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NUMÉRO 78 | MARS 2016 Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité Mogadiscio attire un trafic maritime de plus en plus important Il existe une tendance à l’Addisisation au sein du CPS L’UA ne peut pas être le gendarme Page 5 Page 11 Page 12 Dans ce numéro À l’ordre du jour Les réunions ouvertes du Conseil de paix et de sécurité (CPS) pour le mois de février ont porté sur les migrations, les ressources naturelles et le contrôle des armements. Ces réunions ouvertes sont-elles vraiment efficaces ? Analyse de situation La Somalie connaît des changements prometteurs et des milliers de visiteurs affluent dans le pays à bord de vols commerciaux. Pourtant, les attaques terroristes d’Al Shebab sont de plus en plus violentes. Vues d’Addis La volte-face des chefs d’État des pays membres du CPS concernant le déploiement d’une force militaire au Burundi a déclenché un nouveau débat sur le processus décisionnel au sein du CPS. Quels enseignements peut-on tirer de cette saga burundaise ? Entretien avec le CPS Le Rapport sur le CPS s’entretient avec le médiateur et ancien représentant de l’ONU pour le Burundi, Ahmedou Ould-Abdallah, du rôle de l’UA dans la résolution de conflits.

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Page 1: Rapport · sur le Conseil de paix et de ... en vue de promouvoir des politiques ... aussi l’impact des mouvements forcés de populations sur la paix et de la sécurité

Numéro 78 | mars 2016

Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité

“ “ “Mogadiscio attire un trafic maritime de plus en plus important 

Il existe une tendance à l’Addisisation au sein du CPS

L’UA ne peut pas être le gendarme

Page 5 Page 11 Page 12

Dans ce numéro

■ À l’ordre du jour Les réunions ouvertes du Conseil de paix et de

sécurité (CPS) pour le mois de février ont porté sur les

migrations, les ressources naturelles et le contrôle

des armements. Ces réunions ouvertes sont-elles

vraiment efficaces ?

■ Analyse de situation La Somalie connaît des changements prometteurs et

des milliers de visiteurs affluent dans le pays à bord de

vols commerciaux. Pourtant, les attaques terroristes

d’Al Shebab sont de plus en plus violentes.

■ Vues d’Addis La volte-face des chefs d’État des pays membres

du CPS concernant le déploiement d’une force

militaire au Burundi a déclenché un nouveau débat

sur le processus décisionnel au sein du CPS.

Quels enseignements peut-on tirer de cette saga

burundaise ?

■ Entretien avec le CPS

Le Rapport sur le CPS s’entretient avec le médiateur

et ancien représentant de l’ONU pour le Burundi,

Ahmedou Ould-Abdallah, du rôle de l’UA dans la

résolution de conflits.

Page 2: Rapport · sur le Conseil de paix et de ... en vue de promouvoir des politiques ... aussi l’impact des mouvements forcés de populations sur la paix et de la sécurité

2 RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité  •  WWW.issaFRiCa.oRG/psCRepoRt

RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité

Président actuel du CPS

S.E.M. Mass Axi Gye

Ambassadeur de la Gambie en

Éthiopie et auprès de l’UA

Les membres actuels du CPS sont :

l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Burundi,

l’Éthiopie, la Guinée équatoriale,

la Gambie, la Guinée, la Libye,

le Mozambique, la Namibie, le Niger,

le Nigeria, l’Ouganda, la Tanzanie et

le Tchad

À l’ordre du jourDiscussion sur les liens entre conflits et ressources naturelles

En février 2016, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) a tenu des réunions

ouvertes sur les migrations, les ressources naturelles et le contrôle des

armements. Ce type de réunions se trouve de temps à autre à l’ordre du

jour du Cps. Cependant, quels sont les impacts de ces séances ouvertes

sur les activités du Conseil ?

Une réunion ouverte est un événement assez rare lors duquel des acteurs extérieurs

peuvent interagir avec le CPS et contribuer à ses travaux dans des domaines

habituellement réservés aux États membres. Les récentes réunions qui ont porté sur

les migrations et les ressources naturelles illustrent l’interaction existant entre le CPS

et les organisations de la société civile ainsi que leurs partenaires internationaux.

Pourtant, force est de constater que ces séances ne laissent que peu de place à un

véritable dialogue.

La gestion transparente des ressources naturelles, un outil essentiel pour la prévention des conflitsLe 11 février 2016, le CPS a tenu une réunion sur le thème « Les ressources naturelles

et les conflits en Afrique ». Désiré Assogbavi, chef du bureau de liaison d’Oxfam

auprès de l’Union africaine (UA), a présenté un exposé soulignant le contraste

entre la richesse d’un continent doté de ressources naturelles telles que des terres

arables et des minéraux, et la pauvreté et les conflits qui le caractérisent. Si le lien

entre les ressources naturelles et les conflits n’a pas encore été pleinement accepté,

l’exposé en question a identifié de nombreux facteurs de conflits liés aux ressources

naturelles. Ces facteurs incluent la compétition pour le contrôle des ressources

naturelles, la corruption et la mauvaise gestion des revenus pétroliers et miniers et

le manque réel ou perçu d’avantages pour les communautés impliquées. Assogbavi

a lancé un appel pour la mise en place d’une réponse continentale sous la forme

d’une charte minière africaine. Il a insisté sur le fait que ce document devrait avoir

une portée contraignante et prévoir un cadre global pour la gestion des ressources

naturelles de l’Afrique.

Dans sa déclaration de presse publiée après la réunion, le CPS a relevé que « la

gestion équitable et démocratique des ressources naturelles est essentielle à la

prévention des conflits et à la promotion du développement durable en Afrique ».

Il a également demandé à la Commission de l’UA « d’intégrer la dimension de la

paix et de la sécurité des ressources naturelles dans ses politiques et programmes

existants pour la prévention des conflits, l’alerte rapide, ainsi que la gestion des

Assogbavi a lancé un appel pour la mise en place d’une réponse continentale sous la forme d’une charte minière africaine

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3Numéro 78  •  mars 2016

L’AfRIQUE EST DOTÉE DE

RESSOURCES NATURELLES

TELLES QUE DES TERRES

ARABLES ET DES MINÉRAUx

conflits et le maintien de la paix ». En ce qui concerne la suggestion de mettre en

place un cadre continental pour la gestion des ressources naturelles, le CPS n’a pas

retenu l’idée d’un instrument contraignant. Il a plutôt insisté sur le rôle des États dans

l’élaboration d’un « cadre juridique et réglementaire nécessaire, tel que demandé

par la VRMA [Vision du régime minier africain], en vue de promouvoir des politiques

des ressources naturelles qui contribuent à renforcer la cohésion nationale à travers

l’exploitation et la répartition justes et inclusives des ressources naturelles ». Le

Conseil a exhorté les partenaires internationaux et la Commission de l’UA à soutenir

les États membres dans cette démarche.

Le CPS favorable à une approche globale pour réduire la migration forcéeLors de la réunion ouverte dédiée à la thématique « La migration, la paix et la

sécurité en Afrique », laquelle s’est tenue le 16 février, Maureen Achieng, chef de

mission de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), et Gary Quince,

chef de la délégation de l’Union européenne (UE) auprès de l’UA, ont chacun

présenté un exposé sur la crise actuelle des migrants. Achieng a demandé au CPS

d’évaluer non seulement l’impact de la paix et de la sécurité sur les migrations, mais

aussi l’impact des mouvements forcés de populations sur la paix et de la sécurité.

Elle a identifié plusieurs défis, notamment l’élaboration d’une réponse efficace

aux mouvements actuels de migration forcée, la conciliation entre une régulation

efficace de la circulation des personnes et la libre circulation des personnes et des

biens, la recherche de cohésion dans les politiques nationales et la coopération

aux niveaux national, régional et mondial ainsi que la recherche de solutions

pour lutter contre le manque d’opportunités dans les pays sources et la difficile

intégration des migrants dans les pays d’accueil. Mme Achieng a proposé dans

sa présentation une solution clé, soit « la mise en place de politiques cohérentes

et interdépendantes qui tiennent pleinement compte des stratégies tant des pays

d’accueil que des pays sources ».

La pauvreté, les conflits et le manque d’opportunités jouent un rôle important dans la décision des individus et des groupes de migrer

Le CPS a souligné que « la pauvreté, les conflits et le manque d’opportunités

jouent un rôle important dans la décision des individus et de groupes de migrer ».

Il a également souligné le fait que les conflits sont l’une des principales causes de

la migration forcée et irrégulière, qui est elle-même une source de revenus pour

les passeurs, alors que les migrants sont des victimes potentielles des groupes

terroristes. Le Conseil a reconnu que les tendances actuelles concernant la migration

forcée pourraient contribuer à l’insécurité et à l’instabilité. Il a ainsi souligné que l’une

des priorités de l’Agenda 2063 est la création de « sociétés pacifiques inclusives [qui

représentent] le principal remède à l’immigration forcée et illégale ».

Cette réunion a permis de présenter les différents points de vue sur cette question-

clé du CPS et de certains partenaires de l’UA. Alors que la présentation de la

délégation de l’UE a porté sur les réponses immédiates à apporter face aux flux

migratoires actuels, elle a également reconnu que « [l]a crise des réfugiés ne se

terminera pas tant que ses causes profondes – l’instabilité, la guerre et le terrorisme,

y compris dans le voisinage immédiat de l’Europe – ne seront traitées de manière

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4 RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité  •  WWW.issaFRiCa.oRG/psCRepoRt

RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité

durable grâce à des efforts internationaux coordonnés et

à une action en partenariat ». Certains États membres de

l’UA tels que l’Algérie et le Tchad ont critiqué à demi-mot la

politique migratoire de l’UE qui, ont-ils estimé, repose trop sur

des réponses sécuritaires. Tout en reconnaissant l’impact de

la « migration forcée » sur la paix et la sécurité, de nombreux

États membres ont plaidé en faveur de réponses à ses causes

profondes telles que la pauvreté, le manque d’opportunités et

les problèmes de gouvernance.

Une opération de relations publiques sans grands résultats politiquesCompte tenu de ce qui précède, il est clair que le format

actuel des réunions ouvertes du CPS ne permet ni de

véritables échanges ni de débats entre les participants. Ces

séances commencent généralement par une introduction du

président en exercice du CPS et par une brève déclaration

du commissaire à la paix et à la sécurité ou du directeur

du département Paix et sécurité (DPS). S’ensuit l’allocution

principale donnée par un acteur externe. Du temps est

alors alloué aux membres du CPS et aux autres États

membres de l’UA pour réagir sur le sujet traité et ce n’est

qu’ensuite que les partenaires internationaux ont l’occasion

de partager leur opinion. Après ces interventions, les États

membres du CPS se réunissent à huis clos pour discuter

du contenu d’une déclaration de presse. Cette configuration

fait en sorte qu’il n’y a que peu d’échanges et de débats

réels entre le CPS et les autres acteurs. La plupart des

participants préfèrent présenter la position de leur institution

respective sur le thème traité plutôt que réagir aux propos de

l’orateur principal.

Cependant, contrairement à un communiqué de presse, ces

déclarations ne sont pas contraignantes pour le CPS, les

États membres ou la Commission de l’UA. Cette différence

cruciale peut expliquer pourquoi l’impact des acteurs

externes reste marginal.

L’opinion des acteurs extérieurs n’est entendue que sur des questions thématiquesSi les réunions ouvertes constituent une opportunité

d’interaction entre certains acteurs extérieurs pertinents et les

États membres, ces derniers restent les principaux décideurs.

Le fait que les séances ouvertes abordent des questions

thématiques pouvant sembler moins pertinentes que les

questions discutées quotidiennement par le CPS constitue

une autre limite à leur impact. Rares en effet sont les réunions

ouvertes traitant des dynamiques des crises en cours, comme

la Somalie ou le Burundi actuellement.

Dans cette perspective, une partie du défi pour le CPS réside

dans sa capacité à rendre ses débats plus accessibles au

public. Bien que le cœur du problème réside dans le fait que la

plupart des États africains sont centrés sur eux-mêmes et sont

souvent peu disposés à entendre les perspectives d’acteurs

extérieurs, une plus grande ouverture des réunions du CPS

pourrait constituer une première étape.

Selon un participant régulier à ces réunions ouvertes, « une

plus grande collaboration entre le CPS et les participants [aux

sessions ouvertes] aiderait le public en Afrique et au-delà à

mieux comprendre la valeur de cette institution. Une meilleure

compréhension du CPS et de ses faiblesses renforcerait le

soutien, tant dans les pays en question qu’en dehors, dont

bénéficient les opérations africaines de soutien à la paix et les

efforts plus larges en faveur de la sécurité collective ».

Dans cette perspective, certaines options pourraient être

envisagées pour améliorer l’impact des réunions ouvertes :

• Rendre l’allocution principale disponible avant la session

afin d’allouer plus de temps aux échanges entre les

participants;

• Convoquer des réunions ouvertes mensuelles sur les crises

et les conflits en cours lors desquelles le CPS effectuerait

une présentation des situations et de ses réponses;

• Permettre aux participants d’interroger les responsables de

l’UA sur les thématiques discutées;

• Inclure une disposition contraignante dans les déclarations

de presse requérant la Commission de l’UA d’effectuer

un suivi auprès du CPS et de ses partenaires sur une

base semestrielle.

Cette configuration fait en sorte qu’il n’y a que peu d’échanges et de débats réels entre le CPS et les autres acteurs

En conséquence, les réunions ouvertes pourraient être

vues comme des opérations de relations publiques lors

desquelles le CPS reconnaît la contribution des acteurs

extérieurs, alors que les ambassades peuvent démontrer

leur implication au sein de l’UA à leur capitale respective et

que les organisations de la société civile ont la possibilité

d’influencer le CPS.

L’impact politique de ces réunions est difficile à évaluer.

Contrairement aux réunions « normales » du CPS, les

réunions ouvertes donnent lieu à une déclaration de presse

reflétant les délibérations, et non à un communiqué de

presse. Cette manière de rapporter les débats peut fournir

des lignes directrices quant aux actions futures de l’UA.

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5Numéro 78  •  mars 2016

analyse de situationCombler les lacunes réglementaires en Somalie dans la lutte contre Al-Shebab

après 25 ans de conflits claniques, la somalie entrevoit enfin des

changements positifs. le pays était devenu un état failli après la chute, en

1991, du régime dictatorial de l’ancien président siad Barré. dans les années

qui ont suivi ce renversement, la dynamique du conflit avait changé de

manière importante. les insurrections motivées par des griefs avaient alors

cédé le pas à une économie de guerre et à une généralisation des pillages. la

violence s’était ensuite intensifiée avec l’émergence de groupes extrémistes

tels que l’union des tribunaux islamiques, groupe dont est issue al-shebab.

L’Institut d’études de sécurité (ISS) a effectué des visites de terrain dans la capitale

somalienne Mogadiscio début 2014 et fin 2015. Lors de sa seconde visite, l’ISS

a observé des différences notables laissant entrevoir un développement social et

économique dans le pays.

De nouveaux magasins avaient ouvert et des bâtiments avaient été construits et

rénovés. Les gens se déplaçaient librement, les voitures étaient à nouveau présentes

en grand nombre dans les rues et sur la plage se prélassaient de nombreuses

personnes. On pouvait voir des hommes en uniforme patrouillant les rues,

mitrailleuses au poing et avec des véhicules blindés.

1500LE NOMBRE DE VOyAGEURS ENTRANT

EN SOMALIE ChAQUE jOUR

Des sources locales ont affirmé à l’ISS que la vie nocturne et le climat social général se sont grandement améliorés

Des sources locales ont affirmé à l’ISS que la vie nocturne et le climat social général

se sont grandement améliorés. Une certaine effervescence régnait à l’aéroport

international Aden Adde de Mogadiscio avec le départ et l’arrivée de plusieurs

vols commerciaux intérieurs et internationaux. Selon une source, environ 1 500

voyageurs par jour transitent en moyenne par l’aéroport, la plupart appartenant à la

diaspora somalienne.

La chaîne Télévision centrale de Chine (CCTV) a rapporté que le port de Mogadiscio

« attire un trafic maritime de plus en plus important  ainsi qu’un nombre croissant

d’investisseurs étrangers », tandis que la chaîne kenyane de nouvelles KTN a

récemment décrit Mogadiscio comme étant « la toute nouvelle destination d’affaires

en Afrique de l’Est ».

Ces changements sont visibles non seulement à Mogadiscio, mais aussi dans

d’autres zones du pays, y compris à Kismayo, à Beletweyne et à Baidoa.

La situation sécuritaire s’est également améliorée dans le pays. L’envoyé des

Nations Unies, Nicholas Kay, a affirmé tout récemment que la Somalie était en

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6 RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité  •  WWW.issaFRiCa.oRG/psCRepoRt

RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité

convalescence : « La Somalie est enfin confrontée aux problèmes d’un pays en

devenir plutôt qu’aux problèmes d’un pays en déliquescence », s’est-il réjoui.

Le Premier ministre somalien, Omar Abdirashid Ali Sharmarke, a déclaré à la chaîne

CCTV Afrique qu’« après s’être sentis pendant 25 ans dans l’impossibilité de revenir

[en Somalie], les améliorations qu’a connues le pays ont redonné de l’espoir [aux

membres de la diaspora] et ils veulent revenir pour aider à refaire de la Somalie une

nation prospère ».

1,3milliard USD

MONTANT DES TRANSfERTS

D’ARGENT ENVOyÉS ChAQUE ANNÉE

EN SOMALIE PAR LA DIASPORA

Les améliorations qu’a connues le pays ont redonné de l’espoir aux membres de la diaspora

Cependant, les facteurs à l’origine de ces améliorations restent flous. Certains

analystes évoquent l’évolution du conflit entre sunnites et chiites dans le Golfe

persique, arguant que, selon divers rapports, la Somalie recevrait une aide financière

pour se joindre à la coalition militaire menée par l’Arabie Saoudite contre le groupe

chiite houthi au yémen.

La Somalie serait l’un des trois États d’Afrique de l’Est (avec le Soudan et l’Érythrée)

à s’être joints à cette coalition pour combattre au yémen. Le Soudan et l’Érythrée

auraient reçu plusieurs milliards de dollars pour faire partie de la coalition anti-

houthi et la Somalie pourrait avoir bénéficié d’une aide financière similaire

notamment pour permettre à la coalition d’utiliser son espace aérien, son territoire

et ses eaux territoriales. Par ailleurs, le gouvernement fédéral somalien (GfS) a

récemment décidé de rompre ses liens diplomatiques avec l’Iran, qui soutiendrait

les houthi.

D’autres analystes font un lien entre les améliorations observées dans le pays,

le système fédéral de gouvernement et les élections devant avoir lieu en 2016.

historiquement un État fédéral, la Somalie a renoué avec le fédéralisme en

approuvant la Constitution provisoire de 2012. Conformément au document Vision

2016, l’objectif est de fédéraliser entièrement le pays d’ici la fin du mandat du

gouvernement actuel.

Peu importe que l’amélioration de la situation soit causée par les facteurs

susmentionnés ou par d’autres éléments : les effets semblent encourageants.

Cependant, une certaine incertitude entoure la régulation de ces améliorations.

La Somalie ne dispose pas encore d’institutions publiques efficaces pour orienter

et réglementer les activités dans le pays. Dans un récent ouvrage intitulé The Real

Politics of the Horn of Africa, l’auteur Alex de Waal indique qu’« à aucun moment

de son histoire, depuis 1991, la vie politique somalienne n’a été gouvernée par

des institutions formelles; elle a toutefois été réglementée par des éléments de

consensus social ».

Selon de Waal, l’économie en Somalie est en grande partie basée sur les salaires

perçus à l’étranger (les transferts d’argent), le commerce et les services (en particulier

le secteur des télécommunications), trois éléments qui ne sont pas réglementés par

le GfS. Un rapport datant de 2013 analyse les effets de l’absence d’une banque

centrale efficace au pays depuis la chute du régime de Barré. Cette institution a

depuis été rétablie, mais elle ne fonctionne toujours pas de manière efficace. Les

institutions financières privées, lesquelles ne sont pas contrôlées par le GfS, sont

donc les principaux acteurs de l’économie. Beaucoup de ces institutions financières

opèrent selon un schéma calqué sur le système clanique qui prévaut en Somalie.

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7Numéro 78  •  mars 2016

Ce rapport de 2013, rédigé par Victor Owuor, a identifié les moyens utilisés par

les investisseurs pour importer des ressources – y compris l’argent – en Somalie.

La principale méthode utilisée est celle d’un système de transfert informel de

fonds appelé « hawala », qui fonctionne grâce à des institutions ou à des banques

spécialisées dans les transferts de fonds telles que Dababshiil, Amal Express,

Mustaqbal et Kaah Express.

Une fiche d’information officielle portant sur les transferts de fonds envoyés en

Somalie depuis le Royaume-Uni et publiée en mars 2015 estimait qu’au minimum 1,3

milliard USD est transféré chaque année par les membres de la diaspora somalienne.

Cette somme représente environ la moitié du revenu national brut de la Somalie et

80% des investissements au pays.

Ces transferts ne sont pas répertoriés et les transactions sont basées sur la

confiance. Un client dépose de l’argent dans une institution financière à l’étranger et

son destinataire reçoit l’argent d’un marchand en réseau en Somalie. Selon Owuor, le

système de hawala est « rentable, efficace, sans bureaucratie et fiable et pourtant il

ne laisse aucune trace papier ».

La Somalie ne dispose pas actuellement d’institutions ou de systèmes pour

permettre des protocoles financiers classiques, dans lesquels l’argent est accessible

via des banques ou des institutions financières établies, lesquelles sont à leur tour

contrôlées par une banque centrale par le biais de mécanismes établis. L’argent

circule principalement grâce aux systèmes de téléphonie mobile.

Une estimation fiable indique qu’au moins 70% des Somaliens ont accès à des

services de téléphonie mobile pouvant être utilisés pour les transferts d’argent. La

téléphonie mobile offre non seulement un moyen bon marché de communication,

mais elle sert aussi de bouée de sauvetage financière aux habitants. Selon le rapport

rédigé par Owuor, les individus peuvent transférer jusqu’à 1220 USD par transaction

à un autre utilisateur mobile, et ce même si le destinataire n’utilise pas le même

opérateur de téléphonie mobile.

70%LE POURCENTAGE DE SOMALIENS

AyANT UN TÉLÉPhONE PORTABLE

L’économie en Somalie est en grande partie basée sur les salaires percus à l’étranger, le commerce et les services

Considérant le manque de régulation des transactions et des flux financiers en

Somalie, il est facile de voir comment les extrémistes et d’autres criminels peuvent

exploiter ces lacunes. Les finances des groupes tels qu’Al-Shebab reposent sur

l’utilisation de systèmes de transfert d’argent non réglementés pour recevoir et

transférer leurs fonds. Certains affirment qu’Al-Shebab bénéficie d’un soutien

important parmi les membres de la diaspora et plusieurs s’entendent pour dire que la

structure bureaucratique d’Al-Shebab est encore plus profondément ancrée dans le

système clanique que l’appareil d’État somalien.

En un sens, les améliorations sociales et économiques que connaît la Somalie

pourraient avoir pour effet de renforcer les capacités financières et la base sociale

d’Al-Shebab. Afin de lutter contre cela, le GfS doit adopter de manière prioritaire

des mesures pour réglementer les changements observés. La Mission de l’Union

africaine en Somalie (AMISOM), dont le mandat est de prendre toutes les mesures

nécessaires pour réduire la menace posée par Al-Shebab et d’aider le GfS à établir

des structures efficaces et légitimes de gouvernance, pourrait également être mise à

contribution à cette fin.

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8 RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité  •  WWW.issaFRiCa.oRG/psCRepoRt

RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité

Vues d’AddisRétrospective : les enseignements politiques des efforts du Cps au Burundi

lors du sommet du Cps, qui s’est tenu le 29 janvier 2016 à addis-abeba,

les 15 chefs d’état et de gouvernement des pays membres du Cps ont

suspendu la décision prise par ce même organe un mois plus tôt de

déployer une force militaire au Burundi pour mettre fin à la détérioration

de la situation sécuritaire dans le pays. Cette décision a soulevé de

nombreuses questions. Certains enseignements sont également à tirer

concernant le processus décisionnel au sein du Cps. de toute évidence,

les chefs d’état de l’ua ne sont pas prêts à intervenir dans un état

membre sans le consentement de celui-ci.

Que s’est-il passé entre la décision de décembre 2015 prise par les ambassadeurs

de l’UA d’envoyer une force militaire au Burundi et la suspension un mois plus tard de

ce déploiement par les chefs d’État du CPS ? La décision initiale n’avait-elle pas été

mûrement réfléchie ? Les ambassadeurs du CPS savaient-ils si les chefs d’État de

l’UA étaient prêts à aller de l’avant avec cette décision, même sans le consentement

de Bujumbura ? Et que doit-on désormais penser de l’utilisation de mesures

drastiques, telles que l’article 4 (h) de l’Acte constitutif de l’UA, pour intervenir dans un

État membre ?

La délégation de haut niveau s’est rendue au Burundi le 26 février et aucune mention n’a été faite de la MAPROBU

Bien que le CPS ait appelé le 17 décembre 2015 au déploiement de la Mission

africaine de prévention et de protection au Burundi (MAPROBU), et ce sans le

consentement du gouvernement hôte, les chefs d’État ont fait machine arrière face à

cette décision audacieuse. Le communiqué publié par le CPS, après deux semaines

de négociations à l’UA, inclut les décisions suivantes :

• « [N]e pas déployer la MAPROBU, considérant que l’envoi d’une telle force au

Burundi est prématuré et qu’il convient de privilégier le dialogue politique inclusif

sous les auspices du président de la République de l’Ouganda ».

• «[D]épêcher une délégation de très haut niveau de l’UA au Burundi, pour

rencontrer les plus hautes autorités de la République du Burundi ».

Le sort de la MAPROBU reste incertain. Le communiqué de presse annonçant

la composition de la délégation de haut niveau (les présidents de la Mauritanie,

du Sénégal, du Gabon et de l’Afrique du Sud, et le Premier ministre de l’Éthiopie)

indique que le mandat de cette dernière est « de consulter le gouvernement, ainsi

que d’autres acteurs burundais, sur le dialogue inclusif et le déploiement de la

MAPROBULA MISSION AfRICAINE

DE PRÉVENTION ET DE

PROTECTION AU BURUNDI

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9Numéro 78  •  mars 2016

Mission africaine de prévention et de protection au Burundi (MAPROBU), si elle est

acceptée par le gouvernement du Burundi ». La délégation de haut niveau s’est

rendue au Burundi le 26 février et aucune mention n’a été faite de la MAPROBU.

Une mission de terrain des membres du CPS, prévue du 20 au 22 février, a

été annulée.

Un retrait tactiqueOutre l’envoi d’une délégation de haut niveau, la seule autre tâche de l’UA est d’aider la

Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) concernant le dialogue interburundais et de rallier

le soutien de la communauté internationale en faveur de cette initiative. Cette nouvelle

position est en rupture avec celle adoptée ces derniers mois lorsque l’UA avait assumé

le leadership en faveur d’une action internationale plus ferme au Burundi, avec entre

autres le déploiement d’un envoyé spécial du président de la Commission de l’UA et

l’envoi d’une équipe d’observateurs des droits de l’homme et d’experts militaires.

Cette nouvelle position est en rupture avec celle adoptée ces derniers mois lorsque l’UA avait assumé le leadership

Malgré la confusion entourant les actions de l’UA dans le dossier burundais, plusieurs

enseignements peuvent être tirés de cet épisode. Cette crise a mis à l’épreuve divers

principes et instruments de l’architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS). Le

dernier sommet du CPS a mis en évidence quatre défis : la mise en œuvre de l’article

4 (h); le principe de subsidiarité; le processus décisionnel au sein du CPS; et la lutte

entre les intérêts continentaux et les préférences nationales.

Article 4(h) : le glas de l’effet dissuasifDepuis la création de l’UA, l’article 4(h) a été considéré comme l’illustration de la

rupture entre la nouvelle organisation continentale et l’Organisation de l’unité africaine

et sa tradition de non-intervention, y compris dans des situations telles que celle

du Rwanda en 1994. L’invocation indirecte de l’article 4(h) a contribué à la nature

spécifique de la décision de décembre du CPS. En mettant le CPS au pied du mur

et en ralliant assez de chefs d’État hésitants, le gouvernement burundais a mis à nu

les défis de la mise en œuvre de cet article. Tel que l’a déclaré l’Institut d’études de

sécurité, le déploiement d’une force de maintien de la paix sans le consentement du

gouvernement hôte soulevait plus de questions qu’il n’apportait de réponses.

Pour de nombreux chefs d’État, ce projet de déploiement constituait une ligne

rouge parce qu’il était assimilé à un changement de régime. En outre, la situation

au Burundi n’était pas considérée comme étant aussi grave qu’en Somalie, en

Libye ou au Soudan du Sud. À cet égard, il est possible d’avancer l’idée que la

décision adoptée le 17 décembre par le CPS comportait une contradiction. Même

si le document faisait référence à l’article 4(h) pour imposer le déploiement de la

MAPROBU, la force militaire en question avait un mandat préventif correspondant au

scénario 4 de la force africaine en attente plutôt qu’au scénario 6, lequel est conçu

pour mettre fin à un génocide et à des crimes contre l’humanité.

Outre ces éléments circonstanciels, de nombreuses questions ont été soulevées

au cours du sommet du CPS sur les conséquences d’un déploiement sans le

consentement du gouvernement hôte. Comment est-il possible d’intervenir dans un

pays où le gouvernement en place a encore une large base politique ? Ses partisans

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10 RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité  •  WWW.issaFRiCa.oRG/psCRepoRt

RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité

17 décembre

2015LE CPS DÉCIDE DE DÉPLOyER UNE

fORCE MILITAIRE AU BURUNDI

doivent-ils être considérés comme des ennemis de la paix et de la sécurité ?

Comment peut-on assurer la sécurité de l’opposition pendant le déploiement ? La

suspension de la MAPROBU est l’occasion parfaite pour réfléchir aux modalités

d’application de l’article 4(h). Il semble que la plupart des chefs d’État considèrent cet

article comme un élément dissuasif et un outil de dernier recours. En l’absence de

consensus quant à la gravité de la situation au Burundi, l’invocation de l’article 4(h) n’a

donc pas été considérée comme crédible.

Les limites de la subsidiaritéAu fil des ans, certains mécanismes régionaux (MR) ont joué un rôle de premier plan

dans la gestion des crises secouant le continent. Le problème avec cette approche

réside dans la proximité des mécanismes régionaux avec les théâtres de conflits :

cette proximité renforce la légitimité des interventions des mécanismes régionaux,

mais elle rend aussi ceux-ci plus méfiants face aux dynamiques des conflits. Par

conséquent, l’UA se voit forcée de soutenir des efforts régionaux visant à résoudre

différentes crises. Au Burundi, la subsidiarité n’a donné que de maigres résultats. Les

dirigeants de la CAE n’ont pas été en mesure de suspendre le processus électoral qui

a mené aux élections présidentielles si controversées l’année dernière.

La médiation menée par le président ougandais n’a pas abouti à un dialogue inclusif

Par ailleurs, la médiation menée par le président ougandais n’a pas abouti à un

dialogue inclusif entre les parties. Lors d’une retraite à Abuja l’année dernière, le CPS et

les communautés économiques régionales (CER) ont décidé que « [d]ans les cas où les

CER/ MR concernés n’ont pas une approche commune quant à la manière de régler

la situation en question, la responsabilité de rétablir la paix revient au CPS ». Cette

approche ne tient pas compte de la possibilité qu’un organisme régional échoue dans

ses efforts. Dans un tel contexte, l’UA n’a pas la possibilité de reprendre en charge

le processus de médiation sans renier le principe de subsidiarité. De plus, le facteur

de proximité – qui soi-disant constitue un atout – peut devenir un désavantage. Par

exemple, le déploiement hypothétique d’un contingent rwandais dans le cadre de la

MAPROBU aurait été très controversé en raison des tensions entre Bujumbura et Kigali.

Le processus décisionnel au sein du CPS : consensus ou unanimité

Traditionnellement, le fonctionnement du CPS repose sur une prise de décision

consensuelle. Le principe sur lequel est basée cette méthode est celui de la

préséance de l’intérêt continental par rapport aux calculs plus étroits de politique

étrangère des pays membres. Ainsi, toute hésitation de la part d’un État membre

entrave la prise de décision au sein du CPS. Les réserves émises publiquement par

la Tanzanie au sujet de la décision adoptée en décembre ont ainsi préparé le terrain

pour la suspension de la MAPROBU un mois plus tard.

D’une certaine manière, la pratique du consensus au sein du CPS tend plus vers celle

de l’unanimité. Dans cette perspective, une voix discordante est plus susceptible

d’être entendue qu’un acquiescement. Au cours des derniers mois, ceux opposés

ou réticents au déploiement de la MAPROBU se sont fait plus entendre que ceux en

faveur. D’où la question de savoir si le CPS devrait voter plus régulièrement. En effet,

l’état actuel des choses au CPS – qui est caractérisé par une dépendance excessive

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11Numéro 78  •  mars 2016

au consensus – dilue la responsabilité des pays pour des

décisions souvent motivées par des préoccupations qui sont,

elles, bel et bien d’ordre national. Passer au vote de manière

plus fréquente accroîtrait la responsabilité des États membres

par rapport à leurs décisions prises au niveau continental.

Un tel changement permettrait également de réduire le

phénomène de volte-face des États membres.

Une tentative de faire prévaloir les intérêts du continent plutôt que les préférences nationalesLa suspension de la MAPROBU par les chefs d’État pourrait

s’expliquer par une tendance à l’« Addisisation ». Ce que nous

appelons l’« Addisisation » est le phénomène qui fait en sorte

que les décisions prises au niveau de l’UA à Addis-Abeba

tendent de plus en plus à défendre les intérêts continentaux –

définis par les valeurs incluses dans l’Acte constitutif de l’Union

africaine et la Charte africaine de la démocratie, des élections

et de la gouvernance – plutôt que les préférences nationales.

les capitales et leurs représentants diplomatiques auprès de

l’UA. Bien que la décision adoptée le 17 décembre reflétait un

consensus entre les États membres à Addis-Abeba, elle ne

faisait pas consensus dans de nombreuses capitales. À Addis-

Abeba, la création d’une mission de prévention représentait

une étape logique après avoir dépêché un envoyé spécial et

déployé une équipe d’experts militaires et d’observateurs des

droits de l’homme alors même que la situation au Burundi se

détériorait début décembre.

D’une certaine façon, la décision a été prise pour des raisons

techniques et les aspects politiques ont été sous-estimés.

À cet égard, suite à l’adoption de la décision du CPS, le

commissaire Smaïl Chergui soulignait que l’objectif de la force

était de protéger la population burundaise, minimisant ainsi

les implications politiques. Cependant, ces considérations

ont prévalu dans la manière dont de nombreuses capitales

ont perçu un déploiement hypothétique au Burundi sans le

consentement du gouvernement.

Il est important de se rappeler que ces facteurs (l’existence

d’une communauté normative et le fait que chaque crise

soit vue comme une opportunité) jouent aussi un rôle dans

l’opérationnalisation de la politique de sécurité et de défense

de l’Union européenne (UE) et qu’ils ont donné lieu à des

interventions militaires en République démocratique du Congo

et au Tchad.

Cela ne pouvait toutefois pas se produire à l’UA pour deux

raisons. La première réside dans l’exigence de l’unanimité

dans les décisions prises par le CPS. Dans le cas de l’UE,

la réticence de l’Allemagne n’a pas empêché le déploiement

d’une force au Tchad et en République centrafricaine en

2008, puisque de nombreux pays y étaient en faveur. À l’UA,

l’hésitation de certains chefs d’État a conduit à la suspension

de la MAPROBU.

La deuxième raison porte sur la régionalisation de la

force africaine en attente, qui constitue une contrainte

supplémentaire dans une situation où il n’y a pas de

consensus entre les États membres. Les désaccords entre

les États de la CAE rendent le déploiement d’une force peu

probable sans le consentement du Burundi. Si la Capacité

africaine de réponse immédiate aux crises avait été le

concept dominant de l’AAPS, une telle option aurait été

plausible, car elle repose sur des contributions volontaires

et sur le principe d’une nation-chef de file dotée d’une forte

volonté d’intervenir.

La suspension de la MAPROBU par les chefs d’État pourrait s’expliquer par une tendance à l’ « Addisisation »

Le processus de prise de décision au sein du CPS contribue

à cette tendance. Le département Paix et Sécurité a la

prééminence dans l’élaboration de solutions aux crises,

alors que les représentants nationaux ne disposent pas des

ressources institutionnelles et humaines pour remplir ce rôle.

Même si les décisions rédigées sont modifiées par les États

membres, la Commission de l’UA encadre les débats et

choisit les options politiques en conformité avec les intérêts

continentaux susmentionnés. Les liens sociaux qui existent

entre les responsables de l’UA et les membres des délégations

contribuent à créer une communauté très unie partageant

le même ensemble de croyances et de valeurs et la même

conception des instruments nécessaires pour faire face aux

crises qui secouent le continent.

En outre, étant donné que cette soi-disant communauté se

considère investie d’une mission, chaque crise est vue comme

une occasion de renforcer l’AAPS. Cette tendance est encore

plus visible depuis que les organisations régionales contestent

toute prééminence de l’UA dans la résolution des crises sur

le continent.

Le fossé entre les capitales et les diplomates à AddisLa tendance à l’« Addisisation » peut expliquer le fossé observé

au cours des deux derniers mois au sujet du Burundi entre

La régionalisation de la Force africaine en attente constitue une autre contrainte

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12 RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité  •  WWW.issaFRiCa.oRG/psCRepoRt

RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité

Entretien avec le CPS« nous demandons trop à l’ua »

Le médiateur mauritanien chevronné Ahmedou Ould-Abdallah a été

le représentant spécial de l’Organisation des Nations unies (ONU) au

Burundi (au début des années 1990), au soudan et en somalie. il a

également dirigé le Bureau des nations unies pour l’afrique de l’ouest.

le Rapport sur le Cps lui a demandé dans quelle mesure l’union

africaine (ua) parvenait selon lui à lutter contre les conflits en afrique.

Il y a un certain nombre de conflits sur le continent dans lesquels l’UA tente d’intervenir. Est-ce que l’UA a les capacités pour résoudre ces conflits ?Le principal problème est le suivant : bien que l’UA ait de très bonnes intentions

pour résoudre les conflits, elle n’a pas les capacités pour le faire. C’est ce à quoi

nous faisons face au Burundi, par exemple. À mon avis, nous parlons beaucoup

de prévention [des conflits], mais cela est plus facile à dire qu’à faire. Pour prévenir

un conflit, vous devez avoir une forte autorité morale et les capacités matérielles et

financières. L’exemple du Burundi est flagrant, car il s’agit d’un problème ancien.

j’étais représentant au Burundi lors des accords de 1994, qui ont abouti à l’Accord

d’Arusha de 2005. Mais pour que les pays mettent en œuvre ces accords, il faut un

gendarme. Sinon cela ne fonctionne pas.

Nous parlons beaucoup de prévention [des conflits], mais cela est plus facile à dire qu’à faire

L’UA peut-elle jouer ce rôle de gendarme ?L’UA ne peut pas résoudre ce problème [au Burundi], de la même manière que

l’Union des nations sud-américaines n’est pas en mesure de résoudre les problèmes

en Amérique latine, comme en Colombie, par exemple. La Ligue arabe ne peut pas

non plus résoudre les problèmes entre les pays arabes. Nous demandons à l’UA

de faire des choses qui ne correspondent pas à la réalité mondiale. Nous avons

donné à l’UA un mandat et des responsabilités qui n’existent pas dans les relations

internationales. Ce que je dis est très sérieux.

L’UA ne peut résoudre ces problèmes, en partie parce qu’elle n’en a pas les

capacités matérielles et financières – l’organisation a certes la capacité morale,

ce qui est bon –, mais il est nécessaire de trouver un moyen de renforcer ces

capacités. Toutefois, l’UA ne peut pas jouer le rôle de gendarme, car elle n’a pas les

moyens de le faire.

Chaque fois qu’un conflit émerge, nous voyons une multitude d’envoyés spéciaux de l’ONU, l’Union africaine, des organisations régionales. Il y a aussi le Groupe des Sages de l’UA. Quelle est l’efficacité de ces émissaires?

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13Numéro 78  •  mars 2016

La médiation est devenue un problème, mais ce n’est pas

la faute de l’UA. Il y a une multitude d’acteurs externes dans

tous les conflits – certains sont indépendants et d’autres

représentent des gouvernements et des organisations. Cette

prolifération des acteurs est devenue si grave que nous avons

besoin d’un médiateur pour servir d’intermédiaire entre les

médiateurs. Mais il y a aussi un avantage à cela, car chacun de

ces acteurs apporte sa propre sensibilité, sa propre approche.

Cela reste toutefois un problème qui doit être réglé.

L’un des effets pervers de ces sanctions est que lorsqu’un

dirigeant arrive au pouvoir à travers des élections truquées,

vous lui dites : vous êtes en sécurité, quoiqu’il arrive, il n’y aura

pas de coup d’État parce que dans ce cas nous imposerons

des sanctions. Il s’agit d’un bon principe, mais les sanctions

doivent être imposées en cas de coup d’État contre un

gouvernement qui a été élu de manière libre et honnête. Mais

quand vous volez une élection et que les gens disent que vous

pouvez continuer à gouverner, ce n’est pas bien. La position de

l’UA est bonne, mais elle doit être nuancée.

Plusieurs affirment que la nature des conflits en Afrique a changé et qu’une nouvelle approche est nécessaire. Qu’en pensez-vous ?Chaque région, chaque pays fait face à des problèmes qui lui

sont propres mais il ne faut pas pousser cette logique trop loin

et faire de l’Afrique un cas à part. Les Africains, tout comme

les habitants des autres continents, se défendent lorsque

leurs intérêts vitaux, matériels, spirituels, moraux ou politiques

sont menacés. Ensuite, certains politiciens irresponsables et

populistes exploitent ces mêmes considérations politiques

et ethniques. Et certains présidents n’ayant pas de vision

pour leur pays font la même chose afin de marginaliser des

régions ou des communautés. La nature des conflits est la

même partout. En fait, le conflit fait partie intégrante de la vie

quotidienne. Seuls les conflits violents et sanglants ne font pas

partie de la vie.

Nous avons désormais besoin d’un médiateur pour servir d’intermédiaire entre les médiateurs

En ce qui concerne l’intervention dans les conflits, il semble que ce soit les organisations régionales qui ont le dernier mot, comme nous le voyons au Burundi. Cette manière de faire est-elle efficace?La question des relations entre l’UA et les organisations

régionales est très complexe. Prenons le cas du Burkina faso.

Il était très difficile pour la CÉDÉAO [Communauté économique

des États de l’Afrique de l’Ouest], une organisation très

respectée, d’intervenir. En fin de compte, la population et

l’armée ont fait front commun pour résoudre le problème. La

Communauté d’Afrique de l’Est, dont le Burundi est membre,

a une vaste expertise, mais nous revenons toujours au

même problème, à savoir les intérêts nationaux des États : la

Tanzanie, le Rwanda, l’Ouganda et d’autres.

Y a-t-il actuellement un pays africain qui possède une autorité morale et des moyens suffisants pour intervenir avec succès dans les conflits ?

Les pays voisins peuvent jouer un rôle important, mais

le problème est qu’au sein de nombreux pays africains,

l’intégration est loin d’être satisfaisante. Il est donc difficile de

donner des leçons de morale et d’éthique alors que vous avez

des problèmes dans votre propre pays. Vous devez donner

l’exemple. Il doit y avoir un modèle reconnu par tous. Entre

le désir [de faire la paix] et la capacité à y parvenir, il y a un

écart énorme.

La question des sanctions vient à l’esprit. L’UA fait un bon

travail et elle cherche des moyens de convaincre les pays à

faire les bonnes choses, sans avoir recours à des sanctions.

L’UA impose des sanctions contre les régimes mis en place par un coup d’État. Cette manière de faire est-elle efficace ?

Certains politiciens irresponsables et populistes exploitent ces considérations politiques et ethniques

La spécificité en ce qui concerne l’Afrique réside dans le niveau

d’exclusion. Quand un groupe prend le pouvoir, il ne veut

tout simplement pas le partager ou bien appliquer les règles

qu’il a contribué à forger. D’autre part, il ne contribue pas au

développement du pays. Le pays reste pauvre, donc il n’y a

pas assez de richesse pour tout le monde. En outre, l’explosion

démographique en Afrique est une bombe à retardement. je

sais que certains disent que cela pourrait être un avantage

pour l’Afrique, mais cela reste quelque chose que nous ne

pouvons pas contrôler.

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À propos de l’ISSL’Institut d’Études de Sécurité est une organisation africaine œuvrant au

renforcement de la sécurité humaine sur le continent. Elle effectue de la

recherche indépendante et reconnue, fournit des analyses et conseils sur

les politiques provenant d’experts, tout en menant des formations pratiques

et de l’assistance technique.

Les personnes qui ont contribué à ce numéroyann Bedzigui, Chercheur, ISS Addis Abeba

Liesl Louw-Vaudran, Consultante

Meressa Kahsu, Chercheur et coordonnateur de la formation, ISS Addis Abeba

Damien Larramendy, Traducteur

Anne-Claire Gayet, Réviseure

ContactLiesl Louw-Vaudran

Consultante

ISS Pretoria

Email: [email protected]

Les bailleurs de fonds

Ce rapport est publié grâce au soutien de la Confédération suisse, du

Grand-Duché de Luxembourg, du gouvernement de Nouvelle-Zélande

et du hanns Seidel Stiftung. L’ ISS souhaite également remercier pour

leur appui les membres suivants de son forum des partenaires: les

gouvernements de l’Australie, du Canada, du Danemark, des États-Unis,

de la finlande, du japon, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.