quinzaine num ero 99

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99 :Entretien avec Elie Wiesel

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decouvrez en integralite, le numero 99 de la Quinzaine litteraire, paru le 16 juillet 1970.

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Page 1: Quinzaine num      ero 99

99 :Entretienavec Elie Wiesel

Page 2: Quinzaine num      ero 99

SOMMAIRE

Premier amourMercier et Camier

La ville sur la merPensée testamentaireUn siècle débordéLes paroisses de Regalpp-trasuivi deMort de l'InquisiteurContes d'hiverLes belles endormiesCinq nôs modernesDes gens chicsŒuvres littéraireset politiquesLa salive de Z'éléphantLes dix JaponaisElie Wiesel, le témoin

Un lieu hantéRome. la fin de fart antique

Le SeulColonialisme et

Le manifeste différentialistePrincipes de l'economiepolitique et de fimpôtL'étudiantL'image-action de laou la politisation actuelleL'ecran de la mémoire

Praxis du cinémaCinéma Underground a Vcnisf'

Le Borgne est roiw

par Anne Fabre-Luce

par Cella Minart

par Alain Clerval

par Angelo Rinaldipar André Baypar Claude Bonnefoy

par Marie-Claude de Brunhoffpar Samuel S. de Sacy

par J osé Pierre

Propos recueillispar Gilles Lapougepar Marcel Billotpar Marcel Marnat

par Pierre Pachet

par Guy de Hosschère

par Jean Duvignaud

par Michel Lutfalla

par Claude Mettrapar Victor Karady

par Jacques-Pierre Amette

par Alain Clervalpar Marie-France Bridelance

par Simone Benmussapar Georges Perec

Crédits photographiques

La Quinzainelittéraire

François Erval, Maurice Nadeau.

Conseiller: Joseph Breitbach.

Comité de rédaction:Georges Balandier, Bernard Cazes,François Châtelet,Françoise Choay,Dominique Fernandez,Marc Ferro, Gilles Lapouge,Gilbert Walusinski.

Secrétariat de la rédaction :

Anne Sarraute.

Courrier littéraire:Adelaide Blasquez.

Maquette de couverture:Jacques Daniel.

Rédaction, administration:43, rue du Temple, Paris (4").Téléphone: 887·48·58...

Publicité littéraire :22, rue de Grenelle, Paris (7°).Téléphone: 222·94-03.Publicité générale: au journal.Prix du nO au Canada: 75 cents.

en Belgique: 35 F.B.

Abonnements:Un an : 58 F, vingt.trois numéros.Six mois: 34 F, douze numéros.Etudiants: réduction de 20 %.Etranger: Un an : 70 F.Six mois: 40 F.Pour tout changement d'adresse:envoyer 3 timbres à 0,40 F.Règlement par mandat, chèquebancaire, chèque postal :C.C.P. Paris 15 551-53.

Directeur de la publication :François Emanuel.

Imprimerie: AbexpressImpression S.I.S.S.Printed in France.

p. 3p. 5p. 7p. 9p. 9p. 10p. 11p. 14p. 15p. 17p. 19p.20p.21p.22p.23p.24p.25p.26

Le SeuilRoger ViolletDenoëlAlbin MichelGallimardStockRoger ViolletLosfeldSnarkGallimardTchouRoger ViolletGallimardCalmann-LévyRoger ViolletRoger ViolletRiboud, MagnumGallimard

Page 3: Quinzaine num      ero 99

1.11 I.IVRII DII

I.A QUINZAINII

Les sentinelles du ,neant

Bois de Gustave Doré pour "l'Enfer» de Dante

1Samuel BeckettPemier Amour (19451Minuit éd., 56 p.

1Mercier et Camier l19461Minuit éd., 212 p.

De ces deux textes dc Beckett,l'un Premier A mour qui estcourte nouvelle, a été écrit lamême année que Watt (1945), etl'autre, Mercier et Camier, se si-tue un an avant Molloy (1947). Ilest également important d'ajouterque ces deux œuvres furent com-posées pendant la période oùBeckett écrivait Nouvelles ettextes pour rien (1946-1950), quicontient un récit capital : f Expul.3é.Premier Amour, qui raconte

l'histoire de l'union du narrateuravec une femme, cst surtout lcrécit d'une tentative d'ancragequi échoue devant l'impossibilitéde contact partagé ou durable en-tre deux êtres. La femme appa-l"aît ici comme la confirmation del'échec dans l'amour. Les rapportsde Watt avec la poissonnièrcMm' Gorman étaient déjà une sé-rie de «fiascos ». A la séductionféminine, essentiellement castra-trice, à la femme dévoreuse, lenarrateur de Premier A mour ré-pond déjà, non plus par l'humourqui est une distance prise par rap-port à l'investissement affectif,mais par l'indifférence, refusde contact, ct enfin la fuite de-vant la procréation, les enfantsétant «les scories de l'amour:l).Le refus de la femme se soldepar une auto-expulsion qui corres-pond précisément à l'expulsion del'enfant hors du corps de la mère.La femme disparaît alors duchamp affectif, visuel, et intellec-tuel du narrateur à cause de sonhorreur de la paternité: «Je neme sentais pas bien à côté crelle,sauf que je me sentais libre de"enser à autre chose qu'à elle, etc'était déjà énorme, aux vieilleschoses éprouvées, fune après fau-tre, et ainsi, de proche en procheà rien, comme par des marchesdescendant vers une eau profon-de.» (p. 39). Et encore: «L'es-sentiel était que je commençais àne plus faimer.:!> (p. 45). Uneautre manière de refuser l'amourest de considérer la femme com-me une prostituée, et de lui don-ner ce rôle comme le fait le nar-rateur pour Anne. Celle-ci devient

donc doublement immonde entant que corps qui se donne demanière anonyme et aussi corpssusceptible de procréer d'autrescorps.Dans la suite de son œuvre,

Beckett restera remarquablementfidèle à cette notion de dérélic-tion fondamentale dans l'amour,et qui fait de tout rapport unpourrissement inévitable se résol-Vant par la fuite, ou l'enlisementdans la solitude.Dans Mercier et Camier,· les

personnages sont déjà des expul-sés. Leurs rapports se situentdans l'errance et l'attente !'ans butqui seront ceux de Vladimir etd'Estragon dans Godot. La notionde temporalité se fond déjà dans« une rêverie tumultueuse et griseoù passé ei avenir se confon(dent)crune façon peu agréable, et oùle présent tient le rôle ingrat denoyé éternel» (pp. 48-49). Le sta-de de l'ancrage possible est dé-passé et remplacé par des «visi-tes:!> à des auberges pourvues deservantes «disponibles », ou dansla maison d'Hélène qui est uneprostituée.L'alliance des deux personna-

ges se fait au nom de «l'horreurde l'existence ». Mercier et Ca-mier sont des êtres sans âge, am-

neslques par rapport à leur pro-pre histoire (qui est la négationd'une histoire) et dont le dialo-gue interminable s'articule déjàsur la présence ou l'absence decertains objets comme le para-pluie, la bicyclette, l'imperméa-ble, le sac de «voyage >. Le butde leur errance se résume sou-vent à la récupération de ces ob-jets oubliés ou égarés «quelquepart ».La cruauté gratuite que l'on re-

trouvera dans Fin de Partie parexemple se présente ici sous laforme du meurtre de depolice à coups de bâton.Mais si le corps des autres est

devenu un objet haïssable, celuides personnages prend au contrai-re une importance considérable.Le fonctionnement des organes,et les douleurs qu'ils provoquentsont l'objet de discours. Mercieret Carnier ne sont pas encore im- .mobiles comme le seront Maloneou Hamm, mais ils portent déjàune attention maniaque et inquié-tante à leur propre physiologie.Le corps d'autrui est nié à tel

point que Mercier et Carnier pré-fèrent déjà les jeux homosexuelsà l'amour vénal d'Hélène. Cegenre de contact qui est aussi unéchec se retrouvera dans les rap-

ports entre Pim et Pem, Bom etBam, Krim et Kram dans Com-ment c'est.La haine des enfants tcommc

futurs géniteurs.' s'exprime parl'attitude violente de Mercierrencontrant son fils et sa fille,marchant sur eux pour les chas-ser en grimaçant. t« Foutez-moile camp ! hurla Mercier », p. 48.1Au refus de reconnaître l'iden-

tité ou l'existence de la progéni.ture, correspond la perte de lanotion de l'identité d'autrui engénéral: Mercier et Camier, quis'accrochent l'un à l'autre commedeux noyés à la manière des per-sonnages de Godot, ne savent plusqui ils sont: c Qui es-tu Ca-rnier? >, demande Mercier. L'ap-parition de Watt (qui ressembleà Murphy1 apporte peut-être laréponse à cette question: c Il estné, il est né de nous, dit Walt,celui qui n'ayant rien, ne voudrarien, sinon qu'on lui laisse le rienqu'il a> (p. 198). Mais cet être,c'est aussi celui qui n'est rien etqui veut qu'on lui laisse le rienqu'il est.Ces deux livrcs sont importants

parce qu'ils marquent une despremières étapes de ce qu'on pour-rait appeler l'entreprise de «ré-duction >, de dépouillement pro-gressif que Beckett continuerad'opérer sur son écriture. Par lerefus de l'ancrage et le processusde l'auto - expulsion, PremierAmour met en évidence l'impos-sibilité d'existence du couple entant que tel. Mercier et Camierinaugure un nouveau genre decouple, celui de deux hommes, quiseront plus tard présents dans lesromans et le théâtre de l'auteur,deux êtres qui se sont eux-mêmesexpulsés pour entreprendre uneinterminable odyssée aux portesdu néant.Ce qui, ici, apparaît encore

comme 'l1n dialogue, se réduiraplus tard en une seule voix, à lavoix proliférante et litotique quidit le Rien de l'existence. Au-delàde l'humour noir dont Beckettpare cette parodie d'aventure hu-maine, on pressent la disparitiondu sujet destiné à se dissoudre, etl'émergence d'un être auquel ilreste tout juste assez de vie pourdemander, tel un souffle venu desprofondeurs: c Qui maintenant?Quand maintenant? Où mainte-nant? :1>

Anne Fabre-Luce

La Q!!iozaine Littéraire, du 16 au JI juillet 1970 3

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ROMANS

IlRANÇAIS

Le langage de la mer

1Suzanne ProuLa ville sur la merCalmann-Lévy éd., 232 p.

De vieilles demoiselles, la viefeutrée de province, des languesqui se délient sous le sceau dusecret, des yeux immobiles der-rière les fentes des volets : le pe-tit monde de Suzanne Prou -celui, du moins, de ses trois pre-miers romans - se refermait surle lecteur avec une simplicité ma-chiavélique, ne lui laissant mêmepas le temps de prendre conscien-ce de la façon dont il avait ététransporté d'un paisible salon par-fumé au patchouli en plein cœurd'une ahurissante histoire poli.cière. Que s'était-il passé? A peuprès rien; quelques divagationsde vieilles filles, un certain frémis-sement de l'air porteur de mes-sages mystérieux et, surtout, laprodigieuse imagination de Su·zanne Prou qui, avec un humourfroid assez rare chez un écrivainfrançais, réussissait chaque fois unétonnant petit tour de force enrenvoyant dos à dos, dans unemême interrogation admirative,lecteurs et personnages.Avec la Ville sur la mer, le re·

gistre a changé. Les grondementsdu monde ont eu raison des chu-chotements sous les ébéniers etau récit intimiste - mais percu-tant - de jadis se substitue unehistoire plus ample, une sorte deconte philosophique mi-fable, mi-satire qui, parce qu'elle rend lelecteur moins complice, ne con-vainc pas autant que les confi-

dences précédentes, dont le char-me désuet était irrésistible.Cela commence avec l'annonce

de la mort d'un célèbre hommepolitique, dans cette ville sur lamer où l'un de ses anciens cama-rades qui l'avait perdu de vuedepuis une vingtaine d'années re-vient justement après une longueabsence. Pourquoi Gilles trouve-t-il le décès d'André Lavenant sus-pect ? Parce que personne ne pa-raît sérieusement désirer percerle mystère qui l'entoure et qu'enrapportant, sans d'autres commen·taires, la fin du chef du Parti del'Ordre et de la Famille dans unétablissement de bains mal famé,les journaux semblent laisser laporte ouverte à toutes les suppo-sitions : suicide, crime crapuleux,vengeance politique.Gilles, pour sa part, se croit

autorisé, en sa qualité d'ancienami, à rendre une visite de cour-toisie à la veuve : il met ainsi ledoigt dans un engrenage qui cons-titue, précisément, l'essentiel duroman. Le P.O.F., en effet, n'en-tend pas laisser un intrus menerune enquête au gré de sa fantai-!;Oie; en pleine période électorale,et alors que l'organisation rivaledu Parti des Armateurs lui causede nombreux soucis, l'appareil duP.O.F. cherche à neutraliser Gil-les en le. dénonçant comme "es-pion. Le voici donc devenu le gi-bier des polices parallèles desdeux partis, chacune rivalisantd'ingéniosité pour le prendre auxpièges dressés ici par un déména-geur de plaques manchot et, là,par deux femmes qui s'espèrent

fatales. C'est le P.O.F. qui, finale-ment, l'emporte: on arrête Gilleset, au terme d'un jugement Som-maire, on le condamne à mort.A quelques jours des élections,

la situation est complètement ren·versée par l'intervention d'unetroisième force, invisible mais me-naçante, et qui contraint les deuxPartis en présence à composer etpeut-être même à s'aIlier. Sait·onqui sont ces insurgés réfugiésdans les grottes du bord de mer,et dont la rumeur assure que lenombre croît rapidement? On ledevine, plutôt: des étudiants etdes intellectuels auxquels com-mencent à se joindre certains desouvriers des Armateurs. Devant lamontée de la menace, on a toutjuste le temps de proclamerl'union des anciens adversaires etde gracier Gilles pour lui offrirde partager avec les leaders duParti des Armateurs et du P.O.F.l'honneur de former le premiertriumvirat de la ville. Après quoi,tout ira très vite; des électionstriomphales, un jeu difficile pourGilles qui est contraint, pour gar-der sa place, de devenir agentdouble, la pression secrète, maistenace, des insurgés. Enfin, aprèsune énorme explosion qui em-porte la ville, une belle apothéoselibératrice avec l'irruption de lamer qui balaie tous détrituset permet l'arrivée - on peut lesupposer - des exilés des ::;rottes.Aussi arbitraire et limitative

que soit pour un écrivain la com-paraison constante avec son œu-vre passée, force est de constaterque le talent de Suzanne Prou

s'était imposé, jusqu'ici, dansl'évocation d'un monde replié surlui-même et surtout dans l'explo.ration minutieusèd'un quotidienvolontairement banal, qu'envahis.saient soudain l'insolite et l'étran-ge. Avec cette fresque "qui se vou-drait une satire politique et so-ciale, ce ton au second degrén'agit plus et de l'imposant édi-fice qui nous est proposé, à peineparvient-on à distinguer le rez-de·chaussée. Pour des raisons diffici-lement décelables - sinon, peut·être, le fait que le roman est toutentier rédigé au passé composé,ce qui lui donne à la fois unecertaine monotonie et un incon-testable flou - on reste le plussouvent en deça du récit et, par-tant, de sa leçon.« L'artifice ne régnait-il pas en

maître sur la ville? Tout n'était-il pas travesti, frelaté? », s'inter-roge Suzanne Prou, comme si eIJevoulait ainsi avertir son lecteurque les vrais acteurs ne sont pasces êtres falots vis-à-vis desquelselle garde constamment ses dis-tances, mais Kafka, mai 68, cer-tains totalitarismes, l'absurdité.Sans doute. Mais ce n'est pas par-ce qu'un lieu est défini commeimaginaire qu'il doit nécessaire-ment demeurer irréel, et d'autantmoins s'il s'agit d'un roman quivoudrait proposer une réflexionpolitique et se soucier, par consé-quent, de son efficacité. A moins-- et ce ne serait pas impossible- que seul le langage de la merl;OOit, ici, détenteur de la vérité.

Cclia Minart

INFORMATIONS

Gide en Belgique

Dans le cadre du centenaire de lanaissance d'André Gide, la Bibliothè-que Royale Albert 1"' de Bruxelles or-ganise une exposition consacrée àl'auteur de la Porte étroite, avec leconcours de la Bibliothèque littéraireJacques Doucet, de la famille de l'écri-vain et de nombreux collectionneurset bibliophiles.Sous le titre de • Présence d'An-

dré Gide., l'exposition groupe deslettres échangées par Gide avec plusde trente correspondants belges, desmanuscrits, des éditions rares, ainsique des portraits. Des études de cri-tique et des critiques de presse, pa-rues en Belgique sur l'œuvre de Gide.dès la publication des Cahiers d'An-dré Walter, en 1891, permettront de

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suivre le destin de "œuvre de "écri-vain chez nos voisins berges. En rai-son du caractère inédit de maintsdocuments - qui fera l'objet d'un ca-talogue détaillé - cette manifestationne manquera pas de contribuer auprogrès des études gidiennes et aurayonnement de Ta personnalité del'écrivain.(Bibliothèque Royale Albert 1"', Sal-

Ie des Donations, Mont des Arts,Bruxelles. Du 4 juillet au 22 août 1970,de 9 heures à 17 heures. Entrée libre.)

Prix

Le Prix Charles-Perrault, fondé cetteannée et destiné à attirer l'attentiondu public sur un livre pour la jeunessepublié en France au cours de l'annéeprécédente et dont les qualités Iitté·raires aussi bien que la présentationd'ensemble doivent favoriser la forma-tion du goût et du désir de lire des

ieunes, a été" attribué à l'ouvrage d'Ita·io Calvino, paru au Seuil, sous le ti-tre du Baron perché, dans une tra-duction de J. Bertrand.Le Prix Nadal - l'équivalent espa-

gnol de notre Prix Goncourt - a étédécerné à Francisco Garcia Pavon pourson roman Hermanas coloradas (col-lection «Ancora y Delfin. des édi-tions Destino, Barcelone).Agé de cinquante ans, Francisco

Garcia Pavon, après avoir publié unpremier roman intitulé Cerca de Ovie-do, qui provoqua des controverses pas-sionnées, s'est consacré pendant long·temps à la nouvelle et au conte, genreoù il excelle. Revenu au roman, ils'orienta vers le récit de science-fic-tion et le roman policier, formes litté-raires fort peu cultivées en Espagnede nos jours. Las Hermanas coloradasnous propose une analyse en profon-deur d'une société rurale en évolution,mais attachée encore aux vieux my·thes, aux superstitions et aux préju-gés.

Le 1er août

paraitra

le nO 100

de la Q!!inzaine

Il comportera un

bilan de l'année

écoulée et sera en vente

tout le mois.

40 p. 5 Il.

Retenez.le chezvotre libraire

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•testamentaIre

DOCUMENT

RogerPensée

Martin du Gard ••

Au moment où Roger Martin du Gard rédige la " Pensée testa-mentaire .. que nous publions ci-dessous grâce à l'obligeance dePierre Herbart, il est assailli de doutes quant à la valeur de sonœuvre et des Thibault en particulier. Prix Nobel en 1937, célèbre(plus à l'étranger qu'en France), ayant achevé le cycle des Thibaultdont la publication s'est étendue sur vingt ans), il est vivementému par l'étude que lui consacre Claude-Edmonde Magny dans sonHistoire du roman français depuis 1918. Tout en lui tressant descouronnes, pour sa probité, sa modestie, ses exigences d'écrivain,notre regrettée consœur ne lui reconnaît pas les quai ités fonda-mentales du romancier et, dans sa conclusion, se montre bien dureen le qualifiant de c< naturaliste attardé dans l'après-guerre, repré-

sentatif de toute une génération de romanciers médiocres, que neviennent sauver ni ses dons ni son extrême honnêteté intellec-tuelle ". Roger Martin du Gard est affecté par ce jugement d'ail-leurs contestable et amené à faire retour sur lui-même. D'où ledésir de marquer pour les critiques futures sa place dans l'évolu-tion du genre. D'où cette" pensée testamentaire .. (il aura encore8ept ans à vivre), empreinte une fois de plus de toute la probité etde toute la modestie dont il était capable. Il est probable, d'ailleurs.que la préface d'Albert Camus à ses Œuvres complètes dans laPléïade (en 1955) ait mis quelque baume sur la plaie' que lui acausé une relative méconnaissance des générations d'après-guerre.

r"'- .A. '1 t .. :.

Pensée testamentaire (qui pourrait être rendue publique (31 dé-cembre 51) lendemain de ma mort).

On m'a fait une légende de " modestie ", parce que je ne cher-che pas à faire parler de moi, et ne cours pas après les éloges. Sije suis modeste, c'est parce que j'ai une claire vision de ce queje vaux, de ce que vaut mon œuvre; et parce que mon succès deromancier, manifestement disproportionné à mes mérites réels, medonne mauvaise conscience, comme une usurpation ... Les louan-ges qui ont accueilli les Thibault, la place et les compliments qu'onme fait encore, me plongent, dès que j'y pense, dans une doulou-reuse mélancolie.

Je sais ce dont je parle. C'est à tort qu'on me range trop sou-vent parmi les c< grands romanciers .. de ma génération. (Ou bienalors c'est que la génération de romanciers à laquelle j'appartiens,aura été une période c< creuse .. dans l'histoire littéraire; ce quin'est pas impossible, d'ailleurs ... ).

Je ne suis qu'un aboutissement. Je n'ai rien apporté de neuf. Jen'ai rien fait d'autre que de cultiver avec soin, avec goût, avecprobité, des terres que les romanciers français, russes et anglais,avaient défrichées au XIX· siècle.

Roger Martin du Gard

La Q!!inzaine Littéraire. du 16 au 31 juillet 197() 5

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I.ITT.RATURE

.TRANG.RE

La fêlure

1Bernard FrankUn siècle débordéGrasset éd., 320 p.

Ah ! ces jeunes gens qui ·ont lebâillement langoureux et nostal-gique, en rêvant des châteaux desable! Leurs premiers châteauxen Espagne construits dans les al-lées du parc Monceau, sous l'œilattendri de leur nourrice, et quinoircissaient, faute de mieux, detaches d'encre leur manuel de lit-térature ! Thibaudet, Lanson, Fa-guet et même M. Petit de Jullevilleleur ont donné de la littératurefrançaise l'image d'un enchevêtre-ment subtil et rigoureux de par-terres et de pièces d'eau, et ils nesongent plus qu'à remplir les mar-ges de leur cahier d'écolier...

Dans Géographie Universelle etla Panoplie littéraire, aux titressignificatifs, Bernard Frank fai·sait de son rêve d'écrire la ma-tière même de ces premiers livresoù il se glissait frauduleusement,frileusement dans la biographieimaginaire et les morceaux choi-sis du grand écrivain qu'il vou-lait devenir, à ce point dupe deses affabulations mythomanesqu'il réinventait un Drieu la Ro-chelle sans ressemblance avec levrai modèle, selon le témoignaged'Aragon lui-même. Il souhaitaitfigurer dans les avenues royalesdes encyclopédies futures. Mais lerêve a fait long feu. Seule, la cenedre des grasses matinées a laissésa trace d'amertume dans la bOUeche de notre hussard.

Il revendique, aujourd'hui,d'avoir donné leurs lettres de no-blesse aux « ainsiqu'on devait désigner la petitetroupe d'écrivains désinvoltes sur-gis, à la suite de Nimier, dans lalittérature des années 50. Mais,dans ce dernier livre, BernardFrank rompt des lances, surtout,contre lui-même. L'enfant gâtés'est, pendant dix ans, détournéde ce qui faisait ses délices au

6

temps de l'adolescence, et ils'amuse, de retour, à démolir lejouet d'autrefois. Aussi bien, nese lasse-t·il pas d'ouvrir l'intérieurde ces délicates horlogeries, lesœuvres, sans percer le secret dumécanisme qui les fait fonction-ner, et comme un enfant boudeur,les brise en morceaux. A forcede rêver sa vie d'écrivain au lieude la faire, insensiblement, Ber·nard Frank ne sait plus que nousparler des coulisses mondaines,de ce théâtre du demi·mondebourdonnant de rumeurs etd'échos, ce fond grinçant et fié·vreux sur quoi - ironisait, féro-cement, Julien Gracq dans la Lit-térature à l'estomac - se déta-chent, inévitablement, à Paris, lesœuvres et les hommes.

Quelle fêlure en a fait, moinsle succès, le frère de Scott Fitz·

dont il a préfacé autrefoisGatsby le Magnifique, dissipant sarêveuse déréliction entre l'alcool,les sauteries mondaines,. l'écriture,dilapidant un capital d'hommed'esprit, obligé, pour faire hon·neur à sa réputation, de faire as·saut d'épigrammes grinçants oùperce le noir rictus du désespoir?On est partagé entre l'agacement,l'ennui et la sympathie. l'amuse·ment, mais il faut bien l'avouer,c'est le plus souvent l'ennui quil'emporte. Il n'a jamais su se gué-rir de voir se briser le cristal deses illusions parce que, malgré sontalent paresseux et brillant, lesuccès n'a pas répondu suffisam-ment à son appel.

Dans ses premiers livres, ce quien faisait le charme, BernardFrank s'était bâti un royaume oùil se blottissait avec délectation. Ilse taillait un pourpoint éclatantdans le drap de ses fantasmes.Maintenant, il a trop le sentimentd'être talonné par le temps quipasse pour ne pas vouloir ruseravec celle qui toujours gagne, nepas souffrir que lui échappe cettedimension légendaire, comme l'at·teste sa fascination pour Malraux,qui hausse de son vivant l'écri-,'ain au-dessus de sa condition.Aussi bien, flâne·t-ilinlassable-ment, butinant de tout et derien, dévidant des paroles man·gées par le silence où les motsdégonflés font un mince rideau defumée devant le vide ouvert sousses pas.

Là où Bernard Frank cesse denous bercer de mots un peu vides,où il met le doigt sur la blessurevive qui fait de cet écorché ledouloureux bouffon de soi·même,c'est lorsqu'il se met à parler dela question juive. Ceux qui ontchoisi de n'être pas antisémitesvoudraient, tel Mauriac, que lesjuifs leur sachent gré de leur neu-tralité bienveillante, comme si lahaine, en devenant silencieuse,voulait faire payer le prix de sonmutisme. Frank a raison d'insis·ter, il n'est pas de façon plusodieusement sournoise d'être anti·sémite que d'espérer des juifs dela gratitude envers ceux qui Berefusent à être des bourreaux. De·puis qu'Israël, face à l'encercle·ment belliqueux qui le menace,a le malheur, pour survivre, derecourir aux moyens de la force,les non juifs lui reprochent de nepas cultiver une vertu qu'ils n'ontla naïveté de réclamer d'aucunautre pays. Il règle son compte,de manière péremptoire, à cettegauche bien· pensante qui, nonsatisfaite d'être l'éternelle perodante responsable de la vertigi.neuse promotion conservatrice dela France actuelle, voudrait en·core, au nom d'on ne sait quelsuniversaux, non seulement obligerles juifs à s'assimiler, mais encorequ'Israël renonce à se défendre.

Bernard Frank a choisi dejouer à qui perd gagne. Par despirouettes, qu'on peut appeler pu·deur, il escamote sans cesse sonimpuissance ou sa fatigue devantla littérature. Mais, pour écrireun livre comme ceux qu'il aime,Proust, Chateaubriand ou Diderotqu'il imite par son improvisationbuissonnière, il est nécessaired'ajouter foi à ce qu'on écrit. Lespages les plus belles, si, rétrospec-tivement, il est facile d'en releverles ficelles parce qu'elles sont ins·crites de manière indélébile dansl'anthologie de notre mémoire etse sont incorporées à notre sensi·bilité, à notre goût, ne sont pasissues d'une dérisoire dérision.

Peut-être, ce qui rend ce livreémouvant est qu'il soit fait de ceschutes et de ces ébauches qui sontl'envers d'une œuvre, son mouleen creux...

Alain Clerval

Leonardo SciasciaLes paroisses de Regalpetrasuivi deMort de rInquisiteurTrad. par Mario FuscoLes Lettres NouvellesDenoël éd., 304 p.

Le compte rendu des activités·de sa classe, qu'il rédigeait à lafin de l'année à l'intention de soninspecteur primaire, donna l'idéeà Leonardo Sciascia, jeune institu-teur d'une trentaine d'années,·d'écrire une chronique plus large,délivrée de l'optimisme officiel,qui embrasserait tous les aspectsde la vie de la bourgade où ilenseignait. C'était en 1954, quandla démocratie·chrétienne régnaitsans partage sur la péninsule, etque Pie XII voyait en De Gas-peri un moindre mal.

Dans l'avant.propos dont ilcoiffe la réimpression de son li-vre, chez Laterza, en 1967, Scias·cia prévient que cette réalité,dont il devait, par la suite, faireune œuvre, n'a guère changé de-puis, et l'on a ici de bonnes rai-sons de penser que quelques an-nées de plus n'ont pas suffi à lamodifier et que, de retour dansson village, un immigrant n'a pasà craindre un profond dépayse.ment.

Les «braccianti - les hom-mes qui n'ont pas leurs bras -continuent d'y crever de faim, lesenfants se placent toujours enservice dès l'âge de dix ans, lessauniers à la retraite cherchentau soleil un engourdissement deleurs membres tordus par les rhu·matismes, qui leur procure unavant·goût de l'apaisante mort. LaMaffia prend la vie de ses enne-mis, l'argent de ses protégés etune Eglise à qui 1'« aggiorna-mento» n'a pas encore enseignél'élémentaire pudeur, des ··sous àtout le monde

Pendant ce temps, aules «messieurs », épaves de labourgeoisie terrienne, tapent lecarton, racontent leurs fantasmessexuels comme des aventures vé-cues, se font une Apocalypse del'élection d'un conseiller munici·pal communiste, et évoquent avecnostalgie le temps de l'ordre. Ilsn'accorderont pas pour autantleur voix au Mouvement Social

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Contre l'humiliation

Leonardo Sâasca

ALFREDSAUVY

larévolte

des jeunes

SUZANNEPROUlaville

sur la mer

un volume 15 F

du même auteur:LADES JEUNES

VICTORGARDONl'apocalypseécarlate

.. Une chronique romanesque quis'étend sur trois générations oùl'auteur manie avec une grandemaîtrise les techniques joyciennes."

LA QUINZAINE LITTERAIRE

Une fresque grandiose de l'Arméniemartyre.

..... Mélange efficace de cruauté,de fantaisie, d'érotisme et d'absur-dité.....LES NOUVELLES LITTERAIRES

P.M.PASINETTIle pontde

l'Accademia

Angelo Rinaldi

émeut d a van t age. Au reste,Sciascia va plus loin qu'un cons-tat. S'il connaît le 'mal, il connaîtaussi le remède et il l'indique sansjamais hausser le ton, car 'l'écri-vain dont le premier livre laissaitprévoir et l'importance et la cou-leur de son œuvre future, ne croitpas que l'humiliation de l'hommepar l'homme soit inéluctable, nien Sicile ni ailleurs.Refus qui fut aussi celui, au

début du XVII' siècle, d'un reli-gieux, Frère Diego, qui périt surle bûcher de l'Inquisition: Exami-nant les textes oubliés, fouillantle passé pour mieux comprendrele présent de la Sicile, commedans le Conseil d'Egypte, Sciascia,de la masse des documents, déga-ge le visage d'un homme quin'avait pas abdiqué, et dont leportrait complète ce recueil dechroniques.Il est dit dans les Psaumes que

«les rebelles seuls habitent leslieux arides ». Sciascia est deceux· là, et il serait temps qu 'onlui reconnût, en France, la placesingulière qu'il occupe dans leslettres italiennes.

nousenfinSciascia, cessant

pittoresque. elle

ra rien de plus pressé que de glis-ser un bulletin rouge dans l'iso-loir? Sur la place du village,chaque matin, les propriétaires ai-sés choisissent les «braccianti ».Pour 'un peu, ils leurs écarte-raient les mâchoires, comme fontles maquignons à la foire, avecles chevaux.Avions-nous attendu Sciascia

pour soupçonner que les Nègrescommencent à Rome? Non, sansdoute, car nous avions lu Silone.Vittorini et le Pirandello des nou-velles. Mais à cause de leur bril-lant, ces écrivains aboutissent aurésultat inverse de celui qu'ilsescomptaient. Par exemple,. quandPirandello décrit les salines, ilvoit briller les gemmes d'une ca-thédrale là où Sciascia, sans ly-risme, montre un bagne. Quand ils'apitoie devant le sort de Cece.mineur des soufrières qui, toutesa vie, travailla pendant la nuit,et à la faveur d'une Il:rève, redé-couvre la lune, c'est un chant Ùla nature que l'on entend surtout.de sorte que la misère devientpoésie.Avecd'être

Italien, héritier spirituel du fas-cisme. La démocratie-chrétienne,pai- les temps qui courent, leursemhle mieux qualifiée pour assu-rer une administration du paysqui ne dérange pas les possédantsdans leur digestion.Qui douterait que la «Di-Ci»

soit un excellent syndic de failliten'aurait qu'à lire dans ce livre lerécit d'une campagne électorale.De voix tranquille, grave,d ' h 0 m me sûr de son fait,qui n'a pas hesoin des higar.rures du phamphlet pour fain'accepter sa vérité parce quesa vérité est irréfutahle, Sciasciaremarque: «Ce parti venait dela lutte contre le fascisme et n'eutpas le courage de se /Jasser desfascistes. » Ils n'ont donc pas tortde le soutenir, ces bourgeois quientendent encore l'écho des vic-toires de la guerre d'Abyssinie,comme une ouverture de Léonca-vallo: vingt-cinq ans d'un parle-mentarisme dont, entre parenthè-ses, les communistes ne furent pasles derniers à respecter les règles,ont laissé les choses en l'état. Pourtrouver du travail sous Mussolini.il fallait être inscrit au Fascio ;à présent, ii est nécessaire d'en-tretenir de bons rapports avec Jecuré qui, sur cette terre déjà, ale pouvoir de vous faciliter l'en·trée dans un monde meilleur;l'Amérique, qui n'accepte d'immi-grants que s'ils sont munis d'uncertificat de bonne conduite chré-tienne, «viatique indispensable,note Sciascia, pour que quelqu'unIlUisse s'en aller couper du boisau Canada ».Quand il regarde ses élèves qui,

titubant de fatigue, de faim. n'ontque la force de chauffer les bancs,lïnstituteur ne saurait leur sou-haiter nn sort meilleur: qu'ilsaient la possibilité de partir, cesgosses pour lesquels la conditionouvrière, même en France. seraun paradis. Il les aime bien, l'ins'tituteur. Il sait qu'il n'est paspayé de retour et qu'il ne sau-rait en être différemment. Auxyeux des gamins, il se trouve del'autre côté de la barricade, là oÙJ'on est assuré, qn 'il vente ouqu'il neige, de recevoir un traite·ment à la fin de chaque mois. Lefonctionnaire ne gal!;ne-t-il pasmille deux cents livres par jonr.quanti un ouvrier agricole n'euobtient que cinq cents d'un patronqni se demande toujours s'il n'apas obligé un ingrat, lequel n'au-

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Une étrange dame

1Karen BlixenContes d'hiverTrad. de l'anglaispar Marthe MetzgerGallimard éd., 320 p.

Elle se nomme Karen vonBlixen, ou encore Isak Dinesen,quand elle n'écrit pas un );Omanpolicier sous le nom de PierreAndrézel. Elle vit masquée, dé-guisée au plus profond d'elle-même et dans ses apparences, ellepourrait porter le nom de tousses personnages. Elle est Danoise,mais on ne sait trop où elle avécu; du fond de l'Afrique, duKenya, elle a rêvé une Europehistorique qui s'étend de préfé-rence de la Révolution' françaisede 1789 à celle de février 1848,et pourtant l'espace qu'elle occu-pe ou qu'elle fait occuper à seshéros n'est jamais tout à fait dece monde. Au temps vécu, elledonne une dimension palpable,d'une densité exactement propor-tionnelle aux besoins de son ré-cit.En fait, tout est vrai en elle.

Je le sais, je l'ai rencontrée, nousavons, il y a une dizaine d'an-nées, passé un après-midi ensem-ble; elle ressemblait à une mo-mie, embaumée, naturellementdesséchée, seuls des yeux de feubrûlaient au-dessus de ses pom-mettes creuses, et sans lèvres, elleparlait. Elle n'était ni homme nifemme, les deux tout à la fois,peut.être. Elle aurait pu aussibien se casser net ou s'évaporersous mes yeux. Etait-elle née,avait-elle, enfant, puis jeune fille,grandi à la manière des humainsordinaires, ou était-elle sortie unebelle nuit d'un sarcophage? Ladeuxième hypothèse semblait laplus vraisemblable, non seule-ment à cause de l'enveloppe char·nelle mais à cause d'un esprit quisavait tout et qui était de tousles temps.Elle est morte en 1962, elle

était née en 1885. Elle appartientau domaine du fantastique natu-rel; elle est incontestablementun génie. Si l'on veut comprendreson œuvre, il n'est pas mauvais,il est même indispensable de con-naître un peu sa vie. Par exem-ple, le nom de Blixen est celuide son mari, un cousin de Suèdequ'elle épouse en 1921 ; elle avaitalors trente-six ans, elle habitaitle Kenya où il était planteur et:grand chasseur. En 1925, ils di-

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vorcèrent et elle resta seule, maî-tresse féodale, hautaine et géné-reuse, à lutter contre l'adversité,ce qui a donné son beau livreautobiographique, la Ferme afri-caine (1) , signé du nom de Blixen,Dans le même temps, pour

mieux résister à la solitude afri-caine, elle évoquait un mondeimaginaire, un fabuleux refuge.Elle était la fille d'un homme,Wilhelm Dinesen, qui avait étéun aventurier et un artiste, quiavait vécu la Commune de PariBet écrit à ce sujet un bon livre..qui avait été chasseur parmi leEIndiens d'Amérique et officieldans l'armée turque contre lesRusses. Il décrivait la nature com·me personne et a laissé à la litté·rature danoise une sorte de clas·sique, Lettres d'un chasseur. Onpeut donc comprendre qu'elle aitpublié son œuvre fantastique,Sept Contes gothiques (2) sous lenom d'Isak Dinesen, donnant auvisage de Karen le masque d'unIsak.Il n'est pas indifférent de savoir

qu'elle a écrit ses Contes d'hiver(3) recluse dans son manoir desenvirons de Copenhague, pendantl'occupation allemande. Son cœursans âge se serre alors autour duvieux Danemark, son imaginationse fait moins exubérante; ellesait comme toujours éblouir, maisaussi émouvoir. La noble baronnen'ignore pas la part du peuple ;elle comprend les deux côtés dela barricade, ce qui sépare et cequi unit.Le premier de ses contes d'hi·

ver est l'histoire d'un petit mous·se. Enfant, il prend sur lui degrimper en haut de la mâture deson navire pour. délivrer un fau-con empêtré dans les cordages.Plus tard, dans un port, d'un coupde couteau il tue un marin russequi, s'étant pris d'affection pourlui, l'empêchait - sans le sa-voir - d'aller retrouver la jeunefille qui l'attendait. Poursuivi parles camarades du marin, il estsauvé par une vieille Lapone -qui n'est autre que le faucon qu'ila naguère délivré.Rien n'est plus injuste, à vrai

dire, que de résumer un conte deKaren Blixen. D'abord, parce queces contes ne sont contes qu'au-tant que l'imaginaire y joue unrôle. Ce sont de longues nouvelles,parfois de courts romans, qui peromettent des développements enéventail sur plusieurs registres

qui s'interpénètrent pour devenirune sorte de fugue, de bouquetéblouissant. Le réel et l'imaginai-re se chevauchent et s'entraidentICI miraculeusement. Le génied'Andersen n'est pas loin.Le Champ 'de la douleur, autre

conte d'hiver, est un chef-d'œu-vre. La campagne danoise sert defond, avec un manoir où résideun seigneur terrien qui règne surles paysans. Un de ses sujets, filsd'une veuve, est accusé d'avoirincendié une grange. A sa mèrequi venaille supplier, le seigneura proposé cet étrange marché:«Si en un jour, entre le leveret le coucher du soleil, tu 'es capa-ble de faucher seule ce champ,j'abandonnerai la poursuite et tugarderas ton fils.» Le champ estvaste, la mère accepte l'enjeuavec reconnaissance. Le jour dela moisson venu, tous les paysansse sont rassemblés autour de cechamp fatidique et le seigneurlui·même sera là, présent au ter·rible match dont la significationprofonde ne cesse de s'amplifier,et de s'approfondir en un boule-versant suspense.Quelle que soit la variété des

thèmes, le charme de KarenBlixen ne cesse d'opérer, le phil.tre est efficace, analyser les ingré-dients qui le composent seraitune longue affaire. Elle est bienhéritière des romantiques alle-mands, elle reconnaît avoir luHoffmann, mais aussi Edgar Poe,Shakespeare, Dante, les Tragiquesgrecs, les Mille et Une Nuits, Ra-cine... Elle prend son bien où ellele trouve, selon ses affinités, eten filigrane, comme dans T.S.Eliot, apparaît si on veut bien lachercher, une immense culture.Elle n'est pas moderne, mais clas-sique, de tous les temps, pour laforme. comme pour le fond.Elle est romanesque, plus faci-

lement cruelle que tendre, maiscapable de faire vibrer le cœurautant que l'esprit. En commu-nion étroite avec une naturequ'elle décrit admirablement,sensible au réel, elle sait authen-tifier le merveilleux. Il semblequ'elle sache tout, qu'elle ait tousles pouvoirs, comme l'une de seshéroïnes, dans les Contesques, nommée Nuit·et-Jour, elleest du jour et de la nuit.

André Bay(1) Gallimard éditeur.(2) Stock éditeur.(3) Gallimard éditeur.

1Yasunari KawabataLes Belles endormiestrad. du japonaispar René SieffertAlbin Michel éd., 192 p.

1Yukio MishimaCinq' nôs modernestrad. du japonaisp.ar Georges BonmarchandGallimard éd., 176 p.

Comme la plupart des écrivainsjaponais contemporains, Kawaba-ta et Mishima empruntent desmodèles et des thèmes à la litté-rature européenne. Mais, et sansdoute est·ce ce qui fait pour nousleur force et leur étrangeté, ils necessent de réaménager ces modè-les, de gauchir ou de transformerces thèmes pour les intégrer dans«ce système de sigries agissantsur nous par suggestion pure:tqui, selon Focillon, est la caracté-ristique de leur art.Le roman est un genre typique-

ment occidental. Kawabata enconnaît les règles. Il les respectedans les Belles endormies commeauparavant dans le très ·beauGrondement de la montagne. Laforme, ici, n'a rien à voir avec.celle de ces «romans» épiques ettouffus, mélange de chanson degeste et de feuilleton populairequ'illustraient HokusaÏ ou Outa-maro. Le récit, avec son actionbien centrée, trouée de retours enarrière, élargie par les jeux conju-gués de la sensation immédiateet du souvenir, s'inscrit, semble-t-il, dans le courant de rechercheinaugurée par Proust. Le vieilEguchi caresse un sein et se 8OU-.vient de sa mère. Freud, dira-t.on,n'est pas loin. Mais peut.être n'a-t·il jamais été aussi loin. Car siKawabata nous. conduit par deschemins familiers, ceux-ci mènenten des lieux radicalement étran-ges et étrangers. En n'importequel point du parcours, il suffitde jeter un œil par-dessus la haie,de prêter l'oreille aux murmuresdes vents, à la respiration des per-sonnages, pour se sentir soudaindépaysé.L'écriture, ici, est comme affec-

tée d'un singulierElle est elle-même et son fantôme.Le romancier décrit avec préci-sion les objets, les paysages, lesgestes. Mais derrière la réalitéqu'il nous propose, évidente etsimple, une autre ne cesse de se

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Le Japon et l'Occidentprofiler, hantées par les figurestroubles du désir et de la mort,troubles d'être placées constam-ment aux frontières du sensibleet du spirituel, de ce monde et del'au-delà.Aussi bien est-ce pour cela quc

le livre échappe à toute vulgarité.Rien pourtant de plus scabreuxque son sujet. Les «belles endor-mies », ce sont des jeunes filles,toutes vierges, plongées dans unsommeil artificiel, offertes pour lanuit à des vieillards décrépits etimpuissants. «Il ne se passe ja-mais rien », dit la tenancière, sor-te de sous-maîtresse distinguée quioffre le thé à ses clients. Et levieil Eguchi lui-même, qui, àsoixante-sept ans, n'a pas perdutoute virilité, qui est venu là parcuriosité, pour comprendre aussiquels plaisirs lui resteront possi-bles dans quelques années, re-nonce à enfreindre les interditsnon formulés de la maison, mieux,y revient pour rêver auprès decorps frais, innocents et singuliè-rement prostitués.Au vrai, nul établissement ne

mérite mieux le nom de maisond'illusions. Ce qui fascine Eguchi,jusque dans sa dernière et tragi-que visite, c'est de respirer le par-fum de la jeunesse, de retrouverà travers ce parfum celui de sapropre jeunesse, ses élans et sesplaisirs d'autrefois. Auprès de cesfilles qui, endormies, silencieuses,ne sont peut-être pas réelles, quisont peut·être des incarnations deBouddha, il découvre ensemble ceque sont J'essence du désir et lesommeil bienheureux de la mort.Bref, ce qui aurait dû être sadernière expérience érotique -expérience, prise tellc quelle,d'une grande pauvreté - devienten fait une expérience mystique.Aussi bien, dans ce récit sobre,rapide, d'une indiscutable tensionpoétique, Kawabata nous entraînebien au-delà de ce qu'il sembledire.Avec ses nôs, Mishima, dont les

qualités de romancier sont bienconnues, renoue avec la traditionthéâtrale japonaise. Rien d'éton-nant quand on sait l'intérêt queportent à celle-ci les dramaturges

de Brecht à Genet.Mais, comme son aîné KinoshitaJ ungi, Mishima cherche à renou-veler le théâtre, à créer un théâ-tre reflétant la réalité japonaiseen liant tradition nationale et ap-port européen.

Kawabata

Le titre de son l'ecueil est clair.Il s'agit de «cinq nôs modernes ».Mishima pratique à l'égard du« nô» une opération analogue àcelle de Brecht dans son Antigone,de Cocteau dans la Machine infer-nale à l'égard de la tragédic anti·que. De même que Brecht ou Cocoteau de Sophocle, il propose unelecture moderne, accordée à nospréoccupations, d'œuvres célèbresdu «nô », notamment de Zeamiqui en fut le grand maître.D'une certaine manière, Mishi-

ma va plus loin. Il conserve bienla structure et l'esthétique des« nôs» primitifs, y compris l'in-dispensable partie mimée et dan-sée - difficile à imaginer à lalecture - où culmine toute l'ac-tion. Il garde bien l'essentiel desthèmes avec leurs arrières-plansétranges et fantastiques où circu-lent les fantômes, où, le tempsacquérant une singulière élasti-cité, cent nuits et cent ans se résu-ment en un même moment. Maisà ces structures et à ces thèmes,il fait subir de singulières distor-SIons.Tandis que le «waki », l'acteur

secondaire qui était comme le té·moin ou le commentateur de l'ac·tion a disparu, histoires et person-nages sont métamorphosés. Toutse déroule de nos jours, dans unJapon marqué par l'influence oc-cidentale. Au décor abstrait, autemple, sont substitués des lieuxprécis, salon de haute couture,boutique d'avocat, clinique, gare,rue aux enseignes multicolores.Les héros eux-mêmes sont, en ap-

Mishima

parence, intégrés à cette SOCIete.Même leur misère, leur inadapta.tion ou leur folie sont expliquéespar des raisons sociales ou psycho-logiques. Un esthète cite unephrase en français. Une infirmièrese lance dans un long discourssur la psychanalyse et les obses-sions sexuelles. Bref, la modernitéest présente partout.Bien vite, cependant, on s'aper-

çoit que Mishima a introduit dansses textes des repères familiers etune apparence de logique pourrendre plus crédible et plus sen·sible le dépaysement qu'il nouspropose. Même le recours auxphrases banales, aux clichés et vé·rités toutes faites, recours qui-n'est pas sans rappeler certainesformes du théâtre européen ac-tuel, n'est là que pour masquer leglissement du réel vers l'insolite.L'auteur ne donne pas au «nô»une allure plus prosaïque, plusréaliste. Au contraire. Il se sertde situations réalistes pour redé-couvrir le caractère cérémoniel duthéâtre. A travers un jeu quible emprunter des échos et desficelles à nos comédies, il mine laréalité pour nous introduire dansun monde où tout est possible, oùle fantôme d'un vieillard amou-reux peut entraîner une jeunefemme dans la mort, où les char-mes de la magie agissent jusquedans les cliniques les mieux équi-pées. Comme chez Kawabata,c'est le monde de l'illusion - oude ce que nous croyons, nous occi·dentaux, être l'illusoire - quidonne son sens au monde réel.

Claude Bonnefoy

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Un vi·de étouffant

1Joyce Carol OatesDes gens ehicsTrad. de l'américainpar Benoît BraunStock éd., 320 p.

Aux Etats.Unis, tout le mondea lu ou bien veut lire Joyce CarolOates. Il est rare d'ouvrir un jour-nal littéraire sans tomber sur unarticle mentionnant son nom, carelle reçoit constamment des prix(The National Book Award) etdes récompenses. Cette jeune fem·me de trente·deux ans écrit sansrelâche: romans, nouvelles, poè.mes, essais critiques, même unepièce de théâtre; elle est aussiprofesseur d'anglais à WindsorUniversity (Ontario). Frêle, lavoix douce, elle a un long cougracile et de trop grands yeuxnoirs. Elle aime rêver pendantdes heures sur sa terrasse ou aubord de la rivière et laisser 8apensée se concentrer dans une sor-te d'espace vide rempli par sespersonnages. Et tout à coup, l'his-toire est là, toute prête, et il n'ya plus qu'à l'écrire...En 1965, nous avions pu croire

que Joyce Carol Oates était une« sudiste»; son premier roman,With Shuddering FaU, avait unson nettement faulknérien. MaisJoyce Carol Oates est née dansl'Etat de New York et chaquenouveau roman semble apporterune autre facette de sa personna·lité.Pas de lieu géographique pré·

cis pour des Gens Chics. Ce ro-man se passe dans les riches ban·lieues qui entourent les grandesvilles américaines. Des maisonsluxueuses posées au milieu de ga·zons bien entretenus, bordés d'ar·bustes de valeur et de vieux ar-bres. Un village où l'on trouvetoujours une petite, mais si bienachalandée, «boutique des gour·mets »; une école très privée etsnob, en plus des établissementshabituels. Les dessins du «NewYorker» nous ont habitués auxlieux de ce genre. De nombreuxromans américains s'en sont mo-qués avec plus ou moins d'hu-mour, de hargne ou de tristesse,Mais avec des Gens Chies, un nou·vel aspect nous saute aux yeux.Sous la calme ordonnance et l'hy.pocrisie courtoise de bon ton deces banlieues «climatisées », ron·ronne un silence lourd de violen·ce, de solitude désespérée, de vide

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étouffant, comme la respirationd'une bête tapie.L'histoire nous est racontée par

Richard, un gros garçon de dix-huit ans - à peu près - extrê-mement intelligent, et maladif. Ila besoin d'écrire cette «autobio-graphie» pour s'en sortir et pourse tuer ensuite (du moins, il leprétend). Richard ne mâche passes mots: «Je fus un enfant as-sassin ». Son père, Elwood Eve-rett, homme d'affaires brillant,sautant de haute situation en plushaute situation, fanfaron, pathéti-que mais considéré comme sédui-sant, les entraîne à sa suite, demaison luxueuse en maison plusluxueuse. Sa mère, Natashya Ro-manov (appelée Nada par Ri·chard), est un personnage com·pliqué. Très belle, fille d'émigrésrusses, elle écrit des nouvelles quisont souvent publiées. Elle adoreet déteste tout à la fois cette viede «faubourgeoisie », ses bellesvoitures, ses dîners mondains etses robes «vu dans Vogue ». Parmoments elle suffoque, parle avecune grossièreté de corps de gar-de, et abandonne tout, mari, fils,maison, pour se perdre dans NewYork et dans les bras d'un intel-lectuel quelconque.Richard est obsédé, traumatisé,

dévoré d'inquiétude pour cettemère. Toute sa vie, ses études, sespensées lui sont dédiées. Il l'ob·serve et l'épie sans cesse. Lors-qu'elle s'épanouit dans un tourbil-lon mondain et pseudo-intellec.tuel, la maison est heureuse. Dt:sque le baromètre descend, d'étran·ges voix appellent par téléphoneet le château de cartes commenceà s'ébranler.

Richard, observateur né, nousdonne ainsi des portraits· extra-ordinaires, il ne cache pas qu'ilécoute aux portes. Et chaque fa·milier de la maison devient unecaricature entourant l'image desa mère. Il décrit aussi ses trou·bles personnels avec une précisionqui enchanterait un psychiatre:gargarismes mentaux, boulimie,fièvres, vomissements véritables,réactions, causes, tout est étudiéraisonnablement.Joyce Carol Oates a même

l'idée d'insérer une nouvelle soi·disant écrite par Nada: il s'agit.d'une petite fille au bord de l'eaucaressée par un homme noir trèsgentil. L'histoire est racontée entrois étapes, comme si la petitefille, ou Nada elle-même effravée,osait chaque foismieux. Beaucoup de voiles sontainsi à demi soulevés pour nousexpliquer les angoisses de Richard.Lorsqu'à l'âge de douze ans,

horrifié à l'idée que sa mère lequitte une nouvelle fois, Richardréussit à acheter un fusil et à ter-roriser tous les alentours, le ro·man se contracte alors lui·mêmecomme un chat qui va sauter. Ilne s'agit pas de suspense, noussavons presque tout. Mais la ner·vosité chronique va pouvoir enfins'échapper comme la lave d'unvolcan. Le meurtre a lieu, certes.Mais nous avions méconnu mal·gré tout la force énorme de l'hy-pocrisie de ces banlieues «fau·bourgeoises» : ni la police, ni lemédecin ne veulent admettre queRichard est un enfant assassin.Hallucinations, disent·ils...Etude psychologique, sociologi-

que, satire tour à tour cruelle etromantique, ce livre est fascinant.Joyce Carol Oates· ne s'est pascontentée de faire jouer devantnous les arabesques tortueuses deEOn roman, chaque fois qu'unmorceau de fil de l'histoire estdéroulé, elle nous prend à partie,demandant notre attention plusprécisément: et le fil s'enroulesubrepticement autour de nous.Peu à peu nous nous trouvonsprisonniers de son récit. Nousparticipons en suivant page parpage l'élaboration du roman,l'analyse, la compréhension despersonnages. Nous sommes prisdans le même rythme. Encerclésdans le cauchemar. Le talent deJoyce Carol Oates est redoutable.

Marie-Claude de Brunhoff

Hérault de SéchellesŒuvres littéraireset politiquesEdition établie et présentéepar Hubert JuinRencontre éd., 336 p.

« Hérault de Séchelles estau carrefour de deux univers:son nom et sa lignée le fontcaptif de l'Ancien Régime, cerègne immobile; son appétitet sa conviction le portentdans le mouvement de la so-ciété future, Il est distendujusqu'à l'extrême.... HubertJuin définit ainsi très bienl'équivoque du personnage et.en même temps. ce qui donneà l'équivoque elle·même. unevaleur attachante.

Un chef·d'œuvre certainement,deux sans doute. Et qui, aprèsdeux siècles (ne chicanons pas surles décimales) demeurent tels.Sans rien devoir aux grâces atten-drissantes et fanées que nous goû-tons encore quelquefois, en nosmoments . de compatissance etd'abandon, dans Atala ou même,pourquoi pas, dans la Chaumièreindienne. Sans rien devoir nonplus aux charmants alibis d'unesophistication qui épice le plaisirqu'on prend à feuilleter Voiture,Fontenelle, Paul·Louis Courier.De vrais chefs-d'œuvre. L'un tienten trente pages, l'autre en soixan-te ; la dimension n'y fait rien. Eton nous laissait oublier cela. Se-rions-nous trop riches ?Hérault de Séchelles naquit à

la fin de 1759 ; son père putatif(quem nuptiae demonstrant), co-lonel, était mort quelques moisauparavant, des suites d'une bles-sure de guerre. L'enfant fut élevépar sa mère et sa grand-mère dansun château angevin. Ce milieu in-conditionnellement dévoué en es-prit à l'autel et au trône appelaitbien des revanches. On le desti-nait à l'armée. Il préféra le droit;à dix-huit ans, le voilà déjà avo-cat du roi à Paris ; il allait tenirtoujours un rang fort honorableparmi les gens de la loi. Avecune curiosité ouverte, qu'attes.tent, par exemple, en 1783, aucours d'un voyage en Suisse, sesvisites à Lavater et à Charles Bon-net, destinés (ne quittons pas lalittérature) à faire une jolie car-rière dans les doctrines halzacien-nes, ou, deux ans plus tard, sa

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Hérault de Séchelles''''''''

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Son rôle sous laRévolution

Son rôle sous la Révolution de-meure confus, malgré les histo-riens; lesquels l'ont observé,mais avec condescendance, vuque, s'il a côtoyé les grands des-

rechange, moi n s ésotérique:Théorie de lambition. Quelle lé-gèreté ! Comment se fier, en 1788,lorsque grossissaient déjà les si·gnes de l'orage, à une ambitionassez ingénue pour étaler sesatouts avant même d'engager lapartie? Quelqu'un, je le' suppose,sans que sa famille y fût pourrien, dut lui conseiller de ramas-ser ses cartes en toute hâte. N'est-ce pas un indice de son ambiguïtéqu'un tel flottement entre deuxgoûts inconciliables, le goût del'action et le goût d'une philoSQ'phie de l'action?

vais esprit. De fait, Hubert Juiny souligne l'influence du curieuxAntoine de Lasalle en qui l'oncroit deviner un précurseur exal-té, sinon délirant, de ces idéolo-gues, matérialistes des idées, dontStendhal allait bientôt nourrir lavorace jeunesse de sa pensée ; pastellement éloigné, au fond, deCharles Bonnet ni de Lavater. Lesaphorismes dont est fait le Codi-cille composent un petit manuelhétérodoxe de cynisme appliqué,un petit traité pratique de phy.siologie morale où une certainemanière de connaître les hommesse présente comme une méthodepour les manipuler. (Stendhal,qui l'avait lu avec attention, en aretenu maints préceptes, pour lesappliquer, notamment, aux incer-titudes de sa politique amou-reuse.)Hérault de Séchelles, dans son

préambule, proposait un titre de

Pourquoi horrifiée? Nous dé:gustons dans ces pages de l'imper-tinence encore, du mordant aussi,une agréable densité, de la péné-tration ; mais rien de scandaleux.Sans doute eût-on accepté plus ai-sément un peu de libertinage, nonmoins banal alors que ce quenous appelons aujourd'hui éro-tisme: mais on flairait du mau-

aises. Avec un goût particulierpour les «petites filles»; maiss'agit-il vraiment de gamines, ousimplement de ces bonnes fillesqui ne font pas d'histoires? L'éro-tologie a besoin de lexicographes.La relation de Hérault de Sé-

chelles est à la fois reportage etinterview. Elle en a le caractèredirect, le relief, la couleur, l'ani-mation, l'efficacité. Buffon chezBuffon, vivant, existant, se pava-nant, se proposant à l'admiration,s'admirant lui-même, naïvementglorieux, glorieusement naïf, etpompeux avec bonhomie. Je mesouviens d'un mot d'Alain: «Lespectacle des Importants m'a tou-jours donné l'idée de les criblerde flèches.» Quand on a lu cespages, on ne peut plus se laisserprendre à certain mélange habi-tuel de la vanité et de la déma-gogie (non, ne suivez pas la direc-tion de mon regard). Rien n'estenlevé à Buffon, que ce qui étaitétranger à la vérité de Buffon. Levisiteur sait très bien retenir saverve, et l'empêcher d'aller s'éga.rer dans les excès d'un pamphlet.De la malice, oui, et beaucoupd'irrévérence; mais une extrêmelégèreté de doigté, et assez definesse pour qu'on se demandepar moments s'il se moque ous'il admire, si c'est caricature ousi c'est portrait. C'est tout ensem-ble. C'est dégonfler l'Importancesans réduire le sujet.Visant plus loin, il donna en

1788 un opuscule intitulé Codi-cille politique et pratique d'unjeune habitant d'Epône. Titre bi·zarre. Etait-ce dire adieu à la fol-le vie d'Epône, annoncer un vi-rage vers les choses sérieuses, et,entre les deux, enregistrer le sou-venir des analyses graves quis'étaient gaiement entrelacées à lagalanterie? Quoi qu'il en soit, letirage fut aussitôt étouffé. Sur in-jonction, paraît-il, de la famillehorrifiée.

Du mauvais esprit

Jouer à la contestation

On se piquait d'y jouer avecla contestation ; sans imaginer lemoins du monde comment devaitfinir ce qui commençait par desi aimables chansons. Aux sou-pers on discutait, selon un témoi-gnage, «à faire dresser les che·veux sur la tête », et le châtelain,payant d'exemple, «se reposaitdes impiétés par des obscénités ».Il faut dire que le témoignagedate de la Restauration: contem-porain et collègue de Hérault deSéchelles, le prétendu témoin,après s'être distingué par la cons-tance de sa fidélité aux régimessuccessifs, était devenu farouche-ment bien pensant. Peut-être cetopportuniste a-t-il noirci le por-trait ; ce serait dommage.Buffon, en 1785, avait soixante-

dix-huit ans; malade, il allaitmourir trois ans plus tard. Né àMontbard, il y demeurait habi·tuellement. La petite cité, à mi-chemin entre Auxerre et Dijon,était dominée autrefois par unvieux château des ducs de Bour-gogne; il en avait rasé la plusgrande partie, pour donner duchamp à la passion maniaquequ'il avait de bâtir et de planter.Entendu en affaires, il y avaitinstallé des forges (quatre centsouvriers, quatre cents tonnes defer par an) , devenues de nosjours une entreprise de quelqueimportance. Il sacrifiait volontiersà Vénus, pourvu que Vénus n'em·piétât ni sur son travail ni sur ses

visite à Buffon séant en son fiefbourguignon de Montbard.Rien de compassé, cependant,

chez ce juriste, qui entendait nepas gâcher sa jeunesse comme onlui avait peut.être gâché son en·. fance. La mode étant, jusquechez Thémis, à la fronde et à lalicence, il ne manqua pas de fou-ler aux pieds tous les principes,et de préférence les plus sacrés.Il avait un château à Epône, en-tre Mantes et Meulan, «élevécomme le nid des aigles », ose-t-il écrire: il faut croire que lesaigles de ce temps-là nichaientbas. Région très fréquentée, àl'époque comme bientôt sous l'Em-pire, par la bonne société, quialors ressemblait fort à la mau-vaise. Il y réunissait des compa-gnies mêlées, où les amoureuxn'étaient pas fervents ni les sa-vants austères.

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Hérault deSéchelles En feuilletant...

tins, il n'y est pas entré. On levitheaucoup à l'étranger ou auxfrontières, dans des conditionsénigmatiques,pour ne pas diredouteuses. Mais si l'éloignementdonne de la sécurité, le lieu del'amhition est toujours Paris.D'autant plus que la Révolutiona grand hesoin de légistes pouréchafauder ses structures. Il prendlà quelque importance;. on lecompte parmi les principaux au-teurs de la constitution de 1793,dont suhsiste un texte originalécrit de sa main.Cependant cet écervelé, qui se

prend. pour un manœuvrier, vo-lette de parti en parti. Il se per-met des mots piquants, des mysti-fications cuisantes pour les victi-mes; régicide d'ailleurs, par cor-respondance. «Il y a, entre laRévolution et lui, note HuhertJuin, un malentendu. » En littéra-ture, les petits jeux de la suhti-lité peuvent, à l'aventure, payer;mais Paulhan n'avait pas en facede lui un Rohespierre ni unSaint-Just. Bref, Hérault de Sé-chelles fut de la même charretteque Danton. C'était le 5 avril 1794.Il avait trente-quatre ans.Jusqu'à présent, on ne pouvait

lire de lui, je crois, et encore sion avait la chance de rencontrerle livre en houquinerie, que sesŒuvres littéraires, réimpriméespar les soins d'Emile Dard en1907. Huhert Juin y ajoute écritspolitiques et correspondance; ily ajoute aussi tout ce qu'il fallait(sauf en matière de hihliogra-phie) pour que l'ensemhle setrouve mis en sa juste place, etéclairé d'une lumière juste. Cen'est pas une simple résurgence;c'est une résurrection.Un ouvrage du même Emile

Dard, daté également de 1907, acollé sur Hérault de Séchellesl'étiquette d'épicurien; dont ona pris l'hahitude de se contenter.Huhert Juin a raison, dans sapréface ample, forte et nerveuse,de faire remarquer qu'elle estloin de suffire. Cet homme deplaisir, mais solide sur le droit etcapahle d'une réflexion dépouilléede préjugés, était en passe. peut-être de devenir un homme d'Etatvéritahle. La tête tranchée par laguillotine était une hon-ne tête - à moins qu'elle n'eûtpris trop de plaisir à s'écouterparler. Mais quelle futilité qued'épiloguer sur ce qu'auraient puêtre les choses qui n'ont pas été.

Samuel S. de Sacy

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Picabia

Germaine Everling fut long-temps une amie de Picahia. Ellel'avait connu pendant la guerre,et ce fut, de part et d'autre lecoup de foudre. Mais Picahia vi-vait déjà avec Gahrielle Buffetqui, en apparence accepta Ger-maine comme elle en avait accep-té heaucoup d'autres avant elle.La vie ne fut malgré tout pasfacile pour les amants, et c'estune longue suite de malentendus,de joies et de malheurs que dé-crit Mme Everling. Cette épopéesentimentale retient moins que leportrait de Picahia, l'un des fon-dateurs de Dada, et que l'his-toire même de la naissance et despremiers pas scandaleux du Mou-vement. Les historiens puiserontici des renseignements à la sour-ce. (L'Anneau de Saturne, Fayard,208 p.)

Henry Miller

Georges Belmont s'est entrete-nu, à la Télévision, avec HenryMiller, lors du dernier passage decelui-ci à Paris. Le texte de cesEntretiens paraît chez Stock. Ony découvre un Miller surprenant,moins intéressé quoi qu'on disepar les choses du sexe que parun art de vivre que, le premier, ilpratique. L'un des derniers grandsvivants de ce temps s'exprimeavec un naturel et une franchisequi font chaud au cœur. (Entre-tiens de Paris avec Georges Bel-mont, Stock, 126 p.)

Dubuffet

Max Loreau poursuit la puhli-cation du Catalogue des travauxde Jean Dubuffet. Ce premierfascicule de « Céléhration dusol» (le 13" de la série) est sous-titré: «lieux cursifs, texturolo-gies, topographies ». Tous les tra-vaux de cette époque sont repro-duits, en noir et couleur. Max Looreau marque leur importance dansl'évolution du peintre. (Weber,éd., 154 p., grand format.)

Gisèle Freund

Quarante ans de l'histoire de laphotographie. C'est ce qu'on trou-

ve dans l'autobiographie de lagrande ph 0 t 0 gr a p he GisèleFreund qui s'est intéressée sur-tout, on le sait, aux grands écri-vains de notre temps, de Joyce àGide, à Eliot, à. Michaux. Toutentière à sa vocation, GisèleFreund sait néanmoins raconteravec aisance, vie et naturel. (LeMonde et ma caméra, Denoël-Gon-thier, 256 p., nombreuses photo-graphies.)

Balzac

Chez Garnier vient de paraîtreL'Année balzacienne 1970. Ce vo-lume est consacré au.'t influencesétrangères suhies par Balzac et àl'influence que l'œuvre de Balzaceut à l'étranger. On y trouve éga-lement des études générales (la!lotion de comique, le jeu des ana-logies), des études particulières(sur le Curé de Tours, le Médecinde campagne, Séraphita, la Filleaux yeux d'or) et uneahondantedocumentation (biographique etbibliographique), (426 pages).

Jules Vallès

Dans la série des Œuvres com-plètes de Jules Vallès, publiéesaux Editeurs Français Réunissous la direction de Lucien Sche-ler, paraît une pièce inédite, encinq actes et onze tableaux: laCommune de Paris. Vallès, exilé,l'écrivit à Londres et ne parvintpas à la faire représenter. Il ymet en scène un ouvrier forgeron( «le plus collectiviste de ses ré-volutionnaires ») et un peupled'artisans. Il montre la continui-té révolutionnaire qui existe en-tre 1848 et 1871. Les préfaciers(Marie-Claire Bancquart et Lu-cien Scheler) voient dans cettepièce l'exemple réussi d'un théâ-tre pour le peuple. (378 p.)

Architectes

Seghers publie un précieux ou-vrage : le Dictionnaire des archi-tectes de Bernard Oudin. Plus de800 noms y figurent, couvranttoute l'histoire de l'architecture,de l'antiquitë aux plus récentes

tendances de l'architecture d'au-jourd'hui. Des notices sont égale-ment consacrées aux principauxstyles et écoles. Glossaire techni-que et index géographique desmilliers d'œuvres citées. (Relié.480 p., 110 illustrations.)

Samizdat

Un ouvrage qui recoupe etcomplète Samizdat 1 (Ed. duSeuil) : la Presse clandestine enU.R.S.S., 1960-1970. Il s'ouvre surcette épigraphe (prophétique)d'Alexandre Herzen (1848) : «Lesocialisme se développera danstoutes ses phases jusqu'aux con-séquences extrêmes, jusqu'à l'ab-surde. Alors s'échappera de lapoitrine titanique de la minoritérévolutionnaire un cri de déses-poir et à nouveau reprendra unelutte sans merci, dans laquelle lesocialisme occupera la place duconservatisme actuel et sera vain-cu par la révolution inconnue àvenir... » Ce sont les preuves decette « lutte sans merci» que nousdonne Michel Slavinsky, l'auteurde ce recueil. On y retrouve lesnoms et les textes des héros etmartyrs qui pourrissent actuelle-ment en U.R.S.S. dans les campsou les hôpitaux dits psychiatri-ques. La documentation a étéfournie par les organes d'émigrésGrani et Possev. L'accent est mis,moins sur la lutte politique quesur le combat religieux, moral etspirituel. (Nouvelles Editions La-tines, 256 p.)

Littérature

La bibliothèque des connais-sances essentielles (Bordas-Laf-font) comprendra une Histoire dela littérature française en cinqvolumes, publiés sous la direc-tion de Henri Lemaître. Le pre-mier tome vient de paraître : DuMoyen Age à rAge baroque. Ilest d'auteurs bien connus des étu-diants: Lagarde et Michard.y ont collaboré: Thérèse Vander Elst et Roger Pagosse. Plai-sant à feuilleter, en raison d'unemise en pages originale et desnombreuses illustrations, il cons-tituera pour beaucoup un instru-ment de travail. (Relié toile, 640pages.)

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tROTISME Les éléphants•sont contagIeux

Mai-Juin InO

Les LettresNouvelles

pIe évocation d'un baiser sur labouche (pages 176 et 177) suffit àcrever le plafond de notre blase-ment. La luxuriance verbale, quine se prive pourtant pas des ex·plosions de la trivialité, atteintplus d'une fois à son comble:c'est aussi un ouvrage lyrique quela Salive de f Eléphant.Contrastant avec cette superbe

architecture de temple hindou,les Dix Japonais surprennentavant tout par leur manqued'apprêt. Cela se passe à Marsei-le, un certain printemps, où lanarratrice, une jeune fille, con-naît quelques aventures (dontcelle qui fournit son titre au ré·cit) et nous fait part en outredes circonstances assez lointainesde son dépucelage (vraisemblable-ment le pIns. bouleversant épisode

Jobn Cage Kennetb Wbite-----Viviane Forrester Harry Matbews ---Malcolm Lowry P.B. Biscaye ----Georges Kassaï Serge Faucbereau-----Dominique Nom et Colette Godard --------

Déserteurs et insoumis américains

Octavio PazLeonardo SciasciaJanine MatillonJean Ricardou

de «la salive de l'éléphant », quiest tout autant une initiation mys-tique dans la tradition de l'Inde.A la fin du livre, Rose, repentie,sera initiée à son tour par Tchang.Que l'on ne se laisse pas abu·

serpar la maigreur de l'intrigue(ni par la couverture du livre, in-tentionnellement du style leplus plat pour bibliothèques degares): l'ouvrage se développeavec une virtuosité stupéfianteselon une trajectoire de plus enplus tendue (bien que régulière-ment interrompue de paliers oùreprendre souffle) au fur et àmesure que l'on s'avance. Bienque, contrairement à toutes leslois du genre, le héros ne fassejamais l'amour avec plus d'unefemme à la fois, on y parvientà une intensité telle que la sim-

goùt, sur cette étreinte amoureu-se et de tenter d'y lire sa proprevérité (ou, mieux encore, sa pro-pre image de l'amour) : qui suis-je quand je fais l'amour? C'est·à-dire: pourquoi est·ce que jefais. (ou que je ne fais pas)l'amour?C'est là, je ne me le dissimule

pas, un problème bourgeois et ré-servé par conséquent aux bour-geois. Les autres (ceux qui ne sontpas bourgeois) s'affairent à pren·dre le pouvoir. Mais prenez donc,je vous en prie, faites comme chezvous et ne vous dérangez paspour moi! Moi, qui n'ai pas depouvoir (ni de train) à prendre,persuadé en outre de n'avoir pasplusieurs siècles devant moi pourdécouvrir le secret de «la vraievie », j'avoue sans rougir céder àla fascination dont j'ai parlé plusvolontiers qu'à n'importe quelleautre. Surtout lorsque, de tempsà autre, un film ou un livre merappelle brutalement à cette réa-lité·là. Douce-amère, si vous voyezce que je veux dire.Tout ce qui pré c è de, ce

n'étaient point des prolégomè.nes, mais une indication de l'étatmental (je n'ose dire: de la pen·sée) où je me suis trouvé aprèsla lecture successive, le mêmejour, de deux livres sur l'amour,sans l'ombre d'un doute écrits lepremier par un homme la Salivede f Eléphant, le second par unefemme les Dix J a p 0 n ais. Sij'ajoute que je crois avoir corn·pris que cet homme et cette fem-me qui ont écrit ces deux livresne sont pas des inconnus l'unpour l'autre, on aura peut-êtreune faible idée du trouble quiest le mien en présence de cesdeux rapports si dissemblables,tant par le ton et par l'allureque par le nombre de pages.Les deux ouvrages sont écrits

à la première personne. Le hérosde la Salive de f Eléphant, Luci-fer Hje, est aussi l'auteur du Ii·vre et, nous laisse-t·il entendre,de plusieurs autres de la mêmeveine. Il nous décrit les tribula·tions de sa vie amoureuse qu'ilpartage entre trois prostituées.Dans l'ordre ascendant, il y ftDurande, docile et un peu niaise.Rose, capricieuse et portée sur lesnègres, enfin la grande Tchang,une Chinoise, sorte de Mère desPutains. Une fugue de Rose vaentraîner le héros à accepter desubir une initiation érotique, dite

1Léone GuerreLes dix JaponaisEric Losfeld éd., 132 p.

1Lucifer IIjeLa salive de f éléphantEric Losfeld éd., 315 p.

«Mais, lavais la conscience desétemités différentes de fhommeet de la femme », écrivait en 1908Guillaume Apollinaire dans untexte à plusieurs égards prophé-tique, Onirocritique. Cette «cons-cience », sans doute pouvons·nousy parvenir plus directement, pournotre part (je veux dire: nousqui ne sommes pas poètes), sinous nous penchons au point d'in-tersection de ces «éternités dif-férentes»: l'amour. L'amour hé-térosexuel s'entend, avec cettezone de lumière, autour de sonnoyau brûlant, laquelle peu à peuse fait zone d'ombre...En d'autres termes, à quoi son·

gent les femmes quand nous leurfaisons l'amour? Pour ma part,je crois que nous (je veux dire :etc.) ne le saurons jamais. Et leshommes, quand ils font l'amouravec les femmes, à quoi pensent·ils donc ? Je ne suis pas certain,mais alors pas du tout, que nousle sachions (nous, etc., voir plushaut) ! D'où, à mon sens, la fas-cination qu'exercent sur la plu.part des gens les livres et lesfilms dont le thème principal estl'amour. S'il était vraiment prou-vé, ainsi que l'affirment certainsesprits posés (sur quoi?), que«c'est toujours la même chose »,on comprendrait mal cette fas-cination et pourquoi les gens(dont pas mal font tout de mêmel'amour de temps à autre) seruent pour voir deux personnesfaire l'amour sur un écan (ouplutôt, dans l'état actuel de nosmœurs, nous faire croire qu'ilsfont l'amour).Cette fille et ce garçon, qui font

l'amour devant nous (ou fontsemblant), qu'éprouvent.ils? Aquoi pensent.ils? La réponse àcette question est, en principe :ils pensent qu'ils sont en train de- faire l'amour. Réponse qui ne ré-sout rien. Car, faire l'amour,qu'est.ce que ça veut dire? Etchacun des spectateurs de se pen·. cher, chacun avec des sentimentsparticuliers, -de la jalousie à lahaine, de la complicité au dé·

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José Pierre

du livre). Tout cela est à peineécrit, comme murmuré au magné-tophone dans une sorte d'état se-cond, dans le demi-sommeil, lesyeux clos. Et pourtant le moin-dre détail prend ici une violenceétonnante et détonante, chaquegeste nous atteint de plein fouet,nous laisse chancelants, désem-parés. D'horreur ou de concu-piscence, on ne sait plus. Plutôt,sans doute, d'éprouver de si prèsles vertiges charnels que toutedistance s'efface.Car là me paraît la grande dif-

férence entre ces deux livresqu'unit cependant un même bon-heur d'expression: que la Salivede rEléphant nous transportedans les vertiges de l'imaginationlà où les Dix Japonais nous plon-

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gent dans les vertiges du vécu.Et, en tant que lecteur (mascu-lin, je suppose), on se tire moinsbien, moins alerte de la lecturedu second que de celle du pre-mier. Peut-être suis-je victimedes pièges d'un art raffiné? Maisje me persuade aisément que Lu-cifer Ilje n'est pas Lucifer Iljelà où j'ai du mal à convenir queLéone Guerre puisse n'être pasLéone Guerre. Comprenne quivoudra! Et si c'était la réponseà ma question première? A sa·voir que si les hommes rêventqu'ils font l'amour alors qu'ilssont en tràin de le faire, les fem-·mes, elles, ne rêvent pas; ellesfont l'amour. Même quand ellesl'écrivent.

José Pierre

ENTRETIEN

Vingt-cinq années, cela fait letemps d'une génération et c'estde cette génération qu'Elie Wie-sel entend dresser le bilan, dansson nouveau 1ivre, Entre deuxsoleils. Cette période de l'his-toire, pour lui, a la forme d'unitinéraire: au départ, sa villenatale, Sighet, une de ces bour-gades juives comme elles exis-taient par centaines, entre leDnieper et les Carpathes - lemarché, l'école, les bains ri-tuels, les hommes en caftan eten chapeau noir, le cimetière etcette vie traditionnelle dont lesheures sont scandées par lalecture du Talmud, les silencesdu Shabbat, la psalmodie desprières, les fêtes du Yom kip-pour ou du Tisha b'Av. Au ter-me provisoire du voyage, lachambre qu'Elie Wiesel occupeà Manhattan, comme s'il n'avaitpu reconnaître l'écho du silencedes Carpathes qu'au cœur de laplus formidable concentrationhumaine de ce temps.

Américain,il écrit en français

Entre ces deux étapes, le pé-riple a été long, tragique et dé-sordonné. Déporté dès l'âge dedouze ans, le petit Elie Wieseléchappe par miracle à l'holo-causte. JI a quinze ans lorsqu'ilarrive à Paris, en 1945. La Sor-bonne lui permet d'ajouter à saculture biblique un savoir litté-raire et philosophique. Il s'ins-talle ensuite aux USA, commecorrespondant d'un journal israé-lien. Un accident de voiture l'im-mobilise pour un an. Le voicinaturalisé américain.Américain, Elie Wiesel écrit

ses livres en français. Et dèsses premiers récits, l'Aube, leJour, la Ville et la Chance, unevoix singulière était saluée,presque unique dans la littéra-ture de ce temps. Aujourd'hui,ce n'est pas un récit qu'il pro-pose, mais un livre éclaté, faitde bribes de contes, de descen-tes dans la mémoire, de ré-flexions sur l'histoire. Non queWiesel se tienne pour un hom-me politique, mais s'il prendparti passionnément en faveurd'Isr:aël, dans les circonstancesactuelles. c'est à un autre ni-veau que celui de l'analyse poli-tique qu'il s'établit.Ecrivain. Elie Wiesel l'a pro-

bablement toujours été, mais lemot n'avait pas pour lui le sensque nous lui assignons. JI sedéfinit moins comme un écri-vain que comme un homme de"écrit:

E. W Israël est le peuple dulivre, dit-il, et, pour moi, j'ai tou-jours écrit, mais comprenezbien, dans mon village, ce quej'écrivais n'avait rien à voir avecle roman. A douze ans, j'avaisfait un commentaire de la Bibleet je l'ai retrouvé vingt ans plustard, quand je suis retourné chezmoi ; je suis allé dans la syna-gogue, il y avait des livres en·tassés, en désordre, et, en fouil-lant, j'ai découvert ce texte, mapremière œuvre. Inutile de direqu'elle était très mauvaise.

G. L. Depuis, vous êtes de-venu écrivain. Pourtant, vousdites quelque part que vous con-sidérez les romans comme pué-rils ?

E. W. Est-ce que j'écris desromans? Il s'agit de légendesou de contes. La différenceavec le roman, c'est difficile.Dans ce livre, Entre deux so-leils, il y a une phrase qui expli-que peut-être mon idée: • Cer-tains événements ont eu lieumais ne sont pas vrais. D'autrespar contre le sont mais n'ontjamais eu lieu... Eh bien! j'aivécu certains événements et ceque je décris, à partir de là, cesont des événements qui peu-vent ou non avoir eu lieu maisqui sont vrais. Or, je crois qu'ilest très important qu'il y aittoujours et partout des té-moins.

JI faudrait ici donner à en-tendre cette voix, toujours unpeu blessée et pourtant calme.qui semble se détacher sur unfond de silence comme si ellen'associait les mots que pourdésigner l'espace même de cesilence. Dire aussi le visagejuif, fait de douleur et de sou-rire, vulnérable.

E. W. Oui, il doit y avoir destémoins. Je viens de lire un li-vre sur la Russie des annéestrente. La poétesse Akhmatovaavait un fils de 17 ans en prisonet elle allait lui rendre visite.Le spectacle était affligeant de

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Elie Wiesel, le tém.ointous ces gens qui rendaient vi-site aux prisonniers. Et un jour,devant la prison, une femme re-connaît Akhmatova. « Pensez-vous que vous pourrez racontercela ?» Et comme Akhmatovalui répond qu'elle le racontera,pour la première fois un sou-rire est apparu sur le visage dela femme. C'est cela que jeveux dire. Les hommes de magénération, nous sommes tousdes survivants. Il nous faut em-pêcher que l'holocauste ne s'ef-face de la mémoire du monde.

G. L. Vous avez témoignépar une dizaine de livres, déjà?Maintenant...

E. W. Oui, le livre qui paraîtaujourd'hui clôt une certaineforme de témoignage. Mainte-nant, après le temps d'une géné-ration, je m'éloigne du témoi·gnage direct.

G. L. Des romans encore?

E. W. Je prépare un romanqui sera différent des autres.Mais surtout, je vais faire pa-raître deux livres sur la Iittéra·ture hassidique.Vous savez ce que c'est,

n'est-ce pas? C'est un mouve-ment qui s'est formé à la fin duXVIIIe siècle, dans ma régionjustement, et qui s'est répandutrès rapidement dans toute l'Eu-rope centrale. C'était la zone oùles communautés juives étaientsoumises aux pires persécu-tions. Et je .suis persuadé quele hassidisme a permis à lacommunauté juive de survivre..Il s'agissait de retrouver, mal-gré l'holocauste, la joie, la spon-tanéité, l'intégrité. La phrasemaîtresse du hassidisme estcelle-ci: le chemin de Dieu tra-verse l'homme. Autrement dit,l'homme ne peut approcherDieu si ce n'est par l'homme.Alors, le hassidisme, s'il

est intimement religieux, parled'une religiosité très peu dog-matique et qui ouvre sur labeauté. Il a produit, naturelle-ment, des philosophes, des pen-seurs, mais j'en retiens surtoutles chants et les contes qu'il acréés. Nous ne sommes plus ducôté de IYécrit, mais dans la tra-dition orale. Les Rabbis racon-taient des histoires, d'une ri-chesse souvent extraordinaire.

C'est de ces Rabbis que je par-Ie, en en faisant des figures aus-si vivantes que possible. Parexemple, il y a une personnalitéétonnante, celle du Rabbi Nah·man de Bratzlav. Ses similitudesavec Kafka sont surprenantes. JIavait même auprès de lui unesorte de Max Brod qui a recueil-li ses histoires. Et ces histoires,ah ! je crois qu'elles dépassentparfois celles de Kafka, oui,vous trouvez chez Rabbi Nah-man de Bratzlav la Métamor-phose, la Colonie pénitentiaire.Je ne veux pas dire que Kafkaa été influencé, mais la parentéspirituelle et même littéraireest évidente.

G. L. Vous dites dans votrelivre: « Des milliers d'êtres ontdû mourir pour que je devienneécrivain et toi sculpteur. »

E. W. Comment dire plusprécisément? A New York, j'aiun ami qui est professeur deTalmud. C'est un ami d'enfance,du même village que moi, et

nous nous sommes retrouvéspar hasard, en Amérique. Et par-fois, quand nOus nous rencon-trons, cette question flotte dansma tête, peut-être dans la sien-ne. Après tout, s'il n'y avait paseu la guerre, je n'écrirais pas, jeserais toujours à Sighet. Cespensées-là sont assez terrifian-tes. D'une certaine manière, jecrois que nous sommes touscoupables, même si la culpabi-lité du bourreau n'est pas celledu témoin ou celle du survivant.Ne voyez pas là la moindre

résignation au mal, la notionque le mal participerait d'unefaçon mystérieuse, à un vastedessein. Non, le mal est absur·de comme l'holocauste de laguerre est absurde. Cet événe-ment, le plus grand de l'histoire,ma conviction reste qu'il auraittrès bien pu ne pas être...

Et puis, Elie Wiesel va se tai-re. Ou peut-être parlera-t-il d'au-tre chose. Il me dira pourquoi ilécrit en français, et que cettedécision, en 1945, était un choix

auquel il d e m e ure fidèle.(( Bien sûr, je parle hébreu, etquand j'écris, en hébreu, que jebois un verre de lait, j'utilise lesmêmes mots que les prophètes.Mais le français est une languequi se prête au récit, mieux quel'hébreu qui est une langue dusilence, une langue non ration-nelle. ») Il dira encore qu'il croità l'inspiration et qu'aucun sa-vant linguiste ne lui expliquerajamais pourquoi il associe deuxmots dans un récit, et il parlerade Paris, de New York, de la vielittéraire, il plaisantera, il dirades drôleries, mais peut-être neparlait-il plus déjà, comme s'ilavait songé, en dessous de saparole, à cet « événement", leplus'grand de l'histoire dont ils'est juré d'être le témoin, com-me les rabbis de Hongrie, auXVIII" siècle, utilisaient la joie,le conte, les éhants, pour portertémoignage sur la vie de leurpeuple, dans l'holocauste.

Propos recueillispar Gilles Lapouge'

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Un lieu hanté

ARTS

Il Y a à peine dix aQs, l'abbayede Beaulieu, dans le Tarn-et-Garonne, était envahie par lesronces. L'église émergeait à mi-hauteur du portail d'une ganguede terre et de détritus quis'étaient amassés durant dessiècles d'abandon. Le reste desbâtiments était à l'avenant, lesviviers comblés et au chant desmatines avait succédé le meu-glement des vaches d'uneexploitation agricole. Beaulïeune démentait cependant pas sonnom et lorsque chaque annéePierre Brache et sa femme Ge-neviève Bonnefoi séjournaientdans la région, ils allaient àl'abbaye rêver d'une improbablerestauration. Jusqu'au jour où,mise en vente, ils l'achetèrentpour l'arracher à une mort cer-taine. Tout comme les moines,huit siècles auparavant, ils com-mencèrent par défricher, mais--cette fois les bulldozers rem-placèrent les serpes. Maçons,charpentiers et autres corps demétiers, tous de la région, s'at-telèrent alors à la tâche menéeavec l'aide des Monuments His-toriques. Neuf années de tra-vaux dont on imagine qu'ils nefurent pas sans susciter parfoisautant de découragement -qued'enthousiasme, restituent au-Jourd'hUi Beaulieu à ('architec-ture cistercienne.Coiffée d'un bas clocher orné

de rosaces, l'église ferme lequadrilatère dessiné par les bâ-timents conventuels et le lo-gis abbatial. Bâtie dans la se-conde moitié du XIW siècle, sanef, sans bas-côtés, allie l'élé-gance gothique à l'austérité cis-tercienne. Longue de cinquantemètres, éclairée par de hautesbaies étroites, elle se terminepar un chevet arrondi percé desmêmes hautes fenêtres auxquel-les les feuillages extérieursfont les plus beaux des vitraux.A ce lieu habité, Pierre et Ge-

neviève Brache se sont heureu-sement gardé de donner unedestination et c'est l'ancien dor-toir des convers qui abrite l'ex-position « Un art subjectif ou laface cachée du monde», pre-mière manifestation et fonde-ment de ce -Centre d'Artcontemporain qu'ils veulent im-planter en plein Rouergue. Carla restauration de Beaulieu n'estpas leur première aventure. Ily a plus de vingt ans, ils se je-

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tèrent à corps perdu dans lapeinture et le combat qu'ils me·nèrent pour l'abstraction lyriquene se traduisit pas seulementpar les véhémentes chroniquesde Geneviève Bonnefoipar un réel soutien aux artistesqu'ils défendaient. Ainsi d'achaten achat, une collection pritforme qui, à Beaulieu, sera dé-sormais ouverte au public. Col-lection on ne peut plus person-nelle de jeunes a mat e urspassionnés qui se saignent auxquatre veines pour l'achat d'unPoliakof, d'un Vieira da Silva,d'un Hartung, voire d'un Vasare-ly, mais qui très vite préfèrentà cet échantillonnage, la décou-verte d'une œuvre avec laquel-le ils se mettent à vivre. Ainsise trouvent présentés commenulle part ailleurs les tempsforts de la peinture françaisedes années 50, peinture qu'onaurait tendance à oublier parcequ'éloignée des recherches ac-tuelles et surtout gardée- parles collectionneurs. Il suffitpourtant qu'une centaine de toi-les soient, comme ici réunies,poUr s'apercevoir qu'elle tientadmirablement.Des vingt-cinq peintres pré-

sentés, certains ont la part bel-le et c'est justice. Michaux, enpremier, avec vingt-cinq œuvresqui s'échelonnent de 1944 àmaintenant: Fred Deux dont unevingtaine de dessins témoignentde l'œuvre trop secrète, d'uneéblouissante technique et d'uneexceptionnelle richesse thémati-que; cinq Dubuffet dont la su-perbe « Barbe de désintégrationdes injures.. Hantai est aussimagnifiquement présent avecquatre grandes toiles, ainsi queDegottex, Claude Georges, Son-derborg et Viseux avec une im-portante sculpture mécaniqueinstallée en plein air et son« Orchidée pour la Révolution •en acier qui trône devant qua-tre fortes toiles du temps qu'ilétait peintre. Il y a aussi Kar-skaya et Loubchansky et, repré-sentés par une seule toile Ma-thieu, Matta, Manessier, Fau-trier, Bissière, etc.Que l'on pardonne ce rapide

inventaire, mais n'est-il pas né-cessaire pour détourner versBeaulieu la route de vos vacan-ces?

Marcel Billot

1Ranuccio Bianchi BandinelliRome, la fin de l art antique425 ill.«L'Univers- des FormesGallimard éd., 470 p.

Il Y a un an, Bianchi Bandi-nelli nous avait offert avec Rome,le centre du pouvoir, une vued'ensemble magistrale de l'art ro-main, se promettant d'en finiravec l'art antique en un seul vo-lume traitant du moment où«les provinces de l Empire vontdevenir des protagonistes de lHis-toire, de la cultlUre et de l ArtCe volume, le -voici : on imagi-

ne, d'emblée, que son plan seramoins sinueux et savant que celuide l'ouvrage précédent puisque,chacune de ces provinces s'indivi-dualisant de plus eJ;l plus, il fautbien, désormais, en montrer l'évo-lution dernière sans chercher tropà rattacher ces bourgeons au tronccommun. Il se trouve par ailleursque la période de l'art antique(1) couverte par ce volume (del'assassinat de Commode en 192après J .·C. à la fin du règne deThéodose le Grand, en 395) estl'une des plus négligées de l'his-toire de l'art, mise à part la «re-naissance constantinienne ». Lepropos de cet ouvrage est doncnon seulement d'aller chercherles évolutions terminales d'un art« impérialiste disséminé auxconfins d'un empire trop vastemais encore de rétablir une conti·

Collections

Chez Eric Losfeld, le Désordre.Cette nouvelle collection, publiéesous la responsabilité de JeanSchuster, se propose, par son con-tenu, sa présentation et son prixéconomique, de rendre accessi-bles au public le plus large, cer-tains textes de référence aujour-d'hui introuvables et des inédits,les uns comme les autres portantdéfi,- en leur domaine, à l'ordrepolicier, mondain, littéraire, ra-tionnel et moral qui asservitl'homme à travers toutes les ins-titutions.

Premiers titres annoncés :

Les Mots font lamour, citationssurréalistes recueillies par An-

nuité entre, disons, le style Marc-Aurèle et les premières manifes-tations d'un art devenant à la foiseuropéen et médiéval.Dès le règne de Septime Sévère,

Bandinelli voit apparaître, dansla statuaire, diverses manifesta-tions d'« angoisse morale oppo-sées aux figurations traditionnel-les de la douleur physique (Lao-coon). L'Empereur, autrefois -hé-roïque, en vient à faire tristefigure. Simultanément les -structu-res plastiques s'amollissent, lacohésion va disparaître. Un beautexte de l'évêque Cyprien de Car-thage rellète le sentiment de mu-tation ressenti par l'époque. Lesstructures économiques sont elles-mêmes minées: au III" siècle serépandra une véritable faussemonnaie.La centralisation de l'Empire

le mène ainsi à sa perte, fût-elleretardée par le compromis qu'of-frira la reconnaissance des com-munautés chrétiennes par Cons-tantin. Déjà prospères (du fait dece malaise généralisé), la coinmu-nauté chrétienne devint en effetle meilleur soutien du pouvoir(évolution qui allait devenir tra-ditionnelle) .L'irrationnel officialise (les

chrétiens apparaissaient commeles tenants d'un au-delà omnipré-sent), c'était faire état, implicite-ment, d'un certain «expression-nisme apparu dans l'art et lapensée (Plotin), lequel avait con-

nie Le Brun.L'un dans l autre, d'André Bre-ton;

Les Rouilles encagées, une œuvrelibre de Benjamin Péret, illus·trée par Yves Tanguy.

Développements sur l'infra-réa.li.sme de Matta, de Jean Schus-ter.

Lexique succinct de rérotisme(Breton, Mandiargues, Paz, etc.)

Lettres de guerre de Jacques Va-ché, précédées de 4 essais d'An-dré Breton.

Plaisanteries, satire, ironie et sensprofond, de Christian DiedrichGrahbe.

Fétais cigare, d'Arthur Cravan.Le Testament d'Horus, de JoséPierre.

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La fin de l'art antique

EHIIIIER

Alexandrie. Statue du prètre Hor,

l'évolution se fait d'un style dé-coratif et soudain à une expres-sion plus essentielle et populaire(d'Egyptt; viendront les panneauxcomposés avec des marbres multi-colores) .Cette tradition de Rome même

aura des évolutions bien plus di-verses dans les différents terri-toires occupés, en Europe et enAfrique, par les légions et lesadministrations impériales. Onimagine la variété d'hypothèsesqui doivent être abordées ici pou rdéterminer l'importance relatived'une infinité d'œuvres allant dcl"imitation soumise (et donc ro-maine) à un style pratiquementséparé et donc local ou «provin-cial» (ainsi qu'on le nomme partradition, mais il faut en excluretoute nuance péjorative). Lasculpture apparaît, de loin, com-me l'élément le plus «tradition-nel »: le midi de la France entémoigne. Cela s'explique du faitqu'elle est l'apanage de classesplus ou moins inféodées au Ré-gime. Mais les artistes importés

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Composée par les meilleurs écrivains,elle possède un caractère artistique indéniable."Dr KRONHAUSEN The Sunday Times: 24.7.1966

ET AUSSI

duit à préférer la restitution« psychologique» à la congruen-ce anatomique ou sociale. Lescultes orientaux parlaient égale-ment d'une autre vie meilleure etcette convergence des courantsintellectuels allait remodeler tousles canons esthétiques.Des chefs militaires se succè·

dent pourtant à la tête de l'Em-pire, vite assassinés pour la plu-part. Les bustes qui nous en res·tent parlent un autre langage.d'une énergie si implacable qu'il;;sont uniques dans l'histoire del'art. Après Constantin, les Empe-reurs se feront de plus en plusreprésenter sous des traits divins.A un niveau plus modeste, l'artsoudain abondant des sarcopha-ges mènera, de même, à maintcsreprésentations «crypto-chrétien-nes» et, avec elles, un art plusfruste qui apparaît moins commeune décadence que comme nnnouveau départ.Il y a encore moins de diffé-

rence entre la peinture païenneet celle des chrétiens, simplement

La Q!!inzaine Littéraire, du 16 au 31 juillet 1970 17

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La fin de l'art antique

d'Orient et les traditions localesajoutent leurs piments, au moinsdans les aires éloignées. On con-naît assez hien, depuis quelquetemps, les arts celtiques et gallo-romains (2). Certaines régions,surtout, brillèrent dans des for-mes d'expressions particulières:verrerie (Cologne), portrait sculp-té (Espagne), etc. Mais c'est enAfrique que l'art romain va BCréinventer de la plus belle façon,dans l'Algérie et la Tunisie ac-tuelles. Même la sculpture prendun accent passionné et un réa-lisme qui restent exceptionnels àRome même. C'est enfin dans lamosaïque qu'un art suprême scdéploie, parallèlement (sans dou-te) à une peinture dont presquetout est perdu. A cet égard, cetouvrage (qui est sans doute l'undes mieux illustrés de toute lacollection) va nous combler, tantpar la quantité des document"que par le soin avec lequel, enfin,on nous les présente. La Tripoli-

taine prend, dans cette évolution,une position spéciale, étant res·tée inféodée aux modèles hellé·nistiques (enfin quelques peintu-res y ont été conservées). En Cyré-naïque, Leptis Magna semble fai·re revivre l'architecture.L'élément le plus troublant est

apporté par l'art romain et pré·chrétien d'Egypte. La statuairc ydérive moins de Rome que de latradition de l'Egypte ancienne.Le mélange des deux courants vacréer ces effigies saisissantes du«prêtre Hor» ou de «MaximinDaia» (3). Ici l'auteur constateque l'histoire de cet art caracté·ristiquement africain n'a pas en-core été écrite et se montre pru·dent.La Grèce, pour sa part, se sur·

vivait dans de beaux portraits(constante de la statuaire romai-ne) et des sarcophages. C'est àAdamklissi (Roumanie) que, sou-dain, va sembler naître un art siséparé qu'il a une saveur parfai-

tement médiévale, l'influence dela colonne Trajane fût-elle évi·dente.En Asie mineure enfin, les théo·

ries s'affrontent. Depuis le dilem-me «Orient ou Rome:. par le·quel on voulait trancher du pas-sage à l'art médiéval, la situations'est nuancée et, alors qu'on ten-dait à tout faire venir d'Orient,les fouilles d'Antioche ont révéléque la tradition hellénistique yétait, au contraire, plus vivacequ'ailleurs (mosaïques). De lapremière Constantinople, par mal·chance, il ne reste rien : les plusanciens vestiges de l'actuel Istan.bul remontent à Théodose (379-395) et donc à un style pré-byzan.tin. La vraie fin de l'Antiquiténous échappe donc quelque peuet de Byzance nous passons direc-tement aux bas-reliefs érodés(390) qui servent de base à unobélisque qu'avait ramené Julienl'Apostat. L'Orient connaît déjàles premières formes d'art byzan-

tin et Constantinople sera, aucours des ve et vI" siècles, la seulecapitale artistique. Pour tout lereste, un lent processus de matu·ration va plonger l'Europe dansune apparente «régression ». Ghi.berti pensait qu'elle était due àla destruction des «modèles» an·tiques par les premiers chrétiens.En fait, ainsi que termine Bandi·nelli: «La difficile naissance dela nouvelle civilisation se faisaità partir d'une culture moins sa-vante et moins raffinée mais à la-quelle étaient appelés à participerun plus grand nombre d'hom-mes. »

Marcel Marnat(1) C'est·à·dire de tradition antique

et païenne: le premier art chrétienest aujourd'hui mieux connu,(2) Rappelons Celtes et Germains.

• l'Art dans le Monde,' (Albin Michel)et Art et Dieux de la Gaule (Arthaud),(3) Telle est l'identification tradl·

tionnelle, Bandinelli préfère y recon·naître l'Empereur Galère tandis qued'autres parlent de Cicinus ou de Dio-clétien .. ,

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Page 19: Quinzaine num      ero 99

ESSAIS

Au bord du chemin

1Roger MunierLe Seulpréf. de René CharTchou éd., 149 p.

Pour me faire une idée d'unlivre, j'en recopie un passage. Siau bout d'une page ou deux jesuis content de ce que j'ai écrit,c'est une première conclusion. Etsi cela me donne envie du pasti-che, alors ma religion est faite.Pasticher est un acte de respect :mettre par écrit le travail de lec-ture, pour dégager plus nettementl'inimitable, qu'on laisse intouché.C'est là une opération intime,

dont l'insolence n'a pas besoind'excuses. Bien préférable en toutcas à celle dont on prend l'habi-tude dans les classes, de soulignerles mots ou phrases jugés «im-

ou récapitulatifs: dequel droit? Plutôt écrire carré-ment dans les marges, ou espaceslaissés blancs, insérer entre lespages des Beurs, des dates ou demenus calculs, jusqu'à faire del'objet industriel ce compagnonqu'est parfois le livre de cuisineou de comptes.

Le pasticiaccio

Comment écrire, d'ailleurs, sansse pasticher soi-même ? Mais pourson propre contentement, la satis-faction d'enclore encore plus her-métiquement, par la suite des va-riations qu'on décrit ainsi sur unthème inouï, l'essentiellement soi,dont il n'y a rien à dire.Plaisir de pasticher Péguy,

Proust, Claude Simon, Lacan:plaisir gustatif du pasticiaccio.

Le Seul, de Roger Munier, pro-voque à la fois et charme. Est-ce du même mouvement ? Devantle lecteur, puis en lui-même, pro-gresse une pensée qui «interrogele visible» - le seul, non qu'iln'y ait pas d'invisible, mais parceque l'invisible est «la dimensionmême du visible» - laissant sur-gir le nu, le simple, le savoureux,l'immédiat. Et cependant se dé-ploie aussi une rhétorique. Rhé-torique: désir anxieux de fairetaire le lecteur. La tension entrel'invocation du monde et la réti-cence du style est l'inimitable deRoger Munier.Un personnage oublié, l'arbre,

revient devant nous. Souvenez-vous des arbres médusants etobscènes de la Nausée, puis lais-sez s'ériger devant vous l'arbrecontre lequel s'appuie Roger Mu-nier. TI n'en faut pas plus pourcondamner Sartre, regretter qu'ilait si vite avalé Heidegger, pluspressé de le dépasser que de lesavourer. Mais on comprend, maison excuse presque la boulimie dunormalien parti à Berlin la têtedéjà farcie, et qui ne sait pasqu'on se nourrit aussi en jeûnant.Je recopie: «Je· touche cette

évidence érigée, aveuglante lEêtreainsi offusquée, comme stupéfaitedans ce tronc lisse et tendu... Jelis dans cet arbre finfinité qu'ilest sa limite. Accueillant cet-te limite, j'accueille (infinité... 'Lieu de surgissement du monde,la parole est mon abri, mon habi-tacle. Nommés, farbre, le nuage,la rivière, f étendue, la pluie, levent sont plus que ce qu'ils sont,devenant en effet: arbre, nuage,rivière, étendue, pluie et vent.L'arbre est arbre, qui n'était en·core qu'attente lEarbre. Il se pro-duit réellement comme arbre. Laparole met f arbre au monde.D'une certaine manière, elle estproprement «arbre »... L'arbreéchappe à la saisie, globalementse refuse au savoir, par la présen-ce en lui de Ce qui s'abolit pourqu'il ait forme et limite lEarbre,infinisant du même coup cetteforme et cette limite... C'est Celaque le dire-monde cherche à nom-mer. Il dit ce calme pouvoir, cetteaffirmation noueuse accompliedans la grâce du feuillage, cetteforce souple jaillissante dans (im-mobilité du là, cette sorte de dis-tance et lEélan, de verticalité etd'imminence dans la proximité dulà, par quoi f arbre impénétrablf:-

ment se dérobe et en lui-mêmeéchappe à sa finitude d'arbre ... »Je cesse de recopier: non que

je sois mécontent du texte, maisparce qu'au contraire, il m'invitesi fortement à un silence qu'ildérange lui-même. Inconvénientdu poème didactique: il est siplein de ce qu'il aime qu'il enoublie. ce suspens grave pendantlequel le disciple imbécile creuseson silence jusqu'à en faire surgirune forme conjointe à la parole.Ou alors le livre est la pousséede fièvre des NourriIJures Terres-tres, dévorées dans l'exaltationadolescente, avide, assoiffée, puisdéçue mais nourrie de cette dé-ception même: le vrai fruit esthors du livre, il faut partir.

Le SacréPuis, comme le Seul est pas-

. sionnant, il faut y retourner. Ils'y trouve un chapitre, «Mémoi-re », dans lequel Roger Munierdemande à l'arbre de nous direl'histoire de notre regard, depuis«la halte des vergers» jusqu'à«l'arbre des plantations indus-trielles », en passant par l'arbresacré de Dodone. Ce très beauchapitre provoque infiniment dequestions, et souvent y répond.C'est un récit d'une grande pu-reté, où le Sacré (au sens où W.Otto l'entendait) est restitué, àla fois familier et étrange. Co-pie: «L'hommage au Disparudans farbre, qu,'il aille donc àf arbre, puisque f arbre est la dis-parition même du Disparu sousforme lEarbre, puisqu'il est, enn'étant qu'arbre, en n'étant RienlEmttre qu'arbre, le lieu fini dece Rien qui le fonde ... Ainsi far-bre devint sacré. Pure absenceérigée sous forme lEarbre, énigmevégétale érigée disant f Enigme. »Mais pourquoi tel arbre, et non

tout arbre présent? N'est-ce pasdéjà un retrait par rapport au«tout est plein de dieux» deThalès? Munier répond: «Maisce qu'il est ainsi dans sa pléni-tude signifiante, f arbre sacré nefest que par décret. Au sein dumonde de f oubli, le sacré préa-lablement définit une enceinte àfintérieur de laquelle seul f arbrea ce pouvoir lEêtre arbre. Le chê-ne sacré - le chêne - n'est qu'àDodone.» Puis, avec l'enfonce-ment des hommes dans l'oubli dece qui est, «le chêne-oracle, s'ilparle encore en tant que chêne,

n'est bientôt plus que la seulevoix du dieu. Il se perd en safonction, devient le porte-parole,l'organe lEun Autre, lEun Séparédu chêne qui n'accède au visibleque par son truchement ». Le sa-cré déjà «confirmait» l'oubli.C'est sur une telle perspicacitéque se fonde l'attitude pleinementpacifiée de Roger Munier.La condamnation de la techni-

que conduirait en effet au déses-poir, si elle opposait mécanique-ment à notre monde d'aveugles un« avant» de pure translucidité.Mais Munier rend le présent àson ambiguïté parce qu'il se gar-de du regret, ou régrès, qui me-nace quiconque oriente sa penséedans le sens du «retour» hoel-derlinien. D'où les deux issues:ou bien «l'arbre humilié sauveral'arbre », «sauvé de l'oubli par]'excès même de l'oubli»; oubien le monde «se désertera cha-que jour davantage, s'abîmeradans son propre artifice ». Cet« ou bien» est le sens présent.R. Munier avait déjà affirmé sa

position, dans une. langue' d'uneremarquable clarté, en dialoguantavec Brice Parain à propos del'être du langage (1). On avait étésurpris par la sûreté de la métho-de, consistant à permettre auxmots de conduire la pensée ; Bri-ce Parain, par contraste, apparais-sait à la fois hésitant et incisif,tendu par une angoisse très sen·sible. Au fond, avec Roger Mu-nier, c'est la première fois queHeidegger parle français, et biensûr cela ne va pas sans quelqueartifice, comme dans le doublaged'un film. On sait quel rôle depremier plan R. Munier jouedans le travail patient de transla-tion opéré depuis quelque tempsen France sur les textes de Hei-degger (2). Le Seul marque unenouvelle étape, non d'infidélitémais d'audace. La pensée s'y avè-re à sa place dans la poésie, ordrede mots dont la source, quoiquecachée, ne se dérobe pas. Onprendra vite l'habitude de pen·ser à Munier, et de relire sestextes, et de les attendre, commedes signes placés d'avance au bordd'un inévitable chemin.

Pierre Pachet

(1) Cahiers du Chemin, n° 3. avril1968.(2) En particulier la remarquable

traduction de • Qu'est-ce que la méta-physique? parue dans le n° 14 duNouveau Commerce, été-automne 1969.

I.a Q:!!iJazainc Littéraire, du 16 au 31 juillet 1970 19

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ETHNOLOGIE

Chez les Canaques

Une contribution précieuse à l'étude de l'histoirecoloniale et • l'enrichissement de l'ethno-histoire.

1Roselène DoussetColonialisme et contradictionsMouton et Co., éd., 208 p.

1878: en Nouvelle-Calédonieéclate «l'Insurrection généraledes tribus canaques », entraînantune atroce répression. A quellefrappante analogie avec la révolteet le massacre du peuple malga-che, en 1947, n'est-on pas confron-té ? Le processus de détériorationdes rapports entre Blancs (deuxfois Français, en l'occurrence) etAutochtones connaîtra, ici et là,des développements d'une étrangeparenté, parce que les ressortssont toujours les mêmes. Et lemérite essentiel de l'ouvrage queRoselène Dousset publie aujour-d'hui est de mettre en lumière, àla faveur d'un cas exemplaire,l'immuable logique du comporte-ment colonial.Ce n'est pas un hasard si l'au-

teur a choisi de traiter ce sujet:fille de Maurice Leenhardt quifonda, en 1902, la mission protes-tante de Nouvelle-Calédonie, néeelle-même dans l'île, RoselèneDousset voue visiblement (et onla comprend) une admiration etun respect actifs au peuple de sonpays natal, pardonnant difhcile-ment, en revanche, à nombre deses compatriotes le désastre maté-riel et moral auquel ils l'ont ac-culé, par l'instrument de la colo-nisation, depuis plus d'un siècle.Se fût-elle laissée emporter parl'indignation pure, que les faitsrapportés, ainsi déformés. et alté-

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rés par le feu de la passion, n'eus-sent pas représenté la même va-leur. Mais, choisissant de contenirce naturel sentiment de révolte, etle canalisant.dans la voie d'uneréflexion scientifique, elle assureà son travail un haut niveau d'ob-jectivité. Comme l'écrit très juste-ment Bastide, dans unebrève préface, mais d'une singu-lière densité: «La thèse de Mm.Dausset sur les causes de llnsur-rection de 1878 en Nouvelle-Calé-donie s'inscrit dans le cadre decette nouvelle science que lonvoit, enfin, naître et se dévelop-per a.ujourd'hui: lethno-histoire,qui n'a rien à voir avec la géné-ralisation, à des ethnies autresque la nôtre, des méthodes ou desperspectives de lhistoire tradition-nelle.» La méthode scientifiqueadoptée permet effectivement d'a-nalyser simultanément les struc-tures de pensée en présence, etde suivre le cours parallèle desraisonnements qu'elles condition-nent. Et ainsi aperçoit-on immé-diatement que la méconnaissancepar les Européens, prisonniers deleurs catégories mentales, du«code culturel» en vigueur chezles Néo-Calédoniens, implique dé-jà le fatal malentendu qui engen-drera, grossi de nombreuses au-tres causes, l'Insurrection de 1878.Les manuels d'histoire nous ap-

prennent que le Capitaine Cook« découvrit », suivant un tic delangage typiquement européen(induisant à la non-existence detout peuple avant l'arrivée del'Europe), la Nouvelle-Calédonie,

en 1774. Dix-neuf ans plus tard,un nouvel explorateur, françaiscelui-ci, Entrecasteaux, va débar-quer, tout comme Cook, à Balade,à la recherche de La Pérousequi aurait également séjournédans l'île. Après un autre entr'acte, de cinquante ans cette fois,les premiers missionnaires maris-tes envoyés de France, mettentpied, à leur tour, en 1843, et tou-jours à Balade, sur le sol de la«Grande Terre ».Pendant dix ans, qui coïncide-

ront avec la période de précoloni-sation de l'île, les missionnairesvont tenter d'approcher les Cana-ques et de les convertir. Ils yréussiront relativement, dans cequ'il est convenu d'appeler l'étaped'adoption: les «pouvoirs» deces représentants de la «tribu duciel» paraissant irrésistibles. Mais,à l'étape de l'adoption succédera·celle du rejet. Que s'est-il doncpassé? Ceci, que les Européens,trop confiants en leur supposéesupériorité, et faisant fi, par igno-rance, des coutumes locales, sous-estiment gravement les facultésd'observation et de pénétrationdes Néo-Calédoniens. Ceux-ci nese laissent pas longtemps abuserpar les «pouvoirs» des «bonsPères », dont ils décèlent la super-

cherie, et surprennent très viteles contradictions que les mission-naires laissent apparaître entreleurs paroles et leurs actes: ilsse prétendent témoins d'un Dieud'Amour, mais se présentent ar-més jusqu'aux dents; ils décla-rent «ouvrir leur cœur », maisferment leur camp ; ils se disent« indépendants» du temporel,mais sont objectivement solidai-res (certes, à leur corps défen-dant, et les circonstances aidant)des soldats et marins français quiles «protègent ». Rien de celan'échappe à la sagacité des Au-tochtones.Il y a plus grave. Les Euro-

péens ne respectent pas ]a loi deréciprocité qu'implique ladoptiondans le «code culturel» néo-

calédonien. Les Canaques ont ac-cepté les missionnaires, et de seconvertir à eux, mais ce premiergeste ne devait pas rester unila-téral. Les missionnaires devaienty répondre par un autre geste,implicitement inscrit dans le«pacte tacite» liant les parties,en partageant avec eux vivres etbiens des navires si longtemps at·tendus de France (Culte du Car-go). Or, dès l'arrivée de ces ba-teaux, loin de partager, les «bonspères» entassent les marchan-dises dans leur camp, et les gar-dent pour leur usage, laissant lesIndigènes dépérir sous leurs yeux.Se sentant « joués» par cesEtrangers qui sont si loin d'êtrece qu'ils prétendent, les Néo-Calé-doniens ·vont désormais les rejeter_A ces premières erreurs, sans

doute déjà irréparables, vonts'ajouter, avec l'implantation dela colonisation, une suite d'exac-tions inhérentes au système colo-nial lui-même. Malgré les décla-rations d'intention exemplaires dela France métropolitaine, garan-tissant l'intégrité de la propriétéindigène, la logique interne de lacolonisation conduira nécessaire-ment au résultat inverse : la spo-liation des meilleures terres, au-torisée et encouragée par l'admi-

nistration locale, chaque jourplus dévouée aux intérêts descolons. La colonisation péniten-tiaire ne fera qu'aggraver les cho-ses, et l'élevage intensif, enfin,précipitera le processus de l'insur-rection proprement dite. Celle-cin'est pas directement décrite parl'auteur, mais Roselène Doussetnous laisse pourtant espérer unprochain ouvrage consacré à cephénomène. Avec l'œuvre présen-te, écrite d'une plume vive et élé-gante, nul doute qu'il représen-tera une contribution précieuse àl'étude de l'histoire coloniale, etsimultanément, à l'enrichissementde cette science encore dans l'en-fance, que l'on nomme l'ethno-histoire.

Guy de Bosschèrf"

Page 21: Quinzaine num      ero 99

INFORMATIONS

Un guérillero

La Quinzaine1It....1..

43 rue du ·rem,,":. Pari. ,.C.C.P. 15.S!i1.53 Paris

.Les d'économieet de politique

.2

Analyse et Prévision (juin 1970)L'ancien Commissaire au Plan. Pier-

re Massé, reprend un texte qu'il avaitécrit en 1962 sur «La France et lesGadgets - et réèxamine la tension pro-pre à toutes les sociétés modernesentre rémunération du travail, consom-mation collective et dépenses de soli-darité.

Preuves (3' trimestre 1970)Ota Sik (le père de la réforme de

la planification en Tchécoslovaquie) :• Ma Réforme était juste, la politiquel'a fait échouer-.

Projet (mai 1970)F. Bloch-Lainé: «Bâtir des utopies

concrètes - ou: «Comment mettre lacroissance économique au service dudéveloppement humain-.Juin 1970: numéro spécial sur l'éco-

nomie et la société japonaises.

Revue Française de Sociologie (juin1970)J. R. Treanton: • Le sociologue doit-

il ignorer l'histoire? •

Survey (printemps 1970)Contient des commentaires sur le

livre d'A. A"lalrik.· et des lettres de'ce dernier (dont une lettre ouverte àKuznetsov) .

Dissent (mai-juin 1970)Michael Harrington (dont le livre

l'Autre Amérique a été traduit en fran-çais) : • Pourquoi le socialisme nousest nécessaire en Amérique-.

Chronique Sociale de FranceDans le n° 5, consacré à la pensée

utopique, trois textes inédits en fran-çais:Aldous Huxley: • Utopie positive et

utopie négative-.B. de Jouvenel: «Du bon usage

de la pensée utopique-.David Riesman: «Etat présent de

la pensée utopique en Amérique -.

eouscrit un ahon_to d'un an 58 F 1 Etrancer 7() Fo de six mols 34 F 1 Etranger 40 Frèglement jC)int paro mandat postal CJ cltèque postalo chèque baneaireRenvoyez celte carte à

Il.

VW.Date

et de briser les obstacles, ne s'ar-rête jamais, et progresse avec unefougue de jeune homme.Cette différence est cependant,

depuis quelques années, non pasun thème de réflexion mais unepréoccupation, une interrogationpour une nouvelle génération dephilosophes: Gilles Deleuze anoté combien le concept de diffé-rence se vide dès que l'on pré-tend le comprendre à partir del'identité ; ce fut le cas de Hegel,mais Hegel ne constitue-t-il pasun recul dans la réflexion euro-péenne ? Et ne faut-il pas consti-tuer le concept de différence enlui-même, sans compromis avecl' « identique» ou le «sembla-ble », comme fondement de touteréalité (3) ?Lefebvre se situe dans des pers-

pectives comparables, mais avecun talent de polémiste. Il ouvrela brousse à coups de machetteet pratique la guérilla intellec-tuelle. C'est le propre de cet es-prit prodigieusement acéré et vi-vant qui, à grandes brassées, tra-vaille la pâte plus ou moins figéedu savoir commun. Lui-même estun «guérillero de la philoso-phie et de la sociologie. Mais le« guérillero» n'est-il pas, par dé-6nition, rautre, celui que l'onn'assimile jamais, parce qu'il estde nature différent ? Lefebvre nepense pas la différence, il s'ins-talle en elle. Il lui reste, mainte-nant, à la démontrer.

Jean Duvigrwud(1) Gallimard éditeur.(2) Editions de Minuit, collection

• Arguments '.(3) Différence et répétition, PUF.

Semences qui, à vrai dire, restè-rent chez ces philosophes à l'étatd'ébauche, tant fut ravageur chezeux la puissance systématisante.Lefebvre trouvait ici la premiè-

re ébauche d'une différenciationradicale entre la pensée et la réa-lité vivante, différenciation qu'ils'agissait moins de réduire quede mainten.ir en un affrontementpermanent et radicalement in-domptable. . Image romantique?Recherche de la réalité créatricede l'être humain, réalité dynami-que que n'a 'pu encore étoufferaucune diversion, aucun· esclava-ge, aucune aliénation, fût-elle cel-le de la dialectique? Pourquoinon?Il est évident que le seul pen-

seur qui ait résisté complètementà cette «homogénéisation resteNietzsche. Lefebvre, qui prépareun livre sur lui, en parle à peinedans ce Manifeste. Pourtant, lecentre du propos est bien là : oubien l'abandon de la réflexioninstituée et la solitude, ou bienl'intégration dans les cadres tra-ditionnels. Quelle grande penséene serait tentée par la sécuritéapaisante de 1'« establishment» ?La révolution a-t-elle elle-mêmerésisté à cette intégration en insti·tutions? La civilisation indus-trielle ne nous jette-t-elle pasdans la calme et générale jouis-sance de biens un.iversellement ré-partis?Ce «manifeste », écrit la bride

sur le cou, ce survol brillant etrapide renvoie aux autres lignesde Lefebvre, à sa Méta-philoso-phie, à son Introduction à la mo-dernité (2). L'idée même de dif-férence ne trouve pas ici sonépanouissement complet parceque l'auteur, soucieux d'avancer

«Philosophie, histoire, politi-q1;le,. associées ou dissociées, al-liées ou mésalliées, forment laSainte-Trinité des pouvoirs hOlllo-généisants réducteurs de ce quidiffère... » Travail obscur de lami-nage des originalités. Lente récu-pération des particularités (Ar-taud, Holderlin, Nietzsche deve-nus sujets de cours !). Puissanteboulimie de la force instituée quine dit pas son nom - politique?raison? puissance technique?magie?. Ce pouvoir d'intégration, Hen-ri Lefebvre le retrouve à tous lesniveaux de la vie quotidienne;confusion de la croissance écono-mique dédaigneuse des diversitésde groupes et de classes avec ledéveloppement social générateurde différenciation, assimilationdéjà ancienne de la révolution etde l'Etat révolutionnaire, assimi-lation du travail producteur et dela logique abstraite, valorisationde grands modèles abstraits, uni-versellement affirmés.Dans sa Vie quotidienne dans

le monde actuel (1) qui fut uncours professé à Nanterre en 1967-68, Henri Lefebvre avait déjà dé-fini ce double caractère de l'épo-que contemporaine d'être réduc-trice et affirmatrice de différenceà la fois; seulement cette affir-mation des différences, si elle seplaçait, au siècle dernier (dumoins tel que le voulurent lesphilosophes socialistes), uneclasse sociale se situe aujourd'huidans une classe d'âge. D'autrepart, la société industrielle engen-dre spontanément et, sans l'avoirmédité, une puissante assimila-tion des divergences - et celaavec la même force que pouvaity prétendre l'Etat (rationnelle-ment pensé) de Hegel.Derrière cette critique se situe

la réflexion même de Lefebvre,réflexion qu'il poursuit depuisses premiers livres, parus bienavant la guerre, comme cetteConscience mystifiée jamais réédi-tée (1). Cette pensée est une mé·ditation . permanente et jamaisachevée sur les suggestions formu·lées hâtivement par certains pen-seurs romantiques, de Schelling àMarx et du jeune Hegel à Fichte.

1Henri LefebvreLe manifeste différentialisteColl. IdéesGallimard éd., 186 p.

f.a Q.!!inzaine Littéraire. du 16 au 31 juillet 1970 21

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C'est dans Ricardo que Marx apprit la science économique. En 1811, comme aujourd'hui, le problèmede la valeur est au centre de l'intérêt qu'on peutporter à ses «Principes».

POLITIQUE

Relire Ricardorien de plus éloigné du maîtreouvrage de Smith que les Prin-cipes de Ricardo. L'Ecossais étaitprofesseur, mais aussi curieux dela pratique. Son livre est à lafois un manuel relativement or·donné et une encyclopédie desconnaissances économiques dutemps. Ricardo est un banquierépris d'idées abstraites, mais dontles talents d'exposition sont limi-tés. Les Principes sont un livredifficile d'accès. Du moins sont-ils courts, au contraire de la Ri-chesse des Nations qu'alourdissentde multiples digressions.Pourquoi relire Ricardo en

1970? Christian Schmidt en don-ne les raisons dans une introduc-. tion. On peut les ordonner sousdeux titres :- L'économie ricardienne est

une analyse pénétrante de la réa-lité économique anglaise du débutdu XIX" siècle. Telle est sans doutela raison de son succès exception-nellement rapide.- Nous assistons d'autre part,

depuis la dernière guerre, à unretour aux sources ricardiennesde la ·théorie économique; sous

travail. 2 0 Est-il possible de con-cevoir un étalon invariable desvaleurs ? Nous insisterons ici surce deuxième point, moins connusans doute des non-spécialistesque le premier. De toute manière,on le verra, ils ne sont pas indé-pendants.Ricardo pensera d'abord avoir

trouvé son étalon invariable desvaleurs dans le blé, ce bien fon-damental de l'économie d'ancienrégime, économie dont Ricardofait la théorie et dont il est, onl'a dit, l'un des plus pénétrantsanalystes. Dans ce type d'écono-mie, où domine l'agriculture, laproduction alimentaire, symboli-sée par le blé, occupe la majeurepartie de la population, qui con-sacre la plus grande part de sonmaigre revenu à l'acquisition desubsistances. Le capital fixe estpeu important. Tout se résoutfinalement en nourriture, la con-sommation comme l'investisse-ment: le capitaliste épargne unepartie de son revenu; celui-ciétant équivalent à une certainequantité de blé, le capitaliste lafera fructifier en la remettant aux

1David RicardoPrincipes de {économiepolitique et de {impôtpréf. de Christian SchmidtCahpann-Lévy éd., 416 p.

«Ricardo conquit l'Angleterreaussi complètement que la SainteInquisition a conquis l'Espagne. »Ce jugement de Keynes (dans laThéorie générale) fait. écho à cequ'écrivait Baudelaire dans lesParadis artificiels lorsqu'il évoquede Quincey: «Cet intellectuelproclame la venue d'un législa-teur de l'économie politique », Ri-cardo.Quincey est, en effet, l'au-

teur - peu connu sous cet aspectde son œuvre - de Dialogues detrois Templiers principalement enrelation avec les principes de

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l'économie politique de M. Ricar-do, publiés dans l'Edinburg Re-view en 1824.A cette date, les Principes, dont

la première édition date de 1817,ont déjà conquis l'Angleterre.Une propagande fort bien faitepar James Mill, le père de JohnStuart, et par MacCulloch, répanddans le public cultivé les théoriesfondamentales de Ricardo ; celles-ci se précisent, d'abord au coursdes fameux petits déjeuners del'auteur, puis au Political Econo·my Club, lorsque les discussionsmatinales en vinrent à troublerl'appétit des convives de Ricardo.Le club fut animé par le fils del'émigré Mallet du Pan.Ricardo est souvent présenté

comme le successeur de Smith,dont la Richesse des nations, rap-pelons-le, date de 1776. En fait,

l'influence principalement desmembres de 1'« Ecole» de Cam-bridge : Joan Robinson, NicholasKaldor et Piero Straffa. Ces au-teurs reprennent dans leurs mo-dèles les abstractions sublimes dugrand ancêtre. On peut incluredans le même ordre d'idée le faitque c'est dans Ricardo que Marx,qui inspire tant de nos modernesphilosophes (ainsi la lecture deRicardo par Foucauld) apprit lascience économique.En 1817, comme aujourd'hui,

le problème de la valeur est aucentre de l'intérêt que l'on peutporter à Ricardo et à ses Princi-pes. TI conviendrait d'ailleurs dedire plutôt les problèmes de ·lavaleur, puisqu'il y en a deux:10 Qu'est-ce qui fonde la valeur?Ricardo répond, comme Smithavant lui et Marx après lui: le

travailleurs sous forme de salairesen échange d'un certain nombred'heures travaillées. A cette hégé-monie, l'agriculture joint la par·ticularité d'être le seul secteurdont on puisse immédiatement, etsans l'intermédiaire dévoilé de lamonnaie, calculer le rendementphysique: tant de semence, tantde moisson. On conçoit que Ri-cardo ait cru voir dans le bléJ'étalon invariable des valeurs.Le développement de la société

industrielle, qui bouleverse l'An-gleterre depuis plusieurs décen-nies, exerce aussi son action surl"économie agricole: le rapportsemaille/récolte varie. D'autrepart, elle fait surgir tout un sec-teur industriel nouveau, auxlourds et nombreux équipements.Le travail, qui équivalait à unecertaine quantité de subsistances,

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HISTOIRE

Le réel et le songe

La Q!!inzaine Littéraire, du 16 au 31 juillet 1970

Edgard et Michelet reprennent possession de leurs chaires (1848)

n'est plus le facteur prépondérantde la production: la machine àvapeur, le haut-fourneau, la ma·chine textile prennent une placede plus en plus importante à tousles stades de la production et del'échange. Il n'est donc plus pos-sible de trouver un rapport sim-ple entre travail et blé d'une part,et valeur d'autre part.Les variations de la pensée ri-

cardienne, entre ses premièresœuvres et les Principes, entre lesdeux premières et la troisièmeédition de ces mêmes Principes,témoignent des difficultés entraî-nées pour la théorie économiquepar la présence du capital et desprogrès de la productivité du tra-vail. C'est l'objet du fameUx dé-bat entre les économistes de l'épo-que sur l'infZuence des variationsde salaires sur la valeur relativedes marchandises. Ricardo finitpar admettre et faire admettre -et c'est là l'un de ses apports théo-riques essentiels - que, avec lemachinisme, l'augmentation dessalaires élève la valeur des marechandises produites avec unegrande . proportion de travail,mais baisse· relativement la valeurdes marchandises produites avecplus de capital durable. Quin-cey esquissera la même idée lors-que, dans ses Dialogues, il fera di-re à l'un de ses Templiers qu'unétalon de valeur ne peut resterstationnaire dans un système encroissance que si le produit quisert d'étalon de valeur est lui-même toujours produit par lamême quantité de travail.Il est bien difficile de rencon-

trer dans la pratique un tel pro-duit; aussi bien Ricardo, suivantune démarche caractéristique duthéoricien qu'il était avant tout,l'invente pour les besoins de ladémonstration. Cette partie de sonœuvre n'a été reprise que toutrécemment, par M. Straffa, dansson livre au titre caractéristique :Production de marchandises aumoyen de marchandises.Christian Schmidt a raison de

souligner, avec M. Straffa qui futle préfacier de l'édition britanni-que des œuvres complètes de Ri-cardo, que ce dernier, par sonsouci de la théorie, par sa mé-thode d'analyse, est un moderne.Aussi devons-nous lire et relireRicardo, comme une des sourcesde l'esprit scientifique en matièreéconomique.

Michel Lutfalla

Jules MicheletL'étudiantprécédé deLa parole historiennepar Gaëtan PiconLe Seuil éd., 196 p.

« J'ai vécu dans une umte ter-rible, digne de ceux que j'ai ra-contés », dit Michelet au début de1848, en songeant à' la dramati-que résurrection de l'histoire ré·volutionnaire où il s'était ensevelidepuis 1843. Cette unité terrible,c'était la plongée dans le cœurle plus secret de l'histoire, ce dontne rendaient compte ni la succes-sion des événements ni leur inter-prétation: le souffle obscur dupeuple découvrant sa nécessité,s'inventant comme acteur uniquedu devenir.

Une tension intérieurequotidiennementrenouvelée

En toutes ces années, il avaitvécu dans une tension intérieurequotidiennement renouvelée quiétait en lui la traduction de eettepulsion cachée grâce à laquelle« le peuple fait le peuple:l>. Dansles derniers mois de 1847, Miche-let pressent que ce souffle peut ànouveau, comme en 92 et 93, brioser l'écorce de l'ordre bourgeoiset que les opprimés cherchent àreconnaître leur voix et leur vi-sage. L'enseignement de Miche-let (republié aujourd'hui par Gaë-tan Picon sous le titre fEtudiant)au Collège de France, va être uneréponse à cette espérance.

Il s'agit pour lui de donner àces jeunes gens informulés qui at-tendent de l'Université moins unsavoir qu'une action la consciencevivante du grand mouvement quise prépare, d'ouvrir leur regard àl'immense détresse qui les entou-re afin de les en rendre solidaires.Mais ces jeunes gens sont presquetous des bourgeois qui n'ont quele pressentiment des abîmes quiles entourent, et à qui les mauxde la société demeurent lointains.Alors, pour les faire pénétrer dansla misère d'autrui, Michelet lesfait pénétrer d'abord dans la mi·sère de leur condition d'étu-diants: la stérilité de la culturedont ils se nourrissent et dont lesoripeaux romantiques dissimulentla pauvreté; l'esprit religieuxdes idéologies officielles empoi.sonnant la religiosité profonde del'homme; l'ignominie des privi-lèges qu'on leur promet s'ils en-trent dans les hiérarchies recon·nues; l'avilissement du cœur quinie à la fois l'amour et la frater·nité.Comme le montre Gaëton Pi-

con en multipliant les ponts quiunissent dans une commune ré-volte février 48 61. mai 68, l'his·toire fut voici plus d'un sièclece que fut la sociologie voici deuxans: le révélateur qui, tout àcoup, levait le masque donts'étaient couverts une culture, unordre, une société tout entière.Pour Michelet, les étudiants sontappelés à prendre en charge legrand silence des hommes écrasés.Seule la jeunesse, en retrouvantl'esprit vivifié, en redonnant unsens à la parole, peut entendre« cette voix douloureuse qui part

de tous les points du globe et quin'est pas tant encore la voix dela souffrance physique que cellede la pensée muette qui se cher-che, qui veut, qui ne peut s'expri-mer».

Un thème fondamentalde Sartre

Compte tenu de l'énorme dis-tance qui sépare le discours uni-versitaire de 1848, reflet de ceque l'auditoire peut entendrealors, et le discours philosophiqued'aujourd'hui, on est frappé deretrouver chez Michelet un thèmefondamental de Sartre dans laCritique de la Raison dialecti-que: celui du groupe ou «en-semble pratique» qui cristalliseles tensions errantes, et agit en-suite sur le corps social tout en-tier, le «pratico inerte », pour letransformer en rassemblementagissant. C'est à travers cette ac·tion du groupe, ici le groupe étu-diant à qui Michelet a tenté defournir sa nécessité, son existenceintérieure, que peut se déchirerla trame apparemment immuabledu tissu social, que peut êtremise à nu la réalité ignoble àlaquelle le peuple est condamné.Mais la mise en cause de cetteréalité, c'est d'abord la mise encause du langage: les mots sontpervertis parce qu'ils sont com-plices du malheur des hommes;ils sont comme bloqués par lemauvais usage de l'intelligence etdu cœur. Il faut les délivrercette prison, les rendre à leurspontanéité. Car c'est à travers desmots neufs que les hommes peu-

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Michelet

SOCIOLOGIE

Naissance

vent tout à coup retrouver «cequ'ils voulaient réin·venter l'histoire comme un vastethéâtre dont ils sont les acteurs.Les dix leçons rassemblées

dans r Etudiant, et dont la majeu-re partie ne furent pas pronon-cées après l'interdiction du coursde Michelet, racontent cette lenteascension vers l'apocalypse révo-lutionnaire qui trouve son éclatmajeur en février 1848. Et l'éclai·rage que Gaëtan Pi-con prodigue sur cette «parolehistorienne ne rétahlit pas seu-lement la similitude de vision en-tre février 1848 et mai 1968. Ilrestitue aussi à l'œuvre de Miche-let une de ses vertus les plus sin-gulières, celle de s'interroger sanscesse sur les pouvoirs de la litté-rature et sur ses chances de dé-chiffrer, dans les lumières appa-rentes de. la réalité, les ténèhresfécondes et inaliénahles du rêve.Dans la rencontre du réel et dusonge, se lève le vent des grandesmétamorphoses. C'est le sens mê-me de toute la destinée de JulesMichelet.

Claude Mettra

B. Bal, Nleuwersluis, Pays-Bas, voudrait être mis au cou-rant de toute publication con-cernant Wilfred Owen hors del'Angleterre et de l'Amérique,même les références brèves.

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1Alfred WillenerL'image-action de la sociétéou la politisation actuelleLe Seuil éd., 345 p.

Les événements de mai 68ont donné naissance à uneextraordinaire éclosion de• sociologie spontanée. al-lant du folklore à dominantepolitique à l'analyse socio-politique véritable, faite 'parles protagonistes et les ob-servateurs du mouvement.Cette sociologie spontanée,accompagnée de militantisme,ou plutôt l'action politiquequi en est la base et quis'exprime et se vit dans cesdiscours, messages, recher-ches, manifestations commeune expérience neuve, cons-titue pour Alfred Willemer etses collaborateurs une • nou-velle culture • marquée par la• politisation cul t ure Ile.qu'ils se sont proposé d'ex-plorer • de l'intérieur. dansleur livre.

Livre à maints égards fascinant,ne serait-ce qu'en raison de lafascination que les auteurs ne ca-chent pas d'avoir éprouvée faceà tel ohjet d'étude. Il en résulteindéniahlement quelque ambi-guïté quant à leur propos. Parti-cipants-ohservateurs et analystesà la fois, ils n'échappent pas àla difficulté, inhérente dans unecertaine mesure à toute étude so-ciologique de faire la science duvécu, être objets et sujets à lafois. Conscient du prohlème, Al-fred Willener justifie explicite-ment sa méthode, seule capahle,selon lui, «de rendre compte derintérieur trun mouvement carac-térisé précisément par son intério-rité (p. 314). D'ailleurs, «seplacer à rintérieur n'exclut pasla prise de conscience, sociologi-que, des problèmes posés dans etpar le phénomène (id.). Prisede' conscience, certes, n'équivautjamais à explication. De fait lesauteurs n'ont pas l'ambition «dedépasser le stade de rexplorationqui laisse ouvertes différentesvoies trinterprétation (p. 331).Les procédés divers qu'ils met-tent en œuvre, quelle que soitleur ressemblance aux techniquespsycho - sociologiques courantes(sondages par questionnaires, in·

terviews, discussions de groupe,analyse de contenu, etc.) n'abou-titpas à un rapport d'enquêtediscursif parce que, de par la na-ture du phénomène étudié, ils re-trouvent partout «des esquissesdu même modèle élémentsd'une nonvelle culture.Alfred Willener est parti d'une

problématique sociologique clas.sique - l'image de la société, il-lustrée déjà hrillamment par sapropre thèse de doctorat, vieillemaintenant d'une dizaine d'an-nées - pour aboutir à un ohjetd'étude bien plus complexe et au-trement plus difficile d'ahord, leprogramme d'expérimentation so-ciale en train de s'élaborer dansl'événement, dans le temps fortdes journées de mai 1968 et après.D'où le titre du livre, rebutantpour ceux qui ne se sont pas im-mergés dans cette prose souventdense, parfois difficile, toujoursintére$sante. Image-action évoquel'œuvre des images socio-culturel.les en action dans la conduite desfacteurs de l'événement histori-que, à la fois moteur, agent etrésultat ou fin, proche de l'imagi-naire par le hiais utopique, com·me l'évoque la formule mise enavânt dans la conclusion du livreimaginaction, formule peut-êtremoins heureuse que la premièrepuisque le couple central, par sonsens privatif, suggère malencon-treusement le contraire du pre-mier concept.«L'image de la société s'éla-

bore dans et à travers le proces·sus de projection et traction.Seuls ceux qui vivent ce proces-sus - et fimplication est évidem-ment qu'il s'agira rapidement detoutes les catégories sociales ac-tuellement dominées - sont lasociété. (p. 329) «Le change-ment lui-même... tout processustrélaboration trune société nou-velle seront la base... de ce nou-veau type trimage de la société,qui évoluerait à travers une dis-cussion et une activation perma-nente. (p. 329; c'est moi quisouligne). Cette conjonction étroi-te de l'image et de l'action so-ciale, projet qui s'étahlit en seréalisant, parait donc être l'oh-jet du livre. Il ne s'agit pas defaire l'étude de certaines don-nées, mais de quelque chose quiest en marche, en train d'être « in·

Ainsi s'explique un sous-titre audacieux de la conclusion,c sociologie du accom-

pagné cependant d'un prudentpoint d'interrogation) . Le contenude cette «virtualité est fournipar les manifestations de tous or-dres des groupes anarcho-gauchis-tes les plus importants par l'échodes thèmes de réflexion et slogansd'action qu'ils ont mis en circula-tion, sinon par leur poids numé-rique ou représentativité du mi·lieu étudiant.Comme entrée en matière, Al-

fred Willener nous livre, sousforme d'interview libre, présen-tée in extenso, l'expérience vécued'une militante «en En-suite un sondage, réalisé « àchaud» en plein événement, au-près d'un nombre limité d'étu-diants (p. 77) , en quête del'opinion «moyenne concernantl'image de la société, la modifica-tion par l'événement des perspec-tives professionnelles, la concep-tion du rôle de la science et leschances des transformations so-cio-politiques. Une discussion degroupe, à laquelle ont pris partdes engagés del'événement - .. et l'analyse, à hasede rapprochement et d'explicita-tion, des thèmes récurrents - clôtla première partie du livre. Le so-ciologue s'apparente ici à un ap-pareil récepteur qui classe, range,catégorise les énoncés reçus sansjamais les susciter ou valoriser.Ses résultats rejoindront cepen-dant, et même recouvriront pOUlune bonne part, ce qu'il aura dé-gagé des messages, mémoires,textes de statut incertain, écritspendant et à la suite de mai 1968,qu'il s'agisse du discours consi-gné aux murs ou des écrits desprotagonistes politiques.Il scrute successivement l'ima-

ge de la «société étahlie », et decelle, «non établie qui se trou-ve en gestation dans les desacteurs de mai. Son effort visetoujours à clarifier les thèmes,souvent identiques mais apparusconfusément, sans chercher à leurtrouver un sens autre qu'ils ontrevêtu dans la conscience des au-teurs. Cette démarche nous vautune remarquable présentationdes courants intellectuels essen-tiels sinon tous - Alfred Wille-ner se garde de prétendre àl'exhaustivité - du mouvementde mai. Elle pourra servir de do-cumentation sûre en vue d'uneétude proprement sociologique del'événement.Cette étude, Alfred Willener ne

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d'une culture CinélDaet structures

Meeting à la Sorbonne en mai 68

fait que l'amorcer, la réservant àun prochain ouvrage. Mais ils'explique suffisamment sur sa po-sition à cet égard pour s'attirerles foudres de ses pairs, les socio-logues de la connaissance et desœuvres culturelles. Contrairementen effet à toute la tradition socio-logique; qu'elle soit durkheimien·ne ou marxiste, il s'intéresse trèspeu, si tant est qu'il le fasse, auxconditions sociales de productionou aux fonctions sociales de cequ'il nomme image.action. Le motidéologie n'est guère prononcé,refoulé qu'il est par l'idée d'uto-pie, créatrice d'avenir, au sens deMarcuse ou encore de Mannheim,auteurs opportunément cités.Les sociologues resteront proba·

blement sceptiques devant cette«étude de l'intérieur d'une JWU-velle culture dans ses rapportsavec la société projetée (p. 315)qui exclurait toute référence auxantécédents sociaux objectifs.Tout se passe en effet comme sil'action, ou plutôt l'image-actionou, mieux, fimaginaction, étaitcréatrice, par sa vertu propre etautonome, d'une réalité socialequalitativement neuve, détachéeen quelque sorte de l'infini desdéterminismes que les sociologuess'efforcent de dévoiler. Référerces contenus politico.culturels àune réalité future, c'est·à·dire hy.pothétique, permet sans doute deles légitimer en tant qu'idéologiesdans une perspective philosophi-que mais ne facilite pas pour le80ciologue de rendre compte deleur vérité sociologique cachée.AHred Willener et ses collabo-

rateurs font cependant bien plusqu'une analyse interne puisque

toute la troisième partie de leurlivre est consacrée aux rapportsqu'ils découvrent entre le mouve·ment de mai et certaines tentati·ves intellectuelles de l'avant·garde européenne depuis la pre·mière guerre mondiale. Ils mon·trent qu'entre la pratique da·daïste, les discours surréalistes, lestechniques du free jazz, le cinémade Jean.Luc Godard et les expé.rimentations du Living Theaterd'une part et certaines manifesta·tions du mouvement de mai d'au·tre part, il n'y a pas seulementde nombreuses analogies thémati·ques et gestuelles, mais aussi deprofondes homologies d'intentionset de motivations.Ces vieux thèmes, portant tout

le projet d'une civilisation autre,apparus d'abord dans l'art, les ac·teurs de mai les ont réagencésà la manière d'un collage, en lesréactivant mais aussi en les ré·investissant dans ce nouveau con·texte d'un sens neuf. Ces rappro-chements, conduits de main demaître, constituent peut.être l'ap.port le plus original du livre. Quiplus est, ils conduisent aux con·clusions fondamentales qui s'endégagent concernant la «politisa.tion Il s'agit de lamutation que les auteurs perçoi.vent dans les relations entre poli.tique et culture dans l'intelligent.sia française d'après.mai et qui«fait comprendre que ce quiéchoue comme révolution politi-que peut devenir culture - ausens le plus large du mot : menta·lités et relations nouvelles, trie in-ventée, vie changée

Victor Karady

Marie·ClaireRopars.WuilleumierL'Ecran de la MémoireEssais de lecturecinématographiqueSeuil éd., 239 p.

En matière de critique cinéma·tographique, il y a peu de véri·tables points de repères. La cri·tique marxiste eut son Sadoul. LaNouvelle Critique a l'équipe desCahiers du Cinéma. Et la criti·que structuraliste a M. C. Ropars-Wuilleumier. C'est donc uneexcellente initiativ.e que d'avoirréuni en un voluÙie des articlesrédigés entre 1959 et 1969. Re-cueil qui, affirme son auteur, n'apas été inspiré par un systèmecritique préalablement défini.

Une critiquede structure

C'est vrai en un sens: ons'aperçoit que l'auteur ne s'est at-taché à rendre compte le plusprécisément possible que du de·gré d'accomplissement de chaqueœuvre à l'intérieur de son systè.me narratif. Cela revenait, on levoit bien maintenant, à faire trèsexactement de la critique destructures. Que l'ouvrage com-mence à l'époque où le cinémafrançais entre dans l'ère de la ré-volution des formes n'apparaîtdonc plus comme un hasard.D'une nouvelle génération de ci-néastes naissant, d'un côté, dufilm Hiroshima mon amour, etde l'autre par A bout de souffle,M. C. Ropars Wuilleumier a ten-dance à préférer l'irruption d'unespace intérieur qui dialectise sonpassé. De là le titre donné au re·cueil (écran de la mémoire), etde là cette multiplication de réfé·rences à l'œuvre de Resnais.Les choix de l'auteur sont nets:

refus de «la tradition américained'apparente objectivité ». On com-prend une telle attitude. Le criti·que ne s'intéresse aux œuvresque dans la mesure où la nou-veauté des formes prend une net-teté et une évidence particulières.Et surtout, quand les innovationsformelles atteignent ce. degré desubjectivité qu'on voit dans lesœuvres d'Antonioni ou de Res-nais.A ce ·propos, il faut noter que

l'importance - outre qu'elle se

justifie largement - accordée àAlain Resnais s'explique par uneconception globale du cinéma quicourt derrière les lignes et quiaffleure au détour d'une phrase,dans une expression comme «nos-talgie toute moderne (à proposdes films de Godard) et qui tendà assimiler la grande œuvre mo-dème à une dimension qui fasseactivement entrer en ligne decompte une récupération du pas-sé, sous la forme nostalgique.

Une visionpersonnelle

C'est ici que la conduite pro-prement structuraliste dérape -et c'est heureux - vers une vi-sion personnelle et propre à M.ne-Claire Wuilleumier. On nesaurait d'ailleurs lui reprocherses options. Elles 80nt clairementjustifiées et on aura rarementaussi bien défendu la cause d'uncinéma qualifié d'art et essai. Laseule question qui subsiste est laquestion d'un certain silence:pourquoi l'auteur ne mentionne-t·il que passagèrement le nom deWelIs, Bunuel et quelques au-tres? Le degré élevé d'élabora-tion structurale des œuvres de cescinéastes (mais aussi Pasolini,Robbe-Grillet et des moins con-nus) aurait sans doute mérité destextes.

Le changedes formes

Mais je me rends compte queje par là mon désird'avoir à en lire plus et, commeil s'agit d'une critique et d'unerecherche théorique, de connaî·tre les réactions et les possibilitésd'une telle lecture formelle de-vant des œuvres qui touchent pard'autres côtés à des domainesmoins saisissables, qui font entrer.en jeu des notions de regard mo-ral, ou de lecture politique.Il faut vraiment relire cette

suite d'articles. On allie rarementavec autant de subtilité l'acuitéd'un regard et la recherche de cechange des formes qui constituerapport le plus net d'un certaincinéma que Pasolini appelait un«cinéma de

Jacques.Pierre Amene

La IJttéraire, du 16 au JI juillet 1970 25

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Le cinéma est un langage

1Noël BurchPrans du cinémaGallimard éd., 256 p.

Le ClDema est un art où l'em-pirisme joue un rôle beaucoupplus important que dans les au·tres formes d'expression. Il estdonc parfaitement artificiel devouloir lui appliquer des discipli.nes méthodologiques, comme cer-tains ont déjà été tentés de lefaire, empruntées à la linguis.tique.

L'analysed'un technicien

Ce qui fait la grande originalitéet l'intérêt de ce livre est d'être,non pas une histoire ou une étudecritique consacrée au cinéma,mais uue analyse du langage, derécriture ci n é m atographiques,analyse d'un technicien et d'unauteur de films qui estime quela maîtrise des problèmes con·crets techniques posés par la créa·tion d'un film est la meilleurepréface à l'intelligence de l'art ci·nématographique. Composé detextes initialement publiés dansles Cahiers du Cinéma, ce livreest, si l'on veut, une éblouissanteleçon de choses, une introduction,à l'aide d'exemples précis, à l'es·thétique du cinéma.

26

C'est pourquoi il embrasse tousles aspects techniques de l'art ci·nématographique, du mont,age àl'usage du son, de la fonction del'aléa au choix du sujet, pour enmontrer immédiatement toutesles implications et les prolonge.ments esthétiques. Se situant tOUajours au plus près des réalitésconcrètes dont il a une doubleexpériènce, à la fois en tant queréalisateur et en tant que ciné-phile, Noël Burch en dévoile ad·mirablement la portée et la valeurformelle. Plus et mieux que dansd'autres arts, la problématiqued'un film est mise en jeu à tra·vers les structures formelles qui lacomposent. Tout le livre de NoëlBurch, bien qu'il s'en défende,tend à démontrer tout le bénéficeque le cinéma pourrait tirer de larecherche structurale parce que'c'est par excellence un art qui meten jeu des structures, c'est·à·diredes éléments ou des paramètres,champ in, champ off, entrée, sor·tie, raccord, ellipse, image, son,dont l'organisation fonde la signi.fication du film à tous les niveaux.Il s'ensuit. que dans un chapi.

tre capital, Noël Burch s'attacheà éclairer, par des exemples pré.cis, le sens et la valeur du décou·page. Au stade du scénario, ledécoupage est l'opération maté·rielle qui consiste à découper uneaction (récit) en plans et en sé·quences, mais le film achevé, ilmanifeste la facture même d'unfilm. La combinatoire spatiale et

'Les Beaux·Artsde Bébé',par Emile Cohl

temporelle mise en jeu dans unfilm offre une complexité aussiriche que la musique sérielle. Carun film se développe toujoursdans deux dimensions, l'espacedans le champ et l'espace off horschamp chargé de toutes les virtua·lités imaginaires possibles. La dis·tinction qu'établissent les sémio-logues semble pouvoir s'appliquerau cinéma : dans l'image, le signi-fiant et le signifié se rejoignent,mais le champ off, par tous lesprolongements imaginaires qu'il8uggère, fait rayonner l'image au·delà du signifié ou de sa chargepoétique vers une région ou unarrière-plan onirique.

Une manière neuvede regarder

Le livre de Noël Burch estd'une lecture assez malaisée pourun profane, désorienté par l'usa·ge des termes techniques et la dif·ficulté dcse représenter la diver·sité des réa.lités concrètes qui sontdésignées. En dépit de son aridité,il offre des aperçus si justes surle cinéma qu'il nous propose unemanière neuve de regarder. A l'in-verse de ceux qui parlent ducinéma, Noël Burch privilégie lesproblèmes de forme par rapportau sujet, à la matière même dufilm. Beaucoup de .critiques. em·pruntent inconsciemment une dé·

marche littéraire ou poétique enmettant l'accent sur le récit, lesujet, la psychologie et non surl'économie formelle spécifique ducinéma. A cet égard, il a écrit unlivre qui paraît novateur. Damla partie qu'il intitule Dialecti-ques. Noël Burch insiste sur 1.complexité des relations de l'ima-ge avec tous les degrés qu'ellecomporte, notamment dans sa du-rée, à sa lisibilité, et de cette der-nière au contrepoint rythmiqueou musical. Ainsi prenons-nousconscience de toutes les possibi-lités ouvertes au réalisateur parla mise en œuvre des paramètres,imllge, lisibilité, son, dont la sur-impression affecte la tonalité mê-me du film.Que l'intégration d'éléments

dont l'évaluation n'est pas sou-mise à la même rigueur que celledont dispose le musicien, fasseéchapper au réalisateuf une par-tie des significations et. de la va-leur des phénomènes dont sonfilm s'enrichit, comme échappe àtout artiste une partie du sens etde la portée de son œuvre, tendà démontrer l'intérêt d'une ana-lyse qui, à partir des donnéestechniques, introduit à une intel-ligence profonde de l'écriture ci-nématographiquè et semble anti-ciper une conception de la miseen scène où l'improvisation feraplace à une approche beaucoupplus rigoureuse et élaborée .detous les moyens du cinéaste.'les artifices techniques, marchearrière et marche à l'endroit, ac'céléré et ralenti, dont peut userle cinéaste, ajoutent encore à lacomplexité des ressources qui80nt au service de l'expression ci·nématographique.Œuvre d'UD Américain qui,

contrairement à la démarche natu·relle de l'esprit français, nourritune très grande méfiance à l'égardde toutes les théories, et estimedésastreuses les affabulations ima·ginaires que certains critiques,par goût du paradoxe, ont édi·fiées à partir de films médiocresoù ils veulent, à toute force, dé·couvrir des richesses insoupçon-nées, Noël Burch soumet son ana-lyse à la réalité sensible. Il s'élèvecontre ceux qui veulent annexerdes démarches exclusives de laréalité concrète du cinéma. Ce li·vre ouvre une voie fructueuse àl'intelligence et même à la prati-que du cinéma.

Alain Clerval

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THflATRE

D V·· , A ·e I·enne a 'VIgnon

1Carlos FuentesLe 'Borgne est roiadaptation française. deCéline Zinsau Festival d'Avignon

C'est à Vienne que Maria Ca-sarès et Sami Frey ont créémondialement la pièce de Car-los Fuentes dans une mise enscène de Jorge Lavelli. Spec-tacle rare et beau qui fascineavant de se laisser comprendre.Donata et Duc sont enfermés

dans une maison délabrée. Ilssont aveugles, mais chacund'eux croit que l'autre voit.Leurs chemins respectifs serontla découverte de la cécité del'autre. Duc est le serviteur. Ilsattendent tous deux le retourdu mari de Donata, personnagedont ils ne peuvent s'empêcherde parler, leur maître, celui àqui ils doivent tout mais quiest allé à Deauville jouer à laroulette en leur laissant desordres précis. Ils sont au sep-tième jour d'attente. Ce jour-làoù quelqu'un n'en finissait pasde créer ces infirmes abandon-nés, temps où leur fut laissée

la liberté qu'ils ne connaissentque comme transgression, oùleur fut laissée l'action quecomme inachèvement de leursgestes, temps où, par perver-sité, leur furent laissés le désiret la nostalgie de ce qu.'ils nepeuvent atteindre.

11 serait incomplet de' ne voirdans cette pièce que cettetrame. L'organisatron des per-sonnages est complexe, com-plexe aussi l'organisation del'œuvre où ils se meuvent.Si Donata est à la fois Eve,

déesse mythique, décadence dela civilisation européenne, elletient aussi de la magicienne,du vampire et de la star holly-woodienne déchue. Si Duc estvalet, amant, frère, mari, Adam,il est aussi messie, présencedivine qui n'a de réalité quepar son absence: «Si je reve·nais, on n'aurait plus besoin demoi (m) Ils n'écoutent mesparoles que s'ils ne savent pasque ce sont les miennes.»Créatures de Dieu, de l'auteur,du metteur en scène, du met-teur au monde et au regard,mais aussi créateurs, ils pour-

raient bien avoir cree Dieu,s'être créés eux-mêmes ou l'unl'autre.«- Madame pense seule-

ment qu'elle pense. En réalité,Madame est pensée.- Je parle.

Madame est parlée.- D'où sors·tu ces bêtises?- Comme ça. Je les ai rê-

vées.- Et toi, tu n'est que rêvé....C'est par jeu qu'ils ont été

créés, par goût du jeu que Duc-mari, auteur, dieu va à Deau-ville. Qu'a-t-i1 laissé à Donataet Duc-serviteur comme seulrecours sinon le jeu? Ils jouentde tous les masques, ils jouentà être tout, à faire tout et nepeuvent rien d'autre que cesconstructions de l'imaginaire.Ils leur faut «singer le créa·teur, transformer la vie enthéâtre, en représentation in·versée de la création. Mais iln'y a pas de création sanschute; la chute guette l'acteurau détour de chaque parolequ'il prononce. Le risque de re-présenter n'est que le pari leplus audacieux de vivre », écrit

Fuentes. Ils rêvent à haute voixce monde de fantasmes qu'estdevenue l'Europe, incapables detrouver de nouveaux noms pourdésigner ces univers trop nom-més. Donata, sur l'interminabletapisserie qu'elle doit acheveravant le retour de Duc-mari,tisse un labyrinthe de lignesdont le dessin s'est perdu.Le regard aussi se perd,

s'aveugle dans les détours dece vieux monde, dans ce délired'ornementation. Les cheminssont devenus incertains danscette Europe en trompe-l'œil. 11a bien fallu inventer un tain aumiroir pour créer un Dieu,l 'homme aveugle ne pouvantplus se regarder. Mexique etDeauville, Jésus et dieu mexi-cain, valse de Vienne et adiosmuchachos, orfèvrerie de l'Eu-rope et pierre dure d'Amériquelatine, temps et lieux coexis-tent, deux mondes aux mainsenlacées d'a man t s séparéeslentement l'une de l'autre parune force nouvelle, par la réa-lité des gUérilleros.

CinéDla "undergroud" à VeniseDans le cadre de ses activités de

printemps, la Biennale de Venise aorganisé, en mai, outre une assembléeinternationale sur les Arts plastiqueset sur la musique expérimentale, unséminaire sur le théâtre de recher-ches et le cinéma «Underground,.. LaBiennale avait offert A cinquante étu-diants des difIérents pays d'Europe,d'Amérique et d'Afrique, la possibilité(c'est-A-dire l'hébergement et la nour-riture) de participer A ce festival. Unevingtaine ont répondu à l'appel etune douzaine seulement ont suivi leséminaire en entier. Huit pays d'EU-rope étaient représentés.

Cette rencontre devait dépasser laclassique manifestation de prestigeque le cadre de Venise ne pouvaitmanquer de faire naltre. Les respon-sables avaient l'intention de favoriserles échanges d'expériences entre lesdi1Iérentes troupes, les étudiants etle public vénitien. Les spectacles de-vaient revêtir l'aspect de séances detravail et chaque pièce fut précédéed'une démonstration, par la troupeexécutante, de ses méthodes de tra-van; elle était suivie, le lendemain,d'une discussion. L'organisation desjournées Underground fut inspiréedes mêmes soucis et des tables ron-des s'ajoutèrent à l'actif de ces ren-La première semaine fut consacrée

au théâtre de recherche. Recherchesengagées dans deux voies radicalementopposées. D'une part, quête d'une for-me nouvelle dans le cadre du théâtretraditionnel. La Nouvelle Compagnied'Avignon a ainsi présenté Xerxès,d'après les Perses d'Eschyle. Le texteavait été modifié pour mettre l'accentsur la guerre impérialiste et la luttepour le pouvoir (la pièce fut montéeen 1967). Le Forum Theater de Ber-lin, avec une pièce de Roland Dubil-lard, la Maison d'os, traitait del'exploitation des serviteurs, de leurprise de conscience et de leur révolte.Pour ces deux troupes, l'essentieln'est pas la conception, abstraite, del'art et du fait théâtral, mais leurposition intellectuelle face aux problè-mes politiques de la société contem-poraine (la guerre du Vietnam etl'exploitation de l'homme par l'hom-me).

La seconde solution trouvée, beau-coup moins réussie, était un repli duthéâtre sur lui-même, qui conduisaitA négliger le texte et même l'acteurpour privilégier les éléments ludiquesdu spectacle: objets extérieurs ou im-provisations (Le Jardin de Paris; legroupe d'expérimentation de Rome etle Centre de Recherches théâtrales deFlorence). Ce genre de spectacles peutd'aUleurs fort bien se passer du spec-tateur qui, n'étant pas concerné, reste

passivement voyeur. Et c'est peut-êtrecette raison qui a poussé le spectateurA se désintéresser peu à peu des dis-cussions mornes, sans intérêt, et mê-me A les fuir.

Les cinq Journées consacrées au ci-néma ont rallumé l'intérêt du public,qui est venu fort nombreux. Etantdonné les difficultés que rencontre laproduction des films parallèles, nousne nous attendions pas A une proJec-tion de chefs-d'œuvre, et cependantnotre déception fut grande : le niveautechnique général n'a jamais dépassécelui de l'amateurisme, et bien sou-vent a été en dessous. Quant au ni-veau intellectuel... Est-ce l'effet d'unhasard de la sélection? Ou devons-nous voir dans cet échec le résultatde la contradiction insoluble pour lesorganisateurs, entre leur volonté dé-magogique de sortir des sentiers bat-tus et leur désir de ne pas se com-promettre aux yeux de leur publictraditionnel? Le choix des œuvres di-tes de contestation et de provocationétait une concession faite au malaisede certains intellectuels qui, dans unesociété en crise, ne parviennent plusA réaliser leur personnalité créatrice.L'impuissance issue des problèmes éco-nomiques et politiques du cinéma esttranscendée, faute d'être résolue, parun mépris du public, dont la bêtiseserait A la bue de ces difficultés.

Dans cette optique, bousculer le spec-tateur, lui cracher A la figure, de-vient pour le metteur en scène lemoyen privilégié et le but final dumessage scénique. Ce délire provoca-teur s'accommode d'a1lleurs très biende recherches creuses à tendances psy-chanalytiques (Dliac Passion de Gre-gory Markopoulos) ou formelles (Scè-nes from' under Childhood, de StanBrakhage: film entièrement fiou). Ilfaut cependant avouer que le specta-teur, masochiste à souhait, entraitdans ce cercle vicieux et, au nom del'avant-garde nécessairement incom-préhensible, acceptait le manque designification.

Si c l'élite:t vénitienne était prête àsubir les derniers outrages moraux,parfois même avec délectation (en ac-ceptant sans sourcUler les quatre heu-res d'obsessions scatophiles et de défé-cation - au sens strict du terme -que nôus ont imposées les c cinéastes :tautrichiens Kurt Kren et otto Mühl),en revanche, elle n'était pas décidéeà supporter des attaques plus consé-quentes sans broncher. Prudents, lesorganisateurs ne nous ont montré au-cun exemple de cinéma parallèle re-volutionnaire, tels qu'il existe auxU.S.A., en Amérique du Sud, en Ita-lie et en France.

Marie-France Bridelance

La Uttéraire, du 16 ;lU 31 juillet 1970 27

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Fuentes

L'Amérique latine a de vieuxcomptes à régler avec ce maî-tre-serviteur, avec cette civili-sation chrétienne. Pour Fuentes,il ne sert plus à rien de lesressasser, ils ne se réglerontqu'avec les mitraillettes de larévolution. Intru6ion de la réa-lité dans un monde délabré quOinous est montré fermé, • œufde lumière et de poussière-,dit Fuentes.

Maria. Casarès

Maria Casarès donne à la foistoutes les hauteurs et toutesles brisures de ce rôle. Ellefa,it atteindre à la représenta-tion une dimension mythique.Elle est Donata • l'espérée etla désespérée -, la femme à lacape de plumes blanches, réelleet Incertaine: «Mon apparitionest si éclatante que certainscroient percevoir la folie dansmon regard. Mon arrivée est siimpréwe que certains disent'se souvenir de son annonce.Ma présence est si inoubliableque certains affirment que jen'étais pas là. Sami Frey tou-jours renaissant et vulnérable,servant et dominant, inquiétantcomme s'il était véhicule etagent d'une puissance obscure.L'un et l'autre aveuglés plusqu'aveugles, précis dans la di-rection et les buts de leursmouvements mais cognant cha-que objet, le regard lointain etnon fermé.

Jorge Lavelli

Jorge Lavelli, dans sa miseen scène, a su intégrer le mou-vement des acteurs au rythmepoétique du texte. Théâtre eneffet de texte et de geste quine craint pas la difficulté d'une.Iangue poétique dont CélineZins a fait une très belle adap-tation. Les personnages sontenfermés dans un décor dePace, sorte de conque de den-telle grise et blanche, où lessons par bouffées viennent à lafois de l'extérieur et de l'inté-rieur, où la réalité surgira plu-tôt qu'elle n'entrera pour met·tre fin à la pièce.

Simone Benmussa

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FEUILLETON

parGeorges Perec

La frontière qui sépare les sportifsdes officiels est d'autant plus marquéequ'elle n'est pas absolument infran-chissable. Les lois W, d'ordinaire silaconiques, et dont le silence mêmeest une menace mortelle pour lesAthlètes qui en subissent le Joug,sont ici étonnamment prolixes: ellesdécrivent, minutieusement, complai-samment, presque avec générosité,toutes les situations qui peuvent peromettre à un Athlète d'accéder, aprèsQuelques années de compétition, à unposte responsable, soit dans son Vil-lage, comme Directeur d'équipe, oucomme entraîneur, masseur, doucheur,coiffeur, etc., soit sur les stades où

Lme toule de petits postes strictementhiérarchisés peuvent lui être propo-sés:serveur, crieur, balayeur, lanceur'decolombes, porteur de torche oud'étendard, mascotte, musicien, calli-graphe, gardien de travée, etc.

A première vue, il ne semble pasQu'il soit très difficile à un Athlètede remplir les conditions requises pourêtre admis à l'un ou l'autre de cespostes et bénéficier des prérogativesqui leut sont. attachées et qui, pourminuscules qu'elles puissent paraître(exemption de corvées, droit aux dou-ches, logement individualisé, libre ac-cès des stades, des vestiaires, dessalons de réception, etc.) s'avèrentsolNént indispensables à la simplesurvie du vétéran. Il y a tout d'abordtout un système de points, primes etbonifications qui sont comptabiliséstout au long de la carrière de l'Athlè-te: le cumul des points s'effectue defaçon telle qu'il suffit en principe dequatre années de performances régu-lières pour que l'ex-champion soit àpeu près assuré d'obtenir d'office uneplace privilégiée. Il y a ensuite di·verses combinaisons de victoires quipermettent aux vainqueurs de passerla frontière, de sauter la barrière dansdes délais encore plus courts: entrois ans, si l'Athlète obtient un bre-lan, c'est-à-dire s'il se classe secondou troisième trois fois de suite dansles Olympiades: en deux ans, s'il ga·gne le doublé: deux victoires olympi-ques de suite, performance considéréecomme la plus glorieuse de toutesmais dont l'histoire W n'offre aucunexemple; ou même en un an, en uneseule saison, en gagnant un carré(une première place dans le cham-pionnat de classement, dans les deuxchampionnats locaux, dans l'épreuvede sélection) ou un tiercé (premierau championnat de classement, pre-mier à la sélection, premier à l'Olym-piade), combinaison qui semble statis-tiquement la plus probable, mais quise rencontre en fait extrêmement ra-rement. Il y a enfin, en bon accordavec l'esprit même de la vie W, di·vers systèmes apparemment fondéssur le seul hasard: un Athfète mina-ble, un crouille invétéré, incapable dela moindre performance honnête, inca-pable de se faire un nom, pourra, dujour au lendemain, devenir officiel:il aura suffi, par exemple, que lenuméro de son dossard corresponde àla performance du vainqueur.

......L'abondance de ces leur préci-

sion, le grand nombre et la variétédes possibilités offertes, peuvent lais-ser croire qu'il suffit vraiment de peude choses pour qu'un Athlète devien-ne Officiel. Comme si les lois W, enaffirmant vouloir récompenser aussibien le mérite sportif que la seulerégularité ou que la simple chance,voulaient donner l'impression qu'Athlè·tes et Officiels appartiennent à lamême race, au même monde, commes'Ils étaient tous de la même familleet qu'un même but les unissait: laseule plus grande gloire du Sport;comme si rien ne les séparait vrai-ment: les concurrents rivalisent etredoublent d'efforts sur les cendrées;massée sur les gradins, debout, lafoule de leurs camarades les acclame

ou les conspue; les Officiels sontassis dans les tribunes et un mêmeesprit les anime, un même combatles galvanise, une même exaltation lestraverse!Mais l'on connaît assez le monde W

pour savoir Que ses lois les plus clé-mentes ne sont Jamais Que l'expres-sion d'une ironie un peu plus féroce.L'apparente générosité des règles quidéterminent l'accession aux postes of-ficiels se heurte chaque fois au bonplaisir de la hiérarchie: ce Qu'un chro-nométreur suggère, un arbitre peut lerefuser; ce Qu'un arbitre promet, unjuge peut l'interdire; ce qu'un Jugepropose, un Directeur en dispose; ceQu'un Directeur concède, un autre peutle nier. Les grands Officiels ont toutpouvoir; ils peuvent laisser faire com-me Ils peuvent Interdire; Ils peuvententériner le choix du hasard ou luipréférer un hasard de leur choix; Ilspeuvent décider et revenir à tout ins-tant sur leur décision.Il n'est jamais sOr qu'un Athlète, au

terme de sa carrière, parviendra àdevenir Officiel et surtout, il n'estjamais sûr qu'il le restera. Mals, detoute façon, il n'a pas d'autre issue.Les vétérans chassés des équipes etqui n'ont pas obtenu de poste, ceuxQue l'on appelle les mulets, n'ont au·cun droit, n'ont aucune protection. Lesdortoirs, les réfectoires, les douches,les vestiaires leur sont interdits. Ilsn'ont pas le droit de parler, Ils n'ontpas le droit de s'asseoir, Ils sont sou-vent dépouillés de leur survêtementet de leurs chaussures. Ils s'entas-sent près des poubelles, Ils rôdent lanuit près des gibets, essayant, mal-gré les gardes Qui les abattent à vue,d'arracher aux charognes des vaincuslapidés et pendus Quelques lambeauxde chair. Ils s'amassent en grappescompactes, essayant en vain de seréchauffer, de trouver un instant, dallsla nuit glaciale, le sommeil.Les petits officiels n'ont, à vrai

dire, pas grand-chose à faire: les pré-posés aux douches tournent négligem-ment leurs robinets d'eau bouillanteou glacée; les coiffeurs passent leurstondeuses; les gardiens de travéefont claquer leurs longs fouets; lescrieurs donnent le signal des applau-dissements et des huées.Mais il faut que les hommes se lè-

vent et Qu'ils se mettent en rang. Ilfaut qu'ils sortent des chambrées- Raus! Raus! - il faut qu'ils semettent à courir - Schnell ! Schnell 1- Il faut Qu'Ils 'entrent sur le Stadedans un ordre impeccable 1Les petits officiels, quels que soient

leurs rangs, sont tout-puissants devantles Athlètes. Et Ils font rerspecter lesdures lois du Sport avec une sauva-gerie décuplée par la terreur. Car Ilssont mieux nourris, mieux vêtus, carils dorment mieux et sont plus déten-dus, mais leur sort est à jamais sus-pendu au regard courroucé d'un Direc·teur, à l'ombre qui passe sur le vi-sage d'un Arbitre, à "humeur ou àla facétie d'un Juge.

CA suivre.)

Page 29: Quinzaine num      ero 99

Livres publiés du 20 juin au 5 juilletDix-huitième siècle-2Revue annuelle publiéesous le concours duC.N.R.S.Garniers, 384 p., 50 FLe siècle de Voltaire etde Kant abordé selonles méthodes etpostulats de la critiquemoderne.

0.0. NedeljkovicRomain Rolland etStefan ZweigKlincksieck, 392 p.,52 F.Une étude appuyée surdes documents pour laplupart inédits.

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Madame de Staël,ses amis, sescorrespondantslettres choisies parGeorges Solovieff30 illustrations h. t.Kliencksleck, 586 p..68 F392 lettres,accompagnées desréponses de 51correspondants ets'échelonnant sur 40années(1778-1817).

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Emile ZolaLes Rougon MacquartTome IVPrésentation et notesde Pierre Cogny86 illustrationsSeuil, 656 p., 20 F.

BIOGRApHIESMEMOIRESCORRES·PONDANCES

L'année balzacienne1970Garnier, 432 p., 38 FUne contributioncapitale àla connaissance de"auteur de la Comédiehumaine

Sunday O. AnozieSociologie duroman africainAubier-Montaigne,272 p., 21 F.Une étude systématiqueet dynamique qui réunitles romans africains delangue anglaise et delangue française

Jean-Pierre CollinetLe monde littérairede La FontaineP.U.F., 648 p., 99 FPublications de laFaculté des Lettres etSciences humaines deGrenoble

CRITIQUEHISTOI••LITTERAIRE

GillesMon demi-siècleet demiNombr. illustrationsRencontre. 312 p.,17,60 FLes mémoires d'unchansonnier mi-vaudois mi-parisien,qui vient de fêter ses75 ans, et, à traverselles, une évocationchaleureuse duthéâtre et du cabaretparisien.

Georges WolfrommMon enfance me suitJulliard, 352 p., 23,70 FL'autobiographie d'unmédecin, marqué, pourtoute sa vie, par lesouvenir ébloui de sonenfance et de sajeunesse

.Jean PommierLe spectacle intérieurLettres NouvellesDenoël, 424 p., 32 FVoir le n° 98 de laQuinzaine

Juliette DrouetLettres à Victor HugoGeorges SandLettres à Musset età FlaubertMadame de SévignéLettres à sa filleMadame de StaëlLettres à M. Narbonneet à Benjamin ConstantColl. • Le livre dechevet» Tchou,4 vol. sous coffret,76 F (20 F le vol.)

Théophile GautierSpirite, suivi deLa morte amoureuseFlammarion, 240 poo18 F.Deux œuvresmaîtresses deThéophile Gautier dansle domaine de lalittérature fantastique.

Maj SjowallPer WahlooElles n'iront pas auboisTrand. de l'anglais parM. DeutschPlanète, 248 p., 15 F.L'enquête d'un• Maigret - suédois, quitraque dans Stockholmun dangereux maniaquesexuel.

Mario PuzoLe parrainTrad. de l'américain parYves MalartlcLaffont, 488 p., 28 F.En tête des best-sellerinternationaux, unroman sur la Mafia.

Trad. de l'anglais parM. SinolrA. Michel, 224 p., 15 F.L'aventure d'un petitprofesseur devenuespion malgré lui.

Bram StokerLe repaire du verblancTrad. de l'allemand parF. TruchaudColl.• Dansl'épouvante -Ch. Bourgois, 288 p..19 F.Par l'auteur de• Dracula -.

REEDITIONSCLASSIQUES

.Alaln SuiedLe silenceMercure de France,72 p., 13 F.Les débuts d'unpoète de dix-huit ans.

Joyce PorterPas de vodka pourMr. Brown

Moravia - Parise -Del Buono - PiniMoretti Rea - MurgiaQuintavalle - MarainiZollaAmours à l'italienneTrad. de l'italien parPh. PradesA. Michel, 256 p.,19,50 F.Dix nouvelles sur unthème commun:l'amour, écrites parles plus grandsromanciers italienscontemporains.

Etats-Unis avec1 500000 exemplalre5vendus.

Hans Heinz EwersDans l'épouvanteTrad. de l'allemand (J<lrF. Gautier et M. MtmryColl. • Dansl'épouvante -Ch. Bourgois, 288 p.,20,90 F.Dix nouvelles d'horreuret d'épouvante, à lireavec précaution m:l.saussi avec délectation.

Raymond HitchcockPercyTrad. de "anglais parR. AlbeckA. Michel, 256 p., 15 F.Un roman d'un humourdébridé, qui a obtenuun gros sucees de rireen Angleterre.

Les chefs-d'œuvre de lascience-fictionTextes présentés etrassemblés parJ. SternbergPlanètes, 408 poo 47 F.36 nouvelles descience-fiction, signéespar les plus grands'auteurs américains,angiais. français,.polonais et argentins.

• Joyce Carol OatesDes gens chicsTrad. de l'américain parBenoît BraunStock, 320 p., 22 F.Le drame d'unadolescent qui sevenge de la sociétépar le meurtre desa mère.

Marc NachtBataillesGrasset, 128 p., 10 F.Un récit poétique quidécrit les itinérairestroubles de l'hommeen guerre à traversles âges.

Louis NucéraL'obstinéJulliard, 352 p., 23,70 F.•Ernest JüngerUn roman à la fols Orages d'acieronirique et cynique, Trad. de l'allemand pardont le héros est Henri Piardun centenaire révolté Ch. Bourgois, 480 p.,contre l'hypocrisie et· 23,70 F.la sottise humaines. L'un des plus célèbres

romans de Jünger, qui apour toile de tond laguerre de 14 (voir lesN" 65 et 86 de laQuinzaine) .

1. Alvarez de ToledoLa grèveTrad. de l'espagnol parL. VergnesUn roman-documentsur la réalitéquotidienne del'Espagne actuelle.par la • duchesserouge - espagnole.

.Jorge AmadoLes pâtres de la nuitTrad. du brésilien parConrad DetrezStock, 352 p., 26 F.Par un des maîtres duroman brésilien, unecomédie humaine qui apour cadre Salvadorde Bahia.

Pénélope AsheL'étrangère est arrivéenueAdapté de l'américainpar R. PloqulnEditions de La PenséeModerne, 256 p., 22 F.Un roman d'érotisme etd'humour qui a connuun immense succès aux

.Julien GracqLa presqu'îleJosé Corti, 256 p.,19,50 FVoir le n° 95 de laQuinzaine

• Hélène ParmelinLa manière noireCh. Bourgois, 576 p.,28,60 F.Un roman sur le tempsd'aujourd'hui et surles problèmes descommunistes et de lavérité (voir les N" 3,22 et 73 de laQuinzaine.)

.Mohammed Khair-EddineMoi l'aigreSeuil, 160 p., 18 F.Par l'auteur d'. Agadir -et de • Corpsnégatif - (voir les N"36 et 62 de laQuinzaine.)Michel Anthonioz

Fini de parlerSeuil, 176 p., 18 F.Un premier roman quise présente commeune sorte depsychodrame oud'exorcisme funèbre.

Marc BlancpalnLa Saga des amantsséparés: tome IlLa grande nationDenoël, 368 p, 21 F.Un roman d'amour quia pour toile de fondles annéesd'occupation et larésistance.

Jacques DevalLes voyageursA. Michel. 288 p.15,90 F.Un roman-documentsur le Canada et leLondres de la fin duXVIII' siécle.

Luce AmyDe quel bonheursecret?Julliard, 224 p., 14,30 F.Chasse au bonheur etbonheur conjugal ou lesproblèmes existentielsd'un couple aujourd'hui.

André GilloisInformation contre XJulliard, 320 p., 20,90 F.Un réquisitoire, à laFols sévère et pleind'humour, contre notresociété et sa machinejudiciaire.

Ariel DenisLa vieGrasset. 232 p., 20 F.Premier roman: lerécit d'une adolescencebourgeoise vécue par lamédiation des grandsécrivains.

Jean-Michel GardairLa ménopause de lareineCh. Bourgois. 272 p..17,10 F.Par l'auteur du• Corps de Louise·et de • Et Moi -Editions de Minuit (voirles W' 41 et 53 de laQuinzaine) .

Christian AugèreUne solitude d'encreSeuil, 128 p., 15 F.Le dialogue d'ungarçon de vingt ansentre sa jeunesseprésente et lessouvenirs qui formentsa vie. Premier roman.

ROIIAN8..aAliç AI8

La Littéraire, du 16 au 31 juillet 1970 29

Page 30: Quinzaine num      ero 99

L ivres publiés du 20 juin au ; juillet

la résistancepalestinienne.

Jacques NêmeEconomie européenneP.U.F., 560 p., 35 FUn ouvrage économiquede-base surle Marché Commun.

Ismet Cheriff Vanly .Le Kurdlstan Irakienentité nationaleEtude de la RévolutiOilde 1961Ed. de la Baconnière,424 p., 38,60 FUne étude historique,géographique etpolitique surle Kurdistan àla recherche de sonIdentité nationale.

François PerrouxIndustrie et créàtloncollective Tome Il :Images de l'hommenouveau et techniquescollectivesP.U.F., 328 p_, 18 FVoir les 56 et 95 dO!!la Quinzaine.

Yves-Guy BergèsLa lune en Amazonie46 photographies h. t_6 dessins et 1 carte in t.A. Michel, 176 p.,19,50 FUn reportagepassionnant surles Indiens del'Amazonie qui viventencore comme il y a30.000 ans et ignorenttout de la conQuête del'espace.

J. Delperrie de BayacDu sang dansla montagne (vrais etfauxmystiresde

DGeU••IITS

Charles de GaulleDiscours et messagesTome III : vers lerenouveeuPlon. 480 p., 35,70 FDe mai 1958 à juillet1962.

• Rudolf HilferdingLe capital financierEtude surle développementrécent du capitalismeTrad. de "allemand parMarcel OllivierPrésentation deYvon BourdetEditions de Minuit,480 p., 60 FUn ouvrage fondamentalqui fut salué li saparution. au début dusiècle, comme • levéritable quatrièmelivre du Capital deMarx •.

règne mals aussi àtravers la viequotidienne des petites .gens de son temps.

POLITIQUBECONOMIB

• Jean BaechlerLes phénomènesrévolutionnairesP.U.F., 264 p., 12 FUne étude systématiquede toutes les formesde remise en cause del'ordre social.

Paul DidierDroit commercialTome 1 : IntroductionLes entreprisesP.U.F. 752 p., 35 FLes sources etles structures du droitcommercial.

Lorand GasparPalestine, année 0Maspero, 112 p., 8,60 FL'organisation,les objectifs,les perspectives de

Rap BrownCrève, sale nègre,crèveGrasset, 224 p., 16 FTrad. de l'Américainpar F. AlphandériL'autobiographiepolitique d'unrevolutionnaire noir.

• Batasuna, la répressionau pays basqueOuvrage collectifMaspero, 136 p., 11,80 FLe «livre noir. desmouvements basquesen lutte contrel'oppression franquiste.

D. Blondel, J.-P. Daloz,C. JessuaEssais sur la nouvellethéorie quantitativede la monnaiePréface d'E. JamesP.U.F., 188 p., 18 FTravaux et Recherchesde la Faculté de Droitet des Scienceséconomiques de Paris.

• Bernard BéraudLa gaucherévolutionnaire au JaponColl. « Combats.Seuil, 160 p., 15 FLe phénomènegauchiste au Japon,son évolution actuelleet ses perspectives

• M. A. BurnierB. KouchnerLa France sauvageEdition Spéciale,320 p., 24 FLa crise de la France,deux ans après mai 68.

Philippe SusselLa France deNaporéon 1er(1799-1815)Coll. « Histoire dela France.Denoél, 256 p., 35 FNapoléon présenté àtravers les grandsévénements de son

Roland OliverAnthony AtmoreL'Afrique depuis 1800Trad. de l'anglais parOdette GuitardP.U.F. 360 p., 40 F.Une introduction àl'histoire de l'Afriquecontemporaine abordée• du point de vueafricain •.

James LaverAu siècle del'optimisme(1848-1914)96 p.; horx texteFlammarion, 272 p., 35 FCollection «Les idéeset les mœurs •.

Eric HobsbawmL'ère des révolutions1789-1848Trad. de l'allemand parF. Pineau-BraudeFayard, 432 p., 50 FPar l'auteur des«Primitifs dela révolte dans l'EuropeModerne. (voir le n° 13de la Ouinzalne).

M.-T. Emile OllivierJ'ai vécu l'agonie duSecond EmpireTextes recueillis etprésentés par AnneTroisier de DiazFayard, 240 p., 25 FSous la forme d'unJournal, un récitspontané, désintéresséet extrêm'}ment lucide,qui constitue unprécieux témoignagesur le climat politiquede ce temps.

et très documenté,inaugUrant la nouvellecollection «Les idéeset les mœurs •.

• Albert SoboulLa civilisation etla Révolution française1. La crise de l'ancienrégime140 p., Illustrée enhéliogravureColl. «Les grandescivilisations.Arthaud, 800 p., 108 FUn ouvrage qui fait lepoint sur létat dela société française etde la sociétéinternationale, àl'approche de la findu XVIII" siècle.

Philippe ErlangerAu temps des rois(1558-1715)96 p., hors texteFlammarion, 240 p., 35 FUn ouvrage

Illustré

André Morali-DaninosLa psychologiepratiquéeEditions Universitaires,567 p., 39,95 FUn livre très complet,destiné aux usagers dela psychologie aussibien qu'au grand public.

Michel LancelotJe veux regarderDieu en face(Le phénomène hippie)21 photographies h. t.A. Michel, 256 p.,19,50 FUne étude d'ensemblesur un phénomène quenous connaissons malet que l'auteurconsidère avant toutcomme un mouvementmystique alliantla drogue et Dieuréédition.

Arthur ConteLénlne-Stalinelibrairie AcadémiquePerrin, 290 p., 50 FUn parallèle saisissantdes deux géants ducommunisme russe :le grand prophète etle grand exécuteur.

La guerre descamisardsLa résistance huguenotesous Louis XIVHachette, 256 p., 20 FUne révolte populairequi prit des aspects de«vendetta mystique.et déboucha sur unerépression féroce(1702-1709) .

• Roger MunierLe SeulAvant-propos deRené CharTchou, 140 p., 16 FVoir ce n°, p. 19.

.Jacques ThibauUne télévision pourtous les françaisSeuil, 288 p., 24 FUne analyse de notretélévision et desproblèmes qui seposent actuellementa elle, par l'ex-directeuradjoint de la télévisionfrançaise.

Jean ThibaudeauMai· 1968 en Franceprécédé de PrintempsRougepar Philippe SollersColl. «Tel Quel.Seuil, 128 p., 13 FA la fois un rappelsubjectif, informatiqueet théorique desjournées de mai, etune méthode pour lire,en tout temps,l'actualité.

Anna BonboirLa pédagogiecorrectiveP.U.F., 144 p., 10 FUne méthoded'invidualisatlon del'enseignement, quitente de satisfaire auxexigences duprogramme et derester compatible avecles conditionsordinaires de la classe.

.Mlchei BernardLes coqs ou I;)ubonheur d'être françaisBalland, 165 p., 15 FComment « le peuplele plus spirituel dela terre. est sur lepoint de devenir leplus bête du monde.

Louis ComtetAnalyse combinatoireTome IlP.U.F., 129 p., 20 FLe deuxième volumed'un ouvraged'introduction aucalcul des probabilitéset à l'informatique.

• Philippe de FélicePoisons sacrés,ivresses divinesEssai sur quelquesformes inférieuresde la mystiqueA. Michel, 400 p., 24 FRéédition d'un ouvraged'une brûlanteactualité puisqu'il traitede l'ensemble destoxicomaniesd'aujourd'hui.

Peter KolosimoTerre énigmatiqueTrad. de l'italienpar S. de Vergennes100 reproductions h. 1.Coll. «Les chemins del'Impossible.A. Michel, 280 p., 24 FLe problème dela civilisation et de sonâge réel : l'ère des!léants, les secrets desPyramides, le mystèrede l'Atlantique, etc.

Jean LargeaultLogique et philosophiechez FregeIlauwelaerts, 490 p.,12 FLes débuts dudéveloppement dela logique symboliqueà travers l'œuvre del'inventeur du premiersystème formel.

Gilbert LaneEtre et langageAubier-Montaigne,336 p., 18 FUne réflexion

surla connaissancescientifique et sonmode decommunication.

Jean NabertEssai sur le mal. Aubier-Montaigne,192 p., 18 FLe mal en tant queconstante de la naturehumaine qui redresseoJ,!Jimite l'optimismede' ia philosophie del'histoire.

PHILOSOPHIE

Pierre BoudotNietzsche etl'au-d8là de la libertéAubier-Montaigne,336 p., 15 FNietzsche et lesécrivains français.

Pierre GuiraudPierre KuentzLa stylistiqueKlincksieck, 329 p., 44 FUne anthologie detextes choisis parmiles plus caractéristiquesde ceux auxquelss'alimente la penséelinguistique actuelle

J.-M. PeterfalvlIntroduction à lapsychoJingulstlqueP.U.F., 160 p., 12 FLes principauxdomaines de recherchesde la psycholinguistiqueaux niveauxphonologique,sémantique etsvntaxique.

• J.L. AustinOuand dire, c'est faireTrad. de l'anglais parGilles LaneSeuil, 192 p., 24 FUn ouvrage déjà« classique ., par l'undes plus remarquablesreprésentants dela philosophie« analytique. enGrande-Bretagne.

30

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Pierre MinvielleGuide de la Francesouterraine150 documents InéditsNombr. cartes etschémasTchou, 480 p., 42 F.Par le chroniqueurscientifique au.'Monde", chargé parles MonumentsHistoriques dela conservation desgrottes et cavernesclassées en France.

Savoir tout faireNombreux dessins etfiguresFlammarion, 320 p.,19,50 F.Un liVre auquel ontcollaboré douzespécialistes et dontle but est dîndlquerles moyens de parer auxdéfaillances desinstallations d'un locald'habitation.

Ralph SteinLes voitures célèbresNombr. photos en noiret en couleurs deTom BurnsideUne somptueusegalerie deportraltsceux de vlngt-clnqmarques de voitureschoisies parmi lesplus grandes d'Europe.

Jean-Pie LapierreSeine-Maritime200 i11. et cartesSeuil, 96 p., 12 F.Le deuxième titre d'unenouvelle collection deguides qui encomprendra 95 (1 pardépartement) .

Antoine OttaviCorse200 i11. et cartesSeuil, 96 p., 12 F.Inaugurant une nouvelle,collection de guides, àla fois une encyclopédieportative, un album·souvenir, un atlas et,naturellement, un guidepratique.

Pierre MazarsVoulez-vous «chiner.avec moi?Grasset, 272 p., F.Une introduction à l'artsubtil du collectionneur.

Robert LandryLe guide des villagesabandonnés31 illustrationsBalland, 292 p., 29,50 F.Un guide pratique ettrès complet, destinéà Informer le public surl'acquisition dehameaux abandonnés.

Jean·Philippe ChassanyDictionnaire demétéorologie populaire60 illustrationsMaisonneuve et Larose.416 p., 49,50 F.Sous la forme d'undictionnairealphabétique, unrépertoire complet destraditions populairesrelatives au temps.

Bernard GorskyExpédition «Moana.Le tour du monde del'exploration sous-marine36 photographies h. t.:2 cartesA. Michel, 400 p., 29 F.Le récit d'uneexpédition effectuéepar quatre plongeurssur un voilier -réédition.

Christian LacombeLa motoPréface de J.-P. BeltoiseNombr,.. photos en noiret en couleursDenoëi, 252 p.,Des machines d'antanaux plus' prestigieusesmotos. d'aujourd'huI.

Diana HuntVous, les astres etl'élu (e) de votre cœurTrad. de l'anglais parG. MarchegayA. Michel, 312 p..19,50 F.Une analyseastrologique desrelations amoureusesoù sont examinéeschacune des 144combinaisons possiblesoffertes par les signesde naissance.

100 itinéraires()OUr vos loisirs30 i11. en couleursIIilo, 250 p., 35,60 F.Jn guide abondammentlIustré des plus beauxlites à visiter en;rance et en Corse.

Ange BastianlLes mauvais lieuxdes environs de Parisl3alland, 244 p., 26,80 F.Des bords de Seine auxrives de la Marne, desguinguettes aux grandsensembles, les)oints brûlants de l'îlede France.

Xavier AntomarchiJean SchoumannLa grande aventurede SpennatoDenoël, 72 p., 18 F.Les aventures poétiqueset humoristiques' d'unspermatozoïde et d-'uneovule fort bovaryques.

Marianne AntoineFlorence RémyLe guide de lachasse à l'hommeDenoël, 228 p., 15 F.A la fois un manuelpratique et undictionnaire de• science et technique"sur l'art de séduire etde se servir deshommes.

historique, artistique etpoétique de cesmonuments danslesquels, selonl'expression de l'auteur,« il est Impossible detracer les limites dudocumentaire et dela poésie. ".

Oreste FerrariLes trésors d'artdu Vatican52 reproductions encouleurs, 119reproductionsmonochromesAimery Somogy éd.,288 p., 40 F.Au cœur de cecomplexe architecturalunique au monde pourla richesse de sesmusées et de sesœuvres d'art, malsaussi pour le symbolequ'il représente pourtous.

Carle SalaMax Ernst et ladémarche onirique37 planchesKlincksieck, 110 p., 36 F.L'itinéraire d'un des ..artistes les plusreprésentatifs desnouveautés et descontradictions de notretemps.

Joseph·Eime MüllerL'art et le non-art57 reproductionsSomogy, 1·92 p., 18,50 F.Un essai dedémystification surle caractère à la foisfutile et prétentieuxde certainesmanifestations de l'artactuel.

Guide des muséesde France180 illustrationsOffice du Livre,220 p., 26 F.Un. guide pratiquetrès complet etremarquablementconçu.

B1111011RSPORTSDIVERS

Réunis,384 p., 26 FUne pièce inédite, dansle cadre de l'édition desœuvres complètes del'auteur.

ARTSURBANISME

••LIGION

Maurice CorvezDieu est·1I mort?Aubier·Montalgne,272 p., 21 FPar l'auteur des« Structuralistes", uneétude surles théologiens dits«de la mort de Dieu '.

L'InfaillibilitéSon aspectphilosophique etthéologiqueOuvrage collectifAubier·Montalgne,588 p., 50 FTextes du Colloque del'Institut philosophiquede Rome.

Henri-Paul EydouxChâteaux fantastiques U105 illustrationsFlammarion, 'l72 p., 24 J:=.Une évocation

J. de Azeredo PerdigaoCalouste Gulbenklan,collectionneur69 iII. dont 42 encouleursP.U.F. 224 p., 60 F.Un ouvrage qui, àtravers la vie d'un biensingulier personnage,nous fait as'slster àla création et audéveloppement d'unedes plus prestigieusescollections privées.

• Jean DubuffetCatalogue des travauxFascicule XIII :Céélbration du Sol • 1Elaboré par Max Loreau150 illustrationsOffice du Livre.155 p., 65 F.L'œuvre de JeanDubuffet d'avril 1957è avril 1958.

secrets égyptiens.Edition Spéciale,232 p., 21 FLes confessions d'uncapitaine des services

Albert SigusseSalauds de jeunes 1Denoël, 256 p., 22 FMené de 1967 à 1970un reportage pathétiqueet souvent violent surla jeunesse.

J. et R. ThéveninJ'ai tué mon enfantEdition Spéciale,320 p., 24 FA travers le récit d'undrame très réel, ledossier de l'enfancehandicapée et del'euthanasie.

Jean-Paul AronThéâtre : Le bureaufleurets mouchetésCh. Bourgols, 144 p.,14,30 FUn théâtre de larévolte de l'homme surl'impuissance dulangage.

Victor HugoMangeront-Ils?«Cahiers Victor Hugo.Edition critique établiepar R. Journet et .Germaine EverllngC. Robert L'anneau de SaturneFlammarion, 272 p., 48 F Préface de J. CocteauL'une des pièces les Fayard, 208 p., 20 F.mieux connues 'du Par celle .gui fut,«Théâtre en liberté", pendant de longuesécrite en 1867, créée années, la compagneen 1907 et reprise six de Picabia, un portraitfols jusqu'en 1968. sans Indulgence du

célèbre peintre.

Un observateurà MoscouTrad. de l'anglaispar J. M. JasienkoColl. «L'Histoireimmédiate"Seuil, 256 p., 20 FPar un observateur«'anonyme ", untableau saisissant desréalités quotidiennesen Union Soviétique.

Joseph WulfL'Industrie del'horreurFayard, 416 p., 30 FPar le directeur duCentre internationalde documentation surle nazisme, undocument Implacablesur la S.S.

THEATRE

• Jules VallèsLa commune de ParisPréface et notes deM.·C. Blanquart etL. SchelerEditeurs Français

t J. K. GalbraithJournal d'unambassadeurTrad. de l'américain parSylvie LarocheDenoël, 544 p., 35 FUn documentexceptionnel sur les«années Kennedy" etun reportage brillant surla vie quotidienne d'unambassadeur américainaux Indes de 1960 à1963.

Farld ShakerL'agent du Caire

Jean NoliLes loups de l'Amiral(Les sous marinsallemands dansla bataille del'Atlantique)Fayard, 472 p., 28 FL'épopée des sous·mariniers de "amiralDoenltz.

Maurlce·Jean CalvetEchec au putschPréface de PhilippeDechartreEdicef éd., 200 p., 18 FUn témoignage depremière main surle coup d'Etat desGénéraux(22 avril 1961).

W. M. DiggelmannLe crime de la saintefamille· 1969 :L'affaire StockerPlanète, 240 p., 19 FUn reportage, fait àpartir du procès deJ. Stocker etM. Kohler, connusaussi sous le nom des«exorcistes deRingwill ".

Gisèle FreundLe monde et ma caméraCollection «Femme"Gonthler, 256 p., 33 FQuarante ans d'histoirede la photographie, àtravers la proprehistoire de l'auteur.

la Bête du Gévaudan)Fayard, 272 p., 24 FUne évocation trèsdocumentée de la viedes paysans duGévaudan etd'Auvergne, un quartde siècle avantla Révolution.

Jens KruuseOradour-sur-GlanePréface deJacques DelarueFayard, 196 p., 18 FUne reconstitutionminutieuse et pleinede sensibilité dela tragédie d'Oradour etsurtout des multiplestragédies Individuellesqui la composèrent.

La Littéraire, du )6 au JI juillet 1970 31

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