notes sur le pouvoir du faux mbembe

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  • 7/29/2019 Notes Sur Le Pouvoir Du Faux Mbembe

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    NOTES SUR LE POUVOIR DU FAUX

    Achille MbembeGallimard | Le Dbat

    2002/1 - n118

    pages 49 58

    ISSN 0246-2346

    Article disponible en ligne l'adresse:

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    http://www.cairn.info/revue-le-debat-2002-1-page-49.htm

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    Pour citer cet article :

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    Mbembe Achille, Notes sur le pouvoir du faux,

    Le Dbat, 2002/1 n118, p. 49-58. DOI : 10.3917/deba.118.0049

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    Distribution lectronique Cairn.info pour Gallimard.

    Gallimard. Tous droits rservs pour tous pays.

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    Achille Mbembe

    Notes sur le pouvoir du faux

    Le marxisme et le nationalisme tels quils ontt pratiqus dans nos contres au cours duXXe sicle sont lorigine de deux discours surlidentit africaine : lafro-radicalisme et le nati-

    visme. Le projet de ces deux discours naura passeulement t de dire une fois pour toutes la vrit au sujet de ce que sont lAfrique et lesAfricains (thorie). Il aura aussi t douvrir, parlapraxis, la voie ce que pourrait et devraittreleur destine dans le monde (politique). Mais les analyser de prs, ces deux orthodoxies aurontt, de bout en bout, des philosophies du traves-tissement. Bric--brac de dogmes et de doctrinesque lon ne cesse de psalmodier plutt quemanires dinterroger, ils auront conduit un

    spectaculaire rtrcissement et une extraordi-naire contraction tant des modes de penserlAfrique que des termes de lenqute philoso-

    phique sur cette rgion du monde.Cest que, dune certaine manire, ils auront

    pos de mauvaises questions propos dvne-ments sinon fondateurs, du moins minemment

    traumatiques et qui, cet gard, auront profon-dment marqu la conscience africaine : la traitedes esclaves, le colonialisme et lApartheid. Allant

    partout pleurant la perte dun monde, le nati-

    visme est une forme de culturalisme proccupepar les questions didentit et dauthenticit.Face au malaise n de la rencontre entre lOcci-dent et les mondes autochtones, le nativisme

    propose le retour une africanit mythique partir de laquelle, croit-il, le sujet africain pour-rait nouveau dire je et sexprimer en sonnom propre. Tirant dune certaine conomie

    politique marxiste ses catgories instituantes,lafro-radicalisme prtend fonder une politiquedite rvolutionnaire dont lobjectif est, soi-disant,

    de rompre avec limprialisme et la dpendance,y compris par la violence 1.

    Achille Mbembe est chercheur lInstitute for Social andEconomic Research, Universit du Witwatersrand, Johannes-

    bourg. Il est notamment lauteur deDe la postcolonie. Essaisur limagination politique dans lAfrique contemporaine(Paris, Karthala, 2000).

    1. propos de ce courant, lire Claude Ak,A PoliticalEconomy of Africa, Harlow, Longman, 1981 ; Samir Amin, Social Sciences and the Development Crisis in Africa : Pro-

    blems and Prospects , Africa Development, vol. III, n 4,1978, pp. 23-46 ; Mahmood Mamdani, Citizen and Subject :

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    Par-del les apparences, les deux rcits par-

    tagent la mme pistm. Dune part, lun etlautre reposent sur une ide du bien et du mal une conomie morale dont la puis-sance de falsification dcoule des liens opaquesque celle-ci entretient avec le culte de la souf-france et de la victimisation. Dautre part, lunet lautre constituent des formes de superstitiondont lune des fonctions est de nous persuaderquil ne se passe rien en Afrique puisquen vrit,lhistoire ayant dj eu lieu, tout ne serait querptition et lAfricain ne saurait sexprimer dans

    le monde quen tant quesujet bless et traumatis.Ce faisant, ils escamotent lvnement, cest--dire cette dure qui, tout en accordant une placeminente la traite des esclaves, au colonialismeet lApartheid, ne sy ramne point ncessaire-ment. Que de telles superstitions continuent de

    planer sur le discours des Africains, lui octroyantle statut dun discours possd et hant, voil ceque ces notes cherchent problmatiser.

    Pour ce faire, on a besoin de reformuler cer-

    taines des interrogations qui, implicitement ouexplicitement, animent la pense africaine depuisla seconde moiti du XIXe sicle. Ces questionssont les suivantes : si dAfricains il nen existe

    pas ltat de nature , de quoi lAfrique serait-elle donc le signe ? Comment viter de parler dece signe comme sil sagissait de quelque chosequi erre travers le monde sous la forme dunmasque monstrueux et effrayant l afropessi-misme ? Quel serait le statut du sujet, du poli-tique et du malheur dans un tel langage ? Bref,

    comment lire le monde aprs la tragdie (lescla-vage, le colonialisme et lApartheid) et comment,dans cette lecture du monde, repenser le statut dusujet africain non dans sa gnralit (le nuncstans), mais partir de lexprience de lincerti-tude radicale que reprsente la mort et la prdo-minance du politique comme uvre de mort ?

    Les trois disciplines

    Contrairement ce quont laiss croire lenativisme et lafro-radicalisme, les rponses ces questions ne sont pas videntes, et la plupartexigent un dtour historique. Dans une trs largemesure, ce que lon dsigne lAfrique est avanttout un accident gographique. Cest cet acci-dent qui, en passant du champ de la gographieau champ de la reprsentation, est ensuite investi

    dune multitude de significations, de diverscontenus imaginaires, voire de fantasmes aux-quels les uns et les autres prtendent accorderune certaine autorit. Sur le versant atlantique,ces contenus imaginaires se nouent autour dercits, voire de lgendes et de fictions qui, duXVe au XIXe sicle, peu peu, se transformeronten vritables disciplines, cest--dire en un com-

    plexe dnoncs et de pratiques institutionnellesdont les effets pratiques (politiques, matriels et

    imaginaires) perdurent jusqu nos jours.Empruntant des itinraires certes diffrents,mais sappuyant sur des rpertoires parfois simi-laires (commerce et religion notamment), lemme processus aura touch, ds le IXe sicle,les terres dislam. Les disciplines prtendent sai-sir ce que serait, non pas sa silhouette, mais lavrit mme du continent : son relief et sa go-graphie, les murs et coutumes de ses habitants,

    bref, sa gnalogie et, de manire gnrale, ce quelon pourrait appeler ses superficies culturelles

    et symboliques. Ce faisant, elles dveloppentune grammaire dont lobjectif est dexpliciter cestraits spcifiquement africains qui marque-raient lessentielle diffrence entre ce continent

    Achille MbembeNotes sur le pouvoir du faux

    Contemporary Africa and the Legacy of Late Colonialism,Princeton, Princeton University Press, 1996.

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    et le reste du monde. Mais cette grammaire de la

    diffrence prtend galement dire quellesconditions lAfrique pourrait tre partie prenantedun projet universel et moderne.

    De ces disciplines, trois en particulier se sontefforces dtablir leur autorit sur la consti-tution des significations rattaches ce lieugographique. La premire est lislam, projetcosmopolite avant la lettre. En tant que lunedes enveloppes les plus anciennes de lidentitafricaine, du moins en certaines de ses rgions,lislam prcde de loin la traite atlantique et le

    moment colonial proprement dit 2. Il est fait dediffrentes traditions organises en confrries ausein desquelles des lites religieuses rinter-

    prtent le Coran, lenseignent et tentent dentraduire les protocoles en un ordre juridiqueimposable aux croyants. De ce point de vue, lis-lam fonctionne comme un dispositif formel degouvernance, comme une fabrique de sujets etcomme une figure de la souverainet.

    Malgr leur diversit, une chose cependant

    unit ces diffrentes traditions : le privilge quellesaccordent la foi dans la dtermination des rap-ports entre identit, politique et histoire 3. biendes gards, lautorit dont sont porteuses ces tra-ditions est une autorit conqurante et sredelle-mme. Les faons de gouverner, les faonsde croire et les faons de faire le commerce sontlies entre elles selon le principe des vases com-municants. Et si quelque chose spare lislamdes autres religions en Afrique, cest sans doutela faon dont lacte de pit rpond, comme en

    cho, lacte guerrier. En effet, afin de simpo-ser, la foi islamique ne se prive ni de lusage dela force ni dune certaine esthtique de la vio-lence. Guerres saintes et conversions forcessont lgitimes et autorises par la ncessit dela rectitude et du salut. L o la conversion for-ce finit par prendre le pas sur ladhsion libre,

    une relation matre-esclave vient se superposer

    au rapport croyant-infidle.Les lois de la religion dfinissant les modalitsde lappartenance et de lexclusion, lobservancedes prceptes religieux (comment vivre moralementau regard de Dieu) constitue la condition dad-mission dans une nation imaginaire dont les fron-tires physiques et symboliques stendent auloin : la communaut des croyants. lextrieurde ce domaine que constitue la communaut descroyants , ses villes, ses caravanes, ses ngociantset ses lettrs, il ny a quimpit. Tout ce qui se

    situe au-del des limites du monde de la Rvla-tion (le dr al-islam ou lempire de lislam) peuttre razzi et a vocation tre esclave. Les nou-velles terres quil faut ouvrir lislam consti-tuent, strictement parlant, le dr al-harb, le paysde la guerre. Dans sa pntration de lAfrique,cette vise belliqueuse (ainsi que lapptit du luxeet la brutalit matrialiste qui en sont les corol-laires) nempchent cependant pas lislam de sof-frir en mme temps aux convertis comme une

    proposition de vie thique part entire.La deuxime discipline est le judo-christia-nisme. lorigine, le rapport judo-chrtien lAfrique est domin par le motif des tnbres,tragdie primordiale consistant en le recouvre-ment du vrai par toutes sortes de superstitions.Dans le rcit judo-chrtien, lAfrique constituela mtaphore par excellence de la chute. Habite

    par des figures humaines enchanes dans la nuitde lombre, elle vivrait en retrait de la divinit 4.

    Achille MbembeNotes sur le pouvoir du faux

    2. Lire Nehemia Levtzion, Randall L. Pouwels (d.), TheHistory of Islam in Africa, Athens, Ohio University Press, 2000.

    3. Cf. John O. Hunwick, R.S. OFahey (d.),Arabic Lite-rature of Africa, vol. I, The Writings of Eastern Sudanic Africato c. 1900, runi par R.S. OFahey, Lyde, E.J. Brill, 1994 ;vol. II, The Writings of Central Sudanic Africa, runi par JohnO. Hunwick, Lyde, E.J. Brill, 1995.

    4. Fabien boussi Boulaga, Christianisme sans ftiche.Rvlation et domination, Paris, Prsence africaine, 1981.

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    Telle serait dailleurs lessence du paganisme :

    partout dguisement, absence de discernementet garement, refus de regarder en direction dela lumire, bref, corruption de ltant.

    Cependant, au rapport belliqueux caractris-tique de lislam, le judo-christianisme substitueune autre figure de la violence : celle de la mis-ricorde et de la piti. Le projet, en effet, cestdter les chanes, cest--dire de sparer ce quirelve du monde des apparences et du rgimedu faux et ce qui relve du vrai. Car les appa-rences simulent une prsence. Et cest cette pr-

    sence quil faut rveiller (thologie des pierresdattente). Cest pourquoi en lieu et placedune vie purement objectale parce que dpour-vue de tout contenu moral et esthtique, dunmonde statique et immuable, peupl de masqueset de ftiches, dune multitude dobjets pro-fanes et dun matriau humain brut, le judo-christianisme propose aux indignes une maniredinitiation la saisie du vrai, un projet de dli-vrance et de gurison, bref, la promesse dune

    vie nouvelle.Ce faisant, il nabolit pas purement et sim-plement le monde de lallgorie. Il tablit unnouveau rapport entre celui-ci et le monde delvnement. Lvnement, cest la promessedlection au salut. Ce dernier est un ensembledides qui, par leur caractre ensorceleur, pour-raient tre qualifies de magico-potiques. Cestle cas de la rsurrection des morts, songe sublimeque domine le dsir dun temps absolu, cettetendue infinie que sont le temps et lespace de

    limmortalit. Le prix daccs cette promesserside en labandon dune existence dissipe enchange de la rdemption. La conversion lavrit rvle entrane, son tour, un vritabletravail sur soi, leffacement de toute identit dis-tincte et spare, labolition de la diffrence et leralliement une humanit dsormais universelle.

    On retrouve le mme projet duniversalisa-

    tion dans la colonisation. Celle-ci se prsente,du moins sur le plan rhtorique, en fille desLumires. ce titre, elle affirme dtenir songouvernement de la raison universelle . La raison universelle suppose lexistence dunsujet du mme nom, dont luniversalit est incar-ne par son humanit. Cest la reconnaissancede cette commune humanit qui autorise la priseen compte de chaque individu en tant que per-sonne juridique dans la socit civile. Du reste,lon ne peut parler dun sujet universel que

    parce que lon admet une notion du droit danslaquelle tous sont identiques, tous ont de lavaleur la traduction de labstraction de lhu-manit en une communaut civique.

    La discipline coloniale formalise deux mca-nismes dorganisation de la socit et du poli-tique quelle justifie en rfrence la raison :ltat et le march. Ltat apparat dabord soussa forme primitive, celle du commandement,avant de se muer en dispositif de civilisation des

    murs. Dans son versant prhistorique , lemarch, quant lui, sinscrit dabord dans lima-ginaire autochtone sous son aspect le plusabject : le trafic dtres humains 5. Ce nest que

    progressivement quil se transforme en une vastemachine productrice de dsirs : lapptit dela marchandise. Au lendemain de la SecondeGuerre mondiale, la discipline coloniale feraentrevoir trois autres sortes de biens aux coloni-ss la citoyennet, la nation et la socit civile auquel il leur interdira cependant laccs jusque

    dans sa phase terminale. Comme pour les disci-plines islamique et judo-chrtienne, le projetcolonial est un projet duniversalisation. Safinalit est dinscrire les coloniss dans lespace

    Achille MbembeNotes sur le pouvoir du faux

    5. Joseph Miller, Way of Death, Madison, University ofWisconsin Press, 1988.

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    de la modernit. Mais sa vulgarit, la brutalit

    souvent dsinvolte de ses moyens et sa mau-vaise foi caractrise en font un exemple parfaitdantilibralisme6.

    Largument dautochtonie

    Depuis la seconde moiti du XIXe sicle, lediscours des Africains sur eux-mmes contestela lgitimit et la vracit des noncs mis en

    avant par ces trois disciplines et cherche dpla-cer le canon quelles sont parvenues instituer.Entreprise de dlgitimation, les critures nativeet afro-radicale nen pousent pas moins le pos-tulat de la diffrence, mme si elles se dmar-quent des aspects les plus brutaux et les plusgrossiers de la grammaire occidentale de la diff-rence. Plus fondamentalement, elles sopposentau cosmopolitisme, la thmatique de luniver-sel, voire celle de la modernit, ny entrevoyant

    quune srie de subterfuges dont le but serait demasquer la violence de limprialisme.Ce faisant, lune et lautre se prsentent

    comme des projets dauto-engendrement, dauto-constitution et dauto-gouvernement dont lar-gument majeur notamment dans le cas dunativisme tourne autour de la notion dau-tochtonie7. Au-del de variations parfois consi-drables, largument dautochtonie consiste en ladfense de lide selon laquelle chaque formationspatio-raciale aurait sa culture, son historicit, sa

    faon propre dtre, sa relation propre laveniret au pass. Chacune aurait, pour ainsi dire, soncertificat dorigine et son sens tlologique.

    De lAfricain, les critures native et afro-radi-cale veulent faire un sujet en tat de se connatresoi-mme ; ou encore un sujet qui soit lui-mmele sujet de la perception en mme temps que lob-

    jet peru. Sur le plan pistmologique, leur but

    est de fonder ce que lon prsente, la suite deCheikh Anta Diop, comme les humanits afri-caines . Sur un plan mthodologique, elles pro-cdent dune part par exhumation de ce que lestrois projets universalisants ont, croit-on, recou-vert dopprobre et enseveli dans loubli ; dautre

    part, elles utilisent limprcation, ce langage pri-vilgi de la colre et du ressentiment. Dans tousles cas domine lide selon laquelle de la ren-contre entre lAfrique et lOccident aurait rsultune profonde blessure qui, pour toujours, rsistera

    toute fermeture tant que lex-colonis ne serapas parvenu la redcouverte de son tre propre.

    Nulle part, cependant, ni la conception colo-niale de lAfrique comme monde vide remplir,ni celle du sujet africain en tant quincompl-tude et ngativit ne font lobjet dune critique

    proprement philosophique. Aussi bien dans lavulgate nativiste que dans le jargon afro-radical,les concepts dalination et de dpossession sontutiliss soit de manire polmique, soit sur le

    mode de lincantation et de la conjurationmagique. La notion didentit est appauvrie aupoint dtre rduite la double mtaphore de laracine et du sol (appartenance un lieu). Dansces conditions, on comprend que ltre-sujetsoitdclin comme ltre--partplutt que commeltre-dans-le-monde , et que linterrogation surla capacit dauto-engendrement et donc dauto-gouvernement pourtant lorigine de ce pro-

    jet soit escamote.

    Achille MbembeNotes sur le pouvoir du faux

    6. Cf. Achille Mbembe, On the Postcolony, Berkeley,University of California Press, 2001, chap. I.

    7. Pour une critique, lire Valentin Y. Mudimbe, TheInvention of Africa : Gnosis, Philosophy, and the Order ofKnowledge, Bloomington, Indiana University Press, 1988 ;Kwame Antony Appiah,In My Fathers House :Africa in the

    Philosophy of Culture, Oxford, Oxford University Press, 1992 ;et notre article, propos des critures africaines de soi ,

    Politique africaine, 77, 2000.

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    Comment expliquer cette fixation sur le

    pass et sur la blessure, et cette revendicationfrntique dun statut victimaire ? Lune des rai-sons en est que, en tant que signifiant matre dudiscours nativiste, le pass est imagin comme lelieu o gisent, non seulement la vrit de soi,mais aussi sa falsification par la violence dau-trui. De fait, la convocation du pass ou, plus

    prcisment, de ses fragments et reflets apartie lie avec un mensonge dmoniaque dontles meilleurs philosophes des Lumires sontmalheureusement coupables : lexistence suppo-

    se dun trou au fondement de ltre africain 8.Lhorrible souvenir, cest le doute sur le sta-

    tut dhumanit de lAfricain, dune part, et, delautre, le non-sens apparent de sa vie, de sontravail et de son langage. Ces deux cauchemarscontinuent de planer sur le discours autochtone,lui octroyant le statut dun discours possd ethant. De cette hantise ont rsult deux sortesde dilemmes. Le premier est relativement diff-rent de celui auquel furent confronts les Juifs au

    temps de la perscution. Pour ces derniers, eneffet et si lon en croit Hannah Arendt leproblme fut de savoir jusqu quel point se fairepasser pour ce quils ntaient point afin de pr-server ce quils croyaient tre leur tre profond 9.Pour les Africains, en revanche, la question alongtemps t et maints gards reste cellede savoir comment greffer du sens sur le non-sens apparent de leur existence collective.

    Mais en rigeant en tche des tches lancessit de combler le trou (cest--dire de nier

    la ngation originaire), la critique africaine a finipar se laisser habiter et se laisser parler par ledmon de lAutre. Si lon veut enfin rflchir poursoi et pour le monde, il faut sortir de ce labeuringrat qui consiste confiner lentreprise intel-lectuelle et philosophique en Afrique ntre

    jamais que la rpression dun fantasme dont on

    nest pas soi-mme lauteur. Rflchirpour soi et

    dans le monde impose de suivre deux dmarches.Lune est, naturellement, de lordre de linterro-gation philosophique.

    De fait, il existe bel et bien dans lhistoireafricaine un lment de terreur, violent et redou-table, un creux qui nest cependant pas, pro-

    prement parler, celui dont traitent Hegel et lesautres ontologique. Le creux en question estconstitu, sur la longue dure, dun agrgat dechoses mortes, de masques, dune srie dhor-reurs qui, portes leur paroxysme, produisent

    des figures mi-humaines et mi-animales dont lepropre est de se manger elles-mmes. Ce pouvoirdautodvoration, voil le signifiant absolu. Cestle ngatif auprs duquel la pense africaine doitsjourner. Elle doit, en effet, se demander pour-quoi en Afrique la lutte pour la souverainethumaine et la satisfaction des besoins biologiquessemblent chaque fois aller de pair avec la partici-

    pation orgiaque diffrentes formes de la des-truction humaine. Poser ce genre de questions

    na, strictement parlant, rien d afropessimiste ce chiffon rouge que lon agite en permanence la face de tous ceux qui veulent chapperaux culs-de-sac du dveloppementalisme et certaines formes du romantisme populiste.

    Le gnie hrtique

    Lautre dmarche est historique. En effet, si

    le nativisme et lafro-radicalisme procdent parfixation sur le pass et sils tablissent une cor-

    Achille MbembeNotes sur le pouvoir du faux

    8. Emmanuel Chukwudi Eze (d.),Race and Enlighten-ment. A Reader, Oxford, Blackwell, 1997.

    9. Cf. Hannah Arendt,La Tradition cache : le Juif commeparia, trad. Sylviane Courtine-Denamy, Paris, ChristianBourgois, 1987.

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    respondance troite entre laccident quest la

    gographie et le destin, les pratiques effectivesdes acteurs sociaux, elles, sorganisent selon lemodle de la composition. La thse nativisteselon laquelle de la rencontre entre lAfrique etle monde aurait rsult une blessure jamaisouverte limpossibilit dtre soi-mme nersiste pas lexamen. Pour lessentiel, la for-mation des identits africaines contemporainessest faite non en rfrence un pass vcu lamanire dun sort jet une fois pour toutes, maissouvent partir dune capacit mettre le pass

    entre parenthses condition douverture sur leprsent et sur la vie en cours.

    Cest ce quindique, au demeurant, une lec-ture historique des rappropriations locales destrois disciplines voques plus haut. Ainsi, au

    projet islamique les Africains opposent unerponse que lon pourrait caractriser dassimi-lation crative. Au sein de ces cultures marques

    par loralit, lhgmonie du Livre est relativise.Le noyau doctrinal est r-interprt dune

    manire qui laisse largement ouverte la rponse la question de savoir ce qui constitue, enpropre, une socit ou un gouvernement isla-mique. De cette ouverture qui est en mmetemps un refus de clore toute rencontre mer-gent des pratiques populaires dobservance de lafoi et de la loi qui font une large place aux artsde la gurison et de la divination par exemple,ou encore linterprtation des songes, bref, auxressources du mysticisme et aux nombreux gise-ments superstitieux des traditions locales 10.

    LAfrique musulmane produit galement sespropres rformateurs. La plupart sont en mmetemps des guerriers. Dautres sont de grandsngociants des changes lointains. Scribes,savants, lgistes, lecteurs et exgtes du Coran,voire simples esclaves et griots, btissent la citterrestre et rinterprtent les rcits hrits du

    Prophte, les yeux fixs sur les marchandises et,

    pour certains, sensibles lappel du luxe. Attentifsaux dtails de lieu et de situation, ils rcrivent etlislam lui-mme, et lidentit africaine, souventde manire inattendue, dans un commerce hardiavec le monde 11. De ce procs mergent plusieursvarits de lislam et de cultures politiques dureligieux.

    Au cur de certaines de ces traditions, ltat,par exemple, nest que lune des variantes pos-sibles de toutes les formes dorganisation socialelgitimes par lislam. Il ne rsume gure, lui

    tout seul, limaginaire de la communaut. Dansdautres, cest lautorit politique elle-mme quiest frappe de suspicion. Ne risque-t-elle pas decorrompre le religieux ? Do, par exemple, lathse du retrait dfendue par de nombreuxlettrs. Ailleurs, la forme islamique dorganisa-tion de la cit (polis) ne repose pas sur les statutshrits, mais sur la soumission spirituelle aucheikh (cas des Soufis). Plus loin, ladhsionvolontaire la confrrie prend le pas sur la

    conscription religieuse.Dans tous les cas, la pluralit des rponsesdoctrinales est manifeste tant du point de vuethologique que du point de vue des pratiques

    populaires de la foi. Les trois catgories du juge-ment rationnel ( savoir le ncessaire, limpossibleet le contingent) assouplissent considrablementle dogme de labsolu divin. Finalement, une

    pdagogie fonde sur la mmorisation donnenaissance une culture religieuse et profane oil nest pas ncessaire de matriser de bout en

    bout la langue arabe, et o les signes sotriques

    Achille MbembeNotes sur le pouvoir du faux

    10. Kassibo Brhima, La gomancie ouest-africaine.Formes endognes et emprunts extrieurs , Cahiers dtudesafricaines, XXXII, 4, 128, 1992, pp. 541-596.

    11. Mamadou Diouf, The Senegalese Murid TradeDiaspora and the Making of a Vernacular Cosmopolitism ,

    Public Culture, 12 (3), 2000, pp. 679-702.

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    ont autant, sinon plus de poids que les ralits

    objectives12

    . De toutes les rencontres entrelAfrique et les religions monothistes, cest sansdoute lislam que sapplique la perfection lamtaphore des noces de larbre et du langage voque par Walter Benjamin. Les branches et lacime dclinent avec hauteur. Les rameaux necachent ni leur inclination ni leur inaccessibilit.Le feuillage se hrisse et frmit sous les caressesdun courant dair ou, parfois, fait le gros dos.Entre-temps, le tronc, toujours, campe sur ses

    positions 13.

    Deux facteurs expliquent cette labilit. Lepremier a trait la capacit dextension et dedispersion spatiale, et donc de ngociation desdistances. Ainsi, en Afrique de lOuest, plusieursfaisceaux relient les mondes arabo-berbre et lesmondes ngro-africains. Les confrries sont dis-

    perses autour de ples gographiques partirdesquels elles essaiment. Do le caractre orga-nis des migrations et des changes commer-ciaux longue distance (transfrontaliers, voire

    intercontinentaux). Mais quel que soit lloigne-ment, toujours, un rapport troit lie le migrant son lieu de dpart. Quelque chose de lordre delimage chaque fois ly rattache et ly ramne.Lidentit, quant elle, est compose linter-face entre ce rituel de lenracinement et cetterythmique de lloignement, dans ce passageconstant du spatial au temporel.

    Le second est le gnie mimtique. Plus quepar lexactitude critique, lhistoire culturelle delislam en Afrique est, de bout en bout, marque

    par un extraordinaire pouvoir dimitation et undon hors pair de produire des ressemblances partir de diffrents signes et langages. De nom-

    breuses traditions islamiques africaines rsolventle problme de lextranit de lislam de manirecomplexe. Leur identit religieuse se construit enrassemblant des mots qui signifient des choses

    diffrentes en diverses langues et en les ordon-

    nant autour dun signifi central qui, ds lors,fonctionne la fois comme image et mirage,parabole et allgorie. Du coup, parce quil par-vient tisser entre lcriture et le langage des rap-

    ports onomatopiques, lislam constitue la plusparfaite archive de la ressemblance dans lhis-toire de la formation des identits en Afrique.

    Sans doute, compar la longue dure delislam sur le continent, le processus dosmoseentre le christianisme et les formes symboliquesautochtones demeure rcent. Les rponses afri-

    caines au projet universaliste judo-chrtien nensont pas moins complexes. Lon sait que, suivanten cela le discours nativiste, la thologie chr-tienne africaine sest cristallise, ds ses origines,sur la notion de la perte, de la scission et de lef-facement de lidentit qui aurait rsult de la ren-contre entre le dogme chrtien et les universautochtones de signification 14. Lhistoire et lan-thropologie rcente rvlent cependant que la

    pratique des acteurs a t tout autre 15. Loin dtre

    le mouvement dabolition de soi craint par lesthologiens de linculturation, le christianisme,sans tre dpouill de son concept, sera pris lenvers, dcompos, puis revtu du masque etdu bric--brac ancestral. En tant quvnement,culture et pouvoir, il apparatra dabord aux Afri-cains comme un immense champ de signes qui,une fois dcrypts, ouvriront la voie une foule de

    pratiques sans cesse loignes de lorthodoxie 16.

    Achille MbembeNotes sur le pouvoir du faux

    12. Louis Brenner, The Esoteric Sciences in West Afri-can Islam , in B.M. Du Toit, I. Abdalla (d.),African HealingStrategies, Buffalo, NY, Trado-Medic Books, 1985.

    13. Walter Benjamin, uvres, t. II, Paris, Gallimard,2000, p. 350.

    14. F. . Boulaga, Christianisme sans ftiche, op. cit.15. Cf. Jean Comaroff et John L. Comaroff, Of Revelation

    and Revolution : The Dialectics of Modernity on a South Afri-can Frontier, vol. 2, Chicago, Chicago University Press, 1997.

    16. Lire Achille Mbembe,Afriques indociles. Christianisme,pouvoir et tat en postcolonie, Paris, Karthala, 1988.

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    Les Africains lutiliseront la manire dun

    miroir dans lequel ils se reprsenteront leurssocits et leur histoire. Ainsi sexplique, engrande partie, la facilit apparente avec laquelleil a pu tre domestiqu et traduit dans lessystmes locaux dintelligibilit. Dautre part, ilsoffrira aux Africains comme allgorie et commeesthtique, do limmense travail sur les formeset sur les langages dont il fera lobjet. Lun deces langages est celui de lEsprit et de sa forceabsolue, voie dentre dans lutopie en mmetemps que spectacle thtral qui, chaque fois,

    autorisera un ddoublement du temps et uneprise du monde et des choses lenvers. Finale-ment, lon ne saurait sous-estimer son pouvoirdenchantement. Tout comme le colonialisme, le

    judo-christianisme est reu la manire dunemagie : combinaison de terreur et de sductionque traduisent bien les catgories de salut et derdemption.

    Cruciale dans la rception du judo-christia-nisme en Afrique sera, de ce point de vue, le

    dsir de souverainet que rsume bien lide dersurrection des morts. Le pouvoir de cettemtaphore rside dans sa profondeur tragico-

    potique, sa violence onirique et sa capacit desymbolisation. Dune part, elle est la manifesta-tion, dans toute sa splendeur et sa misre, deslimites du principe divin lui-mme : lhistoiredun Dieu dont lexistence sachve sur unecroix. Dautre part, dans ce songe rside un

    pouvoir denchantement de la vie humaine en cequelle a de plus insaisissable : le triomphe dun

    homme revtu de tous les attributs de la souve-rainet divine et dont lomnipotence clate ausoir de la mort, au sortir du spulcre. Dans la

    plupart des mouvements charismatiques enAfrique, ce pouvoir denchantement et de sym-

    bolisation est utilis la manire dune ressource.Celle-ci permet au sujet croyant de penser son

    existence non point de faon purement politico-

    instrumentale, mais bel et bien en tant que gesteartistique et projet esthtique ouvert aussi bien laction qu la mditation et la contemplation.

    Trois conclusions dcoulent de largumen-tation dveloppe ci-dessus. Premirement, lesexemples analyss plus haut suffisent montrerles limites des critures nativiste et afro-radicaledu sujet africain. Ils indiquent quil ne saurait y

    avoir de discours sur les formes contemporainesde lidentit africaine qui ne tienne compte dugnie hrtique au fondement de la rencontreentre lAfrique et le monde. De ce gnie hr-tique dcoule la capacit des Africains dhabiter

    plusieurs mondes et de se situer des deux ctsde limage simultanment. Ce gnie lui-mmeopre par enroulement du sujet dans lvne-ment, par la scission des choses, par leur ddou-

    blement, par le surcrot de thtralit qui, chaque

    fois, accompagne toute manifestation de la vie.Cest galement ce gnie hrtique qui, portaux extrmits, produit des situations dextra-ordinaire instabilit, volatilit et incertitude. Si,comme le soutiennent les nativistes, lAfrique at falsifie au contact de lextrieur, commentrendre compte de la falsification laquelle, dansson effort pour ingrer le monde, lAfrique a, enretour, soumis lextrieur ?

    Deuximement, ces exemples suggrentquau cur du processus de formation des iden-

    tits africaines contemporaines se trouve, commehier, lexprience de lincertitude radicale. Defait, dans lAfrique daujourdhui, la vie peut,soudain, prendre des tournures insupportables(guerre, soudaine pousse de linflation, volati-lit des prix, pauvret et maladie, bref diversesformes dinstabilit). La nudit de la violence et

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    la crudit de la brutalit peuvent, loccasion,

    revtir des allures cauchemardesques, le rel etla fable se rflchissant lun dans lautre, commedans un miroir. Renvoyant constamment plu-sieurs autres, chaque chose efface, chaque fois, etrecre plusieurs autres, au sein dune relationque lon pourrait qualifier de prolifrante. Cestce pouvoir de prolifration (et sa capacit dobli-tration des notions du vrai et du faux, du relet de lirrel) qui, en bien des endroits, fait du

    politique une uvre de mort. Cest galementce pouvoir qui donne lexprience africaine

    contemporaine son caractre sinon unique, dumoins sa part doriginalit. Ce caractre unique,on peut le rsumer en trois termes : absence deruptures nettes ; faiblesse des continuits ; par-tout, force irrsistible de lenroulement 17.

    Encore faut-il prciser que dans de telscontextes, o la dette entre ceux qui gouvernentet ceux qui sont gouverns est une dette de sang,la manipulation de la peur de mourir ou,a contrario du dsir de vivre, quel quen soit le

    prix reprsente le vecteur le plus radical delincertitude. Le politique se transforme alors ence par quoi cette peur et ce dsir saffirment enchaque sujet. Il devient une uvre de mort puis-quun rapport dgalit relative est tabli entre lacapacit de tuer et son corollaire, la possibilitdtre tu en retour. Persuads quil ny a rien attendre du futur, les gens sont alors pips par lessens. Du coup, ils se contentent de casser des

    pierres.Cela dit, quel rapport existe-t-il finalement

    entre le langage et ce que lon appelle la vrit ?Quel coefficient de vrit peut-on accorder cesigne quest lAfrique et dont jai dit, dentre de

    jeu, quelle tait avant tout un accident gogra-phique ? Les exemples cits plus haut indiquentquil y aura toujours une part du signe qui chap-

    pera la prison de notre langage et de notre dis-

    cours. Tel tant le cas, la question pourrait tre

    de savoir comment enrichir le langage et le dis-cours qui nous permettraient de nous rappro-cher, le plus prs possible, de cet objet mouvant.Mais ce qu la vrit il importe de saisir, cestavant tout un certain rapport du sujet au temps une certaine temporalit. Cela exige que londveloppe une technique de la lecture et delcriture qui soit en mme temps une esthtiquede louverture et de la rencontre.

    Mais il sagit de rencontres fragmentaires phmres, haches, quelquefois rates avec

    des rgions de la connaissance qui ne se ram-nent pas aux sciences sociales stricto sensu.Cette criture doit, elle-mme, tre troitementlie une manire de lire les archives du prsent.Celles-ci embrassent non seulement la philosophie,lhistoire ou la politique, mais galement tout unensemble de textes visuels, chants, peints, ima-gs et rcits 18. Parce que surgis dune certaine

    pratique de la vie quotidienne et nourrissant sanscesse celle-ci, ces textes font partie de la mmoire

    rcente des socits africaines. Les lire consiste saisir le pouvoir de falsification au cur decette mmoire dhier et daujourdhui, car ellerenferme dans sa diversit une partie de lexp-rience que le sujet africain contemporain a du

    pouvoir, du langage et de la vie.

    Achille Mbembe.

    Achille MbembeNotes sur le pouvoir du faux

    17. Il ny a, cet gard, qu regarder ce qui se passeautour de nous : les guerres sauvages de lthiopie et delrythre, de la Sierra Leone, du Liberia, du Congo ou delAngola, ou encore les sacrifices humains du Rwanda et duBurundi. Sur le gnocide rwandais, lire Christopher C. Tay-lor, Sacrifice as Terror. The Rwandan Genocide of 1984, NewYork, Berg, 1999.

    18. Lire Bogumil Jewsiewicki, Barbara Plankensteiner(d.),An/Sichten. Malerei aus dem Kongo 1990-2000, Vienne,Springer-Verlag, 2001 ; Sarah Nuttall, Cheryl-Ann Michael(d.), Senses of Culture, Cape Town, Oxford University Press,2000.

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