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L’ÉTAT DES RELATIONS FRANCO-ALLEMANDES Une enquête réalisée par Documents Au moment où, après seize ans d’un règne sans partage des Chrétiens-démo- crates alliés aux Libéraux et du Chancelier Helmut Kohl, l’Allemagne choisit la direction d’une alliance « rouge-verte » et se dote d’un nouveau Chancelier social-démocrate, Documents a voulu établir une sorte de « bilan d’espoir » des relations franco-allemandes. Ce sont les résultats de cette enquête qui for- ment la part principale du présent numéro. Ce n’est pas la première fois que nous faisons une telle démarche. Dès 1953 notre publication avait contacté un certain nombre de personnalités et de mili- tants des relations franco-allemandes pour connaître leurs satisfactions et leurs manques. Nous avons repris cette formule plusieurs fois depuis. Cette année encore, les réponses que nous avons reçues, venant de politiques et de personnalités de la culture, de responsables municipaux ou de militants de la vie associative, d’enseignants et de hauts fonctionnaires d’institutions franco- allemandes, ne dérogent pas à la règle. Aux personnes à qui nous écrivions, nous demandions quelle était leur relation personnelle à l’Allemagne et aux Allemands, si elles estimaient que les rela- tions franco-allemandes avaient évolué ces dernières années et dans quel sens, et enfin quels pronostics nos correspondants formulaient sur leur évolution future. (Voir le texte de la lettre en page 25) Dans les réponses, nous trouverons beaucoup de motifs de satisfaction, mais aussi l’impression très nette d’un changement d’époque. Il est ressenti, bien sûr, chez les militants de la première heure du franco-allemand, enseignants, politiques ou militants associatifs, qui, pour la déplorer ou au contraire pour s’en féliciter, pointent le doigt sur une certaine banalisation des rapports fran- co-allemands. Mais aussi chez les autres, pour qui les changements survenus en Allemagne et en Europe ont introduit une nouvelle dimension de nos rap- ports, peut-être plus égalitaire, mais aussi plus risquée : avec l’éloignement dans le temps et dans les consciences de la guerre nazie, puis de la guerre froi- de, c’est aussi une part de la justification des rapports franco-allemands qui s’éloigne. La motivation de ceux-ci, probablement, sera désormais moins ins- pirée par la volonté de « surmonter le passé en commun » que par celle de préparer l’avenir ensemble. Dans ce contexte, l'on ne s’étonnera guère du fait que tous les témoignages qui suivent saluent la construction européenne. Ne nous bouchons pas les yeux : l’unanimité sur le sujet est même étonnante, tant il est vrai que n’appa- raît nulle part dans ces lettres l’interrogation qui agite beaucoup nos milieux 23 DOCUMENTS DOSSIER

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L’ÉTAT DES RELATIONSFRANCO-ALLEMANDES

Une enquête réalisée par DocumentsAu moment où, après seize ans d’un règne sans partage des Chrétiens-démo-crates alliés aux Libéraux et du Chancelier Helmut Kohl, l’Allemagne choisitla direction d’une alliance « rouge-verte » et se dote d’un nouveau Chanceliersocial-démocrate, Documents a voulu établir une sorte de « bilan d’espoir »des relations franco-allemandes. Ce sont les résultats de cette enquête qui for-ment la part principale du présent numéro.

Ce n’est pas la première fois que nous faisons une telle démarche. Dès 1953notre publication avait contacté un certain nombre de personnalités et de mili-tants des relations franco-allemandes pour connaître leurs satisfactions etleurs manques. Nous avons repris cette formule plusieurs fois depuis. Cetteannée encore, les réponses que nous avons reçues, venant de politiques et depersonnalités de la culture, de responsables municipaux ou de militants de lavie associative, d’enseignants et de hauts fonctionnaires d’institutions franco-allemandes, ne dérogent pas à la règle.

Aux personnes à qui nous écrivions, nous demandions quelle était leur relationpersonnelle à l’Allemagne et aux Allemands, si elles estimaient que les rela-tions franco-allemandes avaient évolué ces dernières années et dans quel sens,et enfin quels pronostics nos correspondants formulaient sur leur évolutionfuture. (Voir le texte de la lettre en page 25)

Dans les réponses, nous trouverons beaucoup de motifs de satisfaction, maisaussi l’impression très nette d’un changement d’époque. Il est ressenti, biensûr, chez les militants de la première heure du franco-allemand, enseignants,politiques ou militants associatifs, qui, pour la déplorer ou au contraire pours’en féliciter, pointent le doigt sur une certaine banalisation des rapports fran-co-allemands. Mais aussi chez les autres, pour qui les changements survenusen Allemagne et en Europe ont introduit une nouvelle dimension de nos rap-ports, peut-être plus égalitaire, mais aussi plus risquée : avec l’éloignementdans le temps et dans les consciences de la guerre nazie, puis de la guerre froi-de, c’est aussi une part de la justification des rapports franco-allemands quis’éloigne. La motivation de ceux-ci, probablement, sera désormais moins ins-pirée par la volonté de « surmonter le passé en commun » que par celle depréparer l’avenir ensemble.

Dans ce contexte, l'on ne s’étonnera guère du fait que tous les témoignagesqui suivent saluent la construction européenne. Ne nous bouchons pas lesyeux : l’unanimité sur le sujet est même étonnante, tant il est vrai que n’appa-raît nulle part dans ces lettres l’interrogation qui agite beaucoup nos milieux

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intellectuels français et allemand sur la mondialisation d’une part (et l’Euro-pe, comme étape intermédiaire, comme premier pas vers l’internationalisa-tion) et le recours, ressenti comme protecteur, à l’État-nation d'autre part. Oui,il y a dans ces pages, dans leur unanimisme, non seulement l’espoir partoutexprimé que le rapprochement franco-allemand et la construction européennepuissent créer une réelle communauté de vues et de vie entre nos deux pays,mais aussi, sous-jacente, la conviction que ce chemin qu'il faut continuer àparcourir ensemble est la seule voie possible.

Enfin, et sans préjuger des conclusions que fournira Michel Reuillon à la findu présent dossier, cette introduction serait incomplète si elle ne faisait pasétat de quelques « bémols ». Il faut ainsi toujours revenir sur les questions quepose le recul de l’apprentissage de la langue du voisin, mais aussi sur des pro-blèmes plus insidieux. Ainsi, d’aucuns évoquent, on le verra, les insuffisancesdangereuses d’une trop grande institutionnalisation du franco-allemand ou lacrispation sur l’œuvre de « réconciliation », qui a « fait son temps » ; plusieursplaident pour un élargissement du concept et de ses institutions à d’autresnations européennes, d’autres pour une « relance » des relations, d’autresencore se plaignent amèrement des obstacles bureaucratiques aux rencontresde jeunes ou de la survivance tenace, chez les Français comme chez les Alle-mands, de lourds clichés anciens...

Patrick Démerin

Pour en faciliter la lecture les témoignages ont été regroupés en quatreparties en fonction de leur contenu :

Politique - Histoire - Prospective page 26 à 48

Vie associative - Échanges page 49 à 71

Université - Formation page 73 à 84

Entreprendre - Vie professionnelle page 85 à 99

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Texte de la lettre circulaireenvoyée à environ 250 personnes

Depuis une dizaine d'années, des changementsconsidérables sont intervenus en Europe et l'intégrationeuropéenne s'accélère. Dans ce contexte, DOCUMENTS, Revuedes Questions allemandes, dirigée par Joseph Rovan, souhaiteréunir des témoignages de personnalités de la vie publique, demilitants du rapprochement franco-allemand ou de simplescitoyens, sur la nature des relations franco-allemandesaujourd'hui.

A des titres divers, vous êtes concernée par la relation entrel'Allemagne et la France, entre les Allemands et les Français. Votreopinion nous intéresse.

Comment, dans votre domaine, votre secteur d'activité oudans vos expériences actuelles, s'inscrivent les réalités franco-alle-mandes ? Comment, à votre avis, évoluent-elles ? Comment voyez-vous leur avenir ?

Votre réponse ne devrait pas excéder deux ou trois pages ;la Rédaction peut être amenée à faire certaines coupes. Pas de« langue de bois » : franchise et clarté des témoignages sont pournous déterminantes. Les textes reçus seront publiés à l'automne1998 dans le cadre d'un numéro spécial de DOCUMENTS. L'ano-nymat sera préservé pour ceux qui le désireront.

Nous vous remercions de nous faire parvenir votre contri-bution avant le 10 juin 1998.

Cordialement.

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LE COUPLE FRANCO-ALLEMAND :Exigence d'ambition,

d'imagination et de modestie

oute réflexion sur les relations franco-allemandes et leur avenir se doitde partir d'un examen lucide de la situation présente. Elle ne peut fairel'économie d'un bilan en demi-teinte d'une relation actuellement « en

panne d'idées » – pour reprendre l’expression de Dominique Bocquet, auteurd’une perspicace « note de la Fondation Saint-Simon » sur le sujet (1) – et quipeine à trouver de nouvelles raisons d'être.

Trois raisons me paraissent rendre compte de la situation présente. Le couplefranco-allemand est en premier lieu victime de son propre succès. Pendant desdécennies, l'ambition prioritaire et l'utopie directrice du travail franco-allemandont été la volonté d'œuvrer à la réconciliation de deux peuples longtemps per-suadés d'être l'un pour l'autre l'« ennemi héréditaire », et de concrétiser cetteréconciliation par l'édification d'un réseau aussi dense que possible de partena-riats, d'échanges, de consultations et de relations. Or cet objectif a été atteint,et il a même – ironie ou plutôt injustice de l'histoire – été si pleinement atteintqu'on en a presque fini par oublier les conditions dans lesquelles il a pris nais-sance, la multitude d'efforts et les prodiges d'enthousiasme et de volonté qui l'ontrendu possible, la véritable révolution des opinions et des comportements qu'ila opérée. La réconciliation franco-allemande et l'établissement de liens decoopération et d'interdépendance forts entre les deux pays et les deux sociétésont été à ce point un succès qu'ils ont maintenant acquis l'évidence et le natureldes choses qui paraissent aller de soi, au point même qu’on en oublie qu’ilsfurent d’abord une conquête et une victoire sur la fatalité. L'effet d'accoutumancen'est en la matière que l'envers d'une réussite exceptionnelle.

Le couple franco-allemand est en second lieu victime de la remise en cause– certainement irrévocable – des conditions qui lui avaient permis de se struc-turer et de se construire. Depuis la chute du Mur de Berlin, l'effondrement del'empire soviétique et la réunification allemande, il a perdu en effet deux deses principaux atouts antérieurs : d'un côté, la menace et l'ennemi communsqui poussaient au rapprochement et à l'union ; de l'autre, la situation de com-plémentarité d'intérêt et de partage des tâches qui faisait que la France et laRépublique fédérale avaient également besoin l'une de l'autre dans un relatiféquilibre réciproque. L'ennemi commun a disparu, le déséquilibre est de nou-veau là et le contexte global a été profondément transformé. On comprend

(*) Directeur du Centre Marc Bloch , Centre franco-allemand de Recherches en Sciences sociales, à Berlin.(1) Dominique Bocquet, La France et l'Allemagne : un couple en panne d'idées, Paris, 1996 (« Notes de la Fon-dation Saint-Simon »), 61 p.

ETIENNE FRANÇOIS *

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Politique - Histoire- Prospective

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dans ces conditions que le couple franco-allemand ait du mal à trouver unsecond souffle et s'il faut à tout prix s'étonner, c'est moins de cette difficulté,que, à l'inverse, de la solidité des habitudes, des manières de voir et des com-portements acquis antérieurement, voire de leur capacité à durer et de leuraptitude à réagir, alors qu'une grande partie des facteurs qui leur avaient donnénaissance et qui les avaient légitimés, ont cessé d'être.

La relation franco-allemande souffre, enfin, de deux faiblesses d'inégale impor-tance, mais devant lesquelles il convient de ne pas se voiler la face. La première– de moindre portée – est en quelque sorte l'envers des efforts répétés et desinitiatives innombrables prises en faveur du rapprochement entre les deux payset leurs sociétés. Le demi-siècle dont nous sommes en la matière les héritiersa en effet fini par accumuler, génération après génération et sommet après som-met, toute une sédimentation institutionnelle qui pèse sur les relationsfranco-allemandes d'aujourd'hui et qui, à l'occasion, peut, comme tout poids,faire obstacle au mouvement et au changement : dans un pays comme dansl'autre, il existe une pléthore d'institutions, d'organismes et de procédures spé-cialement consacrés aux relations franco-allemandes, menacés comme touteinstitution par l'auto-reproduction, créés dans des contextes très différents ducontexte présent, mis sur pied pour répondre à des besoins qui ne sont plusnécessairement les mêmes aujourd'hui et tentés de ce fait – même involontai-rement – de faire du franco-allemand un « Selbstzweck », une fin en soi qui sesuffit à soi-même ; dans un pays comme dans l'autre – j'en parle d'expérience,tirant ces observations critiques d'un regard rétrospectif jeté sur ma propre his-toire –, il existe un grand nombre de spécialistes du franco-allemand, grandisdans ces institutions, formés par elles, y ayant souvent consacré une partimportante de leur vie et de leur énergie et qui, sans s'en rendre compte, sontdevenus de véritables « professionnels », voire des « apparatchiks » du franco-allemand, tentés de s'en considérer comme des propriétaires alors qu'ils n'ensont (ou ne devraient en être) que des serviteurs.

Connaissance de la langue du voisin : l'échec

Bien plus grave, en revanche – tant en soi que par ce qu'elle révèle – me paraîtêtre la seconde faiblesse des relations franco-allemandes : l'échec des poli-tiques jusqu'ici menées pour améliorer la connaissance dans un payscomme dans l'autre de la langue du voisin. La méconnaissance majoritairedu français en Allemagne et de l'allemand en France, le recul souvent constatéde la maîtrise de la langue du voisin de part et d'autre du Rhin, et le sentimentd'impuissance et de résignation fataliste qui paraît dominer en la matière, ne sau-raient être assez soulignés. Ils sont graves en soi dans la mesure où l'incapacitéà comprendre et à parler la langue du voisin représente une limite infran-chissable à sa rencontre en profondeur et en vérité – l'anglais ne sera jamaisplus qu'un pis-aller. Ils sont graves, plus encore – d'une gravité que, pour ma part,j'estime bien plus lourde de conséquences – par ce qu'ils révèlent et signifient :ne sont-ils pas, en effet, l'expression du fait qu'en profondeur, les deux sociétésrestent réservées, sinon réticentes, face aux intentions des artisans du rappro-

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chement franco-allemand, qu'elles hésitent à faire leurs leurs ambitions et qu'ellesrefusent (de fait, même si elles hésitent à l'affirmer ouvertement) de reprendre àleur compte leurs convictions, leurs enthousiasmes et leurs utopies ?

Pour redonner vie et sens à cette relation unique, la première des choses à faireest de prendre conscience de l'acquis d'un demi-siècle d'efforts et de réalisationspour mesurer à ses vraies dimensions un héritage qu'on a tendance à sous-esti-mer. De par leur histoire séculaire, mais plus encore de par leur histoire récente,Français et Allemands ont en effet accumulé un extraordinaire capital de souve-nirs, de pratiques et d'expériences partagés, de complémentarité et d'interpéné-tration, d'imbrication et de solidarité, dont on ne trouve nulle part ailleurs l'équi-valent et qui fait qu'aujourd'hui France et Allemagne ne sont plus l'un pour l'autredes pays étrangers, mais au contraire ce que, faute de mieux, on pourrait appelerun « étranger familier » ou, pour reprendre une expression allemande, un« inneres Ausland »(un étranger intériorisé). Il y a là un capital unique dont il seraittemps de prendre la véritable mesure – pour bien se rendre compte de ses dimen-sions réelles et de son poids, et de la manière dont, qu'on le veuille ou non, il enga-ge l'avenir – mais aussi pour mieux savoir comment le faire fructifier et en tirerun meilleur profit.

Pour retrouver un sens d'avenir répondant à la réalité d'aujourd'hui et auxattentes de demain, le couple franco-allemand ne peut plus se contenter de vou-loir remédier aux dernières survivances des errements du passé – l'œuvre de« réconciliation » a fait son temps et est maintenant achevée ; il ne saurait davan-tage se satisfaire de préserver – dans une attitude conservatrice – les acquisde l'héritage du demi-siècle antérieur. Il lui faut au contraire opérer un véritablesaut qualitatif, dépasser le cadre bilatéral et binational, et s'affirmer commeun laboratoire d'expérimentation, d'imagination et d'anticipation qui aideà inventer les réponses à apporter au double défi de la construction européenneet de la globalisation. La priorité, désormais, est que Français et Allemands agis-sent ensemble pour identifier les défis de l'avenir auxquels les réponses à appor-ter ne peuvent être des réponses exclusivement ou majoritairement nationales,qu'ils confrontent leurs expériences, mettent en commun leurs potentiels,apprennent à tirer parti de leurs différences et de leurs atouts respectifs – commeils commencent de le faire déjà avec la brigade franco-allemande, Arte ouAirbus – et fassent ainsi œuvre d'imagination et d'invention, de création et d'an-ticipation. C'est à cette condition seulement qu'ils pourront faire fructifier le capitalexceptionnel dont ils sont les héritiers et échapper aux interrogations et aux hési-tations qui trop souvent les inquiètent.

La liste de ces défis qui ne peuvent être relevés qu'en commun est aussi longueque connue – on se contentera donc ici de les évoquer sommairement. Les unssont de nature « intérieure » et ont davantage trait à la manière dont l'Europeconstruit son avenir – depuis les réponses à apporter au problème du chômagejusqu'à l'invention d'une nouvelle citoyenneté européenne, en passant par laréforme des systèmes d'enseignement, de formation et de qualification, l'inven-tion d'une nouvelle politique de la ville, l'intégration des étrangers, la recherchede nouveaux modes de pluralisme culturel et religieux, ou les questions liées àla sauvegarde de l'environnement. Les autres sont de nature plus « extérieure »

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et concernent davantage les rapports que l'Europe occidentale doit entretenirtant avec les pays d'Europe centrale et orientale (y compris la Russie) qu'avecles pays du pourtour méditerranéen, du Proche et du Moyen Orient.

Quant aux moyens à mettre en œuvre pour progresser dans ce sens, ils meparaissent avant tout passer par l'encouragement à la mobilité et aux séjourslongs dans le pays voisin – non seulement pendant le temps des études oude la formation professionnelle, mais aussi durant la vie professionnelle pro-prement dite, afin d'augmenter le nombre des personnes véritablement bi- outransnationales, capables d'être aussi à l'aise dans un pays que dans l'autre,dans une culture que dans l'autre, dans un système professionnel et social quedans l'autre. L'exemple à suivre en la matière serait celui des grandes entre-prises multinationales qui font obligation à leurs employés, et plus encore àleurs dirigeants, d'effectuer des séjours longs à l'étranger et en font dépendreleur promotion. Ce nouvel effort à entreprendre ne relève pas simplement desÉtats mais tout autant des régions et des entreprises, des associations et desprofessions. Il passe par une réforme des cycles de formation scolaire, uni-versitaire et professionnelle faisant du séjour à l'étranger la règle et non l'ex-ception, par une réforme des systèmes de promotion qui fasse en sorte quele séjour à l'étranger soit effectivement valorisant (au lieu d'être, comme tropsouvent encore, un handicap, en particulier en début de carrière), par la miseen œuvre d'une politique linguistique ambitieuse et concertée visant à promou-voir (à la manière, par exemple, dont le font les Hollandais) la maîtrise de troislangues (sa langue maternelle, l'anglais, puis le français ou l'allemand). Ilpasse, enfin, par une réforme des systèmes juridiques en vigueur de telle sorteque puissent être créées des institutions véritablement franco-allemandesdans lesquelles les apports de chaque partenaire puissent être intégrés – etnon pas seulement juxtaposés, comme c'est encore le cas aujourd'hui.

Contrairement à ce qu'on entend dire ou murmurer ici ou là, le couple franco-allemand peut retrouver un sens nouveau et redevenir porteur d'avenir. Loind'avoir épuisé ses possibilités, cet instrument est encore capable de rendre denombreux services ; c'est de lui que dépendront, entre autres, la réussite d'uneconstruction européenne qui sache éviter la dissolution, mais aussi – à condi-tion qu'elle sachent le mériter – le maintien du leadership exercé au sein del'Union européenne par la France et l'Allemagne. Mais pour atteindre cet objec-tif, le couple franco-allemand devra savoir faire preuve d'ambition, d'imaginationet de modestie. Trois conditions seront pour cela nécessaires : la prise ausérieux du problème des langues ; la volonté d'assumer ses différences et deles transformer en chance et en défi, au lieu de se voiler la face devant elles ;la prise de conscience, surtout, du fait que le franco-allemand ne retrouvera desens que si, cessant de se considérer comme une fin en soi et renonçant aurepli bilatéral, il accepte de reconnaître qu'il n'est qu'un moyen et qu'il ne peuttrouver lui-même son aboutissement que dans son propre dépassement. ■

N.B.: Ce texte, qui nous a été adressé par E. François, a paru, à peine modifié, en traduction allemande dansle recueil publié sous la direction de Hans Manfred Bock, Projekt deutsch-französische Verständigung, Die Rolleder Zivilgesellschaft am Beispiel des Deutsch-Französischen Instituts in Ludwigsburg, Opladen, 1998 (Leske &Budrich), sous le titre « Von der bilateralen Versöhnung zur multilateralen Zukunftsbewältigung », p. 282-286.

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LE MIRACLE FRANCO-ALLEMAND

l s'est produit depuis 1945 un réel miracle dans les relations franco-alle-mandes. Des hommes de bonne volonté des deux côtés du Rhin : Schu-man, Adenauer, Monnet, Brandt, Giscard d'Estaing, Schmidt, Kohl, Mitter-

rand, ont œuvré à la réconciliation entre la France et l'Allemagne. Ce n'étaitpas évident. Il a fallu surmonter maints obstacles et maintes réticences pourque les anciens ennemis deviennent non seulement des alliés politiques etdes partenaires commerciaux dynamiques, mais aussi et surtout des amis sin-cères. Ensemble, ils ont contribué, d'une manière décisive, à bâtir l'Europe.Nos deux nations qui se sont haïes trop longtemps ont appris à se connaîtreet à s'apprécier. Dans ce mouvement, les jumelages de villes et les activitésdéployées par l'Office franco-allemand pour la Jeunesse ont joué un rôleessentiel. Mais depuis le Traité de l'Élysée, les situations ont fort heureuse-ment évolué. L'Allemagne a enfin retrouvé son unité ; l'Europe a cessé d'êtredivisée. De nouvelles générations, qui n'ont ni vécu les affres de la guerre niles impératifs de la réconciliation, accèdent aux responsabilités. C'est unechance pour revivifier notre relation qui a tendance à tomber dans la rou-tine. Il est temps de lui donner une forte impulsion, en diversifiant les contactsentre les jeunes Allemands et les jeunes Français, en renforçant les liens cul-turels qui s'étiolent, en multipliant les initiatives communes. Beaucoup a déjàété fait, mais il reste encore de nombreux chantiers à exploiter. Il faut à présenttranscender la réconciliation franco-allemande. L'heure est à une véritablecommunauté franco-allemande. N'oublions pas que nous sommes tous lesenfants de Heinrich Heine. ■

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JACK LANG *

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(*) Ancien ministre français de la Culture.

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RELATIONS FRANCO-ALLEMANDES :POUR UN SAUT QUALITATIF

AU SERVICE DE L'EUROPE

un moment de rupture dans la construction européenne avec l'achè-vement de la monnaie unique, l'Europe devient une véritable puissan-ce économique dotée d'une monnaie commune et plus que jamais le

tandem franco-allemand doit constituer le pilier de l'Union, le centre de gravité.

Le rapprochement franco-allemand continue à n'avoir de sens que s'il s'inscritdans le cadre de l'intégration européenne.

L'Europe sociale

A la France et l'Allemagne de penser un modèle social européen qui parvienneà concilier, comme l'a si bien exprimé Jacques Delors, les trois valeurs fon-damentales qui ont assuré le succès du modèle allemand de l'économie socia-le de marché, menacé aujourd'hui et qui, s'il disparaît, risque de précipiter lafin d'une Union européenne caressant d'autres ambitions que celle de se limi-ter à une vague zone de libre-échange. Ces trois mots-clé : compétition,coopération et solidarité. C'est sur ces trois piliers en mesure de garantir lacohésion d'une société, que doit se fonder le fameux modèle social européendont chacun se réclame sans lui donner de véritable contenu.

Une question fondamentale : quel sera le rôle de l'État, del'Union européenne et des régions ?

La distinction entre une conception allemande de l'État décentralisé discret etla conception française d'un interventionnisme étatique exagéré est trop gros-sière pour être prise au sérieux. Si le parti socialiste a encore quelque mal, legouvernement de Lionel Jospin a, lui, accepté la distinction entre le maintiende la propriété et la capacité d'action de l'État. Cela transparaît dans la pratiquegouvernementale et nous rapproche de la culture social-démocrate allemande.

Il reste à l'État européen, représentation démocratique des États européens,à définir un cadre fiscal et social clair capable de fixer des lignes de conver-gence et ainsi parvenir à un équilibre entre la culture interventionniste et la cul-

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JEAN-MARIE BOCKEL *

(*) Député-maire de Mulhouse, ancien ministre, Président du groupe d'amitié France-Allemagne de l'AssembléeNationale.

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ture de compromis. On ne pourra fonctionner éternellement avec une monnaieunique et sans législation fiscale commune. Ceci devrait être possible au vu desdifférentes dérogations aux principes de ces deux idéologies que l'on opposeà tort et à travers, sans aucune considération pour les pratiques de terrain.Aussi est-il stérile de continuer à nous opposer sur les questions de nationali-sation puisque sur cette question précisément, nous nous rapprochons.

Une nécessité impérieuse : action commune en matière depolitique étrangère, de défense et de sécurité

Dans la liste – d'ailleurs fort longue – des clichés et préjugés dont il faut défi-nitivement se débarrasser, on compte l'opposition tautologique entre l'influenceéconomique allemande et l'influence politique française qui nous conduit ànous interroger sur l'image répandue d'une Allemagne portefeuille et d'uneFrance agressive sur la scène internationale et sur la disposition de nos deuxpays à faire entendre leur voix de concert sur la scène internationale.

Dans un monde où la puissance économique d'un pays détermine de plus enplus son poids politique, l'Allemagne ne peut continuer à ignorer que soninfluence dépend de sa force économique.

La nécessité allemande de développer une conscience géostratégique exigel'abandon des réticences nées de l'expérience nazie. Selon Michel Rocard, c'estensemble que nous pourrons réaliser l'émergence d'une puissance publique,et c'est la montée en puissance d'une conscience géostratégique allemandequi peut conduire la France à cesser d'endosser le rôle de la grande nationsupérieure, faisant cavalier seul au nom toutefois de l'Europe tout entière.

Les lacunes les plus flagrantes de la politique européenne en général et desrelations franco-allemandes en particulier sont contenues dans la politiqueétrangère. Le champ de la politique extérieure et de sécurité demeure entier.Si la PESC tarde à émerger, la faute en incombe à la faiblesse de la relationfranco-allemande, à la mauvaise volonté de nos deux pays. Seul le couplefranco-allemand peut rendre possible la PESC de l'Europe.

Pour ce qui est des pays du pourtour méditerranéen, des progrès ont étéannoncés lors de la conférence de Barcelone de 1995. Toutefois, aucuneréflexion commune n'a été menée depuis. Au-delà d'une politique de gestiondes crises dont la complexité rend les interventions difficiles, c'est une véritablepolitique d'aide économique et de lutte contre la pauvreté qu'il faut mener.

Par ailleurs, les relations avec les États-Unis sont essentielles. La premièrepuissance mondiale est intimement liée à l'histoire de la construction euro-péenne. Aux Français de ne pas l'oublier et aux Allemands de s'avouer enfinhaut et fort qu'entre les États-Unis et l'Europe, ils ont résolument opté en faveurde l'Europe, sans pour autant rejeter les États-Unis.

Il s'agit d'établir une relation de confiance et de se présenter en tant que forceà part entière, de tenir un discours cohérent face aux Américains afin d'établir

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des échanges sur des sujets difficiles. Ils savent suffisamment utiliser dans leurintérêt notre manque de cohérence et nos divergences d'opinions. Cessonsde leur offrir ces occasions pour enfin faire figure de partenaires sérieux, par-lant d'une seule et même voix, sachant s'imposer et subordonner la mise à dis-position de nos forces armées à un droit à la parole et à la co-décision.

Qui parle de PESC ne peut éluder la question d'une industrie européenne dedéfense. Là encore, que d'énergies gâchées à vouloir développer des pro-grammes strictement nationaux, quelle prétention que de vouloir maîtriser l'en-semble des technologies d'armement en lieu et place d'un partage des com-pétences et des connaissances en fonction de la compétitivité du secteur dechacun ! La réduction des dépenses budgétaires doit contraindre la France etl'Allemagne à une coopération étroite. Chacun sait qu'il est désormais impos-sible de gonfler les budgets militaires. Aussi convient-il de penser la sécuritédans un cadre européen en encourageant une collaboration étroite.

L'ouverture aux pays tiers et à la Grande-Bretagne

Le concept de moteur franco-allemand n'a de sens que dans une Europe ouver-te, qui ne se crispe pas sur elle-même et acceptant d'autres centres de gravité.

En ce qui concerne les PECO, la France ne doit pas commettre l'erreur de pen-ser, dans le débat sur l'élargissement, que l'ouverture aux pays d'Europe de l'Estrépond au seul intérêt allemand. L'exportation de stabilité politique et écono-mique ne peut que servir l'Europe et sa sécurité. A l'égard des pays de l'Est, laFrance, sans vouloir être prétentieuse, peut se faire médiateur dans les relationsgermano-polonaises. Le succès, la densité et la régularité des rencontres du tri-angle de Weimar démontrent les bienfaits d'une politique commune où les deuxpays se complètent grâce à leurs expériences historiques différentes.

Quant à la relation avec la Grande-Bretagne, Gerhard Schröder souhaite, ill'a affirmé à deux reprises lors de ses précédentes visites à Paris en avril eten juin dernier, l'ouverture à la Grande-Bretagne. Je suis tout à fait d'accordavec l'idée de faire participer l'Angleterre à nos réflexions, à la condition qu'ellene freine pas nos deux pays dans leur volonté d'aller vers plus d'intégration.L'Europe est dans une impasse. L'histoire a montré qu'aux moments critiquesde la construction européenne, la Grande-Bretagne n'a pas fait preuve de l'au-dace requise pour franchir les différents seuils qualitatifs qui nous ont menéaujourd'hui à la mise en œuvre de la monnaie unique. Je reste tout aussiconvaincu, au risque de paraître provocateur, du rôle spécifique franco-alle-mand dans le développement d'idées nouvelles. Ce qui ne signifie pas « exclu-re », j'accepte l'échange d'idées quand il se veut constructif.

Pour finir, je citerai l'excellente expression de mon collègue parlementaireeuropéen, M. Klaus Hänsch, qui doit accompagner la naissance de toute ini-tiative franco-allemande : la relation franco-allemande n'est pas exclusive, elledemeure toutefois élémentaire. ■

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L'EURO ET LA DÉFENSE

e passage à la monnaie unique« Euro » a été entériné solennellementà Bruxelles les 2 et 3 mai. Nul ne peut douter que la France a ainsiatteint l'un des objectifs majeurs de sa politique générale dans larecherche d'une Europe de plus en plus maîtresse de son destin.

Partisans ou adversaires, sur notre continent comme aux États-Unis, s'accor-dent également sur le fait que cette décision aura des effets considérablesdans tous les domaines économiques, industriels, sociaux, donc politiques. Onparle déjà d'Eurolande. Nul cependant n'ose se prononcer ouvertement surl'ampleur des changements inévitables, ni de déterminer leur impact sur nosinstitutions. On peut néanmoins affirmer que la Défense n'échappera pas à cevaste mouvement ; en sens inverse, son échec, synonyme d'éclatement et deretour au « chacun pour soi » aurait des conséquences dramatiques pour notreappareil de défense.

La période d'attente stratégique annoncée par le Général Poirier (« la crise desfondements » chez Economica, 1994), expression reprise à l'automne 1997par M. Richard, ministre de la Défense, prend alors une tout autre signification.De fait, dans la définition de notre appareil de défense, il demeure certes indis-pensable de s'interroger sur la résurgence de la puissance russe, l'émergenced'une nouvelle puissance perturbatrice, ou de la désagrégation plus ou moinsgrande des approches européennes ou de l'Afrique subsaharienne. Mais laquestion primordiale est bien désormais : l'Euro, réussira-t-il ou non ? ou ditautrement : l'Eurolande prendra-t-elle forme et consistance ? C'est la réponseà cette question qui sera surdéterminante.

Nous nous trouvons donc à l'un de ces moments-clés où il convient de mettreen concordance politique générale, politique de défense et politique militaire.Certes il s'agit là d'un exercice dans lequel nous n'avons pas toujours brillé, par-ticulièrement dans le passé. L'exemple le plus connu bien sûr est celui, avant1939, d'une politique de garanties aux pays de l'Europe centrale, alors que nousadoptions une stratégie résolument défensive, concrétisée par la constructionde la ligne Maginot. Mais déjà, sous le Second Empire, nous préparions-nousà affronter la Prusse avec des armées de corps expéditionnaire. Plus récem-ment, tandis qu'une construction européenne était déjà l'un des objectifs denotre politique générale, les épigones et les adversaires de notre dissuasionnucléaire s'acharnaient à l'envie à en démontrer le caractère égoïste.

CHARLES FRICAUD-CHAGNAUD *

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(*) C. Fricaud-Chagnaud, né en 1923, est général de Corps d'Armée (C.R.). Il est à l'origine de la création de la Forced'Action Rapide et du concept de la dissuasion par constat. Commandeur de l'Ordre allemand pour le Mérite.

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De la cohérence des réponses que nous saurons trouver dépend sans doutele maintien de notre influence ou au contraire son déclin. Il est clair aussi qu'au-cun pays européen ne peut faire l'économie d'une pareille réflexion, même sile débat a jusqu'à présent été occulté, peut-être pour ne pas « charger labarque » au moment de l'adoption de l'Euro.

Les termes dans lesquels sont posés l'interminable débat sur la Défense euro-péenne, la constitution et le rôle du deuxième pilier de l'Alliance atlantiqueformé lui-même d'entités diverses, sont désormais largement dépassés. Ils'agit maintenant d'envisager comment nos pays sauront élaborer les conceptset se doter des moyens nécessaires à une Europe qui s'apprête à franchir uneétape décisive, même si son devenir politique reste difficile à discerner. Onpeut cependant noter que cet ensemble, aussi en devenir soit-il, représented'ores et déjà une entité respectable qu'il serait imprudent de défier ou de mena-cer. De même devient-il difficile d'imaginer une menace spécifique contre nosseuls intérêts nationaux vitaux, alors que ceux-ci se recoupent de plus en plusavec ceux de nos partenaires, même si demeurent certains intérêts particuliers.

De la même façon, force est de constater, que cela plaise ou non, qu'une desconditions essentielles de la dissuasion par constat, telle que je l'avais imagi-née, l'imbrication des intérêts, se trouve ainsi pleinement réalisée. Nous contri-buons donc bien de facto à la sécurité européenne, même si nos propositionsde dissuasion concertée, présentées sans doute sans toute la convictionnécessaire, continuent à se heurter à un scepticisme poli.

Restructurer les industries de défense

Dans cette même perspective, la restructuration des industries de défenseeuropéenne est tout à fait primordiale. La France a cherché un temps à avoirla maîtrise de la gamme complète de ses armements. Il est temps que cetteambition devienne une priorité européenne. Le débat est déjà suffisammentengagé et des gestes significatifs accomplis ou sur le point de l'être, pour qu'ilne soit pas nécessaire d'insister ici. Rappelons seulement que ces restructu-rations doivent donner à l'Europe la maîtrise de toutes les techniques émer-gentes, du spatial, du renseignement comme de celles des communications.

En ce qui concerne les forces armées, la réflexion est peut-être déjà commen-cée dans le secret des conseils de Défense ou des rencontres bi-ou multila-térales. Rien en tout cas, n'en a transpiré. Pourtant un débat aussi vital nepourra être longtemps occulté et la démocratie gagnerait certainement à cequ'il soit progressivement porté devant l'opinion.

La coopération franco-allemande pourrait trouver là une nouvelle occasion de s'af-firmer dans une réflexion à moyen et long terme. Les thèmes ne manquent pas :

. Comment envisager à long terme la sécurité de l'Eurolande ? Quels liens main-tenir avec les États-Unis ? Comment faire contribuer le nucléaire à la sécuritégénérale, tout en respectant certaines réticences, voire oppositions nationales.

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. Quels volumes de forces seront alors nécessaires et quelles seront les contri-butions nationales ? A un moment où l'on tend à harmoniser les conditions dela concurrence, des disparités importantes dans la part du PIB consacré à laDéfense seront-elles longtemps tolérables ?

. Quelle proportion des forces devra être affectée à des unités multinatio-nales ? Celles-ci auraient-elles vocation à devenir un jour des forces européa-nisées disposant de toutes réserves spécifiques, tandis que les arméesactuelles tendraient à devenir des « National Guards » à l'instar de la formuleaméricaine. Y-a-t-il lieu de privilégier l'harmonisation des forces navales etaériennes ? A noter que, dans cette perspective, une haute priorité devrait êtreaccordée à l'harmonisation des divers statuts juridiques des forces et à leursconditions d'engagement. Ce pourrait d'ailleurs être là l'occasion d'un aggior-namento indispensable face aux nouvelles exigences internationales. ■

ENCORE UN EFFORT,FRANÇAIS ET ALLEMANDS,

POUR FAIRE L'EUROPE !

près la Seconde Guerre mondiale il était surtout nécessaire queFrançais et Allemands retrouvent une confiance mutuelle, qu'une« inimitié héréditaire » de plusieurs siècles soit dépassée et que

soient ouvertes de nouvelles voies de coopération politique. J'eus moi-mêmela chance, à partir de 1950, de pouvoir travailler dans l'équipe de Jean duRivau, avec des collègues français (dont de nombreux anciens combattants),à la conception de la revue Documents/Dokumente. Mes activités ultérieuresd'éditeur furent elles aussi influencées par mes contacts d'alors avec des écri-vains et des théologiens français, et de nombreux ouvrages furent traduits parnos soins. Il en a été ainsi jusqu'à aujourd'hui même si, en raison des possi-bilités du marché dans nos deux sphères linguistiques, on a dû procéder à deschoix beaucoup plus rigoureux qu'aux débuts.

Mes collègues encore en ce monde et leurs successeurs ont maintenu vivacesleurs anciennes relations d'amitié. Les échanges de jeunes et de scolaires

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JAKOB LAUBACH *

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(*) Éditeur. A été rédacteur de la revue Dokumente.

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durant les grandes vacances se poursuivent également ; ils concernent aussides classes entières. Des enfants dont les parents ont connu l'Allemagnedans les années cinquante y sont à leur tour reçus par des jeunes familles.Les nombreux jumelages entre villes sont également très efficaces. Resteque, pour le moment, en Allemagne, ce sont très nettement les échanges avecdes familles anglophones qui sont le plus recherchés : l'utilité immédiate déter-mine le choix de la langue étudiée, et non plus la beauté de cette langue etde sa littérature.

Près de deux générations après la fin de la Seconde Guerre mondiale, lesrelations entre Français et Allemands sont devenues « normales », peut-êtremême trop normales. On est persuadé de se connaître et l'on ne fait plusguère l'effort d'aller vers l'autre. Il revient ici aux journalistes et aux médias dene cesser de souligner les particularités et les originalités, les apports et lesfaiblesses des deux peuples et des deux cultures. Chaque génération doitrefaire son apprentissage de l'Autre, à travers les cours de langue à l'école,les échanges scolaires, les voyages, les rencontres en groupes et en famille,faute de quoi, la multiplication des contacts « internationaux » n'aboutira qu'ànégliger toujours plus son voisin et à lui devenir étranger.

L'Union européenne n'aurait pu se faire sans la réconciliation entre la Franceet l'Allemagne. Patience et ténacité en furent les maîtres-mots. Beaucoup dechoses sont aujourd'hui trop vite considérées comme allant de soi, trop decompromis dénoncés. L'Allemagne doit ainsi montrer plus de compréhensionenvers une France conduite à abandonner un État-nation qui a fait sespreuves depuis des siècles. Nous autres Allemands, de notre côté, avonsmené notre nation, constituée seulement en 1870/71, à une telle ruine qu'ilnous était relativement facile, après 1945, de renoncer à certaines manifes-tations de souveraineté nationale.

La France et l'Allemagne devront continuer à jouer un rôle moteur pour ins-tituer peu à peu une souveraineté européenne en matière de politique éco-nomique, de politique extérieure et de sécurité, pour assurer au Parlementeuropéen la plénitude des droits parlementaires et constituer au-delà desinévitables pesanteurs de l'administration de Bruxelles un « gouvernementde l'Union » comprenant au moins les trois « ministères » pré-cités. Ce pro-cessus, là encore, sera long et difficile. Il nécessitera la participation de plusen plus active des autres « grandes » nations – Angleterre, Espagne, Italieet Pologne. J'ai l'espoir que la « troisième » génération en France et en Alle-magne – celle d'après Adenauer et de Gaulle, d'après Kohl, Mitterrand et Chi-rac – maintiendra le cap sur la réalisation de l'État fédéral européen et trouveraelle aussi la patience et la ténacité nécessaires pour le réaliser. ■

(Traduction : Isabelle Hausser)

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POUR LA PROMOTIONDES RELATIONS FRANCO-ALLEMANDES

es relations franco-allemandes sont et resteront au cœur de nos ambitionstant européennes qu'internationales. C'est pour cette raison que je m'en-gage activement dans mon travail de député pour promouvoir deséchanges entre nos deux pays.

Par ailleurs, une stagiaire allemande travaille à mes côtés ces derniers mois dansle cadre de l'échange franco-allemand d'assistants parlementaires créé en1989. Chaque année, cinq Français et, depuis la réunification, six Allemands sontsélectionnés au niveau national pour étudier un semestre respectivement à l'Uni-versité de Bonn et à l'IEP de Paris et faire un stage au Bundestag et à l'AssembléeNationale. Enfin, la ville de Louviers, chef-lieu de ma circonscription, est jumeléeavec Holzwickede–Unna en Allemagne.

Les relations franco-allemandes se sont établies à partir d'intérêts politiques et éco-nomiques communs. Parallèlement, elles se sont nourries incontestablement d'ami-tiés personnelles. Comment à cet égard ne pas évoquer les fortes alliances entreCharles de Gaulle et Konrad Adenauer, Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt,François Mitterrand et Helmut Kohl. Malheureusement, avec la fin du mandat duPrésident Mitterrand, je constate une certaine dégradation de cette cordialité.L'exemple le plus frappant fut sans doute la crise concernant la désignation du gou-verneur de la Banque centrale européenne. Des incompréhensions, des malen-tendus sont nés des deux côtés du Rhin.

Depuis les événements qui ont suivi la chute du Mur de Berlin, d'une part, l'Alle-magne a regagné sa pleine souveraineté et compte – à juste titre – l'utiliser ; d'autrepart, son poids économique comparé à celui de la France a baissé. Par conséquent,les deux États doivent maintenant trouver un nouvel équilibre.

Durant les dernières quatre décennies, nous avons établi des fondations solides. Laréconciliation était telle qu'elle a permis de forger une véritable alliance qui estconnue comme le moteur franco-allemand, la locomotive de l'Europe. En dépit descrises, il s'agit de consolider cette alliance dans le respect des autres partenaires,en particulier dans un équilibre subtil avec la Grande-Bretagne. La relation franco-allemande doit garder son caractère privilégié.

Il conviendra, après les élections allemandes de septembre 1998, de donner unenouvelle dynamique à cette relation. Mes convictions socialistes me font espérerque le succès de mes amis sociaux-démocrates et la désignation de M. GerhardSchröder à la Chancellerie faciliteront un tel élan. ■

FRANÇOIS LONCLE *

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(*) Député de l'Eure, ancien ministre. Coordinateur des membres socialistes de la Commission des Affairesétrangères, membre de la Délégation européenne et du groupe Amitié France-Allemagne de l'Assemblée Natio-nale française.

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« QUELQUE CHOSE D'EXCEPTIONNEL... »

a réalité franco-allemande, la relation franco-allemande, avec fort traitd'union remonte pour moi à l'immédiat après-guerre. Elle a été pour moila réalité internationale privilégiée, exceptionnelle, d'une portée histo-

rique sans égale : il s'agissait de la réconciliation, après la plus violente destourmentes dans les relations entre nos peuples – et cette réconciliationexceptionnelle s'effectuait, non pas vaille que vaille, mais merveilleuse-ment. Nous ne sommes plus à ce moment, mais je ne pourrai jamais l'oublier,et j'accuserai d'irresponsabilité quiconque se montrerait inconscient de cettedimension dans la relation franco-allemande, qui par exemple jugerait tout entermes d'avantage économique (mutuel ou pas, justement), ou bien en termesd'une coopération qui pourrait aussi bien ne pas être ou serait un libre choix,selon les circonstances.

Alors, je vois bien qu'aujourd'hui pour beaucoup l'Allemagne n'est pas un par-tenaire aussi unique, aussi privilégié, elle serait presque un pays parmi lespays… Je sais aussi combien elle a inéluctablement changé avec l'accessionde l'Est en 1990, car l'Est n'a pas vécu l'histoire de la réconciliation, si essentielle.Et l'accession desLänder de l'Est à la République fédérale a ramené ici ou là laréalité trouble du patriotisme national, en lieu du patriotisme « constitutionnel »qu'a célébré le philosophe Jürgen Habermas – ce dont je lui ai la plus grandereconnaissance. Je voudrais supplier les plus jeunes de mes amis allemands(comme français) de revisiter les fondements, « constitutionnels » en effet, surlesquels nous avons bâti. Nous n'avons pas voulu renier des nations culturellesdont nous apprécions au contraire mutuellement la richesse – il n'y a pas pourmoi de philosophie sans l'Allemagne, et sans l'Allemagne la musique aussi, lapoésie seraient privées de tons et de nuances essentiels, de quelques« graves » surtout (à mes amis allemands de dire ce qui leur manquerait sansla France, beaucoup, je le sais). Mais nous avons voulu bâtir sur un pacte, surun projet, sur une reconnaissance. Versöhnung donc, Anerkennung, Verfassung(Réconciliation, reconnaissance, constitution). Voilà des dynamiques clés denotre réalité – j'allais dire réalisation plutôt – commune. Un socle auquel il doitêtre impossible de renoncer. Il ne faut pas prétendre arrêter nulle part l'histoire,mais il ne faut jamais oublier ses inflexions majeures, décisives.

Dans le champ des intérêts, nous pouvons, bien entendu, faire un peu plus,un peu moins, l'Euro, Duisenberg-Trichet, même visa pour qui rend visite à nospays, ou pas, même sécurité sociale, ou pas, et dans ce champ de la volonté,

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JEAN-YVES CALVEZ *

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(*) Le R.P. Jean-Yves Calvez est membre de la Compagnie de Jésus. Il est enseignant invité au Départementd'Éthique publique de l'Institut Supérieur de Théologie et de Philosophie de la Compagnie de Jésus à Paris.

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des choix fondamentaux, il demeure entre l'Allemagne et la France quelquechose d'exceptionnel. Je n'ai qu'un désir, c'est de le voir partager davantageavec la part orientale de l'Allemagne, comme pour un rattrapage de ce qui n'apas été vécu avec elle depuis 1945. Comme tant de choses reposèrent, entrel'Ouest et la France, sur les « échanges franco-allemands » de l'après-guerre,il faut aujourd'hui susciter, promouvoir, développer des échanges entre l'Estallemand et la France. (En pratique des échanges triangulaires Est de l'Alle-magne/Ouest de l'Allemagne/France, où l'Est ait son visage bien spécifié).

Soyons fiers, en outre, faisons remarquer que nous finissons ce XXe siècle dansune tout autre attitude que la terrifiante rivalité présente dès les premièresannées du même siècle, annonçant le déclenchement, « fleur au fusil », d'août1914. Continuons de constituer (verfassen), inventer, créer ensemble. (Nousavons fait l'Europe aussi). Avec la patience et la tolérance qu'il faut. ■

FRANCE-ALLEMAGNE,L'INVENTION DE LA LIBERTÉ

omme la plupart des Français de ma génération, je me sens – et mesuis senti – concerné par la relation entre l'Allemagne et la France,entre les Allemands et les Français.

Aujourd'hui, la conjonction de la libération de l'Est européen, de la réunificationde l'Allemagne et de l'effondrement du communisme soviétique marque ledébut d'une nouvelle ère et la fin d'une ancienne. La période qui a commencéavec la capitulation de l'Allemagne le 8 mai 1945 et s'est achevée avec saréunification proclamée le 3 octobre 1990, a vu se produire une telle transfor-mation des rapports franco-allemands, que le séculaire antagonisme entre lesdeux peuples a vraisemblablement cessé d'être un bien d'héritage à trans-mettre à nos enfants. Il ne me semble pas inutile de rappeler, très brièvement,les étapes de cette transformation.

1 – De 1944 à 1950 – dès la Libération de la France –, le gouvernement duGénéral de Gaulle entend mener à l'égard de l'Allemagne une politique decontrainte et de revendications qui deviendra, sous les divers gouvernementsde la IVe République jusqu'en 1950, une politique de garanties de sécurité.

Dans l'état d'une Europe devenue l'enjeu principal de la Guerre froide, diviséepar le Rideau de fer et menacée par le communisme extérieur (l'Armée Rouge)et interne (les partis communistes), cette politique, vouée aux refus de nos

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JEAN-YVES CHEVALIER *

(*) Docteur d'État es lettres et sciences humaines. Président de l'Institut d'Études et d'Éducation Européennes.

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Alliés et en constant recul de nos positions, n'était plus appropriée, ni à lasituation réelle en Europe, ni au rôle que la France devait tenir dans cette Euro-pe en formation.

2 – De 1950 à 1989-90 – avec le mémorandum de Jean Monnet et la décla-ration de Robert Schumann du 9 mai 1950, la politique française vis-à-vis del'Allemagne a pris une autre tournure. L'invention de la politique commu-nautaire et la constitution empirique d'une communauté européenne (laCECA, bientôt la CEE, à défaut de la CED rejetée par l'Assemblée nationalefrançaise en août 1954, etc…) transforme les rapports franco-allemands enfaisant de l'Europe, libre mais toujours menacée par la puissance soviétique,le bien commun de la France, de l'Allemagne (RFA) et des autres États dela Communauté. C'est la réalisation de leur union qui devient le grand desseindes pays européens. De Gaulle, revenu au pouvoir en 1958, acceptera la miseen place du Marché Commun et saura en tirer profit, en particulier pour la poli-tique agricole commune. De même, dans une vue quelque peu carolingiennede l'Europe « occidentale » (comme il le précisait parfois), il scellera, en réa-liste, avec le chancelier Adenauer, la réconciliation franco-allemande.

3 – Mais, pendant toutes ces années où l'Europe se constituait, sous la pro-tection de l'Alliance Atlantique, l'impérialisme russo-soviétique allait s'affaiblis-sant sur le plan politique et économique, sinon militaire : soulèvement de Ber-lin-Est en juin 1953, insurrection nationale de la Hongrie en octobre 1956, àla suite de l'Octobre polonais qui l'avait précédée, Printemps Tchécoslovaquede 1968, apparition de Solidarnosc dans l'irréductible Pologne ; puis à partirde 1985, avec la venue au pouvoir de Gorbatchev, le dégel, la débâcle du com-munisme jusqu'à l'ébranlement de l'Allemagne de l'Est à partir de l'été 1989.(On rappellera aussi pendant cette période l'action des dissidents russes etl'importance des accords d'Helsinki (1975) pour affermir l'opposition dans les« démocraties populaires », comme en Tchécoslovaquie).

C'est alors que se posera dans la réalité des faits la question de la réuni-fication de l'Allemagne, dont, – à l'exemple de François Mauriac disant :« J'aime tellement l'Allemagne que je suis très content qu'il y en ait deux » –les Français se passaient d'ailleurs très bien, même si les Alliés de 1945l'avaient admise dans son principe.

J'ai suivi de près les réactions des hommes politiques français, mais aussi desAnglais et de Madame Thatcher, au cours du deuxième semestre de l'année1989 : j'y ai vu une liquidation préalable à la transformation en cours d'uneEurope désormais libre sur la presque totalité du continent (exception faite,pour le moment, de la Yougoslavie). Une période de l'histoire commune de l'Al-lemagne, de la France et de l'Europe s'achevait, tandis qu'avec la libérationdes pays de l'Est et des États de l'ex-URSS s'achevait du même coup, la pério-de de l'histoire européenne dominée, régie, par la géopolitique.

La réunification de l'Allemagne et la Libération des pays de l'Est marquent l'ac-complissement de cet ordre géopolitique. Il nous reste, à nous les Européens,à l'enraciner profondément tous ensemble. La poursuite de l'action communeentre Français et Allemands est indispensable à ce devoir d'unité. ■

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LE PACTE DE RAISONDEVRA RAISON GARDER

a France et l'Allemagne : un couple ? Façon « Je t'aime ; je t'aime tou-jours plus, à la folie ? » Ou plutôt : « Je t'aime, moi non plus » ?

Un temps, on aurait pu croire à la première version : là bas, dans les annéessoixante, cinquante même. Ce jour où, à Colombey-les-deux-Églises, Ade-nauer et de Gaulle, contre toute attente, se découvrirent amis. Ou cet autrejour, à Mourmelon, où chars français et allemands défilèrent flanc contre flancdevant l'Allemand et le Français. Ou à l'occasion de ce voyage du Général enAllemagne, avec le triomphe de Ludwigsburg (rencontre avec la jeunesse alle-mande en 1962).

Mais du jour où le Bundestag, huit jours après l'accolade de l'Élysée, laissaittomber, tel le givre d'une nuit d'hiver précoce, son préambule sur les fleurs déjàfanées de l'« Élysée-Vertrag », on comprit à Paris et à Bonn que le mariageentre les deux peuples voisins serait un mariage de raison. Et l'on se consoledésormais de part et d'autre du Rhin avec le vieil adage qui veut que lesmariages de raison fonctionnent souvent bien mieux que ceux d'amour.

A-t-il bien fonctionné, ce pacte pour la vie et pour la mort entre deux nationsque tant de choses séparent, souvent fondamentales ? On doit bien constaterque oui. On dirait qu'elles sont condamnées à s'entendre. Par l'histoire, la géo-graphie, l'évolution du monde depuis 1945. Depuis que les peuples de la vieilleEurope, protégés pendant quatre décennies par le puissant allié américain,ont décidé de s'unir dans une communauté économique, monétaire et poli-tique, rien ne va plus sans la France et l'Allemagne. Ils sont devenus incon-tournables, dussent leurs partenaires parfois s'en émouvoir, ils sont le moteurqui fait avancer le carosse et parfois même la croissance. Ils sont les interlo-cuteurs de l'Europe dans le dialogue avec les autres grands de ce monde.

Cela ne va pas toujours sans accrocs. Il faut, à Paris et à Bonn, naviguer entreles crises. Les données ont fondamentalement changé depuis quelquesannées. Jusqu'en 1990, la France donnait le ton dans le couple. Victorieuseen 1945, puissance nucléaire, membre du Club des Cinq « permanents » auConseil de Sécurité, « responsable de l'Allemagne dans son entier » (Selonle texte de la Déclarationde Potsdam en août 1945)

La chute du Mur de Berlin a emporté quelques pans de ce bel édifice. Le nainpolitique dans les bottes d'un géant économique a rattrapé son retard, perduses complexes. Il est membre à part entière à la table des grands, il dicte par-

AUGUST VON KAGENECK *

(*) Journaliste.

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fois le ton, hausse les sourcils, envoie ses soldats partout, joue le premier vio-lon dans les mégafusions transatlantiques, surmonte, lentement mais sûre-ment, les accès de fièvre économique qui lui firent perdre un moment saconfiance en lui-même.

La France en est bien consciente. Elle est sur ses gardes. Elle ne peut reveniren arrière, ni en Europe, ni au sein d'une Alliance Atlantique élargie et hyper-présente sur tous les fronts, ni dans ses anciennes colonies en Afrique. Adieuà la Grandeur ? En un temps où la grandeur se mesure à l'aune de la Bourseet des marchés, à la maîtrise de la lutte pour la distribution des biens et à laforce de la monnaie à l'aube de l'Euro, toutes les vieilles nations doivent sou-mettre les paramètres de leurs politiques à un savant ré-examen. ■

LE DÉSABUSEMENT ET L'ESPÉRANCE

e traducteur et l'éditeur que je suis fréquente l'Allemagne depuis bientôt40 ans : à partir de 1983, je parcours la RDA, devenue l'Est de l'Alle-magne, ce qui m'a permis de connaître, bien avant la chute du Mur, les

nouveaux Länder, et depuis 1989, Berlin-Est. Chaque année, je me rends plu-sieurs fois dans ce pays et je suis sollicité régulièrement par des groupes fran-çais pour faire le point de l'Unité allemande, et à la radio ou exceptionnellementà la Télévision, je suis interrogé sur la situation en France, et en particulier surl'évolution du catholicisme.

Grâce à des interlocuteurs habituels et amis, je suis de façon assez régulièreles événements et je suis obligé de constater que les relations franco-alle-mandes ne semblent pas avoir beaucoup évolué : le français y semble moinsenseigné et il ne l'est pas encore vraiment à l'Est ; les questions françaises seréduisent à quelques noms et à quelques remous (les grèves, les exigencesde Chirac au sujet de la Banque européenne, les sans papiers). J'ai aussiconstaté que les Allemands des nouveaux Länder qui venaient en Franceétaient souvent déconcertés et ignoraient largement l'histoire et la littératurefrançaises, ne désiraient même pas les connaître. Si j'ai eu la surprise d'êtreinvité pour animer une semaine à Aix-la-Chapelle sur l'Histoire de l'Église deFrance, cela reste une exception qui confirme la règle : je crois pouvoir affirmerque la connaissance réciproque des deux pays reste médiocre et que dansles lycées et collèges, l'histoire est encore enseignée de façon très nationale.

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(*) Traducteur et éditeur.

CHARLES CHAUVIN *

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Chargé des relations franco-allemandes dans une maison d'édition, je penseque, plus spécialement en ce qui concerne les ouvrages religieux (y comprisprotestants), l'estime réciproque n'existe pas et qu'il arrive à tort ou à raisonque les Allemands jugent nos auteurs bien légers et superficiels, comme leprouve le nombre particulièrement faible (voire, telle ou telle année, inexistant)des contrats de traduction. J'ai même l'impression, en vingt ans de participationà la Buchmesse (Foire du Livre) de Francfort, que la situation s'est dégradée.Dans l'autre sens, les noms de Küng, Drewermann, sont autant d'arbres quicachent la forêt ! Les statistiques des traductions d'essais, de romans, d'étudespolitiques, restent peu encourageantes.

La faible présence française (industrielle, économique, culturelle et religieuse)à l'est de l'Allemagne ne laisse pas augurer d'un changement rapide de lasituation. Quant à la connaissance par les Français de l'ex-RDA, même s'il estvrai que les Allemands de l'Ouest ne se précipitent pas non plus en Poméranieou en Thuringe, il faut bien constater qu'elle demeure proche de zéro : qui s'estintéressé à la Treuhand et à ses malversations ? Qui connaît la situation socia-le, économique, culturelle et politique des nouveaux Länder, qui a participé auKatholikentag de Dresde ou au Kirchentag de Leipzig ? (Qui ira à Mayenceau prochain Katholikentag ?)

Je ne me lamenterai pas pour autant : personnellement, je poursuis mescontacts, souvent à titre individuel, et je me félicite de mes relations avec l'Al-lemagne ; la traduction et l'interprétariat m'incitent à me rendre régulièrementdans le pays et depuis plus de quinze ans, je ne me lasse pas de découvrirla Saxe, le Brandebourg et le Mecklembourg. Parfois, j'aimerais être davan-tage aidé, guidé, conseillé. Mais, même solitaire, je poursuivrai cette décou-verte, heureux de pouvoir en retour accueillir à Paris des Allemands qui dési-rent rencontrer des Français : j'en profite pour dire que l'accueil des groupesd'Allemands se fait d'ordinaire dans des conditions excellentes, où la convi-vialité facilite la curiosité. Il faut et il suffit d'avoir de bons interprètes !

Aussi l'avenir des relations franco-allemandes n'est-il pas désespéré, d'unepart l'Europe les facilitera davantage et d'autre part la connaissance de la cul-ture des deux pays se développera, ne serait-ce que par Arte, une chaîne donton peut souhaiter qu'elle subsiste, alors que le visiopass supprime à partir du10 juin la transmission du ZDF. ■

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L'EUROPE DES « PAYS »CONTRE L'EUROPE IMPÉRIALISTE !

omment n'aurions-nous pas salué avec bonheur l'écroulement du murde Berlin ! Et bien sûr nous avons voté pour Maastricht.

Mais aujourd'hui, l'Europe que l'on nous propose nous inquiète. Elle esttrop germano-française et surtout trop financière, trop capitaliste, trop anti-pay-sanne, trop peu sociale et, finalement, trop impérialiste.

L'Allemagne réunifiée est-elle la meilleure chance pour une véritable construc-tion européenne ? Ces vieux États, somme toute artificiels, résultats derapines, d'annexions, que ce soit l'Allemagne, ou la France, ou l'Italie, ou l'Es-pagne, ou l'Angleterre, tous en un mot, sont-ils vraiment propices à uneconstruction européenne débarrassée de tout sursaut nationaliste ? J'endoute. Il me semble que l'Europe des nations est une fausse idée, que l'Europeaurait meilleure chance de s'édifier si explosaient ces vieilles nations toujoursnationalistes, si les « peuples » européens retrouvaient leur liberté.

L'Europe des « pays » et non l'Europe des nations

Il n'y a pas d'antagonismes entre Bretons et Bavarois, entre Catalans et Prus-siens, entre Basques et Saxons, entre Provençaux et Rhénans. Ni entre Lom-bards et Alsaciens, entre Siciliens et Irlandais, entre Corses et Écossais.

Les relations franco-allemandes ont été, depuis la catastrophe de 1940-1945(catastrophe pour nos deux nations) le plus bel accord qui se soit produit enEurope, un gage de paix.

Mais cette Europe des nations qui se dessine (mal), qui s'affronte sournoise-ment (par les biais yougoslave, turc, bancaire et supra-bancaire), m'inquiète.L'Allemagne comme la France risquent d'y perdre leur belle amitié.

Alors l'Europe des « pays », des « peuples »… Pourquoi pas ? Et là encore,l'Allemagne comme la France, qui réunissent dans leurs frontières fragiles tantde « pays » solides, l'Allemagne qui a plus sauvegardé ses « pays » que laFrance puisque moins centralisée, pourraient faire éclater dans une Europevraiment prospective leurs vieilles structures nationalistes… Devenir vraimenteuropéennes… Montrer l'exemple… ■

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MICHEL RAGON *

(*) Écrivain.

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UN GAGE DE SÉCURITÉ

l y a juste trente ans, Pierre Bertaux envoyait toute une promotion de trèsjeunes germanistes de la Sorbonne passer quelques mois dans des uni-versités allemandes. Il nous recommandait alors la lecture d'un ouvrage de

Gilbert Ziebura sur les relations franco-allemandes (Die deutsch-französischenBeziehungen seit 1945. Mythen und Realitäten (Les relations franco-alle-mandes depuis 1945. Mythes et réalités), Stuttgart, Neske, 1970). Le feuilleteraujourd'hui permet de mesurer le chemin parcouru depuis cette époque.

Dans sa première note de bas de page, Ziebura déplorait le caractère encoretrop nationaliste des études consacrées aux relations franco-allemandes.Démystifier, démonter des préjugés, il savait que le combat serait difficile.Même s'il constatait une évolution positive entre les deux pays depuis la périodede l'après-guerre, il lui semblait que bien des choses restaient encore à réaliser.Un tiers de son ouvrage évoquait les récents conflits et appelait à leur dépas-sement. Cependant, alors que s'ébauchait la construction européenne, Zieburaespérait que la focalisation sur le bilatéralisme ne serait qu'une étape avant l'in-tégration d'un plus grand nombre de pays dans une union qui garantirait la paix.Il souhaitait la voir se doter d'un système de sécurité qui lui serait propre.

La nécessité d'une telle sécurité en Europe, je la ressens d'autant plus quema fille, de nationalité française, dispose d'un passeport allemand et vit enItalie. ■

L'ÉVIDENCE DE L'ENTENTE

e vis et travaille à Paris depuis trente ans et n'ai jamais rencontré dedifficultés notables du fait de ma nationalité allemande. Non plus quede circonspection ou de réserve.

Il est vrai que je pouvais me prévaloir de quelques conditions favorables enm'installant en France. Ainsi, non seulement j'éprouvais depuis toujours unegrande sympathie pour la culture et le mode de vie français et avais notam-ment acquis de bonnes connaissances de la langue et du caractère françaisà l'occasion d'un semestre d'études à la Sorbonne, mais je travaillais en Fran-ce pour un groupe chimique allemand plutôt bien considéré. Par ailleurs, je

ANNE-MARIE CORBIN-SCHUFFELS *

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J(*) A.-M. Corbin-Schuffels,Docteur en études germaniques, maître de conférences à l'Université de Lille III.(*) R. Klemm vit en France depuis 30 ans.où il a exercé une activité professionnelle dans un groupe chimique mul-tinational ; il se consacre aujourd'hui à la représentation en France de la Neue Bachgesellschaft-Leipzig.

RUDOLF KLEMM *

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n'ai jamais renié ma nationalité, mais au contraire ai toujours mis en avant uncertain nombre de valeurs allemandes.

J'ai fait en sorte de pouvoir aujourd'hui me considérer comme intégré. Je n'aiaucun problème à parler librement des relations franco-allemandes avec mesconnaissances et à rendre compte de l'opinion de certains Français sur le sujet.

Les Français et les Allemands ont eu à vivre, à la fin du siècle dernier et audébut de celui-ci, plusieurs guerres. La Seconde Guerre mondiale en particulier,avec son poids de terreur et de barbarie, est encore très présente dans laconscience des gens. Si, côté français, on tient en haute estime le patrimoineculturel allemand (les poètes, les penseurs, les musiciens, etc.), il existe aussià l'état latent une certaine peur, un certain malaise vis-à-vis de l'« Allemand »,et cela même si l'Allemagne n'est pas systématiquement assimilée au nazisme.

On a bien conscience cependant de part et d'autre que la France et l'Alle-magne, au lieu de se faire la guerre, doivent vivre ensemble dans la paix etainsi accéder de concert à la prospérité et au bien-être : c'est ce qu'ont biencompris les gouvernants des deux pays.

L'évolution vers une Europe unie va aussi dans ce sens. Les jumelages entrevilles allemandes et françaises, les échanges scolaires et universitaires, larecherche en commun, les imbrications économiques et l'approfondissementdes relations sont autant d'éléments propres à encourager la compréhensionmutuelle et à renforcer la confiance réciproque. L'échange est nécessaire sil'on veut faire avancer et changer les choses. Et pour cela, il faut avant toutse donner les moyens de dissiper le barrage de la langue. Le recours à l'an-glais ne doit ni ne peut être la solution pour entrer en dialogue.

Mais ce ne sont pas là naturellement les seuls obstacles à franchir. Des deuxcôtés il y a encore de multiples efforts à faire. C'est à la jeunesse qu'il appar-tient d'écarter les peurs et les réserves. C'est grâce à son absence de pré-jugés que les deux pays pourront tout naturellement vivre ensemble.

Je crois personnellement que la France et l'Allemagne marcheront côte à côteà l'avenir. Je comprends par exemple de nombreux Alsaciens dont le modede vie emprunte à la fois à la France et à l'Allemagne, et qui souhaitent l'Eu-rope Unie. Les deux pays ont des cultures complémentaires, ce qui constituepour eux un enrichissement important et représente, du même coup, un passignificatif vers une meilleure entente. Ces dernières années malheureuse-ment, ici comme là, le budget consacré à la culture subit des restrictions et denombreuses institutions voient leur activité menacée. Il est urgent que les gou-vernements des deux pays s'emploient à poursuivre le développement de cesinstitutions et des échanges culturels au lieu de les réduire.

Je suis fier de pouvoir, à travers mon activité au sein de la Neue Bachgesell-schaft (Nouvelle Société Bach), et donc, par l'intermédiaire de la musique deJean Sébastien Bach, jeter un pont supplémentaire entre ma patrie allemandeet la France si chère à mon cœur. ■

(Traduction : Marie-Lys Wilwerth)

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RETROUVER UN DÉSIR D'EUROPE,RETROUVER L'UNIVERSEL

é Allemand, ayant choisi la France dès l'enfance, j'ai hérité de mon père,Franz Hessel, la conviction qu'entre ces deux composantes du moteur centralde l'histoire humaine qu'est l'Europe il existe un lien profond et une respon-sabilité commune.

Or, depuis la chute du Mur de Berlin, je ne ressens plus chez beaucoup de mes amisallemands l'élan vers le dépassement de leur seule « germanitude » qui avait, me sem-blait-il, caractérisé les quarante années de l'après-guerre. J'éprouve moins chez eux unregain de nationalisme, qu'un regard sur le monde où l'Europe, telle que je la conçois ettelle que mes amis allemands la concevaient jusqu'en 1989, ne constitue plus l'objectifprioritaire d'une stratégie géopolitique.

Mes compatriotes français de leur côté ne se sont guère jusqu'ici proposé cet objectifqu'avec des réserves. Après la perte de l'empire colonial, ils y ont vu un processus rai-sonnable, nécessaire, qui ne serait enthousiasmant pour eux que si l'Europe était lenouveau vecteur de l'universalisme français. Il leur reste à apprendre à incarner cetuniversalisme, à le dépasser vers un héritage historique plus concret, qui englobe larenaissance méditerranéenne et rhénane, l'apport arabo-andalou, l'idéalisme allemandet la démocratie britannique.

Pour les Allemands, les dix années à venir seront des années de transition, ambiguës,parfois douloureuses : on ne ressoude pas facilement deux membres du même corpssi longtemps dressés l'un contre l'autre.

C'est le moment d'engager entre Français et Allemands, au plus grand nombre deniveaux possible, une réflexion sur ce que signifie l'avenir de l'Europe, sur le rôle queles Européens, tous les Européens, ensemble, peuvent et doivent jouer demain aucœur d'une communauté mondiale qui atteint un nouveau seuil de son histoire. Il leurfaut retrouver un désir d'Europe.

Chaque fois que devant un public allemand j'ai, ces derniers mois, évoqué ce désir,cette aspiration à nous donner les moyens de poser et de résoudre les problèmes dela société mondiale de demain – qui est, ne l'oublions pas, le fruit étonnant, miraculeux,peut-être empoisonné du génie européen – j'ai perçu une vraie adhésion, notammentchez les jeunes.

Un certain europessimisme, né du dysfonctionnement actuel – mais vraisemblable-ment provisoire – de l'économie mondiale jette sur la société allemande comme sur lasociété française une ombre d'autant plus pesante qu'elles en cherchent hors d'elles-mêmes la responsabilité.

Il est donc temps, bien au-delà des aléas des relations politiques, économiques, cultu-relles entre nos deux pays, d'axer leur coopération sur l'élaboration en commun d'unegrande ambition européenne, pensée, argumentée et nourrie de l'expérience plurisé-culaire de tous les Européens, de leurs interférences enrichissantes entre eux et avectoutes les civilisations de la terre. ■

STÉPHANE HESSEL *

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(*) Ambassadeur de France. Auteur de Danse avec le siècle, Le Seuil, 1997.

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LES TOMBES ET LA JEUNESSE

e dirige en France depuis trente trois ans le camp de jeunes germano-français de la ville d'Emden, en collaboration avec la « Fédération natio-nale allemande pour l'entretien des cimetières militaires » (Volksbund

Deutsche Kriegsgräberfürsorge). Pendant cette période, plus de 2.000 jeunesâgés de 16 à 21 ans ont participé à cette « réconciliation autour des tombes ».Nous avons monté nos tentes dans huit des plus belles villes et communesde Normandie. Notre action avait commencé dans le Pas-de-Calais et depuisdéjà vingt quatre ans, c'est à Saint-Désir-de-Lisieux que nous nous rendonsune fois par an avec un groupe d'une cinquantaine de jeunes. Si nous noussommes pendant longtemps principalement consacrés à l'entretien des cime-tières militaires allemands, nos activités s'orientent de plus en plus vers desprojets communaux et sociaux : rénovation d'églises et de bâtiments scolairespar exemple.

Le grand moment du camp de jeunes franco-allemand est incontestablementla soirée annuelle. Quelque cinq cents invités y participent à un programmeculturel très varié. Mais il est aussi important que les jeunes Allemands décou-vrent les us et coutumes des familles françaises d'accueil de Saint-Désir, envivant avec elles et en établissant ainsi des relations d'amitié. Cette mise enœuvre concrète de l'amitié entre les peuples et cette « normalisation » desrelations entre Français et Allemands a du reste très harmonieusement fonc-tionné jusqu'ici, si remarquablement même qu'elle donna lieu à deux mariagesfranco-allemands ; les deux couples, formés il y a des années, sont toujoursunis et ont eu des enfants.

On a remarqué, spécialement au cours des dernières années, que le dialogueentre les jeunes était de moins en moins marqué par le pénible passé com-mun, et que dans les conversations dominaient les nouveaux liens d'amitiénoués entre jeunes de deux peuples voisins.

Ce n'est pas l'immense folie de la guerre, mais la tolérance, le besoin profondde sauvegarder la paix, l'amitié et la compréhension par-delà les frontières quipoussent les jeunes garçons et les jeunes filles à participer à cette « amitiéentre les peuples en petit comité ».

En ce qui me concerne, je considère que les relations germano-françaises sontsur une très bonne voie. Cela ne change rien au fait qu'il y a naturellement

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ERWIN PETRIKEWITZ *

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(*) Responsable en France des séjours organisés par le Volksbund Deutsche Krieggräberfürsorge.

Vie associative - Échanges

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aussi entre les Français et les Allemands, comme chez d'autres peuples amis,une vive concurrence dans les domaines économique, sportif, politique et cul-turel. Cela tient probablement à ce que, d'une certaine façon, l'un et l'autre desdeux États ont tendance à vouloir occuper une position dominante en Europe.Mais cela n'a plus rien à voir avec le passé : il s'agit même d'une rivalité abso-lument normale, presque « fraternelle », entre deux États qui, lorsque celaavait de l'importance, ont également fréquemment montré qu'ils marchaientde concert sur les questions essentielles touchant à l'ensemble de l'Europe.

Permettez-moi de dire encore quelques mots sur les différences de mentalitéentre nos deux peuples. Si, par exemple, l'humour allemand se caractérise parla recherche de chutes brillantes, l'humour français est nettement plus fantai-siste et léger. Généralement, les Français prennent également la vie de maniè-re un peu plus légère. Nous nous intéressons volontiers et de plus en plus sou-vent à leur façon de vivre et la transposons même souvent dans notre viequotidienne. D'un autre côté, on attend souvent de nous que nous correspon-dions à « l'image de l'Allemand-type », c'est-à-dire que nous soyons toujoursdisciplinés, ponctuels et appliqués, ce qui parfois constitue pour nous, Alle-mands, un réel fardeau. Cette « image de l'Allemand », encore assez répan-due, est parfois quelque peu énervante. Un exemple amusant : un Françaisarrive tout naturellement en souriant à une réunion avec dix minutes de retard.Mais qu'un Allemand fasse de même et le Français sera furieux parce qu'ilattendait autre chose de son interlocuteur allemand.

Aujourd'hui, les relations entre Français et Allemands se sont normalisées ets'abstraient de plus en plus du passé. Si nos concitoyens plus âgés ont encoreun peu de mal à évoluer dans ce sens, les jeunes Français et Allemands lefont sans aucun préjugé. Leurs goûts musicaux, les problèmes qu'ils rencon-trent en classe ou dans leur famille, le sport et les autres loisirs sont au centrede leurs relations de camaraderie.

La politique n'intéresse pas les jeunes, c'est du moins ma constatation. C'estpourquoi nous n'essayons pas, dans les camps de jeunes, de transmettre unquelconque message politique. Ce que nous voulons susciter chez eux à tra-vers le travail dans les cimetières et l'atmosphère qui y règne, c'est leur impli-cation personnelle et leur réflexion, qui leur permettront de mesurer exacte-ment cette valeur suprême que constituent aujourd'hui la paix et la coexistencepacifique. Nous constatons en particulier à l'occasion des discussions qui ontlieu entre les jeunes sur la guerre et la paix, discussions très engagées sanspour autant verser dans des schémas politiques tout faits, combien cetteréflexion est, dans nos camps de jeunes, devenue une réalité.

Mes trente trois années d'expérience en France me confortent dans l'opinionque l'avenir des relations entre l'Allemagne et la France, entre les Allemandset les Français ne peut être que très positif. Toutefois, dans la perspectived'une Europe unie dans la paix, je considère que les médias pourraientcontribuer à rendre cette évolution encore plus constructive. Il faudraitqu'ils cessent – au moins une partie d'entre eux – de faire continuellement lerapprochement entre des dérapages politiques qui sont le fait de minorités alle-

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mandes, notamment celles se situant à l'extrême droite de notre société, et lepassé. Ils jettent ainsi en effet aussitôt une ombre sur un processus de com-préhension et d'amitié qui est vérifiable en de nombreux endroits et est soutenupar la grande majorité de la population.

Ces ressentiments attisés à nouveau ici et là de manière sporadique ne doiventpas masquer que, depuis sa création, s'est constituée en République fédéraled'Allemagne l'une des démocraties les plus stables d'Europe. Depuis main-tenant plus de cinquante ans, cette démocratie détermine la pensée et l'actionpolitiques de l'Allemagne.

Les Français et les Allemands doivent expérimenter et pratiquer ensemblel'idée de l'humanisme. L'Histoire leur en fait une obligation.

Permettez-moi pour conclure de citer en substance un Français, ancien duSTO (Service obligatoire du Travail – en Allemagne – imposé par le régime deVichy aux jeunes Français à la place du service militaire), qui m'a rendu visiteil y a quelque temps à Emden : « Compte tenu de notre très douloureuse his-toire commune, nous, Français et Allemands, avons un droit à la réalisationd'une coexistence heureuse au cours du prochain siècle ». ■

(Traduction : Isabelle Hausser)

TOULOUSE, SUD-OUESTET FRANCO-ALLEMAND

epuis toujours l'idée européenne repose sur les relations entre laFrance et l'Allemagne. Nos deux pays devaient constituer dès l'origineles moteurs économiques et politiques de la construction européenne

– un rôle qu'ils ont l'un comme l'autre, l'un avec l'autre, totalement assumé. Lacoopération franco-allemande est devenue le centre d'une Europe dont lesbases devaient être suffisamment solides pour lui permettre de s'élargir. Parla France, vers le Sud, hier ; par l'Allemagne réunifiée, demain vers l'Est.

Cette collaboration eut également un rôle d'impulsion dans la réalisation desétapes de l'intégration européenne. Les politiques économiques et monétairesorientées vers l'Europe et concertées entre nos deux pays facilitèrent le pas-sage de la Communauté à l'Union et dans ce cadre contribuèrent à la réalisa-tion de la monnaie unique.

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GUY FRANCO *

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(*) Maire adjoint de la ville de Toulouse, Délégué aux Relations internationales et aux Affaires européennes.

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Ainsi pouvons nous dire que, au sein de l'Europe, l'Allemagne et la France sontredevenues ce qu'elles auraient dû toujours demeurer, des pays frères,des voisins complices ; relations illustrées par de nombreux échanges.

Échanges économiques

Les relations et les échanges économiques existant entre la ville de Toulouseet la région de Midi-Pyrénées avec l'Allemagne sont fondés sur des besoinset sur la confiance établie dans la coopération. En 1996, la région de Midi-Pyrénées a exporté 15,12 % de ses produits vers l'Allemagne, et importé28,82 % de produits allemands.Une part importante de ces échanges provientde la construction aéronautique et de la présence à Toulouse de l'Aérospatiale.Les autres échanges concernent les produits chimiques, les instruments médi-caux, les produits des industries alimentaires, les machines et équipements,les produits de l'industrie textile, le matériel informatique, etc.

L'Allemagne est le premier partenaire commercial de la région Midi-Pyrénées.Bien sûr, ces échanges économiques dépendent du marché, de l'offre et dela demande, mais également des relations établies entre les deux peuples.

De plus, avec l'arrivée de la monnaie unique les liens entre la France et l'Al-lemagne ne pourront qu'être renforcés. Le Mark est à l'heure actuelle une mon-naie plus forte que le Franc, ces deux pays se retrouveront bientôt avec lamême monnaie, cela facilitera tous les échanges.

Le Club d'Affaires franco-allemand a été créé en 1997 à Toulouse pour faciliterles relations entre les adhérents professionnels de la région Midi-Pyrénées etallemands ; il aide et encourage les entreprises régionales à exporter en Alle-magne. Son actuel Président, Horst Hombourg, est aussi Directeur de l'UFR deslangues et Doyen de la Faculté des Langues de l'Université de Toulouse Mirail.

Échanges linguistiques, scolaires et universitaires

Des statistiques relatives aux échanges franco-allemands fournies par le Rec-torat de l'Académie de Toulouse nous permettent d'analyser l'évolution de ceséchanges avec les établissements scolaires toulousains : ainsi, à nombre égald'établissements de l'Académie, le nombre d'établissements toulousains etd'élèves participant aux échanges franco-allemands a augmenté entre 1997et 1998. Cette évolution provient de l'effort engendré depuis plusieurs annéespar les collèges et les lycées de la ville de Toulouse et de sa région.

L'Office franco-allemand pour la Jeunesse (OFAJ) joue aussi un rôle importantdans les échanges universitaires, en proposant des formations, des stages.Reste que, en matière universitaire cette fois, et comparativement à certainesannées passées, l'année 1997 a subi une diminution du nombre de pro-grammes et de participants due à des restrictions financières, engendrées parles difficultés budgétaires rencontrées par les gouvernements des deux pays.

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Dans l'Académie de Toulouse, il y a eu en 1997 plus de 2.200 participants sub-ventionnés par l'Office Franco-Allemand pour la Jeunesse, le nombre total desparticipants par secteur était de 141.158.

D'après le Pôle Universitaire de Toulouse, la région Midi-Pyrénées était clas-sée IIe dans la répartition régionale des départs Erasmus pendant l'année1995-96 avec 428 étudiants participant au programme Socrate-Erasmus. Lapremière région était l'Ile de France avec 2.654 étudiants.

A titre de comparaison, lors de ces échanges universitaires entre Toulouse etl'Allemagne pendant l'année 1996-97, l'Allemagne a reçu moins d'étudiantstoulousains que Toulouse n'a reçu d'étudiants allemands.

En 1996-97, l'Université des Sciences Sociales de Toulouse a accueilli 151Allemands, quand 88 étudiants toulousains partaient en Allemagne. Parcontre, l'Université Paul Sabatier a envoyé 101 étudiants en Allemagne et n'areçu que 73 étudiants allemands.

La ville de Toulouse reçoit du 4 au 7 décembre 1998 un Forum Jeunesseconsacré aux sciences et aux nouvelles technologies. Organisé par l'OFAJ, ilréunira quelque 300 jeunes Allemands, Tchèques et Français, pour qu'ilsapprofondissent les relations nouées lors de précédentes rencontres à Pragueen 1996 et à Dresde en 1997.

De même, le Goethe Institut de Toulouse propose des séjours en Allemagnepour approfondir les connaissances de la langue et de la culture allemandes.

Échanges culturels

L'Institut Goethe a pour mission de promouvoir la langue allemande, de déve-lopper les échanges culturels et de proposer des conférences, des expositions,des séances théâtrales et cinématographiques, etc. On retient notamment uneconférence sur le Bauhaus, et une exposition de la Dadaïste allemande Han-nah Höch.

De même, Toulouse a reçu de nombreux artistes et orchestres allemands,notamment Alfred Brendel et les Orchestres de Leipzig et de Cologne. Enretour, l'Orchestre National du Capitole de Toulouse, dirigé par Michel Plasson,s'est déplacé huit fois en Allemagne.

Une région, une ville

A l'approche de la dernière étape de l'Union européenne, le noyau centralconstitué par la France et l'Allemagne se doit de rester structuré et solide. Cecine pourra se faire que par une intensification des échanges économiques etculturels, scolaires et universitaires, un apprentissage conjoint de la langue desdeux pays. La région Midi-Pyrénées comme la Ville de Toulouse sont bien sûrfavorables à une telle intensification. ■

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UN JUMELAGENOGENT-SUR-MARNE ET SIEGBURG

e jumelage de Nogent-sur-Marne avec la ville de Siegburg est né dansun contexte spécifique : renouer des relations avec l'Allemagne afind'éviter à l'avenir ce qui s'est passé.

Ce jumelage s'est traduit jusqu'en 1995 par des échanges scolaires, à l'initia-tive de la Commune et des professeurs d'allemand des différents établisse-ments scolaires, permettant que de nombreux jeunes collégiens nogentais desclasses de 4e et de 3e soient accueillis dans des familles siegbourgeoises, etvice-versa. Ces échanges se perpétuent aujourd'hui, après un coup d'arrêtmomentané provoqué par le plan de sécurité vigipirate en France et en raisond'autres projets d'échanges avec d'autres pays de la Communauté Européen-ne (Espagne, Angleterre).

Un autre type d'échanges était lié essentiellement aux grandes fêtes annuellesqui se déroulent dans les deux villes : la fête du Petit Vin Blanc à Nogent etle Carnaval de Siegburg. Ces deux fêtes étaient l'occasion de faire venir uneassociation de Siegburg les « Roth-Weiss », groupe folklorique à connotationhistorique, et à l'inverse, d'envoyer Le Quadrille de Nogent à Siegburg. Desliens très étroits se sont donc créés entre les membres du Comité de Jumelagedes deux villes.

Bourse « Europe »

En juin 1995, aux élections municipales, Roland Nungesser a été remplacé àlamairie de Nogent par Estelle Debaecker, de même sensibilité politique. AvecM. Carrière, Président du Comité de Jumelage, elle a souhaité donner unenouvelle impulsion à celui-ci, fixant pour objectifs de consolider les liens créésavec les villes jumelées, et d'élargir les relations avec la jeunesse, porteused'avenir et d'espoir dans une Europe en pleine mutation.

C'est dans cet état d'esprit qu'a été créée dès 1995 une bourse « Europe »,devant permettre à de jeunes Nogentais de 16 à 22 ans de se rendre, indivi-duellement ou en groupe, dans l'une de nos villes jumelées (Siegburg, Yver-don en Suisse, Nazaré au Portugal, Ferrière en Italie). Au préalable, cesjeunes devaient soumettre à la Mairie un projet de voyage à but soit culturel,

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(*) Maire-adjoint de Nogent-sur-Marne, chargée du jumelage.

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soit économique, soit écologique, avec une estimation de budget. Chaque pro-jet a été étudié par le Comité de Jumelage, qui décidait d'affecter le montantde la bourse avec obligation de rendre un rapport écrit sur le voyage. Ce projet,malgré une publicité dans les lycées, n'a pas connu le succès escompté.

Projets associatifs et de formation

Une deuxième initiative, liée à la naissance de la monnaie unique, a été, surla place publique à Nogent, la frappe d'un Euro à destination des élèves desétablissements primaires de Nogent et du public nogentais, qui a connu, elle,un vif succès. Un dossier pédagogique avait été préalablement adressé auxenseignants afin de mieux préparer les élèves à cet événement à l'aube duXXIe siècle.

Une troisième initiative vise à associer le plus possible la jeunesse aux opé-rations de jumelage. Nous avons invité nos partenaires allemands à participer,comme chaque année, au Forum des Associations en septembre 1997. Decette initiative ont germé plusieurs projets qui verront le jour dès 1999. Ainsi,le Conservatoire de Siegburg fêtera avec à Nogent le centenaire de la nais-sance de Francis Poulenc et un stage de musique sera mis en place à Sieg-burg. Concernant les associations sportives, spécialement le club de natationet le club d'aviron, une équipe de huit barré de Siegburg participe à la grandefête internationale du huit barré en octobre 1998 organisée par la FédérationFrançaise d'Aviron.

Une quatrième initiative concerne le monde du travail et l'apprentissage : en1999, un jeune en formation hôtelière partira faire un stage à Siegburg. Unhôtelier siegbourgeois s'est proposé spontanément. Nogent assurera uneréciproque.

Avenir d'un jumelage

L'avenir est inscrit dans les différentes initiatives que Nogent et Siegburg cher-chent à développer. La naissance de la monnaie unique créera un climat enco-re plus favorable et permettra, à l'heure où les échanges seront permanents,de tisser des liens plus forts encore entre nos deux communes.

C'est notre volonté et celle de Siegburg si j'en juge par la qualité des rapports nou-veaux que nous avons créés avec l'Association de Jumelage de Siegburg. ■

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DES ÉTUDES SUPÉRIEURESFRANCO-ALLEMANDES INTÉGRÉES

À L'UNIVERSITÉ DE LA SARRE

a nécessité d'une coopération franco-allemande m'est apparue dèsl'après-guerre, après que j'ai participé, avec mon futur mari, aux pre-mières rencontres internationales d'étudiants en Wurtemberg, en 1946

et 1947, à Tübingen et à Bad Teinach notamment. C'est là que je décidai defaire mieux connaissance de l'Allemagne, où je fus déportée pendant plus dedeux ans.

Après avoir enseigné à Épinal, puis Forbach, je fus nommée à l'Université dela Sarre à l'appel de François Angelloz, recteur de 1950 à 1956. J'y exerçaimon activité de professeur pendant plus de trente ans dans la Section fran-çaise de l'Institut d'Études germaniques.

Une initiative historique

L'Université de la Sarre avait été créée suite à la « Convention culturelle fran-co-sarroise » du 15 décembre 1948. De nombreuses générations de germa-nistes français continuent d'y passer la Licence et la Maîtrise d'allemand, sansavoir à solliciterd'équivalence, l'homologation du ministère français de l'Édu-cation Nationale étant assurée ipso facto. Cours et séminaires sont dispenséspar des professeurs français. Les étudiants allemands, invités à participer àcet enseignement à la structure différente de celle de l'enseignement alle-mand, y trouvent la possibilité de s'initier à d'autres méthodes.

Les étudiants de romanistique, français ou allemands, peuvent obtenir uneLicence de Lettres Modernes dans les mêmes conditions. Des étudiants endroit bénéficient également d'études franco-allemandes dans le cadre duCentre juridique franco-allemand, qui mène au DEUG, Mention droit, ou auErstes juristisches Staatsexamen. (Premier examen d'État en droit)

Cette expérience, unique en son temps, fut longtemps soutenue par le DAAD(Office Allemand d'Échanges Universitaires) pour permettre à de jeunes Alle-mands et Français d'obtenir une vision culturelle et politique des deux pays :ainsi ces étudiants profitèrent-ils souvent de voyages organisés à Berlin ou

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(*) Professeur émérite à l'Université de la Sarre.

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dans les différents Länder de la RFA. Cela permit de nombreux échanges etdes mariages franco-allemands en furent souvent la conséquence.

L'idée de pousser plus loin cette coopération franco-allemande par une Licen-ce et une Maîtrise transfrontalière est née de cette expérience.

Un second cycle d'études transfrontalières

M. Bray, Professeur de romanistique, M. Christian Autexier et moi-même, sou-tenus par le Président de l'Université de la Sarre de l'époque, Richard Meiser,et le Président de l'Université de Metz, Jean David, avons essayé de mettresur pied un plan de coopération franco-allemande universitaire dans le cadrede la région Saarlorlux (Sarre-Lorraine-Luxembourg).

Après des mises au point juridiques entre les universités partenaires de Sar-rebruck et de Metz, naissait en 1988, avec le soutien du Collège franco-alle-mand, le Second cycle d'Études franco-allemandes transfrontalières – Diplomfür grenzüberschreitende Deutsch-Französische Studien – comprenant uneLicence, préparée pendant un an à l'Université de la Sarre et une Maîtrise,poursuivie à l'université de Metz et couronnée par un diplôme allemand. Lesétudiants intéressés peuvent aussi, après six mois supplémentaires, soutenirle DEA.

Ce cursus interdisciplinaire offre une formation linguistique et un enseignementen histoire, en science politique, en sociologie, en droit, en économie et en lit-térature. L'apport européen à ce cursus, visant à mettre l'accent sur le rappro-chement entre la France et l'Allemagne au sein de l'Europe, fut assuré pendantprès de dix ans par un fonctionnaire du Conseil des Ministres de l'Union Euro-péenne, Ernest Roth.

Cette formule transnationale de coopération universitaire franco-allemande estprometteuse d'avenir. Sur le plan théorique, elle fait fructifier et approfondir laréflexion des deux peuples, et favorise l'approche de la « différence » del'Autre ; sur le plan pratique, elle permet le perfectionnement des langues, sus-cite le bilinguisme et permet de trouver plus facilement un emploi dans les deuxpays grâce au diplôme binational de fin d'études. ■

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CONTRE L'IMAGE D'ÉPINAL :LA COLÈRE D'UN INSTIT' *

nstituteur, j'ai participé en 1975/77 à l'échange franco-allemand de maîtresdu 1er degré organisé par l'OFAJ. (Stage de langue intensif, stages pra-tiques en écoles allemandes, enseignement du français pendant deux ans

dans une école primaire du Palatinat). Depuis septembre 1977, j'enseigne l'al-lemand à plein temps dans le cadre de l'EILE (Enseignement Initiation auxLangues étrangères), dans six écoles de l'agglomération d'Épinal (2 fois 45minutes d'initiation par semaine pour chaque élève).

J'organise depuis 1989 pour mes élèves (une centaine environ) un déplace-ment d'une journée à Fribourg (150 km aller), à l'école Pestalozzi ; nousaccueillons de même sur une journée, à Épinal, nos correspondants alle-mands. J'ai aussi mis en place un voyage de dix jours pour une quinzained'élèves d'une école primaire de ZEP (Zone d'Éducation prioritaire - Quartier« difficile »), soit 3 jours en auberge de jeunesse dans la région de Würzburget 7 jours dans une école primaire de Schwäbisch Hall, notre ville jumelée avechébergement dans les familles d'accueil.

Rouages grippés

Dans l'organisation de ces différents projets, je rencontre de nombreuses dif-ficultés face à l'Administration, à commencer par la lourdeur du projet péda-gogique à remplir : malgré vingt ans de pratique, il faut sans cesse en justifierle bien-fondé, prouver qu'il ne s'agit pas seulement de faire du tourisme.

L'obtention de bourses de l'OFAJ est également un vrai crève-cœur, non seu-lement du fait de l'incompétence de certains de mes interlocuteurs, qui m'aconduit, de guerre lasse, à renoncer à demander une bourse pour mon dépla-cement de dix jours, mais aussi parce que l'OFAJ ne prend pas en considé-ration les projets de moins de cinq jours (alors que notre statut de presquefrontaliers, à Épinal, nous permet un échange avec Fribourg sur une journée).

Quant à l'Inspection primaire départementale, elle soutient prioritairement, encollaboration avec la Mairie d'Épinal et suite aux préconisations de l'ancienMaire, influente personnalité politique, des projets de classes États-Unis : troisà quatre classes de la ville partent chaque année outre-Atlantique. Si nousobtenons quelques aides municipales, c'est au compte-gouttes.

A cela s'ajoute la rigidité des autorités douanières, qui, alors que la Suisse nefait pas partie de l'Union Européenne se contentent pour y aller d'un laissez-

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(*) L'auteur est instituteur, très engagé dans les échanges franco-allemands.

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passer collectif, imposent en revanche à chaque enfant français d'être en pos-session d'une carte nationale d'identité et d'une autorisation parentale de sortiedu territoire. On est loin ici de la libre circulation des capitaux !

Frilosité du système allemand

Le système allemand est plutôt frileux et manifeste de nombreuses réticencesà laisser les enfants quitter l'école plusieurs jours, ce qui est naturel en classesprimaires en France : il en résulte une grande difficulté à trouver une école par-tenaire en Allemagne, qui accepte ce type de déplacements sur plusieursjours. Le français étant moins enseigné en Allemagne à l'école primaire quel'inverse, la recherche d'un partenaire « idéal » en devient aussi plus difficile.Pour mon échange de dix jours, je dois donc me contenter d'une école alle-mande où les enfants n'ont pas de contact avec le français.

L'optique des enseignants du primaire allemands et français est elle aussi sou-vent très différente. Les Allemands nous reprochent de prévoir trop de visitesculturelles (alors qu'un enfant, même issu d'un milieu modeste, est parfaite-ment capable d'être sensible à une expression artistique, dans un musée ouune église). Nos collègues allemands demandent aussi souvent l'avis desenfants avant de prendre une décision (par exemple au sujet d'un changementde programme en cas de pluie soudaine) alors que nous, Français, nousconcertons d'abord entre adultes, avant de consulter les enfants (par exemplepour choisir entre deux variantes).

Une anecdote qui en dit plus long que de grandes théories : lors d'un séjour enAllemagne, un petit Français qui, du fait de son imprudence, avait manqué se faireécraser en sortant à bicyclette avec son correspondant (il était alors sous la res-ponsabilité de la famille d'accueil), se vit privé par les enseignants français de lasortie à la piscine le lendemain ; mais il fallut revenir sur cette décision, afin d'éviterun incident diplomatique avec les collègues et parents d'élèves allemands.

J'ai parfois l'impression que les Allemands ont des complexes à parler leur langueà l'étranger, ayant quasiment immédiatement recours à l'usage de l'anglais. Lorsde mon premier séjour avec une classe pendant dix jours en Allemagne, j'ai étésuffoqué d'entendre une maman d'accueil allemande me poser candidement laquestion au sujet de mes élèves : « Warum lernen sir über-haupt deutsch ? »(« Mais pourquoi diable apprenez-vous l'allemand ? ») Dans des momentscomme celui-là, on est tenté de laisser tout tomber, de « rendre son tablier ».

Persistance des clichés français sur l'Allemagne

Les clichés aussi ont la vie dure : l'Allemagne, les Allemands et leur languesont plutôt mal ressentis en France. Je suis souvent horrifié par les propostenus par les gens que je côtoie, issus de milieux très divers, au sujet du « fait »allemand en général : « leur langue est horrible, ils sont certes travailleurs,

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mais aussi envahisseurs et arrogants ». Je prends ces propos comme desatteintes personnelles, même s'ils sont tenus en l'air : ils sont si peu nombreux,ces Français qui ont franchi le Rhin ; nombre de mes collègues sont dans cecas : « L'Allemagne, c'est loin (à 150 km d'ici !), cher, peu ensoleillé ».

L'enseignement de l'allemand : désenchantement

L'hostilité à la langue allemande (langue et gens font souvent un !) se déve-loppe même dans les régions frontalières, où des jeunes de 15 ans, pourtantsouvent dialectophones, se refusent absolument à apprendre l'allemand (il enest ainsi des enfants d'amis du Sundgau en Alsace, ou d'autres résidant dansla presque banlieue de Bâle).

Les clichés restent omniprésents et sont même cultivés par les ouvrages sco-laires, ou encore ces cassettes « CE1 sans frontières » première version (aux-quelles avaient collaboré des IPR, inspecteur pédagogiques régionaux, d'al-lemand!), qui présentent l'animateur-enseignant Peter comme un imbécileabsolu.

En 1989, simultanément à la chute du Mur de Berlin (mais sans lien direct aveccet événement), s'est mis en place le plan Jospin pour les langues : l'EPLV(Enseignement précoce des langues vivantes), devenu depuis EILE. Nousétions nombreux à nourrir alors d'immenses espoirs et à penser que l'ouvertureà l'Est et les retrouvailles avec les cultures slaves, allaient s'accompagner d'unintérêt renouvelé pour une langue allemande très usitée en Europe. Il n'en futrien, au contraire, dès ce moment Big Brother, sa pensée unique et sa languepurent régner sans partage. Dans les écoles primaires de mon secteur où l'al-lemand était exclusivement enseigné, il a fallu « affronter depuis 1989 la concur-rence de l'anglais ». D'un statut privilégié (j'en ai pris conscience plus tard), monrôle s'est transformé en celui d'un représentant de commerce, connaissant etappréciant le produit qu'il vendait, mais devant au quotidien faire ses preuves,essayer de convaincre les gens.

Désabusé par le rapprochement franco-allemand

Loin des prestigieux « sommets franco-allemands » et d'un « axe franco-alle-mand » si « essentiel », paraît-il, à la construction européenne, les implicationspour le citoyen ordinaire se résument-elles au projet de donner une équivalenceaux baccalauréats dans les différents États européens pour qu'il soit possiblede suivre ses études dans le pays de son choix ? Il serait bien temps, en effet !

A mon niveau, non seulement je n'ai rien vu changer, matériellement du moins,mais j'ai même l'impression que le fossé se creuse entre les décideurs et lesacteurs de terrain, qui luttent au quotidien, sans réel soutien d'en haut. Denombreuses initiatives d'échanges franco-allemands reposent sur un individu,ce qui les rend particulièrement fragiles. Ainsi, j'organise chaque année unerencontre entre les enseignants des écoles où j'interviens en France, et l'école

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d'échange de Fribourg, et je suis à chaque fois étonné du peu de participantsà cette journée, à laquelle ne viennent toujours que les mêmes fidèles ; lesautres, s'ils regardent ce projet avec sympathie, ne souhaitent peut-être toutsimplement pas s'investir dans une action qui ne leur rapporte rien sur le planprofessionnel.

Je crois qu'il n'en va guère autrement de nombreuses institutions européennes :de grandes résolutions, mais pas d'action ! (L'indécision des autorités au sujetde la garde des enfants du couple franco-allemand Armin Tiemann/CosetteLancelin est édifiante.) On est bien loin des belles déclarations d'intention quandil s'agit de résoudre des problèmes qui se multiplieront à l'avenir).

Retrouver la passion !

Nos gouvernements allemand et français ont conclu une alliance raisonnableet non passionnée. Le problème est que les gens de terrain, impliqués dansles relations franco-allemandes, sont, eux, confrontés à une lutte de tous lesjours, et que toute lutte signifie : passion, amour de l'autre, de sa langue et desa culture.

Construire l'Europe, ce n'est pas s'assimiler aux autres, c'est mieux lesconnaître, mieux les comprendre. Apprendre la langue de l'Autre, c'est encorele meilleur moyen de le comprendre, en un mot de l'accepter.

Quand j'évoque la culture allemande, je pense bien sûr à la « grande famillegermanique », qui inclut aussi l'Autriche, la Suisse, le Luxembourg, mais aussila Belgique. C'est ce que j'essaie de faire comprendre à mes élèves. J'espèreaussi ne pas être qu'un représentant de cette génération d'après-guerre,bénéficiaire de la réconciliation franco-allemande, et des premiers échangesAdenauer/De Gaulle. J'ai souvent l'impression de mener un combat de DonQuichotte, mais je me berce cependant de l'espoir fou que chaque enfantayant eu un contact, si mimine soit-il, avec la langue et la culture allemandesgardera sa vie durant des petites étoiles dans sa tête, qui sauront lui rappeleren temps voulu, que les Allemands, après tout, ne sont pas si différents.

La notion de plaisir doit être également présente, en particulier plaisir partagéavec nos partenaires. (Cette dimension est trop souvent oubliée dans les cur-sus scolaires). Après tout, nos élèves sont avant tout des adultes en devenir,futurs citoyens d'un monde pluri-culturel, et non des futurs consommateurssoumis à la pensée unique. ■

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L'ÉCOLE, LES ENFANTS, L'ALLEMANDUne autre façon de construirela relation franco-allemande

Expérience vécue

Le choix de la langue

Trente ans après la guerre…

(Extrait de l'introduction du premier roman de Denis Lachaud, comédien, né en 1964à Paris,J'apprends l'allemand, Actes Sud, août 1998 )

Dans une chronique lucide et claire l’auteur présente un témoignage précieux etsans concession sur le vécu de l’Après-guerre chez les enfants des deux pays, filsou petits-fils de nazis ou de franchouillards plus ou moins pétainistes.

LISELOTTE SCHNEIDER *

(*) Pseudonyme.

« Je rentre en sixième et Mme Ladurée mon professeur d’alle-mand m’apprend que mon prénom, Ernst, veut dire sérieux.On est des Allemands.Papa et maman sont venus en France quand ils se sont connus.Ils s’étaient rencontrés en Allemagne, papa avait plu à maman,maman à papa. Ils se sont mariés, juste avant ou juste après.Ils n’ont pas du tout d’accent.Max et moi, on est nés ici.A l’école, on nous appelle « sales Boches » ou « Rommel » ou« Rommel heil Hitler » ou « Hitler » quasiment depuis la mater-nelle. Notre vrai nom c’est Wommel et la guerre est finie depuisplus de trente ans mais les Allemands ont laissé de mauvais sou-venirs dans les familles françaises. Max a fait anglais premièrelangue, moi j’ai décidé de prendre allemand première langue,on ne parle jamais allemand à la maison, s’appeler Ernst Wom-mel et ne pas parler allemand, ça ressemble à quoi?L’institutrice a encouragé mon choix parce que j’avais de bonsrésultats en primaire.Papa et maman n’ont rien dit. »

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Outre que l'on peut décrypter dans ce roman tous les avantages liés à la doubleorigine et à la biculture, on y entend aussi clairement les résistances à une civili-sation véhiculée par une langue qui semble s'être chargée un jour négativement :qu'elle résonne encore négativement dans une France ordinaire peut en sur-prendre certains. Il faut lire le livre de Denis Lachaud pour comprendre. Lesinformations qu'il apporte sur les relations franco-allemandes trente ans après laguerre sont pétries d'émotions fortes exprimées avec une retenue pudique. Ce sontelles qui donnent aux faits relief et crédibilité.

L'immédiat après-guerre

La question se posait différemment dans les années de l’immédiat après-guer-re. Apprendre l’allemand ne relevait que rarement d’un choix véritable, les cur-sus comptant une seule langue vivante obligatoire, généralement déjàl’anglais. La deuxième langue vivante a été introduite en 4e, quelques annéesplus tard, dans les anciens cours complémentaires devenus Collèges d’Ensei-gnement Général et dispensant un enseignement dit « moderne » puis« moderne’ (M' – section réservée au recrutement dans les classes populaires,sans langue morte et avec une seule langue vivante) ». Certaines zones indus-trieuses, trop ou pas assez frontalières, ne proposaient que l’allemand auxenfants du premier cycle.

A l’entrée du Secondaire il y avait une sélection qu’effectuait à lui tout seul unexamen d’entrée en Sixième dont on peut parier qu’il « collerait » aujourd’huinombre de candidats au BEPC....N’allons pas entendre par là qu’il fallait– déjà! » être bon élève pour bien décliner... Mais en ce temps-là, nostalgiquesou pas, le niveau était « haut », ce qui signifie que la sélection était efficace.

On apprenait l’allemand avec des manuels qui ne lésinaient pas sur le lexique(Ah les listes de vocabulaire statique où la brosse à dents voisinait avec le verab-reden (prendre rendez-vous) – feurabredeun – sans autre mode d’emploi quel’assemblage perso que, plein de bonne volonté, on voulait bien en faire. Adécouvrir soi-même ou sous l’égide de profs qui avaient été bien souvent formésdans les plaines enneigées de Poméranie : l’apprentissage de la langue leur étaitvenu comme le métier aux Lehrlinge (apprentis) qui faisaient la route et le tourde Maître en Maître. Sauf que, en guise d’oiseaux-chanteurs, les seuls croas-sements des corbeaux noirs leur apportaient la connaissance linguistique. Drôlede corporation, née de la guerre et nourrie de la guerre, à laquelle en temps depaix était échue la mission de retransmettre le savoir si âprement acquis ...

Im Kriege sind alle Väter Soldat... (Pendant la guerre tous les pères sont sol-dats). La phrase est d'un écrivain d'après guerre. Il racontait comment, un cer-tain mardi, Ulla s'appliquait à former de belles lettres gothiques et faisait deslignes avec cette formule magique, comme pour rendre tous les hommeségaux. Alle Väter… Pendant ce temps sa mère recevait l'annonce de la mortde ce père. Est-ce qu'en allemand on tombe aussi au « champ d'honneur » ?

Im Kriege sind alle Väter Soldat… Mais un peu moins père que soldat. Le sta-tut de soldat était difficile à contourner, le statut de père était alors « suspen-du », mis entre parenthèses. Pas un statut donc, mais une émotion ? Quelque

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chose comme la petite flamme d’un feu de camp allumé dans la nuit mons-trueuse de l’humanité souffrante, de quoi se réchauffer le cœur quand on ales doigts gourds.

Alle Väter... Les généralisations sont toujours abusives. De grandes globali-sations à faire pleurer Margot, de belles excuses toujours neuves, le père-alibisévit aussi en temps de guerre.

Ensuite, côté allemand, le Père hitlérien, si totalement universel mais heureu-sement non éternel, était mort, la grande mère-patrie exsangue, les pauvresenfants « forcément » innocents, à défaut d'être innocentes, pour assurer sasurvivance et descendance, bientôt d’ailleurs abondance – rien ne vaut-il pasune bonne guerre ? Les forces productives et de reproduction s’étaientremises en route, le tissu social se recomposait allègrement, solid (au sensrangé, sérieux, crédible).

Hors des frontières, qui ne pouvaient plus être celles du Deutschland überAlles, il convenait de renouer les liens de la diplomatie, de la politique et del’économie, du symbolisme triomphant de la barbarie, comme il est d’usageentre gens civilisés. Tout passe par la langue : il fallait se parler à nouveau,s’arracher autre chose que des coups, des cris, des aigreurs de vaincus/vain-queurs, il fallait communiquer.

J’apprends l’allemand…

J’en connais qui, primaires, ou nés aux confins du Vercors, se seraient faitsà nouveau étriper plutôt que de parler cette langue de « sauvages ». D’autresplus clairvoyants, plus pédagogiques ou plus sages avaient compris la valeurd’un échange situé d’abord à ce niveau-là. Il préludait à d’autres échanges :il en était la condition de base.

La vogue des séjours linguistiques, institutionnels ou sur initiative personnelle,naquit dans ces années-là. En 1963 seulement fut fondé l'Office franco-alle-mand pour la Jeunesse.

La Rencontre, le séjour

Attachons-nous aux séjours sur initiative personnelle, fût-elle celle d'un ensei-gnant. Il est curieux qu’une frange un peu délaissée de la population, celle deces marges géographiques peu franches, grisées, massées autour des fron-tières de l’Est de la France – allemand obligatoire en 6e – que l’on traitait volon-tiers de « moitié de schleus » soit passée par le contact avec l’ancien prison-nier de guerre pour élargir le lexique du Barnier-Delage (1) ou du Spaeht etReal. (2)

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(1) Lexique thématique datant de 1939 et écrit, au début, en gothique ; une graphie qui faisait confondre à toutcoup à l'élève hilare Lust - plaisir avec Luft - air, mettant un peu d'air et de plaisir dans tant d'austérité.(2) Manuel d'apprentissage de l'allemand à l'usage de cette génération.

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Il y avait dans cette démarche – attendrissante autant qu’ambivalente – unemain tendue vers le pardon, un élan spontané vers l’oubli qui, en marquantl’apprentissage au sceau de l’affect, allait lui donner ses caractéristiques fon-damentales : Passion sans raison, efficacité relativisée ou décuplée, liens pas-sant au travers d’individus isolés plutôt qu’avec une nation, ce Tout en voiede reconstitution.

La relation à une référence globale était sérieusement manquante, le repèrehistorique considéré comme éradiqué. Le Français d’après-guerre sedébrouillait comme il pouvait avec les individus allemands essayant de poserdes marques dans une communauté neuve.

La Réconciliation entre les Peuples ou le Plus jamais ça !

Une génération, n’en pouvant plus, pour le dire et l’enseigner, une générations’appliquant à y croire et qui entend le non-dit un peu plus fort moins il est dit,combien de générations faut-il pour que tout remonte, s’apaise et que se fas-sent lentement les tris, tout refoulé revenu lentement en surface ? (3)

Cette réconciliation, à laquelle de belles âmes des deux côtés ont si longtempstravaillé, elle est aujourd’hui acquise : deux pairs passent ensemble descontrats où personne n’a à se faire de cadeau.

C’est une situation nouvelle, plus de tuteur, plus de tutés, plus de bonne volon-té, plus de condescendance, plus d’arrogance non plus ?

De l’échange factuel emballé de la politesse qui convient.

Cette nouvelle politique sera bien à même, il le faut, de changer quelque chosedans l’apprentissage des langues.

La vision des parents et élèves aujourd’hui n’est plus sous-tendue, depuis pasmal de temps, par le désir de comprendre l’autre dans cette quête qui a long-temps cherché à nommer l’innommable. Aujourd’hui, quand les enfants desécoles apprennent l’allemand, c’est pour être plus compétitifs dans les écoles,pour gagner de meilleures places dans le social, pour se distinguer d’une lon-gueur d’avec ceux qui ne parlent que l’anglais. Si la Culture suit, et elle suivra,tant mieux. Peut-être qu’on ne « commence pas toujours par la Culture », maismême en ayant des rapports plus « normalisés » entre les peuples au niveaude l’échange, le lien symbolique qu’apporte la culture reste l’axe majeur autourduquel se construit la compréhension des peuples.

Alors, on apprend l’allemand ? Autrement, peut-être ? Parce que la relationfranco-allemande a elle aussi changé de nature. ■

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(3) Cf. à ce propos l'étude de Gabriele Rosenthal et Bettina Völter : Trois générations allemandes, présentéedans Documents, N° 3-97.

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GUIDES DE FRANCE ET PFADFINDER:UN BILAN MITIGÉ DE LA COOPÉRATION

es Guides de France coopèrent depuis de nombreuses années déjàavec la Pfadfinderinnenschaft Sankt Georg pour former une équipefranco-allemande. Celle-ci organise chaque année un camp de ren-

contre franco-allemande destiné aux adultes des deux mouvements (chefs etcheftaines) et s'emploie à favoriser par tous les moyens les rencontres desgroupes locaux… (camps). L'équipe est la même depuis plus de cinq ans.Nous estimons nous être considérablement enrichis à travers le travail com-mun et avoir connu de réelles avancées dans la découverte et la compréhen-sion de l'autre.

Bonne volonté et incompréhensions

Reste que les relations franco-allemandes sont loin d'être évidentes. Lesincompréhensions surgissent souvent là où on ne les attend pas, les désac-cords semblent profonds et insolubles. L'expérience acquise nous a toutefoispermis d'analyser que lorsque nous croyons buter sur une question de fond,le problème ne résidait en fait que dans la différence de contenu socio-cultureld'un même concept.

Nous avons ainsi passé des heures à « pinailler » sur la dose adéquate detemps libre à inscrire au programme d'une journée type de stage. Mais com-ment nous entendre lorsque nous constatons que le mot « temps-libre » n'apas le même contenu que le mot « Freizeit » : si pour nous, c'est du tempsperdu dans le programme, pour nos partenaires, c'est un moment vraimentlibre où l'on peut faire toutes sortes de choses de façon informelle, entre autresse régénérer pour mieux suivre la suite du programme !

Bien souvent, le même mot dissimule des réalités très différentes et nous enta-mons des dialogues de sourds tout en croyant parler de la même chose. Ainsien va-t-il aussi, par exemple, de notre réalité de mouvements féminins. Alorsque, eu égard à la nature même de ces mouvements, nos partenaires alle-mands excluent la gent masculine, nous-mêmes employons aussi bien deséducateurs hommes que femmes : cela n'est pas sans poser problèmes lorsde nos stages ! Si les différences enrichissent notre relation, encore faut-il pou-voir en faire la découverte et les dépasser.

ISABELLE RENARD *

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(*) Ce texte a été rédigé par Isabelle Renard et l'équipe franco-allemande des Guides de France et des Pfad-finderinnenschaft Sankt Georg (Communauté des Guides de Sankt Georg).

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Le franco-allemand passé de mode ?

Nous constatons avec désarroi que le franco-allemand n'est plus à la mode,qu'il n'intéresse plus : voilà que, pour la seconde année consécutive, noussommes obligés, faute de participants, d'annuler le stage destiné aux respon-sables.Cela nous a bien sûr posé questions et, tentant d'analyser cet échec,nous avons été obligés de reconnaître que, si nous avions encore des parti-cipants ces dernières années, leur motivation première n'était pas la rencontreinterculturelle : ils venaient pour obtenir le BAFA (Brevet d'Aptitude aux Fonc-tions d'Animateur), pour visiter Berlin, le Mont Saint-Michel ou Cracovie, pourapprendre l'autodéfense, faire du théâtre ou du ski. Le franco-allemand danstout cela n'était qu'un « plus », ou même, parfois, un « moins »... Restait dèslors à nous creuser les méninges pour trouver chaque année un programmeplus attrayant, permettant de « faire avaler la pilule » du franco-allemand !

Nous sommes obligé(é)s de constater une évolution des relations franco-alle-mandes. Dans l'après-guerre, il s'agissait de récréer un lien entre nos deuxpays après la rupture de la guerre et l'horreur de l'holocauste. Et, sans rienrien ôter de l'audace et du courage d'Adenauer et de de Gaulle, il faut dire quela création d'un cadre institutionnel pour encourager les relations entre nosdeux nations, correspondait aussi à une demande de la jeunesse du « plusjamais ça ».

Aujourd'hui, ce cadre n'existe plus. La jeunesse n'est plus, heureusement,dans une logique de haine héréditaire du pays voisin. Le nouveau cadre desrelations franco-allemandes c'est l'Europe !

Et si l'Allemagne n'intéresse plus, c'est qu'elle devient aussi intéressante – oubanale – que les autres nations européennes. Et puis l'Europe, c'est cheznous ! Or qui a envie de voyager « chez lui » ? On sait bien que l'aventure esttoujours ailleurs, là-bas !

Alors la culture européenne dans laquelle sont bercées les nouvelles généra-tions nous laisse croire que nous savons tout déjà de l'Allemagne. On ne regar-de plus les Allemands comme des étrangers, ils sont européens. On se croitidentique. Et pourtant… Que de différences, que d'incompréhensions, que dechocs aussi lors des premières rencontres !

Maintenant la question se pose. Si nous voulons continuer à être ensemblemoteur dans une Europe qui reste à construire, il va être nécessaire de conti-nuer à apprendre à mieux se connaître, et à mieux se comprendre. Et cetteconnaissance mutuelle n'est pas un savoir transmissible, elle est A FAIRE, elleest toujours à expérimenter, ce qui est la chance de toute rencontre guide.

Alors quel avenir pour les relations franco-allemandes ?

LONGUE VIE ! A nous de savoir en montrer l'Enjeu ! ■

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PAX CHRISTI :Des rencontres autour de la mémoire

et des questions des femmes

e Mouvement Pax Christi, dont je suis membre presque depuis sacréation, devenu Mouvement International, est actif en Allemagne. Legroupe Pax Christi du Diocèse de Besançon entretient depuis de nom-

breuses années des relations suivies et fécondes avec une équipe correspon-dante du grand diocèse de Fribourg. Dans ce cadre, il m'a été demandé departiciper aux échanges avec nos correspondants allemands, responsableslaïcs ou aumonier diocésain. Je me charge des échanges téléphoniques et destraductions, et participe à la préparation de rencontres. Je reçois régulièrementle Rundbrief (Lettre circulaire) de Fribourg, une revue au contenu riche et variéde 35 pages, qui me permet, trois ou quatre fois par an, d'informer le groupede Besançon des activités et prises de position de nos correspondants.

Le 25 mai 1998, nous avons accueilli à Besançon un groupe de 20 membresde Pax Christi du diocèse de Fribourg, pour la première étape d'un péripledans l'Est de la France, prévu dans un esprit de mémoire et de réconciliation.Ce voyage comportait une visite du Musée de la Résistance et de la Dépor-tation à Besançon, l'accueil dans un village du Jura (le « Oradour » comtois),des étapes à Annecy, au Plateau de Glières, à Lyon (Couvent de l'Arbresie),à Taizé, et une halte à la communauté œcuménique de l'Areuse (Suisse), aveccélébration commune à la Bühler Friedenskreuz (La Croix de la Paix à Bühl)le dimanche de la Pentecôte.

De ces échanges récents, je retiens trois informations : Pax Christi-Allemagnedonne la priorité à la non-violence ; s'efforce d'être une force d'ouverture etde progrès au sein de l'Église catholique ; insiste sur l'accueil des étrangersdes pays de l'Est et des immigrés, Turcs, Kurdes ou autres. Par ailleurs,l'UFCS (Union Féminine Civique et Sociale) de Besançon a développé depuistrente ans des relations régulières avec le groupe du Frauenring (Cercle desFemmes) de Fribourg, dans le cadre du jumelage entre nos deux villes.Chaque année, a lieu, tantôt à Besançon, tantôt à Fribourg, une rencontre dedeux ou trois jours, sur un thème étudié en cours d'année de part et d'autre.La ville de Neuchâtel (Suisse) s'est depuis peu associée à ces rencontres eta accueilli celle de 1998, sur le thème du régime des retraites dans nos troispays. Je peux témoigner comme membre de l'UFCS, de l'efficacité et dusérieux de ces rencontres, de la volonté « européenne » des nombreuses par-ticipantes et de la grande et fidèle amitié qui nous unit. ■

GENEVIÈVE CARREZ *

(*) G. Carrez est agrégée d'allemand. Elle a fait partie des services culturels français en Allemagne de 1947 à1954.

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RENCONTRES FRANCO-ALLEMANDES :LE LAC D'ANNECY N'A PAS DE FOND

ous sommes toutes deux Allemandes d'origine, et les réalités franco-allemandes s'inscrivent pour nous dans des domaines variés,concrets.

Double parcours franco-allemand

L'une a épousé un Français, fils de diplomate et d'ancien officier ; professeuragrégée d'allemand, active au sein de l'association « Rencontres franco-alle-mandes » d'Annecy depuis le début des années quatre-vingt, elle a, après saretraite, trouvé une nouvelle activité pleine de promesses dans le jumelage en1996 entre sa petite commune des bords du lac d'Annecy et une communede la Forêt Noire.

L'autre a appris le français dès la sixième, dans le Palatinat, (alors zone d'oc-cupation française, avec le français première langue obligatoire), puis a par-ticipé dès 1956 à des échanges scolaires et privés ; boursière de l'OFAJ en1963, étudiante à Aix-en-Provence, puis traductrice, elle est venue vivre enFrance, a épousé un Français, et se sent désormais chez elle dans les deuxpays : la passion de servir d'interprète et de trait d'union entre nos deuxpeuples ne l'a jamais quittée, ni dans sa vie privée ni dans sa vie profession-nelle (professeur agrégée d'allemand), ni dans la vie associative.

Nous constatons une indéniable évolution des relations franco-allemandes,depuis des années, vers un désintérêt (mutuel ?) de plus en plus tangible.

L'enseignement de l'allemand en France est en chute libre, l'engouement va versd'autres langues. Nos propres petits-enfants n'apprennent pas tous l'allemand.

Un peu partout, les jumelages ronronnent, comme de vieux couples. Notreassociation a beau essayer de sortir du vieillissement, d'une routine qui s'estinstallée sur les bases d'un bon « fonctionnement » assuré par une bande debons amis, tout doucement le nombre des adhérents décroît. Nos objectifsprincipaux – informer sur l'actualité, la culture, l'histoire de notre voisin, prati-quer la langue – rencontrent moins d'intérêt ; et notre mini-Schule (mini-école)

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GERDA GENS – MARGIT DUVIVIER *

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(*) Professeurs agrégées d'allemand.

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regroupe moins d'enfants. Comme vous, nous nous interrogeons, nous dou-tons de nous-mêmes : que faire ? Et à la radio, on a pu entendre que le pré-sident Roman Herzog, en visite à Ludwigsburg, a eu le mot de « versanden »(se perdre dans les ables) en parlant du franco-allemand.

Et pourtant, ne faut-il pas se réjouir de ce que les vagues, après les tempêtesde ce siècle entre nos deux pays, se soient calmées ? De ce que nous soyonssur une plage de paix durable, même si le sable de cette plage est une inci-tation au repos, à la paresse ?

Il y a dix ans encore, personne ne se doutait du bouleversement profond quidevait se produire en si peu de temps. En 1995, lors de la commémoration dela fin de la guerre, nous fûmes encore une fois remuées au plus profond denous-mêmes par les souvenirs et la conviction qu'il faut maintenir la mémoire.Mais nous prenions aussi conscience que la paix s'était installée. Dans lesdeux pays, on est passé à autre chose de plus pressant, de plus actuel : enAllemagne, la réunification allait bouleverser toutes les convictions, à l'Estcomme à l'Ouest, et pour longtemps. Nos relations se sont banalisées. EnFrance comme chez nos voisins, les problèmes économiques, sociaux, poli-tiques ont pris le pas sur l'échange et la curiosité mutuelle. La désinformationest heureusement atténuée par Documents (merci de nous avoir accompa-gnées et inspirées pendant de si longues années) et ARTE.

Nous voici maintenant dans l'attente : l'Europe, l'Euro vont changer la donne.Ne faut-il pas s'en réjouir ? L'Histoire est en train de faire un grand pas, uneépoque se termine. Il faut suivre activement, même si nous constatons quesur un plan général, les francophiles et -phones en Allemagne, les germano-philes et-phones en France deviennent une minorité, que, face à l'omnipré-sence de la culture anglo-américaine dans les médias et la vie quotidienne,nos jeunes s'identifient plus facilement au modèle universel de « l'homo mac-donaldus ». La langue allemande, si présente autrefois en France, semble sou-dain bien plus difficile, – à moins que le plaisir de surmonter une difficulté, defournir un effort, ait disparu ? Le repli sur soi, constaté partout, ralentit-il leséchanges ?

Nous n'avons pas encore de recette pour rajeunir, innover dans le domainefranco-allemand. Il nous semble important de ne pas s'acharner, de savoirattendre, d'accepter l'idée que désormais les réalités franco-allemandes neseront plus qu'un chapitre du livre européen. La nouvelle génération accepteracette attitude plus facilement, nous semble-t-il.

Terminons par un événement réconfortant : Nous rentrons de Schluchsee(Forêt Noire), où une fête de jumelage a réuni entre autres deux classes deCM 2 de Sevrier avec leurs camarades allemands ; les enfants sont enchan-tés de leur jumelage entre enfants. Et cette année, dans ce groupe scolaire,il y a davantage d'enfants pour l'initiation à l'allemand que pour l'initation àl'anglais…

Notre conclusion est notre conviction de toujours : pas de mots, des actionsmodestes mais concrètes. ■

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LES TEMPS CHANGENT

es relations humaines entre Français et Allemands m'intéressentdepuis de nombreuses années. Je vais vous donner deux exemplesrécents pour montrer l'évolution qui a eu lieu.

Au cours d'un récent voyage à Tübingen, à l'occasion du 50e anniversaire dela création de l'Institut Franco-allemand, dont mon mari fut en 1948 l'initiateuret le premier directeur, j'ai pu constater concrètement combien le passage desannées modifiait tant l'aspect des lieux que l'état des esprits. Outre les chan-gements dans la ville de Tübingen, considérables sauf dans la vieille ville, j'aisurtout été frappée par la différence d'attitude de ceux qui participaient à cettecérémonie. La différence entre les générations était nette : nostalgie chez lesplus âgés qui se souvenaient du « bon vieux temps » (?) de leur jeunesse, dif-ficile à tous égards mais constructive, ou plutôt « reconstructive » ; intérêt desplus jeunes pour cette époque lointaine, mais intérêt visiblement « historique »,dénué de passion, pour une époque dont la compréhension était cependantressentie comme utile pour construire l'avenir.

Il m'arrive aussi fréquemment de rencontrer des adolescents, Français ou Alle-mands, en visite au Musée de la Résistance et de la Déportation à Besançon.Il y a quelques années, ces jeunes sortaient bouleversés et incrédules de celieu de mémoire, et l'on sentait renaître une sourde hostilité ou un sentimentde honte à l'égard d'un passé difficile à admettre et à supporter. Aujourd'hui,il semble qu'ils se sentent moins impliqués personnellement, et soient aussimieux informés, au point de ne pas être surpris de ce qu'ils viennent de voir.Un jeune Français me faisait même cette remarque caractéristique que l'« onse rendait mieux compte de tout cela quand on avait vu des films à la télé… »

Il est regrettable que la connaissance de la langue de l'autre ne soit pas tou-jours suffisante pour permettre des échanges fructueux et l'on n'est pas surprisque ce soit, souvent, en un anglais approximatif que ces jeunes communi-quent. Néanmoins les échanges scolaires et les nombreux jumelages sontsûrement pour beaucoup dans l'évolution de relations humaines qui devraientpouvoir conduire, malgré les vicissitudes politiques, à des rapports internatio-naux, en particulier entre la France et l'Allemagne, plus pacifiques et plus utilespour l'Europe future. ■

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(*) A.R. Cheval a vécu de nombreuses années en Allemagne aux côtés de son mari chargé des Affaires culturelles.

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LA COOPÉRATIONFRANCO-ALLEMANDE

A quand la sérénité ?

e vis un échange très actif entre Allemands et Français, en contradictionentière avec la crise de la coopération politique qui date du milieu desannées 90 et avec la thèse, fréquemment réitérée dans ce contexte, de

l'éloignement progressif des deux sociétés. On peut, à partir de cette expérien-ce, dessiner des perspectives d'avenir pour la coopération franco-allemande.

Les liens, entre l'Institut d'Études Politiques de Paris et l'Institut Otto-Suhr, sontanciens et reflètent assez fidèlement le développement des relations germano-françaises. Depuis le milieu des années 80 un échange régulier d'étudiants aété mis en place ; 188 étudiants des deux instituts y ont jusqu'à présent parti-cipé. La fondation du Collège universitaire franco-allemand qui, depuis 1988,aide financièrement et encourage par ses précieux conseils le développementdes cursus d'études intégrés franco-allemand, n'est pas seule à y avoir jouéun rôle déterminant. L'importance de l'engagement des étudiants, des deuxcôtés, a été lui aussi un élément décisif dans la mise en place, en 1992, duCycle d'Études franco-allemandes. Depuis cette date, les étudiants des deuxInstituts ont la possibilité d'obtenir, en complément du diplôme décerné par leurinstitut d'origine, un diplôme franco-allemand qui est délivré en commun par lesdeux Instituts. Il permet aux étudiants soucieux de mobilité, dans le contextefranco-allemand et européen, de disposer d'une bonne base de départ.

La création et l'élaboration de ce programme est une véritable leçon de chosesde l'interaction franco-allemande. Dans sa phase de démarrage, la coordina-tion de ces deux systèmes d'études, extrêmement différents, a paru poser desproblèmes quasi insurmontables. Au cours des nombreuses négociations quieurent lieu, les responsables des deux Instituts durent d'abord s'adapter auxhabitudes et au style de l'autre partie. Ils finirent par nouer des relations per-sonnelles qui leur ont permis de surmonter de nombreux obstacles. La pre-mière tentative pour signer un accord général échoua à cause de l'oppositionde certains juristes allemands. Il fallut décommander les hôtes de l'autre partiequi avaient déjà été invités. La crise fut totale mais fructueuse. Les deuxprojets d'accord et le système commun d'études et d'examens, qui furent fina-lement signés, étaient si compliqués qu'Alfred Grosser alla jusqu'à s'écrier :« C'est encore pire que les négociations Deux-plus-Quatre ! » Démentant la

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SABINE VON OPPELN *

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(*) Universitaire, responsable déléguée pour le secteur des Sciences politiques (Institut Otto-Suhr) de l'Universitélibre de Berlin et plus particulièrement pour le Cycle d'études germano-françaises en sciences politiques et sociales.

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thèse de l'éloignement progressif des deux sociétés, cet accord compliquéconstitua cependant par la suite la base d'une coopération toujours plus étroiteet confiante entre les responsables des deux institutions. Après mainteserreurs, l'on apprit à empêcher les particularités et les sensibilités de ces deuxinstitutions, qui peuvent être considérées comme le reflet des cultures poli-tiques des deux pays, de faire obstacle à la réalisation des projets communs.

Un intérêt constant pour ce programme

Ce qui importe, avant tout, c'est que l'intérêt des étudiants pour ce programmen'a cessé de croître. Pour l'année universitaire 1998-1999, 32 étudiants alle-mands ont posé leur candidature aux 15 places disponibles. La sélection a étédifficile car un grand nombre des candidats et des candidates avaient unebonne, voire une très bonne connaissance de la langue et, en plus de leurscompétences, manifestaient un fort engagement. Les étudiants de ce program-me ne sont pas seulement des enfants issus de familles germano-françaisesou d'anciens élèves des lycées franco-allemands, mais aussi des étudiants« tout à fait normaux » qui doivent d'abord faire un très dur travail d'appren-tissage de la langue. Ceux-là disposent de la possibilité, au début de l'annéeuniversitaire 1998-1999, de passer un semestre en premier cycle à l'Universitéde Provence, à l'IEP de Paris ou à l'IEP de l'Université Lumière Lyon 2, afind'atteindre le niveau exigé pour poser leur candidature à ce cycle d'études. Al'automne 1998, l'Institut Otto-Suhr enverra donc pour la première fois en Fran-ce 27 étudiants. Notre partenaire parisien connaît une évolution identique puis-qu'une réforme des études, axée sur l'ouverture internationale, oblige les étu-diants à passer un an à l'étranger dans le cadre du premier cycle de l'IEP. Leproblème ne vient pas du manque d'étudiants intéressés par ce programme,mais plutôt de l'insuffisance du nombre des bourses. Celles-ci sont en effet lacondition nécessaire à la réalisation du programme d'études commun. Outrele Collège universitaire franco-allemand, la société Daimler Benz depuis l'an-née universitaire 1996-1997, met chaque année trois bourses supplémentairesà notre disposition, nous rendant ainsi un précieux service susceptible de jouerun rôle de modèle.

L'engagement des étudiants et le degré élevé d'intégration, qui existe entreles participants allemands et français, est encore plus fascinant que le nombredes étudiants intéressés par ce programme franco-allemand. En peu de tempss'est constitué un réseau transnational très actif, qui ne s'interrompt pas avecla fin des études. Ce n'est donc pas par hasard si, à l'occasion du 10e anni-versaire de l'instauration de nos échanges d'étudiants, en 1995, une Associa-tion franco-allemande des anciens élèves et des amis de ce programme a vule jour. Cette association, qui porte le nom de l'initiateur du cycle d'études, ledéfunt professeur Gerhard Kiersch, a une ambition supranationale. Si, à causede l'absence d'un statut européen des associations, il y a deux associa-tions, une française et une allemande, les statuts communs, l'appartenanceautomatique des membres de l'une des associations à l'autre, et la présence

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des mêmes personnes aux conseils d'administration et aux comités consul-tatifs des deux, reviennent en définitive à la création d'une seule associationfranco-allemande. Compte tenu des expériences personnelles des participants,la question de l'interaction entre les sociétés, les sujets de discorde dus auxdifférences de cultures, de structures sociales et politiques et les perspectivesen résultant pour l'évolution de l'Europe, se trouvent constamment au centredes débats intérieurs et des activités. Il est peut-être symptomatique des rela-tions franco-allemandes et de l'état de l'intégration européenne que le nombredes « étrangers » au Conseil d'administration de l'Association allemande ait faitclasser l'antenne berlinoise de l'association comme « association étrangère »et amené son placement sous le contrôle de la « DST » allemande.

L'engagement en faveur de la coopération et de la mobilité transnationalesdevrait être renforcé et soutenu, et non pas compliqué par des obstacles élevéspar les bureaucraties nationales. Car c'est là que réside notre chance de com-battre la banalisation qui menace la coopération franco-allemande. Le rôle pri-vilégié des relations bilatérales franco-allemandes reposant sur l'équilibre entreles deux nations, ne peut plus être maintenu avec la fin du système de l'après-guerre et la transformation de la position des deux États dans le jeu international.Le fondement rationnel de la coopération franco-allemande repose, davantagequ'à l'époque de la confrontation des Blocs, sur sa capacité à agir en faveur del'établissement d'un nouvel ordre politique et social en Europe. Compte tenu desinterdépendances européennes et mondiales, notamment dans le domaine éco-nomique, ce n'est plus l'équilibrage des intérêts nationaux, mais la volonté poli-tique et la capacité à concevoir ensemble une politique européenne qui permet-tront aux sociétés européennes de survivre en tant que communautés desolidarité politique. Comment réaliser cet objectif sinon en dépassant les sché-mas de pensée, historiquement datés, axés sur une politique conforme aux inté-rêts de l'État-nation et en ancrant la politique dans la recherche d'une volontésupranationale ? Ce n'est pas en se lamentant sur l'éloignement progressif desdeux sociétés, comme on le fait sans cesse dans le cadre des relations germa-no-françaises, lorsque l'équilibrage des intérêts nationaux provoque des difficul-tés, mais en menant une politique active, encourageant l'interaction et l'appro-fondissement de la coopération interculturelle entre les différents groupessociaux, qu'on établira une relation privilégiée conforme à l'intérêt de l'Europe.Celle-ci s'opposera efficacement aux tendances à la renationalisation, dues auxfrustrations et aux peurs. Une initiative commune pour l'élaboration d'un droiteuropéen des associations pourrait être un exemple parmi d'autres d'un projetd'avenir pour la politique franco-allemande. (1) ■

(Traduction : Isabelle Hausser)

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(1) L'on remarquera que le B.I.L.D. et son association-sœur la Gesellschaft für übernationale Zusammenarbeitont réalisé depuis longtemps la formule reprise par les deux instituts de Sciences politiques : les membres del'une sont membres de l'autre et les deux associations ont le même Conseil d'Administration et le même Bureau(Praesidium). (N.d.l.R.)

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REPENSERLES RELATIONS CULTURELLES

FRANCO-ALLEMANDES

arler de relations culturelles au sein des relations internationales, enl'occurrence des relations franco-allemandes, est à la fois un piège etun défi : d'abord parce que tout dépend de la définition de la notion de

« culture » qui peut être très étroite, très élitiste, se limiter à l'art, aux belles-lettres, aux musées, aux expositions et aux bibliothèques ; ou bien très large,englobant l'ensemble des pratiques et représentations culturelles, une défini-tion qui donne à la notion de « culture » une dimension anthropologique,proche de celle des mentalités collectives. Parler des deux domaines de la cul-ture à la fois peut être fructueux, voire nécessaire, surtout dans le contextefranco-allemand ; mais cela peut également aboutir à des malentendus et desimpasses. Citons l'exemple d'un séminaire franco-allemand à Sarrebruck,organisé pour des dirigeants de l'industrie et des responsables de la hauteadministration, sur le thème « Économie et culture en Europe », où les unsparlaient du marché de l'art et du sponsoring artistique, et les autres de« Management interculturel » et de l'impact des mentalités et des cultures res-pectives sur les pratiques économiques, sans trouver un terrain d'entente etde discussion.

Sortir les relations culturelles de la marginalité

Le défi des relations culturelles franco-allemandes réside dans le fait de sortirla culture – et, par là-même, les relations culturelles – de la relative marginalitéoù elles se situent, surtout dans l'opinion des leaders politiques, par rapportaux relations économiques, politiques et monétaires qui occupent (et ontpresque toujours occupé) le premier plan. On a presque l'habitude, parexemple lors des conférences de presse, à l'occasion de sommets franco-alle-mands consacrés aux relations culturelles, d'opposer cette prédominance dupolitique et de l'économique, en faisant référence à la fameuse phrase attri-buée (probablement par erreur) à Jean Monnet qui aurait dit : « Si j'avais àrecommencer à faire l'Europe, je commencerais par la culture. » Mais leschoses sont, à y regarder de plus près, à la fois plus simples et plus compli-quées, puisque la culture – ou les relations culturelles – traverse tous les

(*) Professeur de romanistique à l'Université de Sarrebruck.

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autres secteurs et tous les autres types de relations, façonne les comporte-ments et les attentes politiques, détermine les façons de négocier, de discuter,mais aussi, de manière générale, l'ensemble des pratiques économiques.

Premier constat : en ce qui concerne la connaissance de la langue du voisindans les relations franco-allemandes, on doit souligner que celle-ci se trouveen décalage total avec l'intensité croissante des relations franco-alle-mandes dans les domaines politique et économique. 11 % seulement de lapopulation française parle l'allemand ou le comprend ; 13 % de la populationallemande parle ou comprend le français, mais la progression constante dela compétence dans la langue du voisin entre 1950 et 1980 a cédé la place,d'abord à une stagnation, puis, depuis une dizaine d'années, à un recul,notamment au niveau du secondaire, le français ou l'allemand étant de moinsen moins une matière choisie pendant les dernières années du lycée et aubaccalauréat. Le français n'a jamais percé comme première langue en Alle-magne, à l'exception de la Sarre, et contrairement à la France où l'allemandconstitue l'apanage traditionnel des filières sélectives. Cet état de faitcontraste avec la conviction, très répandue dans l'opinion publique des deuxpays, que la France et l'Allemagne et les relations franco-allemandes sontles « moteurs de la construction européenne ». Selon un sondage IPSOSMédia, réalisé en février 1996, 71 % des Français et 59 % des Allemands (unpeu moins donc) partagent cette opinion.

Échanges = jumelages avec usage de la langue anglaise

Deuxième constat : la compétence dans la langue du voisin est restée,grosso modo et malgré des modifications, cantonnée aux élites sociales etintellectuelles. Elle est très peu développée, et très marginale, dans tous lessecteurs techniques et professionnels de l'enseignement secondaire, dansles lycées techniques et au niveau des bacs professionnels en France, etencore plus dans les Gewerbliche Berufsschulen (écoles professionnelles ettechniques) ainsi que dans les Realschulen (secondaire sans languesanciennes) en Allemagne où le français, traditionnellement très peu présent,est en très net recul. Or, un secteur comme l'artisanat technique (Gewer-bliche Handwerksbetriebe) qui constitue un des rares domaines à créer denouveaux emplois et qui se trouve en expansion dans beaucoup de régionstransfrontalières, ne dispose que très rarement de personnel parlant uneautre langue que l'anglais, à la rigueur. Ceci est particulièrement frappant enSarre où 20 % du chiffre d'affaires de l'artisanat technique se fait à traversdes exportations vers la France.

Troisième constat : le rapprochement franco-allemand a, sans aucun doute,intensifié considérablement, depuis le début des années 60 surtout, leséchanges de personnes et les contacts interculturels qui les accompagnent.La France et l'Allemagne disposent actuellement du réseau le plus dense dejumelages entre villes qui existe au monde. L'Office franco-allemand pour la

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Jeunesse (OFAJ) constitue, depuis sa création en 1963 dans le cadre du Trai-té d'amitié franco-allemand, un modèle pour d'autres institutions bilatéralesdu même type, entre la Pologne et l'Allemagne, et entre la France et le Qué-bec. Et la structure intégrée et binationale de l'OFAJ a servi de modèle d'ins-piration également à des institutions franco-allemandes plus récentes,créées dans d'autres domaines, comme le Collège Universitaire franco-alle-mand, ou la télévision binationale ARTE, lancés tous les deux à la fin desannées 80. A y regarder de plus près, il convient néanmoins d'apporterquelques bémols dans ce tableau souvent présenté comme l'histoire d'unsuccès sans faille : au sein d'activités pratiquées dans le cadre des jume-lages de villes, le sport constitue de loin la première activité, ce qui est ensoi une bonne chose, mais renvoie aussi au problème langagier, puisquedans beaucoup de sociétés franco-allemandes organisatrices en Allemagnedes activités de jumelage, le français n'est connu que par une minorité,ce qui limite le champ des activités possibles. Et l'attrait des États-Unis etde l'Angleterre pour les participants des échanges scolaires et universitairesest très nettement supérieur à l'attrait de la France en Allemagne, et plus net-tement encore, de l'Allemagne en France.

Ce tableau somme toute encourageant, en ce qui concerne les échanges auniveau des personnes, contraste avec le niveau beaucoup plus faible deséchanges – ou transferts culturels – au niveau des textes, des informations etdes livres. La part des livres français au sein de la totalité des livres traduitsen Allemagne, est tombée de 22 % en 1959 à moins de11 % dans les années90, d'après les études du romaniste Fritz Nies (Düsseldorf). La littérature fran-çaise et francophone contemporaine est très peu traduite en Allemagne, trèspeu discutée dans la presse et les feuilletons. En France, la tendance généraleest plus positive, les traductions en provenance de l'allemand augmentantdepuis la fin des années 80, mais elles se situent à un niveau très inférieur àcelui de l'Allemagne, en ce qui concerne le nombre de traductions par an. LaFrance se trouve, selon les statistiques de l'UNESCO, actuellement seulementau 12e rang des principaux pays traducteurs, loin derrière des petits payscomme le Danemark, les Pays-Bas et la Hongrie.

Et toujours un déficit linguistique

Le décalage que donne à voir l'analyse par secteurs des transferts culturelsentre l'Allemagne et la France se creuse, si l'on regarde les médias : la chan-son française et la chanson allemande contemporaines sont quasi inconnuesdans le pays voisin, où les dernières références à peu près familières à un pluslarge public concernent Aznavour et Moustaki, d'un côté, et Frédéric May etWolf Biermann, de l'autre. Enfin, le centrage national des informations et desmagazines politiques à la télévision demeure, en France comme en Alle-magne. Il n'y a guère d'information transfrontalière et franco-allemande au quo-tidien, malgré des tentatives récentes et intéressantes comme les magazinestransfrontaliers, coproduits avec France 3 Lorraine, « Diagonales » et « Mitten-

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drin » (en plein milieu) de la Radio-Télévision de la Sarre, et les inititiativesd'ARTE, liées à sa vocation binationale, mais qui restent souvent, comme desétudes ont montré, dépendants d'un regard et d'un style de reportage national.

Le domaine culturel, à commencer par la compétence dans la langue duvoisin, est certes le grand obstacle et le grand défi pour l'évolution futuredes relations franco-allemandes. Son impact se fait sentir également de plusen plus dans le domaine économique, et des cours rapides d'entraînementinterculturel ne sauraient pallier aux déficits culturels et langagiers, qui n'ontcessé de se creuser ces dernières années. Intellectuellement et culturelle-ment, la France et l'Allemagne ne constituent plus – contrairement au XIXe

siècle ou même à l'Après-guerre – un objet de fascination pour l'autre pays ;plus encore que dans l'intelligentsia où l'on trouve de forts résidus de fran-cophilie ou de germanophilie, perceptibles aussi dans les colonnes desfeuilletons de la presse nationale, la culture des jeunes, tournée vers la civi-lisation anglo-américaine ou vers des cultures exotiques, est largement indif-férente à la culture du voisin allemand ou français qui paraissent singuliè-rement « out » aujourd'hui. Un des défis majeurs des relations culturellesfranco-allemandes sera de renverser cette tendance en présentant, en cequi concerne par exemple la France, une France différente de celle dupassé : une France moins intellectuelle et plus diverse culturellement, don-nant à voir aussi, au premier plan, les cultures régionales et les culturesimmigrées ; et un espace francophone moins parisien et moins hexagonal,ouvert vers la francophonie des Amériques, de l'Afrique et de l'Océanie, quisont, jusqu'ici, des continents quasiment inexplorés au sein des relations cul-turelles entre la France et l'Allemagne. ■

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LES RELATIONS FRANCO-ALLEMANDESUNE ÉVIDENCE

mon avis, les bonnes relations franco-allemandes, du moins en cequi concerne le côté allemand de la région Sarre-Lorraine-Luxem-bourg, sont devenues une telle évidence au cours des dernières

années que les gens interrogés sur ce qu'ils en pensent ne savent pas, deprime abord, quoi répondre. Cependant ceux qui ne sont pas directementimpliqués reconnaissent la nécessité de relations étroites entre les deux paysvoisins, et sont par exemple favorables aux échanges scolaires qui donnentà leurs enfants la possibilité de connaître sur place le pays voisin et ses habi-tants. La frontière, toute proche, facilite naturellement aussi le contact directentre Français et Allemands, et explique l'abondance des manifestations cul-turelles qui ont régulièrement lieu en Sarre et offrent, aux voisins, l'occasionde se rencontrer et d'intensifier l'échange culturel. En témoignent notammentla Fête de Voisinage Sarre-Lorraine (Saarländisch-Lothringisches Nachbar-schaftsfest) qui attire des Allemands tout autant que des Français ; le festivalde Théâtre « Perspectives », qui se tient depuis vingt ans déjà à Sarrebrucket qui est le seul festival de théâtre français à se dérouler hors des frontièresde l'État français ; ou encore la série de manifestations « Rencontres sur lafrontière », qui dépasse cette année l'amitié bilatérale franco-allemande, enincluant dans son programme la Pologne, notre voisin de l'Est.

Le législateur tente également de tenir compte de l'approfondissement desrelations franco-allemandes et l'enseignement précoce du français est de plusen plus présent dans les écoles primaires allemandes. Il va de pair avec unnombre croissant de ce qu'on appelle partenariats scolaires : une école alle-mande et une école française s'associent pour organiser des rencontres per-mettant aux enfants des deux nationalités d'avoir un contact direct entre eux.Dans la vie quotidienne de cette région frontalière également, l'aspect inter-culturel n'a plus rien d'inhabituel. Ainsi, le Train de la Sarre (Saarbahn) remisen service l'année passée, relie Sarrebruck à Sarreguemines dans le dépar-tement de la Moselle et tous ses panneaux indicateurs sont rédigés dans lesdeux langues. Naturellement, les frontaliers français et allemands n'ont pasattendu le Train de la Sarre pour aller faire leurs achats chez le voisin. Les Alle-mands se rendent régulièrement au CORA ou dans tout autre supermarchéfrançais à proximité de la frontière, et les Lorrains vont faire leurs courses

ERIK WEIDEMANN *

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(*) Enseigne le français et l'espagnol en Allemagne. Il est animateur des centres franco-allemands pour lesjeunes organisés par le B.I.L.D.

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durant le week-end à Sarrelouis (Allemagne) et à Sarrebruck. Tout cela faitpour beaucoup de gens partie de la vie quotidienne.

Autre indice de la dispartition des frontières dans l'esprit des frontaliers : le va-et-vient de circulation professionnelle qui s'intensifie rapidement entre la Lor-raine et la Sarre. Il y a longtemps que de nombreux Lorrains travaillent dansde grandes entreprises en Allemagne. Mais si, il y a quelques années encore,les mines de charbon et de fer de la Sarre, si les entreprises d'extraction pou-vaient offrir des emplois sûrs aux Sarrois et aux Lorrains en les mettant à l'abrides crises, la situation a dramatiquement changé au cours des dernièresannées. Pourtant, la circulation pendulaire ne diminue pas : les Sarrois sontde plus en plus nombreux à transférer leur domicile en Lorraine. Une foisréglées toutes les questions de paperasserie, ils comptent profiter des sys-tèmes fiscaux différents en France et en Allemagne et payer ainsi moinsd'impôts.

A la question « dans quelle mesure constatez-vous des évolutions ? », jerépondrais que les relations franco-allemandes évoluent d'une manière tout àfait positive. De plus en plus de villes et, depuis quelque temps aussi de pluspetites communes, aspirent à créer des jumelages avec des communes dupays voisin et le nombre de personnes entrant en contact avec le peuple voisinaugmente. Mais il existe aussi des évolutions qui ont un effet contre-pro-ductif pour l'intensification de nos relations bilatérales. Par exemple, ce n'estplus la règle aujourd'hui en Sarre que tous les écoliers apprennent le français.En effet, dans certains collèges modernes (écoles secondaires du premiercycle nouvellement créées), seul l'anglais est enseigné. Ce qui peut conduireà ce que l'effet combiné des mesures en faveur du « français au jardin d'en-fants » et de l'« enseignement précoce du français » se perde dans le vide dèsl'entrée dans ces écoles, car les élèves ne pourront plus utiliser alors lesconnaissances du français qu'ils auront acquises au jardin d'enfants.

En ce qui concerne l'avenir, le refroidissement des relations franco-allemandesqui accompagna le début de la présidence de Jacques Chirac n'a eu, jusqu'àmaintenant, aucune incidence sur les relations humaines à la base de nosdeux sociétés. A ce niveau, elles continuent en effet à évoluer de manière posi-tive. Mais ce qui est capital désormais pour l'avenir du tandem franco-alle-mand, c'est que la prochaine génération soit consciente de l'importance et ducaractère unique de la bonne entente entre la France et l'Allemagne, et qu'elles'emploie à poursuivre l'œuvre de ses prédécesseurs. Il ne suffit pas de sesatisfaire de la grande solution que représente l'Union Européenne et de lais-ser au point mort la petite solution – le tandem franco-allemand – qui reposeessentiellement sur des relations émotionnelles et humaines. ■

(Traduction : Marie-Lys Wilwerth)

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L'EUROPE EST FONCTIONDE LA CULTURE DONNÉE A SA JEUNESSE

est en ma qualité d'étudiante que je souhaite évoquer une – parmi biend'autres – perception des réalités franco-allemandes. Plutôt que de tenterl'ébauche d'une analyse des rapports entre la France et l'Allemagne et de

leur évolution, il m'apparaît d'emblée plus pertinent de partir d'un vécu, source sans doutela plus valable dans la formation d'une opinion.

Ce vécu c'est d'abord la fréquentation de l'École Européenne de Munich, l'apprentis-sage de la pluralité comme de l'altérité, mais seulement a posteriori, dans la mesureoù l'Autre n'est pas encore perçu comme tel ; le mélange des cultures est alors quoti-dien, et ce qui ressort finalement, c'est ce sentiment d'être d'abord l'Autre avant d'êtresoi. Autant l'avouer tout de suite, ma surprise fut grande, lorsque, rentrant en Franceà l'âge de huit ans, je m'aperçus que tout le monde parlait français !

J'ai donc été amenée à m'intéresser relativement tôt aux réalités franco-allemandes ;ma perception n'a pu qu'évoluer avec le temps, mais le regard demeure fraternel, et,parfois, indulgent.

Dès lors, et ces quelques précisions apportées, je pense qu'il n'est pas tout à fait inutilede souligner ici les disparités entre le système universitaire d'une part et celui desGrandes Écoles, de l'autre, dans leur manière d'appréhender et de mettre en œuvreles échanges entre étudiants, disparités que j'ai pu expérimenter de près. En effet, étu-diante en Histoire des Relations Internationales, j'ai pu constater la relative absencede possibilités de partage des recherches en cours, les difficultés et obstacles rencon-trés dans la seule volonté de connaître les travaux effectués outre-Rhin, leurs auteurs,les méthodes mises en œuvre, et les différences dans les appréciations d'un événe-ment. Mon propos demande certes à être nuancé, dans la mesure où des possibilitésd'échanges – via le programme ERASMUS en particulier – sont offertes. Néanmoins,la proportion d'étudiants à en bénéficier demeure relativement faible.

Étudiante en école supérieure de Commerce, j'ai pu remarquer combien les échangesfranco-allemands étaient favorisés et reconnus dans les deux sens. De même, l'ap-prentissage des langues, et souvent de la langue allemande, est considéré commeessentiel.

De ces deux expériences très diverses, je retire la conviction que, de plus en plus,les formations reçues seront à l'origine de différences beaucoup plus profondesque celles liées à la seule nationalité.

Parce que l'Europe dépend de l'éducation, de l'instruction comme des ouvertures don-nées à sa jeunesse, favoriser les échanges et l'apprentissage de langues m'apparaîtbien plus que souhaitable : nécessaire. ■

RAISSA MÉZIERES *

(*) Étudiante. Elle a obtenu le Prix Jean-Baptiste Duroselle pour son mémoire de maîtrise sur « L'idée de l'Europedans Documents, revue des questions allemandes (1945-1963).

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L'ENRICHISSEMENTPAR LE REGARD ÉTRANGER

e chemin parcouru depuis les premières négociations qui ont abouti àla création d'ARTE, conduites par Lothar Spaeth et Angela (1) Merkeldu côté allemand, donne chair à une expérience irremplaçable. La

construction d'une relation franco-allemande prend consistance à travers descontacts humains ; ils renvoient, pour moi, à des noms et à des visages précis :Willhade, Hilp, Ungureit, Opitz, Winfried Eng, et naturellement le premier vice-président, Dietrich Schwarzkopf. Après l'élaboration d'un texte et les premiersaffrontements des négociateurs, le projet s'est ensuite incarné dans la vie detous les jours, avec son lot de joies, d'attentes ou de crispations. Il est possibleaujourd'hui d'en parler sereinement, avec la force que donne aux couples laconnaissance réciproque, fondée sur une relation déjà longue.

Un mariage arrangé

Un couple, ce peut être fusionnel, ou fondé sur la raison. Le nôtre est sans douteplutôt de ce dernier genre. En l'occurrence, le mariage fut même « arrangé »,décidé « d'en haut ». Mais le fait d'avoir trouvé par la suite, au-delà des arran-gements des deux géniteurs mais sur la base de leur accord, un mode de fonc-tionnement commun et, surtout, des intérêts et un projet devenu nôtre, rend cetterelation particulièrement enrichissante : les moments d'exaltation y comptentautant que les querelles. On pourrait – j'aimerais pouvoir – parler de longuespages durant notre histoire commune, des étapes qui l'ont jalonnée, des évé-nements, plus ou moins grands, qui l'ont épicée, des contradicitons qui l'ont faitavancer. Mais le propos vise ici à ne retenir que quelques points majeurs.

Il faut revenir d'abord sur ce qu'a impliqué d'efforts le fait d'être né d'un pro-cessus volontariste de nature politique. Il a fallu réduire des décalages : entreles deux pays, mais aussi entre les autorités politiques qui avaient souhaitéle projet et ceux qui avaient pour charge de le mettre en musique. Les enjeux,ne serait-ce que sur le plan de l'audiovisuel, n'étaient pas les mêmes, en effet,en Allemagne – où l'offre était déjà très large et où ARTE n'était pas destinéeà être diffusée sur le réseau hertzien – et en France – où le projet participait

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JÉROME CLÉMENT *

(*) Président de ARTE.(1) L. Spaeth était alors ministre-président de Bade Würtemberg, délégué pour les relations franco-allemandesdans le domaine éducatif et culturel, et A. Merkel ministre fédéral de la Jeunesse.

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Entreprendre - Vie professionnelle

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d'une redéfinition de l'audiovisuel public. Les différences de consommationtélévisuelle (en termes de créneaux horaires, comme en termes de contenus)devaient dès lors devenir un des sujets de nos débats communs : elles le sontencore. Le projet ARTE est en réalité une mise à l'épreuve quotidienne d'undésir de consommation conjointe, la création en continu d'un produit cultureleuropéen. La notoriété qu'il a acquise aujourd'hui, bien au-delà du couple fon-dateur, prouve qu'il n'était pas irréaliste.

L'histoire des relations franco-allemandes lues à travers le prisme d'ARTEfut donc – est encore, sera toujours – l'histoire de la résolution progressive,nécessairement pragmatique de ces différences.

Le frottement de deux cultures

La plus frappante, la plus immédiatement sensible lorsque l'on se met à tra-vailler ensemble, touche aux modes de fonctionnement. Les images tradition-nelles qu'on véhicule les uns sur les autres ne sont d'ailleurs pas totalementinfondées, mais elles ne résistent pas au travail en commun. Les Allemandss'inquiètent ainsi spontanément du caractère emporté, rapide, fluide des déci-sions françaises ; du lien, aussi, qu'ils soupçonnent toujours être trop étroitavec l'autorité politique. Les débats publics très franco-français qu'a pu susciterARTE, les polémiques incessantes, la remise en cause du principe même duprojet, chaque année lors de la réunion budgétaire, pendant les premièresannées de vie de la chaîne, l'incertitude sur l'avenir érigée en principe deconduite, n'ont jamais cessé de les étonner. Pour les Allemands, la culture etl'audiovisuel sont de la compétence des Länder et de ce fait ils se sentent plusautonomes,… même si, chez eux aussi, les équilibres internes entre Sud etNord, SPD et CDU et les changements de majorité dans les Länder entraînentdes changements d'intendants (en Allemagne, les présidents directeurs géné-raux des chaînes publiques portent le titre d'Intendant). Du côté français, oncontinue encore de trouver les habitudes allemandes de concertation troplourdes, et les processus de décision trop lents. Les réunions sont souventlongues, pesantes, et incitent les Français à accentuer leur tendance centri-fuge : ces longs moments sont l'occasion pour eux de signer quelques lettresou de relire quelques notes. Mais les Allemands reconnaissent à notre sou-plesse les vertus de l'adaptabilité et il n'est plus rare de les surprendre às'éloigner d'un texte pour mettre en place une solution plus conforme auxbesoins du moment. Et l'on se prend soi-même à apprécier la fiabilité desdécisions, longuement mûries, des Allemands, l'intérêt d'une concertationpréalable qui permet d'éviter les surprises de dernière minute, et la qualité dutravail de préparation qui précède les réunions importantes.

Surtout, ce frottement de deux cultures oblige à un travail d'imaginationpermanent et naturellement productif. la différence de la langue, physique-ment première, fut ainsi très fructueuse. Elle oblige les employés d'ARTE àun effort d'apprentissage – généralement bien rempli, mieux encore du côté

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allemand que du côté français – et, plus encore, à une gymnastique constanteen matière de programmes. Il a fallu travailler ensemble, trouver un langagecommun, et inventer des produits nouveaux. Le « 8 1/2 », concept nouveaude journal, « tout en image », en est l'exemple emblématique : imaginé poursimplifier, sur le plan technique et sur celui de la lisibilité à l'écran, la contraintedu bilinguisme, il est devenu aujourd'hui un produit dont la valeur intrinsèque,indépendante de sa généalogie, est partout reconnue. Les réflexions enga-gées sur l'organisation de la grille, l'écart d'une demi-heure entre le prime-timeallemand et le prime-time français, poussent, de la même manière, à l'émer-gence d'idées nouvelles. La différence des goûts pour des contenus à domi-nante plus ou moins culturelle, plus ou moins scientifique, la différence d'ap-proche sur des sujets identiques, supposent, là encore, une créativité, uneanalyse des projets moins paresseuse. Bref, la confrontation est fructueuse.

Une confrontation enrichissante

De cette histoire commune et qui commence à être longue, je retiens ainsiquelques certitudes qui me sont chères. Celle, d'abord, que nous avons,Français et Allemands, un intérêt commun pour des sujets – de société, deconnaissance, de culture – importants et que nous pouvons, que nousdevons, en parler ensemble. L'exemple des soirées que nous avons consa-crées au nucléaire est significatif de nos différences, mais aussi de ce quechacun se nourrit intellectuellement de la confrontation avec l'autre.Nous y avons gagné en liberté, la force du discours anti-nucléaire allemandnous ayant permis, en l'occurrence, de traiter avec un ton plus critique unsujet que les politiques français auraient pu, sinon, considérer comme intou-chable. Nous y avons gagné en complicité, chacun pouvant jouer des spéci-ficités de l'autre pour élargir sa propre grille d'analyse. Ma certitude est ainsique nous avons tout intérêt à développer des approches croisées – pluri-nationales –, tant sur ces sujets que sur nos modes de fonctionnement. Nousavons bien deux cultures différentes. Mais le mariage des deux façons defaire, des deux façons de voir les choses, peut réussir à tempérer les ardeursdes uns tout en bousculant un peu les autres. C'est aussi ce qui fait l'intérêtde notre rapprochement. Il n'y a pas à craindre une perte de nos spécificitésou de nos identités respectives, mais au contraire un enrichissement à ygagner. Cette présence permanente d'un autre à côté de soi estirremplaçable : ce regard étranger sur notre façon d'être et d'agir oblige àl'interrogation et à la réaction. Tout est différent chez l'autre, et c'est préci-sément ce qui fait son prix pour chacun. ■

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LE RECRUTEMENT DES DIRIGEANTSDANS LES ENTREPRISES

FRANCO-ALLEMANDES

ans les discours sur les relations franco-allemandes, le rôle des entre-prises et de leurs dirigeants dans le rapprochement entre les deuxpays est souvent négligé. A tort, car si les échanges commerciaux

entre la France et l'Allemagne ont atteint depuis longtemps les niveaux record,c'est grâce à la ténacité des sociétés industrielles et commerciales de part etd'autre du Rhin, déterminées à vendre leurs produits sur le marché voisin, queces résultats ont été réalisés. C'était en grande partie le travail des dirigeants,allemands ou français, à la tête des filiales dans l'un des deux pays, pour lecompte des sociétés-mères dans l'autre. Sans leurs efforts, souvent soutenuspendant de nombreuses années contre de multiples obstacles, les relations fran-co-allemandes ne seraient pas ce qu'elles sont devenues.

On compte aujourd'hui environ 3.000 sociétés allemandes en France et 1.500françaises en Allemagne. Les Allemands étaient les premiers à s'installer sur lemarché voisin. Leurs premières créations de filiales en France datent de la findes années cinquante. Par contre, les sociétés françaises ont longtemps été frei-nées dans leur développement international par la politique centraliste et dirigistede la France, qui les soumettait à de nombreux contrôles et les pénalisait faceaux entreprises allemandes, habituées à une politique plus libérale. Celaexplique pourquoi la plupart des filiales françaises en Allemagne n'ont été crééesqu'après la suppression des frontières douanières et du contrôle des changesen France, c'est-à-dire au milieu des années quatre-vingt.

Directeur d'une filiale dans le pays voisin

L'essentiel dans les deux cas reste que le succès des filiales dépendait (etdépend toujours) de la compétence et de la personnalité de leurs dirigeants.Cela semble évident. Mais si l'on se rend compte de la complexité et des res-ponsabilités d'une telle fonction, on comprend que le choix d'un directeur defiliale n'est pas une chose aisée d'autant moins que le poste est plus important.

Le directeur d'une filiale allemande en France ne doit pas seulement assurerla bonne marche des affaires sur le marché français en développant le chiffre

(*) K.W. Herterich est directeur fondateur du Cabinet K.W. Herterich à Paris, cabinet franco-allemand de Conseil aux dirigeants d'entreprises.

KLAUS W. HERTERICH *

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d'affaires et les parts de marché. Sa tâche la plus importante est souvent demaintenir de bonnes relations avec sa maison-mère. Car, pour assurer labonne gestion de sa filiale, il dépend de celle-ci dans beaucoup de circons-tances. C'est elle qui développe et fabrique les produits qu'il doit vendre ; c'estelle qui détermine la stratégie du développement international et c'est elle quidéfinit les objectifs financiers pour l'ensemble du groupe. Comme tout cela sepasse entre interlocuteurs de cultures différentes, le problème est de savoirsi chacun parle le même langage, qu'il s'agisse, par exemple, de définir unnouveau produit, de fixer des conditions de vente ou d'établir les règles pourbien gérer les ressources humaines dans le groupe. En règle générale, lesentreprises allemandes ont une conception libérale et stratégique qui privilégiel'organisation définie par écrit et la démarche à long terme tandis que beau-coup de sociétés françaises souffrent encore de la vieille tradition étatique etfiscale française, ce qui les incite souvent à des attitudes opportunistes et decourt terme.

Ainsi se pose la question des relations interculturelles dans les sociétés inter-nationales et, dans le présent contexte, celle des relations psychologiquesentre sociétés mères allemandes et filiales françaises. Elles ne sont pointquantitatives, même si certains cartésiens veulent bien nous le faire croire.Bien entendu, les règles économiques fonctionnent ici comme partout. Maisdès qu'il s'agit d'hommes (et de femmes), les préjugés des individus et lesangoisses de chacun entrent en jeu et faussent le calcul économique. Lesrelations entre sociétés mères et filiales dépendent en premier lieu de la com-préhension et de la bonne volonté entre responsables de part et d'autre dela frontière.

Comment trouver le bon dirigeant ?

En conséquence, le choix du dirigeant d'une filiale doit être d'abord le choixd'une personne, et, en deuxième lieu celui d'un professionnel de telle ou tellebranche d'activité. Cette question démontre d'ailleurs la divergence entre Alle-mands et Français, lorsqu'il s'agit de juger les candidats pour un poste de diri-geant. Les Allemands plaident quasi systématiquement pour le spécialiste(Fachmann), alors qu'en France on donne souvent la préférence aux candi-dats ayant surtout une bonne culture générale, du charisme et de l'aisancerelationnelle.

Comment trouver le bon candidat ? De nombreuses sociétés allemandes seposent la question lorsqu'elles cherchent un directeur pour leur filiale en Fran-ce. C'est précisément cette question qui a conduit à la création de notre cabi-net en 1971, dont la fonction principale jusqu'à ce jour est la recherche et lasélection de dirigeants pour les sociétés allemandes en France.

Comment une société allemande avec sa culture germanique, ses règlesécrites de la délégation des pouvoirs et de l'organisation du travail va-t-ellejuger un candidat français fier d'être latin, individualiste, diplômé d'une Grande

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École et habitué à diriger ses collaborateurs comme un patron ? Au début, cer-taines ont choisi la solution prudente qui consiste à détacher en France un col-laborateur de la maison-mère pour y diriger la filiale. Cela a souvent bien mar-ché. Beaucoup de ces pionniers de la première heure sont restés en poste enFrance jusqu'à leur retraite. Mais il est vrai qu'à l'époque, il y a vingt-cinq ans,les candidats français pour ces postes étaient encore peu nombreux.

Aujourd'hui tout a changé

Il est devenu difficile de trouver en Allemagne des candidats prêts às'établir en France pour y diriger une filiale. La belle maison, l'école desenfants, le cercle des amis sont devenus des freins à la mobilité internationaledes cadres dirigeants allemands, autant que les perspectives incertaines decarrière après le retour dans le groupe quelques années plus tard.

D'autre part, la majorité des sociétés allemandes sont aujourd'hui convaincuesque, pour diriger une filiale à l'étranger, il vaut mieux prendre un manager local,qui connaît le marché et la mentalité du pays, qu'un Allemand qui doit encorefaire ses classes en France. Ce qui les conforte dans leur démarche est le faitque, ces dix dernières années, le nombre de candidats pour ces postes aconsidérablement augmenté. Un nombre croissant de jeunes diplômés etfuturs dirigeants français possèdent aujourd'hui de bonnes connaissances deslangues étrangères et une solide expérience internationale. Environ dix pourcent parlent allemand.

Résultat : 80 % des candidats que nous recrutons aujourd'hui pour dirigerdes filiales allemandes en France sont des Français. Le nombre des Alle-mands à la tête des filiales diminue continuellement. En même temps,l'internationalisation des dirigeants français continue. On pourrait citer aussides exemples de dirigeants français qui ont fait carrière dans des groupesallemands. Certains d'entre eux, après avoir dirigé pendant plusieurs annéesdes filiales en France, occupent aujourd'hui dans le groupe en Allemagnemême, voire dans des pays tiers, des fonctions internationales au plus hautniveau. ■

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UN APPELÀ L'ÉLAN DES CITOYENS *

intéressant beaucoup et depuis longtemps aux relations fran-co-allemandes, je réponds volontiers à votre enquête pour yapporter mon modeste témoignage à titre personnel, mais éga-lement au titre de mon expérience professionnelle.

J'interviens en effet dans la sphère économique et commerciale et suis encontact quotidien avec des petites et moyennes entreprises souhaitant déve-lopper leurs activités hors des frontières. J'ai en outre vécu plusieurs annéesoutre-Rhin, au début de ma carrière.

Un fait s'impose : le poids économique de l'Allemagne et sa place de premierpartenaire commercial de notre pays. L'image qu'en ont les entreprises estcelle du premier débouché de la France et du plus vaste marché européen.

Par ses difficultés, ses exigences, il est perçu comme le marché test sur lequeltoute entreprise se doit d'avoir réussi. C'est très souvent vers l'Allemagne etses impressionnants salons professionnels que seront orientées les PMEpressenties pour franchir, avec l'appui des pouvoirs publics, le premier pas dela démarche d'exportation.

A Nantes s'est tenu en octobre 1998 la première édition d'un salon annuel, le« SITE » axé sur le développement à l'exportation. Trois pays cibles ont consti-tué le thème autour duquel s'est articulé un ensemble de prestations (sémi-naires, invitations de décideurs, entretiens avec les postes d'expansion éco-nomique). Le premier pays à avoir été retenu sans discussion par lesinitiateurs de cette manifestation est bien évidemment l'Allemagne.

En négatif, l'Allemagne est souvent perçue – à mon sens exagérément –comme protectionniste et parfois par trop « conservatrice » dans ses habitudesd'achat d'équipements ou de biens de consommation. Cette appréciation sefonde pour l'essentiel sur l'omniprésence des normes techniques et labels dequalité. Plutôt que de constituer des barrières non tarifaires, il semble que cespratiques soient davantage à rapprocher du goût quasi obsessionnel de nosamis allemands pour la sécurité et la qualité.

Dès lors qu'il a rempli ces conditions réputées drastiques, l'entrepreneur fran-çais a toutes chances de maintenir un courant de vente durable, pour autantque sa fiabilité en matière de délais et de prix ne se démentira pas.

Par ailleurs, une PME française qui entend se développer sur le marché alle-mand, voire y consolider ses positions par une implantation physique perma-

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(*) L'auteur de ce texte est haut fonctionnaire dans le domaine du commerce international.

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nente, se doit de disposer d'un ou de plusieurs collaborateurs maîtrisant lalangue allemande.

Or, et c'est ce que je constate, les candidats à l'embauche, expérimentés oudébutants, dans, dirons-nous, 80 % des cas, n'ont jamais étudié la langue deGoethe, durant leur cursus scolaire ou universitaire. Cette affirmation doit pro-bablement être tempérée, car d'une région à l'autre, les situations peuventvarier sensiblement.

Cela me fournit néanmoins une transition pour déplorer la baisse (bien queje ne sois pas en mesure de l'étayer par des chiffres) de l'apprentissage dela langue allemande en France.

Bien que l'on puisse dans une certaine mesure envisager une approche dece pays (je quitte ici mon domaine professionnel), de sa culture, de son peuple,par d'autres voies – et cet angle n'est pas à négliger car il ne faut pas réserverla fibre franco-allemande aux seuls germanistes – il paraît cependant fonda-mental, si l'on entend poursuivre et accentuer le rapprochement culturel et poli-tique entre nos deux pays, de donner un nouvel élan à l'enseignement del'allemand en France (et sans doute du français en Allemagne).

J'avoue ici mon incompétence mais il me semble néanmoins qu'une réformedu système actuel de l'enseignement des langues contribuerait à une solution :aujourd'hui, une seule langue est réellement obligatoire et c'est naturellementl'anglais ; la seconde langue peut en fait être abandonnée dès la classe deseconde au profit d'une autre option.

Même en mettant entre parenthèses la question de l'allemand, cette situationn'est-elle pas complètement anachronique ? N'est-il pas au contraire néces-saire dans l'Europe que nous voulons construire, de maitriser trois, – jen'ose pas dire quatre – langues ? Les nouvelles méthodes d'apprentissageprécoce le permettent sans réelle difficulté.

Tout cela est une affaire de prise de conscience…

J'aurais encore beaucoup d'autre réflexions à vous livrer, mais je termineraien vous disant que la relation franco-allemande souffre d'un manque d'élanchez les citoyens des deux pays ; la bonne entente politique – dont au demeu-rant les médias se complaisent à guetter et dramatiser le moindre petit nuagepouvant survenir – est certes essentielle. Il lui manque pourtant d'être relayéedans la population par un projet comparable dans sa nature à la constructionde l'Europe…

Plus modestement, Français et Allemands se sentiraient sans nul doute plus« impliqués » si l'on mettait davantage en relief tout ce qui est lancé et réaliséen commun, plus particulièrement en direction des jeunes (échanges,diplômes universitaires communs, etc.). ■

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VIVRE ET TRAVAILLER À LA FRONTIÈREFRANCO-ALLEMANDE :

L’EXEMPLE DES OUVRIERS

quelques kilomètres seulement de la frontière française, qui en faitn'en est plus une, le flux des élèves, des travailleurs et des clientsest permanent dans les deux sens. On est tenté de croire que Fran-

çais et Allemands sont semblables. Même s'ils parlent une autre langue,même s'il y a d'autres lois et d'autres normes, cela constitue-t-il encore unevéritable différence ?

Les ouvriers sarrois en route pour « l'étranger » : la Lorraine

Dans le cadre d'un projet de recherches de la Chambre des métiers et du minis-tère de l'Économie et des Finances de la Sarre, la chaire de civilisation françaiseet de communication interculturelle met au point du matériel de formation, quidoit faciliter l'accès des ouvriers sarrois à la Lorraine et à la France.

Dans une étude où nous avons interrogé des entrepreneurs sarrois exerçant leuractivité en France, il s'est avéré que les similitudes auxquelles on aime à croireen Sarre sont en fait limitées. Les entreprises allemandes qui ont un comporte-ment explicitement « allemand » pour vendre leurs produits et leurs prestationsen France ne tardent pas à s'apercevoir que le marché et les consommateursfrançais se comportent et réagissent « différemment » de ce qu'elles avaientprévu. Une fois mise à part l'idée logique que la maîtrise de la langue est unecondition à l'ouverture du marché, les personnes interrogées ont vite constatéqu'on n'incite pas de la même façon un client allemand et un client françaisà acheter. L'Allemand se renseigne auprès de la concurrence sur le prix et laqualité de la prestation envisagée. Lorsqu'il arrive sur place, il est bien informéet dispose d'un plan relativement précis : le vendeur n'a plus qu'à discuter aveclui des détails concrets. Lorsque le vendeur allemand attend la même chose deson client français, il constate en règle générale que celui-ci n'a qu'une vagueidée de son projet et préfère que le vendeur emploie des arguments personnelspour le convaincre de la qualité du produit et de la prestation.

Si les entrepreneurs tiennent compte de cette différence de comportement, ilspeuvent s'adapter. Certaines des personnes interrogées l'ont fait inconsciem-ment, d'autres non. En l'occurrence, croire aux similitudes a un effet négatif :

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(*) Ulrike Haupt est collaboratrice scientifique à la chaire de civilisation française et de communication intercul-turelle de l’Université de la Sarre. Elle est chargée du suivi du présent projet.

ULRIKE HAUPT *

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cela fausse la « vision juste » des particularités de l'autre pays où existe, aufond, un grand potentiel de synergie. Mais il faut d'abord s'en rendre comptepour « exploiter ce trésor » qui n'est caché qu'en apparence.

Changer de perspective est nécessaire – une histoire tris-te, mais vraie

Un menuisier sarrois raconte l'histoire suivante : « Un jour, un bon client nousa appelé. Il voulait installer dans sa maison des portes en cerisier. Comme jele connaissais bien, j'ai essayé de lui expliquer qu'il existe des matériaux quiressemblent au bois de cerisier sans en présenter les inconvénients : lesportes ne « jouent » pas, ne changent pas de teinte, et sont plus faciles d'en-tretien. Bref, nous n'avons pas fait affaire. Ce client allemand a appelé un col-lègue français pour lui demander quels inconvénients présentait le cerisier.« Aucun », lui a-t-il répondu, et il a réalisé le travail. Aujourd'hui, ils sont tousdeux en procès et ne comprennent pas pourquoi. » Comment en est-on arrivélà ? « Les menuisiers français ont une tout autre relation avec le bois. Ils esti-ment naturel qu'il vive. Le client français s'adapte, alors que le client allemandveut un produit parfait qui ne bouge pas. Les portes sont très bien faites et debonne qualité, mais le client est si insatisfait qu'il fait appel au tribunal. Quantau menuisier français, il ne saisit pas ce qu'on lui reproche. »

Pour comprendre les deux points de vue, il faut changer de perspective. Il estimportant de se rendre compte de la « différence » pour pouvoir la gérer. Sil'on prend conscience qu'il faut changer d'état d'esprit pour avoir du succèsdans le pays voisin, on peut éviter ce type de malentendus fréquents. Commetout partenaire, un pays (et ses habitants) a ses forces et ses faiblesses. Lesaccepter de part et d'autre a un résultat positif ; en revanche, les nier ne peutavoir que des conséquences négatives.

Les médiateurs interculturels sont là pour « ouvrir les yeux »et montrer la voie

De chaque côté, il y a encore beaucoup de « travail d'éducation » à faire.Grâce à leur connaissance des deux cultures, les médiateurs interculturelspeuvent favoriser la compréhension des particularités de l'Autre et améliorerla vision de ses forces et de ses faiblesses éventuelles. Leur intervention per-met de dissiper les malentendus. En collaboration avec tous ceux qui « fran-chissent les frontières », ils peuvent conseiller un comportement adapté et faci-liter ainsi le passage dans l’autre pays.

N'oublions pas de cueillir les fruits du travail déjà réalisé en ce domaine. Pourbeaucoup de médiateurs culturels entre nos deux pays, la première pierre a étéposée avec les séjours organisés dans le pays voisin. Ils constituent une basesolide pour l'avenir de l'amitié franco-allemande et pour celui de l'Europe. ■

(Traduction : Dominique Petit)

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« JE NE COMPRENDS PAS »

Les systèmes de formation en France et enAllemagne, facteurs de division

a fascination que Français et Allemands exercent les uns sur les autresa abouti à des relations intensives entre leurs deux sociétés. Il suffit defeuilleter « Les Chemins de l'Amitié », l'annuaire de près de 400 pages

recensant les différents types de collaboration franco-allemande édité par leAuswärtiger Amt en Allemagne et le Ministère des Affaires étrangères en Fran-ce, pour se rendre compte de la dimension impressionnante de cette fascina-tion réciproque : des centaines d'institutions, d'associations et d'entreprisess'efforcent de contribuer au succès de la collaboration franco-allemande et,par là même, à l'intégration européenne.

Cette évolution très positive contraste avec les frictions et les malentendus per-sistants entre Allemands et Français. On constate un déficit de compréhensionen matière d'action sociale, économique et politique. Je le remarque aussidans mon propre secteur d'activité à l'Université de Sarrebruck : au niveau desrelations interculturelles qui s'inscrivent dans le cadre de la vie économique,en particulier au niveau de la collaboration internationale des entreprises etdes cadres. Des différences de valeurs, de modes de communication et destyle de travail provoquent régulièrement des tensions nouvelles. Or, monexpérience prouve que les systèmes nationaux de formation, qui se sont éta-blis au fil des siècles, avec leurs particularités, sont d'importants « facteurs dedivision ». On peut les considérer comme l'une des causes de ces tensions.Les institutions éducatives sont des instances de socialisation et, à ce titre,ont des fonctions déterminantes. C'est ainsi qu'on peut expliquer certains typesde comportement et de travail caractéristiques d'une culture. A titred'exemples, je citerai deux domaines : la formation professionnelle desouvriers et la formation supérieure des cadres.

Fil à plomb et niveau à bulle

Dans le cadre d'un projet de recherche avec la Chambre des métiers et leministère de l'Économie de la Sarre, nous avons filmé des apprentis maçonsfrançais et allemands travaillant ensemble et nous les avons interrogés surleurs méthodes de travail. Nous avons constaté qu'ils n'ont pas la même façon

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(*) Christoph Barmeyer est collaborateur scientifique à la chaire de civilisation française et de communicationinterculturelle de l’Université de la Sarre.

CHRISTOPH I. BARMEYER *

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de gâcher le ciment, par exemple. Ils n'emploient pas non plus les mêmesoutils : alors que le maçon français contrôle la symétrie des murs au moyend'un fil à plomb, son collègue allemand se sert d'un niveau à bulle. S'ils doiventfaire un échange, la confusion règne, car il leur faut d'abord apprendre à seservir d'un outil qu'ils ne connaissent pas. La perception qu'ils ont de leurmétier est différente aussi. Le maçon français sourit de la précision de son col-lègue allemand capable de fabriquer un mur au millimètre près, sans pourautant savoir faire un bel enduit. Quant au maçon allemand, il refuse ce genrede travail : il estime être un « vrai » maçon et pas un stucateur.

C'est le système de formation qui est décisif, car il conditionne ces différentesfaçons de travailler. Tandis que le maçon allemand reçoit une formation de troisans dans un système dual, il faut deux ans seulement en France pour obtenirun CAP de « construction en maçonnerie et béton armé ». Alors qu'en Alle-magne, il n'y a qu'une filière pour passer l'examen de maçon, il en existe plu-sieurs en France, le lycée professionnel étant la plus « théorique ». En Alle-magne, la partie pratique de la formation, par le biais du travail en entrepriseet dans le cadre du centre de formation lui-même, est d'environ 80 %, c'est-à-dire beaucoup plus élevée qu'en France où elle ne représente à peu prèsque 30 à 50 % de la formation. Enfin, les programmes de formation en Alle-magne impliquent une connaissance beaucoup plus précise des matériaux etdes techniques qu'en France.

Esprit de synthèse et multitude de courbes

La formation supérieure des futurs cadres présente elle aussi des divergencesde structure, de pédagogie et de contenu. Les chefs du personnel allemandsne manquent pas de s'étonner du système des grandes écoles de commercequi forment en France l'élite dirigeante de l'économie. L'enseignement pratiquepar petits groupes rappelle en effet celui des Universités scientifiques alle-mandes. Mais la comparaison s'arrête là. Il en est tout autrement quand onévoque les mécanismes de sélection, le coût des études et la connotationsociale.

Malgré l'américanisation et la mondialisation, la pédagogie et le contenu del'enseignement sont, eux aussi différents, comme me le confirme sans cessemon expérience à l'E.M. Lyon : alors que les étudiants en science économiquesont confrontés à des modèles théoriques abstraits et à des connaissancesstatistiques de détails, les étudiants en gestion acquièrent un savoir pratiqueen économie qui, associé à une réflexion stratégique, leur donne un bagageconvaincant. En France, on ne favorise pas la connaissance des faits quan-titative et approfondie, mais la capacité de synthèse et la compétence active.Dans le cadre des échanges d'étudiants, les différences de conception de l'en-seignement engendrent des frictions permanentes. Alors qu'ils sont bons dansle cadre de leur propre système, certains étudiants français sont désarçonnéslorsqu'ils se trouvent confrontés au système allemand, comme le soulignent

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ces assertions : « La multitude de courbes et de concepts économiques poin-tus découragent vite. » Ou : « Les professeurs allemands, malgré leur évidentecompétence, ne sont pas toujours très pédagogiques. » Les différences destyle d'enseignement et de travail entre l'Allemagne et la France sont un signede la diversité et de la richesse intellectuelles qui, par chance, continuentd'exister en Europe. Elles mettent aussi en évidence qu'il y a plusieurs voiespour atteindre le même but : maçons et cadres des deux pays exécutent leurtâche avec la même réussite, même si c'est de façon différente. La formationen France implique plutôt une pensée et une traduction généralistes tandisqu'en Allemagne, elles sont plus spécialisées.

« Je comprends » – les médiateurs culturels

En dépit des facteurs de division qui subsistent au sein des systèmes de for-mation, on constate bien sûr des points communs et des rapprochementsentre l'Allemagne et la France. A cela contribue l'engagement personnel denombreux médiateurs culturels dans les centaines d'institutions existantes, enparticulier l'Office franco-allemand pour la Jeunesse, le Collège supérieur fran-co-allemand, le Secrétariat pour l'échange de la formation professionnelle etl'Institut franco-allemand.

Mais on continue à manquer d'informations tout autant que de compréhensionpour l'autre pays. Cette compréhension est possible grâce à l'expérience per-sonnelle, associée à la connaissance interculturelle qui permet d'adopterd'autres perspectives. On peut l'acquérir, par exemple, grâce à des cyclesd'études sur la communication interculturelle, à Chemnitz, Iéna ou Sarrebruckoù l'on forme les étudiants à devenir de futurs médiateurs culturels. Il leurincombera de mettre leur compétence au service des relations franco-alle-mandes et de transformer en chances les problèmes existants. Mais en fait,la compréhension du pays voisin est un apprentissage qui doit commen-cer très tôt : à la maternelle et à l'école primaire où les enfants français et alle-mands peuvent se côtoyer sans préjugés. En particulier dans les régions fron-talières, il y a des possibilités d'éliminer dès le départ les facteurs de divisionqu'engendrent les systèmes éducatifs, pour que de plus en plus d'Allemandset de Français puissent s'écrier : « Ich verstehe ! » – « Je comprends ! » ■

(Traduction : Dominique Petit)

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LES RELATIONS FRANCO-ALLEMANDESDANS LA PRATIQUE NOTARIALE

omment s'inscrivent les réalités franco-allemandes dans la pratiquenotariale ?

Le développement des échanges internationaux entraîne une multiplicationdes interventions notariales relatives à la clientèle étrangère, dans lesdomaines d'exercice traditionnel de la profession, tels que notamment :

– Les mutations immobilières (exemple : achat d'une résidence secondaire)

– Les successions (exemple : succession d'une personne propriétaire de biensmobiliers ou immobiliers à l'étranger)

– Le crédit bancaire (exemple : hypothèque conférée sur un bien immobilier situédans un pays donné à la garantie d'un emprunt contracté dans un autre pays)

– Les sociétés commerciales (exemple : création de filiales à l'étranger)

– La fiscalité attachée à chacune des matières ci-dessus.

L'accroissement, sensible d'année en année, des échanges économiques ettouristiques entre la France et l'Allemagne a pour conséquence une augmen-tation régulière de l'activité des notaires dans un contexte franco-allemand. Cedéveloppement est particulièrement sensible dans les régions frontalières,notamment en raison de la particularité du notariat alsacien-lorrain qui estautorisé à rédiger des actes dans les deux langues, ce que les notaires de la« France de l'intérieur » ne sont pas autorisés à faire. (Depuis l'Ordonnancede Villers-Cotterets – 1539 – les actes des notaires français ne peuvent êtrerédigés qu'en français !).

Comment évoluent-elles ?

La profession tout entière a pris des initiatives dans le domaine internationalen créant notamment l'Union Internationale du Notariat Latin à laquelle adhè-rent entre autres le notariat français et le notariat allemand. En effet, les deuxprofessions – bien qu'ayant des statuts différents (1) – ont des activités sem-blables dans les deux pays.

(*) Ancien Président de la Chambre des Notaires de Paris.(1) L'organisation du Notariat en Allemagne est différente selon les Länder : le notaire peut être dans certainsLänder un fonctionnaire, dans certains autres un avocat-notaire, dans d'autres enfin « seulement notaire » :« nur Notar ».

JEAN TARRADE *

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La Chambre des Notaires de Paris a signé un protocole de jumelage avec laChambre des Notaires de Berlin, dans le but de promouvoir les échanges entreles notaires de ces deux métropoles.

Concrètement, un groupe de travail composé de notaires de Berlin et denotaires de Paris se réunit plusieurs fois par an pour approfondir les connais-sances de chacun dans les pratiques des autres, pour mettre en rapport lesnotaires entre eux et créer ainsi un réseau à la disposition de la clientèle. Toutrécemment par exemple – et grâce à ce réseau – deux notaires de Berlin ontanimé une conférence à la Chambre des Notaires de Paris sur le thème dessuccessions.

Ce groupe se préoccupe également de promouvoir la formation internationaledes jeunes aspirants au Notariat. A cet égard, on peut préciser que la formationuniversitaire des notaires français comprend un stage pratique de deux ans,dont une partie – ne pouvant excéder six mois – peut être effectuée à l'étranger.

En revanche, la formation des notaires allemands (notamment ceux de Berlin)qui nécessite également un stage de deux ans, ne prévoit pas la possibilitéd'effectuer une partie du stage à l'étranger.

Cette situation rend donc malheureusement impossible les échanges de sta-giaires.

Comment voir l'avenir ?

La libre circulation des personnes, des biens et des services, fondement del'Union Européenne, ne peut avoir pour conséquence que l'accentuation deséchanges entre la France et l'Allemagne. L'arrivée de l'Euro facilitera davan-tage encore les relations.

La culture juridique commune et la tradition romano-germanique de notre droitrendent très facile une harmonisation d'un grand nombre de règles entre lesdeux pays. En outre, le notariat allemand et le notariat français bénéficient cha-cun d'un rayonnement particulier à l'égard des notariats renaissants en Europede l'Est.

Les relations institutionnelles entre les deux notariats existent, fonctionnent,et sont appelées à se développer encore.

Il reste des efforts à faire pour transposer ces relations institutionnelles auniveau individuel en créant de véritables réseaux de praticiens appelés à unirleur compétence et leur savoir-faire pour le meilleur service de leurs clientèlesrespectives. (2) ■

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(2) Du côté allemand il serait indispensable d'introduire dans la formation la possibilité d'un stage à l'étranger.(N.d.l.R.)

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HIER, AUJOURD'HUI, DEMAINEn guise de conclusion

e message, relayé par la Presse et les radios du monde entier, tout à la fois défiet incantation, avait, dans le climat qui prévalait en Europe après la dernièreguerre mondiale, quelque chose d'irréel : « Le partenariat franco-allemand doit

être la première étape d'une résurrection de l'Europe … Il n'y aura pas d'Europe sansune France et une Allemagne moralement fortes ».

Plus d'un demi-siècle s'est écoulé depuis que Winston Churchill interpellait ainsi nosdeux pays, dans son allocution historique « The Tragedy of Europe », à l'Université deZurich, le 19 septembre 1946. La nécessité d'une relation privilégiée entre la France etl'Allemagne devait lui apparaître comme bien impérieuse pour que ce Britannique, adver-saire intransigeant de l'Allemagne nazie l'exprime avec autant de force et d'emphase.

Après les épreuves hallucinantes d'une guerre civile européenne dévastatrice etquasi suicidaire, deux générations de Français et d'Allemands se sont attachées àla reconquête de leur identité. Elles ont, progressivement, redonné à leurs pays uneassise économique et une crédibilité militaire, gages d'indépendance matérielle etde liberté politique.

Mais, depuis les bouleversements géo-politiques de notre fin de siècle, nombreux sontceux qui s'interrogent sur la pérennité de cette alliance exceptionnelle. Percevant cetteinquiétude, la revue Documents décide, en début d'année 1998, de se faire le vecteurde cette interrogation.

La question posée par notre enquête n'avait pas pour objet d'interpeller les sociétésciviles sur la pertinence de ce lien privilégié. L'action déterminante franco-allemandedans l'émergence de l'Union Européenne restera incontestée. Il s'agissait, plutôt, derecueillir un éventail aussi large que possible d'opinions personnelles, afin de tenterune mise à plat et un bilan de cette relation particulière, tout en espérant trouver dansles réponses matière à réflexion sur l'avenir.

Des femmes et des hommes de toutes origines et de tous âges (étudiants, membresd'associations franco-allemandes ou de professions libérales, instituteurs et ensei-gnants du secondaire, représentants de collectivités locales, personnalités politiques,universitaires et chercheurs, diplomates) se sont manifestés. Nous les en remercionsde tout cœur.

Dans cette enquête, nos interlocuteurs s'accordent pour reconnaître le rôle déterminantjoué jusqu'à maintenant par les deux gouvernements et leurs institutions. Mais la bar-rière linguistique est identifiée, par nombre d'entre eux, comme l'obstacle majeur à unapprofondissement sérieux de la connaissance réciproque, désormais impérative auniveau des peuples. Certains soulignent l'inconséquence de nos systèmes éducatifs,qui ne favorisent généralement que la langue anglaise, quelquefois d'ailleurs avec peude bonheur. L'Union Européenne rassemblera, dans moins d'une génération, unebonne vingtaine de pays aux langages et cultures différents. Sauf à instruire et mettreen place une quantité gigantesque « d'intermédiaires culturels » (traduction libre destermes kulturelle Mittler et interkulturelle Kommunikatoren utilisés par deux correspon-

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dants allemands), la communication y deviendra rapidement un problème de premierplan, que les gouvernements seront, à moyen terme, bien incapables de résoudre. Cequi conduit certains de nos amis à suggérer une réforme fondamentale, sous l'impulsionfranco-allemande, des méthodes d'apprentissage des langues étrangères, quitte à leuraccorder un statut prioritaire. L'un d'entre eux nous écrit : « La compétence dans lalangue du voisin constitue à la fois le premier obstacle et le grand défi à l'évolution futuredes relations franco-allemandes ».

Wolfgang Schäuble parlait en connaissance de cause quand, le 15 octobre 1995 àOffenburg, au Congrès du 50e anniversaire de la fondation du B.I.L.D., il martelait saconviction en la matière, devant un auditoire franco-allemand par ailleurs déjà large-ment convaincu : « L'apprentissage de la langue de l'autre est au cœur même de lacompréhension mutuelle ».

Cette préoccupation, qu'elle soit de nature purement culturelle ou qu'elle touche àl'exercice d'une profession, pouvant directement affecter la mobilité et l'emploi desagents économiques, revient comme un leitmotiv dans de très nombreuses contribu-tions reçues à Documents. Serions-nous, Français et Allemands, incapables d'assimilerparfaitement comme certains de nos voisins, une, voire deux langues étrangères ? Saufà voir se gripper, un beau jour, par le cumul d'incompréhensions mutuelles, notre bellemachine européenne devenue une nouvelle Tour de Babel, peut-être faudrait-il, commele suggère un universitaire sarrois « sortir la culture, sous toutes ses formes, de la rela-tive marginalité où elle se situe, surtout dans l'opinion des leaders politiques, par rapportaux relations économiques, politiques et monétaires qui occupent le premier plan ». Adéfaut de réussir une véritable vulgarisation du multilinguisme, passage obligé versl'Autre, sa manière d'être et de penser, certaines des idées fondatrices de l'Europe, tellela liberté d'établissement, risquent fort de demeurer longtemps des utopies. Certainsde nos correspondants ont vécu en adultes l'immédiat après-guerre. Ils soulignent,quelquefois avec nostalgie, le décalage croissant entre leur perception du relationnelfranco-allemand et celle des jeunes générations. Mais, conscients d'être dépositairesd'un irremplaçable héritage de mémoire, ils reconnaissent leur obligation morale d'ac-compagner cette jeunesse, aujourd'hui sans complexes ni ressentiments, dans saquête d'Europe dont ils sont eux-mêmes les initiateurs.

D'aucuns évoquent la nécessaire « mission de rattrapage » à l'égard des Allemandsdes provinces orientales. Et c'est bien à propos qu'un correspondant rappelle que pour« transcender la réconciliation et aboutir à une véritable communauté franco-allemande» il faudra un consensus fort. Aussi les deux peuples, encore séparés par la doublebarrière de la langue et d'une insuffisance d'affinités, doivent-ils amorcer l'osmose parle biais des intérêts communs. Cette motivation a déjà permis la mise en œuvre del'Union Monétaire, ce dont se félicite la majorité des personnes qui nous écrivent.

L'émergence d'une conscience collective sera le fruit d'une lente maturation. Aussiincontournable que la gravité terrestre en physique, la mondialisation de l'économie estune réalité avec laquelle l'Europe va désormais devoir vivre. A la veille du troisième mil-lénaire, alors que des femmes et des hommes de bonne volonté ont affranchi notreContinent de la fatalité du malheur et que le rêve de Briand et Stresemann se transformeen réalité, la crainte de l'imprévu subsiste chez beaucoup de nos amis. On sent chezeux du regret, face à ce qu'ils perçoivent comme un assoupissement de la relation fran-co-allemande. Ils se montrent inquiets d'un avenir où cette amitié exceptionnelle ne pour-rait plus se révéler le pôle fédérateur ou le dernier recours, en cas de crise grave.

Bref, pour beaucoup des intéressés, l'imbrication de nos deux nations sera assuréequand elle deviendra l'œuvre de la multitude, incarnée aujourd'hui par les échanges

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de jeunes, de fonctionnaires, d'universitaires, par les associations et les comités dejumelage, par les rapprochements industriels, militaires, etc. Elle sera aussi l'aboutis-sement d'épreuves surmontées ou d'aventures de toute nature réussies ensemble.L'OFAJ, ARTE, Eurocopter, le Collège Universitaire Franco-Allemand font déjà, pourbeaucoup de nos concitoyens, partie du patrimoine commun. Il faudra bien aussi,comme nous l'écrit l'un d'eux, sans renier les Nations culturelles, quitter la réalité troubledu patriotisme national pour s'orienter progressivement vers un patriotisme européen.

Ce cheminement franco-allemand volontariste, mais rendu prudent par les enseigne-ments d'une Histoire mouvementée, trouve une forme d'illustration dans cette belle for-mule du grand théologien Karl Rahner que nous devons à l'une de nos correspon-dantes :

« Denn das Kleine ist die Verheißung des Großen

und die Zeit das Werden der Ewigkeit ».

(Car ce qui est petit est annonciateur du grand, et le temps est le devenir de l'Éternité)

Michel Reuillon

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COUP D'ŒIL SUR LES SONDAGES

ans les années 80, l'Institut de Démoscopie d'Allensbach avait inter-rogé un échantillon représentatif de la population allemande sur lahiérarchie de ses affinités étrangères. C'est ainsi qu'en 1982, 26 %

déclaraient leur préférence pour les Autrichiens, 24 % pour les Suisses, lesFrançais arrivent en troisième position avec 16 %. Quatre années plus tard,en 1986, seuls les Français avaient amélioré leur score affectif (+ 3 %) auprèsdes Allemands. Les deux autres nationalités fléchissaient, respectivement à22 et 21 %.

En 1984 et 1985, des sondages révèlent, en effet, l'importance du contextefranco-allemand dans l'opinion publique d'outre-Rhin. Pour 73 % de la popu-lation, la relation privilégiée entre nos deux pays avait toutes les chances dese pérenniser. Seuls 10 % de pessimistes considéraient comme insurmon-tables les obstacles séparant les deux peuples. Les rencontres fréquentesentre F. Mitterrand et H. Kohl sont alors approuvées à 86 %. Et quand les deuxhommes d'État feront le geste puissamment symbolique d'une réconciliationsur les tombes de Verdun, en septembre 1984, 71 % des Allemands recon-naîtront avoir été profondément marqués par cette démarche.

Dans un registre moins grave, l'Allemand moyen fait preuve, à cette époque,d'une étonnante aptitude à l'auto-dérision. Sollicité, en 1988, pour donner sonsentiment sur le pays européen qui, à son avis, engendre le plus de vantards,il répond dans 52 % des cas : l'Allemagne. Viennent ensuite, selon lui, l'Italie(11 %) et l'Angleterre (10 %). Pour 8 % seulement des Allemands interrogés,la vanité serait un travers gaulois. Mansuétude ? Bienveillance ? Rude épreu-ve pour la modestie de nos compatriotes !

Dans un cadre plus général, on notera une nette détérioration, toute provisoire,des opinions allemandes favorables à la France en 1995. Peut-être la reprisedes essais nucléaires n'y était-elle pas totalement étrangère ?

En mars 1996, pour 86 % des Français et 81 % des Allemands, l'entente fran-co-allemande jouera un rôle décisif dans l'avenir de l'Europe. Un sondageeffectué simultanément en France et en Allemagne montre que les opinionspubliques des deux pays sont convaincues du rôle moteur de l'entente franco-allemande dans la construction européenne. D'un côté comme de l'autre, onest convaincu de la nécessité de passer à une étape plus volontariste de l'in-tégration européenne. Il faut aussi élargir le champ des décisions pouvant êtreprises à la majorité des États-membres. Mais que penser de ce sondage, mi97, où 60 % des Allemands (dont 77 % de moins de 30 ans) tiennent l'amitiéfranco-allemande pour un mythe, ou une pseudo-réalité n'existant que dans

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MICHEL REUILLON

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DOSSIER

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la tête des hommes politiques ? Assez curieusement, la jeunesse des deuxpays ne se montre pas favorable à une coopération bilatérale trop exclusive.En Allemagne 62 % des 18 à 29 ans, en France 51 % des 18 à 34 ans sontopposés à toute manifestation dominatrice des deux pays, vis-à-vis de leurspartenaires européens. Et ne glisse-t-on pas insensiblement vers la contradic-tion, quand 54 % des Allemands citent spontanément la France, lorsqu'on leurdemande de nommer le pays avec lequel les relations sont les meilleures ?

L'amitié franco-allemande est-elle déconnectée de la conjoncture ? En dépitde toutes les crises, ce mariage de raison s'est épanoui au fil de quatre décen-nies, avec des hauts et des bas, même s'il est vrai qu'il faut quelquefois s'op-poser âprement pour finalement se dégager des « impasses », et des « spi-rales de malentendus » afin de pouvoir gravir ensemble une marchesupplémentaire, grâce à un nouveau compromis.

Et récemment, l'histoire apportait de l'eau au moulin des volontaristes euro-péens. Alors que le scepticisme sur la pertinence de la monnaie unique ali-mentait, fin 1997, l'essentiel des débats, les bouleversements financiers enAsie et en Russie ont balayé de nombreux doutes. L'Euro en gestation est sou-dain apparu comme un bouclier protecteur de nos économies.

A lire certaines enquêtes récentes on se prend à regretter les blocages detoutes sortes qui empêchent la mise en œuvre de projets majoritairement sou-tenus par les opinions publiques. Ainsi, fin 1997, 76 % des Français et 67 %des Allemands préconisaient l'instauration d'une année scolaire en Allemagne,pour les lycéens français, et réciproquement. Et l'idée de l'enseignement géné-ralisé de l'allemand dans toutes les écoles françaises et du français en Alle-magne, recueillait un avis favorable de 54 % des personnes interrogées dansl'hexagone, 45 % outre-Rhin.

Car l'envie de vivre ensemble suppose que les relations entre les personnespuissent un jour transcender la langue et la culture. Et comment se fondre dansla culture de l'autre sans maîtrise de sa langue ? ■

Références :- Allensbacher Jahrbuch der Demoskopie 1984-1992 et 1993-1997

- Frankfurter Rundschau n° 76 du 29.03.96

- Le Monde du 29.03.96

- Die Woche du 27.06.97

- Passauer Neue Presse du 28.06.97

- Süddeutsche Zeitung du 04.07.97

- Bonner Rundschau du 12.07.97

- L'Expansion n° 561 du 20.11.97

- UE - Euro sondage du 15.01.98

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