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Jacques Montangero F. Pons L'introduction du passé et du futur dans la description d'une situation présente : étude du développement de la tendance diachronique In: L'année psychologique. 1995 vol. 95, n°4. pp. 621-644. Citer ce document / Cite this document : Montangero Jacques, Pons F. L'introduction du passé et du futur dans la description d'une situation présente : étude du développement de la tendance diachronique. In: L'année psychologique. 1995 vol. 95, n°4. pp. 621-644. doi : 10.3406/psy.1995.28858 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/psy_0003-5033_1995_num_95_4_28858

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Jacques MontangeroF. Pons

L'introduction du passé et du futur dans la description d'unesituation présente : étude du développement de la tendancediachroniqueIn: L'année psychologique. 1995 vol. 95, n°4. pp. 621-644.

Citer ce document / Cite this document :

Montangero Jacques, Pons F. L'introduction du passé et du futur dans la description d'une situation présente : étude dudéveloppement de la tendance diachronique. In: L'année psychologique. 1995 vol. 95, n°4. pp. 621-644.

doi : 10.3406/psy.1995.28858

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/psy_0003-5033_1995_num_95_4_28858

RésuméRésuméCette recherche vise à étudier la généralité, la nature et le développement avec l'âge de la tendancediachronique (propension à évoquer les étapes passées ou futures d'une situation présente). Deuxexpériences ont été menées dans ce but, chacune sur 60 sujets auxquels on présente successivementtrois images qu'ils ont pour consigne de décrire. Les sujets sont répartis en groupes d'âge de 8 à 24ans. Les résultats montrent que la tendance diachronique se manifeste assez fréquemment, qu'ellecroît de manière lente avec l'âge jusqu'à un effet plafond, dépend chez les enfants du contenu desimages présentées et correspond au besoin d'explication d'aspects inhabituels des situations.Mots-clés: temps, horizon temporel, développement cognitif, description d'images.

AbstractSummary : Introduction of past and future events in the description of a current situation: Developmentalstudy of the diachronic tendency.The diachronic tendency is the disposition to evoke past or future stages of a current situation. Twoexperiments examined the frequency, nature and development of this tendency. Each experimentinvolved 60 subjects who were successively shown three pictures (one picture being common to the twoexperiments) that they were requested to describe. Subjects were assigned to one of five age groupsfrom 8 to 12 years of age in experiment 1 and to one of four groups from 9 to 24 years in experiment 2.Results show that the frequency of diachronic responses (evocation of an event not present in thepicture) slowly increased with age until a ceiling effect could be observed. For children, the content ofthe picture influenced the frequency of diachronic responses. A qualitative analysis of the answersrevealed that non-present events were mentioned in order to explain unusual and unstable aspects of asituation. Children referred to the actions that produced these aspects whereas from the age of 15subjects spontaneously mentioned the physical causes or the intentions at the origin of the situation Keywords time time perspective cognitive development verbal description of images

L'Année psychologique, 1995, 95, 621-644

Faculté de Psychologie et des Sciences de l'Éducation Université de Genève, Genève1

L'INTRODUCTION DU PASSE

ET DU FUTUR

DANS LA DESCRD7TTON

D'UNE SITUATION PRÉSENTE:

ÉTUDE DU DÉVELOPPEMENT DE LA TENDANCE DIACHRONIQUE2

par Jacques MONTANGERO et Francisco PONS

SUMMARY : Introduction of past and future events in the description of a current situation: Developmental study of the diachronic tendency.

The diachronic tendency is the disposition to evoke past or future stages of a current situation. Two experiments examined the frequency, nature and development of this tendency. Each experiment involved 60 subjects who were successively shown three pictures (one picture being common to the two experiments) that they were requested to describe. Subjects were assigned to one of five age groups from 8 to 12 years of age in experiment 1 and to one of four groups from 9 to 24 years in experiment 2. Results show that the frequency of diachronic responses (evocation of an event not present in the picture) slowly increased with age until a ceiling effect could be observed. For children, the content of the picture influenced the frequency of diachronic responses. A qualitative analysis of the answers revealed that non-present events were mentioned in order to explain unusual and unstable aspects of a situation.

1 . 9, route de Drize, 1227 Carouge (GE), Suisse. 2. Expériences menées grâce au subside n° 11-37705 .93 du Fonds national

suisse de la recherche scientifique et à un subside de la Fondation Jean Piaget pour recherches psychologiques et épistémologiques. Nous remercions Jean- Pierre Cattin, Stefano Monzani et Pierre Scheidegger pour leur précieux concours lors de l'expérimentation.

622 Jacques Montangero et Francisco Pons

Children referred to the actions that produced these aspects, whereas from the age of 15 subjects spontaneously mentioned the physical causes or the intentions at the origin of the situation.

Key words: time, time perspective, cognitive development, verbal description of images.

Parmi les conduites relatives au temps présentées dans la magistrale synthèse de Fraisse, toujours très utile au chercheur, sur la Psychologie du temps (Fraisse, 1967), l'horizon temporel a été beaucoup moins étudié que les estimations temporelles perceptives ou inférentielles. Fraisse, qui fut le premier à employer la métaphore d'« horizon temporel», note à son propos que les incitations présentes nous renvoient sans cesse à ce qui n'est plus ou à ce qui n'est pas encore. Nous nous proposons de cerner un aspect de ce phénomène, en le situant dans le cadre de nos recherches sur la perspective diachro- nique. Au point de départ de ces recherches se trouve la constatation suivante : le fait d'insérer les situations et phénomènes que l'on cherche à comprendre dans la dimension temporelle peut notablement enrichir la connaissance que nous en avons. Cette tendance à dépasser les aspects présents, le hic et nunc, et à s'interroger sur l'évolution passée et future des choses constitue ce qu'on appelle en sciences la perspective diachro- nique. Intéressés par la perspective diachronique dans la pensée du sens commun et par son développement chez l'enfant, nous avons entrepris une série d'expériences qui ont permis de définir cinq composantes principales de cette perspective (Mon- tangero, sous presse). En premier lieu, il s'agit de quatre « schemes » propres à la pensée diachronique, qui permettent d'imaginer des transformations au cours du temps : les schemes de transformation, d'organisation temporelle, de relation interétats et de synthèse dynamique. Ces schemes définissent des principes de changement et les connexions entre états successifs d'un même phénomène (par exemple le développement des capacités de l'enfant, ou la croissance biologique ou une transformation physique).

Ces quatre schemes peuvent être présents, sous des formes évoluées ou non, chez un individu sans être utilisés pour comprendre une situation donnée. Il existe en effet une cinquième

La tendance diachronique 623

composante de la perspective diachronique qui en constitue en quelque sorte la condition initiale : c'est la tendance à ne pas s'en tenir aux éléments présents et à évoquer des états passés ou futurs. Dans cet article, nous appellerons «tendance diachronique» cette propension à sortir du présent et nous chercherons à répondre à certaines questions qui se posent à son propos.

Tout d'abord il s'agit de savoir si on a affaire à une tendance qui ne se manifeste que de manière exceptionnelle, chez quelques individus et dans des circonstances très particulières, ou s'il s'agit d'un phénomène d'une certaine généralité. L'intérêt des enfants et des adultes pour l'origine des choses et les changements ainsi que leur préoccupation pour le devenir plaide en faveur de l'existence d'un certain degré de généralité de la tendance diachronique.

Deuxièmement on doit se demander si cette tendance s'exprime en fonction des caractéristiques du sujet ou exclusivement (ou essentiellement) en réponse à des sollicitations extérieures. En vertu de notre position constructiviste, nous faisons l'hypothèse que la tendance diachronique variera en fonction du niveau de développement du sujet et de ses caractéristiques personnelles et pas seulement en fonction des variables de la situation considérée.

Une série de questions se posent au sujet du développement de la tendance diachronique à partir de l'âge de 8 ans. La compréhension des phénomènes biologiques, qui comportent un important aspect de changement au cours du temps, se transforme vers l'âge de 10 ans (Carey, 1985 ; Keil, 1989) et cette restructuration conceptuelle s'observe aussi dans d'autres domaines (Vosniadou, 1992, par exemple). Inhelder et Piaget (1955) ont par ailleurs montré l'existence de transformations profondes au niveau du raisonnement à partir de l'âge de 12 ans. Toutes les expériences que nous avons menées sur la perspective diachronique (Dionnet et Montangero, 1991 ; Mau- rice-Naville et Montangero, 1992 ; Montangero, sous presse ; Tryphon et Montangero, 1992 ; Parrat-Dayan et Montangero, 1995, etc.) révèlent des changements importants dans la manière de concevoir les transformations au cours du temps dès l'âge de 10 ans et plus nettement encore à 11-12 ans. Les quatre schemes diachroniques mentionnés plus haut sont à ces âges plus évolués : le scheme de transformation tient compte

624 Jacques Montangero et Francisco Pons

des changements qualitatifs aussi bien que quantitatifs, le scheme d'organisation temporelle permet de se représenter plusieurs évolutions parallèles, celui de liaison inter-états introduit des liens entre la situation présente et les états passés et la synthèse dynamique apparaît à ce niveau. Si la tendance dia- chronique est une forme de connaissance semblable à celle des schemes diachroniques, ou aux raisonnements et théories des enfants, elle doit subir une nette augmentation chez les enfants de 12 ans par rapport à ceux de 8-9 ans. Notre recherche vise à vérifier cette hypothèse. Comme les résultats d'une première expérience nous ont montré une évolution moins nette que prévue, nous avons mené une seconde expérience comparant les résultats des sujets de 9 et 12 ans à ceux d'adolescents (14- 15 ans) et d'adultes.

Un dernier problème concerne l'explication des fondements de la tendance diachronique. Etant donné l'importance accordée par certains auteurs aux scripts (Nelson, 1986) et schémas événementiels (Mandler, 1984) dans la formation des connaissances, on peut s'attendre à ce que les enfants tendent à évoquer des événements passés et futurs dans la mesure où ils forment, avec la situation considérée, une totalité du type des scripts ou schémas. Dans ce cas, l'évocation des états non présents tendrait à insérer l'événement considéré dans une séquence habituelle ou narrative. On peut par ailleurs faire une hypothèse différente, selon laquelle la tendance diachronique est déterminée par quelque chose de plus fondamental, plus général et moins lié au contenu des expériences du sujet que les scripts ou schémas. Dans cette hypothèse, la tendance qui nous intéresse tiendrait à la curiosité intellectuelle en général et plus particulièrement au désir d'expliquer ce qui est constaté ici et maintenant.

Pour résumer, notre recherche est une investigation de la nature et du développement de la tendance diachronique entre 8-9 ans et l'âge adulte. Quatre hypothèses en rapport avec la tendance diachronique sont examinées :

1 / La tendance à évoquer des états passés et futurs d'une tion présente a une certaine généralité.

2 / Elle devrait varier non seulement en fonction du contenu de la situation considérée, mais aussi du niveau de développement du sujet et de ses caractéristiques individuelles.

La tendance diachronique 625

3 / Elle devrait augmenter nettement chez des enfants de 12 ans par rapport à ceux de 9 ans.

4 / Elle devrait répondre plus au désir d'expliquer la situation présente qu'à celui de l'insérer dans un script ou schéma.

Par ailleurs cette investigation a un but exploratoire : celui de saisir la nature des changements de la tendance diachronique avec le développement cognitif — si de tels changements s'observent — et celui de comprendre ce qui, dans une situation présentée, tend à susciter des réponses « diachroniques », c'est-à-dire des évocations d'événements non présents.

Dans cette recherche, nous nous limitons à un type de mesure de cette tendance : le nombre et la nature d'éléments passés ou futurs (par rapport à ce que représente une image) introduits par les sujets lorsqu'ils ont pour consigne de décrire cette image. Dans chacune des deux expériences, trois images d'événements fort différents ont été présentées à cet effet, afin de pouvoir étudier le rôle du contenu sur les réponses des sujets.

METHODE

Les deux expériences ont une technique analogue. Elles se différencient par la population étudiée (sujets différents et groupes d'âges partiellement différents) et par le contenu des images à décrire, avec toutefois une image commune pour vérifier la réplicabilité des résultats. Par ailleurs, la formulation de la consigne est légèrement différente.

Les sujets sont interrogés individuellement, à l'exception des adolescents et adultes (expérience II) qui ont dû être interrogés collectivement. La tâche consiste pour le sujet à décrire des images présentées une à une, et toujours dans le même ordre. Nous n'avons pas voulu contrebalancer l'ordre de passation des trois images, afin d'obtenir des conditions rigoureusement comparables pour tous les sujets et pour déceler si un effet d'ordre se produit. En fait, il n'y a aucune raison pour qu'un effet d'ordre absolu se fasse sentir : le fait de décrire une image avant ou après une autre description d'image ne peut augmenter ou diminuer le nombre d'événements passés ou futurs évoqués. En revanche, il peut y avoir un effet d'ordre relatif. Si la première image présentée suggère l'évocation d'événements non présents, ce type d'évocation pourrait se généraliser dans les descriptions suivantes. Pour tenir compte de cela, dans chaque expérience nous avons donné le rang médian (deuxième présentation sur trois) à

626 Jacques Montangero et Francisco Pons

l'image susceptible, d'après nos sondages, de susciter le plus grand nombre d'évocations diachroniques. S'il y a un effet de généralisation de la tendance diachronique, la troisième image devrait susciter plus d'évocations diachroniques que la première. Les résultats montrent que ce n'est pas le cas.

L'échantillon de personnes interrogées est représentatif de la population genevoise du point de vue du sexe, de la nationalité et du niveau socioprofessionnel des parents des sujets. Les écoliers sont des enfants qui suivent sans difficulté particulière le degré scolaire correspondant à leur âge.

EXPERIENCE I

Consigne : « Dis-moi tout ce que tu peux dire en regardant cette image, tout ce qui se passe. »

Matériel : trois images.

1 / « Fifi », 15 cm X 15 cm, voir figure la ; 2 / « Tintin », 10 cm X 20 cm, voir figure 16 ; 3 / « Baigneur », 21 cm X 30 cm, voir figure le.

Population : 60 enfants, répartis en cinq groupes d'âge de 12 participants chacun: 8 ans (M = 8;0, e-m=l,8 mois), 9 ans (M = 9;l, é-m =1,3 mois), 10 ans (M = 9;10, é-m = 2,3 mois), 11 ans (M = 10;ll, é-m = 1,7 mois) et 12 ans (M = 11;11, é-m = 2,0 mois).

EXPERIENCE II

Consigne : « Peux-tu me dire tout ce qui se passe sur cette image ? » Matériel : trois images.

1 / « Babar », 13 cm X 16 cm, voir figure ld ; 2 / « Fifi », voir figure la ; 3 / « Sempé », 15 cm X 15 cm, voir figure le.

Population : 60 sujets répartis en quatre groupes d'âges de 15 participants chacun: 9 ans (M = 8;ll, é-m = 3,1 mois), 12 ans (M = ll;ll, é-m = 2,7 mois), adolescents (M = 14;8, é-m = 2,5 mois) et adultes (M = 24;3, é-m = 2,6 ans).

la, Fifi Reproduit avec l'aimable permission de Disney Publishing Group,

Burbank (CA), USA

16, Tintin Reproduit de Hergé (1970),

Tiruin au Congo, avec l'aimable permission

de Moulinsart SA, Bruxelles, Belgique

le, Baigneur Dessin exécuté par Buch (1995) pour la présente recherche

Id, Babar Reproduit de S. Dionnet et J. Montangero (1991), Temps de la cause et

temps de l'effet dans la représentation du changement chez des enfants de 7 à 12 ans, Archives de Psychologie, 59 (231), 281-300, avec l'aimable permission des Archives de Psychologie, Genève, Suisse

le, Sempé Reproduit de Sempé (1989), Quelques citadins,

avec l'aimable permission de Sempé & Editions Denoël, Paris, France

630 Jacques Montangero et Francisco Pons

RÉSULTATS ET DISCUSSION

Dans les descriptions verbales des sujets, nous avons analysé toutes les mentions d'événements non présents sur l'image, que nous appellerons réponses diachroniques. Ce n'est pas le temps du verbe qui est pris en considération. En effet, certains sujets évoquent des événements passés ou futurs par rapport à ce que représente l'image en employant le temps présent (par exemple : « Fifi met une chaise » ; voir image la).

Pour caractériser la tendance à évoquer des événements non présents, nous avons réparti les sujets en trois catégories. Dans la catégorie 0 (sujets non diachroniques) figurent les personnes interrogées qui n'introduisent aucun événement passé ou futur dans leur description d'une image donnée. La catégorie I (sujets faiblement diachroniques) contient les sujets qui donnent une réponse diachronique dans leur description de l'image. Nous avons classé dans la catégorie II (sujets nettement diachroniques) ceux qui évoquent au moins deux événements passés ou futurs.

L'ensemble des résultats, par groupe d'âge et par image, est présenté dans les tableaux I (expérience I) et II (expérience II), où, à côté du pourcentage de sujets dans les différentes catégories, nous mentionnons aussi la somme et la moyenne de réponses diachroniques (toujours par groupe d'âge et par image).

SE CONTENTE-T-ON DE DÉCRIRE CE QUI EST PRÉSENT DANS UNE IMAGE ?

Alors que la consigne demande aux sujets de décrire le contenu de l'image qui est devant eux, nous observons, dans l'expérience I, que les trois quarts des 60 enfants interrogés mentionnent au moins un événement passé ou futur pour deux des images présentées, tandis que 53 % d'entre eux le font pour la troisième image. Dans la deuxième expérience (groupes de sujets dont l'âge moyen va de 9 ans à 24 ans), nous obtenons selon l'image présentée les pourcentages de 87, 77 et 60 % des sujets donnant au moins une réponse diachronique.

La tendance diachronique 631

TABLEAU I. — Expérience I. Somme et moyenne de réponses diachroniques et pourcentage de sujets par niveau diachronique en fonction de l'âge et de l'image

Experiment I. Sum and mean of diachronic responses and percentage of subjects by diachronic level as a function of age group and image

Age N Réponses Niveau diachronique diachroniques (% de sujets) £ Moyenne 0 I II

8 ans 9 ans 10 ans 11 ans 12 ans

8 ans 9 ans 10 ans 11 ans 12 ans

8 ans 9ans 10 ans 11 ans 12 ans

12 12 12 12 12

12 12 12 12 12

12 12 12 12 12

11 15 15 17 23

12 17 21 21 26

6 9 14 15 23

Fifi 0.92 1,25 1,25 1,42 1,92

Tintin 1,00 1,42 1,75 1,75 2,17

Baigneur 0,50 0,75 1,17 1,25 1,92

50 25 17 17 17

42 33 8 17 8

67-"'

'50 "'

■ Mi'.'-

33 33

17 50 42

'50 8

33 ■ 17

42 33 25

17 •''■-33."

■IS 1?

33 25 42 33 75

25 50 50 50 67

17 17 25 42 50

Note : Le niveau diachronique médian est indiqué en ombré.

On voit donc que la tendance à évoquer des états passés ou futurs d'une situation présente est un phénomène qui n'est pas exceptionnel.

C'est le passé qui tend le plus souvent à être évoqué et cela de façon significative (expérience I: [F(l,56) = 65,1, p < .01],

632 Jacques Montangero et Francisco Pons

TABLEAU II. — Expérience II. Somme et moyenne de réponses diachroniques et pourcentage de sujets par niveau diachronique en fonction de l'âge et de l'image

Experiment II. Sum and mean of diachronic responses and percentage of subjects by diachronic level as a function of age group and image

Age

9 ans 12 ans IS ans Adulte

9 ans 12 ans IS ans Adulte

9 ans 12 ans 15 ans Adulte

N

15 15 15 15

15 15 15 15

15 15 15 15

Réponses diachroniques

t

12 16 34 33

20 28 32 27

5 13 21 29

Moyenne

Babar

0,80 1,07 2,27 2,20 Fifi 1,33 1,87 2,13 1,80

Sempe 0,33 I 0,87 1,40 1,93

0

S3 33 0 7

13 13 7 20

m 47 33 0

Niveau diachronique (% de sujets)

I

27

33 33 20

S3 27 27

27 >"*'«

HP 7 '

'WÊÊÊ

Ut ililililiît_« 40 jM|

II

20 33 67*'

13 60

53 «v

13 27 33

WÊ Note : Le niveau diachronique médian est indiqué en ombré.

expérience II : [F(l,56) = 88,36, p < .01]). En termes de proportions de réponses diachroniques, dans la première expérience, le pourcentage de réponses passées est de 76 % à 92 % selon les images. Dans la deuxième expérience, l'évocation d'événements passés domine aussi nettement pour les images Babar et Fifî : 97 % et 76 % des réponses. Pour Sempé c'est le futur qui prime (77 % des réponses). Il faut cependant signaler que nous avons compté comme évocation future la mention : « II va au travail »

La tendance diachronique 633

pour l'image Sempé, le but du déplacement n'étant pas représenté sur l'image. D'aucuns hésiteraient à considérer comme future une telle réponse.

DANS QUELLE MESURE LA TENDANCE DIACHRONIQUE EST-ELLE LIÉE AU CONTENU DE L'IMAGE A DÉCRIRE ?

L'effet du contenu de l'image sur la fréquence des évocations diachroniques est indiscutable. Par exemple, dans la première expérience, à l'âge de 9 ans, la proportion de sujets nettement diachroniques passe de 17% («Baigneur») à 50 % (« Tintin ») et à l'âge de 12 ans elle varie entre 50 % (« Baigneur») et 75% («Fifi»). Dans la deuxième expérience et chez les enfants de 9 et 12 ans toujours, les différences dues à l'image sont encore plus frappantes, «Sempé» suscitant particulièrement peu de réponses diachroniques. Cette expérience montre en outre qu'à partir de l'adolescence ces variations tendent à s'estomper.

D'un point de vue statistique, dans l'expérience I, l'effet d'image, tous âges confondus, n'est pas significatif à p < .05 parce que deux des images suscitent des taux de réponses analogues et dans la deuxième expérience, cet effet est très significatif

= 7,58,p<.01].

LA TENDANCE DIACHRONIQUE AUGMENTE-T-ELLE AVEC L'ÂGE ?

Pour savoir si la tendance à évoquer des événements non présents, lorsqu'on décrit une image, augmente avec l'âge, il faut se reporter aux tableaux I et II. On remarque que les sujets diachroniques de même que le nombre moyen de réponses diachroniques augmentent avec l'âge jusqu'à un plafond d'environ deux réponses par sujet. Le tableau II montre que ce plafonnement s'observe à 12 ans pour Fifi, à 15 ans pour Babar et que des chiffres comparables se trouvent chez les adultes pour Sempé.

Dans la première expérience (sujets de 8 à 12 ans), une analyse de la variance ne révèle pas d'effet d'âge significatif au seuil de p < .05. Cependant le nombre de réponses diachroni-

634 Jacques Montangero et Francisco Pons

ques augmente avec l'âge et une différence significative s'observe quand on compare les enfants de 8 ans et ceux de 12 ans (f-test, pour Fifï (22) = 2,18, p<.05, pour Babar (22) = 2,24, p<.05, pour le Baigneur (22) = 2,51, p < .05). Il en va de même pour le niveau diachronique des sujets (U de Mann- Whitney: Fifi 41,0, p < .05, Tintin 36,5, p < .05, Baigneur 42,0, p < .05).

En ce qui concerne la comparaison des groupes de 9, 12, 15 et 24 ans, dans la deuxième expérience, l'effet d'âge sur le nombre de réponses est significatif pour Babar [F(3,56) = 6,66, p < .01] et pour Sempé [F(3,46) = 5,72, p < .01]. Quant à l'effet d'âge sur le niveau diachronique des sujets, il est très significatif pour Babar (Chi carré de Kruskal- Wallis = 16,19, p < .01) et Sempé (même test = 17,13, p < .01). En revanche il ne l'est pas pour Fifi qui, nous l'avons vu, suscite l'effet plafond dès l'âge de 12 ans. Dans cette deuxième expérience comme dans la première, l'augmentation se fait lentement et l'on n'obtient de différences significatives, quand on compare deux groupes d'âge, qu'entre groupes non contigus, c'est-à-dire 9 et 15 ans ou 12 ans et adultes, que ce soit du point de vue du nombre de réponses diachroniques (9-15 : t-test pour Babar (28) = 3,39, p < .01, pour Sempé (28) = 2,42, p < .05 ; 12-Adultes : t-test pour Babar (28) = 3.03, p < .01, pour Sempé (28) = 2,89, p < .01) ou du niveau diachronique (9-15 : U de Mann- Whitney pour Babar = 40,0, p < .01, pour Sempé = 62,5, p < .05 ; 12-Adultes : U de Mann- Whitney pour Babar = 62,5, p < .05, pour Sempé = 54,0, p < .05).

L'image Fifi a été présentée aux sujets des deux expériences. Dans les deux groupes d'âge communs aux deux expériences (9 et 12 ans), nous trouvons pour cette image des résultats comparables, sans être rigoureusement identiques, en ce qui concerne la répartition des sujets par niveau diachronique et la fréquence des réponses diachroniques ainsi que leur répartition dans les différentes catégories.

QU'EST-CE QUI, DANS LE CONTENU DES IMAGES, TEND A SUSCITER DES RÉPONSES DIACHRONIQUES ?

Pour comprendre la variation de la tendance diachronique en fonction des images présentées et pour saisir en quoi consiste

La tendance diachronique 635

cette tendance, il est nécessaire de procéder à une analyse qualitative des résultats. Nous allons d'abord présenter la hiérarchie des images selon qu'elles suscitent plus ou moins d'évocations du passé ou du futur, puis nous considérerons le contenu de ces évocations. Cela nous permettra de définir à la fois les caractéristiques des situations qui tendent à susciter des réponses dia- chroniques et la nature même de ces réponses.

Au vu des résultats, nous devons distinguer dans les réponses obtenues celles qui émanent des enfants (de 8 à 12 ans) et celles qui sont données par les adolescents et les adultes. Notre analyse qualitative nous amènera donc aussi à constater des changements dus au développement.

CHEZ LES ENFANTS

En ce qui concerne les enfants de 8-9 à 12 ans, l'ordre des images, en fonction de la fréquence des réponses diachroniques qu'elles suscitent, est le suivant.

1 / Tintin et Fifi favorisent au maximum les évocations nements non présents. Pour ces deux images, la majorité des sujets de 9 ans donnent au moins une réponse diachronique et à 12 ans, une majorité d'enfants se classent dans la catégorie des sujets nettement diachroniques.

2 / Le Baigneur a un rang intermédiaire. La moitié des sujets de 12 ans se montrent nettement diachroniques dans la description de cette image. A 9 ans, les résultats sont analogues à ceux de l'image suivante (Babar).

3 / Babar vient donc en deuxième position, à égalité avec le Baigneur à 9 ans et en troisième position à 12 ans (minorité de sujets nettement diachroniques, majorité de sujets donnant au moins une réponse diachronique).

4 / Sempé suscite le moins de réponses diachroniques : 80 % de sujets non diachroniques à 9 ans, et encore 47 % à 12 ans.

Pour ce qui est de la nature des réponses, on se référera aux tableaux III et IV qui indiquent les pourcentages de réponses par image dans trois catégories d'évocations que nous allons définir. Comme les résultats sont analogues chez les enfants des différents groupes d'âge, nous donnons les résultats moyens

636 Jacques Montangero et Francisco Pons

pour l'ensemble des enfants (8 à 12 ans dans l'expérience I, 9 et 12 ans dans l'expérience II).

La première catégorie de réponses diachroniques est celle des narrations ou des scripts, c'est-à-dire des réponses qui constituent, avec les événements présents décrits, une séquence attendue, soit en termes de récit, soit en termes de script. Étant donné que Tintin et Fifî sont extraits de bandes dessinées pour enfants, on pouvait s'attendre à l'évocation d'événements qui s'enchaînent pour mener vers un but désiré ou craint, ou qui restituent des circonstances aventureuses (narration). Par ailleurs, selon les vues de Nelson et Mandler rappelées dans l'introduction, on peut s'attendre à l'introduction d'événements qui constituent une séquence habituelle avec ceux qui sont présentés sur l'image. Voici deux exemples d'évocations entrant dans la catégorie narration :

— C'est Tintin qui a été ligoté, I puis mis dans une barque, I et puis il descend la chute d'eau I et il a été rattrapé juste par une branche.

Chacune des quatre évocations diachroniques entre dans la catégorie narration.

— Fifî va tomber, / il se retient au rayon, I ses cousins appellent Donald à l'aide.

La première évocation du futur n'est pas narrative, les deux suivantes le sont.

Nous avons classé dans les scripts des évocations comme la suivante :

— C'est l'heure du goûter, il prend du pain, I puis veut cher- cher la confiture.

Les tableaux III et IV montrent que les réponses de la catégorie narration-script sont extrêmement rares chez les enfants. On observe entre 0 et 15 % de telles réponses.

La deuxième catégorie de réponses est celle des explications par une cause physique ou par une intention. Voici deux exemples d'explication par intention et deux par une cause objective :

— // avait faim, I alors il a mis des chaises / et il attrape un pot de confiture.

— Il pousse le portail / pour que personne ne puisse entrer. — Comme il est trop petit, il a mis une chaise, un tabouret et

un livre. — La chaleur a fait fondre la glace I et ils se retrouvent sur

deux bouts de glace.

La tendance diachronique 637

Les tableaux III et IV révèlent que les réponses diachroni- ques constituant des explications par cause objective ou intention sont rares dans l'ensemble chez les enfants : 5 à 36 % des réponses.

La dernière catégorie de réponses est celle des antécédents ou conséquents, ces derniers étant peu fréquents. Les réponses de ce type évoquent un événement qui précède (ou suit) la situation représentée, par exemple :

— Fifi a mis une chaise, un tabouret et un livre/ et... — // est monté sur les chaises, I il ouvre la porte et... — Tintin est tombé I et il s'est accroché à la branche. — Il a fait un château de sable. . . Parfois les sujets évoquent l'activité qui est à l'origine de la

situation dépeinte sur l'image : — Tintin est allé se promener en bateau. . . C'est dans cette catégorie que se trouvent la majorité des

réponses des enfants (de 60 à 90 % ).

TABLEAU III. — Expérience I. Pourcentage de réponses dia- chroniques par catégorie (Narration- Script, Explication, Antécédent-Conséquent) en fonction de l'image, tous âges confondus

Experiment I. Percentage of diachronic responses by category (Narration-Script, Explanation, Antecedent- Subsequent) and by image, all age groups together

Age N

Réponses diachro- niques 2

Fifi 81

Tintin 97

Baigneur

67 Narr

ation- Script

0

12

5 Expli

cation

28

11

5 Ante

cedent Conséquent

72

77

90

8-12 ans

8-12 ans

8-12 ans

60

60

60

638 Jacques Montangero et Francisco Pons

TABLEAU IV. — Expérience II. Pourcentage de réponses diachroniques par catégorie ( Narration- Script, Explication, Antécédent- Conséquent) en fonction de l'âge et de l'image

Experiment IL Percentage of diachronic responses by category (Narration-Script, Explanation, Antecedent- Subsequent) and by image and age group.

Age

9-12 ans 15 ans Adulte

9-12 ans 15 ans Adulte

9-12 ans 15 ans Adulte

N

30 15 15

30 15 15

30 15 15

Réponses

niques S

Babar 28 34 33

Fifï 48 32 27

Sempé

18 21 29

ration- Script

15 12 12

10 6

15

0 14 7

cation

25 32 39

20 47 44

36 48 79

Anté- cédent- Consé- quent

60 56 49

70 47 41

64 38 14

En examinant de plus près ces réponses, on s'aperçoit que les enfants mentionnent des événements passés surtout quand il s'agit d'un déplacement ou d'une autre action du personnage représenté sur l'image, pour autant que ce déplacement ou cette activité aient produit un résultat inhabituel et instable. Dès lors, on comprend la hiérarchie des images.

Tintin et Fifï représentent matériellement un état instable — très inhabituel pour le premier, peu courant et transitoire pour le second — qui s'explique par des activités et des déplacements du personnage représenté. Ces images poussent les enfants à évoquer la production de cet état ou de cette position : II est allé sur une barque, il est tombé, il s'est accroché ou II a mis des chaises, il est monté, il a ouvert. L'instabilité amène quelques enfants a mentionner la suite des événements (chute).

La tendance diachronique 639

Le Baigneur est dans un état stable et assez habituel : aucun enfant ne prend la peine d'évoquer ce qui a produit cet état, malgré la présence de traces sur le sable (II est allé jusqu'à son linge pour prendre un bain de soleil) . En revanche le château de sable est une production assez peu habituelle et éphémère, due au personnage : il fait l'objet de l'évocation diachronique la plus fréquente. Au total, il y a moins d'instabilité, d'inhabituel et de production propre que pour Tintin et Fifi.

Babar représente pour nous un état instable et inhabituel, mais l'activité des personnages est durative (ils sont en train de patiner, le font depuis quelque temps et le feront encore) et l'élément inhabituel (deux bouts de glace) ne s'explique pas par cette activité. On remarque donc que jusqu'à 12 ans compris les enfants n'évoquent pas spontanément les causes physiques d'un état matériel. Par ailleurs le futur n'est évoqué que si un indice visible sur l'image annonce la suite des événements. De ce fait il n'y a pratiquement aucune évocation du futur pour Babar.

Enfin Sempé représente un événement habituel (sortir de chez soi) qui, de ce fait et malgré son dynamisme, ne pousse pas l'enfant à en expliquer les antécédents. En revanche, comme l'image représente le début d'une activité, cela pousse des sujets à évoquer le but de cette activité : II va à son travail. C'est pourquoi la proportion d'évocations futures est inhabituellement élevée pour Sempé. Mais comme les conséquents tendent moins à être évoqués que les antécédents, le total de réponses diachroni- ques est faible.

CHEZ LES ADOLESCENTS ET LES ADULTES

On trouvera dans le tableau IV les résultats concernant les adolescents et les adultes (expérience II). Comme nous l'avons déjà noté, l'effet du contenu des images sur la tendance diachronique s'estompe à partir de l'adolescence. Du point de vue des causes et de la nature des évocations diachroniques, deux changements assez nets s'observent dans le groupe des adolescents, par rapport aux enfants. D'une part, Babar passe du troisième rang au premier rang ex aequo dans la hiérarchie des trois images présentées : il y a autant de sujets diachroniques que pour Fifi (67 % dans la catégorie II) et une moyenne de réponses diachroniques comparable (2,27 contre 2,13 pour Fifi). D'autre part,

640 Jacques Montangero et Francisco Pons

pour l'ensemble des images, le pourcentage de réponses diachro- niques constituant une explication (par cause objective ou intention) augmente par rapport à ce qui s'observe chez les enfants (32 % , 47 % et 48 % des réponses diachroniques pour Babar, Fifi et Sempé contre 25 %, 20 % et 36 % à 12 ans).

Ces deux résultats sont à mettre en rapport l'un avec l'autre. Contrairement aux enfants, les adolescents tendent à expliquer les causes d'un état physique, même s'il n'est pas produit par l'activité d'un personnage. Dès lors, la présence de deux morceaux de glace flottant sur l'eau donne lieu soit à des réponses en termes d'antécédent :

— Le morceau de glace s'est détaché... — La glace s'est cassée. . .

soit à des explications : — Les blocs de glace ont fondu. . . — Ils n'ont pas dû voir le panneau interdisant de patiner. . .

La plus grande importance relative des explications par rapport aux antécédents se confirme et se renforce chez les adultes (39 %, 44 %, et 79 % des réponses diachroniques pour Babar, Fifi et Sempé, contre 25 %, 20 % et 36 % dans le groupe des enfants).

La fréquence légèrement plus faible de sujets et réponses diachroniques pour Fifi chez les adultes peut s'expliquer par le fait qu'ils évoquent les intentions à l'origine de la situation plutôt que les activités et aussi parce qu'ils évoquent ces activités de manière plus synthétique :

— Fifi a fait une pile avec des objets (plutôt que : // a pris une chaise, I il a mis un tabouret et un livre, que l'on obtient plus fréquemment chez les enfants).

CONCLUSIONS

Lorsqu'on demande à des personnes de décrire une image, la majorité des sujets, dès l'âge de 12 ans, ne se contentent pas de mentionner ce qui est représenté : ils évoquent un ou plusieurs événements qui précèdent immédiatement l'état dépeint sur l'image ou, moins fréquemment, qui suivent cet état. Nous voyons là une manifestation de ce que nous appelons la ten-

La tendance diachronique 641

dance diachronique, c'est-à-dire la propension à sortir du présent et à reconstituer des états passés ou futurs d'une situation à laquelle on s'intéresse. Nos deux expériences révèlent donc en premier lieu que cette tendance n'est pas un phénomène exceptionnel.

Le deuxième résultat obtenu concerne l'évolution de cette tendance avec l'âge. Le nombre d'évocations du passé ou du futur, de même que le nombre de sujets par groupe d'âge qui procèdent à de telles évocations augmentent significativement avec l'âge pendant l'enfance et parfois jusqu'à l'âge adulte. Cette augmentation se produit jusqu'à un effet plafond qui se manifeste plus ou moins tôt selon l'image présentée.

Les progrès de la tendance diachronique sont plus lents que ceux de la pensée diachronique (c'est-à-dire la capacité d'imaginer des transformations au cours du temps) que nous avons étudiée par ailleurs (Montangero, sous presse). En effet, cette dernière atteint une forme déjà très évoluée chez les enfants de 11-12 ans et subit une évolution assez brusque entre 9 et 11 ans. En revanche, la tendance diachronique, mesurée à la quantité et la nature des évocations diachroniques lors de la description d'images, ne change pas de manière aussi nette. De plus, elle continue d'évoluer au-delà de l'âge de 12 ans jusqu'à l'âge adulte. En conclusion il n'y a pas de synchronisme entre le lent développement de la tendance diachronique et le développement de la pensée diachronique.

La progression de la tendance diachronique peut s'expliquer par différentes causes : la capacité de traiter de plus en plus d'informations (Case et Edelstein, 1993, par exemple) et donc pas seulement les informations présentes, l'élargissement de l'horizon temporel des sujets — avec une importante étape à l'adolescence (Rodriguez-Tomé et Bariaud, 1987, par exemple) et, comme le montre notre recherche, le développement de l'analyse causale des phénomènes.

D'une manière générale, les évocations diachroniques que nous obtenons ne reflètent pas une pratique du récit — bien que plusieurs des images présentées soient tirées de bandes dessinées — ni une utilisation de « scripts », quoique plusieurs images dépeignent des moments dans une séquence habituelle. En cela nos résultats ne confirment pas l'importance donnée par des auteurs comme Nelson (1986) à ces «schémas» liés au contenu d'expériences pratiques ou culturelles. La tendance diachro-

642 Jacques Montangero et Francisco Pons

nique, dans la description d'images, obéit surtout au besoin d'expliquer ce qui semble mériter explication, c'est-à-dire des aspects exceptionnels ou instables des situations imagées.

Incidemment, cette recherche a jeté quelque lumière sur les progrès de l'explication au cours de l'enfance et de l'adolescence. Les enfants jusqu'à 12 ans compris tendent à évoquer la production des éléments frappants de la situation pour autant que cette production soit due à l'activité ou aux déplacements du personnage représenté. Chez les adolescents et les adultes, l'évocation tend à porter sur les causes physiques ou intentionnelles à l'origine de la situation. On observe donc un passage de la description des moyens (par exemple : // a mis une chaise, il est monté dessus, il a ouvert le placard) à celle des intentions (// avait faim et voulait manger de la confiture) ou des causes objectives (Comme il est petit et que l'armoire et haute...). Nous n'affirmons pas que l'enfant est incapable d'évoquer des causes physiques ou intentionnelles, mais nous constatons qu'il ne tend pas spontanément à le faire. Ceci est un aspect particulier de notre recherche : elle porte sur les tendances spontanées des sujets, celles qui se manifestent indépendamment et presque à l'opposé de la consigne (puisque celle-ci propose de s'en tenir à l'image présentée).

Etant donné que les sujets évoquent des événements non présents pour expliquer certains aspects de l'image, le contenu de celle-ci peut susciter plus ou moins de réponses diachroni- ques. Les images dépeignant un état instable et inhabituel suscitent l'évocation des origines de cet état, donc un plus grand nombre de réponses diachroniques. Cet effet du contenu est soumis à un effet plafond : quelle que soit l'image présentée, le nombre moyen de réponses diachroniques ne dépasse le seuil de deux évocations (selon l'image chez les sujets de 15 ans ou adultes).

A propos de cet effet plafond, l'hypothèse explicative que nous aimerions avancer est la suivante: la tendance diachro- nique progresse certes avec l'âge, mais elle dépend aussi de caractéristiques individuelles. Certains sujets tendent à rester dans l'ici et maintenant ou tout simplement sont plus respectueux que d'autres de la consigne qui demande de décrire l'image. Il y aurait toujours au moins un quart de sujets de ce type dans une population étudiée. Les autres sujets ont une tendance diachronique plus forte ou se sentent plus libres d'expri-

La tendance diachronique 643

mer ce qui les intéresse. L'analyse du développement de la tendance diachronique devrait donc se doubler d'une analyse différentielle.

Au total notre recherche met en évidence une tendance qui ne se confond ni avec le raisonnement temporel, ni avec ce que nous appelons la pensée diachronique, ni avec d'autres aspects de la cognition. Il s'agit d'une propension à insérer les événements dans la dimension temporelle, à enrichir le présent de l'évocation d'états passés ou à venir. Cette mise en perspective temporelle ne peut qu'améliorer la compréhension des phénomènes. Il est évident que cette tendance diachronique devrait être étudiée aussi avec d'autres moyens et dans d'autres circonstances qu'à l'occasion de la description d'images.

RÉSUMÉ

Cette recherche vise à étudier la généralité, la nature et le développement avec l'âge de la tendance diachronique (propension à évoquer les étapes passées ou futures d'une situation présente) . Deux expériences ont été menées dans ce but, chacune sur 60 sujets auxquels on présente successivement trois images qu'ils ont pour consigne de décrire. Les sujets sont répartis en groupes d'âge de 8 à 24 ans. Les résultats montrent que la tendance diachronique se manifeste assez fréquemment, qu'elle croît de manière lente avec l'âge jusqu'à un effet plafond, dépend chez les enfants du contenu des images présentées et correspond au besoin d'explication d'aspects inhabituels des situations.

Mots-clés: temps, horizon temporel, développement cognitif, description d'images.

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