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G.R.A.L.E Groupement de Recherches sur l’Administration locale en Europe
LES REGIONS ENTRE L’ETAT ET LES COLLECTIVITES LOCALES
ETUDE COMPARATIVE DE CINQ ETATS EUROPEENS A AUTONOMIES REGIONALES OU CONSTITUTION FEDERALE
(ALLEMAGNE, BELGIQUE, ESPAGNE, ITALIE, ROYAUME-UNI)
Gérard Marcou Professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Directeur du GRALE
Avec le concours de : Alistair COLE, professeur à l’Université de Cardiff Sabine KÜHLMANN, Université Humboldt de Berlin Xavier PADRÓS, Professeur associé à l’Université de Barcelone José Manuel RODRÍGUEZ ÁLVAREZ, professeur associé à l’Université autonome de Madrid Joaquín TORNOS MÁS, professeur à l’Université de Barcelone Luciano VANDELLI, professeur à l’Université de Bologne Hellmut WOLLMANN, professeur émérite à l’Université Humboldt de Berlin Partie 1
MINISTERE DE L’INTERIEUR
Centre d’Etudes et de Prévision Janvier 2003
RESUME
Le but de ce Rapport est de délivrer une information synthétique sur les institutions régionales des pays voisins avec lesquels on compare le plus souvent la situation de la France, et de la rendre intelligible par l’analyse comparative. Dans aucun des pays retenus on ne peut comprendre les institutions régionales en dehors du système dans lequel elles s’inscrivent, dans la mesure où elles affectent l’organisation générale de l’Etat. Le Rapport comporte cinq sections : I. Les institutions régionales II. Les compétences III. Les pouvoirs régionaux et les collectivités locales IV. Les finances régionales V. Pouvoirs régionaux et gouvernabilité I. Les institutions régionales L’Etat fédéral et l’Etat à autonomies régionales forment deux types d’Etats distincts, même si des convergences peuvent être observées. A la différence de l’Etat fédéral, dans l’Etat à autonomies régionales les régions ne participent pas à la politique nationale ; le système allemand, en particulier a l’avantage d’obliger les Länder à partager la responsabilité des affaires fédérales. L’Etat à autonomies régionales repose sur la consécration institutionnelle des particularismes, et il est donc fondé sur un principe de différenciation, alors que l’Etat fédéral repose sur l’égalité de droits et de statut des composantes de la fédération. Mais la dynamique régionaliste peut aussi dominer les institutions d’un Etat fédéral comme le montre l’exemple de la Belgique. Des manifestations contradictoires peuvent coexister dans un même Etat, comme c’est le cas en Espagne, où les institutions et les compétences sont devenues plus homogènes mais où l’autonomie croissante des régions n’a pas désarmé les courants régionalistes. L’exploitation politique du thème de l’autonomie au-delà des facteurs d’unité que maintient le fédéralisme est illustré par le nouveau projet de révision constitutionnelle adopté par le Sénat italien à la fin de 2002, et qui conduirait à mettre en cause la garantie de l’Etat dans des compétences essentielles à la réalisation des droits fondamentaux. L’organisation territoriale des Etats fédéraux comme des Etats à autonomies régionales est caractérisée par des inégalités démographiques et géographiques considérables et (sauf dans le cas de la Belgique) plus marquées qu’en France. Le nombre des niveaux d’administration est le même dans tous les pays étudiés (mais pas sur toutes les parties du territoire), mais la France se distingue de ses voisins par leur statut. Contrairement à ce que l’on écrit souvent, le statut des îles suit le régime de l’organisation territoriale du continent ; la seule véritable exception est le Portugal. L’Etat central dispose d’une administration territoriale qui lui est propre pour l’exercice de ses compétences en Italie et en Espagne, mais cette administration se réduit avec les compétences de l’Etat. Alors qu’elle a été renforcée en Angleterre, la devolution conduit à sa quasi disparition en Ecosse et au Pays de Galles. En Allemagne, l’administration territoriale d’Etat est celle du Land, et elle conserve un rôle important dans les grands Länder. Les institutions régionales tendent à reproduire le schéma constitutionnel de l’Etat central. Cette homogénéité reflète le glissement des attributs de l’Etat sur les pouvoirs régionaux.
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Depuis 2001 les exécutifs wallons et flamands portent le titre de « gouvernement ». Seule l’Italie fait exception ; l’élection au suffrage direct des présidents de région répond à celle des maires, dans lesquels les premiers voient aussi des concurrents. Les régions font assez largement usage de leur pouvoir législatif, avec des différences importantes entre les pays et dans le même pays. C’est en Italie que la législation régionale paraît la plus importante, et c’est en Allemagne et au Royaume-Uni que la suprématie de la loi nationale paraît la mieux garantie. II. Les compétences Les principes de répartition des compétences sont très différents entre les cinq Etats étudiés. Les cours constitutionnelles ont eu une influence en général favorable à l’unité de l’ensemble et au pouvoir central, sauf en Espagne où la jurisprudence du Tribunal constitutionnel a été comparativement plus favorable aux autonomies. L’évolution des dispositions constitutionnelles et de la pratique témoigne de la tendance à l’imbrication et à l’interdépendance des compétences. Dans les cinq pays, les autorités régionales ont la gestion du système de santé, la gestion du système éducatif, la voirie, ainsi que la compétence législative, au moins partielle, sur ces secteurs ainsi qu’en matière d’urbanisme et de construction, et sur le régime et les finances des collectivités locales. L’étude du cas de la Belgique confirmerait cette observation : les deux derniers domaines sont de la compétence des régions, les trois premiers domaines sont de la compétence des communautés. Bien que l’Allemagne soit un Etat fédéral, elle est sans doute celui des cinq pays dans lequel l’unité du système juridique est la plus forte. Cela résulte de la quasi absence des particularismes régionaux de la scène politique ; elle-même peut-être le résultat du système fédéral qui la rendrait sans objet. Cette unité du système juridique est aussi la conséquence de la centralisation de la compétence législative qui s’est opérée progressivement depuis les années 50. Les autorités régionales ou fédérées de ces pays ont un niveau de dépenses publiques élevé qui s’explique par les coûts en personnel du système de santé et du système éducatif. Mais le poids relatif de ces fonctions reflète aussi des différences importantes dans leur organisation et leur financement (notamment en fonction l’existence d’un système séparé de financement des soins par la sécurité sociale – les caisses de maladie en Allemagne - ou non – Royaume-Uni ; en Ecosse et au Pays de Galles, la plus grande partie des dépenses scolaires est du ressort des autorités locales, de sorte que dans la présentation des budgets régionaux n’apparaissent que les dépenses directes). Corrélativement la part des dépenses d’investissement dans le total des dépenses publiques des régions ou entités fédérées est relativement faible, même si elle demeure en valeur absolue à un niveau élevé. La comparaison avec la France des niveaux de dépenses par habitant en euros entre ces différentes autorités régionales ou fédérées, rapprochées des dépenses des collectivités locales permet de mieux comprendre les différences.
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Dépenses totales / hab. (euros) Dépenses d’investissement / hab.
(euros)
Niveau régional Niveau local Niveau régional Niveau local France (2001) 206 2058 115 695 Allemagne (2001) 3127 1810 467 365 Italie (1999) 1650 1070 270 300 Espagne (2001) 2117 1200 406 297 Sources : Ministère de l’Intérieur (DGCL) ; Bundesministerium der Finanzen, Finanbericht 2003 ; Ministerio de las Administraciones públicas ; ISTAT ; traitement des données par l’auteur.
La lecture du tableau impose aussi certaines précautions. On ne peut pas additionner les dépenses régionales et les dépenses locales, car il existe des transferts assez importants, notamment en Allemagne, en faveur des collectivités locales. Il existe aussi des transferts à l’intérieur du niveau local, mais en France l’analyse des budgets des départements permet de penser que leur impact sur l’estimation ci-dessous est pratiquement limité aux dépenses d’investissement et ne peut dépasser 8% de celles-ci1. Les régions et Länder ont des budgets considérablement plus élevés que ceux des régions françaises ; cela s’explique par le transfert de nombreuses fonctions qui sont en France du ressort de l’Etat, et s’exercent au niveau régional et local par l’intermédiaire des services de l’Etat ou d’établissement publics qui en dépendent directement ou indirectement. En Allemagne, comme en Italie et en Espagne, la majeure partie des charges administratives tend à être exercée par Länder ou les régions ; c’est encore davantage le cas en Belgique. En revanche, les dépenses publiques du niveau local sont sensiblement plus importantes en France : cela concerne les fonctions des communes, des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (car leur financement n’est pas assuré par des transferts des communes) et des départements ; près de 70% en sont assurées par les communes et les établissements de coopération intercommunale à fiscalité propre. Cette observation générale est renforcée par l’analyse des dépenses d’investissement. D’une part, l’écart des régions françaises par rapport à leurs homologues des pays voisins est beaucoup moindre ; d’autre part, la capacité d’investissement est beaucoup plus dynamique au niveau local en France que dans les pays voisins. Or l’investissement est un bon indicateur de la capacité d’action des collectivités territoriales. Alors que les dépenses courantes sont dans une large mesure des dépenses liées, les investissements reflètent des choix. La comparaison entre la France et les pays voisins ne donne donc pas des résultats univoques: moins décentralisée en termes budgétaires au niveau régional, la France l’est au contraire plus que ses voisins au niveau local. III. Les pouvoirs régionaux et les collectivités locales Les relations entre pouvoirs régionaux et collectivités locales dans les Etats fédéraux ou à autonomies régionales présentent des aspects particuliers qui ont été longtemps ignorés ou sous-estimés. L’un des éléments de la distinction entre l’Etat fédéral et les Etats à autonomies régionales porte sur le partage des compétences relatives aux collectivités locales (supra : I,1 1 D’après l’analyse des budgets primitifs des départements, publiée par la DGCL, les subventions d’investissement des départements dépassent 4 milliards d’euros, mais les communes et les intercommunalités n’en sont pas les seules bénéficiaires.
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in fine). Dans les Etats fédéraux, la compétence relative au régime administratif des collectivités locales est en général une compétence exclusive des entités fédérées, tandis que dans les Etats à autonomie régionale cette compétence est partagée entre le législateur fédéral et le législateur régional. En elle-même, l’attribution de la compétence n’a pas d’incidence sur le régime des collectivités locales, et une comparaison internationale des institutions communales et de leurs compétences peut dans une large mesure faire abstraction de la forme de l’Etat. Celles-ci puisent en général à des origines bien plus anciennes que l’organisation actuelle de l’Etat. En revanche l’exercice de la compétence affecte directement les relations entre les collectivités locales et les pouvoirs régionaux, surtout lorsque s’y ajoute le pouvoir de légiférer sur le régime des finances locales. Or, la dynamique de ces relations favorise la tutelle des pouvoirs régionaux sur les collectivités locales, lesquelles deviennent pour eux, comme l’organisation et le développement de leur territoire, un objet de politique publique. Le Conseil de l’Europe a reconnu l’existence de ce problème depuis 1995. Ces tutelles s’expriment dans les domaines de la compétence matérielle des pouvoirs régionaux davantage que dans l’exercice de la tutelle administrative. Mais celle-ci ne doit pas être considérée comme une survivance du passé, surtout lorsque, à la faveur du management public, elle prend des formes nouvelles. Les instruments de contrôle de performance associés à la mise en œuvre des politiques régionales peuvent nourrir la tutelle régionale sur les communes, comme celle de l’Etat dans un cadre unitaire. L’aménagement et l’urbanisme sont des domaines particulièrement exemplaires des tutelles qui résultent de l’étendue des compétences régionales en ces matières à l’égard des compétences traditionnelles des communes, et cela dans les cinq pays étudiés. En outre, on observe souvent un conflit d’institutions entre pouvoirs régionaux et pouvoirs urbains, les pouvoirs régionaux ayant tendance à traiter les grandes villes comme le siège de pouvoirs rivaux. En Espagne, les aires métropolitaines ont été supprimées par des lois régionales. En Italie, les maires des grandes villes, élus au suffrage direct, sont les rivaux des présidents de région ; les villes métropolitaines qui devaient être mises en place par les régions depuis 1990 n’ont pas vu le jour ; depuis 1999 la création des villes métropolitaines est entre les mains des communes, mais leur inscription dans la constitution en 2001 ne garantit pas encore leur avenir. En Ecosse et au Pays de Galles, les pouvoirs régionaux s’appuient sur les petites villes qu’ils favorisent et sont en conflit avec la capitale régionale (Glasgow et Cardiff). En Allemagne, la situation est différentes, mais les villes contestent la prétention des Länder à représenter les intérêts régionaux dont elles estiment être les vrais interprètes. Des mécanismes de compensation au profit des communes ont été recherchés : recours constitutionnels en Allemagne et en Espagne, formes de représentation des communes auprès des autorités régionales en Italie, mais aussi au Pays de Galles ; rôle des associations de collectivités locales (Allemagne, Ecosse), recherche d’une négociation entre association de collectivités locales et pouvoir régional sur des transferts de compétences (Espagne). Mais les résultats sont aléatoires. IV. Les finances régionales Les finances régionales sont abordées sous deux aspects : l’autonomie financière et la péréquation, et celle-ci est étudiée entre les régions et au sein des régions entre les collectivités locales.
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En ce qui concerne l’autonomie financière, on est en présence de situations qui sont, tendanciellement plutôt que présentement, très contrastées. Initialement le pouvoir fiscal des régions (autonomies régionales ou entités fédérées) est faible ou inexistant, et leurs ressources proviennent principalement de dotations de l’Etat ou du partage du produit d’impôts nationaux. Cependant, l’Espagne, la Belgique et l’Italie s’orientent vers l’établissement d’un pouvoir fiscal régional important. La faiblesse du pouvoir fiscal s’explique par deux raisons : d’une part, la nécessité pour les gouvernement nationaux de contrôler l’évolution globale des dépenses publiques ; d’autre part la volonté de maintenir une certaine égalité des citoyens devant les services publics qui sont assurés par les pouvoirs régionaux. Ce sont les Etats où la dynamique de l’autonomie régionale est la plus forte qui s’orientent vers la concession par l’Etat d’un pouvoir fiscal important au niveau régional. Pourtant la mise en œuvre est prudente et pour le moment très en deçà de ce que la loi promet. Il n’est pas sûr que les pouvoirs régionaux soient prêts à assumer politiquement un réel pouvoir fiscal. La péréquation, généralement admise dans son principe, est souvent contestée dans ses modalités. En fait, elle est controversée dès que les montant sont importants et que les payeurs sont identifiés. Cela est illustré par les difficultés récentes de la péréquation entre les Länder en Allemagne, dont le système est celui qui est le plus cohérent et le plus clair dans sa conception, mais que le volume des transferts expose aujourd’hui aux critiques. En ce qui concerne les collectivités locales, on est en présence de deux types de situations contrastées : en Italie et en Espagne, les dotations aux collectivités locales proviennent essentiellement de l’Etat, et les régions pèsent donc peu sur les budgets locaux, sauf au travers des cofinancements; en Allemagne, en Ecosse, au Pays de Galles et en Belgique, en revanche, le financement des collectivités locales, et donc la péréquation entre elles, relève des pouvoirs régionaux. V. Pouvoirs régionaux et gouvernabilité Les Etats fédéraux et les Etats à autonomies régionales révèlent dans leur fonctionnement politique des difficultés qui sont rarement prises en compte. En effet, l’extension indéfinie des compétences dévolues aux pouvoirs régionaux dans les pays étudiés révèle a contrario le besoin d’unité de l’action publique dans certains domaines. Cela concerne aussi la scène européenne, à l’égard de laquelle la concurrence des pouvoirs régionaux et étatiques complique déjà certaines procédures plus qu’il n’est nécessaire. L’alourdissement des procédures est ainsi l’un des effets à mettre en balance avec les bienfait prêtés à l’autonomie régionale. Ce qu’on appelle le fédéralisme coopératif résulte du besoin de politiques nationales dont la formulation comme la mise en œuvre se trouvent dans une large mesure dans la dépendance des pouvoirs régionaux. Cela conduit à la mise en place d’organes et de procédures complexes qui visent à produire un accord ou un consensus entre le pouvoir central et les pouvoirs régionaux. Au travers des « missions communes » de la Fédération et des Länder et 13 conférences ministérielles de la Fédération et des Länder il n’est pas un seul domaine de la politique nationale qui n’ait à être négocié ; le Bundesrat est dans une certaine mesure un correctif, car il impose aux gouvernements des Länder de prendre leurs responsabilités au niveau fédéral. Le système espagnol paraît encore plus fragmenté. On estime qu’il existe aujourd’hui environ 400 organismes mixtes dans lesquels se délibèrent et se négocient les politiques, les projets ou les financements. De plus il est devenu
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habituel que toute loi nouvelle, quelle qu’en soit l’objet, prévoit la création d’un conseil représentatif des communautés autonomes. Au Royaume-Uni, la devolution s’est accompagnée de la signature de 23 « concordats » et d’un accord entre le gouvernement britannique et les trois pouvoirs régionaux, définissant des codes de bonnes pratiques dans les relations entre les administrations nationales et régionales ; ces concordats et cet accord ne sont pas juridiquement contraignants mais il est rappelé dans le Memorandum of Understanding que le parlement de Westminster reste seul souverain et pourrait légiférer dans les matières transférées, bien qu’il s’engage à éviter normalement de le faire. Ce mode de production des politiques publiques conduit à ce que certaines d’entre elles puissent devenir impossibles et disparaître. Il est ainsi caractéristique de tous les pays étudiés qu’aucun d’entre eux n’ait plus de politique nationale d’aménagement du territoire. L’Etat central peut intervenir au plus par les investissements qu’il contrôle encore, mais l’essentiel des capacités d’investissement et tous les pouvoirs de planification spatiale sont entre les mains des pouvoirs régionaux et locaux, et au travers d’instances qui favorisent l’échange d’informations et d’expériences. Le transfert aux pouvoirs régionaux de l’essentiel des pouvoirs relatifs à l’utilisation des fonds structurels européens a eu pour effet de renforcer cette évolution et le dessaisissement du pouvoir central. D’autres politiques, justifiées par l’objectif d’assurer une certaine égalité entre les citoyens dans la réalisation de droits fondamentaux, peuvent également être rendues plus difficiles, notamment en matière éducative et en matière sociale. En effet, le principe d’égalité et la garantie des droits fondamentaux, risquent de souffrir, non seulement en fait mais également en droit, de l’abandon aux pouvoirs régionaux de certaines des missions et des prérogatives de l’Etat. On peut noter en Italie que l’extension des compétences régionales en matière scolaire aboutit à des différences de traitement très sensibles des établissements privés et de leurs élèves par rapport à l’enseignement public selon les régions. De même, dans le domaine de l’action sociale en faveur des personnes âgées, l’ampleur des disparités qui sont apparues entre les régions a conduit à l’adoption en 2000 d’une loi-cadre nationale qui rend à l’Etat la responsabilité du financement de cette compétence ; mais l’application de cette loi pourrait être remise en cause par la nouvelle répartition des compétences introduite par la révision constitutionnelle de 2001. Enfin, on peut observer en Espagne que les législations régionales relatives aux conditions de mise en œuvre de l’expropriation dans les domaines de la compétence des régions se traduit par une inégalité effective des garanties données aux propriétaires, entre régions et selon que l’expropriation relève de la compétence régionale ou au contraire relève de la compétence de l’Etat.
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LES REGIONS
ENTRE L’ETAT ET LES COLLECTIVITES LOCALES
ETUDE COMPARATIVE DE CINQ ETATS EUROPEENS
A AUTONOMIES REGIONALES OU CONSTITUTION FEDERALE
(ALLEMAGNE, BELGIQUE, ESPAGNE, ITALIE, ROYAUME-UNI)
L’idée de décentralisation a longtemps été associée à l’institution de la commune. On
connaît la place que la commune a tenue dans les débats politiques français depuis la
Révolution, et se souvient des pages de Tocqueville sur la commune « école de la
démocratie ». Ce n’est pas une singularité française, mais une donnée commune à tous les
Etats européens, de la Suède à l’Italie. Elle est liée, tout à la fois, au rôle des villes dans la
civilisation européenne, à l’émancipation de la paysannerie et à l’influence des églises dans
l’encadrement de la société. Ce sont aussi ces trois facteurs qui expliquent les divers modèles
d’organisation communale que l’on peut dégager.
Depuis un peu plus d’une trentaine d’années, la région paraît s’imposer comme le
nouveau paradigme de l’organisation territoriale et la nouvelle frontière de la décentralisation.
La réalité est plus complexe, et il s’avère impossible d’en dégager une notion institutionnelle
de la région qui puisse s’appliquer à tous les Etats de l’Union européenne2. C’est pourquoi le
comité des régions n’a pu être institué par le traité de Maastricht qu’en s’ouvrant à l’ensemble
des collectivités locales ; l’élargissement de l’Union européenne ne pourra qu’accentuer cette
hétérogénéité.
La commodité de langage qu’offre le mot région masque la grande hétérogénéité des
institutions que l’on désigne ainsi. Les Länder allemands ne peuvent être compris comme de
grosses régions ou une manifestation exemplaire de la décentralisation. On ne peut pas non
plus considérer que des régions fortes ou une organisation fédérale signifient nécessairement
plus de décentralisation, comme si la région était le « stade suprême » de la décentralisation ;
elles peuvent en effet s’accompagner d’une tendance à la centralisation au niveau régional.
2 Parlement européen – Direction générale des Etudes (2000), La régionalisation en Europe, rapport rédigé par Gérard Marcou, Luxembourg, REGI 108 FR rév.1, en particulier pp.9 suiv. Spécifiquement sur l’Europe centrale et orientale : Parlement européen - Direction générale des Etudes (2002), Les structures régionales dans les pays candidats et leur compatibilité avec les fonds structurels (Europe centrale et orientale), Rapport rédigé par Gérard Marcou, Luxembourg, , STOA 105 FR, septembre, 150 pages.
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Le but de ce rapport est de délivrer une information synthétique sur les institutions
régionales des pays voisins avec lesquels on compare le plus souvent la situation de la France,
et de la rendre intelligible par l’analyse comparative. Bien entendu, dans aucun des pays
retenus on ne peut comprendre les institutions régionales en dehors du système dans lequel
elles s’inscrivent ; dans la mesure où elles affectent l’organisation générale de l’Etat,
l’analyse de leurs rapports avec l’Etat central sera constamment présente dans les cinq
sections qui suivent. Après avoir présenté les institutions régionales (I), on étudiera les
compétences (II), puis trois aspects des relations entre les différents niveaux qui présentent un
intérêt particulier dans les Etats fédéraux ou connaissant un régime d’autonomies régionales :
les relations entre les pouvoirs régionaux et les collectivités locales (III), les finances
régionales (IV) et enfin l’incidence du renforcement des pouvoirs régionaux sur la
gouvernabilité, à partir de l’analyse des relations de coopération ou de coordination entre le
pouvoir central et les pouvoirs régionaux et des inégalités de droit ou de fait dont peut
s’accompagner le renforcement des pouvoirs régionaux (V). C’est ce qui forme l’essentiel de
la matière de ce qu’on a appelé d’après la terminologie américaine les « relations
intergouvernementales » dans l’Etat fédéral, expression transposable dans les Etats à
autonomies régionales.
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I. LES INSTITUTIONS REGIONALES
Les Etats étudiés peuvent se ranger dans deux catégories distinctes : les Etats à
autonomies régionales (Espagne, Italie, Royaume-Uni) et les Etats fédéraux (Allemagne,
Belgique). Mais les différences sont encore très grandes dans chaque catégorie, et les
situations parfois évolutives. Sauf en Belgique, il existe de très grandes disparités
géographiques entre les « régions ». L’organisation territoriale fait aussi apparaître des
options différentes en ce qui concerne l’administration d’Etat et la déconcentration, lesquelles
paraissent conserver une place plus importante en Allemagne et en Espagne que dans les
autres pays, mais aussi en Angleterre proprement dite. Dans les cinq pays, le fédéralisme ou
l’autonomie régionale se traduisent non seulement par le transfert de pouvoirs constitutifs de
la puissance de l’Etat (notamment le pouvoir de faire des lois), mais aussi par le transfert, sauf
en Italie, du type de gouvernement qui est celui de l’Etat : dans tous les cas on retrouve au
niveau des entités fédérés et des régions un régime parlementaire. Les contrôles exercés sur
ces autorités et leurs actes sont bien entendus conditionnés et limités par leur rang
constitutionnel.
1. Le cadre constitutionnel
En dehors du Royaume-Uni qui n’a pas de constitution écrite, les Etats étudiés se
distinguent d’Etats unitaires, non pas par le fait que la constitution reconnaît les régions et en
définit la place dans l’Etat, mais par un partage des attributs de la souveraineté de l’Etat. Cela
s’exprime dans la constitution par la dévolution d’un pouvoir législatif plus ou moins étendu,
par le partage des compétences entre l’Etat et les entités régionales ou fédérées (ou en
Belgique le renvoi à une législation spéciale) et par l’intervention d’un juge constitutionnel
pour régler les litiges d’ordre juridique susceptibles de survenir entre l’Etat central et ces
entités. Celles-ci ne peuvent donc pas être considérées comme des collectivités locales ou
territoriales au sens où l’entendent la constitution française ou la constitution d’autres Etats
unitaires (par exemple, les Pays-Bas ou la Pologne).
Le Royaume-Uni se distingue par le fait que la dévolution d’un pouvoir législatif
étendu au parlement écossais par la loi sur l’Ecosse n’affecte pas le pouvoir du parlement du
Royaume-Uni de légiférer sur l’Ecosse, même dans les matières transférées dans la
compétence matérielle du parlement écossais (Scotland Act 1998, s.28(7)). C’est la
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conséquence du fait que selon la constitution britannique le parlement de Westminster est le
titulaire exclusif de la souveraineté, et cette souveraineté est illimitée. Ce qui pourrait être
considérée comme une réserve de pure forme, eu égard à l’importance des pouvoirs
transférés, ne l’est pas tout à fait : en 1972, le parlement britannique a supprimé le parlement
de Stormont en Irlande du Nord, lequel était aussi un parlement doté de pouvoirs législatifs.
Le Northern Ireland Act 1998 établit une Assemblée d’Irlande du Nord dont les pouvoirs
législatifs et les compétences matérielles sont proches de ceux du parlement écossais ; il a été
suspendu de février à juin 2000 par le gouvernement britannique (décision du secrétaire
d’Etat). Précisons que le statut du Pays de Galles n’établit pas une autonomie régionale, mais
un forme particulière de décentralisation régionale : selon le Government of Wales Act 1998,
l’« Assemblée nationale du Pays de Galles » n’exerce aucun pouvoir législatif, ni même
fiscal3 ; elle exerce en revanche des compétences matérielles étendues, pour lesquelles elle
dispose d’un pouvoir réglementaire subordonné.
La doctrine constitutionnelle et politique britannique désigne couramment ces
réformes par le mot « devolution ». Cette notion assez imprécise est apparue à la fin du
XIXème siècle avec le mouvement indépendantiste irlandais, auquel on tenta de répondre par
un régime d’autonomie interne poussée (Home Rule). La devolution correspond ainsi au
transfert de larges pouvoirs à une assemblée politique pour la gestion des affaires intérieures,
et peut être comparée, dans cette mesure, à l’autonomie régionale telle qu’elle se rencontre en
Italie et en Espagne. Mais elle ne se définit comme une régionalisation que par analogie avec
des expériences étrangères, comme on l’admettra ici. D’une part, elle assume et consacre le
caractère multinational du Royaume-Uni ; d’autre part, la notion de région a été utilisée au
Royaume-Uni dans des sens différents, liés aux politiques de développement régional.
Quoi qu’il en soit, il existe quelques différences essentielles entre l’Etat fédéral et
l’Etat à autonomies régionales.
Tout d’abord, les autonomies régionales ont été instituées dans des Etats unitaires,
dont la structure est ainsi remise en cause, puisque le pouvoir législatif et le pouvoir
gouvernemental sont divisés et partagés entre l’Etat central et les régions. Au contraire, l’Etat
fédéral procède d’une union d’Etats ; il n’exprime pas la volonté de protéger l’autonomie des
composantes mais celle d’établir une puissance supérieure capable de faire prévaloir les
intérêts communs ; le statut des Etats fédérés ne résulte pas de pouvoirs conquis sur l’Etat
central mais d’un abandon de souveraineté au profit de l’Etat fédéral (même si la constitution
3 Les nuances de vocabulaire ont un sens : il s’agit d’une loi sur l’ « administration du Pays de Galles » et non d’une loi sur le Pays de Galles (comme la loi sur l’Ecosse).
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affirme symboliquement le contraire, comme la nouvelle constitution fédérale de la Suisse)4.
C’est aussi le cas en Allemagne : le fait que la structure fédérale ait été imposée au lendemain
de la guerre par les Alliés ne peut faire oublier que le libéralisme allemand du 19ème siècle
adhérait au fédéralisme (voir le parlement de Francfort en 1849) ; le régime nazi a
duré seulement (si l’on ose dire) douze ans et la reconstruction de l’Etat a commencé dans les
zones d’occupation par l’administration et les institutions des Länder. Il existe certes des Etats
fédéraux qui sont nés d’Etats unitaires : notamment l’Autriche (constitution de 1920,
transformant les Länder en Etats fédérés), et la Belgique (constitution de 1994), ainsi que la
Russie (constitution de 1993). Mais ils connaissent des logiques et des évolutions
institutionnelles conditionnées par leur mode de formation : l’évolution institutionnelle de la
Belgique demeure caractérisée par la poussée du régionalisme, et le choix d’un constitution
fédérale n’a pas stabilisé la situation ; l’Autriche au contraire paraît relativement centralisée ;
les deux mouvements sont à l’œuvre dans les institutions de la Fédération de Russie. En tout
état de cause, cependant, les Etats fédéraux qui ont démontré leur stabilité sont ceux dans
lesquels les pouvoirs fédérés ne correspondent pas à l’institutionnalisation des
particularismes.
En second lieu, l’Etat fédéral se caractérise par l’existence d’un double pouvoir
constituant. En effet, en dehors de la constitution fédérale chaque membre de la Fédération est
dotée de sa propre constitution, qui en organise les pouvoirs publics mais contient aussi des
dispositions normatives qui s’imposent au législateur. Ces constitutions doivent respecter la
constitution fédérale et en règle générale d’ailleurs l’intégralité du droit fédéral (c’est
explicitement le cas en Allemagne ou en Suisse), mais elles sont édictées par le seul pouvoir
constituant, bien qu’elles doivent respecter des prescriptions minimales fixées par la
constitution fédérale. Au contraire, dans les Etats à autonomies régionales, les régions sont
régies par un statut qui doit être approuvé par le législateur national, quand bien même son
contenu serait élaboré par la région. Tel est le cas en Espagne, où le statut de chaque
communauté autonomie donne lieu à une loi organique, de même que sa révision art.147 et
152), au Royaume-Uni où c’est la loi de Westminster qui établit les statuts d’autonomie ; tel
était le cas en Italie selon la Constitution de 1947 pour les régions à statut ordinaire.
Toutefois, la distinction doit être nuancée. Dans les Etats fédéraux le pouvoir fédéral aurait les
moyens de faire échec à des constitutions contraires au droit fédéral, mais l’exemple de la
Russie montre qu’il peut être difficile d’y parvenir (voir la constitution de la République du
4 Constitution du 18 avril 1999, art.3 : « Les cantons sont souverains en tant que leur souveraineté n’est pas limitée par la Constitution fédérale et exercent tous les droits qui ne sont pas délégués à la Confédération ».
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Tatarstan de 1994) ; d’autre part, les statuts tendent à se rapprocher de l’expression d’un
pouvoir constituant. En Espagne, le Tribunal constitutionnel a jugé que la loi de l’Etat ne peut
s’interposer entre la Constitution et les statuts des communautés autonomes, faisant ainsi de
ceux-ci l’expression d’un droit constitutionnel dérivé ; du moins l’exigence de la loi
organique pour leur introduction ou leur révision demeure-t-elle. En Italie, la révision
constitutionnelle du 18 octobre 2001 a changé les règles : désormais le statut de chaque région
est adopté par le conseil régional puis soumis à référendum régional, mais n’est plus soumis à
l’approbation d’une loi nationale ; le gouvernement peut seulement saisir la Cour
constitutionnelle (art.123) ; toutefois, chacune des régions à statut spécial demeure régie par
une loi constitutionnelle.
Troisièmement, dans les Etats fédéraux, la constitution organise la participation des
membres à l’exercice du pouvoir fédéral, en général à l’exercice du pouvoir législatif. En
Allemagne le Bundesrat est une représentation des gouvernements des Länder qui participe
au pouvoir législatif mais aussi à l’administration de la Fédération et aux affaires de l’Union
européenne (art. 50). En Autriche, c’est une représentation des diètes des Länder (Landtage).
En Belgique, le Sénat tel qu’il a été réformé par la constitution de 1994 se compose de
sénateurs élus au suffrage direct respectivement par le collège néerlandophone et par le
collège francophone, et de sénateurs élus respectivement par le conseil flamand et par le
conseil de la communauté wallonne. En revanche, les constitutions des Etats à autonomie
régionale n’organisent pas la participation des régions à la politique nationale. En Italie le
Sénat est élu dans le cadre des régions au suffrage universel direct, le nombre de sénateur
étant proportionnel à la population ; la région n’est ici en fait qu’une circonscription
électorale. En Espagne, le Sénat est la chambre de la représentation territoriale (art.69.1) : 208
sénateurs sont élus au suffrage direct dans le cadre des provinces et des îles, sur une base
égalitaire, et 50 sont élus par les parlements des communautés autonomes, en proportion de
leur population ; on a cherché à renforcer le poids des communautés autonomes avec la
réforme du règlement du Sénat en 1994, qui a institué une commission dont la majorité des
membres représente les communautés autonomes et cette commission fonctionne comme « un
petit sénat dans le Sénat », mais ses pouvoirs sont par définition limités (E. Aja)5. Au
Royaume-Uni, aucune représentation de l’Ecosse n’est associée à la politique nationale,
même si, pour des raisons historiques, l’Ecosse est sur-représentée à la chambre des
Communes6. Il est toutefois prévue de mettre fin à ce qui apparaît désormais comme une
5 El estado autonomico. Federalismo y hechos diferenciales, Madrid, Alianza Editorial, 1999, p.146. 6 Ce fut une compensation accordée à l’Ecosse au moment de l’Acte d’Union, en 1701.
12
anomalie, et le nombre des députés élus dans des circonscriptions écossaises devrait être
réduit de 72 à 59 environ, pour que l’égalité de représentation soit respectée dans l’ensemble
du Royaume-Uni ; on se doute qu’un tel changement n’est pas sans portée politique, étant
donné que le parti conservateur n’a plus un seul député au nord du mur d’Hadrien.
Enfin, et peut-être surtout, les Etats fédéraux sont fondés sur l’égalité de droit et de
statut de tous les membres de la fédération ; aucun membre de la fédération ne peut avoir des
pouvoirs ou des compétences matérielles plus étendus que les autres. Au contraire, les Etats à
autonomies régionales reposent sur l’institutionnalisation et la garantie constitutionnelle de
certains particularismes. Ils tendent donc à la différenciation des statuts et des pouvoirs. En
Italie, la constitution distingue ainsi depuis 1947 les régions à statut spécial, au nombre de
cinq, les seules qui furent mises en place dès la fin de la guerre, et les régions dites à statut
ordinaire, qui ne furent mises en place qu’en 1970 (quand fut adoptée la loi pour l’élection
des conseils régionaux…). En Espagne, la constitution de 1978 a d’abord voulu rendre justice
aux « nationalités » historiques (Catalogne, Pays Basque, Galice) et elle a permis aux régions
ayant usé du droit d’autodétermination qui leur était ouvert (art.151.1) d’accéder au régime
maximal de compétences (Andalousie, Valence, Canaries, Navarre); elle a aussi maintenu
certains privilèges historiques (en matière fiscale – pays Basque, Navarre, ou de droit civil
notamment – Aragon, Pays Basque, Baléares, Catalogne, Valence) et permis l’officialisation
de langues régionales (basque, catalan, galicien notamment). Au Royaume-Uni, seules
l’Ecosse et l’Irlande du Nord peuvent être considérées comme des autonomies régionales ; les
statuts de 1998 donnent une expression institutionnelle, y compris au Pays de Galles, à des
particularismes d’ordre culturel, historique, ou politique qui les distingue de l’Angleterre.
Cette différenciation, qui s’exprime dans des statuts spéciaux, a parfois été caractérisée
comme un « fédéralisme asymétrique ». Cette expression imagée a cependant l’inconvénient
de masquer toutes les différences que l’on peut relever entre l’Etat à autonomies régionales et
l’Etat fédéral.
Une autre distinction entre l’Etat fédéral et l’Etat à autonomies régionales porte sur la
compétence relative au régime des collectivités locales (v. infra, section III). Dans le premier
elle tend à être une compétence exclusive de la Fédération, sur la base des dispositions
constitutionnelles lorsqu’elles existent, tandis que dans les Etats à autonomies régionales il
existe un partage de compétence entre l’Etat et les pouvoirs régionaux. En ce sens on peut
considéré que la loi spéciale de réformes institutionnelles de 2001 a parachevé sur ce point la
transformation en 1994 de la Belgique en Etat fédéral en opérant le transfert complet du
régime des collectivités locales dans la compétence des régions. En Europe, seule la Russie
13
paraît s’écarter de cette tendance : elle dispose en effet d’une législation fédérale sur le régime
des collectivités locales, qui est placé dans le cadre de la compétence commune de la
Fédération et des sujets de la Fédération par l’article 72 de la constitution fédérale.
Toutefois, il convient de souligner que l’Etat à autonomies régionales s’avère un
composé instable. Ainsi, l’Etat régional italien a d’abord évolué dans un sens unitaire, puis à
deux reprises s’est orientée vers un développement de l’autonomie régionale : en 1970 et à la
fin des années 90, avec les travaux de la Commission bicamérale, qui ont précédé et sans
aucun doute préparé la révision constitutionnelle d’octobre 2001. Cette révision
constitutionnelle oriente l’Italie assez nettement vers le fédéralisme, bien que la loi
constitutionnelle, à la différence du projet évite de qualifier l’Italie d’Etat fédéral. En
Espagne, le fonctionnement du système autonomique se rapproche aujourd’hui de celui d’un
Etat fédéral à beaucoup d’égards, mais il est toujours exposé aux pressions de certaines
régions qui réclament des compétences encore plus étendues (notamment la Catalogne et la
Galice). L’évolution de l’Italie et de l’Espagne montre une tendance à l’égalisation des
niveaux de compétences, et donc à l’égalité de statuts ; déjà au Royaume-Uni, certains au
Pays de Galles réclament le même statut que l’Ecosse, et la question de l’institution de
régions en Angleterre a donné lieu à un livre vert du gouvernement au printemps 2002. Mais
inversement, certaines régions sont tentées par la revendication d’attributions nouvelles qui
manifestent leur particularisme ; ces pressions peuvent menacer à la longue l’unité de l’Etat
(ce que montre l’évolution de la Belgique, et ce que peut faire craindre le nationalisme basque
en Espagne).
2. L’organisation territoriale
Dans tous les pays étudiés, il existe d’importantes disparités de territoire et de
population entre les entités régionales. Elles s’expliquent par les modalités et les critères sur
la base desquels ces unités ont été constituées. En outre, celles-ci ne sont pas seulement le
siège de des institutions régionales et des collectivités locales ; il existe aussi une
administration d’Etat dont l’importance est variable, mais qui a évolué en fonction des
réformes institutionnelles tendant à renforcer les pouvoirs régionaux.
14
A) Le niveau régional
On ne reprend ici cette expression que dans un sens géographique et descriptif, étant
donné les différences de statut que l’on vient d’analyser.
On s’interroge souvent en France sur la taille des régions françaises. En réalité les
disparités que l’on relève dans les pays voisins sont bien plus considérables.
L’Allemagne compte 16 Länder ; tandis que la Rhénanie du Nord – Westphalie
compte 17 millions d’habitants, Brême n’en compte que 700.000 et la Sarre à peine plus de 1
million. La Bavière compte 11,2 millions d’habitants, et le Bade-Wurtemberg7 près de 10
millions, mais au total 8 Länder ont moins de 3 millions d’habitants. Rappelons que la plupart
des Länder de l’ouest sont nés après la guerre du démantèlement de la Prusse, qui était
pendant la République de Weimar le Land le plus important (deux tiers de la population et du
territoire de l’Allemagne d’alors). Le découpage territorial a donné lieu à de nombreux débats
depuis la fin de la guerre, en vue de parvenir à une organisation plus rationnelle, notamment
par la suppression des villes-Etats ; tous ces projets ont échoué, et notamment le projet de
fusionner Berlin et le Land de Brandebourg, qui a été rejeté par le référendum du 5 mai 1996.
Le fait que du point de vue constitutionnel les Länder soit considérés comme des Etats, et
qu’ils composent l’un des organes fédéraux, le Bundesrat, n’est pas de nature à faciliter les
évolutions.
L’Italie compte 20 régions, dont 5 régions à statut spécial. Les disparités sont
également considérables : la Lombardie compte plus de 9 millions d’habitants tandis que 5
régions ont moins de 1 million d’habitants (le Val d’Aoste, la plus riche région d’Italie, a
120.000 habitants, la Molise 330.000) ; trois régions ont entre 5 et 6 millions d’habitants (la
Campanie, le Latium et la Sicile). Les statuts spéciaux ne s’expliquent que par les
circonstances de la fin de la guerre ; ils ont été concédés pour préserver l’intégrité territoriale
de l’Italie ; les régions à statut ordinaire ont été fixées par l’Assemblée constituante sur la
base des circonscriptions statistiques.
En Espagne, les disparités en sont pas moins considérables. Parmi les 17 communautés
autonomes, 4 seulement ont une population importante : l’Andalousie (7,2 millions
d’habitants), la Catalogne (6,2 millions ), Madrid (5,1 millions), et la Communauté de
Valence (4 millions) ; 4 communautés autonomes ont nettement moins de 1 million
d’habitants (la Rioja ne compte que 263.000 habitants), et 4 autres ont un peu plus de 1
15
millions d’habitants (Aragon, Asturies, Extremadura, Murcia). Ces disparités sont la
conséquence de la procédure suivie pour la constitution des communauté autonomes :
rétablissement des « droits historiques », constitution de pré-autonomies par les
parlementaires élus en 1977, et séparation volontaire de certaines provinces qui furent érigées
à leur tour en communautés autonomes uniprovinciales (Madrid, la Rioja et la Cantabrique).
En ce qui concerne le Royaume-Uni, il convient de rappeler que l’Ecosse compte 48,5
millions d’habitants, contre 5,3 millions pour l’Ecosse, 3 pour le Pays de Galles et 1,8 pour
l’Irlande du Nord. Auparavant l’Angleterre avait été divisée en 8 régions de planification (en
1964), qui furent supprimées en 1979 par le gouvernement Thatcher ; en 1994 ont cependant
été créés 9 bureaux régionaux d’administration, subordonnés au pouvoir central (cf infra). En
1998, une autre loi, sur le développement régional, a prévu la constitution de « chambres
régionales » consultatives formées librement par les autorités locales, et d’agences de
développement régional. Mais aujourd’hui le gouvernement est conduit à envisager la
formation de régions en Angleterre, avec des conseils élus, pour répondre à l’asymétrie créée
par la réforme de 1998. Le Livre vert publié en mai 2002 prévoit de créer des autorités
régionales élues là où les électeurs l’auront demandé par référendum, après que l’on ait réduit
les autorités locales à un seul niveau pour éviter la superposition des structures8. Ces
conditions ne laissent pas prévoir un aboutissement rapide d’une telle réforme qui, pour le
moment, n’a été réellement souhaitée que par la région Nord-Est (Newcastle), que ses
représentants disent affectée par les nouvelles conditions dont bénéficie l’Ecosse voisine.
Enfin, il convient d’ajouter un commentaire à propos des îles. Il est souvent soutenu
que l’insularité est source de particularismes que tous les Etats européens – sauf la France -
auraient reconnus et consacrés par des statuts particuliers ou spéciaux consentant à ces îles
une autonomie plus large9. En réalité, l’observation des institutions ne permet pas une telle
conclusion. Le régime administratif des îles suit le régime de l’organisation territoriale de
l’Etat, avec peu d’exceptions qui s’expliquent par des circonstances politiques particulières, et
le particularisme se manifeste essentiellement dans des mesures économiques tendant à
compenser les coûts additionnels liés à l'insularité. L’autonomie de la Sicile et de la Sardaigne
s’explique par les circonstances de la fin de la Seconde Guerre mondiale ; la singularité liée
7 Le Bade-Wurtemberg est né de la fusion en 1951 des Länder de Bade, de Wurtemberg et de Wurtemberg-Hohenzollern : depuis, aucune réorganisation de la carte des Länder n’a pu être menée à bien. 8 Office of the Deputy Prime Minister, Your Region, Your Choice : Revitalising the English Regions, mai 2002, http://www.regions.odpm.gov.uk/governance/whitepaper/ 9 Voir à titre d’exemple de cette approche : Commission des Îles . Cnférence des régions périphériques maritimes d’Europe (2000), Quel statut pour les îles d’Europe ?, ouvrage collectif réalisé sous la coordination de Jean-Didier Hache, L’Harmattan, Paris.
16
au statut spécial a été relativisée par la mise en place des régions à statut ordinaire, et
davantage encore par la récente révision constitutionnelle. En Espagne, les Îles Baléares et les
Canaries ne se distinguent pas par une autonomie plus grande des autres communautés
autonomes espagnoles. Dans les Etats unitaires, les îles ne se distinguent généralement pas
des autres collectivités territoriales, si ce n’est qu’elles en ont justement la qualité pour la
totalité de leur territoire. C’est le cas pour les îles danoises, notamment Bornholm, pour
Gotland en Suède, qui sont des comtés au regard de l’organisation territoriale du pays, mais
sans disposer de droits particuliers. En Grèce l’administration des îles de la Mer Egée a donné
lieu à la création d’un ministère, et la Crète constitue l’une des 13 régions administratives
(cadre de déconcentration), elle-même divisée en quatre départements (nomos), qui sont des
collectivités locales. Aux Pays-Bas, les Îles frisonnes sont partagées essentiellement entre
deux provinces, dont elles constituent des communes. Le particularisme si souvent cité des
Îles Åland ne s’explique que par la décision de la Société des Nations en 1921 de les rattacher
à la Finlande tout en maintenant leur autonomie en faveur de la population qui était d’origine
suédoise et parlait le suédois. Seul le Portugal fait véritablement exception à la tendance
générale que l’on vient d’évoquer : les Açores et Madère sont des régions autonomes selon la
constitution portugaise de 1975, et elles disposent d’un statut qui leur accorde des pouvoirs
législatifs et exécutifs importants, encore élargis lors de la révision constitutionnelle de 1997.
Leur statut contraste avec le refus de la régionalisation du Portugal continental par le
référendum de 1998.
B) Les collectivités territoriales : vue d’ensemble
Le tableau ci-après a pour objet de donner une vue d’ensemble de l’organisation
territoriale des pays retenus présentés dans cette comparaison. On en soulignera ensuite
quelques enseignements.
17
ETATS
Unités fédérées
Niveau régional Niveau
départemental / provincial
Niveau arrondissement
Niveaux de la commune / agglo. urbaine
Allemagne
87,1 m. hab. 356.900 km²
16 Länder, dont
3 villes-Etats
5 syndicats régionaux de communes (dans 5 Länder) 4 synd. de région urbaine (Francfort, Hanovre, Munich, Stuttgart)
32 districts de gouvernement (dans 8 Länder) 113 régions de planif. spatiale (dans 12 Länder)
439 dont 116 villes
14.743 communes dont 6.293 (Est)
116 villes à statut d’arrond. + nb institutions de coop., obligatoires, selon Länder
Autriche
8 m hab. 83.900 km²
9 Länder dont
Vienne
_
_
99 Bezirke dont 15 villes à statut propre (dont Vienne)
2353 communes dont 15 villes à statut
propre
Belgique
10,1 m. hab. 30.518 km²
3 régions (dont Bruxelles-Cap.) 3 communautés
_
10 provinces conseil élu gouverneur nommé
_
589 communes + 221 intercommunales
Espagne
39,2 m. hab. 506.000 km²
_
17 communautés autonomes Délégué du Gouvernement
50 provinces Sous-délégué du Gouvernement
Comarcas : selon les
communautés autonomes
8.107 communes + consorcios locales,893 communautés de coopé-
ration (mancomuni-dades),aires métropo-litaines (aucune), selon communautés
autonomes France
58,1 m. hab. 551.000 km² (avec DOM)
_ Corse 25 régions
(dont : 4 outre-mer) Préfet de région
(pour mémoire : Nouvelle-Calédonie,
TOM)
100 départements (dont 4 outre-mer)
Préfet de département
329 arrondissements
> 250 “ pays ” 36.683 communes
19.000 établissements
publics de coopération
intercommunale, dont :
14 communautés urbaines,
120 communautés
d’agglomération
Italie
57,3 m. hab. 301.300 km²
_
5 régions à statut spécial
15 régions à statut ordinaire
Commissaire du Gouvernement
102 provinces Préfet
_
8.099 communes + 3 communes
métropolitaines (Bologne, Gênes, Venise),
344 communautés de montagne,
+ consorzi, unions de communes
Royaume-Uni
58,6 m. hab. 244.800 km²
_ Ecosse Pays de Galles Irlande du Nord Angleterre :
- 9 bureaux régionaux du Gvt - 9 agences de développement régional - “ chambres régionales ” formées par les autorités locales
Angleterre : 35 conseils de comté
Angleterre : dans les comtés 283 autorités non métro. Dans le reste du Royaume-Uni : un seul niveau : - Angleterre : *36 districts métro., *Londres et 32 bourgs de Londres *14 conseils unitaires - Ecosse : 29 conseils unitaires, 3 conseils des îles - Pays de Galles : 22 conseils unitaires - Irl. du Nord : 26 conseils de district En Angleterre et Pays de Galles : environ 10.000 paroisses
Lecture du tableau : 1) en caractères gras : existence d’organes élus ; 2) en caractères droits maigres : les institutions subordonnées au pouvoir central ; 3) en italiques : les institutions de coopération.
Le tableau distingue les unités fédérées des unités régionales pour tenir compte de la
différence de statut constitutionnel, mais surtout pour faire ressortir qu’en Allemagne la
représentation des intérêts régionaux est revendiquée aussi par les communes. On voit
immédiatement que par rapport aux pays voisins de taille comparable la France ne se
distingue pas par le nombre des niveaux d’administration territoriale mais par le statut des
18
institutions de chacun de ces niveaux. En toute rigueur, il faudrait distinguer selon la nature
des entités régionales. Mais c’est surtout par la fragmentation communale que la France se
distingue de ses voisins ; le développement des EPIC à fiscalité propre a cependant réduit les
effets négatifs de la fragmentation. On remarque également dans les autres Etats l’existence
d’autorités locales de l’Etat.
C) Les autorités locales de l’Etat
Globalement, les transferts de pouvoirs aux autorités régionales ont pour conséquence
une réduction importante des attributions des autorités locales de l’Etat, laquelle est suivie
également de transferts de services et de personnels sous l’autorité des exécutifs régionaux.
Mais les situations nationales sont assez différenciées.
En Allemagne, l’administration d’Etat se présente sous deux régimes différents :
l’administration fédérale et l’administration du Land.
Selon l’article 30 de la Loi fondamentale l’exercice des missions de l’Etat appartient
aux Länder, dans la mesure où la Loi fondamentale n’en dispose pas autrement ; cela inclut
non seulement la législation, dans les limites de la compétence des Länder, mais aussi, et en
pratique surtout, les fonctions réglementaires et administratives. L’article 83 fait de
l’exécution des lois fédérales une compétence propre des Länder sauf dans les cas où a été
instituée une administration fédérale. Celle-ci est prévue dans quelques domaines
(administration financière – mais l’administration fiscale est dans une large mesure assurée
par les Länder au titre de l’administration « indirecte »), les voies navigables ; la loi fédérale
peut en créer d’autres en fonction des besoins et elle l’a fait en plusieurs occasions, mais le
développement de services déconcentrés est limité par la condition d’en établir la nécessité et
d’un vote du Bundesrat et de la majorité des membres du Bundestag (art.87).
Il en résulte que l’administration d’Etat est essentiellement assurée sous l’autorité des
gouvernement des Länder, qui emploie directement 45% des agents publics, contre 10% pour
l’administration fédérale et 35% pour l’administration locale. En revanche les Länder dont
l’étendue et la population le justifient ont une administration déconcentrée relativement
importante. L’administration du Land comporte en effet, selon les cas, deux ou trois degrés :
les autorités administratives supérieures du Land, les autorités intermédiaires, et les autorités
intérieures. Ces deux dernières catégories d’autorités administratives ont une compétence
générale ; les autorités inférieures sont les exécutifs des collectivités locales pour les missions
19
qui correspondent à des compétences d’Etat ; seuls 8 Länder ont un niveau intermédiaire, le
district de gouvernement (Regierungsbezirk), qui regroupe entre 1 et 5 millions d’habitants.
Au total il existe 32 districts de gouvernement. L’étendue de leurs attribution dépend du
Land : elle comporte au moins le contrôle de légalité sur les collectivités locales, la sécurité
civile, la sécurité publique, l’aménagement du territoire, l’application des règles de
construction et d’urbanisme, la voirie et la circulation, l’agriculture, la santé publique, la
protection de l’environnement ; dans certains Länder s’y ajoutent le contrôle des
établissements scolaires, les poids et mesures, le cadastre, la sylviculture, notamment, ces
missions sont assurées ailleurs par des administrations spécialisées. Il convient de souligner
qu’en Allemagne, l’Etat, pour les collectivités locales, c’est le Land. Une ville allemande n’a,
dans l’exercice de ses compétences, de relations qu’avec l’administration du Land.
La situation est évidemment différente en Italie et en Espagne, où l’on partait d’un
Etat unitaire et d’une organisation administrative centralisée. L’institution des autonomies
régionales conduisait à réduire les compétences et les moyens administratifs de l’Etat au
niveau local.
En Italie, le préfet nommé dans chaque province a vu ses attributions se réduire en
trois étapes : l’après-guerre, avec la constitution de la République, qui ne mentionne pas
l’institution, durablement affectée par l’utilisation qu’en avait faite le régime fasciste ; la mise
en place des régions à statut ordinaire en 1970, qui conduit à une réorganisation profonde de
l’« administration périphérique » de l’Etat à la suite de transferts de services importants de
l’Etat aux régions et au transfert à un organe régional du contrôle sur les actes des autres
collectivités territoriales ; la révision constitutionnelle de 2001 qui étend les compétences des
régions et conduira à un nouvel affaiblissement du préfet, en dépit des attributions nouvelles
qui lui ont été conférées dans les années 90. Aujourd’hui, la fonction du préfet se résume à
l’ordre public, à la coordination des administrations d’Etat dans la province et à une capacité
de médiation. Le préfet a la responsabilité générale de la sécurité publique dans la province et
préside le comité provincial de l’ordre et de la sécurité publics (L. 121/1981) , il dirige aussi
les services de secours en matière de protection civile (L. 225/1992), il exerce des attributions
en matière de prévention des risques industriels ; il dirige les bureaux territoriaux de l’Etat qui
succèdent aux préfectures à partir de 2001 et qui regroupent certaines administrations
périphériques de l’Etat; en cas de carence du maire agent de l’Etat, il peut nommer un
commissaire pour assurer les fonctions correspondantes. Enfin, le préfet met en œuvre une
capacité de médiation en matière sociale, mais ses pouvoirs et ses moyens sont ici limités.
20
Le corps préfectoral et les préfectures ont en effet été réformés en 1999 et 2000, et ces
réformes sont en cours d’application10. Le décret législatif 139/2000 marque une étape dans la
professionnalisation du corps préfectoral : il définit le contenu de la formation préalable
requise, il introduit une commission consultative pour sélectionner les sous-préfets les plus
aptes à devenir préfets, et les nominations doivent être prononcées parmi les propositions de
la commission ; il introduit les techniques du management dans la gestion comme la
rémunération des membres du corps préfectoral (introduction d’un élément contractuel,
notamment en ce qui concerne la rémunération qui doit être, pour une des composantes, basée
sur les résultats). Il sera intéressant d’en connaître la pratique et dans quelques temps
l’évaluation. Les préfectures ont été de même réorganisées depuis 2001 en application du
décret législatif 300/1999. Les préfectures deviennent les « bureaux territoriaux de l’Etat »,
qui regroupent ou devront regrouper sous l’autorité du préfet les « administrations
périphériques » des ministères, réduites à la suite des réformes qui ont transféré davantage de
compétences aux régions. Demeurent toutefois en dehors des bureaux territoriaux de l’Etat les
administrations dites « spécialisées » et qui sont expressément maintenues (trésor, finances,
instruction publique, biens culturels, défense et justice). Toutefois, ces réformes sont
antérieures à la révision constitutionnelle du 18 octobre 2001 ; celle-ci ne remet pas en cause
la création des bureaux territoriaux de l’Etat, mais elle aura des incidences sur le contenu de
leurs missions à mesure qu’elle produira ses effets. Selon le projet de loi n°1545 du 26 juin
2002, le gouvernement nommerait dans chaque région à statut ordinaire un représentant de
l’Etat, qui serait le préfet de la province chef-lieu, et dont les missions seraient notamment de
promouvoir la mise en œuvre des accords et de la coordination entre l’Etat et la région, et
d’assurer l’exécution avec le services de l’Etat des mesures prises par le gouvernement dans
l’exercice de son pouvoir de substitution (cf infra).
En Espagne également, la mise en place des communautés autonomes a conduit au
transfert à celles-ci de nombreux services de l’Etat correspondant aux compétences qu’elles
devaient désormais exercer. Toutefois, à la différence de l’Italie, la constitution de 1978
maintenait la province, non seulement comme collectivité locale, mais aussi comme
« division territoriale pour la mise en œuvre des activités de l’Etat » (art.141.1). Le
gouverneur civil, dont l’origine remonte au début du 19ème siècle, fut ainsi maintenu et son
statut actualisé. Il représentait l’Etat et le gouvernement dans la province, et il avait la
« direction supérieure » des services extérieurs de l’Etat, mais son autorité s’imposait
10 Voir à ce sujet : S. Cassese / Cl. Meoli (2000), « Les préfets en Italie », Rev. Fr. Adm. publ., n°96, oct.-déc. 2000, pp.589-595.
21
difficilement sur ceux-ci. En outre, l’article 154 de la Constitution prévoyait qu’un délégué du
gouvernement dirigerait l’administration de l’Etat sur le territoire de la Communauté
autonome, et la en assurerait la coordination en tant que de besoin avec l’administration de la
Communauté autonome. Selon la loi de 1983, il représentait le gouvernement, l’Etat étant
représenté par le président de la communauté autonome, et il avait autorité sur les
gouverneurs civils. En réalité, il exerçait difficilement ses pouvoirs, tant envers les services de
l’Etat, que des gouverneurs civils, que des communautés autonomes. De plus, les transferts de
compétences aux communautés autonomes conduisait au transfert des services, et la
Constitution prévoyait que les missions de l’Etat, pouvaient, sauf si cela était impossible, être
déléguées aux communautés autonomes (art.150.2). C’est pourquoi la loi 6/1997 sur
l’organisation et le fonctionnement de l’administration générale de l’Etat a réformé mais aussi
renforcé l’institution du délégué du gouvernement ans la communauté autonome. Le délégué
gouvernement reçoit le rang de sous-secrétaire d’Etat (ce qui le place au deuxième rang dans
la hiérarchie après le ministre et le secrétaire d’Etat), et il est placé sous l’autorité du président
du gouvernement. Deuxièmement, le gouverneur civil traditionnel est supprimé et remplacé
par un sous-délégué dans la province, nommé par le délégué qui en est le supérieur
hiérarchique. Troisièmement, tous les services territoriaux de l’Etat qui sont maintenus sont
désormais intégrés dans la délégation du gouvernement, et ainsi placés sous l’autorité directe
du délégué, qui reçoit les instructions des ministères. Enfin, le délégué du gouvernement
concentre les pouvoirs en matière de maintien de l’ordre, sous l’autorité fonctionnelle du
ministre de l’Intérieur.
Enfin, au Royaume-Uni l’évolution de l’administration territoriale de l’Etat se fait
dans deux sens opposés. D’une part, en Ecosse et aux Pays de Galles, tous les services
respectivement du Scottish Office et du Welsh Office, qui étaient en fait des ministères à
compétence régionale, passent sous l’autorité des exécutifs régionaux et le gouvernement
central n’a plus aucune administration dans ces régions. Toutefois, en 1994 ont été créés en
Angleterre 9 « bureaux d’administration des régions » (Government Offices of Regions),
dirigés par un fonctionnaire nommé par le ministre chargé des collectivités locales, pour la
mise en œuvre de différents programmes gouvernementaux. Cette réforme était une
innovation remarquable dans le contexte britannique, où le gouvernement n’avait jamais
entretenu de services opérationnels propres au niveau local, en dehors de l’administration
fiscale, et s’appuyant dans d’autres cas sur des organismes publics dépendant du
gouvernement central. Initialement les services régionaux de quatre ministères,
traditionnellement installés à Londres, furent regroupés dans ces bureaux, afin de développer
22
la coopération avec les autorités locales. La politique de la ville (Single Regeneration Budget)
fut la première à être mise en œuvre par ces administrations. Aujourd’hui, les bureaux
d’administration des régions regroupent les services de 9 ministères (Office of the Deputy
Prime Minister, Commerce et Industrie, Education et Qualifications, Transports,
Environnement, Alimentation et Affaires rurales, Intérieur, Culture, Media et Sports, Santé,
Travail et Retraites).
3. Le type de gouvernement
On entend par là la façon dont les pouvoirs régionaux sont organisés. L’essentiel tient
dans l’observation suivante : les statuts régionaux, comme les constitutions des Länder,
tendent à reproduire au niveau régional le régime qui est institué au niveau national – bien que
rien ne l’impose. Il existe une exception : alors que la constitution italienne établit un régime
parlementaire au niveau national, elle introduit désormais un régime quasi présidentiel au
niveau régional, avec l’élection au suffrage universel direct des présidents de région
(art.122)11. Mais il faut se rappeler que le projet de la commission bicamérale de 1997
prévoyait d’introduire l’élection au suffrage universel direct du président de la République ;
c’est la rupture en juin 1998 du compromis politique sur le projet de révision de l’ensemble de
la Constitution qui a conduit à l’abandon de cette dernière réforme. Quoi qu’il en soit, les
constitutions des Länder et les statuts des autonomies régionales, qui ne correspondent plus au
modèle institutionnel de collectivités locales placées sous le contrôle de l’Etat, respectent les
principes constitutionnels démocratiques et notamment la séparation des pouvoirs. C’est la
concession par l’Etat à ces pouvoirs régionaux d’une grande partie de ses attributions qui
explique et justifie la transposition à ce niveau des mêmes garanties constitutionnelles.
En Allemagne, tous les Länder ont leur constitution, qui reproduit l’essentiel des
institutions de la Loi fondamentale, mais avec quelques particularités. La Loi fondamentale
exige seulement que le régime constitutionnel soit conforme aux « principes de l’Etat de droit
républicain, démocratique et social » et l’élection d’un organe représentatif au suffrage
universel, égal, libre, direct et secret ; la jurisprudence constitutionnelle considère que le
principe de la séparation des pouvoirs est inclus dans ces exigences. En règle générale, la
constitution établit un régime parlementaire caractérisé par l’élection sans débat du ministre-
président à la majorité des membres composant le Landtag et parmi ses membres, le ministre-
président nomme et révoque les ministres ; le gouvernement est responsable devant le
23
Landtag, par la procédure du « vote de défiance constructive », sur le modèle de ce que
prévoit la loi fondamentale. En revanche, la fonction de chef d’Etat est inexistante ; bien que
le président du Landtag puisse (exemple du Mecklembourg) représenter le Land sur le plan
juridique, c’est toujours le ministre-président qui représente le Land à l’extérieur. Le Landtag
se dissout en cas d’échec de la formation du gouvernement, en cas d’échec de l’élection d’un
nouveau ministre-président lorsque la constitution le prévoit (dans la plupart des cas, la
défiance ne peut être exprimée que par l’élection d’un nouveau ministre-président), ou par la
décision du Landtag à une majorité qualifiée. La constitution du Land établit aussi une cour
constitutionnelle qui est compétente pour examiner la constitutionnalité des lois du Land par
rapport à la constitution du Land, et une cour des comptes (qui n’a cependant aucun caractère
juridictionnel). Toutes les constitutions des Länder prévoient aujourd’hui la possibilité de
l’initiative populaire et du référendum pour l’adoption des lois du Land ; cette procédure est
occasionnellement utilisée.
En Espagne, le statut de chaque communauté autonome définit ses institutions et son
mode de gouvernement. Toutefois, la constitution espagnole est plus contraignante en ce
domaine que la Loi fondamentale allemande. Pour les communautés autonomes de
compétences maximales de l’article 151, l’article 152.1 impose une assemblée législative élu
au suffrage direct à la représentation proportionnelle, et assurant une représentation des
différentes zones du territoire, un conseil de gouvernement exerçant « les fonctions exécutives
et administratives », un président élu par l’assemblée en son sein, nommé par le roi, et auquel
incombe la direction du conseil de gouvernement ; le président et les membres du conseil de
gouvernement sont politiquement responsables devant l’assemblée législative. Ce modèle a
été suivi en fait par toutes les communautés autonomes. En revanche, il est muet sur la
dissolution de l’assemblée législative. On rencontre alors des solutions différentes selon les
statuts : ceux de la Catalogne et de la Communauté de Valence ne prévoient pas la
dissolution, mais la dissolution est prévue par les statuts de Castille – La Manche et de
l’Extremadura, notamment. Certains statuts autorisent l’initiative populaire ou communale
des lois régionales (Andalousie, Catalogne, Extremadura par exemple).
En Italie, la situation ne peut pas être correctement appréciée actuellement. Les
président de région ont été élus au suffrage direct en 2000, mais à la suite de la révision
constitutionnelle d’octobre 2001, les régions doivent adopter de nouveaux statuts et le nouvel
article 122 de la constitution autorise même ces statuts à écarter ce mode d’élection.
Néanmoins, le nouvel article 126 de la Constitution prévoit que le vote de la motion de 11 Cela résulte d’une révision constitutionnelle de novembre 1999.
24
censure par le conseil contre le président élu au suffrage direct de la junte exécutive, ainsi que
sa démission volontaire et d’autres cas mettant fin à son mandat, entraînent la dissolution du
conseil régional.
Au Royaume-Uni, on notera que le parlement écossais et l’assemblée nationale
galloise sont élus à la représentation proportionnelle selon un système mixte combinant la
représentation proportionnelle dans les circonscriptions prévues pour l’élection des députés au
parlement européen avec l’élection au scrutin majoritaire uninominal à un tour dans les
circonscriptions de la Chambre des Communes. L’assemblée d’Irlande du Nord est élue
entièrement à la proportionnelle. Le Scottish Executive et le First Minister qui le dirige, et qui
est nommé par la Reine après avoir été élu par le parlement écossais, est responsable devant le
parlement écossais. Au Pays de Galles les institutions établies par le Government of Wales Act
sont plus proches des institutions locales traditionnelles, avec un Executive Committee
composé des présidents des commissions de l’assemblée ; toutefois cet exécutive est
également responsable devant l’assemblée nationale galloise. Le régime de l’Irlande du Nord
se distingue par des mécanismes qui visent à imposer un accord entre les communautés sur les
décisions essentielles.
En Belgique, c’est la loi spéciale de réformes institutionnelles qui fixe les règles de
base du fonctionnement des institutions régionales et communautaires. Elle établit un régime
parlementaire, avec la possibilité de mettre en jeu la responsabilité de d’exécutif par le
mécanisme, emprunté à l’Allemagne, de la défiance constructive, mais elle néglige le
règlement de la situation créée par la démission volontaire, qui est la principale cause
d’instabilité.
4. Le pouvoir législatif régional
Dans tous les pays étudiés, la constitution attribue une partie du pouvoir législatif aux
autorités sub-nationales. Ce pouvoir législatif est alors exercé par des parlements régionaux :
Landtag en Allemagne, organes législatifs des régions et des communautés en Belgique,
assemblées législatives des communautés autonomes, où elles portent des noms différents, en
Espagne, et des régions en Italie ; Parlement écossais, Parlement d’Irlande du Nord (mais pas
l’Assemblée nationale galloise) au Royaume-Uni.
Il s’agit bien d’un pouvoir législatif et non d’une facilité de vocabulaire pour désigner
des actes normatifs. En Allemagne, la Loi fondamentale répartit explicitement le pouvoir de
faire la loi entre la Fédération et les Länder (art.70), et il en va de même en Italie (nouvel
25
article 117 : « Le pouvoir législatif est exercé par l’Etat et les régions dans le respect de la
Constitution… »); en Espagne, le Tribunal constitutionnel a déjà jugé que lorsque la
Constitution renvoie à une loi, cela peut être aussi bien une loi régionale qu’une loi nationale,
selon la répartition des compétences matérielles. En Belgique, si la Constitution réserve le
mot loi aux lois fédérales, les « décrets » des régions et des communautés et des régions sont
bien des actes législatifs. Le doute ne peut exister qu’au Royaume-Uni, dans la mesure où la
loi sur l’Ecosse rappelle que le Parlement (de Westminster), seul dépositaire de la
souveraineté selon la tradition constitutionnelle britannique, conserve la possibilité de
légiférer sur l’Ecosse (section 28 (7)). Selon la convention de Sewell, il est convenu que le
Parlement britannique n’interviendra pas dans les matières de la compétence du Parlement
écossais sans l’accord de celui-ci ; celui-ci peut adopter une motion (Sewell Motion) donnant
son accord à ce qu’une loi du Parlement britannique contienne une disposition sur l’Ecosse
dans une matière transférée , lorsqu’il paraît approprié de définir un régime uniforme pour
l’ensemble du Royaume-Uni (« a single UK wide regime ») ou si l’agenda parlementaire
écossais ne permet d’adopter la législation proposée.
On verra plus loin les domaines dans lesquels ce pouvoir législatif s’exerce. Il s’agit
ici d’apprécier sa place dans l’ordre juridique du pays. L’observation révèle une pratique très
variable selon les pays, et même parfois selon les régions de ce pouvoir législatif. C’est en
Italie que le législateur régional paraît le plus actif, avant même la révision constitutionnelle
d’octobre 2001 qui a étendu la compétence législative des régions, puisqu’elles exercent
désormais le pouvoir législatif de droit commun, et que dans les domaines de compétences
concurrente l’Etat ne peut fixer par la loi que les principes fondamentaux, si bien que dans ces
domaines l’intervention du législateur national appelle nécessairement celle du législateur
régional12. Toutefois, la Cour constitutionnelle a déjà précisé que la loi régionale doit
respecter les principes fondamentaux qui résultent de lois antérieures13. Selon le projet de loi
déposé le 26 juin 2002 par le gouvernement pour la mise en œuvre de la réforme
constitutionnelle, le gouvernement devrait, dans un délai d’un an, adopter les décrets
législatifs dégageant, secteur par secteur, les principes fondamentaux qui s’imposeront aux
lois régionales dans les matières de compétences concurrentes14. Le tableau ci-après résume
12 J. Fougerouse (2002), « Le pouvoir législatif régional et l’unité de la République en Italie », Revue générale des Collectivités territoriales, n°spécial, colloque d’Angers 26-27 avril 2002, pp.80-90. 13 Cour constitutionnelle, n°282/2002 : annulation, pour violation de principes posés dans des lois nationales antérieures, d’une loi de la région de la Marche qui interdisait certaines thérapies dans les hôpitaux psychiatriques de la région. 14 Sénat, projet de loi n°1545, art.1er.
26
les constatations que l’on peut faire en ce qui concerne l’activité législative des pouvoirs
régionaux.
Allemagne Exemples : Rhénanie du Nord – Westphalie : environ 20 lois / an ; Hesse : 16 lois (2001)
Espagne (2000-2001) De 3 à 10 lois par communauté autonome, en dehors des lois sur le budget, les comptes et l’administration régionale ; mais 28 en Catalogne De l’origine jusqu’au 30 juin 2002 : 3.733 lois régionales
Italie (2000) 841 lois totalisant plus de 10.000 articles (environ 40 lois par région en moyenne)
Ecosse 15 lois en 2001, 16 lois en 2002
On peut aussi remarquer qu’il n’existe aucune corrélation entre le volume de l’activité
législative et le statut constitutionnel des collectivités régionales ou fédérées, à l’exception de
la Catalogne et la Navarre, qui adoptent deux à trois fois plus de lois que les autres
communautés autonomes, dont en revanche le Pays Basque, sur ce point, ne se distingue
guère. Les Länder allemands, malgré un statut constitutionnel qui leur reconnaît la dignité
d’Etats, ne légifèrent pas plus que les régions italiennes ou l’Ecosse ; en Italie, les régions à
statut spécial ne se distinguent pas des autres et les régions qui ont l’activité législative la plus
importante paraissent être les Abruzzes (148 lois en 2000) et la Toscane (73 lois).
5. Les contrôles
En raison du statut constitutionnel des collectivités fédérées et de autonomes
régionales, la question du contrôle se pose de manière très différente de celle du contrôle sur
les collectivités locales. Dans tous les cas elle mobilise l’intervention d’une juridiction
constitutionnelle, même au Royaume-Uni, il est vrai sous une forme singulière. Elle pose trois
problèmes : celui de la hiérarchie entre les lois nationales et les lois régionales, celui de la
sanction de la violation de la constitution ou de la loi nationale par les autorités régionales et
enfin le problème des garanties juridiques des droits constitutionnels des pouvoirs régionaux.
Le premier est essentiel : il suppose la primauté de la loi fédérale ou nationale sur les lois
régionales ; mais il se présente sous deux formes différentes : : 1) la suprématie absolue de la
législation fédérale ; 2) la suprématie relative : c’est-à-dire la supériorité de la loi fédérale
27
dans les domaines où est en cause une compétence fédérale. Les Etats fédéraux classiques
adhèrent à la suprématie absolue : Etats-Unis15, Allemagne, Suisse.
Parmi les pays étudiés ici, c’est en Allemagne que ces questions trouvent les solutions
les plus cohérentes. La Loi fondamentale (art.31) consacre le principe traditionnel issu de la
constitution de l’Empire: « Bundesrecht bricht Landesrecht » (« la loi fédérale brise la loi du
pays »). Le même principe est traditionnel en Suisse, et repris à l’article 49 de la nouvelle
constitution fédérale : « Le droit fédéral prime le droit cantonal qui lui est contraire », et la
Confédération veille à ce que les cantons respectent le droit fédéral.
Dans les autres Etats on a admis une conception plus étroite de la suprématie de la loi
fédérale ou nationale, c’est-à-dire celle qui se place sur le terrain de la répartition des
compétences. La question n’est pas réglée par la constitution, ou ne l’est que dans un sens
restrictif pour la loi fédérale. Ainsi, la constitution autrichienne est-elle muette sur cette
question ; en Belgique la Constitution n’établit que la suprématie du « législateur spécial »,
d’où il résulte qu’il n’existe aucune hiérarchie entre la loi nationale et la loi régionale ou
communautaire (qualifiée en droit belge de « décret ») ordinaires. En Italie, le nouvel article
127 de la Constitution permet au gouvernement de saisir le juge constitutionnel d’un recours
contre une loi régionale qui excède les compétences régionales, mais aucun autre cas de
recours n’est prévu. En Espagne, la loi de l’Etat prévaut sur la loi régionale en cas de conflit
en tout ce qui ne relève pas de la compétence exclusive de la Communauté autonome (ce qui
suppose que les matières de compétence résiduelle soient reprises dans le statut de la
communauté autonome) ; outre, le droit étatique conserve une valeur supplétive du droit des
communautés autonomes (art.149.3). Cela permet de fonder une compétence législative
générale de l’Etat, la loi de l’Etat étant valide en principe, mais applicable seulement dans la
mesure où la communauté autonome, étant compétente, n’a pas légiféré sur le même sujet ;
toutefois, si toutes les communautés autonomes ont inclus dans leur statut la même définition
de compétence exclusive dans un domaine, le législateur étatique perd son titre à légiférer ;
c’est ce qui a conduit d’ailleurs le Tribunal constitutionnel à déclarer inconstitutionnel tout le
droit national de l’urbanisme, tous les statuts ayant pris la compétence exclusive en matière
d’urbanisme.
15 Aux Etats-Unis, le principe a été dégagé très tôt par la Cour suprême, dans l’arrêt « McCulloch v. Maryland » (1819) précité: selon le juge Marshall, « le gouvernement des Etats-Unis, quoique limité dans ses pouvoirs est suprême ; et ses lois, lorsqu’elles sont faites conformément à la Constitution, forment la loi suprême du pays », conformément à l’article 6.2 de la Constitution fédérale, et nonobstant toute disposition contraire de la constitution ou de la loi d’un Etat.
28
Mais le problème essentiel est celui des suites et du règlement des conflits entre la loi
fédérale et la loi régionale. En Allemagne, la Loi fondamentale et la jurisprudence
constitutionnelle ont imposé une solution radicale quand ce problème se pose dans le cadre
des compétences concurrentes. La loi fédérale intervenue dans une matière de compétence
concurrente rend nulle, dès le moment de son entrée en vigueur, la loi contraire du Land ; il
n’y a pas d’obligation du Land de mettre sa législation en conformité, parce que c’est inutile
(Loi fondamentale : art.72). Dans tous les autres pays étudiés, la loi fédérale ne jouit pas de la
même présomption de constitutionnalité ; le pouvoir fédéral devra faire constater
l’inconstitutionnalité de la loi régionale.
Enfin, il s’agit de savoir de quels moyens dispose l’Etat pour imposer, si nécessaire, le
respect de se prérogatives constitutionnelles. Cela suppose la mise en œuvre de pouvoirs
visant les organes des entités fédérées ou des autonomies régionales, selon des modalités qui
doivent en prévenir l’utilisation abusive. L’article 37 de la Loi fondamentale prévoit le
recours à la « contrainte fédérale » (Bundeszwang) lorsqu’un Land ne remplit pas les
obligations qui lui incombent en application de la Loi fondamentale ou des lois fédérales vis-
à-vis de la Fédération ou d’autres Länder. Le gouvernement fédéral prend alors avec
l’approbation du Bundesrat les mesures qui lui paraissent s’imposer pour ramener le Land au
respect de ses obligations. Les mesures en cause peuvent être des instructions, la nomination
d’un représentant du gouvernement fédéral auprès des autorités du Land, des mesures
financières, des mesures de substitution, l’engagement des forces de police du Land, et à
l’extrême la suspension des organes législatifs et exécutifs du Land et leur substitution par
une autorité provisoire mise en place par le gouvernement du Land (Jarass / Pieroth, GG ,op.
cit. commentaire sous art.37, par.3). Des mesures aussi extrêmes n’ont cependant jamais été
engagées, bien que l’on puisse relever quelques applications anciennes de la contrainte
fédérale. Mais, il faut le souligner, c’est aussi parce que cette procédure est crédible qu’elle
n’a pas eu à servir.
En Espagne également, si une communauté autonome ne se conforme pas aux
obligations que la constitution ou d’autres lois lui imposent, ou porte gravement atteinte par
ses actes à « l’intérêt général de l’Espagne », le gouvernement, après mise en demeure du
président de la communauté autonome, et avec l’approbation du sénat à la majorité absolue,
peut adopter les « mesures nécessaires » pour imposer l’exécution forcée de ces obligations
ou pour assurer la protection de cet intérêt général ; il peut alors donner des instructions à
toute les autorités de la communauté autonome (art.155). En Italie, le nouvel article 120
permet au gouvernement national de se substituer aux organes des régions, des provinces des
29
villes métropolitaines et des communes en cas de manquement aux normes internationales et
aux traités, ou aux normes communautaires, ou en cas de « péril grave » pour la sûreté et la
sécurité publiques, ou quand l’exige la protection de l’unité juridique ou de l’unité
économique, en particulier la protection des niveaux essentiels des prestations concernant les
droits civils et sociaux. Le gouvernement disposerait alors des bureaux territoriaux de l’Etat
(projet de loi n°1545). Le nouvel article 126, al.1 de la Constitution permet au président de la
République de prononcer par décret motivé la dissolution du conseil régional et la destitution
du président de la junte exécutive qui auront « accompli des actes contraires à la Constitution
ou de graves violations des lois », ou pour des « raisons de sécurité nationale ». Ce décret est
pris après avoir entendu une commission formée de députés et de sénateurs selon des
modalités qui devront être fixées par la loi. Enfin, au Royaume-Uni, tout projet de loi porté
devant le parlement d’Ecosse ou l’assemblée de l’Irlande du Nord appelle une prise de
position du ministre compétent sur le fait que le projet est bien de la compétence législative de
l’assemblée, et pendant quatre semaines après son adoption, et avant la sanction royale, les
« officiers de justice » peuvent déférer la loi à la Commission judiciaire du Conseil privé de la
Reine, qui se prononce sur la compétence de l’assemblée. Au Pays de Galles le procureur peut
demander à la Commission judiciaire du Conseil privé de vérifier si un acte de l’assemblée
nationale galloise est bien de sa compétence. Si la validité d’un loi régionale ou d’un acte de
l’assemblée nationale galloise est soulevée à l’occasion d’un litige, chaque loi désigne la cour
compétente, et c’est la Cour d’appel qui tranchera en dernier ressort.
Dans l’autre sens, la protection des droits constitutionnels des pouvoirs fédérés ou
régionaux réside essentiellement dans leur droit de saisir le juge constitutionnel de toute
mesure prise par l’Etat central qui leur porterait atteinte. Toutefois, cela il n’est pas possible
pour les autorités d’Ecosse, du Pays de Galles ou de l’Irlande du Nord de contester la validité
d’une loi du parlement britannique. Remarquons qu’il en va de même en Suisse : le pouvoir
fédéral peut contester la validité d’un loi cantonale par rapport à la constitution fédérale, mais
un canton ne peut pas contester la validité d’une loi fédérale.
30
II. LES COMPETENCES
La notion de compétence est ambiguë. Elle s’entend à la fois des pouvoirs juridiques
et des domaines dans lesquels ils peuvent exercés par l’autorité qui en est titulaire. En outre,
une compétence n’a pas la même portée selon qu’elle est discrétionnaire ou au contraire plus
ou moins étroitement conditionnée. A cet égard, l’attribution du pouvoir législatif confère une
liberté plus grande dans l’exercice des compétences, puisqu’elle permet au pouvoir régional
d’en déterminer les conditions, en fonction de l’étendue de ce pouvoir législatif. Toutefois, la
question des compétences est trop souvent abordée sous le seul angle de la répartition des
compétences, surtout en ce qui concerne les Etats fédéraux et les autonomies régionales. Or
cette approche est très réductrice. Plus les compétences transférées sont importantes plus les
institutions et les procédures de coopération ou de coordination entre le pouvoir central et les
unités fédérées ou régionales prennent de l’importance, et c’est d’elles, bien plus que de la
répartition formelle et statique des compétences matérielles, que dépend le bon
fonctionnement de l’ensemble du système. Cette question sera abordée dans la section III sur
les relations intergouvernementales. Il s’agira ici, dans un premier temps, de présenter les
règles essentielles sur lesquelles repose dans chaque pays la répartition des compétences, puis
de mettre en évidence quels sont les domaines d’action essentiels des autorités régionales,
avec le degré de liberté dont elles jouissent dans ces domaines, et d’apprécier le volume
budgétaire que ces compétences représente. En dernier lieu, on synthétisera les observations
essentielles par référence à l’expérience française la France.
1. Le cadre juridique de la répartition des compétences
La répartition des compétences est d’abord la répartition des compétences législatives.
C’est la question la plus sensible dans tous les Etats fédéraux comme dans tous les Etats à
autonomie régionale. En effet, le pouvoir de faire la loi reste symbolique de l’exercice d’au
moins une parcelle de la souveraineté de l’Etat, et la loi reste dans nos sociétés la base de
l’action administrative. Légiférer, c’est ainsi la garantie de pouvoir, dans les matières visées,
déployer librement la capacité d’action qui est propre à la puissance publique, sous réserve du
contrôle qu’exerce un juge constitutionnel.
La comparaison permet de relever l’existence de systèmes variés de répartition des
compétences législatives, lesquels peuvent d’ailleurs se combiner dans une même
constitution. La constitution des Etats-Unis pouvait se contenter d’énumérer les matières dans
31
lesquelles le congrès peut légiférer (article 1er, section 8), les autres appartenant aux Etats ou
au peuple (10ème amendement). Les constitutions modernes contiennent des dispositions
beaucoup plus complexes, et parfois obscures. Leur effort porte surtout sur la manière de
partager un même domaine de compétence entre les deux niveaux:
- l’établissement d’une liste de matières de compétences concurrentes (Allemagne : Loi
fondamentale, art.72 et 74), à côté de la liste des compétences exclusives du
législateur fédéral (art.73) ; cette distinction est complétée en matière financière par
les dispositions spéciales du chapitre X (art.104a à 115) ; dans les matières de
compétences concurrentes, le législateur fédéral ne peut intervenir que dans la mesure
son intervention est nécessaire pour produire des « conditions de vie équivalentes sur
le territoire fédéral, ou pour assurer l’unité juridique ou économique dans l’intérêt de
l’Etat dans son ensemble» (art.72.1)16 ;
- la distinction entre législation de base, ou de principe (ou législation-cadre), et
législation de détail, que l’on rencontre dans de nombreux pays :
• Allemagne : dispositions-cadres de l’article 75, dont le domaine
s’est progressivement étendu (fonction publique ; principes
généraux de l’enseignement supérieur ; chasse, protection de la
nature et entretien des paysages ; partage des terres,
aménagement du territoire, ressources en eau ; rapports
juridiques généraux en matière de presse ; protection contre
l’exportation illégale des biens culturels).
• Autriche, art.12 : dans les matières énumérées, la Fédération
légifère sur les principes, les Länder adoptent des lois de détail
et ont en charge l’exécution ;
• Espagne : des lois de base sont prévues par la constitution dans
de nombreuses matières (art.149), et leurs dispositions sont
développées ou complétées par les lois régionales ; toutefois, il
convient de souligner que la compétence résiduelle des
communautés autonomes, sur la base de l’article 149.3 et, pour
les communautés autonomes à compétence initiale réduite
(art.143), de la loi organique de transfert 9/1992, ne prend effet 16 Cette formulation a été introduite lors de la révision constitutionnelle de 1994 dans le but de mieux protéger les droits des Länder contre l’expansion de la législation fédérale, en donnant prise à un contrôle auquel la cour
32
que dans la mesure où les compétences matérielles sont bien
inscrites dans le statut de la communauté autonome ; dans les
faits, ce système laisse une réserve de compétence assez
importante au législateur national, au moins jusqu’aux derniers
transferts de compétences ;
• Suisse : la nouvelle constitution fédérale de 1999 distingue 10
domaines de compétence, et pour chaque domaine la
constitution fixe des objectifs, et définit les compétences
respectives de la Confédération et des cantons, en matière
législative et s’il y lieu en matière exécutive ; par exemple,
selon les cas la législation fédérale porte seulement sur les
principes ou est exclusive de la législation cantonale ; certaines
matières sont des compétences communes (par ex. art.124 :
l’aide aux victimes des infractions) ;
• Italie : dans les matières de compétences concurrentes, « le
pouvoir législatif appartient aux régions, sauf la détermination
des principes fondamentaux, qui est réservée à l’Etat »
(art.117) ; cela distingue la notion italienne de la notion
allemande de compétences concurrentes, puisque selon la Loi
fondamentale le législateur fédéral peut légiférer de manière
complète dès lors qu’il décide d’intervenir.
- En Autriche on combine trois modes de répartition des compétences : les matières
dans lesquelles le Bund exerce une compétence plénière pour la législation et pour
l’exécution (art.10), les matières dans lesquelles le Bund n’assure que la législation,
mais les Länder sont maîtres de l’exécution (art.11), et les matières dans lesquelles le
législateur ne fixe que les principes, tandis que les Länder sont responsables de la
législation d’application et de l’exécution (art.12).
Naturellement, la répartition réelle des compétences évolue sous l’influence de la
pratique et du juge constitutionnel.
Très souvent l’intervention du juge constitutionnel a favorisé l’extension de la
compétence législative fédérale, à l’instar de la Cour suprême des Etats-Unis, notamment en
utilisant des techniques d’interprétation. La théorie des pouvoirs « impliqués » (implied
constitutionnelle fédérale s’était toujours refusée ; sur ce point la révision ne semble pas avoir atteint son objectif.
33
powers) est l’une des premières constructions jurisprudentielles de la Cour suprême des Etats-
Unis en faveur du pouvoir fédéral. Selon l’arrêt « McCulloch v. Maryland » (1819) : le
Congrès dispose des pouvoirs qui sont impliqués par les pouvoirs énumérés par la
Constitution, en l’espèce celui de créer une banque des Etats-Unis. Selon le juge Marshall, de
grands pouvoirs ayant été donnés au Congrès par la Constitution, il « doit aussi se voir investi
d’amples moyens pour les exercer », sans qu’on ait à rechercher une habilitation spéciale dans
le texte de la Constitution, et les Etats ne sauraient exercer leurs compétences réservées d’un
manière qui entrave les opérations du gouvernement fédéral. De même, en Allemagne la Cour
constitutionnelle fédérale a recours à des notions similaires: la compétence qui découle du
contexte (Kompetenz kraft Sachzusammenhangs) ; la compétence accessoire
(Annexkompetenz) ; la compétence résultant de la nature des choses (Kompetenz aus der
Natur der Sache). En Italie, la Cour constitutionnelle a longtemps développé une
jurisprudence « unitaire », neutralisant progressivement la portée de l’autonomie législative
des régions à statut spécial. Elle a ainsi étendu aux régions à statut spécial l’obligation de
respecter, même dans les matières de leur compétence exclusive, les « normes fondamentales
relatives aux réformes économiques et sociales », et la réserve relative à l’intérêt national
inscrite dans les statuts spéciaux a été interprétée comme permettant au législateur national de
soumettre pour ce motif le législateur régional à ses propres prescriptions. En revanche, en
Espagne le Tribunal constitutionnel a plutôt soutenu le régime d’autonomie. Par exemple, il a
neutralisé la disposition de l’article 150.3 de la Constitution qui permettait à l’Etat de faire des
lois d’harmonisation de la législation des communautés autonomes quand l’intérêt général
l’exige, au motif que cette disposition a pour objet de prévenir toute lacune dans le système de
répartition des compétences et ne peut être utilisé que s’il n’existe aucun autre moyen
constitutionnel pour assurer l’harmonie qu’exige l’intérêt général (76/1983, 5 août) ; de même
il soutient que l’Etat ne peut légiférer, même à titre supplétif, sans un titre de compétence
explicite dans la Constitution (118/1996 et 61/1997).
Il convient cependant de souligner que l’on observe depuis quelques années une
évolution en sens inverse. La révision de la Loi fondamentale de 1994, en Allemagne, visait
cet objectif, même si elle ne l’a pas atteint, en précisant les conditions d’intervention du
législateur fédéral dans les matières de compétences concurrentes (art.72), de telle sorte que la
Cour constitutionnelle fédérale puisse en contrôler le respect ; dans le même temps la
possibilité de saisir la Cour de ce chef était élargie aux parlements des Länder (art.93.2a), et
la possibilité était introduite pour le législateur fédéral de restituer des matières à la
compétence législative des Länder (art.72.3). En Espagne, la jurisprudence du Tribunal
34
constitutionnel a été plutôt favorable aux autonomies régionales, comme en témoigne sa
théorie de l’« Etat composé », et son interprétation assez restrictive du domaine matériel de la
compétence exclusive de l’Etat. Mais c’est surtout par les révisions constitutionnelles que l’on
assiste à un élargissement des compétences des pouvoirs régionaux, comme le montrent en
outre les exemples de la Belgique et de l’Italie.
Dans les Etats fédéraux, la nécessité impose parfois de préciser la répartition des
compétences sur la base de principes permettant de clarifier le rôle de chaque niveau en
matière de législation et d’exécution des lois, au moins dans certains domaines. La nouvelle
constitution fédérale de la Suisse en est un bon exemple. Dans chacun des domaines que
distingue la nouvelle constitution, les pouvoirs de la Confédération varient : selon les cas, elle
légifère (en matière de concurrence : art.96), « peut légiférer » (sur la protection des
travailleurs, les relations entre les travailleurs et les employeurs, l’extension du champ
d’application des conventions collectives : art. 110), exerce des compétences opérationnelles
(elle peut exploiter des ouvrages publics : art.81), apporte un soutien dans des domaines qui
ne relèvent pas de sa compétence législative ni exécutive (en matière d’éducation : art.66). De
même en Autriche, l’article 14 de la Constitution fédérale précise le partage des compétences
en matière d’éducation entre la Fédération et les Länder: la Fédération exerce en principe la
compétence législative et la compétence exécutive, sauf sur les sujets pour lesquels il en
dispose autrement ; selon les cas, les Länder n’exercent alors qu’une compétence exécutive
(en ce qui concerne les personnels), légifèrent dans le cadre des principes fixés par la loi
fédérale et assurent l’exécution (en matière d’organisation scolaire) ou assurent une
compétence plénière de législation et d’exécution (exercice de l’autorité administrative sur les
personnels, les jardins d’enfants). De telles dispositions clarifient les responsabilités
respectives des différentes autorités et protègent la compétence des entités fédérées, même
lorsqu’elle est peu étendue. Mais en même temps, elles témoignent de l’imbrication et de
l’interdépendance des compétences entre les différents niveaux de l’organisation étatique.
2. Le contenu des compétences
Il s’agit ici d’apprécier quelles sont les compétences matérielles les plus significatives
des pouvoirs régionaux, compte tenu de la répartition des compétences opérée par la
Constitution, en les mettant en relation avec les pouvoirs juridiques associés à leur exercice.
On prêtera une attention particulière aux compétences intéressant les fonds structurels
européens et la mise en œuvre de certaines politiques communautaires.
35
On laissera ici de côté l’exemple de la Belgique qui, sur ce point, présente moins
d’intérêt pour la France. On en résumera cependant l’idée essentielle. Les compétences des
communautés et des régions sont des compétences d’attribution, déterminées par une loi
spéciale, supérieure aux lois ordinaires, et soumise à des conditions d’adoption particulières,
tant que qu’une nouvelle révision constitutionnelle n’aura pas défini les compétences
exclusives de l’autorité fédérale. Depuis 1993, la loi spéciale de réformes institutionnelles
définit les compétences transférées par grands blocs, dont le contenu donne lieu à des lites
d’attributions, mais dont certaines sont réservées à l’Etat. L’évolution consiste à réduire
progressivement les attributions réservées à l’Etat dans chacun de ces blocs, comme l’a fait
notamment la loi spéciale du 13 juillet 2001.
A) Allemagne
L’évolution des rapports entre la Fédération et les Länder a conduit à la concentration
de la fonction législative au niveau fédéral, tandis que les Länder sont responsables de
l’exécution des lois et de l’administration dans la plupart des domaines. Elle se reflète dans le
fait que dans l’ensemble des agents publics, 10% sont employés par la Fédération, 45% par
les Länder et 35% par les communes. L’activité législative des Länder est concentrée sur un
certain nombre de domaines précis :
- l’administration locale (administration d’Etat, collectivités locales – organisation
territoriale, institutions, compétences, finances, dans le respect des articles 28 et 106
de la Loi fondamentale) ; la culture et l’audiovisuel ; le développement régional ; des
mesures d’ordre social à condition de ne pas empiéter sur les domaines couverts par la
législation fédérale ; les règles de construction (chaque Land a adopté son code de la
construction – ce qui vise les règles techniques de construction, tandis que le code de
l’urbanisme est une loi fédérale) ; la procédure administrative (tous les Länder ont
repris les dispositions de la loi fédérale sur la procédure administrative) ;
- dans le respect des lois-cadres fédérales (art.75) : l’enseignement, la presse,
l’aménagement du territoire, la gestion des ressources hydrauliques, la fonction
publique, la protection de la nature et des paysages, la chasse.
A titre d’exemple, le Land de Hesse a adopté 16 lois en 2001, dont 6 concernent le
budget, les comptes et l’organisation administrative propre du Land et les 10 autres ont les
objets suivants : le traitement automatisé des données, la psychothérapie infantile, la mise en
36
œuvre de la loi fédérale sur l’aide sociale, la fonction publique, la formation des maîtres, la
transposition d’une directive européenne sur le transport des matières dangereuses, la presse,
la chasse, la reconnaissance des « académies professionnelles », le coût de la juridiction
administrative.
L’exemple des hôpitaux permet d’illustrer les rôles respectifs du législateur fédéral et
du législateur du Land. Selon la Loi fondamentale (art.74.1, 19a), le financement des hôpitaux
et les règles relatives au prix de journée sont du domaine de la législation concurrente. La loi
fédérale de 1991, modifiée de nombreuses fois, sur le financement des hôpitaux en fixe les
principes : les investissements sont financés par les Länder, sauf pour les établissements
exclus de ce financement, tandis que les soins sont financés par le prix de journée acquitté par
les caisses d’assurance-maladie ; toutefois, le prix de journée peut aujourd’hui couvrir une
partie des investissements et les Länder peuvent aussi décider de soutenir des établissements
qui ne sont pas de plein droit éligibles à un financement public. La loi modificative de 2000
introduit la dotation globale, au lieu du prix de journée, pour le financement des hôpitaux en
vue de favoriser entre eux une concurrence orientée vers l’amélioration des performances vis-
à-vis des caisses d’assurance-maladie. La loi fédérale fixe les cadres des rapports entre les
caisses d’assurance-maladie, les Länder, les hôpitaux public et les organisations
professionnelles, ainsi que le cadre de l’intervention des Länder. La loi du Land (voir par
exemple la loi hospitalière de la Bavière, du 11 septembre 1990, modifiée par la loi du 14
juillet 1998) règle les questions qui échappent à la compétence concurrente et assure la mise
en œuvre de la loi fédérale. Elle organise la planification hospitalière, définit les autorités
administratives du Land qui en sont responsables, fixe les principes du financement des
investissements hospitaliers et les règles relatives à l’octroi des subventions d’investissement
aux établissements, prévoit l’établissement d’un programme d’investissement, mais aussi le
financement des investissements sur la dotation globale dans la limite maximale d’un quart de
celle-ci (aspect essentiel), et les conditions dans lesquelles l’établissement peut, au lieu
d’investissements, passer une convention d’utilisation d’installations hospitalières réalisées
par un tiers et disposer de ces installations contre paiement d’une redevance. La loi bavaroise
règle aussi les conditions du soutien financier du Land à un établissement hospitalier en
difficultés financières ; elle prévoit les différentes formes juridiques parmi lesquelles les
collectivités locales peuvent choisir d’organiser l’hôpital. L’administration de la politique
hospitalière, dont les cadres, y compris les missions des autorités du Land, sont définis de
manière précise par la loi fédérale, est mise en œuvre par les ministres compétents du
gouvernement du Land.
37
Parmi les dépenses des Länder, les compétences les plus importantes sont (en 1999) :
l’enseignement scolaire (19,5%) et l’enseignement supérieur (8,2%), les dépenses sociales
(10,4%), l’ordre public et la sécurité (5,7%). Dans l’ensemble des dépenses publiques, les
Länder représentent 60,7% des dépenses d’ordre public et de sécurité, 72% des dépenses
scolaires, 89,8% des dépenses pour l’enseignement supérieur, 47,1% des dépenses culturelles,
26,7% des dépenses de transports et de communications (infrastructures routières en
particulier) ; les Länder assurent aussi 23,7% des dépenses consacrées au logement et à
l’aménagement du territoire (ce qui témoigne de l’importance relative des dépenses fédérale
pour le logement), 31,8% des dépenses en matière agricole, forestière, et alimentaire. En
matière hospitalière, les Länder ont la responsabilité de la carte hospitalière et du financement
des investissements, mais cette dernière fonction perd de son importance avec le report d’une
part importante des investissements sur la dotation globale et le recours au financement privé
pour des installations mises à la disposition des hôpitaux sur une base contractuelle. Les
dépenses d’investissement des Länder représentent en 2001 14,7% de leurs dépenses totales
(mais 11,6% dans les anciens Länder, et 23,3% dans les nouveaux Länder – Berlin non
compris) , dont 3,1% en investissements directs.
Une évaluation de l’autonomie d’action des Länder et de la Fédération dans les
principaux secteurs a montré que les Länder disposent de l’autonomie la plus grande par
rapport à la Fédération en matière scolaire, de sécurité et d’ordre public, et la plus faible en
matière de santé, de transports et de communications – mais il en va différemment
aujourd’hui dans ce dernier secteur compte tenu de la réforme des chemins de fer intervenu en
1993, qui a notamment transféré aux Länder la responsabilité de l’organisation des transports
ferroviaires régionaux.
En ce qui concerne les fonds structurels européens, il convient de distinguer entre
l’objectif 1 et l’objectif 2. Dans les régions couvertes par l’objectif 1 (les nouveaux Länder, y
compris Berlin-Est), il existe un seul cadre communautaire d’appui, établi par le
gouvernement fédéral avec les Länder concernés, tandis que ceux-ci ont la responsabilité de
l’élaboration des programmes opérationnels. Dans les zones d’objectif 2 (les centres urbains
des anciens Länder, notamment Berlin-Ouest, Brême, et en Rhénanie du Nord - Westphalie)
les Länder établissent séparément leurs propres programmes. Les Länder assurent aussi la
gestion financière des fonds. Contre la volonté du gouvernement fédéral, mais avec l’appui de
la Commission, les nouveaux Länder sont parvenus à dissocier la programmation des fonds
structurels et celle de la « mission commune » « amélioration de la structure économique
régionale », prévue par la Loi fondamentale (art. 91a) pour promouvoir le développement
38
régional ; les Länder en attendent une plus grande autonomie, puisqu’ils échappent à
l’intervention du gouvernement fédéral qui co-détermine le contenu du plan de mise en œuvre
de ladite « mission commune ». C’est aussi l’administration du Land qui joue le rôle clé dans
le contrôle de l’exécution et au sein des comité de suivi, où siègent cependant les
représentants des ministères fédéraux compétents. Ce sont aussi les Länder qui administrent la
politique agricole commune. En revanche la transposition de directives communautaire relève
rarement de la compétence législative des Länder ; elle relève au contraire presque toujours
de la compétence du législateur fédéral, par l’effet des dispositions de la Loi fondamentale en
ce qui concerne la répartition des compétences et de l’absorption de la plupart des matières de
compétences concurrentes par le législateur fédéral; toutefois, les Länder y sont associés au
travers du Bundesrat, dans la mesure où leurs compétences sont concernées. Il en va
différemment des règlements communautaires, dont l’exécution tombe dans la compétence
générale des Länder en matière exécutive. Pour les mêmes raisons, la possibilité pour un
représentant des Länder de représenter l’Allemagne au Conseil en application de l’article 203
du Traité, dès lors que, comme le prévoit l’article 23 de la Loi fondamentale, les compétences
exclusives des Länder sont en cause, n’a guère trouvé à s’appliquer.
B) Espagne
Les compétences régionales sont caractérisées par leur hétérogénéité entre les régions
et par une double dynamique. D’une part, il existe une tendance à l’harmonisation des
compétences sur les communautés autonomes dotées des compétences les plus larges, et
d’autre part la différenciation des situations se reproduit du fait que certains « privilèges
(« fueros ») se maintiennent et que les communautés autonomes au particularisme le plus
affirmé justifient par ce particularisme le maintien d’un régime particulier.
Dans le système établi par la constitution de 1978, de même que les circonscriptions
régionales n’étaient pas définies par la Constitution, celle-ci ne définit pas non plus
directement les compétences attribuées aux régions. C’est le statut de chaque Communauté
autonome qui définit ses propres compétences dans les limites fixées par la Constitution, sans
être obligé de prendre toutes les compétences ouvertes ou de les assumer dans leur totalité. De
39
plus, la Constitution distingue deux définitions distinctes des compétences selon le mode de
constitution des communautés autonomes17 :
- compétences maximales, c’est-à-dire toutes les compétences autres que les
compétences exclusives de l’Etat énumérées à l’article 149 (art.151) : les
communautés autonomes correspondant à des territoires qui avaient dans le passé (eg
sous la constitution de la République : Catalogne, Galice, Pays Basque – Constitution :
disposition transitoire n°2) adopté des statuts d’autonomie, et les territoires qui se sont
constitués en communautés autonomes à l’initiative des trois quarts des communes
représentant la majorité de la population des provinces concernées et ont été ratifiés
par référendum à la majorité absolue des électeurs de chaque province (Andalousie,
Comunidad Valenciana, Îles Canaries : art.151.1 ; Navarre : 4ème disposition
transitoire) ;
- compétences énumérées à l’article 148 : les dix autres communautés autonomes
(art.143).
A cette différenciation initiale des compétences accessibles aux communautés
autonomes s’ajoute celle qui résulte des choix faits par chaque communauté autonome au
moment de l’élaboration des statuts. Selon la Constitution, les statuts étaient adoptés
également selon des procédures différentes dans les deux cas (respectivement : art.151.2 et
146), la procédure applicable aux communautés autonomes de l’article 151 tendant à produire
un accord entre l’assemblée des parlementaires du territoire concerné et la commission
constitutionnelle du Congrès des députés, et le projet de statut étant alors soumis à un
référendum. Dans tous les cas, cependant, le statut d’autonomie doit être approuvé par les
Cortes Generales pour devenir loi (art.147.2). Ensuite le statut est modifié selon la procédure
qu’il établit et ces modifications doivent être approuvées par une loi organique. Enfin,
l’article 152 prévoyait seulement pour les communautés autonomes de l’article 151 des
institutions correspondant à celles de l’Etat, mais tous les statuts ont adopté le même type
d’institutions (cf supra I, 3).
Mais en outre, la Constitution « protège et respecte les droits historiques des territoires
foraux » (1ère disposition additionnelle), c’est-à-dire des privilèges et franchises (fueros)
accordés autrefois par charte royale. Certaines communautés autonomes ont ainsi conservé un
17 La mise en place des autonomies a suivi un processus politique et juridique très complexe, qu’il n’est pas utile de décrire ici dans ses détails mais dont les particularités soulignent le caractère idiosyncrasique de l’expérience espagnole. Pour plus de détail, voir : F. Moderne / P. Bon, Les autonomies régionales dans la constitution espagnole, Paris, Economica, 1981 ; E. Aja, El Estado autonómico. Federalismo y hechos diferenciales, Madrid, Alianza Editorial, 1999.
40
droit civil particulier, et le droit civil national ne s’y applique qu’à titre supplétif : Pays
Basque, Galice, Navarre, Aragon, Valence, et surtout Catalogne. La compétence exclusive de
l’Etat en matière de législation civile est donc limitée dans ces régions aux questions
énumérées à la deuxième phrase de l’article 149.1,8°. De même, les privilèges fiscaux des
territoires historiques du Pays Basque et de la Navarre demeurent : si la législation fiscale
nationale s’applique dans ces communautés autonomes dans la mesure où la loi nationale est
compétente, ce sont les autorités régionales qui ont le pouvoir de lever l’impôt et d’en
recouvrer le produit ; elles négocient ensuite avec l’Etat un accord qui fixe le montant de leur
participation aux dépenses communes. Les Îles Canaries bénéficient également d’un régime
fiscal particulier, actualisé aujourd’hui par la loi 19/1994 modifiée. Enfin, les langues
régionales ont acquis un caractère officiel (Constitution : art.3.2) dans plusieurs communautés
autonomes (Pays Basque, Galice, Catalogne, Valence, Baléares18), si bien que la langue
régionale prévaut sur le castillan dans les rapports officiels, bien que tout citoyen ait le droit
d’utiliser le castillan (Constitution : art.3.1) ; ces privilèges linguistiques se traduisent dans la
législation régionale et ont des incidences importantes sur l’organisation du système éducatif,
dans la mesure où l’enseignement général se fait dans la langue régionale (toutefois c’est
optionnel au Pays Basque), le castillan étant alors une matière obligatoire.
C’est à la fin de 1992 qu’un accord politique entre les deux principaux partis, le PSOE
et le Parti populaire, a permis l’adoption de la loi du 23 décembre 1992, qui règle les
conditions des transferts de compétences aux communautés autonomes de l’article 143, dans
la mesure où leurs statuts prendront les nouvelles compétences qui leur étaient désormais
ouvertes, à l’instar des communautés autonomes de l’article 151. Cet accord politique et les
négociations qui ont suivi entre l’Etat et les communautés autonomes ont conduit à une
harmonisation progressive des compétences dans les domaines majeurs, sans cependant
gommer toutes les différences. Le terme de ce processus d’harmonisation est peut-être atteint
avec l’achèvement en 2000 du transfert des compétences en matière d’enseignement aux
dernières communautés autonomes qui ne les avaient pas encore acquises (Asturies, Castille –
La Manche, Estrémadure) et le transfert en 2001 des compétences en matière d’hôpitaux
publics à 10 communautés autonomes. Si ce processus d’harmonisation a été relativement
long, c’est en raison des mesures d’accompagnement qu’il impliquait : transferts de services
de l’Etat et surtout réforme du système de financement des communautés autonomes pour
18 Le catalan est langue officielle non seulement en Catalogne, mais aussi dans la communauté de Valence (sous l’appellation de « valenciego ») et aux Baléares, ce qui représente un bassin linguistique de 11 millions d’habitants environ.
41
permettre la prise en charge de compétences comportant des coûts particulièrement élevés. En
particulier, le transfert des compétences en matière sanitaire a été rendu nécessaire
l’introduction d’un nouveau modèle de financement, par la loi organique 7/22001 du 7
décembre.
L’impact des transferts de compétences en matière d’éducation et de santé est
considérable sur le volume des dépenses des communautés autonomes. Ces dépenses sont
passées de 11,5% du PIB en 1998, à 12,3% en 2001, et elles atteindront 16% du PIB avec le
transfert des hôpitaux publics à 10 nouvelles communautés autonomes19.
Cette harmonisation ne mettra cependant pas fin à toutes les différences. Les
compétences liées à l’existence d’un droit civil spécial et à une langue régionale officielle
demeurent. En outre, deux communautés autonomes (la Catalogne et le Pays Basque) ont
établi une police autonome, comme le permet l’article 149.1,29° de la Constitution, qui
réserve cette possibilité à côté de la compétence exclusive de l’Etat en matière de sécurité
publique. De plus, en vertu de l’article 150, la loi nationale peut attribuer aux communautés
autonomes ou à certaines d’entre elles la faculté d’adopter des dispositions législatives dans
des matières de la compétence de l’Etat, dans le cadre des principes qu’elle fixe, et l’Etat peut
transférer ou déléguer par loi organique aux communautés autonomes des attributions
relevant de la compétence de l’Etat, accompagnées des moyens financiers correspondant, et
sous le contrôle de l’Etat. Ces dispositions laissent la porte ouverte à de nouveaux transferts
de compétences, en dehors des statuts d’autonomie, et dont on peut s’attendre à ce qu’ils
soient différenciés, en fonction des demandes fondées sur la reconnaissance des
particularismes de certaines régions. Pour le moment, les communautés autonomes qui ont
bénéficié de lois spéciales de transferts sont les Îles Canaries, les Îles Baléares, la
communauté de Valence, la Galice, la Catalogne.
Les compétences essentielles des communautés autonomes peuvent néanmoins être
résumées de la manière suivante, en distinguant les matières de compétence exclusive et les
matières de compétence partagées :
- Compétences exclusives les plus importantes :
• circonscriptions et délimitation des collectivités locales
• aménagement du territoire, urbanisme, logement
• travaux publics d’intérêt régional
• développement régional
19 Concrètement : 12 milliards d’euros, 140.000 emplois, 83 hôpitaux et 35.000 lits.
42
• chemins de fer et routes situés à l’intérieur du territoire régional
• agriculture, élevage, forêts
• services sociaux
• coordination des polices locales
- Compétences partagées les plus importantes
• éducation, à tous les niveaux
• santé (hôpitaux publics)
• régime juridique des collectivités locales
Si on mesure ces différentes compétences en fonction de leur poids budgétaire, ce sont
les compétences en matière d’éducation et de santé qui deviennent aujourd’hui
prépondérantes dans les budgets des communautés autonomes. Après les transferts réalisés en
2001, les dépenses en matière de santé représenteront 45,3% des dépenses celles en matière
d’éducation à tous les niveaux 19,7%, soit, pour ces deux compétences, les deux tiers des
dépenses. Même si les dépenses consacrées aux dépenses sociales, aux infrastructures et aux
secteurs productifs ne diminuent pas, leur part relative dans les dépenses se trouve amoindrie
(respectivement 5,6%, 5,4% et 7,4% après les derniers transferts). Les dépenses
d’investissement de l’ensemble des communautés autonomes en 2001 (donc avant les derniers
transferts concernant les hôpitaux publics) représentaient 19,2% des dépenses totales.
En ce qui concerne la mise en œuvre du droit communautaire et des politiques
communautaires, le Tribunal constitutionnel a déduit de la répartition des compétences opérée
par la Constitution que « l’exécution du droit communautaire appartient à celui qui en possède
la compétence selon le droit interne », ce qui détermine la compétence pour la transposition
des directives communautaires comme pour la gestion des aides attribuées au titre de la PAC,
ce qui vaut aussi pour les fonds structurels (arrêt du 28 mai 1992, STC 79/1992), l’Etat ne
pouvant déduire de son pouvoir financier une compétence en matière de subvention distincte
des compétences qu’il tient directement de la Constitution (arrêt du 6 février 1992, STC
13/1992).
Dans la mise en œuvre des fonds structurels et du fonds de cohésion, l’influence des
communautés autonomes s’est accrue, surtout depuis la programmation 1994-1999, mais le
gouvernement conserve la responsabilité du dialogue avec la Commission et l’administration
centrale est compétente pour la coordination générale (ministère du Budget pour le FEDER et
le Fonds de Cohésion, ministère du Travail pour le FSE et ministère de l’Agriculture pour le
FEOGA et l’IFOP) relative à la programmation, à la gestion, au contrôle et à l’évaluation.
43
L’Espagne n’a pas fait application de l’article 203 du traité, et elle est toujours représentée au
Conseil par un ministre du gouvernement national. Tous les programmes étatiques et
régionaux sont intégrés dans un « plan de développement régional coordonné par l’Etat, et
établi sur la base d’une coopération entre l’Etat et les communautés autonomes, ainsi que les
partenaires économiques et sociaux ; le poids des communautés autonomes est toutefois
d’autant plus grand qu’il implique leurs compétences exclusives. Pour les zones d’objectif 1
et 2, les programmes régionaux sont préparés, gérés et contrôlés par les communautés
autonomes ; les communautés autonomes établissent également les programmes régionaux de
recherche-développement, d’amélioration de la compétitivité, de développement rural et de
protection de l’environnement. Les programmes « plurirégionaux » sont établis, gérés et
contrôlés par l’Etat : par exemple en matière de recherche-développement, de société de
l’information ou d’amélioration de la concurrence. En ce qui concerne le Fonds de Cohésion,
l’Etat opère une répartition des moyens entre lui-même, les communautés autonomes et les
collectivités locales, et la part de chaque communauté autonome est proportionnelle à sa
population ; chaque communauté autonome présente ensuite librement ses projets à condition
de respecter les prescriptions du règlement sur le Fonds. Dans les deux cas, le contrôle est
opéré par les organes de contrôle financier de la communauté autonome sur la base d’une
convention passée avec l’Etat. Les communautés autonomes ayant la compétence exclusive
en matière agricole, elles reçoivent les fonds agricoles de la Communauté européenne, par
l’intermédiaire de l’Etat, et en assurent pleinement la gestion.
En revanche dans le domaine de la transposition des directives, l’intervention des
communautés autonomes est restée plutôt réduite : environ 3% seulement de directives ont été
transposées par les communautés autonomes. C’est cependant l’Etat qui est responsable de
l’application du droit communautaire vis-à-vis de la Communauté européenne. Un problème
pourrait se poser quand la compétence législative est partagée, si la loi régionale intervient en
premier sur la base de la directive, et si une loi nationale est adoptée ensuite pour fixer les
bases de la législation de transposition : dans ce cas la loi régionale devra être mise en
conformité.
Cela renvoie aux modalités de contrôle tendant à assurer le respect par les
communautés autonomes du droit communautaire. La Constitution (art.93) affirme la
responsabilité des Cortes et du gouvernement pour garantir l’exécution du droit
communautaire, mais ne prévoit aucun mécanisme particulier, en dehors des dispositions
destinées à permettre la surveillance des communautés autonomes et dont l’efficacité paraît
aléatoire, sauf en cas de transposition incorrecte ou d’exécution administrative incorrecte,
44
dans la mesure où un recours, au juge constitutionnel ou au juge ordinaire selon les cas, est
possible. De nombreux exemples concernant les interventions économiques des communautés
autonomes et cette année les aides illégales à la culture du maïs, illustrent ces difficultés.
C) Italie
La situation actuelle de l’Italie est difficile à apprécier, car la réforme constitutionnelle
de 2001 n’a pas encore produit tous ces effets, et elle déjà remise en cause par le projet de
« devoluzione », nouvelle réforme constitutionnelle soutenue par la Ligue du Nord et qui
vient d’être votée par le Sénat italien le 5 décembre 2002 en première lecture.
Selon le nouvel article 117 de la constitution italienne, les régions exercent le pouvoir
législatif dans toutes les matières non expressément réservées à la compétence de l’Etat. Dans
les matières de compétences concurrentes, les régions exercent aussi le pouvoir législatif, sous
réserve de la détermination des « principes fondamentaux », lesquels relèvent de la législation
nationale. Cette liste donne déjà une idée assez précise des compétences régionales :
- rapports internationaux et avec l’Union européenne des régions ;
- protection et sécurité du travail ;
- enseignement, sous réserve de l’autonomie des établissements et à l’exclusion de
l’enseignement et de la formation professionnels ;
- les professions ;
- la recherche scientifique et technologique et le soutien à l’innovation pour les secteurs
productifs ;
- la protection de la santé ;
- l’alimentation ;
- le régime des sports ;
- la protection civile ;
- le « gouvernement du territoire » (« governo del territorio ») ;
- les ports et les aéroports civils ; les grands réseaux de transports et de navigation ;
- le régime de la communication ;
- la production , le transport et la distribution nationale d’énergie ;
- la prévoyance sociale complémentaire et intégrée ;
- l’harmonisation des budgets publics et la coordination des finances publiques et du
système fiscal ;
45
- la mise en valeur des biens culturels et des sites naturels et la promotion et
l’organisation des activités culturelles ;
- les caisses d’épargne, les caisses rurales, les agences de crédit à caractère régional ;
- les organismes de crédit foncier et agricole à caractère régional.
Cette liste appelle des observations, sur certains termes ; combinée avec la liste des
compétences exclusives du législateur national et celle des compétences régionales et l’ancien
article 117, elle permet de distinguer certains domaines importants de compétence exclusive
des régions. Tout d’abord la notion de « governo del territorio » donne déjà lieu à des
discussions, d’autant que disparaissent de la constitution les formulations de l’ancien article
117 donnant aux régions la compétence législative en matière d’urbanisme (« urbanistica »).
Rappelons que selon l’ancien article 117, le pouvoir législatif régional était toujours soumis
aux « principes fondamentaux établis par les lois de l’Etat » (al.1er). Cette expression assez
obscure trouve sa source dans des arrêts de la Cour constitutionnelle20 qui annulèrent des lois
régionales en matière d’urbanisme parce qu’elles violaient l’autonomie communale, en
s’ingérant dans le contenu des plans d’urbanisme, qui relève de l’autonomie communale, ce
qui dépassait les limites de ce que nécessitait le « gouvernement de leur territoire »21. On peut
en déduire que les documents d’urbanisme relèveraient des compétences concurrentes, mais
que la législation sur les autorisations de construire relèveraient désormais de la compétence
exclusive des régions. Le même raisonnement pourrait être appliqué à d’autres domaines, qui
ne figurent ni dans la liste des compétences exclusives de l’Etat ni dans celle des matières de
compétences concurrentes, s’ils peuvent se rattacher au « gouvernement du territoire », ce qui
laisserait au législateur national la possibilité d’adopter des « principes fondamentaux » ; mais
l’extension sera donnée à cette notion dépendra de la Cour constitutionnelle. A l’inverse, en
exceptant l’enseignement et de la formation professionnels des compétences concurrentes,
l’article 117 les verse dans les compétences exclusives des régions.
D’autres matières qui figuraient dans la liste de l’ancien article 117, qui étaient
soumises aux principes fondamentaux établis par la loi nationale et ne sont pas reprises dans
la listes des matières de compétences concurrentes, tombent également dans les compétences
exclusives des régions. Tel est le cas pour : le régime des services et des unités
administratives de la région ; les circonscriptions communales ; les foires et marchés ; les
musées et bibliothèques des collectivités locales (sous réserve de la législation exclusive de
20 Cour constitutionnelle, 24 février 1994, n°61, et 10 mars 1994, n°79 (Le Regioni, 1995, p.159), également 8 avril 1997, n°83 (Giurisprudenza costituzionale, 1997, p.804). 21 E. Ferrari, « Planning, building and environmental law in the recent Italian devolution », European Public Law, 4ème trimestre 2002 (à paraître).
46
l’Etat pour la protection des biens culturels) ; le tourisme et l’industrie hôtelière ; les
tramways et transports routiers régionaux de voyageurs ; la voirie, les adductions d’eau et les
travaux publics d’intérêt régional ; la navigation et les ports fluviaux ; les eaux minérales et
thermales ; les carrières et tourbières ; la chasse ; la pêche en eau douce ; l’agriculture et les
forêts ; l’artisanat. Il faut y ajouter le commerce, les activités productives et l’industrie, les
spectacles. Le pouvoir réglementaire appartient aussi aux régions, sauf dans les domaines de
la compétence exclusive de la législation nationale.
En outre, les régions à statut spécial restent soumises à la loi constitutionnelle qui régit
chacune d’elles et en détermine les compétences. Ces lois attribuaient à ces régions des
compétences plus larges que celles des régions ordinaires, notamment avec un ensemble de
compétences exclusives, il est vrai dans le respect des « normes fondamentales des réformes
économiques et sociales de la République » (formule de l’article 3 du statut de la Sardaigne,
repris ensuite par la Cour constitutionnelle avec une portée plus générale). La comparaison
des lois constitutionnelles portant statuts de la Sicile et de la Sardaigne fait apparaître que,
dans beaucoup de domaines, les compétences législatives exclusives de ces régions
deviennent le droit commun. Il demeure cependant des différences : par exemple ces régions à
statut spécial ont une compétence législative exclusive en matière de collectivités locales,
d’exploitation minière, d’urbanisme, la Sicile en matière d’enseignement élémentaire et de
législation sur l’expropriation (art.14, f et s, du statut). Sur d’autres points, le nouvel article
117 donne aux régions à statut ordinaire des compétences que n’ont pas les régions à statut
spécial et qui appelleront sans doute la modification de leur statut : l’enseignement et la
formation professionnels. Il faudrait aussi comparer les listes de matières de compétences
concurrentes.
Le nouvel article 116 ouvre aussi la possibilité d’un nouvelle extension des
compétences législatives régionales. Il prévoit que pourront être définies « des formes
ultérieures et des conditions particulières d’autonomie » dans les matières de compétences
concurrentes et que certaines matières actuellement de la compétence législative exclusive de
l’Etat : la justice de paix, les « normes générales d’enseignement, et la protection de
l’environnement, de l’écosystème et des biens culturels, pourront être transférées, par une loi
de l’Etat approuvée par les chambres à la majorité absolue de leurs membres, aux régions qui
en feront la demande, sur la base d’un accord entre elles et l’Etat.
La Cour constitutionnelle a déjà rendu deux arrêts qui ouvrent la voie à une
compétence de l’Etat plus large que la notion de compétence exclusive ne le laissait supposer.
En effet, certains chefs de compétence de la législation nationale ne peuvent pas s’interpréter
47
comme des compétences matérielles au sens technique du terme, tels que « les niveaux
essentiels des prestations concernant les droits civils et sociaux… » et « la protection de
l’environnement » (art.117, al.2, m et s) ; celles-ci ont un caractère transversal et s’appliquent
à des compétences diverses, qui peuvent être régionales, et attribuent à l’Etat « les
déterminations qui répondent à des exigences de fond qui appellent une réglementation
uniforme sur tout le territoire national »22.
Si la nouvelle révision constitutionnelle aboutit, les régions pourraient « activer la
compétence législative exclusive » dans quatre autres matières (nouveau 4ème alinéa, qui serait
introduit dans l’article 117) . La formulation est surprenante mais n’aurait d’autre sens que de
conférer aux régions qui voudraient en prendre l’initiative le droit d’évoquer à leur profit la
compétence législative exclusive dans ces matières et d’en évincer l’Etat. Les matières citées
sont les suivantes : a) l’assistance et l’organisation sanitaires ;b) l’organisation scolaire, la
gestion des établissements scolaires et de formation, sous réserve de l’autonomie des
établissements ; c) la définition de la part des programmes scolaires et de formation de
l’intérêt spécifique des régions ; la police locale ». Actuellement, la loi nationale a
compétence exclusive pour « déterminer les niveaux essentiels des prestations concernant les
droits civils et sociaux qui doivent être garantis sur tout le territoire national » (art.117, al.2,
m), et « les normes générales sur l’enseignement » (ibid., n), ce qui renvoie aux articles 13 à
47 de la première partie de la Constitution qui définit et garantit ces droits. L’exercice par une
région de ce droit d’évocation priverait d’effet toute loi nationale sur les « niveaux
essentiels » . La matière de police locale est actuellement soumise à la compétence exclusive
du législateur national en matière d’« ordre public et de sécurité, à l’exclusion de la police
administrative locale » (art.117, al.2, h) ; auparavant la « police locale urbaine et rurale »
entrait dans la liste des compétences législatives régionales. La réforme proposée priverait
l’Etat de tout pouvoir d’intervention à l’égard de la formation de forces de police locales,
lesquelles relèveraient uniquement de la loi régionale. Ce projet est perçu par beaucoup en
Italie comme franchissant la limite de ce qui est compatible avec l’unité de l’Italie, et comme
une menace pour l’Etat23.
L’activité actuelle des régions et les perspectives de leur évolution, sur la base des
dispositions constitutionnelles en vigueur fait apparaître une concentration sur certains
domaines de compétence.
22 Cour constitutionnelle, décision n°407/2002, considerato in diritto, par.3.2 ; voir également n°282/2002 précitée. 23 Cf Luciano Vandelli (2002), Devolution e altre storie. Paradossi, ambiguità e rischi di un progetto politico, Bologne, Il Mulino.
48
Du point de vue budgétaire, les compétences régionales sont dominées par les
dépenses de santé correspondant à la gestion du système hospitalier : 74,5 milliards d’euros
sur 108,5 de dépenses totales, soit près de 70% pour l’ensemble des régions italiennes,
destinés aux « agences sanitaires locales ». Viennent ensuite, loin derrière, l’aménagement du
territoire et la construction (6,5% ), les transports (6,5%), l’enseignement et la formation
professionnelle (5,1%), l’agriculture (3,5%), l’industrie, le commerce et l’artisanat (2,4%). On
peut s’attendre à ce qu’à l’avenir l’enseignement soit le principal secteur où une croissance
des budgets régionaux soit à attendre, compte tenu des transferts de compétences.
La production législative des régions se concentre principalement sur trois secteurs :
les services à la personne (notamment les services sociaux et la santé), la protection et le
« gouvernement » du territoire (notamment l’urbanisme et l’environnement) et le
développement économique (notamment l’agriculture).
L’augmentation des budgets régionaux, comme l’élargissement de la compétence
législative régionale conduit à une diversification croissante des régions, notamment dans les
domaines de l’urbanisme, de la construction, des aides aux étudiants, des aides aux activités
productives, dans l’utilisation de certains impôts régionaux. Elle va probablement s’accentuer
à l’avenir dans les domaines de la santé (notamment en ce qui concerne les rapports public-
privé), de l’éducation, de l’assistance aux immigrés. Les nouvelles dispositions
constitutionnelles autorisent même, on l’a vu, une différenciation institutionnelle importante.
Les régions ont acquis le rôle primordial dans la gestion des fonds communautaires et
la révision constitutionnelle d’octobre 2001 va accroître leur rôle également dans la
transposition des directives communautaires. La politique agricole commune est mise en
œuvre par les régions, en ce qui concerne aussi bien la programmation que la gestion des
fonds des deux sections du FEOGA. Il en va de même des fonds structurels. En ce qui
concerne la transposition des directives, le nouvel article 117 prévoit que les régions assurent
« la mise en œuvre et l’exécution des accords internationaux et des actes de l’Union
européenne », dans le cadre, toutefois, des règles de procédure établies par une loi de l’Etat,
qui organise aussi le pouvoir de substitution de l’Etat en cas de carence (v. projet de loi
n°1545). Selon ce projet de loi, les lois régionales de transposition ou d’exécution devraient
être transmises au ministre des Affaires étrangères et au président du Conseil, qui pourraient
formuler les observations dans un délai de trente jours. La carence des autorités régionales
ouvrirait alors la voie à l’exercice du pouvoir de substitution, sans préjudice de la
responsabilité de la région envers l’Etat (art.4 du projet de loi). L’article 117 prévoit aussi la
participation des régions, dans les matières de leur compétence, aux décisions visant à la
49
formation des actes normatifs communautaires. Selon le projet de loi 1545, cette participation
inclurait la représentation des régions dans les groupes de travail du Conseil et de la
Commission, selon des modalités qui devront assurer l’unité de représentation des positions
italiennes et qui devront faire l’objet d’une accord au sein de la conférence Etat-Régions. En
revanche, n’est pas prévue la possibilité que l’Italie soit représentée au Conseil par une
représentant des régions ayant rang de ministre, comme le permet l’article 203 du traité.
D) Royaume-Uni
On ne traitera ici que de l’Ecosse et du Pays de Galles ; le cas de l’Irlande du Nord
présente en effet des données qui le rendent peu comparables aux autres expériences
européennes.
Les compétences dévolues à ces deux régions sont très larges, et celles de l’Ecosse se
distinguent par le pouvoir législatif délégué au Parlement de l’Ecosse, comme on l’a déjà
souligné. Sur le plan matériel, le transfert effectif des compétences et des moyens s’est opéré
sur deux ou trois ans, dans la mesure où il allait au-delà du transfert des anciens ministères
régionaux (Scottish Office et Welsh Office).
Les compétences de l’Ecosse vont au-delà des compétences de l’ancien Scottish
Office et n’en sont exclues que les compétences réservées par la loi au Parlement et au
gouvernement du Royaume-Uni. On relèvera que les compétences transférées s’étendent à
l’administration locale (institutions, finances, élections, compétences), à tous les « quangos »
créés pour l’Ecosse, à l’enseignement (pour lequel l’Ecosse connaissait déjà un système
différent de celui de l’Angleterre), au patrimoine et aux arts, au service national de santé, aux
services sociaux, à la législation en matière d’aménagement et d’urbanisme, au logement, au
développement économique, à l’agriculture, au tourisme, aux transports et aux routes, au
contrôle des autorités de régulation pour les activités qui leur sont soumises en Ecosse, aux
accords internationaux dans les matières transférées. Les compétences de l’Ecosse
comprennent en outre la législation pénale et civile, sauf les matières réservées au Parlement
britannique, l’organisation judiciaire, la police. Parmi les matières réservées au Parlement et
au gouvernement britanniques, on relève notamment la politique étrangère et la défense, la
citoyenneté, la sécurité sociale, le système économique, fiscal et monétaire, la législation du
travail.
50
Selon la loi sur le Pays de Galles de 1998, sont transférées toutes les fonctions
exercées par les ministres qui se rapportent au Pays de Galles (S.22). En ces matières,
l’Assemblée exerce seulement un pouvoir réglementaire ; le pouvoir législatif reste à
Westminster, mais l’Assemblée peut faire des propositions de loi. L’Assemblée exerce un
pouvoir réglementaire, mais ce pouvoir ne peut s’exercer, comme c’est la règle en droit
anglais pour tous les actes de « secondary legislation », que dans les limites d’une habilitation
législative. Le pouvoir normatif de l’assemblée galloise est donc un pouvoir dérivé,
étroitement dépendant du parlement national. Cela étant dit, les attributions administratives
sont très vastes. Le Pays de Galles gère ainsi, notamment, l’administration locale (en
particulier les transferts, attribués en bloc au Pays de Galles, et que l’Assemblée nationale
galloise redistribue ensuite dans des conditions qu’elle détermine en partie), le développement
économique (y compris les aides aux entreprises), l’agriculture, l’enseignement, le service
national de santé, les services sociaux l’aménagement et l’urbanisme, le logement, les routes,
l’environnement, les sports, la culture (y compris la promotion de la langue galloise), le
patrimoine et les arts. L’Assemblée nationale galloise peut réduire le nombre de « quangos »
institués au Pays de Galles et les réorganiser.
En réalité les compétences administratives du Pays de Galles et de l’Ecosse sont assez
voisines ; c’est la compétence normative du Parlement d’Ecosse qui est la principale
différence entre les deux. Pour mesurer l’ampleur de ces compétences, il faut rappeler que
tous les services et les fonctionnaires des anciens ministères régionaux, le Scottish Office et le
Welsh Office, ont été transférés sous l’autorité du nouvel exécutif régional. Si l’on voulait
appliquer une réforme semblable en France, il faut imaginer que l’on transfère sous l’autorité
de l’exécutif régional l’ensemble des services et des fonctionnaires des préfectures et des
services déconcentrés aujourd’hui placés sous l’autorité du préfet de région et des préfets de
département. Cela se traduit par des masses budgétaires relativement importantes. Le budget
du Pays de Galles (3 millions d’habitants) s’élève ainsi en 2001-2002 à 9,7 milliards £ (y
compris près de 2,9 milliards £ de transferts aux autorités locales – les 22 conseils unitaires du
Pays de Galles)24. En Ecosse, le budget s’élève pour le même exercice à plus de 19,7 milliards
£, dont 6,5 pour les autorités locales d’Ecosse25.
24 L’année budgétaire ne correspond pas à l’année civile. 25 Selon la pratique britannique les dépenses des « devolved administrations », c’est-à-dire celles qui sont gérées sous l’autorité des assemblées élues des régions concernées, incluent celles des autorités locales de la région, y compris le produit du « non domestic rate », qui est un impôt foncier payé par les entreprises mais qui est redistribué entre les autorités locales en fonction de la population (« total managed expenditure »).
51
La répartition fonctionnelle des dépenses permet d’apprécier le poids budgétaire des
différentes compétences exercées. En Ecosse comme au Pays de Galles, les postes les plus
importants sont le financement du service de santé (31% des dépenses totales en Ecosse, 32%
au Pays de Galles), puis le financement des autorités locales, dans la mesure où celui-ci est
assuré par des transferts qui sont gérés par l’exécutif régional (33% en Ecosse, 27% au Pays
de Galles). Viennent ensuite les dépenses en matière d’éducation et de formation continue, de
transports, d’environnement, de logement et de développement économique, mais le
classement des dépenses n’est pas le même en Ecosse et au Pays de Galles, ce qui complique
la comparaison des inscriptions budgétaires. Ces indications budgétaires sont corroborées par
la concentration de la production réglementaire (pour le Pays de Galles) sur la santé,
l’éducation, la formation continue et l’apprentissage, l’environnement, les transport et
l’aménagement du territoire, les collectivités locales et le logement. En Ecosse, sur 46 lois
adoptées jusqu’à la fin de 2002, 12 portent sur des questions de droit civil ou pénal, 7 sur des
questions relatives à l’enseignement ou à la formation, 5 concernent les relations des citoyens
avec l’administration.
La gestion des fonds structurels a été transférée aux autorités régionales. L’Assemblée
nationale galloise a créé en 2000 une administration spécialisée pour la gestion des fonds
structurels, le Welsh European Funding Office (WEFO). Elle gère des fonds très important,
correspondant à l’objectif 1, qui couvre les deux tiers du Pays de Galles. Le WEFO est
responsable de la programmation, de la gestion financière et du contrôle du bon usage des
fonds, exercé par un service du contrôle financier créé en son sein et qui coopère avec la Cour
des Comptes européenne.
En Ecosse, cinq autorités de gestion de programme ont été mises en place (Programme
Management Executives), respectivement pour trois zones d’objectif 2 pour les îles et les
montagnes (transition jusqu’en 2006 suivant la perte du bénéfice de l’objectif 1), et pour la
gestion de l’objectif 3 en Ecosse. Le département des finances et des services centraux est
chargé, au sein du gouvernement écossais des relations avec le Royaume-Uni d’une part, avec
l’Europe d’autre part. L’administration régionale est également chargée de la programmation,
de la mise en œuvre des fonds structurels européens et du contrôle de l’utilisation des fonds.
La gestion de la PAC est aussi une compétence transférée, mais la crise de la vache folle et
l’épizootie de fièvre aphteuse, qui ont conduit les autorités galloises à prendre des initiatives
dépassant leur compétence en ce domaine26 ont abouti à leur recul et à la reconnaissance de la
26 L’Assemblé nationale galloise a dû renoncer à lever l’embargo sur la viande de bœuf à l’os, à interdire le maïs génétiquement modifié, à attribuer des aides aux éleverus de moutons en crise.
52
compétence exclusive du gouvernement britannique pour tout ce qui touche à la santé des
animaux. En Ecosse, le département de l’environnement et des affaires rurales du
gouvernement régional est chargé de la mise en œuvre de la PAC.
Bien que la représentation du Royaume-Uni au Conseil soit réservée aux membres du
gouvernement britannique, il est arrivé à deux reprises que le ministre gallois de l’Education
représente le Royaume-Uni au Conseil. En outre, avant chaque sommet européen, les trois
premiers ministres régionaux (Ecosse, Pays de Galles et Irlande du Nord) coordonnent leurs
positions. La participation des autorités régionales à la politique européenne du Royaume-Uni
fait l’objet d’une section du Memorandum of Understanding de 2000 qui règle la concertation
entre les exécutifs, et d’un « concordat » (accord de coopération) entre le gouvernement du
Royaume-Uni et les trois exécutifs régionaux. Il est rappelé dans le Memorandum que la
politique européenne reste la responsabilité du Royaume-Uni mais que le gouvernement
entend y associer autant qu’il est possible les autorités régionales dans la mesure où leurs
compétences sont concernées, ainsi que dans les matières non transférées dans la mesure où
leurs incidences sur les matières transférées le justifient. Le Memorandum pose le principe de
la responsabilité des autorités régionales pour l’application des politiques et du droit
communautaires, mais aussi celui de leur responsabilité financière.
3. Synthèse sur les compétences
La comparaison avec la France de l’Allemagne, de l’Espagne, de l’Italie et du
Royaume-Uni permet de mieux caractériser les différences entre ces expériences et ce
qu’elles sont en commun.
Dans les quatre pays, les autorités régionales ont la gestion du système de santé, la
gestion du système éducatif, la voirie, ainsi que la compétence législative, au moins partielle,
sur ces secteurs ainsi qu’en matière d’urbanisme et de construction, et sur le régime et les
finances des collectivités locales. L’étude du cas de la Belgique confirmerait cette
observation : les deux derniers domaines sont de la compétence des régions, les trois premiers
domaines sont de la compétence des communautés. Bien que l’Allemagne soit un Etat fédéral,
elle est sans doute celui des cinq pays dans lequel l’unité du système juridique est la plus
forte. Cela résulte de la quasi absence des particularismes régionaux de la scène politique ;
elle-même peut-être le résultat du système fédéral qui la rendrait sans objet. Cette unité du
53
système juridique est aussi la conséquence de la centralisation de la compétence législative
qui s’est opérée progressivement depuis les années 50.
Les autorités régionales ou fédérées de ces pays ont un niveau de dépenses publiques
élevé qui s’explique par les coûts en personnel du système de santé et du système éducatif.
Mais le poids relatif de ces fonctions reflète aussi des différences importantes dans leur
organisation et leur financement (notamment en fonction l’existence d’un système séparé de
financement des soins par la sécurité sociale – les caisses de maladie en Allemagne - ou non –
Royaume-Uni ; en Ecosse et au Pays de Galles, la plus grande partie des dépenses scolaires
est du ressort des autorités locales, de sorte que dans la présentation des budgets régionaux
n’apparaissent que les dépenses directes).
Corrélativement la part des dépenses d’investissement dans le total des dépenses
publiques des régions ou entités fédérées est relativement faible, même si elle demeure en
valeur absolue à un niveau élevé.
La comparaison avec la France des niveaux de dépenses par habitant en euros entre
ces différentes autorités régionales ou fédérées, rapprochées des dépenses des collectivités
locales permet de mieux comprendre les différences.
Une telle comparaison est rendue difficile par l’hétérogénéité des structures à
l’intérieur d’un même pays, certaines structures territoriales ayant un double statut. Ainsi, en
Allemagne les villes de Berlin, Hambourg et Brême sont aussi des Länder et leurs dépenses
sont, du point de vue statistique, incluses dans celles du niveau régional, ce qui a pour effet de
sous-estimer d’autant les dépenses locales. On ne pourrait éviter ce biais qu’en reclassant les
dépenses en fonction des compétences ; mais en réalité c’est sans doute la dimension urbaine,
et donc communale qui est la plus caractéristique ; du point de vue fonctionnel, on pourrait
analyser le statut des villes-Etats allemandes comme une forme extrême de décentralisation
communale, des fonctions essentielles de l’Etat étant directement assumées à ce niveau et par
les autorités locales. Au niveau local proprement dit, on ne peut séparer en Allemagne le
niveau communal du niveau de l’arrondissement, dans la mesure où toute les villes de
quelque importante, hormis les villes–Etats, ont le statut d’arrondissement ; de plus, les
budgets des arrondissements sont alimentés principalement par des contributions des
communes qu’ils regroupent, et secondairement par des transferts du Land. En Espagne, ce
problème se pose dans les rapports entre communautés autonomes et provinces : en effet, 6
communautés autonomes sont uniprovinciales, dont celle de Madrid (qui englobe la capitale
54
mais ne s’y réduit pas), de sorte que le niveau provincial disparaît et que ses compétences sont
absorbées dans les compétences administratives de la communauté autonome ; il en résulte
une surestimation des dépenses régionales et une sous-estimation des dépenses locales. En
revanche ce problème n’affecte les statistiques italiennes que de manière marginale : le Val
d’Aoste est trop petit pour que sa situation ait une incidence significative sur l’ensemble et
dans la région du Trentin Haut Adige, l’essentiel des fonctions et des dépenses est en fait
assuré par les deux provinces de Bolzano et de Trente. Pour la France, Paris exerce à la fois
les compétences d’une commune et celles d’un département.
Le tableau ci-dessous distingue deux niveaux seulement : un niveau régional et un
niveau local. Le niveau local regroupe les dépenses des communes, des provinces, des
départements ou des arrondissements selon les pays ; le niveau régional est en revanche plus
homogène puisqu’il ne contient que des dépenses des budgets régionaux ou des Länder.
Cette simplification est un biais important de la comparaison mais il est rendu
inévitable par les doubles statuts que l’on vient d’évoquer. On peut cependant en apprécier
l’ampleur. Les trois villes-Etats représentent en Allemagne un peu moins de 14% des
dépenses totales des Länder. En Espagne, si l’on considère que les budgets des députations
provinciales représentent environ 500 euros par habitant dans les provinces où elles existent,
on peut estimer à 4,3 milliards d’euros environ l’impact négatif sur le volume des dépenses
locales qui résultent du fait que le budget de la communauté autonome absorbe les dépenses
provinciales dans les communautés autonomes uniprovinciales, lesquelles comptent ensemble
environ 8,5 millions d’habitants, surtout par le fait de celle de Madrid (5,1 millions
d’habitants) ; cet impact équivaut à environ 5% des dépenses totales des communautés
autonomes et 9% de celles des communes et provinces cumulées.
Malheureusement, il n’a pas été possible d’introduire l’Ecosse et le Pays de Galles
dans ce tableau, faute de disposer, à ce stade, de données cohérentes entre elles sur les budgets
des autorités locales de ces deux régions et sur les budgets régionaux proprement dits.
Dépenses totales / hab. (euros) Dépenses d’investissement / hab.
(euros)
Niveau régional
Niveau local Niveau régional
Niveau local
France (2001) 206 2058 115 695 Allemagne (2001) 3127 1810 467 365 Italie (1999) 1650 1070 270 300 Espagne (2001) 2117 1200 406 297 Sources : Ministère de l’Intérieur (DGCL) ; Bundesministerium der Finanzen, Finanbericht 2003 ; Ministerio de las Administraciones públicas ; ISTAT ; traitement des données par l’auteur.
55
La lecture du tableau impose aussi certaines précautions. On ne peut pas additionner
les dépenses régionales et les dépenses locales, car il existe des transferts assez importants,
notamment en Allemagne, en faveur des collectivités locales. Il existe aussi des transferts à
l’intérieur du niveau local, mais en France l’analyse des budgets des départements permet de
penser que leur impact sur l’estimation ci-dessous est pratiquement limitée aux dépenses
d’investissement et ne peut dépasser 8% de celles-ci27.
Ces calculs permettent d’apprécier la marge d’erreur que comporte la comparaison de
ces données, en raison d’approximations inévitables. On voit que la marge d’erreur ne
n’affecta pas sensiblement les rapports entre les valeurs que l’on a calculées. L’enseignement
majeur de cette comparaison apparaît clairement. Les régions et Länder ont des budgets
considérablement plus élevés que ceux des régions françaises ; cela s’explique par le transfert
de nombreuses fonctions qui sont en France du ressort de l’Etat, et s’exercent au niveau
régional et local par l’intermédiaire des services de l’Etat ou d’établissement publics qui en
dépendent directement ou indirectement. En Allemagne, comme en Italie et en Espagne, la
majeure partie des charges administratives tend à être exercée par Länder ou les régions ;
c’est encore davantage le cas en Belgique. En revanche, les dépenses publiques du niveau
local sont sensiblement plus importantes en France : cela concerne les fonctions des
communes, des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (car
leur financement n’est pas assuré par des transferts des communes) et des départements ; près
de 70% en sont assurées par les commune et les établissements de coopération
intercommunale à fiscalité propre. Cette observation générale est renforcée par l’analyse des
dépenses d’investissement. D’une part, l’écart des régions françaises par rapport à leurs
homologues des pays voisins est beaucoup moindre ; d’autre part, la capacité
d’investissement est beaucoup plus dynamique au niveau local en France que dans les pays
voisins. Or l’investissement est un bon indicateur de la capacité d’action des collectivités
territoriales. Alors que les dépenses courantes sont dans une large mesure des dépenses liées,
les investissements reflètent des choix. Certes les choix ne s’expriment pas seulement par des
investissements ni même par des dépenses nouvelles, mais on ne saurait nier qu’ils sont dans
une certaine mesure un indicateur de l’autonomie locale, conséquence d’une certaine marge
de manœuvre financière. La conclusion que l’on peut en tirer est que la comparaison entre la
France et les pays voisins ne donne pas des résultats univoques, comme on semble trop
27 D’après l’analyse des budgets primitifs des départements, publiée par la DGCL, les subventions d’investissement des départements dépassent 4 milliards d’euros, mais les communes et les intercommunalités n’en sont pas les seules bénéficiaires.
56
souvent l’admettre sans y regarder de plus près : moins décentralisée en termes budgétaires
au niveau régional, la France l’est au contraire bien plus que ses voisins au niveau local.
Nous verrons maintenant que cette observation est cohérente avec d’autres en ce qui
concerne les relations entre les collectivités locales et les pouvoirs régionaux largement
compris, et que l’élargissement continu des compétences dévolues au niveau régional soulève
à son tour des problèmes de cohérence ou de coordination de l’action publique au niveau
national, c’est-à-dire des problèmes de gouvernabilité. C’est la problématique des relations
« intergouvernementales », un américanisme qui révèle en même temps l’importance de cette
question dans les Etats fédéraux. Cette problématique a aussi une dimension financière ; elle
nous permettra d’analyser sous cet angle le financement des collectivités territoriales.
57
III. LES POUVOIRS REGIONAUX ET LES COLLECTIVITES LOCALES
Dans ce qui suit on emploiera les expressions « régions » ou « pouvoirs régionaux »,
ou l’adjectif « régional » pour viser aussi bien les entités fédérées que les régions proprement
dites, dans une but de simplification rédactionnelle, dans la mesure où certains des problèmes
que l’on va aborder ici sont communs aux Etats fédéraux et aux Etats à autonomies
régionales. On n’oubliera cependant pas les différences qui ont déjà été analysées.
Les relations entre pouvoirs régionaux et collectivités locales dans les Etats fédéraux
ou à autonomies régionales présentent des aspects particuliers qui ont été longtemps ignorés
ou sous-estimés, soit parce que l’attention se concentrait sur le fonctionnement de l’Etat
fédéral, à une époque où les Etats à autonomies régionales n’existaient pas ou n’avaient pas
encore développé les traits qui les caractérisent aujourd’hui, soit parce que l’autonomie locale
n’avait pas encore acquis la reconnaissance politique dont elle jouit aujourd’hui. Ainsi, aux
Etats-Unis, non seulement la constitution fédérale est muette sur les autorités locales, mais on
a toujours considéré que leur organisation était une compétence réservée et discrétionnaire des
législatures des Etats ; la Cour suprême s’est montrée en ce domaine tout aussi favorable à la
suprématie des Etats sur les autorités locales qu’elle l’a été aux prérogatives du pouvoir
fédéral vis-à-vis des Etats, au moins jusqu’à une date récente. Les constitutions des Etats
contiennent souvent des dispositions restrictives en ce qui concerne les autorités locales ; bien
que depuis assez longtemps elles leur reconnaissent le home rule, c’est-à-dire le droit de fixer
leur organisation, leurs pouvoirs procèdent de la loi de l’Etat, leurs pouvoirs financiers et
fiscaux sont limités plutôt que protégés par les constitutions des Etats, et les innombrables
dispositions constitutionnelles ainsi que les lois tendant à protéger les intérêts de divers
groupes imposent aussi de sérieuses limites à l’autonomie des autorités locales28. Il en va
traditionnellement de même en Suisse, dont la constitution fédérale est d’ailleurs, depuis
1848, marquée par l’exemple américain. C’est de manière assez récente que le développement
des fonctions de l’Etat, exercées au niveau de la Confédération comme au niveau des cantons,
conjugué avec l’impuissance de nombreuses communes trop petites (la fragmentation
communale de la Suisse est comparable à celle de France, toute proportion gardée), a fait
monter une certaine préoccupation pour l’autonomie communale. Celle-ci a trouvé un écho
28 Voir : Steven A. Peterson / Thomas H. Rasmussen (1994), State and local politics, New York, McGraw-Hill, pp.8 suiv.
58
dans la nouvelle constitution fédérale du 18 avril 1999, qui consacre le principe de
l’autonomie communale, mais sans restreindre les pouvoirs des cantons à son égard29.
L’un des éléments de la distinction entre l’Etat fédéral et les Etats à autonomies
régionales porte sur le partage des compétences relatives aux collectivités locales (supra : I,1
in fine). Dans les Etats fédéraux, la compétence relative au régime administratif des
collectivités locales est en général une compétence exclusive des entités fédérées, tandis que
dans les Etats à autonomie régionale cette compétence est partagée entre le législateur fédéral
et le législateur régional. En elle-même, l’attribution de la compétence n’a pas d’incidence sur
le régime des collectivités locales, et une comparaison internationale des institutions
communales et de leurs compétences peut dans une large mesure faire abstraction de la forme
de l’Etat. Celles-ci puisent en général à des origines bien plus anciennes que l’organisation
actuelle de l’Etat. En revanche l’exercice de la compétence affecte directement les relations
entre les collectivités locales et les pouvoirs régionaux, surtout lorsque s’y ajoute le pouvoir
de légiférer sur le régime des finances locales. Or, la dynamique de ces relations favorise la
tutelle des pouvoirs régionaux sur les collectivités locales, lesquelles deviennent pour eux,
comme l’organisation et le développement de leur territoire, un objet de politique publique.
Dans les Etats européens, la perception d’un conflit possible entre autonomie régionale
et autonomie locale est récente et l’expérience historique des Etats européens que l’on étudie
explique qu’elle le soit. En Allemagne, la reconnaissance de l’autonomie communale a
accompagné la conception et l’émergence du fédéralisme démocratique ; l’une et l’autre ont
donc été compris comme faisant partie de la même tradition30. En Italie et en Espagne, la
régionalisation a constitué le point de départ d’une véritable décentralisation dans des Etats
qui étaient restés très centralisés. Au Royaume-Uni, le soutien des associations d’autorités
locales à la devolution en Ecosse et au Pays de Galles peut se comprendre de la même
manière, compte tenu du resserrement du contrôle du pouvoir central sur les autorités locales
depuis les années 70. En Belgique, où il existait un forte et ancienne tradition communale
(bien qu’à certains égards le système administratif ait, dans certains domaines, été plus
centralisé qu’il n’y paraissait), la régionalisation a soulevé assez rapidement des
interrogations sur ses implications envers les libertés locales, sans que cela ralentisse
29 Selon l’article 50 : « 1. L’autonomie communale est garantie dans les limites fixées par le droit cantonal. « 2. La Confédération tient compte des conséquences éventuelles de son activité pour les communes. « 3. Ce faisant, elle prend en considération la situation particulière des villes, des agglomérations urbaines et des régions de montagne ». 30 Voir la constitution de Francfort de 1849 (Paulskircheverfassung, §184), la constitution de Weimar de 1919 (art.127) et la Loi fondamentale de 1949 (art.28).
59
d’ailleurs sa progression qui fut portée par les principaux partis politiques, lesquels se sont
régionalisés et divisés, et c’est en Belgique que les premiers travaux de fond sur le sujet ont
été entrepris31.
Le Conseil de l’Europe s’est également saisi de cette questions depuis le début des
années 90. Les conclusions publiées par le CDLR à la suite des travaux du groupe d’experts
sur « la régionalisation et ses conséquences sur l’autonomie locale » de 1995-1996
indiquaient notamment : «La régionalisation a inévitablement des répercussions sur la
situation des collectivités locales (…). Les conséquences que ce processus entraîne
concernent l’étendue des compétences de ces collectivités et leurs relations avec l’Etat d’une
part, les régions d’autre part. (…) Il est souhaitable que la régionalisation se poursuive, pour
autant que possible, sans restreindre les attributions des collectivités locales préexistantes –
notamment les communes -, sans renforcer la tutelle sur celles-ci et sans réduire les moyens
financiers à leur disposition »32. L’observation empirique oblige à constater que ces craintes
se sont en partie réalisées et que la régionalisation a pu favoriser un certain centralisme au
détriment des communes.
Dans leur étude publiée en 1996, Philippe De Bruycker et Marc Nihoul évaluait la
situation des collectivités locales dans les différentes formes d’Etat au regard de trois
« paramètres » : la dépendance statutaire, la dépendance fonctionnelle et la dépendance
financière des collectivités locales. Autrement dit : de qui dépendent l’organisation, les
compétences et les finances des collectivités locales ?
On se concentrera ici sur les formes et la portée des tutelles régionales, sur le conflit
entre pouvoirs régionaux et pouvoirs urbains et sur les mécanismes de compensation.
1. Les tutelles régionales
Ces tutelles s’expriment dans les domaines de la compétence matérielle des pouvoirs
régionaux davantage que dans l’exercice de la tutelle administrative. Mais celle-ci ne doit pas
31 Notamment par Marc Nihoul et Philippe De Bruycker. Voir : Marc Nihoul (1994) (dir.), Le statut des collectivités locales dans l’Etat fédéral, Faculté de Droit de Namur, 3 volumes ; Ph. De Bruycker / M. Nihoul (1996), « L’impact de la régionalisation sur l’autonomie locale », Annuaire des Collectivités locales 1996, GRALE, Paris, Litec, pp.736-798 ; M. Nihoul (1997), « L’influence de la mutation fédérale d’un Etat sur le statut des collectivités locales : l’exemple de la Belgique », Annuaire des Collectivités locales 1997, GRALE, Paris, Litec, pp.135-153. 32 Conclusions publiées dans : « La régionalisation et ses conséquences sur l’autonomie locale », Communes et Régions d’Europe, n°64, 1998, voir page 51. Le groupe d’experts était présidé par Gérard Marcou, qui a préparé le rapport du CDLR (Comité Directeur des autorités Locales et Régionales) du conseil de l’Europe.
60
être considérée comme une survivance du passé, surtout lorsque, à la faveur du management
public, elle prend des formes nouvelles.
A) De la tutelle administrative au management public
En ce qui concerne la tutelle administrative, il n’est pas inutile de rappeler que dans la
plupart des pays européens la tutelle sur les collectivités locales demeure plus lourde qu’en
France. Il s’agit d’une tutelle qui se réduit, certes, à un contrôle de légalité, mais qui s’exerce
en général a priori, sous réserve d’un contrôle juridictionnel a posteriori en cas de recours de
la collectivité locale. L’Espagne semble être le seul pays qui se soit inspiré du système
français ; le déclenchement du contrôle de légalité par l’autorité administrative est partagé
entre le représentant de l’Etat et le gouvernement de la communauté autonome, mais de facto
il est exercé essentiellement par celui-ci. Le représentant de l’Etat conserve le pouvoir de
suspendre, après mise en demeure, un acte d’une autorité locale qui porterait « gravement
atteinte à l’intérêt général de l’Espagne » et dont il doit alors demander au juge l’annulation
(loi 7/1985 sur les bases du régime local : art.67), mais ce pouvoir de principe ne paraît guère
exercé.
En Allemagne comme en Belgique la tutelle exercé au niveau du Land ou de la région
met en œuvre les techniques traditionnelles, qui sont inchangées. En Allemagne, le contrôle
de légalité est exercé exclusivement par l’administration du gouvernement du Land ou par
délégation de celle-ci. L’autorité administrative (dans la plupart des cas le chef de
l’administration du district de gouvernement) exerce un contrôle de légalité sur les matières
de libre administration (par un acte d’opposition, d’injonction, ou de substitution, soumis au
contrôle du juge administratif) ; dans les matières de compétences déléguées l’autorité
administrative du Land exerce un pouvoir d’instruction et un pouvoir contrôle portant sur la
légalité et l’opportunité ; elle peut aussi dans certains cas prononcer la dissolution du conseil.
En pratique, toutefois le pouvoir d’instruction et le contrôle sur les compétences déléguées
sont peu exercés envers les grandes villes. En outre, à l’égard des communes comprises dans
les arrondissement, le contrôle de légalité sur leurs actes est attribué à l’exécutif de
l’arrondissement, qui l’exerce à titre de compétence déléguée. En Belgique, la tutelle de droit
commun est exercée par le gouvernement régional, ou par le gouverneur de la province pour
les communes de moins de 20.000 habitants : elle comporte un pouvoir d’annulation et un
pouvoir de suspension, les actes de tutelles étant susceptibles de recours devant le Conseil
61
d’Etat. Ce dispositif peut changer avec l’adoption par les régions de nouvelles législations sur
les collectivités locales puisqu’elles sont désormais pleinement compétentes. Mais la
régionalisation s’est traduite par la multiplication des normes applicables aux et par les
communes, du fait de la répartition des compétences entre l’Etat, les régions et les
communautés, l’Etat et les communautés conservant la possibilité de confier l’exécution de
leur législation aux communes à condition d’en assurer le financement, et sous leur contrôle.
Le développement de cette pratique, suivie aussi par les régions, et assimilable à une forme de
déconcentration33, fait des communes, dans les domaines concernés, les agents des pouvoirs
supérieurs. Il n’est pas certain que la simplification résultant du transfert au législateur
régional de la compétence relative au régime des collectivités locales mette fin à cette
tendance et favorise une décentralisation plus forte, comme l’espère Marc Nihoul34.
Au Royaume-Uni la devolution semble se traduire aussi par un niveau de contrôle
supplémentaire vis-à-vis des collectivités locales. Traditionnellement, il n’existe pas de
procédure générale de contrôle sur les actes des autorités locales ; toutefois les cours de
justice peuvent être saisies de recours contre ces actes (ou la carence de l’autorité locale) par
un ministre. Ce pouvoir est désormais exercé par les ministres du gouvernement écossais
comme par l’exécutif gallois pour faire respecter leurs compétences, mais cela ne prive pas les
ministres du gouvernement britannique de leur droit de saisir les cours de justice. De plus, La
Commission d’audit des autorités locales peut saisir la justice ou adresser elle-même des
injonctions (en remboursement de paiements irréguliers) ou prononcer l’inéligibilité en cas
d’illégalité délibérée. Cette commission est aujourd’hui régionalisée, mais ses pouvoirs sont
inchangés. Enfin, selon la loi sur l’Ecosse (car cela n’est pas dans les matières réservées de
l’annexe 4) comme selon la loi sur le Pays de Galles (car elle le prévoit expressément)
schedule 11, part II), les autorités régionales peuvent opérer librement la restructuration
administrative de leur territoire, et modifier ainsi les circonscriptions comme les institutions et
les compétences des autorités locales.
En Italie enfin, la suppression par la révision constitutionnelle de 2001 du contrôle de
légalité qui était organisé au niveau régional sur les collectivités locales laisse aux régions la
possibilités d’organiser les nouvelles modalités d’un contrôle sui serait au service de la mise
en œuvre de leurs propres compétences. Ceci est d’autant plus vraisemblable à terme que les
régions sont invitées par la Constitution (art.118) à déléguer l’exécution administrative aux
provinces, aux communes et aux villes métropolitaines. En outre, l’article 120 appelle une loi
33 M. Nihoul (1997), op. cit. p.149. 34 Ibid.
62
réglant les conditions dans lesquelles le gouvernement de la République pourrait exercer un
pouvoir de substitution également à l’égard des collectivités locales, dans les mêmes
conditions qu’à l’égard des régions elles-mêmes (v . supra : I,4).
A côté des techniques traditionnelles de contrôle des collectivités locales, on doit
prêter une attention particulière aux nouvelles conceptions du management public, tournées
vers l’amélioration de la performance, et qui peuvent générer de nouvelles formes de tutelle.
Un bon exemple en était l’accord du 8 mars 1999 entre le gouvernement de Flandre et
l’Association des communes flamandes, qui servait de cadre aux contrats que les communes
étaient invitées à signer avec les ministères dans 63 domaines : le ministère s’engageait sur
des financements en contrepartie d’engagements de performances sur des objectifs, qui
appelaient de la part de l’exécutif flamand un contrôle de leur réalisation (même si on le
qualifiait d’évaluation). De même au Royaume-Uni, la Commission d’audit de
l’administration locale mène des enquêtes portant aussi sur l’économie, la rentabilité et
l’efficacité dans la gestion, selon les critères fixés par la loi (best value) ; la Commission fait
des recommandations. Le Programme global d’évaluation de l’administration locale engagé
en 2001 par la Commission d’audit doit produire avant la fin de 2004 une évaluation de la
performance de chaque autorité locale en fonction de standards fixés au niveau national ; en
fonction, du résultat de cette évaluation une plus grande liberté sera accordée ( pour ceux dont
l’évaluation est bonne) par le Gouvernement (au titre du programme d’allégement de la
réglementation – regulatory reform) ou au contraire les autorités locales devront s’améliorer
avec l’aide d’organismes désignés dans le cadre d’un « partenariat de performance » et
rattachés à l’Association des autorités locales.
B) De la tutelle dans l’exercice des compétences régionales
Mais c’est surtout dans l’exercice des compétences matérielles que la tutelle régionale
prend le plus d’importance. L’aménagement du territoire et l’urbanisme illustrent
particulièrement bien cette tendance, mais d’autres domaines peuvent aussi l’illustrer,
notamment lorsque la politique régionale s’appuie sur des incitations financières.
En Allemagne, la planification urbaine fait partie des matières considérées par la
jurisprudence constitutionnelle et administrative comme une prérogative communale
(Hoheitlichkeit). Néanmoins, la loi fédérale sur l’aménagement du territoire et le code fédéral
de l’urbanisme prévoient que les plans communaux d’urbanisme doivent se conformer aux
63
objectifs de l’aménagement du territoire35. Ceux-ci sont exprimés dans le plan
d’aménagement du Land et dans les plans régionaux, lesquels doivent être élaborés dans les
Länder dont le territoire comprend les zones d’influence des centres urbains supérieurs
(Zentrale Orte oberster Stufe). On estime aujourd’hui que les prescriptions d’aménagement
du territoire du Land ont perdu de la force qu’elles avaient naguère (v. ci-après la contribution
de H. Wollmann). Toutefois, les plans d’aménagement du territoire (le plan du Land ou les
plans régionaux) ont un contenu relativement précis sur des points essentiels pour la
planification urbaine : ils définissent l’armature urbaine recherchée et notamment les
catégories d’espace, la hiérarchie des centres urbains (zentrale Orte) ainsi que les fonctions
communales particulières, telles que des centres de développement et des lieux de
desserrement, la trame verte et ses utilisations, les lieux d’implantation ou le tracé des
infrastructures, les définitions relatives aux planifications et mesures ayant des incidences
spatiales d’autorités publiques et de personnes de droit privé et qui sont nécessaires pour
coordonner les besoins en espace, les programmes et plans-cadres paysagers, la gestion des
déchets et de leur retraitement, notamment36. Selon la jurisprudence administrative, les
autorités locales ont l’obligation d’adapter leurs documents d’urbanisme aux objectifs
d’aménagement du territoire exprimés par la planification du Land, aussi bien au stade de la
révision que de l’élaboration de ces documents, et même en cas d’introduction de nouveaux
objectifs postérieurement à leur adoption37. Cette dernière obligation est plus difficile à faire
respecter car elle peut impliquer un préjudice pur des propriétaires privés qu’il faudrait alors
indemniser38. Mais, pour assurer le respect de ces prescriptions, les documents d’urbanisme
sont soumis à une procédure d’autorisation préalable qui relève de l’autorité administrative du
Land (président du district de gouvernement en règle générale) (plan d’affectation des sols –
Flächennutzunsplan, et plan de construction – Bebauungsplan - en l’absence d’un plan
d’affectation des sols). L’autorité administrative du Land n’exerce à cet égard qu’un contrôle
de légalité, mais le plan d’aménagement du territoire du Land et surtout le plan régional font
35 Selon le paragraphe 3 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire, on entend par objectifs de l’aménagement du territoire (Ziele der Raumordnung) : « les prescriptions obligatoires sous la forme de définitions textuelles ou graphiques, spatialement et fonctionnellement déterminées ou déterminables, pondérées en dernière instance par les autorités compétentes pour le plan du Land ou le plan régional, inclues dans les plans d’aménagement du territoire aux fins du développement, de l’aménagement et de la préservation de l’espace ». 36 Franz-Josef Peine (1993), Öffentliches Baurecht, Tubingen, J.C.B. Mohr, 2ème éd. pp.17 suiv. ; Brohm (1996), Öffentliches Baurecht, Munich, Beck, notamment 3ème partie ; Helmut Jenkis (Hrsg) (1996), Raumordnung und Raumordnungspolitik, Munich / Vienne, Oldenbourg, pp.87-88 ; C.-H. David, (1998), « Le droit de l’urbanisme en Allemagne », Annuaire français du droit de l’urbanisme et de l’habitat 1998, Dalloz, pp. 399-431. 37 Ulrich Battis / Michael Krautzberger / Hans-Peter Löhr (1999), Baugesetzbuch, commentaire, Munich, Beck, p.36. 38 C.-H. David (1996), « Grundlagen des Raumordnungsrecht », p.88 dans : H. Jenkis (Hrsg), op. cit.
64
partie des normes de références pour ce qui concerne les objectifs qu’ils définissent. La loi du
Land prévoit en outre parfois la consultation de l’autorité administrative du Land pour assurer
dans l’élaboration des documents d’urbanisme la prise en compte des objectifs
d’aménagement du territoire. Si l’autorisation peut être acquise par le silence de
l’administration au terme d’un délai de trois mois, l’autorisation, lorsqu’elle est délivrée de
façon expresse, peut aussi être assortie de conditions. Ce contrôle résulte aussi du fait que le
permis de construire, qui est régi par le code de la construction du Land, est un acte de la
compétence du Land, qui est délégué à l’exécutif des arrondissements et des villes ayant rang
d’arrondissement ; à ce titre le permis de construire est exposé à un contrôle étendu de
l’autorité administrative du Land. La portée de la planification du Land apparaît bien en
matière d’implantation de grandes surfaces commerciales, c’est dans les plans régionaux que
l’on trouve les principales dispositions régissant leur implantation, et qui conditionnent
l’attribution du permis de construire. En particulier la loi de Rhénanie du Nord – Westphalie
impose que l’implantation des grandes surfaces commerciales soient prévues dans les plans de
construction, soit dans les zones centrales, soit dans des zones commerciales spécialisées ; la
loi du Land fixe même la liste des catégories de produits considérés comme typiques du
commerce de centre ville et ne peuvent être offerts dans les grandes surfaces commerciales
autorisées en dehors de l’agglomération. Les commune ne peuvent donc décider seules ni de
la taille, ni de la localisation de ces établissements sur leur territoire, et elles sont tenus par le
réglementation commerciale du Land39. De plus les permis de construire sont contrôlées au
regard des prescriptions fixées par la planification du Land. Ceci est particulièrement
important quand une ville modifie son plan de construction pour répondre à un projet
d’investissement commercial ; la ville doit s’assurer que la révision qu’elle envisage ne sera
pas incompatible avec la planification du Land : la révision risquerait alors de ne pas être
autorisée, ou ultérieurement le permis de construire refusé. Ce système de contrôle des
implantations commerciales paraît remarquablement efficace si on compare la situation du
commerce en centre ville en France et en Allemagne, le résultat étant à l’avantage de
l’Allemagne. Mais on ne peut nier qu’il résulte d’une réelle tutelle du Land sur les communes
en matière d’aménagement et d’urbanisme.
Les opérations de développement urbain et de renouvellement urbain (soumises
aujourd’hui au même régime : code de l’urbanisme, §165.2) illustrent aussi la nature des
39 Erich Tilkorn, « La prise en compte du commerce par les politiques d’urbanisme : le système allemand », notamment p.130, et « Rapport sur l’Allemagne », pp.164 suiv. dans : « Le commerce et la ville en Europe. Le droit des implantations commerciales », Les Cahiers du GRIDAUH, n°6, 2002.
65
relations entre le Land et les communes. Les communes ont la compétence pour la conception
et la mise en œuvre de telles opérations. Mais d’une part les communes sont de plus en plus
dépendantes en ce domaine du soutien financier du Land, qui lui-même est lié par un accord
avec la Fédération (actuellement : accord administratif du 19 décembre 2001) pour
l’utilisation des financements fédéraux. De plus, les Länder s’engagent de plus en plus dans
un rôle de coordination et de conseil aux communes, sur la base de la maîtrise de diverses
sources de financement, et en particulier des fonds communautaires dont ils ont la gestion et
la programmation40. D’autre part, le règlement de l’opération (qui définit la zone concernée),
qui est adopté par le conseil municipal, est soumis à l’approbation préalable de l’autorité
administrative du Land, qui exerce un contrôle de légalité au sens défini ci-dessus.
En Belgique, en Espagne et en Italie, à la différence de l’Allemagne, la législation en
matière d’urbanisme est une compétence régionale. Mais ce sont également contrôles exercés
auparavant par l’Etat sur l’urbanisme, mettant en œuvre différents procédés de tutelle, qui ont
été transférés. Or, aucune décentralisation des compétences d’urbanisme, au profit des
communes, n’avait été réalisée avant la régionalisation. Il en résulte un système qui donne aux
pouvoirs régionaux des pouvoirs étendus en matière d’urbanisme, mais qui se caractérise par
une certaine centralisation vis-à-vis des communes. En Italie, les décrets présidentiels (DPR)
n°8 du 15 janvier 1972 et n°616 du 27 juillet 1977 ont transféré aux régions la plupart des
compétences du ministre des travaux publics en matière d’urbanisme, et en particulier
l’approbation des plans territoriaux de coordination et des plans régulateurs généraux (qui
restent le principal document d’urbanisme en Italie), ainsi que l’approbation des règlements
d’exécution et des programmes de construction des communes, la répression des
constructions abusives et l’exercice d’un pouvoir de substitution en cas de négligence de la
commune41. Bien que la législation régionale ait conduit à une réelle diversification du droit
de l’urbanisme en Italie, les régions n’ont pas renoncé aux pouvoirs que l’Etat leur a
transférés, même si elles en ont parfois fixé les limites. De manière générale, les plans
régulateurs généraux, ainsi d’ailleurs que les plans provinciaux de coordination, restent
soumis à l’approbation de l’autorité régionale42. Cette approbation n’est pas une formalité, et
elle s’accompagne d’un pouvoir de modification unilatérale du plan communal. Les régions
ont été établi des comités d’experts qui examinent les plans et dont l’avis est transmis au 40 U. Battis / M. Rossi (2002), « Le renouvellement urbain en Europe. Rapport allemand », document de travail GRIDAUH-GRALE, juin. 41 « Le droit de l’urbanisme en Italie. Principaux textes », traduction et présentation par Carla Boi et Delphine Chatain-Camain, Cahiers du GRIDAUH, n°4, 1999, notamment pp.16-17.
66
conseil régional, qui est compétent pour l’approbation des plans communaux ? L’autorité
régionale ne peut pas, toutefois, modifier librement le plan communal ; son pouvoir de
modification est conditionné et limité par l’objet de sa compétence, mais la plupart des lois
régionales utilisent à cet égard des formulations plutôt imprécises qui laissent aux autorités
régionales une certaine liberté d’appréciation. Dans une certaine mesure ce pouvoir de
modification correspond à une fonction de contrôle (respect des plans de portée plus large –
plan provinciale ou plan régionale, notamment ; protection des paysages et des sites naturels,
historiques, monumentaux ou archéologiques ; réserves relatives aux constructions et
implantations répondant à des intérêts supra-communaux) ; mais le conseil régional peut aussi
introduire des modifications discrétionnaires sous réserve de ne pas modifier les
« caractéristiques essentielles du plan » ni les critères sur lesquels il repose ; cette possibilité
s’exerce par exemple à propos d’observations recueillies au cours de la phase publique qui
n’auraient pas été prises en compte par la commune. Mais le conseil régional peut aussi
décider d’approuver simplement le plan ou encore de le renvoyer à la commune pour qu’elle
le modifie, ou encore procéder à l’approbation seulement partielle du plan, ce que la
jurisprudence a admis43.
La situation de l’Espagne est comparable à celle de l’Italie, depuis que le Tribunal
constitutionnel (STC 61/1997, 20 mars) a reconnu que la loi d’urbanisme de 1976 était
contraire à la Constitution comme portant atteinte aux compétences des communautés
autonomes. La nouvelle loi nationale (6/1998, 13 avril) sur le régime des sols se borne à
régler les questions relatives au droit de propriété, la législation d’urbanisme étant désormais
de la seule compétence des communautés autonomes, lesquelles ont adopté depuis leur propre
législation, qui, selon les cas, reproduit ou s’écarte sur certains point de l’ancienne loi
nationale. Les communautés autonomes avaient déjà adopté des lois sur l’aménagement du
territoire mais seules certaines (parmi les « petites ») ont adopté un plan général
d’aménagement du territoire. En matière d’urbanisme, toutefois, les pouvoirs de tutelle de
l’Etat avaient déjà été transférés aux communautés autonomes et ceux-ci demeurent dans une
large mesure. Le droit espagnol de l’urbanisme repose sur deux documents essentiels : le plan
général d’aménagement urbain (plan general de ordenación urbana), et les normes
complémentaires et supplémentaires de planification, qui ont un contenu simplifié et
42 Alberto Rocella, Rapport sur l’Italie, p.174 dans : « L’articulation des règles d’occupation des sols en Europe », Les Cahiers du GRIDAUH, n°1, 1998. 43 Voir : Paolo Urbani / Stefano Civitarese (1994), Diritto urbanistico. Organizazzione e rapporti, Turin, Giappichelli, pp.117-120. Dans le même sens, voir la loi régionale de la Ligurie du 4 septembre 1997 relative à l’urbanisme, art.39.7, publiée par le GRIDAUH (« Le droit de l’urbanisme en Italie… », op. cit. p.137.
67
conviennent aux petites villes qui ne connaissent pas de fortes tensions dans l’immobilier. Ces
plans sont soumis à l’approbation préalable de l’autorité régionale, selon l’ancienne loi, « en
tous leurs aspects » (art.114.2), ce qui fut interprété comme définissant un pouvoir général de
contrôle, y compris en opportunité, donnant à l’autorité régionale le pouvoir de demander à la
commune des modifications substantielles de son plan. Le Tribunal constitutionnel, dans un
arrêt du 13 juillet 1990, a introduit une nouvelle lecture de cette disposition, à la lumière du
principe constitutionnel qui consacre l’autonomie communale (art.140), considérant que le
pouvoir que l’autorité régionale tient de la loi ne s’exerce dans sa plénitude qu’au service
d’intérêts supra-communaux, lesquels doivent prévaloir en cas de conflit à condition qu’ils
soient susceptibles d’une vérification objective ; en dehors de ce cas, l’autorité régionale
n’exerce qu’un contrôle de légalité sur le contenu du plan communal44. En pratique toutefois,
la procédure d’approbation préalable et la référence aux intérêts supra-communaux donnent à
l’autorité régionale un pouvoir d’intervention important en matière d’urbanisme. Le cas de
Madrid est exemplaire : l’autorité régionale conteste fréquemment les décisions d’urbanisme
communales, et introduit des prescriptions nouvelles dans le document qu’elle approuve, ce
qui conduit la ville de Madrid a faire un recours contre son propre plan pour contester les
prescriptions introduites par la région ; l’intérêt régional qui les fonde est au cœur de la
contestation. Bien que la communauté autonome de Madrid dispose d’un véritable code de
l’urbanisme, avec les lois d’urbanisme de 1995 et de 2001, rien n’a été fait pour clarifier les
compétences et délimiter le pouvoir d’intervention de l’autorité régionale. La raison que la
communauté autonome n’a aucun intérêt à clarifier l’objet de l’intérêt régional, puisque cela
réduirait la liberté de manœuvre que lui donne son pouvoir d’approbation préalable à la faveur
de l’incertitude juridique de la notion d’intérêt régional45. Rappelons que seules quelques
communautés autonomes ont adopté un plan général d’aménagement du territoire qui encadre
les plans généraux d’aménagement urbain.
En Belgique, les modalités juridiques des relations entre le niveau régional et le niveau
communal en matière d’urbanisme sont différentes, mais le sens en est le même : les régions
ont les moyens juridiques de faire prévaloir leurs prescriptions sur les plans d’urbanisme
communaux. Dans certaines situations elles peuvent édicter des prescriptions qui s’imposent
aux contenu des plans d’urbanisme, et qui peuvent donner lieu à l’exercice d’un pouvoir de
substitution.
44 Tomás Ramón Fernández (2002), Manual de derecho urbanístico, Madrid, Abella, 2002, 14ème éd., pp. 93 suiv. 45 Angel Menendez Rexach, table-ronde GRALE-GRIDAUH à la DREIF sur les compétences en matière d’urbanisme dans les Etats européens (26 septembre 2002).
68
Le système d’aménagement et d’urbanisme du Royaume-Uni est très différent dans sa
conception et dans ses institutions de ceux des pays que l’on vient de passer en revue. Il se
distingue par le fait que les documents d’urbanisme n’ont pas de valeur réglementaire ; il
doivent seulement être pris en considération, avec d’autre éléments, dans les permis
d’aménagement (planning permissions) qui constituent l’acte essentiel. C’est l’autorité locale
qui est compétente aussi bien pour établir les plans que pour délivrer les permis
d’aménagement, mais dans les faits ce pouvoir est encadré par les directives d’aménagement
publiées par le ministère compétent (planning policy guidance notes), lesquelles sont des
documents très précis touchant tous les domaines de l’aménagement et de l’urbanisme. Or, le
ministre peut évoquer la décision sur un plan d’urbanisme (dans sa totalité ou sur une partie
du plan), et il est autorité de recours contre les décisions de l’autorité locale en matière de
planning permission. Sa décision est alors guidée par le planning policy guidance note de
référence. La devolution a entraîné le transfert de ces pouvoirs aux autorités régionales
correspondantes en Ecosse et au Pays de Galles, c’est-à-dire le rapprochement de la tutelle,
non son affaiblissement.
L’exemple du Pays de Galles montre que si la devolution a permis à l’Assemblée
nationale galloise de prendre de nombreuses initiatives politiques, et d’engager des politiques
qui la distinguent dans les domaines du développement régional, de l’éducation, de la
formation professionnelle et de la santé, de la culture, les autorités locales se plaignent d’être
tenus à l’écart et la création par l’Assemblée nationale galloise d’agences exécutives
compétentes pour tout le pays de Galles a pour effet de court-circuiter les autorités locales
qui, traditionnellement, ont la responsabilité de la mise en œuvre des politiques. En Ecosse
également, les autorités locales, qui avaient appuyé la devolution, donnent lieu à des points de
vue aujourd’hui plus contrastés. Les conseillers locaux sont plus nombreux à penser, toutes
tendances confondues, que la devolution a réduit l’importance des autorités locales. Au
niveau des associations professionnelles de cadres des autorités locales le jugement devient
encore plus négatif; une grande majorité de leurs membres, dans chacune d’elles, estime que
le contrôle central s’est renforcé avec la devolution46.
Enfin, et de manière générale, on doit prendre en considération l’activité législative et
réglementaire des pouvoirs régionaux. Cette activité est importante sur le plan quantitatif,
surtout si on prend en compte les règlements arrêtés par les exécutifs régionaux, et dans son
contenu normatif elle est souvent très détaillée. Dans la mesure où elle concerne les
46 Michael Bennett / John Fairley / Mark McAteer (2002), Devolution in Scotland. The impact on local government, John Rowntree Foundation, voir en particulier pages 15 et 40.
69
collectivités locales, soit parce qu’elle s’applique à elles, soit parce que celles-ci doivent en
assurer l’application, elle conduit à un encadrement juridique plus étroit des collectivités
locales.
2. Des relations conflictuelles entre pouvoirs régionaux et pouvoirs urbains
On note dans plusieurs des pays étudiés une concurrence institutionnelle et des
relations conflictuelles entre les pouvoirs régionaux et les pouvoirs urbains. Ceci est
particulièrement apparent en Espagne et en Italie.
En Espagne, la loi de base sur le régime local (n°7/1985, 2 avril) prévoit que les aires
métropolitaines sont des collectivités locales intégrant les communes des grandes
agglomérations, liées entre elles par des relations économiques et sociales qui rendent
nécessaires une planification commune et la coordination de certains services et de certains
équipements. Elle prévoit aussi les communautés autonomes peuvent créer, modifier ou
supprime, par la loi, les aires métropolitaines (art.43). En réalité, les communautés autonomes
ont supprimé les aires métropolitaines partout où elles existaient : à Bilbao (Pays Basque), à
Barcelone (Catalogne) et à Valence, la dernière à avoir été supprimée par une loi régionale de
1999, de la Communauté autonome de Valence. Aucune aire métropolitaine n’a été créée,
bien qu’un certain nombre de villes le réclament (Santander, Vigo, Saragosse…). On peut en
conclure que les communautés autonomes ont plutôt cherché à contenir la puissance des
grandes villes, dans lesquelles elles pouvaient voir des contre-pouvoirs politiques47. A
Barcelone, la loi a réduit la gestion de l’agglomération à ses fonctions techniques réparties
entre deux syndicats de communes (mancomunidades) qui ont des périmètres différents,
tandis que les compétences en matière d’urbanisme ont été partagées entre la Généralité et
l’arrondissement de Barcelone (comarca). Au contraire, la ville de Barcelone revendique un
statut spécial qui lui confère des compétences plus étendues que celles des autres communes,
en se référant principalement à des arguments historiques. Il en est résulté un statut singulier,
autant que particulier, la Charte communale de Barcelone, établie par la loi régionale 22/1998
du 30 décembre, qui prévoit la création par la loi régionale d’une série de syndicats mixtes
(consorcios) associant la ville et la Généralité afin d’organiser l’administration conjointe des
47 Tomás Font i Llovet (2000), « La evolución del gobierno local en España : de los ‘’nuevos principios’’ a la ‘’geometría variable’’ », Anuario del Gobierno local 1999/2000, Barcelone, Marcial Pons, en particulier pp.31-33.
70
compétences concernées48. Cette réforme reflète aussi bien le revendication de compétences
plus larges de la part de la ville que la volonté de la Généralité de ne pas les céder. Le fait que
la ville de Barcelone soit gérée par une majorité socialiste, tandis que la majorité du parlement
régional est nationaliste, ne facilite pas les relations entre les deux collectivités. Le fait que le
grand Barcelone représente 4 millions d’habitants alors que la catalogne en compte 6 au total
explique aussi l’enjeu.
En Italie, pays de villes plutôt que de régions, les relations entre ces deux entités ont
toujours été problématiques. Selon Francesco Merloni, « sur le plan fonctionnel le simple
développement de la question métropolitaine constitue pour les régions une menace pour leur
propre base constitutive »49 ; les régions sont nées en Italie de la recherche d’un rééquilibrage
territoriale entre les zones puissantes, celles des grandes villes, et les zones faibles de
l’intérieur. en outre, dans les régions qui ont de grandes villes, le centre de gravité politique a
toujours été la ville capitale, une centralisation de la vie politique au profit de la grande ville
qui a été accentuée par l’introduction de l’élection du maire au suffrage universel direct en
1993. La révision constitutionnelle de 1999, qui a introduit l’élection au suffrage direct des
présidents de région, est une réponse à la situation créée par la réforme précédente. Le
renforcement du leadership, non pas des maires, mais des maires des grandes villes par leur
élection au suffrage direct a été perçu comme un danger par les régions, qui ont craint que
leur position dans le système institutionnel italien n’en soit affaiblie. A l’inverse, on doit
relever que les régions n’ont jamais cherché à mettre en œuvre déjà inscrit dans l’ancien
article 118 de la Constitution, selon lequel la région exerce « normalement » ses fonctions
administratives en les déléguant aux provinces et aux communes ; on invoquait la trop petite
taille des communes mais ces transferts n’ont pas été non plus mis en œuvre en faveur des
grandes villes. C’est l’Etat qui a entrepris de le faire appliquer, avec la loi Bassanini I et le
décret-loi n°112 de 1998 : en application de ces textes les régions doivent définir par la loi les
fonctions qui doivent être exercées au niveau régional et opérer le transfert de toutes les autres
aux collectivités locales, sous peine de voir l’Etat se substituer à elles pour le faire. Cependant
6 régions à statut ordinaire seulement ont adopté les lois prévues dans le délai fixé (avant le
31 mars 1999), ce qui a conduit le Gouvernement à exercer son pouvoir de substitution. La
délégation des compétences aux communes suppose cependant que celles-ci se regroupent ou
48 Tomás Font i Llovet (2000), La carta municipal de Barcelona en la reforma del régimen local, Fundació carles Pi y Sunyer d’Estudis Autonòmics i Locals, Punt de Vista 7. 49 F. Merloni (2000), « Áreas y gobiernos metropolitanos, regiones y gobierno local (Reflexiones sobre las contradicciones italianas, desde la perspectiva europea) », Anuario del Gobierno local 1999/2000, Barcelone, Marcial Pons, pp.129-130.
71
coopèrent ; en cas de carence de leur part le législateur régional peut intervenir pour
déterminer le mode de regroupement approprié.
La volonté de renforcer les grands centres urbains, dans un but général de
compétitivité économique, a conduit la loi n°141 de 1990 à prévoir la création dans les plus
grandes agglomérations de « villes métropolitaines » (città metropolitane), qui devait se
superposer aux communes et absorber les compétences stratégiques. La mise en œuvre de la
loi reposait dans une large mesure sur les régions, qui devaient en délimiter le périmètre et en
déterminer les compétences. En fait, seules la Ligurie et la Vénétie ont délimité les
périmètres, mais les institutions et les fonctions n’ont nulle part été définies ; en particulier les
lois régionales prises en application de la loi Bassanini I précitée ignoraient les villes
métropolitaines. Il est juste d’ajouter que les capitales régionales qui n’avaient pas été
associées à cette réforme la considéraient avec méfiance, considérant qu’elle pouvait servir à
diluer leur pouvoir, et que les communes périphériques craignaient pour leur autonomie. La
loi 265/1999 avait cependant donné une nouvelle chance à cette réforme, dont elle changeait
toutefois profondément la logique en donnant l’initiative de la création de la ville
métropolitaine à la ville chef-lieu et aux communes voisines, et en remettant la décision de sa
création à un référendum local, et non plus à la région ; celle-ci n’a plus qu’à transmettre la
demande au Parlement pour que la ville métropolitaine, qui devait absorber les compétences
de la provinces sur son territoire, soit créée par la loi50. Désormais, la ville métropolitaine
devait se constituer à partir de la capitale régionale. La révision constitutionnelle du 18
octobre 2001 a donné rang constitutionnel à la ville métropolitaine, qui fait désormais partie
des collectivités territoriales qui forment la République (art.114), et le régime électoral, les
institutions et les fonctions fondamentales des villes métropolitaines entrent dans les
compétences exclusives du législateur national (art.117, al.2, p). L’avenir de la ville
métropolitaine est encore incertain, et dépendra de la loi nationale qui va réviser le code des
collectivités locales de 2000. Mais il est certain, en revanche, que les régions n’ont plus le
pouvoir de freiner ou d’empêcher leur création, si les communes concernées décident de la
former ; elles pourront seulement en limiter les compétences en s’abstenant ou en réduisant
les délégations dans les matières qui relèvent de la compétence régionale.
Au Pays de Galles le conflit entre la pouvoir régional et la principale ville, la capitale
régionale Cardiff (320.000 habitants) se manifeste essentiellement en matière financière.
Alors que désormais le montant de la dotation globale destinée aux collectivités locales est
50 Décret-loi du 18 août 2000, n°267 : testo unico delle leggi sull’ordinamento degli enti locali (code des collectivités locales), art.23.
72
transféré à l’Assemblée nationale galloise qui en arrête les critères de répartition, l’Assemblée
nationale galloise a modifié ces critères au détriment de Cardiff au profit de tous les autres
conseils locaux, et notamment ceux qui sont les plus excentrés. Autre exemple presque
caricatural : l’Assemblée a introduit la gratuité des transports entre Cardiff et quelques points
de départ à l’intérieur du Pays de Galles, mais elle a mis les coûts à la charge de la ville de
Cardiff. Il est clair que l’Assemblée cherche plutôt à appuyer sa légitimité sur l’intérieur que
sur la population de Cardiff, qui avait d’ailleurs voté contre la devolution au référendum de
1997, et dont le maire51 lui est hostile. On rencontre une situation comparable en Ecosse. La
ville de Glasgow (612.000 habitants) est en conflit avec l’exécutif écossais et avec les autres
conseils locaux sur la répartition de la dotation destinée aux autorités locales, estimant qu’il
n’est pas suffisamment tenu compte des charges que représentent les zones défavorisées et les
services de portée régionale qu’elle finance, alors la taxe locale (council tax) a augmenté de
59% en trois ans ; en février 2001, Glasgow a quitté la Convention des autorités locales
d’Ecosse (COSLA), au motif que cette association ne tient pas suffisamment compte de ses
intérêts. En réalité la COSLA a choisi la stratégie du partenariat avec l’exécutif écossais, et
elle a été de plus en plus perçue comme l’alliée de celui-ci ; seulement 28% des élus locaux
pensent que la COSLA représente de manière égale et loyale les intérêts de tous les conseils
locaux52.
En Allemagne le tableau est à la fois plus complexe et plus nuancé. D’un côté, les
communes contestent, notamment par leurs organisations nationales et régionales, la volonté
du Land d’établir son hégémonie dans certains domaines. Elles contestent ainsi la prétention
des Länder à représenter les régions, en faisant valoir qu’ils sont des entités étatiques, au sens
de la Loi fondamentale et que la représentation des intérêts régionaux doit revenir aux
collectivités locales sous des formes appropriées. Elles n’ont cependant pas obtenu que la
représentation de l’Allemagne au Comité des Régions, qui est monopolisée par les Länder (21
sièges sur 24, les 3 autres étant attribués aux organisations fédérales des collectivités locales).
Pourtant, cette orientation a reçu le soutien indirect du gouvernement fédéral53, et la nouvelle
loi fédérale sur l’aménagement du territoire (§9.6) permet à des communes présentant une
certaine solidarité d’intérêts d’établir un plan d’affection des sols « régional », qui tiendrait 51 A la suite du Local Government Act 2000, la ville de Cardiff a choisi la formule du « cabinet » pour l’organisation de ses institutions. L’exécutif est ainsi exercé par un cabinet de 9 conseillers au plus, sous l’autorité du Leader, lequel est élu par le conseil en son sein ; le Leader nomme ensuite les autres membres du cabinet. 52 Michael Bennett / John Fairley / Mark McAteer (2002), Devolution in Scotland. The impact on local government, Joseph Rowntree Foundation, pp.23-28.
73
lieu aussi de plan régional, ce qui élargirait l’autonomie des communes en matière
d’urbanisme ; toutefois, cette possibilité n’est pas utilisée en raison des divisions entre les
communes. D’un autre côté, la législation des Länder a introduit des formes spécifiques
d’organisation urbaine, destinée à intégrer sous une seule autorité d’agglomération de
certaines fonction dépassant les capacités et le territoire de la ville centre, même après les
regroupements de communes des années soixante et soixante-dix : tel est le cas pour
Francfort, Hanovre, Stuttgart et Munich, notamment. Si ces structures d’agglomération ont
des pouvoirs somme toute assez limités ou ne les exercent pas complètement (cas du syndicat
d’agglomération du Grand Francfort), c’est en raison de la réticence des communes
périphériques54. En revanche, les grandes villes se sont opposées à certains projets de
régionalisation, notamment en Rhénanie du Nord – Westphalie, dans lesquels elles voyaient
un moyen, de la part du Land, pour relativiser leur influence par celle des autres collectivités
locales dans des instances représentatives de la région55.
3. Les mécanismes de compensation Les difficultés institutionnelles que l’on vient d’évoquer ont conduit à imaginer des
mécanismes de compensation, destinés à protéger les autonomies locales contre les pouvoirs
régionaux. Ce sont des recours ou la mise en place d’organes consultatifs représentant les
collectivités locales. La valeur de ces compensations est très variable, et parfois aléatoire.
C’est sans aucun doute en Allemagne que les collectivités locales disposent des voies
de recours les plus diversifiées pour contester les empiètements qu’elles reprochent aux
Länder sur leurs compétences et sur leur droit constitutionnel de libre administration. Les
collectivités locales et leurs groupements disposent d’un recours direct
(Verfassungsbeschwerde) à la Cour constitutionnelle fédérale en cas de violation par une loi
de leur droit de libre administration, ce recours n’est cependant ouvert contre les lois des
Länder que si un tel recours n’existe pas, selon la constitution du Land, devant le Tribunal
constitutionnel du Land (Loi fondamentale, art.93.4b). En pratique les tribunaux
53 G. Marcou (1995), “L’évolution récente du fédéralisme allemand sous l’influence de l’intégration européenne et de l’unification”, Revue du Droit public, n°4, pp.883-919. 54 G. Marcou (2000), “Le statut des agglomérations en Allemagne”, dans : B. Luisin (dir.), L’expérience française des communautés urbaines, Presses Universitaires de Nancy. 55 Johann-Christian Pielow (2000), « Las estructuras del gobierno local en un marco federal : la asimetría y las singularidades », Anuario del Gobierno local 1999/2000, Barcelone, Marcial Pons, p.118.
74
constitutionnels des Länder jouent un rôle important dans le contentieux des rapports entre les
Länder et les collectivités locales. Ils protègent en particulier les prérogatives communales
(Gemeindehoheiten) en matière d’organisation de leurs missions et de leur administration, et
en matière d’urbanisme (Planungshoheit), ainsi que leurs droits à être dotés des moyens
financiers correspondant à leurs missions. Sur ce dernier point, on notera quelques arrêts de
tribunaux constitutionnels qui ont fait partiellement échec à la politique de certains Länder de
reporter sur les communes en diminuant leurs subventions la pression qu’ils subissaient eux-
mêmes sur leurs propres ressources : selon le tribunal constitutionnel de la Basse-Saxe (25
novembre 1997), notamment, mais sur la base de dispositions claires de sa constitution, le
Land ne pouvait pas reporter la totalité de ses pertes de revenus sur la masse destinée à la
péréquation entre les communes du Land, ni réduire la compensation due aux communes pour
le financement de tâches déléguées. En outre, les collectivités locales peuvent former des
recours contre des actes administratifs devant les tribunaux administratifs.
Le système allemand de recours constitutionnels a inspiré la réforme espagnole de
1999, avec cette différence qu’il n’existe pas en Espagne de tribunaux constitutionnels au
niveau des communautés autonomes, lesquelles n’ont pas leur propre constitution (v. supra
I,1). La loi organique 7/1999 du 21 avril 1999 a introduit dans la loi organique sur le Tribunal
constitutionnel un recours constitutionnel en défense de l’autonomie locale (nouveaux articles
75 bis à 75 quinquiès). Le recours est ouvert contre les dispositions de nature législatives de
l’Etat et des communautés autonomes qui portent atteinte à l’autonomie locale garantie par la
Constitution. Le recours est ouvert à la commune ou à la province destinataire unique de la loi
contestée, ou, dans les autres cas, à un septième des communes représentant au moins un
sixième de la population, ou à la moitié des provinces représentant la moitié de la population,
dans le ressort d’application territorial de la loi contestée. Le recours suppose les délibérations
à la majorité absolue des conseils des collectivités locales à concurrence de ces seuils de
recevabilité.
En revanche, en Italie les collectivités locales ne disposent que de l’exception
d’inconstitutionnalité, qu’elles peuvent soulever devant un juge à l’occasion d’un litige,
comme n’importe quelle partie à un litige porté devant une juridiction (loi du 11 mars 1953
sur la Cour constitutionnelle. Au Royaume-Uni, la Commission judiciaire du conseil privé de
la Reine est compétente pour vérifier la conformité des lois votées par le Parlement de
l’Ecosse au statut de l’Ecosse, mais elle ne peut être saisie par les officiers de justice de la
Reine (dans le délai de quatre semaines qui sépare le votre de la sanction royale), ou par voie
d’exception soulevée devant une juridiction.
75
Les autres mécanismes de compensation sont d’ordre politique. En Espagne, le
gouvernement national et les associations de collectivités locales cherchent à promouvoir un
« pacte local », qui aurait pour objet la « seconde décentralisation », c’est-à-dire la
décentralisation des communautés autonomes vers les communes ou d’autres entités locales.
La Fédération espagnole des communes et des provinces (FEMP) a publié en 1996 un
document intitulé « Bases pour un pacte local » dans lequel étaient exprimées des
revendications en matière de compétences, ainsi que la revendication d’un accès direct au
Tribunal constitutionnel, ce qui a été satisfait par la réforme de 1999. Ce document a servi de
base à un accord signé le 30 mai 1997 entre cette organisation et le ministère des
Administrations publiques sur un document intitulé « Bases pour la négociation de l’accord
pour le développement du gouvernement local ». Approuvé par le gouvernement, son objet
est de servir de référence pour la négociation de « pactes locaux autonomiques », négociés
dans chaque communauté autonome entre celle-ci et la fédération régionale des collectivités
locales, et qui devraient inspirer des lois régionales pour leur mise en œuvre56. Si d’autre
documents politiques ont été adoptés au niveau national depuis, ainsi que des réformes
législatives au niveau national également, la négociation politique des « pactes locaux
autonomiques », bien qu’elle ait été engagée dans de nombreuses communautés autonomes,
ne semble avoir nulle part abouti à des résultats tangibles. Il ne faut sans doute pas s’en
étonner : les communautés autonomes sont peu disposées à se défaire des compétences
qu’elles ont acquises. En revanche c’est encore sur le plan national que des progrès peuvent
être attendus : le gouvernement prépare un projet de loi sur les grandes villes qui concernerait
les communes de 300.000 habitants et plus, mais le seuil pourrait être plus bas57. Ce projet de
loi concerne seulement les institutions et la démocratie locale, et non les compétences car les
compétences qui intéresseraient les villes relèvent aujourd’hui des communautés autonomes.
Mais un statut particulier pour les grandes villes renforcerait sans aucun doute la position de
celles-ci pour réclamer aux communautés autonomes des transferts de compétences.
En Italie, la révision constitutionnelle du 18 octobre 2001 a consacré l’institution par
le statut de chaque région d’un conseil des autonomies locales, en tant qu’organe consultatif
entre la région et les collectivités locales (art.123 in fine). De tels conseils existaient déjà dans
la plupart des régions. Par exemple, en Émilie-Romagne la loi régionale n°3/1999 organise la
conférence Région – autonomies locales, qui est placée sous la présidence du président de la
56 José Manuel Rodríguez Álvarez (1999), La reforma del régimen local de 1999. Las medidas legislativas estatales en el marco del pacto local, Barcelone, Bayer hermanos, pp.62 suiv. et 75-77. 57 Le projet de loi n’est pas public pour l’instant. Il devrait être présenté en janvier 2003.
76
région et qui se compose : des présidents de province, des maires des communes chefs-lieux,
des maires des communes et groupements de communes de plus de 50.000 habitants, et de 13
maires représentants les autres communes, élus par le collège des maires de ces communes.
La conférence formule des propositions et des avis, et ratifie des accords sur les questions de
compétence régionale qui intéressent les collectivités locales. Elle doit être consultée sur les
orientations du budget régional, sur les projets de loi régionale intéressant les compétences et
l’organisation des collectivités locales, les actes généraux de la programmation régionale. Les
accords entre l’exécutif régional et les composantes de la conférences Région - Autonomies
locales sont prévus par des lois régionales ; en l’absence d’unanimité, la région peut décider
unilatéralement. Dans l’ensemble ce système paraît donner satisfaction, mais on doit noter
qu’il relativise le poids des grandes villes par rapport à la région. En Émilie-Romagne,
toutefois, les « programmes négociés » (art.33) permettent d’échapper à l’unanimité exigée
pour les accords58.
La loi sur Pays de Galles de 1998 (section 113, et annexe 11) prévoit également un
« Conseil de partenariat » (Partnership Council) qui doit être établi par l’Assemblée nationale
galloise, et se compose de membres de ladite assemblée et de représentants des autorités
locales du Pays de Galles. Ce conseil doit rendre des avis sur toute question intéressant la
compétence de l’Assemblée nationale galloise, adresse à cette Assemblée des représentations
en toute matière affectant « ceux qui sont engagés dans l’administration locale au Pays de
Galles », et donne des avis également à ces derniers. Mais les autorités locales, dont le mode
de représentation doit être fixé par l’Assemblée nationale galloise, sont définies par la loi de
manière très extensive : il s’agit non seulement des conseils locaux, mais également des
conseils de communautés (conseils élus des localités comprises dans le ressort des conseils
locaux), des autorités des parcs nationaux, et des autorités locales spéciales des zones de
police et des zones de lutte contre l’incendie. Cette composition conduit à la dilution de
l’influence de la capitale régionale par rapport à un ensemble hétérogène d’autres autorités
locales. En Ecosse la représentation des autorités locales est assurée par la Convention des
autorités locales d’Ecosse, qui est une association, que Glasgow a quittée en février 2001 en
raison son désaccord sur les termes de la négociation avec l’exécutif écossais sur les critères
de répartition de la dotation destinée aux autorités locales. Cependant, la loi sur l’Ecosse de
1998 permet explicitement le cumul du mandat de député au parlement écossais avec un
mandat local.
58 La même loi établit deux autres conseils consultatifs de la région : la conférence de l’économie et du travail et la conférence du tiers secteur, qui sont définis comme les instruments de la « concertation sociale ».
77
En Allemagne, il n’existe pas d’institutions comparables mais les trois associations de
collectivités locales sont des organisations influentes dans tous les Länder et assurent une
représentation efficace de leurs membres. En outre, si les maires ne peuvent être députés, on
compte dans les parlements régionaux (Landtage) de nombreux membres des conseils
municipaux et des conseils d’arrondissement.
78
IV. LES FINANCES REGIONALES
Les finances régionales constituent un domaine complexe que l’on va aborder ici
seulement sous l’angle de l’autonomie financière et sous l’angle de la péréquation, que l’on
envisagera elle-même sous deux aspects : la péréquation entre les régions et la péréquation au
sein des régions entre les collectivités locales.
Deux observations s’imposent sur les pays étudiés. En premier lieu, on est en présence
de situations qui sont, tendanciellement plutôt que présentement, très contrastées. Initialement
le pouvoir fiscal des régions (autonomies régionales ou entités fédérées) est faible ou
inexistant, et leurs ressources proviennent principalement de dotations de l’Etat ou du partage
du produit d’impôts nationaux. Cependant, l’Espagne, la Belgique et l’Italie s’orientent vers
l’établissement d’un pouvoir fiscal régional important. La faiblesse du pouvoir fiscal
s’explique par deux raisons : d’une part, la nécessité pour les gouvernement nationaux de
contrôler l’évolution globale des dépenses publiques ; d’autre part la volonté de maintenir une
certaine égalité des citoyens devant les services publics qui sont assurés par les pouvoirs
régionaux. Ce sont les Etats où la dynamique de l’autonomie régionale est la plus forte qui
s’orientent vers la concession par l’Etat d’un pouvoir fiscal important au niveau régional. La
seconde observation concerne la péréquation : généralement admise dans son principe, elle est
souvent contestée dans ses modalités. En fait, elle est controversée dès que les montant sont
importants et que les payeurs sont identifiés. En ce qui concerne les collectivités locales, on
est en présence de deux types de situations contrastées : en Italie et en Espagne, les dotations
aux collectivités locales proviennent essentiellement de l’Etat, et les régions pèsent donc peu
sur les budgets locaux; en Allemagne, au Royaume-Uni (Ecosse et Pays de Galles) et en
Belgique, en revanche, la péréquation aux collectivités locales relève des pouvoirs régionaux.
1. L’autonomie financière des régions : partage des ressources et pouvoir fiscal
L’histoire des Etats fédéraux classique est caractérisée par la montée en puissance du
pouvoir dépensier et du pouvoir fiscal du pouvoir fédéral par rapport aux Etats fédérés. Mais
elle est marquée aussi, corrélativement, par le passage d’un régime de séparation des revenus,
en rapport avec les compétences exercées, à un système « d’intégration du pouvoir de créer
des recettes et de redistribution fédérale du produit des ressources intégrées », de sorte que le
79
financement des collectivités fédérées dépend de la législation financière fédérale, soit pour ce
qui concerne leur propre statut financier (possibilité de créer des ressources fiscales), soit pour
la répartition des recettes communes et donc la détermination de la part qui leur revient59.
L’évolution récente de systèmes de financement des régions en Belgique, en Espagne et en
Italie ne remet pas en cause cette appréciation. Elle conduit à la formation d’un système
d’impôts partagés, dans lequel le partage porte à la fois sur le produit fiscal et, de manière
plus récente, sur le pouvoir fiscal lui-même. Toutefois, la compétence normative se limite à
des modalités d’imposition ; elle ne s’étend pas à l’institution d’un pouvoir fiscal autonome.
En outre, ces pouvoirs sont encore peu exercés, ce qui ne permet pas d’en apprécier encore la
portée.
A) Le financement par des transferts ou le partage du produit d’impôts nationaux
Parmi les pays étudiés ici, le pouvoir fiscal des régions est le plus faible en Allemagne,
et au Royaume-Uni ; on peut y ajouter l’Autriche.
En Allemagne, le financement des Länder repose essentiellement sur les impôts
communs définis par l’article 106 de la Loi fondamentale : l’impôt sur les sociétés et l’impôt
sur le revenu d’une part, la TVA d’autre part. Pour les deux premiers, le produit réalisé dans
chaque Land est partagé à parts égales entre la Fédération et le Land, étant précisé que 16%
du produit de l’impôt sur le revenu est attribué aux communes sur le produit réalisé sur leur
territoire sur les revenus ou parts de revenus annuels ne dépassant pas 40.000 DM, et que la
part des communes est prélevée à parts égales sur la part de la Fédération et sur la part du
Land. Le partage du produit de la TVA est réglé par une loi fédérale soumise à l’approbation
du Bundesrat. Il sert de variable d’ajustement, à la fois pour assurer la couverture des
dépenses courantes et pour financer la péréquation horizontale entre les Länder. Le partage du
produit de la TVA a évolué en faveur des Länder, d’une part en raison du coût de l’unification
de l’Allemagne, les Länder de l’est étant devenus les principaux bénéficiaires de la
péréquation, et d’autre part pour compenser la baisse des ressources tirées de l’impôt sur le
revenu en raison de la prise en compte depuis 1996 du nombre d’enfants dans la
détermination de la charge fiscale. En 2002, le partage est de 49,6% pour la Fédération et de
50,4% pour les Länder et devrait rester à peu près à ce niveau jusqu’en 2006. Toutefois, ce 59 Pour une étude approfondie de cette évolution et de ses enseignements, voir : Jean Anastassopoulos (1979), Les aspects financiers du fédéralisme, Paris , LGDJ, notamment p.154. Pour la Suisse, voir : Luc Weber (1992),
80
partage s’opère sur une masse réduite par le prélèvement au profit des Communautés
européennes (11,5%), et par la participation des communes (1,5% du produit actuellement)
depuis 1998 (compensation de la suppression de la base capital de la taxe professionnelle -
Gewerbesteuer). A la différence des deux autres impôts communs, la part du produit global de
la TVA alloué aux Länder est répartie entre eux en fonction du nombre d’habitants, quel que
soit le produit réalisé dans le Land. En outre, est attribué aux Länder une partie du produit
d’autres impôts fédéraux (notamment sur les produits pétroliers), mais pour des montants
secondaires. En 2001, la participation des Länder aux trois impôts communs de l’article 106
représentaient 151,2 milliards d’euros sur un total de ressources fiscales de 178,7 milliards,
soit 84,6%. Les impôts propres des Länder, énumérés par l’article 106, ne représentaient que
19,6 milliards d’euros, soit à peine 11% du total des ressources fiscales, et seulement 4,1%
du total des recettes fiscales réalisées par toutes les collectivités publiques.
L’Autriche présente à cet égard des caractéristiques proches de celles de l’Allemagne,
mais encore plus accusée. La fiscalité propre représente moins de 2% des ressources totales
des Länder. Le produit de presque tous les impôts est partagé entre la Fédération, les Länder
et les communes selon des clés de répartition qui sont fixées dans des lois de péréquation
pluriannuelles ; selon les cas, le partage s’opère sur la base du produit réalisé localement ou à
partir du produit global au niveau national.
Au Royaume-Uni, le transfert de compétences à l’Ecosse et au Pays de Galles s’est
accompagné du transfert de ressources. Mais le financement des budgets de l’Ecosse et du
Pays de Galles est assuré presque entièrement par une dotation du budget national (Scottish
block), sur la base d’une formule fondée sur de nombreux indicateurs par secteur, qui se
réfèrent au coût de programmes comparables en Angleterre et au Pays de Galles. Il en va de
même pour le Pays de Galles (Welsh block). Toutefois, s’agissant du financement de charges
transférées de l’Etat aux régions, il demeure une part importante de négociation quant au
niveau de couverture de ces besoins, comme c’est le cas au niveau de l’Angleterre pour les
différents ministères et pour les collectivités locales. Mais cette négociation se déroule entre
le secrétaire d’Etat pour le Pays de Galles, respectivement le secrétaire d’Etat pour l’Ecosse,
et le ministère britannique des finances, non avec l’exécutif de la région considérée, même si
l’assemblée est consultée ou exprime des préférences ou des demandes. En ce qui concerne
l’Ecosse, la loi de 1998 confère cependant un pouvoir fiscal au parlement écossais. Le
pouvoir fiscal a fait l’objet, lors du référendum de 1997, d’une question distincte, qui avait
rallié également une forte majorité positive (63,5%), quoique moindre que celle qui soutenait Les finances publiques d’un Etat fédéral, la Suisse, Paris, Economica, pp.210 suiv.
81
le rétablissement du parlement d’Ecosse (74,3%). Celui-ci a donc désormais le pouvoir de
faire varier le taux de base de l’impôt sur le revenu acquitté par les contribuables d’Ecosse de
plus ou moins trois points au maximum. Toutefois, ce pouvoir n’a pas encore été exercé par le
Parlement d’Ecosse. Les budgets gérés par le Parlement d’Ecosse et l’Assemblée nationale
galloise sont considérables : au cours de l’exercice 2001-2002 respectivement 19,7 milliards £
(dont 6,5 pour les autorités locales) et 9,7 milliards £ (dont 2,9 pour les autorités locales). Les
transferts comme le produit éventuel de ce pouvoir fiscal sont regroupés dans fonds consolidé
dont la gestion financière appartient au trésor britannique par l’intermédiaire du Paymaster
General. Le fonds consolidé pour le Pays de Galles est géré de la même manière.
B) L’affirmation hésitante du pouvoir fiscal régional
En revanche, l’Espagne, la Belgique et l’Italie ont entrepris de transférer aux régions
une partie du pouvoir fiscal.
L’Espagne s’est orientée depuis 1996 dans la voie d’une « coresponsabilité fiscale »
entre l’Etat et les communautés autonomes, dont on peut trouver le principe aux articles 156
et 157 de la constitution espagnole. Elle conduit progressivement à un système d’impôts
partagés, tel que le partage du produit et le partage du pouvoir fiscal porte sur les impôts
fondamentaux du système fiscal60. Le système de financement établi pour la période 1997-
200161 s’accompagnait déjà de la concession aux communautés autonomes d’une compétence
normative sur certains éléments du régime des impôts cédés, c’est-à-dire des impôts d’Etat
dont une partie ou la totalité du produit sont attribués aux communautés autonomes. Cela
concernait l’impôt sur le revenu des personnes physiques, l’impôt sur les successions et les
donations ; les droits de mutations ; les impôts sur les jeux et l’impôt sur le patrimoine. En
revanche la fiscalité propre restait très faible (en 1997 : 3,4% du total des ressources des
communautés autonomes). En 2001, la définition du nouveau système de financement des
communautés autonomes a accompagné le transfert des établissements sanitaires et sociaux et
elle a été l’occasion d’une réforme profonde, introduite par la loi organique modificative sur
le financement des communautés autonomes n°7/2001 du 27 décembre 2001, accompagnée
des lois n°21 et 22/2001, également du 27 décembre, respectivement sur les mesures fiscales
60 José V. Sevilla Segura (2001), Las claves de la financiación autonómica, Barcelone, Crítica, notamment pp.50 suiv. 61 Loi organique modificative 3/1996 du 27 décembre ; loi sur les impôts cédés 14/1996 du 30 décembre et loi 12/1996 sur le budget, modifiées à plusieurs reprises au cours de la période.
82
et administratives du nouveau systèmes de financement et sur le Fonds de compensation
interterritorial62. Cette réforme modifie la liste des impôts cédés et élargit le pouvoir fiscal
concédé aux communautés autonomes sur ces impôts. Les deux principaux éléments de la
réforme sont les suivants : le plafond de la participation des communautés autonomes au
produit régional de l’impôt sur le revenu est porté à 33%63 et une participation au produit de
la TVA, à hauteur de 35% de son produit global en fonction de l’indice de consommation de
la communauté autonome, est introduite. Ces deux ressources représentent en 2002 38% du
total des ressources de la Catalogne. Sont en outre cédés aux communautés autonomes : 40%
de l’impôt sur les tabacs, de l’impôt sur l’alcool, de l’impôt sur les hydrocarbures ; 100% de
l’impôt sur l’énergie, 100% de la taxe d’immatriculation. Ces impôts s’ajoutent à la liste des
impôts cédés sous le régime de la réforme de 1996. Au total le produit des impôts cédés par
l’Etat représente en Catalogne 62,4% du total des ressources en 200264.
Désormais, un pouvoir normatif est concédé aux communautés autonomes sur les
impôts suivants : la part régionale de l’impôt sur le revenu, l’impôt sur l’électricité, l’impôt
sur le patrimoine, l’impôt sur les successions et donations, l’impôt sur les mutations, les taxes
sur les jeux, l’impôt spécial sur certains moyens de transport (droits d’immatriculation),
l’impôt sur les ventes au détail de certains hydrocarbures. Le produit des impôts sur lesquels
s’exerce un pouvoir fiscal de la communauté autonome représente en Catalogne en 2002
environ 46% du total de ses ressources. Ce pouvoir normatif comprend la possibilité de fixer
le barème ou le taux d’imposition, et de fixer le régime des exonérations, déductions et aux
avantages fiscaux, sous réserve des conditions ou des limites fixées par la loi. Notamment, en
ce qui concerne l’impôt sur le revenu, la communauté autonome peut fixer le barème qui
s’applique à sa part, à condition qu’il reste progressif (une exigence de l’article 31.1 de la
Constitution) et comporte le même nombre de tranches que l’impôt d’Etat ; elle doit
également maintenir la déduction pour l’investissement dans la résidence principale, mais elle
peut en régler le taux dans certaines limites. La loi nationale s’applique à titre supplétif si la
communauté autonome n’adopte pas ses propres dispositions, en particulier le barème de
l’impôt pour la tranche régionale (L. 21/2001, art.38).
Pendant la période 1997-2001, le pouvoir fiscal concédé aux communautés autonomes
a été peu exercé. La communauté de Valence est la seule qui ait adopté son propre barème
62 En outre, comme en 1997, la cession du produit de certains impôts d’Etat et la concession d’un pouvoir fiscal donne lieu à une série de lois spéciales, une par communauté autonome (lois 17 à 31/2002 du 1er juillet 2002). 63 Au lieu de 30% auparavant, qui devaient être atteints graduellement au cours de la période 1997-2001. Le pouvoir fiscal ne s’exerçait qu’à l’intérieur d’un plafond de 15% du produit de cet impôt. 64 Il n’existe pas encore de données agrégées sur l’ensemble des communautés autonomes.
83
pour la part régionale de l’impôt sur le revenu, ainsi que sur d’autres impôts cédés. Les autres
communautés autonomes ont légiféré seulement introduire un régime plus favorable de
déductions du revenu imposable, ou de réductions sur l’impôt sur les successions et les
donations65. Autrement dit, les communautés autonomes sont dotées d’un pouvoir fiscal
relativement important dont elles ont peu fait usage. Il reste à voir si la réforme de 2001
conduira à l’apparition de véritables politiques fiscales.
En Belgique, on assiste à une évolution contrastée des ressources des régions d’une
part, des communautés d’autre part. Alors que les communautés sont désormais presque
exclusivement financées par des transferts du budget fédéral, les régions bénéficient d’un
système d’impôts partagés qui présente certaines analogies avec l’évolution que connaît
l’Espagne. Cette différence de traitement se comprend à la lumière des compétences exercées.
Les communautés exercent toutes les compétences se rapportant à la personne, qui
correspondent à des services fondamentaux, pour lesquels une certaine égalité est recherchée :
éducation (72% des dépenses, y compris l’enseignement supérieur) ; santé (11%, avec les
affaires sociales, la culture et l’audiovisuel) ; au contraire, les compétences des régions sont
davantage tournées vers l’économie. Les ressources des communautés ne comportent plus de
ressources fiscales depuis la loi spéciale de refinancement du 13 juillet 2001 ; même la
redevance radio-télévision a été transférée à la région à partir de 2002. Elles proviennent à
plus de 90% du budget fédéral, sous la forme d’un prélèvement sur le produit de la TVA,
attribué en fonction du nombre d’élèves (64% des ressources de la communauté française), et
d’un prélèvement sur le produit de l’impôt sur les personnes physiques (27% des ressources
de la communauté française). Ces ressources sont qualifiées d’« impôts partagés » par la loi
spéciale de financement du 16 janvier 1989.
En ce qui concerne les régions, en revanche, se met en place depuis la loi spéciale de
financement du 16 janvier 1989 un système fondé sur un « impôt conjoint », l’impôt sur le
revenu des personnes physiques, en tant qu’il donne lieu à l’exercice d’un pouvoir fiscal de la
part de la région, et sur le transferts aux régions d’un certain nombre d’impôts de moindre
importance, sur lesquelles elles reçoivent la compétence pour en fixer le taux, les bases
d’imposition et en général les exonérations. En application de la loi spéciale de refinancement
du 13 juillet 2001, la compétence fiscale des régions est élargie à l’égard de l’impôt sur le
revenu des personnes physiques et six nouveaux impôts sont transférés aux régions. Celles-ci
65 Xavier Padrós / Montserrat Bassols (2000), « Los presupuestos y la normativa presupuestaria y financiera de las comunidades autónomicas », Informe Comunidades Autónomas 1999, Barcelone, Instituto de Derecho Público, notamment pp.571-583. Le dernier volume de cette publication n’est pas malheureusement pas encore paru.
84
peuvent non seulement introduire des centimes additionnels à l’impôt sur le revenu, mais
également décider de majoration ou de réductions à condition que globalement elles ne
dépassent pas 3,25% du produit localisé de l’impôt (6,75% à partir de 2004), et que ces
mesures ne réduisent pas la progressivité de l’impôt66. Aujourd’hui, la composante impôt sur
le revenu représente 51% des ressources de la région wallonne, et les impôts régionaux issus
du transfert (12 désormais) représentent 28%. En revanche la fiscalité proprement régionale et
négligeable (2% pour la Wallonie), comme en Espagne. Cependant, ce pouvoir fiscal
potentiellement très large est sous contrôle : il peut être plafonné par arrêté royal si de trop
grandes différences apparaissent entre les régions, et à partir de 2002 le nouveau système de
recettes donne lieu à un mécanisme déflateur tendant à éviter que le nouveau système ne se
traduise par une augmentation de la fiscalité (objectif de neutralité budgétaire de la
réforme)67.
En revanche en Italie, la promotion du pouvoir fiscal des régions est beaucoup plus
nette, et elle est antérieure à la révision constitutionnelle d’octobre 2001. Celle-ci aura
néanmoins des conséquences sur le système de financement des régions : elle prévoit en effet
(art.119) que les régions disposent de ressources et d’une fiscalité propres, d’une participation
au produit des impôts réalisé sur leur territoire ; un fonds de péréquation doit être créé par une
loi de l’Etat pour soutenir les territoires à faible potentiel fiscal. Mais depuis 1998, la
principale ressource des régions italiennes est l’impôt régional sur les activités productives
(IRAP), qui s’est substitué à plusieurs impôts ainsi qu’à la contribution sanitaire, un impôt qui
assurait auparavant la moitié du financement du système de santé (les unités sanitaires
locales). L’IRAP a pour base la somme des salaires, profits et intérêts versés et son taux est
plafonné à 4,25%. Son produit représente 22,6% des ressources totales des régions. Les
régions disposent aussi depuis 1999 d’un impôt régional additionnel à l’impôt sur le revenu
des personnes physiques (3,7% des ressources totales) et de la taxe sur les automobiles
(3,4%). Au total, avec quelques autres impôts d’importance mineure, la fiscalité propre assure
près de 31% du total des ressources des budgets régionaux. En outre, dans les régions à statut
spécial, le produit de certains impôts d’Etat perçus sur leur territoire leur est attribué, et le
législateur régional dispose d’une compétence normative à leur égard, dans le cadre des
orientations et des principes essentiels fixés par le législateur national. Ainsi, en Sicile, les
66 La base de la composante impôt sur le revenu des budgets des régions résulte du financement initial prévu par la loi spéciale de 1989 : le transfert budgétaire a été calculé au prorata du produit localisé de l’impôt sur le revenu ; depuis ce montant a évolué selon des règles d’indexation prévues par la loi spéciale. 67 Les données sur la Belgique sont tirées des documents officiels publiés sur les sites web de la région wallonne et de la communauté française de Belgique.
85
impôts d’Etat sont affectés au budget de la Sicile, à l’exception de la TVA, du produit du
monopole des tabacs et du produit des jeux nationaux.
2. La péréquation entre les régions et dans les régions
La péréquation est l’expression financière de la solidarité qui est indispensable à la
cohésion de la société et à la stabilité de l’Etat. L’inégale répartition des richesses et du
développement économique entre les régions (dans le sens économique du terme) creusera
d’autant plus les inégalités de ressources entre les régions (collectivités territoriales) que les
ressources financières de celles-ci dépendront de la matière imposable de la région. Seul
l’Etat peut alors organiser la solidarité entre des régions que leurs intérêts économiques
risquent d’opposer.
Ce problème a été très tôt perçu dans les Etats fédéraux et les Etats à autonomies
régionales. La Loi fondamentale fait de la « production de conditions de vie équivalentes sur
le territoire fédéral » l’une des justifications de l’intervention du législateur fédéral dans les
matière de compétences concurrentes (art.72.2) ; selon l’article 106.3, point 2 les besoins
financiers de la Fédération et des Länder doivent être accordés de telle sorte qu’une juste
péréquation (ein billiger Ausgleich) soit obtenue, qu’une surimposition des contribuables soit
évitée et que l’homogénéité des conditions de vie sur le territoire fédéral soit sauvegardée » ;
enfin, l’article 107.2 fait devoir au législateur fédéral d’assurer « une compensation
appropriée des inégalités de capacité financières entre les Länder ». La constitution espagnole
de 1978 associe le principe de l’autonomie financière des communautés autonomes au devoir
de solidarité entre tous les espagnols (art.156.1), et elle prévoit la création du fonds de
compensation interterritorial dont l’objectif est de combattre les trop grandes inégalités entre
les communautés autonomes (art.157.1, c) ; enfin, l’article 158.1 prévoit que le budget de
l’Etat pourra affecter aux communautés autonomes les crédits nécessaires afin de « garantir
un même niveau minimum de prestation des services publics fondamentaux sur tout le
territoire espagnol », et il prévoit en outre l’établissement d’un fonds de compensation destiné
au financement d’investissements visant à corriger les déséquilibres économiques territoriaux.
La constitution italienne de 1947 ne prévoyait pas explicitement ce type de solidarité,
ni la péréquation financière entre les régions, mais elle prévoyait une loi pour la protection et
la mise en valeur des régions de montagne (art.44, al.2) , et des subventions spéciales pour la
mise en valeur du midi et des îles (art.119, al.3). Mais la révision constitutionnelle d’octobre
86
2001 va plus loin : elle prévoit l’institution par la loi de l’Etat d’un fonds de péréquation, qui
soutiendra les territoires à faible capacité fiscale par habitant, et qui accordera des dotations
non affectées (nouvel art.119, al.4), et la possibilité pour l’Etat de mettre en œuvre des
« interventions spéciales »en faveur de régions, de communes, de provinces ou de ville
métropolitaines déterminées (al.6). Enfin, il appartient à la compétence exclusive du
législateur national de fixer « les niveaux essentiels des prestations concernant les droits civils
et sociaux qui doivent être garantis sur tout le territoire national » (art.117, al.2, m).
Il s’agit en outre de savoir si la région constitue aussi un niveau de péréquation entres
les collectivités locales ou si la solidarité à l’égard de celle-ci est assurée par l’Etat.
L’Allemagne, et plus récemment la Belgique et le Royaume-Uni (pour l’Ecosse et le Pays de
Galles) se rangent dans la première catégorie, tandis que la péréquation entre les communes
est assurée essentiellement par des transferts de l’Etat en Espagne et en Italie.
A) La péréquation interrégionale
En ce qui concerne la péréquation interrégionale, ce sont les expériences de
l’Allemagne et de l’Allemagne qui présentent le plus d’intérêt. En effet, pour l’Ecosse et le
Pays de Galles dont le financement est intégralement assuré par une dotation globale du
budget de l’Etat, l’égalité de traitement est en principe totale, puisque on applique les mêmes
critères pour l’estimation des besoins et l’évaluation des coûts en Angleterre et dans ces deux
régions. Dans le passé, l’Ecosse a en outre longtemps bénéficié d’un traitement de faveur au
travers du financement du Scottish Office ; l’égalité de traitement lui sera plutôt défavorable.
En Italie le système de péréquation annoncé par la révision constitutionnelle n’est pas défini.
En Belgique, on a vu que les services pour lesquels l’égalité de traitement est la plus sensible
sont financés par les budgets des communautés, lesquels sont alimentés par des transferts
calculés en fonction d’indicateurs de besoin (v. supra).
L’Allemagne a depuis longtemps établi un système de péréquation entre les Länder
qui a fait figure de modèle. Il a résisté au choc de l’unification allemande, mais il a été ébranlé
par la contestation des Länder les plus riches qui en supportent le poids68. Ce système
comporte plusieurs composante, mais il est alimenté essentiellement par la TVA. Tout
d’abord, une péréquation verticale entre les Länder résulte du fait que la part des Länder est
68 Pour un exposé complet et assez actuel en français de la péréquation entre les Länder, voit : Xavier Volmerange (2000), Le fédéralisme allemand face au droit communautaire, Paris, L’Harmattan, pp.248-269.
87
répartie entre eux au prorata de leur nombre d’habitants, et non en fonction du produit réalisé
dans le Land. En second lieu, au plus un quart de la part des Länder est réservée pour des
attributions complémentaires aux Länder dont les ressources fiscales par habitant (fiscalité
propre et participation au produit de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés) sont
inférieures à la moyenne. Pour la détermination du montant des attributions de péréquation on
doit cependant tenir compte de l’ensemble des capacités financières du Land en y incluant les
ressources des communes (art.107). Si la mise en œuvre est complexe, le principe est
relativement simple : on compare pour chaque Land l’indice du potentiel fiscal
(Finanzkraftme zahl)69 et l’indice de péréquation (Ausgleichme zahl), lequel reflète le
niveau des besoins70. Il s’agit ici d’une péréquation horizontale, les Länder les plus riches
devant abandonner partie de leurs ressources au profit des Länder éligibles à ces attributions
complémentaires (Ergänzungsanteile) : ceux dont le potentiel fiscal excède l’indice de
péréquation cèdent des ressources ; ceux dont le potentiel fiscal est inférieur à l’indice de
péréquation en reçoivent. En outre, l’article 107.2 de la Loi fondamentale prévoit que la
législateur fédéral complète la couverture des besoins financiers des Länder les plus faibles
par des subventions complémentaires (Ergänzungszuweisungen) financées sur les ressources
de la Fédération.
Ce système remonte à 1969 et il a largement donné satisfaction mais, il faut le
préciser, dans une Allemagne réduite à l’ancienne RFA, en croissance et dans laquelle les
écarts de niveaux économiques étaient assez faibles, si bien que cette péréquation portait sur
des masses financières qui étaient assez modestes (environ 4 milliards de deutschmark à la
veille de l’unification). A cette époque la péréquation horizontale portait les Länder les plus
pauvres à 95% de la moyenne fédérale et avec les subventions complémentaires dues encore
aux Länder les plus faibles par la Fédération sur sa propre part de TVA on arrivait à 99% de
la moyenne fédérale71. Les nouveaux Länder ont été intégrés dans le système de péréquation à
partir de 1995 ; celui-ci n’a pu être maintenu qu’en augmentant considérablement la part de la
TVA allouée aux Länder : le partage qui était de 65/35 en 1986 est passé à 56/44 en 1995 et
aujourd’hui à 50,4/49,6, ce qui représente un affaiblissement important de la capacité
69 C’est le total des recettes fiscales du Land, y compris celles des communes divisé par le nombre d’habitants. 70 C’est le rapport des recettes fiscales par habitant du Land (y compris les recettes fiscales des communes) sur la moyenne fédérale. Précisons toutefois que le nombre d’habitants fait l’objet d’une pondération en faveur des villes-Etats, et pour les commune par la prise en compte de la densité de population pour les villes de plus de 500.000 habitants. 71 G. Marcou (1994), « Finances publiques et inégalités territoriales », pp.193-194 dans : G. Marcou / H. Kistenmacher / H.-G. Clev, L’aménagement du territoire en France et en Allemagne, DATAR, La Documentation Française, préfaces de D. Hoeffel et I. Schwaetzer, alors ministres chargés de l’aménagement du territoire.
88
financière de la Fédération, même si les Länder ont dû participer à ce nouvelles charges
(amortissement du Fonds de l’unité allemande qui a soutenu les nouveaux Länder jusqu’en
1994). Bien que le niveau de péréquation ait été abaissé (à 92%, et 95% avec les subventions
complémentaires), la répartition de 75% du produit de la TVA au prorata du nombre
d’habitants dans l’ensemble de l’Allemagne a entraîné le transfert aux nouveaux Länder de
14,5 milliards DM, et la péréquation horizontale entre Länder porte désormais (en 2001) sur
7,6 milliards d’euros, dont bénéficient non seulement les nouveaux Länder, mais aussi cinq
Länder de l’ouest : la Basse Saxe, la Rhénanie-Palatinat, le Schleswig-Holstein, la Sarre et
Brême. Le financement de ces transferts repose sur seulement trois Länder : la Bavière, le
Bade-Wurtemberg et la Hesse ; Hambourg et la Rhénanie du Nord – Westphalie contribuent
également mais pour des montants assez faibles. Malgré l’importance de ces transferts, les
subventions complémentaires de la Fédération ont explosé et leur destination s’est diversifiée:
à peine supérieure à 1,5 milliards d’euros en 1990 elles atteignent en 2001 12,6 milliards
d’euros. L’efficacité de la péréquation est certaine ; le classement des Länder selon leur
capacité financière change profondément après la péréquation : la Hesse passe de la 1ère à la
9ème place, Brême de la 15ème à la 1ère, le Mecklembourg – Poméranie occidentale (Allemagne
de l’est) de la 14ème à la 3ème place, la Thuringe de la 13ème à la 5ème, mais la Bavière de la 4ème
à la 14ème, etc.
C’est aussi de qui explique que ce système, tel qu’il était régi par la loi du 23 juin
1993 sur la péréquation entre la Fédération et les Länder, modifiée an dernier lieu par la loi du
16 juin 1998, ait été contesté par les Länder contributeurs et partiellement mis en cause par un
arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 11 novembre 1999, déclarant
inconstitutionnelles plusieurs dispositions de cette loi72. La Cour n’a pas directement censuré
le mécanisme de péréquation établi par la loi fédérale mais le fait que la loi ne mettait pas en
œuvre les concepts « indéterminés » de la constitution avec suffisamment de précision pour
permettre que tous les Länder aient la même interprétation, les mêmes indicateurs
indispensables pour assurer la prévisibilité et la transparence de la gestion financière, et de
telle sorte que l’on connaisse par anticipation la mesure de la répartition des ressources
fiscales avant d’en constater plus tard les conséquences concrètes.
L’origine du recours est à lire dans les déclarations du ministre-président de la Bavière
en 1997 : « A chaque fois que nous encaissons un mark de plus que les autres Länder, nous
devons en reverser les deux tiers dans la caisse de compensation fédérale. Les efforts des
72 BverfGE, 2 BvF 2/98, http://www.bverfg.de/
89
citoyens et notre politique sont systématiquement punis. Cela ne peut et ne doit pas rester
ainsi »73. La Bavière a été l’auteur d’un des recours.
La loi de mesures financières du 9 septembre 2001 et une nouvelle loi sur la
péréquation financière du 20 décembre 2001 sont venus tirer les conséquences de la décision
de la Cour constitutionnelle fédérale. Les principaux changements (applicables à partir de
2005) portent sur la prise en compte du potentiel fiscal des communes pour 64% du potentiel
fiscal du Land au lieu de 50% (ce qui abaissera le niveau du potentiel fiscal global) ; une
fraction des recettes supplémentaires d’une année sur l’autre (12%) ne sera pas prise en
compte dans la péréquation ; un coefficient bénéficiera aux Länder à plus faibles densité de
population. Certaines subventions complémentaires diminueront, mais surtout, à partir de
2005 un nouveau « pacte de solidarité » destiné au financement des charges particulières des
nouveaux Länder, notamment dans le domaine des infrastructures et du secteur communal
sera exécuté sur 15 ans avec un montant global de 105,3 milliards d’euros, selon des
engagements annuels dégressifs. C’est la Fédération qui supportera d ce financement, sous la
forme de subventions complémentaires au titre de l’article 107.2 de la Loi fondamentale.
Parallèlement, le budget fédéral poursuivra le financement du programme « Reconstruction de
l’Est » (Aufbau Ost) à hauteur de 51,1 milliards d’euros sur la même période, au titre des
aides financières fédérales en faveur d’investissements importants des Länder et des
communes permises par l’article 104a de la Loi fondamentale.
Ces dispositions n’épuisent pas les mécanismes de péréquation mis en œuvre au
niveau fédéral. Il faudrait encore citer les « missions communes de la Fédération et des
Länder » de l’article 91a de la Loi fondamentale (également introduites en 1969), et qui
représentent des engagements importants dans les nouveaux Länder, qui servent de
contreparties aux engagements des fonds structurels européens dans les nouveaux Länder
(classés en Objectif 1)74.
L’expérience de l’Allemagne est très riche d’enseignements. Elle montre qu’une
politique de péréquation durable et dotés de financement importants est possible et donne des
résultats du point de vue e la réduction des inégalités territoriales. Mais elle montre aussi la
limite de la péréquation horizontale. Celle-ci fonctionne bien lorsque les écarts ne sont pas
trop grands ; si les disparités sont importantes, l’augmentation des sommes en jeu affaiblit la
légitimité de la péréquation pour ceux qui en supportent le poids croissant, et en Allemagne
elle n’a pas empêché pour autant l’augmentation considérable de la péréquation verticale par
73 Déclaration au congrès de la CSU, cité par X. Volmerange, op. cit. p.263. 74 Bundesministerium des Finanzen (2002), Finanzbericht 2003, Berlin, p.166 notamment.
90
les transferts financés directement par le budget fédéral. Ainsi, à la fin des années 80, dans
l’ancienne RFA, les subventions complémentaires de la Fédération aux Länder les plus faibles
étaient inférieures aux transferts opérés dans le cadre de la péréquation horizontale entre les
Länder (en 1990 : respectivement à peine 3 milliards DM, et un peu plus de 4 milliards), alors
qu’en 2001 le rapport est largement inversé, avec 7,6 milliards d’euros pour la péréquation
entre Länder et 12,6 milliards d’euros pour les subventions complémentaires de la
Fédération75. Le coût de la péréquation verticale est dilué et il est donc moins sensible pour
les contribuables ; en effet, la solidarité est d’autant mieux acceptée qu’elle est moins
ressentie. L’adaptation du système de péréquation horizontale en 1995 a été une victoire du
fédéralisme, mais elle marque un affaiblissement de l’Etat fédéral dont la marge de manœuvre
financière a été considérablement affaiblie.
En Espagne la péréquation entre les communautés autonomes est seulement de nature
verticale ; il n’existe pas de péréquation horizontale entre les communautés autonomes. En
outre, le régime foral dont bénéficient le Pays Basque et la Navarre joue à l’inverse de la
péréquation. La réforme adoptée en 2001, qui augmente de manière importante les ressources
fiscales des communautés autonomes, renforce également les instruments de la péréquation
verticale.
A la veille de cette réforme, la solidarité entre les communautés autonomes était
assurée par une fonction de redistribution mise en œuvre par l’Etat, au travers de deux
instruments : la participation des communautés autonomes aux recettes fiscales de l’Etat et le
Fonds de compensation interterritorial. La participation aux recettes de l’Etat représentait en
1997 21% des ressources totales des communautés autonomes. Elle était répartie selon une
combinaison de critères, dont le plus important était le nombre d’habitants ; les autres critères
(superficie, l’inverse du revenu par habitant, la dispersion, l’insularité, le besoin de
financement) étaient trop nombreux pour affecter de manière cohérente la distribution de cette
dotation. Les autres transferts de l’Etat (transferts conditionnés) étaient fondés sur des coûts,
et n’avaient donc pas, en principe, de caractère redistributif. En revanche, le Fonds de
compensation interterritorial a été conçu dès l’origine comme l’instrument qui devait
permettre au pouvoir central de soutenir les régions les moins développées par le financement
de nouveaux investissements dans les infrastructures. Cependant, cet instrument a souffert de
deux faiblesses : d’une part, il a été insuffisamment doté (moins de 2% des ressources totales
des communautés autonomes en 1997, moins que les fonds européens), et d’autre part son
utilisation n’a pas toujours été conforme à sa vocation. Cependant, depuis le début des années 75 Ibid. pp. 164 et 166.
91
90, la part allouée aux communautés autonomes les plus pauvres a été fortement augmentée76.
Les critères de répartition sont la population, la superficie, la dispersion et le taux de
chômage, le solde migratoire, corrigés ensuite par des coefficients tenant compte de l’inverse
du revenu par habitant et de l’insularité ; les concours financiers sont ensuite attribués sur la
base de projets ; avant la réforme, 10 communautés autonomes en bénéficiaient.
La réforme de 2001, qui augmente le volume des impôts cédés ainsi que le pouvoir
normatif des communautés autonomes sur ces impôts, supprime la participation aux recettes
de Etat sous sa forme antérieure, et la remplace par un « Fonds de suffisance » que complète
la garantie par l’Etat du niveau de couverture des besoins dans les services publics
fondamentaux. Le Fonds de suffisance de chaque communauté autonome représente sa
participation aux recettes de l’Etat et il a pour objet de couvrir la différence entre les besoins
de dépenses et la capacité fiscale de la communauté autonome (LOFCA : nouvel art.13) ; son
montant initial est fixé par une commission mixte de transfert, et il devra évoluer en fonction
des recettes de l’Etat, sauf en cas de nouveaux transferts ou de nouvelles cessions d’impôt à la
communauté autonome. Toutefois, l’Etat devra accorder un financement complémentaire à
toute communauté autonome pour laquelle il apparaîtrait que les ressources fiscale et le fonds
de suffisance n’atteindraient pas ensemble un niveau suffisant pour que soit assurer le niveau
minimum de services publics fondamentaux garantis par l’Etat, c’est-à-dire, en matière
d’éducation et de santé (art.15). La loi 21/2001 détermine corrélativement la méthode
d’évaluation des besoins de financement et les ressources correspondantes, y compris
l’indexation du fonds de suffisance et sa révision éventuelle (art.15). Le Fonds de
compensation interterritorial (FCI) reste à la charge de l’Etat, mais la loi ajoute un « fonds
complémentaire », lequel doit représenter au moins 25% du total des deux fonds. Le FCI est
consacré au financement de dépenses d’investissement sur la base de projets et il doit
représenter au moins 22,5% des dépenses d’investissement inscrites au budget de l’Etat (et
des taux additionnels pour Ceuta et Melila – qui entrent ainsi dans le droit commun du
financement des autonomies - et les régions ultrapériphériques) ; le fonds complémentaire a
été créé pour pouvoir financer aussi des dépenses de fonctionnement associées aux
investissements. L’enveloppe globale est répartie entre les communautés autonomes en
fonction de critères qui restent inchangés (loi 22/2001, art.4 et 5).
Le système des relations financières entre l’Etat et les communautés autonomes est
donc fondé à la fois sur la coresponsabilité fiscale et sur la péréquation verticale.
76 Saenz de Buruaga (1998), « Rapport national : Espagne », dans : « La régionalisation et ses conséquences sur l’autonomie locale », Communes et régions d’Europe, n°64, pp.149-172.
92
Toutefois, le Pays Basque et la Navarre ont conservé leurs privilèges et échappent à ce
système. Le régime foral qui les caractérise se définit par le fait que ces communautés
autonomes (en fait les territoires historiques d’Alava, Guipuzcoa et Biscaya) perçoivent pour
leur compte presque tous les impôts d’Etat, sur lesquels elles exercent un pouvoir normatif
plus large que celui des autres communautés autonomes sur les impôts cédés. Elles utilisent
ce pouvoir pour introduire des exonérations ou des réductions par lesquelles elles
concurrencent à la baisse les régions voisines. En outre, et surtout, elles négocient
périodiquement avec l’Etat un accord (concierto) fixant le montant (cupo) qu’elles doivent
rétrocéder à l’Etat pour les services qu’il assure. Ce système se traduit par un niveau de
ressources par habitant bien plus élevé que pour les communautés autonomes soumises au
droit commun à compétences égales. Par exemple, en 1997 le Pays Basque disposait de
396.000 pesetas par habitant, alors que la Catalogne, avec une pression fiscale supérieure et
les mêmes compétences ne disposait que de 270.000 pesetas par habitant. L’analyse du
système montre que le coût des services assurés par l’Etat est sous-évalué et surtout que les
communautés autonomes du régime foral ne participent pas au financement de la péréquation
verticale, dont le coût n’est pas pris en compte dans le cupo. Ce système est revendiqué par
les partis nationalistes d’autres communautés autonomes (Catalogne, Galice, Aragon) sous
des appellations diverses. Des simulations ont montré que la généralisation d’un tel système
bénéficieraient aux communautés autonomes les plus riches et que les ressources disponibles
pour les plus pauvres diminueraient77. Toutefois le régime foral ne peut pas être remis en
cause, et l’extension de la coresponsabilité fiscale peut aussi être interprétée comme une
manière de satisfaire la demande d’une plus grande autonomie fiscale et de désamorcer la
revendication de l’extension du régime foral sous une autre appellation.
B) Les régions et la péréquation dans les finances des collectivités locales
La péréquation n’est pas moins nécessaire entre les collectivités locales (communes
notamment) qu’entre les régions. Elle l’est même davantage, si l’on considère que les
inégalités territoriales ont tendance à s’atténuer quand les circonscriptions prises en compte
s’élargissent. Dans les Etats fédéraux et dans les Etats à autonomies régionales il existe bien
une tendance à transférer au moins en partie la responsabilité du financement des collectivités
locales sur les pouvoirs régionaux. Il est évident que cela comporte le risque de renforcer les
77 José V. Sevilla Segura, op. cit. pp.133-162.
93
tutelles régionales déjà analysées par la tutelle financière, et que ce risque n’est pas toujours
évité. Toutefois, les pays étudiés présentent à cet égard des caractéristiques très différentes.
En Espagne, les transferts de l’Etat aux collectivités locales transitent par le budget de la
communauté autonome, mais ils obéissent à des règles qui sont fixées au plan national quant à
leur enveloppe global et quant à leurs critères d’attribution. En Italie, la péréquation entre les
communes et provinces est assurée par l’intermédiaire d’un fonds de péréquation des
déséquilibres de la fiscalité locale dont les versements ont pour mesure de compléter le revenu
fiscal à hauteur de la valeur moyenne par habitant de la classe démographique, et par
l’introduction d’indicateurs de besoin dans la répartition du fonds ordinaire ; les régions
n’interviennent pas dans cette péréquation. Cette situation ne devrait pas changer après la
révision constitutionnelle d’octobre 2001 : en effet, la « péréquation des ressources
financières » figure dans la liste des matières relevant de la compétence exclusive du
législateur national (art.117, al.2, e).
En revanche les trois autres pays ont fait des choix différents. En Belgique, la loi
spéciale portant transfert de diverses compétences du 13 juillet 2001, qui modifie à nouveau
la loi spéciale de réformes institutionnelles de 1980, laquelle règle la répartition des
compétences entre la Fédération, les régions et les communautés, opère la régionalisation du
régime communal, y compris le financement général des communes et autres collectivités
locales ou groupements ainsi que le financement des missions que celles-ci doivent remplir
par délégation de la région (nouvel article 6 §1, 9° et 10°). En Ecosse et au Pays de Galles, la
dotation de l’Etat aux collectivités locales est incluse dans la dotation globale de la région,
laquelle a le pouvoir de régler les conditions de sa répartition ; on a vu que ce pouvoir avait
été exercé.
En Allemagne, la Loi fondamentale garantit l’autonomie financière des communes
(art.28 in fine) et détermine la nature des ressources fiscales ainsi que l’étendue du pouvoir
fiscal des communes (art.106.5 à 7), ce qui n’a pas empêché l’érosion du pouvoir fiscal des
communes, notamment par la suppression de la base capital de la taxe professionnelle
(Gewerbesteuer), compensée par une participation au produit de la TVA. Selon l’article
106.7 de la Loi fondamentale, les communes ont droit à un pourcentage des ressources
perçues par le Land au titre des impôts communs, dont l’importance et les conditions sont
fixées par la loi du Land ; celle-ci détermine également si et dans quelle mesure les
communes participent au produit de la fiscalité propre du Land. En revanche, la Fédération
n’accorde aucun financement direct aux communes ; les financements correspondant à des
programmes fédéraux qui bénéficient à des communes, notamment les aides financières aux
94
investissements des communes, définies en application de l’article 104a par une loi fédérale
soumise à l’approbation du Bundesrat, transitent par le budget du Land et les subventions sont
accordées par le gouvernement du Land. Il en résulte qu’en dehors des ressources fiscales
attribuées aux communes par la Loi fondamentale, le financement des collectivités locales
relève de la loi du Land. La péréquation entre les communes (et les arrondissements) s’inscrit
donc dans le cadre de cette compétence.
D’après les données statistiques publiées78, les ressources fiscales des communes et
groupements de communes (les arrondissements, mais pas les villes-Etats) atteignaient en
2001 49,1 milliards d’euros, à comparer à 47,8 milliards d’euros de subventions d’Etat (c’est-
à-dire du Land), dont 7,8 milliards en subventions d’investissement. Toutefois, les ressources
fiscales comprennent la participation des communes au produit local de l’impôt sur le revenu
des personnes physiques (20,4 milliards d’euros) et la participation au produit de la TVA
(depuis 1998, et en 2001 2,7 milliards d’euros), qui s’analysent en fait comme des transferts79.
En réalité la véritable fiscalité locale, celle qur laquelle s’exerce un pouvoir fiscal au moins
par la fixation des taux, se limite à la taxe professionnelle (17,1 milliards d’euros) et les taxes
foncières (Grundsteurn) (8,1 milliards d’euros). Il en résulte que sur un volume global de
ressources de 144 milliards d’euros, le produit de la fiscalité propre ne représente que 17,5%.
En ce qui concerne les subventions d’Etat, il existe une certaine diversité dans les
choix opérés par les Länder, notamment en ce qui concerne le montant des subventions
accordées aux communes et les critères d’attribution, en fonction des compétences exercées.
C’est ainsi qu’en 1996 le montant redistribué aux communes variait de 542 DM par habitant
en Bavière (le montant le plus bas dans les anciens Länder) à 1.096 en Bade-Wurtemberg. Le
niveau de péréquation visé varie de même sensiblement d’un Land à l’autre : dans la plupart
des cas le niveau de la péréquation est calculé en fonction de l’écart entre le potentiel fiscal et
l’indice de péréquation défini sur la base de la moyenne du Land ; la péréquation portait sur
90% de cet écart en Bade-Wurtemberg mais seulement 55% en Bavière80. La péréquation
s’opère au travers de subventions basées sur une formule fixe de calcul
(Schlüsselzuweisungen), qui représentent environ 50% du volume des subventions (23,8
milliards d’euros sur un total de 47,9 milliards). Toutefois une partie importante des
subventions se compose de subventions affectées (18,8 milliards d’euros, soit 39,2%), et en 78 Bundesministerium der Finanzen (2002), Finanzbericht 2003, op. cit. pp.172-173. 79 D’autant plus que la participation au produit local de l’impôt sur le revenu ne porte que sur le produit correspondant aux revenus ou tranches de revenus n’excédant pas 40.000 DM par contribuable, ce qui réduit l’impact de la composition sociale de la population sur le revenu de la commune.
95
particulier toute les subventions d’investissement sont des subventions affectées (7,8 milliards
d’euros) ; les subventions alimentées par les programmes fédéraux entrent dans cette
catégorie. Cela étant dit, le système de péréquation au niveau du Land paraît produire des
effets sensibles. Selon une étude de la fin des années 80, qui ne semble pas avoir été
renouvelée, l’écart révélé par l’indice de revenus était de –38,4% à +58,9% par rapport à la
moyenne fédérale avant péréquation, c’est-à-dire avant la prise en compte des subventions, à
un écart de –27% à +29,4%81.
On doit toutefois noter la progression importantes de la catégorie des « autres
ressources » dans les statistiques sur les finances communales ; elles représentent une masse
(48,3 milliards d’euros) presque aussi importante que l’ensemble des ressources fiscales. En
dehors des redevances de concessionnaires de l’utilisation du domaine public (3,2 milliards
d’euros), de contributions obtenues par les communes par l’exercice de leurs compétences (en
dehors des redevances des usagers) ou versées par des entreprises communales. Ces
ressources ne sont pas prises en compte dans la péréquation et elles intéressent surtout les
villes de quelque importance.
80 E. Bergmann / M. Eltges (1995), « Die Reform der Kommunalfinanzen », Information zur Raumentwicklung, n°8/9. 81 Raumordnungsbericht 1990. Unterrichtung durch die Bundesregierung, Deutscher Bundestag, 11. Wahlperiode, Drucksache 11/7589, p.121, cité dans : G. Marcou (1994), « Finances publiques et inégalités territoriales », pp.216-217.
96
V. POUVOIRS REGIONAUX ET GOUVERNABILITE
Bien que la montée en puissance des pouvoirs régionaux et la territorialisation des
politiques publiques ait conduit à la production de nombreuses études il est remarquable que
l’on se soit très peu intéressé aux répercussions de cette évolution sur la capacité des pouvoirs
publics à gouverner, ce qu’on a appelé aussi la gouvernabilité. Alors que la gouvernance est
un mode de description possible de la situation qui naît de cette évolution, on en fait trop
facilement une réponse, confondant ainsi l’analyse et la prescription.
Or, les Etats fédéraux et les Etats à autonomies régionales révèlent dans leur
fonctionnement politique des difficultés qui sont rarement prises en compte. En effet,
l’extension indéfinie des compétences dévolues aux pouvoirs régionaux dans les pays étudiés
révèle a contrario le besoin d’unité de l’action publique dans certains domaines, afin de
préserver ou de rétablir par la coordination ou la coopération la cohérence de l’action
publique là où elle est le plus nécessaire. Cela concerne aussi la scène européenne, à l’égard
de laquelle la concurrence des pouvoirs régionaux et étatiques complique déjà certaines
procédures plus qu’il n’est nécessaire. L’alourdissement des procédures est ainsi l’un des
effets à mettre en balance avec les bienfait prêtés à l’autonomie régionale. En second lieu, et
quoi qu’on en dise parfois, le principe d’égalité et la garantie des droits fondamentaux,
risquent de souffrir, non seulement en fait mais également en droit, de l’abandon aux
pouvoirs régionaux de certaines des missions et des prérogatives de l’Etat.
1. L’alourdissement des procédures
En effet, la fragmentation des pouvoirs et des compétences ne fait pas disparaître le
besoin de cohérence ou même d’unité qui caractérise certaines fonctions de l’Etat. Les études
sur le fonctionnement des Etats fédéraux ont montré depuis longtemps que la répartition des
compétences législatives entre les deux niveaux de l’Etat ne représentait qu’un aspect de
l’organisation fédérale. Le développement des politiques fédérales liées aux grandes fonctions
de l’Etat a conduit à une imbrication des compétences et des pouvoirs entre le niveau fédéral
et le niveau des Etats. Dans la mesure où elles faisaient appel, pour leur mise en œuvre, aux
moyens administratifs et financiers des Etats elles donnaient à ceux-ci un levier politique
puissant pour intervenir dans la définition même des politiques. Chacune de ces politiques
97
donnait ainsi naissance à un système d’action fondé sur l’interdépendance du pouvoir fédéral
et des Etats. Ce type de fonctionnement est apparu aux Etats-Unis dès le début du 20ème siècle
et s’est développé dans les années trente ; les réformes des années 70 et 80 (« nouveau
fédéralisme ») en ont réduit le champ mais ne l’ont pas fondamentalement remis en cause. Ce
fédéralisme coopératif va bien au-delà de l’analyse traditionnelle des institutions de l’Etat
fédéral faisant référence à un principe de participation pour exprimer la participation des Etats
membres aux institutions fédérales ; il ne s’agit plus seulement en effet de représentation mais
de coaction82.
Le fédéralisme coopératif connaît une expansion bien plus grande dans les Etats
fédéraux européens, pour des raisons historiques aussi bien que constitutionnelles, et il
caractérise également l’évolution des Etats à autonomies régionales.
Cela s’explique en Allemagne par la nature même du Bundesrat et par le principe
constitutionnel selon lequel les Länder sont chargés de l’exécution des lois fédérales (supra II,
1). Le Bundesrat est un organe composé des représentants des gouvernements des Länder, et
c’est chaque gouvernement qui dispose en bloc du nombre de voix que lui attribue la Loi
fondamentale (de 3 à 6 voix selon la population du Land). Depuis 1949, les Länder se sont
accommodés de la centralisation croissante du pouvoir législatif, les matières de compétence
concurrente étant peu à peu absorbées par le législateur fédéral, dans la mesure où ils
participaient directement à la législation fédérale, et non au travers d’une simple
représentation au sein d’une chambre du parlement. Non seulement le Bundesrat a l’initiative
des lois, mais surtout tous les projets de loi fédéraux sont d’abord présentés au Bundesrat,
puis transmis au Bundestag avec l’avis du Bundesrat ; l’opposition exprimée par le Bundesrat
peut être surmontée sous certaines conditions de majorité, et certaines lois nécessitent
l’approbation du Bundesrat.
Mais c’est surtout la compétence d’exécution des Länder qui explique la
multiplication des instances communes de décision ou de préparation des décisions,
réunissant les représentants du gouvernement fédéral et ceux des gouvernements des Länder.
Certaines trouvent leurs sources dans la révision de la Loi fondamentale de 1969, d’autres
sont issues de la pratique et ont donné lieu à la conclusion d’un accord ou d’un « traité » entre
la Fédération et les Länder, réglant les modalités de leur fonctionnement et les modalités de
décision. L’importance de cette compétence d’exécution se mesure aux effectifs employés par
82 Il est inutile de s’étendre ici sur les formes de ce mode de fonctionnement aux Etats-Unis ; on en trouvera une synthèse dans : M. Croisat (1995), Le fédéralisme dans les démocraties contemporaines, Paris, LGDJ « Clefs », 2ème éd. pp.90 suiv.
98
les Länder (45% des personnels) par rapport à ceux employés par la Fédération (10%), et les
collectivités locales (35%).
La révision constitutionnelle de 1969 (art.91a et b) a institué les «missions
communes » (Gemeinschaftsaufgaben) de la Fédération et des Länder, qui permettent à la
Fédération d’intervenir dans des domaines de la compétence des Länder en participant à leur
planification et/ou à leur financement. Les trois « missions communes » de l’article 91a sont :
les constructions universitaires, l’« amélioration de la structure économique régionale »
(autrement dit la politique de développement régional) et l’amélioration de la structure
agricole et la protection des côtes. Pour les deux premières la Fédération contribue à hauteur
de 50% au financement du plan, et au moins la moitié pour la dernière ; ces taux sont les
mêmes pour tous les Länder. Une loi fédérale soumise à l’approbation du Bundesrat fixe pour
chacune les conditions d’établissement du plan-cadre et le contenu plus précis de la « mission
commune ». Chaque « mission commune » donne lieu à la mise en place d’un comité de
planification (Planungsausschuss) qui adopte le plan selon des règles de majorité qui rendent
nécessaire la recherche d’un accord entre le gouvernement fédéral et la majorité des Länder,
mais interdisent à un Land d’inscrire un projet sans l’accord de la Fédération. Ces « missions
communes » ont toujours été critiquées au motif qu’elles diluent les responsabilités et
réduisent l’autonomie des Länder. Elles ont néanmoins été étendues aux nouveaux Länder,
qui en sont aujourd’hui les principaux bénéficiaires, et les plans-cadres sont régulièrement
adoptés ; ceux-ci couvrent une période de quatre ans mais sont révisés chaque année
(planification « glissante »)83. La mission commune relative à la politique de développement
régional et particulièrement importante car elle règle les conditions dans lesquelles les Länder
peuvent accorder des aides au développement dans les zones où ces aides sont autorisées par
la Communauté européenne.
La mission commune de l’article 91b n’est pas moins importante. Alors que
l’éducation est une compétence des Länder, cette disposition prévoit que la Fédération et les
Länder peuvent « coopérer » sur la base de conventions en matière de politique de l’éducation
(Bildungsplanung) et pour les institutions ou des projets d’importance interrégionale en
matière de recherche. Les formes et l’objet n’en sont pas davantage précisées, mais tous les
degrés de l’enseignement sont concernés ; ce sont des conventions (Vereinbarungen) et non la
loi qui organisent cette coopération, qui peut s’étendre au financement mais pas
nécessairement (mais c’est le cas en matière de recherche). Cette mission commune complète
83 Cf G. Marcou, dans G. Marcou / H. Kistenmacher / H.-G. Clev, op. cit. pp.43, 211 et 242 suiv. ; Bundesministerium der Finanzen, op. cit. pp.154-155.
99
l’inscription des aides à la formation et à la recherche dans la lite des matières de
compétences concurrentes (art.74.1, 13°) et la compétence de la Fédération intervenir par des
lois-cadres dans le domaine de l’enseignement supérieur (art.75). Sur la base de ces
dispositions ont été mises en place des instances spécialisées de décision, composées de
représentants du gouvernement fédéral et des gouvernement des Länder. L’enjeu n’est pas
seulement financier ; il porte également sur le contenu et les modalités de l’enseignement, qui
restent assez différents d’un Land à l’autre. En présence d’appréciations de plus en plus
critiques sur le système d’enseignement général, le gouvernement fédéral s’appuie sur ces
dispositions, qui l’autorisent à intervenir en ce domaine. On peut lire que les défaillances du
système appellent « une réponse nationale de la Fédération et des Länder », et un programme
fédéral a pu être établi qui permet d’attribuer des financements aux Länder qui y participent (4
milliards d’euros de 2003- 2007)84. Mais l’influence de la Fédération sur le contenu des
politiques éducatives reste seulement indirecte.
En outre, il existe 13 conférences interministérielles de la Fédération et des Länder,
qui réunissent, avec les ministres fédéraux, les ministres des Länder des mêmes secteurs de
compétence. Il existe ainsi des conférences des ministres chargés de l’aménagement du
territoire (MKRO), des ministres des transports, des ministres des l’intérieur, des ministres
des finances, des ministres de la justice, etc… Chacune de ces conférences interministérielles
s’appuie sur d’innombrables commissions ou groupes de travail réunissant des fonctionnaires
fédéraux et des fonctionnaires des Länder qui préparent leurs décisions et organisent leur
mise en œuvre. Dans la plupart des cas, les décisions des conférences interministérielles de la
Fédération et des Länder sont prises à l’unanimité. Ces conférences sont créées par un accord
entre la Fédération et les Länder, qui en règle également le fonctionnement. Leurs
délibérations peuvent déboucher sur un accord entre la Fédération et les Länder. De tels
accords sont devenus un mode courant de décision dans les domaines les plus divers, et ils
peuvent être très détaillés85. Enfin, il existe aussi une coopération entre Länder, au travers de
conférences de ministres du même secteur de compétence ; la plus importante est la
conférence des ministres des cultes, qui est compétente en matière d’éducation. D’autres
conférences ministérielles spécialisées ont pour objet une coordination entre les Länder, en
84 Bundesministerium der Finanzen, op. cit. pp.40-42. 85 Voir par exemple la « convention administrative » (Verwaltungsvereinbarung) entre la Fédération et les Länder sur l’attribution des aides financières de soutien aux mesures de mesures d’urbanisme, des 19 décembre 2001 et 9 avril 2002 : il s’agit des aides financières de la Fédération prévues par l’article 104a de la Loi fondamentale ; la convention rédigée se compose de 16 articles et d’un protocole qui précise l’interprétation de certaines dispositions ou se réfèrent à leur combinaison avec d’autres, à la demande de certains Länder, et elle est longue de 32 pages.
100
particulier par l’élaboration de modèles de loi ou d’amendements dans un but d’harmonisation
législative. L’une d’elles est la conférence des ministres des Länder compétences en matière
de construction.
Ce dispositif signifie qu’il n’est pratiquement aucun domaine important des politiques
publiques qui ne fasse intervenir ces conférences interministérielles ou les instances des
« missions communes ». Dans la plupart ces cas il est nécessaire construire un consensus afin
de permettre une décision qui suppose l’unanimité, et surtout la décision doit se matérialiser
dans un accord formel. Les ministres fédéraux sont en général en mesure de jouer un rôle
moteur dans les relations Fédération - Länder, car les intérêts des Länder entre eux sont
souvent divergents. C’est plus difficile dans les domaines qui relèvent de la coopération entre
les Länder. Mais dans tous les cas le processus décisionnel est nécessairement long et appelle
des compromis souvent laborieux. Il existe certes des solidarités partisanes, et elles jouent,
notamment au Bundesrat, mais on ne peut pas penser que cela suffise pour permettre au
gouvernement fédéral d’imposer ses vues : non seulement la règle de l’unanimité neutralise
ces solidarités, mais aucun ministre-président ne peut s’exposer au reproche de sacrifier les
intérêts du Land à ses solidarités partisanes. Il existe en outre une conférence des ministres-
présidents qui a vocation à fixer la position commune des Länder, ce que les circonstances ne
permettent pas souvent.
La pratique allemande du fédéralisme coopératif a inspiré la pratique espagnole, mais
avec cette différence que les éléments d’unité que comporte le système allemand font défaut
dans le système espagnol. L’Espagne n’a pas un Bundesrat qui impose aux Länder de prendre
leurs responsabilités publiquement sur les questions essentielles au plan national. Le Sénat
espagnol est défini par la Constitution comme « la chambre de la représentation territoriale »
(article 69), mais les représentants des communautés autonomes sont élus au suffrage indirect,
à la différence de ceux des provinces élus au suffrage direct, et ne sont que 50 sur 258
sénateurs. La création de la Commission générale des Communautés autonomes au sein du
Sénat n’a qu’une portée limitée, puisqu’elle ne peut avoir plus de pouvoirs qu’une
commission (supra, I,1)86. En outre, les communautés autonomes n’ont même pas exploité
cette couverture, car en fait certaines préfèrent la situation actuelle qui justifie le
« bilatéralisme », c’est-à-dire la négociation directe avec le pouvoir central ; en particulier les
communautés autonomes qui se réclament d’une nation distincte refusent fondamentalement
d’entrer dans une institution qui consacrerait l’identité et l’égalité de droits de toutes les
86 Eliseo Aja (1999), El Estado autonómico. Federalismo y hechos diferenciales, Madrid, Alianza Editorial, pp.146-147.
101
communautés autonomes car elles revendiquent des droits particuliers. Par exemple, au cours
des discussions sur une réforme du Sénat, le premier vice-président du Sénat (nationaliste
catalan ) a proposé que les « groupes territoriaux » des nationalités historiques disposent d’un
droit de veto suspensif sur toutes les lois qui menaceraient leur « fait différentiel »87. Pour le
parti nationaliste (PNV) au pouvoir au Pays Basque, la seule réforme institutionnelle qui
compte est de parvenir à redéfinir ses relations avec l’Espagne par un statut de « libre
association »88, c’est-à-dire un statut en dehors de la Constitution et par conséquent une quasi
indépendance.
La nécessité d’une certaine coordination intergouvernementale a conduit au
développement de nombreux palliatifs à la faiblesse de la Constitution sur ce point. Dans
plusieurs domaines essentiels, les transferts de compétences aux communautés autonomes
rendent nécessaire une certaine coordination – bien que l’on préfère parler de coopération, ce
qui semble plus respectueux des communautés autonomes. De nombreux organes ou
procédures ont été établis par la loi sur la base de la Constitution afin de produire des
décisions communes ou concertées ; mais l’Etat n’a le pouvoir d’imposer sa décision, même
en cas de désaccord entre communautés autonomes. Il existe ainsi un Conseil de Politique
fiscale et financière, sans doute le plus important, par les avis qu’il rend sur le financement
des communautés autonomes, et qui en a préparé les réformes successives, dont la dernière
(son avis est repris presque textuellement dans la loi 21/2001) ; un Conseil interterritorial du
système national de Santé ; un Conseil général de la Science et de la Technologie ; un Conseil
des Universités (dont font également partie les recteurs des universités) ; un Conseil supérieur
de la Fonction publique ; un conseil supérieur de la Circulation et de la Sécurité routière. Ces
conseils comptent un nombre égal de représentants de l’Etat et de représentants des
communautés autonomes.
En outre, des conférences sectorielles sont prévues par la loi 12/1983 sur le processus
autonomique (art.4) et la loi 30/1992 sur le régime juridique des administrations publiques et
de la procédure administrative commune (art.5). Elles n’ont été réellement mises en place
qu’à partir de la fin des années 80, et se composent du ou des ministres du secteur concerné et
des conseillers chargés du même secteur au sein des exécutifs des communautés autonomes.
Assez nombreuses, elles n’ont aucun pouvoir de décision , mais sont un cadre d’information
et de négociation. Leur activité est très inégale et dépend beaucoup du ministre en charge.
87 Cité par Romain Pasquier (2000), La capacité politique des régions. Une comparaison France-Espagne, Thèse de science politique, université Rennes 1, multigraphié, p.225 (thèse couronnée du Prix de thèse des collectivités locales). 88 Cf notamment Le Monde, 21 décembre 2002, p.5.
102
Mais en dehors des conférences intersectorielles il existe encore un très grand nombre
d’organismes mixtes de l’Etat et des communautés autonomes, de nature consultative et
souvent de nature technique, et dont le rôle et l’activité sont très variables. On estime qu’il
existe aujourd’hui environ 400 organismes mixtes dans lesquels se délibèrent et se négocient
les politiques, les projets ou les financements89. De plus il est devenu pratiquement habituel
que toute loi nouvelle quelle qu’en soit l’objet prévoit la création d’un conseil représentatif
des communautés autonomes. Il est vrai que le rôle de ces organismes n’est pas toujours
significatif, mais cette évolution consacre l’idée d’une sorte de co-gouvernement généralisé et
d’un droit des communautés autonomes d’intervenir en toute matière. Il en résulte un
système de décision peu transparent, lent et aléatoire dans lequel les mécanismes de
coordination, horizontaux ou verticaux, font défaut90.
Les relations entre l’Etat et les communautés autonomes ont également développé les
procédures contractuelles. La loi 30/1992 prévoit trois instruments : les accords passés dans le
cadre des conférences sectorielles (qui ont vocation à associer toutes les communautés
autonomes), les accords de collaboration (convenios de colaboración) et les plans et
programmes communs (planes y programas conjuntos ). Les accords de collaboration sont
passés entre administrations ou organismes publics dans la limite de leurs compétences, ils
ont un caractère bilatéral et doivent prévoir le financement approprié, et peuvent donner
naissance à un organisme doté de la personnalité juridique, de droit public ou de droit privé ;
ils ont vocation à établir une coopération permanente. Les plans et programmes communs
sont passés entre l’administration générale de l’Etat et l’administration de la communauté
autonome en vue d’atteindre des objectifs communs dans des matières de compétences
concurrentes ; ils ont aussi un caractère bilatéral et peuvent être complétés par un accord de
collaboration. En principe toutes ces conventions ont un caractère obligatoire pour leurs
signataires, et les litiges éventuels relèvent de la juridiction contentieuse administrative. La
pratique de ces accords a été admise par le Tribunal constitutionnel et elle a pris une extension
considérable. On signe environ 300 accords par an, qui correspondaient dans les années 90 à
environ 300 milliards de pesetas d’engagements91.
Dans cet ensemble les conventions issues des conférences sectorielles sont
exceptionnelles. La grande majorité des conventions a un caractère bilatéral, même si le
contenu est identique pour toutes les communautés autonomes. C’est l’expression du
89 Eliseo Aja, op. cit. p.140. 90 Romain Pasquier, op. cit. p.222. 91 Ibid. p.141.
103
bilatéralisme qui caractérise les relations entre l’Etat et les communautés autonomes. Les
communautés autonomes « historiques » ont imposé des relations bilatérales de coopération
de préférence à des relations globales pour faire reconnaître leur particularisme et se placer
dans une logique de conquête de privilèges au sens propre du terme, c’est-à-dire d’une « loi »
qui ait pour fondement le particularisme revendiqué (le « fait différentiel » - hecho
diferencial), et une relation particulière également avec l’Etat, comme le suzerain autrefois.
Dès lors ce modèle devait s’imposer aussi dans les relations avec les autres communautés
autonomes. Par nature, puisque ce système tend à produire des traitement différenciés, il
entretient la concurrence et les rivalités entre les communautés autonomes, et conduit à la
mise en cause du principe de solidarité interterritoriale, dont les instruments sont
régulièrement contestés par les nationalistes basques et catalans92.
Pour se représenter les difficultés du système, il faut imaginer que dans un pays où les
pouvoirs régionaux ont des pouvoirs plus étendus aujourd’hui que les Länder allemands
l’ensemble de la coordination intergouvernementale passe par des instruments contractuels
comparables au contrat de plan français, mais que dominent les négociations sectorielles,
sans qu’il existe un mécanisme de mise en cohérence comme l’est la négociation du contrat
de plan Etat-région en France.
Pour autant on ne doit pas sous-estimer l’efficacité relative du système autonomique
en Espagne et pour l’Espagne. Il a contribué à renforcer l’unité de l’Espagne malgré la tension
entretenue par les nationalismes régionaux. Alors que les communautés autonomes
historiques ont été à l’origine de la plupart des conflits de compétence soumis au Tribunal
constitutionnel, le nombre de ces conflits a beaucoup diminué depuis la fin des années 80 : de
135 cas en 1985 et 112 en 1988, on est tombé très au-dessous de 40 dans les années 90 sauf
en 1997 (50)93. Alors que le règlement constitutionnel de la répartition des compétences
conduisait à de fortes asymétries, celles-ci se sont réduites et aujourd’hui, après l’achèvement
du transfert des compétences en matière de santé, les compétences des différentes
communautés autonomes n’ont jamais été aussi homogènes. Enfin, les enquêtes d’opinion
montrent que l’identification à l’Etat espagnol a progressé, même au Pays Basque et en
Catalogne. Dans toutes les régions il existe une majorité d’individus qui se considèrent autant
espagnols que de leur région d’origine, ou davantage ou seulement espagnols, sauf au Pays
Basque où près d’une majorité se déclare seulement basque ou davantage basque
qu’espagnole. Toutefois, on doit noter que les partis régionalistes non seulement gardent un
92 Ibid. p.224. 93 Eliseo Aja, op. cit. p.133.
104
électorat très fort dans les communautés autonomes historiques, mais se développement aussi
dans un certain nombre d’autres régions94. Cela dit, le succès du système qui s’est mis en
place en Espagne sur la base de la constitution de 1978, malgré les difficultés de
fonctionnement que l’on a mentionnées, et par rapport aux divisions léguées par l’histoire,
n’en fait pas un modèle pour les pays qui ne sont pas confrontés à des problèmes semblables.
L’Italie a conservé, malgré l’accélération de la régionalisation, un fonctionnement plus
unitaire que l’Espagne, bien que la constitution italienne de 1947 ait inspiré les constituants
espagnols. Après la révision constitutionnelle d’octobre 2001, il est vraisemblable que l’Italie
évolue dans le sens de l’Espagne. Comme en Espagne, la constitution italienne ne prévoit
aucune instance qui impose aux régions de prendre en compte la dimension nationale. Le
Sénat italien est élu au suffrage universel direct dans le cadre des régions, mais la région n’est
qu’une circonscription électorale. Comme on l’a noté plus haut (I,2,C), l’Italie entend
maintenir des services déconcentrés de l’Etat au niveau de la province, mais on peut se
demander de quels moyens juridiques ou autres ils pourront disposer pour exercer une
influence dans le système régional après que les compétences auront été effectivement
transférées, avec les services correspondants, sous l’autorité de l’exécutif régional en
application de la révision constitutionnelle. La législation italienne a développé depuis les
années 90 différents instruments de coordination en apparence comparables à ceux que l’on a
rencontrés en Espagne : conférences de service, conférence permanente Etat-régions, accords
de programme. Mais on relève aussi des différences de conception quant au rôle de l’Etat
auquel revient, en principe, un rôle d’arbitre.
Le principal organe des rapports entre l’Etat et les régions est la Conférence
permanente Etat-régions, instituée par le décret-loi 281 du 28 août 1997. Son objet est de
ratifier les accords entre l’Etat et les régions au terme de leur négociation. On privilégie donc
une coordination générale de l’action publique par rapport aux accords bilatéraux. De plus, si
la conférence n’a pu donner son accord dans un délai de 30 jours à compter de la saisine, le
gouvernement retrouve sa liberté de décision. Cette conférence est obligatoirement consultée
sur les projets de loi relatifs aux relations entre l’Etat et les régions, et elle s’exprime sur les
lignes de la politique nationale envers l’Union européenne et sur le projet annuel de mesures
de transposition des directives communautaires. Les conférences de service sont en réalité
différentes des conférences sectorielles espagnoles. Selon la loi 241/1990 (art.14), elles sont
réunies à l’initiative de l’administration compétence quand divers intérêts publics sont
impliqués. En matière de projets de travaux publics, la conférence doit être saisie dès le stade 94 Ibid. pp.190-194.
105
du projet préliminaire ; mais la solution la plus intéressante est celle qui ne permet de prendre
en compte que les désaccords qui sont exprimés en séance de la conférence de service. Une
autre solution intéressante est celle du « responsable unique » pour toute opération de travaux
public inscrites au programme triennal de travaux publics : il est responsable de l’ensemble de
la mise en œuvre et doit recueillir tous les avis et autorisations qui sont nécessaires et il
propose à l’administration adjudicatrice de convoquer une conférence de service (loi-cadre sur
les travaux publics 109/1994, 11 février).
Enfin, la loi 662 du 23 décembre 1996 de rationalisation des finances publiques a
introduit une typologie des accords auxquels la mise en œuvre des politiques et des projets
peut avoir recours lorsqu’ils impliquent des décisions et des financements de l’Etat, des
régions et des collectivités locales :
- le programme négocié : signé entre services publics, y compris si un service public est
exploité par une entreprise privée ;
- l’accord institutionnel de programme : coopération sur la base d’un programme
financier et d’un programme pluriannuel d’intervention ;
- l’accord de programme – cadre : s’applique à un programme complexe, fixe les
engagements de chacun, prévoit les conférences de service et les conventions
nécessaires à sa mise en œuvre ;
- le pacte territorial : programme d’intervention conclu entre une collectivité locale et
des sujets publics ou privés dans un but de développement ;
- le contrat de programme : conclu entre une administration de l’Etat, de grandes
entreprises, des districts industriels pour la réalisation des projets prévus dans le
programme négocié ;
- le programme de zone : instrument opérationnel conclu entre des administrations (Etat
ou collectivités territoriales) et des représentants des travailleurs et des employeurs
pour la réalisation visant au développement de l’emploi dans un territoire déterminé.
Toutefois, on doit s’attendre à ce que ces modes de coopération, qui mériteraient
d’être évalués95, évoluent avec les mesures qui seront prises pour mettre en œuvre la révision
constitutionnelle d’octobre 2001, et notamment à l’occasion de la révision inévitable du codes
des collectivités locales (testo unico du 18 août 2000).
95 Pour une analyse plus détaillée de certains de ces accords et de leur pratique, voir : Paolo Sabbioni (1997), « Les accords entre administrations dans le système juridique italien et la ville », pp.317-346 dans : G. Marcou / F. Rangeon / J.-L. Thiébault (dir.), La coopération contractuelle et le gouvernement des villes, Paris, L’Harmattan.
106
Enfin, le Royaume-Uni n’échappe pas à ce paradoxe d’avoir à reconstruire par la
négociation une certaine unité dans l’action publique, malgré les transferts de compétence très
étendus à l’Ecosse et au Pays de Galles, et le fait que ces transferts aient été effectivement
consentis par blocs. En effet, au cours des années 2000 et 2001 tout un système de relations
intergouvernementales a été négocié et adopté, sur la bases des lois de dévolution de 1998. Ce
système repose sur un ensemble de 23 concordats (plus un accord) signés entre le
gouvernement du Royaume-Uni, les ministres d’Ecosse, le cabinet de l’Assemblée nationale
galloise et le comité exécutif d’Irlande du Nord, et qui sont entrés en vigueur en 2002. Au
sein du Cabinet britannique, rappelons que trois ministres restent chargés respectivement de
l’Ecosse, du Pays de Galles et de l’Irlande du Nord et, comme on l’a noté plus haut, ils sont
chargés non seulement des relations entre le gouvernement britannique et les exécutifs des
trois régions, mais aussi de la négociation de la dotation globale qui alimente le budget de
chacune d’elles. Le mot concordat est emprunté au vocabulaire politique suisse, dans lequel il
vise des accords entre les cantons et la Confédération. Dans la pratique britannique de la
devolution, c’est un code de bonne conduite, qui peut cependant donner lieu à une procédure
formelle, puisqu’il est prévu une procédure de règlement des différends. En outre, un
« accord » établit un Comité ministériel commun. Cet accord est compris dans le
Memorandum of Understanding, document de portée générale et clé de voûte de l’ensemble,
qui se définit lui-même comme « une déclaration d’intention politique » fondée sur l’honneur
mais qui ne crée pas d’obligations. Il est de même précisé que « les concordats ne sont pas
compris comme devant être juridiquement contraignants, mais comme des documents de
travail ».
Le Comité ministériel commun a pour mission de traiter les questions générales des
relations, étant précisé que les relations courantes s’établissent sur une base bilatérale. Il
considère les matières non transférées en ce qu’elles affectent les compétences transférées, et
inversement les matières transférées qui affectent les compétences non transférées ; en outre,
il peut « considérer certaines matières transférées s’il est bénéfique de discuter de leur
traitement dans les différentes parties du Royaume-Uni », réexaminer les arrangements en
vigueur et examiner les différends. Le Comité ministériel commun est appuyé par une
commission de fonctionnaires et dispose d’un secrétariat formé de fonctionnaires du Cabinet
Office en relations avec des fonctionnaires des exécutifs régionaux.
Le Memorandum of Understanding règle plusieurs domaines généraux des relations
entre les exécutifs régionaux et le gouvernement britannique. Outre l’accord sur le Comité
ministériel commun, il comprend les concordats sur la coordination sur les affaires relatives
107
aux politiques européennes (qui comporte notamment le détachement de fonctionnaires des
administrations régionales à la représentation permanente du Royaume-Uni à Bruxelles), sur
les aides à l’industrie (qui prévoit notamment des consultations lorsqu’une opération peut
comporter une relocalisation dans une autre partie du Royaume-Uni), sur les relations
internationales, et le concordat sur les statistiques.
Les autres concordats concernent les relations des ministères de Whitehall avec les
administrations régionales correspondant à leur compétence. Ce sont des documents très
détaillés qui essaient d’envisager point par point les sujets sur lesquels une coopération est
nécessaire, avec pour double objectif, d’une part que le gouvernement britannique tienne
compte des intérêts des trois régions autant que de ceux des autres régions du Royaume-Uni
et leur apporte s’il y lieu son assistance, mais d’autre part que le ministère concerné soit
indirectement impliqué par la définition de certains règles de conduite que l’administration
régionale devra respecter. Par exemple, il n’existe pas moins de 4 concordats passés par le
ministère de l’Agriculture, dont un concordat général et trois concordats plus techniques :
mais le concordat général est très précis sur de nombreux point, comme par exemple les
pesticides ou la protection des variétés de la flore ; l’un des concordats techniques règle de
manière détaillée les relations entre les administrations pour ce qui concerne le transport du
bétail. Comme on l’a dit, aucun de ces concordats ne crée d’obligations juridiques, mais il
existe une sanction. Le Memorandum of Understanding rappelle en effet que le Parlement
britannique conserve le droit de légiférer sur les matières transférées, même s’il s’engage à
n’user de ce droit qu’avec retenue, et le droit d’enquêter en toute matière, même si le
gouvernement l’invite a n’en user qu’avec modération. Il est parfaitement clair que si le code
de bonne conduite n’était pas respecté, il s’en suivrait une crise dont l’issue pourrait être le
retour du pouvoir central.
Il reste à voir ce que donnera l’application pratique de ces concordats, mais en
première analyse on est en présence d’un cas de figure presque inverse de celui de l’Espagne.
Cette fois les instruments de coordination ne font pas défaut ; ils respectent un large transfert
de pouvoirs voulu par la loi mais ils organisent les relations permanentes entre les
administrations centrales et les administrations régionales, et les codes de conduite sont
garantis par le principe cardinal du droit constitutionnel britannique, qui reste la souveraineté
du Parlement.
Ce mode de production des politiques publiques et des décisions conduit à ce que
certaines politiques puissent devenir impossibles et disparaître. Il est ainsi caractéristique de
tous les pays étudiés qu’aucun d’entre eux n’a plus de politique nationale d’aménagement du
108
territoire. L’Etat central peut intervenir au plus par la régulation des finances publiques, par
les investissements qu’il contrôle encore, mais l’essentiel des capacités d’investissement sont
entre les mains des pouvoirs régionaux et locaux, et au travers d’instances qui favorisent
l’échange d’informations et d’expériences. Le transfert aux pouvoirs régionaux de l’essentiel
des pouvoirs relatifs à l’utilisation des fonds structurels européens a eu pour effet de renforcer
cette évolution et le dessaisissement du pouvoir central. Il est juste de dire que l’abandon des
politiques nationales d’aménagement du territoire a, dans certains pays, d’autres causes :
ainsi, au Royaume-Uni la politique des gouvernements Thatcher des années 80. Mais il n’est
est pas moins clair que les politiques du gouvernement central qui s’expriment aujourd’hui
dans les planning policy guidance notes ou dans la politique de renouvellement urbain (single
regeneration budget) sont substituées en Ecosse et au Pays de Galles par des politiques
régionales, ou elles sont appelées à l’être dans un avenir proche. En Italie, la suppression du
ministère des interventions extraordinaires en faveur du Mezzogiorno, en 1993, avait pour
origine les financements occultes auxquels ces interventions avaient donné lieu ; ses
attributions furent reprises par le ministère du Trésor puis du Budget. Toutefois, une nouvelle
politique de l’Etat en faveur du sud a vu le jour sous le gouvernement de centre gauche, et
aujourd’hui le gouvernement Berlusconi a fait adopter une loi d’habilitation en matière
d’infrastructures et d’implantations productives stratégiques qui confie au gouvernement
l’individualisation des opérations et l’approbation des projets préliminaires et définitifs ; une
première liste de 250 projets serait prête ; toutefois, cette loi a fait l’objet d’un recours devant
la Cour constitutionnelle. Quoi qu’il en soit, cette initiative témoigne de la volonté de l’Etat
de conserver en ce domaine des moyens d’action.
D’autres politiques, justifiées par l’objectif d’assurer une certaine égalité entre les
citoyens dans la réalisation de certains droits fondamentaux, peuvent aussi être rendues plus
difficiles, notamment en matière éducative et en matière sociale.
2. Les risques pour le principe d’égalité et la garantie des droits Il est tout à fait certain que les constitutions de l’Allemagne, de l’Espagne, de l’Italie
ou de la Belgique garantissent le principe d’égalité tout autant que la constitution française, et
on peut même soutenir que les garanties juridiques en sont plus fortes, si l’on tient compte de
l’étendue du contrôle de la constitutionnalité des loi et des voies de droit qui permettent de
contester la constitutionnalité d’une loi en vigueur. Le cas britannique est différent en raison
109
de l’absence de constitution écrite et de juridiction constitutionnelle. On en déduit que ni
l’égalité des citoyens devant la loi ni la garantie des droits ne sont exposés par de larges
transferts de compétences et de pouvoirs législatifs à des autonomies régionales.
Cette question n’a jamais fait l’objet d’une recherche allant au-delà de la jurisprudence
constitutionnelle. Pourtant certains exemples donnent à penser que le problème est plus
complexe qu’il n’y paraît, dès lors que l’on quitte les sommets de l’ordre juridique.
Le premier doute naît de l’évolution des disparités régionales. Personne n’a jamais pu
établir une relation entre le système administratif ou le degré de décentralisation et les
résultats économiques. Néanmoins, les tableaux statistiques publiés par la Commission
européenne en annexe au Deuxième Rapport sur la cohésion économique et sociale
permettent de constater que les pays caractérisés par les plus fortes inégalités régionales qui
ont en même temps une organisation institutionnelle avec des pouvoirs régionaux forts, ne se
caractérisent pas par une évolution plus positive que les Etats unitaires. L’écart type des
disparités régionales de PIB par habitant en SPA a augmenté fortement en Espagne entre 1988
et 1998, modérément en Italie, fortement en Allemagne mais modérément sans les anciens
Länder ; il s’est au contraire réduit nettement au Portugal et en France. D’autres Etats
unitaires ont, il est vrai, des évolutions moins favorables (Grèce, Royaume-Uni, pays
nordiques), que l’on pourrait expliquer par des facteurs non institutionnels96. Quoi qu’il en
soit, la seule observation à peu près assurée que l’on puisse faire est qu’il n’est nullement
démontré que le développement territorial autonome suffise à donner aux régions en retard de
développement de meilleures chances de rattrapage, ni même qu’elle en soit une condition ;
rien ne prouve non plus que le cadre géographique des institutions régionales soit approprié
aux stratégies de développement territorial (voir l’exemple toujours cités des « districts
industriels » en Italie).
Un deuxième exemple concerne les droits sociaux et culturels, et on le puisera dans
des études empiriques très approfondies réalisées en Italie en 2000 et 2001 sur les
compétences exercées par les régions dans les domaines de l’enseignement et de l’action
sociale en faveur des personnes âgées97.
Dans le domaine de l’enseignement, la décentralisation des compétences
s’accompagne en fait de politiques de promotion de l’enseignement privé (« non statale »)
96 Annexe statistique, janvier 2001, p.21. 97 Ces travaux ont été présentés au colloque organisé par l’université de Florence le 21 décembre 2001 : Il servizio pubblico tra attività economiche e non economiche. Ils sont en cours de publication en plusieurs volumes, sous la direction des professeurs Antonio Brancasi, Carlo Marzuoli et Domenico Sorace, aux Editions Il Mulino, à Bologne.
110
que l’on intègre au service public au nom du « pluralisme ». L’enseignement privé occupe
une place importante surtout au niveau préscolaire et du second cycle de l’enseignement
secondaire (« scuole medie superiori ») (à ce niveau environ 25% des établissements, mais
seulement 4,6% des élèves)98. Les dispositions constitutionnelles (art.33) n’imposent pas que
l’éducation soit un service public de l’Etat seulement et prévoient le droit pour les écoles non
étatiques d’obtenir la « parité » avec les écoles d’Etat ; toutefois, elles n’ont pas un droit à
obtenir un financement public99. Cependant, dès les années 80 de nombreuses régions ont
développé leurs interventions législatives, sur la base et au-delà de la compétence que l’ancien
article 117 attribuait au législateur régional pour attribuer des aides individuelles ou
collectives aux élèves (assistenza scolastica), afin de promouvoir l’enseignement privé sur la
base de la parité et du financement des établissements privés auxquels la parité est reconnue.
Le transfert aux régions en 1998 de la compétence en matière de carte scolaire et de création
ou suppression d’établissement100 leur a permis de développer des politiques tendant à
« diversifier » l’offre éducative, publique et privée. L’assistenza scolastica a parfois donné
lieu à des mesures financières plus avantageuses pour les élèves des écoles « paritaires » que
pour les élèves des écoles d’Etat (Lombardie, notamment). Contrairement à ce que l’on
pourrait penser la parité n’implique pas un alignement des établissements privés sur le public
en ce qui concerne le contenu de l’enseignement, et on a pu noter que les établissements
privés sont conduits au contraire à affirmer davantage leur orientation ou leur « tendance », au
nom d’un pluralisme « organique » du système éducatif qui est opposé au pluralisme
« contextuel » qui caractérise en principe les établissements du service public de
l’enseignement. Cette conception a trouvé une consécration dans la loi 62/2000 selon laquelle
le système national d’enseignement est constitué des écoles d’Etat et des écoles « paritaires »,
privées ou établies par les collectivités locales (art.1.1) : les écoles paritaires, «exécutant le
service public, accueillant qui en accepte le projet éducatif (…) le projet éducatif indique
l’éventuelle inspiration de caractère culturel ou religieux » (art.1.3). La révision
constitutionnelle consacre à son tour le pouvoir conquis par les régions en faisant de
l’enseignement une matière de compétences concurrentes des régions et de l’Etat, dont la
compétence législative est désormais limitée aux principes fondamentaux (nouvel art.117)101.
On peut en conclure que dans le domaine de l’éducation l’intensité du service public est
98 M. Guerri, « Le scuole private : alcuni dati ». 99 L. Pierluigi, « Pubblico e privato nell’evoluzione del servizio dell’istruzione : profili generali ». 100 Décret législatif 112/98, art.122, 2.b. 101 Voir la communication de Giovanni Cimbalo, « Legislazione regionale sulla parita’ : i prodromi dell’attuazione di una legislazione concorrente ».
111
« allégée »102 et que le pouvoir d’organisation est désormais, en ce domaine, partagé entre les
régions, l’Etat, éventuellement les collectivités locales qui créeraient des établissements
« paritaires » et les établissements paritaires eux-mêmes. L’autonomie de ceux-ci est
d’ailleurs protégée par la révision constitutionnelle, puisque l’autonomie des établissements
échappe au pouvoir législatif régional. Dans le nouveau système, les établissements scolaires
bénéficient d’une autonomie institutionnelle et didactique reconnue, les familles choisissent
l’école et le rôle de l’Etat devient essentiellement celui de fixer des standards et d’évaluer les
établissements au regard de ces standards103.
Des observations assez voisines peuvent être faites sur le secteur social. La Cour
constitutionnelle avait d’abord limité les transferts aux régions des années 70 à la
« bienfaisance publique », attribuée à leur compétence législative par l’ancien article 117,
tandis que l’assistance sociale, pour les citoyens inaptes au travail, selon l’article 38, relevait
de l’Etat. Cette position a été assouplie par la Cour en 1981 au motif que l’Etat conserverait
les moyens de contrôler l’assistance sociale par une loi-cadre et par le financement. Cette
position a ouvert la voie à une intense production législative des régions dans le secteur
social, tandis que la loi-cadre n’est intervenue qu’en 2000 (loi 328/2000 du 8 novembre) ;
encore ne couvre-t-elle pas tout le secteur, et en particulier les services sociaux aux personnes
âgées104, pour lesquelles un projet de loi-cadre particulier, d’origine parlementaire, était en
discussion à la fin de 2001. Les initiatives régionales ont favorisé des innovations, notamment
en ce qui concerne les services sociaux aux personnes âgés, tendant à l’individualisation des
prestations, au maintien du cadre du vie, à la participation du secteur privé, à la
programmation105. Mais d’une part, elles ont parfois eu tendance à privilégier la prise en
charge sanitaire, financée par l’Etat au titre de la sécurité sociale, et d’autre part on doit
constater des disparités considérables, au détriment du sud, accentuées par la liberté des
collectivités locales dans le niveau et l’orientation de leurs dépenses en ce domaine : de
22.000 lires par mois et par tête en Calabre à 205.000 dans la province de Trente, pour une
moyenne de 85.000 lires106. La loi-cadre de 2000 introduit un régime universel de prestations
dans le but de réduire ces disparités. Elle confie à l’Etat la régulation (définition et niveau des
prestations) et le financement du système, aux régions la programmation, la coordination et 102 Le professeur Marzuoli concluait ainsi sa communication : « la nozione di pubblico servizio, per essere tuttora utilizzabile, sembra da intendere in modo più ‘leggero’ rispetto ai tanti pesi di cui risulta caricata dalla tradizione ». 103 Loi 59/1997, art.21 ; décret législatif 112/1998, dPR 275/99 principalement. Cf la communication de Mauro Renna, « Le scuole paritarie nel sistema nazionale di istruzione ». 104 Sauf l’article 15 : soutien à domicile des personnes âgées ayant perdu leur autonomie. 105 Alessandra Albanese, « I servizi sociali in favore delle persone anziane ».
112
l’évaluation, y compris la définition des circonscriptions et les relations avec les autres
services publics, aux communes le réseau des services et le service des prestations, la
province ayant un rôle résiduel dans la programmation et l’analyse de l’offre. Les instruments
essentiels de l’intervention de l’Etat sont le plan national et le fonds national pour les
politiques sociales, le niveau des prestations étant fixé dans le plan national en fonction des
ressources affectées au fonds national (art.18, 20 et 22 de la loi). Mais la valeur juridique du
plan national n’est pas réglée par la loi et les niveaux de prestations ne s’imposent pas
directement, compte tenu du financement apporté par les régions et des disparités
existantes107. Les services publics sociaux font ainsi l’objet d’un partage complexe de
compétence. La révision constitutionnelle réserve à la compétence de l’Etat pour déterminer
les niveaux essentiels des prestations relatives aux droits civils et sociaux, et pour la
« prévoyance sociale », mais la liste des matières de compétence concurrente ne comprend en
ce domaine que la « previdenza complementare e integrativa », dont il n’est pas certain
qu’elle englobe tout ce que contient la loi-cadre précitée « pour la réalisation du système
intégré des interventions et des services sociaux », de telle sorte que le nouveau dispositif, à
peine mis en place, pourrait être fragilisé par la révision constitutionnelle et les initiatives
régionales qui pourraient en résulter.
En définitive le pouvoir d’organisation inhérent à la notion de service public est
aujourd’hui dominé et déterminé par la répartition des compétences, et en particulier par la
répartition des compétences entre l’Etat et les régions ; c’est alors le contenu même du service
public qui va se diversifier au risque d’introduire des inégalités importantes entre les citoyens
en dépit des pouvoirs reconnus à l’Etat pour prévenir ce risque.
Enfin, le dernier exemple sera pris en Espagne et concerne un autre droit fondamental,
le droit de propriété. Bien que la législation en matière d’expropriation soit une compétence
exclusive de l’Etat (constitution, art.149.1.1), divers statuts d’autonomie attribuent à la
communauté autonome une compétence législative pour développer et appliquer la législation
étatique, alors qualifiée de « loi de base » (Pays Basque, Catalogne, Galice, Andalousie). En
général le Tribunal constitutionnel a admis cette interprétation. D’autres communautés
autonomes (celles de moindre compétence initialement) se sont contentées d’affirmer leur
pouvoir en matière d’expropriation pour l’exercice de leurs compétences. Selon le Tribunal
constitutionnel (26 mars 1987), si la loi de l’Etat doit établir pour tout le territoire des
garanties uniformes pour les citoyens en matière d’expropriation, les communautés
106 Données citées par Renato Finocchi Ghersi, « La legge quadro per la riforma dei servizi sociali ». 107 Ibid.
113
autonomes peuvent néanmoins fixer les conditions du recours à l’expropriation pour
l’exercice de leurs propres compétences, et sur les conditions d’organisation de
l’expropriation pour les expropriations relevant de leurs compétences.
Sur cette base, les lois régionales ont commencé à mettre en place des commissions ou
des jurys d’expropriation, distincts des jurys provinciaux établis depuis 1954, et qui se
caractérisent par leur composition paritaire, entre représentants de l’administration et
représentants des propriétaires privés. Puis les lois régionales on remis en cause la parité : les
lois des communautés de Madrid, puis de Castille La Manche, de Castille-León, des Canaries,
ont composé les commissions d’expropriation de fonctionnaires de la collectivité
expropriante, et seulement de un ou deux représentants des propriétaires privés ; le cas
échéant, si la collectivité expropriante est une collectivité locale, on y ajoute un juge de la
chambre du contentieux administratif du tribunal supérieur de justice, ce qui s’interprète,
selon le professeur Tomás Ramón Fernandez, comme l’expression de la volonté de
« blinder » la procédure en y intégrant un magistrat de la juridiction aura à juger
éventuellement de sa régularité108.
En résumé, on arrive à une situation dans laquelle fonctionnent sur le même territoire
deux systèmes différents d’évaluation des biens, selon que c’est l’Etat ou au contraire la
communauté autonome ou une collectivité locale qui exproprie, et ces deux systèmes ne
donnent pas des garanties égales aux propriétaires expropriés ; de toute évidence, les
procédures introduites par certaines communautés autonomes laissent aux représentants de la
collectivité expropriante un large pouvoir final d’appréciation. Il en résulte que le droit de
propriété ne bénéficie plus de garanties uniformes sur tout le territoire de l’Espagne.
108 Tomás Ramón Fernández (2000), « Notas sobre el proceso continuo y silencioso de erosión del derecho estatal y de las garantias jrídicas de los ciudadanos : el caso de los jugados autonómicos de expropriación », Revista de Administración Pública, n°153, sept.-oct. 2000, pp.91-106.
114
*
* *
On a voulu mettre l’accent sur les aspects les moins connus des Etats voisins de la
France caractérisés par des pouvoirs régionaux forts et en progression. Alors que ces
institutions et les politiques qu’elles portent sont spontanément appréciées en fonction du
degré d’autonomie dont elles paraissent bénéficier, on a voulu rappeler ici que les régions ne
sont pas seules en cause. Elles font partie d’un système public dont aucune pièce ne peut être
considérée isolément des autres. La finalité de ce système public est de garantir les droits des
citoyens et d’assurer à ceux-ci les meilleurs services. Or, l’extension indéfinie des
compétences régionales peut avoir aussi des effets indésirables pour l’ensemble du système
public. Elle peut devenir un obstacle aux libertés communales, alors que la commune – ou
l’intercommunalité – est bien le niveau d’administration et de décision le plus proche du
citoyen ; elle peut conduire à une alourdissement considérable des procédures de décision et
nuire à la cohérence de l’action publique ; elle peut aussi conduire à réduire la protection des
droits fondamentaux. Rien de tout cela n’est fatal, mais il est nécessaire d’attirer l’attention
sur le fait que certaines options ont des conséquences probables ou comportent des risques
que l’on n’évitera que si on les a reconnus.
On espère aussi avoir montré que chacune des expériences que l’on a analysées est
solidaire d’une histoire singulière, dans laquelle on a aussi trouvé des réponses acceptables
par la société à une époque donnée. L’expérience française en matière administrative comme
en matière de décentralisation doit aussi, comme les autres, donner lieu à une évaluation
nuancée ; ses faiblesses ne doivent pas davantage faire oublier ses mérites que la séduction
des modèles de nos voisins ne doit nous empêcher d’en voir les faiblesses ou les dangers,
surtout si on les sort de leur contexte.
On invoque bien souvent la valeur des identités à l’appui de la régionalisation. Prenons
garde à ce que la quête d’identité ne nous fasse pas perdre nos repères.
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