quinzaine littéraire, 92, février 1970

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3f' a e e UlnZalne littéraire du 1 er au 15 avril 1970 92 Un inédit de Marx en discussion

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Quinzaine littéraire, numéro 92, février 1970. Le Glézio parle de Jacques Rigaut , Anne Fabre-Luce de Jean Giono et Margaret S. Maurin de Marcel Brion. Articles sur Panofsky et Marx (sur JM Benoist)

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Page 1: Quinzaine littéraire, 92, février 1970

3f'a e eUlnZalne

littéraire du 1er au 15 avril 1970

92 Un inéditde Marx

en discussion

Page 2: Quinzaine littéraire, 92, février 1970

SOMMAIRE

a LE LIVREDE LA QUINZAINE

li ROMANS PRANÇAIS8

8

8 HISTOIRELITTERAIRE

8

10 ROMANSETRANGERS

1111

ta POESIE

18 ARTS

18 PHILOSOPHIE

Jacques Rigaut

Jean GionoMarcel BrionJean·Claude HémeryGeorges Piroué

André Karatson

Rétif de la Bretonne

Edoardo Sanguinetti

J osé Maria ArguedasLeslie FiedlerAlfred Andersch

René de Obaldia

Ervin Panofsky

Jean-Marie Benoist

Ecrits

L'Iris de SuseL'ombre d'un arbre mortÂ1UJJnorphosesLe réduit natio1UJ1

Le Symbolisme en Hongrie

La vie de mon père

Le noble jeu de royeTOlU sangs mêlésLe Chinois trAmériqueEJraïm

1nnocentines

Atlanl:Œuwe d'artet ses significations

Marx est mort

par J. M. G. Le Clézio

par Anne Fabre-Lucepar Margaret S. Maurinpar Jean Gaugeardpar Maurice Chavardès

par Georges Kassaï

par Samuel S. de Sacy

par Gennie Luccioni

par Jacques Fressardpar Dominique Desanti

par Raymond Jean

par Jean Duvignaudpar Françoise Choay

par Annie Kriegel

20 DISCUSSION

22

Sur un inédit par E.J. Hobsbawmdu Marx d'avant « le Capital»:les Grulldrisse par Peter Wiles

24 HISTOIRE

25 THEATRE

28 PEUILLETON

Edouard Baratier.Georges Dubygrnest Hilde!'heimer

Atlas historique: Provence,Comtat, Orange. Nice.Monaco

Orden

w

par G. L.

par Gilles Sandier

par Georges Perec

Crédits photographiques

La QuinzaineIIttérai..

2

François Erval, Maurice- Nadeau.

Conseiller : Joseph Breitbach.Comité de rédaetion :Georges ,_ Balandier, Bernard Cazes,François Châtelet,Françoise Choay,Dominique Fernandez, Marc Ferro,Gilles Lapouge,Gilbert Walusinski.

Secrétariat de la rédactionAnne Sarraute.

Courrier littéraireAdelaide Blasquez.

Maquette de couvertureJacques Daniel

Rédaction, administration :-4.3, rue duTemple, Paris·4eTéléphone: 887-48·58.

Promotion.DiffusionFabrication Promodifa400 rue St-Honoré - Paris-ler

Publicité littéraire :22, lue de Grenèlle, Paris·7e•Téléphone : 222·94-03.

Publicité générale : au journal.

Prix du n° au Canada: 75 cent'!.

Abonnements :Un an : 58 F, vingt-trois numéros.Six mois : 34 F, douze numéros.Etudiants : réduction de 20 %.Etranger : Un an : 70 F.Six mois : 40 F.Pour tout changement d'adresseenvoyer 3 timbres à 0,30 F.Règlement par mandat, chèquebancaire, chèque postal :C.C.P. Paris 15.551.53.

Directeur de la publicationFrançois Emanuel.

Imprimerie: Graphiques GambasImpression S.LS.S.Printed in France

p. lp. 3p. 5p. 7p. 9p. 11p. 14p. 16p. 17p.21p.23p. 24p. 25

Jean DemelierGallimard -éd.VascoBullozRoger ViolletSergio Larrain, MagnumGrasset éd.D.R.Gallimard éd.Jean DemelierRené DazyArmand ColinBernand

Page 3: Quinzaine littéraire, 92, février 1970

LB LIVBB DII

Jusqu'au boutLA QUINZAIIfIl

1Jacques RigautEcritsGallimard, éd., 292 p.

D'où vient la légende Rigaut? Comment un tel homme est-ildevenu un héros? Car, après tout, rien de plus irritant que cetesprit acharné à tout détruire, y compris soi-même, à tout tourneren dérision. Rien de plus décevant en apparence que ce contemp-teurde toute vie, ce produit du nihilisme petit-bourgeois qui asuivi la crise de la première guerre mondiale.

On est tenté de le rejeter, plutôt, comme une erreur, comme un raté,comme un parasite sans importance. La facilité de son refus continuel,et surtout cet espèce d'apitoiement sur soi-même, cet égocentrisme, cettecontemplation du nombril : choses ridicules, dirait-on, choses futiles,exhihitio!lnisme, vanité, stérilité.. Et pourtant, Jacques Rigaut n'a pas fini de troubler notre monde. Lamort, loin de l'arracher au groupe et de le réintégrer à l'anonymat - cetanonymat qui résout d'ordinaire presque toutes les contradictions de lasociété -, sa mort l'a sanctifié. Elle lui a donné un rôle, une valeur,parmi les autres rôles et les autres valeurs. Jacques Rigaut hante toujoursnotre monde; il a pris place à côté des autres noms-symboles de la litté·rature moderne : Rimbaud, Lautréamont, Kafka, Maïakovski.Incroyable injustice que cette sanctification (1), qui fait rentrer J ac-

ques Rigaut dans ce qu'il avait combattu, qui l'assimile à ce qu'il avaitle plus haï : la littérature. Le savait-il ? Se doutait-il que l'entreprisedes mots le retrouverait un jour, lui et ses anathèmes, lui et ses malédic-tions, pour le ranger, dûment étiqueté, au milieul'esprit, parmi les autres bocaux ? Il est qu il 1a car c etaItselon sa propre manière, l'aboutissement necessaIre de laau phénomène de récupération, il n'est pas et ne serVIraità rien de le condanrner : on enfonce mal les portes a tourmquet.Un héros. Un anti-héros. De toute façon, un homme exceptionnel.

Parce qu'il va jusqu'au bout. Un héros est un homme qui accomplit quel-que chose, jusqu'au bout. Il y a des héros en mal comme en bien. JacquesRigaut est un héros de la négation.Aller jusqu'au bout: de l'aventure, de l'amour, de l'humanisme, de

la bravoure, de l'analyse. La société ne retient finalement que les exem-ples extrêmes. C'est qu'elle a besoin des extrémistes pour sentir les limi-tes de l'accessible, pour reconnaître le danger. L'exemple qu'elle retientest ainsi, presque toujours, un exemple à ne pas suivre. Prométhée, Icare,<Edipe, voilà donc les frontières du domaine humain. Aventuriers quisuccombent à leur passion, non pas pour inventer quelque liberté, maiséclaireurs envoyés en reconnaissance dans les lieux interdits.Jacques Rigaut est allé, lui aussi, jusqu'au bout de quelque chose. Que

peut découvrir un homme qui s'est retranché des autres, qui a voulu, envivant sur lui-même, refuser toute compromission avec le monde quil'entoure? C'est là qu'on aperçoit le visage du héros. Jacques Rigaut estl'homme qui est allé jusqu'au bout de la conscience, jusqu'aux limitesde l'individualisme. Cela a l'air simple ; {( conscience », on connaît bienle mot, on l'entend selon ce que l'on croit connaître des possibilités del'intelligence et de l'analyse. Conscient, mais de quoi? Conscient de soi-même. L'individualisme, on voudrait bien que ce fût une attitude, seule-ment une attitude. C'est-à-dire, dans un certain milieu (classe, éducation),un refus de coopérer. Un luxe, vraiment, une apparence et non pas unemanière d'être. C'est ainsi que condamnent Rigaut ceux qui ne veulentvoir en lui qu'un effet mécaniste, un {( cas ». Mais ils feraient aussi bienalors de condanrner d'autres cas, celui de Lautréamont, par exemple, oucelui de Freud.Tout cela n'est pas très convaincant: l'homme est ce qu'il est, malS tJ

n'est pas le seul produit de son milieu; certaines cultures favorisentcertains types d'aventures. Mais les possibilités, elles, sont indéfinimentprésentes.Jacques Rigaut va jusqu'au bout de la conscience de soi. C'est-à-dire

qu'ayant refusé tout rapport avec le monde extérieur, il ne conçoit plusd'autre existence que la sienne, plus d'autre vérité que la sienne, plus d'au-

La Quinzaine littéraire, du 1· GU 15 avril 1970

par 3. M. G. Le Cléuo

tre intérêt que pour ce qui résonne et remue au passage des autres.Il est, ainsi, le seul être vivant sur la terre, la seule réalité. Un tel refusdes autres, sans exception, est exemplaire parce qu'il est logique. Il estl'aboutissement de la conscience qui n'est vraiment capable de travaillerque sur elle-même. C'est. la constatation, l'évidence : nous vivons dansdes corps autonomes, et ne pouvons connaître des autres que ce qu'ilslaissent en nous. Pour échapper à cet enfer, nous n'avons qu'un moyen:l'induction (l'amour). Mais Rigaut refuse d'induire. Car c'est une rup-ture dans le mouvement de la connaissance. Passer de soi aux autres,c'est franchir un abîme, mille fois plus grand et plus effrayant que celuiqui sépare deux planètes. Pour l'amour de la logique, par orgueil, parpassion pour la vérité, Jacques Rigaut se refuse à ce bond vertigineux.Il est évident aussi qu'un tel refus des autres est l'aveu d'une faiblesse.

Ce masque d'impassibilité dédaigneuse que revêt Jacques Rigaut doit luiservir à cacher son incapacité à être heureux comme les autres, sa peurdevant le monde avide d'argent, de gloire et de plaisir. Révolte poussée,elle aussi, jusqu'à l'extrémité puisque Jacques Rigaut refuse la révolte.Se c'ést encore accepter l'ordre du monde, c'est souhaiter en

Jacques Rigaut en voyage de noces à Paim Beach (U.s.A.) en 1928.

3

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contradiction apparente qu'il a tellement attendu avant de se résoudre àcet acte définitif. Mais l'important, n'est·ce pas,c'était d'avoir pris la décision de mourir, et non que je mourusse.Cette décision logique, quand Rigaut l'aura prise, c'est qu'il sera par·

venu à dépouiller le suicide de tout son aspect sentimental. Ce sera uneopération chirurgicale, préméditée jusque dans ses moindres détails. C'estpour cela que le suicide de Rigaut est admirable, et c'est pour cela quela Société le refuse, parce qu'elle en connaît tout le danger. La sociétéhumaine peut se permettre des accidents, des suicides passionnels, desmorts par folie ; leur caractère irréfléchi plaide en fait pour les vivants.Mais qu'un homme considère l'éventualité de sa mort avec tant de calmeet de raison, qu'un homme se tue par logique, parce qu'il a connu qu'iln'y avait aucun autre. remède, voilà bien le comble du blasphème. Carcette mort condamne la société toute entière, lui révèle d'un seul coupsa faillite.Mais Rigaut est un homme vivant. Il y a quelque chose d'autre en lui,

quelque chose de mystérieux, un charme, une grâce, qui font qu'il estbeaucoup plus qu'un mathématicien de la mort. Une telle rigueur pessi-miste, un tel refus, poussé jusqu'à la manie, une telle passion pour laconscience de soi, pour la lucidité, et surtout une telle négation du men-songe, de tous les mensonges: littéraires d'abord, mais aussi sentimentaux,idéalistes, philanthropiques; cela ne peut être le résultat d'un froid calcul.Rigaut, moins qu'aucun homme, n'est une machine à calculer. Qu'y a-t·ilréellement derrière cette vie, qui la dirige et l'anime? Un frémissementcaché, peut-être, un frisson contenu, contrarié, quelque chose de trouble,de confus, de contradictoire, qui a continuellement opposé Jacques Rigautau monde : une PASSION. Ces sarcasmes, ce mépris, cet ennui auxdimensions presque métaphysiques, ce sont les symptômes de la souffrancequi vibre dans cet homme à chaque seconde de la vie, devant chaqueagression, chaque laideur, chaque faux espoir.Une PASSION: une ivresse de la vérité, une ivresse de la beauté de la

vérité. Il s'agit d'aller jusqu'au bout de cette vie, de savoir comment leschoses se passent, sans jamais succomber à aucune complaisance, à aucunà peu près. Découvrant à chaque instant un nouveau mensonge, un nou·veau déguisement destiné à masquer le vide, Rigaut descend résolumenttous les degrés de l'existence, et tous les degrés du langage. Il parvientexactement au même moment au degré zéro de la vie et au degré zéro dulangage.Un oui dans une main, un non dans l'autre...C'est cette cohésion totale entre l'être et l'expression qui fait de Rigaut

un héros, et non le fait qu'il se soit vraiment tué. Je veux dire que laquestion de savoir si Jacques Rigaut est ou non un écrivain est devenuetout à coup complètement futile. Arrivé à ce point du voyage, il n'estplus possible de bien ou mal écrire. Quand l'homme s'est pareillementrejoint, quand il est arrivé aussi près de lui-même, qu'il s;est désquamé,qu'il a ainsi quitté tous ses oripeaux et toutes ses peaux, ayant renoncéà tout ce qui l'encombrait, qui le nimbait, quand il s'est pour ainsi diredévêtu jusqu'au squelette :le serai mon propre savon,il ne peut plus y avoir de style, ni de pensée, ni de propriétés quelles

qu'elles soient, ni même de fonctions ou de noms. Il ne reste plus que ceci,la vérité, pure, insoutenable. Impossible alors de dissocier l'écriture desautres modes de la vie, de la respiration, par exemple, ou de l'activité desglandes endocrines. Et si un jour, après beaucoup d'hésitations, aprèsavoir beaucoup lutté, l'on se tue réellement, c'est parce qu'on l'avait écrit.Splendeur de ma voix qui s'élève seule, seule, dédaigneuse de toute

oreille, faite pour aucune - faite de ces mots qui sont les liens sûrs quecependant ils puissent discerner (2). le frémis au sommet du mot seul,sur une limite aussi pathétique que le tournoiement du derviche hurleur,ou du chancellement du boxeur avant qu'il s'écroule, ou de l'avion quipique en flammes.

Jacques Rigaut

en quelque sorte qu'il change, c'est vouloir plier le monde à ses exigences.Rigaut, lui, ne veut rien, n'accepte rien!La révolte est une forme d'optimisme à peine moins répugnante que

l'optimisme courant. ( ...) La révolte, considérée comme une fin, est elleaussi optimiste, c'est considérer le changement, le désordre comme quel.que chose de satisfaisant. le ne peux pas croire qu'il y ait quelque chosede satisfaisant.Extraordinaire lucidité, qui le force à admettre cette réalité. : ce n'est

pas le monde qui est mauvais et mal fait pour lui, c'est lui qui n'est pailfait pour le monde. Il y a complète et irrémédiable incompatibilité entrelui et le monde, entre lui et la vie.

D'où ces deux thèmes qui animent la vie de Rigaut: la vérité, et lamort; c'est à dire, matériellement, le miroir, et le suicide.

Le miroir, c'est la figuration obsessionnelle de cette conscience de soiqui est la grande barrière au bonheur. C'est la représentation rituelle decette intelligence toute entière appliquée à sa propre observation, cetteintelligence froide, lucide, e.ffrayante, qui empêche la perte de conscienceet par conséquent l'amour, la vie:

le n'ai jamais perdu connaissance.

La pensée ne peut alors avoir d'autre fin que de se penser, la penséeest implosion.

ET MAINTENANT

REFLECHISSEZLES MIROIRS.

La réflexion est l'acte suprême, celui dont on ne s'échappe pas : ils'agit bien d'un rebondissement du regard sur lui·même, d'un déroule·ment de la personne. Le jeu de mots n'est ici même plus grimace. Seulsles miroirs donnent avec exactitude l'image, seuls les miroirs offrent vrai.ment le spectacle de la pensée. On est très loin du « narcissisme », car iln'y a aucune fascination, aucune soumission à ce spectacle. ·Ce seraitplutôt une malédiction, la constatation définitive de l'impossibilité pourla pensée d'aboutir à autre chose qu'à elle·même ; l'impossibilité de voya·ger. Em.prisonnement de l'esprit dans son propre infini, selon le systèmedu miroir à trois faces. Cette limite imposée par le miroir, ou par l'ana·lyse, Rigaut ne l'accepte jamais vraiment. L'intelligence ne tarde pas ày rejoindre le vertige de la folie, la clairvoyance y rencontre l'aveuglement.Pour en sortir, que faire? Briser le miroir, et passer de l'autre côté. MaisRigaut sait tout de suitequ'un tel passage est irréalisable, et qu'il ne peutaboutir à autre chose qu'à, malédiction plus grande encore, la littérature.Le vrai moyen de traverser le miroir, d'aller au·delà de la conscience,

ce ne peut être que la mort. Démarche fanatiquement logique de cethomme qui s'aperçoit très vite que, quelque soit la combinaison du jeu,quels que soient les éléments proposés, la solution est toujours la même,inévitable : LA MORT. L'ivrognerie, le coït, la drogue, la religion oul'art restent, comme le sommeil, des moyens d'approcher la perte deconscience; mais ils ne sont que des approximations. Aucun d'eux nesait déguiser la vérité, la terrible réalité : il n'y a qu'un remède vraimentlogique.La. douleur de la conscience de soi, du miroir réfléchissant sans cesse,

seule la mort peut l'anéantir..Cette connaissance de la « solution finale »,Jacques Rigaut l'a eue sans doute tout de suite. Le cheminement de l'in·dividualisme lui a permis ensuite d'approfondir cette réalité, de l'acceptercomme elle est, sans romantisme et sans faiblesse. En effet, si. JacquesRigaut n'avait pas essayé de s'arracher à cette fatalité intérieure, de rom·pre cette fascination, sa mort eût été sans conséquences. Des suicidesromantiques, on en connaît beaucoup. Mais le romantisme est haïssable,il n'a l'Îen à apprendre. Il n'est qu'un geste d'auto.satisfaction, un gestequ'on fait pour braver les autres, pour leur arracher un petit cri d'admi·ration.C'est vrai que le suicide en tant qu'acte de révolte, manque toujours

son but. On ne nie pas le monde en voulant le punir par sa mort. Fuirl'affrontement, c'est cn quelque sorte se soumettre. La négation absolueque Rigaut oppose à la société humaine est incompatible avec une tellesoQJnission. a été sensible à tout cela, et c'est à eause de cette

1. Injustice reconnue par Martin Kay :li Rigaut qui professait un si solide mé-.pris de la littérature et de la critiqueaurait·il été sensihle à l'humour involon.taire qui marque notre entreprise?»(Préface).

I.M.G. Le Clézio

2. Ceux qui veulent comprendre peu.vent lire : li sans que .cependant ils puis-sent se diseemer », quelque chose de cegenre.

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ROMANS

Un grand conteurFRANÇAIS

Rares sont les auteurs dontle pouvoir de renouvellementse manifeste avec autant devigueur que celui de Jean Gio-no, qui vient à nouveau nousen donner la preuve avec sondernier roman : l'Iris de Su-se. Depuis près de cinquanteans, en effet, cet écrivainqu'on a pu classer dans « lagénération de 1900" semblesoutenir la gageure particuliè-re qui est celle des créateurs:elle consiste à changer indé-finiment tout en demeurantsoi-même.

1Jean GionoL'Iris de SuseGallimard éd., 243 p.

Depuis Colline (1925), Un deBaumugnes (1929), Giono occupeune place à part dans la littératureen tant que chantre des Hauts deProvence. Dans des récits d'unemagnifique sensualité où s'allientle ciel et la terre, il s'est fait lecréateur de mythes issus d'une in·timité transfigurée avec le monde.Ses personnages, sans épaisseur vé-ritable sont en réalité des lieux derésonance pour le dialogue lyri.que que poursuivent le ciel avec laterre, les arbres avec les routes, lesfleuves sinueux avec les grandspaysages abandonnés aux étoiles.Dans ces admirables cantilènes ly-riques que sont Que ma joie de-meure (1935) ou Regain (1930),les mythes paraissent se répondreentre eux au sein d'une cosmogonieoù vient basculer l'univers, tel unœil renversé vers son propre au-delà.Au sortir des désillusions de la

deuxième guerre mondiale, un nou-veau Giono apparaît, comme parun rebondissement imprévu : leHussard sur le Toit (1951), Jeanle Bleu, Angelo inaugurent la pha-se stendhalienne et picaresque àla fois d'une vision du monde quel'on croyait vouée à la contempla-tion et à la gravitation poétique ducosmos.

« L'aventure» pour un individulibre, dans lequel une disponibilitétoute gidienne s'arme résolumentpour combattre toutes les « pestes »,s'inscrit maintenant dans le cadreépique de récits à la fois amerset violents. Il s'agit du jeu avec lavie; de passion, d'amour et d'hu-mour dans une série d'affronte-ments où tout l'être participe. Pour-

tant, quelque chose subsiste despremiers romans dans les person-nages: c'est leur aspect fondamen-talement marginal (qui se mani-feste ici par la désinvolture). Ilsdénoncent obstinément une sorted'absence essentielle au monde quece soit « sous la caresse des astres »en Provence, ou dans la batailleuseItalie de 1848.Cette absence se retrouve dans

l'Iris de Suse. Elle gît au cœurdu fugitif Tringlot, elle décide dela mort de la Baronne de Quelte etde son amant, elle se masque der-rière les jeux d'osselets du natura-liste Casagrande, et elle culminedans le personnage de la jeunefemme qu'on appelle L'Absente.Dans ce roman, il semble que

Giono ait tenté de rassembler tou-tes ses « pentes Il : celle de la con-templation, celle de l'aventure, etcelle des âmes fortes et solitaires- la dernière en date de ces(c âmes II était la très originaleEnnemonde (Ennemonde et autrescaractères, 1968), qui rappelait àla fois la Jambe-de-Laine farouchede Bernanos et la romantique, ada-mante Mathilde de la Môle. Elleréapparaît ici en châtelaine intrai-table, amante coupable et meur-trière, avare de paroles, avec desgestes sans appel. Mais le livre estaussi le récit de la fuite et du refu-ge d'un voleur dans les hauts alpa-ges du Jocond. D'où le contrepointque l'auteur établit, non sans rup-tures parfois maladroites, entre lessouvenirs personnels de ce nouveau« Papillon», amateur de « ca-ches » pleines d'or, son retour pro-gressif aux sources, et l'aventure decette femme qui accueille les in-connus le fouet à la main à la limi-te de ses terres! L'excès de matièreromanesque nuit à l'unité du récitet à sa profondeur. La transparen-ce particulière, si attachante dansles autres romans se trouve icicontrariée, brouillée par une tropgrande richesse thématique. Gionoest un écrivain qui peut se permet-tre le cc monolithisme». Seule,peut-être cc L'Absente », à laquellele héros finira par associer son des-tin de fuite hors du monde se faitl'écho silencieux et vibrant de l'artessentiellement litotique de l'écri-vain. L'appel de cette créature sansvoix, qui n'est qu'un paysage pourl'âme de celui qui l'aime et le lieud'un désir impossible, nous restituesoudain la véritable voix du roman-cier.A coup sûr, le grand talent du

conteur, ou plutôt du poète en pro-se, que nous connaissons, éclate ça

et là, à la faveur d'un orage pani-que en montagne, ou de la visiond'un paysage. Il se manisfeste sur-tout dans les très sobres et pourtanttrès amoureuses descriptions deslieux que hantent ses personnages.Le rythme tellurique de la pulsa-tion du monde s'orchestre alorsdans un équilibre rarement atteintentre la richesse du vocabulaire etl'extrême simplicité des contenusde la vision. Pourtant le style neparaît culminer que lorsque le ré-cit se situe lui-même au niveaudes grands espaces désolés qui do-minent de loin les vallées. Là, dans« la tendre indifférence du mon-de» qui est toujours à dire, uneharmonie secrète se réalise entrele silence bruissant de la natureet le « canto hondo» de la prosequi l'exprime.C'est peut-être la raison pour

laquelle avec lequel le

brigand Tringlot se (et nous) ra-conte les exploits passés de ses com·pères dans le bas-pays ne parvientpas à nous convaincre. En nous ar-rachant aux séductions d'une vi-sion du monde qu'il a su seul maî-triser (avec Ramuz, peut-être),Giono semble nous refuser l'accèsau domaine qu'il nous avait ouvert.Et, sans bien savoir pourquoi, nousnous prenons à lui demanderde nous restituer, par la magie deson verbe, cet univers insolite etfamilier à la fois, dans lequel senouent les alliances secrètes ou lesorageux accouplements de la terre,du corps et du ciel. Là où l'hommedécouvre, dans une absence consen-tie au monde que nous connaissons,l'accomplissement mystérieux d'oùjaillit la double fulgurance de sonêtre et de son néant.

Anne Fabre-Luce

La littéraire, du 1- au 15 avrn 1970 5

Page 6: Quinzaine littéraire, 92, février 1970

AreveLe •romantique

1Marcel BrionL'Ombre d'un arbre mortAlbin Michel, éd. 348 p.

« Partout, je n'ai cessédre, au plus loin que je regardeen arrière. Attendre qui? Atten-dre quoi? ». Ces paroles de Te-rence Fingal, le personnage cen-tral du nouveau roman de MarcelBrion, traduisent bien le climatpoétique de cette œuvre émou-vante. Car le sentiment de l'at-tente y sera en même tempscomblé par une grande passion etavivé par l'impossibilité de l'assou-vir. L'amour de Terence Fingalet Georgiana est celui de deuxêtres qui se sentent destinés l'unà l'autre, et que séparent non seu-lement le mariage mais les dépla-cements du mari de Georgiana.Errant sur des routes lointainesqui s'entrecroisent brièvement endivers lieux de la terre, ils viventun amour d'autant plus ardentque les moments lui sont comp-tés ; leurs rencontres ne se compo-sent que d'instants fugitifs, pré-caires oasis dans les sables del'absence. Ainsi passent quelquesannées, au cours desquelles l'uni-que préoccupation de TerenceFingal aura été de rejoindre Geor-giana, jusqu'au moment où lamort soudaine de celle-ci arrivecomme une dernière et décisiveséparation.Cest la disparition de Georgiana

qui constitue le point de départdu toman, car l'aventure se dé-roule retrospectivement. L'attentese mue alors en une quête aucours de laquelle Terence Fingal

Arthur Adamov

«Aujourd'hui, A dam 0 v estpeut-être un écrivain maudit -,écrivait Alain Clerval ici-même,à propos de l'Homme et l'enfantqui venait de paraître (1). Peut-on croire qu'il existe encore ànotre époque des « écrivainsmaudits - ?Admirateur de Kafka et de

Strindberg, ami de Roger Gil-bert-Lecomte et d'Antonin Ar-taud, Arthur Adamov a décrit lesaffres de sa névrose dès l'Aveu,en 1946, tenté d'exorciser dansl'Homme et l'enfant un irrépres-sible besoin d'auto-humiliation.S'il est abusif de penser que

6

s'enfonce peu à peu dans le laby-rinthe du souvenir, des rêves et dela mort, où seule peut le guiderla fidélité du cœur. « Il existeune infinité de chemins, dans lemonde des morts, » affirme sonami, le marchese Ermete dei Mar-mi. « Parfois ils se croisent, par-fois non... Aurez-vous le courage,vous aussi, d'aller chercher Geor-giana chez Hadès? ».Cette quête prend ainsi la forme

d'une descente aux enfers : c'estdire que L'Ombre d'un arbremort possède la richesse et lacomplexité Sj mbolique qui carac-térisent l'œuvre romanesque deMarcel Brion. Dans ce douloureuxrécit qui est en même temps l'his-toire d'une initiation, l'intriguese dessine en transparence sur unevaste toile de fond où mythes etlégendes tracent leurs figures mys-térieuses. Tandis que les fils durêve et ceux des événements vécuss'entremêlent, de subtiles corres·pondances se manifestent entre lesdivers plans de l'existence - lemonde de l'art, des songes, desrites antiques - et la suite desévénements quotidiens. Pris dansun réseau de plus en plus serré, lesamants se rapprochent insensible-ment d'un destin dont les aver-tissements les accompagnent com-me l'ombre même de leur amour.Auprès d'eux apparaissent des

êtres qui, par moments, déposentleur masque humain : Hermès,harpie ou sirène, ce sont des mes-sagers Ile l'au·delà, chargés deguider les âmes sur des voies in-connues.Ce n'est pas par hasard que

son œuvre théâtrale procède decette névrose, elle lui est, aumoins dans une première pério-de, évidemment accordée. Cequi ne l'empêche d'être aveccelle de Beckett et d'Ionescoreprésentative de ce nouveauthéâtre né après la guerre etqui n'a pas tardé à prendre lenom dans les histoires Httérai-res, de « théâtre de l'absurde -.Adamov avait cependant dé-

bordé la singularité de son cas,et l'exemple de Brecht, s'iln'obscurcit pas ceux de Strind-berg ou de Kafka, ouvre à l'au-teur de Ping Pong la voie del'engagement. Ce n'est pas pourrenier sa conception de la créa·tion littéraire, Geneviève Ser-

l'auteur - lui-même d'ascendanceirlandaise - a conféré à son per-sonnage le nom de Terence Fingal.Ne serait-il pas le double de cehéros celte, Finn ou Fingal, dontl'épouse se nommait Griana etqui, dit-on, repose encore, retenupar un charme, dans une grotteenchantée? Peut-être celle queTerence Fingal appelle « la cava-lière des dunes » est-elle aussisœur de saint Georges, le héros-cavalier vainqueur du monde desténèbres. Car dans le vastecontexte mythique auquel le ro-man renvoie sans cesse, la mortde Georgiana apparaît commel'expression du « meurs et de-viens » goethéen, qui a profon-dément marqué l'œuvre de MarcelBrion. Cette mort est en effet lapremière et nécessaire étape d'uneascèse au terme de laquelle Te-rence Fingal rejoindra Georgiana,pour franchir avec elle la fron-tière nébuleuse qui sépare lemonde visible de l'invisible.Cette œuvre qui s'épanouit sans

hâte selon le rythme intérieur dusouvenir, est ainsi le récit d'unedestinée, à la fois pressentiecomme élection, et éprouvée danssa douloureuse durée. En dehorsdes scènes finales, rêves et réso-nances mythiques sont savammentéquilibrés par l'histoire d'amour,qu'un cadre pittoresque et divers,l'ardeur sensuelle et la souffranceenracinent dans le réel. Il seraittemps qu'on accorde à Marcel Brionla place qui lui revient parmi leshéritiers de l'âme et du rêve roman-tique.

Margaret S. Maurin

reau le rappelle dans son His-toire du Nouveau théâtre (2) :« Marxiste ou non marxiste, dé-clare Adamov, le seuJ problèmeest de savoir comment utiliserses névroses -. Et, aurait-il puajouter, de savoir les dépasser.Les excès de toute sorte, la

maladie, le délabrement physi-que, la recherche voluptueusede l'échec et de la souffranceont conduit Arthur Adamov àune mort prématurée. C'estmaintenant que. nous allonsprendre la vraie mesure du dra-maturge et de l'écrivain.

(1) La Oulnzalne IItt6ralre. n° 53,1er juillet 1968.(2) Idées. Gallimard. 1966.

1Jean-Claude HémeryAnamorphosesLes Lettres NouvellesDenoël éd., 155 p.

J'ai lu le nouveau volume deJean-Claude Hémery alors mêmeque se déroulait la merveilleuseexposition Klee dont les amateursd'art parisiens viennent d'êtregratifiés. Ainsi ai-je fait des rap-prochements entre Klee et Héme-ry. Rapprochements que l'on vailans doute trouver bien aventu-rés et d'ailleurs inutiles. Ils sontdûs pour une bonne part aux cir-constances et je refuserais de soute-nir un siège pour les défendre.

Je constate seulement qu'ils sesont produits en moi, avant qued'avoir à les élucider. Si je neveux pas les défendre, je ne veuxpas non plus m'attarder longue-ment à les commenter. Et pour·tant, les « anamorphoses» deJean·Claude Hémery, ses perspec-tives curieuses et réflexions dépla-cées, comme annonce la bandepublicitaire de son volume, ontbien cet air de famille avec «l'en-tremonde» de Paul Klee, saquête entêtée de ce qui pourraitêtre et ne sera jamais, sa bizarre-rie corrosive mais exemplaire,cette étonnante libération, ce sur-gissement à partir d'un gauchis-sement initial. Enfin, une cer-taine forme d'éloquence, de perosuasion, voire de faconde, à plai-der le dossier des chimères.

D'autres parallèles, et plus im-portants, entre le grand peintrebâlois et le jeune écrivain pari-sien. Considérons l'expositionKlee dans son ensemble. Il estimpossible de ne pas être frappépar l'évolution - on pourraitpresque dire par le renverse-ment - de sa peinture. Elle vadu figuratif - fût-il fantastiqueou teinté d'impressionnisme et decubisme ,- à un non - figuratifproche de l'abstraction. Que l'oilse souvienne, comme exemples,du foisonnant Théâtre végétal etdes grandes toiles raréfiées àl'extrême des deux dernières sal-les où quelques brèves et épaisseslignes noires se détachent d'unfond uni. On n'imagine pas unchangement si radical sans rap-port avec une évolution psycho-logique. Et l'on aperçoit les con-clusions négatives que pourraienten tirer certains analystes, ceux

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M - •. Irolrs m.ouvants

Ce texte, toujours le même, que

Jean Gaugeard

de quelque austère agnose infor.mulée ou rien n'est plus, ou plusexactement ne serait, n'aurait étésans la mémoire ou plus exacte-ment le souvenir latent d'oublisaccumulés ou plus exactement demémoires lacunaires ou prémoni-tions de rien ou plus exactementpresque rien. Et son rapport, avecson propre langage se trouve bou-leversé : Je ne lirai jamais le ré-cit que j'écris, qui s'écrit en moi,illisible et jamais lu - et quif écrirait, sinon moi, lecteur nonlu, aveugle· et illettré lisant à enmourir ces textes imposés, rabo-teux, épelés à longueur de nuit,ces cloaques de mots charrian.tdes cris rentrés, ce non-sens obsé-dant bredouillé, appris par cœuraussitôt qu'oublié, pâteuse pitanceà grand-peine mâchée ingurgitéevomie déglutie vomie remâchéeruminée revomie.La différence entre nausée et

néant - entendus comme senti-ments, comme tendances - estcelle du relatif à l'absolu, del'éloquence au mutisme, de lasensibilité à l'indifférence. N'ensoyons donc pas surpris : Curri-culum Vitae offrait un registre-plus varié, un individu plus pré-sent, en veine de confidences;aux pages de désespoir succé-daient des pages tendres, émer-veillées encore ou livrées à l'hu-mour. Et pourtant, qu'Anamor-phoses soit à l'opposé de la séche-resse, malgré son thème domi-nant, voilà le miracle, celuid'Hémery, celui de la poésie.Je ne l'ai pas encore souligné,

AnaJl'wrphoses est un recueil deneuf textes que rien (justement !)ne lie mais dont la parenté estprofonde. C'est l'œuvre ouvertedont parle Umberto Eco. On ycircule à sa guise, en toute liber-té, semble-t-il, et pourtant on ydemeure prisonnier, enserré parune invisible totalité aux secrè-tes articulations. Aux premierstextes, un peu beckettiens, faitsuite, notamment, l'admirableVenise en feu d'un lyrisme fuli-gineux et qui est un chef·d'œuvre.Et c'est là encore œuvre ouverteaccomplie par un système de nu-mérotation des paragraphes etpar le jeu typographique. Cemême texte, ce même thème,Jean-Claude Hémery le martèlesi bien, en fournit un tel jeu opti-que que le rien se transforme enun mirage, en vertige de miroirsmouvants.

Cela ne va d'ailleurs pas sansde furtifs regrets. Dommage, enun sens, pour la chaleur perdue,pour fémoi. Pour la saveur. .Autotal, il croit y gagner plus qu'il

n'y perd, ou plutôt, puisqu'il estcensé tout perdre et ne rien ga-gner, y laisser nn plus grand nom-bre d'horreurs que de délices.Poursuivant l'aventure, cherchantà l'étendre, à la pousser dans lesretranchements (ou plutôt dansles contradictions), il se met enquête du non-savoir : Rien en-core, ou plus rien depuis long-temps, au bout de ces retranche-ments. Rien, les embranchementsnégligés, ou plus exactement ina-perçus, rien, plus exactement leséparpillements, rien, plus exacte-ment l-es gloses, les schémas es-tompés, les mots privés de sens,rien, les sons imprononçables,rien, plus exactement, presqueou pas encore inconnu, désinitié

contingente, celle d'un être plei-nement assumé et incarné. Au-jourd'hui, l'auteur disparaît der-rière une attitude, tend à s'absor-ber en une situation-limite : l'ap-proche, l'intuition du néant.

Certes, l'on peut aussi discer-ner dans ces propos un étrangeexercice de théologie négative,la célébration intime - et, quisait, douloureuse - de la mort deDieu. En tout cas, de Curriculumà ce texte, l'évolution est patente.Dans le précédent volume se ma-nifestait une situation encore très

muet! Loué son air absent, sesyeux crevés... Loué son pieux ric-tus, ses tics, spn silence obstiné,son ap1ulsie, ses bras ballants!Loué le Sans-Nom, f éternel dis-paru, fA bsolument - inexistant,rInagissant, faboulique et l'in-con sis tan t ( ...). L'Omni-Absentqu'il soit loué! Loué fattardé,fimpuissant, f oublié.

j'écris, le seul que j'éorirai jamais...

Le PaÙlÛ des Doges, par Canaletto.

pitalier Kénome (ou, en grec,« Kenoma »), monde du vide etdu manque, que la Gnose opposeà la plénitude du Plérome. Inhos-pitalier? Pour qui ? Pour le lec-teur? L'auteur, quant à lui, en-tonne, en faveur de ce Kenome,. des louanges bien entendu négati-ves mais ferventes : Loué, louésoit le Sempiternel, loués lebrouillard qui nous noie, fim-mense trou grisonnant, f écho

Ce texte, toujours le même, quej'écris, le seul que j'écrirai ja-mais... note Jean-Claude Hémeryà la dernière page d'Anamor-phoses. Voilà qui sonne commeun serment de fidélité, une pro-fession de foi où l'on devine unequalité profonde d'écrivain. Etpourtant je me demande si Jean-Claude Hémery est conscientd'une évolution qui, de proche enproche, pourrait s'avérer radicaleet, qui sait, lui ménager des sur-prises.

de la tendance Minkowski enparticulier, captivantes sans doute,justes peut-être mais qui, aprèstout, n'enlèvent rien à la valeurproprement esthétique des œuvre!!considérées.

Or, les happy few, lecteurs deCurriculum Vitae savent queJean-Claude Hémery aime agré-menter ses écrits de petits essaisgraphiques, modestes illustrationsplus ou moins symboliques, maissensibles où l'auteur tente, parcette autre voie, de s'approcherencore. Des dessins de CurriculumVitae, j'avais déjà noté que, dela belle implexité du départ, ilsfinissaient par s'éclaircir, pars'évider. Est-ce une tendance irré-versible? Les dessins d'Anamor-phoses achèvent cette évolution,la poussent à l'extrême. Ce ne sontplus que gros traits réduits àl'ellipse, à la spirale, à la torsiond'une plaque de métal, ou au car-refour de routes. Il eût été abusifde s'étendre de la sorte si lestextes d'Anamorphoses - com-ment s'en étonner - n'allaient,explicitement d'ailleurs, dans lemême sens.

On pourrait déjà prétendre queCurriculum Vitae et Anamor-phoses s'opposent, comme s'oppo-sent souffrance et remède dans lapharmacopée allopathique. Enbref : Curriculum était la nausée;Anamorphoses, le rien. Face à ladifficulte d'être, au mal de vivre,à l'incertitude ontologique, auxpressions, aux agressions sociales,le patient s'offre la parade laplus usitée - et qui, elle aussi,tomberait sous le coup de l'ana-lyse. Autant qu'il le peut, et partous les moyens, il nie cet être,il nie ce monde et se réfugie dansles antres d'un néant relatif. Lelecteur pourra écrit Jean-Claude Hémery, dans un prièred'insérer signé de ses initiales -s'effrayer, à bon droit, de finhos-

La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 avril 1970 7

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Le Sym.bolisDte hongrois

1Georges PirouéLe réduit national,Denoël, éd., 184 p.

La Suisse n'est pas un payscomme les autres : sa célèbre neu-tralité qui, partout ailleurs, seraitune gageure, ne lui a-t-elle paspermis, durant la dernière guerremondiale, d'aider les combattantsdes deux bords sans s'attirer lesfoudres d'aucun d'eux? Du nordau sud des trains sillonnaient leterritoire, trains allemands ou ita-liens allant, bourrés de munitions,de l'une à l'autre des deux puis-sances de l'Axe, cependant que leciel était traversé en permanence,ou . presque, par les bombardiersaméricains. Au vu et au su del'armée helvétique.Des soldats suisses étaient en

effet mobilisés en 1943, époque àlaquelle Georges Piroué situe l'ac-tion de son récit. Mobilisés contrequi ? Contre personne, Pour quoi ?Pour « l'intégrité d'un territoire »livré au trafic de l'Axe et pour« la défense d'un espace aérien ( ...)percé comme une écumoire ». D'oùle sentiment d'inutilité et de super-cherie des hommes maintenus sousles armes dans ces conditions...Si l'on ajoute à cela que certains

d'entre eux, commis à la garded'un pont dans les Alpes, se trou-vaient isolés du' reste du mondeentre les roulements des convoisferroviaires et le bourdonnementde l'aviation alliée, qu'une épidé-mie de rougeole entraîna une qua-rantaine les privant des rarescontacts avec le bourg voisin, qu'uncamarade hypnotiseur donnait, tousles soirs, un petit numéro d'illu-sionnisme, toutes les circonstancesn'étaient-elles pas réunies pour quel'obsession, devenue démence, pro-voquât un drame ? Sans raisonapparente, une sentinelle abattra unsergent, dans la nuit.Il paraît que le fait divers est

vrai. Il nous importe davantagequ'il soit vraisemblable au niveaudu récit. C'est le cas. Georges Pi-roué, par accumulation de touchesd'atmosphère, a construit un uni.vers de l'absurde crédible. Il l'estdans le décor, dans les dialoguesdont le terre-à-terre et même le sca-tologique laissent affleurer l'angois-se, dans les gestes peu à peu déga-gés du quotidien et « contaminés »par les séquelles psychologiques dela claustration.Cet « état de siège » - aucfUel

l'auteur a tenté de donner uncontrepoint dans une seconde par-

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1André KaratsonLe Symbolisme en HongriePresses Universitaires de Franceéd., 498 p.

Dans son Traité de stylistiquefrançaise Charles Bally postulel'existence d'une « mentalité euro-péenne» qui coifferait la diversitédes langues européennes. Ce di.sant, il pensait déjà (en 1905 !) àl'Europe de l'Atlantique à l'Oural.« Le finlandais et le hongrois, écrit-il, n'ont (sous le rapport de la pa-renté proprement linguistique)rien de commun avec l'anglais etl'italien... pourtant, ils rentrentdans le cercle des langues occiden-tales, car ils ont, pour les conceptsde la mentalité européenne, desmoyens d'expression sensiblementparallèles à ceux des autres idio-mes de ce type. »Cet optimisme (Bally évoque

par la suite le triomphe possibled'une « langue européenne»)) aété singulièrement démenti parl'évolution ultérieure des recher.ches linguistiques et, en particu.lier, par les découvertes de l'eth-nolinguistiqüe. On entrevoit au·jourd'hui à quel point les proprié.tés de la langue maternelle sontdéterminantes pour la pensée etla sensibilité individuelles et col·lectives. En même temps, la litté·rature comparée a mis en lumièreles nombreux décalages observésdans les divers pays au cours del'évolution de la sensibilité euro·péenne, les interprétations et lesapplications souvent surprenantes

tie extrêmement brève, mais dontla nécessité n'est pas absolumentévidente - trouve sa sanction dansl'hypocrisie de l'appareil de l'ar-mée qui étouffe l'affaire - de peurque l'on ne s'aperçoive de la véritéde la guerre, « vérité contenuedans tout ce qu'on a amassé pour,au contraire, s'en protéger, et autour de quoi l'on errait afin devivre avec la mort, avec tant demorts de par le monde en état defamiliarité et de profonde égalité. »Telle peut être la leçon d'un

récit d'autant plus significatif qu'ilest sobre et resserré autour de l'es-sentiel : ce n'est pas sans risquequ'on condamne les humains à nese croire à l'abri de tout que clansles étroites limites d'un « réduitnational ».

Maurice Chavardès

que certains courants littérairesont reçues dans certains pays. Lafortune du symbolisme français enHongrie est particulièrement ins·tructive à cet égard.

Fin lettré et chercheur scrupu-leux, André Karatson restitueavec minutie les péripéties de cet.te rencontre. Dans sa thèse -brillamment soutenue en Sorbon·ne -, il suit pas à pas les progrèsde la pénétration du symbolismeen Hongrie et aussi, son exploi-tation à des fins extra·littéraires.En effet, dans ce pays polarisé àl'extrême, un manichéisme candi.de, mais malfaisant, régnait dansla deuxième moitié du XIXe

siècle et le tableau historico·poétique brossé par Karatson dansles premiers chapitres de son ou-vrage sont indispensables pour faiMre comprendre la véritable portéede l'influence du Symbolismefrançais, « décadent et destruc·teur» pour les partisans de la« Hongrie millénaire », « levaindu renouveau» pour ceux du pro·grès qui, plus tard, devaient segrouper autour de la revue « Nyu.gat » (Occident). Au cours de sacarrière en Hongrie - et malgréles efforts d'un Dezso Kosztolanyià qui Karatson consacre peut.êtreles meilleures pages de son livre- le Symbolisme d'inspirationfrançaise ne parviendra pas à rom·pre avec cet engagement politiqueet moral. Etait-ce, comme l'expli.quait récemment le poète hon·grois Gyula Illyés répondant à uneenquête de la revue « Preuves »,parce qu'en Europe centrale etorientale la fonction dn poèteconsistait pendant longtemps àremédier aux carences d'un pou·voir politique défaillant ?

Un.e pléiade de très grands poè.tes, virtuoses d'une langue qu'ilscontribuèrent à assouplir grâce àl'apport du symbolisme français,sont présentés par l'auteur : Ady,Kosztolanyi, Babits, T6th, Juhasz,Szép. Traduits - et quelquefoisbien traduits - en français, ilssont pourtant à peu près inconnusen France. C'est dommage. Quantà leur propre et foisonnante acti-vité de traduction poétique, ellefait l'objet, de la part de l'auteur,d'une série de commentaires duplus haut intérêt : ces traducteursse comportent en « conquérants »,il s'agit, pour eux, de « tirer letexte à soi », en « opérant la syn-thèse entre le texte étranger et sapropre manière» (p. 404).

Le bilan de l'aventure symbolis-te est établi dans la conclusion del'ouvrage (p. 435-447) : « le Sym-bolisme hongrois cherchait àconcilier les exigences de l'art au-tonome et celles de l'art collectif »(p. 437), « l'influence de la poé-sie symboliste frarn;aise. pours'exercer, dut renoncer à l'exclu-sivité et laisser combiner son mes·sage avec des messages différents,souvent étrangers à son essence »(p. 438). Mais c'est dans la maniè.re de composer et de lire les poè.mes que cette influence devait serévéler déterminante. Dans lesdernières pages de son livre, Ka-ratson dégage avec bonheur leprincipal apport, à cet égard, duSymbolisme français : le langagemétaphorique et la spontanéitéimpressionniste. Cet apport trou·va un terrain extrêmement favora.ble dans les données de la languehongroise, d'où « prolongementset métamorphoses » aboutissant àla naissance d'une nouvelle sensi·bilité qui continue à nourrir lapoésie hongroise contemporaine.Et c'est peut-être là - parado.

xalement - une des raisons dudécalage que nous constatons ac·tuellement entre les deux sensibi.lités poétiques. Le langage méta·phorique du Symbolisme n'a ja.mais fécondé la langue française,comme il a enrichi la langue hon-groise. De plus, cette tendancefut assez rapidement abandonnéeau profit d'un langage « métony-mique », qui était, par exemple,.celui de Proust. Gérard Genettedésigne sous le nom de « métapho-re diégétique » un certain aspectde la sensibilité proustienne, enétroite relation avec le milieu am·biant qui la façonne et la modifieà son gré, alors que le langage quiexprime cette forme de sensibilitéfait appel il la contiguïté, aux élé·ments « in praesentia », contraire.ment à la métaphore pure quiopère toujours par substitution,avec évocation d'éléments « inabsentia ».Peut·être cette façon « métony-

mique » de voir a.t·elle si profon.dément imprégné la langue fran.çaise de nos jours que ses usagers,oublieux de l'aventure de la mé·taphore symboliste, poussée ensui·te à son extrême degré par les harodiesses des poètes hongrois, jugentincohérents les rapports quelque.fois fort lointains que la métapho-re établit entre comparants etcomparés.

Georgu Kassai

Page 9: Quinzaine littéraire, 92, février 1970

Rétif et son ,pere

liPllllSIPll1IlsPIIIISSIIIS

L"'Union.Soviétique

•s.urVlvra-·t-elleen 1984?

)

ANDREÏAMALRIK

PAYARD

COLLECTION"LE MONDE

SANS FRONTIERES"

Le premier écritpolitique clandestin

soviétiqueà l'état naissant la vérité du cultedes ancêtres; et c'est l'orientationparticulière que l'individu Rétifimprime à ce culte.

Dire qu'il mente, non, on ne lepeut pas. Seulement il recomposela réalité, ou plutôt ce qu'il a puen connaître, ou plutôt le souvenirqui lui reste de sa réflexion sur sessouvenirs, suivant la pente de sonesprit, suivant les formes organi-ques de son rêve. Il les transposedans l'idéal d'une « structure pay-sanne », comme disait Alain, qui,chez lui, est à la fois patriarcale etpaternaliste, et qui se recommanded'une prétendue expérience où enfait l'imaginaire tient infinimentplus de place que le vécu. CommeRousseau, comme Bernardin deSaint.Pierre, comme tant d'autresdu même temps, acculé à une situa-tion insupportable, il cherche lasortie : il fuit dans l'utopie. C'estsa religion. C'est son maoïsme.

Samuel S. de Sacy

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pre à en souligner l'intérêt folklo-rique et sociologique.C'est une exploration très exci·

tante. Et troublante. Car Rétif, siprompt souvent à fabuler, sait aussise montrer exact. Ainsi il restepossible (je l'ai fait) de repérer surl'actuelle carte en couleurs au1/50000, si séduisante pour lesvéritables amateurs, le vallon pré.cis où l'enfant, menant paître Sesbêtes, dut quelquefois les défendrecontre le loup. Sommes-nous endroit de parler à la légère de ses« mensonges », quand il arrivechez lui que le faux s'ajuste auvrai avec une telle précision ?Nul ne peut se faire l'historien

de son propre père. Il y a trop dechoses que vous ne connaîtrez ja-mais. Les témoins se tairont devantvous; ou, s'il leur arrivait de par·1er, vous ne les croiriez pas : leurexpérience diffère de la vôtre essen·tiellement. Vous gardez au cœursoit de la haine, soit une vénéra·tion viscérale; pas d'objectivitépossible. La seule historicité de LaVie de mon père est d'ordre géor.gique. Quant au reste, ce qui enfait le prix, c'est, pour nous, uneoccasion exceptionnelle d'observer

A la précieuse Année balza·cienne, qui compte déjà dixans d'âge, les Editions Gar-nier ajoutent une nouvelle an-nuelle, Dix·huitième siècle,publiée par la Société françai-se d'Etude du XVIIIe siècle :du sérieux, du savant, du so-lide. Rien d'ailleurs, dans cepremier numéro de 480 gran-des pages, sur Rétif de laBretonne, que nous voyonsd'autre part faire son entréedans la collection des Classi-ques Garnier.

Non, ce n'est pas, à mon goût, dumeilleur Rétif. Il Ymanque la plu-part de ces fantasmes, de ces déli·res, de ces défoulements aberrantsqui font d'un intarissable polygra-phe et d'un abominable cacographeun révélateur singulièrement in·quiétant et attachant de l'élémen-taire. En revanche, le petit ouvragede 1778 - année où mourut Rous-seau - est un des documents lesplus vivants et les plus rares dontnous disposions sur les réalités dela vie rurale au XVIII" siècle.

Il faut, à vrai dire, en lisantla Vie de mon père, relire le mer-veilleux début de Monsieur Nicolas(dont Jean.Jacques Pauvert nousa apporté en 1959 la première édi-tion intégrale, malheureusementun peu brute). Rétif ne s'est ja-mais lassé de ruminer le souvenirde son village natal perdu dans lessolitudes sauvages de la Basse-Bourgogne et les rêveries que nour-rissait ce souvenir élaboré. M. Gil·bert Rouger, qui a l'art de déployerdans son édition une éruditionprofondément renouvelée s • n 8néanmoins écraser les significations,donne à la suite du texte une antho·logie d'autres œuvres de Rétif pro·

Rétif de la BretonneLa Vie de mon pèreEdition présentée, établieet annotéepar Gilbert RougerGarnier éd., ill., 384 p.

Dans son oahier 15. à paraitre le 20 avril. la reY1leLe Nouveau ComnaeNe publiera le .88 Tropes .ugrammairien et eneFolopé.is\e DU MARSAIS.

Le mérite de François Châtelet est de situer "enseignement de laphilosophie dans sa fonction sociale, comme idéologie de la classedominante devant les menaces réactionnaires.

JEANNETTE COLOMBEL La Quinzaine LittéraireL'attaque la plus féroce qui ait été écrite contre cette philosophiequi, progressivement, a fait place à l'idéologie bourgeoise.

JEAN-MICHEL PALMIER Le Nouvel Observateur

La Quiuzaioe littéraire, du 1" ... 15 fI11ril 1970

Page 10: Quinzaine littéraire, 92, février 1970

ROMANS

aTRANGERS

Epeler le mondeEdoardo Sanguinetti l'a dé·

claré dans une interview pu-bliée dans « Tel Que 1 -(n° 29) : inutile d'attendrede lui une œuvre; un auteurd'avant-garde ne peut donnerqu'une anti-œuvre, parce quele langage est une « dislo-cation, c'est-à-dire une façond'interpréter le réel -.

1Edoardo SanguinettiLe noble jeu de royeTrad. de l'italienpar Jean ThibaudeauEd. du Seuil 158 p.

Le monde apparaît dansun oertain ordre qu'il fautabsolument fraoturer, sanssavoir oe que l'on trouveraau bout de l'aventure.

Et certes, ce qui apparaît là,tout en vrac, c'est d'abord un tasd'images, de fragments « momi-fiés », hiéroglyphes ou inscrip-tions tronquées. L'auteur, quant àlui, se donne pour mort. Il estenfermé dans une bière de bois.Il voit de là ce qu'il peut, à traversune fissure qui peut devenir unepetite fenêtre. Ce qu'il voit res-semble assez à un studio de ciné-ma où l'on tournerait simultané-ment plusieurs scènes. Tel frag-ment de décor est pharaonique;non loin les maisons d'un quartierde Saint-Pétersbourg se reflètentdans les canaux; ailleur8 c'estun bar; par-ci par-là passent des

filles nues; une WonderWoman; une Marilyn; une pe-tite ballerine. Sont-ce des femmesou des images de calendrier, oudes affiches publicitaires ou desoiseaux ?

De couché, forcément, l'auteur-écrivain voit les choses sens-des-sus·dessous et s'il bouge, c'est lemonde qui bouge. Dans ces con-ditions, c'est difficile de dire ceque l'on voit; mais ce n'est pasune raison pour raconter des his-toires. Notre écrivain en tout cass'y refuse. Il fait de grands efforts

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toutefois, pour dire quand mêmequelque chose. Il en est touchant.Il cogne donc contre les parois desa bière, comme un qui ferait par-ler les esprits en cognant contrele bois d'une table et certainementsa femme saisit quelque peu ; nousaussi...

La momie pue

Parfois il se sent transporté lui-même sur une scène; il est mo-mie; on lui arrache ses bande·lettes; il saigne, il suppure. Onle dépouille en vain : la bandeest interminable. Il a honte de cequi reste de lui. Il essaie de secacher le visage; mais alors ildécouvre son nombril et le reste.Mais qu'est donc devenue cettejolie image d'un demi-poids-lourdaux pectoraux gonflés comme desseins ? Lui - la momie - ilpue. La femme qui est là ne tientpas le coup. Il doit la soutenir enmême temps qu'il se porte lui,momie et sa bière. Sinon tout secasse; tout disparaît. D'un boncoup de pied il la réveille, en luidisant qu'elle aussi doit continuerà «regarder... en haut ».

Quand il disparaît tout à fait aufond de son puits ou ailleur8, ilest bien évident que les trois petitsenfants sont orphelins et la fem-me, veuve. Pauvres petits ! ils sontsages comme des images; c'est lecas de le dire. Quant à la femme,elle souffre énormément de voirson mari si lointain. Elle pressela bière contre sa poitrine, enfonceses ongles dans le bois ; mais cen'est toujours que du bois qu'elleétreint.

Un coït pourtant jette l'écri-vain contre une femme et c'estl'extase en trois vagues. Espéronspour sa femme, 'que c'est encoreelle qui est là ! Les trois vaguessont ponctuées ainsi : need me,want me ; love me. Mais ces motsétrangers se passent d'avoir unsens. C'est leur pouvoir de défla-gration qui compte; ce sont lesondes sonores qu'ils libèrent;c'est leur bruit en somme. Lesétudiants aussi se déchaînent dansun bar et le feu d'amour prendde la même façon. C'est l'auber·giste qui se trouve là en ce mo·ment, dont le seul hasard décide.

Après quoi on l'enferme dans unegrande barrique et vogue la ga-lère. Nous commençons à entrevoir,avec l'auteur, un port. Le voici quiva se mettre peut-être à vivre,après tant d'aventures pénibles oudrôles; juste au moment où laquille allait éclater sans doute,comme celle du «Bateau Ivre »...Mais alors, précisément, c'est lafin. La fin l'histoire qui s'a-chève dans un commenceinent.L'auteur ressuscite; il s'est évadéde sa bière de bois et c'est luimaintenant qui fait tourner la bar-rique avec ses pieds, comme unsaltimbanque. En se penchant surla mer déchaînée, par cette nuit detempête toute noire où il n'aper-çoit plus aucun signe de rien; ense penchant, donc, il peut tout demême écrire le nom de cette bar-rique : c'est le titre de l'histoire :«Le délectable jeu de r Ilpeut même écrire le mot fin. Ila gagné la partie. Telle est l'ironiedu langage romanesque et de toutlangage vrai.

Une volonté desubversion

Pour les besoins de la critique,ou notre propre confort, nousavons essayé de tracer comme unfil qui ordonnerait tant soit peucette série d'images. Mais c'est tra-hir d'autant l'auteur; tenter d'ex-pliquer en retrouvant une histoiresous-jacente, c'est supposer quel'invention romanesque se réduitici à un jeu de cubes dont lescubes auraient été mêlés au dé·part, pour permettre une recons-titution. Il s'agit ici exactement ducontraire : le monde apparaît dansun certain ordre, ou certains or-dres qu'il faut absolument frac-turer, sans savoir ce que l'ontrouvera au bout de l'aventure.

Il ne s'agit pas non plus pourl'auteur de se complaire dans lespectacle décadent du désordre oudu mal; il ne s'agit pas de dis-poser esthétiquement un désordre.Sanguinetti témoigne d'une volon-té de subversion et d'un désir devérité tout entiers engagés .dansun moment historique. Si l'acte del'écrivain porte, c'est la preuvequ'il est engagé dans la vérité his-

torique. Il faut « tenter de vivre»pourrait dire l'auteur, mais vivrec'est s'engager politiquement, avectout le monde. Cette anti-œuvredonc ne se soutient que de sonparti-pris politique. Si elle n'étaitpas engagée en effet, comme elleest par ailleurs la plus particulièreet même la plus privée qui soit,elle n'aurait aucune audience. Letexte demeurerait ce qu'il est audépart : une mosaïque d'imagesdépourvues de sens, parce que l'au-teur refuse toute référence com-mune établie. Ce n'est pas unelangue que la sienne toutesles langues employées en flascheset l'italien lui-même (comme lefrançais du traducteur) sont, àce stade, des langues mortestout au plus. Dans son travailde lecture du monde, l'auteurs'approprie des fragments delangues mortes et en fait un idio-me, qui demeure toutefois mort-né, sauf à rencontrer d'autresidiomes engagés dans la mêmeaventure. Il épèle le monde qu'ilvoit avec des mots tout faits. TInomme ce qu'il voit. Comme sousles noms d'emprunt, rien ne vit,les verbes employés par l'auteurse réduisent à «il y a »' et auverbe «être ». Il ne peut en direplus. En outre pour lui, tout estégalement images : ce que nousappellerions, nous, images (les af-.fiches, les photographies etc.), etce que nous n'appellerions pasimages (nous.mêmes par exemple) .Pour Sanguinetti ce ne sont que« momies exposées ». Le seul traietement actif qu'il fasse subir à lalangue momifiée, c'est de la «cas-ser» (le terme est de lui). «Unange est musicien» dit-il parexemple, et ce bloc qui jusqu'iciaurait pu s'écrire «langemusi-cien » s'ouvre avec un effet d'unecocasserie irrésistible.

Pourquoi donc ces images, cescouleurs, ces bruits dont il emplitson ouvrage, continuent-ils à noushanter, même si nous n'avons pastout compris (mais que signifie icicomprendre ?) Parce qu'ils sontplus vrais que la réalité quotidien-ne et même plus réels. La der-nière chance du réalisme est doncpeut-être bien, comme l'a dit San-guinetti, dans cette violence des-tructive. Il a gagné son pari; ilnous a fait 'enfourcher avec lui labarrique. Il se, peut que nous ar·:rivions avec lui quelque part.

Gennie Luccioni

Page 11: Quinzaine littéraire, 92, février 1970

Sous le bulldozer des teDlps Dlodernes

José Maria ArguedasTous sanss mêlésTrad. de l'espagnolpar J .-F. ReilleColl. « Du monde entier »Gallimard éd., 494 p.

« La littérature indigénlste nepeut nous offrir une vision ri·goureusement vériste de l'In-dien. Elle est contrainte del'idéaliser ou de le styliser.Elle ne peut pas non plusnous faire pénétrer dans sonâme propre. Elle demeure en·core une littérature métisse -.Cette remarque de José Car-los Mariategui. en 1928. dansson livre fondamental Septessais d'interprétation de laréalité péruvienne (1). resteapplicable à bien des égards.quarante ans après. au romande José Maria Arguedas.comme elle l'était pour le pro-totype du genre. Race debronze. publié dès 1919 parson prédécesseur et homony·me bolivien Alcides Arguedas.Devant cette sorte d'ouvrages, on

ne peut s'empêcher de soupçonnerla littérature et l'ethnologie de seporter mutuellement tort. Toutl'effort des nouveaux narrateurshispano-américains consistera, jus-tement, à éviter cette impasse. Soiten éludant le problème à la façonde Borges, qui récuse d'avance tout« exotisme » par une boutade (Iln 'y a pas de chameaux dans leCoran !); soit, comme VargasLlosa, en faisant de l'Indien unthème parmi d'autres, un simplematériau de la fiction.Pour José Maria Arguedas, au

contraire, le récit est au service,sinon d'une thèse, au moins d'unecause. L'Indien des hautes terresandines peut et doit être défendupar la plume du romancier, pourque lui soient enfin reconnus ledroit de vivre et la dignité d'hom-me.Les éléments du drame cepen-

dant ne sont pas neufs, ils se peropétuent depuis la conquête espa·gnole, à travers tous les régimespolitiques et toutes les mutationssoicales. Paysan libre, l'Indien sevoit repoussé d'âge en âge avec sacommunauté vers les terres les plusarides et les plus froides de lamontagne: parvient.il à les mettreen valeur, à force de patience, quedéjà elles sont l'objet de nouvellesconvoitises et qu'il s'en trouve bien·.tôt dépossédé. Vient le moment oùil ne lui reste plus d'autre issue

que d'accepter, comme ses frèresde race, le servage au bénéfice d'ungrand propriétaire ou, pis encore,une prolétarisation impitoyabledans les mines ou les zones indus·trielles de la côte.Telle était déjà la trame du meil·

leur livre de Ciro Alegria, Vaste estle monde (1941) (2), largementrépandu dans tous les pays d'Amé-rique latine et considéré comme lechef·d'œuvre du genre. Né en 1911,Arguedas appartient en fait à lamême génération, mais il ne s'af·firme vraiment qu'à partir de 1958,avec les Fleuves profonds (3), ro-man autobiographique où il porteà la perfection son style personnel,marqué surtout par une subtiletransposition en espagnol des mé-taphores et des tournures de la lan-gue indienne, qui fut d'ailleurs salangue maternelle.

Recueilli par des Indiens, lejeune Ernesto, héros du livre, s'im-prègne de leur conception du mon·de, et juge d'un regard neuf lesort qui leur est fait et la vie queson père lui impose ensuite dansun collège religieux. Cet essai d'in·digénisme intériorisé, que l'on re·trouve dans Tous sangs mêlés,n'évite pas l'abus du commentaireethonologique introduit de force

dans l'action, qu'il ralentit de fa-çon excessive, de même que lesmultiples chansons et complaintesqui parsèment le texte, et dont lasaveur ne nous parvient que trèsaltérée après la double traductionqui les mène du quéchua à l'espa-gnol et de l'espagnol au français.

Dès qu'il s'abandonne sans autresouci à la narration, au contraire,Arguedas manifeste une sûreté detrait peu commune, et se montreprobablement supérieur à tous ceuxqui l'ont précédé dans la voie qu'ila choisie. Le récit, lisse et naturel,sans la moindre recherche techni·que, s'impose au lecteur avec unepuissance digne des grands roman-ciers russes. Le début de Toussangs mêlés, où l'on voit le vieuxmaître de la terre maudire publi-quement ses deux fils, don Brunoet don Fermin, sur la place del'église, fait songer à Dostoïevsky.Don Bruno, le luxurieux, qui for-nique dans une écurie avec uneserve bossue, va racheter ses fautesen abandonnant progressivementses privilèges pour se mettre au ser·vice de la cause indienne; mais ilse trompe sur le sens de l'aveniret croit encore possible une com·munion patriarcale de l'hommeavec la nature, condamnée par

l'évolution du pays. Don Fermin,lui, plus lucide, dévoré d'ambition,croit à son propre triomphe et auprogrès. Il jette les éperons auxorties au profit de la jeep et boitde la bière Pilsen glacée au réfri-gérateur. L'un comme l'autre se-ront finalement vaincus par leconsortium international de laWisther.Bozart, qui s'approprie entoute légalité la fabuleuse mined'argent découverte sur leur do-maine.Ce Pérou-là n'est déjà plus tout

à fait celui de Ciro Alegria, dominépar le conflit agraire ancestral. Unautre monde, plus dur encore peut.être, même si sa sauvagerie estmoins apparente, commence à naî·tre. Les grands seigneurs de la terrecèdent désormais la place auxtrusts yankees. Le paysan indienaffranchi, changé en manœuvre,logé dans des baraques munies dejuke-boxes, perd jusqu'à ses raci-nes spirituelles et devient le sym·bole de la nation toute entière, enune vaste fresque où deux civili-sations s'écroulent sous le bulldozerdes temps modernes.

Jacques Fressard1. Ed. Maspero, 1969.2. Gallimard, ooll. « La Croix du

Sud », 1960.3. Gallimard, ooll. « La Croix du

Sud », 1966.

La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 .tlN 1970 Il

Page 12: Quinzaine littéraire, 92, février 1970

R'omans de la «différence »Lus à plusieurs semaines

de distance. ces deux romansqU'e rien ne relie s'imbriquentdans ma mémoire; tout sou-venir de l'un fait surgir l'au-tre. L'histoire, le lieu, lestechniques, les auteurs : toutdiffère. Alors, pourquoi?

Leslie FiedlerLe Chinois d'AmériqueLe Seuil éd., 224 p.

Alfred AnderschEfraimLt- Seuil éd., 304 p.

Voyons les prière.. d'insérer;ces déclarations d'intentions desauteurs livrent souvent des clés.En apparence, rien. Le Chinoiscl'Amérique se donne pour un« petit traité d'ethnographie surles, diverses peuplades qui habi-tent le nouveau continent:t.D'Efraïm, on dit : « fœuvre netente de se dérober. à la littératurequ'afin de témoigner de quellesolitude se paie la liberté :t. Voilàpeut-être un point, dès l'abord :les deux livres refusent ce nom,de « roman inscrit sur leurscouvertures, nient l'essence du ro-man : la littérature, le « fantasmeludique » des psychanalystes.Qu'apprennent les biographies

des auteurs? Fils d'immigrants,Leslie Fiedler, né dans un fau·bourg de New York, est aujour-d'hui professeur à l'université deI:Etat de New York; né et restéaméricain. Minoritaire? Quelle« peuplade » du nouveau conti-nent ne l'est?Alfred Andersch offre une vie-

type d'intellectuel allemand del'entre deux guerres: jeunesse!!·communistes, camp de Dachau,armée allemande en Italie, campde prisonniers américain. Né etresté allemand.Minoritaire ? Efraim, son person-

nage-narrateur se rassure : e Jeme sens en fait très à f aise damma peau d'Allemand naturaliséanglais et membre d'une minori-té ». Fils d'Allemands israélites,dont le nazisme, brutalement,fait des Juifs, il est envoyé en An-gleterre avant que ses parentssoient gazés à Auschwitz. Natura-lisé anglais dans l'armée, Efraim,devenu journaliste anglais, épouseune de la eworking-class nobility :t (l'arilltocratie ou-vrière) et voyage en Asie.Le métier le ramène à Berlin,

ville natale divisée par le Mur. Lepays natal est déchiqueté par la

12

mauvaise conscience, la quête deson identité, Efraïm commenceun livre autobiographique; enallemand. La langue natale se hé-risse d'obstacles. « Parmi les ex-pressions qui, dans les dictionnai-res des synonymes, suivent le motde base, un tiers à peine reste uti-lisable », constate-t-il. (Marcusedit que jamais, à l'étranger, iln'a entendu « mutiler » ralle"mand comme dans l'Allemagned'aujourd'hui). Voilà donc Efraïmétranger dans sa langue, étrangerdans sa ville.Il se répète les mots Allemand.;

Juif; Allemand juif et Juif alle-mand et décide qu'il en a fini aveceux : plus de résonance. Mais àchaque pas, il lui semble que lesautres, que l'Autre tentent de luimontrer qu'il « n'est pas dans lecoup ». Sa femme, devant son ma-nuscrit, s'insurge : après trenteans d'Angleterre suffit-il donc dequelques jours de Berlin pour luifaire commencer son premier li-vre... en allemand ?« Ah, Georges, je comprends

soudain que tu es un étranger ! ».Elle n'emploie pas « stranger :t(l'étranger-autre, différent), mais« foreigner », le hors-venu, lenon-Britannique à jamais.« Le Chinois» d'Amérique est

professeur d'université dans cetOuest des belles chevauchées, ter-re élue de la « majorité silencieu-se '>. Le citoyen de l'Ouest branditsa qualité d'Américain commeune décoration, s'en gorge com-me d'un tonique. Le professeurtâtonne dans la maison de sondisciple, Georges, l'Indien, quivient de mettre fin à ses jours :il rassemble les pots, pilules, fla-cons et plants de la drogue. Va-t-on l'arrêter, lui, le maître, pouravoir dévoyé ses étudiants? C'esteux qui l'ont initié à la drogue.Mais lui, non content d'exposerHobbes et Hegel, avait expliqué« à Georges et à ses camarades cequ'ils cherchaient, au fond, dansces drogues. Il avait fourni lesmots pour exprimer leur méprisde la conscience bourgeoise ».Il est Américain, mari d'une

vraie Américaine: une Wasp(White anglo-saxon protestant). Ilfait l'amour avec la femme deGeorges, une Japonaise qui refusele souvenir d'Hiroshima et luicrie : « Je suis née à Los Ange-les... Je suis vachement plus amé-ricaine que toi! ». Lui, à la finde la guerre, étant spécialiste de

1a ng u e s asiatiques, débarquaitavec les Marines dans une île dela Chine où vivaient aussi des Ja-ponais. Des gamines, à quai,criaient. Quoi ? Go home ? Assas-sins? Hiroshima ? Non : « GaryCooper, comment va Gary Coo-per ? Et lui, le Marine trotskys-te est seul à goûter cet humour.Le professeur est obsédé par

son nom : Baro Schnockelstone.Dès l'école, les gosses chanton-naient I( Schnock le Chinetoque >l,

et « Schnock duschnock, petitcaillou (stone) '>. Mais ces petitsLipschitz ou Tannenbaum, nepouvaient le vexer. Aucun mino-ritaire ne le peut, aucun jeune ;ne disent-ils pas : « tous noushaïssom f Amérique parce qu'ellenous hait» ? Georges l'Indien, lafuit dans le suicide, Rodneyl'épiscopalien beatnik dans la dro-gue, Shizu la Japonaise dans lanymphomanie. A tous ces minori-taires, par origine ou par choix,Baro Schnockelstone Se!! sent fra-ternellement lié.L'ennemi, ce sont les puritains

de l'Ouest, pleins de bonne volon-té assurée, de bonne consciencehypocrite. Cette jeune femme quireproche à Georges 1'1 n die nd'avoir voulu se faire « passerpour américain ». C'est alors queBaro Schnockelstone explose :« D'après vous, qu'y a-t-il de plusaméricain qu'un Indien ?' Vous ?Moi? John Wayne? Le gouver-neur Wallace? A travers lesvingt-quatre heures et les deuxcent vingt-deux pages du livre,Baro Schnockelstone cherche à sedéfinir, comme Efraïm à traversles trois cents pages d'Andersch.Dans ce roman de toutes les so-phistications : drogue, érotisme,subversion politique, éclate, uni-que, cette naïveté : « Qui était-il? Sa propre identité était pourlui une énigme ». Face aux puritains de l'Ouest, qui personnifientl'ennemi mais aussi l'air pur desgrandes étendues, il tente de secerner.S'affirmer minoritaire? Etre

Juif, marxiste, contestataire nesuffit pas à résoudre « l'énigmede son identité ». La puritaine del'Ouest le confond avec un autreJuif marxiste, qu'il hait commeun frère : Hilbert Shapiro, le sta-linien.Ain s i, pour Schnockelstone,

comme pour Efraim, s'affirmerJuif permet une première diffé-renciation, une sorte de « mise enminorité » élémentaire. Mais ils

ne peuvent s'enfermer dans cettecatégorie. Efraïm aussi se sert dece concept contre les autres Alle-mands, les autres Anglais, sansparvenir à faire corps avec lui.S'il faut un ghetto se dit-il, qu'ilsoit personnel et privé. Il refusele ghetto général pub 1i cIsraël... et cependant, subitement,il se dit que si Israël était attaqué,il irait le défendre. Cependant, àla dernière page, Efraïm affirmesa foi dans le hasard : « au lieud'être luif Allemand et Anglais,j'aurais aussi bien pu être Italienou Nègre ou loup ou auto ».L'état minoritaire n'est pas lié

aux origines, contrairement à cequ'ils croyaient avoir nié d'abord,admis ensuite. Ils heurtent, l'unet l'autre, le déracinement exis-tentiel, l'état d'individu « minori·taire » sans recours. Pour tousdeux, vivre c'est tenter d'amenui-ser la différence et, malgré soi,l'augmenter. S'assumer Juifs sem-ble la manière la plus simple derendre la différence ostensible,tangible. Mais sitôt confondu avec« les » Juifs ou même « un au-tre Juif, ils se révoltent contreles co-minoritaires et continuentà chercher une altérité plus per-sonnelle ; fondamentale. C'est parlà que ces deux romans se rejoi-gnent. Assez curieusement, aprèsles arabesques et volutes des re-cherches formelles, voici qu'enAllemagne comme aux Etats-Unisles lecteurs se retrouvent dans cesproblèmes restés ouverts depuisCamus.Deux minoritaires

par leurs origines, mais tous deuxse croyant détachés de ces origi-nes - contemplent leur pays.Celui où ils sont nés, celui dontils ontbalbütié la langue. Payscontraires : un coin d'Europe la-bouré de guerres, et la vaste Amé-rique ouverte à tous vents, à touscourants, à toutes ethnies et enmême temps repoussant les en-fants qui « dépassent '> du moule.L'un contemple la renaissante Al-lemagne après, l'avoir, légalementet - croit-il - réellement quittée.L'autre ausculte le géant, le dé-compose en dizaines de Lilliputqui grouillent en lui, le composentet déromposent : un Américainpeut s'éloigner de l'Amérique; ilne la quitte pas. Pour tous deux,la matrice demeure, hostile maisineffaçable et il faut à toute forceinscrire en elle le Moi qui fuit et,devant toute approche, se dérobe.

Dominique Desanti

Page 13: Quinzaine littéraire, 92, février 1970

DOI1lDQUIIUDIS

Innocentines

fIIIIIMIBS 1970

LEOIIARD BLOOMFIELDLe langageBnf1n traduit, ce Une est l'une des sources de la Un-guistique moderne.

FAYABD

LISIIPITA.IOSla guerre civilegrecquede

1943 à 1949La figure légendaire des Kapetanlos,chefs des partisans; incarnation .-el'idéal grec de lIberté..d'line résistance héroïque et de laterrible répression qui suivit, étouf·fée depuis par une véritable conspi-ration du silence. A la veille dutroisième anniversaire du régimedes colonels, un livre indispensablepour qui veut comprendre la situa-tion actuelle en Grèce.

La tradition de Cros ou de La-forgue. Le côté ritournelle de l'A-pollinairedu Bestiaire d'Orphée.Quelque chose de ce qui fit le suc·cès de Prévert dans les années 50.Quelque chose de mirlitonnesque àla Queneau, aussi. Avec cette dif·férence - et elle n'est pas mince-que l'agressivité est totaleJbent ab-sente du cœur d'Obaldia. Pas de

pas de sarcasmes, pasd'anarchie, pas de révolte. Simple-ment des mots pour rire et pourdire. Le règne de l'innocence. Cen'est pas pour rien que ces poèmess'appellent Innocentines : l'inno-cence, faite comptine ou «enfan.tine», si ce mot peut désigner,après Valery Larbaud, une formenaïve de parler littéraire.De fait, Obaldia n'a pas peur

d'écrire «.pour les enfants et quel-ques adultes ». Son propos est par-faitement clair sur ce point. Il com-mence par nous raconter en quatrepages de prose dansante et aéréel'histoire de la petite Eudoxie quel'on forçait à manger sa soupe etqui traversa un jour l'écran de té-lévision. Puis il passe sans transi·tion à ce merveilleux Chez moi oùune autre petite fille (le côté LewisCarroll d'Obaldia !) se mesure avecun petit garçon dans un chantterné d'une helle tenue :

poesie dont on· a perdu legoût en cette époque degrand respect des «écritures-et dont la saveur accidulée-rafraîchissante s t i m u 1e r aagréablement plus d'un pa-lais.

P.C. RACAMIBBLe ps,chanal,stesans divanLa psychanalyse et les Institutions de soins psychia-triques, avec B. DlatldDe, s. Lebovicl, Ph. Paumelle.

42,60 F

On connaît le théâtre d'Obal-dia. On connaît ses romans,le Centenaire ou Tamerlandes cœurs. On connaît· toutesles formes de son «humoursecret -. On fera connaissan-ce ici avec sa poésie. Une

1René de Obaldia1nnocentinesGrasset éd., 225 p.

24,80F

29,70 F

49,60 F

BIIiRI JEAIiIIAIBIDion,sosHistoire du culte de Bacchus. L'orgiasme dans l'anti-quité et les temps modernes.

FRAIIÇOIS LE LIOIIIIAISLesprix de beautéaux échecsADthologie des parties d'échecs ayant obtenu des prixde beauté, des origines l nos jours.

Catalogue sur simple demandeA la Librairie Pa,ot· - semee: QL1INl, boulevard Paris S"

Chez moi, dit la petite filleOn élève un éléphant.Le dimanche son œil brilleQuand Papa le peint en blanc.

Chez moi, dit le petit garçonOn élève une tortue.Elle chante des chansonsEn latin et en laitue.

Chez moi, dit la petite fUleNotre vaisselle est en or,Quund on mange des lentillesOn croit manger un trésor...

Et ainsi de suite. On progresse:doucement, de « nonsense » en coq-à.l'âne, en poussant les mots devantsoi sans trop savoir où on les mènemais en acceptant d'aller où ilsiront. Trois notes, deux rythmesboîteux, un tour de illn'en faut pas plus pour mettre 181musique en marche. C'est l'art de'la comptine à l'état le plus pur.René de Obaldia g' y montre iné-

galable. Surtout quand il s'agit de

faire rebondir l'écho sur des nomspropres. A cet égard, on atteint dessommets dans les deux textes inti·tulés Libertés et Dimanche, paran·gons du genre. Le premier, varia·tion géographique :

A Pan-Mun-/omFaut tailler des joncs.

A Bitenos-AiresFaut un revolver.

A SaloniqueFalLt s'armer de piques.

A BerlinFaut pas s'tromper d'train.

A MoscouFala tenir le coup.

A BelgradeT'en prends pour ton grade.

A YokohamaFaltt se faire tout plat.

La Q11inzaine littéraire, du r au 15 avril 1970 13

Page 14: Quinzaine littéraire, 92, février 1970

par "ean

Obaldia

A MWidOn 110US tient en bride.

A PékinFaut être pour Mâ-chin...

le second, fantaisie «prénominale J) :

ChaTlotteFait de. la compote.

Bertrandsuce des harengs.

CunégondeSe teint en blonde.

EpamüwndasCire ses godasses...

On le voit, rien de méchant danstout cela. Rien de corrosif. C'està peine si de temps en temps, percela pointe arrondie d'une amicaleirrévérence. Par exemple, quand ilest question de l'oncle« qu'il est... quasiment. ambassadeur, avant il était enfantde chœur : soutane rouge, blan-ches dentelles, dans· le dos despetites ailes, avec un air de croireti vous fendre le cœur », ou deVespasien, empereur romain, qui,chaque fois qu'il voyait un mur,s'lfrrêtait et « bruissait alors com-me une source », ou du petit Gen-gis-Khan « qu'était pas du toutsot, qu'était plutôt précoce » et qui« à son berceau mangeait déjàénormément ».' TI arrive aussi quela drôlerie se nuance d'ombre etla cocasserie d'inquiétude et celadonne des poèmes où sous desmots légers passent d'étranges fan-tasmes comme la chanson de cettedame très très morte ou le doux-amer dialogue du Courant d'air.

Que, d'ailleurs, les rassasIes.d'innocenœ se :rassurent! Toutn'est pas aussi enfantin qu'il ypUait dans ce livre et le lecteurn'aura pas toujours à se faire« mut puer » pour s'y ébattre àl'aise. On y entend parfois des re-frains d'idylle bucolique des plusallègres :

Antoinette et moiOn va dans les bois.Où n'y a qu'des lapins.On connaît un coin

Quand on sera grruulOn s'ra des amantsOn s'embrasseraComme Elise· et Nicolas.

Mais il faut poUS}lerPour bien s'emboîterEt pas avoir peurDe perdre sa pudeur.

On s'ra des amantsDes bouches, des brasDes regards flambantsDes et caetera...

Et dans l'élogue intitulée Lescuisses de Colette - où il est ques-iton d'une demoiselle qui n'étaitpas très jolie mais qui se laissaitgentiment caresser les genoux à lamesse - c'est à la plus réchauf-fante poésie qu'on prête l'orcille :

Dommage que ColetteSoit pas très belle en haut.Mais qu'importe la têteQuand le bas donne chaud!

Pour caresser ses cuissesJe donnerais comme un nenDesserts et pain d'épiceEt tous les paroissiens.

Entre ceS deux poissonsDont le sang est humainJe laisserai ma mainJusqu'au dimanche .prochain.

De toute façon, la plus grandehardiesse de ces. 1nnocentines n'estpas là. Elle est plutôt sans doutedans un texte qui, nous présentantle plus beau vers de la langue fran-çaise, nous offre un irremplaçableexemple de réflexion sur les res-sOurces formelles de la langue poé-tique. Le vers dont il est questionici est le suivant : Le geai gélati-neux geignait .dans le jasmin. Lecommentaire que nous en proposeObaldia fera utilement réfléchir

plus d'un exégète de la chose lit-téraire. Et en même temps nousapportera le meilleur exemple decette agilité « obaldienne » à don-ner aux mots les ailes de la déri-sion et l'innocence...Mots en liberté, mots absurdes,

mots sans rides, comme di<;aÏentles surréalistes. Ils se rencontrentet jouent entre eux avec une aima-ble et féconde désinvolture. Ilsprennent tout seuls et avec la plus« automatique » aisance l'initia-tive d'une parole qui ne cherchepas à avoir plus de poids que desbulles d'eau gazeuse. Ils montent,pétillent, foisonnent, se bousculent

L'entretien qui termine le jeu ima-giné par Pierre Bourgeade avait pourhéros le romancier et critique JacquesBorel, auteur de r·Adoration. prix Gon-court 1965.

Identité difficile à percer, bienqu'un certain nombre de repèresaient été placés par Pierre Bourgeadele long de l'entretien. Albert Bensous-san les a remarqués et les signale :

Je pense que dans l'ultime • entre-tien secret _ votre interlocuteur estJacques Borel, dont l'Adoration fut.en effet. un ouvrage • très lu durantune saison au moins -. et dont on at-tend avec Impatience le Retour.

Les ombres de cet autre enfantchargé de chaînes qui défilent au longdes 604 pages de son roman, ce sont :sa gl'8llCHnère - la mère? - c'eûtété un indice trop clair -, les amis.cet ami qui l'éblouissait, Horace. quilui récitait le Narcisse de Valéry (,..férence littéraire) et qui. comble deséductiOn. avait quelque air de res-semblance avec Baudelaire (autre ,..férence littéraire). les f. m mes.• l'inoubliable début d'un amour -.c'est GeneViève. le médecin Initia-teur. cette maison d'enfance c'estMazenne. et ceS nombreuses cham-

et éclatent les uns après les autres.Cela ne fait pas beaucoup de bruit,mais produit une très·piquante mu-sique. Air de pipeau aigrelet ourefrain de piano mécanique. Avecde temps en temps quelque chosede parfaitement Il sans rime niraison » mais qui reste en mé-moire, comme ça, pour le plaisir,pour rien:

...Et pourtant comme je l'aime(A mes pieds tombe le drap)Amandine si hautaineAmandine au cœur de bois.

Raymond lean

Qui est-ce?

bra. 1. c.pIwnIüm de 1·.xll où 1·....f8nt cultlv. son jardin secret. D'eutresréférences littéraires aussi sont c1ai-res: La Comtesse de Ségur. dont iladora Un bon petit diable, Androma-que qu'i1 lisait à- voix haute. Baude-laire. dont les œuvres complètes luifurent offertes plU' sa mère en mêmetemps que Proust, Nerval. enfin. dont .Il savait par .cœur des fragments deSylvie. et d'Aurélia. Et cette phraseproustienne. nfdme clans cet entre-tien. indispensable référellce !_.Outre Albert Bensoussan (4' répon-

se juste), ont reconnu l'auteur del'Adoration :Mme Maryse Bouvet, à Paris-13";

Mlle Claire Candau, à Courbevoie;J.-C. Douroux à Chalon-sur-Saône;M. Claude Féraud, à Montpellier;M. Claude Le Dantec, à Lozère-sur-Yvette; J.-F. Marquet (5" réponse), àTours; Isabelle Micha à Bruxelles;Mlle France-Léa Le ralle, à 'Paris-5";Bruno Roy à Montpellier.Pour l'ensemble du jeu, aucun de.

nos lecteurs n'a trouvé douze répon-ses justes. Nous serons cependantheureux d'offrir. la récompense pro-.mise à ceux d'entre eux qui ont four-ni le plus de réponses exactes. Nouspublierons leurs noms dans notreprochain numéro.

Page 15: Quinzaine littéraire, 92, février 1970

AUX EDITIONS RENCONTRE

Dans les bonnes librairies

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CORRESPONDANCEFRANÇAISE

Chaque volume renferme• des notices biographiques sur chacun des auteurs• des informations sur la genèse de la correspondancela présentation suit l'ordre chronologique de la date denaissance des auteurs.

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On peut, à de rares exceptions près, considérer la litté-rature épistolaire comme un genre disparu. Elle n'apas survécu à la généralisation de l'usage du télé-phone. Depuis «Le Trésor épistolaire de la France»d'Eugène- Crépet paru en 1865, il n'existait aucuneanthologie importante de la correspondance française.Le moment est donc venu de dresser un bilan de cegenre littéraire tenant compte des admirables décou-vertes faites par de nombreux chercheurs et amateursdepuis le début du siècle. Ce choix des plus belles etintéressantes lettres en langue française vous letrouverez dans les sept magnifiques volumes parusaux Editions Rencontre sous la direction d'AndréMAISON. Il constitue une riche et passionnantedocumentation historique, sociale et humaine, de lavie de la France du XVIe au XXe siècle. m..

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ARTS

Voici dix ans qu'est mortAtlan. De son extraordinairepersonnalité, on a beaucoupparlé. Trop, peut-être, car ceuxqui ne l'ont pas profondémentconnu se sont laissé prendre aupiège des images multiples etfantaisistes qu'il proposait delui-même...Atlan se donnait, selon les

jours, quatre-vingt, quatre-vingt-dix ans de vie. Il aimait à direque les peintres n'atteignent laplénitude de leur créativité quetrès tard, comme Rembrandt quile fascinait, comme Monet.Il est mort à quarante-sept

ans. Son œuvre, comme cellede Juan Gris ou de Nicolas DeStaël, est apparemment ina-chevée, mais cet inachève-ment même donne aujourd'huiun sens nouveau à la démar-che d'A t 1a n quand onsuit le cheminement qui leconduit des -peintures-piège .,- paysages-piège • de 1945 àl'épuration rigoureuse des for-mes puis aux grandes composi-tions des dernières années, ony trouve l'exemple d'un art depeindre détaché de l'esthé·tisme pictural. C'est-à-dired'un effort pour établir unc i r cui t direct entre lesformes et la - logique du sens ".Sans doute les graphismes

fortement dessinés et chargésde quelques traits colorés desannées 50 ont-il été une étapeimportante. Mais elle n'était pasen elle-même (et malgré l'origi-nalité du peintre) éloignée decertaines recherches de Klee,de Miro. Précisément, parcequ'il s'agissait de graphisme,c'est-à-dire d'une image ramas-sée dans un signe apparemment

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Atlanlinguistique ou idéo-dramatique.Ou d'une forme close sur elle-même ramassant à l'intérieurde la toile un paquet de signifi-cations.Parallèlement à cette orienta-

tion, lentement mais n'émer-geant que plus tard, un autrecheminement conduit Atlan à lalibération complète des formesvis-à-vis de notre propre cons-cience. Lors d'une rencontre àRoyaumont qu'orientait FrancisPonge, un soir, Nicolas de Staëlpuis Atlan se mirent à parler,difficilement. Ils voulaient direce qu'ils ne feraient probable-ment jamais. Et ce - jamais .,cet inatteignable pourtant pal-pable, organisait toute la créa-tion.Atlan disait qu'il rivalisait

avec la danse, qu'il prétendaitque la couleur et la forme fus-sent mouvement et mouvementdétaché de la représentationphysique des danseurs (ce dontDegas ne s'était pas libéré).Cela procédait-il, comme il ai-mait à le dire, de ses originesberbères et juives de Constan-tine? Plus vraisemblablement,il faut admettre que l'artisteparisien, hautement cultivé,cherchait à retrouver dans l'artde peindre une sauvagerie com-me Artaud, qu'il avait connu, eta i m é, voulait trouver une- cruauté • dans la représen"tation scénique. Cette sauvage-rie manifeste dans certainesformes ou figures déchirées etsanglantes prenait l'allure d'unetranse dansée, brutalementimmobilisée. Il suggérait ainsila découverte d'un langage nonhumain, c'est-à-dire qui ne seréduisît pas à une idée de la

peinture ou de la décoration.Il faudrait citer cette décla-

ration que le peintre faisait àAimé Patri en 1948 et que Mi-chel Ragon cite dans son livresur Atlan : « Je crois que l'onpourrait dire que, dans le mêmeesprit où Mallarmé recomman·dait au poète de céder l'initia·tive aux mots, le peintre non·figuratif sera celui qui auraaccepté de céder l'initiative auxformes, aux couleurs, aux lu,mières, sans partir d'un sujetpréétabli. Cette démarche étantacceptée, il importe assez peuque le résultat ressemble àquelque chose ou à rien deconnu ...Elément d'une recherche très

moderne et à laquelle la philo-sophie, la psychanalyse et par-fois la linguistique ont donnéune portée scientifique. Noncertes comme une illustrationréciproque, laquelle serait for-cément batârde et idéologique.Mais comme deux vers tonsd'un même mouvement plusvaste que ne le sont les aspectsqu'il revêt. L'engendrement dusens à travers les formes sau-vages . ou libres se fait chezAtlan à travers des structuresen expansion qui débordent leurdéfinition ou leur prétexte etqui, masquées au regard com-mun, établissent un lien directentre une nature infinie et uneraison. On dirait que s'efface icienfin l'orgueilleuse consciencede soi gonflée du peintre, com-me elle s'efface de la philoso-phie!Les grandes compositions

qu'Atlan entreprend dans lescinq ou six dernières années desa vie retrouvent le graphismesévère de la période précéden-te, mais ce graphisme est em-porté par un mouvement, unerespiration plus forte. La natures'ouvre comme une régioninconnue mais accessible, unenature inachevée qui trouve àtravers la représentation dupeintre un achèvement momen-tané.Blanchot dit dans son Entre·

tien infini que le livre survivraà la disparition du livre, c'est-à-dire que la littérature constitueun secteur de l'expérience indé-racinable. La peinture. au sensoù la pratiquèrent Staël, Giaco·metti ou Atlan est, elle-aussi,une expérience indéracinable.

Jean Duvignaud

Ayant reçu la double forma-tion de philosophe et d'histo-rien d'art, Erwin Panofsky acontribué à renouveler notreapproche de la Renaissanceet a été un des initiateurs dela méthode structurale en his-toire de l'art. Ses idées et sestravaux, qui ont marqué deuxgénérations de chercheurs,ne furent longtemps accessi-bles au grand public françaisqu'à travers les ouvrages dePierre Francastel et AndréChastel. C'est seulement en1967, quarante ans après laparution de ses premièresœuvres majeures, que paru-rent simultanément en fran-çais, les Essais d'Iconolo-gie (1) et l'Architecture gothi.que et la pensée scolasti·que (2).

Erwin PanofskyL'Œuvre d'artet ses significationsTrad. de l'anglaispar M. et B. TeyssèdreGallimard, éd., 328 p.

Cette double traduction fut unedes dernières satisfactions de Pa·nofsky qui disparut quelquesmois plus tard. Il avait cependantassisté à la mise en chantier del'Œuvre d'art et ses significations.Bernard Teyssèdre, traducteur etprésentateur de ce nouveau volu-me a, d'accord avec l'auteur, modi-fié la composition du recueil paruen 1957 aux Etats-Unis, sous letitre Meaning in the VisualArts (3).

Les articles qui composent cevolume s'échelonnent des années1920 aux années 1950, jalonnantla carrière de Panofsky, de l'Insti·tut Warburg à Hambourg «l'Ins·titute for Advanced Studies dePrinceton.

Ouvrons au hasard l'un des es-sais qui composent l'Œuvre d'artet ses significations, soit Le feuilletinitial du Libro de Vasari (1930).Pour le profane, le sujet est plu-tôt rebutant : il s'agit d'un feuil-let d'esquisses conservé à la Bi-bliothèque de l'Ecole des BeauxArts de Paris, représentant denombreuses petites figures isoléeset groupées, attribuées à Cima-bue. Et pourtant Panofsky va fai·re de cette feuille le support d'unsuspense, construisant son exposéà la manière d'une énigme poli.

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L'esprit de la Renaissance

Le décloillonnement opéré par la Renaissance : «Il n'est pas exagéré d'affirmerque dans l'histoire de la science moderne, l'introduction de la perspective marqua ledébut d'une première période" (Léonard de Vinci).

cière, l'articulant comme une nQU-velle, usant d'une langue limpideet installant les preuves éruditesau bas des pages, en notes.Dès les premières lignes, l'énig-

me est posée, puis développéedans son épaisseur : tanalyse sty-listique révèle que le feuillet at·tribué à Cimabue n'est pas de lui,mais d'un copiste de la fin duTrecento. Alors pourquoi cette at·tribution? A cause du pourtourdu dessin : une architecture fein·te, dans le style ,gothique, et quiporte une inscription attribuantl'œuvre à Cimabue. Mais cette arAchitecture est l'œuvre de Vasarià qui appartenait la collection dedessins et qui, dans ses écrits,n'eut pas de mots assez méprisantspour condamner le gothique dontil disait : «Puisse Dieu préseT'IJertout pays de telles idées et de telgenre de travail ». Alors pour·quoi Vasari a·t·il composé de sapropre main cet encadrement go-thique ? La réponse va être dévoi·lée progressivement, par flash-backs et feintes digressions pourn'être livrée que dans les lignesfinales.Dans un premier temps, Panofs-

ky va montrer que la productiond'un dessin gothique par un hu-maniste italien était possible etcompatible avec la mentalité del'époque : à l'encontre des paysdu nord où le détachement ré·flexif à l'égard du gothique ne se·ra pas concevable avant le XVIIIesiècle, d'emblée, en Italie, la dé·couverte de la perspective estcontemporaine de la mise en pers-pective historique. L'hostilité desItaliens au gothique contribuantd'ailleurs à l'aperception de sadifférence et à l'émergence de lanotion de style, assortie du con·cept de convenienza ou confor-mita.Dans un second temps, Panofs-

ky s'attache à prouver que cet en-cadrement possible était, en fait,nécessaire, lié à l'alibi mental deVasari, triplement im-pliqué par sa conception de l'his-toire de l'art. Puisqu'aussi biencelle-ci est téléologique et opti-miste, qu'il réduit pour la pre·mière fois les arts visuels à undénominateur commun et, pour lapremière fois aussi, définit le COD-

cept moderne, le «locus» stylis-tique.Ainsi, nous sommes conduits à

la conclusion que si Vasari avaitvoulu exprimer exactement la po-sition historique de Cimabue (4),

l'un des artistes qui contribuèrentà faire sortir la peinture du stylegothique, pour accomplir un pre·mier pas en direction de la per-fection classique reconquise, il nepouvait se servir que d'une archi-tecture ayant franchi cette mêmeétape, et devait par conséquentfaire appel à ArnoUo di Cambio.Or, précisément, les principauxéléments gothiques de l'encadre·ment sont empruntés à la cathé·draIe de Florence et à SantaCroce, attribués par Vasari à Ar·noUo.En filigrane du récit et de la

démonstration policière, se dé-ploient la définition structurelle etla démonstration culturelle : comAment dans l'Italie du XVIe sièclenaît une· approche de l'histoirede l'art qui marque à la fois lanaissance de la conscience histo-rique et l'émergence du conceptde sciences de l'homme.En même temps, ce cas particu-

lier illustre la méthode et la théo-rie de Panofsky et leur liaison« organique:t. Et d'abord le fait- encore souligné par la techni·que de l'exposé - que l'histoirede l'art, comme toute science hn·maine est une herméneutique,que la recherche du sens en estl'exigence première. Ensuite quecette élucidation du sens ne peuts'accomplir que dans la réminis-cence, par l'exercice de cette mé-moire qui est la condition d'exis-tence des créations humaines etqu'on peut appeler histoire, mé-moire qui sert à définir des lieux,Foucault dirait des configurations,dont la véracité et la pertinencene peuvent être à la fois consti-tuées et testées que par recréa-tion.A l'exception du premier essai

consacré à la méthode et qui estune réflexion épistémologique,l'ensemble des chapitres consti·tuent autant d'applications de laméthode et de la théorie panof-skiennes. Par rapport aux Essaisd'iconowgïe centrés sur l'explica-tion de thèmes iconographiquesqu'il s'agit de resituer dans leurcontexte structural. l'œuvre d'artapparaît davantage comme uneproblématique et une investiga-tion plus générale du sens par ré-férence au double système spatio-temporel spécifique dans lequels'inscrit toute œuvre humaine engénéral et toute œuvre d'art enparticulier. Si la théorie des ni-veaux de déchiffrement de 1'1co·nologie évoquait les niveaux épis-

témologiques de Bachelard, dansle nouveau volume, la théorie dcssciences humaines comme le dé-voilement des cosmos de culturequi se succèdent par ruptures suc-cessives appelle aujourd'hui unrapprochement avec l'œuvre deFoucault. Il n'est jusqu'à l'émer·gence d'une nouvelle figure dusavoir qui est suggérée· dans Sa·vant, artiste, génie : mais sansdoute la nouvelle ouverture et lenouveau «décloisonnement» pres·sentis par Panofsky ressortiraientpour lui d'un nouvel humanismeplutôt que d'une «mort de l'hom-me».En fait, c'est par ce type de

problématique que l'Œuvre d'artet ses significations apparaîtra aupublic de 1970 peut-être plus ac-tuelle que les Essais. Cette médi-tation sur le temps qui devraitune bonne fois régler son compteau mythe terroriste des commen-cement absolus, laisse néanmoinsouverte la question des grandesruptures et de leur genèse. Maisle problème crucial reste celui po-sé par le rôle de la recréationdans le déchiffrement de l'œuvred'art : moment de synthèse entreune nécessaire érudition relativeaux « souvenirs témoins» quesont les créations humaines et unevéritable Einfühlung qui leur re-

donne la vie; moment qui nelaisse pas toujours percevoir ladifférence qui sépare la percep'tion d'un souvenir témoin quel.conque de celle d'un objet d'art ;moment qui appelle une confron·tation avec les théories récentesdu «scriptible» dans l'œuvre lit·téraire.En bonne logique, l'homme qui

portait en son cœur l'idéal dudécloisonnement renaissant, quifit la théorie des niveaux de lec-ture et de la multiplicité référen·tielle du sens, s'adresse de la mê-me plume égale au profane et àl'érudit, à l'artiste et au savant,et il n'est guère étonnant que sonlivre puisse être également lu (ouinterprété) comme une étude del'esprit de la Renaissance, unethéorie de la mémoire dans lessciences de l'homme, une épisté-mologie de l'esthétique ou mêmeune critique de la littérature surl'art, de WoUflin à Worringer.

Françoise Choay

1. Editions Gallimard.2. Editions de Minuit, traduit et pré-

senté remarquablement par P. Bourdieu.3. On peut regretter que ce titre n'ait

pas été traduit dans sa littéralité. La qua-lité de la présentation et de la traductionest la même que celle des EssaU d'Icono-logie, également dus à B. Teyssèdre.4. Puisqu'il croyait à cette attribution

erronée.

La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 avril 1970 17

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PHILOSOPHIE

Marx1Jean-Marie Benoist!ffarx est mort

Coll. Idées,Gallimard. éd.

On meurt beaucoup cestemps-ci l'Homme, Dieu,Jésus-Christ, Marx sont tous« morts • cet hiver. Un vraicarnage.Pou r Jean-Marie Benoist,c'est Marx, le mort. En vérité,une belle mort.

D'abord parce que c'est unemort bien-disante. Sans doute, lestyle néo-précieux de la générationqui a fréquenté assidûment Lacan,Althusser et Tel Quel risque-t-ild'agacer des lecteurs ou de les rebu-ter. Mais il faut admettre que lerococo et le chantourné sont aussides cc signes » tracés dans uncc espace épistémologique ». Biensûr. c'est surtout un signe de jeu-nesse - croire qu'on ne sera pascompris par cc les autres » pour

peu qu'on se serve des mots de latribu : soupçon, lézarde, brêche.béance, dénotation, pertinence, dis-cours, prélèvement, production !Jean-Marie Benoist écrit donc com-me tous ceux de son âge et de saformation : l'éditeur a beau nousceler sa biographie, on ne peutguère douter qu'il ait été norma-lien, qu'il soit philosophe, et qu'ilaille sur la trentaine. Mais Jean-Marie Benoist écrit, et c'est unpremier mérite. Il écrit et il écritavec soin, avec goût, pas à la ma-chine, on peut en jurer, ni au ma·gnétophone, il rature, il se relit, ils'écoute, il se surprend.C'est un premier livre. Un livre:

pas un support vieillot qu'on em-ploie en attendant mieux, parexemple le support plus modernede la radio ou de la télévision;pas U11 produit de série où le sujetest 1raité aux moindres frais pourl'auleur, l'éditeur et le lecteur. Maisce déversoir baroque où tout ypasse, de ce qu'on a lu, pensé,admiré. discuté, détesté, cru, ques-

tionné, jalousé et accaparé pendantces dix années où, de lycéen, puisde disciple et de condisciple, il afallu apprendre à devenir maîtreà son propre bord.Et c'est un deuxième sujet de

contentement : en un temps oit l'onnous explique chaque jour au pe-tit déjeuner comme l'Université

était devenue en 1968 letemple de l'impuissance mandari-nale, il y a du réconfort à réviserde concert avec notre philosopheles auteurs des vieux programmes,admirant au passage l'étendue deslectures et, pourquoi ne pas em-ployer ce mot avili, la culture ra-cée, ordonnée, maîtrisée d'un jeunethéoricien formé dans nos écoleset nos Universités.Oui, oui, je le veux bien, il

suhsiste ici et là comme un restede pédantisme khagneux dans cettemanière de citer nonchalammentses auteurs ainsi que leurs conceptsde prédilection (formulés bien en-tendu dans la langue originelle -latin, grec, anglais, allemand, c'est

le moins que nous sachions !) :cc La réponse, encore à demi

silencieuse, qui vient à la rencontrede notre question quid juris qui oseinciser de sa pétition diagonale lestextes de Marx et les textescc marxistes » concernerait cetteossature métaphysique de tout lediscours de Marx, la dette, masquéepar une Verneinung subtile, queMarx et ses épigones n'en ont ja-mciis fini de payer à une métaphy-sique née avec Platon et Aristote,Parptéil.ide aussi peut-être, et quiles hante, venant obsessionnelle-ment « chanter' dans leurs os »,semblable à l'âme du frère aînéinju.stement mis à mort par sonfrère et qui chante sa plainte etsa revendication dans la flûte-tibiatrouvée par le ménestrel de la can-tate de Mahler, Das klagendeLied... ».Mais, qu'on me pardonne, j'ai-

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Page 19: Quinzaine littéraire, 92, février 1970

est-ll mort?Surtout quand ce n'est, commec'est le cas ici, que l'expressiond'une ultime retenue avant que sedéploie une pensée autonome, sub-tile et courageuse.La démarche est régressive :

« agacé )) au temps de mai 1968,J.-M. Benoist, comme le pascali-sant s'arrêtant pour méditer à cha-cune des stations où le Christ asouffert, s'arrête, pour y trouver« la métaphysique abritée dans lesplis du discours révolutionnaire »,aux successives « configurationsthéoriques » que proposent, desplus côntemporains aux plus an-ciens, les sociologues de l'événe-ment - entre tous, le groupe deMorin, Lefort et Coudray qui, avecMai 1968 : la brèche, ont réussià « donner une analyse pertinenteet parfois belle )) -, puis Marcuse,Mao, Lénine et enfin Marx.Avant de retrouver l'idée, déve-

loppée en conclusion, en fonctionde laquelle tout le livre est orga·nisé, il faut dire d'abord l'intérêtconsidérable des analyses partielles.Intérêt à la fois négatif et posi-

tif. Négatif : la probité de l'expo-sé refuse tout camouflage qui don-nerait à croire que Jean-Marie Be-noist se meut dans un champ autreque strictement philosophique.L'auteur, faute d' « expériencevécue D, n'entre donc dans aucunediscussion « concrète D qui seraitpar exemple de nature à ridiculi-ser le thème de la parenté oppres-sive entre la situation de Siniavski,fabriquant des caisses dans un campsibérien, et la situation d'un ingé-nieur d'LB.M. « qui n'a pas ledr!Jit de I$ortir en dehors des heu-res, biologiques, de ses repas oude ses repos )). Mais cette probité,Benoist la pousse vraiment très loinen tombant dans la rhétorique pureet simple, comme en témoigned'ailleurs le goût a pour laterminologie des figures classiques.Intérêt positif : Benoist a lu ses

auteurs, non seulement il ne nousen, parle pas en bel esprit parouï-dire, non seulement il ne nou.,en parle pas avec désinvolture àl'aide de ces « allusions trompeu-ses D qui ne trompent personnequant au fait qu'il n'y a rien der-rière l'allusion, mais il consent àfaire devant nous et pour nousde patientes « leçons d'agrégation D.

Et c'est passionnant : cette atten-tion au texte, cette démarche méti-culeuse qui, appuyée sur un énormesavoir contre lequel viennent bu-ter, et s'éprouver, lâcher prise outriompher les découvertes, vise à

répertorier, classer, organiser ré-seau des significations; à pénétrerinnocemment dans les impassespour y constater que la voie est sansissue ; à tomber en arrêt sur la lignesuspecte qui révèle une suture illé-gitime entre deux analyses concep-tuelles de champ différent; à dé-couvrir, ravi, le saut, le retourne-ment ou la torsion que ce pas assezmalin de Marcuse ou cet excentri-que de Unine avaient cru nousdérober...De ces analyses partielles, pas

une qui soit indifférente, plat rem-plissage ou pur exercice de styleacadémique. Chacune d'elles sesaisit d'un problème-clef, occupeune position par rapport à laquellese dessine un remaniement généralfonctionnant de proche en proche.Peut-être dirai-je ma préférencepour celles de ces analyses partiel-les qui traitent plutôt de « textes ))que de situations historiques concrè-tes pour lesquelles l'auteur a .unoutillage mental et des techniquesopératoires moins assurées : plutôt,si l'on veut, pour l'analyse du typed'échec subi par Marcuse dans salecture « marxiste » de Freud oude ce qu'il faut entendre par « Lé-nine philosophe ) que pour l'ana-lyse de mai 1968 ou de la révolu-tion culturelle chinoise.Mais il faut en venir au fond.

J .-M.Benoist n'est pas de sa géné-ration seulement par sa langue etsa démarche, ou par la configura-tion de sa « bibliothèque imagi-naire » - outre la lignée des phi.losophes, Borges, Foucault, Derrida,Proust, Barthes, Mallarmé, Bache-lard -, il est aussi de sa généra-tion quant au point de départ deson propre itinéraire : ce point dedépart ne saurait se situer qu'aprèsla purge althussérienne, purge qui« a purgé la lecture de Marx-Engelsde tout le stalinisme cynique ouhonteux, de tout le gauchisme décé-rébré, de tout le christianismeteilhardo-marxiste », purge qui,somme toute, a rendu possible une« lecture libératrice ») de Marx.Le problème de Benoist n'est

donc plus d'apprécier lade l'entreprise althussérienne parrapport aux entreprises antérieuresqui tantôt tiraient Marx du côtéd'un romantisme arbitraire néo-hégélien, tantôt le tiraient du côtéd'un scientisme mécaniste. L'ohjec-tif althussérien cardinal est en effetpour Benoist atteint : « Marx estun texte »). Bref, à cette étape, lemarxisme est mort et Marx est res-suscité.

A partir de là, le problème deBenoist est, les intentions d'Althus-ser désormais admises comme réfé-rence initiale, de vérifier les moda-lités concrètes de cette résurrection.Autrement dit, Benoist ne secontente pas d'enregistrer et de glo-ser sur la coupure épistémologiquequ'Althusser souhaite introduireentre « un jeune Marx idéologiqueet encore hégélien )) et un « Marxscientifique »), sur « la ligne dedémarcation entre l'idéologique etle scientifique )) qu'il faut faire pas-ser « à l'intérieur du champ formépar les textes que l'on regroupe

ou Marx-Engels)); Benoist sedonne pour tâche d'aller y voir enscrutllnt cette fameuse coupure defaçon à répondre à trois questions :«, ce qu'est la coupure et si elleest )); « ce que refoule la cou-pure »), sur quoi décide la cou-pure »).

Sur la première question, auterme d'une analyse serrée où lafinalité révolutionnaire est mon,trée comme impliquant une concep-tion totalisante de l'histoire, la-quelle exige à son tour un conceptde temps pur, la réponse de Be-noist est que l'idéologie - la méta-physique - persiste à contamineret envelopper ce qu'il peut y avoirde scientificité chez Marx :« Le recours à ce supplément dusujet tramceT!dantal, les masse.s oule prolétariat, universal scolastiquetravaillant la bannière du prin-cipe logico-métaphysique de l'iden-tité, commarzde une conception uni-taire du t'emps, comme variancede la présence en ses deux modesde diachronie et de synchronie, dis-tinction qu'on a voulu mobiliserpour sauver la conception marxistede l'histoire qui demeure sinonunitaire, du moim unifiable, c'est-à-dire toujours logée chez Aristoteet Platon et à travers eux chezParménide ).De telle sorte qu'on a beau com-

prendre en quel sens on peut parlerdu passage d'un Marx idéologique,« encore soumis à l'attraction et àla force de la gravitation hégé-lienne et feuerbachienne »), à un.Marx « à prétention scientifique »),il reste que :« Telle Eurydice [la coupure] sedérobe si l'on tente de porter surelle le regard. L'aveu que toutel'écriture de Marx est obligée defaire malgré qu'elle en ait, de sonappartenance à l'espace d'une mé-taphysique-ontologie de la pré-8ence, rature la coupure, biffe cet

el$pacè vide que la sagacité dItmeilleur des exégètes de Marx avaitsu pratiq.uer ».De cette insertion de Marx dans

la tradition métaphysique de laphilosophie occidentale, Benoistfournit des preuves fort troublantesà partir de cette expression marxis-te classique : « Ce sont les massesqui font l'histoire »), plus encoreà propos de la « notion hautementmétaphysique ) de comcience danscette autre expressiQn marxisteclassique de la « prise de couscien-ce de classe », et surtout enfinquant au rapport du prolétariat àla notion de classe soci8le,« rapport dam lequel joue unerelation métaphysique analogue àla relation substance/attribut etmode chez Spinoza, l'essence de laclasse sociale se modalisant d'aborden classe bourgeoise, puis en« classe D prolétarienne, et, par larévolution, le rapport s'inversant,la substance sujet-substrat deve-nant support caché de ce qu'Aris-tote nomme ousia kata sumbebêkos,c'est-à-dire substance par accident,c'est-à-dire propre, sorte de metaxu,de métastable, d'entre-deux, prisentre la catégorie d'essence et celled'accident, mais définie encoremétaphysiquement »).En fin de compte, créditant défi-

nitivement Althusser d'avoir libéréMarx de tous les marxistes huma.niste, finaliste, subjectiviste, théolo-gique, psychologique, Benoist sepropose à son tour, Althusser ayantreculé devant l'horreur qui consisteà « reconnaître toute l'ossature mé-taphysique du vieux texte deMarx )), de prendre le relàis, et dece Marx libéré, dire que, libre, ilest aussi «mort» en ce sens que« la révolution épistémologiqUe dontMarx pouvait être dit l'auteur n'af·fectait qu'un moment révolu del'histoire des sciences, que cetterévolution ne produisait qu'unescientificité archaïque, un monu-ment commémoratif obsolescent D.Ce n'est pas le lieu de se pronon-

cer ici sur la validité de cetteconclusion : le renfournement deMarx dans l'épistemé du XIXe siè-cle, pour employer la terminologiefoucaldienne, ne se décrète pas,c'est, ce doit être encore un objetd'étude, d'une étude pour laquelleil faut attendre beaucoup de Jean.Marie Benoist : sa compétence faitede savoir, de vigueur et du sensdes zones nodales nous permet depenser qu'un philosophe nous estné.

Annie Kriegel

r. Quinzaine littéraire, du 1- au 15 avril 1970 l'

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DISCUSSION

Un inédit du Marx

43 rue du Paru 4.C.C.P. 15.SS1.53 Paris

le Marx « hégélien ») et le Marx« marxiste » et sur la prétendue« coupure épistémologique » etautres allégations de ce genre. Enfait, ils font considérablement dou-ter de la valeur de telles discus-sions, car ils démontrent la conti-nuité substantielle entre la penséedu « jeune ) Marx et du Marx dela « maturité »). Dans tous les cas,ils ne fournissent aucun argumentà ceux qui tendent à trouver le dé-clin de l'influence hégélienne surMarx. Grâce au magnifique travailréalisé par l'Edition Moscou-Berlin,les nombreuses références et allu·sions à Hegel et plus particulière-ment l'interpénétration féconde del'argumentation hégelienne et ricar-dienne, de la philosophie et de l'éco-nomie, peut être clairement identi-fiée, tout autant que l'absenec totalede références à Feuerbach.Désormais, nous sommes en me-

sure de saisir plus clairement lesmodifications profondes dans l'ann-lyse économique de Marx, tellequ'elle résulte de ses recherchesdans les années 50 - le transfertdu centre de gravité de son analysedu champ de l'échange capitalisteà celui de la production. Nousn'avons pas à entrer dans le débatau sujet de la date à laquelle l'éco-nomie politique marxienne devientvéritablement marxiste, par exem-ple lorsque le terme de force detravail est substitué à celui de tra-vail. Selon Engels, c'était certaine-ment après 1849. Ce qui est clair,c'est que les Grundrisse représen-tent la première élaboration com-plète de cette économie politiquemarxiste au stade de maturité.Aucune discussion sur les pro-

La QuinzaineIItt4rat..

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M.

VOl.Daw

Il est vrai qu'il ne concernequ'une partie du plan initial dela grande œuvre de Marx, tel qu'ill'expose en 1857. Cependant lesGrundrisse contiennent une massede matériaux que Marx y a notésau fur et à mesure de sa réflexionet qui, ainsi que l'avait remarquéEngels, appartiennent davantageaux tomes ultérieurs. D'autre part,il est vrai que le plan du Capitala été substantiellement modifié en-tre 1857 et 1867. Marx, dont lapensée était continuellement enévolution, était rarement satisfaitpar des constructions schématiqueset a même modifié la partie publiéedu Capital d'une édition à l'autre,et aurait probablement continué dele faire. Toutefois, cela n'affecteen rien la situation unique desGrundrisse dans l'ensemble de sonœuvre. C'est la première versiondu Capital, et une version pluscomplète que celle de la Contri·butwn à la critique de l'économiepolitique qui en a été tirée. Elleporte sur de nombreux domainesqui n'ont été traités spécifiquementni dans le permier tome du Capitalpublié du vivant de Marx, ni dansceux qui ont été publiés après samort. Il constitue pour nous unguide d'une valeur inestimable pourconnaître les intentions de Marxet le cheminement de sa pensée.Par conséquent, les Grundrisse

sont essentielles pour notre com-préhension de Marx. En premierlieu, ils nous permettent de suivrel'évolution de sa pensée. Ils jet-tent une vive lumière sur la contro-verse touchant la prétendue oppo-sition entre le « jeune Marx» etle Marx de la « maturité », entre

gleterre un tour assez aigu- de donner à nos lecteursleur opinion à ce sujet. PeterWiles est professeur à la Lon-don School of Economies eta publié The political Economyof Communisme. E.J. Hobs-bawn est également profes-seur (à l'Université de Lon-dres) et nous connaissons delui, en français, Les Primitifsde la Révolte (Fayard) dontnous avons rendu compte ici-même (voir la O.L. n° 13, du1er octobre 1966).

1968) constitue jusqu'ici l'analysela plus complète des Grundrisse.(1)

L'ouvrage a été réédité à Berlin-Est en 1953, ce qui a constitué enfait la première édition accessible.Cependant, même cette édition estrestée pendant plusieurs années re-lativement inconnue ou du moinen'a pas eu l'écho qu'elle méritait.Jusqu'en 1960, les discussionsmarxistes n'en tiennent pas comp-te, et les traductions dans les au-tres langues sont lentes à se faire.(2)Cette négligence est étrange et

difficile à expliquer. Car on nepeut douter de l'importance de cemanuscrit (le titre étant celui deséditeurs de Marx) dans le dévelop-pement de la pensée de Marx. Ila été écrit lors d'une période d'in-tense travail, entre octobre 1857et mars 1858, à un moment oùMarx s'attendait à une repriseimmédiate de la crise révolution-naire européenne et qu'il essayaitfiévreusement de rédiger une éla-boration cohérente et systématiqut"de toute sa théorie économique,pendant qu'il avait encore le tempsde le (aire. Cette œuvre représen-tait, comme il l'a écrit à Lassalle,« le résultat de 15 ans de recher-ches, c'est-à-dire les meilleures an-nées de ma vie ». C'est donc à tousles points de vue l'ouvrage de lamaturité de Marx, et il a essayé dele publier, mais seule une partiedu matériel a vu le jour lors dela publication de la Contributwnà la critique de l'économie politi-que. En fait les Grundrisse consti-tuent la première rédaction du Ca-pital ou plutôt de ce vaste et com-plexe ensemble théorique dontMarx n'a pu achever que ce quise trouve dans le premier tome duCapital.

Les Grundrisse sont la dernière œuvre importante deMarx à être publiée et elle aété mise à la disposition deceux qui s'intéressent aumarxisme environ un siècleaprès avoir éCrite.La curieuse histoire de la pu-blication de cet ouvrage estaujourd'hui bien connue.. Rienn'en a été publié du vivantde Marx et d'Engels, si l'on enexcepte les· premiers chapi-tres qui ont constitué la basede la Contribution à la criti·que de l'économie politique,publiée en 1859. Jusqu'en1939, les seules parties del'ouvrage qui ont été publiéessont les essais sur Bastiat etCarey et ce qu'on a appelél'Introduction à la critique del'économie politique, tousdeux pub 1 i é s dans leNeue Zeit de Kautsky. Cetteintroduction, qui est en réali-té . celle des Grundrisse etnon pas celle de la Contribu-tion à la critique de l'écono-mie politique publiée en 1859,a été depuis longtemps re-connue comme un des exem-ples les plus brillants de lapuissance a n al y t i que deMarx.

La publication d'un texte dejeunesse de Marx : Fonde·ments de la critique de l'éco-nomie politique (Anthropos)plus connu sous le titre deson diminutif allemand. Grun·drisse, a suscité, comme ilfallait s'y attendre, un énor-me intérêt et des prises deposition variées.Nous avons demandé à

deux spécialistes anglais deMarx - qui ne sont pas d'ac-cord entre eux, et parce quela polémique a pris en An-

L'ensemble du manuscrit a étépublié entre 1939 et 1941 à Moscouen deux volumes, édition qui èstpresque immédiatement devenueintrouvable à la suite de la guerre.A peine trois ou quatre volumesont-ils pu atteindre le monde occi-dental et parvenir aux Etats-Unisà un ou deux chercheurs marxis-tes, comme feu R. Rosdolsky, dontle Zur desMarxschen Ka pit a l (Francfort

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d'avant le cc Capital "

par E.J. Bobsbawm

Un texte essentiel

blèmes généraux du développement- et par conséquent de la nature- de la pensée de Marx n'est pluspossible si l'on néglige les Grun-drisse. Non seulement ils mettenten lumière un certain nombre d'as-pects spécifiques du marxisme,mais certaines parties du livre ré-vèlent un Marx contemporain aussiétonnant qu'insoupçonné.Ils éclairent tout particulière-

ment le modèle marxien du déve-loppement historique de la socié-té. Cet aspect nous est maintenantfamilier, étant donné que la sec--tion des Grundrisse traitant desformations économiques pré-capi-talistes a été traduite séparémentdans diverses langues, et a déjà faitl'objet de larges discussions depuisquelques années. Elles ont porté enparticulier sur ce qu'on appelle lemode de production asiatique, etdont le manuscrit traite de façonplus systématique que tout autreécrit de Marx, mais l'intérêt queles Grundrisse présentent pour leshistoriens est encore plus considé-rable. En dehors des intuitionséclairantes notées par Marx aufur et à mesure, l'ouvrage contientquelques réflexions profondes surla méthodologie historique de Marx.Il n'a pas, écrit-il, fait œuvre

d'historien au sens strict du terme,mais il a exploré une méthodebien plus complexe consistant àcombiner les analyses statique ctdynamique des formations socialeset permettant de reconstituer lespré-conditions d'une époque anté-rieure déjà dépassées (aufgehobene,pour utiliser un terme hégélien) àpartir du modèle analytique du ca-pitalisme actuel, et à déduire égale-ment le système futur à partir dela combinaison analytique du passéet du présent. La différence entreles écrits de Marx strictement :, his-toriques » (par exemple le Dix-huitBrumaire) et les aspects historiquesde ses écrits théoriques plus géné-raux, ne peuvent pas être pleine-ment compris sans une connaissancedes Grundrisse. Il en est de mêmepour certains concepts analytieo-historiques importants, tels que ce-lui d'« accumulation primitive ».Cependant, en dehors des nom-

breux points sur lesquels les Grun-

drisse clarifient et approfondissentnotre compréhension de la méthodemarxienne, le manuscrit contientaussi certains passages où sontabordés des problèmes dont Marx:ne traitera nulle part ailleurs, dansses ouvrages de maturité. Il estpeut-être heureux que leur publica-tion ait connu un tel retard, cal' ilbien des égards le type d'économiequ'ils éclairent ne s'est réalisé plei-nement qu'au cours des dernièresdécennies.N 0 u s comprenons heaucoup

mieux maintenant lorsqu'il parledu capitalisme comme d'une socié-té de consommation, que n'auraientpu le faire les générations précé-dentes. Les Grundrisse s'ouvrentsur la remarque que le procès deproduction, vu sous l'angle histo-rique, ne crée pas seulement l'objetde consommation, mais aussi le be-soin de consOmmation et le stylede consommation, y compris, d,lIlsle régime capitaliste, la consomma-tion de masse des ouvriers. Nom-breux seront les lecteurs qu'impres-sionneront profondément les prévi-sions de Marx (en 1857-8!) surl'économie automatisée, produit dela révolution scientifique et tech-nique que le capitalisme crée lui-même:

« Le travail ne se présente pastellement comme une partie cons-titutive du procès deL'homme se comporte bien plutôtcomme un surveillant et un régu-lateur vis-à-vis du procès de pro-duction. Cela vaut non seulementpour la machinerie, mais encorepour la combinaison des activitéshumaines et le développement dela circulation entre les individus ».Le travailleur n'insère

comme intermédiaire entre le mu-tériau et lui, l'objet naturel trans-formé en outil, il insère à présentle procès naturel, qu'il transformeen un .procès industriel, commeintermédiaire, entre lui et toute lanature, dont il s'est rendu maître.Mais lui-même se trouve place àcôté du procès de production, aulieu d'en être l'agent principal.

« Avec ce bouleversement, cen'est ni le temps de travail utilisé,ni le travail immédiat effectué parl'homme qui apparaissent comme

le fondement principal de la pro-duction de la richesse; c'est l'ap-propriation de sa force productivegénérale, son intelligence de la na-ture et sa faculté de la dominer,dès lors qu'il s'est constitué en uncorps social; en un mot, le dévelop-pement de l'individu social repré-sente le fondement essentiel de laproduction et de la richesse.« Le vol du temps de travail

d'autrui sur lequel repose la riches-se actuelle apparaît comme unebase misérable par rapport à labase nouvelle, créée et développéepar la grande industrie elle-même » (3).On peut estimer que c'est seu-

lement lorsque cette étape est attein-te qùe les contradictions fondamen-tales du capitalisme deviennent in-surmontables et que la sociétébourgeoise aura fait mûrir en sonsein les conditions matérielles ren-dant possible une solution globalede ces contradictions. On peut esti·mer que du moment que « l'huma-nité ne se fixe que des tâchesqu'elle peut résoudre », les condi-tions pour mettre fin « à la périodepréhistorique de la société humai-ne », commencent seulement main-tenant à se réaliser à l'échelle mon-diale. Il ne fait pas de doute quela discussion de Marx sur la révo-lution technique se rattache direc-tement à ses observations sur letravail et le loisir, qui constituentune de ses rares explorations del'avenir socialiste.Ces passages (qui incidemment

critiquent la conception de Fou-riel', qui voit dans le travail un di-vertissement) sont une fois de plusd'un intérêt considérable. Les Grun-drisse contiennent de nombreusesréférences au problème des besoinshumains et de la nature du travail,bien que Marx éprouvât des diffi·cultés à' les intégrèr dans son. rai-sonnement. Il rejette la dichotomiesimplè travail-loisir de la théoriebourgeoise - et de la pratiquebourgeoise -, mais aussi la naïvedissolution de cette dichotomie dansle. jeu-travail universel de Fourier.Il voit plutôt la transformation p0-tentielle de l'homme par la réduc-tion du temps consacré aux for-mes anciennes de travail, « l'effortde l'homme en tant que force na-turelle (Naturkraft) s'exerçantd'une certaine façon ». Le tempslibre, c'est à la fois celui des loi·sirs et celui consacré à des activi-tés supérieures, ce qui permet àl'homme transformé de réintégrerle procès de production, - grâceà ces activités supérieures - d'une

Marx jeune.

nouvelle façon: il se développe enmême temps par le sport et l'exer-cice (dans la mesure où il s'agitd'activités physiques) et par les ac-tivités créatrices et expérimentales,par la réalisation de la science, dusavoir humain et du contrôle sur lanature. La distinction entre travailet loisir se trouve abolie, mais pourMarx cette Aufhebung impliqueune analyse et une exploration duprocès de la créativité humaine,que les penseurs marxistes auraientintérêt à poursuivre.Il n'est pas possible dans le ca-

dre de ce bref article d'indiquer,autrement que par quelques réfé-rences non-systématiques, l'intérêtremarquable que présente ce ma-nuscrit. C'est un texte difficile -écrit par Marx dans la fièvre d'unintense effort intellectuel, « unecourse contre la montre », et danslequel il voit parfois une sorte desténographie intellectuelle destinéeà la clarification de sa propre pen·sée. Néanmoins, rares sont ceuxde ses écrits qui illustrent de façonplus vivante son mode de pensée,sa méthode, et son extraordinairegénie. Toute discussion sur le mar-xisme qui ne tiendrait pas comptede ce texte, ne pourrait désormaisêtre prise sérieusement en consi-dération.

E.J. Hobsbawm

1. Voir également la contribution deR. Rosdolsky, La signification du Capituldans la recherche marxüte contemporaine,in En portant du Capital, ouvrage collectifpublié à l'occasion du centenaire du Capi-tal, aux Editions Anthropos, Paris 1968,(N.D.L.R.).2. La première édition en fl,'llIlÇ8Ïs a

été publiée par les Editions Anthropos en1967 (en deux volumes) sous le titre :Fondements de la critique de l'économiepolitique (traduction Roger Dangeville).N.D.L.R.3. Karl Marx, Fondements de la cri-

tique de l'économie politiqlle, tome Il,chapitre du capital, p. 221,Anthropos, Paris.

La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 avril 1970 21

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les Grundrisse

par Peter Wiles

Un serpent de mer?

Si un éditeur s'avisait demainde publier mes notes de tra-vail, j'en serais flatté. Maisje n'aimerais pas que l'on prîttout cela trop au sérieux etque l'on accordât à ces ébau-ches une valeur fondamentaleet définitive.Le problème avec Marx;

c'est que nous avons affaireavec lui à quelqu'un de trèsimportant, disons le mot, à ungénie. et qu'il a beaucoupécrit mais fort peu publié. Aubout du compte. que savons-nous de lui si ce n'est ce quenous ont révélé les quelqueslettres signées de sa mainqui ont pu parvenir jusqu'ànous. ou encore la versionquelque peu inexacte parceque trop respectueuse qu'En-gels nous a laissée de cesmanuscrits fort confus aux-quels nous conférons aujour-d'hui le titre de Capital Il etIII?

Certes, voilà qui est mieux querien - nous avons parfaitement ledroit de connaître la pensée deMarx quand bien même il ne luiaurait jamais donné l'imprimatur.On pourrait cependant objecterqu'il est pour le J;tloins surprenantqu'une religion aussi puissante re-pose sur des bases littérales aussifragiles. Mais si l'on souge à l'An-cien Testament, au Coran... Habentsua fata non-libelli.Considérons les Grundrisse, en-

semble de textes écrits entre 1857et 1858 et qui recoupent la plupartdes thèmes traités dans le Capital(publié à partir de 1867). Il Y a làHl21 pages réparties en deux volu·mes, à quoi il faut ajouter l'appa-reil de notes que nous devons àl'Institut Marx-Engels-Lénine deMoscou, qui fut le premier à édi-ter l'ouvrage (entre 1939 et 1941).Le texte dont nous disposons a ététraduit d'après la réédition faite parles éditions Dietz de Berlin-Est

(1953). Elle n'a rien à envier en cequi concerne la confusion aux to-mes II et III du Capital : les ré-dites, les obscurités, les errata foi·sonnent. Ce n'est la faute de per-sonne : telle est la version que nousa laissée Marx de ces cahiers quiont été abondamment pillés et nuln'ignore que les érudits ne tien·nent guère à ce que leurs sourcestombent dans le domaine public.Mais l'appareil critique aurait pusans aucun doute, être amélioré :l'édition de l'Institut Marx-Engelsest, sur ce point, fort insuffisanteet les éditeurs français n'auraientpas dû s'en contenter.

Je n'irai pas jusqu'à prétendreque j'ai lu l'ouvrage à fond. Je mesuis contenté, et on ne saurait m'enfaire grief, d'en extraire les optionsfondamentales, en quoi j'ai trouvéune aide précieuse dans l'antholo·gie de Rubel, condensée et remaniéesans doute, mais pourvue d'un ap-pareil critique en tous points su-périeur à celui des éditions exis-tantes. Cette anthologie contientde nombreux passages des Grun·drisse que Maximilien Rubel croitavoir mieux compris que l'Institutsoviétique. Et il pourrait avoir rai-son. (1).Marx devait bien savoir à quoi

s'en tenir sur ces cahiers lorsqu'ilrédigeait le premier volume duCapital et en supervisait, avec lesoin que l'on sait, la première édi·tion. Il est fort significatif qu'En-gels, de son côté, n'ait pas songéà en tirer parti, parmi d'autres iné-dits de Marx, lorsqu'il publia lesdeuxième et troisième tomes duCapital. En tout état de cause,l'édition « officielle» de Capital nefait aucune illusion aux Grundris-se, et il y a là un fait qui minimisesingulièrement leur importance si·non aux yeux d'un petit cercle despé::ialistes (dont on peut s'étonnerqu'ils ne les aient pas lus dans letexte).Mais qu'en reste-t-il de tout cela

pour le commun des mortels?

Qu'y a-t·il ici de nouveau et d'in-téressant? Si Engels avait utiliséces textes, la version qu'il nous adonnée du Capital 1 et II en eût-elle été modifiée de façon substan-tielle ? Les soviétologues, votre ser-viteur par exemple, sont par forcedes marxologues solitaires. Pour mapart, j'ai abordé cet ouvrage com·me j'aurais fait du Talmud ou desApocryphes. Par contre les ortho·doxes avec la piété qui les caracté-rise se sont empressés de présenterla publication simultanée de deuxtraductions des Grundrisse com-me un événement culturel des plusimportants. Je me suis donc mis àla recherche des idées nouvelles quele livre pouvait m'apporter dans ledomaine de l'aliénation, de la plus.value, de la théorie des « produk-tionpreise», de la dialectique, dudespotisme asiatique et de la sociétépost-révolutionnaire.Sans doute est·ce là une liste

quelque peu tendancieuse et fortarbitraire puisqu'elle se réfère àdes concepts auxquels je m'inté·resse particulièrement et que j'étaissûr d'avance d' y trouver. Mais .leprocédé était de bonne guerre :c'était, d'entrée de jeu, parier surle sérieux de l'ouvrage et soumettrece critère à l'épreuve du feu.Aliénation et plus-value : rien

de nouveau et rien en tout cas quine soit mieux exposé dans le Ca·pital. On notera cependant, car lachose mérite d'être soulignée, quela notion hégélienne d'aliénation,sur laquelle avaient été fondéesjusqu'ici les analyses économiquesde Marx, s'efface devant la notionricardienne de plus-value à laquellel'auteur consacre de longs dévelop-pements. Sans doute, certaines pa-ges de l'ouvrage (de la page 22 à231) se rapportent apparemmentaux premières études de l'auteursur la plus.value. Le lecteur serapeut.être curieux de savoir, bienque cela soit tout à fait hors de pro-pos, ce que j'ai pu apprendre moi-même sur ce sujet complexe en li-sant cet ouvrage et les commentai-res qui en ont été faits.Jusqu'aux Grundrisse, l'écono-

mie politique de Marx était unecritique hégélienne du capitalisme :la monnaie, le marché, les moyensde production, la division du' tra·vail sont une mauvaise chose. Dam;ce système, le travailleur vend sontravail sans en acquérir le produit ;étranger au travailleur, non seule·ment sur le plan psychologiquemais aussi sur le plan légal, le pro-duit du travail cesse d'être la pro-priété du travailleur pour devenir

une chose indépendante entre lesmains des capitalistes et se trans-former en capital qui l'exploite ets'approprie son existence. La sé-quence féodalité-capitalisme-socia-lisme est ainsi définie (1,95) :Les rapports de dépendance per-

sonnelle (d'abord tout à fait natu-reIs) sont les premières formes so·ciales dans lesquelles la producti-vité humaine se développe lente-ment et d'abord en des points iso·lés. L'indépendance personnellefondée sur la dépendance à l'égarddes choses est la deuxième grandeétape : il s'y constitue pour la pre-mière fois un système général demétabolisme social, de rapports uni·versels, de besoins diversifiés et decapacités universelles. La troisièmeétape, c'est la libre individualitéfondée sur le développement uni·versel des hommes et sur la maî-trise de leur productivité sociale etcollective ainsi que de leurs capaci-tés sociales. La seconde crée lesconditions de la troisième. Lesstructures patriarcales et antiques(ainsi que féodales) tombent en dé-cadence, lorsque se développent lecommerce, le luxe, l'argent et lavaleur d'échange, auxquels la so-ciété moderne a emprunté son ry·thme pour progresser.Et voilà Marx transformé, com-

me tant d'Anglais de gauche avantlui, en socialiste ricardien. Les pro-blèmes du marché perdent de leurimportance et les problèmes de laproduction passent au premierplan. Familiarisé depuis longtempsavec les théories de la valeur-tra·vail, il comprend maintenant sesimplications socialistes et découvrela plus-value et l'exploitation : lecapitaliste paie le travailleur defaçon à lui assurer sa subsistance,mais vend sa productivité. Du res-te cette théorie est de celles quel'on peut également exposer en ter-mes historiques : plus la techniqueest avancée, plus grande est la pro-ductivité du travail et, du mêmecoup, plus les biens de consomma-tion baissent de prix en termesd'heures de travail, plus augmentele sur-travail. Il faut croire qu'iln'y a pas de place ici pour un troi-sième terme: la plus-value s'accu·mule continûment en fonction duprogrès de la technique et ce pro-cès n'introduit aucune différenceentre la croissance capitaliste et lacroissance socialiste.On conviendra que cet exposé

d'ensemble de la théorie de la va-leur-travail n'est guère suspect dedialectique. Il est vrai que les théo-

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ries hégéliennes et ricardiennes(aliénation par le marché et exploi-tation par la production) n'ont riend'incompatible, et l'étude du Capi-tal, si on laisse de côté les Grun-drisse, montre que Marx n'a ja-mais liquidé le passé.Marx analyse longuement les

Produktionspreise dans le troisiè-me volume du Capital au momentoù il découvre que la théorie dutravail est bel et bien fausse. Jus-qu'au premier volume du Capitalinclusivement, il affirme que la va-leur-travail détermine le prix nor-mal, concurrentiel de chaque mar-chandise, sans prévoir les argutieset échappatoires sans nombre quel'évidente fausseté de cette asser-tion allait un jour imposer à sesépigones. Nous accordons peut-êtrebeaucoup trop d'importance à unenotation qui figure dans le troisiè-me volume du Capital à propos del'influence qu'exerce également surles prix le coût de l',argent, puisqucMarx aussi bien n'a jamais envisagéde publier cet ouvrage. Mais au boutdu compte on ne saurait négligerle fait qu'il a positivement infirmél'ensemhle de son œuvre antérieu-re et cela à plusieurs reprises dansles manuscrits de Capital III.De tout cela, on ne trouve pas

la moindre trace dans les Grun-drisse. Le niveau technique quiétaye l'argumentation est encoreplus bas ici que dans le Capital :les erreurs arithmétiques abondent(cf. 11-303-4) et sa maladresse ence domaine est patente (e.g. 11/

,On y trouve cependant une ana·

lyse intéressante au terme de la-quelle Marx fait observer que letravail cessera d'être la mesure dela valeur lorsque la technique seraarrivée à un très haut degré decomplexité (11/222). Ce momentcoïncide apparemment avec celuide la révolution. Malheureusementle mot révolution intervient fortrarement dans les Grundrisse.Quant aux concepts de révolutionprolétarienne et de lutte de classeon n'en J:rouve pas la moindre tra-ce.On n'y trouve guère non plus de

référence à la dialectique (quite pour moi, philist!D, un mystèreentier). La notion de dialectiques'applique seulement, comme c'estgénéralement le cas dans les œu-vres économiques de Marx, auxgrands mouvements de l'histoire elà cette misérable mystificationqu'est la transformation du capitalen argent.

Les Grundrisse demeurent ce-pendant, de toutes les œuvres deMarx, la source la plus importantede la théorie du despotisme asiati·que et des modes de productionpré-capitalistes (1, 435-481). Cepassage qui est décisif, a fait l'ob-jet de nombreux commentaires etil n'est pas nécessaire d'y revenirici.Quant à la société pré-révolu-

tionnaire, je n'ai rien trouvé dansce texte qui m'ait appris quoi quece soit de nouveau. Il ne faut pasoublier que les assertions et con-clusions de Marx en la matière in-fluencent la politique des commu-nistes, spécialement en U.R.S.S.(2). Aussi ne sera-t-on guère sur·pris d'apprendre que les autoritéssoviétiques, tout de même que laplupart d'entre nous, aient négligéles Grundrisse. Les deux spécialis-tes soviétiques que j'ai pu interro-ger à ce sujet n'en avaient jamaisentendu parler.On comprendra aisément pour-

quoi les Français attachent une tel-le importance à cet ouvrage : iln'accroîtra guère leur connaissancedu marxisme, si ce n'est en ce quiconcerne le despotisme asiatique etles modes de production pré-capita-listes, mais il fournira une based'attaque contre M. Althusser.Althusser, dit Jorge Semprun dansson article sur les Grundrisse, nefait aucune « coupure» entre l;i-déologie du jeune Marx et les théo-ries scientifiques de sa maturité.Je n'irai pas aussi loin. Althussera raison de prétendre que le jeuneMarx est un pur idéologue : il n'ya rien de scientifique dans sesthéories d'alors, pas plus du resteque dans celles d'aucun jeune hé-gélien, mais en tant que non mar-xiste je ne peux en aucun cas accep-ter que Marx soit jamais devenuun scientifique. L'idéologie et lascience ont ensemble fleuri en luicomme ensemble elles survivent,si parva licet comonore magnis,chez Brejnev. Cette co-existence n'ajamais été aussi .bien illustrée quedans les Grundrisse.1) Notamment celui de E. Hob·

London 1964; et Karl Wittfogel,shawn dans son édition de KarlMarx, pré-capitalist formations,le Despotisme oriental, Paris 1964 ;cf. Rubel op. cit., 11-1654. 'Les marxistes ont toujours été

des idéologues (quelle que soit l'ac-ception que l'on donne à ce ter-me) en même temps que des scien-tifiques. L'idéologie mène en droi-te ligne au révisionnisme, à l'objec-

Marx en 1863.

tivisme bourgeois : Bernstein, enoffre un bel exemple. Ni Marx, niLénine, ni même Staline ne sontjamais allés jusque là. Un marxis-me purement scientifique est unecontradiction dans les termes puis-que le marxisme est en grande par-tie entaché d'erreur. Certes, la' no-tion même de marxisme (ou si l'onveut de dupontisme) est en soi nonscientifique. Cependant, avec letemps, Marx est devenu plusscientifique ainsi qu'en témoignentCapital III et la théorie des Pro-duktionspreise. Ce n'est pas unepetite affaire que de nier les fon-dements logiques de la théorie dela valeur-travail. C'est du révision·nisme caractérisé. Et dans ce ré·visionnisme Engels' est allé encoreplus loin en publiant ce manuscrit.Il est même allé si loin qu'il a nié lanécessité de la révolution violenteet qu'il a reconnu la fausseté de ladoctrine de la paupérisation abso-lue.Il serait peu flatteur pour le ni-

veau intellectuel d'un pays que lapublication de la traduction desGrundrisse y fût considérée commeun événement important. En toutétat de cause, ce n'est pas précisé.

ment là le type d'ouvrage qui faitpartie du « bagage de l'honnêtehomme du XX· siècle ». L'intellec-tuel moyen qui s'efforce honnête-ment de comprendre le monde ad;autres sujets de préoccupationaujourd'hui.

Les Russes racontent qu'à l'en·trée du cimetière de Highgate setrouve un petit musée où l'on mon·tre aux visiteurs deux, crânes pla.cés côte à côte : celui du vieuxMarx et celui du jeune Marx.L'histoire ne parle pas d'un troi·sième crâne.

Peter Wüestraduit de l'anglais par

Adélaïde Blasquez

1. M. Rubel (op. cit.) nous fournitun excellent index nominatif de tous lespassages sur l'aliéuation dans le Capitalen y incluant même les pages où le termen'est pas expressément cité.2. Cf. Politica1 Economy CoJ1uDunism,

par Peter Wiles, Oxford 1969, ch, 1, etKarl Marx Theorie von den intemationa-len Western, par G. Koh1mey, Berlin1962.3. in «L'Homme et la Société JO, jan-

vier-mars 1968.4. Cf. Karl Popper, the Open IOciety

and its ennemies, London D/I46-9, 311,321-6, 175-7.

La Quinzaine littéraire, du r ou 15 avril 1970 23

Page 24: Quinzaine littéraire, 92, février 1970

INFORMATIONS

L'histoire par la géographie

G.L.

Chez Maspero, Paul Lldsky analyse.dans les Ecrivains contre la Commune,toute une littérature née après 1871,sur les thèmes de la famille, du travailet de la patrie.

Dans la collection « Présence etpensée -, d'Aubler·Montaigne. parais·sent simultanément deux essais surNietzsche par Pierre Boudot: Nietzscheet l'au-delà de la liberté, Nietzsche etles écrivains français contemporains(signalons d'autre part que, danscollection «Médiations·Gonthier - estrééditée une des œuvres les plus lm·portantes du philosophe : le Crépus-cule des idoles).

L'Atlas historique, si son pri."est assez élevé - 240 F - est pré-senté avec un soin extrême. Lescartes visent moins à la joliessequ'à la lisihilité. Le grand nombrede planches, donc la répartition trèsfine des informations, a permis auxauteurs de ne pas charger chaqueplanche. Un commentaire accom·pagne, sous la :forme d'un volumeséparé, les relevés cartographiques.Il s'y ajoute le répertoire des lieux,dans lequel le plus modeste villageest traité avec la même vigilanceque les villes, ainsi que les généa-logies des :familles princières ouroyales, la liste des notables, despersonnalités. On aura compris quece travail n'a aucune relation avecle folklore, ou même avec une en·quête régionaliste. Il s'agit biend'une entreprise historique traitéepar des moyens originaux : rendrecompte du temps par les imagesde l'espace.

Chez Payot, dans la «Bibliothèquescientifique -, nous est proposée lapremière traduction française de l'ou-vrage éapital de celui qui est. avecSapir, le pionnier de la linguistiquestructurale américaine : le Langage,par Leonard Bloomfield.Psychiatre et psychanalyste. P.-C.

Racamier présente chez le même édi-teur, avec la collaboration des OrsLebovlci, Diatklne et Paumelle. undossier sur le rôle et les possibilitésde la psychanalyse en milieu Institu-tionnel : le Psychanalyste sans divan(collection «Science de "homme »).Signalons également, dans la collec-

tion «Connaissance de l'inconscient-,de Gallimard. un nouvel ouvrage deL. Binswanger : Psychanalyse freu-dienne et psychanalyse existentielle,et, aux Presses Universitaires deFrance, Freud et le problème du chan-gement. par Daniel Widlôcher (<< Biblio-thèque de psychanalyse») et la Con-naissance de l'enfant par la psychana-lyse, par Serge Lebovici et MichelSoulé.

et ses relevés -celui de la démo-graphie, de l'ethnologie, de la lin-guistique, de l'économie, de la cul-ture. De sorte qu'à suivre la suc-cession des planches ou leur che-vauchement, à les éclairer les nnespar les autres, à en modifier lescombinaisons, on ahoutit à sentir.d'une manière quasi.concrète, cettehistoire silencieuse qui est celledes longues durées. La Provences'étend devant nous comme unpaysage disponihle sur lequell'homme et les sociétés imposentpeu à peu leurs marques.

Jetons un coup d'œil sur ce pay-sage de Provence, à travers le pre-mier volume qui a été dirigé parEdouard Baratier, Jacques Duhy etErnest Hildesheimer. Nous voicitémoins du peuplement de l'espace.Après les cartes géologiques, la pré.histoire allume ici et là ses feux.installe, dans le vide de la nature.les premiers et rares établissementshumains. Dès lors, c'est toulel'aventure du peuplement qui sedéroule de carte en carte. Il n'étaitpas suffisant de montrer la mul-tiplication des hommes et des villes.Par une série de coupes dans letemps et dans la matière démogra-phique, c'est dans ses profondeurset ses nuances les plus suhtiles quece peuplement est présenté : cartesde pélerinages, les hôpitaux d'Aixen 1300, le tourisme à la fin duXVIIIe siècle, le tourisme en 1838.en 1869, les villages disparus, puisressuscités, l'origine (prégauloise.gallo-romaine) des noms, etc. • •••••••••••••••Investigation identique et peul-

être plus fouillée dans le champde l'économie. Une planche recenseles lieux d'origine de la clientèlede Jean Barral, drapier à Riez auxV< siècle. Le péage de Valensole,au XIV< siècle, fait apparaître lemouvement des personnes et desmarchandises comme d'autres car-tes enregistrent les circuits destroupeaux transhumants au XIV<siècle ou l'itinéraire du sel en 1405,la répartition des foires grandes etpetites, le réseau de commerce quecommande Marseille aux diffé-rents stades de son expansion. Lesrelevés de routes, de dechemins, de lignes de poste puisdes chemins de fer envahissent peuà peu les sols, montrent commentune région s'est inventée, à mesurequ'elle Inventait ses communica-tions. Ainsi sont explorées toutesles rubriques de ce que l'on appellehistoire non événementiellesphère religieuse judiciaire, cultu-relle, etc.

d'hui, à considérer les trois-cent-vingt-six cartes de la Provence, lesentiment s'impose qu'un travaildécisif est en cours et que l'Atlashistorique deviendra indispensableaux chercheurs, aux universitaires,aux bihliothèques mais aussi, pour-quoi pas, à tout homme culti"é.L'histoire traditionnelle avait

déjà recours aux cartes mais celles-ci n'avaient d'autre fonction qued'illustrer ou de clarifier l'exposi-tion des faits : emplacement desbatailles ou des cités, mouvementdes frontières, etc. L'Atlas histo-rique procède d'un tout autre souci.Bien loin· de rechercher une équi-valence graphique du texte histo-rique, les planches composent elles-mêmes le texte original de la ma-tière historique.L'Atlas fait bien entendu leur

part aux événements mais cette partdemeure secondaire. C'est à unniveau plus enfoui et plus diffusde l'enquête qu'il opère ses coupes

Edouard Baratie"Georges DuhyErnest HildesheimerAtlas historique : Provence,Comtat, Orange, Nice, Monaco326Armand Colin éd., 240p.

Une carte de l'Atlal

Raconter l'histoire d'un payspar le moyen de sa géogra-phie, voilà la gageure quetient l'Atlas historique dont lepremier volume (Provence,Comtat, Orange, Nice, Mona-co) paraît aujourd'hui. Trente-six volumes suivront p.our ac-complir· un identique déchif-frement du passé des autresrégions françaises.

Une telle œuvre faisait défautaux historiens qui la réclamaientdepuis des dizaines d'années, lesrares ouvrages de cette espèce déjàpubliés étant démodés, insuffisantsou limités dans le temps. Auiour-

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TBÉATRB

1Bourgeade, Arrigoet LavelliOrden

. Tréteaux France

Les - commandos du Christ-Roi -, qui vinrent naguère cha-huter les représentations du Vi-caire, sous prétexte de défen-.dre le Pape - outragé -, auraienteu plus de' raison encore des'en prender à Orden. C'est unréquisitoire impitoyable contrel'Eglise li catholique, phalangis-te, apostolique, fasciste et r0-maine -, et il est dommage'qu'on n'ait pas songé à organi-ser à l'occasion de ce spectacleune soirée de gala en l'honneurde M. Lopez Bravo, ministre desAffaires étrangères de Franco,cordialement reçu, l'autre jour,à Paris, par l'actuel gouverne-ment de la république française.Mais la dénonciation du fas-

dsme espagnol (et la leçonqu'elle comporte) ne serait pasaussi forte si le spectacle danssa forme, n'était aussi exemplai-re. Il fera date, sans nul doute,dans l'histoire des formes duthéâtre contemporain, aussibien dramatique que lyrique,puisque cette sorte d'opérarend soudain anachronique ladistinction entre Jes deux. Ja-mais les structures musicales(orchestrales et vocales) n'au-ront été à ce point intégréesaux structures scéniques, pourdonner une œuvre d'une prodi-gieuse unité,' dont les auteurs,Pierre Bourgeade pour le livret,Girolamo Arrigo pour la musi-que, et Jorge Lavelli pour le tra-vail scénique, semblent ne fairequ'un.Dix lignes de La Rose rose,

de Bourgeade, sont à l'originede l'œuvre : Or, l'Espagneflamba. Des gueules olivâtresapparurent la. première pagede Paris-Soir. Franco, Mola, So-telo. Des évêques surchargésd'émeraudes bénirent les mau-sers neufs.;. De lentes proces-sions sortirent des églises...,hérissées de croix et de fusils.Les soldats mirent un genou enterre. Les evêques bénirent lesfusilleurs. Le Christ-Roi étenditles bras vainqueurs d'un douzecent mille assassinés. La mortrégna. Viva la Muerte ! -..Ces phrases se sont faites

images scéniques, mais desimages si fortes que, d'emblée,nous saisissons que ce specta-

Ordencie ne dit pas seulement le dé-roulement historique de l'avé-nement du franquisme, maisqu'il donne à rèssentir dans no-tre chair <;e que signifiel pournous autres contemporains, uncertain qui tend à s'éta-blir dans l'Europe. Il règne aus-si (le texte nous le dit) à Athè-nes, à Prague, à Moscou, à lis-bonne, à Budapest, à Paris. Lesens est clair, comme est clairle combat auquel nous incite cespectacle militant qui a su trou-ver leur langage scénique sim-ple, universel et physique.Simple, parce qu'à l'encontre

d'une dramaturgie à la mode quise plaît à'manipuler savammentle temps, l'espace et les diffé-rents modes du récit (voir Gat-ti), ce spectacle se fonde surune ligne dramatique toute sim·pie qui suit, dans sa 'chronolo-gie, l'instauration de l'ordrefranquiste. Universel, ,parce quele texte, réduit à quelques indi-cations, slogans, hymnes et can-tiques, et discours du pape etdes chefs phalangistes avecleur paraphrase, se dit successi-vement en français, espagnol,italien et.allemand, ce qui, enrendant ce spectacle lisible par-tout, impose en même tempssur la scène une de lita-nie : Illturgie envoûtante jus-qu'à l'obsession.

Langage physique surtout,car tout est dit, finalement, parles actions gestuélles que lamusique, en les sublimant, por-te à leur degré le plus haut d'in-tensité et de signification. Tousles créateurs quj se sont poséle problème du théâtre lyrique,que ce soit, en leur temps, Wag-ner, Debussy ou Alban Berg,ont tenté d'intégrer davantagela musique à l'action dramati-que, mais ils restaient prison-niers de la dichotomie inhérenteaux structures de l'opéra, avec,sur la scène, messieurs-damescantatrices èt chanteurs faisantsemblant d'être des comédienset, dans la fosse, des instrumen-tistes habillés en pingouins. Ici,en dehors de la musique surbande, qui constitue le lieu mu-sical de l'action, la musique surscène est intégrée' physique-ment au jeu. Chanteurs et instru-mentistes (trombones, violon-

contrebasse, percussion,mandolines). au coude à coudeavec les comédiens, et dans la

même tenue qu'eux, -le battle-dress -, sont engagés avec euxdans toutes les actions scéni-ques. Ces comédiens eux-mê-mes, jouant tour à. tour les fas-cistes et les républicains -li tragique et anonyme absurdi-té de la guerre -, commententles auteurs -, touchent desins-truments, psillmodient, vocali-sent, jouant musicalement dessons et des bruits qu'ils émet-tent, cependant que le chef d'or-chestre, lui aussi devenu acteuren battle-dress, conduit une ac-tion qui est, d'abord, musicale :«quatuor de trombones tradui-sant l'explosion de la guerre cl·vile, mandolinès désaccordéesexprimant l'extermination d'unpeuple -.

Jorge Lavelli, dont on a pu dé·plorer les concessions à l'esthé-tisme parisien, a réglé cette ac-tion scénique- pluridimenslon-nelle -, avec cette sorte degé-nie rigoureux qu'on avait admi-ré dans les mises en scènes deGombrowicz. Admirable de dé·pouillement, refusant tout ce quiest maniérisme, accessoire oubaroque, ce spectacle tourne ledos aux gesticulations complai-santes et gratuites dans les·quelles on donne volontiers au-jourd'hui, en invoquant un Ar·taud usurpé. Ici tout mouve-ment signifie, tout se lit immé-diatement à travers une cons-truction simple de mouvementsfortement articulés.On n'Oubliera jamais la super-

position visuelle et sonore dudéfilé phalangiste chantant sonhymne et d'une procession re·traçant le - Venl Creator - ce-pendant que les' deux cortègesse fondent lentement l'un dansl'autre, pas plus que cet unisson

obsessionnel naissant d'un bruitde culasses de fusils d'aborddésordonné, et demandant aumartèlement des bottestes de lui faire contrepoint. pasplus qu'on n'oubliera ces fusilsdistribués comme les hosties àla Communion, par une marion-nette ecclésiastique dont legeste de plus en plus frénéti-que dans son automatisme, tra-duit dan.s un crescendo saisis-sant son plaisir hystérique à lapensée du massacre prochain.On oubliera encore moins lesimages finales, presque insoute-nables, ce pape parcourant lecharnier, vieil oripeau .atroce,corps racorni, accoutré d'undessus de lit blanc et sale, ma-rionnette que promènent et ma·nipulent deux phalangistes en latenant par les fesses, et quiagonise sur la scène dans desconvulsions d'ataxique, cepen·dant que des enfants de chœurà voix de femmes chantent enpiaillant la gloire de Dieu :ima-ge d'une Eglise qui a tué sonâme, à bénir et glorifier la vic-toire de l'horreur.

Bref, voilà un spectacle quiindique la voie d'une dramatur·gie nouvelle, spectacle d'aglt-prop mobile et sanS luxe et lisi-ble en tous pays, mais se haus-sant au rang d'admirable œuvred'art, c'est-à-dire d'une œuvrecapable de parler un langageQui s'impose de façon souverai-ne à l'Esprit et aux sens, et denature à mettre en branle notreunivers imaginaire jusqu'à nousdonner, en sortant de là, le dé-sir d'agir, ce qui est peut-être,finalement, la raison d'être taplus haute de l'œuvre d'art.

Gilles Sandier

. La Quinzaine littéraire, du 1" /lU 15 avrü 197(J" 25

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COLLECTIONS

Les Grandes vaguesrévolutionnairesCalmann-LéV)'

Un petit garçon à qui on demandaitce que c'était qu'une révolution, ré-pondait: « Une révolution, c'est quandil se passe quelque chose.• La collec-tion des «Grandes vagues révolution-naires. c'est, au fond, l'histoire des«temps forts. (et violents) de l'hu-manité, la crête des flots dominantla bonace de l'histoire «non-événe-mentielle •. En quinze volumes, cettecollection se propose de condenser lemouvement même de l'histoire, de sai-sir les minutes de vérité où les por-tes du destin des sociétés tournentsur leurs gonds.

On retrouve dans les six premiersvolumes parus les principes qui gou-vernent l'organisation de l'ensemble.Les facilités contestables de la vulga-risation et les prétentions jargonnan-tes du pédantisme sont évitées avecsoin. Le «découpage. domine tou-jours les frontières étroitement politi-ques: ainsi, Robert Mousnier embras-se dans Fureurs paysannes - Lespaysans dans les révoltes du XVII'siècle (France, Russie, Chine) l'en-semble des révoltes agraires de cesiècle houleux, des Croquants et Nu-pieds de France aux insurgés de Bo-lotnikov'et de Stenza Razine en Rus-sie et aux «bandits errants. de laChine des Mings (voir le numéro 55de la Quinzaine). De même, c'estdans une optique universelle que Ro-bert Palmer analyse dans 1789 - les

Révolutions de la liberté et de 1'6g.lité, non seulement les causes pro-fondes et immédiates du phénomènerévolutionnaire français, mals aussison impact en Europe et en Amériqueet le pouvoir persistant de sa chargeexplosive en d'autres lieux et à d'au-tres époques.

De son côté, l'historien allemandErnst Nolte ne limite pas son histoiredes Mouvements fascistes à celle deMussolini et de Hitler, mals s'attacheà nous faire revivre l'ensemble decontre-révolutions fascistes e n t r e1919 et 1945 dans toute l'Europe.C'est dans le même esprit et la mê-me perspective què Jean Sigmann,dans le dernier volume paru de la col-lection : 1848 - Les Révolutions roman-tiques et démocratiques de l'Europe,souligne l'extrême complexité' desidéologies auxquelles celles-ci se rat-tachent et s'efforce d'en expliquer .lescontradictions.

Cet «angle de prise de vue. dela collection se retrouvera dans lesouvrages en préparation, comme lesSoldats du peuple au pouvoir, oùPierre Rondot étudie les révolutionsmilitaires dans 'les .pays afro-asiati-ques d'aujourd'hui, ou dans l'histoiredes Colons révoltés où Pierre Chaunune limite pas artificiellement le phé-nomène de sécession de la métro-pole aux seuls colons d'Amérique duNord mais dresse une fresque et ap-profondit une théorie aux dimensionsmême d'un continent, ou encore dansl'étude que Brian Manning consacreà la Révolution puritaine anglaise aux

XVI' et XVII' si6cles, la replaçant dansle contexte des révolutions européen-nes de l'époque.

Ce refus délibéré et fructueux d'unehistoire à corset et à frontières quiprétendrait enfermer les vagues dansles tiroirs, s'accompagne d'une extrê-me attention portée aux suites histo-riques des grands mouvements étu-diés. Raconter et analyser comme lefait Paul Akamatu la révolution Meijidu Japon, c'est nous amener à voirvivre le Japon depuis l'ouverture deses frontières, il y a un siècle, jusqu'àl'inauguration de l'Exposition d'Osakaaujourd'hui; c'est nous faire compren·dre, du même coup, les origines d'undéveloppement économique sans pré-cédent et les difficultés politiques ac-tuelles d!J Japon contemporain. Lors-que Ch. P. Fitzgerald décrit révolutionde la Chine des Mandchous à MaoTse-Toung, c'est l'enchaînement né-cessaire de toutes les révolutions chi-noises du XX' siècle qu'il explique,c'est la spécificité même d'un phéno-mène révolutionnaire marqué par J'al-liance fondamentale des lettrés etdes paysans, ces « deux roues essen-tielles de la carriole chinoise'. qu'ilanalyse hier et aujourd'hui.

Les auteurs de la collection démon-trent que l'on peut être à la fois unhistorien spécialiste et un écrivainincisif et vivant; qu'un Américain,comme le professeur Palmer, de Prin·ceton, peut éclairer d'un jour nouveaula révolution française de 1789 et re-nouveler l'optique du lecteur françaissur ce point, et qu'un Français, le pro-

fesseur Pierre Chaunu peut apporter,en revanche, des vues nouvelles surla guerre d'indépendance américaine;qu'une telle entreprise peut à la folsintéresser tout homme cultivé et ani-mer la réflexion des spécialistes.

Notons que les éditions Calmann-Lévy viennent de signer un contratavec l'éditeur américain Harpers andRow' .pour l'ensemble des volumesqui, 'aux Etats-Unis, seront publiés si-multanément au format traditionnel etau format de poche. C'est là une réus-site dont on ne peut que féliciter lespromoteurs de la collection car ellerépond à son principal objectif, prou-vant qu'il est possible d'en finir' avecle fossé qui sépare la culture univer-sitaire de celle de l'homme moyen,l'isolationnisme culturel de la Francedes grands courants d'idées interna-tionaux.

Ouvrages à paraître :Les Soldats du peuple au pouvoir •Les révolutions militaires dans lespays afro-asiatiques au XX· siècle, parPierre Rondot.Ongles bleus, Jacques et Clompl • Lesrévolutions populaires en Europe auxXIV' et XV' siècles, par Michel Mollotet Philippe Wolff.Les Fantassins de l'Apocalypse - Lesrévolutions des opprimés au temps dela Réforme (XV· et XVI' siècles), parHans J. Hillerbrand.La Révolution puritaine anglaise auxXVI' et XVII' siècles • Guerres de reli-

par Georges Perec

Ces titres honorifiques supplémentaires sont bien davantageque de simples marques de respect. La coutume veut en effet quedivers privilèges soient attachés aux noms. Les Athlètes Classés(c'est-à-dire ayant au moins un nom) ont le droit de se déplacerlibrement dans le Stade Central. Ceux qui ont deux noms (parexemple Amstel-Jojones. 3" aux 100 m de Nord-Ouest W, ex cham-pion olympique du 100 m) ont droit à des douches supplémentaires.Ceux qui ont trois noms (par exemple Moreau-Phister-Casanova12 cd du 400 m W, 3" du 400 m W-No'rd W, vainqueurde l'Atlantiade) ont droit à un entraîneur particulier (que l'onappelle l'Obertschrittmacher, c'est-à-dire l'Entraîneur Général, sansdoute parce que le premier à avoir occupé ce poste était allemand).Ceux qui ont 4 noms ont droit à un survêtement neuf, etc.

Les lois du sport sont des lois dures et la vie W les aggraveencore. Aux privilèges accordés, dans tous les domaines; auxvainqueurs, s'opposent, presque avec excès, les vexations, leshumiliations, les brimades imposées aux vaincus; elles vont par-fois jusqu'aux sévices, telle cette coutume, en principe interdite,mais sur laquelle l'Administration ferme les yeux, car le publicdes stades y est très attaché, qui consiste à faire accomplir audernier d'une série un tour de piste au pas de course avec seschaussures mises à l'envers, exercice qui semble bénin au pre-mier abord, rnais qui est en fait extrêmement douloureux et dontles conséquences (meurtrissures des orteils, ampoyles, exulcéra-

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tionsdu cou-de-pied, du talon, de la plante) interdisent pratique-ment à sa victime d'espérer obtenir un classement honorable dansles compétitions des jours suivants.Plus les vainqueurs sont fêtés, plus les vaincus sont punis, com-

me si le bonheur des uns était l'exact envers du malheur desautres. Dans les courses de routine - championnats de classe-ment, championnats locaux - les fêtes sont maigres et les châti-ments presque inoffensifs: quelques lazzi, quelques huées, quel-ques brimades sans importance à la limite des gages imposé,s auxperdants dans les jeux de société. Mais plus les compétitionsdeviennent importantes, plus l'enjeu prend de poids, pour les unscomme pour les autres : le triomphe réservé au vainqueur d'uneOlympiade, et plus particulièrement à celui qui aura gagné lacourse des courses, c'est-à-dire le 100 m, aura pour conséquencela mort de celui qui sera arrivé le dernier. C'est une conséquenceà la fois imprévisible et inéluctable. Si les Dieux sont pour lui, sinul dans le stade ne tend vers lui son poing au pouce baissé, ilaura sans doute la vie sauve et subira seulement les châtimentsréservés aux autres vaincus; comme eux, il devra se mettre nuet courir entre deux haies de Juges armés de verges et de-cravaches; comme eux, il sera exposé au pilori. puis promenédans les villages un lourd carcan de bois clouté au cou. Mais si unseul spectateur se lève et le désigne, appelant sur lui la punitionréservée aux lâches, alors il sera mis à mort; la foule tout entièrele lapidera et son cadavre dépecé sera exposé pendant trois joursdans les villages. accroché aux crocs de bouchers qui pendentaux portiques principaux, sous les cinq anneaux entrelacés, sousla fière devise de W - Fortius Altius Citius - avant d'être jetéaux chiens.De telles morts sont rares. Leur multiplication en rendrait l'effet

presque nul. Elles sont traditionnelles pour le 100 rn des Olympia-des, elles sont exceptionnelles pour toutes les autres disciplines

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gion en France - La révolution d'indé-pendance hollandaise, par Brian Man-ning.Les Colons révoltés - Les révolutionsd'indépendance des Amériques auxXVIII' et XIX' siècles, par Pierre Chao.·nu.La Révolution mexicaine, par FrançoisChevallier.Les Courants révolutionnaires en Eu·rope, de la Commune à 1903, parMiklos Molnar.

1940-1944 • Vichy - La dernière contre-révolution française, par Stanley Hoff-mann.1917·1921 • Les Soviets • Les révolu-tions bolchéviques de l'Europe enguerre, par François-Xavier Coquin.

Les Cheminsde l'impossibleAlbin Miohel

Une nouvelle collection vient d'êtreinaugurée sous ce titre chez AlbinMichel. Consacrée à des essais et desétudes aux frontières du fantastique etde l'ésotérisme, elle s'efforcera de re-constituer en un tableau d'ensembletoutes ces théories et traditions se-crètes qui, en tous temps et en touspays, furent combattues et condam-nées parce Qu'elles rompaient en vi·sière avec la science, la philosophieet la religion officielles.

LES REVUES

Europe

(N° 490491). - Alexandre Dumasest en vedette dans cette livraison:à côté de témoignages d'intérêts trèsdivers, des études sérieuses commecelle de' M. Maurice Bouvier-Ajamsur les méthodes de travail de Du-mas. Texte curieux de Jean Thibau-deau sur Les Trois' Mousquetaires,très riche et peut-être du point devue .. tel quellien - un tout petit peuhérétique.

Les Temps Modernes

(N° 283). - C'est le génocide duBiafra Qui forme l'ossature de ce nu-méro avec cette phrase cruelle de Ri-chard Marienstras: • N'empêche qu'ilne faut pas prononcer le mot • géno-cide .. : il s'agit de cas individuels,c'est un regrettable accident qu'on vas'employer à réparer au mieux Coo) etpuis, n'est-ce pas, personne n'a voulucela. C'est vrai: on a seulement vouluréduire les Biafrais à ce qu'ils sontdevenus. On a réussI. .. Pour suivre, untexte du Groupe du 22 mars sur ceQu'on a appelé .. le complot anarchisteen Italie -. Enfin, une étude réjouis-sante sur le mensuel .. Lui -.(Mars 1970). - En matière de gé-

nocide, en 1970, on a l'embarras duchoix: après le Biafra (dans ce numé-ro, le témoignage d'un médecin), l'ex-termination des Indiens d'Amériquelatine. Un spécialiste des questionscolombiennes, Michel Perdriel. témoi-one: c'est dans l'indifférence du

.. monde civilisé» Que le massacres'organise. Comme le dit en substan·ce M. ·Perdriel. après tout, Qu'est·cequ'un Indien? Moins qu'un bébé pho-que. Un lndien, on ne peut pas se lemettre sur le dos... D'autre part, lesrévisions du communisme dans diverspays sont étudiées d'assez près.

La Passerelle

(N° 1). - Nouvelle revue trimes-trielle conçue, dirigée, écrite et pu-bliée par Pierre Béarn.

Le Point d'être

(N° 1). - Encore une jeune revuede poésie. Eclectique dans son esthé-tique, elle mêle poètes connus et dé-butants. On remarquera des textes deJean Laude, Robert Marteau, MiodragPavlowitch (traduit· par Marteau),Georges Badin, Oleg .Ibrahimoff, Ber·nard. Noël et Jean-Louis Chrétien.

J.W.

Les méfaits de la oensure

Par arrêté du ministre de l'Intérieur,le 6 mars, le livre de Carlos Mari·ghela Pour la libération du Brésil,paru dans la collection .. Combats -,aux éditions du Seuil, a été interdit àla vente. Leader des guérilleros bré·siliens, Carlos Marighela a été abattuen novembre 1969.

LETTRESA LA QUINZ AIN E

Wyndham LewisJe regrette de n'avoir pu prendre

connaissance plus tôt du no 91 de laQuinzaine puisque M. Lafourcade a eul'amablité d'y discuter mon petit arti-cle sur Wyndham Lewis. En 1909,Lewis a effectivement publié une nou-velle intitulée The Pole dans le nu-méro de mai de The English Review.mais ces data bibliographiques, bie",étudiés dans la revue dont je rendaiscompte n'étaient pas utiles dans· unarticle d'une colonne et demie. SiKandinsky n'a pas collaboré à Blast,je déplore par contre mon erreur;je reprenais là une informàtion don-née dans Agenda, page 90.Quant aux livres en question, je

les ai lus, pour le compte du mêmeéditeur que M. Lafourcade, et nousdivergeons sur leur sens comme ausujet de l'engouement passager deLewis pour le fascisme; jé crois,ainsi que l'a rappelé Julian ISymonsdans. le !-ondon Magazine, que cela.. avait commencé avec un livre surHitler en 1931 et continué jusqu'en1937 avec Count your dead »; les dé·négations de The Jews Are They Hu-man et de The Hitler Cult au momentoù éclatait la guerre ne me semblentni recevables ni dénuées d'équivoque,et je donne raison aux collaborateursd'Agenda de n'avoir pas entrepris deles discuter. Une controverse seraitvaine : nous accordant sur le géniede Lewis, M. Lafourcade a le droitd'être en désaccord avec le fond demon article.

Serge Fauchereau

et pour toutes les autres compétitions. Il peut arriver, certes,que le public des stades, ayant mis taus ses espoirs dans unAthlète, soit déçu par la médiocrité de sa perfor-mance et e /vienne à l'assaillir, généralement en le bombardant àcoup de illoux ou de projectiles divers, fragments de mâchefer,débris acier, culs de bouteilles, dont certains peuvent se révéler

dangereux. Mais, la du temps, les Organisa-.téurs s'opposent à de telles voies de fé!it et interviennent pourprotéger la vie des Athlètes menacés.Mais l'inégalité des traitements réservés aux vainqueurs et aux

vaincus n'est pas, loin de là, le seul exemple d'une injÜstice systé-matique dans la vie W: Ce qui fait toute l'originalité de W, ce quidonne aux compétitions ce piment unique qui fait qu'elles ne res-semblent à aucune autre, c'est que, précisément, l'impartialité desrésultats proclamés, dont les Juges, les Arbitres et lesmétreurs sont, dans l'ordre de leurs responsabilités, lesimplacables garants, y est fondée sur une injustice organisée,fondamentale, élémentaire, qui, dès le départ, instaure parmi lesparticipants d'une course ou d'un concours une discrimination quisera le plus souvent décisive.Cette disçrimination institutionnelle est l'expression d'une poli-

tique consciente et rigoureuse. Si l'impression dominante que l'onretire du spectacle d'une course est celle d'une totale injustice,c'est que les Officiels ne sont pas opposés à l'injustice. Au contrai-re, ils pensent qu'elle est le fermel1t le plus efficace de la lutteet qu'un Athlète ulcéré, révolté par l'arbitraire des décisions, parl'iniquité des arbitrages, par les abus de pouvoir, les empiètements,le favoritisme presque exagéré ·dont font preuve à tout instant lesjuges, sera cent fois plus combattif qU'1J1 Athlète persuadé qu'il -a mérité sa défaite.Il faut que même le meilleur ne soit pas sûr de gagner; il faut

que même le plus faible ne. soit pas sfr de perdre. Il faut que

La littéraire, du 1" au 15 avril 1970

tous deux risquent autant, attendent avec le même espoir insenséla victoire, ·avec la même terreur indicible la défaite.La mise en pratique de cette politique audacieuse a abouti à

toute une série de mesures discriminatoires que l'on peut, grossiè·rement, classer en deux groupes principaux: les premières, quel'on pourrait appeler officielles, sont annoncées au début desréunions; elles consistent généralement en des handicaps, posi-tifs ou négatifs, qui sont imposés, soit des Athlètes, soit à deséquipes, soit même, parfois, à tout un village. Ainsi, par exemple,lors d'une rencontre W contre Nord-Ouest W (c'est-à-dire une ren-contre de sélection), l'équipe du 400 m W (Hogarth, Moreau etPerkins) peut avoir à courir 420 m, alors que l'équipe Nord-Ouest W(Friedrich, Russell, De Souza) n'en aura que 380. Ou bien,. dansles Spartakiades par exemple, tous les concurrents d;Ouest-Wseront pénalisés de 5 points. Ou bien encore, le 3" lanceur de poidsde Nord-W (Shanzer) aura droit à un essai supplémentaire. .Les secondes mesures sont imprévis!bles; elles sont laissées

à la fantaisie des Organisateurs, et particulièrement des Direc-teurs de Courses. Le public peut également, mais dans une bienmoindre mesure, y participer. L'idée générale est d'introduire dansune course ou dans un concours, des éléments perturbateurs qui,tantôt, minimiseront les effets des handicaps de départ et, tantôt,les accentueront. C'est dans cet esprit que les haies des coursesd'obstacles sont parfois légèrement déplacées pour un des concur-rents, ce qui lui interdit de les franchir dans la foulée et l'obligeà un piétement qui s'avère souvent désastreux pour sa perfor-mance. Ou bien, au plus fort d'une course, un arbitre fallacieuxpeut parfois crier STOP: les concurrents doivent alors s'immobi·liser, se figer en plein élan dans une posture généralement insup-portable et c'est celui qui tiendra le plus longtemps qui sera pro-clamé vainqueur.

(à suivre)

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Page 28: Quinzaine littéraire, 92, février 1970

Livres publies du 20 •xeVrler au 5 Dlars

Roger AyraultGenèsedu romantismeallemandÀubier-Montaigne,576 p., 49 FL'évolution dece mouvementlittéraire etphilosophique sousl'égide de F. Schlegel,de Novalis,de Schleirmacher etde Schelling.

Bertrand RussellAutobiographie III(1944-1967)Traduit de l'anglaispar M. BerveillerStock, 296 p., 27 FVoir les nO' 32 et 86de la Quinzaine.

Jules MochRencontres avecLéon BlumPlon, 384 p., 27,50 FA l'occasion duvlngt-einqulèmeanniversaire de la mortde Léon Blum.

Phllllp KnlghtleyColin SimpsonLes vies secrètesde Lawrence d'ArableTrad. de l'anglaispar P. et R. Olcina16 p. de photosLaffont, 416 p., 28 FUne biographie trèscomplète, appuyéesur des d.ocumentsinédits, et notammentsur les archivespersonnelles deLawrence.

Jacques BergierAdmirationsCh. Bourgois, 320 p.,20,40 FUn essai critique surdix écrivainsfantastiques, pourla plupart totalementinconnus en France.

caITU.U.HISTOIR.LITT.RAIR.

Jean de PangeJournal, tome IIIGrasset, 480 p., 32 FSouvenirs des années1934, 1935 et 1936.

• Jacques BrennerLes critiquesdramatiquesFlammarion, 264 p.,20 FLa petite histoirede la critiquedramatiqueen France, depuisla querelle du Cidjusqu'à nos jours.

L. Gabriel-RobinetUne vie de journalisteGrasset, 240 p., 22 FSouvenirs et réflexionspar l'actuel directeurdu • Figaro -.

T. Quinn CurtissErich von StroheimPréface de René ClairFrance-Empire,300 p., 19,40 FUne biographiecomplète,par le critiquedramatique de• L'International HeraldTribune -.

et préfacépar A. BosquetGallimard, 140 p.,15,75 F.

Guillaume ApollinaireLes onze millevergesL'Or du Temps,226 p., 24,50 F.

Georges BernanosLa France contreles robotsPlon, 320 p., 22,50 F.Nouvelle éditionaugmentée de nombreuxInédits.

PouchkineLa Dame de Piqueet autres nouvellesTraduction et notesde Jean SavantIntroduction,chronologie,bibliographiepar Gilbert SigauxGarnier, 368 p. 9,95 F.

• Marcel JouhandeauGallimard, 144 p.,La PossessionJournaliers XIV11,75 F.

BIOGRA.HIES

• Alexandre HerzenLettres inéditesà sa fille OlgaIntroduction et notespar A. ZviguilskyPublié avec le concoursdu C.N.R.S.12 pl. et 2 fac-similede lettres hors-texteLibrairie desCinq Continents, 91 p.,19,60 FUne correspondanceinédite, qui éclairecertains aspectsdu révolutionnaireméconnurusse.

• Vasko PopaLe ciel secondaireAdapté du serbo-croate

Jean PérolRupturesGallimard, 168 p.,21,25 F.

Claude PélleuCe que dit la bouched'ombre dans lebronze.étolled'une tête,suivi de Dernièreminute électrifiéeSoleil Noir, 172 p.,14,90 F.

• Miodrag PavlovitchLa voix sous la pierreTraduit du serbo-croateet préfacé parRobert MarteauGallimard, 184 p.,14,75 F.

Jean-Pierre GaxieGraffitesSeuil, 160 p., 16 F.Vingt-cinq textesd'un jeune écrivainsur l'enfance, lessouvenir, l'énigmede notre présenceau monde et des motsqui tentent dela cerner.

PO*SI.

Thomas WisemanLe mort et le vifTrad. de l'anglaispar Jean AutretStock, 384 p., 28 F.Un roman qui a pourcadre Vienne, desannées 25à l'occupation nazieet à la défaite.

par L. SauzayStock, 296 p., 26 FPar l'auteurde • Sparkenbroke -,un roman-documentparu en 1919 etinterdit alors parl'Amirautébritannique.

Alain Bosquet100 notes pourune solitudeGallimard, 112 p., 19 F.

• Vouk VoutchoLes voleurs de feuTraduit duserbo-croatepar V. Balvanovlcet J.-L. Faivre d'ArcierSeuil, 240 p., 18 FPremier roman: lachronique légendaired'un petit villagedes Balkans auXVIe siècle.

Matho VoltollnL'arc-en-clelsuivi deL'école des MantesJulliard, 320 p., 20 FUn roman qui a pourthème l'absurde dela vie quotidienne etla nostalgie. desparadis perdus.

• William GassAu cœur du cœurde ce paysTrad. de l'américainpar Elisabeth JanvierColl. • Pavillons -Laffont, 296 p., 20 FUn recueil denouvelles dansla traditionde Faulkner.

27 F. Une sorte de« roman-feuilleton1970 -, dont lespersonnages sontdes • antl-héros - typede notre temps.

William MalliolUn tueur en enferTrad. de l'anglaispar J. G. ChauffeteauStock, 246 p., 28 FL'épopée dérisoired'un «Marine -, dansl'enfer de la guerre deCorée.

P.J. FarmerOseTrad. de l'américainpar P. Versins etM, RenaudLaffont, 224 p., 15 FUn nouveau romande science-fictiondans la collection• Ailleurs et demain-.

.Ferreira de CastroMourir peut-êtreTrad. du portugaispar G. Tavarès-BastosGrasset, 312 p., 24 FLe récit d'uneexpédition ethnologiqueau cœur de la• selva - brésilienne.

Charles MorganLe carrédes MidshipsTrad. de l'anglais

ROMAIiS.• TRAIiGBRS

• F. XenakisElle lui diraitdans l'ileLaffont, 104 p., 12 FUn court récitfortement marquépar l'actualité et quiévoque un universconcentrationnaireà la mesure de notretemps.

Simone SalgasLa toupieJulliard, 256 p., 18,40 FLe jeu des forcesde vie et des forcesde mort.

Denys ViatLe cœur enbandoulièreGallimard, 144 p.,11,75 FUne premier romanà travers lequelaffleure la nostalgied'une nouvelle formede romantisme.

Roger RudigozArmande ou le romanJulliard, 224 p., 15,40 FPour écrire un roman,un homme réunit desamis dont il veut faireses personnages maisceux-ci se prennentau jeu...

Jacques RobertLa dragée hauteJulliard, 288 p., 20 FLa fascinationde l'amour impossible.

M. PlanchonAcajouLaffont, 304 p., 18 FUn roman qui a pourcadr la forêt duSud-Camerounais.

R. MinoretD. VezollesLa fuite en ChineCh. Bourgois, 160 p.,15,40 FUn roman-cigogne quitient de l'Idéogrammeet du jeu d'échecs.

Philippe NiteroyNaissances vénitiennesJulliard, 272 p., 20,40 FPremier roman: unhomme et une femmedans Venise, à lapoursuite de leursillusions.

François VigourouxLa nuit, les miroirsCh. Bourgols, 368 p.,

• Loys MassonDes bouteillesdans les yeuxPrécédé de • Esquissed'un portrait deLoys Masson -, parClaude RoyLaffont, 368 p., 20 FSept nouvellesposthumes parl'écrivain récemmentdisparu.

W. Bradford HuleLes hommes du KlanJulliard, 480 p., 25,50 FUn roman-documentsur le Klu-Klux-Klan.

Alain GuérinComplémentsau portraitd'Anita G.Ch. Bourgols, 136 p.,15,40 FPar l'auteur du• Général Gris - etde «Un bon départ-.

Anne GermainUn amourfantastiqueElisabethMarescot éd.,lithographie deLéonor Fini340 p., 24 FUn romanmi-fantastique,mi-policier qui serabier.ltôt adaptépour l'écran.

Annette FerrièreLe squelettede KazanPremier roman:l'entrée dans la vied'une jeune fillede 20 ans, pendantles années 50.

Nablle FarèsVahla, pas de chanceSeuil, 160 p., 16 FLe premier romand'un jeune Algérien:une éducationsentimentale à Paris,à la fols en margeet dans la révolutionalgérienne.

Bernard ClavelLe tambour du biefLaffont, 336 p., 18 FPar le Prix Goncourt1968 (voir le n° 62de la Quinzaine).

Alain BosquetL'amour àdeux têtes .Grasset, 208 p., 16 FLe roman d'amour dedeux intellectuels quetout sépare hormisune commune quêtede la fraîcheur.

François AuglérasUn voyageau Mont AthosFlammarion, 288 p.,18 FPar l'auteur du• Vieillard et l'enfant-(Minuit) etd' • Une adolescenceau temps duMaréchal - (Bourgols).

___1IIIIIIII • Robert LebelaOMAIiS L'olseeu caramelr&AliçAIS Soleil Noir,

180 p., 17,90 FQuinze nouvellesfantastiques.

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Page 29: Quinzaine littéraire, 92, février 1970

Olivier Guichardl'éducation nouvellePlon, 124 p., 12,30 FLe point de vuedu ministrede l'Education nationale.

.Bernard Granotierles travailleursimmigrés en FranceMaspero, 276 p., 18,10 FUne étude d'ensembleà travers laquellel'auteur tentede définir le sensde l'immigration au seinde la société capitalistefrançaise.

• Roger GaraudyToute la véritéGrasset 200 p., 12 FUn ouvrage de réflexionsur la situationdu communismeen Franceet dans le mondeet sur les perspectivesd'un • renouveauprofond " du P.C.

• Ricardo Ramirezlettres du frontguatémaltèqueTrad. de l'espagnolMaspero, 224 p., 9,50 FPar un vétérande la guérilla,un ensembJe de textessur la pratiquerévolutionnaireen Amérique latine.

A. Teissier du CrosJ..J. Thiébaultle couragede dirigerColl. c Usine nouvelle "Laffont, 344 p., 18 Fle premier d'une sériede dossiers qui serontconsacrésau managementfrançais.

• Alexandre DubcekDu printemps à l'hiverde PraguePréface de M. TatuColl. • En touteliberté"Fayard. 236 p., 25 F14 discourssur la réalitétchécoslovaque,éclairés par un portraitde Dubcekdû à l'erivoyé spécialdu • Monde " pendanttoute cette période.

• Morvan LebesqueComment peut-on êtreBreton? Essai surla démocratiefrançaiseSeuil, 240 p., 18.FLes nationalismesprovinciaux et,de façon générale,l'idée nationalepour un Françaisd'aujourd'hui.

POLITIQUB.CONOMIB

résistance des Juifsen France, de 1939 à1945.

Jean MatratOlivier CromwellHachette, 256 p., 24,50 FLes grandes luttesreligieuseset politiquesdont Cromwellfut l'arbitre.

Gilbert Catyl'Europe technologiqueA. Colin/U 2Etude des diversestentatives qui ont viséà élaborer unepolitiquescientifiqueeuropéenne.

Samir AminC. Coquery-YidrovitchHistoire économiquedu Congo - 1880-19683 cartesAnthropos, 210 p.,20,60 FLes origines d'unsous-développementdû en grande partieaux déséquilibresstructurels massifshéritésdu passé colonial.

Jean Baretsla politiqueen révolutionLaffont, 224 p., 15 JEPar le président dumouvementc Technique etDémocratie ".

• Gérard Chaliandla résistancepalestlenneColl. c Combats •Seuil, 192 p., 15 FUn document depremière mainsur l'enjeuet les modalitésdu combatdes c fedayin ".

.Andrei Amalrikl'Union Soviétiquesurvivra-t-elle en 1984Préface d'A. BesançonFayard, 128 p., 15 FUn pamphlet corrosif,écrit par un Soviétiqueet parvenu en Europeoccidentale par desvoies clandestines.

Jean Descolales grandes heuresde l'EspagneLibrairie AcadémiquePerrin, 354 p., 27,50 FUn pélerlnage àtravers l'histoirede l'Espagne.

de la guerre libératriceau • règne " de Paoliet à son intégrationprogressive à la France.

Claude DervennSecrets et gloiresdu MorbihanFrance-Empire,400 p., 21,95 FLes grandes heureset les grands hérosde cette provincemystique et aventurière.•L' S· buClen tem erg

les Juifs contre HitlerFayard, 600 p., 35 FUne étude d'ensemblesur la résistance juivedans toute l'Europeoccupée.

W. D. Hendersonla révolutionIndustrielleColl. • Histoireillustrée de l'Europe"Flammarion, 215 p.,13,47 FLes origines decette révolution, sondéroulement etses conséquences.

François G. DreyfusHistoiresdes Allemagnes15 figuresA. Colin, 496 p., 37 FUne étude historiquetrès complète,augmentée dedocuments enallemand.

Jon Kimche1939la bataille escamotéeles Allemands(Commentont gagné la bataillede France avant dela livrer)Fayard, 224 p., 16 FLes coulisses dela politique anglaiseet française, fondéemoins sur l'ignorancedes forces en présenceque sur l'irrésolution.

• Anny latourla résistancejuive en France18 illustrationsStick, 320· p., 28 FUn document depremière main surl'histoire dumouvement de

• Hubert Gerbeaules esclaves noirsColl. • R "Balland, 164 p., 15 FL'histoire del'esclavage, de sesrévoltes absolues etde ses répressionseffroyables.

BISTOIRB

Alain ProfitStructure ettechnologie .des ordinateursA. Colin, 512 p., 58 FIntroductionà l'informatique

Paul Arrighila vie quotidienneen Corse auXVIII" siècleHachette, 288 p.,17,50 FUn grand momentdB l'histoiredft la Corse :

Desmond Morrisle zoo humainTrad. de l'anglaispar J. RosenthalGrasset, 296 p., 22 FPar l'auteur du• Singe nu "(voir le n° 59 dela Quinzaine).

Konrad LorenzTous les chiens,tous les chatsFlammarion, 272 p., 18 FPar l'auteur de• L'agression " et de• Il parlait avecles mammifères,les oiseauxet les poissons "(voir le n°. 68 dela Quinzaine).

Atlas de biologieOuvrage collectif480 pl. et schémasen couleursStock, 588 p., 33 FSous la forme d'unindex de 8.000 mots,un panorama completde l'organisation dela vie.

SCIE.NCES

• Alfred Willenerl'image-actlon dela société oula politisationculturelleSeuil, 352 p., 25 FUne étude étayée surl'expérience de mai 68et où l'auteur analysel'impact des nouvellesforces culturellessur le corps social

J.-C. PichonNostradamusen clairLaffont, 344 p., 18 FColl. • Enigmes del'Univers ".

Dominique PireVivre nu mourirensembleChoix réalisé, introduitet commenté parR. Yan der ElstAlsatia, 512 p., 39 FLes écritset conférencesprononcées par le PrixNobel de la Paixentre 1958 et 1968.

Jean Dutourdl'école des jocrissesFlammarion,224 p., 16 FUn essai très personnelsur ce que l'auteurappelle • la bêtisecontemporaine ".

Bernard Eliadel'école ouverteSeuil, 256 p., 18 FPar un jeuneprofesseur, un pland'action concreten faveur d'uneéducation réellementpopulaireet permanente

Seuil, 320 p., 25 FUn recueil d'essaissémiotiquespar un professeurde "Ecole Pratiquedes Hautes Etudesdont les travauxen ce domainefont autorité.

BSSA.IS----:..------ • Nefissa Zerdoumi

Enfants d'hierPréface deMaxime RodinsonMaspero, 304 p., 18,10 FUne Algérienne nousparle des problèmesd'éducation en pays detradition musulmane.

.Fernand Delignyles vagabondsefficaces et autresrécitsMaspero, 184 p., 14,80 FL'expérience d'unéducateur, '3pécialistede la rééducationdes jeunes délinquants.

.Jean-Paul CourthéouxAttitudes collectiveset croissanceéconomiquePréface d'André PiatierLibrairie M. Rivière,240 p., 20 FLes réactions du corpssocial faceaux problèmesd'information,de planificationet de répartition

PBILOSOPBIBLINGUISTIQUB

• Jean-Charles PayenLittérature françaisele Moyen AgeTome 1Des origines à 130065 photosArthaud, 380 p., 38 FUn nouveau volumede la collection• Nouvelle histoirede la littératurefrançaise", dirigéepar Claude Pichois.

Philippe Yen TieghemDictionnaire deVictor HugoNombr; illustrationsLarousse, 256 p., 9,70 FCollection• Dictionnaires del'homme duxx· siècle".

Contes arabesdu MaghrebRecueillis, traduitset annotés parJ. Scelles-Mil lieMaisonneuve & Laroseéd., 336 p., 24 FLa tradition orale,aujourd'hui menacée,d'une civilisationpleine de sagesseet de psychologie.

Julien GreimasDu sens

J.-J. BrochierAlbert Camus,philosophe pourclasses terminalesA. Balland, 180 p., 15 FAlbert Camusen question.

G. Zlnk, M. Gravier,M. Grappin, H. Piardet C. DavidLittérature allemandede F. MosséAubier-Montaigne,1180 p., 57 FRéédition entièrementremise à jour etaugmentée d'unchapitre sur les grandscourants littérairesdes dernières années.

• Gérard Granell'équivoque ontologiquede la pensée kantienneGallimard, 192 p., 22 FUne nouvelle lecturede la • Critique dela Raison pure", à lalumière de Heideggeret des recherchesde la métaphysiqueactuelle.

La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 avril 1970

Page 30: Quinzaine littéraire, 92, février 1970

Livres publiés du 20 février .u 5 mars 1970

Robert CapelleDix-huIt ans auprèsdu roi LéopoldFayard, 416 p., 40 FPar l'ancien secrétairedu ·roi Léopoldun document. qui éclalr9bien des aspectsde la neutralité belgeet de la capitulationde la Belgiqueen mai 1940.

Michel dei CastilloLes écrous de la haineJulliard, 320 p., 20,40 FRéflexion autourd'une enquête préciseet détailléesur l'affaire

Russier.

• Madeleine ChapsalMichèle ManceauxLespourquoi faire?Seuil, 192 p., 16 FUn bilan explosifde l'expérience Faure,à travers une enquêtemenée auprès d'uncertain nombrede professeurs en vue.

Alexei LeonovPiéton de l'espaceTraduit du russe18 illustrationsStock, 216 p., 25 FLes souvenirsdu cosmonautesoviétiquequi prit part au volde • Voshod 2 -.

• Gabrielle Russier· Lettres de prison,précédé de.Pour Gabrielle, parRaymond JeanSeuil, 160 p., 13 F36 lettres quiconstituentun document littéraireet humainbouleversant.

Lawrence SchillerLes assassins deSharon TateTrad. de l'américain20 IllustrationsStock, 140 p., 15 FLa confessiond'une des protagonistesde cette triste affairequi défraya récemmentla chronique.

.Andrew Tully.Les super-espionsTrad. de l'américainStock, 256 p., 25 FL'hisJoire des servicessecrets américainsainsi qu'une analysedétailléede leurs structures etde leur .fonctionnement.

·30

••LIGION

Jacques DuquesneDieu pour l'hommed'aujourd'huiGrasset, 312 p., 21 FUn panoramades croyances,des incroyances etdes refus des hommesd'aujourd'hui.

Bernard FayL'église de JudasPlon, 192 p., 12,30 FUn pamphlet violentcontre l'Eglise.

Rene LaurentinLe Synode permanentSeuil, 256 p., 19,50 F,Le bilan du Synodeextraordinaired'octobre 1969.

André ManarancheFranc parler pournotre tempsSeuil, 176 p., 16 FLes réflexions d'unchrétien d'aujourd'huisur la dévaluationactuelle de la penséecroyante.

Pierre Plerrard .Juifs et catholiquesfrançaisFayard, 336 p., 30 FUne étude d'ensemblesur les relations' entreJuifs et catholiquesfrançais, de Drumontà nos jours.

Karl RiihnerHerbert VorgrimlerPetit dictionnairede théologiecatholiqueTrad. de l'allemandpar P. Démann etM. VidalSeuil, 512 p., 25 FDeux théologiensexpliquent, analysentet situent les termesdans lesquels la foichrétienne s'estexprimée des originesjusqu'à nos jours.

Robert SailleyShrï Aurobindo,philosophe du yogaintégralMaisonneuve etLarose éd., 212 p., 28 FUne monographieclaire et très complètede la doctrinedu célèbre yogi dePondichéry.

Philippe SellierPascal etSaint AugustinA. Colin, 656 p., 95 FThèse: Pascalconsidéré comme'

un des grandsthéologiens dela lignée augustlenne.

ART8

Denise Aimé-AzanLa passionde Géricault16 p. hors-texteFayard, 384 p.• 40 FUne étude de l'hommeet aussi de l'œuvre,replacée dans le climatde son époqueet les divers courantsde la peinture.

BuffetLithographies1952-1966Préface de G. SimenonTexte deFernand Mourloten coul. et 4 en noir62 reproductions11 Iitographiesoriginales en couleurTrinckvel, 200 F.

Denys ChevalierMaillolFlammarion, 96 p.,17,32 FL'art d'Aristide Maillolet sa placedans la statuairecontemporaine.

Waldemar GeorgeLe monde Imaginairede Marcel Delmotte166 reproductionsTrinckvel, 264 p., 200 FUne étude approfondiede l'œuvre du grandpeintre belge.

• Roger PasseronL'œuvre gravé deMichel Ciry1955-1963Préface d'A. Dunoyerde Segonzac130 gravuresBibliothèque des Arts,tirage limité, 186 F.

Roger PasseronLa gravure françaiseau xx· siècle32 ili. en couleur,32 ill. en noir40 portraits d'artistesBibliothèque des Arts,180 p., 124 FL'œuvre des grandsmaîtres contemporainsde l'estampe,de Renoir à Buffet,en passant parLautrec, Roussel,Picasso, Segonzac,Lorjou, etc.

Denis RouardEdouard Manet64 pl. en couleurs500 ili. en noir

• Classiques de l'artFlammarion, 128 p., 22 FLe panorama completde l'œuvre du peintre.

E. Solms-LaubachLe cavalier dans l'art84 pl. en noiret en couleursBibliothèque des Arts,222 p., 124 FL'histoire du chevalet de l'homme depuisJes tempspréhistoriquesjusqu'à nos jours,à travers les plus bellesœuvres des muséeset des collectionseuropéennes.

Cyrille ZdanévltchNiko PlrosmanlTrad. du russepar L. Delft et V. VarziGallimard, 244 p.,19,50 FPar un peintresoviétique,une étude biographiquesur ce peintreautodidacte dont il futl'ami de 1912à sa mort, en 1918.

TB*ATBBCINBMA

CalderonLe magicien prodigieuxIntroduction, traductionet notes par B. SeséEdition bilingueAubier-Montaigne,288 p., 18 F.

René EhniThéâtre \1 :L'amie Rose'Théâtre III :Eugénie Kopronlme;Super-positionsCh. Bourgois, 2 voL,160 p., 15 FVoir le n° 59de la Oulnzal·ne.

Henri.lsenbartE.M. BuhrerLe royaume du chevalTraduction françaised'E. Servan·Schreiber200 iII. en couleur750 iII. en noi r etblancBibliothèque des Arts,304 p., 142 FUn ouvrage exhaustifet somptueusementIllustré sur l'artéquestre.

La Russie. Union des RépubliquesSocialistesSoviétiques

Coll. • Monde etvoyages -400 ili. en noir eten couleursLarousse, 160 p., 32 FUne encyclopédiehistorique, culturelleet touristique.

Raymond OliverCuisine InsoliteIII. de MoseTrlnckvel, 80 p., 90 FUn guide culinairequi ne manque pasde sel.

Livresdepoche

LITT.aATua.

AkinariContes de pluieet de lunePréface deRené SieffertLivre de Poche

A.J. CroninLa tombe du CroiséLivre de Poche

Elisabeth GoudgeLa nll6e qui chMteLivre de t'oche.

Ernest HemingwayLes vertes collinesd'AfriqueLivre de Poche.

J. de La VarendeL'homme aux gantsde toileLivre de Poche.

Henry de MontherlantFils de personne,suivi deUn IncomprisLivre de Poche.

Louis PauwelsSaint Quelqu'unPréface de VeraldlLivre de Poche.

E.M. RemarqueLes camaradesLivre de Poche.

M. de Saint-PierreCe monde ancienLivre de Poche.

TolstoïRécitsPréface deGaëtan PiconLivre de Poche.

Michel ZevacoLes PardaillanL'épopée d'amourLa FaustaFausta vaincuePardaillan et FaustaLes amours de Chlco(6 volumes)Livre de Poche.

Eugène IonescoJeux de massacreGallimard/Manteaud'ArlequinUne nouvelle pièced'Ionesco, qui vientd'être crééeen Allemagne.

Jean LouvetA bientôt,M. LangMonsieur LangSeuil /ThéâtreUne joyeusemise à sacdes compromissionsde l'intellectuelde gauche intégréà la sociétéqu'il conteste.

Jean ThéveninOctobre à AngoulimeGallimard/Manteaud'ArlequinMi-poèrrie dramatique,mi-farce politique,une pièce qui a le tondes fabliaux.

Elie FaureRegards sur la terrepromiseLaffont/Libertés

C. Wright MillsLes cols blancsEssai sur les classesmoyennes américainesSeuil/POintsVoir le n° 16 dela Quinzaine.Jeafl-Pierre RichardLittérature etsensationStendhal • FlaubertSeuil/Points.

INÉDITS

Viviane AlletonL'écriture chJnoIseQue sais-je?

Page 31: Quinzaine littéraire, 92, février 1970

Bilan de mars

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La maison de papier (Grasset)L'éléphant blanc (Flammarion)La vieillesse (Gallimard)Les allumettes suédoises

(Albin Michel)Voyages avec ma tante (Laffont)La vérité tient à un fil (Flammarion)Ciel et terre (Denoël)Toute la vérité (Grasset)L'iris de Suse (Gallimard)Les quatre vérités de Papillon(La Table ronde)

La rose des ventsRéflexions sur FourierLes TroyensNaissance de l'hexagrammeLe général de l'armée morteTraduit de l'albànalsCanon à l'écrevisseVoir la Quinzaine n° 91Le ciel secondaireLa volx sous la pierreDeux des meilleurs jeunes poètesyougoslavesL'Union Soviétique survlvr.t-elle en1984 ?L'un des écrits politiques du SamizdatLe langageL'ouvrage capital d'un des grands lin-'gulstes d'aujourd'huiLes professeurs, pourquoi faire?Onze professeurs parlentContre le mariageQuatre psychanalysesLettres de prison

1 Françoise Mallet-Jorris2 Henri Troyat3 Simone de Beauvoir4 Robert Sabatier

Jean Pierre Faye

Andréi Amalrik

Gabrielle Russier

Vera Llnhartova

Liste établie d'après les renseignements donnés par les libraires suivants:Biarritz, Barberousse. - Brest, la Cité. - Dijon, l'Université. - Issoudun,Cherrier. - Lille, le Furet du Nord. - Montpellier, Sal.iramps. - Nice,Rudin. - Orléans, Jeanne d'Arc. - Paris, les Aliscans, Gallimard, Julien-Cornic, la Hune, Marceau, Max Ph. Delatte, Présence du Temps, Variétés,Weil. - Poitiers, l'Université. - Rennes, les Nourritures terrestres.Royan, Magellan. - Strasbourg, les Facultés, les, Idées et les :A'rts. .....;,Toulon, Bonnaud. - Tournai, Decallonne. - Vichy, Royale.

Mlodrag PavlovicVasko Popa

Michel Butor

Ismail Kadaré

Leonard Bloomfield

M. Chapsal etM.' ManceauxS. Fanti

5 Graham Greene- 6 René Floriot7 J..J. Servan-Schreiber8 Roger Garaudy9 Jean Giono10 Georges Ménager

Claude ThirriotDidier BelletLa magnéto-hydrodynamiqueOue sais-je?

VasarelyPlasticitéCasterman/Mutations-OrientationsUn choix des écritset des manifestesde Vasarely en faveurd'un art scientifiqueet social.

René SchérerCharles FourierSeghersPhilosophes de tousles temps.Une étude biographiqueet critique sur ,le • père de larévolution culturelle"

de théologiecatholiqueSeuil/Livre de Vie.

L. Pougatch-ZalcmanLes enfants de VilnaCasterman/E 3La chronique ct'uneexpérience pédagogiquemenée, avant lenazisme, dans unjardin d'enfantspilote polonais.

Jean StelnmannJob, témoin dela souffrance humaineFoi VivanteUne exégèse de l'undes plus admirablespoèmes de toute lalitérature, replacédans la pensé,ereligieused'Israël.

Christian PonsRichardson etFieldingA. Colin/U 2Deux romans duXVIII' siècle anglais:• Pamela ",par' Richardson et.'Joseph Andrews",par Fielding.

Pierre SouyriLe marxismeaprès MarxFlammarion/Ouestlons d'histoireLes différentscourants del'idéologie marxiste'aujourd'hui, et leursapports théoriques.

Etienne Souriau,Clefs pourl'esthétiqueSeghers/ClefsLes idées·forces, lesÇlrandes tendanceset les problèmes del'esthétique actuelle.

Karl RahnerHerbert VorgrlmlerPetit dictionnaire

Marc OraisonUne morale pournotre tempsSeuil/Livre de VieLes fondements de lamorale 'chrétienne,à la lumièrede la critique radicalequ'ont apportéen ce domaine,depuis Freud,les sciences humaines.

Karl JaspersEssais philosophiquesPetite BibliothèquePayotLe célèbre philosopheface aux problèmesessentiels denotre temps.

Avram HayllNewtonSeghers/Savantsdu monde entierUne étude biographiqueet scientifique

Pierre GuiraudLa versificationQue sais-je?

Alain GuillermLe luxembourgismeaujourd'huiSpartacus éd.L'opposition entre RosaLuxemburg et Lénine :une étude d'ensemblequi éclairesingulièrementle conflit actuelentre gauchisteset communistes.

P.GrelotLe couple humaindans l'EcritureFoi VivanteLa sexualité humaine'selon la doctrinede la Bible.

Bernard LambertLes paysans dansla lutte des classesPréface deMichel RocardSeuil/PolitiquePar le leaderdes paysans de l'Ouest

Louis GernetAndré BoulangerLe génie grecdans la religionA. Michel/L'évolutionde l'humanitéDe la religionde l'époque classiqueà l'épanouissementde la philosophieà l'époque hellénistique.

Marcel FévreLa chirurgie InfantileOue sais-je?

Jean-Marle CotteretClaude EmeriLes systèmesélectorauxQue sais-je?

Hélène DeutschProblèmes del'adolescence(La formation degroupes)Petite BibliothèquePayotLes phénomènesç1e groupes, enquêteet réflexion d'unepsychanalyste.

Jacques DournesAu plus prèsdes plus loinFoi VivanteLe chrétien et lacivilisationoccidentale.

Jean·Marie BenoistMarx est mortGallimard/IdéesUne nouvelle lecturede Marx, basée surune analysede sa situationdans le champdu discoursrévolutionnairecontemporain.

René .DumontCuba est·1Isocialiste?Seuil/PolitiqueUn document depremière main surla réalité cubaine;une sévère maisfraternelle critique.

H. Duval, P.V. Leblanc-Dechoisay et P. MinduRéférendum etplébisèiteA. Colln/U2Un dossier qui tendà démontrer l'Illusiondu gouvernementdirect.

J.-N. ChapulutJ. PrébaultJ. PellegrinLe marchédes transportsSeuil/SociétéUne étude d'ensemble.par trois jeunesingénieurs desPonts et Chaussées.

Claude Bruaire.$chellingSeghers/Philosophesde tous les temps,Un grand philosopheallemand (1775-1954),précurseur de Hegelet toujours actuel.

La Quinzaine littéraire, du r au 15 avril 1970 31

Page 32: Quinzaine littéraire, 92, février 1970

AllemagnèMARTIN WALSERChêne et lapins angoraLe Cygne noir

théâtre'du monde entier'

Cuba. JOSÉ TRIANA1La Nuit des

AU FORMAT DE POCHE 4,80 F LE VOLUMEQiCl

8c.c.c.

ILAN KUNDERAes Propriétaires des -

VERA PANOVANadia

BORIS PASTERNAKLa Belle Aveugle

.R.S.S.ISAAC BABEL.Entre chien et loupsuivi deMarie

ècoslovaquie'ACLAV HAVELFête en plein air

ologneS: I. WITKIEWICZLa Poule d'eauLa MèreLa Métaphysique d'un.veau à deux têtes.Les Cordonniers

Suisse AlémaniqueAX FRISCHComte Oderlandrande MurailleJuan QU l'amoura géométrie.hsieur Bonhomme -es incendiaires

Espagnef RAMONDEL VALLE...INCLÂNLa Marquise Roselinde

t ISTVÂN ORKENY'i, lla Famille Tot

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théâiredu monde entier

Chili.PABLO NERUDASplendeur et mortde Joaquin Murieta

HECTOR BIANCIOTI'Les autres, un soir d'été(à paraître)

ARNOLD· WESKERJe parle de 'Jérusalerh.Racines' .-Soupe de poulet à l'orgè: ' ti

Les quatre saisons Cà paraître)

JAMES SAUNDERSLa prochaine fois,je vous le- chanteraiUn parfum de fleurs

HAROLD PINTER,L'Anniversaire .Le Retour"

JOHN OSBORNEET A.CREIGHTONEpitaphe pourGeorge Dillon

JOHN OSBORNETémoignage irrecevable.Un bon patriote'

AngleterreBERNARD KOPS .Hamlet des faubourgs

la nuit tombe

BrésilARIANO SUASSUNALe je\). de la niiséricordieou le testament du chien'. (à paraître)

Argentine jARNALDO CALVEYRA .Moctezuma