les marchés de produits dérivés : lieux de spéculation ou de gestion des risques ?
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Mémoire de recherche
Les marchés de produits dérivés :
lieux de spéculation
ou de
gestion des risques ?
Auteur : Antoine LINDREC
Directeur de mémoire : Angelo RIVA
Master 2 Finance
Promotion 2014
1
« J’atteste sur l’honneur que ce document est le fruit d’un travail personnel
et que les emprunts à des documents externes sont tous cités ».
Le 02/09/2014
Antoine LINDREC
L’European Business School Paris n’entend donner aucune approbation ni
improbation aux opinions émises dans ce mémoire : ces opinions doivent être
considérées comme propres à leur auteur.
2
Remerciements :
Ce mémoire intitulé : « Les marchés de produits dérivés : lieux de spéculation
ou de gestion des risques ? » est le résultat d’un travail de recherche de 2 années.
En préambule, je souhaite adresser tous mes remerciements aux personnes
qui m’ont apporté leur aide et ont ainsi contribué à l’élaboration de ce dossier.
En particulier, je remercie vivement Mr Angelo Riva, mon tuteur, qui m’a
encadré, orienté, conseillé et consacré régulièrement de son temps.
J’adresse tous mes remerciements à l’ensemble des professeurs et
intervenants de l’European Business School Paris qui par leurs enseignements,
leurs conseils et leurs critiques, au cours de ces 5 années, ont guidé mes réflexions.
Je tiens également à exprimer toute ma reconnaissance à Mme Sandra
Oliveira, Implementation Manager au Regional Treasury Center d’Alstom à
Singapour, pour l’expérience enrichissante et pleine d’intérêt que j’ai vécu dans
l’exercice des responsabilités qui m’ont été confiées en tant qu’Opérateur de
Marché au cours de mon expatriation de 6 mois à Singapour.
Je remercie les membres du département Corporate Funding & Treasury
d’Alstom qui, par leur aide précieuse et leur sympathie, ont facilité mon intégration
et m’ont aiguillé vers des spécialistes pour me permettre de recueillir les références
essentielles à ma recherche.
Je remercie également mes interlocuteurs en Banque, qui en marge de nos
échanges professionnels, ont enrichis ma recherche de leurs approches « métier ».
Et enfin, je souhaite également adresser une dédicace spéciale à tous les
étudiants que j’ai eu le plaisir de côtoyer au cours de ces 5 années à l’E.B.S.
Riche de cette formation, de cette expérience, et de mes échanges avec les
experts et les professionnels, je suis conforté dans mes choix d’orientation
professionnelle et suis convaincu de mes motivations pour les métiers de la
Finance.
3
Table des matières :
Remerciements : ............................................................................................................... 2
I. INTRODUCTION ....................................................................................................... 5
A. Organisation et ampleur des marchés de produits dérivés .................................. 5
B. Des instruments financiers négociables .............................................................. 7
C. Théorie normative du système financier ............................................................ 10
D. Problématique ................................................................................................... 12
II. ETAT DE L’ART ...................................................................................................... 14
A. Conditions d’un marché efficient ....................................................................... 14
B. Concurrence économique et juridique ............................................................... 16
C. Innovation financière et développement économique ........................................ 18
D. Doctrine de l’autorégulation ............................................................................... 19
III. DESCRIPTION DU TERRAIN ET METHODOLOGIE ........................................... 21
A. Origines at causes de la crise financière de 2007 ............................................. 21
B. Cadre législatif européen et fonctionnement des institutions ............................. 24
C. Recherche qualitative ........................................................................................ 26
D. Positionnement épistémologique ....................................................................... 29
IV. UN MARCHE PLUS INTEGRE, PLUS EFFICIENT ET PLUS COMPETITIF ......... 31
A. Intégration des marchés OTC dans des infrastructures réglementées .............. 31
B. Compensation centralisée et gestion du collatéral ............................................. 33
C. Transparence pré et post négociation ............................................................... 36
D. Surveillance et supervision des marchés financiers........................................... 38
4
V. UNE MEILLEURE GESTION DES RISQUES .......................................................... 41
A. Risque de marché ............................................................................................. 41
B. Risque de crédit ................................................................................................ 43
C. Risque opérationnel .......................................................................................... 47
D. Allocation du capital ajustée aux risques ........................................................... 48
VI. CONCLUSION ...................................................................................................... 51
VII. BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................. 55
VIII. ACRONYMES ...................................................................................................... 58
IX. ANNEXES ............................................................................................................ 60
5
I. INTRODUCTION
Dénoncés comme responsable de la crise financière mondiale déclenchée
en 2007, les produits dérivés sont des instruments financiers qui ont connu un
fort développement à la fin des années 70 ; le début des « trente piteuses1 ».
Cette période d’incertitude et d’instabilité2 a conduit l’innovation financière à la
« marchéisation » intensive des risques. Pour comprendre les marchés de
produits dérivés en tant que lieux de négociation des risques où se côtoient
spéculation et gestion des risques, il faut étudier les principes et les mécanismes
du système financier dans son ensemble.
A. Organisation et ampleur des marchés de produits dérivés
Les marchés de produits dérivés sont les plus importants en termes de volumes.
Selon la Banque des Règlements Internationaux (BRI), la valeur totale des encours
notionnels3 de produits dérivés à la fin du 2nd semestre 2013 était de 775 trillions de
dollars4 ; tandis que d’après McKinsey & Company, la valeur totale des actifs
financiers mondiaux sur la même période, avoisinait les 242 trillions de dollars5 par
rapport à un PIB mondial de l’ordre de 75 trillions de dollars6. Ces quelques données
chiffrées montrent l’ampleur des marchés de produits dérivés et attestent le fait
qu’un sous-jacent peut-être impliqué dans une multitude de contrats et ainsi
1 Période caractérisé par un ralentissement des économies des pays membres de l’OCDE - BAVEREZ N., Les trente piteuses, Flammarion, 1998 2 Volatilité des taux de change et chocs pétroliers 3 Montant couvert par un produit dérivé 4 Voir annexe 1 : Série de statistiques semestrielles sur l’activité de produits dérivés – BRI 5 En incluant les actions, obligations et dépôts ; voir annexe 2 : Répartition des actifs financiers mondiaux 6 Source : World Development Indicators database, World Bank, 1 July 2014
6
favoriser le risque systémique7. On observe deux types de marchés de produits
dérivés :
- Les marchés organisés (Exchange Traded Derivatives, ETD)
- Les marchés de gré à gré (Over The Counter, OTC).
Les marchés organisés tels que KRX, EUREX, CME ou LIFFE permettent de
négocier des contrats standardisés définis selon les normes de chaque place
boursière. A chacune correspond une chambre de compensation responsable du
bon déroulement et de la bonne fin des opérations. La chambre de compensation
joue le rôle de contrepartie centrale (Central Counterparty Clearing House, CCP)
par le principe de la novation8 des contrats ; elle est l’acheteur de tous les vendeurs
et le vendeur de tous les acheteurs, et permet ainsi de mitiger le risque de défaut
des clients.
Quant à eux, les marchés de gré à gré permettent de négocier de façon privé et
sans l’intervention d’un intermédiaire, des contrats bilatéraux non standardisés. Ces
marchés opaques où interviennent principalement de très grandes institutions
financières sont non régulés. Il est donc difficile d’établir avec précision l’ampleur
de ces marchés, mais selon la BRI, à la fin du 2nd semestre 2013, la valeur totale
des encours notionnels sur ces marchés s’élevait à 710 trillions de dollars9, ce qui
en fait les plus importants marchés de produits dérivés (92% de part de marché).
Contrairement aux marchés organisés, les contrats passés sur les marchés de gré
à gré se font seulement entre deux parties et reposent sur la performance de
chacune d’entre-elles ; il existe donc un risque de contrepartie non négligeable.
Face au risque systémique et au risque de contrepartie, le marché dérégulé de
gré à gré des produits dérivés est-il efficient ?
7 Risque qu’un événement déclenchant une perte économique et / ou de confiance affecte une partie suffisamment importante du système financier pour avoir des effets négatifs sur l’économie réelle – GROUP OF TEN, Report on consolidation in the financial sector, 2001 8 Substitution d’une obligation contractuelle par une nouvelle obligation (changement de créancier / débiteur) 9 Voir annexe 1 (Série de statistiques semestrielles sur l’activité de produits dérivés – BRI)
7
B. Des instruments financiers négociables
Les produits dérivés se définissent comme des instruments financiers qui lient
des acteurs par le biais de contrats indexés sur la valeur d’un sous-jacent10, dont le
prix à terme, ferme11 ou optionnel12 est négocié sur un marché. Ces contrats fixent
le prix auquel on peut vendre ou acheter une quantité déterminé du sous-jacent à
une date future et permettre ainsi de se prémunir des fluctuations du marché.
Apparu pour la première fois en 1700 avant J.C (Weber, 2008), ces contrats sont
nés en Mésopotamie où deux agriculteurs avaient reçu, de la part de la fille du roi,
de l’orge dont l’échéance était fixée à la fin de la période des récoltes. Ce contrat
détaillé dans cette anecdote peut être considéré comme un prêt de produits ou une
opération de vente à découvert. Cela montre bien l’intérêt des produits dérivés pour
l’économie réelle en permettant d’assurer une activité qui pourrait s’avérer risquée
mais bénéfique à la croissance économique. A ce titre, les produits dérivés donnent
la possibilité aux agents économiques de se prémunir des risques qu’ils ne peuvent
maîtriser en fixant des conditions de prix à une échéance future et ainsi établir avec
plus de certitude des prévisions sur leur activité.
Ces instruments de couverture ont connus un fort développement dans les
années 70 marquées par la fin des accords de Bretton Woods13 et le passage aux
changes flottants. C’est à cette période que les produits dérivés connaîtront un
véritable essor dans le but de réduire les risques de change. Depuis, leur utilisation
s’est diversifiée et leur attractivité n’a cessé de croître avec des taux de croissance
annuels moyens de l’ordre de 30%14 jusqu’à nos jours. Cette tendance devrait
persister encore de nombreuses années, sachant que ce sont des opérations à forte
valeur ajoutée pour les banques.
10 Ex : Actions, obligations, devises, matières premières, indices, taux de change ou taux d’intérêt 11 Ex : Forward, futur, SWAP 12 Ex : Option, warrant 13 NIXON R. (Président des États-Unis) met fin aux accords de Bretton Woods le 15 août 1971 en suspendant provisoirement la conversion du dollar en or 14 Source : BRI – Taux de croissance moyen des montants notionnels négociés sur les marchés de gré à gré
8
Figure N°1 : Evolution des encours notionnels de produits dérivés de taux en
trillions de dollars (OTC & ETD)
Source : Bank for International Settlements
Figure N°2 : Répartition des encours notionnels de produits dérivés par
catégorie de risques en décembre 2013 (OTC & ETD)
Source : Bank for International Settlements
L’essor des produits dérivés, qui sont sans nul doute une des ressources les
plus innovantes du système financier de ces dernières années, a été marqué par
l’apparition de produits exotiques. Ce sont des produits dérivés qui sont indexés sur
82,78%
9,16%2,71% 1,78% 0,28% 3,29%
0%
20%
40%
60%
80%
100%
Interest rate Currency Credit Equity-linked Commodity Unallocated
9
une valeur mesurable quelle qu’elle soit15 et qui reflète le caractère fortement
spéculatif de ces produits (Hull, 2006).
La particularité des produits dérivés repose également sur le fait que l’on puisse
utiliser des effets de levier16 permettant d’avoir une capacité d’investissement
nettement supérieure aux fonds réels disponibles. C’est ainsi que Kerviel J. avait
investi pour 50 milliards d’euros de positions ; soit un montant supérieur à la
capitalisation boursière de la Société Générale à cette époque.
Une étude économétrique de Nguyen H. & Faff R. (2010) tend à démontrer que
l’utilisation de produits dérivés diminue le niveau de risque général d’une société
lorsque celle-ci se couvre à hauteur de son exposition réelle sur le marché ; par
contre ce risque tend à s’accroitre pour les sociétés utilisant des couvertures
nettement supérieures à leur exposition réelle sur le marché. Bien que ces contrats
aient trouvé leur origine dans les échanges commerciaux, leur accès ne se limite
pas aux acteurs commerciaux ; de nombreuses institutions financières les utilisent
à des fins « spéculatives », dans la mesure où il n’est en rien obligatoire de posséder
le sous-jacent pour investir et se couvrir d’un éventuel risque. C’est ce qui s’est
récemment passé avec la dette grecque ; des banques ont souscrit des CDS (Credit
Default Swaps)17 pour se prémunir contre le risque de non remboursement ou de
dégradation de la dette alors qu’elles n’avaient aucune ou très peu de créances sur
la Grèce. Le produit dérivé en question devient alors un moyen de spéculer sur le
risque de défaut de l’emprunteur et a pour conséquences : la hausse du coût de
couverture pour les investisseurs, la hausse du coût de la dette pour l’emprunteur
et la diminution de surcroît de la valeur du sous-jacent face à l’information véhiculée
par la hausse des prix du CDS qui est synonyme de dégradation de la qualité de
l’emprunteur. On constate également que la vente à découvert a changé la
physionomie du marché ; en effet, il est possible de réaliser des gains quel que soit
l’évolution du marché18, et cela a un impact sur la stabilité du marché des sous-
jacents (Banque de France, 2010).
15 Prix de l’immobilier, inflation, taux de chômage, météorologie 16 Solution de recours à l’endettement 17 Produits dérivés de crédit par lequel l’émetteur s’engage à indemniser l’acheteur en cas de défaillance du sous-jacent. 18 Acheteur (Long) dans un marché haussier (Bull market) et vendeur (Short) dans un marché baissier (Bear market)
10
C’est dans son rapport à Lagarde C. (ministre de l’Économie, de l’Industrie et de
l’Emploi en France) que Chevallier J. (2010) dénonce les risques qu’entrainent la
volatilité du marché des produits dérivés de matières premières et plus précisément
celui du pétrole à cause de l’interdépendance des marchés physiques et financiers.
Cependant, si les spéculateurs et les produits dérivés n’existaient pas, les
entreprises seraient privées d’un important outil de gestion des risques pour
lesquels il n’y a pas d’autres solutions disponibles sur le marché (Wallison, 2009).
En effet, les spéculateurs favorisent la liquidité du marché et diminuent l’effet que
l’on appelle « asymétrie du hedging » selon lequel les positions de l’économie réelle
s’équilibrent rarement et induisent le marché à la baisse (Jegourel, 2010). Les
agents économiques n’étant pas en équilibre, les spéculateurs prennent un risque
contre rémunération pour pallier à cette fonction économique.
Toutes ces études se limitent toutefois à l’opacité des marchés de gré à gré qui
représentent la plus part des transactions ; il est donc difficile de les estimer avec
précision. Est-ce que l’organisation des marchés de produit dérivés permet de
conserver les avantages liés à la gestion des risques tout en limitant les effets
nuisibles de la spéculation ?
C. Théorie normative du système financier
L’industrie financière est un secteur stratégique pour les pouvoirs publics dans
la mesure où elle est garante du financement de l’économie et les amène à vouloir
la maîtriser à tort ou à raison. Ebranlée par les différentes crises financières et
monétaires, la théorie de l’équilibre semble erronée et l’intervention des régulateurs
pour limiter la tendance du marché à créer des bulles spéculatives paraît essentielle
pour maintenir la stabilité et la performance du système financier.
Selon De Meijer C. & Wilson J. (2010), la réglementation des marchés de
produits dérivés sera bénéfique pour tous les acteurs. En effet, le fait de passer par
un marché organisé permettra d’accroitre la liquidité de celui-ci. La transparence
aura pour conséquence de faire chuter les commissions liées aux transactions et
11
aidera les agents économiques à trouver le meilleur prix disponible ; ce qui devrait
améliorer l’efficience des prix. Les produits seront standardisés et répondront à des
normes facilitant l’évaluation des risques et la comparaison entre les produits
proposés. Enfin l’obligation de passer par une chambre de compensation diminuera
les risques de défaut des clients et augmentera la confiance des investisseurs.
Par ailleurs, il faut également tenir compte du rôle de l’industrie financière en
tant que régulateur (Huault & Richard, 2012) et non pas se limiter à une vision
régulateur/régulé entre la sphère publique et la sphère privée. En effet, les
institutions financières ont toujours participé à la régulation du système financier
mettant en avant leur légitimité et leur degré d’expertise pour participer à
l’établissement de règles. L’implication du secteur privé et public est très forte dans
le monde bancaire, car ce dernier est à l’origine du financement de l’économie
mondiale. Nous devons donc étudier le phénomène de la régulation dans son
ensemble, comme ayant déjà permis la mise en place de règles comptables
internationales, de modèles de gestion des risques ou de la lutte contre le
blanchiment d’argent.
L’incitation du passage d’un marché de gré à gré à celui d’un marché organisé
ne peut être la seule réponse aux défauts existants. Il convient également qu’une
autorégulation soit faite au sein même des institutions financières (Capelle-
Blancard, 2009). Les nombreux scandales de ces dernières années ont montrés
que les systèmes de contrôle interne étaient inefficients. Les modes de rétribution
quant à eux impactent la gestion des risques dans un système où les employés sont
uniquement intéressés aux gains mais pas aux pertes qu’ils peuvent engendrés.
C’est dans ce sens que l’Europe compte proposer à travers la nouvelle directive
MiFID II (Markets in Financial Instruments Directive II), le décalage des bonus dans
le temps afin que leurs calculs prennent en compte une éventuelle perte d’argent
de la part des opérateurs.
12
D. Problématique
L’objectif est de vérifier si la régulation des marchés de gré à gré qui laissent
apparaître de nombreux défauts et un manque d’efficience permettra de remédier
à ces imperfections.
En effet, 95% des transactions de produits dérivés aux États-Unis sont
exécutées par cinq des plus grandes institutions financières du pays19 alors que
l’objectif même de ces produits est d’atténuer les risques et de les disséminer dans
le marché. Ce chiffre reflète bien le caractère systémique en cas de défaut de l’un
des protagonistes et la non-atomicité du marché.
L’utilisation d’un marché organisé pourrait pallier à ce problème via une chambre
de compensation. De plus, la plupart des chambres de compensation sont
aujourd’hui des banques ; celles-ci peuvent faire appel aux banques centrales en
cas de défaut d’un de leurs clients. La standardisation des produits au sein des
marchés organisés permet une traçabilité des produits et une meilleure gestion des
risques face à des produits « sur mesure » dont les flux financiers sont difficiles à
suivre20.
Pour le moment, les institutions financières ne sont pas enclines à se tourner
d’avantage vers les marchés organisés car la liquidité est beaucoup plus élevée sur
les marchés OTC qui garantissent de faibles coûts et des marges plus importantes.
Néanmoins, soucieuses d’améliorer la transparence pour donner confiance aux
investisseurs et anticipant les règlementations futures, certaines institutions
financières telles que Goldman Sachs, se sont adaptées notamment en mettant en
place des chambres de compensation au sein de leur marché OTC ; bien que celles-
ci, jusque-là, n’eurent pas été rendu obligatoire par les régulateurs.
19 JPMorgan Chase & Co., Bank Of America Corp., Citigroup Inc., Morgan Stanley, The Goldman Sachs Group Inc ; voir annexe 3 (OCC’s quarterly report on bank trading and derivatives activities - First quarter 2013) 20 Les statistiques sur les marchés OTC issues des enquêtes semi-annuelles de la BRI ne sont disponibles que depuis 1998.
13
Nous verrons donc en quoi la régulation des marchés de produits dérivés peut-
elle être bénéfique pour l’ensemble des acteurs économiques, quels en sont les
enjeux et comment perfectionner l’évaluation et la gestion des risques.
Question de recherche : En quoi que la réglementation des marchés OTC implique-
t-elle une meilleure gestion des risques et moins de spéculation ?
14
II. ETAT DE L’ART
Le développement de l’information financière, la standardisation des produits, la
centralisation des négociations ou encore l’autorégulation des institutions sont
autant de solutions préconisées par les Experts pour atténuer les risques de gestion
des produits dérivés et limiter la spéculation.
A. Conditions d’un marché efficient
Les produits dérivés permettent entre autres de se prémunir d’un risque inhérent
à une quelconque activité en fixant aujourd’hui des conditions de prix futurs afin de
se couvrir contre les aléas du marché. Selon Capelle-Blancard G. (2009), une
meilleure gestion des risques ne peut exister sans la correction des anomalies des
marchés qui remettent en cause leur efficience. Il explique notamment que les
marchés OTC ne remplissent pas toutes les conditions d’un marché efficient.
Jensen M. C. (1978) définit un marché efficient comme un marché dans lequel les
prix des actifs intègrent, en temps réel, toutes les informations les concernant, de
tel sorte qu’un intervenant ne puisse tirer d’un arbitrage, un profit d’un montant
supérieur aux coûts de la transaction. Or, le processus de formation des prix selon
lequel les profits d’arbitrages seraient éliminés n’est pas viable, car tous les
intervenants ne possèdent pas le même degré d’information. Grossman S. J. &
Stiglitz J. E. (1980) ont établi un modèle pour mesurer le degré de déséquilibre des
marchés dû aux différences d’informations détenues par les acteurs.
D’après Capelle-Blancard G. (2009), l’opacité des marchés OTC et la forme de
ces contrats bilatéraux empêchent la rencontre de la demande et de l’offre au coût
le plus faible possible, et de ce fait impactent également l’efficience informationnelle
selon laquelle l’ensemble des informations disponibles sur un actif est intégré dans
son cours (Fama E., 1965). Mais c’est avant tout l’oligopole que forment les cinq
15
plus grandes institutions financières qu’il remet en cause, car la non atomicité du
marché impacte directement la diffusion du risque systémique.
Au cours des 30 dernières années, l’essor des produits dérivés a été rendu
possible notamment grâce à :
- l’apparition des nouvelles technologies de l’information et de la
communication,
- la montée des risques auxquels doivent faire face les acteurs,
- la dérèglementation de l’économie.
Capelle-Blancard G. (2009), pose la question de la dangerosité des produits
dérivés sur l’économie. Il s’interroge sur l’effet de la spéculation sur ces instruments
d’allocation des risques entre les acteurs économiques. Selon lui, les produits
dérivés ont eût une incidence positive sur l’économie en ayant vocation à
disséminer les risques entre les acteurs et en favorisant ainsi les investissements.
Cependant, ces innovations financières ont fait apparaitre des défaillances :
- Risque de contrepartie (Lehman Brothers)
- Risque systémique (crise des subprimes)
- Risque opérationnel (Jérôme Kerviel)
La rédaction de l’article « Les marchés dérivés sont-ils dangereux » de Capelle-
Blancard G. (2009), intervient dans un contexte post-crise financière liés aux
subprimes et produits dérivés de crédit. Comme à chaque crise, le débat sur
l’innovation financière et les risques liés aux produits dérivés renaît.
Par opposition, Jegourel Y. (2010) revendique la fonction informationnelle des
produits dérivés qui, par exemple, permet d’interpréter la hausse du prix d’une
option comme une élévation du risque futur que celle-ci couvre. L’information privée
de chaque agent se révèle alors dans le prix de l’option considérée et le prix intègre
le consensus instantanément à chaque fluctuation du cours. D’autre part, Schwert
G. W. (2002), démontre au travers d’une étude empirique que la mise en évidence
d’anomalies de marché21 par des articles universitaires participe à son amélioration.
Il semblerait que la tentative des acteurs à intégrer ces anomalies dans leurs
21 Effet de taille, effet de la valeur, effet de week-end
16
stratégies en vue d’en retirer un profit atténue leurs effets et rend de surcroît le
marché plus efficient puisque ces anomalies tendent à disparaitre.
B. Concurrence économique et juridique
Pour De Meijer C. & Wilson J. (2010), la régulation des marchés OTC ne peut
pas être une solution globale. Les entreprises ont besoin de solution sur-mesure
pour se couvrir. Le recours à un marché organisé implique une standardisation des
produits qui prive les entreprises d’un outil indispensable dans la gestion de leurs
risques. Selon les auteurs, le Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer
Protection Act aux Etats-Unis et la réforme de la directive concernant les marchés
d’instruments financiers (Markets in Financial Instruments Directive, MiFID) par la
commission européenne, remettent en cause l’avenir du marché des produits
dérivés de gré à gré.
Le durcissement de la réglementation en Europe et aux Etats-Unis vise à
diminuer le risque systémique. Pour ce faire, les états proposent l’obligation de
compensation centralisée et la standardisation de certains produits afin de créer un
référentiel permettant d’évaluer les risques de chaque produit et leurs prix. Pour
diminuer les risques de défaut, les états réclament une plus grande exigence en
matière de capital souscrit, de marges et d’informations. Le Dodd-Frank Act met
également en avant le fait que les activités de dérivés de changes, de SWAP de
taux d’intérêts et les CDS liés à l’activité commerciale de la banque pourront être
maintenues. Par contre, une autre entité devra être créée concernant les CDS
spéculatifs ainsi que les dérivés actions et matières premières. De plus ces
nouvelles entités ne pourront pas recourir à l’intervention des banques centrales en
cas de défaillances. Pour les auteurs, ces nouvelles règles, visant à réduire le risque
systémique en rendant le marché plus transparent et en limitant l’accès au marché
OTC, vont fortement impactées les coûts et les investissements de dérivés.
Les nouvelles exigences risquent d’influencer la liquidité du marché et
d’entraîner une répercussion de coûts considérables pour les utilisateurs finaux
17
(Stiller, Dammert & Joehnk, 2013). Les auteurs craignent que les entreprises
diminuent leurs couvertures et accroissent leurs risques. Il faut également noter que
le marché de gré à gré leurs permettaient d’avoir des produits répondant à des
besoins spécifiques. La standardisation des produits devrait moins bien répondre à
certains besoins et coûter plus cher. Plus grave, De Meijer C. & Wilson J. (2010)
mettent en avant le fait que si l’écart entre les politiques de régulation des États-
Unis (Dodd-Franck Act) et celles de l’Europe (MiFID) étaient trop importantes, cela
pourrait créer une réelle compétition et inciter les institutions financières à investir
d’avantage d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique ou même de se diriger vers des
régions du monde moins contraignantes en termes de règlementation, alors que la
majorité de leurs transactions est actuellement réalisée sur les marchés OTC. La
rédaction de l’article « New OTC derivatives regulation and the future of the
derivatives industry » de De Meijer C. & Wilson J. (2010), intervient après le sommet
du G20 à Pittsburg en 2009, qui marque les prémisses de changements majeurs
concernant la régulation des marchés de produits dérivés de gré à gré, aussi bien
en Europe qu’aux Etats-Unis.
La standardisation des produits devrait les rendre plus faciles à valoriser et
améliorerait la liquidité en période de stress grâce à une meilleure transparence.
Sitruk E. & Kourganoff S. (2012) tentent de montrer que les nouvelles
règlementations bancaires visant à atténuer le risque de contrepartie avec la mise
en place d’accords collatéraux et la création de CCP pourraient avoir une incidence
sur le risque de liquidité avec une limitation des effets de levier et un appel de marge
plus important. Quant à lui, Pirrong C. (2009) aborde la question des CCP d’une
tout autre manière. En effet, pour pallier à ce risque de défaut, les chambres de
compensation nécessitent d’être largement capitalisées, or le risque selon lui est
que ladite réglementation ne soit qu’un artifice et que les cinq plus grandes
institutions financières se voient contrôler et diriger les CCP du fait de leurs
capacités financières, ce qui annulerait tout leur intérêt. On remarque que l’intérêt
des CCP d’avoir un statut de banque est de pouvoir faire appel aux banques
centrales ; cependant, la tendance du marché à favoriser les conglomérats
bancaires se révèle dangereuse pour le maintien de l’efficience et de la
dissémination des risques.
18
C. Innovation financière et développement économique
Alors même que ces contrats avaient trouvé leur fonction dans un but
commercial à travers la gestion des risques d’une activité, bon nombre d’institutions
financières les emplois à des fins purement spéculatives. Comme le rappelle
Jegourel Y. (2010), les produits dérivés sont un moyen efficace pour spéculer en
donnant aux investisseurs l’opportunité de bénéficier d’un effet de levier à la hausse
comme à la baisse22 les autorisant à accroître leurs performances tout en allouant
le minimum de capital.
Pour Hull J. (2006), l’attractivité de ces produits conjointement à la forte
valeur ajoutée que dégage ces opérations pour les banques ont été la source de
nouveaux produits dits exotiques, ce qui explique que le marché des produits
dérivés est le plus important en termes de capitalisation et que les montants
négociés sont bien souvent supérieurs aux montants négociés sur les marchés
sous-jacents. Avec l’apparition des produits exotiques, tout ce qui est quantifiable
et non manipulable peut servir de sous-jacent à un produit dérivé ; notamment les
risques macroéconomiques23 (Shiller, 2004). Cela dénote la physionomie
spéculative de ces instruments financiers. Cependant, Ray R. (2006) met en avant
le bien fait de l’innovation financière avec l’apparition des CDO (Collateralized Debt
Obligations) cubiques qui, selon lui, ont créés des milliers de nouveaux actifs
susceptibles d’intéresser les investisseurs en permettant de mieux disséminer les
risques dans le marché. De plus, comme nous le rappelle l’école classique, les
spéculateurs permettent d’atténuer la volatilité des marchés par un effet
stabilisateur (Smith, 1776) et autorise les entreprises à avoir recours à des outils
essentiels dans la gestion de leurs risques et bénéfique à la croissance
économique.
22 Par le biais de la vente à découvert 23 PIB, inflation, immobilier
19
D. Doctrine de l’autorégulation
D’après Capelle-Blancard G. (2009), il est nécessaire que les institutions
financières mettent en place une autorégulation au sein de leurs organisations
respectives. Les faillites et scandales de ces dernières années ont montrés du doigt
les risques opérationnels entrainés par les faiblesses des systèmes de contrôle. Les
contrôles en interne ne sont pas suffisants ou pas pris en compte (75 alertes
signalées contre Jérôme Kerviel). De plus, les produits dérivés et les méthodes
d’évaluation sont trop complexes pour mesurer avec précision l’ampleur des risques
qui sont bien souvent sous-estimés (Voinea & Anton, 2009). Enfin, les employés
sont uniquement intéressés aux gains et non aux pertes, ce qui les incite à accroitre
la prise de risques. D’autre part, comme l’indique Godechot O. (2005), la
rationalisation et l’appartenance à un groupe24, dans lequel s’assimilent les
opérateurs de marché « orientent tant le collectif de travail que les esprits individuels
eux-mêmes vers l’accumulation méthodique et mesurée du profit »25.
Huault I. & Richard C. (2012), mettent en avant, le pouvoir de négociation
des acteurs financiers dans le rôle de régulation. Ils montrent une vision différente
de la régulation du système financier mondial dans laquelle les institutions
financières ne sont pas considérées uniquement comme des régulées. Mais bien
au contraire, ces entités agissent en tant que régulateurs et participent activement
à l’élaboration des nouvelles règles. Leur ouvrage permet d’analyser les réseaux
d’influence qu’utilisent les différentes institutions financières, de montrer l’ambigüité
et l’ambivalence des agents de conformité et des sociétés en charge de les auditer.
Le processus, employé par les banques et autres institutions financières, montre
comment elles protègent leurs intérêts au détriment de l’intérêt général et comment
leur influence permet de légitimer leur activité. En effet, ces entités participent au
financement de l’économie dans laquelle la frontière entre intérêts publics et privés
est de plus en plus floue. Ainsi les institutions financières ont un réel poids dans les
décisions concernant les réformes et agissent pour définir des règles répondant à
leurs intérêts, les appliquer et les contrôler. L’observation du système financier en
24 Banques, hedge funds, brokers 25 Extrait de : GODECHOT O., Les traders: Essai de sociologie des marchés financiers, La Découverte, 2005
20
tant que contributeur aux nouvelles règles de demain est une vision novatrice des
auteurs qui met en évidence l’étroite frontière entre la sphère publique et la sphère
privée.
Au-delà de l’intérêt à démontrer en quoi les marchés de gré à gré nécessitent
d’être régulés pour améliorer l’allocation des risques et atténuer les effets de la
spéculation intensive, nous aborderons également l’impact du changement de
business model des banques qui sont passées de l’octroi et de la détention de
crédit26 à l’octroi et la cession de crédit27. C’est ce business model fondé sur une
croissance excessive et l’accumulation des risques qui est aujourd’hui remis en
cause à travers la régulation des marchés OTC.
26 Modèle « originate to hold » 27 Modèle « originate to distribute »
21
III. DESCRIPTION DU TERRAIN ET
METHODOLOGIE
La crise financière de 2007 a révélé au grand jour un marché opaque qui échappait
à la supervision du régulateur. Depuis l’Union européenne s’attarde à la régulation
des marchés financiers dans le but de réinstaurer la confiance entre les
contreparties et de surveiller tous risques d’instabilité du système financier
européen.
A. Origines at causes de la crise financière de 2007
La crise financière mondiale de 2007 trouve son origine après le krach des « dot-
com »28, dans un contexte de lutte contre la récession de la part de la banque
centrale américaine (Federal Reserve, FED) qui appliqua une politique de taux très
bas générant un excès de liquidités et des primes de risques de plus en plus faibles.
Cette situation favorisa l’accès à la propriété car le crédit était bon marché. D’autre
part les banques cherchaient à accroitre leur rentabilité alors que les marchés
actions étaient moroses.
Face aux exigences de rentabilité des investisseurs, les banques assouplirent
leurs conditions d’accès aux crédits hypothécaires et développèrent leurs activités
de titrisation. La hausse du prix des actifs immobiliers, conjointement au surplus de
liquidités, contribua à la croissance des crédits qui furent accordés selon la valeur
de marché des biens immobiliers et non plus sur la capacité à rembourser des
emprunteurs (Akerlof & Shiller, 2009). En effet, à travers le développement des
cessions de créances, les banques deviennent moins rigoureuses quant à
l’évaluation des risques (The Financial Crisis Inquiry Report, 2011). Ainsi les
institutions financières accélérèrent le phénomène de désintermédiation en cédant
28 Entreprises réalisant leurs bénéfices sur internet
22
les crédits qu’elles octroyaient sous la forme de nouveaux titres tels que les RMBS
(Residential Mortgage Backed Securities) ou CDO (Collateralized Debt
Obligations).
Figure N°3 : Emissions annuelles de prêts hypothécaires aux USA en milliards
de dollars
Source : Inside Mortgage Finance
23
Figure N°4 : Emissions annuelles de MBS aux USA en milliards de dollars
Source : Securities Industry and Financial Markets Association
Ce nouveau modèle connu sous le nom de « Originate to Distribute » (OTD)29,
a permis aux établissements de crédits de se désengager des risques de défauts
de leurs clients et d’intensifier le développement des crédits. Bien que le
durcissement des normes comptables et des règles prudentielles se faisait
pressentir avec la mise en application des normes Bâle II30, l’ingénierie financière
permit aux banques :
- De bénéficier d’un effet de levier élevé accroissant d’autant plus leurs
revenus,
- de se désengager des risques,
- d’améliorer les ratios de fonds propres artificiellement en enregistrant le reste
des créances dans des engagements hors bilan.
29 Modèle fondé sur l’octroi et la cession de crédit par le mécanisme de tirtrisation 30 Mise en place du ratio Mc Donough et nouvelles exigences de fonds propres
24
L’éclatement de la bulle immobilière aux États-Unis rompu ce cycle vertueux et
instaura une crise de défiance entre contreparties qui provoqua une fuite de la
liquidité des marchés de crédits et un effondrement du prix des actifs titrisés
associés. Néanmoins, au lendemain de la crise, ce n’est pas tant le processus de
titrisation qui est remis en question mais la complexité des innovations financières
qui a fait apparaitre de nouveaux risques dus à la technicité des nouveaux produits
de crédits (Gorton, 2010). Le fort effet de levier a incité les intervenants à prendre
davantage de risques alors que ceux-ci étaient difficilement quantifiables en raison
de la sophistication et de la structuration des produits.
B. Cadre législatif européen et fonctionnement des institutions
La législation financière européenne s’articule autour de trois grandes
institutions31 :
- le Parlement européen
- le Conseil de l’Union européenne
- la Commission européenne
Les règlements, directives, recommandations et avis sont adoptés selon le
principe de « procédure législative ordinaire »32. En d’autres termes, cette procédure
législative confère le même pouvoir décisionnel au Parlement européen et au
Conseil de l’Union européenne tandis que la Commission européenne est
responsable de l’élaboration des propositions. Les règlements ont un pouvoir
contraignant, alors que les directives déterminent des objectifs dont les modalités
d’application sont confiées à chaque pays de l’union. Intégrées aux systèmes
juridiques nationaux, les législations européennes s’appliquent à tous les pays
membres, aussi bien aux personnes physiques que morales.
31 Le triangle décisionnel européen 32 Principe de codécision
25
Le respect des actes législatifs est quant à lui supervisé par la Cour de justice
de l’Union européenne. Il existe également des organes interinstitutionnels tels que
la Banque centrale européenne (BCE) dont la mission principale est la maîtrise de
l’inflation et le maintien de la stabilité du système financier.
Figure N°5 : Les principales institutions de l’Union européenne
Source : EUROPA – EU website
Suite à la crise financière de 2007, l’Union Européenne a créé un Système
Européen de Supervision Financière (European System of Financial Supervision,
ESFS) dans le but d’harmoniser la législation au sein des pays membres et de veiller
à la stabilité financière. Ce nouveau cadre a donné lieu à la création de trois
autorités européennes de surveillance indépendantes :
- l’Autorité Bancaire Européenne (European Banking Authority, EBA)
26
- l'Autorité Européenne des Assurances et des Pensions Professionnelles
(European Insurance and Occupational Pensions Authority, EIOPA)
- l'Autorité Européenne des Marchés Financiers (European Securities and
Markets Authority, ESMA)
En réponse aux attentes du G20 lors du sommet de Pittsburg en septembre
2009, ces autorités de supervision micro prudentielles établissent les standards
techniques et sont pourvues d’un pouvoir de médiation. L’ESFS est également doté
d’un Comité Européen du Risque Systémique (European Systemic Risk Board,
ESRB) dont l’objectif est de réinstaurer la confiance entre les contreparties et de
surveiller tous risques d’instabilité financière.
C. Recherche qualitative
Pour répondre à notre question de recherche : « En quoi la réglementation des
marchés OTC implique une meilleure gestion des risques et moins de spéculation
? », nous allons nous attacher à étudier le cadre juridique en Europe. Dans cet
objectif, nous avons notamment analysé les auditions ainsi que les consultations
publiques de la Commission Européenne sur la révision de la « Directive sur les
Marchés d’Instruments Financiers » (Markets in Financial Instruments Directive 2,
MiFID 2)33 et les accords sur les nouvelles règles en matière de régulation des
produits financiers dérivés avec le « Règlement sur les Marchés d’Instruments
Financiers » (Markets in Financial Instruments Regulation, MiFIR)34 remplaçant le
règlement européen EMIR (European Market Infrastructure Regulation).
Entrée en vigueur depuis le 1er novembre 2007, MiFID 1 avait pour principal
objectif d’établir un cadre réglementaire concernant l’industrie des services
financiers en favorisant : une meilleure protection des investisseurs ; la compétitivité
des marchés actions au comptant réglementés (Regulated Market, RM) par
33 Directive 2014/65/UE 34 Règlement 596/2014
27
l’abolition des monopoles des bourses traditionnelles ; et enfin une plus grande
transparence. Cette directive eut un impact majeur sur les marchés boursiers avec
l’apparition de nouvelles places appelées « système multilatéral de négociation »
(Multilateral Trading Facility, MTF) telles que Turquoise ou Chi-X pour concurrencer
les bourses traditionnelles telles qu’Euronext. Ce bouleversement a pour principale
conséquence la multiplication des carnets d’ordres35 avec des liquidités différentes
qui s’expriment au travers du spread36, la profondeur du carnet et l’instantanéité des
échanges (MOINAS S., 2008). Ainsi on peut acheter un même actif à des prix
différents et des spreads différents selon la place choisie. Ceci a permis de
développer une nouvelle activité pour les prestataires de services d’investissement
(PSI) en agrégeant les prix de toutes les places pour proposer le meilleur prix à ses
clients37. Cette directive fut globalement positive pour les marchés financiers mais
force est de constater des effets pervers.
Effectivement, cette compétitivité a donné lieu à une fragmentation de l’intégrité
et de la liquidité des marchés entre les nouveaux acteurs38, ainsi qu’à une
dégradation de la transparence due à une migration des exécutions des bourses
traditionnelles vers les MTF ou les « dark pools » dont la transparence pré et post
exécution est moindre. Les « dark pools » font référence à des systèmes de
négociations RM39 ou MTF40 opaques qui bénéficient d’exceptions prévues par la
directive MiFID. Le texte prévoit en effet des dérogations donnant la possibilité aux
opérateurs de négocier confidentiellement et sans exigence de transparence pré-
exécution :
- lorsqu’il s’agit d’une négociation de blocs d’actions dont la taille
« significative » pourrait avoir un impact sur le marché lié au décalage de
cours, si l’ordre était exécuté de manière publique,
- lorsque la transaction est basée sur un « prix importé » et connu à l’avance
(émanent d’une autre place de négociations).
35 Rassemble l’ensemble des ordres d’achat et de vente d’un produit 36 Ecart de prix entre l’offre (ask) et la demande (bid) 37 Solution de « Smart Order Routing » (SOR) 38 En septembre 2009, Euronext ne représentait plus que 55,08% des volumes de transaction des titres du CAC40. Source : GRESSE C., Les Cahiers Scientifiques n°8, mai 2010, Département des Études de l'Autorité des marchés financiers. Voir annexe 4 39 Tel que Smartpool crée en 2009 par Euronext 40 Tel que Liquidnet
28
La directive a également permis l’émergence de « crossing networks » qui
d’après FLEURIOT P. (2010) dans son rapport sur la révision de la directive sur les
Marchés d’Instruments Financiers (MIF) se définissent comme des systèmes
d’appariement internes d’ordres de clients d’un même PSI ou d’un groupe de PSI.
Evoluant dans un vide juridique, ces systèmes ne sont pas régulés par MiFID. Ces
opérations de gré à gré ne sont pas soumises à des exigences de transparence
pré-exécution. Les « darks pools » et les « crossing networks » sont uniquement
assujettis à certains règlements de transparence post-exécution et au principe de
« best execution »41 comme l’ensemble des PSI.
La baisse du coût des transactions n’a pas forcément été perceptible par les
investisseurs finaux car les brokers et autres infrastructures de marché ont investi
lourdement dans des technologies de pointe pour faire face à cette nouvelle
concurrence. C’est pourquoi la Commission Européenne s’attarde depuis 2010 à
une révision de la directive MiFID.
La nouvelle directive MiFID 242 veut :
- accroître davantage la transparence,
- atténuer les disparités des règlementations existantes entre les participants
qui proposent des services similaires,
- faciliter l’accès des Petites et Moyennes Entreprises (PME) aux marchés de
capitaux.
Alors qu’elle a modifié la structure des marchés réglementés au comptant43,
l’enjeu de la nouvelle directive concernera sa répercussion sur les marchés de
produits dérivés OTC. Les produits dérivés étant des produits à forte valeur ajoutée
pour les acteurs du marché, les marchés traditionnels s’organisent44. MiFID 2
pourrait ainsi faciliter la mise en concurrence des marchés de produits dérivés
réglementés alors même que ceux-ci ne représentent que 8% du marché des
dérivés.
41 Le principe : prendre toutes les mesures raisonnables pour fournir au client le meilleur résultat possible, lors de l’exécution des ordres (source : AMF) 42 Adoptée par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne le 15 Mai 2014 43 Marché cash : la négociation, le règlement et la livraison ont lieu simultanément 44 Fusion d’ICE Clear Europe & NYSE Liffe et échec de NYSE Liffe avec Eurex
29
Cependant la règlementation européenne sur les produits dérivés de gré à gré
EMIR, entrée en vigueur le 4 juillet 2012, pourrait fortement changer la structure du
marché en incitant au développement de produits standardisés par des marchés
règlementés. Cette réglementation s’articule autour de trois axes majeurs :
- l’obligation de compensation des positions pour limiter le risque de
contrepartie,
- la mise en place de reporting pour accroître la transparence,
- le durcissement des exigences de fonds propres associés au nominal des
positions.
Entré en vigueur en 2012, EMIR est toujours dans sa phase de mise en œuvre,
pour autant des modifications du texte sont en cours avec MiFIR45.
D’autre part, le Conseil de l’Union européenne a adopté le 20 juin 2013, la
directive CRD 4 (Capital Requirements Directive) et le règlement CRR (Capital
Requirements Regulation) pour une meilleure gestion du risque des établissements
de crédits et des entreprises d’investissement. Elles traduisent en droit européen
les accords du Comité de Bâle destinés à renforcer les exigences prudentielles en
matière de capital.
Au travers de l’étude des textes juridiques et des consultations publiques, nous
décrypterons les enjeux associés à la règlementation des marchés OTC.
D. Positionnement épistémologique
Ce travail s’inscrit dans une démarche analytique afin de déterminer les
composantes nécessaires à une meilleure évaluation des risques et au maintien de
la stabilité du système financier. Stagiaire opérateur de marché au sein de la
trésorerie régionale Asie-Pacifique du groupe Alstom au moment de la rédaction de
ce mémoire de recherche, ma position m’a permis de côtoyer des experts de la
45 Adopté par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne le 16 Avril 2014
30
finance de marché. En tant qu’intervenant sur le marché des changes pour le
compte d’une multinationale, ma vision des produits dérivés est avant tout liée à la
gestion des risques financiers auxquels doivent faire face les entreprises
internationales dans un contexte économique incertain :
-Risque de change
-Risque de taux
-Risque de matière première
Cette expérience m’a également permis d’observé le développement des
plateformes électroniques dans les salles de marché, l’impact de la régulation EMIR
en matière de reporting et l’importance de la gestion des flux à travers la
compensation multilatérale.
31
IV. UN MARCHE PLUS INTEGRE, PLUS EFFICIENT
ET PLUS COMPETITIF
Quel est l’objectif de la régulation, comment peut-elle résoudre les effets négatifs
des règles antérieures et améliorer l’efficience du marché ? Résultat de l’analyse
des réformes :
A. Intégration des marchés OTC dans des infrastructures
réglementées
La directive MiFID 2 introduit la création d’un troisième type de plateformes
appelé « système organisé de négociation » (Organized Trading Facility, OTF). Son
objectif est de contrer le développement des « darks pools » et d’élargir le champ
d’application de la régulation à une plus large gamme de produits que les actions.
Les OTF seront destinés à la négociation d’obligations, de produits dérivés, de
produits structurés et de quotas d’émission. Ainsi, les OTF rendront obligatoires les
transactions de produits autres que les actions, sur des plateformes de négociations
réglementées, dans la mesure où ceux-ci sont « suffisamment liquides » et éligibles
à l’obligation de compensation tel que définis par l’ESMA. Les conditions d’éligibilité
établies par le régulateur reposeront sur la capacité de standardisation des produits
négociés, le risque systémique véhiculé par ces derniers, leur liquidité et
l’information disponible.
La directive impose que toutes les activités de négociation organisées soient
« menées sur des plates-formes de négociation réglementées : marchés
réglementés, systèmes multilatéraux de négociation (MTF) et systèmes organisés
de négociation (OTF) »46. A terme, le texte permettra de réglementer la majorité des
46 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les marchés d'instruments financiers et modifiant le règlement [EMIR sur les produits dérivés négociés de gré à gré, les contreparties centrales et les référentiels centraux]
32
transactions de produits dérivés actuellement traitée sur les marchés OTC. Selon
le Macroeconomic Assessment Group on Derivatives (MAGD), chargé d’évaluer
l’impact macroéconomique des réformes en cours, 70% des dérivés OTC devraient
ainsi être éligibles aux conditions d’obligation de compensation établies par l’ESMA
et leur transaction devrait alors migrer vers l’une des trois catégories de plateformes
de négociation. De ce fait, la liquidité des marchés OTC devrait décroître et le
recours à ce type de marché se fera essentiellement pour des contrats « sur-
mesure » et non impactés par la réglementation.
Contrairement aux RM et MTF, les OTF seront dotés d’un pouvoir
discrétionnaire sur le placement et la rétractation des ordres ainsi que sur
l’appariement d’un ordre à un moment spécifique en fonction des ordres disponibles
dans le système, à condition que cette conduite soit conforme aux instructions du
client. Les OTF, en raison de la nature du pouvoir discrétionnaire de leurs
exploitants, seront soumis à des obligations de protection des investisseurs et au
respect du principe de « best execution ». De plus, pour garantir la neutralité de
l’opérateur exploitant de l’OTF, celui-ci ne pourra engager ses capitaux propres pour
assurer l’exécution des ordres de ses clients.
La nouvelle réglementation MiFIR étend également le champ d’application
des internalisateurs systématiques (Systematic Internaliser, SI) pour couvrir un plus
large éventail de contrats. Dès lors qu’une entreprise négociera de manière
systématique et fréquente des contrats OTC liquides, qui ne sauraient faire partie
du cadre tel que défini par l’ESMA quant à l’obligation de compensation, alors le
régime d’internalisateur systématique sera appliqué. Les internalisateurs
systématiques sont des prestataires de services financiers qui peuvent exécuter les
ordres OTC de leurs clients en engageant leurs capitaux propres en contrepartie.
Ce ne sont pas des plateformes de négociations et ils ne sont pas autorisés à mettre
en présence les intérêts acheteurs et vendeurs. Ce type de prestataire apparu en
2007 avec MiFID permet d’obtenir une meilleure visibilité sur les contrats OTC, qui
ne font pas partie du cadre réglementaire actuel. Ces sociétés sont notamment
soumises à des contraintes de solvabilité et de communication financières
importantes.
33
B. Compensation centralisée et gestion du collatéral
La législation va rendre obligatoire la compensation centralisée des
« contrats standards » pour toutes les contreparties financières et non financières,
membres de l’Union Européenne. Seules les contreparties non financières ayant
recours aux produits en question pour des raisons de couverture de risques liés à
l’activité de l’entreprise seront exemptes de cette obligation ainsi que les
transactions intra-groupe.
L’objectif de cette mesure est de limiter le risque de contrepartie avec la mise
en place d’un agent compensateur, qui en tant qu’intermédiaire post-exécution, va
se substituer aux acheteurs et aux vendeurs par le mécanisme de novation. Ainsi,
l’agent devient acheteur vis-à-vis des vendeurs et vendeur vis-à-vis des acheteurs.
Les risques de contreparties sont alors centralisés au sein d’une chambre de
compensation. Le risque de contrepartie est dorénavant supporté par la contrepartie
centrale qui s’engage envers ses membres sur le bon déroulement des opérations
jusqu’au dénouement des instructions de règlement-livraison chez l’agent de
règlement ou le dépositaire central.
34
Figure N°6 : Chaîne de traitement des titres (cas d’un achat de titres)
Source : Banque De France
Pour financer ce risque, la chambre de compensation se doit de gérer les
marges nécessaires entre l’exécution du contrat et le règlement de manière à
couvrir les positions prises par ses membres. Cette marge, appelée collatéral est
constituée de liquidités ou d’actifs sûrs très liquides apportés par les membres sous
la forme d’un dépôt de garantie qui est calculé en fonction de leurs positions sur le
marché. Ce collatéral sert d’assurance à la contrepartie centrale en cas de défaut
de l’un de ses membres et lui permet d’honorer ses engagements auprès des autres
membres. Ce collatéral peut être calculé de manière hebdomadaire ou encore
évolué en temps réel à chaque variation de prix des produits dérivés contractés. La
tendance veut que l’on évalue le collatéral aussi souvent que possible pour refléter
l’évolution du marché et s’assurer d’un dépôt de garantie et de marges suffisantes
pour couvrir la positon.
35
Si la variation de prix des contrats entre le cours d’ouverture et le cours de
marché venait à entamer le dépôt de garantie, alors le membre devra faire face à
un « appel de marge ». Dans cette situation, le membre doit accroître la valeur de
son collatéral en apportant davantage de fonds pour maintenir ses positions
ouvertes et supporter les moins-values latentes ou procéder à d’éventuels
débouclages de position afin de réduire son exposition globale. Sans action de la
part de l’adhérent ou en cas de défaut de celui-ci, la contrepartie centrale peut
procéder à la liquidation d’une partie ou de la totalité de ces positions. Toutefois, si
le collatéral se révélait insuffisant pour solder la position du membre, la chambre de
compensation dispose d’un fond de défaillance auquel contribue l’ensemble des
adhérents.
En s’interposant entre les parties prenantes, la contrepartie centrale, par son
rôle d’intermédiaire post-exécution, atténue les conflits qui pourraient naître d’un
accord bilatéral, en protégeant équitablement ses membres et en leurs garantissant
l’intégrité des transactions financières compensées. Le fait de centraliser
l’ensemble des risques de contrepartie en son sein, procure à la chambre de
compensation une légitimité pour évaluer et quantifier le risque des positions prises
qui serviront à déterminer le collatéral adéquat. De plus, cette vision sur l’ensemble
des opérations traitées est un atout certain pour le régulateur. Alors que le marché
de gré à gré est opaque et difficile à évaluer, la contrepartie centrale sera en mesure
de fournir des indicateurs clés au régulateur et au marché, favorisant par ailleurs la
transparence et garantissant la stabilité du système financier.
Les transactions non soumises à l’obligation de compensation devront
néanmoins être confirmées par voie électronique dans la mesure du possible et
dans un délai défini. Elles seront tout de même soumises à des pratiques de gestion
de collatéral et également à des charges en capital supplémentaire pour les
contreparties financières.
36
C. Transparence pré et post négociation
La dernière crise financière a révélé le besoin d’améliorer la transparence
des marchés de produits dérivés pour permettre une meilleure évaluation des
risques. La transparence renvoie à la question de l’efficience informationnelle et à
la formation des prix sur les marchés. Au travers des textes de loi, on distingue deux
types de transparence : la transparence pré-négociation et la transparence post-
négociation. Dans le but de réduire les disparités réglementaires entre les
plateformes de négociation existantes, les exigences en matière de transparence
et de surveillance sont quasiment identiques pour les RM, MTF et OTF.
La transparence pré-négociation fait référence à la communication d’intérêts
acheteurs et vendeurs formant un carnet d’ordres matérialisés par des prix et des
volumes. La réglementation MiFIR renforce les règles en matière de transparence
pré-négociation en obligeant les internalisateurs systématiques à publier les prix
auxquels ils acceptent de contracter des produits avec leurs clients. Les
dérogations, concernant la négociation de blocs ou l’exécution à un « prix importé »
accordées aux « darks pools » et « crossing networks », ne sont pas abrogées car
la Commission Européenne les estime justifiées. Pour autant, elle s’accorde un
délai afin d’identifier si ces dérogations sont nécessaires au marché obligataire et à
celui des produits dérivés.
L’effort réglementaire en matière de transparence se concentre surtout au
niveau post-négociation. La divulgation des informations concernant les
transactions exécutées est importante ; en effet l’information participe au processus
de formation des prix en fournissant aux participants les conditions de transactions
réelles sur le marché47 et sert de référence à la valorisation de nombreux produits
et portefeuilles. Ainsi, la transparence post-négociation donne la possibilité aux
participants de suivre l’évolution du marché en ayant recours à des données
tangibles. Cette transparence améliore ainsi l’efficience du marché en atténuant les
asymétries d’information constatées sur les marchés OTC opaques. C’est dans
cette perspective, que le stockage des données relatives aux ordres exécutés sur
47 Et non pas celles des ordres en attente d’exécution
37
les cinq dernières années a été rendu obligatoire sur les différentes plateformes de
négociation. Cela permet également de contrôler que les prestataires de services
d’investissements respectent le principe de « best execution » en offrant les
conditions d’exécution les plus favorables à leurs clients.
La transparence implique également une meilleure gestion des risques dans
la mesure où l’information des données de marché est accessible aux autorités de
surveillance. Etant donné la complexité à quantifier les actifs au lendemain de la
crise des subprimes, du fait de la non disponibilité des informations de marché, les
autorités de supervision ont tiré les leçons du passé pour remédier à toutes
nouvelles crises de liquidité et assurer la stabilité du système. Ainsi, comme l’exige
le règlement européen EMIR depuis le 12 février 2014, toutes les contreparties
confondues48, doivent déclarer auprès de « référentiels centraux » (Trade
Repository, TR) l’intégralité des transactions de produits dérivés contractées, que
celles-ci soient négociées sur des marchés organisés ou de gré à gré et qu’elles
soient compensées ou non.
Cette exigence réglementaire est valable pour tous les nouveaux contrats
ainsi que l’ensemble des transactions non échues à compter du 16 août 2012,
obligeant les contreparties à procéder à des reprises d’historique. Cette
règlementation impose une déclaration des contrats au plus tard un jour ouvré après
leur exécution, la valorisation quotidienne du portefeuille et la mise à jour du
collatéral. L’impact conséquent de cette règlementation sur les organisations pourra
être externalisé auprès de prestataires de services. Les référentiels centraux
peuvent ensuite réconcilier les opérations en agrégeant l’ensemble des données
déclarées par les contreparties pour obtenir une image fidèle du marché. L’étude
de ces données confortera les régulateurs dans le décèlement de nouvelles bulles
financières pouvant remettre en cause la stabilité du système.
48 Contreparties financières ou non financières à l’exception des particuliers
38
D. Surveillance et supervision des marchés financiers
A la suite de la publication du rapport Laroisière en 2009, la Commission
Européenne se mobilise pour créer un système de surveillance « macro et micro
prudentiel » des marchés financiers au niveau européen. Les recommandations
établies dans le rapport donneront lieu à la création du Système Européen de
Supervision Financière (SESF). Cette nouvelle organisation devra favoriser
l’harmonisation des règlementations entre pays membres et anticiper les risques
d’instabilité du système financier. Le Comité Européen du Risque Systémique
(CERS) présidé par le président de la BCE, se concentrera sur des questions
d’ordres macroéconomiques en analysant l’évolution des marchés et la conjoncture
économique dans le but de prévenir de crises éventuelles.
La supervision micro-prudentielle a, quant à elle, été attribuée à trois autorités
juridiques :
- l’Autorité Bancaire Européenne basée à Londres: elle est en charge de la
surveillance du secteur bancaire européen et veille à l’équité de la
concurrence et à la protection des consommateurs en élaborant des
standards techniques et des règles prudentielles. Elle est également
responsable de la mise en place de « stress test » pour évaluer la résistance
du système bancaire européen et les risques de défaillances.
- l'Autorité Européenne des Assurances et des Pensions Professionnelles
située à Francfort-sur-le-Main: tout comme l’EBA, elle vise à créer un
ensemble de normes principalement destinées aux activités d’assurances et
de réassurances. Elle rassemble les autorités de surveillance des pays
impliqués dans la règlementation Solvency II concernant les exigences de
fonds propres spécifiques à cette activité.
- l'Autorité Européenne des Marchés Financiers qui siège à Paris: elle est en
charge de la protection des investisseurs et du bon fonctionnement des
marchés financiers. Elle supervise et contrôle également les agences de
notation.
39
Figure N°7 : Les organes constitutifs du Système Européen de Supervision
Financière (SESF)
Source : Banque De France
Ces dispositions marquent une étape dans l’évolution vers l’Union Bancaire avec
une réglementation harmonisée et un système de surveillance centralisé avec à
terme la supervision des établissements de crédits par la BCE dans le cadre du
Mécanisme de Surveillance Unique (MSU). Pour autant, l’instauration de l’Union
Bancaire devra passer par l’efficacité des mesures de supervision nouvellement
créées. Or, ces autorités européennes ne se substituent pas aux autorités
nationales et coordonnent la mise en application des législations européennes avec
les autorités nationales compétentes. Comme on a pu le voir à travers la remise en
cause de l’autorité de l’ESMA par la Grand-Bretagne sur le sujet de la
réglementation de la vente à découvert, l’harmonisation et l’intégration du système
financier devra passer par l’affirmation du pouvoir de contrôle et de sanctions d’un
superviseur européen unique. A ce titre, le règlement MAR (Market Abuse
Regulation)49 et la directive CSMAD (Criminal Sanction for Market Abuse
Directive)50 doivent renforcer le pouvoir du législateur.
49 Règlement 596/2014 50 Directive 2014/57/EU
40
L’ensemble des réformes financières au niveau européen s’inscrit dans le
processus Lamfalussy51 qui doit permettre une meilleure adoption des règlements
par la consultation au préalable des acteurs concernés et la coopération des
régulateurs. Les textes se veulent plus opérationnels et mieux adaptés à
l’environnement régulé.
51 Processus intégrant les professionnels à l’établissement de la législation
41
V. UNE MEILLEURE GESTION DES RISQUES
Le risque comporte deux éléments essentiels (Holton, 2004) : l’exposition,
matérialisée par la prise de position, et l’incertitude quant à l’évolution de celle-ci.
Dans un contexte de reprise économique inégale52 et de croissance mondiale
modérée, la maîtrise des risques s’impose comme un outil d’aide à la décision et au
développement de l’activité. Dans ce chapitre, nous allons observer l’impact des
nouvelles mesures réglementaires sur la gestion des risques et émettre des
hypothèses quant à leur impact sur le système financier européen.
A. Risque de marché
Le risque de marché ou risque systématique correspond au risque
incompressible et corrélé à l’évolution défavorable d’un marché53. L’analyse de
cette évolution fait appel à des notions pluridisciplinaires54. La théorie moderne a
permis d’établir qu’il est possible de réduire le risque total d’un portefeuille en
répartissant son exposition sur différents produits de risques spécifiques différents :
c’est l’effet de diversification. Il existe un ensemble de portefeuilles optimums appelé
« frontière efficiente » qui maximise le potentiel de résultats pour un risque donné
(Markowitz, 1952).
Dans cette approche, le risque de référence est le risque de marché. Par
opposition au risque spécifique, le risque systématique ne peut être diversifié. La
mesure de ce risque renvoie à la méthode de calcul Value-at-Risk (VaR),
démocratisée par la banque JP Morgan55 dans les années 90. Elle correspond à la
quantification de la perte maximale, sur une période donnée avec un niveau de
52 Fonds Monétaire International, Perspectives de l'économie mondiale, juillet 2014 53 Ex : actions, changes, taux 54 EX : économie, politique, fiscalité 55 Évaluation du risque de marché par le modèle RiskMetrics en 1994 puis du risque de crédit avec CreditMetrics en 1997
42
probabilité spécifique56. Cette méthode uniquement valable dans des conditions de
marché dite normale et basée sur un portefeuille inchangé, est aujourd’hui devenue
la méthode la plus utilisée pour identifier le risque de marché supporté par les
établissements financiers. La question des limites de la VaR et de la mesure
cohérente du risque est un point complexe qui a été développé par de nombreux
travaux théoriques (Artzner, Delbaen, Eber, Heath, 1998).
Aujourd’hui, la méthode de la VaR a été approfondie et on la retrouve dans les
accords de Bâle III sous la forme de « Value-at-Risk stressé » (sVaR). Ce nouveau
modèle prend en compte les structures chaotiques que forment les marchés
financiers en période de crise et se veut plus précis que la méthode traditionnelle
dans l’estimation des risques. La sVar devra être réévaluée chaque semaine avec
un horizon de 10 jours et une confiance de 99%. L’Institut Européen de Régulation
Financière (European Institute of Financial Regulation, EIFR), évalue
l’augmentation de la mesure du risque à 300% par rapport à la VaR.
Les accords de Bâle mettent également en avant deux autres ratios :
l’Incremental Risk Charge (IRC) et le Comprehensive Risk Measure (CRM). Ces
deux ratios serviront à prendre en compte le risque de taux spécifique aux produits
dérivés de crédits. Dans le même temps, le comité de Bâle a augmenté les seuils
et restreint l’éligibilité aux fonds propres « Tiers » employés dans le calcul
d’exigences de fonds propres.
L’ampleur de ces dispositions va amener les établissements de crédits à
améliorer la qualité de leurs actifs et à renforcer leurs fonds propres de manière
considérable. Pour faire face à ces nouvelles exigences, les institutions financières
devront assainir leur bilan pour envisager des levées de capitaux et se recentrer sur
leurs activités premières ou celles peu consommatrices en fonds propres. Cette
restructuration du système financier devrait modifier les sources de revenus pour
les banques en diminuant leurs activités de spéculation et de prises de risques pour
se diriger vers des lignes de métiers rémunérateurs en termes de marges et de
commissions. De ce fait, il est fort à parier que les coûts pour les utilisateurs finaux
56 Généralement 95% ou 99%
43
seront impactés à la hausse et qu’en contrepartie la qualité des services devra
s’améliorer.
B. Risque de crédit
Le risque de crédit affecte toute transaction impliquant la défaillance d’une partie
prenante qui ne peut remplir ses engagements. Le risque de contrepartie est un
risque de crédit remettant en cause la solvabilité de l’émetteur du produit dérivé.
Comme nous l’avons vu précédemment, ce risque a fait l’objet d’une étude attentive
de la part des régulateurs, en instaurant l’obligation de compensation par le biais
d’une contrepartie centrale pour éviter tout risque systémique en cas de défaut
d’une contrepartie et empêcher à l’avenir des dommages tels que ceux causés par
la faillite de Lehman Brothers en 2008. Au-delà de la transformation du risque de
contrepartie, la chambre de compensation autorise également une meilleure
optimisation des flux. Cette mutualisation des risques au sein d’un organe central
permet la compensation multilatérale57 des expositions. La contrepartie centrale
peut alors calculer l’exposition globale nette en agrégeant l’ensemble des positions
d’un même adhérent pour déterminer le collatéral58 nécessaire et permettre une
économie de liquidités à ce dernier.
57 Ou « netting » 58 Ou garantie
44
Figure N°8 : La compensation multilatérale des flux (netting)
45
Source : Juncker G. and Summers B., A primer on the settlement of payments in the United
States, Federal Reserve Bulletin, November 1991, p. 852
46
La collatéralisation représente alors un enjeu majeur pour la pérennité du
système financier et devient le garant de la gestion du risque de contrepartie. Le fait
est que la transmission du risque de contrepartie des adhérents vers la chambre de
compensation en échange d’un collatéral, pourrait inciter ces derniers à se
déresponsabiliser, en accroissant leurs prises de risque sur le marché et en limitant
les contrôles de vérification diligente quant à la solvabilité des autres participants.
La création d’un système de contrepartie centrale sous la forme d’une coopérative
appartenant aux adhérents pourrait alors avoir un sens.
De plus, l’industrie financière est un secteur très concurrentiel et la compétitivité
entre les contreparties centrales pourrait avoir un effet néfaste sur la gestion du
risque de contrepartie. En effet, l’objectif de centraliser le risque de contrepartie en
un même endroit perdra de son intérêt s’il existe une multitude de chambres de
compensation car les adhérents ne pourront bénéficier d’une économie d’échelle et
de l’effet du netting. Le risque serait alors que la concurrence entre les
infrastructures amène à une baisse des prix. Or dans ce cas, le prix faisant
référence au collatéral, la baisse de prix de ce dernier ou de sa qualité remettrait
totalement en question son utilité dans la gestion du risque de contrepartie et de
vecteur de confiance.
Toutefois, il faut bien reconnaitre les avantages d’un marché concurrentiel et
l’aboutissement de ces réglementations au sein du système financier pourrait être
l’interconnexion des infrastructures de marché entre elles avec la mise en place du
« cross margining » entre produits et entre chambres de compensation. Le terme
« cross margining » fait référence à la gestion multilatérale du collatéral en
autorisant le netting entre différentes classes d’actifs (options, futures, etc…) et
différentes infrastructures de marchés (MTF, OTF, etc…) afin d’optimiser la gestion
des liquidités. De plus, bien qu’interconnectées, les infrastructures garderont leur
personnalités juridiques, ce qui limitera le risque systémique.
La prépondérance du collatéral dans la gestion des risques liés aux produits
dérivés révèle la désuétude des organisations en silos et c’est dans ce sens que les
régulateurs fondent les principes d’un système financier en réseau.
47
C. Risque opérationnel
Le risque opérationnel est « le risque de pertes directes ou indirectes résultant
d'une inadéquation ou de la défaillance des processus internes, de personnes et
systèmes ou d'événements externes »59. En apportant une définition précise du
risque opérationnel, le comité de Bâle affirme la nécessité de maîtriser tous risques
opérationnels60 en leur attribuant la même importance que le risque de marché ou
que le risque de crédit, inhérents à l’industrie financière. De plus, cette définition
permet de quantifier un risque souvent perçu comme qualitatif et difficile à
appréhender.
Ce risque n’est pas nouveau et a pris de plus en plus de place avec les
nombreux scandales de ces dernières années tels que la manipulation du taux
interbancaire LIBOR ou encore la faillite de la Barings pour ne citer que les plus
médiatiques. Les enquêtes menées par le Risk Management Group61 ont permis de
déterminer que les 89 établissements de crédit impliqués avaient subi des pertes
liées à des risques opérationnels pour un montant cumulé de 7,8 milliards d’euros
sur l’année 2001. La gestion du risque opérationnel est désormais au cœur de la
stratégie des grands groupes bancaires.
Alors que l’on observe une restructuration des banques marquée par des
suppressions de postes importantes notamment dans les départements de BFI, il
est un poste qui est en pleine émergence : le compliance officer. Chargé de mettre
en œuvre des plans de conformité et d’assurer une veille réglementaire, son rôle
transversal est de plus en plus marqué dans la gestion des risques.
Les risques opérationnels ont amenées les régulateurs à se pencher sur la
question de la rémunération et son impact sur les conflits d’intérêts. Même si aucune
obligation concrète n’est mentionnée dans la directive MIF, il est fait état de
recommandations. A ce sujet, il est indiqué que les incitations ne devraient pas
« être incompatibles avec l’obligation de servir aux mieux l’intérêt du client ». A ce
59 Définition commune à l’industrie financière, adoptée par le Comité de Bâle. Basel Committee on banking supervision, Consultative document - operational risk, 2001 60 Ex : fraude, panne informatique, erreur humaine, catastrophe environnemental 61 Groupe rattaché au Comité de Bâle et présidé par Cole R. (Federal Reserve Board)
48
titre les régulateurs préconisent d’établir des objectifs qualitatifs plutôt que
quantitatifs et d’établir des différentiels de rémunérations entre parts variables et
parts fixes qui soient raisonnables.
Pour plus de sécurité, la gestion du risque opérationnel passe également par la
confirmation électronique des transactions. MIFIR souhaite ainsi un meilleur suivi
des opérations de marché de dérivés qu’elles soient traitées sur des marchés
organisés ou de gré à gré. La directive MiFID 2 encadrera pareillement la
négociation à haute fréquence (High Frequency Trading, HFT). Les entreprises
ayant recours à des algorithmes informatiques devront prévoir des dispositifs accrus
de contrôle des risques, particulièrement du point de vue des abus de marché et
fournir des informations aux régulateurs quant à leur stratégie. La directive ne
souhaite pas interdire la négociation à haute fréquence sauf si celle-ci venait à
porter atteinte à la stabilité du système financier. L’objectif est d’instaurer un
nouveau modèle en établissant des obligations de teneur de marché62.
D. Allocation du capital ajustée aux risques
Toutes les réformes en matière de gestion des risques ont un point commun : la
hausse des exigences en matière de capital. Ceci va accroître la rareté des
liquidités et augmenter le coût du capital. La gestion des risques fait désormais
partie intégrante de la stratégie des entreprises avec la création de comités de
gestion des risques dirigés par des CRO63. L’intégration de la mesure des risques
financiers dans les organisations passe par une analyse économique des risques
potentiels64 ; vient ensuite la phase de modélisation d’agrégation des risques pour
déterminer un capital optimal à la couverture de ces risques.
62 Les market makers (teneur de marché) devront pourvoir une cotation en continu, afin d’accroitre la liquidité et favoriser les échanges des price takers (preneur de prix) 63 Corporate Risk Officer 64 Risque de marché, risque de crédit et risque opérationnel
49
Pour faire face à toutes les exigences réglementaires que nous avons vues, les
entreprises vont devoir développer leur département de gestion des risques. Celles
étant les plus actives sur les marchés et ayant des portefeuilles de risque élevés
pourront développer leurs propres méthodes de calcul afin d’optimiser le capital
nécessaire. Les actifs apportés en garantie pourront appartenir à diverses classes
d’actifs mais ils devront être très liquides et véhiculés le minimum de risques. A cet
égard ce sont les obligations d’état qui seront privilégiées dans la composition du
collatéral.
Figure N°9 : Titres mis en garantie come collatéral – Eurosystème
(en milliards d’euros)
Source : The European Central Bank
Le collatéral sert également aux transactions de refinancement des banques
avec la mise en place de ligne de crédit « intraday »65 da la part des banques
centrales pour permettre le règlement des flux entre les contreparties et éviter tous
risques de paralysie du marché interbancaire. Le collatéral n’est donc pas
seulement utilisé dans le marché des produits dérivés mais aussi celui du marché
interbancaire. Cependant, les nouvelles exigences en matière de règles
prudentielles, avec la hausse de la qualité des actifs d’une part et la hausse de la
65 Transactions initiées et dénouées dans la journée
50
demande d’autre part font craindre une pénurie de collatéral et un risque
systémique. Toutefois, contrairement aux banques centrales qui doivent garder le
collatéral jusqu’à échéance, les banques peuvent le réutiliser.
La question de la liquidité du collatéral est alors l’enjeu principal pour assurer sa
pérennité et la stabilité du système financier. On observe à cet égard que
l’Eurosystème a créé une plateforme transfrontalière (Correspondant Central
Banking Model, CCBM) pour permettre l’échange de garanties. Sur le plan
organisationnel, les infrastructures de marché repensent le cheminement du
collatéral ; il ne fait nul doute que son optimisation et sa liquidité seront une source
de profit pour les banques et les prestataires de services d’investissement.
51
VI. CONCLUSION
Remis en cause au lendemain de la crise financière mondiale de 2007, les
marchés de produits dérivés ont attiré l’attention des régulateurs. Ce marché
considérable66 de la gestion des risques où se côtoient principalement
institutionnels et multinationales est scindé en deux :
- les marchés organisés (8% de part de marché) où se négocient des contrats
standards de manière transparente. Les ordres sont centralisés et le risque
de contrepartie est éliminé.
- les marchés de gré à gré (92% de part de marché) où se négocient de façon
privé des contrats bilatéraux « sur mesure ». La forme de ces contrats repose
sur la performance mutuelle des parties prenantes et implique un risque de
contrepartie élevé.
Démocratisés dans le milieu des années 7067 dans un contexte de décélération
économique et d’exposition à de nouveaux risques, les produits dérivés deviennent
un outil majeur dans la gestion des risques. Fermes ou optionnels, ils sont très peu
consommateurs de capitaux et permettent aux entreprises de se couvrir, quand les
investisseurs eux, utilisent l’effet de levier à travers de nouvelles stratégies de
gestion de portefeuilles.
La non-atomicité du marché de gré à gré, vecteur de risque systémique en cas
de défaillance d’une contrepartie et la bilatéralité des contrats, facteur de risque de
contrepartie, révèle un besoin de régulation. Outil de gestion des risques, les
produits dérivés sont eux-mêmes porteurs de nouveaux risques pouvant remettre
en jeu la stabilité du système financier. Pour Capelle-Blancard G. (2009), les
marchés de gré à gré ne remplissent pas toutes les conditions d’un marché efficient
: l’opacité des négociations empêche la formation du prix au coût le plus faible. Cette
asymétrie d’information n’est bénéfique que pour quelques acteurs prédominant du
marché. La spéculation sur les contrats dérivés entraine une volatilité anormale sur
66 La valeur totale des encours notionnels de produits dérivés à la fin du 2nd semestre 2013 était de 775 trillions de dollars – Source : BRI 67 Fin des accords de Bretton Woods
52
leurs sous-jacents (Chevallier, 2010) du fait du manque d’information disponible sur
les négociations OTC.
La régulation devient alors un enjeu économique. Comment accroître la
surveillance des marchés et réduire ces anomalies sans faire fuir les
investissements vers des pays adoptant des mesures moins coercitives ?
L’harmonisation des règlements au niveau international se révèle alors être
indispensable. Huault I. & Richard C. (2012) ont une vision tout à fait novatrice de
la régulation en ne considérant pas seulement les institutions financières comme
des régulées mais également comme contributrices aux nouvelles règles de
demain. C’est dans ce sens que le régulateur européen coopère avec les acteurs
du marché dont l’expertise leur donne toute la légitimité requise par le processus
Lamfalussy68.
Au-delà de montrer en quoi les marchés OTC nécessitent d’être régulés pour
améliorer la gestion des risques et atténuer les effets de la spéculation intensive, ce
mémoire décrypte également l’impact du changement de business model des
banques. En effet, de l’octroi et de la détention de crédit, les banques sont passées
à l’octroi et la cession de crédit ; ce modèle fondé sur une croissance excessive et
l’accumulation des risques est aujourd’hui remis en cause par les régulateurs.
A travers l’analyse des règlements et directives en cours de réforme, ce dossier
de recherche repose sur un travail qualitatif qui tend à dessiner ce que pourrait être
le système financier de demain au travers de la mise en application des nouvelles
règles et met en évidence ci-après les principaux enjeux liés à la régulation
structurelle des marchés.
De cette étude ressort plusieurs enjeux liés à la régulation structurelle des marchés :
- La création des « Organized Trading Facilities » (OTF) : Elle obligera la
négociation de « produits standards » sur des plateformes réglementées et
surveillées. La standardisation des produits et la hausse des prix risquent de
priver certaines contreparties de produits « sur mesure ». Le risque est alors
de voir des entreprises négliger certains risques.
68 Processus de coopération des régulateurs avec des experts
53
- La chambre de compensation (CCP) : tout contrat négocié sur une
plateforme réglementée devra faire l’objet d’une compensation centrale. Le
risque sera alors centralisé au sein de la CCP et non plus supporté par les
opérateurs. Cependant, cela pourrait engendrer une déresponsabilisation
des adhérents et une hausse de la prise de risque de ces derniers. Le risque
systémique dû à la centralisation des risques en un unique organe est aussi
un facteur à prendre en compte dans la surveillance de ces établissements.
- Les référentiels centraux (TR) : ils favorisent la transparence post-
négociation et participent à une meilleure efficience des marchés lors de la
formation des prix. Cependant, même si le maintien des dérogations en
matière de transparence pré-négociation permet une meilleure stabilité des
prix à court terme, il peut s’avérer préjudiciable dans la mesure où seule une
partie de l’information est alors disponible dans le prix. La définition de quotas
sur ce genre d’opérations pourrait être recommandée.
- Les organes de supervision (SESF) : les régulateurs ont créé de nouvelles
infrastructures de surveillance permettant de faire respecter le droit commun.
Cependant, on observe que ces organes interviennent en coopérant avec les
régulateurs nationaux et ont un rôle de médiation; or la réussite de la
régulation passe par un cadre réglementaire harmonisé entre les pays
membres dans lequel les régulateurs doivent avoir des pouvoirs affirmés de
contrôle et de sanctions.
Du point de vue de la gestion des risques, le constat est sans appel : la régulation
va rehausser le prix des produits dérivés au travers de règles prudentielles plus
contraignantes. L’enjeu principal devient alors la gestion et l’optimisation du
collatéral. La prépondérance du collatéral dans la gestion des risques liés aux
produits dérivés révèle la désuétude des organisations en silos et c’est dans ce
sens que les régulateurs fondent les principes d’un système financier en réseau.
Cependant, l’analyse des textes juridiques a montré une vision assez politique
de la régulation où l’on retrouve des définitions peu précises et des objectifs
bienveillant mais sans réel moyens d’actions. A cet égard on note le retard pris par
les régulateurs dans l’élaboration de règlements et l’immersion du monde financier
54
dans le processus de régulation. La posture de l’industrie financière, à la fois
régulatrice en assistant les autorités dans l’appréhension des risques et
l’établissement des normes, mais aussi régulée, pose question69.
Les nouvelles mesures prises par le régulateur semblent permettre
l’amélioration de l’efficience des marchés à travers l’accroissement de la
transparence et la mitigation des risques existant. Ces mesures limitent la
spéculation et évitent tous risques d’instabilité du système financier comme celles
concernant plus particulièrement la définition de limites de positions et de plus
grandes exigences en matière de fonds propres.
A l’inverse, une règlementation trop contraignante pourrait favoriser des
comportements de contournement vers d’autres régions du monde ou d’autres
secteurs de la finance s’il venait à apparaitre des disparités dans les règles édictées
par chaque état.
Seul le futur nous permettra de dire si les nouvelles règles conforteront l’objet
initial de la création des produits dérivés, à savoir la gestion des risques, tout en
limitant les dérives de la spéculation intensive et le risque systémique que les
produits dérivés font peser sur le système financier.
69 Chaque année, le lobby bancaire dépense 120 millions d'euros par an – Source : Corporate Europe Observatory, « The fire power of the financial lobby », 2014
55
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58
VIII. ACRONYMES
- BCE : Banque Centrale Européenne
- BRI : Banque des Règlements Internationaux
- CCBM : Correspondant Central Banking Model
- CCP : Central Counterparty
- CDO : Collateralized Debt Obligations
- CDR : Capital Requirements Directive
- CDS : Credit Default SWAP
- CERS : Comité Européen du Risque Systémique
- CRM : Comprehensive Risk Measure
- CRO : Corporate Risk Officer
- CRR : Capital Requirements Regulation
- CSMAD : Criminal Sanction for Market Abuse Directive
- EBA : European Banking Authority
- EIFR : European Institute of Financial Regulation
- EIOPA : European Insurance and Occupational Pensions Authority
- EMIR : European Market Infrastructure Regulation
- ESFS : European System of Financial Supervision
- ESMA : European Securities and Markets Authority
- ETD : Exchange Traded Derivatives
- FED : Federal Reserve
- HFT : High Frequency Trading
- IRC : Incremental Risk Charge
- LIBOR : London Interbank Offered Rate
- MAR : Market Abuse Regulation
- MiFID : Markets in Financial Instruments Directive
59
- MSU : Mécanisme de Surveillance Unique
- MTF : Multilateral Trading Facility
- OTC : Over The Counter
- OTF : Organized Trading Facility
- PIB : Produit Intérieur Brut
- PSI : Prestataire de Services d’investissement
- RM : Regulated Market
- RMBS : Residential Mortgage Backed Securities
- SESF : Système Européen de Supervision Financière
- SI : Systematic Internaliser
- TR : Trade Repository
- VaR : Value-at-Risk
- sVaR : Value-at-Risk stressé
60
IX. ANNEXES
Annexe N°1 : Série de statistiques semestrielles sur l’activité de produits dérivés –
Bank for International Settlements
61
62
Annexe N°2 : Répartition des actifs financiers mondiaux (en trillions de dollars) –
Mc Kinsey
Annexe N°3 : OCC’s quarterly report on bank trading and derivatives activities -
First quarter 2013
63
Annexe N°4 : Répartition des volumes de transaction des titres du CAC 40 en
septembre 2009 – Autorité des Marchés Financiers