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    Marxune critiquede la philosophie

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    Isabelle Garo

    Marxune critiquede l philosophie

    ditions  u Seuil

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    Sommaire

    Abréviations 9 Introduction 11 1. M atérialism e et révolution 19 

    1. La critique de la religion 20 2. Droit et dém ocratie 33 3. Le travail et son aliénation 44 2. L idéologie 57 

    1. La philosoph ie allemande 59 2. Idéologie et conna issance 593. Production des marchandises et formationdes individus 603. Les luttes de classes 97 1. Un m anifeste 99

    2 .1 8 4 8 et la république 1153. La ligne descendante de la révolution . . . 1294. Le capital 147 1. M archandise et monn aie 1482. La surva leur 162

    3. Le fétichism e de la marchandise 1775. Travail et po litique 197 1. Propriété et personne • • • 1982. La division du travail 2063. Libération du temps 2124. Histoire et politique 225

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    de la philosophie 2411. Questions de méthode 2442. La dialectique com me scandale 2583. Idéologie science philosoph ie 267

    Conclusion 287 A N N E X E S

    Indications bibliograph iques 297 Glossaire 307 

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    Abréviations

    18B Le Dix-huit Brum aire de Louis BonaparteC Le CapitalCDPH Critique du droit politique hégélienContribution Contribution à la critique de V économiepolitiqueDifférence Différence de la philosophie de la naturechez Dém ocrite et EpicureGr « Grundrisse » ou Manuscrits de 1857-1858IA L Idéologie allemandeLDC Les Luttes de classes en FranceMP Misère de la philosophieMPC Le Manifeste du parti comm unisteM 44 Manuscrits de 1844QJ La Question juiveSF La Sainte Fam illeTPV Théories sur la plus-value

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    toire. Et le problème est complexe, car si cette histoire aconduit à occulter en partie la pensée marxienne, elle nese résume nul lement à l ' ensemble des «cont resens 2 »commis sur Marx. D'une par t , e l le détermine jusqu'àaujo urd 'hui la réception de son œuvre. D 'au tre part, l 'ori-ginalité de Marx réside précisém ent dans la volonté déli-bérée d'interven ir en politique, d'ins crire dans la pratiqueses découvertes théoriques, d'y enraciner le mouvementd 'une recherche cont inuée e t d 'engendrer une descen-dance. C'est pourquoi la lecture de Marx aujourd'hui nesaurait être indépendante d'une évaluation de son actua-lité persistante et de sa portée critique maintenue ou biende son ancrage dans un mo nde d isparu et de son ob soles-cence définitive.Doctrine de pouvoir ou pensée de résistance, confor-mism e ou dissidence, doctrine close ou recherch e inache-vée, le marxisme a de mult iples f igures qui informentnécessairement la découverte ou la redécouverte destextes de M arx lui-mêm e, au jou rd'h ui com m e hier. A cetégard, l 'ambition d'une lecture pure de toute idée pré-conçue parce que dépourvue de tout enjeu risque fort den'être pas plus f idèle à l 'auteur que la présentation dupalimp seste avec lequel on le co nfo nd parfo is. N e serait-ce que parce que la l ia ison inédite qu ' instaure Marxentre théorie et pratique est à la fois une des questionshis tor iques majeures du  XXE siècle, m ais a uss i un desproblèm es internes à sa pen sée, et cela dès le m om ent desa formation. De l 'ensemble de ces aff irmations surgitun parad oxe , f inale m ent bien con nu : com m en t l i reMarx, sachant que la recherche de sa philosophie nerencontre que la préconception qu'on en a e t que lemot d'ordre d'un retour aux textes mêmes est une néces-sité autant q u 'u n leurre ? L 'obje ctif de la présen te lectureest justement de fa ire d 'une te l le diff iculté une voied 'accès à l 'œuvre de Marx e t non un obstac le inf ran-chissable.On commencera par distinguer trois dimensions dansla question de la philosophie de Marx, qui maintiennentsa pertinence mais obligent à reconsidérer sa définition.D'une part, elle ressortit à une façon de concevoir le tra-

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    ration de leur sens. D'autre part, elle concerne le débatpermanent qu'entretient Marx avec un certain nombre dephilosophes, Aristote , Hegel , Feuerbach, notamment,mais aussi Kant, Smith et Stirner, entre autres encore. Entroisième l ieu, l 'é tude de la formation économique etsociale comme totalité articulée et se transformant conti-nûment au cours du temps le conduit à aborder la ques-tion de l 'histoire, de sa connaissance et de sa maîtrise.Dans le même temps, il lui faut étudier prioritairement larelation entre les dimensions économiques, sociales etpolitiques de cette totalité historique qu'est le mode deproduction capitaliste, les conditions du développementdes individus qu'il implique et la possibilité de supprimerles rapports de domination et d 'exploitation qui y pré-valent.L 'ensemble de ces quest ions si tue Marx à l 'évidencesur le terrain de la philosophie, même s'il s'agit aussitôtpour lui d'en reformuler les problèmes et d'en récuser untraitement strictement théorique. Le problème est désor-mais de relier une nouvelle théorie de l'histoire à la per-*spective de sa maîtr ise collective, enfin rationnelle. I ls 'agit d'articuler la perspective d'un dépassement révolu-tionnaire à une analyse des lois de fonctionnement et descontradictions essentielles du m ode de production capita-liste. La question des fondements et de la validité de lathéorie s 'y joue, qu'elle soit ou non thématisée commetelle. La définition du matérialisme et celle de la dialec-tique sont de ce point de vue, en effet, placées au centredu projet marxien, même s'il convient d'être attentif à laplace exacte qu i leur est accordée. En ce sens, il fau t dé fi-nir en quoi exactement la critique de l'économie politique- nom propre de la théorisation marxienne à l 'époque desa plus grande maturité - est aussi, de façon permanente,une critique de la philosophie, m êm e si elle ne s'y résum epas.L'examen du tra i tement de ces quest ions par Marxexige qu'on adopte quelques principes de lecture. D'unepart, et trivialement, le projet d'une introduction à la lec-ture de l'œuvre impose de distinguer, autant que faire sepeut, les énoncés de Marx lui-même des interprétations et

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    vert de sa propre autorité. La tâche est malaisée. Il fautcom m encer par aff i rm er qu ' i l n 'exis te pas de ph i losophiemarxienne, élaborée et présentée comme telle : c 'est sansdoute pourquoi cette philosophie introuvable est devenuele l ieu d 'élection d 'un marxisme ventri loque. I l convientdonc de soul igner les cont inui tés e t les ruptures , lesreprises et les tensions internes d 'une œuvre foisonnante,en chantier permanent, et qui ne cesse de reprendre sespropres questions, parfois sans en proposer de trai tementachevé et sans atteindre de conclusion définit ive. Redéfi-nie ainsi , l 'ambition d 'une fidéli té aux textes cesse d 'êtreprésomptueuse. Elle se trouve depuis longtemps à l 'ori-gine d 'études nombreuses et précises, dont une sélectionest prop osée d ans la bibliogra phie.Un second principe d 'analyse es t l 'hypothèse qui four-nit son plan à cet ouvrage. Car dire qu'i l n 'existe pas dephi losophie chez Marx, c 'es t encore présupposer cequ 'elle est , pou rrait ou devrait être et tranch er par ava ncele problèm e à é tudier . I l se t rouve qu 'u n m oy en d 'é ch ap -per à cette difficulté, sans renoncer à l 'éclaircir au termede l 'enquête, consiste à part ir de l 'un des problèmes tra-dit ionnellement trai tés quand on parle de philosophie ausujet de Marx. C'est en effet la question d 'une théorie dela connaissance qui est de prime abord présentée commele cœur d 'un matérialisme dialectique, défini comme ana-lyse des condit ions de poss ibi l i tés e t d 'effect ivi té de lanouvel le concept ion de l 'h is toire qu ' i l é labore . Ce sontencore une fois En gels  a puis Lén ine b  qui travailleront les

    a. Par exemple, Engels, présentant en 1886 le renversementde la philosophie hégélienne opéré par Marx et lui-même, écrit :« Nous conçûmes à nouveau, en matérialistes, les idées de notrecerveau comme étant les reflets des objets, au lieu de concevoirles objets réels comme étant les reflets de tel ou tel stade del Idée absolue » (Friedrich Engels, Ludwig Feuerbach et la Finde la philosophie  classique allemande  trad. E. Bottigelli, Édi-tions sociales, 1979, p. 83).b. Par exemple encore, Lénine écrit en 1907, dans Matérialisme et  mpiriocriticisme  à propos du livre d Engels Socia

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    décevant et accréditer la thèse que Marx ne serait pas unphilosophe tout s implement parce qu ' i l est un écono-miste.Mais une seconde découverte dément aussitôt cettehypothèse trop simple : si l 'on cherche les occurrences duterme de reflet, on rencontre une constellation de termesqui s 'y rattachent, un jeu d'an alog ies répétées et de m éta-phores f i lées, qui prouvent que la question n'est pasvaine. Au-delà d'une théorie de la connaissance, la notionde reflet renvoie presque aussitôt à un ensemble de phé-nom ènes bien plus vastes, extraordinairement diversifiés,que M arx désigne du nom d e représentation. C e point estessentiel parce qu 'il pçrmet d e formu ler une hypo thèse delecture dont la pertinence peut être précisément évaluée :des premiers aux derniers textes, sans exception, la ques-tion de la représentation se révèle un des soucis théoriquesles plus constants de Marx et le lieu d'une élaborationthéorique sans équivalent, qui tend à unifier l 'ensemblede sa recherche, sans la clore pour autant en une doctrineachevée ou même simplement cohérente.Marx est donc un penseur de la représentation : la sur-prise est de taille et il faut le souligner, dans la mesure oùelle est de nature à perm ettre de poser à nouvea ux fra is laquestion de la philosophie marxienne. Se demander cequ'est la théorie du reflet chez Marx aboutit presque obli-gatoirement à la construire à sa place, mais c'est précisé-ment le constat de son invention par une partie dumarxisme qui permet de faire émerger une question quiresterait autrement peu visible. En effet, la questionmarxienne de la représentation ne saurait se constituer enthéorie générale sans reconduire Marx dans les ornièresthéoriques dont il veut sortir. Pour autant, une telle ques-tion n'est nullement absente de sa recherche : elle est enfait l 'objet d'un traitement non classique, qui désarçonnetous les présupposés. Le problème à traiter est alors lesuivant : qu'est-ce que la représentation pour Marx, etquels problèmes cherche-t-il à traiter par l 'intermédiairede cette notion? On peut expliquer simplement et d'en-trée de jeu la prégnance de cette dernière : Marx est lethéoricien de l 'his toire humaine, entendue comme la

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    leurs condi t ions d 'exis tence . Les format ions écono-miques et sociales qui scandent cette histoire sont àconsidérer comme des totali tés traversées de contradic-tions qui déterminent le mouvement de leur maturationou celui de leur dépassement. La thèse de Marx est qu'ilfaut analyser les conditions réelles de ce devenir histo-rique pour comprendre à chaque époque la façon dont leshommes forgent des idées, des croyances, des représenta-tions du m on de et d 'eu x-m êm es. L es représentations sontà la fois secondes pa r rapport à une base, mais impliquéespar elle, nécessaires à son existence même, l 'ensembleconstituant ce qu'i l nomme une formation économique etsociale. Elles sont le lieu de fermentation puis de formu-lation du projet communiste, la condition de possibilitéde la théorie marxienne elle-même.Cette question permet d'aborder comme de biais le pro-blème d'une philosophie marxienne : car le statut de lareprésentat ion concerne tout autant l 'œuvre de Marxelle-même, en tant qu'elle est une construction théoriqueliée à un moment historique déterminé. Qu'une théories 'attache à rendre compte réflexivement d 'elle-même ets 'e ffo rce de définir son propre statut permet d 'aff irm er sadimension philosophique intrinsèque, sans préjuger pourautant de l 'édifica tion d'u n e théorie cohérente et exposéecomme telle. De plus, la notion de représentation est unedes notions les plus classiques de la philosophie et sur-tout un concept clé de l'idé alis m e allem and : elle fou rnit àMarx l 'occasion d 'une confronta t ion ser rée e t perma-nente avec cette tradition, en particulier avec Hegel, alorsmême qu'i l procède souvent par remarques incidentes oumême par simples allusions.En ce sens, l 'opération continue de critique et de rééla-boration don t elle est l 'o bj et con tribue à en faire un o bjetde second plan, mais aussi un horizon permanent de larecherche, alors même que le but premier de cette der-nière est d'élaborer ou de redéfinir les notions cardinalesde l 'analyse positive : classe, survaleur, aliénation, etc.Instrument critique, la notion de représentation est un filcatégoriel, situé au plus près du m ouv em ent d'élabo rationde la pensée, e t qui s 'entremêle toujours aux autres

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    disparaître tout à fait. L'examen de cette notion présentel 'avan tage d e m aintenir ouverte la question d e la ph iloso-phie de Marx, en la déplaçant sur le terrain d'une orienta-tion de lecture à mettre en œuvre, et non d'une thèsegénérale qu'i l s 'agirait seulement de vérif ier ou dedémentir. On peut alors, du fait de la permanence de ceproblème, parler d'une critique de la philosophie, jamaisabandonnée par Marx, y compris au sein des œuvres quisemblent les plus étrangères à cette préoccupation.

    En ce sens, la philosophie de M arx est moins à chercherdans des thèses ou des questions qu'il partagerait avec sesprédécesseurs, que dans le mouvement de recherche quile caractérise en propre, qui est un ensemble de résultatset de conclusions autant que de tensions et de reprises. Ilest banal de dire que toute pen sée véritablem ent nov atricerécuse les termes antérieurs de sa définition : la preu ve laplus convaincante, finalem ent, de l 'exis ten ce d e cette cri-tique marxienne de la philosophie est la résistance qu'elleoppose à toute tentative de la mouler dans un cadre quilui est étranger. Le propos de cette étude est donc dedégager puis de suivre le fil qu'on vient de présenter, enmontrant que s'y relient les constructions conceptuellesmajeures de Marx. Loin de prétendre à l 'exhaustivité, ona souligné certains axes seulement, signalé plusieurspistes et abandonné au lecteur le soin de juger par lui-même, de poursuivre l 'enquête , de commencer ou de•recommencer la lecture.

    *

    N O T E S1. Concernant cette question, on consultera Étienne Balibar, LaPhilosophie de Marx La Découverte, 1993. Pour une présentationgénérale de l histoire du marxisme, cf. André Tosel, « Le dévelop-pement du marxisme en Europe occidentale depuis 1917 »,  His-toire de la philosophie, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade »,

    t. III, 1974.2. Cette définition du marxisme est celle de Michel HenryC  rx   Gallimard, 1976, t. 1, p. 9).

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    C H A P I T R E IMatérialisme et révolution

    Quitte Berlin avec son sable épais,Son thé léger et ses gens astucieuxQui, étant hégéliens depuis belle lurette,Ont parfaitement compris Dieu, le monde[et eux-mêmes.

    Heinrich Heinex.Les premiers textes de Marx se répart issent en deuxcatégories : d 'u n e part, des articles politiques, publiés p our

    la plupart dans la  Gazette rhénane, d 'autre part, des essaiede tournu re plus philosop hique, p arfois publiés égalem entsous forme de longs articles, en particulier dans l 'uniquenuméro des  Annales franco allemandes.  L 'ensem ble deces textes proc ède à la m ise en place d ' u n certain nom brede thèm es et d 'ax es de recherche qui ne seront plus jam aisabandonnés par Marx, mais sans cesse retravaillés et par-fois déplacés. Le s thèm es ma jeu rs que l 'o n peut schémati-quement recenser entre les années 1841 et 1844 sont lareligion, le droit, la démocratie et la révolution, le travailet son aliénation, le matérialisme et la philosophie, toutesquestions liées entre elles, d'entrée de jeu, par le problèmede l 'ém an cipa tion et de la l ibération hum aines.Si donc une périodisation qui dist ingue les œuvres dejeu ne sse de celles de la m aturité est légit im e, l ' idée d 'u n ecoupure rad ica le a  entre ces deux périodes efface le tra-a. Cette thèse  a été soutenue par Louis Althusser dans la Préfacede  965 à Pour Marx  La Découverte, 1986, p. 10-32. Elle sera par

    la suite réélaborée en terme de « coupure continuée » {Lénine et laPhilosophie  Maspero, 1975, p. 21), qui souligne davantage le retra-vail constant opéré par Marx sur ses propres catégories.

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    vail permanent et l'effort continu de reprise qui conduitMarx à sans cesse remettre sur le métier les notions qu'ilélabore. On s'efforcera de mettre avant tout en évidencece qui constitue le moteur intérieur de la recherche et quis'alimente à la volonté d'une plus grande rigueur théo-rique en même temps qu'à la décision précoce de contri-buer à la transformation pratique radicale de la réalité. Aucours de cette première période, Marx passe d 'une orien-tation libérale et démocratique à un engagem ent com mu-niste affirmé, dont la revendication coïncide avec la dif-fusion des idées socialistes, notamment françaises, enAllemagne, ainsi que l 'organisation, sous des formesdiverses, des mouvem ents ouvriers européens.1. La critique de la religion

    Le problème religieux se trouve, à partir des années1830, placé au centre des débats intellectuels et politiquesen Prusse. Il cimente précisément l 'unité de ces deuxdimensions, d'abord parce que la Prusse est un État chré-tien, ensuite parce que la question religieuse est l'occa-sion d'aborder indirectement et assez librement, sous lerègne de Frédéric-Guillaume III, des problèmes poli-tiques soumis par ailleurs à la censure. En outre, du faitde l'importance de premier plan de la pensée hégéliennesur la scène théorique allemande, la question du statut dela religion, à la fois par rapport à la philosophie et parrapport à la politique, est une question philosophique àpart entière et devient le centre même d'une réinterpréta-tion de l'œ uvre du maître par des épigones aussi soucieuxd'en démontrer l 'actualité que d'en poursuivre l'élabora-tion et l 'adaptation aux nouvelles circonstances histo-riques du moment.Hegel demeure en effet des années 1820 jusq u'e n 1840environ, la figure de proue de la philosophie mais ausside la pensée politique allemandes. A Berlin, c'es t EduardGans, un élève de Hegel, qui enseigne devant un audi-toire compact et enthousiaste la philosophie du droit deson maître, quelque peu mâtinée de saint-simonisme, et

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    péen de la Révolut ion française . Son adversaire e t col-lègue, Friedrich Karl von Savigny, déjà combattu en sontemps par Hegel, défend dans la même université les doc-trines de l 'école historique du droit , notamment la supré-matie du droi t coutumier e t la légi t imité d 'un État ger-mano-chrét ien t radi t ionnel , à l 'encontre des théories dudroit naturel moderne ainsi que de toute définit ion ration-nel le du droi t qui en autoriserai t la modernisat ion. Cesdeux ense ignants ont en commun un audi teur , le jeuneKarl Marx, qui baigne ainsi , dès ses années de formation,dans des débats prenant la phi losophie hégél ienne à lafois pour enjeu e t pour moyen. I l envisage la rédact iond'une philosophie du droit et devient dès 1837 (i l n 'a pasvingt ans) membre du  oktorklub, centr e de la vie intel-lectuel le berl inoise , qui évolue vers un républicanismeaux accents toujours plus radicaux.Précisément en raison de l 'ensemble de ses tenants etaboutissants phi losophiques , théologiques e t pol i t iques ,ce t te ré in te rpré ta t ion de l 'hér i tage hégél ien s 'e f fec tueselon deux direct ions incompatibles e t donne rapidementnaissance à deux camps phi losophiques e t pol i t iques enlutte violente. D'un côté, le courant des Vieux Hégéliensrassemble des universitaires conservateurs, surtout at ta-chés à défendre l ' idée d 'une réconcil iat ion entre la reli-g ion e t la phi losophie , sous l ' ég ide d 'un Éta t pruss iencensé incarner la ra t ional i té réal isée . De l 'autre , lesJ eunes Hégé l i ens , e t no t ammen t Bruno Baue r a , entre-prennent une discussion cri t ique du statut de la religionqui les conduit à dis t inguer , au sein de l 'œuvre hégé-lienne, une doctrine ésotérique, radicale, et une doctrineexotér ique , prudente . La doct r ine ésotér ique e t révolu-

    a. Bruno Bauer (1809-1882) est un philosophe jeune-hégélienqui développe une critique radicale du christianisme et proposeune relecture de Hegel selon cette perspective. Il élabore unedialectique historique alternative, qui assimile la contradiction àune négation. Après une collaboration étroite, Marx et Engelsrompront fin 1844 avec Bauer ainsi qu avec la totalité du groupeBerlinois des « Freien ». Cette rupture est préparée par le vif

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    tionnaire présente une orientation jacobine et athée, mas-quée sous les dehors rassurants d'une apologie de l 'ordreexistant et d 'une conciliation entre philosophie et reli-gion.On mesure à quel point une telle affirmation, si elleprésente d'évidents bénéfices politiques pour un courantathée et convaincu que l'É tat est en marche ve rs sa libéra-l isat ion, susci te sur tout d ' immenses diff icultés théo-riques, au service de la résolution desquelles les JeunesHégéliens mettront toute leur énergie. Car le problèmedevient aussi celui de la définition de la dialectique et dustatut de la médiation : à déchirer ainsi la pensée hégé-lienne en deux composantes qui ne sont plus l iées quepar stratégie d'écriture, on rend incompréhensible lathéorie de l'État et du devenir historique telle que l'avaitprésentée Hegel.Pour Hegel2 , l 'État accomplit en effet et surmonte lesdeux moments encore disjoints de la famille et de lasociété civile, celui de l 'unité immédiate qui fait de l ' in-dividu un membre du groupe, et celui de la différencia-tion accomplie des individus adultes destinés à devenir,hors de la sphère familiale, « des perso nne s p rivées quiont pour but leur intérêt propre 3 ». L ' in térê t commundevient alors le but conscient de l'individu qui, en retour,réalise pleinement sa destination, « mener une vie univer-s e l l e 4 », ce qui permet à Hegel de qualif ier l 'État de« rationnel en soi et pour soi 5  ». L'histoire est le proces-sus de la formation dialectique d'un tel État rationnel, àtravers les multiples étapes qui le reconduisent finalementà son principe immanent, l 'Esprit. Mais cette formationn'est pas une émergence linéaire et sans heurts : elles'opère selon un constant mouvement de sursomption oude dépassement des contradictions objectives. Un teldépassement s 'effectue au travers de l 'unif icat ionconcrète des intérêts divergents qui déchirent la sociétécivile-bourgeoise, d'a bo rd en proie au règne de l 'ég oïs m eet de besoins individuels qui n'ont pas encore été pleine-ment et durablem ent articulés en un sy stème cohérent.De ce point de vue, le passage à l 'État rationnel n'estpas à concevoir comme l 'ajout extérieur d 'une instance

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    sans précédent : il est l 'universalité concrète, qui émergede l 'unité plus profonde et toujours déjà effective qui lietout besoin à tout autre et qui, derrière l 'apparente guerredes intérêts privés, en prépare d'ores et déjà la pacifica-tion rationnelle, enfin consciente d'elle-même et vouluecomme telle. Dans la conception hégélienne de la dialec-tique, les contradictions historiques objectives constituentla médiation même qui assure leur dépassement en direc-tion d'un moment supérieur du développement de l 'Es-prit objectif (lui-même antérieur, il faut le rappeler, àl 'Esprit absolu, qui en est l 'achèvement véritable). Etc 'est pourquoi Hegel prend soin de qualif ier d 'ores e tdéjà d' « État extérieur » la société civile-b ou rgeo ise6 .Face à ce qu'i ls considèrent comme l 'échec de l 'Étatprussien, incapable de prendre en considération la sociétécivile et ses intérêts propres, les Jeunes Hégéliens sevoient contraints de réformer la conception hégélienne dela dialectique et en particulier de contester l 'objectivitéque Hegel prête à des médiations historiques concrètescensées préparer l 'avènement nécessaire d'un État enfii)conforme à son concept. Si le pronostic hégélien s'avèrefaux, c 'est les principes mêmes de sa formation qu'il fautréviser et le statut de la contradiction qu'il faut revoir.Perdant son statut objectif de médiation historique, celle-ci devient scission entre, d'un côté, une conscience poli-tique malheureuse et çritique et, de l 'autre, une monar-chie prussienne anachronique et irrationnelle.La seule contradiction qui persiste, pour les Hégéliensde gauche, est finalem ent celle qui oppo se le devoir-être àl'être et la conscience de soi au monde, la critique antire-ligieuse apparaissant comme le moyen principal de hâterla réforme de l 'État prussien. La contradiction cessed'être objective et motrice et un net retour aux théma-tiques fichtéennes de la conscience et de la volonté trans-paraît derrière la volonté a ffiché e d'ortho doxie hégélienne.En plus d e la dialectique et par voie de conséquence, c'e stla définition et le contenu même de l 'action polit iquequi s 'avèrent problématiques, ce qui fera de ce courantcontestataire une école à la fois de plus en plus isoléeet de plus en plus divisée. Son impuissance polit ique

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    qui revient sur la libéralisation relative du début du siècle,en par t icul ie r après l ' access ion au t rône de Frédér ic -Gui l laume IV en 1840, décevant rapidement tous lesespoirs placés en lu i 7 . Convaincu que la lutte contre l 'hé-gélianisme est une priorité, il organisera la censure de lapresse , nommera Schel l ing à Ber l in , révoquera BrunoBauer en 1842, accentuant ainsi le désarroi au sein desHégéliens de gauche.Dans un tel contexte, on mesure à la fois l 'originali téde la s i tuation allemande au sein de l 'Europe des années1830 à 1840, e t on devine l 'exaspérat ion d 'une jeunessecrit ique et porteuse d 'aspirations l ibérales dont Marx faitpart ie . I l se dist ingue pourtant rapidement de ce courant,parce que les t imides appels ré formis tes de la gauchehégél ienne e t ses é ternel les reconstruct ions doctr inalescesseront vite de le satisfaire, après lui avoir fourni pour-tant l 'occasion de ses premières réflexions originales etde ses premières discussions passionnées. Plus générale-ment, la répression conduit à la radicalisation poli t iqued 'une part ie de cet te mouvance, tandis qu 'e l le provoquele retrait prudent d 'une autre part ie , se repliant dans l ' in-act ion e t le pess imisme pol i t iques , voire , au bout d 'unmoment , ra l l ian t le pouvoir en p lace . Après une brèvecol labora t ion , Marx s 'é lo igne de Bruno Bauer , de saconvict ion que la pensée seule es t agissante pol i t ique-m ent et de sa lutte exclu sive con tre l 'alié na tion religieuse.If se sent alors plus proche de Ludwig Feuerbach, maisauss i d 'A rno ld R uge et de Mo ses Hess  a, ces derniers pré-

    a. Ludwig Feuerbach (1804-1872) développe une philosophematérialiste qui se présente à la fois comme une critique deHegel, une explication de la genèse des idées religieuses (L Es-sence du christianisme y  1841) et une théorie des sensations.Appartenant à la mouvance des Jeunes Hégéliens, il marqueraprofondément la pensée de son époque.Arnold Ruge (1802-1880), philosophe de formation, est unJeune Hégélien actif qui travaille dans des revues et des jour-naux à propager des thèses de plus en plus critiques à l égard del État prussien, jusqu à prôner ouvertement la démocratie à par-tir de 1843. Il collabore avec Marx dans le cadre des  Deutsch-

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    sentant à ses yeux le mérite d 'engager une cri t ique plusdirecte de la politique prussienne et de la réalité socialedans son ensemble. Dans le cadre de la  Gazette rhénane,d'a bo rd dir igée par Mo ses Hess , puis par Marx lui-m êm e,on voi t se dess iner une nouvel le l igne d 'opposi t ion quilutte pour la l iberté de la presse, s ' intéresse au chartismeanglais e t au social isme français e t pose la quest ionsociale à la fois sur le terrain politique et hors de lui.Po ur autant , M arx ne tourne nul leme nt le dos aux q ues-t ions posées par les Jeunes Hégél iens berl inois . I l s 'ef-force au contraire de rendre compte du caractère étroit deleur approche , en la ré insérant dans une ana lyse p luscom plète de la réal ité pruss ienn e d 'u n e part , en reprenantà no uve au fra is la lecture de l 'œ uv re hégé l ienne considé-rée comme un tout, d 'autre part . Par suite, la question dela religion qui ne disparaît plus de son œ uv re n 'e st pas u nsimple prél iminaire à ses analyses ul tér ieures . El le es tbien la condi t ion e t la première mise à l 'épreuve d 'uneexplication de la genèse et de la fonction des représenta-t ions re l ig ieuses . Le problème de Marx es t double : i lne s 'ag i t pas de dénoncer la c royance re l ig ieuse , maisd 'a bo rd d 'ex pl iq ue r sa form ation e t sa pers is tance. I l fautdo nc en second l ieu la réinsérer au sein de l 'en se m bl e desautres représentations qui, comme elle, sont issues du réelmais n 'en sont pas coupées puisqu 'e l les y jouent un rôlespécifique qu'i l faut à son tour analyser.Cette orientation n 'est pas une rupture avec la philoso-la révolte des tisserands de Silésie et, au-delà de cet épisode,leurs opinions divergentes concernant la possibilité même d'unerévolution sociale en Allemagne.Moses Hess (1812-1875), partisan précoce du communisme,propose dans la  Triarchie européenne  (1840) une théorie del'histoire moderne qui fait succéder à la Réforme allemande laRévolution française et annonce la révolution sociale en Angle-terre. Il développe une critique de l'argent fortement inspirée dela philosophie de Feuerbach. Il collabore à la Rheinische Zei-tung , ainsi qu 'aux Deutsch Franzôsische Jahrbûcher  et orga-nise de concert avec Engels des réunions communistes à Eber-

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    ques t ion c lass ique des preuves de l ' ex is tence de Dieu,te l le que la t ra i tent Kant e t Hegel , prenant prétexte del a po l émique engagée pa r P lu t a rque con t r e l a t héo lo -gie d 'Épicure. I l est patent que Marx aborde ici une ques-t ion d ' a scendance j eune-hégé l ienne en l a dép laçan t enpartie sur le terrain de l 'histo ire d e la p hilosop hie.

    Pour faire mention ici, en passant, d'un thèmepresque devenu fameux,  les preuves de l existence deDieu , disons que Hegel a retourné d'un seul geste cespreuves théologiques, c'est-à-dire les a rejetées pourles justifier. Q u'es t-ce donc que ces clients que l 'avo-cat ne peut soustraire à la condamnation qu'en lesassom mant lui-même ? Hegel interprète, par exem ple,la conc lusion du m on de à Dieu sous cette form e :« C'e st parce que le fortuit n'e st pas  que Dieu ou l 'ab-solu est. » Mais la preuve théologique dit à l'inverse :« Parce que le fortuit a un être vrai, Dieu est. » Dieuest la garantie pour le monde fortuit. Il va de soiqu'ainsi l 'inverse se trouve également affirmé.Les preuves de l 'existence de Dieu, ou bien ne sontrien que des  tautologies vides  - par exemple, lapreu ve onto logiqu e revient à ceci : « ce qu e je m ereprésente réellement [reali ter] est pour moi unereprésen tation réelle », cela agit sur m oi, et en ce senstous les dieux, les dieux païens aussi bien que le Dieuchrétien, ont possédé une existence réelle. L'antiqueMoloch n 'a- t - i l pas régné? L 'Apollon de Delphesn'était-il pas une puissance réelle dans la vie desGrecs ? Sur ce point, la critique de Kant ne prouverien elle non plus. Si quelqu'un s 'imagine possédercent thalers, si cette représentation n'est pas pour luiune représentation subjective quelconque, s'il y croit,les cent thalers imaginés ont pour lui la même valeurque les cents thalers. Il contractera, par exemple, desdettes sur sa fortune imaginaire, cette fortune  aura lemême effet que celle qui a permis à V hum anité entièrede contracter des dettes sur ses dieux.  Au contraire,l 'exem ple de Kant aurait pu con firmer la preuve onto-logique. Des thalers réels ont la même existence quedes dieux im aginés. Un thaler réel a-t-il une existenceailleurs que dans la représentation, même si c'est une

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    hommes ? Apportez du papier-monnaie dans un paysoù l'on ne connaît pas cet usage du papier, et chacunrira de votre représentation subjective. Allez-vous-enavec vos dieux dans un pays où d'autres dieux ontcours, et on vous démon trera que vous souffre z d'h al-lucinations et d'abstractions. Et on aura raison. [...]Ou bien les preuves de l'existence de Dieu ne sontrien d'autre que  des preuves de Vexistence de laconscience de soi humaine essentielle, des explica-tions logiques de cette conscience de soi.  Parexemple, la preuve ontologique. Quel être est immé-diatement, dès qu'il est pensé ? La conscience de soi.En ce sens, toutes les preuves de l'existence de Dieusont des preuves de sa   non-existence, des  réfutationsde toutes les représentations qu'on se fait d'un dieu.Les véritables preuves devraient dire au contraire :« Parce que la nature est mal organisée, Dieu est. »« Parce qu'il y a un monde déraisonnable, Dieu est. »Mais qu'est-ce à dire sinon que   c est pour celui quiconsidère le monde comme déraisonnable, et qui estdonc lui-même déraisonnable, que Dieu est ? Autre-ment dit, la déraison est l existence de Dieu10 .

    Ce texte est remarquable par sa densité, dans la mesureoù Marx y discute en philosophe la critique hégélienne deKant, tout en abordant la question générale de la repré-sentation à travers l 'ex em pl e singulier de la m onn aie, lui-même emprunté à Kant , mais qui permet jus tement desort i r du terra in phi losophique pour examiner la pert i -nence du concep t de représentation. M arx y esquisse p ou rla première fois un matérialisme qui n 'est pas une réduc-tion de la représentation à ses causes, mais le programmed'une explication de ses effets .La preuve ontologique, proposée par saint Anselme etréélaborée par Descartes, affirme que la notion de Dieucomme être parfait et tout-puissant inclut nécessairementl 'existenc e. Le nerf de la cri tique kan tienne consiste dan sle refus d 'accorder la réali té au prédicat de l 'existence,prédicat qui a été posé indûment comme contenu analyti-quement dans l 'essence. On ne saurai t donc, comme l 'a

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    sibilité à l 'être. L a connaissance n'atteint de l 'ob jet que lareprésentat ion qu'e l le en construi t . C 'est pourquoi ,conclut Kant, «je suis plus riche avec cent thalers réelsqu'avec leur s imple concept (c 'est-à-dire qu 'avec leurpossibilité). D ans la réalité en effe t, l 'o bj et n 'es t pas seu-lement contenu analytiquement dans mon concept, maisil s 'ajoute synthétiquement à mon concept (qui est unedétermination de mon état), sans que, par cette existenceen dehors de mon concept, ces cent thalers conçus soientle moins du monde augmentés 11 ».D'après Hegel, la faille de la critique kantienne résidedans l 'opposition établie entre l 'être et le connaître,caractéristique de la pensée d'entendement3 . L'élévationde l'esprit à Dieu « est une élévation de la pensée et dansle règne de la pe ns ée 1 2 » . La représentation est en fait tra-vaillée de l ' intérieur par ce qui excède sa f initude, faitéclater sa forme syllogistique et la met en contradictionavec elle-même, mais à seule f in de rendre possible saréélaboration dialectique. Ainsi, c 'e st « la conscience desoi de Dieu qui se sait dans le savoir de l 'homme 1 3 » .L'accès de l 'esprit subjectif à Dieu implique que soitdépassé le caractère unilatéral du connaître tel que Kantle dé fin it : on se trouve bien là sur le terrain d e la questiondu rappo rt entre philosop hie et religion, si discutée par lesécoles hégéliennes.Sur cette question , Marx prend aussitôt la critique hégé-lienne à contre-pied. Si Hegel a raison de rejeter la sépa-

    a. La pensée d entendement se caractérise par l analyse del objet et la distinction de ses caractéristiques abstraites. Cetteopération dissociante de l entendement précède et ouvre la voieà la saisie du m ouvement de la chose , propre à la raison, en tantqu elle fluidifie et totalise les moments antérieurement disjoints.Concernant la philosop hie, qui s attache à la vie propre duconcept, Hegel écrit  « ce n est pas l abstrait ou ce qui est privéde réalité effective qui est son élément ou son contenu, maisc es t l effectivem ent réel, ce qui se pose soi-mêm e, ce qui vit ensoi-même, l être-là qui est dans son concept »   (Phénoménologiede l Esprit, trad. J. Hyppolite, Aubier, 1941, t. I, p. 41 ). Ainsi,« la connaissance scientifique exige qu on s abandonne à la vie

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    ration de la philosophie et du monde, il a tort d'en affir-mer l 'uni té spécula t ive e f fec t ive , abs t rac t ion fa i te detoute ac t ion pra t ique qui a pour tâche d 'accompl i rconsciemment cette unité. Kant, de ce point de vue, estbien inspiré de s 'a ider de l 'exemple des thalers , quiprouve avant tout la portée objective des représentationssubject ives . La monnaie es t une représentat ion conven-t ionnel le qui ne vaut qu 'en vertu de la confiance deséchangistes en sa valeur : Marx aura amplement, par lasuite, l'occasio n de revenir sur ce pro blèm e. Pour l 'he ur e,la question se trouve aussitôt déplacée de l 'examen de lafacul té de connaî t re e t de l 'es t imation de ses l imites àl 'analy se des eff ets produ its par les représen tations, m on -naie ou dieux, sur lès relations qu 'étab lissen t les h om m esentre eux. Les preuves de l 'exis tence de Dieu prouventbel et bien une chose : le fait de la croyance et sa naturecollective, c 'est-à-dire sociale. Que l ' idée corresponde ounon à une essence réel le n ' importe pas pour celui quirègle ses comportements sur sa croyance et agit effecti-vement en fonction de la représentation qu'i l se fait del 'ordre du monde ou de l 'é tat de sa fortune. Et Marx neprend pas la pe ine de d is t inguer la monnaie commeconvention collective et la représentation subjective decelui qui pense en posséder telle ou telle quantité déter-minée.L'essentiel est que, contre Hegel, mais à l 'aide de ses^propres arguments, il faut affirmer que l 'être de la repré-sentation est distinct de la représentation de l 'être. Maiscet écart ne saurait être résorbé par la reprise spéculativedu contenu de la représentation. Il est une contradictionréelle, qui ouvre le champ à une étude historique de lagenèse de la croyance et de sa fonction sociale exacte. Onvoit d 'emblée que Marx, d 'une part , reformule la ques-t ion qui préoccupe tant les Jeunes Hégél iens e t lesenferme dans une cri t ique de la religion, et , d 'autre part ,élargit le problème de la représentation à la sphère écono-mique, au-delà de la seule histoire de la philosophie alle-mande . Cet te première ana logie ent re re l ig ion e t mon-naie , du fa i t des vertus heuris t iques qu 'e l le présente ,deviendra ainsi un  leitmotiv  qu 'on re trouvera tout spécia-

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    de l 'analyse marxienne. Et i l s 'agi t bien d 'une analogie :s i Marx s 'efforce par endroi ts d 'expl iquer les comporte-ments religieux par le contexte économique et social quileur donne na issance , son procédé le p lus f réquentconsis te à écla irer l 'un par l 'autre deux types de compor-tements dont il essaie de penser à la fois la parenté et lesdifférences .Si Marx es t a lors profondément engagé dans les débatsde son temps, i l en dénonce d 'entrée de jeu les l imites etla s tér i l i té . Ni hégél ien ni jeune-hégél ien, i l fa i t jouerl 'une contre l 'autre ces deux options théoriques, au pointde c réer parfo is l ' i l lus ion d 'une obédience , pour mieuxdéfinir sa propre direction d 'analyse. De ce point de vue,la question religieuse est bien une voie d 'accès à des pro-blèm es jur idique s , pol it iques ou économ iques qui en sontindissociables, mais les seconds permettent en retour derelativiser l ' importance de la première. Le fort art icle  LaQuestion juive, publ ié en mars 1844 dans l 'uniquenum éro des Annales franco-allemandes,  m ettra m ieux enplace cet te nouvel le problématique e t consommera par lamême occasion la rupture avec Bruno Bauer sur ce pro-blème de la cr i t ique de la re l igion. Bauer avai t aff i rméque l 'émancipation des juifs ne saurait être à l 'ordre dujour en Prusse tant que ne serait pas acquise l 'émancipa-t ion pol i t ique de l 'Al lemagne, à laquel le i ls se doiventavant toute chose de collaborer. Marx répond à cet argu-ment sur le terrain du droit et de sa critique. La questionreligieuse y est cependant une nouvelle fois trai tée.L'orientation de Marx continue de se préciser : i l parleic i en t e rmes de «base 1 4 » [G r u n d l a g e ] de l 'h is toireréel le , dont l 'é tude, lui semble-t- i l , permettra seule derendre compte des représenta t ions pol i t iques e t re l i -g ieuses . Rel ig ion e t pol i t ique se métaphor isent l 'unel 'autre, comme étant pareil lement reliées et subordonnéesau monde soc ia l que Marx nomme, en bon hégé l ien ,société c ivi le-bourgeoise [burgerliche Gesellschaft] : lapoli t ique ne saurait donc être, comme le croit Bauer, lelieu de résolution de toutes les contradictions et de sup-pression de l 'a l iénation religieuse. Mais comment doit-onen visa ge r le t ra i tem en t vér i table d e la qu est io n ju iv e ?

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    n'é tabl i t à son tour que la s t r ic te correspondance quiexis te d 'après lu i ent re une croyance re l ig ieuse , lejuda ïsme, vér i té du chr is t ianisme, e t l ' ensemble desreprésentat ions propres au monde moderne.Le mo t clé de l 'histoire présente est l 'égo ïsm e, qu i rendcom pte de l ' identi té fonc ière et parado xale entre juda ïsm eet christ ianism e : « Pa r d éfin it ion , le chrétien fu t le juifthéorisant ; le juif est, pa r con séqu ent, le chrétien pratique ,et le chrétien pratique est redevenu juif 1 5 . » En ce cas, enquoi leur pr inc ipe commun, l ' égoïsme, cons is te - t - i l aujuste , e t d 'où provient- i l? Marx ne le di t pas , mais seprend lui-même, semble-t- i l , au jeu de miroir de méta-phores qui s 'enchaînent en boucle : « Quelle était la basede la religion juiv e ? L e besoin p ratique, l 'é go ïsm e [...]. L edieu du besoin pratique et de l 'égoïsme, c 'est l 'argent 1 6 . »Une te l le analyse t rouve sa source dans   L Essence duchristianisme  de Feuerbach qui sera elle-même prolongéepar la cr i t ique de Moses Hess concernant  L Essence del argent17  et don t M arx se trouv e ici fo rt pro che . L e bu test de m ontrer que le jud aïsm e, loin d'ê tre un e survivan ce,est conforme dans l 'esprit aux représentations du membrede la société civile-bourgeoise. Mais une telle anthropolo-gie n 'a pas encore désigné le principe historique de trans-formation du monde social ni les condit ions d 'émergencedu monde marchand, pas plus qu'el le n 'a décrit la fonc-tion propre des diverses convictions religieuses.4  Po urtant, les attaqu es de M arx visent surtou t à atteind reun en-deçà du monde religieux, qui en explique la perma-nence. « L 'É tat ch rétien parfait , ce n 'e st p as le préten duÉtat chrét ien, qui reconnaî t le chris t ianisme comme sabase, comme la religion d 'État et prend donc une att i tudeexclusive envers les autres re l igions , c 'es t plutôt l 'Éta tathée, l 'État démocratique, l 'État qui relègue la religionparmi les autres éléments de la société bourgeoise. » Lacorrélation entre religion et politique s 'enracine bien dansl 'organisat ion sociale . Mais tant que la nature de cet teorganisation sociale n 'es t pas davan tage précisée, la théo-rie s 'enferme dans la dénonciation de la religion commeprincipe factice et cause trom peu se.

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    attaché. Pour Feuerbach, la religion est le résultat d'unealiénation humaine qui rend l 'homme étranger à sonessence et le conduit à projeter fantastiquement celle-cidans un ciel imaginaire. Mais si cette aliénation est elle-même le produit d'une histoire, comme en vient à le pen-ser Marx, elle est un effet qu'on doit rapporter à uneorganisation spécifique de la société humaine, qui déter-mine les variations d'une essence humaine fondamentale-ment plastique. Autant dire que l'idée d'essence aliénéefait obstacle à la connaissance du processus historiqued'aliénation, précisément parce que celui-ci est incompa-tible avec la notion d'essence. C'est ce paradoxe que ren-contre Marx, alors que la tentation est grande de secontenter d'expliquer le monde moderne par un symboleet d ' incarner l 'égoïsme dans une figure, celle du juif ,toute prête à cette époque à s'accorder à une critiquemoralisatrice de l'argent et de la propriété18.Marx sera sensible aux limites d'une telle analyse, aupoint que, dès ce texte, l 'accent est mis sur l 'urgenced 'une critique politique et juridique : lorsque l'É tat cessed'être religieux, « la critique devient alors la critique del 'Éta t pol i t ique 1 9 ». La question posée par les JeunesHégéliens doit être reformulée en un programme derecherche inédit, attaché à une interprétation moins expé-ditive et plus exacte de Hegel : « Christianisme ou reli-gion en général et philosophie sont des extrêmes. Mais àla vérité la religion ne forme pas par rapport à la philoso-phie un vrai opposé car la philosophie conçoit la religiondans sa réalité illusoire. Pour autant qu'elle veut être uneréalité, elle est donc, pour la philosophie, résolue en elle-même. Il n'y a pas de dualisme réel de l 'essence. A cesujet davantage plus tard 2 0 . » Par ailleurs, la questionclassique de l'essence humaine ne sera pas perdue de vue,mais rangée au nom bre des problèmes philosophiques quidemeurent en attente de leur complète réélaboration.2 Droit et dém ocratie

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    Au même ti tre que la religion, mais dans un rapport plusétroit et plus direct à la réalité historiq ue, il con siste da nsun ensemble de représentations qui contribuent à s tructu-rer et à transformer la vie sociale. Avant de développerl 'analyse du droi t e t la cr i t ique des droi ts de l 'hommequ'on rencontre dans  La Question juive, i l entreprend lacr i t ique de la concept ion hégél ienne de l 'E ta t . La  Cri-tique du droit politique hégélien, rédigée peu après la dis-sertation de doc torat, en 1843, pro lon ge la discu ssion ph i-losophique précédente, à la fois avec Hegel et avec sesdisciples , en même temps qu 'e l le donne à Marx l 'occa-s ion de préciser ses propres posi t ions pol i t iques . Sonobjet d 'étude principal est le rapport qui existe entre lathéorie du droi t e t de l 'Éta t , d 'une part , e t la s i tuat ionpolit ique de la Prusse, d 'a ut re part . C e pro blè m e bien c ir-conscrit lui permet de développer plus avant sa cri t iquede la philosophie hégélienne, dont la  Dissertation  avaitseulement formulé le programme.L'a t taqu e contre l ' idéa l ism e hégél ien se précise : M arxvient alors de lire les  Thèses provisoires pour la réformede la philosophie  de L ud w ig Fe ue rba ch , et i l est séduitpar le reproche d 'une invers ion hégél ienne systématiqueentre le sujet et le prédicat. Hegel fait de l 'Idée le moteurdu cours historique, son Sujet agissant, selon un procédéqui , pour Feuerbach, es t apparenté à la project ion re l i -gieu se : « L  e sp ri t absolu  de Hegel n 'est r ien d 'autre quecre q u 'o n app el le l 'e sp ri t  fini, mais une fo is  abstrait,séparé de soi , tout comme l 'ê t re inf ini de la théologien 'es t r ien d 'aut re que l ' ê t re f in i , mais   abstrait21. »  O nreconnaî t la thématique théologico-phi losophique abor-dée dans la note de la Dissertation.  La cr i tique de l ' idé a-l isme hégélien dans son ensemble permet de ramener lacri t ique de la religion au rang de simple cas part iculierd 'une é tude plus générale e t qui rencontre plus directe-ment, avec la philosophie du droit, la réalité politique.Et, sur ce point , Marx s 'éloigne déjà de Feuerbach. Lediagnost ic d 'une invers ion n 'autorise pas à fa ire l 'écono-mie d 'une cri t ique détail lée de la conception hégéliennede l 'Éta t . Feuerbach écri t : « Nous n 'avons qu 'à fa ire duprédicat le sujet, et de ce sujet l 'objet et le principe, nous

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    mais parce qu'i l allègue ce qui est comme l 'essence del ' É t a t 3 2 . » Cette première analyse fournit à Marx l 'oc-casion de défendre ses opinions démocratiques en faveurd 'une vér i table représentat ion populaire , qui aurai t lemérite d'être, dans un premier temps, simplement conform eaux divisions qui déchirent la société civile-bourgeoise :«La const i tut ion représentat ive est un grand progrèsparce qu 'e l le est l 'expression ouverte , non falsif iée ,conséquente de la situation moderne de l 'État. Elle est lacontradic t ion non cachée 3 3 . » On vo it, dan s un e telleaffirmation, tout ce que Marx retient de Hegel : la thèsed'une dialectique immanente au réel, et ce qu'il envisaged'en trep ren dre : sa refon datio n non spéculat ive. Onmesure aussi à quel point la question de la représentation,ou plutôt des  représentations du réel, constitue pou r M arxle point d 'an crag e d e sa propre dém arche, dans ce qu 'ellea de plus spécifique, à la fois dans et hors de la philo-sophie.De ce point de vue, on peut affirmer qu'une théorie del 'action et de la transformation politiques s'esquisse dan3ce texte, conjointement avec l 'émergence d'une nouvelleconcep tion de la contradiction historique. L'É tat hégélienn 'es t q u 'u n e « abstract ion » de la société c ivi le-bou r-geoise  34  : un e apparenc e rationnelle autant qu 'u n c oup deforce théorique qui trouve dans la philosophie du droitson expressio n idéalisée. « La fa ute principale d e H egelconsiste en ceci qu'i l saisit la contradiction du phé-nomène comme unité dans l 'essence, dans l ' Idée, a lorsqu'assurément cette contradiction a pour essence quelquecho se de plus pro fo nd : un e contrad iction essen tielle,comme par exemple ic i la contradict ion du pouvoirlégislatif en lui-même, est seulement la contradiction del 'Etat polit ique avec lui-même, par conséquent aussi lacontradiction de la société civile-bourgeoise avec elle-m ê m e 3 5 . » Le problème est posé en des termes qui nesont pas un emprunt juvénile et provisoire à la philo-sophie , précédant l 'édif icat ion mature d 'une vér i tablescience de l 'histoire, mais bien l 'un des éléments où seconstruit durablement la pensée marxienne.

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    de la m on arch ie » e t « l 'é n ig m e ré solu e d e toutes lesconst i tut ions » 3 6 , mais el le ne prend pas pour autant laplace de l 'É ta t ra t ionnel hégél ien . D 'abord parce queMarx n 'a f f i rme pas son avènement nécessa i re ma is sapossibi l i té souhai table , dont la réal isa t ion dépend dudegré de conscience pol i t ique col lect ive . Ensui te parceque la démocra t ie n 'es t pas la résolu t ion des antago-nismes sociaux mais leur express ion f idèle , l 'én on cé d 'u nproblème donc, et non son dépassement. Ce qui se jouedans cette affirm atio n est bien le statut de la co ntrad ictionhis torique e t Marx se renvoie à lui-même une nouvel lequest ion : que sont , au jus te , les contradict ions de lasoc ié té c iv i le -bourgeoise , e t comment concevoir leurréso lu t ion e f fec t ive? La démocra t i e fe ra «de l 'É ta tl ' homme ob jec t ivé 5 7  » annonce-t-i l , en formulant un pro-jet qui dépasse le seul problème de l 'arriération poli t iquede l 'État prussien et porte sur la nature de l 'État représen-tatif moderne, tel qu'il est issu de la Révolution française.Cette objectivation permet bien sûr de faire de la démo-cra t ie l ' express ion f idè le des hommes te ls qu ' i l s sont .Mais , p lus profondément , ce t te express iv i té permet àl 'homme de réa l i ser son essence e t de concré t i ser sonuniversali té : la démocratie est à la fois une fin et unmoyen mis au service du développement et de la l ibéra-t ion humaines. Et la question de l 'essence humaine per-met une fo is encore la formula t ion du problème, quiprend dans  La Question juive  la fo rm e d 'u n u l t im eemprunt à l ' humanisme feuerbach ien e t d 'une c r i t iqueinédite de la  Déclaration des droits de V homme et ducitoyen.Cet article, on l 'a dit, articule la question religieuse auproblème poli t ique, pour les subordonner l 'un et l 'autre àla perspect ive de l 'émancipat ion humaine. Marx y aff ineencore son analyse du droit en en montrant le caractèresubordonné e t la fonc t ion spéc i f ique . Reprenant l ' idéehégél ienne de l 'universal i té de l 'Éta t comme résul tant desa posit ion unificatrice, mais de simple surplomb d'aprèsMarx, par rapport aux éléments de la société civile-bour-geoise e t comme suppress ion des d i f fé rences soc ia les ,Marx en aff i rme à la fois la pert inence e t le caractèretrompeur. On se trouve bien ici dans le droit-fil de la cri-

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    tique entreprise précéd em m ent : l 'Éta t n'e st pas la résolu-tion dialectique des conflits réels mais une abstraction dumonde réel qui en déguise, mais en gère tout aussi bien,grâce à ce travestissement, les contradictions objectives.Il est intéressant de voir que cette interprétation est uti-lisée comme arme à la fois contre la philosophie hégé-lienne, mais également contre les Jeunes Hégéliens, quien sont restés à une définition naïve et strictement philo-sophique de la politique et de l 'État. En effet, si BrunoBauer se concentre sur la crit ique de la religion, c 'estparce qu'il persiste à voir dans l 'aliénation religieuse le

    fo nd em en t de la do m inatio n po lit ique, alors que « laquestion d es rapports de l 'éma ncip ation politique et de lareligion devient pour nous la question des rapports del'émancipation politique et de l'émancipation humaine38 ».Marx s 'engage alors dans une analyse de la façon dontcette abstraction idéalisée et réelle qu'est l 'État n'abolitpas mais présuppose les oppositions et les contradictionsdu m onde mo derne.Ainsi , en supprimant le cens, l 'État démocrat iquemoderne n 'aboli t pas la propriété pr ivée, mais décrètesimplement que ses effets ne sont pas politiquement per-tinents et qu'ils peuvent être oubliés. D'un côté, il prétendétablir véritablement la souveraineté populaire, mais i lfait des distinctions sociales des différences non poli-t iques, qui ne peuvent alors plus être l 'objet d 'une cri-tique ou d'une transformation. Il en va de même pour lareligion : en devenant laïque, l 'État n'abolit pas la reli-gion mais la présuppose tout en la rangeant du côté del 'homme privé, du bourgeois, étranger au citoyen. L'Étatmoderne est foncièrement religieux, en dépit des appa-rences, en ce qu ' i l mime et redouble le processus del ' idéal isat ion rel igieuse et joue f inalement des mêmesressorts : « L 'É tat dém ocratique, le véritable État, n 'a pasbesoin de la religion pour son achèvement politique. Ilpeut, au contraire, faire abstraction de la religion, parceque en lui le fond humain de la religion est réalisé defaçon profane 39. »L'État est bien le résultat d 'une projection, assezconforme à la définition feuerbachienne de ce processus,mais c 'est une projection réelle, qui produit des effets en

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    retour sur l 'organisation sociale dont il émane, et c'est ceque Marx reproche à Feuerbach, de même qu'à l 'en-semble des Jeunes Hégéliens de n'avoir pas vu. On voitque la revendication démocratique paraît d'ores et déjà àMarx bien insuffisante et même contradictoire avec leprojet d'u ne ém ancipation hum aine radicale. La dém ocra-tie peut n 'être qu'une forme polit ique qui entretient etmasque tout à la fois les contradictions sociales qu'elleprétend détruire.

    I l s 'agit alors de montrer que cette projection dontrésulte l 'É tat va de pair avec le dédou blem ent intérieur dechacun des membres de la société civile-bourgeoise. Entant que citoyen de cet État, l 'individu moderne est « lemembre imaginaire d 'une souveraineté imaginaire ,dépouillé de sa vie réelle et individuelle et rempli d'unegénéral i té i r réel le 4 0 ». En tant qu'individu privé, i ldemeure le membre égoïste de la société civile-bour-geoise, indifférent au bien commun, précisément parceque ce dernier n'est qu'une abstraction vide, un universelsans contenu. Ce que Bauer nomme émancipation poli-tique n'est donc qu'une division artificieuse entre deuxsphères de l'existence individuelle et collective. La cri-t ique vise nettement les revendications l ibérales desJeunes Hégéliens, tout prêts à se satisfaire de la recon-naissance des droits polit iques individuels par un Étatprussien qui serait simplement devenu représentatif etlaïque.Marx se révèle ici opposant politique radical, mais sansque le mot d 'ordre de l 'émancipation humaine, quiconsiste à ne plus séparer « la forc e sociale sous la fo rm ede la force politique  41 », ne soit encore clairement défini.La charge critique de ce texte est bien supérieure à sa por-tée constructive. Et Marx s 'attache à poursuivre sadémonstration par une crit ique des droits de l 'hommedont il faut bien prendre la mesure. Le motif de cette cri-tique est à l 'évidence antilibéral, mais il s'agit aussi desituer précisément la politique et le droit à l 'intérieur del 'édifice social en les subordonnant à leurs causes pro-fond es : là encore, si les prem ières positions de M arx sontdestinées à évoluer et à s'affiner, elles se maintiendront

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    En Toccurrence , on voi t appara î t re ic i une premièreépure alternative du cours historique, qui décrit le pas-sage du féodal isme à l ' époque moderne comme une d is -solut ion des l iens communautaires ancestraux, une mon-tée de l ' intérêt privé et le règne du négoce universel . Aucours de cette transformation, la poli t ique change radica-lement de contenu et de fonction : el le devient l ' instancede la représentation des confli ts , représentation au mieuxfidèle, mais qui ne saurait en aucun cas être le moyen deleur résolut ion, parce qu 'e l le s 'es t coupée de la sociétécivi le-bourgeoise . La  Déclaration des droits de V hommeet du citoyen  - et Marx choisi t délibérément sa formula-tion la plus radicale, celle de 1793 - est l 'expression decette transformation historique, l 'écho de la séparation dupoli tique, e t non l 'avèn em en t de l 'éma ncipa t ion hum aine.Proclamer, comme le font les Jeunes Hégél iens , que lathéor ie pol i t ique hégél ienne es t un jacobinisme qui sedéguise, c 'est ne rien comprendre à la nature propre de laRévolution française, et par suite à la théorie hégéliennede l 'É tat . ;Le droi t n 'es t pas une apparence t rompeuse. I l es t unproduit de l 'histoire qui exprime, en contribuant à la struc-turer, la réali té sociale tel le qu'el le se modifie. Marx nepropose pas son aboli t ion, comme on l 'a parfois cru, maisdév elop pe sa critique dan s la m esu re où elle doit perm ettred 'a t te indre le socle his tor ique qui en const i tue la basedéterminante. De ce point de vue, la séparation entre desdroits de l 'homme et des droits du citoyen est la recon-naissance de l 'h om m e égoïs te com m e te l, « de l 'ho m m eséparé de l 'homme e t de la communauté 4 2  ». Notammentla liberté, définie comme le fait de « pouvoir faire tout cequi ne nuit pas à autrui », constitue l 'aveu qu'« il s 'agit dela l iber té de l 'homme cons idéré comme monade i so lée ,repliée sur elle-même »  43. Une telle définition de la libertéest l 'écho de la prééminence de la propriété privée qui à lafois s tructure et déchire le m on de m od erne.Aucun des prétendus droits de l 'homme ne dépassedonc l 'homme égoïste, l 'homme en tant que membre

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    proposer une « cri t ique fondamentale » et de se défendredes accusat ions qui lui sont adressées   4 7. On mesure àquel point l 'évolut ion théorique e t pol i t ique de Marx àcette époque se joue à travers la tentative suivie de mettreen cohérence l 'ensemble des dimensions de sa pensée e tde son engagement. Cette recherche nourri t en retour desinvestigations variées et c 'est en quelque sorte tout natu-re l lement , en ver tu d 'une nécess i té in te rne en mêmetemps que d 'un a ir du temps  a, que Marx s 'or iente versl 'analyse du travail et des condit ions de vie sociale deshommes .3. Le travail et son aliénation

    La ques t ion du t rava i l fa i t donc nécessa i rement sonappar i t ion parmi les préoccupat ions de Marx à ce t teépoque, dans la mesure où i l es t convaincu que l 'exis-tence concrète des hommes participe à la déterminationde l 'essence humaine véri table qu ' i l s 'efforce de décou-vrir.  \JIntroduction  à la  Critique du droit politique hégé-lien,  rédigée entre décem bre 1843 et jan vie r 1844, fai t icioffice de charnière et opère la réorientation de l 'analysemarxienne en d i rec t ion de l ' économie pol i t ique . Cet teintroduction fait office de bilan de tout le travail passé deMarx et le ton y es t d 'une fermeté e t d 'une c lar té sansprécédent. I l y développe un motif récurrent de la penséea l lemande , qu 'on rencont re d ' abord chez Hege l , pu i sdéfendre le principe d'une communauté de la propriété, du tra-vail et de l'éducation.Pierre Leroux (1797-1871), directeur du journal saint-simo-nien Le Globe  propose une première analyse des classes socialesfrançaises et est marqué par la tradition utopiste française.a. La diffusion des idées socialistes et communistes en Alle-magne doit beaucoup à la recension de Lorenz von Stein,  LeSocialisme et le Communisme  dans la France contemporaine(1842), alors que l'auteur leur est franchement hostile et sou-haite prévenir ce qu'il juge être une menace due aux conditionssociales et économiques m odernes. C f. « Le socialisme alle-

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    sous la plume de Ludwig Feuerbach, de Heinrich Heine  a ,de Moses Hess , d 'Enge l s 4 8  : l 'A l lem ag ne es t arr iérée parrapport aux pays qui ont accompli leur révolution, maiselle a développé dans la philosophie ce que la France aréa l i sé pol i t iquement . Plus ieurs conséquences en résul -tent.D 'ab or d, i l es t urgen t de t ransfo rm er cet avantage théo-rique en avancée pratique. « La critique de la religion estpour l ' essent ie l te rminée 4 9  », de son côté, « la critique dela ph ilosop hie spéculative du droit ne cherc he pas en elle-m êm e sa prop re f in , m ais débou che sur des tâches pou r lasolution desquel les i l n 'y a q u 'u n m oy en : la pr at iq ue 5 0  ».Et cet te prat ique pol i t ique es t cet te fois définie commerévolutionnaire. Ensuite, i l ne faut pas renoncer à la phi-losophie, mais faire en sorte qu'el le part icipe à sa façon àla mise en mouvement du réel , réel dont e l le es t unedim ensio n con sti tutive : « Vous ne po uv ez abolir la phi-losophie sans l a réa l i se r 5 1 », déc lare Marx à ceux quiméprisent l ' impuissance poli t ique de la théorie. Enfin, i les t désorm ais poss ible de nom m er le suje t par exc el lencede l 'émancipat ion humaine qui se profi le à l 'horizon : i ls 'agit de la classe sociale qui personnifie, par la domina-tion qu'el le subit , la revendication de l ibération humaineradica le , le pro lé ta r ia t . «Pour que la  révolution d unpeuple  et  Y émancipation d une classe particulière  de lasoc ié té c iv i le -bourgeoise coïnc ident , pour  qu un  de seséta ts sociaux passe pour l 'é ta t socia l de la société toutentière, [ . . . ] , i l faut qu'un état social déterminé soit un

    a. Heinrich Heine (1787-1856), qui a longtemps vécu enFrance, devient en 1843 un ami proche de Marx, alors que cedernier émigré à Paris. Il collabore avec lui aux Annales franco-allemandes et joue un rôle important dans sa formation intellec-tuelle. Théoricien du retard politique et social de l'Allemagnesur la France et l'Angleterre, il évolue vers un communismemarqué à la fois par la pensée hégélienne, par l'héritage jacobinde la Révolution française et par le saint-simonisme.Concernant l'ensem ble du courant jeune-hégélien et les pers-pectives révolutionnaires qui s 'y construisent, cf. Eustache Kou-

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    sujet de scandale universel , l ' incarnat ion de la barr ièreuniverselle, i l faut qu'une sphère sociale part iculière per-sonnifie le  crime notoire  de toute la société, en sorte quese libérer de cette sphère apparaisse comme se libérer soi-même de toutes chaînes 52. » M arx entrera p eu a près enrela t ion é troi te e t suivie avec diverses organisat ionsouvrières européennes.Par sui te , le diag no st ic es t f ra nc h em en t op t im is te :l 'Al lemagne ne peut s 'a t te le r qu 'à une te l le l ibéra t ionhum aine radicale, dans la m esure où la voie d 'u n e révolu -tion bourgeoise lui est fermée par son retard même, quicoïncide avec une industrial isation commençante et l 'ap-pari t ion d 'une c lasse , la c lasse ouvrière , qui n 'annoncerien de moins que « la dissolution de l 'ordre antérieur dum o n d e 5 3  ». Au moment où Marx écri t ces l ignes, le mou-vement ouvrier a l lemand commence à s 'organiser , sousla forme de l igues qui propagent les idées révolut ion-naires social is tes e t communis tes . Dans ces condit ions ,Marx se donne p lus ne t tement que jamais pour pro-gramme une étude de la réal i té sociale comme tota l i téstructurée, étude apte à définir à la fois les causes et lesobjectifs précis de la révolution à venir. La nature exactede l 'exis tence sociale des hommes doi t ê t re é tudiée , e tc 'est très logiquement que Marx en vient à s ' intéresser deplus près au travail et à ses conditions. Le renversementfeuerbachien ne concerne désormais plus la philosophiehégélienne, mais devient une tâche à la fois théorique etpratique, qui prend acte du fait que l 'État et la société« sont eux-mêmes un monde à l ' envers 5 4  ». L ' invers ionest auss i réel le e t object ive que les représentat ionssociales qui la reflè ten t et la pe rpé tuen t.Marx accumule alors des lectures historiques et écono-miques, en particulier au cours de son exil parisien à par-tir de 1843. Il l i t les économistes français (Jean-BaptisteSay, Destutt de Tracy, mais aussi Boisguilber), anglais(Adam Smith, David Ricardo, James Mill) , et étudie leshistoriens français de la Révolution française (AugustinThierry, Guizot , Mignet , Thiers) , envisageant même larédaction d 'une histoire de la Convention. Après une pre-mière rencontre sans suite avec Engels en 1842, ce der-

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    très éloignée de ce qu 'el le d evien dra p ar la suite : ce q u 'i lnomme ici « cri t ique de l 'économie poli t ique » est davan-tage sa récusa t ion humanis te que sa re fondat ion théo-rique. N éan m oin s, il a clairem ent réorienté so n analyse endi rec t ion d 'une ana lyse de la réa l i té économique e tsociale et il s 'e ff o rc e no tam m en t de relier rigoureusementtravail aliéné et propriété privée.Le t ravai l es t d 'abord à comprendre comme extér ior i -sation et objectivation de l 'essence humaine. Le cadre del 'analyse demeure la théorie feuerbachienne de l 'hommecom m e être générique, c 'es t -à-dire co m m e être qui « secompor te v i s -à -v i s de lu i -même comme v i s -à -v i s d 'unê t re universe l , donc l ibre 5 6 ». En ce sens, le travail estune activité à la fois consciente et libre, dont l 'animal estincapable. Mais cette extériorisation est tout autant réali-sation de soi dans une œuvre qui s 'est l ibérée du besoinimm édia t qu 'a l iéna t ion qui « a r rache à l 'h om m e l 'ob je tde s a p roduc t ion 5 7 » . La dé f in i t ion feue rbach ienne del 'essence s 'acco m pag ne à la fois d 'u n e réminiscence ar is-totélicienne (la distinction entre la praxis, comme activitéayant sa fin en elle-même, et la  poiesis, qu i vise la pro -duction d 'un e œuv re) e t d ' un e référence à l 'analy se hégé-lienne du travail qu'on trouve dans la  Phénoménologie deV Esprita.Au cours de ces pages saturées de références philoso-phiques , Marx se t rouve donc aux prises , une nouvel lefois , avec le paradoxe d 'une essence humaine qui se pré-sente comme la source de sa propre mutilat ion. Mais unevoie de sort ie s 'esquisse ic i , dans l 'analyse des causeshistoriques de l 'a l iénation du travail moderne. La notion

    a. « La forme, par le fait d être extériorisée, ne devient paspour la conscience travaillante un autre qu elle  car précisémentcette forme est son pur être-pour-soi qui s élève ainsi pour elle àla vérité. Dans le travail précisément où il semblait qu elle étaitun   sens étranger  à soi, la conscience servile, par l opération dese redécouvrir par elle-même, devient  sens propre   » (Hegel,Phénoménologie de l Esprit, op. cit., I, p. 165-166). Marx repro-chera à une telle analyse de ne percevoir que l aspect positif etconstructeur du travail, en manquant le moment de l aliénation

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    même d'aliénation s 'en trouve modifiée : elle n 'est plussimplement synonyme d 'extér ior isat ion, mais désigneson prolongement par une seconde opération, le détour-nement des produits de l 'activité par ceux qui n'en sontpas les auteurs. Dans un premier temps, la propriété pri-vée résulte de ce détournement ;  « si la propriété privéeapparaît comme la raison, la cause du travail aliéné, elleest bien plutôt une conséquence de celui-ci, de même queles dieux à l 'origine ne sont pas la cause, mais l 'effet del 'aberration de l 'entendement humain. Plus tard, ce rap-port se change en action réciproque 5 8». Le tort commisà l'encontre du travailleur est donc bien une atteinte portéeà l'essence humaine : « Ainsi, tandis que le travail aliénéarrache à l 'homme l'objet de sa production, il lui arrachesa vie générique, sa véritable objectivité générique, ettransform e sa supériorité sur l'anim al en infériorité, puisqueson corps non organique, la nature, lui est dérobé 5 9 . »La confrontat ion avec l 'économie poli t ique, même sielle demeure rapide, opère un bouleversement au moinspartiel des catégories de l 'analyse, qui met au premier*rang des problèmes à traiter la totali té économique etsociale, qui détermine le degré de développement, ou àl ' inverse d 'a l iénation, de l 'essence humaine. Le projet ,déjà ancien, d 'une autre compréhension dialectique descontradict ions réel les prend forme et Marx s 'a t tache àrelier, mieux que n'avait su le faire Feuerbach, tous lesrésultats séparés de l'activité humaine à la réalité socialedans son ensemble. On rencontre alors une première cri-tique de l'argent dans son rapport au travail aliéné et à lapropriété privée qui, si elle est classique à l 'époque etemprunte beaucoup de ses é léments aux travaux deM oses Hess (mais aussi à Shak espeare ), n 'e n constituepas moins une avancée notable de l 'analyse ainsi , unefois de plus, que l 'énoncé du programme de son dévelop-pement ultérieur sur le terrain de l'histoire concrète.

    Ce que je ne puis en tant qu'homme, donc ce quene peuvent toutes mes forces essentielles d'individu,je le puis grâce à l'argent. L'argent fait donc de cha-

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    La différence entre la dem ande e ffec tive , fondé e surl argent, et la dem and e sans effe t, fo n dé e sur m onbesoin, ma passion, mon désir, etc., est la différenceentre l Être et la Pensée, entre la simple représenta-tion existant en moi et la représentation telle qu elleest pour moi en dehors de moi en tant qu objet réel.Si je n ai pas d argent pour voyager, je n ai pas lebesoin de voyager, c est-à-dire un besoin réel, se tra-duisant en acte. Si j ai la vocation d étudier mais jen ai pas l argent pour le faire, je n ai pas de vocationd étudier, c est-à-dire de vocation active véritable. Enrevanche, si je n ai réellement pas de vocation d étu-dier, mais si j en ai la volonté et l argent, j ai aussiune voc atiop e ffe ct iv e. L argent est le m oy en et lepouvoir universels. Tout en étant extérieurs, sans rap-port ni avec l homme en tant qu homme ni avec lasociété en tant que société, i ls ne permettent pasmoins de transformer la représentation en réalité et laréalité en simple représentation. L argent transformeles forces essen tiel les réel les de l ho m m e et de lanature en représentations purement abstraites et parsuite en imperfections, en chimères et tourments,d autre part, il transforme le s imperfections et chim èresréelles, les forces essentielles réellement impuissantesqui n existent que dans l imagination de l individu, enforces essentielles réelles et en pouvoir. Déjà, d aprèscette définition, il est donc la perversion générale desindividualités, lesquelles sont changées en leurcontraire et se voient conférer des qualités qui contre-disent leurs qualités propres.

    C est au ssi com m e forc e de perversion q u il semanifeste lorsqu il se dresse contre l individu et contreles liens sociaux, etc., qui prétendent être des essencespour soi. Il transforme la fidélité en in fidélité, l am ouren haine, la haine en amour, la vertu en vice, le viceen vertu, le valet en maître, le maître en valet, l idiotieen intelligence, l intelligence en idiotie.Traduction active du concept de la valeur dans laréalité, l argent confond et échange toutes choses, ilest la confusion et la permutation universelles detoutes choses  c est le mo nde à l envers, la con fusion

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    Les raisons de s'arrêter sur un tel texte sont multiples.D'abord, on mesure à quel point Marx y mêle des allu-sions et des références diverses, en les refondant dans lecadre de sa propre analyse. On y remarque ensuite larécurrence du vocabulaire de la représentation qui perm etd'affirmer qu'on assiste bien à un retravail continu parM arx des catégories q u 'il em prunte ici ou là, et à la philo-sophie allemande en particulier. Enfin, ce même travails 'effectue dans une direction bien définie à présent : i ls 'agit de comprendre la totalité économique et sociale àla fois dans ses articulations et dans son devenir dem ond e de la production et de l 'écha ng e.L'argent, conformément à l ' intuition qu'on rencontraitdéjà dans la note sur les preuves de l'existence de Dieu,est aussi un objet philosophique. M arx ne se départira plusde cette conviction. La monnaie est une réalité complexe,à la fois représentation et chose, représentation réelle etagissante qui met la pensée au défi d'en rendre vraimentcompte et qui souligne les limites de l'analyse feuerba-»chienne de la religion. En effet, le mécanisme de projec-tion ne peut suffire à rendre com pte de la fonction m oné-taire, et de ses effets à la fois collectifs et individuels. Enun sens, ce texte est la description de ce qui, dans l'argen tet dans son usage, reste à expliquer pleinement au moyend 'une notion de représentation mieux construite : « traduc-tion active du co ncept de la valeur dans la réalité, l 'argentconfond et échange toutes choses ». L'idée classique deconfusion universelle doit laisser la place à une notionplus élaborée de « traduction active ». D 'où , à la fois, cetteimpression de « bien connu » à la lecture de ce passage, etla certitude que s'y révèle une approche originale, de lamonnaie bien sûr, mais des rapports entre économie poli-tique et philosophie également.

    L 'arg en t est le « m on de à l 'env ers », di t M arx. M aiscette inversion n'est aucunement celle d'une image : lareprésentation monétaire accomplit dans le réel l ' inver-sion et la perversion des valeurs, le primat de la propriétéprivée sur le développement humain, le retournement desmoyens en fins et la substitution de la richesse abstraite

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    comprendre comme un processus his torique, dont l ' ana-lyse appelle encore, Marx le sait , un effort considérabled 'enquête empir ique e t de refonte conceptuel le . Para i l leurs , la not ion même d ' invers ion conserve de sonascendance feuerbachienne le présupposé d 'une essencehumaine qui appelle sa pleine réalisation et dont on peutmesurer le degré d'aliénation à partir d 'une définit ion deson épanouissement optimal. On a coutume de considérercom m e un vestige ce thèm e human iste . M ais une cri tiquede l ' invers ion du monde peut-e l le vra iment se passerd'une analyse de ce que serait un monde à l 'endroit , quiprend la f igure d 'un possible souhai table et dont i l es tnécessaire de fonder le choix préférentiel sur une défini-t ion de l 'homme e t de la socié té? Là encore , s i l ' ap-proche de Marx est amenée à se modif ier considérable-ment , le réper to i re de problèmes , de d i f f icul tés e td 'esqu isses qu e const ituent les t ravaux de jeu nes se per-mettent de mieux repérer des constantes . Par exemple,l 'aff i rmation d 'une r ichesse humaine concrète opposée àla richesse abstraite réapparaîtra presque sans modifica-tion dans les Grundrisse61, cette éba uch e du  Capital  rédi-gée de 1857 à 1858.

    Ainsi , au cours de cet te première étape de la penséemarxienne, la quest ion de la phi losophie, de son moded'appréhension du réel et de son statut théorique, en vientà se poser de plus en plus manifestement. La question dela représentation, et la question de l 'arg en t qui en pe rm etune première re formula t ion , donne accès au prob lèmeplus général du statut et de la fonction de l 'abstraction.Sur ce terrain, Marx continue de procéder par analogies etmétaphores. Celles-ci ne sont pas une ornementation peuuti le , mais la première formulat ion d 'une intui t ion, queMarx n 'es t pas encore en mesure de développer p lusavant , e t qui concerne l ' exis tence d 'une parenté essen-t ie l le entre diverses formes de représentat ions. Cet teparenté t ient à leur formation à part i r d 'une base com-mune, mais auss i à leur mode de développement u l té -rieur. Et Marx est sensible dans ce texte à la possibilité dedétournement e t d ' a l iénat ion qui rassemble dans unemême catégorie encore non définie la religion, l 'argent,

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    «La Logique, c 'es t l ' argent de l ' espri t , la valeur pen-sée, spéculative, de l 'homme et de la nature, leur essencedevenue irréel le parce que complètement indifférente àtoute déterminat ion réel le . C 'es t la pensée al iénée, quidoi t nécessairement faire abstract ion de la nature et del 'h o m m e rée l : la pensée abs t ra i te 6 2 . » La critique de lanot ion hégél ienne d 'a l iénat ion es t d i rec te : l ' a l iénat ion[Verfremdung] est le terme qu'utilisait Hegel pour décrirele mouvement de l ' Idée absolue qui pose hors d 'e l le -même la Nature comme moment de son propre devenir .Mais dans l e même mouvement , Marx engage , p lusimplicitement il est vrai, la critique de la notion feuerba-chien ne d 'a l ién at io n : la com para ison avec la m on naiemontre que les abstractions logiques ont une fonction etque leur statut d 'abstraction désigne précisément non pasleur séparation à l 'égard d'une base réelle, mais le rôlequ 'el les continuent d 'y jouer . C 'es t don c m oins l ' abstrac-tion par elle-même qui est illusoire, que le point de vuequ'on prend sur elle ainsi que le rôle actif que, par làmême, on lui confère ou qu'on lui refuse. Et ce qui vautpour la monnaie vaut ,  mutatis mutandis, pour les repré-sentat ions pol i t iques , les concepts phi losophiques, lescatégories économiques, les croyances religieuses.Au total , Marx est désormais convaincu que l 'économiepolitique - sinon le savoir qui po rte ce no m , du mo ins sonobjet - est le terrain de choix d'une reconstruction de ladialectique, qui s 'efforce de définir une version non spé-culative de la contradiction et de la médiation réelles. Lacri tique jeun e-hé gél ien ne de la m édiat ion, q u 'o n t rouvechez Bauer notamment, e t l ' é loge feuerbachien de l ' im-médiat, en particulier de l ' immédiateté sensible, sont bienéloignés déjà des préoccup ations de M arx. La théorie doits 'a t tacher à sais ir la prol i férat ion des contradict ionsréel les , e t leurs possibi l i tés de dépassement autant queleurs effets de blocage et d ' inversion du mouvement réel .Du même coup, c 'es t la place et le contenu de l 'act iontransformatr ice qu ' i l faut préciser , comme l 'exprime unelettre de septem bre 1843 adressée à A rno ld R ug e : « N ou sne nous présentons pas au monde en doctrinaires avec unprincipe nouveau : voici là vérité, à genoux devant elle

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    15. QJ p 54.16. QJ p 52.17. Moses Hess, L Essence de l argent, trad. E. de Fontenay etS. Mercier-Josa, dans Élisabeth de Fontenay, Les Figures juivesde Marx, Galilée, 1973.18. Cf. Enzo Traverso, Les Marxistes et la Question juive,  LaBrèche, 1980, et Élisabeth de Fontenay,  Les Figures juives deMarx, op. cit.19. QJ p 20.20. Marx,  Critique du droit politique hégélien,  trad. A. Bara-quin, Éditions sociales, 1975, p. 146.21. Ludwig Feuerbach,  Manifestes philosophiques,  trad. L.Althusser, PUF, 1973, p. 108.22. Ibid., p. 106.23. CDPH, p. 43.24. Hegel, Principes de la philosophie du droit op. cit. p 306-312.25. CDPH, p. 111.26. Hegel, Principes de la philosophie du droit, op. cit., p. 307.

    27. Ibid., p. 312.28. CDPH, p. 114-115.29. CDPH, p. 120.30. CDPH, p. 149.31  .CDPH ,  p. 129.32. CDPH, p. 113.33. CDPH , p. 129.34. CDPH, p. 134.35. CDPH, p. 148-149.36. CDPH, p. 68.37. CDPH, p. 69.38. g / ,  p 21.39. QJ p 29.40. QJ p 25.41. QJ p 45.42. QJ p 37.43. QJ p 37.44. QJ, p. 39-40.45. QJ p 52.46. Lettre d Engels à Richard Fischer, 15 avril 1895, Lettres sur« Le Capital »,  trad. G. Badia et J. Chabbert, Éditions sociales,1964, p 424.47. Concerna