le spectateur déluré may flower

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Le Spectateur Déluré May Flower In Aere Aedificare

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Journal de la prépa

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Page 1: Le spectateur déluré may flower

Le Spectateur Déluré

May Flower

In Aere Aedificare

Page 2: Le spectateur déluré may flower

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May Flower

(Image tirée du Alice au Pays des Merveilles de Tim Burton)

Page 3: Le spectateur déluré may flower

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Le Spectateur Déluré

Sommaire

P 4 : Introduction (Carole L.)

P 5 : La rubrique du Lièvre de Mars (Johanna L.H. et Gilliane M.)

P 19 : Dissertation Délurée (Aurore Sorriaux)

P 25 : Poésie (Carole L.)

P 27 : Feuilleton (Aurore Sorriaux)

P 32 : Cinéma (Camille Salle)

P 40 : Actualité (MCB)

P 43 : Horoscope (Julie G.)

Illustrations parsemées et photographie par Alice Rorosheim

(Photographie de la couverture par Carole L.)

Page 4: Le spectateur déluré may flower

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May Flower

Introduction

Les impondérables de la vie éditoriale : on prévoit d’appeler un numéro « May

Flower » pour évoquer les p’tites fleurs et le soleil tout chaud, mais le dernier est en pleine

déprime et les premières ne resplendissent pas des mille éclats que l’on attendait. C’est un peu

comme si un magazine scientifique prévoyait un article expliquant le son des cigales pour le

mois de juin alors que les pauvres insectes ne se manifestent pas, faute de chaleur, et

dépérissent, faute d’avoir fait des réserves l’été d’avant comme leurs voisines les fourmis.

C’est hors sujet.

Mais revenons à la cigale et à la fourmi. Ne trouvant rien de mieux sur quoi écrire en

introduction, on peut se demander s’il vaut mieux être cigale ou fourmi et, en fin de compte,

laquelle a plus raison que l’autre. Tout d’abord, nous verrons que la cigale n’est pas

travailleuse, ensuite que la fourmi n’est pas festive, et enfin qu’elles sont toutes d’eux

largement dépassées, et surpassées, par un plus gros animal absolument magnifique et

extraordinairement intelligent (non, il ne s’agit pas de l’Homme). Tout au long de cette

démonstration, n’oublions pas d’utiliser les expressions les plus téléphonées qui soient.

Tout d’abord, en premier lieu et avant toute chose, nous pouvons remarquer que la

cigale n’est décidément pas travailleuse, et que quand on chante tout l’été, on n’a plus qu’à

hiberner l’hiver. Alors, quand la saison chaude des concerts stéréo tarde à revenir, la cigale ne

peut plus rien faire d’autre que de se dessécher et d’appeler la fourmi à l’aide. Mais la fourmi

n’est pas prêteuse. Tout flatteur vivant aux dépens de celui qui l’écoute, la cigale appelle alors

le corbeau de sa voix enjôleuse mais fatiguée. Mais le corbeau a déjà reçu une leçon qui lui a

valu un fromage sans doute, et se jette alors sur la suppliante pour la dévorer.

Nous voyons alors dans un second temps que la fourmi, si elle anticipe sa survie de

manière exemplaire, n’est pas un exemple pour autant. Sans citer une chanson de Balavoine

dont le refrain est entré dans toutes les têtes de manière insidieuse et irréparable, il est évident

que la fourmi ne fait que survivre et non pas vivre. Ceci est d’autant plus bête que, si elle

restait de temps en temps tranquillement dans sa fourmilière comme Blaise Pascal dans sa

chambre, elle aurait moins de risques d’être lamentablement écrasée dans ses incessantes

gesticulations. Apercevant une chaussure d’un kilomètre de long s’abattre sur elle, la fourmi a

certainement le temps de désespérer en voyant défiler sa vie de servitude sans autre but que la

conservation inefficace.

Dans un grand trois resplendissant de sa force synthétique, nous pouvons alors voir

qu’il ne faut être ni cigale, ni fourmi, mais que tout l’art de la dialectique ne fait que nous

révéler la suprématie de l’écureuil (surtout quand il a un penchant certain pour l’art et pour

Cézanne). En effet, l’écureuil sait aviser. L’écureuil gambade tout en faisant ses réserves.

L’écureuil sent le vent sur ses petites joues gonflées par les noisettes quand il saute

allègrement d’une branche à l’autre. Il est indépendant, farouche et prudent, plus agile et plus

rapide que son ombre.

Donc, en conclusion, nous pouvons conclure que la fourmi devrait réfléchir à deux

fois à sa propre condition avant de faire sa Madame-je-sais-tout. Nous pourrons alors tenter

tant bien que mal une ouverture sur le Mayflower, bateau des « Pilgrim Fathers » débarqué en

Amérique du Nord en 1620. Mais attendons-nous à ce qu’on nous rende la copie avec écrit :

« Superficiel et hors-sujet. Vous tombez ici vous-même dans les tréfonds de la Madame-je-

sais-tout ».

Carole L.

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Le Spectateur Déluré

La rubrique du Lièvre de Mars

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May Flower

L’Amor de Dom Juan

DOM JUAN : le séducteur, le grand, le seul, le vrai, l’unique

SGANARELLE : le fidèle valet de Dom Juan

DONA ELVIRA: jeune fille arrachée à son couvent, épouse de Dom Juan

DONA ANA : étudiante en prépa, fiancée de Don Ottavio, sauvée de Dom Juan par Dona

Elvira

CHARLOTTE : étudiante en droit, ancienne maîtresse de Don Juan dont elle a eu un enfant

MATHURINE : étudiante en langues étrangères, ancienne maîtresse de Dom Juan

PIERROT : étudiant en lettres modernes, ancien fiancé de Charlotte

FREUD : psychiatre et psychanalyste célèbre, spécialisé en donjuanisme, qui s’est exilé de

Londres à Aix en Provence

LIEVRE DE MARS : on ne le présente plus

MONCRU : fidèle acolyte du Lièvre de Mars

DIRECTEUR DU JOURNAL, bien entendu, du Spectateur Déluré

ACTE I

La scène se déroule dans le Sud de la France, à Aix-en-Provence, plus précisément au lycée

Paul Cézanne, en salle Gérard Philipe.

Scène 1

SGANARELLE

Agenouillé devant le corps de Dom Juan, il pleure et crie

Mes gages, mes gages, mes gages !

Entrent Moncru et le Lièvre de Mars

MONCRU

Je suis au désespoir, je n’ai rien à donner au directeur du journal pour le prochain numéro... Et

toi, tu as trouvé quelque chose ?

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Le Spectateur Déluré

LIEVRE DE MARS

Non, mais je fais confiance au destin et je crois qu’il m’a déjà trouvé quelque chose.

Holà, ho, l’homme ! ho, l’ami ! Sganarelle, que t’arrive-t-il ?

SGANARELLE

Mon maître est à présent sans vie. Il ne méritait pas un tel sort…et moi encore moins.

MONCRU

Que s’est-il passé ?

SGANARELLE

Dom Juan avait ici une nouvelle belle en vue et nous prenions ensemble le goûter en attendant

l’heure propice de la séduction. Survient le Commandeur que Dom Juan a tué en duel au

XVIIème

siècle, Dom Juan, fort galant même envers les trépassés, m’ordonne de donner des

carreaux de chocolat à notre invité surprise. Celui-ci hésite, les prend du bout des doigts puis

les jette par terre et demande à Dom Juan de venir goûter chez lui en enfer le lendemain. Moi

de m’esclaffer, Dom Juan de s’étonner, le Commandeur de s’agiter quand Dom Juan tressaille

comme s’il avait senti une odeur de femme - il les flaire toutes et de loin – je cherche des

yeux si une visiteuse est entrée dans la salle. Dom Juan et le Commandeur se rapprochent, le

Commandeur semble lui dire quelque chose sans que je l’entende et Dom Juan donne sa main

au Commandeur puis crie : « Un feu invisible me brûle, je n’en puis plus, et tout mon corps

devient un brasier ardent. » ! Je vais lui faire remarquer, au risque de me prendre des coups de

bâton, qu’il s’adresse à un homme, et qui plus est mort, quand je le vois s’effondrer à terre. Je

me précipite sur lui, il est bouillant puis pâle, je lui parle sans obtenir de réponse audible, je

relève la tête pour appeler du secours, le Commandeur a disparu et mon maître s’éteint dans

mes bras. Et dire qu’il avait toujours voulu mourir entre les bras d’une femme, quelle triste

fin !

LIEVRE DE MARS

Et tu as alors réclamé tes gages en criant ?

SGANARELLE

Oui, quand vous êtes entrés.

MONCRU

Un homme criblé de dettes même envers son domestique, qui meurt sans être entouré par les

bras d’une de ses nombreuses maîtresses, quelle sale affaire patron, quelle sale affaire !

LIEVRE DE MARS

Vous semblez oubliez un détail : grâce à cette sale affaire, comme vous dites, vous aurez de

quoi écrire votre article, car le Lièvre démasquera le coupable de ce crime odieux !

MONCRU

C’est vous le meilleur, patron ! Mais comment allez-vous démasquer le Commandeur

puisqu’il est probablement retourné en enfer ?

LIEVRE DE MARS

Dis-moi Sganarelle, le Commandeur avait-il des raisons d’en vouloir à ton maître ?

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May Flower

SGANARELLE

Non, je ne vois pas, Dom Juan était un honnête homme comme on n’en voit plus au XXIème

siècle. Il a certes tué le Commandeur, mais il l’a fort bien tué et le Commandeur aurait tort de

se plaindre, surtout aussi longtemps après.

LIEVRE DE MARS

Dom Juan était un honnête homme, mais il a fait beaucoup de jaloux et ses maîtresses

délaissées se sont plaintes souvent à leur psychanalyste. Bon, Sganarelle contacte-moi toutes

les personnes qui estiment avoir été lésées par Dom Juan.

SGANARELLE

Gloups ! Toutes ???

LIEVRE DE MARS

Toutes celles qui sont dans le périmètre du crime, disons toutes ses victimes aixoises.

SGANARELLE

Bien. Où est passé mon encyclopédique carnet ?

MONCRU

C’est le fameux carnet de ses conquêtes ? Je croyais qu’il ne contenait que des noms.

SGANARELLE, composant des numéros

Au début oui, mais depuis quelques temps je prends aussi les numéros de téléphone, ça évite à

Dom Juan certaines goujateries.

MONCRU

Oh, quelle délicate attention…

Scène 2

Arrivent Pierrot, une corde au cou et Dona Ana.

DONA ANA

Ah Sganarelle, tu es là ! Ce n’est pas une nouvelle mascarade de ton maître ? Encore une mise

en scène de Dom Juan ?

SGANARELLE

Hélas non, madame.

PIERROT

Quoi, Dom Juan est mort ? Il ne séduira plus les fiancées et épouses d’autrui ?

SGANARELLE

Qu’est-ce qu’il fait là celui-là ? La dernière fois que je t’ai vu, je me suis pris une gifle à ta

place, alors oust !

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Le Spectateur Déluré

PIERROT

J’ai été invité à une récitation et à une conférence sur la poésie romantique. Mais ce que

j’apprends avec vous est encore plus intéressant.

DONA ANA qui s’est approchée du corps

Il est bien mort ? Vraiment et durablement mort ?

Elle touche le corps avec son pied.

Ah oui, il est mort. Un scélérat en moins sur la terre.

PIERROT

Bon débarras !

SGANARELLE

Eh ! N’insultez pas la mémoire de mon défunt maître ! Je pourrai te rendre la gifle que je te

dois, Pierrot !

MONCRU

Il me semble que c’est bien toi, Sganarelle, qui le traitais de scélérat, d’enragé, de chien, de

diable, et j’en passe, quand il respirait encore ?

LIEVRE DE MARS

Inutile de vous chamailler sur le respect inspiré par Dom Juan, entretuez-vous plutôt en me

laissant trouver le coupable du meurtre.

Il se colle une fausse moustache et met en bouche une pipe qu’il n’allume pas.

Dona Ana, pour quelles raisons désiriez-vous la mort de Dom Juan ?

DONA ANA, très calme

Je ne désirais pas sa mort, mais maintenant qu’elle est arrivée, j’en suis satisfaite, comme tout

un chacun.

SGANARELLE

Dom Juan a tué son ancêtre le Commandeur, elle voulait venger sa mort et a envoyé le

Commandeur tuer mon maître !

MONCRU

Il me semble que si l’on veut venger quelqu’un, c’est parce que cette personne ne peut plus le

faire elle-même.

LIEVRE DE MARS

Bon raisonnement Moncru ! Et vous, Pierrot, vous n’êtes pas une ancienne maîtresse de Dom

Juan, pourquoi lui en vouloir ?

PIERROT

Oh, ça non, mais cet impertinent m’a volé Charlotte, ma belle promise !

SGANARELLE

Mais cette corde au cou que tu as, ce n’est pas mon maître qui te l’a passée !

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May Flower

PIERROT, bombant la poitrine et rouge de colère

Je suis fier de me l’être passée moi-même, monsieur le valet, en grand romantique désespéré

par la trahison de mon unique amour, mais c’est bien ce Dom Juan qui l’a limée pour se

moquer de moi !

LIEVRE DE MARS

Et vous vous promenez tous les jours avec ?

PIERROT

Oui, bien sûr ! Elle me rappelle les outrages de Dom Juan, mon pire ennemi !

SGANARELLE

Et bien, sache que si Dom Juan est ton pire ennemi, tu n’es nullement le sien, il en a en

abondance ! Il lui suffisait d’aller quelque part pour se faire des tas d’ennemis !

Scène 3

Charlotte, Mathurine et Dona Elvira viennent sur scène en tenue légère, elles forment une

ronde autour de Dom Juan et dansent lentement.

LIEVRE DE MARS

Mais qu’est-ce qu’elles font ? Elles sont dans un lieu public, si elles ont le droit de danser à

moitié nues, moi j’allume ma pipe !

DONA ANA

Elles représentent les trois Grâces. La vertu se réjouit de la mort des iniques.

MONCRU

Les trois Grasses, je vois bien ! J’aurais préféré une bonne danse bachique !

SGANARELLE

Mon maître a toujours eu bon goût, enfin je veux dire, il s’y connaissait en art.

LIEVRE DE MARS

Où ont-elles eu ces costumes assez peu décents ?

DONA ANA

Elles ont dû les trouver dans le matériel de la salle.

A près la danse, elles s’habillent tandis que Dona Elvira s’effondre sur le corps de Dom Juan

en pleurant.

DONA ELVIRA

Je te demande pardon mon amour, je ne voulais pas te tuer, mais c’est ce que je désirais le

plus au monde ! Je t’aime plus que moi-même et plus que toi !

PIERROT

Il a eu ce qu’il méritait ! Je vous laisse, maintenant je peux aller me pendre en paix.

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Le Spectateur Déluré

LIEVRE DE MARS

Attendez un peu avant de partir et aussi avant de vous pendre, Pierrot. Je convoque toute les

anciennes maîtresses de Dom Juan ici présentes pour demain au bureau de la rédaction du

Spectateur Déluré. Et vous, Pierrot, je vous convoquerai lorsque j’aurai démêlé cette sale

affaire pour que vous connaissiez qui fut, sur cette scène, votre bienfaiteur.

ACTE II

La scène se déroule au bureau de la rédaction du Spectateur Déluré, donc encore à Aix-en-

Provence.

Scène 1

Le Lièvre de Mars, Moncru, Sganarelle, le directeur du journal dans un coin.

LIEVRE DE MARS

Ah, Sganarelle, tu as bien fait de venir, tu es le seul à pouvoir confirmer ou nier la parole des

anciennes victimes de Dom Juan.

SGANARELLE

Je suis avant tout venu parce que je suis le principal concerné par la mort de Dom Juan. Bien

sûr, après Dom Juan lui-même.

MONCRU

Grâce à toi, on pourra retrouver son assassin bien plus facilement.

DIRECTEUR DU JOURNAL, bondissant au milieu d’eux

Comment, vous osez faire venir ici des gens suspectés de meurtre ? Vous voulez que l’on me

poignarde dans quelque sombre affaire, ou pire, que mon journal soit compromis dans je ne

sais quel scandale ?

LIEVRE DE MARS

Mais non voyons, cher directeur, nous contribuons à la gloire éternelle du Spectateur Déluré

en enquêtant sur l’assassinat d’un mythe ! La police ne s’intéresse pas à la mort de

personnages de rêves et de papier, alors que vos rédacteurs et vos lecteurs sont attentifs aux

agissements et aux disparitions de ces grands non-êtres !

DIRECTEUR DU JOURNAL

Tututut, je ne veux rien entendre de plus, je ne suis au courant de rien. Je note juste que vous

êtes en retard pour me rendre vos articles !

SGANARELLE

Je vais me faire discret pour la santé du directeur et pour mettre plus à l’aise les suspects

interrogés.

Sganarelle se met dans un coin et le directeur sort.

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May Flower

Scène 2

Dona Elvira, Don Ana, Charlotte et Mathurine entrent dans le bureau.

MONCRU

Bonjour mesdames !

LIEVRE DE MARS

Merci d’avoir répondu à notre convocation. Prenez place, je vous en prie. Dona Ana, votre

ancêtre le Commandeur est accusé du crime, qu’en pensez-vous ?

DONA ANA

Qu’il est ridicule d’accuser de meurtre un homme mort il y a des siècles, surtout quand il a été

tué par Dom Juan. S’il pouvait revenir, ce serait à lui d’accuser Dom Juan.

DONA ELVIRA

C’est vrai, elle ne peut pas être coupable, pas plus que le Commandeur puisque c’est moi qui

ait tué Don Juan ! Je l’ai tué par amour !

CHARLOTTE

Qu’elle est sotte celle-là ! Nous avons toutes aimé Dom Juan et nous l’aurions toutes tué si

nous en avions eu la possibilité !

DONA ANA

Mathurine, n’est-ce pas une perruque et une paire de lunettes de soleil de la salle Gérard

Philipe que tu portes ?

MATHURINE

En effet. Je ne vois pas où est le mal de porter une perruque et des lunettes de théâtre dans la

comédie de la vie.

MONCRU

En soi, il n’y a rien de grave, mais on a retrouvé le costume du Commandeur parmi les

accessoires de théâtre du lycée, or hier comme aujourd’hui, on vous trouve vêtue ou dévêtue

dans les costumes de cette salle.

MATHURINE

Seriez-vous en train de m’accuser ? L’emprunt et le vol ne tuent personne, du moins quand le

braquage se passe bien.

LIEVRE DE MARS

Du tout, très chère, nous n’accusons personne ici. Nous ne faisons qu’interroger des suspects.

DONA ELVIRA

Accusez-moi plutôt, c’est moi la coupable !

SGANARELLE

Dona Elvira, comprenez bien que votre hystérie ralentit l’enquête ! Cessez un peu de vous

accuser ainsi, en plus c’est malsain pour votre santé !

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Le Spectateur Déluré

Je m’excuse, messieurs les enquêteurs, mais cette furieuse me met hors de moi.

LIEVRE DE MARS

Ce n’est rien, Sganarelle. Je crois qu’il vaut mieux s’arrêter là pour aujourd’hui.

ACTE III

La scène se déroule dans la salle d’attente du cabinet du Dr. Freud qui s’est lui aussi installé

à Aix-en-Provence après son exil de Londres.

Scène 1

Moncru et le Lièvre de Mars

MONCRU

Il est tout de même étrange que Sganarelle porte autant d’intérêt à la mort d’un maître violent

et criminel comme Dom Juan. Il est en plus le seul témoin du crime. Qu’est-ce qui nous

assure qu’il n’a pas tué Dom Juan de ses propres mains ? Il croit au loup-garou et au moine-

bourru, il a très bien pu inventer son témoignage en pensant que la vengeance du

Commandeur est plausible.

LIEVRE DE MARS

Il est vraiment effrayé par l’idée d’une vengeance de l’au-delà, il ne l’a pas inventée.

Sganarelle n’aurait pas pu tuer Dom Juan d’abord parce qu’il est poltron, ensuite parce qu’il

n’est pas farouche au point de se laisser battre par son maître, enfin parce qu’il aime Dom

Juan autant qu’il le déteste. C’est évident, il l’admire, et ses larmes n’étaient pas feintes.

MONCRU

Bon, va pour Sganarelle, mais Dona Elvira, elle revendique haut et fort le crime, pourquoi ne

pas la croire ?

LIEVRE DE MARS

Parce qu’elle le revendique trop haut et trop fort. Sganarelle nous cache quelque chose à son

sujet, mais quoi ?

MONCRU, prenant un magazine sur la table

Regardez, Lièvre, le journal people littéraire annonce déjà la mort de Dom Juan et réclame

une enquête de police ! Vous aviez raison, il n’y a que nous autres, les littéraires, qui nous

intéressons au sort de nos mythes.

Ah, mais il y a autre chose, saviez-vous que Dona Ana avait rompu avec Don Ottavio ? Le

journal annonce le mariage de Don Ottavio avec la fille d’un riche industriel qui a fait fortune

dans les brosses à dents.

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May Flower

Scène 2

Freud vient les voir dans la salle d’attente.

FREUD

Eh bien, messieurs, que puis-je pour vous ?

LIEVRE DE MARS

Nous enquêtons sur l’assassinat de Dom Juan. Comme vous étiez son psychanalyste, nous

aurions quelques questions à vous poser.

FREUD

Je ne pense pas pouvoir beaucoup vous aider, secret professionnel exige. Mais je vous mets en

garde contre Dona Elvira, elle est dangereuse. Et si j’étais vous, je parierais sur la culpabilité

de Dona Ana, une connaissance de Dom Juan qui dit ne pas avoir besoin d’un psychanalyste,

ce n’est pas normal.

Maintenant, si vous voulez bien m’excuser…

MONCRU

Et nos questions ?

Le Dr. Freud sort.

LIEVRE DE MARS

Il nous a déjà dit beaucoup.

MONCRU

Quoi, vous croyez vraiment qu’on peut tuer un mythe qui a été notre amant pour venger un

ancêtre qu’on ne connaît même pas ?

Scène 3

Charlotte entre dans la salle d’attente avec un petit enfant dans une poussette.

MONCRU

Quoi ? Tu as le même psychanalyste que Dom Juan ?

CHARLOTTE

Je viens pour mon fils et pas pour moi. C’est très dur d’être le fils de Dom Juan.

LIEVRE DE MARS

Bonjour petit, comment t’appelles-tu ?

CHARLOTTE

Il s’appelle Jean.

MONCRU

Tu as eu un enfant avec lui ? Dom Juan était-il au courant ?

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Le Spectateur Déluré

CHARLOTTE

Bien sûr qu’il le savait. Mathurine et moi avons rencontré Dom Juan un été alors que nous

avions trouvé un travail agricole pour financer nos études. Pour nous amuser malgré le travail,

Pierrot avait proposé un jeu : nous devions parler comme des paysans d’avant la Révolution !

Dans son rôle de séducteur, Dom Juan n’y avait même pas fait attention ! Mais quelques

temps après, ma grossesse ne l’a pas empêché de me quitter. Pierrot a aussi rompu avec moi.

J’ai fait un procès à Dom Juan en mettant à profit toutes mes études en droit pour qu’il

reconnaisse l’enfant et m’aide à l’éduquer. Mais rien. Malgré mon envie, je n’ai pas tué Dom

Juan, mais je ne veux pas que mon petit Jean devienne comme son père et perpétue la race des

Dom Juan, alors je l’emmène chez le psychanalyste. On dit que Dom Juan a mal tourné parce

qu’il n’a pas connu sa mère, j’évite qu’il arrive la même chose à Jean par absence de son père.

LIEVRE DE MARS

Et Mathurine ? Vous devez bien la connaître, puisque vous avez travaillé ensemble et que

vous avez partagé le même amant tout un été.

CHARLOTTE

Mathurine est une fille bizarre, je la connais finalement assez peu parce qu’elle ne parle

jamais d’elle. Je sais juste qu’elle vient d’un pays de l’Est. Je ne la crois pourtant pas

coupable : elle continuait d’aimer Dom Juan. Quant au fameux Commandeur, il ne s’est pas

fait bâtir de mausolée et n’a jamais eu de statue à son effigie près de sa tombe, parce qu’il

s’est fait incinérer. Dixit mon cours d’histoire du droit des défunts.

Freud passe la tête par la porte de son bureau.

FREUD

Charlotte, vous êtes là, comment se porte notre petite ? Entrez, je vous en prie.

LIEVRE DE MARS

Et nous, allons voir cette mystérieuse Mathurine à la fac.

Suite et fin au prochain numéro

Johanna L.H.

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May Flower

La Barbe-à-Papa

Par une belle journée de forum d'orientation, où règnent cohue, brouhaha, transpiration

et désorientation, Gigis cherchait à faire quelque chose de sa vie. Car une bonne élève sans

formation appropriée à la dure réalité du travail est comme du sable sans chaux. Absorbée

dans son errance méditative, elle ne savait où ses pas la menaient, quand ceux-ci l'arrêtèrent

devant le présentoir d'une classe préparatoire aux grandes écoles. Levant un visage ébahi plus

par l'arrêt subit de sa méditation que par le titre pompeux de l'orientation, son regard s'arrêta

sur une cravate qui la salua. Ce mont de connaissance et d'érudition se nommait M. Barbe-à-

Papa. Mais Gigis était une jeune fille avisée qui savait que la prépa n'était pas une école de

formation professionnelle, mais une école de déformation psychologique dont elle ne

s'échapperait pas si facilement maintenant qu'elle avait été ferrée par l'un de ses représentants.

Elle resta néanmoins sans voix et mentalement chancelante devant une telle logorrhée. Elle se

perdit dans le regard étincelant de M. Barbe-à-Papa et fit semblant de croire que ses ambitions

étaient séduites, elle qui n'en avait jamais eu. Et c'est ainsi qu'en sachant comment, mais pas

pourquoi, elle se retrouva en prépa.

Après un heureux début, Gigis eu sa première khôlle avec M. Barbe-à-Papa. Celui-ci,

après lui avoir confié le sujet et les clés, la mit en garde : il s'absentait une heure, elle pouvait

choisir n'importe quelle salle, à l'exception de la petite salle du dernier étage. Gigis obéit et

occupa la première salle libre qu'elle trouva. Lorsque M. Barbe-à-Papa revint au bout d'une

heure, il lui demanda :

« Gigis, êtes-vous allée dans la petite salle du dernier étage ? »

Il récupéra le trousseau de clés, et la khôlle se déroula sans heurt. La deuxième khôlle

s'accompagna des mêmes recommandations, ce qui intrigua Gigis. Au détour d'un couloir

sombre, elle tomba nez-à-nez avec Ionè, sa voisine de chambre, qui lui dit d'un ton

machiavélique :

« Alors, tu n'es pas allée dans la petite salle du quatrième étage ? Tu n'es pas bien

curieuse, dis-moi... »

Mais Gigis passa outre cette tentation et s'installa au troisième étage. La khôlle se

déroula une nouvelle fois sans heurt.

Toutefois, lorsque vint la troisième et dernière khôlle de l'année, Gigis ne trouva pas

de salle libre et fut contrainte de se diriger vers le quatrième étage malgré les

recommandations réitérées de M. Barbe-à-Papa. La serrure tourna avec difficulté, et les gonds

de la porte grincèrent de façon sinistre, tandis que des ténèbres palpables jaillissaient de la

salle pour envahir le couloir. Éblouie par l'obscurité, ses yeux s'adaptaient peu à peu jusqu'à

découvrir avec horreur des générations de khâgneuses pendues. Un léger souffle glacial

balançait lentement les vêtements et les cheveux des défuntes. Un liquide sanguin dégoulinait

goutte à goutte depuis le plafond. En levant les yeux, elle scruta les visages et cria tout à coup:

« Et alors, Khâterine, qu'est-ce que tu fais là ? »

Horrifiée, elle referma la porte avec précipitation, redescendit les escaliers en courant

et se résigna à préparer dans le couloir. Au moment de passer, elle s'aperçut que ses doigts,

ainsi que le trousseau de clés, étaient tachés de rouge. Saisie d'épouvante en réalisant que M.

Barbe-à-Papa allait découvrir sa désobéissance, elle essaya de les nettoyer, en vain. Elle fit sa

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Le Spectateur Déluré

khôlle les mains sous la table, tremblant à la pensée qu'elle devrait bientôt rendre le trousseau.

Le moment fatidique arriva, il fallut dévoiler les mains et les clés tachées. M. Barbe-à-Papa ne

souffla mot, mais Gigis savait qu'il avait compris, car il lui jeta un regard réprobateur et lourd

de menaces. Elle en resta pétrifiée et hantée jusqu'au soir, lorsqu'elle décida de se confier à sa

voisine de chambre, Ionè. Gigis n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche, que Ionè la devança :

« Toi, tu es allée dans la petite salle du quatrième étage.

- Tu as tout deviné, et je ne sais si c'est la vision des pendues ou le sort que me réserve

M. Barbe-à-Papa qui m'effraie le plus.

- Je ne vois qu'une possibilité pour y échapper : rejoindre la destinée des filles du

quatrième étage.

- Je suis persuadée qu'il aiguise déjà son stylo rouge. Ionè, sœur Ionè, ne vois-tu

aucune autre issue ?

- Je ne vois que Gigis qui pleuroie et la prépa qui merdoie.

- Hélas, comment faire ?

- Et bien, d'ordinaire, j'use d'un stratagème pour le moins ingénieux : la victime grimpe

sur Anatole et Félix, corde au cou, et attend que je daigne faire valser les deux grimoires d'un

coup de pied exercé. Mais j'avoue qu'aujourd'hui j'en suis lassée, et je compte bien être autant

victime que bourreau.

- Je vois... Mais comment veux-tu que l'on se pende à deux dans un internat sans le

matériel adéquat ?

- Nous sommes des filles pleines d'imagination et notre talent est capable de

transformer des objets d'apparence anodine en véritable machine à tuer ! »

Méditatives et immobiles devant le placard ouvert, elles s'extasièrent tour à tour :

« Cette corde à sauter fera l'affaire !

- Respectons la tradition : un Lettres classiques se pend toujours avec Anatole et Félix.

- J'ai tricoté cette écharpe sans avoir eu le temps de l'étrenner. Je veux le faire avant de

mourir.

- Complétons Thanatos avec le ceste d'Aphrodite.

- Comment allons-nous combiner tout ça ?

- Je sais : liées dans la mort par le ceste d'Aphrodite, le fil de notre vie se rompra

lorsque la corde à sauter se tendra. « Attache Anatole et Félix par ton écharpe et par la fenêtre,

le tout cherra » conclut Ionè dans un éclair de génie.

Aussitôt dit, aussitôt fait : Gigis et Ionè passent leur tête dans les bretelles, attachent le

ceste à la corde à sauter, puis la corde à sauter, enroulée au pied du bureau, à l'écharpe

retenant fermement Anatole et Félix. Il n'y avait plus qu'à jeter les deux Lettres classiques et

leurs accessoires par la fenêtre lorsque M. Barbe-à-Papa fit irruption dans la chambre. Une

voix s'éleva dans la pénombre :

« Je passais justement par hasard pour vous proposer une correction adaptée à votre

cas. »

Saisies d'effroi, Ionè et Gigis se précipitèrent par la fenêtre. M. Barbe-à-Papa réagit

dans l'instant. Avisant un couteau de la cantine, il songea à couper la corde, mais se ravisa, car

les corps auraient été froids depuis longtemps lorsqu'il aurait fini. Par cette belle soirée

printanière, sa barbe devenait quelque peu gluante. Tel Rapuntzel, il laissa descendre sa

barbelure rose qui eut sur ses élèves un effet de papier tue-mouche, grâce auquel il les

remonta saines et sauves.

« La correction n'était qu'un prétexte, je pressentais qu'après avoir vu la petite salle du

quatrième étage et ce qu'elle contenait, vous renonceriez comme toutes les autres à la prépa de

la manière la plus radicale qui soit, avec la complicité de Ionè. »

À ces mots, Ionè se récria :

« Mais ce n'était que par pure compassion humaine ! On ne peut être en prépa et

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May Flower

continuer à vivre.

- Cela se conçoit tout à fait, mais vous mettez en péril notre glorieuse institution, aussi

je ne vous réprimande pas. Toutefois, votre punition consistera à m'accompagner à tous les

futurs forums d'orientation et vanter les mérites de notre immémoriale filière.

- Je me repends plutôt deux fois qu'une ! »

Et depuis lors, Ionè fut gentille avec ses petits camarades. Quant à Gigis, elle

poursuivit sa carrière de Lettres classiques et devint professeur dans le même établissement.

Elle faisait avec M. Barbe-à-Papa des promenades nocturnes dans le lycée afin de veiller sur

la santé de leurs chers optionnaires. Tout est bien qui finit bien. C'est un conte après tout.

Pseudo : Collectif CAM – Caligula Mon Amour

alias Johanna L. H. & Gilliane M.

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Le Spectateur Déluré

Dissertation Délurée

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May Flower

Entre révision et fainéantise : frontières-coupures ou

frontière-couture ?

Essaie de réponse au sujet déluré de révision !

« Je me surmène de paresse » disait Jules Renard, (le cousin qui a mal

tourné de Jean-Pierre Renard ?) Cette phrase a cependant le mérite de

montrer le rapport entre les révisions et la fainéantise. Mais est-elle, pour

autant, applicable à un élève de prépa ?

Ce dernier est un acteur qui, depuis un an et demi, est entraîné

quotidiennement à un rythme soutenu. Il devient alors le récepteur des flux

de stress produits de manière régulière par les professeurs. Son Produit de

Copies Brutes (PCB) moyen est de 40 copies/an (soit 480 pages), en plus

des activités à forte valeur ajoutée que sont les DM. Mais son

studiopériodisme variable laisse, tout de même, place à des activités

productrices de richesses affectives comme les soirées entre amis, les activités

extra-scolaires et les nuits de plus de sept heures.

Ce projet (aussi déluré que le journal dans lequel il est publié) ne

respectant pas les définitions de l’Académie Française, je n’ai pas jugé

nécessaire de les rappeler.

Nous pouvons ainsi nous demander si les dynamiques transfrontalières

sont des sources de conflits.

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Le Spectateur Déluré

I. La frontière cause un jeu des différentiels non maîtrisés

A. Révision et fainéantise : des activités exerçant sur des espaces organisés

différemment

En période de révision, le monde de l’étudiant se compose

essentiellement de sa chambre où deux espaces distincts imposent leur

souveraineté. D’abord le bureau, puis le lit, séparés l’un de l’autre par un no

man’s land qui officie comme Etat tampon. Les aménagements du bureau sont

denses avec des tours de dictionnaires pour permettre une concentration de

l’information. Le lit, au contraire, s’organise selon de grandes parcelles et des

bibelots groupés en tas sur la table de chevet, ce qui donne une organisation

en opensleep pour la culture productiviste, mais (hélas !) non intensive du

sommeil. On observe donc une dissymétrie à la frontière, créatrice d’un

différentiel important.

B. Un différentiel important cause de migrations

problématiques

Le relief contraignant du bureau pousse à la

migration vers l’Eldorado du lit dans l’espoir d’avoir

de meilleures conditions de vie. Mais cette mobilité

représente un danger pour le PCB du bureau par un

processus de « Brain Drain ». Ainsi, la volonté de réguler les migrations

illégales s’exprime à travers les milices frontalières aux noms évocateurs comme

Regret ou Culpabilité.

C. Aménager la frontière pour empêcher les migrations

Le territoire des révisions met en place des stratégies pour retenir la

population. En effet, il est possible d’observer un mur empêchant de voir le

monde extérieur par la fenêtre ; le dehors est tellement attractif en période

de révision ! Selon la même logique, les flux de matières grises sont orientés

vers l’intérieur du territoire car l’étudiant est dos au lit – au moins à

l’internat et à la résidence, minces enclaves dans le territoire de l’Education

Nationale.

Cependant « le travail pense, la paresse songe » (Jules Renard). Aussi

observe-t-on des interpénétrations de part et d’autre de la frontière,

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notamment lorsqu’un prépa projette sur son chat le programme de

philosophie, en expliquant à Félix qu’il n’a pas de conscience.

II. La diversification des activités, nécessaire au dynamisme des acteurs

A. La frontière n’est pas un objet géographique fixe

La frontière permet des dynamismes transfrontaliers qui favorisent les

échanges, surtout les flux de population. Ces procédés permettent des zones

de syncrétisme où sont créés des objets hybrides (entre information et

récréation) tels que l’ordinateur, la télévision ou le téléphone. Ces espaces

sont à l’origine d’un brouillage de la frontière où l’espace rationalisé devient

anarchique. Ces nouveaux aménagements précaires, qui participent à la

cohérence du milieu, font cependant émerger des risques.

B. La concurrence spatiale comporte des risques

Une concurrence spatiale s’opère avec un repos interstitiel, discontinuité

physique à l’origine de risques. Les risques de séismes d’abord, avec la

rencontre de deux classeurs différents. Les inondations ensuite, à cause du

renversement accidentel d’un verre d’eau (ou de café, tout dépend de

l’avancement de la journée). Mais les risques peuvent aussi être économiques

et sociaux. En effet la précarité physique n’a d’égale que les activités

singulières de chaque espace.

C. La monoactivité : une situation précaire

Le bureau a pour production principale le travail ; le lit, lui, s’organise

autour du sommeil. Mais cette unique activité sur chacun des territoires

engendre une dépendance et une précarité si le secteur s’effondre, comme lors

d’un burn out ou d’insomnies. Ainsi une diversification des activités est

nécessaire pour l’équilibre des deux territoires.

La frontière-coupure une fois recousue laisse alors place, comme une

cicatrice qui disparaît, à un espace continu, cohérent et homogène : l’espace

frontalier.

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Le Spectateur Déluré

III. Les espaces frontaliers fonctionnent grâce à la coopération

A. Dynamique pacifique : la mise en commun des richesses

Pour réussir la cohérence de l’espace, il faut instaurer une

interdépendance des deux territoires par la mise en commun des richesses selon

l’exemple des films « éducatifs », tels que la Vague (die Welle) de Denis

Gansel, Robin des Bois des studios Disney, ou, plus récemment, L’écume des

jours de Michel Gondry . Ainsi le prépa doit se ménager pour éviter la

production intensive de connaissance.

B. Mise en place d’une ZTE pour éviter la

production intensive

Trois zones de travail se succèdent tout au long de

la journée : La Zone de Travail Obligatoire (ZTO) de

8h à 18h, qui engendre des migrations pendulaires pour

aller en cours. Ensuite la Zone Contigüe jusqu’à 22h,

facultative selon les ressources énergétiques disponibles.

Enfin la Zone de Travail Exclusive (ZTE) où le prépa ne

devrait exclusivement travailler que lors de périodes particulièrement difficiles

de l’année. Evidemment, cela nécessite un encadrement non ethnocentré qui

amènerait irrémédiablement à la stupidité.

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C. Une gestion multiscalaire pour un accès à de nouvelles aménités

Il est recommandé de créer des Groupements Educatifs de Coopération

entre Prépa (GECP) qui donnent accès à de nouvelles aménités de réflexions,

notamment grâce aux mathématiques, qui, par leur abstraction, sont un

exemple philosophique parfait. Les techniques de management permettent aussi

d’amener le correcteur exactement là où vous voulez qu’il se rende.

Les révisions et la fainéantise entretiennent des relations complexes sur

lesquelles les acteurs n’ont que peu de pouvoir.

Ce sujet nous a permis de nous déculpabiliser.

Nous nous demandions si les dynamiques transfrontalières sont sources

de conflit. Il apparaît que le différentiel important entre ces deux activités

crée des migrations non maîtrisées, de même que les risques qui en découlent.

Ainsi les espaces transfrontaliers sont-ils nécessaires au développement des

acteurs et à la réussite de leur(s) concours.

Cependant, une fois le(s) concours fini(s), les températures au-dessus

des vingt degrés et les journées de travail devenues courtes, le prépa est-il

capable de produire, par lui-même, le travail qu’il reste à fournir avec moins

d’Investissements Directs aux Elèves (IDE) prodigués par les professeurs ?

Aurore Sorriaux

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Poésie

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Art

Vie, fleuve incontrôlé, contre vents et marées,

Je te veux faire havre de paix, Et te regarder encore dans la douleur

Comme le royaume du cœur ;

Tant de ces destinées gâchées à tout vouloir, D’autres à ne savoir que vouloir,

Je te veux, simplement, et m’évanouir dans ton souffle, Rire et danser au bord des gouffres,

Remplacer la danse frénétique sans nom

Par une entière création, Une œuvre vois-tu, une grâce, une harmonie,

Une extase prise à la nuit,

Extirpée, ramenée enfin au jour réel ; Idéal devenu mortel,

Elle te rendra ton éternité perdue Te rendra belle à toute vue ;

Oui, je le veux, sous le soleil et sous la pluie,

Faire de toi un paradis, Elancer le manège et créer les vertiges

Que Rimbaud voulait que je fige,

Les cheveux, les habits trempés collés au corps, Tourner, les yeux fermés, encore

Et encore, composer avec dans mes mains Les couleurs des mots de demain ;

Quand à mon court passage j’aurai mis un point,

L’art d’un temps n’aura pas de fin Ultime et toujours bruiront l’ivre création,

Les vertiges et les passions Car Vie est un art sans fin, une œuvre sans point ;

Carole L.

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Feuilleton

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Hélène

Suite de la 3ème Partie

Il ne se leva de son lit que plusieurs heures plus tard pour prendre une douche, mais,

en relevant la couverture, il ne vit qu'un squelette recouvert d'une légère particule de peau.

Cette vision le dégoûta tant qu'il faillit en vomir. Le regard fixé au ciel, il essaya de se lever

pour marcher jusqu'à la salle de bains. Mais son corps était resté inactif pendant dix ans, ses

bras n'avaient que très peu de force et ses jambes ne pouvaient le porter. Lorsqu'il le comprit,

Lilian versa une larme avant d'appeler à l'aide le personnel médical. Une jeune femme apparut

bientôt le sourire aux lèvres. Elle paraissait d'autant plus chaleureuse et rayonnante que sa

peau était aussi noire que la nuit.

« Anna nous a prévenus que vous vous étiez réveillé, c'est merveilleux M. Muffot !

s'exclama-t-elle.

- Encore une personne qui connaît mon nom et que je n'ai jamais vue, soupira Lilian.

Ceci dit, j'aurais besoin de votre aide : je voudrais me doucher, pourriez-vous m'aider

à atteindre la salle de bains, s'il vous plaît ?

- C'est vrai que vous avez l'air d'être en aussi bonne santé que les Juifs retrouvés dans

les camps d'extermination, commenta la jeune infirmière avec une moue

compatissante, mais ne vous inquiétez pas, vous allez vite reprendre des forces et du

poids avec tout ce qu’Anna vous rapportera.

- Je ne sais pas si elle reviendra.

- À qui la faute ! s'exclama l'infirmière, alors qu'elle passait son bras autour de la hanche

de Lilian. Je ne sais pas ce que vous avez fait, mais quand elle s'est arrêtée à notre

poste, la petite pleurait toutes les larmes de son corps.

- Vous semblez bien la connaître, remarqua le jeune homme.

- Pour sûr, je suis même plus proche d’elle que de certains de mes collègues. Cela fait

douze ans que je travaille dans cet hôpital, et depuis ces dix dernières années, Anna

vient tous les jeudis sans exception vous rendre visite, sans compter les jours de fêtes

comme votre anniversaire, Noël ou Pâques. La plupart du temps, elle venait vous

parler : elle espérait que vous l'entendriez, alors elle vous décrivait ce qui se passait

dans le monde et dans sa vie, de manière à ce qu'à votre réveil vous ne soyez pas

complètement perdu. Elle vous apportait même de la musique que l'on vous passait de

temps en temps pour rendre votre chambre un peu plus vivante. Mais j'ai l'impression

que tous ses efforts n'ont pas servi à grand-chose.

À ces mots, elle déposa le patient dans la cabine de douche où il s'assit avant de tirer le

rideau.

- Je ne savais pas tout ça, murmura Lilian. Elle est venue chaque semaine pendant dix

ans pour discuter avec un corps inerte ?

- Exactement. D'ailleurs, beaucoup de gens le lui ont reproché. Au début, tout le monde

espérait votre réveil, mais après la première année de votre coma, je dois bien

reconnaître qu'elle n'était plus que la seule à y croire. En coma, on applique souvent

les mêmes lois mathématiques que pour les enlèvements d'enfants. Après une journée,

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les chances de retrouver le petit en vie sont minimes, mais pourtant il existe quelques

cas qui, au bout de dix ans de captivité, arrivent à s'échapper. Vous êtes comparable à

l'un de ces cas Monsieur Muffot.

- Appelez-moi Lilian, je déteste mon nom, répondit machinalement le jeune homme

derrière le rideau de douche.

- Très bien M. Lilian. Toujours est-il qu'elle s'est battue pour vous. La direction n'a eu

de cesse de vouloir débrancher la perfusion qui vous prodiguait la nourriture dont vous

aviez besoin pour survivre. Vous occupiez une chambre, semblait-il pour rien, alors

que d'autres malades en auraient eu plus besoin. Mais Anna a continué de croire en

vous. Souvent elle vous apportait des saladiers entiers de gâteaux qu'elle avait

préparés elle-même dans le cas où vous vous réveilleriez pendant son absence, pour

que vous repreniez des forces. Elle est gentille, cette petite, elle nous disait que si, au

bout de quatre jours, vous n'étiez pas redevenu conscient, les gâteaux étaient pour

nous. C'était sa façon de nous remercier de prendre soin de vous. Mais il faut avouer

que, hormis vous laver et aérer votre chambre, nous ne faisions pas grand-chose. C'est

elle qui vous coupait les cheveux et la barbe, les ongles aussi. Mais elle s'occupait

surtout de votre esprit. Elle vous faisait la lecture, elle essayait de vous stimuler pour

que vous reveniez vers nous, enfin vers elle, se reprit l'infirmière.

C'est ce moment que choisit Lilian pour sortir de la cabine de douche, une serviette autour

de la taille. Il avait l'impression d'avoir retrouvé la maîtrise de son corps et non plus d'être

coincé dans celui d'un étranger, mais il continuait de le dégoûter. L'infirmière avait vu juste, il

était d'une maigreur et d'une blancheur cadavérique. Il se retrouva devant le miroir et là, il vit

enfin son visage. Il n'avait pas trop changé, il reconnaissait ses yeux bleus, son nez, mais ses

traits étaient creusés, les os semblaient vouloir crever la peau. Par contraste, sa chevelure ne

lui avait jamais semblé si noire et brillante : elle coulait jusqu'à son torse - une chose au moins

qui n'avait pas changé. Il eut aussi la surprise de découvrir que ses lèvres étaient encadrées par

un bouc fraichement tondu. Il ne reprit la parole qu'une fois de retour dans la chambre.

- Je suis revenu, très bien, mais vers quoi ? demanda-t-il. J'ai perdu dix ans de ma vie,

je n'ai même pas reconnu ma meilleure amie, pire encore, je lui ai crié dessus après

tout ce qu'elle a fait pour moi. Je ne sais pas ce que je dois faire, ce que je peux faire.

J'ai tout perdu en me réveillant, ma vie entière, jusqu'à mon propre corps, qui est à

reconstruire. Les dix ans que j'ai perdus, je ne pourrai jamais les retrouver.

Biologiquement, j'ai peut-être vingt-huit ans, mais je n'en ai pas la maturité. J'ai peur

qu'Anna se soit fait une image de moi pendant tout ce temps et que je ne fasse que la

décevoir. C’est déjà le cas, vous l'avez vu vous-même. Tout le monde a l'air de penser

que je suis enfin sorti d'une longue agonie pour rejoindre la lumière, que le pire est

derrière moi. Mais c'est faux. Je n'étais pas conscient d'être dans le coma, j'ai assimilé

les souvenirs de cette période comme de réels éléments de ma vie et je découvre

maintenant que ça ne s’est jamais passé. Tout ce en quoi je croyais, ce dans quoi je

voyais mon avenir et ma personnalité, vient de s'écrouler. La seule chose dont je sois

certain, c'est que j'ai peur.

L'infirmière le reposa sur son lit et le regarda peinée.

- Si vous avez si peur comme vous le dites, alors vous feriez bien d'accepter l'aide que

les gens sont prêts à vous donner », dit-elle avant de sortir de la chambre.

À présent, le sommeil fuyait Lilian. Il passait ses nuits à réfléchir et pleurer, il

s'évanouissait plus qu'il ne dormait, mais à son réveil, il n'avait plus le souvenir d'aucun rêve.

Il refusait encore de perdre espoir, mais il savait qu'Hélène était définitivement partie. Il

ressentait le chagrin d'un veuf, mais il ne pouvait pas la pleurer. Après tout, elle n'avait jamais

existé, son esprit l'avait créée. On ne pleure pas un rêve.

Deux jours après son réveil, Anna revint à l'hôpital. Lorsque Lilian lui autorisa l'entrée, il

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May Flower

fut encore surpris de sa propre voix, légèrement plus grave qu'auparavant. Par réflexe, il cacha

ses jambes sous le drap. S’il devait se forcer à les regarder sans vomir, il ne voulait pas

infliger cela à quelqu'un d'autre. La jeune femme entra, les bras chargés de sacs. Elle arborait

un demi-sourire qui mordit Lilian. Il l'avait réellement blessée la dernière fois. Pour le

dissiper, il prit immédiatement la parole.

« Je te prie de m'excuser, pour ce que j'ai dit à mon réveil. Une infirmière m'a raconté tout

ce que tu as fait pour moi pendant mon coma, je te remercie infiniment. Si j'avais su tout le

mal que tu te donnais, j'aurais certainement tout fait pour reprendre conscience. Mais, tu l'as

dit toi-même, je ne t'entendais pas, je pensais même que je n'avais jamais été aussi vivant. J'ai

vécu les meilleurs moments de ma vie dans ce long rêve, alors évidemment, lorsque tu m'as

révélé que tout cela était faux, que j'ai vu mon bonheur se dérober à mon étreinte, j'en suis

devenu fou et j'ai prononcé des mots dont je ne comprenais pas la portée. Je commence tout

juste à comprendre ce qui m'arrive. Actuellement, je suis au fond d'un abysse colossal au bout

duquel se trouve la lumière, mais je suis bien trop faible pour remonter tout seul : j'ai besoin

d'une amie pour m'aider. Veux-tu encore m’aider ? »

Anna l'avait écouté sans sourciller. Lorsqu'il en eut terminé, elle reprit son geste, posa les

différents sacs aux pieds d'un fauteuil. Certains n'étaient que de simples sacs de supermarché,

d'autres, beaucoup plus ouvragés, portaient l'emblème de boutiques de luxes, parfumeries,

bijouteries, pâtisseries. Mais elle faisait également attention à chacun, comme une cane à ses

canetons. Ensuite elle enleva son long manteau brun, le plia délicatement, en orna le dossier

rond et bas du meuble, puis dénoua son écharpe rouge, la fit passer au-dessus de sa tête, la

plia en deux et la roula doucement sur elle-même avant de la poser sur un bras recouvert de

tissu aussi blanc que du lait caillé. Elle lui faisait maintenant face, en jean et pull noir à

manches longues et décolleté, calme comme un prédateur quand, au bout d'une interminable

attente, un sourire vint illuminer son visage. Elle franchit en courant la distance qui la séparait

du lit et se jeta au cou de Lilian qui, devant la force du choc, tomba à la renverse. Ils restèrent

enlacés plusieurs minutes en silence. Puis Anna relâcha son étreinte et reprit la parole.

« Je t'ai amené des vêtements pour que tu n'aies plus à porter cette blouse blanche horrible

et j'ai passé les deux derniers jours à te cuisiner des pâtisseries et des plats enrichis en fer et en

vitamines pour que tu puisses vite retrouver tes forces, expliqua-t-elle. Je mange la même

chose avant les matchs importants.

- Tu joues toujours au basket ? releva Lilian.

- Oui bien sûr. répondit-elle avec un grand sourire. Enfin, ces derniers mois, j'ai dû

arrêter, mais avec un peu de chance, je reprendrai la saison prochaine.

- Pourquoi cela ?

La jeune femme eut un petit rire gêné et passa la main sur sa nuque avant de répondre des

étoiles plein les yeux.

- Parce que je suis enceinte.

Le cœur de Lilian manqua un battement, ses yeux sortirent de leurs orbites et se dirigèrent

droit vers le renflement de son ventre. Comment avait-il fait pour ne pas le remarquer?

- Toi ? Enceinte ?

- Tu parais bien étonné?

- C'est que... déjà.

- Tu sais, vingt-huit ans pour un premier enfant c'est tout à fait normal.

Il était vrai que si Lilian avait toujours la maturité d'un adolescent, Anna, elle, avait très

probablement déjà atteint celle d'une maman.

- Mais de qui ?

En posant cette question, l'image d'Alexandre vint troubler les pensées de Lilian.

- De mon mari. Tu ne le connais malheureusement pas, je l'ai rencontré après l'accident.

- Tu es mariée ! s'étrangla le jeune homme.

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Le Spectateur Déluré

- Depuis bientôt quatre ans, acquiesça Anna, on s'est marié un an après avoir fini nos

études.

- Tu travailles?

- Oui, rien de passionnant, je traduis des contrats pour une grosse entreprise.

À ces mots la jeune femme se mit à décrire ses journées de travail à son ami. Il l'écoutait

lorsque, sans savoir pourquoi, il pensa à sa mère. Il attendit qu'Anna ait terminé son récit

avant de lui demander.

- L'infirmière m'a dit que tu venais me voir quand j'étais dans le coma, mais elle n'a rien

dit sur mes parents. Ils doivent savoir que je me suis réveillé maintenant, alors

pourquoi ne sont-ils pas venus ?

Anna baissa la tête, passa la main derrière sa nuque et bafouilla.

- J'avais espéré ne jamais avoir à t'en parler, mais quelqu'un doit bien le faire. Il faut que

tu saches que ton coma a gravement affecté tes parents. Ils ne savaient pas s'ils

devaient te considérer comme encore vivant ou s'il fallait te laisser partir en paix et

pleurer la perte de leur fils. Ta mère s'en est rendue malade et elle en est morte. À son

décès, ton père commençait à désespérer lui aussi ; il disait que sa peine continuerait

tant que tu resterais à souffrir dans ton coma. Mais comme je refusais que l'on te

débranche, il s'est finalement lassé de me combattre et a déménagé aux États-Unis

pour oublier sa vie et en redémarrer une autre. Je suis sincèrement désolée, Lilian. »

Le jeune homme fut parcouru de spasmes. Pendant plusieurs minutes, il eut de graves

difficultés à respirer, les larmes roulèrent sur ses joues. Alors qu'il flirtait avec Hélène, sa

mère se mourait de chagrin. Elle s'était suicidée à cause de son caprice. Son père avait préféré

l'oublier. Mais que pouvait-il espérer ? Il était resté à l'état de légume pendant dix ans sans que

les médecins aient de réels espoirs de réveil. Qu'aurait-il fait à leur place ? Il fallait être un

saint pour encore espérer et s'inquiéter de lui après tant d'années. Ou une sainte.

Son regard se posa sur Anna, complètement perdue devant le chagrin de son ami. Elle lui

tendit maladroitement la bouteille d'eau qu'elle sortit de son sac. Lilian but quelques gorgées

pour se calmer et d'une voix, la moins tremblante possible, il demanda :

« Et Alexandre?

- Alexandre s'est aussi beaucoup inquiété pour toi. Bien plus qu'il ne pouvait le

supporter. Alors, après sa licence, il est parti pour la capitale dans une école de

commerce. Au début, on gardait encore contact et puis, de mois en mois, ses messages

se sont faits plus rares, jusqu'à ce qu'il refuse de répondre à mes coups de téléphone.

Sur ces derniers mots, la voix de la jeune fille n'était plus que murmure. Lui aussi était

parti. À cause de cet accident, Anna avait perdu ses deux plus grands amis. Elle s'était

retrouvée seule avec son passé pendant les dix dernières années. Lorsqu'elle remarqua le

regard insistant de Lilian, la jeune femme se mit à sourire et reprit.

- Il valait mieux pour lui qu'il parte, il n'était plus heureux ici. J'espère qu'il est heureux

aujourd'hui. »

Pour chasser la nostalgie des yeux de son amie, Lilian esquissa un fin sourire avant de

changer de sujet.

- J'ai entendu dire que tu étais celle qui m'avait coupé les cheveux ces dix dernières

années. Tu ne voudrais pas me faire une nouvelle coupe, s'il te plaît, une sur laquelle je

puisse enfin donner mon avis. »

Anna eut un petit rire et se saisit de ciseaux. Une heure plus tard, Lilian vit dans le

miroir ses cheveux de jais qui effleuraient tout juste ses épaules. Depuis combien de temps

n'avaient-ils pas été si courts ? Il ne s'en rappelait plus.

Suite et fin au prochain numéro…

Aurore Sorriaux

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Cinéma

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Le Spectateur Déluré

Actualité cinéma

« Cannes, c'est d'abord un escalier : un escalier facile

à monter… difficile à descendre.» Claude Lelouch

sur la photo : Audrey Tautou , maîtresse de cérémonie d’ouverture du Festival

Cannes 2013, les récompenses

Palme d’or de la 66ème

édition du Festival remportée par le

film d’Abdellatif Kechiche, La vie d’Adèle

La vie d’adèle d’Abdellatif Kechiche, en salle le 9

octobre.

A quinze ans, Adèle (Adèle Exarchopoulos) ne se pose pas

de questions : une fille, ça sort avec des garçons. Sa vie

bascule le jour où elle rencontre Emma (Léa Seydoux), une

jeune femme aux cheveux bleus, qui lui fait découvrir le désir

et lui permettra de s'affirmer en tant que femme et adulte.

Face au regard des autres Adèle grandit, se cherche, se perd,

se trouve.

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May Flower

Palme de la meilleure interprétation féminine : Bérénice

Bejo dans Le passé.

Le passé d’Asghar Farhadi, en salle depuis le 17 mai 2013

Après quatre années de séparation, Ahmad (Ali Mosaffa) arrive à

Paris depuis Téhéran, à la demande de Marie (Bérénice Bejo), son

épouse française, pour procéder aux formalités de leur divorce.

Lors de son bref séjour, Ahmad découvre la relation conflictuelle

que Marie entretient avec sa fille, Lucie (Pauline Burlet). Les

efforts d'Ahmad pour tenter d'améliorer cette relation lèveront le

voile sur un secret du passé.

Prix du jury remis à Hirokazu Koreeda pour Tel père, Tel

fils

Tel père, tel fils de Hirokazu Koreeda

Ryoata, un architecte obsédé par la réussite professionnelle, forme

avec sa jeune épouse et leur fils de six ans une famille idéale. Tous

ses repères volent en éclats quand la maternité de l'hôpital où est

né leur enfant leur apprend que deux nourrissons ont été échangés

à la naissance : le garçon qu’il a élevé n’est pas le sien, et leur fils

biologique a grandi dans un milieu plus modeste…

Prix d’interprétation masculine remis à Bruce Dern pour son

rôle dans Nebraska

Nebraska d’Alexander Payne, en salle en janvier 2014

Un vieil homme (Bruce Dern), persuadé qu’il a gagné le gros lot à

un improbable tirage au sort par correspondance, cherche à

rejoindre le Nebraska pour y recevoir son gain… Sa famille,

inquiète de ce qu’elle perçoit comme le début d’une démence

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Le Spectateur Déluré

sénile, envisage de le placer en maison de retraite, mais un de ses deux fils se décide

finalement à emmener son père en voiture chercher ce chèque auquel personne ne croit.

Pendant le voyage, le vieillard se blesse et l’équipée fait une étape forcée dans une petite ville

en déclin du Nebraska. C’est là que le père est né. Épaulé par son fils, le vieil homme retrace

les souvenirs de son enfance.

Grand Prix du Jury pour le film des frères Coen pour Inside

Llewyn Davis

Inside Llewyn Davis de Joel et Ethan Coen, en salle le

6 novembre Inside Llewyn Davis raconte une semaine de la vie d'un jeune

chanteur de folk (Oscar Isaac) dans l'univers musical de Greenwich

Village en 1961.

Llewyn Davis est à la croisée des chemins. Alors qu'un hiver

rigoureux sévit sur New York, le jeune homme, sa guitare à la main,

lutte pour gagner sa vie comme musicien et affronte des obstacles

qui semblent insurmontables, à commencer par ceux qu'il se crée

lui-même. Il ne survit que grâce à l'aide que lui apportent des amis

ou des inconnus, en acceptant n'importe quel petit boulot. Des cafés

du Village à un club désert de Chicago, ses mésaventures le

conduisent jusqu'à une audition pour le géant de la musique Bud

Grossman, avant de retourner là d'où il vient.

Prix du scénario remis à Jia Zhang Ke pour A touch of sin

A touch of sin de Jia Zhang Ke, en salle le 1er janvier 2014

Dahai, mineur exaspéré par la corruption des dirigeants de son

village, décide de passer à l’action. San’er, un travailleur migrant,

découvre les infinies possibilités offertes par son arme à feu.

Xiaoyu, hôtesse d’accueil dans un sauna, est poussée à bout par le

harcèlement d’un riche client. Xiaohui passe d’un travail à un autre

dans des conditions de plus en plus dégradantes. Quatre

personnages, quatre provinces, un seul et même reflet de la Chine

contemporaine : celui d’une société au développement économique

brutal, peu à peu gangrenée par la violence.

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May Flower

Caméra d’or remise à Anthony Chen pour son film Ilo Ilo

Ilo Ilo d’Anthony Chen

Les relations entre trois jeunes frères de dix, huit et six ans et leur

domestique dans le Singapour du milieu des années 1970.

Prix d’or du court-métrage pour Safe de Moon Byoung-Gon

Prix de la mise en scène pour Héli d’Amat Escalante

Heli d’Amat Escalante

Au Mexique, la famille d’Estela, une jeune fille de douze ans est

prise dans un engrenage de violence lorsque celle-ci tombe

amoureuse d’un jeune policier impliqué dans un détournement de

drogue.

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Le Spectateur Déluré

Ces autres films qui ont fait sensation sur la

Croisette

La grande bellezza de Paolo Sorrentino, en salle depuis

le 22 mai

Rome dans la splendeur de l’été. Jep Gamberdella (Toni Servillo),

un bel homme au charme irrésistible malgré les premiers signes de

la vieillesse, jouit des mondanités de la ville. Il est de toutes les

soirées et de toutes les fêtes, son esprit fait merveille, sa compagnie

est recherchée. Journaliste à succès, séducteur impénitent, il a écrit

dans sa jeunesse un roman qui lui a valu un prix littéraire et une

réputation d’écrivain frustré. Sur la terrasse de son appartement

romain qui domine le Colisée, il donne des fêtes où se met à nu «

l’appareil humain » – c’est le titre de son roman – et se joue la

comédie du néant. Revenu de tout, Jep rêve parfois de se remettre à écrire, traversé par les

souvenirs d’un amour de jeunesse auquel il se raccroche, mais y parviendra-t-il ?

Only God forgives de Nicolas Winding Refn, en salle

depuis le 22 mai

À Bangkok, Julian (Ryan Gosling), qui a fui la justice américaine,

dirige un club de boxe thaïlandaise servant de couverture à son

trafic de drogue. Sa mère, chef d’une vaste organisation criminelle,

débarque des Etats-Unis afin de rapatrier le corps de son fils

préféré, Billy : le frère de Julian vient en effet de se faire tuer pour

avoir sauvagement massacré une jeune prostituée. Ivre de rage et

de vengeance, elle exige de Julian la tête des meurtriers. Julian

devra alors affronter Chang, un étrange policier à la retraite, adulé

par les autres flics …

Jeune et jolie de François Ozon, en salle le 21 août, dans la

sélection « en compétition »

Le portrait d’une jeune fille de dix-sept ans en quatre saisons et

quatre chansons.

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May Flower

Grand central de Rebecca Zlotowski, en salle le 28 août, en

compétition dans la sélection « un certain regard »

Gary (Tahar Rahim) est jeune, agile, il apprend vite. Il fait partie de

ceux à qui on n’a jamais rien promis. De petits boulots en petits

boulots, il est embauché dans une centrale nucléaire.

Là, au plus près des réacteurs, où les doses radioactives sont les plus

fortes, il trouve enfin ce qu'il cherchait: de l’argent, une équipe, une

famille.

Mais l'équipe, c’est aussi Karole (Léa Seydoux), la femme de Toni,

dont il tombe amoureux.

L'amour interdit et les radiations contaminent lentement Gary.

Chaque jour devient une menace.

Les prix pour les films en compétition dans la sélection « un

certain regard »

Prix Un certain regard

Rithy Panh, L’Image manquante

Prix du jury

Omar d'Hany Abu-Assad

Prix de la mise en scène

Alain Guiraudie, pour L'Inconnu du lac

Prix Un certain talent

L’ensemble des acteurs du film La Jaula de oro, de Diego Quemada-Diez

Prix de l'avenir

Fruitvale Station, de Ryan Coogler

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Les prix pour la sélection de la Cinéfondation

Le Jury de la Cinéfondation et des courts métrages était présidé par Jane Campion. La Sélection comprenait dix-huit films d’étudiants en cinéma choisis parmi près de 1 550 candidats en provenance de 277 écoles dans le monde.

Premier Prix :

Needle réalisé par Anahita Ghazvinizadeh, The School of the Art Institute of Chicago, États-Unis

Deuxième Prix :

En attendant le dégel réalisé par Sarah Hirtt, INSAS, Belgique

Troisième Prix ex aequo:

În acvariu (In the Fishbowl) réalisé par Tudor Cristian JURGIU, UNATC, Roumanie

Troisième Prix ex aequo:

Pandy (Pandas) réalisé par Matúš VIZÁR, FAMU, République Tchèque

Camarades, je n’aurai qu’un conseil : tous au cinéma !

Camille Salle

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Actualité

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Le Spectateur Déluré

La rubrique actualité ne sera pas assurée ce mois-ci. Vous n’avez sûrement

pas remarqué que dans le dernier numéro, l’article sur ‘le mariage pour tous’

publié dans la version pdf avait été enlevé dans la version internet. La cause : des

(un ?) retour(s) mécontent(s) de la tournure politique qu’il adoptait. Il a tout

simplement été censuré pour cette raison. Le débat serait apparemment « trop

sensible ».

Toutefois, je reste scandalisée de cette décision. Depuis quand ne peut-on

pas écrire ce que l’on pense ? Comment appelle-t-on cela, déjà ? La réponse qu’on

me donne est que le journal n’est pas politisé. Mais qu’est-ce que cela peut bien

signifier ? Premièrement, cette précision ne m’avait jamais été spécifiée, ce qui

m’aurait bien entendu fait réfléchir à deux fois avant de proposer ma

collaboration. Secondement, je gère la rubrique actualité, traitant ainsi des

thèmes de société, d’économie ou de politique. Quel intérêt d’écrire sur un sujet

si on ne donne pas son avis ? N’est-ce pas bien plus vivant et intéressant, que ce

soit pour le lecteur ou pour celui qui écrit ? Je tiens, de plus, à préciser que la loi

était passée. Je n’ai pas écrit en temps de polémique, le droit au mariage pour

tous était déjà inscrit dans le code civil. Nous vivons dans une démocratie, du

moins nous essayons, parce que ce n’est vraiment pas facile tous les jours de

faire valoir ses droits. Je respecte tout à fait les opinions des autres. Si

quelqu’un n’est pas favorable au mariage pour tous, il en a parfaitement le droit.

Néanmoins, il n’a pas le droit de demander à ce qu’on supprime mon article. Il n’a

qu’à prendre le temps et la peine d’écrire un papier à son tour. Tout travail

mérite salaire, dit-on. Eh bien, les articles que je prends le temps d’écrire et de

caser dans un programme chargé méritent d’être publiés. Ils n’ont rien de

déplacé.

Il est primordial pour un journal d’être ouvert d’esprit. Je refuse de me

soumettre en silence à cette restriction de ma liberté d’expression. Et je reste

et resterai sur mes positions. « L’utopie n’est pas de rêver l’impossible, c’est

plutôt d’agir pour qu’advienne ce qui n’est pas encore advenu » (Moment d’agir !

Appel à la jeunesse)

Et, comme je vous le répète souvent, vous êtes les acteurs du monde de

demain, alors agissez et faites respecter vos droits et prospérer la

démocratie !

MCB

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Précision

Je ne pensais pas que la question prendrait de telles proportions, mais étant donné

l’état des choses, il me faut reconstituer les faits. Le mois dernier, j’ai reçu, pour la rubrique

actualité, un article favorable au « Mariage pour tous » (loi votée, certes, mais encore sujet de

polémiques). Cela m’a gênée, car j’avais fixé, de manière visiblement trop implicite, que le

journal ne devait pas prendre de tournure polémique. La subjectivité ne pose pas problème

pour ce petit journal tant qu’elle ne porte pas sur des sujets sensibles, susceptibles d’amener à

la division. Cependant, je n’ai pas voulu censurer, car je tiens à ce que chaque rédacteur fasse

ce qu’il veut de sa rubrique. Certaines personnes ont été choquées de la tournure que prenait

alors le journal et du manque de neutralité. Ma décision a été alors d’expliquer au rédacteur la

situation et d’enlever le passage concerné de la version internet. J’assume ce que j’ai fait. Si

vous trouvez que cela a des résonnances dictatoriales, sachez juste que j’ai essayé, tant bien

que mal, de respecter les convictions de chacun et la ligne du journal.

Carole L.

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Horoscope

(Parce qu’il faut aussi lire dans les fleurs de mai…)

BELIER

Amateurs de Georges Brassens, vous allez apprécier La Pompe Moderne ;)

TAUREAU

En mai, faites ce qu'il vous plaît. En août, méfiez -vous du mazout.

GEMEAUX

"Kaspi sait tout. Kaspi prévoit tout. Kaspi, c'est tout." P.Y.B (Dada, la relève est assurée).

CANCER

Une bonne soupe de saison (pour périodes de grand vent) : quelques asperges blanches, 2 poireaux, 1 pomme de terre, 1 Vache Qui Rit et un

mixer. Dégustez -la bi en, vous grelotterez moins!

LION

Le saviez -vous ? Dans le Maryland (US), une loi interdit la maltraitance des huîtres.

VIERGE

"Allergie du matin éloigne le pèlerin." F.G.

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May Flower

BALANCE

Entre les deux, votre cœur... (Oui, d'accord, celle-ci était facile.)

CAPRICORNE

Parce que Toulon!

SCORPION

"Les globulaires bulèrent les globes lorsque les grabataires battèrent les gras". E.C & L.H.

SAGITTAIRE

Oui, l'appel de votre lit est fort. Très fort…

VERSEAU

Un élan de motivation ? Profitez-en, c'est rare ces temps-ci.

POISSON

Bbllbllob.

Julie G.