remerciements particuliers à la collaboration hélène · 2013-01-17 · alors un gosse, comment...

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Remerciements particuliers à la collaboration

essentielle de Christel GRIMAUD car sans elle rien de tout ceci ne serait.

Au delà des mots quelque part dans l’âme…

Hélène

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A mes enfants, Enzo, Lolita, Anoha qui m’ont eux aussi donné la vie.

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Je pense à certains, dont l’immense talent est terré,

sous silence. Quelques-uns arriveront jusqu’à nous,

embrassés d’un sourire ; d’autres pas.

H.C.

J’aime à passer ma vie dans son doux parallèle, laisser voguer l’esprit entre deux aires, à la fois parmi vous au cœur de lieux-communs et ailleurs, perdue au dédale de cet imaginaire de pensées cotonneuses dont les contours m’épousent. L’art permet cela et c’est lui qui m’héberge…

H.C.

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1 1.1

Il célèbre sa vie et trinque ce soir au verre de toutes ses belles rencontres. Celles auxquelles il pense, la nuit, à la chaleur douillette des couvertures, et qui ont, parfois, juste d’un mot, détourné le cours de son existence.

Un feu de bois crépite et danse à même la terre battue. Les variations de lumières découpent le visage de Mandi assis tout près du feu. Elles s’écrasent sur son nez épaté et accentuent la découpe grossière de ses traits. Le visage ébène dont les rides creusées racontent l’âge s’anime sous le souvenir, ému.

Chaque visage se dessine au cœur de sa mémoire. De cette multitude, l’un d’eux surgit, clair et lumineux, un qui fait et qui fera toujours naître les larmes de ce vieux Mandi. Des larmes aux sources de la beauté, celle que l’on ne peut nier ou ignorer et qui n’use d’aucun artifice. Pure et incontournable.

C’est un peu fou à dire, mais il avait su dès l’instant où il l’avait vu pour la première fois, assis sous son arbre, les yeux dans le vide, plongé au dedans de lui-même.

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Le Gosse…

« J’n’sais pas », dit-il à voix haute, pour lui-même, quelques mots échappés que personne n’entend, pas même lui. Il ne peut dire ce qui c’était vraiment passé. Confus, bien trop confus. Il se souvient de tout, des moindres détails, de chacun des mots, de toutes les odeurs. Mais ses souvenirs sont un magma incontrôlable et incohérent. Y’a des trucs comme ça dans cette foutue vie, ils vous emplissent les sens, se vautrent dans tous les pores mais ils restent insondables.

Il faisait nuit alors, c’était l’hiver. Mandi était en France où les hivers sont froids, le sol gelé, les arbres nus. Une époque de l’année où même les animaux dorment à l’abri. Alors un Gosse, comment aurait-il résisté ? Ses os se seraient glacés puis brisés comme du verre.

On ne laisse pas des gens dehors dans le froid ! Faut dormir avec ça après.

Un frisson court dans le dos de Mandi, il se lève pour attiser les flammes, ainsi la lumière unique grandit et éclaire davantage le visage suspendu au souvenir. Derrière, à quelques mètres, un manguier majestueux projette une ombre inquiétante. Il songe à là-bas, à l’heure où le soleil se couche, à ces grands bâtiments faits de ciment et de verre, aux familles au chaud, devant leur poste de télévision, aux grands lampadaires qui éclairent les rues comme en plein jour et à ce Gosse qu’aucun feu ne chauffait, ce soir-là, sans famille et sans foyer. Les richesses isolent…

C’est que ce Gosse, ça faisait deux jours de suite qu’il était là, au même endroit, sans jamais avoir bougé d’un centième de millimètre.

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C’est con ça, quand même ! Il ne ressemblait pas à ces clochards peu nombreux dans ce petit village dont Mandi connaissait chaque âme, ses yeux ne puaient pas l’alcool. Il n’avait pas l’allure des jeunes rebelles qui déversent leur colère contre une société qui à son tour les abandonne, comme pour leur donner raison.

Il ressemblait à chacun, ce Gosse. La banalité de son apparence et l’incongruité liée à sa situation rendait une impression quasi surnaturelle.

Il était là, échoué sous l’arbre d’un jardin sec. Un arbre squelettique. Le cul à même le sol gelé, sur un tapis d’épines. Une image irréelle et angoissante : un fantôme dans un cadre de glace prêt à se briser. Enfin bref !

Il était là, sous des branches sans feuilles, entouré d’herbe blanche. Assis en tailleur, le gars, le dos raide, les mains crispées sur les genoux, la nuque droite comme un bâton planté dans une pomme, les yeux fixant toujours le même point abstrait et lointain.

Ça faisait deux jours et une nuit que le Gosse n’avait pas bougé. Déjà, la nuit dernière, en rentrant de chez Pat, après avoir mangé, ri et bu, Mandi l’avait aperçu prostré dans la même position. A la vue de cette solitude, une deuxième fois, son sang s’était gelé.

Cette nuit-là, il faisait plus froid que d’habitude et la pluie assassine n’allait pas tarder à s’abattre.

A la chaleur d’un feu de bois, une nuit moite d’été africain, Mandi revit le froid de cette nuit lointaine.

Sa peau s’asphyxiant sous plusieurs couches de vêtements. La pluie durcie par le froid s’abattant comme une rafale d’épines qui vous glace les os.

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Mandi s’était approché de lui et avait posé sa main sur son épaule. Du marbre. Froid et dur. Le Gosse était resté immobile, aucun mouvement n’avait parcouru ni son corps fin et fragile, ni son regard ouvert, fixé au loin et impassible.

Il s’était baissé et avait commencé à parler à ce Gosse pour on ne sait quelle raison.

« Eh ! Gamin ? Faut pas rester là, il va pleuvoir, tu vas t’abîmer ici. »

Aucune réponse ne s’était faite entendre, pas un seul sourcillement. Raide et muet. Peut-être sourd ?

Mandi s’était alors accroupi face à lui, avait fixé les yeux du Gosse puis ralenti le rythme de sa voix. Mais rien à faire, pas un seul rictus, ni même un souffle. Toujours face à lui, il s’était assis. Comme ça. Pourquoi Mandi n’avait-il pas lâché prise ? Après tout, chacun sa merde.

Pourtant, il avait continué à lui parler. « Tu fous la trouille Gamin ! » Et c’était vrai, ce Gosse lui faisait peur, il

ressemblait à un corps abandonné par l’âme. Un sorcier avait dû rappeler son esprit à lui. Son visage était gracile, la lumière que projetait le réverbère non loin s’accrochait à sa face détendue et curieusement paisible, blême. Sa noblesse ressemblait au divin.

« Je n’sais pas ce que t’attends, mais t’es sacrément inquiétant. Si c’est une secte qui t’envoie là, le gars, il est trop fort, parce que t’es super bien programmé comme mec, toi ! »

Ça commençait un peu à le gonfler que ce blondinet rempli de boucles et de vagues se prenne pour un messie. Faut pas pousser quand même ! Enfin

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bref, il avait continué à le gosse qui ne répondait toujours pas.

« Alors, t’as rencontré Dieu ? Quoi de neuf ? Ce soir, c’est ton soir ? et tatati et tatata… ».

Au bout de quelques mots, il s’était passé quelque chose dans les yeux du Gamin. Une lueur. On ne pouvait pas dire qu’il ait vraiment bougé mais bon, il y avait eu un truc spécial. Comme un mouvement de pensée, les mots à la con de Mandi l’avaient heurté. Le Gamin les avait entendus et il mourrait d’envie de lui répondre.

Mandi s’était rassuré, l’esprit de ce Gosse était bien là, dans son corps, enfermé ! Tenace, il ne l’avait plus jamais lâché.

« Je sais que tu m’entends, petit, et que tu dois me prendre pour un cinglé de te parler comme ça depuis une heure, mais moi, crois pas que je te prenne vraiment pour autre chose non plus. T’es quand même assis là, dans le froid, sans bouger, sans boire et sans manger depuis deux jours. Tu crois que tu va faire quoi, là ? Tu vas crever dans l’indifférence. Encore un allumé… Un de plus, un de moins, les gens s’en foutent. »

Là, le Gosse avait bougé le pied et ses lèvres s’étaient entrouvertes. Du fond de son si petit corps avait rejailli un grognement de bête. Un lion rugissait de ses entrailles.

« Trop tard, gars, en plus t’as tout foiré, t’as bougé et tu meurs d’envie de me répondre. »

Le Gamin avait alors décroché son regard du vide et l’avait jeté sur Mandi. Il avait fixé sombrement l’homme trublion, sans même cligner des yeux, sans colère ni reproche, mais d’une intensité qui glaça son

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interlocuteur. Mandi n’avait pu soutenir ce regard. Alors, pour dissiper la gêne, il avait poursuivi.

« Je n’veux pas t’emmerder, vraiment ; t’as raison, ça me regarde pas, ta vie. Mais là, l’ami, va pleuvoir, et pas qu’un peu. Faudrait pas qu’on attrape la mort, comme deux cons liquides. Si ton esprit n’est pas imperméable, je t’explique pas ton corps ! On va tellement se remplir d’eau qu’on va déborder ! Je crèche pas loin, on laisse passer l’orage et puis après tu vois ? »

Le Gosse avait continué à le regarder fixement. Mandi avait détourné machinalement le regard,

mais l’autre, au vol l’avait rattrapé. Il voulait savoir. Mandi le laissa faire. Il pouvait lire en lui. Pas de coup tordu.

Un rideau de pluie s’était abattu. Le ciel déclarait la guerre.

Dans un mouvement, Mandi avait saisi le Gosse par le bras, il s’était laissé faire. Au vol, le Gamin, soudain plein de vivacité, avait attrapé son sac à dos en toile kaki rempli à moitié et l’avait jeté sur son épaule. Les deux hommes avaient traversé le parc en courant, puis traversé deux rues, avant de tourner à droite et d’arriver enfin devant l’immeuble où se trouvait l’appartement de Mandi.

« Pourquoi ? », dit Mandi soudainement à haute voix. Près de son feu, quarante années plus tard, à qui s’adresse le vieil homme dans sa solitude ? Ce souvenir, ce soir-là l’obsède. Les buches consumées affaiblissent les lueurs de la flamme. Aussi, l’homme noir, haut perché, gras, le menton nu, habillé d’un simple pantalon de toile beige retroussé aux genoux et dont la chemise de coton jaune trop ample pour ses

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épaules pourtant larges ondule sous la brise légère, se relève fatigué pour alimenter le feu. Il veut se souvenir encore à la lueur des flammes. Il jette au cœur du feu quelques branches sèches. L’ogre, rassasié, lâche soudain des craquements funestes, les flammes grandies se remettent à danser accrochant à leurs têtes vivaces un voile de fumée s’envolant vers la lune. Mandi, un instant, considère ces mariées des étoiles dans leur danse gracieuse de lumière et de feu. Il ajuste une paillasse, s’étale sur le dos, les mains sur la nuque et se perd sur les flots du souvenir.

Après leur course folle jusque devant la porte de l’immeuble, ils s’étaient tous deux arrêtés quelques secondes.

A son tour, Mandi avait fixé très fort les yeux du Gosse et lui avait demandé s’il voulait vraiment entrer, juste pour un café, le temps que la pluie se calme et après il pourrait partir. Le Gosse, ironique, avait esquissé un sourire, un de ceux qui disent : tiens donc, je vous remercie de cette autorisation. Comme s’il pouvait en être autrement ? Mandi l’avait fixé longtemps.

Le Gosse avait poussé la porte. Les deux hommes antinomiques en tous points

étaient trempés, deux éponges engorgées qui ne se connaissaient même pas.

Comme pour gagner du temps, Mandi avait choisi de monter chez lui par les escaliers.

Regagner son domicile accompagné d’un inconnu qui dégouline des pieds à la tête était soudain insolite. Mandi n’avait pas osé regarder l’autre durant toute leur ascension. Et si c’était lui le fou psychopathe ? Non, mais sans déconner, il en savait quoi, lui ?

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Ils étaient pourtant entrés, le Gosse en premier, et tandis que Mandi refermait la porte, il s’était avancé le long du couloir vers le salon. Quand Mandi l’avait rejoint, il avait trouvé le Gosse planté là, les bras ballants, la face blême, à moitié mort, seulement ses yeux pleins d’une vie secrète, à fixer une statue. Celle de papa.

De sa main gauche, le Gosse caressait délicatement le visage de la femme qui tresse, les yeux remplis de larmes.

« C’est une scène de la vie africaine, avait alors expliqué Mandi. Une femme tresse une petite fille. C’est mon père qui l’a sculptée dans un bois de chez nous. C’était son métier, là-bas, chez lui. C’est la seule chose qu’il ait emporté ici. Il disait qu’ainsi, il avait emmené avec lui un petit bout de ma mère et de ma sœur. Ça ne leur ressemble pas vraiment, mais ça ressemble à toute l’Afrique. »

C’est alors que les yeux de Mandi, à leur tour, s’embuèrent.

Comme en ce moment même, allongé près du feu, juste devant sa case, ses yeux se troublent encore. Mandi se redresse, saisit la bouteille de rhum par le goulot. Il veut continuer son voyage coûte que coûte.

Témoin de leurs émois respectifs face à la sculpture, le Gamin avait regardé Mandi puis, enfin, avait souri ! Un sourire triste et faiblard en soutien aux émois nostalgiques de Mandi.

Le Gosse s’était alors avancé, suivi de son hôte, vers le salon où il avait posé son cul trempé au milieu de la pièce, sans avoir l’air surpris de n’y trouver que des coussins jetés au sol sur des paillasses, des bouts de bois et quelques planches pour toute étagère.

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Un temps, ses yeux s’étaient promenés sur les trames vives des tentures murales accrochées un peu partout sur les murs blancs. Mandi lui même, à l’heure où l’esprit s’enfuit, noyait souvent ses yeux, aux dessins de ces scènes, caressant du souvenir ces femmes, ébènes et ocres, un bambin accroché à leurs dos et un pot sur la tête.

Sans mot dire, Mandi avait filé un pull et un froc sec au Gosse, trop court et trop large, puis s’était changé à son tour avant d’aller préparer à la cuisine un café, tandis que l’autre auscultait la pièce… au microscope.

Alors que le silence, pénétrant, s’était installé, ce fou de Gamin s’était soudain mis à parler !

Un choc. Pour Mandi ce Gamin était muet, l’idée s’était

insinuée sans le moindre doute. Il ne s’attendait pas à entendre une voix et, s’il s’y était attendu, croyez bien qu’il ne se serait pas du tout imaginé qu’elle pût être celle là. Une voix grasse et pleine, ventriculaire et animale, lui, ce gamin si frêle, aussi squelettique que son arbre. Dans un sursaut, Mandi reconnut le lion qui avait grondé en lui sous l’arbre quelque temps auparavant.

Il était vrai que ce long fil désarticulé de Gamin avait l’allure de ceux qui s’excusent d’être là et tentent d’annihiler leur présence en prenant le moins de place possible. Mais de son corps effacé sortait un son magnifique et chaud, indice inéluctable de l’immensité caverneuse de ses antres.

« C’est quoi ton travail ? », qu’il lui avait balancé du salon, comme ça ! Il ne connaissait pas même son nom, ni l’autre le sien du reste. Mais la première

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chose qui le sortait de son mutisme était de se préoccuper de comment son hôte gagnait sa vie.

Mandi avait d’abord sursauté, caché dans sa cuisine. Puis, comme il n’était pas homme à laisser percevoir sa décontenance, il avait lancé une question tranquille, pour voir.

« C’est quoi ton nom, Gamin ? » Et puis il était revenu café en main. « Mon nom ? » avait répété le Gosse. La question lui avait paru tout aussi improbable et

surréaliste qu’avait paru la sienne à Mandi. Le Gamin ne se donna pas même la peine d’y répondre de peur que l’ambiance ne devienne trop solennelle.

Mandi avait poursuivi avec la maladresse qui le caractérise, un peu abrupte.

« T’as perdu la mémoire ? Ton disque dur s’est fait la malle ? », lui avait-il dit sans même le regarder.

Le Gosse avait répété, hébété : « ton disque dur ? » en fronçant les sourcils comme pour souligner l’incongruité de la question ou de sa formulation peut-être, puis, presque pour lui-même, il avait mâchonné :

« Oui… Non… Peut-être… Quelle importance ! Le passé est une chose morte par essence. A quoi bon le loger au fond de nos entrailles. Je n’ai pas l’ossature ni la rigueur, ni même la sagesse des bibliothèques. Décousues, les choses sont pourtant là, mais où, avant et après quoi ? J’ai beau appeler, mais rien ne répond, avait-il dit en tapotant le haut de son crâne comme on tape sur une porte d’entrée à l’appel de quelqu’un pour qu’il ouvre. C’est ce désordre incohérent qui me donne le vertige. » Et le vertige habitait ses orbites comme le ciel parfois laisse

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entrevoir le vent et le chaos qui guettent ; le flou de son regard exprimait net sa pensée en désordre ; il était prêt à repartir en lui. Mandi avait rattrapé sa vue avant qu’elle ne s’envole, par le seul angle qui lui restait encore, du bout de ses yeux pragmatiques et inquisiteurs. Et ainsi, le bleu délavé s’était mêlé au noir intense et illuminé. Le Gosse s’en était revenu vers lui.

« Dis, toi, c’est Mandi n’est ce pas ? C’est écrit sur la porte. Tu fais quoi dans la vie ?

– T’es un drôle de Gamin quand même ! » Il ne fallait pas insister, au risque de le voir s’en

retourner vers lui-même et de perdre en même temps l’espoir de savoir ce qui l’attachait tant à lui.

Mandi le savait bien. Aussi, prudent, il avait seulement répondu : « Moi, je n’travaille pas vraiment, mon frère. Tu vois bien qu’ici ça grouille pas le luxe. »

Le Gosse avait levé les yeux tout autour de lui, vaguement, par politesse, comme si les mots de Mandi l’avaient invité à le faire, alors qu’il connaissait déjà la pièce dans ses moindres recoins. Peut-être au vu de l’information, l’avait-il regardée par un angle nouveau ?

« Comment tu fais pour vivre alors ? avait-il demandé simplement.

– Et comment tu fais toi ? T’as pas bien l’air de travailler non plus depuis deux ou trois jours ! ? »

Le bleu s’était alors assombri. Le Gosse avait baissé la tête. Et après ça, un blanc. Rien. Plus un mot. Mandi avait alors servi le café noir, comme si de rien n’était. Il y jeta deux sucres, remua, puis but.

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Il voulait voir si ce silence s’installerait, et en effet il s’installa, lourdement… Les yeux du Gosse regardaient de l’autre côté de lui-même, là où s’effaçait la présence de Mandi. Il semblait fixer un point loin devant – illusoire illusion – il s’en était retourné au-dedans, là où la limite n’a aucun point de convergence avec ce monde et où l’horizon n’existe pas. Il n’avait l’air ni fâché, ni fou. Il semblait juste se paralyser doucement.

« Eh, Gamin, ça va ? T’as pas l’air dans ton assiette. »

Le son de la voix douce de Mandi fit pourtant écho. Le Gamin leva péniblement son regard vers lui et, à bout de force, le laissa choir à nouveau. Il s’abandonnait, il se laissait glisser, comme sous l’arbre.

« Tu sais, Gamin, moi, j’sais pas ce qui t’est arrivé, mais ça sert à rien de te mettre dans des états pareils. Tu sais, on peut parler toi et moi. Qu’est-ce que ça te coûte ? »

Il ne bronchait pas. « Tu me fous la trouille quand tu fais cette tête-là.

On dirait un fantôme. Réveille-toi, mon gars ! » Posé sur un coussin au sol, Mandi avait tapé de sa

tasse sur la palette de bois qui lui servait de table basse, puis s’était penché vers le Gamin assis à sa gauche en secouant son épaule pour le ramener à lui.

Les lèvres du Gamin s’étaient mises à trembler. Il avait la moue d’un gosse qui ne va pas tarder à pleurer.

« Que veux-tu que je te dise, avait-il lâché dans un râlement à peine audible. Tu ne pourrais pas comprendre. Moi-même je n’y comprends rien.