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Les Chefs d’orchestre français…Grands Orfèvres de la Chanson

Volume 3 Raymond Lefèvre

Prélude

Que serait le domaine de la chanson sans l’apport incontournable des chefs d’orchestre et arrangeurs, compagnons essentiels de tous les artistes qui enregistrent sur disque depuis environ un siècle.

Souvent premiers prix de Conservatoire, parfois géniaux autodidactes, ces hommes ont su donner par leur talent, un véritable supplément d’âme, une couleur musicale à chacun des artistes qu’ils ont pu « habiller. » Si le meilleur des arrangeurs ne permettra pas à une mauvaise chanson de passer la rampe, un arrangement haut en couleur permettra, peut-être, de faire d’une bonne chanson un grand succès.

En créant cette collection qui leur est dédiée, Marianne Mélodie met désormais en avant toute l’œuvre de ces musiciens, de ces véritables artisans, qui souvent n’aiment pas être mis en lumière, malgré leur indispensable travail.

Après le volume 1 consacré à Paul Mauriat, le volume 2 à Wal-Berg, ce volume 3 met en valeur la variété et la qualité des arrangements signés par Raymond Lefèvre pour de nombreux artistes. Ce CD permet aussi de découvrir l’éclectisme de l’homme, musicien complet qui a su porter haut, en particulier en terre nipponne, le répertoire orchestral de variété à la française.

Serge Elhaïk

Chaque CD de la collection « les Chefs d’Orchestre français, Grands Orfèvres de la chanson », associe un éventail d’accompagnements à succès, des enregistrements rares, mais aussi une sélection de quelques musiques instrumentales, sans oublier une biographie complète et quelques photos du chef d’orchestre.

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Raymond LefèvreUn "Palmarès" incomparable

Raymond Lefèvre, « c’est le Karajan de Guy Lux. » Ainsi s’exprimait Jean-Loup Lafont dans France Soir en 1976. Raymond, avec son visage barbu connu de toute la France, a en effet dirigé à d’innombrables reprises l’orchestre des émissions télévisées comme « Le Palmarès des Chansons »ou « Cadet Rousselle» présentées par Guy Lux dans les années 60 et 70. Mais au-delà du petit écran, Raymond Lefèvre c’est également plus de 700 arrangements pour son orchestre ainsi que de nombreuses compositions pour le cinéma ou la radio. Qui ne connaît en effet la musique des ilms du « Gendarme de Saint-Tropez » ou les six notes du fameux carillon d’Europe n°1 ! Sans oublier ses innombrables orchestrations pour Dalida dont le célébrissime « Bambino. » Le public japonais a su lui rendre hommage en l’invitant à diriger son orchestre lors de nombreuses tournées au pays du Soleil Levant !

Serge Elhaïk : Raymond, comment parvient-on à manager une carrière aussi éclectique et sur une aussi longue durée ?

Raymond Lefèvre : Par un travail sans relâche ! J’ai décidé très tôt de diversiier mes activités musicales ce qui m’a aidé à effectuer une carrière durable… J’ai même fait des bals le dimanche jusqu’en 1971 ! Mais il est vrai que ce fut souvent très dur de tout mener de front !

Retour aux sourcesNé à Calais le 20 novembre 1929, d’une famille modeste, cet homme du nord n’a que cinq ans quand il débute au piano avant de se mettre à la lûte, son instrument de prédilection depuis lors.

Raymond Lefèvre : Pour pouvoir vivre, mes parents tenaient une petite épicerie à Calais.Mon père possédait une voiture à bras pour aller chercher du ravitaillement au moment de la guerre. Dans ma famille on aimait beaucoup la musique classique. Mon père jouait de la clarinette, du piano et du violoncelle, et m’avait dit que la clarinette en si bémol avait faussé son oreille. Il avait découvert que de mon côté, j’avais une très bonne oreille, et il m’avait conseillé d’apprendre, en sus du piano, un instrument à vent en ut, comme la lûte ou le hautbois, en vue de l’armée éventuellement. Il n’y avait pas un bon professeur de hautbois à Calais, par contre nous avions un excellent professeur de lûte.

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L’élève se révèle particulièrement doué. Et à seize ans - peu après la libération - Raymond prend conscience qu’il ne peut rester à Calais s’il veut entreprendre une carrière musicale. Il vient d’obtenir un premier prix de piano et un premier prix de lûte à l’unanimité ainsi que la première médaille de solfège. Tout cela dans le même mois ! Et dans le même mois, il vient de rater son brevet. En dépit de l’hésitation de ses parents qui répugnent à se séparer d’un ils si jeune, même pas majeur, Raymond Lefèvre s’embarque en octobre 1946 pour la Capitale, sans aucune famille là-bas. Il veut tenter l’entrée au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris.

Serge Elhaïk : Vos parents espéraient peut-être un échec ?

Raymond Lefèvre : C’est vrai, d’autant que mon professeur de lûte à Calais avait dit à ma mère « que j’allais voir ce qu’était un concours, et que je ne réussirais pas cette fois-ci. » Malgré tout mon père souhaitait secrètement que cela marche quand même. Et j’ai été reçu dès le premier examen ! Ensuite on avait un mois pour préparer un morceau obligé. J’ai aussi été reçu ; il y avait quatre places pour quarante huit candidats ! J’ai loué une chambre de bonne rue Desnouettes dans le 15ème arrondissement, où il n’était pas question de mettre un piano, je n’ai donc pas tenté la classe de piano. Je suis entré en classe de lûte, avec Marcel Moyse, un professeur remarquable, et en classe d’harmonie.

Huit heures de travail quotidien à la lûte, tel est l'entraînement auquel le jeune Raymond se soumet ain de décrocher un premier Prix avec cet instrument.

Serge Elhaïk : Comment faisiez vous pour vivre ?

Raymond Lefèvre : Ma mère m’a donné un peu d’argent pour le premier mois. Mais dès ledeuxième mois, j’ai été heureux de lui annoncer que j’allais me débrouiller tout seul. Ce fut grâce au piano, car avec cet instrument que j’avais beaucoup travaillé à Calais, je me suis rapi-dement mis à jouer dans des orchestres musettes comme celui de Tony Murena dans son dancing « Le Mirliton », rue de Courcelles. J’ai aussi joué dans un cabaret Place Clichy et dans un dancing à La Motte-Picquet. Le patron de ce dancing était aussi entrepreneur de Pompes Funèbres !

Rude école certes, mais quoi de mieux pour forger le caractère de notre jeune musicien.

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Avec Hubert Rostaing, Bernard Hilda et…Franck Pourcel

À l’origine, Raymond Lefèvre avait bien sûr l’intention d’embrasser une carrière symphonique.

Raymond Lefèvre : Mais j’ai été quelque peu découragé par l’atmosphère qui régnait dans les milieux symphoniques de l’époque où j’avais fait quelques remplacements comme lûtiste. Les musiciens semblaient tous avoir un entrain et un enthousiasme de fonctionnaires. Je décidai alors de m’orienter vers la musique populaire. C’est ainsi qu’en 1949, je suis devenu pianiste et arrangeur dans l’orchestre du célèbre clarinettiste Hubert Rostaing et avec lui j’ai fait des tournées sur la Riviera, à Cannes et à San Remo.

Au début des années 50, Raymond travaille également avec le saxophoniste et lûtiste belge Bobby Jaspar.

Serge Elhaïk : Plus tard, toujours au début des années 50, on vous retrouve avec Bernard Hilda.

Raymond Lefèvre : Oui, j’ai remplacé son pianiste, Raymond Bernard, qui partait aux Etats-Unis en tournée avec Jacqueline François. Mais pour entrer dans l’orchestre de Bernard Hilda, il fallait tout connaître par cœur avant d’en faire partie. Il y avait plusieurs pianistes sur les rangs. On lui avait parlé de moi, je commençais à avoir le vent en poupe à l’époque, et il m’a engagé. J’ai été à ce moment le pianiste le mieux payé de Paris. C’était en 1951, je venais de me marier et avec lui, j’ai joué entre autres au cabaret « La Villa d’Este. » Avec Bernard Hilda j’ai ensuite sillonné l’Europe, de l’Italie à l’Espagne, en passant par le Portugal ou le Casino de Monte Carlo.

Hubert Rostaing etRaymond Lefèvre en 1949

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Nous sommes ensuite allés jouer pendant trois mois à l’Hôtel Hilton de Los Angeles. Pour l’occasion, il n’emmenait pas l’orchestre, mais seulement une chanteuse et moi-même comme pianiste et il engageait des musiciens sur place. Là-bas, je me suis mis au jazz et j’ai pu rencontrer plusieurs jazzmen. Ce fut vraiment une belle expérience.

À cette époque, les heureux détenteurs d’un poste de télévision ont pu voir et entendre Raymond Lefèvre au piano dans l’orchestre de Bernard Hilda lors des premières émissions de Gilles Margaritis et l’apprécier également à la direction de l’orchestre en l’absence du « Patron. »

C’est encore durant cette période féconde du milieu des années 50 que Raymond Lefèvre rencontre Franck Pourcel pour la première fois. Déjà bien établi comme chef d’un grand orchestre à cordes créé en 1952 pour le label Pathé Marconi, ses versions orchestrales du « Tango Bleu » puis celle de « Limelight » (Deux petits chaussons de satin blanc) sont restées des succès incontestés de cette formation à cette époque. Et lorsqu’on demande à Raymond Lefèvre (comme à Paul Mauriat d’ailleurs), quelle est la personnalité artistique qui l’a le plus marqué au plan professionnel, la réponse fuse :

Raymond Lefèvre : Franck Pourcel ! Je l’ai connu quand j’étais pianiste et arrangeur dansl’orchestre de Bernard Hilda. Je tentais alors de percer dans le métier et un jour où il avait trop de travail, il est venu chez moi - à l’époque je résidais rue de Vaugirard - et Franck Pourcel m’a demandé d’écrire quelques orchestrations pour le chanteur André Claveau. Puis j’ai travaillé avec lui sur des orchestrations pour Gloria Lasso. J’ai même été son pianiste lors de l’enregistrement du disque « La Femme », une suite de compositions écrites autour du corps de la femme par l’américain Les Baxter (Album qui, lors de sa mise en vente chez les disquaires, avait même été parfumé pour la circonstance !). Je l’avais aussi aidé pour les orchestrations de ce disque. Nous étions en 1956 et c’est cette année-là que je décidai de former mon propre orchestre. J’avais le choix entre deux éditeurs, Polydor dirigé artistiquement à l’époque par Paul Durand d’une part et le label Barclay d’autre part. Sur l’avis de Franck Pourcel j’ai choisi cette dernière, car il me disait que Barclay était une maison plus dans le vent. Il me prodigua même ses conseils lors de l’élaboration de ce premier contrat avec Eddie Barclay. Franck nous a aussi beaucoup conseillés, Paul Mauriat et moi, dans l’écriture pour les cordes. Car il était non seulement un grand violoniste mais aussi un remarquable orchestrateur pour cet instrument. J’ai beaucoup appris avec lui. C’était aussi un bon chef, car il avait un bras formidable. Franck m’avait pris en amitié de façon sincère, même si

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par la suite on est devenu concurrents. D’ailleurs, quand plus tard j’ai commencé à travailler pour la télévision avec Guy Lux en 1965, il m’a dit avec son accent marseillais, « Tu sais, quand tu as commencé la télévision, j’ai eu peur. »

Et dans les années qui vont suivre, naîtront de nombreuses musiques composées par le tandem « Pourcel-Lefèvre », tels les célèbres « Schuss », « Diggedle Boeing » ou « Nice Majorettes.»

Raymond Lefèvre, Dalida et leur « Bambino »Raymond Lefèvre signe donc un contrat comme chef d’orchestre avec le label Barclay. Le premier disque 45 tours de l’orchestre de Raymond Lefèvre voit le jour à la in de l’année 1956, avec entre autres une version instrumentale de « Bambino », tube resté célèbre pour une jeune chanteuse égyptienne découverte par Lucien Morisse et qui fait également ses débuts chez Barclay en cette même année 1956.

Serge Elhaïk : « Bambino », le premier grand tube de Dalida fut orchestré par le jeuneRaymond Lefèvre, avant qu’il ne devienne son arrangeur et accompagnateur attitré pendant plusieurs années.

Raymond Lefèvre : Oui, j’avais 27 ans, et« Bambino » c’était en septembre 1956. Dalida et moi avions signé nos contrats pratiquement à la même époque, c'est-à-dire durant cette année 1956. Au départ Eddie Barclay qui produisait l’orchestre Eddie Barclay pour son label, mais qui n’écrivait pas d’orchestrations, avait besoin d’arrangeurs pour son orchestre. Un jour il était venu chez moi pour me dire « J’aimerais que tu écrives des arrangements pour l’Orchestre Eddie Barclay. » Et comme à l’époque jecommençais à être en vogue, je lui ai dit « Non, je veux faire des arrangements pour l’Orchestre Raymond Lefèvre. » Et là, il a pris sa petite voix et m’a dit « Et bien, tu le feras chez moi ! »En 1956, j’ai donc enregistré mon premier

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disque orchestral. Comme j’étais nouveau chez lui, Eddie Barclay me demanda si je voulais bien accompagner sa nouvelle chanteuse Dalida. Dans les tout premiers disques 45 tours de Dalida, j’ai arrangé et dirigé pour elle en alternance avec le grand Wal-Berg. Et c’est en septembre 1956 que je fus amené à orchestrer et diriger « Bambino » dans les studios de la rue Magellan à Paris. D’ailleurs le même mois, j’ai fait une seconde orchestration, non plus à l’italienne, mais à l’amé-ricaine pour le crooner Bob Martin (plus tard chanteur au Lido dans les années 80). Enin, peu après, j’ai enregistré une troisième version de « Bambino » pour mon propre orchestre. Autant dire qu’il ne fallait plus me parler de cet air-là pendant un certain temps !!!

L’association Dalida-Raymond Lefèvre devait connaître ensuite le succès que l’on sait avec des titres clés de la carrière de Dalida comme « Gondolier », « Dans le bleu du ciel bleu »,« Ciao Ciao Bambina », « Romantica » et tellement d’autres.

Raymond Lefèvre : J’ai toujours beaucoup aimé Dalida. On s’est toujours très bien entendu, même si elle était un peu soupe-au-lait. C’était vraiment une brave ille, elle venait très souvent à la maison et elle couvrait de cadeaux mes deux ils. C’était un peu un grand regret de sa vie de ne pas avoir eu d’enfant. Un jour, elle avait dit à mon ils ainé Bernard, il était alors tout petit, « Tu es mon petit iancé. » Quand Dalida a épousé Lucien Morisse en 1961, Bernard a fait un drame, et il disait « Mais non, mais non c’est moi son iancé » !! Nous avons aussi voyagéensemble et avec elle, j’ai fait une télévision à Montréal. Mais quand j’ai commencé les émissions avec Guy Lux en 1965, j’ai décidé d’arrêter les arrangements et Dalida a alors choisi d’autres arrangeurs pour l’accompagner.

Si Dalida fut la chanteuse qu’il a le plus souvent accompagnée, Raymond Lefèvre avait aussi signé de nombreux arrangements pour une pléiade d’artistes tels Eddie Constantine, Maurice Chevalier (avec Paul Mauriat), Rika Zaraï, Mireille Mathieu, Luc Barney, Ben Baruch, le groupe vocal Les Blue Stars, Frida Boccara, Cécile Devil, Sophie Daumier (avec Paul Mauriat), Paule Desjardins, Geneviève Grad, Luigi Lani, Eddy Marnay, Bob Martin, Erik Montry, Jane Morgan, Orlando, Domingo Ramon, Violette Renoir, Antonio Rossano, June Richmond, John William, et David Alexandre Winter sans oublier un disque très rare d’Yves Furet avec Raymond Lefebvre et son ensemble pour le label Decca, disque 45 tours datant surement

de la première moitié des années 50. Lefebvre était le nom d’origine de Raymond. Il fut bien sûr modiié pour devenir Lefèvre très probablement à partir du contrat signé avec Eddie Barclay en 1956.

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Raymond Lefèvre et son Grand OrchestreEn dépit d’une activité particulièrement intense, Raymond Lefèvre est engagé par la toute jeune station de radio Europe N° 1 pour diriger l’orchestre de l’émission « Musicorama. »

Raymond Lefèvre : Après la création d’Europe N°1, Louis Merlin et Lucien Morisse m’ont conié in 1956 la responsabilité musicale, pendant quatre ou cinq ans, de l’émission « Musicorama »diffusée tous les mardis soirs, en direct de l’Olympia à Paris. Cette émission a eu beaucoup de succès, peu de gens ayant la télévision à cette époque. J’en avais composé l’indicatif. En ma qualité de chef d’orchestre oficiel de la station, Louis Merlin me demanda aussi de composer l’indicatif pour la station elle-même. C’est à ce moment que j’ai imaginé les six fameuses notes de musique du carillon d’Europe N°1 !

Raymond Lefèvre montre à ce moment tout son éclectisme pour accompagner chaque mardi des artistes aussi différents que Dalida, Marcel Amont ou André Claveau. Tour de force qui en avait étonné plus d’un dans le métier, car Raymond n’a pas encore trente ans au début des « Musicorama. » À la suite du succès de l’émission, Eddie Barclay édite en 1957 le pre-mier album 33 tours 30 cm de l’Orchestre de Raymond Lefèvre, disque simplement intitulé « Musicorama » et on y trouve bien sûr la version orchestrale de « Bambino. »

« Le jour où la pluie viendra »

La version instrumentale de cette chanson de Gilbert Bécaud et Pierre Delanoë, fut l’occasion d’une grande réussite pour le Grand Orchestre de Raymond Lefèvre. Et sous le titre de « The Day That The Rains Came »Raymond Lefèvre obtient un best-seller aux USA en 1958. Raymond avait montré tout son talent avec des arrangements subtils associant cordes, cuivres et bois.

L’orchestre de Raymond Lefèvre comptait alors jusqu’à quarante cinq musiciens pour l’enregistrement de ses albums instrumentaux. 18 violons (Beaucoup de l’Opéra et quelques uns de la Garde Républicaine), 6 altos, 4 violoncelles, une contrebasse et il y avait souvent une

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harpe tenue par Lily Laskine. Selon les morceaux, quand il fallait des cuivres, on comptait trois trompettes, trois trombones, et de un à trois cors. Et bien sûr une section rythmique avec piano, basse, batterie et guitare.

Son talent de chef très vite reconnu, Raymond fut souvent sollicité, dans les années 60, pour diriger divers orchestres enregistrant des B.O. de ilms écrites par Georges Garvarentz comme « Les lions sont lâchés » ou « Les bonnes causes. » Un peu plus tard, en 1987, Raymond Lefèvre a aussi prêté son concours à « Univers », un superbe album de William Sheller et pour l’occasion il avait dirigé un grand orchestre.

La chanson, le cinéma et la télévision avec… Paul Mauriat

Cela pourrait surprendre, mais Paul Mauriat et Raymond Lefèvre, loin d’être des concurrents, travaillèrent en fait main dans la main, dès 1961, pour écrire leurs musiques durant au moins trois années. Cette année-là marque en effet le début de l’amitié et de l’associa-tion professionnelle étonnante de deux chefs d’orchestre en vogue, Paul Mauriat et Raymond Lefèvre. Ils s’étaient parfois croisés mais se connaissaient peu. Dalida provoque fortuitement leur véritable rencontre en cette année 1961. Dalida est alors accompagnée presqu’exclusive-ment par Raymond Lefèvre.

Paul Mauriat : Lucien Morisse, le mentor de Dalida me demanda un jour de m’associer àRaymond Lefèvre pour le prochain disque de sa protégée. L’une des chansons à arranger et orches-trer était « Dix milles bulles bleues. » J’étais ravi, et à partir de là nous avons travaillé avec Raymond pendant au moins trois années. Ce furent les plus belles de notre vie de musicien. Ainsi sont nées plusieurs compositions pour la télévision, la radio, le cinéma ou la chanson. Comment faisions-nous pour travailler ensemble ? On avait une telle osmose que nous ne nous posions aucune question. Quand l’un de nous deux avait un problème et qu’il achoppait sur un passage musical, l’autre venait à la rescousse. Certains jours c’est lui qui prenait le piano et moi j’écrivais. D’autres jours c’était l’inverse. Il y avait un tel mimétisme entre nous qu’à la in on ne savait plus qui avait écrit tel ou tel passage. On n’a jamais eu une dispute, ni une discussion, car tout ce qu’il disait était logique. Si Raymond est un grand musicien, il est avant tout un garçon extrêmement intelligent.

Raymond Lefèvre : Pendant ces trois ans, nous avons énormément travaillé ensemble sur le plan musical. On nous cataloguait comme des adversaires, alors que nous avons un jour décidé, au

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début des années 60, de mettre notre expérience en commun. Nous gardions chacun des engage-ments personnels, mais la musique nous l’écrivions ensemble. C’était très agréable. Écrire de la musique c’est un peu accoucher ou rester seul devant sa page blanche comme les écrivains ; c’est souvent pénible. À deux, si l’on s’entend bien et si on partage un peu les mêmes goûts, il y a alors des moments de vraie rigolade, le travail se fait aussi plus vite. Malheureusement nous avons dû mettre un terme à cette collaboration, car nous avons eu, au il du temps, de plus en plus d’activi-tés diverses, lui avec la réussite de ses disques orchestraux pour le label Philips à partir de 1965, et moi avec mon émission hebdomadaire à la télévision « Le Palmarès des chansons » avec Guy Lux la même année. J’ai toujours regretté cette époque, la meilleure de ma vie de compositeur.

Leur association se révèle fertile. Paul et Raymond composent de nombreux indicatifs pour la radio et la télévision. Tel le célèbre « Boisderose March », générique de l’émission de Raymond Marcillac « Télé Dimanche » interprété par quatre accordéonistes prestigieux dont Marcel Azzola, Gilbert Roussel et Joss Baselli. Sans oublier aussi l’indicatif de « La roue tourne » et surtout le célébrissime « De ville en ville », le générique d’ « Intervilles », émission de Guy Lux débutée en 1962.

Chariot…en route pour le succès mondial

1962. Paul Mauriat et Franck Pourcel écrivent « Chariot » en compagnie de RaymondLefèvre, chanson devenue très vite un standard international. Chanson que signent pour la musique Del Roma et Stole. Mystère ?

Paul Mauriat : Franck Pourcel, Raymond Lefèvre et moi formions un trio inséparable, on se téléphonait tous les jours. C’est ainsi, qu’un après-midi de 1962, nous nous sommes retrouvés chez Franck, place Saint Ferdinand à Paris et nous avons composé la musique de « Chariot. » Franck était convaincu que cettemusique allait devenir un tube ! Etant donné nos rela-tions amicales, nous avons donc cosigné « Chariot » à trois : Franck et moi pour la composition, Raymond Lefèvre pour la part d’arrangeur (Seul deux composi-teurs peuvent être déclarés à la SACEM). Trois pseu-donymes ont été utilisés. J.W. Stole pour Franck, je

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suis devenu Del Roma, et Raymond a choisi celui de F.Burt. Cela sonnait américain ou émigré italien aux Etats-Unis. Dans les années 60, une bonne mélodie, signée par de tels noms, était assurée d’être un succès, d’où notre supercherie. Succès dans le monde entier, c’est Petula Clark qui chanta « Chariot » la première et elle obtint un disque d’or en France. Il fallut près d’une année pour que la vérité soit connue. « Chariot » était en fait composé par deux marseillais, Franck Pourcel et Paul Mauriat, avec l’aide de Raymond Lefèvre ! Les paroles étant signées Jacques Plante. Même Petula n’en savait rien. C’est sous le titre de « I Will Follow Him » que notre chanson devint un succès international et d’ailleurs elle fut utilisée plus tard dans le ilm « Sister Act » avec en vedette Whoopi Goldberg.

Salut les gendarmes… et Jean Girault

Autre facette de leur talent proliique, Paul Mauriat et Raymond Lefèvre participent à l’écri-ture de plusieurs musiques de ilms et collaborent ainsi avec Jean Girault et Louis de Funès.

Raymond Lefèvre : En 1963, pour la partition de « Faites sauter la banque », l’éditeur Robert Salvet s’était adressé à Paul Mauriat qu’il connaissait bien. Comme nous écrivions tout ensemble avec Paul à cette époque, j’ai donc été amené à composer avec lui la musique de ce ilm de Girault. L’année suivante, ce dernier nous a demandé de travailler sur « Le gendarme de Saint-Tropez » qui devait sortir sur les écrans en septembre 1964. C’est donc en duo avec Paul que nous avons composé la musique, mais aussi avec l’aide d’André Pascal, auteur des paroles de la fameuse chanson « Douliou, Douliou Saint-Tropez », interprétée par la ravissante Geneviève Grad. Peu après, Paul qui accusait quelque fatigue et souhaitait prendre quelques vacances m’avait laissé seul. J’ai dû poursuivre la tâche - nous étions en plein mois d’août – alors que j’étais parti me reposer à la campagne dans la petite ferme que je venais d’acheter dans l’Oise. Je me suis fait un peu prier pour écrire cette musique et d’ailleurs l’assistant de Jean Girault est alors venu en 2 CV m’apporter les minutages de toutes les scènes où il voulait que je mette de la musique. J’avais déjà visionné un montage du ilm avant. J’ai alors écrit la partition sur une table dans mon jardin, l’herbe jusqu’aux genoux car je n’avais pas eu le temps de tondre ! De plus, Jean Girault voulait une « marche » pour Le Gendarme… Pour ce faire, je me suis inspiré du style de la marche du « Pont de la rivière Kwaï.» C’est bien sûr un pastiche, mais les notes n’étant pas les mêmes, on ne pouvait m’accuser de plagiat. En tout cas, elle avait beaucoup plu à de Funès.

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À vrai dire, ni Raymond Lefèvre, ni Paul Mauriat n’auraient pu imaginer au cours de l’été 1964 que « Le Gendarme de Saint-Tropez » allait connaître le succès que l’on sait. Mais Saint-Tropez était la station balnéaire à la mode et Louis de Funès venait de faire un « tabac » avec « Le Corniaud » de Gérard Oury.

Dans « Le Gendarme à New York », on peut écouter « Entrecôte Story » un morceaud’anthologie écrit à l’américaine sur le modèle de « West Side Story » dont la musique est de Léonard Bernstein, scène où de Funès se bat avec les gangs pour conserver une entrecôte !

Raymond Lefèvre : C’est aussi avec Paul qu’on avait écrit cette musique, on avait passé beaucoup de temps pour l’écrire. Malgré cette réussite Paul lassé d’écrire pour le cinéma, décide d’aban-donner après ce deuxième ilm des Gendarmes. J’ai ensuite composé tout seul les musiques pour « Le Gendarme se marie », « Le Gendarme en balade », « Le Gendarme et les Extra-terrestres »et « Le Gendarme et les Gendarmettes. » Heureusement que ces musiques étaient à écrire et enregistrer durant les mois de juillet et août, car à ce moment là je ne faisais pas d’émissions de télé avec Guy Lux. Bien que la musique « comique » n’ait jamais été mon idéal, je l’ai toujours écrite le mieux possible pour coller aux images de Jean Girault. Je préfère, et de loin, la musique romantique que j’ai pu aussi de temps en temps composer pour cette série des Gendarmes, sans oublier qu’il fallait aussi écrire des musiques à la mode pour chaque ilm, comme par exemple du twist pour le premier ilm, plus tard du disco, de la pop music et autres, car il y avait beaucoup de scènes de discothèques. En 1971, j’ai aussi écrit la musique de « Jo » pour Jean Girault et pour ce ilm, distribué par la MGM, j’ai réussi à le convaincre de me laisser écrire une partition avec un thème de suspense pour grand orchestre sur un rythme jazzy.

Serge Elhaïk : En 1981, la création de la musique de « La Soupe aux choux » est pour vous l’occasion de vous frotter pour la première fois aux synthétiseurs.

Raymond Lefèvre : Quand on m’a demandé d’écrire la musique pour la bande annonce de ce ilm, j’avais pour habitude, comme j’étais devenu coéditeur des musiques des Gendarmes, d’uti-liser pour ces bandes annonces un extrait de la musique du ilm précédent. Mais là, on m’a dit qu’il fallait une musique originale. À vrai dire, je ne voulais pas engager et payer personnellement trente ou quarante musiciens pour enregistrer la musique de cette bande annonce. Je me suis décidé à faire une maquette. J’ai donc écrit la musique pour seize musiciens et je suis allé au studio de Guy Boyer à Boulogne-Billancourt où il y avait des synthétiseurs, mais je n’y connaissais rien. J’étais tout seul et j’appuyais sur n’importe quel bouton et quand un son

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me plaisait je le gardais. J’ai ainsi enregistré mes seize pistes puis on a mixé. Le lendemain Christian Fechner, le producteur, est venu écouter chez moi mon travail de la veille et il m’a dit « C’est formidable, ne changez rien, ne changez rien. » Et c’est sorti comme ça. J’ai toutefois enregistré quelques thèmes du ilm en version symphonique en me servant, entre autres, du thème principal pour les séquences romantiques.

En 2006, cette musique a resurgi car plus de 400.000 possesseurs de téléphones portables ont téléchargé la musique de « La Soupe aux choux » comme sonnerie pour leurs mobiles !

Serge Elhaik : Avez-vous eu l’occasion de rencontrer Louis de Funès sur les plateaux de tournage ?

Raymond Lefèvre : Je l’ai croisé à maintes reprises. Il aimait beaucoup parler de ses débuts comme pianiste de cabaret à Pigalle. Il était intarissable sur ce sujet. Comme j’avais moi-même exercé ce métier pour payer mes études au Conservatoire de Paris, nous nous racontions mutuel-lement nos souvenirs au grand dam de Jean Girault qui se rongeait les ongles en nous attendant ! Il m’avait dit apprécier mes musiques pour ses ilms avec Jean Girault et d’ailleurs après « Les Grandes Vacances » sorti en 1967, Louis de Funès m’a adressé une lettre élogieuse que je garde précieusement.

Le Palmarès des chansons1965. Raymond Lefèvre devient le chef d’orchestre incontournable de l’émission « Le Palmarès des chansons » présentée par Guy Lux à la télévision. Guy Lux avait déjà croisé la route de Ray-mond Lefèvre quand ce dernier avait signé avec Paul Mauriat l’indicatif culte d’« Intervilles »quelques années plus tôt.

Raymond Lefèvre : J’ai fait cette émission de télévision à partir de septembre 1965 et j’aicontinué avec lui pendant plus de quinze ans. C’était du vrai direct. Les « stars » étaient fébriles ; elles comptaient d’ailleurs sur nous pour assurer. Quand un chanteur faisait une erreur de mesure, cela pouvait même arriver aux plus grands, il fallait que l’orchestre rattrape. Au début, nous répétions peu. Nous arrivions à 13 heures pour une émission programmée en direct à 20 heures 30 au studio 102 de la Maison de la Radio, avenue du Président Kennedy à Paris. Nous avions quinze ou seize chansons à répéter, plus tous les petits bouts de présentation que l’orchestre devait assurer. Par la suite, nous avons eu jusqu’à 48 heures de répétitions avant chaque programme. Quant aux

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musiciens de l’orchestre, j’avais négocié avec les responsables de la télévision leur cachet, car à l’époque il y avait pour eux beaucoup de travail en studio et ce n’était donc pas toujours facile d’en recruter pour « Le Palmarès. » Nous étions inalement bien payés. La première année j’ai eu du mal à disposer de plus de dix-huit musiciens, mais petit à petit j’ai réussi à en imposer jusqu’à quarante dans l’orchestre. C’était un énorme travail de préparation, car dès le lendemain de chaque émission, je recevais chez moi les artistes de l’émission suivante qui venaient pour me donner leur tonalité et autres renseignements concernant la chanson qu’ils allaient chanter. Mon salon ressemblait à la salle d’attente d’un médecin ! Deux jours après, je recevais les arrangeurs qui m’aidaient à écrire toutes les partitions. Je gardais pour moi les orchestrations à faire pour la vedette principale de l’émission et ensuite arrivaient les répétitions. Et ainsi de suite pendant des années.

Guy Lux qui appréciait particulièrement son chef d’orchestre avait paraphé le dos de pochette d’un album orchestral de Raymond Lefèvre. « Raymond Lefèvre…si je ne l’avais pas derrière moi lorsque démarre l’émission du Palmarès, je n’oserais jamais affronter les millions de téléspectateurs qui sont devant. »

Après « Le Palmarès des chansons », c’est aussi en compagnie de Raymond Lefèvre diri-geant l’orchestre que Guy Lux présentera d’autres émissions comme « Si ça vous chante » ou« Cadet-Rousselle. »

En dépit de sa fréquentation assidue du monde du spectacle, Raymond Lefèvre ne parlait pas facilement des nombreux artistes qu’il avait pu côtoyer. Toutefois, il reconnaissait volontiers que Charles Aznavour fut, parmi eux, l’un des plus faciles à accompagner.

Serge Elhaïk : Comment avez-vous vécu cette période où des millions de français vous regardaient à la télé ?

Raymond Lefèvre : Grâce à cette émission j’ai obtenu une grande popularité. Quand on acommencé, il n’y avait qu’une chaîne de télévision en noir et blanc. Un exemple, en 1965, au bout de quatre émissions, j’ai voulu aller au salon de l’auto et il a fallu que je sorte tellement les gens m’assaillaient. J’étais épouvanté.

Serge Elhaïk : Vos ventes de disques ont-elles augmenté grâce à votre popularité dans cette émission ?

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Raymond Lefèvre : Pas tellement inalement, car j’avoue aussi que n’avais pas vraiment le temps de m’occuper de mes enregistrements. À ce moment, la grande vedette pour la vente des disques orchestraux était incontestablement mon grand ami Franck Pourcel, avant que Paul Mauriat devienne à son tour très célèbre grâce à son succès aux États-Unis avec « Love Is Blue » en 1968. Mais de toutes les façons les chaînes de radio ne diffusant que très peu les musiques orchestrales, nos ventes de disques restaient assez faibles.

De son côté, Raymond Lefèvre eut malgré tout un beau succès international, également en 1968, quand il signa pour son orchestre un très bel arrangement de la musique d’ « AmeCâline » de Polnareff, titre rebaptisé « Soul Coaxing » dans certains pays. L’année suivante un autre succès va lui permettre de conquérir le Japon…

…Raymond Lefèvre “Live in Japan”Au Japon, Raymond Lefèvre a été une véritable star, au même titre que Paul Mauriat, Cara-velli, ou Franck Pourcel. A partir de 1972 et jusqu’en 1995, il a parcouru le pays en tous sens avec un succès jamais démenti.

Raymond Lefèvre : Pour réussir dans ce pays, il est nécessaire d’avoir déjà à son répertoire un ou deux morceaux à succès. J’ai eu pour ma part, la chance d’y parvenir avec l’adaptation pour mon orchestre de « La reine de Saba »,une chanson française de Michel Laurent. C’est grâce à ce titre qui fut pour moi un hit au Japon en 1969, que j’ai pu débuter des tournées là-bas en 1972 avec la visite de dix-huit villes. Le public étant satisfait, nous y avons enchaîné des tournées de plus en plus longues. C’est vrai que ça nécessite une organisation colossale et engage une grande responsabilité. L’importance des investissements nous interdit d’être malade, moyennant quoi, grandes sont les satisfactions avec un public extraordinaire.

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Après avoir abandonné la télévision au début des années 80, Raymond Lefèvre s’est alors totalement investi dans ces tournées japonaises ainsi que dans l’enregistrement de plusieurs CD de musiques instrumentales, nécessitant chacun plusieurs mois de travail. L’un deux, entre autres, l’avait associé à Richard Clayderman en 1997. Raymond se souvient aussi de quelques concerts donnés en Europe.

Raymond Lefèvre : J’ai eu l’occasion de diriger un orchestre à Berlin. Et je me souviens avoir eu un peu peur, car à l’époque, j’avais adapté des œuvres classiques de Bach, Beethoven et Mozart dans un style variété. En fait, mon but était de faire découvrir cette musique classique à des gens qui n’y connaissaient pas grand-chose et, de fait, les intéresser. J’ai inalement reçu beaucoup de lettes de remerciements qui disaient « Grâce à vous, j’ai découvert et apprécié la musique classique. »

Serge Elhaïk : Jean-Michel l’un de vos ils a suivi les traces de son illustre père ?

Raymond Lefèvre : J’ai deux ils. Bernard, mon aîné, avait envie de faire mon métier mais il n’avait pas l’oreille parfaite. C’est un don, on n’a aucun mérite à l’avoir. Je ne l’ai donc pas encouragé à faire de la musique, ce d’autant qu’il suivait très bien à l’école et qu’il a inalement fait une belle carrière de pharmacien à La Rochelle. Quant à mon second ils, Jean-Michel, il faut dire qu’au lycée ce n’était pas terrible, mais heureusement il aimait aussi la musique et lui, avait l’oreille. Quand il était tout petit il se couchait par terre sur mes pieds quand j’écrivais de la musique et que je pianotais. Il a appris la musique sérieusement au Conservatoire et a bien travaillé la direction et c’est lui qui m’a succédé pour diriger mon orchestre au Japon. D’ailleurs lors de mes dernières tournées, Jean Michel qui jouait des claviers et de la contrebasse, avait déjà dirigé l’orchestre le temps de deux ou trois titres qu’il avait composés et le public idèle le connaissait donc un peu. Avant chaque tournée de l’orchestre conduit par mon ils, ce fut chaque fois un plaisir de travailler avec lui à la préparation de ces concerts.

Pour les fans de l’orchestre et les collectionneurs de disques, le prénom de Jean-Michel n’est pas inconnu non plus, son nom igurant déjà en bonne place aux côtés de celui de son père sur les jaquettes de bon nombre d’albums japonais.

Serge Elhaïk : Quel a été le répertoire de l’Orchestre au Japon ?

Raymond Lefèvre : C’était un panel de mes orchestrations et compositions écrites au il des ans

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pour mes divers albums instrumentaux. S’y sont ajouté ensuite quelques orchestrations et compo-sitions de mon ils Jean-Michel. L’indicatif de l’orchestre étant « Cadet-Rousselle » une musique que j’avais écrite au départ pour l’émission présentée par Guy Lux.

Serge Elhaïk : Je crois qu’au Japon votre ils vous a réservé une surprise lors d’un concert en 1998 ?

Raymond Lefèvre : C’était lors de la première tournée dirigée par Jean-Michel. En fait j’avais souhaité rester discret et je n’ai donc assisté qu’à très peu de concerts dirigés par mon ils, car c’est dificile de prendre la suite de quelqu’un de très connu. Lors d’un concert à Tokyo, j’étais là et je m’étais isolé au fond de la salle pour écouter comment cela sonnait. A un moment donné, Jean-Michel a arrêté le concert et il a annoncé aux spectateurs : « c’est une soirée très spéciale, je suis très heureux, car mon père vient d’arriver de Paris et il est là parmi nous. » Jean-Michel a ensuite traversé toute la salle dans le noir, il est venu me prendre par la main et m’a fait monter sur scène pour que je dirige « La Reine de Saba » qui était mon plus gros tube au Japon et qui concluait mes concerts. J’avoue que j’avais les larmes aux yeux et pas mal de musiciens aussi. On pleurait tous. Ce fut un grand moment. C’est bien que Jean-Michel ait fait cela, mais il ne m’avait pas averti, il m’avait simplement dit « Mets une veste noire, car on a un dîner après ! »

PostludeC’est avec plaisir que Raymond Lefèvre, homme affable, gentil et modeste, accordait des interviews ou participait à des réunions d’associations défendant le répertoire instrumental. Il n’aimait pas trop le terme de musique « easy listening » (musique facile à écouter) utilisé largement par les anglo-saxons au milieu des années 90 quand un phénomène de mode avait apporté un soufle nouveau à la musique instrumentale à cette époque.

Raymond Lefèvre : Je ne supporte pas ce terme « easy listening » ou autre appellation du type « musique d’ascenseur » ou de « super marché. » Cela nous dévalorise quand on sait la minutie avec laquelle nous nous appliquons pour écrire ces musiques qui sont en fait très dificiles à arranger.

Quant au clivage entre les musiciens symphoniques et ceux de la variété, Raymond avait aussi des idées bien arrêtées.

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Raymond Lefèvre : Ce clivage n’existe plus, car après avoir participé à diverses séancesd’enregistrement de musique de variété, les « symphoniques » se sont rendu compte de laprécision qu’il fallait apporter dans l’exécution d’une telle musique.

Serge Elhaïk : Avez-vous travaillé pour l’Eurovision ?

Raymond Lefèvre : Oui, à quelques reprises dans les années 60. C’était pour les artistesreprésentant la Principauté de Monaco. Franck Pourcel était de son côté le chef attitré pour la France. Petite anecdote, quand j’ai annoncé à Franck le cachet que je recevais de Monaco, il a été très étonné. Il en a réclamé autant et il a été entendu ! Il m’a remercié !!

********************** Après une telle carrière, Raymond avait levé le pied au seuil des années 2000, partageant son temps entre son appartement parisien situé près de la Maison de la Radio ou sa propriété qu’il possédait dans le Luberon. Mais il n’oubliait pas pour autant les discophiles, japonais essentiellement, pour lesquels il avait continué à enregistrer quelques CD avec l’aide de son ils Jean-Michel. Comme quoi quand on aime…

Malade, Raymond Lefèvre nous a quittés le 27 juin 2008 à l’âge de 78 ans à Seine-Port, en Seine-et-Marne, où il était hospitalisé depuis plusieurs mois. Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise.

Sa famille et en particulier son ils Jean-Michel perpétuent sa mémoire. Si à l’heure actuelle les projets de concerts en terre nipponne ne sont pas d’actualité, le label japonais Victor continue quant à lui de rééditer de nombreux disques de ce géant de la musique orchestrale qu’était Raymond Lefèvre.

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Serge ElhaïkJanvier/Février 2013

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Sources :1. « Raymond Lefèvre le Karajan de Guy Lux. » Interview et article à propos de Raymond Lefèvre par Jean-Loup Lafont. France Soir. 1976. 2. Interview de Raymond Lefèvre par Stéphane Lerouge. Livret du CD dédié à Louis de Funès. Collection Play Time. Les acteurs. PL 9306. Année 1993.3. Interview de Raymond Lefèvre par Serge Elhaïk pour Radio Plus à Evreux. 10 mai 1995.4. Interview de Raymond Lefèvre par Michel Gosselin et Patrick Tesson. Radio Bleue. Année 1997.5. Interview de Paul Mauriat par Serge Elhaïk pour Radio Bleue. Emission Libre échange. 2 février 1999.6. Interview de Raymond Lefèvre par Serge Elhaïk pour l’Association Française Musique Récréative. Séance publique le samedi 7 octobre 2000.7. Paul Mauriat. Une Vie en Bleu. Livre de Serge Elhaïk. 2002.8. Raymond Lefèvre : Les grandes vacances. Interview publiée sur le web par Michael Ponchon. Novembre 2002.9. Raymond Lefèvre. 50 ans après « Bambino. » Interview par Jean-Pierre Pasqualini. Platine n° 141. Mai-Juin 2007. Pages 78 à 82.10. Emission « Sous les Etoiles Exactement » de Serge Le Vaillant, avec Raymond Lefèvre et Serge Elhaïk le 3 octobre 2006 sur France Inter.

Raymond Lefèvre et Georges Moustaki en septembre 2006

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Les grands Orfèvres de la ChansonLes merveilleux compositeurs et orchestrateurs

françaisRaymond Lefèvre et son orchestre

Arrangements et direction musicale Raymond Lefèvre

(Sauf indication contraire)Compositions de Raymond Lefèvre selon mention

1. Teddy Moore son orchestre et ses chœurs. De Ville en Ville 2’16(Indicatif de l’émission de télévision « Intervilles ») (Raymond Lefèvre. Paul Mauriat. Jean Broussolle)Orchestrations Raymond Lefèvre et Paul Mauriat.Disque Président PRC 298 « Intervilles 62 »

2. Dalida. Bambino. « Guaglione » 3’31(Nisa. Guiseppe Fanciulli. Adaptation Jacques Larue)Barclay 70068 (1956)

3. Eddie Constantine. Cigarettes, Whisky et P’tites Pépées 2’35(Jacques Soumet. François Llenas. Tim Spencer)Accompagné par Raymond Lefèvre et son orchestre avec les « Blue Stars »Barclay 70072 (1956)

4. Raymond Lefèvre et son orchestre. Le Jour où la Pluie Viendra 2’54(Pierre Delanoë. Gilbert Bécaud)Barclay 72185 (1958)

5. Rika Zaraï. Kalinka 2’17 (André Salvet. Jacques Datin. André Popp)Bel-Air 211032 (1961)

6. Maurice Chevalier. Valentine 3’29 (Albert Willemetz. Henri Christiné)Orchestrations et direction musicale Raymond Lefèvre et Paul Mauriat.Barclay 80176 (1962)

7. Dalida. Ciao Ciao Bambina 2’52(Domenico Modugno. Dino Verde. Jacques Larue)Barclay 70230 (1959)

8. Raymond Lefèvre et son orchestre Hava Naguila (Dansons mon amour) 2’16(Sid Danoff. Charles Aznavour)Atlantic SD 8044 (1961)

9. June Richmond. Sa Moitié 3’02 (Roger Lucchesi)Barclay 70042 (1956)

10. Bob Martin. Encore 3’02 (Vline Buggy. Guy Magenta)Barclay 70064 (1956)

11. Raymond Lefèvre et son orchestre. A Paris (Francis Lemarque) 2’14Barclay BB 8 (1958)

12. Petula Clark. Chariot 2’33 (J.W. Stole. Del Roma.Jacques Plante)Arrangements et orchestre dirigé par Peter Knight.Vogue EPL 8000 (1962)

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13. Dalida. O Sole Mio 2’52(Jean Capurro. Eduardo Di Capua. Adaptation : Amédée Hettich)Barclay 70345 (1960)

14. Maurice Chevalier avec les Chaussettes Noires. Le Twist du Canotier 2’32(Noël Roux. Georges Garvarentz)Orchestrations et direction musicale Raymond Lefèvre et Paul Mauriat.Barclay 80176 (1962)

15. Raymond Lefèvre et son orchestre. La chanson d’Orphée 2’40(Luiz Bonfa. Antonio Maria. François Llenas. Marcel Camus)Barclay 72314 (1959)

16. Rika Zaraï. Exodus 2’28 (Eddy Marnay. Ernest Gold)Du ilm « Exodus »Bel-Air 211032 (1961)

17. Eddie Constantine. Tu joues avec le feu 2’49(Bernard Michel / Michel Legrand. Eddie Barclay)Barclay 70207 (1959)

18. Dalida. Je te tendrai les bras 2’48 (Pierre Dorsey. Hubert Giraud)Barclay 70271 (1959)

19. Paris en Liberté. (Georges Garvarentz). 2’44Du ilm « Les Lions sont lâchés » Orchestre dirigé par Raymond Lefèvre.Barclay 70397 (1961)

20. Cécile Devil. Le Tour du Monde 2’54 (René Rouzaud. Victor Young)Du ilm « Le tour du monde en 80 jours »Barclay 70122 (1958)

21. Sophie Daumier. Comme les Oiseaux 1’28(Roger Pierre. Jean-Marc Thibault. Claude Stiermans) Barclay 70481 (1962)Orchestrations et direction musicale Paul Mauriat et Raymond Lefèvre.

Titres bonus

Raymond Lefèvre instrumentiste (Orthographié Lefebvre en début de carrière)22. Bernard Hilda et son orchestre. Romanza « Brasileirinho » 2’43 (Waldir de Azevedo).Solo de piano et de lûte : Raymond LefebvreDecca MC 36145 (1954)

L’un des tout premiers arrangements de Raymond Lefèvre pour un artiste :23. Paule Desjardins. Tout Bas 2’41 (Kurt Weill. Jacques Plante)Arrangements et direction d’orchestre Raymond LefebvrePolydor 20 711 (1956)

Le 1er titre de Raymond Lefèvre et son or-chestre pour le label Barclay :24. Raymond Lefèvre et son orchestre. Bambino « Guaglione » 2’58(Nisa. Guiseppe Fanciulli. Adaptation Jacques Larue)Barclay 72072 (1956)

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Remerciements.. Très vifs à Stéphane Gonnon et à Matthieu Moulin pour la coniance qu’ils m’ont accordée pour faire naître et permettre la poursuite de cette série «Les Chefs d’Orchestre français…Grands Orfèvres de la chanson». ». Très vifs aussi à Jean-Michel Lefèvre, ils de Raymond Lefèvre, pour sa disponibilité, pour les photos rares de Raymond Lefèvre reproduites dans ce livret.. À Lionel Risler pour le transfert, la numérisation et l’équalisation de certains élémentsmicrosillons originaux.. À Clémence Leman pour la mise en page et la maquette, et Sabrina Chakal, pour son aide.

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La mémoire de la chanson française - Catalogue disponible gratuitement sans obligationsMarianne Mélodie - 59687 ROUBAIX CEDEX 2 - Tel: 0892. 350. 322 (0,34€/min)

internet : www.mariannemelodie.fr

Jean-Michel et Raymond Lefèvre