¬cites qui sont objets d'enseignement dans beaucoup de classes. Un desapports des travaux sur le récit oral est peut-être de contribuer à légitimer, expli¬citer et mieux contrôler ces pratiques et ces savoirs implicites.

NOTES

(1) NONNON (1994).

(2) « Le récit oral, qu'on rencontre dans toutes les interactions de la vie quotidienne,principalement mais non exclusivement la conversation, apparaît comme une desprincipales pratiques langagières humaines ; à travers lui est appréhendé le mondeet mise en forme l'interaction sociale » BRES (1994), p. 9.

(3) BLANCHE-BENVENISTE, PALLAUD (1994).

(4) CULIOLI (1 973 ; 1 983 ; 1 999) : BLANCHE- BENVENISTE (1 997) ; GADET (1 989)

(5) Par exemple, ZLOTOWICZ (1 978)

(6) Par exemple, BOURDIEU (19), DEMAZIERE et DUBAR (1997). Sur les récits de vie,voir CHISS (1985)

(7) Comme le disait en 1983 Zumthor de la poésie orale, « toute oralité nous apparaîtplus ou moins comme survivance, réémergence d'un avant, d'un commencement :

d'où souvent chez les auteurs qui étudient les formes orales l'idée sous-jacente maisgratuite qu'elles véhiculent des stéréotypes primitifs. Ces caractérisations som¬maires présupposent pour l'analyste la conviction que la poésie orale est pour luiautre, alors que l'écrit lui est propre : autre dans le temps ou l'espace pour l'ethno¬logue, autre qualitativement pour le sociologue. Le trait commun qui justifie qu'onconjoigne les qualificatifs d'oral et de populaire reste en revanche curieusementocculté » ZUMTHOR (1983), p. 26 et 27. Cette représentation commence sans douteà être battue en brèche.

(8) BAKHTINE (1 984), p. 267.

(9) Mais on pourrait évoquer bien d'autres situations légitimes de droit à la parole narra¬tive orale, dans le cadre religieux (les sermons, les paraboles) et juridique notamment(avocats, témoins, plaintes au commissariat, à des assistantes sociales, comme lestémoignages qu'a étudiés de GAULMYN (1994, 1995), encore que dans ce cas,

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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON

certaine qualité d'expérience ou un certain rapport au monde, non un répertoirede savoir-faire. La lecture de récits écrits d'élèves aussi pourrait être, au moinspartiellement, une telle expérience interprétative, et pas seulement une vérifica¬tion d'acquis ou de savoir-faire non maitrises. Elle l'est certainement, dans biendes cas, à l'école, intuitivement, pour les enseignants, mais sans que l'expé¬rience d'intérêt, ou d'émotion, ait des mots pour s'expliciter et devenir un objetde travail légitimé par des savoirs. De même, dans la pratique intuitive d'ensei¬gnants lors de narrations en coopération, avec des enfants jeunes notamment,sont mis en des étayages subtils, des régulations portant sur des facettesdifférentes de l'activité narrative, comme ceux qui ont été décrits par les cher¬cheurs précédemment cités ayant observé ce type d'interactions. Ces pratiquesorales d'interaction intuitive en situation, mettant en jeu des savoirs implicitesdes enseignants, sont sans doute plus riches que les critères et savoirs expli¬cites qui sont objets d'enseignement dans beaucoup de classes. Un desapports des travaux sur le récit oral est peut-être de contribuer à légitimer, expli¬citer et mieux contrôler ces pratiques et ces savoirs implicites.

NOTES

(1) NONNON (1994).

(2) « Le récit oral, qu'on rencontre dans toutes les interactions de la vie quotidienne,principalement mais non exclusivement la conversation, apparaît comme une desprincipales pratiques langagières humaines ; à travers lui est appréhendé le mondeet mise en forme l'interaction sociale » BRES (1994), p. 9.

(3) BLANCHE-BENVENISTE, PALLAUD (1994).

(4) CULIOLI (1 973 ; 1 983 ; 1 999) : BLANCHE- BENVENISTE (1 997) ; GADET (1 989)

(5) Par exemple, ZLOTOWICZ (1 978)

(6) Par exemple, BOURDIEU (19), DEMAZIERE et DUBAR (1997). Sur les récits de vie,voir CHISS (1985)

(7) Comme le disait en 1983 Zumthor de la poésie orale, « toute oralité nous apparaîtplus ou moins comme survivance, réémergence d'un avant, d'un commencement :

d'où souvent chez les auteurs qui étudient les formes orales l'idée sous-jacente maisgratuite qu'elles véhiculent des stéréotypes primitifs. Ces caractérisations som¬maires présupposent pour l'analyste la conviction que la poésie orale est pour luiautre, alors que l'écrit lui est propre : autre dans le temps ou l'espace pour l'ethno¬logue, autre qualitativement pour le sociologue. Le trait commun qui justifie qu'onconjoigne les qualificatifs d'oral et de populaire reste en revanche curieusementocculté » ZUMTHOR (1983), p. 26 et 27. Cette représentation commence sans douteà être battue en brèche.

(8) BAKHTINE (1 984), p. 267.

(9) Mais on pourrait évoquer bien d'autres situations légitimes de droit à la parole narra¬tive orale, dans le cadre religieux (les sermons, les paraboles) et juridique notamment(avocats, témoins, plaintes au commissariat, à des assistantes sociales, comme lestémoignages qu'a étudiés de GAULMYN (1994, 1995), encore que dans ce cas,

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

comme elle le montre, le témoin ne bénéficie pas d'emblée d'une légitimité, il doit lamériter discursivement et interactivement).

(1 0) BAKHTINE (1 984), p. 267.

(11) CHARAUDEAU (1984).

(1 2) comme le rappelle FRANÇOIS (1 993), p. 1 60.

(13) NONNON (1997)

(14) BRES(1994)

(15) BRES(1999)

(16) comme le montre notamment GULICH (1994), p. 155.

(17) BRUNER (1991)

(18) QUASTHOFF (1994), p. 113. On rejoint ici les travaux de Y. REUTER et de l'équipeThéodile sur la notion de scène dans le récit, mais qui portaient sur les récits écrits.Voir Pratiques n° 81 (1994)

(19) QUASTHOFF (1985).

(20) TRAVERSO (1994).

(21) DE GAULMYN (1986), p. 1 14.

(22) ROSAT (1996).

(23) DELAMOTTE-LEGRAND (1997).

(24) HUDELOT (1997).

(25) ZUMTHOR, cité par GROSMANN (1 996 a).

(26) « La spécificité linguistique de toute communication vocale est en effet qu'elle com¬porte, en tant même que vocale, de la part de deux sujets au moins, locuteur etauditeur, le même mais non identique investissement d'énergie psychique, devaleurs mythiques, de socialite et de langage. Radicalement sociale autant qu'indivi¬duelle, la voix signale la manière dont l'homme se situe dans le monde et à l'égardde l'autre. Parler implique une écoute, démarche double où des interlocuteurs rati¬fient en commun des présupposés fondés sur une entente, en général tacite maistoujours active > ZUMTHOR (1983), p. 31.

(27) ROSSI (1999), 1° chapitre.

(28) GUMPERZ (1989 a), p. 101.

(29) MOREL, DANON-BOILEAU (1998). Ce qui ne veut pas dire que l'intonation double¬rait de façon régulière une division de la phrase en constituants : pauses et accentsne correspondent pas forcément aux frontières des groupes syntaxiques. Plusieurschercheurs pensent que ni la notion de phrase, ni l'analyse en constituants ne cor¬respondent au fonctionnement de la langue orale et ont proposé d'autres unitésd'analyse, en termes de période notamment, cf. ROSSI (1999), p. 40.

(30) FILLOL, MOUCHON (1977)

(31) GUMPERZ (1989 b), p. 43 et 53.

(32) GULICH (1999), p. 33.

(33) Pour BERNSTEIN, entre autres, le recours aux éléments paraverbaux et intonatifsplutôt qu'aux outils purement verbaux pour assurer l'intercomprehension, la hiérar¬chisation entre les énoncés et l'expressivité du discours serait une caractéristiquedes codes restreints. LABOV, au contraire, revendique pour les éléments intonatifsune place à part entière dans la compétence discursive.

(34) « L'évaluation détermine le choix même des mots et la forme de la totalité verbale :

quant à son expression la plus pure, elle la trouve dans l'intonation. L'intonation éta¬blit une relation étroite entre le discours et le contexte extra-verbal », BAKHTINE, inTODOROV (1981), p. 193.

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

comme elle le montre, le témoin ne bénéficie pas d'emblée d'une légitimité, il doit lamériter discursivement et interactivement).

(1 0) BAKHTINE (1 984), p. 267.

(11) CHARAUDEAU (1984).

(1 2) comme le rappelle FRANÇOIS (1 993), p. 1 60.

(13) NONNON (1997)

(14) BRES(1994)

(15) BRES(1999)

(16) comme le montre notamment GULICH (1994), p. 155.

(17) BRUNER (1991)

(18) QUASTHOFF (1994), p. 113. On rejoint ici les travaux de Y. REUTER et de l'équipeThéodile sur la notion de scène dans le récit, mais qui portaient sur les récits écrits.Voir Pratiques n° 81 (1994)

(19) QUASTHOFF (1985).

(20) TRAVERSO (1994).

(21) DE GAULMYN (1986), p. 1 14.

(22) ROSAT (1996).

(23) DELAMOTTE-LEGRAND (1997).

(24) HUDELOT (1997).

(25) ZUMTHOR, cité par GROSMANN (1 996 a).

(26) « La spécificité linguistique de toute communication vocale est en effet qu'elle com¬porte, en tant même que vocale, de la part de deux sujets au moins, locuteur etauditeur, le même mais non identique investissement d'énergie psychique, devaleurs mythiques, de socialite et de langage. Radicalement sociale autant qu'indivi¬duelle, la voix signale la manière dont l'homme se situe dans le monde et à l'égardde l'autre. Parler implique une écoute, démarche double où des interlocuteurs rati¬fient en commun des présupposés fondés sur une entente, en général tacite maistoujours active > ZUMTHOR (1983), p. 31.

(27) ROSSI (1999), 1° chapitre.

(28) GUMPERZ (1989 a), p. 101.

(29) MOREL, DANON-BOILEAU (1998). Ce qui ne veut pas dire que l'intonation double¬rait de façon régulière une division de la phrase en constituants : pauses et accentsne correspondent pas forcément aux frontières des groupes syntaxiques. Plusieurschercheurs pensent que ni la notion de phrase, ni l'analyse en constituants ne cor¬respondent au fonctionnement de la langue orale et ont proposé d'autres unitésd'analyse, en termes de période notamment, cf. ROSSI (1999), p. 40.

(30) FILLOL, MOUCHON (1977)

(31) GUMPERZ (1989 b), p. 43 et 53.

(32) GULICH (1999), p. 33.

(33) Pour BERNSTEIN, entre autres, le recours aux éléments paraverbaux et intonatifsplutôt qu'aux outils purement verbaux pour assurer l'intercomprehension, la hiérar¬chisation entre les énoncés et l'expressivité du discours serait une caractéristiquedes codes restreints. LABOV, au contraire, revendique pour les éléments intonatifsune place à part entière dans la compétence discursive.

(34) « L'évaluation détermine le choix même des mots et la forme de la totalité verbale :

quant à son expression la plus pure, elle la trouve dans l'intonation. L'intonation éta¬blit une relation étroite entre le discours et le contexte extra-verbal », BAKHTINE, inTODOROV (1981), p. 193.

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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON

(35) « Parler ce n'est pas livrer une information à un destinataire, c'est présenter undrame devant un public. Nous passons notre temps non à communiquer des infor¬mations, mais à présenter des spectacles. Lorsqu'il arrive à quelqu'un de direquelque chose, ce n'est jamais une simple exposition de faits qu'il nous propose enson nom propre. II raconte. II dirige une séquence d'événements pour engager l'au¬ditoire auquel il s'adresse ; le narrateur doit faire en sorte que ceux qui l'écoutentreviennent avec lui à l'horizon qui était le sien ce jour là. II n'est pas étonnant dansces conditions qu'il passe librement et soudainement de la tension du passé à latension du présent » GOFFMAN (1991) p. 499.

(36) MULLER (1994), p. 422.

(37) GENETTE (1972), p. 189.(38) « On peut songer aux voix ou registres, aux accents stéréotypés qui nous permettent

d'attribuer un trait à une figure autre que le locuteur et qu'on définit par sa catégorieplus que par sa biographie singulière. Plutôt que de résumer le personnage, le locu¬teur transmet certains de ses traits en reproduisant des fragments ou aspects dudiscours. Le sens du message se dévoile par ces traits phonologiques et grammati¬caux, ce souci de reproduire les idiomes régionaux » GOFFMAN (1991), p. 527.

(39) BRUNER (1991), p. 91.(40) « En socialisant linguistiquement les enfants, en leur faisant connaître le monde des

mots et des énonciations, on leur apprend très tôt à utiliser la parole sur ce modedistancié et imaginatif. Ainsi, en même temps qu'il apprend à parler, l'enfant apprendà parler pour, au nom de figures qui ne seront jamais ou ne sont pas encore le moi. II

apprend aussi et tout aussi tôt à enchâsser les tics et énoncés de toute une ménage¬rie dans son propre comportement verbal. On peut soutenir que c'est précisémentce modèle qui permettra plus tard à l'enfant de décrire ses propres actions passées,qu'il ne ressent plus comme le caractérisant » GOFFMAN (1987), p. 160.

(41) FRANÇOIS (1993), chap. 5 : L'enfant et les récits.

(42) « Le narrateur en train de raconter son histoire va la commenter au fur et à mesure etbriser sans cesse le cadre narratif, pour fournir un arrière-plan dont l'importancen'est que maintenant évidente, ou avertir qu'un événement critique est imminent.Grâce à ces procédés, il change brièvement sa position par rapport à tout son texte,et approche l'auditeur sous un angle légèrement différent » GOFFMAN (1987),p. 180.

(43) GUMPERZ (1989 a), p. 102.(44) « Par mode j'entends un ensemble de conventions par lesquelles une activité don¬

née, déjà pourvue d'un sens par l'application d'un cadre primaire, se transforme enune autre activité qui prend la première pour modèle mais que les participants consi¬dèrent comme sensiblement différente » GOFFMAN (1991), p. 52.

(45) DUCROT O. (1 984) : Esquisse d'une théorie polyphonique de l'énonciation

(46) NACAR et MOREL (1 994), p. 99.

(47) GROSMANN (1996 a), p. 99 et 92.

(48) DEZUTTER(1997)

(49) BRUNER (1991), p. 72.

(50) POUDER (1987), p. 7.

(51) ZUMTHOR (1983), p. 31 .

(52) « Les aspects d'attendu ou de surprise, de rupture ou de répétition qui conditionnentlargement le plaisir ou l'ennui du texte ne sont pas des caractéristiques secondaires,accidentelles. Mais on peut, quand on le résume, ne pas tenir compte de sa signifi¬cation dessinée en tant qu'elle n'est pas separable de la matérialité textuelle : qu'onsonge à l'irréductibilité du tempo des textes » FRANÇOIS (1993), p. 35.

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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON

(35) « Parler ce n'est pas livrer une information à un destinataire, c'est présenter undrame devant un public. Nous passons notre temps non à communiquer des infor¬mations, mais à présenter des spectacles. Lorsqu'il arrive à quelqu'un de direquelque chose, ce n'est jamais une simple exposition de faits qu'il nous propose enson nom propre. II raconte. II dirige une séquence d'événements pour engager l'au¬ditoire auquel il s'adresse ; le narrateur doit faire en sorte que ceux qui l'écoutentreviennent avec lui à l'horizon qui était le sien ce jour là. II n'est pas étonnant dansces conditions qu'il passe librement et soudainement de la tension du passé à latension du présent » GOFFMAN (1991) p. 499.

(36) MULLER (1994), p. 422.

(37) GENETTE (1972), p. 189.(38) « On peut songer aux voix ou registres, aux accents stéréotypés qui nous permettent

d'attribuer un trait à une figure autre que le locuteur et qu'on définit par sa catégorieplus que par sa biographie singulière. Plutôt que de résumer le personnage, le locu¬teur transmet certains de ses traits en reproduisant des fragments ou aspects dudiscours. Le sens du message se dévoile par ces traits phonologiques et grammati¬caux, ce souci de reproduire les idiomes régionaux » GOFFMAN (1991), p. 527.

(39) BRUNER (1991), p. 91.(40) « En socialisant linguistiquement les enfants, en leur faisant connaître le monde des

mots et des énonciations, on leur apprend très tôt à utiliser la parole sur ce modedistancié et imaginatif. Ainsi, en même temps qu'il apprend à parler, l'enfant apprendà parler pour, au nom de figures qui ne seront jamais ou ne sont pas encore le moi. II

apprend aussi et tout aussi tôt à enchâsser les tics et énoncés de toute une ménage¬rie dans son propre comportement verbal. On peut soutenir que c'est précisémentce modèle qui permettra plus tard à l'enfant de décrire ses propres actions passées,qu'il ne ressent plus comme le caractérisant » GOFFMAN (1987), p. 160.

(41) FRANÇOIS (1993), chap. 5 : L'enfant et les récits.

(42) « Le narrateur en train de raconter son histoire va la commenter au fur et à mesure etbriser sans cesse le cadre narratif, pour fournir un arrière-plan dont l'importancen'est que maintenant évidente, ou avertir qu'un événement critique est imminent.Grâce à ces procédés, il change brièvement sa position par rapport à tout son texte,et approche l'auditeur sous un angle légèrement différent » GOFFMAN (1987),p. 180.

(43) GUMPERZ (1989 a), p. 102.(44) « Par mode j'entends un ensemble de conventions par lesquelles une activité don¬

née, déjà pourvue d'un sens par l'application d'un cadre primaire, se transforme enune autre activité qui prend la première pour modèle mais que les participants consi¬dèrent comme sensiblement différente » GOFFMAN (1991), p. 52.

(45) DUCROT O. (1 984) : Esquisse d'une théorie polyphonique de l'énonciation

(46) NACAR et MOREL (1 994), p. 99.

(47) GROSMANN (1996 a), p. 99 et 92.

(48) DEZUTTER(1997)

(49) BRUNER (1991), p. 72.

(50) POUDER (1987), p. 7.

(51) ZUMTHOR (1983), p. 31 .

(52) « Les aspects d'attendu ou de surprise, de rupture ou de répétition qui conditionnentlargement le plaisir ou l'ennui du texte ne sont pas des caractéristiques secondaires,accidentelles. Mais on peut, quand on le résume, ne pas tenir compte de sa signifi¬cation dessinée en tant qu'elle n'est pas separable de la matérialité textuelle : qu'onsonge à l'irréductibilité du tempo des textes » FRANÇOIS (1993), p. 35.

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

(53) FRANÇOIS (1993), p. 23 ; pour la notion de signification atmosphérique, il se réfère àTELLENBACH et à BATESON.

(54) AUCHLIN (1995, 1997).

(55) TODOROV (1981), p. 83.

(56) MAINGUENEAU (1984), p. 98 et 100.

(57) MAINGUENEAU (1993), p. 138.

(58) « La performance propose un texte qui durant le moment qu'il existe ne peut com¬porter ni grattage ni repentir. L'art consiste à assumer cette instantanéité, l'intégrerdans la forme du discours. La forme va mimer la parole, styliser l'élan, d'où lesbonds, les faux départs, les répétitions : d'où l'impression que l'aspect verbal del'uvre orale est moins soigné que son aspect prosodique ou musical » ZUMTHOR(1983), p. 126 et 127.

(59) « La focalisation des études de récit sur les structures narratives a eu deux consé¬quences regrettables. La première est la réduction des textes de récit à la situationnarrative et aux catégories qu'elle implique : temps, espace, protagonistes de l'his¬toire (personnages) et de la communication (narrateur et narrataire), d'où la difficultéà analyser ce qui fait qu'un texte est ce qu'il est et non un autre texte. La deuxièmeest l'oubli du rythme, qui a maintenu l'opposition traditionnelle entre poésie et récit ».

« La rhétorique des genres, relayée par la rhétorique des formes, n'a été une bonneaffaire ni pour le vers, pensé à partir du mètre, ni pour la prose, ramenée au récit, cequi fait que dans les études sur le roman ou le conte on a oublié la prose : la stmc¬ture ne faisant entendre qu'elle-même, la narratologie comme théorie du récit s'estconstruite sur une surdité au rythme » DESSONS, MESCHONNIC (1998), p. 5 et 200.

(60) MAINGUENEAU (1993), p. 153.

(61) DESSONS, MESCHONNIC (1998) p. 5.

(62) BENVENISTE (1951), cité par MESCHONNIC, p 26. On retrouve cette idée de mou¬vement, opposé aux schémas et aux genres figés, chez Zumthor : « Une forme n'estqu'exceptionnellement stable et fixe : elle comporte une mobilité, provenant d'uneénergie qui lui est propre : à la limite, forme égale force. La forme n'est pas unscheme, elle est règle sans cesse recrée, rythme » ZUMTHOR (1983), p. 79.

(63) DESSONS, MESCHONNIC (1998), p. 45. Zumthor fait aussi cette distinction, rappe¬lant « le dédoublement signalé dans les études sur les traditions orales, qui distin¬guent dans la pratique vocale le parlé (toute enonciation proférée de bouche) et l'oral(enonciation formalisée de manière spécifique). Socialement la voix réalise deux ora-lités : l'une entée sur l'expérience immédiate de chacun, l'autre sur une connais¬sance en partie au moins médiatisée par une tradition » ZUMTHOR (1983), p. 33.

(64) FRANÇOIS (1 993), p. 1 72 et suivantes.

(65) ZUMTHOR (1983), p. 39.

(66) TABOURET-KELLER A., in BRES (1994), p. 20.

(67) STEMPEL (1980), DE FORNEL (1988), COLETTA (1994), DULONG (1986), DE GAUL¬MYN (1994).

(68) BRUNER (1991) p. 92.

(69) BRUNER (1995), p. 78.

(70) BACHMANN (1977), p. 94.

(71) GIACOMI (1994) et (1995), BRES (1983), VERONIQUE (1994), VARRO (1994) entreautres-

(72) CHANFRAULT- DUCHET (1988), BERTIAUX (19), DEMAZIERE et DUBAR (1997)

(73) RICOEUR (1 983) et (1 990).

(74) ZUMTHOR (1983), p. 53.

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

(53) FRANÇOIS (1993), p. 23 ; pour la notion de signification atmosphérique, il se réfère àTELLENBACH et à BATESON.

(54) AUCHLIN (1995, 1997).

(55) TODOROV (1981), p. 83.

(56) MAINGUENEAU (1984), p. 98 et 100.

(57) MAINGUENEAU (1993), p. 138.

(58) « La performance propose un texte qui durant le moment qu'il existe ne peut com¬porter ni grattage ni repentir. L'art consiste à assumer cette instantanéité, l'intégrerdans la forme du discours. La forme va mimer la parole, styliser l'élan, d'où lesbonds, les faux départs, les répétitions : d'où l'impression que l'aspect verbal del'uvre orale est moins soigné que son aspect prosodique ou musical » ZUMTHOR(1983), p. 126 et 127.

(59) « La focalisation des études de récit sur les structures narratives a eu deux consé¬quences regrettables. La première est la réduction des textes de récit à la situationnarrative et aux catégories qu'elle implique : temps, espace, protagonistes de l'his¬toire (personnages) et de la communication (narrateur et narrataire), d'où la difficultéà analyser ce qui fait qu'un texte est ce qu'il est et non un autre texte. La deuxièmeest l'oubli du rythme, qui a maintenu l'opposition traditionnelle entre poésie et récit ».

« La rhétorique des genres, relayée par la rhétorique des formes, n'a été une bonneaffaire ni pour le vers, pensé à partir du mètre, ni pour la prose, ramenée au récit, cequi fait que dans les études sur le roman ou le conte on a oublié la prose : la stmc¬ture ne faisant entendre qu'elle-même, la narratologie comme théorie du récit s'estconstruite sur une surdité au rythme » DESSONS, MESCHONNIC (1998), p. 5 et 200.

(60) MAINGUENEAU (1993), p. 153.

(61) DESSONS, MESCHONNIC (1998) p. 5.

(62) BENVENISTE (1951), cité par MESCHONNIC, p 26. On retrouve cette idée de mou¬vement, opposé aux schémas et aux genres figés, chez Zumthor : « Une forme n'estqu'exceptionnellement stable et fixe : elle comporte une mobilité, provenant d'uneénergie qui lui est propre : à la limite, forme égale force. La forme n'est pas unscheme, elle est règle sans cesse recrée, rythme » ZUMTHOR (1983), p. 79.

(63) DESSONS, MESCHONNIC (1998), p. 45. Zumthor fait aussi cette distinction, rappe¬lant « le dédoublement signalé dans les études sur les traditions orales, qui distin¬guent dans la pratique vocale le parlé (toute enonciation proférée de bouche) et l'oral(enonciation formalisée de manière spécifique). Socialement la voix réalise deux ora-lités : l'une entée sur l'expérience immédiate de chacun, l'autre sur une connais¬sance en partie au moins médiatisée par une tradition » ZUMTHOR (1983), p. 33.

(64) FRANÇOIS (1 993), p. 1 72 et suivantes.

(65) ZUMTHOR (1983), p. 39.

(66) TABOURET-KELLER A., in BRES (1994), p. 20.

(67) STEMPEL (1980), DE FORNEL (1988), COLETTA (1994), DULONG (1986), DE GAUL¬MYN (1994).

(68) BRUNER (1991) p. 92.

(69) BRUNER (1995), p. 78.

(70) BACHMANN (1977), p. 94.

(71) GIACOMI (1994) et (1995), BRES (1983), VERONIQUE (1994), VARRO (1994) entreautres-

(72) CHANFRAULT- DUCHET (1988), BERTIAUX (19), DEMAZIERE et DUBAR (1997)

(73) RICOEUR (1 983) et (1 990).

(74) ZUMTHOR (1983), p. 53.

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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON

(75) JAUSS (1978)

(76) FRANÇOIS (1 993), p 1 76 et suivantes.

(77) LACOSTE (1986), p 51.

(78) BARBERIS M.-J. (1989)

(79) Ainsi FRANÇOIS (1993) qui compare restitution de conte entendu, récit d'expérience,récit de mensonge et récit de rêve, ou BRES (1994)

(80) Voir cependant GAJO, KOCH, MONDADA (1995).

(81) FRANÇOIS (1988)

BIBLIOGRAPHIE

AUCHLIN A. (1995) : Le bonheur conversationnel : émotion et cognition dans lediscours et dans l'analyse de discours, in VERONIQUE D., VION R. ed. :

Modèles de l'interaction verbale PU ProvenceAUCHLIN A. (1997) : L'analyse pragmatique du discours et la qualité du

dialogue : arguments pour une approche systémique de la compétencediscursive, in LUZATTI D., BEACCO J.-C. ed. : Le dialogique : colloque surles formes philosophiques, linguistiques, littéraires, cognitives du dialogueP. Lang.

BACHMANN C. (1977) : « Alors il les a dit devant lui il n'avait pas peur » : ana¬lyse de conversation Pratiques n° 17 : L'oral.

BAKHTINE M. (Éd française 1984) : Esthétique de la création verbale. Gallimard.

BARBERIS M.-J. (1989) : Deixis et balisage du parcours narratif Langages n° 93.

BENVENISTE E. (1951) : La notion de rythme dans son expression linguistique in(1966) : Problèmes de linguistique générale. Gallimard.

BERGMANN J. (1994) : Authentication et fictionnalisation dans les conversa¬tions quotidiennes, in TROGNON A. et alii : La construction interactive duquotidien. PU Nancy.

BERTIAUX : Les récits de vie.

BLANCHE -BENVENISTE C, PALLAUD B. (1994) : Le récit oral en situation sco¬laire avec des enfants de 5 à 6 ans in BRES J. Ed.

BLANCHE -BENVENISTE C. (1997) : Approches de la langue pariée en français.Ophrys.

BONU B. (1998) : Narration et interaction in DESGOUTTE J.-P. ed. : Figures dusujet en sciences humaines. L'Harmattan.

BOURDIEU P. (1993) : La misère du monde. Seuil.BRES J. (1993) : Alors raconte ! La négociation du récit dans l'interaction de l'in¬

terview, in L'analyse des interactions PU Provence.

BRES J. (1993) : Récit oral et production d'identité sociale. Praxiling Montpellier.

BRES J. et alii (1994) : Le récit oral; questions de narrativité. Praxiling PU deMontpellier.

BRES J. (1994) : La narrativité. Duculot.

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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON

(75) JAUSS (1978)

(76) FRANÇOIS (1 993), p 1 76 et suivantes.

(77) LACOSTE (1986), p 51.

(78) BARBERIS M.-J. (1989)

(79) Ainsi FRANÇOIS (1993) qui compare restitution de conte entendu, récit d'expérience,récit de mensonge et récit de rêve, ou BRES (1994)

(80) Voir cependant GAJO, KOCH, MONDADA (1995).

(81) FRANÇOIS (1988)

BIBLIOGRAPHIE

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BOURDIEU P. (1993) : La misère du monde. Seuil.BRES J. (1993) : Alors raconte ! La négociation du récit dans l'interaction de l'in¬

terview, in L'analyse des interactions PU Provence.

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

BRES J. (1999) : Textualité narrative orale, genre du discours et temps verbal inBARBERIS J.-M. : Le français parlé : variété et discours. PraxilingMontpellier.

BRUNER J. (1991) : Caria culture donne forme à l'esprit. ESHEL. Paris.

BRUNER J. (1995) : Y a-t-il une fin aux révolutions cognitives Revue française depédagogie n° 1 1 1 .

Cahiers du Calap n° 1 (1 987) : La construction du récit de conte.

Cahiers du Calap n° 2 (1987) : L'association.

Cahiers du Calap n" 3 (1988) : Genèse du récit comique.

Cahiers du Calap n° 14 (1997) : Le langage à l'école maternelle.

Cahiers de littérature orale (2, rue de Lille Paris)

Centre de littérature orale (CLIO) Musée de Chartres.

CHANFRAULT- DUCHET M.R (1988) : Le prologue de récit de vie oral in COS-NIER et alii : Échanges sur la conversation CNRS.

CHARAUDEAU (1984) : L'acte narratif dans les interlocutions, in BRES J. ed

CHISS J.-L. (1985) : Raconter et témoigner : le vécu à la croisée du théorique etdu politique Pratiques n° 45 : Les récits de vie.

CICOUREL F. (1991) : L'identité discursive d'un apprenant en langue inRUSSIER C, VERONIQUE D. : Interactions en langue étrangère PUUniversité de Provence.

COLETTA J.-M. (1994) : Des récits dialogiques : les auditions de mineurs au tri¬bunal in BRES J. ed.

COLETTA J.-M. (1995) : Qui parle, et pourquoi ? Langage et société n° 73

CULIOLI A. (1983) : Pourquoi le français parlé est-il si peu étudié ? Recherchessur le français parié n° 5.

CULIOLI A. (1973, ed 1999) : Sur quelques contradictions en linguistique, inPour une linguistique de l'énonciation tome 2. Ophrys.

DE CRUYENAERE J.-R, DEZUTTER O. (1990) : chapitre 5 L'oralité, in Le conte,vademecum du professeur de français Didier Hatier.

DEBRAY Q., PACHOUD B. (1992): Le récit: aspects philosophiques, cognitifspsychopathologiques Masson.

DELAMOTTE-LEGRAND R. (1997): Reprises, impositions, résistances et autresinventions : enfants de quatre ans et adultes face au récit. Cahiers du Calapn°14.

DELSAUT Y. (1975) : L'économie du langage populaire Actes de la recherche ensciences sociales n° 4.

DEMAZIERES D., DUBAR C. (1997) : Analyser les entretiens biographiques : lesrécits d'insertion. Nathan.

DESSONS G., MESCHONNIC H. (1998) : Critique du rythme. Dunod.

DEZUTTER O. (1997) : Redécouvrir le conte par les oreilles et la bouche Enjeuxn° 39/40 : Vers une didactique de l'oral ? CEDOCEF, Namur.

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

BRES J. (1999) : Textualité narrative orale, genre du discours et temps verbal inBARBERIS J.-M. : Le français parlé : variété et discours. PraxilingMontpellier.

BRUNER J. (1991) : Caria culture donne forme à l'esprit. ESHEL. Paris.

BRUNER J. (1995) : Y a-t-il une fin aux révolutions cognitives Revue française depédagogie n° 1 1 1 .

Cahiers du Calap n° 1 (1 987) : La construction du récit de conte.

Cahiers du Calap n° 2 (1987) : L'association.

Cahiers du Calap n" 3 (1988) : Genèse du récit comique.

Cahiers du Calap n° 14 (1997) : Le langage à l'école maternelle.

Cahiers de littérature orale (2, rue de Lille Paris)

Centre de littérature orale (CLIO) Musée de Chartres.

CHANFRAULT- DUCHET M.R (1988) : Le prologue de récit de vie oral in COS-NIER et alii : Échanges sur la conversation CNRS.

CHARAUDEAU (1984) : L'acte narratif dans les interlocutions, in BRES J. ed

CHISS J.-L. (1985) : Raconter et témoigner : le vécu à la croisée du théorique etdu politique Pratiques n° 45 : Les récits de vie.

CICOUREL F. (1991) : L'identité discursive d'un apprenant en langue inRUSSIER C, VERONIQUE D. : Interactions en langue étrangère PUUniversité de Provence.

COLETTA J.-M. (1994) : Des récits dialogiques : les auditions de mineurs au tri¬bunal in BRES J. ed.

COLETTA J.-M. (1995) : Qui parle, et pourquoi ? Langage et société n° 73

CULIOLI A. (1983) : Pourquoi le français parlé est-il si peu étudié ? Recherchessur le français parié n° 5.

CULIOLI A. (1973, ed 1999) : Sur quelques contradictions en linguistique, inPour une linguistique de l'énonciation tome 2. Ophrys.

DE CRUYENAERE J.-R, DEZUTTER O. (1990) : chapitre 5 L'oralité, in Le conte,vademecum du professeur de français Didier Hatier.

DEBRAY Q., PACHOUD B. (1992): Le récit: aspects philosophiques, cognitifspsychopathologiques Masson.

DELAMOTTE-LEGRAND R. (1997): Reprises, impositions, résistances et autresinventions : enfants de quatre ans et adultes face au récit. Cahiers du Calapn°14.

DELSAUT Y. (1975) : L'économie du langage populaire Actes de la recherche ensciences sociales n° 4.

DEMAZIERES D., DUBAR C. (1997) : Analyser les entretiens biographiques : lesrécits d'insertion. Nathan.

DESSONS G., MESCHONNIC H. (1998) : Critique du rythme. Dunod.

DEZUTTER O. (1997) : Redécouvrir le conte par les oreilles et la bouche Enjeuxn° 39/40 : Vers une didactique de l'oral ? CEDOCEF, Namur.

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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON

DUCROT O. (1984) : Esquisse d'une théorie polyphonique de renonciation, in Ledire et le dit. Minuit

DULONG R. (1986) : Vous vous rendrez compte ? Étude du format d'un récit devictime Lexique n° 5 : Lexique et faits sociaux.

FILLOL F., MOUCHON J. (1977) : Les éléments organisateurs du récit oralPratiques n° 1 7 : L'oral.

DE FORNEL M. (1986) : Remarques sur l'organisation thématique et lesséquences d'action dans la conversation Lexique n° 5.

DE FORNEL M. (1988) : Socio-pragmatique de la conversation : production,réception et séquentialisation des récits de plainte Cahiers du français desannées quatre-vingt Credit n° 3.

FRANÇOIS F, HUDELOT C, SABEAU-JOUANET E. (1984) : Conduites linguis¬tiques chez lejeune enfant. Puf.

FRANÇOIS F. (1988) : Le récit et ses normes, in SCHOENI G., BRONCKART J.-R, PERRENOUD P. : La langue française est-elle gouvernable ? Delachauxet Niestlé.

FRANÇOIS F. (1993) : Pratiques de l'oral : dialogue, jeu et variations des figuresdu sens. Nathan.

GADET F. (1989) : Le français ordinaire. Colin.

DE GAULMYN M.M. (1986) : Reformulation métadiscursive et genèse du récitÉtudes de linguistique appliquée n° 62.

DE GAULMYN M.M. (1994) : Effets en retour du discours rapporté dans le récitoral de témoignage in BRES J. Ed.

DE GAULMYN M. M (1995) : Appels téléphoniques d'urgence sociale : le rôledes voisines in VERONIQUE D., VION R. : Des savoirs faire communication¬nels. L'analyse des interactions. PU Provence.

GIACOMI A., VION R. (1986) : Conduite du récit et acquisition d'une langueétrangère Langue française n° 71 .

GIACOMI A. (1994) : Récits de migration et construction d'images identitaires inBRES J. ed.

GIACOMI A. (1 995) : Construction de l'image identitaire et élaboration de récitsbiographiques, in VERONIQUE D., VION R. : Des savoirs faire communica¬tionnels. L'analyse des interactions. PU Provence.

GOFFMAN E. (1987) : Façons de parler. Minuit.

GOFFMAN E. (1991) : Les cadres de l'expérience. Minuit.

GOJO L., KOCH P., MONDADA L. (1995) : Variété des activités narratives dansdes contextes scolaires et extrascolaires Langage et société n° 72.

GROSMANN F. (1 996 a) : Que devient la littérature enfantine quand on la lit auxenfants d'école maternelle ? Repères n° 13. INRP.

GROSMANN F. (1996 b) : Enfances de la lecture : manières de faire, manières delire à la maternelle. P. Lang. Berne.

GUILLAUME G. (1951/1964) : La représentation du temps dans la langue fran¬çaise, in Langage et science du langage Nizet.

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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON

DUCROT O. (1984) : Esquisse d'une théorie polyphonique de renonciation, in Ledire et le dit. Minuit

DULONG R. (1986) : Vous vous rendrez compte ? Étude du format d'un récit devictime Lexique n° 5 : Lexique et faits sociaux.

FILLOL F., MOUCHON J. (1977) : Les éléments organisateurs du récit oralPratiques n° 1 7 : L'oral.

DE FORNEL M. (1986) : Remarques sur l'organisation thématique et lesséquences d'action dans la conversation Lexique n° 5.

DE FORNEL M. (1988) : Socio-pragmatique de la conversation : production,réception et séquentialisation des récits de plainte Cahiers du français desannées quatre-vingt Credit n° 3.

FRANÇOIS F, HUDELOT C, SABEAU-JOUANET E. (1984) : Conduites linguis¬tiques chez lejeune enfant. Puf.

FRANÇOIS F. (1988) : Le récit et ses normes, in SCHOENI G., BRONCKART J.-R, PERRENOUD P. : La langue française est-elle gouvernable ? Delachauxet Niestlé.

FRANÇOIS F. (1993) : Pratiques de l'oral : dialogue, jeu et variations des figuresdu sens. Nathan.

GADET F. (1989) : Le français ordinaire. Colin.

DE GAULMYN M.M. (1986) : Reformulation métadiscursive et genèse du récitÉtudes de linguistique appliquée n° 62.

DE GAULMYN M.M. (1994) : Effets en retour du discours rapporté dans le récitoral de témoignage in BRES J. Ed.

DE GAULMYN M. M (1995) : Appels téléphoniques d'urgence sociale : le rôledes voisines in VERONIQUE D., VION R. : Des savoirs faire communication¬nels. L'analyse des interactions. PU Provence.

GIACOMI A., VION R. (1986) : Conduite du récit et acquisition d'une langueétrangère Langue française n° 71 .

GIACOMI A. (1994) : Récits de migration et construction d'images identitaires inBRES J. ed.

GIACOMI A. (1 995) : Construction de l'image identitaire et élaboration de récitsbiographiques, in VERONIQUE D., VION R. : Des savoirs faire communica¬tionnels. L'analyse des interactions. PU Provence.

GOFFMAN E. (1987) : Façons de parler. Minuit.

GOFFMAN E. (1991) : Les cadres de l'expérience. Minuit.

GOJO L., KOCH P., MONDADA L. (1995) : Variété des activités narratives dansdes contextes scolaires et extrascolaires Langage et société n° 72.

GROSMANN F. (1 996 a) : Que devient la littérature enfantine quand on la lit auxenfants d'école maternelle ? Repères n° 13. INRP.

GROSMANN F. (1996 b) : Enfances de la lecture : manières de faire, manières delire à la maternelle. P. Lang. Berne.

GUILLAUME G. (1951/1964) : La représentation du temps dans la langue fran¬çaise, in Langage et science du langage Nizet.

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

GULICH E. (1994) : Récit conversationnel et reconstruction interactive d'un évé¬nement in TROGNON A. et alii : La construction interactive du quotidien.PU Nancy.

GULICH E. (1 999) : Les activités de structuration dans l'interaction verbale, inBARBERIS M.-J. ed. : Le français parlé, variété et discours. Praxiling RU.Montpellier.

GUMPERZ J. (1989 a) : L'intonation dans la conversation, chap 5 inSociolinguistique interactionnelle : une approche interprétative.L'Harmattan.

GUMPERZ J. (1989 b) : Engager la conversation. Minuit.

HUDELOT C. (1994) : Modalités de l'étayage langagier dans la restitution derécits d'enfants présentant des difficultés de langage, in BRES ed.

HUDELOT C. (1997) : Modalités d'intervention de l'adulte dans la gestion d'unpetit groupe d'enfants de moyenne section de maternelle Cahiers du Calapn°14.

JAUSS H.R. (1974, ed 1978) : Petite apologie de l'expérience esthétique, in Pourune esthétique de la réception. Gallimard.

LABOV W. (1 978) : La transformation du vécu à travers la syntaxe narrative in Leparler ordinaire. Minuit.

LACOSTE M. (1986) : La narrativisation dans une situation d'interview Études delinguistique appliquée n° 63.

Langue française n° 56 (1 982) : Le rythme et le discours.

Le français aujourd'hui n° 68

LEONARD J.-L, PINHEIRO M.B. (1993) : Enonciation et non-verbal : aspects dela cohésion linguistique dans un récit oral poitevin Langage et sociétén°65.

MAINGUENEAU D. (1984) : Genèses du discours. Mardaga.

MAINGUENEAU D. (1993) : Le contexte de l'ceuvre littéraire Bordas.

MAURY - ROUAN C, VION R. (1994) : Raconter sa souffrance, in BRES J. ed.

MONTELLE E. (1 993) : Conter pour mieux écrire Pratiques n° 78 : Didactique durécit.

MOREL M.A., DANON-BOILEAU L. (1998) : Grammaire de l'intonation. Ophrys.

MULLER F. (1994) : L'oral du récit oral : un point de vue polyphonique in BRESJ. ed.

NONNON E. (1994) : Ordre de l'homogène et cohérence dans la diversité :

niveaux de cohérence dans les pratiques didactiques du récit au collègeRecherches n° 20. AFEF, Lille.

NONNON (1997) : Situations intégrées d'interaction en classe : lieu et objetd'apprentissage, moteur de réflexion sur le langage, in DOLZ J., MEYER J.-C. dir. : Activités métalangagières et enseignement du français. P. Lang.

NACAR N., MOREL M.A. (1994): Hiérarchie intonative dans un conte racontéaux enfants in BRES ed.

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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit

GULICH E. (1994) : Récit conversationnel et reconstruction interactive d'un évé¬nement in TROGNON A. et alii : La construction interactive du quotidien.PU Nancy.

GULICH E. (1 999) : Les activités de structuration dans l'interaction verbale, inBARBERIS M.-J. ed. : Le français parlé, variété et discours. Praxiling RU.Montpellier.

GUMPERZ J. (1989 a) : L'intonation dans la conversation, chap 5 inSociolinguistique interactionnelle : une approche interprétative.L'Harmattan.

GUMPERZ J. (1989 b) : Engager la conversation. Minuit.

HUDELOT C. (1994) : Modalités de l'étayage langagier dans la restitution derécits d'enfants présentant des difficultés de langage, in BRES ed.

HUDELOT C. (1997) : Modalités d'intervention de l'adulte dans la gestion d'unpetit groupe d'enfants de moyenne section de maternelle Cahiers du Calapn°14.

JAUSS H.R. (1974, ed 1978) : Petite apologie de l'expérience esthétique, in Pourune esthétique de la réception. Gallimard.

LABOV W. (1 978) : La transformation du vécu à travers la syntaxe narrative in Leparler ordinaire. Minuit.

LACOSTE M. (1986) : La narrativisation dans une situation d'interview Études delinguistique appliquée n° 63.

Langue française n° 56 (1 982) : Le rythme et le discours.

Le français aujourd'hui n° 68

LEONARD J.-L, PINHEIRO M.B. (1993) : Enonciation et non-verbal : aspects dela cohésion linguistique dans un récit oral poitevin Langage et sociétén°65.

MAINGUENEAU D. (1984) : Genèses du discours. Mardaga.

MAINGUENEAU D. (1993) : Le contexte de l'ceuvre littéraire Bordas.

MAURY - ROUAN C, VION R. (1994) : Raconter sa souffrance, in BRES J. ed.

MONTELLE E. (1 993) : Conter pour mieux écrire Pratiques n° 78 : Didactique durécit.

MOREL M.A., DANON-BOILEAU L. (1998) : Grammaire de l'intonation. Ophrys.

MULLER F. (1994) : L'oral du récit oral : un point de vue polyphonique in BRESJ. ed.

NONNON E. (1994) : Ordre de l'homogène et cohérence dans la diversité :

niveaux de cohérence dans les pratiques didactiques du récit au collègeRecherches n° 20. AFEF, Lille.

NONNON (1997) : Situations intégrées d'interaction en classe : lieu et objetd'apprentissage, moteur de réflexion sur le langage, in DOLZ J., MEYER J.-C. dir. : Activités métalangagières et enseignement du français. P. Lang.

NACAR N., MOREL M.A. (1994): Hiérarchie intonative dans un conte racontéaux enfants in BRES ed.

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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON

POUDER M.C. (1987) : Conter ou s'en laisser conter : niveaux d'organisationdans deux pratiques d'oralité contemporaine (conte séance d'analyse)Cahiers du Calap n° 2 : L'association.

Pratiques n° 45 : Les récits de vie.

QUASTHOFF U. (1983) : Kindliches Erzâhlen : zum Zusammenhang von erzàh-lendem Diskursmuster und Zuhôreraktivitàten, in BOUEKE KLEIN ed :

Untersuchungen zur Dialogfàhigkeit von Kindern. Tubingen.

QUASTHOFF U. (1985) : Modèles de discours enfantin dans la représentationévénementielle : savoir social, procédure interactive ? Bulletin de psycholo¬gie n° 38 : Psycholinguistique textuelle.

QUASTHOFF U. (1994) : L'élaboration sociale de l'âge par le langage dans l'in¬teraction, in TROGNON et alii : La construction interactive du quotidien. PUde Nancy.

RICOEUR P. (1983) : Temps et récit 3 volumes Seuil.

RICOEUR P. (1990) : Le soi et l'identité narrative, in Soi-même comme un autreSeuil.

ROSAT M.C. (1 996) : Formes et fonctions des étayages dans un conte oral Lefrançais aujourd'hui n° 1 13 : Interactions : dialoguer, communiquer.

ROSSI M. (1999) : L'intonation : description et modélisation. Orphys.

SANTACROCE M. (1994) : Le récit de rêve : aspects énonciatifs in BRES J. ed.

STEMPEL W. (1980) : Alltagsfiktion in EHLICH K. Ed. : Erzâhlen im Alltag.Frankfurt/Main.

Traverses (novembre 1 980) : La voix, l'écoute.

TODOROV T. (1981) : Mikhaïl Bakhtine, le principe dialogique. Seuil.

TRAVERSO V. (1996) : La conversation familière. PU Lyon.

TRAVERSO V. (1994) : Les récits de confidence, in BRES J. ed.

VARRO G. (1994) : L'élaboration du roman personnel à travers le récit sur le pré¬nom in Brès

VERONIQUE D. (1994) : Raconter et se raconter en langue étrangère in BRESJ. ed.

VUILLEMOT B. (1985) : La genèse de l'histoire de vie : de l'enquête au textePratiques n° 45 : Les récits de vie.

ZLOTOWICZ M. (1978) : Les cauchemars de l'enfant. Puf.

ZUMTHOR P. (1 983) : Présence de la voix : introduction à la poésie orale. Seuil.

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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON

POUDER M.C. (1987) : Conter ou s'en laisser conter : niveaux d'organisationdans deux pratiques d'oralité contemporaine (conte séance d'analyse)Cahiers du Calap n° 2 : L'association.

Pratiques n° 45 : Les récits de vie.

QUASTHOFF U. (1983) : Kindliches Erzâhlen : zum Zusammenhang von erzàh-lendem Diskursmuster und Zuhôreraktivitàten, in BOUEKE KLEIN ed :

Untersuchungen zur Dialogfàhigkeit von Kindern. Tubingen.

QUASTHOFF U. (1985) : Modèles de discours enfantin dans la représentationévénementielle : savoir social, procédure interactive ? Bulletin de psycholo¬gie n° 38 : Psycholinguistique textuelle.

QUASTHOFF U. (1994) : L'élaboration sociale de l'âge par le langage dans l'in¬teraction, in TROGNON et alii : La construction interactive du quotidien. PUde Nancy.

RICOEUR P. (1983) : Temps et récit 3 volumes Seuil.

RICOEUR P. (1990) : Le soi et l'identité narrative, in Soi-même comme un autreSeuil.

ROSAT M.C. (1 996) : Formes et fonctions des étayages dans un conte oral Lefrançais aujourd'hui n° 1 13 : Interactions : dialoguer, communiquer.

ROSSI M. (1999) : L'intonation : description et modélisation. Orphys.

SANTACROCE M. (1994) : Le récit de rêve : aspects énonciatifs in BRES J. ed.

STEMPEL W. (1980) : Alltagsfiktion in EHLICH K. Ed. : Erzâhlen im Alltag.Frankfurt/Main.

Traverses (novembre 1 980) : La voix, l'écoute.

TODOROV T. (1981) : Mikhaïl Bakhtine, le principe dialogique. Seuil.

TRAVERSO V. (1996) : La conversation familière. PU Lyon.

TRAVERSO V. (1994) : Les récits de confidence, in BRES J. ed.

VARRO G. (1994) : L'élaboration du roman personnel à travers le récit sur le pré¬nom in Brès

VERONIQUE D. (1994) : Raconter et se raconter en langue étrangère in BRESJ. ed.

VUILLEMOT B. (1985) : La genèse de l'histoire de vie : de l'enquête au textePratiques n° 45 : Les récits de vie.

ZLOTOWICZ M. (1978) : Les cauchemars de l'enfant. Puf.

ZUMTHOR P. (1 983) : Présence de la voix : introduction à la poésie orale. Seuil.

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LA SOLLICITATION DE L'IMAGINAIREDANS L'ÉCRITURE DES RÉCITS :

INTÉRÊTS ET PROBLÈMES

Patricia LAMMERTYN, École Michelet-LilleTHEODILE, Université de Lille 3

Résumé : Cet article rend compte d'une recherche portant sur les problèmes quepeuvent rencontrer des élèves de C.M.2. lors de la production de récits sollici¬tant l'imaginaire. Afin de mieux comprendre leurs spécificités, on a comparé ces

récits à d'autres histoires sollicitant l'expérience vécue et on a fait passer des

entretiens à certains de ces jeunes scripteurs. Les résultats, en ce qui concerneles récits « imaginaires », font apparaitre quatre catégories de textes au regarddes relations entre maitrise formelle et contenus mis en scène. Les différencesobservées peuvent être mises en relation avec les interprétations de la consigneet les représentations de l'évaluation. Dans le cas des récits « expérienciels »,

ces différences sont en quelque sorte réduites dans la mesure où la majeure par¬

tie des élèves développe peu les textes par souci de respecter la vérité des événe¬

ments. Ces premiers résultats permettent d'ouvrir quelques pistes de réflexionquant aux effets produits par les consignes, à leur prise en compte dans l'évalua¬tion et aux objectifs de l'enseignement de l'écriture du récit.

La maitrise de l'écriture est une des clés de la réussite scolaire et sociale.Elle constitue un des objectifs prioritaires de l'école élémentaire. Dans cetteperspective, les élèves de cycle III sont amenés à produire différents types detextes ; en fin de C.M.2, ils doivent être capables, entre autres, comme ledemandent les Instructions officielles, d'écrire un récit imaginaire entier.

Exerçant pour la première fois dans une classe de C.M.2. relativementhétérogène, j'avais constaté de manière empirique que la production d'un telrécit posait problème à la plupart des élèves. En effet, à une consigne sollicitantl'imaginaire de l'élève, j'obtenais tendancieUement deux types de récits : cer¬tains récits étaient bien développés sur le plan des images et des idées maisdevenaient, au fil du texte, de plus en plus incohérents, comme si l'imaginationde l'enfant tournait « en roue libre ». D'autres récits étaient au contraire moinslongs, plus proches de la réalité, du quotidien, moins originaux mais mieux réus¬sis sur le plan formel.

Ce constat était resté en l'état et la maitrise que j'ai effectuée en Sciencesde l'éducation (Lammertyn, 1999) a été l'occasion de mener une recherche àpartir du récit imaginaire. Mon interrogation première a été la suivante : l'écritured'un récit sollicitant fortement l'imaginaire entraine-t-elle des difficultés particu-

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LA SOLLICITATION DE L'IMAGINAIREDANS L'ÉCRITURE DES RÉCITS :

INTÉRÊTS ET PROBLÈMES

Patricia LAMMERTYN, École Michelet-LilleTHEODILE, Université de Lille 3

Résumé : Cet article rend compte d'une recherche portant sur les problèmes quepeuvent rencontrer des élèves de C.M.2. lors de la production de récits sollici¬tant l'imaginaire. Afin de mieux comprendre leurs spécificités, on a comparé ces

récits à d'autres histoires sollicitant l'expérience vécue et on a fait passer des

entretiens à certains de ces jeunes scripteurs. Les résultats, en ce qui concerneles récits « imaginaires », font apparaitre quatre catégories de textes au regarddes relations entre maitrise formelle et contenus mis en scène. Les différencesobservées peuvent être mises en relation avec les interprétations de la consigneet les représentations de l'évaluation. Dans le cas des récits « expérienciels »,

ces différences sont en quelque sorte réduites dans la mesure où la majeure par¬

tie des élèves développe peu les textes par souci de respecter la vérité des événe¬

ments. Ces premiers résultats permettent d'ouvrir quelques pistes de réflexionquant aux effets produits par les consignes, à leur prise en compte dans l'évalua¬tion et aux objectifs de l'enseignement de l'écriture du récit.

La maitrise de l'écriture est une des clés de la réussite scolaire et sociale.Elle constitue un des objectifs prioritaires de l'école élémentaire. Dans cetteperspective, les élèves de cycle III sont amenés à produire différents types detextes ; en fin de C.M.2, ils doivent être capables, entre autres, comme ledemandent les Instructions officielles, d'écrire un récit imaginaire entier.

Exerçant pour la première fois dans une classe de C.M.2. relativementhétérogène, j'avais constaté de manière empirique que la production d'un telrécit posait problème à la plupart des élèves. En effet, à une consigne sollicitantl'imaginaire de l'élève, j'obtenais tendancieUement deux types de récits : cer¬tains récits étaient bien développés sur le plan des images et des idées maisdevenaient, au fil du texte, de plus en plus incohérents, comme si l'imaginationde l'enfant tournait « en roue libre ». D'autres récits étaient au contraire moinslongs, plus proches de la réalité, du quotidien, moins originaux mais mieux réus¬sis sur le plan formel.

Ce constat était resté en l'état et la maitrise que j'ai effectuée en Sciencesde l'éducation (Lammertyn, 1999) a été l'occasion de mener une recherche àpartir du récit imaginaire. Mon interrogation première a été la suivante : l'écritured'un récit sollicitant fortement l'imaginaire entraine-t-elle des difficultés particu-

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REPÈRES N° 21/2000 R LAMMERTYN

Hères et, si c'est le cas, quelles sont-elles ? Cette question présente, il mesemble, un double intérêt : d'une part, la question de l'imaginaire est encoreinsuffisamment théorisée ; la didactique du français s'est essentiellement inté¬ressée aux aspects formels et structurels des textes ; elle a porté également sonattention sur le sujet écrivant mais surtout sur le plan des opérations mentalesmises en uvre. En revanche, le contenu psycho-affectif convoqué par l'imagi¬naire est beaucoup moins pris en compte. D'autre part, mieux connaître les diffi¬cultés rencontrées dans l'écriture d'un récit imaginaire permettrait de mieux lesprendre en compte dans les choix d'enseignement-apprentissage. Je proposedonc, dans cet article, d'exposer les grandes lignes de cette recherche dont lesrésultats ont dépassé le cadre strict du récit imaginaire puisqu'on a comparé cedernier avec un récit faisant davantage référence au réel et plus précisément àune expérience de vie.

Mon parcours sera donc le suivant : après avoir précisé les principauxconcepts que j'ai utilisés, j'interrogerai les positions théoriques de P. Clanché(1992) et d'A. Kaici (1992), qui se sont particulièrement intéressés à l'écrituredes récits sollicitant l'imaginaire. Puis je présenterai la recherche menée et j'enexposerai les principaux résultats.

1. IMAGINAIRE ET RÉCIT

1.1. Première approche de l'imaginaire

L'imaginaire demeure un concept difficile à circonscrire. II recouvre en effetdes significations diverses qui sont loin d'être consensuelles. Ainsi il renvoiesouvent à deux notions proches, imagination et créativité, et on constate biensouvent, tant chez les enseignants que chez certains théoriciens, un glissemententre ces trois concepts. Pour les besoins de ma recherche, j'ai donc cherché àen proposer des définitions opératoires sans chercher à dissimuler leur carac¬tère discutable et sans doute provisoire.

En référence à Bachelard (1943) qui parle de l'imaginaire comme d'unmonde lointain, fait de multiples combinaisons d'images, aux travaux deM. Eliade (1963, 1969) et G. Durand (1969) qui voient dans l'imaginaire une lec¬ture parabolique du monde, en référence enfin à la psychanalyse (Burgos, 1 982)qui voit l'imaginaire comme « le lieu des réponses cherchées dans l'espace auxangoisses de l'être devant la temporalité », je propose de considérer l'imaginairecomme produit et source de l'imagination, monde d'images, monde non réa¬liste, réservoir des productions humaines culturelles individuelles et collectives,exprimant les multiples interprétations du monde. Ce « réservoir » fournit à l'in¬fini images et scénarios, permettant à l'homme d'exprimer, consciemment ounon, ses désirs, ses angoisses, sa relation au monde à travers des thèmes uni¬versels comme la vie et la mort, le pouvoir, la beauté...

Ce concept se différencie de celui d'imagination entendu comme la facultéde se détacher du réel, de l'environnement immédiat, pour envisager d'autrespossibles et mettre en jeu l'imaginaire grâce à des processus créatifs. C'est ceque Kant (1781) a appelé l'imagination créatrice. Si l'activité imaginatrice

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REPÈRES N° 21/2000 R LAMMERTYN

Hères et, si c'est le cas, quelles sont-elles ? Cette question présente, il mesemble, un double intérêt : d'une part, la question de l'imaginaire est encoreinsuffisamment théorisée ; la didactique du français s'est essentiellement inté¬ressée aux aspects formels et structurels des textes ; elle a porté également sonattention sur le sujet écrivant mais surtout sur le plan des opérations mentalesmises en uvre. En revanche, le contenu psycho-affectif convoqué par l'imagi¬naire est beaucoup moins pris en compte. D'autre part, mieux connaître les diffi¬cultés rencontrées dans l'écriture d'un récit imaginaire permettrait de mieux lesprendre en compte dans les choix d'enseignement-apprentissage. Je proposedonc, dans cet article, d'exposer les grandes lignes de cette recherche dont lesrésultats ont dépassé le cadre strict du récit imaginaire puisqu'on a comparé cedernier avec un récit faisant davantage référence au réel et plus précisément àune expérience de vie.

Mon parcours sera donc le suivant : après avoir précisé les principauxconcepts que j'ai utilisés, j'interrogerai les positions théoriques de P. Clanché(1992) et d'A. Kaici (1992), qui se sont particulièrement intéressés à l'écrituredes récits sollicitant l'imaginaire. Puis je présenterai la recherche menée et j'enexposerai les principaux résultats.

1. IMAGINAIRE ET RÉCIT

1.1. Première approche de l'imaginaire

L'imaginaire demeure un concept difficile à circonscrire. II recouvre en effetdes significations diverses qui sont loin d'être consensuelles. Ainsi il renvoiesouvent à deux notions proches, imagination et créativité, et on constate biensouvent, tant chez les enseignants que chez certains théoriciens, un glissemententre ces trois concepts. Pour les besoins de ma recherche, j'ai donc cherché àen proposer des définitions opératoires sans chercher à dissimuler leur carac¬tère discutable et sans doute provisoire.

En référence à Bachelard (1943) qui parle de l'imaginaire comme d'unmonde lointain, fait de multiples combinaisons d'images, aux travaux deM. Eliade (1963, 1969) et G. Durand (1969) qui voient dans l'imaginaire une lec¬ture parabolique du monde, en référence enfin à la psychanalyse (Burgos, 1 982)qui voit l'imaginaire comme « le lieu des réponses cherchées dans l'espace auxangoisses de l'être devant la temporalité », je propose de considérer l'imaginairecomme produit et source de l'imagination, monde d'images, monde non réa¬liste, réservoir des productions humaines culturelles individuelles et collectives,exprimant les multiples interprétations du monde. Ce « réservoir » fournit à l'in¬fini images et scénarios, permettant à l'homme d'exprimer, consciemment ounon, ses désirs, ses angoisses, sa relation au monde à travers des thèmes uni¬versels comme la vie et la mort, le pouvoir, la beauté...

Ce concept se différencie de celui d'imagination entendu comme la facultéde se détacher du réel, de l'environnement immédiat, pour envisager d'autrespossibles et mettre en jeu l'imaginaire grâce à des processus créatifs. C'est ceque Kant (1781) a appelé l'imagination créatrice. Si l'activité imaginatrice

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

débouche sur une création esthétique ou scientifique, on parlera alors d'imagi¬nation constructive. Ces deux facettes se retrouvent d'ailleurs dans la définitiondu concept de créativité élaborée par O. Dosnon (1996). Pour elle, la créativitéest « l'ensemble des mécanismes qui conduisent à des créations, à la réalisationde produits nouveaux et originaux dont la valeur est reconnue dans le champsocial ».

Par ailleurs, plusieurs courants de pensée (voir O. Dosnon p. 11 à 21) quise sont intéressés aux mécanismes en jeu dans le processus de la créativités'accordent sur le fait que ce processus comporte deux phases : la premièremet en uvre la pensée divergente ; cette phase de génération, combinaisond'images et d'idées, est propice à l'expression de l'imaginaire ; la secondephase met en uvre la pensée convergente qui permet d'intégrer les élémentsde la réalité ; cela nécessite un certain contrôle par le sujet (ces mécanismesétant plus ou moins conscients).

1.2. Le récit

Pour définir ce concept, je me suis appuyée sur la définition d'Yves Reuter(1997) selon lequel : « un consensus existe pour considérer que le récit raconteune histoire, une intrigue, c'est à dire un ensemble organisé d'actions. » Ecrireun récit implique que l'on mette en fiction et narration, ces deux pôlesétant articulés par une mise en texte. La fiction, toujours selon Y. Reuter,« désigne l'univers mis en scène par le texte » : l'histoire, les personnages, l'es-pace-temps. Appelée aussi « diégèse », elle renvoie aux contenus. La notion defiction est un concept théorique qui s'applique aussi bien à une histoire vraieque fausse, réelle ou imaginaire. Toute construction d'un récit implique donc unemise en scène, une fictionnalisation. On peut alors se demander si les difficultésrepérées empiriquement lors de la production de récits sollicitant l'imaginairedans le cadre scolaire, sont spécifiques à ce type de récit, ce qui explique lacomparaison avec des récits renvoyant au vécu.

2. IMAGINAIRE ET ÉCRITURE SCOLAIRE

2.1. L'imaginaire à l'école, un paradoxe ?

La place et la prise en compte de l'imaginaire dans les productions écritesà l'école pose un certain nombre de problèmes. Du côté des pratiques, on peutsans doute relever deux types de fonctionnement dominants chez les ensei¬gnants.

Le premier type se caractérise par une résistance qui s'appuie sur unevision négative de l'imaginaire à l'école que B. Duborgel (1992) a très biendécrite dans ses recherches ; il montre par exemple que certains enseignantsn'intègrent pas la dimension de l'imaginaire dans leurs activités de lecture-écri¬ture par peur d'une dérive psychanalisante qu'ils ne pourraient pas gérer ;

d'autres attribuent à l'imaginaire un caractère infantilisant. A ce propos, Y.

Reuter (1996 p 29) évoquant les critiques émanant du champ de la didactiqueindique que « pour certains didacticiens, travailler l'imaginaire et la créativité

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

débouche sur une création esthétique ou scientifique, on parlera alors d'imagi¬nation constructive. Ces deux facettes se retrouvent d'ailleurs dans la définitiondu concept de créativité élaborée par O. Dosnon (1996). Pour elle, la créativitéest « l'ensemble des mécanismes qui conduisent à des créations, à la réalisationde produits nouveaux et originaux dont la valeur est reconnue dans le champsocial ».

Par ailleurs, plusieurs courants de pensée (voir O. Dosnon p. 11 à 21) quise sont intéressés aux mécanismes en jeu dans le processus de la créativités'accordent sur le fait que ce processus comporte deux phases : la premièremet en uvre la pensée divergente ; cette phase de génération, combinaisond'images et d'idées, est propice à l'expression de l'imaginaire ; la secondephase met en uvre la pensée convergente qui permet d'intégrer les élémentsde la réalité ; cela nécessite un certain contrôle par le sujet (ces mécanismesétant plus ou moins conscients).

1.2. Le récit

Pour définir ce concept, je me suis appuyée sur la définition d'Yves Reuter(1997) selon lequel : « un consensus existe pour considérer que le récit raconteune histoire, une intrigue, c'est à dire un ensemble organisé d'actions. » Ecrireun récit implique que l'on mette en fiction et narration, ces deux pôlesétant articulés par une mise en texte. La fiction, toujours selon Y. Reuter,« désigne l'univers mis en scène par le texte » : l'histoire, les personnages, l'es-pace-temps. Appelée aussi « diégèse », elle renvoie aux contenus. La notion defiction est un concept théorique qui s'applique aussi bien à une histoire vraieque fausse, réelle ou imaginaire. Toute construction d'un récit implique donc unemise en scène, une fictionnalisation. On peut alors se demander si les difficultésrepérées empiriquement lors de la production de récits sollicitant l'imaginairedans le cadre scolaire, sont spécifiques à ce type de récit, ce qui explique lacomparaison avec des récits renvoyant au vécu.

2. IMAGINAIRE ET ÉCRITURE SCOLAIRE

2.1. L'imaginaire à l'école, un paradoxe ?

La place et la prise en compte de l'imaginaire dans les productions écritesà l'école pose un certain nombre de problèmes. Du côté des pratiques, on peutsans doute relever deux types de fonctionnement dominants chez les ensei¬gnants.

Le premier type se caractérise par une résistance qui s'appuie sur unevision négative de l'imaginaire à l'école que B. Duborgel (1992) a très biendécrite dans ses recherches ; il montre par exemple que certains enseignantsn'intègrent pas la dimension de l'imaginaire dans leurs activités de lecture-écri¬ture par peur d'une dérive psychanalisante qu'ils ne pourraient pas gérer ;

d'autres attribuent à l'imaginaire un caractère infantilisant. A ce propos, Y.

Reuter (1996 p 29) évoquant les critiques émanant du champ de la didactiqueindique que « pour certains didacticiens, travailler l'imaginaire et la créativité

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serait intéressant pour les petites classes, pour les élèves jeunes, voire trèsjeunes, mais à limiter dans la suite de la scolarité ».

Le second type de pratiques repose davantage sur un paradoxe, repérédepuis longtemps déjà par J.-F. Halte (1981, 1984) et Y. Reuter (1996, p. 31) : onfait fonctionner l'imaginaire à partir de consignes d'écriture le sollicitant forte¬ment mais les réponses évaluatives ne portent que sur les aspects formels dutexte, les notations évaluatives l'indiquant de manière forte. Le contenu imagi¬naire est mis à distance et la forme du texte valorisée. La réussite des élèves estainsi construite presque uniquement à partir de la prise en compte de la maitrisedes pôles formels. Ce type de pratiques s'appuie selon moi sur plusieurs posi¬tions :

- la première repose sur la priorité donnée aux règles formelles d'écriture ;

- la seconde véhicule l'idée reçue que l'imagination, l'imaginaire, la créati¬vité relèveraient d'un don individuel sur lequel on ne peut agir ;

- la troisième position est d'ordre éthique : intervenir sur le contenu imagi¬naire entraverait la liberté d'expression ;

- enfin, le manque d'outils didactiques prenant en compte l'imaginaire justi¬fie en partie la non-intervention.

D'une certaine manière, l'école reconnaît implicitement que la sollicitationde l'imaginaire génère des difficultés lors de l'écriture d'un récit mais elle ne veutou ne peut les gérer.

2.2. Les problèmes rencontrés par les élèves

P. Clanché (1992), qui s'est attaché à l'étude des textes libres, constate luiaussi que l'écrit imaginaire (qu'il appelle à d'autres moments récit de fiction)pose problème ; il remarque une contradiction entre le discours des élèves deC.M.2. et leurs productions : les récits qu'ils produisent baissent en quantité eten qualité à partir du C.M.1. et pourtant les élèves déclarent préférer les his¬toires inventées. Dans les entretiens, les élèves justifient leur préférence pour leshistoires inventées car elles sont plus faciles à écrire que les histoires réelles.Selon eux, lorsqu'ils écrivent un « récit réel », ils doivent respecter la strictevérité des événements, ce qui les oblige à un effort important de mémorisation.P. Clanché fait alors l'hypothèse que les enfants s'arrangeraient pour que lestextes inventés soient vraiment « faux », « non crédibles » car ils seraient inca¬pables, pour des raisons éthiques, de feindre ou de mentir littérairement. Poureux en effet, une histoire est soit inventée soit réelle. Mais cette position mériteréflexion : en effet, tout récit suppose une « fictionnalisation », une mise enscène. On peut encore se demander si tous les élèves opèrent aussi nettementune distinction entre réel et imaginaire, ce qui me semble discutable notammentau regard des travaux d'A. Kaici (1992).

Cet auteur a étudié comment des élèves du cycle d'observation laissenttransparaître leur imaginaire dans les récits de fiction à partir d'un sujet induc¬teur (lié à la théorie freudienne du roman familial, 1909) : « C'est l'histoire d'unenfant perdu ». Les résultats qu'il obtient confirment son hypothèse de départ :

80 % des « bons » élèves donnent à « perdu » le sens de « égaré » ; leurs textes

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serait intéressant pour les petites classes, pour les élèves jeunes, voire trèsjeunes, mais à limiter dans la suite de la scolarité ».

Le second type de pratiques repose davantage sur un paradoxe, repérédepuis longtemps déjà par J.-F. Halte (1981, 1984) et Y. Reuter (1996, p. 31) : onfait fonctionner l'imaginaire à partir de consignes d'écriture le sollicitant forte¬ment mais les réponses évaluatives ne portent que sur les aspects formels dutexte, les notations évaluatives l'indiquant de manière forte. Le contenu imagi¬naire est mis à distance et la forme du texte valorisée. La réussite des élèves estainsi construite presque uniquement à partir de la prise en compte de la maitrisedes pôles formels. Ce type de pratiques s'appuie selon moi sur plusieurs posi¬tions :

- la première repose sur la priorité donnée aux règles formelles d'écriture ;

- la seconde véhicule l'idée reçue que l'imagination, l'imaginaire, la créati¬vité relèveraient d'un don individuel sur lequel on ne peut agir ;

- la troisième position est d'ordre éthique : intervenir sur le contenu imagi¬naire entraverait la liberté d'expression ;

- enfin, le manque d'outils didactiques prenant en compte l'imaginaire justi¬fie en partie la non-intervention.

D'une certaine manière, l'école reconnaît implicitement que la sollicitationde l'imaginaire génère des difficultés lors de l'écriture d'un récit mais elle ne veutou ne peut les gérer.

2.2. Les problèmes rencontrés par les élèves

P. Clanché (1992), qui s'est attaché à l'étude des textes libres, constate luiaussi que l'écrit imaginaire (qu'il appelle à d'autres moments récit de fiction)pose problème ; il remarque une contradiction entre le discours des élèves deC.M.2. et leurs productions : les récits qu'ils produisent baissent en quantité eten qualité à partir du C.M.1. et pourtant les élèves déclarent préférer les his¬toires inventées. Dans les entretiens, les élèves justifient leur préférence pour leshistoires inventées car elles sont plus faciles à écrire que les histoires réelles.Selon eux, lorsqu'ils écrivent un « récit réel », ils doivent respecter la strictevérité des événements, ce qui les oblige à un effort important de mémorisation.P. Clanché fait alors l'hypothèse que les enfants s'arrangeraient pour que lestextes inventés soient vraiment « faux », « non crédibles » car ils seraient inca¬pables, pour des raisons éthiques, de feindre ou de mentir littérairement. Poureux en effet, une histoire est soit inventée soit réelle. Mais cette position mériteréflexion : en effet, tout récit suppose une « fictionnalisation », une mise enscène. On peut encore se demander si tous les élèves opèrent aussi nettementune distinction entre réel et imaginaire, ce qui me semble discutable notammentau regard des travaux d'A. Kaici (1992).

Cet auteur a étudié comment des élèves du cycle d'observation laissenttransparaître leur imaginaire dans les récits de fiction à partir d'un sujet induc¬teur (lié à la théorie freudienne du roman familial, 1909) : « C'est l'histoire d'unenfant perdu ». Les résultats qu'il obtient confirment son hypothèse de départ :

80 % des « bons » élèves donnent à « perdu » le sens de « égaré » ; leurs textes

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

sont plutôt réalistes, vraisemblables, peu investis personnellement ; on y trouvepeu de traces d'imaginaire et ils peuvent, selon Kaici, être apparentés aux textes« domestiques ». En revanche, ces textes sont assez bien réussis en surface. Ence qui concerne les « mauvais » élèves, 75 % d'entre eux donnent à « perdu »

un sens plus marqué affectivement, plus symbolique. Ils écrivent des récits plusoriginaux, plus riches en imaginaire mais comportant de nombreux problèmesde surface. Kaici en donne l'interprétation suivante : une consigne d'écrituremettant en jeu l'imaginaire ne provoque pas le même écho selon que l'on est« bon » ou « mauvais » élève. Les « bons » élèves réfréneraient leur imaginaire,étant plus soucieux des attentes scolaires qu'ils décrypteraient mieux ; les« mauvais » élèves seraient plus spontanés et laisseraient leur imaginaire s'ex¬primer plus facilement car ils ne connaîtraient pas bien les attentes scolaires.Tous les élèves n'opéreraient donc pas aussi nettement une distinction« réel / imaginaire » et le regard évaluateur serait différemment pris en compte.

Avant d'aller plus avant, j'aimerais formuler quelques remarques quant auxconcepts utilisés car il me semble qu'il existe un certain flou autour des types derécits. En effet, les concepts utilisés sont généralement maniés selon des oppo¬sitions tranchées : d'un côté le récit « imaginaire », de l'autre, le récit expérientielou « récit de vie » mais on ne sait pas bien sur quels éléments repose réellementcette opposition et jusqu'à quel point elle est fonctionnelle. Une partie de mesinvestigations actuelles porte d'ailleurs sur ces questions. Pour la recherche pré¬sentée ici, les termes de « récit imaginaire » et « récit expérientiel » seront diffé¬renciés provisoirement par le contenu des consignes d'écriture données auxélèves (même si cela reste encore très insatisfaisant).

2.3. Trois objectifs pour cette recherche

En fonction de ce parcours théorique, j'ai mené ma recherche autour detrois objectifs. Le premier a consisté à étudier les difficultés des élèves lors de laproduction de récits imaginaires et à vérifier les clivages observés empirique¬ment dans ma classe et présents dans l'étude de Kaici. II s'agissait de savoir sicertains élèves se laissent entrainer, submerger par leur imaginaire et perdent devue le contrôle de leur texte (contrôle pourtant nécessaire car le récit doit êtresignifiant et communicable à l'enseignant) alors que d'autres prennent davan¬tage en compte le pôle formel du texte.

Le second objectif a été de savoir si ces clivages se retrouvent spécifique¬ment dans les récits référant à l'imaginaire. La deuxième hypothèse était doncque cette répartition ne devait pas se retrouver de manière aussi marquée dansle cas d'un récit renvoyant au réel : pour l'écriture de ce dernier, les élèves, ayantà s'éloigner moins nettement de la réalité, s'attacheraient davantage à l'organi¬sation de leurs récits (mais cela n'exclut pas la présence d'autres difficultés).

À supposer que nous obtenions les résultats attendus, encore fallait-il four¬nir quelques éléments d'explicitation complémentaires. Cela a constitué le troi¬sième objectif de la recherche. Les travaux de Clanché et Kaici montrent que leregard évaluateur est pris en compte et pèse sur les stratégies des élèves maisles raisons diffèrent selon ces auteurs : pour Clanché, les élèves rechignent à

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

sont plutôt réalistes, vraisemblables, peu investis personnellement ; on y trouvepeu de traces d'imaginaire et ils peuvent, selon Kaici, être apparentés aux textes« domestiques ». En revanche, ces textes sont assez bien réussis en surface. Ence qui concerne les « mauvais » élèves, 75 % d'entre eux donnent à « perdu »

un sens plus marqué affectivement, plus symbolique. Ils écrivent des récits plusoriginaux, plus riches en imaginaire mais comportant de nombreux problèmesde surface. Kaici en donne l'interprétation suivante : une consigne d'écrituremettant en jeu l'imaginaire ne provoque pas le même écho selon que l'on est« bon » ou « mauvais » élève. Les « bons » élèves réfréneraient leur imaginaire,étant plus soucieux des attentes scolaires qu'ils décrypteraient mieux ; les« mauvais » élèves seraient plus spontanés et laisseraient leur imaginaire s'ex¬primer plus facilement car ils ne connaîtraient pas bien les attentes scolaires.Tous les élèves n'opéreraient donc pas aussi nettement une distinction« réel / imaginaire » et le regard évaluateur serait différemment pris en compte.

Avant d'aller plus avant, j'aimerais formuler quelques remarques quant auxconcepts utilisés car il me semble qu'il existe un certain flou autour des types derécits. En effet, les concepts utilisés sont généralement maniés selon des oppo¬sitions tranchées : d'un côté le récit « imaginaire », de l'autre, le récit expérientielou « récit de vie » mais on ne sait pas bien sur quels éléments repose réellementcette opposition et jusqu'à quel point elle est fonctionnelle. Une partie de mesinvestigations actuelles porte d'ailleurs sur ces questions. Pour la recherche pré¬sentée ici, les termes de « récit imaginaire » et « récit expérientiel » seront diffé¬renciés provisoirement par le contenu des consignes d'écriture données auxélèves (même si cela reste encore très insatisfaisant).

2.3. Trois objectifs pour cette recherche

En fonction de ce parcours théorique, j'ai mené ma recherche autour detrois objectifs. Le premier a consisté à étudier les difficultés des élèves lors de laproduction de récits imaginaires et à vérifier les clivages observés empirique¬ment dans ma classe et présents dans l'étude de Kaici. II s'agissait de savoir sicertains élèves se laissent entrainer, submerger par leur imaginaire et perdent devue le contrôle de leur texte (contrôle pourtant nécessaire car le récit doit êtresignifiant et communicable à l'enseignant) alors que d'autres prennent davan¬tage en compte le pôle formel du texte.

Le second objectif a été de savoir si ces clivages se retrouvent spécifique¬ment dans les récits référant à l'imaginaire. La deuxième hypothèse était doncque cette répartition ne devait pas se retrouver de manière aussi marquée dansle cas d'un récit renvoyant au réel : pour l'écriture de ce dernier, les élèves, ayantà s'éloigner moins nettement de la réalité, s'attacheraient davantage à l'organi¬sation de leurs récits (mais cela n'exclut pas la présence d'autres difficultés).

À supposer que nous obtenions les résultats attendus, encore fallait-il four¬nir quelques éléments d'explicitation complémentaires. Cela a constitué le troi¬sième objectif de la recherche. Les travaux de Clanché et Kaici montrent que leregard évaluateur est pris en compte et pèse sur les stratégies des élèves maisles raisons diffèrent selon ces auteurs : pour Clanché, les élèves rechignent à

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faire croire au lecteur à un texte faux, ce qui suppose chez tous les élèves unedichotomie nette entre réel et imaginaire ; pour Kaici, c'est la perception diffé¬rente des attentes scolaires qui expliquerait les deux types de productions obte¬nues. Cela n'exclut pas, à la différence de la thèse de Clanché, une confusionpossible entre réel et imaginaire pour certains élèves. La troisième hypothèse adonc été la suivante : les choix des élèves pourraient être déterminés ou accen¬tués par des interprétations différentes des types de réponses attendues àl'école : certains élèves prendraient la consigne sollicitant l'imaginaire au pied dela lettre ; d'autres feraient leurs choix en fonction des attentes institutionnelles etdes habitudes scolaires.

Kaici met de surcroit en relation les stratégies avec le profil scolaire desélèves. Sur ce point, j'ai adopté une perspective explicative quelque peu diffé¬rente car ces fortes tendances référentes à deux catégories d'élèves ne recou¬paient pas aussi nettement mes premières observations empiriques : certains« bons » élèves ne semblaient pas réfréner leur imaginaire et se laissaient aller àcertaines incohérences. Ma dernière hypothèse a donc été que le facteur « profilscolaire » n'est pas seul en jeu, les variations pouvant aussi être rapportées auxmilieux sociaux (au sens de socio-culturel) au sein desquels peuvent êtreconstruits des discours et des attitudes différentes par rapport à la réussite sco¬laire.

3. LA DÉMARCHE ADOPTÉE

J'ai d'abord fait écrire un récit référant à l'imaginaire et un récit renvoyantau réel et procédé ensuite à quelques entretiens. Ces investigations ont étémenées dans deux classes de C.M.2. issues de deux écoles de Villeneuved'Ascq (1) que j'ai appelées A et B, en retenant comme critère de choix lesrésultats des tests d'entrée en sixième sur plusieurs années. L'école A accueilleplutôt des « bons » élèves et l'école B plutôt des élèves « en difficulté ». II s'estavéré que les deux écoles se différenciaient aussi par le niveau social desfamilles, l'école A étant la plus favorisée.

Pour l'écriture du texte « imaginaire », il a fallu trouver une consigne (2) suf¬fisamment ouverte pour que chaque élève puisse y trouver une motivation àl'écriture. Elle devait également être un bon déclencheur d'imaginaire (3), sus¬ceptible de « bousculer » l'enfant et de générer des images fortes afin que lestextes produits éclairent la manière dont les élèves gèrent cette situation. Laconsigne suivante a été retenue :

C'esf /e soir. Comme d'habitude, un enfant se couche et lit, attendant queson père vienne l'embrasser. Mais il tarde à venir. Soudain la porte s'ouvre. Unecréature monstrueuse apparait...

L'élaboration de la consigne du récit référant à une expérience vécue a deson côté généré deux difficultés : il fallait motiver les élèves qui souvent, à cetâge, n'aiment pas écrire ce type de textes et il fallait également trouver un réfè¬rent commun tout en restant très général pour que chaque élève ait quelquechose à raconter. J'ai finalement opté pour l'évocation d'un moment vécu à la

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faire croire au lecteur à un texte faux, ce qui suppose chez tous les élèves unedichotomie nette entre réel et imaginaire ; pour Kaici, c'est la perception diffé¬rente des attentes scolaires qui expliquerait les deux types de productions obte¬nues. Cela n'exclut pas, à la différence de la thèse de Clanché, une confusionpossible entre réel et imaginaire pour certains élèves. La troisième hypothèse adonc été la suivante : les choix des élèves pourraient être déterminés ou accen¬tués par des interprétations différentes des types de réponses attendues àl'école : certains élèves prendraient la consigne sollicitant l'imaginaire au pied dela lettre ; d'autres feraient leurs choix en fonction des attentes institutionnelles etdes habitudes scolaires.

Kaici met de surcroit en relation les stratégies avec le profil scolaire desélèves. Sur ce point, j'ai adopté une perspective explicative quelque peu diffé¬rente car ces fortes tendances référentes à deux catégories d'élèves ne recou¬paient pas aussi nettement mes premières observations empiriques : certains« bons » élèves ne semblaient pas réfréner leur imaginaire et se laissaient aller àcertaines incohérences. Ma dernière hypothèse a donc été que le facteur « profilscolaire » n'est pas seul en jeu, les variations pouvant aussi être rapportées auxmilieux sociaux (au sens de socio-culturel) au sein desquels peuvent êtreconstruits des discours et des attitudes différentes par rapport à la réussite sco¬laire.

3. LA DÉMARCHE ADOPTÉE

J'ai d'abord fait écrire un récit référant à l'imaginaire et un récit renvoyantau réel et procédé ensuite à quelques entretiens. Ces investigations ont étémenées dans deux classes de C.M.2. issues de deux écoles de Villeneuved'Ascq (1) que j'ai appelées A et B, en retenant comme critère de choix lesrésultats des tests d'entrée en sixième sur plusieurs années. L'école A accueilleplutôt des « bons » élèves et l'école B plutôt des élèves « en difficulté ». II s'estavéré que les deux écoles se différenciaient aussi par le niveau social desfamilles, l'école A étant la plus favorisée.

Pour l'écriture du texte « imaginaire », il a fallu trouver une consigne (2) suf¬fisamment ouverte pour que chaque élève puisse y trouver une motivation àl'écriture. Elle devait également être un bon déclencheur d'imaginaire (3), sus¬ceptible de « bousculer » l'enfant et de générer des images fortes afin que lestextes produits éclairent la manière dont les élèves gèrent cette situation. Laconsigne suivante a été retenue :

C'esf /e soir. Comme d'habitude, un enfant se couche et lit, attendant queson père vienne l'embrasser. Mais il tarde à venir. Soudain la porte s'ouvre. Unecréature monstrueuse apparait...

L'élaboration de la consigne du récit référant à une expérience vécue a deson côté généré deux difficultés : il fallait motiver les élèves qui souvent, à cetâge, n'aiment pas écrire ce type de textes et il fallait également trouver un réfè¬rent commun tout en restant très général pour que chaque élève ait quelquechose à raconter. J'ai finalement opté pour l'évocation d'un moment vécu à la

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

maison le soir. Pour limiter le manque d'investissement possible par uneconsigne trop banale, la consigne a été proposée en ces termes :

Raconte une soirée que tu as réellement vécue et qui t'a laissé un souvenirmarquant.

Les activités d'écriture des textes se sont déroulées entre fin janvier etdébut février pour les deux classes. Les deux textes ont été produits à unesemaine d'intervalle en commençant par la production du récit référant au réel.

Pour chaque recueil, la consigne a été lue oralement puis écrite au tableau.Le temps accordé à l'écriture a été de une heure trente (4). II a été égalementdemandé aux élèves de ne pas recourir à l'aide de l'adulte. Par contre, ils ont puutiliser leurs outils habituels : dictionnaires, cahiers de règles...

L'analyse des récits imaginaires et des récits faisant référence au réel a étémenée à partir de deux séries de critères (5) : les uns permettant d'analyser lesdonnées sur le pôle formel, les autres sur le pôle imaginaire.

Pour apprécier si les récits les plus développés sur le plan de l'imaginaireétaient également les plus originaux, - le critère d'originalité étant fort discutable-, j'ai soumis les textes referents à l'imaginaire au jugement de trois lecteursexperts, la consigne étant simplement de classer les textes en trois catégories :

les textes originaux, peu ou pas originaux et moyennement originaux.

Le recueil de textes a donc constitué la première étape de mon investiga¬tion. Mais les textes ne sont que la trace observable de stratégies supposéeschez les élèves. L'analyse textuelle ne suffit pas pour donner des éléments expli¬catifs intéressants quant aux processus d'actions. Or je cherchais à connaîtreles pôles d'attention de l'élève pendant l'écriture de son récit imaginaire, postu¬lant que l'élève s'attache soit au contenu soit aux aspects formels du texte (ceschoix pouvant être effectués en fonction de la prise en compte ou non parl'élève des attentes et des habitudes scolaires). Faire parler les élèves sur leursdifficultés, leurs stratégies, leurs actions était nécessaire. À partir d'un guided'entretien, j'ai interviewé cinq élèves dans chaque classe. Afin de limiter lesproblèmes de mémorisation, les entretiens ont eu lieu deux jours après l'écrituredu second texte.

II est temps maintenant d'en arriver à l'exposition des résultats obtenus.

4. LES RÉCITS RÉPONDANT À LA CONSIGNESOLLICITANT L'IMAGINAIRE

La première hypothèse était que la sollicitation de l'imaginaire dans l'écri¬ture d'un récit entraînerait des types de difficultés répartissant les textes endeux catégories. Les résultats ne le confirment que partiellement. En effet, onobtient les deux catégories attendues mais également deux autres catégories.Quels sont donc ces types de récits ?

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

maison le soir. Pour limiter le manque d'investissement possible par uneconsigne trop banale, la consigne a été proposée en ces termes :

Raconte une soirée que tu as réellement vécue et qui t'a laissé un souvenirmarquant.

Les activités d'écriture des textes se sont déroulées entre fin janvier etdébut février pour les deux classes. Les deux textes ont été produits à unesemaine d'intervalle en commençant par la production du récit référant au réel.

Pour chaque recueil, la consigne a été lue oralement puis écrite au tableau.Le temps accordé à l'écriture a été de une heure trente (4). II a été égalementdemandé aux élèves de ne pas recourir à l'aide de l'adulte. Par contre, ils ont puutiliser leurs outils habituels : dictionnaires, cahiers de règles...

L'analyse des récits imaginaires et des récits faisant référence au réel a étémenée à partir de deux séries de critères (5) : les uns permettant d'analyser lesdonnées sur le pôle formel, les autres sur le pôle imaginaire.

Pour apprécier si les récits les plus développés sur le plan de l'imaginaireétaient également les plus originaux, - le critère d'originalité étant fort discutable-, j'ai soumis les textes referents à l'imaginaire au jugement de trois lecteursexperts, la consigne étant simplement de classer les textes en trois catégories :

les textes originaux, peu ou pas originaux et moyennement originaux.

Le recueil de textes a donc constitué la première étape de mon investiga¬tion. Mais les textes ne sont que la trace observable de stratégies supposéeschez les élèves. L'analyse textuelle ne suffit pas pour donner des éléments expli¬catifs intéressants quant aux processus d'actions. Or je cherchais à connaîtreles pôles d'attention de l'élève pendant l'écriture de son récit imaginaire, postu¬lant que l'élève s'attache soit au contenu soit aux aspects formels du texte (ceschoix pouvant être effectués en fonction de la prise en compte ou non parl'élève des attentes et des habitudes scolaires). Faire parler les élèves sur leursdifficultés, leurs stratégies, leurs actions était nécessaire. À partir d'un guided'entretien, j'ai interviewé cinq élèves dans chaque classe. Afin de limiter lesproblèmes de mémorisation, les entretiens ont eu lieu deux jours après l'écrituredu second texte.

II est temps maintenant d'en arriver à l'exposition des résultats obtenus.

4. LES RÉCITS RÉPONDANT À LA CONSIGNESOLLICITANT L'IMAGINAIRE

La première hypothèse était que la sollicitation de l'imaginaire dans l'écri¬ture d'un récit entraînerait des types de difficultés répartissant les textes endeux catégories. Les résultats ne le confirment que partiellement. En effet, onobtient les deux catégories attendues mais également deux autres catégories.Quels sont donc ces types de récits ?

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REPÈRES N° 21/2000 P. LAMMERTYN

Sur les 50 textes, on trouve une première série de 1 5 textes, que j'ai appe¬lés textes 1 , pour lesquels le pôle formel est bien réalisé mais au détriment del'imaginaire. La deuxième série contient également 15 textes, (textes 2) danslesquels le pôle imaginaire est plus présent mais au détriment du pôle formel.Ces deux familles correspondent aux catégories obtenues dans l'étude de Kaici.Une troisième catégorie comprend 5 textes (textes 3) dans lesquels les deuxpôles sont bien investis. Enfin, on trouve les textes 4 au nombre de 15 pour les¬

quels aucun des deux pôles n'est réellement satisfaisant.

Par ailleurs, le jugement des experts remet en question les relations « déve¬loppement de l'imaginaire / originalité » et « expression limitée de l'imaginaire /stéréotypie » utilisées par Kaici puisque 12 récits sur 15 de type 1 (réussis sur lepôle formel) ont été jugés « moyennement originaux » et 7 récits de type 2 (réus¬sis sur le pôle imaginaire) ont été jugés « pas originaux ». En revanche, sur 1 5

récits de type 4 (aucun pôle réussi), aucun n'a été jugé « original ». Seuls lesrécits de type 3 (réussite sur les deux pôles) ont été jugés très originaux oumoyennement originaux. II semble donc que l'expression de l'imaginaire dansun récit ne soit pas un critère suffisant pour le catégoriser comme texte original.

Sur la base de cette répartition en quatre « familles » de récits sollicitantl'imaginaire, j'ai procédé à une analyse plus fine de chacune d'entre elles afind'en cerner les caractéristiques et d'identifier leurs problèmes spécifiques.

4.1. Les textes 1 : réussite sur le pôle formel

Ces textes indiquent une bonne maitrise de la structure globale du récit :

on n'observe pas de contradiction entre les séquences principales, l'univers fic¬tionnel d'ensemble est cohérent. Les aspects micro-structurels comme laconcordance des temps, la ponctuation ne posent pas de problème majeurcompte tenu de ce que l'on peut attendre d'élèves de C.M.2. Ce sont des textesplutôt courts (entre 13 et 16 lignes), pauvres en imaginaire, assez proches del'univers quotidien, dans lesquels l'intrigue est très peu développée.

À la lecture de ces récits, il semble que l'imaginaire soit mis à distance carles élèves élaborent des scénarios qui évitent le développement d'une dyna¬mique conséquente. Dans ces scénarios, il s'agit le plus souvent d'un rêve del'enfant ou d'une blague que lui fait un de ses parents (en se déguisant parexemple). On repère des tentatives d'investissement ou de projections, maiscelles-ci avortent très vite en raison du choix du scénario. Ainsi Marine écrit :

Alix avait eu très peur mais c'était une blague. C'était sa maman qui avaitmis un masque ou encore Anaïs : J'ai dû faire un mauvais rêve. Les person¬nages servent en quelque sorte l'absence de l'intrigue : ainsi, la créature mons¬trueuse est parfois annoncée comme pouvant faire peur mais la solution du rêveou du déguisement vient annuler cette caractéristique. Du coup, la créature agittrès peu dans l'histoire (entre 0 et 4 actions) et quand elle agit un peu, elle estplutôt caractérisée comme « gentille », « non dangereuse » pour le personnagede l'enfant.

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REPÈRES N° 21/2000 P. LAMMERTYN

Sur les 50 textes, on trouve une première série de 1 5 textes, que j'ai appe¬lés textes 1 , pour lesquels le pôle formel est bien réalisé mais au détriment del'imaginaire. La deuxième série contient également 15 textes, (textes 2) danslesquels le pôle imaginaire est plus présent mais au détriment du pôle formel.Ces deux familles correspondent aux catégories obtenues dans l'étude de Kaici.Une troisième catégorie comprend 5 textes (textes 3) dans lesquels les deuxpôles sont bien investis. Enfin, on trouve les textes 4 au nombre de 15 pour les¬

quels aucun des deux pôles n'est réellement satisfaisant.

Par ailleurs, le jugement des experts remet en question les relations « déve¬loppement de l'imaginaire / originalité » et « expression limitée de l'imaginaire /stéréotypie » utilisées par Kaici puisque 12 récits sur 15 de type 1 (réussis sur lepôle formel) ont été jugés « moyennement originaux » et 7 récits de type 2 (réus¬sis sur le pôle imaginaire) ont été jugés « pas originaux ». En revanche, sur 1 5

récits de type 4 (aucun pôle réussi), aucun n'a été jugé « original ». Seuls lesrécits de type 3 (réussite sur les deux pôles) ont été jugés très originaux oumoyennement originaux. II semble donc que l'expression de l'imaginaire dansun récit ne soit pas un critère suffisant pour le catégoriser comme texte original.

Sur la base de cette répartition en quatre « familles » de récits sollicitantl'imaginaire, j'ai procédé à une analyse plus fine de chacune d'entre elles afind'en cerner les caractéristiques et d'identifier leurs problèmes spécifiques.

4.1. Les textes 1 : réussite sur le pôle formel

Ces textes indiquent une bonne maitrise de la structure globale du récit :

on n'observe pas de contradiction entre les séquences principales, l'univers fic¬tionnel d'ensemble est cohérent. Les aspects micro-structurels comme laconcordance des temps, la ponctuation ne posent pas de problème majeurcompte tenu de ce que l'on peut attendre d'élèves de C.M.2. Ce sont des textesplutôt courts (entre 13 et 16 lignes), pauvres en imaginaire, assez proches del'univers quotidien, dans lesquels l'intrigue est très peu développée.

À la lecture de ces récits, il semble que l'imaginaire soit mis à distance carles élèves élaborent des scénarios qui évitent le développement d'une dyna¬mique conséquente. Dans ces scénarios, il s'agit le plus souvent d'un rêve del'enfant ou d'une blague que lui fait un de ses parents (en se déguisant parexemple). On repère des tentatives d'investissement ou de projections, maiscelles-ci avortent très vite en raison du choix du scénario. Ainsi Marine écrit :

Alix avait eu très peur mais c'était une blague. C'était sa maman qui avaitmis un masque ou encore Anaïs : J'ai dû faire un mauvais rêve. Les person¬nages servent en quelque sorte l'absence de l'intrigue : ainsi, la créature mons¬trueuse est parfois annoncée comme pouvant faire peur mais la solution du rêveou du déguisement vient annuler cette caractéristique. Du coup, la créature agittrès peu dans l'histoire (entre 0 et 4 actions) et quand elle agit un peu, elle estplutôt caractérisée comme « gentille », « non dangereuse » pour le personnagede l'enfant.

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

Ces textes montrent que les élèves ont des difficultés, dans le cadre del'écriture scolaire, à activer l'imaginaire. En restant très proches de la réalité, cesélèves se gardent peut-être de se faire peur et de faire peur et s'attachent à gar¬der le contrôle de leur récit. On pourrait peut-être parler de « stratégies d'évite¬ment ».

4.2. Les textes 2 : réussite sur le pôle de l'imaginaire

Contrairement aux textes 1 , ces récits sont assez longs. Ils comportent desincohérences dans la construction de l'univers fictionnel et/ou des contradic¬tions entre les différentes scènes (celles-ci se rajoutant parfois les unes auxautres sans qu'il y ait toujours des liens entre elles). La maitrise des aspects for¬mels est moins bien assurée que pour le groupe précédent mais il existe des dif¬férences entre élèves : certains ponctuent mal leurs textes et cela s'accentuelors des passages où les thèmes imaginaires forts dominent le récit. Quand laponctuation est présente, il s'agit de textes moins longs.

Ces textes contiennent aussi de nombreuses phrases complexes (nousavions utilisé ce critère comme marque d'une bonne maitrise grammaticale),mais ces phrases ne sont pas toujours bien construites et elles sont surtout utili¬sées par manque de vocabulaire adapté (ces phrases remplacent souvent desadjectifs ou des comparaisons).

Le pôle imaginaire est en revanche très présent dans ce type de récits : lesélèves montrent leur capacité à générer de nombreuses idées et images.L'intrigue y est développée longuement et on trouve une succession d'actionspeu hiérarchisées qui s'accumulent sans être toujours utiles à l'histoire commesi l'écriture se déroulait sans temps d'arrêt : J'ai pris un rocherje l'ai lancé surlui. J'ai pris la télé je lui ai balancé j'ai pris ma calculatrice... Ces actionssont cristallisées autour du thème de la lutte et de la poursuite (thèmes absentsdes textes 1). En ce qui concerne la caractérisation des personnages, la créa¬ture monstrueuse est investie d'un rôle important : c'est un monstre dévoreurqui met l'enfant en danger. Mais ce dernier garde souvent le statut de héros quitriomphe à l'issue de l'histoire. L'implication et l'investissement de l'élève sontaccentués par le fait que les élèves se mettent eux-mêmes en scène dans l'his¬toire, sans protection et dans un monde où tout semble possible.

Alors que dans la première famille de textes, les parents du personnage« enfant » assurent un rôle protecteur, les scripteurs des textes 2 leur octroientun rôle de parents indignes, abandonnant bien souvent l'enfant à son triste sort :

...tes parents ont entendu du bruit mais ne se levèrent pas... L'enfant seretrouve « seul au monde » mais doté d'une force et d'une ruse à toute épreuve.Le thème de l'abandon, repéré par Kaici, est donc également très présent dansces récits. On note d'ailleurs que les « parents » réapparaissent de manièremagique à la fin du récit ce qui peut montrer que dans le récit imaginaire, pources élèves, tout est possible et l'on ne sent pas réellement le souci de rendre letexte vraisemblable.

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

Ces textes montrent que les élèves ont des difficultés, dans le cadre del'écriture scolaire, à activer l'imaginaire. En restant très proches de la réalité, cesélèves se gardent peut-être de se faire peur et de faire peur et s'attachent à gar¬der le contrôle de leur récit. On pourrait peut-être parler de « stratégies d'évite¬ment ».

4.2. Les textes 2 : réussite sur le pôle de l'imaginaire

Contrairement aux textes 1 , ces récits sont assez longs. Ils comportent desincohérences dans la construction de l'univers fictionnel et/ou des contradic¬tions entre les différentes scènes (celles-ci se rajoutant parfois les unes auxautres sans qu'il y ait toujours des liens entre elles). La maitrise des aspects for¬mels est moins bien assurée que pour le groupe précédent mais il existe des dif¬férences entre élèves : certains ponctuent mal leurs textes et cela s'accentuelors des passages où les thèmes imaginaires forts dominent le récit. Quand laponctuation est présente, il s'agit de textes moins longs.

Ces textes contiennent aussi de nombreuses phrases complexes (nousavions utilisé ce critère comme marque d'une bonne maitrise grammaticale),mais ces phrases ne sont pas toujours bien construites et elles sont surtout utili¬sées par manque de vocabulaire adapté (ces phrases remplacent souvent desadjectifs ou des comparaisons).

Le pôle imaginaire est en revanche très présent dans ce type de récits : lesélèves montrent leur capacité à générer de nombreuses idées et images.L'intrigue y est développée longuement et on trouve une succession d'actionspeu hiérarchisées qui s'accumulent sans être toujours utiles à l'histoire commesi l'écriture se déroulait sans temps d'arrêt : J'ai pris un rocherje l'ai lancé surlui. J'ai pris la télé je lui ai balancé j'ai pris ma calculatrice... Ces actionssont cristallisées autour du thème de la lutte et de la poursuite (thèmes absentsdes textes 1). En ce qui concerne la caractérisation des personnages, la créa¬ture monstrueuse est investie d'un rôle important : c'est un monstre dévoreurqui met l'enfant en danger. Mais ce dernier garde souvent le statut de héros quitriomphe à l'issue de l'histoire. L'implication et l'investissement de l'élève sontaccentués par le fait que les élèves se mettent eux-mêmes en scène dans l'his¬toire, sans protection et dans un monde où tout semble possible.

Alors que dans la première famille de textes, les parents du personnage« enfant » assurent un rôle protecteur, les scripteurs des textes 2 leur octroientun rôle de parents indignes, abandonnant bien souvent l'enfant à son triste sort :

...tes parents ont entendu du bruit mais ne se levèrent pas... L'enfant seretrouve « seul au monde » mais doté d'une force et d'une ruse à toute épreuve.Le thème de l'abandon, repéré par Kaici, est donc également très présent dansces récits. On note d'ailleurs que les « parents » réapparaissent de manièremagique à la fin du récit ce qui peut montrer que dans le récit imaginaire, pources élèves, tout est possible et l'on ne sent pas réellement le souci de rendre letexte vraisemblable.

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REPÈRES N° 21/2000 P- LAMMERTYN

Les élèves qui ont écrit ce type de récit se focalisent essentiellement surles contenus. La sollicitation de l'imaginaire par le biais de la créature mons¬trueuse génère des images fortes articulées autour de thèmes symboliques fortset il semble que les élèves ont du mal à arrêter leur histoire comme s'ils étaientcaptés par l'imaginaire. En revanche, les aspects formels sont moins bien réali¬sés. Mais l'analyse textuelle ne permet pas d'affirmer qu'il y a absence totale decontrôle sur le texte.

4.3. Les textes 3 : réussite sur les deux pôles

Les cinq textes 3 ont été produits exclusivement dans l'école la plus favori¬sée. Ces textes présentent une bonne maitrise de la structure du récit et lesaspects micro-structurels sont bien assurés. Les phrases complexes sont nom¬breuses mais, contrairement aux textes 2, leur utilisation est pertinente. Lesrécits sont également bien développés quant à l'imaginaire, riches en idées eten images : c'est exclusivement dans ces récits que nous trouvons des méta¬phores ou des comparaisons. Les actions des personnages sont nombreuses etbien équilibrées entre l'enfant et la créature monstrueuse ; les idées sont misesau service d'une construction dramatisante de la dynamique.

Quatre récits sur cinq sont construits autour du thème de la bataille et de lalutte. Mais on ne trouve pas de traces de violence. Le thème de la lutte est traitéplutôt de manière humoristique comme dans ces deux extraits :

Le monstre, lui, n'était pas sans défense, il était armé d'unemitrailleuse (en fait, il crachait comme une mitrailleuse tous les boutons decaleçons qu'il avait stocké ces dernières années.).

II s'avance vers moi prêt à m'engloutir comme une saucisse. Je me ruehors de mon lit effectuant une roulade lui glissant entre les mains et le lais¬sant fou de rage.

Le personnage de la créature monstrueuse est donc bien investi commereprésentant un danger mais la rencontre avec l'enfant est traitée soit, commeon vient de le voir, avec humour, soit par le thème du déguisement mais, dans cesecond cas, l'issue n'est pas dévoilée tout de suite, contrairement aux textes 1 .

On trouve, comme pour les textes 2, les traces d'un investissement per¬sonnel mais les élèves marquent une certaine distance ; ils semblent avoir desstratégies pour se protéger, comme Nathan, par exemple, qui écrit à la premièrepersonne tout en se mettant dans la peau d'une fille portant le même prénomque sa mère.

Pour cette catégorie de récits, les deux pôles sont donc bien représentés.Les élèves s'investissent dans leur histoire tout en s'assurant une certaine pro¬tection par des stratégies appropriées, notamment le détournement de la situa¬tion critique par l'humour...

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REPÈRES N° 21/2000 P- LAMMERTYN

Les élèves qui ont écrit ce type de récit se focalisent essentiellement surles contenus. La sollicitation de l'imaginaire par le biais de la créature mons¬trueuse génère des images fortes articulées autour de thèmes symboliques fortset il semble que les élèves ont du mal à arrêter leur histoire comme s'ils étaientcaptés par l'imaginaire. En revanche, les aspects formels sont moins bien réali¬sés. Mais l'analyse textuelle ne permet pas d'affirmer qu'il y a absence totale decontrôle sur le texte.

4.3. Les textes 3 : réussite sur les deux pôles

Les cinq textes 3 ont été produits exclusivement dans l'école la plus favori¬sée. Ces textes présentent une bonne maitrise de la structure du récit et lesaspects micro-structurels sont bien assurés. Les phrases complexes sont nom¬breuses mais, contrairement aux textes 2, leur utilisation est pertinente. Lesrécits sont également bien développés quant à l'imaginaire, riches en idées eten images : c'est exclusivement dans ces récits que nous trouvons des méta¬phores ou des comparaisons. Les actions des personnages sont nombreuses etbien équilibrées entre l'enfant et la créature monstrueuse ; les idées sont misesau service d'une construction dramatisante de la dynamique.

Quatre récits sur cinq sont construits autour du thème de la bataille et de lalutte. Mais on ne trouve pas de traces de violence. Le thème de la lutte est traitéplutôt de manière humoristique comme dans ces deux extraits :

Le monstre, lui, n'était pas sans défense, il était armé d'unemitrailleuse (en fait, il crachait comme une mitrailleuse tous les boutons decaleçons qu'il avait stocké ces dernières années.).

II s'avance vers moi prêt à m'engloutir comme une saucisse. Je me ruehors de mon lit effectuant une roulade lui glissant entre les mains et le lais¬sant fou de rage.

Le personnage de la créature monstrueuse est donc bien investi commereprésentant un danger mais la rencontre avec l'enfant est traitée soit, commeon vient de le voir, avec humour, soit par le thème du déguisement mais, dans cesecond cas, l'issue n'est pas dévoilée tout de suite, contrairement aux textes 1 .

On trouve, comme pour les textes 2, les traces d'un investissement per¬sonnel mais les élèves marquent une certaine distance ; ils semblent avoir desstratégies pour se protéger, comme Nathan, par exemple, qui écrit à la premièrepersonne tout en se mettant dans la peau d'une fille portant le même prénomque sa mère.

Pour cette catégorie de récits, les deux pôles sont donc bien représentés.Les élèves s'investissent dans leur histoire tout en s'assurant une certaine pro¬tection par des stratégies appropriées, notamment le détournement de la situa¬tion critique par l'humour...

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

4.4. Les textes 4 : les dysfonctionnements sur les deux pôles

Dans ces textes sont réunis les deux types de difficultés : la maitrise desaspects formels est limitée et le développement de l'imaginaire est faible.

Ces textes sont très courts et contiennent de nombreuses incohérences ; il

manque des informations nécessaires à la compréhension de l'histoire ; danscertains textes, les grandes étapes du récit sont absentes, les personnages sontpeu fonctionnalisés ; leurs actions sont inexistantes ou incohérentes. Lesaspects plus formels de l'écrit sont tout aussi défaillants et ces textes témoi¬gnent de lacunes réelles sur ce point : pas de ponctuation ; la cohérence tempo¬relle n'est pas du tout assurée ; le vocabulaire utilisé reste très limité.

Ces récits restent très proches de l'univers quotidien. Pourtant, on perçoitla présence de bribes imaginaires sous forme d'un potentiel qui n'est pas déve¬loppé. Les actions des personnages sont violentes et annoncées de manièreabrupte ce qui donne l'impression d'un certain détachement de l'élève (mais onpeut supposer que l'élève ne ressent pas le besoin d'en raconter davantage).Enfin, dans ces textes, la frontière entre réalité et imaginaire semble très flouecomme dans la fin de l'histoire de Vincent : Et il ne fit plus de cauchemar detoute sa vie et s'il devait voir ce monstre, ce serait dans la réalité.

Pour ces élèves, il y a donc une double difficulté : la gestion des aspectsformels du récit et le développement des idées.

4.5. Types de récits et catégories d'élèves

Cette répartition en 4 familles de textes ne s'opère pas de la même manièredans les deux écoles.

École A : (plus favorisée)

Types de textes1

234

Nombre de textes9 (31 %)

8 (27,6 %)5(17,25%)7 (24,15 %)

École B : (moins favorisée)

Types de textes1

234

Nombre de textes6 (28,5 %)

7 (33,33 %)0

8 (8,1 %)

Si l'on s'attarde sur ces données, on remarque que l'on trouve plus detextes 1 dans l'école A et plus de textes 2 dans l'école B. Mais il fallait vérifierque ces textes 1 avaient bien été produits par les « bons » élèves et les textes 2par les élèves « en difficulté » dans la mesure où chaque classe comporte ces

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

4.4. Les textes 4 : les dysfonctionnements sur les deux pôles

Dans ces textes sont réunis les deux types de difficultés : la maitrise desaspects formels est limitée et le développement de l'imaginaire est faible.

Ces textes sont très courts et contiennent de nombreuses incohérences ; il

manque des informations nécessaires à la compréhension de l'histoire ; danscertains textes, les grandes étapes du récit sont absentes, les personnages sontpeu fonctionnalisés ; leurs actions sont inexistantes ou incohérentes. Lesaspects plus formels de l'écrit sont tout aussi défaillants et ces textes témoi¬gnent de lacunes réelles sur ce point : pas de ponctuation ; la cohérence tempo¬relle n'est pas du tout assurée ; le vocabulaire utilisé reste très limité.

Ces récits restent très proches de l'univers quotidien. Pourtant, on perçoitla présence de bribes imaginaires sous forme d'un potentiel qui n'est pas déve¬loppé. Les actions des personnages sont violentes et annoncées de manièreabrupte ce qui donne l'impression d'un certain détachement de l'élève (mais onpeut supposer que l'élève ne ressent pas le besoin d'en raconter davantage).Enfin, dans ces textes, la frontière entre réalité et imaginaire semble très flouecomme dans la fin de l'histoire de Vincent : Et il ne fit plus de cauchemar detoute sa vie et s'il devait voir ce monstre, ce serait dans la réalité.

Pour ces élèves, il y a donc une double difficulté : la gestion des aspectsformels du récit et le développement des idées.

4.5. Types de récits et catégories d'élèves

Cette répartition en 4 familles de textes ne s'opère pas de la même manièredans les deux écoles.

École A : (plus favorisée)

Types de textes1

234

Nombre de textes9 (31 %)

8 (27,6 %)5(17,25%)7 (24,15 %)

École B : (moins favorisée)

Types de textes1

234

Nombre de textes6 (28,5 %)

7 (33,33 %)0

8 (8,1 %)

Si l'on s'attarde sur ces données, on remarque que l'on trouve plus detextes 1 dans l'école A et plus de textes 2 dans l'école B. Mais il fallait vérifierque ces textes 1 avaient bien été produits par les « bons » élèves et les textes 2par les élèves « en difficulté » dans la mesure où chaque classe comporte ces

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REPERES N" 21/2000 P. LAMMERTYN

deux catégories d'élèves. II fallait également regarder qui avait produit les textes3 et 4 qui n'étaient pas attendus. J'ai donc mis en relation les catégories detextes et les profils scolaires.

Profil scolaire (6) / types de textes produits- École A

Types de textes

1 (formel +)

2 (imaginaire +)

3 (formel/imaginaire +)

4 ( formel/ imaginaire -)

Bons élèves(Total : 16)

Nombre

7 (43,75 %)

1 (6,25 %)

5(31,25%)

3(18,75%)

Elèves moyens(total : 5)

Nombre

1 (20 %)

1 (20 %)

0

3 (60 %)

Élèves en dfficulté(total : 8)

Nombre

1 (12,5 %)

6 (75 %)

0

1 (12,5 %)

Profil scolaire / types de textes- Ecole B

Types de textes1 (formel +)

2 (imaginaire +)

3 (formel/imaginaire +)

4 ( formel/ imaginaire -)

Bons élèves(Total : 8)

Nombre

5 (62,5 %)

3 (37,5 %)

0

0

Elèves moyens(total : 5)

Nombre

0

2 (40 %)

0

3 (60 %)

Élèves en difficulté(total : 8)

Nombre

1 (12,5 %)

2 (25 %)

0

5 (62,5 %)

Si l'on regarde les résultats pour chaque école, on s'aperçoit que les« bons » élèves produisent plus de textes 1 que les autres types de textes, et sil'on réunit le total des deux écoles, on constate alors que sur 24 « bons » élèves,12 ont produit un texte 1. Si l'on additionne le nombre d'élèves en « difficulté »

des deux écoles, on voit aussi que les textes 2 sont produits par la moitié deces élèves. Les tendances ne sont pas aussi marquées que celles qu'avait rele¬vées Kaici mais les pourcentages indiquent malgré tout que le texte 1 est letexte le plus produit par les « bons » élèves et le texte 2 le plus produit par lesélèves « en difficulté ».

Mais la seule variable « profil scolaire » n'explique pas tout car c'est dansl'école la plus favorisée que les élèves « en difficulté » produisent 75 % detextes 2. Par contre, dans l'école B, ce texte n'est produit que par 25 % desélèves « en difficulté », les autres produisant des textes 4 (62,5 %). Enfin, onremarque que les textes 3 ont été produits par de « très bons » élèves (selon lespropos de l'enseignante) et cela uniquement dans l'école la plus favorisée socia¬lement.

J'ai alors cherché à mettre en relation les types de textes produits et lesC.S.R (7) auxquelles appartiennent les parents. Pour l'ensemble des C.S.P desdeux classes, les résultats indiquent que l'on produit plus de textes 1 dans lesC.S.P. favorisées (61,1 %). 58,8 % des textes 2 sont produits dans les C.S.P.moyennes. Les textes 3 ne se trouvent que dans les C.S.P. favorisées et lestextes 4 dans les C.S.P. faibles (66,6 %).

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REPERES N" 21/2000 P. LAMMERTYN

deux catégories d'élèves. II fallait également regarder qui avait produit les textes3 et 4 qui n'étaient pas attendus. J'ai donc mis en relation les catégories detextes et les profils scolaires.

Profil scolaire (6) / types de textes produits- École A

Types de textes

1 (formel +)

2 (imaginaire +)

3 (formel/imaginaire +)

4 ( formel/ imaginaire -)

Bons élèves(Total : 16)

Nombre

7 (43,75 %)

1 (6,25 %)

5(31,25%)

3(18,75%)

Elèves moyens(total : 5)

Nombre

1 (20 %)

1 (20 %)

0

3 (60 %)

Élèves en dfficulté(total : 8)

Nombre

1 (12,5 %)

6 (75 %)

0

1 (12,5 %)

Profil scolaire / types de textes- Ecole B

Types de textes1 (formel +)

2 (imaginaire +)

3 (formel/imaginaire +)

4 ( formel/ imaginaire -)

Bons élèves(Total : 8)

Nombre

5 (62,5 %)

3 (37,5 %)

0

0

Elèves moyens(total : 5)

Nombre

0

2 (40 %)

0

3 (60 %)

Élèves en difficulté(total : 8)

Nombre

1 (12,5 %)

2 (25 %)

0

5 (62,5 %)

Si l'on regarde les résultats pour chaque école, on s'aperçoit que les« bons » élèves produisent plus de textes 1 que les autres types de textes, et sil'on réunit le total des deux écoles, on constate alors que sur 24 « bons » élèves,12 ont produit un texte 1. Si l'on additionne le nombre d'élèves en « difficulté »

des deux écoles, on voit aussi que les textes 2 sont produits par la moitié deces élèves. Les tendances ne sont pas aussi marquées que celles qu'avait rele¬vées Kaici mais les pourcentages indiquent malgré tout que le texte 1 est letexte le plus produit par les « bons » élèves et le texte 2 le plus produit par lesélèves « en difficulté ».

Mais la seule variable « profil scolaire » n'explique pas tout car c'est dansl'école la plus favorisée que les élèves « en difficulté » produisent 75 % detextes 2. Par contre, dans l'école B, ce texte n'est produit que par 25 % desélèves « en difficulté », les autres produisant des textes 4 (62,5 %). Enfin, onremarque que les textes 3 ont été produits par de « très bons » élèves (selon lespropos de l'enseignante) et cela uniquement dans l'école la plus favorisée socia¬lement.

J'ai alors cherché à mettre en relation les types de textes produits et lesC.S.R (7) auxquelles appartiennent les parents. Pour l'ensemble des C.S.P desdeux classes, les résultats indiquent que l'on produit plus de textes 1 dans lesC.S.P. favorisées (61,1 %). 58,8 % des textes 2 sont produits dans les C.S.P.moyennes. Les textes 3 ne se trouvent que dans les C.S.P. favorisées et lestextes 4 dans les C.S.P. faibles (66,6 %).

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

J'ai ensuite conjugué les deux variables : niveau scolaire et C.S.P. pour lesdeux classes réunies :

Niveau / C.S.P.C.S.P. +/ Bons élèves =

C.S.P. +/ lèves moyens

C.S.P.+/ Elèvesen difficulté = 2

C.S.P. M / Bons élèves

C.S.P. M / Élèvesmoyens = 2

C.S.P. M / Élèvesen difficulté = 6

C.S.P. - / Bons élèves =

C.S.P. - / Élèvesmoyens = 5

C.S.P. - / Élèvesen difficulté = 8

14

= 2

= 7

= 4

1

10

1

0

2

0

0

0

0

2

21

1

1

2

0

5

1

2

2

3

5

0

0

0

0

0

0

0

0

40

0

1

1

2

1

3

3

4

L'échantillon étudié est bien sûr insuffisant pour que l'on puisse en tirer desconclusions fiables. Néanmoins, quelques tendances peuvent être dégagées :

- la conjugaison des deux variables « bon élève » et C.S.P. favoriséeengendre un plus fort pourcentage de textes 1 : 71 ,4 % qu'avec la seulevariable « profil scolaire » ;

- la conjugaison des deux variables « élève en difficulté ou élève moyen » etC.S.P. moyenne engendre un plus fort pourcentage des textes 2, 83,3 %qu'avec la seule variable « profil scolaire » ;

- la prise en compte de la variable C.S.P. défavorisée augmente le nombrede textes 4 quel que soit le profil scolaire des élèves ;

- la conjugaison des variables « profil scolaire » et « C.S.P. » ne change pasle pourcentage de textes 3 ;

Ces résultats (qui restent à vérifier sur un échantillon plus important) sem¬blent confirmer que les choix textuels des élèves tiennent au moins à deux fac¬teurs conjugués : les C.S.P. et le profil scolaire (ce qui mérite d'être expliqué).

5. LES RÉCITS RÉPONDANT À LA CONSIGNE SOLLICITANTLE RÉEL

L'analyse des récits « réels » devait me permettre de vérifier la validité de laseconde hypothèse selon laquelle la bipolarisation (pôle formel / pôle imaginaire)a bien à voir avec une consigne sollicitant l'imaginaire. Le postulat était quel'écriture d'un récit référant davantage à une expérience réellement vécue facili¬terait la focalisation sur les aspects plus formels du texte dans la mesure où leséléments racontés n'ont pas à être inventés : l'élève risque donc moins de selaisser entraîner par son imagination. L'amélioration de ces aspects devait êtrevisible dans tous les textes.

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

J'ai ensuite conjugué les deux variables : niveau scolaire et C.S.P. pour lesdeux classes réunies :

Niveau / C.S.P.C.S.P. +/ Bons élèves =

C.S.P. +/ lèves moyens

C.S.P.+/ Elèvesen difficulté = 2

C.S.P. M / Bons élèves

C.S.P. M / Élèvesmoyens = 2

C.S.P. M / Élèvesen difficulté = 6

C.S.P. - / Bons élèves =

C.S.P. - / Élèvesmoyens = 5

C.S.P. - / Élèvesen difficulté = 8

14

= 2

= 7

= 4

1

10

1

0

2

0

0

0

0

2

21

1

1

2

0

5

1

2

2

3

5

0

0

0

0

0

0

0

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L'échantillon étudié est bien sûr insuffisant pour que l'on puisse en tirer desconclusions fiables. Néanmoins, quelques tendances peuvent être dégagées :

- la conjugaison des deux variables « bon élève » et C.S.P. favoriséeengendre un plus fort pourcentage de textes 1 : 71 ,4 % qu'avec la seulevariable « profil scolaire » ;

- la conjugaison des deux variables « élève en difficulté ou élève moyen » etC.S.P. moyenne engendre un plus fort pourcentage des textes 2, 83,3 %qu'avec la seule variable « profil scolaire » ;

- la prise en compte de la variable C.S.P. défavorisée augmente le nombrede textes 4 quel que soit le profil scolaire des élèves ;

- la conjugaison des variables « profil scolaire » et « C.S.P. » ne change pasle pourcentage de textes 3 ;

Ces résultats (qui restent à vérifier sur un échantillon plus important) sem¬blent confirmer que les choix textuels des élèves tiennent au moins à deux fac¬teurs conjugués : les C.S.P. et le profil scolaire (ce qui mérite d'être expliqué).

5. LES RÉCITS RÉPONDANT À LA CONSIGNE SOLLICITANTLE RÉEL

L'analyse des récits « réels » devait me permettre de vérifier la validité de laseconde hypothèse selon laquelle la bipolarisation (pôle formel / pôle imaginaire)a bien à voir avec une consigne sollicitant l'imaginaire. Le postulat était quel'écriture d'un récit référant davantage à une expérience réellement vécue facili¬terait la focalisation sur les aspects plus formels du texte dans la mesure où leséléments racontés n'ont pas à être inventés : l'élève risque donc moins de selaisser entraîner par son imagination. L'amélioration de ces aspects devait êtrevisible dans tous les textes.

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REPÈRES N° 21/2000 P. LAMMERTYN

Contrairement aux récits « imaginaires », on obtient une certaine uniformi¬sation pour ce type de textes qui peuvent être rangés globalement dans uneseule catégorie : il existe des variations internes mais qui sont peu marquées.Ces résultats se vérifient dans les deux écoles :

- pour l'école A, plus favorisée, sur 28 élèves, 26 ont privilégié le pôle for-mel : ces 26 textes manifestent une meilleure maitrise de la cohérenced'ensemble et des aspects micro-structurels. Parmi ces textes, 5 mettenten évidence la capacité des élèves à produire un effet humoristique maisles récits restent très réalistes. Pour 2 élèves sur les 28, les aspects for¬mels ne sont pas plus investis que dans les récits imaginaires : la struc¬ture reste minimale et la cohérence temporelle n'est pas assurée.

- pour l'école B, on voit la même tendance à l'uniformisation : 18 élèves sur21 semblent avoir pris davantage en compte les aspects formels ; desaméliorations (par rapport à leur récit imaginaire) sur ce point sont mar¬quées à des degrés différents selon les élèves. On remarque égalementqu'aucun n'introduit de jeu avec la réalité et ne cherche à produire un effetparticulier. II y a quelques traces d'investissement personnel mais l'ex¬pression en reste très limitée. 3 élèves n'ont pas davantage pris encompte les aspects formels que dans leur récit imaginaire. II s'agit égale¬ment d'élèves en grande difficulté ayant produit eux aussi des textes ima¬ginaires de la catégorie 4.

D'autre part, sur l'ensemble des 49 textes, 36 comportent moins de 15lignes (73,5 %) alors que seulement 5 textes imaginaires étaient aussi réduits.

La majorité des textes évoquent des situations banales, quotidiennes dontles actions suivent la chronologie des événements tels qu'ils ont été vécus parl'enfant. Cela limite les informations contradictoires et donne des textes pluscohérents que les récits imaginaires. On pourrait plutôt apparenter ces textes àdes « pseudo-récits » car la plupart se réduisent à une succession d'actions ; ilsne comportent pas d'élément déclencheur d'histoire ce qui donne des textespeu vivants, ressemblant plus à des comptes - rendus qu'à une histoire : Unjeudi soir après l'école, je suis rentré chez moi. J'ai attendu jusque septheures. Ensuite je suis parti chez ma tante faire la fête... Le début et la findes récits sont déterminés par le début et la fin des événements eux-mêmes.

II me semble également, à la lecture de ces récits, que les élèves ontd'abord cherché à retrouver la stricte vérité des événements qu'ils racontent carles détails donnés sont très réalistes. Nous avons mangé une bûche au cho¬colat. Ensuite, mes parents ont bu du champagne et moi, ma suur et monfrère, du coca. Les informations sont claires, très précises comme dans le textede Mickaël : Cette histoire s'est réellement passée : Jour: vendredi, mois :décembre, date exacte : 31 décembre 1998 ; ou encore : Un soir à 17 heuresprécises... à vingt et une heure vingt- neuf...

Pour l'ensemble de ces récits expérientiels, le poids du réel est donc trèsmarqué et le souci de restituer la vérité apparait très pregnant ; les élèves n'intè¬grent pas d'éléments susceptibles de mettre en doute (ou de jouer) avec cettevérité.

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REPÈRES N° 21/2000 P. LAMMERTYN

Contrairement aux récits « imaginaires », on obtient une certaine uniformi¬sation pour ce type de textes qui peuvent être rangés globalement dans uneseule catégorie : il existe des variations internes mais qui sont peu marquées.Ces résultats se vérifient dans les deux écoles :

- pour l'école A, plus favorisée, sur 28 élèves, 26 ont privilégié le pôle for-mel : ces 26 textes manifestent une meilleure maitrise de la cohérenced'ensemble et des aspects micro-structurels. Parmi ces textes, 5 mettenten évidence la capacité des élèves à produire un effet humoristique maisles récits restent très réalistes. Pour 2 élèves sur les 28, les aspects for¬mels ne sont pas plus investis que dans les récits imaginaires : la struc¬ture reste minimale et la cohérence temporelle n'est pas assurée.

- pour l'école B, on voit la même tendance à l'uniformisation : 18 élèves sur21 semblent avoir pris davantage en compte les aspects formels ; desaméliorations (par rapport à leur récit imaginaire) sur ce point sont mar¬quées à des degrés différents selon les élèves. On remarque égalementqu'aucun n'introduit de jeu avec la réalité et ne cherche à produire un effetparticulier. II y a quelques traces d'investissement personnel mais l'ex¬pression en reste très limitée. 3 élèves n'ont pas davantage pris encompte les aspects formels que dans leur récit imaginaire. II s'agit égale¬ment d'élèves en grande difficulté ayant produit eux aussi des textes ima¬ginaires de la catégorie 4.

D'autre part, sur l'ensemble des 49 textes, 36 comportent moins de 15lignes (73,5 %) alors que seulement 5 textes imaginaires étaient aussi réduits.

La majorité des textes évoquent des situations banales, quotidiennes dontles actions suivent la chronologie des événements tels qu'ils ont été vécus parl'enfant. Cela limite les informations contradictoires et donne des textes pluscohérents que les récits imaginaires. On pourrait plutôt apparenter ces textes àdes « pseudo-récits » car la plupart se réduisent à une succession d'actions ; ilsne comportent pas d'élément déclencheur d'histoire ce qui donne des textespeu vivants, ressemblant plus à des comptes - rendus qu'à une histoire : Unjeudi soir après l'école, je suis rentré chez moi. J'ai attendu jusque septheures. Ensuite je suis parti chez ma tante faire la fête... Le début et la findes récits sont déterminés par le début et la fin des événements eux-mêmes.

II me semble également, à la lecture de ces récits, que les élèves ontd'abord cherché à retrouver la stricte vérité des événements qu'ils racontent carles détails donnés sont très réalistes. Nous avons mangé une bûche au cho¬colat. Ensuite, mes parents ont bu du champagne et moi, ma suur et monfrère, du coca. Les informations sont claires, très précises comme dans le textede Mickaël : Cette histoire s'est réellement passée : Jour: vendredi, mois :décembre, date exacte : 31 décembre 1998 ; ou encore : Un soir à 17 heuresprécises... à vingt et une heure vingt- neuf...

Pour l'ensemble de ces récits expérientiels, le poids du réel est donc trèsmarqué et le souci de restituer la vérité apparait très pregnant ; les élèves n'intè¬grent pas d'éléments susceptibles de mettre en doute (ou de jouer) avec cettevérité.

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

Globalement, l'investissement affectif des élèves dans ce type d'écrits estfaiblement marqué. Peu d'élèves montrent que l'événement qu'ils racontent acompté pour eux ; on trouve peu de traces de l'expression de leurs émotions et,quand cette expression est présente, elle reste très peu développée. L'ensembledes textes donne plutôt l'impression d'une distance entre l'élève et le contenu ;

certes, on trouve certains jugements évaluatifs en terme de bien ou mal maisl'émotion est peu mise en jeu : Ce jour là, on s'est vraiment bien amusé ;C'était le plus beau réveillon de ma vie.

Enfin, les textes référant au réel indiquent dans l'ensemble un meilleurcontrôle : la cohérence temporelle est meilleure, la ponctuation est mieux res¬pectée. On note également que l'écriture manuscrite et la présentation de cestextes sont plus soignées que pour les récits imaginaires.

Les résultats de cette analyse semblent donc confirmer la seconde hypo¬thèse car on ne retrouve pas la bipolarisation présente dans les récits imagi¬naires. Le rapport éthique à ce type de texte semble fortement inscrit chez lesélèves et cela sera confirmé par les entretiens.

6. LES ENTRETIENS : L'INTERPRÉTATION DE LA TÂCHEPAR LES ÉLÈVES

La visée des entretiens était de savoir si les catégories de textes étaient enrelation avec des choix stratégiques et des interprétations des réponses atten¬dues par le maitre, certains élèves prenant la consigne au pied de la lettre,d'autres s'ajustant aux attentes scolaires traditionnelles.

Dix élèves ont été interrogés : parmi eux, quatre avaient écrit un récit imagi¬naire 1 et six avaient produit un récit imaginaire 2. L'essentiel des donnéesrecueillies porte essentiellement sur ces récits imaginaires. Les quelques ques¬tions concernant le récit « réel » ont permis d'éclairer davantage l'analyse quej'avais effectuée mais elles demeurent insuffisantes (8).

6.1. Entretiens portant sur les récits imaginaires

Lors des entretiens, neuf des dix élèves déclarent aimer écrire des récitsimaginaires. Ils définissent ce type de récit comme un espace de liberté où toutest possible ; il est aussi perçu comme source de plaisir contrairement au récitexpérienciel ressenti comme une contrainte. La représentation première est« positive » pour la majorité des enfants interrogés et un seul élève évoque lemanque d'idées comme difficulté (9).

Ces éléments sont les seuls points communs à l'ensemble des élèves. Lesdifficultés, les stratégies et le regard qu'ils portent sur l'écriture d'un récit imagi¬naire révèlent en revanche des oppositions marquées entre les élèves ayant écritun récit de type 1 et les élèves ayant écrit un récit de type 2.

Qu'en est-il pour les élèves qui ont produit les récits 1 (réussite sur le pôleformel) ? Trois thèmes communs se dégagent de leurs discours :

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

Globalement, l'investissement affectif des élèves dans ce type d'écrits estfaiblement marqué. Peu d'élèves montrent que l'événement qu'ils racontent acompté pour eux ; on trouve peu de traces de l'expression de leurs émotions et,quand cette expression est présente, elle reste très peu développée. L'ensembledes textes donne plutôt l'impression d'une distance entre l'élève et le contenu ;

certes, on trouve certains jugements évaluatifs en terme de bien ou mal maisl'émotion est peu mise en jeu : Ce jour là, on s'est vraiment bien amusé ;C'était le plus beau réveillon de ma vie.

Enfin, les textes référant au réel indiquent dans l'ensemble un meilleurcontrôle : la cohérence temporelle est meilleure, la ponctuation est mieux res¬pectée. On note également que l'écriture manuscrite et la présentation de cestextes sont plus soignées que pour les récits imaginaires.

Les résultats de cette analyse semblent donc confirmer la seconde hypo¬thèse car on ne retrouve pas la bipolarisation présente dans les récits imagi¬naires. Le rapport éthique à ce type de texte semble fortement inscrit chez lesélèves et cela sera confirmé par les entretiens.

6. LES ENTRETIENS : L'INTERPRÉTATION DE LA TÂCHEPAR LES ÉLÈVES

La visée des entretiens était de savoir si les catégories de textes étaient enrelation avec des choix stratégiques et des interprétations des réponses atten¬dues par le maitre, certains élèves prenant la consigne au pied de la lettre,d'autres s'ajustant aux attentes scolaires traditionnelles.

Dix élèves ont été interrogés : parmi eux, quatre avaient écrit un récit imagi¬naire 1 et six avaient produit un récit imaginaire 2. L'essentiel des donnéesrecueillies porte essentiellement sur ces récits imaginaires. Les quelques ques¬tions concernant le récit « réel » ont permis d'éclairer davantage l'analyse quej'avais effectuée mais elles demeurent insuffisantes (8).

6.1. Entretiens portant sur les récits imaginaires

Lors des entretiens, neuf des dix élèves déclarent aimer écrire des récitsimaginaires. Ils définissent ce type de récit comme un espace de liberté où toutest possible ; il est aussi perçu comme source de plaisir contrairement au récitexpérienciel ressenti comme une contrainte. La représentation première est« positive » pour la majorité des enfants interrogés et un seul élève évoque lemanque d'idées comme difficulté (9).

Ces éléments sont les seuls points communs à l'ensemble des élèves. Lesdifficultés, les stratégies et le regard qu'ils portent sur l'écriture d'un récit imagi¬naire révèlent en revanche des oppositions marquées entre les élèves ayant écritun récit de type 1 et les élèves ayant écrit un récit de type 2.

Qu'en est-il pour les élèves qui ont produit les récits 1 (réussite sur le pôleformel) ? Trois thèmes communs se dégagent de leurs discours :

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REPÈRES N° 21/2000 P. LAMMERTYN

- ils manifestent une certaine aisance pour expliciter et analyser leuractivité ;

- ils confirment que l'écriture du récit imaginaire génère des difficultés à lafois scolaires et psychologiques ;

- leurs stratégies sont orientées vers la réussite scolaire dont la maitrise for¬melle de l'écrit est un vecteur.

Sur le premier point, les quatre entretiens montrent la capacité pour cesélèves de parler de leur récit de manière distanciée. Pour eux, le récit imaginaireest considéré comme d'autres écrits, c'est à dire un objet scolaire. Ils montrentqu'ils ont construit un certain nombre de connaissances sur la manière dont esttraité l'écrit à l'école et produisent un discours « scolaire » pour analyser leuractivité ; ils explicitent peu leur histoire par le contenu comme le font les élèvesdu groupe 2 mais se centrent sur l'aspect formel. L'emploi de termes comme :

consigne, lecteur, organisation du texte, dialogues... est récurrent.

Quelles sont les difficultés que ces élèves ont rencontrées ? Ils en évoquentplusieurs : certaines sont liées aux aspects plus formels et sont bien explicitées ;

d'autres sont liées à la consigne ; un dernier type de difficultés est lié aucontenu de l'imaginaire et fait écho à des aspects psychologiques. Ces difficul¬tés sont évoquées de manière plus implicite et les enfants n'en identifient pasclairement les sources.

Les difficultés de type formel portent sur des aspects micro- structurelscomme l'orthographe, la syntaxe, la conjugaison. Mais c'est surtout la configu¬ration du texte et l'organisation des informations qui posent problème. Lesélèves tiennent à garder la cohérence de leur récit et s'attachent à cette ques¬tion. Ils sont conscients que l'imaginaire peut perturber la cohérence de leurstextes et qu'ils risquent d'en perdre le contrôle. Face à cette difficulté, ils déve¬loppent en quelque sorte des stratégies d'évitement ; leurs propos confirmentqu'ils ont choisi un scénario évitant un trop grand nombre d'informations àgérer.

Trois élèves sur les six interrogés, évoquent la consigne comme source dedifficultés : le personnage de la créature monstrueuse les gêne. Maud parexemple explique qu'elle aurait préféré écrire ce qu'elle voulait. Elle opposel'imaginaire à l'idée de contrainte : pour elle imaginer, c'est écrire ce que l'onveut : Moi j'aurais préféré écrire ce que je voulais, quelque chose de vraimentimaginaire, ce qu'on veut quoi, son rêve, des trucs comme ça.

En fait, cette position est modulée un peu plus loin dans l'entretien : cen'est pas la consigne en tant que telle qui la gêne mais son contenuparticulier qui impose le personnage de la créature monstrueuse :

Sur la créature monstrueuse, tu avais envie de dire des choses ?

- Pas tellement.- Tu peux m'expliquer ?- J'aurais préféré écrire ce que je voulais.- Qu'est-ce-qui ne te plaisait pas dans la créature monstrueuse ?

- Ben, je sais pas.- Ca te faisait peur ?

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REPÈRES N° 21/2000 P. LAMMERTYN

- ils manifestent une certaine aisance pour expliciter et analyser leuractivité ;

- ils confirment que l'écriture du récit imaginaire génère des difficultés à lafois scolaires et psychologiques ;

- leurs stratégies sont orientées vers la réussite scolaire dont la maitrise for¬melle de l'écrit est un vecteur.

Sur le premier point, les quatre entretiens montrent la capacité pour cesélèves de parler de leur récit de manière distanciée. Pour eux, le récit imaginaireest considéré comme d'autres écrits, c'est à dire un objet scolaire. Ils montrentqu'ils ont construit un certain nombre de connaissances sur la manière dont esttraité l'écrit à l'école et produisent un discours « scolaire » pour analyser leuractivité ; ils explicitent peu leur histoire par le contenu comme le font les élèvesdu groupe 2 mais se centrent sur l'aspect formel. L'emploi de termes comme :

consigne, lecteur, organisation du texte, dialogues... est récurrent.

Quelles sont les difficultés que ces élèves ont rencontrées ? Ils en évoquentplusieurs : certaines sont liées aux aspects plus formels et sont bien explicitées ;

d'autres sont liées à la consigne ; un dernier type de difficultés est lié aucontenu de l'imaginaire et fait écho à des aspects psychologiques. Ces difficul¬tés sont évoquées de manière plus implicite et les enfants n'en identifient pasclairement les sources.

Les difficultés de type formel portent sur des aspects micro- structurelscomme l'orthographe, la syntaxe, la conjugaison. Mais c'est surtout la configu¬ration du texte et l'organisation des informations qui posent problème. Lesélèves tiennent à garder la cohérence de leur récit et s'attachent à cette ques¬tion. Ils sont conscients que l'imaginaire peut perturber la cohérence de leurstextes et qu'ils risquent d'en perdre le contrôle. Face à cette difficulté, ils déve¬loppent en quelque sorte des stratégies d'évitement ; leurs propos confirmentqu'ils ont choisi un scénario évitant un trop grand nombre d'informations àgérer.

Trois élèves sur les six interrogés, évoquent la consigne comme source dedifficultés : le personnage de la créature monstrueuse les gêne. Maud parexemple explique qu'elle aurait préféré écrire ce qu'elle voulait. Elle opposel'imaginaire à l'idée de contrainte : pour elle imaginer, c'est écrire ce que l'onveut : Moi j'aurais préféré écrire ce que je voulais, quelque chose de vraimentimaginaire, ce qu'on veut quoi, son rêve, des trucs comme ça.

En fait, cette position est modulée un peu plus loin dans l'entretien : cen'est pas la consigne en tant que telle qui la gêne mais son contenuparticulier qui impose le personnage de la créature monstrueuse :

Sur la créature monstrueuse, tu avais envie de dire des choses ?

- Pas tellement.- Tu peux m'expliquer ?- J'aurais préféré écrire ce que je voulais.- Qu'est-ce-qui ne te plaisait pas dans la créature monstrueuse ?

- Ben, je sais pas.- Ca te faisait peur ?

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

- Non mais j'aime pas les monstres.- Les quels ?- J'aime pas parler des monstres.

On voit que Maud a du mal à expliquer sa difficulté mais, un peu plus loin,on s'aperçoit que c'est l'irruption d'un tel personnage dans un monde réel qui luifait peur. Cette difficulté est amplifiée par le fait que Maud tient à respecter laconsigne donnée ; pour elle, c'est un aspect auquel elle donne de l'importance.Le respect de la consigne revient aussi dans les propos de Yann :

- J'aime mieux quand on peut choisir son personnage ; là, on était obligé deprendre une créature monstrueuse.

Ca t'a posé problème ?

- Au début, je savais pas quoi choisir ; après j'ai pensé à un extra terrestre ;ça pouvait aller pour le monstre.

Tu tenais à bien respecter la consigne ?Oui, on est obligé.

La consigne pour ces élèves génère donc des difficultés : ils doivent la res¬pecter tout en étant gênés par le personnage imposé. On peut penser que lesraisons « scolaires » invoquées par les élèves sont réelles mais on remarqueaussi une mise à distance d'un contenu imaginaire qui leur fait peur. Les élèvesinterrogés cherchent à s'en protéger et ne tiennent pas à l'explorer. Ils mettentégalement une barrière nette entre réel et imaginaire : pour eux, l'imaginaire estun autre monde, qui ne peut pénétrer la vie réelle.

Le troisième point de l'analyse concerne les stratégies mises en oeuvre parles élèves de ce groupe. Tout d'abord, ils confirment qu'ils caractérisent la créa¬ture monstrueuse de telle sorte qu'ils puissent mettre sur pied un scénario court,gérable sur le plan des informations afin d'assurer la cohérence du texte, élé¬ment très important à leurs yeux. Anaïs déclare par exemple : J'ai pas vouluécrire trop à la fois, y aurait eu beaucoup de choses ; il est pas très long montexte et si j'avais mis de l'action au milieu, ça aurait fait beaucoup parcequ'après, on sait plus ce qui se passe, on mélange et même pour le lecteur. Onvoit bien que ce type de stratégies permet à ces élèves de centrer leur attentionessentiellement sur des aspects formels du récit, qu'ils privilégient au détrimentde l'expression de l'imaginaire.

On remarque également que ces stratégies sont orientées vers la réussitescolaire. Plusieurs éléments l'indiquent :

- les élèves adoptent une attitude distanciée vis à vis de leur récit, prennentle temps de réfléchir après la présentation de la consigne ; l'écriture n'est pasimmédiate ; ils essaient d'anticiper, de choisir les procédés les moins risqués. Ilss'arrêtent en cours d'écriture pour vérifier la cohérence des informations et sontplus préoccupés par le « comment faire » :

J'ai d'abord réfléchi à ce que j'allais écrire ; parce que si je commence etqu'après il faut écrire autre chose, je préfère voir l'histoire dans ma tête. (Anaïs)

Cette attention portée aux aspects formels est commune aux quatre élèvesqui déclarent faire toujours attention à la compréhension de la consigne, à lacohérence du récit et aux aspects grammaticaux :

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

- Non mais j'aime pas les monstres.- Les quels ?- J'aime pas parler des monstres.

On voit que Maud a du mal à expliquer sa difficulté mais, un peu plus loin,on s'aperçoit que c'est l'irruption d'un tel personnage dans un monde réel qui luifait peur. Cette difficulté est amplifiée par le fait que Maud tient à respecter laconsigne donnée ; pour elle, c'est un aspect auquel elle donne de l'importance.Le respect de la consigne revient aussi dans les propos de Yann :

- J'aime mieux quand on peut choisir son personnage ; là, on était obligé deprendre une créature monstrueuse.

Ca t'a posé problème ?

- Au début, je savais pas quoi choisir ; après j'ai pensé à un extra terrestre ;ça pouvait aller pour le monstre.

Tu tenais à bien respecter la consigne ?Oui, on est obligé.

La consigne pour ces élèves génère donc des difficultés : ils doivent la res¬pecter tout en étant gênés par le personnage imposé. On peut penser que lesraisons « scolaires » invoquées par les élèves sont réelles mais on remarqueaussi une mise à distance d'un contenu imaginaire qui leur fait peur. Les élèvesinterrogés cherchent à s'en protéger et ne tiennent pas à l'explorer. Ils mettentégalement une barrière nette entre réel et imaginaire : pour eux, l'imaginaire estun autre monde, qui ne peut pénétrer la vie réelle.

Le troisième point de l'analyse concerne les stratégies mises en oeuvre parles élèves de ce groupe. Tout d'abord, ils confirment qu'ils caractérisent la créa¬ture monstrueuse de telle sorte qu'ils puissent mettre sur pied un scénario court,gérable sur le plan des informations afin d'assurer la cohérence du texte, élé¬ment très important à leurs yeux. Anaïs déclare par exemple : J'ai pas vouluécrire trop à la fois, y aurait eu beaucoup de choses ; il est pas très long montexte et si j'avais mis de l'action au milieu, ça aurait fait beaucoup parcequ'après, on sait plus ce qui se passe, on mélange et même pour le lecteur. Onvoit bien que ce type de stratégies permet à ces élèves de centrer leur attentionessentiellement sur des aspects formels du récit, qu'ils privilégient au détrimentde l'expression de l'imaginaire.

On remarque également que ces stratégies sont orientées vers la réussitescolaire. Plusieurs éléments l'indiquent :

- les élèves adoptent une attitude distanciée vis à vis de leur récit, prennentle temps de réfléchir après la présentation de la consigne ; l'écriture n'est pasimmédiate ; ils essaient d'anticiper, de choisir les procédés les moins risqués. Ilss'arrêtent en cours d'écriture pour vérifier la cohérence des informations et sontplus préoccupés par le « comment faire » :

J'ai d'abord réfléchi à ce que j'allais écrire ; parce que si je commence etqu'après il faut écrire autre chose, je préfère voir l'histoire dans ma tête. (Anaïs)

Cette attention portée aux aspects formels est commune aux quatre élèvesqui déclarent faire toujours attention à la compréhension de la consigne, à lacohérence du récit et aux aspects grammaticaux :

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REPÈRES N° 21/2000 P- LAMMERTYN

- ils connaissent et respectent les critères de leur enseignant. Ceux-ci sontimportants à leurs yeux et leur prise en compte est considérée comme unmoyen d'assurer leur réussite. Pour Anaïs, c'est un moyen de se distin¬guer aux yeux du lecteur et donc de son enseignante.

- tous ont une connaissance de leurs propres capacités et ils s'y canton¬nent ; ils ne prennent aucun risque qui puisse mettre leur réussite en péril.Mais, en même temps, ces élèves ne se montrent pas sûrs d'eux : ils nesavent pas bien ce qu'ils ont réussi dans leur texte. Ils expriment une cer¬taine insécurité dans le cadre scolaire.

On peut penser, à partir de cette analyse, que la réussite représente unenjeu fort pour ce groupe d'élèves et que cela les empêche de mettre en scèneleur imaginaire (celui- ci représentant un danger pour leur réussite). Mais cetteinterprétation est insuffisante. En effet, trois élèves sur les quatre n'écrivent pasnon plus d'histoires imaginaires chez eux. Cela pourrait indiquer une certaineréticence à se frotter à un imaginaire suscitant des émotions fortes.

Ces élèves appartenant à un milieu favorisé et étant d'un bon niveau sco¬laire, ne pourrait-on pas penser alors que, dans ces familles, on apprendraitmieux à maitriser ses émotions, à se contrôler ? On mettrait, dans ces familles,l'imaginaire à distance et cela en conformité avec les stratégies scolaires. II yaurait, en quelque sorte, une « proximité » de valeurs, voire de stratégies entrel'école et la famille. La maitrise des pôles formels de l'écrit correspondrait globa¬lement aux attentes scolaires et aux attentes parentales qui y verraient un gagede réussite scolaire.

Pour les élèves ayant écrit un récit imaginaire de type 2 (réussite sur le pôleimaginaire), quatre points importants ont été retenus des entretiens :

- ces élèves évoquent peu de difficultés à écrire un récit imaginaire ;

- la pregnance du monde imaginaire est très marquée dans leur discours ;

- il existe une réelle difficulté pour eux à établir une frontière entre monderéel et monde imaginaire ;

- ils privilégient dans leurs stratégies les contenus par rapport aux formes.

Sur le premier point, on remarque en effet une faible conscience des diffi¬cultés. Les six enfants parlent de l'écriture de leur récit comme de quelquechose de facile. Cette facilité apparente peut s'expliquer par la représentationqu'ils ont de l'imaginaire : pour eux il est synonyme de liberté, de non contrainte.Ils l'évoquent comme un monde où tout est possible et qui les délivre de toutsouci de plausibilité. Mais cette position peut s'expliquer également par unemoindre conscience de l'évaluation.

Ils disent n'avoir aucun mal à trouver des idées. L'idée de départ suffit àengendrer la suite du récit. Quand je leur demande en début d'entretien de par¬ler de l'histoire imaginaire qu'ils ont écrite, aucun n'évoque un aspect de lasituation scolaire. Tous entrent directement dans le contenu de leur histoire, enracontant le début, en résumant brièvement l'histoire ou en présentant la créa¬ture monstrueuse qu'ils ont choisie : Ça parlait d'un loup-garou il attaque l'en¬fant et le père il est furieux. . . (Eddy).

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- ils connaissent et respectent les critères de leur enseignant. Ceux-ci sontimportants à leurs yeux et leur prise en compte est considérée comme unmoyen d'assurer leur réussite. Pour Anaïs, c'est un moyen de se distin¬guer aux yeux du lecteur et donc de son enseignante.

- tous ont une connaissance de leurs propres capacités et ils s'y canton¬nent ; ils ne prennent aucun risque qui puisse mettre leur réussite en péril.Mais, en même temps, ces élèves ne se montrent pas sûrs d'eux : ils nesavent pas bien ce qu'ils ont réussi dans leur texte. Ils expriment une cer¬taine insécurité dans le cadre scolaire.

On peut penser, à partir de cette analyse, que la réussite représente unenjeu fort pour ce groupe d'élèves et que cela les empêche de mettre en scèneleur imaginaire (celui- ci représentant un danger pour leur réussite). Mais cetteinterprétation est insuffisante. En effet, trois élèves sur les quatre n'écrivent pasnon plus d'histoires imaginaires chez eux. Cela pourrait indiquer une certaineréticence à se frotter à un imaginaire suscitant des émotions fortes.

Ces élèves appartenant à un milieu favorisé et étant d'un bon niveau sco¬laire, ne pourrait-on pas penser alors que, dans ces familles, on apprendraitmieux à maitriser ses émotions, à se contrôler ? On mettrait, dans ces familles,l'imaginaire à distance et cela en conformité avec les stratégies scolaires. II yaurait, en quelque sorte, une « proximité » de valeurs, voire de stratégies entrel'école et la famille. La maitrise des pôles formels de l'écrit correspondrait globa¬lement aux attentes scolaires et aux attentes parentales qui y verraient un gagede réussite scolaire.

Pour les élèves ayant écrit un récit imaginaire de type 2 (réussite sur le pôleimaginaire), quatre points importants ont été retenus des entretiens :

- ces élèves évoquent peu de difficultés à écrire un récit imaginaire ;

- la pregnance du monde imaginaire est très marquée dans leur discours ;

- il existe une réelle difficulté pour eux à établir une frontière entre monderéel et monde imaginaire ;

- ils privilégient dans leurs stratégies les contenus par rapport aux formes.

Sur le premier point, on remarque en effet une faible conscience des diffi¬cultés. Les six enfants parlent de l'écriture de leur récit comme de quelquechose de facile. Cette facilité apparente peut s'expliquer par la représentationqu'ils ont de l'imaginaire : pour eux il est synonyme de liberté, de non contrainte.Ils l'évoquent comme un monde où tout est possible et qui les délivre de toutsouci de plausibilité. Mais cette position peut s'expliquer également par unemoindre conscience de l'évaluation.

Ils disent n'avoir aucun mal à trouver des idées. L'idée de départ suffit àengendrer la suite du récit. Quand je leur demande en début d'entretien de par¬ler de l'histoire imaginaire qu'ils ont écrite, aucun n'évoque un aspect de lasituation scolaire. Tous entrent directement dans le contenu de leur histoire, enracontant le début, en résumant brièvement l'histoire ou en présentant la créa¬ture monstrueuse qu'ils ont choisie : Ça parlait d'un loup-garou il attaque l'en¬fant et le père il est furieux. . . (Eddy).

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

Aucun élève ne parle des difficultés de gestion de la cohérence des infor¬mations et du contenu, difficultés repérées pourtant dans l'analyse de leursrécits. Cinq élèves sur six n'évoquent aucun problème lié à la gestion micro¬structurelle du récit imaginaire. Un seul insiste sur l'orthographe.

La consigne qui met en scène l'irruption d'une créature monstrueuse dansun monde pouvant être réel ne gêne aucun de ces élèves contrairement à ceuxdu premier groupe. La consigne déclenche l'envie et le plaisir d'écrire, fait échoimmédiatement à des thèmes imaginaires forts comme la souffrance, le pouvoir,l'abandon, la mort et suscite des émotions fortes. Tous évoquent leur goût pources thèmes et cela sans réticence pendant notre entretien.

Le second point concerne la forte pregnance de l'imaginaire repérée dansl'analyse des écrits. Elle apparait dans le contenu du discours des élèves etdans la manière dont ils parlent de leur activité d'écriture. Ils ne regardent pasleur texte comme objet scolaire comme le font les élèves du premier groupe.Vincent dit, par exemple, aimer faire peur et avoir peur :

Dès que vous avez dit la consigne, j'ai pensé à un dinosaure mais dans unpays réel. En fait, je voulais faire peur; c'est pour ça que j'ai pensé'à on dino¬saure mais dans une vraie ville ; j'aime bien les histoires comme ça ; on sait pas ,v

si c'est vrai ou pas.-... Tu aimes les histoires qui font peur ?- J'adore, comme à la télé : « Fais- moi peur » ; c'est toujours quelque

chose d'imaginaire mais dans la réalité.

II provoque ces émotions à travers son récit. II aime particulièrement lesimpressions d'envahissement dans un monde où l'homme n'a que peu de pou¬voir. II apprécie aussi les situations énigmatiques où l'on est dominé par desévénements inexplicables. Guillaume dit encore son attirance pour les événe¬ments étranges, énigmatiques qui suscitent l'inquiétude et la peur.

Certains problèmes sont malgré cela exprimés par quatre élèves. Leur pré¬occupation n'est pas de type formel mais attachée au contenu, au sens de leurhistoire. Trois enfants parlent aussi de difficultés liées à la clôture du récit.Thomas, par exemple, explique qu'il aurait aimé développer davantage son his¬toire mais la peur de ne pas avoir assez de temps l'en a empêché :

Pour la fin, j'avais pas assez de temps pour la bataille avec les Arabes.Sinon, tu aurais écrit plus ?Oui j'aurais écrit toute la bataille.

Reste une difficulté importante dont les élèves n'ont pas conscience et quiest sous-jacente à leur discours : dans quatre entretiens en effet, on remarquequ'il existe une difficulté à distinguer le réel de l'imaginaire. Ainsi Laëticia choisitcomme scénario du récit imaginaire un événement qu'elle tient pour vrai : unedame habillée de blanc qui étrangle des enfants à Hellemmes. Elle reprend aussil'interprétation de l'événement par les habitants, rumeur devenue croyance col¬lective : la Dame Blanche est un fantôme. Laëticia dit qu'elle croit à cette inter¬prétation :

J'ai écrit l'histoire de la dame blanche qui étrangle les enfants. J'ai choisi çapour la créature monstrueuse parce qu'en fait, c'est un fantôme... En fait, c'est

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

Aucun élève ne parle des difficultés de gestion de la cohérence des infor¬mations et du contenu, difficultés repérées pourtant dans l'analyse de leursrécits. Cinq élèves sur six n'évoquent aucun problème lié à la gestion micro¬structurelle du récit imaginaire. Un seul insiste sur l'orthographe.

La consigne qui met en scène l'irruption d'une créature monstrueuse dansun monde pouvant être réel ne gêne aucun de ces élèves contrairement à ceuxdu premier groupe. La consigne déclenche l'envie et le plaisir d'écrire, fait échoimmédiatement à des thèmes imaginaires forts comme la souffrance, le pouvoir,l'abandon, la mort et suscite des émotions fortes. Tous évoquent leur goût pources thèmes et cela sans réticence pendant notre entretien.

Le second point concerne la forte pregnance de l'imaginaire repérée dansl'analyse des écrits. Elle apparait dans le contenu du discours des élèves etdans la manière dont ils parlent de leur activité d'écriture. Ils ne regardent pasleur texte comme objet scolaire comme le font les élèves du premier groupe.Vincent dit, par exemple, aimer faire peur et avoir peur :

Dès que vous avez dit la consigne, j'ai pensé à un dinosaure mais dans unpays réel. En fait, je voulais faire peur; c'est pour ça que j'ai pensé'à on dino¬saure mais dans une vraie ville ; j'aime bien les histoires comme ça ; on sait pas ,v

si c'est vrai ou pas.-... Tu aimes les histoires qui font peur ?- J'adore, comme à la télé : « Fais- moi peur » ; c'est toujours quelque

chose d'imaginaire mais dans la réalité.

II provoque ces émotions à travers son récit. II aime particulièrement lesimpressions d'envahissement dans un monde où l'homme n'a que peu de pou¬voir. II apprécie aussi les situations énigmatiques où l'on est dominé par desévénements inexplicables. Guillaume dit encore son attirance pour les événe¬ments étranges, énigmatiques qui suscitent l'inquiétude et la peur.

Certains problèmes sont malgré cela exprimés par quatre élèves. Leur pré¬occupation n'est pas de type formel mais attachée au contenu, au sens de leurhistoire. Trois enfants parlent aussi de difficultés liées à la clôture du récit.Thomas, par exemple, explique qu'il aurait aimé développer davantage son his¬toire mais la peur de ne pas avoir assez de temps l'en a empêché :

Pour la fin, j'avais pas assez de temps pour la bataille avec les Arabes.Sinon, tu aurais écrit plus ?Oui j'aurais écrit toute la bataille.

Reste une difficulté importante dont les élèves n'ont pas conscience et quiest sous-jacente à leur discours : dans quatre entretiens en effet, on remarquequ'il existe une difficulté à distinguer le réel de l'imaginaire. Ainsi Laëticia choisitcomme scénario du récit imaginaire un événement qu'elle tient pour vrai : unedame habillée de blanc qui étrangle des enfants à Hellemmes. Elle reprend aussil'interprétation de l'événement par les habitants, rumeur devenue croyance col¬lective : la Dame Blanche est un fantôme. Laëticia dit qu'elle croit à cette inter¬prétation :

J'ai écrit l'histoire de la dame blanche qui étrangle les enfants. J'ai choisi çapour la créature monstrueuse parce qu'en fait, c'est un fantôme... En fait, c'est

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REPÈRES N° 21/2000 P. LAMMERTYN

une histoire vraie, c'est ma voisine... elle nous a raconté que c'est une dameblanche qui a étranglé des enfants à Hellemmes mais la dame blanche, c'est unfantôme.

En ce qui concerne les stratégies mises en �uvre par ces élèves, je remar¬querai que les six élèves ont du mal à développer un discours réflexif sur leschoix qu'ils opèrent quand ils écrivent un récit imaginaire. Mon questionnementa été fortement incitatif mais, malgré cela, leur discours reste très descriptif.Tout d'abord, les six élèves déclarent écrire immédiatement dès que la consigneest donnée. Ils puisent aussitôt dans leurs connaissances du monde l'idée dedépart. Cette idée est toujours centrée sur un personnage, ici en l'occurrence lacréature monstrueuse et c'est le type de personnage qui engendre la suite durécit. II n'y a pas de réel moment de « planification » avant d'écrire. La consigneest prise au pied de la lettre, immédiatement interprétée par l'enfant en fonctionde son attirance personnelle pour tel ou tel thème :

Comment tu as ton idée pour commencer ?-je sais. Au début, c'est l'enfant qui se fait attaquer mais après Olaf il

trouve sa femme morte alors il décide de se venger... J'ai mes idéescomme ça.

- Tu réfléchis avant d'écrire ton texte ?- Non, je trouve mes idées comme ça, quand j'écris. (Thomas)

Pendant la phase d'écriture, cinq élèves sur six disent privilégier clairementle contenu et les idées par rapport aux autres pôles plus formels de l'écriture. Ilsécrivent alors sans s'arrêter afin de ne pas perdre le fil de leur récit et de pouvoirexprimer ce qu'ils ont envie de dire. Ils s'attachent donc clairement au contenumais certains enfants n'évoquent pas de stratégie délibérée. Ils seraient enquelque sorte dominés et dépassés par leur imaginaire pendant l'écriture.D'autres, tout en privilégiant le contenu, indiquent qu'ils sont capables à cer¬tains moments d'opérer une distance avec leur histoire. Ils cherchent parexemple à se distinguer aux yeux d'un lecteur « potentiel » et à rendre leur his¬toire intéressante en jouant avec le réel et l'imaginaire. En même temps, on voitau sein de leur discours qu'eux-mêmes ne délimitent pas clairement de frontièrenette entre ces deux mondes et, du coup, on ne sait pas bien ce qui relèved'une véritable stratégie.

Un dernier point me parait intéressant à mentionner : contrairement à mesattentes, ces élèves n'ignorent pas les critères d'évaluation de leurs ensei¬gnants. Ils font même plutôt preuve de clairvoyance à ce sujet. Ces critères por¬tent essentiellement sur l'organisation des informations et sur les marques desurface. Les élèves considèrent ces points comme importants mais cinq élèvessur six n'en tiennent pas réellement compte pendant l'écriture. Ces pôles for¬mels passent au second plan, après le contenu.

- A quoi la maitresse fait attention quand elle corrige les récits imaginaires ?

- Aux fautes, aux idées si c'est dans l'ordre.- Et tu y penses quand tu es en train d'écrire ?- Non, je pense à mon histoire plutôt. (Thomas)

II semblerait donc que la perspective de l'évaluation ne soit pas présentependant qu'ils écrivent. En même temps, tous pensent avoir réussi leurs textes

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une histoire vraie, c'est ma voisine... elle nous a raconté que c'est une dameblanche qui a étranglé des enfants à Hellemmes mais la dame blanche, c'est unfantôme.

En ce qui concerne les stratégies mises en �uvre par ces élèves, je remar¬querai que les six élèves ont du mal à développer un discours réflexif sur leschoix qu'ils opèrent quand ils écrivent un récit imaginaire. Mon questionnementa été fortement incitatif mais, malgré cela, leur discours reste très descriptif.Tout d'abord, les six élèves déclarent écrire immédiatement dès que la consigneest donnée. Ils puisent aussitôt dans leurs connaissances du monde l'idée dedépart. Cette idée est toujours centrée sur un personnage, ici en l'occurrence lacréature monstrueuse et c'est le type de personnage qui engendre la suite durécit. II n'y a pas de réel moment de « planification » avant d'écrire. La consigneest prise au pied de la lettre, immédiatement interprétée par l'enfant en fonctionde son attirance personnelle pour tel ou tel thème :

Comment tu as ton idée pour commencer ?-je sais. Au début, c'est l'enfant qui se fait attaquer mais après Olaf il

trouve sa femme morte alors il décide de se venger... J'ai mes idéescomme ça.

- Tu réfléchis avant d'écrire ton texte ?- Non, je trouve mes idées comme ça, quand j'écris. (Thomas)

Pendant la phase d'écriture, cinq élèves sur six disent privilégier clairementle contenu et les idées par rapport aux autres pôles plus formels de l'écriture. Ilsécrivent alors sans s'arrêter afin de ne pas perdre le fil de leur récit et de pouvoirexprimer ce qu'ils ont envie de dire. Ils s'attachent donc clairement au contenumais certains enfants n'évoquent pas de stratégie délibérée. Ils seraient enquelque sorte dominés et dépassés par leur imaginaire pendant l'écriture.D'autres, tout en privilégiant le contenu, indiquent qu'ils sont capables à cer¬tains moments d'opérer une distance avec leur histoire. Ils cherchent parexemple à se distinguer aux yeux d'un lecteur « potentiel » et à rendre leur his¬toire intéressante en jouant avec le réel et l'imaginaire. En même temps, on voitau sein de leur discours qu'eux-mêmes ne délimitent pas clairement de frontièrenette entre ces deux mondes et, du coup, on ne sait pas bien ce qui relèved'une véritable stratégie.

Un dernier point me parait intéressant à mentionner : contrairement à mesattentes, ces élèves n'ignorent pas les critères d'évaluation de leurs ensei¬gnants. Ils font même plutôt preuve de clairvoyance à ce sujet. Ces critères por¬tent essentiellement sur l'organisation des informations et sur les marques desurface. Les élèves considèrent ces points comme importants mais cinq élèvessur six n'en tiennent pas réellement compte pendant l'écriture. Ces pôles for¬mels passent au second plan, après le contenu.

- A quoi la maitresse fait attention quand elle corrige les récits imaginaires ?

- Aux fautes, aux idées si c'est dans l'ordre.- Et tu y penses quand tu es en train d'écrire ?- Non, je pense à mon histoire plutôt. (Thomas)

II semblerait donc que la perspective de l'évaluation ne soit pas présentependant qu'ils écrivent. En même temps, tous pensent avoir réussi leurs textes

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

et cette « réussite » est liée au contenu de leur histoire qu'ils jugent intéressant.On peut alors imaginer qu'au moment où l'enseignant donne la consigne, cesélèves y lisent une certaine attente de l'enseignant sur le contenu : leur histoirepourrait lui plaire même si, ensuite, il évalue des aspects plus formels, plus sco¬laires. On pourrait dire alors qu'ils ne renoncent pas à réussir car pour eux, cetteréussite est liée en grande partie au contenu de leur histoire (10). Une autrehypothèse non contradictoire serait que ces élèves ne tiendraient pas comptedes aspects formels, conscients que, sur ce point, ils ne peuvent réussir.

Les enfants ayant produit des récits de types 3 et 4 n'ont pas pu être inter¬rogés. Néanmoins, quelques hypothèses peuvent être tirées de l'analyse destextes en relation avec le profil scolaire et les C.S.P.

Les élèves ayant produit des textes 3 sont de très bons élèves issus deC.S.P. favorisées. On sait également par l'enseignante de la classe que, dans lesfamilles de ce groupe d'élèves, l'apport culturel est très riche. On pourrait alorssupposer que, pour ces élèves, la réussite scolaire étant bien assurée, elle neserait pas source d'insécurité et ne représenterait pas un enjeu majeur. Ils pour¬raient alors donner libre cours à leur imagination avec une certaine recherched'originalité, forme de distinction valorisée par les parents.

Les élèves ayant produit un texte 4 sont presque tous en difficulté scolaireet issus de C.S.P. défavorisées. On peut se demander ici si la faible expressionde l'imaginaire ne serait pas due à des difficultés cognitives et/ou culturelles :

ces élèves manqueraient d'outils textuels pour exprimer leur imaginaire et/ou nepercevraient pas la nécessité d'en dire beaucoup. Une autre hypothèse seraitqu'ils écrivent peu pour limiter le risque d'erreurs.

6.2. Analyse des entretiens sur le récit référantà l'expérience vécue

Les consignes sollicitant une histoire vécue ont provoqué tendancieUement,comme je l'ai montré, une uniformisation des textes produits. Cette tendance seconfirme dans les entretiens. En effet, deux thèmes principaux ressortent del'analyse :

- les élèves sont peu motivés par l'écriture d'un texte « réel » ;

- la pregnance de la vérité est très marquée.

Huit élèves déclarent ainsi ne pas aimer écrire une histoire réelle et disentpréférer écrire un récit imaginaire. Les élèves expliquent leur manque d'intérêtpar le fait que l'écriture d'un texte réel est pour eux source de difficultés.Remarquons au passage que les élèves du groupe 2 n'analysaient pas aussiclairement leurs difficultés au sujet de leur récit imaginaire.

La difficulté la plus souvent invoquée est l'obligation de restituer la strictevérité dans les récits réels. Ce souci les contraint à un gros effort de mémorisa¬tion et d'organisation des informations. Anaïs dit par exemple :

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

et cette « réussite » est liée au contenu de leur histoire qu'ils jugent intéressant.On peut alors imaginer qu'au moment où l'enseignant donne la consigne, cesélèves y lisent une certaine attente de l'enseignant sur le contenu : leur histoirepourrait lui plaire même si, ensuite, il évalue des aspects plus formels, plus sco¬laires. On pourrait dire alors qu'ils ne renoncent pas à réussir car pour eux, cetteréussite est liée en grande partie au contenu de leur histoire (10). Une autrehypothèse non contradictoire serait que ces élèves ne tiendraient pas comptedes aspects formels, conscients que, sur ce point, ils ne peuvent réussir.

Les enfants ayant produit des récits de types 3 et 4 n'ont pas pu être inter¬rogés. Néanmoins, quelques hypothèses peuvent être tirées de l'analyse destextes en relation avec le profil scolaire et les C.S.P.

Les élèves ayant produit des textes 3 sont de très bons élèves issus deC.S.P. favorisées. On sait également par l'enseignante de la classe que, dans lesfamilles de ce groupe d'élèves, l'apport culturel est très riche. On pourrait alorssupposer que, pour ces élèves, la réussite scolaire étant bien assurée, elle neserait pas source d'insécurité et ne représenterait pas un enjeu majeur. Ils pour¬raient alors donner libre cours à leur imagination avec une certaine recherched'originalité, forme de distinction valorisée par les parents.

Les élèves ayant produit un texte 4 sont presque tous en difficulté scolaireet issus de C.S.P. défavorisées. On peut se demander ici si la faible expressionde l'imaginaire ne serait pas due à des difficultés cognitives et/ou culturelles :

ces élèves manqueraient d'outils textuels pour exprimer leur imaginaire et/ou nepercevraient pas la nécessité d'en dire beaucoup. Une autre hypothèse seraitqu'ils écrivent peu pour limiter le risque d'erreurs.

6.2. Analyse des entretiens sur le récit référantà l'expérience vécue

Les consignes sollicitant une histoire vécue ont provoqué tendancieUement,comme je l'ai montré, une uniformisation des textes produits. Cette tendance seconfirme dans les entretiens. En effet, deux thèmes principaux ressortent del'analyse :

- les élèves sont peu motivés par l'écriture d'un texte « réel » ;

- la pregnance de la vérité est très marquée.

Huit élèves déclarent ainsi ne pas aimer écrire une histoire réelle et disentpréférer écrire un récit imaginaire. Les élèves expliquent leur manque d'intérêtpar le fait que l'écriture d'un texte réel est pour eux source de difficultés.Remarquons au passage que les élèves du groupe 2 n'analysaient pas aussiclairement leurs difficultés au sujet de leur récit imaginaire.

La difficulté la plus souvent invoquée est l'obligation de restituer la strictevérité dans les récits réels. Ce souci les contraint à un gros effort de mémorisa¬tion et d'organisation des informations. Anaïs dit par exemple :

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REPÈRES N° 21/2000 P. LAMMERTYN

...je trouve que c'est un peu plus facile à raconter... c'est plus marrant ; onpeut mettre plein de choses, beaucoup de personnages alors que dans les his¬toires réelles, on se rappelle plus de tout ce qui s'est passé, ce qu'ils ont ditalors que dans une histoire imaginaire, on peut gérer ce qu'ils vont dire. Pourautant, elle n'a pas écrit un récit imaginaire développé. Quand je lui ai demandéce qui est important pour elle dans les histoires « réelles », elle a déclaré :

Ben, dire la vérité et quelquefois, ils parlent en même temps ou il y a plu¬sieurs choses qui se passent en même temps donc il faut rien oublier... Dansune histoire imaginaire, on peut organiser comme on veut.

Le discours de Guillaume indique de manière plus précise l'importance dujugement du lecteur, celui-ci pouvant être l'enseignant ou/et les parents. II est« présent » pendant l'écriture et semble d'ailleurs être perçu comme« censeur » :

Dans les histoires réelles, on se souvient plus bien et si c'est pas vrai, mamère elle dit : « T'as inventé Guillaume ». Ca va pas. Moi, dans l'imaginaire, onpeut dire ce qu'on veut.

Quatre élèves ajoutent qu'ils n'aiment pas parler d'eux et de leur vie privée.Ils ont peur de s'exposer :

J'aime pas trop parler de moi, raconter ma vie, je préfère garder ça pourmoi. (Maud)

II semble bien que les élèves du groupe 2 prennent mieux en compte leregard du lecteur- évaluateur que dans le cadre des récits imaginaires et ils l'in¬tègrent dans leurs stratégies : ils déclarent qu'ils sélectionnent ce qu'ils ontenvie de dire.

Quatre élèves disent aussi moins aimer écrire une histoire réelle car ilsn'ont rien à raconter. Deux d'entre eux précisent même que cela a pour effet laproduction d'un texte court et que cela les gêne :

Quelquefois, on n'a rien à dire et ça fait un petit texte. (Vivien)Ben quelquefois j'ai rien à dire alors je sais pas quoi écrire, je raconte un

petit truc. (Eddy)

On peut percevoir ici, au moins en partie, leur représentation de ce qu'estune histoire réussie : elle doit être longue ; si elle ne l'est pas, ils ont l'impressionde ne pas réussir leurs textes. Or, écrire un texte référant au réel ne leur permetpas d'écrire longuement car le respect de la vérité les pousse en quelque sorte à

en dire le moins possible.

Alors que le récit imaginaire est défini comme un espace de liberté, le texteréel, vécu, est perçu en terme de contrainte. II semble que la consigne soit plustransparente aux yeux des élèves ; l'enjeu est perçu plus clairement et demanière identique par la majorité d'entre eux : pour eux, écrire un récit vécuconsiste à dire la vérité. Ils sont plus attentifs à la cohérence et à la réalité desévénements qu'ils racontent. L'écriture devient alors moins spontanée. Celaexpliquerait en partie l'attention plus marquée portée au pôle formel.

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REPÈRES N° 21/2000 P. LAMMERTYN

...je trouve que c'est un peu plus facile à raconter... c'est plus marrant ; onpeut mettre plein de choses, beaucoup de personnages alors que dans les his¬toires réelles, on se rappelle plus de tout ce qui s'est passé, ce qu'ils ont ditalors que dans une histoire imaginaire, on peut gérer ce qu'ils vont dire. Pourautant, elle n'a pas écrit un récit imaginaire développé. Quand je lui ai demandéce qui est important pour elle dans les histoires « réelles », elle a déclaré :

Ben, dire la vérité et quelquefois, ils parlent en même temps ou il y a plu¬sieurs choses qui se passent en même temps donc il faut rien oublier... Dansune histoire imaginaire, on peut organiser comme on veut.

Le discours de Guillaume indique de manière plus précise l'importance dujugement du lecteur, celui-ci pouvant être l'enseignant ou/et les parents. II est« présent » pendant l'écriture et semble d'ailleurs être perçu comme« censeur » :

Dans les histoires réelles, on se souvient plus bien et si c'est pas vrai, mamère elle dit : « T'as inventé Guillaume ». Ca va pas. Moi, dans l'imaginaire, onpeut dire ce qu'on veut.

Quatre élèves ajoutent qu'ils n'aiment pas parler d'eux et de leur vie privée.Ils ont peur de s'exposer :

J'aime pas trop parler de moi, raconter ma vie, je préfère garder ça pourmoi. (Maud)

II semble bien que les élèves du groupe 2 prennent mieux en compte leregard du lecteur- évaluateur que dans le cadre des récits imaginaires et ils l'in¬tègrent dans leurs stratégies : ils déclarent qu'ils sélectionnent ce qu'ils ontenvie de dire.

Quatre élèves disent aussi moins aimer écrire une histoire réelle car ilsn'ont rien à raconter. Deux d'entre eux précisent même que cela a pour effet laproduction d'un texte court et que cela les gêne :

Quelquefois, on n'a rien à dire et ça fait un petit texte. (Vivien)Ben quelquefois j'ai rien à dire alors je sais pas quoi écrire, je raconte un

petit truc. (Eddy)

On peut percevoir ici, au moins en partie, leur représentation de ce qu'estune histoire réussie : elle doit être longue ; si elle ne l'est pas, ils ont l'impressionde ne pas réussir leurs textes. Or, écrire un texte référant au réel ne leur permetpas d'écrire longuement car le respect de la vérité les pousse en quelque sorte à

en dire le moins possible.

Alors que le récit imaginaire est défini comme un espace de liberté, le texteréel, vécu, est perçu en terme de contrainte. II semble que la consigne soit plustransparente aux yeux des élèves ; l'enjeu est perçu plus clairement et demanière identique par la majorité d'entre eux : pour eux, écrire un récit vécuconsiste à dire la vérité. Ils sont plus attentifs à la cohérence et à la réalité desévénements qu'ils racontent. L'écriture devient alors moins spontanée. Celaexpliquerait en partie l'attention plus marquée portée au pôle formel.

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

Pour conclure sur les entretiens, je retiendrai l'idée qu'il y a bien un traite¬ment différent de la consigne lors de l'écriture d'un récit imaginaire : les bonsélèves se méfient davantage de l'imagination et déploient des stratégies pourcontenir en quelque sorte leur imaginaire ; ce choix est en grande partie lié à lavolonté de réussir à l'école.

En ce qui concerne les récits référant davantage au réel, le traitement de laconsigne est plus uniforme ; mais ce récit n'est pas plus facile à écrire que lerécit imaginaire car il génère une difficulté majeure chez tous les élèves interro¬gés : la croyance qu'il faut respecter la vérité et que le récit doit être conforme àla réalité. Cette croyance empêche les élèves de fictionnaliser le réel et donc deconstruire un véritable récit expérienciel. II serait tout à fait intéressant et utile desavoir comment et où est construit le rapport « éthique » à ce type de récit, celanotamment afin de pouvoir construire une représentation plus opératoire del'écriture du récit avec les élèves.

CONCLUSION

Les éléments de réponses construits au travers de cette recherche incitentà explorer des pistes complémentaires. La première consiste à vérifier ces pre¬miers résultats sur un échantillon plus important d'élèves et à approfondirdavantage les entretiens afin de mieux comprendre la manière dont les élèves seposent les problèmes quand ils écrivent, réécrivent et se représentent les typesde récits. Mais, pour cela, un travail de clarification des catégories employéesautour de la notion de récit s'avère indispensable. On a en effet fait fonctionnerdeux grandes catégories, récit « imaginaire » et récit « réel » selon une opposi¬tion tranchée. II y a, certes, un traitement textuel différent par les élèves selonque la consigne sollicite plutôt l'imaginaire ou plutôt le réel mais, en mêmetemps, la subjectivité de l'élève est mise en jeu dans les deux types deconsignes. On peut donc se demander jusqu'où cette opposition est opératoireet s'il ne faut pas réorganiser les catégories en tenant compte d'autres termes,tels inconscient et investissement, auxquels on est sans cesse confronté.

J'aimerais enfin souligner trois enjeux de cette recherche qui me paraissentparticulièrement importants pour l'intervention didactique. Le premier consiste àappréhender l'effet parfois paradoxal des consignes que l'on donne en espérantmodifier les fonctionnements scolaires classiques et aider ainsi les élèves en dif¬ficulté. Or, si l'évaluation n'est pas changée et si aucun dispositif d'aide n'estmis en place, on risque au contraire d'accroître certaines difficultés. Le secondconsiste à préciser ce que l'on vise à développer et ce que l'on attend selon letype de récit que l'on sollicite. Le troisième enjeu consiste à réfléchir à ce quel'on apprend de différent sous le nom de récit et, conséquemment, aux diffé¬rents outils que l'on doit mettre en place selon le genre de récit convoqué parl'écriture.

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

Pour conclure sur les entretiens, je retiendrai l'idée qu'il y a bien un traite¬ment différent de la consigne lors de l'écriture d'un récit imaginaire : les bonsélèves se méfient davantage de l'imagination et déploient des stratégies pourcontenir en quelque sorte leur imaginaire ; ce choix est en grande partie lié à lavolonté de réussir à l'école.

En ce qui concerne les récits référant davantage au réel, le traitement de laconsigne est plus uniforme ; mais ce récit n'est pas plus facile à écrire que lerécit imaginaire car il génère une difficulté majeure chez tous les élèves interro¬gés : la croyance qu'il faut respecter la vérité et que le récit doit être conforme àla réalité. Cette croyance empêche les élèves de fictionnaliser le réel et donc deconstruire un véritable récit expérienciel. II serait tout à fait intéressant et utile desavoir comment et où est construit le rapport « éthique » à ce type de récit, celanotamment afin de pouvoir construire une représentation plus opératoire del'écriture du récit avec les élèves.

CONCLUSION

Les éléments de réponses construits au travers de cette recherche incitentà explorer des pistes complémentaires. La première consiste à vérifier ces pre¬miers résultats sur un échantillon plus important d'élèves et à approfondirdavantage les entretiens afin de mieux comprendre la manière dont les élèves seposent les problèmes quand ils écrivent, réécrivent et se représentent les typesde récits. Mais, pour cela, un travail de clarification des catégories employéesautour de la notion de récit s'avère indispensable. On a en effet fait fonctionnerdeux grandes catégories, récit « imaginaire » et récit « réel » selon une opposi¬tion tranchée. II y a, certes, un traitement textuel différent par les élèves selonque la consigne sollicite plutôt l'imaginaire ou plutôt le réel mais, en mêmetemps, la subjectivité de l'élève est mise en jeu dans les deux types deconsignes. On peut donc se demander jusqu'où cette opposition est opératoireet s'il ne faut pas réorganiser les catégories en tenant compte d'autres termes,tels inconscient et investissement, auxquels on est sans cesse confronté.

J'aimerais enfin souligner trois enjeux de cette recherche qui me paraissentparticulièrement importants pour l'intervention didactique. Le premier consiste àappréhender l'effet parfois paradoxal des consignes que l'on donne en espérantmodifier les fonctionnements scolaires classiques et aider ainsi les élèves en dif¬ficulté. Or, si l'évaluation n'est pas changée et si aucun dispositif d'aide n'estmis en place, on risque au contraire d'accroître certaines difficultés. Le secondconsiste à préciser ce que l'on vise à développer et ce que l'on attend selon letype de récit que l'on sollicite. Le troisième enjeu consiste à réfléchir à ce quel'on apprend de différent sous le nom de récit et, conséquemment, aux diffé¬rents outils que l'on doit mettre en place selon le genre de récit convoqué parl'écriture.

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REPÈRES N° 21/2000 P. LAMMERTYN

NOTES

(1) Je remercie les enseignants des écoles Louise de Bettignie et Verhaeren pour leuraccueil et leur disponobilité ainsi que M. Lagache, inspecteur de la circonscription deVilleneuve d'Ascq qui m'a autorisée à intervenir dans ces écoles pour cetterecherche.

(2) Cette consigne doit être lue comme l'énoncé d'une thématique et ne constitue pasforcément la situation initiale du récit.

(3) J'ai postulé que cette consigne était un bon déclencheur d'imaginaire car d'une part,la créature monstrueuse suscite en général l'adhésion des élèves de cet âge et ons'attend avec ce genre de personnage à un développement d'une dynamique derécit articulée autour du thème de la lutte, du combat, du pouvoir. Ces thèmes facili¬tent l'expression de l'imaginaire, l'enfant pouvant projeter ses conflits internes et sesémotions. D'autre part, dans cette consigne, le père est momentanémentabsent alors que l'enfant est « en danger » ; l'élève peut alors investir affectivementle personnage du père sur le mode imaginaire

(4) II fallait un temps assez long afin que ce facteur n'engendre pas des difficultés spéci¬fiques.

(5) Voici quelques exemples des critères utilisés (dont le caractère discutable nem'échappe pas).Pôle formel :

- cohérence superstructurelle : ce critère indique la présence des grandes étapes duschéma quinaire. La cohérence est présente si on trouve un début, un problème,une dynamique et une fin.

- non contradiction séquentielle : ce critère indique le respect de la logique et de lachronologie des actions.

- respect de la ponctuation : nous prenons en compte les points de fin de phrases etles virgules. Une absence marquée de ponctuation peut révéler une successionrapide et incontrôlée d'images ou d'idées survenant à la conscience de l'enfant.Une marge de trois erreurs est acceptée.

- cohérence temporelle : ce critère indique le respect de la concordance des tempsutilisés.

Pôle imaginaire :

- implication potentiellement inconsciente : expression dans les textes de thèmespsycho- affectifs personnels que l'élève développe par les voies de l'imaginairedans son récit. J'ai retenu cinq thèmes : l'abandon, l'enlèvement, la mort, le pou¬voir, la peur.

- pregnance du monde imaginaire : ce critère sert à indiquer si le monde imaginaireest présent partout dans le texte ou s'il est cadré ; en d'autres termes il doit indi¬quer si l'enfant fait la différence entre le réel et l'imaginaire.

- nombre d'actions de l'enfant : nombre d'actions différentes du personnage« enfant » à partir de l'arrivée de la créature monstrueuse dans le texte.

- nombre d'actions de la créature monstrueuse : nombre d'actions différentes de lacréature monstrueuse de son arrivée à sa disparition dans le texte.

(6) « En difficulté » indique que l'élève avait déjà du retard dans les classes précédenteset que ses notes se situent généralement sous la moyenne.

(7) Plusieurs familles de l'échantillon sont mono parentales. Afin d'éviter un déséquilibreentre familles monoparentales et les autres, j'ai choisi pour les couples de ne prendreen considération qu'une seule profession sur les deux. La profession la plus élevée aété retenue sur le plan économique faisant le pari que dans les couples, les profes¬sions de chacun des membres sont relativement proches. Trois catégories ont étéconstituées :

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REPÈRES N° 21/2000 P. LAMMERTYN

NOTES

(1) Je remercie les enseignants des écoles Louise de Bettignie et Verhaeren pour leuraccueil et leur disponobilité ainsi que M. Lagache, inspecteur de la circonscription deVilleneuve d'Ascq qui m'a autorisée à intervenir dans ces écoles pour cetterecherche.

(2) Cette consigne doit être lue comme l'énoncé d'une thématique et ne constitue pasforcément la situation initiale du récit.

(3) J'ai postulé que cette consigne était un bon déclencheur d'imaginaire car d'une part,la créature monstrueuse suscite en général l'adhésion des élèves de cet âge et ons'attend avec ce genre de personnage à un développement d'une dynamique derécit articulée autour du thème de la lutte, du combat, du pouvoir. Ces thèmes facili¬tent l'expression de l'imaginaire, l'enfant pouvant projeter ses conflits internes et sesémotions. D'autre part, dans cette consigne, le père est momentanémentabsent alors que l'enfant est « en danger » ; l'élève peut alors investir affectivementle personnage du père sur le mode imaginaire

(4) II fallait un temps assez long afin que ce facteur n'engendre pas des difficultés spéci¬fiques.

(5) Voici quelques exemples des critères utilisés (dont le caractère discutable nem'échappe pas).Pôle formel :

- cohérence superstructurelle : ce critère indique la présence des grandes étapes duschéma quinaire. La cohérence est présente si on trouve un début, un problème,une dynamique et une fin.

- non contradiction séquentielle : ce critère indique le respect de la logique et de lachronologie des actions.

- respect de la ponctuation : nous prenons en compte les points de fin de phrases etles virgules. Une absence marquée de ponctuation peut révéler une successionrapide et incontrôlée d'images ou d'idées survenant à la conscience de l'enfant.Une marge de trois erreurs est acceptée.

- cohérence temporelle : ce critère indique le respect de la concordance des tempsutilisés.

Pôle imaginaire :

- implication potentiellement inconsciente : expression dans les textes de thèmespsycho- affectifs personnels que l'élève développe par les voies de l'imaginairedans son récit. J'ai retenu cinq thèmes : l'abandon, l'enlèvement, la mort, le pou¬voir, la peur.

- pregnance du monde imaginaire : ce critère sert à indiquer si le monde imaginaireest présent partout dans le texte ou s'il est cadré ; en d'autres termes il doit indi¬quer si l'enfant fait la différence entre le réel et l'imaginaire.

- nombre d'actions de l'enfant : nombre d'actions différentes du personnage« enfant » à partir de l'arrivée de la créature monstrueuse dans le texte.

- nombre d'actions de la créature monstrueuse : nombre d'actions différentes de lacréature monstrueuse de son arrivée à sa disparition dans le texte.

(6) « En difficulté » indique que l'élève avait déjà du retard dans les classes précédenteset que ses notes se situent généralement sous la moyenne.

(7) Plusieurs familles de l'échantillon sont mono parentales. Afin d'éviter un déséquilibreentre familles monoparentales et les autres, j'ai choisi pour les couples de ne prendreen considération qu'une seule profession sur les deux. La profession la plus élevée aété retenue sur le plan économique faisant le pari que dans les couples, les profes¬sions de chacun des membres sont relativement proches. Trois catégories ont étéconstituées :

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

- les C.S.P. favorisées : professions libérales, enseignants, cadres ;

- les C.S.P. moyennes : employés, ouvriers qualifiés ;

- les C.S.P. défavorisées : ouvriers non qualifiés, chômeurs, au foyer.

(8) C'est une des pistes de travail que je poursuis actuellement dans le cadre d'unD.E.A.

(9) Ces éléments peuvent remettre en question les jugements quant au manque sup¬posé d'imagination chez certains enfants.

(10) Cette interprétation diffère donc sensiblement de celle de Kaici selon qui cette caté¬gorie d'élèves « renoncerait » en quelque sorte à la réussite scolaire.

BIBLIOGRAPHIE

BACHELARD G. (1943) : L'air et les songes, Paris, Corti.

BURGOS J. (1 982) : Pour une pratique de l'imaginaire, Paris, Seuil.

CLANCHE P. (1988) : L'enfant écrivain, Paidos/Le Centurion(1992) : L'enfant de neuf ans, le réel et l'imaginaire, Cahiers Binet-

Simon n° 632.

DOSNON O. (1996) : Imaginaire et créativité : éléments pour un bilan critique,Pratiques nc 89.

DUBORGEL B. (1992) : Imaginaire et pédagogie, Toulouse, Privât.

DURAND G. (1969) : Les structures anthropologiques de l'imaginaire, Paris,Bordas.

ELIADE M. (1963) : Aspects du mythe, Paris, Gallimard.(1 969) : Le sacré et le profane, Paris, Gallimard.

FREUD S. (1 909) : Le roman familial des névrosés rééd. dans Névrose, psychoseet perversion, Paris, P.U.F., 1973.

KAICI A. (1992) : L'histoire d'un enfant perdu, Cahiers Binet- Simon n° 632.

KANT E. (1781) : Critique de la raison pure, Paris, P.U.F.

LAMMERTYN P. (1999) : Écrire un récit imaginaire au C.M.2., analyse des diffi¬cultés et des stratégies des élèves, mémoire sous la direction d'Y. Reuter,Lille III.

REUTER Y. (1996) : Imaginaire, créativité et didactique de l'écriture, Pratiquesn°89.

(1997) : L'analyse du récit, Paris, Dunod.

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La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits

- les C.S.P. favorisées : professions libérales, enseignants, cadres ;

- les C.S.P. moyennes : employés, ouvriers qualifiés ;

- les C.S.P. défavorisées : ouvriers non qualifiés, chômeurs, au foyer.

(8) C'est une des pistes de travail que je poursuis actuellement dans le cadre d'unD.E.A.

(9) Ces éléments peuvent remettre en question les jugements quant au manque sup¬posé d'imagination chez certains enfants.

(10) Cette interprétation diffère donc sensiblement de celle de Kaici selon qui cette caté¬gorie d'élèves « renoncerait » en quelque sorte à la réussite scolaire.

BIBLIOGRAPHIE

BACHELARD G. (1943) : L'air et les songes, Paris, Corti.

BURGOS J. (1 982) : Pour une pratique de l'imaginaire, Paris, Seuil.

CLANCHE P. (1988) : L'enfant écrivain, Paidos/Le Centurion(1992) : L'enfant de neuf ans, le réel et l'imaginaire, Cahiers Binet-

Simon n° 632.

DOSNON O. (1996) : Imaginaire et créativité : éléments pour un bilan critique,Pratiques nc 89.

DUBORGEL B. (1992) : Imaginaire et pédagogie, Toulouse, Privât.

DURAND G. (1969) : Les structures anthropologiques de l'imaginaire, Paris,Bordas.

ELIADE M. (1963) : Aspects du mythe, Paris, Gallimard.(1 969) : Le sacré et le profane, Paris, Gallimard.

FREUD S. (1 909) : Le roman familial des névrosés rééd. dans Névrose, psychoseet perversion, Paris, P.U.F., 1973.

KAICI A. (1992) : L'histoire d'un enfant perdu, Cahiers Binet- Simon n° 632.

KANT E. (1781) : Critique de la raison pure, Paris, P.U.F.

LAMMERTYN P. (1999) : Écrire un récit imaginaire au C.M.2., analyse des diffi¬cultés et des stratégies des élèves, mémoire sous la direction d'Y. Reuter,Lille III.

REUTER Y. (1996) : Imaginaire, créativité et didactique de l'écriture, Pratiquesn°89.

(1997) : L'analyse du récit, Paris, Dunod.

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RÉCITS ENFANTINS EN SITUATIONDE CONTACTS DE LANGUES ET DE CULTURES

Fabienne LECONTEUniversité d'Orléans et ESA 6065 Dyalang

Résumé : Les enfants de migrants scolarisés en France sont socialisés dans des

cultures différentes. Toutefois la culture scolaire française et les cultures d'ori¬gine font une large place au récit, bien que sous des formes et avec des fonctionsdivergentes. A partir de l'exemple des familles africaines en France, on présen¬

tera les pratiques langagières familiales et les évolutions des pratiques narrativescausées par la migration. En outre, les enfants confrontés à des modèles diversse les approprient pour développer leur propre compétence de narrateurs. Leursnarrations portent alors la trace de ces différents modèles linguistiques, interac¬tionnels et culturels. Leurs choix s'orientent vers des contes dont le contenu thé¬

matique est à rapprocher de ceux circulant dans leur culture d'origine. Lorsqueles récits ont une structure formelle caractéristique de l'oralité celle-ci facilite lerappel pour des enfants dont le français n'est pas la langue première.

Le récit oral occupe une place importante dans toutes les cultures sansrevêtir ni les mêmes formes ni les mêmes fonctions selon les sociétés. Le plaisird'écouter et de raconter est commun à tous, l'imaginaire véhiculé par les contesdistille sa part de merveilleux quelles que soient les latitudes. Mais les enfantsde migrants scolarisés en France sont confrontés à des cultures du récit très dif¬férentes : culture léguée par la famille et culture scolaire française laquelle tientune large place dans le développement des capacités langagières des enfants.

Ainsi, l'école - et singulièrement l'école maternelle - accorde une placecentrale aux contes et récits non seulement parce qu'ils nourrissent l'imaginaireet développent la faculté de représentation mais aussi parce que la pratique nar¬rative favorise la structuration temporelle, l'emploi de l'anaphore et, plus globa¬lement, l'usage décontextualisé du langage. Le conte permet de manier lediscours rapporté et le discours indirect, premiers pas vers la syntaxe spécifiquede l'écrit. Les contes et histoires comportent, en milieu scolaire, souvent uneforme écrite à laquelle on peut se référer et qui modèle la langue utilisée. Dèslors la pratique du récit en classe, qui consiste encore souvent à privilégier lalecture d'albums, propose avant tout des modèles de langue écrite. Dans cecadre, le livre a une fonction d'étayage importante pour les enfants qui com¬mencent à raconter en français car l'ordre des illustrations des albums destinésaux plus jeunes découpe souvent le récit en séquences selon l'ordre du récit. Lelivre est alors une aide précieuse lorsque les mots manquent ou que la mémoirefait défaut. Les plus jeunes enfants et ceux qui sont en cours d'apprentissagedu français commentent d'abord les images avant de rappeler plus ou moins

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RÉCITS ENFANTINS EN SITUATIONDE CONTACTS DE LANGUES ET DE CULTURES

Fabienne LECONTEUniversité d'Orléans et ESA 6065 Dyalang

Résumé : Les enfants de migrants scolarisés en France sont socialisés dans des

cultures différentes. Toutefois la culture scolaire française et les cultures d'ori¬gine font une large place au récit, bien que sous des formes et avec des fonctionsdivergentes. A partir de l'exemple des familles africaines en France, on présen¬

tera les pratiques langagières familiales et les évolutions des pratiques narrativescausées par la migration. En outre, les enfants confrontés à des modèles diversse les approprient pour développer leur propre compétence de narrateurs. Leursnarrations portent alors la trace de ces différents modèles linguistiques, interac¬tionnels et culturels. Leurs choix s'orientent vers des contes dont le contenu thé¬

matique est à rapprocher de ceux circulant dans leur culture d'origine. Lorsqueles récits ont une structure formelle caractéristique de l'oralité celle-ci facilite lerappel pour des enfants dont le français n'est pas la langue première.

Le récit oral occupe une place importante dans toutes les cultures sansrevêtir ni les mêmes formes ni les mêmes fonctions selon les sociétés. Le plaisird'écouter et de raconter est commun à tous, l'imaginaire véhiculé par les contesdistille sa part de merveilleux quelles que soient les latitudes. Mais les enfantsde migrants scolarisés en France sont confrontés à des cultures du récit très dif¬férentes : culture léguée par la famille et culture scolaire française laquelle tientune large place dans le développement des capacités langagières des enfants.

Ainsi, l'école - et singulièrement l'école maternelle - accorde une placecentrale aux contes et récits non seulement parce qu'ils nourrissent l'imaginaireet développent la faculté de représentation mais aussi parce que la pratique nar¬rative favorise la structuration temporelle, l'emploi de l'anaphore et, plus globa¬lement, l'usage décontextualisé du langage. Le conte permet de manier lediscours rapporté et le discours indirect, premiers pas vers la syntaxe spécifiquede l'écrit. Les contes et histoires comportent, en milieu scolaire, souvent uneforme écrite à laquelle on peut se référer et qui modèle la langue utilisée. Dèslors la pratique du récit en classe, qui consiste encore souvent à privilégier lalecture d'albums, propose avant tout des modèles de langue écrite. Dans cecadre, le livre a une fonction d'étayage importante pour les enfants qui com¬mencent à raconter en français car l'ordre des illustrations des albums destinésaux plus jeunes découpe souvent le récit en séquences selon l'ordre du récit. Lelivre est alors une aide précieuse lorsque les mots manquent ou que la mémoirefait défaut. Les plus jeunes enfants et ceux qui sont en cours d'apprentissagedu français commentent d'abord les images avant de rappeler plus ou moins

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REPÈRES N° 21/2000 F. LECONTE

fidèlement le texte avec lequel ils auront été familiarisés. Cette fonction de lanarration comme aide à l'apprentissage de la lecture et à la conduite autonomede récits est reconnue par les familles appartenant aux classes sociales culturel¬lement les plus proches de l'école qui racontent une histoire à leur(s) jeune(s)enfantfs), le plus souvent à l'aide d'albums, avant de s'endormir. La valorisationet le développement de cette pratique est relativement récente à l'échelle histo¬rique et loin de concerner toutes les couches sociales.

La pratique du récit destinée d'abord aux enfants et ayant un lien intrin¬sèque avec le livre peut être opposée à la pratique narrative traditionnelle enAfrique noire, qui s'adresse à toute la population en ce qu'elle est l'expressiondes désirs et pulsions subjectives refoulés par l'ordre culturel (la place desjeunes et des femmes par exemple). La littérature orale est, selon la définition deJ. Derive [1975] : « Le secteur de la parole qui est consigné dans un patrimoinesous forme de trames mnémoniques et de modèles canoniques et qui se produiten énoncés institutionnels et reconnus ». On distingue alors la « paroleancienne » - celle qui est inscrite dans une tradition - de la « parole claire » ouquotidienne. Cette opposition entre claire et ancienne montre que le sens pro¬fond des textes de littérature orale est accessible uniquement aux personnes ini¬

tiées à un certain nombre de codes culturels. Les contes instruisent sur ce qu'ilne faut pas faire dans un ordre culturel avant tout rural dont la pérennité resteune valeur centrale. Les enfants sont auditeurs de ces contes, qui ne leur sontpas spécifiquement destinés, dans des veillées qui réunissent toutes les généra¬tions et ne sont pas censés accéder à leur symbolisme profond, lequel ne peutêtre compréhensible que par les personnes ayant le plus d'expérience et deconnaissances, à savoir les plus âgés. Le conte a toujours une double significa¬tion apparente et réelle, la signification réelle n'étant accessible qu'au cours del'existence. Le « vrai » sens ne se donne pas à voir d'emblée. Néanmoins, lescontes qui comportent des récits d'initiation font plutôt partie du patrimoineenfantin. Le voyage symbolise l'initiation en ce qu'il est passage d'un monde à

l'autre.

II va sans dire que, s'agissant de cultures de l'oralité, la forme écrite estrarissime et fréquemment imprimée en France ou dans d'autres métropoleseuropéennes à destination d'un public très minoritaire de lettrés oud'Européens. La fixation devant se passer à la fois d'image et d'écriture estassurée par une formalisation particulière qui concerne à la fois l'organisationtextuelle - par des répétitions, parallélismes ou chiasmes divers - et sonore pardes assonances, marques rythmiques et prosodiques.

J'ai insisté sur la profonde altérité des fonctions sociales et partant des cir¬constances de renonciation des contes traditionnels (ou non) dans chacune descultures car la similarité de leur structure ou la récurrence de certains person¬nages du nord au sud de la Méditerranée et du Sahara a été maintes fois souli¬gnée (D. Paulme 1976, N. Decourt et M. Raynaud 1999). Mais un conte ne selimite pas à sa structure textuelle analysable par des linguistes ou des sémioti-ciens : il reste vivant lorsqu'il est raconté devant un public dans des circons¬tances qui sont toujours singulières. La similarité structurelle est fréquemmentutilisée dans des classes pluriculturelles en ZEP, que ce soit pour mener un tra-

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REPÈRES N° 21/2000 F. LECONTE

fidèlement le texte avec lequel ils auront été familiarisés. Cette fonction de lanarration comme aide à l'apprentissage de la lecture et à la conduite autonomede récits est reconnue par les familles appartenant aux classes sociales culturel¬lement les plus proches de l'école qui racontent une histoire à leur(s) jeune(s)enfantfs), le plus souvent à l'aide d'albums, avant de s'endormir. La valorisationet le développement de cette pratique est relativement récente à l'échelle histo¬rique et loin de concerner toutes les couches sociales.

La pratique du récit destinée d'abord aux enfants et ayant un lien intrin¬sèque avec le livre peut être opposée à la pratique narrative traditionnelle enAfrique noire, qui s'adresse à toute la population en ce qu'elle est l'expressiondes désirs et pulsions subjectives refoulés par l'ordre culturel (la place desjeunes et des femmes par exemple). La littérature orale est, selon la définition deJ. Derive [1975] : « Le secteur de la parole qui est consigné dans un patrimoinesous forme de trames mnémoniques et de modèles canoniques et qui se produiten énoncés institutionnels et reconnus ». On distingue alors la « paroleancienne » - celle qui est inscrite dans une tradition - de la « parole claire » ouquotidienne. Cette opposition entre claire et ancienne montre que le sens pro¬fond des textes de littérature orale est accessible uniquement aux personnes ini¬

tiées à un certain nombre de codes culturels. Les contes instruisent sur ce qu'ilne faut pas faire dans un ordre culturel avant tout rural dont la pérennité resteune valeur centrale. Les enfants sont auditeurs de ces contes, qui ne leur sontpas spécifiquement destinés, dans des veillées qui réunissent toutes les généra¬tions et ne sont pas censés accéder à leur symbolisme profond, lequel ne peutêtre compréhensible que par les personnes ayant le plus d'expérience et deconnaissances, à savoir les plus âgés. Le conte a toujours une double significa¬tion apparente et réelle, la signification réelle n'étant accessible qu'au cours del'existence. Le « vrai » sens ne se donne pas à voir d'emblée. Néanmoins, lescontes qui comportent des récits d'initiation font plutôt partie du patrimoineenfantin. Le voyage symbolise l'initiation en ce qu'il est passage d'un monde à

l'autre.

II va sans dire que, s'agissant de cultures de l'oralité, la forme écrite estrarissime et fréquemment imprimée en France ou dans d'autres métropoleseuropéennes à destination d'un public très minoritaire de lettrés oud'Européens. La fixation devant se passer à la fois d'image et d'écriture estassurée par une formalisation particulière qui concerne à la fois l'organisationtextuelle - par des répétitions, parallélismes ou chiasmes divers - et sonore pardes assonances, marques rythmiques et prosodiques.

J'ai insisté sur la profonde altérité des fonctions sociales et partant des cir¬constances de renonciation des contes traditionnels (ou non) dans chacune descultures car la similarité de leur structure ou la récurrence de certains person¬nages du nord au sud de la Méditerranée et du Sahara a été maintes fois souli¬gnée (D. Paulme 1976, N. Decourt et M. Raynaud 1999). Mais un conte ne selimite pas à sa structure textuelle analysable par des linguistes ou des sémioti-ciens : il reste vivant lorsqu'il est raconté devant un public dans des circons¬tances qui sont toujours singulières. La similarité structurelle est fréquemmentutilisée dans des classes pluriculturelles en ZEP, que ce soit pour mener un tra-

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Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures

vail comparatif ou/et créer une culture commune en valorisant celle de chacun.Dès lors, le conte africain utilisé dans une classe française perd en même tempsque son lien avec l'environnement immédiat et la culture qui l'a fait naitre unepartie de ses fonctions et de sa signification pour en accueillir de nouvelles : lelien avec les familles, la reconnaissance de l'Autre.

Cependant, les termes d'histoires, de récit ou de narration sont fortementpolysémiques en français. « Raconter une histoire » ce peut être relater un évé¬nement particulier qui s'est déroulé dans la journée, un rêve, l'histoire de safamille ou une histoire inventée et créée par soi seul. Ce peut être aussi lire unconte - ici la référence à la forme écrite est centrale - mais aussi dire un conteou conter. L'activité de narration est diverse et polymorphe dans toutes les cul¬tures et concerne aussi bien la « parole claire » que la « parole ancienne ». Làencore, selon son groupe social d'origine, selon la langue ou la variété utilisée,on choisira ce qui mérite d'être relaté, quel aspect de l'événement doit être misen valeur, les circonstances dans lesquelles il convient de le faire.

Une didactique soucieuse de la prise en compte de l'hétérogénéité linguis¬tique et culturelle des élèves a tout intérêt à connaître les pratiques du récit dansles familles afin de pouvoir s'appuyer sur les acquisitions langagières de la mai¬son, y compris dans d'autres langues que le français. Un enfant, même lorsqu'ilest scolarisé en France dès l'âge de deux ou trois ans, est déjà enculturé dansune culture première qui peut être fort différente de celle de l'école. Desrecherches récentes (1) ont montré que l'enfant est d'autant plus à même debénéficier des avantages d'un bilinguisme précoce que les différentes langueset cultures dans lesquelles il est socialisé sont valorisées dans son entourageimmédiat, famille, école, réseaux sociaux. II peut aisément réinvestir les acquisi¬tions et apprentissages effectués dans « l'autre » instance de socialisationlorsque la famille d'un côté, l'école de l'autre, valorisent ce qui a été appris dansl'autre univers.

Les réflexions qui suivent sont issues d'une recherche sur l'activité narra¬tive orale de l'enfant (2) menée par l'ESA CNRS 6065. Le cadre de ce travail estconstitué par la notion de « socialisation langagière » qui est opératoire pourexpliquer comment l'enfant s'approprie les modèles langagiers de son environ¬nement immédiat et comment il les modifie. Pour mener à bien cette recherche,notre équipe a recueilli des récits auprès d'une population d'enfants diversifiéetant socialement que par le type de récits recueillis et les circonstances durecueil. Pour ma part, je me limiterai, dans le cadre de cet article, à la situationparticulière des enfants d'origine africaine ou maghrébine en France et aux pra¬tiques narratives dans les familles en m'appuyant sur une enquête menée dansune école maternelle de la région rouennaise comportant une majorité d'enfantsd'origine étrangère, sur des recherches antérieures menées auprès des famillesafricaines en France et sur une expérience passée d'enseignante de maternelleayant travaillé une quinzaine d'années en ZEP. Dans le cadre de notre étude, j'aiinterrogé une trentaine d'enfants sur les pratiques narratives dans leurs familleset leur ai demandé de me raconter l'histoire de leur choix. En premier lieu, jeprésenterai les pratiques narratives dans les familles africaines, d'une part parceque ce sont celles que je connais le mieux pour avoir étudié les pratiques et les

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Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures

vail comparatif ou/et créer une culture commune en valorisant celle de chacun.Dès lors, le conte africain utilisé dans une classe française perd en même tempsque son lien avec l'environnement immédiat et la culture qui l'a fait naitre unepartie de ses fonctions et de sa signification pour en accueillir de nouvelles : lelien avec les familles, la reconnaissance de l'Autre.

Cependant, les termes d'histoires, de récit ou de narration sont fortementpolysémiques en français. « Raconter une histoire » ce peut être relater un évé¬nement particulier qui s'est déroulé dans la journée, un rêve, l'histoire de safamille ou une histoire inventée et créée par soi seul. Ce peut être aussi lire unconte - ici la référence à la forme écrite est centrale - mais aussi dire un conteou conter. L'activité de narration est diverse et polymorphe dans toutes les cul¬tures et concerne aussi bien la « parole claire » que la « parole ancienne ». Làencore, selon son groupe social d'origine, selon la langue ou la variété utilisée,on choisira ce qui mérite d'être relaté, quel aspect de l'événement doit être misen valeur, les circonstances dans lesquelles il convient de le faire.

Une didactique soucieuse de la prise en compte de l'hétérogénéité linguis¬tique et culturelle des élèves a tout intérêt à connaître les pratiques du récit dansles familles afin de pouvoir s'appuyer sur les acquisitions langagières de la mai¬son, y compris dans d'autres langues que le français. Un enfant, même lorsqu'ilest scolarisé en France dès l'âge de deux ou trois ans, est déjà enculturé dansune culture première qui peut être fort différente de celle de l'école. Desrecherches récentes (1) ont montré que l'enfant est d'autant plus à même debénéficier des avantages d'un bilinguisme précoce que les différentes langueset cultures dans lesquelles il est socialisé sont valorisées dans son entourageimmédiat, famille, école, réseaux sociaux. II peut aisément réinvestir les acquisi¬tions et apprentissages effectués dans « l'autre » instance de socialisationlorsque la famille d'un côté, l'école de l'autre, valorisent ce qui a été appris dansl'autre univers.

Les réflexions qui suivent sont issues d'une recherche sur l'activité narra¬tive orale de l'enfant (2) menée par l'ESA CNRS 6065. Le cadre de ce travail estconstitué par la notion de « socialisation langagière » qui est opératoire pourexpliquer comment l'enfant s'approprie les modèles langagiers de son environ¬nement immédiat et comment il les modifie. Pour mener à bien cette recherche,notre équipe a recueilli des récits auprès d'une population d'enfants diversifiéetant socialement que par le type de récits recueillis et les circonstances durecueil. Pour ma part, je me limiterai, dans le cadre de cet article, à la situationparticulière des enfants d'origine africaine ou maghrébine en France et aux pra¬tiques narratives dans les familles en m'appuyant sur une enquête menée dansune école maternelle de la région rouennaise comportant une majorité d'enfantsd'origine étrangère, sur des recherches antérieures menées auprès des famillesafricaines en France et sur une expérience passée d'enseignante de maternelleayant travaillé une quinzaine d'années en ZEP. Dans le cadre de notre étude, j'aiinterrogé une trentaine d'enfants sur les pratiques narratives dans leurs familleset leur ai demandé de me raconter l'histoire de leur choix. En premier lieu, jeprésenterai les pratiques narratives dans les familles africaines, d'une part parceque ce sont celles que je connais le mieux pour avoir étudié les pratiques et les

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REPÈRES N° 21/2000 F. LECONTE

attitudes langagières de la deuxième génération originaire d'Afrique noire (3) et,d'autre part, parce que l'opposition entre cultures de l'oralité et de l'écriture yest particulièrement exemplifiée. Dans un second temps, on s'arrêtera sur lescontes choisis par des enfants d'origine étrangère toutes nationalités confon¬dues. Enfin, les enfants d'origine africaine sont scolarisés comme tous les petitsFrançais dès l'âge de deux ou trois ans. Leurs récits, dont nous analyserons unextrait ci-après, rendent compte de cette rencontre entre deux univers linguis¬tiques, culturels, énonciatifs...

1. LES PRATIQUES NARRATIVES DANS LES FAMILLES

1.1. Dans une situation inégalitaire de contact de langues

On ne peut aborder les pratiques narratives dans les familles africaines enFrance sans savoir dans quelle(s) langue(s) elles s'actualisent. C'est pourquoi jem'arrêterai brièvement sur la transmission des langues africaines aux enfantsdans un contexte où elles sont particulièrement minorées. C'est que ceslangues sont parlées par des populations socialement défavorisées et politique¬ment marginalisées qui ne peuvent s'appuyer sur le statut de langue officielledans les pays d'origine pour les promouvoir. Le point commun à l'ensemble despays d'origine des migrants africains en France est d'avoir promu, après lesindépendances, la langue de l'ancien colonisateur au rang de langue officielleunique. Les langues locales ont au mieux le statut de langue nationale, ce statutpouvant regrouper des situations fort diverses selon les pays. Le français, dansles pays où il est langue officielle, jouit d'un statut sans commune mesure avecle nombre réel de ses locuteurs (4) puisqu'il est à la fois la langue du pouvoir etdes médias, de la scolarisation et de l'accès au travail salarié. II bénéficie d'unprestige d'autant plus important qu'il est la langue de l'élite et de l'accès à lamodernité. Cette situation résulte, entre autres, de la politique linguistique del'état français qui a lutté pendant plusieurs siècles pour asseoir la dominationd'une seule langue sur le territoire français, l'unité linguistique ayant été confon¬due avec l'unité nationale. La politique prônant un monolinguisme idéel s'estprolongée dans les colonies. Comme en métropole, les langues locales furentqualifiées de dialectes et de patois, le port du « symbole » (5) généralisé dansles écoles.

La situation de dévalorisation, redoublée en France, est perçue par lesparents qui vont mettre en place de véritables politiques linguistiques familiales,choisissant de transmettre leurs langues premières à leurs enfants ou aucontraire de privilégier le français. Ces politiques linguistiques familiales dépen¬dent de critères sociaux référant autant à ce qui se passe en France qu'enAfrique, comme l'importance de la communauté linguistique et culturelle enFrance, son degré de structuration, son origine rurale ou urbaine et ses liensentretenus avec le pays d'origine, le degré de francophonie avant la migra¬tion (6)... En outre, les Africains noirs ne sont pas les seuls à mettre en placedes stratégies destinées à maintenir leurs langues et cultures en situation demigration ; les mêmes phénomènes sont observés chez d'autres catégories demigrants (Deprez 1 994).

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attitudes langagières de la deuxième génération originaire d'Afrique noire (3) et,d'autre part, parce que l'opposition entre cultures de l'oralité et de l'écriture yest particulièrement exemplifiée. Dans un second temps, on s'arrêtera sur lescontes choisis par des enfants d'origine étrangère toutes nationalités confon¬dues. Enfin, les enfants d'origine africaine sont scolarisés comme tous les petitsFrançais dès l'âge de deux ou trois ans. Leurs récits, dont nous analyserons unextrait ci-après, rendent compte de cette rencontre entre deux univers linguis¬tiques, culturels, énonciatifs...

1. LES PRATIQUES NARRATIVES DANS LES FAMILLES

1.1. Dans une situation inégalitaire de contact de langues

On ne peut aborder les pratiques narratives dans les familles africaines enFrance sans savoir dans quelle(s) langue(s) elles s'actualisent. C'est pourquoi jem'arrêterai brièvement sur la transmission des langues africaines aux enfantsdans un contexte où elles sont particulièrement minorées. C'est que ceslangues sont parlées par des populations socialement défavorisées et politique¬ment marginalisées qui ne peuvent s'appuyer sur le statut de langue officielledans les pays d'origine pour les promouvoir. Le point commun à l'ensemble despays d'origine des migrants africains en France est d'avoir promu, après lesindépendances, la langue de l'ancien colonisateur au rang de langue officielleunique. Les langues locales ont au mieux le statut de langue nationale, ce statutpouvant regrouper des situations fort diverses selon les pays. Le français, dansles pays où il est langue officielle, jouit d'un statut sans commune mesure avecle nombre réel de ses locuteurs (4) puisqu'il est à la fois la langue du pouvoir etdes médias, de la scolarisation et de l'accès au travail salarié. II bénéficie d'unprestige d'autant plus important qu'il est la langue de l'élite et de l'accès à lamodernité. Cette situation résulte, entre autres, de la politique linguistique del'état français qui a lutté pendant plusieurs siècles pour asseoir la dominationd'une seule langue sur le territoire français, l'unité linguistique ayant été confon¬due avec l'unité nationale. La politique prônant un monolinguisme idéel s'estprolongée dans les colonies. Comme en métropole, les langues locales furentqualifiées de dialectes et de patois, le port du « symbole » (5) généralisé dansles écoles.

La situation de dévalorisation, redoublée en France, est perçue par lesparents qui vont mettre en place de véritables politiques linguistiques familiales,choisissant de transmettre leurs langues premières à leurs enfants ou aucontraire de privilégier le français. Ces politiques linguistiques familiales dépen¬dent de critères sociaux référant autant à ce qui se passe en France qu'enAfrique, comme l'importance de la communauté linguistique et culturelle enFrance, son degré de structuration, son origine rurale ou urbaine et ses liensentretenus avec le pays d'origine, le degré de francophonie avant la migra¬tion (6)... En outre, les Africains noirs ne sont pas les seuls à mettre en placedes stratégies destinées à maintenir leurs langues et cultures en situation demigration ; les mêmes phénomènes sont observés chez d'autres catégories demigrants (Deprez 1 994).

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Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures

Malgré la pression francophone très forte, les stratégies de résistance lin¬guistique et culturelle peuvent aller jusqu'à l'interdiction du français à la maisondevant les adultes. Elles concernent surtout les personnes originaires du Sahel(Guinée Bissau, Mali, Mauritanie, Sénégal), majoritaires dans l'immigration afri¬caine en France. A l'inverse, une minorité de familles originaires d'Afrique cen¬trale et du golfe de Guinée privilégient le français qui apparait comme unelangue de promotion sociale pour leurs enfants. La majorité des familles sesituent entre ces deux pôles et mettent en place des glottopolitiques destinées àtransmettre leurs langues premières à leurs enfants sans que celles-ci ne soienttrès strictes.

Toutefois, si stratégie de résistance il y a, il faut aussi composer avec leprésent et l'avenir ici, alors que la réussite scolaire et, partant, l'espoir d'un ave¬nir meilleur pour les enfants passe avant tout par la maitrise du français écrit.C'est dans cette tension entre l'attachement au pays d'origine médiatisé par latransmission de la langue et de la culture et l'inscription dans la société fran¬çaise que se situent les pratiques narratives dans les familles. Tension danslaquelle il faut inscrire la confrontation entre cultures de l'oralité (dévalorisées) etculture écrite (valorisée). Rappelons que l'écrit en français est particulièrementprestigieux chez des personnes qui n'ont pas eu la chance d'être scolariséesétant enfant alors qu'y compris dans le pays d'origine, la scolarisation s'effectueen français. De plus, sa non maitrise représente, dans la société françaiseactuelle, un handicap tant au quotidien que pour les possibilités de promotionprofessionnelle.

1.2. Des pratiques narratives bouleversées par la migration

Dans une situation de minoration linguistique importante, le récit en languepremière, en tant que pratique langagière majeure dans les cultures de l'oralité,peut prendre toute sa place dans la transmission des valeurs de la commu¬nauté, des informations jugées essentielles dans l'histoire familiale et sociale. Onne saurait cependant calquer les pratiques familiales en France sur celles envigueur dans les régions d'origine. Nous avons vu plus haut que la pratique tra¬ditionnelle du conte ne prenait tout son sens qu'en référence avec l'environne¬ment immédiat et l'ordre culturel traditionnel. Celle-ci se trouve en quelque sortedéracinée lors de la transplantation en France. II est peu probable que le coqpuisse continuer à symboliser la case et le chat être doté des fétiches les pluspuissants au milieu des barres et des tours. Si les personnages des récits tradi¬tionnels peuvent encore faire rêver et distiller leur part de merveilleux, les refe¬rents deviennent complètement étrangers au quotidien. Et que dire de lagénéalogie prestigieuse de la famille si ce n'est qu'elle ne peut être transmise dela même façon dans une société qui prétend ignorer l'appartenance à une lignéepour se focaliser sur la réussite individuelle.

Au delà des bouleversements causés par la transplantation, le patrimoineculturel de la famille ne se limite plus à la culture traditionnelle du pays d'origine.Toute migration implique une rupture, les raisons pouvant en être plus ou moinsdouloureuses, que l'on songe aux réfugiés politiques ou, plus fréquemment, à ladégradation de la situation économique sur place qui ne laissent que l'exil

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Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures

Malgré la pression francophone très forte, les stratégies de résistance lin¬guistique et culturelle peuvent aller jusqu'à l'interdiction du français à la maisondevant les adultes. Elles concernent surtout les personnes originaires du Sahel(Guinée Bissau, Mali, Mauritanie, Sénégal), majoritaires dans l'immigration afri¬caine en France. A l'inverse, une minorité de familles originaires d'Afrique cen¬trale et du golfe de Guinée privilégient le français qui apparait comme unelangue de promotion sociale pour leurs enfants. La majorité des familles sesituent entre ces deux pôles et mettent en place des glottopolitiques destinées àtransmettre leurs langues premières à leurs enfants sans que celles-ci ne soienttrès strictes.

Toutefois, si stratégie de résistance il y a, il faut aussi composer avec leprésent et l'avenir ici, alors que la réussite scolaire et, partant, l'espoir d'un ave¬nir meilleur pour les enfants passe avant tout par la maitrise du français écrit.C'est dans cette tension entre l'attachement au pays d'origine médiatisé par latransmission de la langue et de la culture et l'inscription dans la société fran¬çaise que se situent les pratiques narratives dans les familles. Tension danslaquelle il faut inscrire la confrontation entre cultures de l'oralité (dévalorisées) etculture écrite (valorisée). Rappelons que l'écrit en français est particulièrementprestigieux chez des personnes qui n'ont pas eu la chance d'être scolariséesétant enfant alors qu'y compris dans le pays d'origine, la scolarisation s'effectueen français. De plus, sa non maitrise représente, dans la société françaiseactuelle, un handicap tant au quotidien que pour les possibilités de promotionprofessionnelle.

1.2. Des pratiques narratives bouleversées par la migration

Dans une situation de minoration linguistique importante, le récit en languepremière, en tant que pratique langagière majeure dans les cultures de l'oralité,peut prendre toute sa place dans la transmission des valeurs de la commu¬nauté, des informations jugées essentielles dans l'histoire familiale et sociale. Onne saurait cependant calquer les pratiques familiales en France sur celles envigueur dans les régions d'origine. Nous avons vu plus haut que la pratique tra¬ditionnelle du conte ne prenait tout son sens qu'en référence avec l'environne¬ment immédiat et l'ordre culturel traditionnel. Celle-ci se trouve en quelque sortedéracinée lors de la transplantation en France. II est peu probable que le coqpuisse continuer à symboliser la case et le chat être doté des fétiches les pluspuissants au milieu des barres et des tours. Si les personnages des récits tradi¬tionnels peuvent encore faire rêver et distiller leur part de merveilleux, les refe¬rents deviennent complètement étrangers au quotidien. Et que dire de lagénéalogie prestigieuse de la famille si ce n'est qu'elle ne peut être transmise dela même façon dans une société qui prétend ignorer l'appartenance à une lignéepour se focaliser sur la réussite individuelle.

Au delà des bouleversements causés par la transplantation, le patrimoineculturel de la famille ne se limite plus à la culture traditionnelle du pays d'origine.Toute migration implique une rupture, les raisons pouvant en être plus ou moinsdouloureuses, que l'on songe aux réfugiés politiques ou, plus fréquemment, à ladégradation de la situation économique sur place qui ne laissent que l'exil

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REPÈRES N° 21/2000 F. LECONTE

comme seule issue à la survie. Dans cette situation, la nécessaire transmissionaux enfants peut être beaucoup plus marquée par l'histoire récente de la familleque par le patrimoine traditionnel. Certains parents vont préférer raconter auxenfants la vie de la famille dans le pays d'origine pour maintenir le lien. II en estainsi pour nombre de familles d'ethnie poular, manjak ou soninké qui, apparte¬nant à des communautés structurées, choisissent de transmettre leur langue àleurs enfants afin que ceux-ci continuent d'appartenir au groupe ethnique et cul¬turel ici et là-bas.

Le choix de transmission linguistique et culturelle ne concerne pas la seulefamille au sens européen du terme mais l'ensemble du groupe en France oudans le pays d'origine pour qui la pratique de la langue ancestrale signe l'appar¬tenance au groupe ethnique. Les raisons données par les parents pour justifierles choix de transmission réfèrent fréquemment à la nécessité de ne pas couperl'enfant de son groupe ethnique d'origine et de lui transmettre les valeurs cultu¬relles véhiculées par la langue. Les enfants doivent pouvoir communiquer avecla famille restée au pays, respecter les règles d'interaction qui commandent dene pas s'adresser à une personne plus âgée (donc que l'on respecte) en fran¬çais. Dans ce contexte, les parents privilégient d'expliquer à leurs enfants la viequotidienne en Afrique, y compris sous forme de narration d'événements passésou présents. Par exemple, un enfant soninké de dix ans m'a relaté que son pèrene lui racontait pas « d'histoires » mais lui parlait des vaches qu'il avait enAfrique. Un père de famille manjak m'a dit préférer raconter et expliquer à sesenfants ce qui se passait réellement dans sa région d'origine plutôt que de leurtransmettre des contes traditionnels alors qu'il était un conteur particulièrementhabile et reconnu dans son village. Cette position s'explique aisément pour desfamilles nombreuses ayant des revenus très modestes car les possibilités d'em¬mener les enfants au pays sont faibles. II s'agit alors de donner aux enfants uneimage de l'Afrique plus proche de la réalité que celle véhiculée par les médiasfrançais qui en présentent les aspects négatifs : sida, guerre, pauvreté, etc.

En revanche, les parents qui privilégient la transmission du patrimoine tra¬ditionnel sous forme de contes, comptines, devinettes entretiennent générale¬ment des relations plus distantes avec la communauté ethnique en France et enAfrique et sont moins exigeants sur les compétences en langue d'origine deleurs enfants. II s'agit souvent de personnes ayant fréquenté l'école au delà dela scolarité primaire et plus sensibles de ce fait à la culture littéraire qu'elle soitécrite ou orale. Le patrimoine littéraire vient dans ce cas suppléer les liens dis¬tendus avec le groupe d'origine. II s'agit là de tendances générales observéslors d'une série d'enquêtes (7) menées auprès de migrants africains et de leursenfants depuis 1993 qu'il ne faut en aucun cas considérer comme règle absolue.

Enfin, la famille connait une profonde restructuration lors de la migration.En Afrique de l'ouest, les parents sont avant tout investis d'un rôle d'autoritéalors que les oncles et tantes ont un rôle affectif important auprès de l'enfant. Ala campagne, les familles ne vivent pas sur le modèle nucléaire européen maisdans des concessions (8) regroupant une vingtaine de personnes. Dans cecadre, ce sont rarement le père ou la mère qui racontent des histoires auxenfants mais les grands-parents, à moins qu'un membre de la famille ou du

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REPÈRES N° 21/2000 F. LECONTE

comme seule issue à la survie. Dans cette situation, la nécessaire transmissionaux enfants peut être beaucoup plus marquée par l'histoire récente de la familleque par le patrimoine traditionnel. Certains parents vont préférer raconter auxenfants la vie de la famille dans le pays d'origine pour maintenir le lien. II en estainsi pour nombre de familles d'ethnie poular, manjak ou soninké qui, apparte¬nant à des communautés structurées, choisissent de transmettre leur langue àleurs enfants afin que ceux-ci continuent d'appartenir au groupe ethnique et cul¬turel ici et là-bas.

Le choix de transmission linguistique et culturelle ne concerne pas la seulefamille au sens européen du terme mais l'ensemble du groupe en France oudans le pays d'origine pour qui la pratique de la langue ancestrale signe l'appar¬tenance au groupe ethnique. Les raisons données par les parents pour justifierles choix de transmission réfèrent fréquemment à la nécessité de ne pas couperl'enfant de son groupe ethnique d'origine et de lui transmettre les valeurs cultu¬relles véhiculées par la langue. Les enfants doivent pouvoir communiquer avecla famille restée au pays, respecter les règles d'interaction qui commandent dene pas s'adresser à une personne plus âgée (donc que l'on respecte) en fran¬çais. Dans ce contexte, les parents privilégient d'expliquer à leurs enfants la viequotidienne en Afrique, y compris sous forme de narration d'événements passésou présents. Par exemple, un enfant soninké de dix ans m'a relaté que son pèrene lui racontait pas « d'histoires » mais lui parlait des vaches qu'il avait enAfrique. Un père de famille manjak m'a dit préférer raconter et expliquer à sesenfants ce qui se passait réellement dans sa région d'origine plutôt que de leurtransmettre des contes traditionnels alors qu'il était un conteur particulièrementhabile et reconnu dans son village. Cette position s'explique aisément pour desfamilles nombreuses ayant des revenus très modestes car les possibilités d'em¬mener les enfants au pays sont faibles. II s'agit alors de donner aux enfants uneimage de l'Afrique plus proche de la réalité que celle véhiculée par les médiasfrançais qui en présentent les aspects négatifs : sida, guerre, pauvreté, etc.

En revanche, les parents qui privilégient la transmission du patrimoine tra¬ditionnel sous forme de contes, comptines, devinettes entretiennent générale¬ment des relations plus distantes avec la communauté ethnique en France et enAfrique et sont moins exigeants sur les compétences en langue d'origine deleurs enfants. II s'agit souvent de personnes ayant fréquenté l'école au delà dela scolarité primaire et plus sensibles de ce fait à la culture littéraire qu'elle soitécrite ou orale. Le patrimoine littéraire vient dans ce cas suppléer les liens dis¬tendus avec le groupe d'origine. II s'agit là de tendances générales observéslors d'une série d'enquêtes (7) menées auprès de migrants africains et de leursenfants depuis 1993 qu'il ne faut en aucun cas considérer comme règle absolue.

Enfin, la famille connait une profonde restructuration lors de la migration.En Afrique de l'ouest, les parents sont avant tout investis d'un rôle d'autoritéalors que les oncles et tantes ont un rôle affectif important auprès de l'enfant. Ala campagne, les familles ne vivent pas sur le modèle nucléaire européen maisdans des concessions (8) regroupant une vingtaine de personnes. Dans cecadre, ce sont rarement le père ou la mère qui racontent des histoires auxenfants mais les grands-parents, à moins qu'un membre de la famille ou du

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groupe ne soit spécialisé dans cette tâche vu ses compétences. Or, en France,la famille se rapproche du modèle nucléaire européen et perd ainsi la référence àla mémoire que transmettent les personnes plus âgées et les membres de lafamille élargie.

1.3. La répartition des rôles au sein de la famille

Les recherches sur les pratiques langagières dans les familles migrantes(africaines ou autres) ont montré l'existence d'une répartition des rôles au seinde la famille dans les apprentissages langagiers. Les parents transmettent lalangue première alors que les aines servent de médiateurs linguistiques et cultu¬rels entre la famille et les institutions françaises et se chargent d'apprendre lefrançais à leurs frères et sAurs plus jeunes et quelquefois à leurs parents. Lerôle des aines dans l'acquisition langagière des cadets ne se limite pas à l'ap¬prentissage de la langue stricto sensu car ils racontent volontiers des histoiresaux cadets, cette activité étant surtout assumée par les filles. En revanche,lorsque les parents racontent, c'est la langue première qui est employée et ce,que le récit appartienne au patrimoine traditionnel ou concerne l'histoire de lafamille. Les histoires choisies par les aines, selon les témoignages recueillisauprès de jeunes enfants, sont surtout des contes traditionnels appartenant aupatrimoine français, la pratique du conte africain en langue africaine par desaines étant beaucoup plus rare. On peut supposer que la pratique du conte enfrançais est considérée par les aines comme une part importante de la compé¬tence dans cette langue pour qu'ils s'y adonnent si volontiers. Ils reproduisentune pratique qu'ils ont aimée quand ils étaient plus jeunes et qu'ils considèrentcomme un bon moyen d'apprendre le français ou de s'initier à la lecture. Leurvécu scolaire n'y est certainement pas étranger.

La pratique narrative auprès des enfants, assumée en Afrique (ou auMaghreb) par la famille élargie, ne disparait pas en France ; elle est désormaisassurée par les aines qui racontent, le plus souvent en français, des contes dupatrimoine traditionnel européen. On peut aussi y voir une volonté peut êtreinconsciente d'acculturation. Ceci montre l'importance que les enfants accor¬dent au récit d'histoire et le plaisir qu'ils y trouvent. Raconter aux petits estperçu comme une activité emblématique de l'école maternelle.

2. LES RAPPELS PAR LES ENFANTS

J'ai demandé à une trentaine d'enfants de grande section de maternelle deme raconter l'histoire de leur choix. L'enquête a été effectuée dans une école dela banlieue rouennaise comportant 90 % d'enfants d'origine étrangère (9), origi¬naires surtout du Maghreb et d'Afrique noire souvent non francophones avantleur scolarisation. Certains enfants ont choisi de me relater un événement heu¬reux ou angoissant qui les avait marqué, d'autres de me traduire une histoireracontée en langue première dans la famille ou de me rappeler un conte entenduet travaillé en classe. Notons que les enseignantes de cette école avaient entre¬pris l'année de l'enquête une action spécifique sur le récit. Les élèves, dont lamajorité étaient non francophones avant leur scolarisation, éprouvaient de

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groupe ne soit spécialisé dans cette tâche vu ses compétences. Or, en France,la famille se rapproche du modèle nucléaire européen et perd ainsi la référence àla mémoire que transmettent les personnes plus âgées et les membres de lafamille élargie.

1.3. La répartition des rôles au sein de la famille

Les recherches sur les pratiques langagières dans les familles migrantes(africaines ou autres) ont montré l'existence d'une répartition des rôles au seinde la famille dans les apprentissages langagiers. Les parents transmettent lalangue première alors que les aines servent de médiateurs linguistiques et cultu¬rels entre la famille et les institutions françaises et se chargent d'apprendre lefrançais à leurs frères et sAurs plus jeunes et quelquefois à leurs parents. Lerôle des aines dans l'acquisition langagière des cadets ne se limite pas à l'ap¬prentissage de la langue stricto sensu car ils racontent volontiers des histoiresaux cadets, cette activité étant surtout assumée par les filles. En revanche,lorsque les parents racontent, c'est la langue première qui est employée et ce,que le récit appartienne au patrimoine traditionnel ou concerne l'histoire de lafamille. Les histoires choisies par les aines, selon les témoignages recueillisauprès de jeunes enfants, sont surtout des contes traditionnels appartenant aupatrimoine français, la pratique du conte africain en langue africaine par desaines étant beaucoup plus rare. On peut supposer que la pratique du conte enfrançais est considérée par les aines comme une part importante de la compé¬tence dans cette langue pour qu'ils s'y adonnent si volontiers. Ils reproduisentune pratique qu'ils ont aimée quand ils étaient plus jeunes et qu'ils considèrentcomme un bon moyen d'apprendre le français ou de s'initier à la lecture. Leurvécu scolaire n'y est certainement pas étranger.

La pratique narrative auprès des enfants, assumée en Afrique (ou auMaghreb) par la famille élargie, ne disparait pas en France ; elle est désormaisassurée par les aines qui racontent, le plus souvent en français, des contes dupatrimoine traditionnel européen. On peut aussi y voir une volonté peut êtreinconsciente d'acculturation. Ceci montre l'importance que les enfants accor¬dent au récit d'histoire et le plaisir qu'ils y trouvent. Raconter aux petits estperçu comme une activité emblématique de l'école maternelle.

2. LES RAPPELS PAR LES ENFANTS

J'ai demandé à une trentaine d'enfants de grande section de maternelle deme raconter l'histoire de leur choix. L'enquête a été effectuée dans une école dela banlieue rouennaise comportant 90 % d'enfants d'origine étrangère (9), origi¬naires surtout du Maghreb et d'Afrique noire souvent non francophones avantleur scolarisation. Certains enfants ont choisi de me relater un événement heu¬reux ou angoissant qui les avait marqué, d'autres de me traduire une histoireracontée en langue première dans la famille ou de me rappeler un conte entenduet travaillé en classe. Notons que les enseignantes de cette école avaient entre¬pris l'année de l'enquête une action spécifique sur le récit. Les élèves, dont lamajorité étaient non francophones avant leur scolarisation, éprouvaient de

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grandes difficultés à relater un événement, qu'il se soit déroulé à la maison,dans le quartier ou dans l'école, de manière compréhensible par l'interlocuteur.Le travail effectué en classe a porté surtout sur l'organisation des récits et leurcohérence.

2.1. Le choix des contes

Le choix des contes que les enfants ont souhaité raconter est intéressant àconsidérer parce qu'il nous éclaire sur le goût des enfants. Le « Petit ChaperonRouge » arrive en tête du palmarès, talonné de près par « Les Trois petitscochons » et « La Chèvre de Monsieur Seguin » pour ce qui concerne les his¬

toires non traduites de la langue première. Ces trois récits, présents dans lesclasses parmi beaucoup d'autres, sont en outre fréquemment cités comme his¬

toires racontées par les aines à la maison.

On peut proposer plusieurs explications à ces choix. La première estd'ordre banalement économique et social. Les albums sont disponibles ausupermarché du quartier à un prix modique alors que les familles ne fréquententjamais les librairies du centre ville où le choix est beaucoup plus vaste... et lesprix plus élevés. II serait alors logique que les enfants préfèrent raconter le seulalbum disponible à la maison. Cependant, d'autres albums sont accessiblesdans les mêmes conditions. Blanche Neige est curieusement absente du palma¬rès, y compris pour les filles, de même que Cendrillon. Pourtant, les histoires desorcières sont présentes dans les différentes cultures quand bien même au suddu Sahara les sorcières préfèrent sucer le sang de leur victime plutôt que lesempoisonner. Si ces contes ne font pas recette, c'est peut être que ces histoiressont trop éloignées du vécu des enfants qui sont loin de vivre dans un universsurprotégé où la préoccupation essentielle serait la rivalité de la fille unique avecla mère.

Les trois contes préférés ont en commun de confronter des personnagesanthropomorphes avec un loup qui représente le danger suprême, celui de lamort. Ce sentiment de vivre dans un univers potentiellement dangereux permetd'expliquer le succès des Trois Petits Cochons qui apparait à première vue inso¬lite chez les enfants de culture musulmane. Mais, dans ce conte, les cochons,représentant les enfants, doivent se débrouiller seuls, sans aucune aide, pourparer le danger et assurer leur survie. Ici, on ne peut compter sur une bonne fée,des nains, ou quelque chasseur pour se sortir d'un mauvais pas ou réparer uneerreur ; seule la solidarité entre pairs peut protéger. II est d'ailleurs remarquableque ce conte arrive en tête des histoires racontées par les aines quelle que soitl'origine ethnique ou culturelle. Au-delà du vécu quotidien, on peut avancer desexplications se référant aux cultures d'origine des enfants. La Chèvre de mon¬sieur Seguin ayant pour thème la désobéissance, son contenu thématique est àrapprocher des contes traditionnels africains qui alertent leurs auditeurs sur cequ'il ne faut pas faire. Quant au Petit Chaperon rouge, il peut être comparé auxrécits initiatiques avant tout destinés aux enfants. Dans ceux-ci, le héros doitentreprendre un voyage jalonné d'épreuves au cours duquel il rencontrera adju¬vants et opposants se présentant souvent sous forme d'animaux. En outre, un

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grandes difficultés à relater un événement, qu'il se soit déroulé à la maison,dans le quartier ou dans l'école, de manière compréhensible par l'interlocuteur.Le travail effectué en classe a porté surtout sur l'organisation des récits et leurcohérence.

2.1. Le choix des contes

Le choix des contes que les enfants ont souhaité raconter est intéressant àconsidérer parce qu'il nous éclaire sur le goût des enfants. Le « Petit ChaperonRouge » arrive en tête du palmarès, talonné de près par « Les Trois petitscochons » et « La Chèvre de Monsieur Seguin » pour ce qui concerne les his¬

toires non traduites de la langue première. Ces trois récits, présents dans lesclasses parmi beaucoup d'autres, sont en outre fréquemment cités comme his¬

toires racontées par les aines à la maison.

On peut proposer plusieurs explications à ces choix. La première estd'ordre banalement économique et social. Les albums sont disponibles ausupermarché du quartier à un prix modique alors que les familles ne fréquententjamais les librairies du centre ville où le choix est beaucoup plus vaste... et lesprix plus élevés. II serait alors logique que les enfants préfèrent raconter le seulalbum disponible à la maison. Cependant, d'autres albums sont accessiblesdans les mêmes conditions. Blanche Neige est curieusement absente du palma¬rès, y compris pour les filles, de même que Cendrillon. Pourtant, les histoires desorcières sont présentes dans les différentes cultures quand bien même au suddu Sahara les sorcières préfèrent sucer le sang de leur victime plutôt que lesempoisonner. Si ces contes ne font pas recette, c'est peut être que ces histoiressont trop éloignées du vécu des enfants qui sont loin de vivre dans un universsurprotégé où la préoccupation essentielle serait la rivalité de la fille unique avecla mère.

Les trois contes préférés ont en commun de confronter des personnagesanthropomorphes avec un loup qui représente le danger suprême, celui de lamort. Ce sentiment de vivre dans un univers potentiellement dangereux permetd'expliquer le succès des Trois Petits Cochons qui apparait à première vue inso¬lite chez les enfants de culture musulmane. Mais, dans ce conte, les cochons,représentant les enfants, doivent se débrouiller seuls, sans aucune aide, pourparer le danger et assurer leur survie. Ici, on ne peut compter sur une bonne fée,des nains, ou quelque chasseur pour se sortir d'un mauvais pas ou réparer uneerreur ; seule la solidarité entre pairs peut protéger. II est d'ailleurs remarquableque ce conte arrive en tête des histoires racontées par les aines quelle que soitl'origine ethnique ou culturelle. Au-delà du vécu quotidien, on peut avancer desexplications se référant aux cultures d'origine des enfants. La Chèvre de mon¬sieur Seguin ayant pour thème la désobéissance, son contenu thématique est àrapprocher des contes traditionnels africains qui alertent leurs auditeurs sur cequ'il ne faut pas faire. Quant au Petit Chaperon rouge, il peut être comparé auxrécits initiatiques avant tout destinés aux enfants. Dans ceux-ci, le héros doitentreprendre un voyage jalonné d'épreuves au cours duquel il rencontrera adju¬vants et opposants se présentant souvent sous forme d'animaux. En outre, un

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Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures

des contes récents souvent choisi par les enfants de cette école est « ChienBleu » qui peut être assimilé à un récit initiatique par son contenu thématique.

Surtout, qu'ils aient été élaborés directement à l'oral ou à l'écrit, les troiscontes préférés comportent une organisation formelle caractéristique des textesoraux, telle qu'on l'a définie ci-dessus : répétitions, parallélismes, formulesrituelles, etc. Les enfants dont le français n'est pas la langue première retiennentplus facilement des récits qui ont conservé leur organisation formelle de texteoral ou qui s'en rapprochent par leur structure car ils peuvent s'appuyer sur cesmarques pour les rappeler. La scène du loup soufflant et tapant sur la maisondes cochons se répète trois fois, par exemple. II est d'ailleurs remarquable quelors d'étayages entre enfants, l'intervention aidante ou réfutante du camarade sefocalise sur la structure du récit : non d'abord la maison en paille alors que lecontenu d'une réplique est rarement contesté. Pour les enfants, l'ordre desséquences doit être respecté, ce qui maintient la cohérence du récit, la variationindividuelle étant permise à l'intérieur de ce cadre. De même, les formulesrituelles émaillant le récit du Petit Chaperon rouge sont vite retenues et resti¬tuées à leur place exacte quand bien même les enfants n'ont pas accès ausens, comme pour la célèbre chevillette qui fait choir la bobinette. Or, les procé¬dés rhétoriques caractéristiques de l'oralité sont atténués voire disparaissentdans la plupart des albums pour enfants de confection plus récente qui ont étédirectement élaborés à l'écrit. II ne faut plus dès lors s'étonner de voir préférerdans certaines écoles de banlieue des livres au graphisme désuet, en mauvaisétat à force d'être manipulés, à des albums flambant neuf aux illustrationsattrayantes... mais si difficiles quand on veut les raconter tout seul.

La narration de Bodri, que nous allons analyser ci-après, est un bonexemple de l'effet facilitant des caractéristiques formelles des textes oraux.

2.2. Bodri : Et puis le loup a disa : « Comment ça va ? »

Bodri a six ans, est originaire du Congo-Kinshasa et parle lingala et françaischez lui. II éprouve visiblement un grand plaisir à raconter des histoires bien qu'ilaffirme que personne à la maison ne lui en raconte. C'est donc un conteentendu en classe : le Petit Chaperon rouge, qu'il choisira de rappeler d'abord.Le rappel de Bodri n'omet aucune séquence importante de l'histoire alors qu'ilapparait comme un conteur habile dont la performance n'a rien à envier à celled'enfants de même âge monolingues en français. Bodri s'est manifestementapproprié l'histoire sans que sa spécificité d'enfant bilingue et biculturel ne dis¬paraisse derrière un modèle. On analysera ci-après les marques d'interlangue etd'interculture présentes dans son récit.

L'interiangue est un système intermédiaire créé par les apprenants d'unelangue seconde au cours de leur apprentissage en s'appuyant sur leur connais¬sance de leur(s) langue(s) première(s) et sur les hypothèses qu'ils font sur lefonctionnement de la langue cible. Ce système instable, en évolution constanteau cours de l'acquisition, tend à se rapprocher de la langue à acquérir. Lescaractéristiques principales en sont les interférences avec les langues acquisesantérieurement et les simplifications, qui concernent essentiellement les zones

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des contes récents souvent choisi par les enfants de cette école est « ChienBleu » qui peut être assimilé à un récit initiatique par son contenu thématique.

Surtout, qu'ils aient été élaborés directement à l'oral ou à l'écrit, les troiscontes préférés comportent une organisation formelle caractéristique des textesoraux, telle qu'on l'a définie ci-dessus : répétitions, parallélismes, formulesrituelles, etc. Les enfants dont le français n'est pas la langue première retiennentplus facilement des récits qui ont conservé leur organisation formelle de texteoral ou qui s'en rapprochent par leur structure car ils peuvent s'appuyer sur cesmarques pour les rappeler. La scène du loup soufflant et tapant sur la maisondes cochons se répète trois fois, par exemple. II est d'ailleurs remarquable quelors d'étayages entre enfants, l'intervention aidante ou réfutante du camarade sefocalise sur la structure du récit : non d'abord la maison en paille alors que lecontenu d'une réplique est rarement contesté. Pour les enfants, l'ordre desséquences doit être respecté, ce qui maintient la cohérence du récit, la variationindividuelle étant permise à l'intérieur de ce cadre. De même, les formulesrituelles émaillant le récit du Petit Chaperon rouge sont vite retenues et resti¬tuées à leur place exacte quand bien même les enfants n'ont pas accès ausens, comme pour la célèbre chevillette qui fait choir la bobinette. Or, les procé¬dés rhétoriques caractéristiques de l'oralité sont atténués voire disparaissentdans la plupart des albums pour enfants de confection plus récente qui ont étédirectement élaborés à l'écrit. II ne faut plus dès lors s'étonner de voir préférerdans certaines écoles de banlieue des livres au graphisme désuet, en mauvaisétat à force d'être manipulés, à des albums flambant neuf aux illustrationsattrayantes... mais si difficiles quand on veut les raconter tout seul.

La narration de Bodri, que nous allons analyser ci-après, est un bonexemple de l'effet facilitant des caractéristiques formelles des textes oraux.

2.2. Bodri : Et puis le loup a disa : « Comment ça va ? »

Bodri a six ans, est originaire du Congo-Kinshasa et parle lingala et françaischez lui. II éprouve visiblement un grand plaisir à raconter des histoires bien qu'ilaffirme que personne à la maison ne lui en raconte. C'est donc un conteentendu en classe : le Petit Chaperon rouge, qu'il choisira de rappeler d'abord.Le rappel de Bodri n'omet aucune séquence importante de l'histoire alors qu'ilapparait comme un conteur habile dont la performance n'a rien à envier à celled'enfants de même âge monolingues en français. Bodri s'est manifestementapproprié l'histoire sans que sa spécificité d'enfant bilingue et biculturel ne dis¬paraisse derrière un modèle. On analysera ci-après les marques d'interlangue etd'interculture présentes dans son récit.

L'interiangue est un système intermédiaire créé par les apprenants d'unelangue seconde au cours de leur apprentissage en s'appuyant sur leur connais¬sance de leur(s) langue(s) première(s) et sur les hypothèses qu'ils font sur lefonctionnement de la langue cible. Ce système instable, en évolution constanteau cours de l'acquisition, tend à se rapprocher de la langue à acquérir. Lescaractéristiques principales en sont les interférences avec les langues acquisesantérieurement et les simplifications, qui concernent essentiellement les zones

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les plus fragiles du français. Par exemple, la forme « que » est employée pourtous les pronoms relatifs alors que les déclinaisons ont pratiquement disparu dufrançais. Pour les interférences, elles sont plus fréquentes chez les personnesqui acquièrent une seconde langue à l'âge adulte ou lorsqu'il s'agit de languesgénétiquement proches (comme le français et le portugais). Simplifications etinterférences touchent tous les niveaux de l'organisation du discours, rhéto¬rique, sémantique, énonciatif, morpho-syntaxique, lexical ou phonologique. II nes'agit pas de « fautes » qu'il faut à tout prix sanctionner avant qu'elles ne s'ins¬tallent définitivement mais de marques perceptibles dans le discours d'un tra¬vail actif de l'apprenant sur son acquisition.

Pour des enfants qui apprennent le français comme langue seconde dèsl'âge de deux ou trois ans, il peut être malaisé de faire la part des simplificationsqui sont communes à tous les enfants en cours d'apprentissage du français, dece qui est spécifique aux enfants bilingues. II s'agit souvent des mêmes phéno¬mènes même si l'on observe un décalage dans le temps. On doit alors analyserles écarts par rapport aux usages avec une grande circonspection, surtout lors¬qu'il s'agit d'une transcription, car ceux-ci ressortissent de phénomènes de plu¬sieurs ordres. Lorsque le Petit Chaperon Rouge apporte une canette et un petitcoup de beurre à sa grand-mère, comme nous l'a rappelé un des élèves, il estpréférable d'y voir l'influence du quartier plutôt que celle de la langue première.De même la réalisation [i] ou [iz] pour /7s selon qu'il soit devant voyelle ouconsonne est une marque typique de l'oral quelle que soit la langue première dulocuteur, comme les hésitations, les répétitions et les reprises.

Malgré la prudence qu'il convient d'observer, on peut noter quelquesmarques d'interlangue dans la restitution de Bodri dont voici un extrait (10).

Les conventions de transcription sont les suivantes :

/pause brève, II, pause plus longuebonjour, soulignement, segment prononcé avec une intensité fortexx, segment incompréhensiblei ou is, il ou ils prononcé p]

B1 II était une fois une petite fille qu'habitait loin de la forêt I à sa maman unjour la disa I je je crois que la grand-mère est malade I i faut l'am(e)ner I un petitpeu de beurre et I et quoi encore ensuite

E1 et une galette

B2 et une galette I et puis euh dépêche toi avant /ajournée de ta nuit I alorslà y disait alors là il était i partit et puis I il avait entendu ting ting I c'était la voixdu loup I et puis i a disa comment ça va I et là a disa euh ça va bien et puis etaprès al dit (. . .) et puis a dit et pis le lou disa u 'est-ce ue tu fais ans la forêtet pis où vas-tu d'abord I sij'veux I bon sij'veux (. . .)

B3 j'y vais j'y vais loin de la forêt chez ma grand-mère I et puis I et puis I leloup disa as d n e chemin là et moi è asserai dan hemin là I et c'estmoi et en c'est toi qui va arriver premier I alors I is étaient partis partis partisaprès I c'était le loup qu'étaient i arrivé

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les plus fragiles du français. Par exemple, la forme « que » est employée pourtous les pronoms relatifs alors que les déclinaisons ont pratiquement disparu dufrançais. Pour les interférences, elles sont plus fréquentes chez les personnesqui acquièrent une seconde langue à l'âge adulte ou lorsqu'il s'agit de languesgénétiquement proches (comme le français et le portugais). Simplifications etinterférences touchent tous les niveaux de l'organisation du discours, rhéto¬rique, sémantique, énonciatif, morpho-syntaxique, lexical ou phonologique. II nes'agit pas de « fautes » qu'il faut à tout prix sanctionner avant qu'elles ne s'ins¬tallent définitivement mais de marques perceptibles dans le discours d'un tra¬vail actif de l'apprenant sur son acquisition.

Pour des enfants qui apprennent le français comme langue seconde dèsl'âge de deux ou trois ans, il peut être malaisé de faire la part des simplificationsqui sont communes à tous les enfants en cours d'apprentissage du français, dece qui est spécifique aux enfants bilingues. II s'agit souvent des mêmes phéno¬mènes même si l'on observe un décalage dans le temps. On doit alors analyserles écarts par rapport aux usages avec une grande circonspection, surtout lors¬qu'il s'agit d'une transcription, car ceux-ci ressortissent de phénomènes de plu¬sieurs ordres. Lorsque le Petit Chaperon Rouge apporte une canette et un petitcoup de beurre à sa grand-mère, comme nous l'a rappelé un des élèves, il estpréférable d'y voir l'influence du quartier plutôt que celle de la langue première.De même la réalisation [i] ou [iz] pour /7s selon qu'il soit devant voyelle ouconsonne est une marque typique de l'oral quelle que soit la langue première dulocuteur, comme les hésitations, les répétitions et les reprises.

Malgré la prudence qu'il convient d'observer, on peut noter quelquesmarques d'interlangue dans la restitution de Bodri dont voici un extrait (10).

Les conventions de transcription sont les suivantes :

/pause brève, II, pause plus longuebonjour, soulignement, segment prononcé avec une intensité fortexx, segment incompréhensiblei ou is, il ou ils prononcé p]

B1 II était une fois une petite fille qu'habitait loin de la forêt I à sa maman unjour la disa I je je crois que la grand-mère est malade I i faut l'am(e)ner I un petitpeu de beurre et I et quoi encore ensuite

E1 et une galette

B2 et une galette I et puis euh dépêche toi avant /ajournée de ta nuit I alorslà y disait alors là il était i partit et puis I il avait entendu ting ting I c'était la voixdu loup I et puis i a disa comment ça va I et là a disa euh ça va bien et puis etaprès al dit (. . .) et puis a dit et pis le lou disa u 'est-ce ue tu fais ans la forêtet pis où vas-tu d'abord I sij'veux I bon sij'veux (. . .)

B3 j'y vais j'y vais loin de la forêt chez ma grand-mère I et puis I et puis I leloup disa as d n e chemin là et moi è asserai dan hemin là I et c'estmoi et en c'est toi qui va arriver premier I alors I is étaient partis partis partisaprès I c'était le loup qu'étaient i arrivé

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Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures

E2 en premier

B4 en premier et puis i peut toc toc toc Itoc toc toc I qui est là II c'estc'était moi votre petit chaperon rouge II et puis il est et puis I il le loup disa à lavoix du petit chaperon rouge I c'est moi votre petit chaperon rouge I tirez la che-villette et la chère cherra I et puis le loup ouvra la porte et puis trouva la vieilledame couchée dans son lit après II

E3 Qu'est-ce qui fait qu'est-ce qui fait à la vieille dame le loup

B5 il se jetta sur elle et let ça xx tout partout

Une des erreurs récurrentes dans les récits d'enfants en cours d'acquisitiondu français langue seconde concerne le maniement des prépositions dont la dif¬ficulté est bien connue de tous les enseignants de français langue étrangèrequel que soit leur public. Les plus fréquentes, à et de, sont suremployées,comme dans à la voix du petit chaperon rouge (B3) pour avec la voix alors quel'expression de la localisation induit de fréquentes erreurs vu sa complexité : il

faut utiliser par pour un chemin mais dans pour la forêt. De même lorsqu'il s'agitd'exprimer la manière dont le loup dévore ses victimes, Bodri emploie d'abordl'expression sur une seule bouchée puis en dans une seule bouchée. Ces refor¬mulations divergentes du texte original montrent que son système est instable etévolue sous la pression des modèles de langue auxquels il est exposé. Certainssegments du récit sont retenus globalement alors que d'autres font l'objet d'unrappel en fonction de ses hypothèses sur le fonctionnement du français. Leserreurs concernant les pronoms personnels ressortissent des mêmes phéno¬mènes. S'agissant des rares formes, avec les pronoms relatifs, qui se déclinentencore en français contemporain, l'opposition complément direct vs indirect etl'absence de forme spécifique au féminin pour le datif est difficile à acquérir (samaman la disa, il faut l'amener) car elle fait figure d'exception.

Au niveau énonciatif, on note une conduite du loup bien particulière devantson interlocutrice. Il n'oublie pas de la saluer en lui demandant de sesnouvelles : comment ça va. Elle répond alors en petite fille bien élevée : euh çava bien. Cette incursion d'un trait culturel spécifiquement africain dans le récitmontre que l'enfant s'est approprié l'histoire pour en faire une restitution person¬nelle, y compris en y incluant une marque typique de sa culture première. II nefaut cependant pas oublier que nous sommes dans une cité française. Les salu¬tations tournent court rapidement et le Petit Chaperon rouge commence par serebeller, défie l'autorité quand le loup s'enquiert des raisons de sa présence ence lieu. Pareil manquement aux règles de politesse est impensable en Afriquechez un enfant de cet âge. L'interculturel se joue dès la première rencontre... Enrevanche, le système phonologique de Bodri est celui d'un francophone de cetâge puisque le seul écart perceptible par rapport à la norme concerne la réalisa¬tion de [a] ou [al] pour e//e, caractéristique de Rouen et de sa région. II est bienconnu que les enfants de la deuxième génération adoptent rapidement l'accentde la région où ils vivent jusqu'à fréquemment se faire railler sur leur « accentfrançais » lorsqu'ils se rendent dans leur pays d'origine.

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Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures

E2 en premier

B4 en premier et puis i peut toc toc toc Itoc toc toc I qui est là II c'estc'était moi votre petit chaperon rouge II et puis il est et puis I il le loup disa à lavoix du petit chaperon rouge I c'est moi votre petit chaperon rouge I tirez la che-villette et la chère cherra I et puis le loup ouvra la porte et puis trouva la vieilledame couchée dans son lit après II

E3 Qu'est-ce qui fait qu'est-ce qui fait à la vieille dame le loup

B5 il se jetta sur elle et let ça xx tout partout

Une des erreurs récurrentes dans les récits d'enfants en cours d'acquisitiondu français langue seconde concerne le maniement des prépositions dont la dif¬ficulté est bien connue de tous les enseignants de français langue étrangèrequel que soit leur public. Les plus fréquentes, à et de, sont suremployées,comme dans à la voix du petit chaperon rouge (B3) pour avec la voix alors quel'expression de la localisation induit de fréquentes erreurs vu sa complexité : il

faut utiliser par pour un chemin mais dans pour la forêt. De même lorsqu'il s'agitd'exprimer la manière dont le loup dévore ses victimes, Bodri emploie d'abordl'expression sur une seule bouchée puis en dans une seule bouchée. Ces refor¬mulations divergentes du texte original montrent que son système est instable etévolue sous la pression des modèles de langue auxquels il est exposé. Certainssegments du récit sont retenus globalement alors que d'autres font l'objet d'unrappel en fonction de ses hypothèses sur le fonctionnement du français. Leserreurs concernant les pronoms personnels ressortissent des mêmes phéno¬mènes. S'agissant des rares formes, avec les pronoms relatifs, qui se déclinentencore en français contemporain, l'opposition complément direct vs indirect etl'absence de forme spécifique au féminin pour le datif est difficile à acquérir (samaman la disa, il faut l'amener) car elle fait figure d'exception.

Au niveau énonciatif, on note une conduite du loup bien particulière devantson interlocutrice. Il n'oublie pas de la saluer en lui demandant de sesnouvelles : comment ça va. Elle répond alors en petite fille bien élevée : euh çava bien. Cette incursion d'un trait culturel spécifiquement africain dans le récitmontre que l'enfant s'est approprié l'histoire pour en faire une restitution person¬nelle, y compris en y incluant une marque typique de sa culture première. II nefaut cependant pas oublier que nous sommes dans une cité française. Les salu¬tations tournent court rapidement et le Petit Chaperon rouge commence par serebeller, défie l'autorité quand le loup s'enquiert des raisons de sa présence ence lieu. Pareil manquement aux règles de politesse est impensable en Afriquechez un enfant de cet âge. L'interculturel se joue dès la première rencontre... Enrevanche, le système phonologique de Bodri est celui d'un francophone de cetâge puisque le seul écart perceptible par rapport à la norme concerne la réalisa¬tion de [a] ou [al] pour e//e, caractéristique de Rouen et de sa région. II est bienconnu que les enfants de la deuxième génération adoptent rapidement l'accentde la région où ils vivent jusqu'à fréquemment se faire railler sur leur « accentfrançais » lorsqu'ils se rendent dans leur pays d'origine.

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REPÈRES N° 21/2000 F. LECONTE

Au niveau rhétorique, le récit, très détaillé, de Bodri apparait conforme à laversion entendue en classe. Aucun événement important n'est omis, l'ensemblene manquant ni de cohérence ni de cohésion. Bodri use des temps verbauxpour organiser sa narration. Le passé simple a été identifié comme temps durécit lorsqu'il s'agit de rappeler la « parole ancienne » et est amplement usité enopposition avec le présent des dialogues et l'imparfait comme temps de l'his¬toire (cf. A1). II intègre l'équivalence entre passé simple et passé composé pourexprimer l'achèvement d'un événement se déroulant dans le passé.L'équivalence est remarquable dans son discours par la présence, non systéma¬tique, de l'auxiliaire « avoir » devant une forme radical + a (/e loup a disa). Audemeurant, les écarts par rapport aux usages concernant la formation du passésimple des verbes irréguliers sont communs à tous les enfants francophones à.un moment donné de leur acquisition. Ils assimilent l'usage qu'il convient defaire de ce temps jamais entendu à l'oral dans une conversation quotidienne etla règle de formation pour les verbes du premier groupe, les plus fréquents. Lesexceptions viendront après. Pour Bodri, lorsque le verbe est au premier groupe,le passé simple est réalisé conformément à la morphologie, comme le montrel'extrait suivant :

A7 non non tout d'abord i trouva euh I une I dans l'armoire a i trouva unpyjama (1 1) d'Ia grand-mère I après a i s'habilla avec le pyjama et puis mmh etpuis se coucha I dans le lit

L'utilisation d'une forme emblématique du passé simple, si elle n'est pastoujours conforme à la réalisation attendue comme pour le verbe dire, permet àBodri de structurer son récit. C'est que le verbe « dire » est identique à l'oral auprésent, au passé simple et au participe passé [di]. Comment dès lors exprimerla spécificité du conte en tant que genre ? Comment faire ressortir l'oppositionentre la voix du narrateur et celle de chacun des personnages ?

C'est que les voix des personnages ont une grande importance pour notreconteur. II a bien compris l'importance que celles-ci revêtaient dans la progres¬sion du récit puisque c'est en travestissant sa voix que le loup peut berner lagrand-mère et la dévorer, séquence qu'il restitue (B4). Ainsi, chaque personnageest joué avec une intonation particulière. Le loup, lorsqu'il rencontre le PetitChaperon Rouge, parle avec une voix grave et une intensité forte qu'il abandon¬nera pour leurrer ses victimes. A l'inverse, la Grand-mère est rendue avec unevoix chevrotante et le Petit chaperon rouge une voix aiguë, Bodri réservant sonintonation habituelle à la narration proprement dite. Mais, d'un point de vuestrictement sonore, le narrateur est facilement identifiable grâce à la présencerécurrente de la voyelle [a] à la fin des verbes. Les jeux sur les temps et les voixfont sens en se renforçant mutuellement et permettent de produire un récitfidèle, long, et beaucoup plus élaboré que celui de nombre d'enfants de cet âgequi se limitent à l'emploi des temps verbaux les plus fréquents, les séquencesn'étant reliés entre elles que par les « et puis », « après » caractéristiques desrécits des jeunes enfants.

Ainsi, sa performance ressemble à celle d'un conteur « professionnel » quisait tenir son auditoire en haleine. II est remarquable qu'un enfant dont l'encultu-ration première a été effectuée dans une culture de l'oralité use des divers pro-

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REPÈRES N° 21/2000 F. LECONTE

Au niveau rhétorique, le récit, très détaillé, de Bodri apparait conforme à laversion entendue en classe. Aucun événement important n'est omis, l'ensemblene manquant ni de cohérence ni de cohésion. Bodri use des temps verbauxpour organiser sa narration. Le passé simple a été identifié comme temps durécit lorsqu'il s'agit de rappeler la « parole ancienne » et est amplement usité enopposition avec le présent des dialogues et l'imparfait comme temps de l'his¬toire (cf. A1). II intègre l'équivalence entre passé simple et passé composé pourexprimer l'achèvement d'un événement se déroulant dans le passé.L'équivalence est remarquable dans son discours par la présence, non systéma¬tique, de l'auxiliaire « avoir » devant une forme radical + a (/e loup a disa). Audemeurant, les écarts par rapport aux usages concernant la formation du passésimple des verbes irréguliers sont communs à tous les enfants francophones à.un moment donné de leur acquisition. Ils assimilent l'usage qu'il convient defaire de ce temps jamais entendu à l'oral dans une conversation quotidienne etla règle de formation pour les verbes du premier groupe, les plus fréquents. Lesexceptions viendront après. Pour Bodri, lorsque le verbe est au premier groupe,le passé simple est réalisé conformément à la morphologie, comme le montrel'extrait suivant :

A7 non non tout d'abord i trouva euh I une I dans l'armoire a i trouva unpyjama (1 1) d'Ia grand-mère I après a i s'habilla avec le pyjama et puis mmh etpuis se coucha I dans le lit

L'utilisation d'une forme emblématique du passé simple, si elle n'est pastoujours conforme à la réalisation attendue comme pour le verbe dire, permet àBodri de structurer son récit. C'est que le verbe « dire » est identique à l'oral auprésent, au passé simple et au participe passé [di]. Comment dès lors exprimerla spécificité du conte en tant que genre ? Comment faire ressortir l'oppositionentre la voix du narrateur et celle de chacun des personnages ?

C'est que les voix des personnages ont une grande importance pour notreconteur. II a bien compris l'importance que celles-ci revêtaient dans la progres¬sion du récit puisque c'est en travestissant sa voix que le loup peut berner lagrand-mère et la dévorer, séquence qu'il restitue (B4). Ainsi, chaque personnageest joué avec une intonation particulière. Le loup, lorsqu'il rencontre le PetitChaperon Rouge, parle avec une voix grave et une intensité forte qu'il abandon¬nera pour leurrer ses victimes. A l'inverse, la Grand-mère est rendue avec unevoix chevrotante et le Petit chaperon rouge une voix aiguë, Bodri réservant sonintonation habituelle à la narration proprement dite. Mais, d'un point de vuestrictement sonore, le narrateur est facilement identifiable grâce à la présencerécurrente de la voyelle [a] à la fin des verbes. Les jeux sur les temps et les voixfont sens en se renforçant mutuellement et permettent de produire un récitfidèle, long, et beaucoup plus élaboré que celui de nombre d'enfants de cet âgequi se limitent à l'emploi des temps verbaux les plus fréquents, les séquencesn'étant reliés entre elles que par les « et puis », « après » caractéristiques desrécits des jeunes enfants.

Ainsi, sa performance ressemble à celle d'un conteur « professionnel » quisait tenir son auditoire en haleine. II est remarquable qu'un enfant dont l'encultu-ration première a été effectuée dans une culture de l'oralité use des divers pro-

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Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures

cédés formels propres à la littérature orale - qu'ils concernent l'organisation tex¬tuelle ou sonore - pour raconter une histoire.

CONCLUSION

Raconter des histoires, le plus souvent à l'aide d'albums, apparait, pour lesenfants issus de l'immigration, comme une activité emblématique de l'écolematernelle et de la petite enfance. La pratique narrative en français remplit sesfonctions de développement des capacités langagières globales des élèves.L'école a dès lors tout à gagner à s'appuyer sur l'intérêt et le plaisir qu'éprou¬vent les enfants à fréquenter des récits, que ce soit en production ou en récep¬tion. Dans ce contexte, les contes du patrimoine traditionnel françaisreprésentent cette activité d'acculturation et de premiers pas vers l'écrit, aupoint d'être appropriés par les aines bien que l'école maternelle offre un choixnettement diversifié. La proximité culturelle entre les histoires que l'on préfèreraconter et celles circulant dans les cultures d'origine est confirmée par lesrécits récents qui remportent un succès particulier à cet âge. II s'agit soit derécits d'initiation, comme Chien Bleu par exemple où une petite fille est perduedans la forêt ; soit d'histoires mettant en scène des sorcières ou certains ani¬maux. Dans une perspective interculturelle d'échange et de reconnaissance del'Autre, il est important de varier le choix des textes en faisant appel, non seule¬ment à des récits véhiculant des valeurs particulièrement appréciées par lesenfants - comme la solidarité - mais aussi aux contes du patrimoine appartenantaux cultures représentées dans le quartier. En outre, la pratique sociale du conteoral connait un important regain d'intérêt depuis une décennie dans de nom¬breuses couches de la société. Les banlieues ne sont pas en reste : des asso¬ciations, bibliothèques, établissements scolaires, etc., invitent en partenariat desconteurs Africains et Maghrébins dans les cités.

Au delà du contenu thématique, l'organisation formelle des textes sembleprimordiale. Les contes du patrimoine traditionnel, grâce à leur structure, per¬mettent aux enfants dont le français n'est pas la langue première de pallier aumieux le décalage existant entre leur développement intellectuel et affectif etleurs compétences en français. Les caractéristiques propres au texte oral ont uneffet facilitant lorsqu'il s'agit de conduire un récit sans l'étayage d'un album,d'un adulte ou d'un pair. La narration de Bodri n'est qu'un exemple parmi beau¬coup d'autres récits recueillis de l'aide que peuvent représenter les dimensionsrécurrentes caractéristiques de l'oralité.

Mon propos n'est pas de limiter le choix des contes offerts aux enfants demigrants aux seuls contes traditionnels, ce qui reviendrait à ne proposer qu'unesous-culture, caricaturale par sa stéréotypie, dans les écoles de banlieue. Je n'aipas demandé aux enfants quelles étaient les histoires qu'ils préféraient entendremais celles qu'ils voulaient me raconter. Toutefois, si on veut aider les élèves quiapprennent le français notamment à l'école à produire des récits d'une manièreautonome, il semble important de leur offrir des modèles de texte oral acces¬sibles et facilitants, qu'ils soient traditionnels ou non. Le récit directement éla¬boré à l'écrit présente rarement ces caractéristiques et remplit une autre

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Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures

cédés formels propres à la littérature orale - qu'ils concernent l'organisation tex¬tuelle ou sonore - pour raconter une histoire.

CONCLUSION

Raconter des histoires, le plus souvent à l'aide d'albums, apparait, pour lesenfants issus de l'immigration, comme une activité emblématique de l'écolematernelle et de la petite enfance. La pratique narrative en français remplit sesfonctions de développement des capacités langagières globales des élèves.L'école a dès lors tout à gagner à s'appuyer sur l'intérêt et le plaisir qu'éprou¬vent les enfants à fréquenter des récits, que ce soit en production ou en récep¬tion. Dans ce contexte, les contes du patrimoine traditionnel françaisreprésentent cette activité d'acculturation et de premiers pas vers l'écrit, aupoint d'être appropriés par les aines bien que l'école maternelle offre un choixnettement diversifié. La proximité culturelle entre les histoires que l'on préfèreraconter et celles circulant dans les cultures d'origine est confirmée par lesrécits récents qui remportent un succès particulier à cet âge. II s'agit soit derécits d'initiation, comme Chien Bleu par exemple où une petite fille est perduedans la forêt ; soit d'histoires mettant en scène des sorcières ou certains ani¬maux. Dans une perspective interculturelle d'échange et de reconnaissance del'Autre, il est important de varier le choix des textes en faisant appel, non seule¬ment à des récits véhiculant des valeurs particulièrement appréciées par lesenfants - comme la solidarité - mais aussi aux contes du patrimoine appartenantaux cultures représentées dans le quartier. En outre, la pratique sociale du conteoral connait un important regain d'intérêt depuis une décennie dans de nom¬breuses couches de la société. Les banlieues ne sont pas en reste : des asso¬ciations, bibliothèques, établissements scolaires, etc., invitent en partenariat desconteurs Africains et Maghrébins dans les cités.

Au delà du contenu thématique, l'organisation formelle des textes sembleprimordiale. Les contes du patrimoine traditionnel, grâce à leur structure, per¬mettent aux enfants dont le français n'est pas la langue première de pallier aumieux le décalage existant entre leur développement intellectuel et affectif etleurs compétences en français. Les caractéristiques propres au texte oral ont uneffet facilitant lorsqu'il s'agit de conduire un récit sans l'étayage d'un album,d'un adulte ou d'un pair. La narration de Bodri n'est qu'un exemple parmi beau¬coup d'autres récits recueillis de l'aide que peuvent représenter les dimensionsrécurrentes caractéristiques de l'oralité.

Mon propos n'est pas de limiter le choix des contes offerts aux enfants demigrants aux seuls contes traditionnels, ce qui reviendrait à ne proposer qu'unesous-culture, caricaturale par sa stéréotypie, dans les écoles de banlieue. Je n'aipas demandé aux enfants quelles étaient les histoires qu'ils préféraient entendremais celles qu'ils voulaient me raconter. Toutefois, si on veut aider les élèves quiapprennent le français notamment à l'école à produire des récits d'une manièreautonome, il semble important de leur offrir des modèles de texte oral acces¬sibles et facilitants, qu'ils soient traditionnels ou non. Le récit directement éla¬boré à l'écrit présente rarement ces caractéristiques et remplit une autre

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REPÈRES N" 21/2000 F. LECONTE

fonction didactique, celle de familiarisation avec la langue écrite. II ne peut à luiseul remplir les deux rôles.

NOTES

(1) Voir les travaux de J. Hamers et J. Blanc 1990, 1992 et F. Leconte 1999

(2) II s'agit de l'opération de recherche « L'activité narrative de l'enfant » dirigée parR. Delamotte-Legrand par l'équipe ESA CNRS 6065 dynamiques sociolangagières.

(3) Voir F. Leconte, 1 996, 1 997.

(4) Le nombre de locuteurs du français en Afrique est très variable selon les pays. II estestimé à 10 % au Sénégal et au Mali mais à plus de 60 % au Congo-Brazzaville.

(5) Le symbole était un objet honteux, sabot, bouteille ou veille chaussure que lesenfants étaient obligés de porter lorsqu'ils laissaient échapper en classe voire dansla cour un mot dans leurs langues premières. L'enfant devait conserver le symbolejusqu'à ce qu'un de ses camarades fasse de même et récupère l'objet. A la fin de lajournée, celui qui conservait le symbole était sévèrement battu ou puni. Cette pra¬tique fut d'abord employée dans les régions françaises (Bretagne, etc.) avant d'êtreexportée dans les colonies. Au Sénégal, la pratique du symbole a perduré jusqu'à lafin des années soixante.

(6) Pour une synthèse concernant le maintien des langues africaines en France, voirF. Leconte 2000.

(7) Voir F. Leconte, 1996 et passim.

(8) En Afrique, le terme concession désigne une aire dans laquelle est regroupée lafamille élargie. Dans les sociétés patrilinéaires, elle se compose généralement duchef de famille et de sa ou ses épouse(s), de ses fils et de leurs épouses et desenfants. Chaque femme réside, avec ses propres enfants, dans une maison ou unecase personnelle.

(9) Je tiens à remercier ici les enseignantes de l'école maternelle Henri Wallon à Saint-Étienne du Rouvray pour la qualité de leur accueil et leur collaboration.

(10) Conventions de transcription :

(11) On remarquera que nous avons affaire à une grand-mère moderne qui revêt non unechemise de nuit mais un pyjama pour dormir.

BIBLIOGRAPHIE

BAKHTINE M. (1984) : Esthétique de la création verbale, Paris, Gallimard.

CASTELLOTTI V. et MOORE D. (coord.) (1999) : Alternances des langues etconstruction des savoirs, Cahiers du français contemporain N° 5, Paris,ENS éditions.

DECOURT N. et RAYNAUD M. (1999) : Contes et diversité des cultures, CRDPde l'Académie de Lyon, Lyon.

DELAMOTTE-LEGRAND R. et HUDELOT C. (1997) Le langage à l'école mater¬nelle, Cahiers d'Acquisition et de Pathologie du Langage, UniversitéDescartes, Paris.

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REPÈRES N" 21/2000 F. LECONTE

fonction didactique, celle de familiarisation avec la langue écrite. II ne peut à luiseul remplir les deux rôles.

NOTES

(1) Voir les travaux de J. Hamers et J. Blanc 1990, 1992 et F. Leconte 1999

(2) II s'agit de l'opération de recherche « L'activité narrative de l'enfant » dirigée parR. Delamotte-Legrand par l'équipe ESA CNRS 6065 dynamiques sociolangagières.

(3) Voir F. Leconte, 1 996, 1 997.

(4) Le nombre de locuteurs du français en Afrique est très variable selon les pays. II estestimé à 10 % au Sénégal et au Mali mais à plus de 60 % au Congo-Brazzaville.

(5) Le symbole était un objet honteux, sabot, bouteille ou veille chaussure que lesenfants étaient obligés de porter lorsqu'ils laissaient échapper en classe voire dansla cour un mot dans leurs langues premières. L'enfant devait conserver le symbolejusqu'à ce qu'un de ses camarades fasse de même et récupère l'objet. A la fin de lajournée, celui qui conservait le symbole était sévèrement battu ou puni. Cette pra¬tique fut d'abord employée dans les régions françaises (Bretagne, etc.) avant d'êtreexportée dans les colonies. Au Sénégal, la pratique du symbole a perduré jusqu'à lafin des années soixante.

(6) Pour une synthèse concernant le maintien des langues africaines en France, voirF. Leconte 2000.

(7) Voir F. Leconte, 1996 et passim.

(8) En Afrique, le terme concession désigne une aire dans laquelle est regroupée lafamille élargie. Dans les sociétés patrilinéaires, elle se compose généralement duchef de famille et de sa ou ses épouse(s), de ses fils et de leurs épouses et desenfants. Chaque femme réside, avec ses propres enfants, dans une maison ou unecase personnelle.

(9) Je tiens à remercier ici les enseignantes de l'école maternelle Henri Wallon à Saint-Étienne du Rouvray pour la qualité de leur accueil et leur collaboration.

(10) Conventions de transcription :

(11) On remarquera que nous avons affaire à une grand-mère moderne qui revêt non unechemise de nuit mais un pyjama pour dormir.

BIBLIOGRAPHIE

BAKHTINE M. (1984) : Esthétique de la création verbale, Paris, Gallimard.

CASTELLOTTI V. et MOORE D. (coord.) (1999) : Alternances des langues etconstruction des savoirs, Cahiers du français contemporain N° 5, Paris,ENS éditions.

DECOURT N. et RAYNAUD M. (1999) : Contes et diversité des cultures, CRDPde l'Académie de Lyon, Lyon.

DELAMOTTE-LEGRAND R. et HUDELOT C. (1997) Le langage à l'école mater¬nelle, Cahiers d'Acquisition et de Pathologie du Langage, UniversitéDescartes, Paris.

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Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures

DEPREZ C. (1994) : Les enfants bilingues. Langues et familles, Paris, CREDIF -Didier Hatier.

DERIVE J. (1975) : Collecte et production des littératures orales, Paris, Selaf.

GADET F. (1989) : Le français ordinaire, Paris, A. Colin.

HAMPATE Bâ A. (1995) : Petit Bodiel et autres contes de la savane, Paris, Stock.LECONTE F. (1996) : Ils parlent en black. Pratiques et attitudes langagières des

enfants originaires d'Afrique noire, Thèse de doctorat, Rouen, Université deRouen.

LECONTE F. (1 997) : La famille et les langues. Une étude sociolinguistique de ladeuxième génération africaine, Paris, L'Harmattan.

LECONTE F. (1999) : Le discours des enfants sur l'alternance codique. Étude decas de deux enfants d'origine sénégalaise, dans les Cahiers du françaiscontemporain N° 5, Paris, ENS éditions, pp. 167-180.

PAULME D. (1976) : La mère dévorante, essai sur la morphologie du conte afri¬cain, Paris, Gallimard.

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Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures

DEPREZ C. (1994) : Les enfants bilingues. Langues et familles, Paris, CREDIF -Didier Hatier.

DERIVE J. (1975) : Collecte et production des littératures orales, Paris, Selaf.

GADET F. (1989) : Le français ordinaire, Paris, A. Colin.

HAMPATE Bâ A. (1995) : Petit Bodiel et autres contes de la savane, Paris, Stock.LECONTE F. (1996) : Ils parlent en black. Pratiques et attitudes langagières des

enfants originaires d'Afrique noire, Thèse de doctorat, Rouen, Université deRouen.

LECONTE F. (1 997) : La famille et les langues. Une étude sociolinguistique de ladeuxième génération africaine, Paris, L'Harmattan.

LECONTE F. (1999) : Le discours des enfants sur l'alternance codique. Étude decas de deux enfants d'origine sénégalaise, dans les Cahiers du françaiscontemporain N° 5, Paris, ENS éditions, pp. 167-180.

PAULME D. (1976) : La mère dévorante, essai sur la morphologie du conte afri¬cain, Paris, Gallimard.

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« IL NOUS FAUT DES PREUVES »

COMPÉTENCES DE LECTEURSET COMPÉTENCES DE SPECTATEURS :

L'EXEMPLE DU RÉCIT POLICIER TÉLÉVISUEL

Brigitte CHAIX, François QUETIUFM de Grenoble - Valence

Résumé : Il n'y a pas d'homologie stricte entre les systèmes de représentationdu récit filmé d'une part et de la narration verbale d'autre part. Cependant, lacompréhension des films et celle des textes présentent suffisamment d'analogiespour que l'approche des fictions télévisuelles à l'école puisse être conduite dans

le cadre plus large d'une didactique de la compréhension-interprétation. Les tra¬

vaux et les réflexions présentés dans cet article sont issus principalement d'untravail de formation (un « atelier-mémoire » en 2e année d'IUFM). Dans unepremière partie, on s'est efforcé de montrer que la réception des récits télévi¬suels ne peut être explorée avec les seules ressources de la narratologie ou dans

le but de « retrouver » les constantes d'un « code ». Au contraire, la diversité des

indices et les multiples manières de les mettre en relation favorisent l'ambiguïté,le débat interprétatif et la justification argumentée de la compréhension. Dans ladeuxième partie, la restitution orale, par des élèves de Cycle 2, d'un dessinanimé policier (Fennec) permet de présenter quelques unes des difficultés des

élèves pour comprendre les ressorts d'une fiction qui leur est pourtant adressée,

mais elle permet aussi de mettre en valeur quelques unes des stratégies de com¬

préhension dont disposent ces jeunes spectateurs.

« Quelque opposés que puissent paraitre les domaines dans lesquelstoutes ces sphères semblent se mouvoir, elles se rencontrent dans l'analo¬gie et l'unité finale d'une méthode. » (S. M. Eisenstein, Le film : sa forme/sonsens, p. 250)

« Qu'apprennent les enfants quand ils regardent la télévision ? Poser laquestion en ces termes revient à postuler que « regarder la télévision » (la téle¬spection) est une activité où se construisent des savoirs » (Masselot-Girard1996, p. 5). Cette hypothèse ne va pas de soi, il semble même que les discoursles plus répandus en la matière restent prudents : la télévision n'aurait finale¬ment droit d'entrée à l'école qu'en tant que véhicule de savoirs disciplinaireslégitimes ou pour être soumise à un examen critique dont l'enfant, futur citoyen,a nécessairement besoin pour ne pas être victime de la séduction d'un médiadont on continue à se méfier (1). Pour les Instructions Officielles de 1995 l'enfant« dès son plus jeune âge doit être mis en présence d'un grand nombred'images » mais « il est important de les préparer à recevoir cette abondance

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« IL NOUS FAUT DES PREUVES »

COMPÉTENCES DE LECTEURSET COMPÉTENCES DE SPECTATEURS :

L'EXEMPLE DU RÉCIT POLICIER TÉLÉVISUEL

Brigitte CHAIX, François QUETIUFM de Grenoble - Valence

Résumé : Il n'y a pas d'homologie stricte entre les systèmes de représentationdu récit filmé d'une part et de la narration verbale d'autre part. Cependant, lacompréhension des films et celle des textes présentent suffisamment d'analogiespour que l'approche des fictions télévisuelles à l'école puisse être conduite dans

le cadre plus large d'une didactique de la compréhension-interprétation. Les tra¬

vaux et les réflexions présentés dans cet article sont issus principalement d'untravail de formation (un « atelier-mémoire » en 2e année d'IUFM). Dans unepremière partie, on s'est efforcé de montrer que la réception des récits télévi¬suels ne peut être explorée avec les seules ressources de la narratologie ou dans

le but de « retrouver » les constantes d'un « code ». Au contraire, la diversité des

indices et les multiples manières de les mettre en relation favorisent l'ambiguïté,le débat interprétatif et la justification argumentée de la compréhension. Dans ladeuxième partie, la restitution orale, par des élèves de Cycle 2, d'un dessinanimé policier (Fennec) permet de présenter quelques unes des difficultés des

élèves pour comprendre les ressorts d'une fiction qui leur est pourtant adressée,

mais elle permet aussi de mettre en valeur quelques unes des stratégies de com¬

préhension dont disposent ces jeunes spectateurs.

« Quelque opposés que puissent paraitre les domaines dans lesquelstoutes ces sphères semblent se mouvoir, elles se rencontrent dans l'analo¬gie et l'unité finale d'une méthode. » (S. M. Eisenstein, Le film : sa forme/sonsens, p. 250)

« Qu'apprennent les enfants quand ils regardent la télévision ? Poser laquestion en ces termes revient à postuler que « regarder la télévision » (la téle¬spection) est une activité où se construisent des savoirs » (Masselot-Girard1996, p. 5). Cette hypothèse ne va pas de soi, il semble même que les discoursles plus répandus en la matière restent prudents : la télévision n'aurait finale¬ment droit d'entrée à l'école qu'en tant que véhicule de savoirs disciplinaireslégitimes ou pour être soumise à un examen critique dont l'enfant, futur citoyen,a nécessairement besoin pour ne pas être victime de la séduction d'un médiadont on continue à se méfier (1). Pour les Instructions Officielles de 1995 l'enfant« dès son plus jeune âge doit être mis en présence d'un grand nombred'images » mais « il est important de les préparer à recevoir cette abondance

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REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET

d'images : ils les perçoivent d'abord en fonction de leur sensibilité, de leur his¬toire, de leur milieu culturel : ils sont amenés progressivement à les percevoir enfonction de leur intelligence, en s'exerçant à faire des choix » (p. 29).

On voudrait, au cours des lignes qui suivent, présenter un parti pris qui va àl'encontre de ces précautions en développant l'idée que la position de téléspec¬tateur rend familières des formes narratives élaborées et dont la réception estrien moins que passive. S'il est admis que la télévision peut être pour l'école un« partenaire cognitif » (G. Jacquinot-Delaunay), on voudrait montrer que c'est aumoins parce qu'elle lui fournit un grand nombre de récits extrêmement com¬plexes : l'exploration de ces histoires qui, avec les élèves de l'école primaire,passera nécessairement par la reformulation et la mise en débat des interpréta¬tions, constitue à notre avis mieux qu'un prétexte au développement d'uneréflexion métatextuelle ou metacognitive, le modèle d'un travail sur le sens enlecture.

1. RÉCIT FILMIQUE, LANGAGE CINÉMATOGRAPHIQUE

1.1. Comprendre un film

Essayons de poser quelques-uns des aspects constitutifs de la compré¬hension / interprétation des récits filmés. II nous semble, - on verra un peu plusloin que nous nous inspirons largement du modèle proposé par Panofsky -,qu'on pourrait distinguer trois types d'opérations complémentaires, dont la réali¬sation plus ou moins aboutie peut conduire à des erreurs ou, en tous cas, à desinterprétations divergentes.

A. Des opérations perceptives : le spectateur est censé voir des objets,des gestes ou des corps, ou du moins leur représentation sur un écran. Cetteopération, en principe, ne devrait pas poser de problèmes. Elle est cependantdépendante d'un certain nombre de variables :

- la bonne volonté du réalisateur qui peut souligner la présence d'uneombre, d'un personnage, d'un détail ou au contraire s'efforcer de mas¬quer l'information qui ne sera perçue que des happy few ;

- l'attention du spectateur qui peut être plus ou moins flottante pour desraisons indépendantes de sa volonté, mais aussi parce qu'il a décidé quetel ou tel récit (que tel ou tel moment du film) méritait ou ne méritait pastoute sa concentration ;

- la qualité du support audiovisuel : une vieille copie 16 mm d'un film encinémascope, un téléviseur 63 cm n'offrent pas les mêmes qualités dereproduction qu'une diffusion en salle sur copie neuve.

Ainsi, on peut ne pas voir tel détail pourtant important dès les premiersplans d'un film parce qu'on n'a pas encore fini de s'installer (Hitchcock préten¬dait laisser le temps à ses spectateurs d'entrer dans le film et ne délivrer aucunindice essentiel avant les quelques minutes nécessaires à l'accommodation duspectateur), parce qu'on est attentif à tout autre chose, parce que la netteté del'image ne permet pas d'identifier tel ou tel objet, ou parce que, dans le cas dudessin animé, le mode de représentation est d'une lisibilité contestable (dans

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REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET

d'images : ils les perçoivent d'abord en fonction de leur sensibilité, de leur his¬toire, de leur milieu culturel : ils sont amenés progressivement à les percevoir enfonction de leur intelligence, en s'exerçant à faire des choix » (p. 29).

On voudrait, au cours des lignes qui suivent, présenter un parti pris qui va àl'encontre de ces précautions en développant l'idée que la position de téléspec¬tateur rend familières des formes narratives élaborées et dont la réception estrien moins que passive. S'il est admis que la télévision peut être pour l'école un« partenaire cognitif » (G. Jacquinot-Delaunay), on voudrait montrer que c'est aumoins parce qu'elle lui fournit un grand nombre de récits extrêmement com¬plexes : l'exploration de ces histoires qui, avec les élèves de l'école primaire,passera nécessairement par la reformulation et la mise en débat des interpréta¬tions, constitue à notre avis mieux qu'un prétexte au développement d'uneréflexion métatextuelle ou metacognitive, le modèle d'un travail sur le sens enlecture.

1. RÉCIT FILMIQUE, LANGAGE CINÉMATOGRAPHIQUE

1.1. Comprendre un film

Essayons de poser quelques-uns des aspects constitutifs de la compré¬hension / interprétation des récits filmés. II nous semble, - on verra un peu plusloin que nous nous inspirons largement du modèle proposé par Panofsky -,qu'on pourrait distinguer trois types d'opérations complémentaires, dont la réali¬sation plus ou moins aboutie peut conduire à des erreurs ou, en tous cas, à desinterprétations divergentes.

A. Des opérations perceptives : le spectateur est censé voir des objets,des gestes ou des corps, ou du moins leur représentation sur un écran. Cetteopération, en principe, ne devrait pas poser de problèmes. Elle est cependantdépendante d'un certain nombre de variables :

- la bonne volonté du réalisateur qui peut souligner la présence d'uneombre, d'un personnage, d'un détail ou au contraire s'efforcer de mas¬quer l'information qui ne sera perçue que des happy few ;

- l'attention du spectateur qui peut être plus ou moins flottante pour desraisons indépendantes de sa volonté, mais aussi parce qu'il a décidé quetel ou tel récit (que tel ou tel moment du film) méritait ou ne méritait pastoute sa concentration ;

- la qualité du support audiovisuel : une vieille copie 16 mm d'un film encinémascope, un téléviseur 63 cm n'offrent pas les mêmes qualités dereproduction qu'une diffusion en salle sur copie neuve.

Ainsi, on peut ne pas voir tel détail pourtant important dès les premiersplans d'un film parce qu'on n'a pas encore fini de s'installer (Hitchcock préten¬dait laisser le temps à ses spectateurs d'entrer dans le film et ne délivrer aucunindice essentiel avant les quelques minutes nécessaires à l'accommodation duspectateur), parce qu'on est attentif à tout autre chose, parce que la netteté del'image ne permet pas d'identifier tel ou tel objet, ou parce que, dans le cas dudessin animé, le mode de représentation est d'une lisibilité contestable (dans

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II nous faut des preuves »..

l'épisode de Fennec dont il sera question plus loin, certains enfants croientreconnaître des loups quand il s'agit de rats ou confondent l'image d'un piment(du poivre) avec celle d'une carotte : ce qui les conduit à élaborer un scénarioassez fantaisiste).

B. Des opérations de reconnaissance : le fait de voir les objets ou lesformes ne suffit pas. Encore faut-il être capable de les reconnaître ou d'en infé¬rer la fonction (permanente ou occasionnelle) : le geste de frotter une allumettesur la semelle ou sur la manche d'un vêtement n'est pas nécessairement com¬pris par un spectateur contemporain et la porte ouverte d'une cuisinière nedésigne pas obligatoirement un suicide par le gaz à l'âge du tout électrique. Lareconnaissance suppose, on le voit, la mobilisation de connaissances

- sur le monde et l'époque de référence (le quotidien contemporain d'unefiction américaine ou japonaise, l'avenir improbable mais doté d'unecohérence relative dans telle série de science-fiction, etc.) ;

- sur les conventions liées à la représentation (Qu'un personnage ait dumal à introduire une clef dans une serrure signifie plus souvent l'ébriétéque la myopie, convention classique ; que la tête d'un pingouin puisse sedétacher et s'élever de quelques centimètres au-dessus du corps del'animal signifie la stupeur ou l'excitation, convention de genre liée audessin animé).

C. Des opérations de mise en relation, dont la plus évidente aurait à voiravec la reconstruction par le spectateur d'un espace ou d'une temporalité. Siune série d'images présente l'intérieur d'un appartement, une autre une scènede rue devant une maison, une autre encore, mais celle-ci explicitement reliée àla précédente, une montée d'escalier dans un immeuble, la coopération duspectateur est fortement sollicitée pour qu'il établisse un rapport entre la pre¬mière série d'images et les deux autres. La relation entre l'extérieur et l'intérieur,si elle n'est pas explicitée par le déplacement d'un personnage ou celui de lacaméra (qui peut, par exemple, conduire le regard jusqu'à une fenêtre) ne va pasde soi. Seul un spectateur averti peut supposer qu'ici on est devant la maisonde Winnie l'ourson et que là on est à l'intérieur de la même maison.

D. Des opérations d'anticipation grâce auxquelles le spectateur participevéritablement au jeu que lui propose le réalisateur. Ainsi, au début de l'épisodede Fennec dont on parlera dans la deuxième partie de cet article, des salièressont volées dans un bar, un savant annonce une recrudescence d'allergie auxpollens et deux personnages peu sympathiques ouvrent une fabrique de fleursartificielles.

Erwin Panofsky, dans un texte célèbre (2), distingue trois catégories d'opé¬rations interprétatives dans l'analyse de la signification des �uvres d'art gra¬phique. Les significations primaires dépendent de l'expérience pratique duspectateur, de sa capacité à reconnaître les objets ou les événements représen¬tés ; affecter à telle ou telle manifestation physique une valeur conventionnelle(que signifient un froncement de sourcil ? un serrement de main ? ou, plus com¬pliqué : comment expliquer ce que fait Pingu avec un bâton pour « serrer » lamain de son grand père malade ?) relève d'un processus secondaire, qui néces¬site l'intervention de « l'entendement ». L'analyse du « contenu » ou de la « signi-

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II nous faut des preuves »..

l'épisode de Fennec dont il sera question plus loin, certains enfants croientreconnaître des loups quand il s'agit de rats ou confondent l'image d'un piment(du poivre) avec celle d'une carotte : ce qui les conduit à élaborer un scénarioassez fantaisiste).

B. Des opérations de reconnaissance : le fait de voir les objets ou lesformes ne suffit pas. Encore faut-il être capable de les reconnaître ou d'en infé¬rer la fonction (permanente ou occasionnelle) : le geste de frotter une allumettesur la semelle ou sur la manche d'un vêtement n'est pas nécessairement com¬pris par un spectateur contemporain et la porte ouverte d'une cuisinière nedésigne pas obligatoirement un suicide par le gaz à l'âge du tout électrique. Lareconnaissance suppose, on le voit, la mobilisation de connaissances

- sur le monde et l'époque de référence (le quotidien contemporain d'unefiction américaine ou japonaise, l'avenir improbable mais doté d'unecohérence relative dans telle série de science-fiction, etc.) ;

- sur les conventions liées à la représentation (Qu'un personnage ait dumal à introduire une clef dans une serrure signifie plus souvent l'ébriétéque la myopie, convention classique ; que la tête d'un pingouin puisse sedétacher et s'élever de quelques centimètres au-dessus du corps del'animal signifie la stupeur ou l'excitation, convention de genre liée audessin animé).

C. Des opérations de mise en relation, dont la plus évidente aurait à voiravec la reconstruction par le spectateur d'un espace ou d'une temporalité. Siune série d'images présente l'intérieur d'un appartement, une autre une scènede rue devant une maison, une autre encore, mais celle-ci explicitement reliée àla précédente, une montée d'escalier dans un immeuble, la coopération duspectateur est fortement sollicitée pour qu'il établisse un rapport entre la pre¬mière série d'images et les deux autres. La relation entre l'extérieur et l'intérieur,si elle n'est pas explicitée par le déplacement d'un personnage ou celui de lacaméra (qui peut, par exemple, conduire le regard jusqu'à une fenêtre) ne va pasde soi. Seul un spectateur averti peut supposer qu'ici on est devant la maisonde Winnie l'ourson et que là on est à l'intérieur de la même maison.

D. Des opérations d'anticipation grâce auxquelles le spectateur participevéritablement au jeu que lui propose le réalisateur. Ainsi, au début de l'épisodede Fennec dont on parlera dans la deuxième partie de cet article, des salièressont volées dans un bar, un savant annonce une recrudescence d'allergie auxpollens et deux personnages peu sympathiques ouvrent une fabrique de fleursartificielles.

Erwin Panofsky, dans un texte célèbre (2), distingue trois catégories d'opé¬rations interprétatives dans l'analyse de la signification des �uvres d'art gra¬phique. Les significations primaires dépendent de l'expérience pratique duspectateur, de sa capacité à reconnaître les objets ou les événements représen¬tés ; affecter à telle ou telle manifestation physique une valeur conventionnelle(que signifient un froncement de sourcil ? un serrement de main ? ou, plus com¬pliqué : comment expliquer ce que fait Pingu avec un bâton pour « serrer » lamain de son grand père malade ?) relève d'un processus secondaire, qui néces¬site l'intervention de « l'entendement ». L'analyse du « contenu » ou de la « signi-

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REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET

fication intrinsèque » constitue une troisième catégorie, élaboration à partir del'uvre d'une symbolique générale révélatrice de la « mentalité de base »

d'une période, d'une classe sociale « particularisée inconsciemment par la per¬sonnalité propre à l'artiste » (p. 20).

On confond bien souvent le travail d'interprétation des �uvres et cette troi¬sième étape, en méconnaissant à quel point les deux premières sont complexesdès lors qu'elles concernent la réception de formes narratives organisées ellesmêmes de façon complexe. Or, c'est justement l'intervention de« l'entendement » dans la production de la signification qui nous intéresse :

comment la développer ? comment la rendre sensible pour le spectateur del'iuvre et pour l'enseignant de lecture de textes et d'images.

1.2. Le code cinématographique :

un concept qui pourrait devenir encombrant

L'analyse a, dans ce cas, pour principale fonction de conduire à une déna¬turalisation de la représentation cinématographique : la production du sensrelève aussi bien de « l'assemblage » et de la « juxtaposition » de détails (3) quede la déduction « quasi automatique de conclusions et de généralisations sté¬réotypées » (4). L'exemple développé ci-dessus permet en effet de poserquelques principes simples nécessaires à la compréhension de la compré¬hension active mise en uvre par le spectateur d'images animées. Nous nousattacherons à décrire deux d'entre eux.

1.2.1. Dire que « l'écriture filmique repose toujours sur une segmentationplus ou moins absolue » (Marie, & Collet Jean, 1976, p. 72) c'est affirmer qu'enpremier lieu, la réalisation suppose un découpage de l'espace qui sert de décorà la représentation et une fragmentation du temps représenté. La multiplicationdes plans amplifie et complique le nécessaire travail de montage. Eisensteindécrit, non sans humour, cette alternance de fragmentations et d'assemblagesqui caractérise le travail du cinéaste : « condamnés à travailler sur des morceauxde longueur donnée, nous devons à l'occasion rattacher un morceau à unautre » (5). En effet, dans la narration cinématographique classique, il s'agit dedissimuler le découpage initial et de faire en sorte qu'un matériau obligatoire¬ment discontinu puisse donner l'illusion d'une continuité. L'analyse « plan aprèsplan » reconstitue le découpage du film, met à plat « sa structure interne, sonprincipe d'agencement ». On appellera donc « découpage » deux activitéssymétriques et dont les objectifs sont assez différents :

- pour le cinéaste, il s'agit de constituer puis de réunir des fragments pourproduire une cohérence.

- pour l'analyste, il s'agit de dissocier à nouveau ces éléments que du sensa réunis, pour mettre en évidence les « signifiants spécifiques » dufilm (Michel Marie).

Plusieurs raisons pourraient justifier l'intérêt que nous accordons à uneapproche du découpage filmique dans le cadre d'un enseignement explicite dela compréhension :

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fication intrinsèque » constitue une troisième catégorie, élaboration à partir del'uvre d'une symbolique générale révélatrice de la « mentalité de base »

d'une période, d'une classe sociale « particularisée inconsciemment par la per¬sonnalité propre à l'artiste » (p. 20).

On confond bien souvent le travail d'interprétation des �uvres et cette troi¬sième étape, en méconnaissant à quel point les deux premières sont complexesdès lors qu'elles concernent la réception de formes narratives organisées ellesmêmes de façon complexe. Or, c'est justement l'intervention de« l'entendement » dans la production de la signification qui nous intéresse :

comment la développer ? comment la rendre sensible pour le spectateur del'iuvre et pour l'enseignant de lecture de textes et d'images.

1.2. Le code cinématographique :

un concept qui pourrait devenir encombrant

L'analyse a, dans ce cas, pour principale fonction de conduire à une déna¬turalisation de la représentation cinématographique : la production du sensrelève aussi bien de « l'assemblage » et de la « juxtaposition » de détails (3) quede la déduction « quasi automatique de conclusions et de généralisations sté¬réotypées » (4). L'exemple développé ci-dessus permet en effet de poserquelques principes simples nécessaires à la compréhension de la compré¬hension active mise en uvre par le spectateur d'images animées. Nous nousattacherons à décrire deux d'entre eux.

1.2.1. Dire que « l'écriture filmique repose toujours sur une segmentationplus ou moins absolue » (Marie, & Collet Jean, 1976, p. 72) c'est affirmer qu'enpremier lieu, la réalisation suppose un découpage de l'espace qui sert de décorà la représentation et une fragmentation du temps représenté. La multiplicationdes plans amplifie et complique le nécessaire travail de montage. Eisensteindécrit, non sans humour, cette alternance de fragmentations et d'assemblagesqui caractérise le travail du cinéaste : « condamnés à travailler sur des morceauxde longueur donnée, nous devons à l'occasion rattacher un morceau à unautre » (5). En effet, dans la narration cinématographique classique, il s'agit dedissimuler le découpage initial et de faire en sorte qu'un matériau obligatoire¬ment discontinu puisse donner l'illusion d'une continuité. L'analyse « plan aprèsplan » reconstitue le découpage du film, met à plat « sa structure interne, sonprincipe d'agencement ». On appellera donc « découpage » deux activitéssymétriques et dont les objectifs sont assez différents :

- pour le cinéaste, il s'agit de constituer puis de réunir des fragments pourproduire une cohérence.

- pour l'analyste, il s'agit de dissocier à nouveau ces éléments que du sensa réunis, pour mettre en évidence les « signifiants spécifiques » dufilm (Michel Marie).

Plusieurs raisons pourraient justifier l'intérêt que nous accordons à uneapproche du découpage filmique dans le cadre d'un enseignement explicite dela compréhension :

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I nous faut des preuves ».

1) le montage est un lieu privilégié de la construction du sens du filmpar le spectateur : la fragmentation systématique des corps dans tellescène d'action d'un dessin animé d'aventure (visages ou parties duvisage, poings, gros plans sur des bottes, sur un détail d'uniforme, surle canon d'une arme à feu, etc.) évoque le mouvement, l'extrême vio¬lence d'un affrontement, mais permet-elle de comprendre ce qui sepasse effectivement ? Le découpage d'un décor permet-il de localiserles différents personnages présents ? et que faire de l'insertion à cemoment-là du récit d'un personnage en principe absent de la scène ?Omniscience du narrateur qui transporte son spectateur dans un autrelieu ? Réminiscence focalisée sur l'un des personnages présents ? etc.L'hétérogénéité du matériau filmique nous parait fournir suffisammentde situations résistantes pour que s'installent dans la classe de véri¬tables débats d'interprétation (6).

2) le repérage de la succession des plans, parce qu'il casse le continuumde la représentation, dénaturalise le code cinématographique en favo¬risant l'identification d'unités signifiantes ou d'opérations simplescomme le découpage ou le collage. La segmentation de la chaine fil¬mée, qu'il n'est pas utile de rapprocher de la segmentation de lachaine orale, permet en tous cas de façon très simple l'introductiond'une réflexion qu'on appellera métalinguistique faute de mieux.

1.2.2. Cependant, s'il est possible de « découper » la continuité filmique enplans, voire en séquences (ce qui est plus difficile, particulièrement quand ils'agit de décrire des dessins animés, ou les épisodes de séries très courtesdestinées à des jeunes enfants), il ne parait pas possible de dégager, pour leslangages audiovisuels, des unités fondamentales ou un « système spécifiqued'articulations » (Christian Metz). Dans un passage de Langage et Cinéma, dontla pertinence dans le cadre d'une analyse de la compréhension des spectaclesaudiovisuels, nous parait aujourd'hui remarquable, Christian Metz (1976) avan¬çait :

« II n'y a pas de signe cinématographique. Cette notion, comme celle de« signe pictural », « signe musical », etc., relève d'une classification naïve quiprocède par unités matérielles (langages) et non par unités de pertinence(codes) : fanatisme des spécificités qui ne va pas sans quelque métaphysique(...). II n'existe pas au cinéma (ni ailleurs) de code souverain qui viendrait impo¬ser ses unités minimales, toujours les mêmes, à toutes les parties de tous lesfilms : ces films, au contraire, offrent une surface textuelle temporelle et spa¬tiale à la fois , un tissu dans lequel des codes multiples viennent découper,chacun pour soi, leurs unités minimales qui, tout au long du discours filmique,se superposent, s'imbriquent et se chevauchent sans que leurs frontières coïnci¬dent forcément entre elles » (p. 146).

En opposant « codes » et « langages », Metz s'efforce de dissocier la pro¬duction de modèles pour l'analyse de « systèmes abstraits » (les codes) et l'in¬terprétation de la « matière de l'expression » qui mobilise une multiplicité decodes (7). Ce texte, trop peu connu sans doute, défend l'idée d'un dispositifsémiotique cinématographique disséminé et libre de tout systématisme. Le

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I nous faut des preuves ».

1) le montage est un lieu privilégié de la construction du sens du filmpar le spectateur : la fragmentation systématique des corps dans tellescène d'action d'un dessin animé d'aventure (visages ou parties duvisage, poings, gros plans sur des bottes, sur un détail d'uniforme, surle canon d'une arme à feu, etc.) évoque le mouvement, l'extrême vio¬lence d'un affrontement, mais permet-elle de comprendre ce qui sepasse effectivement ? Le découpage d'un décor permet-il de localiserles différents personnages présents ? et que faire de l'insertion à cemoment-là du récit d'un personnage en principe absent de la scène ?Omniscience du narrateur qui transporte son spectateur dans un autrelieu ? Réminiscence focalisée sur l'un des personnages présents ? etc.L'hétérogénéité du matériau filmique nous parait fournir suffisammentde situations résistantes pour que s'installent dans la classe de véri¬tables débats d'interprétation (6).

2) le repérage de la succession des plans, parce qu'il casse le continuumde la représentation, dénaturalise le code cinématographique en favo¬risant l'identification d'unités signifiantes ou d'opérations simplescomme le découpage ou le collage. La segmentation de la chaine fil¬mée, qu'il n'est pas utile de rapprocher de la segmentation de lachaine orale, permet en tous cas de façon très simple l'introductiond'une réflexion qu'on appellera métalinguistique faute de mieux.

1.2.2. Cependant, s'il est possible de « découper » la continuité filmique enplans, voire en séquences (ce qui est plus difficile, particulièrement quand ils'agit de décrire des dessins animés, ou les épisodes de séries très courtesdestinées à des jeunes enfants), il ne parait pas possible de dégager, pour leslangages audiovisuels, des unités fondamentales ou un « système spécifiqued'articulations » (Christian Metz). Dans un passage de Langage et Cinéma, dontla pertinence dans le cadre d'une analyse de la compréhension des spectaclesaudiovisuels, nous parait aujourd'hui remarquable, Christian Metz (1976) avan¬çait :

« II n'y a pas de signe cinématographique. Cette notion, comme celle de« signe pictural », « signe musical », etc., relève d'une classification naïve quiprocède par unités matérielles (langages) et non par unités de pertinence(codes) : fanatisme des spécificités qui ne va pas sans quelque métaphysique(...). II n'existe pas au cinéma (ni ailleurs) de code souverain qui viendrait impo¬ser ses unités minimales, toujours les mêmes, à toutes les parties de tous lesfilms : ces films, au contraire, offrent une surface textuelle temporelle et spa¬tiale à la fois , un tissu dans lequel des codes multiples viennent découper,chacun pour soi, leurs unités minimales qui, tout au long du discours filmique,se superposent, s'imbriquent et se chevauchent sans que leurs frontières coïnci¬dent forcément entre elles » (p. 146).

En opposant « codes » et « langages », Metz s'efforce de dissocier la pro¬duction de modèles pour l'analyse de « systèmes abstraits » (les codes) et l'in¬terprétation de la « matière de l'expression » qui mobilise une multiplicité decodes (7). Ce texte, trop peu connu sans doute, défend l'idée d'un dispositifsémiotique cinématographique disséminé et libre de tout systématisme. Le

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matériau filmique, grâce à cette hétérogénéité, garantit les hiérarchisationsdivergentes et les interprétations conflictuelles. La lecture scolaire des filmsconduira donc plutôt à une initiation à la complexité des interprétations - et aurepérage des multiples opérations mises en uvre pour produire du sens - plu¬tôt qu'à l'étude d'une hypothétique grammaire du récit audio-visuel.

1.3. Lectures de films, lectures de textes

Ces mécanismes ne sont pas spécifiques de la lecture de films et si on veutbien admettre que « l'image livre d'emblée une foule d'informations » alors que« le mot sélectionne » (Vanoye, 1989, p. 82), on sait aussi qu'on ne lit jamais desmots isolés, que toute lecture suppose des « savoirs multiples » et « des opéra¬tions multiples et complexes » dont la mobilisation et l'activation déterminent lapart fondamentale du lecteur dans la construction du sens (Reuter 1992, p. 12).Ainsi, loin de considérer l'hétérogénéité du langage cinématographique commela marque d'une différence radicale avec la langue naturelle (8), on propose quela complexité des récits audiovisuels, en raison même de sa banalité dans laculture ordinaire des jeunes élèves, soit envisagée comme un « dispositif inter¬prétable » (H. Parret) prototypique de toute lecture. En effet, on peut distinguerentre lecture de film (ou de téléfilm) et lecture de récits un réseau suffisantd'analogies pour qu'une didactique de la compréhension / interprétation puisseemprunter à l'un et à l'autre des situations métacognitives pertinentes.

La plus élémentaire des séries télévisées pour enfant suppose par exemplela mise en �uvre d'une compétence narrative. Au cours d'un des premiers épi¬sodes de la série Babar, le héros raconte un épisode de sa propre enfance :

Panalepse intervient quasiment au début de l'épisode, au moment où Babarévoque le souvenir de sa mère, tuée par un chasseur. Le retour en arrière est icisouligné par des indices visuels (l'image devient floue) et auditifs (présenced'une petite musique à laquelle s'ajoutent les propos de Babar, devenunarrateur : « II y a longtemps, très longtemps. C'était du temps où je n'étais pasencore roi, du temps où Célesteville n'existait pas, du temps de votre grand-mère, de ma mère »). Babar apparait physiquement très différent des toutes pre¬mières images du dessin animé (où il porte son costume vert...). Les seulsindices qui nous permettent alors de l'identifier sont auditifs : Babar bébé, pro¬nonce plusieurs fois son prénom, et les autres personnages du dessin animé lenomment à différentes reprises. Comment les spectateurs les plus jeunes s'yretrouvent-ils ? Mais aussi quelles compétences spécifiques construisent-ils peuà peu grâce à la fréquentation régulière de narrations qui jouent avec la chrono¬logie, avec les plans d'énonciation, avec la mise en espace de la fiction ?

Mais la mise en relation des procédés narratologiques dans le récit verbalet le récit filmique, qui a donné lieu à d'abondantes publications, ne nous paraitêtre ni la seule ni la meilleure raison de commenter des films ou des épisodes deséries télévisées à l'école. Jean-Marie Schaeffer (9) distingue deux versions dela thèse selon laquelle les récits audio-visuels pourraient être analysés « à l'aidedes catégories mises au point pour analyser le langage », ce qui revient à consi¬dérer un film comme un « acte discursif » : « Selon la version forte (de cettethèse) la structuration de l'auvre cinématographique est strictement homologue

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matériau filmique, grâce à cette hétérogénéité, garantit les hiérarchisationsdivergentes et les interprétations conflictuelles. La lecture scolaire des filmsconduira donc plutôt à une initiation à la complexité des interprétations - et aurepérage des multiples opérations mises en uvre pour produire du sens - plu¬tôt qu'à l'étude d'une hypothétique grammaire du récit audio-visuel.

1.3. Lectures de films, lectures de textes

Ces mécanismes ne sont pas spécifiques de la lecture de films et si on veutbien admettre que « l'image livre d'emblée une foule d'informations » alors que« le mot sélectionne » (Vanoye, 1989, p. 82), on sait aussi qu'on ne lit jamais desmots isolés, que toute lecture suppose des « savoirs multiples » et « des opéra¬tions multiples et complexes » dont la mobilisation et l'activation déterminent lapart fondamentale du lecteur dans la construction du sens (Reuter 1992, p. 12).Ainsi, loin de considérer l'hétérogénéité du langage cinématographique commela marque d'une différence radicale avec la langue naturelle (8), on propose quela complexité des récits audiovisuels, en raison même de sa banalité dans laculture ordinaire des jeunes élèves, soit envisagée comme un « dispositif inter¬prétable » (H. Parret) prototypique de toute lecture. En effet, on peut distinguerentre lecture de film (ou de téléfilm) et lecture de récits un réseau suffisantd'analogies pour qu'une didactique de la compréhension / interprétation puisseemprunter à l'un et à l'autre des situations métacognitives pertinentes.

La plus élémentaire des séries télévisées pour enfant suppose par exemplela mise en �uvre d'une compétence narrative. Au cours d'un des premiers épi¬sodes de la série Babar, le héros raconte un épisode de sa propre enfance :

Panalepse intervient quasiment au début de l'épisode, au moment où Babarévoque le souvenir de sa mère, tuée par un chasseur. Le retour en arrière est icisouligné par des indices visuels (l'image devient floue) et auditifs (présenced'une petite musique à laquelle s'ajoutent les propos de Babar, devenunarrateur : « II y a longtemps, très longtemps. C'était du temps où je n'étais pasencore roi, du temps où Célesteville n'existait pas, du temps de votre grand-mère, de ma mère »). Babar apparait physiquement très différent des toutes pre¬mières images du dessin animé (où il porte son costume vert...). Les seulsindices qui nous permettent alors de l'identifier sont auditifs : Babar bébé, pro¬nonce plusieurs fois son prénom, et les autres personnages du dessin animé lenomment à différentes reprises. Comment les spectateurs les plus jeunes s'yretrouvent-ils ? Mais aussi quelles compétences spécifiques construisent-ils peuà peu grâce à la fréquentation régulière de narrations qui jouent avec la chrono¬logie, avec les plans d'énonciation, avec la mise en espace de la fiction ?

Mais la mise en relation des procédés narratologiques dans le récit verbalet le récit filmique, qui a donné lieu à d'abondantes publications, ne nous paraitêtre ni la seule ni la meilleure raison de commenter des films ou des épisodes deséries télévisées à l'école. Jean-Marie Schaeffer (9) distingue deux versions dela thèse selon laquelle les récits audio-visuels pourraient être analysés « à l'aidedes catégories mises au point pour analyser le langage », ce qui revient à consi¬dérer un film comme un « acte discursif » : « Selon la version forte (de cettethèse) la structuration de l'auvre cinématographique est strictement homologue

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' II nous faut des preuves »...

à celle du discours verbal. Selon la version faible, la fiction cinématographiqueest organisée selon les mêmes catégories que le récit verbal, ce qui la rendaccessible aux méthodes d'analyse qui ont fait leur preuve dans le domaine decelui-là. ». La version faible de cette thèse correspond en gros à ce que nousvenons d'exposer : elle se fonde sur « la pertinence pour l'analyse de la fictioncinématographique de bon nombre des distinctions élaborées par la narratolo¬gie » et, pour Jean-Marie Schaeffer, si elle ne donne pas véritablement lieu à dis¬cussion, c'est parce que ces deux modes de fiction s'appuient sur unfondement commun, la logique actantielle. Ce qui distingue en revanche defaçon tout à fait radicale pour Jean-Marie Schaeffer le récit verbal de la fictionaudio-visuelle, - et ce qui invalide à ses yeux la thèse forte -, c'est « le vecteuret la posture d'immersion » (p. 304). Dans le cas du récit cinématographique, il

ne peut y avoir d'acte narratif, puisqu'il n'y a pas à proprement parler d'acte deparole. Au cinéma, la « logique du semblant » suscite une immersion perceptivesans commune mesure avec la réception des narrations verbales : « Le cinémaoffre une configuration quasi inverse de celle du récit écrit : tandis que pour cedernier la parole est une réalité langagière et le voir une métaphore, le récit fil¬mique montre réellement, mais raconte métaphoriquement » (Gardiès, 1993,p. 102) Conclure à l'irréductibilité de ces deux modes de récit, comme le fontJ-M. Schaeffer et A. Gardiès, conduirait, dans un contexte scolaire, soit à limiterles rapprochements au seul domaine de la narratologie, soit à envisager demanière totalement indépendante la pratique scolaire des récits verbaux et desrécits audiovisuels.

II nous semble au contraire que le spectateur de film, comme le lecteur derécits, doit rétablir des liens logiques et se les formuler mentalement pourreconstituer l'histoire, repérer et réunir des indices dont la mise en relation déter¬mine de nouvelles significations et que l'immersion perceptive (Schaeffer) n'estqu'un des aspects de la réception des récits en image. Rapprocher l'identifica¬tion de signaux perceptifs et l'interprétation de leurs signifiés conventionnels -qui peut être déterminée par des stéréotypes culturels ou par des effets discur¬sifs de cohérence (1 0) - de l'identification de séquences de mots écrits et desprocessus interprétatifs qui lui sont nécessairement associés (11) nous parait àla fois possible et nécessaire dans le cadre d'une didactique de la compréhen¬sion. Dans ce contexte, les supports narratifs n'occupent qu'une place relative(mais privilégiée) et les récits filmiques permettent au même titre que les récitsverbaux de développer des hypothèses de signification à travers des activitésde raisonnement : « ce qui passe par le rétablissement des informations nonexplicites (inferences, etc.), et fait intervenir les connaissances préalables du lec¬teur (sur l'organisation du monde, sur les textes et leur fonctionnement, sur laconnaissance des genres, sur les relations logiques entre les événements, etc.) »

(12).

En effet,a. la mise en relation des plans (ou des séquences) permet de « construire

une représentation unique, qui intègre tous les éléments de représenta¬tion » (13) donnés au fur et à mesure de la vision du film : la continuitéentre les plans par exemple ne peut être inférée qu'à condition de consi¬dérer des éléments appartenant à des plans successifs comme entrete-

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' II nous faut des preuves »...

à celle du discours verbal. Selon la version faible, la fiction cinématographiqueest organisée selon les mêmes catégories que le récit verbal, ce qui la rendaccessible aux méthodes d'analyse qui ont fait leur preuve dans le domaine decelui-là. ». La version faible de cette thèse correspond en gros à ce que nousvenons d'exposer : elle se fonde sur « la pertinence pour l'analyse de la fictioncinématographique de bon nombre des distinctions élaborées par la narratolo¬gie » et, pour Jean-Marie Schaeffer, si elle ne donne pas véritablement lieu à dis¬cussion, c'est parce que ces deux modes de fiction s'appuient sur unfondement commun, la logique actantielle. Ce qui distingue en revanche defaçon tout à fait radicale pour Jean-Marie Schaeffer le récit verbal de la fictionaudio-visuelle, - et ce qui invalide à ses yeux la thèse forte -, c'est « le vecteuret la posture d'immersion » (p. 304). Dans le cas du récit cinématographique, il

ne peut y avoir d'acte narratif, puisqu'il n'y a pas à proprement parler d'acte deparole. Au cinéma, la « logique du semblant » suscite une immersion perceptivesans commune mesure avec la réception des narrations verbales : « Le cinémaoffre une configuration quasi inverse de celle du récit écrit : tandis que pour cedernier la parole est une réalité langagière et le voir une métaphore, le récit fil¬mique montre réellement, mais raconte métaphoriquement » (Gardiès, 1993,p. 102) Conclure à l'irréductibilité de ces deux modes de récit, comme le fontJ-M. Schaeffer et A. Gardiès, conduirait, dans un contexte scolaire, soit à limiterles rapprochements au seul domaine de la narratologie, soit à envisager demanière totalement indépendante la pratique scolaire des récits verbaux et desrécits audiovisuels.

II nous semble au contraire que le spectateur de film, comme le lecteur derécits, doit rétablir des liens logiques et se les formuler mentalement pourreconstituer l'histoire, repérer et réunir des indices dont la mise en relation déter¬mine de nouvelles significations et que l'immersion perceptive (Schaeffer) n'estqu'un des aspects de la réception des récits en image. Rapprocher l'identifica¬tion de signaux perceptifs et l'interprétation de leurs signifiés conventionnels -qui peut être déterminée par des stéréotypes culturels ou par des effets discur¬sifs de cohérence (1 0) - de l'identification de séquences de mots écrits et desprocessus interprétatifs qui lui sont nécessairement associés (11) nous parait àla fois possible et nécessaire dans le cadre d'une didactique de la compréhen¬sion. Dans ce contexte, les supports narratifs n'occupent qu'une place relative(mais privilégiée) et les récits filmiques permettent au même titre que les récitsverbaux de développer des hypothèses de signification à travers des activitésde raisonnement : « ce qui passe par le rétablissement des informations nonexplicites (inferences, etc.), et fait intervenir les connaissances préalables du lec¬teur (sur l'organisation du monde, sur les textes et leur fonctionnement, sur laconnaissance des genres, sur les relations logiques entre les événements, etc.) »

(12).

En effet,a. la mise en relation des plans (ou des séquences) permet de « construire

une représentation unique, qui intègre tous les éléments de représenta¬tion » (13) donnés au fur et à mesure de la vision du film : la continuitéentre les plans par exemple ne peut être inférée qu'à condition de consi¬dérer des éléments appartenant à des plans successifs comme entrete-

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REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET

nant une relation spatiale, temporelle, ou symbolique. II s'agit donc biende prêter plus ou moins consciemment attention à des éléments dereprise (qui peuvent d'ailleurs être ambigus).

b.La sélection des « idées principales » et leur mise en cohérence par laconstruction de scénarios successifs permet d'avancer dans la compré¬hension de l'intrigue. Se configurer des lieux, identifier le rôle des per¬sonnages principaux, envisager les enjeux des différentes actionsengagées, toutes ces opérations permettent d'anticiper, de coopéreravec le ou les auteurs du spectacle.

c. quant à l'élaboration « qui consiste à donner sens au texte en le reliant àdes savoirs, des expériences qui sont les savoirs et les expériences per¬sonnels du lecteur », on ne voit pas très bien pourquoi cette opérationserait différente pour un lecteur de roman et pour un spectateur de récitsfictionnels !

Notre propos n'est certainement pas de prétendre réduire tout mécanismede compréhension / interprétation (qu'il s'agisse d'écrits narratifs ou non ,de récits pluricodes comme le cinéma ou la BD ou de suite d'événementsréels quotidiens ou exceptionnels) à un même schéma mais de voir en quoi leraisonnement sur des séquences narratives permet de développer des disposi¬tifs attentionnels, une vigilance, la connaissance et la maitrise de procédures(que les élèves mettent parfois en 1uvre sans en mesurer l'efficacité) (14).

1.4. Une revue de questions

« Tout exercice est bon à prendre qui aide l'élève à briser la représentationque la lecture est magique, que la réception est passive et que la compréhen¬sion relève d'une intelligence déjà là. Tout exercice est bon à prendre qui donneà l'élève à mettre en suvre, par le moyen du discours, des stratégies de lectureperçues par l'élève comme actives » (Daunay, 1996, p. 219). C'est un présup¬posé de ce genre qui est à l'origine de l'exploration que nous avons voulumettre en �uvre, à l'IUFM de Grenoble, dans le cadre d'un atelier mémoire pro¬fessionnel sur la compréhension / interprétation des récits filmiques (télévisuelspour la plupart) par les élèves de l'école maternelle et élémentaire. Notre hypo¬thèse de départ (1997) s'appuyait sur ce que Jean-Marie Schaeffer considèrecomme la thèse faible (mais acceptable) de l'analogie entre récit écrit et récit fil¬

mique. Dès les premiers travaux conduits avec les étudiants, il nous a semblé aucontraire qu'adopter la « thèse forte » pouvait être théoriquement incertain maisfécond sur le plan didactique. En effet, l'approche explicite des procédés narra¬tifs (répertoriés dans les ouvrages de narratologie) ne permet pas, avec lesélèves les plus jeunes en tous cas, une analyse effective et assez complète desprocessus de compréhension mis en uvre par le spectateur. C'est pourquoi ona retenu de façon assez systématique d'une part une revue de questions sus¬ceptibles de donner une meilleure connaissance des compétences spectatricesdes élèves (et des moyens de l'améliorer) et, d'autre part, une méthodologie etun protocole pour le recueil de données qui tiennent compte des recherchesque nous conduisions par ailleurs sur la lecture et l'évaluation de la lecture (15).

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nant une relation spatiale, temporelle, ou symbolique. II s'agit donc biende prêter plus ou moins consciemment attention à des éléments dereprise (qui peuvent d'ailleurs être ambigus).

b.La sélection des « idées principales » et leur mise en cohérence par laconstruction de scénarios successifs permet d'avancer dans la compré¬hension de l'intrigue. Se configurer des lieux, identifier le rôle des per¬sonnages principaux, envisager les enjeux des différentes actionsengagées, toutes ces opérations permettent d'anticiper, de coopéreravec le ou les auteurs du spectacle.

c. quant à l'élaboration « qui consiste à donner sens au texte en le reliant àdes savoirs, des expériences qui sont les savoirs et les expériences per¬sonnels du lecteur », on ne voit pas très bien pourquoi cette opérationserait différente pour un lecteur de roman et pour un spectateur de récitsfictionnels !

Notre propos n'est certainement pas de prétendre réduire tout mécanismede compréhension / interprétation (qu'il s'agisse d'écrits narratifs ou non ,de récits pluricodes comme le cinéma ou la BD ou de suite d'événementsréels quotidiens ou exceptionnels) à un même schéma mais de voir en quoi leraisonnement sur des séquences narratives permet de développer des disposi¬tifs attentionnels, une vigilance, la connaissance et la maitrise de procédures(que les élèves mettent parfois en 1uvre sans en mesurer l'efficacité) (14).

1.4. Une revue de questions

« Tout exercice est bon à prendre qui aide l'élève à briser la représentationque la lecture est magique, que la réception est passive et que la compréhen¬sion relève d'une intelligence déjà là. Tout exercice est bon à prendre qui donneà l'élève à mettre en suvre, par le moyen du discours, des stratégies de lectureperçues par l'élève comme actives » (Daunay, 1996, p. 219). C'est un présup¬posé de ce genre qui est à l'origine de l'exploration que nous avons voulumettre en �uvre, à l'IUFM de Grenoble, dans le cadre d'un atelier mémoire pro¬fessionnel sur la compréhension / interprétation des récits filmiques (télévisuelspour la plupart) par les élèves de l'école maternelle et élémentaire. Notre hypo¬thèse de départ (1997) s'appuyait sur ce que Jean-Marie Schaeffer considèrecomme la thèse faible (mais acceptable) de l'analogie entre récit écrit et récit fil¬

mique. Dès les premiers travaux conduits avec les étudiants, il nous a semblé aucontraire qu'adopter la « thèse forte » pouvait être théoriquement incertain maisfécond sur le plan didactique. En effet, l'approche explicite des procédés narra¬tifs (répertoriés dans les ouvrages de narratologie) ne permet pas, avec lesélèves les plus jeunes en tous cas, une analyse effective et assez complète desprocessus de compréhension mis en uvre par le spectateur. C'est pourquoi ona retenu de façon assez systématique d'une part une revue de questions sus¬ceptibles de donner une meilleure connaissance des compétences spectatricesdes élèves (et des moyens de l'améliorer) et, d'autre part, une méthodologie etun protocole pour le recueil de données qui tiennent compte des recherchesque nous conduisions par ailleurs sur la lecture et l'évaluation de la lecture (15).

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« II nous faut des preuves »...

1.4. 1. Deux types d'entrées ont ainsi été retenus pour travailleravec les élèves sur leur compréhension des récitsfilmiques

La première porte principalement sur le/les personnage/s commemarques de cohérence « supra-segmentale » (C. Metz). Inspirées par l'ou¬vrage de C. Tauveron (16), les enquêtes conduites par les étudiants ont porté surla typologie des personnages (représentation des « héros » ou des« méchants »), sur la différenciation des personnages secondaires (par exempledans Le Livre de la Jungle - version Disney - ou dans plusieurs épisodes d'unesérie télévisée - Winnie l'ourson -). II s'agit de réunir les informations qui définis¬sent le personnage (but et plan, mais aussi traits physiques et attributs acces¬soires, actions, propos) : les indices visuels ou sonores sont systématiquementrassemblés, la mémoire est sollicitée, des extraits sont visionnés à plusieursreprises, plusieurs épisodes d'une même série permettent de construire un juge¬ment sur le personnage :

Un premier épisode de Winnie l'ourson montre Porcinet impuissant faceà une inondation ; la situation est telle que la peur du personnage se jus¬tifie, notamment pour « un si petit animal ». Les élèves (CP) ont pourtantrelevé que ce dernier tremblait tout le temps. Un second passage, extraitd'un autre épisode, présente le même Porcinet terrorisé aux côtés d'unWinnie serein. Dans une troisième séquence, Porcinet entend un bruit(produit par l'estomac de Winnie) et s'inquiète en bégayant. La caractéri¬sation du personnage (Porcinet = peureux) nait de la mise en relation deson comportement avec des contextes différents, dans des films qui nesont pas faits pour être vus « à la suite ». L'objectif de séances de cegenre est de conduire à un jugement globalisant appuyé sur des indicesprécis et collectivement repérés.

La deuxième entrée présuppose une réflexion plus manifeste sur lematériau filmique proprement dit (explicitation des ellipses ou des analepses,description de la pseudolangue dans Les aventures de Pingu, anticipations durécit probable à partir d'une bande annonce, explication de détails a priori mys¬térieux en cours de projection : les petites lumières rouges de ET) : ici encore, ils'agit de confronter des hypothèses de sens à des procédés spécifiques, à dessignaux plus ou moins polysémiques. En formation, l'objectif est clair : se rendreattentif aux prises d'indices et aux processus de construction de sens desélèves ; dans la classe, l'objectif n'est pas moins clair : formuler des proposi¬tions, les confronter, les argumenter.

1.4.2. Dans un article déjà ancien, Francis Grossmann (1993)proposait quelques pistes pour prendre en compte« l'hétérogénéité interprétative au sein de la classe » :

- « un travail visant le développement des capacités métatextuelles :

apprendre à mettre en attente, à différer des interprétations, à intégrer de nou¬velles représentations, à changer de point de vue. »

- « des outils didactiques proposant de véritables "problèmes de lecture" ».

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« II nous faut des preuves »...

1.4. 1. Deux types d'entrées ont ainsi été retenus pour travailleravec les élèves sur leur compréhension des récitsfilmiques

La première porte principalement sur le/les personnage/s commemarques de cohérence « supra-segmentale » (C. Metz). Inspirées par l'ou¬vrage de C. Tauveron (16), les enquêtes conduites par les étudiants ont porté surla typologie des personnages (représentation des « héros » ou des« méchants »), sur la différenciation des personnages secondaires (par exempledans Le Livre de la Jungle - version Disney - ou dans plusieurs épisodes d'unesérie télévisée - Winnie l'ourson -). II s'agit de réunir les informations qui définis¬sent le personnage (but et plan, mais aussi traits physiques et attributs acces¬soires, actions, propos) : les indices visuels ou sonores sont systématiquementrassemblés, la mémoire est sollicitée, des extraits sont visionnés à plusieursreprises, plusieurs épisodes d'une même série permettent de construire un juge¬ment sur le personnage :

Un premier épisode de Winnie l'ourson montre Porcinet impuissant faceà une inondation ; la situation est telle que la peur du personnage se jus¬tifie, notamment pour « un si petit animal ». Les élèves (CP) ont pourtantrelevé que ce dernier tremblait tout le temps. Un second passage, extraitd'un autre épisode, présente le même Porcinet terrorisé aux côtés d'unWinnie serein. Dans une troisième séquence, Porcinet entend un bruit(produit par l'estomac de Winnie) et s'inquiète en bégayant. La caractéri¬sation du personnage (Porcinet = peureux) nait de la mise en relation deson comportement avec des contextes différents, dans des films qui nesont pas faits pour être vus « à la suite ». L'objectif de séances de cegenre est de conduire à un jugement globalisant appuyé sur des indicesprécis et collectivement repérés.

La deuxième entrée présuppose une réflexion plus manifeste sur lematériau filmique proprement dit (explicitation des ellipses ou des analepses,description de la pseudolangue dans Les aventures de Pingu, anticipations durécit probable à partir d'une bande annonce, explication de détails a priori mys¬térieux en cours de projection : les petites lumières rouges de ET) : ici encore, ils'agit de confronter des hypothèses de sens à des procédés spécifiques, à dessignaux plus ou moins polysémiques. En formation, l'objectif est clair : se rendreattentif aux prises d'indices et aux processus de construction de sens desélèves ; dans la classe, l'objectif n'est pas moins clair : formuler des proposi¬tions, les confronter, les argumenter.

1.4.2. Dans un article déjà ancien, Francis Grossmann (1993)proposait quelques pistes pour prendre en compte« l'hétérogénéité interprétative au sein de la classe » :

- « un travail visant le développement des capacités métatextuelles :

apprendre à mettre en attente, à différer des interprétations, à intégrer de nou¬velles représentations, à changer de point de vue. »

- « des outils didactiques proposant de véritables "problèmes de lecture" ».

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REPÈRES N" 21/2000 B. CHAIX et F. QUET

En effet, ajoutait F. Grossmann : « le jeune lecteur doit accepter la « prisede risque » inférentielle, mais aussi savoir revenir rapidement sur une interpréta¬tion. Cette capacité n'est pas innée : elle se travaille. Elle n'est pas réductible àun savoir-faire technique même si ce dernier peut jouer un rôle important. Lesenfants sont peu habitués à se reporter à des endroits différents du texte pourrépondre à une même question » (p. 59).

« La mise en commun et l'échange favorisent l'objectivation du sens et desstratégies qui l'ont construit » (17), c'est du moins le point de vue que nousdéfendons en matière d'évaluation de la lecture. « Les expériences sur l'évalua¬tion de la compréhension en lecture tendent à montrer que l'utilisation de ques¬tions, qui est la technique la plus répandue, n'est probablement pas la pluspertinente. La situation de rappel semble préférable même si elle pose aussi desproblèmes et si d'autres procédures restent à inventer » (Lusetti 1996, p. 25).C'est donc le plus souvent sous forme de rappels écrits (et/ou oraux), engroupes restreints ou en classe complète, que nous avons proposé de faire tra¬vailler le sens des séquences filmiques proposées aux élèves : les divergencesinterprétatives sont évidemment très nombreuses et les échanges, s'ils ne per¬mettent pas la levée de tous les obstacles, facilitent l'explicitation des prisesd'indices et des « raisonnements abductifs » (1 8).

2. FENNEC EN CYCLE 2

2.1. La situation

On voudrait maintenant proposer, à titre d'exemple, quelques élémentsd'une situation mise en place par des professeurs des écoles stagiaires dans unCP et dans un CE1 (19). Les élèves des deux classes avaient été mélangés puisréunis par groupe de six pour assister à la projection d'un épisode de la sérietélévisée Fennec (20). À certains groupes, on a proposé la projection complètede l'épisode, puis on leur a demandé de raconter le film à un enseignant quin'avait pas assisté à la projection. Avec les autres groupes, la projection a étéinterrompue à plusieurs reprises et à chaque fois on a demandé aux élèves deproposer la suite la plus probable en tenant compte de l'extrait qu'ils venaientde voir. On ne fera pas de différence, dans le cadre de cet article, entre les pro¬ductions orales des deux types de groupes dans la mesure où il ne s'agit pastant d'établir des distinctions entre deux situations, pertinentes l'une et l'autre,que de montrer en quoi les interactions verbales permettent d'évaluer et d'amé¬liorer (de mettre en valeur) des compétences narratives.

2.2. Le film

Croquiville, la nuit,Bernié, le coq est réveillé en sursaut par du bruit, il se penche à la fenêtreet voit une voiture rouge s'enfuir. II crie : « à moi, au secours, au voleur,au voleur ! »

Fondu au noir.Dans le bar du coq, le lendemain matin.

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REPÈRES N" 21/2000 B. CHAIX et F. QUET

En effet, ajoutait F. Grossmann : « le jeune lecteur doit accepter la « prisede risque » inférentielle, mais aussi savoir revenir rapidement sur une interpréta¬tion. Cette capacité n'est pas innée : elle se travaille. Elle n'est pas réductible àun savoir-faire technique même si ce dernier peut jouer un rôle important. Lesenfants sont peu habitués à se reporter à des endroits différents du texte pourrépondre à une même question » (p. 59).

« La mise en commun et l'échange favorisent l'objectivation du sens et desstratégies qui l'ont construit » (17), c'est du moins le point de vue que nousdéfendons en matière d'évaluation de la lecture. « Les expériences sur l'évalua¬tion de la compréhension en lecture tendent à montrer que l'utilisation de ques¬tions, qui est la technique la plus répandue, n'est probablement pas la pluspertinente. La situation de rappel semble préférable même si elle pose aussi desproblèmes et si d'autres procédures restent à inventer » (Lusetti 1996, p. 25).C'est donc le plus souvent sous forme de rappels écrits (et/ou oraux), engroupes restreints ou en classe complète, que nous avons proposé de faire tra¬vailler le sens des séquences filmiques proposées aux élèves : les divergencesinterprétatives sont évidemment très nombreuses et les échanges, s'ils ne per¬mettent pas la levée de tous les obstacles, facilitent l'explicitation des prisesd'indices et des « raisonnements abductifs » (1 8).

2. FENNEC EN CYCLE 2

2.1. La situation

On voudrait maintenant proposer, à titre d'exemple, quelques élémentsd'une situation mise en place par des professeurs des écoles stagiaires dans unCP et dans un CE1 (19). Les élèves des deux classes avaient été mélangés puisréunis par groupe de six pour assister à la projection d'un épisode de la sérietélévisée Fennec (20). À certains groupes, on a proposé la projection complètede l'épisode, puis on leur a demandé de raconter le film à un enseignant quin'avait pas assisté à la projection. Avec les autres groupes, la projection a étéinterrompue à plusieurs reprises et à chaque fois on a demandé aux élèves deproposer la suite la plus probable en tenant compte de l'extrait qu'ils venaientde voir. On ne fera pas de différence, dans le cadre de cet article, entre les pro¬ductions orales des deux types de groupes dans la mesure où il ne s'agit pastant d'établir des distinctions entre deux situations, pertinentes l'une et l'autre,que de montrer en quoi les interactions verbales permettent d'évaluer et d'amé¬liorer (de mettre en valeur) des compétences narratives.

2.2. Le film

Croquiville, la nuit,Bernié, le coq est réveillé en sursaut par du bruit, il se penche à la fenêtreet voit une voiture rouge s'enfuir. II crie : « à moi, au secours, au voleur,au voleur ! »

Fondu au noir.Dans le bar du coq, le lendemain matin.

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« II nous faut des preuves »...

Fennec et son associé enquêtent. Fennec ramasse un objet violet parterre : « ah ah ! un morceau de plastique, bizarre... », Bernié pleure : « II apris toutes les salières que mon père m'avait données pour l'ouverture durestaurant ! », Fennec sort, son associé Achille pense tout haut « c'estquand même bizarre ça, un voleur qui ne vole que des salières. » Unevoiture passe, un haut-parleur annonce « attention attention, c'est votremaire qui vous parle, rendez-vous tous au square immédiatement. »

Au square.Le maire : (des gouttes de sueur coulent de son front, il s'essuie avec sonmouchoir)« vu l'urgence de la situation je passe la parole au professeur CC de pas¬sage dans notre ville »

Le professeur : grosses lunettes, grosse tignasse orange et moustache, ilzézaie« Citoyens de C, j'ai beaucoup étudié les effets de la chaleur sur lesplantes et j'ai une bien mauvaise nouvelle à vous annoncer, une allergieva s'abattre sur notre ville, elle est causée par le pollen des fleurs. »

Question d'un habitant : « pourquoi ? » Le professeur hésite, gouttes desueur au front « ...heu ! parce qu'il fait trop chaud ... d'après mes calculsl'allergie tombera sur C exactement cette nuit et j'ai bien peur mes chersamis, que vous ne soyez obligés d'enlever toutes les plantes à fleurs etmême toutes les plantes de C. »

Le public se sépare affolé, F et son ami restent seuls.Achille : « par quoi on commence Fennec ? » « Je n'en ai aucune idée »

« moi je sais, en posant des questions. »

'ri 'n r n montre le dévelo ement de l'aller ied n I ville.

Bureau de Fennec.Un appel téléphonique, Fennec répond et se lève : « habille-toi, le maireorganise une autre réunion au garage de Basile et Georges »

Au garage : le coq « Fennec, tu as retrouvé mes salières ? » « non pasencore mais ne t'inquiète pas, on y travaille Bernié »

Basile : « mes bons amis, j'ai beaucoup réfléchi, et j'ai découvert que laseule solution possible est de remplacer les plantes de C par des plantesen plastique, enlevez vos masques et inspirez, vous voyez, ici on respirebeaucoup mieux qu'ailleurs dans la ville, pourquoi ? » Georges : « parcequ'ici, il n'y a que des fleurs en plastique. »

« exactement, et pour vous rendre un service, moi, Basile Brutal et moncousin Georges Grosdos nous ouvrons justement une fabrique de fleursen plastique, à vous monsieur le maire... » II tend le ciseau au maire quicoupe le ruban, la bâche tombe, découvrant la façade de la fabrique defleurs. Le public applaudit.Basile : « mettez-vous en file et entrez voir mes magnifiques plantes ! »

Fondu enchaine sur bureau de Fennec. Achille fait les 1 00 pas :

Fennec : « pourquoi tu bougonnes Achille ? »

« ça fait deux jours qu'on enquête et on n'a rien, rien, rien trouvé. »

Fennec : « on a quand même deux indices. »

Achille : « On a ça, un petit bout de plastique bizarre oublié chez Berniépar le voleur » gros plan sur le triangle de plastique violet.

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« II nous faut des preuves »...

Fennec et son associé enquêtent. Fennec ramasse un objet violet parterre : « ah ah ! un morceau de plastique, bizarre... », Bernié pleure : « II apris toutes les salières que mon père m'avait données pour l'ouverture durestaurant ! », Fennec sort, son associé Achille pense tout haut « c'estquand même bizarre ça, un voleur qui ne vole que des salières. » Unevoiture passe, un haut-parleur annonce « attention attention, c'est votremaire qui vous parle, rendez-vous tous au square immédiatement. »

Au square.Le maire : (des gouttes de sueur coulent de son front, il s'essuie avec sonmouchoir)« vu l'urgence de la situation je passe la parole au professeur CC de pas¬sage dans notre ville »

Le professeur : grosses lunettes, grosse tignasse orange et moustache, ilzézaie« Citoyens de C, j'ai beaucoup étudié les effets de la chaleur sur lesplantes et j'ai une bien mauvaise nouvelle à vous annoncer, une allergieva s'abattre sur notre ville, elle est causée par le pollen des fleurs. »

Question d'un habitant : « pourquoi ? » Le professeur hésite, gouttes desueur au front « ...heu ! parce qu'il fait trop chaud ... d'après mes calculsl'allergie tombera sur C exactement cette nuit et j'ai bien peur mes chersamis, que vous ne soyez obligés d'enlever toutes les plantes à fleurs etmême toutes les plantes de C. »

Le public se sépare affolé, F et son ami restent seuls.Achille : « par quoi on commence Fennec ? » « Je n'en ai aucune idée »

« moi je sais, en posant des questions. »

'ri 'n r n montre le dévelo ement de l'aller ied n I ville.

Bureau de Fennec.Un appel téléphonique, Fennec répond et se lève : « habille-toi, le maireorganise une autre réunion au garage de Basile et Georges »

Au garage : le coq « Fennec, tu as retrouvé mes salières ? » « non pasencore mais ne t'inquiète pas, on y travaille Bernié »

Basile : « mes bons amis, j'ai beaucoup réfléchi, et j'ai découvert que laseule solution possible est de remplacer les plantes de C par des plantesen plastique, enlevez vos masques et inspirez, vous voyez, ici on respirebeaucoup mieux qu'ailleurs dans la ville, pourquoi ? » Georges : « parcequ'ici, il n'y a que des fleurs en plastique. »

« exactement, et pour vous rendre un service, moi, Basile Brutal et moncousin Georges Grosdos nous ouvrons justement une fabrique de fleursen plastique, à vous monsieur le maire... » II tend le ciseau au maire quicoupe le ruban, la bâche tombe, découvrant la façade de la fabrique defleurs. Le public applaudit.Basile : « mettez-vous en file et entrez voir mes magnifiques plantes ! »

Fondu enchaine sur bureau de Fennec. Achille fait les 1 00 pas :

Fennec : « pourquoi tu bougonnes Achille ? »

« ça fait deux jours qu'on enquête et on n'a rien, rien, rien trouvé. »

Fennec : « on a quand même deux indices. »

Achille : « On a ça, un petit bout de plastique bizarre oublié chez Berniépar le voleur » gros plan sur le triangle de plastique violet.

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REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET

Fennec ajoute : « et on sait que c'est quelqu'un qui aime les salières »

« pas tant que ça, il n'a volé que celles de Bernié »

« 1 5, c'est déjà pas mal non ? »

« Ouais, ça dépend pour qui ! »

« Exact, qui peut bien avoir besoin de tant de salières ? »

« Quelqu'un qui achète beaucoup de sel ? »

« tu es un très grand détective » conclut Fennec

Fennec et Achille partent en voiture à travers la ville, on croise beaucoup degens qui éternuent.

Au magasin de Jack : quelqu'un charge avec peine des sacs sur une voi¬ture rouge, Fennec propose son aide. On s'approche du toit de la voiture,un piment est dessiné sur chaque sac. Gros plan sur la dame qui va par¬tir, Achille s'avance : « madame, est ce que quelqu'un vous a volé dessalières ? » '

« Des sa... ! Oh ! non... non... non..., quelle drôle de question jeunehomme ! » Elle part.Dans le magasin :

Fennec : « Jack, est-ce qu'il y a quelqu'un qui t'a acheté beaucoup desel dernièrement ? »

« Non, mais il y a quelqu'un qui a acheté assez de poivre pour poivrertoutes les tomates de la région pendant au moins 20 ans ! »

« Du poivre ! mais pourquoi du poivre, qui achète autant de poivre ?

- La vieille dame à qui tu viens d'ouvrir la portière de l'auto »

Fennec : « les 2 grands sacs sur son auto, c'était du poivre !

- Oui, et elle en avait acheté autant la semaine dernière. »

D n I ru avec le facteur :

Fennec sort du magasin, ils rencontrent Chris, elle porte un bouquet defleurs violettes, des fleurs en plastiques.« Tu arrives de chez le fleuriste ? »

« Oui, ça va très bien pour les affaires de Basile et Georges », une fleurtombe de son bouquet, Fennec la ramasse et ajoute : « l'allergie ne faitpas que des malheureux ! »

Chris : « ah ! j'oubliais, j'ai rencontré Jeanne Tisane tout à l'heure devantvotre bureau, elle vous cherchait. »

Dans la voiture de Fennec« J'ai l'impression que cette fleur me rappelle quelque chose... », ilarrache un pétale à la fleur de Chris, « Achille passe moi notre indice ! »

« Qu'est-ce que-tu as découvert Fennec » « prête-moi ta loupe ! regardeça il place les deux morceaux sous la loupe » « ils sont pareils » « ça veutdire que notre indice est un pétale de fleur et qu'il vient de chez Basile etGeorges » A : « c'est impossible, la nuit du vol, la fabrique n'existait pasencore !» F : « si l'on a trouvé le pétale, c'est que la fabrique existaitdéjà » A : « la bâche ! mais oui, c'est pour ça qu'il y avait une bâche surleur garage depuis une semaine. »

II arriv nt h z Jeanne Tisane la harmacienne.A : « ça veut dire que ce sont eux qui ont volé les salières de Bernié »

F : « probablement »

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REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET

Fennec ajoute : « et on sait que c'est quelqu'un qui aime les salières »

« pas tant que ça, il n'a volé que celles de Bernié »

« 1 5, c'est déjà pas mal non ? »

« Ouais, ça dépend pour qui ! »

« Exact, qui peut bien avoir besoin de tant de salières ? »

« Quelqu'un qui achète beaucoup de sel ? »

« tu es un très grand détective » conclut Fennec

Fennec et Achille partent en voiture à travers la ville, on croise beaucoup degens qui éternuent.

Au magasin de Jack : quelqu'un charge avec peine des sacs sur une voi¬ture rouge, Fennec propose son aide. On s'approche du toit de la voiture,un piment est dessiné sur chaque sac. Gros plan sur la dame qui va par¬tir, Achille s'avance : « madame, est ce que quelqu'un vous a volé dessalières ? » '

« Des sa... ! Oh ! non... non... non..., quelle drôle de question jeunehomme ! » Elle part.Dans le magasin :

Fennec : « Jack, est-ce qu'il y a quelqu'un qui t'a acheté beaucoup desel dernièrement ? »

« Non, mais il y a quelqu'un qui a acheté assez de poivre pour poivrertoutes les tomates de la région pendant au moins 20 ans ! »

« Du poivre ! mais pourquoi du poivre, qui achète autant de poivre ?

- La vieille dame à qui tu viens d'ouvrir la portière de l'auto »

Fennec : « les 2 grands sacs sur son auto, c'était du poivre !

- Oui, et elle en avait acheté autant la semaine dernière. »

D n I ru avec le facteur :

Fennec sort du magasin, ils rencontrent Chris, elle porte un bouquet defleurs violettes, des fleurs en plastiques.« Tu arrives de chez le fleuriste ? »

« Oui, ça va très bien pour les affaires de Basile et Georges », une fleurtombe de son bouquet, Fennec la ramasse et ajoute : « l'allergie ne faitpas que des malheureux ! »

Chris : « ah ! j'oubliais, j'ai rencontré Jeanne Tisane tout à l'heure devantvotre bureau, elle vous cherchait. »

Dans la voiture de Fennec« J'ai l'impression que cette fleur me rappelle quelque chose... », ilarrache un pétale à la fleur de Chris, « Achille passe moi notre indice ! »

« Qu'est-ce que-tu as découvert Fennec » « prête-moi ta loupe ! regardeça il place les deux morceaux sous la loupe » « ils sont pareils » « ça veutdire que notre indice est un pétale de fleur et qu'il vient de chez Basile etGeorges » A : « c'est impossible, la nuit du vol, la fabrique n'existait pasencore !» F : « si l'on a trouvé le pétale, c'est que la fabrique existaitdéjà » A : « la bâche ! mais oui, c'est pour ça qu'il y avait une bâche surleur garage depuis une semaine. »

II arriv nt h z Jeanne Tisane la harmacienne.A : « ça veut dire que ce sont eux qui ont volé les salières de Bernié »

F : « probablement »

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I nous faut des preuves »...

A : « mais Fennec, quel rapport entre les salières et les fleurs enplastique ? »

Jeanne arrive, elle s'assure que personne ne les a vus.« Fennec, Achille, entrez vite, j'ai quelque chose à vous montrer. »

Gros plan, un cercle blanc, au centre l'image floue devient lisible, on voitdes grains blancs.

Fennec observe au microscope, Jeanne demande : « alors, qu'en penses-tu Fennec ? »

« Depuis le début, je trouvais que cette allergie était bizarre, maintenant,j'ai la preuve qu'elle n'est pas naturelle » II prend une fleur et la fait sentirà Achille : « ça sent bon »

maintenant, ferme tes yeux dit Fennec, il répand sur la fleur la poudreobservée au microscope, et la fait sentir à Achille qui éternue : « elle rendallergique ! » « Tu vois, il suffit d'un peu de poivre et d'un peu de vent. »

« J'ai trouvé du poivre sur presque toutes les plantes que j'aiexaminées » ajoute Jeanne.Achille : « qui a bien pu faire ça ? » Fennec : « ceux à qui profite cetteallergie : Basile et Georges ! »

Achille en colère : « on les tient, en plus ils ont volé les salières de Bernié,vite Fennec, j'ai deux mots à leur dire ! »

Fennec : « pas tout de suite, il nous faut des preuves, écoutez-moi bien,je pense que je sais comment les coincer... »

Fondu enchaine s r le ara e de Basile et eor es.Georges dort, Basile lit le journal et réveille son frère : « eh ! le paresseux,écoute ça, édition spéciale, l'allergie de C arrive à sa fin, Jeanne Tisaneest complètement guérie de ses allergies et elle invite tous les habitantsdans son jardin demain matin pour constater par eux mêmes ; tu sais ceque ça veut dire ça, le mollasson ? encore une longue nuit de travail pournous deux ! »

Jardin de Jeanne, la nuit. Basile et Georges se faufilent, un foulard sur levisage.

Ils commencent à poivrer les plantes, une batterie de projecteurs s'al¬lume.« Trop de poivre, c'est mauvais pour la santé ça peut causer desallergies ! En avant Achille » Achille et Fennec sautent depuis une fenêtre.Tous les habitants arrivent « on les tient ! »

Bernié retrouve ses salières dans un sac renversé.Fennec : « voyons qui se cache sous ce masque ? Basile ! et Georges !

voilà les responsables de l'allergie »

La souris : « II faudrait aussi retrouver ce fameux professeur »

Jack, l'épicier : « et la vieille dame qui a acheté le poivre ! »

Georges : « je t'avais bien dit Basile, personne ne m'a reconnu ! »

Souris : « c'était toi le professeur Cousinus ? »

Georges : « et la vieille dame aussi ! »

Achille : « moi, il y a une chose que je ne comprends pas, pourquoi vousavez volé les salières de Bernié et pas ses poivrières ? »

Basile et Georges : « je ne dis plus rien, moi non plus »

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I nous faut des preuves »...

A : « mais Fennec, quel rapport entre les salières et les fleurs enplastique ? »

Jeanne arrive, elle s'assure que personne ne les a vus.« Fennec, Achille, entrez vite, j'ai quelque chose à vous montrer. »

Gros plan, un cercle blanc, au centre l'image floue devient lisible, on voitdes grains blancs.

Fennec observe au microscope, Jeanne demande : « alors, qu'en penses-tu Fennec ? »

« Depuis le début, je trouvais que cette allergie était bizarre, maintenant,j'ai la preuve qu'elle n'est pas naturelle » II prend une fleur et la fait sentirà Achille : « ça sent bon »

maintenant, ferme tes yeux dit Fennec, il répand sur la fleur la poudreobservée au microscope, et la fait sentir à Achille qui éternue : « elle rendallergique ! » « Tu vois, il suffit d'un peu de poivre et d'un peu de vent. »

« J'ai trouvé du poivre sur presque toutes les plantes que j'aiexaminées » ajoute Jeanne.Achille : « qui a bien pu faire ça ? » Fennec : « ceux à qui profite cetteallergie : Basile et Georges ! »

Achille en colère : « on les tient, en plus ils ont volé les salières de Bernié,vite Fennec, j'ai deux mots à leur dire ! »

Fennec : « pas tout de suite, il nous faut des preuves, écoutez-moi bien,je pense que je sais comment les coincer... »

Fondu enchaine s r le ara e de Basile et eor es.Georges dort, Basile lit le journal et réveille son frère : « eh ! le paresseux,écoute ça, édition spéciale, l'allergie de C arrive à sa fin, Jeanne Tisaneest complètement guérie de ses allergies et elle invite tous les habitantsdans son jardin demain matin pour constater par eux mêmes ; tu sais ceque ça veut dire ça, le mollasson ? encore une longue nuit de travail pournous deux ! »

Jardin de Jeanne, la nuit. Basile et Georges se faufilent, un foulard sur levisage.

Ils commencent à poivrer les plantes, une batterie de projecteurs s'al¬lume.« Trop de poivre, c'est mauvais pour la santé ça peut causer desallergies ! En avant Achille » Achille et Fennec sautent depuis une fenêtre.Tous les habitants arrivent « on les tient ! »

Bernié retrouve ses salières dans un sac renversé.Fennec : « voyons qui se cache sous ce masque ? Basile ! et Georges !

voilà les responsables de l'allergie »

La souris : « II faudrait aussi retrouver ce fameux professeur »

Jack, l'épicier : « et la vieille dame qui a acheté le poivre ! »

Georges : « je t'avais bien dit Basile, personne ne m'a reconnu ! »

Souris : « c'était toi le professeur Cousinus ? »

Georges : « et la vieille dame aussi ! »

Achille : « moi, il y a une chose que je ne comprends pas, pourquoi vousavez volé les salières de Bernié et pas ses poivrières ? »

Basile et Georges : « je ne dis plus rien, moi non plus »

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REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET

Fennec : « la réponse est simple Achille, c'est parce que les trous dessalières sont plus grands et ça poivre plus vite » Georges acquiesce.Basile et Georges sont condamnés à nettoyer toutes les plantes deCroquiville et à replacer de vraies plantes à la place de celles en plas¬tique.

2.3. Comprendre Fennec

Dans cet épisode, l'enquête de Fennec piétine, il ne dispose que d'unindice insuffisant pour faire progresser l'enquête : un petit morceau de plastiquesans rapport apparent avec le vol des salières. D'autre part, conformément auxusages du genre, l'enquête des deux détectives se déroule dans un contexteparticulier (l'allergie) sans lien apparent lui non plus avec l'intrigue policière. Lesdeux coquins de la série, Basile et Georges, ouvrent cependant assez opportu¬nément un magasin de fleurs artificielles au moment où l'allergie aux pollensfrappe la ville de plein fouet. Les motivations des « méchants » de l'histoire nesont pas explicitées : le rapport entre « l'allergie » - dont on se doute bien qu'elleest liée aux agissements de Basile et Georges - et le commerce des fleurs resteimplicite. De la même manière, le « plan » de Fennec (« II nous faut despreuves » s'exclame-t-il dans chaque épisode) n'est pas exposé au spectateur, il

est immédiatement mis en uvre : au spectateur averti de deviner qu'il s'agitd'un piège tendu aux deux gredins. J. Dolz et B. Schneuwly (1998) proposentune description assez efficace des compétences attendues d'un lecteur de récitpolicier : « Comprendre la résolution d'une énigme et saisir la culpabilité d'undes personnages du récit suppose, de la part du lecteur, la capacité de codercertains indices textuels et de les mettre en relation. Cela lui demande égale¬ment la capacité de contourner les pièges, les mensonges, les fausses preuveset les indices dissimulés, et l'effort est parfois proche du décryptage. II lui fautsurtout l'aptitude de vérifier des hypothèses successives pour écarter les sus¬pects les moins probables et finalement trouver le coupable par déductionlogique. En fait il lui faut comprendre les motifs individuels du responsable duméfait » (p. 1 13-132). On passera sur le fait que les trames narratives envisagéespar Dolz et Schneuwly s'adressent à des lecteurs plus âgés et sont donc néces¬sairement plus complexes : le codage et la mise en relation de « certainsindices » (les sacs de poivre montrés en gros plan, les déguisements assezgrossiers du « professeur » et de la vieille dame, les deux morceaux de plas¬tique, etc....), le « contournement » de la mise en scène trompeuse du récit (lajuxtaposition des deux fils de l'intrigue - celui des salières, et celui de l'allergie -)et l'interprétation des « plans » successifs des « criminels » et du détective sup¬posent l'émission et la validation d'hypothèses successives que l'interruption dela projection peut permettre d'expliciter mais qu'une confrontation des« lectures » permettra de toutes façons d'actualiser.

2.4. Un récit, plusieurs voix

Et : Ça commence par une poule, je sais pas comment elle s'appelle, jem'en rappelle plus. Et heu... la poule elle a... elle avait un bar et on lui

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REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET

Fennec : « la réponse est simple Achille, c'est parce que les trous dessalières sont plus grands et ça poivre plus vite » Georges acquiesce.Basile et Georges sont condamnés à nettoyer toutes les plantes deCroquiville et à replacer de vraies plantes à la place de celles en plas¬tique.

2.3. Comprendre Fennec

Dans cet épisode, l'enquête de Fennec piétine, il ne dispose que d'unindice insuffisant pour faire progresser l'enquête : un petit morceau de plastiquesans rapport apparent avec le vol des salières. D'autre part, conformément auxusages du genre, l'enquête des deux détectives se déroule dans un contexteparticulier (l'allergie) sans lien apparent lui non plus avec l'intrigue policière. Lesdeux coquins de la série, Basile et Georges, ouvrent cependant assez opportu¬nément un magasin de fleurs artificielles au moment où l'allergie aux pollensfrappe la ville de plein fouet. Les motivations des « méchants » de l'histoire nesont pas explicitées : le rapport entre « l'allergie » - dont on se doute bien qu'elleest liée aux agissements de Basile et Georges - et le commerce des fleurs resteimplicite. De la même manière, le « plan » de Fennec (« II nous faut despreuves » s'exclame-t-il dans chaque épisode) n'est pas exposé au spectateur, il

est immédiatement mis en uvre : au spectateur averti de deviner qu'il s'agitd'un piège tendu aux deux gredins. J. Dolz et B. Schneuwly (1998) proposentune description assez efficace des compétences attendues d'un lecteur de récitpolicier : « Comprendre la résolution d'une énigme et saisir la culpabilité d'undes personnages du récit suppose, de la part du lecteur, la capacité de codercertains indices textuels et de les mettre en relation. Cela lui demande égale¬ment la capacité de contourner les pièges, les mensonges, les fausses preuveset les indices dissimulés, et l'effort est parfois proche du décryptage. II lui fautsurtout l'aptitude de vérifier des hypothèses successives pour écarter les sus¬pects les moins probables et finalement trouver le coupable par déductionlogique. En fait il lui faut comprendre les motifs individuels du responsable duméfait » (p. 1 13-132). On passera sur le fait que les trames narratives envisagéespar Dolz et Schneuwly s'adressent à des lecteurs plus âgés et sont donc néces¬sairement plus complexes : le codage et la mise en relation de « certainsindices » (les sacs de poivre montrés en gros plan, les déguisements assezgrossiers du « professeur » et de la vieille dame, les deux morceaux de plas¬tique, etc....), le « contournement » de la mise en scène trompeuse du récit (lajuxtaposition des deux fils de l'intrigue - celui des salières, et celui de l'allergie -)et l'interprétation des « plans » successifs des « criminels » et du détective sup¬posent l'émission et la validation d'hypothèses successives que l'interruption dela projection peut permettre d'expliciter mais qu'une confrontation des« lectures » permettra de toutes façons d'actualiser.

2.4. Un récit, plusieurs voix

Et : Ça commence par une poule, je sais pas comment elle s'appelle, jem'en rappelle plus. Et heu... la poule elle a... elle avait un bar et on lui

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« II nous faut des preuves >

avait volé des salières. Et après elle disa à Fennec et à son associé... heude retrouver le voleur qui lui avait volé les salières. . .

E2 : Après, heu...E3 : Après y a eu le maire, il était dans la voiture, il a dit qu'y avait un ren¬dez-vous au parc, puis y'avait un faux professeur, c'était pas un vrai pro¬fesseur, c'étaient deux rats, c'était un des deux rats qui volaient dessalières et ben il avait fait le professeur et après il avait dit qu'il y avait euune allergie qui allait tomber sur la ville. Alors euh. . . y'a eu tout le mondeils ont eu peur... et avec son frère, ils ont tous les deux mis du sel et... oudu poivre dans toutes les fleurs de la ville. Puis après y avait Fennec ilcomprenait rien, il avait trouvé un indice chez la poule, c'était un pétalede fleur. Et à un moment y'avait eu le canard qui était le facteur, il avaittombé une fleur en plastique, puis Fennec avait vu qu'il y avait deux...elles se ressemblaient les deux pétales de fleur.E4 : Après les rats... en fait Fennec avait trouvé que c'étaient les rats quiavaient volé les salières. Et puis après euh... Quand il l'a su il a dit à toutle monde que c'était eux et il avait une idée comment les attraper la nuit.Après ils avaient mis du poivre la nuit et ils l'ont attrapé, tous les rats, là.E5 : Eh ben parce qu'à ce moment y'a une dame qui passe, je sais pluscomment elle s'appelle... eh ben elle donne une fleura... elle avait tombéune fleur, alors II la ramasse...E3: .. .c'est le canard ! C'est le canard. En fait c'est le facteur qui avait faittomber une fleur.E5 : oui, qui avait acheté des fleurs, des fausses fleurs. Et après quandFennec Ta prise dans ses bras et ben, elle Ta donnée et puis après ilssont partis dans la voiture, il a arraché un pétale de fleur et puis il a pris. . .

il a demandé la loupe à son copain et il a vu que c'était les deux mêmes,alors il a eu un plan et après c'est ce que Mathilde a raconté (E4).PE2 : Tu peux préciser un peu ce plan ?E5 : Ben en fait, ils se cachaient dans une fenêtre ouverte et quand ilsamvaient, quand ils les entendaient, ils allumaient les lampes et puis ilssautaient ils avaient un tissu sur la bouche... sur le nez, pour pas qu'ilssentent le poivre et puis après, Fennec il a enlevé le masque pour pasqu'il tousse, au voleur quoi. Et puis ils ont vu que c'étaient les rats, quimettaient du poivre sur les fleurs.E2 : Et ben, avant, y avait le monde... je veux dire plein de gens qui fai¬saient Atchoum ! Et ils avaient tous des serviettes... euh... des trucs jesais pas comment ça s'appelle...PE2 : des foulards ?E2 : Ouais des foulards ! Mais... y'avait aussi des casques et mêmequand y'avait les deux rats dans le garage... et ben l'autre il dormait et H

lisait son journal. Après il l'a réveillé et alors il a li le journal et après il aredormi, l'autre, comme ça ! Après, il y'avait les fleurs... (Rires) Aprèsquand ils sontaient en voiture, eh ben il a touché. ..il a dit à lui qui conduitla voiture, il a donné la pétale qui était cassée là ! Et après... et ben...après il a pris sa loupe, les deux dans sa main, après il a regardé et aprèslui qui conduisait, il a vu, il a dit « C'esf les mêmes » et après euh. . .

E4 : A un moment le maire il a demandé une réunion.PE2 : Pourquoi ?

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« II nous faut des preuves >

avait volé des salières. Et après elle disa à Fennec et à son associé... heude retrouver le voleur qui lui avait volé les salières. . .

E2 : Après, heu...E3 : Après y a eu le maire, il était dans la voiture, il a dit qu'y avait un ren¬dez-vous au parc, puis y'avait un faux professeur, c'était pas un vrai pro¬fesseur, c'étaient deux rats, c'était un des deux rats qui volaient dessalières et ben il avait fait le professeur et après il avait dit qu'il y avait euune allergie qui allait tomber sur la ville. Alors euh. . . y'a eu tout le mondeils ont eu peur... et avec son frère, ils ont tous les deux mis du sel et... oudu poivre dans toutes les fleurs de la ville. Puis après y avait Fennec ilcomprenait rien, il avait trouvé un indice chez la poule, c'était un pétalede fleur. Et à un moment y'avait eu le canard qui était le facteur, il avaittombé une fleur en plastique, puis Fennec avait vu qu'il y avait deux...elles se ressemblaient les deux pétales de fleur.E4 : Après les rats... en fait Fennec avait trouvé que c'étaient les rats quiavaient volé les salières. Et puis après euh... Quand il l'a su il a dit à toutle monde que c'était eux et il avait une idée comment les attraper la nuit.Après ils avaient mis du poivre la nuit et ils l'ont attrapé, tous les rats, là.E5 : Eh ben parce qu'à ce moment y'a une dame qui passe, je sais pluscomment elle s'appelle... eh ben elle donne une fleura... elle avait tombéune fleur, alors II la ramasse...E3: .. .c'est le canard ! C'est le canard. En fait c'est le facteur qui avait faittomber une fleur.E5 : oui, qui avait acheté des fleurs, des fausses fleurs. Et après quandFennec Ta prise dans ses bras et ben, elle Ta donnée et puis après ilssont partis dans la voiture, il a arraché un pétale de fleur et puis il a pris. . .

il a demandé la loupe à son copain et il a vu que c'était les deux mêmes,alors il a eu un plan et après c'est ce que Mathilde a raconté (E4).PE2 : Tu peux préciser un peu ce plan ?E5 : Ben en fait, ils se cachaient dans une fenêtre ouverte et quand ilsamvaient, quand ils les entendaient, ils allumaient les lampes et puis ilssautaient ils avaient un tissu sur la bouche... sur le nez, pour pas qu'ilssentent le poivre et puis après, Fennec il a enlevé le masque pour pasqu'il tousse, au voleur quoi. Et puis ils ont vu que c'étaient les rats, quimettaient du poivre sur les fleurs.E2 : Et ben, avant, y avait le monde... je veux dire plein de gens qui fai¬saient Atchoum ! Et ils avaient tous des serviettes... euh... des trucs jesais pas comment ça s'appelle...PE2 : des foulards ?E2 : Ouais des foulards ! Mais... y'avait aussi des casques et mêmequand y'avait les deux rats dans le garage... et ben l'autre il dormait et H

lisait son journal. Après il l'a réveillé et alors il a li le journal et après il aredormi, l'autre, comme ça ! Après, il y'avait les fleurs... (Rires) Aprèsquand ils sontaient en voiture, eh ben il a touché. ..il a dit à lui qui conduitla voiture, il a donné la pétale qui était cassée là ! Et après... et ben...après il a pris sa loupe, les deux dans sa main, après il a regardé et aprèslui qui conduisait, il a vu, il a dit « C'esf les mêmes » et après euh. . .

E4 : A un moment le maire il a demandé une réunion.PE2 : Pourquoi ?

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REPÈRES N° 21 /2000 B. CHAIX et F. QUET

E4 : Basile et Georges, ils avaient remplacé des autres fleurs en plastique,parce que les autres ça faisait une allergie parce qu'ils avaient mis dupoivre.PE2 : Ils les donnaient ces fleurs, Basile et Georges ?

(silence)E3 : Le plan de Fennec, c'était qu'il fallait passer une fausse annonce aujournal, pour heu... que l'allergie, elle finit et heu Basile et Georges ils ontremis du poivre. Après ça c'est allumé, puis y a eu Fennec et son copain,ils ont sauté du toit, ils ont piégé Basile et Georges.El : On a oublié quelque chose. Après le professeur, il a dit euh euh aprèsy'a une dame qui se réveillait qui allait arroser ses plantes, sans mettre unfoulard ici (geste) et elle était allergique après. Et euh elle a dit « j'auraisdû suivre ce qu'a dit le professeur ». Après y avait le facteur qui pas misle foulard et euh... il était vers les fleurs et il était allergique et après lefacteur et euh il tomba dans les fleurs et après... ça arriva à tout lemonde, tout le monde devait suivre ce qu'avait dit le professeur de mettrele foulard et ils l'ont pas mis alors euh... beaucoup de gens ils étaientallergiquesE5 : Au début aussi, y'avait une poule qui dormait dans son lit. Elle avaitentendu du bruit et puis alors elle s'est réveillée et après elle a dit. . . elle acrié « Au voleur » par-dessus la fenêtre.E2 : Non. Elle a dit « Ils m'ont réveillé »...E5 : ...par-dessus la fenêtre, et après le lendemain matin Fennec et soncopain ils sont venus et puis euh... après ils ont vu par terre un pétale defleur... euh... voilà. Après y'a l'oiseau qui a pleuré, la poule elle a pleuréparce qu'on lui avait volé toutes ses salières. Et puis à la fin aussi...Fennec euh le copain de Fennec il dit : « Mais pourquoi ils ont volé toutesles salières ? » Alors Fennec il a dit « Parce qu'elles ont des plus grostrous alors ça poivre plus vite. »

De ce récit polyphonique, on retiendra quatre éléments de réflexion :

A. La tension entre plusieurs projets énonciatifs : d'une part, le respectd'une trame narrative exposée sans aucune distance appréciative ou reflexive,et d'autre part l'expression d'une « intelligence » des faits et des comporte¬ments, la recherche d'une causalité. Ainsi, on distinguera

- la reconstitution d'une chronologie, engagée par le premier locuteur : Çacommence par et relancée à plusieurs reprises : Après il y a eu..., Aprèsles rats. Cette reconstitution n'est cependant pas linéaire, elle est corri¬gée par des retours en arrière qui visent à l'exhaustivité : on a oubliéquelque chose, avant, y'avait. ..,Au début aussi, Et puis à la fin aussi. Etc.

- et la manifestation, à travers la relation des faits, d'une connaissanceconstruite après coup ou déduite d'indices non explicites. Quand E3explique qu'il y avait un faux professeur, elle intègre au début de sa nar¬ration une information qui n'est explicitement donnée qu'à la fin de l'épi¬sode à moins qu'elle n'ait deviné dès l'apparition du professeur qu'ils'agit d'un déguisement parce que celui-ci, comme le dira un autre élèvedans un autre groupe, a des gouttes qui tombaient, et ça voulait dire qu'ilsavait plus ce qu'il fallait dire pour répondre à une dame. E5 complètel'intervention de Mathilde par le récit d'un épisode situé auparavant en

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REPÈRES N° 21 /2000 B. CHAIX et F. QUET

E4 : Basile et Georges, ils avaient remplacé des autres fleurs en plastique,parce que les autres ça faisait une allergie parce qu'ils avaient mis dupoivre.PE2 : Ils les donnaient ces fleurs, Basile et Georges ?

(silence)E3 : Le plan de Fennec, c'était qu'il fallait passer une fausse annonce aujournal, pour heu... que l'allergie, elle finit et heu Basile et Georges ils ontremis du poivre. Après ça c'est allumé, puis y a eu Fennec et son copain,ils ont sauté du toit, ils ont piégé Basile et Georges.El : On a oublié quelque chose. Après le professeur, il a dit euh euh aprèsy'a une dame qui se réveillait qui allait arroser ses plantes, sans mettre unfoulard ici (geste) et elle était allergique après. Et euh elle a dit « j'auraisdû suivre ce qu'a dit le professeur ». Après y avait le facteur qui pas misle foulard et euh... il était vers les fleurs et il était allergique et après lefacteur et euh il tomba dans les fleurs et après... ça arriva à tout lemonde, tout le monde devait suivre ce qu'avait dit le professeur de mettrele foulard et ils l'ont pas mis alors euh... beaucoup de gens ils étaientallergiquesE5 : Au début aussi, y'avait une poule qui dormait dans son lit. Elle avaitentendu du bruit et puis alors elle s'est réveillée et après elle a dit. . . elle acrié « Au voleur » par-dessus la fenêtre.E2 : Non. Elle a dit « Ils m'ont réveillé »...E5 : ...par-dessus la fenêtre, et après le lendemain matin Fennec et soncopain ils sont venus et puis euh... après ils ont vu par terre un pétale defleur... euh... voilà. Après y'a l'oiseau qui a pleuré, la poule elle a pleuréparce qu'on lui avait volé toutes ses salières. Et puis à la fin aussi...Fennec euh le copain de Fennec il dit : « Mais pourquoi ils ont volé toutesles salières ? » Alors Fennec il a dit « Parce qu'elles ont des plus grostrous alors ça poivre plus vite. »

De ce récit polyphonique, on retiendra quatre éléments de réflexion :

A. La tension entre plusieurs projets énonciatifs : d'une part, le respectd'une trame narrative exposée sans aucune distance appréciative ou reflexive,et d'autre part l'expression d'une « intelligence » des faits et des comporte¬ments, la recherche d'une causalité. Ainsi, on distinguera

- la reconstitution d'une chronologie, engagée par le premier locuteur : Çacommence par et relancée à plusieurs reprises : Après il y a eu..., Aprèsles rats. Cette reconstitution n'est cependant pas linéaire, elle est corri¬gée par des retours en arrière qui visent à l'exhaustivité : on a oubliéquelque chose, avant, y'avait. ..,Au début aussi, Et puis à la fin aussi. Etc.

- et la manifestation, à travers la relation des faits, d'une connaissanceconstruite après coup ou déduite d'indices non explicites. Quand E3explique qu'il y avait un faux professeur, elle intègre au début de sa nar¬ration une information qui n'est explicitement donnée qu'à la fin de l'épi¬sode à moins qu'elle n'ait deviné dès l'apparition du professeur qu'ils'agit d'un déguisement parce que celui-ci, comme le dira un autre élèvedans un autre groupe, a des gouttes qui tombaient, et ça voulait dire qu'ilsavait plus ce qu'il fallait dire pour répondre à une dame. E5 complètel'intervention de Mathilde par le récit d'un épisode situé auparavant en

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< II nous faut des preuves >

l'introduisant avec un parce que qui va au-delà du rétablissement pur etsimple d'une omission. De même pour E3, dire de Fennec qu'il ne com¬prenait rien, alors qu'il avait trouvé un indice suppose une distancereflexive par rapport au personnage, une appréhension globale de l'in¬trigue que E3 reformule ultérieurement sous la forme suivante : ils cher¬chent un autre indice, ils ont déjà trouvé une pétale de fleur, mais ils lesavent pas, alors ils continuent, ils essayent de trouver un autre indice.C'est encore E3 qui, dans un récit très synthétique, affirme d'entrée dejeu que ce sont les deux rats qui ont volé les salières pour mettre dusel... ou du poivre dans toutes les fleurs de la ville. La chronologie racon¬tée est ici celle des faits supposés (de la diégèse) et non celle explicite¬ment véhiculée par le récit filmique.

B. L'évolution de la représentation au fil de la discussion. La compré¬hension des plans des personnages nécessite une explicitation dans la mesureoù ni les motivations des criminels, ni les réflexions du héros ne sont livrées auxspectateurs, ce qui relève du plus élémentaire respect des conventions du genre(une élève : ils vont pas dire au début ce qui va se passer dans le film). Au coursde cette séance, on a cependant peu ou pas de verbalisations concernant lesintérêts réels des deux rats dans leur entreprise d'intoxication de Croquiville, Laquestion de l'enseignant : Ils les donnaient ces fleurs en plastique ? reste sansréponse et on verra plus loin que les motivations (ou le mobile) des deux ratsn'ont que rarement été comprises. Examinons plutôt ce qui est dit du plan deFennec :

- pour E4, le détective avait une idée comment les attraper la nuit maisl'élève ne développe pas cette idée et se contente de dire : Après ilsavaient mis du poivre la nuit et ils l'ont attrapé, tous les rats, là.

- ce récit elliptique est développé un peu plus tard par E5, à la demandede l'enseignant qui souhaite voir préciser le plan de Fennec. Mais ce sontles aspects spectaculaires de l'épisode qui sont retenus par E5 :

cachette, effet de surprise, malfaiteurs démasqués.- E2 évoque ensuite la lecture du journal par l'un des deux rats mais uni¬

quement pour souligner un effet comique et sans le relier au plan des« méchants ».

- C'est seulement un peu plus tard que E3 parle d'une fausse annoncedans le journal avant de raconter à nouveau comment Fennec a piégé lesdeux brigands.

Le rôle de cette élève est sans doute déterminant dans le groupe, mais onignore si son argumentation est convaincante pour tout le monde. En revancheon retiendra que ses interventions permettent de manipuler - d'entendre - desarguments dans le cadre d'une relation entre enfants, de « creuser » une situa¬tion qui fait de la télé dans la classe de langue, l'instrument de production de« zones de proximité » (21).

C. L'importance de l'épisode du « pétale » en plastique raconté à plu¬sieurs reprises (E3, E5, E2) : l'utilisation de la loupe est soulignée par deuxélèves qui montrent à quel point c'est à ce moment-là du récit que Fennecacquiert la conviction que Basile et Georges sont les coupables. Or cet épisode,au moment de la préparation de la séquence par les PE2, était perçu comme

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< II nous faut des preuves >

l'introduisant avec un parce que qui va au-delà du rétablissement pur etsimple d'une omission. De même pour E3, dire de Fennec qu'il ne com¬prenait rien, alors qu'il avait trouvé un indice suppose une distancereflexive par rapport au personnage, une appréhension globale de l'in¬trigue que E3 reformule ultérieurement sous la forme suivante : ils cher¬chent un autre indice, ils ont déjà trouvé une pétale de fleur, mais ils lesavent pas, alors ils continuent, ils essayent de trouver un autre indice.C'est encore E3 qui, dans un récit très synthétique, affirme d'entrée dejeu que ce sont les deux rats qui ont volé les salières pour mettre dusel... ou du poivre dans toutes les fleurs de la ville. La chronologie racon¬tée est ici celle des faits supposés (de la diégèse) et non celle explicite¬ment véhiculée par le récit filmique.

B. L'évolution de la représentation au fil de la discussion. La compré¬hension des plans des personnages nécessite une explicitation dans la mesureoù ni les motivations des criminels, ni les réflexions du héros ne sont livrées auxspectateurs, ce qui relève du plus élémentaire respect des conventions du genre(une élève : ils vont pas dire au début ce qui va se passer dans le film). Au coursde cette séance, on a cependant peu ou pas de verbalisations concernant lesintérêts réels des deux rats dans leur entreprise d'intoxication de Croquiville, Laquestion de l'enseignant : Ils les donnaient ces fleurs en plastique ? reste sansréponse et on verra plus loin que les motivations (ou le mobile) des deux ratsn'ont que rarement été comprises. Examinons plutôt ce qui est dit du plan deFennec :

- pour E4, le détective avait une idée comment les attraper la nuit maisl'élève ne développe pas cette idée et se contente de dire : Après ilsavaient mis du poivre la nuit et ils l'ont attrapé, tous les rats, là.

- ce récit elliptique est développé un peu plus tard par E5, à la demandede l'enseignant qui souhaite voir préciser le plan de Fennec. Mais ce sontles aspects spectaculaires de l'épisode qui sont retenus par E5 :

cachette, effet de surprise, malfaiteurs démasqués.- E2 évoque ensuite la lecture du journal par l'un des deux rats mais uni¬

quement pour souligner un effet comique et sans le relier au plan des« méchants ».

- C'est seulement un peu plus tard que E3 parle d'une fausse annoncedans le journal avant de raconter à nouveau comment Fennec a piégé lesdeux brigands.

Le rôle de cette élève est sans doute déterminant dans le groupe, mais onignore si son argumentation est convaincante pour tout le monde. En revancheon retiendra que ses interventions permettent de manipuler - d'entendre - desarguments dans le cadre d'une relation entre enfants, de « creuser » une situa¬tion qui fait de la télé dans la classe de langue, l'instrument de production de« zones de proximité » (21).

C. L'importance de l'épisode du « pétale » en plastique raconté à plu¬sieurs reprises (E3, E5, E2) : l'utilisation de la loupe est soulignée par deuxélèves qui montrent à quel point c'est à ce moment-là du récit que Fennecacquiert la conviction que Basile et Georges sont les coupables. Or cet épisode,au moment de la préparation de la séquence par les PE2, était perçu comme

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REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET

« lourd » ou excessivement « insistant ». Pour les élèves de Cycle 2, il s'agit d'unmoment tout à fait nécessaire de la fiction, l'instant t de l'explicitation, de larévélation de la clé de l'énigme. II ne permet pas de découvrir qui sont les cou¬pables (puisqu'ils le savent déjà). C'est donc plutôt le plaisir de la démonstrationqui est sollicité avec ses fétiches (la loupe, un peu plus tard le microscope), sesstéréotypes logiques (l'analogie) et narratifs (la confirmation de la fonction indi¬cielle du petit morceau de plastique). Loin d'être superflu, l'épisode explicite etspectacularise la résolution de l'énigme par le personnage au point de favoriserune jouissance toute particulière des spectateurs qui décrivent précisément lascène à plusieurs reprises.

D. La différence entre les élèves est une autre des observations que l'onpeut conduire au cours de l'analyse d'une séquence de ce genre. N'entrons pasdans les détails (22) : E1 , silencieux la plupart du temps, énumère des actionssans aucune distance, restitue le déroulement d'événements dont il a été letémoin. E3 au contraire établit des relations, utilise le plus-que-parfait, anticipesur la suite du récit, double sa narration d'une perspective explicative qui mani¬feste une distance et une réflexion dont les autres élèves ne semblent pascapables à ce moment-là. Plus loin on verra comment des enfants se satisfontd'un niveau de compréhension que d'autres souhaitent dépasser en soulignantce qui leur apparait provisoirement incohérent.

2.5. Quelques éléments d'enquête

Si l'on s'intéresse maintenant aux arguments développés par les élèves à lasuite de la projection (ou pendant celle-ci), on verra que leurs indices sontvariés, presque toujours pertinents, et qu'ils témoignent d'une vigilance certaine.Comment expliquer, dans ces conditions, que leurs interprétations soient si sou¬vent incomplètes ou parfois même erronées ? On se contentera de présenter lesdivergences entre leurs représentations de trois éléments de l'histoire : la recon¬naissance des coupables, le plan des voleurs, celui de Fennec.

2.5. 1. Les hypothèses des enfants sur l'identité des coupablespendant la projection du film sont de deux ordres :

- pour certains d'entre eux, le « méchant » se définit par différentsattributs : Le voleur, moi je crois que c'est le gros rat. On les voit jamais,c'est eux qui ont ouvert le magasin, ils savent tout. Ou encore : Les deuxloups, c'est eux les méchants parce qu'ils habitent tout seuls dans uneusine, c'est eux qui ont pris tout le poivre pour le mettre dans les fleurs.Ce n'est sans doute pas un hasard si les deux rats sont pris pour desloups, archétypes du méchant dans les récits dont ils ont le plus l'habi¬tude en situation scolaire. Repérer les déguisements ne fait pas avancerl'enquête du spectateur, c'est seulement une marque de plus de la qua¬lité de « méchant » : // fait ça parce que c'est un méchant, parce que c'estlui le voleur, il s'est déguisé pourpas que le monde entier sache que c'estlui qui les a créées... parce que quand il avait des gouttes qui tombaient,ça voulait dire qu'il ne savait plus ce qu'il fallait dire. Cette accumulation

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REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET

« lourd » ou excessivement « insistant ». Pour les élèves de Cycle 2, il s'agit d'unmoment tout à fait nécessaire de la fiction, l'instant t de l'explicitation, de larévélation de la clé de l'énigme. II ne permet pas de découvrir qui sont les cou¬pables (puisqu'ils le savent déjà). C'est donc plutôt le plaisir de la démonstrationqui est sollicité avec ses fétiches (la loupe, un peu plus tard le microscope), sesstéréotypes logiques (l'analogie) et narratifs (la confirmation de la fonction indi¬cielle du petit morceau de plastique). Loin d'être superflu, l'épisode explicite etspectacularise la résolution de l'énigme par le personnage au point de favoriserune jouissance toute particulière des spectateurs qui décrivent précisément lascène à plusieurs reprises.

D. La différence entre les élèves est une autre des observations que l'onpeut conduire au cours de l'analyse d'une séquence de ce genre. N'entrons pasdans les détails (22) : E1 , silencieux la plupart du temps, énumère des actionssans aucune distance, restitue le déroulement d'événements dont il a été letémoin. E3 au contraire établit des relations, utilise le plus-que-parfait, anticipesur la suite du récit, double sa narration d'une perspective explicative qui mani¬feste une distance et une réflexion dont les autres élèves ne semblent pascapables à ce moment-là. Plus loin on verra comment des enfants se satisfontd'un niveau de compréhension que d'autres souhaitent dépasser en soulignantce qui leur apparait provisoirement incohérent.

2.5. Quelques éléments d'enquête

Si l'on s'intéresse maintenant aux arguments développés par les élèves à lasuite de la projection (ou pendant celle-ci), on verra que leurs indices sontvariés, presque toujours pertinents, et qu'ils témoignent d'une vigilance certaine.Comment expliquer, dans ces conditions, que leurs interprétations soient si sou¬vent incomplètes ou parfois même erronées ? On se contentera de présenter lesdivergences entre leurs représentations de trois éléments de l'histoire : la recon¬naissance des coupables, le plan des voleurs, celui de Fennec.

2.5. 1. Les hypothèses des enfants sur l'identité des coupablespendant la projection du film sont de deux ordres :

- pour certains d'entre eux, le « méchant » se définit par différentsattributs : Le voleur, moi je crois que c'est le gros rat. On les voit jamais,c'est eux qui ont ouvert le magasin, ils savent tout. Ou encore : Les deuxloups, c'est eux les méchants parce qu'ils habitent tout seuls dans uneusine, c'est eux qui ont pris tout le poivre pour le mettre dans les fleurs.Ce n'est sans doute pas un hasard si les deux rats sont pris pour desloups, archétypes du méchant dans les récits dont ils ont le plus l'habi¬tude en situation scolaire. Repérer les déguisements ne fait pas avancerl'enquête du spectateur, c'est seulement une marque de plus de la qua¬lité de « méchant » : // fait ça parce que c'est un méchant, parce que c'estlui le voleur, il s'est déguisé pourpas que le monde entier sache que c'estlui qui les a créées... parce que quand il avait des gouttes qui tombaient,ça voulait dire qu'il ne savait plus ce qu'il fallait dire. Cette accumulation

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« II nous faut des preuves »..

de signes favorise la caractérisation des coupables bien mieux que lacompréhension de l'enquête dont elle peut à la rigueur dispenser lespectateur. D'autant que l'ancrage systématique des personnages dansdes rôles préfixés (les rats sont les opposants dans tous les épisodes deFennec) renforce ce mouvement de désignation par des indices qui tien¬nent davantage à l'être qu'au faire (c'est normal que c'est eux parce quetout le temps on les voit dans les dessins animés, c'est tout le tempseux). Et quand une élève s'interroge sur les raisons qui ont poussé lesdeux rats à créer cette allergie, on ne s'étonnera pas qu'un autre élèvepuisse ainsi lui répondre (et se satisfaire de cette raison) : parce que c'estles méchants.

- Mais d'autres raisonnements sont développés qui manifestent unerecherche plus complexe des causes, la volonté de décrypter des com¬portements dans le cadre singulier de cette aventure : c'est eux qui ontmis le pollen sur les plantes qui fait de l'allergie, ils savent, donc c'est euxqui l'ont mis sinon ils le sauraient pas, dit par exemple un élève aumoment de la conférence du faux savant. Et à la fin du film, un élèvedevine que Georges et Basile sont bien les coupables parce qu'ils ontdit : encore une nuit de travail pour qu'ils éternuent (or ce n'est pas exac¬tement ce que dit le personnage. II dit : « encore une nuit de travail pournous deux »).

2.5.2. La compréhension du stratagème imaginépar les deux rats ne va pas de soi

Voici par exemple un extrait d'une discussion où la plupart des élèves ontl'impression d'avoir tout compris :

E1 : Mais moi ily a une chose que j'ai pas compris, c'est pourquoi ils ontvoulu faire une allergie, ça sert à rien.E2 : ben c'est des voleurs, ils ont voulu faire une chose méchante.E1 : oui mais eux aussi ils ont éternué !E3 : oui mais tous les voleurs ils sont méchants ils ont voulu faire unebêtise.E1 : oui mais c'est pas ma question, je veux savoirpourquoi ils ont fait ça.E3 : ben parce qu'ils sont méchants.Et : oui mais ça on le sait mais je voudrais savoir pourquoi.E2 : ben y a rien autrement ils l'auraient dit au début pourquoi.

En effet, pour la majorité des élèves, la question ne se pose pas, etCorentine (E1) fait ici figure d'exception. Si des explications sont proposées,c'est pour répondre à des questions de l'enseignant. Basile et Georges ont ainsifabriqué des fausses fleurs pour décorer leur garage, pour faire eternuer lesautres, pour devenir riches, pour pas que les autres éternuent, pour être récom¬pensé, parce qu'il a trouvé le remède, pour faire partir les gens et après rentrerdans les maisons et prendre leur argent. L'échange entre Fennec et Chris le fac¬teur (« ça va très bien pour les affaires de Basile et Georges. - l'allergie ne faitpas que des malheureux ! ») est ainsi complètement passé sous silence et l'ex¬plication du méfait semble ici encore relever davantage d'une méchanceté

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« II nous faut des preuves »..

de signes favorise la caractérisation des coupables bien mieux que lacompréhension de l'enquête dont elle peut à la rigueur dispenser lespectateur. D'autant que l'ancrage systématique des personnages dansdes rôles préfixés (les rats sont les opposants dans tous les épisodes deFennec) renforce ce mouvement de désignation par des indices qui tien¬nent davantage à l'être qu'au faire (c'est normal que c'est eux parce quetout le temps on les voit dans les dessins animés, c'est tout le tempseux). Et quand une élève s'interroge sur les raisons qui ont poussé lesdeux rats à créer cette allergie, on ne s'étonnera pas qu'un autre élèvepuisse ainsi lui répondre (et se satisfaire de cette raison) : parce que c'estles méchants.

- Mais d'autres raisonnements sont développés qui manifestent unerecherche plus complexe des causes, la volonté de décrypter des com¬portements dans le cadre singulier de cette aventure : c'est eux qui ontmis le pollen sur les plantes qui fait de l'allergie, ils savent, donc c'est euxqui l'ont mis sinon ils le sauraient pas, dit par exemple un élève aumoment de la conférence du faux savant. Et à la fin du film, un élèvedevine que Georges et Basile sont bien les coupables parce qu'ils ontdit : encore une nuit de travail pour qu'ils éternuent (or ce n'est pas exac¬tement ce que dit le personnage. II dit : « encore une nuit de travail pournous deux »).

2.5.2. La compréhension du stratagème imaginépar les deux rats ne va pas de soi

Voici par exemple un extrait d'une discussion où la plupart des élèves ontl'impression d'avoir tout compris :

E1 : Mais moi ily a une chose que j'ai pas compris, c'est pourquoi ils ontvoulu faire une allergie, ça sert à rien.E2 : ben c'est des voleurs, ils ont voulu faire une chose méchante.E1 : oui mais eux aussi ils ont éternué !E3 : oui mais tous les voleurs ils sont méchants ils ont voulu faire unebêtise.E1 : oui mais c'est pas ma question, je veux savoirpourquoi ils ont fait ça.E3 : ben parce qu'ils sont méchants.Et : oui mais ça on le sait mais je voudrais savoir pourquoi.E2 : ben y a rien autrement ils l'auraient dit au début pourquoi.

En effet, pour la majorité des élèves, la question ne se pose pas, etCorentine (E1) fait ici figure d'exception. Si des explications sont proposées,c'est pour répondre à des questions de l'enseignant. Basile et Georges ont ainsifabriqué des fausses fleurs pour décorer leur garage, pour faire eternuer lesautres, pour devenir riches, pour pas que les autres éternuent, pour être récom¬pensé, parce qu'il a trouvé le remède, pour faire partir les gens et après rentrerdans les maisons et prendre leur argent. L'échange entre Fennec et Chris le fac¬teur (« ça va très bien pour les affaires de Basile et Georges. - l'allergie ne faitpas que des malheureux ! ») est ainsi complètement passé sous silence et l'ex¬plication du méfait semble ici encore relever davantage d'une méchanceté

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REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET

archétypale que d'une analyse des informations données par le film. Deuxélèves seulement ont signalé que cette allergie leur permettait de vendre lesfleurs artificielles.

2.5.3. Le piège de Fennec présente d'autres difficultés :

La fonction de l'article de journal, l'explication de la présence de tous lespersonnages dans le jardin au milieu de la nuit ne semblent pas avoir été claire¬ment perçus par un grand nombre d'enfants. Comparons par exemple :

E1 : peut-être les méchants ils ont su qu'ils savent un petit peu parce quecomme ils ont dit dans le journal que la poule allait avertir. . . inviter tout lemonde dans son jardin pour montrer que la fleur en premier, il n'y a pasde poivre et après ils vont mettre du poivre et après ils vont montrer etaprès ils vont eternuer parce que peut-être aussi les méchants ils vontvenir pour voir si c'est bien ça et après ils vont pouvoir les arrêter. Parceque c'est eux, ils savent que c'est les méchants et la poule aussi parcequ'elle le leur a dit.

EtE2 : En fait c'est le lendemain matin que les gens devaient venir pour laréunion. Ça aurait empêché la réunion parce que tout le monde auraittoussé. Eux ils savaient qu'ils allaient mettre du poivre, les détectives.Alors ils ont prévenu tout le monde et le soir, ils se sont tous cachés.

Ce que semble imaginer E1 , c'est que Fennec va reproduire, le lendemainmatin, devant tout le village, l'expérience réalisée dans la boutique. Comme toutle monde est là, certains enfants pensent que la scène se passe effectivement lematin : Basile et Georges sont revenus mettre du poivre, Fennec et Achille vontcommuniquer leurs conclusions et on punira les coupables. Mais cette interpré¬tation ne retient pas l'idée du piège.

Pour E2 au contraire, qui répond à une demande d'explicitation de l'ensei¬gnant, la chronologie est marquée avec insistance (le lendemain matin vs lesoir), le lexique et les modalisations marquent le double point de vue des enquê¬teurs et des gredins (devaient venir I ça aurait empêché I ils savaient qu'ilsallaient I prévenir I cacher etc.). La relation la plus satisfaisante de la fin de cetépisode de Fennec doit en effet passer par la prise en compte de changementsde point de vue. La ruse d'une part et la mystification d'une autre apparaissentpar exemple très clairement (malgré l'ambiguïté des reprises anaphoriques) dansles propos suivants : /Vs ont demandé aux journalistes de faire une farce dans lejournal. Après ils ont cru de qui était dans le journal. Ils ont dit : il faut aller tra¬vailler.

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archétypale que d'une analyse des informations données par le film. Deuxélèves seulement ont signalé que cette allergie leur permettait de vendre lesfleurs artificielles.

2.5.3. Le piège de Fennec présente d'autres difficultés :

La fonction de l'article de journal, l'explication de la présence de tous lespersonnages dans le jardin au milieu de la nuit ne semblent pas avoir été claire¬ment perçus par un grand nombre d'enfants. Comparons par exemple :

E1 : peut-être les méchants ils ont su qu'ils savent un petit peu parce quecomme ils ont dit dans le journal que la poule allait avertir. . . inviter tout lemonde dans son jardin pour montrer que la fleur en premier, il n'y a pasde poivre et après ils vont mettre du poivre et après ils vont montrer etaprès ils vont eternuer parce que peut-être aussi les méchants ils vontvenir pour voir si c'est bien ça et après ils vont pouvoir les arrêter. Parceque c'est eux, ils savent que c'est les méchants et la poule aussi parcequ'elle le leur a dit.

EtE2 : En fait c'est le lendemain matin que les gens devaient venir pour laréunion. Ça aurait empêché la réunion parce que tout le monde auraittoussé. Eux ils savaient qu'ils allaient mettre du poivre, les détectives.Alors ils ont prévenu tout le monde et le soir, ils se sont tous cachés.

Ce que semble imaginer E1 , c'est que Fennec va reproduire, le lendemainmatin, devant tout le village, l'expérience réalisée dans la boutique. Comme toutle monde est là, certains enfants pensent que la scène se passe effectivement lematin : Basile et Georges sont revenus mettre du poivre, Fennec et Achille vontcommuniquer leurs conclusions et on punira les coupables. Mais cette interpré¬tation ne retient pas l'idée du piège.

Pour E2 au contraire, qui répond à une demande d'explicitation de l'ensei¬gnant, la chronologie est marquée avec insistance (le lendemain matin vs lesoir), le lexique et les modalisations marquent le double point de vue des enquê¬teurs et des gredins (devaient venir I ça aurait empêché I ils savaient qu'ilsallaient I prévenir I cacher etc.). La relation la plus satisfaisante de la fin de cetépisode de Fennec doit en effet passer par la prise en compte de changementsde point de vue. La ruse d'une part et la mystification d'une autre apparaissentpar exemple très clairement (malgré l'ambiguïté des reprises anaphoriques) dansles propos suivants : /Vs ont demandé aux journalistes de faire une farce dans lejournal. Après ils ont cru de qui était dans le journal. Ils ont dit : il faut aller tra¬vailler.

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« II nous faut des preuves >

CONCLUSION

II faudrait, pour conclure, s'interroger sur le double régime de la significa¬tion mise en uvre par le récit filmique dans cet épisode. L'intrigue avance eneffet à partir d'indices dont dispose le détective : un petit morceau de plastique,la découverte de poivre dans les fleurs. Ses réflexions à haute voix devraientelles aussi alimenter les hypothèses du spectateur, comme la constatation decoïncidences remarquables (l'épidémie et l'inauguration du magasin de Basile etGeorges). Curieusement, seuls quelques-uns de ces indices font sens pour laplupart des jeunes téléspectateurs. Ceux-ci disposent d'autre part d'une variétéd'indices plus grande encore, indices qui passent inaperçus de Fennec ou dontcelui-ci ne parait faire aucun cas. Le spectateur seul peut voir l'image d'unpiment collée au sac de poivre placé sur le toit de la voiture, ou remarquer quel'auto qui s'enfuit avec les salières est la même que celle que conduit la vieilledame. Quant à la ressemblance des rats avec le savant ou la vieille dame, lesdétectives n'en font aucun cas. Les élèves, eux, sont très sensibles à cesindices perceptifs à partir desquels ils echafaudent du sens : ce qu'ils prennentpour une carotte équivaut à une fausse indication destinée à égarer les enquê¬teurs ; le visage peu amène du maire (c'est un bouledogue, qui transpire luiaussi, et dont les apparitions précèdent les malheurs de la cité) en fait un coquinen puissance, etc. Mais la mise en relation de ces indices sur l'ensemble de lafiction, la mise en �uvre systématique des règles de non-contradiction àl'échelle du récit continuent à faire défaut à bon nombre d'entre eux. On diraque c'est normal dans la mesure où une grande partie des productions audiovi¬suelles qui leur sont destinées ne sont qu'une suite de scènes faiblement inté¬grées dans un récit cohérent. Les enfants suivent cette série chez eux, mais ilssemblent arriver à des degrés d'interprétation variés : la restitution des événe¬ments présentés à l'écran, l'insistance sur le spectaculaire peuvent tenir lieu derésumé du film pour certains d'entre eux, alors que d'autres paraphrasent lesdémonstrations du détective, ou que d'autres encore s'efforcent de combler lesellipses narratives.

Le débat permet de rendre visible, surtout pour ceux qui donnent l'impres¬sion de ne pas participer, l'intimité du travail cognitif qui, habituellement, est tou¬jours caché : la compréhension des récits télévisuels ne relève pas de la magie,elle se construit peu à peu dans une pratique domestique, mais elle s'amélioreou s'approfondit à travers les échanges raisonnes qu'une situation scolaire peutoffrir. Avoir à argumenter et défendre un point de vue par des commentairesexplicites permet la mise à distance des impressions subjectives, organise lestris et la pensée, permet de se rendre compte de ses erreurs. Les élèves éprou¬vent alors le besoin de revenir à leur problème pour avancer en fonction despistes qui s'ouvrent à eux. On remarque que, dès qu'on suscite un débat, lesenfants souhaitent revenir au film pour en faire une deuxième lecture plus« active » : ils découvrent qu'il y des choses à comprendre.

En écoutant les remarques des autres, en repérant comment ils s'y sontpris pour arriver à telle conclusion... en notant sur quel type d'indices les uns oules autres s'appuient, ce qu'ils en font... c'est une compétence de lecteur defilm que l'on construit. L'argumentation des élèves de cycle 2 s'appuie encore

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CONCLUSION

II faudrait, pour conclure, s'interroger sur le double régime de la significa¬tion mise en uvre par le récit filmique dans cet épisode. L'intrigue avance eneffet à partir d'indices dont dispose le détective : un petit morceau de plastique,la découverte de poivre dans les fleurs. Ses réflexions à haute voix devraientelles aussi alimenter les hypothèses du spectateur, comme la constatation decoïncidences remarquables (l'épidémie et l'inauguration du magasin de Basile etGeorges). Curieusement, seuls quelques-uns de ces indices font sens pour laplupart des jeunes téléspectateurs. Ceux-ci disposent d'autre part d'une variétéd'indices plus grande encore, indices qui passent inaperçus de Fennec ou dontcelui-ci ne parait faire aucun cas. Le spectateur seul peut voir l'image d'unpiment collée au sac de poivre placé sur le toit de la voiture, ou remarquer quel'auto qui s'enfuit avec les salières est la même que celle que conduit la vieilledame. Quant à la ressemblance des rats avec le savant ou la vieille dame, lesdétectives n'en font aucun cas. Les élèves, eux, sont très sensibles à cesindices perceptifs à partir desquels ils echafaudent du sens : ce qu'ils prennentpour une carotte équivaut à une fausse indication destinée à égarer les enquê¬teurs ; le visage peu amène du maire (c'est un bouledogue, qui transpire luiaussi, et dont les apparitions précèdent les malheurs de la cité) en fait un coquinen puissance, etc. Mais la mise en relation de ces indices sur l'ensemble de lafiction, la mise en �uvre systématique des règles de non-contradiction àl'échelle du récit continuent à faire défaut à bon nombre d'entre eux. On diraque c'est normal dans la mesure où une grande partie des productions audiovi¬suelles qui leur sont destinées ne sont qu'une suite de scènes faiblement inté¬grées dans un récit cohérent. Les enfants suivent cette série chez eux, mais ilssemblent arriver à des degrés d'interprétation variés : la restitution des événe¬ments présentés à l'écran, l'insistance sur le spectaculaire peuvent tenir lieu derésumé du film pour certains d'entre eux, alors que d'autres paraphrasent lesdémonstrations du détective, ou que d'autres encore s'efforcent de combler lesellipses narratives.

Le débat permet de rendre visible, surtout pour ceux qui donnent l'impres¬sion de ne pas participer, l'intimité du travail cognitif qui, habituellement, est tou¬jours caché : la compréhension des récits télévisuels ne relève pas de la magie,elle se construit peu à peu dans une pratique domestique, mais elle s'amélioreou s'approfondit à travers les échanges raisonnes qu'une situation scolaire peutoffrir. Avoir à argumenter et défendre un point de vue par des commentairesexplicites permet la mise à distance des impressions subjectives, organise lestris et la pensée, permet de se rendre compte de ses erreurs. Les élèves éprou¬vent alors le besoin de revenir à leur problème pour avancer en fonction despistes qui s'ouvrent à eux. On remarque que, dès qu'on suscite un débat, lesenfants souhaitent revenir au film pour en faire une deuxième lecture plus« active » : ils découvrent qu'il y des choses à comprendre.

En écoutant les remarques des autres, en repérant comment ils s'y sontpris pour arriver à telle conclusion... en notant sur quel type d'indices les uns oules autres s'appuient, ce qu'ils en font... c'est une compétence de lecteur defilm que l'on construit. L'argumentation des élèves de cycle 2 s'appuie encore

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REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET

assez peu sur les indices spécifiques du récit cinématographique (aucune réfé¬rence à la musique, aux cadrages, au montage...), mais la conversion d'une cul¬ture domestique en terrain d'investigation, parce qu'elle conduit à adopter uneposture plus « active » donne les moyens d'aller vers un « autre niveau de lec¬ture », une lecture à la fois plus vigilante et plus consciente.

NOTES

(1) « Tout a été dit et continue d'être répété : le bien, le mal et le neutre. Énumérons unpeu : la télévision « fenêtre sur le monde » et « aliénation des masses » (...), facteurd'émancipation sociale et source d'inégalité, cause de comportements violents ouassumant une fonction cathartique de l'agressivité... » (Geneviève Jacquinot-Delaunay, « La télévision partenaire cognitif », ELA 117, Janvier-Mars 2000) ouencore : « Un travail en cours sur la représentation télévisuelle de la violence, en col¬laboration avec le CSA, nous a montré qu'il est encore très difficile d'amener l'élèveà une prise de distance génératrice de réflexion. Nous posons l'hypothèse que l'em¬pathie manifestée par les élèves ne relève pas seulement des thèmes traités ou dumonde représenté, mais de la substance même des discours télévisuels, substancevisuelle et sonore. Le discours télévisuel est marqué par une gamme chromatique,un rythme de succession des plans, une outrance sonore parfois, qui modèlent litté¬ralement la construction du sens, a fortiori l'activité evaluative. » MaryvonneMasselot-Girard, (1996), p. 24.

(2) L'introduction aux Essais d'iconologie (p. 13-31).

(3) S.M. Eisenstein (1 976), p. 21 4.

(4) id. p. 233.

(5) S.M. Eisenstein (1976), p. 213.

(6) La difficulté du matériau cinématographique n'est évidemment pas incompatibleavec des situations ordinaires de télespection qui invitent au contraire le jeune télé¬spectateur à se conformer à un modèle hypercoopératif de réception. L'oppositionentre textes « résistants » et textes « collaborationnistes » développée par CatherineTauveron (Repères n" 19, « Comprendre et interpréter le littéraire à l'école : Du texteréticent au texte proliférant ») a sans doute une valeur intrinsèque mais elle se prêteaussi à la description des situations de réception des textes ou des films. Dans lecas présent, on défendra l'idée qu'une situation didactique adaptée permet de valo¬riser la part d'opacité de tel ou tel fragment fictionnel, et de s'appuyer sur cetterésistance « restaurée » pour construire collectivement ou individuellement des hypo¬thèses de sens.

(7) Plus loin C. Metz distingue une catégorie « segmentale » (qui relève effectivement dudécoupage de la continuité filmique), et une catégorie « suprasegmentale » - cou¬leurs, mouvements d'appareil, présence de formes ou d'objets à l'écran etc. - qu'ilidentifie à des exposants « qui viennent affecter sélectivement (...) un segment fil¬mique déterminé ». (id. p. 152).

(8) « Le récit est l'énoncé dans sa matérialité, le texte narratif qui prend en charge l'his¬toire à raconter. Mais cet énoncé, qui n'est formé dans le roman que de la langue,comprend au cinéma des images, des paroles, des mentions décrites, des bruits etde la musique, ce qui rend déjà l'organisation du récit filmique plus complexe »

Jacques Aumont, Esthétique du film, Nathan-Université 1993, p. 75.

(9) Jean-Marie Schaeffer (1 999), p. 298-305.

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assez peu sur les indices spécifiques du récit cinématographique (aucune réfé¬rence à la musique, aux cadrages, au montage...), mais la conversion d'une cul¬ture domestique en terrain d'investigation, parce qu'elle conduit à adopter uneposture plus « active » donne les moyens d'aller vers un « autre niveau de lec¬ture », une lecture à la fois plus vigilante et plus consciente.

NOTES

(1) « Tout a été dit et continue d'être répété : le bien, le mal et le neutre. Énumérons unpeu : la télévision « fenêtre sur le monde » et « aliénation des masses » (...), facteurd'émancipation sociale et source d'inégalité, cause de comportements violents ouassumant une fonction cathartique de l'agressivité... » (Geneviève Jacquinot-Delaunay, « La télévision partenaire cognitif », ELA 117, Janvier-Mars 2000) ouencore : « Un travail en cours sur la représentation télévisuelle de la violence, en col¬laboration avec le CSA, nous a montré qu'il est encore très difficile d'amener l'élèveà une prise de distance génératrice de réflexion. Nous posons l'hypothèse que l'em¬pathie manifestée par les élèves ne relève pas seulement des thèmes traités ou dumonde représenté, mais de la substance même des discours télévisuels, substancevisuelle et sonore. Le discours télévisuel est marqué par une gamme chromatique,un rythme de succession des plans, une outrance sonore parfois, qui modèlent litté¬ralement la construction du sens, a fortiori l'activité evaluative. » MaryvonneMasselot-Girard, (1996), p. 24.

(2) L'introduction aux Essais d'iconologie (p. 13-31).

(3) S.M. Eisenstein (1 976), p. 21 4.

(4) id. p. 233.

(5) S.M. Eisenstein (1976), p. 213.

(6) La difficulté du matériau cinématographique n'est évidemment pas incompatibleavec des situations ordinaires de télespection qui invitent au contraire le jeune télé¬spectateur à se conformer à un modèle hypercoopératif de réception. L'oppositionentre textes « résistants » et textes « collaborationnistes » développée par CatherineTauveron (Repères n" 19, « Comprendre et interpréter le littéraire à l'école : Du texteréticent au texte proliférant ») a sans doute une valeur intrinsèque mais elle se prêteaussi à la description des situations de réception des textes ou des films. Dans lecas présent, on défendra l'idée qu'une situation didactique adaptée permet de valo¬riser la part d'opacité de tel ou tel fragment fictionnel, et de s'appuyer sur cetterésistance « restaurée » pour construire collectivement ou individuellement des hypo¬thèses de sens.

(7) Plus loin C. Metz distingue une catégorie « segmentale » (qui relève effectivement dudécoupage de la continuité filmique), et une catégorie « suprasegmentale » - cou¬leurs, mouvements d'appareil, présence de formes ou d'objets à l'écran etc. - qu'ilidentifie à des exposants « qui viennent affecter sélectivement (...) un segment fil¬mique déterminé ». (id. p. 152).

(8) « Le récit est l'énoncé dans sa matérialité, le texte narratif qui prend en charge l'his¬toire à raconter. Mais cet énoncé, qui n'est formé dans le roman que de la langue,comprend au cinéma des images, des paroles, des mentions décrites, des bruits etde la musique, ce qui rend déjà l'organisation du récit filmique plus complexe »

Jacques Aumont, Esthétique du film, Nathan-Université 1993, p. 75.

(9) Jean-Marie Schaeffer (1 999), p. 298-305.

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« II nous faut des preuves »..

(10) II est évident que, dans le cas de l'analyse d'une « action filmée » le mot discursif estnécessairement métaphorique.

(11) Sur ce point, notre position est très proche de celle développée par CatherineTauveron (1999).

(12) Martine Rémond (1999), p. 207.

(13) Voir Fayol M. (1992b). Dans les quelques pages qu'il consacre dans cet article, à lapsychologie de la compréhension inférentielle (p. 173-177), Michel Fayol s'intéressebien sûr à la lecture. II nous semble que les opérations qu'il décrit (intégration, extra¬ction des idées principales, élaboration) correspondent avec d'autres variables à l'in¬terprétation par un spectateur de suites d'actions dont il pourrait être le témoin, queces séquences soient « réelles » ou fictives (cf. Schaeffer ci-dessus et note 1 1).

(14) Encore que de nombreuses recherches tendent à montrer que la compréhension enlecture pourrait bien n'être que la compréhension en général. Fayol (1992a) citeGemsbacher (1988) pour qui « certains mécanismes de base » se trouvent à l'uvreaussi bien dans la lecture d'un texte quez dans celle d'une BD. (p. 104).

(15) Recherches exposées en particulier dans Dabène M. et Quet F. (1999), La compré¬hension des textes au collège, Delagrave-CRDP de Grenoble.

(16) voir Tauveron, 1995. En particulier, le chapitre « Les conceptions des élèves » fournitun cadre théorique pertinent pour l'étude des représentations des élèves.

(17) Pour la présentation d'une séquence de débats interprétatif, voir notre article« Apprendre à comprendre : problèmes, enjeux, variation », in Cahiers du françaiscontemporain n° 7.

(18) « Quand il y a raisonnement abductif, il n'y a pas de sens pré-établi, mais seulementun dispositif interprétatif. II n'y a pas un système à décoder, seulement un réseau dechemins permettant des homologies, des transcodages, des traductions. » (HermanParret, 1999). Parler d'abduction pour l'activité inférentielle, nous parait tout à faitessentiel dans la mesure où l'abduction reste sensible à « l'individuation qualitativedu phénomène observé », dans la mesure où respectueuse de « ce trou noir de touteépistémologie et de toute théorie de la science : l'élaboration de l'hypothèse », ellene vise à élaborer ni loi, ni procédures généralisatrice de construction du sens.

(1 9) II s'agit de l'école Jean de La Fontaine à Valence.

(20) Atchoum ! Atchoum ! Atchoum ! Un épisode de la série « Fennec » réalisé parRaymond Lebrun (d'après Antoon Kings et Alexis Lecaye) - Coproduction : CactusAnimation Inc. / Ellipse Animation pour Radio-Canada et France 3.

(21) voir le numéro 117 des ELA, Classes de langue-télé : zones de proximité.L'expression doit se lire comme le « palimpseste » d'un incontournable conceptvygotskien : En collaboration, avec l'aide de l'écran, l'apprenant et l'enseignant peu¬vent sans doute faire plus et résoudre plus que lorsqu'ils agissent seuls, et aller plusloin dans leur développement Clara Ferrao Tavares janvier-mars 2000.

(22) Pour des esquisses de classifications, voir Dabène M. et Quet F. (1999), La compré¬hension des textes au collège, Delagrave-CRDP de Grenoble.

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« II nous faut des preuves »..

(10) II est évident que, dans le cas de l'analyse d'une « action filmée » le mot discursif estnécessairement métaphorique.

(11) Sur ce point, notre position est très proche de celle développée par CatherineTauveron (1999).

(12) Martine Rémond (1999), p. 207.

(13) Voir Fayol M. (1992b). Dans les quelques pages qu'il consacre dans cet article, à lapsychologie de la compréhension inférentielle (p. 173-177), Michel Fayol s'intéressebien sûr à la lecture. II nous semble que les opérations qu'il décrit (intégration, extra¬ction des idées principales, élaboration) correspondent avec d'autres variables à l'in¬terprétation par un spectateur de suites d'actions dont il pourrait être le témoin, queces séquences soient « réelles » ou fictives (cf. Schaeffer ci-dessus et note 1 1).

(14) Encore que de nombreuses recherches tendent à montrer que la compréhension enlecture pourrait bien n'être que la compréhension en général. Fayol (1992a) citeGemsbacher (1988) pour qui « certains mécanismes de base » se trouvent à l'uvreaussi bien dans la lecture d'un texte quez dans celle d'une BD. (p. 104).

(15) Recherches exposées en particulier dans Dabène M. et Quet F. (1999), La compré¬hension des textes au collège, Delagrave-CRDP de Grenoble.

(16) voir Tauveron, 1995. En particulier, le chapitre « Les conceptions des élèves » fournitun cadre théorique pertinent pour l'étude des représentations des élèves.

(17) Pour la présentation d'une séquence de débats interprétatif, voir notre article« Apprendre à comprendre : problèmes, enjeux, variation », in Cahiers du françaiscontemporain n° 7.

(18) « Quand il y a raisonnement abductif, il n'y a pas de sens pré-établi, mais seulementun dispositif interprétatif. II n'y a pas un système à décoder, seulement un réseau dechemins permettant des homologies, des transcodages, des traductions. » (HermanParret, 1999). Parler d'abduction pour l'activité inférentielle, nous parait tout à faitessentiel dans la mesure où l'abduction reste sensible à « l'individuation qualitativedu phénomène observé », dans la mesure où respectueuse de « ce trou noir de touteépistémologie et de toute théorie de la science : l'élaboration de l'hypothèse », ellene vise à élaborer ni loi, ni procédures généralisatrice de construction du sens.

(1 9) II s'agit de l'école Jean de La Fontaine à Valence.

(20) Atchoum ! Atchoum ! Atchoum ! Un épisode de la série « Fennec » réalisé parRaymond Lebrun (d'après Antoon Kings et Alexis Lecaye) - Coproduction : CactusAnimation Inc. / Ellipse Animation pour Radio-Canada et France 3.

(21) voir le numéro 117 des ELA, Classes de langue-télé : zones de proximité.L'expression doit se lire comme le « palimpseste » d'un incontournable conceptvygotskien : En collaboration, avec l'aide de l'écran, l'apprenant et l'enseignant peu¬vent sans doute faire plus et résoudre plus que lorsqu'ils agissent seuls, et aller plusloin dans leur développement Clara Ferrao Tavares janvier-mars 2000.

(22) Pour des esquisses de classifications, voir Dabène M. et Quet F. (1999), La compré¬hension des textes au collège, Delagrave-CRDP de Grenoble.

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REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET

BIBLIOGRAPHIE

AUMONT, J. (dir.) (1983, 1994) : Esthétique du film. Paris, Nathan-Université.

CHAILLEY M. (1997) : Jeunes téléspectateurs en maternelle, Paris, Hachette-Éducation.

CHAILLEY M. et CHARLES M.-C. (1993), La télévision pour lire et pour écrire,Paris, Hachette-Éducation.

DABÈNE M. et QUET F. (1999) : La compréhension des textes au collège,Delagrave-CRDP de Grenoble.

DAUNAY, B. (1996) : Les questions de compréhension : un outil ou un obstaclepour l'apprentissage de la compréhension ? Lille, Recherches, 30.

DOLZ J. et SCHNEUWLY, B. (1998) : A la recherche du coupable. Métalangagedes élèves dans la rédaction d'un récit d'énigme. Lille, Recherches 28/29.

EISENSTEIN, S.M. (1976) : Montage 1938, in EISENSTEIN, S.M. (1976), Le film:sa forme/son sens. Paris, Christian Bourgois.

FAYOL, M. (1992a) : Comprendre ce qu'on lit : de l'automatisme au contrôle. InFAYOL, M. (1992) (dir.) : Psychologie cognitive de la lecture. Paris, PUF.

FAYOL, M. (1992b) : Lecture et psychologie cognitive. In BUTLEN, M. etHEBRARD, J. (1992) : La culture et les réseaux de formation, Créteil, CRDPde Créteil.

FERRAO TAVARES C. (Dir) (2000) : Classes de langue-télé : zones de proximité,Paris, Didier, ELA n° 117

GARDIES, A. (1993) : Le récit filmique, Paris, Hachette.

GROSSMAN, F. (1993) : L'hétérogénéité interprétative : un problèmedidactique ? in PARET M-C. et LEBRUN M. : L'hétérogénéité des appre¬nants, Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé.

JACQUINOT-DELAUNAY, G. (2000) : La télévision partenaire cognitif. Paris,Didier, ELA 11 7.

LUSETTI, M. : Lecture. Questionnaire. Questionnement. Lille, Recherches 25.

MARIE M., et COLLET J. (eds.). (1976) : Lectures du film, Paris, ÉditionsAlbatros.

MASSELOT-GIRARD, M. (1996) : Écrans du quotidien, école d'aujourd'hui, inLes cahiers du Creslef, L'enfant la télévision et l'école, n° 41-42.

METZ, C. (1977) : Langage et Cinéma. Paris, Édition Albatros, 1977.

PANOVSKY, E. (1967) : Essais d'iconologie. Paris, Gallimard.

PARRET, H. (1999) : L'esthétique de la communication, L'au-delà de la pragma¬tique, OUSIA.

REMOND M. (en collaboration avec F. QUET) : Apprendre à comprendre l'écrit.Psycholinguistique et métacognition : l'exemple du CM2. Paris, INRPRepères n" 19.

REUTER, Y. (1992) : Comprendre, interpréter, expliquer des textes en situationscolaire, Metz, Pratiques n° 76.

SCHAEFFER, J.-M. (1999) : Pourquoi la fiction ? Paris, Le Seuil.

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REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET

BIBLIOGRAPHIE

AUMONT, J. (dir.) (1983, 1994) : Esthétique du film. Paris, Nathan-Université.

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GARDIES, A. (1993) : Le récit filmique, Paris, Hachette.

GROSSMAN, F. (1993) : L'hétérogénéité interprétative : un problèmedidactique ? in PARET M-C. et LEBRUN M. : L'hétérogénéité des appre¬nants, Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé.

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LUSETTI, M. : Lecture. Questionnaire. Questionnement. Lille, Recherches 25.

MARIE M., et COLLET J. (eds.). (1976) : Lectures du film, Paris, ÉditionsAlbatros.

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PANOVSKY, E. (1967) : Essais d'iconologie. Paris, Gallimard.

PARRET, H. (1999) : L'esthétique de la communication, L'au-delà de la pragma¬tique, OUSIA.

REMOND M. (en collaboration avec F. QUET) : Apprendre à comprendre l'écrit.Psycholinguistique et métacognition : l'exemple du CM2. Paris, INRPRepères n" 19.

REUTER, Y. (1992) : Comprendre, interpréter, expliquer des textes en situationscolaire, Metz, Pratiques n° 76.

SCHAEFFER, J.-M. (1999) : Pourquoi la fiction ? Paris, Le Seuil.

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II nous faut des preuves >

TAUVERON C. (1999) : Comprendre et interpréter le littéraire à l'école : Du texteréticent au texte proliférant, Paris, INRP, Repères n° 19.

TAUVERON, C. (1 995) : Le personnage, une clef pour la didactique du récit àl'école élémentaire, Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé.

VANOYE, F. (1989) : Récit écrit, récit filmique, Nathan.

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II nous faut des preuves >

TAUVERON C. (1999) : Comprendre et interpréter le littéraire à l'école : Du texteréticent au texte proliférant, Paris, INRP, Repères n° 19.

TAUVERON, C. (1 995) : Le personnage, une clef pour la didactique du récit àl'école élémentaire, Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé.

VANOYE, F. (1989) : Récit écrit, récit filmique, Nathan.

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HISTOIRE, GÉOGRAPHIE, ÉDUCATIONCIVIQUE : TROIS DISCIPLINES AUX PRISES

AVEC LA DIVERSITÉ NARRATIVE

François AUDIGIERUniversité de Genève (1)

Résumé : L'histoire, la géographie et l'éducation civique ont pour objet l'étudedes sociétés présentes et passées. A ce titre, elles traitent de l'expériencehumaine et sont donc intimement liées à la narration sous toutes ses formes.Pourtant, de présence en éclipse, d'éclipsé en retour, le récit reste toujours mar¬

qué du sceau de l'incomplétude. Bon pour les enfants, il est incapable d'expli¬quer, alors qu'expliquer est l'horizon légitime et légitimant de ces disciplines.Dans ce texte, l'auteur examine quelques points de repères concernant chacunedes disciplines, affirmant ainsi l'importance de la mise en perspective temporellede l'expérience humaine comme condition de son intelligibilité. Cette affirma¬tion énoncée, une sorte de paradoxe scolaire veut que la narration, quelle quesoit la forme dans laquelle elle se livre, n'est que rarement l'objet d'un travailexplicite, ainsi que le montrent divers matériaux : des entretiens avec des ensei¬

gnants, des observations de classes, quelques manuels ou encore les textes offi¬ciels. Cette méfiance s'inscrit dans une forme scolaire qui impose ses contrainteset qui est, aujourd'hui, déstabilisée par des conflits de finalités. Les étudesactuelles sur la compréhension de textes et le lien entre expérience humaine etnarration invitent à faire de celle-ci un objet explicite de travail avec les élèves,notamment à travers l'écriture. Cette orientation est aussi un moyen heuristiqueimportant pour travailler sur le lien entre la forme et le fond, le point de vue etl'exigence de vérité.

// reste que l'histoire-récit est à mes yeux un cadavre qu'il ne faut pas res¬susciter car il faudrait le tuer une seconde fois. Cette histoire-récit dissimule etse dissimule des options idéologiques et des démarches méthodologiques quidoivent être au contraire clairement énoncées. II faut réduire l'histoire-récit àn'être qu'un moyen parmi d'autres de la pédagogie dans l'enseignement scolaireet de la vulgarisation.

J. Le Goff, La nouvelle histoire, Ed. Complexe, préface, p. 16. 1978.

En histoire, je préfère l'approche événementielle. C'est un peu ringarddirons-nous. Et je sais qu'à certains moments, dans la classe, quand je memets à raconter l'histoire, c'est-à-dire que c'est moi qui raconte Thistoire,eh bien, les gamins accrochent beaucoup plus que s'ils ont des docu¬ments, parce qu'il faut une aptitude à la lecture et à la recherche pour faire

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HISTOIRE, GÉOGRAPHIE, ÉDUCATIONCIVIQUE : TROIS DISCIPLINES AUX PRISES

AVEC LA DIVERSITÉ NARRATIVE

François AUDIGIERUniversité de Genève (1)

Résumé : L'histoire, la géographie et l'éducation civique ont pour objet l'étudedes sociétés présentes et passées. A ce titre, elles traitent de l'expériencehumaine et sont donc intimement liées à la narration sous toutes ses formes.Pourtant, de présence en éclipse, d'éclipsé en retour, le récit reste toujours mar¬

qué du sceau de l'incomplétude. Bon pour les enfants, il est incapable d'expli¬quer, alors qu'expliquer est l'horizon légitime et légitimant de ces disciplines.Dans ce texte, l'auteur examine quelques points de repères concernant chacunedes disciplines, affirmant ainsi l'importance de la mise en perspective temporellede l'expérience humaine comme condition de son intelligibilité. Cette affirma¬tion énoncée, une sorte de paradoxe scolaire veut que la narration, quelle quesoit la forme dans laquelle elle se livre, n'est que rarement l'objet d'un travailexplicite, ainsi que le montrent divers matériaux : des entretiens avec des ensei¬

gnants, des observations de classes, quelques manuels ou encore les textes offi¬ciels. Cette méfiance s'inscrit dans une forme scolaire qui impose ses contrainteset qui est, aujourd'hui, déstabilisée par des conflits de finalités. Les étudesactuelles sur la compréhension de textes et le lien entre expérience humaine etnarration invitent à faire de celle-ci un objet explicite de travail avec les élèves,notamment à travers l'écriture. Cette orientation est aussi un moyen heuristiqueimportant pour travailler sur le lien entre la forme et le fond, le point de vue etl'exigence de vérité.

// reste que l'histoire-récit est à mes yeux un cadavre qu'il ne faut pas res¬susciter car il faudrait le tuer une seconde fois. Cette histoire-récit dissimule etse dissimule des options idéologiques et des démarches méthodologiques quidoivent être au contraire clairement énoncées. II faut réduire l'histoire-récit àn'être qu'un moyen parmi d'autres de la pédagogie dans l'enseignement scolaireet de la vulgarisation.

J. Le Goff, La nouvelle histoire, Ed. Complexe, préface, p. 16. 1978.

En histoire, je préfère l'approche événementielle. C'est un peu ringarddirons-nous. Et je sais qu'à certains moments, dans la classe, quand je memets à raconter l'histoire, c'est-à-dire que c'est moi qui raconte Thistoire,eh bien, les gamins accrochent beaucoup plus que s'ils ont des docu¬ments, parce qu'il faut une aptitude à la lecture et à la recherche pour faire

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REPÈRES N° 21/2000 F. AUDIGIER

ce genre de travail. II faut une maturité d'esprit que certains n'ont pas. Lesmeilleurs, les meilleurs lecteurs l'ont. Mais les enfants en difficulté...

Institutrice, Périgueux, entretien hiver 1998, recherche INRP à paraitre.

Au cycle 3, l'enseignement s'appuiera principalement sur des récits, illus¬trés de documents, mettant en scène des personnages et des événementstypiques ou exemplaires d'une époque, car c'est l'idée d'époque commecombinaison d'éléments qu'il faut avant tout faire comprendre à ce stade...

Recourir au récit présente l'avantage de frapper l'imagination des élèves etde favoriser la saisie intuitive des rapports entre personnages, situations etévénements. Mais privilégier le récit n'interdit pas l'analyse et la réflexionsur le sens d'une époque.

Projet de documents d'application des programmes de l'école élémentaire,B.O. N° 7, 26 août 1999, p.41.

L'histoire est récit d'événements : tout le reste en découle.

P. Veyne, Comment on écrit l'histoire, p. 14, Seuil, 1971.

La place du récit a beaucoup diminué, et ce fut sans doute une bonnechose... Pourtant, ce fut peut-être aller trop loin ; il faudra retrouver et resti¬tuer une part de récit dans la géographie, pour dire et raconter d'autreschoses, plus humaines en effet - mais assurées et vérifiées.

R. Brunet (dir.), Les mots de la géographie, p. 378, Reclus - LaDocumentation française, 1992.

Comme on l'a déjà mentionné, le texte scientifique met en jeu tout un caléi-doscope de moyens de persuasion ; il est mise en spectacle (theoria) oùpersonnalités, expériences, critiques s'entrecroisent dans une chorégraphiecomplexe. Le but est de mener le lecteur d'un état initial de méconnais¬sance à un état ultime où il doit adhérer aux mêmes conclusions que l'au¬teur. La forme narrative est ainsi inhérente à la démarche...

V. Berdoulay, Des mots et des lieux, la dynamique du discours géogra¬phique, p. 26, éd. CNRS, 1988.

Quelques citations en exergue, qui plus est décontextualisées, ne sauraientévidemment tenir lieu d'argumentaire complet. Pourtant, leur rapprochementannonce d'emblée la présence et la complexité du récit et de la narration (2)dans le champ des sciences sociales, plus précisément, pour ce qui nousoccupe ici, dans l'enseignement de l'histoire, de la géographie et de l'éducationcivique. Le lecteur n'est pas surpris de trouver l'histoire, mais il attend sansdoute moins la géographie et encore moins l'éducation civique, celle-ci étantencore plus rarement approchée que les deux autres par les formes, notammenttextuelles, dans lesquelles elle se présente à l'École (3). De fait, nous les rencon¬trons toutes les trois aux prises avec la narration selon des intensités variables.Autonomes mais traditionnellement associées, ces trois disciplines (4) ont unobjet d'étude commun : les sociétés présentes et passées ; elles étudient etnous disent le monde, nos manières de vivre ensemble, les actions humaines...,le monde et son devenir, un devenir humain personnel et collectif qui est le sup-

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REPÈRES N° 21/2000 F. AUDIGIER

ce genre de travail. II faut une maturité d'esprit que certains n'ont pas. Lesmeilleurs, les meilleurs lecteurs l'ont. Mais les enfants en difficulté...

Institutrice, Périgueux, entretien hiver 1998, recherche INRP à paraitre.

Au cycle 3, l'enseignement s'appuiera principalement sur des récits, illus¬trés de documents, mettant en scène des personnages et des événementstypiques ou exemplaires d'une époque, car c'est l'idée d'époque commecombinaison d'éléments qu'il faut avant tout faire comprendre à ce stade...

Recourir au récit présente l'avantage de frapper l'imagination des élèves etde favoriser la saisie intuitive des rapports entre personnages, situations etévénements. Mais privilégier le récit n'interdit pas l'analyse et la réflexionsur le sens d'une époque.

Projet de documents d'application des programmes de l'école élémentaire,B.O. N° 7, 26 août 1999, p.41.

L'histoire est récit d'événements : tout le reste en découle.

P. Veyne, Comment on écrit l'histoire, p. 14, Seuil, 1971.

La place du récit a beaucoup diminué, et ce fut sans doute une bonnechose... Pourtant, ce fut peut-être aller trop loin ; il faudra retrouver et resti¬tuer une part de récit dans la géographie, pour dire et raconter d'autreschoses, plus humaines en effet - mais assurées et vérifiées.

R. Brunet (dir.), Les mots de la géographie, p. 378, Reclus - LaDocumentation française, 1992.

Comme on l'a déjà mentionné, le texte scientifique met en jeu tout un caléi-doscope de moyens de persuasion ; il est mise en spectacle (theoria) oùpersonnalités, expériences, critiques s'entrecroisent dans une chorégraphiecomplexe. Le but est de mener le lecteur d'un état initial de méconnais¬sance à un état ultime où il doit adhérer aux mêmes conclusions que l'au¬teur. La forme narrative est ainsi inhérente à la démarche...

V. Berdoulay, Des mots et des lieux, la dynamique du discours géogra¬phique, p. 26, éd. CNRS, 1988.

Quelques citations en exergue, qui plus est décontextualisées, ne sauraientévidemment tenir lieu d'argumentaire complet. Pourtant, leur rapprochementannonce d'emblée la présence et la complexité du récit et de la narration (2)dans le champ des sciences sociales, plus précisément, pour ce qui nousoccupe ici, dans l'enseignement de l'histoire, de la géographie et de l'éducationcivique. Le lecteur n'est pas surpris de trouver l'histoire, mais il attend sansdoute moins la géographie et encore moins l'éducation civique, celle-ci étantencore plus rarement approchée que les deux autres par les formes, notammenttextuelles, dans lesquelles elle se présente à l'École (3). De fait, nous les rencon¬trons toutes les trois aux prises avec la narration selon des intensités variables.Autonomes mais traditionnellement associées, ces trois disciplines (4) ont unobjet d'étude commun : les sociétés présentes et passées ; elles étudient etnous disent le monde, nos manières de vivre ensemble, les actions humaines...,le monde et son devenir, un devenir humain personnel et collectif qui est le sup-

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Histoire, géographie, éducation civique...

port et l'enjeu de la matière enseignée. Elles se présentent, pour l'essentiel,sous forme de textes, tissus d'énoncés nécessairement composites et mul¬tiples, croisant et mêlant différentes formes, mais qui toutes sont sous la dépen¬dance de la narration et du récit. Plus largement, toute expression del'expérience humaine s'inscrit nécessairement dans le mouvement même dutemps et, par là, la forme narrative lui est consubstantielle (5).

L'objet de cet article est d'explorer différents modes de présence de ladimension narrative dans l'univers de ces trois disciplines et sa prise en comptedans l'enseignement, principalement à l'école élémentaire et au collège.Lorsqu'elle s'offre, elle n'est jamais ni seule, ni simple, ni uniquement linéaire.Des notions telles celles d'intrigue ou de synthèse de l'hétérogène, sont suffi¬samment répandues pour être considérées ici comme partagées entre l'auteuret le lecteur. Précisons simplement que si elles ont été travaillées à propos del'histoire, elles commencent à intéresser aussi quelques géographes qui étu¬dient les formes dans lesquelles se construit, s'exprime et se transmet le savoirgéographique. Les apports de certains linguistes et didacticiens du françaislangue maternelle sont sous jacents à nombre de nos réflexions et analyses, parexemple sur les typologies textuelles en ne les faisant pas sombrer dans desclassifications rigides, ou les travaux sur la construction et la compréhensiondes récits, plus largement des textes pour ne citer que ces exemples. Nousreconnaissons évidemment les détournements que nous avons opérés pour lessoumettre à nos particularités disciplinaires.

Sur ce fond commun, nous faisons deux hypothèses dont nous cherchonsà fonder la pertinence dans le cadre de cet article :

- la première souligne l'importance des savoirs factuels, déclaratifs, dessavoirs que..., des connaissances sur... Ce qui compte en premier lieu dansl'enseignement des trois disciplines est d'acquérir des connaissances sur lessociétés présentes et passées. Même l'éducation civique, dont les buts affirméssont pour une grande part aujourd'hui d'ordre comportemental, est prise danscette logique. La connaissance du réfèrent, du monde dont on parle commandele fonctionnement des disciplines. Cela a pour conséquence le fait que ladimension narrative ne saurait être un objet central, plus généralement quel'étude des formes dans lesquelles se donnent et s'expriment les connaissancesdans ces disciplines est généralement mise de côté. Quelques approches à ten¬dance méthodologique n'effacent pas cette puissante tendance ;

- la seconde prolonge la première en mettant en avant un « conflit de finali¬tés ». Le discours de légitimation de ces disciplines insiste sur leur contributionà la formation intellectuelle et critique des élèves ; c'est autour de ce thème ques'énoncent les finalités les plus nobles de la discipline. Dans ce cadre, un travailsur récriture et les manières dont les textes sont produits et construits s'impose.Mais cette finalité et les travaux qu'elle appelle entrent en conflit avec les savoirsfactuels dont nous avons dit le poids. Ce qui est déclaré important n'est passeulement de savoir mais aussi de comprendre ; la narration apparait alorscomme trop « facile » pour être vraiment intéressante. Le renvoi du récit vers lesplus petits des élèves, renvoi qu'exprime Le Goff dans la citation placée enexergue, est largement partagé. Tout converge pour que le récit, plus largementtoutes les formes d'écriture s'avancent masqués, cachés. Du récit partout, du

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port et l'enjeu de la matière enseignée. Elles se présentent, pour l'essentiel,sous forme de textes, tissus d'énoncés nécessairement composites et mul¬tiples, croisant et mêlant différentes formes, mais qui toutes sont sous la dépen¬dance de la narration et du récit. Plus largement, toute expression del'expérience humaine s'inscrit nécessairement dans le mouvement même dutemps et, par là, la forme narrative lui est consubstantielle (5).

L'objet de cet article est d'explorer différents modes de présence de ladimension narrative dans l'univers de ces trois disciplines et sa prise en comptedans l'enseignement, principalement à l'école élémentaire et au collège.Lorsqu'elle s'offre, elle n'est jamais ni seule, ni simple, ni uniquement linéaire.Des notions telles celles d'intrigue ou de synthèse de l'hétérogène, sont suffi¬samment répandues pour être considérées ici comme partagées entre l'auteuret le lecteur. Précisons simplement que si elles ont été travaillées à propos del'histoire, elles commencent à intéresser aussi quelques géographes qui étu¬dient les formes dans lesquelles se construit, s'exprime et se transmet le savoirgéographique. Les apports de certains linguistes et didacticiens du françaislangue maternelle sont sous jacents à nombre de nos réflexions et analyses, parexemple sur les typologies textuelles en ne les faisant pas sombrer dans desclassifications rigides, ou les travaux sur la construction et la compréhensiondes récits, plus largement des textes pour ne citer que ces exemples. Nousreconnaissons évidemment les détournements que nous avons opérés pour lessoumettre à nos particularités disciplinaires.

Sur ce fond commun, nous faisons deux hypothèses dont nous cherchonsà fonder la pertinence dans le cadre de cet article :

- la première souligne l'importance des savoirs factuels, déclaratifs, dessavoirs que..., des connaissances sur... Ce qui compte en premier lieu dansl'enseignement des trois disciplines est d'acquérir des connaissances sur lessociétés présentes et passées. Même l'éducation civique, dont les buts affirméssont pour une grande part aujourd'hui d'ordre comportemental, est prise danscette logique. La connaissance du réfèrent, du monde dont on parle commandele fonctionnement des disciplines. Cela a pour conséquence le fait que ladimension narrative ne saurait être un objet central, plus généralement quel'étude des formes dans lesquelles se donnent et s'expriment les connaissancesdans ces disciplines est généralement mise de côté. Quelques approches à ten¬dance méthodologique n'effacent pas cette puissante tendance ;

- la seconde prolonge la première en mettant en avant un « conflit de finali¬tés ». Le discours de légitimation de ces disciplines insiste sur leur contributionà la formation intellectuelle et critique des élèves ; c'est autour de ce thème ques'énoncent les finalités les plus nobles de la discipline. Dans ce cadre, un travailsur récriture et les manières dont les textes sont produits et construits s'impose.Mais cette finalité et les travaux qu'elle appelle entrent en conflit avec les savoirsfactuels dont nous avons dit le poids. Ce qui est déclaré important n'est passeulement de savoir mais aussi de comprendre ; la narration apparait alorscomme trop « facile » pour être vraiment intéressante. Le renvoi du récit vers lesplus petits des élèves, renvoi qu'exprime Le Goff dans la citation placée enexergue, est largement partagé. Tout converge pour que le récit, plus largementtoutes les formes d'écriture s'avancent masqués, cachés. Du récit partout, du

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REPÈRES N" 21/2000 F. AUDIGIER

récit toujours, du récit plaisir, du récit soupçon, du récit enfantin... mais l'ensei¬gnement a des visées plus nobles, celle de la formation de l'intelligence et de laraison ; seule l'explication tiendrait ce rôle. Le récit est alors insuffisant, toutjuste une petite machine nécessaire, trop simple pour être honnête, trop évi¬dente pour être un objet explicite d'apprentissage. C'est ainsi que certains rejet¬tent le récit. Les choix didactiques sont alors sous la double commande desfinalités politiques et civiques qui appellent la construction d'un monde communet des connaissances « encyclopédiques » si fortement présentes dans ces dis¬ciplines. Les deux commandes s'épaulent pour mettre de côté un travail sur lesformes et l'écriture, en dehors de l'apprentissage des modèles canoniques quisont ceux de l'évaluation.

Pour traiter de ces hypothèses, les didactiques de nos disciplines n'ontmalheureusement pas encore engrangé de moissons suffisantes pour constituerdes corpus de données et de résultats d'ampleur satisfaisante. Cette relativeminceur de travaux systématiques nous conduit à avoir, dans cet article, uneposition plus générale, tentant de construire quelques-unes des interrogationsqui concernent nos didactiques, dès lors que l'on leur soumet la question de ladiversité narrative, question totalement mêlée à celle des formes d'expression etd'écriture des savoirs dans les trois disciplines. Une première partie parcourttrès brièvement quelques références nécessaires à la réflexion didactique, d'unepart vers les travaux qui étudient la construction et la compréhension de textesen soulignant les caractères spécifiques de nos disciplines, d'autre part vers lessciences de référence et les réflexions épistémologiques qui étudient leurconstruction et leur écriture. Dans un second temps nous convoquons quelquesmatériaux pour préciser et nourrir nos hypothèses.

1. NARRATION ET HISTOIRE, GÉOGRAPHIE,ÉDUCATION CIVIQUE : QUELQUES POINTS DE REPÈRES

1.1. L'histoire, la géographie et l'éducation civique,comme textes qui disent des choses sur les mondesprésents et passés, comme textes à comprendre

Dire les sociétés présentes et passées, les étudier, c'est toujours produire,rencontrer et étudier des textes qui expriment les expériences que les humainsont de ces sociétés et les multiples reconstructions dont ces expériences sontl'objet. Les textes présents à l'École ont une configuration particulière construitepar leur fonction qui est l'apprentissage et par les contraintes propres de la cul¬ture scolaire. Ce sont donc, en premier lieu, des textes scolaires, construitsselon les modalités propres à tout savoir scolaire (6) : être enseignable, appre-nable, évaluable. Dans le quotidien des classes, « le texte scolaire est l'objetd'un travail constant de déconstruction et de reconstruction, de décompositionet de recomposition. Un jeu constant s'instaure entre le texte, les enseignants etles élèves, jeu qui torture le texte, au sens où il lui ôte sa continuité, voire sa flui¬dité, sa construction d'origine, pour le mettre en relation avec d'autres énon¬cés... (censés) rapprocher le monde du texte du monde des élèves ». II ne s'agit

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récit toujours, du récit plaisir, du récit soupçon, du récit enfantin... mais l'ensei¬gnement a des visées plus nobles, celle de la formation de l'intelligence et de laraison ; seule l'explication tiendrait ce rôle. Le récit est alors insuffisant, toutjuste une petite machine nécessaire, trop simple pour être honnête, trop évi¬dente pour être un objet explicite d'apprentissage. C'est ainsi que certains rejet¬tent le récit. Les choix didactiques sont alors sous la double commande desfinalités politiques et civiques qui appellent la construction d'un monde communet des connaissances « encyclopédiques » si fortement présentes dans ces dis¬ciplines. Les deux commandes s'épaulent pour mettre de côté un travail sur lesformes et l'écriture, en dehors de l'apprentissage des modèles canoniques quisont ceux de l'évaluation.

Pour traiter de ces hypothèses, les didactiques de nos disciplines n'ontmalheureusement pas encore engrangé de moissons suffisantes pour constituerdes corpus de données et de résultats d'ampleur satisfaisante. Cette relativeminceur de travaux systématiques nous conduit à avoir, dans cet article, uneposition plus générale, tentant de construire quelques-unes des interrogationsqui concernent nos didactiques, dès lors que l'on leur soumet la question de ladiversité narrative, question totalement mêlée à celle des formes d'expression etd'écriture des savoirs dans les trois disciplines. Une première partie parcourttrès brièvement quelques références nécessaires à la réflexion didactique, d'unepart vers les travaux qui étudient la construction et la compréhension de textesen soulignant les caractères spécifiques de nos disciplines, d'autre part vers lessciences de référence et les réflexions épistémologiques qui étudient leurconstruction et leur écriture. Dans un second temps nous convoquons quelquesmatériaux pour préciser et nourrir nos hypothèses.

1. NARRATION ET HISTOIRE, GÉOGRAPHIE,ÉDUCATION CIVIQUE : QUELQUES POINTS DE REPÈRES

1.1. L'histoire, la géographie et l'éducation civique,comme textes qui disent des choses sur les mondesprésents et passés, comme textes à comprendre

Dire les sociétés présentes et passées, les étudier, c'est toujours produire,rencontrer et étudier des textes qui expriment les expériences que les humainsont de ces sociétés et les multiples reconstructions dont ces expériences sontl'objet. Les textes présents à l'École ont une configuration particulière construitepar leur fonction qui est l'apprentissage et par les contraintes propres de la cul¬ture scolaire. Ce sont donc, en premier lieu, des textes scolaires, construitsselon les modalités propres à tout savoir scolaire (6) : être enseignable, appre-nable, évaluable. Dans le quotidien des classes, « le texte scolaire est l'objetd'un travail constant de déconstruction et de reconstruction, de décompositionet de recomposition. Un jeu constant s'instaure entre le texte, les enseignants etles élèves, jeu qui torture le texte, au sens où il lui ôte sa continuité, voire sa flui¬dité, sa construction d'origine, pour le mettre en relation avec d'autres énon¬cés... (censés) rapprocher le monde du texte du monde des élèves ». II ne s'agit

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Histoire, géographie, éducation civique...

pas là de travailler sur la construction du texte mais de le rendre plus proche,plus assimilable. En second lieu, ces textes sont hétérogènes. Ils mêlent les« manières innombrables » de dire les sociétés et les activités humaines. Ladépendance de ce second caractère avec le premier fait que l'on « repère aisé¬ment une multiplication de petits récits d'action et de courtes descriptions, debrefs éléments d'explication, enchâssés les uns dans les autres, hiérarchisés ousimplement juxtaposés, liés de façon explicite ou non ». Enfin, « ces textes fonc¬tionnent avec des langages variés, langage verbal ou non verbal, structurés àpartir d'unités discrètes conventionnelles (les signes langagiers, les symbolesmathématiques) ou des figures analogiques complexes (plan filmique parexemple), inscrites à partir d'une logique linéaire (l'écriture, le discours oral) ourayonnante (la graphique), etc. ». C'est sous ces contraintes, dans cette diver¬sité et dans ces configurations propres aux textes scolaires que s'avancent lesrécits et les narrations. Ces éléments construits à propos de l'histoire et de lagéographie sont aisément extensibles à l'éducation civique.

Scolaires, hétérogènes, aux langages variés, les textes d'histoire, de géo¬graphie et d'éducation civique scolaires, ont ainsi leurs caractères fondamen¬taux. II n'est que d'ouvrir n'importe quel manuel en usage dans ces troisdisciplines pour constater la multiplicité des formes dans lesquelles se présen¬tent les savoirs et ce qui les entoure : cartes, images, textes, graphiques, jeuxtypographiques sur les titres, les couleurs, les mises en page, etc. Les manuelsne sont évidemment pas l'enseignement, mais ils disent à leur façon le kaléido¬scope présent dans les classes. C'est au sein de cet univers que s'offre la narra¬tion et qu'elle s'invite dans et par le travail mené en classe.

Un dernier caractère mérite d'être mentionné. Lui aussi contraint la narra¬tion dans ces disciplines : les contenus enseignés sont sous le contrôle desfaits. II s'y enseigne des faits, des faits qui renvoient à des actes, à des événe¬ments qui se sont « réellement » passés. Même si les faits sont construits,même si il n'y a ni fait brut, ni fait que l'on pourrait apporter en classe commeune expérience reproductible, il y a toujours, qu'elle qu'en soit la modalité, laprésence des sources, des documents, qui, sous des formes elles aussi extrê¬mement variées, témoignent et attestent de ce « réellement » passés.

Les principaux caractères et déterminants de ces textes scolaires briève¬ment posés, l'étude de leur réception par les élèves appelle d'autres références,en particulier les travaux qui portent sur la compréhension de textes. La ques¬tion de la narration est ainsi replacée dans un contexte plus large. Par exemple,Denhière (1990, p. 79) nous propose une formulation synthétique des conditionsde compréhension des textes. Tout individu traite l'information apportée par untexte selon trois composantes, il « ... fait appel à des représentations types de lastructure du texte mais aussi à des connaissances qui portent sur le domaineque représente le texte et sur la situation de communication ». L'enseignementdes trois disciplines étant essentiellement préoccupé par la transmission et l'ap¬prentissage de connaissances sur le monde présent et passé, la deuxième com¬posante domine de tout son poids tandis que les deux autres sont fortementnégligées.

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pas là de travailler sur la construction du texte mais de le rendre plus proche,plus assimilable. En second lieu, ces textes sont hétérogènes. Ils mêlent les« manières innombrables » de dire les sociétés et les activités humaines. Ladépendance de ce second caractère avec le premier fait que l'on « repère aisé¬ment une multiplication de petits récits d'action et de courtes descriptions, debrefs éléments d'explication, enchâssés les uns dans les autres, hiérarchisés ousimplement juxtaposés, liés de façon explicite ou non ». Enfin, « ces textes fonc¬tionnent avec des langages variés, langage verbal ou non verbal, structurés àpartir d'unités discrètes conventionnelles (les signes langagiers, les symbolesmathématiques) ou des figures analogiques complexes (plan filmique parexemple), inscrites à partir d'une logique linéaire (l'écriture, le discours oral) ourayonnante (la graphique), etc. ». C'est sous ces contraintes, dans cette diver¬sité et dans ces configurations propres aux textes scolaires que s'avancent lesrécits et les narrations. Ces éléments construits à propos de l'histoire et de lagéographie sont aisément extensibles à l'éducation civique.

Scolaires, hétérogènes, aux langages variés, les textes d'histoire, de géo¬graphie et d'éducation civique scolaires, ont ainsi leurs caractères fondamen¬taux. II n'est que d'ouvrir n'importe quel manuel en usage dans ces troisdisciplines pour constater la multiplicité des formes dans lesquelles se présen¬tent les savoirs et ce qui les entoure : cartes, images, textes, graphiques, jeuxtypographiques sur les titres, les couleurs, les mises en page, etc. Les manuelsne sont évidemment pas l'enseignement, mais ils disent à leur façon le kaléido¬scope présent dans les classes. C'est au sein de cet univers que s'offre la narra¬tion et qu'elle s'invite dans et par le travail mené en classe.

Un dernier caractère mérite d'être mentionné. Lui aussi contraint la narra¬tion dans ces disciplines : les contenus enseignés sont sous le contrôle desfaits. II s'y enseigne des faits, des faits qui renvoient à des actes, à des événe¬ments qui se sont « réellement » passés. Même si les faits sont construits,même si il n'y a ni fait brut, ni fait que l'on pourrait apporter en classe commeune expérience reproductible, il y a toujours, qu'elle qu'en soit la modalité, laprésence des sources, des documents, qui, sous des formes elles aussi extrê¬mement variées, témoignent et attestent de ce « réellement » passés.

Les principaux caractères et déterminants de ces textes scolaires briève¬ment posés, l'étude de leur réception par les élèves appelle d'autres références,en particulier les travaux qui portent sur la compréhension de textes. La ques¬tion de la narration est ainsi replacée dans un contexte plus large. Par exemple,Denhière (1990, p. 79) nous propose une formulation synthétique des conditionsde compréhension des textes. Tout individu traite l'information apportée par untexte selon trois composantes, il « ... fait appel à des représentations types de lastructure du texte mais aussi à des connaissances qui portent sur le domaineque représente le texte et sur la situation de communication ». L'enseignementdes trois disciplines étant essentiellement préoccupé par la transmission et l'ap¬prentissage de connaissances sur le monde présent et passé, la deuxième com¬posante domine de tout son poids tandis que les deux autres sont fortementnégligées.

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REPÈRES N° 21/2000 F. AUDIGIER

1.2. Vers les sciences homonymes

Comme toutes les disciplines d'enseignement, les trois qui nous occupentici sont confrontées à la question de leur référence. Dans notre tradition scolaire,la référence privilégiée, voire souvent pensée comme unique, est celle d'unescience homonyme censée légitimer et inspirer les disciplines scolaires. Nousnous intéressons ici à quelques aspects des réflexions menées sur l'écrituredans ces sciences et la place qu'y tient la narration. Mais la position de chaquediscipline est quelque peu différente tant sur la question de la référence que surcelle du récit, ce qui nous conduit à les traiter ici séparément. Ainsi, si l'histoireet la géographie se réclament d'une relation privilégiée avec des scienceshomonymes, ce n'est pas le cas pour l'éducation civique qui obéit aussi à

d'autres logiques.

1.2. 1. L'éducation civique et l'absence de science homonyme

Avec l'éducation civique, nous interrogeons un domaine qui est à la foisune discipline scolaire au sens strict du terme, et un ensemble de pratiques etd'expériences sociales qui sont tout ensemble objet, support et horizon desapprentissages. Même si la formation du citoyen est la légitimité essentielle et lafinalité la plus noble de l'histoire et de la géographie scolaires, l'éducationcivique a une place singulière : elle se différencie de ses deux consurs parl'absence de science de référence clairement identifiée. Cette absence la rendéloignée, voire étrangère à tout un ensemble de réflexions produites dans lecadre des sciences de références, sur sa mise en forme et son écriture, et sus¬ceptibles d'inspirer les didactiques correspondantes. Plus profondément, l'édu¬cation civique ne s'exprime pas, et lorsqu'elle est réussie, ne s'évalue pas par,ou dans des capacités d'écriture comme l'histoire et la géographie, mais pardes comportements et des attitudes sociales, non seulement aujourd'hui maisaussi cinq, dix, vingt années après le passage à l'École.

Aimantée vers l'apprentissage de comportements conformes et s'éloignantde celui des organigrammes politiques, elle regarde plus ou moins explicitementvers des pratiques plus « orales » liées au débat démocratique, à la résolutionde conflits, à des modèles empruntés au judiciaire. Dans ce cadre là, nous yrencontrons alors aussi du narratif, mais un narratif en position seconde, intime¬ment lié à l'argumentation et tendu vers la décision, vers l'action. Les cas étu¬diés, les expériences vécues ou simplement racontées, les petits récits àtendance morale sont des supports ; la narration y est présente sous diversesformes mais elle ne s'invite pas comme objet de travail. La référence à une oudes sciences homonymes s'efface devant les impératifs de l'enseignement.

1.2.2. La géographie, du mixte vidalien à la modélisationet à la conceptuaUsation

La géographie scolaire française a longtemps été pensée dans le cadre duparadigme traditionnel de la géographie française tel qu'il a été formalisé parVidal de la Blache à la fin du siècle dernier. Selon Robic (1991), la géographie de

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1.2. Vers les sciences homonymes

Comme toutes les disciplines d'enseignement, les trois qui nous occupentici sont confrontées à la question de leur référence. Dans notre tradition scolaire,la référence privilégiée, voire souvent pensée comme unique, est celle d'unescience homonyme censée légitimer et inspirer les disciplines scolaires. Nousnous intéressons ici à quelques aspects des réflexions menées sur l'écrituredans ces sciences et la place qu'y tient la narration. Mais la position de chaquediscipline est quelque peu différente tant sur la question de la référence que surcelle du récit, ce qui nous conduit à les traiter ici séparément. Ainsi, si l'histoireet la géographie se réclament d'une relation privilégiée avec des scienceshomonymes, ce n'est pas le cas pour l'éducation civique qui obéit aussi à

d'autres logiques.

1.2. 1. L'éducation civique et l'absence de science homonyme

Avec l'éducation civique, nous interrogeons un domaine qui est à la foisune discipline scolaire au sens strict du terme, et un ensemble de pratiques etd'expériences sociales qui sont tout ensemble objet, support et horizon desapprentissages. Même si la formation du citoyen est la légitimité essentielle et lafinalité la plus noble de l'histoire et de la géographie scolaires, l'éducationcivique a une place singulière : elle se différencie de ses deux consurs parl'absence de science de référence clairement identifiée. Cette absence la rendéloignée, voire étrangère à tout un ensemble de réflexions produites dans lecadre des sciences de références, sur sa mise en forme et son écriture, et sus¬ceptibles d'inspirer les didactiques correspondantes. Plus profondément, l'édu¬cation civique ne s'exprime pas, et lorsqu'elle est réussie, ne s'évalue pas par,ou dans des capacités d'écriture comme l'histoire et la géographie, mais pardes comportements et des attitudes sociales, non seulement aujourd'hui maisaussi cinq, dix, vingt années après le passage à l'École.

Aimantée vers l'apprentissage de comportements conformes et s'éloignantde celui des organigrammes politiques, elle regarde plus ou moins explicitementvers des pratiques plus « orales » liées au débat démocratique, à la résolutionde conflits, à des modèles empruntés au judiciaire. Dans ce cadre là, nous yrencontrons alors aussi du narratif, mais un narratif en position seconde, intime¬ment lié à l'argumentation et tendu vers la décision, vers l'action. Les cas étu¬diés, les expériences vécues ou simplement racontées, les petits récits àtendance morale sont des supports ; la narration y est présente sous diversesformes mais elle ne s'invite pas comme objet de travail. La référence à une oudes sciences homonymes s'efface devant les impératifs de l'enseignement.

1.2.2. La géographie, du mixte vidalien à la modélisationet à la conceptuaUsation

La géographie scolaire française a longtemps été pensée dans le cadre duparadigme traditionnel de la géographie française tel qu'il a été formalisé parVidal de la Blache à la fin du siècle dernier. Selon Robic (1991), la géographie de

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Histoire, géographie, éducation civique...

ce temps se constitue autour de ce qu'elle nomme le « mixte vidalien », mixtebâti sur deux piliers, la description et l'explication. Le projet scientifique de cettegéographie est une « description raisonnée » de la surface de la Terre, plus lar¬gement des manières dont les hommes et les sociétés l'ont mise en valeur.Cette description raisonnée emporte avec elle, dans le jeu même de l'écriture,l'explication, en utilisant des concepts tels que milieu ou genre de vie. En décri¬vant le lien qu'une collectivité humaine entretient avec son milieu, on expliqueson genre de vie par les caractéristiques de ce milieu. Cette façon de procéder,véritable mode de connaissance, privilégie l'observation inductive, la comparai¬son et la généralisation ; elle s'attache à rendre compte de la spécificité deslieux. La priorité donnée aux lieux, à leurs caractères et à leurs distributions surla surface de la Terre a concentré les réflexions sur l'écriture géographique dansdeux directions : du côté de la description comme nous venons de le voir et ducôté de la carte souvent présentée comme l'outil emblématique de la géogra¬phie. La carte censée figurer un état d'un territoire à un moment donné inscritalors la pensée dans la synchronie. II n'y a théoriquement pas de place pour ladurée. Cependant, nombre de phénomènes représentés sur une carte s'inscri¬vent dans la durée, voire sont des phénomènes qui relèvent du temps, tels lesflux ou les déplacements. Sans être explicitement rapportée à une quelconquedimension narrative, la lecture de la carte appelle souvent des « mini-récits »

avec des acteurs, des actions, un début, une fin (7). D'un autre côté, l'écriturecanonique des dissertations universitaires, mode d'expression qui n'est pascelui d'une production scientifique mais qui reste très pregnant dans les pra¬tiques, fait une place au récit sous couvert de l'explication. Expliquer une confi¬guration spatiale, c'est au moins en partie rendre compte de sa genèse et doncraconter un début et une histoire. Mais le récit est alors discontinu et contraintpar l'explication de la situation présente.

Depuis quelques courtes décennies, l'écriture géographique est devenueune interrogation pour certains chercheurs. Par exemple, Berdoulay, cité enexergue, cherche «... à suggérer, c'est que celles-ci (les formes du savoir), au-delà des modalités discursives déjà étudiées, se déploient toutes de façon nar¬rative et peuvent ainsi faire voir du nouveau. Aux équivalences précédentesentre voyager, lire et écrire, on pourrait ajouter le terme raconter ». D'autreschercheurs utilisent les concepts d'intrigue ou de synthèse de l'hétérogène pourrendre compte des productions géographiques soulignant ainsi la force desliens entre les expériences du monde que relate la géographie et la narration.Cependant, quel que soit l'intérêt de ces études, elles restent assez marginalesdans une science où la dimension synchronique est si importante et où les cou¬rants les plus modernes sont d'abord préoccupés par les constructions demodèles d'analyse spatiale ou par l'introduction des technologies numériques.Les effets sur l'enseignement à l'école primaire et au collège sont très limités.

1.2.3. L'histoire « ultimement narrative »

En ouvrant le paragraphe histoire, nous rencontrons bien évidemment récitet narration. Après un temps d'éclipsé voire de rejet au sein de la partie la plusdynamique des historiens, celle communément rangée sous l'emblème desAnnales, le récit est revenu au premier plan depuis une vingtaine d'années. Ce

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ce temps se constitue autour de ce qu'elle nomme le « mixte vidalien », mixtebâti sur deux piliers, la description et l'explication. Le projet scientifique de cettegéographie est une « description raisonnée » de la surface de la Terre, plus lar¬gement des manières dont les hommes et les sociétés l'ont mise en valeur.Cette description raisonnée emporte avec elle, dans le jeu même de l'écriture,l'explication, en utilisant des concepts tels que milieu ou genre de vie. En décri¬vant le lien qu'une collectivité humaine entretient avec son milieu, on expliqueson genre de vie par les caractéristiques de ce milieu. Cette façon de procéder,véritable mode de connaissance, privilégie l'observation inductive, la comparai¬son et la généralisation ; elle s'attache à rendre compte de la spécificité deslieux. La priorité donnée aux lieux, à leurs caractères et à leurs distributions surla surface de la Terre a concentré les réflexions sur l'écriture géographique dansdeux directions : du côté de la description comme nous venons de le voir et ducôté de la carte souvent présentée comme l'outil emblématique de la géogra¬phie. La carte censée figurer un état d'un territoire à un moment donné inscritalors la pensée dans la synchronie. II n'y a théoriquement pas de place pour ladurée. Cependant, nombre de phénomènes représentés sur une carte s'inscri¬vent dans la durée, voire sont des phénomènes qui relèvent du temps, tels lesflux ou les déplacements. Sans être explicitement rapportée à une quelconquedimension narrative, la lecture de la carte appelle souvent des « mini-récits »

avec des acteurs, des actions, un début, une fin (7). D'un autre côté, l'écriturecanonique des dissertations universitaires, mode d'expression qui n'est pascelui d'une production scientifique mais qui reste très pregnant dans les pra¬tiques, fait une place au récit sous couvert de l'explication. Expliquer une confi¬guration spatiale, c'est au moins en partie rendre compte de sa genèse et doncraconter un début et une histoire. Mais le récit est alors discontinu et contraintpar l'explication de la situation présente.

Depuis quelques courtes décennies, l'écriture géographique est devenueune interrogation pour certains chercheurs. Par exemple, Berdoulay, cité enexergue, cherche «... à suggérer, c'est que celles-ci (les formes du savoir), au-delà des modalités discursives déjà étudiées, se déploient toutes de façon nar¬rative et peuvent ainsi faire voir du nouveau. Aux équivalences précédentesentre voyager, lire et écrire, on pourrait ajouter le terme raconter ». D'autreschercheurs utilisent les concepts d'intrigue ou de synthèse de l'hétérogène pourrendre compte des productions géographiques soulignant ainsi la force desliens entre les expériences du monde que relate la géographie et la narration.Cependant, quel que soit l'intérêt de ces études, elles restent assez marginalesdans une science où la dimension synchronique est si importante et où les cou¬rants les plus modernes sont d'abord préoccupés par les constructions demodèles d'analyse spatiale ou par l'introduction des technologies numériques.Les effets sur l'enseignement à l'école primaire et au collège sont très limités.

1.2.3. L'histoire « ultimement narrative »

En ouvrant le paragraphe histoire, nous rencontrons bien évidemment récitet narration. Après un temps d'éclipsé voire de rejet au sein de la partie la plusdynamique des historiens, celle communément rangée sous l'emblème desAnnales, le récit est revenu au premier plan depuis une vingtaine d'années. Ce

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REPÈRES N° 21/2000 F. AUDIGIER

n'est pas un retour à l'identique, selon la métaphore erronée et trompeuse dupendule, mais une reprise sur le fond, soutenue par des travaux comme ceux deRicoeur (1983-1985) ou, un peu antérieurement, de de Certeau (1975). L'histoire-récit mise en cause par Le Goff n'invalide pas la réflexion sur la place du récit enhistoire ; sa mise en question porte plutôt sur une forme d'exposition qui sedonne pour le réel, voire en fabrique, en masquant les conditions sociales, insti¬tutionnelles et intellectuelles de sa production. Dans sa configuration narrative,le récit d'histoire emporte avec lui l'explication des événements, des change¬ments et des permanences. II n'y a pas d'un côté la narration et d'un autre l'ex¬plication, mais un texte qui construit et délivre ces deux dimensions dans sonmouvement même.

La référence aux Annales dans l'éclipsé de récit pourrait laisser penser quecelle-ci est relativement récente. Le temps plus ou moins long pour qu'une posi¬tion élaborée dans l'univers scientifique percole jusque dans l'enseignementconduirait à énoncer l'hypothèse d'un déclin du récit à l'École dans les annéescinquante. Ajoutons à cela que notre imaginaire est habité par l'histoire « à laLavisse » comme référence privilégiée de l'enseignement à l'école primaire, etdonc par le récit qui lui est accolé ; ce récit a donné lieu à nombre d'analysescritiques l'associant généralement sans autre forme de procès aux contenusnationaux voire nationalistes qu'il emporte avec lui. Pourtant l'affaire n'est pasaussi simple pour au moins deux raisons. La première est liée à la finalité identi¬taire et culturelle de l'histoire et de son enseignement. Le récit scolaire a pourfonction d'inscrire les jeunes générations dans le grand récit collectif de laNation. Sa mise en cause affecte profondément cette finalité, à moins que ce nesoit la mise en cause de ce grand récit qui n'emporte avec lui l'idée même denarration. La deuxième relève d'une longue tradition de suspicion à son égard,une suspicion double : le récit est attractif, mais cette attraction, voire ce plaisirest aussi un adversaire de la raison que l'on cherche à développer ; le récit estpris en flagrant délit d'insuffisance, il n'explique pas, du moins passuffisamment ; il faut alors soumettre le récit à divers traitements. Les caractèresdu texte scolaire énoncés précédemment sont la traduction de ce soupçon ; lerécit d'histoire s'inscrit dans la fragmentation du travail scolaire.

Ainsi, quelles que soient leurs spécificités, les trois disciplines s'intéressentau devenir humain, un devenir passé, un devenir présent. La mise en perspec¬tive temporelle est une condition même de l'intelligibilité de ce devenir et de laproduction de sens. Même les tableaux, les présentations synchroniques, lesvisons « arrêtées » de ces sociétés qui existent à des titres divers dans les troisdisciplines n'ont de sens que, d'une part, lorsqu'elles sont replacées dans legrand mouvement du temps, d'autre part parce qu'elles incluent de nombreuxmini-récits comme autant de parcours diversifiés à l'intérieur du tableau. Parexemple, la société féodale se présente comme un « tout » dans lequel l'étudedes relations suzerain-vassal constitue une sorte de structure stable, mais ellene se comprend que si ces relations sont remises en récit ; de l'adoubement duchevalier à la division du travail au sein de la seigneurie, le texte d'histoire estconstamment pris et vivifié par ces narrations partielles. Certes, dès lors qu'il estconsubstantiel à l'expression de l'expérience humaine, le récit n'a jamais « dis-

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n'est pas un retour à l'identique, selon la métaphore erronée et trompeuse dupendule, mais une reprise sur le fond, soutenue par des travaux comme ceux deRicoeur (1983-1985) ou, un peu antérieurement, de de Certeau (1975). L'histoire-récit mise en cause par Le Goff n'invalide pas la réflexion sur la place du récit enhistoire ; sa mise en question porte plutôt sur une forme d'exposition qui sedonne pour le réel, voire en fabrique, en masquant les conditions sociales, insti¬tutionnelles et intellectuelles de sa production. Dans sa configuration narrative,le récit d'histoire emporte avec lui l'explication des événements, des change¬ments et des permanences. II n'y a pas d'un côté la narration et d'un autre l'ex¬plication, mais un texte qui construit et délivre ces deux dimensions dans sonmouvement même.

La référence aux Annales dans l'éclipsé de récit pourrait laisser penser quecelle-ci est relativement récente. Le temps plus ou moins long pour qu'une posi¬tion élaborée dans l'univers scientifique percole jusque dans l'enseignementconduirait à énoncer l'hypothèse d'un déclin du récit à l'École dans les annéescinquante. Ajoutons à cela que notre imaginaire est habité par l'histoire « à laLavisse » comme référence privilégiée de l'enseignement à l'école primaire, etdonc par le récit qui lui est accolé ; ce récit a donné lieu à nombre d'analysescritiques l'associant généralement sans autre forme de procès aux contenusnationaux voire nationalistes qu'il emporte avec lui. Pourtant l'affaire n'est pasaussi simple pour au moins deux raisons. La première est liée à la finalité identi¬taire et culturelle de l'histoire et de son enseignement. Le récit scolaire a pourfonction d'inscrire les jeunes générations dans le grand récit collectif de laNation. Sa mise en cause affecte profondément cette finalité, à moins que ce nesoit la mise en cause de ce grand récit qui n'emporte avec lui l'idée même denarration. La deuxième relève d'une longue tradition de suspicion à son égard,une suspicion double : le récit est attractif, mais cette attraction, voire ce plaisirest aussi un adversaire de la raison que l'on cherche à développer ; le récit estpris en flagrant délit d'insuffisance, il n'explique pas, du moins passuffisamment ; il faut alors soumettre le récit à divers traitements. Les caractèresdu texte scolaire énoncés précédemment sont la traduction de ce soupçon ; lerécit d'histoire s'inscrit dans la fragmentation du travail scolaire.

Ainsi, quelles que soient leurs spécificités, les trois disciplines s'intéressentau devenir humain, un devenir passé, un devenir présent. La mise en perspec¬tive temporelle est une condition même de l'intelligibilité de ce devenir et de laproduction de sens. Même les tableaux, les présentations synchroniques, lesvisons « arrêtées » de ces sociétés qui existent à des titres divers dans les troisdisciplines n'ont de sens que, d'une part, lorsqu'elles sont replacées dans legrand mouvement du temps, d'autre part parce qu'elles incluent de nombreuxmini-récits comme autant de parcours diversifiés à l'intérieur du tableau. Parexemple, la société féodale se présente comme un « tout » dans lequel l'étudedes relations suzerain-vassal constitue une sorte de structure stable, mais ellene se comprend que si ces relations sont remises en récit ; de l'adoubement duchevalier à la division du travail au sein de la seigneurie, le texte d'histoire estconstamment pris et vivifié par ces narrations partielles. Certes, dès lors qu'il estconsubstantiel à l'expression de l'expérience humaine, le récit n'a jamais « dis-

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paru » de l'enseignement ; il a toujours été présent, même si le lourd soupçonqui pèse sur lui en fait un passager clandestin ou transparent de ces disciplines.

A l'autre bout de la chaine, nous avons, in fine, la réception que les élèvesen font, leur capacité à construire une relation entre leur histoire personnelle etl'histoire collective, les histoires collectives, plus largement leur capacité à rai¬sonner leur présence au monde comme celle d'une personne dans une sociétéoù les relations aux autres sont constantes et infiniment multiples, où ces rela¬tions construisent leurs identités. En classe, c'est toujours une dimension col¬lective qui est étudiée, mais le sens que les savoirs prennent pour les élèves,pour chacun d'entre eux, condition même de l'apprentissage, reste l'objet d'unealchimie intime où la capacité à se penser comme sujet et acteur d'histoire estessentielle (8). Nous savons également que les modes de relation au passé sontmultiples, ce qui multiplie à la fois les chances d'une rencontre entre chaqueélève et les textes qu'il étudie mais aussi les difficultés pour mettre en scène lesconditions de cette rencontre dans une classe.

Le récit, présenté par un grand nombre d'auteurs comme la forme privilé¬giée d'expression de l'expérience que chacun fait du monde, est alors loin de laréduction que suggère la brève citation de Le Goff qui semble l'associer à uneforme infantile d'expression. Argumenter, convaincre, persuader, juger, moraliser,représenter, etc., les fonctions de la narration sont multiples et inscrites au plusprofond de chacun et de chaque culture, invitant à lui attribuer une autre forceque celle de la seule construction de l'imaginaire enfantin ou de la vulgarisationhistorique télévisuelle.

2. L'HISTOIRE ET LA GÉOGRAPHIE À L'ÉCOLE : À LA RECHERCHEDE LA NARRATION SOUS TOUTES SES FORMES

Dans cette seconde partie, nous entrons plus avant dans quelques compo¬santes de l'enseignement, dans ce que nous avons nommé ailleurs un « modèledisciplinaire » (Audigier 1 995, 1 997), pour y traquer différents aspects de la pré¬sence de la narration. Nous y étudions principalement l'histoire et à la géogra¬phie ; les spécificités de l'éducation civique, en particulier le lien avec la viescolaire, plus largement avec l'expérience, demanderaient des développementsparticuliers, aussi seules quelques évocations de cette discipline sont ici pré¬sentes. Pour cet examen nous convoquons plusieurs sources : des enquêtesauprès d'enseignants et quelques incursions dans des classes, principalementau collège, de rapides visites de manuels comme moyens d'enseignementexpressions de coutumes didactiques, et enfin des textes officiels commeexpressions des attentes de l'institution et donc d'un cadre premier dans lequels'exercent la pensée et l'action des enseignants.

2.1. Du côté des enseignants et des classes

Deux enquêtes complémentaires ont été conduites en 1997-1998 auprèsd'enseignants de l'école primaire dans le cadre d'une recherche INRP ayantpour but de construire un état des lieux de l'histoire, de la géographie et de

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paru » de l'enseignement ; il a toujours été présent, même si le lourd soupçonqui pèse sur lui en fait un passager clandestin ou transparent de ces disciplines.

A l'autre bout de la chaine, nous avons, in fine, la réception que les élèvesen font, leur capacité à construire une relation entre leur histoire personnelle etl'histoire collective, les histoires collectives, plus largement leur capacité à rai¬sonner leur présence au monde comme celle d'une personne dans une sociétéoù les relations aux autres sont constantes et infiniment multiples, où ces rela¬tions construisent leurs identités. En classe, c'est toujours une dimension col¬lective qui est étudiée, mais le sens que les savoirs prennent pour les élèves,pour chacun d'entre eux, condition même de l'apprentissage, reste l'objet d'unealchimie intime où la capacité à se penser comme sujet et acteur d'histoire estessentielle (8). Nous savons également que les modes de relation au passé sontmultiples, ce qui multiplie à la fois les chances d'une rencontre entre chaqueélève et les textes qu'il étudie mais aussi les difficultés pour mettre en scène lesconditions de cette rencontre dans une classe.

Le récit, présenté par un grand nombre d'auteurs comme la forme privilé¬giée d'expression de l'expérience que chacun fait du monde, est alors loin de laréduction que suggère la brève citation de Le Goff qui semble l'associer à uneforme infantile d'expression. Argumenter, convaincre, persuader, juger, moraliser,représenter, etc., les fonctions de la narration sont multiples et inscrites au plusprofond de chacun et de chaque culture, invitant à lui attribuer une autre forceque celle de la seule construction de l'imaginaire enfantin ou de la vulgarisationhistorique télévisuelle.

2. L'HISTOIRE ET LA GÉOGRAPHIE À L'ÉCOLE : À LA RECHERCHEDE LA NARRATION SOUS TOUTES SES FORMES

Dans cette seconde partie, nous entrons plus avant dans quelques compo¬santes de l'enseignement, dans ce que nous avons nommé ailleurs un « modèledisciplinaire » (Audigier 1 995, 1 997), pour y traquer différents aspects de la pré¬sence de la narration. Nous y étudions principalement l'histoire et à la géogra¬phie ; les spécificités de l'éducation civique, en particulier le lien avec la viescolaire, plus largement avec l'expérience, demanderaient des développementsparticuliers, aussi seules quelques évocations de cette discipline sont ici pré¬sentes. Pour cet examen nous convoquons plusieurs sources : des enquêtesauprès d'enseignants et quelques incursions dans des classes, principalementau collège, de rapides visites de manuels comme moyens d'enseignementexpressions de coutumes didactiques, et enfin des textes officiels commeexpressions des attentes de l'institution et donc d'un cadre premier dans lequels'exercent la pensée et l'action des enseignants.

2.1. Du côté des enseignants et des classes

Deux enquêtes complémentaires ont été conduites en 1997-1998 auprèsd'enseignants de l'école primaire dans le cadre d'une recherche INRP ayantpour but de construire un état des lieux de l'histoire, de la géographie et de

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REPÈRES N° 21/2000 F. AUDIGIER

l'éducation civique à l'école élémentaire. L'une est qualitative et s'est traduitepar quarante-six entretiens, l'autre quantitative avec 712 questionnaires rensei¬gnés à travers la France. L'extrait d'un des entretiens cité en exergue contient laprincipale idée exprimée à l'égard du récit et du fait de raconter des histoires :

un mélange de plaisir et sinon de honte, du moins de quelque chose d'in¬avouable ! La situation d'enseignement la plus fréquemment citée en histoire,mais aussi en géographie, celle qui semble être la plus légitime aux yeux desenseignants, est celle qui demande aux élèves d'étudier des « documents »

sans que le sens de ce dernier mot ne soit précisé. Étudier des documents,c'est répondre à des questions qui sont posées par le maitre, questions d'identi¬fication des informations « contenues » dans les documents, réponses sousforme de mots prenant place dans des phrases à trous, parfois dans une écri¬ture plus longue. C'est, plus rarement encore, confronter les documents entreeux et les réponses données par les élèves et ainsi construire un peu d'espritcritique. C'est, plus souvent, écrire un résumé conçu de façon collective sous ladirection du maitre, etc. Cela ne renvoie pas, du moins dans les propos desenseignants interrogés, à des activités portant sur la narration ou le récit. Lesrelations avec d'autres disciplines, principalement le français, sont très rarementévoquées. II s'agit de construire une connaissance de l'objet étudié ; laconstruction de cette connaissance n'aurait pas de relations avec la forme paret dans laquelle elle est elle-même construite. Lorsqu'il est évoqué dans lesentretiens, le récit reste à la marge : un moment de plaisir, plaisir de conter rap¬porté par certains maitres, plaisir des élèves pour des moments où l'on souffleun peu dans un monde primaire sous tension permanente du lire-écrire-compter ! Cette relation discrète au récit est confirmée dans l'enquête quantita¬tive. Parmi seize propositions sur les manières d'enseigner l'histoire, lesenseignants devaient en choisir trois avec lesquelles ils étaient le plus en accordet trois le plus en désaccord. « Vous racontez ce qui s'est passé » est choisi par15,5 % des répondants et rejeté par 14 % d'entre eux ; un bel équilibre pourexprimer un doute. Mais, sous une autre forme de questionnements, échelled'attitude en cinq positions de « tout à fait d'accord » à « pas du tout d'accord »

« le récit doit tenir une grande place dans l'enseignement de l'histoire » recueille1 7,5 de « tout à fait d'accord » et 42,5 de « plutôt d'accord » ; il y a bien conni¬vence étroite entre le récit et l'histoire enseignée, mais une connivence qui n'osepas pleinement s'affirmer.

Prolongeant notre exploration vers le collège, nous empruntons quelqueséclairages au travail de Nicole Tutiaux-Guillon (1 998) qui a observé et disséquéplusieurs dizaines de cours d'histoire en classe de quatrième pour étudier com¬ment est enseignée la « société », celle d'Ancien régime surtout, celle duXIXe siècle pour quelques cours. La conclusion prolonge ce que nous avonsrelevé pour l'école élémentaire et, surtout, nous apporte un éclairage complé¬mentaire qui nous met en alerte sur le contenu même de ce qui est enseigné. Lasociété est d'abord décrite, c'est à dire, au sens le plus étroit du terme, qu'elleest l'objet d'une étude qui en énumère les différentes composantes et leurs rela¬tions. Étudier la société d'Ancien régime, celle du XVIIIe siècle principalement, cen'est pas étudier un changement, une évolution, une « histoire », mais préparerl'histoire qui vient, celle de la Révolution. II s'agit de montrer la force des opposi¬tions qui traversent la société française de ce temps pour annoncer et, de fait,

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l'éducation civique à l'école élémentaire. L'une est qualitative et s'est traduitepar quarante-six entretiens, l'autre quantitative avec 712 questionnaires rensei¬gnés à travers la France. L'extrait d'un des entretiens cité en exergue contient laprincipale idée exprimée à l'égard du récit et du fait de raconter des histoires :

un mélange de plaisir et sinon de honte, du moins de quelque chose d'in¬avouable ! La situation d'enseignement la plus fréquemment citée en histoire,mais aussi en géographie, celle qui semble être la plus légitime aux yeux desenseignants, est celle qui demande aux élèves d'étudier des « documents »

sans que le sens de ce dernier mot ne soit précisé. Étudier des documents,c'est répondre à des questions qui sont posées par le maitre, questions d'identi¬fication des informations « contenues » dans les documents, réponses sousforme de mots prenant place dans des phrases à trous, parfois dans une écri¬ture plus longue. C'est, plus rarement encore, confronter les documents entreeux et les réponses données par les élèves et ainsi construire un peu d'espritcritique. C'est, plus souvent, écrire un résumé conçu de façon collective sous ladirection du maitre, etc. Cela ne renvoie pas, du moins dans les propos desenseignants interrogés, à des activités portant sur la narration ou le récit. Lesrelations avec d'autres disciplines, principalement le français, sont très rarementévoquées. II s'agit de construire une connaissance de l'objet étudié ; laconstruction de cette connaissance n'aurait pas de relations avec la forme paret dans laquelle elle est elle-même construite. Lorsqu'il est évoqué dans lesentretiens, le récit reste à la marge : un moment de plaisir, plaisir de conter rap¬porté par certains maitres, plaisir des élèves pour des moments où l'on souffleun peu dans un monde primaire sous tension permanente du lire-écrire-compter ! Cette relation discrète au récit est confirmée dans l'enquête quantita¬tive. Parmi seize propositions sur les manières d'enseigner l'histoire, lesenseignants devaient en choisir trois avec lesquelles ils étaient le plus en accordet trois le plus en désaccord. « Vous racontez ce qui s'est passé » est choisi par15,5 % des répondants et rejeté par 14 % d'entre eux ; un bel équilibre pourexprimer un doute. Mais, sous une autre forme de questionnements, échelled'attitude en cinq positions de « tout à fait d'accord » à « pas du tout d'accord »

« le récit doit tenir une grande place dans l'enseignement de l'histoire » recueille1 7,5 de « tout à fait d'accord » et 42,5 de « plutôt d'accord » ; il y a bien conni¬vence étroite entre le récit et l'histoire enseignée, mais une connivence qui n'osepas pleinement s'affirmer.

Prolongeant notre exploration vers le collège, nous empruntons quelqueséclairages au travail de Nicole Tutiaux-Guillon (1 998) qui a observé et disséquéplusieurs dizaines de cours d'histoire en classe de quatrième pour étudier com¬ment est enseignée la « société », celle d'Ancien régime surtout, celle duXIXe siècle pour quelques cours. La conclusion prolonge ce que nous avonsrelevé pour l'école élémentaire et, surtout, nous apporte un éclairage complé¬mentaire qui nous met en alerte sur le contenu même de ce qui est enseigné. Lasociété est d'abord décrite, c'est à dire, au sens le plus étroit du terme, qu'elleest l'objet d'une étude qui en énumère les différentes composantes et leurs rela¬tions. Étudier la société d'Ancien régime, celle du XVIIIe siècle principalement, cen'est pas étudier un changement, une évolution, une « histoire », mais préparerl'histoire qui vient, celle de la Révolution. II s'agit de montrer la force des opposi¬tions qui traversent la société française de ce temps pour annoncer et, de fait,

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« expliquer » la Révolution française. La société française au XVIIIe siècle est un« état », état traversé de tellement de tensions qu'elles ne peuvent se résoudreque dans une explosion, autrement dit la Révolution. Si récit il y a, celui-ci dis¬parait donc derrière la puissance d'une vision téléologique, vision qui est elle-même un « récit supérieur » mais un récit qui ne se donne pas comme tel dansla quotidienneté de la classe. Cet effacement de la dimension narrative estaccentué par le fait que ni les consignes de travail, ni les questions posées auxélèves durant ces cours ne renvoient à un quelconque aspect narratif de l'his¬toire. Identifier les personnages, le contexte, les enjeux, expliquer, rendrecompte... ; derrière tout cela, le récit de l'histoire est constamment présent,comme une sorte de rhizome qui court tout au long de l'heure et des heures decours, que l'on ne voit pas et sur lequel se greffent comme autant de surgisse-ments, de petits récits d'actions mêlés à bien d'autres choses, descriptions etautres moyens de faire venir en classe ce monde du XVIIIe que l'on étudie etdont il s'agit de construire une représentation suffisamment dense pour qu'elleserve d'appui à ce qui va suivre.

En revanche, la période suivante, la Révolution française, est riche derécits ; d'autres recherches le soulignent. Ici les événements se bousculentemportant, pour leur étude, des moments forts de narration. Les acteurs indivi¬duels sont alors très nombreux et très présents sur la scène et l'occupent pourdes périodes plus ou moins longues. Aucun autre moment de l'histoire ensei¬gnée ne présente autant d'acteurs et autant d'actions dans une chronologieaussi serrée. Mais nous changeons d'échelle de temps. A une sorte de stabilitésupposée ou d'évolution lente, très lente, accolée à l'étude de l'Ancien Régime,succède un temps d'événements qui s'enchainent rapidement les uns auxautres. La narration prend ici toute sa place ; elle est nécessaire pour présenterces événements que sont la prise de la Bastille ou la nuit du 4 août. Le récitn'est pas ici honteux ou caché. II se moule aisément dans ces morceaux de vieindividuelle et collective si étroitement imbriqués dans une échelle de tempscourt et qui doivent marquer l'aurore de notre moderne identité politique. LaRépublique, et nous aujourd'hui, sommes les enfants de ce peuple qui prit laBastille et de ces héros qui furent ses porte-parole et ses meneurs ; cela vautbien des récits détaillés qui permettent une identification autant qu'une explica¬tion.

La géographie et l'éducation civique se tiennent plus à distance de tellesapproches. Les moments de narration ne sont pas désignés comme tels. Unexemple dans chaque discipline précise le sens de cette présence à la foisconstante et ignorée. En géographie, l'étude des paysages, objet fort répanduen particulier à l'école primaire, donne principalement lieu à des activités dedescription et de classement ; à celles-ci s'ajoutent fréquemment des interroga¬tions sur les « traces du passé » ou le paysage comme « héritage » d'uneconstruction qui a demandé du temps. Mais cet « appel au passé et au temps »

ne se donne pas nécessairement sous forme narrative. Dans le premier cas, il

peut s'agir d'introduire un questionnement d'ordre historique qui appelle un tra¬vail plus explicite dans cette discipline. II peut aussi s'agir d'une simple réfé¬rence permettant de caractériser les objets enseignés en leur attribuant uneplace dans le temps. Ainsi, identifier une église gothique permet d'énoncer l'idée

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Histoire, géographie, éducation civique...

« expliquer » la Révolution française. La société française au XVIIIe siècle est un« état », état traversé de tellement de tensions qu'elles ne peuvent se résoudreque dans une explosion, autrement dit la Révolution. Si récit il y a, celui-ci dis¬parait donc derrière la puissance d'une vision téléologique, vision qui est elle-même un « récit supérieur » mais un récit qui ne se donne pas comme tel dansla quotidienneté de la classe. Cet effacement de la dimension narrative estaccentué par le fait que ni les consignes de travail, ni les questions posées auxélèves durant ces cours ne renvoient à un quelconque aspect narratif de l'his¬toire. Identifier les personnages, le contexte, les enjeux, expliquer, rendrecompte... ; derrière tout cela, le récit de l'histoire est constamment présent,comme une sorte de rhizome qui court tout au long de l'heure et des heures decours, que l'on ne voit pas et sur lequel se greffent comme autant de surgisse-ments, de petits récits d'actions mêlés à bien d'autres choses, descriptions etautres moyens de faire venir en classe ce monde du XVIIIe que l'on étudie etdont il s'agit de construire une représentation suffisamment dense pour qu'elleserve d'appui à ce qui va suivre.

En revanche, la période suivante, la Révolution française, est riche derécits ; d'autres recherches le soulignent. Ici les événements se bousculentemportant, pour leur étude, des moments forts de narration. Les acteurs indivi¬duels sont alors très nombreux et très présents sur la scène et l'occupent pourdes périodes plus ou moins longues. Aucun autre moment de l'histoire ensei¬gnée ne présente autant d'acteurs et autant d'actions dans une chronologieaussi serrée. Mais nous changeons d'échelle de temps. A une sorte de stabilitésupposée ou d'évolution lente, très lente, accolée à l'étude de l'Ancien Régime,succède un temps d'événements qui s'enchainent rapidement les uns auxautres. La narration prend ici toute sa place ; elle est nécessaire pour présenterces événements que sont la prise de la Bastille ou la nuit du 4 août. Le récitn'est pas ici honteux ou caché. II se moule aisément dans ces morceaux de vieindividuelle et collective si étroitement imbriqués dans une échelle de tempscourt et qui doivent marquer l'aurore de notre moderne identité politique. LaRépublique, et nous aujourd'hui, sommes les enfants de ce peuple qui prit laBastille et de ces héros qui furent ses porte-parole et ses meneurs ; cela vautbien des récits détaillés qui permettent une identification autant qu'une explica¬tion.

La géographie et l'éducation civique se tiennent plus à distance de tellesapproches. Les moments de narration ne sont pas désignés comme tels. Unexemple dans chaque discipline précise le sens de cette présence à la foisconstante et ignorée. En géographie, l'étude des paysages, objet fort répanduen particulier à l'école primaire, donne principalement lieu à des activités dedescription et de classement ; à celles-ci s'ajoutent fréquemment des interroga¬tions sur les « traces du passé » ou le paysage comme « héritage » d'uneconstruction qui a demandé du temps. Mais cet « appel au passé et au temps »

ne se donne pas nécessairement sous forme narrative. Dans le premier cas, il

peut s'agir d'introduire un questionnement d'ordre historique qui appelle un tra¬vail plus explicite dans cette discipline. II peut aussi s'agir d'une simple réfé¬rence permettant de caractériser les objets enseignés en leur attribuant uneplace dans le temps. Ainsi, identifier une église gothique permet d'énoncer l'idée

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REPÈRES N° 21/2000 F. AUDIGIER

que la ville où elle se trouve existait aux Xlle-Xllle siècles, mais n'appelle pas ensoi une narration. Dans le second cas, la dimension narrative tend à être plusexplicite et associée à l'idée d'une genèse du paysage ; les différents quartiersd'une ville sont les témoins d'une histoire dont la connaissance explique lesaspects variés de ces quartiers.

En éducation civique nous observons des hésitations semblables. Les insti¬tutions politiques sont rarement présentées sans que leur genèse ne soit évo¬quée, mais celle-ci, sauf à être liée à la leçon d'histoire, n'est pas l'objectifd'apprentissage privilégié. En revanche, l'importance croissante des études decas (9) dans la perspective d'une initiation au droit introduit, au niveau des col¬lèges, de nombreuses situations où le travail sur un récit est présent. Le récitremplit alors une autre fonction que celles qui lui sont dévolues dans les deuxautres disciplines. II introduit un travail sur l'argumentation ; le cas raconte unehistoire singulière dans laquelle il y a un problème à résoudre, un conflit àdénouer, une décision à prendre. Lorsque les élèves prennent connaissance del'histoire de Vanessa, jeune fille embauchée sans contrat pendant l'été et qui,victime d'un accident du travail, se trouve en conflit avec son employeur, le récitqui est fait ne se clôt pas sur le retour de la jeune fille chez ses parents ; dansune perspective d'éducation civique et d'initiation juridique, le conflit rebonditvers une institution, en l'occurrence les Prud'hommes, et le texte de l'histoiredevient un répertoire d'arguments qu'il faut identifier et énoncer pour rendre unjugement possible, autrement dit une décision et une action qui débordent l'his¬toire elle-même ou apportent le dénouement de son intrigue.

2.2. Du côté des manuels et des moyens d'enseignement

Avec ce second volet, nous restons dans l'enseignement primaire et limi¬tons l'examen à deux manuels utilisés en France. Récit et narration sont pré¬sents à toutes les pages. Nous nous intéressons d'une part aux présentations etmises en scène graphiques et intellectuelles de cette dimension narrative,d'autre part aux consignes de travail proposées ; celles-ci permettent de ques¬tionner un mode de relation à cette dimension tel qu'il est proposé aux élèves.

Les deux manuels étudiés sont ceux édités pour le cycle 3, CM2, par leséditions Hatier en 1998, et pour le cycle 3, niveau 2, par les éditions Hachette en1996. Celui d'Hatier traite de l'histoire et de la géographie, celui d'Hachette de laseule histoire. Ils correspondent donc aux derniers programmes publiés en1995. Laissant de côté une présentation approfondie de la maquette et dudécoupage de la matière, remarquons l'abondance des illustrations, générale¬ment en couleur et l'aspect « magazine » de la mise en page. Pour notre propos,cela signifie que l'on ne rencontre guère de textes longs.

La présentation des chapitres et le texte des auteurs des manuels s'organi¬sent selon une structure hiérarchique qui demande un moment d'attention. Cetexte est censé présenter un « état du savoir » tel que celui-ci est estimé perti¬nent pour les élèves de cet âge. Sa construction est une indication forte du typede mise en forme du savoir historique et géographique que les habitudes disci¬plinaires ont établi. Certes, cette structure est imposée par les contraintes édito-

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que la ville où elle se trouve existait aux Xlle-Xllle siècles, mais n'appelle pas ensoi une narration. Dans le second cas, la dimension narrative tend à être plusexplicite et associée à l'idée d'une genèse du paysage ; les différents quartiersd'une ville sont les témoins d'une histoire dont la connaissance explique lesaspects variés de ces quartiers.

En éducation civique nous observons des hésitations semblables. Les insti¬tutions politiques sont rarement présentées sans que leur genèse ne soit évo¬quée, mais celle-ci, sauf à être liée à la leçon d'histoire, n'est pas l'objectifd'apprentissage privilégié. En revanche, l'importance croissante des études decas (9) dans la perspective d'une initiation au droit introduit, au niveau des col¬lèges, de nombreuses situations où le travail sur un récit est présent. Le récitremplit alors une autre fonction que celles qui lui sont dévolues dans les deuxautres disciplines. II introduit un travail sur l'argumentation ; le cas raconte unehistoire singulière dans laquelle il y a un problème à résoudre, un conflit àdénouer, une décision à prendre. Lorsque les élèves prennent connaissance del'histoire de Vanessa, jeune fille embauchée sans contrat pendant l'été et qui,victime d'un accident du travail, se trouve en conflit avec son employeur, le récitqui est fait ne se clôt pas sur le retour de la jeune fille chez ses parents ; dansune perspective d'éducation civique et d'initiation juridique, le conflit rebonditvers une institution, en l'occurrence les Prud'hommes, et le texte de l'histoiredevient un répertoire d'arguments qu'il faut identifier et énoncer pour rendre unjugement possible, autrement dit une décision et une action qui débordent l'his¬toire elle-même ou apportent le dénouement de son intrigue.

2.2. Du côté des manuels et des moyens d'enseignement

Avec ce second volet, nous restons dans l'enseignement primaire et limi¬tons l'examen à deux manuels utilisés en France. Récit et narration sont pré¬sents à toutes les pages. Nous nous intéressons d'une part aux présentations etmises en scène graphiques et intellectuelles de cette dimension narrative,d'autre part aux consignes de travail proposées ; celles-ci permettent de ques¬tionner un mode de relation à cette dimension tel qu'il est proposé aux élèves.

Les deux manuels étudiés sont ceux édités pour le cycle 3, CM2, par leséditions Hatier en 1998, et pour le cycle 3, niveau 2, par les éditions Hachette en1996. Celui d'Hatier traite de l'histoire et de la géographie, celui d'Hachette de laseule histoire. Ils correspondent donc aux derniers programmes publiés en1995. Laissant de côté une présentation approfondie de la maquette et dudécoupage de la matière, remarquons l'abondance des illustrations, générale¬ment en couleur et l'aspect « magazine » de la mise en page. Pour notre propos,cela signifie que l'on ne rencontre guère de textes longs.

La présentation des chapitres et le texte des auteurs des manuels s'organi¬sent selon une structure hiérarchique qui demande un moment d'attention. Cetexte est censé présenter un « état du savoir » tel que celui-ci est estimé perti¬nent pour les élèves de cet âge. Sa construction est une indication forte du typede mise en forme du savoir historique et géographique que les habitudes disci¬plinaires ont établi. Certes, cette structure est imposée par les contraintes édito-

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Histoire, géographie, éducation civique..

riales, mais elle présente les textes d'histoire et de géographie comme unensemble de textes et de contenus emboités. les uns dans les autres. Soit unexemple extrait du manuel Hatier, chapitre 3 titré « D'un régime à l'autre, 1815-1870 », titre suivi d'une courte mise en perspective de la période comme« période de bouleversements, aussi bien dans le domaine politique que dans ledomaine économique » ; le reste de la page est occupé par une illustration.L'idée générale est annoncée ; admettons qu'elle a pour fonction de donner aulecteur une clé de lecture de ce qui suit. Ce n'est pas un récit au sens plein duterme, mais ce titre indique les domaines de la vie qui vont changer ; « boulever¬sement », voilà bien de quoi constituer une intrigue. La référence aux « acquisde la Révolution » semble donner un sens, celui des progrès qui, malgrél'Empire et la Restauration, poussent l'histoire, le devenir humain, dans une cer¬taine direction puisque « les Français sont profondément attachés à ses prin¬cipes ». Au sein des limites chronologiques annoncées, les doubles pagesobéissent à une autre logique, une logique thématique : la politique « Vers ladémocratie » (deux doubles pages), puis « La révolution industrielle », « Lasociété française au XIXe siècle » et « Paris sous le second Empire », chacunpour une double page. Si les deux premiers titres indiquent un changement, unmouvement dans l'histoire, les deux derniers sont plutôt du type tableau. Letexte qui figure sous l'annonce « Vers la démocratie » est divisé en trois partiesselon une suite rigoureusement chronologique : la monarchie, la IIe république, leSecond Empire, avec les dates correspondantes. Chaque partie est construiteavec des paragraphes qui respectent scrupuleusement cet ordre du temps dontnous avons dit la force. Le « grand récit », titre du chapitre, contient un plus petitrécit qui, dans le domaine politique, lui donne sens, lui même construit pard'autres plus petits récits qui, correspondant chacun à un moment de l'histoirepolitique de la France, peuvent être lus de manière autonome les uns des autres.Ce n'est pas une succession causale même si certains événements plus limitéssont, eux, placés de façon à suggérer une telle relation ; par exemple : « A samort, son frère Charles X, très conservateur, lui succéda. II renforça le pouvoirroyal, ce qui le rendit impopulaire. En 1830, la population parisienne se révoltaet, à l'issue de trois jours de combat (les Trois Glorieuses), obligea Charles X àabdiquer ». Cela s'exprime par un schéma linéaire : conservatisme -> renforce¬ment du pouvoir royal » impopularité révolution, sous réserve que le lecteurconserve à l'esprit l'idée exprimée dans la page titre du chapitre, l'attachementdes Français (de tous les Français ?) aux principes de la révolution, celle de1789, probablement pas de 1793 mais ceci est une autre affaire (10)... Cesemboitements de sens et ces nécessaires aller-retour dans le temps pour qu'il yait compréhension, viennent singulièrement complexifier ce qui se donnecomme un récit continu. Puis l'on passe à un autre roi et à une autre séquence.

Lorsque nous sommes dans une structure de tableau, par exemple ladouble page sur « La société française au XIXe siècle », une autre structure detexte l'emporte. La société est divisée en trois groupes : La société rurale, Lesouvriers, La bourgeoisie. Chaque groupe a droit à un paragraphe autonome ; ilsne sont pas reliés entre eux. Puis, dans chaque paragraphe, on retrouve uneconstruction en récit, qui semble hésiter entre des généralités considéréescomme valides sur l'ensemble de la période et des formules indiquant un chan¬gement ; par exemple : « La grande bourgeoisie d'affaires, constituée des

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riales, mais elle présente les textes d'histoire et de géographie comme unensemble de textes et de contenus emboités. les uns dans les autres. Soit unexemple extrait du manuel Hatier, chapitre 3 titré « D'un régime à l'autre, 1815-1870 », titre suivi d'une courte mise en perspective de la période comme« période de bouleversements, aussi bien dans le domaine politique que dans ledomaine économique » ; le reste de la page est occupé par une illustration.L'idée générale est annoncée ; admettons qu'elle a pour fonction de donner aulecteur une clé de lecture de ce qui suit. Ce n'est pas un récit au sens plein duterme, mais ce titre indique les domaines de la vie qui vont changer ; « boulever¬sement », voilà bien de quoi constituer une intrigue. La référence aux « acquisde la Révolution » semble donner un sens, celui des progrès qui, malgrél'Empire et la Restauration, poussent l'histoire, le devenir humain, dans une cer¬taine direction puisque « les Français sont profondément attachés à ses prin¬cipes ». Au sein des limites chronologiques annoncées, les doubles pagesobéissent à une autre logique, une logique thématique : la politique « Vers ladémocratie » (deux doubles pages), puis « La révolution industrielle », « Lasociété française au XIXe siècle » et « Paris sous le second Empire », chacunpour une double page. Si les deux premiers titres indiquent un changement, unmouvement dans l'histoire, les deux derniers sont plutôt du type tableau. Letexte qui figure sous l'annonce « Vers la démocratie » est divisé en trois partiesselon une suite rigoureusement chronologique : la monarchie, la IIe république, leSecond Empire, avec les dates correspondantes. Chaque partie est construiteavec des paragraphes qui respectent scrupuleusement cet ordre du temps dontnous avons dit la force. Le « grand récit », titre du chapitre, contient un plus petitrécit qui, dans le domaine politique, lui donne sens, lui même construit pard'autres plus petits récits qui, correspondant chacun à un moment de l'histoirepolitique de la France, peuvent être lus de manière autonome les uns des autres.Ce n'est pas une succession causale même si certains événements plus limitéssont, eux, placés de façon à suggérer une telle relation ; par exemple : « A samort, son frère Charles X, très conservateur, lui succéda. II renforça le pouvoirroyal, ce qui le rendit impopulaire. En 1830, la population parisienne se révoltaet, à l'issue de trois jours de combat (les Trois Glorieuses), obligea Charles X àabdiquer ». Cela s'exprime par un schéma linéaire : conservatisme -> renforce¬ment du pouvoir royal » impopularité révolution, sous réserve que le lecteurconserve à l'esprit l'idée exprimée dans la page titre du chapitre, l'attachementdes Français (de tous les Français ?) aux principes de la révolution, celle de1789, probablement pas de 1793 mais ceci est une autre affaire (10)... Cesemboitements de sens et ces nécessaires aller-retour dans le temps pour qu'il yait compréhension, viennent singulièrement complexifier ce qui se donnecomme un récit continu. Puis l'on passe à un autre roi et à une autre séquence.

Lorsque nous sommes dans une structure de tableau, par exemple ladouble page sur « La société française au XIXe siècle », une autre structure detexte l'emporte. La société est divisée en trois groupes : La société rurale, Lesouvriers, La bourgeoisie. Chaque groupe a droit à un paragraphe autonome ; ilsne sont pas reliés entre eux. Puis, dans chaque paragraphe, on retrouve uneconstruction en récit, qui semble hésiter entre des généralités considéréescomme valides sur l'ensemble de la période et des formules indiquant un chan¬gement ; par exemple : « La grande bourgeoisie d'affaires, constituée des

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REPÈRES N° 21/2000 F. AUDIGIER

familles de banquiers, d'industriels et d'hommes d'affaires, menait une exis¬tence luxueuse » ne nous indique rien sur l'évolution de cette classe sociale etlaisse supposer une continuité de son mode de vie entre 1 81 5 et 1 870, tandisque l'énoncé « Favorisé par le développement des transports, l'exode rural necessa de progresser au XIXe siècle » indique un changement pour le monde dela campagne.

Une telle construction du texte se retrouve dans les chapitres consacrés àla géographie, mais la place du temps y est plus discrète bien que permanente.Une différence essentielle vient de la discontinuité constante dans laquelle sontconvoqués les éléments relatifs au passé et présentés sous une forme narrative.Les exemples abondent ; ainsi, le Chapitre « Europe », comporte une doublepage numérotée « 6 Le réseau de transports » ; le texte des auteurs est divisé entrois parties ; la première intitulée « Les grands axes régionaux » invite le passépour dire un changement de la façon suivante : « Depuis l'Antiquité, les hommesont utilisé les axes naturels : ....De nos jours, les autoroutes et les voies ferréesempruntent toujours ces axes ». Diachronie et synchronie se mêlent ici et tradui¬sent les deux types d'explications les plus fréquentes en géographie : pourquoile monde est ce qu'il est ? pourquoi les espaces sont organisés de telle ou tellemanière ? D'une part en raison de conditions « naturelles », d'autre part en rai¬

son des changements apportés par l'histoire. Ici, les données naturelles se pré¬sentent comme des contraintes et des atouts permanents que les sociétéshumaines utilisent selon leurs possibilités techniques, leurs besoins, etc. Autreexemple qui concerne les villes en Europe : « Trois Européens sur quatre habi¬tent dans des villes. En effet, il y a un siècle, l'exode rural était très important.Les vieilles villes d'Europe ont alors beaucoup grossi ». Le constat est suivid'une explication d'ordre historique qui renvoie à un fait d'histoire et introduitpar là même une dimension narrative. Mais ici l'exode rural semble être un phé¬nomène qui a plus de cent ans et qui se serait arrêté depuis !

Le second regard sur ces manuels porte sur les orientations de travail pro¬posées aux élèves. Même si un « texte du savoir » existe avec les caractèresque nous avons relevés, la plus grande partie du livre est occupée par les« documents » et autres compléments, tous auxiliaires de ce texte du savoir,presque tous accompagnés de questions pour les élèves. Quels mots sontemployés et quelles consignes sont formulées pour conduire leur travail, leursactivités, les tâches qu'ils ont à accomplir, etc. ? La moisson est abondante :

questions qui renvoient à un seul document, « Combien... ? Comment... ?

Quels sont... ? Qui sont... ? Observe... ? A quoi vois-tu... ?... » ; questions quiappellent le secours d'un autre document, « Situe... ? De quand date... ?Compare... ?... » ; questions qui demandent un peu plus de mobilisation intel¬lectuelle, « Pourquoi... ? Explique... ?... » Pour l'essentiel les activités propo¬sées sont des activités de prises d'informations, d'identifications, dereproduction (11). Nulle référence à l'idée de raconter ou de construire un récit,voire un texte un peu plus complexe ; les réponses attendues sont, pour la plu¬

part, supposées courtes.

Le manuel Hachette comporte également quelques doubles pages à orien¬tation méthodologique. L'une d'entre elles a pour titre : « Écrire un texte histo-

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familles de banquiers, d'industriels et d'hommes d'affaires, menait une exis¬tence luxueuse » ne nous indique rien sur l'évolution de cette classe sociale etlaisse supposer une continuité de son mode de vie entre 1 81 5 et 1 870, tandisque l'énoncé « Favorisé par le développement des transports, l'exode rural necessa de progresser au XIXe siècle » indique un changement pour le monde dela campagne.

Une telle construction du texte se retrouve dans les chapitres consacrés àla géographie, mais la place du temps y est plus discrète bien que permanente.Une différence essentielle vient de la discontinuité constante dans laquelle sontconvoqués les éléments relatifs au passé et présentés sous une forme narrative.Les exemples abondent ; ainsi, le Chapitre « Europe », comporte une doublepage numérotée « 6 Le réseau de transports » ; le texte des auteurs est divisé entrois parties ; la première intitulée « Les grands axes régionaux » invite le passépour dire un changement de la façon suivante : « Depuis l'Antiquité, les hommesont utilisé les axes naturels : ....De nos jours, les autoroutes et les voies ferréesempruntent toujours ces axes ». Diachronie et synchronie se mêlent ici et tradui¬sent les deux types d'explications les plus fréquentes en géographie : pourquoile monde est ce qu'il est ? pourquoi les espaces sont organisés de telle ou tellemanière ? D'une part en raison de conditions « naturelles », d'autre part en rai¬

son des changements apportés par l'histoire. Ici, les données naturelles se pré¬sentent comme des contraintes et des atouts permanents que les sociétéshumaines utilisent selon leurs possibilités techniques, leurs besoins, etc. Autreexemple qui concerne les villes en Europe : « Trois Européens sur quatre habi¬tent dans des villes. En effet, il y a un siècle, l'exode rural était très important.Les vieilles villes d'Europe ont alors beaucoup grossi ». Le constat est suivid'une explication d'ordre historique qui renvoie à un fait d'histoire et introduitpar là même une dimension narrative. Mais ici l'exode rural semble être un phé¬nomène qui a plus de cent ans et qui se serait arrêté depuis !

Le second regard sur ces manuels porte sur les orientations de travail pro¬posées aux élèves. Même si un « texte du savoir » existe avec les caractèresque nous avons relevés, la plus grande partie du livre est occupée par les« documents » et autres compléments, tous auxiliaires de ce texte du savoir,presque tous accompagnés de questions pour les élèves. Quels mots sontemployés et quelles consignes sont formulées pour conduire leur travail, leursactivités, les tâches qu'ils ont à accomplir, etc. ? La moisson est abondante :

questions qui renvoient à un seul document, « Combien... ? Comment... ?

Quels sont... ? Qui sont... ? Observe... ? A quoi vois-tu... ?... » ; questions quiappellent le secours d'un autre document, « Situe... ? De quand date... ?Compare... ?... » ; questions qui demandent un peu plus de mobilisation intel¬lectuelle, « Pourquoi... ? Explique... ?... » Pour l'essentiel les activités propo¬sées sont des activités de prises d'informations, d'identifications, dereproduction (11). Nulle référence à l'idée de raconter ou de construire un récit,voire un texte un peu plus complexe ; les réponses attendues sont, pour la plu¬

part, supposées courtes.

Le manuel Hachette comporte également quelques doubles pages à orien¬tation méthodologique. L'une d'entre elles a pour titre : « Écrire un texte histo-

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Histoire, géographie, éducation civique...

rique ». Elle comporte trois « documents » au sens strict du terme, trois imagesdatant de 1816, 1 848 et 1 945, et en complément, des informations, une frisechronologique et une batterie de questions portant sur chaque document.L'écriture du texte historique est conduite comme la réunion, sur un objetdonné, de documents divers qui apportent des informations qu'il convient de« classer dans l'ordre chronologique » avant d'« écrire pour chacun d'eux l'infor¬mation recueillie », ensemble d'actes qui précèdent l'écriture du texte lui-même :

« organiser toutes ces informations dans un texte ». Notre observation devientquelque peu monotone : nulle référence à une quelconque idée de récit ou denarration. Plus encore, l'écriture d'un texte d'histoire est réduite à la formulationd'une succession d'informations sur un objet ; l'exemple étudié ici gomme lesacteurs, les contextes, les tensions. Les trois documents choisis invitent à écrirecette histoire en trois moments : suffrage censitaire, suffrage universel masculin,suffrage universel ; le sens de l'histoire est marqué par trois périodes elles-mêmes inaugurées par trois dates, ce que confirme une petite frise chronolo¬gique. Les consignes de lecture pour chaque document sont de même natureque toutes celles observées dans le corps de l'ouvrage : il s'agit de s'assurerque l'élève est capable d'imaginer un minimum la réalité à laquelle se réfèrel'image, le monde qu'elle « re-présente ». La construction du texte d'histoire estsoumise à cette capacité ; plus encore il apparait comme une suite évidente,normale, qui n'appelle aucune position intellectuelle différente, aucune problé¬matisation ou thèse à défendre ; sans doute ces derniers termes sont-ils jugéstrop difficiles pour de jeunes élèves, mais l'absence de ce qu'ils impliquent,même pour des élèves de 10-11 ans, réduit l'écriture de l'histoire à la mise parécrit d'une suite chronologique d'énoncés. II y a bien succession, unité théma¬tique, transformation d'une situation, mais les acteurs et les actions sont dis¬sous et la causalité narrative totalement absente au profit d'une vague visiontéléologique puisque personne ne saurait contester que le suffrage universel estun progrès démocratique par rapport au suffrage censitaire.

Une brève analyse d'une autre double page « étudier un événement histo¬rique » confirme ces absences et cette mise en scène pédagogique. Étudier unévénement, c'est « situer l'événement dans l'espace », « ordonner les faits dansle temps », « trouver des causes et des conséquences à l'événement ». II est vraique cette double page n'invite pas à une écriture, mais nous y trouvons cetteposition implicite permanente qui consiste à réduire la construction du texte del'histoire à une lecture méthodique et chronologiquement ordonnée de « docu¬ments ». L'examen fragmenté de ces derniers qui informent et l'écriture seconfondent ; celle-ci n'est pas un acte singulier dont il conviendrait de travaillerles caractères. Au-delà de ce contre-sens sur l'acte même d'écrire, une telleactivité ne peut que renforcer une représentation courante de l'histoire chez lesélèves dont le schéma principal est celui-ci : des témoins ont vu et éventuelle¬ment participé à des événements, ils ont consigné ces observations ou cesexpériences dans des textes écrits, des livres, puis les historiens arrivent, effec¬tuent éventuellement un travail critique pour s'assurer que ces textes sontauthentiques et cousent ensemble ces différents textes. C'est une opération peudifférente qui est ici proposée aux élèves.

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rique ». Elle comporte trois « documents » au sens strict du terme, trois imagesdatant de 1816, 1 848 et 1 945, et en complément, des informations, une frisechronologique et une batterie de questions portant sur chaque document.L'écriture du texte historique est conduite comme la réunion, sur un objetdonné, de documents divers qui apportent des informations qu'il convient de« classer dans l'ordre chronologique » avant d'« écrire pour chacun d'eux l'infor¬mation recueillie », ensemble d'actes qui précèdent l'écriture du texte lui-même :

« organiser toutes ces informations dans un texte ». Notre observation devientquelque peu monotone : nulle référence à une quelconque idée de récit ou denarration. Plus encore, l'écriture d'un texte d'histoire est réduite à la formulationd'une succession d'informations sur un objet ; l'exemple étudié ici gomme lesacteurs, les contextes, les tensions. Les trois documents choisis invitent à écrirecette histoire en trois moments : suffrage censitaire, suffrage universel masculin,suffrage universel ; le sens de l'histoire est marqué par trois périodes elles-mêmes inaugurées par trois dates, ce que confirme une petite frise chronolo¬gique. Les consignes de lecture pour chaque document sont de même natureque toutes celles observées dans le corps de l'ouvrage : il s'agit de s'assurerque l'élève est capable d'imaginer un minimum la réalité à laquelle se réfèrel'image, le monde qu'elle « re-présente ». La construction du texte d'histoire estsoumise à cette capacité ; plus encore il apparait comme une suite évidente,normale, qui n'appelle aucune position intellectuelle différente, aucune problé¬matisation ou thèse à défendre ; sans doute ces derniers termes sont-ils jugéstrop difficiles pour de jeunes élèves, mais l'absence de ce qu'ils impliquent,même pour des élèves de 10-11 ans, réduit l'écriture de l'histoire à la mise parécrit d'une suite chronologique d'énoncés. II y a bien succession, unité théma¬tique, transformation d'une situation, mais les acteurs et les actions sont dis¬sous et la causalité narrative totalement absente au profit d'une vague visiontéléologique puisque personne ne saurait contester que le suffrage universel estun progrès démocratique par rapport au suffrage censitaire.

Une brève analyse d'une autre double page « étudier un événement histo¬rique » confirme ces absences et cette mise en scène pédagogique. Étudier unévénement, c'est « situer l'événement dans l'espace », « ordonner les faits dansle temps », « trouver des causes et des conséquences à l'événement ». II est vraique cette double page n'invite pas à une écriture, mais nous y trouvons cetteposition implicite permanente qui consiste à réduire la construction du texte del'histoire à une lecture méthodique et chronologiquement ordonnée de « docu¬ments ». L'examen fragmenté de ces derniers qui informent et l'écriture seconfondent ; celle-ci n'est pas un acte singulier dont il conviendrait de travaillerles caractères. Au-delà de ce contre-sens sur l'acte même d'écrire, une telleactivité ne peut que renforcer une représentation courante de l'histoire chez lesélèves dont le schéma principal est celui-ci : des témoins ont vu et éventuelle¬ment participé à des événements, ils ont consigné ces observations ou cesexpériences dans des textes écrits, des livres, puis les historiens arrivent, effec¬tuent éventuellement un travail critique pour s'assurer que ces textes sontauthentiques et cousent ensemble ces différents textes. C'est une opération peudifférente qui est ici proposée aux élèves.

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REPÈRES N° 21/2000 F. AUDIGIER

Ce que nous n'avons pas rencontré dans les manuels d'histoire n'existe afortiori pas dans ceux de géographie. La priorité est attribuée à des activités dedescription, de mise en correspondance d'images et de cartes par exemple. LaFrance, l'Europe et le monde sont étudiés dans leur état actuel. Ici ou là, unephrase ou un paragraphe rappellent quelques brefs éléments d'histoire commepour la construction européenne, la croissance des villes ou l'étude de la pyra¬mide des âges. Cela n'empêche pas les textes des auteurs des manuels d'êtrehabités de références au passé qui inviteraient à dire une histoire ou des actionshumaines qui ont elles aussi un caractère narratif. Nulle perspective temporelled'ensemble ne vient troubler cette mise en tableau. La discontinuité précédem¬ment notée interdit à ces éléments et à ces références de s'inscrire dans unetelle perspective.

Dans les deux disciplines, nous avons alors une tension entre le sens de cequi est étudié, sens qui ne peut être que général, et le travail de lecture etd'étude qui est proposé, travail qui fragmente à l'extrême les textes d'histoire etde géographie, les réduisant de fait à une suite d'informations mises bout àbout. Les titres généraux des chapitres, ceux des pages et des paragraphes,énoncent ce sens général, celui au sein duquel les informations précises, cellesque comportent les documents selon une lecture très inductive, doivent se ran¬ger. Les consignes, qui privilégient une lecture décomposée et invitent très peuà se référer à d'autres textes, notamment au texte des auteurs, accentuent cecôté fragmentaire. Nous retrouvons un tel schéma dans ce que nous pouvonsconnaître des pratiques d'enseignement, notamment à l'école primaire.

2.3. Du côté des textes officiels

La troisième étape de ce parcours conduit vers les textes officiels de l'écoleélémentaire. Ces textes fixent les contenus d'enseignement, balisent lesméthodes pertinentes et impertinentes, définissent le cadre d'actions des ensei¬gnants, c'est-à-dire aussi bien les exigences qu'ils doivent respecter que leslibertés qui leur sont laissées. Notre seconde hypothèse affirmait que, depuisplus d'un siècle et quel que soit l'ordre d'enseignement, l'histoire et la géogra¬phie sont écartelées entre deux exigences théoriquement complémentaires etsouvent contradictoires dans la pratique : l'apprentissage et la mémorisationd'un ensemble de connaissances d'un côté, la formation intellectuelle et critiquede l'autre. Dans cette perspective, il fut régulièrement recommandé aux ensei¬gnants du primaire de tenir l'équilibre entre ces deux exigences, plus encore demettre la première au service de la seconde. Apprendre et mémoriser ne sontque des moyens au service d'une cause autrement plus noble, développer l'in¬telligence, former à la raison. La difficulté était évidemment que le moyen nedevînt pas la fin ! Des années 1880 aux années 1950, les textes officiels usèrent,pour qualifier l'enseignement, de termes tels que « pratique » et « intuitif », etqualifièrent les méthodes pédagogiques recommandées d'« intuitive » etd'« inductive »... Comme diverses études l'ont déjà remarqué, l'importance desméthodes dites actives fut constamment rappelée. Pour nos disciplines, celadonna des insistances sur le local, sur tout ce qui pouvait être apporté en classecomme témoin du monde étudié, qu'il soit passé ou actuel, proche ou lointain.Mais ces approches ne devaient pas se faire au détriment d'apprentissages plus

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Ce que nous n'avons pas rencontré dans les manuels d'histoire n'existe afortiori pas dans ceux de géographie. La priorité est attribuée à des activités dedescription, de mise en correspondance d'images et de cartes par exemple. LaFrance, l'Europe et le monde sont étudiés dans leur état actuel. Ici ou là, unephrase ou un paragraphe rappellent quelques brefs éléments d'histoire commepour la construction européenne, la croissance des villes ou l'étude de la pyra¬mide des âges. Cela n'empêche pas les textes des auteurs des manuels d'êtrehabités de références au passé qui inviteraient à dire une histoire ou des actionshumaines qui ont elles aussi un caractère narratif. Nulle perspective temporelled'ensemble ne vient troubler cette mise en tableau. La discontinuité précédem¬ment notée interdit à ces éléments et à ces références de s'inscrire dans unetelle perspective.

Dans les deux disciplines, nous avons alors une tension entre le sens de cequi est étudié, sens qui ne peut être que général, et le travail de lecture etd'étude qui est proposé, travail qui fragmente à l'extrême les textes d'histoire etde géographie, les réduisant de fait à une suite d'informations mises bout àbout. Les titres généraux des chapitres, ceux des pages et des paragraphes,énoncent ce sens général, celui au sein duquel les informations précises, cellesque comportent les documents selon une lecture très inductive, doivent se ran¬ger. Les consignes, qui privilégient une lecture décomposée et invitent très peuà se référer à d'autres textes, notamment au texte des auteurs, accentuent cecôté fragmentaire. Nous retrouvons un tel schéma dans ce que nous pouvonsconnaître des pratiques d'enseignement, notamment à l'école primaire.

2.3. Du côté des textes officiels

La troisième étape de ce parcours conduit vers les textes officiels de l'écoleélémentaire. Ces textes fixent les contenus d'enseignement, balisent lesméthodes pertinentes et impertinentes, définissent le cadre d'actions des ensei¬gnants, c'est-à-dire aussi bien les exigences qu'ils doivent respecter que leslibertés qui leur sont laissées. Notre seconde hypothèse affirmait que, depuisplus d'un siècle et quel que soit l'ordre d'enseignement, l'histoire et la géogra¬phie sont écartelées entre deux exigences théoriquement complémentaires etsouvent contradictoires dans la pratique : l'apprentissage et la mémorisationd'un ensemble de connaissances d'un côté, la formation intellectuelle et critiquede l'autre. Dans cette perspective, il fut régulièrement recommandé aux ensei¬gnants du primaire de tenir l'équilibre entre ces deux exigences, plus encore demettre la première au service de la seconde. Apprendre et mémoriser ne sontque des moyens au service d'une cause autrement plus noble, développer l'in¬telligence, former à la raison. La difficulté était évidemment que le moyen nedevînt pas la fin ! Des années 1880 aux années 1950, les textes officiels usèrent,pour qualifier l'enseignement, de termes tels que « pratique » et « intuitif », etqualifièrent les méthodes pédagogiques recommandées d'« intuitive » etd'« inductive »... Comme diverses études l'ont déjà remarqué, l'importance desméthodes dites actives fut constamment rappelée. Pour nos disciplines, celadonna des insistances sur le local, sur tout ce qui pouvait être apporté en classecomme témoin du monde étudié, qu'il soit passé ou actuel, proche ou lointain.Mais ces approches ne devaient pas se faire au détriment d'apprentissages plus

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Histoire, géographie, éducation civique...

systématiques, perspective dans laquelle un minimum de faits, de dates, devocabulaire et de nomenclature devait être acquis. Dans ce cadre, la référenceau récit n'était pas absente ; mais c'était surtout, voire uniquement, pour dési¬gner le récit du maitre ou celui du manuel.

Pourtant, ce récit en tant que tel est insuffisant (12), il ne saurait être à luiseul la leçon d'histoire. L'histoire est une matière qui s'explique car elleexplique ; sa légitimité scientifique fonde sa légitimité civique et politique. Ce quiest important est la compréhension et non un apprentissage qui relèverait dupsittacisme. Aussi le maitre doit constamment s'assurer que ses élèves ontcompris, c'est-à-dire qu'ils sont eux-mêmes capables de reprendre les explica¬tions du maitre ou du manuel. Le soupçon que les historiens ont fait pesé sur lerécit est ici bien anticipé.

En géographie, le primat de l'observation, des choses vues et observées,des méthodes inductives, tout cela constituait un ensemble assez facilement« scolarisable », c'est-à-dire propice à renforcer des pratiques scolaires plusanciennes, à en légitimer une partie et à les faire évoluer. Mais, les conditionsmême de la scolarisation ont évacué ce qui relevait de l'enquête, du questionne¬ment, de la construction des catégories descriptives, de l'écriture complexe decette géographie, au profit d'une présentation de résultats, d'un parcours systé¬matique de régions ou d'espaces prédécoupés selon le plan à tiroirs maintesfois répété (1 3). II resterait pour nous à analyser la part importante de narrationdans ces procédures descriptives ; nous y avons fait quelques allusions. Plusprofondément, certains auteurs vont jusqu'à considérer que ces descriptionss'apparentent à une narration des territoires. Le paysage est ainsi raconté, nonpas son histoire, mais il est mis en histoire ; l'intrigue est celle de sa productionactuelle par les hommes et les sociétés.

L'ordre du temps qui est intrinsèque à l'histoire et à son enseignement nes'impose pas de la même manière aux deux autres disciplines plus centrées surle temps présent. Cela leur confère un caractère encore plus composite. Mêmesi la géographie et l'éducation civique incluent de nombreux moments où la nar¬ration est présente sous diverses formes, celle-ci est liée en priorité à la descrip¬tion pour la première et à l'argumentation pour la seconde. Dans les troisdisciplines, l'explication demeure la dimension essentielle du texte du savoir.Expliquer et comprendre, expliquer pour comprendre, comprendre en expli¬quant... Étudiant les sociétés présentes et passées, qui plus est, - cela estconstamment rappelé comme un autre horizon de légitimation -, dans leur com¬plexité, les trois disciplines multiplient les types d'acteurs et les actions, les per¬sonnages et les quasi-personnages, emboitent les temporalités et les échelles,diluant les idées de progression ou de dynamisme communicatif (Adam 1 985)dans une pensée cumulative qu'accentue le découpage scolaire du temps et dusavoir.

3. CONCLUSION

Partant d'une interrogation sur les modes de présence de la narration et durécit dans l'enseignement de l'histoire, de la géographie, de l'éducation civique,

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Histoire, géographie, éducation civique...

systématiques, perspective dans laquelle un minimum de faits, de dates, devocabulaire et de nomenclature devait être acquis. Dans ce cadre, la référenceau récit n'était pas absente ; mais c'était surtout, voire uniquement, pour dési¬gner le récit du maitre ou celui du manuel.

Pourtant, ce récit en tant que tel est insuffisant (12), il ne saurait être à luiseul la leçon d'histoire. L'histoire est une matière qui s'explique car elleexplique ; sa légitimité scientifique fonde sa légitimité civique et politique. Ce quiest important est la compréhension et non un apprentissage qui relèverait dupsittacisme. Aussi le maitre doit constamment s'assurer que ses élèves ontcompris, c'est-à-dire qu'ils sont eux-mêmes capables de reprendre les explica¬tions du maitre ou du manuel. Le soupçon que les historiens ont fait pesé sur lerécit est ici bien anticipé.

En géographie, le primat de l'observation, des choses vues et observées,des méthodes inductives, tout cela constituait un ensemble assez facilement« scolarisable », c'est-à-dire propice à renforcer des pratiques scolaires plusanciennes, à en légitimer une partie et à les faire évoluer. Mais, les conditionsmême de la scolarisation ont évacué ce qui relevait de l'enquête, du questionne¬ment, de la construction des catégories descriptives, de l'écriture complexe decette géographie, au profit d'une présentation de résultats, d'un parcours systé¬matique de régions ou d'espaces prédécoupés selon le plan à tiroirs maintesfois répété (1 3). II resterait pour nous à analyser la part importante de narrationdans ces procédures descriptives ; nous y avons fait quelques allusions. Plusprofondément, certains auteurs vont jusqu'à considérer que ces descriptionss'apparentent à une narration des territoires. Le paysage est ainsi raconté, nonpas son histoire, mais il est mis en histoire ; l'intrigue est celle de sa productionactuelle par les hommes et les sociétés.

L'ordre du temps qui est intrinsèque à l'histoire et à son enseignement nes'impose pas de la même manière aux deux autres disciplines plus centrées surle temps présent. Cela leur confère un caractère encore plus composite. Mêmesi la géographie et l'éducation civique incluent de nombreux moments où la nar¬ration est présente sous diverses formes, celle-ci est liée en priorité à la descrip¬tion pour la première et à l'argumentation pour la seconde. Dans les troisdisciplines, l'explication demeure la dimension essentielle du texte du savoir.Expliquer et comprendre, expliquer pour comprendre, comprendre en expli¬quant... Étudiant les sociétés présentes et passées, qui plus est, - cela estconstamment rappelé comme un autre horizon de légitimation -, dans leur com¬plexité, les trois disciplines multiplient les types d'acteurs et les actions, les per¬sonnages et les quasi-personnages, emboitent les temporalités et les échelles,diluant les idées de progression ou de dynamisme communicatif (Adam 1 985)dans une pensée cumulative qu'accentue le découpage scolaire du temps et dusavoir.

3. CONCLUSION

Partant d'une interrogation sur les modes de présence de la narration et durécit dans l'enseignement de l'histoire, de la géographie, de l'éducation civique,

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REPÈRES N° 21/2000 F. AUDIGIER

nous les avons placés sous la double contrainte des finalités politiques etciviques et de l'importance des connaissances encyclopédiques. Cela nous aconduit à soumettre narration et récit, quelle qu'en soit la forme, à cette exi¬gence constamment affirmée dans ces disciplines : expliquer. Apprendre n'estpas seulement accumuler des informations, mais être capable de les mettredans la double perspective de l'explication et de la compréhension. Nous avonségalement interrogé les consignes et les modalités de travail et, par là, la ques¬tion de l'écriture. II est une manière assez simple d'entendre récit et narration,celle exprimée par l'enseignante citée en exergue, celle mise en cause dans lacitation de Le Goff : raconter des histoires comme nous les avons entenduesdans notre enfance. Le plaisir entre en conflit avec les exigences intellectuellesde l'explication et la réalité des sociétés pensées comme complexes. Cettemanière n'a rien d'indigne ; nombre de travaux insistent sur la puissance durécit, puissance pour construire des imaginaires, puissance pour fabriquer duréel et y faire croire (14), puissance pour construire et légitimer des identités col¬lectives, des combats... Dans cette perspective, étudier le récit dans l'enseigne¬ment de nos disciplines n'est pas seulement étudier un type de texte, une formetextuelle ; c'est surtout étudier un objet dont l'introduction dans l'enseignementavait pour finalité la construction d'une représentation partagée de la mémoire,du territoire et du pouvoir. Décrire, raconter, expliquer comment s'est constituéela collectivité nationale, comment elle a mis en valeur le territoire et commentelle a mis en place des institutions politiques démocratiques et républicaines,telles étaient, rapidement formulées, les finalités premières et fondamentales denos disciplines. II s'agissait d'inscrire le devenir de chacun dans un grand récitcollectif, une histoire dans laquelle il avait à prendre place.

En revanche, nous n'avons guère rencontré la narration comme intentionou projet de construction orale ou d'écriture. Surtout avec les plus jeunes, savoirsa leçon c'est être capable de répondre à quelques questions simples, de « réci¬ter », voire d'être capable d'expliquer pour montrer que l'on a compris.L'écriture, pas plus que l'oral envisagé comme une construction suffisammentlongue, ne sont vraiment pensés comme une activité heuristique ou ayant desqualités intrinsèques. Elle apparait comme la transcription de l'oral. Hormisquelques conseils de méthode et un rapport très simplifié à l'espace et autemps, les écrits en histoire, en géographie, en éducation civique ne sont guèresconçus dans leur spécificité ; seules les cartes en géographie échappent à cettedénégation. Des contenus et des méthodes, pas de formes d'expression, pasd'écriture des savoirs comme production et condition de leur intelligibilité,comme moyen, pour les élèves, d'entrer en histoire, en géographie, en éduca¬tion civique. Centré sur ce qui est le noyau dur de ces trois disciplines scolaires,cet article n'a pas traité de la fécondité d'orientations didactiques qui, bien quepeu répandues, inspirent d'intéressants travaux parfois présents dans lesclasses, par exemple : la mise en @uvre raisonnée de situations de fabricationsde textes, oraux ou écrits, textes ayant nécessairement un socle narratif. Detelles pratiques, dont le lien avec la didactique du français est évident, invitentles élèves à réaliser des tâches complexes ; elles sont des moyens privilégiésd'étude et de compréhension de ces trois disciplines, du monde dont elles par¬lent, de la prise en compte effective de leur finalité civique, culturelle et intellec¬tuelle. Elles sont aussi le levier d'une construction de l'esprit critique,

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nous les avons placés sous la double contrainte des finalités politiques etciviques et de l'importance des connaissances encyclopédiques. Cela nous aconduit à soumettre narration et récit, quelle qu'en soit la forme, à cette exi¬gence constamment affirmée dans ces disciplines : expliquer. Apprendre n'estpas seulement accumuler des informations, mais être capable de les mettredans la double perspective de l'explication et de la compréhension. Nous avonségalement interrogé les consignes et les modalités de travail et, par là, la ques¬tion de l'écriture. II est une manière assez simple d'entendre récit et narration,celle exprimée par l'enseignante citée en exergue, celle mise en cause dans lacitation de Le Goff : raconter des histoires comme nous les avons entenduesdans notre enfance. Le plaisir entre en conflit avec les exigences intellectuellesde l'explication et la réalité des sociétés pensées comme complexes. Cettemanière n'a rien d'indigne ; nombre de travaux insistent sur la puissance durécit, puissance pour construire des imaginaires, puissance pour fabriquer duréel et y faire croire (14), puissance pour construire et légitimer des identités col¬lectives, des combats... Dans cette perspective, étudier le récit dans l'enseigne¬ment de nos disciplines n'est pas seulement étudier un type de texte, une formetextuelle ; c'est surtout étudier un objet dont l'introduction dans l'enseignementavait pour finalité la construction d'une représentation partagée de la mémoire,du territoire et du pouvoir. Décrire, raconter, expliquer comment s'est constituéela collectivité nationale, comment elle a mis en valeur le territoire et commentelle a mis en place des institutions politiques démocratiques et républicaines,telles étaient, rapidement formulées, les finalités premières et fondamentales denos disciplines. II s'agissait d'inscrire le devenir de chacun dans un grand récitcollectif, une histoire dans laquelle il avait à prendre place.

En revanche, nous n'avons guère rencontré la narration comme intentionou projet de construction orale ou d'écriture. Surtout avec les plus jeunes, savoirsa leçon c'est être capable de répondre à quelques questions simples, de « réci¬ter », voire d'être capable d'expliquer pour montrer que l'on a compris.L'écriture, pas plus que l'oral envisagé comme une construction suffisammentlongue, ne sont vraiment pensés comme une activité heuristique ou ayant desqualités intrinsèques. Elle apparait comme la transcription de l'oral. Hormisquelques conseils de méthode et un rapport très simplifié à l'espace et autemps, les écrits en histoire, en géographie, en éducation civique ne sont guèresconçus dans leur spécificité ; seules les cartes en géographie échappent à cettedénégation. Des contenus et des méthodes, pas de formes d'expression, pasd'écriture des savoirs comme production et condition de leur intelligibilité,comme moyen, pour les élèves, d'entrer en histoire, en géographie, en éduca¬tion civique. Centré sur ce qui est le noyau dur de ces trois disciplines scolaires,cet article n'a pas traité de la fécondité d'orientations didactiques qui, bien quepeu répandues, inspirent d'intéressants travaux parfois présents dans lesclasses, par exemple : la mise en @uvre raisonnée de situations de fabricationsde textes, oraux ou écrits, textes ayant nécessairement un socle narratif. Detelles pratiques, dont le lien avec la didactique du français est évident, invitentles élèves à réaliser des tâches complexes ; elles sont des moyens privilégiésd'étude et de compréhension de ces trois disciplines, du monde dont elles par¬lent, de la prise en compte effective de leur finalité civique, culturelle et intellec¬tuelle. Elles sont aussi le levier d'une construction de l'esprit critique,

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Histoire, géographie, éducation civique...

notamment à partir de l'idée de point de vue. Enfin, élargissant notre propos etrevenant au conflit de finalités posé en introduction, une dernière interrogationsurgit : Qu'en est-il aujourd'hui, et qu'en sera-t-il demain, du grand récit collectifintrinsèquement lié à la culture scolaire, singulièrement à nos trois disciplines età leurs dimensions narratives, dans un monde où nos institutions et nos formespolitiques sont si fortement déstabilisées, où nos relations avec notre passé etnotre mémoire, où les manières de penser les territoires, se sont tant diversifiéeset modifiées ? La fonction culturelle des récits dans l'enseignement des troisdisciplines est en train de se modifier profondément ; les pratiques scolairessont appelées à suivre.

NOTES

(1) Nommé en novembre 1998 à l'Université de Genève et antérieurement chercheur àl'INRP, nous nous appuyons principalement sur des travaux concernant l'École fran¬çaise ; à notre connaissance et pour diverses raisons, il n'y a pas, en Suisse,d'études équivalentes à celles auxquelles nous nous référons et nous n'avons pasencore suffisamment d'expériences pour traiter de l'enseignement de nos disciplinesdans ce contexte ; dans la mesure du possible, nous utilisons quelques matériauxdisponibles dont la mise en perspective avec la situation française nous apparaitéclairante.

(2) Récit, narration, diversité narrative... nous ne consacrons pas de développement à ladiscussion de ces termes. Dans nos disciplines et dans les sciences homonymes ouinspiratrices, récit et narration sont très largement confondus. L'examen des verbespourraient nous livrer un écart : réciter n'est pas narrer. Quoi qu'il en soit, restantdans un sens commun qui n'apparait pas ici comme un obstacle, nous retenons,avec le Dictionnaire historique de la langue française (éd. Robert), d'une part que« Le déverbal RECIT n. m., d'abord resit (1498), puis récit (1531), désigne la narrationd'événements réels ou imaginaires, de vive voix ou par écrit », et enfin que« narration » « ... signifie « récit »,... ». Quant à la diversité narrative, qui est le thèmede ce numéro, nous l'approchons à partir d'un autre sens commun qui est celui denos coutumes disciplinaires, au sens de la diversité de récits proposés à l'étude, etsuggérons quelques extensions en relation avec les consignes de travail et les auxi¬liaires (cartes, textes complémentaires, images, etc.) proposés aux élèves.

(3) École avec une majuscule désigne l'institution scolaire dans son ensemble, écoleavec une minuscule, l'école primaire.

(4) Le terme de discipline est employé ici au sens de discipline scolaire ; pour désignerles références savantes et sans débattre ici du sens de ces dénominations, nousemployons le terme de science.

(5) Voir par exemple, Lepetit 1995 ou Bruner 1991 . Ce point de vue soutient l'ensemblede cet article, le lecteur ne s'étonnera donc pas de son rappel.

(6) Voir INRP 1998, chapitre 1 , dont nous reprenons ici quelques formules.

(7) Les cartes d'histoire, de par leur croisement espace-temps, mériteraient un dévelop¬pement particulier.

(8) Voir les travaux de Lautier 1 997 et l'enquête de Tutiaux-Guillon et Mousseau 1 998.

(9) Par exemple, Audigier et Lagelée 1 996.

(1 0) Une autre affaire, la dimension affective de ce qui est mémorisé, la capacité à s'iden¬tifier aux personnages ou quasi-personnages d'une histoire ; que faire avec les révo-

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notamment à partir de l'idée de point de vue. Enfin, élargissant notre propos etrevenant au conflit de finalités posé en introduction, une dernière interrogationsurgit : Qu'en est-il aujourd'hui, et qu'en sera-t-il demain, du grand récit collectifintrinsèquement lié à la culture scolaire, singulièrement à nos trois disciplines età leurs dimensions narratives, dans un monde où nos institutions et nos formespolitiques sont si fortement déstabilisées, où nos relations avec notre passé etnotre mémoire, où les manières de penser les territoires, se sont tant diversifiéeset modifiées ? La fonction culturelle des récits dans l'enseignement des troisdisciplines est en train de se modifier profondément ; les pratiques scolairessont appelées à suivre.

NOTES

(1) Nommé en novembre 1998 à l'Université de Genève et antérieurement chercheur àl'INRP, nous nous appuyons principalement sur des travaux concernant l'École fran¬çaise ; à notre connaissance et pour diverses raisons, il n'y a pas, en Suisse,d'études équivalentes à celles auxquelles nous nous référons et nous n'avons pasencore suffisamment d'expériences pour traiter de l'enseignement de nos disciplinesdans ce contexte ; dans la mesure du possible, nous utilisons quelques matériauxdisponibles dont la mise en perspective avec la situation française nous apparaitéclairante.

(2) Récit, narration, diversité narrative... nous ne consacrons pas de développement à ladiscussion de ces termes. Dans nos disciplines et dans les sciences homonymes ouinspiratrices, récit et narration sont très largement confondus. L'examen des verbespourraient nous livrer un écart : réciter n'est pas narrer. Quoi qu'il en soit, restantdans un sens commun qui n'apparait pas ici comme un obstacle, nous retenons,avec le Dictionnaire historique de la langue française (éd. Robert), d'une part que« Le déverbal RECIT n. m., d'abord resit (1498), puis récit (1531), désigne la narrationd'événements réels ou imaginaires, de vive voix ou par écrit », et enfin que« narration » « ... signifie « récit »,... ». Quant à la diversité narrative, qui est le thèmede ce numéro, nous l'approchons à partir d'un autre sens commun qui est celui denos coutumes disciplinaires, au sens de la diversité de récits proposés à l'étude, etsuggérons quelques extensions en relation avec les consignes de travail et les auxi¬liaires (cartes, textes complémentaires, images, etc.) proposés aux élèves.

(3) École avec une majuscule désigne l'institution scolaire dans son ensemble, écoleavec une minuscule, l'école primaire.

(4) Le terme de discipline est employé ici au sens de discipline scolaire ; pour désignerles références savantes et sans débattre ici du sens de ces dénominations, nousemployons le terme de science.

(5) Voir par exemple, Lepetit 1995 ou Bruner 1991 . Ce point de vue soutient l'ensemblede cet article, le lecteur ne s'étonnera donc pas de son rappel.

(6) Voir INRP 1998, chapitre 1 , dont nous reprenons ici quelques formules.

(7) Les cartes d'histoire, de par leur croisement espace-temps, mériteraient un dévelop¬pement particulier.

(8) Voir les travaux de Lautier 1 997 et l'enquête de Tutiaux-Guillon et Mousseau 1 998.

(9) Par exemple, Audigier et Lagelée 1 996.

(1 0) Une autre affaire, la dimension affective de ce qui est mémorisé, la capacité à s'iden¬tifier aux personnages ou quasi-personnages d'une histoire ; que faire avec les révo-

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REPÈRES N° 21/2000 F. AUDIGIER

lutionnaires pendant la Terreur ? Être « contre » eux, c'est se prononcer contre lesidéaux de la Révolution ; être « avec » eux, c'est passer pour cruel et partisan defonnes d'exercice du pouvoir qui sont condamnées aujourd'hui... Mieux vaut ne pastrop s'en souvenir et gommer cela de la mémoire comme le montrent quelquesenquêtes sur ce que des élèves ont retenu de la Révolution française.

(11) Pour quelques précisions sur ces catégories, voir la recherche CM2-6", INRP 1987,p. 20.

(12) Nous passons volontairement au présent pour marquer la permanence de cetteconception et reglissons vers un temps passé pour citer des textes plus anciens.

(1 3) Pour une histoire de la géographie dans l'enseignement secondaire, voir Lefort 1 992.

(1 4) Voir par exemple de Certeau 1 983.

BIBLIOGRAPHIE

ADAM, J.-M. (1985) : Le fexfe narratif. Paris, Nathan.

AUDIGIER, F. (1995) : Histoire et géographie : des savoirs scolaires en question ;

entre les définitions officielles et les constructions des élèves, Spirales, oct94-juin95, p. 61-89.

AUDIGIER, F. (1 997) : Histoire et géographie, un modèle disciplinaire pour pen¬ser l'identité professionnelle. Recherche et Formation. 25, pp. 9-21.135

AUDIGIER, F., LAGELE, G. (1996) : Education civique et initiation juridique. Paris,INRP.

BRUNER, J. (1990) : ...car la culture donne forme à l'esprit. Paris, esHel(trad.1991).

CERTEAU, M. de. (1975) : L'écriture de l'histoire. Paris, Gallimard.

CERTEAU, M. de. (1983) : L'histoire, science et fiction. La vérité, Le genrehumain 7-8, p. 147-169.

COMBETTES, B. (1 986) : Perspective fonctionnelle de la phrase et compréhen¬sion de textes : lectures de manuels scolaires. Enjeux, n° 9.

DENHIERE, G. (1990) : Compréhension de textes à visée épistémique. InRICHARD, J.-F, BONNET, C. et GHIGLIONE, R. Traité de psychologiecognitive 2. Paris, Dunod.

I.N.R.P. (1987c) : Les enseignements en Cm2 et en 6°, ruptures et continuités.Rapport de recherche n° 1 1 . Paris, INRP.

I.N.R.P. (1998) : Contributions à l'étude de la causalité et des productions desélèves. Paris, INRP.

LAUTIER, N. (1997) : A la rencontre de Thistoire. Lille, Presses Universitaires duSeptentrion.

LEFORT, I. (1992) : La lettre et l'esprit. Paris, Editions du CNRS.

LEPETIT, B. (dir.). (1995) : Les formes de l'expérience. Paris, Albin Michel.

PASSERON J.-C. (1991) : Le raisonnement sociologique, L'espace non-poppé-rien du raisonnement naturel. Paris, Nathan.

RICOEUR, P. (1983-1985) : Temps et récit. Paris, Seuil.

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lutionnaires pendant la Terreur ? Être « contre » eux, c'est se prononcer contre lesidéaux de la Révolution ; être « avec » eux, c'est passer pour cruel et partisan defonnes d'exercice du pouvoir qui sont condamnées aujourd'hui... Mieux vaut ne pastrop s'en souvenir et gommer cela de la mémoire comme le montrent quelquesenquêtes sur ce que des élèves ont retenu de la Révolution française.

(11) Pour quelques précisions sur ces catégories, voir la recherche CM2-6", INRP 1987,p. 20.

(12) Nous passons volontairement au présent pour marquer la permanence de cetteconception et reglissons vers un temps passé pour citer des textes plus anciens.

(1 3) Pour une histoire de la géographie dans l'enseignement secondaire, voir Lefort 1 992.

(1 4) Voir par exemple de Certeau 1 983.

BIBLIOGRAPHIE

ADAM, J.-M. (1985) : Le fexfe narratif. Paris, Nathan.

AUDIGIER, F. (1995) : Histoire et géographie : des savoirs scolaires en question ;

entre les définitions officielles et les constructions des élèves, Spirales, oct94-juin95, p. 61-89.

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AUDIGIER, F., LAGELE, G. (1996) : Education civique et initiation juridique. Paris,INRP.

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Histoire, géographie, éducation civique...

ROBIC, M.-C. (1991) : La stratégie épistémologique du mixte : le dossier vida-lien. EspacesTemps 47148, p. 53-66.

TUTIAUX-GUILLON, N., MOUSSEAU, M.-J. (1998) : Les jeunes et Thistoire,Identités, valeurs, conscience historique. Paris, INRP.

TUTIAUX-GUILLON, N. (1998) : L'enseignement et la compréhension de l'histoiresociale au collège et au lycée, l'exemple de la société d'Ancien régime etde la société du XIXe siècle. Thèse, Université Paris VII.

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Histoire, géographie, éducation civique...

ROBIC, M.-C. (1991) : La stratégie épistémologique du mixte : le dossier vida-lien. EspacesTemps 47148, p. 53-66.

TUTIAUX-GUILLON, N., MOUSSEAU, M.-J. (1998) : Les jeunes et Thistoire,Identités, valeurs, conscience historique. Paris, INRP.

TUTIAUX-GUILLON, N. (1998) : L'enseignement et la compréhension de l'histoiresociale au collège et au lycée, l'exemple de la société d'Ancien régime etde la société du XIXe siècle. Thèse, Université Paris VII.

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LE CYCLE DE VIE DU CERISIER :

UNE NARRATION SCIENTIFIQUE ?

Elisabeth BAUTIER, ESCOL, Paris 8.Danièle MANESSE, INRP, Didactiques des disciplines.

Brigitte PETERFALVI et Anne VERIN, INRP, Équipes sciences.

Résumé : Dans le contexte d'une recherche sur les formes et les fonctions des

écrits en sciences, ce texte propose d'observer les conduites d'écriture que met¬

tent spontanément en uvre des élèves de 6e, répondant à une consigne de typescientifique hors de la classe de sciences.

L'occasion nous en a été fournie par l'évaluation nationale, effectuée chaqueannée auprès des élèves de 6e, laquelle comportait, en 1997, un item consistant à

traduire en texte un schéma obéissant à une logique chronologique. Les élèvesétaient ainsi invités à produire une sorte de « narration scientifique » dont lesdifférentes étapes devaient être mises en relation.Nous examinons en premier lieu les difficultés et les ambiguïtés de la tâche, les

critères auxquels doit satisfaire une production d'élève « réussie » scientifique¬ment, qui la démarquent d'une narration de type classique, telle que les élèvesen produisent en classe de français. Ensuite, l'examen attentif des productionsdes élèves d'une classe de ZEP, dont l'essentiel figure dans cet article, permet de

repérer différentes conduite d'écriture reflétant des « postures » différentes dansle rapport au savoir scientifique.

Ce texte correspond à un moment d'une recherche en didactique dessciences (1) qui vise à comprendre le rôle que peuvent prendre les écrits dansl'élaboration de la pensée et de l'activité scientifique des élèves puis àconstruire des situations d'écriture scolaire participant de cette élaboration. Eneffet, compte tenu des développements actuels de la place de l'écrit dans l'en¬seignement des sciences à l'école, il s'agissait de se démarquer d'une visionnaïve selon laquelle il suffirait d'écrire en classe pour construire du savoir scien¬tifique (Astolfi et al., 1998).

Un premier moment du travail a conduit à regarder ce que les élèves pro¬duisent dans une situation peu contraignante scientifiquement, puisqu'il s'agitde l'épreuve de français faisant partie de l'évaluation nationale annuelle de tousles élèves entrant en sixième (2). Cependant, l'exercice dont l'objectif consistaità « transcrire un schéma en texte » conduisait les élèves à rédiger un texte surun contenu scientifique puisque le schéma, extrait d'un manuel de sciences,portait sur le cycle de vie du Cerisier.

L'exercice pouvait ainsi se prêter à une analyse mettant en relation scienceet usage de la langue, et permettait de poser les questions suivantes :

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LE CYCLE DE VIE DU CERISIER :

UNE NARRATION SCIENTIFIQUE ?

Elisabeth BAUTIER, ESCOL, Paris 8.Danièle MANESSE, INRP, Didactiques des disciplines.

Brigitte PETERFALVI et Anne VERIN, INRP, Équipes sciences.

Résumé : Dans le contexte d'une recherche sur les formes et les fonctions des

écrits en sciences, ce texte propose d'observer les conduites d'écriture que met¬

tent spontanément en uvre des élèves de 6e, répondant à une consigne de typescientifique hors de la classe de sciences.

L'occasion nous en a été fournie par l'évaluation nationale, effectuée chaqueannée auprès des élèves de 6e, laquelle comportait, en 1997, un item consistant à

traduire en texte un schéma obéissant à une logique chronologique. Les élèvesétaient ainsi invités à produire une sorte de « narration scientifique » dont lesdifférentes étapes devaient être mises en relation.Nous examinons en premier lieu les difficultés et les ambiguïtés de la tâche, les

critères auxquels doit satisfaire une production d'élève « réussie » scientifique¬ment, qui la démarquent d'une narration de type classique, telle que les élèvesen produisent en classe de français. Ensuite, l'examen attentif des productionsdes élèves d'une classe de ZEP, dont l'essentiel figure dans cet article, permet de

repérer différentes conduite d'écriture reflétant des « postures » différentes dansle rapport au savoir scientifique.

Ce texte correspond à un moment d'une recherche en didactique dessciences (1) qui vise à comprendre le rôle que peuvent prendre les écrits dansl'élaboration de la pensée et de l'activité scientifique des élèves puis àconstruire des situations d'écriture scolaire participant de cette élaboration. Eneffet, compte tenu des développements actuels de la place de l'écrit dans l'en¬seignement des sciences à l'école, il s'agissait de se démarquer d'une visionnaïve selon laquelle il suffirait d'écrire en classe pour construire du savoir scien¬tifique (Astolfi et al., 1998).

Un premier moment du travail a conduit à regarder ce que les élèves pro¬duisent dans une situation peu contraignante scientifiquement, puisqu'il s'agitde l'épreuve de français faisant partie de l'évaluation nationale annuelle de tousles élèves entrant en sixième (2). Cependant, l'exercice dont l'objectif consistaità « transcrire un schéma en texte » conduisait les élèves à rédiger un texte surun contenu scientifique puisque le schéma, extrait d'un manuel de sciences,portait sur le cycle de vie du Cerisier.

L'exercice pouvait ainsi se prêter à une analyse mettant en relation scienceet usage de la langue, et permettait de poser les questions suivantes :

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REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN

- quelles relations y a-t-il entre les formes des textes produits et la com¬préhension conceptuelle ?

- quelles compétences d'écriture les élèves mettent-ils en euvre ?

- comment les interpréter en termes de modèles de référence des écrits ensciences ?

Nous avons constitué un corpus, composé des productions des élèvesd'une classe de sixième de ZEP en 1997, qui fera l'objet de notre analyse.

L'épreuve nationale d'évaluation des élèves à l'entrée en sixième en fran¬çais a pour fonction principale de faire le bilan de la maitrise qu'a chacun desapprentissages fondamentaux : lire ou construire du sens ; écrire ou avoir lamaitrise de normes linguistiques, enonciatives et discursives. Dans l'esprit desnouveaux programmes, qui visent à développer les compétences langagières àtravers l'ensemble des disciplines scolaires (3), l'épreuve proposée en françaisen 1 997 porte sur des contenus variés et, plus particulièrement dans cet exer¬cice, sur un contenu biologique.

En ce qui concerne cet exercice, les choix de codage des productions desélèves témoignent de ce que les concepteurs de l'épreuve se limitent, à proposde récriture scientifique, à un point de vue essentiellement normatif prenant encompte l'usage de la langue (orthographe et morphologie, mise en page, calli¬graphie, syntaxe) pour évaluer les textes produits. L'objectif annoncé par lesconcepteurs de l'épreuve ne laisse aucun doute à ce sujet : il s'agit de « savoirécrire : lisibilité, présentation, mise en page ». Notre analyse est donc décaléepar rapport à l'intention qui a présidé à la production de cet exercice. Mais,d'une part, l'intérêt de l'étude d'écrits répondant à une consigne aussi complexeque celle-ci, au plan cognitif comme au plan langagier et textuel, réside dans lefait que cette consigne permet des interprétations de la part des élèves. D'autrepart, dans la mesure où cette consigne ne définit pas véritablement un genretextuel (elle utilise le mot « expliquer » mais les spécifications (« le plus complè¬tement possible » « les différentes étapes ») renvoient plutôt à un texte narratif),on peut étudier ce que les élèves choisissent de faire avec le langage dans unetelle situation, les conduites discursives qui sont privilégiées, ce qui fait diffé¬rence et homogénéité.

En effet, compte tenu de la pregnance du narratif dans l'enseignement pri¬maire, au moins quand il s'agit des textes offerts lors des activités de lecture etdont on peut faire l'hypothèse qu'ils permettent aux élèves de se construire desexemples (des modèles ?) de formes discursives dans lesquels ils peuvent pui¬ser pour écrire, de la pregnance encore du récit dans les pratiques langagièresfamiliales de lecture, il semblait également intéressant de voir comment lesélèves sont ou ne sont pas influencés par ce genre, comment ils s'en démar¬quent ou s'en inspirent pour répondre à cette consigne. La forme discursive sol¬licitée est complexe et faiblement identifiable et si on peut la qualifier de« narration scientifique », elle n'est sans doute pas sans présenter des difficultésaux élèves. II s'agit d'un écrit qui pour satisfaire une logique chronologique nerelève pas pour autant du genre « récit ». De plus, si raconter est une des pre¬mières formes discursives auxquelles les enfants sont le plus souvent confron¬tés, il s'agit également le plus souvent de récits d'événements, d'actions

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REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN

- quelles relations y a-t-il entre les formes des textes produits et la com¬préhension conceptuelle ?

- quelles compétences d'écriture les élèves mettent-ils en euvre ?

- comment les interpréter en termes de modèles de référence des écrits ensciences ?

Nous avons constitué un corpus, composé des productions des élèvesd'une classe de sixième de ZEP en 1997, qui fera l'objet de notre analyse.

L'épreuve nationale d'évaluation des élèves à l'entrée en sixième en fran¬çais a pour fonction principale de faire le bilan de la maitrise qu'a chacun desapprentissages fondamentaux : lire ou construire du sens ; écrire ou avoir lamaitrise de normes linguistiques, enonciatives et discursives. Dans l'esprit desnouveaux programmes, qui visent à développer les compétences langagières àtravers l'ensemble des disciplines scolaires (3), l'épreuve proposée en françaisen 1 997 porte sur des contenus variés et, plus particulièrement dans cet exer¬cice, sur un contenu biologique.

En ce qui concerne cet exercice, les choix de codage des productions desélèves témoignent de ce que les concepteurs de l'épreuve se limitent, à proposde récriture scientifique, à un point de vue essentiellement normatif prenant encompte l'usage de la langue (orthographe et morphologie, mise en page, calli¬graphie, syntaxe) pour évaluer les textes produits. L'objectif annoncé par lesconcepteurs de l'épreuve ne laisse aucun doute à ce sujet : il s'agit de « savoirécrire : lisibilité, présentation, mise en page ». Notre analyse est donc décaléepar rapport à l'intention qui a présidé à la production de cet exercice. Mais,d'une part, l'intérêt de l'étude d'écrits répondant à une consigne aussi complexeque celle-ci, au plan cognitif comme au plan langagier et textuel, réside dans lefait que cette consigne permet des interprétations de la part des élèves. D'autrepart, dans la mesure où cette consigne ne définit pas véritablement un genretextuel (elle utilise le mot « expliquer » mais les spécifications (« le plus complè¬tement possible » « les différentes étapes ») renvoient plutôt à un texte narratif),on peut étudier ce que les élèves choisissent de faire avec le langage dans unetelle situation, les conduites discursives qui sont privilégiées, ce qui fait diffé¬rence et homogénéité.

En effet, compte tenu de la pregnance du narratif dans l'enseignement pri¬maire, au moins quand il s'agit des textes offerts lors des activités de lecture etdont on peut faire l'hypothèse qu'ils permettent aux élèves de se construire desexemples (des modèles ?) de formes discursives dans lesquels ils peuvent pui¬ser pour écrire, de la pregnance encore du récit dans les pratiques langagièresfamiliales de lecture, il semblait également intéressant de voir comment lesélèves sont ou ne sont pas influencés par ce genre, comment ils s'en démar¬quent ou s'en inspirent pour répondre à cette consigne. La forme discursive sol¬licitée est complexe et faiblement identifiable et si on peut la qualifier de« narration scientifique », elle n'est sans doute pas sans présenter des difficultésaux élèves. II s'agit d'un écrit qui pour satisfaire une logique chronologique nerelève pas pour autant du genre « récit ». De plus, si raconter est une des pre¬mières formes discursives auxquelles les enfants sont le plus souvent confron¬tés, il s'agit également le plus souvent de récits d'événements, d'actions

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Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?

successives dont les mises en relation ne sont pas facilement accessibles auxjeunes enfants. Or, dans le cas de la « narration scientifique », la pertinence durécit passe nécessairement par une telle mise en relation qui garantit la compré¬hension des processus en cause. On verra lors des analyses que les difficultésdans ce domaine ont été réelles.

Notre intérêt pour cette consigne était guidé par une autre question tra¬vaillée dans la recherche évoquée, celle des formes dans lesquelles les élèvesproduisent des écrits intermédiaires (des « vrais » brouillons non préfigurés parla forme de l'écrit achevé, abouti, canonique des écrits de la discipline), lorsquedes enseignants utilisent ce type d'écrit en classe. À un moment où se dévelop¬pent des pratiques d'écriture pour soi (le cahier d'expériences dans « La main àla pâte », par exemple) et pour apprendre dans des disciplines comme l'histoireou les sciences, cette question est une piste d'analyse de l'activité que dévelop¬pent les élèves à cette occasion.

1. ANALYSE DE LA TÂCHE PROPOSÉE AUX ÉLÈVES

L'exercice est construit à partir d'un schéma représentant, sous une formecirculaire symbolisant l'idée de « cycle », les étapes successives de la vie duCerisier. Ce schéma est accompagné d'une consigne demandant aux élèves deproduire un texte.

_...* Cerisier en /teursQuelques années

/

v

Les jeunes plants

\- -" ' i

Les grainesdans le sol.

plus tard...j»-

v

..---"

> ---* -V:-

Le cyde de

.-'^-<

:mvie du cerisier

^__ Chaque noyau de cerise^""~"~"- contient une çrmine. "m

%S.SÏ"Sa

Voici un schéma pris dans un livre de sciences. II manque le texte qui Tac-compagne. Explique de la façon la plus complète possible, dans le cadre ci-des¬sous, les différentes étapes du cycle de vie du cerisier. Soigne la présentation.

LE CYCLE DE VIE DU CERISIER

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Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?

successives dont les mises en relation ne sont pas facilement accessibles auxjeunes enfants. Or, dans le cas de la « narration scientifique », la pertinence durécit passe nécessairement par une telle mise en relation qui garantit la compré¬hension des processus en cause. On verra lors des analyses que les difficultésdans ce domaine ont été réelles.

Notre intérêt pour cette consigne était guidé par une autre question tra¬vaillée dans la recherche évoquée, celle des formes dans lesquelles les élèvesproduisent des écrits intermédiaires (des « vrais » brouillons non préfigurés parla forme de l'écrit achevé, abouti, canonique des écrits de la discipline), lorsquedes enseignants utilisent ce type d'écrit en classe. À un moment où se dévelop¬pent des pratiques d'écriture pour soi (le cahier d'expériences dans « La main àla pâte », par exemple) et pour apprendre dans des disciplines comme l'histoireou les sciences, cette question est une piste d'analyse de l'activité que dévelop¬pent les élèves à cette occasion.

1. ANALYSE DE LA TÂCHE PROPOSÉE AUX ÉLÈVES

L'exercice est construit à partir d'un schéma représentant, sous une formecirculaire symbolisant l'idée de « cycle », les étapes successives de la vie duCerisier. Ce schéma est accompagné d'une consigne demandant aux élèves deproduire un texte.

_...* Cerisier en /teursQuelques années

/

v

Les jeunes plants

\- -" ' i

Les grainesdans le sol.

plus tard...j»-

v

..---"

> ---* -V:-

Le cyde de

.-'^-<

:mvie du cerisier

^__ Chaque noyau de cerise^""~"~"- contient une çrmine. "m

%S.SÏ"Sa

Voici un schéma pris dans un livre de sciences. II manque le texte qui Tac-compagne. Explique de la façon la plus complète possible, dans le cadre ci-des¬sous, les différentes étapes du cycle de vie du cerisier. Soigne la présentation.

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REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN

1.1. Une tâche plus complexe qu'il n'y parait

L'écriture du texte s'inscrit dans une double fiction :

- malgré l'intention probable de chercher à créer des conditions fonction¬nelles d'écriture, le statut de l'écrit demandé diffère de celui des écrits deréférence : un tel schéma ne s'accompagnerait pas dans un livre scienti¬fique d'un texte redondant rédigé comme une narration, mais d'un textecomplémentaire apportant d'autres informations. Le texte accompagnantle schéma d'origine met ainsi l'accent sur la reproduction ;

- la situation réelle dans laquelle l'élève écrit est une épreuve de français,qu'il identifie bien comme telle. L'injonction à soigner la présentation luiconfirme qu'il doit se situer dans l'espace bien connu de la rédaction enfrançais, alors même que le sujet est une connaissance scientifique.

Indépendamment de ces références multiples, la tâche est déterminée parla consigne écrite et le matériau même qui est proposé comme support de l'ac¬tivité.

Examinons la consigne écrite. On y mentionne l'origine du schéma (un livrede sciences), ce qui oriente vers un genre auquel les élèves sont accoutumés.On indique ensuite qu'il manque le texte qui l'accompagne. Cela signifie-t-ilpour les élèves que leur tâche consiste à rétablir le texte qui figurait à l'originedans le livre dont le schéma est extrait ? Le texte attendu doit-il être redondantavec les informations données par le schéma ou au contraire attend-on descompléments qui n'y figurent pas ? Par ailleurs la consigne demande explicite¬ment d'« expliquer » le cycle de vie. Mais le statut de cette « explication » est luiaussi ambigu car on précise qu'il s'agit d'expliquer « /e plus complètement pos¬sible » les « différentes étapes » de ce cycle. Cela signifie-t-il qu'on demanded'énoncer, dans l'ordre chronologique, et sans en oublier, les étapes figurant surle schéma ? Mais en ce cas, en quoi s'agit-il d'une « explication », ne s'agit-ilpas plutôt d'une sorte de narration ? Et si la tâche consiste à déployer sous uneforme linéaire discursive ce qui figure de façon spatiale et imagée sur le schéma,en détruisant l'organisation circulaire de l'ensemble, en quoi cela concerne-t-il leconcept de cycle ?

Étant donné ces incertitudes, les élèves peuvent interpréter qu'on leurdemande soit de transcrire en texte français les informations données dans leschéma, soit de donner des informations ou explications manquant dans leschéma, soit de restituer des connaissances acquises par ailleurs en biologie,soit enfin de comprendre quelque chose de nouveau en biologie à propos de cetexercice. Ces remarques ne sont pas spécifiques, nous semble-t-il, à cettesituation précise : consignes écrites et lectures de schémas en sciences sontdans les manuels chargées d'ambiguïtés et donc soumises à interprétations dif¬férenciées de la part des élèves.

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REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN

1.1. Une tâche plus complexe qu'il n'y parait

L'écriture du texte s'inscrit dans une double fiction :

- malgré l'intention probable de chercher à créer des conditions fonction¬nelles d'écriture, le statut de l'écrit demandé diffère de celui des écrits deréférence : un tel schéma ne s'accompagnerait pas dans un livre scienti¬fique d'un texte redondant rédigé comme une narration, mais d'un textecomplémentaire apportant d'autres informations. Le texte accompagnantle schéma d'origine met ainsi l'accent sur la reproduction ;

- la situation réelle dans laquelle l'élève écrit est une épreuve de français,qu'il identifie bien comme telle. L'injonction à soigner la présentation luiconfirme qu'il doit se situer dans l'espace bien connu de la rédaction enfrançais, alors même que le sujet est une connaissance scientifique.

Indépendamment de ces références multiples, la tâche est déterminée parla consigne écrite et le matériau même qui est proposé comme support de l'ac¬tivité.

Examinons la consigne écrite. On y mentionne l'origine du schéma (un livrede sciences), ce qui oriente vers un genre auquel les élèves sont accoutumés.On indique ensuite qu'il manque le texte qui l'accompagne. Cela signifie-t-ilpour les élèves que leur tâche consiste à rétablir le texte qui figurait à l'originedans le livre dont le schéma est extrait ? Le texte attendu doit-il être redondantavec les informations données par le schéma ou au contraire attend-on descompléments qui n'y figurent pas ? Par ailleurs la consigne demande explicite¬ment d'« expliquer » le cycle de vie. Mais le statut de cette « explication » est luiaussi ambigu car on précise qu'il s'agit d'expliquer « /e plus complètement pos¬sible » les « différentes étapes » de ce cycle. Cela signifie-t-il qu'on demanded'énoncer, dans l'ordre chronologique, et sans en oublier, les étapes figurant surle schéma ? Mais en ce cas, en quoi s'agit-il d'une « explication », ne s'agit-ilpas plutôt d'une sorte de narration ? Et si la tâche consiste à déployer sous uneforme linéaire discursive ce qui figure de façon spatiale et imagée sur le schéma,en détruisant l'organisation circulaire de l'ensemble, en quoi cela concerne-t-il leconcept de cycle ?

Étant donné ces incertitudes, les élèves peuvent interpréter qu'on leurdemande soit de transcrire en texte français les informations données dans leschéma, soit de donner des informations ou explications manquant dans leschéma, soit de restituer des connaissances acquises par ailleurs en biologie,soit enfin de comprendre quelque chose de nouveau en biologie à propos de cetexercice. Ces remarques ne sont pas spécifiques, nous semble-t-il, à cettesituation précise : consignes écrites et lectures de schémas en sciences sontdans les manuels chargées d'ambiguïtés et donc soumises à interprétations dif¬férenciées de la part des élèves.

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Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?

1.2. Le schéma tel qu'il est présenté dans l'exerciceet les problèmes de lecture

Autour d'un dessin de Cerisier en fleurs figurant au centre se succèdent,dans le sens des aiguilles d'une montre et reliés par des flèches, une série dedessins et de séquences verbales supposés figurer les étapes successives du« Cycle de vie du Cerisier », ce qu'indiquent le titre général du schéma et laforme circulaire de l'ensemble. Le système sémiotique correspondant à la figu¬ration des différentes étapes n'est pas homogène : on a une succession d'élé¬ments verbaux seuls (« Quelques années plus tard »), de dessins légendes soitavec un titre (« les jeunes plants ») soit avec une phrase complète (« Chaquenoyau de cerise contient une graine ») et de dessins sans légende (les fleurs).

Notons que, dans le schéma original du livre dont est extrait celui de l'exer¬cice, les légendes sont pour la plupart de petites phrases. Or « tes graines ger¬ment dans le sol », du livre d'origine, devient sur le schéma de l'exercice « tesgraines dans le sol », « les jeunes plants se développent » devient « tes jeunesplants », « tes cerises mûrissent » devient « tes cerises ». Quant à la proposition« la fleur se fane, une cerise se forme », elle disparait complètement. Ce sontessentiellement les verbes désignant des transformations qui sont effacés. Cesmodifications indiquent-elles que ce qui est attendu des élèves, c'est justementde produire des énoncés sur ces transformations disparues des légendes ?

Au symbolisme abstrait circulaire du schéma, correspondant au concept decycle, se superpose un symbolisme réaliste de l'espace. Par exemple, lesgraines qui germent dans le sol figurent en bas, comme le sol dans la réalité. Sicela peut aider, dans une certaine mesure, la lecture, cela peut aussi, dans cer¬tains cas, la brouiller. La fleur qui se fane, par exemple, figure à droite sous lafleur accrochée à sa branche. La flèche qui les relie peut aussi bien être luecomme figurant une chute de la fleur vers le sol - ce qu'ont fait bien des élèves -que comme une simple succession dans le temps. On comprend mal, si onadopte plus ou moins consciemment une telle lecture, comment, de la fleurtombée (vers le sol) peut se développer le fruit. La relation fonctionnelle entreces deux organes de la plante s'en trouve plus difficile à concevoir. Cette super¬position de deux conceptions de l'espace, fréquente dans les schémas, créeune ambiguïté dont on sent bien que le discours verbal peut permettre de sortir,par l'explicitation que lui seul permet.

II existe dans le schéma des incohérences qui sont également susceptiblesde brouiller la lecture. À la fleur unique qui se fane succèdent trois cerises, avectrois pédoncules : que figure exactement cette succession ? Une seule fleurpeut-elle se transformer en plusieurs fruits ? Quelles sont les unités àenvisager ? Ce problème est lié à celui de l'ambiguïté, ici aussi, du degré degénéralité de ce qui est figuré dans le schéma. Figure-t-on un cerisier, un indi¬vidu dont on suit l'histoire ou l'espèce Cerisier (écrit en biologie conventionnelle-ment avec une majuscule) ? Le mot est d'ailleurs écrit une fois avec majusculeet une fois avec minuscule dans le schéma proposé. Figure-t-on une fleur ou leconcept de fleur (auquel cas le nombre de fleurs représentées n'a pas d'impor¬tance) ? Un problème conceptuel central est ici en jeu, car le concept de cycle

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Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?

1.2. Le schéma tel qu'il est présenté dans l'exerciceet les problèmes de lecture

Autour d'un dessin de Cerisier en fleurs figurant au centre se succèdent,dans le sens des aiguilles d'une montre et reliés par des flèches, une série dedessins et de séquences verbales supposés figurer les étapes successives du« Cycle de vie du Cerisier », ce qu'indiquent le titre général du schéma et laforme circulaire de l'ensemble. Le système sémiotique correspondant à la figu¬ration des différentes étapes n'est pas homogène : on a une succession d'élé¬ments verbaux seuls (« Quelques années plus tard »), de dessins légendes soitavec un titre (« les jeunes plants ») soit avec une phrase complète (« Chaquenoyau de cerise contient une graine ») et de dessins sans légende (les fleurs).

Notons que, dans le schéma original du livre dont est extrait celui de l'exer¬cice, les légendes sont pour la plupart de petites phrases. Or « tes graines ger¬ment dans le sol », du livre d'origine, devient sur le schéma de l'exercice « tesgraines dans le sol », « les jeunes plants se développent » devient « tes jeunesplants », « tes cerises mûrissent » devient « tes cerises ». Quant à la proposition« la fleur se fane, une cerise se forme », elle disparait complètement. Ce sontessentiellement les verbes désignant des transformations qui sont effacés. Cesmodifications indiquent-elles que ce qui est attendu des élèves, c'est justementde produire des énoncés sur ces transformations disparues des légendes ?

Au symbolisme abstrait circulaire du schéma, correspondant au concept decycle, se superpose un symbolisme réaliste de l'espace. Par exemple, lesgraines qui germent dans le sol figurent en bas, comme le sol dans la réalité. Sicela peut aider, dans une certaine mesure, la lecture, cela peut aussi, dans cer¬tains cas, la brouiller. La fleur qui se fane, par exemple, figure à droite sous lafleur accrochée à sa branche. La flèche qui les relie peut aussi bien être luecomme figurant une chute de la fleur vers le sol - ce qu'ont fait bien des élèves -que comme une simple succession dans le temps. On comprend mal, si onadopte plus ou moins consciemment une telle lecture, comment, de la fleurtombée (vers le sol) peut se développer le fruit. La relation fonctionnelle entreces deux organes de la plante s'en trouve plus difficile à concevoir. Cette super¬position de deux conceptions de l'espace, fréquente dans les schémas, créeune ambiguïté dont on sent bien que le discours verbal peut permettre de sortir,par l'explicitation que lui seul permet.

II existe dans le schéma des incohérences qui sont également susceptiblesde brouiller la lecture. À la fleur unique qui se fane succèdent trois cerises, avectrois pédoncules : que figure exactement cette succession ? Une seule fleurpeut-elle se transformer en plusieurs fruits ? Quelles sont les unités àenvisager ? Ce problème est lié à celui de l'ambiguïté, ici aussi, du degré degénéralité de ce qui est figuré dans le schéma. Figure-t-on un cerisier, un indi¬vidu dont on suit l'histoire ou l'espèce Cerisier (écrit en biologie conventionnelle-ment avec une majuscule) ? Le mot est d'ailleurs écrit une fois avec majusculeet une fois avec minuscule dans le schéma proposé. Figure-t-on une fleur ou leconcept de fleur (auquel cas le nombre de fleurs représentées n'a pas d'impor¬tance) ? Un problème conceptuel central est ici en jeu, car le concept de cycle

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n'a de sens que si l'on se réfère à l'espèce et à sa perpétuation par la reproduc¬tion. Si l'on considère l'histoire d'un individu qui nait, croit, devient capable dereproduction, donne naissance à de nouveaux individus, il serait plus appropriéde parler des étapes de la vie du cerisier.

1 .3. La réponse à la consigne : transcodaged'un schéma en texte ?

Les systèmes de représentation schématique et discursif diffèrent.Examinons les opérations intellectuelles que nécessite le passage de l'un àl'autre.

La forme circulaire du schéma, qui exprime quelque chose de l'idée decycle, ne peut pas être traduite directement sous une forme textuelle, nécessai¬rement linéaire. Pour que l'idée de cycle soit présente, le texte doit donner desindications du type « et ça recommence dans le même ordre à chaque fois » ou« ça tourne » ; car la succession complète des différentes étapes dans l'ordrechronologique et sans recouvrement ne suffit pas à manifester une compréhen¬sion de l'idée de cycle.

Au contraire d'un schéma, un texte comporte nécessairement un début etune fin. Ici le choix peut être déterminé par des facteurs spatiaux (début en hautà gauche, comme dans la lecture d'un texte) ou par la compréhension que l'on ade l'ensemble. Si l'on conçoit le problème comme celui de la « narration » de lavie d'un individu, on aura tendance à commencer avec la graine qui germe oules jeunes plants qui poussent (en bas à gauche sur le schéma). Si on le conçoitcomme celui de l'exposé du cycle correspondant à la perpétuation de l'espèce,le lieu de la coupure est relativement indifférent. On peut aussi bien partir del'arbre, du fruit ou de la graine. Cependant, la fleur comme appareil reproducteura une place privilégiée (c'est l'option choisie par le commentaire du documentsource). Si le problème est conçu de façon anthropocentrique et utilitariste,c'est la cerise qui constitue le point de départ ou le point d'arrivée. La façondont les élèves procèdent à cette coupure dans la linéarisation peut de ce faitservir d'indice sur le point de vue qu'ils adoptent.

La dimension linguistique de la tâche concerne les éléments qui relèvent dela correction normée de la langue, comme pour n'importe quel texte : ortho¬graphe, syntaxe, présentation - que l'on demande d'ailleurs spécifiquement desoigner.

Certains éléments pourraient correspondre à des normes plus spécifiquesà l'usage du système linguistique en sciences mais ils ne peuvent pas êtredéterminés a priori car ils dépendent du type de tâche et de ce qu'en fait l'élève.On peut cependant admettre que des domaines sont plus généralement concer¬nés : il s'agit des temps des verbes, du lexique, des marques de subjectivité etde généricité versus spécificité (décontextualisation - généralisation). On attendici, par exemple, une formulation en termes génériques ; une spécification de lanature, générale ou contextualisée, des énoncés.

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n'a de sens que si l'on se réfère à l'espèce et à sa perpétuation par la reproduc¬tion. Si l'on considère l'histoire d'un individu qui nait, croit, devient capable dereproduction, donne naissance à de nouveaux individus, il serait plus appropriéde parler des étapes de la vie du cerisier.

1 .3. La réponse à la consigne : transcodaged'un schéma en texte ?

Les systèmes de représentation schématique et discursif diffèrent.Examinons les opérations intellectuelles que nécessite le passage de l'un àl'autre.

La forme circulaire du schéma, qui exprime quelque chose de l'idée decycle, ne peut pas être traduite directement sous une forme textuelle, nécessai¬rement linéaire. Pour que l'idée de cycle soit présente, le texte doit donner desindications du type « et ça recommence dans le même ordre à chaque fois » ou« ça tourne » ; car la succession complète des différentes étapes dans l'ordrechronologique et sans recouvrement ne suffit pas à manifester une compréhen¬sion de l'idée de cycle.

Au contraire d'un schéma, un texte comporte nécessairement un début etune fin. Ici le choix peut être déterminé par des facteurs spatiaux (début en hautà gauche, comme dans la lecture d'un texte) ou par la compréhension que l'on ade l'ensemble. Si l'on conçoit le problème comme celui de la « narration » de lavie d'un individu, on aura tendance à commencer avec la graine qui germe oules jeunes plants qui poussent (en bas à gauche sur le schéma). Si on le conçoitcomme celui de l'exposé du cycle correspondant à la perpétuation de l'espèce,le lieu de la coupure est relativement indifférent. On peut aussi bien partir del'arbre, du fruit ou de la graine. Cependant, la fleur comme appareil reproducteura une place privilégiée (c'est l'option choisie par le commentaire du documentsource). Si le problème est conçu de façon anthropocentrique et utilitariste,c'est la cerise qui constitue le point de départ ou le point d'arrivée. La façondont les élèves procèdent à cette coupure dans la linéarisation peut de ce faitservir d'indice sur le point de vue qu'ils adoptent.

La dimension linguistique de la tâche concerne les éléments qui relèvent dela correction normée de la langue, comme pour n'importe quel texte : ortho¬graphe, syntaxe, présentation - que l'on demande d'ailleurs spécifiquement desoigner.

Certains éléments pourraient correspondre à des normes plus spécifiquesà l'usage du système linguistique en sciences mais ils ne peuvent pas êtredéterminés a priori car ils dépendent du type de tâche et de ce qu'en fait l'élève.On peut cependant admettre que des domaines sont plus généralement concer¬nés : il s'agit des temps des verbes, du lexique, des marques de subjectivité etde généricité versus spécificité (décontextualisation - généralisation). On attendici, par exemple, une formulation en termes génériques ; une spécification de lanature, générale ou contextualisée, des énoncés.

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Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?

1.4. Les niveaux de réussite dans la compréhensiond'un phénomène biologique

Pour comprendre l'idée de cycle de vie, il est nécessaire de se défaire d'unpoint de vue centré sur la vie de l'individu (pour lequel la succession serait :

naissance, croissance, mort), pour passer à un point de vue sur la perpétuationde l'espèce. Cela demande de faire abstraction de la dernière étape de la vieindividuelle (mort) et de faire le lien entre les individus d'une même espèce par laformation d'organes reproducteurs et le processus de reproduction : la notiond'espèce est liée à la notion de reproduction. Notons que les manuels de l'écoleprimaire eux-mêmes n'explicitent pas toujours clairement le saut entre le pointde vue centré sur l'individu et le point de vue centré sur l'espèce. II n'est pasétonnant que les élèves manifestent rarement ce dernier niveau de compréhen¬sion.

Plusieurs critères peuvent être définis pour situer le degré de compréhen¬sion de la notion de cycle de vie par les élèves.

Succession, transformation ou cycleOn peut repérer quatre niveaux de réussite : la succession chronologique

est correcte, toutes les étapes sont citées et correctement ordonnées, maiscomme une succession temporelle simplement ; une signification biologiqueplus générale est donnée à la succession, avec les idées de transformation (dela fleur au fruit) et de mécanisme (fécondation, germination), des verbes detransformation sont utilisés ; la fermeture du cycle est indiquée par le fait que lepoint d'arrivée est le même que le point de départ ; elle peut être explicitementsignalée « et ça repartira », « viennent les... ». (« et ça repartira », « viennentles... »).

Vie d'un individu ou cycle de vie d'une espèceII s'agit de repérer si l'élève a compris le principe du schéma (à partir de

graines issues d'un individu, développement de nouveaux individus) et le faitqu'il ne représente pas la vie d'un individu mais la perpétuation d'une espèce(détachement de l'individu, pour passer à un point de vue général concernant lareproduction de l'espèce).

Le choix du point de départ est un indicateur : si le point de vue adopté estcelui de raconter la vie d'un individu, ou la façon de produire des cerises ou uncerisier, le point de départ, c'est la graine ; si c'est celui de la perpétuation del'espèce, le point de départ serait plutôt la fleur. Le bouclage en est un autre : lepoint d'arrivée est le même que le point de départ, une phrase indique que leschéma se lit en boucle, le processus repart.

AnthropocentrismeL'homme peut être présent de trois façons : l'explication peut être insérée

dans un projet de l'homme (obtenir un cerisier, des cerises) ; un acteur humainest présent ; des jugements de valeur sont exprimés (les fleurs sont jolies, lescerises sont bonnes à manger). Ce registre anthropomorphique organise tout letexte, ou est ajouté comme une rupture assumée avec un registre plus scienti¬fique.

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1.4. Les niveaux de réussite dans la compréhensiond'un phénomène biologique

Pour comprendre l'idée de cycle de vie, il est nécessaire de se défaire d'unpoint de vue centré sur la vie de l'individu (pour lequel la succession serait :

naissance, croissance, mort), pour passer à un point de vue sur la perpétuationde l'espèce. Cela demande de faire abstraction de la dernière étape de la vieindividuelle (mort) et de faire le lien entre les individus d'une même espèce par laformation d'organes reproducteurs et le processus de reproduction : la notiond'espèce est liée à la notion de reproduction. Notons que les manuels de l'écoleprimaire eux-mêmes n'explicitent pas toujours clairement le saut entre le pointde vue centré sur l'individu et le point de vue centré sur l'espèce. II n'est pasétonnant que les élèves manifestent rarement ce dernier niveau de compréhen¬sion.

Plusieurs critères peuvent être définis pour situer le degré de compréhen¬sion de la notion de cycle de vie par les élèves.

Succession, transformation ou cycleOn peut repérer quatre niveaux de réussite : la succession chronologique

est correcte, toutes les étapes sont citées et correctement ordonnées, maiscomme une succession temporelle simplement ; une signification biologiqueplus générale est donnée à la succession, avec les idées de transformation (dela fleur au fruit) et de mécanisme (fécondation, germination), des verbes detransformation sont utilisés ; la fermeture du cycle est indiquée par le fait que lepoint d'arrivée est le même que le point de départ ; elle peut être explicitementsignalée « et ça repartira », « viennent les... ». (« et ça repartira », « viennentles... »).

Vie d'un individu ou cycle de vie d'une espèceII s'agit de repérer si l'élève a compris le principe du schéma (à partir de

graines issues d'un individu, développement de nouveaux individus) et le faitqu'il ne représente pas la vie d'un individu mais la perpétuation d'une espèce(détachement de l'individu, pour passer à un point de vue général concernant lareproduction de l'espèce).

Le choix du point de départ est un indicateur : si le point de vue adopté estcelui de raconter la vie d'un individu, ou la façon de produire des cerises ou uncerisier, le point de départ, c'est la graine ; si c'est celui de la perpétuation del'espèce, le point de départ serait plutôt la fleur. Le bouclage en est un autre : lepoint d'arrivée est le même que le point de départ, une phrase indique que leschéma se lit en boucle, le processus repart.

AnthropocentrismeL'homme peut être présent de trois façons : l'explication peut être insérée

dans un projet de l'homme (obtenir un cerisier, des cerises) ; un acteur humainest présent ; des jugements de valeur sont exprimés (les fleurs sont jolies, lescerises sont bonnes à manger). Ce registre anthropomorphique organise tout letexte, ou est ajouté comme une rupture assumée avec un registre plus scienti¬fique.

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2. COMMENT CES DIFFÉRENTES COMPOSANTES DE LA TÂCHESE RETROUVENT-ELLES DANS LES TEXTES DES ÉLÈVES ?

Si l'on s'autorise, compte tenu des réserves exprimées, à étudier ce que lesélèves écrivent dans ce contexte, cela nous donne des indications sur la com¬préhension de la notion de développement végétal et de cycle de vie ainsi quece que les élèves entendent par « écrire en sciences ».

Les analyses qui suivent s'appuient sur un certain nombre d'extraits ducorpus constitué (voir les transcriptions en annexe), qu'elles ne visent en aucuncas à épuiser.

Nous proposons de centrer l'analyse sur trois dimensions qui se combinentdifféremment selon les productions des élèves : dimension linguistique (normesdu système de la langue, orthographe, syntaxe, anaphores...), dimension prag-matico-langagière (prise en compte de la situation, des visées de l'acte de lan¬gage...), dimension conceptuelle (anthropocentrisme, causalité, notionsd'espèce et de cycle...). A ces trois dimensions vient s'ajouter la manière dontl'élève réélabore les données du schéma de départ (ajout d'éléments explicatifs,réorganisation), manière qui indique que l'écriture est pour lui -ou non- l'occa¬sion d'une réelle activité intellectuelle et lui sert ou non d'outil pour formaliserune pensée.

2.1. Des caractéristiques communes à tous les textes

Tous les élèves, et bien que ce soit une évaluation de français, ont produitun texte qui a certaines des caractéristiques d'un texte « scientifique » : tempsprésent ou futur de généralisation, effacement de l'énonciateur, sujet indéter¬miné (« on » ou « ça »), texte très majoritairement homogène (ne relevant qued'un seul genre, d'une seule logique, d'un seul type d'écriture).

L'organisation des textes repose sur la chronologie, sur les différentesétapes soit vécues comme évidentes dans l'interprétation du schéma (flèches,forme circulaire), soit vécues comme contraintes organisatrices.

Quelque chose comme une notion de processus de transformation pro¬gressive semble être exprimé (le terme « devenir » est souvent utilisé) sans tou¬tefois que, pour la plupart des élèves, le processus du passage du cerisier enfleurs aux cerises soit très clair : celui-ci est traduit par le simple passage dutemps (texte 3), accompagné par une forme d'apparition (texte 4 : « un peu plustard, voici des cerises ») ou une production (texte 2 : « les cerisiers en fleurspoussent et forment des cerises »). Sans doute les élèves ont-ils déjà vu, àl'école en particulier, le passage de la graine à la plante ; il est plus rare d'obser¬ver le passage de la fleur au fruit. C'est par ailleurs un phénomène plus com¬plexe.

En général, les élèves ne se situent pas véritablement dans le registre del'explication du processus, probablement parce que la réalité de celui-ci leur estopaque. C'est la succession des moments dans le temps qui tient lieu d'explica-

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2. COMMENT CES DIFFÉRENTES COMPOSANTES DE LA TÂCHESE RETROUVENT-ELLES DANS LES TEXTES DES ÉLÈVES ?

Si l'on s'autorise, compte tenu des réserves exprimées, à étudier ce que lesélèves écrivent dans ce contexte, cela nous donne des indications sur la com¬préhension de la notion de développement végétal et de cycle de vie ainsi quece que les élèves entendent par « écrire en sciences ».

Les analyses qui suivent s'appuient sur un certain nombre d'extraits ducorpus constitué (voir les transcriptions en annexe), qu'elles ne visent en aucuncas à épuiser.

Nous proposons de centrer l'analyse sur trois dimensions qui se combinentdifféremment selon les productions des élèves : dimension linguistique (normesdu système de la langue, orthographe, syntaxe, anaphores...), dimension prag-matico-langagière (prise en compte de la situation, des visées de l'acte de lan¬gage...), dimension conceptuelle (anthropocentrisme, causalité, notionsd'espèce et de cycle...). A ces trois dimensions vient s'ajouter la manière dontl'élève réélabore les données du schéma de départ (ajout d'éléments explicatifs,réorganisation), manière qui indique que l'écriture est pour lui -ou non- l'occa¬sion d'une réelle activité intellectuelle et lui sert ou non d'outil pour formaliserune pensée.

2.1. Des caractéristiques communes à tous les textes

Tous les élèves, et bien que ce soit une évaluation de français, ont produitun texte qui a certaines des caractéristiques d'un texte « scientifique » : tempsprésent ou futur de généralisation, effacement de l'énonciateur, sujet indéter¬miné (« on » ou « ça »), texte très majoritairement homogène (ne relevant qued'un seul genre, d'une seule logique, d'un seul type d'écriture).

L'organisation des textes repose sur la chronologie, sur les différentesétapes soit vécues comme évidentes dans l'interprétation du schéma (flèches,forme circulaire), soit vécues comme contraintes organisatrices.

Quelque chose comme une notion de processus de transformation pro¬gressive semble être exprimé (le terme « devenir » est souvent utilisé) sans tou¬tefois que, pour la plupart des élèves, le processus du passage du cerisier enfleurs aux cerises soit très clair : celui-ci est traduit par le simple passage dutemps (texte 3), accompagné par une forme d'apparition (texte 4 : « un peu plustard, voici des cerises ») ou une production (texte 2 : « les cerisiers en fleurspoussent et forment des cerises »). Sans doute les élèves ont-ils déjà vu, àl'école en particulier, le passage de la graine à la plante ; il est plus rare d'obser¬ver le passage de la fleur au fruit. C'est par ailleurs un phénomène plus com¬plexe.

En général, les élèves ne se situent pas véritablement dans le registre del'explication du processus, probablement parce que la réalité de celui-ci leur estopaque. C'est la succession des moments dans le temps qui tient lieu d'explica-

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Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?

tion : les flèches sont traduites par des expressions temporelles, lesquelles figu¬rent déjà à certains endroits du schéma d'ailleurs. II serait intéressant de savoirs'il y a là une conception du monde : le seul processus de transformation auquelles enfants ont accès étant celui auquel ils se sentent soumis : le temps conduità grandir, à changer. On rejoint ici la conception première de la causalité« linéaire » repérée très régulièrement dans les études des conceptions en phy¬sique, où la succession chronologique des événements est interprétée commeun enchaînement linéaire d'une cause suivie d'un effet, etc.

La reprise des légendes du schéma conduit les élèves à produire un textequi est en fait une succession de phrases très courtes correspondant chacune àune légende. II faut cependant noter que cette reprise de mots et expressionsdu schéma est le seul moyen pour les élèves, qui ne disposent pas du vocabu¬laire nécessaire, d'avoir des mots pour en dire quelque chose. La reprise estd'ailleurs souvent partielle et semble correspondre à ce qui est compris - ainsi« le cycle de vie du Cerisier » (espèce) devient « la vie du cerisier » (individu).

2.2. Mais différentes façons d'écrire « scientifique »

Trois types de textes peuvent être identifiés qui correspondent sans douteà des manières privilégiées d'écrire chez les élèves quand ils veulent se situerdans le registre scientifique. Des exemples en seront donnés dans le para¬graphe suivant.

Le premier type est un texte rédigé à partir des reprises des énoncés duschéma dans une structure chronologique, texte homogène « scientifique » ausens qu'il organise une succession d'informations, avec un point de vue neutre,sans implication personnelle. Dans ce cas, écrire un texte en biologie, c'estraconter la vie d'un animal ou d'une plante. Faire de la biologie, c'est recueillirdes informations et les ordonner. Les textes sociaux de référence sont la mono¬graphie ou le documentaire (texte 3).

Dans le second type, les élèves donnent l'impression d'être obligés de pas¬ser par un geste « pratique » ou tout au moins d'avoir un « acteur » qui initie leprocessus. Ils transforment implicitement la consigne qui devient : « commentobtenir, faire, fabriquer des cerises ou un cerisier », et parfois l'explicitent :

« Pour faire des cerises, on prend..., ça fait. ». Pour ces élèves, écrire un textede biologie, c'est parler du vivant avec une représentation de la vie qui n'existequ'en relation avec une intervention humaine. Dans ce cas, décrire le processusqui permet au jardinier de faire pousser des fruits. Faire de la biologie, c'estcomprendre la succession des opérations techniques nécessaires pour quel'Homme tire partie du vivant. L'écrit social de référence, c'est le manuel desavoir-faire pratique (textes 1 et 11).

Mais cette action humaine orientée peut aussi être réduite à la successiondes actions : écrire un texte en biologie, c'est alors donner un mode d'emploiqui permet à un élève d'obtenir un phénomène. Faire de la biologie, c'est mani¬puler. La référence sociale, c'est peut-être le journal pour enfants ou l'activité declub, tous deux se référant au jardinage, ou l'activité de classe (on peut penser

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Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?

tion : les flèches sont traduites par des expressions temporelles, lesquelles figu¬rent déjà à certains endroits du schéma d'ailleurs. II serait intéressant de savoirs'il y a là une conception du monde : le seul processus de transformation auquelles enfants ont accès étant celui auquel ils se sentent soumis : le temps conduità grandir, à changer. On rejoint ici la conception première de la causalité« linéaire » repérée très régulièrement dans les études des conceptions en phy¬sique, où la succession chronologique des événements est interprétée commeun enchaînement linéaire d'une cause suivie d'un effet, etc.

La reprise des légendes du schéma conduit les élèves à produire un textequi est en fait une succession de phrases très courtes correspondant chacune àune légende. II faut cependant noter que cette reprise de mots et expressionsdu schéma est le seul moyen pour les élèves, qui ne disposent pas du vocabu¬laire nécessaire, d'avoir des mots pour en dire quelque chose. La reprise estd'ailleurs souvent partielle et semble correspondre à ce qui est compris - ainsi« le cycle de vie du Cerisier » (espèce) devient « la vie du cerisier » (individu).

2.2. Mais différentes façons d'écrire « scientifique »

Trois types de textes peuvent être identifiés qui correspondent sans douteà des manières privilégiées d'écrire chez les élèves quand ils veulent se situerdans le registre scientifique. Des exemples en seront donnés dans le para¬graphe suivant.

Le premier type est un texte rédigé à partir des reprises des énoncés duschéma dans une structure chronologique, texte homogène « scientifique » ausens qu'il organise une succession d'informations, avec un point de vue neutre,sans implication personnelle. Dans ce cas, écrire un texte en biologie, c'estraconter la vie d'un animal ou d'une plante. Faire de la biologie, c'est recueillirdes informations et les ordonner. Les textes sociaux de référence sont la mono¬graphie ou le documentaire (texte 3).

Dans le second type, les élèves donnent l'impression d'être obligés de pas¬ser par un geste « pratique » ou tout au moins d'avoir un « acteur » qui initie leprocessus. Ils transforment implicitement la consigne qui devient : « commentobtenir, faire, fabriquer des cerises ou un cerisier », et parfois l'explicitent :

« Pour faire des cerises, on prend..., ça fait. ». Pour ces élèves, écrire un textede biologie, c'est parler du vivant avec une représentation de la vie qui n'existequ'en relation avec une intervention humaine. Dans ce cas, décrire le processusqui permet au jardinier de faire pousser des fruits. Faire de la biologie, c'estcomprendre la succession des opérations techniques nécessaires pour quel'Homme tire partie du vivant. L'écrit social de référence, c'est le manuel desavoir-faire pratique (textes 1 et 11).

Mais cette action humaine orientée peut aussi être réduite à la successiondes actions : écrire un texte en biologie, c'est alors donner un mode d'emploiqui permet à un élève d'obtenir un phénomène. Faire de la biologie, c'est mani¬puler. La référence sociale, c'est peut-être le journal pour enfants ou l'activité declub, tous deux se référant au jardinage, ou l'activité de classe (on peut penser

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que « tu l'arroses tous les jours », « tu vois des jeunes plants » renvoie à uneexpérience de plantation de radis ou de haricots en classe). Pour mieux coller augenre « mode d'emploi », les élèves rajoutent parfois des indications temporellesqu'ils inventent ou des actions supplémentaires, comme l'arrosage (texte 6).

Un troisième type correspond à des textes complexes, hétérogènes, danslesquels il y a un point de vue organisateur (le cycle de vie) et où les élèves sem¬blent davantage énonciateurs que dans le type 1 . Le point de départ du cyclen'est pas systématiquement dans le noyau, mais dans les fleurs ou les cerises.Les indications de durée et les légendes du schéma ne sont pas toujours repro¬duites ; l'idée que le phénomène est cyclique est exprimée. Écrire un texte enbiologie, c'est énoncer une connaissance générale, et éventuellement le faire defaçon amusante pour intéresser le lecteur. Faire de la biologie, c'est établir desconnaissances. La référence sociale, c'est l'ouvrage de vulgarisation ou l'ency¬clopédie (textes 7 et 14).

Ces options dans l'écriture sont sans véritable rapport avec la justesse desconnaissances biologiques énoncées. Certes, le premier type de texte en estsouvent le plus proche, mais c'est parce qu'il est en grande partie constitué dereprises du document-source, en général partielles d'ailleurs.

On peut tenter des interprétations de ces réponses en terme des caracté¬ristiques qu'elles attribuent au langage de la discipline Biologie.

La science, c'est raconter un phénomène dans le premier cas. C'est faire,dans le deuxième cas. C'est trouver une explication dans le dernier cas.

Le point de départ de l'exercice, un schéma modélisant et une consigneorientée vers l'explication, tend à exclure les formes de discours apparentées àla résolution de problèmes - que l'on s'attendrait à trouver dans d'autrescontextes et qui constitueraient alors un quatrième type de conception du dis¬cours scientifique et de la science.

2.3. Des exemples

Les exemples suivants illustrent les différentes façons d'écrire en biologieque nous venons de proposer. Le titre donné à chaque texte d'élève fait réfé¬rence à la conception sous-jacente de l'écriture scientifique, et l'analyse précisele niveau de compréhension du phénomène biologique. Nous prenons ici le partide restaurer l'orthographe. Les caractères romains indiquent les termes reprisdes légendes du schéma.

Texte 3. Documentaire sur le cerisier. « La vie du cerisier »

En premier chaque noyau de cerise contient une graine.Puis après on plante les graines dans le sol.Ensuite, des jours passent, les jeunes plants ont poussé.Quelques années plus tard, te cerisier a des fleursEt ensuite, quelques mois passent le cerisier a des cerises

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que « tu l'arroses tous les jours », « tu vois des jeunes plants » renvoie à uneexpérience de plantation de radis ou de haricots en classe). Pour mieux coller augenre « mode d'emploi », les élèves rajoutent parfois des indications temporellesqu'ils inventent ou des actions supplémentaires, comme l'arrosage (texte 6).

Un troisième type correspond à des textes complexes, hétérogènes, danslesquels il y a un point de vue organisateur (le cycle de vie) et où les élèves sem¬blent davantage énonciateurs que dans le type 1 . Le point de départ du cyclen'est pas systématiquement dans le noyau, mais dans les fleurs ou les cerises.Les indications de durée et les légendes du schéma ne sont pas toujours repro¬duites ; l'idée que le phénomène est cyclique est exprimée. Écrire un texte enbiologie, c'est énoncer une connaissance générale, et éventuellement le faire defaçon amusante pour intéresser le lecteur. Faire de la biologie, c'est établir desconnaissances. La référence sociale, c'est l'ouvrage de vulgarisation ou l'ency¬clopédie (textes 7 et 14).

Ces options dans l'écriture sont sans véritable rapport avec la justesse desconnaissances biologiques énoncées. Certes, le premier type de texte en estsouvent le plus proche, mais c'est parce qu'il est en grande partie constitué dereprises du document-source, en général partielles d'ailleurs.

On peut tenter des interprétations de ces réponses en terme des caracté¬ristiques qu'elles attribuent au langage de la discipline Biologie.

La science, c'est raconter un phénomène dans le premier cas. C'est faire,dans le deuxième cas. C'est trouver une explication dans le dernier cas.

Le point de départ de l'exercice, un schéma modélisant et une consigneorientée vers l'explication, tend à exclure les formes de discours apparentées àla résolution de problèmes - que l'on s'attendrait à trouver dans d'autrescontextes et qui constitueraient alors un quatrième type de conception du dis¬cours scientifique et de la science.

2.3. Des exemples

Les exemples suivants illustrent les différentes façons d'écrire en biologieque nous venons de proposer. Le titre donné à chaque texte d'élève fait réfé¬rence à la conception sous-jacente de l'écriture scientifique, et l'analyse précisele niveau de compréhension du phénomène biologique. Nous prenons ici le partide restaurer l'orthographe. Les caractères romains indiquent les termes reprisdes légendes du schéma.

Texte 3. Documentaire sur le cerisier. « La vie du cerisier »

En premier chaque noyau de cerise contient une graine.Puis après on plante les graines dans le sol.Ensuite, des jours passent, les jeunes plants ont poussé.Quelques années plus tard, te cerisier a des fleursEt ensuite, quelques mois passent le cerisier a des cerises

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Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?

Le texte est organisé chronologiquement. Chaque phrase débute par uneindication de l'ordre chronologique : « en premier », « puis après », « ensuite ».

La disposition spatiale avec passage à la ligne pour chaque étape renforce cetteorganisation. Par imitation avec le « quelques années plus tard » repris d'unelégende du schéma, deux autres indications de durée sont ajoutées.

Toutes les étapes figurent, mais elles sont simplement juxtaposées, commedes états successifs : le cerisier a des fleurs, puis il a des cerises, sans qu'uneidée de transformation soit exprimée. Seule l'étape où les graines du noyau vontdans le sol ne peut être comprise par l'élève que comme le résultat d'une actionde l'homme (on plante) ; pour le reste, la rédaction est neutre : pratiquementtoutes les légendes sont reprises, les seuls ajouts sont les indications chronolo¬giques et les verbes « a » et « ont poussé ». Le souci semble être de resterobjectif en science, même si le propos est limité par l'absence de compréhen¬sion des transformations et de l'aspect cyclique du phénomène.

Texte 1. Le processus de croissance des cerisiers du point de vue dujardinier. « Le jardinier fait pousser un cerisier »

Le jardinper ?] veut avoir un cerisier, alors ils font planter les graines dansle sol. Plus tard les jeunes plants poussent. Quelques années plus tard...II y a les cerisiers en fleurs, les cerisiers en fleurs tombent. Plus tard il y ades cerises ef chaque noyau de cerise contient une graine.

Le cycle de vie d'un individu, partant de la graine et se terminant à la« graine dans noyau », est rapporté de façon complète, en partant de l'étape deplantation, première action du jardinier qui veut obtenir un cerisier. Toutes lesétapes du schéma sont reprises, mais il s'agit d'une juxtaposition d'états qui sesuivent sans transformation.

Là aussi la description du processus biologique est orientée par le projet del'homme. La première phrase motive l'intérêt du processus décrit pour l'homme.La suite du texte est une reprise des légendes du schéma avec ajout de mots deliaison (« plus tard », « il y a ») et de verbes (« poussent », « tombent »).

Texte 11. Mode d'emploi pour obtenir des cerises. « Comment fairepour obtenir des cerises »

Comment former un cerisier ? // faut planter des graines dans le sol, eflaisser grandir. Quelques années plus tard... ça formera des fleursblanches et ensuite les fleurs s'enlèveront une par une. et. formera descerises toutes rouges et seront bonnes à manger.

Les étapes se succèdent et sont juxtaposées, la succession est indiquéepar l'emploi du futur. Cependant plusieurs étapes sont omises (jeunes plants,cerisier en fleur, noyau), et en particulier l'étape noyau, ce qui fait que partantdes graines, on s'arrête aux cerises, le cycle ne boucle pas. C'est le projet d'ob¬tenir des cerises qui gouverne le texte, motive les sélections ; le processus bio¬logique n'intéresse que dans la mesure où il produit quelque chose d'intéressantpour l'homme. Les ajouts renforcent cette valorisation : « blanches », « rouges »,

« bonnes à manger », ils n'apportent rien sur le plan biologique.

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Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?

Le texte est organisé chronologiquement. Chaque phrase débute par uneindication de l'ordre chronologique : « en premier », « puis après », « ensuite ».

La disposition spatiale avec passage à la ligne pour chaque étape renforce cetteorganisation. Par imitation avec le « quelques années plus tard » repris d'unelégende du schéma, deux autres indications de durée sont ajoutées.

Toutes les étapes figurent, mais elles sont simplement juxtaposées, commedes états successifs : le cerisier a des fleurs, puis il a des cerises, sans qu'uneidée de transformation soit exprimée. Seule l'étape où les graines du noyau vontdans le sol ne peut être comprise par l'élève que comme le résultat d'une actionde l'homme (on plante) ; pour le reste, la rédaction est neutre : pratiquementtoutes les légendes sont reprises, les seuls ajouts sont les indications chronolo¬giques et les verbes « a » et « ont poussé ». Le souci semble être de resterobjectif en science, même si le propos est limité par l'absence de compréhen¬sion des transformations et de l'aspect cyclique du phénomène.

Texte 1. Le processus de croissance des cerisiers du point de vue dujardinier. « Le jardinier fait pousser un cerisier »

Le jardinper ?] veut avoir un cerisier, alors ils font planter les graines dansle sol. Plus tard les jeunes plants poussent. Quelques années plus tard...II y a les cerisiers en fleurs, les cerisiers en fleurs tombent. Plus tard il y ades cerises ef chaque noyau de cerise contient une graine.

Le cycle de vie d'un individu, partant de la graine et se terminant à la« graine dans noyau », est rapporté de façon complète, en partant de l'étape deplantation, première action du jardinier qui veut obtenir un cerisier. Toutes lesétapes du schéma sont reprises, mais il s'agit d'une juxtaposition d'états qui sesuivent sans transformation.

Là aussi la description du processus biologique est orientée par le projet del'homme. La première phrase motive l'intérêt du processus décrit pour l'homme.La suite du texte est une reprise des légendes du schéma avec ajout de mots deliaison (« plus tard », « il y a ») et de verbes (« poussent », « tombent »).

Texte 11. Mode d'emploi pour obtenir des cerises. « Comment fairepour obtenir des cerises »

Comment former un cerisier ? // faut planter des graines dans le sol, eflaisser grandir. Quelques années plus tard... ça formera des fleursblanches et ensuite les fleurs s'enlèveront une par une. et. formera descerises toutes rouges et seront bonnes à manger.

Les étapes se succèdent et sont juxtaposées, la succession est indiquéepar l'emploi du futur. Cependant plusieurs étapes sont omises (jeunes plants,cerisier en fleur, noyau), et en particulier l'étape noyau, ce qui fait que partantdes graines, on s'arrête aux cerises, le cycle ne boucle pas. C'est le projet d'ob¬tenir des cerises qui gouverne le texte, motive les sélections ; le processus bio¬logique n'intéresse que dans la mesure où il produit quelque chose d'intéressantpour l'homme. Les ajouts renforcent cette valorisation : « blanches », « rouges »,

« bonnes à manger », ils n'apportent rien sur le plan biologique.

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REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN

Texte 6 : Mode d'emploi pour enfants. « Amuse-toi à faire pousser descerises »

tu vas acheter des cerises tu veux un cerisier tu prends un noyau decerise tu le plantes dans la terre tu l'arroses tous les jours, tu vois desjeunes plants, quelques années plus tard, tu vois les cerises en fleurs ; 5mois plus, tu vois les cerises qui commencent à pousser (ils sont verts) 3mois plus tard tu vois le grosse cerise rouge, tu les manges, et en donnesà ton voisin.

On a ici un texte assez voisin du texte 1 1 sur le plan de la compréhensiondu processus. Mais ce qui tranche, c'est le style adopté : langage familier, for¬mat mode d'emploi, qui justifie les indications de durée (fantaisistes) ajoutées :

un mode d'emploi doit indiquer les durées de chaque étape ; observation juste(les cerises sont d'abord vertes) mais qui n'ont de pertinence ici que par rapporta l'attente de celui qui veut manger les cerises. En résumé, un texte réussi sur leplan de l'expression, mais qui rend compte de façon tout aussi partielle que letexte 1 1 du phénomène biologique.

Texte 7 : Exposé d'un processus biologique. « La naissance desarbres»

Chaque noyau de cerise contient une graine. La graine esf dans le solpour que plus tard II y ait de jeunes plants. Ff bien des années plus tardces jeunes plants formeront un cerisier en fleurs au printemps qui en étédonneront des cerises. Ef dans ces cerises il y a un noyau qui contientdes graines qui plus tard ces graines formeront de jeunes plants. . .

La succession des étapes est complète, il est possible qu'il y ait une idéede transformation : le mot « formeront » peut l'indiquer. Le cycle tourne, partantde noyau pour aboutir à jeune plant : un premier individu donne naissance à denouveaux individus. Bien que le discours prenne la forme d'un exposé général,l'expression « pour que plus tard » renvoie à une action humaine, qui motiveraitdonc cet exposé, malgré l'apparente neutralité de l'énonciation. Les ajouts parrapport aux légendes indiquent une connaissance du phénomène situé dans lessaisons (printemps, été).

2.4. Des postures d'écriture manifestant des différencesdans le rapport à l'école

Ces éléments d'interprétation ne peuvent laisser de côté le fait que lestextes ne sont sans doute pas indépendants du rapport à l'école des élèves ; il

est possible de les analyser de ce point de vue.

Trois postures sont identifiables, sur un continuum qui va de la soumissionprudente à la consigne jusqu'à une tentative d'appropriation du savoir :

- une posture « scolaire », au sens où l'élève est au plus près du texte ini¬tial, jusqu'à la copie, ce qui ne dit pas grand chose de sa compréhension duprocessus biologique ;

- une posture de narration, dans la mesure où l'élève situe le cycle de viecomme dépendant de l'action d'un agent extérieur humain qui plante et arrose ;

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REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN

Texte 6 : Mode d'emploi pour enfants. « Amuse-toi à faire pousser descerises »

tu vas acheter des cerises tu veux un cerisier tu prends un noyau decerise tu le plantes dans la terre tu l'arroses tous les jours, tu vois desjeunes plants, quelques années plus tard, tu vois les cerises en fleurs ; 5mois plus, tu vois les cerises qui commencent à pousser (ils sont verts) 3mois plus tard tu vois le grosse cerise rouge, tu les manges, et en donnesà ton voisin.

On a ici un texte assez voisin du texte 1 1 sur le plan de la compréhensiondu processus. Mais ce qui tranche, c'est le style adopté : langage familier, for¬mat mode d'emploi, qui justifie les indications de durée (fantaisistes) ajoutées :

un mode d'emploi doit indiquer les durées de chaque étape ; observation juste(les cerises sont d'abord vertes) mais qui n'ont de pertinence ici que par rapporta l'attente de celui qui veut manger les cerises. En résumé, un texte réussi sur leplan de l'expression, mais qui rend compte de façon tout aussi partielle que letexte 1 1 du phénomène biologique.

Texte 7 : Exposé d'un processus biologique. « La naissance desarbres»

Chaque noyau de cerise contient une graine. La graine esf dans le solpour que plus tard II y ait de jeunes plants. Ff bien des années plus tardces jeunes plants formeront un cerisier en fleurs au printemps qui en étédonneront des cerises. Ef dans ces cerises il y a un noyau qui contientdes graines qui plus tard ces graines formeront de jeunes plants. . .

La succession des étapes est complète, il est possible qu'il y ait une idéede transformation : le mot « formeront » peut l'indiquer. Le cycle tourne, partantde noyau pour aboutir à jeune plant : un premier individu donne naissance à denouveaux individus. Bien que le discours prenne la forme d'un exposé général,l'expression « pour que plus tard » renvoie à une action humaine, qui motiveraitdonc cet exposé, malgré l'apparente neutralité de l'énonciation. Les ajouts parrapport aux légendes indiquent une connaissance du phénomène situé dans lessaisons (printemps, été).

2.4. Des postures d'écriture manifestant des différencesdans le rapport à l'école

Ces éléments d'interprétation ne peuvent laisser de côté le fait que lestextes ne sont sans doute pas indépendants du rapport à l'école des élèves ; il

est possible de les analyser de ce point de vue.

Trois postures sont identifiables, sur un continuum qui va de la soumissionprudente à la consigne jusqu'à une tentative d'appropriation du savoir :

- une posture « scolaire », au sens où l'élève est au plus près du texte ini¬tial, jusqu'à la copie, ce qui ne dit pas grand chose de sa compréhension duprocessus biologique ;

- une posture de narration, dans la mesure où l'élève situe le cycle de viecomme dépendant de l'action d'un agent extérieur humain qui plante et arrose ;

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Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?

ces textes sont également ceux qui présentent le plus grand nombre deremarques subjectives d'évaluation des cerises (leur couleur, leur forme, leurgoût) ;

- une posture d'appropriation de la situation, dans la mesure où l'élèveconstruit un « cycle de vie » avec ses propres mots, ses propres conceptions(pas forcément justes !).

Si le maniement linguistique n'a que peu à voir avec la nature de la réponseà la consigne - les « fautes » diverses sont très nombreuses chez tous les élèves- en revanche, c'est la posture d'écriture que prend l'élève qui va faire la diffé¬rence : semblent entrer en ligne de compte le rapport de l'élève à l'activité et àl'inscription scolaire de celle-ci. Ainsi les textes qui paraissent manifester lacompréhension du processus ne sont pas pour autant les mieux construits, lesmieux écrits, les plus élaborés.

2.5. Deux consignes et leurs effets : narration « scientifique »

et récit

L'épreuve d'évaluation s'achève par la composition d'un texte, lequel doitêtre rédigé en une heure et demie au maximum. En cette année 1 997, les élèvesdevaient raconter une histoire, dans laquelle [ils introduiraient] la phrasesuivante : A ce moment-là, un bruit étrange lui signala qu'il (elle) n'était passeul(e) dans la maison. L'occasion nous était donc offerte de voir si les élèves,clairement invités à produire un texte narratif, adoptaient la même stratégied'écriture que celle qu'ils avaient mise en uvre lors de l'exercice « Cerisier ».

On traitera ici deux exemples contrastés, celui de l'élève 14 et celui de l'élève17, dont les deux productions sont données ci-après, dans leur forme originale,pour pouvoir, cette fois, mettre en relation la dimension linguistique avec lesautres.

Texte du Cerisier de l'élève 14

Le cerisier au débuts est une graine mais aubous de quelques semainesla graine jerme cette graine qui a jermé va devenir un arbuste et cettearbuste aubous de quelques années va devenir un arbre formet et il vaavoir des feuilles et après des fleurs ef c'esf fleurs vont faner aux prin¬temps et c'est fleurs vont avoir des ovules et c'est ovules après 2 ou 3mois vont faire des cerises qui contiaine des pépins c'est pépins vonttomber et vont aller dans la terre et ca recomance.

Texte du Cerisier de l'élève 17

Dès le début du cycle, chaque noyau de cerise contient une graine. Lesgraines sont cachées dans le sol. Puis vient les jeunes plants qui pous¬sent et quelques années plus tard, viennent enfin les petites graines ducerisier. Les graines poussent et deviennent de véritables et belles fleurs.Celles-ci fanent et tombes jusqu'au jours où poussent les jolies et bonnescerises rouges.Bon Appétit !

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Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?

ces textes sont également ceux qui présentent le plus grand nombre deremarques subjectives d'évaluation des cerises (leur couleur, leur forme, leurgoût) ;

- une posture d'appropriation de la situation, dans la mesure où l'élèveconstruit un « cycle de vie » avec ses propres mots, ses propres conceptions(pas forcément justes !).

Si le maniement linguistique n'a que peu à voir avec la nature de la réponseà la consigne - les « fautes » diverses sont très nombreuses chez tous les élèves- en revanche, c'est la posture d'écriture que prend l'élève qui va faire la diffé¬rence : semblent entrer en ligne de compte le rapport de l'élève à l'activité et àl'inscription scolaire de celle-ci. Ainsi les textes qui paraissent manifester lacompréhension du processus ne sont pas pour autant les mieux construits, lesmieux écrits, les plus élaborés.

2.5. Deux consignes et leurs effets : narration « scientifique »

et récit

L'épreuve d'évaluation s'achève par la composition d'un texte, lequel doitêtre rédigé en une heure et demie au maximum. En cette année 1 997, les élèvesdevaient raconter une histoire, dans laquelle [ils introduiraient] la phrasesuivante : A ce moment-là, un bruit étrange lui signala qu'il (elle) n'était passeul(e) dans la maison. L'occasion nous était donc offerte de voir si les élèves,clairement invités à produire un texte narratif, adoptaient la même stratégied'écriture que celle qu'ils avaient mise en uvre lors de l'exercice « Cerisier ».

On traitera ici deux exemples contrastés, celui de l'élève 14 et celui de l'élève17, dont les deux productions sont données ci-après, dans leur forme originale,pour pouvoir, cette fois, mettre en relation la dimension linguistique avec lesautres.

Texte du Cerisier de l'élève 14

Le cerisier au débuts est une graine mais aubous de quelques semainesla graine jerme cette graine qui a jermé va devenir un arbuste et cettearbuste aubous de quelques années va devenir un arbre formet et il vaavoir des feuilles et après des fleurs ef c'esf fleurs vont faner aux prin¬temps et c'est fleurs vont avoir des ovules et c'est ovules après 2 ou 3mois vont faire des cerises qui contiaine des pépins c'est pépins vonttomber et vont aller dans la terre et ca recomance.

Texte du Cerisier de l'élève 17

Dès le début du cycle, chaque noyau de cerise contient une graine. Lesgraines sont cachées dans le sol. Puis vient les jeunes plants qui pous¬sent et quelques années plus tard, viennent enfin les petites graines ducerisier. Les graines poussent et deviennent de véritables et belles fleurs.Celles-ci fanent et tombes jusqu'au jours où poussent les jolies et bonnescerises rouges.Bon Appétit !

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REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN

Les deux textes que nous avons choisis s'opposent dans chacune desdimensions que nous nous proposons d'envisager :

- Le texte 14 est imparfait du point de vue linguistique (orthographe,notamment grammaticale, ponctuation). C'est, en revanche, un textesatisfaisant du point de vue langagier - la consigne est respectée, le typede texte correspond à ce qui était demandé - comme du point de vueconceptuel : la notion de cycle est explicite, il y a des éléments explica¬tifs non redondants par rapport au schéma, et on ne trouve pas de traced'anthropomorphisme.

- A l'inverse du précédent, le texte 17 est satisfaisant du point de vue de lamaitrise de la norme - peu d'erreurs linguistiques d'orthographe et demorphologie-. Mais il est bien moins convaincant du point de vue langa¬gier : comme on l'a dit plus haut, pour le texte 1 1 analysé ci-dessus, « leprocessus biologique n'intéresse que dans la mesure où il produitquelque chose d'intéressant pour l'homme », qui mange les cerises avec« appétit » ; et cette chute du texte, combinée avec l'emploi des adjectifsévaluatifs véritables, belles, jolies contribue à transformer le projet dutexte, à le tirer du côté de la rédaction « fleurie » ; Enfin, le concept decycle, dont on ne saurait dire qu'il n'est pas compris, n'est en tout caspas explicite.

Les textes qu'on va à présent, pour chacun de ces deux élèves, mettre enregard du texte « cerisier », correspondent, selon la présentation de l'épreuved'évaluation destinée aux professeurs à « l'activité » suivante : Composer unrécit, c'est-à-dire respecter le libellé et la consigne ; assurer la cohérence tex¬tuelle ; respecter les contraintes de la langue.

Ce faisant, les deux élèves sont mis dans la situation de produire un récitdu type de ceux qu'ils ont lus et produits en grande quantité depuis leurs débutsdans l'écrit. Les contraintes de la structure narrative leur sont familières, et l'unet l'autre réussissent à traiter ce type de texte pour lequel ils ont subi un entrai¬nement constant. L'un et l'autre parviennent à intégrer, après avoir exposé la« situation initiale » de manière pertinente, l'élément perturbateur, de dégrada¬tion de la situation initiale, qui leur est proposé dans la consigne, et l'un etl'autre vont au terme d'un récit, jusqu'à la résolution, maîtrisant au passage lesmodes d'organisation du récit.

Est-ce à dire que les deux récits se valent, pour le professeur de français ?Certes, on peut faire l'hypothèse que le professeur de français préférera l'inspi¬ration plus plaisante du second texte, mais il s'agirait alors de références à unenorme qui n'a rien à voir avec la maitrise linguistique ou celle du texte.Indépendamment donc de ce dernier point, évidemment les deux textes ne sevalent pas, car, si les contraintes textuelles (étapes du récit, chronologie, cohé¬rence), ainsi que la dimension langagière (type de texte, prises en compte de laconsigne) sont satisfaites dans les deux cas, la fragilité linguistique de l'élève1 4, dont on ne pourrait espérer qu'elle ne se manifeste pas dans ce texte aussi,perturbe le niveau textuel. Outre les difficultés patentes évidemment dans l'or¬thographe, la ponctuation et la morphologie verbale, les indices de cohérencetextuels sont mal dominés : pronoms à référence ambiguë, ou même impossible

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REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN

Les deux textes que nous avons choisis s'opposent dans chacune desdimensions que nous nous proposons d'envisager :

- Le texte 14 est imparfait du point de vue linguistique (orthographe,notamment grammaticale, ponctuation). C'est, en revanche, un textesatisfaisant du point de vue langagier - la consigne est respectée, le typede texte correspond à ce qui était demandé - comme du point de vueconceptuel : la notion de cycle est explicite, il y a des éléments explica¬tifs non redondants par rapport au schéma, et on ne trouve pas de traced'anthropomorphisme.

- A l'inverse du précédent, le texte 17 est satisfaisant du point de vue de lamaitrise de la norme - peu d'erreurs linguistiques d'orthographe et demorphologie-. Mais il est bien moins convaincant du point de vue langa¬gier : comme on l'a dit plus haut, pour le texte 1 1 analysé ci-dessus, « leprocessus biologique n'intéresse que dans la mesure où il produitquelque chose d'intéressant pour l'homme », qui mange les cerises avec« appétit » ; et cette chute du texte, combinée avec l'emploi des adjectifsévaluatifs véritables, belles, jolies contribue à transformer le projet dutexte, à le tirer du côté de la rédaction « fleurie » ; Enfin, le concept decycle, dont on ne saurait dire qu'il n'est pas compris, n'est en tout caspas explicite.

Les textes qu'on va à présent, pour chacun de ces deux élèves, mettre enregard du texte « cerisier », correspondent, selon la présentation de l'épreuved'évaluation destinée aux professeurs à « l'activité » suivante : Composer unrécit, c'est-à-dire respecter le libellé et la consigne ; assurer la cohérence tex¬tuelle ; respecter les contraintes de la langue.

Ce faisant, les deux élèves sont mis dans la situation de produire un récitdu type de ceux qu'ils ont lus et produits en grande quantité depuis leurs débutsdans l'écrit. Les contraintes de la structure narrative leur sont familières, et l'unet l'autre réussissent à traiter ce type de texte pour lequel ils ont subi un entrai¬nement constant. L'un et l'autre parviennent à intégrer, après avoir exposé la« situation initiale » de manière pertinente, l'élément perturbateur, de dégrada¬tion de la situation initiale, qui leur est proposé dans la consigne, et l'un etl'autre vont au terme d'un récit, jusqu'à la résolution, maîtrisant au passage lesmodes d'organisation du récit.

Est-ce à dire que les deux récits se valent, pour le professeur de français ?Certes, on peut faire l'hypothèse que le professeur de français préférera l'inspi¬ration plus plaisante du second texte, mais il s'agirait alors de références à unenorme qui n'a rien à voir avec la maitrise linguistique ou celle du texte.Indépendamment donc de ce dernier point, évidemment les deux textes ne sevalent pas, car, si les contraintes textuelles (étapes du récit, chronologie, cohé¬rence), ainsi que la dimension langagière (type de texte, prises en compte de laconsigne) sont satisfaites dans les deux cas, la fragilité linguistique de l'élève1 4, dont on ne pourrait espérer qu'elle ne se manifeste pas dans ce texte aussi,perturbe le niveau textuel. Outre les difficultés patentes évidemment dans l'or¬thographe, la ponctuation et la morphologie verbale, les indices de cohérencetextuels sont mal dominés : pronoms à référence ambiguë, ou même impossible

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Page 159: REPERES - Institut Français De L'educationife.ens-lyon.fr/publications/edition-electronique/re...Eco, Six promenades dans les bois du roman etd'ailleurs, Grasset, 1996 Ce numéro

Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?

à établir (mais l'emploi de elle est peut-être un lapsus), valeur anaphorique del'article (par exemple, devant chambre en fin de texte) non maîtrisée, indicateursde lieu et d'espace chaotiques enfin, qui ne parviennent pas à assurer la cohé¬sion du texte. Ainsi apparaissent interdépendantes dans ce dernier texte, lesdimensions linguistiques et conceptuelles. A la différence, le récit 1 7, produit parun élève dont on a vu qu'il avait domestiqué suffisamment la norme linguistique,récit riche et fleuri d'adjectifs, témoigne sans surprise de sa bonne maitrise descontraintes narratives, déjà mise en Xuvre - à contre-emploi - dans le texte« cerisier ».

Dans ces deux exemples, et il faudrait certes analyser la totalité du cor¬pus pour fonder une telle interprétation , la dimension linguistique est indé¬pendante des deux autres dimensions, langagière et conceptuelle, quiapparaissent alors comme les deux faces étroitement dépendantes du projetd'écriture ; la disponibilité de ce que les instructions officielles en vigueur pour lecollège nomment « les outils de la langue » : la maitrise de la norme écrite,conçue dans un sens étroit, ne donne aucune garantie de la maitrise langagièreet conceptuelle.

Narration de l'élève 14 :

La maison antéePaul avait prévue de passé c'est vacances en Transilvanie et donc il loua

une maison très grand. Deux jour plus tard, Paul arrive dans la maison Le soir, ilceux couche a 11 h et a 11 h 30, il dorre, et à ce moment-l ' n it 'tran e luii n I 'il n'était as seul dans la m i n . Le lendemain il alla au parc, et le

lendemain, il y avait du sang sur les marche Paul monta la dernière marche ettrouva un homme décapité avec une tronssonneuse taché de sang, et toup d'uncoup, un homme surgie de la chambre et li dit : « Tu va mourire » Paul prie latronçonneuse et lui coupa la tête, et a se monentlà, Paul sortie de la maison etelle disparu, et on ne sue jamais ce qui amva à Paul.

Narration de l'élève 17 :

// était une fois au Nord de la France, dans une très grande maison, unejeune dame qui attendait son très cher époux. Cette nuit là, elle était seule. Sonchat c'était enfui et son mari lui avait confirmé qu'il devrait rentrer tard à causedu travail. Elle l'attendait en regardant la télévision, tout en espérant qu'il ne luianivera rien. La jeune dame finit tout de même à s'endormir, en laissant la téléallumait.

A un moment donné, elle entendit des bruits de pas. Elle crue que c'étaitson mari, alors elle se leva et elle alla vérifier dans le couloir. Mais ce n'était paslui. Alors la jeune fame se mit à avoir peur. Elle alla voir dans la cuisine, et à cem ment-là un i ' n I isi nala u'ellen'ét it s seule d n I m i n.

Elle demanda à toute voix « qui est là » ! personne ne répondit, alors elleretourna dans la salle à manger et attendit sur son canapé. Après quelquesminutes, elle vit son petit chat noir. Elle était heureuse de le revoir, et savait quec'était lui le responsable de tous ces bmits. Deux heures après, quelqu'un frappaà la porte, la dame ouvra et vit son mari. II rentra et tous le monde alla se cou¬cher car il était tous très fatigués. FIN

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Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?

à établir (mais l'emploi de elle est peut-être un lapsus), valeur anaphorique del'article (par exemple, devant chambre en fin de texte) non maîtrisée, indicateursde lieu et d'espace chaotiques enfin, qui ne parviennent pas à assurer la cohé¬sion du texte. Ainsi apparaissent interdépendantes dans ce dernier texte, lesdimensions linguistiques et conceptuelles. A la différence, le récit 1 7, produit parun élève dont on a vu qu'il avait domestiqué suffisamment la norme linguistique,récit riche et fleuri d'adjectifs, témoigne sans surprise de sa bonne maitrise descontraintes narratives, déjà mise en Xuvre - à contre-emploi - dans le texte« cerisier ».

Dans ces deux exemples, et il faudrait certes analyser la totalité du cor¬pus pour fonder une telle interprétation , la dimension linguistique est indé¬pendante des deux autres dimensions, langagière et conceptuelle, quiapparaissent alors comme les deux faces étroitement dépendantes du projetd'écriture ; la disponibilité de ce que les instructions officielles en vigueur pour lecollège nomment « les outils de la langue » : la maitrise de la norme écrite,conçue dans un sens étroit, ne donne aucune garantie de la maitrise langagièreet conceptuelle.

Narration de l'élève 14 :

La maison antéePaul avait prévue de passé c'est vacances en Transilvanie et donc il loua

une maison très grand. Deux jour plus tard, Paul arrive dans la maison Le soir, ilceux couche a 11 h et a 11 h 30, il dorre, et à ce moment-l ' n it 'tran e luii n I 'il n'était as seul dans la m i n . Le lendemain il alla au parc, et le

lendemain, il y avait du sang sur les marche Paul monta la dernière marche ettrouva un homme décapité avec une tronssonneuse taché de sang, et toup d'uncoup, un homme surgie de la chambre et li dit : « Tu va mourire » Paul prie latronçonneuse et lui coupa la tête, et a se monentlà, Paul sortie de la maison etelle disparu, et on ne sue jamais ce qui amva à Paul.

Narration de l'élève 17 :

// était une fois au Nord de la France, dans une très grande maison, unejeune dame qui attendait son très cher époux. Cette nuit là, elle était seule. Sonchat c'était enfui et son mari lui avait confirmé qu'il devrait rentrer tard à causedu travail. Elle l'attendait en regardant la télévision, tout en espérant qu'il ne luianivera rien. La jeune dame finit tout de même à s'endormir, en laissant la téléallumait.

A un moment donné, elle entendit des bruits de pas. Elle crue que c'étaitson mari, alors elle se leva et elle alla vérifier dans le couloir. Mais ce n'était paslui. Alors la jeune fame se mit à avoir peur. Elle alla voir dans la cuisine, et à cem ment-là un i ' n I isi nala u'ellen'ét it s seule d n I m i n.

Elle demanda à toute voix « qui est là » ! personne ne répondit, alors elleretourna dans la salle à manger et attendit sur son canapé. Après quelquesminutes, elle vit son petit chat noir. Elle était heureuse de le revoir, et savait quec'était lui le responsable de tous ces bmits. Deux heures après, quelqu'un frappaà la porte, la dame ouvra et vit son mari. II rentra et tous le monde alla se cou¬cher car il était tous très fatigués. FIN

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REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN

3. NARRATIVITÉ ET ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE

Nous avons vu que la tâche demandée dans cet exercice présente certainscaractères de la narration : il s'agit d'ordonner une certaine réalité concernant lecerisier selon une structure chronologique. A quelles conditions est-on dans lerécit narratif ou dans l'explicatif ? Dans quelle mesure la reprise de la chronolo¬gie des événements constitue-t-elle une explication ? L'explication signifie-t-ellequ'on doive introduire des éléments de l'ordre des processus (absents dans leschéma), par exemple sur la fécondation, qui relèvent d'un ordre différent decelui de la chronologie des événements ?

Peut-on s'autoriser le terme de « narration scientifique » que nous avonsutilisé au début de cet article ? Les écrits des élèves présentent souvent uncaractère narratif, dans la mesure où ils racontent ou présentent une chronolo¬gie d'événements successifs. C'est souvent le cas pour les phénomènes pré¬sentant une dimension temporelle. La chronologie du discours et celle duphénomène se superposent. II nous semble qu'à certaines conditions, on peutamener les élèves à écrire des textes narratifs qui entreraient dans le registrescientifique, soit comme passage vers le texte explicatif, soit comme aboutisse¬ment dans certains domaines du savoir où la dimension temporelle est détermi¬nante.

On se trouve ainsi amené à discuter de la place de la narration dans le dis¬cours scientifique, très controversée en didactique des sciences. Nous tente¬rons de poser les termes du débat et de faire quelques propositions. II ne fautpas lire ce qui suit comme des réponses établies mais comme des pistes propo¬sées à une réflexion en cours d'élaboration.

Très généralement, on trouve une méfiance vis-à-vis de la narration consi¬dérée comme antinomique du discours scientifique, et qui serait la traductiond'une forme première de la représentation sur la science, dans laquelle il suffiraitde raconter de façon ordonnée ce que l'on voit, ce que la nature nous donne àvoir, pour entrer dans le discours scientifique. L'éducation scientifique doit per¬mettre une rupture avec cette représentation de la science et du discours scien¬tifique et permettre de s'approprier la démarche scientifique et ses exigences :

s'émanciper de la subjectivité pour viser une objectivation (ce qui va de pairavec l'effacement du locuteur), dépasser le local pour viser le général, énoncerdes propositions vérifiables, ne pas assimiler la succession ou la juxtaposition àdes causes mais, au contraire, établir des relations qui ne soient pas linéairespour comprendre les processus.

D'un autre côté, on trouve exprimée la conscience du risque que ce soucid'objectivité renforce l'épistémologie naïve contre quoi justement on veut lutter.Le discours explicatif peut être reçu comme une vérité non discutable et nonproblématisée : la science nous révélerait des réalités absolues. Ogborn et Millar(1998), à la suite de Bruner (1996), relèvent les analogies entre le récit et l'expli¬cation scientifique : un ensemble de « personnages » avec leurs capacitéspropres ; une série d'événements problématiques auxquels réagissent les « per¬sonnages » ; les conséquences de ces événements et de ces actions. Donnerune place au récit dans l'enseignement scientifique aurait plusieurs fonctions :

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REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN

3. NARRATIVITÉ ET ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE

Nous avons vu que la tâche demandée dans cet exercice présente certainscaractères de la narration : il s'agit d'ordonner une certaine réalité concernant lecerisier selon une structure chronologique. A quelles conditions est-on dans lerécit narratif ou dans l'explicatif ? Dans quelle mesure la reprise de la chronolo¬gie des événements constitue-t-elle une explication ? L'explication signifie-t-ellequ'on doive introduire des éléments de l'ordre des processus (absents dans leschéma), par exemple sur la fécondation, qui relèvent d'un ordre différent decelui de la chronologie des événements ?

Peut-on s'autoriser le terme de « narration scientifique » que nous avonsutilisé au début de cet article ? Les écrits des élèves présentent souvent uncaractère narratif, dans la mesure où ils racontent ou présentent une chronolo¬gie d'événements successifs. C'est souvent le cas pour les phénomènes pré¬sentant une dimension temporelle. La chronologie du discours et celle duphénomène se superposent. II nous semble qu'à certaines conditions, on peutamener les élèves à écrire des textes narratifs qui entreraient dans le registrescientifique, soit comme passage vers le texte explicatif, soit comme aboutisse¬ment dans certains domaines du savoir où la dimension temporelle est détermi¬nante.

On se trouve ainsi amené à discuter de la place de la narration dans le dis¬cours scientifique, très controversée en didactique des sciences. Nous tente¬rons de poser les termes du débat et de faire quelques propositions. II ne fautpas lire ce qui suit comme des réponses établies mais comme des pistes propo¬sées à une réflexion en cours d'élaboration.

Très généralement, on trouve une méfiance vis-à-vis de la narration consi¬dérée comme antinomique du discours scientifique, et qui serait la traductiond'une forme première de la représentation sur la science, dans laquelle il suffiraitde raconter de façon ordonnée ce que l'on voit, ce que la nature nous donne àvoir, pour entrer dans le discours scientifique. L'éducation scientifique doit per¬mettre une rupture avec cette représentation de la science et du discours scien¬tifique et permettre de s'approprier la démarche scientifique et ses exigences :

s'émanciper de la subjectivité pour viser une objectivation (ce qui va de pairavec l'effacement du locuteur), dépasser le local pour viser le général, énoncerdes propositions vérifiables, ne pas assimiler la succession ou la juxtaposition àdes causes mais, au contraire, établir des relations qui ne soient pas linéairespour comprendre les processus.

D'un autre côté, on trouve exprimée la conscience du risque que ce soucid'objectivité renforce l'épistémologie naïve contre quoi justement on veut lutter.Le discours explicatif peut être reçu comme une vérité non discutable et nonproblématisée : la science nous révélerait des réalités absolues. Ogborn et Millar(1998), à la suite de Bruner (1996), relèvent les analogies entre le récit et l'expli¬cation scientifique : un ensemble de « personnages » avec leurs capacitéspropres ; une série d'événements problématiques auxquels réagissent les « per¬sonnages » ; les conséquences de ces événements et de ces actions. Donnerune place au récit dans l'enseignement scientifique aurait plusieurs fonctions :

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Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?

situer la recherche du sens par rapport à la résolution de l'événement inattenduet donc problématique, dans une « heuristique narrative » ; retrouver la notion depoint de vue (comme le narrateur, le scientifique construit les faits selon un cer¬tain point de vue).

Mais le récit dont il s'agit a une visée explicative de type théorique - cesauteurs utilisent le terme de « récit explicatif »-. II attribue à chaque « person¬nage » un caractère prototypique, représentant non pas un individu mais uneclasse d'objets, et a une validité externe (c'est parce que les mises en relationsont été validées par d'autres moyens que l'on peut attribuer un caractère d'inva¬riant au déroulement de l'histoire racontée).

L'intérêt de cette démarche, c'est de ne pas perdre de vue dans l'enseigne¬ment la visée explicative, souvent noyée sous une masse de détails enseignéesous une forme descriptive comme des attributs d'un objet, sans problème niexplication en réponse à ce problème. Le risque serait de ne pas faire com¬prendre le statut de la narration secondaire, c'est-à-dire son statut de discoursthéorique, et que, pour les élèves, ces explications aient le même statut que lescontes et légendes. En particulier, il est important d'amener les élèves à penserla science comme une construction collective humaine, avec des processus denégociations et de ruptures, et à accepter le caractère provisoire et les limites devalidité de l'explication.

Ne pourrait-on pas trouver une issue à la controverse en introduisant desdifférenciations ?

II n'existerait pas un discours scientifique mais plusieurs : plusieurs dis¬cours selon les domaines scientifiques relevant d'épistémologies différentes ;

plusieurs discours selon le degré de proximité à la science (scientifiques oucitoyen).

II n'existerait pas une seule forme de discours « scientifique » initial maisplusieurs. Par analogie avec les représentations initiales, terme indiquant quel'on veut prendre en compte les idées des élèves sur le monde pour les transfor¬mer avec continuités et ruptures, on peut considérer que les élèves disposentd'idées sur le langage et l'écriture scientifiques. Ils les traduisent sous la formede textes qu'on appellera premiers (antérieurs à l'apprentissage).

Nous avons repéré, dans les textes sur le Cerisier, plusieurs conceptions dudiscours scientifique et de la science : raconter une suite d'événements, obtenirun résultat de façon raisonnée, et expliquer un processus. Plus généralement,on pourrait distinguer trois grands types d'écrits premiers, correspondant à desvisées enonciatives différentes. Ils pourraient constituer des points d'appui versl'appropriation des discours scientifiques dans leur variété :

Le premier, monographie ou carte d'identité, relevant d'une pensée parattributs, met en jeu la spatialisation et la tabularisation ; il peut évoluervers un discours scientifique descriptif ; les progrès à réaliser sont le res¬pect des données (complétude) et la construction d'un point de vue.

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Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?

situer la recherche du sens par rapport à la résolution de l'événement inattenduet donc problématique, dans une « heuristique narrative » ; retrouver la notion depoint de vue (comme le narrateur, le scientifique construit les faits selon un cer¬tain point de vue).

Mais le récit dont il s'agit a une visée explicative de type théorique - cesauteurs utilisent le terme de « récit explicatif »-. II attribue à chaque « person¬nage » un caractère prototypique, représentant non pas un individu mais uneclasse d'objets, et a une validité externe (c'est parce que les mises en relationsont été validées par d'autres moyens que l'on peut attribuer un caractère d'inva¬riant au déroulement de l'histoire racontée).

L'intérêt de cette démarche, c'est de ne pas perdre de vue dans l'enseigne¬ment la visée explicative, souvent noyée sous une masse de détails enseignéesous une forme descriptive comme des attributs d'un objet, sans problème niexplication en réponse à ce problème. Le risque serait de ne pas faire com¬prendre le statut de la narration secondaire, c'est-à-dire son statut de discoursthéorique, et que, pour les élèves, ces explications aient le même statut que lescontes et légendes. En particulier, il est important d'amener les élèves à penserla science comme une construction collective humaine, avec des processus denégociations et de ruptures, et à accepter le caractère provisoire et les limites devalidité de l'explication.

Ne pourrait-on pas trouver une issue à la controverse en introduisant desdifférenciations ?

II n'existerait pas un discours scientifique mais plusieurs : plusieurs dis¬cours selon les domaines scientifiques relevant d'épistémologies différentes ;

plusieurs discours selon le degré de proximité à la science (scientifiques oucitoyen).

II n'existerait pas une seule forme de discours « scientifique » initial maisplusieurs. Par analogie avec les représentations initiales, terme indiquant quel'on veut prendre en compte les idées des élèves sur le monde pour les transfor¬mer avec continuités et ruptures, on peut considérer que les élèves disposentd'idées sur le langage et l'écriture scientifiques. Ils les traduisent sous la formede textes qu'on appellera premiers (antérieurs à l'apprentissage).

Nous avons repéré, dans les textes sur le Cerisier, plusieurs conceptions dudiscours scientifique et de la science : raconter une suite d'événements, obtenirun résultat de façon raisonnée, et expliquer un processus. Plus généralement,on pourrait distinguer trois grands types d'écrits premiers, correspondant à desvisées enonciatives différentes. Ils pourraient constituer des points d'appui versl'appropriation des discours scientifiques dans leur variété :

Le premier, monographie ou carte d'identité, relevant d'une pensée parattributs, met en jeu la spatialisation et la tabularisation ; il peut évoluervers un discours scientifique descriptif ; les progrès à réaliser sont le res¬pect des données (complétude) et la construction d'un point de vue.

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REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN

Le récit, l'histoire, organisés par une chronologie déroulante, mettent enjeu la temporalité, la causalité et conduisent à un discours scientifiqueexplicatif ; les progrès visés sont la mise en relation (lois empiriques,fonctions...) et la construction d'un problème ou d'un modèle.Le témoignage ou le jugement de valeur, avec une visée de persuasionoù la projection personnelle est dominante, sont les précurseurs d'un dis¬cours scientifique argumentatif ; les progrès visés sont la validation réfu-tatrice (recherche de preuve) et l'évaluation critique (exercice dusoupçon).

Les élèves qui réussissent à l'école sont ceux qui sont capables de circulerentre plusieurs visées, plusieurs postures cognitives et langagières (Bucheton,1997 ; Bautier, Rochex, 1998). L'enjeu de ces propositions, qui ne sont encoreque des esquisses, est de chercher les moyens didactiques de favoriser cettemobilité dans le domaine de l'apprentissage scientifique.

NOTES

(1) « Pratiques d'écriture dans l'enseignement des sciences expérimentales », rechercheconduite en association coordonnée par l'équipe de didactique des sciences expéri¬mentales, Institut National de Recherche Pédagogique. Le groupe de travail ayantconduit cette analyse comprenait, outre les auteurs, Jean-Pierre Astolfi, MartineSzterenbarg, Sophie Ceylon et Marie-Françoise Garreau.

(2) Évaluation à l'entrée en 6", français, Ministère de l'éducation nationale, de larecherche et de la technologie, 1997.

(3) Voir « La maîtrise de la langue au collège », Paris, CNDP, 1997, publication officielledu Ministère de l'Education Nationale.

BIBLIOGRAPHIE

ASTOLFI, J.-R, PETERFALVI, B. & VÉRIN, A. (1998) : Comment les enfantsapprennent les sciences. Paris, Retz, chapitre 4.

BAUTIER, E. & ROCHEIX, Y. (1998) : L'expérience scolaire des nouveaux lycéens.Massification ou démocratisation. Paris, A. Colin.

BRUNER, J. S. (1996) : L'éducation, entrée dans la culture. Paris, Retz.

BUCHETON, D., avec la collab. de E. BAUTIER (1997) : Conduites d'écriturechez les collégiens. Versailles, CRDP.

OGBORN, J. & MILLAR R. (1998) : Beyond science : Science education for thefuture. London, King's College.

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REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN

Le récit, l'histoire, organisés par une chronologie déroulante, mettent enjeu la temporalité, la causalité et conduisent à un discours scientifiqueexplicatif ; les progrès visés sont la mise en relation (lois empiriques,fonctions...) et la construction d'un problème ou d'un modèle.Le témoignage ou le jugement de valeur, avec une visée de persuasionoù la projection personnelle est dominante, sont les précurseurs d'un dis¬cours scientifique argumentatif ; les progrès visés sont la validation réfu-tatrice (recherche de preuve) et l'évaluation critique (exercice dusoupçon).

Les élèves qui réussissent à l'école sont ceux qui sont capables de circulerentre plusieurs visées, plusieurs postures cognitives et langagières (Bucheton,1997 ; Bautier, Rochex, 1998). L'enjeu de ces propositions, qui ne sont encoreque des esquisses, est de chercher les moyens didactiques de favoriser cettemobilité dans le domaine de l'apprentissage scientifique.

NOTES

(1) « Pratiques d'écriture dans l'enseignement des sciences expérimentales », rechercheconduite en association coordonnée par l'équipe de didactique des sciences expéri¬mentales, Institut National de Recherche Pédagogique. Le groupe de travail ayantconduit cette analyse comprenait, outre les auteurs, Jean-Pierre Astolfi, MartineSzterenbarg, Sophie Ceylon et Marie-Françoise Garreau.

(2) Évaluation à l'entrée en 6", français, Ministère de l'éducation nationale, de larecherche et de la technologie, 1997.

(3) Voir « La maîtrise de la langue au collège », Paris, CNDP, 1997, publication officielledu Ministère de l'Education Nationale.

BIBLIOGRAPHIE

ASTOLFI, J.-R, PETERFALVI, B. & VÉRIN, A. (1998) : Comment les enfantsapprennent les sciences. Paris, Retz, chapitre 4.

BAUTIER, E. & ROCHEIX, Y. (1998) : L'expérience scolaire des nouveaux lycéens.Massification ou démocratisation. Paris, A. Colin.

BRUNER, J. S. (1996) : L'éducation, entrée dans la culture. Paris, Retz.

BUCHETON, D., avec la collab. de E. BAUTIER (1997) : Conduites d'écriturechez les collégiens. Versailles, CRDP.

OGBORN, J. & MILLAR R. (1998) : Beyond science : Science education for thefuture. London, King's College.

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Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?

ANNEXE

LE CERISIER

Textes des élèves d'une classe de sixième d'un collège en ZEP

Nous reproduisons ci-dessous les réponses de tous les élèves d'une classede sixième en ZEP à la question sur le cycle de vie du Cerisier de l'épreuved'évaluation nationale des élèves entrant en sixième de 1 997. Pour faciliter lalecture, ces textes ne sont pas reproduits dans l'écriture manuscrite, mais saisisen caractères d'imprimerie. L'orthographe a été rétablie parce que l'analyse secentre sur le sens du texte plus que sur sa forme. La ponctuation a été respec¬tée et la disposition spatiale aussi dans les cas où elle paraissait avoir une signi¬fication.

Les caractères romains indiquent les termes repris du schéma.

1. OsmanLe jardinper ?] veut avoir un cerisier, alors ils font e» plantes les graines

dans le sol. Plus tard les jeunes plants poussent. Quelques années plus tard... //y a les cerisiers en fleurs, tes cerisiers en fleurs tombent. Plus tard il y a descerises ef chaque noyau de cerise contient une graine.

2. VincentOn met des noyaux dans la terre. Chaque noyau de cerise contient une

graine. Après les graines poussent et forment des jeunes plants et quelquesannées plus tard... ça forme un cerisier en fleurs. Et le cerisier en fleurs pousseet forme de belles cerises bien rouges.

3. AbdelkaderEn premier chaque noyau de cerise contient une graine.Puis après on plante les graines dans le sol.Ensuite, des jours passent, les jeunes plants ont poussé.Quelques années plus tard, te cerisier a des fleursEt ensuite, quelques mois passent le cerisier a des cerises

4. FaridLa vie du cerisier se commence par planter les noyaux, et chaque noyau

contient des graines en poussant ils deviennent de jeunes plantes avec leursracines. Quelques ans plus tard, te cerisier commence à fleurir à grandir. Un peuplus tard voici les cerises.

5. FatimaLa vie du cerisier évolue dans chaque noyau de cerise contient une grainequand les graines dans le sol évoluent ça nous fait des jeunes plantsQuelques années plus tard un cerisier en fleurs ef quelque temps après des

cerises voilà le le de la vie risier

6. Kellytu vas acheter des cerises tu veux un cerisier fu prends un noyau de cerise

fu te plantes dans la terre tu l'arroses tous les jours, tu vois des jeunes plants,

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Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?

ANNEXE

LE CERISIER

Textes des élèves d'une classe de sixième d'un collège en ZEP

Nous reproduisons ci-dessous les réponses de tous les élèves d'une classede sixième en ZEP à la question sur le cycle de vie du Cerisier de l'épreuved'évaluation nationale des élèves entrant en sixième de 1 997. Pour faciliter lalecture, ces textes ne sont pas reproduits dans l'écriture manuscrite, mais saisisen caractères d'imprimerie. L'orthographe a été rétablie parce que l'analyse secentre sur le sens du texte plus que sur sa forme. La ponctuation a été respec¬tée et la disposition spatiale aussi dans les cas où elle paraissait avoir une signi¬fication.

Les caractères romains indiquent les termes repris du schéma.

1. OsmanLe jardinper ?] veut avoir un cerisier, alors ils font e» plantes les graines

dans le sol. Plus tard les jeunes plants poussent. Quelques années plus tard... //y a les cerisiers en fleurs, tes cerisiers en fleurs tombent. Plus tard il y a descerises ef chaque noyau de cerise contient une graine.

2. VincentOn met des noyaux dans la terre. Chaque noyau de cerise contient une

graine. Après les graines poussent et forment des jeunes plants et quelquesannées plus tard... ça forme un cerisier en fleurs. Et le cerisier en fleurs pousseet forme de belles cerises bien rouges.

3. AbdelkaderEn premier chaque noyau de cerise contient une graine.Puis après on plante les graines dans le sol.Ensuite, des jours passent, les jeunes plants ont poussé.Quelques années plus tard, te cerisier a des fleursEt ensuite, quelques mois passent le cerisier a des cerises

4. FaridLa vie du cerisier se commence par planter les noyaux, et chaque noyau

contient des graines en poussant ils deviennent de jeunes plantes avec leursracines. Quelques ans plus tard, te cerisier commence à fleurir à grandir. Un peuplus tard voici les cerises.

5. FatimaLa vie du cerisier évolue dans chaque noyau de cerise contient une grainequand les graines dans le sol évoluent ça nous fait des jeunes plantsQuelques années plus tard un cerisier en fleurs ef quelque temps après des

cerises voilà le le de la vie risier

6. Kellytu vas acheter des cerises tu veux un cerisier fu prends un noyau de cerise

fu te plantes dans la terre tu l'arroses tous les jours, tu vois des jeunes plants,

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REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN

quelques années plus tard, tu vois les cerises en fleurs ; 5 mois plus, tu vois lescerises qui commencent à pousser (ils sont verts) 3 mois plus tard tu vois legrosse cerise rouge, tu les manges, et en donnes à ton voisin.

7. LaïciaChaque noyau de cerise contient une graine. La graine est dans le sol pour

que plus tard il y ait de jeunes plants. Et bien des années plus tard ces jeunesplants formeront un cerisier en fleurs au printemps qui en été donneront descerises. Et dans ces cerises il y aun noyau qui contient des graines qui plus tardces graines formeront de jeunes plants...

S. KahinaTout au début le noyau contient une graine, ef après les graines dans le sol

forment des jeunes plantes. Quelques années plus tard ça devient un cerisier enfleur ef commence à former une cerise et après il y a plusieurs cerises.

9. Sue EllenTout d'abord nous mettons des graines. Le cerisier petit à petit il grandit

dans le sol. Un peu plus tard il grandit et ça s'appelle les jeunes plants. Aprèsquelques années plus tard ça devient un grand arbre. La fleur pousse. Après elleest abimée et plus tard ça devient des cerises.

10. MetinLe c cl / vie du ceri i r

Plante des graines.Ils grandissent, quelques années plus tard te cerisier devient en fleur,

deviennent des cerises ef chaque noyau de cerise contient une graine.Plante-les et ça repartira.

H.AichaComment former un cerisier ? // faut planter des graines dans le sol, ef lais¬

ser grandir. Quelques années plus tard... ça formera des fleurs blanches etensuite les fleurs s'enlèveront une par une. et. formera des cerises toutes rougeset seront bonnes à manger.

12. SandyLes graines dans le sol bien planter. Après elle grandit les jeune plante.

Quelque année plus tard cette plante devient un cerisier en fleurs. Les fleurssont jolies et peu à peu elles fanent et ça nous fait des cerises dans [la] cerise ilya un noyau dans ce noyau ily a une graine ef c'esf avec cette graine que l'on faitpousser tes cerisiers.

13. MusluméEn début, ils mettent des graines dans le sol ef après ça devient des jeunes

plants que quelques années plus tard ça sort des cerisiers en fleurs, après descerises toutes belles.

14. AurélienLe cerisier au début est une graine mais au bout de quelques semaines la

graine germe, cette graine qui a germé va devenir un arbuste et cet arbuste au

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REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN

quelques années plus tard, tu vois les cerises en fleurs ; 5 mois plus, tu vois lescerises qui commencent à pousser (ils sont verts) 3 mois plus tard tu vois legrosse cerise rouge, tu les manges, et en donnes à ton voisin.

7. LaïciaChaque noyau de cerise contient une graine. La graine est dans le sol pour

que plus tard il y ait de jeunes plants. Et bien des années plus tard ces jeunesplants formeront un cerisier en fleurs au printemps qui en été donneront descerises. Et dans ces cerises il y aun noyau qui contient des graines qui plus tardces graines formeront de jeunes plants...

S. KahinaTout au début le noyau contient une graine, ef après les graines dans le sol

forment des jeunes plantes. Quelques années plus tard ça devient un cerisier enfleur ef commence à former une cerise et après il y a plusieurs cerises.

9. Sue EllenTout d'abord nous mettons des graines. Le cerisier petit à petit il grandit

dans le sol. Un peu plus tard il grandit et ça s'appelle les jeunes plants. Aprèsquelques années plus tard ça devient un grand arbre. La fleur pousse. Après elleest abimée et plus tard ça devient des cerises.

10. MetinLe c cl / vie du ceri i r

Plante des graines.Ils grandissent, quelques années plus tard te cerisier devient en fleur,

deviennent des cerises ef chaque noyau de cerise contient une graine.Plante-les et ça repartira.

H.AichaComment former un cerisier ? // faut planter des graines dans le sol, ef lais¬

ser grandir. Quelques années plus tard... ça formera des fleurs blanches etensuite les fleurs s'enlèveront une par une. et. formera des cerises toutes rougeset seront bonnes à manger.

12. SandyLes graines dans le sol bien planter. Après elle grandit les jeune plante.

Quelque année plus tard cette plante devient un cerisier en fleurs. Les fleurssont jolies et peu à peu elles fanent et ça nous fait des cerises dans [la] cerise ilya un noyau dans ce noyau ily a une graine ef c'esf avec cette graine que l'on faitpousser tes cerisiers.

13. MusluméEn début, ils mettent des graines dans le sol ef après ça devient des jeunes

plants que quelques années plus tard ça sort des cerisiers en fleurs, après descerises toutes belles.

14. AurélienLe cerisier au début est une graine mais au bout de quelques semaines la

graine germe, cette graine qui a germé va devenir un arbuste et cet arbuste au

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Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?

bouf de quelques années va devenir un arbre formé et il va avoir des feuilles etaprès des fleurs ef ces fleurs vont faner au printemps et ces fleurs vont avoir desovules et ces ovules après 2 ou 3 mois vont faire des cerises qui contiennent despépins ces pépins vont tomber et vont aller dans la terre et ça recommence.

15. JonathanChaque noyau de cerise contient une graineune graine qu'on plante dans le solqui deviennent des jeunes plantesQuelques années plus tard le cerisier fait de jeunes fleurs ef ensuite font

des cerises.

16. OznanLe jardinier fait pousser des graines dans le sol.Les jeunes plants naissent petit à petit. Le cerisier en fleur esf rempli de

feuilles de cerisier il pousse petit à petit et bientôt les cerises seront mangées.Chaque noyau de cerise contient une grainete jardinier décide de refaire pousser des arbres de cerises.

17. SabrinaDès le début du cycle, chaque noyau de cerise contient une graine. Les

graines sont cachées dans le sol. Puis vient les jeunes plants gu; poussent etquelques années plus tard, viennent enfin les petites graines du cerisier. Lesgraines poussent et deviennent de véritables et belles fleurs. Celles-ci fanent ettombent jusqu'au jour où poussent les jolies et bonnes cerises rouges.

Bon appétit !

18. CherazadLe cycle de vie du cerisier est un arbre spécial, il donne des fleurs qui après

meurent et de belles cerises poussent après eux. Chaque noyau de cerisecontient une graine ef après les graines qui restent au sol commencent tous unpar un et des plantes appelées les jeunes plants. Quelques années plus tardviennent les...

19. KarimAu début les cerisiers sont des graines qui deviendront des jeunes plantes

puis quelques années plus tard un cerisier fleuri ensuite sortir des fleurs descerises où teurs noyaux contiennent une graine qu'on plantera.

20. SibelPour faire les cerises on prend déjà un noyau de cerise qui contient une

graine quelques semaines plus tard ça fait des jeunes plantes ef quelquesannées plus tard = cerisier en fleur, après derrière ses feuilles commencent lescerises.

21. MarinaLes fleurs des cerisiers poussent et deviennent des cerises. Les noyaux de

ces cerises contiennent des graines. On prend ces graines ef on les plante.Quelques années plus tard, tes cerisiers sont en fleurs.

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Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?

bouf de quelques années va devenir un arbre formé et il va avoir des feuilles etaprès des fleurs ef ces fleurs vont faner au printemps et ces fleurs vont avoir desovules et ces ovules après 2 ou 3 mois vont faire des cerises qui contiennent despépins ces pépins vont tomber et vont aller dans la terre et ça recommence.

15. JonathanChaque noyau de cerise contient une graineune graine qu'on plante dans le solqui deviennent des jeunes plantesQuelques années plus tard le cerisier fait de jeunes fleurs ef ensuite font

des cerises.

16. OznanLe jardinier fait pousser des graines dans le sol.Les jeunes plants naissent petit à petit. Le cerisier en fleur esf rempli de

feuilles de cerisier il pousse petit à petit et bientôt les cerises seront mangées.Chaque noyau de cerise contient une grainete jardinier décide de refaire pousser des arbres de cerises.

17. SabrinaDès le début du cycle, chaque noyau de cerise contient une graine. Les

graines sont cachées dans le sol. Puis vient les jeunes plants gu; poussent etquelques années plus tard, viennent enfin les petites graines du cerisier. Lesgraines poussent et deviennent de véritables et belles fleurs. Celles-ci fanent ettombent jusqu'au jour où poussent les jolies et bonnes cerises rouges.

Bon appétit !

18. CherazadLe cycle de vie du cerisier est un arbre spécial, il donne des fleurs qui après

meurent et de belles cerises poussent après eux. Chaque noyau de cerisecontient une graine ef après les graines qui restent au sol commencent tous unpar un et des plantes appelées les jeunes plants. Quelques années plus tardviennent les...

19. KarimAu début les cerisiers sont des graines qui deviendront des jeunes plantes

puis quelques années plus tard un cerisier fleuri ensuite sortir des fleurs descerises où teurs noyaux contiennent une graine qu'on plantera.

20. SibelPour faire les cerises on prend déjà un noyau de cerise qui contient une

graine quelques semaines plus tard ça fait des jeunes plantes ef quelquesannées plus tard = cerisier en fleur, après derrière ses feuilles commencent lescerises.

21. MarinaLes fleurs des cerisiers poussent et deviennent des cerises. Les noyaux de

ces cerises contiennent des graines. On prend ces graines ef on les plante.Quelques années plus tard, tes cerisiers sont en fleurs.

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REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN

22. Abdel KhaledChaque cerise, contient une graine. Les graines, une fois plantées dans le

sol, // faudra les arroser pendant quelques années. II y aura les jeunes plants quipousseront, à une condition que les gens ne les écrasent pas. Une fois lesgraines grandies, voilà un arbre, un cerisier qu; fait des cerises, mûres, etbonnes.

23. FadilOn prend des graines de noyaux de cerises après on les plante dans le sol

on arrose les graines. Les graines deviennent des plantes et quelques annéesplus tard elles deviennent l'arbre de cerisier.

24. JulienNous avons planté des noyaux de cerises et au bout de quelques semaines

des jeunes plants ont poussé et quelques années après nous avons obtenu uncerisier en fleurs. Ses fleurs ont donné des cerises.

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REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN

22. Abdel KhaledChaque cerise, contient une graine. Les graines, une fois plantées dans le

sol, // faudra les arroser pendant quelques années. II y aura les jeunes plants quipousseront, à une condition que les gens ne les écrasent pas. Une fois lesgraines grandies, voilà un arbre, un cerisier qu; fait des cerises, mûres, etbonnes.

23. FadilOn prend des graines de noyaux de cerises après on les plante dans le sol

on arrose les graines. Les graines deviennent des plantes et quelques annéesplus tard elles deviennent l'arbre de cerisier.

24. JulienNous avons planté des noyaux de cerises et au bout de quelques semaines

des jeunes plants ont poussé et quelques années après nous avons obtenu uncerisier en fleurs. Ses fleurs ont donné des cerises.

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SUJET ET HEROS DU RECIT BIOGRAPHIQUEL'EXEMPLE DES HISTOIRES DE VIE

ENSEIGNANTES

Régis MALETSciences de l'Éducation, Université Charles de Gaulle - Lille 3

Résumé : Le recours à l'approche biographique recouvre une diversité de pra¬

tiques et des préoccupations de recherche et/ou de formation variées. Articulantdes interrogations d'ordre tiiéorique sur la conception du récit et du sujet dans

l'expérience biographique et d'ordre plus strictement méthodologique et épisté¬

mologique sur l'usage de cette approche en formation d'enseignants, le proposde cet article est double :

- élucider tout d'abord le statut du récit et de l'histoire à l'uvre dans le discoursbiographique, la figure du narrateur-héros mis en intrigue dans l'espace biogra¬phique et le sujet qu'il promeut. Le récit de vie est travaillé dans sa doubledimension sémantique et pragmatique.- proposer ensuite une approche des recherches mobilisant les histoires de vie en

formation d'enseignants, en pointant les usages du récit que ces travaux tendentà valoriser. La variété de ces usages cristallise une interrogation sur les savoirsenseignants et sur la place qui peut être conférée en formation à ces savoirs nar¬

ratifs élaborés dans le récit de vie de l'enseignant.

INTRODUCTION : LE RECIT DE VIE COMME TEXTE ET COMMEESPACE SUBJECTIF

Longtemps les sciences de l'homme ne se sont guère intéressées au vécusingulier, préoccupées qu'elles étaient de légitimer leur statut par des procé¬dures de recherche démonstratives et objectivantes, en rupture d'avec le senscommun. « Entrée en contrebande dans l'univers savant » (Bourdieu, 1986 : 69),la notion d'histoire de vie a de fait été accueillie avec une certaine incrédulité parles sciences sociales. L'investissement de ces textes du vécu singulier, objetsau statut ambigu et au contenu disparate, a été suspecté de survaloriser les rai¬

sons du sujet et de favoriser l'expression d'une idéologie biographique, leur¬rante tout autant pour les historiens de leur vie que pour les chercheurs,complices de cette entreprise négociée de falsification.

Pourtant, sous l'impulsion d'un renouveau des sciences sociales vacillantesdans leur prétention séculaire à objectiver et légiférer le monde social au prixd'une expulsion de la figure du sujet, ce dernier a été progressivement réhabilité,soutenu en cela par la promotion de formes de connaissances moins taraudées

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SUJET ET HEROS DU RECIT BIOGRAPHIQUEL'EXEMPLE DES HISTOIRES DE VIE

ENSEIGNANTES

Régis MALETSciences de l'Éducation, Université Charles de Gaulle - Lille 3

Résumé : Le recours à l'approche biographique recouvre une diversité de pra¬

tiques et des préoccupations de recherche et/ou de formation variées. Articulantdes interrogations d'ordre tiiéorique sur la conception du récit et du sujet dans

l'expérience biographique et d'ordre plus strictement méthodologique et épisté¬

mologique sur l'usage de cette approche en formation d'enseignants, le proposde cet article est double :

- élucider tout d'abord le statut du récit et de l'histoire à l'uvre dans le discoursbiographique, la figure du narrateur-héros mis en intrigue dans l'espace biogra¬phique et le sujet qu'il promeut. Le récit de vie est travaillé dans sa doubledimension sémantique et pragmatique.- proposer ensuite une approche des recherches mobilisant les histoires de vie en

formation d'enseignants, en pointant les usages du récit que ces travaux tendentà valoriser. La variété de ces usages cristallise une interrogation sur les savoirsenseignants et sur la place qui peut être conférée en formation à ces savoirs nar¬

ratifs élaborés dans le récit de vie de l'enseignant.

INTRODUCTION : LE RECIT DE VIE COMME TEXTE ET COMMEESPACE SUBJECTIF

Longtemps les sciences de l'homme ne se sont guère intéressées au vécusingulier, préoccupées qu'elles étaient de légitimer leur statut par des procé¬dures de recherche démonstratives et objectivantes, en rupture d'avec le senscommun. « Entrée en contrebande dans l'univers savant » (Bourdieu, 1986 : 69),la notion d'histoire de vie a de fait été accueillie avec une certaine incrédulité parles sciences sociales. L'investissement de ces textes du vécu singulier, objetsau statut ambigu et au contenu disparate, a été suspecté de survaloriser les rai¬

sons du sujet et de favoriser l'expression d'une idéologie biographique, leur¬rante tout autant pour les historiens de leur vie que pour les chercheurs,complices de cette entreprise négociée de falsification.

Pourtant, sous l'impulsion d'un renouveau des sciences sociales vacillantesdans leur prétention séculaire à objectiver et légiférer le monde social au prixd'une expulsion de la figure du sujet, ce dernier a été progressivement réhabilité,soutenu en cela par la promotion de formes de connaissances moins taraudées

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REPÈRES N° 21/2000 R- MALET

par le paradigme de la démonstration et de l'objectivité (Lyotard, 1979 ;

Maffesoli, 1990). Les disciplines instituées, à commencer par l'ethnologie, lasociologie (Ferrarotti, 1983 ; Poirier, ef. al., 1983) et l'histoire (Thompson, 1978 ;

Joutard, 1983), ont progressivement redécouvert le sujet et la valeur signifiantede ses récits. En sciences de l'éducation, les histoires singulières apparaissentde plus en plus comme une voie propre à enseigner chercheurs et formateurssur les rapports des acteurs de l'éducation à l'école, au savoir, au métier ouencore sur les processus d'apprentissage à l'uvre dans les situations éduca¬tives et formatives. Envisagé comme espace potentiel de formation et d'actuali¬sation de soi par certains (Dominicé, 1990 ; Pineau, 1998), le récit de viedemeure pour d'autres (Bertaux, 1980 ; Demazière et Dubar, 1997) un moyenprivilégié d'accès au sens incarné des pratiques sociales. Dans tous les cas, sonusage est travaillé par la question de l'identité : personnelle, professionnelle oupsycho-sociale (Malet, 1998).

Le propos ne sera pas ici de construire des typologies ou de mesurer lalégitimité de l'usage des histoires de vie en sciences anthropo-sociales ;

d'autres auteurs ont exploré cette question selon l'intérêt de connaissance quiles guide (Bertaux, 1997 ; Finger, 1984 ; Legrand, 1993 ; Pineau et Le Grand,1996). Je proposerai pour ma part une approche herméneutique du récit de vie,en envisageant le récit comme texte et comme espace (inter)subjectif, avant deglisser ensuite vers l'exploration des potentialités de l'usage des histoires de vie(1) sur un terrain spécifique, celui de la formation des enseignants, ce qui nousdonnera l'occasion d'élargir le questionnement sur le terrain méthodologique etsocio-épistémologique.

Les récits de vie posent frontalement la question anthropologique fonda¬mentale, celle du sens de la vie, et affrontent le problème qui est de comprendrecomment un sujet peut « se devenir » et se reconnaître tout en changeant conti¬nûment dans le temps. Cette problématique existentielle, qui est celle de l'iden¬tité et de sa figuration narrative, peut s'entendre selon deux perspectives,successivement traitées : sémantique tout d'abord - attentive au texte queconstitue l'histoire de vie et au héros qui la trame -, pragmatique ensuite - intér¬essée par la figure subjective dévoilée par l'acte narratif même -. Ce qui consti¬tue donc le propos, c'est d'éclairer te récit de vie comme texte et commeespace d'émergence du sujet.

Le récit qui nous intéresse ici est le récit oral, qui se déploie dans un actede parole tenu à un narrataire. II se distingue donc de toute production biogra¬phique écrite (autobiographie, journal, mémoires), principalement distincte dupremier en ce qu'elle ne résulte pas d'une situation d'interlocution. Les récits devie sont en effet le lieu d'une double rencontre : avec soi-même d'abord, projetéet différencié sous la figure du « je » dans l'espace narratif ; avec l'autre ensuite,celui face auquel l'énonciateur « se produit » en se racontant. Espace d'auto-référenciation, le récit de vie est aussi le lieu intersubjectif où les textes du vécusont mis en partage, échangés. Envisager l'histoire de vie comme texte est bienentendu discutable, dans la mesure où le texte désigne « un discours fixé parl'écriture » (Ricoeur, 1986 : 154), et que l'histoire de vie est d'abord produitedans une situation d'échange verbal ; pourtant, par l'écart créateur qu'elle intro-

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REPÈRES N° 21/2000 R- MALET

par le paradigme de la démonstration et de l'objectivité (Lyotard, 1979 ;

Maffesoli, 1990). Les disciplines instituées, à commencer par l'ethnologie, lasociologie (Ferrarotti, 1983 ; Poirier, ef. al., 1983) et l'histoire (Thompson, 1978 ;

Joutard, 1983), ont progressivement redécouvert le sujet et la valeur signifiantede ses récits. En sciences de l'éducation, les histoires singulières apparaissentde plus en plus comme une voie propre à enseigner chercheurs et formateurssur les rapports des acteurs de l'éducation à l'école, au savoir, au métier ouencore sur les processus d'apprentissage à l'uvre dans les situations éduca¬tives et formatives. Envisagé comme espace potentiel de formation et d'actuali¬sation de soi par certains (Dominicé, 1990 ; Pineau, 1998), le récit de viedemeure pour d'autres (Bertaux, 1980 ; Demazière et Dubar, 1997) un moyenprivilégié d'accès au sens incarné des pratiques sociales. Dans tous les cas, sonusage est travaillé par la question de l'identité : personnelle, professionnelle oupsycho-sociale (Malet, 1998).

Le propos ne sera pas ici de construire des typologies ou de mesurer lalégitimité de l'usage des histoires de vie en sciences anthropo-sociales ;

d'autres auteurs ont exploré cette question selon l'intérêt de connaissance quiles guide (Bertaux, 1997 ; Finger, 1984 ; Legrand, 1993 ; Pineau et Le Grand,1996). Je proposerai pour ma part une approche herméneutique du récit de vie,en envisageant le récit comme texte et comme espace (inter)subjectif, avant deglisser ensuite vers l'exploration des potentialités de l'usage des histoires de vie(1) sur un terrain spécifique, celui de la formation des enseignants, ce qui nousdonnera l'occasion d'élargir le questionnement sur le terrain méthodologique etsocio-épistémologique.

Les récits de vie posent frontalement la question anthropologique fonda¬mentale, celle du sens de la vie, et affrontent le problème qui est de comprendrecomment un sujet peut « se devenir » et se reconnaître tout en changeant conti¬nûment dans le temps. Cette problématique existentielle, qui est celle de l'iden¬tité et de sa figuration narrative, peut s'entendre selon deux perspectives,successivement traitées : sémantique tout d'abord - attentive au texte queconstitue l'histoire de vie et au héros qui la trame -, pragmatique ensuite - intér¬essée par la figure subjective dévoilée par l'acte narratif même -. Ce qui consti¬tue donc le propos, c'est d'éclairer te récit de vie comme texte et commeespace d'émergence du sujet.

Le récit qui nous intéresse ici est le récit oral, qui se déploie dans un actede parole tenu à un narrataire. II se distingue donc de toute production biogra¬phique écrite (autobiographie, journal, mémoires), principalement distincte dupremier en ce qu'elle ne résulte pas d'une situation d'interlocution. Les récits devie sont en effet le lieu d'une double rencontre : avec soi-même d'abord, projetéet différencié sous la figure du « je » dans l'espace narratif ; avec l'autre ensuite,celui face auquel l'énonciateur « se produit » en se racontant. Espace d'auto-référenciation, le récit de vie est aussi le lieu intersubjectif où les textes du vécusont mis en partage, échangés. Envisager l'histoire de vie comme texte est bienentendu discutable, dans la mesure où le texte désigne « un discours fixé parl'écriture » (Ricoeur, 1986 : 154), et que l'histoire de vie est d'abord produitedans une situation d'échange verbal ; pourtant, par l'écart créateur qu'elle intro-

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Sujet et héros du récit biographique

duit entre l'expérience vécue et sa mise en intrigue, par la caractérisation d'unhéros et la désignation différée de son auteur qu'elle dessine, l'histoire de vieopère, nous allons le mesurer, comme un quasi-texte.

1. L'HISTOIRE DE VIE ET SON HÉROS

La première tâche d'une elucidation du récit de vie est de s'intéresser àl'acte de dire, de se raconter. Le fait majeur du récit, c'est probablement le dis¬cours lui-même, ou, selon la formule de H. James, « l'histoire de l'histoire »

(1984 : 1309). Pour autant que la spécificité du discours biographique soit devoir se superposer et se prolonger l'un et l'autre hors du texte, sujet de l'histoire(le « héros ») et sujet du récit (l'énonciateur) demeurent dans l'espace du récit devie distincts. Aussi insaisissable soit-il, le sujet de l'histoire est contenu, circons¬crit dans l'histoire même qui est son ancrage, son milieu, pendant que l'actenarratif opère le dévoilement d'un sujet qui, bien qu'initiateur du récit, demeureatopos. Si l'on envisage ainsi « l'histoire que nous raconte le récit », le(s) person¬nage^) - et donc en premier lieu son héros, le narrateur - s'y voie(nt) confier uneidentité, un caractère stable, homéostatique, car la cohésion caractérise le dis¬cours pris à son niveau diégétique. En revanche, au niveau extradiégétique del'acte narratif, l'identité du sujet n'est pas intrinsèque et circonscrite à un récitqui demeure un moment de sa vie, mais instituée, exprimée par celui-là mêmeet éprouvée hors de lui. Ce qu'il convient d'éclairer, c'est donc tout autant lanature du récit à l'ceuvre dans l'histoire de vie que la figure du sujet promue parle récit de vie, hors du champ narratif.

II convient donc tout d'abord de prendre la mesure de ce que Ricoeurnomme « l'opacité du signe » (Ricoeur, 1990 : 57), à savoir le fait que l'acted'énonciation entre en interférence avec l'aspiration de transparence propre à lavisée référentielle du discours. Les actes de discours prennent sens dans lecadre initiateur d'un présent sui-référentiel, c'est-à-dire d'un moment quiembrasse dans un même mouvement les énoncés et l'acte d'énonciation. C'estce que les théoriciens des actes de langage (Austin, 1962 ; Searle, 1972) explici¬tent en inscrivant la parole dans l'ordre de l'agir, opérant une distinction entredeux catégories d'énoncés : les performatifs et les constatifs. Les premiers sup¬posent que l'énoncé réalise, « performe » l'action qu'il formule (« je t'aime »), fai¬sant coïncider acte diégétique et acte extradiégétique. Les seconds consistentsimplement, comme leur nom l'indique, à constater, à décrire (« il l'aime »).

Toutefois, et même si Searle dépasse déjà la conception austinienne - qui réduitles énoncés performatifs aux seules affirmations en première personne - enouvrant sur des catégories différentes d'actes (les constatifs étant dès lors inté¬grés comme forme particulière de faire), le caractère performatif de la parole estélargi à tout acte d'énonciation avec Derrida et Ricoeur.

Que la performance apparaisse comme propriété intrinsèque à tout acte dediscours, voilà qui constitue une armature théorique et épistémologique solidepour légitimer l'usage du récit de vie comme milieu de création ou d'actualisa¬tion du sujet du récit et de son histoire, et non simplement de publicisation d'unvécu disponible et pré-constitué. La reconnaissance du caractère performatif dudiscours n'indique cependant pas encore un foyer, un support à cette catégorie

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Sujet et héros du récit biographique

duit entre l'expérience vécue et sa mise en intrigue, par la caractérisation d'unhéros et la désignation différée de son auteur qu'elle dessine, l'histoire de vieopère, nous allons le mesurer, comme un quasi-texte.

1. L'HISTOIRE DE VIE ET SON HÉROS

La première tâche d'une elucidation du récit de vie est de s'intéresser àl'acte de dire, de se raconter. Le fait majeur du récit, c'est probablement le dis¬cours lui-même, ou, selon la formule de H. James, « l'histoire de l'histoire »

(1984 : 1309). Pour autant que la spécificité du discours biographique soit devoir se superposer et se prolonger l'un et l'autre hors du texte, sujet de l'histoire(le « héros ») et sujet du récit (l'énonciateur) demeurent dans l'espace du récit devie distincts. Aussi insaisissable soit-il, le sujet de l'histoire est contenu, circons¬crit dans l'histoire même qui est son ancrage, son milieu, pendant que l'actenarratif opère le dévoilement d'un sujet qui, bien qu'initiateur du récit, demeureatopos. Si l'on envisage ainsi « l'histoire que nous raconte le récit », le(s) person¬nage^) - et donc en premier lieu son héros, le narrateur - s'y voie(nt) confier uneidentité, un caractère stable, homéostatique, car la cohésion caractérise le dis¬cours pris à son niveau diégétique. En revanche, au niveau extradiégétique del'acte narratif, l'identité du sujet n'est pas intrinsèque et circonscrite à un récitqui demeure un moment de sa vie, mais instituée, exprimée par celui-là mêmeet éprouvée hors de lui. Ce qu'il convient d'éclairer, c'est donc tout autant lanature du récit à l'ceuvre dans l'histoire de vie que la figure du sujet promue parle récit de vie, hors du champ narratif.

II convient donc tout d'abord de prendre la mesure de ce que Ricoeurnomme « l'opacité du signe » (Ricoeur, 1990 : 57), à savoir le fait que l'acted'énonciation entre en interférence avec l'aspiration de transparence propre à lavisée référentielle du discours. Les actes de discours prennent sens dans lecadre initiateur d'un présent sui-référentiel, c'est-à-dire d'un moment quiembrasse dans un même mouvement les énoncés et l'acte d'énonciation. C'estce que les théoriciens des actes de langage (Austin, 1962 ; Searle, 1972) explici¬tent en inscrivant la parole dans l'ordre de l'agir, opérant une distinction entredeux catégories d'énoncés : les performatifs et les constatifs. Les premiers sup¬posent que l'énoncé réalise, « performe » l'action qu'il formule (« je t'aime »), fai¬sant coïncider acte diégétique et acte extradiégétique. Les seconds consistentsimplement, comme leur nom l'indique, à constater, à décrire (« il l'aime »).

Toutefois, et même si Searle dépasse déjà la conception austinienne - qui réduitles énoncés performatifs aux seules affirmations en première personne - enouvrant sur des catégories différentes d'actes (les constatifs étant dès lors inté¬grés comme forme particulière de faire), le caractère performatif de la parole estélargi à tout acte d'énonciation avec Derrida et Ricoeur.

Que la performance apparaisse comme propriété intrinsèque à tout acte dediscours, voilà qui constitue une armature théorique et épistémologique solidepour légitimer l'usage du récit de vie comme milieu de création ou d'actualisa¬tion du sujet du récit et de son histoire, et non simplement de publicisation d'unvécu disponible et pré-constitué. La reconnaissance du caractère performatif dudiscours n'indique cependant pas encore un foyer, un support à cette catégorie

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REPÈRES N° 21/2000 R. MALET

d'agir qu'est le récit de vie, aussi référentiel soit ce dernier. Les paroles qu'il pro¬jeté sont comme « en suspens » (Wittgenstein, 1 951 : § 1 98). Certes, celui quiagit dans le récit de vie, c'est le narrateur, mais pour autant que le héros du récitsoit un miroir du sujet qui l'énonce et le produit, il n'est pas le sujet.

1.1. Caractérisation du narrateur-héros de l'histoire de vie

L'histoire de vie met en forme un personnage central, un héros, unité orga¬nisatrice du récit, dont il s'agit d'éclairer la singularité de la constitution dansl'espace diégétique du récit de vie. La première chose qu'il convient de souli¬gner sur ce thème, c'est que le héros est aussi le narrateur de son histoire.Autodiégétique, le narrateur-héros de son histoire de vie est également l'objetdu récit, c'est-à-dire que l'action narrée, qui peut mettre en scène d'autres per¬sonnages, a précisément pour fonction la caractérisation du héros, qui est doncle sujet de la narrativisation. C'est dire que le héros du récit de vie n'est pas sim¬plement la figure centrale d'une histoire dont il serait le guide ou le passeur,mais l'objet même du déploiement de l'histoire est la constitution du héros qui laporte, du « je » qui la raconte.

La transitivité de la totalité narrative formée par le récit de vie, le fait quel'histoire proposée ait un « je » comme instance d'ancrage de l'action, font quele récit produit est chargé de valeurs, de croyances dont l'ensemble caractériseun point de vue, un « point de vie » (Ricoeur, 1 985 : 398) constitutifs d'un certainrapport au monde. L'instance à laquelle est rattaché cet ensemble d'attributs,c'est le personnage central (du latin persona : le masque théâtral) dessinés dansl'espace narratif par le sujet (sub-jectum : littéralement, ce qui soutient, qui estjeté-dessous), le dernier n'apparaissant qu'au creux de cette structure intention¬nelle à l'horizon de laquelle il s'expose. Cette caractérisation du narrateur-héros,mise en abyme par l'intention configurante qui la guide, participe d'une opacifi¬cation de la narration à des plans distincts du discours - celui de la diégèse etcelui de la narration dans sa dimension pragmatique - constitutive de l'organisa¬tion formelle du récit de vie.

Comme toute forme de récit, le discours biographique obéit à des règlesd'organisation et à des exigences de vraisemblance, de lisibilité et de cohésionqui conditionnent son « acceptabilité interactionnelle » (Adam, 1984 : 12). Laconduite et le portrait du narrateur-héros dessinés dans le récit de vie peuventêtre envisagés en terme de stratégie narrative visant à produire tel ou tel effet, àvaloriser tel caractère, tel attribut ou telle qualité, mais la mise en intrigue dusujet par lui-même dans cet espace d'autoréférenciation demeure soumise auxmêmes critères de vraisemblance et de cohésion que pour n'importe quelleforme de récit. Porté par une intentionnalité méta-structurante dont l'efficacitése mesure à sa capacité d'effacement derrière la visée référentielle du discours,le récit de vie se présente au carrefour des intentions du narrateur-héros et descirconstances et des événements ayant jalonné son existence, événements quecelui-ci agit ou subit, selon le degré d'initiative qu'il juge opportun de s'accorderpar rapport à eux au regard des stratégies qui l'animent. Dans tous les cas, lenarrateur demeure le centre de l'intrigue, celui autour duquel tout ce qui arrive apour fonction ultime d'éclairer « celui qui arrive », le héros de l'histoire qu'il est.

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REPÈRES N° 21/2000 R. MALET

d'agir qu'est le récit de vie, aussi référentiel soit ce dernier. Les paroles qu'il pro¬jeté sont comme « en suspens » (Wittgenstein, 1 951 : § 1 98). Certes, celui quiagit dans le récit de vie, c'est le narrateur, mais pour autant que le héros du récitsoit un miroir du sujet qui l'énonce et le produit, il n'est pas le sujet.

1.1. Caractérisation du narrateur-héros de l'histoire de vie

L'histoire de vie met en forme un personnage central, un héros, unité orga¬nisatrice du récit, dont il s'agit d'éclairer la singularité de la constitution dansl'espace diégétique du récit de vie. La première chose qu'il convient de souli¬gner sur ce thème, c'est que le héros est aussi le narrateur de son histoire.Autodiégétique, le narrateur-héros de son histoire de vie est également l'objetdu récit, c'est-à-dire que l'action narrée, qui peut mettre en scène d'autres per¬sonnages, a précisément pour fonction la caractérisation du héros, qui est doncle sujet de la narrativisation. C'est dire que le héros du récit de vie n'est pas sim¬plement la figure centrale d'une histoire dont il serait le guide ou le passeur,mais l'objet même du déploiement de l'histoire est la constitution du héros qui laporte, du « je » qui la raconte.

La transitivité de la totalité narrative formée par le récit de vie, le fait quel'histoire proposée ait un « je » comme instance d'ancrage de l'action, font quele récit produit est chargé de valeurs, de croyances dont l'ensemble caractériseun point de vue, un « point de vie » (Ricoeur, 1 985 : 398) constitutifs d'un certainrapport au monde. L'instance à laquelle est rattaché cet ensemble d'attributs,c'est le personnage central (du latin persona : le masque théâtral) dessinés dansl'espace narratif par le sujet (sub-jectum : littéralement, ce qui soutient, qui estjeté-dessous), le dernier n'apparaissant qu'au creux de cette structure intention¬nelle à l'horizon de laquelle il s'expose. Cette caractérisation du narrateur-héros,mise en abyme par l'intention configurante qui la guide, participe d'une opacifi¬cation de la narration à des plans distincts du discours - celui de la diégèse etcelui de la narration dans sa dimension pragmatique - constitutive de l'organisa¬tion formelle du récit de vie.

Comme toute forme de récit, le discours biographique obéit à des règlesd'organisation et à des exigences de vraisemblance, de lisibilité et de cohésionqui conditionnent son « acceptabilité interactionnelle » (Adam, 1984 : 12). Laconduite et le portrait du narrateur-héros dessinés dans le récit de vie peuventêtre envisagés en terme de stratégie narrative visant à produire tel ou tel effet, àvaloriser tel caractère, tel attribut ou telle qualité, mais la mise en intrigue dusujet par lui-même dans cet espace d'autoréférenciation demeure soumise auxmêmes critères de vraisemblance et de cohésion que pour n'importe quelleforme de récit. Porté par une intentionnalité méta-structurante dont l'efficacitése mesure à sa capacité d'effacement derrière la visée référentielle du discours,le récit de vie se présente au carrefour des intentions du narrateur-héros et descirconstances et des événements ayant jalonné son existence, événements quecelui-ci agit ou subit, selon le degré d'initiative qu'il juge opportun de s'accorderpar rapport à eux au regard des stratégies qui l'animent. Dans tous les cas, lenarrateur demeure le centre de l'intrigue, celui autour duquel tout ce qui arrive apour fonction ultime d'éclairer « celui qui arrive », le héros de l'histoire qu'il est.

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Sujet et héros du récit biographique

D'autres personnages gravitent bien sûr autour de lui, mais ceux-ci ont la mêmefonction dans le récit que l'action elle-même, à savoir la mise au jour du narra¬teur-héros, qui demeure celui qui agit et figure l'action et la conduite d'autrui,quel que soit le degré d'initiative qui lui est accordé dans l'histoire narrée, c'est-à-dire qu'il soit présenté comme le produit de l'histoire ou comme producteur decelle-ci.

II y a probablement dans cette structuration narrative quelque chose despécifique au récit biographique, en ce que l'action narrée y est toute entièrevouée à la constitution du héros et que ce héros est aussi le narrateur, instanceénonçante d'origine (c'est-à-dire prolongée hors du champ narratif par le sujeténonciateur). De sorte que l'histoire racontée se présente sous la forme singu¬lière d'une thématisation exclusive d'un caractère et des valeurs dont celui-ciest porteur (le « je » différencié par le récit) à partir d'un compte-rendu de faits etd'actions qui ont prétention à la vérité et comme vierges de l'empreinte du sujet.L'histoire de vie, en tant qu'elle s'adresse à un « tu » invitant au récit, est singu¬lièrement tout autant uvre d'attestation que d'effacement de soi. L'autonomieet la vraisemblance du récit repose principalement sur la capacité du narrateur àrendre diffus son propre pouvoir discrétionnaire et à faire apparaitre le vécu oul'événement dans sa vérité nue, irréfutable : « puisque je le dis ! ». Dans cecontexte, le récit de vie constitue un type de discours dans lequel la force illocu-tionnaire du narrateur constitue l'élément nodal propre à garantir la légitimité etla puissance expressive de celui-ci.

La « synthèse de l'hétérogène » dont parle Ricoeur (1985 : 385), c'est-à-dire la conjugaison dans l'espace narratif des éléments disparates d'une viedans une visée configurante est bien entendu impulsée par le sujet énonciateurde son histoire, mais au niveau intradiégétique, elle est portée par le hérosmême de l'histoire, le « je » différencié par le récit, maitre d'nuvre dans l'organi¬sation et la cohésion du système narratif. C'est lui, le héros, et non le sujeténonciateur qui a pour vocation de s'effacer, qui assure aux yeux du narratairel'authenticité et l'acceptabilité de l'histoire de vie. Tout à la fois travail d'indivi¬duation et de légitimation d'un rapport au monde, d'une forme de vie, l'histoirede vie se présente sous la forme d'un ensemble de choix narratifs dans lequelles actions narrées sont combinées et construites autour de la figure centrale duhéros dont elles ont pour fonction et vocation ultime d'éclairer la singularité etde légitimer la conduite et le caractère à l'intérieur d'un jeu de langage. « Je »

est tout à la fois l'organisateur et le héros de l'histoire de vie.

1.2. L'histoire de vie en tant qu'uvre commune

A la différence de l'autobiographie, qui ne s'adresse pas à un narrataire« incarné », mais à une altérité silencieuse et différée, le récit de vie se construitdans une situation d'échange verbal face à une altérité concrète, le plus souventà l'origine même du procès narratif, lequel répond de fait à une invitation spéci¬fique déterminante dans la nature même du récit et sa structure interactionnelle.L'interlocuteur qui se tient à l'horizon de l'acte narratif n'est donc pas neutredans l'élaboration de l'histoire de vie qu'il ne se contente pas de recueillir, de

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Sujet et héros du récit biographique

D'autres personnages gravitent bien sûr autour de lui, mais ceux-ci ont la mêmefonction dans le récit que l'action elle-même, à savoir la mise au jour du narra¬teur-héros, qui demeure celui qui agit et figure l'action et la conduite d'autrui,quel que soit le degré d'initiative qui lui est accordé dans l'histoire narrée, c'est-à-dire qu'il soit présenté comme le produit de l'histoire ou comme producteur decelle-ci.

II y a probablement dans cette structuration narrative quelque chose despécifique au récit biographique, en ce que l'action narrée y est toute entièrevouée à la constitution du héros et que ce héros est aussi le narrateur, instanceénonçante d'origine (c'est-à-dire prolongée hors du champ narratif par le sujeténonciateur). De sorte que l'histoire racontée se présente sous la forme singu¬lière d'une thématisation exclusive d'un caractère et des valeurs dont celui-ciest porteur (le « je » différencié par le récit) à partir d'un compte-rendu de faits etd'actions qui ont prétention à la vérité et comme vierges de l'empreinte du sujet.L'histoire de vie, en tant qu'elle s'adresse à un « tu » invitant au récit, est singu¬lièrement tout autant uvre d'attestation que d'effacement de soi. L'autonomieet la vraisemblance du récit repose principalement sur la capacité du narrateur àrendre diffus son propre pouvoir discrétionnaire et à faire apparaitre le vécu oul'événement dans sa vérité nue, irréfutable : « puisque je le dis ! ». Dans cecontexte, le récit de vie constitue un type de discours dans lequel la force illocu-tionnaire du narrateur constitue l'élément nodal propre à garantir la légitimité etla puissance expressive de celui-ci.

La « synthèse de l'hétérogène » dont parle Ricoeur (1985 : 385), c'est-à-dire la conjugaison dans l'espace narratif des éléments disparates d'une viedans une visée configurante est bien entendu impulsée par le sujet énonciateurde son histoire, mais au niveau intradiégétique, elle est portée par le hérosmême de l'histoire, le « je » différencié par le récit, maitre d'nuvre dans l'organi¬sation et la cohésion du système narratif. C'est lui, le héros, et non le sujeténonciateur qui a pour vocation de s'effacer, qui assure aux yeux du narratairel'authenticité et l'acceptabilité de l'histoire de vie. Tout à la fois travail d'indivi¬duation et de légitimation d'un rapport au monde, d'une forme de vie, l'histoirede vie se présente sous la forme d'un ensemble de choix narratifs dans lequelles actions narrées sont combinées et construites autour de la figure centrale duhéros dont elles ont pour fonction et vocation ultime d'éclairer la singularité etde légitimer la conduite et le caractère à l'intérieur d'un jeu de langage. « Je »

est tout à la fois l'organisateur et le héros de l'histoire de vie.

1.2. L'histoire de vie en tant qu'uvre commune

A la différence de l'autobiographie, qui ne s'adresse pas à un narrataire« incarné », mais à une altérité silencieuse et différée, le récit de vie se construitdans une situation d'échange verbal face à une altérité concrète, le plus souventà l'origine même du procès narratif, lequel répond de fait à une invitation spéci¬fique déterminante dans la nature même du récit et sa structure interactionnelle.L'interlocuteur qui se tient à l'horizon de l'acte narratif n'est donc pas neutredans l'élaboration de l'histoire de vie qu'il ne se contente pas de recueillir, de

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REPÈRES N° 21/2000 R. MALET

recevoir, mais participe de son élaboration (2). Le sujet ne récite pas sa vie, il lamet en forme en interaction avec le narrataire, quels que soient les motifs et lesattentes de ce tiers médiateur, et compte tenu d'une réserve de connaissancescommunes, partagées qui assure la fécondité de la situation interlocutoire. Lanotion de periocution désigne cet effet de l'acte de discours, et, en premier lieu,sur son destinataire ; plus globalement, la periocution désigne tout changementsuccessif à l'acte de parole dans l'état du monde objectif. La dimension perlo-cutoire de l'acte narratif renvoie à l'intersubjectivité de la situation locutoire dansla mesure où elle signale la « circularité d'intentions » (Ricoeur, 1990 : 60) quecommande l'acte narratif pour véritablement accomplir quelque chose.

De ce point de vue, le narrataire, loin de demeurer extérieur à l'histoire pro¬duite, l'investit de ces propres intentions et représentations, d'autant plus sûre¬ment qu'il est co-présent à sa création, le récit constituant un « intermonde » quirend possible la rencontre de l'altérité et de deux imaginaires. S'il y a bien,comme l'annonce Merleau-Ponty, un « solipsisme vécu indépassable » (1945 :

407), la parole insère cependant entre « je » et « tu » un entre-deux qui est com¬mun à chacun, et propre à aucun. L'histoire de vie, espace de reconnaissanceréciproque, est ainsi l'accomplissement co-narratif d'une interaction entre unénonciateur et un énonciataire qui exercent une responsabilité partagée dans lerécit produit.

Dans l'espace bipolaire du récit de vie, consacré par le dialogue, l'événe¬ment biographique acquiert en conséquence un statut singulier : la dimensionfictionnelle du récit lui interdit toute propriété objective malgré sa prétention auvrai, entendue comme fidélité factuelle. Dans le même temps, le caractère com¬municationnel du récit lui confère une dimension intersubjective, plus encoreque strictement subjective, le locuteur devant produire quelque sens des faitsnarrés, passer en somme d'un mode descriptif à un mode argumentatif com¬mandé par la situation interlocutoire.

Le récit véhicule de fait un certain nombre de valeurs dont le narrateur estporteur et qu'il insuffle de façon récurrente dans son récit de vie de manièreexplicite ou latente. Le narrataire est guidé par le narrateur par l'omniprésencede quelques thèses structurantes et configurantes que l'histoire racontée aspireà étayer. Raconter une histoire vise à produire des effets de sens sans lesquelsl'histoire narrée « ne dit rien ». C'est par une certaine redondance du récit entred'une part l'action ou les événements narrés et d'autre part l'exégèse distanciéequ'en propose le narrateur lui-même que se manifeste ce phénomène. Le carac¬tère transparent des événements relatés est d'une certaine manière attesté, parcontraste, par le positionnement évaluatif du narrateur devenu extradiégétiquequi leur succède, dans lequel l'exégète - et ce faisant le récit lui-même - acquiè¬rent une certaine autonomie par rapport à l'événement. Cet approfondissementévaluatif, sorte de réflexivité intranarrative, fait du récit de vie un espace privilé¬gié d'auto-élucidation et d'auto-compréhension en même temps qu'il participepar sa visée configurationnelle de la « lisibilité » du récit pour I'énonciataire.

D'un point de vue sémantique, le récit de vie se structure ainsi principale¬ment autour de ces deux axes du discours, entre la prétention au vrai (modenarratif et descriptif) dans lequel l'événement joue un rôle central et structurant,

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recevoir, mais participe de son élaboration (2). Le sujet ne récite pas sa vie, il lamet en forme en interaction avec le narrataire, quels que soient les motifs et lesattentes de ce tiers médiateur, et compte tenu d'une réserve de connaissancescommunes, partagées qui assure la fécondité de la situation interlocutoire. Lanotion de periocution désigne cet effet de l'acte de discours, et, en premier lieu,sur son destinataire ; plus globalement, la periocution désigne tout changementsuccessif à l'acte de parole dans l'état du monde objectif. La dimension perlo-cutoire de l'acte narratif renvoie à l'intersubjectivité de la situation locutoire dansla mesure où elle signale la « circularité d'intentions » (Ricoeur, 1990 : 60) quecommande l'acte narratif pour véritablement accomplir quelque chose.

De ce point de vue, le narrataire, loin de demeurer extérieur à l'histoire pro¬duite, l'investit de ces propres intentions et représentations, d'autant plus sûre¬ment qu'il est co-présent à sa création, le récit constituant un « intermonde » quirend possible la rencontre de l'altérité et de deux imaginaires. S'il y a bien,comme l'annonce Merleau-Ponty, un « solipsisme vécu indépassable » (1945 :

407), la parole insère cependant entre « je » et « tu » un entre-deux qui est com¬mun à chacun, et propre à aucun. L'histoire de vie, espace de reconnaissanceréciproque, est ainsi l'accomplissement co-narratif d'une interaction entre unénonciateur et un énonciataire qui exercent une responsabilité partagée dans lerécit produit.

Dans l'espace bipolaire du récit de vie, consacré par le dialogue, l'événe¬ment biographique acquiert en conséquence un statut singulier : la dimensionfictionnelle du récit lui interdit toute propriété objective malgré sa prétention auvrai, entendue comme fidélité factuelle. Dans le même temps, le caractère com¬municationnel du récit lui confère une dimension intersubjective, plus encoreque strictement subjective, le locuteur devant produire quelque sens des faitsnarrés, passer en somme d'un mode descriptif à un mode argumentatif com¬mandé par la situation interlocutoire.

Le récit véhicule de fait un certain nombre de valeurs dont le narrateur estporteur et qu'il insuffle de façon récurrente dans son récit de vie de manièreexplicite ou latente. Le narrataire est guidé par le narrateur par l'omniprésencede quelques thèses structurantes et configurantes que l'histoire racontée aspireà étayer. Raconter une histoire vise à produire des effets de sens sans lesquelsl'histoire narrée « ne dit rien ». C'est par une certaine redondance du récit entred'une part l'action ou les événements narrés et d'autre part l'exégèse distanciéequ'en propose le narrateur lui-même que se manifeste ce phénomène. Le carac¬tère transparent des événements relatés est d'une certaine manière attesté, parcontraste, par le positionnement évaluatif du narrateur devenu extradiégétiquequi leur succède, dans lequel l'exégète - et ce faisant le récit lui-même - acquiè¬rent une certaine autonomie par rapport à l'événement. Cet approfondissementévaluatif, sorte de réflexivité intranarrative, fait du récit de vie un espace privilé¬gié d'auto-élucidation et d'auto-compréhension en même temps qu'il participepar sa visée configurationnelle de la « lisibilité » du récit pour I'énonciataire.

D'un point de vue sémantique, le récit de vie se structure ainsi principale¬ment autour de ces deux axes du discours, entre la prétention au vrai (modenarratif et descriptif) dans lequel l'événement joue un rôle central et structurant,

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Sujet et héros du récit biographique

et l'affirmation négociée d'un point de vue par cette entreprise d'axiologisation(modes interprétatif et argumentatif), dans lequel c'est à la fois la puissanceexpressive et la pertinence éthique qui assure l'acceptabilité interactionnelle durécit et non plus la conformité événementielle. L'ambivalence de l'histoire de vie,qui ne peut se comprendre que parce qu'un narrataire y est engagé, se ren¬contre dans cette triple dimension constitutive, d'assertion, d'expression etd'évaluation (3).

2. LE SUJET DU RÉCIT

Ce que le sujet donne à connaître en se racontant, c'est aussi bien une his¬toire que l'acte même de raconter une histoire, « le discours en acte » (Ricoeur,1 990 : 64). Le récit de vie présente ceci de particulier qu'il implique une auto¬désignation de principe. Le sujet se racontant n'est pas simplement le locuteurde ce qu'il dit, il en est aussi l'agent. II prend par lui position dans le monde. Lesujet du récit de vie se présente sous une figure mixte : intradiégétique en ceque l'histoire narrée parle de lui, il demeure dans le même temps extradiégé¬tique en ce qu'il demeure ancré dans un présent d'où tout à la fois il organise etporte un point de vue sur l'histoire qu'il raconte et qui l'affecte, pendant qued'une certaine manière, le héros de l'histoire, le « je » narrativisé est contempo¬rain de l'histoire elle-même, corrélative à elle.

Ce qui est réalisé dans l'espace du récit de vie, c'est donc au moins toutautant un acte performatif qu'une présence performative. L'enjeu est d'éclairer leprocessus de subjectivation à l'uvre dans le récit de soi et l'interaction entrel'histoire produite et le sujet qui l'énonce. Toute intention discursive signale unlocuteur, et c'est lui, et non les énoncés, qui réfèrent, qui disent quelque chosesur quelque chose. Pour autant, si l'énonciateur est « réfléchi » dans l'histoirequ'il raconte, comprendre « qui parle » ne signifie pas mettre en suspens lesénoncés, en espérant trouver derrière, ou dessous pour être épistémologique¬ment correct, un sujet. Pas plus ne s'agit-il de pencher tantôt du côté de ce quiest visé (le référentiel), tantôt du côté de « ce » qui vise (le modal). Ce serait glis¬ser, mais probablement y a t-il quelque attirance à le faire, vers le sujet carté¬sien, transparent, substantiel et pré-posé. L'intuition théorique du récit de vie estcelle d'un sujet qui se dessine à l'horizon du dire plutôt que d'emblée postulé etpréalable à tout discours. La notion aristotélicienne de mimesis traduit cette refi¬guration créatrice de l'expérience du sujet à l'guvre dans l'acte narratif.

2.1. Le récit de vie comme mimesis

La narration se caractérise par sa diachronicité (Bruner, 1991), c'est-à-direpar le fait qu'elle rend compte d'expériences et d'événements qui ont lieu dansle temps certes, mais à proprement parler dans « un autre temps ». La singula¬rité du temps narratif consiste en ce qu'il s'affranchit du temps calendaire pourdonner lieu à un temps subjectif. Ce temps confère aux expériences passéesune signification nouvelle, fictionnelle et régie par l'instant présent du récit.L'espace narratif relève ainsi d'un modèle personnel d'organisation des événe¬ments opérant le renversement de ce que Ricoeur nomme « l'illusion de la

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et l'affirmation négociée d'un point de vue par cette entreprise d'axiologisation(modes interprétatif et argumentatif), dans lequel c'est à la fois la puissanceexpressive et la pertinence éthique qui assure l'acceptabilité interactionnelle durécit et non plus la conformité événementielle. L'ambivalence de l'histoire de vie,qui ne peut se comprendre que parce qu'un narrataire y est engagé, se ren¬contre dans cette triple dimension constitutive, d'assertion, d'expression etd'évaluation (3).

2. LE SUJET DU RÉCIT

Ce que le sujet donne à connaître en se racontant, c'est aussi bien une his¬toire que l'acte même de raconter une histoire, « le discours en acte » (Ricoeur,1 990 : 64). Le récit de vie présente ceci de particulier qu'il implique une auto¬désignation de principe. Le sujet se racontant n'est pas simplement le locuteurde ce qu'il dit, il en est aussi l'agent. II prend par lui position dans le monde. Lesujet du récit de vie se présente sous une figure mixte : intradiégétique en ceque l'histoire narrée parle de lui, il demeure dans le même temps extradiégé¬tique en ce qu'il demeure ancré dans un présent d'où tout à la fois il organise etporte un point de vue sur l'histoire qu'il raconte et qui l'affecte, pendant qued'une certaine manière, le héros de l'histoire, le « je » narrativisé est contempo¬rain de l'histoire elle-même, corrélative à elle.

Ce qui est réalisé dans l'espace du récit de vie, c'est donc au moins toutautant un acte performatif qu'une présence performative. L'enjeu est d'éclairer leprocessus de subjectivation à l'uvre dans le récit de soi et l'interaction entrel'histoire produite et le sujet qui l'énonce. Toute intention discursive signale unlocuteur, et c'est lui, et non les énoncés, qui réfèrent, qui disent quelque chosesur quelque chose. Pour autant, si l'énonciateur est « réfléchi » dans l'histoirequ'il raconte, comprendre « qui parle » ne signifie pas mettre en suspens lesénoncés, en espérant trouver derrière, ou dessous pour être épistémologique¬ment correct, un sujet. Pas plus ne s'agit-il de pencher tantôt du côté de ce quiest visé (le référentiel), tantôt du côté de « ce » qui vise (le modal). Ce serait glis¬ser, mais probablement y a t-il quelque attirance à le faire, vers le sujet carté¬sien, transparent, substantiel et pré-posé. L'intuition théorique du récit de vie estcelle d'un sujet qui se dessine à l'horizon du dire plutôt que d'emblée postulé etpréalable à tout discours. La notion aristotélicienne de mimesis traduit cette refi¬guration créatrice de l'expérience du sujet à l'guvre dans l'acte narratif.

2.1. Le récit de vie comme mimesis

La narration se caractérise par sa diachronicité (Bruner, 1991), c'est-à-direpar le fait qu'elle rend compte d'expériences et d'événements qui ont lieu dansle temps certes, mais à proprement parler dans « un autre temps ». La singula¬rité du temps narratif consiste en ce qu'il s'affranchit du temps calendaire pourdonner lieu à un temps subjectif. Ce temps confère aux expériences passéesune signification nouvelle, fictionnelle et régie par l'instant présent du récit.L'espace narratif relève ainsi d'un modèle personnel d'organisation des événe¬ments opérant le renversement de ce que Ricoeur nomme « l'illusion de la

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séquence » (Ricoeur, 1980 : 169). Le corrolaire de ce renversement n'est pas lapromotion d'un modèle a-chronologique, l'expérience narrative du tempséchappant tout à la fois à la linéarité chronologique et à un modèle a-chronolo¬gique conséquent de l'abandon du temps calendaire. II y a une « réciprocitéstructurelle » (idem) entre temps et narration qui fonde le récit de vie commefoyer de l'historicité du sujet. Cette intrication de la subjectivité, de la tempora¬lité et de la narration trouve sa manifestation la plus forte dans la structure del'intrigue, élément moteur de la construction narrative par lequel tout événementoccurrent dans le récit se voit confier une fonction singulière dans son dévelop¬pement (Ricoeur, 1990). Chaque élément du récit est ainsi soumis à une totalitéméta-structurante qui le gouverne et lui donne sens. Dans le récit de vie, cettesorte de loi interne à l'acte narratif qu'est l'intrigue participe de la cohésion dusystème narratif et fait que le sujet de discours « s'y retrouve » dans la diversitéde vécus devenus expérientiels par leur intégration configurante dans l'espaced'identification et de reconnaissance que constitue le récit.

Envisagé sous cet angle, le processus narratif est mimétique, entendu nonpas seulement comme « imitation », mais aussi « expression », « extériorisa¬tion », « création ». Le récit de soi ouvre le sujet au monde extérieur, le fait sortirde soi et lui fait éprouver son extériorité constitutive. C'est en s'abandonnant aumonde que le sujet s'éprouve, fait l'expérience vive de lui-même. Le récit de vieincarne cette vocation d'extériorisation d'un sujet voué à se chercher et à seconquérir hors de lui. II dessine une subjectivité condamnée à se perdre dansl'altérité (et pour commencer dans celle du « je ») pour se trouver.

La parole remplit cette fonction paradoxale d'être à la fois de l'ordre dupropre en même temps que de celui du public, du partagé, du « dehors ». Lesoubassement théorique du récit de vie, adressé par un « je » à un « tu », estfondamentalement celle-ci ; la raison narrative y apparait comme l'horizon d'an¬crage d'une subjectivité errante qui resterait, du fait même de son évidence,insaisissable hors cette fixation, cette attestation par le « dire ». Elle est insépa¬rable d'une théorie de l'action et de l'identité : le soi n'y apparait pas comme uncontenu prélinguistique disponible et stable, mais désigne la totalité qui se com¬pose continûment dans l'espace narratif. « Mimesis », « représentation »,

« expression » : la raison narrative à l'�uvre dans le récit de soi ne démontrepas, elle montre. Le récit de vie forme un espace de création, de reconnaissanceet d'attestation de soi par l'inscription de l'action dans un projet (le muthos ;

mouvement qui qualifie la mimesis 2). II opère une boucle entre l'éprouvé - lesujet engagé, ouvert au monde par son corps, ses sens- et l'expérience reflexive- le sujet épistémique-. De sorte que la raison narrative, qui embrasse réflexivitéet sensorialité, apparait à mi-chemin entre le rationnel de la réflexion (le télos) et« l'irrationnel » de l'engagement et de l'action (l'arcné).

Selon cette définition, le sujet promu par le récit l'aura été par la fixationd'un « je » opéré par le fait même de se dire. Or, se dire, c'est devoir se dire,c'est-à-dire être dans la nécessité syntagmatique de se désigner et de se recon¬naître (4). La transitivité et l'insubstituabilité du récit de vie renvoient, par fixa¬tion, à l'unicité d'un sujet (c'est le miracle du « je », ressort de la subjectivité, misen évidence par Benveniste : « est "ego" qui dit "ego" »). La spécificité du récit

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séquence » (Ricoeur, 1980 : 169). Le corrolaire de ce renversement n'est pas lapromotion d'un modèle a-chronologique, l'expérience narrative du tempséchappant tout à la fois à la linéarité chronologique et à un modèle a-chronolo¬gique conséquent de l'abandon du temps calendaire. II y a une « réciprocitéstructurelle » (idem) entre temps et narration qui fonde le récit de vie commefoyer de l'historicité du sujet. Cette intrication de la subjectivité, de la tempora¬lité et de la narration trouve sa manifestation la plus forte dans la structure del'intrigue, élément moteur de la construction narrative par lequel tout événementoccurrent dans le récit se voit confier une fonction singulière dans son dévelop¬pement (Ricoeur, 1990). Chaque élément du récit est ainsi soumis à une totalitéméta-structurante qui le gouverne et lui donne sens. Dans le récit de vie, cettesorte de loi interne à l'acte narratif qu'est l'intrigue participe de la cohésion dusystème narratif et fait que le sujet de discours « s'y retrouve » dans la diversitéde vécus devenus expérientiels par leur intégration configurante dans l'espaced'identification et de reconnaissance que constitue le récit.

Envisagé sous cet angle, le processus narratif est mimétique, entendu nonpas seulement comme « imitation », mais aussi « expression », « extériorisa¬tion », « création ». Le récit de soi ouvre le sujet au monde extérieur, le fait sortirde soi et lui fait éprouver son extériorité constitutive. C'est en s'abandonnant aumonde que le sujet s'éprouve, fait l'expérience vive de lui-même. Le récit de vieincarne cette vocation d'extériorisation d'un sujet voué à se chercher et à seconquérir hors de lui. II dessine une subjectivité condamnée à se perdre dansl'altérité (et pour commencer dans celle du « je ») pour se trouver.

La parole remplit cette fonction paradoxale d'être à la fois de l'ordre dupropre en même temps que de celui du public, du partagé, du « dehors ». Lesoubassement théorique du récit de vie, adressé par un « je » à un « tu », estfondamentalement celle-ci ; la raison narrative y apparait comme l'horizon d'an¬crage d'une subjectivité errante qui resterait, du fait même de son évidence,insaisissable hors cette fixation, cette attestation par le « dire ». Elle est insépa¬rable d'une théorie de l'action et de l'identité : le soi n'y apparait pas comme uncontenu prélinguistique disponible et stable, mais désigne la totalité qui se com¬pose continûment dans l'espace narratif. « Mimesis », « représentation »,

« expression » : la raison narrative à l'�uvre dans le récit de soi ne démontrepas, elle montre. Le récit de vie forme un espace de création, de reconnaissanceet d'attestation de soi par l'inscription de l'action dans un projet (le muthos ;

mouvement qui qualifie la mimesis 2). II opère une boucle entre l'éprouvé - lesujet engagé, ouvert au monde par son corps, ses sens- et l'expérience reflexive- le sujet épistémique-. De sorte que la raison narrative, qui embrasse réflexivitéet sensorialité, apparait à mi-chemin entre le rationnel de la réflexion (le télos) et« l'irrationnel » de l'engagement et de l'action (l'arcné).

Selon cette définition, le sujet promu par le récit l'aura été par la fixationd'un « je » opéré par le fait même de se dire. Or, se dire, c'est devoir se dire,c'est-à-dire être dans la nécessité syntagmatique de se désigner et de se recon¬naître (4). La transitivité et l'insubstituabilité du récit de vie renvoient, par fixa¬tion, à l'unicité d'un sujet (c'est le miracle du « je », ressort de la subjectivité, misen évidence par Benveniste : « est "ego" qui dit "ego" »). La spécificité du récit

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Sujet et héros du récit biographique

de vie est que le texte narratif trouve un prolongement hors de lui, dans la per¬sonne même de l'énonciateur. Cette mise en abyme des intentions opère unedifférenciation du « je » qui acquiert au niveau diégétique une autonomie parrapport au sujet qui l'énonce tout en favorisant l'émergence d'un savoir de« soi ». La mise en forme narrative participe d'une sortie de soi contemporainede son dévoilement. Le récit de vie fait sens parce qu'il est ouverture, extériori¬sation et vu de totalisation, qu'il est indéterminé et que dans le même temps ilse signifie par sa visée de clôture.

L'expérience est vécue, éprouvée, avant d'être dite. Cependant elle neparait exister que lorsqu'elle est portée par les mots. La mémoire présente à desespaces et des temps de vie multiples ; le sujet trouve dans la forme discursivele milieu privilégié d'initiative, de rassemblement et de redéploiement de sonexistence. Le geste narratif met en forme l'expérience. II y a dans la parole,annonce Merleau-Ponty, « germination de ce qui va avoir été compris » (1 969 :

65). Le récit porte en lui un sens qui échappe en partie à celui qui l'énonce. Lemouvement rétrograde qu'opère le discours sur le sens de l'expérience vécueest créateur et échappe en partie à l'initiative de son auteur. Le sujet n'est pasomniscient dans l'espace autonome du récit de vie ; il est dit par lui au moinsautant qu'il le dit (5). En ce sens peut-on dire que le récit de vie se présentecomme moyen privilégié, non pas de retour sur soi, mais d'accouchement desoi. « La forme est formante », annonce fermement M. Maffesoli (1 990 : 1 05). Lavitalité de la forme narrative libère de toute conception causaliste du dire. Ellerenverse les perspectives : je ne me raconte pas ainsi parce que c'est ce quim'est arrivé, mais arrive ce que je dis : « j'arrive ». L'événement majeur du récitde vie, c'est bien le discours lui-même.

2.2. L'expérience du temps vécu

Dans le cadre du récit de vie, le sujet racontant son histoire est amené àprojeter des espaces-temps vécus rassemblés et configurés dans le milieu durécit. Nous avons dit que le récit accouchait d'un temps singulier, affranchi dumodèle chronologique, un temps proprement subjectif articulant les espaces-temps vécus par le sujet. Le sujet a en quelque sorte une expérience spatiale dutemps, car le temps ne peut être l'objet d'un senti que par sa spatialisation. II nesaurait en effet y avoir de sensations du changement, de formation même dusujet, si les expériences ne donnaient lieu à quelque représentation d'espacestemporels, que traduit bien la métaphore visuelle du « point de vue ». Comme l'amontré Bachelard, l'espace seul constitue la forme sensible de la durée (6).

C'est cette dimension sensible de l'expérience temporelle qui permet decomprendre comment le récit peut embrasser tous les temps vécus dans l'unitécomplexe d'un « maintenant » et figurer ce faisant la puissance affectante dutemps. Celui-ci retient en lui tous les vécus passés tout en produisant un sensnouveau. Husserl (1928) désigne par la notion de « modification rétentionnelle »

cet écart entre la rétention de l'expérience dans le moment présent et la sensa¬tion originaire. L'expérience du passé prend la forme de vécus intentionnels pré-sentifiés et activés dans l'espace présent du récit. « Temps de l'initiative »

(Ricoeur, 1 985 : 374), le récit invente, initie ainsi bien plus qu'il ne dévoile l'expé-

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Sujet et héros du récit biographique

de vie est que le texte narratif trouve un prolongement hors de lui, dans la per¬sonne même de l'énonciateur. Cette mise en abyme des intentions opère unedifférenciation du « je » qui acquiert au niveau diégétique une autonomie parrapport au sujet qui l'énonce tout en favorisant l'émergence d'un savoir de« soi ». La mise en forme narrative participe d'une sortie de soi contemporainede son dévoilement. Le récit de vie fait sens parce qu'il est ouverture, extériori¬sation et vu de totalisation, qu'il est indéterminé et que dans le même temps ilse signifie par sa visée de clôture.

L'expérience est vécue, éprouvée, avant d'être dite. Cependant elle neparait exister que lorsqu'elle est portée par les mots. La mémoire présente à desespaces et des temps de vie multiples ; le sujet trouve dans la forme discursivele milieu privilégié d'initiative, de rassemblement et de redéploiement de sonexistence. Le geste narratif met en forme l'expérience. II y a dans la parole,annonce Merleau-Ponty, « germination de ce qui va avoir été compris » (1 969 :

65). Le récit porte en lui un sens qui échappe en partie à celui qui l'énonce. Lemouvement rétrograde qu'opère le discours sur le sens de l'expérience vécueest créateur et échappe en partie à l'initiative de son auteur. Le sujet n'est pasomniscient dans l'espace autonome du récit de vie ; il est dit par lui au moinsautant qu'il le dit (5). En ce sens peut-on dire que le récit de vie se présentecomme moyen privilégié, non pas de retour sur soi, mais d'accouchement desoi. « La forme est formante », annonce fermement M. Maffesoli (1 990 : 1 05). Lavitalité de la forme narrative libère de toute conception causaliste du dire. Ellerenverse les perspectives : je ne me raconte pas ainsi parce que c'est ce quim'est arrivé, mais arrive ce que je dis : « j'arrive ». L'événement majeur du récitde vie, c'est bien le discours lui-même.

2.2. L'expérience du temps vécu

Dans le cadre du récit de vie, le sujet racontant son histoire est amené àprojeter des espaces-temps vécus rassemblés et configurés dans le milieu durécit. Nous avons dit que le récit accouchait d'un temps singulier, affranchi dumodèle chronologique, un temps proprement subjectif articulant les espaces-temps vécus par le sujet. Le sujet a en quelque sorte une expérience spatiale dutemps, car le temps ne peut être l'objet d'un senti que par sa spatialisation. II nesaurait en effet y avoir de sensations du changement, de formation même dusujet, si les expériences ne donnaient lieu à quelque représentation d'espacestemporels, que traduit bien la métaphore visuelle du « point de vue ». Comme l'amontré Bachelard, l'espace seul constitue la forme sensible de la durée (6).

C'est cette dimension sensible de l'expérience temporelle qui permet decomprendre comment le récit peut embrasser tous les temps vécus dans l'unitécomplexe d'un « maintenant » et figurer ce faisant la puissance affectante dutemps. Celui-ci retient en lui tous les vécus passés tout en produisant un sensnouveau. Husserl (1928) désigne par la notion de « modification rétentionnelle »

cet écart entre la rétention de l'expérience dans le moment présent et la sensa¬tion originaire. L'expérience du passé prend la forme de vécus intentionnels pré-sentifiés et activés dans l'espace présent du récit. « Temps de l'initiative »

(Ricoeur, 1 985 : 374), le récit invente, initie ainsi bien plus qu'il ne dévoile l'expé-

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REPÈRES N° 21/2000 R. MALET

rience du sujet. C'est l'Auvre d'auto-temporalisation dans laquelle il est engagéen se racontant qui le définit comme sujet. Cette prise de pouvoir du sujet surses temps vécus n'est pas transparente, et le présent du récit est toujours « unprésent élargi » (Ricoeur, 1985 : 57) qui n'est pas vierge des rétentions passées.Le champ de présence au passé qu'ouvre le récit de vie et le pouvoir du sujetd'agir sur lui est lui-même opacifié par le fait que l'ayant déjà agi dans le passé,il demeure, dans son mouvement présent vers lui, des traces de cette actionpassée, qui se meuvent inexorablement en action sur lui. II y a en quelque sorterétro-action des ouvertures passées vers un passé antérieur sur la présenterétention du sujet. Cette sorte de sédimentation narrative participe des limitesindépassables de l'acte narratif comme mouvement d'affranchissement.

Cette étrangeté relative du sujet à lui-même dans le déploiement configu¬rant de son histoire de vie est fortement signifiée dans la projection d'espaces-temps de vie propres au récit dans lesquels le sujet est appelé à se reconnaître.Entrant en quelque sorte en dialogue avec ses vécus et ses « moi passés », lesujet peut aller jusqu'à prendre dans le cadre du récit de sa propre histoire lafigure d'un narrateur extradiégétique, projetant sur celle-ci un sens inédit etrévélé par l'histoire elle-même. Par cette sorte d'ubiquité de sa conscience àl'instant présent en même temps qu'à ses vécus passés, le sujet provoque etassiste à son propre changement tout en s'assurant une continuité avec lui-même (7). C'est l'expérience de la durée comme forme qui favorise pour le sujetla projection de ses vécus dans la totalité narrative. Le récit de vie confère à sesvécus une tonalité particulière que la forme retentionnelle du temps ne revêt pasen elle-même. L'espace créateur du récit autorise pour le sujet le redéploiementde ce dont il émerge ; en ce sens il le produit. II y a pénétration et ré-inventiond'un multiple reçu qui permet de comprendre le récit de vie, et au-delà la forma¬tion du sujet, comme synthèse passive.

2.3. La raison narrative comme dualité constitutive du sujet

A l'issue de cette tentative d'élucidation théorique du récit de vie dans sadouble dimension sémantique et pragmatique, la raison narrative à l'Ðuvre dansle récit de vie s'articule autour des deux figures que nous avons tenté d'éclairer :

le héros de l'histoire et le sujet du récit.

Le récit de vie apparait régi par la quête d'un soi, par le fait que se raconter,c'est aspirer à se signifier. Le pendant du déploiement d'une histoire (« voici cedont j'émerge... ») est l'affirmation d'une identité (« ...voici qui je suis »). Le récitde vie participe d'une procédure identificatoire, significative du caractère mons-tratif de l'acte narratif : le sujet ne dit pas frontalement ce qu'il est, il lemontre (8).

En somme, la raison narrative à l'uuvre dans le récit de vie opère undouble mouvement autoréférentiel à des plans distincts du discours :

- un mouvement centrifuge, le déploiement d'une histoire, d'espaces-temps vécus configurés dans le récit de vie. Ce dépliement est contemporaind'une sortie de soi et d'un effacement du sujet de laquelle il participe. De cepoint de vue, le rapport au monde dessiné dans l'espace narratif présente un

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REPÈRES N° 21/2000 R. MALET

rience du sujet. C'est l'Auvre d'auto-temporalisation dans laquelle il est engagéen se racontant qui le définit comme sujet. Cette prise de pouvoir du sujet surses temps vécus n'est pas transparente, et le présent du récit est toujours « unprésent élargi » (Ricoeur, 1985 : 57) qui n'est pas vierge des rétentions passées.Le champ de présence au passé qu'ouvre le récit de vie et le pouvoir du sujetd'agir sur lui est lui-même opacifié par le fait que l'ayant déjà agi dans le passé,il demeure, dans son mouvement présent vers lui, des traces de cette actionpassée, qui se meuvent inexorablement en action sur lui. II y a en quelque sorterétro-action des ouvertures passées vers un passé antérieur sur la présenterétention du sujet. Cette sorte de sédimentation narrative participe des limitesindépassables de l'acte narratif comme mouvement d'affranchissement.

Cette étrangeté relative du sujet à lui-même dans le déploiement configu¬rant de son histoire de vie est fortement signifiée dans la projection d'espaces-temps de vie propres au récit dans lesquels le sujet est appelé à se reconnaître.Entrant en quelque sorte en dialogue avec ses vécus et ses « moi passés », lesujet peut aller jusqu'à prendre dans le cadre du récit de sa propre histoire lafigure d'un narrateur extradiégétique, projetant sur celle-ci un sens inédit etrévélé par l'histoire elle-même. Par cette sorte d'ubiquité de sa conscience àl'instant présent en même temps qu'à ses vécus passés, le sujet provoque etassiste à son propre changement tout en s'assurant une continuité avec lui-même (7). C'est l'expérience de la durée comme forme qui favorise pour le sujetla projection de ses vécus dans la totalité narrative. Le récit de vie confère à sesvécus une tonalité particulière que la forme retentionnelle du temps ne revêt pasen elle-même. L'espace créateur du récit autorise pour le sujet le redéploiementde ce dont il émerge ; en ce sens il le produit. II y a pénétration et ré-inventiond'un multiple reçu qui permet de comprendre le récit de vie, et au-delà la forma¬tion du sujet, comme synthèse passive.

2.3. La raison narrative comme dualité constitutive du sujet

A l'issue de cette tentative d'élucidation théorique du récit de vie dans sadouble dimension sémantique et pragmatique, la raison narrative à l'Ðuvre dansle récit de vie s'articule autour des deux figures que nous avons tenté d'éclairer :

le héros de l'histoire et le sujet du récit.

Le récit de vie apparait régi par la quête d'un soi, par le fait que se raconter,c'est aspirer à se signifier. Le pendant du déploiement d'une histoire (« voici cedont j'émerge... ») est l'affirmation d'une identité (« ...voici qui je suis »). Le récitde vie participe d'une procédure identificatoire, significative du caractère mons-tratif de l'acte narratif : le sujet ne dit pas frontalement ce qu'il est, il lemontre (8).

En somme, la raison narrative à l'uuvre dans le récit de vie opère undouble mouvement autoréférentiel à des plans distincts du discours :

- un mouvement centrifuge, le déploiement d'une histoire, d'espaces-temps vécus configurés dans le récit de vie. Ce dépliement est contemporaind'une sortie de soi et d'un effacement du sujet de laquelle il participe. De cepoint de vue, le rapport au monde dessiné dans l'espace narratif présente un

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Sujet et héros du récit biographique

caractère paradoxal, en ce qu'il opacifie la figure du sujet, instance initiatrice del'histoire, au profit du héros qu'il promeut, et dans le même temps cette miseentre parenthèses est contemporaine d'un dévoilement du sujet.

- un mouvement centripète ensuite, qui voit donc le sujet émerger à l'hori¬zon du récit, hors-texte, sous forme d'une totalité concrète affectée et auto-pro¬mue, présente et fragile. Au déploiement succède le rassemblement : ancrédans le présent, le sujet est pressé de formuler sa propre synthèse. Le sujets'éprouve au dehors, mais n'est pas ce « hors-de-soi » qu'est son histoire.

Ces deux catégories de gestes narratifs - arrachement et rattachement -signifient le double mouvement constitutif du sujet du récit de vie, tendu vers unordre fictionnel, celui du récit et du « je » différencié qu'il promeut, et dans lemême temps vers la cohésion pratique d'un « soi ».

3. RÉCIT DE VIE ET FORMATION DES ENSEIGNANTS

Ce second volet vise à rendre compte de l'intérêt de l'usage du récit de viesur un terrain spécifique, celui de la formation des enseignants, qui cristallisedes interrogations sur la pertinence de la mobilisation de savoirs praticiens« autochtones » et sur les limites d'une conception positive et applicationnistede la connaissance. Cette problématique des savoirs renouvelle considérable¬ment ce champ de recherche et de formation, en conférant à la réflexivité unstatut prépondérant dans la socialisation de l'enseignant (Schôn, 1996 ; Paquay,1996) et en substituant à une conception verticale de sa formation une concep¬tion horizontale, dans laquelle chercheurs, formateurs et praticiens deviennentpartenaires dans la construction du sens de l'activité et des pratiques ensei¬gnantes. Cette tendance vers une recentration sur les savoirs praticiens et unereconnaissance de l'autonomie de la pratique s'incarne dans nombre de payseuropéens (France, Belgique, Grande-Bretagne) et nord-américains, au traversd'un renouvellement sensible depuis la dernière décennie des dispositifs de for¬mation (mémoire professionnel, analyse reflexive, stages, mentorat).

Dans ce contexte, et même si le recours au récit est inhérent aux pratiquesformatives fondées sur la réflexivité, les récits de vie occupent une place à part.S'inscrivant dans ce renouveau épistémologique de la pratique enseignante, ilsoccupent toutefois une position encore marginale dans les pratiques derecherche et de formation en ce que leur usage est moins guidé par un souci demobilisation ou d'actualisation de savoirs et de compétences professionnellesspécifiques et expertes - perspective instrumentale - que par l'élucidation dusavoir-faire - sens et de l'élaboration identitaire de l'enseignant en devenir -perspective developpementale - (Elbaz, 1988 ; Malet, 1998 ; Nias, 1988). Cesdeux perspectives - rationaliste et anthropologique - apparaissent néanmoinscomplémentaires, la première privilégiant l'exemplarité de l'expertise et de l'ex¬traordinaire, la seconde la significativité de la singularité et de l'ordinaire.

3.1. Les pionniers du genre

Les liens entre le genre biographique et la recherche sur les enseignantssont relativement récents, puisque ce n'est qu'au début des années 80 que se

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Sujet et héros du récit biographique

caractère paradoxal, en ce qu'il opacifie la figure du sujet, instance initiatrice del'histoire, au profit du héros qu'il promeut, et dans le même temps cette miseentre parenthèses est contemporaine d'un dévoilement du sujet.

- un mouvement centripète ensuite, qui voit donc le sujet émerger à l'hori¬zon du récit, hors-texte, sous forme d'une totalité concrète affectée et auto-pro¬mue, présente et fragile. Au déploiement succède le rassemblement : ancrédans le présent, le sujet est pressé de formuler sa propre synthèse. Le sujets'éprouve au dehors, mais n'est pas ce « hors-de-soi » qu'est son histoire.

Ces deux catégories de gestes narratifs - arrachement et rattachement -signifient le double mouvement constitutif du sujet du récit de vie, tendu vers unordre fictionnel, celui du récit et du « je » différencié qu'il promeut, et dans lemême temps vers la cohésion pratique d'un « soi ».

3. RÉCIT DE VIE ET FORMATION DES ENSEIGNANTS

Ce second volet vise à rendre compte de l'intérêt de l'usage du récit de viesur un terrain spécifique, celui de la formation des enseignants, qui cristallisedes interrogations sur la pertinence de la mobilisation de savoirs praticiens« autochtones » et sur les limites d'une conception positive et applicationnistede la connaissance. Cette problématique des savoirs renouvelle considérable¬ment ce champ de recherche et de formation, en conférant à la réflexivité unstatut prépondérant dans la socialisation de l'enseignant (Schôn, 1996 ; Paquay,1996) et en substituant à une conception verticale de sa formation une concep¬tion horizontale, dans laquelle chercheurs, formateurs et praticiens deviennentpartenaires dans la construction du sens de l'activité et des pratiques ensei¬gnantes. Cette tendance vers une recentration sur les savoirs praticiens et unereconnaissance de l'autonomie de la pratique s'incarne dans nombre de payseuropéens (France, Belgique, Grande-Bretagne) et nord-américains, au traversd'un renouvellement sensible depuis la dernière décennie des dispositifs de for¬mation (mémoire professionnel, analyse reflexive, stages, mentorat).

Dans ce contexte, et même si le recours au récit est inhérent aux pratiquesformatives fondées sur la réflexivité, les récits de vie occupent une place à part.S'inscrivant dans ce renouveau épistémologique de la pratique enseignante, ilsoccupent toutefois une position encore marginale dans les pratiques derecherche et de formation en ce que leur usage est moins guidé par un souci demobilisation ou d'actualisation de savoirs et de compétences professionnellesspécifiques et expertes - perspective instrumentale - que par l'élucidation dusavoir-faire - sens et de l'élaboration identitaire de l'enseignant en devenir -perspective developpementale - (Elbaz, 1988 ; Malet, 1998 ; Nias, 1988). Cesdeux perspectives - rationaliste et anthropologique - apparaissent néanmoinscomplémentaires, la première privilégiant l'exemplarité de l'expertise et de l'ex¬traordinaire, la seconde la significativité de la singularité et de l'ordinaire.

3.1. Les pionniers du genre

Les liens entre le genre biographique et la recherche sur les enseignantssont relativement récents, puisque ce n'est qu'au début des années 80 que se

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REPÈRES N° 21/2000 R. MALET

sont développées les études sur le « devenir enseignant », au travers notam¬ment des contributions pionnières des sociologues interactionnistes anglo-saxons, héritiers de l'École de Chicago (Hugues, 1957). Sous l'impulsion dutravail de C. Lacey (1 977), les enquêtes produites à partir de récits de vie (lifestories) et d'observation participante visent à élucider le processus de construc¬tion de l'identité professionnelle des enseignants, en prêtant notamment atten¬tion aux stratégies d'adaptation déployées par les praticiens au cours de leurformation initiale. Les notions de négociation, d'intériorisation ou de résistanceaux valeurs véhiculées par la formation professionnelle et l'institution qui l'as¬sure, de stratégies d'adaptation (coping strategies), sont récurrentes dans l'ana¬lyse symbolique interactionniste de la formation de l'enseignant (Pollard, 1982 ;

Woods, 1990).

Exégètes des phénomènes micro-sociaux, les sociologues anglo-saxonsétablissent une corrélation décisive entre le niveau local - le sens que les acteurséducatifs donnent à leur activité et leurs pratiques - et le niveau structurel desfacteurs liés à la culture dans laquelle ils s'inscrivent (C. Lacey parle de « culturelatente »). La socialisation et la formation de l'enseignant y apparaissent commel'acquisition et l'activation négociée de valeurs et d'attitudes propres à ungroupe professionnel (Popkewitz, 1985). La sociologie de l'éducation anglo-saxonne développe ainsi un modèle stratégique de la socialisation profession¬nelle, élaborant, dans le prolongement des travaux de H. Becker et de C. Lacey,des catégories susceptibles de rendre compte des processus transactionnelsfavorisant stabilité ou changement institutionnels (Sikes, et. al., 1983 ; Zeichneret Tabachnik, 1985). L'ensemble de ces contributions met particulièrement l'ac¬cent sur l'immersion des récits de vie dans un environnement organisationnel etsocio-culturel qui les influence et leur donne sens (Britzman, 1987).

3.2. Une conception élargie du savoir enseignant

Si les sociologues de l'éducation mobilisant la démarche biographiqueinvestissent la question de l'identité enseignante sous un angle exclusivementsocio-professionnel, d'autres travaux, plus récemment, fondent l'intelligibilité del'expérience enseignante sur son caractère éminemment sensible, rythmique,inscrite dans un rapport direct au monde. L'hypothèse de ce courant d'études,attentif au « langage de la pratique » (Yinger), est d'envisager l'expérience sen¬sible en tant que syntaxe pratique, signifiante du point de vue d'une sémantiquede l'action (Johnson, 1989 ; Yinger, 1989). La connaissance de l'enseignant ainsicomprise ne se limite pas à un seul savoir d'expérience lié à la pratique profes¬sionnelle, mais renvoie à l'inscription de l'enseignant dans un monde physiqueet culturel qui l'inscrit dans une communauté de sens (Bullough, 1991 ; Elbaz,1 988 ; Powell, 1 996). La mise au jour des savoirs de l'enseignant passe par uneprise en compte de ses différentes sphères bio-occupationnelles qui fondentune forme complexe de rapport au monde, une « esthétique enseignante (...) il

n'est pas simplement question de croyances intériorisées, mais bien plutôt dechamps d'expériences, d'interactions corporelles, de sentiments, d'actions spa-tio-temporellement orientées. Bref, la connaissance pratique des enseignantsdésigne les modalités complexes par lesquelles ceux-ci disposent, hic et nunc,d'un monde signifiant » (Johnson, 1989 : 363). Pour rendre compte de cette

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REPÈRES N° 21/2000 R. MALET

sont développées les études sur le « devenir enseignant », au travers notam¬ment des contributions pionnières des sociologues interactionnistes anglo-saxons, héritiers de l'École de Chicago (Hugues, 1957). Sous l'impulsion dutravail de C. Lacey (1 977), les enquêtes produites à partir de récits de vie (lifestories) et d'observation participante visent à élucider le processus de construc¬tion de l'identité professionnelle des enseignants, en prêtant notamment atten¬tion aux stratégies d'adaptation déployées par les praticiens au cours de leurformation initiale. Les notions de négociation, d'intériorisation ou de résistanceaux valeurs véhiculées par la formation professionnelle et l'institution qui l'as¬sure, de stratégies d'adaptation (coping strategies), sont récurrentes dans l'ana¬lyse symbolique interactionniste de la formation de l'enseignant (Pollard, 1982 ;

Woods, 1990).

Exégètes des phénomènes micro-sociaux, les sociologues anglo-saxonsétablissent une corrélation décisive entre le niveau local - le sens que les acteurséducatifs donnent à leur activité et leurs pratiques - et le niveau structurel desfacteurs liés à la culture dans laquelle ils s'inscrivent (C. Lacey parle de « culturelatente »). La socialisation et la formation de l'enseignant y apparaissent commel'acquisition et l'activation négociée de valeurs et d'attitudes propres à ungroupe professionnel (Popkewitz, 1985). La sociologie de l'éducation anglo-saxonne développe ainsi un modèle stratégique de la socialisation profession¬nelle, élaborant, dans le prolongement des travaux de H. Becker et de C. Lacey,des catégories susceptibles de rendre compte des processus transactionnelsfavorisant stabilité ou changement institutionnels (Sikes, et. al., 1983 ; Zeichneret Tabachnik, 1985). L'ensemble de ces contributions met particulièrement l'ac¬cent sur l'immersion des récits de vie dans un environnement organisationnel etsocio-culturel qui les influence et leur donne sens (Britzman, 1987).

3.2. Une conception élargie du savoir enseignant

Si les sociologues de l'éducation mobilisant la démarche biographiqueinvestissent la question de l'identité enseignante sous un angle exclusivementsocio-professionnel, d'autres travaux, plus récemment, fondent l'intelligibilité del'expérience enseignante sur son caractère éminemment sensible, rythmique,inscrite dans un rapport direct au monde. L'hypothèse de ce courant d'études,attentif au « langage de la pratique » (Yinger), est d'envisager l'expérience sen¬sible en tant que syntaxe pratique, signifiante du point de vue d'une sémantiquede l'action (Johnson, 1989 ; Yinger, 1989). La connaissance de l'enseignant ainsicomprise ne se limite pas à un seul savoir d'expérience lié à la pratique profes¬sionnelle, mais renvoie à l'inscription de l'enseignant dans un monde physiqueet culturel qui l'inscrit dans une communauté de sens (Bullough, 1991 ; Elbaz,1 988 ; Powell, 1 996). La mise au jour des savoirs de l'enseignant passe par uneprise en compte de ses différentes sphères bio-occupationnelles qui fondentune forme complexe de rapport au monde, une « esthétique enseignante (...) il

n'est pas simplement question de croyances intériorisées, mais bien plutôt dechamps d'expériences, d'interactions corporelles, de sentiments, d'actions spa-tio-temporellement orientées. Bref, la connaissance pratique des enseignantsdésigne les modalités complexes par lesquelles ceux-ci disposent, hic et nunc,d'un monde signifiant » (Johnson, 1989 : 363). Pour rendre compte de cette

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Sujet et héros du récit biographique

forme incorporée, autochtone de savoir, Johnson en appelle à des notions heu¬ristiques comme celles d'image, de routine, de rythme, de cycle (Clandinin,1989) (9), qu'on retrouve également dans l'espace francophone (Huberman,1989 ; Mevel, 1999 ; Perrenoud, 1994).

Préoccupée de la dimension diachronique de la construction d'un savoirenseignant ne prenant sens que replacé dans le contexte d'une histoire person¬nelle, la mouvance de recherche narrative formule l'hypothèse que « le savoirenseignant le plus authentique est enfoui dans le récit autobiographique » (Butt,et. al., 1988 : 28), la dimension reflexive du récit remplissant une fonction destructuration et d'explicitation de l'expérience vécue. Rompant avec le para¬digme rationaliste promoteur du sujet épistémique, fortement rationnel, au détri¬ment du sujet dialogique (Day et Tappan, 1996 ; Taylor, 1989), éminemmentrelationnel et social (10), de nombreuses contributions, principalement anglo-américaines (Butt et Raymond, 1987 ; Butt, et. al., 1988 ; Elbaz, 1989), avancentla notion de « voix » (teacher's voice), traduisant bien le souci de réhabiliter lesavoir autochtone des insiders. Cette préoccupation émancipatoire favorise l'ex¬périmentation d'outils originaux comme l'écriture commune (Butt, 1988) ou larestitution commune et l'échange des récits (Connely et Clandinin, 1987). EnFrance, le même type de pratiques se fait jour au travers de dispositifs de for¬mation innovants permettant de produire et d'échanger des « récits de vie pro¬fessionnels » (Bliez-Sullerot, 1999 ; Mevel, 1999).

Dans l'ensemble, et même si les formulations varient pour en rendrecompte (J. Clandinin parle d'unité narrative et de connaissance personnelle/pra¬tique, R. Butt de praxis biographique) ces travaux valorisent une conception dusavoir enseignant qui, loin d'être réduit à un savoir professionnel isolé des autressphères de vie du sujet, est envisagé comme la mise à l'épreuve renouvelée descommerces entretenus par l'enseignant, placé « au centre d'un réseau occupa¬tionnel » (Clandinin, 1986 : 65). Au delà du réseau dans lequel l'enseignant-sujetprend position, le récit de vie permet de mettre au jour la formation expérientieUede l'enseignant en amont des espaces-temps professionnels et ce faisantd'éclairer les interactions entre son parcours de vie pré-professionnel, lessavoirs construits au cours de son trajet de pré-formation, de son histoire sco¬laire ou familiale, et son identité d'enseignant en devenir (Butt, ef. al. , 1 993 ;

Belkàid, 1999 ; Clandinin, 1989 ; Malet, 1999).

3.3. Discussion autour d'un renouveau épistémologique

A l'issue de ce tour d'horizon de la recherche narrative sur les enseignantset leur formation, il apparait que l'approche biographique fédère une grandevariété de recherches préoccupées de comprendre les ressorts de l'activitéenseignante à partir de l'expérience enseignante même. L'effervescence épisté¬mologique et méthodologique perceptible dans ce vaste champ de préoccupa¬tions regroupées sous les dénominations unifiantes de « savoir enseignant » estl'indication d'une saine tendance à associer dans l'intelligibilité de leur pratiquedes enseignants qui restent au demeurant les seuls dépositaires de l'acte d'en¬seignement, quelles que soient les modifications pouvant intervenir sur le cadre- et le cadre seulement - de leur activité. L'ambition de cette mouvance de

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forme incorporée, autochtone de savoir, Johnson en appelle à des notions heu¬ristiques comme celles d'image, de routine, de rythme, de cycle (Clandinin,1989) (9), qu'on retrouve également dans l'espace francophone (Huberman,1989 ; Mevel, 1999 ; Perrenoud, 1994).

Préoccupée de la dimension diachronique de la construction d'un savoirenseignant ne prenant sens que replacé dans le contexte d'une histoire person¬nelle, la mouvance de recherche narrative formule l'hypothèse que « le savoirenseignant le plus authentique est enfoui dans le récit autobiographique » (Butt,et. al., 1988 : 28), la dimension reflexive du récit remplissant une fonction destructuration et d'explicitation de l'expérience vécue. Rompant avec le para¬digme rationaliste promoteur du sujet épistémique, fortement rationnel, au détri¬ment du sujet dialogique (Day et Tappan, 1996 ; Taylor, 1989), éminemmentrelationnel et social (10), de nombreuses contributions, principalement anglo-américaines (Butt et Raymond, 1987 ; Butt, et. al., 1988 ; Elbaz, 1989), avancentla notion de « voix » (teacher's voice), traduisant bien le souci de réhabiliter lesavoir autochtone des insiders. Cette préoccupation émancipatoire favorise l'ex¬périmentation d'outils originaux comme l'écriture commune (Butt, 1988) ou larestitution commune et l'échange des récits (Connely et Clandinin, 1987). EnFrance, le même type de pratiques se fait jour au travers de dispositifs de for¬mation innovants permettant de produire et d'échanger des « récits de vie pro¬fessionnels » (Bliez-Sullerot, 1999 ; Mevel, 1999).

Dans l'ensemble, et même si les formulations varient pour en rendrecompte (J. Clandinin parle d'unité narrative et de connaissance personnelle/pra¬tique, R. Butt de praxis biographique) ces travaux valorisent une conception dusavoir enseignant qui, loin d'être réduit à un savoir professionnel isolé des autressphères de vie du sujet, est envisagé comme la mise à l'épreuve renouvelée descommerces entretenus par l'enseignant, placé « au centre d'un réseau occupa¬tionnel » (Clandinin, 1986 : 65). Au delà du réseau dans lequel l'enseignant-sujetprend position, le récit de vie permet de mettre au jour la formation expérientieUede l'enseignant en amont des espaces-temps professionnels et ce faisantd'éclairer les interactions entre son parcours de vie pré-professionnel, lessavoirs construits au cours de son trajet de pré-formation, de son histoire sco¬laire ou familiale, et son identité d'enseignant en devenir (Butt, ef. al. , 1 993 ;

Belkàid, 1999 ; Clandinin, 1989 ; Malet, 1999).

3.3. Discussion autour d'un renouveau épistémologique

A l'issue de ce tour d'horizon de la recherche narrative sur les enseignantset leur formation, il apparait que l'approche biographique fédère une grandevariété de recherches préoccupées de comprendre les ressorts de l'activitéenseignante à partir de l'expérience enseignante même. L'effervescence épisté¬mologique et méthodologique perceptible dans ce vaste champ de préoccupa¬tions regroupées sous les dénominations unifiantes de « savoir enseignant » estl'indication d'une saine tendance à associer dans l'intelligibilité de leur pratiquedes enseignants qui restent au demeurant les seuls dépositaires de l'acte d'en¬seignement, quelles que soient les modifications pouvant intervenir sur le cadre- et le cadre seulement - de leur activité. L'ambition de cette mouvance de

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recherche, clairement ancrée dans le paradigme interprétatif ouvert par l'èrepoststructuraliste, est donc de réhabiliter l'enseignant en tant que sujet - nonsimplement objet - de connaissance, et de signifier le statut décisif du discoursdans la formation du sujet.

La diversité des approches oblige toutefois à quelque prudence sur l'inté¬gration de l'enseignant-sujet que cette tendance semble augurer. Les pratiquesde formation d'enseignants, avons-nous vu, suggèrent bien souvent implicite¬ment que le critère de validité du savoir repose sur sa fonctionnalité et sa trans¬férabilité, autrement dit littéralement sur son autonomie par rapport au sujet quil'exprime. Dans cette perspective, c'est la subjectivité même de l'enseignant quisemble évacuée, singulièrement au nom de sa formation à une expertise ensei¬gnante, dont les critères de recevabilité sont externement définis et prescrits.L'expérience enseignante ne saurait dans cette perspective être significative quedans la mesure où elle revêt quelque qualité d'expertise.

Pour autant que l'on puisse être séduit par « l'entrée de la vie enformation », et par la spécificité même des récits de vie qui est de suppléer àces approches rationalistes et exogènes des démarches anthropologiquesattentives au sens qui habite l'expérience singulière, quel statut conférer à cesrécits du vécu en formation ? Au passage, il convient de remarquer que sil'usage du récit de vie est très développé dans la recherche sur les enseignants,en ce qu'il permet de découvrir des problématiques anthropologiques fonda¬mentales, il demeure en revanche encore assez marginal en formation desenseignants. Comment donc donner la parole aux enseignants tout en préten¬dant les former par la production d'un récit de vie sans prendre le risque ou dele trahir ou de s'enfermer dans la singularité du récit produit ?

Ce qu'il convient d'affronter pour rendre justice à l'usage des récits de vieen formation, c'est ce que j'appellerai le dégagement du récit, nécessaire etcontemporain d'une ouverture à l'altérité. Ce dépassement du récit parl'échange et sa soumission à la critique et à l'argumentation permet au sujet desortir de son propre récit et d'être en voie de réaliser ce faisant le potentiel for¬matif de celui-ci. Pour accomplir ce dépassement du récit de vie auquel doitconsentir le sujet pour que le procès de formation ait quelque chance d'aboutir,il convient d'engager en formation des pratiques visant à l'élucidation dessavoirs et des valeurs dont sont porteurs, individuellement et collectivement, lesenseignants en devenir. Travailler sur le récit de vie des enseignants, c'est eneffet les amener à réfléchir sur ce qui vaut pour eux, tout récit participant nousl'avons vu d'une entreprise d'axiologisation. La question de la construction dessavoirs enseignants a pour corollaire une nécessaire interrogation sur les valeursenseignantes (Bliez-Sullerot et Mevel, 1999).

Le problème que pose l'usage du récit de vie en formation d'enseignantsn'est bien entendu pas la définition collective de « valeurs majuscules », maisplus probablement l'explicitation et la socialisation de « valeurs minuscules »

(Fath, 1998). Soumises à la discussion et à la force critique du discours, lesimages, valeurs, expériences morales de l'enseignant ainsi socialisées sontdésinvesties de leur charge émotionnelle, permettant à l'enseignant une autono¬mie axiologique. L'éclairage des processus de valorisation singuliers, conquis

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recherche, clairement ancrée dans le paradigme interprétatif ouvert par l'èrepoststructuraliste, est donc de réhabiliter l'enseignant en tant que sujet - nonsimplement objet - de connaissance, et de signifier le statut décisif du discoursdans la formation du sujet.

La diversité des approches oblige toutefois à quelque prudence sur l'inté¬gration de l'enseignant-sujet que cette tendance semble augurer. Les pratiquesde formation d'enseignants, avons-nous vu, suggèrent bien souvent implicite¬ment que le critère de validité du savoir repose sur sa fonctionnalité et sa trans¬férabilité, autrement dit littéralement sur son autonomie par rapport au sujet quil'exprime. Dans cette perspective, c'est la subjectivité même de l'enseignant quisemble évacuée, singulièrement au nom de sa formation à une expertise ensei¬gnante, dont les critères de recevabilité sont externement définis et prescrits.L'expérience enseignante ne saurait dans cette perspective être significative quedans la mesure où elle revêt quelque qualité d'expertise.

Pour autant que l'on puisse être séduit par « l'entrée de la vie enformation », et par la spécificité même des récits de vie qui est de suppléer àces approches rationalistes et exogènes des démarches anthropologiquesattentives au sens qui habite l'expérience singulière, quel statut conférer à cesrécits du vécu en formation ? Au passage, il convient de remarquer que sil'usage du récit de vie est très développé dans la recherche sur les enseignants,en ce qu'il permet de découvrir des problématiques anthropologiques fonda¬mentales, il demeure en revanche encore assez marginal en formation desenseignants. Comment donc donner la parole aux enseignants tout en préten¬dant les former par la production d'un récit de vie sans prendre le risque ou dele trahir ou de s'enfermer dans la singularité du récit produit ?

Ce qu'il convient d'affronter pour rendre justice à l'usage des récits de vieen formation, c'est ce que j'appellerai le dégagement du récit, nécessaire etcontemporain d'une ouverture à l'altérité. Ce dépassement du récit parl'échange et sa soumission à la critique et à l'argumentation permet au sujet desortir de son propre récit et d'être en voie de réaliser ce faisant le potentiel for¬matif de celui-ci. Pour accomplir ce dépassement du récit de vie auquel doitconsentir le sujet pour que le procès de formation ait quelque chance d'aboutir,il convient d'engager en formation des pratiques visant à l'élucidation dessavoirs et des valeurs dont sont porteurs, individuellement et collectivement, lesenseignants en devenir. Travailler sur le récit de vie des enseignants, c'est eneffet les amener à réfléchir sur ce qui vaut pour eux, tout récit participant nousl'avons vu d'une entreprise d'axiologisation. La question de la construction dessavoirs enseignants a pour corollaire une nécessaire interrogation sur les valeursenseignantes (Bliez-Sullerot et Mevel, 1999).

Le problème que pose l'usage du récit de vie en formation d'enseignantsn'est bien entendu pas la définition collective de « valeurs majuscules », maisplus probablement l'explicitation et la socialisation de « valeurs minuscules »

(Fath, 1998). Soumises à la discussion et à la force critique du discours, lesimages, valeurs, expériences morales de l'enseignant ainsi socialisées sontdésinvesties de leur charge émotionnelle, permettant à l'enseignant une autono¬mie axiologique. L'éclairage des processus de valorisation singuliers, conquis

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Sujet et héros du récit biographique

par leur mise en mots et leur échange, n'a pas pour vocation ultime l'émergenced'un improbable consensus axiologique, mais permet de soumettre de façonargumentative cette singularité à l'écoute du groupe. C'est précisément cechangement de perspective et cette superposition des textes du vécu qui peutêtre formateur. La reconnaissance réciproque par le biais d'une éthique de ladiscussion (Habermas, 1992 ; Ferry, 1996) est tout autant la méthode que la finde ces pratiques. II s'agit non pas de démystifier la singularité du récit, mais del'intégrer par un travail sur des universalisâmes, c'est-à-dire des visées d'univer¬salité elles-mêmes soumises à la discussion. C'est dans ce passage de la sin¬gularité du récit relevant du savoir narratif à la définition d'impératifs morauxrelevant du savoir argumentatif que probablement se joue et s'actualise lepotentiel formatif du récit de vie.

CONCLUSION

« La science est d'origine en conflit avec les récits », annonce J.-F. Lyotarden ouverture de La Condition postmoderne (1979 : 7). Les sciences humaines,pour leur bien ou pour leur malheur, abritent des champs disciplinaires à « para¬digme faible », c'est-à-dire ne pouvant se protéger - bien qu'elles aient long¬temps uvré à cela - derrière des savoirs « durs » qui les mettraient à l'abri detoute invasion du vécu et des récits subjectifs, et de leur inachèvement propre.

La vertu de l'approche biographique, au delà de la variété de pratiques quel'on peut y rencontrer, est d'affronter cette irrésolution constitutive du sujet dansce qu'il a de plus intime et de plus incomplet, le récit de sa vie. D'abord utiliséepour mieux connaître les sociétés sans écriture (Simmons, 1942), l'approchebiographique l'est aujourd'hui pour comprendre les franges de nos sociétés« sans parole ». Pour autant, elle ne masque pas une nouvelle forme de colonia¬lisme anthropologique, mais, dans un mouvement épistémologique qui traversetoutes les sciences sociales, manifeste la fin d'une foi irrésolue dans l'expertiseexterne à l'expérience vécue et la réhabilitation du sujet éprouvant, agissant etconnaissant.

Si la voix du sujet mérite d'être entendue, elle ne saurait pour autant êtremagnifiée. Prendre en considération la parole du sujet revient à ne pas viderl'expérience vécue de son historicité propre, mais ce faisant, construire néan¬moins du sens, un sens qui ne soit pas « commun », mais nécessairement enrupture d'avec - en même temps qu'instruit par - ce qui est raconté par le sujet :

un sens commun somme toute, c'est-à-dire partagé.

NOTES

(1) Les termes de « récit de vie » et d'« histoire de vie » seront ici utilisés sans exclusivedans la mesure où ils désignent les deux versants d'une même expérience, qui estcelle de « se raconter ». Pour, autant, l'un et l'autre seront investis de manière diffé¬renciée. Le récit de vie renvoie explicitement à l'acte narratif et à l'instance d'énon¬ciation qui est le sujet du récit : le récit y est envisagé dans sa dimension

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Sujet et héros du récit biographique

par leur mise en mots et leur échange, n'a pas pour vocation ultime l'émergenced'un improbable consensus axiologique, mais permet de soumettre de façonargumentative cette singularité à l'écoute du groupe. C'est précisément cechangement de perspective et cette superposition des textes du vécu qui peutêtre formateur. La reconnaissance réciproque par le biais d'une éthique de ladiscussion (Habermas, 1992 ; Ferry, 1996) est tout autant la méthode que la finde ces pratiques. II s'agit non pas de démystifier la singularité du récit, mais del'intégrer par un travail sur des universalisâmes, c'est-à-dire des visées d'univer¬salité elles-mêmes soumises à la discussion. C'est dans ce passage de la sin¬gularité du récit relevant du savoir narratif à la définition d'impératifs morauxrelevant du savoir argumentatif que probablement se joue et s'actualise lepotentiel formatif du récit de vie.

CONCLUSION

« La science est d'origine en conflit avec les récits », annonce J.-F. Lyotarden ouverture de La Condition postmoderne (1979 : 7). Les sciences humaines,pour leur bien ou pour leur malheur, abritent des champs disciplinaires à « para¬digme faible », c'est-à-dire ne pouvant se protéger - bien qu'elles aient long¬temps uvré à cela - derrière des savoirs « durs » qui les mettraient à l'abri detoute invasion du vécu et des récits subjectifs, et de leur inachèvement propre.

La vertu de l'approche biographique, au delà de la variété de pratiques quel'on peut y rencontrer, est d'affronter cette irrésolution constitutive du sujet dansce qu'il a de plus intime et de plus incomplet, le récit de sa vie. D'abord utiliséepour mieux connaître les sociétés sans écriture (Simmons, 1942), l'approchebiographique l'est aujourd'hui pour comprendre les franges de nos sociétés« sans parole ». Pour autant, elle ne masque pas une nouvelle forme de colonia¬lisme anthropologique, mais, dans un mouvement épistémologique qui traversetoutes les sciences sociales, manifeste la fin d'une foi irrésolue dans l'expertiseexterne à l'expérience vécue et la réhabilitation du sujet éprouvant, agissant etconnaissant.

Si la voix du sujet mérite d'être entendue, elle ne saurait pour autant êtremagnifiée. Prendre en considération la parole du sujet revient à ne pas viderl'expérience vécue de son historicité propre, mais ce faisant, construire néan¬moins du sens, un sens qui ne soit pas « commun », mais nécessairement enrupture d'avec - en même temps qu'instruit par - ce qui est raconté par le sujet :

un sens commun somme toute, c'est-à-dire partagé.

NOTES

(1) Les termes de « récit de vie » et d'« histoire de vie » seront ici utilisés sans exclusivedans la mesure où ils désignent les deux versants d'une même expérience, qui estcelle de « se raconter ». Pour, autant, l'un et l'autre seront investis de manière diffé¬renciée. Le récit de vie renvoie explicitement à l'acte narratif et à l'instance d'énon¬ciation qui est le sujet du récit : le récit y est envisagé dans sa dimension

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pragmatique ; l'histoire de vie fait référence au niveau diégétique de la narration, à lamise en intrigue de soi dans un espace-temps singulier, celui de l'histoire, qui consti¬tue un moment du procès narratif.

(2) « La parole est moitié à celui qui parle, moitié à celui qui écoute » ; Montaigne (1580 :

1222).

(3) Voir sur ce point les analyses de J.-M. Ferry, 1 991 : 1 21 -1 34.

(4) Le devenir et la singularité du sujet s'affirment dans ce passage nécessaire du vivreau dire, du réel au symbolique.

(5) « Les choses se trouvent dites et se trouvent pensées par une Parole et par unePensée que nous n'avons pas, qui nous ont » ; M. Merleau-Ponty, 1960 : 27.

(6) « On croit parfois se connaître dans le temps, alors qu'on ne connaît qu'une suite defixations dans des espaces de la stabilité de l'être, d'un être qui ne veut pas s'écou¬ler... » ; G. Bachelard, 1957 : 28.

(7) Derrida, dans le prolongement de Husserl et de ses « temporels sentis », offre à pen¬ser le mouvement rétentionnel et la présence-absence du passé dans l'instant pré¬sent avec la notion heuristique de « trace » : « Sans réduire l'abîme qui peut en effetséparer la rétention de la re-présentation, sans se cacher que le problème de leursrapports n'est autre que celui de l'histoire de la vie et du devenir conscient de la vie,on doit pouvoir dire a priori que leur racine commune (...), la trace au sens le plusuniversel, est une possibilité qui doit non seulement habiter la pure actualité dumaintenant, mais la constituer par le mouvement même de la différence qu'elle yintroduit » ; J. Derrida, 1967 : 75.

(8) Ainsi, annonce Ricoeur, « répondre à la question « qui ? », c'est raconter l'histoired'une vie. L'histoire racontée dit le qui de l'action » ; P. Ricoeur, 1985 : 442.

(9) « Ces cycles ne sont pas éprouvés en tant que cycles imposés objectivement à l'en¬seignant, mais sont expérimentés rythmiquement. Les enseignants opèrent dans leurrécit une reconstruction de leur expérience à travers une répétition cyclique de la viedans l'établissement, et c'est par cette reconstitution que les enseignants en vien¬nent à « connaître » rythmiquement leur classe » (Clandinin, 1989 : 123).

(10) Les implications dramaturgiques propres à la conception dialogique du soi condui¬sent à concevoir un sujet moral qui « performerait » devant un public privéprésent/absent ses propres expériences morales tout au long de sa vie. C. Taylorinstruit ainsi le concept de « soi » en tant que « constitué au travers d'un échangelangagier incessant » (1989 : 509) et entrevoit la présence de l'autre en lui dans « lessources morales hors de lui qui résonnent en lui-même sous forme langagière »

(Ibid : 51).

BIBLIOGRAPHIE

ADAM J.-M. (1984) : Le Récit, PUF, « Que-sais-je ? ».

ADAM J.-M. (1992) : Les Textes : types et prototypes, Paris, Nathan.

ARISTOTE (1980) : Poétique, Paris, Seuil.

AUSTIN (1970 ; 1962) : Quand dire, c'est faire, Paris, Seuil.

BACHELARD G. (1994, 1957) : La Poétique de l'espace, Paris, PUF.

BAKHTINE M. (1977) : Le marxisme et la philosophie du langage. Essai d'appli¬cation de la méthode sociologique en linguistique, Paris, Minuit.

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pragmatique ; l'histoire de vie fait référence au niveau diégétique de la narration, à lamise en intrigue de soi dans un espace-temps singulier, celui de l'histoire, qui consti¬tue un moment du procès narratif.

(2) « La parole est moitié à celui qui parle, moitié à celui qui écoute » ; Montaigne (1580 :

1222).

(3) Voir sur ce point les analyses de J.-M. Ferry, 1 991 : 1 21 -1 34.

(4) Le devenir et la singularité du sujet s'affirment dans ce passage nécessaire du vivreau dire, du réel au symbolique.

(5) « Les choses se trouvent dites et se trouvent pensées par une Parole et par unePensée que nous n'avons pas, qui nous ont » ; M. Merleau-Ponty, 1960 : 27.

(6) « On croit parfois se connaître dans le temps, alors qu'on ne connaît qu'une suite defixations dans des espaces de la stabilité de l'être, d'un être qui ne veut pas s'écou¬ler... » ; G. Bachelard, 1957 : 28.

(7) Derrida, dans le prolongement de Husserl et de ses « temporels sentis », offre à pen¬ser le mouvement rétentionnel et la présence-absence du passé dans l'instant pré¬sent avec la notion heuristique de « trace » : « Sans réduire l'abîme qui peut en effetséparer la rétention de la re-présentation, sans se cacher que le problème de leursrapports n'est autre que celui de l'histoire de la vie et du devenir conscient de la vie,on doit pouvoir dire a priori que leur racine commune (...), la trace au sens le plusuniversel, est une possibilité qui doit non seulement habiter la pure actualité dumaintenant, mais la constituer par le mouvement même de la différence qu'elle yintroduit » ; J. Derrida, 1967 : 75.

(8) Ainsi, annonce Ricoeur, « répondre à la question « qui ? », c'est raconter l'histoired'une vie. L'histoire racontée dit le qui de l'action » ; P. Ricoeur, 1985 : 442.

(9) « Ces cycles ne sont pas éprouvés en tant que cycles imposés objectivement à l'en¬seignant, mais sont expérimentés rythmiquement. Les enseignants opèrent dans leurrécit une reconstruction de leur expérience à travers une répétition cyclique de la viedans l'établissement, et c'est par cette reconstitution que les enseignants en vien¬nent à « connaître » rythmiquement leur classe » (Clandinin, 1989 : 123).

(10) Les implications dramaturgiques propres à la conception dialogique du soi condui¬sent à concevoir un sujet moral qui « performerait » devant un public privéprésent/absent ses propres expériences morales tout au long de sa vie. C. Taylorinstruit ainsi le concept de « soi » en tant que « constitué au travers d'un échangelangagier incessant » (1989 : 509) et entrevoit la présence de l'autre en lui dans « lessources morales hors de lui qui résonnent en lui-même sous forme langagière »

(Ibid : 51).

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BAKHTINE M. (1977) : Le marxisme et la philosophie du langage. Essai d'appli¬cation de la méthode sociologique en linguistique, Paris, Minuit.

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Sujet et héros du récit biographique

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CONNELLY F. M. & CLANDININ D. J. (1987) : On narrative method, biographyunities in the study of teaching, Journal of Educational Thought, n° 3.

181

Sujet et héros du récit biographique

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BELKAÏD M. (1999) : Formation des enseignants et (auto)biographie éducative,Spirale, n° 24.

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BERTAUX D. (1 983) : L'approche biographique, sa validité méthodologique, sespotentialités, Cahiers Internationaux de Sociologie, 69, n° 2.

BERTAUX D. (1997) : Les Récits de vie, Paris, Nathan.

BERTHIER P. et DUFOUR D.-N. (coord.) (1996) : Philosophie du langage, esthé¬tique et éducation, Paris, L'Harmattan.

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BUTT, R., RAYMOND, D., YAMAGISHI, L (1993) : Savoirs pré-professionnels etformation fondamentale. Approche autobiographique, in Gauthier, et. al, LeSavoir des enseignants : unité et diversité, Montréal, Éditions Logiques.

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CONNELLY F. M. & CLANDININ D. J. (1987) : On narrative method, biographyunities in the study of teaching, Journal of Educational Thought, n° 3.

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REPÈRES N° 21/2000 R. MALET

COQUET J.-C. (1996) : La Quête du sens. Le langage en question, Paris, PUF.

COSTANTINI M., DARRAULT-HARRIS I. (coord.) (1996) : Sémiotique, phénomé¬nologie, discours, Paris, L'Harmattan.

DEMAZIERE D. et DUBAR C. (1997) : Analyser les entretiens biographiques,Paris, Nathan.

DERRIDA J. (1993, 1967) : La Voix et le phénomène, Paris, PUF.

DOMINICE P. (1990) : L'Histoire de vie comme processus de formation, Paris,L'Harmattan.

DUCROT O. et ANSCROMBRE J.-C. (1988) : L'Argumentation dans la langue,Bruxelles, Mardaga.

DUFOUR D. R. (1990) : Les Mystères de la trinité, Paris, Gallimard.

ELBAZ F. (1 988) : The Changing Nature of Self : A Critical Study of theAutobiographic Discourse, Beckenham, Croom Helm.

ERBEN M. (1999) : The Biographic and the educative : A question of values, inSCOTT D. (Ed.) Values and Educational Research, London, Institute ofEducation.

FATH G. (1998) : Les valeurs en éducation et en formation, Spirale, n° 21.

FERRAROTTI F. (1983) : Histoire et histoire de vie : la méthode biographiquedans les sciences sociales, Paris, Méridiens Klincksieck.

FERRY J.-M. (1991) : Les Puissances de l'expérience, Paris, Cerf, 2 tomes.

FERRY J.-M. (1996) : L'Éthique reconstmctive, Paris, Cerf.

FINGER M. (1989) : L'approche biographique face aux sciences sociales. Leproblème du sujet dans la recherche sociale, Revue Européenne desSciences Sociales, 27, n° 83.

GALATANU O. (1996) : Analyse du discours et approche des identités, EducationPermanente, n° 128.

GAUTHIER C, MELLOUKI M. et TARDIF M. (Eds.) (1993) Le Savoir des ensei¬gnants. Que savent-ils ? Montréal, Éditions Logiques.

GENETTE G. (1983) : Nouveau discours du récit, Paris, Seuil.

GUSDORF G. (1990) : Lignes de vie, 1. 1 : Les Écritures du moi, t. 2 : Auto-bio¬graphie, Paris, Odile Jacob.

HABERMAS J. (1987, 1983) : Théorie de l'agir communicationnel, Paris, Fayard.

HABERMAS J. (1992, 1991) : De l'Éthique de la discussion, Paris, Cerf.

HUBERMAN M. (1989) : La Vie des enseignants, Neuchâtel, Delachaux etNiestlé.

HUGUES E. C. (1957) : Men and their Work, New York, Free Press.

HUSSERL E. (1964, 1928) : Leçons pour une phénoménologie de la conscienceintime du temps, Paris, PUF.

JACQUES F. (1985) : L'Espace dialogique de l'interlocution, Paris, PUF.

JAMES H. (1984) : The story of the story, in Literary Criticism, New York, TheLibrary of America.

JOHNSON M. (1989) : Embodied knowledge, Curriculum Inquiry, n° 4.

182

REPÈRES N° 21/2000 R. MALET

COQUET J.-C. (1996) : La Quête du sens. Le langage en question, Paris, PUF.

COSTANTINI M., DARRAULT-HARRIS I. (coord.) (1996) : Sémiotique, phénomé¬nologie, discours, Paris, L'Harmattan.

DEMAZIERE D. et DUBAR C. (1997) : Analyser les entretiens biographiques,Paris, Nathan.

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DOMINICE P. (1990) : L'Histoire de vie comme processus de formation, Paris,L'Harmattan.

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HUBERMAN M. (1989) : La Vie des enseignants, Neuchâtel, Delachaux etNiestlé.

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Sujet et héros du récit biographique

JOUTARD P. (1 983) : Ces Voix qui nous viennent du passé, Paris, Hachette.

KERBRAT-ORECCHIONI C. (1980) : L'Enonciation : de la subjectivité dans le lan¬gage, Paris, Armand Colin.

LABOV W. (1978 ; 1972) : Le Parler ordinaire, Paris, Minuit.

LAKOFF G. et JOHNSON M. (1987) : Metaphors we live by, Chicago, IL :

University of Chicago Press.

LACEY C. (1 977) : The Socialisation of Teachers, London, Methuen.

LECLERC-OLIVE M. (1997) : Le Dire de l'événement (biographique), Lille,Presses Universitaires du Septentrion.

LEGRAND M. (1 993) : L'Approche biographique, Paris, Éditions Épi.

LEJEUNE P. (1980) : « Je » est un autre, Paris, Seuil.

LERNER G. H. (1992) : Assisted storytelling : deploying shared knowledge as apractical manner, Qualitative Sociology, 15, n° 3.

LERAY C. et BOUCHARD C. (2000) : Histoires de vie et dynamique langagière,Cahiers de Sociolinguistique, n° 5, Presses Universitaires de Rennes.

LYOTARD J.-F. (1979) : La Condition postmoderne, Paris, Minuit.

MAFFESOLI M. (1990) : Au Creux des apparences. Pour une éthique de l'esthé¬tique, Paris, Pion.

MAFFESOLI M. (1996) : Éloge de la raison sensible, Paris, Grasset.

MALET R., TOMLINSON P. et WILLIAMS R. (1998) : Formation identitaire et rai¬

son narrative. Jalons pour une phénoménologie de la formation, Penser l'ɬducation, n° 5.

MALET R. (1 998) : L'Identité en formation. Phénoménologie du devenir ensei¬gnant, Paris, L'Harmattan.

MALET R. (1999) : La formation de l'identité enseignante d'un point de vueanthropologique, Spirale, n° 24.

MALET R. (2000) : Savoir incarné, savoir narratif. Phénoménologie et formationde l'enseignant-sujet, Revue Française de Pédagogie, n° 1 32.

MERLEAU-PONTY M. (1942) : La Structure du comportement, Paris, PUF.

MERLEAU-PONTY M. (1945) : Phénoménologie de la perception, Paris,Gallimard.

MERLEAU-PONTY M. (1960) : Signes, Paris, Gallimard.

MERLEAU-PONTY M. (1969) : La Prose du monde, Paris, Gallimard.

MEVEL Y. (1 999) : Définitions et exemples d'utilisation du récit de vie profession¬nelle en formation d'enseignants, Spirale, n° 24.

MONTAIGNE (1962, 1580) : Essais, volume III, Gallimard, Pléiade.

NIAS J. (1 988) : On Becoming and being a teacher, London, Methuen.

PAQUAY L. (et. al.) (dir.) (1 996) : Former des enseignants. Quelles stratégies ?Quelles compétences ? Bruxelles, De Boeck.

PERRENOUD P. (1994) : La Formation des enseignants entre la théorie et la pra¬tique, Paris, L'Harmattan.

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Sujet et héros du récit biographique

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MALET R., TOMLINSON P. et WILLIAMS R. (1998) : Formation identitaire et rai¬

son narrative. Jalons pour une phénoménologie de la formation, Penser l'ɬducation, n° 5.

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MONTAIGNE (1962, 1580) : Essais, volume III, Gallimard, Pléiade.

NIAS J. (1 988) : On Becoming and being a teacher, London, Methuen.

PAQUAY L. (et. al.) (dir.) (1 996) : Former des enseignants. Quelles stratégies ?Quelles compétences ? Bruxelles, De Boeck.

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REPÈRES N° 21/2000 R. MALET

PINEAU G. et JOBERT G. (coord.) (1989) : Histoires de vie, Paris, L'Harmattan, 2tomes.

PINEAU G. et LEGRAND J.-L. (1993) : Les Histoires de vie, PUF, « Que-sais-je ? ».

PINEAU G. (1998) : Accompagnement et histoires de vie, Paris, L'Harmattan.

POIRIER J. (et. al.) (1983) : Les Récits de vie, Paris, PUF.

POLLARD A. (1 982) : A model of classroom coping strategies, British Journal ofSociology, n° 3.

POPKEWITZ T. S. (1985) : Ideology and social formation in teacher education,Teaching and Teacher Education, n° 2.

RECANATI F. (1979) : La Transparence de renonciation, Paris, Seuil.

RICOEUR P. (1980) : Narrative time, Critical Inquiry, n° 7.

RICOEUR P. (1986) : Du Texte à l'action, Paris, Seuil.

RICOEUR P. (1983-1984-1985) : Temps et récit, Paris, Seuil, 3 tomes.

RICOEUR P. (1990) : Soi-même comme un autre, Paris, Seuil.

SCHÔN D. (1 996) : Le Tournant réflexif, Montréal, Éditions Logiques.

SEARLE J. (1 972, 1 969) : Les Actes de langage, Paris, Hermann.

SIKES P. J. (et. al.) (1983) : Teachers carreers, crises and continuities, London,Routledge and Kegan Paul.

SIMMONS L. (1942) : Sun Chief. The Autobiography of a Hopi Indian, New Have,Yale University Press ; trad. fr. (1959) Soleil Hopi, Pion.

TAPPAN M. et PACKER M. (Eds) : Narrative and Storytelling : Implications forUnderstanding Moral Development, San Francisco, Jossey Bass.

TAYLOR C. (1998 ; 1989) : Les Sources du moi, Paris, Seuil.

THOMPSON P. (1978) : The Voice of the Past: Oral History, Oxford, OxfordUniversity Press.

TIFFENEAU D. (dir.) (1980) : La Narrativité, Paris, CNRS.

WITTGENSTEIN L. (1961, 1951) : Investigations philosophiques, Paris, Gallimard.

WOODS P. (1990) : L'Ethnographie de l'école, Paris, Armand Colin.

WULF C. (1999) : Anthropologie de l'éducation, Paris, L'Harmattan.

YINGER R. (1 987) : Learning the language of practice, Curriculum Inquiry, n° 3.

ZEICHNER K. et TABACHNIK B. R. (1985) : Social strategies and institutionalcontrol in the socialization of beginning teachers, Journal of Education forTeaching, 5, n° 1 .

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REPÈRES N° 21/2000 R. MALET

PINEAU G. et JOBERT G. (coord.) (1989) : Histoires de vie, Paris, L'Harmattan, 2tomes.

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POLLARD A. (1 982) : A model of classroom coping strategies, British Journal ofSociology, n° 3.

POPKEWITZ T. S. (1985) : Ideology and social formation in teacher education,Teaching and Teacher Education, n° 2.

RECANATI F. (1979) : La Transparence de renonciation, Paris, Seuil.

RICOEUR P. (1980) : Narrative time, Critical Inquiry, n° 7.

RICOEUR P. (1986) : Du Texte à l'action, Paris, Seuil.

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RICOEUR P. (1990) : Soi-même comme un autre, Paris, Seuil.

SCHÔN D. (1 996) : Le Tournant réflexif, Montréal, Éditions Logiques.

SEARLE J. (1 972, 1 969) : Les Actes de langage, Paris, Hermann.

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SIMMONS L. (1942) : Sun Chief. The Autobiography of a Hopi Indian, New Have,Yale University Press ; trad. fr. (1959) Soleil Hopi, Pion.

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TIFFENEAU D. (dir.) (1980) : La Narrativité, Paris, CNRS.

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YINGER R. (1 987) : Learning the language of practice, Curriculum Inquiry, n° 3.

ZEICHNER K. et TABACHNIK B. R. (1985) : Social strategies and institutionalcontrol in the socialization of beginning teachers, Journal of Education forTeaching, 5, n° 1 .

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NOTE DE SYNTHESE

L'EFFET DE LA DIVERSITÉ NARRATIVESUR LES COMPÉTENCES DES ENFANTS

D'ÂGE SCOLAIRE

Sophie GONNAND, Harriet JISALaboratoire Dynamique Du Langage

Depuis de nombreuses années, les recherches portant sur le développe¬ment de la compétence narrative chez l'enfant d'âge scolaire abondent. Parmiquelques-unes des recherches pionnières, peuvent être cités, entre autres, lestravaux de Fayol (1983, 1985), de Karmiloff-Smith (1981), de Peterson etMcCabe (1 983), de Nelson (1 986) ou, plus récemment, une étude de Berman etSlobin (1994). Ces nombreux auteurs, même s'il ont travaillé à partir de proto¬coles expérimentaux bien différents, aboutissent à une même conclusion : lacompétence à passer du dialogue au monologue n'émerge pas d'un seul coupmais s'étend sur plusieurs années.

Si le processus de production est complexe dans les deux cas (i.e. narra¬tion dialogique et narration monologique) dans la mesure où il implique diffé¬rents niveaux de planification (Levelt, 1989 ; Coirier, Gaonac'h et Passerault,1996 ; Fayol, 1997), la situation monologique se complexifie d'autant plus queles enfants ne profitent plus d'aucun étayage de la part de l'adulte. Aussi les dif¬férents niveaux que nous allons décrire sont-ils plus coûteux en contexte mono¬logique qu'en contexte dialogique. À un premier niveau, les contenus àcommuniquer sont récupérés en mémoire à long terme. C'est aussi à ce niveauque sont activées les structures textuelles (narration vs description par exemple)et les connaissances relatives à la situation de discours (prise en compte dudestinataire, des buts, etc.). Le niveau suivant a pour tâche de linéariser le planissu du niveau antérieur, autrement dit, de transformer une structure concep¬tuelle en une structure linguistique. À ce niveau, « formulateur » chez Levelt(1989), deux activités prennent place : la première concerne l'encodage gram¬matical, la deuxième la sélection lexicale. Dans une dernière étape, Youtput dece niveau est traduit en séquences articulatoires ou graphiques selon que lacondition de production est orale ou écrite.

L'objectif de cette note de synthèse est double : d'une part, nous souhai¬tons montrer que le type textuel narratif est loin d'être monolithique, c'est-à-direqu'il existe une grande diversité au sein des narrations, diversité allant de la nar¬ration personnelle basée sur des expériences vécues à la narration basée surdes images mobiles, de la narration orale spontanée à la narration écrite plani¬fiée, etc. D'autre part, nous désirons souligner que cette diversité joue un rôlenon négligeable sur le type de contraintes auxquelles les narrateurs ont à faireface en situation de production. En effet, les compétences narratives d'un mêmeenfant peuvent considérablement varier selon la situation de production àlaquelle il est invité par le chercheur et/ou le professeur des écoles.

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NOTE DE SYNTHESE

L'EFFET DE LA DIVERSITÉ NARRATIVESUR LES COMPÉTENCES DES ENFANTS

D'ÂGE SCOLAIRE

Sophie GONNAND, Harriet JISALaboratoire Dynamique Du Langage

Depuis de nombreuses années, les recherches portant sur le développe¬ment de la compétence narrative chez l'enfant d'âge scolaire abondent. Parmiquelques-unes des recherches pionnières, peuvent être cités, entre autres, lestravaux de Fayol (1983, 1985), de Karmiloff-Smith (1981), de Peterson etMcCabe (1 983), de Nelson (1 986) ou, plus récemment, une étude de Berman etSlobin (1994). Ces nombreux auteurs, même s'il ont travaillé à partir de proto¬coles expérimentaux bien différents, aboutissent à une même conclusion : lacompétence à passer du dialogue au monologue n'émerge pas d'un seul coupmais s'étend sur plusieurs années.

Si le processus de production est complexe dans les deux cas (i.e. narra¬tion dialogique et narration monologique) dans la mesure où il implique diffé¬rents niveaux de planification (Levelt, 1989 ; Coirier, Gaonac'h et Passerault,1996 ; Fayol, 1997), la situation monologique se complexifie d'autant plus queles enfants ne profitent plus d'aucun étayage de la part de l'adulte. Aussi les dif¬férents niveaux que nous allons décrire sont-ils plus coûteux en contexte mono¬logique qu'en contexte dialogique. À un premier niveau, les contenus àcommuniquer sont récupérés en mémoire à long terme. C'est aussi à ce niveauque sont activées les structures textuelles (narration vs description par exemple)et les connaissances relatives à la situation de discours (prise en compte dudestinataire, des buts, etc.). Le niveau suivant a pour tâche de linéariser le planissu du niveau antérieur, autrement dit, de transformer une structure concep¬tuelle en une structure linguistique. À ce niveau, « formulateur » chez Levelt(1989), deux activités prennent place : la première concerne l'encodage gram¬matical, la deuxième la sélection lexicale. Dans une dernière étape, Youtput dece niveau est traduit en séquences articulatoires ou graphiques selon que lacondition de production est orale ou écrite.

L'objectif de cette note de synthèse est double : d'une part, nous souhai¬tons montrer que le type textuel narratif est loin d'être monolithique, c'est-à-direqu'il existe une grande diversité au sein des narrations, diversité allant de la nar¬ration personnelle basée sur des expériences vécues à la narration basée surdes images mobiles, de la narration orale spontanée à la narration écrite plani¬fiée, etc. D'autre part, nous désirons souligner que cette diversité joue un rôlenon négligeable sur le type de contraintes auxquelles les narrateurs ont à faireface en situation de production. En effet, les compétences narratives d'un mêmeenfant peuvent considérablement varier selon la situation de production àlaquelle il est invité par le chercheur et/ou le professeur des écoles.

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REPÈRES N° 21/2000 S. GONNAND et H. JISA

1. DIVERSITÉ NARRATIVE ET COÛT DE TRAITEMENT

Selon Berman (1994), les tâches auxquelles sont confrontés les narrateursdiffèrent en fonction du type de narration à produire. Pour définir ces diffé¬rences, l'auteur distingue quatre types de méthodologies : production d'unscript vs production d'une expérience personnelle vs production d'une histoireen images vs rappel d'un film muet.

Le type « script », qui répond à une consigne telle que « raconte une fêted'anniversaire » par exemple, fait appel à la reconstruction et à la verbalisationd'une suite d'événements qui se succèdent temporellement selon un ordreconnu. Les narrations personnelles prennent appui sur une expérience vécue,qu'il faut reconstruire verbalement. Dans la plupart de cas, ce sont des narra¬tions dont la structure épisodique est simple. Le troisième type de narrations estproduit à partir d'une série d'images organisées autour d'une trame narrative.Dans ce cas là, la tâche des narrateurs est double. D'une part, ils ont pourcontrainte de transformer des données visuelles, statiques et spatiales en don¬nées verbales, dynamiques et temporelles. D'autre part, les histoires servant debase à ces narrations sont très souvent des histoires complexes, comprenant denombreux personnages interagissant sur plusieurs épisodes, d'où la nécessitéde construire une structure épisodique complexe. Enfin, est mentionné le rappelde film muet, dans lequel le narrateur fournit un effort de mémoire afin de réali¬ser une verbalisation de scènes visuelles à structure épisodique complexe. Àpartir de ces remarques, Berman (1994) classe ces différents types selon l'ordrecroissant de difficultés suivant :

script < expérience personnelle < histoire en images < rappel de film muet

Néanmoins, l'auteur tempère ses propos en remarquant qu'il est difficile dedéfinir de manière absolue la difficulté d'une tâche, c'est-à-dire la charge cogni¬tive qu'elle impose au narrateur puisqu'il existe une multiplicité de facteurscapables d'augmenter ou, au contraire, de diminuer cette charge cognitive.

Cette tentative de mesurer le coût de traitement d'une tâche rejoint le pointthéorique précédemment développé quant aux niveaux de planification impli¬qués dans une tâche de production orale ou écrite : il est évident que le coûtcognitif requis par les processus de récupération des informations en mémoireet d'activation des structures appropriées est moins élevé en situation de rappeld'un film muet qu'en situation de production d'une expérience personnelle.

Cependant, la catégorisation de Berman (1994) reste peu exhaustive etpourrait être complétée si l'on considère par exemple le rappel de support audi¬tif, la production d'une narration sur la base d'une seule image fixe, le rappeld'un conte (structure narrative prototypique), la production d'une narration àpartir d'une manipulation de jouets, la production d'une narration familière, etc.En effet, de nombreuses études ont comparé des productions narratives obte¬nues à partir de différents protocoles expérimentaux de manière à montrer qu'ilfaut rester prudent quant à l'interprétation des résultats obtenus lors d'uneétude developpementale : si l'âge est un paramètre important, la procédureadoptée représente une autre variable dont il ne faut pas sous-estimer l'effet.

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REPÈRES N° 21/2000 S. GONNAND et H. JISA

1. DIVERSITÉ NARRATIVE ET COÛT DE TRAITEMENT

Selon Berman (1994), les tâches auxquelles sont confrontés les narrateursdiffèrent en fonction du type de narration à produire. Pour définir ces diffé¬rences, l'auteur distingue quatre types de méthodologies : production d'unscript vs production d'une expérience personnelle vs production d'une histoireen images vs rappel d'un film muet.

Le type « script », qui répond à une consigne telle que « raconte une fêted'anniversaire » par exemple, fait appel à la reconstruction et à la verbalisationd'une suite d'événements qui se succèdent temporellement selon un ordreconnu. Les narrations personnelles prennent appui sur une expérience vécue,qu'il faut reconstruire verbalement. Dans la plupart de cas, ce sont des narra¬tions dont la structure épisodique est simple. Le troisième type de narrations estproduit à partir d'une série d'images organisées autour d'une trame narrative.Dans ce cas là, la tâche des narrateurs est double. D'une part, ils ont pourcontrainte de transformer des données visuelles, statiques et spatiales en don¬nées verbales, dynamiques et temporelles. D'autre part, les histoires servant debase à ces narrations sont très souvent des histoires complexes, comprenant denombreux personnages interagissant sur plusieurs épisodes, d'où la nécessitéde construire une structure épisodique complexe. Enfin, est mentionné le rappelde film muet, dans lequel le narrateur fournit un effort de mémoire afin de réali¬ser une verbalisation de scènes visuelles à structure épisodique complexe. Àpartir de ces remarques, Berman (1994) classe ces différents types selon l'ordrecroissant de difficultés suivant :

script < expérience personnelle < histoire en images < rappel de film muet

Néanmoins, l'auteur tempère ses propos en remarquant qu'il est difficile dedéfinir de manière absolue la difficulté d'une tâche, c'est-à-dire la charge cogni¬tive qu'elle impose au narrateur puisqu'il existe une multiplicité de facteurscapables d'augmenter ou, au contraire, de diminuer cette charge cognitive.

Cette tentative de mesurer le coût de traitement d'une tâche rejoint le pointthéorique précédemment développé quant aux niveaux de planification impli¬qués dans une tâche de production orale ou écrite : il est évident que le coûtcognitif requis par les processus de récupération des informations en mémoireet d'activation des structures appropriées est moins élevé en situation de rappeld'un film muet qu'en situation de production d'une expérience personnelle.

Cependant, la catégorisation de Berman (1994) reste peu exhaustive etpourrait être complétée si l'on considère par exemple le rappel de support audi¬tif, la production d'une narration sur la base d'une seule image fixe, le rappeld'un conte (structure narrative prototypique), la production d'une narration àpartir d'une manipulation de jouets, la production d'une narration familière, etc.En effet, de nombreuses études ont comparé des productions narratives obte¬nues à partir de différents protocoles expérimentaux de manière à montrer qu'ilfaut rester prudent quant à l'interprétation des résultats obtenus lors d'uneétude developpementale : si l'âge est un paramètre important, la procédureadoptée représente une autre variable dont il ne faut pas sous-estimer l'effet.

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Note de synthèse

Pour rendre compte de ces travaux, seront observés l'utilisation, par desenfants de 4 à 1 0 ans, de certains outils linguistiques syntaxiques, lexicaux oudiscursifs dans des tâches narratives.

2. INVENTAIRE DES TRAVAUX

2.1. Quelques outils syntaxiques

Au niveau syntaxique, nous pouvons citer les travaux de Gayraud, Jisa etViguié (à paraitre) ou de Koch (1995) qui montrent que le taux de subordonnéesnon conjugués (i.e. propositions infinitives, participiales et gérondives) est sujetà l'influence de la modalité de production (orale vs écrite). Ce moyen deconnexion interpropositionnelle requiert des computations importantes de lapart de l'enfant qui, tout en hiérarchisant l'information par l'intégration d'uneproposition dans une autre, doit longtemps garder le topic en mémoire puisquecelui-ci n'est pas rappelé dans la proposition dépendante. Aussi n'est-il pas sur¬prenant qu'une situation écrite présente significativement plus de subordonnéesnon fléchies qu'une situation orale. En effet, par comparaison avec l'oral, lamodalité écrite autorise que plus de temps soit consacré aux opérations de pla¬nification.

Pour continuer sur ces questions de relations interpropositionnelles, nouspouvons également montrer qu'une narration produite à partir d'une séried'images entraine une importante utilisation de juxtaposées (Gayraud, Gonnand,Kern et Viguié, 2000). Comparé à une tâche de narration personnelle, ce type deproduction contient significativement plus de propositions juxtaposées. En effet,le prédécoupage en images mène les enfants de 9/1 0 ans à utiliser une proposi¬tion par image. Outre ce caractère séquentiel de la tâche à support visuel, lesauteurs évoquent également le paramètre « connaissance partagée », c'est-à-dire l'absence vs la présence de contexte antérieur commun : dans le cas d'unenarration personnelle, le même enfant de 9/1 0 ans rend davantage explicite lesrelations interpropositionnelles de manière à s'assurer une bonne compréhen¬sion de la part du destinataire du message qui découvre son histoire.

Pour citer un dernier exemple au niveau syntaxique, nous pouvons résumerles résultats obtenus par Gayraud ef al. (2000) au sujet de la relation forme/fonc¬tion des marqueurs de connexion interpropositionnels. Les auteurs notent uncontraste entre les tâches narratives à support (i.e. visuel ou auditif) et lestâches narratives sans support (i.e. expérience personnelle) chez des enfants de9/10 ans. En effet, les premières manifestent une diversité lexicale beaucoupplus importante que les secondes qui se satisfont d'un nombre plus limité deconnecteurs. Les chercheurs constatent également que cette diversité formelles'accompagne d'une diversité fonctionnelle. Par exemple, si l'on considère lesfonctions qui ont trait à la temporalité, on remarque que les tâches à supportprésentent une palette plus large de relations temporelles : quatre (séquentialité,ponctualité, simultanéité et antériorité) contre deux (séquentialité et ponctualité).Cette divergence peut une fois de plus s'interpréter par des exigences dues à latâche : les tâches à support utilisées par Gayraud ef al. (2000) mettent en scène

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Note de synthèse

Pour rendre compte de ces travaux, seront observés l'utilisation, par desenfants de 4 à 1 0 ans, de certains outils linguistiques syntaxiques, lexicaux oudiscursifs dans des tâches narratives.

2. INVENTAIRE DES TRAVAUX

2.1. Quelques outils syntaxiques

Au niveau syntaxique, nous pouvons citer les travaux de Gayraud, Jisa etViguié (à paraitre) ou de Koch (1995) qui montrent que le taux de subordonnéesnon conjugués (i.e. propositions infinitives, participiales et gérondives) est sujetà l'influence de la modalité de production (orale vs écrite). Ce moyen deconnexion interpropositionnelle requiert des computations importantes de lapart de l'enfant qui, tout en hiérarchisant l'information par l'intégration d'uneproposition dans une autre, doit longtemps garder le topic en mémoire puisquecelui-ci n'est pas rappelé dans la proposition dépendante. Aussi n'est-il pas sur¬prenant qu'une situation écrite présente significativement plus de subordonnéesnon fléchies qu'une situation orale. En effet, par comparaison avec l'oral, lamodalité écrite autorise que plus de temps soit consacré aux opérations de pla¬nification.

Pour continuer sur ces questions de relations interpropositionnelles, nouspouvons également montrer qu'une narration produite à partir d'une séried'images entraine une importante utilisation de juxtaposées (Gayraud, Gonnand,Kern et Viguié, 2000). Comparé à une tâche de narration personnelle, ce type deproduction contient significativement plus de propositions juxtaposées. En effet,le prédécoupage en images mène les enfants de 9/1 0 ans à utiliser une proposi¬tion par image. Outre ce caractère séquentiel de la tâche à support visuel, lesauteurs évoquent également le paramètre « connaissance partagée », c'est-à-dire l'absence vs la présence de contexte antérieur commun : dans le cas d'unenarration personnelle, le même enfant de 9/1 0 ans rend davantage explicite lesrelations interpropositionnelles de manière à s'assurer une bonne compréhen¬sion de la part du destinataire du message qui découvre son histoire.

Pour citer un dernier exemple au niveau syntaxique, nous pouvons résumerles résultats obtenus par Gayraud ef al. (2000) au sujet de la relation forme/fonc¬tion des marqueurs de connexion interpropositionnels. Les auteurs notent uncontraste entre les tâches narratives à support (i.e. visuel ou auditif) et lestâches narratives sans support (i.e. expérience personnelle) chez des enfants de9/10 ans. En effet, les premières manifestent une diversité lexicale beaucoupplus importante que les secondes qui se satisfont d'un nombre plus limité deconnecteurs. Les chercheurs constatent également que cette diversité formelles'accompagne d'une diversité fonctionnelle. Par exemple, si l'on considère lesfonctions qui ont trait à la temporalité, on remarque que les tâches à supportprésentent une palette plus large de relations temporelles : quatre (séquentialité,ponctualité, simultanéité et antériorité) contre deux (séquentialité et ponctualité).Cette divergence peut une fois de plus s'interpréter par des exigences dues à latâche : les tâches à support utilisées par Gayraud ef al. (2000) mettent en scène

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REPÈRES N° 21/2000 S. GONNAND et H. JISA

plusieurs personnages qui réalisent des actions différentes au même moment,ce qui nécessite l'expression de la simultanéité.

2.2. Quelques outils lexicaux

Au niveau lexical, nous pouvons prendre l'exemple de la densité lexicale,autrement dit la proportion de mots lexicaux opposés aux mots grammaticaux.Gayraud (2000) observe le même enfant (tranches d'âge testées = 7 ans et 9ans) soumis à deux passations différentes : la production d'une narration à l'oralet la production d'une narration à l'écrit. L'auteur constate que ce même sujetutilise plus de mots lexicaux dans la modalité écrite que dans la modalité orale.Elle attribue cette différence au fait que les items lexicaux sont moins fréquentsque les mots grammaticaux, donc moins fréquemment activés et, par consé¬quent, plus coûteux cognitivement. Aussi, seule une situation où l'enfant dis¬pose d'un temps de planification important (i.e. situation écrite) permet-elle laproduction de narrations lexicalement denses.

Cette densité lexicale est également fonction du type de tâche ou du typede supports proposés à l'enfant. En ce qui concerne le type de tâche, Gayraud(2000) et Gonnand (2000) aboutissent à des conclusions divergentes du faitqu'elles travaillent à partir de protocoles expérimentaux différents. Si Gayraud(2000) note une augmentation de densité lexicale entre 7 et 9 ans en situation deproduction narrative spontanée, Gonnand (2000), qui examine des rappelsimmédiats de supports narratifs auditifs, observe que, dès l'âge de 7 ans, l'en¬fant est capable d'introduire un nombre important d'items lexicaux au sein deces énoncés. Les résultats obtenus avec les 7 ans ne diffèrent pas des tauxrelevés pour les 8, les 9, les 10 et les 11 ans. En d'autres termes, l'insertiond'items lexicaux responsable de la densité lexicale est activée en situation derappel d'histoires.

Pour ce qui est des caractéristiques propres des supports manipulés, nouspouvons également noter une différence significative de densité lexicale selonque le support soumis à restitution est plus ou moins familier à l'enfant. Parexemple, sur la base du Petit Chaperon Rouge (i.e. support familier), les enfants,de 6 à 10 ans, insèrent peu d'items lexicaux, alors qu'en situation de restitutiond'histoire inconnue, les textes de ces mêmes sujets présentent de forts indicesde densité lexicale. Nous pouvons, de nouveau, évoquer le paramètre« connaissance partagée » : en situation de restitution d'un support [+ connu],les sujets ne se perdent pas dans les détails, supposant que le lecteur agrémen¬tera lui-même le contenu restitué. En revanche, dans le cas d'un texte [- connu],ils prendraient soin d'être précis et de restituer un maximum d'informations afinque le lecteur comprenne l'histoire du mieux possible (Gonnand, 2000).

2.3. Quelques outils discursifs

Enfin, au niveau discursif, nous pouvons citer l'exemple de l'introduction etdu maintien des referents. De nombreuses études montrent que le type deméthodologie a un effet sur les formes utilisées pour introduire et réintroduire unréfèrent. Par exemple, Kail et Hickmann (1992), Hickmann (1995) et Kail et

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REPÈRES N° 21/2000 S. GONNAND et H. JISA

plusieurs personnages qui réalisent des actions différentes au même moment,ce qui nécessite l'expression de la simultanéité.

2.2. Quelques outils lexicaux

Au niveau lexical, nous pouvons prendre l'exemple de la densité lexicale,autrement dit la proportion de mots lexicaux opposés aux mots grammaticaux.Gayraud (2000) observe le même enfant (tranches d'âge testées = 7 ans et 9ans) soumis à deux passations différentes : la production d'une narration à l'oralet la production d'une narration à l'écrit. L'auteur constate que ce même sujetutilise plus de mots lexicaux dans la modalité écrite que dans la modalité orale.Elle attribue cette différence au fait que les items lexicaux sont moins fréquentsque les mots grammaticaux, donc moins fréquemment activés et, par consé¬quent, plus coûteux cognitivement. Aussi, seule une situation où l'enfant dis¬pose d'un temps de planification important (i.e. situation écrite) permet-elle laproduction de narrations lexicalement denses.

Cette densité lexicale est également fonction du type de tâche ou du typede supports proposés à l'enfant. En ce qui concerne le type de tâche, Gayraud(2000) et Gonnand (2000) aboutissent à des conclusions divergentes du faitqu'elles travaillent à partir de protocoles expérimentaux différents. Si Gayraud(2000) note une augmentation de densité lexicale entre 7 et 9 ans en situation deproduction narrative spontanée, Gonnand (2000), qui examine des rappelsimmédiats de supports narratifs auditifs, observe que, dès l'âge de 7 ans, l'en¬fant est capable d'introduire un nombre important d'items lexicaux au sein deces énoncés. Les résultats obtenus avec les 7 ans ne diffèrent pas des tauxrelevés pour les 8, les 9, les 10 et les 11 ans. En d'autres termes, l'insertiond'items lexicaux responsable de la densité lexicale est activée en situation derappel d'histoires.

Pour ce qui est des caractéristiques propres des supports manipulés, nouspouvons également noter une différence significative de densité lexicale selonque le support soumis à restitution est plus ou moins familier à l'enfant. Parexemple, sur la base du Petit Chaperon Rouge (i.e. support familier), les enfants,de 6 à 10 ans, insèrent peu d'items lexicaux, alors qu'en situation de restitutiond'histoire inconnue, les textes de ces mêmes sujets présentent de forts indicesde densité lexicale. Nous pouvons, de nouveau, évoquer le paramètre« connaissance partagée » : en situation de restitution d'un support [+ connu],les sujets ne se perdent pas dans les détails, supposant que le lecteur agrémen¬tera lui-même le contenu restitué. En revanche, dans le cas d'un texte [- connu],ils prendraient soin d'être précis et de restituer un maximum d'informations afinque le lecteur comprenne l'histoire du mieux possible (Gonnand, 2000).

2.3. Quelques outils discursifs

Enfin, au niveau discursif, nous pouvons citer l'exemple de l'introduction etdu maintien des referents. De nombreuses études montrent que le type deméthodologie a un effet sur les formes utilisées pour introduire et réintroduire unréfèrent. Par exemple, Kail et Hickmann (1992), Hickmann (1995) et Kail et

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Note de synthèse

Sanchez y Lopez (1997) font produire un récit oral à partir d'images sans texte àdes enfants entre 4 et 10 ans en utilisant deux procédures différentes : dans lapremière situation, le récepteur du message oral a les yeux bandés et n'a doncpas vision de la série d'images que narre l'enfant, et dans la seconde situation,le récepteur voit les images en même temps que l'enfant construit l'histoire. Lesrésultats obtenus montrent que, dans le premier cas (i.e. pas de connaissancepartagée du support visuel), la majorité des introductions se fait par une formeindéfinie tandis que dans le second (i.e. connaissance partagée du supportvisuel), elle se fait au moyen d'une forme définie. Schnieder et Dubé (1 997) par¬viennent à la même conclusion en opposant la restitution d'un stimulus auditif àla verbalisation d'un stimulus visuel : les rappels de la bande sonore contiennentdes formes significativement plus appropriées que celles qui ont pu être rele¬vées dans les productions effectuées à partir d'images. Ici encore, les imagesmènent les enfants à un traitement « image par image » qui entraine une attitudeséquentielle. De même, Orsolini et Di Giacinto (1996) obtiennent de meilleursrésultats lorsqu'ils font restituer une histoire à la superstructure prototypique« conte » que lorsqu'ils demandent aux enfants d'inventer une histoire en s'ai¬dant d'une manipulation d'animaux en plastique : dès l'âge de 4 ans, l'enfant,qui rappelle le conte, introduit et réintroduit les referents de manière appropriée.

3. CONCLUSION

Les différences soulignées par cette note de synthèse suggèrent qu'il estimportant de garder à l'esprit, lorsque l'on utilise une seule tâche, que lesconclusions auxquelles on aboutit sont nécessairement partielles. En d'autrestermes, les choix méthodologiques sont extrêmement importants et représen¬tent donc une variable non négligeable que les chercheurs et/ou les professeursdes écoles se doivent nécessairement de prendre en compte, de manière à ceque la mesure des compétences des enfants ne soit pas biaisée par la métho¬dologie adoptée, c'est-à-dire qu'elles ne soient ni sur-, ni sous-estimées.

BIBLIOGRAPHIE

BERMAN, R.-A. (1994) : Form and function in developing narrative abilities. In :

D.I. Slobin, J. Gerhardt, A. Kyratzis et J. Guo (Éds.), Social interaction,social context, and language : Essays in honor of Susan Ervin-Tripp.Hillsdale, New Jersey, Lawrence Erlbaum.

BERMAN, R.-A. et SLOBIN, D.-l. (1986) : Frog story procedures in codingmanual : Temporality in discourse. Institute of Human Development,University of California at Berkeley.

COIRIER, P., GAONAC'H, D. et PASSERAULT, J.-M. (1996) : Psycholinguistiquetextuelle : Approche cognitive de la compréhension et de la production destextes, Paris, Armand Colin.

FAYOL, M. (1 983) : L'acquisition du récit : un bilan des recherches. Revue fran¬çaise de pédagogie, 62, pp. 65-82.

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Note de synthèse

Sanchez y Lopez (1997) font produire un récit oral à partir d'images sans texte àdes enfants entre 4 et 10 ans en utilisant deux procédures différentes : dans lapremière situation, le récepteur du message oral a les yeux bandés et n'a doncpas vision de la série d'images que narre l'enfant, et dans la seconde situation,le récepteur voit les images en même temps que l'enfant construit l'histoire. Lesrésultats obtenus montrent que, dans le premier cas (i.e. pas de connaissancepartagée du support visuel), la majorité des introductions se fait par une formeindéfinie tandis que dans le second (i.e. connaissance partagée du supportvisuel), elle se fait au moyen d'une forme définie. Schnieder et Dubé (1 997) par¬viennent à la même conclusion en opposant la restitution d'un stimulus auditif àla verbalisation d'un stimulus visuel : les rappels de la bande sonore contiennentdes formes significativement plus appropriées que celles qui ont pu être rele¬vées dans les productions effectuées à partir d'images. Ici encore, les imagesmènent les enfants à un traitement « image par image » qui entraine une attitudeséquentielle. De même, Orsolini et Di Giacinto (1996) obtiennent de meilleursrésultats lorsqu'ils font restituer une histoire à la superstructure prototypique« conte » que lorsqu'ils demandent aux enfants d'inventer une histoire en s'ai¬dant d'une manipulation d'animaux en plastique : dès l'âge de 4 ans, l'enfant,qui rappelle le conte, introduit et réintroduit les referents de manière appropriée.

3. CONCLUSION

Les différences soulignées par cette note de synthèse suggèrent qu'il estimportant de garder à l'esprit, lorsque l'on utilise une seule tâche, que lesconclusions auxquelles on aboutit sont nécessairement partielles. En d'autrestermes, les choix méthodologiques sont extrêmement importants et représen¬tent donc une variable non négligeable que les chercheurs et/ou les professeursdes écoles se doivent nécessairement de prendre en compte, de manière à ceque la mesure des compétences des enfants ne soit pas biaisée par la métho¬dologie adoptée, c'est-à-dire qu'elles ne soient ni sur-, ni sous-estimées.

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REPÈRES N° 21/2000 S. GONNAND et H. JISA

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GAYRAUD, F., JISA, H. et VIGUIÉ, A. (à paraitre) : Le développement de lasubordination non fléchie comme outil de cohésion dans les textes écrits etoraux. AILE, 12.

GAYRAUD, F, GONNAND, S., KERN, S. et VIGUIÉ, A. (2000) : L'effet de diffé¬rentes tâches narratives sur la connexion dans des textes d'enfants franco¬phones de 1 0 ans. Revue gabonaise de psycholinguistique, 1 .

GONNAND, S. (2000) : Effet de familiarité et capacités de restitution dans lesnarrations écrites d'enfants de 6 à 11 ans. Thèse de doctorat de l'UniversitéLumière Lyon 2.

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PETERSON, C. et McCABE, A. (1983) : Developmental psycholinguistics : threeways of looking at a child's narrative. New-York, Plenum Press.

SCHNIEDER, P. et DUBÉ, R. (1997) : Effect of pictural versus oral story presen¬tation on children's use of referring expressions in retell. First Language, 1 7,pp. 283-302.

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ACTUALITÉ DE LA RECHERCHEEN DIDACTIQUE DU FRANÇAIS LANGUE

MATERNELLE

Cette rubrique, ouverte à partir du numéro 12 de REPÈRES, vise à informer nos lec¬

teurs des recherches nouvelles ou en cours en didactique du français langue mater¬

nelle à l'école, ou n'appartenant pas à ce champ mais contribuant à éclairer les

problèmes de l'enseignement du français à l'école. Les fiches descriptives rédigées

par les responsables des recherches sont publiées telles quelles dans l'ordre de leurarrivée. La longueur souhaitée est de 4000 signes. L'infomiation peut aussi avoir laforme d'un compte rendu de thèse.

Pour figurer dans cette rubrique, prendre contact avec :

Gilbert Ducancel, secrétaire de rédaction de REPÈRES

INRP, Didactiques des disciplines, 29 rue d'Ulm, F75230 PARIS Cedex 05

POUR UNE ETHNOLINGUISTIQUEDES ATELIERS D'ÉCRITURE : ANALYSE

DE PRATIQUES SUR PLUSIEURS TERRAINS

Jacqueline LAFONT.Thèse de doctorat de Lettres modernes,

spécialité Sciences du langage, sous la direction de Nicole Gueunier.Université F. Rabelais de Tours, 1999.

Longtemps quasi souterraine, la progression des ateliers d'écriture dans demultiples lieux institutionnels a fait l'objet, depuis le début des années 90, dediverses études (soigneusement recensées par J. Lafont et auxquelles elle aelle-même participé dans son DEA) qui ont permis de dégager, peu à peu, audelà de la diversité des pratiques recensées, la spécificité de la démarche miseen place et ses effets, en termes de réassurance des scripteurs. Ces étudessont régulièrement assorties de propositions portant sur le transfert du dispositifdans le contexte scolaire.

Si elles n'ont pas, jusqu'ici, été massivement entendues, c'est en partieparce qu'elles éludent, faute d'arguments décisifs, une question centrale dans laperspective scolaire : l'atelier d'écriture permet-il d'apprendre à écrire ? C'estprécisément à cette question difficile et particulièrement cruciale, celle des effetsdes ateliers d'écriture sur la compétence scripturale, que s'affronte la thèse de

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ACTUALITÉ DE LA RECHERCHEEN DIDACTIQUE DU FRANÇAIS LANGUE

MATERNELLE

Cette rubrique, ouverte à partir du numéro 12 de REPÈRES, vise à informer nos lec¬

teurs des recherches nouvelles ou en cours en didactique du français langue mater¬

nelle à l'école, ou n'appartenant pas à ce champ mais contribuant à éclairer les

problèmes de l'enseignement du français à l'école. Les fiches descriptives rédigées

par les responsables des recherches sont publiées telles quelles dans l'ordre de leurarrivée. La longueur souhaitée est de 4000 signes. L'infomiation peut aussi avoir laforme d'un compte rendu de thèse.

Pour figurer dans cette rubrique, prendre contact avec :

Gilbert Ducancel, secrétaire de rédaction de REPÈRES

INRP, Didactiques des disciplines, 29 rue d'Ulm, F75230 PARIS Cedex 05

POUR UNE ETHNOLINGUISTIQUEDES ATELIERS D'ÉCRITURE : ANALYSE

DE PRATIQUES SUR PLUSIEURS TERRAINS

Jacqueline LAFONT.Thèse de doctorat de Lettres modernes,

spécialité Sciences du langage, sous la direction de Nicole Gueunier.Université F. Rabelais de Tours, 1999.

Longtemps quasi souterraine, la progression des ateliers d'écriture dans demultiples lieux institutionnels a fait l'objet, depuis le début des années 90, dediverses études (soigneusement recensées par J. Lafont et auxquelles elle aelle-même participé dans son DEA) qui ont permis de dégager, peu à peu, audelà de la diversité des pratiques recensées, la spécificité de la démarche miseen place et ses effets, en termes de réassurance des scripteurs. Ces étudessont régulièrement assorties de propositions portant sur le transfert du dispositifdans le contexte scolaire.

Si elles n'ont pas, jusqu'ici, été massivement entendues, c'est en partieparce qu'elles éludent, faute d'arguments décisifs, une question centrale dans laperspective scolaire : l'atelier d'écriture permet-il d'apprendre à écrire ? C'estprécisément à cette question difficile et particulièrement cruciale, celle des effetsdes ateliers d'écriture sur la compétence scripturale, que s'affronte la thèse de

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REPÈRES N° 21/2000

J. Lafont marquant, ce faisant, un tournant tout à fait important dans l'approchede ce dispositif.

Pour la traiter, l'auteur a procédé à une enquête minutieuse dans trois ate¬liers de type différent : un atelier de loisir, un atelier mis en place dans un lycée,un atelier en formation continue. L'analyse des discours tenus par les partici¬pants à ces ateliers vient confirmer les effets positifs, évoqués plus haut, du« rituel » de l'atelier d'écriture sur le sujet écrivant.

Mais l'intérêt de la thèse tient surtout à l'analyse des textes produits ouplus exactement à la comparaison minutieuse entre 1 1 premiers jets et leur ver¬sion réécrite. Les critères de comparaison retenus et explicités dans le détailportent sur le volume de l'expression, les opérations d'écriture, les niveaux d'in¬tervention (organisation textuelle, transcription graphique, présentation maté¬rielle du document écrit, critères pragmatiques). Chaque lot de deux textes faitl'objet de comparaisons extrêmement fines qui permettent de repérer la naturedes opérations de réécriture ainsi que leurs répercussions sur la qualité des pro¬ductions.

Au total, malgré des différences sensibles entre les trois types d'ateliers etentre les scripteurs, J. Lafont conclut dans tous les cas à « un impact globale¬ment positif de la réécriture » provoquée par l'atelier en ce sens qu'elle induitune « amélioration » mesurable des qualités linguistiques et pragmatiques dutexte produit. Si l'on considère, par ailleurs, que ces effets sont notables dansles trois types d'ateliers retenus, quelle que soit leur insertion institutionnelle, onpeut en conclure aussi au caractère transférable de cette démarche d'apprentis¬sage dans le cadre de l'école.

Ces conclusions appellent bien sûr des compléments d'analyse. On aime¬rait, en particulier, qu'un travail similaire soit fait sur la réécriture induite dans desdémarches plus scolaires et qu'une comparaison puisse être ainsi effectuéeentre deux types de démarches. En l'état, cependant, la thèse de J. Lafontapporte au débat sur l'introduction du dispositif des ateliers d'écriture dans laclasse des arguments nouveaux et travaillés avec une grande rigueur. Elledevrait faire date sur cette question.

Marie-Claude Penloup

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REPÈRES N° 21/2000

J. Lafont marquant, ce faisant, un tournant tout à fait important dans l'approchede ce dispositif.

Pour la traiter, l'auteur a procédé à une enquête minutieuse dans trois ate¬liers de type différent : un atelier de loisir, un atelier mis en place dans un lycée,un atelier en formation continue. L'analyse des discours tenus par les partici¬pants à ces ateliers vient confirmer les effets positifs, évoqués plus haut, du« rituel » de l'atelier d'écriture sur le sujet écrivant.

Mais l'intérêt de la thèse tient surtout à l'analyse des textes produits ouplus exactement à la comparaison minutieuse entre 1 1 premiers jets et leur ver¬sion réécrite. Les critères de comparaison retenus et explicités dans le détailportent sur le volume de l'expression, les opérations d'écriture, les niveaux d'in¬tervention (organisation textuelle, transcription graphique, présentation maté¬rielle du document écrit, critères pragmatiques). Chaque lot de deux textes faitl'objet de comparaisons extrêmement fines qui permettent de repérer la naturedes opérations de réécriture ainsi que leurs répercussions sur la qualité des pro¬ductions.

Au total, malgré des différences sensibles entre les trois types d'ateliers etentre les scripteurs, J. Lafont conclut dans tous les cas à « un impact globale¬ment positif de la réécriture » provoquée par l'atelier en ce sens qu'elle induitune « amélioration » mesurable des qualités linguistiques et pragmatiques dutexte produit. Si l'on considère, par ailleurs, que ces effets sont notables dansles trois types d'ateliers retenus, quelle que soit leur insertion institutionnelle, onpeut en conclure aussi au caractère transférable de cette démarche d'apprentis¬sage dans le cadre de l'école.

Ces conclusions appellent bien sûr des compléments d'analyse. On aime¬rait, en particulier, qu'un travail similaire soit fait sur la réécriture induite dans desdémarches plus scolaires et qu'une comparaison puisse être ainsi effectuéeentre deux types de démarches. En l'état, cependant, la thèse de J. Lafontapporte au débat sur l'introduction du dispositif des ateliers d'écriture dans laclasse des arguments nouveaux et travaillés avec une grande rigueur. Elledevrait faire date sur cette question.

Marie-Claude Penloup

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NOTES DE LECTURE

REVUE... DES REVUES

* ATELIERSCahiers de la Maison de la Recherche ; Université Lille 3- N° 25 : Pratiques de l'écrit et modes d'accès dans l'enseignement

supérieur (2)

* CAHIERS PÉDAGOGIQUESCRAP- N° 388-389 : Écrire pour apprendre

* CAHIERS ROBINSONSPIRALE Supplément, ARRED Lille- N° 7 : L'enfant des colonies

* ENJEUXCedocef ; Facultés universitaires de Namur (Belgique)- N° 47-48 : La description

* ÉTUDES DE LINGUISTIQUE APPLIQUÉERevue de didactologie des langues et cultures ; Didier Érudition- N° 117 : Classe de langue-télé : zones de proximité- N° 118 : La crise du français

* LA LETTRE DE LA DFLMDFLM- N° 27 : Dossier : Le français hors appareil scolaire

* LE FRANÇAIS AUJOURD'HUIAFEF- Nc 129 : Ordinateurs et textes : une nouvelle culture ?- N° 130 : La vie de l'auteur- N° 131 : Construire des compétences lexicales

* LIRE, ÉCRIRE A L'ÉCOLEIUFM et CRDP de Grenoble- N° 1 1 : Dessins animés

* PRATIQUESCRESEF- N° 105-106 : La réécriture

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NOTES DE LECTURE

REVUE... DES REVUES

* ATELIERSCahiers de la Maison de la Recherche ; Université Lille 3- N° 25 : Pratiques de l'écrit et modes d'accès dans l'enseignement

supérieur (2)

* CAHIERS PÉDAGOGIQUESCRAP- N° 388-389 : Écrire pour apprendre

* CAHIERS ROBINSONSPIRALE Supplément, ARRED Lille- N° 7 : L'enfant des colonies

* ENJEUXCedocef ; Facultés universitaires de Namur (Belgique)- N° 47-48 : La description

* ÉTUDES DE LINGUISTIQUE APPLIQUÉERevue de didactologie des langues et cultures ; Didier Érudition- N° 117 : Classe de langue-télé : zones de proximité- N° 118 : La crise du français

* LA LETTRE DE LA DFLMDFLM- N° 27 : Dossier : Le français hors appareil scolaire

* LE FRANÇAIS AUJOURD'HUIAFEF- Nc 129 : Ordinateurs et textes : une nouvelle culture ?- N° 130 : La vie de l'auteur- N° 131 : Construire des compétences lexicales

* LIRE, ÉCRIRE A L'ÉCOLEIUFM et CRDP de Grenoble- N° 1 1 : Dessins animés

* PRATIQUESCRESEF- N° 105-106 : La réécriture

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REPÈRES N° 21/2000

* RECHERCHESRevue de didactique et de pédagogie du français ; Lille- N° 32 : Littérature de jeunesse

* SPIRALEARRED Lille- N° 26 : Culture scientifique et technique à l'école

OUVRAGES REÇUSAMIGUES R., ZERBATO-POUDOU M.-T. (2000) : Comment l'enfant devientélève. Les apprentissages à l'école maternelle. Retz

BARRE DE MINIAC C. (2000) : Le rapport à l'écriture. Aspects théoriques etdidactiques. Lille, RU. du Septentrion

BEGUELIN M.-J. (dir.) (2000) : De la phrase aux énoncés. Grammaire scolaireet descriptions linguistiques. Bruxelles, De Boek-DuculotCHAUVEAU G. (2000) : Comment réussir en ZEP. Vers des zones d'excellencepédagogique. Retz

CHISS J.-L., DAVID J. (2000) : Grammaire et orthographe. Le Robert et Nathan

FABRE-COLS C. (dir.) (2000) : Apprendre à lire des textes d'enfants. Bruxelles,De Boeck-Duculot

GOIGOUX R. (2000) : Les élèves en grande difficulté de lecture et les ensei¬gnements adaptés. Suresnes, Editions du CNEFEI

LEBRUN M. (2000) : Regards actuels sur les Fables de La Fontaine. Lille, P.U.

du SeptentrionObservatoire national de la lecture (2000) : La lecture dans les trois cycles duprimaire. M.E.N.

PENLOUP M.-C. (2000) : La tentation du littéraire. Essai sur le rapport à l'écri¬ture littéraire du scripteur « ordinaire ». Didier, collection CREDIF, Essais

POSLANIEK C, HOUYEL C. (2000) : Activités de tecfure à partir de la littéra¬ture de jeunesse. Hachette Éducation

PROG-INRP (BRIGAUDIOT M., coord.) (2000) : Apprentissages progressifs del'écrit à l'école maternelle. INRP et Hachette Éducation, Didactiques

PROG-INRP (BRIGAUDIOT M., coord.) (2000) : Apprentissages progressifs del'écrit à l'école maternelle. Fichier photocopiable. INRP et Hachette Education

REUTER Y. (2000) : La description. Des théories à l'enseignement. E.S.F.

ROPE R, BRUCY M. (2000) : Suffit-il de scolariser ? L'atelier

ROSIER J.-M., DUPONT D., REUTER Y. (2000) : S'approprier le champ litté¬raire. Bruxelles, De Boeck-Duculot

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REPÈRES N° 21/2000

* RECHERCHESRevue de didactique et de pédagogie du français ; Lille- N° 32 : Littérature de jeunesse

* SPIRALEARRED Lille- N° 26 : Culture scientifique et technique à l'école

OUVRAGES REÇUSAMIGUES R., ZERBATO-POUDOU M.-T. (2000) : Comment l'enfant devientélève. Les apprentissages à l'école maternelle. Retz

BARRE DE MINIAC C. (2000) : Le rapport à l'écriture. Aspects théoriques etdidactiques. Lille, RU. du Septentrion

BEGUELIN M.-J. (dir.) (2000) : De la phrase aux énoncés. Grammaire scolaireet descriptions linguistiques. Bruxelles, De Boek-DuculotCHAUVEAU G. (2000) : Comment réussir en ZEP. Vers des zones d'excellencepédagogique. Retz

CHISS J.-L., DAVID J. (2000) : Grammaire et orthographe. Le Robert et Nathan

FABRE-COLS C. (dir.) (2000) : Apprendre à lire des textes d'enfants. Bruxelles,De Boeck-Duculot

GOIGOUX R. (2000) : Les élèves en grande difficulté de lecture et les ensei¬gnements adaptés. Suresnes, Editions du CNEFEI

LEBRUN M. (2000) : Regards actuels sur les Fables de La Fontaine. Lille, P.U.

du SeptentrionObservatoire national de la lecture (2000) : La lecture dans les trois cycles duprimaire. M.E.N.

PENLOUP M.-C. (2000) : La tentation du littéraire. Essai sur le rapport à l'écri¬ture littéraire du scripteur « ordinaire ». Didier, collection CREDIF, Essais

POSLANIEK C, HOUYEL C. (2000) : Activités de tecfure à partir de la littéra¬ture de jeunesse. Hachette Éducation

PROG-INRP (BRIGAUDIOT M., coord.) (2000) : Apprentissages progressifs del'écrit à l'école maternelle. INRP et Hachette Éducation, Didactiques

PROG-INRP (BRIGAUDIOT M., coord.) (2000) : Apprentissages progressifs del'écrit à l'école maternelle. Fichier photocopiable. INRP et Hachette Education

REUTER Y. (2000) : La description. Des théories à l'enseignement. E.S.F.

ROPE R, BRUCY M. (2000) : Suffit-il de scolariser ? L'atelier

ROSIER J.-M., DUPONT D., REUTER Y. (2000) : S'approprier le champ litté¬raire. Bruxelles, De Boeck-Duculot

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Notes de lecture

Yves REUTER (2000) : La description, des théories à l'enseignement-apprentissage, Paris, ESF.

Yves Reuter a déjà fourni plusieurs contributions importantes sur la des¬cription et son traitement didactique. L'ouvrage paru aux Éditions ESF en offre àla fois une synthèse et un prolongement. L'ouvrage comporte neuf chapitres,clairement définis. L'auteur explique d'abord « pourquoi travailler la descriptionet rénover son enseignement » (chapitre 1). II propose ensuite des éléments dedéfinition (chapitre 2) et s'intéresse (chapitre 3) au « faire voir » que semble impli¬quer la notion même de définition. Les chapitres suivants reprennent plus endétail certains éléments déjà entrevus dans les chapitres précédents : les élé¬ments constitutifs de la description (chapitre 4), la notion de parcours descriptif,qu'accompagne une théorisation très élaborée sur les cadrage et le recadrage(chapitre 5), le passage de l'organisation à la mise en texte (chapitre 6). Demanière un peu surprenante à première vue, on retrouve ensuite la question desenjeux de la description (chapitre 7). II ne s'agit pas, cependant, d'un retour auxproblématiques générales du début : pour avancer dans l'analyse, il est néces¬saire en effet de mettre en évidence la variété des fonctions de la description,diversité souvent occultée ou sous-estimée. C'est à partir de cette mise à platque des propositions plus directement didactiques peuvent être proposées dansles deux chapitres finaux, le premier centré sur les compétences des élèves enmatière de description, le second sur la construction d'interventions didactiques

En dehors des qualités habituelles de l'auteur (solidité du cadre théorique,finesse des analyses, richesse des références et des exemples - qui ne va pasici parfois sans un certain foisonnement citationnel -, souci de proposer despistes concrètes pour la transformation des pratiques), il me semble que cetouvrage pose deux questions importantes pour la didactique de l'écriture et dela lecture.

La première est celle du statut textuel de la description. Le travail sur ladescription à l'école a été marqué à la fois par l'importance qu'on lui accorde, etpar le fait qu'elle n'a pas été analysée dans toute la diversité de ses fonctions.Cette absence de réflexion portant sur les fonctions et les enjeux se traduit parexemple par des confusions cognitives qui conduisent les pédagogues à penserque l'observation du réel commande la description : le « voir » occulte le « dire »

(p. 16), ou encore à confondre la description comme type de fonctionnementtextuel aux genres descriptifs : on assimile ainsi description et petite annonce,recette, liste (p. 22).

La deuxième question concerne le décloisonnement de la description dansles pratiques d'écriture. Les approches typologiques de la description, en sefondant essentiellement sur l'étude de textes fictionnels et littéraires, ont conçula description comme fondamentalement articulée au narratif, et en positionseconde par rapport à lui. Décloisonner la description consiste donc, sans nierl'importance de la description dans le récit, à inventorier d'autres aspects,d'autres fonctions du descriptif.

On voit à quel point les deux aspects, la question du statut, et celle dudécloisonnement ont partie liée. Un problème concerne alors, me semble-t-il,

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Notes de lecture

Yves REUTER (2000) : La description, des théories à l'enseignement-apprentissage, Paris, ESF.

Yves Reuter a déjà fourni plusieurs contributions importantes sur la des¬cription et son traitement didactique. L'ouvrage paru aux Éditions ESF en offre àla fois une synthèse et un prolongement. L'ouvrage comporte neuf chapitres,clairement définis. L'auteur explique d'abord « pourquoi travailler la descriptionet rénover son enseignement » (chapitre 1). II propose ensuite des éléments dedéfinition (chapitre 2) et s'intéresse (chapitre 3) au « faire voir » que semble impli¬quer la notion même de définition. Les chapitres suivants reprennent plus endétail certains éléments déjà entrevus dans les chapitres précédents : les élé¬ments constitutifs de la description (chapitre 4), la notion de parcours descriptif,qu'accompagne une théorisation très élaborée sur les cadrage et le recadrage(chapitre 5), le passage de l'organisation à la mise en texte (chapitre 6). Demanière un peu surprenante à première vue, on retrouve ensuite la question desenjeux de la description (chapitre 7). II ne s'agit pas, cependant, d'un retour auxproblématiques générales du début : pour avancer dans l'analyse, il est néces¬saire en effet de mettre en évidence la variété des fonctions de la description,diversité souvent occultée ou sous-estimée. C'est à partir de cette mise à platque des propositions plus directement didactiques peuvent être proposées dansles deux chapitres finaux, le premier centré sur les compétences des élèves enmatière de description, le second sur la construction d'interventions didactiques

En dehors des qualités habituelles de l'auteur (solidité du cadre théorique,finesse des analyses, richesse des références et des exemples - qui ne va pasici parfois sans un certain foisonnement citationnel -, souci de proposer despistes concrètes pour la transformation des pratiques), il me semble que cetouvrage pose deux questions importantes pour la didactique de l'écriture et dela lecture.

La première est celle du statut textuel de la description. Le travail sur ladescription à l'école a été marqué à la fois par l'importance qu'on lui accorde, etpar le fait qu'elle n'a pas été analysée dans toute la diversité de ses fonctions.Cette absence de réflexion portant sur les fonctions et les enjeux se traduit parexemple par des confusions cognitives qui conduisent les pédagogues à penserque l'observation du réel commande la description : le « voir » occulte le « dire »

(p. 16), ou encore à confondre la description comme type de fonctionnementtextuel aux genres descriptifs : on assimile ainsi description et petite annonce,recette, liste (p. 22).

La deuxième question concerne le décloisonnement de la description dansles pratiques d'écriture. Les approches typologiques de la description, en sefondant essentiellement sur l'étude de textes fictionnels et littéraires, ont conçula description comme fondamentalement articulée au narratif, et en positionseconde par rapport à lui. Décloisonner la description consiste donc, sans nierl'importance de la description dans le récit, à inventorier d'autres aspects,d'autres fonctions du descriptif.

On voit à quel point les deux aspects, la question du statut, et celle dudécloisonnement ont partie liée. Un problème concerne alors, me semble-t-il,

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REPERES N° 21/2000 F. GROSSMANN

l'extension donnée à la notion. Si l'on considère que toute spécification, toutecatégorisation relève, d'une certaine façon, du descriptif, n'y a-t-il pas un risqueà étendre la catégorie excessivement, et à lui faire perdre une partie de sa sub¬stance théorique ? Y. Reuter répond explicitement à cette question (p. 73 etsuiv.), à propos de la distinction entre description et liste, montrant les dangersqu'il pourrait y avoir à confondre trop aisément les deux concepts. On peut, demon point de vue, aller encore plus loin : la liste comme la description elle-même ne peuvent être convenablement « décrites » que par rapport aux genresparticuliers dans lesquelles elles s'insèrent, aux pratiques langagières qui leurdonnent sens. La description, tout comme la liste, ne sont pas des essences quipréexistent dans le monde des idées, et ce n'est que par abstraction que l'onnomme « description » ou « liste » des objets qui appartiennent à des universbien différents. C'est bien d'ailleurs ce qu'indique (p. 75) Y. Reuter à propos deslistes, en regrettant que l'on sous-estime leur diversité formelle, et leurs varia¬tions génériques et textuelles.

La question se pose aussi de savoir si, au plan didactique, la« description » n'est pas un objet trop vaste, parce qu'il embrasse des phéno¬mènes très hétérogènes, et qu'il ne conviendrait pas de privilégier plutôt lesgenres, au sein desquels on examinerait ensuite le statut changeant du descrip¬tif. Si l'activité de description est présente dans tous les domaines de la viesociale, ainsi que dans la plupart des disciplines scolaires (p. 13), en encore entant qu'aspect constitutif de la démarche de recherche (notamment en géomé¬trie descriptive ou en ethnologie), peut-on réellement subsumer toutes cessortes de description dans une même catégorie ? Et y a-t-il un réel intérêt à lefaire, si l'on se place du point de vue des apprentissages ? Y. Reuter répond(p. 28) à cette question en identifiant la visée spécifique du descriptif :

« Chaque composante textuelle se distingue selon moi par la productiond'une wsée centrale et spécifique, d'un effet dominant. Dans le cas de ladescription il s'agir de faire voir (d'une certaine façon), de construire uneimage telle que le lecteur a l'impression de pouvoir se représenter,connaître ou reconnaître, l'objet décrit ».

C'est ce constat qui autorise d'examiner la diversité des phénomènes sousun angle identique (comment fait-on pour « faire voir » au lecteur l'objet décrit),mais aussi permet de penser les différences. La capacité pour un objet à devenirobjet de description est rapportée à trois caractéristiques principales, qui consti¬tuent en quelque sorte le noyau culturel de la description (p. 33) : a) la plus oumoins grande visibilité de l'objet décrit qui pose aussi la question de la diversitédes moyens linguistiques, textuels ou iconiques pour « faire voir » ; b) le statismede l'objet décrit, qui pose des problèmes complexes (cf. les remarques sur lesdescriptions d'action) ; c) la catégorisation qui implique une tension entre typifi¬cation et singularisation.

En ce qui concerne la première caractéristique, qui semble particulièrementimportante, puisque directement liée à la visée même de la description tellequ'elle a été précédemment définie, Y. Reuter décèle une double tension. D'unepart, lorsque l'objet à décrire entre dans un champ spécialisé, la nature mêmede ce champ conditionne la nature de la description, et la rend tributaire de

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REPERES N° 21/2000 F. GROSSMANN

l'extension donnée à la notion. Si l'on considère que toute spécification, toutecatégorisation relève, d'une certaine façon, du descriptif, n'y a-t-il pas un risqueà étendre la catégorie excessivement, et à lui faire perdre une partie de sa sub¬stance théorique ? Y. Reuter répond explicitement à cette question (p. 73 etsuiv.), à propos de la distinction entre description et liste, montrant les dangersqu'il pourrait y avoir à confondre trop aisément les deux concepts. On peut, demon point de vue, aller encore plus loin : la liste comme la description elle-même ne peuvent être convenablement « décrites » que par rapport aux genresparticuliers dans lesquelles elles s'insèrent, aux pratiques langagières qui leurdonnent sens. La description, tout comme la liste, ne sont pas des essences quipréexistent dans le monde des idées, et ce n'est que par abstraction que l'onnomme « description » ou « liste » des objets qui appartiennent à des universbien différents. C'est bien d'ailleurs ce qu'indique (p. 75) Y. Reuter à propos deslistes, en regrettant que l'on sous-estime leur diversité formelle, et leurs varia¬tions génériques et textuelles.

La question se pose aussi de savoir si, au plan didactique, la« description » n'est pas un objet trop vaste, parce qu'il embrasse des phéno¬mènes très hétérogènes, et qu'il ne conviendrait pas de privilégier plutôt lesgenres, au sein desquels on examinerait ensuite le statut changeant du descrip¬tif. Si l'activité de description est présente dans tous les domaines de la viesociale, ainsi que dans la plupart des disciplines scolaires (p. 13), en encore entant qu'aspect constitutif de la démarche de recherche (notamment en géomé¬trie descriptive ou en ethnologie), peut-on réellement subsumer toutes cessortes de description dans une même catégorie ? Et y a-t-il un réel intérêt à lefaire, si l'on se place du point de vue des apprentissages ? Y. Reuter répond(p. 28) à cette question en identifiant la visée spécifique du descriptif :

« Chaque composante textuelle se distingue selon moi par la productiond'une wsée centrale et spécifique, d'un effet dominant. Dans le cas de ladescription il s'agir de faire voir (d'une certaine façon), de construire uneimage telle que le lecteur a l'impression de pouvoir se représenter,connaître ou reconnaître, l'objet décrit ».

C'est ce constat qui autorise d'examiner la diversité des phénomènes sousun angle identique (comment fait-on pour « faire voir » au lecteur l'objet décrit),mais aussi permet de penser les différences. La capacité pour un objet à devenirobjet de description est rapportée à trois caractéristiques principales, qui consti¬tuent en quelque sorte le noyau culturel de la description (p. 33) : a) la plus oumoins grande visibilité de l'objet décrit qui pose aussi la question de la diversitédes moyens linguistiques, textuels ou iconiques pour « faire voir » ; b) le statismede l'objet décrit, qui pose des problèmes complexes (cf. les remarques sur lesdescriptions d'action) ; c) la catégorisation qui implique une tension entre typifi¬cation et singularisation.

En ce qui concerne la première caractéristique, qui semble particulièrementimportante, puisque directement liée à la visée même de la description tellequ'elle a été précédemment définie, Y. Reuter décèle une double tension. D'unepart, lorsque l'objet à décrire entre dans un champ spécialisé, la nature mêmede ce champ conditionne la nature de la description, et la rend tributaire de

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Notes de lecture

codes spécifiques, que le lecteur doit maitriser. D'autre part, lorsque la descrip¬tion gagne en étendue, elle se plie elle-même à une logique textuelle, logiquequi prend le pas sur la visibilité des objets décrits. Une didactique de la descrip¬tion doit donc non pas effacer ces tensions, mais les penser dialectiquement.Alors que certaines approches traditionnelles identifient, on l'a vu, trop rapide¬ment observation de l'objet et construction de sa visibilité, les approches typo¬logiques plus récentes ont tendance, à l'inverse, à effacer l'objet ou le réfèrent.Ces précisions fort utiles sont prolongées dans le chapitre 5 consacré à l'organi¬sation de la description et aux parcours descriptifs. L'auteur distingue deuxmodalités du parcours descriptif. Dans le premier, l'objet à décrire est « poséd'emblée comme évident » (p. 86), tandis que dans le second, la description estle fruit d'un processus d'élaboration, qui apparait au travers de questionne¬ments, de sollicitations du lecteur, de commentaires métatextuels. Cette dimen¬sion « heuristique-explicative » est manifeste en particulier dans les écritsscientifiques.

La question de savoir « pourquoi décrire », posée au chapitre 7, conduit àisoler une série de fonctions, qui permettent de définir la description comme un« acte pragmatique à part entière » (p. 151). Cette vision des choses apparaitcomme particulièrement séduisante, et elle fournit en outre des éléments pré¬cieux pour l'approche didactique, en offrant à l'apprenti (descripteur des élé¬ments clés pour conférer du sens à l'activité descriptive. On peut remarquerqu'il y a parfois des problèmes de frontières, et que ces fonctions ne se situentpas toutes sur le même plan. Problèmes de frontières, d'ailleurs remarqués parl'auteur entre la « fonction informative » et la « fonction » « explicative ».

Différences de plans : il me semble qu'il y aurait lieu de distinguer entre desfonctions liées à des enjeux généraux, correspondant le plus directement à unedéfinition pragmatique et celles qui relèvent plus directement de l'économie dutexte. Parmi les premières, il faut citer les fonctions informative explicative etevaluative, ou encore « posîtionnelle », mais cette dernière est-elle vraiment unefonction, ou ne résulte -t-elle pas de l'inscription obligatoire de tout scripteurdans un espace discursif, un genre ou un champ (suivant la terminologie quel'on privilégie) ? Parmi les secondes, on relèvera plus particulièrement celle queReuter nomme « régulative-transformationnelle », qui comporte elle-même plu¬sieurs modalités. Par exemple, sur l'axe temporel, la modalité rétrospective per¬met de mettre en scène le passé (par exemple dans le cas d'une reconstitution,dans un roman policier), tandis que la modalité prospective désigne le fait que« la description programme le futur », les descriptions jouant le rôle de signauxanticipateurs.

II faut reconnaître que la pensée d'Y Reuter est parfois difficile, en raisondu très grand nombre de types et de catégories qu'elle mobilise, et du re-travailconstant des notions qu'elle effectue. Le lecteur se trouve cependant récom¬pensé au bout du compte, dans la mesure où les propositions didactiques pré¬sentées en fin d'ouvrage ne sont pas gratuites, mais prennent appui sur lesdifférentes distinctions qui ont été progressivement élaborées (et qui ne sontd'ailleurs pas purement « théoriques », puisqu'elles s'inscrivent déjà directementdans le projet didactique). Parmi les pistes explorées, on notera en particuliercelles qui, visent à mettre à jour les « tensions » qui sont liées à l'écriture des

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Notes de lecture

codes spécifiques, que le lecteur doit maitriser. D'autre part, lorsque la descrip¬tion gagne en étendue, elle se plie elle-même à une logique textuelle, logiquequi prend le pas sur la visibilité des objets décrits. Une didactique de la descrip¬tion doit donc non pas effacer ces tensions, mais les penser dialectiquement.Alors que certaines approches traditionnelles identifient, on l'a vu, trop rapide¬ment observation de l'objet et construction de sa visibilité, les approches typo¬logiques plus récentes ont tendance, à l'inverse, à effacer l'objet ou le réfèrent.Ces précisions fort utiles sont prolongées dans le chapitre 5 consacré à l'organi¬sation de la description et aux parcours descriptifs. L'auteur distingue deuxmodalités du parcours descriptif. Dans le premier, l'objet à décrire est « poséd'emblée comme évident » (p. 86), tandis que dans le second, la description estle fruit d'un processus d'élaboration, qui apparait au travers de questionne¬ments, de sollicitations du lecteur, de commentaires métatextuels. Cette dimen¬sion « heuristique-explicative » est manifeste en particulier dans les écritsscientifiques.

La question de savoir « pourquoi décrire », posée au chapitre 7, conduit àisoler une série de fonctions, qui permettent de définir la description comme un« acte pragmatique à part entière » (p. 151). Cette vision des choses apparaitcomme particulièrement séduisante, et elle fournit en outre des éléments pré¬cieux pour l'approche didactique, en offrant à l'apprenti (descripteur des élé¬ments clés pour conférer du sens à l'activité descriptive. On peut remarquerqu'il y a parfois des problèmes de frontières, et que ces fonctions ne se situentpas toutes sur le même plan. Problèmes de frontières, d'ailleurs remarqués parl'auteur entre la « fonction informative » et la « fonction » « explicative ».

Différences de plans : il me semble qu'il y aurait lieu de distinguer entre desfonctions liées à des enjeux généraux, correspondant le plus directement à unedéfinition pragmatique et celles qui relèvent plus directement de l'économie dutexte. Parmi les premières, il faut citer les fonctions informative explicative etevaluative, ou encore « posîtionnelle », mais cette dernière est-elle vraiment unefonction, ou ne résulte -t-elle pas de l'inscription obligatoire de tout scripteurdans un espace discursif, un genre ou un champ (suivant la terminologie quel'on privilégie) ? Parmi les secondes, on relèvera plus particulièrement celle queReuter nomme « régulative-transformationnelle », qui comporte elle-même plu¬sieurs modalités. Par exemple, sur l'axe temporel, la modalité rétrospective per¬met de mettre en scène le passé (par exemple dans le cas d'une reconstitution,dans un roman policier), tandis que la modalité prospective désigne le fait que« la description programme le futur », les descriptions jouant le rôle de signauxanticipateurs.

II faut reconnaître que la pensée d'Y Reuter est parfois difficile, en raisondu très grand nombre de types et de catégories qu'elle mobilise, et du re-travailconstant des notions qu'elle effectue. Le lecteur se trouve cependant récom¬pensé au bout du compte, dans la mesure où les propositions didactiques pré¬sentées en fin d'ouvrage ne sont pas gratuites, mais prennent appui sur lesdifférentes distinctions qui ont été progressivement élaborées (et qui ne sontd'ailleurs pas purement « théoriques », puisqu'elles s'inscrivent déjà directementdans le projet didactique). Parmi les pistes explorées, on notera en particuliercelles qui, visent à mettre à jour les « tensions » qui sont liées à l'écriture des

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REPÈRES N° 21/2000 F. GROSSMANN

description (par exemple décrire un objet en rendant difficile son identification),ou encore celles qui permettent de proposer des cadres pragmatiques ou géné¬riques pour insérer la description. Abondance de biens ne nuit pas et les ensei¬gnants apprécieront les nombreuses idées d'exercices proposées. II fautcependant considérer qu'il s'agit là d'une boite à outils, dans laquelle chacunpourra puiser. Peut-être, à cet égard, peut-on regretter que l'auteur ne hiérar¬chise pas les multiples suggestions de travail en fonction d'objectifs prioritaires,ceux qu'il a justement mis en évidence dans son travail de théorisation. C'est laseule réserve - avec celle, exprimée précédemment sur le lien avec les genres,qui aurait pu être plus clairement tracé - que je formulerai sur cet ouvrage quiapparait comme indispensable, tant pour l'enseignant que pour le formateur.

Francis Grossmann

Anne JORRO (1999) : Le lecteur interprète, PUF, L'éducateur.

Dans ce livre aux dimensions modestes (136 pages, bibliographie et indexcompris), A. Jorro propose un nouveau modèle de lecteur en situation scolaire.Son propos est large et ne convoque que vers la fin de l'ouvrage des situationsdidactiques, précieuses, néanmoins, pour aider le lecteur à se représenter desformes nouvelles d'enseignement/apprentissage de la lecture de textes docu¬mentaires au cycle 3.

Dans les deux premiers chapitres l'auteur fait une analyse critique des rôleset des comportements emblématiques de l'élève-lecteur et de l'enseignant-maitre de lecture tels que l'institution scolaire, ses mouvements et ses traditionspédagogiques, les ont constitués. Le lecteur-type est un lecteur généraliste, il

doit pouvoir tout lire, avec le même intérêt, et la même soumission au sens dutexte que sa lecture est censée découvrir. C'est aussi un lecteur abstrait, enten¬dons par là un lecteur qui doit être capable d'abstraction, de métalangage, decatégorisation. Or, de nombreuses études ont montré les difficultés particulièresde compréhension rencontrées par les élèves face aux textes informatifs.

Le maitre de lecture, quant à lui, est essentiellement centré sur l'objet-texte(à comprendre, à faire comprendre aux élèves) et non sur les processus de com¬préhension. Le fonctionnement didactique de l'enseignant, tel qu'on peut lereconstituer à partir des formes de dialogue instituées autour des textes, desmodalités de questionnement et des pratiques d'évaluation, empêche qu'enclasse on s'interroge sur l'interaction entre le texte et le lecteur. Le maître est legarant du sens, de sa compréhension, de sa restitution, de son contrôle. Or lesdiverses approches des textes documentaires, l'approche essentialiste quiconsiste à condenser/hiérarchiser l'information (distinguer l'essentiel du secon¬daire), comme l'approche structuraliste qui aboutit ici à identifier l'organisationthématique du texte documentaire (par exemple, les catégories de la descriptionbiologique) ou encore l'approche technique qui l'interroge selon desquestions-types (qui ? quoi ? où ? comment ? etc.), ne correspondent pas auxfonnes spontanées d'interrogation des textes mises en uvre par les élèves.Elles apparaissent donc plus comme des obstacles que comme des aides à lacompréhension. Les questions du maître orientent l'élève vers une tâche d'ana-

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REPÈRES N° 21/2000 F. GROSSMANN

description (par exemple décrire un objet en rendant difficile son identification),ou encore celles qui permettent de proposer des cadres pragmatiques ou géné¬riques pour insérer la description. Abondance de biens ne nuit pas et les ensei¬gnants apprécieront les nombreuses idées d'exercices proposées. II fautcependant considérer qu'il s'agit là d'une boite à outils, dans laquelle chacunpourra puiser. Peut-être, à cet égard, peut-on regretter que l'auteur ne hiérar¬chise pas les multiples suggestions de travail en fonction d'objectifs prioritaires,ceux qu'il a justement mis en évidence dans son travail de théorisation. C'est laseule réserve - avec celle, exprimée précédemment sur le lien avec les genres,qui aurait pu être plus clairement tracé - que je formulerai sur cet ouvrage quiapparait comme indispensable, tant pour l'enseignant que pour le formateur.

Francis Grossmann

Anne JORRO (1999) : Le lecteur interprète, PUF, L'éducateur.

Dans ce livre aux dimensions modestes (136 pages, bibliographie et indexcompris), A. Jorro propose un nouveau modèle de lecteur en situation scolaire.Son propos est large et ne convoque que vers la fin de l'ouvrage des situationsdidactiques, précieuses, néanmoins, pour aider le lecteur à se représenter desformes nouvelles d'enseignement/apprentissage de la lecture de textes docu¬mentaires au cycle 3.

Dans les deux premiers chapitres l'auteur fait une analyse critique des rôleset des comportements emblématiques de l'élève-lecteur et de l'enseignant-maitre de lecture tels que l'institution scolaire, ses mouvements et ses traditionspédagogiques, les ont constitués. Le lecteur-type est un lecteur généraliste, il

doit pouvoir tout lire, avec le même intérêt, et la même soumission au sens dutexte que sa lecture est censée découvrir. C'est aussi un lecteur abstrait, enten¬dons par là un lecteur qui doit être capable d'abstraction, de métalangage, decatégorisation. Or, de nombreuses études ont montré les difficultés particulièresde compréhension rencontrées par les élèves face aux textes informatifs.

Le maitre de lecture, quant à lui, est essentiellement centré sur l'objet-texte(à comprendre, à faire comprendre aux élèves) et non sur les processus de com¬préhension. Le fonctionnement didactique de l'enseignant, tel qu'on peut lereconstituer à partir des formes de dialogue instituées autour des textes, desmodalités de questionnement et des pratiques d'évaluation, empêche qu'enclasse on s'interroge sur l'interaction entre le texte et le lecteur. Le maître est legarant du sens, de sa compréhension, de sa restitution, de son contrôle. Or lesdiverses approches des textes documentaires, l'approche essentialiste quiconsiste à condenser/hiérarchiser l'information (distinguer l'essentiel du secon¬daire), comme l'approche structuraliste qui aboutit ici à identifier l'organisationthématique du texte documentaire (par exemple, les catégories de la descriptionbiologique) ou encore l'approche technique qui l'interroge selon desquestions-types (qui ? quoi ? où ? comment ? etc.), ne correspondent pas auxfonnes spontanées d'interrogation des textes mises en uvre par les élèves.Elles apparaissent donc plus comme des obstacles que comme des aides à lacompréhension. Les questions du maître orientent l'élève vers une tâche d'ana-

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Notes de lecture

lyse du texte et ne jouent pas le rôle d'une médiation de la compréhension. Ellesont une fonction de vérification et de contrôle ; elles ne cherchent pas à « aiderles élèves à faire un pas dans leur démarche » (J. Giasson). « Comment ouvrirl'évaluation à sa dimension processuelle ? » demande A. Jorro. Elle en donnerades exemples vers la fin de l'ouvrage.

Les chapitres trois et quatre aident à prendre une distance critique et théo¬rique par rapport aux pratiques courantes reconstituées au début du livre. Lechapitre trois, un peu hétéroclite à mon sens, convoque les études sociolo-.giques sur les pratiques culturelles et pose que l'habitus lectural des élèves estle plus souvent un obstacle à leur entrée dans la culture de l'écrit ; il interrogeensuite les modes de communication scolaire pour montrer que les principes dela nouvelle communication permettent de penser l'élaboration de la compréhen¬sion sur un mode interactif et non plus transmissif ; il se termine sur la mise enévidence d'une métaphore souvent utilisée dans le monde scolaire, celle de lacompréhension comme « construction du sens » qui privilégie l'objet-texte,minimise la prise en compte de l'activité du lecteur singulier et justifie l'ingénieriedidactique. Au contraire, l'auteur propose que l'on se centre sur le lecteur singu¬lier et ses projets de lecture. II revient au maître de se décentrer du texte (dusens à construire) pour donner la première place au lecteur, à ses errements, àses conceptions, à son rapport au monde, et à la façon dont tout cela informesa compréhension du texte.

Le chapitre quatre propose différents parcours théoriques pour élaborer leconcept de lecture interprétative : problématiques philosophiques pour com¬mencer (Husserl, Heidegger, Ricoeur) et recherches cognitives, notammentcelles qui donnent place à ce que le lecteur particulier mobilise de ses connais¬sances (« la théorie du monde dans la tête » F. Smith) et de ses émotions dansl'activité de compréhension de texte. La conclusion de ce parcours est qu'il n'ya pas d'incongruité entre les deux approches qui montrent que « la compréhen¬sion du lecteur singulier s'appuie sur la mobilité d'une pensée » (p. 65). Mais ilrie faut pas perdre de vue la dimension evaluative. En effet s'il est important quela lecture interprétative se dégage de la toute-puissance du texte, elle ne doitpas la remplacer par la toute-puissance du lecteur. II s'agit de redonner place aulecteur dans l'acte de compréhension mais pas à n'importe quel prix : il ne s'agitpas de « faire de l'acte de lire un acte de déconstruction textuelle, de fiction gra¬tuite, d'irrationalité délibérée » (p. 67). L'évaluation, comprise ici comme proces¬sus d'auto-évaluation et non comme forme de contrôle magistral, doit permettreau lecteur-interprète de « se poser la question de la pertinence de son interpré¬tation » (p. 68). De ce fait, à côté des critères classiques d'évaluation (exacti¬tude, complétude, réalisation et réussite), A. Jorro propose des critèresd'expression et de pertinence qui doivent aider l'élève à percevoir son projet delecture et à le contrôler.

Le chapitre cinq apparait donc comme le centre de l'ouvrage : y sont pré¬sentés les principes, accompagnés de quelques exemples, d'une didactique dela lecture interprétative, appliquée à la lecture de textes documentaires. II estd'abord discuté de la non-transparence des textes documentaires, qui justifieque l'on ne restreigne pas le concept d'interprétation à la lecture littéraire.Quelques exemples d'interprétations d'élèves de cycle 3 sur un texte intitulé« Le Guépard » en font foi. Est ensuite présenté un dispositif d'apprentissagecoopératif qui assure la mise en ouvre des processus interprétatifs : en effet, la

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Notes de lecture

lyse du texte et ne jouent pas le rôle d'une médiation de la compréhension. Ellesont une fonction de vérification et de contrôle ; elles ne cherchent pas à « aiderles élèves à faire un pas dans leur démarche » (J. Giasson). « Comment ouvrirl'évaluation à sa dimension processuelle ? » demande A. Jorro. Elle en donnerades exemples vers la fin de l'ouvrage.

Les chapitres trois et quatre aident à prendre une distance critique et théo¬rique par rapport aux pratiques courantes reconstituées au début du livre. Lechapitre trois, un peu hétéroclite à mon sens, convoque les études sociolo-.giques sur les pratiques culturelles et pose que l'habitus lectural des élèves estle plus souvent un obstacle à leur entrée dans la culture de l'écrit ; il interrogeensuite les modes de communication scolaire pour montrer que les principes dela nouvelle communication permettent de penser l'élaboration de la compréhen¬sion sur un mode interactif et non plus transmissif ; il se termine sur la mise enévidence d'une métaphore souvent utilisée dans le monde scolaire, celle de lacompréhension comme « construction du sens » qui privilégie l'objet-texte,minimise la prise en compte de l'activité du lecteur singulier et justifie l'ingénieriedidactique. Au contraire, l'auteur propose que l'on se centre sur le lecteur singu¬lier et ses projets de lecture. II revient au maître de se décentrer du texte (dusens à construire) pour donner la première place au lecteur, à ses errements, àses conceptions, à son rapport au monde, et à la façon dont tout cela informesa compréhension du texte.

Le chapitre quatre propose différents parcours théoriques pour élaborer leconcept de lecture interprétative : problématiques philosophiques pour com¬mencer (Husserl, Heidegger, Ricoeur) et recherches cognitives, notammentcelles qui donnent place à ce que le lecteur particulier mobilise de ses connais¬sances (« la théorie du monde dans la tête » F. Smith) et de ses émotions dansl'activité de compréhension de texte. La conclusion de ce parcours est qu'il n'ya pas d'incongruité entre les deux approches qui montrent que « la compréhen¬sion du lecteur singulier s'appuie sur la mobilité d'une pensée » (p. 65). Mais ilrie faut pas perdre de vue la dimension evaluative. En effet s'il est important quela lecture interprétative se dégage de la toute-puissance du texte, elle ne doitpas la remplacer par la toute-puissance du lecteur. II s'agit de redonner place aulecteur dans l'acte de compréhension mais pas à n'importe quel prix : il ne s'agitpas de « faire de l'acte de lire un acte de déconstruction textuelle, de fiction gra¬tuite, d'irrationalité délibérée » (p. 67). L'évaluation, comprise ici comme proces¬sus d'auto-évaluation et non comme forme de contrôle magistral, doit permettreau lecteur-interprète de « se poser la question de la pertinence de son interpré¬tation » (p. 68). De ce fait, à côté des critères classiques d'évaluation (exacti¬tude, complétude, réalisation et réussite), A. Jorro propose des critèresd'expression et de pertinence qui doivent aider l'élève à percevoir son projet delecture et à le contrôler.

Le chapitre cinq apparait donc comme le centre de l'ouvrage : y sont pré¬sentés les principes, accompagnés de quelques exemples, d'une didactique dela lecture interprétative, appliquée à la lecture de textes documentaires. II estd'abord discuté de la non-transparence des textes documentaires, qui justifieque l'on ne restreigne pas le concept d'interprétation à la lecture littéraire.Quelques exemples d'interprétations d'élèves de cycle 3 sur un texte intitulé« Le Guépard » en font foi. Est ensuite présenté un dispositif d'apprentissagecoopératif qui assure la mise en ouvre des processus interprétatifs : en effet, la

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REPÈRES N° 21/2000 I. DELCAMBRE

compréhension-interprétation du texte ne passe plus par le maître mais est éla¬borée, discutée, négociée en petits groupes, à l'aide d'une feuille de route quien assure la maîtrise et le contrôle par les élèves eux-mêmes. Ainsi des« actions » leur sont proposées (« je dis ce que je sais à propos du titre ; je lis letexte ; je compare avec mes idées de départ ; je résume le texte ; je mets mesidées en ordre ») qui font que ce sont les élèves qui se questionnent et qui régu¬lent leur rapport au texte, devenant par là ce « lecteur singulier » que l'écoleignore généralement. L'observation menée sur un certain nombre de classes decycle 3 permet à A. Jorro de repérer des comportements diversifiés de lecteurs :

le récitant qui restitue le texte sans prise de distance (il est passible de l'accusa¬tion classique de paraphrase) ; le discutant qui produit par surenchère des inter¬prétations vite délirantes et typiquement déviantes ; l'interprète qui questionnele texte à partir de ses propres connaissances. Cette dernière posture est lesigne d'un investissement particulier du lecteur dans la lecture et d'une prise dedistance par rapport au texte. C'est celle que le dispositif didactique vise à faireprendre à tous les élèves. Ce dispositif suppose enfin une modification desplaces respectives du maître et des élèves : le maître devient un simple « pas¬seur » (Bonniol) qui « s'avance masqué » (Astolfi/Develay) : son rôle est d'ac¬compagner l'élève et d'abandonner la prérogative du sens. II doit accepterl'hétérogénéité des interprétations pour mieux guider l'élève vers l'activité delecteur interprète autonome.

Ce sont les notions d'intentionnalité et de singularité qui permettent d'as¬seoir les conclusions de ce travail et de proposer un portrait du lecteur singulierqui s'oppose presque terme à terme à celui qui est dressé au début du livre :

l'auteur suggère de substituer à la métaphore de la construction du sens desimages comme celles du buisson ou du rhizome, qui rendraient mieux comptede l'hétérogénénité interprétative et des formes mouvantes de l'émergence dusens pour chaque lecteur. En termes de dispositif didactique et pédagogique, il

s'agit non plus de se centrer sur le produit mais sur le processus, de privilégierla lecture à plusieurs contre la lecture solitaire, de modifier le rôle de l'ensei¬gnant, bref, d'instaurer une relation éducative qui repose moins sur le principede la transmission que sur celui de l'autorisation (Ardoino) : faire que l'élèves'autorise à faire part de son interprétation.

Le propos de ce livre s'inscrit (mais sans y faire référence explicitement)dans une perspective de recherches en didactique du français bien représen¬tées par les travaux des équipes ESCOL, DIDAXIS, etc. En témoignent la centra¬tion sur le sujet-lecteur dans sa singularité, la description des comportementsde lecteur en termes de postures, l'interrogation sur les « gestesprofessionnels » de l'enseignant. On y trouvera beaucoup d'éléments deréflexion, et des références utiles, notamment sur certaines composantes péda¬gogiques des situations de lecture (l'évaluation, la place du maître, le travail degroupe, etc.), qui témoignent de la grande culture en Sciences de l'Éducation del'auteur.

II est regrettable cependant qu'il ne soit pas davantage fait état des travauxdidactiques sur les relations entre compréhension et interprétation, menés dansd'autres cadres (cf. Pratiques n° 76 L'interprétation des textes (1992), Repèresn° 1 3 Lecture et écriture littéraire à l'école (1 996), il serait évidemment mal venude regretter l'oubli de Repères n° 19 Comprendre et interpréter les textes àl'école, (1999) qui est paru postérieurement !). Même si ces travaux concernent

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REPÈRES N° 21/2000 I. DELCAMBRE

compréhension-interprétation du texte ne passe plus par le maître mais est éla¬borée, discutée, négociée en petits groupes, à l'aide d'une feuille de route quien assure la maîtrise et le contrôle par les élèves eux-mêmes. Ainsi des« actions » leur sont proposées (« je dis ce que je sais à propos du titre ; je lis letexte ; je compare avec mes idées de départ ; je résume le texte ; je mets mesidées en ordre ») qui font que ce sont les élèves qui se questionnent et qui régu¬lent leur rapport au texte, devenant par là ce « lecteur singulier » que l'écoleignore généralement. L'observation menée sur un certain nombre de classes decycle 3 permet à A. Jorro de repérer des comportements diversifiés de lecteurs :

le récitant qui restitue le texte sans prise de distance (il est passible de l'accusa¬tion classique de paraphrase) ; le discutant qui produit par surenchère des inter¬prétations vite délirantes et typiquement déviantes ; l'interprète qui questionnele texte à partir de ses propres connaissances. Cette dernière posture est lesigne d'un investissement particulier du lecteur dans la lecture et d'une prise dedistance par rapport au texte. C'est celle que le dispositif didactique vise à faireprendre à tous les élèves. Ce dispositif suppose enfin une modification desplaces respectives du maître et des élèves : le maître devient un simple « pas¬seur » (Bonniol) qui « s'avance masqué » (Astolfi/Develay) : son rôle est d'ac¬compagner l'élève et d'abandonner la prérogative du sens. II doit accepterl'hétérogénéité des interprétations pour mieux guider l'élève vers l'activité delecteur interprète autonome.

Ce sont les notions d'intentionnalité et de singularité qui permettent d'as¬seoir les conclusions de ce travail et de proposer un portrait du lecteur singulierqui s'oppose presque terme à terme à celui qui est dressé au début du livre :

l'auteur suggère de substituer à la métaphore de la construction du sens desimages comme celles du buisson ou du rhizome, qui rendraient mieux comptede l'hétérogénénité interprétative et des formes mouvantes de l'émergence dusens pour chaque lecteur. En termes de dispositif didactique et pédagogique, il

s'agit non plus de se centrer sur le produit mais sur le processus, de privilégierla lecture à plusieurs contre la lecture solitaire, de modifier le rôle de l'ensei¬gnant, bref, d'instaurer une relation éducative qui repose moins sur le principede la transmission que sur celui de l'autorisation (Ardoino) : faire que l'élèves'autorise à faire part de son interprétation.

Le propos de ce livre s'inscrit (mais sans y faire référence explicitement)dans une perspective de recherches en didactique du français bien représen¬tées par les travaux des équipes ESCOL, DIDAXIS, etc. En témoignent la centra¬tion sur le sujet-lecteur dans sa singularité, la description des comportementsde lecteur en termes de postures, l'interrogation sur les « gestesprofessionnels » de l'enseignant. On y trouvera beaucoup d'éléments deréflexion, et des références utiles, notamment sur certaines composantes péda¬gogiques des situations de lecture (l'évaluation, la place du maître, le travail degroupe, etc.), qui témoignent de la grande culture en Sciences de l'Éducation del'auteur.

II est regrettable cependant qu'il ne soit pas davantage fait état des travauxdidactiques sur les relations entre compréhension et interprétation, menés dansd'autres cadres (cf. Pratiques n° 76 L'interprétation des textes (1992), Repèresn° 1 3 Lecture et écriture littéraire à l'école (1 996), il serait évidemment mal venude regretter l'oubli de Repères n° 19 Comprendre et interpréter les textes àl'école, (1999) qui est paru postérieurement !). Même si ces travaux concernent

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Notes de lecture

spécifiquement la lecture de textes littéraires, il aurait été intéressant de situer laproblématique du Lecteur Interprète par rapport à ces recherches. Le fait de tra¬vailler sur des textes non-littéraires produit-il un infléchissement particulier desquestionnements didactiques sur la lecture littéraire à l'école ? ou, au contraire,les problèmes sont-ils identiques ? Le chapitre 5 laisse entendre que les textesinformatifs sont tout aussi opaques que les textes littéraires, mais les comporte¬ments interprétatifs sont-ils de même nature ? et les problèmes didactiquessont-ils posés dans les mêmes termes ? En l'absence de référence à cesrecherches, il est difficile de se situer.

II me semble par ailleurs que le propos théorique des chapitres 3 et 4, quiprennent la question de l'interprétation de très loin (par rapport aux préoccupa¬tions de la classe) revient à sous-estimer, d'une certaine façon, l'analyse didac¬tique. Je reste, en tant que chercheur en didactique du français, sur ma faimaussi bien en ce qui concerne le début du livre (sur quoi reposent les analysesde la figure traditionnelle de l'élève-lecteur et de son maître de lecture ? surquels manuels, sur quelles séances de lecture se fonde-t-on pour analyser leseffets pernicieux du questionnement magistral ?) que sur le chapitre 5 (qui pourmoi est le plus novateur et le plus intéressant). J'aurais aimé avoir davantaged'informations sur les résultats du dispositif didactique. A-t-il changé les pos¬tures de lecteur des élèves ? y a-t-il eu des difficultés de mise en place ? Ainside la feuille de route qui vise à rendre les élèves autonomes dans leur travaild'interprétation : comment faire pour que les élèves se l'approprient ? suffit-il dela leur imposer (cf. p. 90) ? Enfin, sur une des questions les plus stimulantes dece travail, celle qui concerne « les gestes professionnels » de l'enseignant, com¬ment la place du maître évolue-t-elle ? cette évolution pose-t-elle des problèmesaux acteurs eux-mêmes ? lesquels ? quelles conséquences pour la formationdes maîtres ?

Certes, on ne peut pas traiter de tout en si peu de pages, mais il est dom¬mage que tant de questions demeurent.

Isabelle Delcambre

BROSSARD Michel et FIJALKOW Jacques (dir.) (1998) : Apprendre àl'école : perspectives piagétiennes et vygotskiennes. Presses universi¬taires de Bordeaux. Collection Études sur l'éducation

L'ouvrage présente un ensemble de textes issus d'un congrès qui s'esttenu à Genève et qui a célébré le centenaire de la naissance de J. Piaget et deL. Vygotski. Ces textes renvoient aux thèmes de deux symposia : « Vygotski,Piaget et l'école », « L'enfant et l'entrée dans l'écrit ». Nous ferons ici un sort àce second thème et - faute de place - nous nous en tiendrons aux textes cen¬trés sur l'acquisition du système d'écriture.

Dans la préface, M. Brossard et J. Fijaikow résument en quoi Piaget etVygotski sont présents dans les recherches et débats sur les apprentissagesscolaires. Pour Piaget, il convient que l'enseignant accorde la plus grandeimportance aux manifestations de la reconstruction de ses connaissances parl'élève qui apprend, « toutes erronées qu'elles puissent paraitre au regard desconnaissances établies ». Ces reconstructions ont à être prises en compte à lafois comme marques d'un cheminement vers l'assimilation des connaissances

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Notes de lecture

spécifiquement la lecture de textes littéraires, il aurait été intéressant de situer laproblématique du Lecteur Interprète par rapport à ces recherches. Le fait de tra¬vailler sur des textes non-littéraires produit-il un infléchissement particulier desquestionnements didactiques sur la lecture littéraire à l'école ? ou, au contraire,les problèmes sont-ils identiques ? Le chapitre 5 laisse entendre que les textesinformatifs sont tout aussi opaques que les textes littéraires, mais les comporte¬ments interprétatifs sont-ils de même nature ? et les problèmes didactiquessont-ils posés dans les mêmes termes ? En l'absence de référence à cesrecherches, il est difficile de se situer.

II me semble par ailleurs que le propos théorique des chapitres 3 et 4, quiprennent la question de l'interprétation de très loin (par rapport aux préoccupa¬tions de la classe) revient à sous-estimer, d'une certaine façon, l'analyse didac¬tique. Je reste, en tant que chercheur en didactique du français, sur ma faimaussi bien en ce qui concerne le début du livre (sur quoi reposent les analysesde la figure traditionnelle de l'élève-lecteur et de son maître de lecture ? surquels manuels, sur quelles séances de lecture se fonde-t-on pour analyser leseffets pernicieux du questionnement magistral ?) que sur le chapitre 5 (qui pourmoi est le plus novateur et le plus intéressant). J'aurais aimé avoir davantaged'informations sur les résultats du dispositif didactique. A-t-il changé les pos¬tures de lecteur des élèves ? y a-t-il eu des difficultés de mise en place ? Ainside la feuille de route qui vise à rendre les élèves autonomes dans leur travaild'interprétation : comment faire pour que les élèves se l'approprient ? suffit-il dela leur imposer (cf. p. 90) ? Enfin, sur une des questions les plus stimulantes dece travail, celle qui concerne « les gestes professionnels » de l'enseignant, com¬ment la place du maître évolue-t-elle ? cette évolution pose-t-elle des problèmesaux acteurs eux-mêmes ? lesquels ? quelles conséquences pour la formationdes maîtres ?

Certes, on ne peut pas traiter de tout en si peu de pages, mais il est dom¬mage que tant de questions demeurent.

Isabelle Delcambre

BROSSARD Michel et FIJALKOW Jacques (dir.) (1998) : Apprendre àl'école : perspectives piagétiennes et vygotskiennes. Presses universi¬taires de Bordeaux. Collection Études sur l'éducation

L'ouvrage présente un ensemble de textes issus d'un congrès qui s'esttenu à Genève et qui a célébré le centenaire de la naissance de J. Piaget et deL. Vygotski. Ces textes renvoient aux thèmes de deux symposia : « Vygotski,Piaget et l'école », « L'enfant et l'entrée dans l'écrit ». Nous ferons ici un sort àce second thème et - faute de place - nous nous en tiendrons aux textes cen¬trés sur l'acquisition du système d'écriture.

Dans la préface, M. Brossard et J. Fijaikow résument en quoi Piaget etVygotski sont présents dans les recherches et débats sur les apprentissagesscolaires. Pour Piaget, il convient que l'enseignant accorde la plus grandeimportance aux manifestations de la reconstruction de ses connaissances parl'élève qui apprend, « toutes erronées qu'elles puissent paraitre au regard desconnaissances établies ». Ces reconstructions ont à être prises en compte à lafois comme marques d'un cheminement vers l'assimilation des connaissances

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REPÈRES N° 21/2000 G. DUCANCEL

établies et comme des constructions dont il faut infléchir le cours pour éviterqu'elles ne s'ossifient et ne deviennent des obstacles à ce cheminement. PourVygotski, le développement résulte de l'interaction entre les concepts spontanéset les concepts scientifiques fruits des apprentissages scolaires. Ces dernierscontinuent de se développer après et en dehors des apprentissages scolaires etentrent dans des réseaux complexes de relations avec les concepts spontanés.L'analyse pédologique doit aider les enseignants à comprendre « comment lesprocessus se déroulent dans la tête de chaque enfant (...) à découvrir ce réseauinterne, sous-terrain, génétique ». C'est à ce prix que les enseignants peuventconcevoir de nouveaux apprentissages scolaires susceptibles de réorienter ledéveloppement. M. Brossard et J. Fijaikow soulignent qu'« il serait vain de cher¬cher à concilier ou à opposer de façon purement formelle ces deux théories ». II

est plus fécond de les interroger à partir de domaines de recherches, ce à quoise sont employés les différents auteurs de ce livre. S'agissant de l'entrée dansl'écrit, c'est bien sûr avant tout Vygotski qui est explicitement interrogé.

M. Brossard se consacre à une « Approche socio-historique des situationsd'apprentissage de l'écrit ». Parmi les connaissances et les outils historiquementélaborés qu'aucune psychogenèse ne saurait à elle seule réinventer figure lesystème d'écriture. La situation de l'apprenti-scripteur est radicalement diffé¬rente de celle des inventeurs de l'outil. II doit rechercher à la fois les caractéris¬tiques propres au système constitué et, surtout, découvrir les usages de l'outil. II

ne s'agit donc pas d'un .« savoir de l'outil » mais d'un « savoir se servir del'outil ». Se démarquant d'un point de vue piagétien, l'auteur souligne que l'en¬fant ne peut effectuer ce travail seul. II ne peut l'effectuer que dans des« contextes sociaux d'apprentissage et en particulier dans les contextes sco¬laires (grâce aux) apports que réalisent les adultes au travers des situations etdes tâches ». Les situations et les tâches scolaires qui sont de nature à per¬mettre à l'apprenti scripteur à se servir de l'outil sont des « tâches communica¬tives - tant en production qu'en compréhension. C'est en effet à partir desproblèmes communicatifs qu'il aura à résoudre (qui parle à qui, dans quelchamp, dans quel but...) que l'élève découvrira la fonctionnalité des conven¬tions communes et qu'un travail de réflexion et d'appropriation des outils d'écritpourra se faire. » M. Brossard y insiste, il ne s'agit pas de situations et de tâchesassurant le développement naturel de l'enfant mais un développement culturel :

« l'éducation restructure de manière fondamentale les processus évolutifs ».

Se centrant sur une approche socio-historique des situations d'apprentis¬sage de l'écrit, M. Brossard n'insiste pas sur la nature systémique de l'outil etsur ce qui, de ce point de vue, est fondateur des apprentissages. C'est à ce planque se situe, après lui, E. Ferreiro.

Elle entame, à soixante-dix ans de distance, un dialogue avec Luria à pro¬pos du développement de l'écriture chez l'enfant. (Signalons que le texte deLuria, traduit pour la première fois en français, figure à la fin de l'ouvrage). Cedialogue lui permet d'expliciter son point de vue et d'y apporter des complé¬ments.

Pour Luria, l'écriture est une technique socio-culturelle historiquementcréée et il s'interroge sur les mécanismes de son appropriation par l'enfant. PourFerreiro, il s'agit d'un objet ayant une existence socio-culturelle et ce qu'elle sedemande, c'est « quelle sorte d'objet est l'écriture pour un enfant en développe¬ment » et, donc, quelles fonctions il lui attribue.

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établies et comme des constructions dont il faut infléchir le cours pour éviterqu'elles ne s'ossifient et ne deviennent des obstacles à ce cheminement. PourVygotski, le développement résulte de l'interaction entre les concepts spontanéset les concepts scientifiques fruits des apprentissages scolaires. Ces dernierscontinuent de se développer après et en dehors des apprentissages scolaires etentrent dans des réseaux complexes de relations avec les concepts spontanés.L'analyse pédologique doit aider les enseignants à comprendre « comment lesprocessus se déroulent dans la tête de chaque enfant (...) à découvrir ce réseauinterne, sous-terrain, génétique ». C'est à ce prix que les enseignants peuventconcevoir de nouveaux apprentissages scolaires susceptibles de réorienter ledéveloppement. M. Brossard et J. Fijaikow soulignent qu'« il serait vain de cher¬cher à concilier ou à opposer de façon purement formelle ces deux théories ». II

est plus fécond de les interroger à partir de domaines de recherches, ce à quoise sont employés les différents auteurs de ce livre. S'agissant de l'entrée dansl'écrit, c'est bien sûr avant tout Vygotski qui est explicitement interrogé.

M. Brossard se consacre à une « Approche socio-historique des situationsd'apprentissage de l'écrit ». Parmi les connaissances et les outils historiquementélaborés qu'aucune psychogenèse ne saurait à elle seule réinventer figure lesystème d'écriture. La situation de l'apprenti-scripteur est radicalement diffé¬rente de celle des inventeurs de l'outil. II doit rechercher à la fois les caractéris¬tiques propres au système constitué et, surtout, découvrir les usages de l'outil. II

ne s'agit donc pas d'un .« savoir de l'outil » mais d'un « savoir se servir del'outil ». Se démarquant d'un point de vue piagétien, l'auteur souligne que l'en¬fant ne peut effectuer ce travail seul. II ne peut l'effectuer que dans des« contextes sociaux d'apprentissage et en particulier dans les contextes sco¬laires (grâce aux) apports que réalisent les adultes au travers des situations etdes tâches ». Les situations et les tâches scolaires qui sont de nature à per¬mettre à l'apprenti scripteur à se servir de l'outil sont des « tâches communica¬tives - tant en production qu'en compréhension. C'est en effet à partir desproblèmes communicatifs qu'il aura à résoudre (qui parle à qui, dans quelchamp, dans quel but...) que l'élève découvrira la fonctionnalité des conven¬tions communes et qu'un travail de réflexion et d'appropriation des outils d'écritpourra se faire. » M. Brossard y insiste, il ne s'agit pas de situations et de tâchesassurant le développement naturel de l'enfant mais un développement culturel :

« l'éducation restructure de manière fondamentale les processus évolutifs ».

Se centrant sur une approche socio-historique des situations d'apprentis¬sage de l'écrit, M. Brossard n'insiste pas sur la nature systémique de l'outil etsur ce qui, de ce point de vue, est fondateur des apprentissages. C'est à ce planque se situe, après lui, E. Ferreiro.

Elle entame, à soixante-dix ans de distance, un dialogue avec Luria à pro¬pos du développement de l'écriture chez l'enfant. (Signalons que le texte deLuria, traduit pour la première fois en français, figure à la fin de l'ouvrage). Cedialogue lui permet d'expliciter son point de vue et d'y apporter des complé¬ments.

Pour Luria, l'écriture est une technique socio-culturelle historiquementcréée et il s'interroge sur les mécanismes de son appropriation par l'enfant. PourFerreiro, il s'agit d'un objet ayant une existence socio-culturelle et ce qu'elle sedemande, c'est « quelle sorte d'objet est l'écriture pour un enfant en développe¬ment » et, donc, quelles fonctions il lui attribue.

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Notes de lecture

Luria décrit une succession d'événements semblables dans l'histoire del'écriture et dans celle de son appropriation par l'enfant : gribouillages indifféren¬ciés, formes et images, signes enfin. Pour Ferreiro, à partir des graphismes indif¬férenciés initiaux, les enfants développent des représentations iconiques etd'autres qui ne le sont pas. Les deux systèmes se séparent et se développentensuite chacun de leur côté. A partir de là, E. Ferreiro approfondit la notion desystème d'écriture.

Elle demande qu'on distingue marques et système de marques. Lesmarques peuvent être d'origine très variées, mais le système en tant que tel est,dès l'origine, abstrait, tant au plan de sa construction historique qu'à celui de saconstruction chez l'enfant. Elle reprend alors la question de l'introduction du« social » dans la psychogenèse de l'écriture. Elle souligne que ce sont les pra¬tiques sociales d'interprétation des marques qui confèrent à celles-ci le statutd'objets linguistiques et que, au plan du développement de l'enfant, c'est « uninterprétant (qui permet) à l'enfant d'établir les relations complexes de cesmarques et une certaine production linguistique. »

« L'interprétant informe l'enfant, au moment d'effectuer cet acte apparem¬ment banal que nous appelons « l'acte de lire », que ces marques ont des pou¬voirs spéciaux : il suffit de les regarder pour avoir du langage. » II l'informe quece langage est « très différent de la communication en tête à tête ». II ne leregarde pas ; il regarde la page. Les mots qu'il dit sont ceux « d'un Autre quipeut se dédoubler en beaucoup d'« autres », qui viennent d'on ne sait où,cachés également derrière les marques ». A chaque lecture du même texte, lesmêmes marques sont re-présentées. « Les mêmes mots, d'une fois à l'autre :

une grande partie du mystère repose sur cette possibilité de répétition, de réité¬ration, de représentation. »

Cependant, « chaque lecture à haute voix est à la fois une interprétation etune re-présentation ». C'est qu'il faut prendre représentation au sens plein. II nes'agit pas de copie, de calque. « L'écriture ne remplace pas le langage. » Le pro¬cessus de transformation langagière crée « un autre objet ayant sa vie (sociale)propre. (C'est pourquoi) la représentation représente mais permet de multiplesinterprétations et représentations. »

E. Ferreiro exhorte donc les enseignants à être des interprétants et non desdécodeurs qui « réduisent le mystère à un entrainement » et dissolvent les motsen « composantes qui détruisent le signe linguistique. Où est la magie, le mys¬tère, le défi à relever, l'objet de connaissance à atteindre ? »

Dans le texte suivant, J. et E. Fijaikow posent avec beaucoup de clarté laquestion qui est au centre de leurs travaux : les facteurs pédagogiques sont-ilssusceptibles de « jouer un rôle structurant, d'avoir un effet sur la forme cognitivemême du processus psychogénétique » ? Ils répondent par l'affirmative. Lapédagogie assume ce rôle de deux façons : elle influence la conception qu'al'enfant de la langue écrite en attirant son attention sur tel ou tel aspect de celle-ci ; elle influence l'entrée dans l'écrit par les activités cognitives qu'elle demandeà l'enfant. Quatre expériences réalisées en laboratoire viennent étayer cesréponses. Avec rigueur, les auteurs en montrent les limites et ouvrent des pers¬pectives à la fois expérimentales et de terrain.

C'est en utilisant une méthodologie expérimentaliste en situation scolaireque M. Saada-Robert a étudié l'apprentissage de l'orthographe intégrée en pro¬duction écrite. Les résultats sont à prendre seulement comme des premières

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Notes de lecture

Luria décrit une succession d'événements semblables dans l'histoire del'écriture et dans celle de son appropriation par l'enfant : gribouillages indifféren¬ciés, formes et images, signes enfin. Pour Ferreiro, à partir des graphismes indif¬férenciés initiaux, les enfants développent des représentations iconiques etd'autres qui ne le sont pas. Les deux systèmes se séparent et se développentensuite chacun de leur côté. A partir de là, E. Ferreiro approfondit la notion desystème d'écriture.

Elle demande qu'on distingue marques et système de marques. Lesmarques peuvent être d'origine très variées, mais le système en tant que tel est,dès l'origine, abstrait, tant au plan de sa construction historique qu'à celui de saconstruction chez l'enfant. Elle reprend alors la question de l'introduction du« social » dans la psychogenèse de l'écriture. Elle souligne que ce sont les pra¬tiques sociales d'interprétation des marques qui confèrent à celles-ci le statutd'objets linguistiques et que, au plan du développement de l'enfant, c'est « uninterprétant (qui permet) à l'enfant d'établir les relations complexes de cesmarques et une certaine production linguistique. »

« L'interprétant informe l'enfant, au moment d'effectuer cet acte apparem¬ment banal que nous appelons « l'acte de lire », que ces marques ont des pou¬voirs spéciaux : il suffit de les regarder pour avoir du langage. » II l'informe quece langage est « très différent de la communication en tête à tête ». II ne leregarde pas ; il regarde la page. Les mots qu'il dit sont ceux « d'un Autre quipeut se dédoubler en beaucoup d'« autres », qui viennent d'on ne sait où,cachés également derrière les marques ». A chaque lecture du même texte, lesmêmes marques sont re-présentées. « Les mêmes mots, d'une fois à l'autre :

une grande partie du mystère repose sur cette possibilité de répétition, de réité¬ration, de représentation. »

Cependant, « chaque lecture à haute voix est à la fois une interprétation etune re-présentation ». C'est qu'il faut prendre représentation au sens plein. II nes'agit pas de copie, de calque. « L'écriture ne remplace pas le langage. » Le pro¬cessus de transformation langagière crée « un autre objet ayant sa vie (sociale)propre. (C'est pourquoi) la représentation représente mais permet de multiplesinterprétations et représentations. »

E. Ferreiro exhorte donc les enseignants à être des interprétants et non desdécodeurs qui « réduisent le mystère à un entrainement » et dissolvent les motsen « composantes qui détruisent le signe linguistique. Où est la magie, le mys¬tère, le défi à relever, l'objet de connaissance à atteindre ? »

Dans le texte suivant, J. et E. Fijaikow posent avec beaucoup de clarté laquestion qui est au centre de leurs travaux : les facteurs pédagogiques sont-ilssusceptibles de « jouer un rôle structurant, d'avoir un effet sur la forme cognitivemême du processus psychogénétique » ? Ils répondent par l'affirmative. Lapédagogie assume ce rôle de deux façons : elle influence la conception qu'al'enfant de la langue écrite en attirant son attention sur tel ou tel aspect de celle-ci ; elle influence l'entrée dans l'écrit par les activités cognitives qu'elle demandeà l'enfant. Quatre expériences réalisées en laboratoire viennent étayer cesréponses. Avec rigueur, les auteurs en montrent les limites et ouvrent des pers¬pectives à la fois expérimentales et de terrain.

C'est en utilisant une méthodologie expérimentaliste en situation scolaireque M. Saada-Robert a étudié l'apprentissage de l'orthographe intégrée en pro¬duction écrite. Les résultats sont à prendre seulement comme des premières

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REPÈRES N° 21/2000 G. DUCANCEL

indications, compte tenu de la faiblesse des effectifs des élèves pris en compte :

12 dans le groupe expérimental et 12 dans le groupe témoin (ayant bénéficié deséances spécifiques d'apprentissage de l'orthographe). Ces premiers résultats,notons-le, recoupent ceux d'autres recherches. Les élèves du groupe expéri¬mental ont des résultats inférieurs en situation de dictée. Par contre, leurs per¬formances sont supérieures en situation des production de textes. Leurs textessont plus longs. En cours d'écriture, ils recherchent davantage la graphie demots et leurs recherches sont davantage ciblées, plus courtes et davantagecouronnées de succès. Après la production, leurs explications méta-procédu¬rales sont plus nombreuses et plus élaborées. L'auteur ne dit rien de la manifes¬tation des compétences propres à la mise en texte ni des stratégies ayant trait àla gestion des composantes de la tâche.

Ces comptes rendus montrent - nous l'espérons - l'actualité et la richessede cet ouvrage. II réussit à lier apports épistémologiques, pédagogiques, didac¬tiques. Le versant thématique que nous n'avons pas abordé, celui des théoriesconvocables pour rendre compte des apprentissages scolaires, présente lesmêmes qualités.

Une seule réserve mais qui ne remet pas en cause notre jugement d'en¬semble. L'ouvrage se termine par une contribution de J.-P. Bernié : « Élémentsthéoriques pour une didactique interactionniste de la langue maternelle ». Lagageure est de taille... peut être hors de portée. On regrette cependant quel'image que l'auteur brosse de la didactique de la langue maternelle soit pour lemoins réductrice : il n'est mentionné que des travaux postérieurs à 1990 et,parmi ceux-ci, seulement des travaux relevant de la transposition didactique denouveaux savoirs sur la langue et les textes (parmi lesquels les travaux EVA donton souligne la « réification scolastique »). La solution ? Que la didactique secentre sur l'activité. Le moyen ? « La conception socio-historique de l'outil »

issue de Vygotski. Dès lors, l'auteur développe des propositions qui relèventdavantage du vygotskisme appliqué que d'une tentative de faire progresser l'au¬tonomie d'une didactique dialoguant avec les théories de l'apprentissage.

Gilbert Ducancel

Serge MELEUC et Nicole FAUCHARD (2000) : Didactique de la conjugai¬son ; le verbe autrement, Ed. CRDP Midi-Pyrénées

Les auteurs partent du constat que, dans les erreurs orthographiques com¬mises par des scripteurs experts, existent des erreurs de périphérie - celles quitouchent les zones marginales de notre orthographe - et des erreurs qui portentsur des zones centrales et mal conceptualisées de la langue. On observenotamment une répétition des erreurs de ce type sur le verbe puisque, le verbeétant un élément fléchi, les incertitudes à ce niveau entraînent une multiplicationd'écarts et de difficultés. La conséquence en est un brouillage de la lisibilité destextes produits par les élèves. Quand, de plus, ces erreurs apparaissent dansdes tapuscrits d'étudiants, voire d'experts, on est en droit de penser que cesétudiants ou experts, qui ont appris et récité les tableaux de conjugaison, ont

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indications, compte tenu de la faiblesse des effectifs des élèves pris en compte :

12 dans le groupe expérimental et 12 dans le groupe témoin (ayant bénéficié deséances spécifiques d'apprentissage de l'orthographe). Ces premiers résultats,notons-le, recoupent ceux d'autres recherches. Les élèves du groupe expéri¬mental ont des résultats inférieurs en situation de dictée. Par contre, leurs per¬formances sont supérieures en situation des production de textes. Leurs textessont plus longs. En cours d'écriture, ils recherchent davantage la graphie demots et leurs recherches sont davantage ciblées, plus courtes et davantagecouronnées de succès. Après la production, leurs explications méta-procédu¬rales sont plus nombreuses et plus élaborées. L'auteur ne dit rien de la manifes¬tation des compétences propres à la mise en texte ni des stratégies ayant trait àla gestion des composantes de la tâche.

Ces comptes rendus montrent - nous l'espérons - l'actualité et la richessede cet ouvrage. II réussit à lier apports épistémologiques, pédagogiques, didac¬tiques. Le versant thématique que nous n'avons pas abordé, celui des théoriesconvocables pour rendre compte des apprentissages scolaires, présente lesmêmes qualités.

Une seule réserve mais qui ne remet pas en cause notre jugement d'en¬semble. L'ouvrage se termine par une contribution de J.-P. Bernié : « Élémentsthéoriques pour une didactique interactionniste de la langue maternelle ». Lagageure est de taille... peut être hors de portée. On regrette cependant quel'image que l'auteur brosse de la didactique de la langue maternelle soit pour lemoins réductrice : il n'est mentionné que des travaux postérieurs à 1990 et,parmi ceux-ci, seulement des travaux relevant de la transposition didactique denouveaux savoirs sur la langue et les textes (parmi lesquels les travaux EVA donton souligne la « réification scolastique »). La solution ? Que la didactique secentre sur l'activité. Le moyen ? « La conception socio-historique de l'outil »

issue de Vygotski. Dès lors, l'auteur développe des propositions qui relèventdavantage du vygotskisme appliqué que d'une tentative de faire progresser l'au¬tonomie d'une didactique dialoguant avec les théories de l'apprentissage.

Gilbert Ducancel

Serge MELEUC et Nicole FAUCHARD (2000) : Didactique de la conjugai¬son ; le verbe autrement, Ed. CRDP Midi-Pyrénées

Les auteurs partent du constat que, dans les erreurs orthographiques com¬mises par des scripteurs experts, existent des erreurs de périphérie - celles quitouchent les zones marginales de notre orthographe - et des erreurs qui portentsur des zones centrales et mal conceptualisées de la langue. On observenotamment une répétition des erreurs de ce type sur le verbe puisque, le verbeétant un élément fléchi, les incertitudes à ce niveau entraînent une multiplicationd'écarts et de difficultés. La conséquence en est un brouillage de la lisibilité destextes produits par les élèves. Quand, de plus, ces erreurs apparaissent dansdes tapuscrits d'étudiants, voire d'experts, on est en droit de penser que cesétudiants ou experts, qui ont appris et récité les tableaux de conjugaison, ont

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Notes de lecture

enfermé ce savoir orthographique dans un savoir scolaire et l'ont coupé du tra¬vail de production textuelle.

D'où le projet des auteurs dans ce livre : changer les habitudes d'enseigne¬ment de la conjugaison elles-mêmes calquées sur les habitudes d'apprentis¬sage des paradigmes latins : a) l'élève récite le paradigme (c'est del'apprentissage réflexe) et b) le professeur vérifie l'acquisition d'une nomencla¬ture. En fait, l'objectif à fixer à l'apprentissage de la morphologie verbale est lamaitrise de l'expression. Pour cela, la conjugaison doit être intégrée dans unereprésentation linguistique plus générale qui présente les propriétés morphosyn¬taxiques du verbe et leurs régularités majeures. Au delà, cette étude doit êtrearticulée au travail de production d'énoncés qu'il convient de ne pas isoler del'apprentissage des paradigmes. Trois parties structurent l'ouvrage et fondent ladémonstration.

Dans la première, les auteurs proposent une analyse linguistique du verbefrançais. Ils montrent que les tableaux de conjugaison appris par les écolierssont en réalité des modèles analogiques dans lesquels l'infinitif joue le rôle declassificateur unique de la morphologie verbale. De fait, les élèves ne parvien¬nent pas à saisir les véritables régularités, puisque, par exemple, la troisièmeclasse comprend presque autant de paradigmes que de formes d'infinitifs. A ceteffet, le Bescherelle ne propose-t-il pas 80 verbes modèles ! Et il suffit qu'unverbe se distingue par une seule particularité pour qu'un tableau entier deconjugaison lui soit consacré. Ces tableaux de conjugaison fonctionnent en faitcomme des répertoires de formes attestées, selon un ordre et une terminologieconvenus. Ils réduisent le verbe à un mot dont l'image est plate, et ne contri¬buent aucunement à analyser le verbe comme une base lexicale sur laquelleviennent se greffer des éléments récurrents et organisés en système.

Deuxième difficulté : les tableaux de conjugaison reposent sur un modèlepanchronique implicite qui doit tout à la culture littéraire. On y trouve à la fois lesformes du subjonctif imparfait et plus-que-parfait qui ne sont plus attestéesdans l'usage contemporain et certaines formes de verbes défectifs que l'on nerencontre plus que dans la lecture de textes anciens. La présentation en tableauest donc utile pour la situation de réception, mais non dans une situation deproduction ou d'encodage. Or, pour celui qui écrit, deux éléments essentielsdoivent être pris en compte : l'usage contemporain et la distinction entre fran¬çais parlé et français écrit.

Autre critique portée à ces tableaux : pour chacun, les cellules apparaissentcomme des entités autonomes et spécifiques. On apprend les temps composéscomme s'il s'agissait de formes autonomes. Or, ces cellules sont associablespar couples, chaque forme simple correspondant directement avec une formecomposée. En effet, la formation d'un temps composé se réalise par la flexiondu verbe auxiliaire et la variation du participe passé. Mais cette variation relèved'un problème de syntaxe, et non de morphologie verbale. De fait, du point devue morphologique, la forme du verbe est constituée d'une base lexicale,variable dans certains verbes et isolable dans la plupart (sauf être et avoir) etd'une flexion modale, temporelle et personnelle qui est régulière, sauf quand labase lexicale du verbe n'est pas isolable. Or, parmi les morphèmes constitutifs

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Notes de lecture

enfermé ce savoir orthographique dans un savoir scolaire et l'ont coupé du tra¬vail de production textuelle.

D'où le projet des auteurs dans ce livre : changer les habitudes d'enseigne¬ment de la conjugaison elles-mêmes calquées sur les habitudes d'apprentis¬sage des paradigmes latins : a) l'élève récite le paradigme (c'est del'apprentissage réflexe) et b) le professeur vérifie l'acquisition d'une nomencla¬ture. En fait, l'objectif à fixer à l'apprentissage de la morphologie verbale est lamaitrise de l'expression. Pour cela, la conjugaison doit être intégrée dans unereprésentation linguistique plus générale qui présente les propriétés morphosyn¬taxiques du verbe et leurs régularités majeures. Au delà, cette étude doit êtrearticulée au travail de production d'énoncés qu'il convient de ne pas isoler del'apprentissage des paradigmes. Trois parties structurent l'ouvrage et fondent ladémonstration.

Dans la première, les auteurs proposent une analyse linguistique du verbefrançais. Ils montrent que les tableaux de conjugaison appris par les écolierssont en réalité des modèles analogiques dans lesquels l'infinitif joue le rôle declassificateur unique de la morphologie verbale. De fait, les élèves ne parvien¬nent pas à saisir les véritables régularités, puisque, par exemple, la troisièmeclasse comprend presque autant de paradigmes que de formes d'infinitifs. A ceteffet, le Bescherelle ne propose-t-il pas 80 verbes modèles ! Et il suffit qu'unverbe se distingue par une seule particularité pour qu'un tableau entier deconjugaison lui soit consacré. Ces tableaux de conjugaison fonctionnent en faitcomme des répertoires de formes attestées, selon un ordre et une terminologieconvenus. Ils réduisent le verbe à un mot dont l'image est plate, et ne contri¬buent aucunement à analyser le verbe comme une base lexicale sur laquelleviennent se greffer des éléments récurrents et organisés en système.

Deuxième difficulté : les tableaux de conjugaison reposent sur un modèlepanchronique implicite qui doit tout à la culture littéraire. On y trouve à la fois lesformes du subjonctif imparfait et plus-que-parfait qui ne sont plus attestéesdans l'usage contemporain et certaines formes de verbes défectifs que l'on nerencontre plus que dans la lecture de textes anciens. La présentation en tableauest donc utile pour la situation de réception, mais non dans une situation deproduction ou d'encodage. Or, pour celui qui écrit, deux éléments essentielsdoivent être pris en compte : l'usage contemporain et la distinction entre fran¬çais parlé et français écrit.

Autre critique portée à ces tableaux : pour chacun, les cellules apparaissentcomme des entités autonomes et spécifiques. On apprend les temps composéscomme s'il s'agissait de formes autonomes. Or, ces cellules sont associablespar couples, chaque forme simple correspondant directement avec une formecomposée. En effet, la formation d'un temps composé se réalise par la flexiondu verbe auxiliaire et la variation du participe passé. Mais cette variation relèved'un problème de syntaxe, et non de morphologie verbale. De fait, du point devue morphologique, la forme du verbe est constituée d'une base lexicale,variable dans certains verbes et isolable dans la plupart (sauf être et avoir) etd'une flexion modale, temporelle et personnelle qui est régulière, sauf quand labase lexicale du verbe n'est pas isolable. Or, parmi les morphèmes constitutifs

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REPERES N° 21/2000 N. CORDARY et J. DAVID

du verbe, seule la flexion modale et temporelle constitue une marque morpholo¬gique appartenant en propre au verbe. Les flexions de personne, de nombre etde genre, quant à elles, mettent en jeu la relation du GN sujet au verbe, et sontdonc de nature syntaxique. II est à remarquer que la flexion en genre concernele seul participe. Cela signifie que l'on transfère sur la désinence du verbe desmarques introduite par le GN sujet de la phrase. Les tableaux fonctionnent donccomme des répertoires de formes attestées aussi bien en diachronie qu'en syn¬chronie, mais ils représentent le degré zéro de l'analyse morphologique et syn¬taxique. Pourtant, dans une situation d'apprentissage, il faudrait concevoir avecles élèves des outils de la langue, c'est-à-dire les penser avec eux pour qu'ilsapprennent véritablement à s'en servir.

C'est cet objectif qui motive la deuxième partie de l'ouvrage. Selon quelsprincipes pédagogiques et comment peut-on enseigner la conjugaison ? Lesauteurs proposent des activités de structuration des connaissances qui repo¬sent à la fois sur des pratiques d'écriture diversifiées, des entraînements spéci¬fiques et une réflexion métalinguistique consistant avant tout à réfléchir sur lesdifférents actes à accomplir et sur les marques que chaque scripteur doit choi¬sir. Passons en revue les activités proposées :

1- Tout d'abord, il convient de distinguer formes verbales et formes nonverbales, puis te verbe, i-e le mot qui porte les marques de temps et de per¬sonne (et non les marques de l'accord puisqu'il n'est pas une propriété intrin¬sèque du verbe), de l'infinitif, élément neutre ou lexical porteur du sens duverbe, d'une part, et du participe passé, forme non verbale fonctionnant commeun adjectif formé sur une base verbale, d'autre part. II convient enfin de distin¬guer le participe passé en -é, et Vinfinitif en -er, en travaillant sur le sens de laphrase qui est différent selon l'orthographe donnée (Le bûcheron regarde lesbranches tomber I le bûcheron regarde les branches tombées).

2- II faut ensuite étudier Vaccord sujet/verbe en reconsidérant le rôle dupronom. Afin d'éviter les écueils liés à la présentation des tableaux de conjugai¬son, les auteurs proposent un ensemble d'activités et des séquences d'appren¬tissage - toutes expérimentées à l'école primaire et au collège - afin d'aider lesélèves à comprendre que le pronom est une marque distinctive essentielle dansla différenciation des formes, et qu'il se révèle de fait comme une unité indispen¬sable à la compréhension des rapports entre pronom et personne d'une part,pronom et GN sujet d'autre part. En effet, l'accord sujet - verbe est un problèmetypique de grammaire ; il relève de la relation pronom (GN) - verbe dans la syn¬taxe de la phrase et nécessite des exercices de repérage, des exercices trans-formationnels, des activités de fléchage pour accroître ce mouvement rétroactifindispensable pour contrôler ou vérifier les accords. Bref, il s'agit d'engager laréflexion des élèves sur l'analyse des liens entre marques orthographiques etsens, dans les phrases comme dans les textes.

3- II faut également problématiser le marquage du pluriel et suggérer dessituations de découverte des contraintes entre les mots de la phrase par desexercices de réécriture Par ce travail essentiel, il convient d'amener les élèves àréécrire, certes, mais aussi et surtout à expliquer ce qu'ils font pour aboutir à latransformation demandée. Dans les exercices de réécriture, l'élève apprend à

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du verbe, seule la flexion modale et temporelle constitue une marque morpholo¬gique appartenant en propre au verbe. Les flexions de personne, de nombre etde genre, quant à elles, mettent en jeu la relation du GN sujet au verbe, et sontdonc de nature syntaxique. II est à remarquer que la flexion en genre concernele seul participe. Cela signifie que l'on transfère sur la désinence du verbe desmarques introduite par le GN sujet de la phrase. Les tableaux fonctionnent donccomme des répertoires de formes attestées aussi bien en diachronie qu'en syn¬chronie, mais ils représentent le degré zéro de l'analyse morphologique et syn¬taxique. Pourtant, dans une situation d'apprentissage, il faudrait concevoir avecles élèves des outils de la langue, c'est-à-dire les penser avec eux pour qu'ilsapprennent véritablement à s'en servir.

C'est cet objectif qui motive la deuxième partie de l'ouvrage. Selon quelsprincipes pédagogiques et comment peut-on enseigner la conjugaison ? Lesauteurs proposent des activités de structuration des connaissances qui repo¬sent à la fois sur des pratiques d'écriture diversifiées, des entraînements spéci¬fiques et une réflexion métalinguistique consistant avant tout à réfléchir sur lesdifférents actes à accomplir et sur les marques que chaque scripteur doit choi¬sir. Passons en revue les activités proposées :

1- Tout d'abord, il convient de distinguer formes verbales et formes nonverbales, puis te verbe, i-e le mot qui porte les marques de temps et de per¬sonne (et non les marques de l'accord puisqu'il n'est pas une propriété intrin¬sèque du verbe), de l'infinitif, élément neutre ou lexical porteur du sens duverbe, d'une part, et du participe passé, forme non verbale fonctionnant commeun adjectif formé sur une base verbale, d'autre part. II convient enfin de distin¬guer le participe passé en -é, et Vinfinitif en -er, en travaillant sur le sens de laphrase qui est différent selon l'orthographe donnée (Le bûcheron regarde lesbranches tomber I le bûcheron regarde les branches tombées).

2- II faut ensuite étudier Vaccord sujet/verbe en reconsidérant le rôle dupronom. Afin d'éviter les écueils liés à la présentation des tableaux de conjugai¬son, les auteurs proposent un ensemble d'activités et des séquences d'appren¬tissage - toutes expérimentées à l'école primaire et au collège - afin d'aider lesélèves à comprendre que le pronom est une marque distinctive essentielle dansla différenciation des formes, et qu'il se révèle de fait comme une unité indispen¬sable à la compréhension des rapports entre pronom et personne d'une part,pronom et GN sujet d'autre part. En effet, l'accord sujet - verbe est un problèmetypique de grammaire ; il relève de la relation pronom (GN) - verbe dans la syn¬taxe de la phrase et nécessite des exercices de repérage, des exercices trans-formationnels, des activités de fléchage pour accroître ce mouvement rétroactifindispensable pour contrôler ou vérifier les accords. Bref, il s'agit d'engager laréflexion des élèves sur l'analyse des liens entre marques orthographiques etsens, dans les phrases comme dans les textes.

3- II faut également problématiser le marquage du pluriel et suggérer dessituations de découverte des contraintes entre les mots de la phrase par desexercices de réécriture Par ce travail essentiel, il convient d'amener les élèves àréécrire, certes, mais aussi et surtout à expliquer ce qu'ils font pour aboutir à latransformation demandée. Dans les exercices de réécriture, l'élève apprend à

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Notes de lecture

connaître les marques spécifiques du verbe en relation avec le GN qui précède.II apprend également ce retour en arrière nécessaire dans tout acte d'écriture.Enfin, dans la manipulation phrastique, il apprend à repérer l'absence d'inci¬dence du féminin sur la désinence verbale.

Bien entendu, les auteurs proposent plusieurs autres séquences d'appren¬tissage pour aider les élèves à comprendre et mettre en �uvre les relationsentre morphologie du verbe et valeurs temporelles.

La troisième et dernière partie de l'ouvrage développe en détail le travailscolaire sur la morphologie des verbes, forme après forme, selon une organisa¬tion régulière adaptée aux différentes cellules temporelles ou modales (avec sespropriétés générales et ses particularités) et divisée en deux parties : la premièreconsacrée à l'étude de la notion linguistique, augmentée des références linguis¬tiques indispensables, la seconde réservée à la mise en Auvre didactique(observation, recherche, classement, bilan). Ce chapitre propose une progres¬sion qui va des temps-modes fondamentaux ou simples, ceux qui constituent lesystème morphologique générateur de l'ensemble, oral et écrit, des verbes fran¬çais contemporains, vers les formes dérivées par composition, et enfin lesformes périphériques.

Cet ouvrage très bien informé s'adresse donc à tous, enseignants, forma¬teurs, chercheurs, en ouvrant sur des pistes didactiques concrètes, tout enoffrant des données linguistiques essentielles. L'ensemble est à la fois novateuret convaincant : nul doute qu'il est dorénavant possible d'apprendre « le verbeautrement ».

Noëlle Cordary & Jacques David

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Notes de lecture

connaître les marques spécifiques du verbe en relation avec le GN qui précède.II apprend également ce retour en arrière nécessaire dans tout acte d'écriture.Enfin, dans la manipulation phrastique, il apprend à repérer l'absence d'inci¬dence du féminin sur la désinence verbale.

Bien entendu, les auteurs proposent plusieurs autres séquences d'appren¬tissage pour aider les élèves à comprendre et mettre en �uvre les relationsentre morphologie du verbe et valeurs temporelles.

La troisième et dernière partie de l'ouvrage développe en détail le travailscolaire sur la morphologie des verbes, forme après forme, selon une organisa¬tion régulière adaptée aux différentes cellules temporelles ou modales (avec sespropriétés générales et ses particularités) et divisée en deux parties : la premièreconsacrée à l'étude de la notion linguistique, augmentée des références linguis¬tiques indispensables, la seconde réservée à la mise en Auvre didactique(observation, recherche, classement, bilan). Ce chapitre propose une progres¬sion qui va des temps-modes fondamentaux ou simples, ceux qui constituent lesystème morphologique générateur de l'ensemble, oral et écrit, des verbes fran¬çais contemporains, vers les formes dérivées par composition, et enfin lesformes périphériques.

Cet ouvrage très bien informé s'adresse donc à tous, enseignants, forma¬teurs, chercheurs, en ouvrant sur des pistes didactiques concrètes, tout enoffrant des données linguistiques essentielles. L'ensemble est à la fois novateuret convaincant : nul doute qu'il est dorénavant possible d'apprendre « le verbeautrement ».

Noëlle Cordary & Jacques David

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SUMMARIESNick CROWTHER and Gilbert DUCANCEL

REPÈRES 21 - 2000

NARRATIVE DIVERSITY

PresentationCatherine TAUVERON

- Narratology, teaching the narrative and French didacticsYves REUTER, Théodile, University of Lille 3

This paper puts forward some critical thoughts on how narratology hasbeen incorporated into the field of French didactics. It first looks back at thecontext of its introduction and the hopes that this gave rise to. It then studiesthe transformations which have been carried out and offers a hypotheticalappraisal of the effects its introduction has had. Finally, it develops a researchprogramme on teaching-learning the narrative in a specifically didactic frame¬work which does not limit its questions to those raised by possible applicationsof a theory developed in another scientific field.

- What the spoken narrative can teach us about the narrativeE. Nonnon, Théodile, IUFM of Lille

The spoken narrative is notably absent from discourse ori the narrativewithin the school framework whereas it is omnipresent in everyday social inter¬action, especially in the classroom, and has for a long time been the subject ofinvestigation in other fields. In certain respects, by studying this area weconfront what is said about written stories in school with an otherness whichconstitutes the emotional medium of story telling and is analogical with voiceand rhythm which characterise instant and shared communication; but thisotherness is also simply due to the fact that the spoken narrative has been stu¬died using different types of reasoning, which place the emphasis on its socialand moral functions and those relating to identity, as well as its heterogeneityand its diversity. But many of the aspects highlighted for the spoken narrativeapply to any narrative (especially tone and literariness) and studying this genre isrevealing.

- Soliciting the imagination during narrative writingPatricia Lammertyn, University of Lille 3 and Ecole Michelet

This paper gives an account of research into the problems 10-year-oldpupils (CM2) can encounter when they produce written work which solicits theirimagination. In order to get a better understanding of the specificities of thesestories, we compared them to others which solicit real life experience and wehad further "interviews" with some of the writers. The results for the storieswhich solicited the imagination revealed four different categories of texts as

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SUMMARIESNick CROWTHER and Gilbert DUCANCEL

REPÈRES 21 - 2000

NARRATIVE DIVERSITY

PresentationCatherine TAUVERON

- Narratology, teaching the narrative and French didacticsYves REUTER, Théodile, University of Lille 3

This paper puts forward some critical thoughts on how narratology hasbeen incorporated into the field of French didactics. It first looks back at thecontext of its introduction and the hopes that this gave rise to. It then studiesthe transformations which have been carried out and offers a hypotheticalappraisal of the effects its introduction has had. Finally, it develops a researchprogramme on teaching-learning the narrative in a specifically didactic frame¬work which does not limit its questions to those raised by possible applicationsof a theory developed in another scientific field.

- What the spoken narrative can teach us about the narrativeE. Nonnon, Théodile, IUFM of Lille

The spoken narrative is notably absent from discourse ori the narrativewithin the school framework whereas it is omnipresent in everyday social inter¬action, especially in the classroom, and has for a long time been the subject ofinvestigation in other fields. In certain respects, by studying this area weconfront what is said about written stories in school with an otherness whichconstitutes the emotional medium of story telling and is analogical with voiceand rhythm which characterise instant and shared communication; but thisotherness is also simply due to the fact that the spoken narrative has been stu¬died using different types of reasoning, which place the emphasis on its socialand moral functions and those relating to identity, as well as its heterogeneityand its diversity. But many of the aspects highlighted for the spoken narrativeapply to any narrative (especially tone and literariness) and studying this genre isrevealing.

- Soliciting the imagination during narrative writingPatricia Lammertyn, University of Lille 3 and Ecole Michelet

This paper gives an account of research into the problems 10-year-oldpupils (CM2) can encounter when they produce written work which solicits theirimagination. In order to get a better understanding of the specificities of thesestories, we compared them to others which solicit real life experience and wehad further "interviews" with some of the writers. The results for the storieswhich solicited the imagination revealed four different categories of texts as

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REPÈRES N° 21/2000 N. CROWTHER and G. DUCANCEL

regards the link between formal mastery and the content of the stories. The dif¬ferences noted can be linked to the interpretations of the instructions and therepresentations of the evaluation. In the case of the "experience-based" stories,those differences are in a way reduced insofar as most of the pupils give littlesubstance to their narratives as their first concern is to recount the events asthey actually happened. The initial results enable us to open up some lines ofreflection, on the one hand with regard to the effects of the instructions andtaking them into account in the evaluation and, on the other hand, as regardsthe objectives of the teaching of narrative writing.

- Children's stories: when pupils are in contact with languages and culturesFabienne LECONTE, University of Orléans and ESA 6065 Dyalng

Migrant children who are schooled in France are socialised in different cul¬tures. However, the narrative is extremely important in the French school cultureand the migrant cultures, although the forms it takes and the functions it fulfilsdiffer. Using the example of African families living in France, we will present thelinguistic practices of these families and the changes in narrative practices as aresult of migration. Moreover, children who are in contact with a range of modelsappropriate them so as to develop their own narratological skills. Their narra¬tions bear the hallmarks of these different linguistic, interactional and culturalmodels. Their choices tend towards stories whose thematic content is similar tothat found in their native culture. When the stories have a formal structure res-sembling an oral narrative, this helps bring back memories for children whosemother tongue is not French.

- "We need proof. Reader skills and viewer skills: the example of the tvdetective seriesBrigitte Chaix, François Quet, Grenoble IUFM, Valence

There is no exact correspondence between representations of the filmednarrative on the one hand and the spoken narrative on the other hand; however,the understanding of films and of texts have enough points in common for theapproach to televised fiction at school to be applied to the larger framework of adidactic method relating to understanding/interpreting. The work and reflectionpresented in this article are essentially the result of the activities of a teachertraining class (a "memory workshop" in second-year teacher training). Firstly, weendeavoured to show that the reception of televised stories cannot be studiedusing merely the principles of narratology or with the aim of "finding" theconstants of a "code". On the contrary, the diversity of the clues and the nume¬rous ways of linking them foster ambiguity, interpretive debate, and reasonedjustifications of understanding. Secondly, an oral reconstruction of a detectivecartoon (Fennec) by second-cycle pupils (six and seven-year-olds) enables us topresent some of the difficulties pupils encounter when trying to understand themotivation behind a piece of fiction which is nevertheless targeted at them, but italso enables us to highlight some of the comprehension strategies that theseyoung viewers possess.

- History, geography and civics: three disciplines grappling with narrativediversity

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REPÈRES N° 21/2000 N. CROWTHER and G. DUCANCEL

regards the link between formal mastery and the content of the stories. The dif¬ferences noted can be linked to the interpretations of the instructions and therepresentations of the evaluation. In the case of the "experience-based" stories,those differences are in a way reduced insofar as most of the pupils give littlesubstance to their narratives as their first concern is to recount the events asthey actually happened. The initial results enable us to open up some lines ofreflection, on the one hand with regard to the effects of the instructions andtaking them into account in the evaluation and, on the other hand, as regardsthe objectives of the teaching of narrative writing.

- Children's stories: when pupils are in contact with languages and culturesFabienne LECONTE, University of Orléans and ESA 6065 Dyalng

Migrant children who are schooled in France are socialised in different cul¬tures. However, the narrative is extremely important in the French school cultureand the migrant cultures, although the forms it takes and the functions it fulfilsdiffer. Using the example of African families living in France, we will present thelinguistic practices of these families and the changes in narrative practices as aresult of migration. Moreover, children who are in contact with a range of modelsappropriate them so as to develop their own narratological skills. Their narra¬tions bear the hallmarks of these different linguistic, interactional and culturalmodels. Their choices tend towards stories whose thematic content is similar tothat found in their native culture. When the stories have a formal structure res-sembling an oral narrative, this helps bring back memories for children whosemother tongue is not French.

- "We need proof. Reader skills and viewer skills: the example of the tvdetective seriesBrigitte Chaix, François Quet, Grenoble IUFM, Valence

There is no exact correspondence between representations of the filmednarrative on the one hand and the spoken narrative on the other hand; however,the understanding of films and of texts have enough points in common for theapproach to televised fiction at school to be applied to the larger framework of adidactic method relating to understanding/interpreting. The work and reflectionpresented in this article are essentially the result of the activities of a teachertraining class (a "memory workshop" in second-year teacher training). Firstly, weendeavoured to show that the reception of televised stories cannot be studiedusing merely the principles of narratology or with the aim of "finding" theconstants of a "code". On the contrary, the diversity of the clues and the nume¬rous ways of linking them foster ambiguity, interpretive debate, and reasonedjustifications of understanding. Secondly, an oral reconstruction of a detectivecartoon (Fennec) by second-cycle pupils (six and seven-year-olds) enables us topresent some of the difficulties pupils encounter when trying to understand themotivation behind a piece of fiction which is nevertheless targeted at them, but italso enables us to highlight some of the comprehension strategies that theseyoung viewers possess.

- History, geography and civics: three disciplines grappling with narrativediversity

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Summaries

François Audigier, University of Geneva

The aim of history, geography and civics is to study societies past and pre¬sent. In this respect, they deal with human experience and are thus intimatelylinked to narration in all its forms. However, the narrative, which in the past hasrepeatedly been embraced then abandoned, still bears the mark of being incom¬plete. It is good for children, but is incapable of explaining, whereas explana¬tions are the legitimate and legitimising aims of these disciplines. In this paper,the author examines a few points of reference with regard to each of these disci¬plines, thus asserting how putting human experience into a temporal perspec¬tive is important as a condition of understanding this experience. That said, asort of contradiction in the school system has meant that narration, in whateverform it is presented, figures only rarely as the object of explicit work, as eviden¬ced by the following: informal interviews with teachers, class observation, sometextbooks or even official ministerial documentation. This mistrust is the result ofa school framework which imposes constraints and which is currently destabili¬sed by conflicts over objectives. Current studies of textual comprehension andthe link between human experience and narration encourage us to make the lat¬

ter the explicit object of work with pupils, especially through writing. This direc¬tion is also an important heuristic means of working on the link between formand content, point of view and the exigency of truth.

- The life cycle of the Cherry tree: a scientific narration?

Elisabeth BAUTIER, ESCOL, Danièle MANESSE, INRP,

Brigitte PERTERFALVI, INRP, Anne VERIN, INRP

Within the context of a piece of research into the forms and functions ofwritten work in science, this article proposes to observe behavioural patterns inwriting used spontaneously by pupils in 6ème (Year 7) when given a scientifictype instruction in a non-scientific framework.

We were able to do this thanks to the national tests which are given to Year7 pupils each year. In 1997, this evaluation included an item which required thepupil to translate a scientific diagram outlining the life cycle of the Cherry treeinto a written account of this same process. The pupils were thus asked to pro¬duce a sort of "scientific" narration, the different stages of which had to be lin¬

ked together.

Firstly, we examine the difficulties and the ambiguities of the task, the crite¬ria which must be met in order for work produced by a pupil to be considered a"success" scientifically speaking, which therefore makes it different from a tradi¬tional type of narration, such as pupils produce in French. Next, we examinedthe work produced by a class of pupils from a school in an Educational PriorityArea, the main elements of which are included in this paper; this enabled us toidentify different behavioural patterns in writing, reflecting different "positions" inthe relationship to scientific knowledge.

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Summaries

François Audigier, University of Geneva

The aim of history, geography and civics is to study societies past and pre¬sent. In this respect, they deal with human experience and are thus intimatelylinked to narration in all its forms. However, the narrative, which in the past hasrepeatedly been embraced then abandoned, still bears the mark of being incom¬plete. It is good for children, but is incapable of explaining, whereas explana¬tions are the legitimate and legitimising aims of these disciplines. In this paper,the author examines a few points of reference with regard to each of these disci¬plines, thus asserting how putting human experience into a temporal perspec¬tive is important as a condition of understanding this experience. That said, asort of contradiction in the school system has meant that narration, in whateverform it is presented, figures only rarely as the object of explicit work, as eviden¬ced by the following: informal interviews with teachers, class observation, sometextbooks or even official ministerial documentation. This mistrust is the result ofa school framework which imposes constraints and which is currently destabili¬sed by conflicts over objectives. Current studies of textual comprehension andthe link between human experience and narration encourage us to make the lat¬

ter the explicit object of work with pupils, especially through writing. This direc¬tion is also an important heuristic means of working on the link between formand content, point of view and the exigency of truth.

- The life cycle of the Cherry tree: a scientific narration?

Elisabeth BAUTIER, ESCOL, Danièle MANESSE, INRP,

Brigitte PERTERFALVI, INRP, Anne VERIN, INRP

Within the context of a piece of research into the forms and functions ofwritten work in science, this article proposes to observe behavioural patterns inwriting used spontaneously by pupils in 6ème (Year 7) when given a scientifictype instruction in a non-scientific framework.

We were able to do this thanks to the national tests which are given to Year7 pupils each year. In 1997, this evaluation included an item which required thepupil to translate a scientific diagram outlining the life cycle of the Cherry treeinto a written account of this same process. The pupils were thus asked to pro¬duce a sort of "scientific" narration, the different stages of which had to be lin¬

ked together.

Firstly, we examine the difficulties and the ambiguities of the task, the crite¬ria which must be met in order for work produced by a pupil to be considered a"success" scientifically speaking, which therefore makes it different from a tradi¬tional type of narration, such as pupils produce in French. Next, we examinedthe work produced by a class of pupils from a school in an Educational PriorityArea, the main elements of which are included in this paper; this enabled us toidentify different behavioural patterns in writing, reflecting different "positions" inthe relationship to scientific knowledge.

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REPÈRES N° 21/2000 N. CROWTHER and G. DUCANCEL

- Subject and hero of the biographical narrativeThe example of teachers' life storiesRégis Malet, University of Lille 3

The use of the biographical approach encompasses a wide range of prac¬tices and various research and/or training concerns. In formulating theoreticalquestions on the concept of the narrative and the subject in the biography andstrictly methodological and epistemological questions on the use of thisapproach in teacher training programmes, the aim of the article is twofold:

- firstly to clarify the status of the narrative and the life story, which are presentin biographical discourse, as well as shed light on the narrator-hero figure inbiographical plots and the subject who is placed on a pedestal. Both thesemantic and pragmatic dimensions of the life story are worked on.

- then to put forward a research approach which uses life stories duringteacher training , listing the uses of the narrative that this research tendsto bring out. The variety of these uses shapes the questions about tea¬chers' knowledge and the status that can be given in teacher trainingcourses to this narrative knowledge which is developed when the teacherrecounts his/her life story.

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REPÈRES N° 21/2000 N. CROWTHER and G. DUCANCEL

- Subject and hero of the biographical narrativeThe example of teachers' life storiesRégis Malet, University of Lille 3

The use of the biographical approach encompasses a wide range of prac¬tices and various research and/or training concerns. In formulating theoreticalquestions on the concept of the narrative and the subject in the biography andstrictly methodological and epistemological questions on the use of thisapproach in teacher training programmes, the aim of the article is twofold:

- firstly to clarify the status of the narrative and the life story, which are presentin biographical discourse, as well as shed light on the narrator-hero figure inbiographical plots and the subject who is placed on a pedestal. Both thesemantic and pragmatic dimensions of the life story are worked on.

- then to put forward a research approach which uses life stories duringteacher training , listing the uses of the narrative that this research tendsto bring out. The variety of these uses shapes the questions about tea¬chers' knowledge and the status that can be given in teacher trainingcourses to this narrative knowledge which is developed when the teacherrecounts his/her life story.

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HACHCm tDOCATtON

Apprentissagesprogressifsde l'écrit à

l'école matemelle

Apprentissagesprogressifsde l'écrit à

l'école maternelle

PROG INRPcoordonné par Mireille Brigaudiot

0HP

L'équipe de recherche INRP présente ici la démarche PROG d'enseignementqui vise la réussite de tous les enfants dans leur première conquête de l'écrit. Ils'agit de progressivité des apprentissages langagiers que le maître induit, encou¬rage, accompagne, grâce à des dispositifs particulièrement adaptés aux jeunesenfants.Cet ouvrage et le fichier photocopiable complémentaire s'adressent aux ensei¬gnants d'école maternelle désireux de pratiquer une différenciation pédagogi¬que et de travailler en équipe de cycle, ainsi qu'aux formateurs d'IUFM quiont besoin de s'appuyer sur des pratiques théorisées spécifiques à l'école mater¬nelle.

On trouvera des contributions de l'équipe PROG dans les numéros IS et 20 de Repères.

DANS LA MEME COLLECTION

De l'évaluation à la réécriture, INRP/Groupe EVA,Préface de H. Romian.Evaluer les écrits à l'école primaire, INRP/Groupe EVA,Préface de H. Romian.Savoir orthographier, coordonné par André Angoujard (INRP / Groupe RESO)Contribution de N. Catach

Diffusion HachetteDistribution en librairie, dans les CRDP, CDDP, et à ITNRPISBN: 2-01-170621-1

HACHCm tDOCATtON

Apprentissagesprogressifsde l'écrit à

l'école matemelle

Apprentissagesprogressifsde l'écrit à

l'école maternelle

PROG INRPcoordonné par Mireille Brigaudiot

0HP

L'équipe de recherche INRP présente ici la démarche PROG d'enseignementqui vise la réussite de tous les enfants dans leur première conquête de l'écrit. Ils'agit de progressivité des apprentissages langagiers que le maître induit, encou¬rage, accompagne, grâce à des dispositifs particulièrement adaptés aux jeunesenfants.Cet ouvrage et le fichier photocopiable complémentaire s'adressent aux ensei¬gnants d'école maternelle désireux de pratiquer une différenciation pédagogi¬que et de travailler en équipe de cycle, ainsi qu'aux formateurs d'IUFM quiont besoin de s'appuyer sur des pratiques théorisées spécifiques à l'école mater¬nelle.

On trouvera des contributions de l'équipe PROG dans les numéros IS et 20 de Repères.

DANS LA MEME COLLECTION

De l'évaluation à la réécriture, INRP/Groupe EVA,Préface de H. Romian.Evaluer les écrits à l'école primaire, INRP/Groupe EVA,Préface de H. Romian.Savoir orthographier, coordonné par André Angoujard (INRP / Groupe RESO)Contribution de N. Catach

Diffusion HachetteDistribution en librairie, dans les CRDP, CDDP, et à ITNRPISBN: 2-01-170621-1

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France (TVA 5,5 %) 163,00 FCorse, DOM 157,74 FGuyane, TOM 154,50 FÉtranger 190,00 FLe numéro (tarif France, TVA 5,5 %) 87,00 F

Nb d'abon. Prix

24,85 ¤24,05 ¤23,55 ¤28,97 ¤13,26 ¤

Totc

REPERES

Toute commande d'ouvrages doit être accompagnée d'un titre de paiement libellé àl'ordre de l'Agent comptable de l'INRP.

Cette condition s'applique également aux commandes émanant de services de l'État, descollectivités territoriales et des établissements publics nationaux et locaux (texte deréférence : Ministère de l'Économie, des Finances et du Budget, Direction de laComptabilité publique, Instruction N ° 90-122-B1-M0-M9 du 7 novembre 1990, relative aupaiement à la commande pour l'achat d'ouvrages par les organismes publics).Une facture pro forma sera émise pour toute demande. Seul, le paiement préalable de sonmontant entraînera l'exécution de la commande.

Ne pas utiliser ce bon pour un réabonnement ; une facture pro forma vous seraadressée à l'échéance.

BULLETIN D'ABONNEMENT

REPERESRecherches en didactiques du français langue matemelle

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29, rue d'Ulm, 75230 PARIS CEDEX 05

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France (TVA 5,5 %) 163,00 FCorse, DOM 157,74 FGuyane, TOM 154,50 FÉtranger 190,00 FLe numéro (tarif France, TVA 5,5 %) 87,00 F

Nb d'abon. Prix

24,85 ¤24,05 ¤23,55 ¤28,97 ¤13,26 ¤

Totc

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Toute commande d'ouvrages doit être accompagnée d'un titre de paiement libellé àl'ordre de l'Agent comptable de l'INRP.

Cette condition s'applique également aux commandes émanant de services de l'État, descollectivités territoriales et des établissements publics nationaux et locaux (texte deréférence : Ministère de l'Économie, des Finances et du Budget, Direction de laComptabilité publique, Instruction N ° 90-122-B1-M0-M9 du 7 novembre 1990, relative aupaiement à la commande pour l'achat d'ouvrages par les organismes publics).Une facture pro forma sera émise pour toute demande. Seul, le paiement préalable de sonmontant entraînera l'exécution de la commande.

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Page 218: REPERES - Institut Français De L'educationife.ens-lyon.fr/publications/edition-electronique/re...Eco, Six promenades dans les bois du roman etd'ailleurs, Grasset, 1996 Ce numéro

Impression d'après documents fournisbialec, nancy

Dépôt légal n° 53872 - avril 2001

Impression d'après documents fournisbialec, nancy

Dépôt légal n° 53872 - avril 2001

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REPÈRESNuméros disponibles

Ancienne série Tarif :20 F. /ex

n° 60 - Où en sont les sciences du langage, les sciences de l'éducation ? [1983]

n° 61 - Ils sont différents ! - Cultures, usages de la langue et pédagogie [1983]

n° 64 - Langue, images et sons en classe [1984]

n° 65 - Des pratiques langagières aux savoirs (problèmes de Français) [1985]

n° 67 - 71s parlent autrement - Pour une pédagogie de la variation langagière [1985]

n° 69 - Communiquer et expliquer au Collège [1986]

n° 70 - Problèmes langagiers - Quels apprentissages dans quelles pratiques ? [1986]

n° 72 - Discours explicatifs en classe - Quand ? Comment ? Pourquoi ? (Collèges) [1987]

n° 74 - Images et langages. Quels savoirs ? [1988]

n° 75 - Orthographe: quels problèmes? [1988]

n° 76 - Éléments pour une didactique de la variation langagière [1988]

n" 77 - Le discours explicatif- Genres et texte (Collèges) [1989]

n° 78 - Projets d'enseignement des écrits, de la langue [1989]

n° 79 - Décrire les pratiques d 'évaluation des écrits [ 1 989]

Nouvelle série. Tarif: 87 F. /ex du 1/08/00 au 31/07/01 .n° 1 - Contenus, démarche de formation des maitres et recherche [1990]

n° 2 - Pratiques de communication, pratiques discursives en maternelle [1990]n°3 - Articulation oral/écrit [1991]n° 4 - Savoir écrire, évaluer, réécrire [1991]n° 5 - Problématique des cycles et recherche [1992]n° 6 - Langues Vivantes et Français à l'école [1992]n° 7 - Langage et images [1993]n° 8 - Pour une didactique des activités lexicales à l'école [1993]n° 9 - Activités métalinguistiques à l'école [1994]

n° 10 - Écrire, réécrire [1994]n° 11 - Écriture et traitement de texte [1995]n° 12 - Apprentissages langagiers, apprentissages scientifiques [1995]n° 13 - Lecture et écriture littéraires à l'école [1996]n° 14 - La grammaire à l'école : pourquoi en faire ? Pour quoi faire [1996]

n° 15 - Pratiques langagières et enseignement du français à l'école [1997]n° 16 - La formation initiale des Professeurs des Écoles en Français [1997]n° 17 - L'oral pour apprendre [1998]n° 18 - À la conquête de l'écrit [1998]n° 19 - Comprendre et interpréter les textes à l'école [1999]

n° 20 - Recherches-actions et didactique du français - Hommage à Hélène Romian [1999]

^"21 - Diversité narrative [2000]

Numéros projetés (thèmes) Les outils de l'enseignement du français [2000]

Pratiques d'écriture extra-scolaires et enseignement [2001]

Tarifs France (TVA 5,5 96)

REPÈRESNuméros disponibles

Ancienne série Tarif :20 F. /ex

n° 60 - Où en sont les sciences du langage, les sciences de l'éducation ? [1983]

n° 61 - Ils sont différents ! - Cultures, usages de la langue et pédagogie [1983]

n° 64 - Langue, images et sons en classe [1984]

n° 65 - Des pratiques langagières aux savoirs (problèmes de Français) [1985]

n° 67 - 71s parlent autrement - Pour une pédagogie de la variation langagière [1985]

n° 69 - Communiquer et expliquer au Collège [1986]

n° 70 - Problèmes langagiers - Quels apprentissages dans quelles pratiques ? [1986]

n° 72 - Discours explicatifs en classe - Quand ? Comment ? Pourquoi ? (Collèges) [1987]

n° 74 - Images et langages. Quels savoirs ? [1988]

n° 75 - Orthographe: quels problèmes? [1988]

n° 76 - Éléments pour une didactique de la variation langagière [1988]

n" 77 - Le discours explicatif- Genres et texte (Collèges) [1989]

n° 78 - Projets d'enseignement des écrits, de la langue [1989]

n° 79 - Décrire les pratiques d 'évaluation des écrits [ 1 989]

Nouvelle série. Tarif: 87 F. /ex du 1/08/00 au 31/07/01 .n° 1 - Contenus, démarche de formation des maitres et recherche [1990]

n° 2 - Pratiques de communication, pratiques discursives en maternelle [1990]n°3 - Articulation oral/écrit [1991]n° 4 - Savoir écrire, évaluer, réécrire [1991]n° 5 - Problématique des cycles et recherche [1992]n° 6 - Langues Vivantes et Français à l'école [1992]n° 7 - Langage et images [1993]n° 8 - Pour une didactique des activités lexicales à l'école [1993]n° 9 - Activités métalinguistiques à l'école [1994]

n° 10 - Écrire, réécrire [1994]n° 11 - Écriture et traitement de texte [1995]n° 12 - Apprentissages langagiers, apprentissages scientifiques [1995]n° 13 - Lecture et écriture littéraires à l'école [1996]n° 14 - La grammaire à l'école : pourquoi en faire ? Pour quoi faire [1996]

n° 15 - Pratiques langagières et enseignement du français à l'école [1997]n° 16 - La formation initiale des Professeurs des Écoles en Français [1997]n° 17 - L'oral pour apprendre [1998]n° 18 - À la conquête de l'écrit [1998]n° 19 - Comprendre et interpréter les textes à l'école [1999]

n° 20 - Recherches-actions et didactique du français - Hommage à Hélène Romian [1999]

^"21 - Diversité narrative [2000]

Numéros projetés (thèmes) Les outils de l'enseignement du français [2000]

Pratiques d'écriture extra-scolaires et enseignement [2001]

Tarifs France (TVA 5,5 96)

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REPÈRES numéro 21, nouvelle série

Diversité narrativeLa didactique du récit, en se référant massivement aux travaux issus de la narratologie, aévité de s'intenogei sur la diversité de ses finalités. Elle a aussi peu pris en compte la diveisitéformelle, fonctionnelle et cultuielle de son objet. C'est à cet ensemble de « diversités » que se

consacre le numéro : pluralité des références possibles en fonction d'un projet didactiquerepensé, prise en compte des recherches sur le récit oral, rôle du récit télévisuel dans ledéveloppement de compétences d'interprétation, poids des traditions du contage chez lesenfants de migrants, de la représentation de la tâche d'éciiture dans la redaction de récits devie et de lecits d'imagination, fonctions de la narration de vie enseignante dans la formation,de la nairation factuelle dans les disciplines autres que le français, autant d'entrées différentesqui devraient ouvrir de nouvelles pistes de réflexion et de travail dans les classes.

Sommaire

PrésentationCatherine TAUVERON, INRP

Récits : Approches didactiquesNarratologie. enseignement du récit et didactique du françaisYves REUTER. THEODILE, Université de Lille 3

Ce que le récit oral peut nous dire sur le récitElisabeth NONNON, THEODILE, IUFM de Lille

La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits : intérêts et problèmesPatricia LAMMERTYN. THEODILE. Université de Lille 3

Récits : Media et culturesRécits enfantins en situation de contacts de langues et de culturesFabienne LECONTE. Université d'Orléans. ESA 6065 Dyalang

> II nous faut des preuves >. Compétences de lecteurset compétences de spectateurs : l'exemple du récit policier télévisuelBrigitte CHAIX, François QUET. IUFM de Grenoble-Valence

Récits : Projets disciplinaires, projets de formationHistoire. Géographie. Éducation civique, trois disciplinesaux prises avec la diversité narrativeFrançois AUDIGIER. Université de Genève

Le cycle de vie du Cerisier : une narration « scientifique » ?

Elisabeth BAUTIER (ESCOL). Danièle MANESSE (INRP).Brigitte PETERFALVI (INRP), Anne VERIN (INRP)

Sujet et héros du récit biographique. L'exemple des histoiresde vie enseignantesRégis MALET. Université Lille 3

Note de synthèseSophie GONNAND. Harriet JISA

Actualité de la recherche en didactique du français

Notes de lectureFrancis GROSMANN. Isabelle DELCAMBRE. Gilbert DUCANCEL. Noëlle CORDARYet Jacques DAVID

SummariesNick CROWTHER and Gilbert DUCANCEL

9 '782734n208389

INSTITUT NATIONAL DE RECHERCHE PÉDAGOGIQUE29, rue d'Ulm - 75230 PARIS CEDEX 05 - Tél. 01 46 34 90 00

CODE . RS 021 ISBN . 2-7342-0838-5

REPÈRES numéro 21, nouvelle série

Diversité narrativeLa didactique du récit, en se référant massivement aux travaux issus de la narratologie, aévité de s'intenogei sur la diversité de ses finalités. Elle a aussi peu pris en compte la diveisitéformelle, fonctionnelle et cultuielle de son objet. C'est à cet ensemble de « diversités » que se

consacre le numéro : pluralité des références possibles en fonction d'un projet didactiquerepensé, prise en compte des recherches sur le récit oral, rôle du récit télévisuel dans ledéveloppement de compétences d'interprétation, poids des traditions du contage chez lesenfants de migrants, de la représentation de la tâche d'éciiture dans la redaction de récits devie et de lecits d'imagination, fonctions de la narration de vie enseignante dans la formation,de la nairation factuelle dans les disciplines autres que le français, autant d'entrées différentesqui devraient ouvrir de nouvelles pistes de réflexion et de travail dans les classes.

Sommaire

PrésentationCatherine TAUVERON, INRP

Récits : Approches didactiquesNarratologie. enseignement du récit et didactique du françaisYves REUTER. THEODILE, Université de Lille 3

Ce que le récit oral peut nous dire sur le récitElisabeth NONNON, THEODILE, IUFM de Lille

La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits : intérêts et problèmesPatricia LAMMERTYN. THEODILE. Université de Lille 3

Récits : Media et culturesRécits enfantins en situation de contacts de langues et de culturesFabienne LECONTE. Université d'Orléans. ESA 6065 Dyalang

> II nous faut des preuves >. Compétences de lecteurset compétences de spectateurs : l'exemple du récit policier télévisuelBrigitte CHAIX, François QUET. IUFM de Grenoble-Valence

Récits : Projets disciplinaires, projets de formationHistoire. Géographie. Éducation civique, trois disciplinesaux prises avec la diversité narrativeFrançois AUDIGIER. Université de Genève

Le cycle de vie du Cerisier : une narration « scientifique » ?

Elisabeth BAUTIER (ESCOL). Danièle MANESSE (INRP).Brigitte PETERFALVI (INRP), Anne VERIN (INRP)

Sujet et héros du récit biographique. L'exemple des histoiresde vie enseignantesRégis MALET. Université Lille 3

Note de synthèseSophie GONNAND. Harriet JISA

Actualité de la recherche en didactique du français

Notes de lectureFrancis GROSMANN. Isabelle DELCAMBRE. Gilbert DUCANCEL. Noëlle CORDARYet Jacques DAVID

SummariesNick CROWTHER and Gilbert DUCANCEL

9 '782734n208389

INSTITUT NATIONAL DE RECHERCHE PÉDAGOGIQUE29, rue d'Ulm - 75230 PARIS CEDEX 05 - Tél. 01 46 34 90 00

CODE . RS 021 ISBN . 2-7342-0838-5