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HAL Id: hal-03247092 https://hal.univ-reunion.fr/hal-03247092 Submitted on 2 Jun 2021 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entiïŹc research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinĂ©e au dĂ©pĂŽt et Ă  la diïŹ€usion de documents scientiïŹques de niveau recherche, publiĂ©s ou non, Ă©manant des Ă©tablissements d’enseignement et de recherche français ou Ă©trangers, des laboratoires publics ou privĂ©s. Guerre et paix sur les Hautes-Terres centrales de Madagascar durant l’epoque ancienne Ă  travers les vestiges archeologiques Rafolo Andrianaivoarivony To cite this version: Rafolo Andrianaivoarivony. Guerre et paix sur les Hautes-Terres centrales de Madagascar durant l’epoque ancienne Ă  travers les vestiges archeologiques. Revue Historique de l’ocĂ©an Indien, Association historique internationale de l’ocĂ©an Indien, 2019, Guerre et paix en IndianocĂ©anie de l’AntiquitĂ© Ă  nos jours, pp.33-39. hal-03247092

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Page 1: Guerre et paix sur les Hautes-Terres centrales de

HAL Id: hal-03247092https://hal.univ-reunion.fr/hal-03247092

Submitted on 2 Jun 2021

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

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Guerre et paix sur les Hautes-Terres centrales deMadagascar durant l’epoque ancienne à travers les

vestiges archeologiquesRafolo Andrianaivoarivony

To cite this version:Rafolo Andrianaivoarivony. Guerre et paix sur les Hautes-Terres centrales de Madagascar durantl’epoque ancienne Ă  travers les vestiges archeologiques. Revue Historique de l’ocĂ©an Indien, Associationhistorique internationale de l’ocĂ©an Indien, 2019, Guerre et paix en IndianocĂ©anie de l’AntiquitĂ© Ă  nosjours, pp.33-39. ïżœhal-03247092ïżœ

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Guerre et paix sur les hautes-terres centrales de Madagascar durant l’epoque ancienne à travers les vestiges archeologiques

Rafolo Andrianaivoarivony

Professeur Titulaire, UniversitĂ© d’Antananarivo RESUME : Entre le XIIe siĂšcle (avec l’apparition des premiers royaumes dans

le pays) et la fin du XVIIIe siĂšcle (fin de la protohistoire de la partie centrale de l’üle), l’intĂ©rieur de Madagascar a vu l’édification de sites fortifiĂ©s Ă  mi-hauteur ou perchĂ©s avec un systĂšme d’enceintes creusĂ©s et d’accĂšs amĂ©nagĂ©s avec des mĂ©galithes, particuliĂšrement pour les sites de forte insĂ©curitĂ© (XVe – XVIIIe s.). En pĂ©riode de paix, il y avait des amĂ©nagements extĂ©rieurs aux sites d’habitat comme les terrasses de cultures, les riziĂšres de bas fonds ainsi que de silos Ă  grains.

L’intervention se propose alors d’examiner tour Ă  tour : les actions de guerre Ă  travers le systĂšme de dĂ©fense autour de

l’habitat et des armes dĂ©couvertes (archĂ©ologiques ou ethnographiques) ; Les enjeux de la guerre qu’étaient le commerce des biens, la traite

des captifs rĂ©duits en esclaves, les tentatives d’extension du royaume
 Les formes d’action de paix et des amĂ©nagements effectuĂ©s par les

habitants Ă  l’intĂ©rieur et Ă  l’extĂ©rieur des sites. Mots-clĂ©s : Madagascar – Hautes-Terres centrales - XIIe -XVIIIe s. –

ArchĂ©ologie – Sites fortifiĂ©s – AmĂ©nagements en temps de guerre et de paix

Entre le XIIe siĂšcle avec l’apparition des premiers royaumes dans le pays55 et la fin du XVIIIe siĂšcle marquant la fin de la protohistoire pour la partie centrale de l’üle56, l’intĂ©rieur de Madagascar a vu l’édification de sites fortifiĂ©s Ă  mi-hauteur ou perchĂ©s avec un systĂšme d’enceintes creusĂ©es et

55 L’apparition de l’institution royale Ă  Madagascar soulĂšve encore beaucoup de dĂ©bats, mais il est admis qu’elle n’a pu avoir lieu avant l’arrivĂ©e des derniĂšres vagues d’immigrants dans l’üle, soit pas avant le XIIe siĂšcle. La question de l’origine des royaumes Ă  Madagascar a Ă©tĂ© bien introduite par Faranirina Esoavelomandroso Rajaonah dans D.T. Niane Ă©d., Histoire GĂ©nĂ©rale de l’Afrique, Tome IV. Paris : UNESCO, 1985, p. 651 – 668. 56 GrĂące au concours de scribes antemoro du Sud-Est, les Merina, sous l’instigation de leur roi Andrianampoinimerina (1787 – 1810), se sont initiĂ©s Ă  l’écriture arabico-malgache (transcription du malgache Ă  l’aide de caractĂšres arabes), produisant du coup des documents Ă©crits sur eux et leur pays.

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d’accĂšs amĂ©nagĂ©s avec ou sans Ă©lĂ©ments mĂ©galithiques. Ces sites fortifiĂ©s – des habitats – ont Ă©tĂ© particuliĂšrement nombreux entre le XVe et la fin du XVIIIe siĂšcle57, pĂ©riodes de guerres incessantes entre les princes. En pĂ©riode de paix, il y avait des amĂ©nagements opĂ©rĂ©s Ă  l’intĂ©rieur ou Ă  l’extĂ©rieur des sites comme les terrasses de cultures ou d’habitat, les riziĂšres de bas-fonds ou de silos Ă  grains, autant de vestiges Ă©tudiĂ©s par et en archĂ©ologie des Hautes-Terres centrales malgaches.

La prĂ©sente contribution se propose alors d’examiner tour Ă  tour :

Les actions de guerre Ă  travers le systĂšme de dĂ©fense autour et /ou Ă  l’intĂ©rieur de l’habitat et Ă  travers les armes dĂ©couvertes, archĂ©ologiques ou ethnographiques ;

Les formes d’action de paix et des amĂ©nagements effectuĂ©s par les habitants Ă  l’intĂ©rieur et Ă  l’extĂ©rieur des sites.

La méthodologie adoptée pour cette étude est plurielle et fait appel à différentes disciplines et approches :

La carto-interprétation ; La photo-interprétation, notamment la stéréoscopie en photographie

aĂ©rienne ; La lecture et l’interprĂ©tation des amĂ©nagements intra et extra situ en

pĂ©riodes de troubles et en pĂ©riodes de paix ; L’étude du mobilier disponible, archĂ©ologique et ethnographique, et Secondairement, l’approche par la poliorcĂ©tique, terme considĂ©rĂ©

dans son sens Ă©largi, Ă  savoir l’art de la guerre. Les matĂ©riaux utilisĂ©s par contre Ă©taient : Des cartes topographiques au 100.000e et l’atlas des sites fortifiĂ©s

dressé par Adrien Mille en 1970, déjà cité ; Des photographies aériennes au 10.000e, notamment celles couvrant

la rĂ©gion d’Antananarivo (FTM 133-100 de 1957) ; Les sites visitĂ©s ainsi que leurs amĂ©nagements, Enfin, quelques mobiliers pour les armes.

Ces prĂ©liminaires d’ordre mĂ©thodologique posĂ©s, que peut-on dire sur les actions de guerre et de paix Ă  l’intĂ©rieur de Madagascar Ă  travers les vestiges archĂ©ologiques pour la pĂ©riode entre le XIIe et la fin du XVIIIe siĂšcle ? Il faut prĂ©ciser d’emblĂ©e que les vestiges ne permettent pas de parler de faits de guerre, mais plutĂŽt des traces de pĂ©riodes de troubles et de violences.

57 L’étude menĂ©e par Adrien Mille dans le cadre de sa thĂšse de 3e Cycle prĂ©sentĂ©e Ă  Clermont-Ferrand en 1970 a dĂ©nombrĂ© 16421 sites fortifiĂ©s rien que pour la rĂ©gion d’Antananarivo (titre de la thĂšse : Contribution Ă  l’étude des villages fortifiĂ©s de l’Imerina ancien (Madagascar). Elle a Ă©tĂ© publiĂ©e sous le mĂȘme titre dans les collections Travaux et Documents du MusĂ©e d’Art et d’ArchĂ©ologie de l’UniversitĂ© de Madagascar, en deux volumes, textes et plans.

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Figure 1. Les sites fortifiés en question, ici à

fossĂ©s (XV-XVIe s.). L’exemple se trouve dans l’Imamo Ă  50 km Ă  l’ouest d’Antananarivo

(clichés auteur)

Et ici, une citadelle princiùre (XVIIIe s.). Noter l’utilisation de la pierre et le portail.

Cette citadelle est celle d’Antongona, Ă©galement situĂ©e Ă  l’ouest d’Antananarivo

Les traces de troubles et de violence Il y a d’abord les sites fortifiĂ©s par des enceintes creusĂ©es et par

d’autres amĂ©nagements. Ces enceintes sont simples ou doubles et circulaires, rectangulaires ou ovales : 4 Ă  6 m de large et profond d’autant, sinon plus pour les sites politiquement importants.

Les plus nombreux sont de type polygonal simple ou à deux ou trois fossés jumelés ou rayonnants ou encore à plusieurs fossés, véritable bouclier. On voit également des ensembles fortifiés réunissant des types mixtes.

Il faut comprendre l’adoption des systĂšmes dĂ©fensifs creusĂ©s que sont les fossĂ©s par l’absence d’arbres dont le bois aurait permis la construction de palissade et par la raretĂ© ou la difficultĂ© de trouver la pierre pour l’édification d’un rempart en Ă©lĂ©vation. Dans les rĂ©gions oĂč la pierre abonde en effet, l’on a choisi ce matĂ©riau pour dĂ©fendre le site. Ainsi pour la citadelle d’Antongona dans l’Imamo Itasy, Ă  30 km Ă  l’ouest de la Capitale, par exemple (photo).

La question se pose de savoir quels Ă©taient les procĂ©dĂ©s employĂ©s par les bĂątisseurs pour Ă©tablir les plans des tracĂ©s, parfois fort complexes, vĂ©ritables « scarifications » dans le sol. On remarque que les tracĂ©s multiples suivent les courbes de niveau et sont perpendiculaires Ă  la pente des versants vulnĂ©rables. Plus le versant est accessible, plus il comportera de fossĂ©s parallĂšles successifs devant arrĂȘter toute invasion.

Les principales positions dĂ©fensives remarquĂ©es sont les sommets isolĂ©s, les croupes, les crĂȘtes, les contreforts, les mamelons bas et les plates-formes basses tronquĂ©es, en bord de riviĂšre 58 . Le systĂšme dĂ©fensif est complĂ©tĂ© par l’amĂ©nagement en chicane (encaissĂ©) de sentiers d’accĂšs aux sites, de ponts de terre59, d’édification de portails mĂ©galithiques (poternes et linteaux) fermĂ©s par une porte en bois durant la haute Ă©poque (XIIe – XVIIe

58 A. Mille, 1970, op. cit. 59 Il s’agit bien de cela, car ce sont des bandes de terre Ă©troites qu’on a laissĂ©es en place lors du creusement du ou des fossĂ©s pour permettre le passage.

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s.) et par un disque de pierre de diamĂštre parfois imposant60, que l’on faisait rouler pour obturer le passage, pour les pĂ©riodes ultĂ©rieures ( XVIIIe s.).

Figure 2. Exemple de pont de terre enjambant un

petit fossé Exemple de portail à disque (site

d’Imerinkasinina, au sud-est d’Antananarivo)

Les sites à fossés malgaches des Hautes-Terres centrales ne sont pas

sans rappeler ce qui se faisait au NĂ©olithique ou durant la Protohistoire ou encore le Haut Moyen-Age europĂ©en, mais en plus grand, l’Europe mĂ©diĂ©vale ayant creusĂ© surtout de petites enceintes rondes ou ovales 61 . Puisqu’on parle d’Europe mĂ©diĂ©vale, on peut avoir trĂšs bien une idĂ©e des relations fĂ©odo-vassaliques entre les grands sites princiers naturellement dominants dans le paysage et les sites secondaires, satellites, tout autour pour ces sites fortifiĂ©s des Hautes-Terres centrales malgaches62.

De quelle guerre s’agissait-il au fait pour ces sites fortifiĂ©s malgaches de l’intĂ©rieur ?

La tradition orale vient ici au secours de l’archĂ©ologie. Durant l’époque ancienne, il n’y avait ni guerre d’extermination ni guerre de refoulement, ni guerre de races, mais tout simplement des guerres entre princes voisins pour la conquĂȘte des terres et pour avoir des captifs Ă  vendre dans le circuit de la traite en Ă©change de marchandises d’importation et beaucoup plus tard (Ă  partir du XVIIe siĂšcle) des armes Ă  feu. Nous allons y revenir plus loin, mais parlons rapidement des dangers dont devaient se prĂ©munir ces sites fortifiĂ©s malgaches : l’attaque par surprise, l’incendie, les armes offensives, principalement les armes Ă  feu et quatriĂšme danger, le siĂšge de la place se traduisant par la rĂ©duction des habitants par la famine (on

60 A l’instar de ce qui se voit au portail est du site royal d’Ambohimanga, Ă  20 km au nord d’Antananarivo. 61 M. de Bouard, Manuel d’archĂ©ologie mĂ©diĂ©vale. De la fouille Ă  l’histoire, Paris, SEDES, 1975, p. 77-79. 62 . Rafolo Andrianaivoarivony, Etude du Vonizongo ancien d’aprĂšs les sources orales et archĂ©ologiques. Antananarivo : UniversitĂ© de Madagascar, 1981.

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incendiait les riziĂšres !), par la soif (l’on fermait l’accĂšs aux points d’eau63 !) ou fait rare, par l’inondation du site via le dĂ©tournement d’un cours d’eau64.

En ce qui concernait les armes, au sens large, utilisĂ©es autrefois, on peut citer le jet de pierres, d’eau bouillante, les sagaies, les frondes65
 Le Malgache, manifestement, n’a pas connu l’arc, car il n’y en a aucune trace matĂ©rielle ni non plus linguistique et il ne l’utilise pas mĂȘme aujourd’hui. De son cĂŽtĂ©, l’archĂ©ologie dans ses fouilles, n’a mis au jour que des sagaies, en fort petit nombre suite au recyclage de l’objet mĂ©tallique cassĂ© ou usĂ© pour en rĂ©cupĂ©rer le fer, difficile Ă  produire66. On n’a jamais non plus retrouvĂ© de fusils, mais de temps Ă  autre, on exhume des projectiles (du plomb, chevrotine) et des pierres Ă  fusil. Les armes Ă  feu, les frondes et les boucliers se retrouvent en ethnographie, dans les musĂ©es, par exemple au Palais de la Reine avant son sinistre du 6 novembre 1995, Ă  Ambohimanga ou encore Ă  Antongona et dans les gravures anciennes. Les canons67, eux, n’arriveront qu’au dĂ©but du XIXe siĂšcle, donc hors de la pĂ©riode Ă©tudiĂ©e. D’autres types d’armes ou de stratĂ©gies sont rapportĂ©s par la tradition orale : le jet de sable brĂ»lant, le lĂącher des troupeaux 68 , l’art de la diversion et les tactiques d’escalade ou d’infiltration de la position ennemie. Durant l’époque Ă©tudiĂ©e, il n’y avait pas d’armĂ©e constituĂ©e, mais ce sont des hommes valides que l’on levait, quelques milliers tout au plus, en tout cas, des « troupes improvisĂ©es69 ». Au final, les combats n’étaient pas meurtriers d’autant que l’une des finalitĂ©s des guerres Ă©tait de faire le maximum de captifs pour les vendre ensuite dans le circuit de la traite.

63 Il y a lieu de remarquer que « siĂšge » se dit en malgache « privation d’eau par l’ennemi (fahirano) ». 64 Fait rapportĂ© par les Tantara ny Andriana du P. Callet (1908) pour une des campagnes d’Andrianampoinimerina. 65 Types d’armes rapportĂ©s par la tradition orale. 66 La production du fer durant l’époque ancienne a Ă©tĂ© bien Ă©tudiĂ©e par Radimilahy Chantal en 1986 (La mĂ©tallurgie ancienne Ă  Madagascar. Antananarivo : Travaux et Documents du MusĂ©e d’Art et d’ArchĂ©ologie de l’UniversitĂ© de Madagascar). 67 Pour la petite histoire et tout Ă  fait en dehors du cadre de la prĂ©sente contribution, nous avons dĂ©couvert en fouille sur les hauteurs ouest d’Antananarivo, il y a quelques annĂ©es de cela, un canon du XVIIIe siĂšcle oubliĂ© sur place par l’armĂ©e royale dĂ©faite et par les troupes d’occupation chargĂ©es de les rĂ©cupĂ©rer (septembre – octobre 1895). Les canons rĂ©cupĂ©rĂ©s, selon semble – t- il la tradition de l’armĂ©e, furent enchaĂźnĂ©s et enterrĂ©s par leurs gueules le long d’une rue de la ville haute –appelĂ©e par la suite « la rue des canons » (actuelle rue Venance Manifatra). 68 Le zĂ©bu Ă©tant une richesse et de toute maniĂšre devant faire partie du butin de guerre, les attaquants cessĂšrent du coup les hostilitĂ©s et se mettaient Ă  la poursuite des bĂȘtes pour s’en acquĂ©rir. GrĂące Ă  cette diversion, le village attaquĂ© a fait partir l’ennemi
 69 R. Decary, Coutumes guerriĂšres et organisation militaire chez les anciens Malgaches. Paris : Ed. Maritimes et d’Outre-Mer, 1966, 2 vol.

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Figure 3. Pointes de sagaies découvertes en fouille

Que dire maintenant en ce qui concernait les périodes de paix ?

Les expressions matĂ©rielles de pĂ©riodes de paix70 Ces expressions sont des amĂ©nagements opĂ©rĂ©s Ă  l’intĂ©rieur de

l’habitat et Ă  l’extĂ©rieur des sites, nĂ©cessitant l’appel Ă  une main-d’Ɠuvre abondante que l’on ne pouvait faire travailler qu’en pĂ©riode de paix. Il s’agit surtout :

De l’amĂ©nagement des terrasses d’habitat, obligatoirement dans la partie ouest des sites pour bĂ©nĂ©ficier de l’ensoleillement maximum jusqu’en fin de journĂ©e et Ă©viter l’inconfort des vents froids et humides de l’est et du sud-est des alizĂ©s. De ceci dĂ©coule la disposition des cases malgaches dans un axe nord-sud, la façade principale Ă©tant tournĂ©e Ă  l’ouest et nantie d’ouvertures tandis que les façades est et sud sont aveugles (sans portes ni fenĂȘtres) pour neutraliser l’effet des alizĂ©s. Les soubassements d’habitations dĂ©couvertes en fouilles 71 s’inscrivent dans cet axe nord-sud.

De l’amĂ©nagement des terrasses de cultures Ă  l’extĂ©rieur des sites, des cultures sĂšches notamment des tubercules, d’abord du colocase et Ă  partir du XVIIIe, du manioc et des plantes Ă  cycle court, notamment des lĂ©gumineuses Ă  graines dont on a retrouvĂ© en fouilles de petits vestiges carbonisĂ©s, ce qui a permis leur conservation : du pois souterrain, voanjobory en malgache (voandzeia subterranea), du petit haricot/dolique (vigna sinensis ou v. unguiculata), du haricot (phaseolus lunatus arrivĂ© au XVIIIe s).

De l’amĂ©nagement des bas-fonds en lac princier72 ou en espace rizicole dont le terreau provenait des dĂ©blais issus du

70 Titre inspirĂ© de « Les expressions matĂ©rielles du pouvoir », Rafolo Andrianaivoarivony in Les Assises du pouvoir. Temps mĂ©diĂ©vaux, territoires africains, O. Redon et B. Rosenberger Ă©ds. Vincennes : PUV, 1994, p.91-107. 71 Par exemple les fouilles de David Rasamuel Ă  Fanongoavana en 1982-1983 et celles de Rafolo Andrianaivoarivony Ă  Lohavohitra en 1986-1988, sites respectivement situĂ©s Ă  l’est et au nord-ouest d’Antananarivo. 72 Le lac Anosy d’Antananarivo, en contrebas ouest du Palais de la Reine, en Ă©tait un. Sur les Hautes Terres centrales, tous les sites princiers en avaient un Ă  proximitĂ©. Ces plans d’eau s’associaient au personnage royal et au rituel du sacrĂ©.

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creusement des fossĂ©s. C’est bien la rĂ©ponse Ă  la question de savoir oĂč Ă©taient Ă©vacuĂ©s/transportĂ©s les millions de mĂštres cubes de dĂ©blais des fossĂ©s excavĂ©s, le moyen de transport utilisĂ© Ă©tant tout simplement l’eau (d’oĂč provenait le mot malgache « ranontany » pour dĂ©signer les dĂ©blais, transportĂ©s par l’eau). La configuration du tracĂ© des fossĂ©s comporte toujours, en effet, la prĂ©sence d’un drain, fossĂ© perpendiculaire aux autres et obligatoirement tournĂ© vers les bas-fonds Ă  proximitĂ© et en contrebas des sites.

Figure 4. Exemples de plan d’eau princier et de drain

De l’amĂ©nagement d’aires de stockage en nĂ©gatifs 73 , par

exemple de grains (les silos) ou des bĂȘtes (les fosses et les enclos), amĂ©nagements revenant Ă  des familles ;

De l’amĂ©nagement de l’espace intĂ©rieur d’habitat pour les besoins de l’exercice du pouvoir ou de l’autoritĂ©74: place/kianja Ă©quivalent du forum romain et de l’agora grec ; rova/enclos royal ; mise en place/Ă©rection d’une pierre Ă  discourir, vato fikabariana en malgache, construction de lapa/palais, de maisons d’habitation et beaucoup d’autres amĂ©nagements nĂ©cessaires Ă  la vie des habitants : ici, une aire de travail de la poterie avec trou de cuisson (le rĂ©cipient, non tournĂ© Ă©galement, sera cuit Ă  l’air libre dans un trou dont la tempĂ©rature ne dĂ©passera pas 700), ailleurs (souvent Ă  l’extĂ©rieur des sites suite Ă  un interdit), un atelier de la mĂ©tallurgie ancienne


Conclusion Les propos Ă©mis s’inscrivaient dans la connaissance d’un aspect bien

partiel de la deuxiĂšme pĂ©riode de la protohistoire malgache de l’intĂ©rieur, allant du XIIe Ă  la fin du XVIIIe siĂšcle, pĂ©riode qualifiĂ©e d’ancienne dans l’historiographie de Madagascar, pĂ©riode Ă©galement de troubles dus Ă  des princes belliqueux et brigands. Ces propos cherchaient aussi Ă  s’intĂ©resser aux savoir-faire et Ă  la culture matĂ©rielle des sociĂ©tĂ©s malgaches de l’intĂ©rieur en guerre ou en paix, ainsi qu’aux cultures de guerre de ces anciens Malgaches et de leurs rois et princes.

73 Vocable usuel des archéologues pour désigner les trous. 74 Rafolo Andrianaivoarivony, op. cit., 1994.

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Les amĂ©nagements dont on a parlĂ©, surtout dĂ©fensifs, demandaient une forte mobilisation de bras pour ĂȘtre rĂ©alisĂ©s et requĂ©raient la prĂ©sence d’une autoritĂ© Ă©coutĂ©e et suivie, un chef, un prince ou un roi.