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P i e r r e Cas tex

Illustrations de Jacques Pecnard

Les pirates de l'uranium

C 1960 - Éditions G.P., Paris

Printed in France

CHAPITRE PREMIER

N NICOLAS BARTHÈS repoussa les volets de sa chambre. Ebloui, il cligna des yeux. A l'horizon, le ciel et la

mer se confondaient dans un brouillard de chaleur. Presque à ses pieds, Banyuls, enchâssée dans son écrin de montagnes brunes et vertes, mirait dans le bleu vif de la baie ses maisons ocres et ses toits rouges.

Nic laissa courir son regard sur la vieille ville jusqu'au laboratoire Arago et à l'île Grosse, caressée par les vagues d'une mer sereine.

— Nic, dit sa grand-mère, je te sers ton petit déjeuner.

Le garçon sourit. Il lui semblait voir Mémé Marie, avec ses beaux cheveux blancs coiffés en bandeaux, sa blouse de satinette noire bien tirée, s'activer dans la cui- sine. Depuis un moment, elle devait guetter le réveil du « petitou ». Le bol, celui de Nic, en faïence bleue, était déjà sur la table, trônant entre le pot de miel, le beurre et le pain...

Quand il entrerait, elle lui tendrait sa joue. Il l'embras- serait trois fois. Il en avait toujours été ainsi : trois baisers sonores pour Mémé, un pour Pépé.

Au fait, Pépé, où était-il? Sans doute à la vigne. Le diable d'homme ne cessait de trotter. Debout à

six heures, il vaquait aussitôt à quelque travail. « Que veux-tu, expliquait-il avec un bon rire, j'ai passé

ma vie de coiffeur à tourner autour d'un fauteuil. Main-

tenant que j'ai pris ma retraite, je peux enfin marcher en ligne droite; j'en profite! »

Nic passa dans la salle d'eau. Il s'étonna de nouveau devant la mosaïque verte et les robinets nickelés. La salle d'eau avait été installée l'année précédente, à l'intention des estivants auxquels M. Joseph Barthès louait les chambres du premier étage.

Il y avait deux ans que le garçon n'était venu en vacances chez ses grands-parents. Il avait alors douze ans. Aujourd'hui, il posait sur les choses et sur les gens un regard neuf.

« Mais c'est presque un homme! » s'était écrié son grand-père, la veille au matin, en voyant descendre du train ce grand gaillard au visage pâle.

... Oui, tout avait changé ; la maison des Barthès, avec sa douche nickelée, Banyuls, les gens... Tout! Nic eut un petit pincement au cœur.

Il acheva sa toilette, s'habilla et descendit. Le café au lait fumait dans le bol de faïence bleue. Les

tartines étaient prêtes. Mémé Marie se campa devant son petitou et le regarda dévorer avec un air de dévotion.

Deux ans qu'elle ne l'avait vu, son petit-fils! A Paris, son fils et sa bru ne se rendaient pas compte. Certes, on ne fait pas toujours ce que l'on veut. D'abord Nic avait été malade, puis il y avait eu son séjour en Angleterre, des raisons évidentes et des occasions perdues... Enfin, cette fois, elle l'avait bien à elle. Pour deux mois!

Nic reposa son bol, vide. Il se leva. — Alors, tu vas faire un tour, voir tes amis ? Tout en parlant, Mémé Marie escamotait les reliefs du

petit déjeuner. Faire un tour? Voir les amis ?

Nic fut tenté de tout expliquer à sa grand-mère. Mais il y renonça. Ses ennuis, c'était une affaire d'homme.

— Non, dit-il. Je vais au fond du jardin lire un peu. M. Lentin m'a prêté des bouquins, hier soir... Je n'ai pas envie de sortir... Je veux me reposer un peu.

Aussitôt Mémé Marie s'inquiéta : — Tu n'es pas malade, au moins ? Tu as peut-être pris

mal dans le train! Nic dut la rassurer : — Non, pas du tout... J'ai seulement besoin de

calme... Mémé Marie hocha la tête. Elle comprenait. Pensez, avec toutes ces études qu'ils leur font faire, à

Paris, le petitou devait avoir la tête en bouillie! A qua- torze ans, Nic — le mien petit-fils, disait-elle avec son bel accent catalan — en était presque au brevet!

Nic alla chercher un livre. Au hasard, il prit Le Père Goriot, de Balzac. Il l'avait déjà lu. Il le reposa, puis le reprit. Peu lui importait. Celui-là ou un autre !... Il savait qu'il ne lirait pas vraiment.

Il descendit au fond du jardin et grimpa dans le figuier. Naguère il s'installait pour lire sur une haute branche de l'arbre, d'où il apercevait la mer, entre les pins du terrain voisin.

La branche craqua : il dut sauter vivement à terre pour éviter un désastre. Décidément, deux ans de plus, cela changeait tout!

Ulcéré, il alla prendre une chaise longue, ouvrit Le Père Goriot et ferma les yeux.

La veille, sitôt les embrassements terminés, il était parti faire un tour en ville. Il allait s'en payer, avec Toinou, Féfé, Alban et les autres, tous les vieux amis des jeunes années. D'un pas alerte, il avait dévalé la rue qui menait au lotissement Miramar, où ses grands-parents avaient leur villa.

Sur le pont qui franchit l'embouchure de la Baillanry, il aperçu l'Eusèbe, un journalier qui aidait parfois son grand-père à la vigne. Il l'avait reconnu au premier coup d'œil. Il n'avait pas changé, l'Eusèbe. Nic était allé à lui, souriant, la main tendue. Le journalier l'avait regardé avec étonnement.

— Bonjour, monsieur Eusèbe... L'autre avait serré la main qu'on lui tendait, puis il

s'était gratté le crâne. Qui était donc ce grand garçon? Le fils d'un estivant, sans doute...

Nic, embarrassé, avait rougi. — Vous ne me reconnaissez pas?... Je suis Nicolas

Barthès, le petit-fils de l'ancien coiffeur... Le visage du journalier s'éclaira. — J'y suis ! s'écria-t-il enfin. Eh bien, mon garçon, je

ne t'aurais pas reconnu! Tu as grandi, forci. Il y a des années qu'on ne t'a vu ici ! Et ton père, et ta mère, com- ment vont-ils ?

Nic répondait machinalement. « Oui... Non... Ils vont

bien... Ils viendront me chercher dans deux mois... »

Il reprit à pas lents son chemin vers la villa. Eusèbe ne l'avait pas reconnu!

Il avait suffi de quelques mois, de quelques centi- mètres et d'un peu d'oubli pour qu'il devienne un étranger...

Nic traversait la place Paul-Reig, où s'élève le monu- ment érigé en souvenir de la bataille du col de Banyuls, en 1793, quand un cycliste déboucha à toute allure d'une rue adjacente. Gêné par les cageots arrimés sur le guidon de sa machine, le cycliste faillit se jeter dans un groupe de touristes qui, plantés au milieu de la rue, con- sultaient le menu d'un restaurant. Il se retourna pour

maudire les piétons. Ces cheveux en bataille, ces yeux noirs, animés par la fureur, cette maigreur d'échalas, Nic les identifia aussitôt :

— Toinou!

Les yeux noirs se posèrent sur Nic. Un coup de freins, un miaulement de pneus ; le cycliste

mit pied à terre, détaillant ce garçon en short qui venait de l'interpeller. Assurément, ces cheveux rebelles, d'un châtain presque blond, ces yeux gris clair, ce visage aux traits réguliers ne lui étaient pas inconnus.

— Nic! Ma parole!... Tu as vu ces « pecs (i) » au milieu de la rue!... On ne dirait pas des Parisiens! Tu es ici depuis longtemps ?

— Je suis arrivé ce matin. Je te cherchais... — Tu as de la chance de me trouver, parce que le

matin je donne un coup de main à l'épicerie du père. Je fais les livraisons. Il me laisse les pourboires... Je suis d'ailleurs en retard.

— Et l'après-midi? — L'après-midi, je suis libre. Je suis en vacances, non ?

Viens au port, vers les quatre heures. J'y serai. Les copains aussi... Féfé, Alban, d'autres encore. La bande s'est dispersée. Les frères Crétou sont à Perpignan... Il y a des nouveaux... Viens, tu verras...

Toinou parlait en homme d'affaires pressé, sans reprendre son souffle.

(1) Fous.

— Alors, c'est entendu, cet après-midi, à quatre heures, au port?

— D'accord!

Toinou se remit en selle, appuya sur les pédales et disparut en direction du laboratoire Arago, laissant Nic sur le bord du trottoir, un peu étourdi par cette reprise de contact éclair.

Un peu déçu aussi. Nic s'était plu à imaginer autre- ment ces retrouvailles. De tous les gamins de Banyuls qu'il fréquentait les années passées, c'était Toinou l'ami de son cœur. Certes, des nuages obscurcissaient parfois cette amitié. Lors de son dernier séjour, peu de temps avant son départ, ils en étaient presque venus aux mains à propos d'une ligne cassée. Mais, le lendemain, ils avaient savouré l'ivresse de la réconciliation.

Aujourd'hui, il y avait entre eux ce fossé creusé par deux années d'absence. Ils allaient devoir refaire con- naissance. Certes, Toinou l'avait reconnu. C'était mieux qu'avec Eusèbe... Seulement, il y avait des nuances. Naguère, le fils de l'épicier n'était pas obnubilé par ses livraisons...

Nic regarda autour de lui, dans le vague espoir d'aper- cevoir une autre connaissance. Il était tard, l'heure du déjeuner avait sonné depuis longtemps. Mélancolique- ment, il poursuivit sa promenade. Il passa devant l'épi- cerie des parents de Toinou. L'antre obscur et négligé de jadis avait fait place à un magasin moderne où le

marbre alternait avec le plastique. L'entêtante odeur d'épices qui, s'échappant par la porte ouverte, embau- mait la rue avait disparu. « Aux Primeurs du Roussillon » était une boutique aussi impersonnelle qu'une épicerie parisienne...

Renonçant à cette vaine chasse aux souvenirs, Nic rentra déjeuner.

L'après-midi, à l'heure dite, il était sur le port. Du plus loin qu'il les vit, il les reconnut : Toinou, Féfé, dont le père travaillait à l'usine de Paulilles, Alban le Rouquin, Pedro le fils de l'Espagnol. Ils se tenaient sur les galets, à l'ombre d'une barque, en compagnie de quatre garçons inconnus, les « nouveaux » de la bande, sans doute...

Toinou le héla :

— Hé! Nic, par ici! Comme tous les gens du pays, Toinou prononçait

« Nique ». Les anciens se précipitèrent. Il y eut des cris, des

rires, des tapes dans le dos. Tous parlaient à la fois. Toinou, le plus volubile, dominait le tapage de sa voix perçante. Bronzé comme une statue, vêtu seulement d'un slip de bain élimé à force d'avoir été traîné sur les galets, il évoquait irrésistiblement quelque sauvage d'une peuplade barbare gesticulant autour du Blanc pâle

comme un lavabo qu'il vient de découvrir sur le rivage. Un peu en retrait, les « nouveaux » attendaient, exa-

minant le « Parisieng ». Toinou les apostropha : — Hé! les copains. Voici Nic... C'est un fameux...

Toinou laissa sa phrase en l'air. Il eût été incapable de dire en quoi Nic était « fameux » ! Personne d'ailleurs ne le lui demanda. Les « nouveaux » s'avancèrent. Le fils de

l'épicier fit les présentations : — Lui, c'est Henri. Il est à Banyuls depuis un an et

demi. Son père a repris le garage du vieux Triboul... Nic serra la main que lui tendait Henri. Celui-ci était

un garçon d'une quinzaine d'années, plus petit, mais plus

râblé que Toinou. Des cheveux bien lissés, des yeux gris volontaires. Il dit, sans enthousiasme :

— C'est toi, Nic? Déjà Toinou passait aux suivants : — Et voici Raymond, et Cyprien, et Sauveur. Tu te

souviens peut-être de Cyprien : il habite sur la route de Puig-d'el-Mas...

Nic ne se souvenait pas. — C'est possible, enchaîna Toinou. De ton temps, il

ne faisait pas partie de la bande... Il était trop jeune... Raymond et Cyprien, eux, ne sont à Banyuls que depuis six mois. Leurs parents travaillent à l'usine de Paulilles.

Tout le monde se rassit à l'ombre de la barque.

Il y eut un silence. Il fallait renouer les liens rèlâchés, sinon rompus.

— Quoi de nouveau, en ville ? demanda Nic. Toinou fit un geste vague de la main. — Toujours pareil! Il y en a qui s'en vont ; d'autres

arrivent. Je t'ai déjà dit que les Cérou sont à Perpignan... L'aîné, Jacques, travaille chez un maçon. Il a un cyclo- moteur. Parfois, il vient par là, pour nous épater...

— Peuh! grogna Henri. Félix, surnommé Féfé, commenta avec admiration

l'intervention d'Henri :

— Tu parles, un cyclomoteur! Henri, lui, conduit la dépanneuse de son père, alors...

Un frémissement parcourut la bande. Tous regardè- rent Henri avec respect. Lui, impassible, savoura discrè- tement son triomphe.

— Tu sais, reprit Toinou avec une pointe d'agace- ment, Huguette? Huguette Serba, la sœur de Marc, elle habite maintenant à côté de chez toi... Marc et elle ne sont pas là en ce moment ; ils sont chez leurs grands- parents, du côté de Céret...

Toinou se tut. Il passait mentalement en revue les choses et les gens que Nic connaissait et dont il pourrait lui donner des nouvelles.

— Et puis..., dit-il. Henri l'interrompit : — Hé! les gars, le Tirepoux est en train d'astiquer le

bateau de son père. On va aller asticoter le Pezouls. Ils regardèrent dans la direction indiquée. A une cin-

quantaine de mètres de là, un garçon, noir comme un pruneau, lavait à grande eau une barque de pêcheur amarrée à deux brasses de l'embryon de quai, au pied de la vieille ville. Nic le reconnut. Dominique Tirepoux, surnommé le Pezouls, était de quelques mois son cadet. Naguère il se mêlait parfois à la bande. Son malheureux patronyme lui valait mille quolibets et avanies. Nic se souvenait de l'avoir souvent vu pleurer, poursuivi par les gamins qui scandaient une comptine célèbre à Banyuls :

Tire- Tire, Tire- Tire- Tire, T ire- T irepoux, T ire- T irepoux.

— Hé! Pezouls! hurla Henri au milieu des rires. Sans empressement, Tirepoux esquissa un salut. Visi-

blement, il ne tenait pas à voir ses camarades de trop près. — On y va! décida Henri. Toute la bande se leva. Ceux qui étaient en short ou

en pantalon s'en dépouillèrent bien vite. Déjà Henri s'élançait dans la mer.

Nic s'était levé également, mais il ne bougeait pas. — Viens donc ! lui cria Toinou. Sans enthousiasme, il se décida à les suivre.

Ils furent bientôt autour de la barque de Tirepoux père, la Chinette. Debout à la poupe, Tirepoux regardait évoluer avec inquiétude les nageurs qui criaient : « Ho! Pezouls! » Fort de précédentes et malheureuses expé- riences, il se gardait bien de relever l'injure.

Nic nageait avec les autres, sans crier. Tirepoux, soudain, le reconnut. Il lui sourit, timide-

ment. — Oh! Nic! Tu es en vacances ? Nic répondit à son salut. Pauvre Tirepoux! Non

content d'être doté d'un patronyme ridicule, il ne faisait rien pour rendre sa personne avenante. Vêtu d'un pan- talon de toile qui avait dû être kaki, torse nu, il avait trouvé le moyen de foncer encore la couleur naturelle- ment sombre de sa peau en se barbouillant copieusement de cambouis. Dans ce masque noir brillaient des dents d'une éclatante blancheur.

Tandis que le Pezouls échangeait quelques mots avec Nic, Henri et plusieurs autres avaient contourné la barque et escaladé le bordage.

Tirepoux émit une faible protestation : — Ne montez pas! Si le père vous voit, je me ferai

attraper ! — N'aie pas peur, Pezouls! On ne va pas lui manger

son bateau, à ton père! ricana Henri, tandis que le reste de la bande se hissait à bord.

Les gamins, excités par Henri, faisaient rouler l'em-

barcation en pesant alternativement à bâbord et à tri- bord. Toinou, comme les autres, riait et criait.

« Allons, pensa Nic, cela n'a pas tellement changé ! » A son tour, il embarqua sur la Chinette. Tirepoux, bloqué à la poupe, suppliait : — Non! pas ça! Vous allez abîmer les filets! Henri, Féfé et deux ou trois autres, tout à leur jeu,

piétinaient les filets soigneusement rangés au fond de l'embarcation.

— Voilà le Pezouls qui se fâche ! cria Henri, qui entonna la fameuse comptine :

Tire-Tire, Tire- Tire- Tire, T ire- T ir epoux, T ire- T irepoux.

La bande, aussitôt, reprit en chœur. La colère fit étinceler les yeux de Tirepoux. — Ne touchez pas à ce filet! cria-t-il. Partez! Partez

tous! Henri, sans se soucier du Pezouls, continuait son

manège. — Arrête, Henri ! Tu vas crever les filets. Ce n'est pas

malin. Nic rougit. Il n'avait pu retenir les mots sur ses lèvres.

Naguère il avait souvent assisté au supplice de Tirepoux.

Jamais il n'avait osé dire un mot, bien que ce genre de plaisanteries ne l'amusât pas. Une seconde, il resta confondu par son audace...

Les rires avaient brusquement cessé. Les gamins, sou- dain attentifs, regardaient alternativement Henri, Nic et Toinou.

Le drame était dans l'air... Henri recouvra enfin l'usage de la parole : — De quoi t'occupes-tu? dit-il. Nous ne sommes pas

allés te chercher! Les regards se portèrent sur Toinou. Ceux de la bande

sentaient confusément que c'était au fils de l'épicier de parler. Tous le considéraient comme le chef de leur

petit groupe, bien que l'influence d'Henri allât sans cesse grandissant. Depuis quelques mois, les deux garçons se livraient une lutte sourde pour s'assurer sans conteste le commandement de la bande.

L'heure de l'épreuve de force avait sonné. Toinou eut peur. S'il approuvait Nic, il désavouait le

passé : jamais personne n'avait avancé l'hypothèse qu'il pût être cruel d' « asticoter » le Pezouls. Il risquait de voir ses troupes rallier la bannière du démagogue Henri...

Toinou non seulement oublia les devoirs de la justice, car au fond il désapprouvait Henri, qui allait trop loin, mais encore il oublia les devoirs sacrés de l'amitié.

Toinou n'osa pas prendre parti. Toinou capitula. Il se tint coi.

Trois secondes s'écoulèrent.

— Ce n'est pas aux « Parisiengs » de venir nous donner la leçon ! dit Henri, triomphant.

Nic ne broncha pas. Il était assis sur le bordage, à un pas du fils du garagiste. Toinou n'avait rien dit... Il en aurait pleuré!

Henri se pencha vers lui, tendit le bras et le poussa. Nic tomba à l'eau, au milieu d'une gerbe d'écume. — Fais-nous voir un peu comme vous nagez le crawl

à Paris ! dit Henri. La bande se tordait de rire. Henri lui avait drôlement

rivé son clou, au Nic! Nic avala une gorgée d'eau salée, toussa, cracha et fit

surface. Une colère folle le possédait. Il allait remonter sur la barque et corriger Henri. Il fit deux brasses et releva la tête : la bande riait toujours en le regardant se démener. Il vit Toinou, debout près de la proue. Le fils de l'épicier détourna les yeux. Il n'osait pas affronter son regard...

— Alors, ce crawl, tu nous le montres ? hurla Henri. Brusquement, Nic sentit sa colère tomber. — Idiot! dit-il entre ses dents.

Renonçant à sa vengeance, il se mit à nager en direc- tion de la plage.

Il était très triste. Toinou n'avait pas esquissé un geste, il n'avait pas dit un mot pour le retenir !

Nic reprit pied sur les galets et se retourna. Henri et trois autres garnements avaient saisi Tirepoux par les bras et par les jambes et ils le balançaient en comptant :

— Un..., deux..., trois! Ils le lâchèrent. Tirepoux parut s'envoler dans les

airs, puis il s'abîma dans l'eau du port, au milieu des cris de joie de ses bourreaux.

Nic passa son short et rentra chez lui.

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