l’université n’entend donner aucune approbation ou ces
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ÉCOLE DOCTORALE ÉCOLE DOCTORALE DES SCIENCES DES SCIENCES DE L’HOMME JURIDIQUES, POLITIQUES, ET DE LA SOCIÉTÉ (555) ÉCONOMIQUES ET DE GESTION
THÈSE
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DES UNIVERSITÉS DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE ET CHEIKH
ANTA DIOP DE DAKAR
Discipline : Droit public
Présentée et soutenue publiquement par
OUMAR THIAM
Le 17 octobre 2014
Titre :
L’ÉVOLUTION DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC ET LA NOTION DE
DOMAINE DE COMPÉTENCE NATIONALE DE L’ÉTAT
Sous la direction de Mrs Marcel SINKONDO et Saïdou Nourou TALL
__________________________________________________________
JURY : M. Christopher POLLMANN, Professeur à l’Université de Metz, (Rapporteur, Président) M. Mathieu DOAT, Professeur à l’Université de Brest, (Rapporteur) M. Marcel SINKONDO, Maître de conférences HDR à l’Université de Reims Champagne Ardenne, (Directeur de thèse) M. Antoine BERRIVIN, Premier juge au Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, (Invité)
L’université n’entend donner aucune approbation ou
improbation aux opinions émises dans ce document.
Ces opinions doivent être considérées comme propres
à l’auteur.
Remerciements
Je tiens à remercier mes directeurs de thèse, Monsieur Marcel Sinkondo et Monsieur Saïdou
Nourou Tall, pour avoir bien voulu diriger mes recherches, pour leur très grande disponibilité
et leurs conseils précieux.
Que soient également remerciées toutes les personnes qui, de près ou de loin, ont contribué à
la réalisation de ce travail.
Je remercie enfin mes parents, oncles et tantes ainsi que toute ma famille pour leur patience et
leur soutien inconditionnel.
Pour mes parents et toute ma famille
Pour Faty et Sawda
Sommaire
Liste des sigles et abréviations
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : LES RESTRICTIONS DU DOMAINE MATÉRIEL DE
COMPÉTENCE NATIONALE DE L’ÉTAT
TITRE I : LES FACTEURS DE RESTRICTION DU DOMAINE MATÉRIEL DE
COMPÉTENCE NATIONALE
Chapitre I : Les mutations de la société internationale et du droit international
Chapitre II : L’émergence sur la scène internationale de nouveaux centres de pouvoir
TITRE II : LES MANIFESTATIONS DES RESTRICTIONS DU DOMAINE
MATÉRIEL DE COMPÉTENCE NATIONALE
Chapitre I : La prise en compte par le droit international du mode d’organisation et de
fonctionnement interne de l’État
Chapitre II : La mise en œuvre de la responsabilité pénale individuelle par le droit
international
DEUXIÈME PARTIE
LES CONSÉQUENCES DES RESTRICTIONS DU DOMAINE MATÉRIEL DE
COMPÉTENCE NATIONALE DE L’ÉTAT
TITRE I : L’ASSOUPLISSEMENT DU PRINCIPE DE NON-INGÉRENCE DANS LES
AFFAIRES INTÉRIEURES D’UN ÉTAT FACE AUX RÉACTIONS
INTERNATIONALES AUX DÉFAILLANCES DE LA COMPÉTENCE NATIONALE
Chapitre I : Les interventions internationales dans le domaine de compétence nationale de
l’État en vue du maintien et de la consolidation de la paix et de la sécurité
Chapitre II : La substitution pure et simple de la communauté internationale ou d’une
puissance étrangère à la compétence nationale défaillante en matière de protection des
populations : l’assistance humanitaire internationale
TITRE II : LA MÉTAMORPHOSE DU DOMAINE DE COMPÉTENCE NATIONALE
DE L’ÉTAT
Chapitre I : La conception fonctionnelle du domaine de compétence nationale de l’État
Chapitre II : Le domaine de compétence nationale comme critère incompressible de
sauvegarde de la souveraineté-indépendance de l’État
CONCLUSION
Bibliographie
Table des matières
LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS
I. Publications : annuaires, recueils et revues
- A.B.D.I. : Annuaire brésilien de droit international
- A.F.D.I. : Annuaire français de droit international
- A.F.R.I. : Annuaire français des relations internationales
- A.J.I.L. : American Journal of International Law
- A.J.P.I.L. : Australian journal of public and international law
- A.P.D. : Archives de philosophie du droit
- A.S.D.I. : Annuaire suisse de droit international
- B.Y.I.L. : British Yearbook of International Law
- E.J.I.L. : European Journal of International Law
- J.D.I. : Journal du droit international
- I.J.I.L. : Indian Journal of International Law
- R.A.D.I.C.: Revue africaine de droit international et comparé
- R.B.D.I. : Revue belge de droit international
- R.C.A.D.E. : Recueil des cours de l’Académie de droit européen
- R.C.A.D.I. : Recueil des cours de l’Académie de droit international
- R.I.C.R. : Revue internationale de la Croix-Rouge
- R.D.I.L.C. : Revue de droit international et de législation comparée
- R.D.P.S.P. : Revue de droit public et de science politique
- R.G.D.I.P. : Revue générale de droit international public
- R.Q.D.I. : Revue québécoise de droit international
- R.S.A. : Recueil des sentences arbitrales
- R.T.D.H. : Revue trimestrielle des droits de l’homme
- R.U.D.H. : Revue universelle des droits de l’homme
II. Institutions : organisations et juridictions internationales
- A.I.E.A. : Agence internationale de l’énergie atomique
- B.I.R.D. : Banque internationale pour la reconstruction et le développement
- B.I.T. : Bureau international du travail
- C.A.D.H.P. : Cour africaine des droits de l’homme et des peuples
- C.C.J.A. : Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA
- C.D.I. : Commission du droit international
- C.E. : Communauté européenne
- C.E.C.A. : Communauté européenne du charbon et de l’acier
- C.E.D.E.A.O. : Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest
- C.E.D.H. : Cour européenne des droits de l’homme
- C.E.E. : Communauté économique européenne
- C.E.E.A.C. : Communauté économique des États de l’Afrique Centrale
- C.E.M.A.C. : Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale
- C.I.J. : Cour internationale de justice
- C.J.C.E. : Cour de justice des communautés européennes
- C.J.U.E. : Cour de justice de l’Union européenne
- C.P.I. : Cour pénale internationale
- C.P.J.I. : Cour permanente de justice internationale
- F.A.O. : Food and Agriculture Organization of the United Nations
- I.D.A. : International Development Association
- O.A.C.I. : Organisation de l’aviation civile internationale
- O.E.A. : Organisation des États américains
- O.H.A.D.A. : Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires
- O.I.T. : Organisation internationale du travail
- O.M.C. : Organisation mondiale du commerce
- O.M.M. : Organisation météorologique mondiale
- O.M.S. : Organisation mondiale de la santé
- O.N.U. : Organisation des Nations Unies
- O.T.A.N. : Organisation du traité de l’atlantique nord
- P.A.M. : Programme alimentaire mondial
- P.N.U.D. : Programme des Nations Unies pour le développement
- S.D.N. : Société des Nations
- S.F.I. : Société financière internationale
- T.P.I.R. : Tribunal pénal international pour le Rwanda
- T.P.I.Y. : Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie
- T.S.L. : Tribunal spécial pour le Liban
- T.S.S.L. : Tribunal spécial pour la Sierra Leone
- U.A. : Union africaine
- U.E : Union européenne
- U.E.M.O.A. : Union économique et monétaire ouest africaine
- U.N.E.S.C.O. : United Nations for Education, Science and Culture Organization
- UNICEF : Fond des Nations Unies pour l’enfance
- W.W.F. : World Wildlife Fund
III. Administrations et Missions des Nations Unies
- APRONUC : Autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge
- ATNUTO : Administration transitoire des Nations unies au Timor oriental
- FUNUN : Force d’urgence des Nations Unies
- GANUPT : Groupe d’assistance des Nations Unies pour la période de transition en
Namibie
- MANUL : Mission d’appui des Nations Unies en Libye
- MINUAR : Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda
- MINUK : Mission d’administration intérimaire des Nations unies au Kosovo
- MINUSMA : Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la
stabilisation au Mali
- MINUSS : Mission des Nations Unies au Soudan du Sud
- MINUSTAH : Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti
- MISMA : Mission internationale de soutien au Mali
- MONUC : Mission de l’organisation des Nations Unies en République démocratique
du Congo
- MONUSCO : Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en
République démocratique du Congo
- ONUCI : Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire
- ONUSOM : Opération des Nations Unies en Somalie
IV. Divers
- A.Q.M.I. : Al Qaïda au Maghreb islamique
- c. : contre
- C.A.D.H.P. : Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
- C.E.T.C. : Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens
- Cf. : Consulter, conférer, se référer
- D.D.R. : Désarmement, Démobilisation, Réintégration
- Dir. : Sous la direction de
- éd. : Édition
- FMN : Firmes multinationales
- F.R.U. : Front révolutionnaire uni
- G.T.I. : Groupe de travail international
- Ibid. : Ibidem (Ici même ou la même chose au même endroit)
- Id. : Idem (De même)
- I.D.I. : Institut de droit international
- it. : Italiques
- I.U.H.E.I. : Institut universitaire des hautes études internationales
- J.O.R.F. : Journal officiel de la République française
- J.O.S.D.N. : Journal officiel de la Société des Nations
- L.G.D.J. : Librairie générale de droit et de jurisprudence
- M.U.J.A.O. : Mouvement pour l’unicité du jihad en Afrique de l’Ouest
- n. : note
- OMP : Opération de maintien de la paix
- O.N.G. : Organisation non gouvernementale
- Op. cit. : Opere citato (cité précédemment)
- p., pp. : Page
- P.A.S. : Politique d’ajustement structurel
- P.E.S.C. : Politique étrangère et de sécurité commune
- P.U.A.M. : Presses Universitaires d’Aix-Marseille
- P.U.F. : Presses Universitaires de France
- QIPs : Quick Impact Projects (Projets à impact rapide)
- Rec. : Recueil
- s., ss. : Suivant
- S.F.D.I. : Société française pour le droit international
- t. : Tome
- TCE : Traité sur la Communauté européenne
- TFUE : Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
- TPI : Tribunal pénal international
- TUE : Traité instituant l’Union européenne
- Vol. : Volume
11
INTRODUCTION
La notion de domaine de compétence nationale ou domaine réservé est une des notions phares
du droit international contemporain et un sujet constamment d’actualité qui a généré
beaucoup de controverses chez les internationalistes.1 Envisagée sous l’angle des relations
entre États et organisations internationales, entre États, ou des rapports entre le droit
international et les droits internes2, la notion de domaine de compétence nationale part de
l’idée que l’État dispose d’un domaine, d’une sphère privée où il décide et agit librement par
sa règlementation nationale et où le droit international n’impose ou ne peut lui imposer de
règles de conduite.
1.La notion de domaine de compétence nationale ou domaine réservé a fait l’objet de nombreuses analyses. On peut se référer à : G. ARANGIO-RUIZ, « Le domaine réservé – L’organisation internationale et le rapport entre droit international et droit interne », R.C.A.D.I., vol. 225, 1990-VI, pp. 55 et s. ; P. BODEAU-LIVINEC, Le gouvernement de l’État du point de vue du droit international, thèse de doctorat de l’Université Paris X-Nanterre (dir. A. PELLET), 30 septembre 2008, 672 p. ; le même, « Le domaine réservé : persistance ou déliquescence des fonctions étatiques face à la mondialisation », in S.F.D.I., L’État dans la mondialisation, Colloque de Nancy, Paris, Pedone, 2013, pp. 153 – 175 ; J. L. BRIERLY, « Matters of Domestic Jurisdiction », B.Y.I.L., vol. 6, 1925, p. 13 ; A. A. CANCADO TRINDADE, « Domestic Jurisdiction and Exhaustion of Local Remedies : A Comparative Analysis », I.J.I.L., vol. 16, 1976, p. 197; B. CHENG, La jurimétrie : sens et mesure de la souveraineté juridique et de la compétence nationale, J.D.I., 1991, pp. 579-599 ; A. D’AMATO, « Domestic Jurisdiction », in R. BERNHARDT, Encyclopedia of Public International Law, Amsterdam, Londres, New York, Tokyo, North Holland, vol. 1, 1992, p. 1092 ; S. N. DHYANI, « Domestic Jurisdiction in International Law », Supreme Court Journal, vol. 22, 1959, p.79 ; F. ERMACORA, « Human Rights and Domestic Jurisdiction (Article 2, § 7 of the Charter) », R.C.A.D.I., t. 124, 1968-II, pp. 371-451 ; C. G. FENWICK, « The Scope of Domestic Questions in International Law », A.J.I.L., vol. 19, 1925, p. 146 ; R. KOLB, « Du domine réservé. Réflexions sur la théorie de la compétence nationale », R.G.D.I.P., 2006-3, pp. 559 et s. ; J. LUDOVICY, « L’article 2 §7 de la Charte des Nations Unies et la notion de domaine réservé », A.J.P.I.L., vol. 8, 1957/8, p. 175-176 ; P. MARIOTTE, Les limites actuelles de la compétence de la Société des Nations (Art ; 15 § 7 et 8 du Pacte), Paris, Pedone, 1926 ; G. NOLTE, « Article 2 (7) », in B. SIMMA, The Charter of the United Nations, A Commentary, 2 éd., vol. I, Oxford, 2002, pp. 156 e s. ; L. PREUSS, « Article 2, Paragraph 2 of the Charter of the United Nations and Matters of Domestic Jurisdiction », R.C.A.D.I., t. 74, 1949-I, pp. 547-653 ; A. ROSS, « La notion de compétence nationale dans la pratique des Nations Unies. Une rationalisation a posteriori », in Problèmes de droit des gens. Mélanges offerts à Henri Rolin, Paris, Pedone, 1964, pp. 284-299 ; G. SCELLE, « Critique du soi-disant domaine de ‘‘compétence exclusive’’ », R.D.I.L.C, vol. 14, 1933, pp. 386-387 ; A. VERDROSS, « Le domaine réservé des États en droit international », Schriftenreihe der deutschen Gruppe der A.A.A., Band I, Berlin, 1957, pp. 2 et s. ; le même, « La ‘‘compétence nationale’’ dans le cadre de l’organisation des Nations unies et l’indépendance des États », R.G.D.I.P., t. 36, 1965, pp. 314-325. 2.Sous l’angle des rapports entre droit international et droits internes voir notamment G. ARANGIO-RUIZ, « Le domaine réservé… », op. cit., note précédente, pp. ; H. KELSEN, « Les rapports de systèmes entre le droit interne et le droit international public », R.C.A.D.I., t. 14 1926-IV, pp. 227-331. Concernant ce rapport de systèmes, on peut aussi se référer à K. MAREK, « Les rapports entre le droit interne et le droit international à la lumière de la jurisprudence de la Cour permanente de Justice internationale », R.G.D.I.P., vol. 66, 1962, pp. 259-298 ; G. SPERDUTI, « Le principe de souveraineté et le problème des rapports entre le droit international et le droit interne », R.C.A.D.I., t. 153, (1976-V) ; M. VIRALLY, « Sur un pont aux ânes : les rapports entre droit international et droits internes », in Problèmes de droit des gens. Mélanges offerts à Henri Rolin, Paris, Pedone, 1964, pp. 488-505.
12
Dans cette perspective, cette notion apparaît comme étant intimement liée au concept de
souveraineté. Ce qui lui confère un but et une valeur véritablement juridiques et non pas
politiques comme le jugent certains auteurs.3 Elle trouve en effet ses origines dans la doctrine
de la souveraineté-indépendance de l’État et du principe de l’égalité souveraine des États. Elle
remonterait ainsi au XIXe siècle, période à laquelle l’arbitrage international était utilisé
comme principal mode de règlement pacifique des différends interétatiques. Le domaine
réservé à la compétence nationale était matérialisé à cette époque par les clauses restrictives
figurant dans les traités d’arbitrage et qui visaient à exclure de l’arbitrage les questions
touchant aux « intérêts vitaux ou essentiels », à « l’indépendance », à « l’honneur » ou à « la
dignité nationale » des parties au différend.4 Elles visaient également à exclure de la
compétence des arbitres les questions affectant « l’intégrité du territoire », « l’autonomie »,
bref « la souveraineté nationale » des États en litige.5
À cette époque, les États déterminaient unilatéralement ce qu’ils estimaient relever de leur
intérêt vital, de leur souveraineté nationale, donc de leur domaine réservé. En d’autres mots,
pour juger si une question affecte ou non l’honneur ou l’intérêt vital, c’est l’État intéressé qui
avait compétence. À ce titre, il n’était pas exclu qu’un État déclare qu’il estime qu’une
question ou affaire affecte son honneur ou son intérêt vital dans le seul but de soustraire
l’affaire à l’arbitrage. Il s’agissait pour les États de manifester leur indépendance vis-à-vis des
institutions arbitrales chargées du règlement des différends. Ces clauses préservaient ainsi leur
liberté et excluaient toute entrave dans les sphères d'action qu’ils ont estimées intimement
liées à leur souveraineté. Cette liberté était considérée par les États comme une conséquence
de leur indépendance et c’est pour la protéger qu’ils se réservèrent le droit de déterminer
unilatéralement si un différend résulte de questions touchant à leurs « intérêts vitaux ». La
doctrine a établi un lien entre ces anciennes réserves d’intérêts vitaux et la notion de domaine
réservé à la compétence nationale6.
3.Parmi ceux-ci, il y a le professeur Robert Kolb pour qui « la valeur et le but fondamentaux du domaine réservé sont politiques, non juridiques. », R. KOLB, « Du domine réservé… », op. cit., n. 1, pp. 624 et s., spéc. p. 629. 4.Articles 8, 9 et 10 du projet russe d’arbitrage proposé à la Conférence de La Haye de 1899; article 1er du Traité d’arbitrage franco-britannique du 14 octobre 1903 ; traité d’arbitrage signé entre la France et les États-Unis d’Amérique le 10 février 1908 ; Convention de La Haye de 1907. Voir à ce sujet M. LAUTERPACHT, « La théorie des différends non justiciables en droit international », R.C.A.D.I., 34, 1930, t. IV, p. 316 ; P. MARIOTTE, « Les limites actuelles… », op. cit., n. 1, pp. 110 et ss ; H. WEHBERG, « Restrictive Clauses in International Abitration Treaties », A.J.I.L., vol. 7, 1913, pp. 301 et ss. ; R. WILSON, « Reservation Clauses in Treaties of Obligatory Arbitration », A.J.I.L., vol. 23, 1929, pp. 68 et ss. 5.Articles 1er du Traité du 14 août 1897 entre l’Espagne et le Pérou et 8 du Traité du 5 novembre 1890 entre le Guatemala et le San-Salvador. 6.E. DUPLESSIX, L’organisation internationale, Paris, Sirey, 1909, p. 65 ; F. ERMACORA, « Human Rights and Domestic Jurisdiction…», op. cit., n. 1, p. 379-380 ; R. KOLB, « Du domine réservé… », op. cit., n. 1, p. 559 ; J. LUDOVICY, « L’article 2 §7 de la Charte… », op. cit., n. 1, pp. 175-176 ; P. MARIOTTE, « Les
13
1. La reconnaissance formelle de l’existence d’un domaine réservé à la compétence
nationale de l’État
La véritable formalisation du domaine réservé à la compétence nationale exclusive dans le
droit international ne s’est opérée qu’avec le Pacte de la Société des Nations.7 Selon l’article
15 du Pacte de cette organisation internationale universelle,
« 1. S’il s’élève entre les membres de la Société un différend susceptible d’entraîner une
rupture et si ce différend n’est pas soumis à l’arbitrage prévu à l’article 13, les Membres de
la Société conviennent de le porter devant le Conseil […]
3. Le Conseil s'efforce d'assurer le règlement du différend. S'il y réussit, il publie, dans la
mesure qu'il juge utile, un exposé relatant les faits, les explications qu'ils comportent et les
termes de ce règlement.
4. Si le différend n'a pu se régler, le Conseil rédige et publie un rapport, voté soit à
l'unanimité, soit à la majorité des voix, pour faire connaître les circonstances du différend et
les solutions qu'il recommande comme les plus équitables et les mieux appropriées à
l'espèce… »
Le paragraphe 8 de cet article 15 introduit cependant une exception à la compétence du
Conseil en stipulant que : « [s]i l’une des Parties prétend et si le Conseil reconnaît que le
différend porte sur une question que le droit international laisse à la compétence exclusive de
cette Partie, le Conseil le constatera dans un rapport, mais sans recommander aucune
solution. »8.
C’est à partir de cette formulation qu’a été tirée la conséquence de l’existence en droit
international d’un domaine réservé à la compétence nationale de l’État. Par la suite, la réserve
du domaine réservé fut également mentionnée dans l’article 5 du Protocole de Genève du 2
octobre 1924. Elle fut confirmée par l’article 39, 2, b de l’Acte général de Genève du 26
septembre 1928 pour le règlement pacifique des différends internationaux. Ce texte dispose
que « [l]es réserves pourront être formulées de manière à exclure des procédures décrites
par le présent Acte : les différends portant sur des questions que le droit international laisse à
limites actuelles…», op. cit, n. 1, p. 107, J. NEGULESCO, « La jurisprudence de la Cour permanente de Justice internationale », R.G.D.I.P., t., 1926, p. 198 ; Ng. QUOC DINH, P. DAILLIER, A. PELLET, Droit international public, 4ème éd., Paris, L.G.D.J., 1992, p. 425 ; G. NOLTE, « Article 2 (7) », op. cit., n. 1, p. 156 ; L. PREUSS, « Article 2, Paragraph 7 of the Charter… », op. cit., n. 1, p. 558-560 ; G. SCELLE, « Critique du soi-disant domaine de ‘‘compétence exclusive’’ », op. cit., n. 1, p. 386-387 etc. 7. Que nous désignerons souvent dans la suite de ce travail par l’acronyme S.D.N. 8.Italiques ajoutés.
14
la compétence exclusive des États ». Ce sont là des formulations expresses d’un domaine
réservé à la compétence nationale des États.
Telle qu’elle ressorte de ces textes, l’exception du domaine réservé n’accordait pas aux États
le pouvoir de déterminer discrétionnairement ce qui rentrait dans leur domaine réservé comme
ils pouvaient le faire dans les anciennes clauses d’intérêts vitaux. En effet, d’une part, à la
différence de ces anciennes clauses, c’est le droit international qui, ici, détermine si une
matière rentre ou non dans le domaine réservé à la compétence nationale des États ; d’autre
part, il fallait que le Conseil reconnaisse que le différend porte sur une « question que le droit
international laisse à la compétence exclusive » de la partie prétendante. C’est donc le droit
international qui réserve des domaines au droit interne et non l’inverse ; c’est lui qui dit si
telle ou telle matière relève ou non du domaine réservé. Cela ressort notamment de l’énoncé
de ce que la Cour permanente de justice internationale (ci-après C.P.J.I.) a dit dans l’affaire
des Décrets de nationalité. Selon la Cour,
« En raison de [la] compétence si générale de la Société des Nations, le Pacte contient une
réserve expresse en faveur de l’indépendance des États : c’est le paragraphe 8 de l’article
15… Selon le paragraphe 8, l'intérêt de la Société de pouvoir recommander, en vue du
maintien de la paix, toutes solutions qu'elle considère comme les plus équitables et les plus
appropriées à l'espèce doit, à un point déterminé, s'arrêter devant l'intérêt également
primordial de chaque État de conserver intacte son indépendance dans les affaires que le
droit international reconnaît comme étant de son domaine exclusif. »9
La Charte de l’Organisation des Nations Unies10 qui a succédé à la S.D.N. en 1945 remplace
le système de l’article 15, § 8 du Pacte par celui dit de la « compétence nationale ». Le
paragraphe 7 de l’article 2 de la Charte de San Francisco dispose en effet qu’« aucune
disposition de la présente Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires
qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État ni oblige les Membres à
soumettre les affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente
Charte ; toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à l’application des mesures de
coercition prévues au Chapitre VII ». Comparée à la formulation du Pacte de la S.D.N., cette
disposition s’en distingue doublement. Tout d’abord, la portée de l’article 2, paragraphe 7 est
plus générale que celle de l’article 15, paragraphe 8. En effet, l’exclusion ne concerne pas
seulement la compétence de règlement des différends mais toutes les compétences de
l’O.N.U. à l’exception de celles rentrant dans le cadre du Chapitre VII. Aussi, alors qu’avec la 9.C.P.J.I., avis consultatif, du 7 février 1923, série B, n° 4, pp. 24-25. 10.Ci-après O.N.U. ou Nations Unies.
15
S.D.N. l’exception du domaine réservé ne concerne que le seul Conseil, la réserve de la
compétence nationale figurant dans la Charte de 1945 s’applique à l’action de tous les organes
de l’O.N.U. (Assemblée générale, Secrétariat général, Conseil économique et social, la Cour
international de justice, le Conseil de sécurité agissant en dehors de ses compétences en vertu
du Chapitre VII, institutions spécialisées). Puis, il faut noter que la formulation du domaine de
compétence nationale dans la Charte est moins précise que celle du Pacte. Ce dernier
prévoyait, comme on vient de le voir, que c’est au droit international qu’il incombait de
déterminer si une matière rentrait ou pas dans le domaine réservé de l’État. À ce titre, c’est le
Conseil de la S.D.N. qui exerçait un contrôle puisque qu’il devait conclure que la matière
releve de ce domaine réservé en vertu du droit international pour ne pas proposer une
solution. La Charte, elle, ne fait aucune référence au droit international comme base de
détermination du domaine de compétence nationale de l’État et n’indique pas l’organe
compétent pour décider si une matière relève ou non du domaine de compétence nationale.
Par ailleurs, elle substitue l’adjectif « exclusive » par l’adverbe « essentiellement ». En dépit
de ces différences, comme le souligne le professeur Gaetano Arangio-Ruiz, « la lecture
courante majoritaire du 2. 7 ne s’est pas écartée […] de la lecture du 15. 8 du Covenant, c’est-
à-dire de l’équation ‘domaine réservé / matières non liées’ ou ‘matières en principe non liées’.
Même lorsque des distances ont été prises plus tard de cette lecture traditionnelle, l’équation a
continué et continue à constituer le noyau de la définition de la compétence nationale. »11
Toujours dans le cadre des Nations Unies, la notion de compétence nationale est également
utilisée dans plusieurs résolutions et déclarations de l’Assemblée générale dont la Résolution
1815 (XVII) du 18 décembre 196212. À ces dispositions, il faut ajouter les références
explicites ou tacites à la notion de compétence nationale dans un certain nombre de textes
juridiques internationaux. À l’échelle mondiale, nous pouvons notamment citer l’article
premier, paragraphe 3 du Statut de l’UNESCO qui stipule que « soucieuse d’assurer aux États
membres de la présente Organisation l’indépendance, l’intégrité et la féconde diversité de
leurs cultures et de leurs systèmes d’éducation, l’Organisation s’interdit d’intervenir en
aucune matière relevant essentiellement de leur juridiction intérieure. »
11.G. ARANGIO-RUIZ, Le domaine réservé, op. cit., n. 1, p.55. 12.Portant « Examen des principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte de la Nations Unies. » ; voir aussi la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale des Nations Unies portant « Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies », 24 octobre 1970, Résolution 54/168 de l’Assemblée générale des Nations Unies sur le « Respect des principes de la souveraineté nationale et de la non-ingérence dans les affaires intérieures des États en ce qui concerne les processus électoraux », 17 décembre 1999.
16
En plus de ces textes juridiques internationaux faisant allusion expresse ou tacite au domaine
de compétence nationale, nous pouvons ajouter les références à la notion dans de nombreuses
déclarations étatiques d’acceptation de la compétence obligatoire des juridictions
internationales de règlement des différends telles que la C.P.J.I. et la C.I.J. En effet, la plupart
des États excluent de la compétence de la Cour un certain nombre de domaines qui rentrent,
selon eux ou en vertu du droit international, dans leur compétence nationale exclusive.13 C’est
pourquoi, dans les procédures judiciaires internationales, la question de la compétence
nationale fut souvent posée en termes de question préliminaire au sens formel et technique.
Autrement dit, elle apparaissait comme une « question procédurale à résoudre en principe
dans une phase préliminaire pendant laquelle le tribunal est censé ne pas préjuger du
fond ».14
À l’échelle régionale, quelques textes juridiques font référence à la compétence nationale. Il
en est ainsi, tout d’abord, du Pacte de Bogotá du 30 avril 1948 (de l’O.E.A.) sur le règlement
pacifique des différends en son article V.15 Ensuite, il y a l’article 27, b de la Convention
européenne pour le règlement pacifique des différends adoptée à Strasbourg le 19 avril 1957
qui prévoit que « les dispositions de la présente Convention ne s'appliquent pas aux différends
portant sur des questions que le droit international laisse à la compétence exclusive des
États ». Nous pouvons enfin citer l’Acte final d’Helsinki du 1er août 1975 dont le principe VI
contient une formulation du principe de la non-intervention ainsi qu’il suit : « les États
participants s'abstiennent de toute intervention, directe ou indirecte, individuelle ou collective,
dans les affaires intérieures ou extérieures relevant de la compétence nationale d'un autre État
participant, quelles que soient leurs relations mutuelles. »
À côté de ces nombreux textes qui reconnaissent formellement l’existence d’un domaine
réservé à la compétence nationale, il s’est développé une pratique courante autour de la
notion. Ainsi dans le cadre de la S.D.N., l’affaire des Iles d’Åland constitue le premier 13.Voir H. W. BRIGGS, « Reservations to the Acceptance of Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice », R.C.A.D.I., t. 93, (1958-I), pp. 229 ss; H. WALDOCK, « The Plea of Domestic Jurisdiction before International Legal Tribunals », B.Y.I.L., 1954 (XXXI), pp. 96 ss. Voir, par exemple dans les déclarations d’acceptation de la compétence obligatoire de la Cour, les déclarations du Canada, du Cambodge, de la Gambie, du Kenya, du Pakistan, du Sénégal etc. 14.G. ARANGIO-RUIZ, « Le domaine réservé… », op. cit., n. 1, pp. 60-61 ; Pour plus de détails sur la question de l’exception de la compétence nationale dans la procédure judiciaire internationale voir P. C. ULIMUBENSHI, L’exception du domaine réservé dans la procédure de la Cour international de justice. Contribution à l’étude des exceptions dans le droit judiciaire de la Cour internationale, thèse de doctorat de l’Université de Genève, 2003, 372 p. 15.Cet article stipule que « les dites procédures [les bons offices, la médiation, l’enquête, la conciliation, la procédure judiciaire et l’arbitrage] ne pourront s’appliquer aux questions qui, par leur nature, relèvent de la compétence nationale des États…», italiques ajoutés.
17
différend post-première guerre mondiale où la question du domaine réservé fut soulevée
comme exception pour s’opposer à l’immixtion d’un État tiers dans les affaires d’un autre
État. Elle opposait la Finlande à la Suède au sujet du droit du peuple alandais à
l’autodétermination. Cette population relevait de la souveraineté de la Finlande mais elle avait
des origines suédoises et avait exprimé des sentiments d’appartenance à la Suède. Sur la base
de cette expression, le gouvernement suédois entreprit des contacts avec celui de la Finlande
et les séparatistes des Iles d’Åland. Il proposa que la question du statut des Iles d’Åland soit
soumise « à un plébiscite organisé […] avec les garanties requises et dont le résultat aurait
force obligatoire pour la Finlande et pour la Suède. » La Finlande opposa à cette demande une
fin de non-recevoir car estimant que la question de la population alandaise était d’ordre
interne. Selon elle,
« un certain nombre de citoyens finlandais, appartenant à la population d’Åland, ont – même
après l’entrée en vigueur de la loi sur l’autonomie – manifesté leurs aspirations à parvenir,
avec l’appui d’une puissance étrangère et sous sa protection, à réaliser la séparation de
l’Åland de la Finlande… Le gouvernement de la République considère la présente affaire
comme question intérieure finlandaise. »16
Suite à la décision du gouvernement britannique de porter l’affaire devant la S.D.N., le
Conseil de cette organisation mit en place une commission de juristes pour avis sur « la
question de savoir si, aux termes du paragraphe 8 de l’article 15 du Pacte », la réclamation
suédoise portait « sur une question que le droit international laisse à la compétence exclusive
de la Finlande. »17 Après s’être penchée sur le principe de l’autodétermination des peuples en
général et sur son application à la population alandaise en particulier et l’examen de « faits
historiques » ayant marqué « le développement de la condition juridique et politique de la
Finlande et des Iles », la Commission de juristes concluait que : « le différend suédois-
finlandais ne porte pas sur une situation politique définitivement établie dépendant
exclusivement de la souveraineté territoriale d’un État. »18 L’exception de la compétence
nationale soulevée par la Finlande n’a donc pas été déclarée valable et la compétence du
Conseil de la S.D.N. a été retenue car la question de l’autodétermination a été reconnue
comme applicable au cas d’espèce. La Finlande était donc, selon le rapport de la Commission,
juridiquement tenue de permettre aux alandais de s’exprimer sur la question de leur maintien
16.Note finlandaise du 8 juin 1920 citée par G. ARANGIO-RUIZ, « Le domaine réservé… », op. cit., n. 1, p. 185. (Italiques ajoutés). 17.Chiffre 1 du mandat de la Commission d’après la résolution adoptée par le Conseil le 11 juillet 1920, cité par G. ARANGIO-RUIZ, Le domaine réservé…, op.cit., n. 1, p 186.
18.Rapport de la commission des juristes, p. 14.
18
sous la souveraineté finlandaise ou leur rattachement au royaume de Suède. Sur la base des
conclusions de la Commission, le Conseil de la S.D.N. se déclara compétent et adopta un
rapport qui concluait que « le sort des Iles d’Åland ne peut pas être considéré comme étant de
la compétence exclusive de la Finlande, mais qu’au contraire la question revêt un caractère
international. »19
Par la suite, pour décider sur le fond de l’affaire, le Conseil mit en place une commission
d’enquête chargée de lui fournir « les éléments sur lesquels il pourra fonder une
recommandation de nature à établir […] des conditions favorables au maintien de la paix en
tenant compte des intérêts légitimes de toutes les parties en cause ». Les rapporteurs de cette
commission d’enquête décidèrent que la souveraineté de la Finlande sur les Iles d’Åland ne
faisait l’ombre d’aucun doute et proposèrent que celle-ci soit maintenue avec une autonomie
plus grande de la population alandaise et la conclusion d’accords entre la Finlande et la Suède
pour la démilitarisation des îles. Sur la base des conclusions de ce rapport, le Conseil adopta
la solution de l’autonomie qui finit par être acceptée des deux parties.
S’agissant de la jurisprudence de la C.P.J.I., la célèbre affaire des Décrets de nationalité
promulgués en Tunisie et au Maroc a été la première occasion d’emploi de l’exception de la
compétence nationale. Dans cette affaire, le Conseil de la S.D.N. fut saisi par le gouvernement
britannique au sujet des décrets de nationalité promulgués à Tunis et au Maroc (alors zone
française) par le gouvernement français le 8 novembre 1921 et de leur application aux
ressortissants britanniques. La question qui fut posée au Conseil a été celle de savoir si « le
différend entre la France et la Grande-Bretagne au sujet des décrets de nationalité promulgués
à Tunis et au Maroc et de leur application aux ressortissants britanniques, est-il, ou n'est-il
pas, d'après le droit international, une affaire exclusivement d'ordre intérieur [conformément
à l’article 15, paragraphe 8 du Pacte]. » Le Conseil décida de soumettre, pour avis, la question
posée à la C.P.J.I. et demanda aux gouvernements français et britannique de porter l’affaire
devant elle.
D’après la Cour, « l]es mots « compétence exclusive » semblent plutôt envisager certaines
matières qui, bien que pouvant toucher de très près aux intérêts de plus d’un État, ne sont pas,
en principe, réglées par le droit international. En ce qui concerne ces matières, chaque État est
seul maître de ses décisions ». Et la Cour d’observer que « dans l’état actuel du droit
19.Conseil, procès-verbal de la neuvième session (Paris, 16-20 septembre 1920), annexe 101, p.72.
19
international, les questions de nationalité sont, en principe […] comprises dans le domaine
réservé. »20
Dans cette affaire, la Cour, après avoir précisé les contours de la notion de domaine de
compétence nationale, a estimé que l’exception tirée par la France de l’article 15, paragraphe
8 était sans fondement. Elle a considéré que sa tâche se limitait à la détermination de la nature
du différend et non à se prononcer sur le fond. Pour se faire, elle a estimé qu’il fallait établir
que « les titres invoqués étaient de nature à permettre la conclusion provisoire qu’ils peuvent
avoir une importance juridique pour le différend soumis au Conseil, et que la question de
savoir si un État est compétent pour prendre telle ou telle mesure se trouve subordonnée à
l’appréciation de la validité et à l’interprétation de ces titres. »21 En procédant de la sorte, elle
arrivait à la conclusion que le différend porte sur une question qui, selon le droit international,
ne relève pas de la compétence nationale exclusive de la France.22
2. Une conception matérielle dominante du domaine de compétence nationale
À partir de la formulation de la C.P.J.I. selon laquelle « l]es mots « compétence exclusive »
semblent plutôt envisager certaines matières qui, bien que pouvant toucher de très près aux
intérêts de plus d’un État, ne sont pas, en principe, réglées par le droit international », s’est
développée une conception matérielle du domaine de compétence nationale qui finira par
20.Avis consultatif, précité, n. 9, p. 22. 21.Avis consultatif, précité, note 9, p. 26 ; Sur la technique de la conclusion provisoire et de son application voir G. ARANGIO-RUIZ, « Le domaine réservé… », op. cit., n. 1, pp. 70-86 et P. C. ULIMUBENSHI, L’exception du domaine réservé…, op. cit., n. 14, pp. 165-226. 22.Avis consultatif, précité, n. 9, p. 22, pp. 31-32. D’autres affaires dans lesquelles la question de la compétence nationale s’est posée ont également été traitées tant par la C.P.J.I. que par la C.I.J.. voir Affaire de la Carélie orientale, C.P.J.I., avis consultatif, 23 juillet 1923, série B, n° 5 ; Affaire du Traitement des nationaux polonais à Dantzig, C.P.J.I., avis consultatif, 4 février 1932, série A/B, n° 44 ; Affaire Losinger, C.P.J.I., ordonnance du 27 juin 1936, (exception préliminaire), série A/B n° 67; Affaire Anglo-Irannian Oil Co, C.I.J., arrêt du 22 juillet 1952, exception préliminaire, Rec. 1952 ; Affaire relative à certains emprunts norvégiens, C.I.J., arrêt du 6 juillet 1957, Rec. 1957 ; Affaire de l’Interhandel, C.I.J., arrêt du 21 mars 1959, exception préliminaire, Rec. 1959 etc. L’objectif de ce travail n’étant point de passer en revue la pratique des juridictions internationales relativement à la question du domaine de compétence nationale, pour une étude de ces affaires, se référer à G. ARANGIO-RUIZ, « Le domaine réservé… », op. cit., n. 1, pp. 203 ss. et à P. C. ULIMUBENSHI, L’exception du domaine réservé…, op. cit., n. 14. Dans ces différentes affaires, l’exception de la compétence nationale a été soulevée soit contre la compétence d’un organe d’une organisation internationale, soit contre celle de la Cour elle-même. (Exception de domaine réservé portée contre la compétence du Haut-Commissaire de la S.D.N. à Dantzig dans l’affaire du Traitement des nationaux polonais ; Exception soulevée contre la compétence de l’Assemblée générale des Nations-Unies à en discuter dans l’affaire de l’interprétation des traités de paix ; Exception de la compétence nationale soulevée contre les Cours elles-mêmes [C.P.J.I. et C.I.J.] dans les affaires Losinger, C.P.J.I., ordonnance du 27 juin 1936, exception préliminaire, série A/B, n° 67 ; Compagnie d’électricité de Sofia et Bulgarie, C.P.J.I., arrêt du 4 avril 1939, exception préliminaire, série A/B, n° 77 ; Anglo-Iranian Oil Co., précité, Certains emprunts norvégiens, C.I.J., arrêt du 6 juillet 1957, Rec. 1957 ; Droit de passage sur territoire indien, C.I.J., arrêt du 26 novembre 1957, exceptions préliminaires, Rec. 1957, et Interhandel.
20
s’imposer dans la majorité de la doctrine internationaliste. Selon la conception la plus
couramment admise, le domaine réservé à la compétence nationale consiste en un « domaine
d’activités dans lequel l’État, n’étant pas lié par le droit international, jouit d’une compétence
totalement discrétionnaire et, en conséquence, ne doit subir aucune immixtion de la part des
autres États ou des organisations internationales ».23 En d'autres termes, la notion de domaine
de compétence nationale énonce l'existence en droit international de matières dans lesquelles
l'État jouit de la compétence exclusive qu’il peut exercer d'une manière discrétionnaire et
absolue. Dans ces conditions, le domaine réservé serait ce que Gaetano Arangio-Ruiz a traduit
par « l’équation « compétence nationale (domaine réservé) / matières non liées » (en droit
international) ».24 Cette vision ratione materiae du domaine réservé à la compétence nationale
retient le droit international comme critère de détermination du domaine de compétence
nationale. Mais elle a donné lieu à deux principales théories : l’une que l’on pourrait qualifier
de l’engagement international et l’autre dite du domaine réservé par nature.
2.1. La théorie de l’engagement international
Cette théorie a le droit international comme critère de détermination du domaine de
compétence nationale. Mais contrairement à la théorie du domaine de compétence nationale
par nature (que nous verrons par la suite) qui met l’accent sur un domaine fixe, cette théorie
postule la relativité du domaine de compétence nationale en fonction de l’existence ou non
d’un engagement international de l’État et du développement progressif du droit international.
Elle a donné lieu à deux visions complémentaires.
2.1.1. La vision classique
Au sein du critère juridique, il s’agit là de la conception dominante selon laquelle toute
matière non régie par le droit international fait partie du domaine de compétence nationale. En
d’autres termes, toute matière sur laquelle le droit international n’impose pas d’obligations
aux États relève de leur domaine de compétence nationale. À partir de cette idée de base,
différentes définitions de la notion ont été données dans la doctrine. Ainsi, le domaine réservé
à la compétence exclusive de l’État est considéré comme étant constitué de « la somme des
23.J. SALOMON (éd.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, 2001, p. 356. 24.G. ARANGIO-RUIZ, « Le domaine réservé… », op. cit., n. 1, p. 31.
21
matières qui ne sont pas régies par le droit international.»25 Il représente aussi « celui des
activités étatiques où la compétence de l’État n'est pas liée par le droit international ».26 Il est
également regardé comme celui dans lequel l'État « est libre d'agir comme il l'entend […]
pourvu qu'il ne soit pas limité en son exercice par une règle du droit international général ou
une obligation qui lui incombe, directement ou indirectement, en vertu d'un traité. »27
À partir de cette formulation, pour établir qu’une matière relève ou pas du domaine de
compétence nationale d’un État, il suffira de démontrer l’existence ou non d’une règle de droit
international qui impose une obligation à l’État dans la matière en question. L'existence d'un
engagement international créant une obligation à la charge de l’État constitue le critère
fondamental de la délimitation de son domaine de compétence nationale. Cette obligation
peut découler d’une règle conventionnelle, coutumière ou d’autres sources établies du droit
international. C’est cette manière de procéder qui a été utilisée par la C.P.J.I. dans l’affaire du
Traitement des nationaux polonais à Dantzig. La Cour a considéré que l’application de la
Constitution et des lois dantzikoises aux nationaux polonais et autres personnes d’origine ou
de langue polonaise, pouvait donner lieu à la violation d’une obligation internationale de
Dantzig envers la Pologne, découlant soit de stipulations conventionnelles, soit du droit
international général. Ce faisant, elle pouvait faire naître un différend international dont elle
pouvait être saisie.28 La C.I.J. a retenu cette même conception dans plusieurs affaires dont
notamment celle du Droit de passage sur territoire indien29et celle dite Interhandel.30
À côté de cette vision classique, il existe une autre doctrine ayant toujours le droit
international comme critère de détermination du domaine de compétence nationale de l’État.
Il s’agit de la doctrine dite des ‘‘lacunes du droit international’’.
25.A. FAVRE, « Principes du droit des gens », Fribourg, 1974, p.28. 26.R. L. BINDSCHEDLER, « La délimitation des compétences des Nations Unies », R.C.A.D.I., t. 108, 1963-I, p. 86. 27.B. CHENG, « La jurimétrie : sens et mesure de la souveraineté juridique et de la compétence nationale », J.D.I. 3, 1991, p. 585. 28.Avis consultatif du 4 février 1932, C.P.J.I., série A/B, n° 44, (1932), p. 24. 29.Affaire du Droit de passage sur territoire indien, C.I.J., arrêt du 12 avril 1960 (fond), Rec. 1960, p. 20. 30.Affaire de l’Interhandel, précit., n. 22, pp. 24-25. Nous pouvons aussi citer les affaires relatives à l’Interprétation des Traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, C.I.J., avis consultatif du 30 mars 1950 (première phase), Rec. 1950, p. 65 ; Nottebohm, C.I.J., arrêt du 6 avril 1955, (deuxième phase), Rec. 1955, p. 4 ; l’Application de la Convention de 1902 pour régler la tutelle des mineurs, C.I.J., arrêt du 28 novembre 1958, Rec. 1958, p. 67.
22
2.1.2. La doctrine des ‘‘lacunes du droit international’’
Contrairement à la vision classique, celle-ci se fonde sur l’idée de ‘‘lacunes du droit
international’’. Ici, le domaine de compétence nationale est considéré comme étant constitué
de l’ensemble des matières non encore réglées par le droit international, c’est-à-dire par un
ensemble de matières ou questions juridiquement inexplorées, et que le droit international n’a
pas encore pénétrées. Ces matières ou questions sont abandonnées au domaine de compétence
nationale, non pas en vertu d’une règle juridique, mais à défaut d’une telle règle, d’où l’idée
de lacunes du droit international.31 Ainsi, selon Verzijl, il faut distinguer deux sphères
d’activités. La première qualifiée de négative couvre toutes les matières qui ne sont pas
réglées par le droit international positif mais aspirent à l’être. Elle constitue le domaine des
‘‘lacunes du droit international’’. La deuxième sphère dite positive couvre l’ensemble des
domaines que le droit international ne veut pas régler parce qu’il veut y garantir la liberté des
États. C’est le domaine que le droit international désigne activement à la liberté étatique,
parce que, en ayant pesé les intérêts en cause et les effets globaux d’une activité sur la société
internationale, il estime qu’il s’agit d’une liberté individuelle légitime. C’est là le domaine
réservé des États à proprement parler.32
2.2. La théorie du domaine de compétence nationale par nature
Selon cette théorie, il existerait des matières qui, de par leur nature, doivent être maintenues
dans le domaine de compétence nationale de l’État. Ce sont des matières qui sont si
intimement liées à l’existence de l’État que le droit international reste en dehors de leur
réglementation. Dans ces matières, l’État a besoin de garder sa liberté. Cette théorie part de
l’idée selon laquelle « les attributs essentiels d’un État souverain exigent que certaines
matières restent sous son appréciation propre et que le [domaine de compétence nationale]
soit fixe, tant que la communauté internationale est constituée d’États indépendants et
souverains. »33
31.N. POLITIS, « Le problème des limitations de la souveraineté et la théorie de l’abus des droits dans les rapports internationaux », R.C.A.D.I., vol. 6, 1925-I, pp. 43, 47 et 56 ; L. SIORAT, Le problème des lacunes en droit international. Contribution à l’étude des sources du droit et de la fonction judiciaire, Paris, L.G.D.J., 1958, pp. 100, 150 et 302 ; A. VERDROSS, « Le domaine réservé des États… », op. cit., n. 1, pp. 30-31. 32.J. H. W. VERZIJL, « Le domaine réservé de la compétence nationale exclusive », in Mélanges Tomaso PERASSI, vol. II, Milan, Dott. A. Giuffre, 1957, pp.392-393. 33.P. C. ULIMUBENSHI, L’exception du domaine réservé…, op. cit., n. 14, p. 35.
23
Les matières relevant de ce domaine de compétence nationale par nature ne sont pas souvent
expressément précisées. Mais il est parfois fait référence au choix du système constitutionnel,
économique, social et culturel. C’est ainsi qu’Hector Gros-Espiell écrivait :
« à l’organisation constitutionnelle de l’État, à la forme de gouvernement et au système
d’intégration des pouvoirs de l’État […] les élections, en tant que procédé d’intégration des
organes législatif et exécutif prévus par la Constitution, relevaient du seul domaine du droit
interne. Le droit de participer aux élections, d’être électeur et d’être élu, était une question
que chaque pays résolvait exclusivement au moyen de son système constitutionnel et
juridique. Que les élections aient lieu ou non, qu’elles aient été ajournées ou non, qu’elles
aient été authentiques et libres, frauduleuses et viciées, voilà qui laissait le droit
international indifférent. »34
La théorie du domaine de compétence nationale par nature a pendant longtemps prévalu dans
le droit international classique à l’époque où le règlement pacifique des différends
internationaux se faisait principalement par l’arbitrage. Même si jusqu’à récemment, elle est
restée une source d’inspiration de certains auteurs,35 elle a néanmoins perdu de sa vigueur
dans le droit international contemporain.
3. Les conséquences attachées à la conception matérielle du domaine de compétence
nationale
De la conception matérielle dominante du domaine de compétence nationale découlent deux
conséquences majeures. La première est que ce domaine exprime l’idée de souveraineté
comprise comme la liberté qu’a l’État d’agir comme il entend dans la mesure où il n’est pas
34.H. GROS-ESPIELL , « Liberté des élections et observation internationale des élections. Rapport général», dans Colloque de la Laguna, Liberté des élections et observation internationale des élections, Bruylant, Bruxelles, 1994, 79 aux pp. 79 ss. 35.Juges HACKWORTH, BADAWI, LEVI CARNEIRO et Sir Benegal RAU, opinion dissidente commune dans l’affaire des Droits des ressortissants des États-Unis d’Amérique au Maroc, C.I.J., arrêt du 27 août 1952, Rec. 1952, p. 226 ; KRYLOV opinion dissidente dans l’affaire relative à l’Interprétation des Traités de paix, avis consultatif précité, n. 30, p. 112 ; P. MARIOTTE, Les limites actuelles…, op. cit., n. 1, p. 190 ; N. OUCHAKOV, « La compétence interne des États et la non-intervention dans le droit international contemporain », R.C.A.D.I., vol. 141, 1974-I, p. 46 ss ; H. ROLIN, « Les principes de droit international public », R.C.A.D.I., t. 77, 1950-II, pp. 384-386 ; Rapport de la Commission des Juristes dans l’affaire des Iles d’Åland, Société des Nations, J.O.S.D.N., supplément spécial n° 3, octobre 1920, pp. 4-5 ; A. VERDROSS, « Le domaine réservé des États… », op. cit., n. 1, p. 30 ; le même, « La ‘‘compétence nationale’’ dans le cadre… », op. cit., n. 1, p. 319 ; le même, « Les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État d’après la Charte des Nations Unies », Essays in Honour of Vallindas Salonique, 1966, pp. 48 ss ; le même, « Le principe de non-intervention dans les affaires relevant de la compétence nationale d’un État et l’article 2, §7 de la Charte des Nations Unies », in Mélanges offerts à Charles Rousseau - La communauté internationale, Paris, Pedone, 1974, pp. 267-276, spéc. p. 274.
24
tenu par des engagements internationaux. La seconde c’est le caractère relatif et variable du
domaine de compétence nationale, conséquence de la supériorité du droit international sur le
droit interne.
3.1. Le domaine de compétence nationale, expression juridique de la souveraineté-
liberté de l’État
Des différentes conceptions, théories ou visions qui forment la conception matérielle du
domaine de compétence nationale, il ressort que ce dernier correspond à la sphère des libertés
résiduelles de l’État. En effet, l’État, « collectivité de fait naturellement libre »36, jouit d’une
liberté originaire (initiale ou naturelle) inhérente à ce statut. Celle-ci l’autorise à agir et à se
comporter comme il veut. Mais en accédant au statut d’entité souveraine, du point de vue du
droit international, ayant la « qualité de n’être pas soumise à un pouvoir supérieur »37, l’État
acquiert à la fois les statuts juridiques de sujet du droit international et d’État souverain. À ce
titre, sa liberté naturelle ou initiale devient une liberté légale, c’est-à-dire une liberté encadrée
par le droit et qui s’exerce dans les limites que fixe ce droit. Autrement dit, en accédant au
statut international et légal d’État souverain, toute « collectivité de fait naturellement libre »
perd une part de sa liberté naturelle. À cet égard, le professer Jean Combacau écrit :
« au commencement était le droit interne, comme expression de la liberté qu’a l’État d’agir
unilatéralement, par ses règles comme par ses prescriptions individuelles, jusqu’à ce qu’il
renonce à sa glorieuse liberté de principe pour se civiliser, mais se civiliser en souverain,
sans assujettissement, en réglant sa conduite de pair à pair. Il renonce alors soit à la régir seul
pour partager un pouvoir naguère exclusif, soit à la régir discrétionnairement pour encadrer
l’exercice dans les limites d’autres règles élaborées en commun et désormais tenues pour
supérieures à ses propres règles »38
Dans cette perspective, le domaine de compétence nationale ou domaine réservé tel que
développé par la doctrine courante exprime la souveraineté entendue comme la liberté légale
de l’État, sujet de droit international, par opposition à sa liberté initiale ou naturelle qu’il tient
de son existence de fait et qu’il a perdue ou à laquelle il a renoncé en accédant au statut
international d’État souverain. Le domaine de compétence nationale d’un État serait alors sa
36.J. COMBACAU, « Pas une puissance, une liberté : la souveraineté internationale de l’État », Pouvoirs, n° 67, 1993, pp. 47-59, spéc. p. 51. 37.Ibid. 38.Id., p. 53.
25
sphère de liberté résiduelle, c’est-à-dire ce qui reste de sa liberté légale si on enlève les
limitations réelles imposées par les engagements internationaux auxquels il a souscrit.
L’ensemble de ces engagements constituent alors les limites de la sphère des libertés
résiduelles donc du domaine de compétence nationale de l’État.
Dans cette mesure, le domaine de compétence nationale implique d’abord la liberté de l’État
de décider et d’agir comme il entend dans toutes les matières où il n’est pas lié par une
obligation juridique internationale. Il peut se comporter comme il veut dans la mesure où il
n’existe aucune règle prohibitive du droit international. Le domaine de compétence nationale
ainsi conçu implique aussi l’exclusion des autres acteurs dans les matières où l’État n’est pas
lié par des engagements internationaux. Ainsi se justifierait le principe de non-ingérence ou
de non-intervention dans les affaires intérieures ou relevant de la compétence nationale. Le
domaine de compétence nationale est ainsi censé jouer pour l’État un rôle de protection contre
le monde extérieur.
3.2. La relativité de l’étendue du domaine de compétence nationale
De la conception matérielle du domaine de compétence nationale telle qu’elle ressort de la
formulation de la C.P.J.I. dans l’affaire des Décrets de nationalité, et de la doctrine
majoritaire, il résulte que le droit international a une supériorité juridique sur les droits
internes. C’est lui qui détermine les matières qui appartiennent à son domaine et celles
relevant de celui des droits étatiques, de la compétence nationale. Ainsi, le domaine de
compétence nationale est marqué par la relativité qui découle du degré et du nombre des
engagements de l’État à un moment donné mais aussi du développement du droit international
général. Le domaine de compétence nationale varie dans le temps en fonction du
développement du droit international. Plus le champ matériel du droit international s’élargit,
plus le domaine de compétence nationale se rétrécit. La C.P.J.I. l’a affirmé dans l’affaire des
Décrets de nationalité. Selon elle,
« [l]a question de savoir si une certaine matière rentre ou ne rentre pas dans le domaine
exclusif d’un État est une question essentiellement relative : elle dépend du développement
des rapports internationaux… Il suffit de remarquer qu’il se peut très bien que, dans une
matière qui, comme celle de la nationalité, n’est pas, en principe, réglée par le droit
international, la liberté de l’État de disposer à son gré soit néanmoins restreinte par des
engagements qu’il aurait pris envers d’autres États. En ce cas, la compétence de l’État,
26
exclusive en principe, se trouve limitée par des règles de droit international. L’article 15,
paragraphe 8, cesse alors d’être applicable au regard des États qui sont en droit de se prévaloir
desdites règles ; et le différend sur la question de savoir si l’État a ou n’a pas le droit de
prendre certaines mesures, devient dans ces circonstances un différend d’ordre international
qui reste en dehors de la réserve formulée dans ce paragraphe. »39
Il en résulte que l'existence d'un engagement international créant une obligation à la charge de
l’État constitue le critère fondamental de la délimitation de son domaine de compétence
nationale.40
La relativité du domaine de compétence nationale est également reconnue par l’I.D.I. selon
qui « […] l'étendue de ce domaine dépend du droit international et varie suivant son
développement »41. L’étendue du domaine de compétence nationale dépend du nombre et de
la portée des engagements internationaux de chaque État. La variabilité de cette étendue est
alors fonction du nombre des engagements internationaux des différents États selon qu’ils
sont liés par un traité ou une coutume à vocation régionale ou universelle. De plus dans ses
relations avec ses pairs, un État ne s'engage pas de la même façon à l'égard de tous, mais
choisit restrictivement les destinataires de ses obligations en fonction de ses besoins et
intérêts. En conséquence, une matière peut relever de son domaine de compétence nationale à
l'égard de tel État mais pas à l'égard de tel autre. C’est ce qui a fait dire au professeur Robert
Kolb qu’’il y a relativité aussi quant aux divers États en cause. En effet, selon lui,
« Si le droit coutumier universel est relativement uniformément applicable à tous les États
(sauf dérogation par accord ou objection persistant), tel n’est pas le cas du droit international
particulier. La coutume locale ne lie que quelques États ; les traités ne lient que les parties.
Dès lors, certaines questions ne sont extraites du domaine réservé que pour les États liés par
des conventions ou d’autres normes particulières, mais pas pour ceux qui ne se sont pas
conventionnellement engagés ou qui ne sont pas liés par ces autres normes particulières. À la
variabilité ratione temporis s’ajoute ainsi une variabilité ratione personae. »42
Ces différentes constructions du domaine de compétence nationale privilégient la notion de
souveraineté associée à la liberté au détriment de celle de souveraineté-indépendance.
39.Décrets de nationalité, avis consultatif, préc. n. 9, p. 24. 40.Voir supra note 28.. 41.I.D.I., Résolution sur « La détermination du domaine réservé et ses effets », Rapporteur Charles ROUSSEAU, Session d’Aix-en-Provence, Annuaire 1954, vol. 45, t. II, p.108. 42.R. KOLB, « Du domaine réservé…», op. cit., n. 1, p. 604.
27
Cependant, les développements normatifs et l’extension d’activités opérationnelles dans la
société internationale contemporaine vont contredire l’hypothèse de base de la conception
matérielle du domaine de compétence nationale.
Problématique
La question qui se pose dès lors, celle sur laquelle cette thèse cherche à fournir des éléments
de réponse, est de savoir ce qu’il reste encore du domaine de compétence nationale conçu
comme un champ matériel de questions relevant de la juridiction exclusive d’un seul État.
L’État souverain du XXIème jouit-il encore d’une certaine liberté de décision, d’action et de
comportement, fut-elle arrimée à des matières ? En d’autres mots, la conception matérielle du
domaine de compétence nationale de l’État (conception jusque-là dominante) permet-elle
encore d’expliquer tout l’intérêt de la notion en droit international public marqué par des
extensions à la fois matérielles et personnelles, et la persistance de l’État dans la société
internationale contemporaine caractérisée par la mondialisation et l’interdépendance.
Le champ matériel du droit international connaît depuis 1945 des extensions fulgurantes dont
la conséquence majeure est la restriction du domaine matériel réservé au droit interne et à la
compétence nationale exclusive. Ainsi, l’examen des restrictions du domaine de compétence
nationale ratione materiae s’avère nécessaire pour mettre en exergue la difficulté de la
conception matérielle du domaine réservé à expliquer la persistance de cette notion en droit
international malgré les développements qu’a connu ce dernier.
Toutefois, pour mettre en exergue la difficile formulation juridique d’un domaine matériel
réservé à la compétence nationale en ce XXIème siècle, il convient également d’analyser les
conséquences de ces restrictions sur la pratique contemporaine des acteurs internationaux. Il
s’agira de montrer que la réduction de l’assiette matérielle du domaine de compétence
nationale a conduit au développement de pratiques internationales intrusives dans les affaires
qui pourtant sont a priori intérieures aux États. Ce qui traduit une certaine métamorphose du
domaine de compétence nationale.
Dans cette double perspective, l’étude de la notion de domaine de compétence nationale de
l’État à l’aune des évolutions progressives du droit international public revêt un intérêt
pratique actuel dans un système international profondément perturbé par « les tensions de la
28
mondialisation de l’économie, de l’information et de la communication, des modes de
consommation, et plus encore par les replis identitaires, les aveux d’impuissance, ou le retour
d’idéologies archaïques qui prennent prétexte de prétendues dominations multiformes
engendrées par le phénomène. »43
La première partie de cette thèse est consacrée à l’examen des restrictions du domaine de
compétence nationale ratione materiae. Elle vise à démontrer la difficulté à maintenir une
conception matérielle du domaine réservé à la compétence nationale de l’État dans le contexte
actuel de mondialisation et d’extension matérielle du droit international.
La seconde partie examine les conséquences des restrictions du domaine de compétence
nationale matériellement conçu. Elle a pour objectif de mettre en exergue l’assouplissement
de certains principes du droit international comme conséquence de l’extension matérielle de
ce droit et du développement d’une conception fonctionnelle du pouvoir et du domaine de
compétence nationale de l’État.
- PREMIERE PARTIE : LES RESTRICTIONS DU DOMAINE MATERIEL DE COMPETENCE
NATIONALE DE L’ETAT
- DEUXIEME PARTIE : LES CONSEQUENCES DES RESTRICTIONS DU DOMAINE MATERIEL
DE COMPETENCE NATIONALE DE L’ETAT
43.M. SINKONDO, « Une pierre d’angle de la construction juridique de l’État : l’irréductible l’acte de gouvernement dans les relations internationales », Droit prospectif : Revue de la recherche juridique, vol. 31, n° 112, 2006, p. 236.
29
PREMIÈRE PARTIE
LES RESTRICTIONS DU DOMAINE MATÉRIEL DE COMPÉTENCE
NATIONALE DE L’ÉTAT
La notion de domaine de compétence nationale de l’État telle que conçue par la doctrine
dominante est présentée comme une limite dans les relations directes d’État à État mais aussi
et surtout une limite de l’activité des organes juridiques et politiques internationaux. Selon
cette conception, le domaine de compétence nationale ou domaine réservé « est celui des
activités étatiques où la compétence de l’État n’est pas liée par le droit international.
L’étendue de ce domaine de l’État dépendant du droit international et varie suivant son
développement ».44 Son champ matériel est donc susceptible de se réduire lorsque celui du
droit international s’élargit. Il peut en revanche s’élargir lorsque celui du droit international se
rétrécit.
À partir de ce postulat, dans la société internationale actuelle marquée par de profondes
mutations à travers notamment le développement de l’institutionnalisation de la coopération
internationale, le phénomène de multiplication de la règlementation multilatérale et le
processus de mondialisation, le domaine de compétence nationale matériellement conçu est de
plus en plus au cœur des questionnements car mis à l’épreuve par les réalités du nouveau
contexte international. Dans cette perspective, le but de cette partie sera de répondre à un
double objectif. Il s’agira dans un premier temps d’étudier les facteurs susceptibles de
restreindre le domaine de compétence nationale de l’État (Titre I). Dans un second temps, en
mettant en exergue la prise en charge par le droit international de questions qui sont
généralement considérées comme relevant par nature de ce domaine, nous essaierons ainsi de
démontrer l’inexistence d’un domaine matériel réservé par nature à la compétence nationale.
C’est pourquoi, dans un second titre, nous étudierons les manifestations des restrictions du
domaine matériel de compétence nationale (Titre II).
44.Résolution de l’I.D.I. sur «La détermination du domaine réservé et ses effets», op. cit., n. 41, p.108.
30
TITRE I
LES FACTEURS DE RESTRICTION DU DOMAINE MATÉTIREL DE
COMPÉTENCE NATIONALE
Depuis les accords de Westphalie45, l’État souverain est érigé comme socle du droit
international. L’État qui dispose du pouvoir souverain sur son territoire et d'une
indépendance sur le plan international était alors son seul sujet mais aussi sa matrice.
Jusqu’au XIXe siècle, le droit international était initialement celui des États européens et
chrétiens qui formaient une société fermée plus ou moins homogène [le Concert européen],
au sein de laquelle les autres États n’étaient pas admis automatiquement du seul fait de leur
qualité d’État, mais par cooptation.46 Ce droit qui n’était alors qu’un droit procédural et
relationnel ne régissait que l’entrée en relation des États et ne couvrait qu’un champ matériel
très limité.
Cette réalité est, cependant, aujourd’hui remise en cause car le droit international s’est
universalisé en s’ouvrant d’abord à des États autres que ceux du Concert européen et chrétien,
puis à ceux issus du mouvement de décolonisation et enfin à de nouveaux acteurs non
étatiques. Mais surtout, le droit international est devenu un droit véritablement matériel. À ce
titre, deux types de facteurs sont susceptibles d’apporter des restrictions au domaine de
compétence nationale de l’État matériellement conçu. Le premier type relève des mutations en
cours dans la physionomie de la société internationale ainsi que du droit international, ce
dernier tentant de s’adapter aux nouvelles réalités et exigences internationales. Il s’agira alors
d’examiner les mutations de la société internationale et du droit international (Chapitre I). Le
second type de facteur est lié à l’émergence sur la scène internationale de nouveaux centres de
pouvoir (Chapitre II) qui, dans une certaine mesure, concurrencent l’État et restreignent sa
liberté de décision et d’action dans de nombreux domaines ou matières.
45.Traités signés le 24 octobre 1648 à l’issue du Congrès de Westphalie mettant fin à la guerre des Trente ans et rétablissant la paix entre la France, la Suède et l’empereur Ferdinand II. Ils annoncent l'Europe territoriale moderne. À l'idée d'unité du monde chrétien se substitue celle d'un système d'États indépendants. 46.R. KOLB, « Mondialisation et droit international », Relations internationales, n° 123/2005, p. 72. Voir aussi R. KOLB, Réflexions de philosophie du droit international. Problèmes fondamentaux du droit international public : Théorie et philosophie du droit international », Bruxelles, Bruylant, 2003.
31
CHAPITRE I
LES MUTATIONS DE LA SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ET DU
DROIT INTERNATIONAL
Pendant longtemps, la société internationale était composée d’États souverains et
indépendants et le droit international, lui aussi resté longtemps étroitement lié au principe de
la souveraineté, « régi[ssait] les rapports entre États indépendants ».47 L’État était alors le
cadre principal d’organisation de la vie sociale et d’impulsion des relations internationales.
Mais les impératifs de coopération et de solidarité imposés par « les exigences de la vie
internationale et l’accroissement progressif des activités collectives des États »48 ont rendu
inadapté le seul cadre étatique. C’est la raison pour laquelle des besoins d’association des
États se sont fait ressentir et ont conduit à la création des organisations internationales afin
d’institutionnaliser la coopération entre États. On parle de phénomène d’institutionnalisation
de la vie internationale (Section 1).
Certes, les États souverains et indépendants ne sont soumis à aucune autorité établie qui leur
soit supérieure. Néanmoins, les relations entre eux sont soumises aux règles du droit
international qui constitue une véritable limite juridique à leur liberté. Ainsi que l’écrivait
Dionisio Anzilotti, la société des États « n’est possible que dans la mesure où les États qui y
participent n’agissent pas d’une manière arbitraire, mais conforment leur conduite à des règles
qui limitent la liberté d’action de chacun [d’eux] et établissent la façon dont ils doivent se
comporter dans leurs relations mutuelles ».49 C’est pourquoi la multiplication des matières
appelant une règlementation multilatérale (Section 2) et le développement du phénomène
d’institutionnalisation de la vie internationale, deux tendances largement liées l’une à l’autre,
remodèlent le rôle du droit international qui, tout en gardant sa dimension procédurale et
relationnelle, acquiert une dimension matérielle et institutionnelle qui aménage le domaine de
compétence nationale de l’État.
47.Affaire du Lotus, C.P.J.I., arrêt du 7 septembre 1927, série A, n° 10, p. 18. 48.Affaire de la Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, C.I.J., avis consultatif du 11 avril 1949, Rec. 1949, p. 178. 49.D. ANZILOTTI, Cours de droit international public, vol. I, traduction française de Gilbert Gidel, Paris, Sirey, 1929, pp. 32, 43 et 51; publié également par les éditions Panthéon-Assas (Collection Les introuvables), L.G.D.J., Paris, 1999, 535 p.
32
Section 1 : Le développement du phénomène d’institutionnalisation de la
vie internationale
La société internationale contemporaine est marquée par un développement fulgurant du
phénomène d’institutionnalisation avec la multiplication des organisations internationales
dont le nombre dépasse aujourd’hui celui des États et dont les activités sont très diversifiées.
L’institutionnalisation de la coopération entre États fait évoluer la société internationale vers
un système plus organisé dans lequel la souveraineté ne revêt plus le caractère absolu et
illimité qui fut autrefois le sien. Il est en effet certain que la participation d’un État à une
organisation internationale lui impose des obligations internationales. En d’autres mots, en
devenant membre d’une organisation internationale, l’État consent à la limitation de l’étendue
de son domaine de compétence nationale donc de sa liberté. À cet égard les organisations
internationales apparaissent comme sources de restrictions du domaine matériel réservé à la
compétence nationale (§ 1). Ceci est d’autant plus vrai que le système international
institutionnalisé et ordonné tend à s’inscrire dans une dynamique d’intégration plus poussée
dont la manifestation est aujourd’hui l’émergence d’une tendance communautaire dans la
société internationale (§ 2).
§ 1 : Les organisations internationales comme sources de restrictions du domaine
matériel de compétence nationale
La notion de domaine de compétence nationale, telle qu’elle ressort de la conception de la
doctrine dominante, signifie la liberté de l’État d’agir comme bon lui semble dans la sphère de
matières où il n’est pas tenu par des engagements internationaux. Cette liberté ne peut être
limitée que par la preuve de l’existence d’une règle du droit international obligeant l’État dans
un sens déterminé. Or, l’observation de la vie internationale montre que cette conception du
domaine de compétence nationale est aujourd’hui sérieusement mise à l’épreuve de sorte qu’il
est quasiment impossible de dire, sans risque d’être contredit, quelle matière relève encore de
ce domaine.
Dans cette évolution, l’institutionnalisation de la vie internationale a sans doute joué un rôle
considérable. En effet, les organisations internationales, traduisant la prévalence de la logique
interétatique sur celle de la souveraineté et de l’individualisme des États, ont favorisé la
restriction du domaine de compétence nationale en tant que moyen de sauvegarde de la
33
souveraineté-liberté des États et en tant que limite matérielle à l’activité des organisations
internationales. La décision de participer à une organisation internationale est certes un acte
de gouvernement, de souveraineté relevant de la compétence nationale, elle a pour
conséquence la limitation voire le partage des compétences étatiques avec l’organisation à
laquelle l’État adhère.
L’organisation internationale est définie comme une « organisation intergouvernementale »50
ou comme une « association d’États, constituée en vue de remplir certaines fonctions d’intérêt
commun et dotée, à cet effet, d’un appareil permanent d’organes.»51 Ainsi définie, l’existence
de l’organisation internationale reste marquée par la dimension interétatique tant du point de
vue de sa création que de son fonctionnement. Cette réalité ne doit toutefois pas faire oublier
le fait qu’une fois créée, l’organisation internationale jouit d’une autonomie certaine vis-à-vis
des États membres (1) et exerce sur eux une certaine autorité (2) qui limite leur liberté, leur
domaine de compétence nationale.
1. L’autonomie fonctionnelle de l’organisation internationale vis-à-vis des États
comme source de limitation du domaine matériel de compétence nationale
La structure des organisations internationales est marquée par une représentation des États
membres. Pourtant, l’organisation internationale « ne saurait être assimilée à un simple cadre
offert à la rencontre de ses membres ; c’est un univers normatif et organique ».52 En effet, en
dehors de la base interétatique et volontaire qui caractérise leur création, les organisations
internationales sont constituées par un appareil d’organes permanents distincts des États et
l’exercice de fonctions qui fondent chacune de leurs compétences.
L’autonomie des organisations internationales découlent d’un ensemble d’éléments par
lesquels leurs créateurs à savoir les États renoncent à certains de leurs pouvoirs et leur en
accordent pour l’accomplissement efficace de leurs missions. L’organisation internationale est
ainsi dotée d’une personnalité juridique distincte, détachée de celle des États membres (1.1.)
et exerce des compétences propres prévues et règlementées dans l’acte constitutif (1.2.).
50.Article 2, i) de la Convention de Vienne sur le droit des traités entre États du 23 mai 1969. 51.M. VIRALLY, « Panorama du droit international contemporain. Cours général de droit international public », R.C.A.D.I., t. 183, 1983-V, p. 254. 52.R.-J. DUPUY, La communauté internationale entre le mythe et l’histoire, Paris, Economica, 1986, p. 52.
34
1.1. Une personnalité juridique distincte de celle des États membres
L’autonomie de l’organisation se manifeste par sa personnalité juridique car il est aujourd’hui
largement admis dans la doctrine et la pratique internationales que les organisations
internationales jouissent d’une personnalité juridique autonome, distincte de celle des États
membres. Cela signifie, comme le disait la C.I.J., que l’organisation « a capacité d'être
titulaire de droits et devoirs internationaux et qu'elle a capacité de se prévaloir de ses droits
par voie de réclamation internationale. »53 La question de la personnalité juridique de
l’organisation se pose sur le plan du droit interne de chaque État dans le territoire duquel
l’organisation a vocation à exercer des activités. Il s’agit de la personnalité interne.54 La
question de la personnalité juridique de l’organisation internationale se pose aussi sur le plan
du droit international dans le cadre des rapports de l’organisation avec les autres sujets de ce
droit. En effet, en les créant, les États ont manifesté leur volonté de leur conférer des
compétences nécessaires à l’accomplissement effectif des fonctions qui leur sont attribuées.
Dans cette ordre d’idées, la C.I.J. disait que « l'organisation était destinée à exercer des
fonctions et à jouir des droits [...] qui ne peuvent s'expliquer que si l'organisation possède une
large mesure de personnalité internationale et la capacité d’agir sur le plan international. »55
Cette personnalité confère à l’organisation le droit de conclure des traités avec des États ou
d’autres organisations internationales, le droit de légation passive – possibilité pour les États
membres d'établir des missions permanentes auprès d’elle – et active qui permet à
l'organisation d'établir des missions diplomatiques sur le territoire d'États membres ou d'États
tiers. L’organisation possède aussi le droit de présenter des réclamations internationales et
jouit d’une certaine autonomie financière.56 Sa personnalité juridique internationale lui permet
également d’exercer des compétences par des organes permanents qui leur permettent de
fonctionner de façon continue indépendamment des États. En effet, « non permanente,
l’organisation reste suspendue à la volonté des États pour chacun des actes qu’elle est
susceptible d’assurer ; permanente, elle s’affirme face aux États »57. En ce sens, la notion de
53.Avis consultatif, préc., n. 48, p. 179. Voir aussi l’article 176 de la Convention de Montégo Bay de 1982 sur le droit de la mer et l’article 6 § 1 et 2 du Traité de Paris de 1951 qui reconnaissent respectivement une personnalité juridique internationale à l’Autorité internationale des fonds marins et à la C.E.C.A. 54.Cette personnalité juridique interne confère à l’organisation une capacité juridique nécessaire à son fonctionnement. Elle lui permet d’acquérir et de disposer de biens meubles ou immeubles, de contracter, d’ester en justice. Elle s’impose à tous les membres mais aussi aux États non membres qui, par le biais d’accords spéciaux, l’ont reconnu à l’organisation. 55.Avis consultatif susvisé, p. 179. 56.F. ATTAR, Le droit international entre ordre et chaos, Paris, Hachette, 1994, p.55. 57.P. REUTER cité par R.-J. DUPUY, Le droit international, Paris, P.U.F., Que sais-je ?, 1966, p. 92.
35
domaine de compétence nationale de l’État comme limite matérielle n’empêche pas à la
personnalité juridique de l’organisation de produire ses effets à l’égard de l’État intéressé.
Dans leurs relations avec les États, les organisations internationales jouissent d’une autonomie
qui est aussi garantie par l’octroi de privilèges et immunités dont l’objectif principal est de
leur permettre d’exercer leurs activités sans ingérence de l’État auprès duquel elles ont une
représentation. Ces privilèges et immunités leur sont accordés soit dans leurs actes
constitutifs58, soit dans des conventions spéciales59 ou encore dans les accords de siège60
qu’elles concluent avec les États où elles sont implantées. Le nombre et l’étendue des
privilèges et immunités varient en fonction des organisations et des textes qui les accordent.
Mais il est généralement retenu que les organisations internationales jouissent de privilèges et
immunités étendus. La première est l’immunité de juridiction qui permet aux organisations
internationales de ne pas être attraites devant les juridictions de leur État de résidence, ni en
matière pénale, ni en matière civile. Cela veut dire qu’il est interdit au juge national de statuer
sur la licéité du comportement de l’organisation ; il ne peut pas prononcer une décision contre
elle. L’immunité de juridiction des organisations internationale semble revêtir aujourd’hui un
caractère absolu qui s’impose de manière objective dans les relations internationales
contemporaines. À ce titre, la C.E.D.H. faisait observer que :
« l’octroi de privilèges et immunités aux organisations internationales est un moyen
indispensable au bon fonctionnement de celles-ci, sans ingérence unilatérale de tel ou tel
gouvernement. Le fait pour les États d’accorder généralement l’immunité de juridiction aux
organisations internationales […] constitue une pratique de longue date, destinée à assurer le
bon fonctionnement de ces organisations. L’importance de cette pratique se trouve renforcée
par la tendance à l’élargissement et à l’intensification de la coopération internationale qui se
manifeste dans tous les domaines de la société contemporaine. »61
58.Article 7 § 4 et 5 du Pacte de la S.D.N., article 105 de la Charte de l’O.N.U., article 40 du Statut du Conseil de l’Europe, article 133 de la Charte de l’O.E.A., etc. 59.Convention de New York, du 13 février 1946, sur les privilèges et immunités des Nations Unies ; Convention de New York, du 21 novembre 1947, sur les privilèges et immunités des institutions Spécialisées ; Accord du 12 septembre 1949 sur les privilèges et immunités du Conseil de l'Europe, Accord de Vienne du 1er juillet 1959 sur les privilèges et immunités de l'Agence internationale de l'énergie atomique, etc. 60.Arrangement du 19 avril 1946 entre le Conseil fédéral suisse et le Secrétaire général de l'O.N.U. concernant les privilèges et immunités de l'O.N.U. sur le territoire helvétique ; Accords de siège passés par l’O.I.T., l’O.M.S. avec la Suisse, Accord de siège du 2 juillet 1954 entre l’UNESCO et la France, etc. 61.C.E.D.H., Waite & Kennedy c. Allemagne, 18 février 1999, § 63 ; C.E.D.H., Beer & Regan c. Allemagne, 18 février 1999, § 53. Dans ces affaires, des employés allemands de l’Agence spatiale européenne avaient saisi les tribunaux allemands du travail. L’A.S.E. ayant invoqué son immunité de juridiction, les tribunaux allemands jugèrent irrecevable l’action engagée par les requérants. On précisera que l’organisation peut toujours renoncer à cette immunité de juridiction et, dans certains cas, l’immunité juridictionnelle n’est pas générale. C’est le cas de la B.I.R.D., de l’I.D.A. et de la S.F.I. L'immunité dont elles bénéficient ne concerne que les actions intentées par
36
Face à l’immunité de juridiction de l’organisation internationale, la compétence nationale de
l’État est restreinte car il ne doit pas y avoir d’entrave législative, administrative ou judiciaire
de la part de l’État. Autrement dit, l’immunité interdit l’application du droit national à
l’organisation. C’est ce que le gouvernement allemand a semble-t-il reconnu devant la
C.E.D.H. Selon lui, « le but de l’immunité en droit international [étant] de protéger les
organisations internationales contre les ingérences de tel ou tel gouvernement, [ce] but
légitime autorise des restrictions à l’article 6 » de la Convention européenne de sauvegarde
des droits et des libertés fondamentales qui garantit à toute personne un droit d’accès aux
tribunaux pour que sa cause soit entendue. Par conséquent, les juridictions allemandes ne
peuvent pas appliquer le droit allemand du travail à l’Agence spatiale européenne (A.S.E.) qui
est une organisation internationale jouissant de l’immunité juridictionnelle. Pour conforter sa
position, le gouvernement allemand précisait que « les tâches incombant aux organisations
internationales revêtent une importance particulière à une époque de mondialisation des défis
techniques et économiques ; leur fonctionnement exige […] qu’elles ne soient pas contraintes
de s’adapter à des principes et règles nationaux qui diffèrent entre eux. »62
De l’immunité juridictionnelle des organisations internationales découlent une autre immunité
qui est celle d’exécution. Elle repose sur l’interdiction à « quelque organe [étatique]
d’autoriser, ou de procéder à un acte matériel d’exécution consistant souvent en une opération
de saisie ou de blocage des avoirs. »63 Si on sait que l’exécution suppose une décision de
justice préalable favorable au requérant, l’immunité juridictionnelle puisqu’elle rend
impossible tout procès contre l’organisation devant les juridictions internes, anéantit en même
temps toute possibilité d’exécution forcée contre elle.
Les organisations internationales jouissent encore de l’inviolabilité de leurs locaux et biens,
archives et documents y compris. Ce privilège est un élément très important pour
l’indépendance et la confidentialité nécessaire au bon fonctionnement des organisations
internationales et est comparable à celui dont bénéficient les représentations diplomatiques
des États tel que prévu à l’article 22 de la Convention de Vienne sur les relations
diplomatiques. L’inviolabilité des locaux de l’organisation repose sur son droit au respect et à
des États membres ou par des personnes agissant pour le compte d'États membres, ou tenant leurs droits de ceux-ci. Les autres personnes ne peuvent intenter des actions que devant un tribunal compétent sur le territoire d'un État membre où l'organisation possède un bureau. 62.C.E.D.H., arrêts précités note précédente §§ 61. 63.J. VERHOEVEN, (dir.), Le droit international des immunités : contestation ou consolidation ?, Bruxelles-Paris, Larcier-L.G.D.J., 2004, p. 14.
37
l’inviolabilité de son intimité. Il s’agit d’un droit inhérent à sa personnalité.64 Il signifie que,
sauf autorisation des autorités de l’organisation, l’État dans lequel est présente l’organisation
ne peut pas exercer sa compétence nationale à l’intérieur des locaux et sur les biens de
l’organisation. Elle se justifierait par l'impossibilité pour un ordre juridique subordonné,
national, de soumettre ou de contraindre un ordre juridique supérieur, international.65
Concrètement, l’inviolabilité des locaux signifie que l’État doit non seulement s’abstenir de
certains actes, mais aussi protéger activement les locaux. Autrement dit, en raison de cette
inviolabilité, les locaux et les biens de l’organisation bénéficient de l'exemption de toute
perquisition, expropriation, réquisition, confiscation, saisie et de toute autre forme de
contrainte ou d'ingérence administrative, exécutive, judiciaire ou législative de la part de
l’État. Il en résulte deux conséquences. La première est que l’organisation doit assurer sa
propre sécurité à l’intérieur de ses locaux. C'est ce qui ressort, par exemple, de la section 8 de
l'accord de Siège de Lake Success de 1947 entre les États-Unis et l’O.N.U. lorsqu'il dispose
que l'organisation « aura le droit d'édicter des règlements exécutoires dans le district
administratif et destinés à y créer à tous égards, les conditions nécessaires au plein exercice de
ses attributions… » La deuxième conséquence est que l’État doit tout mettre en œuvre pour
protéger de l’extérieur les locaux de l’organisation contre toute menace ou danger
préjudiciable à son bon fonctionnement.
Les organisations internationales jouissent enfin d’une liberté de détention de fonds et de
transferts de monnaies étrangères sans être soumises à aucun contrôle, réglementation ou
moratoire financier. Cela ressort de certaines dispositions d’accords de siège comme celui de
l’UNESCO avec la France.66 Elles peuvent aussi bénéficier d’exemptions fiscales ou
douanières et des facilités de communication leur permettant d’avoir, par exemple la valise et
le code diplomatiques.
L’ensemble des privilèges et immunités que nous venons d’étudier s’avèrent nécessaires à
l’autonomie et au bon fonctionnement de l’organisation. Apparaissant comme des droits et
non comme des faveurs que les États octroient aux organisations, les privilèges et immunités
constituent pour elles une protection contre les pouvoirs publics nationaux susceptibles
d’entraver leur libre et bon fonctionnement. En revanche pour les États, ils jouent un rôle
restrictif de leur domaine compétence nationale ratione materiae car dans les matières
64.J. DUFFAR, Contribution à l'étude des privilèges et immunités des organisations internationales, Paris, L.G.D.J., 1982, pp.15 ss. 65.Ibid., p. 101. 66.Art. 17 de l’Accord du 2 juillet 1954, Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 357.
38
concernées, si variées soient-elles, l’État reste tenu par des obligations internationales
découlant nous l’avons dit soit de l’acte constitutif de l’organisation, soit de l’accord de siège
entre elle et l’État concerné, ou de tout autre accord signé entre eux.
1.2. L’existence de compétences propres à l’organisation internationale
Les restrictions du domaine de compétence nationale de l’État (sphère de compétences
ratione materiae non liées par le droit international) dans les organisations internationales se
mesurent ensuite et surtout par l’existence de compétences qui leur sont propres en vue de la
réalisation des buts qui leur sont assignés. Cela signifie qu’elles sont dotées d’un pouvoir ou
d’une capacité juridique d’agir pour l’accomplissement de leurs fonctions. Il s’agit donc de
compétences fonctionnelles.
Contrairement aux États qui, en raison de leur souveraineté, jouissent de compétences
générales, les organisations internationales sont régies par les principes de spécialité et
d’attribution. Le principe de spécialité induit que les compétences attribuées à l’organisation
soient exercées pour atteindre les buts qui leur ont été expressément assignés par les États ;
l’organisation doit agir dans les limites des compétences qui lui sont conférées et des objectifs
qui lui sont assignés par son traité constitutif. Selon le principe d’attribution, l’organisation
internationale n’a pas la compétence de sa compétence ; elle n’est dotée que de compétences
attribuées par les États membres et dont les limites sont fonction des intérêts communs que
ceux-ci lui donnent pour mission de promouvoir.67 Cela veut dire que, dans le traité instituant
l’organisation, les États membres lui attribuent expressément un certain nombre de pouvoirs.
Cela veut aussi dire que les attributions conférées à l’organisation ne relèvent plus de la
compétence nationale exclusive des États ; il s’agit généralement de compétences partagées,
concurrentes et non de compétences transférées comme dans le cadre de certaines
organisations d’intégration. En effet, en exprimant leur consentement à être liés par le traité
constitutif, les États voient leur liberté réduite dans les domaines d’activités de l’organisation
et leurs compétences soumises à la réglementation internationale. Toutefois, il s’agit là d’une
restriction consentie du domaine de compétence nationale par la voie de conventions
internationales. Par exemple, en ratifiant la Charte des Nations Unies et en conférant à
l’O.N.U. des attributions en matière de droits de l’homme, en matière économique, sociale et
67.Affaire de la Licéité de l'utilisation des armes nucléaires par un État dans un conflit armé, C.I.J., avis consultatif du 8 juillet 1996, Rec. 1996, p. 78, § 25. Cf. également affaire de la Compétence de la Commission européenne du Danube, C.P.J.I., avis consultatif, 1927, série B n°14, p. 64.
39
culturelle, les États ont juridiquement consenti à ce que ces matières ne relèvent plus de leur
compétence exclusive même s’ils conservent toujours un certain pouvoir sur ces questions.
Il s’ensuit que le domaine de compétence nationale se présente ici comme jouant un rôle de
limite matérielle pour la délimitation des compétences des organisations internationales par
rapport à celles des États. Cependant, cette fonction de délimitation des compétences entre
États et organisations internationales est remise en cause dans deux hypothèses. La première
est qu’il arrive que, dans l’exercice des compétences qui lui sont attribuées, l’organisation soit
amenée à adapter ses fonctions pour s’accommoder aux exigences et situations nouvelles.
Dans ce cas, elles sont considérées comme disposant de compétences dites implicites ou
impliquées. À ce titre, des auteurs soulignent que « de manière explicite ou implicite, toutes
les organisations internationales reçoivent les pouvoirs de décision nécessaires pour atteindre
les objectifs fixés par leur charte constitutive, garantir la continuité de leur fonctionnement et
permettre leur adaptation aux changements de circonstances ou de situations
internationales ».68 Cela signifie que l’organisation peut, à travers une interprétation
téléologique et parfois évolutive de sa charte constitutive, étendre ses compétences ou s’en
doter une ou plusieurs indispensables à l’exercice de ses fonctions alors même que celles-ci
ne sont pas expressément attribuées par l’acte constitutif. Il s’agit donc pour l’organisation
d’un élargissement de compétences existantes ou d’une attribution de nouvelles compétences
sans requérir de nouveau le consentement des États membres. L’existence de ces pouvoirs
implicites de l’organisation internationale a été reconnue par la C.P.J.I. en 192669 avant que la
C.I.J. ne la confirme en 1949 en ces termes : « selon le droit international, l'organisation doit
être considérée comme possédant ces pouvoirs [...] qui, s'ils ne sont pas nécessairement
énoncés dans la Charte, sont par une conséquence nécessaire conférés à l'organisation en tant
qu'essentiels à l'exercice des fonctions de celle-ci. »70 Dans l’affaire relative à Certaines
dépenses des Nations Unies71, la Cour a également retenu cette technique à propos du
financement des opérations des Nations Unies au Congo et au Moyen-Orient imaginées par le
Secrétaire général. Selon le raisonnement de la Cour, si une dépense a été faite dans la
poursuite d’un des buts des Nations Unies, cette dépense constitue une dépense de
l’Organisation même si « l’action a été entreprise par un organe qui n’y était pas habilité ». 68.P. DAILLIER, M. FORTEAU, A. PELLET, Droit international public, Paris, L.G.D.J., 8è éd., 2009, p. 407. 69.Affaire de la Compétence de l'OIT pour réglementer accessoirement le travail personnel du patron, C.P.J.I., avis consultatif du 23 juillet 1926, série B n° 13, p. 18. Dans cette affaire, la Cour a transposé dans l’ordre international la jurisprudence Marshall de la Cour suprême des États-Unis qui, en 1819 dans l’affaire McCulloc vs Maryland, a ainsi développé la théorie des pouvoirs implicites : « pourvu que les fins soient légitimes, qu'elles soient dans le système de la Constitution, tous les moyens qui sont appropriés à ces fins, qui ne sont pas interdits, mais qui sont compatibles avec la lettre et l'esprit de la Constitution, sont constitutionnels ». 70.Avis consultatif précité note 48, p. 182. 71.Avis consultatif, 20 juillet 1962, C.I.J. Recueil 1962, pp. 151 ss.
40
La seconde hypothèse découle du caractère général des buts des organisations internationales
en général et des Nations Unies en particulier qui comprennent, entre autres, le maintien de la
paix et de la sécurité internationales72. Partant des buts de la Charte, la Cour a, dans la
l’affaire relative à Certaines dépenses des Nations Unies, tiré la conclusion selon laquelle
« lorsque l'organisation prend des mesures dont on peut dire à juste titre qu'elles sont
appropriées à l'accomplissement des buts déclarés des Nations Unies, il est à présumer que
cette action ne dépasse pas les pouvoirs de l'organisation. »73 Dans cette hypothèse, certes
dans l’exercice de leurs compétences, les organisations internationales doivent respecter la
ligne de répartition initiale des compétences entre elles et les États afin de ne pas intervenir
dans leur domaine de compétence nationale. Toutefois, la pratique internationale a montré que
l’exception de la compétence nationale parfois soulevée par les États contre un organe à
caractère international (politique ou juridictionnel) est souvent rejetée.74 L’étendue des buts
ainsi que les objectifs généraux des organisations internationales combinés à la généralité de
leurs compétences et à la nature politique de la plupart de leurs tâches font que l’exception de
la compétence nationale est de plus en plus inopérante. Cela est d’autant plus vrai que l’article
2, paragraphe 7 de la Charte ne se réfère pas au droit international comme critère de
détermination des matières relevant essentiellement de la compétence nationale des États. Il
en résulte que des considérations politiques (présence d’un international concern ou
préoccupation internationale), morales, ou humanitaires suffisent à justifier l’action
internationale (des Nations Unies) dans toutes les matières où les États membres ont des
compétences ab initio. Par ailleurs, les organes politiques des Nations Unies n’étant pas liés
comme la C.I.J. à n’appliquer que le droit international, ils peuvent donc se saisir de toute
question ou situation rentrant dans le champ des buts de l’organisation sans tenir compte de
l’existence ou non d’une règle internationale imposant des obligations à un État dans un
domaine déterminé. À cet égard, parlant de la généralité des compétences et du caractère
politique des activités de l’ancienne S.D.N. et de l’O.N.U., Gaetano Arangio-Ruiz note
qu’« aucune matière parmi celles touchant les intérêts intérieurs ou extérieurs des États – y
72.Selon l’article 1 de la Charte, « les buts des Nations Unies sont les suivants : 1. Maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin : prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d'agression ou autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l'ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix ; 2. Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde ; 3. Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion ; 4. Être un centre où s'harmonisent les efforts des nations vers ces fins communes. » 73.Avis consultatif précité, n. 71, p. 168. 74.C’est notamment le cas de la plupart des affaires citées à la note 22.
41
compris les intérêts suprêmes de la défense, de la politique étrangère et de l’économie –
n’échappe à la sphère de compétence ratione materiae de l’organisation. Même le régime
politique finit par entrer souvent en ligne de compte ».75 En effet, avec la théorie des pouvoirs
implicites, l’interprétation du texte constitutif de l’organisation peut être plus ou moins large
selon les nécessités de la fonction ou l’étendue des buts poursuivis. La frontière entre les
compétences des États et celles de l’organisation n’est alors plus fixe et définitive puisque les
États semblent en avoir perdu la maîtrise. La remise en cause du domaine de compétence
nationale paraît ici non consentie car les États n’ont pas expressément attribué à l’organisation
la ou les compétence(s) en question. À ce titre, René-Jean Dupuy cite l’exemple des Nations
Unies qui, « exploitant toutes les possibilités offertes par la terminologie aussi généreuse
qu’imprécise du préambule et des dispositions sur les principes et les buts de la Charte, […]
ont constamment attiré dans leur champ de règlementation des matières qui ne relevaient
jusque-là que de l’action individuelle des États dans l’ordre relationnel ».76 On voit bien que
dans le cadre des compétences implicites ou impliquées, le domaine de compétence nationale
de l’État est aussi restreint puisque, par le biais d’une technique d’interprétation du traité
constitutif de l’organisation, celle-ci approfondit sa capacité d’action dans ses domaines de
compétence, ou s’attribue des compétences non explicitement conférées par le traité et donc
par les États. Il s’agit là d’un élargissement des compétences de l’organisation et donc d’une
restriction du domaine de compétence nationale des États sans leur consentement exprès. À
l’évidence, la conception du domaine de compétence nationale comme sphère de matières où
l’État n’est pas tenu pas des obligations internationales est ici sérieusement entamée.
De ce qui précède, il ressort que l’organisation internationale, bien que ne jouissant que d’une
autonomie fonctionnelle, limite néanmoins le champ matériel des compétences étatiques. Le
domaine de compétence nationale conçu par la doctrine majoritaire comme moyen de
sauvegarde de la liberté étatique arrimée à des matières est ainsi sérieusement mis à l’épreuve.
L’ensemble des éléments d’institutionnalisation des organisations internationales (organes
propres et permanents, personnalité juridique, compétences, privilèges et immunités) qui leur
sont attribués par les États pour leur efficacité et pour la réalisation des objectifs communs,
leur permettent de se détacher d’eux, d’être placées à certains égards face à eux77 et d’exercer
à leur égard une certaine autorité.
75.G. ARANGIO-RUIZ G., « Le domaine réservé… », op. cit., n. 1, p. 406. 76.R.-J. DUPUY, La communauté internationale entre le mythe et l’histoire », op. cit., n. 52, p. 73. 77.Avis consultatif préc. n. 48, p. 179 .
42
2. Les restrictions à la liberté d’action des États membres de l’organisation
internationale
En vue de l’accomplissement de leur mission générale, les organisations internationales
exercent des pouvoirs parfois étendus qui subordonnent la liberté des États aux exigences de
l’intérêt collectif et de la vie en société. Qu’ils soient attribués ou impliqués, ces pouvoirs
s’exercent dans toutes les matières touchant aux buts souvent étendus de l’organisation. Ils
révèlent la croissance progressive de l’autorité des organisations internationales sur le pouvoir
étatique et la tension entre les forces centrifuges (États dont la souveraineté a tendance à
pousser à l’individualisme) et les forces centripètes (organisations internationales qui tirent
vers une logique interétatique).
Les restrictions à la liberté des États membres se révèlent à travers l’exercice par
l’organisation d’activités adressées directement aux États et qui s’imposent à eux (2.1.), mais
aussi par l’exercice d’activités à l’égard de personnes ou de territoires appartenant à un État
(2.2.).
2.1. L’exercice d’activités adressées directement aux États
De manière générale, les compétences ainsi que les activités des organisations internationales
s’exercent à l’égard des États. Elles se déploient par des actes juridiques adressés
exclusivement aux États et n’ayant pas d’effet direct pour les particuliers. Ces actes relèvent
du droit dérivé de l’organisation car il s’agit d’actes pris par ses organes pour mettre en œuvre
une compétence nécessaire à la réalisation de ses buts. Parmi ces actes on a les décisions, les
recommandations, les jugements adressés exclusivement aux États. À travers eux,
l’organisation exerce une compétence normative qui lui permet de poser des règles de portée
obligatoire en direction des États. Il s’agit de la compétence normative externe qui comprend
le pouvoir de conclure des traités internationaux au sein ou sous les auspices de l’organisation
internationale et le pouvoir de prendre des actes unilatéraux qui s’imposent aux États
membres et parfois même aux non membres.78 C’est notamment à travers cette compétence
normative externe que l’autorité de l’organisation internationale croît fortement au détriment
de la compétence nationale des États car l’organisation peut adopter ce type d’acte sur toute
78.C’est le cas de certaines résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies.
43
matière relevant expressément ou implicitement (par le biais de la théorie des pouvoirs
implicites) de sa compétence.
D’abord, s’agissant des recommandations, il faut noter qu’elles constituent, à l’égard des
États, une « invitation à adopter un comportement déterminé, action ou abstention »79. Bien
que généralement considérées comme dépourvues de force juridique obligatoire, elles
imposent parfois aux États des obligations dans certaines organisations. Il en est ainsi par
exemple de l’O.I.T. dont l’article 19, § 6 de sa Constitution prescrit aux membres de
soumettre les recommandations de l’organisation « à l'autorité ou aux autorités dans la
compétence desquelles rentre la matière, en vue de les transformer en loi ou de prendre des
mesures d'un autre ordre ». Les membres doivent aussi informer le Directeur du B.I.T. de
l’état de leur législation ainsi que de leur pratique sur la question objet de la recommandation.
Dans d'autres cas, la recommandation impose aux États diverses obligations comme les buts,
les résultats80, la motivation du refus d’exécution.81 Ici, on voit bien que les recommandations
ne s’adressent qu’aux États, à l’exclusion des particuliers. En revanche, il est loisible de
constater que, par elles, l’organisation internationale peut restreindre le domaine de
compétence nationale de l’État puisque dans la matière concernée celui-ci ne jouira plus d’un
pouvoir discrétionnaire et exclusif de décision et d’action.
La liberté de décision et d’action de l’État peut ensuite être limitée par le pouvoir de décision
exercé par des organes internationaux et par le biais duquel ils peuvent produire des normes
qui sont obligatoires pour les États membres (même pour ceux qui se sont opposés à
l’adoption de l’acte décisoire) et parfois pour les non membres comme c’est le cas de
certaines résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies.82 Ainsi, même si l’organisation
exerce une compétence partagée avec les États dans certaines matières, elle peut, par ce
pouvoir de décision, apportée des limitations au domaine de compétence nationale de l’État
en tant que sphère de matières non liées par le droit international. Par exemple, dans
l’exercice de ses compétences en matière de « promotion et de protection » des droits de
l’homme, l’O.N.U. peut adopter des décisions obligatoires restreignant la liberté des États et
79.M. VIRALLY, « La valeur juridique des recommandations des organisations internationales », A.F.D.I., vol. 2, 1956, p. 68. 80.Article 14 du Traité instituant la C.E.C.A. qui disposait : « Les recommandations comportent obligation dans les buts qu'elles assignent, mais laissent à ceux qui en sont l'objet le choix des moyens propres à atteindre ces buts. » 81.Article 15, al. (b) du Statut du Conseil de l’Europe qui stipule : « Les conclusions du Comités des Ministres peuvent, s’il y a lieu, revêtir la forme de recommandations aux Gouvernements. Le Comité peut inviter ceux-ci à lui faire connaître la suite donnée par eux auxdites recommandations ». 82.Sur l’étendue du pouvoir de décision du Conseil de sécurité cf. infra Section 2, § 2, point 2, en particulier point 2.2, p. 98.
44
allant dans le sens de la réalisation de l’objectif de « promotion et de protection » des droits
de l’homme.
À cela, il faut ajouter que certaines organisations internationales tiennent expressément de
leurs actes constitutifs l’exercice d’un pouvoir réglementaire à l’égard des États membres. À
travers lui, la compétence nationale des États est réglementée et conditionnée. Nous pouvons,
à ce titre, citer l'Organisation météorologique mondiale (O.M.M.) dont l'article 7, § d) de sa
Convention confie au Congrès la fonction d’adopter des règlements techniques relatifs aux
pratiques et procédures météorologiques. L'Organisation mondiale de la santé (O.M.S.) fait
également figure d’exemple car l'article 21, a) de sa Constitution confère à l’Assemblée une
autorité pour adopter des règlements concernant telle mesure sanitaire et de quarantaine ou
toute autre procédure destinée à empêcher la propagation des maladies d’un pays à l’autre.83
Ces différents actes des organisations internationales qui sont exécutoires et souvent
obligatoires ont les mêmes conséquences que les règles conventionnelles ou coutumières
internationales à l’égard des États alors même que ceux-ci n’ont pas expressément réitéré leur
consentement à se soumettre à de tels actes. En effet, ces actes ont tous pour conséquence la
restriction de la compétence nationale des États analysée comme liberté de décision et
d’action relativement à des matières ; ils induisent l’orientation du comportement des États
dans le sens de l’intérêt commun et le renforcement de l’autorité internationale sur eux en vue
de faire primer cet intérêt commun sur les intérêts particuliers de chacun d’eux. On est donc
ici en présence d’un véritable processus institutionnalisé de création du droit international par
le biais du droit dérivé, des actes unilatéraux des organisations internationales. Ce processus
limite ainsi la liberté des États qui seront non seulement tenus par des engagements auxquels
ils n’auront pas forcément consentis, mais aussi n’auront plus ici de marge de manœuvre
comme celle dont ils disposent dans la procédure conventionnelle. En effet, contrairement aux
traités, ces actes ne sont pas soumis à la ratification des États et échappent donc aux éventuels
débats et contrôle parlementaires nationaux mais aussi à la possibilité d’émettre des réserves.
C’est pourquoi c’est dans l’exercice de leur pouvoir règlementaire ou normatif que les
83.Article 21 de la Constitution de l’O.M.S. : « L’Assemblée de la Santé aura autorité pour adopter les règlements concernant : a) telle mesure sanitaire et de quarantaine ou toute autre procédure destinée à empêcher la propagation des maladies d’un pays à l’autre ; b) la nomenclature concernant les maladies, les causes de décès et les méthodes d’hygiène publique ; c) des standards sur les méthodes de diagnostic applicables dans le cadre international ; d) des normes relatives à l’innocuité, la pureté et l’activité des produits biologiques, pharmaceutiques et similaires qui se trouvent dans le commerce international ; e) des conditions relatives à la publicité et à la désignation des produits biologiques, pharmaceutiques et similaires qui se trouvent dans le commerce international.
45
organisations internationales assurent une « application dynamique et évolutive »84 de leurs
actes constitutifs.
L’exercice par l’organisation internationale d’activités limitant le domaine de compétence
nationale ratione materiae est enfin confirmé par le fait qu’elle peut exercer des compétences
étendues dans le contrôle de l'application par les États des normes qu’elle a édictées. Cette
compétence de contrôle ou de vérification peut être prévue par l'acte constitutif lui-même
(O.I.T., O.M.S., F.A.O.) ou des conventions postérieures (O.N.U., O.E.A., O.C.D.E.). Elle
consiste dans l’opération par laquelle l’organisation internationale « exerce un droit de regard
plus ou moins étendu sur les activités »85 des États en vérifiant la conformité de leurs
comportements à leurs obligations telles qu’elles découlent des règles de l’organisation. Il se
présente donc sous la forme d’un contrôle de conformité car il est question d’apprécier le
comportement des États, qui peut se manifester par des faits, actes juridiques et attitudes, par
rapport aux règles de l’organisation. Celles-ci sont tout d’abord constituées des règles établies
par la convention de base ou l’acte constitutif de l’organisation.86 Ce contrôle peut ensuite
s’exercer sur l’exécution des obligations découlant des conventions élaborées sous les
auspices ou par l’organisation.87
84.R.-J. DUPUY, Le droit international, op. cit., n. 57, p. 104. 85.M. MERLE, « Le contrôle exercé par les organisations internationales sur les activités des États membres », A.F.D.I., 1959, vol. 5, pp. 411-412. 86.Art. 2, § 2 de la Charte des Nations qui stipule que « les membres de l'Organisation... doivent remplir de bonne foi les obligations qu'ils ont assumées aux termes de la présente Charte » ; Art. 9 § 1 de la Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale qui dispose que : « Les États parties s'engagent à présenter au Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, pour examen par le Comité [Comité pour l'élimination de la discrimination raciale], un rapport sur les mesures d'ordre législatif, judiciaire, administratif ou autre qu'ils ont arrêtées et qui donnent effet aux dispositions de la présente Convention : a) dans un délai d'un an à compter de l'entrée en vigueur de la Convention, pour chaque État intéressé en ce qui le concerne et b) par la suite, tous les deux ans et, en outre, chaque fois que le Comité en fera la demande. Le Comité peut demander des renseignements complémentaires aux États parties. » ; Article 40 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; article 2, § 2 de la Charte de l’O.N.U. 87.Art. 20 de la Constitution de l’O.M.S. qui prévoit que : « Chaque État Membre s’engage à prendre, dans un délai de dix-huit mois après l’adoption d’une convention ou d’un accord par l’Assemblée de la Santé, les mesures en rapport avec l’acceptation de telle convention ou de tel accord. Chaque État Membre notifiera au Directeur général les mesures prises, et s’il n’accepte pas cette convention ou cet accord dans le délai prescrit, il adressera une déclaration motivant sa non-acceptation. En cas d’acceptation, chaque État Membre convient d’adresser un rapport annuel au Directeur général conformément au chapitre XIV. »
46
Il peut s’étendre enfin à l’exécution des actes unilatéraux des organisations tels que les
règlements88, les directives, les recommandations, les résolutions89 et les décisions des organes
juridictionnels.90
L’étendue du champ d’application de ce contrôle met en évidence l’étendue de l’autorité des
organisations internationales sur les États. Même si cette autorité varie d’une organisation à
une autre, elle est la traduction de l’idée que, dans l’organisation internationale en général et
dans les organisations à caractère politique et à compétence générale en particulier, l’État
membre ne dispose plus d’un domaine de compétence nationale ratione materiae où il jouit
d’une liberté de faire ce qu’il veut. En effet, les actes de l’État soumis au contrôle de
l’organisation sont non seulement ceux pris dans l’ordre interne (lois, règlements et autres
actes administratifs)91 mais aussi les engagements internationaux de l’État92 ; et ces actes de
l’État soumis au contrôle international peuvent toucher à toute sorte de matières.
Les procédures de ce contrôle s’exercent généralement par la production par les États de
rapports périodiques. Il peut aussi être occasionné par une plainte individuelle, lorsqu'un
individu ou un groupement d’individus, des organisations non gouvernementales ou
syndicales ou encore un État membre peuvent saisir l'organisation à cet effet. Ce système 88.Art 62 de la Constitution de l’O.M.S. qui dispose que « Chaque État Membre fait rapport annuellement sur les mesures prises en exécution des recommandations que l’Organisation lui aura faites et en exécution des conventions, accords et règlements. » 89.Les articles 226 à 228 du Traité instituant la Communauté Européenne ont mis en place une procédure de recours en manquement, pour contrôler la transposition des directives communautaires par les États Membres. L’article 233 du même traité prévoit que « L'institution ou les institutions dont émane l'acte annulé, ou dont l'abstention a été déclarée contraire au présent traité, sont tenues de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour de justice. », pour plus de développement sur le pouvoir de contrôle dans les organisations d’intégration cf. infra Chapitre II, Section 2, § 2, 2, p. 138 ; art. VIII de l’Acte constitutif de l’U.N.E.S.C.O. ; art. 19 § 6 al. d de la Constitution de l’O.I.T. etc. 90.Conformément à l'article 46 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales telle qu'amendée par le Protocole 11, le Comité des Ministres contrôle l'exécution des arrêts de la Cour européenne des Droits de l'Homme. 91.L'article II, § 5 du statut de la F.A.O. prescrit que « chaque État membre doit adresser à la demande de l'Organisation, dès leur publication, tous règlements, lois, rapports officiels relatifs à la nutrition, l'alimentation et l'agriculture ». L'article 8 de la Constitution de 1'U.N.E.S.C.O. prévoit quant à lui que les États fournissent des rapports sur « les lois et règlements relatifs à leurs institutions et à leur activité dans l'ordre de l'éducation, de la science et de la culture ». 92.L'article 104, § 3 du Règlement sanitaire international demande aux États membres de l'O.M.S. de communiquer à l’organisation le texte des arrangements qu'ils peuvent être amenés à conclure entre eux pour l'application dudit Règlement. L'article 21 de la Constitution de 1'O.I.T. exige des États membres la communication du texte des Conventions adoptées par eux, s'il s'agit de conventions dont le texte a été préalablement discuté, mais non adopté, par la Conférence de 1'O.I.T. Les articles 81 et 83 de la Charte de l'O.A.C.I eux prévoient que les États membres doivent faire enregistrer auprès du Conseil les accords aéronautiques en vigueur ainsi que les nouveaux accords aéronautiques qu'ils viendraient à conclure après la mise en vigueur de la Convention de Chicago.
47
existe à l'O.I.T. pour le droit syndical, au Conseil de l’Europe et à l'O.N.U. pour les droits de
l'homme. La compétence de contrôle peut donner lieu à des mesures de vérification sur place
c’est-à-dire dans le territoire de l’État concerné dans des matières comme les droits
syndicaux, les droits de l’homme, l’armement… Il s’agira notamment d’instituer et d’envoyer
une commission d’enquête ou des inspecteurs chargés de vérifier l’exécution par l’État de ses
obligations. On peut citer l’exemple de l’A.I.E.A avec ses inspecteurs envoyés en Irak et en
Iran pour vérifier le respect par ces États des obligations internationales que leur impose
notamment le traité de non-prolifération nucléaire (T.N.P.).
De ce qui précède, il ressort qu’une organisation internationale peut jouir d’un véritable
pouvoir normatif qui lui permet d’édicter des règles imposant directement aux États des
obligations qu’ils sont tenus de s’acquitter par des actes concrets dans leurs ordres internes ou
par des comportements déterminés. Ces obligations ne résultent pas d’un accord
conventionnel ou d’une pratique coutumière, mais bien d’un acte d’une organisation
internationale. Et pourtant elles restreignent le domaine matériel de compétence nationale
exclusive de l’État car il s’agit d’obligations juridiques que les États sont tenus de respecter
dans les matières concernées. De toute évidence, avec des organisations à compétence
générale comme l’O.N.U., on peut convenir avec Gaetano Arangio-Ruiz « qu’il n’y [a] pas de
matières dont les États s’occupent dans leurs domaines respectifs qui échappent du point de
vue dont on parle (c’est-à-dire ratione materiae) à l’action (de lege lata ou de lege ferenda)
de l’organisation ».93 Cela démontre que les organisations internationales ont indéniablement
modifié les techniques d’élaboration et le contenu du droit international. Par l’activité
normative de leurs organes, le droit international connaît un développement indéniable. Ces
transformations mettent de plus en plus en exergue le développement de la fonction quasi-
législative des organisations internationales. Celle-ci leur permet ainsi de grignoter
progressivement sur le domaine de compétence nationale ratione materiae des États en leur
imposant, par leur droit dérivé en plus de leur droit originaire, des obligations juridiques
internationales dans presque toutes les matières. Certes ces organes ne sont pas
organiquement comparables aux pouvoirs législatifs internes ou aux conférences
diplomatiques normatives, mais le contenu des actes qu’ils prennent ainsi que leurs modalités
d’adoption (vote majoritaire notamment) attestent de la restriction de la liberté de décision et
d’action des États et du conditionnement du pouvoir étatique au sein de l’organisation
93.G. ARANGIO-RUIZ, « Le domaine réservé… », op. cit., n. 1, p. 420.
48
internationale qui dispose désormais de « mécanismes institutionnels d’autoproduction
législative ».94
2.2. L’exercice d’activités à l’égard de citoyens sur le territoire d’un État
En plus des activités réglementaires ou normatives exercées directement à l’adresse des États,
les organisations internationales peuvent aussi exercer sur le territoire des États des activités
s’adressant ou produisant des effets directs à l’égard des particuliers. À l’époque actuelle, ces
activités s’exercent dans le cadre des compétences dites opérationnelles des organisations
internationales en général et dans le cadre particulier des organisations d’intégration régionale
ou sous régionale.
La subordination de la liberté des États aux exigences de la vie en société et de l’intérêt social
montre que la restriction du domaine de compétence nationale ratione materiae constitue
aujourd’hui une réalité manifeste dans les organisations internationales qui jouissent, à travers
des moyens variés, de compétences opérationnelles nécessaires à la réalisation des buts
qu’elles poursuivent. Il s’agit des possibilités d’action et d’intervention directe des
organisations internationales. Cette compétence est comparable à certains égards au « pouvoir
exécutif »95 d’un État car à l’image de celui-ci, l’organisation assure ici directement sur le
territoire étatique l’exécution de tâches matérielles dans son secteur d’activité. Il peut s’agir
d’une action en vue de l’exécution de fonctions techniques spécialisées comme l’envoi de
missions de coopération ou d’assistance technique pour les organisations œuvrant dans le
domaine du développement. Les compétences opérationnelles peuvent se traduire aussi par
l’envoi d’agents chargés de l’assistance technique en matière électorale ou de missions
d’observation des élections qui occupent aujourd’hui une place importante dans les domaines
d’action des organisations internationales.96 Mais cette « fonction opérative »97 peut aussi
consister en des fonctions plus générales comme dans les organisations internationales à
caractère général. C’est le cas, par exemple en matière de maintien de la paix, de l’envoi de
missions de médiation, d’interposition, de rétablissement, de maintien ou de consolidation de
94.P. PESCATORE, Le droit de l’intégration. Émergence d’un phénomène nouveau dans les relations internationales selon l’expérience des Communautés européennes, Leiden, A. W. Sijthoff, 1972, p. 14. 95.O. AUDEOUD, La détermination des compétences des organisations internationales », Thèse Doctorat d’État : Droit public, Université Paris 1, 1982, p.59. 96.Voir infra Titre II de cette partie, Chapitre I, Section 1, § 2, point 2, p. 171. 97.J.-M. DEHOUSSE, Les organisations internationales, Essai de théorie générale, Liège, Librairie Paul Gothier, 1968, p. 95.
49
la paix.98 Ces interventions des organisations internationales viennent souvent en complément
à l’action des États mais aussi parfois en substitution à celle-ci.99 Bien que généralement
soumises à l’assentiment de l’État concerné, ces activités peuvent toucher à des questions
sensiblement liées à sa souveraineté et relevant donc de sa compétence nationale. Ces
interventions de l’organisation internationale font ainsi sauter la frontière matérielle entre
l’interne et l’international que le domaine de compétence nationale telle que conçue par la
doctrine majoritaire est censé avoir tracée.
À côté de ces tâches opérationnelles exercées par la plupart des organisations internationales
en général, des actes normatifs, administratifs ou judiciaires produisant des effets directs -
c’est-à-dire qui comportent des obligations ou des droits à la charge ou au profit des
personnes physiques et morales établies sur le territoire d’un État - sont adoptés par les
organisations dites d’intégration régionale ou sous régionale.100 Nous pouvons ici nous référer
à l’ancienne Communauté européenne où une véritable fonction législative était confiée au
Conseil. L’article 207.3 du T.C.E. lui reconnaissait en effet « une qualité de législateur » et la
C.J.C.E. (devenue Cour de justice de l’U.E.) avait reconnu à la Haute autorité, dans le cadre
de la C.E.C.A., une compétence « légiférante ».101 Elle avait estimé que les décisions de la
C.E.C.A. étaient des actes « quasi-législatifs émanant d’une autorité publique et ayant un effet
erga omnes »102. Concernant la C.E.E., la Commission et le Conseil jouissaient eux aussi d’un
« pouvoir législatif »103 qui ressortait du « processus législatif communautaire »104 tel qu’il
découlait du traité de Rome qui leur reconnaissait le pouvoir d’arrêter des règlements et des
directives et de prendre des décisions. Cette compétence « légiférante » est aujourd’hui
prévue dans le cadre de l’Union européenne par l’article 14 du T.U.E. qui confie au Parlement
européen et au Conseil l’exercice conjoint d’une fonction législative alors que l’article 294 du
T.F.U.E. organise la « procédure législative ordinaire ». Ce pouvoir de prendre des actes
normatifs, administratifs et judiciaires existe également dans d’autres organisations
d’intégration à l’échelle sous régionale comme l’U.E.M.O.A. dont l’article 42 de son traité 98.Sur l’exercice de compétences opérationnelles en matière de maintien de la paix et d’assistance humanitaire, cf. infra Deuxième partie, Titre I, Chapitre I (en matière de maintien de la paix, pp. 257-299) et Chapitre II (en ce qui concerne l’assistance humanitaire, pp. 300-333). 99.Cf. infra Deuxième partie, Titre I, pp. 255 et s.
100.Sur le rôle des organisations d’intégration en générale, en tant que facteurs de restriction du domaine de compétence nationale de l’État se référer à la Section 2 du Chapitre II du présent titre, pp. 116 et s.. 101.C.J.C.E., 15 juillet 1960, République Italienne c. Haute autorité de la C.E.C.A., Aff. 20/59, Rec., p. 663. 102.C.J.C.E., 20 mars 1959, Firme J. Nold KG c. Haute autorité de la C.E.C.A., Aff. 18/57, Rec., p. 88. 103.C.J.C.E., 9 mars 1978, Administration des finances de l’État c. S.A. Simmenthal, Aff. 106/77, Rec., p. 629, point 18. 104.C.J.C.E., 29 octobre 1980, S.A. Roquette Frères c. Conseil des C.E., Aff. 138/79, Rec., p. 3333 ; C.J.C.E., 11 juin 1991, Com. Des C.E. c. Cons. Des C.E., Aff. C-300/89, Rec., p. I-2867, point 20 ; C.J.C.E., 10 juin 1997, P.E. c. Cons. de l’U.E., Aff. C-392/95, Rec., p. 3213, point 14.
50
modifié reconnaît au Conseil le pouvoir de prendre des règlements, des directives et des
décisions.
Les caractéristiques et la portée juridique de ces actes sont de nature à restreindre la liberté de
décision et d’action des États car ils ne leur laissent qu’une faible marge d’appréciation et de
manœuvre. En effet, les règlements sont de portée générale et sont obligatoires dans tous leurs
éléments. Cela signifie que les États n’ont pas la possibilité d’appliquer leurs dispositions de
manière sélective ou incomplète alors même qu’ils s’étaient opposés à leur adoption ou que
leur contenu est contraire à certains de leurs intérêts nationaux. Ils ne peuvent pas non plus
invoquer leur droit national pour se soustraire du caractère contraignant de cette catégorie
d’actes. Par ailleurs, les règlements sont directement applicables dans les ordres juridiques
internes.105 Dès lors, par leur biais, les normes communautaires interviennent directement
dans les ordres juridiques nationaux des États membres pour s’appliquer à différentes
matières ayant trait à l’intégration régionale ou sous régionale. À côté des règlements, les
directives restreignent elles aussi la liberté de décision et d’action des États, car même si elles
laissent à leurs destinataires la liberté du choix de la forme et des moyens à mettre en œuvre,
elles les lient quant au résultat à atteindre. Ainsi, si les dispositions de la directive ne
supplantent pas automatiquement les règles de droit nationales, elles imposent en revanche à
leurs destinataires l’obligation de la transposer dans leurs ordres juridiques nationaux, c’est-à-
dire d’adapter leurs législations à l’ordre juridique communautaire. Il peut s’agir
concrètement soit d’adopter des actes juridiques nationaux contraignants, soit de modifier ou
d’annuler des dispositions législatives, administratives et/ou judiciaires existantes. Dans cette
perspective, la directive nécessite de la part des destinataires une action législative pour
atteindre le but fixé. Ce dernier peut d’ailleurs être fixé de sorte que les États ne disposent que
d’une faible marge de manœuvre. Parmi les actes juridiques des organisations internationales
d’intégration pouvant s’exercer directement à l’égard des particuliers, il y a également les
décisions qui sont elles aussi obligatoires en tous leurs éléments mais seulement pour les
destinataires qu’elles désignent. Elles permettent à l’institution communautaire de demander à
ses destinataires qui peuvent être les États membres, les citoyens ou encore les entreprises
d’adopter un comportement donné (action ou omission), de leur conférer des droits ou leur
imposer des devoirs. En ce sens, l’organe communautaire influe directement et
individuellement sur la situation des destinataires. Le fait qu’elles soient obligatoires en tous
leurs éléments annihile toute marge de manœuvre ou d’appréciation de leurs destinataires en
105.Pour l’applicabilité directe du droit communautaire dans les États membres, voir infra Chapitre 2, Section 2, § 1, point 2, p. 125.
51
général et des États en particulier. Ces différents actes (règlements, directives, décisions)
s’adressent, en vertu des traités instituant les organisations concernées, directement aux
particuliers (personnes physiques et morales), c’est-à-dire qu’ils ont un effet direct dans
l’ordre juridique national, et peuvent porter sur toute matière rentrant dans l’objectif
d’intégration. À ce titre, la limite matérielle du domaine de compétence nationale de l’État ne
joue aucun rôle restrictif à la compétence de l’organisation d’intégration.
Aux fins de cet examen, il apparaît que les organisations internationales constituent
aujourd’hui, à côté des États, de « véritables centres d’impulsion des relations
internationales ». Le grand nombre de ces entités ainsi que leur institutionnalisation leur ont
fait gagner en autonomie vis-à-vis des États et leur ont permis de pouvoir produire des règles
qui s’imposent à eux, régulent leurs comportements. Par la généralité de leurs objectifs, la
nature souvent politique de leurs activités, et l’élasticité de leurs pouvoirs, elles multiplient les
restrictions apportées au domaine matériel de compétence nationale des États, qui ne sert plus
de protection à leur liberté dans telle ou telle matière. En effet, « les organisations
internationales sont [certes] œuvre de la volonté [des États], mais la création tend elle-même à
se détacher du créateur, aussi dominateur soit-il, et de surcroît, à le forcer à compter avec
elle. »106 Ce processus de restriction du domaine matériel de compétence nationale des États
semble également se renforcer avec l’émergence sur la scène internationale d’une tendance
communautaire comme conséquence de l’institutionnalisation profonde qui caractérise la
société internationale contemporaine.
§ 2 : L’émergence d’une tendance communautaire dans la société internationale
et le droit international
Les mutations qui ont marqué la société internationale et le droit international depuis la
première guerre mondiale ont fait émerger une prise de conscience et une perception de
l’unité du monde et du genre humain. La notion de communauté internationale fait désormais
partie des analyses et discours juridiques, politiques et économiques à l’échelle internationale
de sorte que, tout en restant invisible, elle est devenue incontournable. Ses nombreux usages
traduisent une sorte de consensus général selon lequel le monde est passé de l’anarchie
internationale à un ordre public international (1) passage dont la conséquence ultime serait le
dépassement de l’interétatisme et la transformation du droit interétatique en un nouveau droit
106.R.-J. DUPUY, Le droit international, op. cit., n. 57, p. 76.
52
commun107 (droit de la communauté internationale) dont l’individu deviendrait le « centre réel
de la responsabilité juridique et morale ». Cette tendance se traduit par l’élaboration de
mécanismes juridiques (2) qui visent à affermir progressivement la communauté et l’ordre
public international et traduisent surtout l’amenuisement du domaine de compétence nationale
de l’État axé sur l’idée de liberté relativement à des matières bien identifiées.
1. La notion de communauté internationale, traduction d’un passage de
l’anarchie internationale à un ordre public international
Les juristes, notamment les internationalistes, se sont longuement et abondamment interrogés
sur la notion de communauté internationale.108 L’émergence de cette notion, qui symbolise
l’idée d’un ordonnancement du pouvoir à l’échelle internationale (1.2.), dans la pensée
juridique et politique internationales découle d’un certain nombre de facteurs (1.1.) dont
certains ont indélébilement marqué l’histoire de la société et des relations internationales alors
que d’autres posent encore d’énormes défis aux États et à l’humanité toute entière.
1.1. Les facteurs ayant favorisé l’émergence de l’idée communautaire
Plusieurs « facteurs objectifs de rapprochement matériel entre les peuples »109 ont contribué à
la percée de l’idée communautaire dans la société internationale contemporaine. Mais cette
poussée de l’idée d’existence d’une communauté internationale découle d’une pensée plus
ancienne selon laquelle les États doivent renoncer à leur liberté individuelle et se regrouper en
une organisation internationale qui, par ses règles et son action, arriverait à maintenir des
relations internationales pacifiques. Cette idée ressort notamment du Projet de paix
perpétuelle d’Emmanuel Kant110, du 14è point du discours du président Wilson. C’est donc
107.E. JOUANNET, « L’idée de communauté humaine à la croisée de la communauté des États et de la communauté mondiale », in La Mondialisation entre Illusion et l’Utopie, A.P.D., 2003, Tome 47, p. 191. 108.Voir à titre indicatif les réflexions de G. ABI SAAB, «Wither the International Community ? », E.J.I.L., 1998, vol. 9, pp. 248ss ; P.-M. DUPUY, « L’unité de l’ordre juridique international. Cours général de droit international public », R.C.A.D.I., 2002, t. 297, pp. 245 ss ; R.-J. DUPUY, La communauté internationale entre le mythe et l’histoire, op. cit., n. 52 ; E. JOUANNET, « L’idée de communauté humaine… », op. cit., note précédente, pp. 191-232 ; P. KLEIN, « Les problèmes soulevés par la référence à la “communauté internationale” comme facteur de légitimité », in Droit, légitimation et politique extérieure : l’Europe et la guerre du Kosovo, Bruxelles, Bruylant, 2000, pp. 261-297 ; H. LAUTERPACHT, « Règles générales du droit de la paix », R.C.A.D.I., 1937-IV (62), pp. 99-422 ; B. SIMMA et A. PAULUS, « The ‘‘International Community’’ : Facing the Challenge of Globalization », E.J.I.L., 1998, vol. 9, pp. 266 ss., etc. 109.R.-J. DUPUY, La communauté internationale entre le mythe et l’histoire, op. cit., n. 52, p. 105. 110.Kant écrivait que « des États en relations réciproques ne peuvent sortir de l’état d’anarchie, qui n’est autre chose que la guerre […] qu’en renonçant, comme des particuliers, à leur liberté anarchique, en se soumettant à des lois publiques de contrainte, formant ainsi un État des nations (civitas gentium) qui [engloberait] finalement
53
avant tout le besoin de paix dans la société internationale qui sous-tend l’aspiration à une
communauté internationale. C’est ce même besoin de paix qui était à la base de la création de
la S.D.N., organisation internationale générale et universelle, qui confirme le désir
d’institution d’un système international organisé autour d’intérêts communs et des aspirations
de l’humanité à la paix après le cataclysme de la première guerre mondiale, mais aussi la
nécessité de l’encadrement de la liberté, de la souveraineté étatique par le droit. À ce titre,
l’ancien secrétaire général-adjoint de la Société des Nations soulignait :
“[The League of Nations] was the first effective move towards the organization of a world-
wide political and social order, in which the common interests of humanity could be seen
and served across the barriers of national tradition, racial difference, or geographical
separation. [...] It was always, in success and failure alike, the embodiment in constitutional
form of mankind’s aspirations towards peace and towards a rationally organized world.”111
Avec l’échec de la S.D.N. qui s’est traduit par l’éclatement de la deuxième guerre mondiale,
le besoin d’organisation du système mondial autour du bien commun de l’humanité et de la
communauté internationale était devenu crucial. Le traumatisme du désastre humain des deux
guerres a ainsi fait surgir dans les esprits une certaine prise de conscience de l’existence de
dangers communs et de la nécessité d’une solidarité planétaire pour y faire face. C’est cette
prise de conscience et la volonté de réagir face à l’horreur qui ont conduit à la naissance d’une
nouvelle façon de penser qui a marqué le droit international post-seconde guerre mondiale par
la création de l’O.N.U. En effet, avec la S.D.N. puis l’O.N.U. le droit international, mis au
service de la paix, est désormais regardé comme un ordre juridique objectif destiné à
organiser la coopération entre les États autour des besoins de l’humanité et non pas seulement
à établir des règles de coexistence entre eux. Avec l’institutionnalisation de la coopération
internationale,
« s’ouvre une nouvelle phase dans laquelle les besoins d’ordre de l’humanité et
d’organisation de la société internationale exigent la présence d’un droit fort, directif,
innovateur, limitant la souveraineté étatique – cette souveraineté agressive qui avait plongé
le monde dans le cataclysme [des deux guerres mondiales]. Il [fallait] un fond de droit
tous les peuples de la terre ». Cette idée ressort aussi du Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe de l’abbé de Saint Pierre. 111.F. P. WALTERS, A History of the League of Nations, Londres-New York-Toronto, 1952, pp. 1 et 3.
54
objectif, qui lie les États en toute circonstance et qui en organise fondamentalement la vie
sociale. »112
Cette perspective évolutive s’est traduite dans le droit international par l’usage de concepts
qui visent à affirmer juridiquement la prépondérance de valeurs et idéaux communs sur les
pouvoirs juridiques individualistes des États.113 Ainsi, comme l’affirmait l’ancien président de
la C.I.J., Mohammed Bedjaoui, le droit international « conçu traditionnellement comme
instrument de coordination des souverainetés, se voit investi d’une mission de transformation
de la société internationale et mis au service de finalités telles que la paix, le développement,
le bonheur des hommes, la préservation écologique de la planète. »114 Dès lors, au système
interétatique doit se substituer un système collectif assurant la sauvegarde des intérêts
communs et œuvrant pour la réalisation d’une véritable communauté internationale centrée
sur le bien commun de l’humanité et la paix. C’est pourquoi au sein des Nations Unies est
institué un système de sécurité collective qui encadre le domaine de compétence nationale
exclusive des États en matière de guerre. Cette pour cette même raison que la protection des
droits de l’homme115 est aujourd’hui devenue une affaire de tous car il prévaut « le sentiment
que la cause de l’homme, de sa dignité et de ses droits, ne pouvait rester indifférente à
personne, que l’humanité mourait en chacun de nous. Plus généralement, la cause humanitaire
[est] entendue comme une condition indispensable au maintien de la paix à plus long terme,
paix dont pouvait dépendre la survie de tous. »116
En plus du besoin de paix, d’autres facteurs objectifs ont contribué au rapprochement des
États et au renforcement du sentiment de la nécessité d’une solidarité internationale accrue
dans le cadre d’une communauté internationale pour faire face aux autres dangers et défis
communs qui menacent la paix et la stabilité internationales et l’humanité entière. Se sentant
individuellement impuissants face à ces défis qui les dépassent, les États ont ainsi éprouvé un
grand besoin de coopération internationale pour lutter contre certains fléaux qui constituent
des menaces et des défis communs. C’est le cas des questions environnementales comme le
réchauffement climatique, la pollution, l’écologie etc. C’est aussi le cas des questions
sécuritaires telles que le terrorisme, la prolifération des armes nucléaires et de destruction
massive, et de phénomènes globaux transnationaux comme la cybercriminalité, les trafics
112.R. KOLB, « Mondialisation et droit international », op. cit., n. 46, p. 74. 113.Ibid., p. 80. 114.M. BEDJAOUI, Droit international. Bilan et perspectives, tome 1, Introduction générale, Paris, Presses de l’UNESCO, 1997, p. 16. 115.Sur ces deux aspects de l’évolution du droit international (mise en place d’un système de sécurité collective et protection des droits de l’homme), cf. infra Section suivante. 116.R. KOLB, « Mondialisation et droit international », op. cit., n. 46, p. 79.
55
criminels internationaux de tous genres que le professeur Jean Charpentier qualifie de « jeu
criminel des gangs internationaux ».117 Le phénomène de mondialisation généralisé qui
caractérise la société internationale a lui aussi conduit au développement d’une sensation
d’interdépendance universelle dans tous les domaines de la vie – économique, sociale,
politique, environnementale, scientifique, technique... Ces changements fondamentaux ont
poussés les États à développer entre eux une coopération plus profonde dans leur intérêt
mutuel et dans celui de toute l’humanité car « la terre, foyer de l’humanité, constitue un tout
marqué par l’interdépendance. »118 Parlant de cette interdépendance qui crée des défis
transfrontaliers avec leurs conséquences sur la souveraineté étatique, le professeur Christian
Tomuschat souligne
“traditionally, international law rested on the principle of territoriality. Every State enjoys
exclusive competence for developments within its territory. Respect for this simple principle
was, as a rule, likely to ensure a satisfactory state of affairs in international relations. Today,
the dynamics of cross-border activities require a considerably higher degree of sophistication
of international law. Whereas more than one hundred years ago States were almost unable
physically to damage their neighbours in a lasting manner, such capabilities are just
commonplace in the world of today. All activities of modern industrialized society have, to a
greater or lesser extent, repercussions beyond the border of the State in whose territory they
are carried out, by affecting air, water or soils.”119
Avec l’accumulation de tous ces facteurs bouleversant l’ordre existant, émergea une prise de
conscience généralisée de l’unité du monde et de la nécessité d’une solidarité internationale
plus accrue entre les acteurs pour faire face à ces évolutions et leurs conséquences réelles.
C’est ce qui explique l’affirmation progressive de la notion de communauté internationale qui
consacre l’idée d’un ensemble organisé et uni autour de valeurs et d’intérêts communs et qui
limite les sphères de liberté des États dans un sens compatible avec la protection de ces
valeurs et intérêts « communautaires ».
117.J. CHARPENTIER, « Le phénomène étatique à travers les grandes mutations politiques contemporaines », in S.F.D.I., L’État souverain à l’aube du XXI ème siècle, Paris, Pedone, 1994, pp. 33 et s. 118.Voir Préambule de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement adoptée le 13 juin 1992. http://www.un.org/french/events/rio92/rio-fp.htm. (page consultée le 29 septembre 2012). 119.C. TOMUSCHAT, “Obligations arising for States Without or Against Their Will”, R.C.A.D.I., t. 241 1993-IV, p. 212).
56
1.2. La notion de communauté internationale : expression de l’idée
d’ordonnancement du pouvoir à l’échelle internationale
La notion de communauté internationale véhicule l’idée d’un ordonnancement du pouvoir au
bien commun et de l’établissement d’un ordre juridique commun fondé sur la solidarité des
intérêts et des valeurs communes autour desquelles s’unissent les États. Ce sont ces idées de
solidarité, d’union et d’idéal commun qui permettent d’ailleurs de différencier la communauté
de la société, dans laquelle les membres coexistent et coopèrent sans vraiment constituer une
véritable union. Ainsi conçue, la communauté internationale exprime une idéologie
unificatrice autour de valeurs et d’intérêts prépondérants et communs à toute l’humanité.
Alors que dans la société les membres poursuivent des intérêts individualistes et privés, la
communauté tend vers la recherche et la satisfaction de l’intérêt de la collectivité, donc de
l’intérêt général.120 Les membres de la communauté internationale sont ainsi présumés mettre
en avant des intérêts communs dans la qualification de leurs droits et de leurs obligations
réciproques.
À partir de cette conception, la pensée juridique acceptant l’existence de la communauté
internationale s’est surtout divisée en deux camps. D’un côté, il y a ceux qui considèrent qu’il
n’existe qu’une communauté interétatique axée sur les États souverains. Cette vision est
illustrée par l’article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 qui définit
la norme impérative du droit international général (jus cogens) comme « une norme acceptée
et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble… ». C’est
pourquoi le professeur Joe Verhoeven affirme que les États réduisaient la communauté
internationale à une communauté strictement interétatique.121 Dans le même ordre d’idées, le
professeur Alain Pellet considère la communauté internationale comme « l’ensemble des
États - ce qui ne veut pas dire l’addition pure et simple de tous les États existants, mais
l’‘ensemble’ qu’ils forment ».122 Dans le même cadre, le professeur Pierre-Marie Dupuy a
estimé que la notion de communauté internationale est « rivée aux États, entre lesquels elle
marque le stade ultime de la coopération solidaire ».123 Il est clair que dans cette conception la
120.V. R. KOLB, Réflexions de philosophie du droit international…, op. cit., n. 46, pp. 25-26. 121.J. VERHOEVEN, « Considérations sur ce qui est commun. Cours général de droit international public », R.C.A.D.I., 2002, 9-434, tome 334, 2008, p.107. 122.A. PELLET, « Le droit international à l’aube du XXIème siècle. La société internationale contemporaines -permanences et tendances nouvelles. Cours fondamental, Cours euro-méditerranéens Bancaja de droit international, vol. 1, 1997, 1998, p.101. 123.P.-M. DUPUY, « Humanité, communauté et efficacité du droit », in Humanité et droit international. Mélanges René-Jean Dupuy, Paris, Pedone, 1991, p. 138.
57
communauté internationale est état-centrique c’est-à-dire qu’elle est composée avant tout et
surtout par les États. Mais, l’État étant une collectivité humaine, la communauté
internationale état-centrique symbolise aussi un ensemble dont les composantes unies par les
nécessités de la vie sociale et le partage de valeurs communes coopèrent pour la satisfaction
d’intérêts communs. L’individu est donc le bénéficiaire ultime des intérêts et valeurs que
l’État aura tirés de son appartenance à une communauté internationale. Ainsi, l’interdiction de
recourir à la force dans les relations internationales, au-delà du fait qu’elle vise à préserver
l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique des États, a vocation à épargner les
individus des atrocités et des souffrances de la guerre.
De l’autre côté, il y a ceux qui voient, au-delà des États, une véritablement communauté
internationale centrée autour des individus, unissant le genre humain124 et dans laquelle tous
les États sont soumis au même droit.125 C’est ainsi que Lauterpatcht, tout en admettant
l’existence d’une communauté internationale strictement interétatique envisagée sous l’angle
de la solidarité minimale d’intérêts qui relie les États126, imaginait une communauté
internationale unifiée et organisée autour des droits de l’individu. Cette dernière, par
l’évolution du droit international, devrait limiter voire dépasser la souveraineté de l’État et
restreindre le domaine de compétence nationale exclusive regardés comme des barrières
infranchissables derrière lesquelles les droits de l’homme sont massivement violés et les
individus soumis au bon vouloir de leur État. Une telle communauté internationale doit, selon
lui, être fondée sur l’idée de respect de l’humanité et s’organiser autour des droits de la
personne humaine et non pas seulement en vue de la protection des intérêts des États ou de la
sauvegarde de leur souveraineté127 et de leur domaine de compétence nationale entendu
comme expression juridique de leur souveraineté-liberté.
En définitive, que la communauté soit axée sur les États ou autour de l’individu, il apparaît
clairement qu’elle est avant tout une notion unificatrice qui ne vise pas à protéger la
souveraineté ou les intérêts individuels des États et pour lesquels ils peuvent être tentés de se
permettre toutes les libertés, mais plutôt à défendre la poursuite d’intérêts communs et la
préservation de valeurs communes. Dans cette mesure, il existe un lien étroit entre
communauté internationale et organisation internationale car l’acceptation de l’existence de la
communauté internationale semble dépendre de « [l]’existence des intérêts communs des
États et autres participants à la coopération internationale », s’exprimant notamment à travers 124.Voir E. JOUANNET, « L’idée de communauté humaine… », op. cit., n. 107, pp. 191-232. 125.P. DAILLIER, M. FORTEAU et A. PELLET, Droit international public, L.G.D.J., 8è éd., 2009, p. 49. 126.H. LAUTERPACHT, « Règles générales du droit de la paix », op. cit., n. 107, pp. 191 ss. 127.Ibid., pp. 188 ss.
58
le phénomène d’« institutionnalisation des relations internationales ».128 Ainsi, étant donné
que la communauté internationale apparaît comme une fiction « dont la réalité est difficile à
prouver »129, certains auteurs la voient à travers les institutions internationales, en particulier
les Nations Unies qui, par le biais du droit, essaie d’organiser le pouvoir à l’échelle
internationale et de donner vie à cette communauté fondée sur l’adhésion de tous à un
ensemble de valeurs et de règles communes. C’est pourquoi
« la doctrine a forgé divers concepts qui s’accordent tous dans l’effort d’organiser
juridiquement la prépondérance de certains intérêts communs face au pouvoir juridique
individualiste des États. On s’est efforcé […] de considérer la Charte des Nations Unies
comme une constitution de la communauté internationale, cherchant ainsi à la doter d’un
prolongement institutionnel et décisionnel qui lui faisait cruellement défaut. Toute
l’humanité doit se plier aux préceptes fondamentaux de la Charte et aux décisions des
organes de l’Organisation mondiale, censées sécréter confusément l’opinion mondiale plus
que tout autre acteur international ou national. »130
À l’évidence, l’acceptation de l’existence d’une communauté internationale dont l’individu
est la fin ultime se fait au détriment du domaine de compétence nationale de l’État comme
sphère de liberté arrimée à des matières car selon cette conception, dans tous les domaines de
la vie, l’individu ne doit plus être assujetti au bon vouloir de son État. Il doit bénéficier d’une
protection du droit international.131 Or, cette protection internationale de l’individu traduit le
dépassement de la conception de la souveraineté étatique comme liberté absolue de l’État de
faire ce qu’il veut sur ses sujets à l’intérieur de ses frontières. Elle apporte de ce fait des
limitations à l’exercice de la compétence nationale de l’État. Ainsi selon Stevan Jovanovic,
dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, l’État connaît des « restrictions [qui] sont
nécessaires afin d’empêcher l’arbitraire et de protéger l’intérêt général. »132 Celles-ci sont de
deux catégories. La première regroupe selon lui les restrictions découlant de la technique
juridique. Il vise notamment l’obligation de l’État d’exercer ses compétences d’une manière
raisonnable et de bonne foi133, mais aussi dans la légalité comme l’a noté le professeur Gérard
128.M. SAHOVIC, « Le système normatif du droit international et la société internationale contemporaine », in Studi di diritto internazionale in onore di Gaetano Angio-Ruiz, Editoriale Scientifica, vol. 1, 2004, p. 425. 129.P.-M. DUPUY, L’unité de l’ordre juridique international…, op. cit., n. 107, p. 260. 130.R. KOLB, « Mondialisation et droit international », op. cit., n. 46, p. 80. 131.H. LAUTERPACHT, « Règles générales du droit de la paix » op. cit., n. 107, pp. 239 ss. 132.S. JOVANOVIC, Restriction des compétences discrétionnaires des États en droit international, Paris, Pedone, 1988, p. 219. 133.Ibid., pp. 156 ss.
59
Cahin.134 La deuxième catégorie montre que l’exercice des compétences discrétionnaires de
l’État est limité par des facteurs sociaux et l’évolution de la communauté internationale.135 À
ce titre, les restrictions de la compétence nationale des États « prohibent ce qui est considéré
comme inacceptable dans la communauté internationale, ou bien, elles prescrivent une
certaine finalité sociale que doivent respecter les États en exerçant leurs libertés. ».136
On voit bien que dans tous les cas, la communauté internationale apparaît comme un moyen
d’organisation du pouvoir à l’échelle internationale et se présente comme une limite à la
souveraineté-liberté de l’État. L’État, en tant que membre de cette communauté, n’a plus la
maîtrise de la situation et ne jouit plus de la liberté de décider librement en fonction des
engagements conventionnels qu’il a conclus. Dans cette mesure, la notion de communauté
internationale renvoie à l’idée de l’organisation de la société internationale sur la base d’un
droit international objectif traduisant l’esprit communautaire des membres unis par des
solidarités et valeurs communes et ayant décidé de conformer leurs actions et comportements
au bien commun.137 Ainsi que le souligne Prosper Weil,
« [q]uelle que soit la connotation que l’on entend lui conférer, la référence à la communauté
internationale, tend à substituer à la société internationale atomisée et fractionnée, faite d’un
tissu de relations bilatérales dominées par les intérêts nationaux […], la vision d’une
communauté unie et solidaire. La société des États, telle que la connaissait le droit
international classique, privilégiait l’État et sa souveraineté ; la communauté internationale,
telle que l’affectionne le droit international moderne, met l’accent sur ce qui rassemble plutôt
que sur ce qui sépare. La référence à la communauté internationale dépasse l’effet de style de
mode : derrière le glissement sémantique se profile une évolution dans la conception même
du système international. »138
L’émergence d’une tendance communautaire dans la société internationale ne se limite
cependant pas seulement à des déclarations de volonté ou d’intention ou à des vœux pieux
d’acteurs politiques internationaux. Le droit s’est également mis au service de la mise en
place progressive de cette communauté à travers des mécanismes juridiques qui posent les
134.G. CAHIN, « La notion de pouvoir discrétionnaire appliquée aux organisations internationales », R.G.D.I.P., 2003, p. 599. 135.S. JOVANOVIC, Restriction des compétences discrétionnaires des États, op. cit., n. 132, p. 139. 136. Ibid. 137.Cf. Ch. DE VISSCHER, Théories et réalités en droit international public, Paris, Pedone, 4ème éd., 1970, p.111 ; B. SIMMA, « From Bilateralism to Community Interest in International Law », R.C.A.D.I., 1994-VI t. 250, pp. 245-246. 138.P. WEIL, « Le droit international en quête de son identité. Cours général de droit international public », R.C.A.D.I., t. 237, 1992-VI, p. 309.
60
conditions d’un véritable ordre public international et apportent par conséquent des
limitations au domaine de compétence nationale de l’État conçu comme liberté.
2. Les mécanismes juridiques posant les conditions d’un ordre public
international
La tendance communautaire qu’emprunte la société internationale au niveau institutionnel
présente des répercussions considérables sur le droit international qui, lui aussi, tend à se
communautariser et à faire reculer la sphère de compétence nationale exclusive des États face
aux exigences du bien commun dans les domaines d’intérêt général. Autrement dit, le droit
international, sous la double influence des institutions internationales et du phénomène de
mondialisation, évolue et tente de rendre effective l’existence d’une véritable communauté
internationale. Pour se faire, en dehors de toute « stratégie d’ensemble cohérente »139, il essaie
de s’adapter aux besoins nouveaux et de « se présenter dans ces domaines d’intérêt commun
comme loi de l’humanité ordonné [au] bien supérieur ». C’est dans ce contexte que « [se
développe] peu à peu, à côté d’un droit international de coexistence puis de coopération, un
droit de l’unité du genre humain, un droit de la communauté internationale, issu de la
conscience des défis et menaces communs. »140 Dans cette perspective, ont été promus les
concepts d’obligations erga omnes (2.1.) et de jus cogens (2.2.) qui forment un nouveau corps
de règles qui serait l’ordre juridique émergent de la communauté internationale.141 Ils font
référence aux règles d’ordre public international et traduisent la volonté de sauvegarder les
valeurs et intérêts fondamentaux partagés par les membres de la communauté internationale
au détriment de la liberté et des intérêts individuels des États.
2.1. Les obligations erga omnes
En vue de préserver les valeurs fondamentales et les intérêts supérieurs de la communauté
internationale, l’existence de droits et d’obligations erga omnes s’imposant à tous les sujets
du droit international est consacrée. Il s’agit d’un corpus de normes juridiques qui ont un effet
contraignant et qui s'appliquent à l'égard de chaque État vis-à-vis des autres mais aussi vis-à-
139.A. PELLET, « L’adaptation du droit international aux besoins changeants de la société internationale (conférence inaugurale, session de droit international public », R.C.A.D.I., t. 329, 2007, p. 20. 140.R. KOLB, Réflexions de philosophie du droit international…, op. cit., , n. 46, p. 29. 141.J.-A. CARRILLO-SALCEDO, « Droit international et souveraineté des États. Cours général de droit international public », R.C.A.D.I., vol. 257, 1996, p. 146.
61
vis de la communauté internationale. Selon l’I.D.I., une obligation erga omnes est une
obligation relevant du droit international général ou d’un traité multilatéral, à laquelle un État
est tenu en toutes circonstances envers la communauté internationale ou envers tous les autres
États parties en raison de leurs valeurs communes et de leur intérêt à ce que cette obligation
soit respectée, de telle sorte que sa violation autorise tous les États à réagir.142 L’existence de
ces obligations erga omnes a été consacrée par la C.I.J. dans l’affaire de la Barcelona
Traction. Dans sa décision, la Cour a en effet établi une distinction entre les obligations
bilatérales - caractéristiques du droit international classique et marquées par la réciprocité – et
les obligations erga omnes qui concernent tous les États. En effet, selon la Cour,
« une distinction essentielle doit en particulier être établie entre les obligations des États
envers la communauté internationale dans son ensemble et celles qui naissent vis-à-vis d'un
autre État dans le cadre de la protection diplomatique. Par leur nature même, les premières
concernent tous les États. Vu l'importance des droits en cause, tous les États peuvent être
considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés ; les
obligations dont il s'agit sont des obligations erga omnes. »143
Les principes qui sont à la base de ces obligations erga omnes font l’objet d’un large
consensus international. Il s’agit de la nécessité de traduire par des règles juridiques
objectives les valeurs fondamentales communes dans les domaines de la paix, des droits de
l’homme, du droit humanitaire à travers notamment la mise hors la loi des actes d'agression,
du génocide, la pratique de l'esclavage et la discrimination raciale et le respect des principes et
règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine.144 Aussi, dans l'affaire de
l'Application de la Convention sur le génocide, la Cour, s’appuyant sur un passage de son avis
consultatif rendu dans l'affaire des Réserves à la Convention sur le génocide145, a déclaré que
les droits et les obligations consacrés dans la Convention sont des droits et des obligations
erga omnes qui lient les États même en dehors de tout lien conventionnel146. La Cour a pour
l’essentiel affirmé que l'obligation de respecter un certain noyau dur des droits de l'homme
correspond à une obligation erga omnes, et que cette obligation incombe à tout État vis-à-vis
de la communauté internationale dans son ensemble.
142.Art. 1 de la résolution de l’I.D.I., Cinquième commission Les obligations et les droits erga omnes en droit international, Session de Cracovie, 2005, Rapporteur Giogio Gaja.
143.C.I.J., arrêt du 5 février 1970, (deuxième phase), Rec. 1970, p. 32, § 33. 144.Ibid., § 34. 145.C.I.J., Affaires des réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif du 28 mai 1951, Rec. 1951, p. 23. 146.C.I.J., affaire de l’application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, arrêt du 11 juillet 1996, exceptions préliminaires, Rec. 1996, p. 616.
62
Il en résulte que tout État appartenant à la communauté internationale peut juridiquement
demander à un autre État qui aurait manqué à ses obligations erga omnes de mettre fin aux
manquements en cessant le fait illicite ou en procédant à la réparation dans l’intérêt de l’État.
L’État incriminé ne peut pas invoquer l’exception de la compétence nationale pour refuser de
s’exécuter. Il ne peut pas non plus invoquer le principe de non-ingérence pour écarter les
droits des autres États. Dans la même perspective, dans le cadre du différend ayant opposé la
Belgique au Sénégal au sujet de « l’obligation de poursuivre ou d’extrader » l’ancien
Président tchadien Hissène Habré, la Cour a maintenu sa position sur les droits et obligations
erga omnes, mais ici entre les États parties à la Convention contre la torture et autres peines
ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Selon la haute juridiction internationale,
« en raison des valeurs qu’ils partagent, les États parties à cet instrument ont un intérêt
commun à assurer la prévention des actes de torture et, si de tels actes sont commis, à veiller
à ce que leurs auteurs ne bénéficient pas de l’impunité. Les obligations qui incombent à un
État partie de procéder à une enquête préliminaire en vue d’établir les faits et de soumettre
l’affaire à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale s’appliquent du fait de
la présence de l’auteur présumé sur son territoire... Tous les autres États parties à la
convention ont un intérêt commun à ce que l’État sur le territoire duquel se trouve l’auteur
présumé respecte ces obligations. Cet intérêt commun implique que les obligations en
question s’imposent à tout État partie à la convention à l’égard de tous les autres États
parties. L’ensemble des États parties ont «un intérêt juridique» à ce que les droits en cause
soient protégés. Les obligations correspondantes peuvent donc être qualifiées d’«obligations
erga omnes partes, en ce sens que, quelle que soit l’affaire, chaque État partie a un intérêt à
ce qu’elles soient respectées… »147
On voit donc que l'opposabilité des obligations erga omnes aux États, que ce soit dans le
cadre d’un traité multilatéral ou du droit international général, apporte des limitations au
domaine de compétence nationale de l’État. Ces obligations pouvant porter sur diverses
matières et indépendamment de l’existence ou non du consentement de l’État, celui-ci peut
ainsi se retrouver ainsi soumis à des obligations internationales qui limitent sa liberté de
décision et d’action.
147.C.I.J., Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt du 20 juillet 2012 (fond), p. 26, § 68.
63
2.2. Les normes de jus cogens
En plus des droits et obligations erga omnes, la notion de jus cogens apparaît comme un
moyen juridique d’affermissement de l’ordre public international et donc d’ordonnancement
du pouvoir à l’échelle internationale. Elle a suscité un grand intérêt chez les
internationalistes148 depuis que la Commission du droit international l’a reprise dans le cadre
de son projet d’articles sur le droit des traités. Le travail de la Commission a abouti à
l’adoption de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 qui a consacrée la
notion en son article 53. Le jus cogens y est défini comme « une norme acceptée et reconnue
par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle
aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du
droit international général ayant le même caractère. »
Il ressort de cette définition que le jus cogens est une norme impérative, supérieure aux autres
normes du droit international qui comme lui sont obligatoires. La différence entre cette norme
impérative et les autres normes du droit international se situe dans le fait qu’un État envers
lequel un autre État est tenu par une obligation découlant du jus cogens, ne peut pas renoncer
à l’exécution de cette obligation. À ce titre, s’il est possible à deux États, dans leurs relations
mutuelles, d’appliquer d’autres normes comportant d’autres obligations que celles prévues par
le droit international général, ou de ne pas appliquer certaines normes du droit international
qui leur imposent des obligations l'un envers l'autre149, ils ne peuvent, en revanche dans le
cadre de ces mêmes relations mutuelles, déroger au jus cogens ou se libérer d’une obligation
que leur impose une norme impérative du droit international.150 En effet, avec ces normes
impératives, il est introduit une hiérarchie entre les normes du droit international.151 Elles sont
certes toutes obligatoires, mais il y a d’un côté les normes à la création desquelles les États
ont participé, auxquelles ils ont consenti à être liés et auxquelles ils peuvent par accord
déroger, et de l’autre, il y a les normes impératives du droit international général qui peuvent
leur être imposés même s’ils ne les ont pas acceptées et auxquelles il leur est impossible de
déroger. Cette hiérarchisation des normes internationales est d’ailleurs affirmée dans la
148.Voir notamment les écrits de Ch. DE VISSCHER, « Positivisme et jus cogens », R.G.D.I.P., 1971, pp. 5-11 ; R. KOLB, « Observations sur l’évolution du concept de jus cogens », R.G.D.I.P., 2009, pp. 837-850 ; K. MAREK, « Contribution à l’étude du jus cogens en droit international », in Recueil d’études de droit international en hommage à P. Guggenheim, Faculté de droit de l’Université de Genève, 1968, pp. 426-459 ; M. VIRALLY, « Réflexions sur le ‘‘jus cogens’’ », A.F.D.I., vol. 12, 1996, pp. 5-29, etc. 149.M. VIRALLY, op. cit., p. 9. 150.Ibid. 151.Voir le rapport de Roberto AGO sur la responsabilité des États, Ann. de la C.D.I., 1976, vol. II, p. 33 ; P. WEIL, « Le droit international en quête de son identité… », op. cit., n. 138, p. 261
64
jurisprudence internationale. Dans l’affaire Furundzija, le T.P.I.Y. a affirmé qu’une norme
impérative est une « norme qui se situe dans la hiérarchie internationale à un niveau plus
élevé que le droit conventionnel et même que les règles du droit coutumier ‘ordinaire’ »152.
Par conséquent, les États ne peuvent déroger à ces normes impératives « par le biais de traités
internationaux, de coutumes locales ou spéciales ou même de règles coutumières générales
qui n’ont pas la même valeur normative »153.
Depuis sa consécration, la notion de jus cogens a essuyé de sévères critiques doctrinales154 et
ne fait toujours pas l’unanimité car des questions subsistent toujours sur l’imprécision de la
définition, la détermination des normes relevant de cette catégorie et la procédure de création
ou de consécration de ces normes. C’est pourquoi Prosper Weil, dans son cours général de
1992 à l’Académie du droit international, relevait « la difficulté, confinant à l’impossibilité,
d’identifier [ses] règles ; le risque qu’elle comporte pour la stabilité des traités ; son
incompatibilité essentielle, viscérale presque, avec la structure du système international ».155
Mais en dépit de ces incertitudes et des adversités auxquelles elle doit encore faire face, la
notion de jus cogens semble s’être bien imposée et l’admission de son existence en droit
international général paraît de moins en moins contestée.
Sur l’identification des normes de jus cogens, la Commission du droit international avait déjà
jugé comme contraires à ces normes l’emploi de la force dans des conditions non conformes à
la Charte des Nations Unies, la traite des esclaves, la piraterie, le génocide ainsi que la
violation des principes fondamentaux du droit humanitaire.156 La doctrine a depuis lors le plus
souvent plaidé pour l’élargissement des normes impératives du droit international au gré des
évolutions et mutations de la société internationale, et la jurisprudence, initialement prudente,
a progressivement affirmé l’existence du jus cogens. Ainsi, si dans l’affaire de la Barcelona
Traction précitée, la C.I.J. a seulement reconnu qu’un État pouvait être tenu d’obligations
erga omnes à l’égard de la « communauté internationale dans son ensemble », sans assimiler
ces obligations erga omnes au jus cogens, elle s’est, en revanche, référée aux obligations
impératives en 1979 dans l’ordonnance relative à la demande en indication de mesures
conservatoires sur l’affaire du Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à
152.T.P.I.Y., Chambre de première instance II, affaire Furundzija, arrêt du 10 décembre 1998, § 153. 153.Ibid. 154.Elle a été jugée étrangère au droit international (v. J. COMBACAU, « Le droit international : bric-à-brac ou système ? » in Le système juridique, A.P.D., t. 31, 1986, p. 85), « inadaptée à la structure du système international » (v. P. WEIL, « Le droit international en quête de son identité… », op. cit., n. 138, p. 273) ou comme « une justification potentielle de déstabilisation » de l’ordre international (se référer à M. J. GLENNON, « De l’absurdité du droit impératif (jus cogens), R.G.D.I.P., 2006, p. 529. 155.P. WEIL, « Le droit international en quête de son identité… », op. cit., n. 138, p. 269. 156.P. DAILLIER et A. PELLET, Droit international public, 7è éd., Paris, L.G.D.J., 2002, p. 205.
65
Téhéran. Selon la Cour, « aucun État n’a l’obligation d’entretenir des relations diplomatiques
ou consulaires avec un autre État, mais il ne saurait manquer de reconnaître les obligations
impératives qu’elles comportent et qui sont maintenant codifiées dans les conventions de
Vienne de 1961 et 1963. »157 En 1982, dans l’affaire Aminoil c/ Koweït, le tribunal arbitral
avait admis l’existence de normes impératives de droit international tout en rejetant les
prétentions du défendeur selon lesquelles « la souveraineté sur les ressources naturelles est
devenue une règle de jus cogens ».158 En 1986, dans l’affaire des Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua, la C.I.J. avait souligné que le principe de l’interdiction de
l’emploi de la force relève du jus cogens.159 Puis en 1989, dans l’affaire de la délimitation de
la frontière maritime Guinée-Bissau / Sénégal, le Tribunal arbitral a reconnu implicitement le
caractère de norme impérative au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.160
Quant à la Commission d’arbitrage de la conférence européenne pour la paix en Yougoslavie,
elle a insisté sur le fait que « les normes impératives du droit international général […]
s’imposent à toutes les parties prenantes à la succession [d’États] ». Elle a noté que relèvent
de ces normes le non recours à la force dans les relations interétatiques, les droits
fondamentaux de la personne humaine et les droits des peuples et des minorités religieuses,
ethniques ou linguistiques. Elle a aussi souligné que la reconnaissance d’États est un acte
discrétionnaire « sous la seule réserve du respect dû aux normes impératives du droit
international général ».161
Toujours dans le cadre de la reconnaissance et de l’application jurisprudentielles du jus
cogens, les juridictions pénales internationales ad hoc et les juridictions régionales de
protection des droits de l’homme (notamment la C.E.D.H.) vont contribuer à la consécration
de la prohibition de la torture et d’un certain nombre de crimes internationaux comme norme
impérative du droit international. C’est ainsi qu’une chambre de première instance du T.P.I.Y.
a affirmé que l’interdiction de la torture relevait du jus cogens « en raison des valeurs
qu’[elle] protège ». Le tribunal a affirmé que constituaient aussi des normes impératives « la
plupart des règles du droit international humanitaire, notamment celles qui prohibent les
crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide ».162 Il a enfin relevé que
157.C.I.J., Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran, ordonnance du 15 décembre 1979 (mesures conservatoires), Rec. 1979, p. 20, § 41. 158.Sentence du 24 mars 1982, J.D.I., 1982, p. 893. 159.C.I.J., Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), arrêt du 27 juin 1986, Rec. 1986, pp. 100-101, § 190. 160.Sentence du 31 juillet 1989, R.G.D.I.P., 1990, p. 234. 161.Avis n° 1 du 29 novembre 1991 ; avis n° 2 du 11 janvier 1992 ; avis n° 10 du 4 juillet 1992, R.G.D.I.P., 1992, p.265 ; 1993, p. 594. 162.T.P.I.Y., Chambre de première instance II, affaire Kupreskic, jugement du 14 janvier 2000, § 520.
66
faisaient partie de ces normes, la prohibition de la discrimination raciale, l’acquisition de
territoires par la force et la répression par la force du droit des peuples à disposer d’eux-
mêmes163. Dans l’affaire Al Adsani, la C.E.D.H. a elle aussi reconnu que l’interdiction de la
torture fait partie des normes impératives du droit international.164 En 2006, la C.I.J. a
reconnu que l’interdiction du génocide possède le caractère d’une norme impérative du droit
international général.165 Enfin, en 2012, la Cour a affirmé que « l’interdiction de la torture
relève du droit international coutumier et elle a acquis le caractère de norme impérative (jus
cogens) ».166
De l’examen de ces jugements et sentences il ressort qu’en définitive le jus cogens fait
désormais partie du paysage jurisprudentiel et juridique international. Il en résulte aussi que
les normes de jus cogens ont un caractère général et peuvent ainsi porter sur une large gamme
de matières restreignant ainsi l’assiette du domaine matériel de compétence nationale
exclusive. La liberté de l’État est entamée par l’existence de ces normes impératives qui
traduisent une certaine volonté de protéger des intérêts communs supérieurs aux intérêts
privés des États. L’objet de ces normes étant de donner une expression juridique à la
supériorité de certaines valeurs fondamentales communes et d’essayer de la traduire dans les
normes internationales, il semble anachronique de parler d’un domaine matériel réservé à la
compétence nationale. En effet, se présentant comme une conséquence de la notion de
communauté internationale, la notion de jus cogens contribue à la transformation de la nature
du droit international, à l’établissement d’un ordre public international dont la communauté
internationale constituerait l’expression. De cette manière, on est rentré dans un processus de
« réorganisation profonde, dans une perspective hiérarchique, du droit international » car
« dans chacun de [ses] domaines, le bilatéralisme est battu en brèche et recule, des pôles où
l’intérêt commun prévaut s’établissent, instaurant des régimes juridiques intégraux ou
absolus, résistants à la bilatéralisation. Un nouveau droit international des hommes ou des
causes communes perce lentement à travers les structures de l’ancien droit international des
États. »167
163. Affaire Furundzija, préc. note 152, § 153 ; Affaire Jelisic, jugement du 14 décembre 1999, § 60 ; Affaire Krstic, jugement du 2 août 2001, § 541. 164.C. E.D.H., affaire Al Adsani c. Royaume-Uni, 21 novembre 2001, § 61. 165.C.I.J., Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c/ Rwanda), arrêt du 3 février 2006, Rec. 2006, p.32, § 64. 166.Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt préc. n. 147, p. 33, § 99. 167.R. KOLB, Réflexions de philosophie du droit international…, op. cit., , n. 46, p 30.
67
Il en résulte une limitation de la souveraineté-liberté de l’État, donc du domaine de
compétence nationale considéré par la doctrine majoritaire comme une sphère de matières où
l’État jouit d’une totale liberté. La volonté de l’État se trouve désormais subordonnée à des
normes impératives alors que, dans le cadre du droit conventionnel, le consentement de l’État,
donc sa volonté constituait le fondement de ses droits et obligations.168 La supériorité de ces
normes interdit aux États de conclure, sous peine de nullité, un traité qui leur serait contraire.
L’article 53 de la Convention de Vienne de 1969 stipule en effet qu’ « est nul tout traité qui,
au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international
général » ; et selon l’article 64 « si une nouvelle norme impérative du droit international
général survient, tout traité existant qui est en conflit avec cette norme devient nul et prend
fin. » Dans cette perspective, si le domaine de compétence nationale confère aux États une
liberté contractuelle, avec le jus cogens, ils ne peuvent pas conclure des traités qui
méconnaîtraient une norme ayant ce statut. Ainsi, selon Michel Virally,
« le jus cogens apporte à n'en pas douter une limite à la souveraineté, si celle-ci se définit
comme le droit pour l'État de se déterminer en fonction de ses seuls intérêts nationaux, tels
qu'il les détermine librement. Il s'écarte de la conception du droit international classique, où
la souveraineté ne connaissait pratiquement aucune limite en ce qui concerne la définition
par un État de ses relations conventionnelles avec d'autres, puisque tout ce qui était convenu
entre deux États, pour régir leurs rapports mutuels, faisait la loi des parties en vertu de ce
même droit international, c'est-à-dire de la norme pacta sunt servanda. »169
En définitive, le jus cogens et les obligations erga omnes apparaissent comme des outils de
promotion « d’un nouveau droit super-constitutionnel international, limitant les pouvoirs
d’action de droit mais aussi de fait des États, tant en droit international qu’en droit interne. Il
se présente désormais comme limite générale à l’autonomie de décision et d’action ainsi qu’à
la souveraineté des États »170 car les effets juridiques de ses normes sont « voués à encadrer
plus strictement, voire à limiter, la liberté des États d’agir ».171 Le droit international,
désormais hiérarchisé, ne repose plus exclusivement sur la volonté des États car une
obligation considérée comme découlant d’une règle du jus cogens oblige tous les États
membres de la communauté internationale qu’ils soient parties ou non à la convention qui
consacre l’obligation, qu’ils aient accepté ou pas la coutume d’où elle découle. Les
obligations erga omnes et le jus cogens traduisent ainsi l’existence objective de l’ordre 168.A. PELLET, « Cours général : le droit international entre souveraineté et communauté internationale », A.B.D.I., 2007, vol. 2, p. 62. 169.M. VIRALLY, « Réflexions sur le ‘‘jus cogens’’ », op. cit., n. 148, p. 12. 170.R. KOLB, Réflexions de philosophie du droit international…, op. cit., , n. 46, p 30. 171.R. KOLB, « Observations sur l’évolution du concept de jus cogens », op. cit., n. 148, p. 850.
68
juridique international qui introduit une limitation affectant le domaine de compétence
nationale. En effet, si habituellement le droit international respectait la liberté de l’État en
l’autorisant à agir comme il entend, il impose désormais des limitations absolues à cette
liberté avec ces deux concepts.
À ces deux notions (obligations erga omnes et jus cogens), nous pouvons ajouter celle
d’humanité à laquelle font référence les concepts de « patrimoine commun de l’humanité »,
« d’intérêt de l’humanité toute entière » et de « crimes contre l’humanité ». Aujourd’hui en
effet, ces concepts sont de plus en plus employés dans le langage politico-juridique
international. La référence à l’humanité à travers ces concepts revêt un intérêt considérable.172
En effet, l’ordre juridique interétatique traditionnellement conçu « sur les rapports entre États,
qu’ils se développent dans les connections occasionnelles du droit relationnel ou dans les
structures des institutions », est aujourd’hui transcendé par un « système nouveau [tendant] à
régir des ressources au nom et pour le profit de l’humanité, globalement conçue. »173 La
consécration du concept d’humanité par le droit positif met en exergue une tendance au
dépassement du fondement volontariste du droit international qui met en avant la
souveraineté-liberté de l’État. La proclamation de la notion de patrimoine commun de
l’humanité consacre le dépassement des « cadres traditionnelles du droit international et remet
en cause […] le principe de souveraineté des États ».174 À cet égard, il convient de noter que
la notion de patrimoine commun de l’humanité visait à encadrer voire limiter les prétentions
souverainistes des États dans les zones internationales comme l’espace extra-atmosphérique,
les fonds marins et autres zones au-delà des limites de la compétence nationale. Aujourd’hui,
le concept remet en cause la compétence nationale puisque des espaces, des biens ou des
ressources naturelles relevant de la juridiction territoriale d’un État peuvent être déclarés
comme faisant partie du patrimoine commun de l’humanité et donc être soumis à la protection
internationale.
Le thème de l’humanité, tout en mettant l’accent sur la solidarité entre les peuples et les
générations, traduit l’idée du dépassement du strict cadre interétatique et véhicule une idée
d’universalité qui dépasse les frontières, politiques, idéologiques et géographiques. Ainsi,
selon Mohammed Bedjaoui, l’humanité signifie « par-delà la communauté internationale des
172.R.-J. DUPUY, La communauté internationale entre le mythe et l’histoire, op. cit., n. 52, p. 159. 173.Ibid. 174.S. PAQUEROT, « Les exigences de l’État de droit dans le concept de patrimoine commun de l’humanité : réflexion autour de la mise en représentation de la légitimité au plan international », in D. MOCLE (dir.), Mondialisation et État de droit, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 324.
69
États, la communauté des peuples et des hommes ».175 Sous ce rapport, la logique intégratrice
qui vise à protéger et à défendre les intérêts de la communauté internationale au détriment des
intérêts particuliers des États démontre la mutation en cours du droit international qui tend à
passer d’un volontarisme étatiste et souverainiste à un objectivisme unificateur qui considère
l’humain comme « objet proclamé de la protection que la communauté internationale a pour
fonction d’assurer ».176
On peut conclure de ce qui précède que l’affermissement progressif de la notion de
communauté internationale ainsi que l’apparition de concepts véhiculant des valeurs morales
et idéologiques traduisent une certaine dimension idéologique du droit international qui
consiste à le mettre, par le biais des organisations internationales notamment, au service de
valeurs et de finalités communes à l’humanité. En effet, comme l’a souligné le professeur
Carrillo-Salcedo, ces concepts « expriment à des degrés divers une idéologie [unificatrice] qui
consiste principalement à envisager la société internationale comme une collectivité humaine
unique dont le caractère global oblige, en conséquence, à une approche multilatérale du droit
international. »177 Ils ont non seulement transformé la nature du droit international qui,
désormais, admet l’existence de règles d’ordre public, impératives, mais aussi la physionomie
de la société internationale. Ainsi, le droit international contemporain, tout en gardant sa
dimension relationnelle à travers les règles d’organisation de la coexistence entre États, prend
une dimension institutionnelle qui tire vers une intégration plus poussée que la notion de
communauté internationale tente d’incarner dans les faits. À ce titre, le professeur Pierre-
Marie Dupuy note, la société internationale classique
« se satisfaisait d’un droit qui assurait d’abord la plus grande liberté [aux États]. Au
contraire, après l’intervention des restructurations d’après-guerre autour du système des
Nations Unies […], l’accent est mis sur la solidarité et la coopération, tendance dont le
prolongement direct est l’affirmation d’une communauté internationale. »178
Ce développement institutionnel de la société internationale s’accompagne d’un phénomène
de multilatéralisation qui lui aussi contribue à la remise en cause de la conception matérielle
du domaine de compétence nationale, car il a pour conséquence la canalisation progressive
des compétences exclusives des États.
175.M. BEDJAOUI, « L’humanité en quête de paix et de développement, 2ème partie », R.C.A.D.I., 2006, vol. 325, p. 505. 176.A. PELLET, « Le droit international à l’aube du XXIème siècle… », op. cit., n. 122, p.103. 177.J.-A. CARRILLO-SALCEDO, Droit international et souveraineté des États, op. cit.,n. 141, p. 133. 135. 178.P.-M. DUPUY, Droit international public, 3e éd., Paris, Dalloz, 1995, p. 286.
70
Section 2 : La multiplication des matières appelant une règlementation
multilatérale
La croissance des interdépendances entre les États liées notamment aux progrès
technologiques dans tous les domaines et la diversité des activités étatiques ont favorisé la
mise en place de relations entre plusieurs États à travers la coopération internationale pour
réaliser des buts communs. Par cette coopération, les États établissent une réglementation
multilatérale pour régir diverses matières dans lesquelles ils ont des intérêts et où la
réglementation nationale d’un seul État ne peut suffire pour garantir une certaine
coordination. C’est ainsi qu’on assiste depuis la fin de la première guerre mondiale à une
expansion matérielle incessante du droit international (§ 1) qui, par son contenu, n’apparaît
plus comme un droit exclusivement interétatique purement relationnel. Il prend désormais en
compte les préoccupations telles que la paix et la sécurité internationales qui dépassent les
intérêts des États pour concerner l’ensemble de l’humanité. C’est dans cette perspective que la
Charte des Nations Unies a institué un système de sécurité collective (§ 2) qui place la
sécurité internationale au cœur du droit international.179
§ 1 : L’extension incessante du champ matériel du droit international
La société internationale contemporaine est caractérisée par une multiplication des matières
appelant une règlementation multilatérale. Ainsi, le champ d’application matériel du droit
international s’est constamment élargi à des relations plus complexes et plus larges que les
relations politiques traditionnelles entre États souverains. Cela a été engendré par un
développement d’un droit conventionnel dans presque toutes les activités de la vie sociale
internationale pour les besoins de la coordination, de la régulation et de la réglementation
nécessaires afin d’éviter tout désordre. C’est pourquoi on parle de socialisation extensive du
droit international (1). Avec cette socialisation et la multiplication des traités internationaux
en matière de protection des droits de l’homme (2), le droit international contribue
indéniablement à la restriction du domaine matériel de compétence nationale de l’État.
179.L’ONU, garant de la sécurité collective. [en ligne]. Disponible sur : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/maintien-paix/operations-maintien-paix.shtml (page consultée le 7 mai 2013).
71
1. Le processus de socialisation extensive du droit international
Alors que jusqu’à la première guerre mondiale le droit international se limitait à régir les
relations de coexistence entre les États, depuis la création de la S.D.N., il a cessé d’être
« seulement un droit procédural, régissant l’entrée en relation des États, mais [est devenu]
aussi un droit matériel, réglementant les questions d’intérêt commun ».180 Jusqu’au XIXe, le
droit international couvrait en effet essentiellement des questions qui touchaient aux relations
entre États notamment celles relatives au territoire, aux traités, à la diplomatie, à la guerre et
aux espaces communs. Depuis la création de la S.D.N. à aujourd’hui, le droit international a
connu une extension fulgurante au point que son champ d’application matériel touche
désormais à presque toutes les activités de la vie sociale internationale. Ainsi selon un auteur,
la « nature processuelle, toujours présente, a laissé une place croissante à un droit matériel de
plus en plus explicite ayant pour objet, au-delà des États, les individus et touchant des
secteurs comme la santé, l’environnement, le développement durable, l’économie ou la
criminalité internationale ». Aujourd’hui, en effet, l’objet du droit international « dépasse la
coordination strictement politique (des souverainetés) pour embarrasser des champs
techniques de l’activité humaine. […] Il abandonne une vision purement égoïste des intérêts
étatiques pour se saisir de nouvelles finalités, qui ne peut manquer de changer la portée du
droit international public ».181 L’internationalisation constante des activités et des situations
fait que le droit international est en constante évolution. De nos jours, il ne se résume plus à
un droit purement et exclusivement relationnel car il a cessé d’être exclusivement le droit
gouvernant les relations entre États, pour devenir le droit des relations internationales élargies
englobant les individus, aussi bien dans le domaine des droits de l’homme que dans le droit
des investissements et demain, peut-être, dans d’autres secteurs des relations économiques
internationales.182
Ce processus d’extension du droit international à presque toutes les activités de la vie sociale,
processus que l’on peut qualifier de socialisation183 s’est développé en grande partie grâce à la
180.H. RUIZ-FABRI, « Le droit dans les relations internationales », Politique étrangère, 3-4/2000, pp. 664-665. 181.K. BENYEKHLEF, Une possible histoire de la norme. Les normativités émergentes de la mondialisation, Montréal (Qc), éd. Thémis, 2008, p. 569. 182.Ch. LEBEN, « La théorie du contrat d’État et l’évolution du droit international des investissements », R.C.A.D.I., 2003, vol. 302, p. 376. Pour une présentation précise de la question voir R. KOLB, « Le domaine matériel du droit international – Esquisses sur les matières régies par le droit international public à travers l’histoire », in M. KOHEN et al. (dir.), Perspectives du droit international au XXI e siècle. Mélanges Christian Dominicé, Nijhoff, La Haye, 2012, pp. 47-67. 183.J.-A. CARRILLO-SALCEDO, « Droit international et souveraineté des États… », op. cit., n. 141, p. 212.
72
codification et au développement progressif du droit international dans lesquels la
Commission du droit international joue un rôle important. Les États ont multiplié les
conférences diplomatiques normatives de codification ou de développement progressif du
droit international qui ont permis de prendre en compte de nouvelles questions ayant surgi
dans les relations internationales, ou d’actualiser certaines règles existantes. Ces grandes
rencontres multilatérales ont souvent abouti à l’adoption de plusieurs conventions
internationales touchant à divers domaines. On peut citer les conférences de la paix de La
Haye. La première conférence de 1899 a abouti à l’adoption de trois conventions portant l’une
sur le règlement pacifique des différends internationaux, l’autre sur les lois de la guerre sur
terre et la troisième sur la guerre sur mer. La conférence de 1907 a permis la révision de ces
textes et l’adoption de dix nouvelles conventions comme celle concernant les droits et devoirs
des Puissances et des personnes neutres en cas de guerre sur terre ou celle sur le
bombardement par les forces navales en temps de guerre. Depuis la fin de la deuxième guerre
mondiale, l’O.N.U. et les organisations internationales régionales sont devenues les cadres
privilégiés d’exercice de cette diplomatie normative. Leur émergence a favorisé la signature
de nombreuses conventions internationales qui les consacrent, régissent leurs modes de
fonctionnement, proclament les objectifs qu’elles poursuivent et touchent à leurs divers
domaines d’activités.
Dans cette mesure, le droit international, dans son état actuel, régit toutes les sortes de
relations, y compris celles impliquant les États, les organismes internationaux, des institutions
non gouvernementales, les organisations professionnelles, les acteurs commerciaux et les
particuliers. Il couvre aujourd’hui une multitude de domaines. De nombreuses matières ont
ainsi fait leur apparition dans les traités internationaux car les besoins de réglementation
multilatérale se sont considérablement multipliés avec l’accroissement du nombre et la
diversité des acteurs et intervenants sur la scène internationale. Au droit régulant les rapports
interétatiques, s’ajoute un droit dont l’emprise s’est étendue à des questions telles que
l’environnement, l’économie, le développement, qui ne faisaient pas partie de ses
préoccupations traditionnelles. Ainsi de nouvelles questions sont désormais l’objet de règles
internationales conventionnelles ou coutumières pour satisfaire des buts collectifs. Il en est
ainsi des conflits armés, de la protection des étrangers, de la responsabilité pénale
internationale, de la mer, de l’espace extra-atmosphérique, de la finance, du commerce
international, du travail, de la santé, etc. En ce sens, le professeur Robert Kolb note qu’il n’est
73
plus possible d’établir une liste exhaustive des matières auxquelles le droit international peut
potentiellement s’appliquer184.
Il s’ensuit qu’une conception matérielle d’un domaine réservé à la compétence nationale est
aujourd’hui difficilement défendable car le contexte actuel de mondialisation source de
multiples interdépendances, incite davantage à la coopération internationale par le biais d’une
réglementation multilatérale plutôt qu’à l’individualisme étatique. Cette difficile formulation
juridique d’une conception matérielle du domaine de compétence nationale en ce XXIème
siècle est confortée par la protection internationale de l’individu.
2. La protection internationale des droits de l’homme
L’individu, depuis qu’il a commencé à faire son apparition sur la scène internationale, s’est vu
conféré une certaine protection à l’échelle internationale à travers des règles conventionnelles
ou coutumières. À côté des droits de l’individu, le droit international consacre ceux des
peuples et de certaines catégories telles que les minorités, les femmes, l’enfant, les
travailleurs, les migrants etc. qui font l’objet elles aussi d’une protection internationale qui
limite la compétence nationale exclusive de l’État.
2.1. L’accession de l’individu à l’ordre juridique international
Le droit international classique dans sa vision exclusivement interétatique n’accordait pas une
place particulière à la protection de l’individu en tant que personne humaine. Même si l’objet
des accords internationaux pouvait être « l’adoption par les parties de règles déterminées
créant des droits et des obligations pour les individus »185, ces derniers n’étaient pas
considérés comme des sujets du droit international. Par conséquent, ce droit ne leur
garantissait une protection que par l’intermédiaire de l’État dont ils étaient sujets, qui
s’exerçait par le biais de la protection diplomatique. Mais dans la société internationale
contemporaine, la réalité est toute autre. En effet, depuis la fin de la deuxième guerre
mondiale, on assiste à une multiplication des conventions internationales conclues en matière
de protection et de promotion des droits de l’homme. Par ces conventions, le droit
international affirme que l’individu, en tant que personne humaine, est titulaire de droits
184.R. KOLB, « Mondialisation et droit international », op. cit., n. 46, p.78. 185.C.P.J.I., Compétence des tribunaux de Dantzig, avis consultatif du 3 mars 1928, série B n° 15, pp. 17-18
74
propres à sa personne et opposables même à l’État dont il relève. De cette manière, le droit
international relatif aux droits de l’homme s’est aujourd’hui développé de façon dynamique,
et est définitivement « entré dans le sanctuaire de la souveraineté ».186
L’accession de l’individu à l’ordre juridique international traduit un phénomène
d’humanisation du droit international qui, rompant avec l’exclusivisme traditionnel des États
comme sujets uniques, vise à le reconnaître comme une valeur éthique dont l’épanouissement
est une garantie de la paix. La Charte des Nations Unies établit en effet un lien entre la paix et
le respect des droits de l’homme car on considère que les violations massives de ces droits
peuvent menacer la paix internationale. C’est ce qui explique, sur le plan juridique,
l’internationalisation du régime des droits de l’homme tant à l’échelle universelle que
régionale à travers l’adoption de plusieurs instruments juridiques et l’institution de
mécanismes internationaux de protection de ces droits. Cette extension du champ
d’application du droit international aux droits de l’homme constitue une évolution
remarquable de l’époque contemporaine. Aujourd’hui, plus de quatre-vingt instruments
juridiques, ayant force obligatoire pour les Parties, provenant des Nations Unies, de ses
institutions spécialisées et d’autres organisations internationales, viennent compléter le corpus
normatif relatif aux droits de l’homme187 et contribuent à cette extension matérielle du droit
international. Celle-ci est d’abord consacrée par la Charte des Nations Unies qui
« a conféré aux droits de l’homme une portée constitutionnelle dans l’ordre international,
dès lors que ceux-ci créent, pour les États, des obligations internationales conditionnant non
seulement l’exercice de leur compétence territoriale, mais encore l’organisation des rapports
entre la puissance publique et les particuliers se trouvant sur son territoire et qui dépendent
de son autorité. »188
Dans le sillage de la Charte de l’ONU, au plan universel, nous pouvons citer, entre autres, la
déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 dont l’essentiel des dispositions est
traduit en droit positif par les Pactes internationaux de 1966, l’un relatif aux droits civils et
politiques, et l’autre aux droits économiques, sociaux et culturels. On peut aussi noter
186.M. VIRALLY, « Panorama du droit international…», op. cit., n. 51, p. 124. 187.J. SYMONIDES et V. VOLODIN, Droits de l’homme, les principaux instruments internationaux, état au 31 Mai 2000, Doc. Off. UNESCO, 2000, Doc. SHS.2000/WS/18 ; N. VALTICOS, « La notion des droits de l’homme en droit international », in Le droit international au service de la paix, de la justice et du développement. Mélanges Michel Virally, Paris, Pedone, 1991, pp. 483-491. 188.J.-A. CARRILLO-SALCEDO, « Droit international et souveraineté des États… », op. cit., n. 141, p. 65.
75
l’existence de conventions à portée universelle relatives à des droits protégeant certaines
catégories sociales189, ou qui interdisent certaines pratiques attentoires à la dignité humaine190.
Au plan régional, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales aménage un système de garantie et de contrôle du respect des droits de
l’homme par les États membres du Conseil de l’Europe en instituant la Cour européenne des
droits de l’homme. On peut aussi citer la Convention américaine des droits de l'homme qui a
institué la Cour interaméricaine des droits de l'homme. Enfin au niveau africain, la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples consacre un système de protection des droits
de l’homme avec une Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. La
commission est chargée d’assurer la promotion et la protection de ces droits. Cette charte est
complétée par le protocole additionnel du 10 juin 1998 (adopté à Ouagadougou et entré en
vigueur le 25 janvier 2004) créant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. La
Cour .A.D.H.P. a fusionné avec la Cour de justice de l’U.A. créée par le Protocole de Maputo
du 11 juillet 2003. Le Protocole portant statut de la Cour africaine de justice et des droits de
l’homme a, en effet, été adopté à Sharm El-Sheikh le 1er juillet 2008 et est entré en vigueur le
11 février 2009. Ce texte abroge les protocoles de 1998 et de 2003 et crée une cour unique : la
Cour africaine de justice et des droits de l’homme.
À côté des nombreux instruments normatifs, il est institué des mécanismes de protection des
droits de l’homme par le biais de techniques permettant de contrôler l’application par les États
des normes relatives à ces droits. Ce contrôle qui traduit l’autorité des organisations
internationales sur les États, peut s’exercer par la production de rapports périodiques dans
lesquels les États indiquent les mesures adoptées et les progrès réalisés en matière de droits
de l’homme.191 À l’échelle mondiale, le système des Nations Unies de protection des droits de
l’homme comporte ainsi deux types d’organismes : ceux créés dans le cadre de la Charte, dont
le Conseil des droits de l’homme, et ceux créés pour la supervision de la mise en œuvre de
traités particuliers sur les droits de l’homme, dont le Comité des droits de l’homme pour les
droits civils et politiques, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels.192 Ces
189.Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes, Convention relative aux droits de l’enfant, Convention sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, Convention relative aux droits des personnes handicapées, etc. 190.Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, Convention contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, Convention relative à l’esclavage, Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, etc. 191.Cf. supra, pp. 46 à 51. 192.Il y a aussi le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, le Comité contre la torture, le Sous-Comité pour la prévention de la
76
organes reçoivent les rapports des États, les examinent et font part de leurs préoccupations et
de leurs recommandations à l’État. En plus de ces organes, il existe des procédures dites
spéciales qu’utilise notamment le Conseil des droits de l’homme lorsqu’il veut s’occuper
d’une situation particulière dans un pays ou de questions thématiques. Ces procédures parfois
appelées enquêtes permettent de mener des investigations dans des hypothèses de violations
graves des droits de l’homme. Elles sont souvent confiées soit à une personne – un rapporteur,
un représentant spécial, envoyé spécial, ou un expert indépendant – soit à un groupe de
travail. À l’issue de ses investigations, le représentant fait rapport au Conseil auquel il soumet
ses constatations et recommandations éventuelles. L’internationalisation des droits humains
repose aussi sur l'existence de règles fondamentales, non conventionnelles, basées sur la
dignité de la personne humaine et qui imposent aux États le respect des droits de l’homme qui
sont l’expression directe de cette dignité. À ce titre, la C.I.J. a affirmé l’existence
d’obligations erga omnes (opposables à tous) à propos du respect des droits fondamentaux de
la personne humaine.193
Il en résulte que, si l'intervention dans les affaires intérieures d'un État est prohibée par
l'article 2 § 7 de la Charte des Nations-Unies, le principe autorise, selon l'interprétation des
textes et de la pratique des Nations Unies, l’intervention de la communauté internationale en
cas de violations graves des droits de l’homme. Autrement dit, les droits de l'homme protégés
internationalement sont considérés comme ne faisant plus partie des affaires relevant de la
compétence nationale exclusive des États. C’est ce que Pierre-Marie Dupuy affirme lorsqu’il
écrit que la reconnaissance des droits de l’homme avait soumis l’État à « des obligations
internationales conditionnant l’exercice pourtant exclusif de sa compétence territoriale ».194
L’adoption de ces différents textes et mécanismes constitue la preuve, s’il en était encore
besoin, que la question des droits de l’homme est devenue une question internationalisée et
que les droits de l’homme transcendent l’approche contractuelle classique du droit
international basé sur la volonté des États. La consécration et la protection des droits de
l’homme dans le droit international contemporain constituent ainsi des évolutions majeures
qui ont eu pour principale conséquence « un recul spectaculaire de la compétence nationale
exclusive des États et, partant de leur souveraineté »195 ; car la question du respect des droits
de l’homme par un État est devenue un sujet de préoccupation internationale dont s’est
approprié le droit international. La conception de la souveraineté de l’État comme un pouvoir torture, le Comité des droits de l'enfant, le Comité des travailleurs migrants, le Comité des droits des personnes handicapées, le Comité des disparitions forcées. 193.C.I.J., Barcelona Traction, arrêt préc. n. 143, p. 32, §§ 33-34. 194 .P.-M. DUPUY, Droit international public, op. cit., n. 178, pp. 161-162. 195.P. WEIL, « Le droit international en quête de son identité… », op. cit., n. 138, p.116.
77
absolu, suprême et illimité est devenue inopérante dans le contexte de l’internationalisation de
l’individu. La souveraineté n’est plus considérée comme incompatible avec tout régime de
protection internationale des droits de l’homme. La preuve de cette évolution est que
l’individu peut désormais saisir les instances internationales prévues par les mécanismes de
garantie des droits de l’homme pour obtenir réparation du préjudice subi à cause d’une
violation de ses droits fondamentaux.
L'exclusion des droits de l’homme du domaine de compétence nationale exclusive des États
signifie que les autres États, les organisations internationales ont la possibilité de réclamer ou
d’agir pour la cessation des violations de ces droits, sans que cette réclamation ou action
puisse être juridiquement qualifiée d'ingérence ou d’intervention. Autrement dit, l’exception
de la compétence nationale soulevée par un État contre l’action des autres acteurs (États,
organes internationaux compétents en la matière) est juridiquement inopérante. Cela ressort
de la pratique des Nations Unies196 et de décisions de la C.I.J. Dans son cours à l’Académie
du droit international Gaetano Arangio-Ruiz a en effet montré que dans la pratique des
organes politiques des Nations Unies, l’exception de la compétence nationale conformément à
l’article 2, paragraphe 7 de la Charte n’a pas joué le rôle de limite ratione materiae à la
compétence de ces organes (Assemblée Générale, Conseil de sécurité et Conseil économique
et social). La C.I.J. a elle aussi tendance à souvent rejeter explicitement ou implicitement (en
la joignant au fond) l’exception tirée de l’article 2, paragraphe 7 de la Charte et soulevée
contre la compétence d’un organe politique de l’O.N.U. ou contre sa propre compétence. On
peut citer, à cet égard, l’exemple de l’affaire de l’interprétation des traités de paix197où
196.Pour plus de détails sur les différentes affaires, se référer à G. ARANGIO-RUIZ, « Le domaine réservé… », op cit, n. 1, pp. 315-353. 197.À l’origine de cette affaire se trouvent les requêtes des États-Unis et du Royaume-Uni contre la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie au sujet, d’une part, des atteintes aux droits de l’homme dont ces trois États auraient été responsables en violation des traités de paix conclus avec eux et, d’autre part, contre leurs refus de désigner leurs représentants aux commissions de conciliation prévues par ces traités. Le refus de ces États est basé sur le motif que la matière des droits de l’homme relevait de leur compétence nationale. Dans cette affaire, l’exception de la compétence nationale tirée de l’article 2, paragraphe 7 de la Charte des Nations Unies, était portée d’abord contre la compétence de l’Assemblée générale de l’O.N.U. de demander un avis à la Cour sur la question du respect des droits de l’homme, puis contre celle de la Cour de donner un avis sur ce sujet. En effet, les trois défendeurs considéraient que la question du respect des droits de l’homme relevait essentiellement de leur compétence nationale et que l’Assemblée générale, en demandant avis à la Cour, se serait « immiscée » ou serait « intervenue » dans « des affaire qui relèvent essentiellement de leur compétence nationale ». La Cour, en tant que organisme des Nations Unies à l’image de l’Assemblée générale, est tenue selon eux au respect des principes de la Charte, notamment de l’article 2, paragraphe 7. La Cour rejeta l’exception de compétence nationale car d’après ses termes : « Elle [la Cour] n'est pas appelée à connaître des accusations qui ont été portées devant l'Assemblée générale, les questions posées ne portant ni sur les manquements allégués aux prescriptions des traités relatives au respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni sur l'interprétation des articles des traités relatifs à ces droits et libertés. La demande d'avis a un objet beaucoup plus limité. Elle tend
78
l’exception de la compétence nationale soulevée par les défendeurs fut rejetée par la C.I.J. Le
rejet de l’exception de la compétence nationale tirée de l’article 2, paragraphe 7 de la Charte
contre les activités des organes politiques de l’O.N.U. nous paraît juridiquement fondé en ce
sens que ces organes sont dotés de compétences si générales que leur mise en œuvre n’exclut
a priori aucune matière de leur champ d’activité.198 En d’autres mots, ces organes n’ont pas
besoin de justifier leur action par l’existence d’une règle générale du droit international qui
impose aux États des devoirs en ce domaine. Les compétences qu’ils tiennent de la Charte
suffisent à fonder cette action.
exclusivement à obtenir de la Cour certaines précisions juridiques concernant l’applicabilité de la procédure de règlement des différends par commissions, telle que l'ont prévue les dispositions expresses de l'article 36 du traité avec la Bulgarie, de l'article 40 du traité avec la Hongrie, de l'article 38 du traité avec la Roumanie. Interpréter à cette fin les clauses d'un traité ne saurait être envisagé comme une question relevant essentiellement de la compétence nationale d'un État. C'est une question de droit international qui par sa nature rentre dans les attributions de la Cour. Ces considérations suffisent aussi à écarter l'objection, également déduite de la compétence nationale […] contre la compétence de la Cour, suivant laquelle la Cour, en tant qu'organe des Nations Unies, est tenue au respect des prescriptions de la Charte, notamment de l'article 2, paragraphe 7 ». Dans cette affaire, l’exception de la compétence nationale a été soulevée contre la compétence de l’Assemblée générale des Nations-Unies à discuter des questions de respect des droits de l’homme dans un État , cf. Affaire dite de l’Interprétation des traités de paix, préc. n. 30, pp. 70-71. Voir aussi Affaire Anglo-Irannian Oil Co, affaire relative à certains emprunts norvégiens, affaire du Droit de passage en territoire indien, affaire de l’Interhandel, précitéés n. 22. Cf. G. ARANGIO-RUIZ, Le domaine réservé…, op. cit., n. 1, p. 203 ss. 198.Selon l’article 1 paragraphe 3 de la Charte, les Nations Unies ont pour but : « Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion ». L’article 10 confère à l’Assemblée générale le pouvoir de « discuter toutes questions ou affaires rentrant dans le cadre de la présente Charte ou se rapportant aux pouvoirs et fonctions de l'un quelconque des organes prévus dans la présente Charte, et […] formuler sur ces questions ou affaires des recommandations aux Membres de l'Organisation des Nations Unies, au Conseil de sécurité, ou aux Membres de l'Organisation et au Conseil de sécurité ». Selon l’article 13, « l'Assemblée générale provoque des études et fait des recommandations en vue de : a) développer la coopération internationale dans le domaine politique […] ; b) développer la coopération internationale dans les domaines économique, social, de la culture intellectuelle et de l'éducation, de la santé publique, et faciliter pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion, la jouissance des droits de l'homme et des libertés fondamentales ». En vertu de l’article 55, « […] les Nations Unies favoriseront : a) le relèvement des niveaux de vie, le plein emploi et des conditions de progrès et de développement dans l'ordre économique et social ; b) la solution des problèmes internationaux dans les domaines économique, social, de la santé publique et autres problèmes connexes, et la coopération internationale dans les domaines de la culture intellectuelle et de l'éducation ; c) le respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion. » L’article 62, quant à lui, confère au Conseil économique et social le pouvoir de « faire ou provoquer des études et des rapports sur des questions internationales dans les domaines économique, social, de la culture intellectuelle et de l'éducation, de la santé publique et autres domaines connexes ». Dans ce cadre, il « peut adresser des recommandations sur toutes ces questions à l'Assemblée générale, aux Membres de l'Organisation […] ». Il peut également « faire des recommandations en vue d'assurer le respect effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous. »
79
2.2. La prise en compte internationale des droits des peuples
Depuis la création de l’O.N.U., le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ou droit à
l’autodétermination est devenu « un des principes essentiels du droit international
contemporain ».199 En effet, affirmé dans la Charte à l’article premier paragraphe 2 et à
l’article 55, ce droit a été reconnu dans plusieurs déclarations de l’Assemblée générale200, par
la C.I.J. dans ses avis consultatifs du 21 juin 1971 et 16 octobre 1975, ainsi que dans son arrêt
du 30 juin 1995 relatif à l’affaire du Timor oriental. Le droit à l’autodétermination est en
outre proclamé dans les Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques et aux
droits économiques, sociaux et culturels en leur article 1 al. 1 commun qui dispose que « tous
les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes » et qu’« en vertu de ce droit, ils déterminent
librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et
culturel ». Le droit des peuples à l’autodétermination est enfin reconnu par des textes à
vocation régionale. C’est le cas notamment de l’Acte final d’Helsinki en son principe VIII et
de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui consacre ce droit de la manière
la plus affirmative et complète.
Ce droit à l’autodétermination a constitué la base juridique et politique du processus de
décolonisation qui a permis dans les années 60 l’accession à la souveraineté internationale de
plusieurs États, africains notamment. La constitution d’un État nouveau ne constitue
cependant pas la seule modalité d’exercice du droit à l’autodétermination. En effet, selon la
déclaration 2625 (XXV) de l’Assemblée générale des Nations Unies, « la création d'un État
souverain et indépendant, la libre association ou l'intégration avec un État indépendant ou
l'acquisition de tout autre statut politique librement décidé par un peuple constituent pour ce
peuple des moyens d'exercer son droit à disposer de lui-même ».
L’exercice du droit à l’autodétermination peut se faire pacifiquement par le peuple. Mais
l’observation de la pratique permet de constater que la lutte armée a été admise. Les
résistances armées à l’oppression ainsi que les luttes armées pour la libération sont
199.C.I.J., Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt du 30 juin 1995 (compétence de la Cour), Rec. 1995, p. 102, § 29. Voir aussi C.I.J., Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif du 21 juin 1971, Rec. 1971, p. 31-32, §§ 52-53 ; C.I.J., Sahara occidental, avis consultatif; du 16 octobre 1975,Rec. 1975, p. 31 -33, §§ 54-59. 200.Résolution 1514 (XV) sur l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples coloniaux, Résolution 2625 (XXV) portant Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies, résolution 2542 (XXIV) sur le progrès et le développement dans le domaine social…
80
considérées comme des actions de légitime défense « conformes au droit international ».201 La
pratique des Nations Unies a considéré la répression de ces luttes comme une menace contre
la paix et la sécurité internationales. Compte tenu du caractère abstrait de la notion de peuple
et de l’absence en droit international positif d’une définition généralement admise du peuple,
comme sujet de droit, la mise en œuvre du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes fut
souvent assurée par des représentants désignés sous le vocable mouvements de libération
nationale. L’observation de la pratique internationale a montré que la reconnaissance de ces
mouvements est une condition essentielle de leur succès. Celle-ci se fait à deux niveaux : au
sein des organisations internationales souvent régionales puis par les États. La reconnaissance
signifie que les mouvements de libération nationale sont considérés par les reconnaissants
comme des représentants légitimes des peuples qu’ils défendent. Une fois reconnus, les
mouvements de libération nationale acquièrent un certain statut international qui leur permet
de jouir, au sein des organisations internationales les ayant reconnus, d’une certaine situation
pouvant aller de la qualité d’observateur à celle de membre. Elle leur permet de jouir d’une
capacité internationale fonctionnelle avec laquelle ils pourront bénéficier de soutiens
internationaux et de pouvoir conclure avec les États des accords internationaux comme celui
sur l’indépendance ou sur la conduite de la guerre par exemple. La reconnaissance leur
impose enfin l’application dans certaines conditions du droit international humanitaire.
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a un contenu économique qui est exprimé par le
principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles. L’indépendance politique
ne peut pas être dissociée de la souveraineté économique car sans l’indépendance
économique, la souveraineté politique ne peut être que théorique. C’est pourquoi l’Assemblée
générale des Nations Unies, à travers la résolution 1314 (XIII) sur le droit des peuples et des
nations à disposer d'eux-mêmes et la résolution 1803202, a rappelé que « la souveraineté
permanente sur les ressources naturelles constitue un élément fondamental du droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes ». C’est à ce même titre que Mohamed Bedjaoui note que
« la souveraineté sur les ressources naturelles apparaît incontestablement comme un élément
composant du droit à l’autodétermination et comme un corollaire de la souveraineté ».203 Le
caractère indissociable de la corrélation entre les deux notions implique que ce droit s'exerce
dans l'intérêt exclusif des peuples et qu’en aucun cas ils ne peuvent en être privés.
201.Résolution AGNU 3103 (XXVIII) du 11 décembre 1973 sur le Statut des combattants de la liberté. 202.Résolution portant « Déclaration sur la souveraineté permanente sur les ressources naturelles » 203.M. BEDJAOUI, « Problèmes récents de succession d’États dans les États nouveaux », R.C.A.D.I., t. 130, 1970, p. 493.
81
Avec la fin du processus de décolonisation, il se pose la question de savoir si le droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes a encore un intérêt juridique car pour certains auteurs, ce
droit n’appartient qu’aux peuples colonisés, sous domination étrangère ou victimes de
discrimination. Ainsi, selon Hector Gros Espiell, ce sont les peuples en tant que tels qui sont
les titulaires du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et le droit international ne confère
pas ce droit aux minorités. Il précise ensuite que le droit à l’autodétermination, tel qu'il est
énoncé par les Nations Unies, a été présenté comme un droit des peuples assujettis à une
domination coloniale ou étrangère. À cet égard, il ne se rapporte pas aux peuples déjà
organisés sous une forme étatique dans laquelle n'existe aucune domination coloniale ou
étrangère.204 Force est cependant de reconnaître que, dans le contexte actuel de la société
internationale marqué par l’absence de phénomène étendu de colonisation comme ce fut le cas
auparavant, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes semble prendre une autre
signification. Aujourd’hui, la revendication du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
n’est pas nécessairement associée au droit à la sécession ou à la création d’un État. Le
principe « does not imply that the category ‘‘peoples' rights’’ requires that the term
‘‘peoples’’ should have the same meaning for the purposes of all rights accepted as falling
within that category. »205 En d’autres termes, dans le contexte actuel, le droit à
l’autodétermination signifie, pour les peuples non colonisés, le droit à participer aux choix
politiques, économiques, sociaux et culturels qui les concernent et le droit à une identité
propre. À cet égard, la Commission d’arbitrage de la conférence européenne pour la paix en
Yougoslavie a affirmé, dans son avis n° 2, que les droits des peuples et des minorités
impliquent pour les minorités de voir leur identité reconnue et le droit pour chacun des
membres de la minorité de voir acceptée son appartenance à celle-ci.206 C’est ce qui est
d’ailleurs affirmé dans la résolution 2625 (XXV) de l’AGNU qui précise, à propos du
principe de l’égalité des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, que
« rien […] ne sera interprété comme autorisant ou encourageant une action, quelle qu’elle
soit, qui démembrerait, ou menacerait, totalement ou partiellement, l’intégrité territoriale ou
l’unité politique de tout État souverain et indépendant se conduisant conformément au
principe [susvisé] et doté ainsi d’un gouvernement représentant l’ensemble du peuple
appartenant au territoire sans distinction de race, de croyance ou de couleur. »
204.Le droit à l'autodétermination : application des résolutions de l'Organisation des Nations Unies, E/CN.4/Sub.2/405/Rev. 1, 1979, p. 10. 205.J. CRAWFORD, « The Rights of Peoples : Some Conclusions », in J. CRAWFORD (dir.), The Righss of Peoples, Oxford, Clarendon Press, 1988, p. 166. 206. Avis n°1 du 29 novembre 1991 ; avis n°2 du 11 janvier 1992, op. cit., n. 161.
82
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes revêt un caractère international et absolu. À
l’image des droits de l’homme, la question de l’autodétermination n’est plus considérée
comme relevant de la compétence nationale exclusive de l’État, et son respect constitue une
obligation juridique pour les États. D’ailleurs la C.I.J. a considéré qu’il n’y avait rien à redire
à l’affirmation selon laquelle le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes était un droit
opposable erga omnes207. Quant à leur caractère absolu, il tient du fait qu’il s’agit de droit
inhérent à la dignité du peuple en tant qu’il est constitué de personnes humaines dont certains
droits sont inaliénables et imprescriptibles. Du fait de leur caractère international et absolu,
les droits des peuples ouvrent un droit de regard voire d’action aux autres États et de la
communauté internationale en cas de leur violation. Ainsi, le domaine de compétence
nationale, conçu par la doctrine majoritaire comme sphère de matières où l’État jouit d’une
liberté totale, se trouve limité par l’extension du droit international à la question de
l’autodétermination des peuples.
De ce qui précède, on peut conclure qu’avec les droits de l’homme et le droit des peuples à
l’autodétermination, le droit international dépasse le cadre des relations interétatiques strictes
où la souveraineté-liberté de l’État était un élément essentiel. Désormais, le domaine de
compétence nationale, en tant qu’expression juridique de la souveraineté-liberté est limité par
les droits de l’homme et des peuples car le droit international impose des obligations à l’État
même dans ses relations avec ses sujets. Comme l’admet Michel Virally, les dispositions
relatives aux droits de la personne humaine
« sont applicables aux relations entre l’État et ses propres nationaux, dans des cas où aucun
intérêt étranger n’est directement engagé ou touché. Elles sont même applicables à
l’organisation politique de l’État, c’est-à-dire ce qui constitue le véritable « sanctuaire » de la
souveraineté et de l’ordre interne. […] Le droit international ne peut plus être défini comme
le droit des relations internationales ou de la société des États. Il se présente désormais
comme le droit de la société humaine universelle, ou globale, comprenant deux parties
essentielles : d’une part le statut fondamental de l’homme à l’intérieur des différentes unités
politiques qu’il a constituées historiquement et qui se gouvernent de façon indépendante et,
d’autre part le droit des relations entre ces différentes unités politiques ».208
207.C.I.J., Timor oriental, arrêt préc. n. 199, p. 102, § 29. 208.M. VIRALLY, « Droits de l’homme et théorie générale du droit international », in René Cassin amicorum discipulorumque liber, t. IV, Paris, Pedone, 1969, p. 323. Dans le même sens, voir P.-M. DUPUY, « La protection internationale des droits de l’homme », supplément à Ch. ROUSSEAU, Droit international public, Paris, Dalloz, 10ème éd., 1984, pp. 409-410.
83
Le constat est important dès lors qu’il témoigne de l’absence de limite matérielle à l’extension
du droit international. Le domaine de compétence nationale ratione materiae s’en trouve
substantiellement affecté puisque les règles du droit international informent un nombre
indéterminé de matières au point qu’il est difficile voire impossible d’identifier une matière
dont l’exercice est du ressort discrétionnaire et exclusif de l’État. Cela va se démontrer aussi
avec l’institution d’un système de sécurité collective qui encadre la compétence de guerre des
États.
§ 2 : L’institution d’un système de sécurité collective
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le maintien de la paix et de la sécurité
internationales constituait une préoccupation majeure de l’ordre international. La Charte de
San Francisco en a d’ailleurs fait un des premiers buts des Nations Unies. À cette fin,
s’inspirant d’un mécanisme de la S.D.N. et en le perfectionnant, elle a institué un système de
sécurité collective dans lequel « la sécurité est assurée par tous contre chacun, s’il vient à
enfreindre la norme commune ».209 Se présentant comme
« du superétatisme, du dépassement de la souveraineté des États, la sécurité collective retient
la limitation radicale du recours à la force par les États, et sa soumission à des justifications
d’intérêt collectif, comme le rappelle le Préambule de la Charte. Elle implique également
l’existence d’un organe international en charge du maintien et du rétablissement de la paix,
pouvant imposer au besoin par la force ses décisions aux États récalcitrants. »210
Ce système repose sur les engagements juridiques des États membres qui, par le biais de la
Charte, acceptent de limiter leur compétence de guerre (1) en contrepartie de la garantie de
leur sécurité. Cette garantie est mise en place par un certain nombre de techniques de la
sécurité qui in fine restreignent leur domaine de compétence nationale (2).
209.L’ONU, garant de la sécurité collective. [en ligne]. Disponible sur : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/maintien-paix/operations-maintien-paix.shtml (page consultée le 7 mai 2013). 210.S. SUR, « Sécurité collective », in Th. de MONTBRIAL et J. KLEIN, Dictionnaire de stratégie, P.U.F., 2000, pp. 305-309.
84
1. La limitation de la compétence de guerre des États
Les relations interétatiques sont depuis toujours marquées par une dimension conflictuelle liée
notamment aux tensions inhérentes à la vie en société et aux divergences d’intérêts entre les
acteurs. Les États usaient de leur compétence de guerre comme mode de solution des conflits
ou comme instrument de politique nationale. Après l’échec de la S.D.N., pour canaliser les
éléments conflictuels des relations internationales, l’O.N.U. dont les règles s’imposent à
toutes les organisations régionales ou sous régionales, est investie, parmi d’autres, d’une
mission majeure : le maintien de la paix et de la sécurité dans les relations internationales. À
cette fin, le droit international mis au service de ce dessein pose des principes fondamentaux
dont le respect garantirait la réalisation de l’objectif de maintenir des relations internationales
pacifiques. Parmi ces principes, deux retiennent ici notre attention. Il s’agit de l’interdiction
du recours à la force entre États et de son corollaire l’obligation du règlement pacifique des
différends internationaux.
1.1. L’interdiction du recours à la force entre États
Alors que le droit d’user de la force, de faire la guerre a, pendant longtemps, été un droit
souverain211, la Charte des Nations Unies, en son article 2 § 4, affirme le principe que les
États membres « s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou
à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout
État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies. » Cette
interdiction loin de se limiter aux seuls membres des Nations Unies s’impose à tous les
États212 puisqu’elle a été reprise par tous les pactes des organisations régionales. Ce principe
reconnu comme « une pierre angulaire de la Charte des Nations Unies »213 a aujourd’hui
acquis une valeur coutumière214 et constitue un « principe fondamental ou essentiel du droit
international ».215 Il traduit à lui seul les transformations de la société internationale et une
211.Antonio Cassese rappelait que le droit international « classique » ne soumettait l’emploi de la force à aucune contrainte. Des juristes comme Phillimore, Jellinek ou Oppenheim, considérant la guerre comme une prérogative de la souveraineté, rappelaient, à l’instar d’Anzilotti, que « les États [sont] libres de recourir à la force armée pour le but qui leur semble bon », cité par F. ATTAR, Le droit entre ordre et chaos, op. cit., n. 56, p. 259. 212.Le principe de l’interdiction du recours à la force a été réaffirmé par un certain nombre de résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies dont les résolutions : 2625 (XXV) du 24 octobre 1970, 2660 (XXV) du 7 décembre 1970, 3314 (XXIX) du 14 décembre 1974, A/RES/31/9 du 8 novembre 1976, A/RES/33/72 du 14 décembre 1978, A/RES/42/22 du 18 novembre 1987. 213.C.I.J., Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt du 19 décembre 2005, Rec. 2005, p. 223, § 148. 214.C.I.J., Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, préc. n. 159, p. 102, § 193. 215. Ibid., pp. 100-101, § 190.
85
véritable avancée de l’ordre juridique international car la guerre qui, dans l’ordre international
classique, était légale puisque relevant de la compétence souveraine des États, est désormais
mise « hors la loi ». Cette interdiction qui marque l’aboutissement d’un long processus216
constitue l’une, voire la plus manifeste des limitations de l’exercice des droits souverains des
États et donc de leur compétence nationale. En effet, en acceptant d’être liés par les traités
ayant posé cette interdiction du recours à la force, les États ont renoncé volontairement à une
de leurs compétences discrétionnaires. Elle marque une rupture symbolique avec le monde
westphalien car « l’illégalité sanctionne ici la perte de la légitimité de l’usage de la force »217.
Désormais, en dehors des exceptions prévues par la Charte des Nations Unies, le droit de
guerre est, en théorie, supprimée pour tous les États. À cet égard, en dépit des violations de
cette interdiction par certains États, on peut néanmoins dire que l’usage de la force en tant
qu’instrument de politique nationale est aujourd’hui frappée d’une illégalité non seulement
doctrinale mais surtout juridique.218
Toujours dans le cadre de l’interdiction du recours à la force, un autre pouvoir en principe
discrétionnaire des États se retrouve réglementer dans certains cas par certaines organisations
internationales. Il s’agit du pouvoir de reconnaissance des États qui consiste en leur faculté de
reconnaître de nouveaux États, de nouveaux gouvernements, des insurgés ou des belligérants.
La reconnaissance est définie comme « l'acte par lequel un État, constatant l'existence de
certains faits (un État nouveau, un gouvernement, une situation, un traité, etc. . . .), déclare ou
admet implicitement qu'il les considère comme des éléments sur lesquels seront établis ses
rapports juridiques, cela avec les modalités explicites ou implicites que peut comporter cette
reconnaissance ».219 En règle générale, cette reconnaissance qui est un acte unilatéral de l’État
auteur de la reconnaissance est un acte discrétionnaire relevant de sa compétence nationale.
Chaque État est ainsi « libre d’apprécier différemment l’avènement d’un nouveau pouvoir, de
décider ou de refuser de nouer avec lui des relations normales ».220 Comme tel, les États ne
sont en principe tenus par aucune obligation de reconnaître ou de ne pas reconnaître.
Toutefois, la pratique observée montre qu’en la matière ils ne jouissent pas d’une liberté
entière et absolue. En effet, il existe désormais une interdiction de reconnaître des États ou
216.Les tentatives d’encadrement du recours à la force remontent notamment aux conférences internationales de la paix de La Haye de 1899 et 1907 avec la Convention Drago-Porter. Puis, il y a eu le Pacte de la S.D.N. et le Pacte Briand-Kellog du 27 août 1928. C’est finalement la Charte des Nations Unies qui consacra l’aboutissement de ce processus. Voir à ce sujet L.-E. LE FUR, « Le développement historique du droit international : de l’anarchie à une communauté internationale organisée », R.C.A.D.I., t. 41, 1932-III, pp. 514 et ss. 217.H. RUIZ-FABRI, « Le droit dans les relations internationales », op. cit., n. 180, p. 661. 218.L.-E. LE FUR, « Le développement historique du droit international… », op. cit., note précédente, p. 506. 219.Dictionnaire de la terminologie du droit international, Paris Sirey 1960. 220.R.-J. DUPUY, Le droit international, op. cit., n. 57, p. 42.
86
des régimes résultant d’un usage illicite de la force ou d’une violation du droit international.
Dans la pratique des Nations Unies, cette interdiction a été clairement posée notamment
contre les États ou gouvernements constitués sur la base de la discrimination raciale ou contre
le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. À titre d’exemple, il convient de se
référer à la question de la reconnaissance de la Rhodésie du sud (actuel Zimbabwe) en 1965.
Par plusieurs résolutions, le Conseil de sécurité avait demandé à « tous les États de ne pas
reconnaître cette autorité illégale [régime de la Rhodésie du sud] et de n’entretenir avec elle
aucune relation diplomatique ou autre » et d’appliquer un certain nombre de mesures
destinées à mettre fin au régime.221 Le caractère contraignant de cette obligation de ne pas
reconnaître pourrait paraître incertain compte tenu du fait qu’elle ne découle pas d’un traité ou
d’une règle coutumière établie, mais seulement de résolutions du Conseil de sécurité qui ne
l’imposaient pas clairement. Néanmoins, la C.I.J. a reconnu l'existence d'une obligation
juridique de ne pas reconnaître une entité étatique créée en violation des résolutions en
matière de mandat. Selon elle,
« les décisions prises par le Conseil de sécurité aux paragraphes 2 et 5 de la résolution 276
(1970)222, rapprochées du paragraphe 3 de la résolution 264 (1969) et du paragraphe 5 de la
résolution 269 (1969)223, ont été adoptées conformément aux buts et principes de la Charte
et à ses articles 24 et 25. Elles sont par conséquent obligatoires pour tous les États Membres
des Nations Unies, qui sont ainsi tenus de les accepter et de les appliquer. »224
En définitive, l’interdiction du recours à la force dans les relations internationales, constitue
une des marques de la société institutionnelle dans laquelle la compétence des Nations Unies
semble s’être théoriquement substituée à la force et à la compétence de guerre des États.
Désormais, seule l’O.N.U. apparaît comme la détentrice du monopole de la violence légitime
pour assurer la sauvegarde de l’ordre public international et garantir le maintien durable de la
paix entre les nations. Dans cette mesure, le domaine de compétence nationale ratione
materiae connaît aussi une limitation de taille. Pour appuyer l’interdiction du recours à la
221.Rés. 216 (1965) du 12 novembre 1965 ; Rés. 217 (1965) du 20 novembre 1965 ; Rés. 232 (1966) du 16 décembre 1966 ; Rés. 253 (1968) du 29 mai 1968, etc. 222.Dans le paragraphe 2 de cette résolution, le Conseil « déclare que la présence continue des autorités sud-africaines en Namibie est illégale et qu’en conséquence toutes les mesures prises par le Gouvernement sud-africain au nom de la Namibie ou en ce qui la concerne, après la cessation du mandat, sont illégales et invalides ». Par conséquent, dans le paragraphe 5, il « demande à tous les États, en particulier ceux qui ont des intérêts économiques et autres en Namibie, de s’abstenir de toutes relations avec le Gouvernement sud-africain qui sont incompatibles avec le paragraphe 2… ». 223.Par les paragraphes 3 de la résolution 264 (1969) et 5 de la résolution 269 (1969), le Conseil demandait au Gouvernement sud-africain de retirer son administration du territoire namibien. 224.Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie préc. n. 199, p. 53, § 115.
87
violence en vue de la sauvegarde de la paix internationale, il a été aussi posé une obligation
générale de règlement pacifique des différends.
1.2. L’obligation de règlement pacifique des différends
Le corollaire de l’interdiction de recourir à la force que constitue le principe de l’obligation de
règlement pacifique des différends est le second principe destiné à maintenir la paix entre les
États. La Charte des Nations Unies pose, en son Chapitre VI, les différentes procédures et
modalités de sa mise en œuvre. Avant l’O.N.U., ce principe a été posé par les conférences de
La Haye de 1899 et 1907, le Pacte de la S.D.N. et l’Acte général pour le règlement pacifique
des différends internationaux.225 La promotion de ce mode de règlement des différends
excluant le recours à la force comme moyen de résolution des conflits est posée en tant que
principe fondamental à l’article 2, paragraphes 3 et 4 de la Charte. Alors qu’à l’article 33 de la
Charte « le principe du règlement pacifique des différends contient une tonalité davantage
injonctive, et induit la responsabilité d’acteurs internationaux majeurs tels que les États d’une
part, et l’ONU, d’autre part, à travers le Conseil de sécurité »226, il est encore rappelé avec
force par des résolutions de l’Assemblée générale227 avant d’être repris par d’autres
conventions de portée régionale.228 Le règlement pacifique des différends internationaux jouit
aujourd’hui d’une autorité certaine vis-à-vis des États. Il se présente comme une obligation
générale et revêt « le caractère d’une règle du droit international coutumier ».229
Le règlement pacifique des différends procède de formes multimodales. Les États doivent
rechercher une solution équitable en ayant recours à des moyens pacifiques de nature
politique ou diplomatique (procédés non juridictionnels) tels que la négociation, l'enquête, la
médiation, la conciliation, le recours aux organismes ou accords régionaux, ou à d'autres
moyens pacifiques de leur choix. Dans cette mesure, ils jouissent d’une certaine liberté quant
au choix du mode de règlement pacifique de leurs différends. Toutefois, ils ont l’obligation
225.Acte général de Genève, 26 septembre 1928, révisé par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1949. 226.P.-Y CHICOT, « L’actualité du principe du règlement pacifique des différends : essai de contribution juridique à la notion de paix durable », R.Q.D.I., 2003, 16.1 p. 20. 227.2è principe de la Déclaration relative aux principes de droit international touchant les relations amicales et la coopération entre États conformément à la Charte des Nations Unies (A/RES/2625 (XXV) du 24 octobre 1970 et Déclaration de Manille sur le règlement pacifique des différends internationaux (A/RES/37/10 du 15 novembre 1982. 228.On peut citer la Convention européenne pour le règlement pacifique des différends, dans le cadre du Conseil de l’Europe, puis, dans le cadre de l’O.E.A., le Traité américain de règlement pacifique (Pacte de Bogotá du 30 avril 1948). 229.C.I.J., Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, préc. n. 159, p. 145, § 290.
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d’y recourir à la place de l’usage de la menace ou de la force. La Charte prévoit non
seulement que le Conseil de sécurité peut inviter les parties à recourir à ces procédés, mais
qu’il peut, à tout moment de l'évolution d’un différend ou d'une situation analogue,
recommander les procédures ou méthodes d'ajustement appropriées. C’est ainsi que, à la suite
du déclenchement des hostilités au Moyen-Orient en octobre 1973, le Conseil a lancé
plusieurs appels aux parties pour qu'elles engagent immédiatement des négociations, dont le
premier figurait dans sa résolution 338 (1973). Par cette résolution, le Conseil avait décidé
que, immédiatement et en même temps que le cessez-le-feu, des négociations devaient
commencer entre les parties en cause sous des auspices appropriés en vue d'instaurer une paix
juste et durable au Moyen-Orient. Conformément à la résolution des mesures ont été prises
pour engager des négociations entre les parties.230 Toujours au titre du pouvoir du Conseil de
sécurité en matière de règlement pacifique des différends, l’observation de la pratique montre
que le Conseil a créé toute une variété de commissions chargées d’exécuter diverses tâches
dans le cadre d’un certain nombre de conflits. Ces commissions avaient des structures
différentes et des mandats très divers qui incluent des enquêtes, la médiation etc. On peut
citer, à titre d’exemple, la Commission d’enquête du Conseil de sécurité créée en application
de la résolution 571 (1985) pour évaluer les dégâts résultant de l’invasion de l’Angola par des
forces sud-africaines. Il y a aussi la Commission des Nations Unies pour l’Inde et le Pakistan
qui a été créée le 20 janvier 1948 pour enquêter sur place sur les hostilités au Jammu-et-
Cachemire et pour aider dans la médiation.231
À côté des procédés non juridictionnels, le mode juridictionnel apparaît à la fois comme un
facteur de promotion de paix durable et de dissuasion des conflits. La justice occupe en effet
une place centrale dans les modes de règlement pacifique des différends. Avec
l’institutionnalisation de la justice internationale, les États ont recours à des procédés
juridictionnels tels que l'arbitrage ou le règlement judiciaire. Par ces procédures, il s’agit de
substituer les luttes de procédure aux confrontations de la force232, le jugement de la
juridiction, de l’institution internationale au jugement souverain de chaque État partie au
différend.233 Même si la compétence des juridictions internationales, arbitrales ou judiciaires,
n’est pas automatique car soumise au consentement préalable des États, ceux-ci, une fois
230.Consulter: untreaty.un.org/cod/repertory/art33/french/rep_supp5_vol2-art33_f.pdf 231.Pour d’autres commissions, consulter : http://www.un.org/fr/sc/repertoire/subsidiary_organs/representatives.shtml et http://www.un.org/fr/sc/repertoire/subsidiary_organs/commissions_and_investigations.shtml (pages consultées le 23 mai 2013). 232.M. LACHS, « Le droit international à l’aube du XXIème siècle », R.G.D.I.P., (1992) 96, p. 547. 233.R.-J. DUPUY, Le droit international, op. cit., n. 57, p. 117.
89
qu’ils acceptent de s’y soumettre, sont tenus d’accepter la solution que la juridiction aura
adoptée. Autrement dit, la décision de l’organe juridictionnel aura force légale à leur égard et
leur sera donc opposable. En effet, l’article 94 de la Charte indique que « chaque membre des
Nations Unies s’engage à se conformer à la décision de la Cour internationale de justice dans
tout litige auquel il est partie ». Le paragraphe 2 du même article stipule : « si une partie à un
litige ne satisfait pas aux obligations qui lui incombent en vertu d’un arrêt rendu par la Cour,
l’autre partie peut recourir au Conseil de sécurité et celui-ci, s’il le juge nécessaire, peut faire
des recommandations ou décider des mesures à prendre pour faire exécuter l’arrêt ». Il
s’ensuit qu’en soumettant une affaire à la justice internationale, les États parties consentent à
une limitation de leur liberté et risquent donc de voir leur domaine de compétence nationale
limité. Car, en convenant à l’avance qu’ils se soumettront à la décision (par la ratification de
la Charte et l’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour), les États ont, par là même
occasion, conféré à l’organe judiciaire international un pouvoir ad hoc d’interprétation,
d’adaptation voire de création de règles juridiques obligatoires pour eux. La preuve en est que
les avis et les arrêts de la Cour nourrissent et participent à l’évolution du droit international.
Dès lors, même si les États prévoient de nombreuses réserves de compétence nationale dans
leurs déclarations d’acceptation de la compétence de la Cour, celle-ci a très souvent rejeté les
exceptions préliminaires contre sa compétence ou contre la compétence d’un organe politique
international tirées desdites réserves. Il en fut ainsi dans l’affaire du Droit de passage sur le
territoire indien234. Le Portugal avait demandé à la Cour de dire qu’il était titulaire ou
bénéficiaire d’un droit de passage entre son territoire de Damao et certaines de ses enclaves en
territoire indien et que l’Inde devait ne pas « empêcher l’exercice de ce droit ». Le
Gouvernement indien faisait valoir dans sa cinquième exception préliminaire que « le
différend touche une question qui, en droit international, relève en principe de la compétence
exclusive de l'Inde ». Selon le Gouvernement indien « l'acceptation de la compétence
obligatoire de la Cour pour les catégories de différends énumérées dans la disposition
234.C.I.J., Droit de passage sur territoire en territoire indien, (exceptions préliminaires), préc. n. 22, p. 125. Voir également l’affaire de L’Interhandel, (exceptions préliminaires), préc. n. 22, pp. 24-25 : Le Gouvernement des États-Unis avait soutenu que « la Cour est incompétente pour connaître ou décider de toute question soulevée par la requête ou le mémoire du Gouvernement suisse concernant la saisie et la rétention des actions sous séquestre de la General Aniline.and Film Corporation, pour le motif que ces mesures relèvent, selon le droit international, de la compétence nationale des États-Unis ». Il avait aussi soutenu que, « d'après le droit international, la saisie et la rétention de biens ennemis en temps de guerre relèvent de la compétence nationale des États-Unis et ne sont sujettes à aucun contrôle international ». Cependant, selon la Cour, « toutes les autorités et les décisions judiciaires citées par les États-Unis parlent de biens ennemis ; mais le problème est justement de savoir si les avoirs de1'Interhandel sont des biens ennemis ou neutres. En présence d'une contestation formelle, fondée sur les principes du droit international, de la part d'un État neutre qui prend fait et cause pour son ressortissant, les États-Unis ne sont pas fondés à dire que leur décision est définitive et ne saurait être contestée ; c'est un problème qui, malgré le caractère américain de la société dont 1'Interharidel détient les actions, doit être résolu à la lumière des principes et des règles du droit international qui régissent les rapports entre les belligérants et les neutres en temps de guerre ».
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facultative ne s'étend pas à ceux portant sur des questions qui, selon le droit international,
relèvent exclusivement de la compétence de l'Inde… La déclaration indienne du 28 février
1940 a expressément exclu ces différends du domaine de son acceptation de la compétence
obligatoire…» La Cour remarqua que les deux parties n’étaient pas d’accord sur l’existence
du droit de passage. L’Inde considère qu’il n’existe ni concession expresse ni consentement
explicite de sa part qui restreindraient l’exercice de sa compétence car les motifs invoqués par
le Portugal à « savoir traités, coutumes, principes généraux du droit » ne pouvaient être
considérés comme raisonnablement soutenable en droit international, puisque la question du
droit de passage avait toujours été traitée comme relevant de la compétence exclusive du
souverain territorial. L’exception préliminaire de compétence nationale soulevée par l’Inde fut
jointe au fond et après examen du fond, la Cour la rejeta en concluant que « le Portugal avait
en 1954 un droit de passage […] sur le territoire indien intermédiaire, dans la mesure
nécessaire à l’exercice de la souveraineté portugaise sur [ses] enclaves et sous la
réglementation et le contrôle de l’Inde pour les personnes privées, les fonctionnaires civils et
les marchandises en général.»235
Force est donc de constater que, dans sa mission de règlement pacifique des différends, le
travail du juge ne se limite pas à la simple constatation de la norme ou de son application
automatique. Il sera parfois amené à adapter le droit à son contexte pour lui faire jouer sa
fonction régulatrice. Ainsi, si l’organe juridictionnel est saisi pour le règlement d’un différend
où est en cause l’application d’une règle conventionnelle, il tendra à l’appliquer ou à
l’interpréter de sorte qu’elle s’adapte à son environnement actuel et aux changements de la
société internationale. À ce titre, la C.I.J. a posé le principe que « tout instrument international
doit être interprété et appliqué dans le cadre de l’ensemble du système juridique en vigueur au
moment où l’interprétation a lieu ».236 Si c’est l’application d’une règle coutumière qui est à
l’origine du différend, le rôle du juge sera crucial car il devra déterminer la pertinence d’une
pratique invoquée et l’existence d’une opinio juris. Ainsi, ce serait par une « interprétation a
posteriori que le juge construit lui-même la démonstration de l’existence de la règle de droit
plus qu’il ne la dévoile ».237 Pour fonder son interprétation, le juge peut aussi recourir aux
principes généraux du droit international pour combler les lacunes du droit conventionnel ou
235.Affaire du Droit de passage sur territoire indien (fond), préc. n. 29, pp. 45-46. 236.Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie,préc. n. 199, p. 31, § 53 ; C.I.J., Affaire du Plateau continental de la mer Egée, arrêt du 19 décembre 1978, compétence de la Cour, Rec. 1978, pp. 33-34, § 80. 237.P. HAGGENMACHER, « La doctrine des deux éléments du droit coutumier dans la pratique de la Cour internationale », R.G.D.I.P., 90 (1), 1986, pp. 113-114.
91
coutumier.238 Ce faisant, il se substitue en quelque sorte aux États pour créer ou interpréter
une règle de droit international. En fait, le juge pourra étendre le champ d’application matériel
d’une règle. C’est ainsi que dans l’affaire du Détroit de Corfou la C.I.J. a fondé l’obligation
des autorités albanaises d’avertir les navires de guerre britanniques de l’existence dans leurs
eaux territoriales d’un champ de mines non pas sur la Convention VIII de La Haye de 1907
mais sur
« certains principes généraux […] tels que [l]es considérations élémentaires d'humanité,
plus absolues encore en temps de paix qu'en temps de guerre, le principe de la liberté des
communications maritime et l'obligation, pour tout État, de ne pas laisser utiliser son
territoire aux fins d'actes contraires aux droits d'autres États. »239
À l’évidence, si la marge de manœuvre et d’appréciation dont disposent les États dans le
choix du mode de règlement pacifique de leurs différends est plus ou moins étendue, celle-ci
se réduit voire disparaît une fois qu’ils portent l’affaire devant un organe juridictionnel qui va
appliquer, interpréter, adapter le droit international pour arriver à une décision conforme à la
justice. Dans cette opération d’application, d’interprétation et d’adaptation, le juge dispose
d’une certaine marge d’appréciation qui a conduit certains auteurs à lui reconnaître un
pouvoir quasi-législatif.240 À ce sujet, le professeur Alain Pellet note que « la Cour
internationale de Justice - et dans une mesure moindre les autres juridictions internationales
sont les législateurs ou, en tout cas, les ‘‘adaptateurs de droit’’ les plus efficaces de l'ordre
juridique international. »241 Pour s’en convaincre, il suffit de constater que la Cour, en
qualifiant certaines obligations conventionnelles d’obligations coutumières, puis en en faisant
des obligations erga omnes, a jeté les bases d’un droit coutumier universel, qui sans remettre
en cause le droit conventionnel, s’impose à tous.242
En consacrant les règles de non recours à la force dans les relations internationales et du
règlement pacifique des différends internationaux, le droit international opère un choix
politique et idéologique en faveur de la paix dont la réalisation implique l’encadrement voire
la limitation de la compétence nationale discrétionnaire et exclusive des États dont l’exercice
abusif peut engendrer des situations conflictuelles. L’affirmation de la « mise hors la loi » de
l’usage de la force et la consécration du principe de règlement pacifique des différends pour 238.V. P.-M. DUPUY, « Le juge et la règle générale », R.G.D.I.P., t. 93 (1989), p. 584. 239.C.I.J., Affaire du Détroit de Corfou, arrêt du 4 avril 1949, Rec. 1949, p. 22. 240.P.-M. DUPUY, « Le juge et la règle générale », op. cit., n. 238. 241.A. PELLET, « L'adaptation du droit international… », op. cit., n. 139, p. 21. 242.G. GUILLAUME, « La Cour internationale de justice et les droits de l’homme », Droits fondamentaux, (2001) 1, p. 29.
92
prévenir la guerre s’accompagnent de techniques internationales en faveur de la sécurité, qui
restreignent elles aussi le domaine de compétence nationale ratione materiae et en
conséquence la liberté des États.
2. Les techniques internationales de la sécurité comme limites du domaine de
compétence nationale
Par l’interdiction du recours à la force et l’obligation de règlement pacifique des différends, le
droit international en général et la Charte des Nations Unies en particulier cherchent à éviter
sinon à prévenir la guerre et à maintenir le règne de la paix et de la sécurité dans les relations
internationales. Mais l’avènement d’une paix et d’une sécurité durables à l’échelle
internationale suppose aussi la maîtrise internationale des armements (2.1.) et la centralisation
du monopole de la force au profit d’un seul organe international (2.2.) investi le cas échéant
du pouvoir de décider des mesures appropriées en cas de menace à la paix et à la sécurité
internationales.
2.1. Les tentatives internationales de maîtrise des armements
Le lien établi entre le désarmement et la paix et la sécurité243 fait que le droit international mis
au service de ces impératifs se préoccupe de plus en plus de la maîtrise des armements qui
regroupe d’une part les mesures de règlementation qualitatives et quantitatives en matière de
production d’armements (la limitation de la « course aux armements »), et d’autre part les
mesures de destruction d’armements existants (le désarmement au sens littéral).244 En effet,
l’éclatement de la seconde guerre mondiale et les conséquences destructrices de certaines
armes (chimiques biologiques, nucléaires) ont posé la question de la maîtrise des armements
avec acuité et ont conduit les États, dans le cadre bilatéral et multilatéral, à s’engager sur la
voie de la réglementation des armements. C’est ainsi que, selon l’article 11, § 1 de la Charte
des Nations Unies, « l’Assemblée générale peut étudier les principes […] régissant le
désarmement et la réglementation des armements », principes sur lesquels elle peut faire des
recommandations. L’article 26, quant à lui, met à la charge du Conseil de sécurité la
responsabilité « d’élaborer des plans […] en vue d’établir un système de réglementation des
243.P.-Y. CHICOT, « L’actualité du principe du règlement… », op. cit., n. 226, pp. 23 et s. ; J. COMBACAU et S. SUR, Droit international public, 8ème éd., Paris, Montchrestien, p. 681 ; R.-J. DUPUY, Le droit international, op. cit., n. 57, p. 109. 244.F. ATTAR, Le droit international entre ordre et chaos, op. cit., n. 56, p.317.
93
armements » afin que « le minimum des ressources économiques et humaines du monde » ne
soit détourné « vers les armements ». Dans le sillage de la Charte, l’Assemblée générale a
œuvré pour la promotion d’un « désarmement général et complet sous un contrôle
international efficace ».245 Elle a, à ce titre, adopté plusieurs résolutions sur le
désarmement.246 Ce travail fut accompagné par l’institution d’un certain nombre d’organes
tels que la Première Commission qui est un de ses organes subsidiaires et qui traite des
questions de désarmement et de sécurité internationale. Elle a pour fonction de formuler à
l’Assemblée générale des recommandations dans le domaine du désarmement. Il y a aussi la
Commission du désarmement créée par la résolution 502 (VI) du 11 janvier 1952 de
l’Assemblée générale en remplacement de la Commission de l’énergie atomique et de la
Commission des armements classiques. En 1978, la première session extraordinaire de
l'Assemblée générale consacrée à la question du désarmement a créé une nouvelle
Commission du désarmement comme organe subsidiaire de l'Assemblée générale et composée
de tous les États Membres des Nations Unies. Elle a pour fonction d'examiner et de faire des
recommandations sur diverses questions dans le domaine du désarmement et d'assurer un
suivi des décisions et recommandations en la matière. Il y a également l’UNIDIR (Institut de
recherche des Nations Unies sur le désarmement) dont le Statut a été approuvé par
l’Assemblée générale par la résolution 39/148H du 17 décembre 1984247. Il y a enfin la
Conférence du désarmement qui regroupe aujourd’hui 65 États et qui a été instaurée en 1979
suite à la première session extraordinaire de l’Assemblée générale sur le désarmement. Elle
succède au Comité des dix puissances sur le désarmement de 1960 devenu Comité des dix-
huit puissances sur le désarmement de 1962 à 1968 et la Conférence du comité du
désarmement.
Grâce au travail de ces différents organes, plusieurs accords multilatéraux sur la réduction des
armements ou le désarmement ont été adoptés. La Conférence du désarmement a ainsi permis
l’adoption de la Convention sur l’élimination et l’interdiction complètes des armes chimiques
signée à Paris le 13 janvier 1993 et entrée en vigueur le 27 avril 1997.248 Par l’article 1 de
245.Voir le Document final de la première session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies consacrée au désarmement, Rés./S-10/2 du 30 juin 1978. 246.Voir : résolution 1378 (XIV) du 20 novembre 1959, résolution 2602 E (XXIV) du 16 décembre 1969, résolution 35/46 du 3 décembre 1980, résolution 37/99 du 13 décembre 1982 sur le désarmement général et complet, résolution 45/62 du 4 décembre 1990, résolution 66/64 du 2 décembre 2011 sur le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, résolution 66/51 sur le désarmement nucléaire du 2 décembre 2011, résolution du 2 décembre 2011 sur la réduction du danger nucléaire etc. 247.L’Institut a commencé ses activités à titre provisoire le 1er Octobre 1980, voir en ligne : http://www.unidir.org/html/fr/statut.html (page consultée le 12 avril 2013). 248.C’est la Convention sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes chimiques et sur leur destruction.
94
cette Convention, les États parties s’engagent sur un certain nombre de matières dans
lesquelles ils ne jouissent plus d’une liberté de décision et d’action, indépendamment même
du lien étroit qu’elles ont avec leur défense et leur sécurité individuelle.249 Au-delà de l’article
1, la Convention comporte un ensemble d’obligations à la charge des États qui limitent leur
domaine matériel de compétence nationale. Comme son intitulé l’indique, la Convention pose
plusieurs interdits à l’égard des États sur les armes chimiques. Cette restriction du domaine de
compétence nationale ratione materiae est illustrée par l’institution de l’Organisation pour
l’interdiction des armes chimiques (O.I.A.C.) pour faire appliquer la Convention grâce à une
procédure de vérification sur le territoire de l’État menée par des inspecteurs de
l’organisation. La Conférence du désarmement a également fait adopter le 24 septembre 1996
le Traité sur l’interdiction complète des essais nucléaires qui n’est pas encore entré en
vigueur. En plus de ces conventions, plusieurs autres traités portant sur certaines catégories
d’armes participent aux tentatives internationales de maîtrise des armements. Ainsi, pour les
armes nucléaires, le Traité de Moscou du 5 août 1963 (traité d’interdiction partielle des essais
nucléaires) interdit aux parties, en son article 1er § 1, les essais nucléaires dans l’atmosphère,
dans l’espace extra-atmosphérique et sous l’eau en tout lieu relevant de leur juridiction ou de
leur contrôle. Ce traité a été complété par le traité d’interdiction complète des essais
nucléaires qui n’est cependant pas encore en vigueur. Mais c’est le Traité sur la non-
prolifération des armes nucléaires, adopté le 1er juillet 1968 et entré en vigueur le 5 mars
1970, qui constitue l’instrument essentiel du mécanisme de non-prolifération nucléaire. Par
son article 1er, les États détenteurs de l’arme nucléaire s’engagent à œuvre afin de ne pas
contribuer à sa prolifération. Les États non détenteurs de l’arme nucléaire, quant à eux,
renoncent, par l’article 2, à en fabriquer ou à essayer d’en acquérir. Même si dans la pratique
des États les dispositions du Traité ne sont pas toujours matérialisées et quelles que soient les
critiques qu’on peut faire au Traité, ce qui est important de retenir c’est que toute tentative
étatique de fabrication ou d’acquisition de l’arme nucléaire est désormais jugée illégale et
249.Selon l’article 1 de la Convention, 1. Chaque État partie « s'engage à ne jamais, en aucune circonstance : a) Mettre au point, fabriquer, acquérir d'une autre manière, stocker ou conserver d'armes chimiques, ou transférer, directement ou indirectement, d'armes chimiques à qui que ce soit ; b) Employer d'armes chimiques ; c) Entreprendre de préparatifs militaires quels qu'ils soient en vue d'un emploi d'armes chimiques ; d) Aider, encourager ou inciter quiconque, de quelque manière que ce soit, à entreprendre quelque activité que ce soit qui est interdite à un État partie en vertu de la présente Convention. 2. Chaque État partie s'engage à détruire les armes chimiques dont il est le propriétaire ou le détenteur, ou qui se trouvent en des lieux placés sous sa juridiction ou son contrôle, conformément aux dispositions de la présente Convention. 3. Chaque État partie s'engage à détruire toutes les armes chimiques qu'il a abandonnées sur le territoire d'un autre État partie, conformément aux dispositions de la présente Convention. 4. Chaque État partie s'engage à détruire toute installation de fabrication d'armes chimiques dont il est le propriétaire ou le détenteur, ou qui se trouve en un lieu placé sous sa juridiction ou son contrôle, conformément aux dispositions de la présente Convention. 5. Chaque État partie s'engage à ne pas employer d'agents de lutte antiémeute en tant que moyens de guerre. »
95
suscite une désapprobation des grandes puissances et de la communauté internationale. Ce qui
veut dire que, même sur des questions intéressant la sécurité et la défense de l’État, ce dernier
ne jouit plus, de nos jours, d’une liberté totale et absolue de fabriquer ou d’acquérir n’importe
quelle arme, fut-elle indispensable à sa défense ou à sa survie. La preuve en est que, s’agissant
de la non-prolifération nucléaire, le Traité, aux termes de son article 3, confie à l’A.I.E.A. la
responsabilité de « vérifier l’exécution des obligations assumées par [les] États aux termes du
[…] Traité en vue d'empêcher que l'énergie nucléaire ne soit détournée de ses utilisations
pacifiques vers des armes nucléaires ou d'autres dispositifs explosifs nucléaires ». À cet effet,
le Statut de l’A.I.E.A. en son article XII § A, 6 prévoit que :
« l’Agence a les responsabilité et les droits […] [d’]envoyer sur le territoire de l’État ou des
États bénéficiaires des inspecteurs désignés par l’Agence après consultation de l’État ou des
États intéressés, qui, à tout moment, auront accès à tout lieu, à toute personne qui, de par sa
profession, s’occupe de produits, équipements ou installations qui doivent être contrôlés en
vertu du présent statut, et à tous éléments d’information nécessaire […] et pour s’assurer
qu’il n’y a violation ni de l’engagement de non-utilisation à des fins militaires […], ni des
mesures sanitaires et mesures de sécurité... Si l’État intéressé le demande, les inspecteurs
désignés par l’Agence sont accompagnés de représentants des autorités de cet État, sous
réserve que les inspecteurs ne soient pas de ce fait retardés ou autrement gênés dans
l’exercice de leurs fonctions ».
En plus de ces traités emblématiques, plusieurs autres accords internationaux visant à
interdire telle ou telle catégorie d’armes ou à protéger certaines zones géographiques
contribuent aux tentatives internationales de maîtrise des armements et donc à la technique
de la sécurité. On peut, entre autres, citer la Convention sur l’interdiction d’utiliser des
techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins
hostiles250, la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du
stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction251 ou
encore la Convention d’Ottawa sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production
et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction.252
250.Adoptée par l'Assemblée générale de l'O.N.U. le 10 décembre 1976 (A/Rés./31/72), la Convention ENMOD, dont le Secrétaire général de l'O.N.U. est dépositaire, fut ouverte à la signature le 18 mai 1977 à Genève et est entrée en vigueur le 5 octobre 1978. 251.Traité multilatéral ouvert à la signature à Londres, Moscou et Washington le 10 avril 1972 et entré en vigueur le 26 mars 1975. 252.Conclue à Oslo le 18 septembre 1997, cette convention a été ouverte à la signature de tous les États à Ottawa du 3 au 4 décembre 1997. Elle est entrée en vigueur le 1er mars 1999.
96
Ces différentes conventions, comme l’indiquent leurs intitulés, portent sur des limitations ou
des interdictions dans des matières ou questions qui intéressent la défense et la sécurité de
l’État, mais dans lesquelles il ne jouit plus d’une liberté totale et absolue de décision et
d’action. Le domaine de compétence nationale conçu comme expression de la souveraineté-
liberté est ainsi restreint dans ces domaines d’autant plus que la non-exécution par l’État de
ses obligations en ces matières peut comporter des sanctions voire des conséquences graves
notamment lorsque le Conseil de sécurité s’empare de la question. Ce fut le cas de la
« violation patente [par l’Irak] de ses obligations [en matière de désarmement] en vertu des
résolutions pertinentes, notamment la résolution 687 (1991) du 3 avril 1991, en particulier en
ne collaborant pas avec les inspecteurs des Nations Unies et l’A.I.E.A., et en ne prenant pas
les mesures exigées aux paragraphes 8 à 13 de [ladite résolution] »253. Par cette résolution, le
Conseil de sécurité, agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte, imposait à l’Irak la
destruction et la neutralisation de toutes ses armes de destruction massive sous contrôle
international en particulier les inspecteurs des Nations Unies et de l’A.I.E.A. Suite au refus
irakien de coopérer avec l’UNscom254 et les inspecteurs de l’A.I.E.A., les États-Unis
menèrent avec les britanniques une action unilatérale, l’opération Renard du désert en
décembre 1998255 pour l’obliger à coopérer. Même si la réalité s’est finalement révélée toute
autre, l’invasion de l’Irak en 2003 par la coalition menée par les États-Unis a été justifiée par
la possession d’armes de destruction massive. Compte tenu de tout ce qui s’est passé en Iraq,
il est à craindre que les tensions entre l’Iran et l’Occident sur fond de divergences quant à
l’objectif civil ou militaire du programme nucléaire iranien débouchent sur des conséquences
plus graves que celles des sanctions économiques et des quelques actions militaires jusque-là
adoptées.256
253.Rés. S/RES/1441 (2002) du 8 novembre 2002. 254.La Commission spéciale des Nations Unies (Unscom) a été créée par la résolution 687 du Conseil de sécurité du 3 avril 1991, après la fin de l’opération Tempête du désert contre l’Irak pour mettre fin à l’occupation du Koweït. Elle était chargée de contrôler, conjointement avec l’A.I.E.A., le démantèlement des armes de destruction massives irakiennes. 255.Sur le bilan de cette opération, cf. http://www.monde-diplomatique.fr/cahier/irak/renard-guerre (page consultée le 30 mars 2013). 256.Il y a eu des bombardements de sites suspects, des assassinats de responsables ou de scientifiques iraniens travaillant sur le programme nucléaire. Derrière ces actes se trouveraient les israéliens et les États-Unis. Cependant, le 30 août 2012, alors que l’A.I.E.A. déclarait que l’Iran a doublé sa capacité d’enrichissement d’uranium et entravait le travail des enquêteurs de l’Agence sur le site de Parchin, le Président américain Barack Obama prévenait que « le temps de la diplomatie ne durerait pas indéfiniment ». Par la suite un accord est intervenu entre l’Iran et les occidentaux sur les négociations concernant le programme nucléaire. Les négociations sont en cours et l’U.E comme les États-Unis ont commencé à alléger les sanctions qu’ils avaient adoptées contre l’Iran.
97
2.2. La centralisation du monopole de la force au profit d’un organe
international chargé du maintien de la paix et de la sécurité internationales
L’État westphalien était notamment caractérisé par le monopole de la force légitime. Dans le
cadre de la Charte et du système de sécurité collective, le Conseil de sécurité s’est vu assigné,
en vertu de l’article 24, § 1, la « responsabilité principale du maintien de la paix et de la
sécurité internationales ». Il agit à cet égard au nom et pour le compte des États. De cette
sorte, il s’opère un transfert du monopole de la force légitime ou plus précisément du droit
d’user de la force et de faire la guerre des États vers le Conseil de sécurité et ses membres
permanents en particulier car ces derniers, avec leur droit de veto, peuvent bloquer tout
processus de décision ou de déclenchement d’une action internationale. L’usage de la force
n’est désormais admissible que dans la mesure où ces grandes puissances, par le truchement
de l’organe central chargé du maintien de l’ordre public international, le Conseil de sécurité,
l’autorisent ou du moins ne s’y opposent. Pour accomplir cette responsabilité, des
compétences spécifiques définies aux Chapitres VI, VII, VIII et XII, lui sont conférées. Elles
« sont en principe limitées au domaine de la paix et de la sécurité, mais il les interprète
librement de sorte qu’il peut leur donner l’extension et la consistance qui lui convient. »257
Cela implique que le domaine de compétence nationale de l’État ne peut ici jouer aucun rôle
restrictif ratione materiae à la compétence du Conseil, notamment dans le cadre du Chapitre
VII de la Charte. Ainsi, lorsqu’il exerce son « pouvoir discrétionnaire en matière de
constatation d’une menace à la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression »258,
aucune matière n’échappe a priori au champ de compétence du Conseil. Dans l’exercice de ce
pouvoir qu’il tient de l’article 39 de la Charte, le Conseil a la compétence de sa compétence et
n’est soumis à aucune limite ni à aucun contrôle. En ce sens, le Pr Jean Combacau note que
« ce pouvoir est indéterminé non seulement parce qu’il repose sur des concepts indéterminés,
mais encore parce qu’il n’est pas soumis à un contrôle : il est ultime, aucun organe n’ayant
qualité pour mettre en cause les qualifications auxquelles procède le Conseil ».259 Ce dernier
jouissant d’une grande liberté à la fois dans l’appréciation de l’opportunité des mesures prises
et de leur contenu, le domaine de compétence nationale ratione materiae ne joue pas de rôle
257.S. SUR, « Sécurité collective », op. cit., n. 210, p.305-309. 258.J.-M. SOREL, « Le caractère discrétionnaire des pouvoirs du Conseil de sécurité : remarques sur quelques incertitudes partielles », R.B.D.I., 2004/2, pp. 462-483. 259.J. COMBACAU, « Le chapitre VII de la Charte des Nations Unies : Résurrection ou métamorphose ? », in R. BEN ACHOUR, S. LAGHMANI (dirs.), Les nouveaux aspects du droit international », Paris, Pedone 1994, p. 146 ; le même « Le pouvoir de sanction de l’ONU. Étude théorique de la coercition non militaire », Paris, Pedone 1974, 394 p.
98
restrictif à cette liberté. Ainsi, lorsqu’il exerce un pouvoir fondé sur le maintien de la paix et
de la sécurité internationales, le Conseil n’est soumis à aucune limite matérielle. Il s’est par
exemple reconnu le droit d’imposer à l’Irak l’élimination complète de ses armes de
destruction massive, d’obliger des États à réglementer les activités du commerce de
diamants260 ou encore de créer les tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et
le Rwanda261. En usant de sa liberté d’appréciation et de qualification, le Conseil a élargi
considérablement la notion de menace à la paix. En effet, beaucoup de situations internes aux
États qualifiées comme tel ne constituent pas forcément des menaces réelles mais leur seule
qualification par le Conseil de menace à la paix et à la sécurité internationales suffira à
imposer à tous les États des obligations découlant des mesures qu’il aura jugées
opportunes.262 Il est aujourd’hui clair que de la pratique du Conseil de sécurité, il ressort que
par menace il ne comprend pas seulement les menaces armées ; il y inclut aussi des menaces
de nature non militaire à la paix et à la sécurité internationales trouvant leurs sources dans
l’instabilité qui existe dans les domaines économique, social, humanitaire ou écologique.263
Cette démarche d’élargissement de la notion de menace à la paix vise à permettre au Conseil
de s’adapter aux exigences et réalités nouvelles de la société internationale afin de se donner
les moyens d’action nécessaires à l’accomplissement de sa mission. Elle traduit aussi
l’existence de pouvoirs implicites dont on a déjà parlé et qui permettent à un organe ou une
organisation internationale d’adapter son action à des situations et circonstances qui n’étaient
pas initialement envisagées. Ainsi, on peut dire qu’il n’y a pas de matières dont les États
s’occupent dans leurs domaines respectifs qui échappent du point de vue matériel à la
compétence du Conseil de sécurité.
Aussi, le domaine de compétence nationale matériellement conçu par la majorité de la
doctrine, c’est-à-dire comme sphère de matières où l’État jouit d’une liberté totale, peut être
260.A. Th. NORODOM, « Typologie des résolutions de l’O.N.U. créatrices de droit international général », Disponible sur : http://www.esilen.law.cam.ac.uk/Media/Draft_Papers/Agora/Norodom.pdf, (page consultée le 17 août 2012). Dans sa résolution 1306 (2000) du 5 juillet 2000, le Conseil « Décide que tous les États prendront les mesures nécessaires pour interdire l’importation directe ou indirecte sur leur territoire de tous les diamants bruts en provenance de la Sierra Leone ; Décide que les mesures visées au paragraphe 1 ci-dessus ne s’appliqueront pas aux diamants bruts contrôlés par le Gouvernement sierra-léonais au moyen du régime de certificat d’origine lorsque le Comité aura fait savoir au Conseil, compte tenu d’avis d’experts obtenus par le Secrétaire général à la demande du Comité, qu’un régime efficace est pleinement opérationnel… ». 261.Voir infra Titre II de cette partie, le Chapitre II. 262.Voir à ce sujet, pour plus de détails, G. COHEN-JONHATHAN, « Commentaire de l’article 39 », in J.-P. COT et A. PELLET (dirs.), La Charte des Nations Unies. Commentaire article par article, 2è éd., Paris, Economica, 1991, p. 665, J. COMBACAU, op. cit., n. 259 ; D.-L. TEHINDRAZANARIVELO, Les sanctions des Nations Unies et leurs effets secondaires. Assistance aux victimes et voies juridiques de prévention, Paris, P.U.F., 2005, pp. 35-36. 263.Doc.NU S/23500 du 31 janvier 1992, p. 3.
99
restreint lorsque le Conseil de sécurité recommande ou ordonne aux États membres des
mesures de divers types comme l’interruption des relations diplomatiques ou économiques,
des communications contre les États qui ne respecteraient pas ses décisions. Enfin, l’activité
juridique qui a marqué la pratique du Conseil de sécurité ces dernières décennies a conduit
une partie de la doctrine à voir en lui un législateur mondial.264 En effet, à travers certaines de
ses résolutions qui sont décisoires, le Conseil est susceptible d’exercer un pouvoir normatif
obligatoire à l’égard des États car ces résolutions ont la nature de véritables actes normatifs.265
Ce type de décisions concerne les résolutions prises par le Conseil dans le cadre de la lutte
contre certains fléaux internationaux. Il en est ainsi des résolutions décisoires prises en
matière de lutte internationale contre le terrorisme et la prolifération des armes de destruction
massive où, par exemple à travers la résolution 1373 du 28 septembre 2001 complétée par la
résolution 1377 du 12 novembre 2001266, et la résolution 1540 du 28 avril 2004, le Conseil
demande aux États de mettre en œuvre dans leurs ordres juridiques internes des mesures qu’il
a prises. Ce sont là
« des décisions thématiques externes du Conseil de sécurité. Ces résolutions ont un effet
obligatoire, leur contenu n’est pas limité à un conflit particulier mais est d’ordre général,
contrairement aux résolutions circonstancielles, et leur objet ne vise pas simplement à
réglementer le fonctionnement institutionnel de l’Organisation et des organes subsidiaires
du Conseil de sécurité. »267
À travers ces résolutions, le Conseil crée des obligations de caractère général à la charge des
États. Elles détaillent les comportements qu’ils doivent adopter en vue d’empêcher les entités
non-étatiques de se procurer des armes de destruction massive et leur imposent l’adoption
264.T. CHRISTAKIS et J. TERCINET, « Le pouvoir normatif du Conseil de sécurité : le Conseil de sécurité peut-il légiférer ? », R.B.D.I., 2004, vol. 37, pp. 528-551. Bien que le consensus semble acquis sur le principe qu’en droit international il n’y a pas de législateur mondial, l’auteur considère que « l’image du législateur s’impose » surtout que l’examen des résolutions 1373 (2001), 1540 (2004) et 1566 (2004) relatives à la lutte contre le terrorisme montre qu’elles se caractérisent par « un niveau de normativité élevé puisque ces trois résolutions établissent des régimes juridiques de caractère objectif, général et impersonnel, et, basées sur le Chapitre VII, elles entendent poser des actes exécutoires, obligatoires, contraignants, bref des décisions. L’addition des deux aspects : généralité et caractère décisoire génèrent de véritables normes, élaborées par un organe institutionnalisé », p. 532. 265.Voir notamment K. HERNDL, « Reflections on the role, functions and procedures of the Security Council of the United Nations », R.C.A.D.I., t. 206, 1987, pp. 289-395 ; P. KLEIN et A. SCHAUS, « Deux poids, deux mesures ? : l’inégalité dans l’application du pouvoir de décision du Conseil de sécurité », in Centre de droit international U.L.B., La guerre du Golfe et le droit international : entre les lignes, Bruxelles, Servais-Creadif, 1991, pp. 59-77 ; S. SUR, Security Council Resolution 687 of 3 April 1991 in the Gulf Affair, Problems of Restoring and Safeguarding Peace », New York, United Nations, VI-90 p. ; R.-J. DUPUY (dir.), Le développement du rôle du Conseil de sécurité, Colloque, La Haye, 21-23 juillet 1992, Dordrecht, M. Nijhoff, 1993, XVIII-495 p. 266.Ces résolutions furent suivies d’autres adoptées en vertu du Chapitre VII : résolutions 1390 (2002), 1526 (2004), 1617 (2005) et 1735 (2006). Ces dernières définissent et renforcent les régimes de sanctions. 267.A.-Th. NORODOM, « Typologie des résolutions de l’O.N.U…», op. cit., n. 260.
100
d’une législation adéquate en vue d’assurer l’effectivité de la lutte contre les menaces
visées.268 Ainsi, selon le Conseil, la lutte contre le terrorisme passe par l’entraide judiciaire et
les États doivent se prêter assistance conformément à la résolution 1373 (2001), § 2, g qui
oblige tous les États, même ceux qui ne sont pas parties à des conventions internationales sur
le terrorisme. Dans le même sillage, la résolution 1546 (2003) oblige les États à traduire en
justice ceux qui financent, planifient, appuient ou commettent des actes de terrorisme ou
donnent asile à leurs auteurs. Ils doivent également les juger ou les extrader. Aussi, par la
résolution 1540 (2004), le Conseil de sécurité impose aux États membres un véritable plan
d’action visant à lutter contre le rôle des acteurs non étatiques dans la prolifération des armes
de destruction massive. À cet effet, il prescrit aux États de se doter d'une législation
interdisant et réprimant les activités d’acteurs non étatiques liées aux armes de destruction
massive et à leurs vecteurs. Il leur demande aussi de mettre en place des dispositifs intérieurs
de contrôle destinés à prévenir la prolifération des armes de destruction massive et de leurs
vecteurs, notamment la comptabilisation des produits concernés, leur protection physique, des
contrôles aux frontières pour détecter et combattre les trafics, des contrôles de l'exportation et
du transbordement de ces produits, des contrôles destinés à identifier l’utilisateur final des
produits etc. Pour mettre en œuvre ses obligations découlant de cette résolution, la France a
adopté la loi du 14 mars 2011 relative à la lutte contre la prolifération des armes de
destruction massive et de leurs vecteurs.269
On voit bien que le domaine de compétence nationale regardé comme sphère matérielle où
l’État jouit d’une liberté de décision et d’action se trouve ici bien restreint. Car une fois
membre d’une organisation internationale comme les Nations Unies, l’État risque de voir sa
liberté « piégée »270 et l’absence de consentement de sa part ne l’exonère pas des obligations
découlant des décisions adoptées par les organes de l’organisation mondiale. La C.I.J. s’est
d’ailleurs clairement prononcé sur ce point à propos des décisions du Conseil de sécurité.
Selon elle,
268.S. SUR, « La résolution 1540 du Conseil de sécurité (28 avril 2004) entre la prolifération des armes de destruction massive, le terrorisme et les acteurs non-étatiques », R.G.D.I.P., 2004/4, pp. 855-856. Voir aussi, au sujet du pouvoir normatif et décisoire du Conseil de sécurité, L. CONDORELLI, « Les attentats du 11 septembre et leurs suites : où va le droit international ? », R.G.D.I.P. 2001/4, pp.829-848 ; O. CORTEN, « Vers un renforcement des pouvoirs du Conseil de sécurité dans la lutte contre le terrorisme ? », in K. BANNELIER, Th. CHRISTAKIS, O. CORTEN et B. DELCOURT, « Le droit international face au terrorisme », Paris, Pedone, 2002, pp. 259-277 ; J.-M. SOREL, « Le caractère discrétionnaire des pouvoirs du Conseil de sécurité…», op. cit., n. 258, pp. 462-483 ; S. SZUREK, « La lutte internationale contre le terrorisme sous l’emprise du Chapitre VII. Un laboratoire normatif », R.G.D.I.P., 2005-1, pp. 5-49. 269.Loi n° 2011-266 du 14 mars 2011 relative à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs publiée au J.O.R.F. n° 0062 du 15 mars 201, p. 4577. 270.Voir A. PELLET, « Cours général : le droit international entre souveraineté et communauté internationale… », op. cit., n. 168, pp. 51 ss.
101
« lorsque le Conseil de sécurité adopte une décision aux termes de l'article 25 conformément
à la Charte, il incombe aux États Membres de se conformer à cette décision, notamment aux
membres du Conseil de sécurité qui ont voté contre elle et aux Membres des Nations Unies
qui ne siègent pas au Conseil. Ne pas l'admettre serait priver cet organe principal des
fonctions et pouvoirs essentiels qu'il tient de la Charte. »271
Récemment, elle a confirmé sa position en affirmant que « les résolutions du Conseil de
sécurité peuvent être contraignantes à l’égard de tous les États membres […], que ceux-ci
aient ou non participé à leur formulation. »272
En somme, il apparaît que l’institutionnalisation de la vie internationale et l’extension
croissante du champ matériel du droit international ont considérablement réduit l’assiette
matérielle du domaine de compétence nationale de l’État. En effet, la mise en place de
relations entre plusieurs États dans le cadre d’une logique coopérative et la mise en œuvre des
compétences des organisations internationales impliquent nécessairement une limitation à
l’exercice libre de certains droits souverains dans beaucoup de matières pour la réalisation
d’intérêts communs. Comme l’indique le professeur Robert Kolb
« les exigences d’ordre de la société internationale mènent aussi à une attaque en règle
contre la notion de souveraineté pour autant qu’elle prétendait être un pouvoir suprême et
incontrôlable, incompatible avec un ordre objectif supra-étatique. La souveraineté est soit
niée, soit réduite à des fonctions disciplinées par le droit international. Dans ce cas, elle
devient une souveraineté relative ou limitée. »273
Dès lors, après avoir mis en exergue les restrictions du domaine de compétence nationale
(ratione materiae) de l’État et la remise en cause de la conception de la doctrine majoritaire
par les transformations de la société internationale et du droit international, à travers les
phénomènes concomitants d’institutionnalisation et de multilatéralisation de la vie
internationale, nous allons à présent nous atteler à voir comment cette conception matérielle
du domaine de compétence nationale est aussi remise en cause par l’émergence sur la scène
internationale de nouveaux centres de pouvoirs.
271.Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie, préc. n. 199, p. 54, § 116. 272.C.I.J., Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif du 22 juillet 2010, p. 442, § 94. 273.R. KOLB, Réflexions de philosophie du droit international…, op. cit., n. 46, p. 24 – 25.
102
CHAPITRE II
L’ÉMERGENCE SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE DE NOUVEAUX
CENTRES DE POUVOIR
Dans l’ordre international contemporain, si l’État reste l’acteur primaire et privilégié des
relations internationales il partage désormais cette qualité d’acteur international avec d’autres
entités. En effet, en plus des organisations internationales intergouvernementales que nous
avons déjà évoquées dans le chapitre précédent, de nouveaux acteurs ont fait leur apparition
sur la scène internationale. Le droit international n’est plus un droit ayant exclusivement
comme sujets les États, car de nouvelles entités incarnant l’intérêt général ont surgi sur la
scène internationale. L’émergence de ces acteurs sur l’échiquier international est dans une
certaine mesure due au fait que la mondialisation des problèmes et des rapports politiques,
économiques, sociaux et culturels a favorisé la déterritorialisation et la porosité de la frontière
entre l’interne et l’externe, le national et l’international. Cette mondialisation a aussi engendré
chez les États des besoins de regroupement dans des espaces géographiques et institutionnels
plus larges pour mieux faire face à ses implications négatives sur la souveraineté et son
corollaire le domaine de compétence nationale ratione materiae. Ces derniers connaissent en
effet de plus en plus de limitations qui sont le fait d’acteurs ayant une certaine capacité de
représentation internationale et exerçant des activités transnationales, d’une part (Section 1) et
d’acteurs supranationaux, d’autre part (Section 2) institués en guise de protection contre le
reste du monde et contre les effets négatifs de la mondialisation.274
Section 1 : Les restrictions du domaine de compétence nationale de l’État
par des acteurs transnationaux
De nos jours, tous les États doivent faire face à la pression croissante d’entités infra étatiques
qui modifient la physionomie de la société internationale et complexifient les relations
internationales. Ces acteurs privés par leur nature, leur composition et parfois leurs activités,
prouvent avec les organisations internationales que l’État n’a plus le monopole de l’action
internationale. Indubitablement, le domaine de compétence nationale considéré comme
l’expression de la souveraineté-liberté arrimée à des matières est de plus en plus restreint par
274.J.-B. AUBY, La globalisation, le droit et l’État, L.G.D.J., 2è éd., 2010, p. 21.
103
la capacité objective des ONG (§ 1) et par les activités de puissants acteurs économiques et
financiers transnationaux (§ 2).
§ 1 : Le domaine de compétence nationale de l’État restreint par la capacité
objective des ONG
Du fait de leur hétérogénéité, il est difficile de donner une définition générique des ONG et de
généraliser leurs capacités d’action et d’influence. Derrière cette appellation se trouve en effet
une diversité de situations et d’acteurs caractérisés par des capacités inégales d’action et
d’influence par rapport aux véritables sujets du droit international que sont les États et les
organisations internationales.275 Les ONG sont néanmoins considérées comme des
« associations de droit privé, à but non lucratif, indépendantes de toute autorité politique et
vouées à une ou plusieurs causes ». Elles cherchent à « peser dans le processus de décision
politique à tous les niveaux pour faire avancer les grandes causes ».276 Certaines de ces
organisations jouissent aujourd’hui d’un pouvoir d'action et d’influence indéniable. Elles
incarnent une certaine capacité de représentation et d’action alternatives (1) à celle de l’État et
possèdent à cet égard une capacité d’influence considérable tant au plan national
qu’international (2).
1. La capacité de représentation et d’action alternatives des ONG
Autonomes et indépendantes des États277, les ONG remettent en question le monopole
étatique de l’action internationale et de représentation d’intérêts collectifs. En effet, dans une
société mondialisée marquée par le renforcement constant de l’interdépendance entre les
différents acteurs et dans un contexte de déficit de confiance dans les instances
gouvernementales ou intergouvernementales, l’État et les organisations internationales
apparaissent désormais comme n’étant plus les seules entités aptes à assurer la satisfaction
d’intérêts communs et l’exercice d’activités d’intérêt général. Cette situation découle en partie
275.Voir au sujet de ces inégalités B. POULIGNY, « Le rôle des Ong en politique internationale », Projet, n° 269, 2002, pp. 16-34, [en ligne]. Disponible sur : http://www.ceras-projet.org/index.php?id=1862 (page consultée le 29 septembre 2011. 276.S. BUKHARI-DE PONTUAL, « Ong et évolutions du droit international », Ceras - Projet n°313, Novembre 2009. [en ligne] Disponible sur: http://www.ceras-projet.com/index.php?id=4091 (page consultée le 25 février 2011). 277.A. POMADE, La société civile et le droit de l’environnement. Contribution à la réflexion sur les sources et la validité des normes juridiques, p. 67, [en ligne], Thèse de doctorat en droit privé, Université d’Orléans, 2009. Disponible sur : http://thesesocietecivile.free.fr/these.pdf
104
du constat que « les citoyens ont de moins en moins confiance dans les institutions et la
politique, ou tout simplement s’en désintéressent ».278 Engagées dans la représentation
d’intérêts collectifs et la défense du bien commun, les ONG visent à donner aux citoyens ou
aux administrés une place dans la gestion de la chose publique, donc dans la gouvernance tant
à l’échelle nationale qu’internationale. Elles cherchent à favoriser l’établissement d’une
démocratie participative à côté de la démocratie représentative qu’incarne le modèle étatique.
Dans cette perspective, elles « ont construit une légitimité qui répond à celle élective des
États » parce qu’elles sont « combattantes de la justice et de l’équité au nom d’un système de
valeurs partagées, et qu’elles incarnent ».279 Elles « jouent à la fois le rôle d’aiguillon,
d’intermédiaire et d’expression de l’opinion publique »280 nationale et internationale « à tous
les niveaux décisionnels – de la mise à l’agenda jusqu’à la mise en œuvre ».281 À ce titre, les
ONG apparaissent comme un des principaux éléments constitutifs de la société civile
constituée de « groupements désintéressés et non étatiques, proches des problèmes de la
société et de ses préoccupations d’intérêt général »282. Cette société civile est conçue par
opposition à la société politique qu’incarne et organise l’État. Elle constitue un « espace
autonome […] conçu comme une zone intermédiaire s’interposant entre les sphères publique
et privée, trouvant sa justification en lui-même, c’est-à-dire dans la spécificité des fonctions
qu’il remplit – gestion des intérêts collectifs, prise en charge du secteur non lucratif […] – et
qui ne sont réductibles ni aux fonctions remplies par l’État, ni aux fonctions remplies par
l’entreprise privée ».283 Dès lors, on peut dire que les ONG incarnent le « contre-pouvoir »284
nécessaire face au pouvoir politique étatique auquel elles ont vocation à s’opposer et qu’elles
doivent surveiller, conditionner et, parfois contraindre.285
Dans cette mesure, les ONG marquent une rupture avec la réalité étatique. Elles sont
caractérisées par l’exercice d’un pouvoir déterritorialisé. Leurs activités qui répondent 278.Voir Le livre blanc sur la gouvernance européenne, Commission des Communautés européennes, 25 juillet 2001, COM (2001) 428 final, p. 3, [en ligne]. Disponible sur http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/site/fr/com/2001/com2001_0428fr01.pdf (page consultée le 29 novembre 2010). 279.M. DOUCIN, « Les ONG : le contre-pouvoir ? », Editions Toogezer, 2007. 280.A. DIENG, « Société civile et culture démocratique ou du renforcement de la démocratie à travers les droits de l’Homme », p. 486, [en ligne]. Disponible sur : http://democratie.francophonie.org/IMG/pdf/421-2.pdf (page consultée le 25 mars 2010). 281.L. WEERTS, « Quatre modèles théoriques pour penser la société civile dans l’ordre juridique international », p. 39, [en ligne]. Disponible sur : http://www.ulb.ac.be/droit/cdi/fichiers/modeles_theoriques.pdf (page consultée le 15 janvier 2010). 282.A. POMADE, La société civile et le droit de l’environnement…, op. cit.,n. 277, p. 7. 283.A.-J. ARNAUD, Critique de la raison juridique, Tome 2. Gouvernants sans frontières. Entre mondialisation et post-mondialisation, LGDJ, 2003, p. 282. 284.Voir aussi P.-M DUPUY, « L'unité de l'ordre juridique international… », op. cit., n. 107, p. 420. Voir aussi M. DOUCIN, « Les ONG : le contre-pouvoir ? », op. cit., n. 279, 366 p. 285.Ibid.
105
souvent à des besoins globaux ne connaissent pas en effet de territoire ou de frontière. Elles se
déploient dans des États dont l’imperméabilité est constamment remise en cause par des
fléaux transfrontaliers. Avec le développement des activités des ONG, on assiste à une sorte
d’érosion de notions comme celles de souveraineté territoriale ou de non-ingérence dans les
affaires relevant de la compétence nationale des États. Autrement dit, dans le contexte
mondial post-guerre froide, il est difficilement admissible d’affirmer que le domaine de
compétence nationale peut servir de limite matérielle à l’activité des ONG. Poursuivant des
objectifs qui dépassent aussi bien le local que le national, leurs interventions s’inscrivent dans
une perspective internationale voire supranationale.286 À cet égard, un auteur écrit :
« l’intervention des ONG dans le cadre de régimes permettant de gouverner au-delà des États
nations viserait à répondre au constat selon lequel la souveraineté et le modèle contractualiste,
dont dérive la communauté politique, seraient entrés en crise. On identifie alors une double
rupture par rapport au modèle de l’État moderne : le territoire n’est plus ce support de la
construction conventionnelle de la Cité, grâce à l’opposition du dedans et du dehors ; et la
forme nationale de la démocratie est battue en brèche par le découplage entre un demos
(national) et un ensemble de processus décisionnels de plus en plus trans/internationalisés. »287
Traditionnellement de nature caritative et humanitaire, les ONG exercent aujourd’hui des
activités considérables dans divers domaines : droits de l’homme, environnement, écologie,
santé, développement, réduction des armes, démocratisation, bonne gouvernance, lutte contre
la corruption, justice internationale…. Dans ces divers domaines, leurs actions « véhiculent
[…] des modèles alternatifs »288 de défense des intérêts collectifs avec notamment les
« nouvelles formes de contestation politique (contestation du nucléaire et de l’armement,
combats pour la protection de l’environnement) et de solidarité (assistance médicale,
alimentaire, humanitaire…) »289 Sur le plan de la contestation politique, l’action des ONG est
perceptible au plan national sur les politiques publiques. À ce niveau, elles visent à modifier
le comportement des États en les amenant soit à adopter des normes ou politiques publiques
adaptées, soit à faire transformer ou supprimer des normes existantes mais inadaptées. Leur 286.Voir Rapport explicatif de la Convention européenne sur la reconnaissance de la personnalité juridique des organisations non gouvernementales, [en ligne]. Disponible sur : http://conventions.coe.int/treaty/fr/Reports/html/124.htm (page consultée le 24 novembre 2010) ; voir aussi Convention européenne du 24 avril 1986 sur la reconnaissance de la personnalité juridique des organisations non gouvernementales, [en ligne]. Disponible sur : http://conventions.coe.int/treaty/fr/Treaties/Html/124.htm (page consultée le 24 novembre 2010). 287.L. WEERTS, « Quatre modèles théoriques pour penser la société civile… », op. cit., n. 281, pp. 39-40. 288.B. HOURS, « Les ONG : outils et contestation de la globalisation », Journal des anthropologues [En ligne], pp. 94-95, 2003, mis en ligne le 22 février 2009. Disponible sur : http://jda.revues.org/1941 (page consultée le 28 août 2012). 289.J. HABERMAS, Droit et démocratie. Entre faits et normes », Paris, Gallimard, 1997, p. 394.
106
action se manifeste plus dans des activités de lobbying politique ou de dénonciation dans
divers domaines liés à la gestion de la chose publique. S’agissant de la solidarité, les activités
des ONG connaissent une grande ampleur dans les pays sous-développés qui semblent de plus
en plus se trouver dans une position de dépendance vis-à-vis d’elles. En effet, dans ces pays,
le sous-développement économique qui a conduit à la restriction des dépenses publiques dans
les domaines de l’éducation, de la santé, des politiques agricoles a favorisé l’émergence
d’initiatives de solidarité internationale par le biais des ONG pour assister les gouvernements
et les populations. Ainsi, les missions humanitaires ou caritatives, les interventions dans le
domaine du développement, de la santé, de l’environnement sur le terrain ont fait de certaines
ONG des acteurs incontournables dans la définition et la mise en œuvre des politiques
publiques. On peut à ce niveau signaler les organisations comme Oxfam, Caritas, Action
contre la faim, Save the Children, Médecins sans frontières, Greenpeace, WWF, etc.
Cependant, l’activité des ONG de solidarité ne se déploient pas uniquement dans les pays du
sud. Depuis quelques décennies, avec la conjoncture économique et la crise financière, un
certain nombre de citoyens d’États occidentaux industrialisés connaissent la précarité et
dépendent largement de l’action des associations et autres structures caritatives. On peut citer
en France l’exemple des restos du cœur, d’Emmaüs, du secours populaire... Mais au-delà de
l’assistance humanitaire, les ONG mènent aussi des actions dans le domaine politique en
matière de renforcement de la démocratie par la promotion et la défense des droits de
l’homme, de la bonne gouvernance. Là aussi les actions d’organisations comme Human
Rights Watch, Amnesty International, Transparency International… sont très significatives de
la place que les ONG occupent aujourd’hui sur l’échiquier international.290 Ce faisant, des
matières telles que la gestion des deniers publics, le fonctionnement de la justice ou
l’organisation politique de l’État intimement liées à la souveraineté, font pourtant l’objet
d’actions de la part des ONG. Aussi bien dans les pays industrialisés que dans ceux du sud, la
légitimité de leur action démontre quelque part la carence voire l’échec des autorités étatiques
dans le domaine en question car leurs interventions se déploient soit en complément de
l’action étatique insuffisante ou inefficace, soit en lieu et place de celle-ci.
290.Voir G. CARRON DE LA CARRIERE, « Les acteurs privés dans la diplomatie », CNRS-IRICE-UMR 8138, [en ligne]. Disponible sur : http://irice.univ-paris1.fr/spip.php?article438 (page consultée le 15 décembre 2012).
107
2. La capacité d’influence des ONG
Avec l’émergence d’un besoin de régulation et de gouvernance à l’échelle mondiale né de la
nécessité de faire face aux phénomènes globaux qui marquent la société mondialisée de notre
époque, les ONG tentent, à côté des organisations intergouvernementales, de contribuer à
l’édification des règles et mécanismes de cette gouvernance. Ayant souvent un statut
d’observateur ou consultatif auprès de ces instances intergouvernementales, elles
interviennent à des niveaux différents et par des méthodes variées291 et ceci de façon
significative tant dans le processus de production des normes du droit international que dans
leur mise en œuvre au plan interne.
Au niveau de la production des normes internationales, il convient de rappeler qu’il s’agissait
d’une activité relevant traditionnellement du ressort exclusif soit des États et accessoirement
des organismes internationaux, soit des organes institués, habilités à édicter des règles de droit
dans l'ordre juridique interne des États.292 Mais la nécessité de défendre certaines grandes
causes communes a fait que la question de la « gouvernance mondiale » n’est plus du seul
ressort des États et des organisations intergouvernementales. Les ONG sont devenues des
acteurs importants intervenant dans les processus normatifs internationaux en vue de
l’adoption de règles de gouvernance à l’échelle mondiale. Ainsi, sur la scène internationale, la
participation des ONG à la procédure normative peut être multiforme. Elles ont été à l’origine
d’initiatives qui ont abouti à l’adoption de normes internationales. Il en a été ainsi par
exemple de nombreuses initiatives du C.I.C.R. C’est en effet, « à l'initiative de [Henry]
Dunant d'abord, puis du C.I.C.R., que certaines règles de droit coutumier ont été codifiées,
concrétisées et amplement développées par la suite pour former un système juridique à part
entière : le droit international humanitaire. »293 C’est le cas aussi des réflexions que le C.I.C.R. a
suscitées pour remédier à des difficultés rencontrées dans l’application du droit international
humanitaire. Elles ont permis de clarifier les obligations en matière de droit international
humanitaire des forces engagées par les Nations Unies dans des opérations de maintien de la
291.Publication de rapports périodiques, lobbying politique et juridique, recommandations, rencontres informelles avec les représentants des pays, rédaction de propositions ou de contre-propositions à l’intention de négociateurs, lancement de campagnes d’action ciblées, activités de plaidoyer auprès des décideurs politiques, opérations commandos sous le regard de la presse ou encore constitution de coalitions nationales et internationales… 292.M. KAMTO (dir), Droit de l’environnement en Afrique, EDICEF, 1996, p. 383. 293.A. SAND-TRIGO, « Le rôle du CICR dans la mise en œuvre du droit international humanitaire », Études internationales, vol. 23, n° 4, 1992, p. 746, [en ligne]. Disponible sur http://www.erudit.org/revue/ei/1992/v23/n4/703083ar.pdf (page consultée le 15 janvier 2012).
108
paix. En effet, pour des raisons juridiques, politiques et pratiques, l’O.N.U. a pendant
longtemps hésité à admettre l’applicabilité du droit international humanitaire aux forces de
maintien de la paix. C’est à la suite de plusieurs années de débats et de concertations avec le
C.I.C.R. et l’élaboration par ce dernier des « Lignes directrices relatives au respect du droit
international humanitaire par les forces des Nations Unies » que le Secrétaire général a
adopté une circulaire pour la mise en œuvre de ces lignes directrices.294 On peut aussi signaler
le rôle important joué par « les Associations de journalistes – Fédération Internationale des
Éditeurs de Journaux, Fédération Internationale de Rédacteurs en chef, Fédération
Internationale de Journalistes, Institut International de la Presse - dans l’introduction et
l’adoption de l’article 79 du protocole additionnel I aux conventions de Genève de 1949 ».295
L’impact des ONG dans l’élaboration des normes se mesure aussi dans leur participation aux
négociations internationales. De plus en plus souvent, « ces acteurs issus de la société civile
[gagnent] en influence : ils participent au débat public international et interagissent avec les
autorités gouvernementales en charge de conduire les négociations ».296 Ainsi, elles prennent
activement part à l'élaboration des textes internationaux soit en proposant aux réunions
diplomatiques gouvernementales des projets et propositions de normes, soit en assistant aux
négociations comme observateurs ou parfois comme membres de délégations nationales.
Dotées d’une grande expérience de terrain et d’une expertise avérée, les ONG exercent une
« diplomatie non gouvernementale » qui se présente comme une composante de la
« diplomatie participative »297. Mais aussi, à travers leurs « pressions morales assez
sophistiquées », elles « visent […] à provoquer une décision importante des États, d’informer
[…] l’opinion publique, d’augmenter les chances de l’engagement de l’État et d’éviter que les
instruments ne soient enterrés ou écartés ».298 À cet égard, on peut rappeler l’action décisive
de la Coalition des ONG pour une Cour pénale internationale lors des négociations du traité
de Rome. En effet, son
« influence prépondérante […] au sein de la Conférence rest[e] comme l’une des
caractéristiques essentielles [des] cinq semaines de réunion à Rome. Beaucoup des pays ‘‘de
même opinion’’ partagent sans doute aussi l’idée […] que sans les ONG, il n’y aurait jamais
294. « Respect du droit international humanitaire par les forces des Nations Unies », Circulaire du Secrétaire général, 6 août 1999, UN doc. ST/SGB/1999/13. Voir SANDOZ Y., « Le Comité international de la Croix-Rouge : gardien du droit international humanitaire », [en ligne]. Disponible sur : http://www.icrc.org/fre/resources/documents/misc/about-the-icrc-311298.htm (page consultée le 10 mars 2011). 295.A. DIENG, « Société civile et culture démocratique … », op. cit., n. 280, p. 485. 296.S. BUKHARI-DE PONTUAL, « Ong et évolutions du droit international », op. cit., n. 276, [non paginé]. 297.Ibid. 298.A. DIENG, « Société civile et culture démocratique … », op. cit., n. 280, p. 485.
109
eu d’accord sur la création d’une juridiction, encore moins d’une Cour aussi puissante, avec
un procureur indépendant et pouvant agir de sa propre initiative. » 299
En plus de leur influence dans l’élaboration des règles de gouvernance mondiale, les ONG
peuvent jouer un rôle pédagogique important dans la diffusion des normes ainsi édictées. Par
leur présence sur le terrain auprès des populations, elles leurs fournissent des conseils
pratiques ou juridiques et contribuent à la promotion de valeurs et principes « reconnus »
comme internationaux et universels. Ainsi, au fur et à mesure que les populations sont en
contact avec les ONG, elles acquièrent une certaine conscience politique et une connaissance
de leurs droits et des voies de recours à leur disposition. Ce rôle dans la diffusion des normes
contribue à la formation d’une mentalité juridique et d’une opinion publique nationale ou
internationale attentive à la mise en application des règles internationales.300
Le rôle et l’influence des ONG se manifestent aussi dans la mise en œuvre des règles de la
gouvernance mondiale à travers la veille et le contrôle de la mise en œuvre desdites normes
par les États. Dans leur rôle de « vigile », de « chien de garde »301 des normes et engagements
internationaux de l’État, elles s’assurent que ceux-ci sont effectivement mis en œuvre. Dans
cette optique, elles n’hésitent pas à protester et à dénoncer dans les médias par exemple la non
application ou le non-respect par l’État de ses engagements. Dans certaines organisations
internationales où il est institué une procédure de contrôle international, les ONG sont
autorisées à participer à la procédure. C'est le cas notamment des Nations Unies avec le
Comité des droits économiques, sociaux et culturels, le Comité contre la torture, le Comité
pour l’élimination de la discrimination raciale, le Comité des droits de l’enfant. Au sein de ces
organes, l’action des ONG est décisive car, à côté des rapports étatiques, elles peuvent fournir
des contre-rapports dans lesquels elles procèdent à un examen critique souvent basé sur des
informations et des vérifications effectuées sur le terrain par leurs services. La participation
des ONG à la procédure de contrôle international est aussi prévue au Conseil de l’Europe avec
la possibilité pour elles de déposer des plaintes collectives devant le Comité européen des
droits sociaux. Elles doivent toutefois être dotées d’un statut consultatif auprès du Conseil de
l’Europe mais aussi être compétentes en la matière et inscrites sur une liste spéciale.
Quoiqu’il en soit, ce rôle de surveillance et de contrôle des ONG peut, à l’image de celui des
organisations internationales intergouvernementales que nous avons déjà évoqué, exercer une
299.Voir Amnesty International, « Coalition des ONG pour une Cour pénale internationale », [en ligne]. Disponible sur : http://www.iccnow.org/documents/AIDocumentCICC_fr.pdf (page consultée le 17 décembre 2010). 300.Voir à ce sujet A. DIENG, « Société civile et culture démocratique … », op. cit., n. 280, pp. 491-492. 301.Ibid., p. 485.
110
influence considérable sur le droit interne des États, sur leur comportement et restreindre en
conséquence le domaine de compétence nationale tel que conçu par la doctrine majoritaire,
c’est-à-dire comme expression de la souveraineté-liberté. Les États ont souvent peur que leur
image internationale soit affectée par la dénonciation ou la publication de rapports accablants
des ONG dans tel ou tel autre domaine. C’est pourquoi ils « ont pris acte de [leur] existence et
évitent de les heurter de front. »302
En définitive, il est clair qu’en dépit de leur personnalité juridique internationale et leur
qualité de sujet de droit international non acquises, les ONG contribuent indéniablement à la
vie internationale. Elles sont aujourd’hui capables d’identifier des causes et des urgences à
défendre, à proposer des solutions et à amener les autres acteurs notamment les États à
s'engager davantage et à définir des politiques publiques en phase avec les priorités qu’elles
ont identifiées. L’influence incontestable et croissante des ONG sur la scène internationale est
révélatrice d’une mutation manifeste de la conception État-centrique de la société
internationale et d’une remise en cause de l’exclusivité de la compétence nationale des États
dans un certain nombre de matières. Si leur prise en compte ne se fait pas au dépend du rôle
central des États, l’expansion de leur influence traduit un changement fondamental dans la
conception de la souveraineté étatique et de la place de l’État dans l’ordre international,
changement également reflété par l’impuissance de plus en plus croissante de l’État face au
pouvoir des acteurs économiques et financiers transnationaux.
§ 2 : Le domaine de compétence nationale de l’État restreint par de puissants
acteurs économiques et financiers transnationaux
Avec la fin de la guerre froide qui a consacré la victoire de la démocratie et de l’économie
libérale, l’ordre économique international est désormais dominé par le système capitaliste
libéral. Il repose sur les règles de liberté : liberté des échanges, liberté contractuelle, le droit
de propriété, liberté des paiements, des transferts, des mouvements de capitaux… Il répudie le
protectionnisme étatique. Ainsi, sur le plan commercial, à travers les règles de l’O.M.C., est
interdite toute discrimination entre pays membres (clause de « la nation la plus favorisée »)303,
entre marchandises et produits importés d’une part, et marchandises et produits nationaux
302.F. ATTAR, Le droit international entre ordre et chaos, op. cit., n. 56, p. 57. 303.La clause de la nation la plus favorisée pose le principe que les membres sont tenus d’accorder aux produits des autres membres un traitement non moins favorable. (Article premier du GATT).
111
d’autre part (« traitement national »).304 Les restrictions commerciales sont également
interdites. Cet ordre libéral continue de se renforcer surtout avec le processus de
mondialisation dans ses dimensions commerciale (mondialisation des échanges
commerciaux), financière (déréglementation des flux de capitaux, décloisonnement des
marchés), productive (mondialisation de la production par les activités des firmes
multinationales), technologique (explosion des moyens technologiques) et humaine (flux
migratoires).
Avec ce processus de mondialisation, « les États, trop souvent dépassés par l’interdépendance
sociale, en sont réduits à se défendre contre le dynamisme d’acteurs parallèles dans une vie
internationale mue par l’appât du gain, qui les dépossède d’une partie de leur pouvoir ».305 En
effet, « liée aux États par une sorte d’opposition ontologique […], la mondialisation vise à
rendre les frontières plus perméables à ses flux et à amener une certaine uniformisation des
cultures, alors que les États protègent souvent la spécificité de leur culture au sein de ces
mêmes frontières qui garantissent leur survie ».306 Dans le contexte actuel de l’économie
mondialisée, c’est l’exercice même de certaines prérogatives étatiques qui se trouve de plus
en plus remis en question par les sociétés transnationales (1) et les marchés financiers (2).
1. Les sociétés transnationales comme auteurs de restrictions du domaine
matériel de compétence nationale
Les sociétés multinationales sont devenues des acteurs incontournables sur la scène
internationale et la « preuve de l’affaiblissement des États-nations sous les forces de la
mondialisation »307. En effet, avec un développement considérable au cours des dernières
décennies, ces sociétés, entreprises ou firmes mondiales, multinationales ou transnationales
exercent des activités qui dépassent les frontières de leur État de siège pour se déployer dans
plusieurs États avec la création de filiales ou succursales soumises à la législation nationale
de leur État d’accueil. Les rapports entre ces firmes et les États perçus comme des rapports
entre pouvoir économique et pouvoir politique doivent certes se faire sur la base de la 304.Le principe du traitement national signifie qu’une fois que les produits ont pénétré sur un marché, ils ne doivent pas être soumis à un traitement moins favorable que celui accordé aux produits équivalents d’origine nationale (article III du GATT). 305.J. CHARPENTIER, « Le phénomène étatique à travers les grandes mutations… », op. cit., n. 117, p. 34. 306.J. SIBONI, « Les États et la mondialisation », [en ligne]. Disponible sur : http://www.siboni.net/resources/Les+Etats+face+$C3$A0+la+mondialisation.pdf (page consultée le 10 janvier 2013) [non paginée]. 307.Ibid.
112
collaboration, mais ils sont parfois tendus voire antagonistes et conflictuels car la compétence
nationale, expression de la souveraineté-liberté des États, peut parfois être mise en mal par les
stratégies et les activités mondiales des firmes multinationales. C’est à ce titre qu’un auteur308
parle de conflit inévitable entre les multinationales et les États. Pour lui, le caractère
« multinational » des firmes constitue la première brèche éclatante dans la souveraineté
étatique. Ce risque concerne, à des degrés divers, tous les États.
D’abord dans les pays d’origine, l’atteinte à la compétence nationale se pose ici notamment
lorsque les politiques et les stratégies des firmes multinationales ne vont pas dans le sens de la
politique de l’État. Ce cas de figure n’est pas rare car l’État et l’entreprise privée ne défendent
pas les mêmes intérêts et n’ont souvent pas les mêmes priorités. Ce qui peut engendrer une
limitation à la liberté de l’État. Cette divergence peut se poser dans le secteur de l’emploi où
les firmes multinationales, soucieuses de leur rentabilité économique et financière, peuvent
délocaliser leurs activités dans des pays jugés plus rentables en termes de coût de production.
Cela entraîne une exportation ou une suppression des emplois nationaux alors même que le
pays d’origine confronté au chômage cherche à endiguer les délocalisations et à maintenir les
emplois sur place. Dans ce domaine, l’État se trouve généralement en position de faiblesse
voire d’impuissance face à ces grands groupes. Son rôle se réduirait ainsi à gérer les
restructurations, les délocalisations ou les fermetures d’entreprises, et non à user d’une
éventuelle liberté, conséquence de sa souveraineté, pour maintenir les emplois sur place. À
titre d’exemple, en France au cours de l’année 2012, les nombreux plans sociaux dont celui de
PSA Peugeot Citroën et la fermeture des hauts fourneaux de Florange du géant de l’acier
Arcelor Mittal donnent une illustration parfaite de l’impuissance de l’État vis-à-vis de ces
multinationales. Malgré le dynamisme et le volontarisme du ministre du redressement
productif, l’État français n’ayant pas pu empêcher les plans sociaux et la fermeture des hauts
fourneaux, s’est contenté de tenter de rapprocher syndicats de salariés et employeurs pour
négocier les conditions de leur exécution.
S’agissant des pays d’accueil, si les entreprises transnationales présentent des avantages
économiques liés aux investissements, au transfert de technologie, à l’amélioration de la
productivité, elles génèrent néanmoins des restrictions à la liberté de décision et d’action de
l’État dans certaines matières et donc à son domaine de compétence nationale. Les sociétés
multinationales peuvent fortement influer sur la politique nationale d’un État dans un certain
308.H. STEPHENSON, The Caming Clash. The Impact of the International Corporation on the Nation State, London, Weidenfeld an Nicolson, 1972, 189 p.
113
nombre de domaines. Ce problème se pose surtout pour les pays sous-développés qui se
trouvent souvent dans une grande situation de faiblesse face à ces organisations puissantes
dont ils ne contrôlent pas forcément les décisions et les activités. Du fait des sociétés
transnationales, beaucoup d’États ne sont plus maîtres de leurs décisions et de leurs politiques
sociale, économique, monétaire, financière, notamment en matière de planification des
investissements.309 C’est aussi le cas en matière de politique fiscale et environnementale. Les
États qui ont immensément besoin de ces entreprises et de leurs investissements dans la
définition et la mise en œuvre de leurs politiques de développement, pour les attirer et les
maintenir sur leurs territoires nationaux, sont obligés de mettre en place des politiques
économique, sociale, fiscale voire monétaire attractives renonçant ainsi à beaucoup de leurs
prérogatives.
Enfin les sociétés multinationales, à travers certaines organisations patronales, peuvent
amener l’État à fléchir lorsque la politique étatique ne va pas dans le sens de leurs intérêts.
Ainsi, en 1981 en France suite à l’élection du président socialiste François Mitterrand qui
engagea plusieurs réformes économiques et sociales (réduction du temps de travail à 39
heures, cinquième semaine de congés payés, retraite à 60 ans, nationalisations…), le Conseil
national du patronat français (C.N.P.F.) devenu Mouvement des entreprises de France
(M.E.D.E.F.), mit en place une stratégie d’infléchissement du gouvernement.310 Celle-ci s’est
traduite notamment par l’usage de la technique de l'obstruction au Parlement grâce au
lobbying des grands patrons qui a permis d’amener l’opposition à déposer près de 3 500
amendements contre la loi Auroux311. Avec la contre-offensive du patronat sur la question des
charges sociales et de la flexibilité, le 16 avril 1982 le gouvernement promit d’arrêter
l'augmentation des charges en réduisant la taxe professionnelle de 11 milliards en deux ans,
en gelant les cotisations des entreprises à la Sécurité sociale jusqu'en 1983...312 Ce même cas
de figure semble s’être reproduit depuis l’élection de François Hollande. En effet, avec
l’adoption de mesures de hausse d’impôts notamment pour les grandes entreprises, on a
assisté à une mobilisation du patronat sur les thèmes de la flexibilité et de la compétitivité
pour demander la baisse du coût du travail et des charges sociales. Pour répondre aux
exigences du patronat, le gouvernement a proposé des mesures « compensatrices » : crédit
impôt recherche de 20 milliards d’euros, accord entre patronat et syndicats sur la réforme du
marché du travail (accord de compétitivité). Cet accord traduit en loi prévoit plus de flexibilité 309.Voir à ce sujet Ch. LEVINSON, Capital, Inflation and the Multinationals, London, Allen and Unwin, 1971, 229 p. Compte rendu Revue française de science politique, 23 (2), avril 1973, pp. 370-371. 310.H. WEBER, Le parti des patrons, Le CNPF 1946-1986, Paris, Seuil, 1986, p. 299. 311.J. GARRIGUES, Les patrons et la politique, De Schneider à Seillière, Paris, Perrin, 2002, p. 244. 312.H. WEBER, op. cit., note 310, p. 334.
114
pour les entreprises (souplesse dans le licenciement, par exemple) et la sécurité de l’emploi
pour les salariés (taxation des CDD par exemple). Comme si cela ne suffisait pas pour
contenter les entreprises, le président Hollande décida d’instaurer un pacte de responsabilité
avec elles, qui doit se traduire par une baisse importante des charges sociales des entreprises
en contrepartie de nouvelles embauches.
À l’évidence, ces acteurs puissants restreignent aujourd’hui de manière indubitable la liberté
de décision et d’action de tous les États, y compris les plus puissants. Incapables de contrôler
l’activité des firmes multinationales, les États souverains semblent de plus en plus s’en
remettre à l’autorégulation. Avec cette dernière, ils livrent « les FMN au laisser-faire […et]
réduisent donc leurs mécanismes de contrôle et de contrainte normative afin de permettre aux
firmes de disposer de leurs propres instruments de régulation, [cela leur procurant] une large
autonomie par rapport au processus normatif qui émane de l’État ».313
2. Les marchés financiers, sources de limitations à la liberté de l’État
Le développement du pouvoir des marchés financiers constituent un autre des aspects de la
mondialisation et une des illustrations de l’ébranlement du pouvoir étatique par des acteurs
privés transnationaux. La globalisation financière ayant découlé des « trois D »314 -
déréglementation des flux de capitaux, décloisonnement des marchés et désintermédiation
financière – a progressivement accru le pouvoir des marchés financiers. Les États étant
confrontés à la nécessité d’attirer les investissements pour financer leur développement
économique se trouvent ainsi obligés de mettre en place des politiques libérales pour répondre
313.A. VEILLEUX, « Régulation des FMN par le biais des codes de conduite », p. 3, article consultable sur http://www.unites.uqam.ca/grama/pdf/Regulation_des_FMN-Veilleux.pdf. 314.Le professeur Henri Bourguinat a, dans son ouvrage Finance internationale (PUF, Paris, 1992), identifié les « trois D » à l'origine de la globalisation financière : déréglementation, décloisonnement, désintermédiation. La déréglementation désigne le processus d'assouplissement ou de suppression des réglementations nationales régissant, et restreignant, la circulation des capitaux (contrôle des changes, encadrement du crédit, etc.). Le décloisonnement désigne, quant à lui, l'abolition des frontières segmentant les marchés financiers : segmentation des divers marchés nationaux, d'une part ; mais aussi segmentation, à l'intérieur d'un même pays, entre divers types de marchés financiers : marché monétaire, marché obligataire, marché des changes, marché à terme, etc. Aujourd'hui, les marchés financiers nationaux sont interconnectés, constituant un vaste marché global. Et les différents compartiments du marché financier ont été unifiés, pour créer un marché plus large et profond, accessible à tous les intervenants à la recherche d'instruments de financement, de placement, ou de couverture. La désintermédiation, enfin, désigne la possibilité offerte aux opérateurs désireux de placer ou d'emprunter des capitaux, d'intervenir directement sur les marchés financiers, sans être obligés de passer par ces intermédiaires financiers traditionnels que sont les banques.
115
aux exigences du marché et se conformer aux règles du jeu économique et du système
capitaliste.
Face à ces acteurs puissants, on n’hésite plus à parler de « souveraineté illusoire des États » et
à poser la question de la disparition de l’entité étatique.315 Ainsi, selon Jacques Attali316, « les
forces du marché prennent en main la planète », si bien que « devenu la loi unique du monde,
le marché […] formera [un] hyperempire, insaisissable et planétaire » qui va supplanter toutes
les forces qui s’opposent à lui, y compris les États qui seront progressivement détruits317 et
cela sans exception car même si la résistance de la superpuissance américaine durera plus
longtemps que celle des autres, sa domination prendra fin avant 2035318. Et l’auteur de
poursuivre :
« Par nature, le marché est conquérant ; il n’accepte pas de limites, de partage de territoires
[…]. Il refusera de laisser [aux États] des compétences. Il s’étendra bientôt à tous les services
publics et videra les gouvernements […] de leurs ultimes prérogatives, y compris celles de la
souveraineté. […] Les puissances industrielles, financières, technologiques […]
bouleverseront sans cesse les frontières et concurrenceront tous les services publics les uns
après les autres. »319
Dans cette même perspective de submersion de l’État, la crise de la dette en Europe qui a
démontré la domination mondiale des marchés financiers et mis à nu la vulnérabilité des États
face à cette puissance financière constitue une illustration parfaite que l’État ne jouit plus dans
la société mondialisée actuelle d’une souveraineté totale et absolue, entendue comme pouvoir
de décider et d’agir en toute liberté. En définitive, le renforcement de l’ordre économique
libéral par le processus de mondialisation a favorisé le recul de la place de l’État dans le
domaine économique. En effet, pour promouvoir un environnement propice aux
investissements, aux échanges, à la création d’emploi, de richesses et à la consommation,
presque tous les États ont dû se dessaisir de certaines de leurs prérogatives dans les domaines
économique, social, financier et monétaire au profit d’acteurs privés puissants et indépendants
(firmes multinationales, banques), dont l'interaction est censée être plus efficace. C’est la
remise en cause de l’État-gendarme et de l’État–providence car la mise en place d'une
315.M. GERBA, « La souveraineté illusoire des États », Afrique Expansion, [en ligne]. Disponible sur : http://www.afriqueexpansion.com/leditorial-de-gerba-malam/3243-la-souverainete-illusoire-des-etats.html (page consultée le 25 février 2012). 316.Voir J. ATTALI, Une brève histoire de l’avenir, Paris, Fayard, 2007, pp. 9-10. 317.Ibid., pp. 9, 10 et 245 ss. 318.Id., p. 11. 319.Id., pp. 247. Pour plus de détails, se référer notamment aux pages 248 à 301.
116
économie de marché efficace, ouverte et concurrentielle impose le recul des interventions
économiques de l'État. La fonction de l’État en tant que producteur de services publics est
ainsi remise en question par la promotion des privatisations des entreprises publiques et la
délégation de certains services publics au secteur privé (santé, enseignement, transport,
énergie etc.).
Dans ce contexte, les notions de nationalisation, d'expropriation, de souveraineté permanente
sur les ressources naturelles, de contrôle des activités des firmes transnationales, de contrôle
des capitaux et du transfert des capitaux sont de moins en moins en vogue dans les rapports
internationaux et la régulation juridique de l'époque actuelle. Ces notions qui sont pourtant
intimement liées à l’exercice de la compétence nationale sont aujourd’hui reléguées au second
plan au profit des concepts de compétitivité, de concurrence, de libre-échange, de disparition
des frontières etc., qui sont à l’ordre du jour dans notre société mondialisée. Promues au nom
de la logique et de l’efficacité économiques, ces notions fragilisent les fondements de l’État
tels que la souveraineté, le territoire, le système de droit national320 car la mondialisation
favorise le « développement de stratégies transnationales à caractère privé qui affectent
l’ensemble des échanges, qu’il s’agisse des flux économiques et financiers, mais aussi
scientifiques et culturels ainsi que des flux migratoires ».321
Section 2 : Les restrictions du domaine de compétence nationale de l’État
par des acteurs supranationaux
On constate que le développement du droit international est de plus en plus orienté dans le
sens d’une intégration plus poussée de la communauté internationale. À côté de ce
phénomène à l’échelle internationale, se développe un autre à l’échelle régionale. Il s’agit du
phénomène d’institutionnalisation de la vie régionale dans une logique supranationale à
travers l’émergence d’organisations d’intégration régionale à côté des organisations
internationales classiques de coopération ou de coordination. À la différence de la coopération
intergouvernementale, le phénomène d’intégration régionale s’opère lui par un « mouvement
agrégatif qui [entraîne] des États indépendants […] à s’unir progressivement dans un
groupement intégré ».322 Il s’agit souvent d’États appartenant une même aire géographique,
320.M. DELMAS-MARTY, Les forces imaginaires du droit, tome 1. Le relatif et l’universel, Paris, Seuil, 2004, pp.36-37. 321.Ibid. 322.J. CHARPENTIER, « Le phénomène étatique à travers les grandes mutations… », op. cit., n. 117, p. 34.
117
région ou sous-région, qui se regroupent en raison des affinités politiques, économiques,
socio-culturelles, historiques, stratégiques, sécuritaires et idéologiques qui les rapprochent.
Ainsi, à l’époque actuelle, « le système international est modelé par des dynamiques
d’intégration régionale actives sur tous les continents ».323 dont les principales sont : l’U.E,
l’ALENA324 en Amérique du Nord, le Mercosur325, la CAN326 et l’UNASUR327 en Amérique
latine, le Système d’intégration centraméricain328, l’ASEAN329, la SAARC330 et l’APEC331 en
Asie et dans le Pacifique, l’UEMOA332, la CEMAC333, le COMESA334, l’OHADA335, etc. en
Afrique.
323.F. PETITEVILLE, « Les processus d’intégration régionale, vecteurs de structuration du système international ? », Études internationales, vol. 28, n° 3, 1997, p. 511. 324.Accord de libre-échange nord-américain signé le 17 décembre 1992 entre les États-Unis, le Canada et le Mexique, il est entré en vigueur le 1er janvier 1994. Ses buts sont entre autres : Suppression en quinze ans de tous les obstacles tarifaires et non tarifaires aux échanges entre les trois pays. 325.Marché Commun du Sud, créé le 26 mars 1991 par le Traité d'Asuncion entre l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et le Venezuela. Buts : réaliser la libre circulation des marchandises, des services, des hommes et des capitaux ; adopter un tarif extérieur commun, coordonner les politiques économiques. Elle vise une union politique et économique des États membres. 326.La création de la Communauté andine des nations (connue à l’époque sous le nom de Pacte ou Groupe andin) remonte à la signature de l'Accord de Carthagène en 1969. Ses membres sont la Colombie, la Bolivie, l'Équateur et le Pérou. Le Venezuela a dénoncé l’accord le 22 avril 2006. L'union douanière reste à réaliser, car le tarif extérieur commun, officiellement en vigueur depuis 1995, a été adopté avec des exceptions, par tous les pays membres sauf le Pérou. En octobre 2002, les pays membres ont convenu d'établir un nouveau tarif extérieur commun, mais l'entrée en vigueur de ce dernier a fait l'objet de divers reports. La mise en place d'un marché commun prévoyant la libre circulation des services, des capitaux et des personnes, reste également à faire. 327.Le 8 décembre 2004 les 12 pays d'Amérique du Sud ont signé la Déclaration de Cuzco visant à créer la Communauté sud-américaine des nations sur le modèle de l'Union européenne. Par la suite, elle a été rebaptisée l’Union des nations sud-américaines (l’UNASUR) dont le traité constitutif a été signé le 23 mai 2008 et est entré en vigueur le 11 mars 2011. Elle est composée des douze États d'Amérique du Sud : Argentine, Bolivie, Brésil, Colombie, Chili, Équateur, Guyana, Paraguay, Pérou, Suriname, Uruguay et Venezuela. Selon le préambule de son traité constitutif, l’UNASUR veut « construire une identité et citoyenneté Sud-américaine et […] développer un espace régional intégré dans les domaines politique, économique, social, culturel, environnemental […] pour contribuer à renforcer l’unité de l’Amérique latine et des Caraïbes ». 328.SICA : 5 États membres. Créé en 1992, le SICA remplace l'Organisation des États d'Amérique Centrale qui datait de 1951. Buts : promouvoir l'union économique, la coopération politique et la consolidation de la démocratie en Amérique centrale. 329.Association des Nations d'Asie du Sud-Est (1967) : Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Brunei, Vietnam (en 1995). Buts: à l'origine, favoriser la coopération politique des États membres (contre les risques de propagation du conflit vietnamien), vocation élargie en 1976 à la coopération économique avec, depuis 1992, le projet de créer une zone de libre-échange en 15 ans. 330.Association de coopération régionale de l'Asie du Sud (1985): 7 États (Inde, Pakistan, Bangladesh, Sri Lanka, Népal, Maldives, Bhoutan). But : renforcer l'intégration économique et politique. 331.Forum de Coopération économique de l’Asie-Pacifique établi depuis 1989. Il a une vocation essentiellement commerciale : libérer les échanges dans le Pacifique avec, depuis 1994, le projet de créer une zone de libre-échange d'ici 2010 (ou 2020 pour les pays les moins avancés). 332.L’Union économique et monétaire ouest-africaine est une organisation ouest-africaine qui a comme mission la réalisation de l'intégration économique des États membres, à travers le renforcement de la compétitivité des activités économiques dans le cadre d'un marché ouvert et concurrentiel et d'un environnement juridique rationalisé et harmonisé. Elle succède à l'Union monétaire ouest-africaine (UMOA) créée en 1962. Elle a été créée à Dakar (Sénégal) le 10 janvier 1994 et compte huit membres (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo). Objectifs : assurer la convergence des performances et des politiques économiques des États membres par l'institution d'une procédure de surveillance multilatérale, créer entre eux un marché commun basé sur la libre circulation des personnes, des biens, des services, des capitaux et le droit d'établissement des personnes exerçant une activité indépendante ou salariée, ainsi que sur un tarif
118
L’intégration qui vise une harmonisation et parfois une uniformisation du droit, des politiques
et des actions des États membres suppose que ces derniers portent collectivement le projet
d’intégration, qu’il y ait entre eux une coopération politique stable, équilibrée et active, un
certain degré d’intégration économique et qu’ils acceptent l’intégration institutionnelle et
éventuellement politique en conférant à l’institution communautaire une part de leur
prérogatives souveraines.336 Elle implique surtout la mise en place d’institutions
supranationales dotées de certaines compétences. En effet, poursuivant un objectif
d’intégration politique et/ou économique, les États acceptent de subordonner leurs intérêts
nationaux à une construction supranationale qui entraîne une limitation, un partage voire un
transfert partiel de compétences souveraines à l’entité communautaire émergée. C’est
pourquoi, il est opportun de se demander si un État lancé dans un processus d’intégration
régionale dispose-t-il encore d’un domaine matériel de compétence nationale exclusive.
Avant d’aller plus loin, il convient cependant de souligner que ce phénomène appelé
régionalisme n’a pas partout produit les mêmes effets intégrateurs en raison notamment de la
« faiblesse de l[a] capacité politique » de certaines organisations - absence de projet politique,
les États ne sont pas disposés à conditionner l’exercice de leur souveraineté - et de « cohésion
politique et/ou de convergence économique ».337 Seule l’Union européenne offre un véritable
modèle d’institutionnalisation d’une logique supranationale intégratrice. Notre objectif dans
cette section n’est pas de faire un bilan des processus d’intégration régionale encore moins
d’établir une comparaison entre les différents processus en cours à travers le monde. Nous
essayerons néanmoins de recourir, à titre d’illustration, à trois processus d'intégration extérieur commun et une politique commerciale commune, instituer une coordination des politiques sectorielles nationales, par la mise en œuvre d'actions communes et éventuellement de politiques communes, harmoniser les législations des États membres et particulièrement le régime de la fiscalité. 333.La Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale regroupe les Unions économique et monétaire d’Afrique centrale. Elle compte six États membres (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée-Équatoriale et Tchad) et se donne comme mission de promouvoir un développement harmonieux des États membres dans le cadre de l’institution d’un véritable marché commun basé sur la libre circulation des personnes, des biens, des capitaux et des services, d’harmoniser les réglementations des politiques sectorielles nationales. 334.Marché Commun de l'Afrique australe et orientale dont le traité constitutif a été signé en novembre 1993, a remplacé l’ancienne Zone de Commerce préférentielle, qui existait depuis 1981. Il compte vingt États membres. Il prévoit la création d’une zone de libre-échange, l’établissement d’un tarif extérieur commun, l’harmonisation monétaire. 335.Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires créée par le traité du 17 octobre 1993 signé à Port Louis (Ile Maurice) par 14 États africains subsahariens et entré en vigueur le 18 septembre 1995. Avec l’adhésion de la RDC en juillet 2012, l’organisation compte aujourd’hui 17 États membres. Elle a pour objet l'harmonisation du droit des affaires dans les États Parties par l'élaboration et l'adoption de règles communes simples, modernes, par la mise en œuvre de procédures judiciaires appropriées, et par l'encouragement au recours à l'arbitrage pour le règlement des différends contractuels. 336.F. PETITEVILLE, « Les processus d’intégration régionale…», op. cit., n. 323, pp. 513-514. 337.Ibid., p. 513.
119
régionale en cours, U.E., U.E.M.O.A. et O.H.A.D.A., pour essayer de montrer à quel point ce
phénomène remet-il en cause la conception matérielle du domaine de compétence nationale.
En effet, la restriction du domaine matériel de compétence nationale apparaît comme un
moyen de réalisation des objectifs d’intégration régionale (§ 1) mais aussi et surtout comme
une exigence des mécanismes juridiques d’organisation et de répartition des compétences
entre les États et les institutions communautaires (§ 2).
§ 1 : La restriction du domaine de compétence nationale, moyen de réalisation
des objectifs d’intégration régionale
Pour passer du stade de coexistence ou de coopération entre eux au degré supérieur
d’intégration, les États mettent en place des institutions supranationales auxquelles ils fixent
un certain nombre d’objectifs, transfèrent une partie de leurs compétences souveraines dans
un ou plusieurs domaines jugés nécessaires à la réalisation d’objectifs d’intérêt commun.
Dans cette mesure, les organisations internationales d’intégration sont appelées à privilégier le
bien commun par rapport aux intérêts nationaux et à se doter d’un ordre juridique autonome
qui limite le domaine de compétence nationale des États (1) et dont les normes priment sur
leurs droits nationaux et s’appliquent immédiatement et directement dans leurs ordres internes
(2).
1. L’existence d’un ordre juridique communautaire autonome limitant la
compétence nationale des États
L’existence d’un système institutionnel et juridique autonome limitant la liberté de décision et
d’action des États apparaît comme un critère indispensable à la réalisation de toute politique
d’intégration régionale. C’est dans cette perspective que dans les processus d’intégration de
type communautaire, on essaie de créer un ordre juridique (1.1.) distinct et autonome à l’égard
des ordres juridiques national (1.2.).
1.1. De l’existence de l’ordre juridique communautaire
La volonté de créer un nouvel ordre juridique est un des piliers essentiels de tout processus
d’intégration régionale. Cette volonté est exprimée dans la signature du traité communautaire.
À cet égard, l’U.E., l’U.E.M.O.A. et l’O.H.A.D.A. constituent des ordres juridiques c’est-à-
120
dire des « ensembles organisés et structurés de normes juridiques, possédant leurs propres
sources, dotés d’organes et procédures aptes à les émettre, à les interpréter ainsi qu’à en faire
constater, le cas échéant, les violations ».338 En effet, en les créant dans l’objectif d’une
intégration régionale, les États ont accepté de leur donner des moyens d’action parmi lesquels
les moyens juridiques et institutionnels qui leur permettent d’exercer, à l’égard des États
membres et de leurs citoyens, une activité normative, administrative et même judiciaire dans
les domaines de leurs compétences. Les règles qui régissent l’existence, le fonctionnement et
les activités des organisations d’intégration découlent d’une pluralité d’actes juridiques,
principalement de droit originaire (traités constitutifs) et de leur droit dérivé à travers des
actes unilatéraux tels que les règlements, les directives, des décisions etc., qui peuvent lier les
États et s’appliquer dans leurs ordres juridiques internes. Cet état des choses remet en cause le
monopole de l’État de l’activité normative à l’échelle internationale. Alors qu’avec sa
compétence normative l’État est censé assurer le monopole de la législation et de la
réglementation qui s’applique sur son territoire, l’adoption des actes de droit dérivé, c’est-à-
dire celui créé dans l’exercice des compétences communautaires, suit un processus législatif
qui montre qu’il a transféré une partie de cette prérogative souveraine aux institutions
communautaires. Cette limitation de la compétence nationale est une des conditions de
réalisation du but d’intégration, car l’objectif d’unification, d’harmonisation ou
d’uniformisation du droit à l’intérieur de l’espace juridique des États membres d’une
organisation d’intégration, nécessite, pour éviter la disparité des normes, de confier la
compétence législative à un organe qui leur est commun. Ainsi, dans les trois ordres
juridiques qui nous intéressent, cette tâche est confiée à un ou plusieurs organes
communautaires au sein desquels l’inter-étatisme, s’il est présent, ne joue pas un rôle restrictif
de la compétence de l’organe communautaire dans la procédure législative. Selon l’article 6
du traité de l’O.H.A.D.A., les actes uniformes, qui sont les lois de son ordre juridique, « sont
préparés par le Secrétariat Permanent en concertation avec les gouvernements des États
Parties. Ils sont délibérés et adoptés par le Conseil des Ministres après avis de la Cour
Commune de Justice et d'Arbitrage. » Pour l’U.E.M.O.A., c’est aussi le Conseil des Ministres
qui joue, généralement sur proposition de la Commission et après avis du Comité des experts,
le rôle d’organe législatif à travers l’édiction de règlements, de directives et de décisions et la
formulation de recommandations et/ou d’avis.339 La Commission y participe également par
l’adoption de règlements d’exécution des actes du Conseil, de décisions ou lorsqu’elle
338.G. ISAAC, Droit communautaire, Paris, Masson, 1983, p. 105. 339.Article 42 du Traité révisé de l’U.E.M.O.A.
121
formule des avis et recommandations.340 Ce système de mise en place d’organes législatifs
communautaires est une caractéristique essentielle de l’Union européenne où, pour
l’élaboration des actes juridiques communautaires, il est institué, dans un souci de légitimité,
un Parlement européen doublé d’une Commission avec une procédure législative ordinaire
(ancienne procédure de codécision) et des procédures dites spéciales qui sont exceptionnelles
et dérogatoires à la procédure ordinaire.341 À cet égard, selon les articles 14 § 1 et 16 § 1 du
T.U.E., le Parlement européen et le Conseil exercent conjointement les fonctions législative et
budgétaire. L’article 17, § 1 précise, quant à lui, qu’« un acte législatif de l'Union ne peut être
adopté que sur proposition de la Commission, sauf dans les cas où les traités en disposent
autrement… »
Dans ces procédures législatives communautaires, les États apparaissent comme de simples
composantes du processus décisionnel, qui n’y occupent pas une place déterminante. En effet,
en dépit de leur représentation dans les organes législatifs ou de leur consultation, les États
« n’ont pas la possibilité, ni à titre individuel ni même à titre collectif, de gérer et encore
moins de contrôler le rythme ou le contenu de la production législative [communautaire] ».342
Ceci est d’autant plus vrai que leur représentation dans ces organes n’a rien de comparable
avec celle des États membres d’une organisation de coopération par exemple. À ce titre, on
peut constater que la compétence normative de l’État en droit international en tant qu’entité
souveraine et indépendante se trouve fortement restreinte dans le cadre du système
communautaire.
À côté de ces organes législatifs, il faut signaler l’existence dans ces ordres juridiques
communautaires d’organes judiciaires qui veillent à l’application, l’interprétation des traités et
au respect des règles communautaires343. Par leurs décisions ayant autorité de la chose jugée
et force exécutoire dans les États membres au même titre que les décisions des juridictions
nationales, les juridictions communautaires contribuent à la création d’une jurisprudence qui
340.Ibid. La Commission est composée de huit membres soit un commissaire par État. Mais selon l’article 28 du traité révisé de l’U.E.M.O.A., ils exercent leurs fonctions en toute indépendance dans l'intérêt général de l'Union. Ils ne sollicitent ni n'acceptent d'instructions de la part d'aucun gouvernement ni d'aucun organisme. Ils s'engagent, par serment devant la Cour de Justice, à observer les obligations d'indépendance et d'honnêteté inhérentes à l'exercice de leur charge. Les États membres sont tenus de respecter leur indépendance. 341.Article 289 du T.F.U.E.. La procédure législative ordinaire est décrite à l’article 294 du même traité, Journal officiel de l’Union européenne, C 83, 30 mars 2010. 342.R.–E PAPADOPOULO, « Souveraineté et surveillance dans le cadre de la communauté européenne ou comment concilier deux exigences contradictoires », A.F.D.I., 2005, p. 703. 343.On a la Cour de justice de l’U.E. (ancienne C.J.C.E.), la Cour de justice de l’U.E.M.O.A. et la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’O.H.A.D.A. Sur le pouvoir des juridictions communautaires dans le contrôle de l’application effective du droit communautaire, voir infra paragraphe 2, point 2 de cette section.
122
participe comme source du droit à l’établissement de l’ordre juridique communautaire. En
effet, il ne peut y avoir d’harmonisation, d’unification ou d’uniformisation du droit si les
juridictions nationales pouvaient chacune donner sa propre compréhension, définition ou
interprétation du droit communautaire, car « un droit uniforme appelle une jurisprudence
uniforme »344. C’est donc dire que le juge communautaire joue un rôle primordial dans la
construction des espaces intégrés régionaux en veillant au respect des principes et règles
« constitutionnelles » de l’ordre communautaire et à la protection des droits communautaires
des particuliers. L’exercice de cette activité judiciaire qui s’adresse aux États et à leurs
citoyens limite leur liberté de décision et d’action dans les matières concernées. Ils ne
jouissent plus d’une liberté pleine et entière car, juridiquement parlant, ils doivent compter sur
l’institution judiciaire communautaire qui veille au respect du droit communautaire.
L’existence de l’ordre juridique communautaire avec ses propres règles, procédures, organes
législatifs et judiciaires entraîne une certaine remise en cause de la conception du pouvoir
souverain de l’État comme étant entier et inconditionné. À ce titre, le Conseil constitutionnel
sénégalais, saisi afin de se prononcer sur la compatibilité entre le principe de la souveraineté
nationale et les articles 14 et 16 du Traité de l’O.H.A.D.A., a admis un dessaisissement de
certaines institutions nationales (Assemblée nationale, Cour de cassation) au profit d’organes
de l’O.H.A.D.A. (Conseil des Ministres et C.C.J.A.). Mais selon lui, ce dessaisissement qui
n’est ni total ni unilatéral n’était pas un abandon de souveraineté mais une limitation de
compétences qu’implique tout engagement international.345
1.2. De l’autonomie de l’ordre juridique communautaire
L’existence d’un ordre juridique autonome est un élément essentiel dans tout processus
d’intégration communautaire car il permet une application effective et uniforme du droit
communautaire dans les ordres juridiques respectifs des États membres. C’est pourquoi dans le
344.T. G. DE LAFOND, « Le traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique », Gazette du Palais, 20 21 septembre1995, p. 2. 345.Le Conseil constitutionnel sénégalais avait estimé dans un considérant qu’il ne résulte du transfert de compétence au Conseil des ministres ou à la Cour commune « ni changement du statut international du Sénégal en tant qu’État souverain et indépendant, ni la modification de son organisation institutionnelle ; que le dessaisissement de certaines de ses institutions - Cour de cassation, mais aussi l’Assemblée nationale - n’est ni total ni unilatéral, qu’il s’agit donc en l’espèce, non pas d’un abandon de souveraineté mais d’une limitation de compétences qu’implique tout engagement international et qui, en tant que telle, ne saurait constituer une violation de la constitution, dans la mesure où celle-ci, en prévoyant la possibilité de conclure des traités, autorise, par cela même, une limitation de compétence », Décision du CC n° 3/C/93 du 16 décembre 1993, Affaire n° 12/93 du 16/12/93, voir Penant, n° spécial OHADA, 1998, n°827, p. 225, note Alioune SALL.
123
processus de construction européenne où existent les critères essentiels de la supranationalité346, la
C.J.C.E. devenue Cour de justice de l’U.E. consacre et défend l’autonomie de l’ordre juridique
communautaire. Par son arrêt du 5 février 1963 rendu dans l’affaire Van Gend & Loos347, elle
a déclaré que « la Communauté [économique européenne] constitue un nouvel ordre juridique
de droit international, au profit duquel les États ont limité, bien que dans des domaines
restreints, leurs droits souverains, et dont les sujets sont non seulement les États membres
mais également leurs ressortissants ». Dans la même lignée, dans la célèbre affaire
Costa/E.N.E.L., elle déclarait
« qu’à la différence des traités internationaux ordinaires, le traité de la CEE a institué un
ordre juridique propre intégré au système juridique des États membres […] et qui s’impose à
leurs juridictions ; […] qu’en instituant une Communauté de durée illimitée, dotée
d’institutions propres, de la personnalité, de la capacité juridique, d’une capacité de
représentation internationale et plus particulièrement de pouvoirs réels issus d’une limitation
de compétences ou d’un transfert d’attributions des États à la Communauté, ceux-ci ont
limité […] leurs droits souverains et créé ainsi un corps de droit applicable à leurs
ressortissants et à eux-mêmes. »348
Dans le prolongement de cet arrêt, la Cour observera quelques mois plus tard que « le traité ne
se borne pas à créer des obligations réciproques entre les différents sujets auxquels il
s'applique, mais établit un ordre juridique nouveau qui règle les pouvoirs, droits et obligations
desdits sujets, ainsi que les procédures nécessaires pour faire constater et sanctionner toute
violation éventuelle ».349
L’autonomie ainsi consacrée de l’ordre juridique communautaire peut être envisagée sous
deux angles. D’abord par rapport au droit international. Sous cet angle, la jurisprudence de la
C.J.C.E. a connu en 2008 un rebond avec l’affaire Kadi350dans laquelle la Cour a jugé qu’« un
accord international ne saurait porter atteinte […] à l’autonomie du système juridique
346.P. PESCATORE, Le droit de l’intégration. Émergence d’un phénomène nouveau dans les relations internationales selon l’expérience des Communautés européennes, réimpression 2005, Bruxelles, Bruylant, p. 50. 347.C.J.C.E., Van Gend & Loos, aff. 26-62, 5 février 1963, Rec. de la jurisprudence de la Cour 1963, p. 23. 348.C.J.C.E.., Costa c. E.N.E.L., aff. 6/64, 15 juillet 1964, Rec. de la jurisprudence de la Cour 1964, pp. 1158-1159. 349.C.J.C.E., Commission c/ Luxembourg et Belgique, aff. 90/63 et 91/63, 13 novembre 1964, Rec.1964, pp. 1217 et 1232. 350.C.J.C.E., Kadi et Al Barakaat International Foundation c/ Conseil et Commission, aff. jtes. C-402/05P et C-415/05P, 3 sept. 2008.
124
communautaire ».351 Cette dernière apparaît comme « un principe fondamental signifiant que
le droit communautaire n’a qu’une source de validité : les traités constitutifs exclusivement.
L’ordre juridique communautaire serait ainsi distinct de l’ordre juridique international, et sa
spécificité intrinsèque fonderait son "autonomie existentielle" »352. Elle permet d’affermir
l’identité communautaire et de protéger l’autonomie d’action de la communauté et les
« éléments essentiels de la structure communautaire » qui ne sauraient être altérés par la
conclusion d’un accord international par la Communauté.353 Il en résulte que les États
appartenant à l’ordre juridique communautaire ne jouissent plus d’une volonté libre de
conclure, dans n’importe quelle matière, avec des tiers des traités ou accords qui
méconnaîtraient leurs obligations communautaires.
L’autonomie de l’ordre juridique communautaire doit aussi et surtout être envisagée dans ses
rapports avec les ordres juridiques internes des États. En ce sens, elle permet d’affirmer sa
différence et de préserver son existence.354 Dans cette perspective autonomiste et de
différenciation, la C.J.C.E. a affirmé que
« […] le droit du traité [de la CEE] ne pourrait […], en raison de sa nature spécifique
originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu’il soit, sans perdre son
caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté
elle-même ; que le transfert opéré par les États, de leur ordre juridique interne au profit de
l’ordre juridique communautaire, des droits et obligations correspondant aux dispositions du
traité, entraîne donc une limitation définitive de leurs droits souverains contre laquelle ne
saurait prévaloir un acte unilatéral ultérieur incompatible avec la notion de Communauté
[…]. »355
Le but est d’assurer la convergence des droits nationaux dans les domaines de compétence
communautaire afin d’éviter que les États ne neutralisent les objectifs et le droit
communautaires par le recours à des instruments juridiques individuels ou à des définitions ou
interprétations propres des notions et des droits garantis par l’ordre juridique 351.Ibid., aff. C-405/05P, pt. 282. Sur les rapports entre droit communautaire et droit international, voir aussi V. MICHEL, « L’autonomie du droit de l’Union européenne au regard de la jurisprudence récente de la CJCE », pp. 3-8, [en ligne]. Disponible sur : http://www.cejec.eu/wp-content/uploads/2009/09/chronique-de-droit-europeen-nxxv-vm-et-jmt-11.pdf (page consultée le 10 janvier 2013). 352.P. Y. MONJAL, Termes juridiques européens, Paris, Gualino, 2006, p. 26. 353.C.J.C.E., 26 avril 1977, Avis 1/76, point 5, p. 3. [en ligne] Disponible sur : http://www.cvce.eu/obj/avis_de_la_cour_de_justice_1_76_26_avril_1977-fr-647c7bb7-b64a-49b8-b328-b72dc4f11cf5.html (page consultée le 31 janvier 2013). Voir aussi MICHEL V., « L’autonomie du droit de l’Union européenne… », op. cit., n. 351, p. 4. 354.Ibid.,. 355.C.J.C.E., Costa c. E.N.E.L., préc. Note 348. Les italiques sont de nous.
125
communautaire.356 En d’autres termes, l’autonomie permet de « sauvegarder la cohésion de la
Communauté à l’égard des emprises tant du droit international (dont l’introduction risquerait
de compromettre l’efficacité du droit communautaire) et des droits nationaux (dont le
particularisme romprait son unité) ».357
En définitive, l’existence d’un ordre juridique communautaire autonome, une des conditions
essentielles de réalisation de l’objectif d’intégration, est incompatible avec l’idée de liberté de
décision et d’action de l’État, ici membre, que semble véhiculée la conception matérielle du
domaine de compétence nationale.
2. L’applicabilité immédiate et directe et la primauté du droit communautaire
comme limites à la compétence nationale des États
Pour la réalisation des objectifs des organisations communautaires358 qu’elles ont créées, les
États membres sont tenus à un devoir général de loyauté et de coopération à leur égard. Ainsi,
selon l’article 4, paragraphe 3 du T.U.E., ils « prennent toute mesure générale ou particulière
propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des
institutions de l’Union. [Ils] facilitent l’accomplissement par l’Union de sa mission et
s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation [de ses] objectifs ».
Ce principe de coopération loyale doit se traduire par une application effective et uniforme du
356.K.-D. BORCHARDT, « L’ABC du droit de l’Union européenne », pp. 121-122, [en ligne]. Disponible sur : http://europa.eu/documentation/legislation/pdf/oa8107147_fr.pdf (page consultée le 15 avril 2012). Voir aussi l’avis 1/00 de la C.J.C.E. selon lequel : « la préservation de l’autonomie de l’ordre juridique communautaire suppose, d'une part, que les compétences de la Communauté et de ses institutions, telles qu'elles sont conçues dans le traité, ne soient pas dénaturées. Elle implique, d'autre part, que les mécanismes relatifs à l'unité d'interprétation […] et au règlement des différends n’aient pas pour effet d'imposer à la Communauté et à ses institutions, dans l'exercice de leurs compétences internes, une interprétation déterminée des règles de droit communautaire reprises par ledit accord », C.J.C.E., 18 avril 2002, Avis 1/00, Projet d’accord portant création d’un espace aérien européen commun entre la Communauté européenne et des pays tiers, Rec., I-3493., point 12-13. 357.P. PESCATORE, L’ordre juridique des Communautés européennes. Études des sources du droit communautaire, 1975, réimpression, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 164. 358.Selon l’article 3 du T.U.E., les objectifs de l’U..E. consistent à promouvoir la paix, ses valeurs et le bien être des peuples, offrir aux citoyens européens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières, établir un marché intérieur dans lequel les conditions d’une croissance économique équilibrée et de la stabilité des prix sont assurées, assurer le développement d’une économie sociale de marché hautement compétitive garantissant le plein emploi et la poursuite du progrès social grâce à la lutte contre l’exclusion sociale, les discriminations et les inégalités, protéger l’environnement et favoriser le développement durable, assurer la cohésion économique, sociale et territoriale entre les États membres; respecter la diversité culturelle et linguistique des pays de l’U.E. et protéger le patrimoine culturel européen, établir une union économique et monétaire dont la monnaie est l’euro, assurer, dans le cadre de ses relations internationales, la paix, la sécurité, le développement durable, le développement des peuples et la protection des droits de l’homme dans le respect de ses valeurs. Pour les objectifs de l’U.M.O.A. voir supra note 332 et pour l’O.H.A.D.A. note 335.
126
droit communautaire, qui implique la soumission de la volonté étatique, donc de la liberté
étatique à l’intérêt communautaire. Pour se faire, les normes communautaires doivent
s’insérer immédiatement dans les droits internes des États, être directement invocables par les
citoyens lorsqu’elles créent pour eux des droits et/ou obligations (2.1.) et primer les règles de
droit national qui leur seraient contraires (2.2.).
2.1. La soumission de la compétence nationale au principe d’applicabilité
immédiate et directe du droit communautaire
L’application immédiate du droit communautaire est un des piliers indispensables à la
réalisation de tout processus d’intégration. Elle signifie que les normes communautaires
s’insèrent dans les ordres juridiques nationaux sans passer par un quelconque instrument
juridique national d’introduction, et qu’elles confèrent directement des droits ou imposent des
obligations non seulement aux institutions communautaires, mais aussi aux États membres et
aux citoyens communautaires. Autrement dit, les normes communautaires vont produire un
effet direct dans les ordres juridiques internes et être ainsi invocables par les citoyens devant
leurs autorités nationales administratives ou judicaires sans même que ces dernières aient pris
une quelconque mesure de réception. Les conditions de cette invocabilité du droit
communautaire varient selon qu’il s’agit du droit primaire (originaire) ou du droit dérivé.
S’agissant du droit communautaire primaire (c’est-à-dire celui qui émane des traités
communautaires), l’applicabilité immédiate et l’effet direct ont été consacrés, à l’échelle
européenne, par la C.J.C.E. dans son arrêt Van Gend & Loos. Dans cette affaire, en affirmant
l’existence d’un ordre juridique communautaire « dont les sujets sont non seulement les États
membres, mais également leurs ressortissant », elle a considéré que « le droit communautaire,
indépendamment de la législation des États membres, de même qu’il crée des charges dans le
chef des particuliers, est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine
juridique ».359 Pour le droit dérivé, il faut distinguer les règlements des décisions et des
directives. En droit communautaire, on s’accorde sur le fait que le règlement « est obligatoire
dans tous ses éléments et [qu’] il est directement applicable dans tout État membre. »360 Pour
359.C.J.C.E., Van Gend & Loos, préc. n. 347, p. 23. La C.J.C.E. a dans le même arrêt, précisé les conditions d’invocabilité des dispositions des traités communautaires. Elles doivent être claires et précises et créer une obligation inconditionnelle c’est-à-dire dont la mise en œuvre ne dépend pas de mesures complémentaires ou d’exécution adoptées par les États ou les autorités communautaires en vertu de leur pouvoir discrétionnaire, p. 24). 360.Art. 288, al. 2 T.F.U.E., art. 43 du traité révisé de l’U.E.M.O.A.. L’art. 10 du traité de l’O.H.A.D.A. dispose quant à lui que : « Les actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les États Parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure. »
127
les décisions, il faut distinguer selon qu’elles ont pour destinataires les particuliers ou les
États. Dans la première hypothèse, elles sont, comme les règlements, toujours invocables
devant les juridictions nationales tant à l’encontre d’une autorité publique qu’à l’encontre
d’un autre particulier. Dans la seconde hypothèse, leur invocabilité est soumise aux mêmes
conditions que celles des directives communautaires qui, dans le cadre européen, bénéficient
depuis 1970 de l’effet direct même si celui-ci peut ne pas être identique à celui du
règlement.361 L’effet direct des directives est cependant un effet « vertical », c’est-à-dire
qu’elles peuvent être invoquées par les particuliers à l’encontre de l’État. En effet, elles ne
peuvent être invoquées ni dans le cadre de litiges entre particuliers (absence d’effet
horizontal)362 ni par les autorités nationales contre un particulier (absence d’effet vertical
inversé)363
L’applicabilité directe du droit communautaire présente une certaine importance pratique. Elle
permet de garantir une certaine effectivité et efficience des droits et des obligations
communautaires tant pour les États que pour les citoyens dont « elle améliore la position […]
en faisant des libertés prévues par le marché commun des droits qui peuvent être invoqués
devant les juridictions nationales ». Elle « constitue, dès lors, un des piliers de l’ordre
juridique [communautaire] ».364 Sous ce rapport, elle implique une limitation de la
compétence nationale des États membres qui sont tenus de respecter les dispositions
communautaires dans leurs ordres internes. Ils n’ont dès lors aucune marge de manœuvre
pour les modifier ou les adapter à leur intérêt national qui, parfois, risque même d’être affecté.
Il en est ainsi par exemple de la remise en cause de la liberté des États membres d’une
organisation communautaire de poser des restrictions à la libre circulation des personnes ou à
leur liberté d’établissement garanties par les traités communautaires. On peut cirer, à titre
361.Les particuliers peuvent se prévaloir directement devant le juge national des droits que leur confèrent les dispositions d’une décision adressée aux États et qui leur impose une obligation inconditionnelle, suffisamment nette et précise (C.J.C.E., Grad / Finanzamt Traunstein, aff. 9/70, 6 octobre 1970). Il en est de même s’agissant des directives non transposées ou mal transposées (C.J.C.E., Yvonne Van Duyn c/ Home Office, aff. 41/74, 4 décembre 1974). Si le droit national n’est pas conforme aux prescriptions de la directive invoquée, le juge interne écarte la disposition nationale non conforme et la remplace directement par la disposition de la directive (invocabilité d’exclusion) ; si aucune mesure de transposition n’a été prise, le juge interne applique directement les dispositions de la directive (invocabilité de substitution). Le Conseil d’État français a, à cet égard, abandonnant la jurisprudence Cohn-Bendit de 1978, admis que tout justiciable a le droit de se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive, lorsque l'État n'a pas pris dans les délais impartis, les mesures de transposition nécessaires. (CE, ass. Perreux, 30 octobre 2009, Rec. Lebon). 362.C.J.C.E., Marshall, aff. 152/84, 26 février 1986, Rec. de jurisprudence, p. 723, point 48, et C.J.C.E. Paola Facini Dori, aff. C-91/92, 14 juillet 1994, Rec. de jurisprudence 1994. 363.C.J.C.E., Ratti, aff. 148/78, 5 avril 1979, Rec. 1979. 364.K.-D. BORCHARDT, « L’ABC du droit de l’Union européenne », op. cit., n. 356, p. 127.
128
d’illustration, les affaires Van Duyn et Reyners365 dans lesquelles la C.J.C.E. a affirmé l’effet
direct des articles 48 et 52 du Traité sur la C.E.E. concernant respectivement la libre
circulation des travailleurs et le droit d’établissement.
Par l’effet direct et l’applicabilité immédiate du droit communautaire, les activités des organes
communautaires pénètrent directement les ordres juridiques nationaux des États. Ainsi, la
réserve de la compétence nationale ne peut pas jouer pour restreindre de telles activités.
2.2. L’effet de la primauté du droit communautaire sur la compétence
nationale
L’applicabilité immédiate et directe du droit communautaire dans les ordres juridiques
nationaux implique que les États fassent primer les normes communautaires sur leurs règles de
droit internes contraires. En effet, dans l’ordre juridique communautaire, le droit n’est pas le
produit de volontés individuelles ou gouvernementales. De ce fait, subordonner l’ordre
juridique communautaire au droit national de chaque État créerait le risque de voir les États, par
le recours à des instruments juridiques nationaux, neutraliser leurs obligations communautaires
en privilégiant leur intérêt national et mettre ainsi en péril la réalisation des buts fixés à
l’organisation communautaire. Il ne doit donc pas y avoir de conflits entre le droit interne et le
droit communautaire parce qu’il y a une hiérarchie de normes au profit des normes
communautaires. À cet égard comme le souligne le juge Pierre Pescatore la primauté apparaît
comme une condition existentielle366 du droit communautaire. Sans elle, il est voué à
disparaître.
Dans le cadre de l’U.E., il n’existe pas, dans les traités constitutifs, de clause générale de
supériorité du droit communautaire sur les droits nationaux. C’est plutôt la C.J.C.E. qui, en
1964, dans l’arrêt Costa/E.N.E.L. précité, a posé le principe de la primauté du droit
communautaire. Elle a en effet affirmé que l’« intégration au droit de chaque pays membre de
dispositions qui proviennent de source communautaire, et plus généralement les termes et
l'esprit du traité, ont pour corollaire l'impossibilité pour les États de faire prévaloir, contre un
ordre juridique accepté par eux sur une base de réciprocité, une mesure unilatérale ultérieure 365.C.J.C.E., Yvonne Van Duyn c/ Home Office, aff. 41/74, 4 décembre 1974 (libre circulation des travailleurs, art. 45 T.F.U.E.) ; C.J.C.E., Reyners c/ Belgique, aff. 2/74, 21 juin 1974 (liberté d’établissement, art. 49 T.F.U.E.). 366.P. PESCATORE, Le droit de l'intégration, Bruxelles, Bruylant, coll. « Droit de l'Union européenne », réimpr. 2005, p. 85 et L'ordre juridique des Communautés européennes…, op. cit., n. 357, p. 257.
129
qui ne saurait ainsi lui être opposable »367. La primauté du droit communautaire est, en
revanche, consacré par le traité constitutif de l’U.E.M.O.A. dont l’article 6 stipule que « les
actes arrêtés par les organes de l'Union pour la réalisation des objectifs du […] Traité […]
sont appliqués dans chaque État membre nonobstant toute législation nationale contraire,
antérieure ou postérieure ». De même, l’article 10 du traité de l’O.H.A.D.A. consacre l’effet
direct et la primauté du droit O.H.A.D.A. en disposant que « les actes uniformes sont
directement applicables et obligatoires dans les États Parties nonobstant toute disposition
contraire de droit interne, antérieure ou postérieure. » La primauté ainsi consacrée vaut pour
l’ensemble des sources de droit communautaire et s’applique à toutes les sources de droit
interne. Une fois entrée en vigueur (selon les procédures communautaires), une disposition
communautaire s’applique dans l’ordre juridique étatique. Dès lors, l’État ne peut pas
invoquer une règle de son droit interne, même constitutionnelle, pour empêcher cette
application.368
Le principe de la primauté du droit communautaire peut conduire à une limitation des
compétences et de la liberté d’action des États. En effet, si les États acquièrent la qualité de
membre d’une organisation internationale par une manifestation de leur souveraineté,
« l’ordre juridique communautaire s’imposant [à eux], pénétrant leurs instances nationales de
décision, n’[est] plus le fruit du simple exercice par l’État souverain de sa compétence
internationale, mais le bras d’une limitation dynamique des compétences nationales par
effacement graduel de la compétence étatique. »369 Cette limitation des compétences
nationales est constatable à partir des implications du principe de primauté du droit
communautaire. Car pour une application uniforme du droit communautaire, les États doivent
veiller à ce qu’une norme de droit national incompatible avec une norme de droit
communautaire ne puisse pas être valablement opposée à celle-ci. Ils doivent, de cette
manière, se garder de prendre tout acte juridique national (législatif ou réglementaire) et
367. Arrêt précité, note 348, p. 1159. 368.Voir à ce titre C.J.C.E., Simmenthal, aff. 106/77, 9 mars 1978, point 17 : « En vertu du principe de la primauté du droit communautaire , les dispositions du traité et les actes des institutions directement applicables ont pour effet, dans leurs rapports avec le droit interne des États membres , non seulement de rendre inapplicable de plein droit, du fait même de leur entrée en vigueur, toute disposition contraire de la législation nationale existante, mais encore - en tant que ces dispositions et actes font partie intégrante, avec rang de priorité, de l’ordre juridique applicable sur le territoire de chacun des États membres – d’empêcher la formation valable de nouveaux actes législatifs nationaux dans la mesure où ils seraient incompatibles avec des normes communautaires » ; C.J.C.E. Factortame, aff. C213/89, 19 juin 1990 ; Cour de justice de l’U.E.M.O.A., avis n° 001/2003 du 18 mars 2003 : « La primauté bénéficie à toutes les normes communautaires, primaires comme dérivées, immédiatement applicables ou non, et s’exerce à l’encontre de toutes les normes nationales administratives, législatives, juridictionnelles et, même constitutionnelles parce que l’ordre juridique communautaire l’emporte dans son intégralité sur les ordres juridiques nationaux. » 369.M. CHEMILLIER-GENDREAU, « Maastricht entre le refus et la fuite en avant. Le principe de subsidiarité : enjeu majeur, débat confus », Le Monde diplomatique, juillet 1992, p. 13.
130
même signer un accord international qui contreviendraient aux règles du droit
communautaire. Cette obligation qui est le corollaire de la supériorité de la norme
communautaire sur la norme interne entraîne une limitation de l’autonomie procédurale des
droits nationaux. Ainsi le juge national, en présence d’une contrariété entre le droit
communautaire et une règle de droit interne, devra faire prévaloir le premier sur la seconde en
appliquant l’un et en écartant l’autre.370 De ce fait, le droit communautaire, en suspendant la
force obligatoire du droit national en contrariété avec lui, peut conduire à son abrogation et
cela en vertu des prescriptions des traités ou de la jurisprudence qui confèrent une autorité
supérieure aux actes pris par les institutions communautaires.
Dès lors, nous pouvons retenir que, dans l’intérêt de l’intégration régionale, la limitation du
domaine de compétence nationale des États membres est une condition essentielle sans
laquelle les institutions et les objectifs communautaires risquent d’être mis en péril. Dans ce
système, les règles et principes d’organisation et de répartition des compétences sont posés de
sorte à limiter la liberté des États et les matières relevant de leur compétence nationale
exclusive au profit de la promotion des compétences communautaires.
§ 2 : La restriction du domaine de compétence nationale comme exigence des
mécanismes juridiques d’organisation et de répartition des compétences
La participation à une organisation internationale entraîne, nous l’avons déjà souligné, une
limitation des compétences matérielles des États membres. Cette restriction de la sphère des
compétences nationales constitue une des caractéristiques principales des systèmes
d’intégration. L’acquisition de la qualité de membre d’une organisation à vocation intégratrice
restreint les conditions d’exercice de la souveraineté en ce sens que la mise en œuvre de
l’intégration s’opère par un ensemble de techniques juridiques.371 Celles-ci organisent les
relations de pouvoir entre les États et les institutions communautaires par un système de
répartitions des compétences (1) et des procédures de contrôle et de sanction des États ayant
manqué à leurs obligations (2).
370.C.J.C.E., Simmenthal ; C.J.C.E., Factortame, précités note 368. 371.Le doyen CORNU définit la technique juridique comme l’« ensemble de moyens spécifiques (procédés, opérations…) qui président à l’agencement et à la réalisation du Droit […] », voir G. CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, 7è éd., 2005, p. 519.
131
1. La répartition des compétences entre les États et l’institution communautaire
La répartition des compétences est un élément fondamental dans toute organisation. Dans les
processus d’intégration, elle est d’une importance capitale dans la mesure où la création
d’organes assignés à la réalisation des buts communautaires nécessite qu’ils soient dotés de
compétences qui constituent le fondement de leurs actions. À ce titre, le transfert de
compétences des États à l’entité communautaire constitue une caractéristique essentielle des
organisations d’intégration (1.1.) qui exercent des compétences communautaires limitant
celles des États (1.2.).
1.1. Les transferts de compétences souveraines comme principe des systèmes
communautaires
Le transfert de compétences est au cœur des systèmes d’intégration de type communautaire.
En décidant de participer à une organisation d’intégration, les États ont consenti à son profit
des transferts de compétences qui touchent au cœur de leur souveraineté car portant parfois
sur des prérogatives régaliennes. Les « marques de souveraineté »372 telles que le droit de
légiférer, de juger, de conclure des traités et de battre la monnaie373 sont aujourd’hui, soit
entièrement soit partiellement, transférées par des États à des organisations d’intégration.
Ainsi, l’O.H.A.D.A. s’est vu investie des trois premières prérogatives alors que l’U.E.M.O.A.
et l’U.E. exercent les quatre.
Ces organisations apparaissent comme des instruments au service d’une intégration
économique plus poussée. L’intégration est, en effet, un processus qui a une dimension
économique par la mise en place d’un marché commun374, d’une union économique et
monétaire.375 Elle a aussi une dimension juridique qui vise progressivement à harmoniser,
unifier ou uniformiser les législations et les politiques des États appartenant au même espace
économique. De ce point de vue, elle conduit à des transferts de compétences qui touchent à
l’exercice de la souveraineté notamment dans le domaine des politiques économiques,
monétaires, budgétaires et même fiscales, et en matière de gestion des flux de personnes, de
marchandises, de capitaux et de services.
372.Selon de Jean BODIN dans les Les six livres de la République, Paris, Fayard, vol. 6, 1986. 373.F. CHALTIEL, « La souveraineté vue par l’Union européenne », in Les évolutions de la souveraineté, Actes du Colloque d’Angers, LARAJ, Paris, Montchrestien, 2006, p. 192. 374.Art. 26 T.U.E. ; art. 4 c du traité révisé de l’U.E.M.O.A.. 375.Art. 3 al. 4 du T.U.E. ; art. 2 du traité révisé de l’U.E.M.O.A.
132
La création d’une union économique et monétaire, au sein de l’U.E. et de l’U.E.M.O.A.,
entraîne pour les États membres des renoncements à l’exercice de compétences qui affectent
leur souveraineté monétaire, budgétaire et fiscale. Concernant la monnaie, il fait partie de la
compétence nationale de tout État « le droit de déterminer lui-même ses monnaies ».376 Il s’agit du
« pouvoir régalien d’émettre de la monnaie […], de définir un système de contrôle de la
quantité globale de monnaie en circulation, de définir dans quelles limites [il] peut avoir
recours à la création de la monnaie pour financer sa dette, […] de choisir un système de
change et éventuellement de fixer la position de sa monnaie nationale dans ce système, […]
de définir les règles qui gouvernent l’évolution de la monnaie sur son territoire. »377
Toutefois, les exigences liées à l’harmonisation des politiques économiques et l’instauration
d’une politique monétaire unique restreignent voire annihilent toute liberté de décision et
d’action des États qui restent désormais soumis aux décisions des institutions communautaires
en général et des banques centrales en particulier. Ce sont ces organes indépendants qui fixent
les lignes directrices des politiques économiques et monétaires. À cet effet, les Banques
centrales édictent et gèrent la monnaie commune, définissent et mettent en œuvre la politique
monétaire.378
Par ailleurs, les nécessités de la coordination des politiques économiques et la convergence
des performances économiques entraînent une limitation de la compétence nationale des États
en matière budgétaire. Les politiques budgétaires des États sont désormais de plus en plus
déterminées par la logique d’intégration à travers la monnaie unique, et doivent respecter les
orientations fixées par les institutions communautaires.379 Les États doivent en particulier
respecter les exigences de la discipline budgétaire par la réduction des déficits publics, le
maintien d’un niveau de dette soutenable. On peut se référer, à cet égard, au Traité sur la
stabilité, la coordination et la gouvernance380 par lequel les États européens ont adopté des
376.C.P.J.I., Emprunts serbes, arrêt du 12 juillet 1929, Série A, n° 20, p. 44. 377.Voir P. LAGAYETTE, Le transfert de la souveraineté monétaire. Études et réflexions, Revue des deux mondes, 1992. 378.Art. 26 du traité de l’U.M.O.A. et art. 282 al. 3 T.F.U.E. 379.L’art. 67 al. 1 du traité révisé de l’U.E.M.O.A. stipule que « l'Union harmonise les législations et les procédures budgétaires, afin d'assurer notamment la synchronisation de ces dernières avec la procédure de surveillance multilatérale de l'Union. Ce faisant, elle assure l'harmonisation des Lois de Finances et des comptabilités publiques, en particulier des comptabilités générales et des plans comptables publics. Elle assure aussi l'harmonisation des comptabilités nationales et des données nécessaires à l'exercice de la surveillance multilatérale, en procédant en particulier à l'uniformisation du champ des opérations du secteur public et des tableaux des opérations financières de l'État. » 380.Traité adopté lors du sommet européen du 2 mars 2012. Il est entré en vigueur le 1er janvier 2013. Il prévoit notamment l’adoption par les États de « règles d’or » c’est-à-dire des « dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles, ou dont le plein respect et la stricte observance tout au long des processus budgétaires nationaux sont garantis de quelque autre façon. » Ces « règles d’or » sont destinées à
133
« règles destinées à favoriser la discipline budgétaire au moyen d'un pacte budgétaire, à
renforcer la coordination de leurs politiques économiques et à améliorer la gouvernance de la
zone euro ».
En matière fiscale, les processus d’intégration économique donnent également lieu à des
limitations du domaine de compétence nationale des États. Même si les politiques fiscales
relèvent encore de la compétence des États, il faut signaler que ces derniers sont tout de même
soumis à des obligations communautaires de plus en plus importantes. L’article 65,
paragraphe 3 du traité révisé de l’U.E.M.O.A. dispose, à ce titre, que « les États membres
harmonisent leurs politiques fiscales […] pour réduire les disparités excessives prévalant dans
la structure et l'importance de leurs prélèvements fiscaux. » Par ailleurs, la mise en place du
marché commun implique l’instauration d’une zone de libre-échange et d’une union
douanière qui supposent la suppression des droits de douanes et des restrictions quantitatives,
la mise en place d’un tarif extérieur commun, de règles pour favoriser la concurrence…381 De
cette manière, la politique fiscale des États reste conditionnée par les exigences
communautaires.
Le domaine de compétence nationale des États est aussi restreint par la libre circulation des
personnes, des biens, des capitaux et services, et la liberté d’établissement des ressortissants
de l’espace communautaire.382 Ces libertés constituent des caractéristiques essentielles des
systèmes d’intégration et sont conférées par les textes juridiques communautaires. Ainsi, alors
même qu’elles touchent à des matières relevant de leur compétence nationale, les États ne
peuvent établir des restrictions qui portent atteinte à l’exercice de ces libertés. La C.J.C.E. l’a
d’ailleurs rappelé sur la liberté de circulation des personnes. Elle a reconnu une limitation du
« pouvoir discrétionnaire que les législations nationales attribuent en général aux autorités
compétentes en matière d'entrée et d'expulsion des étrangers ». Elle a même considéré que
« la notion d'ordre public dans le contexte communautaire et, notamment, en tant que
justification d'une dérogation au principe fondamental de la libre circulation des travailleurs,
doit être entendue strictement, de sorte que sa portée ne saurait être déterminée
assurer le respect des règles posées par le traité à savoir notamment le principe de l’équilibre ou de l’excédent des budgets publics des États, le plafonnement du déficit public structurel à 0,5% du PIB. 381.Art. 76 du traité révisé de l’U.E.M.O.A., art. 110, 111. 112 du T.U.E. 382.Titre IV du T.F.U.E. (art. 45 à 66), art. 77 à 81 et art. 91 à 99 du traité révisé de l’U.E.M.O.A..
134
unilatéralement par chacun des États membres sans contrôle des institutions de la
Communauté. »383
Dans ces différentes matières, le transfert de compétences confère à l’institution
communautaire le dernier mot sur la légalité du comportement et des actions des États. En
dehors des restrictions limitativement prévues par le droit communautaire, les États ne
peuvent prendre de mesures restrictives à l’exercice des droits et libertés découlant des règles
communautaires. Or il s’agit souvent de compétences essentielles à l’exercice de la
souveraineté. On voit donc à quel point la communautarisation de certaines matières porte
atteinte à l’exercice de la compétence nationale, à la liberté des États.
1.2. Les restrictions du domaine de compétence nationale des États dans
l’exercice des compétences communautaires
L’observation de la pratique au sein des systèmes d’intégration de type communautaire en
général et européen en particulier montre que les institutions supranationales peuvent exercer
quatre types de compétences, à savoir des compétences exclusives, des compétences partagées
avec les États, des compétences d’appui et des compétences spécifiques dans des matières qui
relèvent de la compétence nationale des États. Dans l’exercice de ces différents types de
compétences, la liberté des États membres se trouve limitée.
1.2.1. L’exercice de compétences communautaires exclusives
En droit international, l’exclusivité de la compétence est généralement associée à l’État
souverain. Or, dans les organisations d’intégration régionale, sous régionale ou sectorielle,
l’exclusivité caractérise aussi certaines compétences communautaires. L’exclusivité de la
compétence communautaire signifie « que corrélativement, les États membres sont dans une
situation d’incompétence »384. Autrement dit, « il y a compétence exclusive, lorsque la
connaissance d'un certain domaine normatif d'intervention est réservée et aménagée pour un
organe ou une organisation, seule habilitée à l'exercer dans un intérêt collectif ».385
383.C.J.C.E., Van Duyn, préc. note 365, points 13 et 18. Elle l’a également rappelé concernant le droit d’établissement dans l’affaire Reyners, préc. note 365. 384.Y. GAUTIER, « La compétence communautaire exclusive », in 50 ans de droit communautaire. Mélanges en hommage à Guy Isaac, tome 1, Presses de l’Université des sciences sociales de Toulouse, 2004, p. 165. 385.Cour de justice de l’U.E.M.O.A., Avis n°003/2000 du 27 juin 2000, cf. Agence intergouvernementale de la francophonie, UEMOA – Cours de justice. Textes fondamentaux et jurisprudence, , éd. GIRAF, 2003.
135
L’exclusivité de la compétence se justifie par la volonté de faire prévaloir l’objectif
communautaire dont la réalisation implique l’ajustement mutuel des intérêts particuliers des
États autour de la défense de l’intérêt global communautaire386. C’est dans cette logique qu’en
matière de politique commerciale, la C.J.C.E. a jugé que la conception de l’intérêt global
communautaire était « incompatible avec la liberté que les États membres pourraient se
réserver, en invoquant une compétence parallèle, afin de poursuivre la satisfaction distincte de
leurs intérêts propres dans les relations extérieures, au risque de compromettre une défense
efficace de l'intérêt global de la communauté. »387
L’exercice de compétences communautaires exclusives peut résulter d’une attribution
explicite figurant dans les traités. C’est ainsi qu’en vertu de l’article 3, paragraphe 1 du
T.F.U.E., l’Union européenne dispose d'une compétence exclusive dans les domaines
suivants : l’union douanière, l'établissement des règles de concurrence nécessaires au
fonctionnement du marché intérieur, la politique monétaire pour les États membres dont la
monnaie est l'euro, la conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la
politique commune de la pêche, la politique commerciale commune.388 Au niveau de
l’O.H.A.D.A., l’article 25 du traité attribue à la C.C.J.A. une compétence exclusive en matière
d’exequatur. S’agissant de l’U.E.M.O.A., même si les dispositions du Traité ne sont pas très
explicites en matière de répartition des compétences entre l'Union et les États, la Cour de
justice a conclu à une compétence exclusive de l’Union pour légiférer en matière de
concurrence.389 En effet, selon elle, « l’organisation du marché commun apparaît comme le
domaine privilégié de la compétence exclusive aux termes du Traité constitutif de
l’U.E.M.O.A. » et que, par conséquent, « le droit de la concurrence en tant qu’élément
constitutif du marché commun ne peut que lui emprunter son caractère de domaine relevant
de la compétence exclusive de l’Union ».390 Le caractère exclusif d’une compétence
communautaire peut aussi résulter implicitement des objectifs généraux de l’organisation
d’intégration et des dispositions des traités comme l’a d’ailleurs jugé la C.J.C.E. qui, dans
l’arrêt AETR, a affirmé que la compétence de la Communauté pour conclure des accords
internationaux « résulte non seulement d’une attribution explicite par le traité […] mais peut
386.C.J.C.E., avis 1/75 du 11 novembre 1975, Rec. 1975, Motif B/2. 387.C.J.C.E., avis 1/75 du 11 novembre 1975, Rec. 1975, Motif B/2. 388.Le paragraphe 2 du même article dispose : « L'Union dispose également d'une compétence exclusive pour la conclusion d'un accord international lorsque cette conclusion est prévue dans un acte législatif de l'Union, ou est nécessaire pour lui permettre d'exercer sa compétence interne, ou dans la mesure où elle est susceptible d'affecter des règles communes ou d'en altérer la portée. » 389.Art. 88, 89 et 90 du Traité révisé de l’U.E.M.O.A. 390.Cour de justice de l’U.E.M.O.A., Avis n°003/2000, précité,note 385.
136
découler également d’autres dispositions du traité et d’actes pris, dans le cadre de ces
dispositions, par les institutions de la Communauté ».391
De toute évidence, que les compétences communautaires soient explicitement ou
implicitement exclusives, les États membres sont démis de toute compétence législative dans
les domaines concernés. Lorsqu’il est attribué à l’organisation communautaire une
compétence exclusive dans un domaine déterminé, seule elle « peut légiférer et adopter des
actes juridiquement contraignants, les États membres ne pouvant le faire par eux-mêmes que
s'ils sont habilités par [elle], ou pour mettre en œuvre [ses] actes. »392 Les États ne peuvent
agir dans ces domaines que s'ils ont été dûment investis de ce pouvoir par l’organisation
communautaire. Dans le cas spécifique de la compétence exclusive de la C.C.J.A. en matière
d’exequatur, les États membres se sont aussi privés de tout pouvoir juridictionnel d’accorder
l’exequatur dans les litiges arbitrables au sens de l’O.H.A.D.A. Par conséquent toute
juridiction nationale saisie d’une demande en ce sens doit se déclarer incompétente.
1.2.2. L’exercice de compétences partagées avec les États membres
Le domaine de compétence nationale des États membres est aussi limité lorsque
l’organisation communautaire intervient, en vertu du principe de subsidiarité, dans les
domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, c’est-à-dire lorsqu’elle exerce une
compétence partagée avec les États membres. Ce principe consacré par l’article 5 du T.U.E.
est ainsi formulé : « […] dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive,
l’Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne
peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central
qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des
effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union ». Il s’applique donc dans les domaines de
compétences partagées393 avec les États membres et « s’inscrit dans la logique […]
d’extensivité des compétences communautaires ».394 En effet, la réalisation des larges
objectifs communautaires suppose davantage l’action des institutions communautaires 391.C.J.C.E., AETR, aff. 22-70, arrêt du 31 mars 1971, Rec. de jurisprudence 1971, motif 16. 392.Art. 2 du T.F.U.E. Voir aussi l’Avis n°003/2000 de la Cour de justice de l’UEMOA préc. note 385. 393.Selon l’art. 4 par. 2 du T.F.U.E., « Les compétences partagées entre l'Union et les États membres s'appliquent aux principaux domaines suivants : le marché intérieur, la politique sociale, […] la cohésion économique, sociale et territoriale, l'agriculture et la pêche, à l'exclusion de la conservation des ressources biologiques de la mer, l'environnement, la protection des consommateurs, les transports, les réseaux transeuropéens, l'énergie, l'espace de liberté, de sécurité et de justice, les enjeux communs de sécurité en matière de santé publique, pour les aspects définis dans le présent traité. » 394.F. CHALTIEL, « La souveraineté vue par l’Union européenne », op. cit., n. 373, p. 195.
137
motivées par l’intérêt collectif, que l’action unilatérale des États souvent mus par leurs
égoïsmes nationalistes. Par ailleurs, légitimant l’action de l’échelon le plus éloigné en cas
d’aspects transnationaux et d’efficacité supérieure, le principe de subsidiarité « donne un
argument fort à la compétence communautaire ».395 Ainsi conçu, il « permet un déplacement
sans procédure particulière de la ligne de répartition des compétences entre les États et la
Communauté ». La conséquence de son introduction est qu’ « il y a désormais une frontière
mobile dont les États ont perdu la maîtrise »396 d’autant plus que dans la deuxième partie du
paragraphe 2 de l’article 2 du T.F.U.E.397 il est stipulé que « les États membres exercent leur
compétence dans la mesure où l'Union n'a pas exercé la sienne. Les États membres exercent à
nouveau leur compétence dans la mesure où l'Union a décidé de cesser d'exercer la sienne. »
De ces constatations, on peut dire que « la notion de ‘partage’ est une leurre dans la mesure
où [les compétences dites partagées] sont d’abord et avant tout à la disposition de l’Union »398
car de la lecture des dispositions régissant le partage des compétences, il apparaît en filigrane
que l’exercice par l’Union de ces compétences exclut en quelque sorte les États.
1.2.3. L’exercice de compétences complémentaires et de compétences spécifiques
L’organisation communautaire peut intervenir dans des domaines qui, dans la répartition des
compétences, relèvent de la compétence nationale des États membres. C’est d’abord le cas
lorsqu’elle exercice des compétences dites d’appui ou complémentaires en intervenant en
appui des compétences des États pour coordonner ou compléter leur action, sans harmoniser
leurs législations nationales.399 Même si les domaines concernés demeurent dans le champ des
compétences nationales, l’intervention de l’organisation pour appuyer, compléter ou
encourager les actions des États peut in fine limiter la liberté d’action ou de décision des États
notamment en cas de risque de compromission de l’intérêt global collectif par l’action
unilatérale des États. Ainsi, dans le domaine de l’éducation et de la formation professionnelle,
par exemple, l’article 165 du T.F.U.E. dispose que « l'Union contribue au développement
d'une éducation de qualité en encourageant la coopération entre États membres et, si
395. F. CHALTIEL, « La souveraineté vue par l’Union européenne », op. cit., n. 373, p. 195. 396.M. CHEMILLIER-GENDREAU, « Maastricht entre le refus et la fuite en avant… », op. cit., note 369. 397.Dans la première partie du paragraphe 2 de cet article, il est stipulé que « lorsque les traités attribuent à l'Union une compétence partagée avec les États membres dans un domaine déterminé, l'Union et les États membres peuvent légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants dans ce domaine. »
398.A. PÉCHEUL, Le Traité de Lisbonne. La Constitution malgré nous ?, Paris, Cujas, 2007, p. 55. 399.Article 6 du T.F.U.E. : « L'Union dispose d'une compétence pour mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l'action des États membres. Les domaines de ces actions sont, dans leur finalité européenne : la protection et l'amélioration de la santé humaine, l'industrie, la culture, le tourisme, l'éducation, la formation professionnelle, la jeunesse et le sport, la protection civile, la coopération administrative. »
138
nécessaire, en appuyant et en complétant leur action tout en respectant pleinement [leur]
responsabilité pour le contenu de l'enseignement et l'organisation du système éducatif… ».
Or, ces interventions risquent, par l’effet utile des dispositions des traités, d’affecter la liberté
des États d’organiser leur système d’enseignement. C’est ce qui est d’ailleurs ressorti de
l’arrêt Erasmus où la C.J.C.E. a retenu une interprétation large de l’article 128 du Traité
instituant la Communauté européenne (actuel article 148 du T.F.U.E.). En effet, selon elle,
une interprétation qui assure un effet utile de l'article 128 est celle qui « aboutit à reconnaître
au Conseil la faculté d'arrêter des actes juridiques prévoyant des actions communautaires en
matière de formation professionnelle et imposant aux États membres des obligations de
coopération correspondantes. »400 À cet égard, expliquant la restriction de la liberté des États
par les actions communautaires complémentaires en matière d’éducation et de formation
professionnelle, un auteur souligne :
« Si l’étendue précise de ces obligations n’est pas explicitée, il est clair que les répercussions
des initiatives communautaires sur l’action souveraine des États ne sont pas négligeables,
puisque la participation des universités au programme de mobilité des étudiants tel
qu’organisé par l’action Erasmus implique certainement la réorganisation des programmes
d’études ou même la création de nouvelles filières d’enseignement. Dans un tel contexte, la
compétence nationale en matière d’éducation, bien que non affectée dans son principe, finit
par être strictement encadrée par l’action entreprise par la Communauté sur la base de la
compétence complémentaire dont elle dispose dans le domaine concerné. »401
La compétence nationale dans des matières en principe non liées par le droit communautaire
peut également être encadrée lorsque l’organisation communautaire exerce des compétences
spécifiques de coordination des politiques nationales402 comme par exemple en matière
économique ou d’emploi. Dans le cadre du système communautaire européen de répartition
des compétences, ces domaines sont laissés à la compétence nationale des États. Cependant,
vu leur importance dans le processus d’intégration régionale, l’Union adopte « les grandes
400.C.J.C.E., Commission c./ Conseil, aff.242/87, arrêt du 30 mai 1989, Rec. 1989, p. 1453, § 11. 401.R.-E. PAPADOPOULO, « Souveraineté et surveillance… », op. cit., note 342, p. 718. 402.Article 5 du T.F.U.E. : « Les États membres coordonnent leurs politiques économiques au sein de l'Union. À cette fin, le Conseil adopte des mesures, notamment les grandes orientations de ces politiques. […] L'Union prend des mesures pour assurer la coordination des politiques de l'emploi des États membres, notamment en définissant les lignes directrices de ces politiques. L'Union peut prendre des initiatives pour assurer la coordination des politiques sociales des États membres » ; Article 63 du Traité révisé de l’U.E.M.O.A. : « Les États membres considèrent leurs politiques économiques comme une question d'intérêt commun et les coordonnent au sein du Conseil en vue de la réalisation des objectifs définis à l'article 4 paragraphe b) du présent Traité. À cette fin, le Conseil met en place un dispositif de surveillance multilatérale des politiques économiques de l'Union dont les modalités sont fixées aux articles 64 à 75. »
139
orientations de ces politiques » et en définit « les lignes directrices ». Considérées comme
« question d’intérêt commun »403, ces politiques font l’objet d’une surveillance multilatérale.
Ainsi, en cas de décalage entre ces politiques et les grandes orientations communautaires et en
cas de risque de compromission du bon fonctionnement de l’Union, l’État concerné risque
d’être averti et se voir adresser des recommandations ou même des directives en vue de
l’adoption de mesures rectificatives.404 C’est donc dire que l’action des États membres dans
ces domaines qui relèvent de leur compétence nationale fait l’objet d’une surveillance et
d’une évaluation par les institutions communautaires, singulièrement la Commission et le
Conseil. Ce système de surveillance, sans affecter le principe de la souveraineté des États,
limite considérablement leur pouvoir exclusif et discrétionnaire dans les matières concernées
en inscrivant l’exercice de la souveraineté dans un cadre strict.405
2. L’existence d’un pouvoir communautaire de contrôle et de sanction
L’efficience des processus d’intégration de type communautaire implique que les États
membres se soumettent aux règles qui les régissent. Pour la réalisation des objectifs
d’intégration, ils doivent assurer la conformité de leur législation interne avec le droit
communautaire et veiller à son application effective dans leurs ordres juridiques nationaux.
Pour s’en assurer, il est établi un système communautaire de contrôle de l’application
effective du droit communautaire (2.1.) et il est institué des sanctions contre les États
contrevenants (2.2.).
2.1. Le contrôle de l’application effective du droit communautaire
Le contrôle de l’application effective du droit communautaire par les États est assuré par la
procédure du recours en manquement mais aussi par des voies de recours institués par les
textes communautaires. Le recours en manquement « est une des pierres angulaires du
système communautaire et qui apparaît tant au regard de sa nature que de l’utilisation répétée
qui en a été faite comme une exception dans le cadre des relations internationales entre les
403.Art. 121 par. 1 du T.F.U.E. et 63 du Traité révisé de l’U.E.M.O.A. 404.Art. 72 du Traité révisé de l’U.E.M.O.A. et art. 121 par. 4 du T.F.U.E. 405.Pour une vue détaillée de la surveillance communautaire sur l’action des États membres dans leurs domaines de compétence nationale, voir R.-E. PAPADOPOULO, « Souveraineté et surveillance… », op. cit., n. 342, pp. 715-724.
140
États ».406 Dans le cadre de l’Union européenne, c’est la Commission qui veille à ce que le
droit de l’Union soit correctement mis en œuvre par et dans l’ensemble des États membres.
Cela ressort de l’article 17, paragraphe 1 du T.U.E. d’après lequel « la Commission […] veille
à l'application des traités ainsi que des mesures adoptées par les institutions en vertu de ceux-
ci. Elle surveille l'application du droit de l'Union sous le contrôle de la Cour de justice de
l'Union européenne […]. » L’article 90 du Traité révisé de l’U.E.M.O.A. prévoit, quant à lui,
que « la Commission est chargée, sous le contrôle de la Cour de justice, de l'application des
règles de concurrence… »
Le recours en manquement est exercé contre un État dont le manquement visé peut consister
soit dans un acte positif (mauvaise transposition d’une directive, adoption d’une loi ou d’une
réglementation nationale incompatible avec les obligations communautaires etc.), soit dans
une omission (non-transposition d’une directive, omission d’abroger une loi ou une
règlementation incompatible avec le traité ou le droit communautaire dérivé etc.). L’État étant
considéré comme un tout, le manquement peut découler de n’importe quel organe étatique (le
gouvernement, le parlement ou les institutions judiciaires, etc.). La procédure de mise en
œuvre du recours en manquement comporte une phase administrative ou précontentieuse et
une phase contentieuse. Dans la phase administrative, l’État visé est mis en position de
défense par la Commission qui lui demande des observations pour justifier les manquements
constatés au droit communautaire. La Commission peut par la suite émettre un avis motivé
dans lequel elle indique des mesures appropriées à prendre par l’État et ce dans un délai
qu’elle lui impartit. Si l’État en cause ne se conforme pas à cet avis dans le délai imparti, elle
peut alors saisir la Cour de justice.407 C’est une fois l’affaire portée devant la Cour de justice
que la phase contentieuse ou juridictionnelle commence. Si la Cour estime le recours fondé,
par un arrêt, elle constate le manquement et fixe les mesures que l’État incriminé doit prendre.
L’arrêt de la Cour ayant autorité de la chose jugée, « tous les organes de l’État membre
concerné ont l’obligation d’assurer, dans les domaines de leurs pouvoirs respectifs, [son]
406.R. MUNOZ, « Le contrôle de l'application du droit communautaire nécessite d’améliorer les outils actuels et obligation d’en proposer de nouveaux », p. 11, [en ligne]. Disponible sur : http://local.droit.ulg.ac.be/sa/ieje/fileadmin/IEJE/Pdf/Application_droit_communautaire_Working_paper.pdf (page consultée le 25 février 2013). 407.Cette phase est prévue par les paragraphes 1 et 2 du point 1 de l’article 15 du Règlement de procédure de la Cour de justice de l’U.E.M.O.A. qui stipule : « Le recours en manquement appartient à la Commission. Si elle estime qu’un État membre ne s’est pas conformé aux obligations communautaires, elle adresse à cet État un avis motivé à ce sujet, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations. Si l’État en cause ne se conforme pas à cet avis dans le délai imparti par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice. Cette procédure est également ouverte à chaque État membre, après saisine préalable de la Commission. Celle-ci doit émettre un avis motivé, après avoir mis l’État concerné en mesure de présenter ses observations. Si la Commission n’a pas émis d’avis dans un délai de trois à compter de la demande, l’affaire peut être portée directement devant la Cour. ». Elle ressort aussi des articles 258 et 259 du T.F.U.E.
141
exécution. »408 La non-exécution de l’arrêt de la Cour peut conduire à des sanctions contre
l’État réfractaire.
De ce qui précède, il ressort que « les États membres ne sont pas libres d’appliquer le droit
communautaire en fonction de leurs propres priorités, mais qu’ils doivent, au contraire,
assurer son application effective. Dans cette tâche, ils sont constamment surveillés, et même
sanctionnés, par les juridictions nationales et les institutions communautaires »409.
En dehors de la procédure du recours en manquement, les juges communautaires assurent, à
travers des recours institués, le contrôle de l’applicative effective du droit communautaire par
et dans les États membres. L’article premier du Protocole additionnel n° 1 relatif aux organes
de contrôle de l’U.E.M.O.A. et l’article 14 du Règlement de procédure de la Cour de justice
disposent à ce titre que « la Cour de justice veille au respect du droit quant à l’interprétation et
l’application du Traité de l’Union ».410 L’existence de ces juridictions communautaires n’est
pas sans conséquence sur le monopole de juridiction qu’implique la compétence nationale de
l’État. D’abord leur juridiction obligatoire découle de la simple participation à l’organisation
communautaire et ne nécessite aucune déclaration des États d’acceptation de leur compétence,
comme c’est d’usage dans l’ordre international interétatique. Ensuite, avec leur monopole de
l’interprétation du droit communautaire, les juridictions nationales sont tenues de collaborer
avec leurs partenaires communautaires. Les juges nationaux peuvent, et parfois doivent, saisir
la juridiction communautaire411 pour demander de préciser un point d'interprétation du droit,
afin de leur permettre, par exemple, de vérifier la conformité avec ce droit de leur législation
nationale. Cela peut se comprendre par le fait qu’ils sont les juges de droit commun du droit
communautaire et par la nécessaire application effective et homogène de la législation 408.Voir paragraphe 3 du point 1 de l’article 15 du Règlement de procédure de la Cour de justice de l’U.E.M.O.A. ; article 260 du T.F.U.E. 409.Voir R.-E. PAPADOPOULO, « Souveraineté et surveillance… », op. cit., note 342, p. 708. 410. L’article 19 paragraphe 1 du T.U.E. « La Cour de justice de l'Union européenne comprend la Cour de justice, le Tribunal et des tribunaux spécialisés. Elle assure le respect du droit dans l'interprétation et l'application des traités. » L’article 14 du Traité de l’O.H.A.D.A. stipule : « La Cour Commune de Justice et d'Arbitrage assure dans les États Parties l'interprétation et l'application commune du présent traité, des règlements pris pour son application et des actes uniformes. » 411.Selon l’article 267 du T.F.U.E., « la Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel : a) sur l'interprétation des traités, b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union. Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question. Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour... » L’article 12 du Protocole additionnel n° 1 relatif aux organes de contrôle de l’U.E.M.O.A. contient des dispositions similaires concernant la Cour de justice de l’U.E.M.O.A.
142
communautaire sans interprétation divergente. Dans cette perspective, la juridiction nationale
destinataire est liée par l'interprétation donnée quand elle tranche le litige pendant devant elle.
L’interprétation de la juridiction communautaire lie aussi de la même manière les autres
juridictions nationales qui seraient saisies d'un problème identique ainsi que toute source
juridique interne.412 Ce système de collaboration entre juridictions nationales et juridictions
communautaires est poussé à son extrême dans le cadre de l’O.H.A.D.A. où existe une
véritable hiérarchie entre les juridictions nationales et la C.C.J.A., qui s’établit ainsi : en vertu
de l’article 13 du traité de l’O.H.A.D.A., en première instance et en appel, le contentieux
relatif à l'application des actes uniformes est réglé par les juridictions nationales qui peuvent
demander un avis consultatif de la C.C.J.A. pour l'interprétation et l'application commune du
traité, des règlements pris pour son application et des actes uniformes. Par la suite, et c’est là
que la hiérarchie est visible, en tant que juridiction de dernier ressort, la C.C.J.A. peut être
saisie de recours en cassation contre « les décisions rendues par les juridictions d'appel des
États Parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l'application des actes
uniformes et des règlements prévus au […] traité à l'exception des décisions appliquant des
sanctions pénales ».413 Il en résulte un dessaisissement des juridictions nationales de cassation
puisque, même saisies, elles doivent renvoyer l’affaire devant la C.C.J.A. et attendre qu’elle
se prononce. L’article 16 du traité dispose à cet égard que « la saisine de la Cour commune de
justice et d’arbitrage suspend toute procédure de cassation engagée devant une juridiction
nationale contre la décision attaquée […]. Une telle procédure ne peut reprendre qu’après
arrêt de la C.C.J.A. se déclarant incompétente pour connaître de l’affaire ».
En définitive, la procédure préjudicielle et celle de cassation dans le cas spécifique de
l’O.H.A.D.A. apparaissent comme des instruments de conditionnement du « comportement
du juge national dans le but d’assurer l’application uniforme et effective du droit
communautaire dans les ordres juridiques nationaux. » La preuve en est que « la faculté de
renvoi qui vaut pour les juridictions inférieures, se transforme en obligation lorsque sont en
cause des juridictions dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours ».414
412.Article 13 du Protocole additionnel n° 1 relatif aux organes de contrôle de l’U.E.M.O.A. contient des dispositions similaires concernant la Cour de justice de l’U.E.M.O.A. : « Les interprétations formulées par la Cour de justice dans le cadre de la procédure de recours préjudiciel s’imposent à toutes les autorités administratives et juridictionnelles dans l’ensemble des États membres. L’inobservation de ces interprétations peut donner lieu à un recours en manquement ». Voir aussi l’article 14. 413.Article 14 paragraphe 3 du traité révisé de l’O.H.A.D.A. 414.Voir R.-E PAPADOPOULO, « Souveraineté et surveillance… », op. cit., note 342, p. 707.
143
2.2. Les sanctions de la non-conformité du droit national au droit
communautaire
Les arrêts des juridictions communautaires, nous l’avons vu, jouissent de l’autorité de la
chose jugée et son exécutoires dans les États membres.415 Leur non-exécution par l’État
condamné peut aboutir au prononcé de sanctions à son encontre, en particulier lorsqu’ils sont
rendus dans le cadre du recours en manquement ; la sanction étant entendue comme une
réaction, prévue par le droit, à la violation d’un devoir.416 Cette procédure de sanction est
prévue au sein de l’U.E.417 et de l’U.E.M.O.A.418. Elle s’exerce par l’action de la Commission
qui, lorsqu’elle estime que l’État n’a pas exécuté l’arrêt de la Cour de justice, peut saisir cette
dernière (dans le cas de l’U.E.) ou la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement (dans
le cas de l’U.E.M.O.A.) pour demander que l’État défaillant s’exécute.
Dans le cadre de l’U.E., lorsque la Commission saisit la Cour de justice de la procédure dite
« de manquement sur manquement », elle « indique le montant de la somme forfaitaire ou de
l'astreinte à payer par l'État membre concerné qu'elle estime adapté aux circonstances ». Et,
« si la Cour reconnaît que l'État membre concerné ne s'est pas conformé à son arrêt, elle peut
lui infliger le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte ».419 La C.J.C.E. a appliqué
cette procédure de sanction pour condamner la Grèce420 au paiement d'une astreinte par jour
de retard dans la mise en œuvre des mesures nécessaires à l'exécution de la décision de
manquement initiale421. L’Espagne avait elle aussi été condamnée au paiement d'une astreinte
annuelle dégressive422. Enfin, en 2005423, la France fut condamnée cumulativement à une
astreinte et à une somme forfaitaire pour manquement à l’exécution de l’arrêt initial de la
Cour424 qui avait constaté ses manquements à ses obligations communautaires en matière de
réglementation et de contrôle des activités de pêche.
415.Voir article 20 du Protocole additionnel n° 1 relatif aux organes de contrôle de l’U.E.M.O.A., article 57 du Règlement de procédure de la Cour de justice de l’U.E.M.O.A., article 20 du Traité de l’O.H.A.D.A. et article 280 du T.F.U.E. 416.HAGUENAU C., L’application effective du droit communautaire en droit interne, Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 310. 417.Article 260 du T.F.U.E. 418.Article 74 du Traité révisé de l’U.E.M.O.A. et article 15, point 1 par. 3 du Règlement de procédure de la Cour de justice de l’U.E.M.O.A. 419. Paragraphes 2 et 3 de l’article 260 du T.F.U.E. 420.C.J.C.E., 4 juillet 2000, aff. C-387/97, Commission c/ Grèce, Rec. 2000. 421.C.J.C.E., 7 avril 1992, aff. C-45/91, Rec. 1992. 422.C.J.C.E., 25 novembre 2003, aff. C-278/01, Commission c/ Espagne, Rec. 2003. L’arrêt initial est celui de la C.J.C.E., 12 février 1998, aff. C-92/96, Rec. 1998. 423.C.J.C.E., 12 juillet 2005, aff. C-304/02, Commission c/ France, Rec. 2005. 424.C.J.C.E., 11 juin 1991, aff. C-64/88, Rec. 1991.
144
Au sein de l’U.E.M.O.A., la saisine de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement
par la Commission au sujet de la non-exécution de la décision de la Cour de justice, est « sans
préjudice des sanctions prévues à l’article 74 du Traité de l’Union relatif à la surveillance
multilatérale ». Il faut à ce niveau signaler le caractère particulier de la procédure et des
mesures prévues par l’organisation ouest africaine. En effet, la Cour de justice est écartée et
c’est la Commission et surtout le Conseil qui décide. Le Conseil peut dans ce cadre émettre
une directive à destination de l’État récalcitrant qui élabore en concertation avec la
Commission et dans un délai de trente jours, un programme de mesures rectificatives.425 Si
l’État met en place ledit programme, il peut bénéficier de mesures positives telles que le
soutien de l’Union dans la recherche du financement requis pour son exécution ou l’accès
prioritaire aux ressources disponibles de l’Union. Si, en revanche, l’État concerné n’a pas
élaboré ledit programme, ou si la Commission le juge non conforme avec la directive du
Conseil et à la politique économique de l'Union, ou enfin si la Commission constate
l'inexécution ou la mauvaise exécution du programme rectificatif, elle transmet au Conseil un
rapport assorti éventuellement de propositions de mesures négatives explicites. Le Conseil
peut alors décider à la majorité des deux tiers de ses membres des sanctions proprement dites
contre l’État défaillant. Ces sanctions comprennent notamment le retrait, annoncé
publiquement, des mesures positives dont bénéficiait éventuellement l’État, la
recommandation à la B.O.A.D.426 de revoir sa politique d'intervention en sa faveur et la
suspension des concours de l'Union à cet État.427
Il résulte de ce qui précède qu’une fois que la Cour de justice a constaté le manquement de
l’État à ses obligations communautaires, et a fixé les mesures à prendre pour mettre fin à ce
manquement, l’État n’est plus totalement libre quant au choix de ces mesures et des délais
dans lesquels elles doivent être exécutées. La C.J.C.E. a, en effet, jugé que « l’intérêt qui
s’attache à une application immédiate et uniforme du droit communautaire exige que cette
exécution soit entamée immédiatement et aboutisse dans des délais aussi brefs que
possibles ».428 L’existence de ce pouvoir de sanction est justifiée car il apparaît comme une
conséquence nécessaire de la primauté du droit communautaire sur les droits nationaux. Il fait
la force de ce droit, lui conférant ainsi la normativité qui est souvent refusée au droit
international du fait particulièrement de « la criante insuffisance des mécanismes de
425.Article 73 du Traité révisé de l’U.E.M.O.A. 426.Banque ouest africaine du développement. 427.Article 74 du même traité. 428. Voir C.J.C.E., arrêt du 13 juillet 1988, Commission contre France, aff. 169/87, Rec. 1988, point 14.
145
sanction »429 de ce dernier. Il restreint la liberté des États car ceux-ci sont soumis à la
surveillance des institutions communautaires qui, par les sanctions, cherchent à encadrer, à
orienter le comportement des États dans le sens d’une application uniforme et effective du
droit communautaire.
À la lumière de toutes ces constatations, n’est-il pas légitime de se demander si les principes
et règles qui régissent les organisations internationales de type communautaire ne visent pas,
au-delà de la défense de leur autonomie et de leur identité, à promouvoir une certaine vision
souverainiste à l’échelle régionale ? En effet, si dire que dans l’ordre international, un État
souverain se définit négativement comme sa non-soumission à une autorité supérieure, n’est-
on pas, dans le cas particulier de l’Union européenne, en train d’assister à une dépossession
lente et progressive d’États souverains de leurs prérogatives au profit de l’émergence d’un
État régional. À cette question, Valérie Michel répond clairement par l’affirmative lorsqu’elle
souligne
« la convergence matérielle entre les conséquences de l’autonomie brandie par les autorités
communautaires et la défense de la souveraineté, même remaniée, par les instances nationales
pourrait […] conduire à envisager que le terme autonomie, dans le vocabulaire juridique
européen, soit au-delà qu’une quête d’identité, la préfiguration d’une souveraineté
européenne. »430
Dans cette même lignée, Florence Chaltiel constate que la pratique européenne aboutit à une
limitation de la souveraineté nationale et fait émerger une souveraineté européenne, et que la
jurisprudence circonscrit la souveraineté nationale et promeut une souveraineté européenne.431
Nous partageons ces points de vue, car quoiqu’on dise, dans l’ordre communautaire, l’État
n’est plus perçu comme un sujet autonome agissant en toute liberté, mais plutôt comme une
composante d’un ensemble intégré dont l’autorité et les règles sont s’imposent à lui.
429.P. WEIL, « Vers une normativité relative en droit international », R.G.D.I.P., 1982 ; le même, « Le droit international en quête de son identité », op. cit., note 138, pp. 9-370, spéc. pp. 203 et s. ; le même Écrits de droit international, Paris, P.U.F., 2000,p p. 21-56, spéc. p. 22
430.V. MICHEL, « L’autonomie du droit de l’Union européenne…», op. cit., note 351, p. 8. 431.F. CHALTIEL, « La souveraineté vue par l’Europe », op. cit., note 373, pp. 194-202.
146
CONCLUSION DU TITRE I
L’émergence sur la scène internationale de nouveaux acteurs qui incarnent la représentation
de divers intérêts est un phénomène marquant du monde contemporain. Avec eux, l’État a
perdu le monopole de la représentation légitime et de l’action internationale car la complexité
des problèmes et des enjeux internationaux ainsi que les exigences de la vie internationale ont
fini de démontrer ses limites. Avec eux, le domaine matériel de compétence nationale de
l’État a connu un nombre important de restrictions. Ainsi s’explique la remise en cause de
certains des éléments qui fondent son altérité, dont le domaine de compétence nationale qui
symbolise l’exclusivité de ses compétences dans différentes matières. Aussi, le phénomène de
mondialisation qui accroît les interdépendances, le développement des activités
transnationales et des phénomènes transfrontières pose à l’État des défis énormes quant à ses
capacités à, par son action exclusive, faire face et à se pérenniser. Le défi de la survivance de
l’État face à ses menaces qui l’assaillent se pose avec acuité d’autant plus qu’un grand
nombre d’États se débattent dans des difficultés économiques et sociales que les crises
politiques à répétition n’ont fait qu’accentuer. Ces « tribulations de l’État dans l’ordre
international »432 participent à la remise en cause de l’exclusivité de la compétence de l’État
qui, affaibli dans la société mondialisée, est assailli de tous les côtés. D’ailleurs, pour faire
face aux défis de la mondialisation et pour tenter de juguler leurs faiblesses, certains États se
sont lancés dans des processus d’intégration régionale qui favorisent l’émergence
d’institutions supranationales les dépossédant progressivement de leurs compétences
souveraines.
Au cœur de toutes ces mutations se trouve le droit international qui tente, tant bien que mal, à
rattraper les faits en essayant désormais de les prendre en compte. En effet, comme l’écrit
Thierry Hubert, « lorsque les situations de fait s’écartent excessivement du droit, ce ne sont
pas celles-ci qui sont nécessairement redressées, c’est le droit qui en subit les conséquences et
en vient à être changé »433. Cette tentative d’adaptation du droit international aux nouvelles
réalités de la société internationale consacre ainsi la remise en cause ou l’assouplissement de
certains de ses principes dont le principe de l’exclusivité des compétences étatiques sur le
territoire de l’État. Cette remise en cause du domaine de compétence nationale s’explique
ainsi par le fait qu’à travers la multiplication des organisations internationales pour les 432.S. SUR , « Sur quelques tribulations de l’État dans la société internationale », R.G.D.I.P., 1993, p. 881. 433.H. THIERRY, « L’État et l’organisation de la société internationale », in S.F.D.I., L’État souverain à l’aube du XXIè siècle, Paris, Pedone 1994, p. 193.
147
besoins de la multilatéralisation de la coopération internationale, la société internationale s’est
progressivement institutionnalisée. Elle présente de plus en plus de valeurs communément
partagées par les différents acteurs et pour la défense desquelles la souveraineté-liberté de
l’État comme son corollaire le domaine de compétence nationale ne constituent plus de
barrières infranchissables.
Il en résulte donc une remise en cause de la conception du domaine de compétence nationale
de l’État comme expression de la souveraineté-liberté, c’est-à-dire comme domaine matériel
dans lequel l’État « est libre d'agir comme il l'entend […] pourvu qu'il ne soit pas limité en
son exercice par une règle du droit international général ou une obligation qui lui incombe,
directement ou indirectement, en vertu d'un traité. »434 Les notions comme celles de
communauté internationale, de droits de l’homme, de patrimoine commun de l’humanité, de
droits et d’obligations erga omnes, de jus cogens etc., occupent en effet aujourd’hui une place
importante dans le discours politico-juridique international et traduisent les mutations qui
traversent la société internationale et le droit international. Elles imposent aux États des
restrictions de plus en plus nombreuses à leur liberté de décision et d’action et remettent en
cause dans des cas de plus en plus nombreux le principe de l’exclusivité de la compétence
nationale sur le territoire étatique.
434.B. CHENG, « La jurimétrie… », op. cit., note 27, p. 585.
148
TITRE II
LES MANIFESTATIONS DES RESTRICTIONS DU DOMAINE
MATÉRIEL DE COMPÉTENCE NATIONALE
Le domaine de compétence nationale conçu ratione materiae évoque l’idée de liberté de l’État
arrimée à des matières dans lesquelles il n’est pas tenu par des obligations internationales.
Ainsi dans le domaine politique, il implique la liberté de choix du système politique, l’égale
légitimité de tous les régimes politiques et l’indifférence totale du droit international aux
situations internes aux États, à leur organisation constitutionnelle, à la nature démocratique ou
autocratique, libérale ou autoritaire de leur régime.435 À ce titre, comme le souligne Charles
Chaumon, « il n’y a pas de légalité internationale des gouvernants : il n’y a qu’une légalité
interne que les États étrangers n’ont pas le droit de contrôler ».436 Dans cette optique, la non-
intervention « dans les affaires relevant de la compétence nationale d’un État » est érigée en
principe du droit international.437
Cependant, la multiplication des matières nécessitant une réglementation multilatérale, le
phénomène d’institutionnalisation de la vie internationale et la prise en compte de l’existence
de situations de défaillances politiques et économiques de certains États menaçant l’ordre
international, ont conduit à l’extension du champ matériel du droit international mais aussi et
surtout à ce que certains « principes fondamentaux du droit international tels qu’ils étaient
conçus, […] sans être abandonnés ou formellement redéfinis, [soient] l’objet d’interprétations
nouvelles, de changements suscités par le nouvel équilibre - ou déséquilibre – au sein de la
société internationale ».438 De nos jours, il est insoutenable d’affirmer catégoriquement
l’existence de matières qui per se relèvent exclusivement de la compétence nationale d’un
seul État. Entre autres, la forme de l’État ou la nature du système politique, pourtant
intrinsèquement liées à la vie et à l’organisation de l’État, ainsi que la situation de l’individu
dans l’ordre interne font désormais l’objet de nombreuses obligations internationales
435.Cf. supra Introduction, 2.2, relatif à la théorie du domaine de compétence nationale par nature, p. 26. Voir aussi H. GROS-ESPIELL, « Liberté des élections et observation internationale des élections… », op. cit., note 34, pp. 79 et s. Dans l’Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, la C.I.J. a jugé que « les orientations politiques internes d’un État relèvent de la compétence exclusive de celui-ci […] Chaque État possède le droit fondamental de choisir et de mettre en œuvre comme il l’entend son système politique, économique et social …», arrêt précité note 159, p. 133. 436Ch. CHAUMONT, Préface à Mohamed Bennouna, Le consentement à l’ingérence militaire dans les conflits internes, Paris, L.G.D.J., 1974. 437.Résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale des Nations unies portant Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies. 438.H. THIERRY, « L’État et l’organisation de la société internationale », op. cit., note 434, p. 193.
149
(conventionnelles ou coutumières) et sont ainsi sorties du domaine de compétence nationale
exclusive matériellement envisagé. En effet, « la deuxième partie du XXe siècle a vu se
multiplier les règles juridiques internationales relatives aux processus constituants nationaux
et à l’organisation constitutionnelle des États [et] il est indéniable que la fin du monde
bipolaire a accentué cette tendance à la pénétration du droit international dans les processus
constituants nationaux ».439 Désormais, le droit international prend progressivement en
compte des situations qui relèvent a priori du droit interne et restreint ainsi la sphère de
liberté des États. Il en est ainsi de la prise en compte par le droit international du mode
d’organisation et de fonctionnement internes de l’État (Chapitre I). C’est aussi le cas de la
mise en œuvre par le droit international de la responsabilité pénale individuelle (Chapitre II).
439.S. PIERRE-CAPS, « La mondialisation et la crise de l’État national », in S.F.D.I., L’État dans la mondialisation, Colloque de Nancy 2012, Paris, Pedone, 2013, p. 43.
150
CHAPITRE I
LA PRISE EN COMPTE PAR LE DROIT INTERNATIONAL DU MODE
D’ORGANISATION ET DE FONCTIONNEMENT INTERNES DE
L’ÉTAT
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale l’exigence de respect des droits de l’homme s’est
imposée dans la sphère intérieure des États. Aussi, depuis les années 1990 avec l’écroulement
du bloc soviétique, l’amorce des processus de démocratisation en Afrique et en Asie, le mode
d’organisation et de fonctionnement de l’État ainsi que le mode et les processus de
désignation des gouvernants et des représentants du peuple ont émergé dans les enceintes
internationales comme questions d’intérêt ou de préoccupation internationale (international
concern). Ainsi au nom du patrimoine constitutionnel commun des sociétés politiques440 et de
la civilisation internationale des mœurs étatiques appréhendée sous le prisme de la notion de
droits de l’homme441, on assiste à un certain assouplissement de la conception westphalienne
de la souveraineté et de ses corollaires les principes de non-ingérence et d’exclusivité du
domaine de compétence nationale de l’État. Il y a en effet aujourd’hui une « conviction
universellement répandue depuis la chute du monde communiste, que la démocratie est ‘‘le
seul système de gouvernement de nos nations’’ mais aussi le sentiment que les dictatures
suscitent immanquablement des réactions de violences et que seuls les régimes démocratiques
assurent la stabilité sociale. »442 La démocratie apparaît désormais comme une valeur suprême
et légitime en matière d’organisation de l’État.443 À ce titre, elle s’affirme de plus en plus
comme une obligation internationale qui gouverne l’organisation et le fonctionnement de
l’État (Section 1) et participe à la dynamique de civilisation des mœurs socio-politiques
internationales.444
440.L. SINDJOUN, La formation du patrimoine constitutionnel commun des sociétés politiques : Éléments pour une théorie de la civilisation politique internationale, Dakar, CODESRIA, 1998, 63. 441.L. SINDJOUN, « La civilisation internationale des mœurs : éléments pour une sociologie de l’idéalisme structurel dans les relations internationales », Études internationales, vol. 27, n° 4, 1996, pp 841 et s., en particulier p. 842. 442.J. CHARPENTIER, « Le phénomène étatique à travers les grandes mutations… », op. cit., note 117, p. 29. 443.M. GOUNELLE, « La démocratisation, politique publique internationale », in L’évolution du droit international. Mélanges Hubert Thierry, Paris, Pedone, 1998, p. 203. Selon Georges Burdeau, la démocratie « n'est pas seulement une formule d'organisation politique ou une modalité d'aménagement de rapports sociaux, elle est une valeur », voir G. BURDEAU, Démocratie, in Encyclopedia Universalis, Corpus 5, Paris, 1988, pp. 1081 et s. 444.L. SINDJOUN, « La loyauté démocratique dans les relations internationales : sociologie des normes de civilité internationale », Études internationales, vol. 32, n° 1, 2001, pp. 31 et 36.
151
L’existence de multiples relations juridiques entre les différents acteurs des relations
internationales ainsi que l’interdépendance croissante entre eux rendent impossible à un État
de s’isoler du monde et d’agir en toute liberté. Il existe en fait entre les acteurs une sorte de
droit de regard sur les situations internes de chacun. C’est pourquoi, la non-conformité d’un
État à l’exigence démocratique suscite de plus en plus de réactions internationales (Section 2).
Section 1 : L’existence d’une obligation internationale d’être démocratique
La démocratie comme obligation internationale gouvernant l’organisation et le
fonctionnement de la vie politique des États est la principale manifestation de la restriction du
domaine de compétence nationale ratione materiae. En vertu de la conception de ce domaine
comme expression de la souveraineté-liberté, l’État est libre d’agir comme il entend en
l’absence d’obligation internationale. Il a en particulier « le droit de choisir et de développer
librement son système politique, économique, social et culturel ».445 Or, de nos jours, même
en matière de choix du régime politique et d’organisation interne de l’État, il existe un certain
nombre d’obligations internationales qui exigent de lui un comportement démocratique et
restreignent ainsi sa liberté de choix et d’action. Ces obligations internationales en matière
démocratique sont consacrées tant par des textes juridiques internationaux (§ 1) que par des
pratiques internationales courantes (§ 2).
§ 1 : Une obligation consacrée par des textes juridiques internationaux
Aujourd’hui, au fur et à mesure que la société internationale s’institutionnalise et se
communautarise, la démocratie s’institutionnalise dans les relations internationales, c’est-à-
dire qu’elle se met dans un processus d’acquisition d’une dimension objective influençant
l’organisation interne des États et leur légitimation internationale.446 Ainsi, le mouvement de
propagation de la démocratie comme forme de régime politique par excellence, conduit à
l’affirmation de la démocratie comme obligation par plusieurs textes juridiques à l’échelle
universelle (1) et régionale (2).
445.Résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale des Nations Unies portant « Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies », 24 octobre 1970 ; C.I.J., Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, arrêt précité note 159. 446.L. SINDJOUN, « La loyauté démocratique dans les relations internationales… », op. cit., note 444, p. 39.
152
1. La démocratie en tant qu’objet d’obligations juridiques à l’échelle universelle
Parce que l’institution d’un ordre démocratique universel apparaît de plus en plus comme un
objectif ultime de tous les efforts internationaux en vue du maintien, de l’imposition et de la
consolidation de la paix,447 les initiatives normatives internationales en faveur de la
démocratie se multiplient au point qu’un auteur parle d’un nouveau « droit de l’homme à un
gouvernement démocratique »448 et qu’un autre affirme que « Popular government is an
internationnaly prescrited human right » et que ‘‘Democracy is a right guaranteed by
international law’’.449 En effet, il existe à l’échelle universelle de nombreux instruments
juridiques internationaux qui prescrivent une garantie effective des droits politiques des
citoyens.
Sous l’égide du système des Nations Unies, la société internationale est, depuis la fin de la
guerre froide, entrée dans un « contexte de redynamisation des anciennes normes (notamment
la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, le pacte sur les droits civils et
politiques de 1966 etc.) et de l’élaboration de nouvelles normes »450 qui mettent en exergue
l’émergence progressive d’une exigence démocratique comme élément essentiel de légitimité
internationale des États. Même si, dans la Charte des Nations Unies, il n’est pas fait usage du
terme « démocratie », cette dernière apparaît comme l’une des valeurs et des principes de base
universels et indivisibles des Nations Unies. Elle repose sur la volonté librement exprimée des
peuples et est en corrélation étroite avec l’état de droit et l’exercice des droits de l’homme et
des libertés fondamentales.451 Ainsi, le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
qui figure à l’article 1 paragraphe 2 et rappelé à l’article 55, est aujourd’hui interprété dans le
sens de lui conféré une dimension interne. Cette interprétation du droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes va dans le sens de la consécration de la légitimité démocratique en ce sens que
l’autodétermination implique un régime démocratique452 qui respecte les droits du peuple
447.D. KOKOROKO, « Souveraineté étatique et principe de légitimité démocratique », R.Q.D.I., 2003, 16.1, p. 44. 448.T. FRANCK, ‘‘The Emerging Right to Democratic Governance’’, A.J.I.L., vol. 86, n° 1, 1992, p. 46-91 ; du même auteur ‘‘Fairness in the International Legal and Institutionnal System’’, R.C.A.D.I., t. 240, 1993-III, pp.23-498, spécialement chapitre IV : ‘‘Democratic : people and persons’ rights to participate in decisions’’, pp. 99-124. 449.M. REISMAN, ‘‘Humanitarian Intervention and Fledgling Democracies’’, Fordham International Law Journal, 1995, 18, pp. 804-805. 450.L. SINDJOUN, « La loyauté démocratique dans les relations internationales… », op. cit., note 444, p. 42. 451.Document final du Sommet mondial de 2005, paragraphes 119 et 135 (A/RES/60/1) ; voir article 1 par. 3, art. 55 et art. 62 par. 2 de la Charte des Nations Unies. 452.J. CHARPENTIER, « Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le droit international positif », R.Q.D.I., 1985, pp. 211-212 ; MARIE J.-B., « Relation entre droits des peuples et droits de l’homme : distinctions sémantiques et méthodologiques », Annuaire canadien des droits de la personne, tome 5, 1988,
153
dont celui de déterminer librement, par des élections et des représentants, leur statut politique
et assurer leur développement économique, social et culturel. Au sein des Nations Unies, il
existe aujourd’hui un lien étroit entre autodétermination et le droit à la pratique « d’élections
libres, loyales et démocratiques, tenues sous surveillance internationales ».453 À cet égard,
selon le professeur Linos-Alexandre Sicilianos, « l’émergence du principe de légitimité
démocratique liée à la revalorisation du droit à l’autodétermination interne, a récemment
provoqué un certain changement dans l’attitude onusienne traditionnelle ».454 Autrement dit,
l’O.N.U. n’est plus indifférente à la gouvernance interne des États, à l’instauration et la
consolidation de la démocratie. Dans cette perspective, plusieurs instruments internationaux
sur les droits de l’homme ont été élaborés dans le cadre ou sous les auspices de l’O.N.U., qui
dont le respect exige en fait un régime véritablement démocratique. Il en est ainsi de la
Déclaration universelle des droits de l’homme qui énonce, dans son article 21 paragraphe 1,
que « toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son
pays, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis ». Elle
consacre d’autres droits et libertés qu’inclut tout système de gouvernement démocratique et
qui s’exercent « par l'élection bien sûr, mais aussi par la jouissance des prérogatives qui
garantissent la liberté de ses choix, liberté d'opinions, liberté de la presse, liberté d'association,
liberté de réunion, etc.... »455 En érigeant « la volonté du peuple » en « fondement de l’autorité
des pouvoirs publics »456 et en consacrant le droit à la participation politique et aux élections
libres, la Déclaration préconise le régime démocratique et établit un lien entre démocratie et
droits de l’homme. Bien qu’elle n’ait pas une valeur contraignante, on considère qu’elle
reflète des valeurs universelles et qu’elle a impulsé la protection internationale des droits de
l’homme.
En plus de la déclaration universelle des droits de l’homme, les Pactes internationaux sur les
droits civils et politiques, et sur les droits économiques, sociaux et culturels contribuent à la
consécration de la démocratie comme norme internationale. En particulier, le Pacte sur les
droits civils et politiques pose les fondements juridiques des principes démocratiques au
regard du droit international et son Protocole additionnel offre la possibilité de développer un
contentieux international des droits de l’homme, dont la valeur juridique est celle d’un
p.191 ; S. GALOGEROPOULOS-STRASTIS, Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, Bruylant, Bruxelles, 1973, p. 150. 453.Résolution 44/22 du 16 novembre 1989 relative au Cambodge. 454.L.-A. SICILIANOS L.-A., L’ONU et la démocratisation de l’État : systèmes régionaux et ordre juridique universel, Paris, Pedone, 2000, p.182. 455.G. BURDEAU, Démocratie, op. cit., note 443, p. 1082. 456.Article 21 paragraphe 3 de la Déclaration.
154
traité.457 L’article 25458 du Pacte protège des droits individuels dont l’exercice effectif
nécessite l’adoption par les États de mesures qui, une fois mises en œuvre, garantiraient un
« régime démocratique fondé sur l’approbation du peuple ».459 Le Pacte étant un traité soumis
à la ratification des États parties, tout État l’ayant ratifié, sans réserve à ce sujet, se voit
soumis à l’obligation de respecter les droits protégés. Autrement dit, le Pacte pénètre au cœur
même de la souveraineté-liberté, en créant des obligations positives pour chaque État partie
non réservataire, dans le cadre de l’organisation politique interne. Le Comité des droits de
l’homme contrôle le respect et l’application effective des dispositions du Pacte en général et
de l’article 25 en particulier, en recevant les rapports des États détaillant les mesures
nationales adoptées à cette fin. Sous ce rapport, même si la référence à la démocratie n’est pas
expresse dans le Pacte, l’exercice des droits qu’il protège ne peut être effectif que dans un
régime démocratique car la garantie des élections libres et démocratiques et la participation
politique des citoyens s’inscrivent dans le cadre du processus de « civilisations internationale
des mœurs étatiques »460 et de démocratisation des pays non démocratiques ou en transition
démocratique.
Dans la même dynamique, la Commission des droits de l’homme des Nations Unies
(remplacée depuis 2006 par le Conseil des droits de l’homme)461 a, en 1999462, adopté une
résolution sur le droit à la démocratie comme droit de l’homme. En 2000, elle a adopté une
autre résolution463 suivant laquelle « les États membres ont la responsabilité solennelle de
promouvoir et de protéger les droits de l’homme en œuvrant de concert en vue de cimenter la
démocratie »464. Jusqu’en 2005, la Commission a ainsi adopté chaque année une résolution
portant sur la démocratie.465 Il ressort de ces résolutions qu’il incombe à chaque État
457.L. SINDJOUN, « La loyauté démocratique dans les relations internationales… », op. cit., note 444, p. 42. 458.Ce article dispose que « Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables : a) De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis ; b) De voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs ; c) D’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays. 459.CCPR/C/21/Rev.1/ Add. 7, Observation générale n° 25, 12 juillet 1996, §1.
460.L. SINDJOUN, « La civilisation internationale des mœurs… », op. cit., note 441, pp. 841 et s. 461.Voir Résolution 60/251 de l’Assemblée générale, en date du 15 mars 2006. 462.Résolution 1999/57 du 27 avril 1999, intitulée « Promotion du droit à la démocratie ». 463.Résolution 2000/47 du 25 avril 2000, intitulée « Promotion et consolidation de la démocratie ». 464.H. HONGJU KOH, « Le droit à la démocratie », Afrique – États-Unis, n° 06, juin 2000, pp. 5-7, cité par L. SINDJOUN, « La loyauté démocratique… », op. cit., n. 444, p. 43. 465.Résolution 2001/41 du 23 avril 2001, intitulée « Poursuite du dialogue sur des mesures visant à promouvoir et à consolider la démocratie » ; Résolution 2002/46 du 23 avril 2002, intitulée « Nouvelles mesures visant à promouvoir et à consolider la démocratie » ; Résolution 2003/36 du 23 avril 2003, intitulée « Interdépendance de la démocratie et des droits de l’homme », Résolution 2004/30 du 19 avril 2005, intitulée « Renforcement du rôle des organisations et mécanismes régionaux, sous-régionaux et autres en vue de promouvoir et consolider la démocratie » et la Résolution 2005/32 du 19 avril 2005, intitulée « Démocratie et État de droit ». En 2011, le
155
l’obligation de promouvoir tous les droits de l’homme qui contribuent « pour beaucoup à la
promotion et à la consolidation de la démocratie » et que la « démocratie est indispensable à
la promotion et la protection de tous les droits de l’homme ». Plus récemment, en mars 2012,
le Conseil des droits de l’homme a adopté une résolution intitulé « Droits de l’homme,
démocratie et État de droit »466 dans laquelle il est réaffirmé que la démocratie, le
développement et le respect de tous les droits de l’homme et des libertés fondamentales
étaient interdépendants. Il y est également rappelé que l’interdépendance entre une démocratie
qui fonctionne, des institutions solides et responsables, des prises de décisions transparentes et
sans exclusive, et un état de droit effectif est essentielle pour un gouvernement légitime et
efficace, respectueux des droits de l’homme. Enfin, il est y souligné que les États sont les
garants de la démocratie, des droits de l’homme, de la bonne gouvernance et de l’état de droit,
et qu’il leur incombe de les mettre pleinement en œuvre.
L’Assemblée générale des Nations Unies n’est pas en marge de cette dynamique
internationale en faveur de la légitimité démocratique. Déjà, en 1990, elle adoptait une
résolution sur le « Renforcement de l’efficacité du principe d’élections périodiques et
honnêtes ». Dans cette résolution, il est certes fait référence aux constitutions et législations
nationales et il est réaffirmé « le droit souverain qu’a chaque État de choisir et développer
librement son système politique, social, économique, et culturel »467. Mais, l’Assemblée
déclare que la détermination de la volonté du peuple nécessite « un processus électoral qui
donne à tous les citoyens des chances égales de devenir candidats et de faire valoir leurs vues
politiques, que ce soit à titre individuel ou conjointement avec d’autres ». En 1991, dans la
résolution 46/7 sur « La situation de la démocratie et des droits de l’homme en Haïti », l’A.G.
a condamné « énergiquement » le coup d’État contre le Président Jean-Bertrand Aristide et a
exigé qu’il soit rétabli dans son pouvoir, la pleine application de la Constitution et le respect
intégral des droits de l’homme. Cette résolution est importante en ce sens qu’elle considère
que le soutien voire le rétablissement de la démocratie dans un État donné est une question
qui ne relève pas de la compétence exclusive des États mais qui concerne la communauté
internationale.468 Depuis 1991, l’Assemblée générale a adopté plusieurs résolutions relatives à
la démocratie ou à un de ses aspects. On peut citer, à cet égard, la résolution 55/96 du 4 Conseil des droits de l’homme a adopté la résolution 18/15 du 29 septembre 2011, intitulée « Incompatibilité entre la démocratie et le racisme ». 466.Résolution A/HRC/RES/19/36 du 23 mars 2012. 467.Résolution 45/150 du 18 décembre 1990. Le même jour fut adoptée la résolution 45/151 sur le « Respect des principes de souveraineté et de la non-ingérence dans les affaires intérieures de chaque État en ce qui concerne les processus électoraux ».Voir aussi résolution 46/130 du 17 décembre 1991 portant le même titre. 468.S. LAGHMANI, « Vers une légitimité démocratique ? », in R. Ben Achour et S. Laghmani (dirs.), Les nouveaux aspects du droit international, Paris, Pedone, 1994, p. 262.
156
décembre 2000, intitulée « Promotion et consolidation de la démocratie », dans laquelle
l’Assemblée générale « engage les États à promouvoir et à consolider la démocratie » en
prenant un certain nombre de mesures destinées à garantir l’effectivité de la démocratie.469
Dans la même lancée, à travers la Déclaration du millénaire, les Chefs d’États et de
gouvernements membres des Nations Unies se sont engagés à ne ménager aucun effort pour
promouvoir la démocratie et renforcer l’État de droit ainsi que le respect des droits de
l’homme et des libertés fondamentales. Ils ont décidé de lutter en faveur de la protection et de
la défense, partout dans le monde, des droits civils, politiques, économiques, sociaux et
culturels universels et de renforcer la capacité de tous les pays à mettre en œuvre les principes
et les pratiques de la démocratie et le respect des droits de l’homme.470 Dans cette ordre
d’idées, au Sommet mondial de 2005, les États membres ont réaffirmé que « la démocratie est
une valeur universelle, qui émane de la volonté librement exprimée des peuples de définir leur
propre système politique, économique, social et culturel et qui repose sur leur pleine
participation à tous les aspects de leur existence. » Ils ont redit leur volonté de soutenir la
démocratie en aidant les pays à se doter davantage les moyens de mettre en œuvre les
principes et pratiques de la démocratie, et se sont déclarés résolus à rendre l’Organisation des
Nations Unies mieux à même de prêter son concours aux États Membres à leur demande.471
2. La démocratie en tant qu’objet d’obligations juridiques à l’échelle régionale
À ce niveau, nous essayerons de montrer que la légitimité démocratique, à travers l’exigence
de la démocratie, est devenue une condition d’adhésion, de participation et de maintien dans
certaines organisations internationales à vocation régionale. Nous verrons ainsi les exemples,
de l’Europe (à travers le Conseil de l’Europe, l’Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe et l’Union européenne), de l’Union africaine, (U.A.) de l’Organisation des États
américains (O.E.A.).
469.Parmi ces mesures, il y a la promotion du pluralisme, la protection de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales, la participation la plus large possible des individus à la prise de décisions, la création d’institutions publiques compétentes, le renforcement de la primauté du droit et à cette fin, la mise au point, l’entretien et le soutien d’un système électoral qui permette au peuple d’exprimer librement et régulièrement sa volonté au moyen d’élections honnêtes, ayant lieu périodiquement, la création d’un cadre juridique et des mécanismes nécessaires pour permettre une large participation des membres de la société civile au développement de la démocratie, le renforcement de la démocratie grâce à une bonne gestion des affaires publiques etc. On peut se référer aussi, entre autres, aux résolutions suivantes : Résolution 57/221 du 18 décembre 2002, intitulée « Renforcement du rôle des organisations et mécanismes régionaux, sous régionaux et autres en vue de promouvoir et de consolider la démocratie » ; Résolution 65/32 du 6 décembre 2010 ; Résolution 66/102 du 9 décembre 2011, intitulée « L’État de droit au niveau national et international ». 470.Résolution 55/2 du 8 septembre 2000. 471.A/RES/60/1, paragraphes 135 et 136, op. cit., (note 605).
157
2.1. À l’échelle européenne
Pour ce qui est de l’Europe, la démocratie libérale, comme forme d’organisation et de
fonctionnement de l’État et comme norme juridique, se retrouve dans plusieurs textes
régissant un certain nombre d’organisations européennes. Le statut du Conseil de l'Europe
prévoit dans son préambule que les États membres sont « inébranlablement attachés aux
valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun de leurs peuples et qui sont à
l'origine des principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit,
sur lesquels se fonde toute démocratie véritable ». L’article 3 dispose, quant à lui, que « tout
membre du Conseil de l’Europe reconnaît le principe de la prééminence du droit et le principe
en vertu duquel toute personne placée sous sa juridiction doit jouir des droits de l’homme et
des libertés fondamentales ». Il met à la charge des États la reconnaissance de ces principes.
Leur violation par un État peut provoquer sa suspension ou son retrait du Conseil. C’est ainsi
que sur la base de cet article 3 et de l’article 8 du statut que la Grèce s’est retirée de
l’organisation en 1969, lorsque le Conseil « convaincu de violations des principes
démocratiques et des droits fondamentaux de la personne humaine », s’est démarqué du
régime grec. Ce n’est qu’en 1974 qu’elle fut invitée à réintégrer l’organisation.472 Par ailleurs,
l’adhésion au Conseil de l’Europe est conditionnée par la garantie des droits de la personne, le
respect de l'État de droit et par l'instauration d'un véritable régime démocratique et
parlementaire. C’est pourquoi, avant leur adhésion, certains États issus du bloc soviétique ont
été recalés et ne bénéficiaient que du statut d’« invité spécial ». Ce fut le cas, entre autres, de
la Croatie qui n’a adhéré à l’organisation qu’en 1996.
Cette exigence démocratique est confirmée par la Cour européenne des droits de l’homme
qui, dans sa jurisprudence, a fait du principe de la prééminence du droit l’un des principes
fondamentaux d’une société démocratique auquel se réfère expressément le Préambule de la
Convention et dont s’inspire la Convention toute entière.473 Elle a par ailleurs jugé que « la
démocratie apparaît […] comme l’unique modèle politique envisagé par la Convention et,
partant, le seul qui soit compatible avec elle ».474
472.A. MANIN, « La Grèce et le Conseil de l’Europe (12 décembre 1969 – 28 novembre 1974) », A.F.D.I., 1974, vol 20, n° 20, pp. 875-885. 473.Voir C.E.D.H., Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, par. 34 : à propos du droit d’accès à un tribunal et son corollaire droit au juge, reconnu par l’article 6, par. 1. 474. C.E.D.H., Parti communiste unifié de Turquie et autres contre Turquie, 30 janvier 1998, Rec. des arrêts et décisions, 1998-I, p. 20, par. 45.
158
Il faut ajouter que la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (C.S.C.E.)
devenue depuis 1995 Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (O.S.C.E.) a
adopté des textes qui consacrent la légitimité démocratique dans l’espace européen. C’est
ainsi que, dans le document final de la réunion de Copenhague sur la dimension humaine de
la C.S.C.E.,
« les États participants […] reconnaissent que la démocratie pluraliste et l’État de droit sont
essentiels pour garantir le respect de tous les droits de l’homme […] par conséquent, ils se
félicitent de l’engagement pris par tous les États participants de parvenir aux idéaux de la
démocratie et du pluralisme politique, ainsi que leur détermination communes à instaurer des
sociétés démocratiques reposant sur des élections libres et sur l’État de droit […]. Ils
réaffirment que la démocratie est un élément inhérent de l’État de droit. Ils reconnaissent
l’importance du pluralisme des organisations politiques. »475
Dans le même cadre, dans la Charte de Paris pour une nouvelle Europe adoptée le 21
novembre 1990, les États européens déclarent qu’il leur « appartient […] de réaliser les
espérances et les attentes que [ leurs] peuples ont nourri pendant des décennies : un
engagement indéfectible en faveur de la démocratie fondée sur les droits de l'Homme et les
libertés fondamentales... »476 Ils déclarent aussi que leurs « relations reposeront sur [leur]
adhésion commune aux valeurs démocratiques, aux droits de l'Homme et aux libertés
fondamentales. » Ils se sont enfin dits « convaincus que les progrès de la démocratie, ainsi
que le respect de l'exercice effectif des droits de l'Homme sont indispensables au
renforcement de la paix et de la sécurité » entre eux. La Charte de Paris a même consacré un
paragraphe relatif aux droits de l'Homme, à la démocratie et à l'État de Droit dans lequel les
États participants s'engagent « à édifier, consolider et raffermir la démocratie comme seul
système de gouvernement » de leurs nations, à coopérer et à se soutenir mutuellement pour
rendre irréversibles les acquis démocratiques.477
475.C.S.C.E., « Document de la réunion de Copenhague de la Conférence sur la dimension humaine de la C.S.C.E. du 20 juin 1990 », texte in R.U.D.H., 1990, vol. 2, n° 11, pp. 339-346. Voir aussi J.-D. VIGNY, « Le document de la réunion de Copenhague de la Conférence sur la dimension humaine de la C.S.C.E. Introduction et commentaires », R.U.D.H., 1990, 9, pp. 305-313. 476.Voir le texte de la Charte in R.U.D.H., 1990, pp. 490 – 495. 477.C.S.C.E., « Charte de Paris pour une nouvelle Europe, adoptée le 21 novembre 1990 », texte in R.U.D.H., 1990, vol. 2, n° 12, pp. 490-495, voir spécialement le chapitre intitulé « Droits de l’homme, démocratie et État de droit », pp. 490-491. Cf. H. TRETTER, « La réunion de Paris du 30 mai au 23 juin 1989 sur la dimension humanitaire de la C.S.C.E. et les droits de l’homme dans le document de clôture de la réunion de Vienne adopté le 15 janvier 1989 », R.U.D.H., 1989, pp. 287-295 ; Cf. C.S.C.E., « Texte du document de clôture de la réunion de Vienne adopté le 15 janvier 1989 », in R.U. D.H., 1989, vol. 1, pp. 295-308.
159
Toujours au niveau européen, il faut signaler que le principe démocratique est considéré
comme le fondement de l’Union européenne. Ainsi, en vertu de l’article « F » du traité de
Maastricht, tel que le modifie le traité d’Amsterdam : « l’Union est fondée sur les principes de
la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales
ainsi que l’État de droit, principes communs aux Etats membres ». Cette exigence
démocratique est réitérée dans le projet de Constitution européenne rejeté par la France et les
Pays-Bas en 2005, en son article 2 consacré aux valeurs de l’Union. Selon cet article, qui
correspond à l’article 1 bis du Traité de Lisbonne, « l’Union est fondée sur les valeurs de
respect de la dignité humaine, de la liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi
que le respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des
minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le
pluralisme, la tolérance, la justice, la solidarité et la non-discrimination ».
2.2. À l’échelle américaine
Concernant le continent américain, on peut admettre que, au plan institutionnel et juridique, il
existe une tendance à la consécration de la démocratie comme exigence régionale
d’organisation et de fonctionnement de l’État. Cette option pour la démocratie représentative
est clairement affirmée dans la Charte de l’O.E.A. qui stipule dans son article 3 d que « la
solidarité des États américains et les buts élevés qu'ils poursuivent exige de ces États une
organisation politique basée sur le fonctionnement effectif de la démocratie représentative ».
À ce titre, l’Assemblée générale de l’O.E.A. adopta la résolution du 18 novembre 1989478
soulignant la décision des États membres de soutenir et de renforcer les systèmes
authentiquement démocratiques et participatifs par le respect total pour tous les droits de
l'Homme, particulièrement par la tenue de processus électoraux honnêtes et par lesquels la
478.Résolution AG/RES. 991 (XIX-O/89) sur « Droits de l’homme et démocratie – Observation du processus électoral » ; Voir aussi les résolutions suivantes : Résolutions MRE/RES.1/91 et MRE/RES.2/91 des Ministres des relations extérieures des pays de l’O.E.A. des 2 et 8 octobre 1991 condamnant « La perturbation du système démocratique et imposant un embargo commercial contre Haïti » ; Résolution MRE/RES.3/92 des Ministres des relations extérieures des pays de l’O.E.A. sur « Le rétablissement de la démocratie en Haïti », 17 mai 1992 ; Résolution AG/RES. 1080 (XXI-O/91) du 5 juin 1991 sur la « Démocratie représentative » ; Résolution AG/RES. 1782 (XXXI-O/01) du 5 juin 2001 sur la « Promotion de la démocratie » ; Résolution AG/RES. 2164 (XXXVI – O/06) intitulée « Programme interaméricain d’éducation aux valeurs et pratiques démocratiques », Santo Domingo, juin 2006 ; Résolution AG/RES. 2271 (XXXVII – O/07) sur la « Protection des droits de la personne et des libertés fondamentales dans la lutte contre le terrorisme », Panama, juin 2007 ; Résolution AG/RES. 2421 (XXXVIII–O/08) sur le « Renforcement du rôle des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de la personne », Medellin (Colombie), juin 2008 ; Résolution AG/RES. 2480 (XXXIX – O/09) sur « La promotion et le renforcement de la démocratie », San Pedro Sula, juin 2009 ; Résolution AG/RES. 2526 (XXXIX – O/09) portant sur « L’appui à la gouvernance et à la démocratie institutionnelle au Guatemala », San Pedro Sula, juin 2009 ; Résolution AG/RES. 2528 (XXXIX – O/09) sur la « Modernisation et l’utilisation des technologies électorales dans le continent américain », San Pedro Sula, juin 2009…
160
volonté du peuple s'exprime librement et est respectée en ce qui concerne l'élection des
responsables.
Par ailleurs, selon le préambule de la convention américaine des droits de l'Homme479 les
États américains réaffirment « leur propos de consolider […] dans le cadre d’institutions
démocratiques, un régime de liberté individuelle et de justice sociale, fondé sur le respect des
droits fondamentaux de l'Homme ».480 L’article 23 de cette convention consacre un certain
nombre de droits politiques dont le respect est nécessaire dans toute société démocratique.481
Les jurisprudences de la Commission et de la Cour interaméricaines des droits d l’homme ont
fait apparaître que la « démocratie pluraliste » est le seul régime politique qui soit compatible
avec la Convention américaine des droits de l’homme.482
Enfin, l’O.E.A. s’est dotée d’une Charte démocratique interaméricaine483 qui dispose en son
article premier que « les peuples des Amériques ont droit à la démocratie et leurs
gouvernements ont pour obligation de la promouvoir et de la défendre… » L’article 2 poursuit
en précisant que « l'exercice effectif de la démocratie représentative constitue le fondement de
l'État de droit et des régimes constitutionnels des États membres de l'Organisation des États
américains… » Cette charte traduit l’attachement des États américains à la démocratie et
l'affirmation que cette dernière est et doit être la forme commune de gouvernement. Elle
constitue un engagement collectif afin de renforcer et préserver le système démocratique dans
la région.
2.3. À l’échelle africaine
En dehors de l’Europe et de l’Amérique, il convient de souligner que le continent africain,
dont l’image n’est pas toujours associée à celle de la démocratie, n’est pas lui aussi en reste
dans cette dynamique juridico-institutionnelle en faveur de ce régime. Malgré, les soubresauts
479.Adoptée le 22 novembre 1969 à Saint José et entrée en vigueur le 18 juillet 1978. 480.Voir R.U.D.H., 1992, p. 209. 481.Le paragraphe 1 de cet article prévoit que « Tous les citoyens doivent jouir des droits et facultés ci-après énumérés : a - De participer à la direction des affaires publiques, directement ou par l'intermédiaire de représentants librement élus ; b - D'élire et d'être élus dans le cadre de consultations périodiques authentiques, tenues au suffrage universel égal, et par scrutin secret garantissant la libre expression de la volonté des électeurs ». 482.L.-A. SICILIANOS, « Le respect de l’État de droit comme obligation international », in S.F.D.I., L’État de droit en droit international, Colloque de Bruxelles, Paris, Pedone, 2009, p. 145 ; du même auteur, L’ONU et la démocratisation de l’État…, op. cit., n. 454, pp. 74 et ss. 483.Adoptée par l’Assemblée générale le 11 septembre 2001.
161
de la vie politique et institutionnelle sur ce continent, la démocratie y connaît depuis les
années 90 des progrès significatifs, tant au plan institutionnel que juridique. C’est dans ce
contexte que, en plus du mécanisme africain de protection des droits de l’homme484, fut
adoptée, en juillet 1999 à Alger, les décisions AHG/Dec.141 (XXXV) et
AHG/Dec.142(XXXV) sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement. Dans la
première décision, les Chefs d’État et de gouvernement africains ont reconnu que « les
principes de la bonne gouvernance, de la transparence et des droits de l’homme sont essentiels
pour garantir des gouvernements représentatifs et stables et pour contribuer à la prévention
des conflits ». Dans la seconde, déterminés « à promouvoir des institutions fortes et
démocratiques », ils décident que « les États dont les gouvernements ont accédé au pouvoir
par des moyens anticonstitutionnels, devraient restaurer la légalité constitutionnelle […], faute
de quoi, [des sanctions] seront prises à l’encontre de ces gouvernement jusqu’à ce que la
démocratie soit rétablie ». Dans ce même cadre, fut adoptée, en 2000 à Lomé, la Déclaration
AHG/Decl.5(XXXVI) sur le cadre pour une réaction de l'O.U.A. aux changements
anticonstitutionnels de gouvernement. Les dirigeants africains y définissent un ensemble de
principes communs pour la démocratisation de leurs pays.485
Dans le préambule de l’Acte constitutif de l’U.A. qui a succédé à l’O.U.A., les Chefs d’État et
de gouvernement se sont dits « résolus à promouvoir et à protéger les droits de l’homme et
des peuples, à consolider les institutions et la culture démocratiques, à promouvoir la bonne
gouvernance et l’État de droit ». Selon l’article 3 en ses points g et h, parmi les objectifs de
l’U.A., il y a la promotion des principes et des institutions démocratiques, de la participation
populaire, de la bonne gouvernance et des droits de l’homme et des peuples. Quant à l’article
4, il prévoit, en ses points m et p, que l’Union fonctionne conformément au respect des
principes démocratiques, des droits de l’homme, de l’État de droit, de la bonne gouvernance,
de condamnation et de rejet des changements anticonstitutionnels de gouvernement. Le
484.Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, Cour africaine de justice et des droits de l’homme. Cf. supra Titre I, Chapitre I, Section 2, § 1, 2, pp. 76 et s. 485.Ces principes sont : L’adoption d’une constitution démocratique dont l’élaboration, le contenu et le mode de révision devraient être conformes aux principes généralement convenus de démocratie, le respect de la Constitution et des dispositions des lois et autres actes législatifs adoptés par le parlement, la séparation des pouvoirs et l’indépendance du pouvoir judiciaire, la promotion du pluralisme politique et de toute autre forme de démocratie participative, y compris le renforcement du rôle de la société civile et la garantie de l’équilibre entre les hommes et les femmes dans le processus politique, l’admission du principe de l’alternance démocratique et la reconnaissance d’un rôle pour l’opposition, l’organisation d’élections libres et régulières, la garantie de la liberté d’expression et de la liberté de presse, y compris la garantie de l’accès de tous les acteurs politiques aux médias, la reconnaissance constitutionnelle des droits fondamentaux et des libertés, conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme et à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, la garantie et promotion des droits de l’homme.
162
Conseil de paix et de sécurité de l’U.A. créé par le Protocole de Durban de 2002, a pour
objectif, entre autres, « de promouvoir et d’encourager les pratiques démocratiques, la bonne
gouvernance et l'état de droit, la protection des droits de l'homme et des libertés
fondamentales, le respect du caractère sacré de la vie humaine, ainsi que du droit international
humanitaire, dans le cadre des efforts de prévention des conflits. »486 Dans la même
dynamique s’inscrit l’adoption, en janvier 2007, de la Charte africaine de la démocratie, des
élections et de la gouvernance dans laquelle les États s’engagent à mettre en œuvre le respect
des droits de l’homme et des principes démocratiques et de promouvoir la démocratie, l’État
de droit et les droits de l’homme. Même si, elle n’est pas encore entrée en vigueur, cette
Charte traduit, avec les autres textes que nous venons de citer, la volonté collective des
africains d’œuvrer pour l’approfondissement et la consolidation de la démocratie, de l’État de
droit, de la paix, de la sécurité et du développement. L’ensemble de ces textes adoptés à
l’échelle africaine permettent d’attester, au moins sur le plan juridique, l’adhésion des États
africains à un concept commun de démocratie et au principe de légitimité démocratique.487
À côté de ces organisations à vocation régionale, il faut signaler deux organisations politico-
culturelles qui ont elles aussi adopté des textes consacrant la démocratie. Il s’agit du
Commonwealth et de l’organisation internationale de la francophonie. Ces organisations ne
sont pas indifférentes aux aspects politiques internes relatifs notamment à la démocratie et
aux droits de l’homme. Elles font la promotion de valeurs communes à leurs membres telles
que, entre autres, la démocratie et les droits de l’homme. Par la Déclaration de Harare adoptée
en 1991, les membres du Commonwealth ont ainsi réaffirmé leur « engagement collectif
formel d’être intraitables en matière de justice, des droits de l’homme et de la démocratie ».
S’agissant de l’O.I.F., lors du sommet de Chaillot en France, fut réaffirmé l’engagement à
œuvrer pour la démocratie et sa consolidation dans les États membres. Ainsi dans la
déclaration dite de Chaillot, les membres de l’O.I.F. se sont félicités « des progrès de la
démocratie constatés dans le monde entier » et ont réitéré leur « foi dans les valeurs
486.Article 3 f du Protocole de Durban. Selon l’article 7 paragraphe m, « conjointement avec le Président de la Commission, le Conseil de paix et de sécurité impose, conformément à la Déclaration de Lomé des sanctions chaque fois qu'un changement anticonstitutionnel de gouvernement se produit dans un État membre ». 487.Toujours, au niveau africain, il convient de signaler qu’à l’échelle sous régionale, il existe aussi une certaine consécration juridique de la démocratie comme norme de gouvernance. On peut citer à cet égard le cas de la C.E.D.E.A.O. dont les membres ont adopté un protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance. Il s’agit du Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité. Il pose des principes de convergence constitutionnelle communs à tous les États membres, tels que la séparation des pouvoirs, l’accession au pouvoir par la voie des élections, l’interdiction des changements anticonstitutionnels et des modes non démocratiques d’accession ou de maintien au pouvoir, la participation populaire aux prises de décision, le strict respect des principes démocratiques, la laïcité de l’État, la garantie des droits de l’homme…
163
démocratiques fondées sur le respect des droits de la personne, des minorités et des libertés
fondamentales ». Également « convaincus qu’il n’existe pas de développement sans liberté, ni
véritable liberté sans développement », les Chefs d’État et de gouvernement ont pris
« l’engagement de faire avancer le processus de démocratisation, de consolider les institutions
démocratiques et [ont décidé] de développer des programmes appropriés dans ce sens ».488
Dans cette dynamique, fut aussi adoptée la Déclaration de Bamako du 3 Novembre 2000 qui
fait un bilan des pratiques de la démocratie, des droits de l’homme et des libertés
fondamentales dans l’espace francophone et confirme la nécessité de l’exigence démocratique
dans la gouvernance politique des États.
En définitive, on peut retenir que la généralisation de la démocratie comme mode de
gouvernement et de fonctionnement des États se présente de plus en plus comme un objectif
général de la communauté internationale. En effet, à travers les différents textes juridiques
internationaux que nous venons de citer, mais pas que, le droit international universel et
régional se met progressivement au service de la promotion de la démocratie comme il l’a fait
pour la paix, la justice et la sécurité internationales. Quelle que soit l’autorité juridique de tel
ou tel texte ou instrument international de portée universelle ou régionale, il apparaît
clairement que la démocratie comme régime c’est-à-dire comme « philosophie politique et
sociale où les gouvernants puisent la source de leur activité et les techniques juridiques
relatives à l’exercice du pouvoir »489, est en train lentement de s’ériger en norme
internationale qui détermine la légitimité et la respectabilité internationales des États. Ainsi, le
domaine de compétence nationale envisagé comme sphère de libertés de l’État est également
ici restreint car le choix du régime politique considéré comme faisant partie du domaine
réservé par nature fait désormais l’objet d’obligations juridiques internationales on ne peut
plus clair. Aussi, en tant que membre des différentes organisations concernées, en particulier
des Nations unies, l’État est soumis au regard des organes politiques et des autres membres
aux exigences de celles-ci, dont celle d’être démocratique. À ce titre, comme l’a souligné le
professeur Jean Combacau,
« l’organisation internationale tient compte de tous les indices qui peuvent lui permettre de
se faire une opinion sur tous ces points et le caractère non-démocratique d’un gouvernement
pourrait être invoqué à ce titre, si les Nations Unies considéraient en fonction de l’idéologie
488.Voir déclaration de Chaillot adoptée à l’issue de sommet de Chaillot chefs d'Etat, de gouvernement et de délégation des pays ayant en commun l'usage du français, du 19 au 21 novembre 1991. [en ligne]. Disponible sur : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/declaration_chaillot.pdf (page consultée le 17 décembre 2012). 489.G. BURDEAU, « Régimes politiques et communauté internationale », R.G.D.I.P., 1953, pp. 522.
164
politique dominante que les obligations de la Charte sont trop contraires aux exigences d’un
régime non démocratique pour qu’on puisse raisonnablement présumer qu’il accepte
sincèrement de s’y conformer. »490
Dans cette mesure, la démocratie apparaît comme une véritable exigence internationale dans
l’ordre contemporain, exigence qui semble d’ailleurs se consolider à travers les nombreuses
pratiques internationales courantes la consacrant.
§ 2 : Une obligation consacrée par des pratiques internationales courantes
Le nouveau contexte international post-guerre froide a entraîné, nous venons de le voir à
travers plusieurs textes internationaux et régionaux, une forme d’exigence internationale
fondée sur la démocratie consolidant ainsi l’idée de légitimité démocratique internationale.
Ces instruments juridiques sont renforcés par des pratiques internationales qui, de plus en
plus, font de la démocratisation une politique publique internationale491 et restreignent la
marge de manœuvre des États quant aux choix du système politique, économique, social et
culturel. Ces pratiques sont observables à travers la conditionnalité démocratique (1),
l’observation électorale internationale (2) et la condamnation systématique des coups d’État
contre des gouvernements jugés démocratiques (3).
1. Les pratiques courantes de la conditionnalité démocratique
À l’origine, dans le cadre du F.M.I. et de la Banque mondiale, le terme conditionnalité
s’entend d’un ensemble « ensemble de mesures économiques correctives qu’un État s'engage
explicitement à prendre en contrepartie du soutien financier qui lui est apporté »492. Mais dans
le discours international post-guerre froide, l’usage du terme est étendu à des domaines variés.
Ainsi, à côté de la conditionnalité économique, on parle désormais de conditionnalité
juridique, de conditionnalité écologique ou environnementale et de conditionnalité politique
ou démocratique qui englobe les exigences de réformes démocratiques, de bonne gouvernance
490.J. COMBACAU, « Le pouvoir de sanction de l’ONU… », op. cit., n. 159, pp. 176 et s. ; G. BURDEAU, « Régimes politiques et communauté internationale », op. cit., n. 489, pp. 528 et ss. 491.M. GOUNELLE, « La démocratisation, politique publique internationale », op. cit., n. 443, pp. 201 et s. 492.J. SALMON (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant/AUF, 2001, p. 228.
165
et de respect des droits de l’homme.493 Dans cette perspective, la conditionnalité démocratique
se définit à partir de sa finalité. En effet, dans les relations internationales, elle a pour objet de
démocratiser un régime étatique existant, c’est-à-dire faire en sorte qu’il soit plus ou moins
conforme aux normes de la démocratie telle qu’envisagée plus haut. Elle se pratique sous la
forme de pressions visant à amener un État à adopter un régime démocratique.494 Elle est le
fait de certains « États à tradition démocratique bien établie » et de certaines organisations
internationales.495 À cet égard, nous ferons une distinction entre la conditionnalité pratiquée
par les États (1.1.) et celle pratiquée par les organisations internationales (1.2.).
1.1. La conditionnalité démocratique dans les relations directes d’État à État
L’observation de la réalité de la vie internationale permet d’établir que la conditionnalité
démocratique s’exerce dans les relations entre le bloc des pays développés et démocratiques
composé majoritairement des pays occidentaux, et le bloc des pays sous-développés, du tiers-
monde, non démocratiques ou en transition démocratique. Certains États du bloc
démocratique ayant acquis le statut de puissance (économique ou militaire) ont intégré dans
leurs politiques étrangères l’expansion de la démocratie à travers le monde. C’est ainsi que la
conditionnalité démocratique a fait son irruption dans les relations de coopération entre pays
développés et pays sous-développés en général et les pays d’Afrique, d’Europe centrale et
orientale en particulier, qui aspirent à leur aide publique au développement. C’est le cas
notamment des États-Unis, de la Grande Bretagne, du Canada, de l’Allemagne, de la France
etc.
493.M. KAMTO, « Problématique de la conditionnalité en droit international et dans les relations internationales », in La conditionnalité dans la coopération internationale, Actes du colloque de Yaoundé, juillet 2004, p. 10. [en ligne] Disponible sur : http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001485/148547fo.pdf (page consultée le 14 mars 2013). 494.A. BERRAMDANE, « Le discours de La Baule et la politique africaine de la France », Revue Juridique et Politique Indépendance et Coopération, n° 3, septembre-décembre 1999, pp. 247 et s. ; S. BOLLE, « La conditionnalité démocratique dans la politique africaine de la France », Afrilex, 2001, 2. [en ligne]. Disponible sur : http://afrilex.u-bordeaux4.fr/la-conditionnalite-democratique.html, (page consultée le 12 avril 2013) ; E. FOTTORINO, « France-Afrique. Les liaisons dangereuses. 3. La démocratie à contrecœur », Le Monde, 24 juillet 1997 ; C. JOLY, « La conditionnalité politique », in R. MEHDI (dir.), La Contribution des Nations Unies à la démocratisation de l’État. Dixièmes Rencontres internationales d’Aix-en-Provence, Colloque des 14 et 15 décembre, 2001, Paris, Pedone, 2002, p.63 ; M. MANKOU, « Droits de l’homme, démocratie et État de droit dans la Convention de Lomé IV », Revue Juridique et Politique Indépendance et Coopération, n° 3, septembre-décembre 2000, pp. 313 et s. ; T. O. MOSS, « La conditionnalité démocratique dans les relations entre l’Europe et l’Afrique », L’Événement Européen, n° 19, 1992, pp. 225 et s. ; L. PORGES, « L’aide et l’opinion française ou les limites de la générosité », Afrique Contemporaine, n° spécial, 4ème trim. 1998, pp. 127 et s. ; P. N. STANGOS, « La conditionnalité politique en termes de protection des droits de l’homme, de démocratie et d’État de droit, des relations économiques extérieures de la Communauté et de l’Union européennes », in H. RUIZ-FABRI, L.-A. SICILIANOS, J.-M. SOREL (dirs.), L’effectivité des organisations internationales : mécanismes de suivi et de contrôle, pp. 273- 321 etc. 495.M. GOUNELLE, « La démocratisation, politique publique internationale », op. cit., n. 443, pp. 201 et s.
166
L’aide publique au développement n’était à l’origine subordonnée à aucune conditionnalité
politique. Elle était seulement subordonnée à des conditionnalités économiques qui visaient à
restructurer l’économie et à favoriser la libéralisation du jeu économique. En d’autres termes,
la conditionnalité n’avait pas une finalité politique et singulièrement démocratique.
Cependant, vers la fin des années 80, il y eut un constat de l’échec des politiques
économiques mises en place et « la communauté internationale découvr[it] qu’il n’y avait pas
de développement sans un certain degré de démocratie, pas de démocratie sans respect des
droits de l’homme et, enfin, pas de démocratie sans développement. »496 Dès lors, certains
pays occidentaux pourvoyeurs d’aide ont commencé à poser la démocratie comme « condition
indispensable du développement économique mais aussi comme un droit universel et une
obligation au moins pour les États bénéficiaires de l’aide… »497 C’est dans ce contexte que la
France adopta une nouvelle position vis-à-vis de ses anciennes colonies. En effet, alors
qu’elle a pendant longtemps soutenu des régimes dictatoriaux en Afrique, la France changea
de discours et de politique. Ce changement s’est amorcé lors du sommet franco-africain de La
Baule de 1990 au cours duquel François Mitterrand annonça que désormais « la France liera
tout son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de
liberté ».498 Le président français précisa qu’« il est évident que l’aide normale de la France
sera plus tiède en face des régimes qui se comportaient de façon autoritaire sans accepter
d’évolution vers la démocratie et enthousiaste vers ceux qui franchiront le pas avec
courage. »499 Il s’agissait d’amener les États africains à adopter un système représentatif avec
des élections libres, la liberté de la presse, l’indépendance de la magistrature et le refus de la
censure500.
En conditionnant son aide publique au développement à l’avancée de la démocratie dans les
pays bénéficiaires, la France a contribué aux transitions démocratiques en Afrique dans les
années 90.501 C’est avec son appui et sous la contrainte de la conditionnalité démocratique
que, dans de nombreux pays francophones d’Afrique subsaharienne économiquement et
financièrement vulnérables, s’est opérée la libéralisation politique. Depuis la Conférence de
496.B. SIMMA, J. B. ASCHENBRENNER, C. SCHULTEYE, « Observations relatives aux droits de l’homme en ce qui concerne les activités de coopération au développement de la communauté européenne », in P. ALSTON (dir.), L’Union européenne et les droits de l’Homme, Bruxelles, Bruylant, 2001, pp.596-597. 497.S. MAPPA, « L’injonction démocratique dans les politiques européennes de développement », in Développer par la démocratie ? Injonctions occidentales ou exigences démocratiques, Actes du colloque international de Delphes, Paris, Karthala, 1995, p. 121. 498.Discours de François Mitterrand à La Baule, 20 juin 1990, in Politique étrangère de la France, mai-juin 1990, p. 130. 499.Le monde, 23 juin 1990. 500. Discours de François Mitterrand à La Baule, op. cit., p. 129. 501.Au sujet du rôle de la France dans la transition démocratique au Bénin, voir S. BOLLE, « La conditionnalité démocratique… », op. cit., n. 494, p. 4.
167
La Baule, les systèmes politiques africains ont connu une double évolution qui s’est traduite
par des changements institutionnels et constitutionnels symbolisant l’amorce du processus de
démocratisation en Afrique : un mouvement de démocratisation et un renouveau
constitutionnel. La démocratisation s’est caractérisée par le retour du multipartisme,
l’ouverture et la libéralisation du jeu politique. Concrètement, elle s’est opérée par la voie de
conférences nationales, de réformes constitutionnelles et de négociation. Quant aux
changements constitutionnels, ils se sont traduits par l’adoption de nouvelles constitutions
consacrant le multipartisme, les élections libres, la séparation des pouvoir et la proclamation
des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
À côté de la France, d’autres puissances ont fait de l’expansion de la démocratie par la
conditionnalité un aspect de leur politique étrangère. Les États-Unis à travers notamment le
Secrétariat d’État et l’USAID, et la Grande-Bretagne introduisirent également une
conditionnalité démocratique dans leurs programmes d’aide au développement en exigeant
une réflexion et un audit internes sur les résultats réels et l’efficacité des flux financiers à
destination de pays sous-développés. S’agissant des États-Unis, on peut citer le Cuban Liberty
and Democratic Solidarity Act qui « promet des investissements américains à Cuba, une
ouverture au commerce, un accroissement de l’aide humanitaire et un développement des
relations financières internationales avec cet État s’il démocratise son régime »502. On peut
également citer le Millennium Challenge Account qui “Provide resources to aid countries that
have met the challenge of national reform”. Ce programme
“propose a 50 percent increase in the core development assistance given by the United
States. While continuing our present programs, including humanitarian assistance based on
need alone, these billions of new dollars will form a new Millennium Challenge Account for
projects in countries whose governments rule justly, invest in their people, and encourage
economic freedom. Governments must fight corruption, respect basic human rights, embrace
the rule of law, invest in health care and education, follow responsible economic policies,
and enable entrepreneurship. The Millennium Challenge Account will reward countries that
have demonstrated real policy change and challenge those have not to implement
reforms”.503
Le Canada, par son Agence pour le développement international (A.C.D.I.), a lui aussi
affirmé que son « gouvernement considère le respect des droits de la personne non seulement
502.J. D’ASPREMONT, L’État non démocratique en droit international. Étude critique du droit international positif et de la pratique contemporaine, Paris, Pedone, 2008, pp. 241-242. 503.Disponible sur : http://www.whitehouse.gov/nsc/nss.html.
168
comme une valeur fondamentale, mais aussi comme un élément crucial dans le
développement des sociétés stables, démocratiques et prospères, vivant en paix les unes avec
les autres. » À cet égard, les progrès accomplis dans les pays en développement dans les
domaines de la bonne gouvernance, du respect des droits de la personne, le développement
démocratique et la primauté du droit sont désormais considérés comme des critères d’octroi
de l’aide au développement.504 Dans ce cadre, l’aide canadienne fournit un « appui à la
démocratisation et à l’émergence d’un secteur privé ».505
À travers ces quelques exemples, on voit que, dans les relations bilatérales entre pays
développés de tradition démocratique et pays sous-développés, la conditionnalité politique ou
démocratique de l’aide au développement est aujourd’hui bien ancrée dans les pratiques.
L’action des bailleurs de fonds bilatéraux se concentre de plus en plus dans l’encadrement
matériel des processus de démocratisation. En conditionnant l’octroi de l’aide au
développement à des réformes politico-institutionnelles dans le sens de l’instauration ou de la
consolidation de la démocratie, les pays développés et démocratiques contribuent ainsi à
l’émergence d’un principe de légitimité démocratique dans les relations internationales. Les
pays sous-développés demandeurs de l’aide se trouvant dans une situation de besoin, se
retrouvent contraints de satisfaire aux conditions posées pour accéder à cette aide en
procédant à des réformes allant dans le sens de l’établissement ou du renforcement de la
démocratie. À ce titre, la démocratie apparaît comme une norme internationale de
gouvernement des États qui limite le domaine de compétence nationale des États demandeurs
d’aide, envisagé ici comme la liberté de choix du système politique, donc leur autonomie
constitutionnelle.
1.2. La conditionnalité démocratique dans la pratique des organisations
internationales
En dehors des relations interétatiques bilatérales, la conditionnalité démocratique est aussi
utilisée dans le cadre de la coopération multilatérale entre des organisations internationales et
504.Le Canada contribue à un monde meilleur. Énoncé de politique en faveur d’une aide internationale plus efficace, Agence canadienne de développement international (A.C.D.I.), septembre 2002, p. 2. [en ligne]. Disponible sur : http://www.acdi-cida.gc.ca/INET/IMAGES.NSF/vLUImages/pdf/$file/SAE-FR.pdf . Voir aussi M. GERVAIS, « La bonne gouvernance et l’État africain : la position de l’aide canadienne », in GEMDEV, Les avatars de l’État en Afrique, Paris, Karthala, 1997, 340 p. 505.GEMDEV, Les avatars de l’État en Afrique, op. cit., p. 31.
169
des pays sous-développés notamment. C’est le cas singulièrement de l’Union européenne et
des institutions financières internationales comme le F.M.I. et la Banque mondiale.
L'Union européenne a adopté et promu le régime démocratique non seulement dans ses textes
fondateurs mais également dans ses rapports avec ses partenaires. C’est ainsi que la
conditionnalité démocratique est posée à l’adhésion de nouveaux États506, au maintien d’un
État membre dans l’U.E.507 et dans les relations extérieurs de l’organisation européenne avec
des États tiers, en particulier les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP).508 La
conditionnalité démocratique est insérée dans les textes régissant les relations de coopération
entre l’U.E. et ces derniers. En effet, une première « clause droits de l’Homme » fut introduite
dans la Convention de Lomé IV. L’article 5 de cet accord « fait du respect des principes
démocratiques et des droits de l’homme le fondement des liens de coopération et des accords
entre l’Europe et ses partenaires ».509 Dans le même ordre d'idées, le Conseil européen et les
représentants des États membres, réunis au sein du Conseil, ont adopté le 28 novembre 1991
une résolution sur les droits de l'homme, la démocratie et le développement établissant les
orientations et principes de la conditionnalité politique de l’Union. À ce titre, « cette 506.Tout État européen désirant adhérer à l’U.E. devrait respecter trois critères définis par le Conseil européen de Copenhague en Juin 1993 au rang desquels figure la démocratie. « L'adhésion requiert de la part du pays candidat qu'il ait des institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l'homme, le respect des minorités et leur protection, l'existence d'une économie de marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de l'Union. L'adhésion présuppose la capacité du pays candidat à en assumer les obligations, et notamment à souscrire aux objectifs de l'union politique, économique et monétaire »., Voir Bulletin des Communautés Européennes, n° 6, 1993, pp. 1-13, ou encore sur : http://www.consilium.europa.eu/ueDocs/cms_Data/docs/pressData/fr/ec/72922.pdf ; voir aussi C. SCHNEIDER et E. TUCNY, « Réflexions sur la conditionnalité politique appliquée à l'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale », Revue d'études comparatives Est-Ouest, 2002, vol. 33, n° 3, pp. 11-44, disponible aussi sur : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/receo_0338-0599_2002_num_33_3_3156. 507.Article 7 T.U.E. 508.La conditionnalité démocratique est pratiquée aussi dans les relations de l’U.E. avec d’autres pays comme ceux de la méditerranée. La Déclaration de Barcelone de 1995 institue en effet un partenariat entre l’U.E. et la Méditerranée. Elle engage les États signataires à « agir conformément à la Charte des Nations unies et à la Déclaration universelle des droits de l’homme », à « développer l’État de droit et la démocratie dans leur système politique », à « respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales, ainsi que garantir l’exercice effectif et légitime de ces droits et libertés », « à considérer favorablement, à travers le dialogue entre les parties, les échanges d’informations sur les questions relatives aux droits de l’homme, aux libertés fondamentales… ». Il y a également l’Instrument européen de voisinage et de partenariat (I.E.V.P.) qui stipule dans ses considérants que l’U.E. institue avec ses voisins des relations devant « reposer sur des engagements à l’égard des valeurs communes, notamment la démocratie, l’État de droit, la bonne gouvernance et le respect des droits de l’homme ». Il y est ensuite précisé que « L’Union européenne se fonde sur les valeurs que sont la liberté, la démocratie, le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’État de droit, et cherche à promouvoir ces valeurs auprès des pays voisins au travers du dialogue et de la coopération », Règlement (C.E.) n° 1638/2006 du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 2006 arrêtant des dispositions générales instituant un instrument européen de voisinage et de partenariat, article 1er, alinéa 3, J.O. L 310/1 du 9 novembre 2006. 509.OTIS G., « La conditionnalité démocratique dans les accords d’aide au développement conclus par l’Union européenne », in Organisation Internationale de la Francophonie, Symposium sur l’accès aux financements internationaux. Actes de la table ronde préparatoire n° 3 : La bonne gouvernance : condition et objet du financement », p.150.
170
résolution établissait pour la première fois un lien entre l’aide communautaire et les initiatives
prises par les pays en voie de développement en faveur des droits de l’homme, de la
démocratie […]. » Mais c’est surtout par cette résolution que les États membres ont affirmé
que « la prise en compte des droits de l’homme dans [leurs] relations avec les pays en
développement se fera par l’inclusion dans les futurs accords de coopération, d’une clause de
"conditionnalité droits de l’homme et démocratie" ».510 Ainsi, lors de la révision de la
Convention de Lomé IV à l’Île Maurice en 1995, le nouvel article 5 prévoit que
« […] la politique de développement et la coopération sont étroitement liées au respect et à
la jouissance des droits et libertés fondamentales de l’homme, ainsi qu’à la reconnaissance et
à l’application des principes démocratiques, à la consolidation de l’État de droit et à la bonne
gestion des affaires publiques. […] Le respect des droits de l’homme, des principes
démocratiques et de l’État de droit, sur lequel se fondent les relations entre les États ACP et
la Communauté ainsi que toutes les dispositions de la présente convention et qui inspire les
politiques internes et internationales des parties contractantes, constitue un élément essentiel
de la présente convention ».
Par la suite, dans l’accord de Cotonou signé en 2000 et entré en vigueur en 2003, la « clause
des droits de l’homme » est clairement formulée aux articles 9 et 96. L’article 9 reprend la
"clause d’éléments essentiels" dans laquelle les parties se réfèrent à leurs obligations et à leurs
engagements internationaux en matière de respect des droits de l’homme et des principes
démocratiques et de l’État de droit. L’article 96 définit une nouvelle procédure de
consultation pour les cas de violation des éléments essentiels. Cette procédure peut conduire à
des sanctions comme la suspension de l’aide à l’État auteur de la violation de la « clause
éléments essentiels ».511 C’est donc dire que, dans les relations entre l’U.E. et les États tiers,
la démocratie est une exigence, un « élément essentiel » sur lequel ces relations se fondent.
En dehors du cadre de l’U.E., la conditionnalité démocratique s’est également développée
dans la pratique des institutions financières internationales (institutions de Bretton Woods), à
savoir la Banque mondiale et le F.M.I. Elles font de leurs prêts ou interventions financières un
instrument de promotion de la démocratie libérale. Ce n’est qu’en respectant et en appliquant
les principes démocratiques que les États éligibles à ces interventions financières peuvent
bénéficier de celles-ci. La politique de la Banque mondiale et du F.M.I., depuis les années 90,
s’inscrit dans cette dynamique de promotion de la démocratie en tant qu’elle favorise la bonne 510.M. CANDELA SORIANO, « L’Union européenne et la protection des Droits de l’Homme dans la coopération au développement : le rôle de la conditionnalité politique », R.T.D.H., 2002, pp. 880-881. 511.Sur les sanctions contre l’État qui a violé la « clause éléments essentiels » dans le cadre des relations U.E.-États tiers/A.C.P. voir infra paragraphe 2 de cette section.
171
gouvernance économique. En effet, depuis le constat de l’échec des politiques économiques
socialistes, ces institutions ont établi un lien entre la bonne gouvernance, la démocratie et le
développement.512 Ainsi, le F.M.I. ne limite plus la conditionnalité de ses prêts à l’aspect
purement économique à savoir notamment le respect des principes du libéralisme
économique, le rééquilibrage de la balance des paiements, l'application de mesures de
stabilisation et la réorientation des politiques économiques par les États bénéficiaires de ses
concours financiers. La pratique du F.M.I. comme de la Banque mondiale est marquée par
l’émergence d’exigences conditionnant l’aide et le financement des projets à la protection de
l'environnement, à l'application des règles de la bonne gouvernance, au respect des droits de la
personne et à la démocratisation du système politique. D’ailleurs, parmi les critères
d’éligibilité à l’initiative P.P.T.E.513, il y a la réalisation d'un programme de réformes
préconisées par le F.M.I. et la Banque Mondiale. Outre la mise en œuvre d’un Document de
stratégie de réduction de la pauvreté, les pays candidats doivent adopter des mesures visant à
améliorer la gestion des finances publiques et la gouvernance.
De ce qui précède, il est ressort qu’on peut analyser la conditionnalité démocratique dans les
organisations internationales en général et les institutions financières de Bretton Woods en
particulier comme « un moyen d'action qui opère dans le cadre de rapports internationaux
asymétriques entre acteurs inégaux. »514 Elle apparaît comme « un instrument de politique
internationale utilisé, soit de manière autonome par les institutions financières internationales,
soit indirectement par les principaux contributeurs à ces institutions » et prend la forme d’« un
acte imposé servant de levier à la politique d'une institution, d’un État ou d'un groupe d'États
dans le cadre de relations asymétriques entre un pouvoir dominant et une entité
subissante. »515 De ce point de vue, on peut affirmer que les États démocratiques pourvoyeurs
d’aides et de crédits, les organisations internationales et les institutions financières
internationales, en conditionnant la qualité de membre ou leurs concours financiers au progrès
démocratiques, ont ainsi mis à la charge des pays sous-développés non démocratiques une
sorte d’obligation internationale de se conformer aux principes de la démocratie. De ce fait,
dans cette relation asymétrique les dominants restreignent la liberté des demandeurs de fonds 512.S. LAGHMANI, « Vers une légitimité démocratique ? », op. cit., n. 468, pp. 274 et s. 513.Le F.M.I. et la Banque mondiale ont lancé l’initiative P.P.T.E. (Pays pauvres très endettés) en 1996 afin d'assurer qu'aucun pays n’est confronté à une charge d'endettement qu’il ne peut gérer. Depuis lors, la communauté financière internationale, y compris les institutions multilatérales et les autorités nationales, ont œuvré en vue de ramener à un niveau soutenable la charge de l'endettement extérieur des pays pauvres les plus lourdement endettés. L’initiative P.P.T.E. a été renforcée en 1999. Voir : http://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/hipcf.htm ou http://www.clubdeparis.org/sections/types-traitement/reechelonnement/initiative-ppte 514.M. KAMTO, « Problématique de la conditionnalité en droit international… », op. cit., n. 493, p. 11. 515.Ibid., p. 17.
172
de choisir leur système politique. Cela signifie que dans les relations internationales actuelles
la forme du régime politique d’un État peut être l’objet d’action directe ou indirecte de la part
des autres États et des organes internationaux. En effet, les États sont aujourd’hui de plus en
plus imprégnés par l’idéologie juridique de la liberté et de l’approfondissement de la
démocratie. Cette idéologie juridique est appelée aussi bonne gouvernance (gouvernance
démocratique).516 Dans le contexte actuel du système international, la bonne gouvernance est
devenue un principe cardinal fort car porté par des acteurs dominants, à savoir les vieilles
démocraties, les organisations internationales, les ONG et les sociétés multinationales qui ont
besoin de bonnes conditions politiques, juridiques et économiques pour exercer leurs
activités. Ces acteurs arrivent ainsi à imposer aux États des manières de faire dans des
matières où le droit international n’impose pas forcément d’obligations directes. Ainsi, il n’y
a pas d’obligation juridique internationale de décentraliser. Il appartient à chaque État de
décentraliser ou de ne pas le faire. S’il décide de le faire, il lui appartient d’en déterminer le
niveau. Et pourtant, sur le fondement de cette idéologie juridique de bonne gouvernance, la
décentralisation est présentée comme une obligation politique de l’État. Du coup, les États
prennent des décisions dans ce sens. Ils partagent des compétences législatives,
administratives et opérationnelles avec des collectivités locales à qui ils reconnaissent un
certain nombre de compétences internationales. Aussi, pour attester de leur crédibilité
politique et économique sur la scène internationale, les États sont de plus en plus amenés à
satisfaire à un certain nombre de critères internes qui restreignent leur autonomie
constitutionnelle et limitent donc leur domaine de compétence nationale. Ainsi des réformes
politiques, juridiques et institutionnelles internes destinées à garantir la sécurité juridique, à
conformer l’État aux exigences de la gouvernance démocratique et de la communauté
internationale et à rassurer les autres partenaires internationaux (États, organisations
internationales, ONG, sociétés multinationales). Ce sont là des marques de la restriction du
domaine de compétence nationale de l’État. C’est le fait que les États sont amenés à
décentraliser, à adopter des codes de marchés publics transparents, à lutter contre la
corruption, à libéraliser l’économie par application de cette exigence internationale de
démocratie portée par les acteurs dominants.
516.Voir à ce titre par exemple la Convention des Nations Unies contre la corruption, annexée à la résolution 58/4 de l’Assemblée générale en date du 31 octobre 2003.
173
2. L’assistance et l’observation électorales internationales
Depuis quelques décennies, l’assistance et l’observation électorales internationales sont
devenues des pratiques courantes dans les relations internationales. De nombreux États
souverains, en sortie de conflits armés ou de crises politiques, ou en transition démocratique,
sollicitent un appui international pour obtenir une assistance électorale ou demander la
supervision de leurs processus électoraux. Cette activité opérative en matière électorale est
devenue depuis les années 90 une activité courante de beaucoup d’organisations
internationales. C’est le cas, en autres, de l’O.N.U., de l’O.I.F., du Commonwealth, et des
organisations régionales ou sous régionales comme l’U.E., l’U.A., l’O.E.A., C.E.D.EA.O.,
etc.), d’ONG internationales ou de pays développés avec une vieille tradition démocratique.
Les interventions internationales dans les processus électoraux nationaux peuvent se traduire
par la « gestion de l’opération électorale dans son ensemble, l’assistance électorale ciblée
pour répondre à des demandes précises de l’État et l’observation électorale proprement
dite ».517 Dans les trois cas, il s’agit d’un exercice par les assistants ou les observateurs
électoraux internationaux d’activités opérationnelles qui relèvent normalement de la
compétence nationale de l’État assisté ou observé. En effet, dans le premier cas, comme l’a
noté Max Gounelle, l’activité de l’organisation internationale peut consister « à mettre en
place tout le dispositif législatif et règlementaire, ainsi que la gestion directe, et la supervision
de l’administration des élections ».518 Or, en raison du principe de la souveraineté et de
l’exclusivité de la compétence nationale, il appartient à chaque État de prendre en charge ses
propres élections. Mais, dans des situations particulières postérieures à un conflit dans
lesquelles les capacités institutionnelles de l’État sont généralement insuffisantes, il est arrivé
que l’O.N.U. soit chargée d’organiser et de conduire une élection ou un référendum. Elle peut
à ce titre mettre en place le cadre législatif, les modalités et les mesures administratives
nécessaires à la tenue d’élections, une structure institutionnelle et l’administration effective
des opérations électorales. On peut citer à ce titre l’Autorité provisoire des Nations Unies au
Cambodge créée par la résolution 745 du 28 février 1992, qui avait pour fonction
l’organisation de l’élection d’une assemblée constituante chargée d’élaborer une nouvelle
517.M. GOUNELLE, « La démocratisation, politique publique internationale », op. cit., n. 443, p. 219. 518.Ibid., p. 209.
174
constitution établissant, selon la formule des accords de Paris un « système de démocratie
libérale fondée sur le pluralisme ».519
Dans le cas de l’assistance électorale proprement dite, il s’agit généralement d’une
assistance technique destinée à « renforcer la capacité de l’État intéressé à prendre en
charge lui-même son propre processus électorale ». Cette assistance s’opère par des
activités de formation du personnel, la fourniture d’équipement ou le financement du
processus électoral.520 Elle peut aussi revêtir la forme de conseils sur l'aspect technique de
la réforme de la législation électorale et sur l’établissement de procédures garantissant le
droit de vote. On peut citer, à titre d’exemple, le référendum sur l’indépendance du Sud
Soudan qui a eu lieu en janvier 2011. Dans ce processus référendaire, la MINUS521, le
P.N.U.D. ainsi que le Département des affaires politiques de l’O.N.U. ont travaillé « pour
imprimer et distribuer plus de 10 millions de bulletins de vote et former du personnel dans
près de 5000 bureaux électoraux. »522
L’observation électorale, en tant que telle, inclut le déploiement d’une mission chargée
d’observer chaque phase de l’opération électorale et d’apporter toute information
nécessaire sur la conformité des élections aux principes et normes démocratiques. Les
observateurs déployés quelque temps voire plusieurs mois avant les élections, observent les
différentes phases du processus électoral : l’inscription des électeurs, les conditions de la
campagne ainsi que d’autres opérations et situations préélectorales. Les missions
d’observation produisent généralement une déclaration publique au nom de l’organisation
internationale ou de l’ONG qu’elles représentent concernant la qualité de l’élection, bien
que souvent elles puissent présenter un rapport interne à leur organisation.523
519.Y. DAUDET, « L’exercice de compétences territoriales par les Nations Unies », p. 28. Disponible sur : www.oas.org/dil/esp/4%20-%20yves%20daudet.17-64.pdf, (page consultée le 24 août 2012), publié sous le titre « L’action des Nations Unies en matière d’administration territoriale », Cursos Euromediterraneos Bancaja de Derecho Internacional, vol. VI, 2002. 520.M. GOUNELLE, « La démocratisation, politique publique internationale », op. cit., n. 443, p. 209. 521.Mission des Nations Unies au Soudan créée par la résolution 1590 (2005) du 24 mars 2005. Son mandat a pris fin le 9 juillet 2011 après l’indépendance du Soudan du Sud. 522.Cf. http://www.un.org/fr/peacekeeping/issues/electoralassistance.shtml (page consultée le 17 avril 2013). 523.Pour plus de détails sur le déroulement de l’observation électorale cf. M. GOUNELLE, « La démocratisation, politique publique internationale », op. cit., n. 443, pp. 210 et s. S’agissant du cas spécifique de l’O.N.U., voir Coordonnateur des Nations unies pour l’assistance électorale, directive du 11 mai 2012 concernant les « Principes et types de l’assistance électorale de l’Organisation des Nations unies », 22 p. [en ligne]. Disponible sur : http://elections-mediaconsulting.eu/sites/default/files/DPA_Principes_et_types_d'assistance_electorale_UN_Fran%C3%A7ais_May_2012.pdf
175
Il faut signaler que, dans le cadre de la pratique spécifique à l’O.N.U., à côté des missions
d’observation classiques, au sein de certaines opérations de la paix, se développe depuis peu
des activités de certification des élections consistant à « attester que les étapes fondamentales
du processus électoral se sont déroulées selon les normes et principes internationaux d’équité, de
liberté, d’inclusivité et de transparence »524. La certification des processus électoraux intervient
exceptionnellement dans des contextes post-conflictuels, après autorisation du Conseil de
sécurité ou de l’Assemblée générale, pour sauvegarder le processus électoral et les résultats
du scrutin. Contrairement aux missions classiques d’observation, la certification présente un
caractère contraignant à l’égard des parties prenantes. Les missions d’observation stricto
sensu ne disposant d’aucun mandat pour certifier les processus électoraux, leur pouvoir se
limite à faire des déclarations publiques ou à publier des rapports sur le bon déroulement ou
non des élections. En revanche, le certificateur mandaté par les Nations Unies a l’autorité et
les moyens nécessaires pour imposer les résultats certifiés aux différents acteurs politiques.
Les parties étant censées admettre les résultats certifiés, aucune contestation ou aucune
décision d’un organe de l’État concerné, fut-il le Conseil ou la Cour constitutionnelle ne sont
admises après la certification. Les résultats certifiés prévalent sur tout autre résultat. Ce type
de mandat, compte tenu de son caractère contraignant et attentoire à l’exercice des droits
souverains de l’État, est visiblement très exceptionnel. Il n’a été exécuté dans la pratique des
Nations Unies qu’au Timor Leste en 2007, au Népal en 2008 et enfin en Côte d’ivoire en
2010 et 2011, où elle a vraiment suscité un certain nombre de débats. En effet, pour sortir de
la crise politique que connaissait le pays depuis plusieurs années, les différentes parties ont
signé un accord à Pretoria en 2005 dans lequel elles avaient expressément sollicité la
participation de l'O.N.U. pour garantir la crédibilité du processus électoral. Les modalités de
cette participation ont été définies par les résolutions 1603, 1765 et 1826 du Conseil de
sécurité et par l’Accord politique d’Ouagadougou de 2007. C’est ainsi que le représentant
spécial du Secrétaire général des Nations Unies fut, conformément au paragraphe 6 de la
résolution 1765 du 16 juillet 2007, chargé de « certifier que tous les stades du processus
électoral fourniront toutes les garanties nécessaires pour la tenue d’élections présidentielle et
législatives ouvertes, libres, justes et transparentes, conformément aux normes
internationales ». Dans ce cadre, la mise en place de la liste électorale et les résultats de la
présidentielle de 2010, étapes essentielles du processus, ont été expressément certifiées par le
représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies. Toutefois, la certification des
524.A. D. TADJOUDINE, « La problématique des élections après un conflit et de la certification », Séminaire de l’Organisation Internationale de la Francophonie, New York, USA, 11 décembre 2008, p. 6. [en ligne]. Disponible sur : http://www.operationspaix.net/DATA/DOCUMENTTEXTE/4424.pdf (page consultée le 19 mai 2012).
176
résultats donnant l’opposition gagnante n’a pas été acceptée par le président sortant Laurent
Gbagbo qui avait auparavant été déclaré élu par le Conseil constitutionnel, dont les décisions
sont irrévocables en droit interne ivoirien. Face au refus du camp Gbagbo de se conformer à la
décision du certificateur, il s’en est suivi une violente crise post-électorale entre les partisans
des deux camps. Pour mettre fin aux violences et permettre au président élu (d’après les
résultats certifiés) de prendre fonction, une action militaire de l’ONUCI, appuyée par la Force
Licorne (forces françaises), a été engagée et a permis l’arrestation de Laurent Gbagbo et
l’installation du président élu Alassane Ouattara. En 2011, les élections législatives furent
également certifiées par le Chef de l’ONUCI. Mais cette fois, elle n’a pas suscité autant de
controverses qu’en 2010.
Certes, les Nations Unies comme toutes les autres acteurs extérieurs ne peuvent être
impliquées comme assistant ou observateur ou à un autre titre pour une élection dans un État
souverain que dans la mesure où celui-ci accepte leur déploiement. Il convient toutefois de
noter que dans ces différentes missions, le travail opérationnel réalisé est indissociable de la
souveraineté et de la compétence nationale des États. En faisant appel à une organisation
internationale ou un autre acteur extérieur dans leurs processus électoraux, les États ouvrent
ainsi « au regard extérieur un aspect de leurs affaires intérieures ». Ceci doit être analysé
comme une limitation volontaire par les États de leur compétence nationale car en procédant
ainsi, ils apportent « une restriction à l’exercice de [leurs] droits souverains »525. Comme le
souligne le professeur Jean Combacau :
« le droit international n’est pour chaque État que la somme de ces limitations de sa liberté
légale primitive. Partout où il l’a laissé intervenir, il a consenti à voir les autres États [et
autres sujets du droit international] s’intéresser licitement à son comportement, même le plus
intime en apparence, dès lors qu’un État s’est engagé internationalement envers un ou
plusieurs autres fût-ce sur un objet aussi interne que le traitement de ses propres sujets sur
son propre territoire ou l’organisation de ses pouvoirs publics constitutionnels, ses
partenaires sont aussi parfaitement fondés à lui demander des comptes sur la façon dont il
s’en acquitte qu’il l’est de son côté dans ses relations avec eux. »526
Même si la demande d’assistance ou d’observation électorales internationales doit être
considérée comme une expression par l’État d’une compétence exclusive, ces pratiques
consistant à faire appel à des acteurs internationaux pour l’assistance, l’observation ou la 525.Affaire du Vapeur Wimbledon, C.P.J.I., arrêt du 17 août 1923, Série. A, n°1, p. 25. 526.J. COMBACAU, « Pas une puissance, une liberté… », op. cit., n. 38, p. 52 ; P.-M. DUPUY, « Situation et fonctions des normes internationales », in M. BETTATI et B. KOUCHNER (dirs.), Le devoir d’ingérence, Paris, Denoël, 1987, pp. 158 et s.
177
certification électorale peuvent s’analyser comme une volonté des États requérants de se
conformer à l’impératif démocratique qui s’affirme de plus en plus dans les relations
internationales.527 Du côté des intervenants extérieurs tels que les organisations
internationales, les ONG et les États, l’objectif est d’accompagner l’institutionnalisation de la
démocratie dans les pays concernés, par la mise en place de processus électoraux durables,
permettant la tenue d’élections libres et crédibles, à intervalles réguliers.528 À ce titre, Max
Gounelle note que
« l’observation électorale internationale, en tant qu’élément constitutif d’une politique
publique internationale de démocratisation, est conçue par ceux qui la préconisent non
seulement comme une technique d’enquête, mais aussi comme un moyen de pression,
destiné à inciter les autorités publiques de l’État observé à se conformer autant qu’il est
possible aux canons de la démocratie électorale. »529
Dès lors, en dépit des nombreuses critiques530 que l’on peut formuler à l’encontre de la
pratique d’observation électorale, celle-ci se présente, avec l’assistance électorale, comme un
canal de promotion et de consolidation de la démocratique. Elles visent en effet à promouvoir
les normes internationales relatives aux droits de l’homme, droits civils et politiques
notamment, qui protègent un certain nombre de droits fondamentaux reconnus par des textes
internationaux531 et dont l’exercice serait la preuve de la bonne conduite des processus
électoraux mais aussi de l’état de la démocratie dans le pays concerné. Il s’agit concrètement
de garantir l’autodétermination interne des peuples en veillant au respect du droit de participer
à des élections libres et honnêtes, droit qui implique le droit à la liberté d’opinion, droit à la
liberté d’expression et droit à la liberté de manifester.
527.Voir B. BOUTROS-GHALI, Rapport de 1993 sur l’activité de l’Organisation, §§ 464et 465. 528.Encourager la démocratie par le biais des élections : http://www.un.org/fr/events/democracyday/elections.shtml 529.M. GOUNELLE, « La démocratisation, politique publique internationale », op. cit., n. 443, p. 212. 530.Pour une étude plus approfondie de la pratique d’observation électorale internationale, voir C. BOTOKO-CLAEYSEN, « L’OSCE et l’observation des élections : le rôle du BIDDH », R.T.D.H., 2001, 12, pp. 55-76 ; C. CHAMPIN et T. PERRET, « Élections en Afrique francophone : des progrès relatifs », Revue internationale et stratégique, 1999, n° 33, pp. 183 et s. ; H. GROS-ESPIELL, « Liberté des élections et observation internationale des élections.. », op. cit., n. 34 ; P. JANKOWITSCH, « Suites nationales et internationales à donner au rapport des observateurs électoraux », in Liberté des élections et observation internationale des élections, Colloque de la Laguna, Bruxelles, Bruylant, 1994 ; I. MBADINGA MBADINGA, « Brèves remarques sur l’assistance électorale internationale et la souveraineté des États africains », Revue Juridique et Politique – Indépendance et Coopération, septembre-décembre 1998, pp. 309-326 ; F.-O. NATCHABA, « L’observation des élections en Afrique », Droit prospectif : Revue de recherche juridique, 1998, vol. 4, pp. 301-325 etc. 531.Cf. Déclaration universelle des droits de l’homme (art. 21), Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 25) et instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’homme.
178
3. La condamnation systématique des coups d’État contre des gouvernements
démocratiques
L’exigence internationale de la démocratie comme modèle d’organisation politique des États
est sans doute une des raisons de la tendance généralisée, dans la pratique internationale
depuis au moins la fin de la guerre froide, à la condamnation systématique des coups d’États
surtout lorsqu’ils sont menés contre des gouvernements jugés démocratiques et respectueux
de la légalité constitutionnelle de leurs pays. En effet, parce que la reconnaissance (d’un État
ou d’un gouvernement) par un État demeure un acte discrétionnaire de ce dernier, la
subordination de cette reconnaissance au respect de certaines conditions par le gouvernement
ou l’État à reconnaître est couramment pratiquée dans les relations internationales. Dans le
cas qui nous intéresse, à savoir la reconnaissance d’un nouveau gouvernement ou régime, le
caractère démocratique est de plus en plus utilisé comme une des conditions de
reconnaissance.532 Ce caractère démocratique du gouvernement est avant tout analysé par
rapport à son origine (mode d’accession au pouvoir) et à son mode d’exercice.
La démocratie supposant d’abord « une prise et un exercice non arbitraires du pouvoir basés
sur des règles préalablement définies »533 par le droit national de l’État, le caractère
démocratique du nouveau gouvernement suppose donc la constitutionnalité des gouvernants.
En d’autres mots, le caractère démocratique signifie que les gouvernants doivent tirer leur
légitimité de la volonté populaire exprimée à travers des élections libres, transparentes et
honnêtes et conformément à la législation nationale. Dans cette perspective, le coup d’État –
en ce qu’il permet un changement anticonstitutionnel534 par « l’accession au pouvoir d’un
groupe d’individus en méconnaissance des procédures existantes relatives à la désignation des
détenteurs effectifs du pouvoir - est difficilement compatible avec le principe d’État de
droit »535. Il est, à ce titre, jugé contraire au principe de légitimité démocratique qui, dans
l’ordre international, tend à prendre le dessus sur le principe de l’égale légitimité des régimes
politiques, envisagé comme corollaire de la souveraineté.536 En effet, depuis la fin de la guerre
532.Sur la reconnaissance du gouvernement non démocratique et les politiques de reconnaissances, voir J. D’ASPREMONT, L’État non démocratique en droit international…, op. cit., note 502,, pp. 144 et s. 533.J. D’ASPREMONT, « La licéité des coups d’État en droit international », in S.F.D.I., L’État de droit en droit international, Colloque de Bruxelles, Paris, Pedone, 2009, p. 123. 534.Cf. Déclaration sur le cadre pour une réaction de l’O.U.A. face aux changements anticonstitutionnels de gouvernement, p. 4. Le changement anticonstitutionnel de gouvernement comprend « un coup d’État militaire contre un gouvernement issu d’élections démocratiques ; […] le refus par un gouvernement en place de remettre le pouvoir au parti vainqueur à l’issue d’élections libres, justes et régulières ». 535.J. D’ASPREMONT, « La licéité des coups d’État en droit international », op. cit., note 533, p. 123. 536.H. THIERRY, « L’État et l’organisation de la société internationale », op. cit., note 434, p.193.
179
froide, il y a, comme l’écrit Thomas Franck, un « emerging right to democratic
governance »537 car selon lui,
« this emerging law – which requires democracy to validate governance is not merely the
law of a particular State like the United States under its constitution. It is also becoming a
requirement of international law applicable to all and implemented through global standards
with the help of regional and international organizations ».
Fort de ce constat, presque tous les États manifestent un intérêt quant au respect des règles
démocratiques dans un autre État. Dans cette mesure, le choix du système politique ne se
présente plus objectivement comme un choix libre et discrétionnaire. Il reste conditionné par
les exigences juridiques en matière de droits de l’homme et par les contraintes de
l’interdépendance. Cela signifie que, désormais avec l’exigence démocratique internationale,
l’origine non démocratique du pouvoir est réprouvée et que, dans le concert des nations, des
gouvernants issus de coups d’État ou de changements anticonstitutionnels de gouvernement
n’ont pas leur place aux côtés d’autorités issues de processus démocratiques de désignation.
C’est ce qui explique une pratique courante dans les relations internationales de condamnation
systématique des coups d’État contre des gouvernements démocratiques. D’une part, les
organisations internationales ont tendance à institutionnaliser la suspension comme mesure de
coercition non militaire contre l’État membre dont les dirigeants ont accédé au pouvoir par
des moyens ayant méconnu les règles et procédures établies en matière de désignation des
autorités étatiques. C’est le cas de l’U.A., de l’O.E.A.538 Les Nations Unies ont, quant à elles,
généralement condamné les coups d’États sans pour autant suspendre l’État membre
concerné. Ainsi lors du dernier putsch en Centrafrique, le Conseil de sécurité a « condamné
fermement […] le coup de force de la coalition « Séléka », qui s’est emparée du pouvoir le
24 mars 2013 » et « exigé le rétablissement de l’état de droit, le respect de l’ordre
constitutionnel et l’application des accords de Libreville ».539 D’autre part, les États
démocratiques en général, condamnent presque systématiquement le renversement d’un
gouvernement démocratique en demandant le respect ou le retour à l’ordre constitutionnel de
l’État et le respect des droits de l’homme. Ce fut le cas du Panama lorsque le général Noriega
a pris le pouvoir. En effet, ayant considéré que « le régime mis en place par le général
537.T. FRANCK, « The emerging right to democratic governance », op. cit., note 448, p. 47. Voir aussi R. BEN ACHOUR, « La contribution de B. Boutros-Ghali à l’émergence d’un droit international positif de la démocratie », Amicorum discipulorumque Liber Boutros Boutros-Ghali, Bruxelles, Bruylant, 1998, pp. 909 et s. 538.Cf. la section suivante. 539.Déclaration à la presse du Conseil de sécurité, du 25 mars 2013, SC/10960 AFR/2586.
180
Noriega a tout d’abord tenté de s’arroger la victoire en recourant à la fraude massive et à
l’intimidation », qu’« il a annulé les élections et recouru à la violence et à l’effusion de
sang », les États-Unis ont décidé qu’ils « ne reconnaîtront pas un régime qui s’est arrogé le
pouvoir par la force et par la violence aux dépens du droit à la liberté du peuple panaméen et
ils n’accepteront aucun accommodement avec lui ».540 Dans le même sillage, lors du coup
d’État du 15 août 1995 à Sao Tomé et Principe, la France exigea la restitution du pouvoir
« immédiatement au gouvernement démocratique élu ».541
De toutes ces constatations, on peut retenir qu’il y a incontestablement une certaine pratique
conditionnant la reconnaissance de gouvernement à l’adoption d’un régime démocratique.542
La légitimité démocratique, dans la pratique des relations internationales contemporaines,
s’affirme comme une exigence, une ligne directrice dans le comportement des États. À côté
de l’obligation conventionnelle d’être démocratique telle qu’elle ressort des textes juridiques
internationaux à vocation universelle ou régionale, le Professeur Jean d’Aspremont n’hésite
pas à conclure à l’existence d’une obligation coutumière erga omnes d’être doté d’un régime
démocratique tant pour les États démocratiques que non démocratiques.543 Quoi qu’il en soit,
le domaine de compétence nationale considéré usuellement comme le domaine où l’État n’est
pas tenu par des obligations internationales ne concerne plus la matière du choix du système
politique. En effet, même si on a affirmé le droit de l’État de choisir librement son régime
politique544, il est incontestable que l’exigence démocratique internationale, à travers
l’exigence d’élections des dirigeants d’un État telle que consacrée par les instruments
internationaux relatifs aux droits civils et politiques de l’homme, réduit considérablement la
540.Déclaration du Président Bush à la Maison Blanche le 11 mai 1989, in documentation des Nations Unies, S/20628, 12 mai 1989. Il s’agit là d’une pratique courante des Nations Unies. Voir les résolutions A/RES/50/88 du 15 décembre 1996 et A/RES.46 /7 du 11octobre 1991 toutes deux sur Haïti. Voir aussi les résolution du Conseil de sécurité A/RES.48/17 sur le Burundi, de l’Assemblée Générale et les déclarations présidentielles intervenues suite au coup d’Etat de 1993 intervenue contre le président burundais Melchior Ndadaye : Res. A/Res. 48/17 du 30 novembre 1992 ; A/Res. 49/7 du 25 octobre 1994 ; A/Res. 49/21C du 2 décembre 1994 ; A/Res. 50/58 K du 22 décembre 1995 ; A/Res. 50/159 du 22 décembre 1995 ; et les déclarations présidentielles suivantes : S/26631 et S/26757 du 25 octobre et 16 novembre 1993 ; et S/PRST/1994/38 et S/PRST/1994/47 du 29 juillet et 25 août 1994 ; Déclaration présidentielle du 20 décembre 2002, S/PRST/42, §1 suite à la tentative de coup d’État en Côte d’Ivoire en décembre 2002. 541.Le Monde, 17 août 1995. Pour une analyse plus détaillé de ces pratiques des organisations internationales et des États voir. J. D’ASPREMONT, « La licéité des coups d’État en droit international », op. cit., n. 533, pp. 123 et s. ; le même L’État non démocratique en droit international…, op. cit., n. 502, pp. 285 et s ; L.-A. SICILIANOS, « Le respect de l’État de droit comme obligation internationale », in S.F.D.I., L’État de droit en droit international, Colloque de Bruxelles, Paris, Pedone, 2009, pp. 148 et s. ; sur la condamnation du coup d’État contre le président ivoirien Henri Konan Bédié en 1999, voir S. BOLLE, « La conditionnalité démocratique dans la politique africaine de la France », op. cit., n. 494, pp. 16-17. 542.Voir P. PBODEAU-LIVINEC, Le gouvernement de l’État…, op. cit., n. 1. 543.J. D’ASPREMONT, L’État non démocratique en droit international…, op. cit., n. 502, pp. 263-293. 544.Affaire du Sahara Occidental, arrêt précité n. 199, p. 12 § 94 ; Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, arrêt précité n. 159, p. 14, § 258 ; Résolution 2625 (XXV) et 36/103 de l’Assemblée générale des Nations Unies.
181
liberté de l’État quant à l’exercice de ce droit. La preuve en est que la non-conformité d’un
État à cette exigence démocratique ne laisse pas indifférent les autres acteurs internationaux.
Section 2 : Les réactions internationales à la non-conformité à l’exigence
démocratique
La liberté de l’État dans le choix de son système politique est restreinte par l’exigence
internationale d’une légitimité démocratique interne des gouvernants. Parce qu’elle viole les
droits civils et politiques de l’homme (droit du peuple à choisir librement son gouvernement,
droit de participer à la gestions des affaires publiques etc.), l’absence de démocratie ouvre à la
communauté internationale un droit voire un devoir de réaction pour assister le peuple qui en
fait l’objet afin de défendre ou de protéger l’intégrité et la pérennité de la volonté populaire à
travers la sauvegarde de sa représentation nationale légitime contre toute tentative de
reversibité. Ainsi, la non-conformité de l’État à cette exigence démocratique suscite
généralement des réactions de la communauté internationale à travers l’adoption de mesures
vis-à-vis de cet État. Celles-ci peuvent provenir directement des États ou indirectement par le
biais des organisations internationales ou des deux à la fois. Dans la majorité des cas, ces
mesures visent à modifier le comportement de l’État pour l’amener à se conformer à la norme
démocratique, et non pour le punir. Il s’agit donc moins de « sanctions » que de mesures
restrictives destinées à contraindre l’État concerné ou les autorités de fait de cet État à se
conformer aux règles et principes démocratiques.545 Ces réactions internationales consistent
généralement à l’adoption de mesures de coercition non militaires (§ 1). Mais il arrive qu’il y
ait usage de mesures exceptionnelles de coercition militaires (§ 2).
§ 1 : L’adoption de mesures de coercition non militaires
Il est établi que des relations de coopération existent entre les États indépendamment des
considérations liées à la présence ou à l’absence de démocratie dans l’un ou l’autre des
États.546 Cependant le cours de ces relations peut être modifié par la prise en compte du
respect des règles démocratiques. Ainsi dans ses relations de coopération avec les États
545.Sur la nuance entre les sanctions internationales au sens du droit international et les mesures adoptées par la communauté internationale en réaction à un coup d’État, voir G. A. LÔ, « Enjeux et mécanismes des sanctions faces aux coups d’État militaires ». [en ligne] Disponible sur : http://www.pambazuka.org/fr/category/comment/53965/ (page consultée le ( février 2012). 546.J. D’ASPREMONT, L’État non démocratique en droit international…, op. cit., n. 502, pp. 205 et s.
182
démocratiques, l’État jugé non démocratique est souvent soumis à de fortes pressions
politiques et diplomatiques (1) et parfois à des mesures de coercition d’ordre économique et
commercial (2) destinées à le contraindre à se conformer aux normes et principes
démocratiques.
1. Les pressions politiques et les mesures d’ordre diplomatique
L’usage de pressions politiques demeure une pratique courante dans les relations
internationales surtout entre pays développés de tradition démocratique et pays sous-
développés non démocratiques ou en transition démocratique. Face à un État non
démocratique les grandes puissances et certaines organisations internationales n’hésitent pas à
user de leur influence et de leur puissance pour contraindre les autorités de cet État à adopter
une conduite conforme aux règles démocratiques. Les pressions politiques renvoient ici
d’abord à des prises de position ou l’expression publique d’observations critiques sur le mode
d’accession au pouvoir des autorités étatiques ou sur leur mode d’exercice de l’autorité. Ces
observations sont souvent accompagnées d’invites à la démocratisation et parfois de menaces
en cas de refus du ou des dirigeants de quitter le pouvoir.547 Les États démocratiques
n’hésitent pas aussi à restreindre le contact de gouvernement à gouvernement avec l’État qui
ne respecte pas les règles démocratiques et comme le note le professeur Jean d’Aspremont,
« les politiques de “dialogue critique” ou de “dialogue constructif” adoptées par certains États
[…] en sont l’illustration ».548 Les pressions politiques peuvent aussi aller jusqu’à l’adoption
de mesures restrictives ciblées c'est-à-dire qui frappent uniquement les autorités étatiques ou
les personnes qui ont remis en cause l’ordre démocratique établi. En d'autres termes, les États
démocratiques et les organes politiques internationaux prennent des mesures contraignantes
qui visent non pas l’État en lui-même dans son ensemble, mais des personnes précises : les
autorités politiques ou militaires d'un État, d’un parti politique, le ou les responsables d’un
coup d’État ou les présumés responsables de violations des droits de l'homme pour les amener
par exemple à restaurer l’ordre constitutionnel par l’organisation d’élections et le respect des
principes démocratiques.
Les pressions politiques peuvent prendre diverses formes. Elles peuvent se traduire par le
blocage des avoirs personnels à l'étranger des membres du gouvernement de l’État non
547.Sur toutes ces questions, voir J. D’ASPREMONT, L’État non démocratique en droit international, op. cit., n. 502,, pp. 91-93. 548.Ibid., p. 219.
183
démocratique, des auteurs de la remise en cause de la démocratie qu’il s’agisse de civils ou de
militaires. Elles peuvent aussi consister en des restrictions à l’accès au territoire des autres
États. Elles se traduisent alors par des interdictions de voyage, des restrictions au visa ou des
blocages d’avoirs financiers. On peut citer à titre d’exemple la décision du secrétariat d’État
américain d’imposer, au lendemain du putsch du 22 mars 2012 au Mali, « des restrictions
d'entrée aux États-Unis aux personnes qui bloquent le retour du Mali à la vie démocratique et
pacifique […]. Ces sanctions concernent également les membres de leurs familles ».549 Par
ailleurs, les personnes concernées ou les membres adultes de leur famille peuvent se voir
imposer le gel de leurs avoirs financiers à l'étranger. L’usage de ces différentes mesures
restrictives constitue une pratique courante du Conseil de sécurité des Nations Unies.550
Même si les résolutions du Conseil de sécurité imposant ce genre de mesures ne font pas
directement référence à la démocratie, elles cherchent à résoudre des conflits à l’origine
desquels se trouve souvent la lutte pour l’accession ou le maintien au pouvoir. Il ne serait
donc pas abusif de considérer que ces mesures restrictives visent, au-delà du rétablissement de
la paix, la défense des principes de la démocratie (élection des détenteurs du pouvoir, respect
des droits de l’homme). Elles ont pour objet de mettre la pression sur les autorités dont
l’accession ou le maintien au pouvoir ne s’est pas fait conformément aux règles de la
démocratie. Il s’agit donc d’une action en faveur de la paix551 et dans une certaine mesure en
faveur de la démocratie.
À côté des pays démocratiques et développés et des Nations Unies, les organisations
régionales comme l’U.A. qui œuvre pour l’instauration d’une démocratie véritable sur le
continent africain, adoptent elles-aussi des mesures restrictives individuelles lorsque la
démocratie est remise en cause dans un État membre. Ainsi, en cas de refus des auteurs des
changements anticonstitutionnels de rétablir la légalité de l’ordre constitutionnel, le
Règlement intérieur de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement prévoit des
mesures restrictives telles que le refus de visas pour les auteurs du changement
anticonstitutionnel, la restriction des contacts du gouvernement avec les autres
gouvernements, les restrictions commerciales. Il y a aussi les mesures restrictives prévues par
549.Voir : http://fr.rian.ru/world/20120404/194177401.html. 550.Voir par exemple la résolution 841 (1993) du Conseil de sécurité du 16 juin 1993 dont le § 8 imposait le gel des fonds se trouvant à l’étranger et appartenant « au gouvernement haïtien ou aux autorités de facto » qui ont renversé le président démocratiquement élu, Jean-Bertrand Aristide ; voir aussi les Résolutions 1127 (1997) et 1132 (1997) imposant respectivement, dans les années 1990, des restrictions de déplacement des membres adultes de la famille des dirigeants de l'UNITA (Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola) et des interdictions de voyage pour ceux des membres de la junte au pouvoir en Sierra Léone ; résolution 1572 (2004) du 15 novembre 2004 sur la Côte d’Ivoire, § 9 et 11 etc. 551.N. THOMÉ, « L’Angola, les Nations Unies et les sanctions : quelle efficacité ? », in R. Mehdi (dir.), Les Nations Unies et les sanctions. Quelle efficacité ?, Paris, Pedone 2000, pp. 143-167.
184
l’article 23 (2) de l’Acte constitutif, « en matière de liens avec les autres États membres dans
le domaine des transports et communications, et de toute autre mesure déterminée par la
Conférence dans les domaines politique et économique ». L’article 25 (4) de la Charte
africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance ajoute à ces mesures que « les
auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement ne doivent ni participer aux
élections organisées pour la restitution de l’ordre démocratique, ni occuper des postes de
responsabilité dans les institutions politiques de leur État ». Les auteurs peuvent aussi être
traduits devant la juridiction compétente de l’Union. À défaut de la mise en place de cette
justice commune, les États parties « jugent les auteurs de changement anticonstitutionnel de
gouvernement ou prennent les mesures qui s’imposent en vue de leur extradition effective »
(article 25. 9). Ils risquent aussi de se voir refuser l’accès au territoire des autres États
membres et d’y bénéficier de l’asile. C’est ainsi qu’après le putsch contre le président malien
Amadou Toumani Touré, le Conseil de paix et de sécurité de l’organisation panafricaine a
décidé « d'imposer avec effet immédiat des mesures individuelles, parmi lesquelles une
interdiction de voyager et le gel des actifs, contre le chef et les membres de la junte militaire »
ainsi qu’à « tous les individus et entités qui contribuent d'une façon ou d'une autre au maintien
du statu quo anticonstitutionnel ».552
À côté des pressions politiques, d’autres mesures restrictives qui n’en sont pas loin sont
adoptées sur le plan diplomatique pour contraindre l’État ou les détenteurs du pouvoir à aller
vers la démocratie. C’est ainsi que la procédure d’accréditation, la réduction, la suspension
voire la rupture des relations diplomatiques peuvent être utilisées par les États comme par les
organisations internationales pour réagir face à un régime jugé non démocratique. À ce titre,
un État ou un groupe d’États démocratiques peut décider de rompre ses relations
diplomatiques avec un État dont le nouveau gouvernement a une origine non démocratique ou
exerce le pouvoir en violation des normes démocratiques. C’est ainsi que les relations
diplomatiques entre les Pays-Bas et la Bolivie furent rompues après le coup d’État du 17
juillet 1980553 qui a renversé le régime constitutionnel de l’Équateur et mis au pouvoir les
militaires. De même, les relations diplomatiques entre la Bolivie et l’Équateur ont été
552.Propos de Ramtane Lamamra commissaire de l’U.A. à la paix et à la sécurité, cité par l’AFP. [en ligne]. Disponible sur : http://www.france24.com/fr/20120403-union-africaine-adopte-sanctions-contre-junte-rebellion-nord-touaregs-islamistes-aqmi-copu-etat-mali. C’est une pratique qui est de plus en courante du Conseil de Paix et de Sécurité de l’U.A. d'imposer des sanctions, à savoir des restrictions de voyage et le gel des avoirs des auteurs de changements anticonstitutionnels de gouvernements. Voir mesures prises à l’encontre des dirigeants de la Séléka, dont son chef Michel Djotodia après le putsch contre François Bozizé. 553.Cf. R.G.D.I.P. 1983, p. 368.
185
rompues le lendemain du coup d’État.554 La Belgique avait elle aussi suspendu ses relations
diplomatiques avec le Nigéria après le coup d’État de 1994.555
Dans les organisations internationales, si l’État dont le gouvernement est jugé non
démocratique n’est pas suspendu ou exclu, il peut être fait usage de la procédure
d’accréditation pour empêcher les représentants de cet État de participer aux travaux des
organes de l’organisation. Ainsi, après le coup d’État survenu en Grèce en 1967, l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe a décidé « de ne pas reconnaître les pouvoirs de tout
délégué censé représenter le Parlement grec tant qu[e] [l’Assemblée] ne sera pas convaincue
que la liberté d’expression a été rétablie et qu’un parlement libre et représentatif a été élu en
Grèce ».556 Dans ce cadre peut aussi être inscrite la réaction de l’Union européenne face à la
montée du parti d'extrême-droite de Joerg Haider, le Freiheitliche Partei Österreichs (FPÖ) ou
parti de la liberté d'Autriche. En 2000, suite à l’entrée au gouvernement de ce parti considéré
comme défendant des valeurs non conformes à celles communes à l’Union et à ses membres
dont celles liées à la démocratie et au respect des droits de l’homme et des libertés
fondamentales, les 14 autres pays de l'Union ont en effet réagi en adoptant des mesures
coercitives de nature politico-diplomatique. Au départ, il s’est agi d’une menace d’adoption
de telles mesures en cas de formation d’un gouvernement avec le FPÖ. Ces mesures
consistaient en des restrictions politico-diplomatiques : absence de soutien des Quatorze à
l’égard des candidats autrichiens briguant des postes dans les organisations internationales ;
suspension des contacts bilatéraux officiels entre les quatorze États membres et l’Autriche ;
réception au seul niveau technique des ambassadeurs autrichiens dans les capitales des États
membres. Dès la formation du gouvernement ÖVP-FPÖ, la menace fut mise à exécution. Il
s’agissait là de pressions politico-diplomatiques destinées à lutter contre le risque de dérives
anti-démocratiques d’un gouvernement et donc d’un État.
Mais la pratique courante dans de nombreuses organisations internationales à vocation
régionale ou sous régionales consiste aujourd’hui - en plus de la conditionnalité démocratique
de la participation que nous avons vue dans la précédente section - à prévoir, dans leurs traités
constitutifs ou dans des textes ultérieurs, des mécanismes permettant de réagir par des
mesures coercitives contre un État membre dont le gouvernement a accédé ou s’est maintenu
au pouvoir par des moyens non conformes aux règles de la démocratie (coups d’État et autres 554.Cf. R.G.D.I.P. 1983, p. 157. 555.Cf. R.B.D.I., 2002, p. 230. Pour d’autres exemples de suspensions des relations diplomatiques à la suite de coups d’État, voir J. D’ASPREMONT, L’État non démocratique en droit international…, op. cit., n. 502, pp. 199 et s. 556.Cité par J. D’ASPREMONT, L’État non démocratique en droit international…, op. cit., n. 502, p. 178 ; pour d’autre exemples voir le même, pp. 168-180.
186
changements anticonstitutionnels). Les textes et la pratique de l’O.E.A. et de l’U.A. sont assez
éloquents à ce niveau. L’article 9 de la Charte de l’organisation panaméricaine dispose à cet
effet qu’« un membre de l'Organisation dont le gouvernement démocratiquement constitué est
renversé par la force peut être l'objet d'une suspension de l'exercice de son droit de
participation aux Session de l'Assemblée générale, à la Réunion de consultation, au sein des
Conseils de l'Organisation et des conférences spécialisées, ainsi qu'aux séances des
commissions, groupes de travail et autres organes subsidiaires qui existent. » Dans le même
sillage, l’article 19 de la Charte démocratique interaméricaine adoptée le 11 septembre 2001,
dispose que « […] l'interruption inconstitutionnelle de l'ordre démocratique ou l'altération de
l'ordre constitutionnel qui menace sérieusement l'ordre démocratique dans un État membre de
l'OEA, constitue, tant que dure la situation, un obstacle insurmontable à la participation de
son Gouvernement aux sessions de l'Assemblée générale, de la Réunion de consultation des
ministres des relations extérieures, des conseils de l'Organisation et des conférences
spécialisées, commissions, groupes de travail et autres organes de l'OEA ».557
Cette pratique existe aussi au sein de l’U.A. En effet, l’O.U.A. s’est doté, vers la fin de son
existence, d’un ensemble de textes - dont certains avec un caractère purement déclaratoire et
d’autres avec une force juridique contraignante - en matière de condamnation et de rejet des
changements anticonstitutionnels de gouvernement. Elle a notamment adopté deux décisions
en 1999 et une déclaration en 2000 sur les changements anticonstitutionnels de
gouvernements.558 Mais c’est avec l’avènement de l’U.A. que la suspension d’un État dont le
gouvernement a une origine anticonstitutionnelle fut introduite dans l’Acte constitutif. Ainsi,
selon l’article 30 de ce texte, « les Gouvernements qui accèdent au pouvoir par des moyens
anticonstitutionnels ne sont pas admis à participer aux activités de l’Union. » De même, selon
l’article 7 paragraphe 1 (g) du Protocole de Durban instituant le C.P.S.559, conjointement avec
le Président de la Commission, ce Conseil impose, conformément à la Déclaration de Lomé
des sanctions chaque fois qu'un changement anticonstitutionnel de gouvernement se produit
dans un État membre. La Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance
qui n’est pas encore en vigueur, renforce davantage le rôle du C.P.S. et élargit les situations
susceptibles d’être considérées comme des changements anticonstitutionnels de
557.Disponible sur http://www.oas.org. 558.Voir supra Section 1, § 1, point 2.3. de ce chapitre. Il y a eu auparavant d’autres textes : la Déclaration sur la création, au sein de l’O.U.A. d’un Mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits adoptée par la 29ème session ordinaire de la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement tenue au Caire du 28 au 30 juin 1993 (AHG/Decl.3 (XXIX) ; la Déclaration d’Harare de 1997 traduit la position commune de l’Organisation de l’unité africaine (O.U.A.), au travers de la condamnation du coup d’État perpétré en Sierra Léone contre le Président démocratiquement élu (Ahmad Tejan KABBAH). 559.Conseil de paix et de sécurité de l’U.A.
187
gouvernement. À celles prévues dans la Déclaration de Lomé, elle ajoute « tout amendement
ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui portent atteinte aux
principes de l’alternance démocratique. »560 Même si d’aucuns considèrent que l’accent est ici
davantage mis sur la légitimité constitutionnelle du gouvernement561 et non directement sur la
défense de la démocratie, il est incontestable que l’ensemble de ces textes s’inscrivent dans
une philosophie globale de défense et de promotion des principes, valeurs et institutions
démocratiques. Ils marquent la volonté des dirigeants africains à promouvoir l’accession au
pouvoir par des moyens démocratiques en rapport avec la légalité constitutionnelle des États.
Il s’agit de défendre et de protéger les gouvernements démocratiques. D’ailleurs la
condamnation des changements anticonstitutionnels de gouvernement est le reflet de la
conception de la démocratie largement partagée selon laquelle le pouvoir des autorités
étatiques doit trouver sa source dans la volonté populaire telle qu’elle est
constitutionnellement reconnue et garantie dans chaque État.
Sur la base de ces textes, l’U.A., à travers son C.P.S., a réagi contre les changements
anticonstitutionnels de gouvernement survenus en Afrique dans beaucoup de pays en décidant
notamment de la suspension de l’État membre concerné. Parmi les exemples concrets tirés de
la pratique de l’organisation panafricaine en matière de réaction aux atteintes portées à la
démocratie par les changements anticonstitutionnels de gouvernement, il y a la suspension de
la Mauritanie après la perpétration des coups d’État en août 2005562 et août 2008563. Il y a eu
aussi le cas de Madagascar en 2009 après la prise de pouvoir d’Andry Rajoelina au détriment
560.Article 25 alinéa 5 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance. La Déclaration sur le cadre pour une réaction de l’OUA face aux changements anticonstitutionnels de gouvernement (la Déclaration de Lomé de 2000) considère quatre situations comme constituant des changements anticonstitutionnels prohibés : 1) Un coup d’État militaire contre un gouvernement issu d’élections démocratiques ; 2) Une intervention de mercenaires pour renverser un gouvernement issu d’élections démocratiques ; 3) une intervention de groupes dissidents armés et de mouvements rebelles pour renverser un gouvernement issu d’élections démocratiques ; 4) le refus par un gouvernement en place de remettre le pouvoir au parti vainqueur à l’issue d’élections libres, justes et régulières. L’article 37 alinéa 3 du Règlement intérieur de la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement y ajoute « Le renversement ou le remplacement d'un gouvernement démocratiquement élu par des éléments, avec l'aide de mercenaires ». 561.Voir par exemple à ce titre J. D’ASPREMONT, L’État non démocratique en droit international…, op. cit., n. 502, p. 308. 562.PSC/PR/COMM. (XXXV)-(II), Déclaration du Conseil de paix et de Sécurité de l’U.A, 36ème réunion, 4 août 2005 [en ligne]. Disponible sur : http://www.africa-union.org/root/AU/AUC/Departments/PSC/ps/PSC_2004_2007/pdfs/2005/2005_36_S1F.pdf (page consultée le 25 juin 2013) 563.CPS/PR/COMM (CLIV), Communiqué de la 144ème réunion du Conseil de Paix et de Sécurité, Addis Abéba, 7 août 2008 [en ligne]. Disponible sur : http://www.ausitroom-psd.org/Documents/PSC2008/144th/Communique/CommuniqueFR.pdf (page consultée le 25 juin 2013). Il y a eu aussi la suspension de la République de Guinée suite au coup d’État intervenu après le décès du Président Lansana Conté.
188
du Président Marc Ravalomanana contraint à la démission.564 Il y a eu également le cas du
Niger à la suite de la prise du pouvoir par la force le 18 février 2010.565 Les trois cas les plus
récents sont ceux du Mali après le putsch de mars 2012, de la Centrafrique suite au
renversement de François Bozizé en mars 2013 et de l’Égypte suite à l’éviction le 3 juillet
2013 de Mohamed Morsi, le président démocratiquement élu après les révoltes populaires qui
ont fait tomber Hosni Mubarak.
En plus des organisations régionales, d’autres organisations à caractère politico-culturel
pratiquent la suspension de l’État membre où il y a eu un changement anticonstitutionnel de
gouvernement. On peut citer à cet égard les suspensions du Nigéria en 1995 et du Pakistan en
2000 du Commonwealth pour non-respect de la déclaration de Harare relative à la démocratie
et conformément au programme d’action de Millbrook adopté en 1995 pour justement assurer
le respect de cette déclaration. On peut aussi se référer à la pratique de l’O.I.F. en la matière.
Nous avons vu qu’au sein de cette organisation, a adopté la déclaration de Bamako qui prévoit
qu’en cas de rupture de la démocratie ou de violations massives des droits de l’homme,
l’organisation peut prendre, entre autres mesures, la suspension de la participation des
représentants du pays concerné aux réunions de ses instances, la suspension de la coopération
multilatérale francophone, à l’exception des programmes qui bénéficient directement aux
populations civiles et de ceux qui peuvent concourir au rétablissement de la démocratie, ou
encore la suspension du pays concerné de la Francophonie en cas de coup d’État militaire
contre un régime issu d’élections démocratiques. C’est conformément à cette déclaration que
des pays comme le Mali, la Centrafrique ont été récemment suspendus des instances de la
francophonie suite à la survenance de coups d’État militaires dans ces pays respectivement en
2012 et 2013.
En définitive, à travers ces nombreuses pratiques, les organisations internationales
s’inscrivent dans la logique de défense et d’accompagnement des processus de
démocratisation dans leurs États membres. Cette logique s’opère par des mécanismes
juridiques qui visent à favoriser le respect des normes démocratiques en matière d’accession,
de maintien au pouvoir mais aussi dans l’exercice de celui-ci. En effet, les États suspendus de
564. PSC/PR/COMM.(CLXXXI), Communiqué de la 181ème réunion du Conseil de Paix et de Sécurité, 20 mars 2009. Le Madagascar avait déjà suscité une réaction de l’U.A. en 2002 suite au différend électoral entre Didier Ratsiraka et Marc Ravalomanana. Voir sur ce point D. L. TEHINDRAZANARIVELO, « Les sanctions de l’Union africaine contre les coups d’État et autres changements anticonstitutionnels de gouvernement : potentialités et mesures de renforcement », Annuaire africain de droit international, 2004, vol. 12, (2006), pp. 272-275. 565.PSC/PR/COMM.2(CCXVI), Communiqué de la 216ème réunion du Conseil de Paix et de Sécurité, 19 février 2010.
189
l’organisation sont généralement réintégrés dès la remise du pouvoir par la junte aux autorités
civiles de transition ou dès le rétablissement de l’ordre constitutionnel. En revanche, lorsque
les situations d’inconstitutionnalité persistent ou que les autorités en place refusent de
s’engager dans la voie du retour à l’ordre légal et à s’inscrire dans la démocratie, l’adoption
de mesures restrictives d’ordre économique et commercial demeure comme un second moyen
de pression pour faire respecter l’exigence démocratique internationale.
2. Les mesures restrictives d’ordre économique et commercial
Les relations économiques constituent un des domaines des relations internationales. Ainsi
elles peuvent servir de moyen de pression sur l’État qui ne conforme pas sa conduite à
l’exigence démocratique internationale. L’établissement ou le maintien de relations
économiques avec cet État peut alors être conditionné par les États notamment démocratiques
et développés, les institutions financières ou commerciales internationales à l’adoption de
mesures allant dans le sens du rétablissement ou du renforcement de la démocratie. Mais au-
delà de la conditionnalité démocratique des relations économiques en général et de l’aide au
développement en particulier566, il s’agit de mettre en œuvre des mesures
coercitives restrictives des relations économiques, financières ou commerciales avec un État
jugé non démocratique. Ces mesures regroupent les embargos, la suspension ou la résiliation
d’un traité de coopération et d’aide publique au développement l’interruption de toutes les
relations économiques et financières ainsi que de toutes les communications avec l’État
concerné. Elles peuvent être décidées dans le cadre des relations bilatérales. Mais de plus en
plus c’est au sein des organisations internationales que ces mesures sont décidées pour
sanctionner les violations des droits de l’homme ou des règles démocratiques.
Dans le cadre des relations bilatérales, les États-Unis pratiquent régulièrement la politique de
« sanctions » économiques, commerciales et financières pour promouvoir la démocratie. Cette
politique s’est illustrée dans les années 1990 par l’adoption par le Congrès américain du
Cuban Liberty and Democratic Solidarity (Libertad) Act le 12 mars 1996 et de l’Iran and
Libya Sanctions Act le 05 août 1996. Ces lois sont plus connues sous le nom de leurs
promoteurs Helms-Burton et d'Amato-Kennedy. De la lecture de leurs articles 3, il ressort que
ces lois avaient pour objectifs d'une part, d'« aider le peuple cubain à [recouvrer] sa liberté et
sa prospérité », de « renforcer les sanctions internationales contre le gouvernement castriste »,
566.Voir supra Section précédente, § 2.
190
d'« encourager l'organisation d'élections démocratiques libres et régulières à Cuba » et de
« protéger les ressortissants américains contre les confiscations et le trafic illégal de biens
confisqués par le régime castriste » ; d'autre part, de « priver l'Iran [et la Libye] des moyens
de soutenir des actes de terrorisme international et de financer la mise au point ou l'acquisition
d'armes de destruction massive et de leurs vecteurs » et « d'exiger le respect intégral par la
Libye des obligations qui lui incombent aux termes des résolutions 731, 748 et 883 du Conseil
de sécurité des Nations Unies ».567
La loi d’Amato-Kennedy porte sur des enjeux liés au terrorisme international et au
développement de l’armement dans les deux pays cibles. Elle ne vise pas directement la
démocratisation et ne nous occupera donc pas davantage (Nous la retrouverons cependant
dans la seconde partie de ce travail, mais dans un autre cadre). En revanche, la loi Helms-
Burton (que nous retrouverons également) qui renforçait les sanctions internationales568
contre Cuba visait clairement la chute de Fidel Castro qui serait suivie de la mise en place
d’un gouvernement de transition devant aboutir à l’instauration d’un gouvernement
démocratiquement élu.569 La mise en place d’un gouvernement de transition devait entraîner
un assouplissement des sanctions et l’avènement d’un gouvernement démocratiquement élu
ferait disparaître l’embargo dans son ensemble. Cette loi fait interdiction à toute personne
physique ou morale de nationalité américaine ou étrangère d’entrer, sous peine de sanctions,
en relation d’affaire avec Cuba ou tout autre pays au monde si dans cette relation est fait
usage d’un bien lié à tout autre bien américain nationalisé par le régime castriste durant les
années 1959-1961. Parmi les sanctions imposées en cas de méconnaissance de cette
interdiction, il y a d’abord la possibilité donnée à tout ressortissant américain de demander au
juge américain de constater le « trafic », et de condamner le trafiquant à l'indemniser du
dommage subi du fait de la nationalisation cubaine. Il y a ensuite l'interdiction de délivrer un
visa à tout « trafiquant », à son conjoint, à ses enfants mineurs ou à son représentant.
En dehors du cas de Cuba, les États-Unis ont également utilisé « l’arme économique » pour
promouvoir la démocratie en Birmanie. Ils avaient, avec l’U.E, imposé des mesures
coercitives économiques à ce pays à cause
« de la poursuite de la détérioration de la situation politique, dont témoigne le refus des
autorités militaires d’engager des discussions de fond avec le mouvement démocratique au
567.M. COSNARD, « Les lois Helms-Burton et D’Amato-Kennedy, interdiction de commercer avec et d’investir dans certains pays », A.F.D.I., XLII, 1996, p. 33. 568.Titre I de la loi. 569.Titre II de la loi.
191
sujet d’un processus conduisant à la réconciliation nationale, au respect des droits de
l’homme et à la démocratie, ainsi que la persistance de violations graves des droits de
l’homme, et notamment l’absence de mesures destinées à éradiquer le recours au travail
forcé. »570
Les mesures économiques et commerciales adoptées contre la Birmanie consistaient en un
embargo sur les importations birmanes, une interdiction d’investir dans les secteurs du gaz et
du pétrole etc. Depuis la dissolution de la junte en mars 2011 et l’ouverture démocratique
entreprise par le régime en place, les États-Unis et d’autres pays occidentaux ont annoncé la
levée progressive des mesures restrictives imposées à ce pays. Cette décision a pour but de
« soutenir les efforts de réformes en cours du gouvernement birman et de promouvoir
davantage de changements ».571 Cette « prime à la démocratisation » s’est aussi traduite par
l’établissement de relations diplomatiques entre les deux pays avec l’envoi du premier
ambassadeur américain en Birmanie depuis 1990.
L’utilisation de mesures coercitives d’ordre économique ou commercial pour imposer le
respect des règles démocratiques n’est pas seulement l’apanage des États. Elle est aussi
pratiquée par certaines organisations internationales notamment les Nations Unies et l’U.E.
S’agissant des Nations Unies, le Conseil de sécurité a eu recours à des mesures coercitives
d’ordre économique ou commercial afin d’imposer le respect des règles démocratiques. Dans
sa résolution 841 du 16 juin 1993 sur la situation en Haïti, le Conseil de sécurité a ainsi décidé
d’imposer un embargo sur le pétrole, les produits pétroliers et les armements.572 Aussi, dans
sa résolution 1132 (1997) sur la Sierra Léone, le Conseil de sécurité, « déplorant que la junte
militaire n'ait pas encore pris de mesures pour permettre le rétablissement du gouvernement
démocratiquement élu et le retour à l'ordre constitutionnel », a décidé de prendre, dans le
cadre du chapitre VII de la Charte, des mesures coercitives économiques et commerciales.
Celles-ci visaient à empêcher « la vente ou la fourniture à la Sierra Léone […] de pétrole, de 570.CE, Position commune 2003/297/PESC du Conseil du 28 avril 2003 relative à la Birmanie/Myanmar, JOCL 106/36. 571.http://www.lepoint.fr/monde/birmanie-les-etats-unis-levent-l-embargo-sur-les-importations-17-11-2012-1530152_24.php. 572.§ 5 et 6 de la résolution 841 (1993). Sur le cas haïtien, voir Y. DAUDET, « Les particularismes juridiques de la crise d’Haïti », in Y. DAUDET (dir.), La crise d’Haïti, Paris, Montchrestien, 1996, pp. 1- 129. Sur la pratique des mesures coercitives des Nations Unies, voir : A. ALASHAAL, Recherche sur la mise en œuvre des mesures coercitives du Conseil de sécurité en droit international et en droit interne, Thèse, Université de Paris II, 2001 ; H. DIPLA, « Les résolutions du Conseil de sécurité imposant des mesures coercitives et leur mise en œuvre : quelques réflexions concernant la responsabilité des États », in H. Ruiz-Fabri, L.-A. Sicilianos et J. M. Sorel (dirs.), L’effectivité des organisations internationales : mécanismes de suivi et de contrôle, Athènes-Paris, Sakkoulas-Pedone, 2000, pp. 23-57 ; DUPUY P.-M., « Quelques remarques sur l’évolution de la pratique des sanctions décidées par le Conseil de sécurité des Nations Unies dans le cadre du chapitre VII de la Charte », in V. GOWLLAND-DEBBAS (dir.), United Nations Sanctions and International Law, La Haye, Kluwer Law International, 2001, pp. 47 et s.
192
produits pétroliers, d'armements et de matériel connexe de tous types, y compris d'armes et de
munitions, de véhicules et d'équipements militaires, d'équipements paramilitaires et de pièces
détachées y afférentes […] ». Toutefois, l’interdiction sur le pétrole et les produits pétroliers
pouvait être suspendue si la demande est faite « par le gouvernement démocratiquement élu
de la Sierra Léone ». Même si d’aucuns pensent que les fondements juridiques et politiques de
ces mesures décidées contre Haïti et Sierra Léone ne se trouvent pas dans la défense de la
démocratie573, il semble néanmoins que le motif démocratique n’est pas totalement absent de
l’esprit de ces résolutions. Car il s’agit bien là de défendre des gouvernements
démocratiquement élus par l’adoption de mesures coercitives contre les « fossoyeurs » de la
démocratie.
Concernant l’U.E., nous l’avons déjà vu, que ses relations avec les pays tiers sont marquées
par la conditionnalité démocratique à travers l’exigence de respect des droits de l’homme et
de la démocratie pour l’établissement de toute relation ou coopération. C’est pourquoi, elle
n’hésite pas suspendre totalement ou partiellement des accords de coopération avec des États
considérés comme violant massivement les droits de l’homme ou les principes démocratiques
et l’État de droit. Dans le cadre des relations entre l’U.E. et les pays A.C.P., les mesures
prévues par l’article 96 de l’accord de Cotonou ont été mises en œuvre contre un certain
nombre d’États. C’est en application des dispositions de cet accord que la coopération au
développement de l'Union européenne en faveur de la République de Guinée a été
partiellement suspendue après le coup d'État militaire de 2008, considéré comme une
violation de son article 96, sur lequel est fondée cette coopération. La décision 2011/465/UE
du Conseil conditionne en effet la reprise de la coopération avec cet État au titre du 10e F.E.D.
à « l’élaboration et l’adoption, par les autorités compétentes, d’un calendrier détaillé, y
compris les dates et étapes préalables, les opérations préparatoires, pour la tenue d’élections
législatives avant la fin de 2011, et la tenue effective d’élections législatives libres et
transparentes »574. Les exigences de la décision n’étant pas accomplies à la fin de la période
initiale d’application de ces mesures (19 juillet 2012), la suspension de la coopération a été
prorogée de douze mois soit jusqu’au 19 juillet 2013.575 Les élections législatives n’ayant
573.KOKOROKO D., « Souveraineté étatique et principe de légitimité démocratique », op. cit., n. 447, p. 52. 574. JO L 195 du 27.7.2011, p. 2. 575.Décision (2012/404/UE) du Conseil du 16 juillet 2012 prorogeant la période d’application des mesures appropriées établies envers la République de Guinée par la décision 2011/465/UE et modifiant cette décision.
193
toujours pas eu lieu en Guinée il est possible qu’une nouvelle décision soit prise par l’U.E.
pour « limite[r] les possibilités d’engagement des fonds du 10e F.E.D. »576
En dehors du cadre de ses relations avec les pays A.C.P., l’U.E. a également mis en œuvre des
mesures économiques restrictives contre la Syrie. Ce pays est en effet lié à l’U.E. par un
accord de coopération du 18 janvier 1977577, par la Déclaration de Barcelone et l’Instrument
européen de bon voisinage et de partenariat. La Syrie est également membre de l’Union pour
la Méditerranée créée en 2008.578 Sur la base de ces différends textes, la conditionnalité
démocratique s’est progressivement institutionnalisée entre l’U.E. et la Syrie. Ainsi, suite aux
violations des droits de l’homme et à la répression, par le régime en place, de la population
réclamant plus de liberté et de démocratie, l’U.E. a décidé de suspendre partiellement l’accord
de coopération de 1977.579 Les mesures restrictives décidées sont d’ordre économique et
commercial et concernent notamment l'importation de pétrole brut et de produits pétroliers
dans l'Union si ceux-ci sont originaires ou ont été exportés de Syrie. Elles visent
également l'achat de pétrole brut ou de produits pétroliers situés en ou originaires de Syrie, le
transport de pétrole brut ou de produits pétroliers si ceux-ci sont originaires ou sont exportés
de Syrie. Elles portent enfin sur la fourniture, directe ou indirecte, d'un financement ou d'une
assistance financière, notamment de produits financiers dérivés, ainsi que de produits
d'assurance et de réassurance.580
576.Voir lettre adressée au président et au premier ministre de la république de Guinée, et jointe à la décision susvisée. En plus de la République de Guinée, il y a la Guinée Bissau qui a vu sa coopération au développement avec l’U.E. partiellement suspendue « à la suite de la mutinerie militaire en avril 2010 et de la nomination de ses instigateurs à des positions élevées de commandement […]. L’U.E. a organisé des consultations avec la Guinée-Bissau au titre de l'article 96 de l'accord de Cotonou. En juillet 2011, le Conseil de l'U.E. a conclu la procédure de consultation en approuvant un programme d'engagements mutuels. La reprise progressive de la pleine coopération de l'U.E. dépendra des mesures concrètes adoptées par les autorités de Guinée-Bissau pour : mettre un terme au contrôle du pouvoir civil par l'armée ; entreprendre une réforme approfondie et complète du secteur de la sécurité ; rétablir l'ordre constitutionnel par des élections démocratiques et ouvertes à tous ; lutter contre l'impunité et le trafic illégal de stupéfiants. » Voir : http://eeas.europa.eu/guinea_bissau/index_fr.htm. En 2003, le Libéria a vu lui aussi sa coopération au développement avec la C.E. suspendue. Voir Décision 2003/631/CE du Conseil du 25 août 2003 adoptant des mesures concernant le Liberia au titre de l'article 96 de l'accord de partenariat ACP-CE en cas d'urgence particulière, J.O L 220 du 3.9.2003, p. 3. 577.J.O. de l’U.E. L 269 /2, 27.9.1978. 578. http://eeas.europa.eu/syria/index_en.htm. 579.Voir Décision 2011/523/UE du Conseil du 2 septembre 2011 portant suspension partielle de l’application de l’accord de coopération conclu entre la Communauté économique européenne et la République arabe syrienne, J.O. de l’U.E. L 228/19, 3.9.2011, p. 19 ; Décision 2012/123/PESC du Conseil datée du 27 février 2012 modifiant la décision 2011/523/UE portant suspension partielle de l’application de l’accord de coopération conclu entre la Communauté économique européenne et la République arabe syrienne, J.O. de l’U.E. L 54/18, 28.2.2012, p. 18. 580.Voir à ce sujet le Règlement (UE) N° 36/2012 du Conseil du 18 janvier 2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement (UE) n° 442/2011, J.O. de l’U.E. L 16/1, 19.1.2012, notamment le chapitre 2.
194
Aux fins du présent examen, il convient de retenir que la non-conformité d’un État à
l’exigence démocratique internationale suscite de réactions de plus en plus fortes et
organisées des autres membres de la communauté internationale, soit dans le cadre d’une
organisation internationale, soit dans le cadre des rapports bilatéraux. Le type de réactions le
plus couramment pratiqué est celui des pressions politiques et diplomatiques. Mais lorsque
celles-ci s’avèrent inefficaces, il est fait souvent recours à des mesures restrictives d’ordre
économique, commercial ou financier dont l’impact peut être important à moyen et long
terme selon la capacité de résistance de l’État visé. Quelles qu’elles soient – politiques,
diplomatiques, économiques, financières, commerciales – ces mesures constituent la
manifestation que le principe d’indifférence du droit international à l’organisation politique
interne des État doit être fortement relativisé. Cela est d’autant plus vrai que la pratique
internationale consacre des cas certes exceptionnels d’usage de mesures de coercition
militaires en faveur de la démocratie.
§ 2 : L’usage de mesures exceptionnelles de coercition militaire
Si l’usage de mesures coercitives non militaires (pressions politiques et diplomatiques,
mesures restrictives économiques, commerciales et financières) pour défendre ou promouvoir
la démocratique constitue de plus en plus une pratique courante dans les relations
internationales contemporaines, l’usage de la coercition militaire pour réagir à la non-
conformité d’un État ou d’un gouvernement à l’exigence démocratique demeure, en revanche,
très exceptionnelle. Le recours à la coercition militaire doit en principe être décidé et mis en
œuvre dans le cadre des Nations Unies (1). Mais il arrive que l’exercice de la coercition
militaire pour la démocratie se fasse hors du cadre des Nations Unies (2).
1. Le recours à la force pour la démocratie dans le cadre des Nations Unies
Avec l’interdiction du recours à la force armée contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance
politique de tout État, l’usage de la force armée pour instaurer, maintenir ou rétablir la
démocratie demeure problématique au regard des règles traditionnelles du droit international.
Autrement dit, l’usage de la force pour imposer un régime démocratique peut poser problème
quant à sa légalité internationale. Toutefois, vu que « seule la Charte [des Nations Unies]
195
offre une base juridique universellement acceptée pour le recours à la force »581, l’usage de la
coercition militaire pour promouvoir la démocratie doit, pour être licite, se faire
conformément aux dispositions de la Charte. Ainsi, dans le cadre du système de sécurité
collective, l’usage de la coercition militaire pour la démocratie peut bien être décidé lorsque le
Conseil de sécurité estime que l’absence de démocratie constitue une menace contre la paix,
une rupture de la paix ou un acte d’agression et qu’il juge nécessaire le recours à la force
militaire. Il faut noter à ce niveau que la notion de menace à la paix a connu une certaine
extension dans la pratique du Conseil de sécurité. En effet, depuis la fin de la bipolarisation, il
est admis que la paix et la sécurité passent aussi par « le respect des droits de l’homme, et tout
particulièrement ceux des minorités… » Par ailleurs, il est admis que « la mondialisation de la
vie contemporaine exige avant tout, pour rester salubre, que les identités soient solidement
établies, et l’exercice des libertés fondamentalement assurées… Le respect des principes
démocratiques à tous les niveaux de l’entité sociale […] est essentiel ».582 C’est pourquoi le
Conseil de sécurité, n’hésitant plus à lier la menace contre la paix aux coups d’État et autres
changements anticonstitutionnels de gouvernement, a recours au Chapitre VII pour défendre
et promouvoir la démocratie. C’est ainsi que, suite au coup d’État du 29 septembre 1991 du
Général Raul Cedras ayant renversé le Président démocratiquement élu en Haïti, Jean
Bertrand Aristide, le Conseil de sécurité, après avoir imposé des « sanctions » économiques
sévères – nous l’avons déjà souligné - et constaté la poursuite du coup d’État malgré les
accords de sortie de crise conclus entre les autorités de fait et les autorités légitimes (accords
de Governors Island et du Pacte de New York)583, donna son feu vert pour une action militaire
qui se solda par le départ du général putschiste. Le Conseil a dû en effet adopter la résolution
940 du 31 Juillet 1994584 autorisant le recours à la force militaire. Il avait réaffirmé « que le
but de la communauté internationale consist[ait] toujours à restaurer la démocratie en Haïti et
à assurer le prompt retour du Président légitimement élu… » Il avait aussi constaté que
« malgré les efforts de la communauté internationale, le gouvernement légitime du Président
Jean Bertrand Aristide n’avait pas été rétabli…», que « la persistance de cette situation
contribue à entretenir un climat de peur… » et que par conséquent cette situation « continue
de menacer la paix et la sécurité dans la région ». C’est pourquoi, agissant en vertu du 581.Rapport du Secrétaire Général sur l’activité de l’Organisation, cinquante quatrième session, supplément n°1, Doc. A/54/1, 1999, § 66. 582.« Agenda pour la paix », « Diplomatie préventive, rétablissement de la paix, maintien de la paix », ONU, A/47/277 ; S/24111 ; 583.Accords de Governors Island, voir rapport du Secrétaire Général du 12 juillet 1993; doc. A/45/975-S/26063, par. 5.; Pacte de New York, doc. A/47/1000-S/26297. Ces accords devaient permettre le rétablissement du gouvernement élu d’Aristide. 584.Au sujet de cette résolution, voir O. CORTEN, « La résolution 940 du Conseil de sécurité autorisant une intervention militaire en Haïti : l’émergence d’un principe de légitimité démocratique en droit international ? », E.J.I.L., 1995, pp. 116-133.
196
chapitre VII de la Charte, il a autorisé la constitution d’ « une force multinationale » et
l’utilisation « dans ce cadre de tous les moyens nécessaires pour faciliter le départ d’Haïti des
dirigeants militaires, eu égard à l’Accord de Governors Island, le prompt retour du Président
légitimement élu et le rétablissement des autorités légitimes du Gouvernement haïtien, ainsi
que pour instaurer et maintenir un climat sûr et stable qui permette d’appliquer l’Accord de
Governors Island… ». En conséquence, une action militaire pour rétablir la démocratie sera
entreprise. Cette réaction internationale face à l’interruption du processus démocratique
montre bien la place de la démocratie dans la pratique contemporaine des Nations Unies en
général et du Conseil de sécurité en particulier. En effet, même si d’autres motifs notamment
humanitaires font parties des fondements de cette intervention, il est indéniable que « dans la
crise haïtienne, le rétablissement de la démocratie constitue le but premier poursuivi par la
communauté internationale, à la fois pour des raisons intrinsèques et parce qu’il constitue un
préalable absolu à la reprise de l’aide et de la coopération ».585
En dehors du cas haïtien, l’opération militaire menée en Sierra Léone entre 1997 et 1998 par
l’ECOMOG586 pour rétablir le gouvernement démocratiquement élu est citée parmi les
exemples d’interventions armées en faveur de la démocratie.587 Ahmad Tejan Kabbah a été
élu en mars 1996, mais renversé par le coup d’État du 25 mai 1997588, il fait appel aux troupes
du Nigeria, en vertu d’un accord bilatéral de défense. Celles-ci avaient essayé de renverser le
nouveau gouvernement de Koroma au lendemain du coup d’État mais ont échoué dans leur
tentative de restaurer le régime de Kabbah. Dans le cadre de l’O.U.A., suite au putsch, les
chefs d’État et de gouvernement ont adopté, lors du trente-troisième sommet de cette
organisation tenu à Harare du 2 au 4 juin 1997, une décision dans laquelle était lancé un appel
aux dirigeants de la CEDEAO et à la communauté internationale pour qu’ils aident le peuple
sierra-léonais à rétablir l’ordre constitutionnel dans son pays. Il y était également souligné la
585.Y. DAUDET (dir.), La crise d’Haïti (1991-1996) ,Paris, Montchrestien, 1996, p. 101. 586.Ecowas Monitoring Group. (Groupe de contrôle ou d’observateurs militaires de la CEDEAO). 587.Voir K. NOWROT et E. W. SCHABACKER, ‘‘The Use of Force to Restore Democracy : International Legal Implication of the ECOWAS Intervention in Sierra Leone’’, American University International Law Review, vol. 14, n° 2, (1998), pp. 312-412. 588.Le conflit sierra-léonais remonte à mars 1991 lorsque le RUF (Revolutionary United Front) entreprend une offensive contre le gouvernement de Joseph Momoh. Celui-ci est renversé en avril 1992, non pas par le RUF, mais par ses propres officiers, dirigés par Valentine Strasser, qui se proclame chef d’un nouveau gouvernement qui sera à son tour renversé en janvier 1996 par l’un de ses députés, le brigadier Julius Maada Bio. Celui-ci organise des élections qui seront remportées en mars 1996 par Ahmet Tejan Kabbah, lui-même renversé le 25 mai 1997 par une coalition réunissant un secteur de l’armée sierra-léonaise et le RUF, sous la direction du commandant Johnny Paul Koroma. Kabbah sera à nouveau le chef "effectif" du gouvernement sierra-léonais à partir du mois de mars 1998, après les interventions de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’ECOMOG ("Ecowas Monitoring Group" ou Groupe d’observateurs militaires de la CEDEAO).
197
nécessité impérieuse d’appliquer l’Accord d’Abidjan589, qui demeure un cadre viable pour la
paix, la stabilité et la réconciliation en Sierra Leone. Faisant suite à cette décision, à l’issue de
la réunion du 26 juin 1997 tenue à Conakry, les ministres des affaires étrangères des pays de
la CEDEAO
« ont réaffirmé la décision prise à Harare par les chefs d’État ou de gouvernement à la
trente troisième réunion du sommet de l’OUA sur la situation en Sierra Leone ; ont réaffirmé
l’appui de la CEDEAO à l’Accord de paix d’Abidjan signé le 30 novembre 1996 ; ont
souligné qu’aucun pays ne devrait reconnaître le régime qui est apparu à la suite du coup
d’État du 25 mai 1997, et qu’il convient d’œuvrer en faveur du rétablissement du
gouvernement légitime en utilisant simultanément trois moyens, à savoir la concertation,
l’imposition de sanctions et l’application d’un embargo, et l’utilisation de la force.. »590
Suites aux efforts de la CEDEAO et des pressions591 exercées sur la junte au pouvoir, le 23
octobre 1997, fut conclu l’Accord de Conakry entre le Comité de la CEDEAO et la délégation
de la junte. L’accord prévoit le retour du président élu dans les six mois, et prévoit que le
processus sera mis en œuvre par la CEDEAO. Il prévoyait aussi une présence de l’ECOMOG
pour superviser le respect du cessez-le-feu établi, pour le désarmement, la démobilisation et la
réintégration des combattants ainsi que pour surveiller l’assistance humanitaire.592 Après la
rupture de l’accord de Conakry suite à l’éclatement de troubles en janvier et février 1998 entre
les forces gouvernementales et celles de l’ECOMOG renforcées par l’arrivée en Sierra-Léone
de nouveaux contingents, la junte est renversée le 12 février. Le président démocratiquement
élu, Ahmad Tejan Kabbah sera restauré dans son pouvoir le 10 mars 1998.
On cite cette intervention de l’ECOMOG en faveur du rétablissement de la démocratie parmi
les cas d’usage de la force militaire dans le cadre des Nations Unies car, même si le Conseil
de sécurité ne l’a pas expressément autorisée comme ce fut le cas en Haïti, il l’a néanmoins
soutenue et « laisser faire » en la suivant de très près. Déjà, par les déclarations de son
589.Accord de paix entre le Gouvernement de la République de Sierra Leone et le Front révolutionnaire unifié de Sierra Leone, signé à Abidjan le 30 novembre 1996, annexé à la Lettre datée du 11 décembre 1996, adressée au Secrétaire général par le représentant permanent de la Sierra Leone auprès de l’ONU, S/1996/1034, 11 décembre 1996. 590.C’est nous qui soulignons. Voir Communiqué annexé à la Lettre datée du 27 juin 1997, adressée au Président du Conseil de sécurité par le représentant permanent du Nigéria auprès de l’ONU, S/1997/499, 27 juin 1997, § 9. 591.Imposition d’un embargo contre la junte par la CEDEAO (« Décision relative à l’imposition de sanctions contre la junte en Sierra Leone », annexe II à la Lettre datée du 8 septembre 1997, adressée au Président du Conseil de sécurité par le représentant permanent du Nigéria auprès de l’ONU, S/1997/695, § 25, 8 septembre 1997) et l’ONU (S/RES/1132 (1997) du 8 octobre1997). 592.Texte annexé à la Lettre datée du 28 octobre 1997, adressée au président du Conseil de sécurité par le représentant permanent du Nigeria auprès de l’ONU, S/1997/824, 28 octobre 1997.
198
président593, le Conseil condamne le coup d’État. Aussi, par la résolution 1132 du 8 octobre
1997 il « déplor[e] que la junte militaire n'ait pas encore pris de mesures pour permettre le
rétablissement du gouvernement démocratiquement élu et le retour à l'ordre constitutionnel » ;
il considère que cette situation « constitue une menace contre la paix et la sécurité
internationales dans la région ». Comme dans le cas haïtien, le Conseil de sécurité considère
que la situation née du coup d’État constitue une menace à la paix.594 Mais ici, il n’autorise
pas expressément le recours à la force militaire. Néanmoins, « agissant en vertu du Chapitre
VII […], [il] soutient sans réserve les efforts faits par le Comité de la CEDEAO pour régler la
crise en Sierra Leone et l'encourage à continuer de s'employer à restaurer pacifiquement
l'ordre constitutionnel, y compris par la reprise des négociations ». Par ailleurs, le 11 juillet
1997, le président du Conseil de sécurité fit une déclaration dans laquelle le Conseil
« réaffirme que la tentative de renversement du gouvernement démocratiquement élu du
Président Ahmad Tejan Kabbah est inacceptable et demande à nouveau le rétablissement
immédiat et inconditionnel de l'ordre constitutionnel dans le pays ». Selon cette même
déclaration, le Conseil soutient pleinement la décision du trente-troisième Sommet de l’OUA
susvisée.595
Suite au renversement de la junte, dans la déclaration du 26 février 1998 du président du
Conseil, ce dernier « se félicite que la junte ait été dessaisie du pouvoir » et « félicite la
CEDEAO pour le rôle important qu’elle a continué de jouer en vue du règlement pacifique de
la crise », et « encourage le Groupe d’observateurs militaires de la CEDEAO (ECOMOG) à
poursuivre l’action qu’il mène en vue de rétablir la paix et la stabilité en Sierra Leone,
conformément aux dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies ».596 Dans le même
sillage, fut adoptée la résolution 1156 (1998) du 16 mars 1998 dans laquelle, agissant en vertu
du chapitre VII de la Charte, le Conseil se félicite du retour du président démocratiquement
élu et décide de lever l’embargo.
593.Voir les déclarations de son Président en date du 27 mai 1997 (S/PRST/1997/29), du 11 juillet 1997 (S/PRST/1997/36) et du 6 août 1997 (S/PRST/1997/42), condamnant le coup d'État militaire en Sierra Leone. 594.Les commentateurs de l’article 39 de la Charte notent en effet que « dans le cas de la Sierra Léone, c’est à nouveau la situation créée par le coup d’État contre le Président Kabbah démocratiquement élu qui a été considéré comme une menace contre la paix pour le Conseil. Dans cette hypothèse, ce sont les actes de violence, les pertes de vies humaines et la détérioration de la situation humanitaire en Sierra Léone, que les répercussions de celle-ci dans les pays voisins, qui ont conduit le Conseil à juger que la situation menaçait la paix et la sécurité internationales », P. d’ARGENT, J. d’ASPREMONT, F. DOPAGNE et R. VAN STEENBERGHE, « Commentaire de l’article 39 », in J. P. COT, A. PELLET et M. FORTEAU, Commentaire article par article de la Charte des Nations Unies, 3è éd., Paris, Economica, 2005, p.1159. 595.S/PRST/1997/36, 11 juillet 1997. 596.S/PRST/1998/5, 26 février 1998.
199
À travers les exemples haïtien et sierra-léonais, on voit bien qu’il est établi un lien entre
démocratie, paix et stabilité internationale. À ce titre, se justifient les interventions
internationales armées autorisées ou soutenues par les Nations Unies lorsque la rupture de la
démocratie entraîne des conséquences nocives.597 En ce sens, le professeur Patrick Julliard
souligne que
« le lien juridique est ainsi établi entre le bouleversement constitutionnel et l’application des
chapitre VII et VIII : le renversement d’un régime démocratique par un régime tyrannique
intéresse la communauté internationale parce que ce renversement et ce remplacement
engendrent une crise humanitaire, crise humanitaire dont l’une des manifestations consiste
en des déplacements de populations, et parce que cette crise humanitaire comme ces
déplacements massifs de populations auront des effets nocifs dans toute la région. La ténuité
de ce lien juridique donne l’exacte mesure du recul de l’article 2 §7 devant les chapitres VII
et VIII et de la mondialisation de la politique ».598
En qualifiant de menace contre la paix la situation découlant du renversement du
gouvernement démocratique d’Haïti, le Conseil de sécurité a fait « un pas supplémentaire
dans l’élargissement de la notion de menace à la paix et de la consécration progressive du
principe de légitimité démocratique, les deux concepts étant désormais liés ».599 On a pu
écrire, à ce titre, que « Sierra Leone is the best evidence yet of a fundamental change in legal
norms pertaining to ‘pro-democratic’ intervention ».600 C’est donc dire que, même dans le
choix du régime politique généralement considéré comme relevant du domaine de
compétence nationale, l’État ne jouit plus d’une totale liberté. En effet, face à la décision du
Conseil de sécurité d’autoriser le recours à la force militaire en vertu du Chapitre VII de la
Charte pour restaurer la démocratie, l’exception de la compétence nationale posait à l’article 2
§ 7 n’est pas opérante. En procédant à une qualification d’une situation de menace à la paix
conformément au Chapitre VII, le Conseil de sécurité fait automatiquement sortir la matière 597.Voir B. STERN, « Les évolutions récentes en matière de maintien de la paix par l’ONU », L’Observateur des Nations Unies, n° 5, 1998, p. 8. Dans le même sens, Pierre d’Argent, Jean d’Aspremont, Frédéric Dopagne et Raphaël Van Steenberghe considèrent, dans leur commentaire de l’article 39 de la Charte des Nations des Unies, que « La situation créée par le renversement d’un gouvernement démocratiquement élu [conduit à une qualification de] menace contre la paix… Il faut souligner qu’à aucun moment le Conseil n’a jugé que le coup d’État contre le gouvernement démocratiquement élu en Haïti avait lui-même constitué une menace contre la paix… Seule la situation qu’il avait engendrée l’a été. Au demeurant, ce sont moins les conséquences du coup d’État en Haïti que l’incidence dans la région des crises humanitaires qu’il a provoquées, en ce compris les déplacements de populations, qui ont constitué une menace contre la paix », in J. P. COT, A. PELLET et M. FORTEAU, Commentaire article par article de la Charte des Nations Unies, 3è éd., Paris, Economica, 2005, p.1159. 598.J. JULLIARD, « Conclusions générales », in Y. DAUDET (dir.), La crise d’Haïti (1991-1996) ,Paris, Montchrestien, 1996, p.203. 599.L.-A. SICILIANOS, L’ONU et la démocratisation de l’État…, op.cit., n. 454, p. 201. 600.B. R. ROTH, Governmental Illegitimacy in International Law, Oxford University Press, 2000, p. 407.
200
en cause de la compétence nationale de l’État ; cette matière s’internationalise. C’est pourquoi
l’élargissement de la notion de menace contre la paix contribue à la réduction progressive des
matières ou questions relevant du domaine de compétence nationale exclusive des État. Cela
est aussi vrai lorsque le Conseil intervient dans le domaine politico-constitutionnel,
l’autonomie constitutionnelle et le régime politique considérés comme faisant partie de la
compétence nationale exclusive des États.
2. Le recours à la coercition militaire pour la démocratie hors cadre des Nations
Unies
Il s’agit ici d’opérations militaires exceptionnelles menées en dehors de toute autorisation, a
priori ou a posteriori, des Nations Unies par des organisations internationales régionales ou
unilatéralement par un État ou une coalition d’États. En dépit de la légitimité certaine qu’elles
peuvent présenter notamment lorsqu’il y a une nécessité humanitaire, il s’agit néanmoins
d’interventions illégales au regard du droit international général et de la Charte des Nations
Unies, seule source de légalité du recours à la force.601 En effet, pour les organisations
régionales, l’article 53 de la Charte des Nations Unies dit qu’« aucune action coercitive ne
sera entreprise en vertu d'accords régionaux ou par des organismes régionaux sans
l'autorisation du Conseil de sécurité ». S’agissant des États, l’article 2 § 4 stipule qu’ils
« s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la
force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de toute
autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ». Dans le cadre de ce travail, ce
n’est pas la légalité de ces interventions qui nous intéresse en particulier, mais plutôt leur
motif démocratique car qu’elle soit autorisée par le Conseil de sécurité ou pas, l’intervention
armée en faveur de la démocratie présente la même conséquence pratique sur la liberté qu’a
l’État de choisir son système politique. Cette conséquence est que, dans une société et un droit
mondialisés, l’État n’a plus la liberté totale et absolue de s’organiser et de fonctionner comme
il entend. La preuve en est que, malgré leur illégalité et en plus de considérations plus larges
que l’établissement, le maintien ou la restauration de la démocratie telles que l’intervention
d’humanité602, la menace à la sécurité régionale ou internationale, le motif démocratique n’est
601.Rapport du Secrétaire Général sur l’activité de l’Organisation, cinquante quatrième session, supplément n°1, §. 66, précité note 581. Sur la crise du Kosovo voir notamment : M. KOHEN, « L’emploi de la force et la crise du Kosovo : vers un nouveau désordre juridique international », R.B.D.I., 1999, pp. 122-148 ; N. VALTICOS, « Les droits de l’homme, le droit international et l’intervention militaire en Yougoslavie. Où va-t-on ? Éclipse du Conseil de sécurité ou réforme du droit de veto ? », R.G.D.I.P., 2000, pp. 7-18 ; P. WECKEL, « L’emploi de la force contre la Yougoslavie ou la charte fissurée », R.G.D.I.P., 2000, pp. 19 et s. 602.Voir J. D’ASPREMONT, L’État non démocratique en droit international…, op. cit., n. 502, p. 317.
201
jamais totalement absent dans les considérations des intervenants car la paix, la sécurité, le
respect des droits fondamentaux et la démocratie sont étroitement liés.
C’est pourquoi les dirigeants africains « résolus à promouvoir et à protéger les droits de
l’homme et des peuples, à consolider les institutions et la culture démocratiques, à
promouvoir la bonne gouvernance et l’État de droit », ont inséré une disposition originale, à
savoir l’article 4 (h) et (j), dans l’Acte constitutif de l’Union africaine tel qu’amendé par le
Protocole du 3 février 2003. Cette disposition reconnaît en effet un droit d’intervention de
l’Union dans un État membre et le droit des États membres de solliciter l’intervention de
l’Union dans certaines circonstances graves, à savoir : les crimes de guerre, le génocide et les
crimes contre l’humanité ainsi qu’une menace grave de l’ordre légitime afin de restaurer la
paix et la stabilité dans l’État membre concerné. Cette décision devrait être prise par la
Conférence des Chefs d’État et de gouvernement de l’Union sur recommandation du Conseil
de Paix et de Sécurité (C.P.S.) et l’opération militaire devrait être conduite par la Force
africaine prépositionnée. C’est d’ailleurs conformément à cette disposition que, à la demande
du gouvernement central comorien, l’U.A. est intervenue militairement, le 25 mars 2008, sur
l’île d’Anjouan afin de déloger son dirigeant illégal Mohamed Bacar, dans le cadre de
l’opération « Démocratie aux Comores ». Lors d’un coup d’État en 2001, ce dernier avait pris le
pouvoir à Anjouan, une des trois îles constituant l’archipel et formant l’État fédéral comorien.
Mohamed Bacar avait été par la suite élu président d’Anjouan en 2002. Mais sa réélection en
juin 2007 n’a pas été reconnue, à cause d’une mauvaise organisation du scrutin et des
contestations populaires. Malgré la médiation, les « sanctions » économiques603 et l’ultimatum
de l’U.A. le colonel Bacar refusait catégoriquement d’organiser un nouveau scrutin présidentiel
et s’accrochait au pouvoir. C’est ainsi que dans sa décision Assembly/Dec.186(X) sur la
situation aux Comores604, la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’U.A.
demanda « à tous les États membres en mesure de le faire d’apporter tout l’appui nécessaire au
Gouvernement comorien dans ses efforts visant à rétablir au plus vite l’autorité de l’Union à
Anjouan et à mettre un terme à la crise née du refus persistant des autorités illégales d’Anjouan
de respecter les textes pertinents régissant le fonctionnement de l’Union des Comores ». Suite à
cette décision et après le constat de l’inefficacité des « sanctions » économiques décidées
603.Mesures imposées à l’encontre des autorités illégales d’Anjouan, telles que stipulées au paragraphe 5 du communiqué PSC/PR/Comm(XCV), adopté lors de sa 95ème réunion tenue le 10 octobre 2007 et prorogées par les communiqués PSC/PR/Comm(CII), PSC/PR/Comm(CVII) et PSC/PR/Comm(CXI) adoptés lors de ses 102ème, 107ème et 111ème réunions tenues respectivement le 26 novembre 2007, le 21 janvier 2008 et le 18 février 2008. 604.Décision adoptée par la 10ème session ordinaire de la Conférence de l’Union, tenue à Addis Abéba du 31 janvier au 2 février 2008.
202
contre son régime, un groupe d’États (Soudan, Lybie, Tanzanie et Sénégal) fut mandaté par
l’U.A. pour mettre fin au putschisme et aux velléités sécessionnistes du Colonel Bacar. Ce fut
la première fois que l’Union africaine envoyait des troupes intervenir dans le cadre d’une
opération visant à soutenir la démocratie dans un État membre.605
En plus de l’intervention de l’U.A. aux Comores pour restaurer la démocratie, la pratique a
permis de déceler quelques autres exemples d’interventions militaires visant l’instauration ou
la restauration de la démocratie. On peut par exemple citer l’intervention de l’OTAN au
Kosovo à la suite des violations massives des droits de l’homme perpétrées sur la population
albanaise du Kosovo par le pouvoir serbe de Slobodan Milosevic. Dans cette opération, même
si une partie de la doctrine et certains États ont invoqué « l’intervention d’humanité »606,
l’argument démocratique est très vite apparu dans les discours car il s’agissait de défendre des
valeurs fondamentales partagées par les membres de l’organisation, à savoir la démocratie, le
respect de la dignité de la personne humaine et l’État de droit.607 Ainsi, selon Hubert Védrine,
à l’époque Ministre français des affaires étrangères, cette opération visait à « s'opposer à des
violations graves et répétées des droits les plus fondamentaux de la personne humaine ». Pour
lui, « ce n’est pas une nation qui est mise au ban, mais un régime récusant avec obstination les
règles de la communauté internationale […]. Nous voulons un Kosovo pacifié […] et où la
démocratie se renforce… » Devant les sénateurs, il déclarait aussi que « l'engagement de la
France est conforme à nos valeurs. Il s'inspire de ce qui fait l'esprit même de l'Europe que
nous construisons : mettre au cœur de l'action des États le respect de la personne… ».608 Les
valeurs communes européennes étant la démocratie, le respect des droits de l’homme et l’État
605.Le Conseil de paix et de sécurité s’est réjoui de ce que les forces comoriennes, avec l’appui de la Tanzanie, du Soudan, de la Libye et du Sénégal, ont réussi à restaurer l’autorité de l’Union des Comores dans l’Ile d’Anjouan, mettant ainsi un terme au régime illégal du Colonel Mohamed Bacar qui a constamment rejeté toutes les propositions de sortie de crise soumises par l’UA, Communiqué du 28 mars 2008, PSC/PR/BR(CXVII), Communiqué de la 124ème réunion du Conseil de paix et de sécurité du 30 avril 2008, PSC/PR/Comm(CXXIV). 606.La Belgique, le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont justifié cette intervention de l’OTAN par la nécessité de faire cesser les « situations d’urgence et de catastrophe qui mettent en danger les droits humains fondamentaux » ; voir J. D’ASPREMONT, L’État non démocratique en droit international…, op. cit., n. 502, pp. 317-318. 607.Voir D. MOMTAZ, « ‘‘L’intervention d’humanité’’ de l’OTAN au Kosovo et la règle du non-recours à la force », R.I.C.R., 837 (2000). 608.Déclaration du gouvernement sur la situation au Kosovo, lue au Sénat le 26 mars 1999 par Hubert Védrine. Disponible sur : http://www.senat.fr/seances/s199903/s19990326/s19990326_mono.html#chap1 (page consultée le 28 mars 2012). Voir également déclaration du président Jacques Chirac lors d’une intervention radiotélévisée du 21 avril 1999 sur l’évolution de la situation au Kosovo. Il y déclarait : « Ce que nous vivons, vous le savez, c'est l'affrontement entre la barbarie et la démocratie. C'est un vrai combat pour la paix et pour les Droits de l'Homme sur notre continent. C'est le combat de l'honneur. Nous devons le mener jusqu'à son terme, et nous devons le gagner ». Disponible sur : http://basedoc.diplomatie.gouv.fr/exl-php/cadcgp.php?CMD=CHERCHE&QUERY=1&MODELE=vues/mae_internet___recherche_avancee/home.html&VUE=mae_internet___recherche_avancee&NOM=cadic__anonyme&FROM_LOGIN=1
203
de droit, on voit bien que les motivations démocratiques ne sont pas totalement absentes dans
cette opération militaire de l’OTAN au Kosovo.
À l’échelle étatique, les États-Unis ont développé, à côté de la conditionnalité démocratique,
une pratique de l’unilatéralisme qui s’est traduite par un certain nombre d’opérations
militaires menées, sans autorisation du Conseil de sécurité, contre des États ou régimes qu’ils
jugent non démocratiques. L’opération militaire à Grenade en 1983 en est une.609 Elle s’est
traduite par l'invasion de l'île de la Grenade par les États-Unis, la Barbade, la Jamaïque et les
membres de l'Organisation des États de la Caraïbe orientale (O.E.C.O.) en réponse au coup
d'État ayant mené à la déposition et à l'exécution du premier ministre grenadien, Maurice
Bishop. Les forces des États intervenants écrasèrent la résistance grenadienne et cubaine et
renversèrent le gouvernement militaire de Hudson Austin. Cette intervention fut condamnée
par les Nations Unies à travers la résolution 38/7 de l’Assemblée générale du 2 novembre
1983.610 Cette résolution reprenait un projet de résolution du Conseil de sécurité qui n’a pas
été adopté611 à cause du veto des États-Unis qui considéraient que cette intervention
« était et est conforme aux buts et principes de la Charte de l’Organisation des États
américain, étant donné que le seul objectif est de restaurer les conditions légales et l’ordre
fondamental nécessaire à la jouissance des droits de l’homme fondamentaux qui ont été
clairement, non seulement compromis, mais violés de façon flagrante à Grenade ».612
Il s’agissait de rétablir le droit du peuple grenadien à l’autodétermination qui ne peut
s’exercer véritablement que dans une société démocratique. Dans cette perspective, la défense
de la démocratie apparaissait comme un objectif clairement affiché. Cela est d’ailleurs
confirmé par les propos tenus à l’époque devant le Conseil de sécurité par la représentante des
États-Unis. Selon elle,
« l’interdiction du recours à la force à laquelle se réfère la Charte doit être replacée dans le
contexte. Elle n’est pas absolue. Il est des justifications de l’emploi de la force contre la
609.Opération « Urgent Fury ». Sur cette intervention voir : O. AUDEOD, « L’intervention américano-caraïbe à la Grenade », A.F.D.I., 1983, pp.217-219) ; G. W. GILMORE, The Grenada Intervention. Analysis and Documentation, Londres, Mansell, 1984 ; M. REISMAN, ‘‘Coercition and Self-Determination : Construing article 2 (4)’’, A.J.I.L., 78 (1984), pp. 642 et s. ; Ch. ROUSSEAU, « Chronique des faits internationaux », R.G.D.I.P., 88, 1984, pp.484-485. 610.L’Assemblée générale, « réaffirmant le droit souverain et inaliénable de la Grenade de déterminer librement son propre régime politique, économique et social et de développer ses relations internationales sans intervention, ingérence, subversion, coercition ni menace extérieures sous quelque forme que ce soit…, [a profondément déploré] l’intervention armée à la Grenade, qui constitue une violation flagrante du droit international et de l’indépendance, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de cet État ». 611.S/PV. 2491, 27 octobre 1983, p. 44, par. 431. 612.S/PV. 2487, 25 octobre 1983, p. 22, par. 195.
204
force, lorsqu’il s’agit de défendre d’autres valeurs également énoncées dans la Charte,
comme la liberté, la démocratie et la paix. La Charte n’exige pas que les peuples se
soumettent passivement à la terreur, ni que leurs voisins restent indifférents à leur
domination par la terreur ».613
À l’appui de son propos, la représentante américaine invoque même les propos du premier
ministre jamaïcain de l’époque dont les troupes avaient participé à l’opération et qui disait :
« […] dans l’intérêt du système démocratique de gouvernement qui […] est celui qui permet
la plus grande liberté de choix pour les citoyens et protège leur droit d’élire un gouvernement
de leur choix, nous ne pouvons fermer les yeux sur des événements qui sont contraires à ces
objectifs, quel que soit l’endroit où ils se déroulent dans les Caraïbes anglophones. »614
Dans cette mesure, malgré son illégalité – parce que non autorisé par le Conseil de sécurité -,
cette intervention militaire à Grenade présente toutes les caractéristiques d’un usage de la
force en faveur de la démocratie qui est désormais considérée comme la seule forme de
gouvernement légitime que le États doivent en conséquence respecter. Dans la même logique
de défense de la démocratie fut justifiée l’intervention armée des États-Unis au Panama en
décembre 1989 sans autorisation du Conseil de sécurité.615 Cette intervention faisait suite à
l’annulation des élections de mai 1989 qu’aurait remportées l’opposition et à l’institution d’un
gouvernement de transition par le général Manuel Noriega. Les États-Unis, prétextant de la
protection de leurs ressortissants, lancèrent l’opération « Just Cause » pour mettre fin à la
dictature de Noriega et permettre au candidat « démocratiquement élu » de l’opposition,
Guillermo Endara, d’exercer le pouvoir. À l’évidence, l’intervention traduit la volonté
américaine d’appuyer la démocratie et de « contrer hardiment la menace » que représentait 613.S/PV. 2491, 27 octobre 1983, p. 7, par. 53. Voir aussi le paragraphe 63 où elle déclarait que : « Nous avons l’intention - la force d’intervention a l’intention - comme nous l’avons tous clairement indiqué, de quitter la Grenade dès que l’ordre public sera rétabli et les conditions nécessaires à la mise en place d’un gouvernement autonome et démocratique seront réalisées […]. Il deviendra évident que l’autonomie du gouvernement aura été rétablie parce que la liberté et les institutions par lesquelles les peuples libres s’expriment auront été restaurées : une presse libre, des syndicats libres, des élections libres, un gouvernement représentatif et responsable. » 614.Auparavant, il déclarait ceci : « si nous fermions les yeux sur la brutale prise de pouvoir, par des militaires ou des civils, nous encouragerions n’importe quel groupe subversif à fomenter dans la région des troubles et l’instabilité pour renverser des gouvernements. Aucun système démocratique de gouvernement ne serait en mesure d’entreprendre les programmes de développement pour l’exécution desquels il a été élu s’il existe en son sein un groupe d’anarchistes ou de terroristes qui visent la destruction des fondements de la stabilité, sapant ainsi le système même de la démocratie. Les conséquences à long terme de pareille négligence de notre part seraient énormes et hypothéqueraient l’avenir pour tous. », cité par la représentante américaine aux Nations Unies Jeanne Kirkpatrick, S/PV. 2491, 27 octobre 1983, p. 10, par. 76. 615.Le 22 décembre 1989, un projet de résolution condamnant l’intervention, présenté par l’Algérie, la Colombie, l’Éthiopie. La Malaisie, le Népal, le Sénégal et la Yougoslavie (S/21048) ne fut pas adopté à cause du veto des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France (S/PV. 2902, 23 décembre 1989). Dans sa résolution 44/240 du 29 décembre 1989, l’Assemblée générale a « déploré […] l’intervention des forces armées des États-Unis d’Amérique au Panama, qui constitue une violation flagrante du droit international et de l’indépendance, de la souveraineté et de l’intégrité des États ».
205
pour elle Manuel Antonio Noriega616 car comme l’a affirmé devant le Conseil de sécurité le
représentant américain aux Nations Unies, les États-Unis « cherch[aient] à aider le peuple
panaméen à construire une démocratie authentique ».617
Parmi les cas de recours à la coercition militaire en faveur de la démocratie en dehors du
cadre des Nations Unies, les interventions unilatérales américaines en Iraq constituent les
exemples les plus illustratifs. Tout d’abord, déjà en 1998, sous la présidence de Bill Clinton,
la volonté d’imposer la démocratie en Iraq fut clairement exprimée dans le vote du Congrès
de l’“Iraq Liberation Act”618. Dans la section 3 de cette loi, il est clairement mentionné que
« It should be the policy of the United States to seek to remove the regime headed by Saddam
Hussein from power and to promote a emergence of a democratic government to replace that
regime ». Dans cette perspective de promotion de l’émergence d’un gouvernement
démocratique, la loi autorise le Président à fournir aux groupes d'opposition des services et
des articles du Département de la Défense, ainsi qu'une formation et un entraînement militaire
dans la limite d'un budget de 97 millions de dollars. À ce titre, on peut dire que les États-Unis
entendaient utiliser des moyens de contrainte militaire indirects pour renverser un régime jug
non démocratique. Il s'agit d'une aide à des activités armées.619 Cette volonté d’imposer la
démocratie à l’Irak sera confirmée par les déclarations du président Bill Clinton avant le
déclenchement des frappes de l’opération Renard du désert.620 Le 15 novembre 1998, il
déclarait en effet
“[O]ver the long term the best way to address that threat [to the peace in the region] is
through a government in Baghdad - a new government - that is committed to represent and
respect its people, not repress them; that is committed to peace in the region. Over the past
year we have deepened our engagement with the forces of change in Iraq, reconciling the
two largest Kurdish opposition groups, beginning broadcasts of a Radio Free Iraq throughout
the country. We will intensify that effort, working with Congress to implement the Iraq
Liberation Act which was recently passed; strengthening our political support to make sure
the opposition, or to do what we can to make the opposition, a more effective voice for the
aspirations of the Iraqi people. Let me say again, what we want and what we will work for is
616.S/PV. 2902, 23 décembre 1989, pp. 7 à 11. 617.Ibid., p. 12. 618.La Loi sur la libération de l'Irak (disponible ici : Iraq Liberation Act of 1998 ) du 1er octobre 1998 susmentionnée a été signée par le Président Clinton le 31 octobre 1998. 619.S. ALBERT, « Les représailles armées et « l’ingérence démocratique » des États-Unis en Irak », [en ligne]. Disponible sur : http://www.ridi.org/adi/199901a3.html (page consultée le 30 mars 2012). 620.Dans le cadre de cette opération, Bagdad et ses environs ont été bombardés par l’aviation américaine et britannique du 16 au 19 décembre 1998.
206
a government in Iraq that represents and respects its people, not represses them, and one
committed to live in peace with its neighbors.”621
Mais depuis la fin de la guerre froide, c’est l’‘‘Operation Iraqi Freedom’’ qui symbolise le
plus l’usage de la coercition militaire en dehors du cadre des Nations Unies pour instaurer la
démocratie. Cette intervention armée déclenchée le 18 mars 2003 de manière unilatérale (sans
autorisation du Conseil de sécurité des Nations Unies) par les États-Unis et leurs alliés avait
pour objectif réel la chute de Saddam Hussein et du parti Baas et l’instauration de la
démocratie en Irak. En effet même si de nombreuses raisons (présence d’armes de destruction
massive, violation des résolutions antérieures du Conseil de sécurité, légitime défense
préventive) ont été invoquées pour justifier cette intervention, il est incontestable qu’elle
présente les relents d’une intervention armée pro-démocratique. Cela ressort même des
déclarations de Georges W. Bush tenues dans son discours à la nation à la veille du
déclenchement de l’opération militaire (le 17 mars 2003) et dans lequel il fixait un ultimatum
à Saddam Hussein et ses fils de quitter l’Irak dans les quarante-huit heures. S’adressant au
peuple irakien, il y disait notamment que « dans un Irak libre, il n’y aura plus de guerre
d’agression […], il n’y aura plus d’exécutions d’opposants et il n’y aura plus de chambres de
torture… Le tyran disparaîtra bientôt. Le jour de votre libération est proche ». Le lendemain
du déclenchement de l’opération, dans son allocution télévisée du 19 mars annonçant le début
des opérations militaires, le président américain disait : « nous n’avons aucune ambition en
Irak, si ce n’est […] de remettre ce pays entre les mains de son peuple ».622 Dans le même
sillage de ces propos, il ajoutera quelques mois plus tard que « l’objectif principal de notre
coalition en Irak est l’autonomie du peuple irakien qui sera atteinte par des moyens ordonnés
et démocratiques ».623 Le premier ministre britannique Tony Blair, quant à lui, déclarait que la
décision de faire la guerre à l’Irak « était une décision juste à cause de la nature du régime » et
qu’il « croi[yait] fondamentalement que, si nous pouvons empêcher les dictateurs de rendre
leur peuple misérable, il faut le faire… »624 Le fondement démocratique de cette intervention
ne fait donc guère l’objet d’aucun doute car elle s’inscrit dans la droite ligne de la politique
étrangère des États-Unis en matière de promotion de la démocratie. Mais elle traduit surtout
en acte la volonté de Georges W. Bush exprimée en 2002 dans la Stratégie de la sécurité
nationale où il affirmait que
621.Cité par Sophie Albert, op. cit. 622.Déclarations reproduites dans « Ultimatum à Saddam Hussein et déclaration de guerre des États-Unis », consultable sur : http://agora.qc.ca/documents/irak--ultimatum_a_saddam_hussein_et_declaration_de_guerre_des_etats-unis_par_george_w_bush 623.Propos tenus devant l’Assemblée générale des Nations Unies, le 23 septembre 2003. Déclaration disponible sur : http://iipdigital.usembassy.gov/st/french/texttrans/2003/09/20030923142533uaednal0.5826227.html#axzz2alQfFiTL. 624.Voir le journal Le Monde du 9 juillet 2003, p. 2.
207
“the United States will use this moment of opportunity to extend the benefits of freedom
across the globe. We will actively work to bring the hope of democracy […] to every corner
of the world […] The United States will stand beside any nation determined to build a better
future by seeking the rewards of liberty for its people”.625
En définitive, s’il n’y a pas de règles du droit international autorisant l’action armée contre un
autre État pour changer son gouvernement ou son régime, il est difficile de ne pas voir dans
ces différentes interventions internationales avec usage de la coercition militaire pour
l’instauration, le maintien ou le rétablissement de la démocratie un début de consécration
d’une tendance au sein de la société internationale à l’admission de telles interventions. En
effet, avec ces précédents qui s’accumulent, la communauté internationale tend de plus en
plus à s’approcher d’une reconnaissance de l’imposition armée de la démocratie même si ses
atermoiements conduisent à des actions qui restent encore des exceptions.626
À l’évidence, le droit international reste fondé sur le principe de la souveraineté des États qui
leur garantit la liberté de choisir leur système politique, économique, social et culturel. La
C.I.J. a, à cet égard, précisé que « chaque État possède le droit fondamental de choisir et de
mettre en œuvre comme il l’entend son système politique, économique et social » et que les
« orientations politiques internes d’un État relèvent de la compétence exclusive de celui-ci
pour autant bien entendu qu’elles ne violent pas le droit international ».627 Force est cependant
de constater que nous assistons à un glissement de la pensée relative à la liberté de l’État
quant à la désignation ou le contrôle de ses dirigeants. Ce glissement de la pensée semble
traduire un assouplissement de la souveraineté en conséquence des nombreux engagements
internationaux des États et de l’interdépendance qui caractérise la société internationale.
Comme l’a rappelé la C.I.J.,
« [elle] n’aperçoit, dans l’éventail des matières sur lesquelles peut porter un accord
international, aucun obstacle ni aucune disposition empêchant un État de prendre un
engagement. L’État, qui est libre de décider du principe et des modalités d’une consultation
populaire dans son ordre interne, est souverain pour accepter en ce domaine une limitation de
625.Introduction par G. W. Bush à la Stratégie de sécurité nationale des États-Unis d’Amérique, septembre 2002, Département d’État, Programme d’information internationale, consultable sur : http://www.state.gov/documents/organization/63562.pdf. 626.A. MOINE, L’émergence d’un principe d’élections libres en droit international public, Thèse Nancy II, 1998, p. 241. 627.Affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, arrêt précité, note 159, p. 121, § 258.
208
sa souveraineté. Une telle limitation est concevable dans le cas d’un État lié par des liens
institutionnels à une confédération d’États, voire à une organisation internationale. »628
Il s’ensuit qu’un État peut bien, par un engagement conventionnel ou par sa participation à
une organisation internationale, limiter sa liberté dans le choix de son système politique ou
dans le mode de désignation de ses gouvernants. Ça semble aujourd’hui être le cas puisque
« la démocratie est assurément devenue un critère fondamental de légitimation des
gouvernements à l’époque contemporaine »629 tant dans les relations entre États qu’au sein
des organisations internationales. En effet, le discours et la pratique contemporains révèlent
de plus en plus que le paradigme démocratique est en train progressivement de modifier les
fondements et les règles du droit international qui, s’intéressant désormais à la forme et au
fonctionnement des États et de leurs gouvernements, voit certains de ces principes essentiels
assouplis. Il s’agit certes d’une évolution en cours. Mais il est clair que l’idée de liberté que
véhicule la conception matérielle du domaine de compétence nationale de l’État est fortement
relativisée par l’obligation des États de respecter la démocratie qui implique le respect des
droits de l’homme à travers notamment le respect de la volonté populaire, du droit à des
élections libres et honnêtes que consacrent les instruments juridiques universels et régionaux.
Dès lors, les réactions internationales à la non-conformité d’un État aux règles de la
démocratie ne s’analysent plus comme des interventions internationales illégales par rapport
au droit international lorsqu’elles consistent en des pressions politiques ou des mesures
restrictives d’ordre diplomatique, économique, commercial ou financier. En revanche, les
interventions se traduisant par l’usage de la coercition militaires même lorsqu’elles sont
portées contre des États qui violent systématiquement les droits de l’homme et donc les
principes démocratiques, sont illégales lorsqu’elles ne sont pas décidées et exercées dans le
cadre multilatéral de l’O.N.U. ou après son autorisation.
Quoi qu’il en soit, l’exigence démocratique comme norme d’organisation et de
fonctionnement des États constitue une des manifestations patentes de la restriction du
domaine matériel de compétence nationale de l’État car cette exigence concerne une matière
considérée comme faisant partie du domaine de compétence nationale par nature. Ainsi, elle
conditionne la liberté qu’ont les États de choisir leurs régimes politiques et d’en déterminer la
nature. Considérés comme relevant de l’autonomie constitutionnelle des États, les régimes
politiques internes subissent aujourd’hui les influences externes qui affectent leur nature et
628.Ibid., § 259. 629.J. D’ASPREMONT, L’État non démocratique en droit international…, op. cit., note 502, p. 180.
209
leur mode de fonctionnement. En effet, l’appartenance de l’État à la communauté
internationale ainsi que l’interdépendance entre sociétés internes sont pour lui des sources de
contraintes qui restreignent forcément sa liberté de décision et d’action. Depuis la fin de
deuxième guerre mondiale à aujourd’hui, à la lumière des profondes mutations de la société et
du droit international, il n’existe plus de matières qui per se relèvent exclusivement de la
compétence nationale d’un seul État. La nature du système politique national, intrinsèquement
liée à la vie et à l’organisation de l’État, fait désormais l’objet d’obligations juridiques
internationales et ne relève plus du domaine de compétence nationale exclusive, entendu ici
comme la liberté qu’a l’État de s’organiser comme il entend.
210
CHAPITRE II
LA MISE EN ŒUVRE DE LA RESPONSABILITÉ PÉNALE
INDIVIDUELLE PAR LE DROIT INTERNATIONAL
La compétence nationale en matière pénale est un attribut essentiel de l’État qui, parce qu’il
est souverain, jouit du droit exclusif de juger les infractions commises sur son territoire.
Autrement dit, la répression pénale des violations du droit international commises par des
individus est une prérogative des États qui la tiennent des principes de territorialité et de
personnalité, c’est-à-dire que la compétence pénale de l’État ne s’exerce que si le crime a été
commis sur son territoire ou si l’auteur du crime (principe de la personnalité active) ou encore
la victime est un de ses nationaux (principe de la personnalité passive). Mais à côté de ces
deux principes, il y a aussi celui de la compétence universelle des juridictions nationales à
l’égard des violations graves du droit international humanitaire630, et selon lequel tout État est
compétent pour juger toute personne présumée coupable d’infractions graves à ce droit et qui
se trouve sur son territoire quelle que soit la nationalité de cette personne ou le lieu où elle a
commis les infractions.
La mise en œuvre de la responsabilité pénale individuelle s’opère ainsi normalement par la
justice pénale nationale, à savoir l’« ensemble des juridictions répressives qui ont pour
mission de juger des infractions, c'est à dire, les comportements dangereux que la loi a,
expressément, définis »631. Dans cette perspective, les juridictions pénales nationales
constituent le premier rempart contre les violations des droits de l’homme et du droit
international humanitaire. Mais, vue la diversité des législations nationales qui ne sont pas
unifiées encore moins harmonisées, la difficulté de la compétence universelle à rentrer dans
les mœurs étatiques et la constante évolution du droit international, les juridictions nationales
n’ont pas jusque-là réussi à assurer effectivement leur rôle de premier rempart pour la
répression des violations graves des droits de l’homme et du droit international
humanitaire.632 C’est pourquoi, après avoir été en veilleuse après les expériences de
630.Ce principe est prévu par les quatre Conventions de Genève (1949) et leur Protocoles additionnels ainsi que la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (10 décembre 1984). 631.Cf.www.calyon.justice.fr/index.php?option=com_content&task=view&id=378&Itemid=424. 632.Voir M. DELMAS-MARTY, « La responsabilité pénale en échec (prescription, amnistie, immunités) », in A. CASSESE et M. DELMAS-MARTY (dirs.), Juridictions nationales et crimes internationaux, Paris, P.U.F., 2002, pp. 615 et s.
211
Nuremberg et de Tokyo633, la justice pénale internationale connaît depuis quelques décennies
un regain de faveur avec notamment la création des T.P.I. pour l’ex-Yougoslavie et le
Rwanda, en réaction aux violations massives des droits de l’homme et du droit international
humanitaire pendant les conflits qui ont secoué ces pays dans les années 1990. La renaissance
de la justice pénale internationale est cependant arrivée à son point culminant avec
l’institution d’une juridiction pénale internationale permanente à vocation universelle, la
C.P.I.
Désormais, le droit international érige certains comportements graves en crimes
internationaux dont l’individu peut avoir à répondre devant la justice pénale internationale qui
renvoie à l'ensemble des juridictions répressives mises en place par la communauté
internationale et ayant pour but de juger les présumés auteurs de tels comportements graves.
Ces infractions graves au droit international sont qualifiées de crimes internationaux c’est-à-
dire des « violations particulièrement graves du droit international dont découle la
responsabilité pénale individuelle de ceux qui les ont commises ».634 Il s’agit d’infractions qui
« touchent la communauté internationale dans son ensemble » par la menace à la paix et la
sécurité internationales qu’elles peuvent constituer, par l’atteinte qu’elles portent à la dignité
et à la conscience humaines du fait de leur gravité (cruauté, monstruosité, barbarie, etc.), de
leur étendue (massivité, lorsque des victimes sont des peuples, des populations ou des ethnies)
ou encore du mobile de l'auteur (volonté d’exterminer une population). Ces crimes concernent
le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression.635
Cette évolution du droit international qui prend désormais en compte la mise en œuvre de la
responsabilité pénale individuelle manifeste la restriction du domaine de compétence
nationale ratione materiae et donc de la sphère de libertés des États car, en matière pénale, il
ne s’agit pas de juger des États souverains, mais des individus qui relèvent de leurs
633.Bien que l’idée de la responsabilité pénale individuelle pour des violations du droit international soit ancienne, ce sont en fait les procès contre les grands criminels de guerre, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, qui en ont fait une réalité incontestable et incontestée. 634.Z. SALVATORE, La justice pénale internationale, Paris, Montchrestien, 2007, p. 19. 635.Pour la définition de ces crimes, se référer au Statut de la C.P.I. en ses articles 6 pour le crime de génocide, 7 pour les crimes contre l’humanité, 8 pour les crimes de guerre et 8 bis pour le crime d’agression. Ce denier article a été adopté lors de la Conférence de révision du Statut, qui s’est tenue à Kampala (Ouganda) du 30 mai au 11 juin 2010 et aux cours de laquelle les États parties ont adoptés des amendements au Statut, notamment la définition du crime d’agression. Cependant, la compétence de la Cour relativement au crime d’agression ne sera effective qu’à partir du 1er janvier 2017. Sur ce point, voir Résolution RC/Res. 6 adoptée à la treizième séance plénière, le 11 juin 2010, par consensus. Voir, Rapport de la Cour pénale internationale à l’Assemblée générale des Nations Unies, 19 août 2010, A/65/313, pp. 5 et s. Pour les définitions, on peut également se référer aux Statuts du T.P.I.Y. et du T.P.I.R. ainsi qu’à certaines conventions internationales comme la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 (pour le génocide), les Conventions de Genève de 1949 (pour les crimes de guerre).
212
juridictions et donc de leur compétence pénale. Cette dernière est, à ce titre, aujourd’hui
encadrée voire restreinte avec « l’attraction par le droit international de compétences pénales
considérées jusque-là comme l’apanage des seuls États souverains »636. Ces règles du droit
international remettent ainsi en cause l’idée de liberté et d’exclusivité dans l’exercice de cette
compétence en consacrant l’existence d’un pouvoir législatif et des organes internationaux
chargés de la mise en œuvre de la responsabilité pénale individuelle. Cette restriction de la
compétence pénale nationale est mesurable à travers notamment l’extension des pouvoirs du
Conseil de sécurité en matière pénale (Section 1) mais aussi par l’articulation des
compétences entre les juridictions pénales internationales et les juridictions nationales
(Section 2).
.Section 1 : L’extension des pouvoirs du Conseil de sécurité en matière
pénale comme manifestation de la restriction du domaine de compétence
nationale
Le Conseil de sécurité, investi en vertu de l’article 24 de la Charte de « la responsabilité
principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales », ne dispose a priori
d’aucune compétence en matière pénale, celle-ci relevant de la compétence des États
souverains. Cependant, depuis l’émergence des droits de l’homme dans le champ matériel du
droit international et le développement de la dimension idéologique de ce droit, il est
désormais établi un lien entre la paix et le respect des droits humains. En effet, on considère
désormais que les violations massives des droits de l’homme peuvent menacer la paix
internationale et qu' « il ne peut y avoir de paix sans justice, ni de justice sans loi, ni de loi
digne de ce nom sans un tribunal chargé de décider ce qui est juste et légal dans des
circonstances données ».637 De cette manière, la lutte contre l’impunité et la répression des
violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire en vue de
contribuer au maintien et à la restauration de la paix et à l’État de droit se trouvent désormais
placées au cœur des préoccupations internationales. Dès lors, le Conseil de sécurité n’hésite
plus à intégrer la nécessité de la justice pénale dans ses efforts de recherche de la paix dans les
États en proie à des crises internes ayant entraîné des violations massives des droits de
636.S. SUR, « Le droit international pénal entre l’État et la société internationale », Actualité et droit international, http://www.ridi.org/adi/200110sur.pdf, p. 2. 637.M. Benjamin Ferencz, ancien procureur au Tribunal de Nuremberg cité dans Historique de la justice pénale internationale, La documentation française. [en ligne]. Disponible sur : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/d000140-la-justice-penale-internationale/historique-de-la-justice-penale-internationnale (page consultée le 12 avril 2012).
213
l’homme et du droit international humanitaire. Les prémices de cette extension des
compétences du Conseil à la matière pénale ont été notées lorsque, dans ses résolutions 731
du 21 janvier 1992 et 748 du 31 mars 1992, il ordonna à un État souverain, la Libye, de faire
comparaître ses nationaux devant un tribunal pénal d’autres États souverains.638 Ce
développement des compétences du Conseil en matière pénale depuis les années 1990 fait
dire au professeur Théodore Christakis que « depuis que la chute du mur de Berlin l’a délivré
de ses supplices, le libérant de ce rocher d’inactivité où il était enchainé et d’une guerre froide
qui le rongeait lentement, le Conseil de sécurité paraît vraiment déchainé »639. L’une des
preuves de cette libération est que le Conseil joue désormais un rôle de plus en plus important
en matière pénale à travers l’institution des tribunaux pénaux internationaux et son influence
dans la création des juridictions pénales internationalisées (§ 1) chargés de juger les présumés
responsables de violations graves du droit international humanitaire, alors même que cela
n’est pas expressément prévu par le Chapitre VII. Toujours dans cette logique d’extension de
ses compétences et de développement de ses capacités en matière pénale, le Conseil s’est vu
conféré des pouvoirs particuliers dans le fonctionnement de la C.P.I. créée par des États
souverains (§ 2).
§ 1 : Le rôle déterminant du Conseil de sécurité dans l’institution de tribunaux
pénaux internationaux et de juridictions pénales internationalisées
Pour assurer sa responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité
internationales, le Conseil de sécurité dispose, en vertu du Chapitre VII de la Charte, de
moyens illimités. Cela ressort singulièrement de l’article 39 selon lequel « le Conseil de
sécurité constate l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un
acte d’agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises
conformément aux articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité
internationales ». Cet article 39 constitue un des piliers du dispositif du Chapitre VII sur
lequel se fondent la capacité d’intervention, l’étendue des compétences et le caractère
discrétionnaire des pouvoirs du Conseil. Ainsi, sans que cela ne soit formellement prévu dans
la Charte, le Conseil s’est arrogé un pouvoir de création de juridictions pénales
internationales. En effet, en raison du lien entre les préoccupations de maintien de la paix et
celles de la justice pénale internationale, le Conseil entend souvent participer à la création
638.S. SUR, « Le droit international pénal entre l’État et la société internationale », op. cit., n. 636, p. 1. Ces résolutions imposent à la Libye le transfèrement des responsables présumés de l’attentat terroriste de Lockerbie. 639.T. CHRISTAKIS, « Avant-propos. Prométhée déchainé ? », R.B.D.I., 2004 /2, p. 459.
214
et/ou au fonctionnement des organes judiciaires internationaux chargés de réprimer les
violations les plus graves du droit international humanitaire. C’est sur cette base qu’il a
institué les tribunaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda (1) et contribué activement à
la mise en place de juridictions pénales internationalisées (2).
1. L’institution de tribunaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda
L’intervention du Conseil de sécurité en matière pénale, à travers la création de ces TPI ad
hoc, s’est faite en réaction au constat préalable des violations massives du droit international
humanitaire commises lors du conflit sur le territoire de l’ex-Yougoslavie à partir de 1991 et
durant le génocide au Rwanda en 1994. Pour établir ce constat, le Conseil a mis en place, tant
dans le cas de la Yougoslavie que celui du Rwanda, une « Commission impartiale
d’experts ».640 Sur la base des enquêtes diligentées, les Commissions ont pu établir, par divers
rapports qu’elles ont produits, des violations graves du droit international humanitaire et ont
recommandé au Conseil de prendre « toutes les mesures concrètes qui s’imposent pour que les
personnes présumées responsables […] [de telles] violations soient jugées par un tribunal
criminel international indépendant et impartial ».641
Tirant les conséquences des rapports reçus de chaque Commission, le Conseil a usé de
décisions « à la fois discrétionnaires et autoritaires »642 prises dans le cadre du Chapitre VII
pour constater que les violations massives du droit international humanitaire constituaient une
menace à la paix et à la sécurité internationales. L’institution de T.P.I. par le Conseil de
sécurité s’est faite par un mode unilatéral et autoritaire qui contourne les procédures
traditionnelles d’engagement des États. Comme le souligne le professeur Philippe Weckel,
« une légalité autonome et un schéma institutionnel propre se développent de cette manière
sur la base de la fonction de maintien de la paix en marge des mécanismes de simple
coopération. »643 Il s’agit à l’évidence de résolutions prises en vertu du chapitre VII qui est
une exception au principe selon lequel l’organisation ne doit pas intervenir dans une affaire
relevant essentiellement de la compétence nationale des États. En effet, comme le prescrit 640.Commissions d’enquête sur les atrocités commises au cours du conflit en ex-Yougoslavie et au Rwanda : Résolution S/RES/780 (1992) du 6 octobre 1992 pour le cas de la Yougoslavie et résolution S/RES/935 (1994) du 1er juillet 1994 pour le cas du Rwanda. 641.Rapport intérimaire de la Commission d’experts sur la Yougoslavie (S/25274, 10 février 1993) et rapport provisoire de la Commission d’experts pour le Rwanda (S/1994/1125, 4 octobre 1994). 642.R. DÉGNI-SÉGUI, « Commentaire de l’article 24 § 1 et 2 », in J. P. COT, A. PELLET et M. FORTEAU, Commentaire article par article de la Charte des Nations Unies, 3è éd., Paris, Economica, 2005, p. 894. 643.P. WECKEL, « L'institution d'un Tribunal pénal international pour la répression des crimes de droit humanitaire en Yougoslavie », A. F. D.I., 1993, p. 233.
215
l’article 39 de la Charte, le Conseil constate l’existence d’une menace contre la paix, d’une
rupture de la paix ou d’un acte d’agression. À la suite de ce jugement préalable et
discrétionnaire, il décide « souverainement » des mesures à prendre qu’il juge nécessaires
pour faire face ou enrayer la menace constatée. C’est par ce processus décisionnel que le
Conseil, après avoir constaté que les « violations flagrantes et généralisées du droit
humanitaire international sur le territoire de l’ex-Yougoslavie […] continu[ent] de constituer
une menace à la paix et à la sécurité internationales », a, par ses résolutions 808 du 22 février
1993 et 827 du 25 mai de la même année, décidé de créer le Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie (T.P.I.Y.) qui contribuerait à réparer effectivement les effets des violations
du droit humanitaire et à les faire cesser. Celui-ci a pour mission de juger les personnes
présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire sur le territoire
de l’ex-Yougoslavie depuis le 1er janvier 1991.644 Le même processus décisionnel a
également été suivi pour l’institution du Tribunal pénal international pour le Rwanda
(T.P.I.R.)645. Dans sa résolution 955 (1994) du 8 novembre 1994646, le Conseil, après s’être
alarmé du fait que « des actes de génocide et d’autres violations flagrantes, généralisées et
systématiques du droit international humanitaire ont été commises au Rwanda », a constaté
que « cette situation continu[ait] de faire peser une menace sur la paix et la sécurité
internationales ». Pour enrayer cette menace, il a estimé que la création d’un T.P.I. « pour
juger les personnes présumées responsables de tels actes ou violations contribuera à les faire
cesser et à en réparer dûment les effets ». C’est pourquoi, agissant en vertu du Chapitre VII, il
a décidé de créer le T.P.I.R. qui a pour mandat « de juger les personnes présumées
responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international
humanitaire commis sur le territoire du Rwanda, ainsi que les citoyens rwandais présumés
644.Sur ce tribunal, voir notamment, M. CASTILLO, « La compétence du tribunal pénal pour la Yougoslavie », R.G.D.I.P., 1994, pp. 61-87 ; E. DAVID, « Le Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie », R.B.D.I., 1992, pp. 465-598 ; M. HAJAM, « Création et compétences du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie », Études internationales, vol. 26, n° 3, 1995, pp. 503-526 ; K. LESCURE, Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Paris, Montchrestien, 1994, 203 p. ; K. LESCURE et F. TRINTIGNAC, Une justice internationale pour l'ex-Yougoslavie – Mode d'emploi du Tribunal pénal international de La Haye, Paris, L'Harmattan, 1994. 127 p. ; A. PELLET, « Le Tribunal criminel international pour l'ex-Yougoslavie - Poudre aux yeux ou avancée décisive ? », R.G.D.I.P., 1994, pp. 7-60 ; P. WECKEL, « L'institution d'un Tribunal pénal international pour la répression des crimes de droit humanitaire en Yougoslavie », op. cit., n. 643, pp. 232-261. Voir également le rapport du T.P.I.Y. à l’Assemblée générale, Document A/50/365-S/1995/728 du 23 aout 1995. 645.Voir G. ERASMUS et N. FOURIE, « Le Tribunal pénal international pour le Rwanda », R.I.C.R., 1997, n° 828, pp. 751-761, p. 753 ; F. MÉGRET, Le Tribunal pénal international pour le Rwanda, CEDIN Paris, Pédone, 2002, p. 23 ; A. SWARTEXBROEOKX, « Le Tribunal pénal international pour le Rwanda », in .J.-F. DUPAQUIER (dir.), La justice internationale face au drame rwandais, Paris, Karthala, 1996, pp. 73-121. 646.Avant l’adoption de cette résolution, le Conseil avait auparavant reçu une demande du gouvernement rwandais l’invitant à créer un tribunal pénal international pour juger les présumés auteurs du génocide et des violations du droit humanitaire. Voir en ce sens la lettre du représentant du Rwanda auprès des Nations Unies adressée au Président du Conseil : S/1994/1115, 29 septembre 1994.
216
responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d’États voisins, entre le 1er
janvier et le 31 décembre 1994 ».
En plus de leur caractère unilatéral et discrétionnaire, les décisions du Conseil instituant les
T.P.I. ad hoc sont marquées par une valeur contraignante car s’imposant à l’égard de tous les
États membres de l’Organisation qui, contrairement à la pratique générale dans les relations
internationales, n’ont pas consenti individuellement à être liés par ces juridictions. Cette force
contraignante conférée par l'article 25 de la Charte permet en effet au Conseil d’imposer aux
États membres l’institution d’un organe subsidiaire investi de pouvoirs judiciaires et dont les
décisions leur sont opposables. Cette opposabilité erga omnes des résolutions du Conseil en
vertu du Chapitre VII confère aux T.P.I. qu’il a créés une certaine universalité et une
opposabilité erga omnes en imposant des obligations à la charge de tous les États dont
l’obligation de coopération avec ces juridictions.647 Ainsi, en dépit de l’abstention chinoise et le
vote négatif du Rwanda, la résolution 955 instituant le T.P.I.R.648et ce dernier s’imposent à eux
et à tous les membres des Nations Unies. Sous le rapport de l’opposabilité erga omnes, le
professeur Serge Sur note que
« non seulement la création de tels tribunaux s’impose à tous, mais leur compétence pénale est
obligatoire pour tous. L’universalité de la juridiction est ainsi immédiatement posée, sans
dépendre du consentement individuel de chacun de ses membres, sans reposer sur une
négociation universelle, sans permettre de s’en exonérer par des réserves, voire une auto
exclusion unilatérale ».649
La restriction du domaine de compétence nationale est ici illustrée par l’affaiblissement de
l’autorité des États souverains. En effet, le fait qu’un organe politique de surcroît restreint, le
Conseil de sécurité, s’attribue une compétence de création d’organes internationaux dans un
domaine qui ne rentre pas a priori dans ses compétences, prive les États du monopole de la
répression pénale.650 Si les États souverains ont confié au Conseil la responsabilité principale
du maintien de la paix et de la sécurité internationale, sauf par une interprétation extensive
(téléologique) de la Charte, ils ne lui ont pas en revanche conféré de compétence pénale,
647.Voir infra Section 2, spécialement § 2, (1). 648. S/PV.3453, 8 novembre 1994. 649.S. SUR, « Le droit international pénal entre l’État et la société internationale », op. cit., n. 636, p. 4. Sur l’opposabilité de la juridiction créée par le Conseil de sécurité en ex-Yougoslavie, voir, J. COMBACAU, « Le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies…», op. cit., note 259, p. 152. 650.A. CASSESE, « Y-a-t-il un conflit insurmontable entre souveraineté des États et justice pénale internationale », in A. CASSESE et M. DELMAS-MARTY (dirs.), Crimes internationaux et juridictions internationales, Paris, PUF 2002, p. 14.
217
celle-ci étant étroitement liée au statut d’État.651 Dès lors, en créant des T.P.I. pour assurer la
répression des violations du droit international humanitaire, le Conseil remet en cause le
monopole étatique de la compétence pénale. Il assure la mise en œuvre de la responsabilité
pénale individuelle des auteurs d’atteintes au droit international humanitaire en lieu et place
de leur État national. Ce dernier n’exerce aucune influence sur la définition des crimes à
réprimer encore moins sur l’institution créée et ses compétences concurrentes à celles de ses
propres juridictions.652 La création de ces T.P.I. traduit, dans cette mesure, le caractère
potentiellement illimité des compétences du Conseil de sécurité et le développement de sa
capacité d’action lorsqu’il agit dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité
internationales. À cet égard, le professeur Philippe Weckel fait remarquer que
« […] le Conseil de sécurité développe une pratique interprétative qui déplace sans cesse les
limites apparentes de ses pouvoirs. Législateur des circonstances exceptionnelles et donc
législateur, l'organe du maintien de la paix constitue, à titre de mesure spéciale, un ordre
d'intégration pénale réalisant le transfert de la compétence répressive au juge international
sur la base de ses propres résolutions et du Statut qu'il a adopté. »653
Cette extension des compétences du Conseil de sécurité en matière pénale et sa conséquence,
à savoir la régression de la compétence pénale nationale, se manifestent également dans la
stratégie d’achèvement des travaux des T.P.I.Y. et T.P.I.R. ainsi qu’à travers la mise en place
par le Conseil d’un Mécanisme international chargé d’exercer les fonctions résiduelles de ces
T.P.I. En effet, de la même manière qu’il a créé les T.P.I., il a demandé de manière unilatéral
et autoritaire, par les résolutions 1503 et 1534654 adoptées en vertu Chapitre VII, à ce que les
enquêtes soient terminées pour 2004, que tous les procès de première instance soient achevés
avant la fin de 2008 et que tous les travaux des tribunaux soient terminés en 2010. Ainsi, en
2008, constatant le retard accusé, le Conseil a affirmé « la nécessité de charger un mécanisme
spécial de remplir certaines des fonctions essentielles des Tribunaux après leur fermeture,
notamment la conduite des procès de grands fugitifs. »655 C’est ainsi qu’en 2010, par la
651.Doutant du fondement juridique des deux résolutions pertinentes (808 et 827 (1993), le représentant du Brésil s’est ainsi exprimé : « Tout comme l'autorité du Conseil n'émane pas du Conseil lui-même mais provient du fait que certaines responsabilités lui ont été conférées par tous les Membres des Nations Unies, les pouvoirs du Conseil ne peuvent être créés, recréés ou réinterprétés de façon créative en vertu des seules décisions du Conseil, mais doivent invariablement se fonder sur des dispositions spécifiques de la Charte », S/PV. 3175, p. 8. 652.Sur les compétences concurrentes entre les juridictions nationales et les tribunaux pénaux internationaux, voir O. DELAS, R. COTÉ, F. CRÉPEAU et P. LEUPRECHT, Les juridictions internationales : Complémentarité ou concurrence?, Bruxelles, Bruylant, 2005, 184 p. 653.P. WECKEL, « L'institution d'un Tribunal pénal international pour la répression des crimes de droit humanitaire en Yougoslavie », op. cit., n. 643, p. 234. 654.Résolution 1503 (2003) du 28 août 2003 et résolution 1534 (2004) du 26 mars 2004. 655.Déclaration du Président du Conseil de sécurité sur la stratégie d’achèvement des travaux des tribunaux pénaux internationaux, 19 décembre 2008, S/PRST/2008/47.
218
résolution 1966, il a décidé d’instituer un Mécanisme international chargé, progressivement,
de prendre la suite des T.P.I. ad hoc et d’exercer leurs fonctions résiduelles.656 Ce mécanisme
est composé de deux divisions dont les dates d’entrée en fonction sont le 1er juillet 2012 pour
la division chargée des fonctions résiduelles du T.P.I.R., et le 1er juillet 2013 pour la division
chargée des fonctions résiduelles du T.P.I.Y. D’ici au 31 décembre 2014, date à laquelle les
deux tribunaux devraient achever leurs travaux, il devrait s’opérer une période transitoire au
cours de laquelle le Mécanisme et les deux juridictions ad hoc fonctionneront simultanément.
C’est dans ce cadre que le T.P.I.R. a transféré trois fugitifs prioritaires.657
La différence du Mécanisme par rapport aux deux T.P.I. réside dans la taille et la durée
réduites du Mécanisme. Du point de vue de la taille, ce dernier comprend deux divisions,
l’une exerçant les fonctions du T.P.I.Y., l’autre celles du T.P.I.R. Les deux divisions ont
chacune une chambre de première instance, mais elles ont en commun une chambre d’appel,
le procureur et le greffe.658 Du point de vue de la durée, le Mécanisme n’est créé que pour une
période de quatre ans. L’avancement de ses travaux sera examiné avant l’issue de cette
période, puis tous les deux ans. Sauf décision contraire du Conseil, il pourra être maintenu en
fonction pendant de nouvelles périodes de deux ans. Mais ces différences n’affectent en rien
la nature judiciaire du Mécanisme. En effet, en dépit de l’appellation « Mécanisme », il est
clair que le Conseil de sécurité a institué un nouvel organe juridictionnel avec une
compétence pénale à l’image du T.P.I.Y. et du T.P.I.R.659 Par conséquent, l’institution de ce
Mécanisme s’inscrit dans la continuité de l’extension des compétences du Conseil en matière
pénale et de la restriction de la compétence nationale en cette matière. Cela est d’autant plus
656.Résolution 1966 (2010) du 22 décembre 2010 à laquelle est annexé le Statut du Mécanisme international en question. 657.Rapport sur la stratégie d’achèvement des travaux du Tribunal pénal international pour le Rwanda (au 10 mai 2013), p. 4, S/2013/310. 658.Le T.P.I.Y. et le T.P.I.R. n’ont que la Chambre d’appel comme organe commun. 659.Selon l’article 1er de son Statut (annexé à la résolution 1966 (2010), le Mécanisme succède au T.P.I.Y. et au T.P.I.R. dans leur compétence matérielle, territoriale, temporelle et personnelle, telle que définie aux articles premier à 8 du Statut du T.P.I.Y. et aux articles premier à 7 du Statut du T.P.I.R., et dans leurs droits et leurs obligations, sous réserve des dispositions du présent Statut. 2. Le Mécanisme est habilité à juger, conformément aux dispositions du présent Statut, les personnes mises en accusation par le T.P.I.Y. ou le T.P.I.R. qui font partie des plus hauts dirigeants soupçonnés de porter la responsabilité la plus lourde des crimes visés au paragraphe 1 du présent article, compte tenu de la gravité des crimes reprochés et de la position hiérarchique de l’accusé. 3. Le Mécanisme est habilité à juger, conformément aux dispositions du présent Statut, les personnes mises en accusation par le T.P.I.Y. ou le T.P.I.R. qui ne font pas partie des plus hauts dirigeants visés au paragraphe 2 du présent article, étant entendu qu’il ne les jugera, conformément aux dispositions du présent Statut, qu’après avoir épuisé toutes solutions raisonnables pour renvoyer l’affaire comme l’envisage l’article 6 du présent Statut. 4. Le Mécanisme est habilité à juger, conformément aux dispositions du présent Statut : a) Quiconque entrave ou a entravé sciemment et délibérément l’administration de la justice par le Mécanisme ou les Tribunaux, et à le déclarer coupable d’outrage et b) Quiconque fait ou a fait sciemment et délibérément un faux témoignage devant le Mécanisme ou les Tribunaux. Avant de juger ces personnes, le Mécanisme envisage de renvoyer l’affaire aux autorités d’un État conformément à l’article 6 du présent Statut, selon ce que commandent l’intérêt de la justice et l’opportunité.
219
vrai que le Mécanisme est habilité à juger des personnes qui ne sont pas exclusivement
accusées de crimes internationaux, mais aussi « quiconque entrave ou a entravé sciemment et
délibérément l’administration de la justice par le Mécanisme ou les Tribunaux, […]
quiconque fait ou a fait sciemment et délibérément un faux témoignage devant le Mécanisme
ou les Tribunaux. »660 En élargissant la compétence du Mécanisme à l’infraction d’outrage ou
d’entrave à la justice ainsi qu’à celle de faux témoignage, le Conseil de sécurité, même s’il
habilite le Mécanisme à renvoyer les auteurs présumés de ces infractions devant les
juridictions nationales, entend soumettre la compétence nationale en matière pénale aux
exigences de la justice pénale internationale. Mais surtout, il confirme qu’en agissant comme
acteur principal du maintien de la paix et de la sécurité internationales, il n’existe pas de
limite matérielle qui pourrait l’empêcher d’agir pour réaliser la mission dont il est investi par
les membres des Nations Unies.
2. Le rôle du Conseil de sécurité dans la création de juridictions pénales
internationalisées
La mise en œuvre de la responsabilité pénale individuelle pour crimes internationaux ne se
limite pas seulement à l’institution de tribunaux pénaux internationaux. Tout au long de la
dernière décennie, à côté des T.P.I. ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, s’est
développé une nouvelle catégorie de juridictions pénales : les tribunaux internationalisés
hybrides, juridictions sui generis comportant une mixité d’éléments nationaux et
internationaux.661 Dans cette catégorie figurent le déploiement de juges et de procureurs
internationaux au Kosovo dans le cadre d’un programme établi sous la Mission
d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK)662, les Panels spéciaux
pour crimes graves au Timor oriental663, la Chambre spéciale pour crimes de guerre en
Bosnie-Herzégovine664, le Tribunal spécial pour la Sierre Léone (T.S.S.L.)665, les Chambres
660.Paragraphe 4 de l’article 1er du Statut du Mécanisme, annexé à la résolution 1966 (2010). 661.P. PAZARTZIS, « Tribunaux pénaux internationalisés : une nouvelle approche de la justice pénale (inter)nationale ? », A.F.D.I., vol. 49, 2003. p. 642. Sur les juridictions pénales internationalisées, voir également : P. FLORY, « Les juridictions pénales internationalisées : une hybridité au service de la justice ? », [en ligne]. Disponible sur : http://rmd.upmfgrenoble.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1343379277958 (page consultée le 29 juillet 2013). 662.Regulation n° 2000 /6 On the Appointment and Removal from Office of International Judges and International Prosecutors 663.UNTAET/REG/2000/15, « on the establishment of panels with exclusive jurisdiction over serious criminal offences », 6 juin 2000. 664.Law on the amendments to the law on the court of Bosnia and Herzegovina, Official Gazette n° 61/04, 1er mars 2003.
220
extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (C.E.T.C.)666 et le Tribunal spécial pour le
Liban (T.S.L.).667
Même s’il n'existe aucun modèle standard de juridiction internationalisée et que chacune de
ces juridictions est en soi un modèle unique suivant sa propre logique, elles présentent
néanmoins certains caractères communs que sont le mélange d’éléments des systèmes
judiciaires nationaux et internationaux, leur lien avec l’O.N.U., qui a activement participé à la
création de chacune d’elles668 et qui constitue leur « cordon ombilical ».669
Les cas du Kosovo, du Timor constituent des illustrations de l’extension indirecte des
compétences du Conseil de sécurité qui, par ses résolutions 1244 (1999) du 10 juin 1999 et
1272 (1999) du 25 octobre 1999, a placé ces deux territoires sous administration intérimaire
ou temporaire des Nations Unies. Par les régimes provisoires du Kosovo et du Timor, le
Conseil a accordé à l’administration internationale de larges pouvoirs normatifs et exécutifs, y
compris l’administration de la justice. C’est dans ce cadre que les représentants spéciaux du
Secrétaire général des Nations Unies prirent un certain nombre d’actes unilatéraux, des
règlements, introduisant des juges et des procureurs internationaux au sein des tribunaux
locaux pour, entre autres, assurer la répression des violations du droit international
humanitaire.
Dans le cas du Kosovo, le règlement 1999/1670 a confié à la MINUK « tous les pouvoirs
législatifs et exécutifs afférents au Kosovo, y compris l'administration de l'ordre judiciaire ».
Leur exercice était confié au représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies.
Dévasté par le conflit et par les années de discrimination à l’encontre de la minorité ethnique
albanaise, l’appareil judiciaire local ne disposait pas des capacités nécessaires à la conduite de
ces procès et n’était du reste pas jugé capable de se montrer impartial à l’égard des Serbes
accusés de crimes. Le Procureur du T.P.I.Y. déclara clairement que le tribunal ne pouvait
juger que les hauts responsables des violations du droit humanitaire commises durant le
665.Accord pour la création et le statut du Tribunal Spécial pour la Sierra Léone, 16 janvier 2002, disponible sur : http://www.scsl.org/ 666.Loi relative à la création des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux du Cambodge pour la poursuite des crimes commis durant la période du Kampuchéa démocratique, NS/RKM/0801/12 KRAM, 27 octobre 2004. 667.Résolution 1757 (2007), Accord entre l’Organisation des Nations Unies et la République libanaise sur la création d’un Tribunal spécial pour le Liban et Statut du Tribunal spécial pour le Liban, 30 mai 2007. 668.P. FLORY, « Les juridictions pénales internationalisées… », op. cit., n. 661. 669.H. ASCENSIO, E. LAMBERT-ABDELGAWAD, J.-M. SOREL (dirs.), Les juridictions pénales internationalisées (Cambodge, Kosovo, Sierra Leone, Timor Leste), Paris, Société de législation comparée, 2006, p. 11. 670.Voir document S/1999/987. Tous les règlements sont disponibles sur : http://www.icj-cij.org/docket/files/141/15033.pdf?PHPSESSID
221
conflit armé au Kosovo.671 L’extension indirecte de la volonté du Conseil de sécurité s’est
traduite ici par l’option de l’autorité intérimaire en faveur de la présence de juges et
procureurs internationaux dans la composition des cours locales, présence qui a été
initialement sporadique avant de devenir plus régulière.672 En effet, par le règlement
2000/6673, le représentant du Secrétaire général des Nations Unies a autorisé la désignation
d'un juge et d'un procureur international dans la ville de Mitrovice qui faisait face à des
tensions ethniques. Finalement, par le règlement 2000/34674, la nomination de juges et de
procureurs internationaux fut étendue à tout le territoire du Kosovo. Mais l’internationalisation
ne s’est pas arrêtée là car le règlement 2001/2 avait prévu l’extension des pouvoirs des
procureurs internationaux alors que le règlement 2000/64 de décembre 2000 mit en place un
système de panels pouvant se saisir de n’importe quelle affaire jugée sensible, et au sein
desquels siègeraient majoritairement des juges internationaux ; la majorité internationale
n’était pas prévue dans la règlementation de février 2000.
Au Timor, le règlement 2000/11, en son article 10 § 1, établit un système judiciaire et prévoit
la création de panels au sein de la cour de district de Dili dotés d’une compétence exclusive
sur les crimes les plus graves : torture, génocide, crimes contre l’humanité, crimes de
guerre...675 Le paragraphe 3 du même article reconnaît à l’administrateur transitoire le pouvoir
d’établir des panels composés de juges locaux et de juges internationaux pour assurer la
répression de ces crimes internationaux mais aussi les violations du code pénal local telles que
le meurtre et les violences sexuelles. Dans la même lignée, le Règlement 2000/15 établit les
panels en question investis d’une compétence pour les crimes internationaux visés et les
infractions relevant du droit local à condition qu’elles soient commises sur le territoire du
Timor entre le 1er janvier et le 25 octobre 1999. Ces panels composés de deux juges
internationaux et d'un juge timorais peuvent également poursuivre au titre de la compétence
universelle. Dans les cas les plus graves, un panel de cinq juges peut être établi, composé de
trois juges internationaux et de deux juges timorais. Le règlement 2000/16, quant à lui,
671.Voir C. DEL PONTE, « Statement on the Investigation and Prosecution of Crimes Committed in Kosovo », La Haye, 29 sept. 1999. 672.P. PAZARTZIS, « Tribunaux pénaux internationalisés : une nouvelle approche de la justice pénale (inter)nationale ? », op. cit., n. 661, p. 650. 673.Règlement 2000/6, On the Appointment and Removal from Office of International Judges and International Prosecutors. 674.Règlement 2000/34, Amanding Regulation no. 2000 /6 On the Appointment and Removal from Office of International Judges and International Prosecutors. 675.Voir également le règlement 1999/1; le règlement 1999/3, On the Establishment of a Transitional Judicial Service Commission, amendé par le règlement 2000/25 etc. Règlements disponibles sur : http://www.pictpcti.org/courts/eastimor_basic_doc.html.
222
organise l’action publique du système judicaire et prévoit la participation de procureurs
internationaux.676
Si les panels établis au Kosovo et au Timor s’insèrent dans une logique de construction ou de
reconstruction de systèmes judiciaires internes677, la création de la Chambre spéciale pour
crimes de guerre au sein de la Cour de Bosnie-Herzégovine semble, quant à elle, faire partie
de la stratégie de « délocalisation » de certaines affaires du T.P.I.Y. vers les juridictions des
États issus de l'ex-Yougoslavie.678 En effet, la stratégie d’achèvement des travaux du tribunal
comportait la possibilité, sous certaines conditions, de déférer des affaires « moyennes »
devant des juridictions nationales compétentes, principalement celles de la Bosnie-
Herzégovine (sur le territoire de laquelle la plupart des crimes sont censés avoir été
commis).679 C’est dans ce cadre qu’une proposition fut formulée en 2003 par le T.P.I.Y. et le
Bureau du Haut-Représentant du Secrétaire général des Nations Unies. Elle allait dans le sens
de la création, au sein de la Cour d’État de la Bosnie-Herzégovine, d’une chambre chargée de
poursuivre les auteurs de violations graves du droit international humanitaire commises sur le
territoire de celle-ci. Il était également question d’établir un département des crimes de guerre
auprès du bureau du Procureur d’État. La mise en place de cette chambre a été approuvée le
12 juin 2003 par le comité directeur du Conseil de mise en œuvre de la paix et s’est traduite
par l’introduction au sein de la juridiction nationale de juges internationaux siégeant à côté
des juges nationaux.680
Dans les cas du T.S.S.L., des C.E.T.C et du T.S.L, l’influence du Conseil de sécurité n’est
guère ici recherchée dans le caractère unilatéral ou autoritaire du mode de création de ces
juridictions. Le Conseil a plutôt ici cherché à adopter une démarche négociée avec les États
concernés en refusant de créer des T.P.I. ad hoc681 critiqués pour leurs coûts élevés, leurs
lenteurs et l’atteinte qu’ils portent à la souveraineté pénale des États. Ainsi, selon les
circonstances locales de chaque cas, l’action des Nations Unies en général et du Conseil de
sécurité en particulier a connu des degrés variables. À la différence du T.P.I.Y. et du T.P.I.R., 676.Voir P. PAZARTZIS, « Tribunaux pénaux internationalisés : une nouvelle approche de la justice pénale (inter)nationale ? », op. cit., n. 661, p. 649. 677.G. CAHIN, « L’impact des tribunaux pénaux internationalisés sur la (re)construction de l’État », in H. ASCENSIO, E. LAMBERT-ABDELGAWAD, J-M. SOREL (dir.), Les juridictions pénales internationalisées (Cambodge, Kosovo, Sierra Leone, Timor Leste), Paris, Société de législation comparée, 2006, pp. 265-306. 678.H. ASCENSIO et R. MAISON, « L’activité des Tribunaux pénaux internationaux », A.F.D.I., 2007, pp. 435 et s. 679.Voir aussi P. PAZARTZIS, « Tribunaux pénaux internationalisés… », op. cit., n. 661, p. 651. Résolution 1534 (2004) du 26 mars 2004, § 5. 680.Ibid. 681.La création de T.P.I. ad hoc avait été recommandée pour le Timor Leste et le Cambodge. Voir respectivement UN Doc A/54/660, 10 décembre 1999, « Situation des droits de l’homme au Timor Leste », § 74, et UN Doc A/53/850 – S/1999/231, 16 mars 1999, « Rapport du groupe d’experts pour le Cambodge créé par la résolution 52/135 de l’Assemblée générale », §§ 139 et s.
223
qui ont été établis par des résolutions du Conseil de sécurité agissant sous le couvert du
Chapitre VII de la Charte, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone est une juridiction établie
par accord passé entre l'O.N.U. et le gouvernement sierra-léonais. Sa création est la traduction
de la volonté exprimée par le gouvernement sierra-léonais et par les Nations Unies de ne pas
laisser impunis les auteurs de crimes internationaux et de violations graves du droit
international humanitaire commis en Sierra Leone. En effet, ce pays a été totalement dévasté
par une guerre civile de dix ans (1991-2001) ayant opposé les forces pro-gouvernementales,
fidèles au président Ahmed Tejjan Kabbah et les rebelles du FRU (Front révolutionnaire uni)
dirigés par Foday Sankoh et appuyés par Charles Taylor et ses troupes du Front national
patriotique du Libéria. Dans une lettre datée du 12 juin 2000 et adressée au Secrétaire général
des Nations Unies, le président sierra-léonais demandait l’entame des démarches nécessaires
afin que l’O.N.U. statue sur la création d’un tribunal spécial pour la Sierra Leone chargé de
traduire en justice les membres du Front révolutionnaire uni (FRU) et leurs complices pour les
crimes qu’ils ont commis.682 Dans sa résolution 1315 du 14 août 2000, le Conseil de sécurité a
demandé au Secrétaire général de négocier un accord avec le Gouvernement sierra-léonais en
vue de mettre en place un tribunal spécial indépendant chargé de juger les principaux
responsables de crimes contre l’humanité, crimes de guerre et autres violations graves du droit
international humanitaire, ainsi que les crimes prévus par le droit sierra léonais commis sur le
territoire sierra léonais depuis le 30 novembre 1996, date des accords d’Abidjan683. À l’issue
des négociations684, cette juridiction a été instituée par un accord conclu le 16 janvier 2002
entre l’O.N.U. et le gouvernement sierra-léonais portant statut du Tribunal spécial pour la
Sierra Leone.685. À la suite de la ratification de l’accord par le parlement sierra-léonais686, le
Tribunal est entré en fonction le 1er juillet 2002. Ce tribunal présente une certaine originalité
en ce sens qu’il « bénéficie […] d’une forme d’autonomie, à la fois par rapport à l’O.N.U.,
682.Voir document S/2000/786, 10 août 2000. 683.Le Secrétaire général a rejeté le choix du 23 mars 1991, date du début de la guerre civile, au motif qu'une date aussi lointaine « entraînerait une lourde charge de travail pour le ministère public et pour le tribunal ». Il a opté pour la date du 30 novembre 1996, date de la signature, à Abidjan, du premier accord de paix entre le gouvernement sierra-léonais et les rebelles du Front révolutionnaire uni (RUF), date qui prenait en compte les crimes les plus graves commis par toutes les parties et groupes armés sur l'ensemble du territoire, mettant ainsi en perspective le conflit, sans pour autant prolonger inutilement la compétence ratione temporis du tribunal, voir : Rapport du Secrétaire général, S/2000/915, p. 6 § 25 et 27. 684.Lettre du 22 décembre 2002 adressée au Secrétaire général par le Président du Conseil de sécurité (S/2002/1234) ; lettre du 12 janvier 2001 adressée au Président du Conseil de sécurité par le Secrétaire général (S/2001/40) ; lettre du 31 janvier adressée au Secrétaire général par le Président du Conseil de sécurité (S/2001/95). 685.Lettre du 6 mars 2002 adressée au Président du Conseil de sécurité par le Secrétaire général (S/2002/246) qui contient en annexe l'accord signé le 16 janvier 2002 avec le statut du Tribunal spécial (dans sa version finale). La législation d'application de cet accord a été adoptée le 19 mars 2002 et mise en vigueur le 29 mars 2002. 686.L’accord sera ratifié le 7 mars 2002 et entrera en vigueur le 1er juillet 2002.
224
mais aussi par rapport au système judiciaire de la Sierra Leone qui, il est vrai, n’existe alors
quasiment plus ».687
En ce qui concerne les Chambres extraordinaires au sein des Tribunaux cambodgiens, il
convient de noter qu’ici aussi c’est la négociation qui a été privilégiée à la place de décisions
unilatérales et autoritaires du Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII. En effet, le
contexte n’y était pas favorable. D’abord, les crimes qu’il fallait réprimer ont été commis
entre 1975 et 1979 durant le régime du Kampuchéa démocratique par les Khmers rouges ;
puis la situation qui prévalait au Cambodge au moment de la création de ces chambres ne
pouvait objectivement pas être considérée comme une menace contre la paix et la sécurité
internationales qui justifierait l’intervention du Conseil de sécurité pour la création d'un
tribunal sur le modèle des tribunaux pénaux ad hoc.688 C’est donc à la suite d’une demande
des autorités cambodgiennes requérant l'assistance des Nations Unies que, sur la base de la
résolution 52/135 de l’Assemblée générale du 12 décembre 1997 (§ 16), le Secrétaire général
a constitué un « groupe d’experts chargé d'évaluer les éléments de preuve disponibles et de
proposer de nouvelles mesures en vue […] de régler la question de la responsabilité
individuelle ». Il s’agit d'apprécier la possibilité de traduire les dirigeants khmers rouges en
justice et d'étudier les options qui s'offraient pour ce faire devant une juridiction internationale
ou nationale. Ce groupe d’experts, invoquant la crainte du manque d’indépendance du
pouvoir judiciaire cambodgien, recommanda la constitution d’un tribunal international spécial
par les Nations Unies.689 Mais cette proposition ne fut pas agréée par le gouvernement
cambodgien qui insistait sur un tribunal à participation nationale renforcée. Les discussions se
poursuivirent entre les Nations Unies et le gouvernement cambodgien en vue de parvenir à un
accord prévoyant la création d'un tribunal cambodgien spécial dans le système judiciaire
cambodgien avec une participation de personnel international. Mais sans attendre la
conclusion d'un accord avec les Nations Unies, le gouvernement cambodgien adopta une loi
en janvier 2001 relative à la création de chambres extraordinaires, intégrées dans le système
judiciaire interne, composées en majorité de juges nationaux et chargées de juger les
dirigeants des Khmers rouges responsables de crimes commis pendant la période du
Kampuchéa démocratique.690
687.H. ASCENSIO, E. LAMBERT-ABDELGAWAD, J-M. SOREL (dir.), Les juridictions pénales internationalisées …, op.cit., n. 669, p. 14. 688.P. PAZARTZIS, « Tribunaux pénaux internationalisés… », op. cit., n. 661, p. 646. 689.Voir Rapport du groupe d’experts pour le Cambodge créé par la résolution 52/135 de l’A.G., A/53/850, S/1999/231, 16 mars 1999, §§ 138 et 139. 690Loi relative à la création de Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens pour juger les crimes commis durant la période du Kampuchéa démocratique, n° NS/RKM/0801/12, 10 août 2001, adoptée par
225
Finalement, les négociations691 entre les Nations Unies et le gouvernement cambodgien se
sont soldées par l’accord du 6 juin 2003, entré en vigueur le 29 avril 2005 et qui prévoit que
les derniers dirigeants Khmers rouges seront jugés par une juridiction hybride associant des
juges cambodgiens et des juges internationaux intégrés dans l’ordre juridictionnel
cambodgien et appliquant le droit cambodgien. Les dirigeants du Kampuchéa démocratique et
les principaux responsables sont donc appelés à répondre des crimes et violations graves du
droit pénal cambodgien, du droit international humanitaire ainsi que des conventions
internationales reconnues par le Cambodge, commis entre le 17 avril 1975 et le 6 janvier
1979.
Le cas du Tribunal spécial pour le Liban est une autre manifestation de l’extension des
compétences du Conseil de sécurité à la matière pénale en général et à la répression des
auteurs d’actes de terrorisme en particulier. En effet, alors que sa création était initialement
censée être effectuée par un accord bilatéral entre l’O.N.U. et le gouvernement libanais692, le
Conseil de sécurité a passé outre la volonté du parlement libanais693 en adoptant, en vertu du
Chapitre VII de la Charte, la résolution 1757 du 30 mai 2007 instituant le Tribunal. Cette
juridiction est chargée de poursuivre les responsables de l’attentat du 14 février 2005 qui a
entraîné la mort de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri et d’autres attentats
terroristes survenus au Liban postérieurement au 1er octobre 2004.694 Dans cette mesure,
l’institution du T.S.L. relève d’une décision unilatérale et discrétionnaire du Conseil de l’Assemblée nationale le 2 janvier 2001 et approuvée par le Sénat le 15 janvier 2001. Voir P. PAZARTZIS, « Tribunaux pénaux internationalisés… », op. cit., n. 661, p. 647. 691.Les négociations avaient été interrompues en février 2002 suite au désaccord persistant entre les Nations Unies et le gouvernement cambodgien sur le contenu de la loi et l'organisation de la participation internationale. Mais le 18 décembre 2002, l'Assemblée générale par sa résolution 57/228 avait chargé le Secrétaire général de reprendre les négociations et de faire un rapport à l'Assemblée dans les quatre-vingt-dix jours suivant l'adoption de la résolution (Voir le rapport du Secrétaire général sur les procès des Khmers rouges, 31 mars 2003, A/57/769). Le 17 mars 2003, les Nations Unies et le gouvernement cambodgien se sont mis d'accord sur un projet d'accord concernant la poursuite, conformément au droit cambodgien, des auteurs des crimes commis pendant la période du Kampuchéa démocratique. L'accord a été approuvé par l'Assemblée générale le 13 mai 2003, voir A/RES/57/228B. 692.La création du Tribunal avait été convenue par accord signé par le gouvernement libanais et l’Organisation des Nations Unies les 23 janvier et 6 février 2007. Sur les différentes étapes de l’implication du Conseil de sécurité dans le processus ayant abouti à la création du T.S.L. voir : Résolution 1595 du 7 avril 2005, Résolution 1636 du 31 octobre 2005, 1644 du 15 décembre 2005, Résolution 1664 du 29 mars 2006, Résolution 1686 du 15 juin 2006, Rapport que le Secrétaire général a présenté au Conseil de sécurité le 15 novembre 2006 (S/2006/893), Résolution 1748 du 27 mars 2007. 693.L’entrée en vigueur de l’accord était suspendue à sa ratification par le Liban. Or, le Tribunal Spécial pour le Liban, voulu par la majorité politique locale, a été refusé par l’opposition libanaise qui a ainsi pu momentanément bloquer son processus de création. En effet, au Liban, la ratification des traités engageant les finances de l’État et qui ne peuvent pas être dénoncé à l’expiration de chaque année, ce qui est le cas du traité établissant le Tribunal Spécial pour le Liban, la ratification par la Chambre des députés est obligatoire. La Chambre doit être convoquée par son Président pour ratifier le traité. Mais comme le Président de la Chambre est membre de l’opposition libanaise qui s’insurge contre le traité, il s’est abstenu de convoquer le parlement pour que le traité reste lettre morte. 694.Article premier de l’Accord entre l’Organisation des Nations Unies et la République libanaise sur la création d’un Tribunal spécial pour le Liban.
226
sécurité. En effet, en décidant unilatéralement que l’Accord instituant le tribunal entrerait en
vigueur le 10 juin 2007, le Conseil a court-circuité le parlement libanais en occultant les
procédures constitutionnelles libanaises et en remettant en cause la règle du droit des traités
selon laquelle la ratification d’un accord international relève exclusivement du droit interne
des États.
À l’analyse, on peut constater que la création de ces juridictions internationalisées ne marque
pas un arrêt dans l’extension des compétences du Conseil de sécurité en matière pénale,
extension consacrée par la création des T.P.I.Y. et T.P.I.R. Elle confirme au contraire cet
élargissement de la capacité d’action du Conseil qui prend désormais en compte dans le
domaine de la justice pénale des préoccupations plus globales que la répression stricto sensu
des crimes internationaux. En refusant d’instituer des T.P.I. ad hoc et en privilégiant la
création de ces juridictions internationalisées, le Conseil a, semble-t-il, voulu contribuer, à
travers la consolidation de la paix, à la reconstruction des systèmes judiciaires d’États ravagés
par des conflits et à promouvoir la diffusion du modèle international au sein de ces ordres
juridiques internes en comblant les lacunes de leur répression.695 Ainsi, l’internationalisation
de ces juridictions, tout en limitant la compétence pénale des États concernés, offre la garantie
de respect des normes pénales internationales. À ce titre, l’application de la peine de mort, les
pratiques discriminatoires et les risques de politisation des procès sont écartés par le
parrainage de ces juridictions par les Nations Unies et par la présence de juges et de
procureurs internationaux expérimentés. On peut à ce titre citer l’exemple des panels 64 au
Kosovo institués par la règlementation 2000/64 du 15 décembre 2000696 pour répondre à des
pratiques discriminatoires de la part des juges albanais à l’encontre des minorités serbe et rom
du Kosovo.
En termes de diffusion du modèle international, l’internationalisation de ces juridictions
permet d’adapter les lois pénales nationales existantes ou d’adopter de nouvelles lois pénales
pour conformer le droit pénal national avec les standards internationaux en termes de respect
des droits de la défense, de protection des victimes et des témoins et de règles en matière de
preuve. À ce titre, on peut se référer au rôle joué par l’ATNUTO au Timor oriental et la
MINUK au Kosovo en matière d’administration de la justice et de promotion des normes
internationales de justice. C’est dans le souci de conformer les règles nationales aux standards 695.P. PAZARTZIS, « Tribunaux pénaux internationalisés… », op. cit., n. 661, pp. 651 et s. 696.Alors que la régulation 2000/6 prévoyait l’incorporation de juges et de procureurs internationaux au sein des tribunaux du Kosovo, la règlementation 2000/64 a créé des panels spéciaux, nommés panels 64, de trois juges dont deux internationaux compétents pour les affaires pénales les plus délicates, saisis de facto de tous les dossiers liés à des crimes de guerre. Cf. UNMIK/REG/2000/64, 15 décembre 2000, « on assignment of international judges/prosecutors and /or change of venue ».
227
internationaux que, par le règlement 1999/24, Bernard Kouchner, le représentant spécial du
Secrétaire général des Nations Unies au Kosovo a ajouté au droit local des instruments
juridiques internationaux en matière de droits de l’homme avec primauté de ceux-ci en cas de
contrariété avec le droit local. Il s’agit de la Déclaration universelle des droits de l’homme,
des Pactes de 1966, de la convention contre la torture, de la convention sur l'élimination de
toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, de la Convention européenne des
droits de l’homme etc.
De ce qui précède, il apparaît qu’en décidant de créer des T.P.I. ad hoc et de promouvoir des
juridictions pénales internationalisées, le Conseil de sécurité confirme qu’en tant que
responsable principal du maintien de la paix et de la sécurité internationales, il n’y a pas de
limite matérielle au développement de ses compétences. Autrement dit, l’exception de la
compétence nationale (article 2, § 7 de la Charte) ne produit pas d’effet utile dans le sens
d’empêcher au Conseil de mener une action qu’il juge nécessaire à la mise en œuvre de sa
mission de maintien de la paix et de la sécurité. Le Chapitre VII de la Charte se révèle ainsi
être une source de compétences étendues dans tous les domaines car, « si le Conseil de
sécurité jouit d’un pouvoir discrétionnaire pour ce qui concerne la qualification d’une
situation en vertu de l’article 39 de la Charte, une certaine logique commande qu’il en aille de
même s’agissant de l’action qu’il décide d’entreprendre. Cela semble d’autant plus vrai que
c’est en pratique l’action qui détermine la qualification ».697
L’extension des pouvoirs du Conseil de sécurité en matière pénale ne se limite pas
exclusivement à la création de T.P.I. ad hoc ou à l’intervention dans la création de tribunaux
internationalisés. Elle se manifeste également dans la reconnaissance à son profit de pouvoirs
particuliers dans la procédure devant la C.P.I.
§ 2 : Les pouvoirs particuliers du Conseil de sécurité dans la procédure devant la
C.P.I. comme preuve de la restriction du domaine de compétence nationale
Première juridiction pénale internationale permanente, la Cour pénale internationale a été
créée par le Traité de Rome signé le 17 juillet 1998 et entré en vigueur le 1er juillet 2002. Aux
termes de son statut, sa compétence est limitée aux crimes les plus graves touchant l’ensemble
de la communauté internationale, à savoir le génocide, les crimes contre l’humanité, les 697.J. P. COT, A. PELLET et M. FORTEAU, Commentaire article par article de la Charte des Nations Unies, 3è éd., Paris, Economica, 2005, p. 1169.
228
crimes de guerre commis après le 1er juillet 2002, ainsi que le crime d’agression auquel la
compétence de la Cour s’appliquera à partir du 1er janvier 2017 conformément à la décision
de la première conférence de révision du Statut de Rome698.
À ce jour, 122 pays sont parties au Statut de la Cour. Si elle a vocation à devenir universelle,
la compétence de la Cour, dont le statut a été institué par une convention internationale, ne
s’exerce qu’à l’égard des États Parties au Statut de Rome ou des États non parties mais ayant
reconnu sa compétence. Ainsi l’absence d’États comme la Chine, les États-Unis et la
Russie699 pourrait laisser penser à une atténuation de cette prétention universaliste.
Cependant, l’absence de ces États est plus ou moins compensée par les liens que la Cour
entretient avec les Nations unies700 en général et le Conseil de sécurité en particulier dont
certains en sont des membres permanents. En effet, le Statut de la C.P.I. confère au Conseil
des pouvoirs particuliers et un rôle prépondérant qui font de lui une pièce centrale du
dispositif de la justice pénale internationale. Cette éminence du Conseil qui le place dans une
situation de concurrence des États membres de la Cour en matière pénale s’observe dans son
pouvoir de saisine de la Cour (1) et dans celui de suspension de la procédure enclenchée (2).
1. Saisine de la C.P.I. par le Conseil de sécurité et compétence pénale nationale
La procédure devant la Cour est déclenchée à l’initiative d’un État Partie701, du Procureur qui
ouvre une enquête proprio motu, de sa propre initiative.702 La Cour peut également être saisie
698.Cette conférence s’est tenue à Kampala (Ouganda) du 31 mai au 11 juin 2010. Elle a, entre autres, arrêté la définition du crime d’agression et les conditions d’exercice de la compétence de la Cour. Cet amendement, même s’il a été adopté, n’entrera en vigueur que lorsque 30 États Parties l’auront ratifié. De même, la Cour n’exercera sa compétence au sujet du crime d’agression qu’après le 1er janvier 2017, lorsque les États Parties auront pris, à la majorité des 2/3, une décision dans ce sens. 699.Il y a d’autres États comme l’Inde, l’Israël, le Pakistan et beaucoup de pays arabes. 700.Ce lien est affirmé dans le considérant 7 et à l’article 2 du Statut de Rome. Selon cet article, « la Cour est liée aux Nations unies par un accord qui doit être approuvé par l'Assemblée des États Parties au présent Statut, puis conclu par le Président de la Cour au nom de celle-ci ». L’Accord fut signé par le Président de la Cour et le Secrétaire général des Nations Unies le 4 octobre 2004 (A/RES/59/43 du 2 décembre 2004). Il définit les règles et les principes gouvernant la relation entre les deux structures. De même, en vertu de l’article 125 du Statut, le Secrétaire général assure un rôle de dépositaire. Les paragraphes 2 et 3 de l’article précisent en effet que « le présent Statut est soumis à ratification, acceptation ou approbation par les États signataires. Les instruments de ratification, d'acceptation ou d'approbation seront déposés auprès du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies. Le présent Statut est ouvert à l'adhésion de tous les États. Les instruments d'adhésion seront déposés auprès du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies ». Il est aussi confié au Secrétaire général des Nations Unies certaines missions relatives à la procédure d’amendement et de révision en vertu des articles 121 à 123 du Statut. L’article 115 dispose que les ressources financières sont « fournies par l’Organisation des Nations Unies, sous réserve de l'approbation de l'Assemblée générale, en particulier dans le cas des dépenses liées à la saisine de la Cour par le Conseil de sécurité ». Dans le même ordre d’idées, l’article 119 du Statut inclut, dans les modes de règlements des différends, la saisine de la C.I.J. 701.C’est sur cette base (article 14 du Statut de la Cour) que l’Ouganda, la R.D.C. et la République centrafricaine ont porté à la connaissance de la Cour les crimes internationaux qui auraient été commis sur leur territoire.
229
d’une situation par le Conseil de sécurité sur le fondement du chapitre VII de la Charte des
Nations Unies. C’est ce qui ressort de l’article 13 du Statut de Rome en vertu duquel la Cour
peut exercer sa compétence à l’égard du crime de génocide, des crimes contre l'humanité, des
crimes de guerre et du crime d'agression si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces
crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par un État Partie, si une situation
dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée au
Procureur par le Conseil de sécurité agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des
Nations Unies ou si le Procureur a ouvert une enquête sur le crime en question en vertu de
l'article 15.
La reconnaissance au Conseil de sécurité de ce pouvoir de saisine de la C.P.I. s’expliquerait
par le fait qu’avec la naissance de cette Cour, il n’aura plus a priori besoin de créer des
tribunaux pénaux ad hoc comme le T.P.I.Y. et le T.P.I.R. pour assurer sa responsabilité
principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales. En d’autres termes, en
conférant au Conseil de sécurité un pouvoir de saisine de la C.P.I. sur le fondement du
chapitre VII, les États ont entendu éviter le renouvellement de la création des T.P.I. ad hoc sur
le même fondement pour assurer la mise en œuvre de la responsabilité pénale individuelle des
auteurs présumés de violations graves du droit international humanitaire. Mais en même
temps qu’ils entendent éviter la reproduction des T.P.I. ad hoc, les États entérinent
expressément, par le Statut de Rome, la compétence pénale du Conseil de sécurité,
compétence qui ne ressortait pas forcément et expressément de la Charte des Nations Unies.
Ainsi donc se confirme l’extension des compétences et de la capacité d’action du Conseil en
matière pénale.
La saisine de la C.P.I. par le Conseil de sécurité sur le fondement du Chapitre VII est soumise
aux conditions procédurales de l’article 39 de la Charte des Nations Unies. C’est-à-dire que
« la saisine de la Cour par le Conseil reste donc soumise […] à la constatation préalable qu’il
existe une menace contre la paix, une rupture de la paix ou d’un acte d’agression et à la
détermination conséquente d’après laquelle, justement, la saisine de la Cour constitue en
l’espèce une mesure appropriée pour le maintien ou le rétablissement de la paix ».703 C’est à
ce titre que, dans la résolution 1593 du 31 mars 2005, le Conseil, « constatant que la situation
au Soudan continue de faire peser une menace sur la paix et la sécurité internationales [et]
702.C’est sur la base de l’article 15 du Statut que le procureur a demandé et obtenu l’autorisation d’ouvrir une enquête sur la situation au Kenya relatives aux violences postélectorales de 2007 et 2008. Cf. infra section 2, § 1, (2). 703.J.-P. COT, A. PELLET et M. FORTEAU, « La charte des Nations Unies. Commentaire article par article », op.cit., n. 697, p. 228.
230
agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, décide de déférer au
Procureur de la Cour pénale internationale la situation au Darfour depuis le 1er juillet 2002 ».
On retrouve bien ici les trois opérations désormais classiques de constatation, de rattachement
au Chapitre VII et de décision. En revanche, dans l’affaire libyenne, le Conseil n’a pas suivi
la même procédure. En effet, dans sa résolution 1970 du 26 février 2011, il a d’abord rappelé
sa « conscience de la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité
internationales qui lui est assignée par la Charte des Nations Unies » ; puis il a rattaché son
action au Chapitre VII en se référant expressément aux « mesures au titre de l’article 41 » ;
enfin il a décidé « de saisir le Procureur de la Cour pénale internationale de la situation qui
règne en Jamahiriya arabe libyenne depuis le 15 février 2011 ». En tout état de cause, la
conséquence reste la même, à savoir l’extension de la compétence du Conseil à la matière
pénale et la restriction de la compétence pénale des États, car la saisine de la C.P.I. par le
Conseil produit des effets spécifiques dont l’extension de la compétence de la Cour à tous les
États, y compris ceux qui ne sont pas parties à son Statut. Par son pouvoir de saisine, le
Conseil peut en effet soumettre un ressortissant d’un État non partie au Statut de Rome à la
juridiction de la C.P.I.
Le pouvoir accordé à la Cour en cas de saisine par le Conseil de sécurité apparaît comme une
limite à la souveraineté pénale des États (non parties, notamment), qui se verraient appliquer
la compétence d'une cour au Statut de laquelle ils n'ont pas adhéré. C’est le cas par exemple
du président soudanais Omar Al-Bashir qui fait l’objet d’un mandat arrêt international émis
par la Cour depuis 2009 suite à sa saisine par le Conseil de sécurité. C’est aussi le cas dans
l’affaire libyenne avec les mandats d’arrêt internationaux délivrés le 27 juin 2011 par la
Chambre préliminaire I de la C.P.I., suite à la saisine du Conseil de sécurité, contre
Mouammar Kadhafi, le défunt guide libyen, contre son fils Saïf-Al-Islam Kadhafi et le chef
des forces armées et des services de renseignement militaires, Abdallah Al-Senoussi. Dans les
deux cas, la Cour fonde sa compétence à l’égard d’Al-Bashir et des libyens visés non sur la
volonté exprimée par les États soudanais et libyen, mais sur la saisine du Conseil de sécurité.
D’ailleurs le cas de la Libye a donné lieu à un bras de fer entre la Cour et les nouvelles
autorités libyennes qui entendent exercer leur compétence pénale.704 En fondant sa
compétence sur la seule saisine du Conseil de sécurité et non sur le consentement exprimé des
États, la Cour confirme que l’absence de ratification du Statut de Rome par un État n’est pas
704.Sur les difficultés soulevées par la question de la compétence de la C.P.I. à l’égard des libyens visés se reporter à la section suivante, § 1, 2.
231
opposable à sa compétence car cette saisine « neutralise le régime conventionnel du Statut de
Rome en matière de compétence ».
Aussi, la saisine de la C.P.I. par le Conseil, au-delà du fait qu’elle limite la volonté pénale des
États, produit des effets spécifiques tels que l’imposition de certaines obligations aux États
dont la principale est l’obligation de coopération que nous verrons par la suite.705
Dans un autre sens, la saisine de la C.P.I. par le Conseil de sécurité permet aux États parties et
membres permanents mais aussi à des États comme la Chine, les États-Unis706 et la Russie
non parties au Statut de Rome mais membres permanents du Conseil avec droit de veto
d’exercer une certaine prééminence sur les autres États quant à la nécessité et l’opportunité de
mettre en branle la justice pénale internationale. Ce faisant, le pouvoir de saisine de la Cour
par le Conseil leur permet de mettre, selon le degré de leurs liens avec un État, à l’écart sa
compétence pénale lorsqu’un de ses ressortissants est visé par les poursuites et d’exercer ainsi
indirectement cette compétence pénale. En d’autres mots, la saine de la Cour par le Conseil de
sécurité risque d’être aléatoire et sélective compte tenu de la configuration de l’organe, de
l’État concerné par la situation à déférer et des intérêts en présence. Le risque de politisation
de la C.P.I. est donc bien présent lorsque la saisine est le fait du Conseil de sécurité. Ce risque
est confirmé notamment lorsque le Conseil utilise son pouvoir de suspension de la procédure
devant la Cour pour par exemple donner une chance au retour de la paix dans une situation
conflictuelle à l’origine des crimes internationaux pour la violation desquels la Cour est saisie.
2. Suspension de la procédure devant la C.P.I. par le Conseil de sécurité et
compétence pénale nationale
Les pouvoirs particuliers accordés au Conseil de sécurité dans la procédure devant la C.P.I. se
manifestent aussi à travers l’article 16 du Statut de Rome qui lui reconnaît un pouvoir de
suspension des actions engagées par la Cour pour une période d’un an renouvelable. Aux
termes de cet article, « aucune enquête ni aucune poursuite ne peut être engagée ni menée en
vertu du présent Statut pendant les douze mois qui suivent la date à laquelle le Conseil de
sécurité a fait une demande en ce sens à la Cour dans une résolution adoptée en vertu du
705.Cf. infra section suivante, § 2, 1. 706.Sur l’attitude des États-Unis à l’égard de la C.P.I. voir notamment F. COULÉE, « Sur un État tiers bien peu discret : les États-Unis confrontés au statut de la Cour pénale internationale », A.F.D.I., volume 49, 2003. pp. 32-70.
232
Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ; la demande peut être renouvelée par le Conseil
dans les mêmes conditions ».
Cette innovation ne trouve pas son fondement dans des considérations exclusivement
juridiques. Il s’agit ici plutôt de préoccupations politiques de maintien de la paix à travers la
prise en compte de la responsabilité principale du Conseil de sécurité au titre de l’article 24 de
la Charte des Nations Unies. Il s’est en effet agi de lui donner un moyen de s’opposer à ce que
l’impératif de justice pénale internationale n’entrave la recherche de la paix. L’idée sous-
jacente à cette subordination de l’action de la C.P.I. aux pouvoirs du Conseil est que
l’impunité de certains criminels de guerre pourrait finalement contribuer au maintien de la
paix. En effet, comme l’a noté le professeur Serge Sur, le Conseil « pourrait ainsi offrir en fait
une sorte d’immunité à des dirigeants avec lesquels on négocierait un retour à la paix, et l’on
retrouve ici l’opposition sous-jacente entre éthique de la responsabilité et éthique de la
conviction ».707 Ce mécanisme viserait à privilégier les efforts contribuant à l’apaisement des
esprits, à la réconciliation nationale et donc à la paix, plutôt que la répression pénale
systématique. Dans cette perspective, poursuit le professeur Serge Sur,
« Il est bon de ne pas s’enfermer dans une logique unique de répression, et de pouvoir tenir
compte des circonstances propres à chaque situation. Dans certains cas, il n’y aura pas de
véritable demande de répression pénale, mais plutôt un souci de transparence, voire une
demande de repentance, qui sera satisfaite par des processus internes de réconciliation. Dans
d’autres cas, la demande de répression se focalisera sur quelques individus particulièrement
responsables, qui apparaîtront comme des effigies de crimes plus collectifs – ainsi avec les
procès de Nuremberg et de Tokyo. Dans d’autres encore, s’exprimera de la méfiance à
l’égard d’une juridiction internationale, étrangère aux traditions et cultures locales. Il
convient que la justice internationale pénale apparaisse comme un instrument de retour à la
paix, pouvant s’adapter à ces diverses exigences, et non un mécanisme automatique de
justice abstraite… »708
Le Conseil de sécurité a mis en œuvre son pouvoir de neutralisation de l’action de la Cour dès
l’entrée en vigueur du Statut de Rome. En effet, dès le 12 juillet 2002, il adoptait la résolution
1422 par laquelle il demandait à la Cour, conformément à l’article 16 du Statut de Rome, de
ne pas engager ni mener aucune enquête ou poursuite pour une période de douze mois à
compter du 1er juillet 2002 « s’il survenait une affaire concernant des responsables ou des
personnels en activité ou d’anciens responsables ou personnels d’un État contributeur qui 707.S. SUR, « Le droit international pénal entre l’État et la société internationale », op. cit., n. 636, p. 5. 708.Ibid., p. 6.
233
n’est pas partie au Statut de Rome à raison d’actes ou d’omissions liés à des opérations
établies ou autorisées par l’Organisation des Nations Unies »709. Si l’objectif de l’article 16
est d’empêcher que l’action pénale de la C.P.I. n’entrave la mission principale du Conseil de
sécurité, le maintien de la paix et de la sécurité internationales, cette résolution qui rappelle
certes dans son préambule « l’importance que revêtent les opérations des Nations Unies pour
la paix et la sécurité internationales », semblait néanmoins traduire la volonté américaine de
créer une sorte d’immunité pour leurs responsables et personnels militaires engagés à
l’époque dans des opérations de maintien de la paix en Bosnie-Herzégovine notamment.
Ainsi, par la résolution 1422, les ressortissants d’États tiers au Statut de Rome engagés dans
des opérations de paix des Nations Unies échappaient à la juridiction de la C.P.I. et ceci de
manière durable car, dans le paragraphe 2 de la même résolution, le Conseil avait exprimé son
« intention de renouveler, dans les mêmes conditions, aussi longtemps que cela sera
nécessaire la demande visée au paragraphe 1, le 1er juillet de chaque année pour une nouvelle
période de douze mois » ; il avait également décidé que « les États Membres ne prendront
aucune mesure qui ne soit pas conforme à la demande visée au paragraphe 1 et à leurs
obligations internationales ».710
Par ailleurs, dans les résolutions 1593 (2005) et 1970 (2011) déférant à la C.P.I.
respectivement les situations au Darfour et en Libye, le Conseil de sécurité a, en quelque
sorte, mis en œuvre son pouvoir d’empêchement de l’action de la C.P.I. En effet, si dans les
paragraphes 1 de la résolution 1593 et 4 de la résolution 1970 le Conseil a déféré les
situations respectives à la C.P.I., il a, en revanche, dans les mêmes résolutions, exclut de
manière discrétionnaire la compétence de la Cour et de tout autre État, à l’exception de l’État
national, dans la poursuite des ressortissants d’un État contributeur non partie au Statut de
Rome pour des actes commis au Soudan et en Libye dans le cadre des opérations autorisées
par l’O.N.U. Dans le paragraphe 6 de la résolution 1593, le Conseil « décide que les
ressortissants, responsables ou personnels en activité ou anciens responsables ou personnels,
d’un État contributeur qui n’est pas partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale
sont soumis à la compétence exclusive dudit État pour toute allégation d’actes ou d’omissions
découlant des opérations au Soudan établies ou autorisées par le Conseil ou l’Union africaine
ou s’y rattachant, à moins d’une dérogation formelle de l’État contributeur ». Pour la Libye,
dans le paragraphe 6 de la résolution 1970, le Conseil « décide que les ressortissants,
709.Résolution 1422 du 12 juillet 2002, § 1. 710.Ibid., § 3. La résolution 1422 ne sera finalement renouvelée qu’une seule fois par la résolution 1487 du 12 juin 2003. Ces résolutions ont fait l’objet de vives critiques. Sur les conditions de leur adoption, voir F. COULÉE, « Sur un État tiers bien peu discret… », op. cit., n. 706, pp. 52 et s.
234
responsables ou personnels en activité ou anciens responsables ou personnels, d’un État autre
que la Jamahiriya arabe libyenne qui n’est pas partie au Statut de Rome de la Cour pénale
internationale sont soumis à la compétence exclusive dudit État pour toute allégation d’actes
ou d’omissions découlant des opérations en Libye établies ou autorisées par le Conseil ou s’y
rattachant, à moins d’une dérogation formelle de l’État ».711
En clair, il s’agit dans ces cas d’une exclusion de la compétence de la Cour mais aussi de celle
des États autres que l’État national dans la poursuite de violations graves du droit
international qu’auraient commises les personnels militaires intervenant dans les opérations
au Soudan et en Libye. Le Conseil établit ainsi une discrimination entre ressortissants d’États
tiers au Statut de Rome et ressortissants d’États parties dans la répression des crimes
internationaux ; car, par ces deux résolutions, il décide que les nationaux des États parties
doivent être attraits devant la C.P.I. et aussi devant d’autres juridictions nationales mais que
ceux d’États tiers ne peuvent être traduits que devant leurs juridictions nationales alors même
que les principes de compétence territoriale, de compétence personnelle passive et de
compétence universelle autorisent l’attrait de ces derniers devant les juridictions nationales
d’autres États. En imposant la compétence exclusive de l’État contributeur [d’agents de
maintien de la paix] non partie au Statut de Rome, le Conseil de sécurité remet ainsi en cause
la compétence pénale nationale c’est-à-dire le droit qu’a chaque État de poursuivre les auteurs
de crimes commis sur son sol ou dont ses ressortissants sont victimes.712
Force est de constater que, quelles que soient les considérations qui ont pu justifier son
adoption, cette disposition institue une subordination pure et simple de la C.P.I., organe
juridictionnelle à caractère interétatique, consensuel et contractuel, à un organe politique
restreint et autoritaire, le Conseil de sécurité. Elle traduit ainsi en droit la prééminence de fait
des membres permanents du Conseil de sécurité sur tous les autres États et affirme d’une
certaine manière la primauté du maintien de la paix et de la sécurité internationales sur la
justice pénale internationale. Ainsi, est consacrée l’inégalité en droits et en devoirs entre États
en matière de mise en œuvre de la responsabilité pénale internationale individuelle ; la
volonté et la compétence pénale des autres États sont en quelque sorte transférées aux
membres permanents du Conseil de sécurité, alors même que trois d’entre eux ne sont pas
parties aux Statut de Rome. En effet, à l’image de ses pouvoirs de création de T.P.I. ad hoc,
de saisine de la C.P.I., le pouvoir du Conseil de sécurité de suspendre les enquêtes et les
711.Une formule similaire a également été employée dans la résolution 1497 du 1er août 2003, § 7, sur la situation au Libéria. 712.Voir F. COULÉE, « Sur un État tiers bien peu discret… », op .cit., n. 706, p. 58.
235
poursuites entamées par la Cour s’exerce dans le cadre du Chapitre VII de la Charte et revêt
un caractère autoritaire et contraignant. Il est opposable erga omnes contrairement aux
dispositions conventionnelles du Statut de Rome. Plus précisément, en cas de contrariété entre
les obligations à la charge des États en vertu du Statut de Rome et celles à leur charge en
vertu d’une résolution du Conseil demandant la suspension de l’action de la Cour, les
secondes prévaudront. Ainsi, « si […] le Conseil décide d’imposer aux États membres une
interruption plus longue de leur coopération avec la Cour, cette décision prévaudra
manifestement sur les dispositions [contraires] de la Convention ».713
Par ce pouvoir de suspension, le Conseil de sécurité en général et les membres permanents en
particulier peuvent bloquer l’action de la Cour durablement ou définitivement par rapport à
une situation déterminée. En effet, si les membres permanents s’accordent tous à l’idée que la
mise en œuvre de la justice pénale internationale pourrait empêcher ou gêner le retour à la
paix, ils pourraient, conformément à l’article 16, suspendre les éventuelles enquêtes ou
poursuites engagées par la Cour et décider de reconduire indéfiniment cette suspension en
vertu du Chapitre VII.714 À cet égard, la subordination de la C.P.I. au Conseil de sécurité la
soumet à un risque d’instrumentalisation politique par les membres permanents notamment
qui peuvent ainsi par leur veto empêcher toute poursuite de leurs ressortissants ou ceux de
leurs alliés. C’est d’ailleurs cet argument d’instrumentalisation qui expliquerait la réticence
des États africains et de l’U.A à l’égard de la Cour et justifierait leur refus d’exécution du
mandat d’arrêt lancé contre le président soudanais.715 Les pouvoirs reconnus au Conseil de
sécurité dans la procédure devant la Cour constituent ainsi l’une des manifestations des
« tentative[s] d’institutionnalisation et d’universalisation du gouvernement de fait des grandes
puissances ».716
Au regard de ce qui précède, il ne fait pas de doute que le Conseil de sécurité, investi de la
responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales, assume
également un rôle prépondérant en matière de justice pénale internationale. Cette
713.S. SUR, « Vers une Cour pénale internationale : la Convention de Rome entre les ONG et le Conseil de sécurité », R.G.D.I.P., 1999, n° 1, pp. 44 et s. 714.S. SUR, « Le droit international pénal entre l’État et la société internationale », op. cit., n. 636, pp. 5-6. 715.En 2009, lors de son 13ème Sommet, l’U.A. a déclaré que ses États membres ne coopéreront pas, conformément aux dispositions de l’article 98 du Statut de Rome, à l’arrestation et à la livraison des personnalités africaines. Ainsi, le 26 février 2011 au Sommet de Malabo (Guinée équatoriale), l’U.A. a confirmé cette position relativement au mandat d’arrêt émis à l’encontre du défunt guide libyen Mouammar Kadhafi. Voir à ce sujet B. ROSTAND, « U.A./C.P.I. : Réaction de l’Union africaine aux décisions de la Chambre préliminaire I de la Cour Pénale internationale déférant le défaut de coopération du Tchad et du Malawi au Conseil de sécurité des Nations Unies », Bulletin Sentinelle, n° 290, 22 janvier 2012. 716.H. RUIZ-FABRI, « Le droit dans les relations internationales », op. cit., n. 180, p. 662.
236
prépondérance lui confère le pouvoir de décider de l’opportunité de la répression pénale
internationale et de mettre dans cette perspective des obligations à la charge des États qui,
somme toute, limitent leur domaine de compétence nationale en matière pénale. Il en est ainsi
en matière de création de T.P.I. ad hoc, de juridictions pénales internationalisées, de
déclenchement ou encore de suspension de l’action de la C.P.I. Il est donc clair que
l’exception de la compétence nationale ne saurait juridiquement produire d’effet utile face à
ces actions du Conseil de sécurité lorsqu’elles se présentent comme des mesures de coercition
en vertu du Chapitre VII. Autrement dit, si par une interprétation extensive ces actions sont
envisagées comme des mesures de coercition à la disposition du Conseil de sécurité, aucune
limite matérielle ne saurait être valablement invoquée par un État pour l’empêcher d’écarter
sa compétence répressive nationale au profit d’une juridiction internationale. Ainsi, sans
risque de se tromper, on peut affirmer que « la conception d’un domaine réservé, exclusif et
absolu, est tombée en désuétude à l’heure de l’interventionnisme croissant de l’ONU ».717
Cette désuétude de la conception matérielle dominante du domaine de compétence nationale
se manifeste également à travers les principes et règles établis pour organiser les relations
entre les juridictions pénales internationales et les juridictions nationales.
Section 2 : L’articulation des compétences entre les juridictions pénales
internationales et les juridictions nationales comme preuve de la restriction
de la compétence pénale nationale
Les mécanismes internationaux de répression des violations graves du droit international
humanitaire s’exercent parallèlement à l’activité des juridictions pénales nationales qui sont
les premiers remparts de la mise en œuvre de la responsabilité pénale individuelle. En
d’autres mots, il y a des compétences concurrentes entre les juridictions nationales et les
juridictions pénales internationales.718 Pour assurer une cohabitation efficace et sans heurts, il
a fallu définir des principes gouvernant l’articulation des compétences entre les deux ordres
de juridiction (§ 1) et qui garantissent l’exercice de la compétence nationale en matière
pénale. Mais la mise en œuvre de ces principes comporte un certain nombre d’implications
qui confirment la restriction du pouvoir exclusif et de la liberté des États en matière pénale (§
2). 717.C. HOLLWEG, « Le nouveau Tribunal international de l’O.N.U et le conflit en ex-Yougoslavie : un défi pour le droit humanitaire dans le nouvel ordre mondial », R.D.P.S.P., 1994, p. 1372. 718.Voir O. DELAS, R. COTÉ, F. CRÉPEAU et P. LEUPRECHT, Les juridictions internationales… », op. cit., n. 652, 184 p.
237
§ 1 : Les principes gouvernant l’articulation des compétences entre les juridictions
pénales internationales et les juridictions nationales
En vertu de leur souveraineté, les États exercent en principe leur compétence pénale dans la
répression des violations graves du droit international humanitaire. Cependant, l’émergence
de juridictions pénales à l’échelle internationale a atténué ce principe car les juridictions
pénales internationales exercent des compétences concurrentes avec celles des juridictions
nationales. En effet, les juridictions instituées par le Conseil de sécurité sont caractérisées par
leur primauté sur les juridictions nationales (1) alors que la C.P.I. est dans une situation de
complémentarité aux juridictions nationales (2).
1. La primauté de la compétence des T.P.I. ad hoc sur celle des juridictions
pénales nationales
Créés par des résolutions du Conseil de sécurité sur la base du Chapitre VII de la Charte des
Nations Unies, autrement dit créés par un acte unilatéral contraignant, les Tribunaux pénaux
internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda sont caractérisés par leur primauté
sur les organes judiciaires des États. Cette primauté est affirmée à l’article 9 du Statut du
T.P.I.Y. et à l’article 8 du Statut du T.P.I.R. Mais elle ne signifie pas que les juridictions
nationales ne sont pas compétentes pour connaître des crimes internationaux rentrant dans
leur compétence. En effet, les deux ordres de juridiction exercent des compétences
concurrentes, c’est–à-dire que les tribunaux internationaux et les juridictions nationales sont
concurremment compétents pour juger les personnes présumées responsables de violations
graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie
depuis le 1er janvier 1991 et celles commises sur le territoire du Rwanda et les citoyens
rwandais présumés responsables de telles violations commises sur le territoire d’États voisins
entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994.719 La primauté implique en revanche le
dessaisissement des juridictions nationales au profit des T.P.I. dès lors que celles-ci en font la
demande. Ceux-ci peuvent, à tous les stades d’une procédure en cours dans un État, lui
demander de se dessaisir à leur profit.720 À ce titre, en application du principe non bis in
719.Article 9 § 1 du Statut du T.P.I.Y. et article 8 § 1 du Statut du T.P.I.R. 720.C’est ce qui ressort des paragraphes 2 des deux articles susvisés. Pour mettre en œuvre cette primauté, certains États, comme la France ont adoptés des lois prévoyant la procédure de dessaisissement de leurs juridictions nationales : Loi n° 95-1 du 2 janvier 1995, article 2 et s. ; Lo n° 96-432 du 22 mai 1996, article 2.
238
idem721, la primauté des T.P.I. ad hoc signifie qu’un individu qui a déjà été jugé par un de ces
tribunaux ne peut être à nouveau jugé pour les mêmes faits par une juridiction nationale. En
revanche, une personne jugée par une juridiction nationale peut bien être poursuivie par les
T.P.I. ad hoc lorsque l’acte pour lequel il est jugé est qualifié de crime de droit commun au
niveau national, lorsque la procédure n’était pas impartiale ou indépendante ou qu’elle avait
pour but de soustraire l’accusé à sa responsabilité pénale internationale ou encore qu’elle n’a
pas été exercée avec diligence. Ainsi, en vertu des articles 13 des Règlements de procédure et
de preuve du T.P.I.Y. et du T.P.I.R.,
« si le Président est valablement informé de poursuites pénales engagées contre une personne
devant une juridiction interne pour des faits constituant de graves violations du droit
international humanitaire au sens du Statut pour lesquels l’intéressé a déjà été jugé par le
Tribunal, une Chambre de première instance rend conformément à la procédure visée à
l’Article 10, mutatis mutandis, une ordonnance motivée invitant cette juridiction à mettre fin
définitivement aux poursuites. Si cette juridiction s’y refuse, le Président peut soumettre la
question au Conseil de sécurité. »
C'est pour éviter que l’accusé ne soit jugé par une juridiction interne au titre des crimes de
droit commun que le Procureur d’alors du T.P.I.Y., Carla Del Ponte, a exigé de la justice
yougoslave qu'elle se dessaisisse du cas de Slobodan Milosevic arrêté à Belgrade le 1er avril
2001 pour « abus de pouvoir et association de malfaiteurs ». Slobodan Milosevic avait été mis
en accusation en mai 1999 par le procureur du T.P.I.Y. pour crimes contre l'humanité et
violations des lois ou coutumes de la guerre au Kosovo. Le 29 juin 2001 il fut transféré au
T.P.I.Y. où il meurt en mars 2006.
Mais la primauté des compétences des T.P.I. ne vaut pas seulement sur les compétences
nationales des États issus de l’ex-Yougoslavie ou du Rwanda, mais aussi sur celles de tous les
États qui, par exemple en vertu de la compétence universelle ou de la compétence personnelle
passive, auraient pu entreprendre des poursuites pour juger les responsables présumés des
violations du droit international humanitaire commises dans ces deux pays.722 C’est pourquoi,
721.Article 10 du Statut du T.P.I.Y et article 9 du Statut du T.P.I.R. 722.L’affirmation de la primauté des T.P.I. ad hoc ainsi que leur pouvoir de demander le dessaisissement des juridictions nationales n’a pas eu la faveur de tous les États. En effet, dans certaines affaires, les juridictions nationales n’ont tout simplement pas donné de suites favorables aux demandes de dessaisissement adressées par les T.P.I. Voir à ce titre l’affaire Elizaphan Ntakirutimana, dans laquelle le juge américain a refusé son transfert au T.P.I.R., en dépit d’une demande expresse adressée au gouvernement fédéral américain. Elizaphan Ntakirutimana, ressortissant rwandais résidant aux Texas, a été remis en liberté. Le juge a invoqué la nécessité d’un traité d’extradition afin de pouvoir transférer ou extrader une personne du territoire des États-Unis vers un autre État ou le T.P.I.R.; il a en outre été jugé que le gouvernement américain n’avait pas produit de preuves suffisantes attestant que le suspect avait commis les crimes qui lui étaient reprochés. Par contre, le 5 août 1998,
239
dans l’affaire Tadic, la Chambre de première instance II du T.P.I.Y. a rendu le 8 novembre
1994 la première ordonnance de dessaisissement, alors que les autorités allemandes l’avaient
poursuivi. L’Allemagne ayant accepté son dessaisissement, Tadic fut finalement transféré à la
Haye le 24 avril 1995 pour y être jugé par le T.P.I.Y.723 S’agissant du T.P.I.R., le Procureur
avait demandé officiellement au gouvernement du Royaume de Belgique de se dessaisir en sa
faveur de toutes les enquêtes et poursuites pénales menées à l'encontre de Théoneste
Bagosora724. C'est ainsi que le 9 juillet 1996, la Cour de cassation belge (chambre de
vacation) fit droit à la demande du Procureur en rendant un arrêt de dessaisissement du juge
d'instruction bruxellois de son dossier concernant Bagosora. Nous pouvons également
signaler que le T.P.I.R. a dessaisi la Suisse des enquêtes ouvertes contre Alfred Musema pour
les violations du droit international humanitaire commises à Kibuye.725
Par ailleurs, la primauté des T.P.I. ad hoc se manifeste par leur pouvoir de renvoi de certaines
affaires aux juridictions nationales. En effet, conformément à la stratégie d’achèvement de
leurs travaux, les T.P.I.Y. et T.P.I.R. doivent « renvoyer les affaires impliquant des accusés de
rang intermédiaire et subalterne devant les juridictions nationales. » Ce renvoi est consacré
par les articles 11 bis des Règlements de procédure et de preuve du T.P.I.Y. et du T.P.I.R.
Selon cette procédure, les États visés sont tenus de terminer les affaires qui leur sont
renvoyées et doivent donner les garanties que l’accusé bénéficiera d’un procès équitable et
qu’il ne sera pas condamné à la peine capitale ni exécuté. À ce titre, dans ses résolutions
1503 du 28 août 2003 et 1534 du 26 mars 2004, le Conseil de sécurité a rappelé l’importance
cruciale du renforcement des systèmes judiciaires nationaux compétents pour l’état de droit et
la mise en œuvre de la stratégie d’achèvement des travaux des T.P.I. Il a « demand[é] à la
communauté internationale d’aider les juridictions nationales à renforcer leurs capacités afin
qu’elles puissent connaître des affaires que leur auront renvoyées le Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie et le Tribunal pénal international pour le Rwanda ». C’est
pour se conformer à cette exigence que le Rwanda a adopté en 2007 une loi abolissant la un juge fédéral a ordonné le transfert de Ntakirutimana au T.P.I.R., In the matter of Surrender of Elizaphan Ntakirutimana. Misc. No.1-96-5. United States District for the Southern District of Texas, Laredo Division. 1997 U.S. Dist. LEXIS 20714. December 17, 1997. Cf. B. S. BROWN, “Primacy or Complementarity : Reconciling the Jurisdiction of National Courts and International Criminals Courts”, Yale Journal of International Law, vol. 23, n° 2, Summer 1998, pp. 411-413; et J. J. PAUST, “The Freeing of Ntakirutimana in the United States and ’Extradition’to the ICTR”, Y.H.I.L., vol. 1, 1998, pp. 205-209. 723.Decision in the Matter of a Proposal for a Formal Request for Deferral to the Competence of the tribunal, IT-94-1-D. 724.T.P.I.R, Théoneste Bagosora, affaire n°ICTR-96-7-T, Décision de la Chambre première instance sur la requête introduite par le Procureur aux fins d’obtenir une demande officielle de dessaisissement en faveur du T.P.I.R. dans le cadre de l’affaire T. Bagosora du 17 mai 1996, Recueil 1995/1996, p. 87. 725.T.P.I.R., Alfred Musema, Décision de la Chambre de première instance statuant sur la requête introduite par le Procureur aux fins d’obtenir une demande officielle de dessaisissement en faveur du T.P.I.R. dans le cadre de l’affaire Musema conformément à l’article et 10 du Règlement, 12 mars 1996, Recueil 1995/1996, p. 387.
240
peine de mort. À ce jour, huit affaires concernant treize personnes mises en accusation par le
T.P.I.Y. ont été renvoyées aux juridictions nationales dans des pays de l’ex-Yougoslavie,
principalement en Bosnie-Herzégovine. S’agissant du T.P.I.R., au 10 mai 2013, dix affaires
ont été renvoyées devant des juridictions nationales (quatre concernant des accusés
appréhendés et six concernant des fugitifs).726 Les affaires renvoyées sont jugées
conformément aux lois nationales de l’État en question mais sur la base de l’acte d’accusation
du T.P.I.Y ou du T.P.I.R., selon le cas, et des preuves fournies par les Procureurs de ces
tribunaux. Ce qui constitue une preuve de plus de la soumission des juridictions nationales
aux T.P.I ad hoc.
En définitive, la primauté des T.P.I. ad hoc sur les juridictions nationales apparaît comme une
des manifestations des atteintes au domaine de compétence nationale de l’État. En effet, dans
le cadre des relations avec ces juridictions, l’État se voit non seulement imposer leur création
mais doit aussi accepter de se placer en dessous d’elles en écartant sa compétence nationale à
leur profit. La primauté des T.P.I. remet en cause le principe selon lequel la répression des
personnes physiques auteurs de violations du droit international humanitaire relève de la
compétence exclusive de l’État car, « les États qui se heurteraient au Conseil de sécurité, dont
les ressortissants seraient concernés par l’action du Tribunal, devraient donc lui céder leur
compétence juridictionnelle de façon expresse ; c’est la technique de ceded jurisdiction »727.
2. La complémentarité entre la compétence de la C.P.I. et les compétences des
juridictions nationales
Si les compétences des T.P.I.Y. et T.P.I.R. priment sur les compétences nationales, celle de la
Cour pénale internationale est complémentaire à celle des juridictions pénales nationales.
Cette complémentarité est énoncée dans le préambule (considérant 10), à l’article 1er et ressort
également de l’article 17 § 1 du Statut de Rome.728 Le principe de complémentarité de la Cour
726.Voir Rapport du Président du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, (période comprise entre le 16 novembre 2012 et le 23 mai 2013), p. 12, S/2013/308. ; Rapport sur la stratégie d’achèvement des travaux du Tribunal pénal international pour le Rwanda (au 10 mai 2013), p. 4, S/2013/310. 727.C. HOLLWEG, « Le nouveau Tribunal international de l’O.N.U et le conflit en ex-Yougoslavie… », op. cit., n. 717, p. 1371. 728.Aux termes de l’article 17 §1 l’irrecevabilité d’une affaire sera prononcée par la Cour lorsqu’elle fait l’objet d’une enquête ou de poursuites de la part d’un État qui a compétence en l’espèce, à moins que cet État n’ait pas la volonté ou soit dans l’incapacité de mener l’enquête ou les poursuites ; lorsqu’elle a fait l'objet d'une enquête de la part d'un État ayant compétence en l'espèce et que cet État a décidé de ne pas poursuivre la personne concernée, à moins que cette décision ne soit l'effet du manque de volonté ou de l'incapacité de l'État de mener véritablement à bien des poursuites ; lorsque la personne concernée a déjà été jugée pour le comportement
241
signifie qu’elle n’intervient que lorsque les juridictions nationales compétentes refusent ou
sont dans l’incapacité de juger effectivement les auteurs présumés des crimes internationaux
les plus graves. Il suppose donc que les États aient pris des mesures à l’échelon national pour
exercer leur compétence pénale sur les auteurs de tels crimes. En vertu de ce principe, les
affaires qui ont été déjà jugées, qui ont fait ou font l'objet d'une procédure devant une instance
judiciaire nationale, ne pourront plus être déférées devant la Cour ; si cela arrivait, celle-ci
doit les déclarer irrecevables.729 Par conséquent, la Cour n’intervient que subsidiairement
lorsqu’un État n’a pas exercé sa compétence, soit en cas de carence ou de manque de volonté
de sa part. La carence de l’État consiste en son incapacité, « en raison de l’effondrement de la
totalité ou d’une partie substantielle de son propre appareil judiciaire ou de l’indisponibilité
de celui-ci, de se saisir de l’accusé, de réunir les éléments de preuve et les témoignages
nécessaires ou de mener autrement à bien la procédure. »730 Quant au manque de volonté de
l’État, il s’analyse par la détection d’une ou de plusieurs circonstances telles que des
poursuites engagées dans le seul but de soustraire la personne poursuivie à la compétence de
la Cour, des retards injustifiés ou l’absence d’indépendance ou d’impartialité de la justice au
point d’entamer la volonté réelle de l’État de poursuivre l'auteur présumé de crimes
internationaux.731 Sous ce rapport, il s’agit ici davantage d’une subsidiarité que d’une
complémentarité entre la Cour et les juridictions nationales. Dès lors, toute saisine de la C.P.I.
traduit une substitution de sa compétence à celle de l’État concerné. C’est pourquoi la justice
pénale internationale, à travers la C.P.I., se présente comme un palliatif à la défaillance de la
compétence pénale nationale. À ce titre, le professeur Serge Sur écrit :
« […] dès lors que la compétence de la CPI est subsidiaire et ne s’exerce que si les États
concernés ne mettent pas en œuvre leur propre compétence, saisir la Cour est en soi une
critique des États, un recours en carence implicite, puisque cette saisine signifie que les États
n’ont pas agi comme ils auraient dû le faire. L’existence de la Cour n’est pas seulement une
prothèse qui vient réparer une lacune objective de la compétence pénale. Elle est un
mécanisme substitutif dont la mise en œuvre accuse le défaut subjectif du fonctionnement
des systèmes judiciaires des États. Derrière chaque procès individuel organisé par la Cour,
on trouvera en filigrane le procès des carences étatiques. Les États qui acceptent cette
compétence ont en quelque sorte intériorisé leur insuffisance et accepté leur défaite. Il n’est
faisant l'objet de la plainte, et qu'elle ne peut être jugée par la Cour en vertu de l'article 20, paragraphe 3 ; ou encore lorsque l'affaire n'est pas suffisamment grave pour que la Cour y donne suite. 729.Aux termes de l'article 18 du Statut, le procureur doit informer les États dès le début de l'enquête. L'État dont le suspect a la nationalité dispose d'un délai d'un mois pour faire connaître l'état des poursuites concernant cette personne. L'existence de telles poursuites oblige le procureur à suspendre l'instruction. 730. § 3 de l’article 17 du Statut de la Cour. 731. § 2 de l’article 17 et article 20 § 3 (a) et (b) du Statut de la C.P.I.
242
dès lors pas surprenant que les plus chauds partisans de la CPI se trouvent parmi ceux qui
considèrent qu’il faut dépasser l’État, institution inadaptée et vieillie aux besoins nouveaux
de l’organisation et de la gestion des sociétés et qui réclament une nouvelle
gouvernance. »732
Le principe de la complémentarité traduit l’idée « qu'il est du devoir de chaque État de
soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux ».733 Autrement
dit, la répression pénale des violations du droit international commises par des individus
relève en principe de la compétence nationale de l’État. Par conséquent, la priorité de la
répression doit être reconnue aux juridictions internes dont la compétence s’exerce a priori
avant celle de la C.P.I. Ainsi conçu, le principe de complémentarité de la Cour garantit
théoriquement le respect de la compétence nationale en matière de répression des crimes
internationaux les plus graves. Il est la traduction de la volonté des États de rester maîtres de
leurs prérogatives en gardant leur compétence répressive ab initio. Toutefois, la pratique
semble plutôt révéler une tendance à la primauté de la Cour sur les juridictions nationales car
certaines affaires ont révélé une vraie propension de sa part à reléguer au second plan la
volonté de certains États d’exercer leur compétence pénale nationale. Ains, dans l’enquête sur
la situation au Kenya, c’est le procureur de la C.P.I qui a demandé l’ouverture d’une enquête
de sa propre initiative, proprio motu734, sans que la situation ait été renvoyée au préalable à la
Cour par un État partie ou par le Conseil de sécurité. C’est ainsi que, le 31 mars 2010, les
juges de la Chambre préliminaire II l’ont autorisé à ouvrir une enquête sur les crimes contre
l’humanité qui auraient été commis au Kenya dans le cadre des violences postélectorales de
2007-2008. Suite à l’enquête du Procureur, la Chambre préliminaire II a délivré, le 8 mars
2011, six citations à comparaître à l’encontre de hauts responsables politiques suspectés de
crimes contre l’humanité. Or, le gouvernement kenyan avait manifesté sa volonté de
poursuivre les auteurs présumés de crimes contre l’humanité. Les autorités kényanes avaient
transmis au Procureur des informations sur les mesures de protection des témoins et sur les
procédures légales qu’elles avaient entamées et qui ont permis, entre autres, la création d’une
commission vérité, justice et réconciliation. Le gouvernement kenyan avait également créé la
Commission Waki pour enquêter sur les violences postélectorales. Cette commission avait
rassemblé un certain nombre d’éléments sur la base desquels elle a fait des recommandations
au gouvernement kenyan. Suivant ces recommandations, les autorités kenyanes ont entrepris
des réformes constitutionnelles pour permettre la création d’un tribunal spécial. Même si ces
732.S. SUR, « Le droit international pénal entre l’État et la société internationale », op. cit., n. 636, p. 9. 733.Préambule du Statut de Rome, 6è considérant. 734.Conformément à l’article 15 du Statut de Rome.
243
réformes n’ont pas été adoptées par le Parlement avant la fin septembre 2009, date limite
d’ouverture de l’enquête fixée par le procureur de la Cour et une délégation kenyane envoyée
à la Cour en juillet 2009, on ne peut pas nier qu’il y avait une volonté de l’État kenyan de
mettre en œuvre sa compétence pénale nationale. Cette volonté s’est également manifestée par
le dépôt, le 31 mars 2011 par l’État kenyan conformément à l’article 19 (2) (b) du Statut de la
Cour735, d’une requête contestant la recevabilité des affaires en question. À l’appui de cette
requête, le Kenya avait fourni des documents attestant qu’il était en train d’opérer des
réformes de son système judiciaire pour se donner les moyens d’engager les enquêtes et les
poursuites.736 En dépit de tout cela, le 30 mai 2011, la Chambre préliminaire II a rejeté la
demande d’irrecevabilité des affaires présentée par le gouvernement kenyan et, le 30 août
2011, la Chambre d’appel de la Cour a confirmé la recevabilité des deux affaires, rejetant
ainsi les arguments de l’État kenyan. Cette affaire montre bien que le principe de
complémentarité entre la C.P.I. et les juridictions pénales nationales ne garantit pas toujours le
respect de la volonté et de la compétence pénale nationale des États. En effet, cette affaire
révèle « en vérité, […] une forme de primauté excédant les hypothèses explicitement posées
par le Statut de la Cour… Il s’agit plus brutalement, d’une forme de confiscation du pouvoir
pénal du Kenya… »737
Cette tendance de la Cour à s’émanciper de la volonté de certains États d’exercer leur
compétence pénale remet en cause le principe de complémentarité de la C.P.I. et consacre sa
primauté de fait sur les juridictions pénales nationales de ces États. Cette tendance à la
primauté de la C.P.I. sur les juridictions nationales se manifeste aussi et surtout lorsque la
saisine de la Cour est du fait du Conseil de sécurité de l’O.N.U. comme le montre l’affaire
libyenne. Dans cette affaire, après la saisine de la Cour par le Conseil de sécurité738,
l’émission de mandats d’arrêt internationaux contre Mouammar Kadhafi, Saïf Al-Islam et
Abdallah Al-Senoussi739 et l’arrestation des deux derniers, il s’est engagé un bras de fer entre
735.En vertu de cette disposition, peut contester la recevabilité d’une affaire ou la compétence de la Cour, « l’État qui est compétent à l’égard du crime considéré du fait qu’il mène ou a mené une enquête, ou qu’il exerce ou a exercé des poursuites en l’espèce ». 736.Sur les éléments d’information et la documentation fournis par l’État kenyan à l’appui de l’exception d’irrecevabilité qu’il a soulevée, voir ICC, Appeals Chamber, 20 september 2011, Dissenting opinion of Judge Anita Usacka, § 6 à 13, disponible sur : http://www.icc-cpi.int/iccdocs/doc/doc1234872.pdf 737.R. MAISON, « Propos introductifs » de l’atelier sur la souveraineté en matière pénale, in S.F.D.I., L’État dans la mondialisation, Colloque de Nancy, Paris Pedone, 2013, p. 431. Voir également l’opinion dissidente de la juge Anita Usacka, § 16 et s. 738.Pour rappel, la Libye n’est pas partie au Statut de Rome instituant la C.P.I. Mais le défaut de ratification du Statut de Rome par un État ne fait pas obstacle à l’exercice de la juridiction de la Cour lorsque notamment elle est saisie par le Conseil de sécurité. 739.Après la disparition de Mouammar Kadhafi, la Cour (Chambre préliminaire I) clôtura l’affaire à son encontre le 22 novembre 2011. Saïf Al-Islam a été arrêté 19 novembre 2011 dans le sud de la Libye. Abdallah Al-
244
les nouvelles autorités libyennes et la Cour qui se disputent le droit de les juger. En dépit de la
volonté du gouvernement libyen d’exercer sa compétence pénale conformément au principe
de la territorialité, la C.P.I. a maintenu sa volonté de les juger. En effet, les autorités libyennes
avaient déposé le 1er mai 2012 une requête contestant la recevabilité devant la C.P.I. des
affaires en question. La Cour avait indiqué que la Libye pouvait garder Saïf Al-Islam dans
l'attente d'une issue au bras de fer qui les oppose. Mais le 31 mai 2013, la Chambre
préliminaire I rejeta l’exception d’irrecevabilité soulevée par les autorités libyennes
concernant l’affaire à l’encontre de Saïf Al-Islam et rappela l’obligation de la Libye de le
remettre à la Cour. Le mois suivant – en juin-, les autorités libyennes avaient présenté une
demande de suspension de cette remise dans l’attente de la décision sur l’appel interjeté à
l’encontre de la décision de la chambre préliminaire I rejetant l’exception d’irrecevabilité.
Mais la Cour persiste dans sa volonté d’occulter celle de l’État libyen en ne tenant pas ainsi
compte du principe de complémentarité entre elle et les juridictions nationales, lequel
constitue une pierre angulaire des règles relatives à sa compétence et sans l’adoption duquel
elle n’aurait peut-être pas était créée.740
Dans cette mesure, la saisine de la C.P.I. par le Conseil de sécurité entraîne théoriquement la
mise à l’écart des dispositions du Statut de Rome régissant le principe de complémentarité car
cette saisine constitue en soi une exception aux règles de recevabilité des affaires par la
juridiction internationale.741 Autrement dit, en déclenchant l’action de la C.P.I. comme mesure
du Chapitre VII, le Conseil de sécurité décide que les juridictions des États membres de
l’O.N.U., parties ou non au Statut de Rome, sont incompétentes pour connaître des crimes
internationaux commis sur leur territoire, par ou sur leurs nationaux.742 Au final, même si les
États conservent leur compétence pénale répressive, l’existence de juridictions pénales
internationales exerçant des compétences concurrentes avec eux consacre un net recul du
domaine matériel de compétence nationale. La primauté des T.P.I. ad hoc sur les juridictions Senoussi a, quant à lui, été arrêté le 17 mars 2012 en Mauritanie et extradé vers la Libye en septembre de la même année. 740.M.-S. BERGER, « La compétence complémentaire de la Cour pénale internationale à l’épreuve de l’affaire libyenne », in S.F.D.I., L’État dans la mondialisation, Colloque de Nancy, Paris, Pedone, 2013, p. 471. La question des rapports entre la Cour et les juridictions internes a suscité des divergences étatiques pendant les travaux préparatoires de Rome. Voir à ce sujet : J. F. DOBELLE, « La Convention de Rome portant statut de la Cour pénale internationale », A.F.D.I., vol. 44, 1998, p. 362. 741.Ibid., p. 471. 742.Il convient cependant de signaler que toute saisine de la C.P.I. par le Conseil de sécurité n’entraîne pas nécessairement l’ouverture d’une enquête par le Procureur et que, par ailleurs, même en cas d’engagement des poursuites, les États peuvent soulever l’exception d’irrecevabilité pour demander à la Cour de se dessaisir. Autrement dit, c’est exclusivement la Cour qui, décidant de l’opportunité des poursuites, jugeant de la volonté ou de la capacité de l’État à poursuivre, peut décider de l’incompétence des juridictions internes sur une affaire. Voir M.-S. BERGER, « La compétence complémentaire de la Cour pénale internationale …», op. cit., n. 740, pp. 474 et s.
245
nationales et la complémentarité de la C.P.I. avec elles traduisent également ce recul. En effet,
ces deux principes d’articulation des compétences ont des implications qui confirment la
dynamique de soumission des États à des obligations internationales dans tous les domaines.
§ 2 : Les implications des principes de répartition de la compétence répressive entre
les juridictions pénales internationales et les juridictions nationales
Les États, parce qu’ils sont souverains, disposent du monopole de la contrainte sur leur territoire.
En vertu de cet attribut de la souveraineté, ils exercent la répression pénale sur les personnes
relevant de leur juridiction. Ils disposent à cet effet de moyens – police, gendarmerie,
administration pénitentiaire – pour rechercher les éléments de preuve, recueillir les témoignages
et assurer l’exécution des décisions judiciaires. À l’inverse, les juridictions pénales internationales
n’ont pas à leur disposition de tels moyens, si bien que, pour être efficace, toute action de leur part
en matière de répression pénale nécessite la collaboration effective des États. C’est pourquoi, les
principes régissant l’articulation des compétences entre les organes judiciaires nationaux et les
juridictions pénales internationales consacrent l’obligation de coopération des États avec ces
juridictions (1). Celles-ci, parce qu’elles défendent les intérêts plus importants que ceux
particuliers des États, ont la possibilité de contrôler les systèmes judiciaires nationaux et de réviser
les décisions (2) qui en émanent lorsque celles-ci risquent de ne pas aller dans le sens des intérêts
de la communauté internationale.
1. L’obligation générale de coopération des États avec les juridictions pénales
internationales
La coopération entre les États en matière pénale est une donnée réelle ancienne des relations
internationales. Elle est organisée dans le cadre de conventions internationales et se traduit par
diverses modalités parmi lesquelles l’extradition et l’entraide judiciaire sont les plus
couramment consacrées.743 L’originalité avec les juridictions pénales internationales est que
les États sont assujettis à l’obligation de coopérer avec elles, même si elles ne sont pas créées
par la voie conventionnelle par laquelle les États expriment généralement leur volonté et leur
743.Parmi les autres modalités, on a notamment la collecte et l’échange d’information entre les services de renseignements, de détection et de répression, le transfert des procédures pénales, l’exécution des condamnations étrangères (le transfèrement des personnes condamnées), la reconnaissance des jugements pénaux étrangers. Voir W. BOURDON, « La coopération judiciaire interétatique », in H. ASCENSIO, E. DECAUX et A. PELLET (dirs.), Droit international pénal, CEDIN Paris X, Paris, Pedone, 2000, pp. 921-931.
246
consentement à être liés par des obligations internationales. Ainsi dans le cadre des T.P.I. ad
hoc pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, l’obligation de coopération est rappelée dans le
paragraphe 4 de la résolution 827 et le paragraphe 2 de la résolution 955 créant
respectivement ces deux juridictions. On la trouve également aux articles 29 du Statut du
T.P.I.Y. et 28 du Statut du T.P.I.R. Cette obligation générale comprend toute une série
d’obligations spécifiques à chaque domaine comme l’identification et la recherche des
personnes, le transfert ou à la traduction des accusés devant les T.P.I., l’adoption de mesures
internes de mise en œuvre pour satisfaire aux nécessités de la coopération pleine et entière
avec les T.P.I., etc.
Les T.P.I. ad hoc étant créés par le Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII, l’obligation
de coopération lient tous les États membres conformément à l’article 25 de la Charte des
Nations Unies par lequel ils ont convenu d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de
sécurité.744 Il s’agit, comme l’a souligné la Chambre d’appel du T.P.I.Y.745, d’une obligation
erga omnes, c’est-à-dire une obligation incombant à tous les États envers la communauté
internationale dans son ensemble, chaque État ayant un intérêt juridique « à ce que ces droits
soient protégés ».746
Dans le cadre de la C.P.I., les États sont, en vertu de l’article 86 du Statut de Rome, également
tenus par l’obligation générale de coopérer pleinement avec la Cour dans les enquêtes et
poursuites qu'elle mène pour les crimes relevant de sa compétence. Cette obligation peut se
traduire par l’exigence de réponses aux demandes de coopération adressées par la Cour aux
États parties et qui peuvent notamment concerner l’arrestation d’une personne, sa remise ou
l’assistance concernant l’identification d’une personne, le rassemblement d’éléments de
preuve, la signification de documents, l’examen de localités ou de sites etc. Dans cette
perspective, l’article 99 du Statut de Rome reconnaît au Procureur le pouvoir de procéder
notamment à certains actes d’enquête sur le territoire d’un État partie sans contrainte, y
compris en l’absence des autorités de cet État. Il peut notamment recueillir une déposition ou
744.Le fondement juridique de l’obligation de coopérer peut également découler de l’article 48 de la Charte des Nations Unies selon lequel « 1. Les mesures nécessaires à l'exécution des décisions du Conseil de sécurité pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales sont prises par tous les Membres des Nations Unies ou certains d'entre eux, selon l'appréciation du Conseil. 2. Ces décisions sont exécutées par les Membres des Nations Unies directement et grâce à leur action dans les organismes internationaux appropriés dont ils font partie. » 745.T.P.I.Y., App. e Procureur c. Tihomir Blaskic, Arrêt relatif à la requête de la République de Croatie aux fins d’examen de la décision de la Chambre de première instance II rendue le 18 juillet 1997, Affaire IT-95-14-AR 108bis, 29 octobre 1997, p. 17, § 26. 746.Affaire de la Barcelona, p. 3, § 33, précité n. 143. Sur les obligations erga omnes, cf. supra Titre I de cette partie, Chapitre I, Section 1, § 2, (2.1).
247
inspecter un site public ou autre lieu public. Mais la portée de l’obligation de coopération
varie selon que la saisine de la Cour est du fait d’un État partie, du Procureur ou du Conseil de
sécurité. Lorsque la Cour est saisie par un État partie ou à l’initiative du Procureur,
l’obligation de coopérer trouve son fondement dans le Statut de Rome et revêt donc un
caractère conventionnel. À cet égard, en vertu du principe de l’effet relatif des traités, cette
obligation ne s’applique qu’aux États parties. Il s’agit d’une obligation conventionnelle ou
multilatérale, erga omnes partes. En d’autres mots, seuls les États parties au Statut de la Cour
ont un intérêt juridique à demander son respect par un État refusant d’exécuter les demandes
de coopération de la Cour. Ainsi, lorsqu’un État partie ne remplit pas son obligation de
coopération, la Cour en prend acte et transfère l’affaire à l’Assemblée des États parties.
En revanche, lorsque la saisine est du fait du Conseil de sécurité, l’obligation de coopération
présente une portée universelle, erga omnes comme dans le cadre des T.P.I. ad hoc. En effet,
la Cour n’agit pas ici comme une institution intergouvernementale, mais en tant
qu’instrument, organe subsidiaire du Conseil de sécurité non pas du fait de sa création mais de
sa fonction dans le domaine du maintien de la paix opposable aux États parties et aux États
non parties.747 En cas de saisine par le Conseil de sécurité, l’obligation de coopération avec la
Cour qui pèse sur les États, en particulier les États non parties au Statut de Rome, ne découle
pas directement dudit Statut mais de la force contraignante de la résolution par laquelle le
Conseil décide de déférer une situation devant la Cour. D’ailleurs, dans les cas soudanais et
libyen, le Conseil n’a pas manqué de rappeler cette obligation de coopération en des
termes clairs et fermes. Il « décide que les autorités libyennes doivent coopérer pleinement
avec la Cour et le Procureur et leur apporter toute l’assistance voulue, en application de la
présente résolution et, tout en reconnaissant que le Statut de Rome n’impose aucune
obligation aux États qui n’y sont pas parties, demande instamment à tous les États et à toutes
les organisations régionales et internationales concernées de coopérer pleinement avec la Cour
et le Procureur ».748 À ce titre, lorsqu’un État, partie ou tiers au Statut de Rome, ne satisfait
pas aux demandes de coopération de la Cour, celle-ci prend acte et s’en réfère au Conseil de
sécurité. Celui-ci peut alors, comme dans le cadre des T.P.I. ad hoc qu’il a créés, adopter
747.S. A. NDIAYE, « CPI/Soudan, venue du président AL BASHIR à Djibouti : l’universalisme pénal mis à l’épreuve », Bulletin Sentinelle, n° 266, 22 mai 2011 ; M. S. HELALI, « Le Conseil de sécurité des Nations Unies et la souveraineté pénale des États : limitation ou partage ? », in S.F.D.I., L’État dans la mondialisation, Colloque de Nancy, Paris, Pedone, p. 444. 748. § 5 de la résolution 1970 du 26 février 2011. Pour le Soudan, le Conseil s’est ainsi exprimé : « Décide que le Gouvernement soudanais et toutes les autres parties au conflit du Darfour doivent coopérer pleinement avec la Cour et le Procureur et leur apporter toute l’assistance nécessaire conformément à la présente résolution et, tout en reconnaissant que le Statut de Rome n’impose aucune obligation aux États qui n’y sont pas parties, demande instamment à tous les États et à toutes les organisations régionales et internationales concernées de coopérer pleinement », § 2 de la résolution 1593 du 31 mars 2005.
248
toutes les mesures qu’il juge appropriées contre l’État récalcitrant. Dans la pratique, le
Conseil de sécurité s’est toujours contenté de rappeler aux États leurs obligations de mettre en
conformité leurs législations nationales, de se conformer aux demandes d’assistance ou aux
ordonnances émanant des T.P.I. ; il a également envisagé l’application de mesures coercitives
d’ordre économique afin de faire en sorte que toutes les parties s’acquittent de leurs
obligations.749 Dans cette mesure,
« l’obligation de coopérer est un devoir pour les membres de la communauté internationale,
sur la base d’un lien de droit international, d’agir conjointement avec les juridictions pénales
internationales, aux fins de rechercher et juger les auteurs des crimes internationaux, et de
contribuer ainsi à lutter contre l’impunité et à prévenir la commission de nouveaux
crimes. »750
Dès lors, même si l’effectivité de cette obligation de coopération est largement tributaire de la
bonne volonté des États, surtout dans le cadre de la C.P.I. - eu égard à son origine
conventionnelle, aux dérogations prévues par le Statut au titre de la sécurité nationale et au
rôle accordé aux législations nationales -, il est clair que son institution traduit une certaine
évolution dans la conception, les contours et les limites de la compétence nationale en matière
pénale dans la société internationale contemporaine. En effet, sa mise en œuvre effective
révèle une certaine soumission des États à l’autorité des juridictions pénales internationales
qui peuvent aussi exercer un pouvoir de contrôle sur leurs systèmes judiciaires et
s’émancipent de leur volonté législative.
2. Le pouvoir de contrôle des juridictions pénales internationales sur les
systèmes judiciaires nationaux
La mise en œuvre de la compétence pénale nationale en matière de répression des crimes
internationaux est fortement encadrée par des règles internationales qui visent à lutter contre
l’impunité. Celles-ci essaient d’empêcher que les auteurs présumés de violations graves du
droit international échappent à leur responsabilité pénale individuelle en raison par exemple
des carences des systèmes judiciaires nationaux ou du manque de volonté des États. À ce titre,
les juridictions pénales internationales peuvent entreprendre de nouvelles poursuites alors que
les crimes entrant dans leur compétence ont déjà été jugés par une juridiction pénale 749.Voir S/PV.3663, 8 mai 1996, p. 2, S/PV.3687, 8 août 1996, p. 4. 750.M. UBÉDA, « L’obligation de coopérer avec les juridictions internationales », in H. ASCENSIO, E. DECAUX et A. PELLET (dir.), Droit international pénal, CEDIN Paris X, Paris, Pedone, 2000, p. 951.
249
nationale.751 Cela signifie que l’exercice de la compétence pénale nationale n’empêche pas
nécessairement, en dépit du principe non bis in idem752, les juridictions pénales internationales à
initier de nouvelles poursuites. En effet, les décisions des juridictions internes ne lient pas les
juridictions pénales internationales lorsque la justice nationale a été jugée insuffisante ou
complaisante eu égard à ses carences ou au manque de volonté réelle de juger les auteurs
présumés de crimes internationaux.753 Lorsque la juridiction nationale n’a pas statué de façon
impartiale ou indépendante, ou lorsque la procédure a été engagée dans le but de soustraire
l’accusé à la justice pénale internationale ou encore lorsqu’elle n’a pas été exercée avec une
certaine diligence, les juridictions pénales internationales peuvent intervenir pour rejuger
l’affaire en question. Dans cette mesure, afin d'éviter toute tentative de faire échapper un
suspect à la justice, elles ont un droit de regard et un pouvoir d’évaluation des conditions de
régularité des actions judiciaires menées par les États.
Dans le cadre des T.P.I. ad hoc, l’existence de ce pouvoir de contrôle et d’évaluation trouve
son fondement dans la primauté de ces juridictions sur les juridictions nationales qui, nous
l’avons vu, doivent se dessaisir en cas de demande des T.P.I. S’agissant de la C.P.I., il
convient également de remarquer que la relation de complémentarité entre elle et les
juridictions nationales induit nécessairement un contrôle de la Cour sur l'activité interne des
tribunaux nationaux, et même le cas échéant des organes législatifs. En effet, nous avons vu
que la compétence de la Cour est conditionnée au constat d’un manque de volonté ou d’une
incapacité d’un État à assurer sa compétence pénale nationale. Or, pour déterminer le manque
de volonté de l’État, la Cour s’assurera, eu égard aux garanties d’un procès équitable
reconnues par le droit international, que la procédure n’a pas été engagée ou que la décision de
l’État n’a pas été prise dans le dessein de soustraire la personne concernée à sa responsabilité
pénale pour les crimes internationaux ; la Cour vérifiera également la diligence avec laquelle la
procédure a été menée ainsi que l’indépendance ou l’impartialité de la justice.754 Pour se faire,
la Cour devra se livrer à une analyse approfondie de l’appareil judiciaire en général et de la
qualité du système pénal de l’État concerné en particulier, notamment de sa conformité aux
standards internationaux reconnus en matière de droits de l’homme. Elle devra également 751.Article 10 § 2 du Statut du T.P.I.Y. ; article 9 § 2 du Statut du T.P.I.R. et article 20 § 3 du Statut de la C.P.I. 752.Ce principe n’interdit pas de rejuger des faits. Mais il requiert que la juridiction qui rejuge intègre la peine précédemment exécutée à celle qu’il prononce. C’est pourquoi lorsqu’elles sont amenées à rejuger des faits déjà jugées par une juridiction nationale, les juridictions pénales internationales doivent tenir compte de la peine que le condamné aurait exécutée en vertu du jugement national, voir Comité des droits de l’homme des Nations Unies, A.P. c. Italie, n° 204/1986, 2 novembre 1987, § 73 ; A/43/40, 1988, p. 253 ; T.P.I.Y., Prosecutor c. Tadic, N° IT-94-1-T, Motion on principle of non bis in idem, Trial Chamber II, 14 November 1995, § 19. 753.Articles 12 des Règlements de procédure et de preuve du T.P.I.Y. et du T.P.I.R. ; articles 10 § 2 et 9 § 2 et 20 § 3 des Statuts respectifs du T.P.I.Y., du T.P.I.R. et de la C.P.I. 754.Article 17 § 2.
250
s’assurer que l’État est à même de mener correctement la procédure, c’est-à-dire vérifier qu’il
est en mesure de se saisir de l’accusé, de réunir des éléments de preuve et les témoignages
nécessaires ou de mener autrement à bien la procédure755 en offrant les garanties d’un procès
équitable. Mais en sus de l’évaluation de la volonté pénale de l’État dans un cas d’espèce, la
Cour devra procéder à l’évaluation de la capacité pénale dudit État. Dans cette optique, elle
tiendra compte, conformément à l’article 17 § 3 du Statut de Rome, « de l'effondrement de la
totalité ou d'une partie substantielle de son propre appareil judiciaire ou de l'indisponibilité de
celui-ci ».
Par ailleurs, la mise en œuvre par le droit international de la responsabilité pénale individuelle
implique une limitation du rôle des droits internes. En effet, l’une des conséquences des
principes régissant l’articulation des compétences entre les juridictions pénales internationales
et les juridictions pénales nationales est que certains actes législatifs nationaux dont la mise en
œuvre risque de mettre en échec la responsabilité pénale individuelle756, peuvent être
appréciés voire écartés par les juridictions pénales internationales et singulièrement la C.P.I.
lorsqu’elles examinent la recevabilité d’une affaire. Ça peut être, par exemple, le cas des lois
d'amnistie757 ou de certains textes concernant les immunités des autorités étatiques ou la
prescription de certains crimes. En effet, comme l’a fait remarquer Mireille Delmas-Marty,
« maintenir l’opposabilité de la prescription, de l’amnistie ou de l’immunité, comme les
limitations traditionnelles de compétence, démontre en effet que l’État concerné n’a pas la
volonté, ou se trouve dans l’incapacité, de ‘‘mener véritablement à bien l’enquête ou les
poursuites’’, au sens de l’article 17 du statut de la CPI ».758
En d’autres mots, si les lois nationales d’amnistie ainsi que celles relatives aux immunités et à
la prescription constituent des obstacles à l’exercice des poursuites en droit interne, elles
n’auraient pas une incidence sur la compétence des juridictions pénales internationales. Les
lois d’amnistie pour des individus soupçonnés d’avoir commis des infractions pénales
internationales doivent être considérées comme sans effet à l’égard des juridictions
internationales. Les individus amnistiés demeurent punissables sous le droit international et
peuvent donc être poursuivis par les juridictions pénales internationales. Cela ressort même de
l’arrêt désormais célèbre de la Chambre de première instance du T.P.I.Y. dans l’affaire
755.Article 17 § 3 du Statut de la C.P.I. 756.Voir M. DELMAS-MARTY, « La responsabilité pénale en échec… », op. cit., n. 632, pp. 613-656. 757.L’amnistie est une « mesure qui ôte rétroactivement à certains faits commis à une période déterminée leur caractère délictueux (ces faits étant réputés avoir été licites, mais non pas ne pas avoir eu lieu) », Cf. G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henry CAPITANT, 7è éd., Paris, P.U.F., 2005, p.54 758.M. DELMAS-MARTY, « La responsabilité pénale en échec… », op. cit., (note), p. 655.
251
Furundzjia où il est déclaré que l’interdiction de la torture étant devenue une règle impérative
de droit international, c’est-à-dire une règle de jus cogens, il en découle, entre autres, que les
États ne peuvent pas édicter des lois d’amnistie portant sur la torture.759 Dans ce cas, la
compétence de la C.P.I. par exemple ne serait plus complémentaire de celle des États mais
deviendrait exclusive à l’égard des personnes pouvant opposer une loi d’amnistie, une
immunité ou une prescription vis-à-vis des juridictions nationales ayant décidé d’intenter des
poursuites à leur encontre.760
Au total, la criminalisation du droit international avec la création de juridictions pénales
internationales vient s’ajouter aux nombreuses restrictions du domaine matériel de
compétence nationale. Elle vient aussi entériner l’impossible maintien de la conception
matérielle du domaine réservé à la compétence nationale. En effet, avec les T.P.I. ad hoc, les
juridictions pénales internationalisées créées par le Conseil de sécurité des Nations Unies ou
sous son impulsion, « le voile étatique séparant habituellement l’individu du monde des
normes de droit international a ainsi été [définitivement] déchiré »761. L’avènement d’une
justice pénale internationale autoritaire primant sur les juridictions nationales vient consacrer
une révolution juridique qui remet en cause le dogme traditionnel du monopole étatique de la
compétence répressive. De même, l’institution de la C.P.I., juridiction pénale internationale
permanente avec une saisine ouverte à des organes autres que les États souverains, à savoir le
Procureur et le Conseil de sécurité, consacre de manière permanente un partage de la
compétence pénale entre l’État et des autorités internationales qui de plus en plus ont
tendance à s’émanciper de sa volonté et à le dominer. En effet, bien des aspects de la
souveraineté, par exemple la compétence territoriale des États, l’autonomie du droit pénal
national ou la qualité de ressortissant, sont remis en cause par l’apparition d’une capacité de
sanction par des autorités internationales762. Comme le souligne Yves Daudet :
« la justice pénale internationale est […] un autre exemple caractéristique de contrôle de
l’exercice de la souveraineté et de limitations dans l’exercice de celle-ci. Elle contribue à
progressivement instiller dans les esprits l’idée que des fonctions régaliennes (légiférer,
juger, punir, etc.) puissent être disjointes de la notion de souveraineté avec laquelle elles
759.Voir arrêt du 10 décembre 1999, § 153-155. 760.M. DELMAS-MARTY, « La responsabilité pénale en échec… », op. cit., n. 632, p. 655. 761.H. ASCENSIO, « L’apport des Tribunaux pénaux internationalisés à la définition des crimes internationaux », in H. ASCENSIO, E. LAMBERT-ABDELGAWAD, J.-M. SOREL (dirs.), Les juridictions pénales internationalisées (Cambodge, Kosovo, Sierra Leone, Timor Leste), Paris, Société de législation comparée, 2006, p. 70. 762.A. CASSESE et M. DELMAS-MARTY, (dirs.), Crimes internationaux et juridictions internationales, Paris, P.U.F., 2002, pp. 7-8.
252
avaient jusqu’à présent partie indissolublement liée, pour être exercées, de manière distincte,
par des autorités internationales. »763
On peut donc constater que, dans la mise en œuvre de la responsabilité pénale individuelle par
le droit international, l’État est progressivement soumis à des règles internationales qui
contribuent à l’édification d’un ordre public international pour la lutte contre l’impunité des
auteurs de crimes les plus graves touchant la communauté internationale dans son ensemble.
Ces règles limitent non seulement sa liberté d’action mais l’obligent également à adopter une
conduite conforme aux exigences d’une justice pénale internationale effective et efficace en
acceptant notamment de coopérer avec les juridictions mises en place à cet effet.
763.Y. DAUDET, « L’exercice de compétences territoriales par les Nations Unies », op. cit., n. 519, p. 20.
253
CONCLUSION DU TITRE II
La prise en compte progressive par le droit international du mode d’organisation et de
fonctionnement interne des États à travers l’émergence d’un principe de légitimité
démocratique (obligation d’être démocratique) ainsi que la mise en œuvre de la responsabilité
pénale individuelle par des autorités internationales constituent deux des évolutions les plus
manifestes du droit international depuis la fin de la guerre froide. En effet, pendant longtemps
considéré comme indifférent au choix du système politique, économique et social, le droit
international consacre de plus en plus de règles (sur les droits de l’homme notamment) et de
valeurs (la paix, par exemple) dont le respect de la part de l’État exige de lui le choix d’un
régime politique à mieux de les garantir. C’est ainsi que la démocratie est désormais érigée en
norme de gouvernance des États modernes car considérée comme le régime qui est le plus
propice à l’existence d’une paix durable en garantissant le mieux le respect des droits de
l’homme, la résolution des différends par le droit et la soumission de tous au droit. Comme l’a
bien fait remarquer le professeur Jean-Denis Mouton, on est dans un contexte de « droit
mondialisé qui se concrétiserait par un triptyque ‘‘droits de l’homme – démocratie pluraliste –
État de droit’’, d’inspiration libérale, qui serait lié à la problématique de ‘‘la bonne
gouvernance’’, développée par un certain nombre d’institutions internationales, dont les
Nations-Unies ». Et l’auteur de préciser qu’« à travers cette tendance unificatrice, on verrait
se profiler un modèle d’État ainsi promu ».764
De même, longtemps associée à la compétence notamment territoriale ou personnelle des
États souverains, la répression pénale des crimes internationaux est désormais au cœur des
activités des juridictions internationales. L’existence de ces juridictions dotées de
compétences concurrentes ou complémentaires à celles des États pose naturellement la
question de la conciliation de la souveraineté pénale des États avec les impératifs de la justice
pénale internationale. La justice internationale s’étend désormais à la matière pénale,
surplombant les États et pouvant même viser les chefs d’État en exercice, alors que le droit de
punir, comme les forces de police qui le sous-tendent, est traditionnellement associé à la
souveraineté des États.765
764.J.-D. MOUTON, « Rapport introductif. La mondialisation et la notion d’État », in S.F.D.I., L’État dans la mondialisation, Colloque de Nancy, Paris, Pedone, p. 13. 765.A. CASSESE et M. DELMAS-MARTY (dirs.), Crimes internationaux et juridictions internationales, op. cit., n. 762, p. 8.
254
La conséquence de ces évolutions progressives est que, en l’état actuel de la société
internationale et du droit international, il est difficile d’affirmer l’existence de domaines ou
matières dans lesquels l’État jouit d’une liberté totale et absolue parce qu’il y échappe à toute
obligation juridique ou que les exigences de son appartenance à la communauté internationale
lui laissent cette liberté. En effet, des domaines ou matières qui étaient considérées comme
jadis relevant de la compétence nationale exclusive des États (choix du régime politique et
monopole de la répression pénale sur les personnes se trouvant sur son territoire) font
désormais l’objet d’obligations juridiques internationales de plus en plus nombreuses et
exigeantes. À cet égard, contrairement à ce qu’affirment les théoriciens du domaine réservé
par nature, il n’existe en fait aucune matière qui par sa nature même serait réservée au droit
national et ne pourrait être réglée par le droit international. Celui-ci peut régler n’importe
quelle matière, même celles qui sont normalement réglées par le droit national.766
Aujourd’hui, tant dans l’organisation gouvernementale ou administrative, que dans
l’organisation économique et sociale ou l’exercice de la compétence pénale nationale, le droit
international et les nécessités de la vie internationale apportent plusieurs limitations à la
liberté des États.
Par ailleurs, les pouvoirs étendus du Conseil de sécurité en matière de maintien de la paix et
de la sécurité internationales lui permettent d’élargir ses compétences et ses capacités d’action
à tous les domaines ou matières. Ainsi, que ce soit dans le choix du système politique ou
encore dans la mise en œuvre de la responsabilité pénale individuelle, il peut, par les pouvoirs
discrétionnaires qu’il tient du Chapitre VII, intervenir dans ces matières ou autoriser d’autres
États à le faire. Ce qui veut dire qu’aucune matière n’échappe à la compétence du Conseil dès
lors qu’il décide d’agir en responsable principal de la sécurité collective.
766.H. KELSEN, « Théorie du droit international public », R.C.A.D.I., t. 84 1953, p. 112.
255
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE
Au terme de cette première partie, il apparaît que l’assiette du domaine de compétence
nationale matériellement conçu subit de constantes restrictions dans la société internationale
contemporaine, restrictions qui manifestent les évolutions de la société internationale et du
droit international. En effet, longtemps marqué par le sceau de la souveraineté absolue et de
l’exclusivisme étatique, le droit international était ainsi cantonné à une fonction de
coordination de la coexistence ou de la coopération entre les États. À ce titre, il régissait un
nombre limité de matières et laissait ainsi un domaine réservé à la compétence nationale
exclusive des États dans lequel ces derniers jouissaient d’une certaine liberté. La consistance
de ce domaine de compétence nationale pouvait alors être plus ou moins facilement
déterminée. Il s’identifiait à la souveraineté en tant que « liberté légale »767 de l’État, c’est-à-
dire sa faculté d’agir comme il entend dans les limites du droit.768
Il convient cependant de noter qu’au plus tard depuis l’avènement des organisations
internationales à compétences générales, singulièrement l’Organisation des Nations Unies, la
société internationale n’a cessé de s’institutionnaliser et la règlementation internationale de se
multiplier favorisant ainsi l’extension du champ matériel du droit international. Ainsi, le
domaine de compétence nationale de l’État n’a depuis lors cessé de se restreindre à tel point
qu’il est aujourd’hui impossible d’affirmer l’existence d’une matière dans laquelle l’État
exercerait une compétence illimitée et inconditionnée. Autrement dit, depuis longtemps, les
États n’ont cessé d’apporter des limitations réelles à leur liberté légale en se soumettant à des
règles qui n’ont cessé elles-aussi de croître à tel point que les limites de la liberté résiduelle
des États sont constamment repoussées. De toute évidence, l’avènement des Nations Unies et
des organisations internationales régionales ou sous régionales de coopération ou
d’intégration, ainsi que le phénomène de mondialisation avec son lot d’interdépendances ont
considérablement modifié les conditions d’exercice des compétences souveraines des États.
Celles-ci sont désormais encadrées, conditionnées et limitées par des obligations découlant
des innombrables conventions internationales, des normes impératives ou coutumières du
droit international et des exigences de la vie commune. Sous ce rapport, de nos jours,
l’existence d’un domaine de compétence nationale exclusif matériellement conçu et où l’État
767.J. COMBACAU, « Pas une puissance, une liberté… », op. cit., n. 36, pp. 47-58. 768.Ibid., p. 52.
256
n’est pas tenu par des obligations internationales relève de la pure théorie. Car, comme il a été
justement souligné par Yves Daudet,
« nous assistons ici à des évolutions progressives et lentes et à l’émergence de tendances
dans l'ordre international, par exemple à l'instauration d'un ordre public international qui
vient limiter la liberté d’action des États, les obliger à des comportements en conformité avec
des normes qu’ils n’ont pas nécessairement établies et qui présentent donc un caractère
transcendant par rapport à leur propre souveraineté, laquelle ne peut être totalement
débridée. À l’image du jus cogens, ombre tutélaire qui par elle seule constitue une menace
contre les abus de souveraineté. »769
Par ailleurs, la notion de communauté internationale de plus en plus évoquée et invoquée dans
les discours et les actions internationaux traduit une certaine logique « supranationale » et
contribue à l’affermissement de l’idée que la liberté des États est désormais subordonnée à
l’intérêt commun et aux exigences de la vie internationale. En ce sens, la notion de domaine
de compétence nationale qui sous-entend l’individualisme étatique a tendance à être surpassée
par les obligations internationales et les intérêts collectifs qui touchent à presque tous les
domaines. Dans cet ordre d’idées, le professeur Philippe Cahier soutient que « compte tenu du
développement extraordinaire du droit international dans les secteurs les plus divers :
économique, culturel, communication, social, droits de l’homme et du travail, l’étendue du
domaine réservé tend à se restreindre considérablement ; on peut même imaginer, à plus au
moins long terme, sa disparition. »770
Toutefois, quel que soit le degré d’extension du champ matériel du droit international, le
domaine de compétence nationale intrinsèquement lié à la souveraineté et donc à l’existence
de l’État survit et survivra encore avec lui à toutes ces mutations tant que la société
internationale sera composée d’États souverains et indépendants et que le droit international
restera fondé sur le principe de la souveraineté. Assurément, « the expanding scope of
[international institutions] concern has succeeded in further limiting the extent of the doctrine of
domestic jurisdiction. Nevertheless, the concept does retain validity in recognizing the basic fact
769.Y. DAUDET, « L’exercice de compétences territoriales par les Nations Unies », op. cit., n. 519, p. 20. 770.P. CAHIER, « Changements et continuité du droit international. Cours général de droit international public », R.C.A.D.I., t. 195, 1985-VI, p. 38 ; Voir aussi D. CARREAU, Droit international public, 3ème éd., Paris Pedone, 1994, p. 347. Dans la même lignée, Marek Krystyna écrivait déjà en 1962 : « le domaine réservé des États existe bien, mais il n’existe qu’aussi longtemps que les ‘matières’ qu’il règlemente n’ont pas été soumises à une règlementation internationale, toujours possible. Une disparition totale du domaine réservé des États dans l’avenir ne pourrait nullement être exclue de par la nature même des choses…Un développement progressif du droit international peut bien conduire à une situation où la notion de ‘domaine réservé’ sera réservée exclusivement et précisément au droit international », K. MAREK, « Les rapports entre le droit interne et le droit international… », op. cit., n. 2, pp. 262-263.
257
that state sovereignty within its own territorial limits is the undeniable foundation of international
law as it has evolved... »771
Mais les conséquences des nombreuses restrictions qu’il a subies font que le domaine réservé
à la compétence nationale se présente sous une forme autre que matérielle. D’où la nécessité
d’étudier les conséquences des restrictions de l’assiette du domaine matériel de compétence
nationale. C’est ce à quoi nous nous attèlerons dans les lignes qui suivent.
771.M. N. SHAW, International law, 4ème éd., Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 455.
258
DEUXIÈME PARTIE
LES CONSÉQUENCES DES RESTRICTIONS DU DOMAINE
MATÉRIEL DE COMPÉTENCE NATIONALE DE L’ÉTAT
La société internationale et son droit connaissent des transformations qui conduisent à
l’érosion progressive du modèle interétatique de la société internationale, hérité de la paix de
Westphalie, axé sur le respect mutuel, par les États souverains de leurs intérêts respectifs, la
réciprocité, l’absence de valeurs métanationales imposant à chaque membre de la société des
obligations déliées des intérêts de chacun d’entre eux. Ces transformations consacrent aussi
l’émergence d’une tendance communautaire dans la société internationale, tendance née avec
la Charte des Nations Unies, et qui véhicule un modèle axé sur la sauvegarde de valeurs
fondamentales telles que la paix, les droits de l’homme, le droit des peuples à disposer d’eux-
mêmes, et la justice pénale internationale ; il s’agit de valeurs que chaque membre de la
communauté est tenu de respecter et dont il peut exiger le respect par tout autre membre de la
même communauté. Dès lors, tout le système juridique traditionnel du droit international,
visant à protéger l’État et ses organes est remis en cause par ces nouvelles valeurs, qui si elles
sont réellement mises en œuvre, infléchissent l’autorité des États.772
lE principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État connaît ainsi un certain
assouplissement (Titre I) face aux nombreuses pratiques consacrant des interventions
internationales, d’États ou d’institutions internationales, dans des matières relevant a priori de
la compétence nationale des États. Dès lors, même si l’État souverain reste encore
incontournable et « apparaît toujours comme un recours ou, à tous le moins, l’étalon-mètre de
l’exercice des compétences au sein d’une société mondialisée »773 et que la théorie du
domaine de compétence nationale n’a pas totalement perdu de sa pertinence dans le contexte
actuel de mondialisation, la notion de domaine de compétence nationale connaît néanmoins
une sorte de métamorphose (Titre II) qui explique sa persistance et sa survivance malgré les
nombreuses restrictions matérielles dont il a jusque-là fait l’objet.
772.A. CASSESE et M. DELMAS-MARTY (dirs.), Crimes internationaux et juridictions internationales, op. cit., n. 762, p. 257. 773.P. BODEAU-LIVINEC, « Le domaine réservé : persistance ou déliquescence… », op. cit., n. 1, p. 156.
259
TITRE I
L’ASSOUPLISSEMENT DU PRINCIPE DE NON-INGÉRENCE DANS
LES AFFAIRES INTÉRIEURES D’UN ÉTAT FACE AUX RÉACTIONS
INTERNATIONALES AUX DÉFAILLANCES DE LA COMPÉTENCE
NATIONALE
La notion de domaine de compétence nationale a pour corollaire la non-ingérence dans les
affaires qui relèvent justement de ce domaine parce qu’étant des « affaires intérieures » d’un
État. Le contenu et la portée de ce principe coutumier774 du droit international souvent
invoqué dans le discours politique n’est pas aisé à déterminé car l’évolution du droit
international et le phénomène de mondialisation ont fini de démontrer l’insuffisance de la
conception matérielle du domaine de compétence nationale et l’assouplissement du principe
de non-ingérence. En effet, au plus tard, depuis la fin de la guerre la froide, ce principe ainsi
que l’exception de la compétence nationale n’ont pas produit d’effet utile empêchant les
organes internationaux en général, les Nations Unies en particulier, y compris la C.I.J. à
exercer leurs compétences sur des questions ou matières que les États considèrent pourtant
comme relevant de leurs affaires intérieures.775 Même si le principe persiste toujours dans la
théorie du droit international, sa portée pratique est très assouplie par le fait qu’il n’existe pas
d’affaires intérieures par nature et que toutes les affaires dites intérieures peuvent cesser de
l’être du fait d’un engagement d’un État envers les autres sujets du droit international776 ou
par les potentielles répercussions internationales (international concern) des situations
internes.
774.C.I.J., Recueil 1986, § 202, arrêt précité note 159. 775.L’Assemblée générale des Nations Unies a adopté sans vote une résolution sur le droit de la Polynésie française à l’autodétermination (A/67/L.56/Rev.1 ), par laquelle elle affirme le droit inaliénable de la population de la Polynésie française à l’autodétermination et à l’indépendance. Elle reconnaît que la Polynésie française reste un territoire non autonome au sens de la Charte, et déclare que l’article 73 e) de la Charte fait obligation au Gouvernement français, en sa qualité de Puissance administrante, de communiquer des renseignements sur la Polynésie française. L’AG a ainsi remis la Polynésie française sur la liste des territoires à décoloniser. Dans un communiqué le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères déclarait que « cette résolution est une ingérence flagrante, une absence complète de respect pour les choix démocratiques des Polynésiens, un détournement des objectifs que les Nations Unies se sont fixés en matière de décolonisation ». 776.J. COMBACAU, « Souveraineté et non-ingérence », in M. BETTATI et B. KOUCHNER, Le devoir d’ingérence, Paris, Denoël, 1987, p. 231.
260
L’assouplissement du principe de non-ingérence ou de non-intervention777, et l’absence
d’effet utile de l’exception de la compétence nationale ratione materiae se manifestent dans
plusieurs domaines. En réalité, depuis la fin de la guerre froide, la pratique internationale en
général et celle des Nations Unies en particulier a permis de développer, en plus de la création
des tribunaux pénaux internationaux et des actions dans le domaine constitutionnel-politique
(forme de l’État, droits de l’homme, l’observation électorale etc.), certains types
d’interventions dans les domaines de la paix et de la sécurité, de l’humanitaire ou des
interventions destinées à favoriser la reconstruction politique, économique et sociale à
l’intérieur d’un même État. Ce phénomène se développe dans le cadre du maintien ou de la
consolidation de la paix. Ces différents types d’interventions confirment l’assouplissement du
principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État et traduisent le difficile voire
l’impossible maintien de la conception matérielle du domaine de compétence nationale dans
une société et un droit international mondialisés. Pour étayer cette thèse, nous verrons
successivement les interventions internationales dans le domaine de compétence nationale de
l’État en vue du rétablissement de la paix et de la sécurité (Chapitre I), puis la substitution
pure et simple de la communauté internationale ou d’une puissance étrangère à la compétence
nationale défaillante en matière humanitaire (Chapitre II).
777.Nous n’insisterons pas sur la nuance entre les deux notions. Sur la définition de l’ingérence voir M. BETTATI, « Un droit d’ingérence ? », R.G.D.I.P., 1991, pp. 641-642. Sur la définition de l’intervention, voir E. DAVID, « Portée et limite du principe de non-intervention », R.B.D.I., 1990/2 – éd. Bruylant, Bruxelles, pp. 351 et s.
261
CHAPITRE I
LES INTERVENTIONS INTERNATIONALES DANS LE DOMAINE DE
COMPÉTENCE NATIONALE DE L’ÉTAT EN VUE DU MAINTIEN ET
DE LA CONSOLIDATION DE LA PAIX ET DE LA SÉCURITÉ
L’un des attributs de la souveraineté de l’État réside dans le monopole de la contrainte dont il
jouit et en vertu duquel il assure le maintien de la paix et de la sécurité à l’intérieur de ses
frontières. Autrement dit, il est de la compétence nationale de l’État d’assurer sur son
territoire le maintien de l’ordre, de la paix et de la sécurité et la protection des personnes y
vivant ainsi que leurs biens. Or, la fin de la guerre froide a permis de révéler l’existence de
beaucoup d’États économiquement faibles et politiquement instables778. Ceux-ci étant
généralement confrontés à des conflits internes, l’affaiblissement du pouvoir central et des
institutions publiques a eu pour conséquence notable la défaillance de la fonction du maintien
de la paix et de la sécurité intérieures.
C’est pourquoi, malgré la persistance théorique du principe de non-ingérence dans les affaires
intérieures et extérieures de l’État, la communauté internationale779 est de plus en plus amenée
à mener des actions à l’intérieur du territoire de certains États en réponse aux défaillances de
la compétence nationale.780 À ce titre, dans le domaine économique, du fait des interventions
778.H. THIERRY, « L’État et l’organisation de la société internationale », op. cit., n. 434, p. 188. 779.La Communauté internationale, nous l’avons déjà vu, n’a pas de définition et de caractérisation qui font l’unanimité. Mais certains auteurs la voient à travers les organisations internationales qui poursuivent des objectifs d’intérêt commun et traduisent certaines valeurs universellement partagées. Dans cette optique, la communauté internationale ne se réfère pas seulement à tous les États, mais à un ensemble organisé et institutionnalisé, c'est-à-dire en pratique le système des Nations Unies. Sous cette forme institutionnalisée et personnifiée, elle possède des intérêts fondamentaux dont la sauvegarde est essentielle et dont la méconnaissance justifie des réactions internationales. Voir R. KOLB, « Mondialisation et droit international », op. cit., n. 46, p. 80. 780.Le thème de la défaillance étatique est désormais bien connue en relations internationales. En droit international, il n’a pas encore connu le même succès. Mais il a suscité l’intérêt d’un certains nombres d’auteurs. Voir notamment : G. CAHIN, « Le droit international face aux ‘‘États défaillants’’ », in S.F.D.I., L’État dans la mondialisation, Colloque de Nancy, Paris, Pedone, 2013, pp. 51-114 ; le même, « L’État défaillant en droit international : quel régime pour quelle notion ? », in Droit du pouvoir, pouvoir du droit. Mélanges offerts à Jean Salmon, Bruxelles, Bruylant, 2007, pp. 155-187 ; G. JEZE, « Les défaillances d’État », R.C.A.D.I., t. 53, 1935-III, pp. 377-435 ; A. LEBOEUF et A. ANTIL, « États défaillants et terrorisme, un lien ambigu », in J.-M. CHATAIGNIER et H. MAGRO (dirs.), États et sociétés fragiles : Entre conflits, reconstruction et développement, Paris, Karthala, 2007, p. 191 ; K. LEGARE, « Le narratif sécuritaire des États défaillants : contestation rivale des termes de la souveraineté ? », Aspects, n° 2 - 2008, p. 145 ; le même, « Les États défaillants dans la filière terroriste : un apport nécessaire ou contingent ? », Bulletin Sécurité mondiale Publiée par Le Programme Paix et sécurité internationales, Institut québécois des hautes études internationales, Université Laval, n° 28, septembre-octobre 2007, p. 2. [en ligne]. Disponible sur :
262
des organismes internationaux de développement, des institutions financières internationales,
des agences étatiques de coopération etc., « le libre choix des modèles de développement et
des politiques économiques qui apparaissait […] comme corollaire de la souveraineté [et
comme relevant de la compétence nationale], cède le pas à des choix économiques guidés ou
imposés par [c]es dispensateurs d’aides et de concours aux États qui en sont les
bénéficiaires »781, en général les pays sous-développés. Mais au-delà des actions économiques
ou financières dans un État souverain, la communauté internationale intervient surtout pour le
rétablissement ou le maintien de la paix dans des pays en proie à des crises internes.
Si les interventions internationales pour le maintien de la paix sont devenues des pratiques
courantes et parfois nécessaires, il semble néanmoins important de poser la question de leurs
fondements (Section 1) compte tenu notamment du principe de non-ingérence dans les
affaires relevant de la compétence nationale. Il conviendra également d’analyser les activités
des opérations internationales en vue du rétablissement de la paix pour mettre en exergue
leurs conséquences sur l’exercice des compétences étatiques (Section 2).
Section 1 : Les fondements des interventions internationales dans le
domaine de compétence nationale en vue du maintien et de la consolidation
de la paix et de la sécurité
Si dans le passé la guerre interétatique était le modèle de guerre le plus courant, à l’époque
contemporaine, la plupart des conflits se déroulent à l’intérieur d’un État, opposent souvent le
pouvoir politique à des groupes armées ou à des rebelles et s’apparentent au type de la guerre
civile.782 Face à ces conflits trop souvent meurtriers, la communauté internationale, en
particulier l’O.N.U., guidée par ses valeurs universelles de paix, de sécurité et d’humanité,
intervient au secours de la compétence nationale défaillante pour rétablir ou maintenir la paix
et la sécurité à l’intérieur des frontières d’un État souverain.
http://www.hei.ulaval.ca/fileadmin/hei/documents/documents/Section_Publications/Securite_mondiale/Securitemondiale28.pdf (page consultée le 15 mars 2012) ; S. SUR, « Sur les États défaillants », Commentaire, n°112, hiver 2005-2006, pp891-889. 781.H. THIERRY, « L’État et l’organisation de la société internationale », op. cit., n. 434, p. 193. Sur la défaillance économique de l’État, voir M. AUDIT, Insolvabilité des États et dettes souveraines, Paris, L.G.D.J., Lextenso, 2011 ; S. BASTIDE BURDEAU, « La mondialisation et les États en faillite économique », in S.F.D.I., L’État dans la mondialisation, Colloque de Nancy, Paris, Pedone, 2013, pp. 115-132. 782.T. DE MONBRIAL, « Interventions internationales, souveraineté des États et démocratie », Politique étrangère, 1998, vol. 63, n° 3, p. 550.
263
Avec le développement du phénomène de régionalisme international et la tentation à
l’unilatéralisme de certains États, la prise en charge internationale du rétablissement de la paix
à l’intérieur d’un État souverain n’est plus cependant l’apanage de l’O.N.U. En effet, les
interventions internationales en matière de paix et de sécurité sont de plus en plus du fait de
certaines grandes puissances agissant individuellement ou collectivement, ou des
organisations régionales comme l’Union africaine, l’O.E.A., ou sous-régionales comme la
CEDEAO, la CEEAC…, généralement sous l’autorisation des Nations Unies. La raison en est
que même si l’O.N.U. reste l’organisation à vocation universelle en charge de la paix, elle
n’est pas la seule à être investies de cette compétence et on observe une certaine tendance de
sa part à se défausser vers les organisations régionales ; par ailleurs la pratique suivie depuis
la fin de la guerre froide a été marquée par des contournements de la Charte (comme lors de la
guerre du Golfe) ou, pire, de l’Organisation elle-même (comme cela se fit au Kosovo ou,
surtout, avec l’intervention des États-Unis en Irak).783
En tout état de cause, l’exercice par des institutions internationales ou des États étrangers
d’actions de maintien ou de rétablissement de la paix ou de la sécurité à l’intérieur d’un État
souverain nécessite d’être établi sur des fondements clairs et solides. Dans cette perspective,
en l’absence de fondements juridiques précis (§ 2), l’intervention internationale trouve des
fondements politiques (§ 1) tirés d’un certain nombre d’éléments factuels.
§ 1 : Les fondements politiques
L’action internationale à l’intérieur d’un État souverain pour le maintien ou le rétablissement
de la paix et de la sécurité intérieures, en dépit de la réserve de la compétence nationale, est
subordonnée à des conditions factuelles. Ce sont des éléments dont l’existence justifie la
compétence internationale, celle des Nations Unies en particulier, pour le déploiement d’une
action dans une situation de conflit à l’intérieur d’un État. Il s’agit, d’une part, de l’existence
de situations de défaillances étatiques (1) et, d’autre part, de la présence d’un international
concern ou d’éléments d’internationalisation de la situation interne (2).
783.DAUDET Y., « L’exercice de compétences territoriales par les Nations Unies », op. cit., n. 519, p. 34.
264
1. L’existence de situations de défaillances de la compétence nationale
Selon le classement annuel des États défaillants784 qu’élabore depuis 2004 le Fund for Peace
associé à la revue américaine Foreign Policy, six indicateurs politiques et militaires
permettent de dire si un État est politiquement défaillant. Il s’agit d’abord de la nature
illégitime et criminelle de l’État, des dysfonctionnements des services publics, des violations
des droits de l'homme, de l’absence d’un appareil sécuritaire ayant le monopole de l’usage de
la force légitime. Il y aussi l’absence de consensus politique qui favorise l’émergence de
factions au sein de l'élite. Il s’agit enfin de l’intervention d'autres puissances dans les affaires
intérieures de ces États.
À partir de ces indicateurs, on peut considérer que la défaillance étatique peut se mesurer à
partir du niveau de la stabilité politique et sociale d’un État et de sa vitalité démocratique. La
démocratie, nous l’avons déjà vu, est désormais devenue une sorte de valeur universelle et
une unité de mesure de la stabilité politique de l’État et de sa capacité à être, non pas
seulement un « mythe social », mais avant tout cette réalité empirique qui remplit ses
fonctions régaliennes essentielles. La défaillance d’un État peut ainsi être mesurée à partir de
ce qu’un auteur appelle le degré de cohésion socio-politique à travers sa capacité à créer un
consensus politique et social à l’intérieur de ses frontières.785 Cette cohésion dépend
principalement de la légitimité de l’État qui doit être fondé sur un mode démocratique de
choix des dirigeants à travers des élections libres, transparentes et sincères, et basé sur des
modes inclusifs d’exercice du pouvoir. L’État doit offrir des instruments politiques qui
permettraient de régler pacifiquement les conflits entre acteurs politiques, sociaux, car « face
à l’insuffisance, voire l’absence des processus politiques permettant de gérer le changement,
c’est la contestation violente d’une légitimité dès lors déficiente par des communautés ne
partageant aucun sentiment commun d’appartenance qui provoque au premier chef la
défaillance de l’État. »786 Non corrompu, l’État doit être soumis au droit, garantir les libertés
individuelles et collectives et respecter les droits humains. Il doit enfin disposer de services
publics fonctionnels et accessibles, et d’un appareil sécuritaire lui permettant de contrôler les
activités sur son territoire et de se prémunir d’interventions extérieures.
784.The Fund for Peace Failed States Index 2012 [en ligne]. Disponible sur http://www.fundforpeace.org/global/library/cfsir1210-failedstatesindex2012-06p.pdf, (page consultée le 13 janvier 2013). 785.B. BUZAN. People, States and Fear. An Agenda for International Security Studies in the Post-Cold-War Era, New York, Harvester Wheatsheaf, 1991, p. 99. 786.G. CAHIN, « Le droit international face aux ‘‘États défaillants’’ », op. cit., n. 780, p. 65.
265
Ces caractéristiques de l’État renvoient à la dimension interne de la souveraineté à travers
l’existence d’une autorité centrale qui monopolise la force et concentre la totalité du pouvoir,
la soumission de l’ensemble de la population à cette autorité et la poursuite de l’intérêt
général.787 Ces caractéristiques de l’État que l’on peut retrouver dans « l’étalon de mesure
[que constitue] l’État moderne occidental »788 ne sont, cependant, pas une réalité observable
dans tous les pays notamment dans ceux issus de la décolonisation et de la décomposition de
l’ex-U.R.S.S. En effet, si l’État souverain fut pendant longtemps appréhendé dans l’ordre
international sous l’angle de la personnalité juridique qui traduit la constatation que les
éléments constitutifs, conditions d’existence de la qualité d’État selon le droit international,
sont réunis789, la fin du système bipolaire et le phénomène de mondialisation ont cependant
fini de mettre à nu les carences d’un grand nombre d’États. Tout en étant reconnus comme
tels, beaucoup d’États ont, cependant, du mal à assurer effectivement les exigences de la
souveraineté, c’est-à-dire exercer les fonctions régaliennes de base. Cette incapacité de l’État
à exercer ses fonctions essentielles peut découler de l’absence totale d’une autorité politique
effective et de structures gouvernementales en état d’assumer la responsabilité du maintien de
l’ordre, de l’administration du pays et de l’exécution des exigences inhérentes à la
souveraineté. À ce titre, entre 1991 et 2000, la Somalie fut citée comme « le seul [pays] au
monde à ne pas avoir de gouvernement national et dans lequel les fonctions incombant
d’ordinaire à un État […] ne sont plus assurées ».790
L’existence de situations de défaillances de l’État peut également se traduire par l’absence
d’une emprise totale du gouvernement sur l’ensemble du territoire et sur l’ensemble des
personnes y vivant. En effet, confronté à un conflit armé qui l’oppose à des groupes bien
organisés pour exercer eux-mêmes le contrôle de certaines portions du territoire de l’État, le
gouvernement n’exerce alors son autorité que sur une portion variable du territoire et de la
population. Ainsi, dans les zones contrôlées par les factions rivales, la défaillance étatique se
787.J. CHARPENTIER, « Le phénomène étatique à travers les grandes mutations politiques contemporaines » ,op. cit., n. 117, p. 24. 788.K. LEGARE, « Les États défaillants dans la filière terroriste… », op. cit., n. 780, p. 2. 789.J.-D. MOUTON, « Rapport introductif. La mondialisation et la notion d’État », op. cit., n. 764 , p. 13. Voir également G. CAHIN, « Le droit international face aux ‘‘États défaillants’’ », op. cit., n. 780, p. 56 et Y. DAUDET, « L’exercice de compétences territoriales par les Nations Unies », op. cit., n. 519, pp. 21-22. Ce dernier écrit à cet égard : « Pendant longtemps, le droit international ne s’est intéressé à l’État que de manière abstraite. L’État « au sens du droit international » l’État « indépendant et souverain » est un État interchangeable et abstrait. Et le principe de l’égalité souveraine est une fiction sans lien avec la réalité des situations politiques, économiques et sociales. Au plus accepte-ton de distinguer les grandes puissances et les autres à travers la composition du Conseil de sécurité. Seules les organisations économiques – en dehors du champ classique précisément - font elles les différences. Sur le plan juridique, sur le plan du contenu du droit international, la théorie des compétences de l’État, la souveraineté, les immunités, la responsabilité internationale, etc. jouent à l’identique ». 790.Rapport du Secrétaire général sur la situation en Somalie, S/1999/882, 16 août 1999, § 63.
266
traduit par l’incapacité du gouvernement à assurer la protection des populations et des droits
humains car dans ces zones, les bandes armées peuvent se livrer à toutes sortes de violences et
de violations des droits humains sans que l’État ne puisse, par son armée, son administration
ou son système judiciaire, remplir sa fonction sécuritaire.791 Dans cette mesure, la défaillance
étatique traduit la dégradation de la souveraineté interne, à travers l’affaiblissement de
l’exclusivisme de la compétence territoriale et la faillite de la fonction sécuritaire première de
l’État.792 En effet, dans les États dits défaillants, règne souvent l’anarchie, le manque d’une
autorité centrale capable de prendre soin des intérêts généraux de la population et d’exercer
un contrôle effectif et efficace sur celle-ci. Ces États sont dominés par des clans, des tribus,
des organisations criminelles, voire des groupes terroristes. Ils sont marqués par de troubles
internes qui naissent souvent de rivalités ethniques, tribales ou religieuses mais aussi de luttes
pour l’accaparement du pouvoir. Ainsi, selon le professeur Serge Sur, « suivant l’origine ou
les symptômes de la défaillance », on peut distinguer
« les États qui sont confrontés à des oppositions ethniques, à des conflits internes entre
communautés qui se déchirent – ce qui se traduit par l’oppression réciproque, voire par des
massacres plus ou moins organisés – et les États dont les services publics ne fonctionnent
plus, qui ne peuvent plus remplir leurs fonctions régaliennes, assurer la sécurité, la justice,
l’éducation pour tous, et qui connaissent des phénomènes de corruption, de criminalité, une
sorte de décomposition de l’appareil d’État. »793
Dans le passé, ces situations de défaillances étatiques ont été constatées avec le Rwanda qui a
eu à vivre un génocide en 1994, la Yougoslavie qui a fini par disparaître en donnant naissance
à six nouveaux États dont quatre ont connu « des problèmes sinon d’existence du moins de
stabilité – la Serbie, le Monténégro, la Bosnie, la Macédoine »794. Il y a eu aussi les cas du
Liban, du Cambodge, du Libéria ou encore de la Sierra Leone. Aujourd’hui, ces situations
sont illustrées par l’index susvisé des États défaillants. Dans ce classement 2012, 11 pays sont
en ce moment dans une situation « critique » car étant, dans l’ordre, « les plus troublés ». Il
s’agit de la Somalie, de la République démocratique du Congo, du Soudan, du Soudan du
Sud, du Tchad, du Zimbabwe, de l’Afghanistan, d’Haïti, du Yémen, de l’Iraq et de la
Centrafrique. La plus grande partie des « mal classés » de cet index est constituée de pays
791.G. CAHIN, « Le droit international face aux ‘‘États défaillants’’ », op. cit., n. 580, p. 59. 792.Ibid., p. 58 ; J. CHARPENTIER, « Le phénomène étatique à travers les grandes mutations… », op. cit., n. 117, pp. 25-26. 793.S. SUR, « Sur les États défaillants », op. cit., n. 580. 794.Ibid.
267
sous-développés du tiers-monde et d’Afrique en particulier.795 À ceux-là, on peut ajouter
certains pays arabes comme la Libye, l’Égypte, la Tunisie et la Syrie qui, depuis le
déclenchement des « printemps arabes », ont dû mal à assurer effectivement leur fonction
sécuritaire. La plupart de ces États sont caractérisés par une dérive chronique du pouvoir liée
à son exercice patrimonialiste et clientéliste796, et au fait que la démocratie n’arrive toujours
pas à s’y implanter durablement. Même si la stabilité politique s’est un peu améliorée dans
certains pays à travers la progression de la culture démocratique, la réalité de la vie politique
ne correspond pas toujours au formalisme institutionnel. S’il est aujourd’hui difficile de
frauder aux élections du fait des nombreux observateurs internationaux déployés à chaque
élection, beaucoup des pays issus de la décolonisation et de la décommunisation n’ont pas
d’institutions véritablement démocratiques. La corruption reste toujours une grande
problématique dans la plupart de ces pays. Les droits humains et libertés publiques
abondamment proclamés sont massivement et impunément violés souvent par l’État lui-
même. La décentralisation, qui aurait pu raffermir la démocratie en permettant une
participation concrète des populations locales et des organisations de la société civile à la
gestion des affaires publiques, n’est pas effectivement mise en œuvre.
Dans ce tableau politique global des États défaillants, il y a certains qui sont considérés
comme plus ou moins stables et démocratiques dans un continent marqué par l’instabilité
politique et les crises sécuritaires : Bénin, Ghana, Mali, Sénégal etc. Mais là aussi, il convient
de signaler que ces pays considérés comme plus ou moins stables et démocratiques reposent
sur des consensus souvent fragiles voire de façade qui s’écroulent facilement. Le cas du Mali
est, à cet égard, très significatif. Pendant longtemps regardé comme un modèle de démocratie
et de stabilité en Afrique, le Mali figure même à la 79è place du classement 2012 des États
défaillants. Ce pays a pourtant connu de mars 2012 à août 2013 une absence de gouvernement
légitime suite au coup d’État de mars 2012 contre le Président Amadou Toumani Touré. À
cela s’ajoute que le nord du pays fait depuis plusieurs années face à des attaques armées de
groupes Touaregs autonomistes qui durant l’année 2012 ont réussi à prendre le contrôle de
grandes villes comme Gao, Tombouctou et Kidal avant d’être surclassés par des groupes
intégristes religieux, AQMI, MUJAO, Ansar Dine. Ces derniers avaient pris le contrôle de
cette région du nord suspendant ainsi le monopole souverain de l’État malien. Ces groupes y
exerçaient les prérogatives de puissance publique en lieu et place des autorités publiques
795.En plus des 11 premiers, voici, par ordre, la liste des 20 suivants : Côte d’Ivoire, République de Guinée, Pakistan, Nigéria, Guinée Bissau, Kenya, Ethiopie, Burundi, Niger, Ouganda, Myanmar, Corée du Nord, Erythrée, Syrie, Libéria, Cameroun, Népal, Timor Leste, Bangladesh, Sri Lanka. 796.J. CHARPENTIER, « Le phénomène étatique à travers les grandes mutations… », op. cit., n. 117, p. 25.
268
officielles de l’État malien. L’absence de gouvernement légitime et stable, l’incapacité de son
armée à faire face à l’avancée des intégristes religieux et à arrêter le risque de propagation de
la menace terroriste qu’ils constituent ont conduit à l’intervention extérieure de la France
(opération Serval) et de certains États de la CEDEAO, et le déploiement de la MINUSMA.
Cela atteste la défaillance de la compétence nationale de l’État malien dont l’existence même
en tant qu’État était menacée par ces groupes armés. C’est aussi la preuve que la réserve de la
compétence et surtout le principe de non-ingérence n’empêche pas le développement
d’interventions internationales dans un État souverain mais incapable de remplir sa fonction
sécuritaire.
Aujourd’hui, du fait de la tendance intégratrice grandissante de la société internationale et de
l’interdépendance sociale engendrée par la mondialisation, l’exercice interne de la
compétence nationale des États est une préoccupation de tous. En effet, l’absence
d’institutions politiques solides et modernes dans un État est aujourd’hui considérée comme
un facteur de risque de troubles à l’échelle globale. C’est pourquoi les États défaillants sont
perçus comme des menaces potentiellement déstabilisantes. À cet égard, on a pu affirmer que
« les États faillis, fragiles, faibles sont dangereux pour le monde »797. Un État qui, à l’intérieur
de ses frontières, est incapable d’assurer la sécurité et les besoins fondamentaux de sa
population, devient une menace non seulement pour ses voisins immédiats mais pour tous les
autres États de la société internationale ; car avec la défaillance, l’absence totale ou partielle
d’autorités publiques (gouvernement, administration, forces de défense et de sécurité), l’État
n’est plus viable et devient un générateur de déséquilibres et de périls798. Il laisse le terrain et
le pouvoir à des bandes armées, des réseaux de trafics illicites en tous genres, de terroristes et
autres criminels internationaux799 engendrant ainsi un risque de déstabilisation internationale.
Il n’arrive donc plus à se poser comme interlocuteur valable avec les autres sujets de la
communauté internationale. Dans cette mesure, il existe, dans le discours international, un
lien étroit entre État défaillant et sécurité internationale car la situation de défaillance étatique
peut toujours engendrer un risque d’internationalisation à travers ses répercussions
extérieures, à l’atteinte possible aux intérêts d’un ou de plusieurs autres États tiers ou aux
relations interétatiques.
797.A. LEBOEUF et A. ANTIL, « États défaillants et terrorisme, un lien ambigu », op. cit., n. 780, p.191. 798.Y. DAUDET, « L’exercice de compétences territoriales par les Nations Unies », op. cit., n. 519, p. 22. 799.S. SUR, « Sur les États défaillants », op. cit., n. 780.
269
2. La présence d’un international concern et de risques d’internationalisation
La présence de situations de défaillances étatiques se traduit dans les faits par une limitation
des capacités d’exercice des compétences étatiques car souvent dans les situations de conflits
internes qui prennent la nature de guerre civile, l’État protagoniste n’est pas nécessairement
en mesure ou disposé à assurer les fonctions de maintien de l’ordre, de la sécurité et de
rétablissement de la paix. En effet, « dans une guerre civile, par définition, le gouvernement
devient incapable d’exercer son autorité sur l’ensemble du territoire. »800 Cela peut ainsi
conduire à des conséquences internationales de diverses natures d’autant qu’avec la
mondialisation et l’accroissement des interdépendances, la séparation entre l’interne et
l’international est de plus en plus artificielle et que par conséquent aucune situation même
interne à un État ne laisse indifférent l’ordre international.
Dans cette mesure, les situations de conflits internes ou de défaillances sécuritaires de l’État
apparaissent comme de potentielles menaces à l’échelle internationale puisque l’incapacité ou
l’indisposition du gouvernement à assurer le monopole de l’usage de la force sur son territoire
« ouvre généralement la voie à des interactions antagonistes avec l’extérieur et donc à
l’internationalisation du conflit. »801 La défaillance de la compétence nationale peut présenter
ce que la doctrine appelle ‘international concern’. Cette notion regroupe les effets « en
cascade » que l’ordre interne peut produire sur l’ordre international et ayant pour conséquence
que « l’international saisi[sse] l’interne ».802 On considère que la situation de défaillance
étatique présente des répercussions internationales, qu’elle touche ou affecte les intérêts d’un
ou de plusieurs autres États, qu’elle détermine ou est susceptible de déterminer une
« friction » entre États ou un préjudice pour leurs « relations amicales », éventuellement
qu’elle constitue une « menace » ou un « danger », actuel ou potentiel, pour la « paix et la
sécurité internationales ».803
Dans la pratique des organisations internationales, la prise en compte de ces différents
éléments factuels qu’une partie de la doctrine qualifie de « critères politiques » de
détermination du domaine de compétence nationale par opposition au critère juridique (le
droit international), a permis à des organes politiques de la S.D.N. comme de l’O.N.U. de
passer outre l’exception de la compétence nationale soulevées dans certaines affaires par
800.T. DE MONBRIAL, « Interventions internationales, souveraineté des États et démocratie », op. cit. n. 782, p. 550. 801.Ibid. 802.Y. DAUDET, « L’exercice de compétences territoriales par les Nations Unies », op. cit., n. 519, p. 23. 803.G. ARANGIO-RUIZ, « Le domaine réservé… », op. cit., n. 1, p. 345.
270
certains États au titre de l’article 15 § 8 du Pacte de la S.D.N. et de l’article 2 § 7 de la Charte.
Ainsi, à l’époque de la S.D.N. dans l’affaire des Iles d’Åland, sans employer le terme
‘international concern’, la Commission des juristes chargée de se pencher sur cette affaire a
laissé entendre qu’une matière ou question sort du domaine de compétence nationale d’un
État lorsqu’elle présente des répercussions internationales importantes. Selon les juristes de
cette commission,
« si la question des Iles d’Åland sort du domaine de la politique interne, c’est, d’après [eux],
parce qu’elle a pris une extension et une importance internationales si considérables qu’il est
nécessaire de la soumettre à la haute autorité que représente aux yeux du monde la Société
des Nations… Il [le peuple alandais] a su exprimer ses craintes et ses aspirations avec une
force telle qu’il a réussi à entraîner avec lui dans le débat l’opinion publique d’une vaste
portion du monde civilisé. »804
Pour les juristes de cette Commission le « passage d’une situation de fait [la transformation
politique des îles] à une situation de droit définitive et normale ne saurait être considéré
comme relevant de la compétence exclusive d’un État » dans la mesure où ce passage « tend à
amener des modifications dans l’ensemble des membres de la communauté internationale et
dans leur statut territorial et juridique et, par conséquent, il intéresse cette communauté au
plus haut degré aussi bien dans l’ordre politique que dans l’ordre juridique ».805
Dans le sillage de la Commission des juristes, un certain nombre d’auteurs806 ont estimé qu’à
l’ère de l’O.N.U., dans certaines affaires, ce critère de l’’international concern’ a été utilisé
devant les organes politiques tels que l’Assemblée générale ou le Conseil de sécurité entre
autres. Ainsi, en 1946 à propos de la situation de l’Espagne franquiste, au sein de l’Assemblée
générale des Nations Unies, il y eut deux visions parmi les délégués participants à la session.
D’un côté, il y avait ceux contre l’admission de l’Espagne à l’Organisation du fait de son
régime politique interne marqué par la dictature militaire de Franco. Selon les partisans de
cette tendance, ce régime constituait une menace à la paix et la sécurité internationales. Le
délégué de la Tchécoslovaquie avait ainsi estimé que l’adhésion de l’Espagne à l’O.N.U. était
de nature à contrarier les desseins de la construction d’une société internationale fondée sur
les bases « d’un ordre mondial démocratique et juste » et qu’une telle prise de position
804.J.O.S.D.N., Supplément spécial n° 3, octobre 1920, pp. 4-5. 805.Ibid., p. 6. 806.N. BENTWICH, The limits of the domestic jurisdiction of the State, London, Transactions of the Grotius Society, 1945, pp.59 s. ; P. BERTHOUD, « La compétence nationale des États et l’Organisation des Nations Unies », A.S.D.I., vol. 4, 1947, p. 17 et s. ; A. ROSS, « La notion de ‘‘compétence nationale’’ dans la pratique des Nations Unies.. » op. cit., n. 1, pp. 291-293, etc.
271
n’[était] pas contraire au principe de non-intervention.807 D’un autre côté, il y avait ceux qui
étaient pour le respect de l’article 2, paragraphe 7 de la Charte de l’O.N.U. Parmi ceux-ci,
figurait le délégué colombien qui défendait le respect de l’idée que la création d’un régime et
sa nature soient une affaire relevant de la compétence nationale exclusive de chaque État.808
Depuis la fin de la guerre froide, les éléments factuels qui donnent une nature internationale à
une situation d’origine interne sont principalement constitués des risques
d’internationalisation des conflits internes. Concrètement, la question des réfugiés constitue
un des cas les plus fréquents de répercussion internationale de la défaillance étatique en
matière de maintien de la paix et de la sécurité intérieures. En effet, en y regardant de plus
près, on se rend facilement compte que la plupart des conflits internes post-guerre froide ont
conduit ou présentent un risque élevé d’internationalisation eu égard aux déplacements de
populations qu’ils provoquent dans les pays voisins. De même lorsqu’un État est impuissant à
exercer son autorité sur l’ensemble de son territoire ou de sa population et d’exercer à titre
exclusif la violence légitime au sein de ses frontières, celui-ci laisse le terrain à des bandes
organisées, des milices privées qui sont souvent vecteurs ou acteurs de pratiques illicites,
contraires au droit international et pouvant porter atteinte à la stabilité internationale : divers
trafics (drogue, enfants, organes…), blanchiment d’argent, piraterie, terrorisme international,
proxénétisme…
Par ailleurs, la défaillance de la fonction sécuritaire de l’État sur son territoire peut affecter les
intérêts d’un ou de plusieurs autres États du point de vue des relations diplomatiques et
consulaires. En effet, comme le note le professeur Gérard Cahin, « si l’effondrement durable
de l’autorité politique n’entraîne pas automatiquement la rupture des relations diplomatiques,
l’impossibilité des missions permanentes d’États tiers d’exercer efficacement leurs fonctions
dans un contexte d’anarchie et de sécurité généralisées explique le rappel provisoire de leur
personnel par la plupart des États représentés en Somalie ».809 À ce titre, sont significatifs les
attentats contre les consulats américains et Français en Libye, mais également les fermetures
807.Doc. Off. AGNU, 1ère session, séances plénières 10 janvier-14 février 1946, (1946), p. 352. 808.Doc. Off. AG NU, 1ère session, 58ème séance plénière (23 octobre-16 décembre 1946), (1946), à la p. 1182. Sur d’autres affaires dans lesquelles la question de l’‘international concern’ ou de répercussions internationales a été soulevée devant les organes de la S.D.N. ou de l’O.N.U., voir G. ARANGIO-RUIZ, « Le domaine réservé… », op. cit., n. 1, pp. 345-353. 809G. .CAHIN, « Le droit international face aux ‘‘États défaillants’’ », op. cit., n. 780, p. 73.
272
d’ambassades occidentales, américaines en particulier, durant le mois d’août 2013, dans de
nombreux pays arabes810 pour des raisons sécuritaires liées à la menace terroriste.
Le Rapport Brahimi évoquant l’évolution des opérations de maintien de la paix et des conflits
à l’origine de leur déploiement souligne que le contexte des conflits internes « est cependant
influencé par des acteurs extérieurs qui, à leur tour, influent sur lui ». Il cite en autres les
marchands d’armes, les acheteurs de produits d’exportation illicite, les puissances régionales
qui font entrer leurs propres forces en lice et les États voisins qui accueillent des réfugiés
parfois systématiquement contraints de fuir leurs foyers. Il conclut que « lourds de telles
conséquences au-delà des frontières du fait de protagonistes nationaux et extérieurs, ces
conflits ont souvent un caractère ‘‘transnational’’ marqué. »811
L’ensemble de ces éléments factuels – défaillances étatiques, répercussions internationales,
menace à la paix et à la sécurité internationales etc. – permettent de conclure à la nature
factuellement internationale de la situation, question ou de l’affaire. Ils jouent le rôle
d’indicateurs de la nature internationale de la situation ou question dont la présence constitue
une condition positive de la compétence internationale. Il s’agit, en effet, comme l’a souligné
Gaetano Arangio-Ruiz « d’éléments en présence desquels cette compétence entre en jeu
depuis 1946 [pour ce qui est de l’O.N.U.] en vertu des règles positives de compétence
contenues dans la Charte ». L’auteur ajoute que « ces éléments ont opéré naturellement depuis
l’existence de l’O.N.U. […] de manière essentiellement uniforme… », car en leur présence la
compétence internationale sur une affaire, situation ou question doit s’exercer en dépit de
l’absence d’obligations internationales à la charge de l’État concerné par l’affaire, la question
ou la situation.812
Pour toutes ces raisons, en dépit de l’affirmation du principe de non-ingérence dans les
affaires intérieures d’un État et du maintien de l’article 2, paragraphe 7 de la Charte des
Nations Unies, les États en proie à des conflits internes ne sont pas à l’abri d’interventions
extérieures. En effet, les conflits internes sont des situations qui présentent un international
concern en ce sens qu’ils présentent des répercussions internationales ou extérieures, qu’ils
touchent ou affectent les intérêts d’un ou de plusieurs autres États, ou encore constituent un
danger ou une menace, actuel ou potentiel, pour la paix et la sécurité internationales.
810.Il s’agit notamment du Yémen, de l’Afghanistan, d’Egypte, de Mauritanie, de Bengladesh, d’Algérie, de pays du golf etc. 811.Rapport du groupe d’étude sur les opérations de paix de l’ONU, connu sous le nom de Rapport Brahimi, § 18, p. 4, (A/55/305 ; S/2000/809). 812.G. ARANGIO-RUIZ, « Le domaine réservé… », op. cit., n. 1, pp. 349-350 et 351. C’est l’auteur qui souligne.
273
On vient de voir que les situations de défaillances de l’État le placent dans une position
d’impuissance à assurer ses fonctions de base et ouvrent ainsi la voie à des risques de
déstabilisation des États voisins et de l’ordre international. Comme l’a écrit le professeur
Gérard Cahin,
« impuissant à maintenir l’ordre public et à garantir à la population la sécurité et les services
élémentaires qu’elle attend de lui, concurrencé sur une portion variable du territoire par des
mouvements armés y exerçant quelque attribut de la souveraineté, l’État défaillant est ouvert
à tous les trafics du crime organisé comme aux groupes terroristes qui y trouvent abri, et fui
symétriquement par des flots de réfugiés qui menacent la stabilité des États voisins par
ailleurs avides de s’emparer de ses richesses ».813
Au demeurant, il convient de souligner que l’absence d’une définition homogène de l’État
défaillant et des critères d’identification des défaillances de l’État814 combinée à l’imprécision
des notions d’international concern ou de répercussions internationales, les interventions
internationales uniquement basées sur les considérations factuelles que nous venons de voir,
ne sont pas à l’abri d’une instrumentalisation politique par les acteurs dominants du moment.
Ainsi certains États peuvent être qualifiés de défaillants et faire l’objet d’une intervention
internationale alors même que leur situation interne ne le traduit pas ; en revanche d’autres
situations présentant réellement un international concern ou un risque d’internationalisation
ne seront pas jugées comme telles en raison de considérations politiques et d’enjeux
géostratégiques. En tout état de cause, le constat de l’existence de situations de défaillances
qui placent l’État dans l’incapacité d’assurer ses fonctions régaliennes, notamment la fonction
sécuritaire combiné aux risques d’exportation des effets de ces défaillances justifie, légitime
la mise en œuvre par la communauté internationale de certaines actions destinées à aider ledit
État à rétablir son autorité sur l’ensemble de son territoire et de sa population et à y assurer
effectivement ses missions essentielles. Mais le constat de l’existence de ces éléments factuels
suffit-il à lui seul à fonder une intervention internationale ? Ne faudrait-il pas que celle-ci soit
conforme à la légalité internationale ?
813.G. CAHIN, « Le droit international face aux ‘‘États défaillants’’ », op. cit., n. 780, p. 60. 814.Ibid., pp. 52 et 57.
274
§ 2 : Les fondements juridiques
La prise en charge internationale du rétablissement ou du maintien de la paix à l’intérieur d’un
État a connu un développement fulgurant dans la société internationale contemporaine. Cela
ne semble pas aller dans le sens d’un décroissement compte tenu du fait que la plupart des
conflits post-guerre froide sont internes aux États et que parmi ces derniers beaucoup n’ont
pas les moyens d’assurer effectivement leur fonction sécuritaire pour faire face aux défis
sécuritaires globaux qui les assaillent.
Face à ce développement des actions internationales de rétablissement ou de maintien de la
paix, il est nécessaire que des bases juridiques claires soient établies pour éviter ou au moins
réduire les risques d’instrumentalisation politique des institutions internationales par certaines
puissances. Dans cette perspective, la Charte des Nations Unies (1) s’avère plus efficace et
plus adaptée pour fonder la compétence internationale en matière de rétablissement ou de
maintien de la paix dans un État. Cette compétence peut également s’appuyer sur les
résolutions pertinentes de l’organe principal du maintien de la paix et de la sécurité
internationale, le Conseil de sécurité (2).
1. La Charte des Nations Unies
Il existe une thèse selon laquelle la Charte des Nations Unies serait non seulement la clé de
voûte de l’ordre juridique international mais placerait bien désormais celui-ci sous l’empire
d’une constitution, au sens où l’entendent les droits publics internes.815 Cette vision de la
Charte « évoque immédiatement un ordonnancement juridique établi à partir d’une structure
normative hiérarchisée, doublée d’une armature organique intégrée ».816 Dès lors, même si la
Charte de San Francisco demeure un traité international et que comme telle elle obéit au
principe de l’effet relatif des traités, contrairement à la Constituion qui dans l’ordre interne est
applicable à tous à l’intérieur d’un État, il n’en demeure pas moins vrai que cette thèse
constitutionnaliste traduit une certaine « unité matérielle de l’ordre juridique international »
dans laquelle la Charte se présente « comme un acte fondateur, constitutif d’un nouvel ordre 815.Voir P.-M. DUPUY, « L’unité de l’ordre juridique international… », op. cit., n. 107, pp. 215 et s ; B. FASSBENDER, “The United Nations Charter as Constitution of the International Community”, Columbia Journal of Transnational Law, vol. 36, 1998, n° 3, pp. 531-619; W. FRIEDMANN, The Changing Structure of International Law, Columbia University Press, 1964, p. 153 ; B. SIMMA, “From Bilateralism to Community Interest in International Law”, R.C.A.D.I., 1994, t. 250, pp. 217-384; C. TOMUSCHAT, “Obligations Arising for States without or against Their Will”, op. cit., n. 119, p. 195-374. 816.P.-M. DUPUY, « L’unité de l’ordre juridique international… », op. cit., n. 107, p. 215
275
international »817 et donc comme une « Constitution matérielle » de cet ordre. À cet égard, le
professeur Pierre-Marie Dupuy, écrit :
« affirmer que la Charte est la Constitution matérielle de l’ordre juridique signifierait que
c’est elle qui fournit les bases ou les fondements des règles fondamentales, sinon, elle-même,
l’ensemble des obligations essentielles auxquelles chacun des membres de l’ordre juridique
international ne saurait déroger, non pas seulement par voie d’accord mais par son action
propre, sans par la même se mettre « hors la loi » commune ; celle dont le respect doit être
garanti pour assurer la viabilité de cette communauté, sinon la même validité de l’ordre
juridique qui l’organise et la rend possible. Dire que la Charte est la Constitution matérielle
de l’ordre juridique international signifie ainsi que c’est elle qui constitue désormais le
sommet de l’édifice normatif international ; que la Charte s’est révélée, en regard de
l’évolution générale et du développement normatif de l’ordre juridique international, comme
sa « loi fondamentale » ».818
Ainsi regardée, la Charte des Nations Unies apparaît comme « le seul cadre de référence pour
la légalité et la légitimité des interventions internationales les plus importantes, en tête
desquelles figure l’ « action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte
d’agression » (Chapitre VII de la Charte) »819. Dès lors, compte tenu du fait que la principale
menace contre la paix n’est plus aujourd’hui la guerre interétatique mais infra-étatique avec
ses conséquences néfastes (terrorisme, déplacements massifs de populations, criminalité
organisée, pauvreté, famine…)820, en dehors du cas de légitime défense reconnue à l’article
51, seule l’O.N.U., est compétente pour décider d’actions internationales légales pour le
maintien de la paix à l’intérieur d’un État.
Cette compétence des Nations Unies peut être tirée d’un certain nombre de dispositions de la
Charte de Sans Francisco. Le Chapitre I relatif aux « Buts et Principes » contient à cet égard
une série de dispositions qui sont adaptées pour fonder la prise en charge internationale du
maintien de la paix et de la sécurité à l’intérieur d’un État souverain. En effet, l’objectif
premier de l’O.N.U. fut et reste de « préserver les générations futures du fléau de la
817.P.-M. DUPUY, « L’unité de l’ordre juridique international… », op. cit., n. 107, pp. 217 et s. 818.Ibid., p. 237. 819.T. DE MONBRIAL, « Interventions internationales, souveraineté des États et démocratie », op. cit. n. 782, p. 553 ; voir également : « Un monde plus sûr : notre affaire à tous », Rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, p. 35, Doc. N.U. A/59/565. 820.R. KHERAD, « La souveraineté de l’État et l’émergence d’une conception globale de la sécurité », in S.F.D.I., L’État dans la mondialisation, Colloque de Nancy, Paris, Pedone, 2013, p. 209 ; K. ANNAN, Rapport du millénaire, Nous les peuples, le rôle des Nations Unies au XXIe siècle, 24 mars 2000, Doc. N.U. A/54/2000, § 193.
276
guerre ».821 L’article 1 § 1 dispose, à ce titre, que parmi les buts des Nations Unies, il y a
« maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin : prendre des mesures collectives
efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte
d'agression ou autre rupture de la paix et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément
aux principes de la justice et du droit international, l'ajustement ou le règlement de différends
ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix ».
Dans cette perspective, les opérations de maintien de la paix, bien qu’elles ne soient pas
expressément prévues par la Charte, sont apparues comme des instruments à la disposition de
l’organisation dans son action pour atteindre ce but.822
Outre les dispositions générales de la Charte relatives aux buts de l’Organisation, d’autres
plus spécifiques habilitent les organes onusiens à mener une action en matière de
rétablissement de la paix. Le Chapitre VII est, à cet égard, très riche d’enseignements, car il
contient des dispositions concernant diverses « actions en cas de menace contre la paix, de
rupture de la paix et d'acte d'agression ». Sur la base de ce Chapitre, le Conseil de sécurité a
autorisé le déploiement de nombreuses opérations de maintien de la paix dans des situations
post-conflictuelles très instables dans lesquelles l'État était incapable de maintenir l'ordre
public et la sécurité.
Nous avons déjà relevé au début de cette section le fait que « si les Nations Unies conservent
une place centrale dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, l’intervention
d’acteurs régionaux, États ou regroupements d’États ayant des intérêts communs de
voisinage, apparaît désormais de plus en plus comme un vecteur d’efficacité et de légitimité
des interventions de maintien de la paix ».823 C’est pourquoi, le Chapitre VIII de la Charte
prévoit la participation des accords et arrangements régionaux dans le maintien de la paix et
de la sécurité internationales, à condition que ces activités soient conformes aux buts et aux
principes énoncés au Chapitre I de la Charte824 et qu’elles soient autorisées par le Conseil de
821.Préambule de la Charte. 822.Voir R. BEN ACHOUR, « Des opérations de maintien de la paix aux opérations d’imposition et de consolidation de la paix », in S.F.D.I., Les métamorphoses de la sécurité collective. Droit, pratique et enjeux stratégiques, Paris, Pedone, 2005, p. 123 ; v. aussi Ng. QUOC DINH, P. DAILLIER et A. PELLET, Droit international public, 6è éd., LGDJ, 1999, pp. 968-969. 823.M. DEYRA, Droit international public, Paris, Gualino Editeur, coll. Mémentos LMD, 2007, p. 175 824.Cela ressort notamment de l’article 52 § 1 de la Charte en vertu duquel « Aucune disposition de la présente Charte ne s'oppose à l'existence d'accords ou d'organismes régionaux destinés à régler les affaires qui, touchant au maintien de la paix et de la sécurité internationales, se prêtent à une action de caractère régional, pourvu que ces accords ou ces organismes et leur activité soient compatibles avec les buts et les principes des Nations Unies. »
277
sécurité.825 C’est dans ce cadre que des organisations internationales à vocation régionale
comme l’O.E.A. et l’U.A., ou sous-régionale comme la C.E.D.E.A.O. et la C.E.M.A.C
mènent à leur niveau des actions dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité dans
leurs États membres.
2. Les résolutions du Conseil de sécurité
Au-delà des dispositions de la Charte, le fondement juridique de l’action internationale en
faveur du rétablissement ou du maintien de la paix dans un État souverain doit aussi être
recherché dans les résolutions du Conseil de sécurité. Ce dernier étant l’organe à qui les États
membres, à travers la Charte, ont confié la responsabilité principale du maintien de la paix et
de la sécurité internationales, il lui appartient de « constater l’existence d’une menace contre
la paix d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression ». Une fois ce constat fait, le Conseil
a à sa disposition un éventail considérable de mesures parmi lesquels, il y a les opérations de
la paix.826
À l’origine les opérations de maintien de la paix étaient déployées dans le cadre de conflits
interétatiques. Mais avec la multiplication des conflits internes, la majorité des menaces à la
paix sont constituées de situations internes aux États. Par conséquent, la plupart des
interventions du Conseil en tant que gardien de la paix mondiale concernent non des conflits
interétatiques mais bien des « affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale
d’un État » ne serait-ce que par leur origine. À cet égard, les résolutions du Conseil de
sécurité autorisant le déploiement d’une opération de maintien de la paix dans un État
souverain constituent de véritables bases juridiques à l’exercice par des organes
internationaux d’activités opérationnelles relevant normalement de la compétence nationale
de l’État en matière de maintien ou de rétablissement de la paix. Les opérations de maintien de
la paix des Nations Unies se déploient en effet sur la base d’un mandat du Conseil de sécurité
qui détaille les tâches précises qu’elles doivent accomplir. Chaque conflit étant un cas
825.L’article 53 § 1de la Charte dispose à cet effet : « Le Conseil de sécurité utilise, s'il y a lieu, les accords ou organismes régionaux pour l'application des mesures coercitives prises sous son autorité. Toutefois, aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu d'accords régionaux ou par des organismes régionaux sans l'autorisation du Conseil de sécurité… » 826.R. BEN ACHOUR, « Des opérations de maintien de la paix aux opérations d’imposition et de consolidation de la paix », op. cit., n. 822, pp. 123-130, v. aussi B. STERN, « Évolution récente en matière de maintien de la paix par l’O.N.U. », L’observateur des Nations Unies - Revue de l’Association française pour les Nations Unies. Section d’Aix-en-Provence, n° 5, Automne-Hiver 1998, pp. 1-27.
278
particulier, les mandats du Conseil de sécurité varient dès lors selon la situation, la nature du
conflit et les défis particuliers qu’il présente.827
Certains auteurs se sont interrogés sur la base juridique des mandats que le Conseil de sécurité
confie aux opérations de maintien de la paix. Selon certains, les caractères consensuel et non
coercitif de ces opérations ainsi que l’exigence du consentement des parties pour leur
déploiement fonderaient le recours au Chapitre VI de la Charte de l’O.N.U., portant sur « le
règlement pacifique des différends ». Ils considèrent que selon ce chapitre VI, le libre choix
concernant le mode de règlement du conflit est laissé aux parties et que le Conseil de Sécurité
ne peut agir que pour formuler des recommandations d’action. Pour d’autres, des opérations
de maintien de la paix ayant la possibilité d’imposer des mesures coercitives sans le
consentement des parties ne peuvent être instituées que sur la base du Chapitre VII de la
Charte qui permet au Conseil de sécurité de décider des mesures impliquant ou pas la force
armée, qui ont un caractère obligatoire pour répondre à une menace à la paix, à une rupture de
la paix ou à un acte d’agression. Le professeur Yves Petit résume ainsi ces deux positions :
« le fondement juridique de cette technique para-constitutionnelle [à savoir les opérations de
paix] se trouve en effet entre les Chapitre VI et VII. En application du premier, les OMP
possèdent un caractère non contraignant et sont obligées d’obtenir le consentement des
belligérants. L’emprunt au titre du Chapitre VII réside dans la possibilité d’imposer des
mesures coercitives, sans le consentement des parties ».828
En réalité, le Conseil de sécurité n’est pas obligé de se référer à un chapitre précis de la Charte
des Nations Unies dans ses résolutions autorisant le déploiement d’une opération de maintien
de la paix des Nations Unies et ne s’est jamais prévalu du Chapitre VI en tant que tel.829
Ainsi, dans la résolution instituant le GANUPT, le Conseil ne s’est référé à aucun article ou
chapitre de la Charte. Il a simplement déclaré qu’il « décide de créer sous son autorité, pour
une durée pouvant aller jusqu’à douze mois, un Groupe d’assistance pour la période de
transition [aux fins] d’assurer dans un avenir proche l’indépendance de la Namibie au moyen
d’élections libres sous la supervision et le contrôle de l’Organisation des Nations Unies ».830
Par ailleurs, depuis les années 1990, le Conseil de sécurité s’est plutôt habitué à recourir au
Chapitre VII pour autoriser le déploiement des opérations de maintien de la paix dans des
827.V. Opérations de maintien de la paix des Nations Unies. Principes et orientations, Document publié par le Département des opérations de maintien de la paix, 2008, révisé en 2010, p.16. 828.Y PETIT, Droit international du maintien de la paix, Paris, L.G.D.J., coll. Systèmes, 2000, 218 p. 829.V. Opérations de maintien de la paix des Nations Unies. Principes et orientations, préc. n. 827, p. 14. 830.S/RES/435 (1978), 29 septembre 1978, § 3.
279
situations post-conflit volatiles où l’État n’était pas en mesure de garantir la sécurité et
maintenir l’ordre public.831
Le recours au Chapitre VII de la Charte pour autoriser le déploiement des opérations de
maintien de la paix traduit une certaine évolution de ces opérations non seulement du point de
vue de l’étendue de leur mandat et de la diversité de leurs tâches, mais également du point de
vue des « relations dialectiques complexes » qu’elles entretiennent avec le recours à la
force.832 En effet, la nature et les missions des opérations de maintien de la paix ont
profondément évolué : de simples missions d’interposition (telles que la FUNU I déployée en
1956 dans le Sinaï), elles sont passées à des opérations coercitives (comme l’ONUSOM II, de
1993 à 1995) ayant pour mission le maintien, le rétablissement, l’imposition et la
consolidation de la paix. L’invocation du Chapitre VII permet au Conseil de décider de
manière discrétionnaire et autoritaire sans risquer de se heurter à l’exception de la compétence
nationale figurant à l’article 2 § 7, exception que pourrait soulever le ou les États concernés
qui, généralement face à une action internationale, invoquent le principe de non-ingérence.
L’utilisation du Chapitre VII dans les situations où la compétence nationale est défaillante en
matière de maintien de la paix, de la sécurité et de l’ordre public traduit ainsi, au-delà de la
nécessité de préciser le bien-fondé juridique de l’action du Conseil, sa volonté de souligner
son engagement politique ferme et de rappeler aux parties, ainsi qu’à l’ensemble des États
membres des Nations Unies, la responsabilité qui leur incombe de donner suite à ses
décisions.833
Dès lors, le constat du Conseil de sécurité selon lequel une situation interne constitue une
menace contre la paix peut justifier le déploiement d’une opération de maintien de la paix et
conduire ainsi à un partage de la compétence de l’État dont la fonction sécuritaire est
défaillante. En conséquence, le principe de non-ingérence dans les affaires relevant de la
compétence nationale d’un État n’interdit pas la prise en charge par des organes
internationaux et ceux des Nations Unies en particulier du maintien de la paix et de la sécurité
dans un État en proie à un conflit interne, lorsque cette action internationale est susceptible de
favoriser le rétablissement de l’autorité dudit État et le retour à la paix. Dans ces conditions,
plus que la Charte, les résolutions du Conseil de sécurité autorisant le déploiement d’une
opération de maintien de la paix constituent un fondement juridique solide à l’exercice par des
831.V. Opérations de maintien de la paix des Nations Unies. Principes et orientations, précité note 827, p. 14. 832.R. BEN ACHOUR, « Des opérations de maintien de la paix aux opérations d’imposition et de consolidation de la paix », op. cit., note 822, pp. 127-128. 833.V. Opérations de maintien de la paix des Nations Unies. Principes et orientations, op. cit., note 827, p. 14.
280
organes internationaux, dans le cadre du maintien de la paix, d’activités relevant de la
compétence nationale de l’État.
Une fois établis les fondements de la prise en charge internationale du maintien de la paix à
l’intérieur d’un État, il convient à présent de voir en quoi consistent les activités
internationales de maintien de la paix à l’intérieur d’un État.
Section 2 : Les activités des opérations internationales en vue du maintien et
de la consolidation de la paix et de la sécurité
La recherche de la paix constitue la raison d’être des opérations de maintien de la paix. Cet
objectif est évoqué par l’ancien secrétaire général de l’O.N.U. Boutros Boutros Ghali pour qui
« il faut essayer de déceler aussi tôt que possible les situations porteuses de conflit et de
parer au danger avant que la violence ne se déclare ; lorsqu’un conflit éclate, d’entreprendre
de rétablir la paix en réglant les différends qui le sous-tendent ; de maintenir la paix lorsque
cesse le combat et de contribuer à la mise en œuvre des accords auxquels sont parvenus les
médiateurs ; de se tenir prêt à prendre part au rétablissement de la paix sous ses diverses
formes ; d’essayer d’extirper les causes les plus profondes du conflit : misère économique,
injustice sociale et oppression politique ».834
Pour remplir cet objectif, répondre aux différents types de conflits et faire face aux menaces
globales et émergeantes à la paix et à la sécurité internationales, les tâches confiées aux
opérations de maintien de la paix des Nations Unies sont devenues plus complexes, très
diversifiées et plus ambitieuses. En effet, le concept de « maintien de la paix » est devenu
particulièrement englobant ; les opérations complexes et multidimensionnelles ou
multifonctionnelles conduites aujourd’hui se distinguent singulièrement des opérations
consensuelles de surveillance menées durant la période de la guerre froide.835 Il s’agit désormais
de gérer des crises internes par la mise en place d’un ensemble d’actions visant à rétablir des
conditions de normalité dans les domaines sécuritaire, politique, humanitaire et/ou économique.
Cependant, en dépit de cette hétérogénéité des activités exercées dans le cadre des opérations de
834.« Agenda pour la paix », rapport présenté par le Secrétaire Général Boutros BOUTROS GHALI, le 17 juin 1992, A/47/277, S/I24111, pp. 4-5, § 15. 835.P. D’ARGENT, « Opérations de protection et opérations de maintien de la paix », in S.F.D.I., La responsabilité de protéger, Colloque de Nanterre, Paris, Pedone, 2008, p. 137.
281
maintien de la paix, il existe une certaine cohérence entre elles. Dans la plupart des
interventions internationales depuis la fin de la guerre froide, au-delà du maintien de la paix au
sens strict, il est souvent question « d’activités [qui] prennent place principalement dans des
environnements post-conflictuels et en soutien des autorités étatiques auxquelles elles ne se
substituent en principe pas836, mais traduisent également un degré d’immixtion important dans
les affaires intérieures des États. »837 Les opérations de maintien de la paix post-guerre froide
dépassent en effet le cadre strict du maintien de la paix (peacekeeping) pour prendre en charge
des activités de consolidation de la paix (peacebuilding) en vue de remédier aux causes
profondes des conflits. La dimension consolidation de la paix est devenue une priorité de la
communauté internationale et des Nations Unies en particulier838 en ce sens que pour éliminer
les causes profondes et multiples d’un conflit, et prévenir la résurgence des hostilités, il est
nécessaire de mener une action de consolidation de la paix. En d’autres mots, le maintien de
la paix doit désormais englober des actions qui « comporte[nt] la création et le renforcement
d’institutions nationales, la surveillance d’élections, une action de défense des droits de
l’homme, l’organisation de programmes de réinsertion et de relèvement et la recherche des
conditions de la reprise du développement. »839
L’intégration du volet consolidation dans les opérations de maintien de la paix traduit l’idée
que la paix n’est pas seulement « l’absence de guerre ou de violence directe et organisée entre
États ou groupes humains »840 mais qu’elle « nécessite une action de longue haleine qui
s’attaque aux causes structurelles du conflit et encourage le développement durable, l’état de
droit, la bonne gouvernance et le respect des droits de l’homme, comme autant d’éléments qui
rendent moins probable la résurgence d’un conflit violent ».841 Il s’agit de la « consolidation
836.Infra, Titre II, Chapitre II, Section 1, § 2. 837.T. TARDY, Gestion de crise, maintien et consolidation de la paix : Acteurs, activités, défis, Bruxelles, éd. de Boeck Université, 2009, pp. 9-10. 838.Déclarations intéressant la consolidation de la paix : S/PRST/1998/38, 29 décembre 1998 ; S/PRST/1999/21 8 juillet 1999 ; S/PRST/2000/10, 23 mars 2000 ; S/PRST/2004/33, 22 septembre 2004 ; S/PRST/2005/20, 26 mai 2005 ; RES/1645 (2005), 20 décembre 2005 ; S/PRST/2006/38, 9 août 2006 ; S/PRST/2007/3, 20 février 2007 ; S/PRST/2008/16, 20 mai 2008 ; S/PRST/2009/20, 10 juillet 2009 ; S/PRST/2009/23, 22 juillet 2009 ; S/PRST/2009/27, 28 octobre 2009 ; S/PRST/2010/20, 13 octobre 2010 ; S/PRST/2011/2, 21 janvier 2011 ; S/PRST/2012/29, 20 décembre 2012 ; S/PRST/2013/15, 14 août 2013 ; S/2000/101, 11 février 2000 ; A/62/19, 7 juillet, §§ 99 à 10 ; A/62/291, 24 juillet 2007 ; ; A/62/659 et S/2008/39 ; Rapport du Secrétaire général sur la consolidation de la paix au lendemain d’un conflit (S/2012/746). 839.Rapport sur Les causes des conflits et la promotion d’une paix et d’un développement durables en Afrique, A/52/871, S/1998/318, p. 14, § 63.
840.G. CAHIN, « Le droit international face aux ‘‘États défaillants’’ », op. cit., n. 780, p. 85. 841.Déclaration de Nuremberg à l’issue de la Conférence sur « Bâtir l’avenir sur la paix et la justice », tenue à Nuremberg en juin 2007. Elle a été distribuée comme document de l’Assemblée générale des Nation Unies (A/62/885, 19 juin 2008. Sur l’évolution de la conception de la paix, passage d’une « paix négative » (absence de violence) à une « paix positive » (éradication des causes profondes de la guerre), voir aussi K. ANNAN, « Les causes des conflits et la promotion d’une paix et d’un développement durables en Afrique » A/52/871 – S/1998/318, 13 avril 1998 ; M. BEDJAOUI, « Quelques considérations sur les perspectives de paix et de
282
de la paix après le conflit » ou de la reconstruction post-conflit, c’est-à-dire de l’ « action
menée en vue de définir et d’étayer les structures propres à raffermir la paix afin d’éviter une
reprise des hostilités ».842 Elle a pour objectif ambitieux de renforcer les capacités d’une
société sortie d’un conflit en vue de favoriser l’établissement d’une paix juste et durable. Elle
suppose pour ce faire une collaboration de nombreux acteurs (organisations du système des
Nations Unies, les institutions financières internationales, les organisations régionales, les
ONG…) sur des défis multidimensionnels et interdépendants, tels que la sécurité, la justice,
l’état de droit, la reconstruction socio-économique, la gouvernance démocratique et la
réconciliation.843 À cet égard, les opérations de la paix exercent non seulement des activités
de maintien de l’ordre public et de reconstruction politique (§ 1) mais aussi des activités de
reconstruction socio-économique de l’État (§ 2).
§ 1 : Les activités de maintien de l’ordre public et de reconstruction politique de
l’État
Le maintien de la paix est défini comme consistant « à établir une présence des Nations Unies
sur le terrain, ce qui n’a jusqu’à présent été fait qu’avec l’assentiment de toutes les parties
concernées, et s’est normalement traduit par un déploiement d’effectifs militaires et/ou de
police des Nations Unies ainsi, dans bien des cas, que de personnel civil ».844 Il convient
cependant de préciser que cette définition ne rend pas compte de toute la réalité des opérations
de maintien de la paix. Tout au plus, elle s’applique aux opérations communément dites de la
première génération, opérations qui consistaient à déployer des forces d’interposition
essentiellement militaires dont les tâches habituelles étaient l’observation de respect du
cessez-le-feu convenu dans les accords de paix, la surveillance des lignes de front, des zones
tampons, des zones démilitarisées, du retrait de troupes et éventuellement l’observation
d’opérations de désarmement etc. Cependant, « depuis la fin de la guerre froide, les
opérations de maintien de la paix ont été souvent associées à une mission de consolidation
dans le cadre d’opérations de paix complexes déployées dans un contexte de conflit
interne ».845 À ce titre, les mandats des opérations de paix comportent des activités de
développement à l’aube de l’an 2000 », in Personne humaine et droit international. Hector Gros-Espiel Liber Amicorum, Bruxelles, Bruylant, 1997, I, pp. 93-103 ; P.-M. DUPUY, « Sécurité collective et organisation de la paix », R.G.D.I.P., 1993, pp. 617-627 842.« Agenda pour la paix », op. cit., (note), p. 6, § 21. 843.V. CHETAIL, « La consolidation de la paix : enjeux et ambiguïtés d’un concept en quête d’identité », in Lexique de la consolidation de la paix, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 29-71. 844.« Agenda pour la paix », précité note 834, p. 6, § 20. 845.Rapport Brahimi, précité note 811, § 1, p. 4.
283
maintien de l’ordre et de la sécurité publics et de restauration de l’état de droit (1), mais
également des activités de reconstruction politique de l’État (2).
1. Les activités de maintien de l’ordre et de la sécurité publics et de
restauration de l’état de droit
Avec la fin de la guerre froide, le maintien de la paix a connu une importante évolution à la
fois quantitative et qualitative. Du point de vue quantitatif, l’augmentation du nombre
d’opérations de maintien de la paix est une réalité flagrante. Du point de vue qualitatif, il
convient de noter une diversification des tâches, une évolution des pouvoirs mais également
une diversification des acteurs.846 On a parlé à ce titre d’opérations de deuxième génération. Il
s’agit désormais d’opérations qui se traduisent par le déploiement de personnels civils et
militaires pour mettre en œuvre des tâches multiples dans des domaines étroitement rattachés
à la compétence nationale de l’État. En effet, à côté de leurs tâches classiques d’interposition,
de surveillance de cessez-le-feu, de zones démilitarisées etc., les opérations de maintien de la
paix exercent aussi des tâches de plus en plus diversifiées et de plus en plus intrusives dans
les affaires relevant essentiellement de la compétence nationale de l’État. Cette mutation des
activités opérationnelles de l’O.N.U. avait été prônée par Boutros Boutros-Ghali alors
Secrétaire général de l’organisation. En effet, dans son rapport du 22 juillet 1992 sur la
Somalie dans lequel il demandait au Conseil de sécurité d’approuver un plan global d’action,
l’ancien Secrétaire général disait :
« il faut […] que l’Organisation soit présente dans toutes les régions du pays et qu’elle
adopte une approche novatrice et globale recouvrant tous les aspects de la situation en
Somalie : le programme humanitaire de secours et de relèvement, la cessation des hostilités
et la sécurité, le processus de paix et de réconciliation nationale, qui doivent s’inscrire dans
un cadre global unique ».847
Le maintien de l’ordre et de la sécurité publics ainsi que l’instauration et la restauration de
l’état de droit font partie des prérogatives de l’État, à travers les institutions chargées de
veiller au respect de la loi (forces de police et de sécurité, institutions judiciaires). Il s’agit là
d’activités inhabituelles des opérations de maintien de la paix car, si depuis les années 1960, 846.Depuis 1988, plus de 50 opérations de maintien de la paix ont été déployées à travers le monde. Voir à ce sujet : J. TERCINET, Le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Recueil d’études, Bruxelles Bruylant, 2012, pp. 70 et s. 847.Rapport du Secrétaire général des Nations Unies du 22 juillet 1992 (S/24343), p. 12.
284
celles-ci comptent en elles des composantes de police, ces dernières avaient seulement pour
but de surveiller, d’observer et de faire un rapport848. Et pourtant, le maintien de l’ordre et de
la sécurité publics ainsi que le rétablissement de l’état de droit sont devenus des aspects
essentiels des activités des opérations de paix des Nations Unies. La mise en œuvre des autres
tâches confiées à ces opérations nécessite généralement que l’ordre et la sécurité soient
rétablis. À ce propos, le Groupe de personnalité de haut niveau sur les menaces, les défis et le
changement note que « pour rétablir la paix après une guerre civile, il faut surmonter
d’énormes problèmes de sécurité. »849 Dans le même esprit, la conseillère pour les questions
de police au Département des opérations de maintien de la paix disait :
« la Police des Nations Unies a la capacité unique de s’attaquer aux causes des conflits avant
que ceux‑ci n’atteignent le stade de la violence. Elle peut, en s’occupant de questions
touchant les collectivités dans un contexte civil, réduire les tensions. Elle peut, en faisant la
promotion de la réforme de la police, aider à réparer les relations entre la population et
l’État. Elle peut, en aidant à neutraliser ceux qui préconisent le recours à la violence, aider à
promouvoir la stabilité. Elle pourrait enfin, en rétablissant la sécurité publique, contrer les
conflits armés. »850
Avec le contexte post-guerre froide, la construction de la paix a pris une nouvelle dimension.
Il s’agit de construire une paix durable par la sécurité et la justice. C’est pourquoi le rôle des
forces de police s’est considérablement accru dans les mandats des opérations de maintien de
la paix. De plus en plus d’opérations intègrent la police pour le maintien de l’ordre et de la
sécurité publics ainsi que le rétablissement de l’état de droit. Dans ce cadre, le mandat de la
MINUK incluait une dimension de maintien de l’ordre public et de la sécurité. Dans sa
résolution 1244 (1999), le Conseil de sécurité a décidé que « les responsabilités de la présence
internationale de sécurité » déployée au Kosovo comprendront la mission d’« assurer le
maintien de l’ordre et la sécurité publics jusqu’à ce que la présence internationale civile
puisse s’en charger ».851 Dans le § 11 (i) de la même résolution, le Conseil confie à la
présence internationale civile la responsabilité de « maintenir l’ordre public, notamment en
mettant en place des forces de police locales et, entre-temps, en déployant du personnel
international de police servant au Kosovo ».
848. Le premier déploiement de police civile a eu lieu avec l'Opération des Nations Unies au Congo (ONUC) en 1960. 849.Un monde plus sûr, rapport précité, note 819, § 222. 850.A.-M ORLER, « La protection de la paix par la prévention policière », Magazine de la Police des Nations Unies, 7è éd., juillet 2011, p. 2. Consultable sur : http://www.un.org/fr/peacekeeping/issues/pdf/UNPoliceJuly2011_fr.pdf (Page consultée le 28 août 2013). 851.§ 9, d. de la résolution 1244 du 10 juin 1999.
285
Le déploiement d’activités opérationnelles en matière de maintien l’ordre et de la sécurité
publics et de rétablissement de l’état de droit caractérise par exemple la MISMA, qui avait
pour tâches, en entre autres, d’« aider les autorités maliennes à reprendre les zones du nord de
son territoire qui sont contrôlées par des groupes armés terroristes et extrémistes et à réduire
la menace posée par des organisations terroristes, y compris AQMI et le MUJAO et les
groupes extrémistes y affiliés […], de passer progressivement à des activités de stabilisation
afin d’aider les autorités maliennes à assurer la sécurité et à renforcer l’autorité de l’État au
moyen de capacités appropriées ».852 Dans le même ordre d’idées, l’ONUCI fut chargée, entre
autres, d’« aider le Gouvernement de Côte d’Ivoire, en concertation avec l’Union africaine, la
CEDEAO et d’autres organisations internationales, à rétablir une présence policière civile
partout en Côte d’Ivoire ; […] à rétablir l’autorité de la justice et l’état de droit […] ; à assurer
la neutralité et l’impartialité des médias publics en contribuant si nécessaire à la sécurité des
locaux de la Radiotélévision Ivoirienne (RTI) ».853 De même, fut confié à la MANUL le
mandat d’« épauler et soutenir les efforts faits par la Libye afin de rétablir l’ordre et la
sécurité publics et promouvoir l’état de droit ».854
Cette activité en matière de maintien de l’ordre et de la sécurité publics et de restauration de
l’état de droit se caractérise aussi par l’appui que les opérateurs du maintien de la paix
apportent aux forces nationales de police et de sécurité et aux institutions locales en charge de
la justice, en termes de formation, d’assistance technique et de renforcement des capacités. En
effet, une fois que le conflit est terminé, la reconstruction et la réforme du secteur de la
sécurité (RSS) s’avère indispensable pour l’instauration d’une paix et d’un développement
durables permettant aux populations de se sentir en sécurité et d’avoir confiance dans les
institutions étatiques. Dans cette perspective, la réforme du secteur de la sécurité est devenue
un volet essentiel des acteurs intervenant en matière de consolidation de la paix. Elle vise « à
instaurer un système de sécurité efficace et responsable pour l’État et les citoyens, sans
discrimination et dans le plein respect des droits de l’homme et de l’état de droit ».855 À ce
titre, il est confié aux opérations de la paix comme la MINUSMA, la tâche, parmi d’autres,
d’« accompagner les efforts nationaux et internationaux visant à rebâtir le secteur de la
sécurité […], en particulier la police et la gendarmerie, grâce à une aide technique, au 852.Résolution 2085 du 20 décembre 2012, § 9, (b), (c). 853.Résolution 1739 du 10 janvier 2007, § 2, (m) ; voir aussi résolution 1528 (2004), § 6 (p). 854.Résolution 2009, du 16 septembre 2011, § 12, a.
855.Rapport du Secrétaire général, Assurer la paix et le développement : le rôle des Nations Unies dans l’appui à la réforme du secteur de la sécurité, S/2008/39 – A/62/659, 23 janvier 2008, p. 7, § 17 ; Sur la question de l’État de droit, voir les Rapports du Secrétaire général sur Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit, S/2004/616, 23 août 2004 et sur État de droit et justice transitionnelle dans les sociétés en situation de conflit ou d’après conflit, S/2011/634, 12 octobre 2011.
286
renforcement des capacités et à des programmes de partage de locaux et de mentorat […] en
étroite coordination avec les autres partenaires bilatéraux, donateurs et organismes
internationaux menant des activités dans ces domaines ».856 On citera encore la tâche confiée
à l’ONUCI d’« apporter son concours, en étroite liaison avec le groupe de travail mentionné
au paragraphe 15 de la résolution 1721 (2006), à l’élaboration d’un plan de restructuration des
forces de défense et de sécurité et à la préparation d’éventuels séminaires sur la réforme du
secteur de la sécurité qui seraient organisés par l’Union africaine et la CEDEAO. »857 Dans le
même cadre s’inscrit également le mandat de la MANUL pour la reconstruction de l’appareil
policier et judiciaire de la Libye. Elle est en effet chargée d’ « aid(er) les autorités libyennes à
réformer les institutions judiciaires et pénitentiaires et à les rendre transparentes et
responsables […] ; rétablir la sécurité publique notamment en donnant des conseils et une
assistance stratégiques et techniques aux autorités libyennes pour leur permettre de se donner
des institutions compétentes […] et de mettre en place des institutions de police et de sécurité
compétentes, responsables et respectueuses des droits de l’homme, qui soient accessibles aux
femmes et aux groupes vulnérables ».858
Dans l’assistance qu’ils fournissent pour la réforme des différentes composantes du secteur de
la sécurité, les acteurs internationaux peuvent avoir des pouvoirs plus ou moins étendus
comme celui d’organiser, de superviser voire de modifier les institutions en charge de ce
secteur (comme les services police, de gendarmerie, l’administration pénitentiaire, la justice)
en vue de les rendre plus professionnelles et responsables. C’est à ce titre que, dans la
résolution 1608 du 22 juin 2005, le Conseil de sécurité « réaffirme que la MINUSTAH a le
pouvoir de soumettre à des contrôles de sécurité et d’agréer les membres actuels de la police
nationale haïtienne et ceux qui sont sur le point d’être recrutés, et demande instamment au
gouvernement de transition de veiller à ce qu’aucun policier haïtien ne puisse exercer ses
fonctions sans avoir été agréé et à ce que les autorités haïtiennes tiennent compte, à tous les
856.Résolution 2100 du 25 avril 2013, § 16, (iii). 857.Résolution 1739 (2007), préc., § 2, (e). V. également résolution 814 du 26 mars 1993, § 4 d (Somalie). Dans d’autres pays comme Haïti, le Libéria, la République démocratique du Congo…, des plans d’ensemble ont été élaborés par les opérateurs du maintien de la paix pour aider ces pays à construire ou reconstruire les postes de police, palais de justice et prisons. Ils ont également aidé les autorités nationales à renforcer les capacités et les ressources humaines locales nécessaires pour assurer le bon fonctionnement de ces institutions. 858.Résolution 2040 du 12 mars 2012, § 6 (b) et (c). Voir également la résolution 1996 du 8 juillet 2011 qui prévoit au paragraphe 3, c. que la MINUSS a pour mandat : « Aider le Gouvernement, conformément aux principes de l’appropriation nationale et en coopération avec l’équipe de pays des Nations Unies et d’autres partenaires internationaux, à se donner les moyens d’assurer la sécurité, d’instaurer l’état de droit et de renforcer les secteurs de la sécurité et de la justice ». C’est nous qui soulignons.
287
échelons, et sans retard, des conseils et recommandations techniques formulés par la
Mission. »859
Le déploiement d’opérations de maintien de la paix exerçant des activités de maintien de
l’ordre et de la sécurité publics et de rétablissement de l’état de droit pourrait apparaître
comme un palliatif à la carence de la compétence nationale en matière de sécurité. Comme l’a
souvent rappelé le Conseil de sécurité, « il incombe aux autorités [nationales] au premier chef
de garantir la sécurité et l’unité du territoire et d’en protéger la population civile dans le
respect du droit international humanitaire, de l’état de droit et des droits de l’homme ».860
Mais, il apparaît indispensable pour la communauté internationale, les Nations Unies en
particulier, de montrer que la paix ne peut être durablement rétablie sans la mise en place
effective d’institutions efficaces et responsables. C’est dans cet esprit que les activités des
opérations de maintien de la paix intègrent, outre le maintien de l’ordre et de la sécurité
publics et le rétablissement de l’état de droit, des actions de reconstruction politique de l’État.
2. Les activités de reconstruction politique de l’État
La construction ou la reconstruction de l’État n’est pas a priori de la compétence des
organisations internationales. Il s’agit d’une question qui semble bien relever de l’ordre
interne des États.861 Et pourtant, la reconstruction de l’État déstructuré par un conflit interne
est devenue une partie intégrante voire une priorité du maintien et de la consolidation de la
paix.862 En effet, la communauté internationale, par le biais des Nations Unies et d’autres
organisations internationales, régionales ou sous régionales, s’affirme de plus en plus
concernée par la question de la reconstruction politique de l’État à travers notamment la
reconstruction des institutions politiques.
Nous avons vu que les défaillances de la compétence nationale en matière sécuritaire se
traduisent par l’ineffectivité de l’autorité de l’État sur tout son territoire et/ou sur l’ensemble
de sa population. L’État est divisé et n’assure pas le monopole de l’exercice du pouvoir et de
la « violence légitime ». Une fois le constat de la défaillance établie, les opérations 859.Résolution 1608 du 22 juin 2005, § 8. Voir aussi Rapport du 24 août1992 (S/24480), p. 8, § 33.
860.Résolution 2071 du 12 octobre 2012 sur la situation au Mali. 861.J. TERCINET, Le maintien de la paix et de la sécurité internationales, op. cit., n. 846, pp. 909 et s. 862.Voir à ce sujet E. BARGUES, « Les Nations Unies face aux défis de la consolidation de la paix sociale », A.F.R.I., 2006, pp. 755-761 ; Y. DAUDET (dir.), Les Nations Unies et la restauration de l’État, Paris, Pedone, 1995 ; P. TEXEIRA, « Un nouveau défi pour le Conseil de sécurité : comment traiter les États déliquescents ou déchirés par des conflits internes », A.F.R.I., 2005, pp. 104-115.
288
internationales en vue du maintien ou de la consolidation de la paix et la communauté
internationale en général travaillent à corriger cette anomalie. Elles œuvrent pour « établir ou
rétablir sur l’ensemble du territoire [de l’État concerné] une organisation politique effective
en mesure d’exercer les fonctions étatiques de base. »863
Au demeurant, il convient de signaler que les organes internationaux intervenant dans un État
dans le cadre du maintien ou de la consolidation de la paix n’ont pas en principe la
compétence de mettre en place des institutions politiques de type gouvernemental ou
parlementaire. Cependant, on peut remarquer que l’O.N.U. a exercé, « sous la forme
d’administration internationale »864, des compétences territoriales transitoires qui ont permis
aux administrateurs de mettre en place des organes politiques transitoires exerçant des
compétences étatiques. L’administration internationale de territoire apparaît ainsi comme un
moyen de construction ou de reconstruction de l’État en dotant les administrateurs de
compétences gouvernementales (normative, exécutive et parfois même judiciaire). Ainsi de
l’Administrateur du Timor oriental qui a institué un Conseil national et un Cabinet du
gouvernement, formés dans un premier temps de fonctionnaires internationaux et de
personnalités locales puis, dans un second, de membres exclusivement timorais, qui
préfiguraient le parlement et le gouvernement issus d’élections démocratiques. Dans le même
esprit, s’inscrivent les institutions provisoires d’auto-administration autonome du Kosovo.865
Dans d’autres cas, la compétence opérationnelle des intervenants internationaux visait à
stabiliser une situation interne où « l’appareil politique et administratif » de l’État est
totalement ou partiellement déstructurer par un conflit. Il a été ainsi le cas de l’APRONUC
créée par le Conseil de sécurité en vertu des accords de Paris866 et qui devait répondre à
l’incapacité du Cambodge à s’administrer car détruit par le gouvernement des Khmers rouges
et déstabilisé par des factions rivales. Cette mission devait « assurer un environnement
politique neutre permettant la tenue d’élections générales libres et équitables » et apporter une
« assistance constitutionnelle et administrative » à travers notamment l’organisation « de
863.Voir G. CAHIN, « Le droit international face aux ‘‘États défaillants’’ », op. cit., n. 780, p. 95. 864.Y. DAUDET, « L’exercice de compétences territoriales par les Nations Unies », op. cit., n. 519, p. 19. 865.G. CAHIN, « Le droit international face aux ‘‘États défaillants’’ », op. cit., n. 780, p. 95 ; le même « L’action internationale au Timor oriental », A.F.D.I., 2000, pp. 139-175 ; E. LAGRANGE, « La Mission intérimaire des Nations Unies au Kosovo, nouvel essai d’administration directe d’un territoire », A.F.D.I., 1999, pp. 335-370. 866.Autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge créée par la Résolution 745 du 28 février 1992.
289
l’élection d’une assemblée constituante chargée d’élaborer une nouvelle constitution
établissant […] un ‘‘système de démocratie libérale fondée sur le pluralisme’’ ».867
À côté de l’administration de territoire par des missions des Nations Unies qui demeure
exceptionnelle, il y a l’accompagnement dans le processus de reconstruction politique qui va
de la supervision de la transition jusqu’à son aboutissement par l’organisation d’élections
démocratiques, « la formation d’un gouvernement effectif et représentatif »868 et
« l’établissement d’institutions démocratiques représentatives »869. C’est pour cette raison que
les mandats des opérations de consolidation de la paix présentent souvent une composante
relative à l’appui à l’organisation d’élections ouvertes à tous, libres, justes et transparentes.
Cet aspect caractérise la MINUSMA qui doit contribuer à la mise en œuvre de la feuille de
route pour la transition au Mali, y compris le dialogue national et le processus électoral. À cet
effet, elle doit « concourir à l’organisation et à la conduite d’élections présidentielle et
législatives transparentes, régulières, libres et ouvertes à tous, en apportant notamment l’aide
logistique et technique voulue et en mettant en place des mesures de sécurité efficaces ».870
Dans le même esprit, l’ONUCI fut chargée d’appuyer la mise en œuvre du processus de paix
en Côte d’Ivoire notamment en offrant, « avec le concours de la CEDEAO et des autres
partenaires internationaux, […] au Gouvernement de réconciliation nationale un encadrement,
des orientations et une assistance technique en vue de préparer et faciliter la tenue de
consultations électorales libres, honnêtes et transparentes dans le cadre de la mise en œuvre de
l’Accord de Linas-Marcoussis, en particulier d’élections présidentielles ».871 À ce titre,
l’ONUCI fut chargée de contribuer à l’opération d’identification de la population et
d’enregistrement des électeurs, et à la sécurisation des zones où seront conduites les
opérations de vote.872 Toujours dans ce cadre, le Conseil de sécurité a chargé le Représentant
spécial du Secrétaire général de « certifier que tous les stades du processus électoral
fourniront toutes les garanties nécessaires pour la tenue d’élections présidentielle et
législatives ouvertes, libres, justes et transparentes, conformément aux normes
internationales. »873
867.Y. DAUDET, « L’exercice de compétences territoriales par les Nations Unies », op. cit., n. 519, p. 28 ; P. ISOART, « L’Autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge », A.F.D.I., vol. 39, 1993, pp. 157-177. 868.Voir sur les progrès accomplis dans le processus de reconstruction de l’État et de réconciliation nationale en Somalie, les déclarations du Conseil de sécurité par la voix de son Président : S/PRST/2001/1, 11 janvier 2001, § 3 ; S/PRST/2004/43, 19 novembre 2004, § 3. 869.Résolution 814 (1993), § 17 du préambule ; S/PRST/2006/31, 13 juillet 2006, § 4. 870.Résolution 2100 (2013), § 16, b, iv. 871.Résolution 1528 du 9 mars 2004, § 6, m.
872.Résolution 1739 (2007), § 2, d et j. 873.Résolution 1765 du 16 juillet 2007, § 6.
290
Dans ces différents cas, il s’agit pour les intervenants internationaux de travailler à la
construction ou à la reconstruction de l’État sur les bases d’un système politique
démocratique. C’est d’ailleurs pourquoi, au-delà de l’appui au processus électoral dans le
cadre de la mise en œuvre du processus de paix, les opérations de consolidation de la paix
exercent aussi des compétences dans le domaine des droits de l’homme et de l’état de droit. Il
s’agit à ce niveau de faire en sorte que l’État construit ou reconstruit, à travers les autorités et
institutions qui l’incarnent, soit soumis au droit et fondé sur la reconnaissance des droits de
l’homme.874 À cet égard, dans le cas de la Libye après la chute de Kadhafi, le Conseil de
sécurité « réaffirme qu’il importe que la période de transition soit placée sous le signe de
l’attachement à la démocratie, à la bonne gouvernance, à l’état de droit, à la réconciliation
nationale et au respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales de tous… »875
L’assistance internationale dans ce domaine peut consister à promouvoir et à défendre les
droits de l’homme à travers notamment la surveillance, les enquêtes sur les violations de ces
droits, la lutte contre l’impunité des auteurs d’atteintes à ces droits etc. On peut citer par
exemple les opérations comme la MANUL876, la MINUSS877, la MINUSMA878, etc.
Dans l’entreprise de reconstruction politique de l’État en sortie de crise interne, les organes
internationaux peuvent exercer des compétences étendues et très intrusives dans la sphère de
compétence nationale. Cet exercice peut aller jusqu’à une mise sous tutelle voire une
substitution pure et simple de l’autorité étatique et cela dans des domaines aussi domestiques
que la matière constitutionnelle. En cela, le cas de la Côte d’Ivoire constitue une illustration
parfaite. En effet, lors de sa réunion du 6 octobre 2005, le Conseil de paix et de sécurité de
l’U.A. a publié un communiqué879 dans lequel, dans un premier temps, il « fait sien le constat
du Sommet extraordinaire de la CEDEAO sur la fin du mandat du Président Laurent Gbagbo
le 30 octobre 2005, ainsi que de l’impossibilité, reconnue par toutes les parties ivoiriennes,
d’organiser les élections présidentielles à la date prévue. » Dans un second temps, tirant la
conséquence de ce constat, « le Conseil décide que les arrangements convenus dans l’Accord
de Linas-Marcoussis se poursuivront à partir du 31 octobre 2005 pour une période n’excédant
pas douze (12) mois sur la base des modalités ci-après : le Président Gbagbo demeure chef de
l’État au cours de la période mentionnée plus haut, un nouveau Premier Ministre acceptable 874.Voir Rapport du Secrétaire général des Nations Unies sur Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit, S/2004/616, 23 août 2004. 875.Résolution 2040 (2012), § 2. 876.Ibid., § 2, b. 877.Résolution 1996 (2011), § 3, b, iii. 878.Résolution 2100 (2013), § 16, d. 879.Il s’agit de la décision du Conseil de paix et de sécurité de l’U.A. à l’issue de sa 40ème réunion tenue à Addis Abeba le 6 octobre 2005, PSC/AHG/Comm(XL).
291
pour toutes les parties signataires de l’Accord de Linas-Marcoussis sera nommé. Le
Gouvernement qu’il dirigera sera composé de personnalités proposées par les parties
ivoiriennes signataires de l’Accord de Linas-Marcoussis, le Gouvernement continuera à
assumer les responsabilités et tâches qui lui ont été assignées par les Accords de Linas-
Marcoussis et d’Accra III. Les Ministres seront responsables devant le Premier Ministre, qui
aura pleine autorité sur son Gouvernement ».
Par sa résolution 1633 du 21 octobre 2005 en son paragraphe 3, le Conseil de sécurité des
Nations Unies « réaffirme qu’il souscrit à l’observation de la CEDEAO et du Conseil de paix
et de sécurité concernant l’expiration du mandat du Président Laurent Gbagbo le 30 octobre
2005 et l’impossibilité d’organiser des élections présidentielles à la date prévue, et à la
décision du Conseil de paix et de sécurité, à savoir, notamment, que le Président Gbagbo
demeurera chef de l’État à partir du 31 octobre 2005 pour une période n’excédant pas 12 mois
et exige de toutes les parties signataires des Accords de Linas-Marcoussis, d’Accra III et de
Pretoria, ainsi que de toutes les parties ivoiriennes concernées, qu’elles l’appliquent
pleinement et sans retard ».880 Dans le paragraphe 4 de la même résolution, le Conseil de
sécurité s’est dit favorable à l’établissement du Groupe de travail international au niveau
ministériel et du Groupe de médiation créés par le Conseil de paix et de sécurité dans sa
décision du 5 octobre 2005. Ce G.T.I. est chargé d’évaluer, de contrôler et de suivre le
processus de paix, d’identifier les entraves et les responsables de ces entraves au processus de
réconciliation nationale, et de faire les recommandations appropriées au Conseil de paix et de
sécurité de l’U.A. et au Conseil de sécurité des Nations Unies.881 À cet effet, le Conseil de
sécurité charge le G.T.I. « de vérifier que le Premier ministre dispose de tous les pouvoirs et
de toutes les ressources » ; il l’ « invite, notant que le mandat de l’Assemblée nationale prend
fin le 16 décembre 2005, à consulter toutes les parties ivoiriennes […] en vue de faire en sorte
que les institutions ivoiriennes fonctionnent normalement jusqu’à la tenue des élections… ».
De même, le Conseil de sécurité demande au G.T.I. d’ « élabore[r] dès que possible une
feuille de route en consultation avec toutes les parties ivoiriennes, en vue de tenir des
élections libres, régulières, ouvertes et transparentes… »882
880.§ 3 de la résolution 1633. 881.§ 10, (v) de la décision du CPS du 6 octobre 2005. 882.Voir les paragraphes 10, 11, 13 et 24 de la résolution 1633 (2005). Il convient de signaler que dans la mise en œuvre de son mandat, le GTI avait suggéré la non prorogation du mandat de l’assemblée nationale arrivé à expiration alors même que le Conseil constitutionnel ivoirien dans avis n° 2005/013/CC/SG du 15 décembre 2005 (avis demandé par le président de la République) devait affirmer, sur le fondement de l’article 48 de la Constitution ivoirienne, qu’il « est d’avis, que l’Assemblée nationale demeure en fonction et conserve ses pouvoirs ». Cette position du GTI a soulevé de violentes manifestations à travers la Côte d’Ivoire. Et finalement elle n’a pas été suivie.
292
Dans la même lignée s’inscrit aussi la résolution 1721 du 1er novembre 2006 par laquelle le
Conseil de sécurité a, de manière autoritaire, procédé à la réorganisation du partage du
pouvoir entre le Président de la république et le Premier ministre de transition. Ce dernier
s’est vu transféré d’importants pouvoirs du Président. Il lui est en effet confié le mandat de
mettre en œuvre toutes les dispositions de la feuille de route établie par le G.T.I. et des
accords conclus entre les parties ivoiriennes en vue de l’organisation d’élections libres,
ouvertes, régulières et transparentes d’ici au 31 octobre 2007 au plus tard avec l’appui de
l’Organisation des Nations Unies et de donateurs potentiels, et de conduire en particulier : le
programme de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR), les opérations
d’identification de la population et d’enregistrement des électeurs en vue d’établir des listes
électorales crédibles, les opérations de désarmement et de démantèlement des milices, la
restauration de l’autorité de l’État et le redéploiement de l’administration et des services
publics sur l’ensemble du territoire ivoirien, la préparation technique des élections, la
restructuration des forces armées. Sur la base de la volonté du Conseil de sécurité, le Premier
ministre acquiert ainsi une prééminence politique sur le Président qui, conformément aux
dispositions de la Constitution ivoirienne, l’article 41 notamment, demeure l’élément central
du régime.883
En appuyant la décision du Conseil de paix et de sécurité de l’U.A. en vertu de laquelle « les
ministres rendront compte au Premier ministre, qui exercera pleinement son autorité sur son
cabinet »884, en soulignant que « le Premier ministre doit disposer de tous les pouvoirs
nécessaires, […], ainsi que de toutes les ressources financières, matérielles et humaines
voulues… »885, et en fixant la limite du maintien au pouvoir du président Gbagbo à 12 mois
qu’il renouvèlera par la suite, le Conseil de sécurité a de fait non seulement révisé la
Constitution ivoirienne mais aussi la nature du régime politique de cet État souverain en le
faisant passer d’un régime présidentiel à un régime parlementaire. La conséquence principale
de ces décisions est la modification sensible des dispositions constitutionnelles ivoiriennes
régissant l’élection du président ou son maintien au pouvoir en cas de circonstances
exceptionnelles. En effet, aux termes de l’article 38 de la Constitution ivoirienne du 23 juillet
2000, « en cas d'événements ou de circonstances graves, notamment d'atteinte à l'intégrité du
territoire, ou de catastrophes naturelles rendant impossible le déroulement normal des 883.En vertu de cet article, « Le Président de la République est détenteur exclusif du pouvoir exécutif. Il nomme le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, qui est responsable devant lui. Il met fin à ses fonctions. Le Premier Ministre anime et coordonne l'action gouvernementale. Sur proposition du Premier Ministre, le Président de la République nomme les autres membres du Gouvernement et détermine leurs attributions. Il met fin à leurs fonctions dans les mêmes conditions ». 884.§ 6 de la résolution 1633. 885.§ 8.
293
élections ou la proclamation des résultats, le Président de la Commission chargée des
élections saisit immédiatement le Conseil constitutionnel aux fins de constatation de cette
situation. Le Conseil constitutionnel décide dans les vingt-quatre heures, de l'arrêt ou de la
poursuite des opérations électorales ou de suspendre la proclamation des résultats. Le
Président de la République en informe la Nation par message. Il demeure en fonction. Dans le
cas où le Conseil constitutionnel ordonne l'arrêt des opérations électorales ou décide de la
suspension de la proclamation des résultats, la Commission chargée des élections établit et lui
communique quotidiennement un état de l'évolution de la situation. Lorsque le Conseil
constitutionnel constate la cessation de ces événements ou de ces circonstances graves, il fixe
un nouveau délai qui ne peut excéder trente jours pour la proclamation des résultats et quatre-
vingt-dix jours pour la tenue des élections ».
Dans cette volonté de rétablir une paix durable en Côte d’Ivoire à travers l’établissement
d’institutions politiques démocratiques et représentatives, le Conseil de sécurité et, à travers
lui, l’U.A. et la CEDEAO, se sont arrogés une compétence souveraine car « l’exercice du
pouvoir constituant originaire, souverain par excellence, exige que la rédaction et l’adoption
[et la révision] de la constitution soient entre les mains du titulaire de la souveraineté ou à tout
le moins de l’organe internationalement légitimé pour le représenter. »886
En plus du cas de la Côte d’Ivoire, on peut également se référer au cas particulier du Soudan
du Sud. Suite à la création, en juillet 2011, de cet État né de la désagrégation du Soudan après
plusieurs années de conflit, le Conseil de sécurité a créé la MINUSS ayant pour mandat
principal de « concourir […] à bâtir l’État et à favoriser le développement économique à long
terme en prêtant bons offices, conseils et concours au Gouvernement dans les domaines de la
transition politique, de la gouvernance et de l’instauration de l’autorité de l’État, y compris
s’agissant de définir la politique nationale en ces matières ; en encourageant la population à
participer à la vie politique, notamment en aidant, par des conseils et un appui, le
Gouvernement de la République du Soudan du Sud à instituer un ordre constitutionnel ouvert
à tous ; à tenir des élections dans le respect de la constitution ; à favoriser l’avènement d’une
presse indépendante ; et ouvrir aux femmes les portes de toutes les instances de prise de
décisions ».887 Même si le Conseil de sécurité a rappelé le principe de l’appropriation
nationale, il est clair que le gouvernement de Soudan du Sud ne peut pas décider ou agir en
toute liberté. Face aux attributions de la MINUSS, il n’a pas le monopole de l’exercice des
compétences attachées à sa qualité d’État. 886.G. CAHIN, « Le droit international face aux ‘‘États défaillants’’ », op. cit., n. 780, p. 98. 887.Résolution 1996 (2011), § 3, a.
294
On voit bien que dans l’entreprise de construction de la paix dans un État en conflit interne, la
communauté internationale, les Nations Unies en particulier, peuvent être amenées à
intervenir dans des matières aussi intérieures aussi constitutionnelles des États telles que
l’organisation politique, l’aménagement des pouvoirs entre les institutions internes, les choix
économiques et sociaux, et parfois même la formulation des relations extérieures, « matières à
propos desquelles le principe de souveraineté [leur] permet de se décider librement ».888 À cet
égard, les activités de reconstruction des États en sortie de conflit constituent pour la
communauté internationale et les Nations Unies en particulier des moyens de promotion de
modèles et de valeurs majoritairement partagés au sein de cette communauté internationale et
qui sont considérés comme des garanties efficaces d’une paix durable : démocratie, droits de
l’homme, état de droit, bonne gouvernance, économie de marché.889 Dans ce cadre, les
opérations internationales pour la consolidation de la paix après les conflits exercent un
éventail de tâches qui visent à reconstituer un élément constitutif de l’État, un gouvernement
effectif capable d’exercer les fonctions étatiques. Cela passe par l’organisation d’élections
libres, honnêtes et transparentes pour désigner les autorités légitimes et représentatives, mais
aussi par l’appui au « développement de l’infrastructure institutionnelle à plus long terme,
notamment des institutions qui encouragent l’adoption de procédures démocratiques ».890 Il
s’agit donc d’accompagner des États en sortie de crise interne vers l’établissement d’un
gouvernement effectif à même d’assurer les fonctions étatiques de base et fondé sur des
principes démocratiques, la bonne gouvernance et le développement économique.
888.Affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, arrêt précité note 159, p. 108, § 205. 889.Voir à ce sujet J. D’ASPREMONT, « La création internationale d’États démocratiques », R.G.D.I.P., 2005, pp. 889-908 ; L.-A. SICILIANOS, « Les Nations Unies et la démocratisation de l’État. Nouvelles tendances », in R. MEHDI (dir.), La Contribution des Nations Unies à la démocratisation de l’État. Dixièmes Rencontres internationales d’Aix-en-Provence, Colloque des 14 et 15 décembre, 2001, Paris, Pedone, 2002, pp. 13-47 ; le même L’ONU et la démocratisation de l’État – Systèmes régionaux et ordre juridique universel, op. cit., n. 454 ; et « Le respect de l’État de droit comme obligation internationale », op. cit., n. 482, pp. 143-152. 890.S/PRST/2011/2, 21 janvier.
295
§ 2 : Les activités de reconstruction socio-économique de l’État
Pour répondre au défi de la reconstruction post-conflit des États, certaines institutions
internationales ont élaboré un « cadre d’action », « cadre politique » ou « politique générale »
d’intervention.891 Il s’agit, à travers ces documents, de « fourni[r] à l’ensemble des divers
acteurs impliqués dans les systèmes de reconstruction post-conflit une plate-forme commune
pour conceptualiser, organiser et hiérarchiser les réponses politiques », mais également de
« faciliter la cohérence de l’évaluation, de la planification, de la coordination et de la
surveillance des systèmes de reconstruction post-conflit en fournissant un cadre commun de
référence et une base conceptuelle à l’usage de toute la gamme d’acteurs pluridisciplinaires,
polyvalents et multidimensionnels qui peuplent ces systèmes. »892
S’inscrivant dans la perspective globale du maintien de la paix et de la sécurité
internationales, les Nations Unies œuvrent pour faire face à tout ce qui peut menacer l’atteinte
de ce but général. C’est pourquoi dans les situations où les structures de l’État sont détruites
au point de constituer une menace à la paix, la reconstruction des institutions politiques et
donc de l’État demeure un objectif à long terme de la communauté internationale en général et
des Nations Unies en particulier. Mais le rétablissement de l’autorité politique de l’État ne
suffit pas à elle-seule à enrayer les risques de résurgence du conflit si le lien social est plus ou
moins délité et que l’économie nationale et les services publics essentiels ne sont pas relancés.
C’est pour cette raison que les activités internationales de consolidation de la paix après les
conflits ou de reconstruction post-conflit s’attachent aussi à la reconstitution sociale de l’État
(1), au rétablissement des services publics essentiels, à la relance et au développement de
l’économie nationale (2).
1. La reconstruction sociale de l’État
Les conflits internes qui prennent souvent la forme de guerres civiles sont caractérisés par leur
violence et le nombre élevé de réfugiés et de personnes déplacées qu’ils entraînent,
conduisant ainsi à une dislocation, un délitement du tissu social. Dans ce contexte, l’action 891.Cadre politique de reconstruction post-conflit en Afrique, Secrétariat du NEPAD, Programme pour la gouvernance, la paix et la sécurité, Juin 2005, p. iv, [En ligne]. Disponible sur : http://democratie.francophonie.org/IMG/pdf/Cadre_politique_de_reconstruction_post_conflit_en_Afrique.pdf (page consultée le 24 septembre 2013). Voir aussi le Cadre d’action pour la reconstruction post-conflit élaboré par la Banque Mondiale, IBRD, A Framework for World Bank Involvment in Post-Conflict Reconstruction, Washington D.C., 1997. 892.Ibid.
296
internationale de consolidation de la paix s’attache aussi à reconstruire socialement l’État,
c’est-à-dire à « reconstituer sa substance humaine ».893 Cette activité comporte plusieurs
volets dont les plus importants sont le retour et la réinstallation des réfugiés, le désarmement,
la démobilisation et la réinsertion ou réintégration des ex-combattants, la réconciliation
nationale et la cohésion sociale.
La reconstitution de la substance humaine de l’État, c’est-à-dire de sa population passe avant
tout par le retour, le rapatriement et la réinstallation des réfugiés et des personnes déplacées
par le conflit, les violences et les violations des droits de l’homme qui vont avec lui. Le retour
des réfugiés est certes volontaire, mais il s’agit d’une étape importante des processus de paix
et de reconstruction de l’État. En effet, comme l’écrit le professeur Gérard Cahin,
« le retour et la réinstallation conditionnent en effet à court terme le processus de
légitimation des autorités politiques par la voie d’élections qui supposent d’établir des listes
électorales aussi complètes et exactes que possible afin d’assurer aux premières une
authentique représentativité : la reconstitution démographique de la population est en ce sens
déjà une reconstitution juridique de la nation comme corps électoral… »894
C’est en tenant compte de l’importance de ce volet de la reconstruction de l’État que les
Nations Unies se sont dotées d’une agence pour les réfugiés, le Haut-commissariat pour les
réfugiés (HCR) dont le travail consiste également à faciliter le retour volontaire des réfugiés, à
soutenir la réinstallation et la réintégration. C’est à ce titre que, dans le cadre des opérations
de rapatriement et de réintégration, cet organisme mène aussi des activités visant à répondre
aux besoins des collectivités accueillant des rapatriés, notamment par des initiatives visant à
répondre aux besoins immédiats dans les domaines de l’éducation, de la santé, de l’eau et de
l’assainissement, de la création de revenus et des services communautaires, et d’autres
activités de réintégration connexes, en plus de projets à impact rapide visant à promouvoir et à
appuyer l’opération de rapatriement et de réinstallation.895 Le retour des réfugiés et des
personnes déplacées est reconnu par le Conseil de sécurité comme un droit et constitue à cet
égard un aspect des mandats de certaines opérations de maintien ou de consolidation de la
paix. C’est à ce titre que, dans sa résolution 1244 (1999), le Conseil de sécurité, « réaffirmant
le droit qu’ont tous les réfugiés et personnes déplacées de rentrer chez eux en toute sécurité
[…], décide que les responsabilités de la présence internationale de sécurité qui sera déployée
893.G. CAHIN, « Le droit international face aux ‘‘États défaillants’’ », op. cit., n. 780, p. 105. 894.Ibid., pp. 105-106. C’est l’auteur qui souligne. 895.Voir le Rapport du Secrétaire général sur l’Assistance aux réfugiés, aux rapatriés et aux personnes déplacées en Afrique, 8 septembre 2003, A/58/353, pp. 4 et 5, §§ 5 et 6.
297
et agira au Kosovo incluront : […] établir un environnement sûr pour que les réfugiés et les
personnes déplacées puissent rentrer chez eux… ». Dans le même sillage, s’inscrit la
résolution 2085 (2012) autorisant le déploiement de la MISMA, qui a pour tâche, parmi
d’autres, d’« aider les autorités maliennes à créer de bonnes conditions de sécurité pour […]
le rapatriement librement consenti des déplacés et des réfugiés ».896
Toujours dans le cadre de la reconstitution sociale de l’État en sortie de crise, les activités de
consolidation de la paix comprennent également des programmes de désarmement,
démobilisation et de réintégration ou réinsertion (DDR) des ex-combattants.897 Presque toutes
les opérations de maintien de la paix ont cette tâche de DDR. En effet, dans les pays en sortie
de conflit interne, le Conseil de sécurité confie généralement aux opérations de maintien de la
paix la tâche, parmi d’autres, d’aider le Gouvernement, en étroite coordination avec d’autres
partenaires internationaux et bilatéraux, à élaborer et mettre en œuvre sans tarder un
programme national de désarmement, de démobilisation et de réintégration des combattants et
de démantèlement des milices et groupes d’autodéfense qui ont eu à se constituer durant le
conflit.898 Dans ce sillage, par sa résolution 2062 (2012), le Conseil de sécurité décide que
l’ONUCI « doit se concentrer davantage sur l’appui à fournir au Gouvernement pour les
activités de désarmement, démobilisation et de réintégration (DDR) des ex-combattants »
comme le prévoit la résolution 2000 (2011). Cette activité de DDR participe au rétablissement
de la sécurité, de la paix et de la stabilité du pays mais aussi à la reconstitution sociale de
l’État en insistant notamment sur le retour des ex-combattants à la vie civile et sur leur
réintégration dans le tissu économique et social. C’est dans cette perspective qu’en Haïti, la
MINUSTAH « s’emploie, en collaboration avec le secteur privé, à former et encadrer des
jeunes à risque dans le cadre d’un programme visant à faire reculer la violence au niveau
local. »899 C’est à ce même titre qu’en Côte d’Ivoire les Nations Unies ont adopté une
initiative de réinsertion socio-économique des ex-combattants et des jeunes à risque. Cette
initiative appelée les « 1000 microprojets » s’inscrit dans le cadre de l’appui au programme
national de réinsertion et de réintégration des ex-combattants et ex-miliciens mis sur pied par
le gouvernement ivoirien et soutenu par les partenaires internationaux (Union Européenne,
Banque Mondiale, agences des Nations Unies, les partenaires bilatéraux et l’ONUCI). Ces
896.Résolution 2085 (2012), § 9, e). Voir aussi résolution 2100 (2013) créant la MINUSMA, § 16, e). 897.Sur ces notions, voir R. MUGGAH, « Désarmement, démobilisation et réintégration », in Lexique de la consolidation de la paix, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp.145-165. 898.Voir également la résolution 1528 (2004), § 6, d, e, f, g, h et la résolution 1609 (2005). 899.Voir le Rapport du Secrétaire général sur la Consolidation de la paix au lendemain d’un conflit, 8 octobre 2012, p. 14, § 39, (A/67/499 ; S/2012/746).
298
projets concernent notamment les domaines de l’agriculture, l’élevage, la pêche, la
mécanique, le maraîchage, le bâtiment, la restauration etc.900
La réconciliation nationale est un autre aspect de la consolidation de la paix ou de la
reconstruction sociale de l’État en sortie de conflit. Dépourvue de signification juridique et
plus encore de contenu, la réconciliation désigne néanmoins communément un processus de
reconnaissance et d’acceptation mutuelles de groupes déchirés par des fractures profondes en
vue de parvenir à une coexistence pacifique et si possible même à l’instauration de liens de
solidarité ; au-delà de la reconstitution démographique, économique et sociale de la substance
humaine de l’État, elle poursuit l’objectif plus ambitieux de (re)fonder une communauté
politique sinon d’élaborer une identité nationale.901 La réconciliation nationale exige que les
victimes, les auteurs des actes de violence et l’ensemble de la société puissent être en mesure
de décider de la manière de panser les blessures que le conflit a provoquées et de restaurer les
relations sociales de sorte à amenuiser les risques de retour de la violence.902 Dans cette
perspective, les acteurs internationaux et les opérations de maintien de la paix en particulier
ont pour mandat d’apporter leur appui au renforcement de la cohésion sociale et au processus
de réconciliation nationale que prévoient la plupart des accords de paix ou de sortie de crise.
À cet effet, certaines opérations de la paix se sont dotées d’une section des affaires civiles
dont les activités consistent, entre autres, à participer aux initiatives et efforts visant la
promotion de la paix, au renforcement de la cohésion sociale et de la réconciliation nationale,
nécessaire à la reconstruction post-crise. Il s’agit notamment de faciliter et de promouvoir le
dialogue social entre les différents acteurs, d’encourager le dialogue intercommunautaire, de
former et de sensibiliser les groupes cibles aux méthodes non violentes de gestion et de
prévention des conflits, de soutenir les structures locales de réconciliation et de paix, et les
projets visant à renforcer la cohésion sociale. Dans le cadre de l’appui à la réconciliation
nationale, les opérateurs de la paix mènent également des activités de sensibilisation à la
culture de la paix et du dialogue, de renforcement des capacités des groupes-cibles sur
diverses thématiques essentielles dans la phase de reconstruction post-crise en matière de :
participation citoyenne, de bonne gouvernance, de techniques d’animation, de rapprochement
communautaire, etc.
900.Informations disponibles sur : http://www.onuci.org/spip.php?rubrique80 (page consultée le 23 octobre 2013). 901.G. CAHIN, « Le droit international face aux ‘‘États défaillants’’ », op. cit., n. 780, p. 107 ; P. HAZAN, « Réconciliation », in Lexique de la consolidation de la paix, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 337-351. 902.Rapport Secrétaire sur la Consolidation de la paix au lendemain d’un conflit, 8 octobre 2012, p. 14, § 38, (A/67/499 ; S/2012/746).
299
Dans cette phase de reconstruction sociale de l’État et de réconciliation nationale en
particulier, la justice occupe une place importante. En effet, pour éviter de retomber dans la
crise, il est essentiel que les victimes aient un accès effectif à la justice, à la réparation et
qu’elles aient le sentiment que celle-ci a été bien rendue. C’est pour cette raison que la
communauté internationale et les Nations Unies en particulier encouragent les États en
reconstruction post-conflit à promouvoir la justice et le respect des droits de l’Homme ainsi
que la lutte contre l’impunité. Le Conseil de sécurité est sur ce point très clair. Il a, dans ses
résolutions, régulièrement souligné « qu’il incombe aux États de mettre fin à l’impunité et de
poursuivre les personnes qui sont responsables de génocide, de crimes contre l’humanité et de
violations graves du droit international humanitaire ».903 C’est dans cette perspective qu’il
faudrait également comprendre le rôle du Conseil de sécurité dans la justice pénale
internationale à travers la création des T.P.I. ad hoc, ou de juridictions nationales
internationalisées ou encore dans le fonctionnement de la C.P.I.904 Cela expliquerait
également le mandat que le Conseil confie aux opérations de paix, relatif à l’appui aux
mécanismes de justice transitionnelle dans les pays en reconstruction post-crise, à savoir les
« commissions vérités et réconciliation ». À cet égard, dans sa résolution 2062 (2012)905, le
Conseil de sécurité « souligne qu’il faut d’urgence prendre des mesures concrètes pour
promouvoir la justice et la réconciliation à tous les niveaux et de tous les côtés, notamment en
faisant participer activement les groupes de la société civile, l’objectif étant de remédier aux
causes profondes des crises que connaît la Côte d’Ivoire ». À ce titre, il « préconise d’appuyer
les mécanismes de justice transitionnelle, notamment la Commission dialogue, vérité et
réconciliation (CDVR), qui devrait adopter un programme global et de grande envergure et
intensifier les activités qu’elle mène à l’échelle locale dans tout le pays ».
La reconstruction sociale de l’État s’avère indispensable pour éviter la résurgence des conflits.
Cependant, dans un État profondément touché par un conflit interne, la reconstruction sociale
de la substance humaine ne suffit pas à elle seule à endiguer les risques de retour du conflit
lorsque les ex-combattants désarmés et démobilisés, les rapatriés et la population en général
continuent de baigner dans la pauvreté. C’est pourquoi, la reconstruction sociale de l’État doit
903.Résolution 1265 du 17 septembre 1999, § 6. Voir la résolution 1674 du 28 avril 2006, § 8 et toutes les résolutions du Conseil de sécurité sur la protection des civils dans les conflits armés, sur les enfants dans les conflits armés, ou encore sur les femmes et la paix et la sécurité. Pour ces résolutions voir infra Chapitre suivant, Section 1, § 2, 1. 904.Cf. supra, Première partie, Titre II, Chapitre II. 905.Résolution 2062 du 26 juillet 2012, § 10. Avant la C.D.V.R. en Côte d’Ivoire, les Nations Unies ont aussi appuyé les commissions vérité et réconciliation au Timor oriental (commission Accueil, Vérité et Réconciliation) ou en Sierra Léone.
300
aller de pair avec la reconstruction économique par le biais d’activités de rétablissement des
services publics essentiels, de relance et de développement de l’économie nationale.
2. Les activités de rétablissement des services publics essentiels, de relance et
de développement de l’économie nationale
Les interventions internationales dans le domaine de compétence nationale en matière de
maintien ou de consolidation de la paix ne sont pas seulement d’ordre militaire, sécuritaire ou
politique mais également économique. En effet, comme le disait Kofi Annan, ancien
Secrétaire général des Nations Unies, « après un conflit, on ne peut guère espérer de progrès
ou de paix durable sans mesures de reconstruction et de développement. »906 Sur la même
lignée, le Conseil de sécurité « souligne que la réhabilitation et la reconstruction économiques
constituent souvent les tâches les plus importantes pour les sociétés sortant d’un conflit, et
qu’une aide internationale importante devient alors indispensable pour promouvoir le
développement durable. »907 Il est évident, en effet, que la destruction des infrastructures
économiques vitales et le ralentissement de l’activité économique durant les conflits font que
les États sortent des conflits encore plus affaiblis ou plus effondrés qu’avant leur
déclenchement. Dans ce contexte de faiblesse ou d’inexistence de ses capacités, l’État n’est
généralement plus à même d’assurer ses fonctions essentielles et a fortiori d’élaborer lui-
même et de mettre en œuvre une véritable politique de relance ou de développement de son
économie nationale. À ce titre, l’action concertée et coordonnée de la communauté
internationale, (instituions du système des Nations Unies, institutions financières
internationales, bailleurs de fonds bilatéraux, organismes régionaux, ONG…) s’avère plus
que nécessaire pour l’aboutissement du processus de paix, la prévention de la reprise des
conflits, le rétablissement des services publics essentiels et la relance de l’économie nationale.
Le rétablissement des services publics essentiels ou sociaux de base et la relance de
l’économie nationale au lendemain d’un conflit interne sont, depuis la fin de la guerre froide,
devenus des leitmotive des institutions internationales, des États et des ONG impliquées dans
la consolidation de la paix.908 Conscients du fait que, pour favoriser la réconciliation nationale
906.Rapport sur Les causes des conflits et la promotion d’une paix et d’un développement durables en Afrique, p. 14, § 62 (A/52/871, S/1998/318).
907.S/PRST/1998/38, 29 décembre. 908.Voir le Rapport de J. V. GENNIP intitulé La reconstruction et le développement d’après conflits. Les problèmes rencontrés en Iraq et en Afghanistan, 16 EC 04 F, 14 novembre 2004. [En ligne]. Disponible sur : http://www.nato-
301
et la stabilité sociale, il est essentiel que les populations aient accès aux services économiques
et sociaux de base, les acteurs internationaux impliqués dans la reconstruction post-conflit ont
fait du rétablissement, de la réhabilitation de ces services une priorité. C’est ainsi que le
Conseil de sécurité, « demande au Secrétaire général de désigner un représentant spécial pour
l’Iraq qui aura […] la responsabilité […], en coordination avec l’Autorité [commandement
unifié des puissances occupantes], de favoris[er] le relèvement économique et l’instauration
de conditions propices au développement durable » ; il encourage « les efforts déployés par la
communauté internationale pour que les fonctions essentielles d’administration civile soient
assurées ».909 De même, le Conseil a confié à la MANUL la tâche d’ « étendre l’autorité de
l’État en renforçant les institutions responsabilisées qui commencent à se constituer et en
rétablissant les services publics ».910 Dans le même sillage, l’ONUCI fut chargée d’appuyer le
gouvernement ivoirien dans le redéploiement de l’administration par l’aide, avec le concours
de l’Union africaine, de la CEDEAO et des autres partenaires internationaux, au
rétablissement de l’autorité de l’État partout en Côte d’Ivoire ainsi que les institutions et
services publics essentiels.911 Cet appui consiste à mettre en œuvre des projets à impact rapide
ou QIPs en anglais912, des programmes de réhabilitation des services sociaux de base tels que
l’éducation, la santé, l’accès à l’eau, l’électrification…, à travers notamment la réhabilitation
d’écoles, de centres de santé, d’infrastructures sportives, l’équipement de centres de santé,
d’écoles, de centres de formation, de radios de proximité, la réfection d’infrastructures
routières (ponts, pistes…), de pompes à eau, de forages, des réseaux de distribution d’eau etc.
Dans ce cadre, la MINUSTAH a, depuis son déploiement en 2004, contribué à la mise en
place de 1201 QIPs dans toutes les régions du pays pour un budget total de 24,62 millions de
dollars américain. La grande majorité des projets (80% soit 964 projets sur les 1201) a permis
la réhabilitation ou la construction d’infrastructures de base (mairies, tribunaux, prisons,
commissariats, routes, écoles, centres de santé, etc.) ainsi que l’équipement de services
publics, l’accès à l’eau et l’amélioration de l’environnement, la réalisation de travaux
d’assainissement ou d’électrification de certaines villes.913
Dans le domaine de la santé, le Conseil de sécurité
pa.int/default.asp?CAT2=471&CAT1=16&CAT0=2&COM=492&MOD=0&SMD=0&SSMD=0&STA=&ID=0&PAR=0&LNG=1 (page consultée le 12 septembre 2013). 909.Résolution 1483 du 23 mai 2003, § 8, e. 910.Résolution 2009 du 16 septembre 2011, § 12, c.
911.Résolution 1739 (2007), § 2, i
912.Quick Impact Project 913.Vor le site de la MINUSTAH : http://www.minustah.org/activites/affaires-civiles/qip/ (page consultée le 23 septembre 2013).
302
« encourage à faire une place, selon qu’il conviendrait, à la prévention, au traitement, aux
soins et au soutien en matière de VIH, y compris les programmes volontaires et confidentiels
de conseils et de tests dans l’exécution des tâches confiées aux opérations de maintien de la
paix […] et la nécessaire poursuite de la prévention, du traitement, des soins et du soutien de
ce genre durant et après le passage à d’autres configurations de la présence des Nations
Unies ».914
L’activité de rétablissement des services publics essentiels peut également se traduire par
l’appui apporté aux efforts des gouvernements nouvellement élus au retour effectif des agents
de l’État dans leur lieu d’affectation, par l’encouragement de la restauration et du
renforcement des capacités opérationnelles, par l’appui à l’exercice de la pleine autorité des
responsables de l’administration publique, et à la mise en place de conditions de travail
adéquates pour le fonctionnement effectif de l’administration et plus particulièrement des
services sociaux de base.
Par ailleurs, la relance de l’économie nationale est devenue une des activités essentielles des
opérations de maintien de la paix dans la phase de consolidation de la paix ou de
reconstruction post-conflit. Kofi Annan dit à ce sujet que « dans un pays qui vient de sortir
d’un conflit, les organismes bilatéraux et multilatéraux de développement peuvent avoir un
important impact en dirigeant leur aide vers les secteurs qui faciliteront une relance rapide des
activités génératrices de revenus. » Il invite dans ce cadre à « prêter attention en particulier à
des microprojets à effet rapide, notamment ceux qui comprennent des activités de formation
et de création de capacités en général, qui peuvent faciliter la réinsertion dans leur collectivité
propre des ex-combattants, des réfugiés et des personnes déplaces », car écrit-il « la paix sera
d’autant plus durable que les collectivités locales retrouveront pus rapidement leur
stabilité. »915 Dans cette perspective de relance de l’économie nationale, la MANUL fut
chargée de « prendre les mesures immédiates voulues pour relancer l’économie ».916 Ce volet
relance de l’économie nationale caractérise aussi les activités des Nations Unies en Irak. En
effet, le Conseil de sécurité, dans sa résolution 1483 (2003), charge le représentant spécial du
Secrétaire général de « favoris[er] le relèvement économique et l’instauration de conditions
propices au développement durable, notamment en assurant la coordination avec les
914.Résolution 1983 du 7 juin 2011, § 7. Voir également les résolutions 1308 (2000), 1325 (2000), 1820 (2008), 1888 (2009), 1889 (2009), la Déclaration d’engagement sur le VIH/sida de 2001 (A/RES/S-26/2) et la Déclaration politique sur le VIH/sida de 2006 (A/RES/60/262), 1894 (2009), 1960 (2010), le rapport du Secrétaire général sur l’application de la Déclaration d’engagement sur le VIH/sida de 2001 et la Déclaration politique sur le VIH/sida de 2006 (A/65/797). 915.S/1998/318, p. 15, § 68. 916.Résolution 2009, du 16 septembre 2011, § 12, e.
303
organisations nationales et régionales, selon qu’il conviendra, et avec la société civile, les
donateurs et les institutions financières internationales ».917
Une fois les institutions rétablies, un « gouvernement représentatif et reconnu par la
communauté internationale » mis en place, s’amorce la « phase de développement durable
post-conflit [qui] vise à soutenir le gouvernement nouvellement élu et la société civile à l’aide
d’un large éventail de programmes destinés à favoriser la réconciliation, à stimuler la
reconstruction socio-économique et à appuyer les programmes de développement en cours à
travers les cinq dimensions de la reconstruction post-conflit »918 que sont la sécurité, la
transition politique, la gouvernance et la participation, le développement socio-économique,
les droits de l’homme, la justice et la réconciliation, et la coordination, la gestion et la
mobilisation de ressources.919 À cet effet, des institutions comme le PNUD, le PAM, la FAO,
l’UNICEF…, les organisations régionales, les institutions financières internationales, de
Bretton Woods notamment,…, mais également des États assistent l’État en reconstruction
dans la définition de priorités et programmes de réforme et de développement économiques et
des autres secteurs relevant de leurs compétences. Dans ce contexte, les acteurs internationaux
peuvent mener des activités d’évaluation des besoins des populations en termes de santé, de
sécurité alimentaire etc. Par exemple, la FAO peut mettre en place des programmes de
relèvement de l’agriculture dans les zones rurales. Ces institutions prêtent également leurs
concours aux institutions nationales afin que, à long terme, celles-ci puissent prendre en
charge les projets et programmes de développement. Les institutions financières
internationales fournissent un appui en matière de réforme des institutions financières
nationales, d’élaboration de procédures et de pratiques économiques et réglementaires
transparentes.
Mais loin de se limiter à une assistance à la reconstruction économique de l’État en sortie
d’un conflit interne l’action internationale vise aussi « à façonner un État non plus seulement
démocratique mais libéral, apte à s’insérer au plus vite dans le réseau commercial
international ».920 C’est en ce sens qu’il faut comprendre l’attention particulière accordée dans
les activités des États et autres organismes internationaux aux concepts d’État de droit, de
bonne gouvernance et de libéralisation. En effet, comme l’écrit le professeur Patrick Daillier,
il est clair que le financement du développement par des agences internationales comme la 917.Résolution 1483 (2003), § 8, e. 918.Cadre politique de reconstruction post-conflit en Afrique, précité note 891, p. 9, § 34. 919.Ibid., p. 11, § 38. 920.G. CAHIN, « Le droit international face aux ‘‘États défaillants’’ », op. cit., n. 780, p. 104 ; P. DAILLIER, « Les opérations multinationales consécutives à des conflits armés en vue du rétablissement de la paix », R.C.A.D.I., vol. 314, 2005, p. 287.
304
Banque mondiale, le PNUD voire des opérateurs économiques « ne peut aller que dans le sens
de l’introduction des règles de l’économie de marché, de la libéralisation des échanges et de
l’ouverture aux investissements étrangers […]. Ce qui conduit à orienter la réforme de la
législation fiscale et des finances publiques, une modernisation du secteur bancaire et du droit
immobilier, etc. »921 De cette manière, les activités internationales de relance de l’économie
nationale d’un État en sortie de crise peuvent s’analyser comme une atteinte portée à la liberté
de cet État de choisir son système économique et de définir sa politique de développement
économique.
De toutes ces considérations, la conclusion se tire automatiquement : le principe de non-
ingérence ou de non-intervention dans les affaires relevant de la compétence nationale de
l’État, de même que l’article 2, § 7 de la Charte des Nations Unies ne constituent pas des
limites au développement d’opérations internationale de maintien de la paix exerçant des
compétences dans des matières étroitement liées à la qualité d’État. En effet, motivée par les
carences des moyens sécuritaires des États et parfois par leur déconstruction, la prise en
charge internationale du maintien de la paix et de la sécurité à l’intérieur d’un État implique
nécessairement un aménagement des compétences de celui-ci et donc une limitation de sa
liberté de décision et d’action dans presque toutes les matières.
921.P. DAILLIER, « Les opérations multinationales consécutives à des conflits armés… », op. cit., note précédente, p. 287.
305
CHAPITRE II
LA SUBSTITUTION PURE ET SIMPLE DE LA COMMUNAUTÉ
INTERNATIONALE OU D’UNE PUISSANCE ÉTRANGÈRE À LA
COMPÉTENCE NATIONALE DÉFAILLANTE EN MATIÈRE DE
PROTECTION DES POPULATIONS : L’ASSISTANCE HUMANITAIRE
INTERNATIONALE
C’est une règle établie du droit international qu’il est de la responsabilité ou de la compétence
nationale de l’État territorial de protéger les populations placées sous sa juridiction en leur
garantissant sécurité et protection contre les atteintes graves aux droits de l’homme, mais
aussi en leur fournissant l’assistance humanitaire requise en cas de besoin. Dans le Document
final du Sommet mondial de 2005 qui exprime une certaine volonté de la communauté
internationale d’impulser une nouvelle dynamique à la marche du monde, cette règle est
rappelée en ces termes : « c’est à chaque État qu’il incombe de protéger ses populations du
génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité. Cette
responsabilité consiste notamment dans la prévention de ces crimes, y compris l’incitation à
les commettre, par les moyens nécessaires et appropriés… »922
Cependant, avec le développement du phénomène des États « défaillants », la mise en œuvre
de cette responsabilité n’est pas toujours bien assurée. Les violations graves et massives des
droits de l’homme, du droit international humanitaire ainsi que les catastrophes humanitaires
qui se sont déroulées en Irak contre les Kurdes, au Rwanda, à Srebrenica, en Somalie, en
Haïti, au Darfour et récemment dans certains pays arabes dont la Syrie… ont suscité une
certaine indignation au sein de la communauté internationale. Ainsi, depuis les années 1990
marquées par la fin de la guerre froide, l’essor des droits de l’homme et du droit international
humanitaire, et l’affermissement du droit institutionnel, la protection de l’individu n’est plus
considérée comme dépendant de la compétence exclusive d’un seul État. L’individu étant
devenu un sujet du droit international, la capacité limitée de l’État ou l’absence de volonté de
sa part à assurer sa fonction protectrice inhérente à sa souveraineté et à sa qualité d’État
explique que la pratique internationale et accessoirement le droit international tentent
d’organiser la substitution à cet État dans l’exercice de certaines de ses fonctions régaliennes.
922.UN Doc. A/60/1, 20 septembre 2005, p. 33, § 138.
306
C’est le cas en matière de répression pénale où le Statut de Rome a organisé une substitution
au profit de la C.P.I. à travers les règles régissant le principe de complémentarité entre la Cour
et les juridictions pénales nationales. Dans le domaine de l’assistance humanitaire, le droit
international tente également de consacrer cette substitution. Ainsi, en dépit de la persistance
théorique du principe de non-intervention dans les affaires intérieures des États et donc de
l’article 2, § 7 de la Charte des Nations Unies, l’existence d’un droit à l’aide ou à l’assistance
humanitaire est incontestable en droit international. Ce droit à l’aide ou l’assistance
humanitaire a pour corollaire le devoir d’assistance humanitaire923 ou la responsabilité de
protéger qui incombe à la communauté internationale en cas de défaillance de l’État
territorial.
S’il est admis l’existence de ce droit à l’assistance humanitaire, il convient au demeurant
d’établir les fondements de cette assistance humanitaire (Section 1) avant de voir les motifs
des interventions d’humanité qui constituent une de ses modalités (Section 2).
Section 1 : Les fondements de l’assistance humanitaire internationale
Face aux effets négatifs des catastrophes naturelles, des conflits internes sur les populations
civiles et face aux violations du droit international humanitaire perpétrées durant ces conflits,
l’assistance humanitaire internationale (en provenance d’autres États, d’organisations
internationales ou d’ONG) est devenue une véritable nécessité dans l’ordre international. Cela
s’explique par l’absence d’un cadre juridique clair et précis sur la protection des populations
dans les conflits internes. En effet, en dehors, des définitions de leur article 3 commun et de
l’article premier du Protocole II, du 8 juin 1977, les Conventions de Genève et le Protocole I
ne sont pas applicables dans la plupart des conflits post-guerre froide, qui par leur nature
interne mettent au prise des acteurs souvent non étatiques et échappant au pouvoir des
autorités nationales. Et la protection accordée aux victimes par l’article 3 commun et le
Protocole II n’est pas assez étendue.924
923.H. GROS ESPIELL, « Les fondements du droit à l’aide humanitaire », in Colloque international sur le droit à l’aide humanitaire, UNESCO, janvier 1995, SHS-95/CONF.805/4. 924.Selon l’article 3 du Protocole II du 8 juin 1977, « 1. Aucune disposition du présent Protocole ne sera invoquée en vue de porter atteinte à la souveraineté d'un État ou à la responsabilité du gouvernement de maintenir ou de rétablir l'ordre public dans l'État ou de défendre l'unité nationale et l'intégrité territoriale de l'État par tous les moyens légitimes. 2. Aucune disposition du présent Protocole ne sera invoquée comme une justification d'une intervention directe ou indirecte, pour quelque raison que ce soit, dans le conflit armé ou dans
307
Il fallait trouver une réponse à ce vide structurel pour éviter que la protection dont bénéficient
les populations civiles en vertu du droit international humanitaire ne soit restée que théorique.
C’est dans cette perspective que, depuis les années 1990, des interventions humanitaires,
celles qui poursuivent un intérêt exclusivement humanitaire925, d’États, d’ONG ou dans le
cadre des Nations Unies ont été menées à l’intérieur d’États souverains confrontés à des
catastrophes naturelles, des situations d’urgence ou à des situations conflictuelles qui, par leur
nature interne et par le statut des belligérants, échappent en quelque sorte à l’application du
droit international humanitaire. Cette assistance humanitaire internationale trouve son
fondement dans des considérations d’ordre moral et idéologique (§ 1) mais également dans la
défense de l’ordre public international (§ 2).
§ 1 : Le fondement moral et idéologique
Si de prime abord, le principe de non-intervention et l’article 2 § 7 de la Charte des Nations
Unies semblent exclure toute intervention de la communauté internationale sur le territoire
d'un État souverain, sans son consentement, afin d’y fournir des secours à des victimes de
catastrophes naturelles ou de conflits internes, il s'avère en fait que le droit international non
seulement autorise un certain type de réactions à ces situations mais encore ferait naître une
obligation d'intervention pesant sur la communauté internationale. L’une des caractéristiques
du droit international contemporain est en effet sa dimension idéologique en faveur de valeurs
communément partagées par les membres de la communauté internationale et par l’ensemble
des peuples, et dont la finalité est d’assurer à l’être humain un plein épanouissement. Il s’agit
de la paix, de la justice, de l’humanité et de la solidarité entre tous les hommes, tous les États
et tous les peuples. C’est la traduction des évolutions du droit international qui, après avoir
consacré les droits de la personne, tant individuels que collectifs, vise à protéger les individus
et les populations contre les violences et les souffrances pouvant porter atteinte à la dignité
humaine. Dans cette perspective, l’assistance humanitaire internationale trouve son
fondement dans la volonté de soulager et de protéger des populations (1) mais aussi dans le
partage de valeurs communes supérieures (2).
les affaires intérieures ou extérieures de la Haute Partie contractante sur le territoire de laquelle ce conflit se produit ». 925.E. PEREZ-VERA, « La protection d’humanité en droit international », R.B.D.I., 1969, p.417.
308
1. Le soulagement des souffrances et la protection des populations
Dans son arrêt au fond sur l’affaire du Détroit de Corfou, la C.I.J. avait énoncé que des
obligations incombant aux États se trouvaient fondées « sur certains principes généraux et
bien connus, tels que des considérations élémentaires d’humanité ».926 En 1986, elle a jugé
qu’« il n'est pas douteux que la fourniture d'une aide strictement humanitaire à des personnes
ou à des forces se trouvant dans un autre pays, quels que soient leurs affiliations politiques ou
leurs objectifs, ne saurait être considérée comme une intervention illicite ou à tout autre point
de vue contraire au droit international ». Mais elle a ajouté que cette assistance doit se
conformer aux principes fondamentaux de la Croix-Rouge, c’est-à-dire qu’elle doit s’efforcer
de prévenir et d’alléger en toutes circonstances les souffrances des hommes. Elle doit tendre à
protéger la vie et la santé ainsi qu’à faire respecter la personne humaine. Elle doit aussi, et
surtout, être prodiguée sans discrimination.927
De ces considérations de la haute juridiction, il ressort qu’une intervention internationale dans
un État souverain en vue de prodiguer une assistance humanitaire est justifiée et n’est pas
contraire au droit international en général et au principe de non-ingérence ou de non-
intervention dans les affaires relevant de la compétence nationale de l’État en particulier.
Cette intervention trouverait son fondement dans la nécessité de mettre fin ou du moins
d’alléger les souffrances des populations civiles victimes de massacres ou de violences dans
le cadre de conflits internes, ou confrontées à des catastrophes naturelles et autres situations
d’urgence. En effet, face à de telles situations, l’assistance humanitaire vise avant tout à
« soulager les souffrances, sauver des vies, nourrir les corps, organiser l’installation, le transit
ou le retour des populations déplacées à l’intérieur de leur propre pays ou à l’extérieur de
celui-ci ». Ainsi l’intervention à des fins humanitaires vise à assurer une protection des
populations civiles affectées par des conflits ou des catastrophes naturelles, la fourniture de
secours médicaux, de nourriture, etc. Elle repose sur des moyens pacifiques et suppose le
consentement des États concernés. Elle mobilise des acteurs extérieurs, tels que des
secouristes publics et privés, mais également des organismes internationaux, des ONG et
même des États.928
926.C.I.J., Affaire du Détroit de Corfou, précité note 239, p. 22. 927.Affaires des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, arrêt précité, note 159, § 242. 928.M. BETTATI, « Un droit d’ingérence ? », op. cit, n. 777, p. 651.
309
Souffrances des populations et violations massives des droits de l’homme ou du droit
international humanitaire vont souvent de pair lorsque la compétence nationale est défaillante
en matière de protection des populations, soit dans le cadre des conflits internes, soit dans les
catastrophes naturelles ou autres situations d’urgence. À ce titre, les violations massives et
graves des droits de l’homme ou du droit international humanitaire ont été invoquées,
principalement ou accessoirement, à la base d’opérations humanitaires internationales à
l’intérieur d’États souverains dont l’activité ou la passivité, la négligence ou la complicité, ont
favorisé de telles violations du « droit humain » entendu au sens d’une « universalité des
droits de l’homme ».929 Parmi les droits en cause dans les situations nécessitant une assistance
humanitaire, il y a le droit à la vie, qui est inhérent à la personne humaine et qui doit être
protégé par la loi comme le précise l’article 6 du Pacte sur les droits civils et politiques. Un
auteur écrit à cet égard que « cette protection est une des fonctions primordiales qui
s’imposent à toutes les sociétés politiques et dont le mauvais accomplissement peut justifier
une intervention étrangère. »930 Il y a également le droit à la liberté et à la sécurité931. Au sujet
de ce droit, la C.I.J. affirme dans l'affaire du Personnel diplomatique et consulaire des États-
Unis à Téhéran que « le fait de priver abusivement de leur liberté des êtres humains et de les
soumettre dans des conditions pénibles à une contrainte physique est manifestement
incompatible avec les principes de la Charte des Nations Unies et avec les droits
fondamentaux énoncés dans la déclaration universelle des droits de l'homme ».932 Il y a enfin
le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris
une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, le droit à un meilleur état de santé
physique et mentale.933
Il en résulte que les souffrances des populations et la nécessité de les protéger, en protégeant
notamment leurs droits, constituent des fondements établis des interventions humanitaires
internationales. L’opération menée en Irak en 1991 à la fin de la guerre du Golfe et destinée à
protéger la minorité kurde sévèrement réprimée par les autorités iraquiennes est à cet égard
révélatrice. En effet, dans sa résolution 688, le Conseil de sécurité, se disant « profondément
préoccupé par la répression des populations civiles iraquiennes dans de nombreuses parties de
l’Iraq, y compris dans les zones de peuplement kurde […] » et « profondément ému par
l’ampleur des souffrances de la population » a insisté sur la nécessité que « l’Iraq permette un
929.A. ROUGIER, « La théorie de l’intervention d’humanité », R.G.D.I.P., t. XVII, 1910, pp. 512-515. 930.Ibid., p. 517. 931.Article 9 du Pacte sur les droits civils et politiques. 932.Affaire du Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran, C.I.J., arrêt du 24 mai 1980, Rec. 1980, § 91. 933.Article 11 et 12 du Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels.
310
accès immédiat des organisations humanitaires internationales à tous ceux qui ont besoin
d’assistance dans toutes les parties de l’Iraq et qu’il mette à leur disposition tous les moyens
nécessaires à leur action ». Enfin, il a « lanc[é] un appel à tous les États membres et à toutes
les organisations humanitaires pour qu’ils participent à ces efforts d’assistance
humanitaire ».934 Cette résolution qui prend le soin de se référer à l’article 2 § 7 de la Charte
des Nations Unies, fut la première a utilisé un problème humanitaire, le sort des populations
kurdes notamment pour fonder une intervention internationale dans un État souverain. Cette
résolution fut qualifiée d’historique car elle consacre le droit des hommes avant celui des
États et représente l’introduction du droit d’ingérence humanitaire dans les textes
internationaux.935 Mais il convient de signaler que la résolution 688 n’a pas autorisé une
intervention militaire. On ne peut pas y trouver un fondement juridique à l’intervention des
troupes occidentales dans le Kurdistan aux fins d’établir des zones de sécurité pour favoriser
le retour des réfugiés kurdes.936 Quoi qu’il en soit, cette résolution s’inscrit dans la continuité
de la dynamique internationale visant à donner une certaine effectivité aux textes juridiques
reconnaissant aux individus un droit à l’assistance humanitaire.
À la suite de cette opération en Iraq, d’autres situations de souffrances des populations et de
violations massives et graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire ont
justifié des interventions internationales dans des États souverains. Le 13 août 1992, le
Conseil de sécurité adoptait sa résolution 770 relative à la Bosnie-Herzégovine. Se disant
« consterné par la persistance des conditions qui empêchent l’acheminement des fournitures
humanitaires à leurs destinataires en Bosnie-Herzégovine et par les souffrances qui en
découlent pour les populations », le Conseil de sécurité autorisait les États membres à user de
« toutes les mesures nécessaires » pour faciliter l’acheminement de l'aide humanitaire. Il
convient également d’évoquer l’intervention internationale, Opération Restore Hope, en
Somalie en 1992-1993, à la suite de la résolution 794 du 3 décembre 1992. Dans cette
résolution, le Conseil de sécurité, « gravement alarmé par la détérioration de la situation sur le
plan humanitaire en Somalie et soulignant la nécessité urgente d’acheminer rapidement l’aide
humanitaire dans l’ensemble du pays », autorisait les États membres à mettre en œuvre une
opération en vue de l’instauration des conditions de sécurité pour les opérations de secours
humanitaire. 934.Résolution 688 du 5 avril 1991, alinéas 3 et 4 du préambule, et §§ 3 et 6, S/22366, in Les grands textes du droit international public, 2è éd., Paris, Dalloz, 2000, pp. 255-256. 935.B. KOUCHNER, Le malheur des autres, Paris, Odile Jacob, 1991, p. 260. 936.Voir à ce sujet : A. DAEMS, « L'absence de base juridique de l'opération ‘‘Provide Comfort’’ et la pratique belge en matière d'intervention armée à 'but humanitaire' », R.B.D.I., 1992, pp. 264-276 ; G. GAJA, « Réflexions sur le rôle du Conseil de sécurité dans le nouvel ordre mondial. À propos des rapports entre maintien de la paix et crimes internationaux des États », R.G.D.I.P., 1993, p. 314.
311
Tirant les leçons de la situation humanitaire en Somalie, le Secrétaire général Boutros Boutros
Ghali indiquait, dans son Rapport à l'Assemblée générale sur les activités de l'Organisation de
la 47e à la 48e session, qu’« il est essentiel que l'Organisation trouve les moyens d'associer
l'action humanitaire et la protection des droits de l'homme aux opérations de rétablissement,
de maintien et de consolidation de la paix ». C’est ainsi que depuis les années 1990,
l’assistance humanitaire est devenue une composante essentielle des opérations de maintien
de la paix.937 C’est dans ce contexte que s’inscrit l’extension du mandat de la MINUAR à
l’assistance humanitaire. En effet, dans sa résolution 918 (1994), le Conseil de sécurité, s’est
déclaré « profondément préoccupé de ce que la situation au Rwanda, qui a causé la mort de
nombreux milliers de civils innocents, dont des femmes et des enfants, le déplacement à
l’intérieur du pays d’un pourcentage important de la population rwandaise et l’exode massif
de réfugiés vers les pays voisins, constitue une crise humanitaire d’une ampleur gigantesque
[…] ». Puis, après avoir souligné « la nécessité urgente d’une action internationale
coordonnée pour alléger les souffrances du peuple rwandais […] », il a « décidé d’élargir le
mandat confié à la MINUAR par la résolution 912 (1994) afin d’y inclure […], les
responsabilités supplémentaires suivantes : contribuer à la sécurité et à la protection des
personnes déplacées, des réfugiés et des civils en danger au Rwanda, y compris par la création
et le maintien, là où il sera possible, de zones humanitaires sûres ; assurer la sécurité et
l’appui de la distribution des secours et des opérations d’assistance humanitaire ».938 Dans
cette même perspective de soulagement des souffrances et de protection des populations,
l’OTAN lança, entre le 24 mars et le 12 juin 1999, des opérations militaires contre la
Yougoslavie pour « faire cesser la violence et mettre fin à la catastrophe humanitaire qui
frappent le Kosovo ».939 En dépit du fait qu’elle n’ait pas reçu l’autorisation préalable du
Conseil de sécurité, - ce qui pose la question de sa légalité internationale -, cette opération se
présentait comme une réponse aux violations graves et massives des droits de la personne.
De l’évocation de ces situations, il ressort que, en dépit de l’affirmation et de la persistance
théoriques du principe de non-ingérence et de l’article 2, § 7 de la Charte des Nations Unies,
l’assistance humanitaire internationale est de plus en plus devenue une exigence avant tout
morale qui trouve son fondement dans la solidarité humaine.
937.Sur l’évolution du mandat des opérations de maintien de la paix avec l’émergence de l’humanitaire, voir O. CORTEN et P. KLEIN, « Action humanitaire et chapitre VII : La redéfinition du mandat et des moyens d'action des Forces des Nations Unies », A.F.D.I., vol. 39, 1993, pp. 105-130. 938.Résolution 918 du 17 mai 1994. Voir également la résolution 925 du 8 juin 1994. 939.Déclaration du Secrétaire général de l’OTAN, Communiqué de presse du 23 mars 1990. Cité par S. SUR, « Le recours à la force dans l’affaire du Kosovo et le droit international », Les notes de l’I.F.R.I., n° 22, Série transatlantique, septembre 2000, p. 31.
312
2. Le partage de valeurs communes supérieures
Les interventions humanitaires se fondent également, en l’absence de dispositions juridiques
explicites, sur l’idée que les membres de la communauté internationale partagent des valeurs
communes supérieures aux intérêts nationaux des États. En effet, la société internationale,
dans sa dimension institutionnelle, est caractérisée par la prééminence de valeurs communes
dont la défense nécessite non seulement l’encadrement de l’exercice de la compétence
nationale, mais également une réponse commune à sa défaillance. Parmi ces éléments
fondamentaux autour desquels se structure la communauté internationale, il y a bien sûr le
caractère central de la personne humaine. Les atrocités de la seconde guerre mondiale ont en
effet suscité un regain d’attention pour la protection de la vie et de la dignité humaine. C’est
pourquoi, la Charte des Nations Unies a placé la question des droits de l’homme au cœur des
enjeux internationaux du monde contemporain. Dans le préambule de la Charte de 1945, les
peuples des Nations Unies ont proclamé à nouveau leur foi dans un certain nombre de valeurs
communes telles que les droits fondamentaux de l'homme, la dignité et la valeur de la
personne humaine, l'égalité de droits des hommes et des femmes. Et dans l’article 1 § 3, ils se
sont fixés comme objectif de « réaliser la coopération internationale en résolvant les
problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en
développant et en encourageant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales
pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion ». Dans la même optique,
s’inscrit la Déclaration universelle des droits de l’homme qui constitue une des pièces
essentielles du « champ éthique international », c’est-à-dire « l'organisation du milieu
international sous forme d'un système de normes, de règles, de modèles de comportement
articulés autour des droits de l'homme. »940 Il s’agit de replacer l’individu au cœur du droit
international à travers un système juridique et institutionnel qui assure la sauvegarde des
droits et de la protection des individus, et dans lequel prévaut « l’idée que l’humanité est une
réalité institutionnelle, morale, juridique et culturelle, fondée sur la solidarité entre tous les
hommes, tous les États et tous les peuples. »941
L’affirmation d’une communauté internationale organisée autour des droits de l’homme
participe à « l’établissement des codes de comportement »942 auxquels sont soumis les États
en particulier, et qui visent à donner une dimension éthique à leur comportement. Dans ce
940.L. SINDJOUN, La civilisation internationale des mœurs…, n. 441, p. 845. 941.H. GROS ESPIELL, Les fondements du droit à l’aide humanitaire, op. cit., n. 923. 942.L. SINDJOUN, « La civilisation internationale des mœurs… », op. cit., n. 441.
313
contexte, la protection des droits individuels et le respect de la dignité humaine acquièrent une
place ultime, et la souveraineté étatique doit dorénavant s’exercer conformément à la
civilisation internationale, codes de comportement, tel que le respect des droits de la personne
humaine, de l’État de droit… Elle doit rendre compte à la norme des droits humains car il est
aujourd’hui admis que les droits de l’homme ne relèvent plus de la compétence nationale
exclusive d’un État. C’est pourquoi, lorsque des populations souffrent de catastrophes
naturelles, de guerres, de famine, que les droits humains sont massivement violés et que le
droit international humanitaire ne sert plus de protection dans les conflits, à ce moment-là, des
ONG, des États et des organisations internationales peuvent et doivent se mobiliser pour leur
apporter secours, assistance et protection.
En plus du souci de protection des droits de l’homme, les interventions humanitaires sont
également justifiées par la nécessité de protéger des vies humaines. C’est dans cette
perspective qu’il faudrait comprendre la récurrence du thème de la sécurité humaine dans le
discours international et les travaux de la doctrine.943 Dans cette conception de la sécurité,
l’individu, et non pas l’État, y apparaît comme le bénéficiaire ultime de la sécurité et comme
l’étalon de valeur sans appartenance sociale particulière, faisant abstraction des identités
collectives et, au premier chef, de l’identité nationale.944 À cet égard, le droit international
humanitaire joue un rôle essentiel. En effet, garantir le respect de la personne humaine est à la
base de ses règles qui sont destinées à assurer la protection de différentes catégories de
personnes telles que les militaires blessés ou prisonniers, les malades, les naufragés, et de
manière générale les populations civiles impliquées dans un conflit que celui-ci soit
interétatique ou intra-étatique.
Dans cette mesure, les interventions internationales à des fins humanitaires visent à mettre en
œuvre la solidarité des intérêts et des valeurs en répondant à la menace qui pèse sur ces
valeurs auxquelles les intervenants sont attachés. Autrement dit, les intervenants ont un
« intérêt spécial » qui est ici celui de répondre à leur attachement aux valeurs menacées.945 En
effet, la manière dont un État traite ses citoyens ou les conditions dans lesquelles ceux-ci
vivent ne sont plus considérées comme des affaires intérieures dudit État. Dès lors, il ne fait
943.Voir Rapport mondial du PNUD sur le développement humain 1994, Paris, Economica, 1994 ; C.I.I.S.E., La responsabilité de protéger, Ottawa, Centre de recherches pour le développement international, 2001 ; La sécurité humaine maintenant. Rapport de la commission sur la sécurité humaine, Paris, Presses de Sciences-Po, 2003 ; H. ABDELHAMID et M. BELANGER (dirs.), Sécurité humaine et responsabilité de protéger. L’ordre humanitaire international en question, Paris, Éditions des Archives contemporaines, 2009 ; J.-F. RIOUX, (dir.), La sécurité humaine. Une nouvelle conception des relations internationales, Paris, L’Harmattan, 2001. 944.H. ABDELHAMID et M BELANGER (dir.), Sécurité humaine et responsabilité de protéger…, op. cit., note précédente, p. 13. 945.S. SUR, « Le recours à la force dans l’affaire du Kosovo et le droit international », op. cit., n. 939, pp. 30-31.
314
plus de doute qu’une intervention au profit des droits de l’homme ne peut plus être considérée
comme une ingérence dans les affaires relevant de la compétence nationale.946 Cela est vrai
d’autant plus qu’aujourd’hui, « la protection des vivants exposés aux périls et finalement à
leur mortalité redevient, comme cela fut énoncé en son temps par Hobbes pour rendre compte
de la genèse de l’État protecteur et sécuritaire, le motif d’une sécurité collective des peuples
impliquant en contrepartie la responsabilité étatique et supra-étatique qu’il convient de
déterminer dans l’ordre international ».947 C’est désormais une idée largement partagée au
sein de la communauté internationale que la protection des peuples et des populations n’est
plus une affaire exclusivement nationale compte tenu des défaillances de nombreux États, de
la globalisation des risques et des menaces, de la nature des conflits qui mélangent aspects
internes et aspects externes, terrorisme, massacres massifs de civils…
À l’analyse, il apparaît que les valeurs communes que partagent les membres de la
communauté internationale déterminent en partie les modalités d’exercice de la souveraineté
interne et des compétences étatiques. Celles-ci doivent s’exercer dans le respect des intérêts
communs supérieurs. Ainsi, dans le domaine humanitaire, au-delà même du souci d’apporter
des secours en urgence, il est de plus en plus question de réprimer les auteurs d’atteintes
graves aux droits de l’homme et au droit international humanitaire en vue de persuader pour
l’avenir les dirigeants politiques et les protagonistes des conflits d’agir dans le respect des
valeurs humaines fondamentales. C’est à ce titre qu’il faudrait également comprendre le
développement progressif de la justice pénale internationale, à travers les T.P.I. ad hoc, la
C.P.I. et les juridictions pénales nationales internationalisées. Elle participe à la défense de
l’ordre public international basé sur le respect des droits et de la dignité de la personne
humaine.
946.O. CORTEN et P. KLEIN, « Droit d’ingérence ou obligation de réaction non armée ? Les possibilités d’actions non armées visant à assurer le respect des droits de la personne face au principe de non-ingérence », R.B.D.I., 1990, pp. 412 et s. ; J. VERHOEVEN, « Non-intervention : ‘affaires intérieures’ ou ‘vie privée’ », in Mélanges Michel Virally. Le droit international au service de la paix, de la justice et du développement, Paris, Pedone, 1991, p. 497 ; voir aussi la Résolution du 13 septembre 1989 de l’I.D.I. relative à la protection des droits de l’homme et le principe de non-intervention dans les affaires intérieures des États, Annuaire de l’I.D.I., vol. 63-II, 1990, pp. 339-345. 947.H. ABDELHAMID et M. BELANGER (dir.), Sécurité humaine et responsabilité de protéger…, op. cit., n. 943, p. 13.
315
§ 2 : La défense de l’ordre public international
On a pu écrire que « l’exclusion indéniable, des droits de l’homme, du domaine réservé des
États, a conduit certains auteurs et certains États à proposer la consécration d’un devoir ou
d’un droit d’ingérence ou d’intervention humanitaire, en vertu duquel les États ou les ONG
pourraient apporter une aide urgente aux populations en état de misère ou de détresse ».948
Cependant, outre leur fondement moral et idéologique, les interventions internationales à des
fins humanitaires sont également justifiées par des considérations liées à défense de l’ordre
public international en général et de l’ordre international humanitaire en particulier. En effet,
avec la place centrale qu’occupent désormais, en droit international, les droits de l’homme et
le droit humanitaire, il existe un ensemble normatif et institutionnel pouvant être considéré
comme établissant un ordre international humanitaire qui comporte un certain nombre
d’exigences et postule le devoir d’assistance ou la responsabilité de protéger les populations
vulnérables. Dans ce cadre, nous essayerons d’abord de voir l’élaboration juridique en vue de
l’établissement de l’ordre international humanitaire (1) avant d’identifier les exigences
qu’implique cet ordre (2).
1. L’élaboration juridique en vue de l’établissement d’un ordre international
humanitaire
D’emblée, il convient de remarquer que les constructions juridiques, au plan international,
pour définir un ordre international humanitaire ne sont pas établies de manière précise et
certaine. Les initiatives jusque-là entreprises et les résultats obtenus sont parcellaires et restent
caractérisés par une certaine fragilité. Néanmoins, plusieurs textes internationaux posent des
règles ou des principes relatifs à la protection des personnes et à l’assistance humanitaire.
Déjà, à l’époque de la S.D.N., les bases d’un ordre humanitaire international avaient été jetées
à travers différentes initiatives internationales. La S.D.N. avait, en effet, adopté, le 12 juillet
1927, une convention créant l’Union internationale de secours, une des premières
organisations ayant pour but l’assistance aux civils en cas de calamité. Cette convention entra
en vigueur en décembre 1932. Mais avec l’éclatement de la seconde guerre mondiale en 1939,
948.Ng. QUOC DINH, P. DAILLIER et A. PELLET, Droit international public, op. cit., n. 822, p. 493.
316
cette organisation n’a malheureusement pas eu le temps de prouver son utilité par des actions
concrètes. Elle a fini par être dissoute quelques années après la fin du conflit.949
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, avec l’adoption de la Charte des Nations Unies,
la résolution des problèmes d’ordre humanitaire est devenue un des enjeux internationaux
contemporains. En effet, avec l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme
en 1948, d’autres conventions internationales sur les droits de l’homme950 et des quatre
conventions de Genève en 1949 suivies de leurs Protocoles additionnels de 1977, l’ordre
international humanitaire a franchi une nouvelle étape à travers la consécration de règles
relatives notamment à la protection de la personne humaine et de ses droits et à l’assistance
humanitaire. À partir de là, la protection des personnes et l’assistance humanitaire sont
progressivement devenues des notions courantes du droit international public en général et du
droit international humanitaire en particulier.
La notion de protection humanitaire, c’est-à-dire la protection des personnes trouve sa source
dans le droit de Genève qui s’applique essentiellement aux conflits armés internationaux
(C.A.I) et, dans une certaine mesure aux conflits armés non internationaux (C.A.N.I.).951
Mais, depuis les années 1990, se développe ce que certains auteurs appellent « le droit de
New York », c’est-à-dire des initiatives juridiques entreprises dans le cadre des Nations Unies
qui expriment l’idée de protection des personnes et visent à « organiser un minimum de
sanctions des transgressions les plus graves des normes conventionnelles et coutumières
essentielles »952 en matière humanitaire. On peut citer, à ce titre, plusieurs résolutions
adoptées dans le cadre des Nations Unies.
Tout d’abord, il y a la résolution 52/167 du 16 décembre 1997, relative à la « sûreté et la
sécurité du personnel humanitaire », dans laquelle l’Assemblée générale a souligné la
nécessité pour la communauté internationale d’aider et de protéger les populations civiles
touchées, y compris les réfugiés et les personnes déplacées dans leur propre pays, la nécessité
impérieuse de faire respecter et de défendre les principes et normes du droit international
humanitaire. À la suite de l’Assemblée générale, le Secrétaire général, dans son Rapport du 22
septembre 1998 recommandait au Conseil de sécurité d’« envisager de mettre au point une 949.Voir : http://www.icrc.org/fre/assets/files/other/p_uis.pdf (page consultée le 14 octobre 2013). 950.Nous avons déjà évoqué ces Conventions dans la première partie : les Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Convention relative aux droits de l’enfant, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et d’autres instruments régionaux relatifs aux droits de l’homme. 951.M. BETTATI, Droit humanitaire, 1ère éd., Paris, Dalloz, 2012, pp. 159 et s. 952.Ibid., pp. 211 et s.
317
série d’options pour ce qui est du maintien de l’ordre et afin de créer un environnement sûr
pour la population civile exposée au conflit et la fourniture d’aide humanitaire dans des
situations conflictuelles. »953 Suite à ce rapport, le Conseil a adopté une série de résolutions
sur la protection des personnes dans les conflits armés. La première est la résolution 1261
(1999) du 25 août 1999 sur les enfants dans les situations de conflit armé. Il y demande
notamment « à toutes les parties à des conflits armés de se tenir aux engagements concrets
qu’elles ont pris afin d’assurer la protection des enfants dans les situations de conflit armé ».
Cette résolution sur les enfants dans les situations de conflit armé est suivie d’autres sur la
même question, telles que la résolution 1314 (2000) du 11 août 2000, la résolution 1460
(2003) du 30 janvier 2003 et la résolution 1612 (2005) du 26 juillet 2005.954 Toutes ces
résolutions insistent sur « la responsabilité qu’ont tous les États de mettre fin à l’impunité et
de poursuivre les auteurs de génocide, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et
d’autres crimes abominables commis contre des enfants ». Le Conseil y appelle également
« les États à respecter intégralement les dispositions du droit international humanitaire
relatives aux droits et à la protection des enfants dans les conflits armés, en particulier les
quatre Conventions de Genève de 1949, et notamment la Convention relative à la protection
des personnes civiles en temps de guerre ».
À côté des résolutions sur le sort des enfants dans les conflits armés, le Conseil de sécurité a
également adopté une série de résolutions sur le sort des femmes dans les conflits armés.
Ainsi de la résolution 1325 (2000) du 31 octobre 2000 sur les femmes, la paix et la sécurité,
dans laquelle le Conseil réaffirme « la nécessité de respecter scrupuleusement les dispositions
du droit international humanitaire et des instruments relatifs aux droits de l’homme qui
protègent les droits des femmes et des petites filles pendant et après les conflits ». À ce titre, il
« demande à toutes les parties à un conflit armé de respecter pleinement le droit international
applicable aux droits et à la protection des femmes et des petites filles, en particulier en tant
que personnes civiles ». Il rappelle que ces obligations leur incombent en vertu des
Conventions de Genève de 1949 et des Protocoles additionnels y afférents de 1977, de la
Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et de son Protocole additionnel de 1967, de
la Convention de 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des
femmes et de son Protocole facultatif de 1999, ainsi que de la Convention des Nations Unies
relative aux droits de l’enfant de 1989 et de ses deux Protocoles facultatifs du 25 mai 2000. Il
953.Rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité sur la protection des activités d’assistance humanitaire aux réfugiés et autres personnes touchées par un conflit, p. 12, § 45, (S/1998/883). 954.Voir également les résolutions : 1379 du 20 novembre 2001, 1539 du 22 avril 2004, 1882 du 4 août 2009, 1998 du 12 juillet 2011, 2068 du 19 septembre 2012.
318
leur demande enfin de tenir compte des dispositions pertinentes du Statut de Rome de la Cour
pénale internationale.955
Mais au-delà de la protection de certaines catégories de personnes telles que les enfants, les
femmes, les réfugiés, les entreprises juridiques visant à établir un ordre international
humanitaire visent surtout la protection des civils en général dans les conflits armés. Pour
preuve, le Conseil de sécurité a adopté plusieurs résolutions sur la protection des civils dans
les conflits armés. On peut citer, à ce titre, la résolution 1265 (1999) du 17 septembre 1999,
dans laquelle le Conseil, « vivement préoccupé par le fait que les principes et les dispositions
du droit international humanitaire et du droit relatif aux droits de l’homme et aux réfugiés
sont de moins en moins respectés pendant les conflits armés », a souligné un certain nombre
de dispositions allant dans le sens du respect du droit international humanitaire. Le Conseil a
« condamné vigoureusement le fait de prendre délibérément pour cibles les civils touchés par
les conflits armés ainsi que les attaques lancées contre des objets protégés par le droit
international, et a demandé à toutes les parties de mettre fin à pareilles pratiques ». Aussi, il a
insisté sur le fait « qu’il incombe aux États de mettre fin à l’impunité et de poursuivre les
personnes qui sont responsables de génocide, de crimes contre l’humanité et de violations
graves du droit international humanitaire ». À ce titre, il a « réaffirmé l’importance des
travaux effectués par les tribunaux spéciaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda »,
l’obligation des États de coopérer avec ces juridictions et l’importance historique de
l’adoption du Statut de la CPI pour la répression des violations graves du droit international
humanitaire. Enfin le Conseil s’est déclaré « disposé à réagir face aux situations de conflit
armé dans lesquelles des civils sont pris pour cible ou dans lesquelles l’acheminement de
l’assistance humanitaire destinée aux civils est délibérément entravé, notamment en
examinant les mesures appropriées que lui permet de prendre la Charte des Nations
Unies ».956
L’ensemble de ces résolutions rappellent aux États et aux parties à un conflit armé
l’obligation de protection humanitaire des personnes civiles. Il s’agit d’une obligation
générale en vertu du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits
de l’homme.
955.§ 9 de la résolution 1325 (2000). Voir également les §§ 10, 11, 12 de la même résolution. Cette résolution est suivie d’autres sur la même question telles que la résolution 1820 du 19 juin 2008, les résolutions 1888 et 1889 (2009), la résolution 1960 du 16 décembre 2010, la résolution 2106 du 24 juin 2013. 956.Sur la protection des civils dans les conflits armés, voir aussi les résolutions : 1296 du 19 avril 2000, 1674 du 28 avril 2006, la résolution 1738 du 23 décembre 2006, 1894 du 16 novembre 2009.
319
Quant à la notion d’assistance humanitaire, elle a connu une forte progression dans le discours
et la pratique internationaux, depuis que vers la fin des années 1980 et le début des années
1990, il y eut un grand mouvement en faveur de la consécration d’un « droit » ou d’un
« devoir d’ingérence » qualifié d’humanitaire.957 Ce « droit » ou « devoir » d’ingérence
humanitaire postule l’idée que la nécessité de secourir les populations en détresse imposerait
en effet à chacun un devoir d’assistance humanitaire, qui transcenderait les règles juridiques
traditionnelles relatives notamment au principe de non-intervention dans les affaires relevant
de la compétence nationale d’un État. L’objectif de ce « droit d’assistance humanitaire » est
de dépasser le principe de non-intervention tout en essayant de respecter la souveraineté de
l’État. En effet, d’après Mario Bettati, « il s’agit d’aménager un nouvel espace juridique où se
trouveraient indissolublement liés la légitimation de l’intervention humanitaire et le principe
fondamental de l’indépendance et de la non-soumission de l’État à l’égard de l’extérieur ».958
Autrement, il s’agit de faire reconnaître un droit à l’assistance humanitaire pour les victimes
de catastrophes, naturelles ou politiques, et cela à travers les frontières.
Sans revenir sur les incertitudes et les ambiguïtés qui entourent la notion de droit
d’ingérence959 humanitaire, on peut observer que cette notion a été utilisée pour faciliter et
encourager les efforts des ONG et de surmonter la mauvaise volonté des États quant au
développement de l’assistance humanitaire et de l’accès aux victimes.960 Il s’inscrit ainsi dans
la dynamique de justification juridique de l’intervention internationale dans un domaine
relevant en principe de la compétence nationale de l’État. Il vise à fournir un fondement
juridique à l’action humanitaire extérieure. C’est ainsi que, à l’initiative de la France961,
957.Voir en ce sens les promoteurs de cette notion, M. BETTATI et B. KOUCHNER, Le devoir d’ingérence, Paris, Denoël, 1987 ; M. BETTATI, Le droit d’ingérence. Mutation de l’ordre international, Paris, Éd. Odile Jacob, 1996. 958.BETTATI M., Le droit d’ingérence. Mutation de l’ordre international, op. cit., p. 9. 959.Selon Mario Bettati « l’expression “droit d’ingérence”, sans davantage de précision, elle est dépourvue de tout contenu juridique. Elle n’en acquiert un que si elle est assortie de l’adjectif “humanitaire”. Ce dernier, par la finalité qu’il assigne à l’intervention, la prive de l’illicéité dont elle est universellement attachée… Le juriste y préférera l’expression “droit d’assistance humanitaire” davantage finalisée et moins chargée de cette subjective et implicite confrontation, au demeurant erronée, avec les normes de l’anticolonialisme que sont les principes de “non intervention” et de “non-ingérence”». Les arrières pensées ne sont pas absentes des utilisations réductrices de ces concepts. Les uns cherchant à se prévaloir d’un « droit d’ingérence » trop sélectif et discriminatoire pour ne pas être suspecté de cupides préoccupations hégémoniques ; les autres se réclamant d’un « principe de non-ingérence » trop intégriste pour ne pas dissimuler le rempart artificieux de pratiques oppressives. », in « Un droit d’ingérence ? », op. cit. note 777, p. 644. Voir aussi O. CORTEN, « Les ambiguïtés du droit d’ingérence humanitaire », [En ligne]. Consultable sur http://www.unesco.org/courier/1999_08/fr/ethique/txt1.htm (page consultée le 12 avril 2013). 960.H. THIERRY, « L’État et l’organisation de la société internationale », op. cit., note 434, p. 204. 961.Ce concept auquel est accolé le qualificatif « humanitaire » est apparu vers la fin des années 80 sous l’influence de Mario Bettati et de Bernard Kouchner. Le premier fut professeur de droit international public à l’Université Paris II, le second est un ancien Ministre français des affaires étrangères et un des fondateurs de Médecins du Monde et de Médecins sans frontières. En en 1987, ils publiaient Le devoir d’ingérence (Paris,
320
l’Assemblée générale des Nations Unies adopta deux résolutions qui ont contribué à faire
progresser le droit des victimes de catastrophes naturelles ou politiques à l’assistance
humanitaire. Il s’agit des résolutions 43/131962 et 45/100963.
Dans ces deux résolutions, l’Assemblée générale considère que « le fait de laisser les victimes
de catastrophes naturelles et situations d’urgence du même ordre sans assistance humanitaire
représente une menace à la vie humaine et une atteinte à la dignité de l’homme ». Par
conséquent, toutes deux posent les bases du principe de l’assistance humanitaire et
l’Assemblée générale y invite les États sur le territoire desquels une situation d’urgence
nécessite une assistance humanitaire à faciliter la mise en œuvre des opérations d’assistance
par les organisations internationales et les ONG. Aussi, les résolutions posent le principe d’un
libre accès aux victimes par les organisations humanitaires. Ce principe signifie que
l’obligation de non-ingérence ne saurait être opposable à l’exigence de l’assistance
humanitaire. Il apparaît comme une condition essentielle d’organisation des secours et, à cet
égard, ne doit pas être entravé ni par l’État affecté, ni par les États voisins. Sous ce rapport,
selon l’Institut de Droit international,
« l’offre, par un État, un groupe d’États, une organisation internationale ou un organisme
humanitaire impartial tel que le Comité international de la Croix Rouge (CICR), de secours
alimentaires ou sanitaires à un État dont la population est gravement menacée dans sa vie ou
sa santé ne saurait être considérée comme une intervention illicite dans les affaires
intérieures de cet État… Les États sur le territoire desquels de telles situations de détresse
existent ne refuseront pas arbitrairement de pareilles offres de secours humanitaires ».964
Mais la résolution 45/100 va plus loin en proposant l’instauration de couloirs d'urgence
humanitaire, c’est-à-dire des passages humanitaires dans des zones sous juridiction d’un État.
Cette solution avait été proposée par le Secrétaire général dans son Rapport sur l’application
de la résolution 43/131.965 Selon lui,
Denoël, 1987), travaux de la Conférence internationale de droit et de morale internationale organisée la même année sous l’égide de la Faculté de droit de l’Université Paris Sud et de Médecins du Monde. 962.Résolution du 8 décembre 1988 intitulée Assistance humanitaire aux victimes de catastrophes naturelles et de situations d’urgence du même ordre. 963.Résolution du 14 décembre 1990 ayant le même titre que la précédente.
964.I.D.I., Résolution sur les rapports entre les droits de l’homme et la non-intervention, (article 5), Rapporteur G. Sperduti, Session de Saint-Jacques-de-Compostelle, 14 septembre 1989. 965.Rapport sur le nouvel ordre humanitaire international, Documents officiels de l’Assemblée générale, A/45/587, 24 octobre 1990.
321
« l'existence de tels couloirs ou passages serait limitée en fonction de la nature particulière
du cas d'urgence en cause. Ils seraient également limités quant à leur dimension
géographique, à savoir qu’ils représenteraient l'itinéraire le plus direct pour atteindre le lieu
du sinistre, et, enfin, leur fonction se réduirait exclusivement à faciliter la distribution des
secours d'urgence tels que vivres et médicaments. La mise en place de lignes de sauvetage de
ce genre doit évidemment être négociée avec les pays sinistrés, compte tenu des exigences de
leur souveraineté. »966
Eu égard à ce ménagement de la souveraineté des États, plus ou moins repris dans les deux
résolutions susvisées de l’Assemblée générale, ces dernières ont été jugées comme ayant une
portée limitée. C’est pourquoi elles ont donné lieu à de nombreuses réserves du fait
qu’elles « portent la marque de l’attachement des États du tiers-monde […] à leur
souveraineté » et qu’elles sont « en deçà de la reconnaissance d’un droit d’accès
inconditionnel aux victimes ou de l’obligation de l’État territorial d’assurer cet accès ».967
Quoi qu’il en soit, elles apparaissent comme celles ayant entraîné des progrès considérables
dans la consécration internationale d’un « droit à l’assistance humanitaire ».
2. Les exigences de l’ordre international humanitaire
Le domaine de compétence nationale apparaît dans la conception majoritaire de la doctrine
comme une limite matérielle qui est censée protéger l’État contre toute action extérieure,
c’est-à-dire contre toute ingérence ou intervention étrangère dans les affaires relevant de sa
juridiction exclusive, à savoir, entre autres, la protection de sa population en lui assurant
sécurité, justice et dignité. Or, lorsque les règles garantissant l’ordre public en général et
celles relatives aux droits de l’homme ou au droit international humanitaire en particulier sont
violées à l’intérieur d’un État de manière à mettre en péril des populations civiles, le droit
international apporte des limitations au principe de non-intervention dans les affaires relevant
de la compétence nationale de l’État.968 Autrement dit, le principe de non-ingérence dans les
affaires relevant de la compétence nationale d’un État doit céder face aux nécessités de l’ordre
public international. Dans cette perspective, Georges Scelle estimait que la légitimité des 966.§ 26 du Rapport. 967.H THIERRY, « L’État et l’organisation de la société internationale », op. cit., n. 434, p. 205. Il se désole quelque peu du fait que ces « résolutions réaffirment la souveraineté des États affectés et le rôle prioritaire qui leur revient dans l’organisation, la coordination et la mise en œuvre de l’assistance, de telle façon que l’action des ONG revêt, en principe, un caractère subsidiaire par rapport à l’exercice par les États affectés de leur responsabilité principale quant au sort des victimes ». 968.K. BOUSTANY, « Intervention humanitaire et intervention d’humanité : évolution ou mutation en droit international ? », R.Q.D.I., 1993-1994, vol. 8, n° 1, p. 104.
322
interventions d’humanité des Puissances européennes dans l’Empire ottoman était fondée sur
la nécessité de « maintenir l’ordre public international ».969 Pour lui, ces interventions sont
légitimes voire légales à partir du moment où « les gouvernements intervenants agissent pour
assurer le respect d’un certain nombre de règles fondamentales du Droit international
commun : respect de la personne humaine, de sa vie, de ses libertés, de sa propriété ».970 Ce
critère de défense de l’ordre public international a également été relevé par le professeur
Serge Sur à propos de l’intervention d’humanité qu’il considère comme « une intervention de
police, destinée à rétablir un ordre public et à faire cesser les atteintes qui lui sont portées. »971
Cette exigence de défense de l’ordre international humanitaire découle parfois de stipulations
conventionnelles qui peuvent fonder une intervention internationale à des fins humanitaires
ou d’humanité. En vertu du droit international humanitaire, en particulier l’article 1 commun
aux quatre conventions de Genève, les États « s’engagent à respecter et à faire respecter
[lesdites Conventions] en toutes circonstances ». Cet engagement est également formulé dans
l’article 89 du Premier Protocole de 1977 additionnel aux Conventions de Genève de 1949,
d’après lequel « dans les cas de violations graves des Conventions et du présent Protocole, les
Hautes Parties contractantes s’engagent à agir, tant conjointement que séparément, en
coopération avec l’Organisation des Nations Unies et conformément à la Charte des Nations
Unies ». Cette obligation de « faire respecter » le droit international humanitaire « en toutes
circonstances » signifie « l’obligation pour chaque État – partie ou non à un conflit – d’agir
afin d’obtenir des autres États le respect du droit international humanitaire ».972 Il en résulte
que « sur chaque État pèse […], d’une part, l’obligation de faire lui-même tout ce qui est
nécessaire pour que les règles [du droit humanitaire] soient respectées par ses organes ainsi
que par l’ensemble des personnes relevant de sa juridiction, d’autre part, l’obligation d’agir
par tout moyen approprié afin que ces règles soient observées par tous, en particulier par les
autres États »973 À ce propos, la C.I.J. a affirmé que l’obligation de « respecter » et même de
« faire respecter » les Conventions de Genève « ne découle pas seulement des conventions
969.G. SCELLE, Précis de droit des gens. Principes et systématique, vol. 2, Paris, Sirey, 1934, p. 50. 970.G. SCELLE, Droit international public, Paris, Domat Monchrestien, 1944, p. 622.
971.S. SUR, « Le recours à la force dans l’affaire du Kosovo et le droit international », op. cit., n. 939, p. 30. 972.L. CONDORELLI et L. BOISSON DE CHAZOURNES, « Quelques remarques à propos de l’obligation des États de « respecter et faire respecter » le droit international humanitaire « en toutes circonstances », in Ch. SWINARSKI, Études et essais sur le droit international humanitaire et sur les principes de la Croix-Rouge en l’honneur de Jean Pictet, Genève-La Haye, CICR- Nijhoff Publishers, 1984, pp. 17 et s. 973.Ibid., pp. 17-18.
323
elles-mêmes, mais des principes généraux du droit humanitaire dont les conventions ne sont
que l’expression concrète ».974 D’après la Cour,
« c’est sans doute parce qu’un grand nombre de règles du droit humanitaire applicable dans
les conflits armés sont si fondamentales pour le respect de la personne humaine et pour des
« considérations élémentaires d’humanité » que la convention IV de La Haye et les
conventions de Genève ont bénéficié d’une large adhésion des États. Ces règles
fondamentales s’imposent d’ailleurs à tous les États, qu’ils aient ou non ratifié les
instruments conventionnels qui les expriment parce qu’elles constituent des principes
intransgressibles du droit international coutumier ».975
Ce caractère général et erga omnes des obligations découlant des règles fondamentales du
droit humanitaire est également reconnu par la Cour dans son avis consultatif de 2004 sur les
Conséquences juridiques de l’édification du mur dans les territoires palestiniens976. Elle a
rappelé que l’obligation générale de « respecter » et de « faire respecter » les prescriptions du
droit international humanitaire telle qu’elle découle de l’article 1 commun aux conventions
Genève, s’applique à tous les États, qu’ils soient ou non parties à un conflit déterminé et
qu’ils soient ou non liés formellement par les conventions en question.977 De cette obligation
générale, la Cour déduit une série d’obligations particulières. Ainsi compte tenu de
l’importance des droits et obligations en cause du point de vue du droit humanitaire, « tous les
États sont dans l'obligation de ne pas reconnaître la situation illicite… » (en l’espèce
découlant de la construction du mur dans le territoire palestinien occupé en violation du droit
international humanitaire) ; de même ils sont « dans l'obligation de ne pas prêter aide ou
assistance au maintien de la situation créée par cette construction » violant le droit
international humanitaire. Pour mettre fin à cette violation, la Cour a reconnu, à côté de ces
obligations de ne pas faire, des obligations de faire à la charge non seulement des États mais
aussi de l’O.N.U., et spécialement l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité. En effet,
elle juge qu’
« il appartient […] à tous les États de veiller, dans le respect de la Charte des Nations Unies
et du droit international, à ce qu'il soit mis fin aux entraves, résultant de la construction du
mur, à l'exercice par le peuple palestinien de son droit à l'autodétermination. En outre, tous
974.Affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, arrêt précité, note 159, p 114, § 220. 975.C.I.J., affaire de la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif du 8 juillet 1996, Rec. 1996, § 79. 976.C.I.J., Conséquences juridiques de l’édification du mur dans les territoires palestiniens, avis consultatif du 9 juillet 2004, Rec. 2004, § 157. 977.Ibid., § 158.
324
les États parties à la convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en
temps de guerre […] ont l'obligation, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du
droit international, de faire respecter par Israël le droit international humanitaire incorporé
dans cette convention ».978
Dans le même sillage, la Cour a jugé, dans son arrêt du 19 décembre 2005 relatif aux Activités
armées sur le territoire du Congo, que « pour n’avoir pas, en tant que puissance occupante,
pris de mesures visant à respecter et à faire respecter les droits de l’homme et le droit
international humanitaire dans le district de l’Ituri, la République de l’Ouganda a violé les
obligations lui incombant en vertu du droit international relatif aux droits de l’homme et du
droit international humanitaire ».979
On le voit bien, la Cour essaie d’affirmer ou de réaffirmer un certain nombre de principes qui
visent à donner une certaine effectivité au droit international humanitaire et au droit
international relatif aux droits de l’homme dont la mise en œuvre des prescriptions garantirait
une protection de la personne humaine et lui offrirait une assistance en cas de besoin. À cet
égard, il convient d’observer que l’avènement d’un nouvel ordre international fondé sur des
valeurs humanitaires postulant le respect de la personne humaine et de ses droits, et du droit
international humanitaire a remis en cause l’exclusivisme de la compétence nationale en
matière de protection des populations. En effet, dans le système international post-guerre
froide, il est admis que « la protection de l’individu, sorte de patrimoine commun de
l’humanité, au même titre que l’environnement, ne dépend plus de la seule autorité de l’État
dont il est ressortissant mais mobilise la communauté internationale toute entière ».980
Désormais l’exercice de la compétence nationale doit rendre des comptes à la norme des
droits humains internationaux. Ainsi, la nécessiter de protéger ou de sauver ce patrimoine
commun que constitue l’individu imposerait à chacun le devoir ou ouvrirait à chacun le droit
d’assister des populations en détresse, alors même que cette protection et cette assistance sont
fournies en violation de règles juridiques traditionnelles relatives notamment à la non-
ingérence dans les affaires relevant de la compétence nationale d’un État. C’est dans cette
perspective que s’inscrivent les interventions d’humanité et celles mettant en œuvre le
principe de la responsabilité de protéger.
978.Conséquences juridiques de l’édification du mur dans les territoires palestiniens, précité, note 976, §§ 159 et 160. 979.C.I.J., affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt précité, note 213, § 345, 3. 980.M. BETTATI, « Un droit d’ingérence ? », op. cit., n. 777, p. 641.
325
Section 2 : Les motifs des interventions d’humanité
La multiplication dans la société internationale de situations conflictuelles internes ou de
défaillances étatiques mettant en cause les droits, la dignité voire l’existence même de la
personne humaine, a conduit au développement de réactions internationales allant même
jusqu’au déploiement d’activités opérationnelles, pacifiques ou militaires, par des acteurs
extérieurs sur le territoire d’un État souverain. Ces interventions internationales qui
apparaissent comme des exceptions à la règle de non-intervention doivent répondre à des
impératifs immédiats et supérieurs qui priment sur le respect du droit. Ainsi, le souci général
de protection de la personne et de faire cesser les violations de ses droits fut à l’origine du
développement de la doctrine et de la pratique de l’intervention d’humanité qui a pour motif
premier la protection des populations en dehors même du cadre des Nations Unies (§ 1).
Mais les idées à la base de cette ancienne pratique sont restées d’actualité au point que, vers la
fin des années 1980 et au début des années 1990, fut sentie la nécessité de promouvoir au sein
des Nations Unies une nouvelle doctrine qui place elle aussi la personne humaine au cœur de
ses préoccupations : le droit ou devoir d’ingérence ou d’assistance humanitaire. Dans la
continuité de cette démarche qui accompagne l’évolution de la société internationale face aux
problèmes de respects de la personne humaine et de ses droits, le principe de la responsabilité
de protéger les populations est, depuis le début des années 2000, promue, dans le cadre des
Nations Unies (§ 2), comme une nouvelle norme des relations internationales.
§ 1 : La protection des populations hors cadre des Nations Unies
La société internationale a vécu dans le passé des interventions d’humanité répétées motivées
officiellement par des raisons de protection des populations dans des conflits ou situations
internes au cours desquels des atteintes sont particulièrement portées au droit international
humanitaire ou au droit international relatif aux droits de l’homme par l’État territorial. Ces
interventions d’humanité étant souvent confondues avec les interventions humanitaires, il
convient de voir la signification de l’intervention d’humanité (1) pour mettre en exergue les
différences qu’il y a entre les deux notions. Ce qui nous permettra de pouvoir établir la mise
en cause de la compétence nationale dans la mise en œuvre de l’intervention d’humanité (2).
326
1. La signification de l’intervention d’humanité
La notion d'intervention d'humanité est évoquée par la doctrine et recouvre deux types
d'actions différentes. Le terme est d’abord utilisé pour désigner l'action unilatérale
diplomatique ou armée conduite par un ou plusieurs États pour la sauvegarde de leurs
nationaux. Il s’agirait là de la traduction du droit reconnu à chaque État, par le droit
international, de prendre fait et cause par la voie diplomatique ou par l’usage de la force, pour
son ressortissant maltraité et de demander réparation des dommages qu’il a subis à l’étranger.
Sous cet aspect, l’intervention d’humanité est une forme de la protection diplomatique. De
telles interventions peuvent se produire sur la demande ou avec le consentement de l'État sur
le territoire duquel elles ont lieu. Il arrive, cependant, qu'elles soient entreprises sans le
consentement de l'État en question.
Le terme d'intervention d'humanité est aussi utilisé pour désigner l'action exercée par un État
sur un État étranger en vue de faire cesser les traitements contraires aux lois de l'humanité
qu'il inflige aux particuliers, fussent-ils ses propres ressortissants. Il s'agit d'assurer la
protection des individus qui ne sont pas nécessairement de la nationalité de l'État qui
intervient contre un péril imminent ou avéré. L'intervention en cause n'est pas nécessairement
sollicitée par le gouvernement légitime et les interventions de ce type se produisent souvent
dans un contexte de guerre civile où l'autorité du gouvernement légitime peut être incomplète.
Ainsi selon le professeur Serge Sur,
« l’intervention d’humanité […] répond à des atteintes criminelles au droit humanitaire,
commis par un appareil d’État ou par des groupes privés au sein d’un État contre des
individus ou des groupes sur le territoire de cet État ; elle ne demande pas le consentement
de l’État qui en est l’objet ; elle implique le recours à la force armée contre ceux qui
prétendent s’y opposer ; elle est d’origine étatique, c’est-à-dire qu’il n’est pas nécessaire que
le Conseil de sécurité l’ait préalablement autorisée ; elle est destinée à faire cesser les
atteintes criminelles qui l’ont justifiée ».981
La théorie de l’intervention d’humanité postule, selon Antoine Rougier, l’existence
d’une règle de droit impérative, générale, obligatoire pour tout État aussi bien que pour tout
individu, supérieure aux législations nationales aussi bien qu’aux conventions internationales
et qui constituerait le droit commun de l’humanité.982 Il en découle que lorsqu’un État
981.S SUR, « Le recours à la force dans l’affaire du Kosovo et le droit international », op. cit., n. 939, p. 24. 982A. ROUGIER, « La théorie de l’intervention d’humanité », op. cit., n. 929, pp. 478 et s.
327
accomplit des actes de puissance publique interne contrairement aux lois de l’humanité, cela
ouvrirait un droit d’intervention en faveur d’un ou de plusieurs Étals tiers et soumettrait ainsi
cet État à un contrôle international. Ainsi, l’intervention d’humanité « reconnaît pour un droit
l’exercice du contrôle international d’un État sur les actes de souveraineté intérieure d’un
autre État contraires aux lois de l’humanité ». À ce titre, sur la base de la
« théorie du droit humain et du pouvoir-fonction […], le gouvernement qui manque à sa
fonction en méconnaissant les intérêts humains de ses ressortissants commet ce que l’on
pourrait appeler un détournement de souveraineté : sa décision ne s’impose plus
souverainement au respect des tiers, car, […], les actes arbitraires ne sont pas des actes de
souveraineté ».983
Dès lors, chaque fois que les droits humains d’un peuple seraient méconnus par ses
gouvernants, un ou plusieurs États pourraient intervenir au nom de la communauté
internationale, soit pour demander l’annulation des actes de puissance publique critiquables,
soit pour empêcher à l’avenir le renouvellement de tels actes, soit pour suppléer à l’inaction
du gouvernement en prenant des mesures conservatoires urgentes, et en substituant
momentanément leur souveraineté à celle de l’État contrôlé. Dans cette mesure, l’intervention
d’humanité consiste en des actions menées par un ou plusieurs États « lorsque les habitants
d'un État sont soumis à un traitement si arbitraire, abusif et persistant qu'il dépasse les limites
de la raison et de justice dans lesquelles doit se maintenir le gouvernement ».984
Sur la base de l’intervention d’humanité, des puissances européenne ont, au cours du XIXè et
au début du XXè siècle, entrepris des actions pour sauver des populations chrétiennes
assujetties à l’Empire Ottoman et faisant l’objet de violentes persécutions soit de la part des
autorités turques, soit avec leur complicité.985 Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale,
des actions transfrontières ont été menées sous la bannière de l’intervention d’humanité. On
peut citer l’intervention américaine en République dominicaine en 1965, l’intervention
israélienne à Entebbe en 1976, l’intervention française au Shaba en 1978, l’intervention
d'unités militaires allemandes sur l'aéroport de Mogadiscio en 1978, l’intervention américaine
en Iran en 1980, l’intervention de la France en ex-Zaïre…986
983.A. ROUGIER, « La théorie de l’intervention d’humanité », op. cit., n. 929, pp. 478 et s. 984.E.-C. STOWELL, « La théorie et la politique de l'intervention », R.C.A.D.I., 1932-II, pp. 91-151, spéc. p.138. 985.G. SCELLE, Précis de droit des gens…, op. cit., n. 969, pp. 51-53. Il y a aussi l’intervention menée par la France en 1860 en Syrie pour sauver les maronites massacrés par les druses. Pour d’autres interventions voir M. BETTATI, « Un droit d’ingérence ? », op. cit., n. 777, p. 674 ; K. BOUSTANY, « Intervention humanitaire et intervention d’humanité…», op. cit., n. 968, pp. 107 et s. 986..Voir M. BETTATI, « Un droit d’ingérence ? », op. cit., n. 777, p. 648.
328
Comme les opérations d’assistance humanitaire, les interventions d’humanité visent à sauver
des êtres humains au-delà des frontières. Mais elles s’en distinguent à quelques égards.
D’abord, les interventions d’humanité mettent en œuvre des forces armées alors que dans les
interventions humanitaires, les militaires fournissent en principe un appui logistique. Si
l’intervention d’humanité peut être conduite diplomatiquement, la pratique a plutôt consacré
une tendance à l’usage de l’action armée. Ensuite, là où l’intervention humanitaire mobilise
principalement des organismes humanitaires publics ou privés, et exceptionnellement des
États ou des organisations internationales gouvernementales, l’intervention d’humanité est
souvent menée par des États de manière « discrétionnaire, c’est-à-dire que nul État n’est tenu
de l’entreprendre ou d’y concourir, et que ceux qu’elle vise à protéger n’ont pas un droit
propre à faire valoir à l’encontre de ceux qui ne la pratiqueraient pas. »987
Il est clair que l’intervention d’humanité, si elle partage certains points communs avec
l’intervention humanitaire, notamment du point de vue de leurs fondements et de leurs motifs,
ne doit cependant pas être confondue avec elle. De toute manière, toutes deux mettent en
cause le domaine de compétence nationale de l’État dans leur mise en œuvre.
2. La mise en cause de la compétence nationale dans l’exercice de
l’intervention d’humanité
Il est clairement énoncé dans les paragraphes 1, 4 et 7 de l’article 2 de la Charte des Nations
Unies les principes de l’égalité souveraine, du non-recours à la menace ou à la force contre la
souveraineté étatique et de non-intervention dans les affaires intérieures d’un État. Par
ailleurs, à travers une série de résolutions988, l’Assemblée générale des Nations Unies a
précisé l’interdiction de toute forme d’intervention dans les affaires internes d’un État,
notamment par recours à la force, et toute atteinte à sa souveraineté. Enfin, la C.I.J. a, en
1986989, reconnu un caractère coutumier au principe de non-intervention dans les affaires
intérieures d’un État. Ces principes qui semblent encore conserver théoriquement leur place
dans le droit international traduisent une conception de ce droit axée sur la protection des 987.S. SUR, « Le recours à la force dans l’affaire du Kosovo et le droit international », op. cit., n. 939, p. 30. 988.Ces résolutions sont : A/RES. 290 (IV) du 1er décembre 1949, portant le titre « Éléments essentiels de la paix » ; A/RES. 380 (V) du 17 novembre 1950, intitulée « La paix par l’action » ; A/RES. 2131 (XX) du 21 décembre 1965, portant « Déclaration sur l’inadmissibilité de l’intervention dans les affaires intérieures des États et la protection de leur indépendance et de leur souveraineté » ; A/RES. 2625 (XXV) du 4 novembre 1970 portant « Déclaration relative aux principes de droit international touchant les relations amicales et la coopération entre États, conformément à la Charte des Nations Unies ». 989.Affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, arrêt précité, note 159, §§ 183-192 et §§ 202-205.
329
États et donc de leur souveraineté. En effet, « longtemps figé dans la conception
monopolistique de la souveraineté, le droit international était fondé sur un consensualisme
radical qui interdisait aux gouvernements étrangers ou aux organisations internationales
d’intervenir, sans son consentement, fusse pour y sauver des vies humaines, dans les affaires
qui relèvent de la compétence nationale d’un État ».990
Néanmoins, l’intervention d’humanité pour la protection des populations dans un État
apparaît comme une exception à ces principes en particulier à celui de non-ingérence ou de
non-intervention dans les affaires relevant de la compétence nationale d’un État. En effet, la
mise en œuvre de l’intervention d’humanité implique une substitution partielle ou totale d’un
État ou d’un groupe d’États à l’État territorial défaillant dans l’exercice de sa compétence
nationale en matière de respect des normes fondamentales du droit humanitaire et des droits
de l’homme. La protection de ces droits ainsi que les atteintes qui leur sont portées sur son
territoire ne sauraient être considérées par un État comme relevant de ses affaires intérieures.
Il s’agit là de questions internationales. En particulier, l’intervention d’humanité implique « la
pression d’un ou de plusieurs gouvernements étrangers sur un autre gouvernement pour
l’amener à modifier ses pratiques arbitraires à l’égard de ses propres sujets ».991 Cela signifie
qu’un État qui massacre ses populations ne peut objecter de sa compétence nationale pour
refuser une intervention extérieure destinée à assister et à sauver les populations concernées.
Autrement dit, la souveraineté étatique et l’exception de la compétence nationale doivent
s’effacer et céder devant les exigences d’humanité et le respect du « caractère fondamental et
inaliénable de certaines prérogatives inhérentes à la nature humaine ».992 À cet égard, Max
Hubert, parlant de l’État qui intervient pour protéger ses nationaux, a admis que « l’intérêt
d’un État de pouvoir protéger ses ressortissant et leurs biens doit primer le respect de la
souveraineté territoriale, et cela même en l’absence d’obligations conventionnelles. Ce droit
d’intervention a été revendiqué par tous les États, ses limites seules peuvent être
discutées ».993 Dans le même sens, un auteur souligne que
« dans ses objectifs mêmes, l’intervention d’humanité telle qu’elle a été appliquée au siècle
dernier et jusqu’avant la première guerre mondiale, ne pouvait que s’inscrire en contradiction
avec la souveraineté, du fait qu’elle impliquait ‘‘la pression d’un ou de plusieurs
990.M. BETTATI, « Un droit d’ingérence ? », op. cit, n. 777, p. 640. 991.G. SCELLE, Précis de droit des gens…, op. cit., n. 969, p. 50. 992.Voir K. BOUSTANY, « Intervention humanitaire et intervention d’humanité… », op. cit., n. 968, p. 104 ; E. PEREZ-VERA, « La protection d’humanité en droit international », R.B.D.I. 1969, p. 401. 993.Sentence arbitrale du 23 octobre 1924 dans l’affaire entre l’Espagne et la Grande- Bretagne, R.S.A., II, p. 641, cité par M. Bettati, « Un droit d’ingérence ? », op cit., p. 647.
330
gouvernements étrangers sur un autre gouvernement pour l’amener à modifier ses pratiques
arbitraires à l’égard de ses propres sujets’’ ».994
Dans cette mesure, l’intervention d’humanité constitue une exception au principe de non-
ingérence dans les affaires intérieures d’un État. En d’autres mots, le principe de non-
intervention dans les affaires relevant de la compétence nationale d’un État ne joue pas en tant
que limite infranchissable dès lors qu’est en cause la personne humaine, sa dignité et ses
droits. À cet égard, les interventions d’humanité constituent, comme les interventions
humanitaires, des réactions internationales nécessaires à la défaillance de la compétence
nationale en matière de protection des populations, une des fonctions essentielles de l’État.
Parce qu’elles permettent aux intervenants de s’immiscer dans les rapports même entre l’État
et ses propres sujets, ces interventions montrent à quel point les actions internationales à des
fins humanitaires ou d’humanité peuvent être intrusives dans le domaine de compétence
nationale de l’État, et cela en dépit de l’exception de non-ingérence ou de non-intervention
dans les affaires relevant de ce domaine. Comme l’indique Antoine Rougier,
« toutes les fois qu’une puissance interviendra au nom de l’humanité dans la sphère de
compétences d’une autre puissance, elle ne fera jamais qu’opposer sa conception du juste et
du bien social à la conception de cette dernière, en la sanctionnant au besoin par la force.
[…] Ainsi l’intervention d’humanité apparaît comme un moyen ingénieux d’entamer peu à
peu l’indépendance d’un État pour l’incliner progressivement vers la mi-souveraineté »995.
De toute évidence, dans le système international hérité de la seconde guerre mondiale et
particulièrement depuis la fin de la guerre froide, le principe de non-ingérence et la notion de
domaine réservé à la compétence nationale ne constituent plus des limites à l’exercice
d’actions internationales visant à mettre fin à des violations massives des droits de l’homme
ou du droit international humanitaire, matières désormais substantiellement internationales.
La nécessité de protéger les populations de ces violations a conduit la communauté
internationale, bien au-delà de l’assistance purement humanitaire, à consacrer et à
promouvoir, dans le cadre des Nations Unies, le principe de la responsabilité de protéger.
994.Voir K. BOUSTANY, « Intervention humanitaire et intervention d’humanité… », op. cit., n. 968, p. 104. 995.A. ROUGIER, « La théorie de l’intervention d’humanité », op. cit., n. 929, p. 526.
331
§ 2 : Dans le cadre de l’ONU : la responsabilité de protéger
Dans le cadre des Nations Unies, le principe de la responsabilité de protéger, comme réponse
de la communauté internationale à la défaillance de la compétence nationale en matière de
protection des populations, ne figure pas dans la Charte de 1945. Au contraire, comme nous
l’avons déjà évoqué, c’est la non-intervention ou la non-ingérence dans « les affaires
intérieures qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État » qui a été posée
à l’article 2 § 7 de la Charte parmi les principes guidant l’action de l’organisation mondiale.
Et pourtant, depuis les années 2000, la notion de responsabilité de protéger connaît un certain
succès auprès des instances internationales996 et de la doctrine internationaliste.997
Avant de voir la mise en œuvre de la responsabilité et ses implications sur le domaine de
compétence nationale de l’État (2), il convient tout d’abord de dire quelques mots sur la
genèse et la signification de ce principe (1).
1. La genèse et la signification du principe de la responsabilité de protéger
Comme dans l’intervention d’humanité et dans une certaine mesure dans l’intervention
humanitaire, la protection des populations est au cœur du principe de la responsabilité de
protéger. Ce principe est apparu dans un contexte où la question humanitaire était de nouveau
au-devant de la scène internationale dans les années 1990 suite aux drames survenus dans les
Balkans et au Rwanda. L’inaction de la communauté internationale n’a pas pu empêcher le
génocide au Rwanda et le massacre de Srebrenica998 ; et la création des T.P.I. pour l’ex-
996.C’est le cas par exemple de l’Organisation internationale de la francophonie dont les États membres ont adopté le principe de la responsabilité de protéger en 2004 lors du Sommet de Ouagadougou. Par la Déclaration de Ouagadougou, les Chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage ont « [réaffirmé] que les États sont responsables de la protection des populations sur leurs territoires. [Ils reconnaissent] cependant que lorsqu’un État n’est pas en mesure ou n’est pas disposé à exercer cette responsabilité, ou qu’il est lui-même responsable de violations massives des droits de l’homme et du droit international humanitaire ou de la sécurité, la communauté internationale a la responsabilité de réagir pour protéger les populations qui en sont victimes, en conformité avec les normes du droit international, selon un mandat précis et explicite du Conseil de sécurité des Nations Unies et sous son égide », Déclaration adoptée le 27 novembre 2004 lors du X e
sommet de la francophonie. En 2006, la conférence des ministres des Affaires étrangères de la Francophonie sur « la prévention des conflits et la sécurité humaine » a adopté la Déclaration de Saint Boniface qui s’articule autour du principe de la responsabilité de protéger, Déclaration de Saint Boniface du 14 mai 2006. 997.S.F.D.I., Responsabilité de protéger, Colloque de Nanterre, Paris, Pedone, 2008, 366 p ; H. ABDELHAMID et M. BELANGER, (dir.), Sécurité humaine et responsabilité de protéger…, op. cit., n. 943 ; A.-L. CHAUMETTE et J.-M. THOUVENIN J.-M. (dirs.), La responsabilité de protéger, dix ans après, Cahiers internationaux n° 29, Actes du colloque du CEDIN du 14 novembre 2011, Paris, Pedone, 2013, 206 p. 998.Ce massacre a été qualifié de génocide par la C.I.J. dans son arrêt du 26 février 2007 relatif à L’application de la convention pour la prévention et la répression du génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie et Monténégro), Rec.2007, § 297.
332
Yougoslavie et pour le Rwanda afin de sanctionner les violations massives du droit
international humanitaire commises durant les deux conflits, n’a que peu atténué l’échec de la
communauté internationale face à ces tragédies humaines.
Dès lors, s’était posée la question de l’attitude que devait adopter la communauté
internationale face à ce type de conflits caractérisés par l’inaction ou l’implication de l’État
dans des violations flagrantes et massives des droits de l’homme et du droit international
humanitaire. La question était de savoir si la souveraineté de l’État et le principe de non-
ingérence ou de non-intervention dans les affaires relevant de la compétence nationale d’un
État justifiaient-ils l’inaction de la communauté internationale alors que des populations
civiles sont massacrées par leur propre gouvernement ou sans la réaction de celui-ci.
C’est dans ce contexte de questionnement que, dans son rapport999 présenté lors de la 54ème
session de l’Assemblée générale des Nations Unies en 1999, le Secrétaire général de
l’O.N.U., Koffi Annan s’était interrogé sur les perspectives de la sécurité humaine et de
l’intervention et avait exhorté les États membres de l’O.N.U. à trouver un terrain d’entente
dans l’adhésion aux principes de la Charte et dans la défense active de notre condition d’êtres
humains. Dans le rapport du millénaire présenté en 2000, il a réitéré son appel et posé la
question en ces termes :
« si l’intervention humanitaire constitue effectivement une atteinte inadmissible à la
souveraineté, comment devons-nous réagir face à des situations comme celles dont nous
avons été témoins au Rwanda ou à Srebrenica et devant les violations flagrantes, massives et
systématiques des droits de l’homme, qui vont à l’encontre de tous les principes sur lesquels
est fondée notre condition d’êtres humains ? »1000
Face au possible conflit entre, d’une part, souveraineté, non-ingérence dans les affaires
intérieures et, d’autre part, le principe de l’humanité, la protection des populations civiles, le
Secrétaire général considérait que, lorsque les crimes contre l’humanité sont commis et que
les moyens pacifiques pour y mettre fin ont été épuisés, le Conseil de sécurité a le devoir
moral d’agir au nom de la communauté internationale.1001
En réponse à la question posée par Kofi Annan, à l’initiative du Gouvernement canadien et
d’un groupe de fondations, fut instituée, en décembre 2001, la Commission internationale de 999.Rapport du Secrétaire général sur l’activité de l’Organisation, Doc. A/54/1., 1999, p. 48. 1000.« Nous, les peuples : le rôle des Nations Unies au XXIe siècle. Rapport du Secrétaire général, p. 36, § 217, (A/54/2000, 27 mars 2000). 1001.Ibid., §§ 218 et 219.
333
l’intervention et de la souveraineté des États (C.I.I.S.E.). Celle-ci publia un rapport sur les
principes et les modalités de la responsabilité de protéger.1002 Les Conclusions de ce rapport
seront reprises en 2004 par le rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les
menaces, les défis et le changement1003, ainsi que par le Secrétaire général dans le contexte du
débat sur la réforme des l’O.N.U1004 avant que le 60ème sommet mondial des Nations Unies
n’adopta le principe dans son Document final en octobre 20051005, sous le titre
« Responsabilité de protéger les populations contre le génocide, les crimes de guerre, le
nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité ».
Le Conseil de sécurité s’est, quant à lui, explicitement référé au principe de la responsabilité
de protéger dans un certain nombre de résolutions sur des situations internes à des États où
était en cause la question des droits de l’homme, du droit international humanitaire ainsi que
de la protection des populations civiles. La résolution 1674 du 26 avril 2006 concernant la
protection des civils en situation de conflit fut la première résolution dans laquelle le Conseil
s’est expressément référé à la responsabilité de protéger.1006 Depuis cette résolution, la
responsabilité de protéger figure régulièrement dans plusieurs résolutions du Conseil. Il en est
ainsi de la résolution 1706 du 31 août 2006 autorisant le déploiement de 17300 casques bleus
au Darfour, des résolutions 1970 du 26 février 2011 et 1973 du 17 mars 2011 sur la Libye, de
la résolution 1975 du 30 mars 2011 sur la Côte d’ivoire.1007 C’est également le cas de la
résolution 2085 (2012) autorisant le déploiement de la MISMA, qui a pour tâche, entre autres,
d’« aider les autorités maliennes à s’acquitter de leur responsabilité première, qui est de
protéger la population ».1008 De même, dans le paragraphe 4 de la résolution 2040 (2013)
prorogeant le mandat de la MANUL, le Conseil de sécurité a insisté « sur le fait que ce sont
les autorités libyennes qui sont responsables au premier chef de la protection de la population
libyenne et des ressortissants étrangers, y compris les migrants africains ». 1002.« La responsabilité de protéger », Rapport de la C.I.I.S.E., préc note 943, p. XI. 1003.Un monde plus sûr, Rapport précité note 819,, p. 23, §§ 29, 36, 201, 202 et 203. 1004.Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et respect droits de l’homme pour tous. Rapport du Secrétaire général, A/59/2005. Voir également La mise en œuvre de la responsabilité de protéger. Rapport du Secrétaire général, janvier 2009, (A/63/677). 1005.Document final du Sommet mondial de 2005, UN Doc. A/60/L.1 (résolution A/RES/60/1), 16 septembre 2005, §§ 138 et 139. Voir également la résolution (59/314 de l’Assemblée générale du 13 septembre 2005 adoptant le projet de document final ; résolution 63/308 du 14 septembre 2009 intitulée « Responsabilité de protéger ». 1006.Dans le paragraphe 4 de cette résolution, le Conseil « réaffirme les dispositions des paragraphes 138 et 139 du Document final du Sommet mondial de 2005 relatives à la responsabilité de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, de la purification ethnique et des crimes contre l’humanité ». 1007.Dans sa résolution 1706 (2006) relative à la crise au Darfour, le Conseil a rappelé, au deuxième alinéa du préambule, sa précédente réaffirmation des dispositions sur la responsabilité de protéger. 1008.Résolution 2085 (2012), § 9, d). De même, dans le paragraphe 4 de la résolution 2040 (2013) prorogeant le mandat de la MANUL, le Conseil de sécurité a insisté sur le fait que ce sont les autorités libyennes qui sont responsables au premier chef de la protection de la population libyenne et des ressortissants étrangers, y compris les migrants africains.
334
Le principe de la responsabilité de protéger tel que formulé dans les différents documents s’y
rapportant signifie qu’il est de la responsabilité de la communauté internationale de protéger
une population contre les conséquences d’une guerre civile, d’une insurrection, de la
répression exercée par les organes étatiques, lorsque l’État dont elle relève n’est pas disposé
ou apte à mettre un terme à ces souffrances ou à les éviter. Cette responsabilité collective doit
s’exercer dans le cadre des Nations Unies et le cas échéant des organisations régionales ou
sous régionales. En d’autres termes, si c’est à l’État lui-même qu’il incombe au premier chef,
en vertu de la souveraineté et « des obligations juridiques préexistantes et permanentes »1009,
la responsabilité de protéger son peuple, cette souveraineté ne lui autorise pas de commettre,
d’inciter à commettre ou de laisser perpétrer des violations graves des droits des personnes
placées sous sa juridiction. À ce titre, la souveraineté implique une responsabilité, celle de
protéger sa population, par des « moyens nécessaires et appropriés », du génocide, des crimes
de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité. Dès lors, lorsqu’un État
manque manifestement à ce devoir de protection, il est de la responsabilité de la communauté
internationale de la garantir en agissant et en mettant en œuvre une « action collective et
résolue ».
Pour mettre en œuvre cette responsabilité collective de protéger, la communauté
internationale, dans le cadre des Nations Unies, peut utiliser des moyens diplomatiques,
humanitaires et autres moyens pacifiques appropriés, conformément aux Chapitres VI et VIII
de la Charte. Mais lorsque ces moyens pacifiques n’ont pas permis de prévenir ou d’arrêter les
atteintes graves aux droits de la personne, la communauté internationale peut, par le biais du
Conseil de sécurité mettre en œuvre des mesures coercitives en vertu du Chapitre VII de la
Charte. De ce point de vue, la mise en œuvre de la responsabilité de protéger devrait
permettre de mettre fin aux violations des droits humains et du droit international humanitaire.
Mais elle aura aussi un certain nombre d’implications sur la compétence nationale de l’État.
1009.La mise en œuvre de la responsabilité de protéger, Rapport précité note 1004, p. 8, § 11.
335
2. La mise en œuvre de la responsabilité de protéger et ses implications sur la
compétence nationale de l’État
La responsabilité de protéger telle que conçue depuis les années 2000, fut mise en œuvre pour
la première fois de façon globale en Libye en 2011. Après le constat de la situation de
violence accompagnée de l’usage de la force par le Gouvernement libyen contre des civils, de
violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme, notamment la répression exercée
contre des manifestants, le Conseil de sécurité, dans sa résolution 1970 du 26 février 2011, a
considéré que les attaques systématiques et généralisées actuellement commises en Libye
contre la population civile pourraient constituer des crimes contre l’humanité, a rappelé la
responsabilité des autorités libyennes de protéger la population, et a décidé de déférer la
situation à la C.P.I.
Dans sa résolution 1973 du 17 mars. 2011, le Conseil de sécurité, constatant que les autorités
libyennes n’ont pas respecté la résolution 1970 exigeant notamment « qu’il soit
immédiatement mis fin à la violence et demand[ant] que des mesures soient prises pour
satisfaire les revendications légitimes de la population », s’est déclaré « résolu à assurer la
protection des populations et zones civiles, et à assurer l’acheminement sans obstacle ni
contretemps de l’aide humanitaire et la sécurité du personnel humanitaire ». À cet effet, il a
« autorisé les États membres […] à prendre toutes mesures nécessaires […] pour protéger les
civils et les zones civiles menacées d’attaque… » Même si le Conseil a exclu toute forme
d’occupation du territoire libyen par une force étrangère, il a cependant assorti sa décision
d’un embargo sur les armes, d’une interdiction de voyager, d’un gel des avoirs, et d’une mise
en place d’une zone d’exclusion aérienne. Deux jours après l’adoption de la résolution 1973,
soit le 19 mars 2011, une opération militaire est déclenchée contre les forces armées
libyennes. Cette opération est emmenée par les États-Unis, la France, et le Royaume-Uni, à la
tête d’une coalition dont l’OTAN assumera le commandement dès le 24 mars.1010 Elle a
conduit à la chute et à l’assassinat du guide libyen, Kadhafi en octobre 2011. Depuis lors, le
pays est dans une situation fragile de transition et de reconstruction ayant nécessité le
déploiement d’une mission d’appui des Nations Unies, la MANUL.
1010.Il convient de signaler que cette intervention en Libye a suscité beaucoup de divergences tant lors de l’adoption de la résolution 1973, qui n’a pas été votée à l’unanimité (avec les abstentions de la Russie et de la Chine, membres permanents du Conseil de sécurité), que dans la mise en œuvre de l’opération par l’OTAN, qui selon plusieurs observateurs, a outrepassé le mandat accordé par le Conseil.
336
Quelques jours après l’adoption de la résolution 1973 sur la Libye, ce fut le tour de la Côte
d’Ivoire dans la mise en œuvre du principe de la responsabilité de protéger. Durant la violente
crise postélectorale qui a secoué le pays vers la fin de l’année 2010, les populations civiles ont
régulièrement été l’objet de cibles des partisans des deux camps, celui du Président vaincu
Laurent Gbagbo et celui du Président élu Alassane Ouattara. Dans sa résolution 1975 adoptée
le 30 mars 2011 à l’unanimité, le Conseil de sécurité a condamné « les graves exactions et
autres violations du droit international, notamment le droit international humanitaire, le droit
international des droits de l’homme et le droit international des réfugiés, perpétrées en Côte
d’Ivoire », et a réaffirmé « la responsabilité qui incombe au premier chef à chaque État de
protéger les civils ». Il a surtout demandé à l’ONUCI d’« utiliser tous les moyens nécessaires
pour s’acquitter de la tâche qui lui incombe de protéger les civils menacés d’actes de violence
physique imminente […], y compris pour empêcher l’utilisation d’armes lourdes contre la
population civile… » C’est sur la base de cette résolution que l’ONUCI appuyée par les
forces françaises de la Licorne a, le 4 avril 2011, entrepris une action militaire. Celle-ci a
permis de détruire les armes lourdes des forces fidèles à Laurent Gbagbo et empêcher que ces
armes soient utilisées contre la population. C’est durant cette opération de quelques jours que
les forces du Président Ouattara ont fini par arrêter Laurent Gbagbo le 11 avril 2011. Ce
dernier a, depuis, été déféré à la C.P.I. où son procès est en cours.
En dehors des cas libyen et ivoirien, la communauté internationale a du mal à assumer sa
responsabilité de protéger les populations en cas de défaillance de la compétence nationale. Et
pourtant, il y a matière si on se réfère à la crise syrienne, à la situation au Darfour ou à ce qui
se passe dans les territoires palestiniens et en Centrafrique. Cet échec de la communauté
internationale s’explique par le fait que toute intervention visant à mettre en œuvre la
responsabilité de protéger est soumise à l’autorisation du Conseil de sécurité. Or, celui-ci est,
tant dans sa composition que dans son mode de fonctionnement, très dominé par des
considérations politiques. Ainsi, si c’est au Conseil de juger qu’un État n’a pas assumé sa
responsabilité première de protéger les populations, il est clair que « le rôle prépondérant qu’y
jouent les pays du Nord rend invraisemblable que l’intervention s’applique au territoire de
l’un d’entre eux ou dans des régions dénuées d’intérêt à leurs yeux. »1011 Tout cela signifie
que le principe de la responsabilité de protéger n’est pas à l’abri du subjectivisme et d’une
instrumentalisation par les grandes puissances, membres permanents du Conseil de sécurité,
au service de leurs politiques de puissance et de leurs intérêts.1012 Ainsi, si en Libye et en Côte
1011.J.-M. CROUZATIER, « Le principe de la responsabilité de protéger : avancée de la solidarité ou ultime avatar de l’impérialisme ? », Aspects, n° 2, 2008, p. 22. 1012.Ibid., pp. 20 et s.
337
d’Ivoire les choses sont allées très vite grâce à l’implication d’États pilotes ayant endossé une
responsabilité particulière dans les deux crises1013, la mise en œuvre de la responsabilité de
protéger reste tributaire de facteurs politiques très pesants. C’est ce qui explique que, malgré
les nombreuses victimes civiles au Soudan, en Syrie, en Centrafrique, et la situation
humanitaire désastreuse dans la bande de Gaza soumis au blocus israélien…, la communauté
internationale a jusque-là échoué à assumer sa responsabilité « seconde » de protéger les
populations civiles.
En tout état de cause, le principe de la responsabilité de protéger présente des implications
négatives sur le domaine de compétence nationale et la souveraineté de l’État. Ce principe est
présenté par ses promoteurs comme ménageant la souveraineté de l’État. À ce titre, le
Secrétaire général de l’O.N.U. Ban Ki Moon disait :
« la responsabilité de protéger est l’alliée, et non l’adversaire, de la souveraineté. Elle
découle du concept positif et affirmatif de la souveraineté en tant que responsabilité, et non
de l’idée plus étroite d’intervention humanitaire. En aidant les États à s’acquitter de leurs
obligations fondamentales en matière de protection, la responsabilité de protéger vise à
renforcer, et non à affaiblir, la souveraineté. Son but est d’aider les États à y parvenir, et pas
seulement de réagir en cas d’échec ».1014
Cette idée que la souveraineté de l’État n’est pas ou ne sera pas affaiblie s’appuie sur la
subsidiarité que le principe de responsabilité de protéger introduit entre la compétence
nationale et la compétence internationale. En effet, la responsabilité première de protection
des populations incombant à l’État, la communauté internationale n’interviendra que dans la
mesure où l’État territorialement compétent n’est pas en mesure ou n’a pas la volonté
d’assumer cette responsabilité. Ce qui laisse penser que l’intervention de la communauté
internationale est automatique, indépendamment de l’existence d’un consentement ou non de
l’État concerné, à partir du moment où celui-ci n’a pas exercé sa responsabilité première.
Dans cette mesure, il convient d’observer que le fait que la responsabilité première de
protection des populations incombe avant tout à l’État ne suffit pas à dire que le principe de la
responsabilité de protéger n’affaiblit pas la souveraineté. En effet, si sa dimension préventive
peut s’accommoder avec l’exercice de la compétence nationale, ses dimensions réactive et
1013.P. WECKEL, « Syrie, la protection de la population civile et l’ONU », disponible sur : http://www.sentinelle-droit-international.fr/bulletins/a2011/20110508_bull_264/sentinelle_264.htm#10482 (page consultée le 22 août 2013). 1014.La mise en œuvre de la responsabilité de protéger, Rapport précité note 1004, p. 7, § 10, a).
338
reconstructive sont très intrusives dans le domaine de compétence nationale et s’exercent
même en substitution partielle ou totale de cette dernière. La C.I.I.S.E. estime en effet que :
« la responsabilité de protéger implique non seulement la responsabilité de prévenir et de
réagir mais aussi celle de compléter la réaction et de reconstruire. En conséquence, si une
intervention militaire est décidée – parce qu’un État s’est effondré ou a renoncé à ses
capacités et pouvoirs d’assumer sa propre « responsabilité de protéger » – il faut qu’il y ait
un véritable engagement à contribuer à ramener une paix durable et à promouvoir la bonne
gouvernance et un développement durable. Les agents internationaux doivent rétablir la
sécurité et l’ordre public, en partenariat avec les autorités locales, le but étant de transférer
progressivement à ces dernières le pouvoir et la responsabilité de reconstruire. »1015
En comparaison avec le principe de complémentarité de la C.P.I. aux juridictions pénales
nationales, le résultat de la mise en œuvre de la responsabilité de protéger semble être le
même : la substitution d’un organe international, de la communauté internationale en général
à l’État qui n’a pas la volonté ou la capacité d’assumer ses responsabilités en matière de
répression des crimes internationaux ou de protection des populations placées sous sa
juridiction. Ainsi, même si d’aucuns pensent que l’idée de responsabilité de protéger n’a rien
de nouveau et qu’elle n’est qu’une « nouvelle parure » d’une pratique déjà bien établie1016, il
convient cependant d’observer qu’avec cette notion, il est indéniable que l’idée d’une
responsabilité collective de protéger les populations contre les violations les plus graves du
droit international humanitaire et des droits de l’homme est désormais endossée par la
communauté internationale. Ce qui était loin d’être le cas de l’intervention d’humanité ou du
droit ou devoir d’ingérence humanitaire. La responsabilité de protéger vise, au-delà de la
réaction aux violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire, à
apporter des réponses aux questions plus générales de la défaillance, de la construction ou de
la reconstruction de l’État. À ce titre, comme le souligne un auteur,
« l’émergence de ce concept de responsabilité de protéger est une des manifestations de
l’évolution du droit international qui […] consacre de nouvelles normes ayant pour objet de
combler les défaillances éventuelles de [l’État], à travers une « assistance » protéiforme,
1015.Rapport de la CIISE pr éc., note 943, p. 43, § 5.1. 1016.L. BOISSON DE CHAZOURNES et L. CONDORELLI, « De la ‘‘responsabilité de protéger’’… », op. cit., n. 972, pp. 11- 18 ; J.-M. CROUZATIER, « Le principe de la responsabilité de protéger… », op. cit. n. 1011, pp. 13-32.
339
dans tous les domaines où les institutions étatiques sont dans l’impossibilité de répondre aux
exigences élémentaires du droit international ».1017
La responsabilité de protéger les populations civiles telle qu’elle est conçue et pratiquée est
justificative d’une intervention internationale dans un État pour pallier la défaillance de la
compétence nationale en matière de protection des populations. Le principe de la
responsabilité de protéger a donc vocation à prendre le pas sur le principe de non-ingérence
ou de non-intervention dans les affaires relevant de la compétence nationale d’un État. En
d’autres termes, le principe de non-intervention s’efface lorsque les populations civiles sont
les victimes de catastrophes humanitaires ou de crimes internationaux : génocide, violations
massives du droit international humanitaire ou nettoyages ethniques massifs par l’expulsion
forcée et la terreur.1018 La décision d’intervenir devant être prise par le Conseil de sécurité en
vertu du Chapitre VII, il est clair que ni l’article 2, § 7 de la Charte, ni le principe général de
non-intervention ne peuvent juridiquement empêcher l’action de la communauté
internationale de se déployer.
En définitive, le principe de la responsabilité de protéger atténue le principe juridique
international qu’un État souverain exerce une compétence exclusive et totale à l’intérieur des
frontières de son territoire, et sa conséquence logique à savoir l’obligation correspondante des
autres États et acteurs extérieurs de ne pas intervenir dans les affaires relevant de la
compétence nationale d’un État. Comme l’intervention d’humanité ou l’intervention
humanitaire, le principe de la responsabilité de protéger autorise l’intervention, y compris
l’intervention militaire dans des cas extrêmes, à l’intérieur d’un État à des fins de protection
humaine lorsque des populations civiles sont en grand péril ou risquent de l’être et que l’État
territorial ne peut pas ou ne veut pas y mettre fin ou en est lui-même l’auteur.
1017.M.-S. BERGER, « La compétence complémentaire de la Cour pénale internationale à l’épreuve de l’affaire libyenne », op. cit., n.740, pp. 473-474. 1018.J.-M. CROUZATIER, « Le principe de la responsabilité de protéger… », op. cit. , n. 1011, p. 20.
340
CONCLUSION DU TITRE I
La multiplication des conflits internes et des situations de défaillances étatiques notamment en
matière de sécurité et de protection des populations civiles ont eu pour conséquence
l’accroissement des opérations de maintien de la paix et des interventions internationales à
l’intérieur d’un État pour des raisons humanitaires ou d’humanité. À travers ces opérations et
interventions internationales, des acteurs extérieurs exercent sur le territoire d’un État
souverain des activités opérationnelles qui, en temps normal, relèvent de la compétence
nationale de cet État. Le développement de ces phénomènes est révélateur de l’importance
que prennent de plus en plus des acteurs autres que l’État dans la représentation internationale
d’intérêts divers et la réponse aux exigences de la vie en collectivité. À cet égard, la prise en
charge internationale du maintien, du rétablissement ou de la consolidation de la paix à
l’intérieur d’un État, par le biais des opérations de maintien de la paix, illustre le
développement d’activités internationales intrusives dans les affaires relevant de la
compétence nationale de l’État. Les réponses internationales à la défaillance de l’État dans sa
fonction sécuritaire englobent en effet un éventail de tâches intimement liées à la qualité
d’État. De même, l’intervention internationale, par le biais des interventions d’humanité, des
interventions humanitaires ou de la responsabilité de protéger, afin de sauver des vies
humaines ou de faire respecter les normes fondamentales du droit international humanitaire et
des droits de l’homme, met parfaitement en évidence le processus de développement des
compétences internationales et a contrario celui de restriction du domaine matériel de
compétence nationale et du caractère absolu de la souveraineté de l’État.
Ces pratiques traduisent une certaine évolution du droit international qui vise désormais à ne
plus laisser à l’État territorial la compétence exclusive sur des questions certes internes mais
qui présentent un intérêt international ou des répercussions, potentielles ou réelles, pour
l’ordre international. Il en est ainsi des questions relatives notamment au maintien de la paix
et de la sécurité internes ou à la protection de la personne humaine et de ses droits. C’est
pourquoi le principe de non-ingérence ou de non-intervention dans les affaires relevant de la
compétence nationale, et l’article 2, § 7 de la Charte des Nations Unies ont un effet pratique
très limité dès lors qu’on se focalise sur des présupposés matériels. Les interventions
internationales en vue du maintien ou de la consolidation de paix ou encore à des fins
humanitaires s’inscrivent dans le processus d’édification d’une communauté internationale au
sein de laquelle existent certaines valeurs et certaines règles supérieures qui ouvrent à chaque
membre de cette communauté un droit de regard sur les autres et un droit d’action
341
internationale lorsque ceux-ci n’agissent pas conformément à ces règles et valeurs. Cette
tendance de la communauté internationale à reconnaitre au profit d’acteurs extérieurs un droit
de regard et d’action à l’intérieur d’un État indique un certain degré de civilisation atteint par
les membres de cette communauté. Dans cette perspective, le droit international essaie d’offrir
à chaque époque une réponse à l’exercice non conforme de l’autorité à sa fonction, à savoir
l’exercice du pouvoir dans l’intérêt de la personne humaine. En effet derrière les opérations de
la paix et des notions d’intervention d’humanité, de droit ou devoir d’ingérence humanitaire
ou de responsabilité de protéger, se profile une certaine conception de la société internationale
et de son droit qui, tout en replaçant l’individu au centre des préoccupations, consacre une
sorte d’hiérarchie entre d’une part les normes, et d’autre part les acteurs internationaux, pour
la défense des intérêts et valeurs communs. La multiplication d’opérations de paix
multidimensionnelles et multifonctionnelles, et le développement de la théorie de
l’intervention d’humanité comme celui du droit d’ingérence humanitaire ou de la
responsabilité de protéger apparaissent ainsi comme des « indice[s] d’une évolution de la
doctrine vers une conception nouvelle de la société internationale, dans laquelle les nations,
étroitement solidaires et dépendantes les unes des autres, seraient groupées sous une autorité
juridictionnelle ou tout au moins sous un pouvoir hiérarchique chargé d’assurer chez toutes le
respect de la justice. »1019
Cette conception de la société internationale marquée par le développement, à l’intérieur
d’États souverains, d’activités opérationnelles d’acteurs extérieurs a eu pour conséquence de
mettre en évidence de plus en plus nettement la faiblesse de la conception matérielle du
domaine de compétence nationale essentiellement centrée sur l’idée de liberté de décision et
d’action de l’État arrimée à des matières. Mais elle traduit surtout une certaine métamorphose
du domaine de compétence nationale.
1019.A. ROUGIER, « L’intervention d’humanité », op. cit., n. 929.
342
TITRE II
LA MÉTAMORPHOSE DU DOMAINE DE COMPÉTENCE
NATIONALE DE L’ÉTAT
Dans la société internationale post 1945 marquée par un processus d’extension constante du
champ matériel du droit international, la conception usuelle du domaine de compétence
nationale est fortement fragilisée. La mondialisation impliquant des acteurs divers qui
remettent en cause le monopole de l’État sur les relations internationales contribue à
l’exacerbation de cette fragilisation. En effet, non seulement « elle conforte le dessaisissement
de l’État dans des domaines où, sans doute il souhaiterait conserver voire étendre son
emprise », mais aussi et surtout « elle met en exergue l’avènement de champs d’où l’État est
presque entièrement absent, alors même que ceux-ci tendent à informer parfois
substantiellement les rapports sociaux ».
De cette manière, on doit sans doute admettre que ces différentes évolutions de la société
internationale et du droit international ont mis en mal la conception majoritaire du domaine
réservé à la compétence nationale. Car dans le contexte mondial actuel, « l’État ne peut en
aucun cas être considéré comme un sanctuaire de compétences exclusives. »1020 Mais à y voir
de plus près, il apparaît qu’aussi longtemps que la société internationale sera composée
d’États souverains et que ceux-ci n’auront pas dépéri comme tels en se fondant dans un État
mondial, l’extension matérielle ou personnelle du droit international ne fera qu’affiner les
contours du domaine de compétence nationale, « donnant ainsi plus de relief encore à
l’essentiel, c’est-à-dire à ce principe de pouvoir inhérent et intangible qui constitue le siège
ultime, donc le critère essentiel d’existence de l’État souverain ».1021
Face à ces évolutions, l’État n’est pourtant pas dépourvu de moyens « pour tenter de se
prémunir contre la déliquescence progressive de certaines de ses compétences ».1022 La notion
de domaine de compétence nationale envisagée autrement que sous l’angle matériel peut, à
cet égard, mettre en relief « la singularité des compétences étatiques et la nécessité corrélative
de protéger celles-ci d’immixtions extérieures non consenties ».1023 Ça peut être le cas
1020.P. BODEAU-LIVINEC, « Le domaine réservé : persistance ou déliquescence… », op. cit., note 1, p. 158. 1021.M. SINKONDO, « Une pierre d’angle de la construction juridique de l’État… », op. cit., note 43, p. 270. 1022.P. BODEAU-LIVINEC, op. cit., p. 161. 1023.Ibid., p. 162.
343
lorsqu’on privilégie une conception fonctionnelle du domaine de compétence nationale
(Chapitre I), qui met en exergue la persistance des fonctions étatiques et de la notion même de
domaine de compétence nationale dans le contexte actuel de mondialisation. Sous ce rapport,
la notion de domaine de compétence nationale apparaît non comme une sphère de matières où
l’État jouit d’une certaine liberté mais comme un critère incompressible de sauvegarde de la
souveraineté-indépendance de l’État (Chapitre II).
344
CHAPITRE I
LA CONCEPTION FONCTIONNELLE DU DOMAINE DE
COMPÉTENCE NATIONALE DE L’ÉTAT
Dans cette perspective fonctionnelle, la notion de domaine compétence nationale n’est pas
appelé à disparaître du droit international en dépit du développement ratione materiae et
ratione personae de ce dernier. Les États persistent à s’en prévaloir toutes les fois qu’ils
estiment que les prétentions d’un organe international ou d’un autre État d’exercer un droit de
regard sur leurs propres activités ou de déployer sur leurs territoires des activités
opérationnelles, s’apparentent ou se rapprochent des fonctions gouvernementales essentielles,
qui leur sont consubstantielles. Sous ce rapport, la théorie du domaine réservé à la
compétence nationale peut trouver un terrain d’application dans la mesure où elle met l’accent
sur les fonctions étatiques et se présente comme un critère essentiel d’existence de l’État
souverain et comme un critère d’effectivité de la puissance étatique. Le domaine de
compétence nationale apparaît ainsi comme celui dans lequel s’exprime l’exercice de la
fonction de gouvernement (Section 1).
La fonction gouvernementale comme domaine réservé à la compétence nationale renvoie à
l’idée que cette fonction, qui exprime la puissance étatique, consiste en un contenu
insusceptible d’être résigné, un contenu indisponible (Section 2).
Section 1 : Le domaine de compétence nationale comme domaine d’exercice
de la fonction de gouvernement
À côté de la population et du territoire, qui constituent les critères matériels de l’État, c’est-à-
dire les éléments de fait constitutifs de l’État sur lesquels s’exerce la souveraineté, l’existence
d’un gouvernement effectif apte à exercer les compétences reconnues par le droit international
est le dernier critère de l’État. Il s’agit d’un critère juridique, car c’est le droit international qui
exige l’existence d’un appareil gouvernemental pour accomplir l’objet fonctionnel de l’État, à
savoir l'accomplissement des missions de service public sur le plan national et l'exercice des
compétences que le droit international reconnaît à l'État sur le plan international.
345
La réalisation de la finalité fonctionnelle pour laquelle des individus se sont constitués en État
relève d’une sphère qui a priori n’intéresse pas l’ordre international. Dans cette mesure,
l’exercice de la fonction gouvernementale apparaît comme le véritable domaine réservé à la
compétence nationale. Cette fonction a un contenu qui se manifeste tant dans l’ordre interne
que dans l’ordre international. Il convient ainsi d’essayer de déterminer ces manifestations (§
1) avant d’envisager ses implications (§ 2) qui montrent bien la singularité de l’État par
rapport aux autres sujets de droit international.
§ 1 : Les manifestations de la fonction gouvernementale comme domaine de
compétence nationale de l’État
Du point de vue du droit international, l’exercice effectif de la fonction gouvernementale ou le
contenu de cette fonction se manifeste par un certain nombre d’« attributs statutaires originaires
que le droit international général attache objectivement à tout État dès sa constitution et aussi
longtemps qu’il n’a pas usé de sa capacité pour en modifier la consistance ».1024 Ce sont des
éléments essentiels ou consubstantiels du concept d’État qu’aucun État ne saurait se dessaisir ou
être dessaisi sans risquer de perdre cette qualité. Il s’agit d’attributs inhérents au statut d’État et
que le droit international reconnaît automatiquement à toute collectivité considérée comme tel.
Ces attributs qui distinguent l’État des autres sujets internationaux ne peuvent être exercés que
par lui, à travers ses organes, sous peine de perte de sa qualité d’État. Dès lors, ils apparaissent
comme le véritable domaine réservé à la compétence nationale.
Parmi ces attributs, il y a la capacité, c’est-à-dire l’aptitude reconnue par le droit international à
tout État d’agir dans l’ordre juridique international. Dans cette perspective, la fonction
gouvernementale se manifeste à travers les relations entre l’État, d’une part, et ses pairs et les
autres sujets internationaux, d’autre part. Il s’agit essentiellement là de la question de la capacité
d’agir internationalement que le droit international attache à la qualité d’État (1) et dont il fait
un élément de son statut originaire.1025
Comme attribut attaché au statut d’État et qui constitue une manifestation de la fonction
gouvernementale en tant que domaine réservé à la compétence nationale, il y a aussi l’exercice
par l’État de sa juridiction sur les personnes se trouvant sur son territoire. Il est ici question de la
1024.J. COMBACAU et S. SUR, Droit international public, 8ème éd., Paris, Montchrestien, 2008, p. 232. 1025.Ibid., pp. 234-235.
346
relation entre, d’une part, l’État à travers les organes qui exercent le pouvoir politique, et d’autre
part les personnes sur lesquelles ce pouvoir s’exerce. C’est le domaine de l’exercice de
l’autorité souveraine ou de la relation de pouvoir entre gouvernants et gouvernés (2).
1. La capacité d’action internationale de l’État
Tout État jouit, en vertu du droit international général, de l’aptitude d’agir dans l’ordre
international et de s’engager par des actes juridiques internationaux vis-à-vis des autres
acteurs internationaux. Acteur nécessaire du commerce des nations, l’État participe aux
relations internationales c’est-à-dire qu’il entretient des rapports avec ses pairs et les autres
sujets internationaux. Dans ce cadre, il est amené à prendre des actes qui manifestent sa
volonté à l’égard de ses interlocuteurs internationaux. Il s’agit soit d’actes unilatéraux
(reconnaissance, engagement unilatéral, acquiescement) soit d’actes pris conjointement avec
d’autres (traités internationaux, notamment), qui constituent des formes d’actions juridiques
par lesquelles l’État se manifeste dans l’ordre international. Comme l’écrit le professeur
Marcel Sinkondo au sujet de l’acte de gouvernement dans les relations internationales, il
s’agit d’actes par lesquels
« l’État apporte dans la société internationale ses motivations et ambitions personnelles, ses
objectifs et absolus particuliers, contradictoires parfois, changeant souvent au gré des
circonstances, qui font de la société internationale des États un ensemble complexe
d’interactions entre des acteurs relativement autonomes, traversée par des lignes de solidarité
et de conflit dessinées en marge du discours officiel ».1026
Parmi ces actes, il y a ceux adoptés en liaison avec les conventions internationales (acte de
signature, de ratification, d’adhésion, de suspension ou de dénonciation d’un traité), les
mesures prises dans la conduite des relations diplomatiques (décision d’ouvrir une
représentation diplomatique dans un État, décision d’envoi d’un ambassadeur à l’étranger,
décision d’accréditation d’un ambassadeur étranger, décision de suspension, de rupture des
relations diplomatiques etc.) et les actes de guerre (décision de mener une guerre). Ces actes
matériels par lesquels l’État exprime sa puissance dans l’ordre international sont de véritables
actes de gouvernement qui « limitent la marge d’autonomie des autres États et rendent leurs
comportements plus prévisibles ».1027 Certes, ces actes portent sur des domaines régis par le
1026.M. SINKONDO, « Une pierre d’angle de la construction juridique de l’État… », op. cit., n. 43, p. 258. 1027.Ibid., p. 259.
347
droit international, mais pour autant celui-ci n’annihile pas le pouvoir de chaque État de
décider souverainement de s’engager dans les relations internationales. Dès lors, le domaine
réservé à la compétence nationale apparaît non pas comme étant celui où le droit international
reste muet ou n’impose pas d’obligations aux États, mais comme un domaine qui, bien
qu’étant régi par le droit international, reste malgré tout celui dans lequel les États conservent
leur pouvoir originaire de décider en toute indépendance. À ce titre, relativement à la conduite
des relations diplomatiques, Charles Dupuis fait remarquer que
« […] le droit international règles les relations diplomatiques, mais il laisse à chaque État le
soin de décider souverainement, s’il lui convient ou non d’avoir une légation permanente
auprès de tel ou tel État, s’il lui convient ou non d’agréer tel ou tel représentant diplomatique
d’un autre État, s’il lui convient ou non de mettre fin à une mission temporaire ou à une
légation permanente. »1028
Dans la mise en œuvre de sa capacité statutaire d’agir sur le plan international, l’État possède
un monopole dans la définition et la conduite des relations extérieures. Ainsi, c’est à chaque
État de définir la ligne de sa politique extérieure ainsi que les priorités qu’il attache à celle-ci
en fonction de ses intérêts nationaux. Dans cette perspective, il jouit de l’autonomie de
décision et d’action qu’exige son statut d’État souverain et nécessaire à l’expression de sa
personnalité dans les rapports internationaux. L’autonomie apparaît, au sens général, comme
« le pouvoir de se déterminer soi-même ; la faculté de se donner sa propre loi ». En droit
international public, elle signifie « au sens le plus étendu, [la] capacité que possède tout sujet
du droit international à l’effet de librement exercer la plénitude de ses propres compétences ;
dans un sens plus restreint, [la] capacité que possède une collectivité non souveraine au regard
du droit international à l’effet de librement déterminer les règles juridiques auxquelles elle
entend se soumettre dans la limite des compétences qu’elle exerce en propre »1029.
L’autonomie de la volonté de l’État dans les relatons internationales apparaît ainsi comme une
des expressions de la souveraineté. Ce principe permet de regarder l’État dans ses relations
avec les autres acteurs internationaux, comme « un individu face à un autre individu », c’est-
à-dire un sujet de droit international, comme tel doué de volonté autonome, non conditionnée
par une norme de droit positif autre que le droit international lui-même.1030 Sous ce rapport,
l’autonomie renvoie à l’indépendance. En effet, comme l’indique le professeur Marcel
Sinkondo,
1028.Voir aussi C. DUPUIS, « Règles du droit de la paix », R.C.A.D.I., vol. 32, 1930-II, pp. 90-91. 1029.G. CORNU, Vocabulaire juridique, 8è éd., Paris, Puf, 2007. 1030.M. SINKONDO, « Une pierre d’angle de la construction juridique de l’État… », op. cit., n. 43, pp. 241-242.
348
« l’autonomie de décision et d’action que le droit désigne du nom de l’indépendance est la
capacité effective de l’État de se déterminer par sa seule volonté dans ses relations aux autres
sujets de droit international, dans un cadre international structuré par des règles coutumières,
conventionnelles, et des principes généraux du droit communément acceptés et reconnus
comme nécessaires à la vie pacifique et solidaire d’une société internationale civilisée.
L’autonomie de la volonté de l’État dans les relations internationales est dans son
consentement ou son refus de se lier par un traité, le comportement du Gouvernement au
cours des négociations, la détermination sans retournement des modalités d’exécution ou la
suspension d’engagements internationaux, ou encore la décision qui protège un intérêt
politique ou juridique international propre à l’État ».1031
Il s’ensuit que la fonction de gouvernement comme domaine réservé à la compétence
nationale signifie son insubordination radicale dans les relations internationales.
S’accommodant bien à la soumission de l’État au droit international, la souveraineté,
expression juridique de l’indépendance de fait des États1032, signifie que dans la sphère de ses
« compétence gouvernementales »1033, l’État n’est soumis à aucune autre puissance.
En mettant en œuvre sa capacité d’agir internationalement par des actes juridiques
internationaux, l’État manifeste ainsi sa puissance. Dans l’ordre international, la suprématie
de la puissance étatique se manifeste par l’insoumission de l’État à aucune autorité constituée
(État, groupe d’États ou organisation internationale). À ce titre, les limitations volontaires, par
le biais d’accords librement consentis avec les autres sujets internationaux, à l’exercice
exclusif de certaines de ses compétences ne sauraient être considérées comme une
renonciation d’un État à sa puissance, à sa souveraineté. En se liant par des accords
internationaux, l’État ne fait que mettre en œuvre sa capacité d’action internationale. C’est en
ce sens que la C.P.J.I., dans son arrêt rendu dans l’affaire du Vapeur Wimbledon, « se refuse à
voir dans la conclusion d’un traité quelconque, par lequel un État s’engage à faire ou à ne pas
faire quelque chose, un abandon de souveraineté. » En effet, selon la haute juridiction, « sans
doute, toute convention engendrant une obligation de ce genre apporte une restriction à
l’exercice des droits souverains de l’État, en ce sens qu’elle imprime à cet exercice une
direction déterminée. Mais la faculté de contracter des engagements internationaux est
précisément un attribut de la souveraineté de l’État ».1034
1031.M. SINKONDO, « Une pierre d’angle de la construction juridique de l’État… », op. cit., n. 43, p. 263. 1032.Voir J. COMBACAU et S. SUR, Droit international public, 2e éd., Paris, Montchrestien, 1995, p. 235. 1033.J. CRAWFORD, Premier rapport sur la responsabilité des États, Rapporteur spécial, Doc. A/CN.4/490/Add. 5, pp. 123 et s. 1034.C.P.J.I., Affaire de la Vapeur Wimbledon, arrêt du 17 août 1923, série A, n° 1, p. 25.
349
De ces considérations, il convient de relever que l’État en tant sujet primaire de droit
international, jouit d’une capacité statutaire d’agir sur le plan international. L’engagement et
la représentation de l’État dans les rapports internationaux apparaît ainsi comme une
prérogative souveraine de l’État qu’il ne saurait se priver ou être privée. Il s’agit d’un attribut
originaire attaché au statut d’État souverain et indépendant. Par conséquent, tout État qui se
prive ou est privé totalement de cette capacité perd ainsi sa qualité d’État au regard du droit
international. Autrement dit, la capacité d’agir internationalement est un attribut relevant de la
compétence nationale de l’État et qu’il doit exercer sans qu’une volonté autre que la sienne ne
puisse lui être valablement imposée. C’est d’ailleurs cette capacité d’agir internationalement
qui distingue largement l’État souverain des autres entités territoriales investies, à un certain
degré, de la puissance publique. Nous pensons notamment aux collectivités territoriales non-
étatiques1035 et aux États fédérés. En effet, même si l’histoire et l’observation de la réalité des
relations internationales contemporaines révèlent que ces entités interviennent de plus en plus
sur la scène internationale, il semble important, cependant, de reconnaître que leur action
internationale reste circonscrite dans les limites fixées par l’État central ou fédéral qui, du
point de vue du droit international, jouit seul de ce statut d’État et des attributs qui lui sont
attachés.
2. L’exercice de la puissance publique à l’égard des personnes placées sur le
territoire de l’État
Dans l’aspect interne de la souveraineté, l’État est pour sa population et sur son territoire
l’autorité suprême. Ainsi à chaque État est reconnu le pouvoir d’exercer sa juridiction sur son
territoire et les personnes qui s’y trouvent. Il s’agit là d’un « droit » ou « pouvoir » statutaire,
c’est-à-dire qu’il découle du statut d’État. La juridiction de l’État s’analyse ici en termes de
pouvoir ou d’autorité politique qui s’exerce sur les éléments matériels constitutifs de l’État, à
savoir le territoire et la population. Elle traduit l’indépendance et la puissance suprême de
l’État dans son ordre. En effet, comme l’ont souligné les professeurs Jean Combacau et Serge
Sur,
« un État ne serait pas indépendant au sens juridique s’il était placé dans une situation de
dépendance à l’égard d’une autre Puissance, s’il cessait d’exercer lui-même sur son propre
territoire la summa potestas ou souveraineté, c’est-à-dire s’il perdait le droit de s’en
1035.Sur la place de ces entités dans l’ordre international, voir notamment, S.F.D.I., Les collectivités territoriales non-étatiques dans le système juridique international, Paris, Pedone, 2002, 208 p.
350
rapporter à ses propres appréciations pour prendre les décisions que comporte le
gouvernement de son territoire ».1036
Mais l’autorité, le pouvoir ou encore la puissance ne s’exerce que par l’entremise d’organes
investis à cet effet d’un certain nombre de prérogatives. Dès lors, le pouvoir politique abordé
par le prisme des organes qui l’exercent autorise à voir en l’État un instrument qui permet à
l’ordre social de se perpétuer en usant, lorsque cela est nécessaire, de la force. Ainsi, l’État
s’identifie à l’autorité politique souveraine, considérée comme une personne juridique et à
laquelle est soumis un groupe humain établi sur un territoire déterminé. Dans cette
perspective, le gouvernement, élément formel, qui permet de matérialiser l’abstraction que
constitue l’État, s’identifie à celui-ci. À cet égard, le gouvernement apparaît comme
l’incarnation de l’autorité politique souveraine qui s’exerce sur la population établie sur un
territoire donné. Autrement dit, le gouvernement, comme élément constitutif de l’État, est la
manifestation d’un pouvoir ou d’une autorité qui s’exerce sur un territoire et une population
déterminés. Comme le souligne un auteur,
« du point de vue d’une définition formelle et instrumentale, la condition nécessaire et
suffisante de l’existence d’un État est la formation, sur un territoire déterminé, d’un pouvoir
en mesure de prendre des décisions et de produire les commandements correspondants,
contraignants pour tous ceux qui habitent ce territoire, et effectivement exécutés par la
majorité des destinataires, dans la majeure partie des cas où l’obéissance est requise. »1037
Ce pouvoir souverain de production de commandements et d’assurer leur exécution est propre
à l’État sujet de droit international. La doctrine le désigne souvent sous diverses
dénominations : « autorité gouvernementale », « autorité commune », « puissance publique »,
« pouvoir politique », « différenciation des gouvernants et des gouvernés ».1038 Mais, en dépit
de leur diversité, ces dénominations véhiculent une idée commune : l’appréhension du
gouvernement comme une manifestation de la puissance publique ou de l’autorité de l’État.
Comme manifestation de la fonction gouvernementale, l’exercice de l’autorité souveraine ou
de la juridiction étatique sur son territoire et sur les personnes qui s’y trouvent « consiste dans
la possibilité légale de régir leurs conduites par des actes juridiques (pouvoir normatif) et par
des agissements matériels (pouvoir opérationnel) ».1039 Sous ce rapport, la fonction
1036.Opinion dissidente de MM. Adatci, Kellog, le baron Rolin-Jaequemyns, Sir Cecil Hurst, Schücking, du jonkheer van Eysinga et de M. Wang, jointe à l’avis consultatif de la C.P.J.I. sur le Régime douanier, Série A/B, n° 41, pp. 77. 1037.N. BOBBIO, « État, pouvoir et gouvernement », in L’État et la démocratie internationale : de l’histoire des idées à la science politique, Bruxelles, Complexe, 1998, p. 213. 1038.C. ROUSSEAU, Droit international public, t. II : Les sujets de droit, Paris, Sirey, 1974, p. 15. 1039.J. COMBACAU et S. SUR, Droit international public, op. cit., n. 1024, p. 234.
351
gouvernementale consiste à exercer le pouvoir de commandement sur une population établie
sur un territoire donné et d’assurer l’exécution de ces commandements y compris par l’usage
de la force. Ce pouvoir de commander est à la fois la caractéristique et la raison d’être de
l’État. Dès lors, il appartient au gouvernement (sens large) détenteur de la plus grande force
dans l’ordre interne de formuler des commandements et de sanctionner les comportements qui
ne leur sont pas conformes. C’est en ce sens « qu’on dit que l’État a le droit de commander,
que la puissance est un de ses attributs, nécessaire pour atteindre sa fin, qui est la justice […]
et que son autorité […] est préférable à l’anarchie… »1040. Cette fonction générale se décline
par des pouvoirs et des fonctions particuliers confiés à des organes qui, dans toute
organisation sociale, visent à créer les conditions de réalisation de l’objet social ayant conduit
à la création ou à l’institutionnalisation de cette organisation. C’est dans cette perspective que
Georges Scelle souligne :
« [l]a fonction gouvernementale est inséparable de toute organisation politico-sociale.
Partout où le fait social se produit, au bout d’un certain temps, l’existence de sujets de droit
différenciés des autres par la disposition qu’ils ont de la plus grande force sociale et l’emploi
qu’ils en font. […] Rechercher et exprimer la règle de droit, légiférer, réglementer l’activité
sociale, déterminer les compétences, c’est, au premier chef, gouverner ; contrôler l’existence
des situations juridiques et décréter que ce contrôle aura force de vérité légale, c’est
accomplir l’acte juridictionnel, mais c’est aussi gouverner ; veiller à l’exécution du droit
positif et des jugements, c’est encore gouverner ».1041
Dans cette conception, la fonction gouvernementale se manifeste par l’exercice du pouvoir
politique par le biais d’organes investis de prérogatives de puissance publique leur conférant
un pouvoir de décision, de commandement et de contrainte matérielle en vue de la réalisation
de l’objet fonctionnel du gouvernement et de l’État. Elle se manifeste non seulement par le
« tryptique des fonctions classiques de l’État – légiférer, exécuter, juger », mais elle
s’applique aussi à l’ensemble des « fonctions étatiques », entendues comme « la compétence
de régir tout ce qui touche les éléments constitutifs de l’État ».1042 À ce titre, Charles
Rousseau souligne que :
« [d]ans tout État il existe un pouvoir qui, détenu par certains organes, a pour objet de
gouverner la nation en remplissant certaines attributions (direction, contrôle, assistance ou
substitution à l’égard des activités humaines) et en exerçant certaines fonctions (fonctions
administrative, législative, juridictionnelle), grâce à certaines prérogatives (privilège de 1040.C. DUPUIS, « Règles du droit de la paix », op. cit., n. 1028, p. 89. 1041.G. SCELLE, « Règles générales du droit de la paix », R.C.A.D.I., t. 46, 1933-IV, p. 619. 1042.P. BODEAU-LIVINEC, Le gouvernement de l’État…, op. cit., n. 1, p. 60.
352
l’action préalable, monopole de la contrainte matérielle, etc.). C’est ce pouvoir politique que
l’on qualifie fréquemment de puissance publique… »1043
Dès lors, au-delà du simple fait institutionnel, le gouvernement doit être appréhendé dans sa
dimension relationnelle qui le singularise par rapport aux autres phénomènes de pouvoir que
l’on peut retrouver dans l’ordre international et dans l’ordre interne. L’exercice de l’autorité
souveraine dans l’ordre interne renvoie alors à la relation de pouvoir entre gouvernants et
gouvernés propre à l’État. Ce rapport de pouvoir ne découle pas de faits objectifs mais d’une
création juridique aux fins de l’accomplissement de la finalité fonctionnelle de l’État. Ainsi,
la fonction de gouvernement comme exercice d’une autorité doit être comprise comme le
« siège de la relation des individus au pouvoir souverain ».1044 À cet égard, Michel Virally
note que :
« L’idée de gouvernement ne se confond pas avec celle de prépondérance ou d’hégémonie.
Elle implique la possession d’un pouvoir juridique : le droit de prendre des décisions
obligatoires pour les membres de la société considérée, juridiquement tenus de s’y
conformer. Les gouvernements de fait, dans l’ordre étatique, en sont investis tout comme les
gouvernements constitutionnels. […] Le « fait » désigne les circonstances de son investiture
et non pas la nature de son autorité. La force juridique qui est attachée à celle-ci se justifie
parce que le gouvernement est censé représenter un intérêt social, ne se confondant pas avec
celui des individus qui le composent et dont le respect s’impose à tous les membres du
groupe ».1045
De la conception fonctionnelle du gouvernement, il résulte que l’État se singularise par
rapport aux autres sujets du droit international par le fait qu’il assume la fonction de
gouvernement envers l’ensemble des personnes soumises à sa juridiction, cette fonction étant
une donnée naturelle et non accordée par le droit international. Or, comme le souligne le
professeur Pierre Bodeau-Livinec, « la mise en œuvre de cette compétence n’est assignée ni
arrimée à aucune matière particulière ou fondamentale ; elle est entièrement rassemblée dans
un rapport interindividuel des gouvernants aux gouvernés, propre à la personnalité
internationale de l’État. »1046 Il s’agit d’une compétence générale qui touche à toutes les
matières et s’exerce de manière permanente tant que l’État se maintient en tant que tel.
1043.C. ROUSSEAU, « L’indépendance de l’État dans l’ordre international », R.C.A.D.I., t. 73, 1948-II, p. 181. 1044.P. BODEAU-LIVINEC, Le gouvernement de l’État…, op. cit., n. 1, p. 184. 1045.M. VIRALLY, « La Conférence au sommet », A.F.D.I., 1959, pp. 16-17. (Les italiques sont ajoutés). 1046.P. BODEAU-LIVINEC, « Le domaine réservé : persistance ou déliquescence… », op. cit., n. 1, p. 167.
353
L’acception de la fonction gouvernementale comme la « manifestation de l’autorité ou du
pouvoir propre à l’État sujet de droit international »1047, c’est-à-dire comme le pouvoir de
commandement et d’assurer l’exécution de ces commandements, est très développée dans la
doctrine. Elle ressort notamment de la conception wébérienne du pouvoir politique et de
l’État. En effet, selon Max Weber, « il faut concevoir l’État contemporain comme une
communauté humaine qui, dans les limites d’un territoire déterminé – la notion de territoire
étant une de ses caractéristiques – revendique avec ses succès pour son propre compte le
monopole de la violence physique légitime ».1048 Dans cette perspective, la fonction
gouvernementale comme domaine réservé à la compétence nationale exprime « la puissance
de l’État » que Kelsen considère comme « un pouvoir exercé par un homme sur d’autres
hommes ». Il s’agit du pouvoir « que l’État, en tant qu’ordre social, autorise cet homme à
exercer sur d’autres hommes. Le pouvoir de cet homme consiste dans l’autorité que l’ordre
social lui confère ».1049
Cette conception fonctionnelle du domaine de compétence nationale à travers l’exercice de la
fonction gouvernementale – envisagée ici comme le pouvoir de régir les relations de la
puissance publique aux individus soumis à sa juridiction et de ces individus entre eux - a été
systématisée par Gaetano Arangio-Ruiz dans son cours général délivré à l’Académie de droit
international en 1984. Pour l’internationaliste italien,
« [le domaine de] compétence nationale (domestic jurisdiction) consiste en la sphère des
relations d’ordre interindividuel-national dans laquelle, […] les organes internationaux sont
censés ne pas pénétrer en s’interposant de façon directe entre l’État, d’une part, et ses sujets
ou fonctionnaires, d’autre part. La raison d’être des réserves de la compétence nationale est
en effet de préserver de toute immixtion étrangère directe – d’un organe international ou des
autres États – l’exclusivité du pouvoir de chaque État dans sa sphère interindividuelle
relevant de l’État donné. Ainsi définies, les réserves de la domestic jurisdiction […]
marquent la distinction et la séparation des relations internationales proprement dites et des
règles qui dans une mesure les conditionnent, par rapport aux relations d’ordre
interindividuel-national relevant des ordres juridiques des différents États. »1050
1047.P. BODEAU-LIVINEC, « Le domaine réservé : persistance ou déliquescence… », op. cit., n. 1, p. 48. 1048.M. WEBER, Le savant et la politique », Plon Paris, 1995, pp112-113. 1049.H. KELSEN, « Théorie du droit international public », op. cit., n. 766, p. 76. Le même, Théorie générale du droit et de l’État (1945), op. cit., (note), p. 304. Dans le même sens, Anzilotti voit en l’État un « développement naturel des agrégats humains [en] groupes sociaux établis à demeure sur un territoire donné et soumis à l’autorité d’un pouvoir unitaire », Cours de droit international, op. cit., (note), p. 42. 1050.G. ARANGIO-RUIZ, « Le domaine réservé… », op. cit., (note 1), p. 391. À la suite du juriste italien, le professeur Pierre Boedau-Livinec est parvenu à la même conclusion. En effet, selon lui, « [d]ès lors qu’elle est dégagée de ses présupposés matériels, l’idée selon laquelle persiste une réserve de compétence nationale reflète
354
Dès lors nonobstant la diversité des formulations retenues pour décrire la fonction
gouvernementale, il apparaît un dénominateur commun qui s’articule autour de l’idée que
cette fonction est une caractéristique essentielle de l’État dans l’ordre international. Elle lui
est intimement rattachée au point que le droit international établit une corrélation entre
l’effectivité du gouvernement et l’existence de l’État.
§ 2 : Les implications de la fonction gouvernementale comme domaine de
compétence nationale de l’État
L’ordre international n’appréhende les organes qui représentent l’État que dans la mesure où
ceux-ci manifestent ses volontés auprès des autres membres de la communauté étatique. Dans
cette perspective, la répartition interne du pouvoir entre les différents organes de l’État est une
procédure qui relève substantiellement du droit de cet État. Autrement dit, le droit
international reste indifférent à la détermination par l’État des organes qui le représentent ou
agissent en son nom. L’indifférence des sujets de l’ordre international à la détermination des
organes représentant ou engageant l’État dans les relations internationales traduit l’idée
généralement admise selon laquelle c’est à chaque État de déterminer sa structure politico-
administrative. Dès lors, malgré les exigences démocratiques internationales, l’autonomie
constitutionnelle des États en tant manifestation de leur indépendance persiste toujours dans le
droit international (2).
Aussi, malgré l’apparition de phénomènes d’intégration communautaire et de mécanismes
qui, tels le jus cogens, les obligations erga omnes, tendent à subordonner la conduite des États
à un certain ordre public international, le principe de l’autonomie de la volonté de l’État dans
les relations internationales reste encore actuel. Les États conservent leur liberté de désigner
les organes qui les représentent internationalement et agissent en leur nom (1).
en effet avec acuité la dimension relationnelle caractéristique de la fonction gouvernementale. Ainsi comprise, le phénomène de gouvernement pourrait certainement être identifié dans d’autres milieux sociaux, qu’ils soient de nature non-, infra-, ou interétatique. Cependant, du point de vue du droit international, le gouvernement reste propre à l’État au sens où il est consubstantiel au fait primaire étatique et, partant, détermine la persistance et l’articulation d’ordres juridiques distincts. Sans gouvernement, l’État est condamné à disparaître. Avec un véritable gouvernement mondial, exonéré du relais étatique, c’est l’ordre juridique international lui-même qui devrait s’effacer, au profit d’un ordre fédéral universel. », P. BODEAU-LIVINEC, Le gouvernement de l’État…, op. cit., note 1, p. 299.
355
1. La liberté laissée à l’État de désigner les organes le représentant dans
les relations internationales
L’organisation des rapports entre un État et les autres sujets du droit international relève de
chaque ordre juridique national. Même si les relations extérieures ont par nature des
répercussions sur la société internationale, l’organisation de ces rapports relève d’un choix
purement interne des États qui, à travers leurs législations nationales, investissent certains
organes de la capacité de les représenter dans les relations internationales. Ainsi, à l’égard des
autres sujets internationaux, et notamment de ses pairs, l’État est appréhendé par
l’intermédiaire des organes – personnes et groupes de personnes – qui le représentent
internationalement et agissent en son nom. Il s’agit là d’une représentation fonctionnelle
exercée par les organes de l’État lui-même (représentation diplomatique et consulaire) à la
différence de la représentation entre deux sujets de droit international (représentation d’un
État par un autre ou d’une organisation internationale par une autre).1051 Sous ce rapport, la
puissance étatique se manifeste dans l’ordre international par le biais de la représentation de
l’État dans les relations avec ses pairs et les autres acteurs internationaux. La fonction de
gouvernement comme domaine réservé à la compétence nationale implique ici la liberté de
l’État de désigner par sa législation nationale les organes habilités à exprimer sa volonté dans
l’ordre international. Elle se traduit par la prédominance du rôle du droit interne dans la
détermination des organes représentant l’État ou agissant en son nom. En effet, c’est à chaque
État de désigner, selon les règles de son droit national, les personnes ou organes habilités à
l’engager et à le représenter internationalement. Ce n’est ni au droit international, encore
moins aux droits nationaux des autres États de fixer les conditions et les modalités
d’habilitation pour la représentation internationale d’un État donné. Chaque État reste donc
libre d’établir les procédés de l’habilitation à agir en son nom. C’est à ce titre qu’Anzilotti
note que
« les États sont internationalement obligés à accorder à certains organes des autres États, à
raison de leur position ou de l’office qu’ils remplissent, une condition privilégiée déterminée
[…]. Les droits dont jouit l’individu-organe ne dérivent pas pour lui du droit international,
mais de la volonté de l’État, c’est-à-dire du droit interne ».1052
1051.Voir à ce sujet R. DAOUDI, La représentation en droit international public, Paris, L.G.D.J., 1980, 405 p., spéc. pp. 56-64. 1052.D. ANZILOTTI, Cours de droit international, op. cit., n. 49, pp. 32-33.
356
Dans cette mesure, en droit international, le gouvernement, en tant qu’élément formel de l’État
et en tant qu’organe exécutif, est désigné comme l’incarnation de l’État, c’est-à-dire comme
l’institution ayant qualité exclusive de représenter l’État dans les relations internationales et de
l’engager internationalement.1053 En ce sens, Hans Kelsen a écrit : « en vertu des normes de
droit international, un gouvernement est un individu ou un groupe d’individus qui, en vertu de la
constitution effective de l’État, représente celui-ci dans ses relations avec les autres États, c’est-
à-dire qu’il a compétence pour agir au nom de l’État dans ses relations avec la communauté
des États ».1054 Dans le même ordre d’idées, le professeur Marcel Sinkondo souligne,
« […] le droit international ne désigne que le gouvernement (organe exécutif) comme incarnation de
l’État personne juridique internationale souveraine, les autres pouvoirs publics qui forment avec lui
l’ordre politique, juridictionnel et administratif n’étant regardés qu’en tant qu’éléments du système
global où se déroule le processus d’élaboration de la volonté de l’État. […] Ainsi paré de la qualité
exclusive de représenter l’État dans les relations internationales, le Gouvernement en arrive même à
se substituer à l’État, soit que dans un même traité les parties s’engagent indistinctement, tantôt
comme Gouvernement, tantôt comme État, soit que le traité est conclu purement et simplement au
nom du Gouvernement des États plutôt qu’au nom des États eux-mêmes. »1055
Cette tendance à assimiler le gouvernement à l’État et à l’ensemble des organes de l’État en ce
qui concerne sa représentation internationale est très développée en droit international. Ce
dernier ne perçoit l’État qu’à travers les organes qui expriment sa puissance dans les relations
internationales ; et à ce niveau le gouvernement joue un rôle prédominant. Il en est ainsi
notamment en droit des traités. La Convention de Vienne sur le droit des traités du 26 mai 1963
stipule en son article 7 paragraphe 2 :
« en vertu de leurs fonctions et sans avoir à produire de pleins pouvoirs, sont considérés
comme représentant leur État : a) les chefs d’État, les chefs de gouvernement et les ministres
des affaires étrangères, pour tous les actes relatifs à la conclusion d’un traité ; b) les chefs de
mission diplomatique, pour l’adoption du texte d’un traité entre l’État accréditant et l’État
accréditaire; c) les représentants accrédités des États à une conférence internationale ou auprès
d’une organisation internationale ou d’un de ses organes, pour l’adoption du texte d’un traité
dans cette conférence, cette organisation ou cet organe ».
1053.Voir en ce sens, P. BODEAU-LIVINEC, Le gouvernement de l’État…, op. cit., n. 1, pp. 29 et s. Sur le thème de la représentation internationale, se référer notamment à R. DAOUDI, La représentation en droit international public, op. cit., n. 1051; A. P. SERENI, « La représentation en droit international », R.C.A.D.I., t. 73, 1948-II 1054.H. KELSEN, Théorie générale du droit et de l’État (1945), Bruxelles-Paris, Bruylant – L.G.D.J., 1997, (trad. B. Laroche), p. 279. Italiques ajoutés. 1055.M. SINKONDO, « Une pierre d’angle de la construction juridique de l’État… », op. cit., n. 43, pp. 249-250.
357
Il ressort de cette disposition qu’il est de la compétence exclusive des autorités
gouvernementales, de l’exécutif en particulier d’exprimer la volonté et le consentement de
l’État à être lié par un traité international. À ce titre, le chef de l’État, le chef de gouvernement
et le ministre des affaires étrangères bénéficient d’un certain privilège dans la représentation et
l’engagement internationaux de l’État, qui est désormais bien établi en droit international et va
même au-delà du droit des traités. En effet, selon la C.I.J.,
« c’est une règle de droit international bien établie que le chef de l’État, le chef de
gouvernement et le ministre des affaires étrangères sont réputés représenter l’État du seul fait
de l’exercice de leurs fonctions, y compris pour l’accomplissement au nom dudit État d’actes
unilatéraux ayant valeur d’engagement international. »1056
Il convient cependant de noter que le pouvoir d’engager et de représenter internationalement
l’État n’appartient plus exclusivement à ces trois organes. Il est, en effet, de plus en plus partagé
avec les autres organes de l’exécutif, notamment les autres ministères techniques. À cet égard, il
est stipulé dans le paragraphe 1 b de l’article 7 de la Convention de Vienne de 1963 qu’« une
personne est considérée comme représentant un État pour l’adoption ou l’authentification du
texte d’un traité ou pour exprimer le consentement de l’État à être lié par un traité s’il ressort
de la pratique des États intéressés ou d’autres circonstances qu’ils avaient l’intention de
considérer cette personne comme représentant l’État à ces fins et de ne pas requérir la
présentation de pleins pouvoirs. » Dès lors, au-delà du chef de l’État, du chef de
gouvernement et du ministre des affaires étrangères, c’est tout l’exécutif qui détient la
compétence de représenter internationalement l’État et d’exprimer son consentement à être
lié. Ainsi, dans l’Affaire des activités armées au Congo (R.D.C. c. Rwanda), la C.I.J. a
considéré
« qu’il est de plus en plus fréquent, dans les relations internationales modernes, que d’autres
personnes représentant un État dans des domaines déterminés soient autorisées par cet État à
engager celui-ci, par leurs déclarations, dans les matières relevant de leur compétence. Il
peut en être ainsi des titulaires de portefeuilles ministériels techniques exerçant, dans les
1056.C.I.J., Activités armées sur le territoire du Congo (RDC / Rwanda), arrêt précité, note 165, § 46. Dans l’affaire sur l’Application de la convention sur le génocide, la Cour a rappelé : « […] le pouvoir qu'a un chef d'État d'agir au nom de l'État dans ses relations internationales est universellement reconnu […] », CIJ, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, ordonnance du 8 avril 1993, Rec. 1993, §§ 12-13; id., arrêt du 11 juillet 1996, Rec. 1996, § 44. Dans le même sens, dans l’affaire relative au mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), la Cour a également fait observer qu’« un ministre des affaires étrangères, responsable de la conduite des relations de son État avec tous les autres États, occupe une position qui fait qu’à l’instar du chef de l’État et du chef du gouvernement, il se voit reconnaître par le droit international la qualité de représenter son État du seul fait de l’exercice de sa fonction ».
358
relations extérieures, des pouvoirs dans leur domaine de compétence, voire même de certains
fonctionnaires. […] On ne saurait en principe exclure qu’un ministre de la justice puisse,
dans certaines circonstances, engager par ses déclarations l’État dont il est le
représentant. »1057
Ainsi donc, le droit international appréhende le gouvernement comme un ensemble d’organes
désignés selon les règles et procédures du droit interne de l’État. Dès lors, dans la mesure où
il laisse une certaine liberté aux États dans la désignation de leurs représentants dans l’ordre
international, le principe de l’indifférence du droit international à l’égard de la structure
interne de l’État trouve bien à s’appliquer.
2. L’autonomie constitutionnelle des États ou le principe de la libre
détermination de la structure politico-administrative de l’État
Les États, parce qu’ils sont indépendants, jouissent d’une autonomie de détermination, c’est-
à-dire que la volonté de l’État d’organiser la distribution du pouvoir en son sein n’est
subordonnée à aucun autre sujet du droit international. Cette liberté d’organisation
constitutionnelle est une conséquence de la souveraineté de l’État et signifie pour lui « le droit
de s’organiser à sa guise, de concentrer ou de disséminer, en le divisant, l’exercice de cette
souveraineté, même de s’offrir le luxe, généralement onéreux, de changements de
gouvernement. »1058 Ainsi comprise, l’autonomie constitutionnelle comprend deux aspects :
chaque État jouit de l’exclusivité de la compétence de détermination de son régime politique
et de sa structure administrative, qui renvoie à la liberté de choix du régime politique, et de la
liberté d’organisation des services publics.
La liberté de choix du régime politique qui traduit l’indépendance de l’État est un principe du
droit international reconnu par de nombreux instruments internationaux et souvent rappelé par
la jurisprudence internationale. Il est posé notamment dans la résolution 2625 (XXV) de
l’Assemblée générale des Nations Unies qui indique que « chaque État a le droit de choisir et
de développer librement son système politique, social, économique et culturel ». La C.I.J. en a
exprimé la teneur dans l’affaire du Sahara occidental. Selon la haute juridiction, « aucune
règle de droit international n’exige que l’État ait une structure déterminée comme le prouve la
1057.Activités armées sur le territoire du Congo (RDC / Rwanda), arrêt précité, note 165, §§ 47 et 48. 1058.C. DUPUIS, « Règles du droit de la paix » (Chapitre V), op. cit., n. 1028, p. 111.
359
diversité des structures étatiques qui existent actuellement dans le monde ».1059 Dans son arrêt
du 27 juin 1986 rendu dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, la
Cour a explicité le principe de la liberté de choix du système politique. Pour la Cour, « les
orientations politiques internes d’un État relèvent de la compétence exclusive de celui-ci.
[…]. Chaque État possède le droit fondamental de choisir et de mettre en œuvre comme il
entend son système politique, économique et social »1060. La Cour de poursuivre
« l’adhésion d’un État à une doctrine particulière ne constitue pas une violation du droit
international coutumier ; conclure autrement reviendrait à priver de son sens le principe
fondamental de la souveraineté sur lequel repose tout le droit international, et la liberté qu’un
État a de choisir son système politique, social, économique et culturel […]. La Cour ne
saurait concevoir la création d’une règle nouvelle faisant droit à une intervention d’un État
contre un autre pour le motif que celui-ci aurait opté pour une idéologie ou un système
politique particulier… »1061
À la lumière de ces considérations, il appert que le principe de libre détermination de
l’organisation interne et notamment de la structure gouvernementale des États est très
enraciné en droit international avant la fin de la guerre froide. Il est une résultante de
l’indépendance des États.1062 Dès lors, toute ingérence extérieure dans ce choix est interdite
par le droit international et toute tentative visant à imposer une forme quelconque de
gouvernement est, du point de vue juridique, vouée à être considérée comme contraire à
l’article 2 § 7 de la Charte et au principe général de non-ingérence dans les affaires relevant
de la compétence nationale exclusive de l’État.1063 Ce principe de liberté du choix du régime
politique, économique et social est de plus en plus tempéré depuis la fin de la guerre froide à
travers notamment la résurgence et l’adoption de nombreux instruments juridiques
internationaux affichant une préférence pour le régime démocratique, conduisant ainsi à
1059.Affaire du Sahara occidental, avis consultatif précité, note 199, pp. 43-44, § 94. 1060.Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, arrêt préc., note 159, § 258. 1061.Ibid., § 263. 1062.Selon Antoine Rougier : « En vertu de son indépendance, l’État a le droit de se donner le gouvernement qui lui plaît ; il est seul compétent pour régler son organisation constitutionnelle et le fonctionnement de ses services publics. Cette détermination étant un effet de la volonté libre de la nation, le gouvernement établi sera réputé légitime vis-à-vis des États tiers par ce seul fait qu’il détient le pouvoir et sera considéré comme l’interprète de la volonté nationale. Sa forme importe peu : un tyran représentera la nation aussi bien qu’un gouvernement parlementaire. », in « La théorie de l’intervention d’humanité », op. cit., (note), p. 18. 1063.Ainsi que le note Antoine Rougier : « Toutes les fois qu’un État s’immisce dans les affaires d’un autre État en vertu du droit de conservation, son contrôle ne saurait s’exercer que sur les manifestations de souveraineté qui lui sont préjudiciables. Il peut demander par exemple l’abrogation d’une mesure faisant grief à ses nationaux, mais il ne saurait intervenir dans les rapports de l’État avec ses propres sujets parce que ces rapports ne lui peuvent causer aucun dommage. Ainsi se trouve séparé le domaine dans lequel les États sont interdépendants les uns des autres du domaine où ils demeurent pleinement indépendants ; ce domaine comprendrait notamment l’organisation politique et administrative de l’État », La théorie de l’intervention d’humanité, op. cit., n. 929, p. 16.
360
l’affirmation de l’existence d’un principe de légitimité démocratique en droit international.1064
Ces instruments ne remettent pas encore totalement en cause le droit de chaque État souverain
de définir lui-même les conditions de sa structuration interne et de gérer ses processus
électoraux. C’est donc toujours aux droits internes qu’il appartient d’aménager les normes et
les institutions qui régissent la jouissance par l'État de sa liberté de choix du régime politique,
économique, social et culturel et de sa structuration interne. C’est dans ce contexte, qu’il faut
comprendre que la résolution 45/150 du 18 décembre 1990 de l’Assemblée générale des
Nations Unies consacrée au « renforcement de l’efficacité du principe d’élections périodiques
et honnêtes » soit tempérée par la résolution 45/151 du même jour, consacrée au « respect des
principes de la souveraineté nationale et de la non-ingérence dans les affaires intérieures en ce
qui concerne les processus électoraux ».
En plus du principe de la liberté du choix du régime politique, l’autonomie constitutionnelle
comporte aussi la liberté relativement à l’organisation, à la gestion, au fonctionnement et à la
défense des services publics. En effet, « l’État moderne [étant] un groupement de services
publics coordonnés et hiérarchisés »1065, la fonction gouvernementale implique qu’il puisse
jouir d’une compétence exclusive et discrétionnaire dans l’organisation, la gestion et le
fonctionnement de ces services dans le but d’atteindre ses finalités. Cette compétence libre
relativement aux services publics relève de l’essence même de l’État en tant que collectivité
humaine et politique indépendante. Elle signifie que, par le fait de son existence, l’État
possède cette compétence inaliénable d’organiser, de gérer et d’assurer le fonctionnement des
services publics par lesquels il essaie de pourvoir aux fonctions inhérentes à sa souveraineté et
sa qualité d’État. La subordination de ce droit ou de cette compétence à une volonté autre que
la sienne risque ainsi de remettre en cause l’indépendance de l’État et donc son existence en
tant que sujet de droit international. À ce propos, un auteur souligne :
« s’il est juste qu’un État soit contrôlé par d’autres États quant à l’accomplissement de ses
fonctions essentielles, communes à tous les États, sans pouvoir invoquer l’exception de non-
intervention, il importe que la gestion de ses intérêts politiques particuliers et la marche
normale de ses services publics soient protégées par cette exception contre toute ingérence
étrangère ; sinon la personnalité même de l’État serait menacée. »1066
La question de la protection de cette compétence essentielle de l’État d’organiser, de gérer et
d’assurer le fonctionnement de ses services publics s’est posée dans l’affaire de la Compagnie
1064.Cf. supra Première partie, Titre II, Chapitre I. 1065.C. ROUSSEAU, « L’aménagement des compétences en droit international », R.G.D.I.P., 1930, p. 432. 1066.A. ROUGIER, « L’intervention d’humanité », op. cit., n. 929, p. 46. (Italiques ajoutés).
361
d’électricité de Sofia et de Bulgarie jugée par la C.P.J.I. et qui opposait les royaumes de
Belgique et de Bulgarie. L’un des arguments invoqués par le Gouvernement bulgare consistait
à alléguer que la réclamation de la Belgique portait sur une question de droit interne. Il
[Gouvernement bulgare] « maintient formellement comme inhérent à la souveraineté de l’État
bulgare le droit pour les autorités bulgare de connaître des divergences concernant
l’application des dispositions réglant les conditions de fonctionnement du service public
concédé en Bulgarie à un concessionnaire étranger. [Il] s’élève contre toute prétention tendant
à invoquer le traité de règlement pacifique du 23 juin 1931 en vue de porter atteinte à ce
droit. »1067 Même si la Cour n’a pas retenu l’argument de la nature non-internationale du
différend, il n’en demeure pas moins que, dans son opinion dissidente, le juge Anzilotti, a, en
quelque sorte, considéré que l’organisation, la gestion et le fonctionnement des services
publics relève de la compétence nationale de l’État. Pour lui,
« le droit que le Gouvernement belge conteste au Gouvernement bulgare est en réalité le
droit, pour les tribunaux bulgares, de statuer sur les différends entre une société belge
concessionnaire de services publics en Bulgarie et une municipalité bulgare ; or ce droit,
inhérent à la souveraineté de l'État, rentre dans la compétence exclusive de la Bulgarie, et le
Gouvernement belge ne peut pas invoquer le Traité de 1931 pour s'adresser à la Cour. »1068
À l’évidence, le principe de l’autonomie constitutionnelle n’a pas totalement disparu du droit
international malgré l’émergence d’un principe de légitimité démocratique. La constance du
principe d’autonomie constitutionnelle résulte du fait qu’il persiste encore en droit
international un principe plus général d’indifférence, selon lequel ce droit et les sujets de
l’ordre international autres que l’État lui-même doivent laisser à chaque État le soin de
déterminer les conditions de son fonctionnement et de la répartition des compétences entre ses
différents organes. Cela signifie que le droit international n’exige de tous les États qu’« une
structure gouvernementale minimale, réunissant des organes qui, par leurs fonctions, occupent
une place dominante dans la conduite des rapports internationaux. »1069 Dès lors, « la
structuration de l’organisation politique de l’État relève d’une sphère largement hermétique
aux caractérisations de l’ordre international. »1070 En ce sens, le professeur Marcel Sinkondo
écrit :
1067.Affaire de la Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, arrêt précité note 22, p. 77. 1068.Ibid., pp. 94-95. Voir aussi les opinions dissidentes des juges Erich, Hudson, Urrutia et Van Eysinga, pp. 103 et s. 1069.P. BODEAU-LIVINEC, Le gouvernement de l’État…, op. cit., n. 1, pp. 30-35. .1070.P. BODEAU-LIVINEC, Le gouvernement de l’État…, op. cit., n. 1, p. 37.
362
« Exclusivement intéressé par les institutions nationales qui peuvent engager
internationalement l’État, lesquelles, quel qu’en soit le statut en droit interne, apparaissent à
ses yeux comme des organes du gouvernement, le droit international est indifférent, sauf
considérations dictées par l’exigence démocratique et le respect des droits de l’homme, à la
structure interne des États en matière de répartition des compétences. »1071
En clair, malgré la multiplication des exigences internationales en matière de démocratie, de
bonne gouvernance et de droits de l’homme, le principe de la liberté d’organisation interne de
l’État garde encore toute sa portée. Le droit international laisse aux États le soin exclusif de
déterminer, par leur droit et leurs pratiques internes respectifs, leur structure politico-
administrative et l’identité de leurs organes de gouvernement. À cet égard, il est possible
d’affirmer, avec les professeurs Patrick Daillier et Alain Pellet, que
« le droit international ne s’intéresse qu’aux institutions nationales qui peuvent engager
internationalement l’État. Il ne prend pas en considération la structure complexe de certains
États en matière de répartition des compétences législatives et gouvernementales : dès lors
que la coexistence interne de plusieurs autorités gouvernementales n’entraîne pas un
éclatement des responsabilités internationales de l’État, il ne veut pas en connaître. »1072
Les États apparaissant, aux yeux du droit international, comme des entités qui « se constituent
sur la base purement factuelle de leur existence historique en tant qu’unités politiques
indépendantes »1073, dès lors, ce droit ne régit pas leur organisation. Comme le souligne le
Gaetano-Arangio Ruiz,
« […] les personnes internationales correspondants aux États ne sont pas organisées par le
droit international. L’organisation de chaque État, du point de vue de ses actions et volontés
d’intérêt juridique international est, aux yeux du droit international, de nature purement
factuelle, le droit public national de chaque État jouant, du point de vue du droit
international, un rôle de simple substance liante. »1074
Aux fins du présent examen, il importe de relever que l’autonomie de sa personnalité requiert
que le droit international, qui ne l’a pas créé et qui ne la lui confère pas, ne régisse pas la 1071.M. SINKONDO, « Une pierre d’angle de la construction juridique de l’État… », op. cit., n. 43, p. 249. Dans le même ordre d’idées, Roberto Ago écrivait « [l]’organisation de l’État est un faisceau de structures réelles. Elle est l’appareil par lequel l’État révèle concrètement son existence et travaille à la poursuite de ses fins. Et c’est l’État lui-même qui « s’organise », qui se donne cet appareil et qui en prévoit le fonctionnement selon ses propres critères et selon ses propres modalités », R. AGO, Troisième rapport sur la responsabilité des États, Ann. C.D.I., 1971, vol. II, 1ère partie, p. 248, § 113. 1072.P. DAILLIER et A. PELLET, Droit international public, 6ème éd., Paris, L.G.D.J., 1999, p. 413. 1073.G. ARANGIO-RUIZ, « Le domaine réservé… », op. cit., n. 1, p. 443. 1074.G. ARANGIO-RUIZ, « Le domaine réservé… », op. cit., n. 1,, p. 444.
363
manière dont l’État organise la distribution du pouvoir en son sein. Parce qu’il est un sujet
souverain et indépendant, originaire et de plein droit, l’État jouit du droit de se déterminer
librement en dehors de toute habilitation ou de tout conditionnement du droit international.
Dès lors, comme attribut originaire de son existence, la fonction gouvernementale de l’État se
manifestant ici par l’organisation de sa structure politico-administrative ne saurait être
subordonnée ou aliénée sans que l’État ne perde son statut d’entité souveraine et
indépendante.1075
Section 2 : Le domaine de compétence nationale comme un contenu
indisponible de la puissance étatique
La puissance étatique s’exprime à travers les organes de l’État qui manifestent sa volonté à
l’égard des individus et des autres sujets internationaux. Dans cette perspective, le
gouvernement assimilé à l’ensemble des organes représentant l’État ou dont les actes peuvent
être rapportés à ce dernier exprime ce qu’il y a d’indisponible, d’inaliénable dans la puissance
étatique. Autrement dit, la fonction gouvernementale, expression de la puissance publique, est
un élément irréductible de l’existence de l’État. À ce titre, le domaine de compétence
nationale peut être envisagé comme le domaine d’expression des moyens indisponibles
propres à assurer la conservation de la puissance étatique (§ 1) mais également comme un
critère d’effectivité des fonctions étatiques indisponibles (§ 2).
§ 1 : Le domaine de compétence nationale comme domaine des moyens
indisponibles propres à assurer la conservation de la puissance étatique
L’observation des réalités de la vie internationale montre que l’État est un ordre juridique
centralisé1076 dont la création revêt un caractère spontané qui échappe aux prescriptions du
droit international. Autrement dit, pour le droit international, l’existence de l’État est un fait
primaire qu’il ne détermine pas. C’est dans cette perspective que Michel Virally souligne que
1075.Dans ce sens, le professeur Pierre Bodeau-Livinec, souligne : « le fait que les États soient traditionnellement peu enclins à lier leurs compétences dans les domaines aussi sensibles à l’exercice de la fonction gouvernementale que l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics ou le choix d’un régime politique semble tenir en effet à leur volonté de préserver leur indépendance effective ou « substantielle » (« actual »), définie « as the minimum degree of real governmental power at the disposal of the authorities of the putative State, necessary for it to qualify as ‘independant’ », Le gouvernement de l’État…, op. cit., n. 1, p. 275. (Italiques ajoutés). 1076.Voir H. KELSEN, « Théorie du droit international public », op. cit., n. 766, p. 71.
364
« [l]’État trouve en lui-même, dans l’assentiment du groupe humain qu’il intègre, le
fondement de sa légitimité. Tout ordre étatique est auto-créateur et se développe à partir de
sources originaires qui lui sont propres et qui n’ont besoin, pour affirmer leur validité, de se
référer à aucune norme supérieure. C’est forcer la réalité que d’affirmer que le droit
international délègue aux ordres étatiques les compétences nécessaires à la création de
l’ordre interne. Le droit international intervient après coup, lorsque la collectivité étatique est
déjà formée, organisée et dotée de règles juridiques internes. L’ordre juridique étatique se
forme en dehors du droit international et sans lui. »1077
Sous ce rapport, partant des analyses de Santi Romano, pour qui l’ordre juridique n'est pas
réductible à un ensemble de règles, mais recouvre aussi « les rapports d’autorité et de force
qui créent, modifient, appliquent les normes juridiques, sans s’identifier à elle »1078, on peut
dire que la fonction gouvernementale, comme véritable domaine de compétence de nationale,
intègre une compétence normative souvent dite législative ou règlementaire (1), c’est-à-dire le
pouvoir reconnu à l’État d’édicter et d’appliquer des normes matérielles à toute personne
physique ou morale, situation ou bien se trouvant sur son territoire et à l’égard desquels il
existe un lien d’allégeance avec lui. Par ailleurs, le pouvoir de gouverner de l’État correspond
à la compétence d’exécution parfois dite opératoire ou coercitive (2), c’est-à-dire le pouvoir
de l’État ayant édicté les normes de prendre des mesures concrètes en vue de leur application
effective par les sujets qu’elles visent.
1. La fonction gouvernementale en tant que compétence normative
L’activité normative constitue le principal moyen par lequel l’État manifeste sa volonté et
s’acquitte de sa fonction gouvernementale. Ainsi, pour Paul Guggenheim,
« le caractère normatif de l’État et en particulier de l’État souverain se révèle dans le fait
qu’il constitue une organisation qui crée et exécute des normes se rapportant à la conduite
humaine. Dans le domaine des faits, cette organisation juridique correspond au pouvoir de
domination des gouvernements dont les commandements se concrétisent en dernière analyse
dans des actes de contrainte extérieure ».1079
1077.M. VIRALLY, « Sur un pont aux ânes… », op. cit., n. 2, pp. 488-505, spéc. p. 494. 1078.S. ROMANO, L'ordre jjuridique, 1946, Paris, Dalloz, 1975, p.7. Voir aussi J. CHEVALLIER, « L’ordre juridique », in Le Droit en procès, Paris, P.U.F., 1983, p. 9. 1079.P. GUGGENHEIM, « Les principes de droit international public », R.C.A.D.I., t. 80, 1952-I, p. 81.
365
Il est généralement admis que l’État souverain jouit sur son territoire de l’exclusivité de la
compétence normative, c’est-à-dire le pouvoir d'édicter, à l’exclusion des autres États et
acteurs internationaux, des règles générales ou individuelles, à travers ses organes législatifs,
exécutifs ou juridictionnels.1080 À ce titre, il édicte des lois et règlements, pose des principes
généraux du droit, et produit de la jurisprudence qui énoncent un certain nombre de règles
juridiques ayant vocation à s’appliquer à des faits, situations, biens et personnes situés sur son
territoire. Il s’agit là d’une compétence normative en raison du titre territorial, c’est-à-dire du
principe de la territorialité de la compétence législative. Dans sa dimension subjective, cette
territorialité donne compétence à l’État sur les actes ayant reçu un commencement
d’exécution sur son territoire ; dans sa dimension objective, elle confère à l’État compétence
sur des actes commis à l’étranger (actes dont l’origine se situe dans un autre État), mais qui
produisent des effets sur son territoire. Dans l’affaire du Lotus, la C.P.J.I. a fait application de
ce principe de territorialité objective en déclarant
« [qu’] il est constant que les tribunaux de beaucoup de pays, même de pays qui donnent à
leur législation pénale un caractère strictement territorial, interprètent la loi pénale dans ce
sens que les délits dont les auteurs, au moment de l'acte délictueux, se trouvent sur le
territoire d'un autre État, doivent néanmoins être considérés comme ayant été commis sur le
territoire national, si c'est là que s'est produit un des éléments constitutifs du délit et surtout
ses effets. »1081
En s’inspirant de ce précédent, une juridiction fédérale d’appel des États-Unis a entendu
appliquer la territorialité objective au domaine économique. Dans l’affaire États-Unis v.
Aluminium Company of America, cette Cour d’appel fédérale « a décidé que la principale loi
fédérale antitrust était applicable aux éléments non nationaux d’une entente formée à
l’étranger dès lors que celle-ci avait pour objet et pour effet l’écoulement d’aluminium en
lingots sur le marché intérieur des États-Unis d’Amérique ».1082 D’après la Cour, « … il est
établi en droit [international] que tout État est habilité à imputer des responsabilités même à
des personnes qui ne sont pas soumises à son autorités, pour des actes commis hors de ses
1080.Sous les réserves résultant des règles conventionnelles ou coutumières internationales concernant les droits des États étrangers, des représentations diplomatiques et consulaires, du personnel diplomatique ou des bases militaires étrangères, ou encore des organisations internationales. 1081.C.P.J.I., Lotus, arrêt du 7 septembre 1927, Série A, n° 10, p. 23. 1082.C. T. OLIVER, « La compétence des États », in M. BEDJAOUI, Le droit international. Bilan et perspectives, t. 1, Paris, Pedone, 1991, pp. 322- 345, spéc. p. 328.
366
frontières qui ont à l’intérieur de ses frontières des conséquences que ledit État
réprime… »1083
La compétence normative, législative ou règlementaire de l’État ne se rattache pas
uniquement au territoire. L’État a également compétence pour légiférer à l’égard de ses
nationaux, c’est-à-dire les personnes – physiques ou morales et certains véhicules –
rattachées à lui par un lien d’allégeance effectif et valablement attribué. À ce titre, la
nationalité constitue, pour l’État, le second critère de compétence pour légiférer. L’État est
ainsi habilité, en vertu du droit international et de la pratique internationale, à prendre des lois
(au sens général) pour déterminer qui sont ses nationaux. Ainsi donc, l'État pourrait
déterminer la nationalité des personnes physiques soit par filiation ou droit du sang (jus
sanguinis), soit par le droit du sol (jus soli), soit encore par la combinaison des deux. L'État
est aussi compétent pour fixer discrétionnairement les conditions d’octroi de sa nationalité
aux personnes morales. Ainsi, peuvent être considérées comme ayant la nationalité d'un État,
en vertu des règles internationales, les personnes morales soit qui ont leur siège social dans
cet État, soit qui sont incorporées ou enregistrées selon les lois de cet État. Il faut aussi
signaler que l'État accorde sa nationalité aux engins tels les navires qui ont la nationalité du
pavillon, les aéronefs qui ont la nationalité de l'État où ils ont été immatriculés comme c'est le
cas avec les engins spatiaux. À l’égard de ses nationaux l’État est également habilité à édicter
des normes pour soumettre ses nationaux aux impôts notamment à l’impôt sur le revenu alors
même que le national contribuable est établi en permanence à l’étranger et que son activité
génératrice du revenu imposable est elle-même située à l’étranger.
Il en résulte que la compétence normative de l’État est soit exclusive, soit concurrente selon
les domaines dans lesquelles elle s’exerce. En effet, lorsqu’elle concerne les attributs les plus
importants de l’État ou les fonctions étatiques, tels le pouvoir de lever l’impôt, les conditions
d’entrée et de séjour des étrangers, les conditions d’octroi de nationalité, les élections, la
douane, la réglementation de l’économie nationale etc., la compétence normative de l’État est
exclusive, c’est-à-dire qu’un seul État est compétent pour légiférer à l’intérieur de son
territoire ou à l’égard de ses nationaux. En revanche, lorsqu’elle touche aux rapports d’ordre
privé, la compétence normative est concurrente dans la mesure où plusieurs États peuvent
avoir compétence. L’exclusivité de la compétence normative d’un État dans une des matières
relevant des fonctions étatiques n’exclut cependant pas le fait qu’un autre État puisse avoir sur
1083.Cour d’appel fédérale pour le deuxième « circuit », 147 F. 2 d. 416, p. 442 et s. (1945). Cité par Covey T. Oliver précité, note précédente.
367
la même matière une compétence normative exclusive. En pareil cas, on est en présence d’une
situation de concurrence de compétences législatives. C’est le cas notamment des situations
relatives à la double nationalité, à la double imposition. Dans l’un comme dans l’autre cas,
deux États ont compétence législative exclusive. Dans le cas de la double nationalité, un État
A et un État B ont chacun une compétence législative exclusive au titre du critère personnel
(lien de nationalité). S’agissant de l’imposition, l’État A a une compétence législative
exclusive au titre du critère personnel dans la mesure où le contribuable imposable possède
sa nationalité, et l’État B a lui aussi une compétence normative exclusive, mais au titre du
critère territorial en ce sens que le contribuable imposable est situé sur son territoire. Dès lors
qu’il y a plus d’un État à posséder la compétence normative, il y a risque de conflit de
compétence s’il y a plus d’un qui veuille l’exercer. Mais ce risque est bien plus réel en
matière de compétence d’exécution dans la mesure où, en matière législative, les États n’ont
pas généralement les moyens de vérifier le contenu de la législation d’un autre État.
En tous les cas, la compétence normative demeure un moyen indisponible par lequel l’État
exprime sa puissance, sa souveraineté. Tout État privé de cette compétence risque par
conséquent de perdre sa qualité d’État.
2. La fonction gouvernementale en tant que compétence d’exécution
La compétence normative de l’État appelle logiquement la compétence d’assurer l’exécution
et l'observation des actes législatifs pris par l'autorité compétente. Ainsi, l’exercice de la
fonction gouvernementale, manifestation de la puissance étatique, suppose l’existence dans
l’État d’un contenu insusceptible d’être résigné, qui est une réalité matérielle, substantielle
dont il ne peut s’exonérer. Ce contenu consiste dans l’existence en l’État et dans l’État d’une
police, d’une justice, d’une capacité de défense, d’un pouvoir administratif susceptible
d’octroyer la nationalité et de la faire respecter. Il s’agit là de moyens propres à assurer la
conservation de l’État. Sans cette compétence d’exécution, l’État ne saurait se maintenir car
étant dans l’impossibilité de conserver sa puissance, c’est-à-dire d’assurer sur son territoire
l’exécution de sa volonté exprimée à travers les normes qu’il a édictées. Ainsi, la compétence
d’exécution, qui désigne le pouvoir que possède un État de mettre en œuvre une règle
générale ou une décision individuelle par des actes matériels d'exécution pouvant aller jusqu'à
la mise en œuvre de la contrainte étatique, exprime la souveraineté comprise dans son
acception générale comme le caractère suprême d’une puissance pleinement indépendante,
368
trait qui n’est réalisé que par l’État, et désigne le pouvoir suprême, hors d’atteinte de tout
autre, qui s’incarne dans l’État.1084 À ce titre, un auteur souligne :
« C’est un principe fondamental des relations internationales que le gouvernement d’un État
a seul autorité pour gouverner sur le territoire dudit État, à l’égard de tous les faits qui s’y
déroulent et de toutes les choses et personnes qui s’y trouvent, sauf dans la mesure où cette
autorité peut avoir été modifiée avec le consentement du souverain territorial. Transporté
dans le droit international public, ce principe devient la « norme » selon laquelle la
compétence coercitive […] est territoriale, exclusive et que tout empiètement sur cette
exclusivité, sans le consentement de l’État territorial, est constitutif d’un délit
international. »1085
L’exclusivité de cette compétence d’exécution ou coercitive interdit qu’un État exerce une
activité semblable sur le territoire d’un autre État sans le consentement de ce dernier. En effet,
parce qu’il a le monopole de la contrainte organisée ou de la violence légitime selon
l’expression de Max Weber, l’État souverain a sur son territoire l’exclusivité de la
compétence d’exécution, c’est-à-dire qu’aucun État ne pourra accomplir des actes matériels
d’exécution sur le territoire d’un autre État sans son consentement. De toute évidence, les
actes d’exécution qui impliquent l’exercice de la puissance étatique sont en principe
d’application strictement territoriale. Il est, en effet, clair que les actes matériels d’exécution
impliquant l’usage de la force, de la coercition tels que la conduite d’enquêtes, l’arrestation, la
saisie, la confiscation… ne peuvent être exercés sur le territoire d’un État par un État étranger.
C’est le cas également des actes d’exécution qui, tout en n’impliquant pas l’usage de la
contrainte, font néanmoins intervenir des prérogatives de puissance publique. Parmi ces
derniers, on peut citer les actes matériels relatifs à la collecte d’impôt ou la célébration d’un
mariage sur le territoire d’un autre État. Toutefois, il convient de souligner qu’il est possible,
et cela est une réalité dans les relations interétatiques, que les États renoncent ou écartent
mutuellement et partiellement leur compétence d’exécution par le biais d’accords
internationaux. C’est à ce titre que les représentations diplomatiques et consulaires ainsi que
les agents diplomatiques et consulaires jouissent d’une immunité qui les met plus ou moins à
l’abri de la puissance publique de l’État hôte.1086
Il s’ensuit que la compétence d’exécution, qui est un aspect de la fonction gouvernementale
comme domaine de compétence nationale, apparaît comme un des éléments étroitement liés 1084.M. SINKONDO, « Une pierre d’angle de la construction juridique de l’État… », op. cit., n. 43, p. 240. 1085.C. T. OLIVER, « La compétence des États », op. cit., n. 1082, p. 325. 1086.C. T. OLIVER, « La compétence des États », op. cit., n. 1082, p. 326.
369
au concept d’État et dont il ne saurait se priver ou être privés sans risquer de perdre cette
qualité. Elle fait partie de ces éléments que le professeur Jean Combacau désigne en ces
termes :
« il peut y avoir, dans ce qui constitue la puissance actuelle de l’État, des éléments qui feraient
partie de son concept même, et desquels il ne pourrait se dessaisir, que ce soit par aliénation
ou par suspension même momentanée ou si ces mots ont une signification quelconque, par
limitation ou par transfert. Leur indisponibilité ne tiendrait pas à un choix politique […], mais
à une impossibilité logique de persister dans la qualité d’État en ayant renoncé à certains
éléments qui en composent le statut, tel qu’il est objectivement établi par le droit international.
Ce qui interdirait alors à l’État de se conserver, ce n’est pas tant que ces pouvoirs lui
manquent […] ; c’est qu’ils appartiennent à un autre sujet – organisation internationale ou
État, peu importe – qui, en les exerçant à son égard, lui ferait perdre sa position suprême et le
rabaisserait d’un degré dans l’échelle des sujets…»1087
Ces « éléments », « pouvoirs » ou « droits » consubstantiels à l’État, font naturellement
penser aux tentatives de la doctrine internationaliste dite des « droits fondamentaux »1088 de
l’État qui, vers la fin du XIXe siècle et jusqu’au milieu du XXe siècle, a tenté d’établir ou
d’identifier un certain nombre d’attributs irréductibles de la souveraineté. Il s’agit des « vraies
marques de la souveraineté »1089, c’est-à-dire des prérogatives souveraines présentées comme
des droits à caractère objectif, inaliénable et imprescriptible : droit à l’existence, à la
conservation, à l’égalité, au commerce, au respect et à l’indépendance. Par ces « droits
fondamentaux », la doctrine visait au fond la souveraineté-puissance de l’État, comprise
comme un « principe d’effectivité, d’autoproclamation juridique et d’autolégitimation
politique qui atteste par le fait reconnu – mais pas nécessairement accepté – l’existence de
l’État et sa capacité à s’acquitter des charges ordinaires d’un État de son temps. »1090 Or, ce
principe qui manifeste l’« opposabilité directe du fait étatique s’incarne dans l’indépendance,
1087.J. COMBACAU, « Pas une puissance, une liberté… », op. cit., n. 36, pp. 57-58. 1088.F. POIRAT, « La doctrine des « droits fondamentaux de l’État », Droits, n° 16, 1992, pp. 83-91. Hobbes parle de « droits essentiels » de l’État ; Léviathan, 1651, trad. F. Tricaud, Sirey, 1971, chap. 18, p. 189. Parmi les principaux défenseurs de cette doctrine, l’auteur cite : Pradier-Fodéré, Traité de droit international public, européen et américain, Pedone-Lauriel, 1885, t. 1, § 181 ; Despagnet, Cour de droit international public, Larose, 1894, § 165, p. 157 ; Rivier, Principes du droit des gens, Paris, 1896, t. 1, p. 255 ; Bonfils, Manuel de droit international public, 3e éd., Paris, Rousseau, 1901, § 237 ; Mérignhac, Traité de droit international public, L.G.D.J., 1905, t. 1, p. 233. Voir aussi A. PILLET, « Recherches sur les droits fondamentaux des États dans l’ordre des rapports internationaux et sur la solution des conflits qu’ils font naître », R.G.D.I.P., 1898, t. V., pp. 66 et s. et 1899, pp. 503 et s. 1089.J. BODIN, Les six livres de la République, op. cit., n. 372, p. 36. 1090.M. SINKONDO, « Une pierre d’angle de la construction juridique de l’État… », op. cit., n. 43, p. 255.
370
l’égalité juridique et le principe d’autorité, seuls critères substantiels exprimant l’exigence
naturelle de conservation de l’État »1091. En effet, comme le fait observer Stéphane Rials,
« […] un État ne saurait valablement renoncer aux moyens de sa puissance […]. Il ne saurait
renoncer à l’exercice, dans le respect d’éventuels principes supérieurs, de certains moyens
indisponibles propres à assurer, dans le respect de ses finalités, la conservation de sa puissance
– c’est-à-dire, dans l’ordre interne, à se doter d’une capacité policière (au sens large,
englobant la police administrative, plutôt préventive, et la police judiciaire, plutôt répressive)
et justicière et à préserver sa latitude d’action dans l’élaboration, notamment, de sa
réglementation sur la nationalité et les étrangers résidant sur son territoire et, concernant ses
prérogatives à vocation plutôt internationale, à se doter des forces militaires utiles et des
moyens de participer au commerce interétatique. »1092
Dès lors, si un État peut opérer des transferts de ces moyens à une entité politique plus large à
laquelle il participe, il ne saurait en revanche y renoncer sans risquer de perdre sa qualité
d’État. La compétence d’exécution comme les moyens nécessaires à sa mise en œuvre sont si
étroitement liés à la qualité d’État que leur disparition équivaudrait à la disparition de l’État
lui-même. En effet, un État sans armée, ni police, ni justice, ni administration risque fort bien
de voir aléatoire son pouvoir de subordination des sujets situés sur son territoire. Dans cette
perspective, Charles Dupuis souligne :
« quand on dit que « l’État moderne tend à n’être plus une puissance qui commande pour
devenir une fédération de services publics qui administre »1093, on ne songe point sans doute
à abolir le juge, le gendarme, l’amende et le porteur de contrainte, et leur suppression serait
cependant la conséquence logique de la suppression de la « fiction » de l’État dont le pouvoir
de commander est à la fois la caractéristique et la raison. »1094
Aux fins du présent examen, il importe de relever, que conformément aux règles régissant les
compétences internationales des États, chaque État jouit sur son territoire de l’exclusivité de
la compétence normative et de la compétence d’exécution. Cela n’exclut pas que des États
étrangers jouissent, avec le consentement de l’État territorial par des règles internationales
conventionnelles ou coutumières et pour les besoins de la coopération bilatérale ou
multilatérale, d’immunité d’exécution sur le territoire d’un État, ou qu’il soit apporté d’autres
1091.Ibid., p. 256. 1092.S. RIALS, « La puissance étatique et le droit dans l’ordre international ; Éléments d’une critique de la notion usuelle de « souveraineté externe », A.P.D., 1987, p. 215. 1093.N. POLITIS, « Le problème des limitations de la souveraineté… », op. cit., n. 31, p. 6. 1094.C. DUPUIS, « Règles du droit de la paix », op. cit., n. 1028, pp. 88-89.
371
limites à l’exclusivité de ses compétences législative et opérationnelle.1095 Mais quoi qu’il en
soit, la certitude est que compétence normative et compétence d’exécution font partie de ces
prérogatives fondamentales et essentielles de l’État auxquelles il ne peut renoncer sans
renoncer à sa qualité d’État.
§ 2 : Le domaine de compétence nationale comme critère d’effectivité des
fonctions étatiques essentielles
L’existence d’un gouvernement effectif est un des critères ou éléments constitutifs de l’État
en droit international. L’effectivité signifie non seulement l’existence factuelle d’une structure
gouvernementale mais aussi et surtout l’aptitude, la capacité réelle de cette dernière à exercer
les fonctions étatiques. Les compétences des gouvernants ne leur étant attribuées que pour la
réalisation de certains buts1096, dès lors, l’exercice de la fonction de gouvernement comme
domaine réservé à la compétence nationale doit être assumé dans le respect des finalités
assignées à l’État. Sous ce rapport, le domaine de compétence nationale apparaît comme un
critère d’effectivité des fonctions étatiques essentielles, c’est-à-dire que la fonction
gouvernementale doit être assurée effectivement dans le respect des finalités fonctionnelles de
l’État, à savoir le maintien de l’ordre, de la sécurité et la marche régulière des services publics
essentiels (1) et l’exécution des obligations internationales (2).
1. Le domaine de compétence nationale comme critère d’effectivité de la
fonction gouvernementale en matière de maintien de l’ordre, de la sécurité
et de la marche régulière des services publics essentiels
L’État doit assurer les besoins fondamentaux de sa population. Parmi ceux-ci figure le besoin
de sécurité. Dans toute société, le règne de la sécurité permet la circulation des personnes, des
biens, marchandises, des idées, la liberté du commerce etc. La mise en place et la
consolidation de la sécurité apparaît ainsi comme une fonction centrale de l’État. C’est
pourquoi, au regard du droit international, le maintien de l’ordre et de la sécurité publics sont
1095.À ce sujet, Jacquet soulignait : « Tout État est libre de se lier par convention avec un autre État afin de définir les cas dans lesquels il accepte d’ordonner à ses organes d’appliquer la loi étrangère ou de prêter la main aux réquisitions que peut lui adresser l’État étranger. Il en est ainsi […] lorsque deux ou plusieurs États ont établi par « traité » les conditions dans lesquelles ils assureront la transmission de pièces de procédure ou même l’extradition de personnes poursuivies », JACQUET, « La norme juridique extraterritoriale dans le commerce international », J.D.I., 1985, n° 2, p. 382. 1096.C. ROUSSEAU, « L’aménagement des compétences en droit international », op. cit., n. 1065, pp. 433-434.
372
des attributs irréductibles de la souveraineté, des « droits fondamentaux de l’État ». Critère
même de l’État, il est le principe d’effectivité et de lisibilité de la souveraineté.1097 Dans cette
perspective, l’État tire sa légitimité dans sa capacité réelle à offrir à l’individu la sûreté qui
consiste dans « la protection accordée par la société à chacun de ses membres pour la
conservation de sa personne, de ses droits et de ses propriétés ».1098 À ce titre, Basdevant
disait :
« l’État moderne n’existe pas pour lui-même : sa raison d’être ne se trouve pas en lui-même,
mais dans les services qu’il rend aux individus. Les pouvoirs juridiques à lui reconnus et
notamment la souveraineté territoriale n’ont donc pas pour but la satisfaction de besoins
propres à l’État, besoins qui n’existent pas, mais de le mettre à même de remplir les
fonctions qui lui incombent ».1099
Dans le même registre, un autre auteur soulignait que l’État est fait pour les individus et non
les individus pour l’État. À cet égard, poursuivait-il, l’État, n’ayant d’autres droits que ceux
nécessaires à l’accomplissement de ses fonctions, ne doit pas être perçu comme un être
immatériel doté de droits et d’intérêts distincts de ceux de la nation et jouissant de
prérogatives étendues pour poursuivre ses fins personnelles.1100 Il en résulte que la
souveraineté ne confère pas à l’État la liberté d’agir en dehors de sa finalité : assurer aux
individus la protection nécessaire et les meilleures conditions possibles de vie sociale. Dès
lors, la compétence nationale de l’État, compétence souveraine d’apprécier l’étendue de ses
engagements internationaux et de déterminer sa conduite interne et internationale sans aucune
ingérence extérieure, doit s’exercer dans le respect des principes qu’impose la survie de l’État
considéré comme communauté humaine.1101 Ainsi que le souligne Charles Rousseau,
« [l]orsque l’État exerce ses compétences, il a le devoir juridique de respecter le droit
international et, en particulier, les traités qu’il a conclus. Surtout, il a le devoir d’utiliser ses
compétences pour la réalisation exclusives des fins assignées à l'activité de l’État : maintien
de l’ordre par la justice. Cette solution n’est dictée par aucune considération de droit naturel
1097.Sentence arbitrale rendue par Max Huber, C.P.A., 4 avril 1928, R.S.A., vol. II, p. 839, in R.G.D.I.P., 1935, p. 156. 1098.Article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 24 juin 1793. Cette conception de l’État en tant que garant de la sécurité des individus ressort notamment de la philosophie politique de Thomas Hobbes (Léviathan, 2000 (1ère éd. 1651), Paris, Gallimard, 1027 p.) et de Jean Jacques Rousseau (Du contrat social, 1993 (1ère éd. 1762) , Paris, Gallimard, 535 p.). 1099.J. BASDEVANT, « L’affaire des pêcheries des côtes septentrionales de l’Atlantique », R.G.D.I.P., 1912, p. 519. 1100.A. ROUGIER, « L’intervention d’humanité », op. cit., n. 929, p. 21. 1101.M. SINKONDO, « Une pierre d’angle de la construction juridique de l’État… », op. cit., n. 43, pp. 269-270.
373
ou de morale internationale. Elle dérive logiquement de la nature même de la compétence de
l’État ».1102
L’effectivité de la souveraineté de l’État et de la fonction gouvernementale se traduit par la
disposition de forces armées et de sécurité pour assurer la protection des personnes et des
biens et rétablir l'ordre public. L’effectivité de la fonction gouvernementale se traduit
également dans la capacité de l’État à identifier les menaces et risques susceptibles d’affecter
la vie des populations et de la nation. Elle peut enfin se traduire par la capacité réelle de l’État
à apporter des réponses aux risques et menaces identifiés, notamment sa capacité à assurer la
protection des populations, la permanence des institutions et l’intégrité du territoire.1103 En
assurant cette dernière, l’État assure que la sécurité est garantie sur l’ensemble du territoire et
qu’il arrive à maitriser et à gérer la présence éventuelle de forces particulières qui ne
reconnaissent pas son autorité.
Le maintien de la sécurité et de l’ordre publics constitue dès lors l’une des fonctions
régaliennes de l’État. Cette fonction sécuritaire est à la base même de la notion d’État si tant
est que les individus ont institué un « contrat social » pour assurer leur sécurité. Elle est si
essentiellement attachée à la compétence nationale, donc à la souveraineté de l’État qu’il est
stipulé dans le paragraphe 2 de l’article 4 du T.U.E. que « [l]’Union […] respecte les
fonctions essentielles de l'État, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité
territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. En
particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre. »1104
À l’évidence, c’est un principe généralement admis que le maintien de l’ordre et de la sécurité
et la protection des populations sont des attributs de l’État et relèvent donc de la compétence
du gouvernement de l’État. Le Conseil de sécurité des Nations Unies le rappelle d’ailleurs de
manière récurrente dans ses résolutions.1105 Et le secrétaire général l’a ainsi reconnu :
« La responsabilité de protéger relève avant tout de la responsabilité de l’État, car la
prévention commence sur le territoire national et la protection des populations est un attribut
constitutif de la souveraineté et du statut de l’État au XXIe siècle. Par le libellé du
paragraphe 138 du Document final du Sommet, les chefs d’État et de gouvernement réunis
ont confirmé ces deux vérités fondamentales. Ils ont estimé que la communauté
internationale peut au mieux jouer un rôle supplétif. […] Une souveraineté responsable 1102.C. ROUSSEAU, « L’aménagement des compétences en droit international», op. cit., n. 1065, p. 454. Italiques ajoutés. 1103.Voir à ce propos le nouvel article L. 1111-1 du Code français de la défense. 1104.C’est nous qui soulignons. 1105.Voir par exemple les résolutions 2071 du 12 octobre 2012, 2085 du 20 décembre 2012, 2100 du 25 avril 2013, etc.
374
repose sur une politique d’inclusion, non d’exclusion. Cela suppose la mise en place
d’institutions, de capacités et de pratiques visant à la gestion constructive des tensions si
souvent liées à une croissance inégale ou à un contexte en évolution rapide dont certains
groupes profitent plus que d’autres. »1106
Par ailleurs, l’État qui « n’est qu’un mécanisme destiné à assurer aux individus les meilleures
conditions possibles de vie sociale »,1107 doit pourvoir aux besoins fondamentaux de sa
population en termes d’éducation, de santé publique, de nourriture, d’emploi, de logement,
d’accès à l’eau et aux autres infrastructures sociales de base. À cet égard, il « a le droit et le
devoir d’assurer la marche régulière de tous les services indispensables à la vie paisible de la
communauté […] »1108. Ces services sont essentiels au bien-être et à la survie de la
collectivité nationale ; de même l’effectivité de leur fourniture est dans une certaine mesure la
preuve de l’effectivité de la fonction gouvernementale. À ce propos, la C.I.J. a jugé que les
actes à même de traduire « un exercice effectif d’autorité » ou « l’exercice d’une fonction
publique »1109 concernent par exemple le maintien de la sécurité et de l’ordre publics ainsi que
l’état civil et le vote1110, la santé, l’éducation, la fiscalité1111 ou même l’agriculture et la
protection des écosystèmes.1112
Si, au demeurant, l’effectivité de la capacité de l’État à gouverner et à maintenir l’ordre et la
sécurité publics n’est pas simple à établir et est susceptible d’appréciations subjectives tenant
à des considérations plus politiques que juridiques, il semble cependant plus aisé d’identifier
l’existence dans l’État de services publics qui fonctionnent de manière permanente et
continuelle, sans lesquels la fonction gouvernementale, la compétence nationale ne serait pas
exercée de manière exclusive et conforme aux obligations internationales de l’État. Sous ce
rapport, le domaine de compétence nationale apparaît comme un critère de la réalité des
manifestations d'activité étatique invoquées comme preuves de la souveraineté. Autrement dit,
l’État, en s’acquittant de ses obligations fondamentales en matière de protection des
populations, de garantie des libertés, de maintien de l’ordre et de la sécurité, de satisfaction
des besoins essentiels de sa population en termes de santé publique, d’éducation, de
nourriture, d’emploi, de logement etc., aurait beaucoup moins de raisons de craindre une 1106.Rapport du secrétaire général sur la mise en œuvre de la responsabilité de protéger, A/63/677p. 10, § 14. 1107.A. ROUGIER, « L’intervention d’humanité », op. cit., n. 929, p. 22. 1108.A. PILLET, « Recherches sur les droits fondamentaux des États … », op. cit., n. 1088, p. 510. 1109.C.I.J., affaire du Différend frontalier (Bénin/Niger), arrêt du 12 juillet 2005, p. 90, p. 130, § 88, p. 128, § 79. 1110.Ibid., p. 127, § 78, p. 130, § 87, p. 131 § 93. 1111.C.I.J., affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria, arrêt du 10 octobre 2002, p. 303, p. 416, § 223. 1112.C.I.J., affaire de la Souveraineté sur Pulau Ligtan et Pulau Sipadan (Indonésie /Malaisie), arrêt du 17 décembre 2002, p. 625, p. 684, § 145.
375
intervention étrangère inopportune dans son domaine de compétence nationale. En revanche
l’État qui n’assure pas effectivement ses fonctions ou qui s’est mis hors du cadre de
« pouvoir-fonction » en exerçant ses compétences dans un but autre que celui qui lui est
assigné perd la protection de sa souveraineté que lui assurait la réserve de la compétence
nationale.
2. Le domaine de compétence nationale comme critère de l’accomplissement
effectif des obligations internationales
Si la compétence nationale sert de rempart pour protéger les compétences de l’État, elle ne lui
exempte pas du devoir d’accomplir ses obligations internationales et de sa responsabilité en
cas de manquement à ces obligations. Le domaine de compétence nationale, corollaire de la
souveraineté étatique, renvoie ainsi à l’aptitude de l’État à déterminer librement le contenu et
les modalités d’exercice de ses prérogatives d’une façon compatible avec les engagements
internationaux auxquels il a souscrit, sous peine d’engager sa responsabilité. Comme l’a
reconnu Max Huber dans l’affaire de l’Ile des Palmes,
« […] la souveraineté territoriale implique le droit exclusif d’exercer les activités étatiques.
Ce droit a pour corollaire un devoir : l’obligation de protéger à l’intérieur du territoire, les
droits des autres Etats, en particulier leur droit à l’intégrité et à l’inviolabilité en temps de
paix et en temps de guerre, ainsi que les droits que chaque État peut réclamer pour ses
nationaux en territoire étranger. L’État ne peut pas remplir ce devoir s’il ne manifeste pas sa
souveraineté territoriale d’une manière adéquate aux circonstances. La souveraineté
territoriale ne peut se limiter à son aspect négatif, c’est-à-dire au fait d’exclure les activités
des autres États ; car c’est elle qui sert à répartir entre les nations l’espace sur lequel se
déploient les activités humaines, afin de leur assurer en tous lieux le minimum de protection
que le droit international doit garantir. »
Il en résulte que l’État doit non seulement exercer effectivement sa compétence territoriale,
mais aussi il doit le faire dans le respect des droits des autres États, des étrangers et des
intérêts de la communauté internationale. S’agissant du respect des droits des États tiers,
l’État qui exerce sa compétence nationale doit protéger l’intégrité et l’inviolabilité des autres
États. Ainsi, un État ne saurait tolérer sur son territoire des actes qui portent atteinte à
l’intégrité territoriale d’un autre État. Il doit aussi notifier aux États tiers des dangers dont il a
376
connaissance sur son territoire.1113 De même, sur son territoire, l’État a l’obligation de
respecter les droits des étrangers qui y vivent. À ce titre, pèse sur lui l’obligation de les
protéger ainsi que leurs biens. Enfin, en tant que membre de la communauté internationale,
l’État doit exercer ses compétences et fonctions dans le respect des normes générales du droit
international protégeant les intérêts fondamentaux de la communauté internationale, telles que
les normes du jus cogens que nous avons déjà évoquées.
Le concept de domaine de compétence nationale, expression juridique de la souveraineté, s’il
protège les compétences de l’État, n’exonère pas ce dernier de sa responsabilité en cas de
manquement à ses obligations ou de dommage causé aux États tiers. En d’autres termes, les
États sont responsables des actes accomplis dans l’exercice de leur fonction gouvernementale.
À ce titre, Charles Dupuis écrivait :
« Les États sont responsable de leurs actes. Leur responsabilité est la conséquence naturelle
et nécessaire de leurs droits et de leurs obligations, comme ces droits et obligations sont les
conséquences naturelles et nécessaires de la coexistence d’États souverains, indépendants et
égaux. Les droits doivent être respectés ; les obligations doivent être accomplies. Si les droits
sont méconnus, si les obligations ne sont pas exécutées, les torts qui s’ensuivent doivent être
réparés, par le rétablissement, s’il est possible, de l’état de choses tel qu’il aurait dû être si
les infractions n’avaient point été commises, sinon par des compensations équitables... »1114
De ces considérations, il ressort qu’il pèse sur l’État l’obligation de se maintenir et de se
conserver. Celle-ci se manifeste par la nécessité pour l’État d’exercer les fonctions liées à sa
qualité d’État. Il doit aussi, sous peine d’engager sa responsabilité internationale, accomplir
ses devoirs internationaux. Bref, l’État doit être capable et responsable, donc effectif. Cette
effectivité de l’État ou plus précisément des fonctions étatiques est un facteur de stabilité de la
société internationale. En effet, comme le souligne le professeur Serge Sur,
« l’effectivité de l’État est […] une garantie de la paix civile. Elle est aussi une condition
nécessaire de la garantie des droits de l’homme, dont la guerre civile est par essence la
négation. Sans l’État, aucune liberté, aucun droit ne sauraient prospérer. […] Les fonctions
que remplit l’État se développent avant tout sur son territoire et à l’égard de sa propre
population. Elles n’en présentent pas moins par nature un caractère international, en ce sens
1113.Affaire du Détroit de Corfou, arrêt précité, note 239. 1114.C. DUPUIS, « Liberté des voies de communication. Relations internationales », R.C.A.D.I., 1924, t. II, p. 222.
377
que leur exercice tranquille et régulier est un gage de paix et de sécurité pour l’ensemble de
la société internationale ».1115
Dans le même ordre d’idées, l’ancien secrétaire d’État britannique pour le développement
international disait : « for the international system to work, it depends on strong states. States
that are able to deliver services to their populations, to represent their citizens, to control
activities on their territory, and to uphold international norms, treaties, and agreements ».1116
Dans cette perspective, le domaine de compétence nationale permet, dans sa conception
fonctionnelle, de voir en l’État un ensemble de fonctions. En effet si l’État dispose d’un
gouvernement, c’est pour répondre à sa mission fondamentale qui est de satisfaire les besoins
de la population soumise à son autorité. L’idée de gouvernement est ainsi directement
rattachée à la conception fonctionnelle de l’État. Elle confère, par là, un titre particulier de
compétences étatiques, celles relatives à l’organisation et à la défense des services publics de
l’État sans lesquels il serait privé des instruments indispensables à l’exercice de ses
devoirs.1117
Au-delà des diverses appréhensions dont elle fait l’objet, la fonction gouvernementale
constitue un critère d’appréciation et de mesure de l’effectivité de la souveraineté et de
l’existence de l’État. Cette manière de voir est particulièrement illustrée lorsqu’il est question
de reconnaître un nouvel État, lorsqu’il s’agit de situations de défaillance, de déliquescence de
l’État ou encore d’entreprises internationales de construction ou de reconstruction d’États.1118
Dans toutes ces situations, c’est l’effectivité de la fonction gouvernementale qui en question.
En effet, c’est cette effectivité de la fonction gouvernementale, appréhendée sous le prisme de
l’emprise effective de la puissance publique sur le territoire et la population qui s’y trouve,
qui est mise en avant dans la reconnaissance de nouveaux États. Comme le souligne le
professeur Pierre Bodeau-Livinec,
« quand bien même ils se borneraient à reconnaître des États, et non des gouvernements, les
tiers seront généralement conduits à fonder leur décision sur l’évaluation de l’effectivité
gouvernementale qui conditionne l’existence de l’État. Une telle effectivité, à l’évidence, ne
s’applique pas simplement – et même à titre principal – aux organes gouvernementaux : elle
n’a pas trait à l’existence factuelle d’une structure qui se présente comme le gouvernement
1115.S. SUR, « Sur quelques tribulations de l’État dans la société internationale », op. cit., n. 432, pp.892-893. 1116.H. BENN, “A Shared Challenge Promoting Development and Human Security in Weak States”, discours prononcé devant le Center for Global Development (Washington), le 23 juin 2004. Cité par K. LEGARE, « Le narratif sécuritaire des États défaillants : contestation rivale des termes de la souveraineté ? », Aspects, n° 2 - 2008, p. 149. 1117.P. DAILLIER et A. PELLET, Droit international public, op. cit., n. 1072, p. 413. 1118.Cf. supra Deuxième partie, Titre I, Chapitre I, Section 1, § 1, 1 et Section 2, § 1.
378
de l’État considéré mais à l’exercice, par cette structure, d’une autorité caractéristique de
l’État. »1119
Dans les situations de défaillance ou de déliquescence de l’État, au-delà de l’existence
institutionnelle des organes de l’État, c’est encore généralement l’effectivité de l’autorité de
l’État qui est en cause. Il y a souvent une absence de gouvernement effectif apte à exercer son
autorité sur l’ensemble du territoire et des personnes s’y trouvant. Dans cette mesure, comme
nous l’avons déjà évoqué, les entreprises internationales de construction ou de reconstruction
d’États déstructurés et dévastés par des conflits mettent l’accent sur le rétablissement d’une
autorité politique effective à travers l’appui à la réforme du secteur de la sécurité, au
relèvement des institutions politiques et administratives et aux processus de paix et électoraux
devant aboutir à l’élection de nouvelles autorités et à la mise en place d’un gouvernement
effectif. Il s’agit, selon les cas, d’établir ou de rétablir les conditions qui rendent au moins
possible l’exercice des fonctions essentielles conditionnant la jouissance et le respect des
attributs internationaux de l’État.1120 Le rétablissement d’un gouvernement effectif dans les
États en sortie de crise fait d’ailleurs l’objet d’une attention particulière de la part des Nations
Unies et du Conseil de sécurité en particulier. C’est dans cet esprit que le Conseil a confié à la
MINUSS un premier objectif de « concourir à […] bâtir l’État […] à long terme en prêtant
bons offices, conseils et concours au gouvernement dans les domaines de la transition
politique, de la gouvernance et de l’instauration de l’autorité de l’État… »1121
En définitive, le domaine de compétence nationale envisagé sous l’angle fonctionnel se
présente comme un ensemble d’attributs et de fonctions étroitement liés à la qualité d’État de
sorte que tout État qui se les prive ou se les fait priver risque de perdre ce statut tel que le
conditionne le droit international. L’ensemble de ces attributs et fonctions statutaires de l’État
s’expriment à l’égard des citoyens de l’État et des autres sujets du droit international par la
mise en œuvre d’une fonction globale, la fonction de gouvernement ou la fonction
gouvernementale qui apparaît dans cette perspective comme étant consubstantielle à l’État.
L’effectivité de cette fonction qui traduit l’effectivité de la souveraineté étatique nécessite
l’existence en l’État et dans l’État d’un certain nombre d’éléments, de moyens qui lui
permettent justement d’exprimer et de protéger cette souveraineté.
1119.P. BODEAU-LIVINEC, Le gouvernement de l’État…, op. cit., n. 1, pp. 48-49. 1120.G. CAHIN, « Le droit international face aux ‘‘États défaillants’’ », op. cit., n. 780, pp. 80-114. 1121.S/RES/1996 (2011), § 3 a. C’est nous qui soulignons. Cf. supra Titre I de cette deuxième partie, Chapitre I, Section 1, § 1. Voir notamment les résolutions S/RES/2085 (2012) du 20 décembre 2012, § 9, b et c, préc. ; S/RES/1721 (2006) du 1er novembre 2006, § 7, préc.
379
CHAPITRE II
LE DOMAINE DE COMPÉTENCE NATIONALE COMME CRITÈRE
INCOMPRESSIBLE DE SAUVEGARDE DE LA SOUVERAINETÉ-
INDÉPENDANCE DE L’ÉTAT
Bien que les États ne soient plus les sujets exclusifs du droit international, ils en demeurent
les sujets principaux et en quelque sorte naturels. En effet, malgré le triple phénomène
d’institutionnalisation, de multilatéralisation et de mondialisation, le droit international ainsi
que la société qu’il entend régir continuent de fonctionner par des mécanismes, des structures
et des procédures essentiellement interétatiques. La souveraineté de l'État reste la pierre
angulaire du droit international public et signifie l'indépendance dans les relations
internationales, c’est-à-dire « l’absence d’organes centraux [internationaux] investis d’une
puissance publique détachée des sujets de droit. »1122
Même si pour certains auteurs souveraineté et indépendance sont deux expressions
distinctes1123, un large courant doctrinal assimile les deux notions. Ainsi, un auteur considère
qu’
« indépendance implique souveraineté ; souveraineté est le support de l’indépendance et ne
peut pas exister sans elle ; indépendance implique égalité avec les autres États. Qui dit
souverain, dit indépendant. Il serait donc suffisant d’adopter un de ces termes. L’histoire, la
tradition et la valeur pratique du terme se prononcent en faveur du terme ‘‘souveraineté’’ qui
couvre et le pouvoir suprême à l’intérieur et l’indépendance à l’extérieur. »1124
1122.P. HAGGENMACHER, « L’État souverain comme sujet de droit international, de Vitoria à Vattel », Droits, 16, 1992, pp. 11-20, spéc. 11. 1123.Les auteurs partisans de cette thèse « voient dans la souveraineté, le droit de commandement et dans l’indépendance le droit d’autonomie. La première notion, agressive, signifie la libération de tout contrôle dans les relations extérieures ; la seconde notion, défensive, n’a en vue que la liberté de l’État dans ses affaires domestiques ». Cf. N. POLITIS, « Le problème des limitations de la souveraineté… », op. cit., n. 31, p. 119. 1124.M.-S. KOROWICZ, Organisation internationale et souveraineté des États membres, Publication de la revue internationale de droit international public, Nouvelle série, n° 3, Paris, Pedone, 1961, p. 81. Dans le même sens, Olivier BEAUD souligne que « la souveraineté interne, qui signifie la domination à l’intérieur du territoire présuppose la souveraineté internationale qui exclut le pouvoir de domination d’un État tiers, de même que la souveraineté internationale implique la souveraineté interne pour être effective », O. BEAUD, La puissance de l’État, Paris, P.U.F., 1994, p. 17. V. aussi F. FARDELLA, « Le dogme de la souveraineté de l’État. Un bilan », A.P.D., 1997, p. 127. Auteurs cités par R. KHERAD, « La souveraineté de l’Irak à l’épreuve de l’occupation », in Les évolutions de la souveraineté, Actes du Colloque d’Angers, organisé par le Laboratoire angevin de recherche sur les actes juridiques, Paris, Montchrestien, 2006, p. 143. À l’instar de la majorité de la doctrine, la jurisprudence internationale assimile les notions de souveraineté et d’indépendance. C’est ainsi que Max Huber
380
Dans la même perspective, Pierre-Marie Dupuy estime que
« l’indépendance est à la fois la condition et le critère de la souveraineté ». Et l’auteur
d’ajouter : « On peut donc dire à la fois que, si l’indépendance est le critère de la
souveraineté, la souveraineté est le garant de l’indépendance. Lorsqu’elle est reconnue à une
entité étatique, elle emporte du même coup obligation pour les États tiers de se comporter à
son égard comme ils souhaitent que leurs pairs agissent à leur propre égard. Ils doivent en
particulier s’abstenir de s’immiscer aussi bien dans la conduite des relations internationales
que celles des affaires intérieures à ce nouveau souverain. »1125
Il semble ainsi que, dans cette conception de la souveraineté, la fonction gouvernementale
apparaît comme une prérogative exclusive de toute subordination et de toute immixtion
extérieures. À cet égard, la notion de domaine de compétence nationale peut être appréhendée
comme un dispositif destiné à protéger la souveraineté-indépendance de l’État à travers la
protection non seulement de l’indépendance de la fonction gouvernementale (Section 1) mais
aussi du fait primaire étatique qui traduit l’insubordination organique des États (Section 2).
déclare : « la souveraineté dans les relations internationales signifie l’indépendance ». C.P.A., affaire de l’Ile des Palmes, 4 avril 1928, R.S.A., II, p. 838. Voir aussi en ce sens : C.P.J.I., affaire des Décrets de nationalité, avis précité, n. 9, ; affaire du Lotus, arrêt précité, note 47 ; Ville libre de Dantzig et O.I.T., avis du 26 août 1930, série B, n° 18, pp. 15-16, et Régime douanier entre l’Allemagne et l’Autriche, avis du 5 septembre 1931, série A/B, n° 41, pp. 45 et 52. 1125.P.-M. DUPUY, « L’unité de l’ordre juridique international… », op. cit., n. 107, p. 95. Voir également C. ROUSSEAU, « L’indépendance de l’État dans l’ordre international », op. cit., n. 1043, pp. 171-252. Pour Hugo de Groot ou Grotius, regardé comme le père du droit international, la puissance souveraine de l’État est « celle dont les actes sont indépendants de tout autre pouvoir supérieur et ne peuvent être annulés par aucune autre volonté humaine », De jure belli ac pacis (1625), cité dans Nguyen Quoc Dinh, Patrick Daillier, Alain Pellet, Droit international public, 6è éd., L.G.D.J., 1999, pp. 55-56. En ce sens, C. Calvo soutenait aussi en 1896 que la souveraineté et l’indépendance sont synonymes, Droit international théorique et pratique, Paris, Pedone, 5ème éd. 1896, t. 1, p. 264. Dans le même sens, se sont également prononcé Basdevant et Carré de Malberg. Selon le premier, « on peut mettre sur le même pied les termes souveraineté et indépendance », in « Règles générales du droit de la paix », R.C.A.D.I., 1936, t. 4 vol. 58, p. 582. Le second, quant à lui, soutient que « dans son sens externe ou international, le mot souveraineté est au fond synonyme d’indépendance », Contribution à la théorie générale de l’État, t. 1, éd. C.N.R.S., 1965, p. 71.
381
Section 1 : Le domaine de compétence nationale comme protection de
l’indépendance de la fonction gouvernementale
La fonction gouvernementale qui caractérise le fait étatique est un attribut de sa personnalité.
Elle constitue l’activité par laquelle l’État manifeste son existence et sa volonté. Sous ce
rapport, elle présente les caractéristiques attachées à la souveraineté de l’État, c’est-à-dire
qu’il s’agit d’une fonction indépendante et exclusive. L’activité normative étant le principal
moyen par lequel l’État manifeste cette volonté et s’acquitte de cette fonction
gouvernementale, elle revêt elle aussi les mêmes caractéristiques.1126 À ce titre, la notion de
domaine de compétence nationale apparaît comme une limite relationnelle qui vise à protéger
l’indépendance de l’ordre juridique interne envisagé comme un ordre normatif par rapport à
l’ordre international. Dès lors, c’est de la protection de l’indépendance de la fonction
législative de l’État dont il s’agit (§ 1).
Toutefois, l’activité normative n’est pas le seul instrument d’expression de la fonction
gouvernementale. Celle-ci se manifeste également par des activités opérationnelles de nature
administrative qui visent à mettre en œuvre, à exécuter les ordres juridiques exprimés par le
gouvernement (au sens large). À cet égard, la notion de domaine de compétence nationale
comme protection de l’indépendance de la fonction gouvernementale joue le rôle non pas
d’une limite matérielle (tel que l’envisage la doctrine majoritaire du domaine réservé) mais de
défense de l’indépendance de la fonction gouvernementale dans les activités opérationnelles
des acteurs internationaux (§ 2).
1126.Pour G. Arangio-Ruiz, « la souveraineté intérieure – positive - indique tout d’abord la suprema potestas (imperium ou « compétence de la compétence ») en tant que qualité de l’État ou de cet élément de l’État qui d’après l’ordre établi détient le pouvoir suprême. […] En tant que suprema potestas la souveraineté interne de l’État relève du normatif dans le cadre de l’ordre national », G. ARANGIO-RUIZ, « Le domaine réservé… », op. cit., n. 1, pp. 444-445.
382
§ 1 : Le domaine de compétence nationale comme protection de l’indépendance
de la fonction législative de l’État dans les rapports de systèmes
La notion de domaine de compétence nationale est envisagée comme une notion relationnelle
entre ce qui relève des États, donc des ordres juridiques internes, et ce qui relève de l’ordre
international, donc du droit international. Pour mettre en exergue cette dimension relationnelle,
la conception dominante du domaine réservé met l’accent sur les notions de matière et
d’obligation juridique. Or, avec le développement des rapports internationaux et des
phénomènes d’institutionnalisation et de multilatéralisation de la vie internationale, il semble
aujourd’hui difficile d’identifier une seule matière dans laquelle les États ne sont pas tenus par
des obligations internationales ou bien l’interdépendance ne les oblige à adopter des
comportements bien déterminés. Dès lors, pour appréhender la spécificité du domaine de
compétence nationale et donc de la fonction gouvernementale, il convient d’analyser les
rapports entre l’ordre juridique international et les ordres juridiques internes. Dans l’objectif
d’identifier ce qui relève de chaque ordre, il est nécessaire d’envisager ces rapports en mettant
l’accent sur la spécificité de l’objet que chaque ordre est appelé à régir. Ainsi, il apparaît que
l’ordre international régit les relations entre États souverains et indépendants ; ceux-ci étant
donc caractérisés par leur égalité du point de vue juridique. Les ordres juridiques internes, quant
à eux, sont destinés à organiser une relation de pouvoir entre gouvernants et gouvernés,
caractérisée par la subordination des seconds au pouvoir des premiers. Autrement dit, les ordres
internes organisent la fonction gouvernementale qui se manifeste dans la domination juridique
d’un territoire donné et des personnes s’y trouvant par un pouvoir politique, le gouvernement.
Il en découle une persistance des ordres étatiques envisagés comme des ordres normatifs à
côté de l’ordre international, les premiers conservant toujours leur autonomie, leur
indépendance primaire vis-à-vis du second quel que soit le niveau de son développement(1).
Cette autonomie des ordres étatiques à l’égard de l’ordre international a pour principale
conséquence l’absence d’effet immédiat des règles et décisions juridiques internationales (2).
383
1. L’indépendance des ordres juridiques étatiques vis-à-vis de l’ordre
international
Il est aujourd’hui évident que les rapports entre la puissance publique et les individus soumis
à la juridiction nationale n’échappent plus de manière tranchée aux règles du droit
international. En effet, comme nous l’avons déjà évoqué1127, la multiplication des matières
appelant à une règlementation multilatérale et surtout l’avènement des règles internationales
de protection des droits de l’homme ont fini de mettre en évidence la porosité de la frontière
entre les ordres internes et l’ordre international. Et comme le souligne le professeur Pierre-
Marie Dupuy au sujet des droits de l’homme, les normes internationales y relatives font
« naître à l’égard de l’État des obligations internationales conditionnant non seulement
l’exercice exclusif de sa compétence territoriale, mais encore, ce qui est plus original,
l’organisation des rapports entre la puissance publique et les particuliers qui dépendent de
son autorité. Ceci va, dans une large mesure, à l’encontre du principe de la réserve de la
compétence nationale dont fait mention, dans le contexte qui lui est propre, l’article 2, § 7 de
la Charte des Nations Unies ».1128
Indéniablement, au-delà des seules normes de protection internationale des droits de
l’homme, c’est le droit international dans son ensemble qui est devenu intrusif dans les ordres
internes pour faire des individus des sujets et non seulement des objets de ses règles. Il
pénètre désormais dans la fonction même de gouvernement, à travers nous l’avons évoqué, les
exigences démocratiques internationales appréhendées notamment sous le prisme des droits
de l’homme. Ainsi, les rapports entre la puissance publique et les personnes placées sous la
juridiction nationale font l’objet d’obligations internationales. Comme l’a indiqué la C.P.J.I.
dans un célèbre dictum
« selon un principe de droit international bien établi, [un] accord international, ne peut,
comme tel, créer directement des droits et des obligations pour des particuliers. Mais on ne
saurait contester que l’objet même d’un accord international, dans l’intention des Parties
contractantes, puisse être l’adoption, par les Parties, de règles déterminées, créant des droits
et des obligations pour des individus, et susceptibles d’être appliquées par les tribunaux
nationaux ».1129
1127.Cf. supra Première partie, Titre I, Chapitre I, Section 2, § 1. 1128.P.-M. DUPUY « La protection internationale des droits de l’homme », op. cit., n. 208, pp. 409-410. 1129.C.P.J.I., Compétence des tribunaux de Dantzig, avis consultatif précité, note 185, pp. 17-18.
384
Cependant, malgré cette tendance intrusive du droit international dans la sphère nationale1130,
l’observation des réalités de la vie internationale contemporaine montre la subsistance d’une
réalité implacable : la persistance de la fonction gouvernementale en tant qu’élément
irréductible de l’État envisagé comme un ordre indépendant et distinct de l’ordre
international. À ce titre, la notion de domaine de compétence nationale vise à protéger la
fonction gouvernementale en tant que pouvoir de l’État d’exercer une fonction normative,
c’est-à-dire la fonction législative de l’État. Quel que soit le niveau de développement de
l’ordre international, il ne supprime pas les ordres étatiques qui traduisent le fait que l’État
« constitue une organisation qui crée et exécute des normes se rapportant à la conduite
humaine ».1131 Dans cette perspective, Michel Virally indique que
« on constate, en fait, un manque de continuité tout à fait frappant entre le droit interne et le
droit international, qui se développent chacun suivant sa dynamique propre. Et si ces
dynamiques ne sont pas divergentes, elles sont, à tout le moins, indépendantes l’une de
l’autre : elles ne suggèrent aucunement l’idée d’une unité. C’est seulement pour des raisons
d’ordre historique – contingentes par conséquent – qu’elles engendrent […] une
interpénétration et une collaboration de plus en plus fréquentes et étroites entre les deux
ordres juridiques. Ce phénomène, d’ailleurs, fait moins progresser l’unification du droit
interne et du droit international qu’il ne provoque l’apparition d’un troisième ordre juridique,
mixte ou intermédiaire, malaisé à définir. »1132
Par ailleurs, l’État continue de conserver largement le monopole sinon la maîtrise des
techniques et procédures normatives internationales. La société internationale reste encore
largement organisée sur la base du principe de la souveraineté des États, et, pour l’essentiel, le
droit international demeure toujours fait du heurt des souverainetés. En effet, l’essentiel des
règles du droit international - conventionnelles ou coutumières, et même les principes
généraux de droit – dérive de l’engagement volontaire des États qui expriment ainsi leur
consentement à être liés par de telles règles. C’est en ce sens que Prosper Weil écrit : « les
États sont tout à la fois auteurs et sujets de la normativité ».1133 L’État demeure toujours à la
fois la matrice et le relai sans lesquels le droit international ne peut exister et fonctionner.
C’est d’ailleurs ce qu’affirmait Anzilotti lorsqu’il écrivait :
1130.Sur cette pénétration du droit international dans la sphère nationale, voir par exemple M. VIRALLY, « Sur un pont aux ânes… », op. cit., n. 2, pp. 488-505, et « Panorama du droit international contemporain », op. cit., n. 51, pp. 209 et s. 1131.P. GUGGENHEIM, « Les principes de droit international public », op. cit., n. 1079, p. 81. 1132.M. VIRALLY, « Sur un pont aux ânes… », op. cit., n. 2, p. 491. 1133.P. WEIL, « Le droit international en quête de son identité… », op. cit., n. 138, p. 160.
385
« […] le droit international présuppose l’État, c’est-à-dire le droit interne, parce que l’État,
tout en ne s’identifiant pas avec l’ordre juridique, n’est pas concevable sans lui. Il le
présuppose, dirons-nous, non pas historiquement mais logiquement, parce que les normes
internationales ne sont possibles que pour autant qu’elles s’appuient sur des normes
internes ».1134
Dans le même sens, Gaetano Arangio-Ruiz écrit : « […] les États en tant que sujets de droit
international sont justement les personnes primaires d’un droit qui les présuppose un peu
comme le droit national présuppose les personnes physiques. »1135 Cela témoigne dans une
certaine mesure de la persistance de l’approche dualiste des ordres interne et international, et
du droit international défendue par des auteurs comme Triepel et Anzilotti. Mais ce constat
remet surtout en cause l’analogie fédérale qui trouve sa base dans « certaines conceptions du
droit international d’après lesquelles ce droit constituerait l’échelon suprême d’un droit public
universel de nature essentiellement interindividuelle et dans lequel les systèmes juridiques
nationaux se trouveraient emboîtés comme les systèmes juridiques des États membres d’une
fédération sont emboîtés dans l’ordre fédéral ».1136 Parmi ces doctrines d’unité du système
juridique, il y a notamment le « système de droit unitaire » de Kelsen1137 et le « monisme
intersocial » de Georges Scelle.1138
La notion de domaine de compétence nationale permet également d’expliquer l’indépendance
des ordres juridiques étatiques par rapport à l’ordre international quant à la nature de l’objet
que chaque type d’ordre est appelé à régir. En effet, les États, jouissant d’une souveraineté-
indépendance conséquence de la factualité de leur existence par rapport au droit international,
les ordres juridiques qui les régissent et par lesquels ils s’organisent ne peuvent qu’être
différents et indépendants du droit international. Les ordres juridiques nationaux organisent la
relation de pouvoir entre gouvernants et gouvernés, les relations entre individus (personnes
physiques ou morales), et entre l’État et ses subdivisions. La caractéristique principale de ces
relations est l’absence de l’élément souveraineté. À la différence des droits internes, le droit
international est, quant à lui, destiné à régir les rapports entre entités souveraines et égales en 1134.D. ANZILOTTI, Cours de droit international, trad, op. cit., n. 49, p. 51. 1135.G. ARANGIO-RUIZ, « Le domaine réservé… », op. cit., n. 1, p. 443. 1136.Ibid., p. 435. 1137.H. KELSEN , Théorie pure du droit (2nde éd. , 1960), Bruylant – L.G.D.J., Bruxelles – Paris, 1999, p. 138 ; « Les rapports de système entre le droit interne et le droit international public », op. cit., n. 2, pp. 231-331, spéc. p. 270 et s., et 310 et s. ; « Théorie générale de droit international public, problèmes choisis », R.C.A.D.I., t. 42 (1932-IV), pp. 178 et s. 1138.G. SCELLE, Précis de droit des gens…, n. 969, pp. 27 et s ; « Règles générales du droit de la paix », R.C.A.D.I., t. 46 (1933-IV), pp. 331 et s. et « Critique du soi-disant domaine de « compétence exclusive », op. cit., n. 1, spéc. pp. 368 et s. K. MAREK, « Les rapports entre le droit international et le droit interne… », op. cit., n. 2,, pp. 260-298. Pour d’autres auteurs ayant développé ou fait référence, implicite ou explicite, à l’analogie fédérale, se référer à G. ARANGIO-RUIZ, « Le domaine réservé… », op. cit., n. 1, pp. 435 et s.
386
droit, les États. Dans cette perspective, Michel Virally souligne que « par définition, le droit
international constitue un droit au second degré [par rapport au droit interne], dont la fonction
n’est pas de régler des rapports inter-individuels, mais d’ordonner les relations entre des
sociétés politiques. »1139 Dans le même sens, Gaetano-Arangio-Ruiz écrit que « les règles
internationales ne régissent pas la même espèce de relations que le droit national, ni
directement ni indirectement ». Et l’internationaliste italien d’ajouter :
« Le droit national unitaire ou fédéral régit les relations entre êtres humains et/ou
subdivisions ou personnes morales à la création desquelles les humains eux-mêmes ont
recours dans leur « commerce juridique ». Ce « commerce juridique », en effet, n’en est pas
moins interindividuel à cause de la présence, dans son contexte, de personnes morales ou
autres subdivisions en tant qu’instruments de rapports interindividuels. Le droit international,
par contre, régit les relations et crée des rapports de droit/obligation seulement entre les
entités collectives factuelles… [L]es relations créées par le droit international restent
toujours des relations entre États (ou entités similaires) en tant qu’entités factuelles. Le droit
international reste interétatique, notamment d’interpuissances, même lorsque ses règles
s’occupent, ainsi qu’elles le font très souvent, de comportement ou d’intérêts d’individus.
Les conduites ou les intérêts visés restent même dans ces cas relationnellement réglés dans le
cadre des ordres juridiques nationaux : ordres juridiques dont la nature « originaire » exclut
qu’ils fonctionnent comme des articulations du droit international. »1140
Aux fins du présent examen, il importe de relever que l’indépendance des ordres juridiques
internes (donc celle des États) par rapport à l’ordre international (la société ou communauté
internationale) constitue toujours une donnée réelle des relations internationales. Le droit
international, quel que soit l’état de son développement matériel actuel et même futur, ne
supprime et ne supprimera pas la factualité de l’existence des États en tant qu’appareils
normatifs et organiques indépendants, dès lors qu’il garde et gardera son caractère
interétatique. Si le droit international peut effectivement s’intéresser à l’activité législative de
l’État, ce dernier garde toutefois l’indépendance que requiert sa qualité d’État dans l’exercice
de cette activité. Le domaine de compétence nationale renvoie ici à l’exclusivité de la
compétence gouvernementale appréhendée comme une activité législative.
1139.M. VIRALLY, « Sur un pont aux ânes… », op. cit., n. 2, p. 495. 1140.G. ARANGIO-RUIZ, Le domaine réservé…, op. cit., n. 1, pp. 449-450. Les italiques sont de l’auteur.
387
2. L’absence d’effet immédiat dans l’ordre interne des règles et décisions
juridiques internationales
L’une des conséquences de l’indépendance factuelle des ordres juridiques nationaux par
rapport à l’ordre international est que, malgré toutes les évolutions notées dans le sens d’une
intégration de la société internationale, la structure normative du droit international est encore
dans une très large mesure déterminée par le caractère interétatique de la société
internationale encore composée d’États souverains. La norme internationale revêt toujours un
caractère intersubjectif1141, c’est-à-dire qu’elle est encore construite sur l’idée de pluralité de
sujets souverains et égaux. Ce qui révèle dans une certaine mesure le faible degré
d’intégration de la société internationale et le caractère plus ou moins anarchique de l’ordre
juridique international. Dès lors, les normes internationales ayant un caractère de self-
executing en général et celles relatives à la protection des droits de l’homme en particulier ne
remettent pas en cause la relativité des valeurs juridiques entre droit international et droit
interne, mais aussi et surtout la place centrale de l’État, donc l’ordre juridique national, dans
la production et l’application des règles du droit international. En effet, les normes
internationales ne déploient pas d’elles-mêmes leur fonction normative dans le cadre des
ordres étatiques (et vice versa).1142 Juridiquement et logiquement, il appartient toujours à
l’État de régler les rapports entre ses sujets, ses subdivisions, et entre autres personnes
morales placées sous sa juridiction par la voie de son droit interne, même si ces relations
intéressent, dans une certaine mesure, le droit international.
Dans la production comme l’application de toutes les règles du droit international, l’État,
l’ordre juridique national, a toujours occupé et occupe encore un rôle de choix, presque
incontournable. La société internationale étant dépourvue d’un organe central législatif qui
serait le producteur des règles juridiques internationales, pas davantage qu’elle n’est dotée
d’exécutif central chargé de les appliquer, l’application des conventions internationales et de
toutes les normes juridiques internationales est de la compétence du Gouvernement qui
manifeste ainsi sans relai la volonté de l’État sujet de droit international. Il s’agit d’une
prérogative souveraine qui permet à l’État de s’octroyer une certaine liberté dans
1141.Voir en ce sens G. ABI-SAAB, « Débat », in. H. RUIZ-FABRI et J.-M. SOREL (dirs.), La preuve devant les juridictions internationales, Paris, Pedone, 2007, pp. 59 et s. 1142.C’est en ce sens qu’il faut comprendre le célèbre dictum de la C.P.J.I. selon lequel « au regard du droit international et de la Cour qui en est l’organe, les lois nationales sont de simples faits, manifestations de la volonté et de l’activité des États au même titre que les décisions judiciaires ou les mesures administratives », affaire de la Haute Silésie polonaise, arrêt du 25 mai 1926, série A, n° 7, p. 19.
388
l’appréciation et l’exécution de ses engagements internationaux.1143 Il s’agit là de la
traduction du principe d’absence d’effet immédiat du droit international dans l’ordre interne,
« principe allant de soi, d’après lequel un État qui a valablement contracté des obligations
internationales est tenu d’apporter à sa législation les modifications nécessaires pour assurer
l’exécution des engagements pris. »1144 L’État étant une entité unitaire indépendante, le droit
international ne peut donc s’appliquer directement dans l’ordre interne que de manière
exceptionnelle.
Le droit international étant incapable de s’appliquer directement dans l’ordre interne par ses
propres moyens, c’est donc le droit interne, la compétence nationale qui fournit un appui aux
normes et décisions internationales pour qu’elles revêtent un caractère véritablement juridique
à l’égard des sujets de droit interne. Sans le relai de la compétence nationale tant au stade de
leur formation que de leur mise en œuvre, les normes et décisions internationales ne peuvent
régir immédiatement les rapports interindividuels des personnes placées sous la juridiction de
l’État. L’efficacité voire l’effectivité du droit international dépend ainsi largement de l’action
des organes de l’État. Qu’il s’agisse de décisions judiciaires ou de prescriptions d’organes
politiques internationaux ou encore de règles du droit positif, les règles internationales n’ont
pas d’effet immédiat. Elles nécessitent souvent des mesures d’insertion, d’exécution, de retrait
ou de révocation prises par les autorités étatiques.1145 Cette incapacité du droit international à
régir immédiatement les rapports interindividuels sans le relai étatique est clairement souligné
par le professeur Alain Pellet qui, au sujet des normes sur les droits de l’homme, note :
« […] il est bien vrai, comme l'a rappelé René Cassin lui-même, que "la responsabilité
fondamentale de la mise en œuvre des droits de l'homme (...) repose avant tout sur l'action de
l'État", dont les organes sont chargés de l'application quotidienne des normes de droits de
l'homme, même lorsque celles-ci sont définies internationalement. Dans ce domaine comme
dans presque tous les autres, l'État a la compétence du dernier mot ; il est le "bras séculier"
seul capable de donner vie à la norme internationale car, conformément à la formule célèbre
1143.M. SINKONDO, « Une pierre d’angle de la construction juridique de l’État… », op. cit., n. 43, p. 243. 1144.C.P.J.I., Échange des populations grecques et turques, avis consultatif, du 21 février 1925, Série B, n° 10, p. 20. 1145.Cela fait dire à Georges Scelle que : « dans l’ordre interétatique, où il n’existe pas de gouvernants et agents spécifiquement internationaux, les agents et gouvernants étatiques qui les remplacent sont investis d’un double rôle. Ils sont agents et gouvernants nationaux lorsqu’ils fonctionnent dans l’ordre juridique étatique ; ils sont agents et gouvernants internationaux lorsqu’ils agissent dans l’ordre juridique international », Précis de droit des gens..., op. cit., n. 969, pp. 358-359.
389
de Michel Virally, "l'ordre juridique international est (...) incomplet : il a besoin du droit
interne pour fonctionner" ».1146
Dans cette mesure, il apparaît qu’il existe toujours une sorte de frontière entre les ordres
juridiques internes et l’ordre international. Cette frontière permet ainsi de mettre en exergue
les spécificités du droit interne et du droit international, et d’identifier ce qui relève du
domaine de compétence nationale envisagé non pas comme une sphère matérielle dont
l’étendue varie en fonction du développement du droit international, mais comme un critère
permettant de sauvegarder la souveraineté-indépendance de l’État dans les relations
internationales. En effet, malgré toutes les évolutions qu’il connaît, le droit international n’a
pas atteint le degré de centralisation lui permettant de s’appliquer immédiatement aux sujets
des ordres internes sans l’intervention du relai étatique tant au stade de la formation que de la
mise en œuvre de ses normes. À ce titre, comme l’indique Michel Virally :
« on ne saurait, d’autre part, assez insister sur le fait que le droit international ne peut pas se
passer du droit interne. Non pas qu’il soit incapable, par nature, d’atteindre directement les
individus humains, d’en faire ses destinataires autrement que par l’intermédiaire du droit
interne. […L]e droit international n’atteint directement les individus – dans l’état actuel de
son développement – que de façon exceptionnelle. En règle générale, il laisse au droit interne
le soin de prendre les mesures nécessaires à son application. De même, ce n’est pas lui, mais
le droit interne, qui désigne concrètement les autorités ayant qualités pour représenter l’État
à l’extérieure et qui définit les conditions de leur concours dans l’exercice des compétences
internationales de l’État. »1147
La nécessité du relai étatique n’induit pas nécessairement une insensibilité du droit
international par rapport aux normes du droit interne ou une séparation rigide entre les ordres
juridiques internes et international. Il n’y a, en effet, pas d’« imperméabilité »1148 entre les
deux types d’ordres juridiques. Autrement dit, la fonction gouvernementale par laquelle
l’État manifeste sa puissance à travers ses pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, « est aussi
un objet susceptible d’être apprécié suivant les critères du droit international ».1149 Toutefois,
l’indépendance de l’État justifie que le droit international ne remette pas en cause sa
1146.A. PELLET, « ‘‘Droit- de- l’hommisme’’ et droit international », Droits fondamentaux, n° 1, juillet-décembre 2001, p. 177. Michel Virally considère en effet que « l’ordre juridique international est incomplet […] : il a besoin du droit interne pour fonctionner. Il ne peut se passer de collaborer avec lui et, partant, de le reconnaître, ou, plus précisément, de reconnaître son existence et sa validité au plan qui est le sien… », M. VIRALLY, « Sur un pont aux ânes… », op. cit., n. 2, p. 498. 1147.Ibid. 1148.Voir C. BILFINGER, « Les bases fondamentales de la communauté des États », R.C.A.D.I., t. 63 (1938-I), pp. 133-135. 1149.D. ANZILOTTI, Cours de droit international, op. cit., n. 49, pp. 57 et s.
390
compétence législative en venant régir directement les rapports interindividuels des sujets
placés sous la juridiction dudit État.
Sous ce rapport relationnel entre les ordres juridiques internes et l’ordre international, le
domaine de compétence nationale apparaît comme une limite à l’effet direct des règles du
droit international mais également des actes et décisions des organes internationaux. La
notion de domaine réservé vise ici à protéger la compétence législative de l’État alors même
qu’il existe une règle de droit international liant l’État concerné dans telle ou telle matière. En
d’autres mots, le développement matériel du droit international ne supprime pas la fonction
législative de l’État par laquelle il fixe les règles régissant les rapports interindividuels des
personnes placées sous sa juridiction, et exécute ses obligations internationales. À l’évidence,
les sujets du droit international peuvent adopter des règles encadrant leur propre activité
normative dans tous les domaines, y compris ceux qui affectent le plus directement le rapport
de l’État aux personnes physiques et morales soumises à sa juridiction ou de ces personnes
entre elles ; cependant, loin de tendre à l’abolition de cette médiation interne, de telles
extensions du droit en soulignent avant tout la prégnance et le maintien incontournable dans
un système d’ordres juridiques essentiellement distincts et indépendants.1150 Ainsi, Michel
Virally conclut son article sur les rapports entre droit international et droits internes en
soulignant :
« [l]e droit international se développe dans une société caractérisée par le pluralisme des
ordres juridiques autonomes qui la composent et qui sont seuls à disposer des moyens
propres à assurer l'exécution forcée du droit. Il tient compte de cette situation en qualifiant
ces ordres étatiques de souverains et en reconnaissant leur capacité à soumettre aux normes
juridiques qu’ils créent eux-mêmes les rapports sociaux qui s’élaborent en leur sein. »1151
La protection de la fonction législative de l’État en tant que manifestation de la fonction de
gouvernement apparaît ainsi comme l’objectif primordial de la réserve de la compétence
nationale que ce soit dans les relations directes d’État à État ou dans les relations entre États
et organisations internationales. Cette perspective est envisagée par Gaetano Arangio-Ruiz
pour qui, dans le cadre des activités des organisations de coopération - activités
internationales, ou interétatiques, stricto sensu -, les actes ou faits internationaux sont adressés
exclusivement aux États et ne produisent des effets pour les particuliers que par le biais des
États. Par conséquent, « il incombera aux États ainsi visés d’adresser, à leurs sujets ou agents,
les indications normatives nécessaires moyennant les méthodes ou mécanismes d’usage dans 1150. P. BODEAU-LIVINEC, Le gouvernement de l’État…, op. cit., n. 1, p. 258. 1151.M. VIRALLY, « Sur un ont aux ânes… », op. cit. n. 2, p. 503.
391
le cadre des systèmes juridiques respectifs ».1152 Concernant les activités des organisations
d’intégration et de tous les organes internationaux pénétrant directement les ordres juridiques
étatiques, les actes ou faits accomplis par ces institutions s’adressent directement aux
particuliers. Une fois insérés dans l’ordre juridique national en vertu des règles étatiques
d’insertion, ces actes ou faits, malgré leur provenance extérieure, présentent, selon lui, « la
même nature de l’activité gouvernementale (lato sensu), normalement déployée par les États
eux-mêmes ». Il considère les activités de ces organisations d’intégration et autres organes
internationaux de ce type comme des activités gouvernementales ou étatiques. Par
conséquent, l’organe international de ce type peut et doit même « atteindre de façon directe
les membres de la communauté étatiques (les particuliers ou fonctionnaires) et éventuellement
les organes eux-mêmes de l’État afin de déployer à leur égard des fonctions de nature
gouvernementale ».1153 Ce pouvoir de l’organe international s’explique, selon lui, entre autres,
par le fait que les compétences de l’organe lui ont été transférées par les États dans l’acte
constitutif.
De cette vision, il ressort que la compétence nationale vise à protéger la souveraineté-
indépendance d’un État vis-à-vis des organismes internationaux et des autres États qui
peuvent, en fonction des relations juridiques les liant avec cet État, attendre de lui une action
ou une omission. En revanche ils (États et organisations internationales) ne peuvent pas
directement imposer aux particuliers de cet État les obligations découlant de la relation
juridique qui les lie avec leur État, ceci relevant du seul et exclusif pouvoir de l’État concerné.
Autrement dit, dans leurs relations avec un État donné, les autres États et les organismes
internationaux ont le pouvoir de s’emparer de toute affaire pour laquelle ils sont liés à lui par
une règle juridique. Mais, au contraire, ils ne sont pas compétents pour prendre à sa place les
dispositions normatives, administratives ou judiciaires nécessitées par l’obligation juridique
qui lie l’État à eux. En ce sens, se prononçait la C.P.A. en 1910 dans l’affaire des Pêcheries
de la côte septentrionale de l’Atlantique, ayant opposé les États-Unis et le Royaume-Uni.
Selon la Cour, les États-Unis ne pouvaient, sous prétexte de sauvegarder les droits
conventionnels de ses ressortissants, prétendre à un droit de regard sur l’exercice de sa
compétence législative par le Royaume-Uni ; une telle exigence, postulant l’illicéité du
comportement britannique, serait une ingérence dans ses affaires intérieures.1154
1152.G. ARANGIO-RUIZ, « Le domaine réservé… », op. cit., n. 1, p. 402. 1153.Ibid., p. 403. 1154.R.S.A., vol. XI, pp. 173 et s.
392
§ 2 : La protection de l’indépendance de la fonction gouvernementale dans les
activités opérationnelles des acteurs internationaux
L’exercice de la fonction gouvernementale ne se manifeste pas uniquement par l’activité
législative. Elle se traduit également par d’autres activités par lesquelles l’État exprime son
effectivité et sa puissance. Il s’agit notamment de tâches opérationnelles par lesquelles le
Gouvernement poursuit la réalisation de ses fonctions : activités administratives, exécutives et
judiciaires.
Face au développement des activités opérationnelles des acteurs internationaux comme les
organisations internationales gouvernementales et/ou non gouvernementales, les entreprises
multinationales, qui se déploient sur le territoire des États, la question de la protection de la
souveraineté-indépendance de ces derniers se pose avec acuité. Certes, elle se pose dans
divers domaines (économique notamment), mais le maintien de la paix internationale est
devenu l’une des activités opérationnelles à caractère international les plus développées et les
plus intrusives dans ce qui relève en principe de la compétence nationale. C’est pourquoi, à
travers ce paragraphe, nous voudrions appréhender la notion de domaine de compétence
nationale comme un moyen de protection de l’indépendance de la fonction gouvernementale
dans les activités opérationnelles de maintien de la paix. La réserve de la compétence
nationale justifie, en effet, le maintien de la compétence de principe des autorités nationales
dans des situations de conflits ayant nécessité le déploiement d’une opération de maintien de
la paix et même dans des situations exceptionnelles connues en droit international telles que
l’occupation militaire et l’administration internationale de territoire (1), mais également dans
les activités internationales de reconstruction post-conflit (2).
1. Le maintien de la compétence de principe des autorités nationales même en
cas de déploiement d’une opération de maintien de la paix, d’occupation
militaire ou d’administration internationale de territoire
L’une des principales conséquences juridiques de la souveraineté est que les actes des
autorités nationales jouissent d’une présomption de licéité. L’absence d’une autorité
supérieure à l’État confère à ses autorités une compétence originelle ou de principe qui leur
permet de manifester la puissance étatique tant dans l’ordre interne que dans les relations
internationales. Cette compétence nationale, expression juridique de la souveraineté de l’État,
393
est une compétence qui non seulement s’exerce prioritairement à la compétence internationale
ou extérieure, mais aussi s’exerce de manière indépendante et discrétionnaire. Cette qualité
souveraine ne caractérise pas les compétences exercées par les acteurs internationaux sur le
territoire d’un État. Celles-ci quoiqu’exercées sur le territoire d’un État et sur les personnes
placées sous sa juridiction, ne s’exercent qu’en appui ou de manière subsidiaire à la
compétence nationale. Ainsi, les organisations internationales, au cœur desquelles le principe
étatique reste toujours prédominant, demeurent encore, malgré leur autonomie apparente,
fondées sur des logiques interétatiques d’attribution de compétences, conditionnant ainsi leur
efficacité et leur efficience à la coopération pleine et entière des États membres.1155 À cet
égard, même si leurs activités opérationnelles peuvent restreindre la liberté des États
concernés, elles ne portent, cependant, pas atteinte à leur indépendance dans la mesure où ces
activités ne s’exercent pas de manière souveraine, générale, permanente et exclusive sur le
territoire et la population de ces États.
Cet état des choses est constatable dans les activités menées dans le cadre des opérations de
maintien de la paix, notamment en matière de maintien de l’ordre et de la sécurité publics.
Assurément, ces activités opérationnelles qui relèvent en principe des prérogatives du
gouvernement local sont en général exercées non pas de manière exclusive par les forces de la
paix, mais en collaboration avec les autorités nationales à qui, comme le rappelle
régulièrement le Conseil de sécurité, « il incombe au premier chef » la responsabilité
« principale », « prioritaire », « ultime » de garantir la sécurité et l’unité du territoire national
et d’en protéger la population civile.1156 Autrement dit, le déploiement d’une opération de
maintien de la paix, même avec un mandat étendu, ne remet pas en cause l’indépendance de
l’État où elle est déployée dont l’existence en tant que sujet de droit international n’est pas
remise en cause par le déploiement de cette opération en ce sens que les autorités nationales
conservent leur compétence de principe. Dès lors, paraphrasant Antoine Rougier1157, on peut
dire que toutes les fois qu’une intervention internationale a lieu dans un État en vertu des
règles relatives au maintien de la paix, à l’assistance humanitaire ou à la responsabilité de
protéger, cette intervention ne saurait s’appliquer qu’aux situations ayant justifié son
déclenchement et qui manifestent l’interdépendance entre les États. Les acteurs internationaux
ne sauraient en revanche intervenir dans les rapports de l’État avec ses propres sujets dans la
mesure où ces rapports ne présentent pas d’intérêt international et se trouvent dans le domaine
1155.Cf. F. ATTAR, Le droit international…, op. cit., n. 56, pp. 31-50. 1156.Voir par exemple S/PRST/2011/2, 21 janvier 2011 ; S/PRST/2011/4, 11 février 2011 ; S/RES/1645/ (2005), 20 décembre 2005, §§ 9-10 du préambule. 1157.A. ROUGIER, « L’intervention d’humanité », op. cit., n. 929, pp. 16 et s.
394
où les États sont pleinement indépendants. En d’autres termes, dans la sphère
d’interdépendance, l’intervention est permise et ne se heure pas au principe de non-ingérence.
Par contre, dans la sphère d’indépendance ou le domaine de compétence nationale d’un État,
l’intervention internationale est interdite car il s’agit du domaine des actes ou activités de
puissance publique, domaine où l’État doit rester seul maître de la décision. Il s’agit d’actes
ou activités tournés exclusivement vers l’ordre interne, donc sans aucun rapport avec l’ordre
international, ou même tournés vers l’ordre international, les actes ou les activités en question
relèvent d’une initiative des moyens et des méthodes d’exécution des obligations
internationales si discrétionnairement prise par l’État qu’elle ne donne pas lieu à une
quelconque conséquence sur les droits des autres États. En effet, ce domaine de compétence
nationale, cette sphère d’indépendance de l’État ne saurait disparaitre complètement sans que
ne disparaisse aussi la personnalité juridique de l’État. Dès lors, si les opérations de maintien
de la paix exercent un certain nombre de compétences, elles ne le font pas de manière
discrétionnaire et exclusive. Les autorités de l’État dans lequel sont déployées les missions de
maintien de la paix sont, à des degrés divers, impliquées dans la mise en œuvre de leur
mandat. D’ailleurs, dans les résolutions créant ces opérations, le Conseil de sécurité réaffirme
toujours, « son ferme attachement au respect de la souveraineté, de l’indépendance, de
l’intégrité territoriale et de l’unité » de l’État concerné.1158 C’est dans ce même esprit que,
dans sa résolution 49/37 du 9 décembre 1994, l’Assemblée générale
« [s]ouligne que le respect des principes de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de
l’indépendance politique des États ainsi que de la non-intervention dans les affaires qui
relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État revêt une importance cruciale
pour toute action collective, y compris les opérations de maintien de la paix, visant à servir la
paix et la sécurité internationales ».1159
L’indépendance de la fonction gouvernementale n’est pas non plus totalement remise en
cause dans les activités menées dans les situations d’occupation militaire. En effet, même si
l’armée ennemie ou l’occupant exerce l’ensemble ou certains des pouvoirs publics relevant
normalement des prérogatives du gouvernement local1160, l’occupation militaire n’est plus
1158.Voir par exemple la résolution 1528 du 9 mars 2004 créant l’ONUCI ; la résolution 1925 du 28 mai 2010 substituant la MONUSCO à la MONUC ; la résolution 2100 du 25 avril 2013 créant la MINUSMA, etc. 1159.Résolution intitulée Étude d’ensemble de toute la question des opérations de maintien de la paix sous tous leurs aspects, § 2. 1160.Voir C.E.D.H., Behrami et Behrami c. France et Saramati c. France, Norvège et Allemagne, 31 mai 2007. Relativement à la M.I.N.U.K. et à la K.F.O.R., la Cour indique que « le Kosovo, à l’époque des faits, se trouvait sous le contrôle effectif des présences internationales, lesquelles exerçaient les prérogatives de puissance publique qui étaient normalement l’apanage du gouvernement de la RFY », § 70. Voir également C.E.D.H., Bankovic et autres c. Belgique et 16 autres pays contractants, décision sur la recevabilité du 12 décembre 2001, § 71.
395
considérée comme entrainant un transfert de souveraineté de l’État occupé à la ou aux
puissance (s) occupante (s). Ces dernières n’exercent qu’un pouvoir de fait qui ne remet pas
en cause l’existence de l’État occupé en tant qu’État souverain. En effet, selon Charles
Rousseau, « le principal effet de l’occupation de guerre est, non pas de conférer à l’État
occupant ‘‘l’autorité étatique’’ sur la population du territoire occupé, mais d’entraîner une
substitution provisoire et limitée dans l’exercice de compétences relatives à l’aménagement et
au fonctionnement des services publics ».1161 Et l’auteur d’ajouter, dans un autre texte, que
l’occupation militaire d’un territoire étranger – en temps de paix ou en temps de guerre – est
un « des exemples concrets de situations juridiques où il y a exercice de compétence sans
souveraineté ».1162 De même, la jurisprudence estime que, « [q]uels que soient les effets de
l’occupation d’un territoire par l’adversaire avant le rétablissement de la paix, il est certain
qu’à elle seule cette occupation ne pouvait opérer le transfert de souveraineté ».1163
Il en résulte que, en dépit de l’occupation, l’État occupé demeure indépendant sur le plan
international et souverain sur le plan interne. C’est dans cette perspective que, durant
l’occupant anglo-américaine de l’Irak à partir de 2003, le Conseil de sécurité a, dans plusieurs
de ses résolutions, réaffirmé « l’attachement de tous les États Membres à la souveraineté de
l’Irak » et « le respect du principe selon lequel le peuple iraquien a le droit de déterminer lui-
même son avenir politique et de contrôler ses propres ressources naturelles ».1164 Dans sa
résolution 1511 (2003), le Conseil « soulign[e] que la souveraineté de l’Iraq réside dans l’État
iraquien, […] se déclar[e] de nouveau résolu à ce que le jour où les Iraquiens se gouverneront
eux-mêmes vienne rapidement… » Dans le paragraphe 1 de cette résolution, le Conseil de
sécurité réaffirme la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Iraq et souligne dans ce
contexte que l’Autorité provisoire de la coalition (l’Autorité) exerce à titre temporaire les
responsabilités, pouvoirs et obligations au regard du droit international applicable qui sont
reconnus et énoncés dans la résolution 1483 (2003), jusqu’à ce qu’un gouvernement 1161.C. ROUSSEAU, Le droit des conflits armés, Paris, Pedone, 1983, p. 141. Dans le même sens, le professeur Alain Pellet estime : « l’occupation apparaît comme une situation de fait, temporaire, qui justifie l’exercice par l’occupant de compétences territoriales étendues sur le territoire occupé, mais qui n’entraîne aucun transfert de souveraineté en sa faveur. Ces deux éléments, l’un positif – une occupation de fait justifiant l’exercice de compétences territoriales -, l’autre négatif – le non-transfert de souveraineté -, sont indissociables et sont, l’un et l’autre, des conditions nécessaires pour qu’il y ait occupation : en l’absence de contrôle effectif du territoire par l’armée ennemie, le régime juridique ne s’applique pas davantage que si la souveraineté change de titulaire et passe de l’occupé à l’occupant ; telle est l’essence même de l’institution juridique qu’est l’occupation », A. PELLET, « La destruction de Troie n’aura pas lieu », The Palestine Yearbook of International Law, 1987/88, vol. IV, p. 54. Auteurs cités par R. KHERAD, « La souveraineté de l’Irak à l’épreuve de l’occupation », op. cit., n. 1124, p. 145. 1162.Ch. ROUSSEAU, « L’aménagement des compétences en droit international », op. cit., n. 1065, p. 427. 1163.Sentence arbitrale rendue par E. Borel le 18 avril 1925 en l’affaire de la dette publique ottomane, R.S.A., I, p. 535. 1164.S/RES/1472 (2003) du 28 mai ; S/RES/1483 (2003) du 22 mai ; S/RES/1490 (2003) du 3 juillet ; S/RES/1546 (2004) du 8 juin ; etc.
396
représentatif internationalement reconnu soit mis en place par le peuple iraquien et assume les
responsabilités de l’Autorité… »
En prenant les précautions de rappeler ces principes, le Conseil semble souligner « qu’en
dépit de la défaite militaire, la souveraineté de l’Irak ne disparaît pas, puisqu’elle est garantie
par les principes de continuité et de permanence de l’État ».1165 Autrement dit, l’occupation
militaire ne supprime pas définitivement la compétence de principe des autorités nationales
dans l’exercice de la fonction gouvernementale. Cette compétence est seulement limitée voire
suspendue dans son exercice par les occupants le temps du rétablissement de la paix et de
meilleures conditions de sécurité et de stabilité. Mais il ne s’agit que d’une suspension de
facto, pour la durée de l’occupation, et non d’une suspension de jure. Dans tous les cas, les
autorités nationales ne sont pas formellement dépossédées de toutes leurs prérogatives de
puissance publique.
S’agissant enfin des situations d’administration internationale de territoire, là aussi,
l’indépendance de la fonction gouvernementale n’est pas totalement remise en cause par le
fait que l’organe international peut exercer des pouvoirs très étendus. Concernant l’étendue
des pouvoirs des acteurs internationaux dans l’administration internationale de territoire en
général et dans le cas du Kosovo en particulier, Yves Daudet souligne que :
« l’assistance constitutionnelle et gouvernementale s’étend à l’ensemble des prérogatives
régaliennes, désormais exercées à la place de la République fédérale de Yougoslavie et
permettant à l’administration des Nations Unies sous l’autorité du Représentant spécial du
Secrétaire général, d’organiser les pouvoirs publics, maintenir l’ordre et, de manière
générale, disposer du pouvoir normatif dans tous les domaines où cela est nécessaire. […]
Ainsi les divers domaines d’action qui sont normalement ceux d’un gouvernement sont-ils
couverts ».1166
Toutefois, cet exercice de compétences territoriales par les Nations Unies ne suffit pas à
conférer à l’organisation ou aux missions intérimaires (provisoires ou transitoires)
d’administration de territoire créées par elle les attributs d’un gouvernement ou d’un État. À
cet égard, le professeur Pierre Bodeau-Livinec souligne que « les termes employés par le
Conseil de sécurité lors de la création de la MINUK sont emblématiques des précautions
locutoires prises pour éviter de conférer expressément à la mission les attributs d’un
1165.R KHERAD, « La souveraineté de l’Irak à l’épreuve de l’occupation », op. cit., n. 1124, p. 145. 1166.Y. DAUDET, « L’exercice de compétences territoriales par les Nations Unies », op. cit., n. 519, p. 51.
397
gouvernement »1167. La MINUK n’avait pas, en effet, pour mandat de préparer l’indépendance
du Kosovo et donc de créer un nouvel État, mais d’assurer « la mise en place et la supervision
d’institutions d’auto-détermination démocratiques provisoires nécessaires pour que tous les
habitants du Kosovo puissent vivre en paix et dans des conditions normales ».1168 Pour se
faire, elle devait « faciliter, en attendant un règlement définitif, l’instauration au Kosovo
d’une autonomie et d’une auto-administration substantielles » dont la population pourrait
jouir « au sein de la République fédérale de Yougoslavie ».1169
Il en résulte que, si ces missions possèdent des « structures et des fonctions pré-
gouvernementales » selon l’expression du professeur Gérard Cahin1170, il n’en demeure pas
moins vrai que la souveraineté-indépendance de l’État dans lequel elles se déploient persiste
du point de vue du droit international. En d’autres mots, ces missions s’exercent au sein d’un
État indépendant et visent seulement à favoriser l’avènement d’une situation durable de paix
et de stabilité. Dans cette mesure, la compétence de l’organe international revêt un caractère
purement fonctionnel qui ne s’accompagne d’aucune souveraineté, contrairement à la
compétence nationale. Cette compétence de l’organe international ne s’exerce pas
conformément aux principes directeurs régissant le mode d’exercice des compétences
étatiques en droit international tels qu’identifiés par Charles Rousseau. En effet, alors que la
compétence nationale s’exerce selon les principes d’indépendance, d’exclusivité, d’égalité et
d’abstention1171, la compétence internationale s’exerce de manière fonctionnelle, souvent
partielle, non exclusive. À cet égard, Yves Daudet souligne, à juste titre, que :
« La compétence des Nations Unies ne repose pas sur une souveraineté territoriale complète mais
sur une souveraineté de nature fonctionnelle, se caractérisant par un découplage entre la
souveraineté au sens de propriété sur une partie du territoire et la souveraineté au sens d’exercice
d’un pouvoir de juridiction et de contrôle sur un territoire. Les Nations Unies ne disposent donc
pas de la généralité et de l’exclusivité de la compétence territoriale. Leur compétence
fonctionnelle est incomplète ou partagée, soit qu’elle ne s’applique qu’à certains secteurs de
l’activité étatique ou ne connaisse qu’une effectivité partielle, soit qu’elle s’exerce en
collaboration avec d’autres institutions internationales ou avec l’État lui-même. […] La
1167.P. BODEAU-LIVINEC, Le gouvernement de l’État…, op. cit., n. 1, p. 51. 1168.S/RES/1244 (1999), 10 juin 1999, § 11 c). 1169.Ibid., § 11 a) et annexe 2 § 5 ; v. E. LAGRANGE, « La Mission intérimaire des Nations Unies au Kosovo… », op. cit., n. 865, pp. 335-370 ; C.I.J., Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif précité, note 272, §§ 99 et 114. Sur le Timor oriental voir la résolution S/RES/1272 (1999) du 25 octobre 1999 ; G. CAHIN, « L’action internationale au Timor oriental », op. cit., n. 865, pp. 139-175, (italiques ajoutés). 1170.G. CAHIN, « L’action internationale au Timor oriental », op. cit., n. 865, p. 158. 1171.Sur la signification et les implications de chacun de ces principes, se reporter à l’article de Charles ROUSSEAU sur, « L’aménagement des compétences en droit international », op. cit., n. 1065, pp. 438 et s.
398
compétence des Nations Unies en matière d’administration territoriale est limitée dans le temps
car elle est par essence essentiellement temporaire ou transitoire : elle ne vise pas à installer
durablement les Nations Unies sur un espace. Tout au contraire, l’action de l’Organisation
internationale est tendue vers une restitution aussi rapide et complète que possible aux autorités
locales ou vers l’établissement d’un pouvoir assez raisonnablement consolidé pour être transmis.
La philosophie de la présence des Nations Unies repose donc sur le provisoire. »1172
Ces constatations mettent en exergue le caractère exceptionnel et singulier des fonctions
gouvernementales directes, notamment de nature législative, administrative, réglementaire ou
judiciaire, exercées par des organes internationaux notamment des Nations Unies à l’intérieur
d’un État indépendant. Ici, la réserve de la compétence nationale joue un rôle de protection de
la compétence originelle des autorités nationales qui, compte tenu des nécessités de la
situation objective qui prévaut dans le pays (défaite militaire en cas d’occupation,
déploiement d’une opération de maintien de la paix ou d’une mission internationale
d’administration de territoire en vertu du Chapitre VII de la Charte), sont tenues d’accepter la
collaboration, voire la substitution d’autorités internationales dans l’exercice de la fonction
gouvernementale. On doit cependant noter, avec Charles Rousseau, que dans ces cas et
contrairement à la compétence nationale, la compétence internationale n’est ni originaire
(puisque déterminée par une décision internationale), ni discrétionnaire (puisque soumise à un
contrôle international), ni perpétuelle (puisqu’elle disparaîtra le jour où l’État concerné aura
les moins de ressaisir ses pouvoirs momentanément « abandonnés »).1173
2. Le maintien de la compétence prioritaire des autorités nationales dans le
processus de reconstruction post-conflit de l’État
Nous avons déjà vu que la reconstruction de l’État défaillant ou déstructuré par un conflit
interne est devenue une partie intégrante, voire une priorité de la consolidation de la paix.
L’action internationale dans ce domaine obéit tout de même à un certain nombre de principes
directeurs qui visent à sauvegarder la compétence nationale et l’indépendance des États
concernés. En effet, si la société internationale, à travers les institutions par lesquelles elle
agit, dispose de responsabilités étendues dans le processus de consolidation de la paix ou de
reconstruction des États en sortie de crise, ceux-ci conservent, malgré tout, leur compétence
prioritaire, originaire qu’ils tiennent de leur qualité d’État souverain. En d’autres termes, la
1172.Y. DAUDET, « L’exercice de compétences territoriales par les Nations Unies », op. cit., n. 519, p. 38. 1173.Cf. C. ROUSSEAU, « L’aménagement des compétences en droit international », op. cit., n. 1065, p. 440.
399
responsabilité de la reconstruction de l’État relève avant tout de la compétence de celui-ci
même si elle nécessite l’implication de divers acteurs internationaux. À ce titre, la
reconstruction de l’État déliquescent ou déchiré par un conflit interne se présente comme « un
processus essentiellement endogène mais toujours plus ou moins internationalisé ».1174 Les
institutions internationales, celles de la « famille des Nations Unies » en particulier toujours
présentes, n’interviennent que pour accompagner et superviser le processus jusqu’à son
aboutissement.
Dans la phase de consolidation de la paix ou de reconstruction post-conflit, il est clairement
affirmé le principe de la responsabilité prioritaire de l’État et des autorités nationales. Dans
son Rapport sur la Consolidation de la paix au lendemain d’un conflit, le Secrétaire général
des Nations Unies, Ban Ki-Moon, souligne que « la consolidation de la paix incombe
essentiellement aux acteurs nationaux »1175. Le Conseil de sécurité rappelle ce principe de
manière récurrente. Dans la Déclaration de son président du 21 janvier 2011, il « affirme que
la prise en main de leurs intérêts et l’exercice de leurs responsabilités par les États est une
condition essentielle de l’instauration d’une paix durable ». À ce titre, « il réaffirme que,
lorsqu’un pays émerge d’un conflit, c’est avant tout aux autorités nationales qu’il incombe de
définir les priorités et la stratégie de consolidation de la paix dans une perspective de prise en
main du sort du pays. »1176 Dans le même esprit, il « souligne que la consolidation de la paix
incombe avant tout aux gouvernements et aux acteurs nationaux compétents, notamment à la
société civile, dans les pays qui sortent d’un conflit et que l’Organisation des Nations Unies
peut jouer un rôle décisif en les aidant à développer leurs institutions. »1177 Déjà en 2005, il
« affirma[it] que là où elles sont en place, il appartient au premier chef aux administrations et
autorités ou administrations et autorités de transition des pays où un conflit vient de prendre
fin ou risque de reprendre de définir les priorités et stratégies qui régiront l’entreprise de
consolidation de la paix, celle-ci devant être prise en main par les pays eux-mêmes »1178. Dès
1174.CAHIN G., « Le droit international face aux ‘‘États défaillants’’ », op. cit., n. 780, p. 96. 1175.Rapport du Secrétaire général, Consolidation de la paix au lendemain d’un conflit, A/63/881 – S/2009/304, 11 juin 2009, § 4. 1176.S/PRST/2011/2, 21 janvier 2011. 1177.S/PRST/2011/4, 11 février 2011. Durant la crise malienne, le Conseil a également rappelé, à maintes reprises, « le fait que c’est aux autorités maliennes qu’il incombe au premier chef de régler les crises interdépendantes auxquelles le pays doit faire face, et qu’un règlement durable de la crise malienne ne peut être trouvé que sous la prééminence du Mali », S/RES/2085 (2012) du 20 décembre 2012, considérant 13 du préambule ; S/RES/2071 (2012) du 12 octobre 2012, considérant 5 du préambule ; S/RES/2100 (2013) du 25 avril 2013, considérant 21 du préambule. 1178.S/RES/1645/ (2005), 20 décembre 2005, § 9 du préambule. Aux termes de la Déclaration sur le relèvement et la reconstruction du Cambodge annexée aux Accords de Paris signés le 23 octobre 1991 (A/46/60 – S/23177, 30 octobre 1991), « c’est au peuple cambodgien et à son gouvernement issu d’élections libres et équitables que doit incomber principalement la responsabilité de décider des besoins et des projets concernant la reconstruction
400
lors, selon le Conseil, « il importe de soutenir les efforts des pays qui tentent de créer des
institutions ou de rétablir ou réformer celles qui existent au lendemain d’un conflit afin
d’assurer une bonne administration, et notamment d’aider les pays à renforcer leurs
capacités »1179.
La récurrence de « l’affirmation d’une « responsabilité » principale ou prioritaire de l’État
dans sa (re)construction et de celle, moins subsidiaire qu’auxiliaire, de l’ONU et des autres
acteurs internationaux, […] dans les résolutions qui décident d’une opération de paix chargée
d’apportée une assistance aux autorités nationales » conduit le professeur Gérard Cahin « à y
voir l’expression d’un principe directeur de l’action internationale de (re)construction des
États défaillants. »1180 À l’évidence, en dépit de leur déliquescence ou de leur déstructuration,
les États défaillants ou en sortie de crise interne conservent malgré tout leur qualité d’État
souverain et indépendant qui s’exprime par la priorité de la compétence ou de la
responsabilité de leurs autorités nationales vis-à-vis de celles des Nations Unies et des autres
acteurs internationaux.
Dans cette contexte, la réserve de compétence nationale apparaît comme un moyen de
protection de la souveraineté-indépendance de l’État qui, malgré sa situation interne
constitutive d’une menace contre la paix ayant justifié l’action du Conseil de sécurité au titre
du chapitre VII, ne saurait se voir imposer de l’extérieur les priorités et les stratégies de sa
reconstruction ou encore un modèle de gouvernance déterminé. C’est pour maintenir la
compétence des autorités nationales et éviter qu’elles ne se sentent pas envahies de l’extérieur
que, semble-t-il, le Conseil « met l’accent […] sur l’importance de l’appropriation
nationale. »1181 Il s’agit, de la part des acteurs internationaux, de « veiller à ne pas confisquer
ou monopoliser la responsabilité politique sur le terrain »1182. En effet, comme l’a si bien
souligné la C.I.I.S.E.,
« un programme de reconstruction et de relèvement qui ne tient pas suffisamment compte
des priorités locales et exclut le personnel local peut créer une dépendance malsaine à
l’égard de l’autorité intervenante, gelant la renaissance des institutions et de l’économie du
pays, et repousser à toujours plus tard toute possibilité, pour la population, de manifester son
du Cambodge. Aucune tentative ne devrait être faite, de la part d’une source extérieure quelle qu’elle soit, pour imposer au Cambodge une stratégie de développement ou pour dissuader les éventuels donateurs de participer à sa reconstruction », §§ 2-3. 1179.S/RES/1645/ (2005), 20 décembre 2005, § 10 du préambule.
1180.CAHIN G., « Le droit international face aux ‘‘États défaillants’’ », op. cit., n. 780, p. 81. 1181.S/PRST/2011/4, 11 février 2011. 1182.Rapport C.I.I.S.E. sur la responsabilité de protéger, préc., n. 943, § 5.30.
401
souhait de reprendre de nouveau son sort entre ses mains et de se doter des moyens
nécessaires. »1183
De toute évidence, les activités internationales de reconstruction post-conflit de l’État ne
remettent pas en cause la compétence prioritaire et originaire des autorités nationales en ce
sens que ces activités visent moins à remplacer l’État territorial qu’à le renforcer dans ses
capacités afin qu’il puisse assumer effectivement les prérogatives dérivant de sa souveraineté.
L’affirmation et le rappel récurrents du rôle auxiliaire des Nations Unies et de la communauté
internationale dans les opérations de maintien ou de consolidation de la paix montrent bien
que l’exercice des activités internationales dans ces domaines n’entraîne pas un transfert de
souveraineté de l’État concerné vers les autorités internationales. Ces activités consistent plus
à apporter une assistance aux autorités nationales dans l’exercice de la fonction
gouvernementale.
De ces considérations, on peut conclure que le domaine de compétence nationale apparaît non
pas comme expression de la liberté de l’État arrimée à des matières, mais comme un critère
incompressible de sauvegarde de la souveraineté-indépendance de l’État. Il traduit
l’indépendance des gouvernants de l’État qui ne sont pas soumis à l’autorité des Nations
Unies et des autres acteurs internationaux exerçant des activités opérationnelles sur le
territoire étatique. De ce point de vue, la notion de domaine de compétence nationale vise à
sauvegarder l’indépendance de la fonction gouvernementale à l’égard des organes
internationaux. Elle signifie que l’action normative, exhortatoire ou opérationnelle extérieure
de la part d’un organe international ne doit pas impliquer « une substitution interpositoire de
l’organe de l’État à l’égard duquel l’action aurait dû être déployée »1184. Si cela arrivait, l’État
destinataire perdrait son indépendance. À cet égard, la fonction de gouvernement apparaît
comme l’apanage de l’État, car les autres sujets de droit international n’ont pas en principe
vocation à assumer cette fonction gouvernementale de manière générale et permanente tant
qu’ils n’auront pas accédé à la qualité d’État. Autrement dit, les situations dans lesquelles des
organes internationaux ou des États exercent sur le territoire d’un État des compétences
territoriales étendues ne remettent pas en cause la souveraineté-indépendance de l’État
incarnée par le gouvernement, même si elles limitent plus ou moins sa liberté.
1183.Rapport C.I.I.S.E. sur la responsabilité de protéger, préc., n. 943, § 5.27. Le Secrétaire général estime, à ce titre, que « le rôle de l’ONU et de la communauté internationale devrait être de se montrer solidaires des initiatives locales, et non de se substituer à elles. », S/2004/616, §§ 17. 1184.G. ARANGIO-RUIZ, « Le domaine réservé… », op. cit., n.1, p. 295.
402
Section 2 : Le domaine de compétence nationale comme protection du fait
primaire étatique : l’insubordination organique des États
L’État est un sujet initial ou originaire ; son existence ne découle d’aucun autre sujet. Il
possède à ce titre un certain nombre d’attributs qui lui sont consubstantiels et qui le
distinguent des autres sujets de droit international. Parmi ces derniers, il y a la souveraineté,
qui manifeste réellement sa singularité. Dans sa dimension externe, la souveraineté signifie
que, dans leurs relations réciproques, les États ne sont soumis à aucun pouvoir supérieur,
aucune autorité humaine établie1185, mais au seul droit international. Sous ce rapport, la
souveraineté équivaut à l’indépendance.1186 Elle est l’expression et la garantie de
l’indépendance de fait des États ; elle signifie le droit à l’exercice exclusif de la plénitude des
compétences et des pouvoirs étatiques, et l’insubordination juridique de l’État à une volonté
extérieure à la sienne.
Cette acception de la souveraineté et des caractères général et exclusif de la compétence
territoriale a été clairement mise en évidence par Max Huber dans la célèbre sentence rendue
dans l’affaire de l’Ile de Palmas. Selon l’arbitre,
« la souveraineté dans les relations entre États signifie l’indépendance. L’indépendance
relativement à une partie du globe est le droit d’y exercer à l’exclusion de tout autre État les
fonctions étatiques. Le développement de l’organisation nationale des États durant les
derniers siècles et, comme corolaire, le développement du droit international ont établi le
principe de la compétence exclusive de l’État en ce qui concerne son propre territoire, de
manière à en faire le point du règlement de la plupart des questions qui touchent aux rapports
internationaux. »1187
Dans cette perspective, la notion de domaine de compétence nationale peut être envisagée
comme un moyen de protection de la souveraineté-indépendance des États dans leurs rapports
entre eux d’une part, et avec les organisations internationales d’autre part. Cela signifie que 1185.J. BASDEVANT, « Règles générales du droit de la paix », R.C.A.D.I., t. 58, 1936-IV, pp. 471 et s., Chap. VI : « Condition juridique de l’État : 1. Souveraineté de l’État », p. 578. 1186.Voir en ce sens A. TRUYOL SERRA, « Souveraineté », in Vocabulaire juridique fondamental du droit, A.P.D., 1990, p. 323. 1187.R.S.A., vol. II, p. 281. Texte français, traduction de Charles Rousseau, in R.G.D.I.P. 1935, pp. 156-202, spéc. pp. 163-165. C’est cette conception e la souveraineté que propose Juan Antonio Caricillo-Salcedo lorsqu’il écrit : « La souveraineté ne signifie pas que les États ne sont soumis à aucune règle juridique, mais plutôt qu’il n’existe pas une autorité instituée qui leur soit supérieure. Autrement dit, en dehors du droit international, les États indépendants et souverains n’ont au-dessus d’eux aucune autorité », J. A. CARICILLO-SALCEDO, « Droit international et souveraineté des États.. », op. cit., n. 141, p. 44.
403
ces dernières ne constituent pas des structures organiques supérieures aux États, mais aussi
qu’aucun État n’est, du point de vue juridique et organique, supérieur à un autre : c’est donc
l’égalité souveraine qui prévaut. À cet égard, la réserve de la compétence nationale s’oppose à
toute logique subordinatrice des organisations internationales. Elle interdit, ainsi, toute
caractérisation étatique, fut-elle fédérale, des organisations internationales (§ 1), mais
également, elle se présente comme un obstacle aux tentations éventuelles de prévalence du
pouvoir d’un État ou d’un groupe d’États sur un autre (§ 2).
§ 1 : La réserve de la compétence nationale contre toute caractérisation étatique,
fut-elle fédérale, des organisations internationales
Dans son avis consultatif du 11 avril 1949, la C.I.J. a rappelé que « [1]es sujets de droit, dans
un système juridique, ne sont pas nécessairement identiques quant à leur nature ou à l'étendue
de leurs droits »1188. Cette assertion est confirmée, dans l’ordre international, par l’absence de
toute subordination organique des États à d’autres sujets du droit international.
L’insubordination des États traduit l’altérité de ces sujets originaires par rapport à tous les
autres acteurs de la scène internationale, et s’incarne dans l’impératif d’indépendance.
Dans la mesure où la notion de domaine de compétence nationale exprime la souveraineté-
indépendance de l’État à travers l’autonomie de la fonction de gouvernement propre à l’État,
elle manifeste son insubordination organique dans les relations internationales et, à ce titre, se
présente comme une limite à une éventuelle caractérisation étatique de l’O.N.U. et, de la
même manière, contre l’éventualité d’une évolution fédérale de l’organisation mondiale (1).
Dans la même perspective, mais du point de vue des organisations d’intégration régionale ou
sous-régionale comme l’U.E., la notion de domaine de compétence nationale exprime la
persistance de l’indépendance des États membres (2) en dépit des nombreux transferts de
compétences souveraines qu’ils ont opérés au profit de l’organisation.
1188.Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, avis consultatif précité, note 48, p. 178.
404
1. La réserve de la compétence nationale comme limite à une éventuelle
évolution fédérale des Nations Unies
Étant donné qu’il n’est plus possible, comme l’a noté le professeur Robert Kolb, d’établir une
liste exhaustive des matières auxquelles le droit international s’applique et peut
potentiellement s’appliquer1189, le domaine de compétence nationale matériellement conçu est
donc appelé à disparaître un jour. Or, cette notion de domaine de compétence nationale étant
irréductible de l’existence de l’État et du droit international constitue une règle et non une
exception en droit international. En effet, les États ne sont pas des créatures de l’ordre
juridique international1190 et le droit international est le produit de la coexistence des États.
Comme le soulignait Charles Dupuis,
« le droit international […] s’est formé des renonciations et abandons partiels de
souveraineté, expressément ou tacitement consentis par la volonté des États. De telle sorte
que le domaine réservé et la compétence exclusive, loin d’être l’exception, sont la règle et
que, quelque nombreuses que puissent être les abandons, la souveraineté ne demeure pas
moins la règle ».1191
Dans cette mesure, la disparition du domaine de compétence nationale signifierait qu’on n’est
plus dans une société interétatique mais plutôt dans un État mondial ou un super-État qui
absorberait les autres États. C’est pourquoi Charles Dupuis se demandait si la disparition du
domaine réservé à la compétence nationale
« n’entraînerait-il point dans sa chute le droit international […] s’évanouissant dans la
souveraineté solitaire du super-État, qui aurait absorbé, dans son omnipotence, toutes les
souverainetés particulières ruinées au bénéfice de la sienne, à qui seul appartiendraient le
commandement et le pouvoir d’assurer l’exécution de ses commandements. »1192
Si l’évolution vers la création d’un tel super-État est théoriquement envisageable, elle ne
semble toutefois pas être la conséquence immédiate des bouleversements affectant la société
internationale et le droit international depuis la fin de la première guerre mondiale. La société
internationale contemporaine, quoique mondialisée, reste fortement caractérisée par la
1189.R. KOLB, « Mondialisation et droit international », op. cit., n. 46, p.78. 1190.Comme le souligne Juan Antonio Caricillo-Salcedo : « les États ne sont pas des créatures de l’ordre juridique international : ils existent per se et de facto ; le droit international ne peut leur conférer la souveraineté, et il se limite à en prendre acte et à leur offrir sa protection. La souveraineté des États n’est donc pas une délégation du droit international. », in « Droit international et souveraineté des États.. », op. cit., n. 141, p .44). 1191.C. DUPUIS, « Règles du droit de la paix », op. cit., n. 1028, p. 91 1192 .Ibid., p. 88.
405
persistance de sa nature interétatique et le droit international profondément marqué du sceau
de la souveraineté. La souveraineté des États demeure encore de mise dans les relations
internationales, si toutefois elle est entendue comme indépendance et « caractérise une entité
dans la mesure où elle est exempte de l’emprise d’un ordre interindividuel plus large et
directement supra-ordonné. »1193 La preuve en est que les organisations internationales, que
d’aucuns pourraient voir comme des concurrents des États, sont le résultat de l’exercice par
ces derniers de leur souveraineté. C’est en manifestant leur souveraineté que les États
participent en tant que membres à une organisation internationale. À ce titre, la S.D.N, l’une
des premières organisations internationales de caractère politique et à compétence générale,
n’a pas remis en cause cette souveraineté-indépendance car, comme l’écrit Oppenheim,
« [i]l est certain que la Société n’est pas ce que beaucoup espéraient qu’elle serait : un super-
État… La Société ne possède pas une souveraineté quelconque et elle n’a point de pouvoirs
constitutionnels sur les États qui en sont membres. La souveraineté de ces États demeure
complétement intacte, pourvu qu’on n’attribue pas à l’idée de souveraineté une signification
qu’elle n’a jamais eue ».1194
On peut en dire de même à propos de l’O.N.U. À la fois acteur et cadre mondial de
l’évolution du droit international et de transformation de la société internationale,
l’Organisation mondiale reste, malgré tout, fondée sur le principe de « l’égalité souveraine »
des États membres et du respect de la compétence nationale des États comme il est stipulé
dans son article 2 respectivement aux paragraphes 1 et 7 de la Charte de San Francisco. À cet
égard, même si la C.I.J. est arrivée à la « conc1usion que l'Organisation est une personne
internationale », elle a, cependant, jugé que cela « n'équivaut pas à dire que l'organisation soit
un État, ce qu’elle n'est certainement pas, ou que sa personnalité juridique, ses droits et ses
devoirs soient les mêmes que ceux d'un État. Encore moins cela équivaut-il à dire que
l'Organisation soit un « super-État »1195.
Les organisations internationales en général et les Nations Unies en particulier, n’étant donc
pas des États, l’exception de la compétence nationale interdit qu’elles usent de leurs
1193.G. ARANGIO-RUIZ, « Le domaine réservé… », op. cit., n. 1, p. 445. 1194.L. OPPENHEIM, « Les caractères essentiels de la Sociétés des Nations », R.D.I.L.C., 1919, pp. 234 et s., p. 237. 1195.Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, avis précité, note 48, p. 178. A. VERDROSS souligne dans le même sens : « sans compétence autonome […] les États cesseraient d’exister et avec eux aussi le droit international, pour faire place à un État mondial. Une telle évolution est naturellement possible. Mais l’Organisation des Nations Unies n’est pas un super-État, car elle reconnaît expressément l’article 2 § 1 de la Charte « l’égalité souveraine » des États membres. Toute interprétation de son article 2 § 7 doit donc tenir compte de cette situation juridique », A. VERDROSS, « La ‘‘compétence nationale’’ dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies et l’indépendance des États », op. cit., n. 1, p. 319.
406
compétences étendues pour concurrencer ou remplacer un État membre dans l’exercice de la
fonction gouvernementale. La réserve de la compétence nationale apparaît ainsi comme une
limite à toute éventuelle évolution ou transformation de l’Organisation mondiale en un État,
mondial ou un super-État, fut-il fédéral. Dès lors, on peut dire que la notion de domaine de
compétence nationale vise non à conférer aux États une liberté de décision et d’action arrimée
à des matières bien définies (ce qui ressort de la doctrine dominante du domaine réservé),
mais à protéger l’indépendance de l’État dans des domaines même régis par le droit
international et/ou dans lesquels il est tenu par des obligations internationales contractées dans
le cadre d’organisations internationales. Autrement dit, ces organisations qui créent à la
charge des États un certain nombre d’obligations internationales limitent par là même
occasion la liberté de décision et d’action de ces États dans différentes matières, mais elles ne
suppriment nullement leur indépendance qui, d’après Anzilotti, « […] n’est autre chose que
l’existence […] comme État séparé et non soumis à l’autorité d’aucun État ou groupe
d’États. » Dans cette optique,
« l’indépendance […] n’est au fond que la condition normale des États d’après le droit
international : elle peut être aussi bien qualifiée comme souveraineté (suprema potestas) ou
souveraineté extérieure, si l’on entend par cela que l’État n’a au-dessus de soi aucune
autorité, si ce n’est celle du droit international. »1196
L’indépendance (la souveraineté) étant le véritable critère de l’État en droit international,
toutes les organisations internationales, les Nations Unies en particulier, demeurent, malgré
leur personnalité juridique distincte de celle des États membres et les larges compétences dont
elles sont investies, dépourvues de cette qualité. À ce titre, la qualification d’État ne saurait
s’appliquer à leur statut. C’est dans cette perspective que l’article 2, § 7 de la Charte de
l’O.N.U. joue un rôle de garde-fou s’opposant à toute velléité de l’Organisation mondiale de
subordonner l’exercice de la fonction gouvernementale constitutive de l’État, ou d’exercer des
pouvoirs supranationaux. La réserve interdit que les rapports entre l’organisation et les États
membres soient établis sur une logique de subordination ou de domination comme celle qui
existe dans l’ordre interne entre l’État, d’une part, et ses sujets et subdivisions, d’autre part.
Par conséquent, la caractérisation étatique ainsi que l’analogie fédérale ne s’appliquent pas
aux Nations Unies encore moins à la société internationale. Telles qu’elles ont toujours
fonctionné et telles qu’elles continuent de se structurer et de fonctionner, les Nations Unies
1196.Opinion dissidente dans l’affaire du Régime douanier entre l’Allemagne et l’Autriche, C.P.J.I., série A/B n° 41, p. 57.
407
comme la société internationale sont dépourvues de fonctions gouvernementales comparables
à celles qui se déploient dans le cadre étatique. La référence aux notions de « gouvernement »
ou de « gouvernance » mondial(e) ne traduit nullement l’idée que l’O.N.U. et la société
internationale en général ont atteint un certain degré d’intégration à tel point que la fonction
gouvernementale essentiellement réservée à l’État leur soit reconnue. De surcroît, la notion de
communauté internationale semble même inadaptée à la réalité du système interétatique
actuel. En effet, « la société internationale est une société de superposition ; elle est séparée
du milieu humain réel par l’écran des sociétés nationales ; la communauté internationale n’a
ni citoyens propres, ni langue propre ».1197 La communauté internationale ne dispose pas de
représentants qui parlent et agissent en son nom. Ceux qui l’invoquent le font généralement
dans le sens de leurs intérêts particuliers. Les États continuant encore de garder une certaine
emprise sur les autres sujets du droit international, la configuration interétatique de l’ordre
juridique international reste toujours une réalité prégnante de la société internationale.
L’individualisme étatique, donc la souveraineté, reste prise en compte au sein même des
organisations internationales. C’est cet individualisme qu’entend préserver l’article 2,
paragraphe 7 de la Charte des Nations Unies, et qui subsiste encore dans les organisations
d’intégration régionale ou sous régionale.
2. L’inaliénation de l’indépendance des États membres des organisations
d’intégration régionale : l’exemple de l’U.E.
Nous avons vu dans la première partie de ce travail1198 que le développement du phénomène
d’intégration communautaire s’accompagne de nombreux transferts de compétences des États
membres à l’organisation d’intégration régionale ou sous-régionale et de l’affirmation
d’institutions supranationales qui, dans une certaine mesure, se substituent aux États dans
l’exercice de certaines fonctions et compétences. Dans les nombreux domaines concernés par
ces transferts de compétences, les États ont limité leurs droits souverains au profit de l’ordre
juridique communautaire ; et l’U.E. exerce une compétence exclusive dans de nombreuses
matières. Aussi, l’importance des principes d’effet direct, de primauté du droit
communautaire ou encore celui de subsidiarité qui caractérisent cette organisation
d’intégration1199 n’est pas sans soulever la question de la persistance de l’indépendance des
États membres et donc de leur existence en tant qu’États selon le droit international. Dans
1197.P. REUTER, « Principes de droit international public », R. C.A.D.I., t. 103 (1961-III), p. 435. 1198.Cf. supra Première partie, Titre I, Chapitre II, section 2.
1199.Ibid.
408
cette mesure, le développement du phénomène d’intégration régionale pousse aussi à
s’interroger sur l’émergence sur la scène internationale d’une structure fédérale englobant les
États membres devenus États ou entités fédérés, et jouissant seule à ce titre de l’indépendance
et donc de la souveraineté internationale.
Et pourtant, à l’analyse, l’U.E. l’exemple le plus poussé d’intégration régionale, demeure une
organisation internationale. Comme telle, en dépit des singularités qui la caractérisent, elle
fonctionne non selon les principes de l’analogie fédérale mais plutôt selon ceux régissant
« toute organisation instituée par un traité ou un autre instrument régi par le droit international
et dotée d’une personnalité juridique internationale propre ».1200 En effet, selon l’article 1er du
T.U.E., ce sont les États membres qui attribuent à l’Union des compétences pour atteindre
leurs objectifs communs. Le paragraphe 1 de l’article 5 précise que « le principe d'attribution
régit la délimitation des compétences de l'Union… », et le paragraphe 2 stipule qu’ « [e]n
vertu du principe d'attribution, l'Union n'agit que dans les limites des compétences que les
États membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités
établissent. Toute compétence non attribuée à l'Union dans les traités appartient aux États
membres. » Cela signifie que, comme toute organisation internationale intergouvernementale
et à la différence des États, l’U.E. ne jouit pas de compétences originaires et générales.
Comme toutes les organisations internationales, elle demeure régie par les principes
d’attribution et donc de spécialité. À ce titre, elle ne remet pas en cause la souveraineté-
indépendance de ses États membres. Selon l’article 4, paragraphe 2 du T.U.E.,
« L'Union respecte l'égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité
nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y
compris en ce qui concerne l'autonomie locale et régionale. Elle respecte les fonctions
essentielles de l'État, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité territoriale,
de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. En particulier, la sécurité
nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre. »
En clair, quels que soient le degré de l’intégration et les « multiples manifestations du
tropisme gouvernemental qui l’anime »1201, l’U.E. n’a pas remis en cause le monopole
1200.Selon la définition provisoirement adoptée par la C.D.I. dans le projet d’articles sur la responsabilité des organisations internationales (projet d’article 2 ; v. Rapport C.D.I. 2003, Doc. A/58/10 (Supplément n° 10), p. 24). 1201.P. BODEAU-LIVINEC, « Le domaine réservé : persistance ou déliquescence… », op. cit., n. 1, p. 169 ; le même, « La notion de ‘‘gouvernement’’ de l’Union européenne : éléments de réflexion », in M. BENLOLO-CARABOT et al. (dirs), Union européenne et droit international. En l’honneur de Patrick Daillier, Paris, Pedone, 2012, pp. 221-230.
409
étatique de l’exercice de la fonction gouvernementale encore moins l’indépendance des États
membres. Malgré l’élargissement des compétences matérielles de l’U.E., la substance même
de la fonction gouvernementale continue de relever de la responsabilité des États membres et
donc du domaine de compétence nationale : le maintien de l’ordre et de la sécurité,
l’attribution de la nationalité, l’organisation de la structure politique et administrative de
l’État, la défense nationale, etc. Ainsi, même s’il existe une citoyenneté européenne, celle-ci
ne remplace pas la citoyenneté nationale de chaque État membre ; elle s’y ajoute.1202 Par
conséquent, la caractérisation étatique et l’analogie fédérale ne peuvent, en l’état actuel de
l’ordre juridique de l’U.E., lui être appliquées. C’est d’ailleurs ce qu’affirme Charles Leben
lorsqu’il écrit :
« ou bien les rapports entre États membres de la Communauté [actuellement de l’Union] ne
sont plus du tout régis par du droit international et on se situe alors au sein d’un État fédéral,
les relations entre entités composantes étant régies par du droit interne et de façon ultime par
une Constitution, ce que personne ne peut soutenir s’agissant des Communautés [de
l’Union], ou bien les rapports entre États membres sont effectivement gouvernés par des
traités qui ont institué les Communautés [l’Union] et, quel que soit le particularisme de ces
traités et le particularisme de l’interprétation qu’en donne la Cour de Luxembourg, ils
demeurent évidemment dans la sphère juridique internationale ».1203
Il en résulte que les organisations d’intégration comme l’U.E. ne sont pas des États.1204 Elles
sont toutes dépourvues de ce qui fait la singularité de l’État sujet de droit international : la
souveraineté. Quelle que soit l’étendue des compétences exclusives ou partagées de l’U.E., les
transferts de compétences des États membres à l’organisation ne portent pas atteinte aux
« conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale »1205. Les États membres
n’ont pas, par exemple, renoncé à leurs compétences en matière de politique étrangère, de
sécurité, de défense nationale, d’attribution de la nationalité ; de plus, ils bénéficient toujours
du monopole de la contrainte. À ce sujet, le professeur Alain Pellet note qu’il y aurait « peut-
être » transfert de souveraineté – non seulement de compétences – « si le Traité transférait à la
Communauté [l’Union] l’exercice de compétences de l’État en matière de défense et de
politique étrangère mais c’est précisément ce que le Traité sur l’Union européenne se refuse à
1202.Article 9 in fine du T.U.E. 1203.C. LEBEN, « À propos de la nature juridique des Communautés européennes », Droits, vol. 24, 1991, p. 64. 1204.V. à ce sujet A. PELLET, « Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire », R.C.A.D.E., 1997, vol. V, t. 2, pp. 222-231. 1205.Décision du Conseil constitutionnel français, du 9 avril 1992, n° 92-308 DC, Recueil des décisions du Conseil constitutionnel, 1992, p. 59.
410
faire ».1206 En effet, en matière de politique étrangère, chaque État membre conserve encore
son monopole dans la définition et la conduite de ses relations internationales. Le
développement de la compétence de l’U.E. en matière de P.E.S.C. ne remet pas totalement en
cause cette réalité. Ce domaine échappe à la compétence exclusive de l’Union et est soumis
« à des règles et procédures spécifiques ». En outre, ce ne sont pas les organes supranationaux
qui en ont la responsabilité car la P.E.S.C. « est définie et mise en œuvre » par des organes
intergouvernementaux par excellence que sont le Conseil européen et le Conseil, qui statuent
à l'unanimité. Par ailleurs, dans ce domaine, « l'adoption d'actes législatifs est exclue. »1207 En
fin, la représentation de l’U.E. au sein des organisations internationales ainsi que sa capacité
de négocier et de conclure des accords internationaux dans divers domaines ne remettent pas
en cause les compétences et les capacités des États membres dans ces domaines. D’ailleurs
cette représentation de l’U.E. au sein des organisations internationales se limite généralement
au statut d’observateur1208, statut que peuvent obtenir plusieurs organisations internationales
et autres entités territoriales. Même si, dans certaines organisations comme la B.E.R.D.,
l’O.M.C. ou la F.A.O., l’U.E. jouit du statut de membre à part entière, ce statut « ne remet pas
en cause la présence de ses États » membres1209. Dans cette mesure, un auteur affirme que la
P.E.S.C. apparaît comme un mécanisme marqué par « le souci de trouver un système
acceptable pour tous, à savoir un système qui permette de renforcer l’image d’une Europe
unie sur la scène internationale, tout en préservant les individualités des États membres ».1210
Tout cela confirme que les États membres n’ont pas renoncé à leur indépendance.
De ces considérations, on peut retenir que la dynamique d’intégration qui caractérise l’U.E. ne
remet pas en cause la substance de la fonction gouvernementale des États membres. Malgré
les nombreux transferts de compétences, les États conservent encore leur indépendance qui se
traduit par la persistance d’une certaine dynamique de coopération interétatique dont la
manifestation est le rôle central des organes intergouvernementaux, le Conseil européen et le
Conseil, dans la définition et la mise en œuvre de politiques étroitement liées à la qualité
d’État. Dès lors, on peut convenir avec le professeur Alain Pellet que :
1206.A. PELLET, « Les fondements juridiques internationaux du droit… », op. cit., n. 1204, p. 230. 1207.Article 24, 1 du T.U.E.
1208.L’U.E. jouit du statut d’observateur auprès de l’O.N.U., de l’U.N.E.S.C.O., de l’.O.M.S., de a Banque mondiale, du F.M.I., de l’O.I.Y., etc.
1209.C. FLAESCH-MOUGIN, « Les relations avec les organisations internationales et la participation à celles-ci », in Relations extérieures. Le droit de la CE et de l’Union européenne, Commentaire J. Megret, 2e éd., 2005, pp. 375 et s., spéc. p. 376. 1210.A. M. FERNANDEZ PASARIN, « Les États membres et la représentation extérieure de l’U.E. », A.F.R.I., vol. X, 2009, p. 10.
411
« quelle que soit l'étendue des transferts de compétences réalisés par les traités des États
membres à [l’Union], les premiers n'ont pas renoncé à leur souveraineté au profit de la
seconde. Ils demeurent donc des États au sens plein du terme puisque […] l'identité entre
souveraineté et forme étatique est totale : toute entité souveraine est nécessairement un État
et tout État est nécessairement souverain. »1211
La pratique consacrée par l’U.E. n’a pas démenti cette réalité. Elle reste encore largement
tributaire de la coopération effective des États membres, souverains et indépendants, pour la
réalisation de ses objectifs. Ce qui prévaut pour l’U.E. prévaut également pour les autres
organisations d’intégration régionale ou sous régionale qui s’activent dans les quatre coins du
monde.
§ 2 : La réserve de la compétence nationale contre l’exercice de la puissance
étatique à l’égard d’un autre État
La notion de domaine de compétence nationale ne joue pas que dans les relations entre une
organisation internationale et ses membres. Elle joue également dans les relations d’État à
État. Le principe de l’égalité souveraine (article 2 § 1 Charte des Nations Unies) étant un
principe de base des relations internationales contemporaines, les États jouissent, d’un point
de vue juridique, des mêmes droits et des mêmes devoirs sur le plan international. À cet
égard, ils jouissent des droits inhérents à leur souveraineté, en particulier du droit au respect
de leur personnalité, de leur intégrité territoriale et de leur indépendance politique. C’est
pourquoi, dans les relations directes d’État à État, le principe de non-ingérence dans les
affaires intérieures ou extérieures ou relevant de la compétence nationale (une des
conséquences de la souveraineté des États) garde toute son actualité lorsque le domaine de
compétence nationale est conçu de manière fonctionnelle (2). C’est pour la même raison
qu’est, en principe, interdite l’application extraterritoriale du droit (1) par laquelle un État
donné entend atteindre par sa législation nationale des faits, des situations ou des
comportements sur le territoire d’un autre État.
1211.A. PELLET, « Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire », op. cit., n. 1204, p. 229.
412
1. Le principe de l’interdiction de l’application extraterritoriale directe du
droit national ou la persistance de la prédominance du titre territorial
comme base de compétence de l’État
Le droit international reconnaît à l’État une compétence territoriale, c’est-à-dire celle qu’il
exerce sur un bout de territoire en sa qualité de maître des lieux. Lorsqu’il ne peut pas
invoquer un titre territorial pour fonder sa compétence, l’État peut se prévaloir d’une
compétence personnelle en raison du lien de nationalité, lien d’allégeance qui lui subordonne
une personne donnée. Il peut également exercer sa compétence en dehors de son territoire,
c’est-à-dire que l’État peut exercer une compétence extraterritoriale soit sur un espace n’étant
pas soumis à la juridiction exclusive ou privilégiée d’un autre État, soit sur un de ses
nationaux (personne physique ou morale) se trouvant à l’étranger. Dans cette hypothèse, il
peut y avoir concurrence de compétences nationales de deux États lorsque chacun des États
revendique son titre de compétence, l’un territorial et l’autre personnel. Face à une pareille
situation, le droit international a établi un certain nombre de règles. Nous l’avons vu, en vertu
de la plénitude et de l’exclusivité de la compétence nationale, chaque État dispose d’une
compétence normative et d’une compétence d’exécution qui lui permettent d’édicter et de
mettre en œuvre une législation nationale sur son territoire et à l’égard de ses nationaux.1212
Le droit international autorise aussi l’édiction par un État d’une législation ayant vocation à
s’appliquer sur le territoire d’autres États. Ce principe fut clairement rappelé par la C.P.J.I.
dans la célèbre affaire du Lotus. Selon la haute juridiction,
« [l]oin de défendre d’une manière générale aux États d’étendre leurs lois et leur juridiction à
des personnes, des biens et des actes hors du territoire, il [le droit international] leur laisse, à
cet égard, une large liberté, qui n'est limitée que dans quelques cas par des règles
prohibitives ; pour les autres cas, chaque État reste libre d'adopter les principes qu'il juge les
meilleurs et les plus convenables. C'est cette liberté que le droit international laisse aux États,
qui explique la variété des règles qu'ils ont pu adopter sans opposition ou réclamations de la
part des autres États ».1213
Si, à la lumière de ce dictum, il appert que le droit international n’interdit pas l’exercice d’une
compétence normative extraterritoriale à l’égard de personnes, de biens et actes situés hors du
territoire, l’application ou plus précisément l’exécution de la réglementation nationale à
l’étranger dans un État souverain est, quant à elle, interdite dans son principe du fait
1212.Cf. supra Deuxième partie, Titre II, Chapitre II, Section 2, § 1. 1213.Lotus, arrêt précité 47, p. 19.
413
notamment de l’exigence de respect de la souveraineté territoriale de l’État.1214 En effet, la
coexistence de souverainetés égales impose que la législation nationale d’application
extraterritoriale se fasse dans le respect de la souveraineté des autres États. Si chaque État
applique, sans aucune limite, sa législation nationale à l’étranger, on tomberait dans le règne
du rapport de puissance non régulé. En d’autres mots, on serait en présence d’une
« souveraineté universelle, indéfinie, illimitée » alors que l’égalité souveraine commande que
la souveraineté ait « son fondement et sa limite dans le territoire sur lequel l'État exerce son
autorité, c'est-à-dire la souveraineté territoriale ».1215 Il s’ensuit que les compétences de l'État
sur son propre territoire sont particulièrement étendues et ne cèdent que face à une règle
expresse les limitant, ce que traduit l'expression « souveraineté territoriale ». Indubitablement,
« [c]’est un principe admis du droit international qu'un État possède et exerce, dans son propre
territoire, une juridiction absolue et exclusive, et que toute exception à ce droit doit provenir
du consentement de l'État, soit exprès, soit implicite ».1216 Ce principe d’exclusivité de la
compétence territoriale autorise un État à s’opposer aux activités concurrentes des autres États
sur son territoire. Il peut ainsi s’opposer à la mise en œuvre de la législation étrangère sur son
territoire. L’application extraterritoriale du droit national est une atteinte à l’exclusivité de la
compétence territoriale car elle suppose que l’État ayant édicté la législation prenne des
mesures concrètes d’exécution pour son application effective par les destinataires qu’elle vise
en dehors du territoire national. C’est pourquoi l’exercice de cette compétence d’exécution en
dehors du territoire national est interdit dans son principe par le droit international. Comme
l’a clairement exprimé la C.P.J.I. dans l’affaire du Lotus,
« la limitation primordiale qu'impose le droit international à l'État est celle d'exclure - sauf
l'existence d'une règle permissive contraire – tout exercice de sa puissance sur le territoire
d'un autre État. Dans ce sens, la juridiction est certainement territoriale ; elle ne pourrait
être exercée hors du territoire, sinon en vertu d'une règle permissive découlant du droit
international coutumier ou d'une convention ».1217
1214.Sur la question de la portée extraterritoriale du droit national, on peut se référer P. DEMARET, « L’extra-territorialité des lois et les relations transatlantiques », R.T.D.E., 1985, pp. 1-39 ; L. FOCSANÉANU, « L’instruction extraterritoriale de litiges économiques et la défense de la souveraineté des États », A.F.D.I., 1981, pp. 628-652 ; B. STERN, « Quelques observations sur les règles internationales relatives à l’application extraterritoriale du droit », A.F.D.I., 1986, pp. 752 et s. ; le même, « Une tentative d’élucidation du concept d’application extraterritoriale », R.Q.D.I., 1986, pp. 49-78 ; le même, « L’extraterritorialité revisitée », A.F.D.I., 1992, pp. 239-313. 1215.Opinion dissidente du juge WEISS jointe à l’arrêt rendu dans l’affaire du Lotus, précité, n. 47, p. 49. 1216.V. Opinion dissidente du juge J. B. MOORE jointe à l’arrêt rendu dans l’affaire du Lotus, précité, n. 47, p. 68. 1217.Affaire du Lotus, arrêt précité, note 47, pp. 18-19 - italiques ajoutées. Voir également en ce sens C.I.J. affaire du Détroit de Corfou, arrêt précité, note 239. Ce principe a donné lieu à un certain nombre d’affaires telles que l’affaire Joly (22 juillet 1933, Sirey. 1934, II, p. 105, J.D.I. 1935, p. 899), l’affaire Eichmann, l’affaire Argoud
414
En clair, toute prétention d’application extraterritoriale du droit national doit être appréciée à
la lumière du droit international. L’État qui prétend étendre sa législation nationale à
l’étranger devra établir l’existence d’une règle permissive du droit international. À défaut
d’une telle règle, il devra fonder sa compétence sur un des titres de compétence que le droit
international lui reconnaît, à savoir le titre territorial ou personnel. À travers ce dictum de la
Cour la tentation est grande de conclure à « l’énoncé d’une règle générale et absolue de
liberté » en vertu de laquelle « tout ce qui n’est pas interdit est permis ». Mais il convient de
signaler que même dans l’hypothèse où cette règle existerait, elle « ne vaudrait que pour les
activités menées par l’État sur son propre territoire ».1218 En effet, dans les relations d’État à
État, l’absence d’une règle prohibitive n’autorise pas tout. Le seul fait de la coexistence
d’États souverains et égaux constitue en soi une limite à la liberté d’action de chaque État
indépendamment de l’existence d’une règle permissive ou prohibitive particulière. C’est ce
qu’affirme le juge Shahabuddeen dans son opinion dissidente jointe à l'avis consultatif de la
C.I.J. dans l'affaire de la Licéité de la menace ou de l'emploi de l'arme nucléaire. Selon lui,
« Aucun argument convaincant ne permet de soutenir que dans l'affaire du Lotus la Cour
serait partie de l'idée que les États ont une souveraineté absolue les habilitant à entreprendre
n'importe quelle action, si horrible et détestable puisse-t-elle paraître aux yeux de la
communauté internationale, dès lors qu'il n'est pas prouvé que cette action est interdite en
droit international. L'idée de la suprématie interne associée à la notion de souveraineté en
droit interne n'est pas applicable comme telle lorsqu'on transpose cette notion sur le plan
international. La coexistence d'un certain nombre de souverainetés assigne des limites à la
liberté de chaque État d'agir comme si les autres États n'existaient pas. Ces limites
définissent un cadre structurel objectif dans lequel la souveraineté doit nécessairement
exister ; le cadre ainsi que les limites qui le définissent sont implicites dans la référence faite
dans l'affaire du Lotus à la 'coexistence de communautés indépendantes' (C.P.J.I. série A n°
10, p. 18) ... »1219
De ces considérations, il convient de retenir que la compétence nationale, expression juridique
de la souveraineté de l’État, apparaît comme une limite aux compétences égales des autres
États. Dès lors que tous les États ont une souveraineté égale, « les compétences de chacun
(A.F.D.I., 1965, pp. 935 et s.), l’affaire du Rainbow Warrior (voir les commentaires de J. Charpentier, A.F.D.I. 1986, pp. 873-885 et G. Apollis, R.G.D.I.P., 1987, pp. 10-43), l’affaire Alvarez-Machain (voir les commentaires de Brigitte Stern, A.F.D.I., vol. 38, 1992, pp. 239-313. 1218.A. PELLET, « Lotus que de sottises on profère en ton nom ! Remarque sur le concept de souveraineté dans la jurisprudence de la Cour Mondiale », in L’État souverain dans le monde d’aujourd’hui. Mélanges en l’honneur de Jean-Pierre PUISSOCHET, Paris, Pedone, 2008, pp. 215-230, spéc. 219. 1219.Affaire de la Licéité de la menace ou de l'emploi de l'arme nucléaire, avis consultatif du 8 juillet 1996, Rec. 1996, p. 393.
415
sont nécessairement limitées par celles, égales, appartenant à tous les autres ».1220 C’est dans
cette perspective qu’il faut appréhender les interdictions faites aux États de procéder sur le
territoire d’un État étranger à des enquêtes de preuve ou à des arrestations. Et c’est ce même
principe de territorialité qui explique l’ampleur et la vigueur des réactions internationales aux
lois américaines Helms-Burton et D’Amato Kennedy de 1996.1221
Par ailleurs, l’exclusivité de la compétence nationale – fonction gouvernementale en tant que
compétence normative et exécutive – explique que l’effet extraterritorial du droit national en
général et des décisions de justice en particulier ne se produit que lorsque l’État dans lequel
ils sont censés produire cet effet les estime conformes à son ordre public national. En effet,
l'État souverain possède dans sa souveraineté un attribut essentiel, celui de la plénitude de la
compétence juridictionnelle. En vertu de cette compétence, il n'appartient qu'à l'État territorial
et à lui seul de trancher les litiges naissant des sujets du droit interne par les organes que sont
les cours et tribunaux civils ou militaires. Dès lors, les décisions de justice n'ont, en principe,
d'effet que dans les limites du territoire étatique et ne produisent donc pas d’effet
extraterritorial, c’est-à-dire en dehors du territoire de l’État dont les juridictions ont rendu de
telles décisions.1222 C’est pourquoi les jugements étrangers doivent être revêtus de l’exequatur
du juge national pour pouvoir produire leurs effets. Il s’agit d’un acte par lequel le juge
national (appelé juge du for) saisi d’une affaire ayant une dimension internationale reconnaît
la décision rendue par une juridiction étrangère sur la même affaire et lui confère ainsi un titre
exécutoire dans son pays. En l’absence de conventions internationales (souvent bilatérales)
dites « de coopération judiciaire », fixant les conditions dans lesquelles un jugement étranger
peut être revêtu de l’exequatur, le régime de l’exequatur varie et dépend de chaque État qui, à
travers notamment ses juges, va fixer les conditions de reconnaissance et d’exécution des
décisions de justice étrangères. Cela s’explique par le fait que chaque juge national est au
service de la souveraineté de son État. Ainsi, chaque État fixe le seuil de l'admissibilité de la
décision de justice étrangère, ce seuil étant généralement la compatibilité de la décision de
1220. A. PELLET, « Lotus que de sottises on profère en ton nom… », op. cit., n. 1218, p. 221. 1221.En plus des réactions individuelles de certains États (lois canadienne et mexicaines des 9 et 23 octobre 1996) ou de la Communauté européenne (règlement n° 2271/96 du 22 novembre 1996 « portant protection contre les effets de l’application extraterritoriale d’une législation adoptée par un pays tiers »), l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution 51/17 du 12 novembre 1996 dans laquelle elle réaffirme les principes « de l’égalité souveraine des États, de la non-intervention et de la non-ingérence dans leurs affaires intérieures et de la liberté du commerce et de la navigation internationaux, également consacrés par de nombreux instruments juridiques internationaux ». Elle y dénonce clairement la loi Helms-Burton « dont les effets extraterritoriaux portent atteinte à la souveraineté d’autres États… ». Voir également dans le même sens la résolution 52/10 du 5 novembre 1997. Voir aussi B. STERN, « Vers la mondialisation juridique ? Les lois Helms-Burton et d’Amato –Kennedy », R.G.D.I.P., 1996/4, pp. 979-1003. 1222.Sous réserve de l’effet de plein droit de certains jugements, tels que les décisions relatives à l’état et à la capacité des personnes et les jugements constitutifs, pour lesquels l’exequatur n’est pas nécessaire
416
justice étrangère avec l'ordre public national du juge saisi. C’est dans ce cadre que, pendant
longtemps en France, le juge de l’exequatur a exercé un contrôle approfondi de la décision
étrangère au point qu’on a parlé de pouvoir de révision du juge français de l’exequatur. En
effet, lorsqu’il constatait un écart entre cette décision et le droit français, il refusait
l’exequatur. Depuis l’arrêt Munzer1223, cinq conditions étaient requises par la jurisprudence
française afin que l’exequatur puisse être conféré à un jugement étranger. Le juge français
devait apprécier la compétence du tribunal étranger auteur de la décision, la régularité de la
procédure suivie devant cette juridiction, l’application de la loi de compétence d’après les
règles françaises de conflit, la conformité de la décision à l’ordre public international,
l’absence de toute fraude à la loi. Ces conditions étant jugées drastiques et préjudiciables à la
circulation internationale des décisions de justice notamment en matière commerciale, l’arrêt
Bachir1224 a ramené le nombre de conditions de l’exequatur à quatre, en plaçant l’examen de
la régularité de la procédure sous l’angle de la conformité à l’ordre public international.
Depuis l’arrêt Cornelissen1225, la Cour de cassation a ramené les conditions requises à trois.
En 2007, elle a jugé que :
« pour accorder l'exequatur hors de toute convention internationale, le juge français doit
s'assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge
étranger, fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l'ordre public
international de fond et de procédure et l'absence de fraude à la loi ; le juge de l'exequatur n'a
donc pas à vérifier que la loi appliquée par le juge étranger est celle désignée par la règle de
conflit de lois française. »
En définitive, en s’opposant à l’application extraterritoriale directe du droit national, la
compétence territoriale nationale apparaît comme un moyen de protection de la souveraineté-
indépendance de l’État. Si un État étranger prolonge sa loi nationale ou ses décisions de
justice de manière directe jusqu’au territoire d’un autre État pour s’appliquer à des faits,
situations, personnes ou biens situés sur ce territoire, c’est la souveraineté en tant
qu’indépendance de l’État qui serait méconnue. Or, la notion de domaine réservé à la
compétence nationale telle que nous l’envisageons, c’est-à-dire comme fonction
gouvernementale (normative et exécutive), traduit l’idée que, à l’égard de son territoire, l’État
est en principe le détenteur exclusif du pouvoir de légiférer, d’exécuter et de juger.
1223.Cass. Civ. 1ère, 7 janvier 1964, J.C.P. 64.13590, note M. Ancel ; R.C. 64.344, note Batiffol ; J.D.I. 64.302 note Goldman ; GA n° 41
1224.Cass. Civ. 1ère, 4 octobre 1967,in Revue Critique de Droit International Privé, 1968.98 note Lagarde ; 1225.Cass. Civ 1ére, 20 février 2007.
417
2. L’actualité du principe de non-ingérence dans la conception fonctionnelle
du domaine de compétence nationale
Le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures ou extérieures d’un État est
mentionné dans un certain nombre d’instruments internationaux. On peut se référer, parmi
ceux-ci, à la résolution 1815 (XVII) du 18 décembre 1962 par laquelle l’Assemblée générale
des Nations Unies décidait d’inscrire à l’ordre du jour provisoire de sa dix-huitième session
un point intitulé « Examen des principes du droit international touchant les relations amicales
et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies ». Il y a aussi la
résolution 2131 (XX) du 21 décembre 1965 de l’Assemblée générale de l’O.N.U. Mais, c’est
la résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970 qui est sans doute la plus importante car c’est
par elle que l’Assemblée générale adopta la Déclaration relative aux principes de droit
international concernant les relations amicales et la coopération entre les États.1226 On peut
aussi trouver une formulation de ce principe dans le paragraphe premier du principe VI de
l’Acte final d’Helsinki du 1er août 1975.
Nous avons vu que, dans le contexte international post-guerre froide marqué notamment par
une fulgurante expansion matérielle du droit international et des activités des organisations
internationales, ce principe de non-ingérence ou de non-intervention dans les affaires
intérieures d’un État n’interdit plus le développement d’activités internationales dans des
matières qui peuvent être considérées comme relevant a priori de ce domaine.1227 Cependant,
malgré cette tendance à l’assouplissement du principe, ce dernier conserve toute sa juridicité
et toute son actualité dans l’ordre international lorsque le domaine de compétence nationale
ou les affaires intérieures sont envisagés, non en termes de matières, mais en termes de
fonctions. Autrement dit, le principe de non-ingérence semble plus opérationnel, plus actuel
lorsque le domaine de compétence nationale est appréhendé, non pas dans sa dimension
matérielle, mais dans sa dimension fonctionnelle qui met en avant la singularité de
l’institution étatique elle-même et des fonctions s’y rattachant. Ces fonctions, nous l’avons
vu, sont si intimement liées à la personnalité de l’État qu’on les rapproche des droits
souverains ou fondamentaux de l’État. Dans cette perspective fonctionnelle, l’intervention ou
l’ingérence interdite est celle qui porte atteinte aux droits souverains de l’État victime de
l’intervention. Comme le souligne Gaetano Arangio-Ruiz, « la référence à la compétence
nationale est destinée à jouer non pas afin de restreindre la sphère d’une action légitime, voire 1226.Cf. supra note 12. 1227.Cf. Deuxième partie, Titre 1.
418
une action due (d’un organe international), mais afin de préciser ou mieux définir, et par cela
à restreindre, la sphère d’une prohibition – notamment de la prohibition de l’intervention –
adressée aux États »1228. Et l’auteur de poursuivre « la référence à la compétence nationale a
pour but d’interdire à tout État de violer, par l’action de contrainte en laquelle l’intervention
représailles consiste, l’exclusivité du pouvoir exercé sur ses subditi et ses fonctionnaires par
l’État objet de l’intervention. »1229 Ici, les interventions prohibées sont celles venant d’un État
et qui affectent la fonction gouvernementale d’un autre État en s’interposant entre ce dernier
et ses sujets, c’est-à-dire en violant sa souveraineté territoriale et sa personnalité.
Les éléments constitutifs de ce type d’intervention ont été plus ou moins posés par la C.I.J.
dans son arrêt relatif aux Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua. Elle a, en effet,
jugé que :
« [d]’après les formulations généralement admises, ce principe [de non-intervention] interdit
à tout État ou groupe d’États d’intervenir directement ou indirectement dans les affaires
intérieures ou extérieures d’un autre État. L’intervention interdite doit donc porter sur des
matières à propos desquelles le principe de souveraineté des États permet à chacun de se
décider librement. Il en est ainsi du choix du système politique, économique, social et
culturel et de la formulation des relations extérieures. L’intervention est illicite lorsqu’à
propos de ces choix, qui doivent demeurer libres, elle utilise des moyens de contraintes. »1230
Il en résulte que l’intervention prohibée comporte un élément de contrainte. Il s’agit de
l’intervention qui utilise la force, soit de manière directe, soit de manière indirecte sous forme
de soutien à des activités armées subversives ou terroristes à l'intérieur d'un autre État, pour le
contraindre à agir ou à se comporter d’une façon déterminée.. C’est ainsi que dans la même
affaire, la Cour a conclu que « l'appui fourni par les États-Unis, jusqu'à fin septembre 1984,
aux activités militaires et paramilitaires des contras au Nicaragua, sous forme de soutien
financier, d'entraînement, de fournitures d'armes, de renseignements et de soutien logistique,
constitue une violation indubitable du principe de non-intervention. »1231 L’intervention
prohibée est donc celle qui manifeste dans une certaine mesure une volonté de puissance,
d’hégémonie politique de l’État intervenant sur l’État objet de l’intervention. Car, comme l’a
exprimé la C.I.J., dans l’affaire du Détroit de Corfou,
1228.G. ARANGIO-RUIZ, « Le domaine réservé… », op. cit., n. 1, p. 430. 1229.Ibid., p. 432. 1230.Affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, préc., note 159, p. 108. 1231.Ibid., p. 124.
419
« Le prétendu droit d’intervention ne peut être envisagé par elle que comme une
manifestation d’une politique de force, politique qui, dans le passé, a donné lieu aux abus les
plus graves et qui ne saurait, quelle que soient les déficiences présentes de l’organisation
internationale, trouver aucune place dans le droit international. L’intervention est peut-être
moins acceptable encore dans la forme particulière qu’elle présentait ici, puisque réservée
par la nature des choses aux États les plus puissants, elle pourrait aisément conduire à fausser
l’administration de la justice internationale elle-même. »1232
Dans cette perspective, il est évident que le principe de non-ingérence n’interdit pas aux
autres États d’avoir des avis, des positions critiques sur la manière dont un État assume sa
fonction gouvernementale, parce que cette fonction a des manifestations et des implications
qui ne sont pas totalement étrangères aux relations internationales et qui peuvent donc, de ce
fait, former l’objet d’obligations internationales. Toutefois, malgré la multiplication des
obligations internationales auxquelles sont soumis les États, le principe de non-ingérence ou
de non-intervention garde encore son rôle de préservation de la fonction gouvernementale,
donc du domaine de compétence nationale, que chaque État souverain « exerce par essence
dans le cadre territorial et personnel de sa propre juridiction. »1233
Ces considérations incitent à conclure que la notion de domaine de compétence nationale se
présente comme une limite verticale
« […] d’ordre relationnel qui joue dans toute matière formant l’objet d’action internationale
et vise à protéger les États des immixtions directes – non requises ou non acceptées – dans
les rapports avec les sujets et les fonctionnaires respectifs : rapports dont le contrôle exclusif
par les autorités nationales, quelle que soit la matière en question, constitue une des
manifestations – et vraisemblablement la manifestation primordiale – de cet état des choses
typique des relations internationales qu’est la souveraineté-indépendance des États ».1234
Dès lors, le domaine de compétence nationale ou domaine réservé, conçu de manière
fonctionnelle, apparaît comme un critère incompressible de l’indépendance de l’État et
irréductible de cette qualité. Dans cette mesure, il signifie que, dans les relations
internationales d’un État, ce n’est pas à un organe d’un autre État, d’une organisation
internationale ou de tout autre acteur international de décider ou d’agir en lieu et place de ses
propres organes de manière exclusive et discrétionnaire. Ainsi, s’il arrive qu’un État, par
accord international, exprès ou tacite, reconnaisse à un organe international ou à un autre État
1232.Affaire du Détroit de Corfou, préc., note 239, p. 35. 1233.P. BODEAU-LIVINEC, Le gouvernement de l’État…, op. cit., n. 1, p. 294. 1234.G. ARANGIO-RUIZ, « Le domaine réservé… », op. cit., n. 1, pp. 27-28 ; les italiques sont de l’auteur.
420
la compétence de décider ou d’agir à sa place de manière exclusive ou discrétionnaire, cet
État renonce à son indépendance, à son existence, soit momentanément, soit définitivement.
Autrement dit, l’État, en tant que membre de la société internationale, peut bien subir des
activités d’acteurs extérieurs. Mais, tant que l’État reste souverain et indépendant, ces
activités ne doivent pas être exercées, sur son territoire et les personnes, biens et situations s’y
trouvant, de manière exclusive et discrétionnaire par ces acteurs extérieurs. En effet, si nous
convenons avec Charles Rousseau que l’indépendance ou la souveraineté n’est qu’une
manière d’être, une qualité particulière de la compétence étatique, dès lors, lorsque des
organes internationaux ou un État étranger exercent des compétences sur le territoire d’un
État, on est en présence d’un exercice de compétences sans souveraineté.1235 C’est cette
souveraineté qu’exprime la notion de domaine de compétence nationale de l’État et c’est elle
que le droit international entend protéger en consacrant l’existence d’un domaine réservé à la
compétence nationale de l’État.
1235.C. ROUSSEAU, « L’aménagement des compétences en droit international » , op. cit., n. 1065, pp. 423 et 427.
421
CONCLUSION DU TITRE II
Le domaine de compétence nationale matériellement conçu a subi de nombreuses restrictions
dues notamment à l’extension matérielle du droit international et des activités des
organisations internationales. D’un côté, ce double phénomène impacte indéniablement la
place de l’État dans la société internationale et les rapports entre les ordres juridiques
nationaux et l’ordre international. Mais d’un autre côté, il a surtout fini de démontrer l’échec
de la conception matérielle du domaine de compétence nationale à expliquer la persistance de
cette notion dans le droit international en dépit des multiples restrictions sus évoquées, mais
aussi la persistance du fait étatique malgré l’émergence sur la scène internationale de
nouveaux centres de pouvoirs. Dans cette mesure, la conception fonctionnelle du domaine de
compétence nationale, « parfois appuyée sur la théorie des droits fondamentaux attachés à
l’existence du fait primaire étatique, paraît mieux à même de rendre compte de la constance
d’un phénomène gouvernemental relevant essentiellement de la compétence nationale. »1236
Cette conception qui identifie le domaine de compétence nationale à la fonction
gouvernementale à travers ses manifestations et implications, illustre une certaine
métamorphose de la notion à la lumière des évolutions du droit international et des mutations
de la société internationale. Elle met l’accent sur la singularité de la fonction gouvernementale
qui caractérise l’État et qui, du point de vue du droit international, lui est consubstantielle.
Dès lors, le domaine de compétence nationale apparaît comme un critère incompressible de la
souveraineté-indépendance de l’État que toutes les évolutions du droit international n’ont pas
supprimé et ne sauraient supprimer tant que la société internationale restera interétatique et la
souveraineté le fondement du droit international. En effet, force est de constater qu’en l’état
actuel de son développement, le droit international ne remet pas en cause l’indépendance des
ordres juridiques nationaux par lesquels les États expriment leur existence primaire.
Incontestablement, le droit international restreint les compétences discrétionnaires des États,
compétences qu’il encadre pour un exercice responsable et conforme aux finalités de
l’institution étatique. Cependant, le droit international ne supprime pas les caractères
originaire, général, permanent, exclusif et discrétionnaire, donc souverain, de la compétence
étatique.
1236.P. BODEAU-LIVINEC, Le gouvernement de l’État…, op. cit., n. 1, p. 299.
422
CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE
Les conséquences des restrictions du domaine matériel de compétence nationale ont été
analysées à travers l’assouplissement du principe de non-ingérence face aux nécessaires
réactions internationales à la défaillance de l’État, et à travers la métamorphose du domaine
de compétence nationale. Si l’analyse de ces conséquences a permis de parfaitement
démontrer que la souveraineté et son corollaire le domaine réservé à la compétence nationale
restent des notions centrales du droit international, il n’en ressort pas moins que ces deux
notions ont subi une sorte de remodelage1237 qui explique leur persistance actuelle malgré les
nombreuses attaques qu’elles subissent. Désormais, le domaine réservé à la compétence
nationale de l’État ne renvoie plus à l’idée qu’il existe des matières laissées à la
réglementation et à la décision libres et discrétionnaires de l’État sans que le droit
international ait la possibilité d’en connaître. Il signifie que l’État possède des fonctions si
essentiellement rattachées à son statut qu’il ne saurait se les priver ou en être privé. Aussi,
souveraineté et domaine de compétence nationale ne signifient plus seulement liberté pour
l’État et exclusion des autres acteurs internationaux dans l’exercice des compétences
étatiques ; ils impliquent aussi et surtout que l’État soit capable et responsable dans l’exercice
de sa fonction gouvernementale qui englobe plusieurs fonctions particulières et relève
essentiellement de sa compétence nationale. Autrement dit, l’effectivité de la fonction
gouvernementale et non pas seulement de l’institution gouvernementale apparaît comme une
condition essentielle de l’existence de l’État et donc de l’exclusion des autres acteurs
extérieurs de l’exercice des compétences étatiques. En effet, comme le souligne l’ancien
Secrétaire général des Nations Unies Boutros Boutros-Ghali, si la pierre angulaire de l’édifice
[société internationale] est et doit demeurer l’État, et si le respect de sa souveraineté et de son
intégrité constitue la condition de tout progrès international, la souveraineté absolue et
exclusive n’est cependant plus de mise, si la pratique n’a jamais égalé la théorie. Désormais, il
est de la responsabilité des États et des dirigeants politiques de comprendre cette évolution et
de trouver un équilibre entre la nécessité d'assurer au mieux la direction des affaires
intérieures, d’une part, et de l'autre les exigences d'un monde toujours plus interdépendant.1238
Ce remodelage de la souveraineté et du domaine de compétence nationale a eu pour
conséquences l’assouplissement de certains principes du droit international - qui ont connu
1237.Voir en ce sens M. VIRALLY, « Panorama du droit international contemporain… », op. cit., n. 51, p. 124. 1238.Agenda pour la paix, précité, n. 834, § 17.
423
une certaine vigueur durant la guerre froide - à travers la promotion de notions qui non
seulement contribuent à la métamorphose de la souveraineté1239 des États mais aussi
renforcent la conception fonctionnelle du domaine de compétence nationale et de l’État lui-
même. Il en est ainsi des notions de responsabilité de protéger et de « droit » ou « devoir
d’ingérence » humanitaire ou même démocratique qui symbolisent une volonté de réaction de
la communauté internationale face aux situations de défaillances d’un État. Comme le
remarque le professeur Jean Charpentier « si un nombre croissant d’États ne sont plus en
mesure d’exercer effectivement leurs fonctions et n’ont plus de la souveraineté que les
prérogatives extérieures, c’est tout le droit international qui en est affecté, et qui ne peut
manquer de réagir en redéfinissant la notion – ou les notions différenciées – d’État. »1240
Dans le contexte actuel, un État ne pouvant plus assurer un exercice convenable de sa
compétence nationale en matière de services publics et de sécurité risque de voir son autorité
contestée par la population et son action partagée, voire remplacée par d’autres acteurs. Il
n’est plus à l’abri d’une intervention de forces extérieures comme les puissances étrangères,
les organisations internationales, les ONG, qui pourront intervenir pour parer à ses
défaillances et éviter tout risque d’internationalisation des périls et déséquilibres nés de cette
incapacité. À ce sujet, un auteur rappelle que « quand les pratiques d’un État ne correspondent
pas à la compréhension intersubjective de ce qu’un État souverain devrait être, alors
l’interférence par un État souverain dans les affaires de cet État « aberrant » est légitime ».1241
C’est dans cette perspective que l’existence de situations de défaillances étatiques est
invoquée pour légitimer des interventions internationales qui se traduisent par l’exercice par
des acteurs extérieurs d’activités relevant en principe de la compétence nationale de l’État
dans lequel ils interviennent.
Dans cette mesure, il peut sembler anachronique de parler de maintien ou de persistance de la
notion de domaine de compétence nationale. Cependant, dès lors qu’on s’écarte de la
conception matérielle du domaine de compétence nationale, on se rend aisément compte que
cette notion reflète, à l’intérieur du réseau des normes du droit international, l’espace où l’État
1239.M. DELMAS-MARTY, « Vers la métamorphose de la souveraineté nationale », Libération, 24 avril 2012, p. 28 ; U. BECK, A. GIDDENS, D. INNERARITY et J. L. COHEN, Les métamorphoses de la souveraineté, Raison publique, n° 5, octobre 2006, Presses de l’Université Paris Sorbonne, 140 p., spéc. pp. 31-53. 1240.J. CHARPENTIER, « Le phénomène étatique à travers les grandes mutations… », op. cit. n. 117, p. 12. 1241.WEBER C., 1995, p. 4. Cité par K. LEGARE, « Le narratif sécuritaire des États défaillants : contestation rivale des termes de la souveraineté ? », Aspects, n° 2 - 2008, p. 153.
424
reconstruit son indépendance, exprime ce qu’il y a d’irréductible dans les attributs de la
souveraineté.1242
1242.M. SINKONDO, « Une pierre d’angle de la construction juridique de l’État… », op. cit., n. 43, p. 244.
425
CONCLUSION GÉNÉRALE
Cette étude a cherché à déterminer s’il existe encore en droit international un domaine réservé
à la compétence nationale exclusive de l’État, constitué de matières que ce droit ne peut ou ne
doit pas régir en raison de leur caractère essentiellement ou exclusivement national. À cette
question une réponse négative peut être apportée. Le développement des relations
internationales et l’extension sensible du champ matériel du droit international, sous
l’impulsion de nouveaux acteurs internationaux et notamment des organisations
internationales, sont tels qu’aucune matière n’est a priori pas exclu du champ de la
règlementation internationale. À ce titre, le domaine de compétence nationale ratione
materiae au XXIème reste marqué par une assiette réduite comme une peau de chagrin. Le
champ matériel du droit international s’est, en effet, progressivement étendu au détriment de
celui du droit interne. C’est pourquoi la conception matérielle du domaine de compétence
nationale n’est plus à même d’appréhender tout l’intérêt de cette notion à la lumière des
mutations et transformations qui affectent la société internationale et le droit international
contemporains. Le domaine de compétence nationale comme champ matériel réservé à la
réglementation et à la décision libres et discrétionnaires de l’État, s’il a existé dans le passé,
est aujourd’hui fortement remis en cause par le phénomène de mondialisation avec la
multiplication et la diversification des acteurs et intervenants des relations internationales
dans lesquelles les acteurs classiques, les États, n’ont plus le monopole de la production
normative, de la représentation et de l’action internationales. Cette conception matérielle du
domaine de compétence nationale est aussi remise en cause par le développement matériel du
droit international consécutif aux phénomènes concomitants d’institutionnalisation et de
multilatéralisation de la vie politique, économique et sociale internationale. Le développement
de ces phénomènes est d’ailleurs si important que la notion de communauté internationale,
envisagée comme la traduction d’un passage de l’anarchie à un ordre public international qui
soumet l’État à un certain nombre d’obligations auxquelles il n’a pas forcément souscrit, est
devenue centrale dans le discours politico-juridique international.
Dans cette mesure, le rôle protecteur de la souveraineté qu’est censé jouer le domaine de
compétence nationale se trouve limité dans le contexte actuel de mondialisation et de
développements des rapports internationaux. Ainsi, la question de l’effet utile de la réserve de
compétence nationale se pose avec acuité car, de nos jours, l’État n’est plus une entité aux
frontières bien gardées et imperméables. La société internationale contemporaine reste
426
composée d’États souverains et égaux sur le plan juridique, et elle est foncièrement marquée
par l’interdépendance toujours plus grande des différents acteurs et intervenants. En raison de
cette interdépendance et de l’égalité souveraine, l’État pris individuellement ne jouit d’une
liberté d’agir, de décider et de se comporter, si ce n’est une liberté très relativisée. De ce point
de vue, le domaine de compétence nationale, entendu comme une sphère de matières où l’État
jouit d’une liberté absolue, n’a plus aucune valeur juridique.
Au-delà de la notion de domaine de compétence nationale, c’est l’image même de l’État
westphalien qui se trouve profondément bouleversée. La souveraineté de l’État entendue
comme liberté est remise en cause par un certain nombre de phénomènes. Ce bouleversement
de l’image de l’État souverain s’est traduit par la perte du contrôle de l’État sur son territoire
(souveraineté disloquée), la mondialisation des échanges (souveraineté ignorée), le transfert
des compétences régaliennes de l’État aux organisations d’intégration (souveraineté
transférée), la promotion des droits de l’homme et du droit humanitaire (souveraineté
encadrée).1243 Le bouleversement de la figure de l’État souverain peut être mesuré à l’aune
des évolutions suivantes qui affectent à la fois l’État, la société internationale et le droit
international.
- Tout d’abord, il est indubitable que les prérogatives étatiques ne connaissent plus une
tendance à l’expansion. Elles se rétrécissent plutôt sous l'effet, d’une part du
phénomène de mondialisation qui limite la liberté de l’État et réduit sa marge de
manœuvre tant au niveau national qu’international, et d’autre part de facteurs
endogènes à l’État et qui sont relatifs à ses capacités ou ses difficultés à faire face à
des intérêts privés de groupes économiques, sociaux, culturels, religieux et autres.
- Ensuite, pendant longtemps comme un acteur économique de taille, l’État a vu son
rôle dans le domaine économique se réduire considérablement au profit des acteurs
privés.
- Enfin, l’État doit aujourd’hui admettre qu’il n’a plus le monopole de la représentation
de l’intérêt général, de la violence physique légitime, et de la fonction normative,
c’est-à-dire la capacité à imposer des normes juridiques de manière souveraine.
1243.M. P. de BRICHAMBAUT, J.-F. DOBELLE, F. COULÉE, Leçons de droit international public, 2ème éd., Paris, Presses de Science Po et Dalloz, 2011, pp. 40-44.
427
Comme l’a écrit René-Jean Dupuy, l’État doit aujourd’hui accepter d’être subordonné, alors
qu’il prétendait à la pleine souveraineté ; alors qu’il proclamait son intégrité territoriale, il doit
admettre que celle-ci est sérieusement entamée : ses frontières ont beaucoup perdu de leur
étanchéité, l’État est submergé ; alors qu’il affirmait une unité politique, qui n’était
qu’exceptionnellement troublée, il est souvent aujourd’hui un État disloqué. En somme, la
souveraineté n’est plus ce qu’elle était ; la souveraineté absolue n’est plus de mise, si tant est
que la pratique ait jamais égalé la théorie.1244
Toutefois, force est de constater que ces évolutions n’ont pas encore conduit au dépassement
de la structure interétatique de la société internationale ; la souveraineté des États demeure
encore toujours la logique structurante de l’ordre juridique international. À cet égard,
l’émergence d’une tendance communautaire dans la société internationale et le droit
international, ainsi que les pratiques d’interventions internationales pour le maintien de la
paix, la protection des populations ou de manière plus générale la reconstruction de l’État ne
manifestent pas un dépassement de l’État à travers la prise en charge internationale de la
fonction gouvernementale de l’État, fonction qui lui est consubstantielle et donc relève de sa
compétence nationale. Par ailleurs, l’exigence démocratique qui est aujourd’hui bien établie
en droit international ne remet pas en cause l’exclusivité et l’indépendance qui caractérisent le
choix du régime politique et les fonctions étatiques en général. Elle vise tout simplement à
orienter les conditions d’exercice du pouvoir et de la fonction gouvernementale dans le sens
de leur finalité propre, à savoir pour les individus et non contre eux. Ainsi, seule l’effectivité
des fonctions étatiques peut a priori prémunir un État d’interventions extérieures non
souhaitées. Dès lors, toute conception matérielle du domaine réservé à la compétence
nationale est aujourd’hui vouée à être remise en cause dans le contexte actuel de
mondialisation.
Indubitablement, malgré les nombreuses tribulations qu’il connaît1245, l’État persiste encore
comme un point de repère dans la société internationale qui permet aux individus de se situer
dans l’espace et le temps. Il garde encore son altérité et son ancrage dans la société
internationale et continue d’être une figure attrayante car encore perçu comme seul capable de
garantir efficacement l’intérêt collectif. Les mouvements politiques et sociaux qui dénoncent
la mondialisation et les organisations d’intégration régionale comme l’U.E., et qui réclament
1244.R.-J. DUPUY, « Le Conseil de sécurité en recherche de paix », in Les Nations Unies et la restauration de l’État, Paris, Pedone, 1995, p. 11. (Allocution d’ouverture, quatrièmes rencontres internationales de l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, décembre 1994). 1245.S. SUR, « Sur quelques tribulations de l’État… », op. cit., n. 432, pp. 881-900.
428
le retour à l’État national constituent l’une des preuves qu’on n’a pas encore trouvé mieux que
l’État. Si certains de ces traits classiques tels que le monopole de la violence physique
légitime, de la représentation de l’intérêt général ou encore la territorialité sont remis en
cause, ils ne disparaissent pas pour autant. L’État est encore, malgré tout, doté d'une certaine
unité qui lui permet d'assurer sa fonction première, à savoir celle d'imposer une domination
légale et rationnelle en appliquant ses décisions par la contrainte physique si besoin est.
Dans cette mesure, seule une appréhension fonctionnelle du domaine de compétence nationale
qui met l’accent sur la singularité de la fonction gouvernementale permet d’expliquer la
persistance de cette notion en droit international et la constance de l’institution étatique dans
la société internationale mondialisée. À travers cette conception, le domaine de compétence
nationale apparaît comme étant une notion fonctionnelle qui vise à garantir une certaine
autonomie (l’indépendance) de l’État dans l’exercice de ses prérogatives. Dans cette
perspective, le sort du domaine de compétence nationale en droit international est étroitement
lié au destin de l’État. Ainsi, l’extension matérielle incessante du droit international en raison
de laquelle ce dernier saisit de plus en plus de matières qui auparavant lui étaient étrangères,
n’affecte pas l’intégrité du domaine de compétence nationale en tant qu’il est un critère
permanent de l’effectivité de la souveraineté. Il en est ainsi parce que « la souveraineté, critère
de l’État moderne, est un pouvoir suprême et un contenu de puissance qui gouvernent
l’organisation, les identités et le devenir des sociétés politiques organisées en États. »1246 Dès
lors, aussi importante que soit l’extension matérielle du droit international ou l’élargissement
des compétences des organismes internationaux, l’ordre international ne saurait prendre en
charge de façon exclusive et discrétionnaire la fonction gouvernementale dans un État
souverain : cette fonction relève d’un ordre relationnelle distinct de l’ordre international. Le
domaine de compétence nationale apparaît ainsi comme l’expression même du contenu
irréductible de la souveraineté, et le droit international, loin de l’entamer par ses règles,
s’attache au contraire à mieux le protéger.
1246.M. SINKONDO, Une pierre d’angle de la construction juridique de l’État…, op. cit., n. 43, p. 275.
429
BIBLIOGRAPHIE
A. Jurisprudence
I – Juridictions universelles
1. Cour permanente de justice internationale
(Les arrêts sont également disponibles sur le site internet de la Cour à l’adresse www.icj-
cij.org).
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février 1923, C.P.J.I., série B, n° 4.
Affaire du Vapeur Wimbledon, arrêt du 17 août 1923, C.P.J.I., série A, n° 1.
Affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt du 30 août 1924, exception
d’incompétence, C.P.J.I., série A, n° 2.
Affaire Lotus, arrêt du 7 septembre 1927, C.P.J.I., série A, n° 10.
Affaire de la Compétence de la Commission européenne du Danube, avis consultatif du 8
décembre 1927, C.P.J.I. série B n° 14.
Affaire des Droits de minorités en Haute-Silésie (écoles minoritaires), arrêt du 26 avril 1928,
C.P.J.I., série A, n° 15.
Affaire des Emprunts serbes, arrêt du 12 juillet 1929, C.P.J.I., série A, n° 20.
Affaire des Emprunts brésiliens, arrêt du 12 juillet 1929, C.P.J.I., série A, n° 21.
Affaire des Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, ordonnance du 19 août
1929, C.P.J.I., série A, n° 22.
Affaire des Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex :
- ordonnance, C.P.J.I., série A, n° 24.
- arrêt du 7 juin 1932, C.P.J.I., série A/B, n° 46.
430
Affaire du Traitement des nationaux polonais et des autres personnes d’origine ou de langue
polonaise dans le territoire de Dantzig, avis consultatif du 4 février 1932, C.P.J.I., série A/B,
n° 44.
Affaire des Écoles minoritaires en Albanie, avis consultatif du 6 avril 1935, C.P.J.I., série
A/B, n° 64.
Affaire de la Compatibilité de certains décrets-lois dantzikois avec la constitution de la Ville
libre, avis consultatif du 4 décembre 1935, C.P.J.I., série A/B, n° 65.
Affaire Losinger, ordonnance du 27 juin 1936, exception préliminaire, C.P.J.I., série A/B, n°
67.
Affaire des Phosphates du Maroc, arrêt du 14 juin 1938, C.P.J.I., Série A/B, n° 74, p. 22.
Affaire de la Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, arrêt du 4 avril 1939, C.P.J.I.,
série A/B, n° 77.
2. Cour international de justice
(Les arrêts sont également disponibles sur le site internet de la Cour à l’adresse www.icj-
cij.org).
Conditions de l’admission d’un État comme membre des Nations Unies (Charte, art. 4), avis
consultatif du 28 mai 1948, Rec. 1948, p. 57.
Affaire du Détroit de Corfou, arrêt du 9 avril 1949, fond, Rec. 1949, p. 4.
Affaire de la Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, avis consultatif
du 11 avril 1949, Rec. 1949, p. 174.
Affaire relative à l’Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et
la Roumanie, avis consultatif du 30 mars 1950 (première phase), Rec. 1950, p. 65.
Affaire du Droit d’asile (Colombie/Pérou), arrêt du 20 novembre 1950, Rec. 1950, p. 266.
431
Affaire Haya de la Torre, arrêt du 13 juin 1951, Rec. 1951, p. 71.
Affaire de 1'Anglo-Iranian Oil Co. :
- ordonnance du 5 juillet 1951 (demande en indication de mesures conservatoires), Rec.
1951, p. 89.
- arrêt du 22 juillet 1952 (exceptions préliminaires), Rec. 1952, p. 93.
Affaire des Ressortissants des États-Unis d’Amérique au Maroc, arrêt du 27 août 1952, Rec.
1952.
Affaire Nottebohm (deuxième phase), arrêt du 6 avril 1955, Rec. 1955, p. 4.
Affaire relative à Certains emprunts norvégiens, arrêt du 6 juillet 1957, Rec. 1957, p. 9.
Affaire de l'Interhandel :
- ordonnance du 24 octobre 1957 (mesures conservatoires), Rec. 1957, p. 105.
- arrêt du 21 mars 1959, Rec. 1959, p. 6.
Affaire du Droit de passage sur territoire indien :
- arrêt du 26 novembre 1957 (exceptions préliminaires), Rec. 1957, p. 125.
- arrêt (fond) du 12 avril 1960, C.I.J. Recueil 1960, p. 6.
Affaire relative à l’Application de la Convention de 1902 pour régler la tutelle des mineurs
(Pays-Bas c. Suède), arrêt du 28 novembre 1958, Rec. 1958, p. 55.
Affaire relative à Certaines dépenses des Nations Unies (article 17, paragraphe 2, de la
Charte), avis consultatif du 20 juillet 1962, Rec.1962, p. 151.
Affaire de la Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, (deuxième phase),
arrêt du 5 février 1970, Rec. 1970, p. 3.
Affaire relative aux Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de
l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du
Conseil de sécurité, avis consultatif du 21 juin 1971, Rec. 1971, p. 16.
Affaire des Essais nucléaires (Australie c. France) :
432
- mesures conservatoires, ordonnance du 22 juin 1973, Rec. 1973, p. 99.
- arrêt du 20 décembre 1974, Rec. 1974, p. 253.
Affaire du Sahara occidental, avis consultatif du 16 octobre 1976, Rec. 1975, p. 12.
Affaire du Plateau continental de la mer Egée, arrêt du 19 décembre 1978, Rec. 1978, p. 3.
Affaire du Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téheran :
- ordonnance (mesures conservatoires) du 15 décembre 1979, Rec. 1979.
- arrêt du 24 mai 1980, Rec. 1980, p. 3.
Affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua
c. États-Unis d'Amérique) :
- ordonnance du 10 mai 1984, Rec. 1984, p. 169.
- arrêt du 27 juin 1986 (fond), Rec. 1986, p. 14.
Affaire de l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide :
- ordonnance du 8 avril 1993 (mesures conservatoires), Rec. 1993, p. 3.
- arrêt du 26 février 2007 (fond).
Affaire de la Licéité de l'utilisation des armes nucléaires par un État dans un conflit armé,
avis consultatif du 8 juillet 1996, Rec. 1996, p. 66.
Affaire de la Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif du 8
juillet 1996, Rec. 1996, p. 226.
Affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.
Nigéria. Guinée équatoriale (intervenant) :
- ordonnance du 15 mars 1996 (mesures conservatoires), Rec. 1996, p. 13.
- arrêt du 11 juin 1998 (exceptions préliminaires), Rec. 1998, p. 275.
- arrêt du 10 octobre 2002, Rec. 2002, p. 303.
Affaire de la Convention de Vienne sur les relations consulaires (Paraguay c. États-Unis
d'Amérique), ordonnance du 9 avril 1998 (mesures conservatoires), Rec. 1998, p. 248.
433
Affaire LaGrand (Allemagne c. États-Unis d'Amérique) :
- ordonnance du 3 mars 1999 (mesures conservatoires), Rec. 1999, p. 9.
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Affaire de la Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), ordonnance du 2 juin
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Affaire de la Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Canada), ordonnance du 2 juin
1999 (mesures conservatoires), Rec. 1999, p. 259.
Affaire de la Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. France), ordonnance du 2 juin
1999 (mesures conservatoires), Rec. 1999, p. 363.
Affaire de la Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Allemagne), ordonnance du 2 juin
1999 (mesures conservatoires), Rec. 1999, p. 422.
Affaire de la Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Italie), ordonnance du 2 juin 1999
(mesures conservatoires), Rec. 1999. p. 481.
Affaire de la Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Pays-Bas), ordonnance du 2 juin
1999 (mesures conservatoires), Rec. 1999, p. 542.
Affaire de la Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Portugal), ordonnance du 2 juin
1999 (mesures conservatoires), Rec. 1999, p. 656.
Affaire de la Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Espagne), ordonnance du 2 juin
1999 (mesures conservatoires), Rec. 1999, p. 761.
Affaire de la Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Royaume-Uni), ordonnance du 2
juin 1999 (mesures conservatoires), Rec. 1999, p. 826.
Affaire de la Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. États-Unis d'Amérique),
ordonnance du 2 juin 1999 (mesures conservatoires) Rec. 1999, p. 916.
Affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo
c. Ouganda) :
- Ordonnance du 1er juillet 2000 (mesures conservatoires), Rec. 2000, p. 111.
434
- arrêt du 19 décembre 2005.
Affaire du Mandat d'arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c.
Belgique) :
- ordonnance du 8 décembre 2000 (mesures conservatoires), Rec. 2000. p. 182.
- arrêt du 14 février 2002, Rec. 2002, p. 3.
Affaire de la Souveraineté sur Pulau Ligitan et Puau Sipadan (Indonése/Malaisie), 17
décembre 2002, Rec. 2002, p. 625.
Affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête: 2002) (République
démocratique du Congo c. Rwanda) :
- ordonnance du 10 juillet 2002 (mesures conservatoires), Rec. 2002, p. 219.
- arrêt du 3 février 2006 (compétence de la Cour et recevabilité de la requête).
Affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. États-Unis d'Amérique) :
- ordonnance du 5 février 2003 (mesures conservatoires), Rec. 2003, p. 77.
- arrêt du 31 mars 2004, Rec. 2004, p. 12.
Affaire de Certaines procédures pénales engagées en France (République du Congo c.
France), ordonnance du 17 juin 2003 (mesures conservatoires), Rec. 2003, p. 102.
Affaire sur les Conséquences juridiques de 1'édification d'un mur dans le territoire
palestinien occupé, avis consultatif du 9 juillet 2004, Rec. 2004, p. 136.
Affaire relative à Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale
(Djibouti c. France), arrêt du 4 juin 2008.
Affaire relative à la Demande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire Avena
et autres ressortissants mexicains (Mexique c. États-Unis d’Amérique) :
- ordonnance du 16 juillet 2008 (mesures conservatoires).
- arrêt du 19 janvier 2009.
435
Affaire relative à l’application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), ordonnance du 15
octobre 2008 (mesures conservatoires).
Affaire relative à L’application de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide Croatie c. Serbie), arrêt du 18 novembre 2008 (exceptions préliminaires).
Affaire relative à la Question concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique
c. Sénégal) :
- ordonnance du 28 mai 2009 (mesures conservatoires).
- arrêt du 20 juillet 2012 (fond).
II – Juridictions régionales et sous régionales
1. Cour de justice des Communautés européennes
- Van Gend & Loos, aff. 26-62, 5 février 1963, Rec. de jurisprudence de la Cour 1963,
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- Commission c/ Luxembourg et Belgique, aff. 90/63 et 91/63, 13 novembre 1964,
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- Grad / Finanzamt Traunstein, aff. 9/70, 6 octobre 1970.
- AETR, aff. 22-70, arrêt du 31 mars 1971, Rec. de jurisprudence 1971.
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- Yvonne Van Duyn c/ Home Office, aff. 41/74, 4 décembre 1974.
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- Marshall, aff. 152/84, 26 février 1986, Rec. de jurisprudence, p. 723.
- Factortame, aff. C213/89, 19 juin 1990, Rec. , p. I-2446.
- Avis 1/91 du 14 décembre 1991 relatif au Projet d’accord entre la Communauté d’une
part, et les pays de l’A.E.L.E., d’autre part, visant à instituer l’Espace économique
européen, Rec. C.J.C.E. 1991, p. I-6079.
- Paola Facini Dori, aff. C-91/92, 14 juillet 1994, Rec. C.J.C.E. 1994.
- Avis 1/00 du 18 avril 2002 sur le Projet d’accord portant création d’un espace aérien
européen commun entre la Communauté européenne et des pays tiers, Rec., p. I-3498.
- Kadi et Al Barakaat International Foundation c/ Conseil et Commission, aff. jtes. C-
402/05P et C-415/05P, 3 sept. 2008.
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437
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- Avis n° 001/2003 du 18 mars 2003.
III – Juridictions nationales
1. Sénégal
- Décision du Conseil constitutionnel n° 3/C/93 du 16 décembre 1993, n° 12-93( note de
Alioune SALL, in Penant, n° spécial OHADA, 1998, n°827, p. 225).
2. France
- Décision du Conseil constitutionnel du 9 avril 1992, n° 92-308 DC, Recueil des
décison du Conseil constitutionnel 1992, pp. 55-65
IV - Sentences arbitrales
- Île de Palmes (États-Unis/ Pays-Bas), sentence du 4 avril 1928, Cour permanente
d’arbitrage, R.S.A., vol. II, p. 829. La sentence arbitrale est également reproduite in
R.G.D.I.P., 1935/1, p. 156.
- Texaco-Calasiatic c. Gouvernement libyen, René-Jean DUPUY, arbitre unique, 19
janvier 1977, J.D.I., 1977, pp. 350-389.
- Détermination de la frontière maritime entre la Guinée-Bissau et le Sénégal, Tribunal
arbitral, 31 juillet 1989, texte in R.S.A., vol. XX, p. 119.
V – Instances quasi-juridictionnelles à caractère international
Rapport de la Commission internationale de juristes chargée par le Conseil de la Société des
Nations de donner un avis consultatif sur les aspects juridiques de la question des îles
d’Åland, J.O.S.D.N., Supplément spécial n° 3, octobre 1920, p. 3.
Commission d’arbitrage de la Conférence pour la paix en Yougoslavie :
- avis n° 1 du 29 novembre 1991, in R.G.D.I.P. 1992.
438
- avis n° 21 du 29 novembre 1991, in R.G.D.I.P., 1992, p. 264.
- Avis n° 2 du 11 janvier 1992, in R.G.D.I.P.,1992.
- avis n° 3 du 11 janvier 1992, in R.G.D.I.P., 1992, pp. 267-269.
- avis n° 4 du 11 janvier 1992, in R.G.D.I.P., 1993, p. 567.
- avis n° 5 du 11 janvier 1992, in R.G.D.I.P., 1993, p. 570.
- avis n° 6 du 11 janvier 1992, in R.G.D.I.P., 1993, p. 576.
- avis n° 7, 11 janvier 1992, in R.G.D.I.P., 1993, p. 583.
- décision avant dire droit, 4 juillet 1992, in R.G.D.I.P., 1993, pp. 584-587.
- avis n° 8 du 4 juillet 1992, in R.G.D.I.P., 1993, p. 588.
- avis n° 9 du 4 juillet 1992, in R.G.D.I.P., 1993, p. 591.
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pays de l’O.E.A. des 2 et 8 octobre 1991 condamnant «La perturbation du système
démocratique et imposant un embargo commercial contre Haïti».
Résolution MRE/RES.3/92 des Ministres des relations extérieures des pays de l’O.E.A. sur
«Le rétablissement de la démocratie en Haïti», 17 mai 1992.
Résolution 2164 (XXXVI – O/06) de l’Assemblée générale de l’O.E.A. intitulée «Programme
interaméricain d’éducation aux valeurs et pratiques démocratiques», Santo Domingo, juin
2006.
Résolution 2271 (XXXVII – O/07) de l’Assemblée générale de l’O.E.A sur la «Protection des
droits de la personne et des libertés fondamentales dans la lutte contre le terrorisme», Panama,
juin 2007.
Résolution 2421 (XXXVIII – O/08) sur le «Renforcement du rôle des institutions nationales
pour la promotion et la protection des droits de la personne», Medellin (Colombie), juin 2008.
Déclaration 60 (XXXIX – O/09) de l’Assemblée générale de l’O.E.A. intitulée «Vers une
culture de non-violence», San Pedro Sula, juin 2009.
Résolution 2480 (XXXIX – O/09) de l’Assemblée générale de l’O.E.A. sur «La promotion et
le renforcement de la démocratie», San Pedro Sula, juin 2009.
Résolution 2526 (XXXIX – O/09) de l’Assemblée générale de l’O.E.A. portant sur «L’appui
à la gouvernance et à la démocratie institutionnelle au Guatemala», San Pedro Sula, juin
2009.
479
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et l’utilisation des technologies électorales dans le continent américain», San Pedro Sula, juin
2009.
II – Organisation internationale de la francophonie
Déclaration de Chaillot des chefs d’Etat, de gouvernement et de délégation des pays ayant en
commun l’usage du français, Chaillot, novembre 1991.
Déclaration de Bamako des Ministres et chefs de délégation des Etats et gouvernements des
pays ayant le français en partage sur «Le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et
des libertés dans l’espace francophone», Bamako, 3 novembre 2000.
Déclaration de Beyrouth de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement des pays
ayant le français en partage, Beyrouth, octobre 2002.
Déclaration de Ouagadougou de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement des pays
ayant le français en partage, Ouagadougou, novembre 2004.
Résolution sur la Côte d’Ivoire de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement des
pays ayant le français en partage, Ouagadougou, novembre 2004.
Déclaration de Saint-Boniface des Ministres et chefs de délégation des Etats et
gouvernements des pays ayant le français en partage sur «La prévention des conflits et la
sécurité humaine», Saint-Boniface, 14 mai 2006.
III – Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe
Acte final de la Conférence d’Helsinki (principe VI), 1er août 1975.
Déclaration de Paris des chefs d’Etat et de gouvernement participant à la CSCE, dite «Charte
de Paris pour une nouvelle Europe», Paris, novembre 1990.
Déclaration de Budapest des chefs d’Etat et de gouvernement participant à la CSCE, intitulée
«Vers un authentique partenariat dans une ère nouvelle», Budapest, 1994.
480
Déclaration de Lisbonne des chefs d’Etat et de gouvernement de l’OSCE sur «un modèle de
sécurité commun et global pour l’Europe du XXIe siècle», Lisbonne, décembre 1996.
Déclaration d’Istanbul des chefs d’Etat et de gouvernement de l’OSCE portant «Charte de
sécurité européenne», Istanbul, novembre 1999.
IV – Union africaine
Résolution 85 (XIV) de la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement de l’O.U.A.
relative aux «Interventions dans les affaires intérieures des Etats africains», Libreville, juillet
1977.
Déclaration 1 (XXII) de la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement de l’O.U.A. sur
«L’ingérence du gouvernement des Etats-Unis dans les affaires intérieures de la République
populaire d’Angola», Addis-Abeba, juillet 1986.
Déclaration 3 (XXIX) de la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement de l’O.U.A. sur
la «Création au sein de l’O.U.A. d’un Mécanisme pour la prévention, la gestion et le
règlement des conflits», Caire, juin 1993.
Déclaration 1 (XXXV) de la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement de l’O.U.A. à
l’issue du Sommet d’Alger de juillet 1999.
Décision 132-142 (XXXV) de la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement de
l’O.U.A. sur la sanction des gouvernements ayant accédé au pouvoir par des moyens
anticonstitutionnels, Alger, juillet 1999.
Déclaration 2 (XXXVI) dite «Déclaration de Lomé» de la Conférence des chefs d’Etat et de
Gouvernement de l’O.U.A., Lomé, juillet 2000.
Déclaration 4 (XXXVI) de la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement de l’O.U.A.
sur «La Conférence sur la sécurité, la stabilité, le développement et la coopération en Afrique
(C.S.S.D.C.A)», Lomé, juillet 2000.
481
Déclaration 5 (XXXVI) de la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement de l’O.U.A.
sur «Le cadre pour une réaction de l’O.U.A. face aux changements anticonstitutionnels de
gouvernement», Lomé, juillet 2000.
V – Organisation des Nations Unies
Résolution 1815 (XVII) de l’Assemblée générale des Nations Unies portant «Examen des
principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les
Etats conformément à la Charte de la Nations Unies», 18 décembre 1962.
Résolution 2131 (XX) de l’Assemblée générale des Nations Unies intitulée «Déclaration sur
l'inadmissibilité de l'intervention dans les affaires intérieures des Etats et la protection de
leur indépendance et souveraineté», 21 décembre 1965.
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relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération
entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies», 24 octobre 1970.
Résolution 37/10 de l’Assemblée générale des Nations Unies dite «Déclaration de Manille
sur le règlement pacifique des différends internationaux», 5 novembre 1982.
Résolution 42/22 de l’Assemblée générale des Nations Unies portant « Déclaration sur le
renforcement de l’efficacité du principe de l’abstention du recours à la menace ou à l’emploi
de la force dans les relations internationales», 18 novembre 1987.
Résolution 678 du 29 novembre 1990 du Conseil de sécurité autorisant le recours à la force à
l’encontre de l’Irak.
Résolution 46/59 de l’Assemblée générale des Nations Unies dite « Déclaration concernant
des activités d’établissement des faits de l’Organisation des Nations Unies en vue du maintien
de la paix et de la sécurité internationales », 9 décembre 1991.
Résolutions 748 du 31 mars 1992 et 883 du 11 novembre 1993 du Conseil de sécurité
imposant l’interruption des relations aériennes et un embargo économique contre la Libye.
Résolutions 808 du 22 février 1993 et 827 du 25 mai 1993 du Conseil de sécurité des Nations
Unies portant « Création du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie ».
482
Résolution 841 du16 juin 1993 du Conseil de sécurité imposant un embargo commercial
contre Haïti.
Résolution 875 du 16 octobre 1993 du Conseil de sécurité durcissant l’embargo contre Haïti.
Résolution 917 du 6 mai 1994 du Conseil de sécurité sur « Les sanctions pour la restauration
de la démocratie et au retour du Président légitimement élu en Haïti ».
Résolution 955 du 8 novembre 1994 du Conseil de sécurité portant « Création du Tribunal
pénal international pour le Rwanda ».
Résolution 54/168 de l’Assemblée générale des Nations Unies sur le « Respect des principes
de la souveraineté nationale et de la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats en
ce qui concerne les processus électoraux », 17 décembre 1999.
Résolution 55/2 de l’Assemblée générale des Nations Unies portant adoption de la
«Déclaration du Millénaire», 8 septembre 2000.
Résolution 60/1 de l’Assemblée générale des Nations Unies portant adoption du «Document
final du Sommet mondial de 2005», 16 septembre 2005.
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Résolution sur «Les droits et devoirs des Puissances étrangères, au cas de mouvement
insurrectionnel envers les gouvernements établis et reconnus qui sont au prise avec
l’insurrection», Rapporteurs Arthur Desjardins et Marquis de Olivart, Session de Neuchâtel,
1900.
Déclaration sur «Les droits internationaux de l’homme», Rapporteur André Mandelstam,
Session de New York, 1929.
Résolution intitulée «De la détermination par le droit international du domaine laissé à la
compétence exclusive de chaque Etat», Rapporteur Louis Le Fur, Session d’Oslo, 1932.
Résolution sur «Le principe de non-intervention dans les guerres civiles», Rapporteur
Dietrich Schindler, Session de Wiesbaden, 1975.
483
Résolution sur «La détermination du domaine réservé et ses effets», Rapporteur Charles
Rousseau, Session d’Aix-en-Provence, 1954.
Résolution sur «La protection des droits de l’homme et le principe de non-intervention dans
les affaires intérieures des Etats», Rapporteur Giuseppe Sperduti, Session de Saint-Jacques-
de-Compostelle, 1989.
Résolution sur «L’assistance humanitaire», Rapporteur Budislav Vukas, Session de Bruges,
2003.
Résolution sur «Les obligations et les droits erga omnes en droit international», Rapporteur
Giorgio Gaja, Session de Cracovie, 2005.
Résolution sur «La compétence universelle en matière pénale à l’égard du crime de
génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre», Rapporteur Christian
Tomuschat, Session de Cracovie, 2005.
Résolution sur «Problèmes actuels du recours à la force en droit international – Actions
humanitaires», Rapporteurs Reisman et Owada, Session de Santiago, 2007.
Résolution sur «Problèmes actuels du recours à la force en droit international – Légitime
défense», Rapporteur Emmanuel Roucounas, Session de Santiago, 2007.
D. Rapports
Rapport de la Sixième Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies, séance du 3
novembre 1970, Doc. A/8568 du 10 décembre 1971.
Rapport du Secrétaire général des Nations Unies du intitulé « Agenda pour la paix »,
Document ONU, A/47/277, S/2411, 17 juin 1992.
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changement intitulé « Un monde plus sûr: notre affaire à tous », décembre 2004, 102 p.
Rapports du Secrétaire général de la francophonie, 2002-2004, 2004-2006, 2006-2008.
Rapport du Secrétaire général Kofi ANNAN intitulé « Dans une liberté plus grande, vers le
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des pratiques de la démocratie, des droits de l’homme et des libertés dans l’espace
francophone », 2008.
485
TABLE DES MATIERES
Sommaire………………………………………………………………………………………9
Liste des sigles et abréviations………………………………………………………………..11
INTRODUCTION…………………………………………………………………………...15
1. La reconnaissance formelle de l’existence d’un domaine réservé à la compétence
nationale de l’État…………………………………………………………………….17
2. Une conception matérielle dominante du domaine de compétence nationale………..23
2.1. La théorie de l’engagement international……………………………………24
2.1.1. La vision classique………………………………………………………..24
2.1.2. La doctrine des ‘‘lacunes du droit international’’………………………...26
2.2. La théorie du domaine de compétence nationale par nature…………………26
3. Les conséquences attachées à la conception matérielle du domaine de compétence
nationale………………………………………………………………………………27
3.1. Le domaine de compétence nationale, expression juridique de la souveraineté-
liberté……………………………………………………………………………..28
3.2. La relativité de l’étendue du domaine de compétence nationale……………29
PREMIÈRE PARTIE : Les restrictions du domaine de compétence nationale ratione
materiae de l’État………………………………………………………………………..33
Titre I : Les facteurs de restrictions du domaine matériel de compétence
nationale………………………………………………………………………………….34
Chapitre I : Les mutations de la société internationale et du droit international…...35
486
Section 1 : Le développement du phénomène d’institutionnalisation de la vie
internationale………………………………………………………………………….…36
§ 1 : Les organisations internationales comme sources de restrictions du domaine
matériel de compétence nationale………………………………………………………36
1. L’autonomie fonctionnelle de l’organisation internationale vis-à-vis des États comme
limitation du domaine de compétence nationale……………………………………...37
1.1. Une personnalité juridique distincte de celle des États membres……………..38
1.2. L’existence de compétences propres à l’organisation internationale…………42
2. Les restrictions à la liberté d’action des États membres de l’organisation
internationale………………………………………………………………………….46
2.1. L’exercice d’activités adressées directement aux États……………………….46
2.2. L’exercice d’activités à l’égard de citoyens sur le territoire d’un État………..52
§ 2 : L’émergence d’une tendance communautaire dans la société internationale et le
droit international……………………………………………………………………...……55
1. La notion de communauté internationale, traduction d’un passage de l’anarchie
internationale à un ordre public international………………………………………...56
1.1. Les facteurs ayant favorisé l’émergence de l’idée communautaire…………..56
1.2. La notion de communauté internationale : expression de l’idée
d’ordonnancement du pouvoir à l’échelle internationale…………………………60
2. Les mécanismes juridiques posant les conditions d’un ordre public
international…………………………………………………………………………..64
2.1. Les obligations erga omnes…………………………………………………..64
2.2. Les normes de jus cogens…………………………………………………….67
487
Section 2 : La multiplication des matières appelant une règlementation
multilatérale………………………………………………………………………………….74
§ 1 : L’extension incessante du champ matériel du droit international………………….74
1. Le processus de socialisation extensive du droit international……………………….75
2. La protection internationale des droits de l’homme………………………………….77
2.1. L’accession de l’individu à l’ordre juridique international…………………..77
2.2. La prise en compte internationale des droits des peuples……………………83
§ 2 : L’institution d’un système de sécurité collective…………………………………….87
1. La limitation de la compétence de guerre des États…………………………………..88
1.1. L’interdiction du recours à la force entre États………………………………88
1.2. L’obligation de règlement pacifique des différends………………………….91
2. Les techniques internationales de la sécurité comme limites du domaine de
compétence nationale de l’État……………………………………………………….96
2.1. Les tentatives internationales de maîtrise des armements……………………96
2.2. La centralisation du monopole de la force au profit d’un organe international
chargé du maintien de la paix et de la sécurité internationales……………….....101
Chapitre II : L’émergence sur la scène internationale de nouveaux centres de
pouvoirs……………………………………………………………………………………..106
Section 1 : Les restrictions du domaine de compétence nationale de l’État par des
acteurs transnationaux…………………………………………………………………….106
§ 1 : Le domaine de compétence nationale de l’État restreint par la capacité objective
des ONG…………………………………………………………………………………….107
488
1. La capacité de représentation et d’action alternatives des ONG…………………….107
2. La capacité d’influence des ONG…………………………………………………...111
§ 2 : Le domaine de compétence nationale de l’État restreint par de puissants acteurs
économiques et financiers transnationaux………………………………………………..114
1. Les sociétés transnationales comme acteurs des restrictions du domaine matériel de
compétence nationale…………………………………………………………….….115
2. Les marchés financiers, sources de limitations à la liberté de l’État…………...……118
Section 2 : Les restrictions du domaine de compétence nationale de l’État par des
acteurs supranationaux…………………………………………………………………....120
§ 1 : La restriction du domaine de compétence nationale, moyen de réalisation des
objectifs d’intégration régionale…………………………………………………………..123
1. L’existence d’un ordre juridique communautaire autonome limitant la compétence
nationale des États…………………………………………………………………..123
1.1. De l’existence de l’ordre juridique communautaire………………………...123
1.2. De l’autonomie de l’ordre juridique communautaire……………………….126
2. L’applicabilité immédiate et directe et la primauté du droit communautaire comme
limites à la compétence nationale des États…………………………………………129
2.1. La soumission de la compétence législative nationale au principe
d’applicabilité immédiate et directe du droit communautaire…………………...130
2.2. L’effet de la primauté du droit communautaire sur la compétence
nationale…………………………………………………………………………132
§ 2 : La restriction du domaine de compétence nationale comme exigence des
mécanismes juridiques d’organisation et de répartition des compétences……………..134
489
1. La répartition des compétences entre les États et l’institution
communautaire………………………………………………………………………135
1.1. Les transferts de compétences souveraines comme principe des systèmes
communautaires……………………………………………………………..135
1.2. Les restrictions du domaine de compétence nationale des États dans l’exercice
des compétences communautaires…………………………………………..138
1.2.1. L’exercice de compétences communautaires exclusives………………..138
1.2.2. L’exercice de compétences partagées avec les États membres………...140
1.2.3. L’exercice de compétences complémentaires et de compétences
spécifiques……………………………………………………………….141
2. L’existence d’un pouvoir communautaire de contrôle et de sanction…………….…143
2.1. Le contrôle de l’application effective du droit communautaire……………..143
2.2. Les sanctions à la non-conformité du droit national au droit
communautaire……………………………………………………………….147
Conclusion du Titre I………………………………………………………………………..150
Titre II : Les manifestations des restrictions du domaine matériel de compétence
nationale…………………………………………………………………………………….152
Chapitre I : La prise en compte par le droit international du mode d’organisation et de
fonctionnement internes de l’État………………………………………………………...154
Section 1 : L’existence d’une obligation internationale d’être démocratique………….155
§ 1 : Une obligation consacrée par des textes juridiques internationaux………………155
1. La démocratie en tant qu’objet d’obligations juridiques à l’échelle universelle…….156
490
2. La démocratie en tant qu’objet d’obligations juridiques à l’échelle régionale……...160
2.1. À l’échelle européenne……………………………………………………...161
2.2. À l’échelle américaine………………………………………………………163
2.3. À l’échelle africaine………………………………………………………...164
§ 2 : Une obligation consacrée par des pratiques internationales courantes…………...168
1. Les pratiques courantes de la conditionnalité démocratique………………………...168
1.1. La conditionnalité démocratique dans les relations directes d’État à État….169
1.2. La conditionnalité démocratique dans la pratique des organisations
internationales…………………………………………………………………...172
2. L’assistance et l’observation électorales internationales……………………………177
3. La condamnation systématique des coups d’État contre des gouvernements
démocratiques……………………………………………………………………….182
Section 2 : Les réactions internationales à la non-conformité à l’exigence
démocratique……………………………………………………………………………….185
§ 1 : L’adoption de mesures de coercition non militaire………………………………...185
1. Les pressions politiques et les mesures d’ordre diplomatique………………………186
2. Les mesures restrictives d’ordre économique et commercial……………………….193
§ 2 : L’usage de mesures exceptionnelles de coercition militaire……………………….198
1. Le recours à la force pour la démocratie dans le cadre des Nations Unies………….198
2. Le recours à la coercition militaire pour la démocratie hors cadre des Nations
Unies………………………………………………………………………………...204
491
Chapitre II : La mise en œuvre de la responsabilité pénale individuelle par le droit
international………………………………………………………………………………..214
Section 1 : L’extension des pouvoirs du Conseil de sécurité en matière pénale comme
manifestation de la restriction du domaine de compétence nationale…………………..216
§ 1 : Le rôle déterminant du Conseil de sécurité dans l’institution de tribunaux pénaux
internationaux et de juridictions pénales internationalisées……….……………………..217
1. L’institution de tribunaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda…………….218
2. Le rôle du Conseil de sécurité dans la création de juridictions pénales
internationalisées…………………………………………………………………….223
§ 2 : Les pouvoirs particuliers du Conseil de sécurité dans la procédure devant la CPI
comme preuve de la restriction du domaine de compétence nationale.…….…………..231
1. Saisine de la C.P.I. par le Conseil de sécurité et compétence pénale
nationale……………………………………………………………………………..232
2. Suspension de la procédure devant la C.P.I. par le Conseil de sécurité et compétence
pénale nationale……………………………………………………..……………….235
Section 2 : L’articulation des compétences entre les juridictions pénales internationales
et les juridictions nationales comme preuve de la restriction de la compétence pénale
nationale………………………………………………………………………………….....240
§ 1 : Les principes gouvernant l’articulation des compétences entre les juridictions pénales
internationales et les juridictions nationales…………………………….…………………241
1. La primauté de la compétence des T.P.I. ad hoc sur celle des juridictions pénales
nationales…………………………………………………………………………....241
2. La complémentarité entre la compétence de la C.P.I. et les compétences des
juridictions nationales….…………………………………………………………....244
492
§ 2 : Les implications des principes de répartition de la compétence répressive entre les
juridictions pénales internationales et les juridictions nationales………………………….249
1. L’obligation générale de coopération des États avec les juridictions pénales
internationales……………………………………………………………………...….249
2. Le pouvoir de contrôle des juridictions pénales internationales sur les systèmes
judiciaires nationaux………………………………………………….……………..252
Conclusion du Titre II………………………………………………………………………..257
Conclusion de la Première partie……………………………………………………………259
DEUXIÈME PARTIE : Les conséquences des restrictions du domaine matériel de
compétence nationale de l’État……………………………………………………………262
Titre 1 : L’assouplissement du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures
d’un État face aux réactions internationales aux défaillances de la compétence
nationale…………………………………………………………………………………….263
Chapitre I : Les interventions internationales dans le domaine de compétence nationale
de l’État en vue du maintien de la paix et de la sécurité………………………………...265
Section 1 : Les fondements des interventions internationales dans le domaine de
compétence nationale en vue du maintien et de la consolidation de la paix et de la
sécurité……………………………………………………………………………………...266
§ 1 : Les fondements politiques……………………………………………………………267
1. L’existence de situations de défaillances de la compétence nationale……………....268
2. La présence d’un international concern et de risques d’internationalisation……….273
§ 2 : Les fondements juridiques……………………………...……………………………278
1. La Charte des Nations Unies………………………………………………………...278
493
2. Les résolutions du Conseil de sécurité………………………………………………281
Section 2 : Les activités des opérations internationales en vue du maintien et de la
consolidation de la paix et de la sécurité………………………………………………….284
§ 1 : Les activités de maintien de l’ordre public et de reconstruction politique de
l’État………………………………………………………………………………………...286
1. Les activités de maintien de l’ordre et de la sécurité publics et de restauration de l’état de
droit…………………………………………………………………………………...287
2. Les activités de reconstruction politique de l’État…………………………………….291
§ 2 : Les activités de reconstruction socio-économique de l’État……………………….299
1. La reconstruction sociale de l’État…………………………………………………..299
2. Les activités de rétablissement des services publics essentiels, de relance et de
développement de l’économie nationale………………………………………….....304
Chapitre II : La substitution pure et simple de la communauté internationale ou d’une
puissance étrangère à la compétence nationale défaillante en matière de protection des
populations : l’assistance humanitaire internationale…………………………………...309
Section 1 : Les fondements de l’assistance humanitaire internationale..……………….310
§ 1 : Le fondement moral et idéologique………………………………………………….311
1. Le soulagement des souffrances et la protection des populations…………………...312
2. Le partage des valeurs communes supérieures……………………………………...316
§ 2 : La défense de l’ordre public international………………………………………….319
1. L’élaboration juridique en vue de l’établissement d’un ordre international
humanitaire…………………………………………………………………………..319
494
2. Les exigences de l’ordre international humanitaire…………………………………325
Section 2 : Les motifs des interventions d’humanité…………………………………….329
§ 1 : La protection des populations hors cadre des Nations Unies……………………329
1. La signification de l’intervention d’humanité…………………………………….…330
2. La mise en cause de la compétence nationale dans l’exercice de l’intervention
d’humanité…………………………………………………………………………..332
§ 2 : Dans le cadre de l’ONU : la responsabilité de protéger……………………………335
1. La genèse et la signification du principe de la responsabilité de protéger…………..335
2. La mise en œuvre de la responsabilité de protéger et ses implications sur la
compétence nationale de l’État……………………………………………………...339
Conclusion du Titre I………………………………………………………………………344
Titre II : La métamorphose du domaine de compétence nationale de l’État…………..346
Chapitre I : La conception fonctionnelle du domaine de compétence nationale de
l’État………………………………………………………………………………………...348
Section 1 : Le domaine de compétence nationale comme domaine d’exercice de la fonction
de gouvernement…………………………………………………………………………….348
§ 1 : Les manifestations de la fonction gouvernementale comme domaine de compétence
nationale de l’État………………………………………...………………………………..349
1. La capacité d’action internationale de l’État………………………………………….350
2. L’exercice de la puissance publique à l’égard des personnes placées sur le territoire de
l’État………………………………………………………………………………....353
495
§ 2 : Les implications de la fonction gouvernementale comme domaine de compétence
nationale de l’État……………………………………...…………………………………..358
1. La liberté de l’État de désigner les organes le représentant dans les relations
internationales……………………………………………………………………….359
2. L’autonomie constitutionnelle des États ou le principe de la libre détermination de la
structure politico-administrative de l’État…………………………………………...362
Section 2 : Le domaine de compétence nationale comme un contenu indisponible de la
puissance étatique………………………………………………………………………….367
§ 1 : Le domaine de compétence nationale comme domaine des moyens indisponibles
propres à assurer la conservation de la puissance étatique……………………………..367
1. La fonction gouvernementale en tant que compétence normative………………..…368
2. La fonction gouvernementale en tant que compétence d’exécution………..……….371
§ 2 : Le domaine de compétence nationale comme critère d’effectivité des fonctions
étatiques essentielles………………………..………………………………………………375
1. Le domaine de compétence nationale comme critère d’effectivité de la fonction
gouvernementale en matière de maintien de l’ordre, de la sécurité et de la marche
régulière des services publics essentiels…………………………………………….375
2. Le domaine de compétence nationale comme critère de l’accomplissement effectif des
obligations internationales…………………………………………………………..379
Chapitre II : Le domaine de compétence nationale comme critère incompressible de
sauvegarde de la souveraineté-indépendance de l’État………………………………….383
Section 1 : Le domaine de compétence nationale comme protection de l’indépendance de
la fonction gouvernementale………………………………………………………………385
496
§ 1 : Le domaine de compétence nationale comme protection de l’indépendance de la
fonction législative de l’État dans les rapports de systèmes………………………..……386
1. L’indépendance des ordres juridiques étatiques vis-à-vis de l’ordre
international………………………………………………………………………....387
2. L’absence d’effet immédiat dans l’ordre interne des règles et décisions juridiques
internationales……………………………………………………………………….391
§ 2 : La protection de l’indépendance de la fonction gouvernementale dans les activités
opérationnelles des acteurs internationaux………………………………………………396
1. Le maintien de la compétence de principe des autorités nationales même en cas de
déploiement d’une opération de maintien de la paix, d’occupation militaire ou
d’administration internationale de territoire……………………………………..….396
2. Le maintien de la compétence prioritaire des autorités nationales dans le processus de
reconstruction post-conflit de l’État…………………………………………..……..402
Section 2 : Le domaine de compétence nationale comme protection du fait primaire
étatique : l’insubordination organique des États………………………………………...406
§ 1 : La réserve de la compétence nationale contre toute caractérisation étatique, fut-elle
fédérale, des organisations internationales……………………………………………….407
1. La réserve de la compétence nationale comme limite à une éventuelle évolution
fédérale des Nations Unies……………………………………………………..……408
2. L’inaliénation de l’indépendance des États membres des organisations d’intégration
régionale : l’exemple de l’U.E……………………………………………………....411
§ 2 : La réserve de la compétence nationale contre l’exercice de la puissance étatique à
l’égard d’un État…………………………………………………………………………...415
497
1. Le principe de l’interdiction de l’application extraterritoriale directe du droit national
ou la persistance de la prédominance du titre territorial comme base de compétence de
l’État…………………………………………………………………………………416
2. L’actualité du principe de non-ingérence dans la conception fonctionnelle du domaine
de compétence nationale…………………………………………………………….421
Conclusion du Titre II……………………………………………………………………..425
Conclusion de la Deuxième partie…………………………………………………….…..426
Conclusion générale………………………………………………………………………..429
Bibliographie……………………………………………………………………………….433
Table des matières………………………………………………………………………….489
498
L’évolution du droit international public et la notion de domaine de compétence nationale de l’État.
La notion de domaine de compétence nationale de l’État ou domaine réservé est envisagée par la majorité de la doctrine internationaliste comme renvoyant à une sphère de matières dans lesquelles l’État, parce que non tenu par des obligations juridiques internationales, jouit d’une liberté totale de décision et d’action. Or, les transformations de la société internationale depuis 1945 ont engendré une extension matérielle du droit international de telle sorte qu’il est aujourd’hui difficile de déterminer une matière où l’État n’est pas soumis à des règles internationales et où il jouit d’une liberté absolue. À ce titre, le domaine de compétence nationale doit être appréhendé non dans sa dimension matérielle, mais de manière fonctionnelle qui permet d’expliquer la persistance de cette notion dans le droit international, mais aussi de mettre en exergue la singularité du phénomène étatique par rapport aux autres phénomènes de pouvoir tant à l’échelle nationale qu’internationale. Cette singularité de l’institution étatique fait que certaines fonctions comme celle de gouvernement à travers ses manifestations et implications, lui sont intrinsèquement rattachées de telle manière que, s’il se les prive ou s’il en est privé, il perd sa qualité d’État. Dans cette mesure, le domaine de compétence nationale apparaît comme un critère incompressible de sauvegarde de la souveraineté en tant qu’indépendance de l’État dans l’ordre international.
Mots clés : Domaine réservé, compétence nationale, État, organisation internationale, communauté internationale, droits de l’homme, maintien de la paix, responsabilité de protéger, mondialisation, souveraineté, indépendance.
The Evolution of International Public Law and the Notion of Domestic Jurisdiction of State.
The notion of domestic jurisdiction of the State is considered by the majority of the internationalist doctrine as referring to a sphere of material in which the State, because not bound by international legal obligations, has a complete freedom of decision and action. However, changes in international society since 1945 have resulted in a material extension of international law so that it is now difficult to determine a matter in which the State is not subject to international rules and where it has absolute freedom. As such, the domestic jurisdiction must be understood not in its material dimension, but functional way that helps explain the persistence of this notion in international law, but also to highlight the uniqueness of the phenomenon of State in relation to the other phenomena of power both nationally and internationally. This peculiarity of the state institution is such that certain functions such as government through its manifestations and implications are intrinsically linked him so that if he does without them or if it is deprived of them, it loses its statehood. To this extent, the domestic jurisdiction appears as an incompressible criterion safeguarding sovereignty as that independence of the State in the international order.
Keywords: Domestic jurisdiction, State, International Organization, International Community, Human Rights, Peacekeeping, Responsibility to protect, Globalization, Sovereignty, Independence.
Discipline : Droit public
CRDT - Campus Croix-Rouge – Bâtiment Enseignement et Recherche - 57 rue Pierre Taittinger 51096 REIMS cedex