recherches augustiniennes volume xxix - 1996

Upload: apocryphorum-lector

Post on 07-Aug-2018

228 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    1/139

    SOMM IRE

    Préface,

    par

    Jean-Claude

    FREDOUILLE

    .... .. ............ .... .. ... .. ... ................. .. ....... .

    J.-C.

    FREDOUILLE

    Latin chrétien ou latin

    tardif»

    ? ........... ........ .......... .

    O. GARCÏA DE LA FUENTE

    Latin

    bfblico y latin cristiano :

    coincidencias

    y

    discrepancias . ............ ....... ...... ... ..... ............. ................... ......... .. ..... ............. .

    M. FRUYT , La syntaxe

    de

    l infinitif en latin tardif:

    Réflexions

    sur la

    nature

    des processus évolutifs

    ...... ............. ........ ......... ................................

    ..

    ...... .. ... .

    F. CHAPOT , La préverbation en

    prae

    chez

    Tertullien

    .....................

    ..

    .. .. ......... .

    S.

    DELÉANI

    La

    syntaxe des

    titres

    dans

    les recueils

    scripturaires de saint

    Cyprien ............. .. .............. .. ..... .... ........ ...... ........... ............. .. .... .. ...... .... ......... .

    C.

    INGREM

    E

    AU Faits de

    langue

    tardive, effets de style,

    ou problèmes

    textuels ? (Quelques

    exemples chez Commodien

    ; bilan sur le livre

    VI

    des

    Institutions divines

    de Lactance) .. .......... ...... .... .......................... ..... ............. .

    M.-G.

    GUÉRARD

    , Éléments de romanesque

    dans

    le Commentaire

    sur

    le

    Cantique

    de

    Nil d  Ancyre ............................

    ..

    .... .. ........................................ .

    COMITÉ DE DIRECTION

    Jean-Claude

    FREDOUILLE

    François DOLBEAU Georges FOLLIET

    Jacques FONTAINE ,

    Claude LEPELLEY

    André

    WARTELL

    E

    CONSEIL

    SCIENTIFIQUE

    3

    5- 23

    25- 41

    43- 73

    75- 89

    91-112

    113-125

    127-139

    lrena

    BACKUS

    Anne

    DAGUET-GAGEY

    Jean

    DOIGNON

    Martine

    DULAEY

    Yves-Marie

    DUVAL

    ,

    Alain LE

    BOULLUEC

    Goulven

    MAD

    EC, Pierre PETITMENGIN Hervé SAVON

    Le secrétariat des Recherches est assuré

    par Anne

    DAGUET-GAGEY

    ; l administration par

    Jean-Denis

    BERGER. Les manuscrits

    doivent

    être envoyés à l Institut d

    Études

    Augustiniennes, 3, rue del Abbaye, 75006 Paris.

    DIFFUSION

    Éditions Brépols

    pour la France : 23 ,

    rue

    des Grands Augustins , 75006 Paris

    compte

    chèque postal : Paris 27-87-14-F

    pour Étranger:

    Steenweg op 68, Tielen, B-Turnhout

    (Belgique)

    compte chèque postal : Bruxelles GB 230-0024-714-96

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    2/139

    1996 - 29

    ECHERCHES

    AUGUST IEN ES

    ISSN 0484-0887

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    3/139

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    4/139

    Les

    Recherches augustiniennes

    ont été créées en 1958 comme un complément

    la

    Revue des Études augustiniennes

    De conception plus souple, sans

    périodicité fixe (29 volumes en 38 ans , elles permettent de publier des études

    qui dépassent/ ampleur habituelle d un article de revue ou encore

    de

    répondre

    plus commodément l actualité scientifique immédiate.

    Nous avons pensé qu il serait utile aussi de leur donner à / occasion une

    unité thématique.C est le cas

    de

    la présente livraison, qui rassemble des études

    de caractère linguistique et littéraire présentées, s uf une, au dernier congrès

    d Oxford (1995).

    J. C.F.

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    5/139

    «

    Latin chrétien

    »

    ou

    «

    latin tardif

    »

    ?

    Les réflexions que nous proposons sont suggérées par les recherches

    entreprises en vue de la refonte du Manuel du latin chrétien d'Albert Blaise,

    par

    une équipe de l'Université de Paris-Sorbonne .

    S il

    convient, en effet,

    d'apprécier à leur juste valeur les mérites de ce

    Manuel

    surtout si l on tient

    compte de la date de sa parution (1955),

    l

    est tout aussi clair que ses mérites

    mêmes invitent à une nécessaire révision.

    Ces réflexions

    n ont

    pas la prétention d'apporter une réponse définitive aux

    multiples questions que pose la langue des auteurs chrétiens, eux-mêmes si

    divers2. Organisées assez librement autour de trois notions - celles de sermo

    uulgaris3 de norme et de variantes, d'originalité linguistique - elles

    voudraient seulement aborder ces problèmes sous des angles un peu différents

    de ceux auxquels on est le plus généralement habitué et contribuer ainsi à

    mieux comprendre et situer historiquement la langue des textes chrétiens.

    Pour prendre la mesure des difficultés rencontrées, il ne sera pas inutile, en

    commençant, de

    jeter

    un regard sur les diverses époques de la latinité

    distinguées par les linguistes. Ces périodisations appellent, en effet, trois

    observations.

    Tout d'abord, sauf exception, elles ne sont guère justifiées par leurs auteurs.

    Tout au plus ceux-ci se contentent-ils de prévenir le lecteur qu'elles sont

    Texte de

    la

    Lecture

    présentée au cours de la

    Twelfth International Conference on Patristic

    Studies

    (Oxford, 21- 26 August 1995).

    1

    Plusieurs collègues participant

    à

    ce Séminaire (F. Chapot, S. Deléani, M. Fruyt, Chr.

    Ingremeau) ont d'ailleurs présenté des communications à cette

    Conference.

    Elles sont publiées

    dans ce volume.

    2.

    On complètera ces réflexions par l'exposé de S.

    DELÉANI, «Le

    latin des Pères: un domaine

    encore mal exploré» (à paraître dans les

    Actes u Cinquantenaire

    des "Sources Chrétiennes",

    Paris, 1997).

    3. Par commodité, cet adjectif sera pris ici avec la valeur qui lui est couramment donnée

    aujourd'hui (et souvent associée à la notion de "latin tardif') , mais qui

    n est

    pas, on le sait,

    le

    sens qu'i l a dans la langue "classique".

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    6/139

    6

    JEAN-CLAUDE FREDOUILLE

    "approximatives" ou "relatives" - pure précaution oratoire quand on constate

    l'extrême précision des dates parfois proposées: de

    43

    a.

    C.

    à 14 p.

    C.

    ou de

    40 a.C. à 20 p.C.); de

    14

    à

    68

    (ou de 20 à 120); de 193 à 337 (ou de 195 à

    335); etc.

    D'autre part, mais ce qui précède le laisse pressentir, ces périodisations ne

    coïncident pas. Une brève enquête empirique, portant sur celles qui ont été

    proposées au cours de ces trente dernières années, souvent par des spécialistes

    de la langue latine, fait apparaître une grande diversité dans le découpage

    chronologique : trois, quatre, cinq, six, huit, dix et onze époques sont ainsi

    distinguées dans l'histoire

    du

    latin selon les auteurs4.

    Dernière remarque, concernant les datations de

    l

    langue des auteurs tardifs

    qui nous intéresse plus directement :

    Dans les périodisations courtes - calquées arbitrairement, en général, sur la

    succession des dynasties impériales ou sur les crises qui ont secoué l'Empire

    tel linguiste inclut, contre toute vraisemblance, dans la même tranche

    chronologique, Tertullien, Lactance et même 'Histoire Auguste, sans

    se

    douter

    du

    piège que lui tendait le progrès de l'érudition, en situant cette œuvre à

    l'extrême fin

    du

    ive s.; tel autre, qui adopte une périodisation sénaire,

    subdivise en trois sous-périodes le "latin postclassique" (de

    14

    à 200 env.),

    confondant ainsi langue et courants littéraires

    ou

    esthétiques.

    Dans les périodisations plus longues, la tendance est de considérer comme

    formant un ensemble linguistique homogène cinq siècles de l'histoire du latin -

    des Vieilles latines à Boèce et Isidore de Séville, comme si la latinité s'était

    alors figée, immobilisée. On n'hésite pas non plus à définir cette longue

    période comme celle du "bas latin", caractérisée par un "processus de

    dégradation'', lui-même conséquence de "'écroulement progressif de

    l'enseignement classique". A vrai dire (mais ce n'est pas une excuse), cette

    conception d'une langue évoluant inexorablement vers la corruption après un

    "âge d'or" est ancienne: suggérée déjà par Cicéron5, elle est exposée plus

    explicitement par Isidore

    de

    Séville désignant par l'expression

    Latinitas mixta

    le latin postérieur à Cicéron et Virgile6. Mais on pouvait penser que la

    linguistique contemporaine aurait permis de faire justice de ces vues

    pessimistes.

    4.

    Trois

    périodes : J.

    COLLART,

    Histoire de l langue latine, Paris, 1967, p. 6.

    Quatre

    périodes: M.

    L.

    PoDVIN, Grammaire latine, Paris, 1957, p. 1; V. VAANÂNEN, Introduction au

    latin vulgaire,

    Paris,

    1986

    3

    , p. 11

    sq ;

    A. CART, P.

    GRIMAL, J.

    LAMAISON, R.

    NOIVILLE,

    Grammaire latine, Paris, s.d., p. 5.

    Cinq

    périodes : J. GASON, E. BAUDIFFIER,

    A.

    THOMAS,

    Précis de grammaire des Lettres latines,

    Paris,

    1963,

    p.

    5;

    O.

    LEGGEWIE

    (hg.),

    Die Welt der

    Ramer, Münster Westf., 19875, p. 63. Six périodes: J. PERROT, Les dérivés latins en -men et

    -mentum, Paris, 1961,

    p.

    33 ; X. MIGNOT, Les verbes dénominatifs latins, Paris, 1969,

    p.

    17 ;

    J. DANGEL, Histoire de l langue latine, Paris, 1995,

    p.

    7 sq. Huit périodes: H. QUELLET, «Les

    dérivés latins en -tudo», M 48, 1991,

    p.

    281. Dix périodes: J. ANDRÉ, Emprunts et suffixes

    nominaux en latin, Genève - Paris, 1971, p. 3 sq. Onze périodes : P. FLOBERT, Les verbes

    déponents latins des origines à Charlemagne, Paris, 1975,

    p.

    39.

    5. Brutus, 258 (CUF p. 93).

    6. Étymologies, IX, 7 (ALMA p. 36-37).

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    7/139

    «LATIN CHRÉTIEN» OU «L TIN TARDIF»

    En

    fait, même si

    l on

    admet que le système de la langue latine a été

    relativement stable tout au long de son histoire, appliquées à nos auteurs

    tardifs, ni les unes ni les autres e ces périodisations ne sont véritablement

    satisfaisantes ni même

    e

    quelque utilité.

    Pour respecter la réalité linguistique de ces textes - qui sont, pour la plupart

    d entre

    eux, des textes

    littéraires

    l faudrait, en effet, pouvoir suivre

    l'évolution de sous-systèmes ou de micro-structures: les cas, les pronoms, les

    interro-relatives, les hypothétiques, etc. (sans omettre l'ordre des mots), car

    l évolution, pour s en tenir au domaine syntaxique (les phénomènes

    phonétiques et même morphologiques, dans ces textes, nous échappent

    en

    grande partie) ne se fait pas de front, comme

    une

    armée progressant en ligne :

    certains domaines subsistent ou résistent, d'autres sont plus fragiles

    et

    moins

    stables. Il faudrait donc pouvoir opérer des dénombrements, calculer les

    fréquences de tous les faits de langue chez les différents auteurs, comme cela a

    été

    fait presque systématiquement pour Cicéron et a abouti à édicter les

    règles de la langue classique et à en dénoncer les exceptions . Car

    c est

    la

    notion de fréquence qui renseigne sur un état de la langue

    et

    donc,

    indirectement, sur la conscience linguistique et le style d un auteur.

    Le constat s impose: même les linguistes les plus nuancés ou les mieux

    disposés

    à

    l'égard des auteurs chrétiens n'échappent pas au préjugé selon lequel

    leur langue ne possède plus les qualités de celle des âges précédents et qu'elle a

    une coloration facilement vulgaire .

    Le

    cas échéant, pour conforter objecti

    vement cette appréciation, on fait appel au témoignage des écrivains chrétiens

    eux-mêmes.

    Par exemple, aux déclarations délibérément provocantes

    d

    Arnobe, reven

    diquant le droit aux solécismes et aux barbarismes :

    «Mais [vos] récits [nous objecte-t-on] ont été écrits par des hommes ignorants et

    incultes, et par conséquent on ne doit pas leur prêter une oreille complaisante. -

    Prends garde: ne serait-ce pas plutôt une bonne raison pour qu'ils ne soient pas

    entachés

    de

    mensonge, étant l'œuvre d'esprits simples, qui ne savent pas les

    rehausser de vaines séductions? -

    Le

    style en est vulgaire et bas. -

    C est

    que la vérité

    n a jamais cherché à se farder et que ce qui est prouvé et certain ne souffre pas les

    circonlocutions de trop longues périodes. Syllogismes, enthymèmes, définitions, et

    tous ces ornements par lesquels on cherche à rendre croyable une affirmation, tout

    cela est une aide pour qui forme des conjectures, mais ne révèle pas nettement les

    traits de la vérité .. Vos livres, nous dit-on, sont pleins de barbarismes et de

    solécismes, et gâtés par des fautes grossières. - Critique puérile, assurément, et qui

    révèle un esprit étroit... Comment une affirmation serait-elle moins vraie,

    si

    elle

    contient une faute de nombre ou de cas,

    de

    préposition,

    de

    participe, de

    conjonction? Que ce langage pompeux, cette éloquence soumise aux règles, soient

    réservés aux assemblées, aux procès, au forum, aux tribunaux, et qu on les offre

    bien plutôt à ceux qui sont sensibles à la séduction des plaisirs et ne se passionnent

    que pour le brillant du style. Mais quand l s'agit de questions étrangères à toute

    ostentation, l faut examiner ce qui est dit, et non pas avec quel agrément cela est dit ;

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    8/139

    8

    JEAN-CLAUDE FREDOUILLE

    non pas

    ce

    qui charme les oreilles, mais quel profit

    en

    tirent les auditeurs ..

    »

    (trad.

    Le Bonniec)?.

    Naturellement, la revendication d Arnobe est démentie par sa prose: non

    seulement on y chercherait vainement un solécisme ou un barbarisme, mais sa

    puissance et son éloquence sont bien éloignées d'une esthétique de la simplicité.

    Ayant déjà eu l'occasion de commenter cette pages, nous nous attarderons

    davantage sur certains propos d'Augustin, plus souvent encore sollicités par les

    les linguistes en faveur

    de

    leur thèse, propos dans lesquels l proclame, lui

    aussi, son indifférence à l'égard

    de

    la grammaire.

    Mais ces formules ne signifient pas (contrairement à ce que

    l on

    prétend9)

    qu'Augustin s'écarte

    de

    la norme grammaticale pour assurer la compréhension

    de la foule, qu'il privilégie la communication aux dépens de la correction. Au

    demeurant, a-t-on jamais vu

    qu une

    incorrection grammaticale facilitait

    l'intelligence d'un texte ou d'un discours ?10 Ce qui rend plus accessible un

    texte ou un discours, ce ne sont pas des infractions

    au

    bon usage ; ce sont des

    phrases courtes, un vocabulaire courant, une syntaxe simple accordant la

    préférence à la coordination ou à la juxtaposition plutôt qu'à la subordination

    et

    au

    style périodique.

    Ainsi, paradoxalement, ces déclarations d'Augustin doivent-elles être

    interprétées presque à rebours

    du

    sens qu'on leur donne communément. Elles

    visent non pas des foules incultes, à la portée desquelles l souhaiterait se

    mettre, mais un public cultivé. Elles portent toutes, sauf erreur, sur des

    7. Aduersus nationes I, 58, 1-59, 5

    CUF

    p. 183-184) : «Sed ab indoctis hominibus

    et

    rudibus scripta sunt

    et

    idcirco non sunt facili auditione credenda. - Vide ne magis haec fortior

    causa sit

    cur

    illa sint nullis coinquinata mendaciis, mente simplici prodita

    et

    ignara lenociniis

    ampliare. - Triuialis

    et

    sordidus sermo est. - Numquam enim ueritas sectata est fucum nec quod

    exploratum

    et

    certum est circumduci se pati tur orationis per ambitum longiorem. Collectiones,

    enthymemata, definitiones omniaque illa ornamenta quibus fides quaeritur adsertionis

    suspicantes adiuuant, non ueritatis liniamenta demonstrant .. Barbarismis, soloecismis obsitae

    sunt, inquit, res uestrae et uitiorum deformitate pollutae. - Puerilis sane atque angusti pectoris

    reprehensio ... Aut qui minus id quod dicitur uerum est, si in numero peccetur aut casu,

    praepositione, participio, coniunctione ? Pompa ista sermonis et oratio missa

    per

    regulas

    contionibus, litibus, foro iudiciisque seruetur deturque illis immo qui, uoluptatum delinimenta

    quaerentes, omne suum studium uerborum in lumina contulerunt. Cum

    de

    rebus agitur ab

    ostentatione summotis, quid dicatur spectandum est, non quali cum amoenitate dicatur nec quid

    aures commulceat, sed quas adferat audientibus utilitates .. »

    8. «Les écrits patristiques latins comme corpus littéraire»

    paraître dans les Actes du

    cinquantenaire des Sources Chrétiennes )

    9. Ainsi R.A.

    HAADSMA

    J.

    NUCHELMANS

    Précis de latin vulgaire

    Groningen, 1966, p.

    8;

    V.

    VAi\NANEN

    op. cit p. 18. Approche différente, mais appréciations finalement voisines des

    leurs dans M. BANNIARD Viva voce. Communication écrite

    et

    communication orale du Ve au

    X• siècle en Occident latin Paris, 1992, p. 73, 102.

    10. Quoi

    qu ait

    pu penser J.-J. ROUSSEAU : «Ma première règle, à moi qui ne me soucie

    nullement de ce qu on pensera de mon style, est de me faire entendre. Toutes les fois

    qu à

    l aide de dix solécismes je pourrai m exprimer plus fortement ou plus clairement, je ne

    balancerai jamais» (cité

    par

    R.

    GILLET SC

    32bis,

    p.

    134. On trouvera dans cette même note

    d'autres références à des déclarations des Pères de l'Église proches de celles d'Augustin).

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    9/139

    «LATIN CHRÉTIEN»

    OU

    «LATIN TARDIF»?

    9

    problèmes de traduction (morphologiques, syntaxiques ou lexicaux) posés par

    les Vieilles latines - dont Augustin se sent solidaire des traducteurs - et comme

    telles, ces remarques

    ne

    peuvent intéresser,

    par

    définition, que des lettrésll, et

    elles n'ont

    de

    sens que pour eux.

    Soit ce passage du Commentaire sur le Psaume 6 (iii, 6), à propos du verset

    26:

    "Tout le jour le juste a pitié, i l prête" - Tota die miseretur et feneratur =

    &xvclÇu). Personnellement, Augustin préfèrerait, parce qu'elle serait plus

    claire12, la

    formefenerat

    (qui est d'ailleurs celle d'autres

    Vieilles latines).

    Et

    i l

    ajoute: «Mais que nous importent les grammairiens? Il est préférable que

    vous nous compreniez même avec un barbarisme, plutôt que vous entendiez le

    langage

    d un

    homme disert qui vous laisserait comme dans un

    désert>>.

    (On

    aura noté au passage le jeu paronymique desertus-disertitudo)13.

    Mais, en l occurence, quel est l usage ? Quoique plus rare, la forme

    déponente feneror

    a,

    dans toute la latinité, concurrencé la forme active fenero :

    on relève même cinq occurrences de feneror chez Cicéronl4. Peut-être,

    probablement même, le traducteur latin avait-il choisi cette forme pour

    l'assonance et l'isosyllabie qu'elle offrait avec le déponent miseretur. Scrupule

    ou réflexe de puriste donc

    de

    la part d'Augustin, dont la remarque, comme

    toutes les questions qui alimentent les discussions grammaticales, ne

    se

    justifie

    qu'auprès d'un public averti. Scrupule ou réflexe

    au

    demeurant traditionnel

    chez les écrivains et les orateurs, aussi bien païens que chrétiens, souvent

    hantés, ou feignant de l'être, par la crainte de commettre une incorrection :

    nous avons, par exemple, sur

    de

    telles craintes, des anecdotes de SuétoneIS,

    "'appréhension" d Apulée ("Qui me pardonnerait le moindre solécisme

    ? 16),

    les précautions oratoires

    de

    Sulpice Sévère ?, et bien d'autres témoignages.

    Inversement, nous voyons Augustin exposer ses préférences pour la

    substitution d ossum,i

    à

    os,ossis, susceptible d'être confondu avec os, oris, et

    cela d'autant plus facilement que, comme il

    le

    fait observert8, le vocalisme

    des

    11. C'est-à-dire, pour reprendre

    la

    distinction en trois catégories de fidèles, proposée

    par

    AUGUSTIN

    lui-même (De cat. rud., 8, 12 - 9,

    13

    BA 11/1 p. 84 sq.) les liberalibus doctrinis

    exculti et, peut-être aussi, ceux qui sont issus de scholis usitatissimis grammaticorum

    oratorumque, mais en aucun cas les idiotae, naturellement de loin les plus nombreux.

    12. Feneratur peut être interprété comme étant le passif defenero ou ayant le sens actif de

    feneror (Cf. n. suiv.).

    13.

    Enarr. in Ps. 36, iii 6 (CCL 38, p. 371) : «Tata die miseretur et feneratur. Feneratur

    quidem latine dicitur et qui dat mutuum et qui accipit ; planius hoc autem dicitur, si dicamus

    f enerat.

    Quid

    ad

    nos quid grammatici uelint

    ?

    Me

    i

    us in barbarismo nostro uos intelligitis, quam

    in nostra disertitudine uos deserti eritis».

    14. Cf. TLL s.

    u

    "fenero", col. 475, 83.

    15.De gram.

    et

    rhet., 22 (CUF p. 22

    ).

    16. Florides, 9, 7 (CUF p. 135).

    17. Vie de saint Martin, ep. ded.

    l,

    3 : «id a lectoribus postulabis, ut res potius quam uerba

    perpendant, et aequo animo ferant si aures eorum uitiosus forsitan sermo perculerit...» (SC

    133, p. 248 et Comm.

    SC

    134, p. 380 sq.).

    18. De doctr. Chr., Ill, 3, 7 (BA 11,

    p.

    346).

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    10/139

    10

    JEAN-CLAUDE FREDOUILLE

    deux homographes tendait à ne plus être distingué dans

    la

    prononciation.

    «Mieux vaut, dit-il, nous faire reprendre par les grammairiens que de ne pas

    nous faire comprendre par la foule» -

    Metius est reprehendant nos grammatici

    quam non intellegant popuii19.

    Ce disant, Augustin ne défendait ni

    un

    vulgarisme ni un néologisme :

    ossum,i

    est attesté chez des écrivains du ne s. a. C. (Accius, Cnaeus Gellius), chez

    Celse, le "Cicéron

    de la

    médecine'', chez Apulée20.

    Et c est

    avec toute l'autorité

    de

    l homme

    de culture21

    qu il

    est, qu'Augustin

    veut

    imposer définitivement

    dans l'usage ce doublet dépourvu de toute ambiguïté.

    Nous pourrions multiplier ce type d'exemples. En fait, Augustin n'affiche

    (ou ne donne l'impression d'afficher) du mépris pour la grammaire que

    lorsqu'il veut justifier ou expliquer une expression des Vieilles latines que

    pourraient éventuellement blâmer des grammairiens sourcilleux22.

    Ce

    faisant,

    il pensait moins aux fidèles peu cultivés qu'aux lettrés, chrétiens et païens.

    Le

    monde auquel nous renvoient ces discussions n est pas un public populaire;

    c est

    plutôt celui du "cercle de Symmaque" dont, à la même époque, Macrobe

    mettait en scène les conversations dans ses

    Saturnales.

    On ne mesurera d'ailleurs l'exacte portée de ce genre de discussions

    qu à

    condition de se représenter avec réalisme le niveau socioculturel des popula

    tions de l Antiquité. On ne possède pas -

    et

    on ne peut établir - de statistiques.

    Mais on connaît des scribes du ne s.

    p.

    C. qui ne savaient ni lire ni écrire23, et

    l on

    aura sans doute une vision moins idéalisée du développement de la culture

    dans l Antiquité, si

    l on

    se rappelle que, au milieu du x1xe s., selon les

    estimations actuelles, le taux de la population sachant lire

    et

    écrire était de

    l'ordre de 5 à 10

    %

    en Russie, de 20 à

    25 %

    en Italie, de 50

    % en

    France24.

    Ces pourcentages devraient permettre

    de

    situer dans une plus juste perspective

    l'apparent dédain d'Augustin envers les grammairiens dans ses observations

    sur le texte des

    Vieilles latines

    (dont les traducteurs, pour le dire en passant, ne

    serait-ce que parce qu'ils savaient le grec, n'étaient pas ces chrétiens incultes

    19.

    Enarr. in Ps.138

    20, sur

    lev. 15 CCL

    40, p. 2004).

    20.

    Cf. TLL

    s.u.

    "os", col. 1094, 6.

    21. Sur sa culture grammaticale en particulier,

    G.BELLISIMA

    «Sant' Agostino grammatico»,

    Augustinus Magister,

    I, Paris, 1954, p. 35-42 ; J. CoLLART «Saint Augustin grammairien dans

    le

    De Magistro», RÉAug

    17, 1971, p. 279-292 (influence de Varron).

    22. H. I.

    MARROU Saint Augustin et /afin

    de

    la culture antique,

    Paris, 19584, p. 79, 537.

    23. Cf. H. C. YülmE, «Pétaus, fils de Pétaus, ou le scribe qui ne savait pas écrire», CE 41,

    1966, p. 127-143

    = Scriptiunculae,

    II, Amsterdam, 1973, p. 677-693). Je remercie Béatrice

    Meyer (Institut de Papyrologie de la Sorbonne) d'avoir bien voulu attirer mon attention sur cet

    article.

    24. Cf. W. V. HARRIS, «Literacy and Epigraphy, »,

    ZPE

    52, 1983, p. 87-111; Io.,

    Ancient Literacy,

    Cambridge MA.-London, 1989, p. 299 : «The illusion that Christianity was

    spread mainly by means of the written word is possible only for those who exaggerate the

    literacy of the high Empire» ; p. 305 : «Christians en masse, like the rest of the population,

    included a high proportion of illiterates».

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    11/139

    «LATIN CHRÉTIEN» OU «LATIN TARDIF»?

    que

    l on

    nous décrit complaisamment). Seule une élite était en mesure

    de

    comprendre l'intérêt et les raisons de telles observations.

    Cela dit, que l on rencontre chez Augustin des mots, des tours, des

    expressions, étrangers à la langue littéraire, empruntés à la langue courante,

    c est le contraire qui serait surprenant. Quel est l'auteur qui, à des fins

    diverses, ne recourt à des locutions, des termes, peu ou non littéraires, qui ne

    reproduit les propos d'individus ou

    de

    personnages peu lettrés, voire illettrés?

    Mais l'interprétation exige, en chaque cas, l'examen du contexte.

    Un exemple, parmi d'autres, emprunté encore aux

    Sermons

    d'Augustin et

    souvent cité comme un "trait vulgaire":

    Facit frigus,

    ("il

    fait froid"). «Tous

    les ans, écrit Augustin, nous disons souvent, quand nous ressentons le froid:

    'jamais l

    n a

    fait aussi froid' -

    numquam fe it tale frigus».

    Mais cette

    expression de la langue parlée courante est ici rapportée dans un dessein bien

    précis:

    elle offre à Augustin l'avantage

    de

    pouvoir rappeler que Dieu est

    l'auteur des variations climatiques, car il ne fait pas

    de

    doute à ses yeux que le

    sujet de

    facit frigus

    est

    Deus25.

    Trait "vulgaire" donc, si l'on veut,

    ou

    plutôt

    pré-roman, qu'Augustin se borne à rappeler, mais qui lui permet, comme

    l avait

    fait un Tertullien, de découvrir

    jusque

    dans la langue parlée

    quotidienne, le signe

    de

    la présence et de la toute-puissance divine26. (Mais on

    sait que, en l'espèce,

    de

    façon comparable, Grecs et Latins avaient pourvu d'un

    agent "divin" certains verbes impersonnels désignant des phénomènes

    atmosphériques27.)

    Les Anciens le soulignaient déjà: le propre d'un grand écrivain est d'être

    capable de pratiquer plusieurs niveaux

    de

    langue et de style28. Après avoir loué

    la pureté de la langue de Lysias, Denys d'Halicarnasse souligne cette autre

    qualité

    de

    l'orateur: l savait toujours «mettre ses paroles en parfaite harmonie

    avec l'auditoire, ne s'adressant pas de la même manière à un juge, à une

    assemblée

    du

    peuple, à une foule en

    fête»29.

    Et Quintilien, à la suite de Denys

    d'Halicarnasse et dans la même ligne de pensée, formulait cette règle: «Un

    25. Sermones de VT, 25, 3 CCL 41,

    p.

    336).

    26. Apol. 17, 5-6 CUF

    p.

    40).

    27.

    P. CHANTRAINE,

    «Le divin et les dieux chez Homère», Entretiens sur

    l

    Antiquité

    classique,

    I

    Vandoeuvres-Genève, 1952, p. 56-57: «Le fait que chez Homère le sujet Zeus est

    toujours exprimé [dans les tours primitivement impersonnels désignant des phénomènes

    atmosphériques] résulte d un effort de l esprit pour 'mythologiser', c'est-à-dire pour

    rationaliser un phénomène obscur et inquiétant» ; E.T., Synt. lat., p. 209,

    §

    230a.

    28. Le cas-limite est sans doute celui du "roman populaire" : ainsi a-t-on vraisemblablement

    tort de prendre pour le parler fidèlement transcrit des affranchis celui que Pétrone leur prête,

    alors que, dans une certaine mesure, il le recrée. L'écrit ne pouvant reproduire exactement un

    langage essentiellement oral, l'auteur se voit contraint de recourir à un langage de convention.

    Si, naturellement, la démonstration est difficile, voire impossible, à apporter pour le Satiricon,

    les études linguistiques sur le roman populaire contemporain sont particulièrement révélatrices à

    cet égard (Cf. Grammaire des fautes et français non conventionnel, Paris, Presses de 'ENS,

    1992, en particulier p. 117-149).

    29. Lys. 9, 1 CUF p. 83).

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    12/139

    12

    JEAN CLAUDE FREDOUILLE

    discours ne pèche pas moins par défaut d'appropriation à la personne [à

    laquelle i l s'adresse] qu'au sujet auquel

    l

    aurait dû être adapté»; et

    i l

    ajoutait,

    pour illustrer positivement ce

    précepte:

    «C est pourquoi, comme on le

    constate, Lysias a parfaitement réussi à conserver un accent de vérité dans les

    discours

    qu il

    écrivait pour des gens sans culture»3o.

    De cette nécessité de la convenance rhétorique dans le respect obligé de la

    correction grammaticale, les auteurs chrétiens étaient pleinement persuadés.

    Augustin, par exemple,

    s en

    explique très clairement dans le préambule du e

    Genesi contra Manichaeos (I, 1): i l se rangera, écrit-il, à l'avis des chrétiens

    lettrés qui lui ont conseillé de ne pas s'écarter, cette fois,

    d une

    manière

    commune de parler ( communis loquendi consuetudo ) afin que ses arguments

    fussent accessibles à toutes les catégories de lecteurs, cultivés ou non; l ornatus

    politusque sermo, en effet, n est intelligible

    qu aux

    docti;

    en

    revanche, le

    sermo usitatus et simplex l'est à tout le monde, y compris les indocti31.

    Mais simplicité du discours ne signifie pas entorse aux normes du langage.

    Et nous aurions tort de confondre sermo simplex et sermo uulgaris. De fait,

    Augustin recourt dans son ouvrage

    à

    une syntaxe sans recherche, des phrases

    brèves, un vocabulaire usuel. Ce qui est vrai de cet ouvrage d'exégèse et de

    polémique est également vrai, globalement, de ses

    Sermons.

    La même préoccupation se retrouve encore, au siècle suivant, chez un

    Césaire d'Arles. Certes moins doué et moins cultivé que son illustre prédé

    cesseur, dont il utilisa, adapta ou transcrivit l œuvre homilétique, Césaire

    reprend cependant à son compte cet officium praedicatoris.:

    «Si

    nous voulons exposer à vos oreilles, à vous qui nous êtes chers,

    l'explication des Saintes Ecritures selon la manière et avec

    le

    style des Pères

    vénérables, l'aliment de la doctrine

    ne

    pourra parvenir

    qu à

    quelques lettrés

    (scholastici) et le reste de la foule, la multitude, restera affamée. C'est pourquoi je

    demande humblement que les oreilles érudites (eruditae aures) acceptent de tolérer

    sans agacement des expressions rustiques

    (uerba rustica),

    pourvu que tout le

    troupeau du Seigneur puisse recevoir la nourriture spirituelle dans une langue

    simple et, pour ainsi dire, terre à terre

    (simplex et, ut ita dixerim3

    2

    ,

    pedester

    sermo).

    Et parce que les gens sans culture et simples ne peuvent s'élever à la

    hauteur des lettrés, i l faut que les savants acceptent de se mettre au niveau des

    ignorants; parce que, ce que l'on dira aux simples peut être compris aussi des

    30. Inst. or. III, 8, 51 (CUF p. 209).

    31.

    PL

    34, col. 173.

    32. La précaution oratoire de Césaire, dans ce contexte, est tout à fait révélatrice: celui-ci

    feint d'innover, en utilisant métaphoriquement cet adjectif pour désigner le style simple ; mais

    on lit déjà pedester oratio chez JÉRÔME Lettre 36, 14 (CUF p. 61) ; pedester sermo en SHA

    Prob. 21, 1 et pedestre adloquium, Ibid. Trig. tyr. 1, 1

    éd.

    Hohl3,

    p.

    219, 100). Césaire lui

    même l'avait utilisé

    (Serm. l, 13,

    20

    CCL

    103,

    p. 10,

    16;

    SC

    175, p. 250, 272) sans

    le

    faire

    précéder de cette formule. Mais i l

    est vrai que, depuis Horace, le sens usuel de

    pedester

    dans

    cette acception métaphorique était prosaïque,

    en

    prose . Plus proches de

    nos

    préoccupations

    présentes, les remarques de GRÉGOIRE LE

    GRAND

    Morales sur Job, lettre-déd. 2 (SC 32bis, p.

    120) sur les difficultés rencontrées par

    le

    prédicateur mettant par écrit ses homélies orales.

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    13/139

    «LATIN CHRÉTIEN»

    OU

    «LATIN

    TARDIF»

    lettrés;

    mais

    ce que

    l on

    aura prêché

    aux

    savants restera complètement

    incompréhensible aux simples»33.

    13

    Être compris de tous, en utilisant des mots de tous les jours communia

    uerba

    34 , telle est donc, exposée non sans talent, l'ambition de notre évêque:

    des phrases simples, des comparaisons empruntées à la vie quotidienne et

    rurale, des répétitions "pédagogiques", des concessions dans l'emploi de

    vocables locaux ou régionaux, cette éloquence familière, mais non "vulgaire",

    est consciente et délibérée. Pour le reste, la langue de Césaire reflète celle de

    son temps35.

    Ordinairement, un ouvrage consacré à la langue de Proust ou de Malraux ne

    prend guère pour référence la langue de La Bruyère ou celle de Voltaire

    traditionnellement considérées comme des modèles de pureté et de clarté. Or

    ce n'est pas ce parti raisonnable qu'adoptent la plupart des études faites sur la

    langue des auteurs chrétiens et, plus généralement, des auteurs tardifs. Avec

    des nuances ou des différences dans la mise en œuvre, la présentation et

    l'interprétation des faits, elles sont généralement conçues, dans leur principe,

    comme des catalogues de dérogations, plus ou moins pardonnables, à l aurea

    Latinitas

    - c'est-à-dire, en réalité, la langue de Cicéron, encore limitée à celle

    des discours et des traités.

    Le

    prestige de cette langue est certainement fondé;

    les écrivains latins chrétiens eux-mêmes le reconnaissaient sans arrière pensée,

    et déjà, chronologiquement, le premier d'entre eux: Quis eloquentior Tullio?

    demandait Tertullien

    36

    Mais pour respectable et motivée que soit l'admiration

    portée à la prose cicéronienne, elle ne justifie pas la méthode appliquée à la

    langue des écrivains tardifs. Elle revient, en effet, à poser comme norme une

    langue littéraire élaborée et étudiée - artificielle, au sens latin de l'adjectif-, et

    de toute manière antérieure de plusieurs siècles.

    Si donc l on devait étudier les écarts de la langue des auteurs chrétiens, ces

    écarts devraient être évalués, en bonne méthode, par rapport à la norme

    de

    l'époque, c'est-à-dire l'usage grammatical contemporain, tel par exemple qu'on

    l'entrevoit chez les écrivains païens, lorsque la comparaison est possible et, à

    défaut, en l'absence de référents païens contemporains, par rapport à l'état de

    langue connu chronologiquement le plus proche, pratiquement celui que nous

    appréhendons chez les auteurs du

    n

    siècle.

    On constate alors (laissant provisoirement de côté le lexique) que ces écarts

    sont souvent minimes - si

    l on

    met naturellement à part les "biblismes'', c'est

    à-dire, en dehors des citations scripturaires textuelles, les expressions, les

    tours, les syntagmes, dont on admettra que 'écrivain chrétien a clairement

    conscience de l'origine et du caractère bibliques :

    33. Serm. 86, 1 CCL 103,

    p.

    353).

    34. Serm.

    l,

    13 (CCL 103, p. 10, SC 175, p. 250).

    35. Cf. M.-J. DELAGE, SC 175, p. 180 sq.

    36. Apol. 11, 16 CUF p. 30).

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    14/139

    14

    JEAN-CLAUDE FREDOUILLE

    De ce latin biblique on a tenté récemment de dresser le catalogue des

    principales particularités syntaxiques (et lexicales)37. Mais il n'est pas rare que

    le caractère allogène de cette syntaxe du

    latin biblique soit dissous ou, en tout

    cas, atténué dans l'écriture des écrivains chrétiens, dans la mesure où la langue

    était préparée à l'accueillir,- faute de quoi, d'ailleurs, ces traductions seraient

    restées peu intelligibles

    Certains tours, étiquetés comme bibliques , étaient, en effet, quoique plus

    rarement attestés, déjà employés dans la langue, parfois la langue non

    littéraire, parfois la langue littéraire - archaïque ou plus récente

    - ,

    de sorte

    que ces tours ont trouvé,

    de

    ce fait, une nouvelle vitalité.

    Qu'il

    s'agisse de l'emploi de certaines prépositions, comme in abl. avec

    valeur instrumentale ou in + ace. avec valeur prédicative, du génitif de

    renchérissement, du génitif de

    qualité en

    fonction adjectivale, de la

    construction du complément du comparatif avec ab

    , du

    tour dico quod

    ,

    etc.

    Même le recours au fameux et biblique comme substitut de la subordination

    n'était pas sans antécédent dans la latinité38.

    Du reste parfois,

    i l conviendrait de dissocier, dans ces formulations, l'idée

    exprimée de son support syntaxique. Dans uanitas uanitatum

    ,

    ce qui est

    proprement biblique, ce n'est certainement pas le génitif, pas plus que dans

    odor suauitatis Gen.

    8, 21,

    etc. 39,

    au demeurant attesté, avec une construction

    très voisine (dans un tout autre contexte, cela va sans dire), chez Pline

    l'Ancien40.

    Si donc, compte tenu de quelques prudences et de quelques nuances, il est

    utile et même nécessaire de distinguer un latin biblique , l'une des difficultés

    de la langue des auteurs chrétiens et, plus généralement, de la langue dite

    tardive, et peut-être la principale difficulté, réside dans le

    fait

    que, tout en

    évoluant, elle a souvent maintenu les anciennes constructions syntaxiques. De

    sorte que la situation devant laquelle se trouvent ces écrivains est celle d'une

    potentialité plus développée de variantes concurrentes, dont les nuances et, par

    suite, les motivations du choix des écrivains, nous échappent souvent.

    On peut estimer que l'existence de ces variantes est un signe de décadence de

    la

    langue ; on peut tout aussi bien la considérer comme un enrichissement.

    Ainsi, pourquoi telle tournure, tel emploi, seraient-ils nécessairement un signe

    37. Cf.

    O. GARCfADELA

    FuENTE, Introducci6n

    al

    Latfn bîblico y cristiano, Madrid, 1990, p.

    81-144; ID., «Latfn bfblico y latin cristiano: coincidencias y discrepancias»,

    infra,

    p. 25-41.

    38. Cf. TLL s.u. et'', col. 895, 81 sq.; LHS, p. 482.

    39.

    Le

    génitif en fonction adjectivale se rencontre déjà dans la langue classique (cf.

    LHS

    p.64;

    E.T.

    Synt. lat.,

    p. 46

    §

    59

    . Odor suauitatis

    =

    oaµÎ\

    eùoootw;) alterne d'ail leurs avec

    suauis -issimus) odor dans les Vieilles latines et dans la Vulgate.

    40. Hist. nat. VI, 198 (éd. Mayhoff, p. 513) : destillante arboribus odore mirae suauitatis;

    XXXVII, 185

    Ibid. p.

    466) :

    lentescere odore magnae suauitatis.

    Dans ces deux passages, le

    génitif, accompagné conformément à l'usage classique

    d'un

    adjectif, est un génit if dit

    de

    qualité (mais le génitif de qualité non accompagné d'un adjectif est attesté à l'époque impériale,

    indépendamment de toute influence hébraïque [cf. LHS p. 70] et ne se distingue plus guère, dès

    lors, du génitif en fonction adjectivale).

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    15/139

    «LATIN CHRÉTIEN» OU «LATIN TARDIF»

    15

    de dégénérescence sous prétexte que, avec le recul de l'histoire, ils sont perçus

    comme des préromanismes ?

    Mais nous

    ne

    pouvons prendre que quelques exemples, extrêmement

    simples. Pour exprimer

    l idée

    de relation au moyen d un syntagme nominal, la

    préposition de abl. se maintient (on sait, du reste, l extension de ses

    emplois); mais elle est désormais concurrencée par

    circa

    acc.(attesté depuis

    Quintilien et Tacite) et par super abl.(attesté depuis Plaute, avec, chez

    Cicéron, une limitation de ses emplois au syntagme scribere super aliqua re).

    Sauf à vouloir percer les mystères de l écriture dans des contextes donnés,

    l'historien de la langue se contentera de constater que la fréquence de circa et

    super

    dans des emplois autres que le sens local est plus grande que

    par

    le passé

    et, peut-être, variable d un siècle à l'autre,

    d un

    auteur à l'autre.

    Lorsque la préposition absque se détache du syntagme ancien quasi figé

    absque me (te

    )

    esset (''en mon ton, absence , sans moi, sans toi ) pour

    acquérir

    son

    autonomie,

    l origine

    de cette autonomie est sans doute à

    rechercher dans la langue parlée, mais son attestation chez Fronton, Aulu Gelle

    ou Apulée, montre à l'évidence

    qu absque

    a changé entre-temps de niveau de

    langue et que l'infraction au bon usage d'hier est devenu la norme.

    Quand un écrivain tardif utilise à quelques lignes d intervalle l ablatif

    (instrumental) du gérondif

    et

    le participe accordé, nous ne sommes pas

    en

    mesure, en général, de préciser la différence de sens ou de valeur; mais cet

    emploi du gérondif

    en

    fonction participiale, rare chez Cicéron,

    s est

    ensuite

    répandu : nous observons, par exemple dans telle phrase de Tacite, la même

    alternance, la même variation41.

    Lorsque Philosophie s'adresse à Boèce pour lui rappeler que le caractère de

    Fortune est

    d être

    constante dans son inconstance même, elle lui dit: Tel

    est

    depuis toujours son comportement, telle est sa nature - Hi semper eius mores

    sunt, ista natura42. Ce

    changement

    de

    démonstratif

    (hic

    -

    iste), sans

    modification sémantique perceptible, doit être analysé, sous la plume de cet

    érudit styliste, non comme

    un

    trait de langue vulgaire, mais bien comme un

    effet de

    uariatio

    (lui-même suscité, peut-être,

    par

    des motifs subjectifs

    d'euphonie, d'eurythmie, ou autres); il est au demeurant attesté, par exemple,

    chez Frontin43 ou Apulée44.

    Dans certains cas plus complexes, quand deux ou plusieurs tours étaient

    devenus concurrents, il

    est

    vraisemblable que les auteurs avaient une

    conscience plus claire de leur histoire respective. Ainsi de dico prop. inf.

    alternant avec

    dico quod

    chez un grand écrivain: la première construction ne

    pouvait pas ne pas être sentie

    par

    lui comme plus classique , la seconde

    41. Ann. XV, 38, 3 (CUF p.

    165;

    E. T. Synt. lat., p. 267, § 279c).

    42.

    Consol.

    II,

    1

    10 (CCL 94, p. 18).

    43. Aqueducs, 89, 4 (CUF p. 43).

    44.

    De deo Socr.

    23, 174-175

    (CUF

    p. 44);

    Métam.

    I, 23, 3

    (CUF

    p.

    24): « ..

    de

    ista

    corporis speciosa habitudine deque

    hac

    uirginali prorsus uerecundia».

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    16/139

    16

    JEAN-CLAUDE FREDOUILLE

    comme plus moderne , mais l'une et l'autre comme appartenant désormais

    au

    même niveau de langue45.

    Nous n'avons pu évoquer que quelques exemples de micro-structures ou de

    micro-syntaxe. D'autres systèmes (comme celui des hypothétiques) exigeraient

    des analyses beaucoup plus approfondies. Les conclusions qui s'en dégageraient

    ne seraient pas, croyons-nous, divergentes.

    Pour

    s en

    tenir aux grands écrivains

    et

    réserver la situation de textes plus ou

    moins erratiques, en tout cas plus problématiques (tels ceux de Commodien ou

    de Lucifer de Cagliari) ou ne possédant pas un statut proprement littéraire (par

    exemple l l inéraire d Égérie), l serait donc judicieux de prendre en

    considération des notions étroitement associées, certes éclairantes pour

    n importe

    quel état de langue, mais dont

    l application

    au latin tardif

    permettrait de dissiper des malentendus : celles d'écart, de norme, de variation,

    de fréquence46, - à condition, une fois encore, de ne pas prendre pour

    référence

    l usage

    classique , encore moins

    ce

    que certaine philologie

    considère comme les règles du bon usage classique.

    Une langue évolue progressivement et insensiblement, jusqu au point

    critique qui fait basculer le système. En

    l absence

    d études

    et

    de

    dénombrements précis et exhaustifs qui permettraient de décrire objectivement

    les différents temps de la langue dite tardive (car l'état de la langue à l'époque

    de Boèce ne peut plus être exactement celui qu il était à l époque de

    Tertullien), la seule approche raisonnable serait de prendre pour point de

    départ - si flou et si mouvant que soit ce seuil - les faits de syntaxe observés

    chez les auteurs du ne s. En cela nous rejoignons les vues d'Einar Lofstedt, se

    bornant, avec une grande circonspection, à distinguer dans l'histoire du latin

    deux grandes périodes, dont la charnière se situe au ne siècle47.

    En effet, quand nous étudions de près la langue des auteurs de notre époque,

    une constatation s'impose, comme les quelques exemples cités plus haut

    permettent de nous

    en

    rendre compte: la plupart de leurs constructions non

    classiques sont déjà attestées chez Tacite, Fronton, et surtout Aulu-Gelle ou

    Apulée, dont on nous accordera qu'ils n'écrivaient pas une langue vulgaire.

    Mais ces constructions, qui après leur occultation pendant la parenthèse cicé

    ronienne remontent parfois à la période archaïque, se rencontrent chez nos

    auteurs avec une fréquence croissante. Les écarts par rapport aux règles anté

    rieures sont entrés désormais dans la norme; plus exactement, ils étendent ou

    45. Cf. J.-C. FREDOUILLE «Niveau de langue et niveau de style : note sur l'alternance A.c.I.

    / quod dans Cyprien, Ad Demetrianum», Mélanges J Fontaine,

    I

    Paris, 1992, p. 517-523.

    46.

    Sur

    ces notions, cf.

    par

    exemple A.

    BERRENDONNER M.

    LE GUERN G. PUECH Principes

    de

    grammaire polylectale

    Lyon, 1983, p. 9-28 ; P. GARDE,

    «Pour une méthode

    bisynchronique», La règle et l· exception (Cercle linguistique d'Aix-en-Provence, Travaux 6),

    Aix-en-Provence, 1988, p. 63-77 ; M.-J. REICHLER-BÉGUELIN «Faits déviants et

    tri

    des

    observables», Le traitement des données linguistiques non standard (Actes des rencontres

    Besançon-Neuchâtel, 29-30 janvier 1993), Neuchâtel, 1993, p. 89-112.

    47. Late latin, Oslo, 1959, p.

    1.

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    17/139

    «LATIN CHRÉTIEN»

    OU

    «LATIN

    TARDIF»

    17

    élargissent la norme. Car la norme ancienne ne devient pas pour autant ca

    duque. Les usages classiques ne sont pas frappés d'exclusion (volontairement

    ou involontairement). Ils se maintiennent souvent, coexistent à côté d'usages

    qui les concurrencent - tout

    au

    moins, nous le soulignons une nouvelle fois,

    dans la langue littéraire (et écrite) des grands écrivains. Et ces variantes dis

    ponibles, désormais offertes, leur permettaient d'insuffler un dynamisme nou

    veau à une figure de style souvent mise à l'honneur dans l'esthétique des écri

    vains à partir, précisément, du

    ne

    s.: la

    uariatio sermonis

    et

    l inconcinnitas.

    Les réflexions précédentes, certainement à la fois trop générales et

    partielles, ont laissé de côté un aspect essentiel de la langue des auteurs

    chrétiens: leur lexique. Car si ceux-ci ont contribué au renouvellement de la

    langue latine, c'est, par excellence, dans le domaine du vocabulaire48. Cet

    enrichissement a fait l'objet, depuis plus

    d un

    demi siècle, des travaux

    de

    l'École de Nimègue, dont l'apport à notre connaissance de la langue des

    auteurs chrétiens a été considérable, en dépit

    de

    certains excès classificatoires

    contestés.

    Ce vocabulaire chrétien est tributaire, pour une part,

    du

    grec chrétien ,

    mais, pour une autre part, il est original, endogène, tiré du fonds latin. D'une

    manière générale, pour désigner les institutions et les réalités concrètes du

    christianisme, les écrivains ont emprunté les termes grecs par transcription du

    signifiant

    (ecclesia, baptisma, episcopus,

    etc.); pour désigner les notions

    abstraites de la doctrine chrétienne, ils ont recouru à des calques morpho

    logiques

    (resurrectio

    en face d'

    civacrta.mç, reuelatio

    correspondant à ciitoKa-

    Àu\jflç, etc.); pour exprimer enfin les concepts scripturaires déjà transposés en

    grec, ils ont utilisé des calques sémantiques

    (/ides prenant le sens de mcrnç ,

    sa/us

    celui de crrotripia., etc.).

    Le recours à ces trois types

    de

    procédés n'était nullement, du reste, une

    innovation dans l'histoire

    du

    lexique latin. On les retrouve par exemple dans la

    constitution

    de

    son vocabulaire philosophique:

    philosophia

    est une création

    lexicale par transcription du signifiant,

    spectrum

    un calque morphologique

    d' ::i.oroÀov

    et

    sapiens

    a hérité du sens

    de

    cptÀocro j>aç .

    L'influence grecque est donc bien marquée dans le domaine du donné révélé

    entendu au sens large; en revanche, celui de la réflexion proprement dite et

    de

    la conceptualisation échappe largement à cet empire du grec. Comme avant eux

    Cicéron, Lucrèce ou Sénèque dans

    le

    cadre de la philosophie, les Pères latins

    ont utilisé et développé toutes les potentialités que leur offrait leur langue - la

    langue philosophique sans doute, mais aussi la langue courante

    (condicio,

    persona, regula,

    etc.). Ils ont ainsi créé un langage autonome, indépendant des

    modes de pensée et d'expression du monde grec. On sait le rôle joué par

    Tertullien dans cette entreprise

    de

    renouvellement, poursuivie

    au

    cours des

    48. Cf. J.-C.

    FREDOUILLE,

    «Langue philosophique et théologie d'expression latine (ne_iue

    siècles.)», a langue latine langue de la philosophie, Rome, 1992,

    p.

    187-199.

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    18/139

    18

    JEAN-CLAUDE FREDOUILLE

    siècles

    par

    ses successeurs49. Un Marius Victorinus ou

    un

    Boèce créeront

    même

    une

    sorte d'algèbre intellectuelle (J. Perret) dont hériteront les

    scolastiques et, au-delà, Descartes et Spinoza.

    Le vocabulaire contribue donc

    à

    donner aux textes chrétiens une

    physionomie propre. Mais ce vocabulaire n'évite pas pour autant la polysémie:

    de sorte que

    l'on

    retrouve dans ce domaine, sur

    un

    autre plan, une situation de

    concurrence

    et

    de variabilité, grosse d'effets de sens

    et

    de style. Il con

    viendrait, en effet, de distinguer à cet égard deux catégories de vocables, deux

    sous-ensembles lexicaux.

    D'une

    part, les termes qui sont des innovations lexicales (quel que soit leur

    mode de formation) forgées spécialement pour les besoins

    de

    la communauté

    chrétienne et de la réflexion théologique: ils sont généralement monosémiques

    ou tendent vers la monosémie

    baptisma, resurrectio, praefiguro,

    etc.).

    En

    revanche, les mots désignant des notions et des concepts qui préexistaient dans

    la langue voient souvent leur polysémie en quelque sorte accrue. Généralement

    monosémiques ou quasi monosémiques en contexte spécifiquement chrétien

    (mais i l y a des exceptions notoires: sacramentum par exemple), ils conservent

    le cas échéant, sous la plume des écrivains chrétiens, le

    ou

    les sens, anciens ou

    récents,

    qu'ils

    ont sous la plume des écrivains païens. Leur signification

    chrétienne n'évacue pas

    ipso facto

    la signification profane: ces termes ne sont

    pas univoques.

    Fides maintient toutes ses nuances antérieures ( loyauté , fidélité , bonne

    foi , etc.); saeculum continue à pouvoir signifier, (une) génération , (un)

    siècle ; oratio ne veut pas dire exclusivement prière ni pr edic tio

    homélie ;

    gloria

    désigne encore la renommée ou la gloriole des hommes;

    etc. Les auteurs chrétiens sont même parfois de bons témoins des fluctuations

    sémantiques du vocabulaire commun. Si gratia revêt une valeur nouvelle,

    théologique ( la faveur gratuite de Dieu pour l'homme et les effets de cette

    faveur ), avec des spécifications dérivées de ce sens fondamental, les chrétiens

    emploient également

    gratia

    avec ses significations traditionnelles, ou plus

    récentes (comme terme d'esthétique: charme'', agrément ); et si le sens

    socio-politique du mot ( influence , popularité ) se fait rare dans leurs écrits,

    cette exclusion sémantique ne leur est pas propre : on constate une égale rareté

    de ce sens chez les écrivains païens à la même époqueso.

    A vrai dire, plus qu'une terminologie propre ( théoriquement absente des

    textes païens) ou que les emplois spécifiques du lexique commun (théologiques,

    institutionnels, spirituels, exégétiques), - et plus que les hellénismes syntaxi

    ques ou sémitismes indirects

    -,

    l'élément qui, à première lecture, distingue

    un texte chrétien

    et

    lui confère son originalité est, le plus souvent, son tissu

    d'images, de métaphores et de symboles d'origine scripturaire.

    49. En dernier lieu, R

    BRAUN

    «Tertullien et le renouvellement

    du

    latin» (à paraître dans les

    Actes du Cinquantenaire

    des Sources chrétiennes ).

    50. c MOUSSY, GRAT/A

    et

    s

    famille,

    Paris, 1966, p. 376, 390, 477.

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    19/139

    «LATIN CHRÉTIEN» OU «LATIN TARDIF»

    19

    Prenons

    l

    début de

    la

    Lettre 15 que Jérôme écrivit

    en

    376

    au Pape Damase

    pour solliciter son avis sur la formulation du dogme trinitaire:

    «L'Orient, dont les peuples s'entrechoquent

    d une

    antique fureur, déchire en

    mille morceaux la tunique du Seigneur qui est d une seule pièce et tissée depuis le

    haut

    jusqu en

    bas: des renards dévastent la

    vigne

    du Christ; parmi les vasques

    abîmées qui sont

    à

    sec,

    l

    est malaisé de deviner

    peuvent être la source scellée et

    le jardin clos

    del

    Écriture. Aussi me suis-je décidé à consulter la chaire de Pierre et

    la

    foi qu'une bouche apostolique a louée: je sollicite à présent une nourriture pour

    mon âme, à l'endroit où jadis j ai reçu les vêtements du Christ» (trad. Labourt

    )51.

    Analysant ce passage qui contient peu de traits linguistiques spécifiquement

    chrétiens,

    R.

    Braun52 a bien montré comment

    un

    païen devait être déconcerté

    à

    sa lecture. Les souvenirs bibliques, les images et les expressions liées au

    christianisme et

    à

    l'interprétation mystique de

    l Ancien

    Testament lui

    confèrent, en effet, un caractère allogène quasi impénétrable à une mentalité

    peu instruite de la culture chrétienne.

    Cette phraséologie a fortement contribué à donner et entretenir le sentiment

    que le latin des chrétiens constituait un domaine

    à

    part confondant ainsi ce

    qui relève de la langue proprement dite et ce qui relève de l'expression d'une

    idéologie, d'une pensée, d'une institution.

    Ne rencontre-t-on pas d'ailleurs, mutatis mutandis, dans la littérature latine

    païenne même, au moins un cas de confusion comparable des deux domaines ?

    Nous pensons aux Métamorphoses d Apulée. L'inspiration

    du

    livre XI - le

    livre d'Isis - rompt manifestement avec celle des livres précédents, et cette

    différence se retrouve naturellement dans l'écriture, accordée

    à

    cette

    inspiration, avec en particulier son vocabulaire propre. Mais quoi que laissent

    penser parfois les études consacrées à ce roman, le livre XI ne rompt pas son

    unité linguistique et même stylistique. Si les païens étaient désorientés par la

    tonalité de beaucoup de textes chrétiens, l est permis de supposer qu un

    Romain fermé

    à

    cette forme de religiosité, voire de mysticisme, qui imprègne

    le livre XI, pouvait être presque aussi déconcerté par celle-ci ou, en tout cas, y

    être imperméable. Pourtant habile à manier

    le

    symbole et l'allégorie quand l

    lit Cicéron et Virgile, Macrobe se contente de rapprocher le roman d Apulée

    de celui de Pétrone, pour leur commun dessein d'amuser et de distraire53. Si

    donc, et

    a fortiori, beaucoup de textes chrétiens possèdent une tonalité -

    déconcertante ou, aussi bien, à l'inverse, séduisante - qui fait croire, à tort,

    que l on a affaire à une autre langue, il est, de toute manière, injustifié de

    procéder à des généralisations : pour ne rien dire de nombreuses pages

    d Augustin

    lui-même, on ne retrouve guère cette même étrangeté chez

    51. Lettre 15, l CUF

    p.

    45-46) : «Quoniam uetusto Oriens inter se populorum furore

    conlisus indiscissam Domini tunicam et desuper textam minutatim per frusta discerpit et Christi

    uineam exterminant uulpes ut, inter lacus contritos qui aquam non habent, difficile ubi fons

    signatus

    et

    hortus ille conclusus sit possit intellegi, ideo mihi cathedram Petri et fidem

    apostolico ore laudatam censui consulendam, inde nunc meae animae postulans cibum unde

    olim Christi uestimenta suscepi».

    52. Approches e Tertullien, Paris, 1992, p. 253 sq.

    53. Comm. Scip.

    I

    2, 8

    (éd.

    J.

    WILLIS, p.

    5).

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    20/139

    20

    JEAN-CLAUDE FREDOUILLE

    Minucius Felix, Arnobe, Lactance ou Boèce ; et des poètes comme Ausone ou

    Dracontius composent aussi bien des pièces païennes que des pièces

    chrétiennes, sans

    qu il

    soit possible de les distinguer

    d un point

    de vue

    strictement linguistique.

    Nous citions, plus haut, quelques lignes de Jérôme. A titre de contre

    exemple, en quelque sorte, nous voudrions proposer une comparaison entre

    deux pages sur le même thème - l une de Cicéron, la seconde de Novatien54:

    -Tusculanes I, 68-70 (trad. J. Humbert):

    «

    ...

    quand nous voyons

    l

    beauté resplendissante

    du

    ciel, ensuite la rapidité,

    si

    grande qu'elle dépasse notre entendement, de ses révolutions, puis l'alternance des

    jours

    et

    des nuits, le partage du temps en quatre saisons, dont le changement est

    combiné de façon à mener à maturité les récoltes

    et

    à maintenir l'équilibre de

    l'organisme, le soleil régulateur

    et

    guide de tous ces mouvements,

    la

    lune dont la

    lumière s'accroît et décroît comme

    pour

    marquer et signaler les jours du calendrier,

    puis les cinq planètes qui se déplacent avec rapidité

    sur

    un même cercle réparti en

    douze compartiments et fournissent invariablement la même carrière, bien que leurs

    mouvements soient inégaux, le cadre

    du

    ciel des nuits paré d'astres de toutes parts;

    quand nous voyons le globe de la terre dressé au-dessus de la mer, fixe au point

    central du monde entier, habitable et cultivé,

    ..

    le

    ciel briller les arbres se couvrir

    de

    feuillage la vigne enchanteresse épandre ses pampres les branches se courber

    sous le fardeau des fruits les guérets prodiguer les céréales tout fleurir les

    fontaines jaillir les près se tapisser de gazon .

    Quand nous voyons une multitude

    d'animaux, les uns faits pour nous nourrir, les autres pour cultiver nos champs,

    d'autres pour nous traîner, d'autres pour nous vêtir, et enfin l'homme lui-même

    dont

    la

    fonction, pour ainsi dire, est

    de

    contempler le ciel... tandis que les terres

    et

    les mers sont au service

    de

    ses besoins; quand, dis-je, on voit de ses yeux ces

    merveilles et mille autres spectacles semblables, peut-on douter de l'existence

    d un

    être dont la direction s'étend à touces choses et qui est...le créateur .. , tu ne vois

    pas Dieu, cependant .. tu reconnais Dieu à ses oeuvres»55.

    54. Les quelques coupures que nous avons opérées, à des fins pédagogiques , dans

    la

    traduction

    de

    ces deux passages, n'ôtent rien, pensons-nous, au caractère probant de la

    démonstration. Nous reproduisons d'ailleurs l'intégralité des textes originaux.

    55. UF p. 42-44 : «Vt

    cum

    uidemus speciem primum candoremque caeli,

    dein

    conuersionis celeritatem tantam quantam cogitare non possumus, tum uicissitudines dierum ac

    noctium commutationesque temporum quadrupertitas ad maturitatem frugum

    et ad

    temperationem corporum aptas eorumque omnium moderatorem et ducem solem lunamque

    adcretione

    et

    deminutione luminis quasi fastorum notantem et significantem dies, tum in eodem

    orbe in duodecim partes distributo quinque stellas ferri eosdem cursus constantissime seruantis

    disparibus inter se motibus nocturnamque caeli formam undique sideribus ornatam,

    tum

    globum terrae eminentem e mari, fixum in medio mundi uniuersi loco, duabus oris distantibus

    habitabilem et cultum, quarum altera quam nos incolimus,

    Sub

    xe

    posita ad ste/las septem unde horrifer

    Aquilonis stridor gelidas molitur niues a

    altera australis, ignota nobis, quam uocant Graeci

    àvnxeova,

    ceteras partis incultas, quod aut

    frigore rigeant aut urantur calore ; hic autem, ubi habitamus, non intermittit suo tempore

    Cae/um nitescere arboresfrondescere

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    21/139

    «LATIN

    CHRÉTIEN» OU «LATIN TARDIF»

    -

    De Trinitate

    1

    1-5:

    « ...

    Dieu ... créateur pleinement parfait de toutes choses .. a suspendu le ciel dans

    les hauteurs altières, a précipité et affermi la masse de la terre, a répandu les eaux et

    étendu les mers, et a réalisé toutes ces choses belles et abondantes, en les munissant

    d éléments propres

    et

    adaptés. En effet, dans le rmnament du ciel, il a fait surgir les

    levers lumineux du soleil, pour secourir la nuit

    l

    a fait grandir le globe brillant

    de la

    lune

    jusqu à

    sa plénitude au cours

    de

    phases mensuelles, il a illuminé aussi les

    rayons des étoiles qui brillent de leur scintillement. Et il a voulu que tous

    ces

    éléments parcourent la totalité du monde en suivant des orbites fixes, pour indiquer

    au genre humain jours, mois, années, signes zodiacaux, saisons

    et

    tout ce qui lui est

    utile. Sur

    la

    terre aussi il a soulevé dans les hauteurs les montagnes altières, creusé

    au fond les vallées, nivelé uniformément les plaines ;

    l

    a créé les troupeaux

    d animaux à l intention des hommes pour satisfaire leurs besoins variés; l a aussi

    donné leur robustesse aux chênes des forêts

    pour

    l usage des hommes, produit des

    fruits pour leur nourriture, ouvert les sources

    et

    empli les cours d eau. Après quoi,

    craignant de ne pas pourvoir au plaisir des yeux, l a tout revêtu de fleurs aux

    couleurs variées pour satisfaire le regard. Dans

    la

    mer aussi, quelque admirable

    qu elle fût par son étendue

    et

    son utilité, il façonna des créatures vivantes de toute

    espèce, de taille tantôt modérée, tantôt immense, témoignant par cette variété de

    créatures de l intelligence de leur auteur. Mais ce n était pas suffisant pour lui.

    Pour

    éviter que les eaux, dans leur cours mugissant, n empiètent sur un élément qui leur

    est étranger, au détriment de son possesseur humain,

    l

    les enferma dans les limites

    des rivages; ainsi quand les flots mugissants

    et l eau

    écumante, jaillissant des

    profondeurs, arriveraient, ils retourneraient en arrière, sans franchir les limites

    permises, respectant les règles fixées, afin que l homme observât d autant plus les

    lois divines, que même les éléments les respecteraient. Après quoi, il plaça aussi

    l homme

    à la tête du monde ..

    Il

    le dota de l intelligence,

    de la

    raison, de la

    prudence ..»56

    Vites /aetificae pampinis pubescere

    Rami bacarum ubertate

    incuruescere

    Segetes largirifruges fiorere omnia

    Fontes

    scatere herbis

    prata

    conuestirierb

    21

    tum multitudinem pecudum partim ad uescendum, partim ad cultus agrorum, partim ad

    uehendum, partim ad corpora uestienda, hominemque ipsum quasi contemplatorem caeli ac

    deorum cultorem atque hominis utilitati agros omnis et maria parentia - haec igitur et alia

    innumerabilia cum cernimus, possumusne dubitare, quin iis praesit aliquis uel effector, si haec

    nata sunt, ut Platoni uidetur, uel,

    si

    semper fuerunt, ut Aristoteli placet, moderator tanti operis

    et

    muneris Sic mentem hominis, quamuis

    eam

    non uideas, ut deum non uides, tamen, ut

    deum adgnoscis ex operibus eius, sic ex memoria rerum et inuentione et celeritate motus

    omnique pulchritudine uirtutis uim diuinam mentis adgnoscito».

    a. Accius, Philoctète ( W trag. 571). b. Ennius, Euménides ( W trag. 157).

    56. Éd. V. LOI (1975), p. 52-54 : « Regula exigit ueritatis, ut primo omnium credamus in

    Deum pattern et dominum omnipotentem,

    id

    est rerum omnium perfectissirnum conditorem : qui

    caelum alta sublimitate suspenderit, terram deiecta mole solidauerit, maria soluto liquore

    diffuderit, et haec omnia propriis et condignis instrumentis et ornata e t plena digesserit. Nam et

    in solidamento caeli luciferos solis ortus excitauit, lunae candentem globum ad solacium noctis

    mensurnis incrementis orbis impleuit, astrorum etiam radios uariis fulgoribus micantis lucis

    accendit. Et haec omnia legitimis meatibus circumire totum mundi ambitum uoluit, humano

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    22/139

    22 JEAN-CLAUDE FREDOUILLE

    Deux hymnes à la création donc, montrant, avec un égal enthousiasme, que

    la beauté du monde révèle l'existence de Dieu. Certes, la doctrine de la

    création est différente ici et là, même si l'influence stoïcienne cette page de

    Novatien est manifeste; la composition de celle-ci, dans la mesure où elle suit

    le récit de la Genèse est également plus systématique; sans doute, enfin, le

    texte de Novatien contient-il quelques "christianismes": par exemple, le

    syntagme credere n Deum , le verbe instituere , pour désigner l'acte créateur

    divin (encore que l'abondance de verbes expressifs pour suggérer les divers

    aspects de cette activité créatrice en atténue

    la

    spécificité). En revanche,

    certains tours syntaxiques s'expliquent par l'usage de la langue du

    mes.

    et sont,

    du reste, antérieurement attestés (ainsi l'emploi du participe futur accordé à

    valeur finale).

    En fait, du point

    de

    vue linguistique, la seule différence importante entre ces

    deux pages (que séparent trois siècles), dans la formulation des idées et la

    description de la beauté du monde, réside dans

    la

    construction de la phrase :

    dans le premier cas, plus périodique, bâtie sur la corrélation cum ..tum dans

    le second cas, oratoire également, mais

    d une

    éloquence plus linéaire,

    accordant la préférence à la coordination ou à la juxtaposition. Mais l n est

    guère douteux qu'un lecteur païen

    de

    Cicéron

    n ait

    été en mesure, cette fois, de

    comprendre et d'apprécier, sans difficulté aucune, cette page de Novatien:

    l

    n'aurait pas eu l'impression d'être projeté dans un autre univers intellectuel

    et

    linguistique. Lorsque le tissu scripturaire d un texte chrétien est absent ou

    discret, son étrangeté s'estompe ou même disparaît. Les faits de langue ne sont

    plus que ceux de son époque.

    Que conclure ou, plutôt, que retenir de ces réflexions? Par leur précision,

    les périodisations courtes, qui s'appuient, en réalité, sur la chronologie de

    l'histoire politique et institutionnellle, sont le plus souvent arbitraires

    et

    illusoires. Autant adopter, dans ces conditions, un découpage par siècles

    L idéal,

    sans doute inaccessible à vue humaine, consisterait à étudier

    l'évolution de domaines particuliers. En attendant, et sans méconnaître ni la

    generi dies, menses, annos, signa, tempora utilitatesque factura. In terris quoque altissimos

    montes n uerticem sustulit, ualles in ima deiecit, campos aequaliter strauit, animalium greges ad

    uarias hominum seruitutes utiliter instituit, siluarum quoque robora humanis usibus profutura

    solidauit, fruges in cibum elicuit, fontium ora reserauit et lapsuris fluminibus infudit. Post

    quae, ne non etiam ipsis quoque deliciis procurasset oculorum, uariis florum coloribus ad

    uoluptatem spectantium cuncta uestiuit. n ipso quoque mari, quamuis esset et magnitudine et

    utilitate mirabile, multimoda animalia nunc mediocris, nunc uasti corporis finxit, ingenium

    artificis de institutionis uarietate testantia. Quibus non contentus, ne forte fremitus et cursus

    aquarum

    cum

    dispendio possessoris humani alienum occuparet elementum, fines litoribus

    inclusit; quo cum fremens fluctus et ex alto sinu spumans unda uenisset, rursum in se rediret

    nec terminos concessos excederet seruans iura praescripta, ut diuinas leges tanto magis homo

    custodiret, quanto illas etiam elementa seruassent. Post quae hominem quoque mundo

    praeposuit, et quidem ad imaginem Dei factum : cui mentem et rationem indidit et prudentiam,

    ut Deum posset imitari. Cuius etsi corporis terrena primordia, caelestis tamen et diuini halitus

    inspirata substantia.»

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    23/139

    «LATIN CHRÉTIEN» OU «LATIN

    TARDIF»

    23

    relative stabilité du système latin ni son inévitable évolution, on placera un

    seuil approximatif au ne s de notre ère. L'une des caractéristiques de la langue

    à partir de cette époque et, à notre sens, la principale - est, en effet, l'abon

    dance des potentialités syntaxiques et lexicales, des variantes concurrentes,

    qu elle

    offre désormais aux écrivains

    et

    que ceux-ci utilisent avec une

    fréquence croissante, dans le respect

    d une

    norme élargie: cette situation

    linguistique leur permet des jeux de variation certainement plus nombreux

    et

    plus souples que

    par

    le passé,

    et

    suscite chez chaque auteur les effets

    stylistiques les plus divers, des plus traditionnels et des plus classiques aux plus

    baroques et aux plus maniérés. Faits

    d ordre

    linguistique, stylistique

    et

    esthétique,

    s interpénètrent:

    encore

    faut-il

    ne pas négliger cette

    interpénétration, en dépit des difficultés que présente son analyse.

    Les traductions de

    l

    Bible

    Vieilles latines, Vulgate,

    versions personnelles)

    constituant une catégorie à part, nos textes chrétiens sont, pour la majorité

    d'entre eux, des textes littéraires, offrant d'ailleurs comme tels assez peu de

    matière à l'étude des évolutions phonétiques et même morphologiques (la

    littérature écrite étant, en ces domaines, presque naturellement conservatrice).

    Les faits linguistiques doivent y être appréciés en fonction de ce caractère,

    c'est-à-dire en tenant compte de l'intentionnalité de l'auteur, du genre

    littéraire, des choix stylistiques et de leur contextualisation. Si les allusions ou

    les références, explicites ou implicites, à l'Écriture leur confèrent souvent une

    originalité propre, celle-ci n'autorise à parler d un

    "latin chrétien" ou

    d un

    "latin des chrétiens" que dans cette acception stricte et limitée.

    Quant au

    sermo humilis

    ou

    simplex,

    souvent revendiqué par les écrivains

    chrétiens comme un idéal accordé à l'expression de la Vérité, et qu'ils ont tout

    aussi souvent transgressé - délibérément même à partir de Lactance

    - ,

    l ne

    saurait être confondu avec le sermo uulgaris. Nos grands écrivains apparte

    naient, pour la plupart d'entre eux,

    à

    une élite intellectuelle, une élite très

    minoritaire. Mais ils savaient, d'instinct ou pour

    l avoir

    appris auprès des

    rhéteurs, que

    s il

    est nécessaire d'adapter son discours aux diverses catégories

    de lecteurs ou d'auditeurs, cette adaptation, quand on s'adresse au plus grand

    nombre, n'implique pas de le truffer de vulgarismes et d'incorrections; ils

    n'ignoraient pas que commettre intentionnellement une faute de grammaire,

    c'est, souvent, commettre une erreur

    de

    psychologie

    Jean-Claude FRE OUILLE

    Université Paris IV-Sorbonne

    Institut d'Études Augustiniennes

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    24/139

    Latfn bfblico

    y

    latin cristiano :

    coincidencias y discrepancias

    I

    -

    lNTRODUCCIÔN

    El

    tema general que voy a tratar aqufl tiene por objeto estudiar las relaciones

    entre el

    latin biblico

    y

    el latin cristiano.

    Se trata de saber si existe un latin

    bfblico como fen6meno lingüfstico especial

    en

    el marco del latfn tardio. Si

    existe, cual es su naturaleza y su influencia en

    el

    latfn cristiano, y cuales son, en

    definitiva, sus rasgos esenciales.

    El tema, evidentemente, implica aspectos discutibles. La Hamada escuela de

    Nimega ,

    por

    ejemplo, no distingue entre

    latin bfblico y latin cristiano. Y

    ademas, ni siquiera se plantea el problema de su posible diferencia. Para esta

    escuela,

    el

    latfn de las versiones bfblicas

    es

    un

    ingrediente mas del latin

    cristiano. Esta misma posici6n defienden otros investigadores de otras escuelas.

    Corno intentaré demostrar, esta postura va contra

    l

    antigua tradici6n cristiana

    sobre el latin bfblico, representada sobre todo por San Agustin y San Jer6nimo,

    y va en contra de los datos concretos. De hecho, el latfn bfblico constituye una

    entidad lingüfstica propia, que puede

    y

    debe estudiarse como algo propio

    y

    distinto del latfn cristiano. Y sus diferencias respecto al latin cristiano van desde

    el dominio sintactico hasta el dominio léxico

    y

    semantico, sin olvidar el dominio

    estilistico, tan novedoso para la mentalidad latina,

    y

    que refleja la mentalidad

    semftica de los autores de la Biblia.

    1

    Texto, refundido y retocado, de una conferencia pronunciada en la Universidad de la

    Sorbona (Paris) el 25-11-1993, encuadrada en el

    Séminaire d histoire du Christianisme et

    civilisation

    e

    l antiquité tardive.

    Aprovecho la ocasi6n para dar las gracias una vez mas al

    Cat. Prof. Jean-Claude Fredouille y a la Cat. Prof. Michèle Fruyt, que me concedieron

    el

    honor de hablar en la Sorbona.

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    25/139

    26

    OLEGARIO GARCIA

    DE

    LA FUENTE

    II

    CONCEPTO

    Y DEFINICIÔN DEL LA

    TÎN

    CRISTIANO

    No voy a ocuparrne aqui del viejo problema, ya superado, del latin cristiano

    como

    lengua especial.

    Es ésta una cuesti6n estéril, porque para decidir algo en

    favor o

    en

    contra, habrfa que ponerse de acuerdo en los elementos que

    constituyen una

    lengua especial y

    nadie lo ha hecho hasta ahora. Y o parto

    6nicamente del hecho de que el latin cristiano se consideraba como algo especial

    en el latin de la época. Era una variedad o modalidad del latin hablado y escrito,

    que no debfan comprender, o por lo menos no debfan comprender fâcilmente los

    contemporâneos paganos sin alguna explicaci6n previa.

    Para conforrnar esta tesis - que para mi es un hecho cierto - voy a citar

    in

    extenso

    el texto de una carta de San Jer6nimo

    al

    Papa Damaso, citado por R.

    Braun en un trabajo reciente sobre

    L influence de la Bible sur la langue latine2.

    Es un texto que considero muy apropiado para mostrar al mas escéptico la

    singularidad de la lengua latina llamada cristiana. El texto

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    26/139

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    27/139

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    28/139

    L TÎN BÎBLICO Y L TÎN CRISTJANO

    9

    No

    se insistirâ lo bastante sobre la importancia del

    latin biblico

    para explicar

    el

    latin cristiano.

    Esta importancia va hasta el

    punto

    de que el latin cristiano no

    tiene novedades con respecto al latfn profana de

    la

    época si se quitan las

    novedades aportadas por el latin biblico. Estas

    son

    realmente las que constituyen

    la verdadera novedad del latin cristiano. Pero no

    son

    novedades del latin

    cristiano en cuanto tal sino del latin biblico como lengua especial de traducci6n

    de unos textos semiticos y griegos éstos ultimos traducidos por autores

    semiticos.

    IV

    ELLATÏNBÎBLICO

    Esto que acabo de decir y que podrfa parecer

    una

    gran novedad es la

    ensefianza tradicional de los grandes escritores cristianos de la antigüedad

    Jer6nimo y Agustin que le

    han

    dado las denominaciones de

    consuetudo

    scripturarum mos scripturarum idioma scripturarum

    con las que se referian a

    la lengua de

    la

    Biblia latina como lengua distinta del latin clasico por una parte

    y de

    la

    lengua hablada pagana o cristiana por otra. Corno lo subrayan bien los

    dos grandes escritores mencionados las innovaciones que supone la lengua de la

    Biblia no se cifien al dominio léxico o semântico sino que se extienden también

    al dominio sintactico y estilistico como vamos a ver.

    4.1.- Novedades del latin biblico

    Las novedades que voy a sefialar se refieren evidentemente al

    latin biblico

    en

    relaci6n con el

    latin cristiano y

    no directamente al latîn biblico en relaci6n al

    latin clasico o profano en general aunque es claro que todos los datos siguientes

    suponen también novedades con respecto al latin profano sea clasico o tardfo.

    4 .1.1.

    -

    Campo sintactico

    Aunque algunas o varias de las caracterfsticas que voy a mencionar aquf

    pueden no ser especfficas del latin biblico y algunas incluso hayan podido ser

    preparadas

    por

    ciertos usos del latin arcaico o del latin popular o hayan podido

    ser innovaciones aisladas del latin clasico algunas de las cuales han podido

    pasar esporadicamente al latin cristiano

    en

    sentido estricto tomadas todas ellas

    en conjunto favorecidas sin duda por el influjo semîtico a través del griego dan

    al latin biblico un colorido especial extraordinariamente original y llamativo.

    4.1.1.1.- Jnfluencia semitica

    Sin pretender ser exhaustivo voy a dar ciertas caracteristicas del latin bîblico

    derivadas de las lenguas semfticas originales de

    la

    Biblia el hebreo y el

  • 8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996

    29/139

    30

    OLEGARIO GARCIA

    DE LA

    FUENTE

    arameo9. Estas caracteristicas se encuentran en

    el

    latin cristiano tinicamente bajo

    la fonna de citas biblicas, o en contextos muy concretos.

    1

    El genitivo superlativo del tipo vanitas vanitatum vanidad suprema . El

    latin cristiano lo toma

    de

    la BiblialO.

    2)

    El genitivo de cualidad en sustituci6n de un adjetivo, como odor suavitatis

    olor

    suave ll o virga virtutis tuae

    tu

    cetro poderoso , y no el cetro

    de

    tu

    poder 12 o el genitivo inverso como abundantia gaudii gozo abundante 13 o la

    metafora genealôgica como filius iniquitatis hombre malvado 14. El latin

    cristiano toma estos giros del latin bfblico.

    3)

    n

    con ablativo con valor instrumental15, como

    percutere in virga

    golpear

    con la vara ; in nomine Domini con

    el

    poder del Senor . Aqui hay un doble

    hebrafsmo,

    el

    in con

    el

    ablativo instrumental, y el sentido especial de nomen que

    designa la esencia de la persona, y, por derivaci6n, poder . La frase

    ha

    pasado

    a todas las lenguas romanicas y gennanicas a través de la Biblia y la liturgia. El

    latin cristiano toma este uso de la Biblia.

    4)

    In con acusativo con valor predicativo, como accipere in uxorem tomar

    por mujer, casarse 16.

    5)

    Varios empleos especiales de super a) en lugar de de murmurare super

    me

    munnurar de

    mi ; admirari super rem

    admirarse de una cosa ; b) en

    lugar de un comparativo: melior super me mejor que yo 17. El latin cristiano

    toma este giro ultimo de la Biblia.

    6) A con ablativo con valor comparativo, como minus ab angelis menos que

    los angeles I8. El latin cristiano toma este uso del latin bfblico.

    7)

    Afirmaci6n introducida

    por

    un juramento, como vivit Deus quia

    -

    expresi6n que se conserva literalmente en espafiol - vive Dios que' 19.

    8) Ut con valor causal después de una interrogaci6n, como quis sum ego ut

    vadam ad Pharaonem ?

    l

    quién soy yo para ir al Fara6n ?' 20.

    9. Remito de una manera general a O.

    GARCfA

    DE LA

    FUENTE,

    Latfn bfblico y lattn

    cristiano

    (2a

    ed. corregida y aumentada de la obra : lntroducci6n al lat[n bfblico y cristiano

    Ediciones Clâsicas, Madrid, 1990), Madrid, Ediciones CEES, 1994, 588 p. ; el tema se trata

    en las p. 170-268.

    10. lbid. p. 188 con ejemplos.

    11. lbid. p.177 con ejemplos.

    12. lbid. p. 178 con ejemplos.

    13. lbid. p. 178-179 con ejemplos.

    14. lbid. p. 179-180 con