louis cyr - paul ohl (2013)

Upload: mariel-acosta

Post on 08-Oct-2015

56 views

Category:

Documents


2 download

DESCRIPTION

Louis Cyr's biography by Paul Ohl

TRANSCRIPT

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    1/497

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    2/497

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    3/497

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    4/497

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    5/497

    dition : Monique H. Messier, Romy Snauwaert

    Rvision linguistique : Isabelle Lalonde

    Correction dpreuves : Emmanuel Dalmenesche

    Couverture et mise en pages : Chantal Boyer

    Photo de lauteur : Hlne Leclerc

    FORTISSIMUS est une locution latine qui signifie le plus fort .

    Lillustration figurative FORTISSIMUS est une marque dpose et enregistre auprs

    de lOffice de la proprit intellectuelle du Canada sous le numro TMA808448.

    Lillustration de la page prcdente a t cre par M. Christian Ohl en 2004.

    Remerciements

    Nous reconnaissons laide financire du gouvernement du Canada par lentremise du Fondsdu livre du Canada pour nos activits ddition.

    Nous remercions le Conseil des Arts du Canada et la Socit de dveloppement des

    entreprises culturelles du Qubec (SODEC) du soutien accord notre programme de

    publication.

    Gouvernement du Qubec Programme de crdit dimpt pour ldition de livres gestion

    SODEC

    Tous droits de traduction et dadaptation rservs ; toute reproduction dun extrait

    quelconque de ce livre par quelque procd que ce soit, et notamment par photocopie ou

    microfilm, est strictement interdite sans lautorisation crite de lditeur.

    Paul Ohl, 2004, 2013

    Les ditions Libre Expression, 2005, 2013

    Les ditions Libre Expression

    Groupe Librex inc.

    Une socit de Qubecor Mdia

    La Tourelle

    1055, boul. Ren-Lvesque EstBureau 300

    Montral (Qubec) H2L 4S5

    Tl. : 514 849-5259

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    6/497

    Tlc. : 514 849-1388

    www.edlibreexpression.com

    Dpt lgal Bibliothque et Archives nationales du Qubec et Bibliothque et Archives

    Canada, 2013

    ISBN : 978-2-7648-0896-2

    Distribution au Canada

    Messageries ADP

    2315, rue de la Province

    Longueuil (Qubec) J4G 1G4

    Tl. : 450 640-1234Sans frais : 1 800 771-3022

    www.messageries-adp.com

    http://www.messageries-adp.com/http://www.edlibreexpression.com/
  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    7/497

    Il ny a ni Est, ni Ouest, ni frontire

    ni race, ni naissance,

    quand deux hommes forts saffrontent

    quoiquils viennent des deux bouts

    de la Terre.

    Rudyard Kipling

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    8/497

    Un mot de lauteur

    Afin de souligner dignement, en cette anne 2013, le150e anniversaire de la naissance de Louis Cyr, les ditions Libre

    Expression ont dcid de publier une dition spciale, revue,corrige et bonifie, de la biographie de Louis Cyr parue en 2005.

    En cours de relecture et de rvision, il mest apparu, hors de toutdoute, que Louis Cyr incarne toujours le mythe universel de la force,porteur dune part de mystre et de dmesure. Le destin de Louis Cyr

    fut dtre un homme dexception, hors du commun, plus grand quenature, une poque o son peuple tait encore en qute duneidentit.

    Il faut bien quune lgende naisse quelque part. Celle-ci nousvient par des regards et des crits passs et sinstalle lcart desclichs et des mtaphores. Elle rvle surtout un homme qui vcut

    aux confins de deux cultures et dont le cheminement identitaire et lesvaleurs morales refltent ses origines, son milieu, son poque.Ajoutons qu lpoque o vcut Louis Cyr, la dmonstration de laforce physique avait valeur de symbole biblique, puisquelleincarnait un don de Dieu et valait celui qui en tait investi dtre

    lmule du Samson de lAncien Testament.Affirmer que Louis Cyr fut lhomme le plus fort du monde une

    poque o le mot sport navait pas encore acquis ses lettres denoblesse, sauf dans lesprit de quelques aristocrates europens, estdj une conclusion forte. Prtendre quil doit tre considr, de nosours, comme lhomme le plus fort de tous les temps relve de la

    canonisation. Pourtant, ce quaccomplit Louis Cyr, au-del desexagrations vhicules par certains auteurs, na jamais t fait, niavant lui, ni depuis, dans lhistoire humaine.

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    9/497

    Il nen faut donc gure plus pour tmoigner pleinement dun destinunique, car tel fut le parcours la fois flamboyant et tragique de cefils du terroir. Flamboyant, parce quil connut une exprience deltre et du monde diffrente de celle de ses semblables ; tragique,parce quil sacrifia sa vie sur lautel de sa lgende.

    Si tant est que Louis Cyr symbolise lincarnation de la forcesuprme, du moins dans lHistoire moderne, il constitueindniablement un fleuron glorieux du patrimoine populaire.

    PAUL OHL19 janvier 2013

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    10/497

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    11/497

    Louis Cyr vu par lui-mme

    Du 27 janvier au 3 fvrier 1908, le journaliste de La PresseSeptimeLaferrire et le dessinateur Albric Bourgeois ont rencontr Louis

    Cyr son domicile de Saint-Jean-de-Matha, afin dy recueillir lercit oral de sa vie.

    Le journaliste stnographia les propos de Louis Cyr puis lestranscrivit de faon quils puissent tre publis. Le dessinateursinspira de toutes les histoires racontes par Louis Cyr pour crer

    une douzaine dillustrations. Lensemble de luvre parut entrefvrier et novembre 1908 et devint un prcdent dans lhistoire duournalisme en Amrique du Nord.

    En se fondant sur ces Mmoires de lhomme le plus fort dumonde, lauteur de la biographie de Louis Cyr a imagin la douzainede questions quil aurait poses limmense personnage sil avait

    t en sa prsence voil plus dun sicle. Les rponses sont toutes,mot pour mot, celles de Louis Cyr.

    Do vous est venue cette force ?Du Crateur, qui ma donn cette vigueur prodigieuse et qui je

    dois rendre hommage. Mais je sais aussi, aprs avoir vcu ce queai vcu, que cette force physique qui ma trac ma carrire est unhritage reu de parents et daeuls, tous enfants des champs. Je faisremonter mon culte de la force physique en voquant toujours lesouvenir de mes anciens, car tout est l.

    Aviez-vous un premier matre, une sorte didole ?Ds lge de six ans, ce fut le gros Trudeau, le forgeron des ctes,

    dont tous les anciens de Saint-Cyprien-de-Napierville se rappellent

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    12/497

    encore le nom. Son tour de force favori tait de prendre son enclumede 200 livres par la bigorne, dune seule main, et de faire ainsi letour de sa boutique. Il arrivait aussi arracher, seul, des ornires oelles staient embourbes, les voitures que bien souvent deuxchevaux ne pouvaient plus faire bouger.

    Vous considrez-vous comme trs fort ou le plus fort ? quatorze ans, je pesais 160 livres. On ma plac une porte

    dcurie sur le dos et on y a charg quinze minots de grains,lquivalent dune demi-tonne. Jai fait 15 pieds avec cette charge

    sur le dos. trente-trois ans, je pesais 335 livres. Jai soulev uneplate-forme charge de 4 337 livres, un poids suprieur 2 tonnes.Aucun humain na jamais russi quelque chose de semblable. Sansprtention aucune, entre 1890 et 1897, jai rempli le livre desrecords de force moi seul.

    Pourquoi ce voyage en Angleterre en 1891 alors quon vousdisait dj lhomme le plus fort du monde ?

    Pour effacer le moindre doute. Jai travers lAtlantique dans lebut de rencontrer tout venant pour le titre de champion du monde etnon pour perdre mon temps en des tours de jonglerie.

    Quelles conclusions avez-vous tires de cette tourne dequatre mois en Angleterre ?

    Jai constat combien tait surfaite la rputation de tous cesprtendus hommes forts. Ils se sont tous couchs, sans exception, lannonce de mes dfis, incluant le grand Sandow lui-mme.Personnellement, javais la certitude que je natteindrais jamais leslimites de ma force. Jai pris lengagement quen quittantlAngleterre, puisque personne ne voulait relever mes dfis, autant

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    13/497

    effacer les records des autres et faire en sorte que dornavant il nyait quun seul nom dans le livre des records, le mien.

    Pourquoi dites-vous ces prtendus hommes forts ?Ces gens affichaient des poids dapparence norme quils

    manuvraient avec facilit, mais il fallait les croire sur parole. Moi,e ne demandais pas la mme foi en mes avances. chacune de mes

    reprsentations une balance tait sur la scne et un comit decitoyens, pris au hasard, dans lauditoire, venait aux yeux de touspeser mes haltres.

    Vous considrez-vous vraiment comme le champion deshommes forts de tous les temps ?

    Dans le New York Clipper de 1897, la seule autorit reconnue enmatire athltique au monde, vous trouverez enregistrs les 25records du monde de force. Ces exploits sont les miens et nont

    amais t gals par aucun homme au monde.

    Auriez-vous pu faire mieux ?Je le crois car je nemployais jamais toute ma force dans mes

    exhibitions, me rservant toujours quelques livres pour augmenter

    mes records, si quelquun les avait gals. Ce qui nest jamaisarriv.

    tre ou ne pas tre canadien-franais. Un dilemme pour vous,nest-ce pas ?

    Je le fus et le demeurerai toujours. Cest Saint-Cyprien quon a

    berc mes annes denfance et quon ma inspir une relle adorationpour les exploits de la force physique. Une fois connu, on a bien tentde macheter pour que je rinvente lhistoire de ma vie, on a tent

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    14/497

    fort prix de yankeefiermon nom, de faire de moi un vrai championamricain. De largent, tenez, gros comme cela. Je nai jamaisaccept.

    Le folklore a-t-il pris le dessus sur le vrai Louis Cyr ?

    Dans cette vie de thtre et de cirque, il y a eu tant de journalistes rencontrer, dinterviews donner, de promoteurs combler. Letemps venait souvent manquer, mais pas les histoires. La mienne,ils la fabriquaient de toutes pices. On me faisait accomplir desexploits abracadabrants : 6 000, 7 000 livres sur le dos, tout cela,

    eux, ne leur pesait pas au bout de la plume.

    Vous tiez la tte daffiche du plus grand cirque au monde :ingling Bros.La fortune, nest-ce pas ?

    Lartiste le mieux pay dAmrique. Voil pour le prix deconsolation. Le reste fut le bluff amricain. Dans le cirque Ringling

    il nen manquait pas de spectacles bien propres nous faire prendreen piti notre pauvre humanit. Toute une collection dhorreurs ;pauvres malheureux pour qui la nature avait t cruelle et dont laseule ressource tait dexhiber leurs affreuses difformits. Pour mapart, je naurais jamais song mannoncer au moyen dexploits

    abracadabrants quon me faisait accomplir sur les placards et lesrclames ! Mais jtais pay 2 000 dollars par semaine !

    Navez-vous pas exploit votre propre cirque ?Je ne fais pas montre dorgueil en disant que le Cirque Louis Cyr

    eut une vogue aussi grande que les shows amricains, dans nosdistricts ruraux. Mon cirque, trs modeste au dbut, devint de plus enplus considrable chaque anne, et chose qui nest pas ddaigner,fut aussi une entreprise payante, et je dois dire quil tait trs

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    15/497

    florissant lorsque le mauvais tat de ma sant me fora de leliquider. Jen fus contrari, car je rvais de faire de mon cirque uneinstitution aussi considrable que les grands cirques amricains, leshorreurs en moins.

    Monsieur Cyr, dans cette grande aventure que fut votre vie,quel fut votre plus grand regret ?

    Tout ce qui a trait mon instruction, car, une fois lanc dans macarrire, mme une fois devenu clbre, je compris quun vide restait combler dans mon existence : jtais ignorant ! Ce fut pendant mes

    voyages que jappris, petit petit, lire et crire. Pour le franais,e macharnais copier des pages des Devoirs du Chrtien. Mafemme mencourageait dans mes efforts pour minstruire. Quant mon bagage danglais, ctait dans les journaux que jallais lechercher. Il ma fallu bien des annes pour combler les lacunesquavait laisses dans mon ducation mon court sjour lcole.

    Cest ici que commence la vritable histoire de cet trephnomnal prnomm Cyprien No Cyr, mais que lon connut desdeux cts de lAtlantique sous le nom de Louis Cyr, lhomme leplus fort de tous les temps.

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    16/497

    Premire partie : le prodige

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    17/497

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    18/497

    Des Acadiens errantsJean Sire, lanctre de Cyprien No Cyr, naquit Saint-loi de

    Dunkerque, en Flandre franaise, vers 1655. Cet endroit tait situdans la plaine maritime qui stend entre le nord de la France et laBelgique, au bord de la mer du Nord. Difficile de dire pourquoi JeanSire quitta sa Flandre natale en mme temps que quelques pcheurs,marchands, soldats et artisans du Perche, du Poitou, de la Bourgogne,

    pour venir tenter la prilleuse aventure de lAcadie, dcrite parcertains comme un pays intempr cause de la mer glaciale quilenvironne .

    On peut risquer deux raisons : la terrible crise de subsistance quisest produite en France en 1677, alors que des pidmies se sontajoutes aux ravages de la famine ; en second lieu, le recrutement

    astucieux des seigneurs franais de la Nouvelle-France, parmilesquels les gouverneurs de lAcadie. Cette offensive de recrutementfut lance par Charles de Menou dAulnay, lequel, ds les annes1640, envoyait des habitants de ses terres familiales dans le Poitou sa seigneurie acadienne, ainsi quen tmoigne le premier

    recensement de lAcadie en 1671.Quoi quil en soit, lorsque lanctre de Cyprien No Cyr

    dbarqua en Acadie, cette colonie du bout du monde tait dj aucentre du conflit qui opposait la France lAngleterre. Mari Marguerite Raimbault, il eut avec elle plusieurs enfants. Lun deux,Louis, deuxime de la ligne, naquit vers 1690. Peu aprs, lamiralanglais Phipps saccagea Port-Royal et occupa lAcadie pninsulaire.Beaucoup de familles fondatrices, dont celle de Jean Sire, sedirigrent alors vers Les Mines et Beaubassin, les fondations les plus

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    19/497

    loignes de cette Acadie constitue de Port-Royal, Cobequit,Grand-Pr et Chipody.

    En 1713, le trait dUtrecht marqua le point de rupture avec unebonne partie des colonies franaises dAmrique. LAcadie, pour cequi en restait, devint officiellement anglaise. La pninsule allait se

    nommer Nova Scotia et lle Saint-Jean fut dsigne Prince EdwardIsland.

    Le 12 novembre 1753, Paul Sire, petit-fils de Jean Sire, fils deLouis Sire, troisime de la ligne, pousa Marguerite Daigle (on liraaussi Daigre), fille de Joseph Daigle et de Marguerite Gautrot.

    Ctait moins de deux ans avant lvnement tragique qui allaitchanger lhistoire de lAmrique.

    Le vendredi 5 septembre 1755, tous les habitants mles de largion, jusquaux garons de dix ans, furent somms de se rendre lglise de Grand-Pr pour y entendre une communication dugouverneur.

    Cinq jours plus tard, le 10 septembre, on commena embarquerles hommes qui avaient t, jusque-l, parqus dans lglise.Beaucoup furent dbarqus tout le long du littoral amricain.

    Plusieurs passrent clandestinement listhme de Shediac, auNouveau-Brunswick, pour se cantonner pendant des semaines, mme

    des mois, dans les vastes forts. Progressivement, on longea lefleuve Saint-Laurent, sparpillant le long des ctes la recherchedune communaut daccueil et dune nouvelle vie au Bas-Canada.

    *

    Cest sur le chemin de lexil que naquit, le 4 mai 1756, Pierre-Paul Sire, quatrime de la ligne de Jean Sire. Il avait moins de deuxans lorsque sa mre mourut, le 26 fvrier 1758 Saint-Charles-de-

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    20/497

    Bellechasse, lge de vingt-cinq ans. Son grand-pre Louis, quilne connut pas, tait dcd lanne prcdente, le 22 juin 1757, etinhum Qubec. Il est probable quentre 1755 et 1757 Louis Sireait sjourn Saint-Franois-de-la-Rivire-du-Sud, au sud-ouest deMontmagny, prs de la rivire du Sud, une mission fonde en 1727,

    avant de se retrouver Qubec, deux ans avant la bataille desplaines dAbraham. Quant Paul Sire, le pre de Pierre-Paul, ilstait tabli Saint-Charles-de-Bellechasse, lest de Lvis, sur larivire Boyer, mme les terres de Charles Couillard de Beaumont,de la seigneurie du mme nom. Cest l quil pousa en secondes

    noces, le 5 mai 1758, Marie-Ursule Dubois. Dix enfants natront decette seconde union, entre 1759 et 1772 : deux Saint-Charles-de-Bellechasse, sept Saint-Franois-de-la-Rivire-du-Sud et un Qubec.

    Le fils, Pierre-Paul, continua sur son erre pour stablir, verslge de vingt-cinq ans, Saint-Grgoire-le-Grand, au cur de laseigneurie de Bcancour. Lendroit avait t fond en 1757 par descolons acadiens exils de Beaubassin, mais ntait toujours pas rigen paroisse lorsque Pierre-Paul Sire sy maria, le 28 octobre 1782,avec Franoise Pellerin, fille de Pierre Pellerin et de Marie-Franoise Morin. De cette union naquit, en 1783, Pierre Sire,

    cinquime descendant de Jean Sire et arrire-grand-pre de CyprienNo. Ce Pierre Sire, un colosse devait se souvenir le jeuneCyprien No, passa ses primes annes sur une terre de la seigneuriede Bcancour, avant de reprendre la route avec ses parents endirection du Haut-Richelieu, jusqu un endroit nomm Sainte-

    Marguerite-de-Blairfindie, paroisse catholique fonde en 1768 pardes colons de lAcadie et dont on avait ouvert les registres en 1789.La localit fut nomme La Cadie (ou La Petite-Cadie ou LaNouvelle-Cadie), bientt orthographie LAcadie, en souvenir de

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    21/497

    leur Acadie natale. En 1791, trois gnrations de Sire se retrouvaient LAcadie : Paul, Pierre-Paul et Pierre. Le premier y fut inhum le15 septembre 1798, le lendemain de lenterrement de son pouse,Marie-Ursule Dubois. Pierre-Paul Sire fut inhum son tour le15 juin 1809. Ses funrailles furent clbres dans la toute nouvelle

    glise de Sainte-Marguerite-de-Blairfindie, fleuron de larchitecturereligieuse traditionnelle du xviiie sicle, inaugure le 23 dcembre1801 et enrichie en 1802 des uvres religieuse du peintre LouisDulongpr. Cest dans cette mme glise quavait t baptis un anplus tt, en 1808, Pierre Sire, sixime de la ligne de Jean Sire, dont

    le patronyme se changera en Cyr par un caprice dcriturenotariale lorsque son pre, Pierre Sire, deviendra propritaire de 58arpents de bonne terre, en bordure de la Petite-Rivire-de-Montral.

    Cest dans ce patelin du Haut-Richelieu, dont le peuplement etlarchitecture furent marqus par le Grand Drangement acadien de1755 et le conflit entre les Amricains et la colonie britannique duBas-Canada de 1812, que se cristallisa le destin des descendants deJean Sire, devenus des Cyr.

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    22/497

    Les patriotes de Saint-Cyprien-de-NapiervilleLes Pierre Cyr pre et fils vivaient au sein dune communaut

    dAcadiens peine remis du douloureux exil. Ils formaient unensemble paroissial regroup autour de la nouvelle glise, dunpresbytre qui sera entirement reconstruit en 1821 et dun cimetireenclos.

    Les Cyr, comme tous les colons cultivateurs de LAcadie, furent

    les tmoins du conflit de 1812, la frontire amricaine de Lacolletant quelques kilomtres de l. Lieu stratgique, larmebritannique avait dress un camp la croise de deux routes : cellereliant Saint-Jean-Lvangliste (aujourdhui Saint-Jean-sur-Richelieu) La Prairie et celle menant de Chambly Odelltown. Cecarrefour tait au cur de LAcadie (Sainte-Marguerite-de-

    Blairfindie). Les Britanniques y rigrent des casernes connuescomme les casernes de Blairfindie ds 1814, des curies pour unecentaine de chevaux, un corps de garde, un puits, des logements pourofficiers et soldats et le quartier dun marchal des logis.Cantonnement du 119e rgiment des dragons lgers en 1813, les

    casernes allaient servir jusquen 1827 des soldats irlandais.Dautres ouvrages militaires, dont les blockhaus de Lacolle, tmoinsde la bataille du moulin de Lacolle en mars 1814, faisaient galementpartie du paysage local.

    Ce conflit canado-amricain allait influencer les habitudes dunoyau acadien auquel appartenaient les Cyr puisque, au lendemaindes hostilits, de nombreuses familles irlandaises catholiques etcossaises protestantes taient venues grossir la communaut, nonsans la perturber. Les uns et les autres occupaient des terres sur les

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    23/497

    rives opposes de la Petite-Rivire-de-Montral, mais chacundfendait prement sa langue, ses traditions, nhsitant pas dnoncer qui au cur, qui aux notables des seigneuries desagissements suspects ou des prtentions qui eussent pu sembler aller lencontre des murs, des enseignements religieux ou, plus

    simplement, de la rectitude des apparences.

    *

    En ce dbut du xixe sicle, lexploitation des sols tait encore

    laffaire du rgime seigneurial, par consquent des grandspropritaires terriens.Dans la partie du Haut-Richelieu o staient tablis les Cyr, les

    terres taient partages principalement entre la seigneurie de Lry,dans laquelle se trouvait le territoire de la future paroisse de Saint-Cyprien-de-Napierville, la seigneurie de La Prairie et la baronnie deLongueuil, qui regroupait la paroisse de Sainte-Marguerite-de-Blairfindie et les concessions de LAcadie.

    Cest sous le rgime de Napier Christie Burton, quatrimeseigneur de Lry de 1799 1835, que le dveloppement de ceterritoire favorisa la cration de trois villages seigneuriaux, parmi

    lesquels celui de Napierville. Pour ce dernier endroit, un acte dedonation dun lot fut sign pour la construction dune glisecatholique. Puis il y eut lobtention de baux pour des moulins scieet un moulin farine.

    Mais cest laffaire des lieux de culte qui allait permettre

    louverture dune nouvelle paroisse, en loccurrence Saint-Cyprien.Pour cela, il fallait que les futurs paroissiens fussent en mesuredassumer les cots de construction dune glise et dun presbytre,de faire vivre honorablement un cur par le paiement de la dme

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    24/497

    et dentretenir les chemins, en particulier durant lhiver. Entre 1817et 1821, plusieurs requtes furent adresses lvque de Qubec,Mgr Joseph-Octave Plessis, afin quil donnt son approbation laconstruction dune glise et linauguration dun cimetire. Le nomde Pierre Cyr pre se trouvait sur la liste des requrants de la

    premire demande, date du 19 juin 1817. Laffaire ntait toujourspas rgle le 8 janvier 1820, jour dinhumation de son pouse, MarieGamache. Le jeune Pierre ntait g que de douze ans.

    Pendant encore trois ans, les Cyr, ainsi que toutes les famillestablies des deux cts de la Petite-Rivire-de-Montral et prs du

    ruisseau des Noyers, durent franchir jusqu 3 lieues pour se rendre lglise de Sainte-Marguerite-de-Blairfindie. La nouvelle paroissenatra le 1erjanvier 1823 sous linvocation de saint Cyprien, vquede Carthage, mort martyr, mais tous les baptmes, mariages etspultures continuaient de se faire Sainte-Marguerite-de-Blairfindie, le temps de construire la chapelle-presbytre de Saint-Cyprien. coups de contributions volontaires, il faudra encore deuxans et demi avant larrive, le 29 octobre 1825, de Joseph-douardMorriset, premier cur de la paroisse de Saint-Cyprien, louverturedes registres et la premire clbration religieuse.

    Les Cyr pre et fils stablirent sur des terres de la deuxime

    concession, au sud-est de la Petite-Rivire-de-Montral, parties delots quils partageaient avec les Grgoire et les Smith, avec, commevoisins immdiats, les Lussier, les Boivin, les Bolduc, les Hbert,les Boutin et les Surprenant.

    Dans les chaumires de Saint-Cyprien, vers les annes 1830, on

    racontait les exploits, gnralement agrments dune part delgende, de quatre hommes : Jean-Baptiste Grenon, de Baie-Saint-Paul, Charles-Michel de Salaberry, de Beauport, Antoine Voyer, ditle grand Voyer, de Montral, et Joseph Montferrand, dit le grand Jos,

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    25/497

    galement de Montral. Leurs exploits avaient valeur de prodigesdans la bouche des conteurs locaux et on faisait de chacun deux desprototypes de la force physique, quon opposait loccupantbritannique tels des hros vengeurs.

    Jean-Baptiste Grenon tait n Qubec en 1724. Arriv dans la

    rgion de Baie-Saint-Paul, il se fit remarquer par sa stature et saforce. Selon les rcits du coin, il avait terrass un ours adulte, tran lui seul une charrette en haut dune cte, brav un contingent desoldats britanniques et charg sur lpaule des arbres de bonne taille.

    Charles-Michel de Salaberry avait vu le jour le 4 juillet 1752

    Beauport. Appartenant llite canadienne-franaise, il se distingua la bataille de Chteauguay, dont il devint le hros. Il fut lu dputde Huntingdon puis, en 1817, membre du Conseil lgislatif du Bas-Canada. Dot de qualits physiques extraordinaires, il aurait, selonce quon racontait, lors de lassaut du fort Saint-Jean par lesAmricains en 1775, soutenu un pan ddifice, sauvant delcrasement plusieurs de ses hommes. On le savait galementcapable de terrasser dune main les fiers--bras de toutesprovenances.

    Le grand Voyer, Antoine de son prnom, tait n Montral le23 mars 1782. On le disait haut de 6 pieds 4 pouces, sec, mais

    fortement membr . Le grand Voyer avait acquis sa rputation deboul en rossant des soldats anglais dans diffrents secteurs duVieux-Montral, au march qui occupait jadis la place Jacques-Cartier daujourdhui et au coin des rues Saint-Laurent, Mignonne etautres. Dans les buvettes de Montral, le nom dAntoine Voyer tait

    synonyme de sang-froid, de courage et de force.Lautre colosse de 6 pieds et 4 pouces, quelques lignes prs,tait le lgendaire Joseph Montferrand, n Montral le 26 octobre1802. Les anecdotes couraient son sujet, vantant la force de son

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    26/497

    coup de poing, la souplesse de ses jambes, certifiant quil pouvaitlaisser la marque de ses semelles au plafond de toutes les buvettes,la puissance de ses bras grce laquelle il maniait des cages demadriers avec la force de vingt hommes. Mais ce qui fit deMontferrand le hros de son peuple se passa en 1829, lextrmit

    du pont qui enjambait la rivire des Outaouais. La lgende parlait deplus de cent cinquante shiners, des orangistes, qui se seraient mis enembuscade prs du pont et quil mit en droute.

    *

    Si Pierre Cyr pre avait entendu des rcits acadiens de la bouchede son pre, Pierre-Paul Sire, le jeune Pierre Cyr se fit surtoutraconter les exploits des rois de la force de la dfunte Nouvelle-France et il en fut profondment marqu. Tellement quil devint lui-mme le boul de Saint-Cyprien. Soixante-quinze ans plus tard, dansles mmoires quil dicta au journaliste de La Presse SeptimeLaferrire, Louis Cyr dira de son grand-pre :

    notre foyer de cultivateurs, dans toute la paroisse de Saint-

    Cyprien, il [Pierre Cyr] stait fait une large place. Ctait un

    bully. Le gros Trudeau, le forgeron des ctes, dont tous lesanciens, jen suis certain, se rappellent encore le nom, tait le seulqui pt lui faire face. Il mesurait six pieds un pouce, et Trudeau,lui, avait encore au moins deux pouces de plus.

    Dans ce mme rcit quil fit de son enfance, Louis Cyr qualifierason grand-pre Pierre de batailleur . Il se souviendra surtout quevers ses soixante-douze ans, Pierre Cyr administra une matresseracle trois Anglais qui avaient voulu agir en matamores chez lui .

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    27/497

    Mais Louis Cyr mentionna surtout que les lauriers de Trudeau empchaient son grand-pre de dormir. Souvent il men parlait, enme recommandant, comme un grand garon, le secret absolu ,voqua Louis Cyr, ajoutant : Le dimanche, quand il me conduisait,par la main, la grandmesse, il me le montrait du doigt : a cest un

    homme. Si le grand-pre, Pierre Cyr, devint en quelque sorte lepremier matre de Louis, Joseph Trudeau, le forgeron de Saint-Cyprien, devint son unique modle. On parlait de lui volontierscomme de lhomme le plus fort des comts de Saint-Jean et deNapierville, en fait de toutes les seigneuries du Haut-Richelieu.

    Connu pour sa grande force et sa formidable stature qui lui valutle surnom de gros Trudeau, Joseph Trudeau devint un des plusminents citoyens du Haut-Richelieu et un vritable hros deNapierville. N Saint-Mathias-de-Rouville le 26 aot 1811, ilsinstalla comme forgeron au village de Napierville vers 1830 etdevint rapidement propritaire de quatre lots sur la Pointe--Trottier,du ct nord-est de la rue de lAcadie, non loin de la terre de lachapelle-presbytre, site de la future grande glise de Saint-Cyprien.Quelques annes plus tard, g de moins de trente ans, il se mlarsolument aux activits des rbellions de 1837-1838, devenantcapitaine au grand camp de Napierville et jouant un rle

    prpondrant lors de la bataille dOdelltown, le 9 novembre 1838.Plus tard, entre les annes 1850 et 1860, il sera tour tourcommissaire dcole de Saint-Cyprien, septime prsident de lacommission scolaire, et pendant quatre ans marguillier de laparoisse.

    Louis Cyr racontera que son grand-pre Pierre apostrophaitsouvent Trudeau en ces termes : Je sais que tu es plus fort que moi,mais au coup de poing je ne te crains pas. Il ajoutera que Trudeau se contentait de sourire sans jamais relever le dfi . Louis Cyr

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    28/497

    dira toutefois : Moi, alors, je navais dyeux que pour Trudeau ,en parlant du temps o, la porte de lglise, il le voyait entrer,attendu que Joseph Trudeau tait dj dans la cinquantaine avance.

    *

    Les temps allaient bientt changer. Des bouleversements

    politiques et sociaux allaient mettre lpreuve toute la populationdu Bas-Canada, et les familles de cultivateurs de la seigneurie deLry ne seraient pas pargnes. Entre 1820 et 1835, de grandes

    vagues dimmigrants, en majorit des cossais et des Irlandais,traversrent lAtlantique pour venir stablir dans la grande coloniebritannique au nord des tats-Unis. Avec eux arrivrent lespidmies, de typhus dabord, appele fivre des navires , devariole ensuite, et en 1832 de cholra.

    Mais, plus grave encore pour ceux qui, comme les Cyr pre etfils, disposaient de moins de 100 arpents de bonne terre,lagriculture allait tre fragilise par la saturation de lespacecultivable cause par loccupation presque sauvage des concessions.Rapidement, lpuisement des sols coupl de mauvaises conditionsclimatiques et des dommages causs par nombre dinsectes aura

    des consquences nfastes. tel point qu partir de 1831 lesrcoltes, de bl par exemple, connatront le dclin. Les grandesfermes parvenaient rpondre de nouvelles demandes : lanourriture pour les chevaux, llevage de cheptels plus imposants, laproduction de beurre, de fromage, entre autres. Mais les petits

    propritaires terriens possdant des lots de 4 hectares et moinsdevenaient incapables de faire vivre convenablement une famillemoyenne. La bougeotte commenait gagner les campagnes.

    Pierre Cyr et Euphrosine Girard auront treize enfants, dont le

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    29/497

    premier dcdera deux mois et le cinquime, mort nouveau-n, nesera quondoy. Mais il ny avait encore eu que deux naissances chezles Cyr lorsque la seigneurie de Lry subit londe de chocdclenche, le 6 mars 1837, dans un dbat relatif aux affaires duCanada aux Communes de Londres : les dix rsolutions de Lord

    Russell. Montral, le 5 septembre 1837, furent jetes les basesdune socit qui prit le nom de Fils de la libert. Il y eut des levesdarmes. Le Bas-Canada se divisa en patriotes, en loyalistes, enneutres et en dlateurs. Larme britannique mobilisa des troupes. Ennovembre, les premiers combats se droulrent Saint-Denis, sur les

    rives du Richelieu. Il y eut les grands discours de Papineau, puis la dclaration dindpendance du Dr Robert Nelson. Une socitsecrte, Les Frres chasseurs, fut constitue. On conut des plans, onarma des hommes. En octobre 1838, les patriotes devaient entrer parle comt de LAcadie et attaquer Saint-Jean. Saint-Cyprien et levillage de Napierville devenaient le foyer de linsurrection.

    La base paysanne fut branle. Lvque de Montral,Mgr Lartigue, prcha la soumission et, donc, la presque totalit duclerg du Bas-Canada obtempra. La rbellion fut un chec quimarqua particulirement le Haut-Richelieu. Le Dr Robert Nelsonavait proclam ltablissement provisoire de la rpublique du Bas-

    Canada depuis la place du march, au cur du village deNapierville, le 4 novembre 1838, devant prs de mille patriotesarms. Quatre jours plus tard, ce fut la dfaite de Lacolle. Larpression de Colborne commena le 10 novembre. Le village deNapierville fut occup par les troupes britanniques. Plusieurs

    maisons furent pilles et incendies. Cent trente-deux citoyens deSaint-Cyprien furent identifis comme patriotes du camp deNapierville. Un grand nombre furent exils en Australie, dautresperdirent le droit aux indemnits. Les consquences furent telles, en

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    30/497

    tensions, en haine, en appauvrissement, quil faudra des annes pourrtablir un climat social convenable. Dans certains cas, le clergavait t jusqu brandir la menace de la privation des sacrementset le refus denterrer en sol bni les Patriotes morts les armes lamain .

    Cest au lendemain de ce triste pisode que fut baptis, dans lachapelle o stait mari son pre, Pierre Cyr, troisime du nom etseptime de la descendance de Jean Sire, le 29 mars 1839. Durantcette mme anne fut publi Londres le rapport de Lord Durham,conseillant, entre autres mesures, dangliciser les Canadiens

    franais. En 1840, le gouvernement britannique sanctionna lActedUnion, qui dcrtait langlais comme seule langue officielle dunouveau Canada-Uni.

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    31/497

    Cyprien No CyrLe soulvement populaire des annes 1837-1838 avait eu pour

    consquence, entre autres, lintroduction du rgime municipal auBas-Canada. Le 15 avril 1841, le district municipal de Saint-Jean futcr avec pour chef-lieu le village de Saint-Jean. En vertu de cettemme proclamation, la paroisse Saint-Cyprien-de-Lry futreprsente au sein de cette institution par deux conseillers. Cela

    dura jusquau 1

    er

    juillet 1845, alors que furent tablies trois centvingt et une municipalits locales dans le Bas-Canada, dont celle dela paroisse Saint-Cyprien.

    Pierre Cyr, le deuxime du nom, avait quarante-sept ans lorsquildevint conseiller de ladministration municipale de Saint-Cyprien,alors que Julien Grgoire fut lu maire, le 30 juillet 1855, en

    remplacement de Loop Odell. Ce fut la seule charge publique quelon connut en trois gnrations de Cyr.

    Le 2 octobre 1860, Pierre Cyr, troisime du nom, pousaPhilomne Berger dit Vronneau, fille de Lon Berger-Vronneau etde Catherine Lemelin, dans la grande glise Saint-Cyprien du village

    de Napierville. Baptise le 15 janvier 1844, Philomne Berger, geseulement de seize ans lors de son mariage, tait la huitime dunefamille de quinze enfants, dont plusieurs taient dcds en bas ge.Son pre, Lon Berger, tabli Saint-Cyprien depuis une trentainedannes, passait pour un propritaire terrien assez prospre. Lestrois lots quil possdait dans le rang du Vuide faisaient quelque 400arpents et valaient prs de 3 500 dollars. Ctait un peu moins queles terres du maire Julien Grgoire, mais pratiquement quatre foisplus que le patrimoine foncier des Cyr. Le 24 dcembre 1860, Pierre

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    32/497

    Cyr devint son tour propritaire. Quelques heures avant la messede minuit, il se prsenta devant le notaire Antoine Mrizzi et signalacte de proprit dune terre que lui vendait Isaac Pinsonneault.Une partie dun lot situ sur le chemin de Burtonville, au nord-est, mesurant deux arpents de front par vingt-huit arpents de

    profondeur, avec maison, grange, table, puits et autres btimentsdessus construits , au nord de Pierre Palin, son premier voisin, et ausud de Narcisse Ltourneau, son autre voisin.

    *

    Pierre Cyr tait un homme peu loquace. Jusque-l, il navait gurefranchi les limites des terres appartenant aux Cyr, son pre et songrand-pre, ce dernier g de soixante-dix-sept ans et toujoursvigoureux. tabli peine 2 kilomtres de la ferme paternelle,Pierre Cyr et sa trs jeune pouse peinaient pour payer le d des56 arpents dont le rendement laissait dj dsirer. Ntant pasintress par la chose publique, Pierre Cyr nentendait que ce qui sedisait sur le perron de lglise, propos du cur, de quelques notableset commerants du village de Napierville. Le monde des cultivateurscantonns dans les rangs et les faubourgs tournait presque

    exclusivement autour des ralits paroissiales. Ici et l sajoutaient,avec les habituelles exagrations, les rcits de quelques voyageursde passage en direction de la frontire amricaine.

    Le petit monde de Pierre Cyr et de Philomne Berger sinscrivaitdans une logique de fatalit. Naissances nombreuses, morts encore

    plus nombreuses. Du ber au cimetire, la vie tenait aurecommencement quotidien dun labeur sanctifi. La terre paternelletait sans cesse rapprivoiser, le ventre de cette dernire ne livrantquune fois sur deux ce quon y semait la sueur des fronts.

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    33/497

    Lalphabet, la grammaire, larithmtique restaient des mystres.Lcole du village ou du rang semblait un mal ncessaire quonfrquentait peu et mal. Ladage selon lequel les enfants descultivateurs navaient pas besoin dinstruction puisque savoir lire nerendait pas plus habile au maniement de la charrue semblait

    partag par la majorit. Le clerg voyait tout et commandaitpartout, sans droit de rcrimination. Hors du confessionnal, point desalut. La femme tait asservie une cause sacre : la revanche desberceaux. Maries quatorze ans, elles taient mres quinze, puiselles ltaient de nouveau tous les dix-huit mois, jusqu lge de

    quarante-cinq ans , crivait en ce temps Napolon Bourassa. Saint-Cyprien comme dans toutes les communauts paysannes

    du Bas-Canada, les consquences imminentes du trop-plein descampagnes chappaient aux cultivateurs, cest--dire prs de 80 %de la population francophone. Ils ignoraient quen 1850 un comitspcial constitu pour cerner les problmes agricoles avait dress unconstat affligeant et alarmant : les sols taient puiss par labsencedengrais, la faiblesse du drainage et la pratique de la jachre audtriment de techniques labores dassolement et de rotation descultures. On ne lisait pas de journaux dans les rangs ou alors onentendait, des mois plus tard, les chos de quelque vnement. La

    inerveavait sonn lalarme ds 1846.Le propos annonait une crise majeure quallaient provoquer les

    -coups de lindustrialisation et de lurbanisation galopantes.Commencrent alors deux exodes : un premier vers les industries deMontral, un second, dune ampleur catastrophique, vers la

    Nouvelle-Angleterre.Pourtant, les nouvelles en provenance de Montral taientmauvaises. On y tait encore plus pauvre que dans les campagnes.Pour la population du Haut-Richelieu, Montral ntait donc pas la

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    34/497

    solution. Le courant du trop-plein agricole se dirigeait plusnaturellement vers les tats-Unis, dont la frontire tait quelqueskilomtres des villages de LAcadie, de Napierville et de Lacolle.Lexploitation forestire attirait dabord sur une base saisonnire. Unexil temporaire qui ne cessait, danne en anne partir de 1840, de

    se prolonger au point de marquer le dbut dune assimilation. lattrait des travaux en fort sajoutait celui des industries du coton,si bien quentre 1840 et 1860 prs de soixante-dix mille Canadiensfranais avaient emprunt la voie du nord-est des tats-Unis, vers leMaine, le New Hampshire, le Vermont, le Rhode Island, le

    Connecticut et le Massachusetts. Et ce ntait que le dbut.

    *

    Autour de la table, runis en conseil de famille, trois gnrationsde Cyr avaient discut de la possibilit pour Pierre, le plus jeune, de sessayer aux tats . Ce fut le plus ancien qui trancha : un noncatgorique. Lhritage acadien de la survivance nadmettait pas undracinement, quoi quen disaient ceux des paroisses voisines quiavaient dj tent laventure. Le doyen des Cyr tenait ce que lonsagrippt tout prix au sol natal afin de prserver les liens

    familiaux et les solidarits paroissiales. Ce que firent Pierre Cyr etsa Philomne sur leurs quelques arpents de terre en bordure duchemin de Burtonville.

    Le 6 septembre 1853 stait rvl un grand jour pour lesparoissiens de Saint-Cyprien. Charles-Franois-Calixte Morrison,

    qui fut tour tour premier cur de Saint-Bernard-de-Lacolle, cur deSaint-Valentin, missionnaire Champlain, Perrys Mills etMooerstown dans ltat de New York, tait devenu cur de Saint-Cyprien. De souche cossaise, convoit par plusieurs vques pour

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    35/497

    soccuper de leurs uvres, parfaitement bilingue, le cur Morrisonallait exercer une profonde influence sur ses ouailles pendant vingt-trois ans. Cest lui qui prit linitiative damener les surs de Sainte-Anne au village de Napierville, de les loger au presbytre le tempsque lancienne chapelle ft amnage en couvent. Ctait en

    septembre 1857. Quatre ans plus tard, le 27 octobre 1861, il baptisale premier enfant de Pierre et Philomne Cyr, une fille quilsprnommrent Marie Amlina.

    Le 10 octobre 1863, Philomne Cyr donnait naissance undeuxime enfant, un premier garon. Le lendemain, le cur Morrison

    le baptisait des prnoms Cyprien No. Lon Berger, pre dePhilomne Cyr, et Euphrosine Girard, mre de Pierre Cyr, furentchoisis comme parrain et marraine du nouveau-n. Le cur Morrisonnota au registre des baptmes de la paroisse Saint-Cyprien que lesparrain et marraine ne savaient pas signer. Pierre Cyr y avait apposune signature laborieuse ct de celle du cur Morrison.

    Dans ses Mmoires, Louis Cyr disait se rappeler que sa grand-mre Girard tait une toute petite femme qui aimait rpter que lescloches de la nouvelle glise de Saint-Cyprien avaient t trenneslors de mon baptme : ctait sa faon dtre fire du gros Louis . Ilracontait aussi : On mavait dit que mon premier record a t de

    peser dix-huit livres en venant au monde. Une part de lgende seprofilait dj.

    *

    Le prodige ne se rvla pas ds le berceau. Quoique bien portant,Cyprien No ntait quune bouche de plus nourrir, alors que Pierreet Philomne Cyr continuaient de schiner dans les champs, lagrange et ltable. La femme autant sinon plus que le mari, car

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    36/497

    Philomne Berger-Vronneau tait le prototype de la femme fortede lvangile du haut de ses 5 pieds et 9 pouces et pesant presque250 livres, tout en bras et en cur , devait se souvenir beaucoupplus tard Louis Cyr. Je me souviens trs bien lavoir vue, elle,faucher force de bras et excuter les travaux de la ferme avec le

    courage et la vigueur dun homme robuste. Quand venait le temps dela rcolte, ctait elle qui recevait, dans le hangar, les sacs de grains,quelle soulevait sans effort au-dessus de sa tte, pour les jeter dansles bras de mon pre plac au haut de lchelle.

    La terre rendait peu et les Cyr avaient de la peine joindre les

    deux bouts. Le 8 septembre 1864, alors que Cyprien No navait pasencore fait ses premiers pas, Pierre Cyr acheta, moyennant desconsidrations futures, un petit lot de 1 arpent de front sur 10 deprofondeur, du ct ouest du chemin de Burtonville. Le 25 mars 1865naquit une deuxime fille, Marie-Josphine, que la mort rclama peine six mois plus tard. Elle fut inhume le 1eroctobre de la mmeanne. la douleur de la perte dun enfant succda la joie dunenouvelle naissance, encore une fille, quon baptisa Marie Malvina le19 avril 1866. Plus tard, elle se fera parfois appeler Alphonsine.

    Pierre Cyr se prsenta nouveau loffice du notaire AntoineMrizzi. Cette fois, ctait pour vendre les deux terres, dune

    superficie totale de 66 arpents, Narcisse Mailloux, djpropritaire dun lot de la cinquime concession. La vente futnotarie le 23 novembre 1866 et Pierre Cyr reut en acompte unmontant de 350 dollars, soit lquivalent de ce quil avait russi payer durant les six ans o il en avait t propritaire. Ctait peine

    le dixime de la valeur foncire des deux lots. Le reste du montantlui sera vers, par tranches, au cours des dix annes suivantes.De propritaire quil tait, Pierre Cyr devint journalier. Pendant

    presque quatre ans, avec Philomne et leurs trois enfants en bas ge,

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    37/497

    ils furent les locataires dune veuve de Sherrington, Mme Bourassa.Pierre Cyr recevra des gages de 80 dollars par anne. Natront deuxautres enfants, Pierre et Marie-Odile.

    Ce ntait toutefois quune question de temps avant que limpactdes mauvaises rcoltes et le manque de ressources du petit

    cultivateur ne viennent bout de sa foi et de son esprance. Depuisbientt dix ans, la Grand Trunk Railway, mieux connue sous le nomde Grand Tronc, ajoutait des milles ses rails.

    Lexode des campagnes sacclrait, par route, mais surtout partrain. Il ne se passe gure une journe sans que lon voie des

    familles entires sembarquer pour les tats-Unis , crivait labbJean-Baptiste Chartier, agent de colonisation. Les bouleversementsdu secteur agricole se rpercutaient sur les petits propritairesterriens et leurs journaliers. Il ny avait de place et despoir que pourles grandes fermes, capables de moderniser leurs exploitations,daugmenter la superficie de leurs terres, daccrotre leurs troupeaux,de se procurer un outillage et des instruments mcaniss coteux.

    Pierre Cyr et sa petite famille vivaient un futur antrieur. Dix ansaprs leur mariage, avec cinq enfants en bas ge, le couple revenaitstablir sur une terre ayant appartenu au patrimoine foncier des Cyrdans la deuxime concession de la 2e Grande Ligne, la limite des

    paroisses Saint-Valentin et Saint-Cyprien, environ 2 milles au sudde leur premier habitat. Une fois de plus, ils reprirent le travail duchamp, la charrue, la pioche, la pelle, remplis desprance etles goussets vides.

    Au village de Napierville, cur de la paroisse Saint-Cyprien, le

    dynamisme du cur Morrison marquait la communaut religieuse. Lepresbytre tait maintenant une construction imposante, sur deuxtages, toute de briques, avec de grandes fentres et quatre hauteschemines. Plusieurs mouvements de pit avaient vu le jour : la

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    38/497

    Congrgation des enfants de Marie, la Confrrie du Saint-Scapulaire,la Confrrie de la Sainte-Famille, la Confrrie du scapulaire delImmacule Conception, lApostolat de la prire.

    Ce fut avec une certaine apprhension que Pierre Cyr vitplusieurs de ses voisins louer et mme vendre leurs terres pour aller

    tenter laventure en Nouvelle-Angleterre. Le conseil de famille desCyr, le grand-pre et le pre, continuait de sopposer lide.Dailleurs, une voix stait leve, celle du cur de Saint-Bernard-de-Lacolle, Antoine Labelle. Avouant avoir t lui-mme tent parun exil volontaire aux tats-Unis, il avait plutt pris conscience de

    ce quil appelait un chancre qui nous dvore parce quelle[lmigration] affaiblit son peuple en en diminuant le nombresensiblement et en rduisant ceux qui partent ltat de proltairesen instance de colonisation . Pour le cur Labelle, lmigration versles tats-Unis allait vider les paroisses rurales au Qubec etcompromettre jusqu la survie du peuple franco-catholique silhmorragie ntait pas stoppe . Limposant ecclsiastique dutrenoncer la cure de Lacolle en raison de problmes financiers etMgr Bourget lui confia ds lors une cure prospre, celle de Saint-Jrme. Cest de l quAntoine Labelle entreprit de vaincrelmigration en ouvrant les terres incultes du Nord, les Pays-den-

    Haut.Dans ce nouvel ordre conomique et social de la seconde moiti

    d u xixe sicle, il semblait clair que les cultivateurs, du moins lagrande majorit dentre eux, illettrs pour la plupart, taient laissspour compte. Les implantations commerciales et industrielles taient

    pour lessentiel le fait des anglophones. Et cela valait pour la languedes affaires, celle des transactions et des productions, donc la languedes patrons, langlais, dautant que la technologie tait presqueexclusivement dorigine britannique ou europenne. Ds lors, la

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    39/497

    langue franaise du peuple, dj faonne par les rgionalismesdorigine franaise, les expressions acadiennes et certains emprunts des formulations anglaises, allait subir un vritable assautdanglicismes, au point de faire reculer le franais dans sonensemble. Les villes, Montral et Qubec, affichaient en anglais.

    Llite et la bourgeoisie francophones svertuaient parler enanglais. Presque tous les journaux imprims dans le nouveaudominion taient en anglais. Au fur et mesure que le capitalismepntrait dans les campagnes, la langue anglaise laccompagnait.

    *Lenfance et ladolescence de Cyprien No Cyr, entre 1870

    et 1878, donc de lge de sept ans jusqu quinze ans, furentmarques par les rcits de larrire-grand-pre et du grand-pre Cyr,par des prouesses physiques dignes dun prodige de la force et parquelques regrets de navoir pas davantage investi defforts danslabcdaire dun M. Martin, instituteur lcole du village.

    Cyprien No, deuxime enfant des Cyr, mais premier garondune famille qui allait compter treize naissances entre 1861 et 1883,dont dix vivants, se vit trs tt comme le papa des garons , ce qui

    ses yeux ntait pas une mince affaire. Sa liturgie personnelle, il latenait de la bouche de celui quil appelait affectueusement mongrand-grand-pre et, plus tard, le vieux, vieux Pierre Cyr . Cestce dernier, alors g de soixante-dix-sept ans, qui prsidait lesagapes des Cyr la table de famille. Le mme qui se plaisait

    raconter comment les Cyr de toute la ligne avaient fui lesperscutions des Anglais, franchi pied le trajet jusqu Qubec,pass les nuits sous bois, chass les ours coups de bton . Laralit fut autre, nous le savons, mais pour Cyprien No plus

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    40/497

    particulirement, ces rcits saveur lgendaire forgrent son culte dela force physique, quoiquil avouera, une fois adulte, quil pouvaity avoir, dans toutes ces histoires daeuls et de trisaeuls, bien debonnes blagues . Une tradition orale donc, qui allait lier lhritagereu de parents et daeuls, tous enfants des champs, une future

    carrire trace par la force physique. Cest de ces bons vieillardsque je tiens en grande partie lhritage de ma force , dira Louis Cyr.

    Cest de la bouche du vieux, vieux Pierre Cyr que le petitCyprien No entendit nombre dexpressions tires du vieux franais,du patois acadien, du canayen du Haut-Richelieu et des

    anglicismes demprunt qui avaient tour tour faonn la parlure decet aeul. Des mots comme ptaque, barley, groceries, char, chelin,leur, teapot, achaler, bdrer, mouiller sciaux, la rentre des

    argens, le chiard, le barda, payer une visite, le bully , desbarbarismes et nologismes profusion allaient imprgner le FrenchCanadian patois quutilisera, sa vie durant, Louis Cyr.

    Vers lge de sept ans, Cyprien No ressemblait dj unadolescent bien plant. Il pesait presque 100 livres et les voisins leregardaient dun il plutt incrdule. Cest peu prs cet ge quilavait vu le pre Berger, son grand-pre maternel, porter sur sespaules sur une distance dun arpent une poutre quaucun gaillard,

    parmi tous ceux qui participaient une corve volontaire, un bee selon lexpression de Louis Cyr, ntait parvenu soulever. Toutcomme il avait vu Philomne, sa mre, transporter ltage suprieurdu logis, sur quelque vingt marches, un baril de farine de 218 livres.Louis Cyr expliquera : Depuis longtemps, ma mre simpatientait

    de se heurter toujours ces barils que mon pre se contentait deplanter l, au pied de lescalier. Il mentionnera aussi que quatredes surs de sa mre taient de force et de corpulence semblables celles de Philomne et quun des frres de cette dernire, Narcisse

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    41/497

    Berger, exhibera ses talents athltiques dans le Nebraska.En un an, Cyprien No avait gagn 20 livres et commenait

    sattaquer tous les objets lourds quil trouvait dans les btiments dela petite ferme. Il avouera beaucoup plus tard que les rcits desexploits de fiers--bras des villages des environs, quil entendait en

    passant du temps sur les genoux des vieux Cyr, prs du gros pole fourneau, le stimulaient. Ma hte tait toujours assez vive demessayer un brin, aprs les dissertations des vieux sur les jeunessesde leur poque. Ce qui fit de lui un brise-fer aux yeux de samre et lorganisateur du vacarme au milieu des autres enfants.

    Svre Louis Cyr dira justement svre , cest la hart, sortede corde grossire servant attacher les fagots, que Philomne Cyrrecourait pour corriger le turbulent Cyprien No. Ho ! La hart ! taient des mots dont Louis Cyr se souvenait bien clairement, enprcisant dans ses Mmoires : Plus dune fois de vigoureusescorrections vinrent me forcer modifier le programme. Mais si lamre semblait dsespre la vue de ce jeune colosse turbulent, ellequi ne suffisait plus aux tches ducatives, mnagres et agricolesavec une naissance tous les seize mois, le grand-grand-pre, aucontraire, encourageait les manuvres physiques de son arrire-petit-fils. Ainsi, Cyprien No sattelait au moulin battre portati

    pour le tirer hors de la grange ou encore, plus souvent quautrement,renversait une chaise massive dans la cuisine, y entassait des bches,puis tirait la charge sur le plancher de bois, en y hissant parfois soneune frre Pierre, alors g d peine trois ans. Je tirais et tirais

    encore, malgr les malices de ma mre me disant pour la centime

    fois : mais cesse donc de forcer, vieux pcot ! dira Louis Cyr auournaliste de La PresseSeptime Laferrire, trente-huit ans plus tard.Pierre Cyr, le pre de Cyprien No, tait peu communicatif.

    Homme de devoir, certes, mais plutt effac, peu port sur les dfis

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    42/497

    et les prouesses. De taille moyenne, assez robuste pour sattaquer la rude tche de cultivateur, il navait ni la stature et le bagout duplus vieux des Cyr, ni la rputation de boul de son propre pre. propos de lui, Louis Cyr mentionnera : Quand il tait l, ctaitchez nous la timidit et la rserve toutes naturelles en prsence du

    matre de la maison. Par bonheur, assez souvent il disparaissait pourles labours des champs, les courses vers le march de Saint-Jean oil allait couler les produits de la ferme. Labsence du presavrait une aubaine pour Cyprien No puisquil en profitait pourorganiser le remue-mnage avec la complicit, la plupart du temps,

    du grand-grand-pre, qui voyait certainement dans ce garoncorpulent un digne successeur.

    Cyprien No avait huit ans. Un soir dt, son pre, qui faisait ledcompte des btes revenues ltable, constata quil manquait unveau du printemps. Sans arrire-pense aucune, il demanda au jeunegaron de le retrouver. Cyprien No retrouva lanimal embourbdans un foss, bonne distance de la maison. Voyant que la bte taittrop affaiblie pour mme remuer, Cyprien No larracha du pige deboue, la hissa sur ses paules et prit le chemin du retour ainsi charg. Je franchis tout dune traite larpent et demi qui me sparait de lamaison o, lun portant lautre, nous fmes notre entre

    sensationnelle, sous les yeux de mes parents bahis. Ce jour-l,Philomne Cyr sut que son premier fils avait hrit dun donexceptionnel : la force. Ma mre, de ce jour, eut des tendresses part pour son gros Louis [Louis Cyr parle ainsi de lui-mme en1908, n.d.a.]. Jtais devenu le favori de la maisonne.

    *

    En 1872, alors que Cyprien No allait avoir neuf ans, son pre le

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    43/497

    fit asseoir en face de lui et passa ses doigts dans les cheveux delan des garons, une manire lui de nous caresser , selonLouis Cyr. Pour avoir entendu ses parents discuter avec gravit enmentionnant souvent le nom de M. Martin, Cyprien No savait djquel serait lobjet du sermon paternel. Il est temps que tu fasses le

    grand garon. Ta mre et moi avons dcid que tu commencerais dslundi aller lcole. Ta sur ane ty a devanc : il faut que tusois aussi sage quelle.

    En fait, Marie Amlina, lane des enfants Cyr, avait commenc frquenter lcole des filles, situe dans lancienne chapelle-

    presbytre du village et dirige par les surs de Sainte-Anne, depuispresque deux ans. Rien pour impressionner Cyprien No, qui voyaitplutt sa libert senvoler. Jallais tre contraint daller toutbanalement rciter du b.-a.ba, sous la frule du magister , confia-t-ilau scribe de ses Mmoires. Le garon tait loin de se douter que ledrame de lanalphabtisme marquait durement la province deQubec. Cette mme anne, la proportion dillettrs parmi lesfrancophones tait deux fois plus leve quen Nouvelle-cosse (unepartie de lancienne Acadie franaise) et presque quatre fois plusleve que dans la province voisine, lOntario. Un retard qui allaitmenacer lespace conomique francophone pendant un demi-sicle et

    grossir les rangs de lmigration vers les tats-Unis.Une cole de rang, une cabane de bois plutt, tait situe non loin

    de la ferme. Mais Pierre Cyr avait parl de lcole du village,lcole de M. Martin, rserve aux garons. Lorsquil ny avait plusrien faire aux champs, peu avant la premire neige, ctait la

    coutume pour tous les fils de cultivateurs daller voir le fameux M. Martin, ou alors ce dernier rendait visite aux parents. La vue desa mre sactivant confectionner le complet dtoffe du pays quidevait tre son principal ornement de rentre scolaire ne faisait

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    44/497

    quajouter au cauchemar de Cyprien No.Lcole, le garon la connaissait de vue puisquil passait tous les

    dimanches devant la grosse maison de pierre grise, grossirementmaonne, entoure dune clture basse en bois. Un seul arbre, ungros rable, se dressait en face des huit fentres de la faade donnant

    sur la rue. Ldifice, qui datait pratiquement de cinquante ans, avaitservi tantt dcole mixte, tantt de presbytre, avant de devenir partir de 1857 une cole rserve lducation des garons.

    Quant au fameux M. Martin , il sagissait de Gilbert Martin,originaire de La Prairie et qui avait t lve de lcole Jacques-

    Cartier de Montral, par consquent un enseignant de premirequalit. Lorsque Cyprien No fit sa connaissance, tard lautomnede 1872, Gilbert Martin entamait sa onzime anne comme instituteur lcole des garons de Napierville.

    La premire rencontre entre M. Martin et le jeune Cyprien No fitdisparatre toutes les apprhensions du garon. Monsieur Martinme reut bras ouverts. Ctait un bien digne homme, qui ne portaitpas de lunettes, qui navait rien du pdagogue de mes cauchemars. Endpit de sa svrit, ses lves lidoltraient. Ctait lui aussi unfervent de la force physique, et aux heures de rcration, il enseignaitvolontiers ses bambins ce quon appelait le tir au bton, ou bien

    encore la lutte bras-le-corps telle quon la pratiquait Saint-Cyprien. Ce furent celles de ses leons que je gotai le plus.

    Ce que des annes plus tard Louis Cyr qualifiera de mange deson pre durera peine trois hivers. Trois courts sermons quidisaient en substance : Demain tu iras lcole de monsieur

    Martin et, quatre mois plus tard : Demain tu resteras ici, on vaavoir besoin de toi pour la ferme monsieur Martin ma dit quiltait content de toi. En ralit, ce que Cyprien No russissait demieux lcole, ctait faire mordre la poussire tous les gants de

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    45/497

    la classe, peu importait leur ge, et surtout, tirer au poignet avecchaque volontaire. Je les prenais deux la fois, les mains liesavec un mouchoir. Ce ntait pas toujours pour les renverser, maisma fiert de bullyofficiel me dfendait de faire moins.

    Quant lapprentissage de lalphabet et de quelques notions de

    gographie, Louis Cyr fit le constat suivant alors quil avait la jeunevingtaine : On mavait appris que les recordmen venus de lautrect [il parlait de lEurope, n.d.a.] se trouvaient tre pour la plupartdes lves des universits. Cest pourquoi, une fois lanc dans lavie, je compris quun vide restait combler dans mon existence :

    tais ignorant ! Jtais ignorant et je rsolus de minstruire, derefaire les heures perdues par ma faute lcole de monsieurMartin mes quarts dheure auprs de lui ne furent gure assezlongs, en dehors du tir au bton, pour me permettre de surprendretous les secrets de lA-b-ab.

    Le 27 janvier 1873, on sonna le glas de lglise paroissiale deSaint-Cyprien. Toute la communaut prit le deuil. Le hros deNapierville, lhomme fort du comt, le rput forgeron qui avait tour tour t patriote, commissaire dcole, prsident de la commissionscolaire et marguillier, Joseph Trudeau surnomm le grosTrudeau , tait inhum dans le caveau de lglise. Une marque

    dhonneur selon une des plus anciennes traditions du christianisme. Ilrejoignait les spultures de huit anciens patriotes de 1837-1838,parmi lesquelles celle de Hubert Leblanc, dit Drossin, quon avaitexil en Australie durant sept ans. Pierre Cyr, le grand-pre, regrettaamrement la disparition de lhomme quil respectait le plus.

    Cyprien No partagea sa peine.Le 24 septembre 1874, Marie Amlina fut confirme de la mainde Mgr douard-Charles Fabre, vque coadjuteur de Montral,avec deux cent quatre-vingt-six autres adolescents de la paroisse.

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    46/497

    Cyprien No, qui avait commenc sa prparation grce aux bonsoffices du vicaire de Saint-Cyprien, labb Magloire Auclair,prfrait engager ses 140 livres dans des corps corps avec sescompagnons plutt que dassimiler les leons de catchisme. Ce nefut que trois ans plus tard, le 25 juin 1877, quil reut le sacrement

    de confirmation du mme monseigneur, devenu depuis un an vquede Montral.

    *

    Alors quil avait environ douze ans, Cyprien No commena tre fascin par les chevaux. Il smerveillait devant les fortes btes lencolure et la croupe paisses, les chevaux carrossiers et leschevaux de trait, aptes tirer des charges pesant quatre fois leurpoids. Il stait familiaris avec les boulonnais, les percherons,quelques ardennais, ainsi que des clydesdale et des shire, rpandusdans les fermes de descendants cossais et irlandais. La force de labte, Cyprien No lprouva lorsque pour la premire fois il mit lesmains sur les manchons de la charrue paternelle. Commena alors ceque Louis Cyr appellera beaucoup plus tard la troisime priodede mon enfance, celle de la vie aux champs .

    Quand son costaud de fils eut douze ans donc, et pour la dernirefois, Pierre Cyr lui fit son petit sermon : Demain tu resteras ici,nous avons besoin de tes bras. Aprs lA-B-C, ce fut lacharrue , rsuma Louis Cyr, ajoutant que son pre tait tout fier dele voir, ses douze ans, matre de la charrue . Cette anne 1875

    marqua profondment Cyprien No : le grand-grand-pre mourutdbut mai, lge de quatre-vingt-douze ans. Le garon ressentit unvide quil put difficilement combler par la suite. La mort du doyendes Cyr rduisait au silence la mmoire des temps passs, si

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    47/497

    embellie et romance ft-elle. Ce dpart privait galement le conseilde famille des Cyr de sa voix prpondrante. Ne restait que le grand-pre, alors g de soixante-sept ans, pour faire valoir les argumentsde sagesse et de prudence. Le 26 juin 1876, Lon Berger, le pre dePhilomne, fut inhum son tour. Peu de temps aprs, Narcisse

    Berger, un des ans de la famille, se laissa tenter par laventure dela Nouvelle-Angleterre. Une autre Berger, Angline, marie SimonMarchessault, suivit son exemple. Ils allaient grossir les rangs desquelque cent soixante-quinze mille migrants canadiens-franais djtablis outre-frontire, dont prs de soixante-dix mille dans le seul

    tat du Massachusetts. Lattrait de la Marique , expressionpopulaire par laquelle on dsignait les tats-Unis dAmrique,devenait pratiquement irrsistible.

    *

    Au domicile de Philomne Cyr, son ptit premier gars avait

    atteint quatorze ans. Il pesait plus de 160 livres et avait la staturedun adulte robuste. De vieux pcot , elle le surnommaitmaintenant mon gros pcot . Son deuxime garon, de cinq ans lecadet de Cyprien No, elle lappelait ptit Pierre en raison de sa

    taille. Le surnom allait lui rester. Ce Pierre Cyr, quatrime du nom enquatre gnrations, n le 18 fvrier 1868, fut tour tour le souffre-douleur, le complice, le dlateur, le favori et le grand ami de sonfrre an. Cest ptit Pierre qui assistait aux triomphes de CyprienNo, qui allait chez les voisins y lancer des dfis et rpandait la

    nouvelle des exploits de son grand frre. Je tenais avoirtoujours Pierre mes cts pour assister mes triomphes, ou mme mes dfaites. Je voulais lui infuser un peu de combativit.Souponnai-je alors que plus tard mes leons de bambin dussent

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    48/497

    porter leurs fruits, dans nos courses, lui et moi, de par lemonde ? Le propos de Louis Cyr illustre bien lamiti qui allaitlier les deux hommes. Il ajoutera que sa mre ne cessait de rpter : Tu es en train den faire un pareil toi. Quant aux corrections la hart, Philomne ne drogea pas la tradition. Louis Cyr prcisera

    que Pierre, invariablement, chacune des apostrophes de ma mre,avait d mettre son crdit quelques frasques mritant la correctionque tant de fois javais gote moi-mme .

    Ce fut durant une des nombreuses absences de son pre, parti aumarch de Saint-Jean, que Cyprien No rsolut de tenter son premier

    vritable tour de force, celui quon appelait le tour du cheval .Louis Cyr dcrivit lexploit en ces termes : Il sagissait de jeter unharnais sur le dos de la bte et daccrocher au bout un timon auquelnous nous accrochions nous-mmes des deux mains. Les piedsappuys alors sur le seuil de la porte de lcurie, nous lancions aucheval le hue ! traditionnel qui le faisait slancer de lavant. Ilsagissait pour nous de le retenir et de le faire mme flchir sur sesquatre jarrets. Dornavant, le test du cheval devenait indissociablede la carrire dhomme fort du futur Louis Cyr. Il en fit son sportfavori pendant des mois, sattaquant des btes toujours plusfortes, surtout chez les voisins, jusqu devenir le seul russir

    lexploit de retenir, pendant de longs intervalles, chaque cheval.Au printemps de 1877, Philomne Cyr donna naissance un

    cinquime garon. Il fut baptis dans la paroisse Saint-Valentin, parun caprice de frontires paroissiales, le 2 avril 1877. AvecNapolon, les Cyr avaient maintenant dix enfants vivants. Moins dun

    an plus tard, Philomne se retrouva enceinte pour une douzime fois.*

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    49/497

    En 1878, la plupart des cultivateurs nen pouvaient plus. Ilsnavaient pas les ressources pour mettre en valeur le terroir,rorienter les productions, transformer radicalement lagriculturevivrire traditionnelle en industrie laitire. Dailleurs, le nombre defermes de plus de 4 hectares avait considrablement chut, si bien

    quils taient exclus du rseau de beurreries et de fromageries qui semettait en place pour rpondre aux demandes du march britannique.Jadis vritable grenier bl du Bas-Canada, les fermes du Haut-Richelieu narrivaient plus soutenir la concurrence des immensesterres bl de lOuest amricain. Le recul tait dvastateur,

    puisquen dix ans la production des grandes cultures de bl, dorge,davoine, de pois et de pommes de terre avait diminu du tiers. En cetemps de crise, ferment de la nouvelle saigne rurale, les cultivateursaiss achetaient profusion les exploitations de leurs voisins pouragrandir leurs champs, leurs cheptels, leurs rcoltes de foin, dont la

    demande provenant des villes, des chantiers et des tats-Unis tait la hausse.Il ny eut pas de conseil de famille cette fois lorsque Pierre Cyr

    prit la dcision de partir en Nouvelle-Angleterre. Narcisse Berger,le frre de Philomne, leur avait dit que le pire des emplois dans unemanufacture de textile valait bien les meilleures rcoltes dune ferme

    de Saint-Cyprien. Laffaire tait entendue. Il ne restait Pierre Cyrqu convenir avec ses voisins des conditions de location de sa terre.

    lautomne Philomne tait enceinte de presque huit mois ,Pierre Cyr se rendit une dernire fois au march de Saint-Jean, avecun dtour oblig par le moulin de Saint-Athanase pour y faire moudre

    une bonne quantit de grain. Il avait dcid demmener Cyprien Noavec lui, le jugeant assez srieux pour faire le voyage. Louis Cyrse rappela que ce fut une jubilation lorsque mon pre me dit, unbon matin : fais-toi beau, tu viens au march . Sa mre, complice,

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    50/497

    avait dj prpar ses habits les plus neufs .Un grand moment pour Cyprien No, dont les connaissances en

    gographie se limitaient aux tracs des rangs menant au village, chezson grand-pre ou 1 mille de l, chez son cousin Bourgeois.Quoique, plus tard, Louis Cyr crut se souvenir quil avait

    accompagn son pre Montral alors quil avait environ sept ans.Ce fut lors de cette dernire expdition de cultivateur que Cyprien

    No mrita ladmiration de son pre, qui allait, quelques annes plustard, se muer en vritable culte. Lors de larrt au moulin de Saint-Athanase, Pierre Cyr entendit des habitus du coin parier sur les

    possibilits quun homme puisse charrier douze minots de graindun coup sur le dos. Or, un certain Vital Gurin, fier--bras etboul du comt, tait rput charrier 15 minots de grain (environ900 livres anglaises) sur le dos. Selon Louis Cyr, son pre lui avaitdemand sil tait capable et dadon pour forcer un peu pour mefaire plaisir , ce quoi le garon avait rpondu : Comme deraison. Pierre Cyr aurait alors propos ceci : Je vais vousamener une jeunesse qui na pas encore ses quinze ans et qui va vousporter ses quinze minots comme pas un seul dentre vous autres. Y ena-t-il qui veulent parier ? On avait propos que si Cyprien Noparvenait dplacer 15 minots de grain entasss sur une porte

    dcurie place sur son dos, on donnerait le tout aux Cyr. Ce queralisa ladolescent en dplaant la charge sur 15 pieds.

    Sur le chemin du retour, le pre et le fils furent par hasard lestmoins dune joute de force improvise entre quelques fiers--bras.Il sagissait pour eux dessayer de soulever, par la flche, une

    voiture de Saint-Jean , sorte de vhicule mont sur une structurede fer et que seuls les cultivateurs laise financirement pouvaientse procurer. On laissait savoir la ronde que la voiture et soncontenu pesaient dans les 1 100 livres. Louis Cyr dcrivit plus tard

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    51/497

    lvnement : Jarrachai tout dune pice le fardeau. Javais misdans mon effort des nergies que je navais pas connues encore ; rienne vivait plus autour de moi, je serais mort sur place plutt que demavouer vaincu. Je ne ralisai mme pas que javais russi.

    De ce jour-l jusquau dcs de Pierre Cyr, les rapports entre le

    pre et Cyprien No changrent du tout au tout. Il tait dj le groscot , favori de Philomne. Il devenait maintenant un camarade

    pour son pre, suprme honneur paternel. la grande table du foyer,Cyprien No tait trait en homme.

    Son grand-pre entendit trs vite le rcit peu banal des premiers

    exploits de son petit-fils prfr, autant dire son orgueil. Tu es lemeilleur des Cyr, continue mon jeune homme, ne prends jamais deboisson et tu iras loin , telles furent les paroles dont se souvintLouis Cyr, les dernires peut-tre du septuagnaire avant le dpartpour les tats .

    Nous partons pour Lowell , avait annonc Pierre Cyr toute lafamille, alors que Philomne tait sur le point daccoucher. Il restaitquelques jours avant cette naissance, le temps de prparer le granddmnagement et de faire quelques adieux.

    Le 10 octobre 1878, Cyprien No eut quinze ans. Le 1ernovembresuivant, Philomne accoucha dun garon. Il fut baptis le lendemain

    du prnom de Joseph. Il ne vcut que dix-neuf jours et fut inhumdans le cimetire de Saint-Cyprien le 21 du mme mois.

    Cest en portant le deuil de leur douzime enfant que Pierre etPhilomne Cyr, accompagns de leurs dix enfants vivants, prirent ladirection de Lowell, une communaut de ltat du Massachusetts.

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    52/497

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    53/497

    Lhomme fort du Petit CanadaLe trajet de Napierville Saint-Jean se fit par temps froid, au cours

    des premiers jours de dcembre 1878. Cyprien No connaissaitmaintenant cette route, faite de raccourcis cahoteux, mais il ne voyaitplus les terres et les btiments de ferme de la mme faon. Dj peuloquace de nature, Pierre Cyr demeurait totalement muet, laissant Philomne le soin de rassurer les petits derniers, Marie-Olive,

    Hermine et Napolon, respectivement gs de six, quatre et moins dedeux ans, alors que Cyprien No soccupaient des autres.Les deux charrettes tires par quatre chevaux mirent prs de cinq

    heures rallier la gare de Saint-Jean. Ctait la cohue. Quelquescentaines dmigrants faisaient la file afin de se procurer des billetsde train. Les uns se rendaient Holyoke, dautres Lewiston,

    Springfield, New Haven, Saint-Albans, Biddeford, White River,plusieurs, parmi lesquels les Cyr, Manchester, Lawrence, Lowellou Boston. Ce fut une nuit dattente, couchs mme les effetspersonnels et les paquets. Le lendemain, le dpart se fit en directionde Saint-Hyacinthe, puis de Richmond et, de l, vers Portland. Au

    nud ferroviaire, les choses ntaient pas faciles. Quel train fallait-ilprendre, quand, sur quelle voie ? Passupsic Rail Road, ConnecticutRail Road, Old Colony Rail Road, Northern New Hampshire RailRoad ou le Boston and Maine Rail ? Une fois entasss dans leswagons, point de retour en arrire. Ceux qui se trompaientditinraire devaient passer des nuits entires dans les gares avantdarriver, avec des jours de retard, dans une ville inconnue,encombrs de botes ficeles.

    Ce fut ainsi, peu de chose prs, que se droula larrive des Cyr

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    54/497

    Lowell, petite ville industrielle du Massachusetts. Aprs trois jourset trois nuits passs bord des trains et dans les salles dattente desgares, Pierre et Philomne Cyr avec leurs dix enfants devenaient unefamille d habitants arrive en Nouvelle-Angleterre pour servirdans lunivers industriel amricain, secou par une seconde crise

    conomique en dix ans.Pierre Cyr, cultivateur de son tat, ne connaissait aucun mtier qui

    et pu lui permettre un travail bien rmunr en usine. Il ne pouvaitquhriter dun emploi parmi les moins qualifis et les plus malpays, comme la plupart des Canadiens franais dj sur place.

    *

    Pour certains, Lowell fut luvre de Dieu, pour dautres, une

    invention du diable. Le fait tait que Lowell, petit village situ surles rives de la Merrimack, dont les eaux, tumultueuses par endroits,traversent le New Hampshire avant darroser le nord duMassachusetts pour se jeter dans lAtlantique Newburyport, connutun essor industriel prodigieux au cours de la premire partie duxixe sicle. cette poque, un conomiste franais, MichelChevalier, avait dcrit Lowell ainsi : La ville, avec ses

    manufactures aux faades ouvrages, ressemble une villedEspagne parseme de monastres, la diffrence cependant quLowell, il nexiste point duvres dart, et que les religieuses Lowell, plutt que de se consacrer aux prires, passent leursournes et leurs nuits filer du coton. Lowell, surnomme la

    Venise dAmrique , comptait en 1870 plus de cent vingt piceries,neuf htels, une centaine de maisons de pension, quatorzepharmacies, onze banques, treize studios de photographie, soixantemdecins et quinze tables chevaux.

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    55/497

    En ce xixe sicle, Lowell tait considre comme le symbole delessor industriel amricain et, plus particulirement, comme le curde lindustrie textile. Avec une population de plus de cinquante millehabitants, Lowell avait quadrupl en superficie en moins de vingtans. Elle portait, in memoriam, le nom de Francis Cabot Lowell, n

    de riches familles de ngociants et darmateurs, les Lowell deBoston et les Cabot de Salem, desquels on disait couramment : LesCabot ne parlent quaux Lowell, et les Lowell ne parlent quDieu. Francis Cabot Lowell, passionn par tous les aspects de laproduction industrielle, particulirement celle du textile, avait visit

    les centres industriels anglais et tudi secrtement les mtiers tisser mcaniques qui faisaient alors leur apparition. Runissant desinvestisseurs de la rgion de Boston, il fonda, en 1812, la BostonManufacturing Company. Devant le succs de lentreprise, laNouvelle-Angleterre devint le haut lieu du textile, et Lowell,

    compter de 1820, le fer de lance de la production. Encore fallait-iltrouver une main-duvre qui ne serait pas limage de ladpendance et de la misre quvoquait le milieu infernal, sale etbruyant des villes industrielles anglaises. Lide originale revient un groupe dinvestisseurs appel Boston Associates. Ils firentrecruter des filles de fermiers de la Nouvelle-Angleterre, leur

    proposrent trois quatre annes de travail lusine, loges dansdes pensions aux frais de lentreprise et assures de gages leurpermettant de rentrer chez elles riches. Elles passrent lhistoirecomme les demoiselles de Lowell . Elles fondrent un despremiers syndicats de travailleurs, menrent les premires grves,

    dnoncrent les conditions de travail inhumaines, furent lespremires victimes de la rpression policire. Cest toutefois grce ces pionnires que les rgimes de travail passrent de soixante-quatorze heures par semaine en 1840 un peu plus de soixante

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    56/497

    heures au moment o les Cyr arrivrent Lowell. De guerre lasse,les employeurs se tournrent vers une main-duvre de substitution :les Irlandais,chasss de leur pays par la famine de la pomme deterre. Ceux-l occuprent les emplois les moins qualifis dans lespires conditions. Quelques-uns finirent par se hisser dans lchelle

    sociale. Lorsque ces Irlandais, solidaires et revendicateurs, prirent leur tour la tte de mouvements de grve, les industriels firent appelmassivement aux Canadiens franais. Lowell tait devenue une citindustrielle dont le territoire, tel un damier, avait fini par tre occuppar des ghettos ethniques. Lenjeu : une lutte quotidienne pour les

    emplois lusine et un banc lglise. larrive, les Cyr se fondirent dans la masse des dix mille

    Canadiens franais entasss dans le Petit Canada , nom par lequelon dsignait le quartier des Canayens . La zone ressemblait celle des Irlandais, quon appelait New Dublin. Une suitedimmeubles (tenements) surchargs douvriers, insalubres, groupsau cur de Lowell. La seule diffrence tait lemplacementgographique : le Petit Canada tait situ sur la rive sud de la rivireMerrimack, lendroit o la rivire forme un angle droit, 1 kilomtreavant lembouchure de la rivire Concord. Bord par les canaux duNord et de lOuest, le Petit Canada tait dlimit au nord par les rues

    Austin et Perkins, au sud par la longue rue Merrimack et lest par larue Suffolk.

    Les maisons avaient t construites sur un sol mouvant, rsultat duremblayage de ce qui avait t autrefois un marais. Selon un rapportdenqute du Bureau des statistiques du travail de ltat du

    Massachusetts, on avait utilis pour combler lendroit des orduresmnagres, des dchets de coton et de laine, des dtritus, bouteilleset poubelles, qui allaient forcment pourrir et tre porteurs demaladies .

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    57/497

    Les difices formaient des ensembles, spars d peine quelquespieds, abritant jusqu trente-six familles chacun. Pour un deux-pices, lune utilise comme cuisine et sjour, lautre, sombre,comme chambre coucher, il en cotait 4 dollars par mois, soit lesalaire de huit jours de travail dun ouvrier de la Merrimack.

    peine deux fentres, dont une qui ouvrait sur larrire des latrines.Peu daration et un clairage dficient. Un cinq-pices, comme celuides Cyr, devait loger douze personnes et tait lou 8 dollars parmois. Lextrieur tait jonch de dbris, lair tait nausabond etchacun devait, son tour, transporter les dchets de toutes sortes et

    les excrments que daucuns jetaient parfois entre deux blocs. Rarestaient les difices en pierre. La plupart taient finis en pin, avec aumieux une finition en pltre, sinon un recouvrement de chaux. Lerapport concluait que laspect gnral du Petit Canada tait trsdmoralisant : les gens sont entasss dans le moins despace

    possible et la dlgation municipale la sant est impuissante devantcet entassement, sauf sil y a une pidmie .Dvidence, larrive des Cyr Lowell se fit au pire moment des

    dix prcdentes annes. Dune part, la crise frappait de plein fouetlindustrie du textile ; de lautre, le mpris et lhostilit desAmricains envers les arrivants de toutes nationalits, mais

    particulirement les Canadiens franais, atteignaient leur paroxysme.Dans les faits, les salaires dans le textile avaient chut de 40 % encinq ans, passant de 1,25 dollar par jour moins de 50 cents parour, ce qui forait les ouvriers sendetter ds le dbut de leur

    nouvelle vie. Pis, le travail des enfants devenait rapidement une

    ncessit, do les abus que lon pouvait constater dans toute laNouvelle-Angleterre. Les parents devaient oublier lcole pour leursenfants. Plutt, ils prenaient tous les moyens pour leur dnicher unemploi lusine. Une loi non crite voulait que ds lge de douze

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    58/497

    ans et parfois moins, les enfants devaient renoncer linstructionpour participer leffort familial.

    Pierre Cyr faisait partie des ouvriers non qualifis quiencombraient le march du textile Lowell. Lui et quatre de sesenfants, Marie Amlina, Cyprien No, Marie Malvina et Pierre, ce

    dernier g de dix ans peine, se prsentaient le matin la barrire,prts accepter les salaires les plus bas. Face eux, les fileurs(mule spinners), surtout irlandais, les accusaient dtre les Chinoisde lEst, de ne porter aucun intrt aux institutions civiques etpolitiques [], de gagner autant que possible indiffremment du

    nombre dheures de travail, de vivre dans le plus grand dnuementafin dviter le plus possible la dpense . On les qualifiait de jaunes , de scabs, de knobsticks. Un hebdomadaire ouvrier, The

    nti-Monopolist, fit campagne contre les Canadiens franais en lestraitant d imports de ce ct de la frontire dans le but exprs dediminuer et daffaiblir les ressources des Amricains honntes .Virulence de propos et hostilit non dissimule entranrent nombrede bagarres entre ouvriers canadiens-franais et ouvriers irlandais, quoi sajoutait un conflit sur fond religieux, catholiques irlandais etcanadiens-franais senflammant au sujet de pratiques paroissialesdiffrentes et autres querelles de clochers impliquant pasteurs

    irlandais et prtres de la province de Qubec anims par uneidologie missionnaire.

    Pour les Cyr, ctait le pire des scnarios. Dsireux de protgerles maigres salaires de lusine, ils devaient renoncer lcole pourleurs enfants, simposer toutes les privations, viter les

    confrontations, ce qui impliquait de bouder les actions syndicalistes,tout en sefforant dapprendre une langue qui leur tait totalementtrangre. Ils empruntaient donc lusine des expressions et destournures utilitaires, calquaient laccent, altrant par la mme

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    59/497

    occasion la langue du pays. Sinstallait dans le quotidien de lafamille une sorte de bilinguisme anglais impos par lesimpratifs de la communication entre patrons et employs lusine.Cette faon de faire allait faonner lexpression orale de CyprienNo, et marquer, sa vie durant, la structure langagire de Louis Cyr.

    Il utilisera plus tard des mots comme : shake hand, banknotes, bully,actories, horse power, trucks, back lift, sessayer, clairer, bluff,

    zig, scrapbook, referee, manager, chum, loafer, smart, entre autres.Un sabir auquel les parents ne voyaient rien redire puisquilsconnaissaient les mmes difficults et se trouvaient contraints au

    mme transfert linguistique.

    *

    Les chutes de Pawtucket, cascadant dune hauteur de plus de10 mtres, entranaient les eaux de la rivire Merrimack sur unparcours tumultueux de prs de 2 milles crant de la sorte unepuissance hydromotrice de plusieurs dizaines de milliers dechevaux-vapeur. Ces mmes eaux sillonnaient Lowell grce unrseau complexe de canaux et alimentaient quarante industries detextile, dix mille mtiers de tissage, trois cent vingt mille fuseaux,

    pour dix mille travailleuses et travailleurs. Cette puissanceindustrielle fonctionnait plus de trois cents jours par anne, six jourspar semaine, seize heures par jour. Elle comptait dans son enclave de5 kilomtres carrs les douze plus grandes manufactures de textile enAmrique : Merrimack Mills (1823), Lowell Machine Shop (1824),

    Hamilton Mills (1826), Lowell Mills (1829), Appleton Mills(1828), Middlesex Mills (1831), Tremont Mills (1832), SuffolkMills (1832), Lawrence Mills (1833), Boot Mills (1830),Massachusetts Mills (1840), Prescott Mills (1846).

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    60/497

    Pour les patrons de ces entreprises, faire travailler au maximumces oiseaux de passage , ainsi quils qualifiaient drisoirement leslgions dimmigrants entasss Lowell, tait la seule utilisationvalable quils pouvaient en faire. Pour ces dirigeants, lusine et lamachine taient le centre de toute vie locale, une sorte dordre moral

    qui ramenait louvrier une tche rythme, accomplie sous unesupervision constante et svre, dans un cadre dheures fixes etdhabitudes rgles. Ainsi, la Merrimack Company, centre nerveuxdu conglomrat de textile de Lowell, fabriquait les turbineshydrauliques et toutes les pices ncessaires la production

    industrielle du textile, pendant que dautres entreprises soccupaientde la manutention des chargements de coton en provenance desplantations esclavagistes du Sud, du nettoyage, du filage, de laconfection des tissus, de lemballage, de lexpdition.

    la Sophocle, de son vritable nom la Suffolk Manufactoring

    Company, la loi des contrematres tait implacable. Quiconquesabsentait, ntait-ce que pour une heure, risquait le renvoi sansappel. lair vici sajoutait un bruit assourdissant, continu. Lesblessures taient frquentes, les soins, dficients. Dans les ateliers,on blmait svrement et on ne se gnait pas pour rudoyer lesenfants. Chacun devait se soumettre la rgle du fouet , synonyme

    de la ligne dure. La sentinelle vigilante de cette vie quotidiennetait le cur de la paroisse Saint-Joseph, le pre Andr-Marie Garin,un oblat. Il tait les yeux et les oreilles de tous ces ouvriers, detoutes ces fileuses, ces domestiques, que les longues heures rendaientsourds et aveugles. Il utilisait la confession pour mater les uns,

    apaiser les autres, et le prne pour faire les annonces dvnements,renforcer la foi, et mme commenter et interprter les rumeurs de laville et de ses usines.

    Quelques semaines peine de ce rgime et le malheur sabattit

  • 5/19/2018 Louis Cyr - Paul Ohl (2013)

    61/497

    sur les Cyr, plus particulirement sur Cyprien No. tait-ce lersultat dun changement brutal de rgime de vie ? dune altrationde lordinaire ? de lingestion de reliefs de repas avaris, de fruitsgts ? dune source deau pollue ? Si lorigine du mal ne fut jamaisconnue, le diagnostic ne fut pas difficile tablir. Le puissant

    adolescent venait de contracter la fivre typhode. La maladiecontagieuse tait particulirement redoute aux tats-Unis. On yvoquait frquemment lhistoire de la ville de Jamestown enVirginie, o la fivre typhode avait provoqu la mort de plus de sixmille colons entre 1607 et 1624, sans compter quau cours de la

    guerre contre lAfrique du Sud, de plus rcente mmoire, les troupesbritanniques avaient perdu treize mille hommes cause de cettefivre contre huit mille au combat.

    En lespace de quelques jours, Cyprien No subit les assautsdune fivre brutale, dinsupportables cphales, de fortes diarrhessuivies de nauses. La dshydratation le plongea dans un tat destupeur. Au cours de la premire semaine, il perdit 20 livres. Puis32 livres durant les deux semaines suivantes. Philomne le veillaour et nuit, priant son chevet. De fait, il nexistait aucun remde