modèle de bateau en terre cuite (gebelein, Égypte) · 2017. 6. 8. · (gebelein, Égypte)...

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L’Objet du Mois est une opération réalisée en partenariat avec D ans un pays organisé autour de l’un des plus longs fleuves de la planète, l’importance du bateau n’est plus à démontrer et remonte aux époques pré- et protodynastiques (entre environ 4500 et 2700 ans avant notre ère). De nombreux objets ou représentations (reliefs rupestres ou décors de vases en terre cuite) évoquent l’usage du bateau à l’époque de Nagada (entre 3900 et 2700 ans avant notre ère) comme l’un des principaux moyens de locomotion et de transport. Ce rôle accru conduit rapidement à attribuer au bateau une certaine valeur au sein du système idéologique et symbolique en cours d’élaboration à cette époque. L ’apparition de bateaux miniatures remonte au moins à l’époque badarienne (du nom du site de Badari, entre 4500 et 3900 ans avant notre ère). Majoritairement fabriqués en terre cuite, ces modèles peuvent aussi avoir été créés dans des matériaux plus rares et précieux tels que la pierre ou l’ivoire. La plupart de ces objets proviennent de contextes funéraires bien que depuis une trentaine d’années, le développement des recherches archéologiques sur des sites pré- et protodynastiques ait permis la mise au jour de quantité d’exemplaires en contexte domestique et cultuel (par exemple sur le site d’Adaïma, Haute-Egypte). L ’objet acquis par le MAN en 2007 est un très rare modèle de la fin de l’époque prédynastique égyptienne conservé en aussi bon état. Long de 60 cm et de forme élégante, il présente une proue et une poupe relevées dont les extrémités sont malheureusement partiellement brisées. Il offre un parallèle direct à l’exemplaire exposé au musée du Louvre, acheté dans les années 1970 et qui provient également de la région de Gebelein en Haute-Egypte. Sur l’un des côtés de cet élément parallélépipédique, ont subsisté les restes de bandes de peinture claire analogues à celles visibles sur la barque du Louvre et qui pourraient figurer les planches d’une construction en bois. Un test de datation par thermoluminescence a confirmé l’attribution de l’objet à la période thinite (règnes des deux premières dynasties, entre 3100 et 2700 avant notre ère). Les parois plutôt minces et les extrémités aplaties ou « pincées » indiquent que ce modèle reproduit à peu près sûrement un navire de bois et non un bateau de papyrus. L’édicule central parfois interprété comme une sorte de « cabine », évoque plus probablement une chapelle en relation avec le contexte d’utilisation funéraire ou cultuel. Aux époques les plus anciennes, ces modèles de bateaux peuvent accompagner le mort et préfigurent en quelque sorte les exemplaires de taille réelle enterrés par la suite au sein des complexes funéraires royaux (Cheops à Giza ou Sesostris III à Dahchour) afin de faciliter le passage du défunt dans l’au-delà. L e site de Gebelein (“les Deux Montagnes”) est situé sur la rive gauche du Nil, à quarante kilomètres environ au sud de Thèbes. Occupé à partir de Nagada I (4000-3400 environ avant notre ère), ce site est particulièrement célèbre pour les fragments d’un tissu de lin peint découverts dans une tombe de cette période et actuellement conservés au Musée égyptien de Turin ou les deux exceptionnelles sculptures de « barbus » conservées au Musée des Confluences de Lyon. A l’époque proto-dynastique, y a été édifié un temple, dont la divinité n’est toujours pas identifiée, et qui serait en relation avec l’installation d’un village et d’une nécropole datant de la même période. Tant les ensembles funéraires que les différentes aires cultuelles ont livré une grande quantité de matériel (vases de terre cuite, matériel lithique, fragments de mobilier, fragments de tissu…) à l’occasion des nombreuses campagnes de fouille pratiquées depuis l’époque où Jacques de Morgan était Directeur du Service des Antiquités de l’Égypte (1892-1897) jusqu’aux dernières décennies du XX e siècle avec les travaux menés par le Musée égyptien de Turin et l’université La Sapienza de Rome. C ette acquisition récente permet de compléter la présentation des différents aspects de la vie nilotique tout au long du IVe millénaire et offre un élément de comparaison avec le modèle provenant de Hierakonpolis daté de l’époque antérieure de Nagada II. Le département d’archéologie comparée a ainsi pu enrichir d’un objet remarquable sa collection prédynastique, constituée au début du XX e siècle par les donations de Jacques et Henri de Morgan. Cette collection demeure aujourd’hui un ensemble de référence pour l’évocation de la formation de la royauté pharaonique. Modèle de bateau en terre cuite (Gebelein, Égypte) Conservation : Christine Lorre, conservateur chargé des collections d'Archéologie comparée au musée d'Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye Étiquette en ivoire avec représentation de bateaux Fragments de peinture sur toile de lin provenant de la la né- cropole de Gebelein - Conservée au Musée égyptien de Turin - Photo Université libre de Bruxelles Modèle de barque exposé au Musée du Louvre Photo : RMN-Grand Palais (musée du Louvre) RG Ojéda Bateau miniature découvert en contexte d'habitat à Adaïma (Haute-Egypte) - Dessin : Christiane Hochstrasser-Petit -5500 -5000 -4500 -4000 -3500 -3000 Fayoum Badarien Hierakon- polis Nagada I et II Dynastie I Maadi Nagada III Chronologie de l'Égypte pré- et protodynastique D'après B. Midant-Reynes, Préhistoire de l'Égypte. Des premiers hommes aux premiers Pharaons (1992)

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  • L’Objet du Mois est une opération réalisée en partenariat avec

    Dans un pays organisé autour de l’un des plus longs fleuves de la planète, l’importance du bateau n’est plus à démontrer et remonte aux époques pré- et protodynastiques (entre environ 4500 et 2700 ans avant notre ère). De nombreux objets ou représentations (reliefs rupestres ou décors de vases en terre cuite) évoquent l’usage du bateau à l’époque de Nagada (entre 3900 et 2700 ans avant notre ère) comme l’un des principaux moyens de locomotion et de transport. Ce rôle accru conduit rapidement à attribuer au bateau une certaine valeur au sein du système idéologique et symbolique en cours d’élaboration à cette époque.

    L’apparition de bateaux miniatures remonte au moins à l’époque badarienne (du nom du site de Badari, entre 4500 et 3900 ans avant notre ère). Majoritairement fabriqués en terre cuite, ces modèles peuvent aussi avoir été créés dans des matériaux plus rares et précieux tels que la pierre ou l’ivoire. La plupart de ces objets proviennent de contextes funéraires bien que depuis une trentaine d’années, le développement des recherches archéologiques sur des sites pré- et protodynastiques ait permis la mise au jour de quantité d’exemplaires en contexte domestique et cultuel (par exemple sur le site d’Adaïma, Haute-Egypte).

    L’objet acquis par le MAN en 2007 est un très rare modèle de la fin de l’époque prédynastique égyptienne conservé en aussi bon état. Long de 60 cm et de forme élégante, il présente une proue et une poupe relevées dont les extrémités sont malheureusement partiellement brisées. Il offre un parallèle direct à l’exemplaire exposé au musée du Louvre, acheté dans les années 1970 et qui provient également de la région de Gebelein en Haute-Egypte. Sur l’un des côtés de cet élément parallélépipédique, ont subsisté les restes de bandes de peinture claire analogues à celles visibles sur la barque du Louvre et qui pourraient figurer les planches d’une construction en bois. Un test de datation par thermoluminescence a confirmé l’attribution de l’objet à la période thinite (règnes des deux premières dynasties, entre 3100 et 2700 avant notre ère). Les parois plutôt minces et les extrémités aplaties ou « pincées » indiquent que ce modèle reproduit à peu près sûrement un navire de bois et non un bateau de papyrus. L’édicule central parfois interprété comme une sorte de « cabine », évoque plus probablement une chapelle en relation avec le contexte d’utilisation funéraire ou cultuel. Aux époques les plus anciennes, ces modèles de bateaux peuvent accompagner le mort et préfigurent en quelque sorte les exemplaires de taille réelle enterrés par la suite au sein des complexes funéraires royaux (Cheops à Giza ou Sesostris III à Dahchour) afin de faciliter le passage du défunt dans l’au-delà.

    Le site de Gebelein (“les Deux Montagnes”) est situé sur la rive gauche du Nil, à quarante kilomètres environ au sud de Thèbes. Occupé à partir de Nagada I (4000-3400 environ avant notre ère), ce site est particulièrement célèbre pour les fragments d’un tissu de lin peint découverts dans une tombe de cette période et actuellement conservés au Musée égyptien de Turin ou les deux exceptionnelles sculptures de « barbus » conservées au Musée des Confluences de Lyon. A l’époque proto-dynastique, y a été édifié un temple, dont la divinité n’est toujours pas identifiée, et qui serait en relation avec l’installation d’un village et d’une nécropole datant de la même période. Tant les ensembles funéraires que les différentes aires cultuelles ont livré une grande quantité de matériel (vases de terre cuite, matériel lithique, fragments de mobilier, fragments de tissu…) à l’occasion des nombreuses campagnes de fouille pratiquées depuis l’époque où Jacques de Morgan était Directeur du Service des Antiquités de l’Égypte (1892-1897) jusqu’aux dernières décennies du XXe siècle avec les travaux menés par le Musée égyptien de Turin et l’université La Sapienza de Rome.

    Cette acquisition récente permet de compléter la présentation des différents aspects de la vie nilotique tout au long du IVe millénaire et offre un élément de comparaison avec le modèle provenant de Hierakonpolis daté de l’époque antérieure de Nagada II. Le département d’archéologie comparée a ainsi pu enrichir d’un objet remarquable sa collection prédynastique, constituée au début du XXe siècle par les donations de Jacques et Henri de Morgan. Cette collection demeure aujourd’hui un ensemble de référence pour l’évocation de la formation de la royauté pharaonique.

    Modèle de bateau en terre cuite(Gebelein, Égypte)

    Conservation : Christine Lorre, conservateur chargé des collections d'Archéologie comparée au musée d'Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye

    Étiquette en ivoire avec représentation de bateaux

    Fragments de peinture sur toile de lin provenant de la la né-cropole de Gebelein - Conservée au Musée égyptien de Turin

    - Photo Université libre de Bruxelles

    Modèle de barque exposé au Musée du Louvre Photo : RMN-Grand Palais (musée du Louvre)

    RG Ojéda

    Bateau miniature découvert en contexte d'habitat à Adaïma (Haute-Egypte) -

    Dessin : Christiane Hochstrasser-Petit

    -5500 -5000 -4500 -4000 -3500 -3000

    Fayoum

    Badarien

    Hierakon-polis

    Nagada I et II

    Dynastie I

    Maadi

    Nagada III

    Chronologie de l'Égypte pré- et protodynastique D'après B. Midant-Reynes, Préhistoire de l'Égypte. Des premiers hommes aux premiers Pharaons (1992)