le cautionnement a l’epreuve des …cyberdoc.univ-lemans.fr/theses/2008/2008lema2003.pdf ·...
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UNIVERSITE DE LOME UNIVERSITE DU MAINE FACULTE DE DROIT UFR- DROIT ET SCIENCES ECONOMIQUES
LOME-TOGO LE MANS-FRANCE
Laboratoire de Recherche Laboratoire de RechercheCentre du Droit des Affaires Groupe de Recherche en Droit des Affaires
LLEE CCAAUUTTIIOONNNNEEMMEENNTT AA LLEEPPRREEUUVVEE
DDEESS PPRROOCCEEDDUURREESS CCOOLLLLEECCTTIIVVEESS
Cotutelle de thse pour lobtention du diplme de Doctorat
Option : Droit Priv
Prsente et soutenue publiquement le 28 novembre 2008 par :
Koffi Mawunyo AGBENOTO
Composition du Jury :
Filiga Michel SAWADOGO, Professeur titulaire lUniversit de Ouagadougou, Prsident
Akut SANTOS, Professeur agrg, Doyen de la Facult de Droit, Universit de Lom, Directeur des recherches
Philippe DUPICHOT, Professeur agrg, Universit du Maine, Co-directeur
Augustin AYNES, Professeur agrg, Universit de Bourgogne (Dijon), Membre
Franois Kuassi DECKON, Professeur agrg, Universit de Lom, Membre
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DEDICACE
A mon papa qui a connu les affres du droit de la faillite !
A mes enseignants pour leur soutien et leurs conseils clairs.
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Avertissement
Les facults nentendent donner aucune approbation ni improbation aux opinions mises dans cette thse.
Ces opinions doivent tre considres comme propres leur auteur .
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ABREVIATIONS
Act. lg. Dalloz. Actualit lgislative Dalloz
Act. proc. coll. Actualit des procdures collectives
Adde Ajouter
AJ Actualit de jurisprudence
AJDA Actualit juridique de droit administratif
Al. Alina
AOF Afrique occidentale franaise
APD Archives de philosophie du droit
Art. Article
AU Acte uniforme de lOHADA
AUDCG Acte uniforme relatif au droit commercial gnral
AUSCGIE Acte uniforme relatif au droit des socits commerciales et du
groupement dintrt conomique
AUPC Acte uniforme portant organisation des procdures collectives
dapurement du passif
AUS Acte uniforme portant organisation des srets
AUVE Acte uniforme portant organisation des procdures simplifies de
recouvrement et des voies dexcution
Banque Revue Banque
Banque et Droit Revue Banque et Droit
BCEAO Banque Centrale des Etats de lAfrique de lOuest
BGB Brgerliches Gezetzbuch (Code civil allemand)
Bibl. dr. pr. Collection Bibliothque de droit priv
BRDA Bulletin Rapide de Droit des Affaires (F. Lefebvre)
Bull. civ. Bulletin des arrts de la Cour de cassation franaise, chambre civile
CA Cour dappel
Cah. dr. entr. Cahier de droit de lentreprise
Cass. Ass. pln. Assemble plnire de la Cour de cassation franaise
Cass. civ. (1re, 2e, 3e) Cour de cassation franaise, premire, deuxime ou troisime
chambre civile
Cass. com. Chambre commerciale de la Cour de cassation franaise
Cass. crim. Chambre criminelle de la Cour de cassation
Cass. soc. Chambre sociale de la Cour de cassation
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Cass. ch. mixte Chambre mixte de la Cour de cassation
CCJA Cour Commune de Justice et dArbitrage
CE Conseil dEtat franais
CECA Caisse dpargne et de crdit aux artisans
CCI Chambre de commerce internationale
Chron. Chronique
CJCE Cour de Justice des Communaut Europennes
C. civ. Code civil
C. com. Code de commerce
Coll. Collection
Com. Commentaires
Comp. Comparer
Concl. Conclusions
Cf. Confrer
Cons. Cons. Conseil constitutionnel
Contr. En sens contraire
Cont. conc. cons. Revue Contrat, concurrence et consommation
D. Aff. Recueil Dalloz affaires
D. Recueil Dalloz
D H Recueil Dalloz hebdomadaire
D P Recueil priodique Dalloz
Doc. AN Documentation de lAssemble nationale franaise
Doctr. Doctrine
d. Edition
Ex. Exemple
Fasc. Fascicule
F. CFA Franc de la Communaut Financire Africaine
FF Franc franais
Gaz. Pal. Gazette du Palais
Ibidem Au mme endroit
In Dans
IR Informations Rapides (Dalloz)
Infra Plus bas
J.-Cl. civ. Juris-classeur civil
J.-Cl. com. Juris-classeur commercial
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3
JCP E Juris-classeur priodique, dition Entreprise
JCP G Juris-classeur priodique, dition Gnrale
JCP N Juris-classeur priodique, dition Notariale
JO Journal Officiel
JORF Journal Officiel de la Rpublique Franaise
Joly Bulletin Joly socits
Jur. Jurisprudence
L. Loi
LGDJ Librairie gnrale de droit et de jurisprudence
M. Monsieur
n Numro
NCPC Nouveau code de procdure civile
OHADA Organisation pour lHarmonisation en Afrique de Droit des Affaires
Obs. Observations
op. cit. Dans louvrage prcit
Ord. Ordonnance
p. Page
pan. Panorama
prc. Prcit
prf. Prface
PUAM Presses universitaires dAix-Marseille
PUF Presses universitaires de France
Quot. Jur. Quotidien juridique
Rapp. Rapport
Rappr. Rapprocher
RCCM Registre de Commerce et de Crdit Mobilier
Rev. crit. Revue critique de lgislation et de jurisprudence
RDAI Revue de droit des affaires internationales
RD bancaire et bours. Revue de droit bancaire et de la bourse
RD bancaire et fin. Revue de droit bancaire et financier
RDC Revue de droit des contrats
RD imm. Revue de droit immobilier
RGDA Revue gnrale de droit des assurances
Rev. huiss. Revue des huissiers
RIDC Revue internationale de droit compar
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4
RJ com. Revue de jurisprudence commerciale
RJDA Revue de jurisprudence de droit des affaires
Rev. proc. coll. Revue des procdures collectives
RRJ Revue de recherche juridique
RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil
RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial
Rev. soc. Revue des socits
S Sirey
s. Suivant (e) s
Somm. Sommaire
Somm. com. Sommaire comment
Spc. Spcialement
Suppl. Supplment
Supra Plus haut
T. Tome
TGI Tribunal de grande instance
TPI Tribunal de premire instance
TRHC Tribunal rgional hors classe
UEMOA Union conomique et montaire ouest-africaine
UMOA Union montaire ouest-africaine
UNIDA Association pour lUnification du Droit en Afrique
UNIDROIT Institut international pour lunification du droit priv
V. Voir
V Verbo (mot)
Vol. Volume
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SOMMAIRE
INTRODUCTION GENERALE ..............................................................................................6
PREMIERE PARTIE ...........................................................................................................24
LALTERATION DU CARACTERE ACCESSOIRE DU CAUTIONNEMENT PAR LES
PROCEDURES DE SAUVETAGE DU DEBITEUR PRINCIPAL ........................................24
TITRE I LALTERATION DU CARACTERE ACCESSOIRE DU CAUTIONNEMENT PAR LAPREVENTION DES DIFFICULTES DU DEBITEUR PRINCIPAL........................................................................ 26
CHAPITRE I- LALTERATION DU DROIT DU CAUTIONNEMENT PAR LADOPTION DESMESURES PREVENT IVES ........................................................................................................30
CHAPITRE II - LALTERATION DU DROIT DU CAUTIONNEMENT PAR LA MISE ENUVRE DES MESURES PREVENTIVES..................................................................................70
TITRE II LALTERATION DU CARACTERE ACCESSOIRE DU CAUTIONNEMENT PAR LEREDRESSEMENT JUDICIAIRE DU DEBITEUR PRINCIPAL ........................................................................... 103
CHAPITRE I - LALTERATION DU DROIT DU CAUTIONNEMENT A LOUVERTURE DELA PROCEDURE DE REDRESSEMENT JUDICIAIRE ............................................................105
CHAPITRE II- LALTERATION DU DROIT DU CAUTIONNEMENT PAR LE TRAITEMENTJUDICIAIRE DES DIFFICULTES DU DEBITEUR PRINCIPAL ................................................155
SECONDE PARTIE ..........................................................................................................198
LA SURVIE DU CAUTIONNEMENT DANS LES PROCEDURES COLLECTIVES .........198
TITRE I LE MAINTIEN DES REGLES DU DROIT COMMUN DE PROTECTION DE LA CAUTIONCONTRE LE RISQUE INHERENT AU CREDIT.................................................................................................. 200
CHAPITRE I - LE MAINTIEN DES REGLES DU DROIT COMMUN RELATIVES ALEXISTENCE ET LETENDUE DE LA CREANCE ..................................................................202
CHAPITRE II - LE MAINTIEN DES DEVOIRS LEGAUX A LA CHARGE DU CREANC IER.....253
TITRE II - LE MAINTIEN DU DROIT DU CAUTIONNEMENT DANS LA PROCEDURE DE
LIQUIDATION DES BIENS ................................................................................................................................... 308
CHAPITRE I - LA COMPATIBILITE DE LA NATURE DU CAUTIONNEMENT AVEC LADEFAILLANCE DEFINITIVE DU DEBITEUR ...........................................................................310
CHAPITRE II LE MAINTIEN DU MECANISME DE LA SUBROGATION DANS LALIQUIDATION DES BIENS ......................................................................................................354
CONCLUSION GENERALE .............................................................................................397
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INTRODUCTION GENERALE
1. On chasse le naturel (laccessoire) et il revient au galop ! Cet adage exprime bien quil
existe entre la sret de cautionnement et les procdures collectives quelque chose de la vieille
rivalit entre le canon et la muraille1. Or, les enjeux conomiques et les exigences de la socit
de consommation, hier comme aujourdhui, et, notamment dans lespace OHADA2 trouvent leur
force dans le crdit. Seulement, les tablissements financiers ou les particuliers sollicits exigent
toujours un certain nombre de garanties avant la mise en place de leur concours financier afin de
se prmunir contre la faillite ventuelle de lemprunteur. Le cautionnement est lune des
garanties les plus souvent usites parmi les srets personnelles ou relles et lassurance crdit.
Contrat par lequel une personne, la caution, sengage envers le crancier, excuter lobligation
du dbiteur si celui-ci ny satisfait pas lui-mme3 , le cautionnement, a-t-on pu crire, est
incontestablement lune des garanties les meilleures quon puisse donner une banque, si ce
nest pas toujours la plus sre, en tout cas la plus pratique dans le domaine de la prvention et
du recouvrement des impays 4. Cependant, lessor du cautionnement a entran un contentieux
abondant qui tmoigne tant de sa vitalit que des difficults que suscite sa mise en uvre.
2. Le paiement de la dette dautrui : au commencement tait la rivalit familiale. Sous
lempire du droit romain, le cautionnement trouve son origine dans la solidarit familiale et se
ralise au moyen dun contrat verbal, la sponsio pour les citoyens romains et la
fidepromissio pour les prgrins 5 . Primitivement, les cautions, au lieu de promettre,
conformment lide moderne de garantie, le fait dautrui, promettaient leur propre fait ;
autrement dit, elles acceptaient purement et simplement la responsabilit de la dette du dbiteur
principal et non conditionnellement de la payer au cas o celui-ci nexcuterait pas son
1 C. SAINT-ALARY-HOUIN, Rapport de synthse sur le colloque intitul : Srets et procdures collectives :morceaux choisis , Petites affiches, 2000, n 188, p. 41.2 K. MBAYE ( Lhistoire et les objectifs de lOHADA ) a pu prciser que lOHADA est un outil juridiqueimagin et ralis par lAfrique pour servir lintgration conomique et la croissance , Petites affiches, 13 oct.2004, n spc. du colloque du 22 nov. 2002 Paris, centre Panthon, Universit Paris II par lAssociation HenriCapitant, sur OHADA : LOrganisation pour lHarmonisation en Afrique du Droit des Affaires , p. 4.LOHADA est un espace juridique qui regroupe les pays suivants : Bnin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique,Comores, Congo (Brazza), Cte-dIvoire, Gabon, Guine (Conakry), Guine Bissau, Guine Equatoriale, Mali,Niger, Sngal, Tchad, Togo et RDC (la Rpublique Dmocratique du Congo, en cours dadhsion). Sur lapparitiondu droit OHADA en gnral, voir, www. OHADA.com ; B. MARTOR, N. PILKINGTON, D. SELLERS, S.THOUVENOT, Le droit uniforme africain des affaires issu de lOHADA, avec la participation de P. ANCEL, B. LEBARS et R. MASAMBA, Litec, 2004 ; J. LOHOUES-OBLE, Lapparition dun droit international des affaires enAfrique , RIDC, 1999, p. 543 et s.3 Article 3, al. 1er, de lActe uniforme de lOHADA portant organisation des srets.4 F. TOTSI et A. CROSTO, Limpay et lentreprise, d. Administrative, Paris, 1978, 53.5 J. MACQUERON, Le cautionnement, moyen de pression dans la pratique contemporaine de Cicron, Annales dela Facult de droit dAix-en-Provence, nouvelle srie, 1958, t. L, p.101 132, n 50 ; du mme auteur, Lecautionnement, Cours des Pandectes, Aix-en-Provence, 1950-1951, p. 42.
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engagement. Ainsi, les dbiteurs noffraient que la garantie de leurs proches et puisquil existait
entre les membres dune famille un patrimoine commun, les garants faisaient figure de dbiteurs
principaux, limage des codbiteurs solidaires en raison de lintrt commun qui les liait. Si tel
ntait pas le cas, la caution, limage du plge de lpoque fodale, doit tre un personnage
influent, capable de contraindre moralement, sinon matriellement, le dbiteur agir comme il
la promis, ou alors, elle sera une sorte dotage dont le crancier pourra semparer, le cas chant
et le garder emprisonn jusqu lexcution par le dbiteur de la promesse cautionne6. De la
sorte, la caution, bien que tenue plus svrement que le dbiteur principal, est rarement force
lexcution ; son engagement steint sa mort. La prsence de lotage exercerait une contrainte
morale sur le dbiteur et linciterait sacquitter de son engagement.
3. La rigueur du cautionnement de cette poque serait lie aux murs et usages du moment. Il y
va donc de lhonneur du dbiteur principal de ne pas laisser poursuivre ceux qui, amis et parents,
taient intervenus pour lui. Lexistence dune caution ainsi rigoureusement tenue aurait alors
pour but dexercer une pression sur le dbiteur principal pour linciter excuter lui-mme ses
engagements7. Les prceptes bibliques expriment mieux cette ide en ces termes : Mon fils, si
tu as donn un gage pour autrui, si tu as rpondu pour un tranger, si tu es li par des paroles
de tes lvres, si tu es captif des paroles de ta bouche, fais donc ceci, mon fils: dgage-toi,
puisque tu es entre les mains de ton prochain ; va, hte-toi, et presse-le avec insistance, point de
sommeil tes yeux, point de repos tes paupires. Dgage-toi comme la gazelle du filet, et
comme loiseau de la main de loiseleur 8.
4. En droit traditionnel africain, sans voquer expressment la notion de cautionnement, il est
admis que la famille est partie dans tout contrat conclu par un de ses membres, mme si elle ny
est pas partie et que son intervention ny est pas voque. Lexistence de cette solidarit
familiale est trs souvent atteste. Le mal suprme tant la honte, aucune famille nacceptera de
laisser impaye une dette dun de ses membres : aprs le respect d aux anctres, le second
fondement des obligations dans la tradition africaine tait lhonneur et la dignit du groupe. Ce
serait livrer tout le clan la mdisance et la honte que de contourner une obligation par un
6 Pour une tude particulirement riche des modes primitifs de cautionnement, J. COUDERT, Recherches sur lesstipulations et les promesses pour autrui en droit romain, thse Nancy, 1957, p. 17 et s. ; J. MACQUERON, Lecautionnement. Cours des Pandectes, prc., p. 42 ; R. FEENSTRA, Le caractre accessoire des diffrents types decautionnements verbis en droit romain classique , Etudes J. MACQUERON, Editions de la Facult de droit dAix-en-Provence, 1970, p. 383 et s.7 J. MACQUERON, Le cautionnement, moyen de pression dans la pratique contemporaine de Cicron, prc., p.101 132, n 50..8 La Sainte Bible, ancien Testament, Proverbes 6, 1-5.
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artifice, car on aurait vite fait de dclarer dans les contres avoisinantes quil faut se mfier
comme de la peste des membres de tel clan9 . Dans la hirarchie des sanctions pour dfaut
dexcution du contrat, une des premires places revient au discrdit jet par le crancier impay
sur la famille de son dbiteur. Gnralement, cet effet, le crancier mcontent va au march
dfaire la rputation de son cocontractant malhonnte. Pour viter ce dshonneur public, les
autres membres de la famille acceptent de se sacrifier pour rembourser la dette de leur parent.
Cette solidarit familiale connat dailleurs diffrents degrs dans la spontanit : elle est parfois
subie. Ainsi, par exemple, en Pays Dagari, au sud du Burkina Faso, pour rcuprer sa crance,
le crancier avertit le dbiteur quil emploiera tous les moyens. Avec lappui de sa propre
famille et lautorisation de son chef, le crancier peut enlever un parent cher au dbiteur. La
personne enleve est enterre jusquau cou prs de la maison du crancier ; la famille du
crancier monte avec arcs, flches et lances sur la terrasse et attend que la famille du dbiteur
vienne acquitter la dette 10.
5. Ce rappel montre ainsi combien, en matire dobligation, les membres dune mme famille
sont lis entre eux pour le meilleur mais aussi pour le pire car, par exemple, le dnouement de
cette procdure ci-dessus dcrite nest toujours pas heureux : si les membres de la famille
du dbiteur se sentent suffisamment forts pour dlivrer leur membre sans rembourser largent,
laffaire peut se terminer par des morts (). Mais en gnral, ils considrent lenlvement
comme un dshonneur, et ils sefforcent de rembourser la dette 11. On ne saurait mieux dire
quen droit traditionnel africain, la priode de remboursement du dbiteur dfaillant cre toujours
une situation conflictuelle et dmontre aussi que conclure un contrat est toujours le fait dune
famille et que lexcuter nest pas tant sacquitter dune obligation promise lautre que rgler
en cette prestation mme une dette contracte envers et par le propre groupe familial : il y va de
la dignit de la famille et cest ce qui explique la solidarit dans lexcution du contrat entre les
membres dune mme famille.
6. Cependant, la mutation de la socit a entran une volution de la sret : avec lapparition de
la notion deffort individuel, la famille devient moins unie quautrefois ; son extension infinie
9 X. DIJON, Elments de droit compar pour une thorie gnrale des contrats coutumiers au Burkina , RevueBurkinab de Droit, n 7, janv. 1985, p. 17 et s., spc. p. 30.10 En droit traditionnel africain, dune manire gnrale, la famille est partie au contrat ds le moment o un deses membres y est partie, mme si cela nest pas expressment dit. Cest ds lors un devoir dhonneur que dassisterle membre engag si celui-ci se trouve dfaillant , tmoignage Mossi (Burkina Faso) recueilli par X. DIJON, art.prc., p. 30.11 X. DIJON, art. prc., p. 36 ; voir galement, N. DJIMASNA, De la solidarit du cautionnement issu du Trait delOHADA , Revue juridique tchadienne, en ligne (www. cefod.org/Droit_au_Tchad).
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ruine tout sens de solidarit entre ses membres. De la famille comme lieu dobligation, on passe
lindividu comme sujet de droit ; la recherche du profit a remplac la bienveillance mutuelle, et
la rationalit judiciaire moderne prend la place du jugement des vieux et des anctres. Il ny a
plus forcment entre le dbiteur et ses garants des liens de parent, damiti mais souvent des
relations daffaires. Il devient par consquent trs difficile de trouver des cautions prtes se
soumettre ce rgime trs rigoureux relev ci-dessus.
7. Evidemment, dans les systmes juridiques romano-germaniques, la rigueur lencontre de la
caution sest adoucie par une srie de lois depuis lpoque rpublicaine en France qui accorde
successivement la caution un recours contre le dbiteur (lex publilia), contre les autres
cautions lorsquelle a pay plus que sa part (lex appuleia), le bnfice de division et la libration
du garant deux ans aprs lchance (lex furia )12. Ces lois, juges trop favorables la caution,
ont conduit la cration de nouveaux procds. Ds la fin de la Rpublique et au dbut de
lEmpire se dveloppent deux techniques dont la fusion est lorigine du contrat actuel de
cautionnement : la fidejussio , contrat formaliste, vritable sret but conomique,
prsentant un caractre accessoire, par lequel la caution garantit lexcution pour le dbiteur
principal, et le mandat , contrat par lequel la caution donne lordre au crancier de faire crdit
au dbiteur. Le Code civil, hritier de ces rgles, rglemente un cautionnement de bienfaisance,
caractre familial, avant de devenir un vritable mcanisme du droit des affaires. Tenant compte
de la mutation de la socit africaine, le droit uniforme issu du Trait de Port-Louis du 17
octobre 1993, entr en vigueur le 18 septembre 1995, a repens le cautionnement13 dans le sens
12 Sur lensemble de cette question, voir A. E. GIRARD, Prcis de droit romain, 2e d., 1936, n 510 et s.13 Au lendemain de lindpendance des pays africains de la zone franc, le droit des srets tait hrit du droitfranais tel que le Code civil (anc. art. 2011 et s.), le code de commerce et, ventuellement des textes spciaux leleur avait lgu. Les dispositions relatives aux srets immobilires (hypothques, privilges immobiliers spciaux,antichrse) avaient t abroges et remplaces par les textes coloniaux de droit foncier : voir, Dcret du 26 juill.1932 portant rorganisation de la proprit foncire en Afrique occidentale franaise promulgu par arrt du 12 avr.1933, J. O. AOF du 20 avr. 1933, p. 426 ; deux dcrets du 21 juill. 1932 pour le Cameroun, J. O. Cameroun, 1934,p. 230, J. O. R. F., 24 juill. 1932 et rectificatif, p. 8720 ; J. O. C., 1932, p. 618 et J. O. C., 1934, p. 230. Sur laquestion, G. J. BOUVENET et R. BOURDIN, Codes et Lois du Cameroun, tome IV, Economie gnrale et financespubliques, 1958, p. 45 et 57. De plus, voir galement, le Dcret du 23 sept. 1922 promulgu par arrt du 31 janv.1923 rendant applicable au Togo, les dispositions du Dcret du 24 juill. 1906, Bull. officiel des colonies, 1906, p.681 ; J. O. du Territoire du Togo, n 29 du 1er fvr. 1923, p. 46 ; J. O. R. F, 28 dc. 1922 ; Dcret du 28 mars 1899applicable au Congo modifi par le Dcret du 12 dc. 1920 et tendu aux pays de lAfrique quatoriale franaise,Bulletin officiel des colonies, 1899, p. 346. Par ailleurs, part le Sngal (Loi 76-60 du 1er juin 1976 portanttroisime partie du code des obligations civiles et commerciales concernant les garanties des cranciers (art. 827 ets. concernant les srets et art. 927 et s. concernant les mesures collectives et les sanctions relatives la dfaillancedu dbiteur) et le Mali ( Loi n 86-13 du 21 mars 1986 portant code de commerce malien : art. 151 et s. relatifs auprivilge du vendeur et au nantissement du fonds de commerce), aucun pays africain de la zone franc navaitentrepris la rforme des srets, si bien que ce droit, bien que vieilli et ncessitait une reprise presque complte (F.ANOUKAHA, A. CISSE-NIANG, M. FOLI, J. ISSA-SAYEGH, I. Y. NDIAYE et M. SAMB, OHADA. Srets,Bruylant, Bruxelles, 2002, p. 3, n 6). Cest alors que lOHADA, dans un Acte uniforme adopt le 17 avr. 1997 parle Conseil des ministres de cette organisation procder cette rforme. Sur la question, F. ANOUKAHA, Le droitdes srets dans lActe uniforme OHADA, Presses universitaires africaines, Yaound, 1998 ; J. ISSA-SAYEGH,
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de lamnagement du sort de la caution, en reprenant les solutions pertinentes du droit franais,
protectrices de la caution en droit commun14.
8. Mais alors, le cautionnement et les procdures collectives font-ils bon mnage ? Le dbiteur
principal tant en difficult, le crancier va vouloir lgitimement obtenir paiement de sa crance,
lencontre de la caution, indpendamment de toute poursuite contre le dbiteur principal. Il se
pose alors la question des rpercussions dune procdure collective du dbiteur principal sur
lexistence, ltendue, lexigibilit et lextinction de la dette garantie par la caution.
Seulement, la procdure collective est la crance ce que le cas fortuit est la chose ; ainsi, si le
cas fortuit peut entraner la disparition de la chose, la procdure collective peut entraner
laltration, voire lextinction, du droit de crance.
9. Protection de la caution et procdures collectives : un contraste permanent dadaptation
du Droit aux ralits conomiques et sociales. Le droit apparat comme une technique
subordonne, un instrument de ralisation du but conomique15 qui essaye, en raison de la
multitude des intrts en jeu, dtre en harmonie avec la situation quil rgit, afin dassurer la
survie en priorit de son potentiel conomique16. Ainsi, le traitement des difficults du dbiteur
apparat comme une pure technique dintervention des autorits publiques ou judiciaires dans
Organisation des srets , Cahiers juridiques et fiscaux, CFCE, 1998, n 2, p. 35 ; J. ISSA-SAYEGH, Commentaire de lActe uniforme portant organisation des srets , in Trait et Actes uniformes comments etannots, Juriscope, 2008, p. 619 et s. ; J. ISSA-SAYEGH, Acte uniforme portant organisation des srets ,Commentaires, EDICEF/Editions FFA, 2000 ; A. SAKHO et I. NDIAYE, Pratique des garanties du crdit,OHADA, Acte uniforme portant organisation des srets , Revue africaine des banques, oct. 1998 ; D. WAR, Harmonisation du droit des affaires : ouragan sur le superprivilge des travailleurs , Revue EDJA, oct.-dc. 1995,n 27, p. 47 ; J. LOHOUES-OBLE, Lapparition dun droit international des affaires en Afrique , prc., 543 ets. ; N. DJIMASNA, Rflexions sur lefficacit des srets personnelles dans le droit uniforme issu du Trait de lO.H. A. D. A., thse, Orlans, 2006.14 M. GRIMALDI, LActe uniforme portant organisation des srets , Petites affiches, 13 oct. 2004, n 205, p.31, o lauteur affirme, avec raison que lActe uniforme se trouve, pour lessentiel, dans le droit franais ; F.ANOUKAHA, A. CISSE-NIANG, M. FOLI, J. ISSA-SAYEGH, I. Y. NDIAYE et M. SAMB, OHADA. Srets,prc., p. 3, n 6. Dans le mme sens, F. M. SAWADOGO, OHADA. Entreprises en difficult, Bruylant, Bruxelles,2002, p. 6, o lauteur prcise que lvolution du droit des entreprises en difficult en France est clairante plusdun titre : tous les Etats francophones dAfrique, soit avaient conserv la lgislation franaise lgue pendant lacolonisation, soit sinspiraient plus ou moins fidlement des rformes qui ont t introduites en France aprs lesindpendances ; adde, Ph. TIGER, Les procdures collectives aprs cessation des paiements en droit harmonisde lOHADA , Petites affiches, 13 oct. 2004, n 205, p. 35.15 K. MBAYE ( Lhistoire et les objectifs de lOHADA , art. prc., p. 7) a soulign que lOHADA est un outiljuridique imagin et ralis () pour servir lintgration conomique et la croissance ; J. R. GOMEZ, OHADA.Entreprises en difficult. Lecture de lActe uniforme de lOHADA portant organisation des procdures collectivesdapurement du passif la lumire du droit franais, prf. Ph. DELEBECQUE, Bajag-Meri, Revue dAnalyses etde Perspectives africaines, 2003, p. 13 et s.16 Sur ladaptation du droit la ralit des faits conomiques : Ch. ATIAS et D. LINOTTE, Le mythe deladaptation du droit au fait , D. 1977, chron. p. 251 et s. ; E. DU PONTAVICE, La part du droit dans la vieconomique , RJ com. 1975, p. 213 ; B. OPPETIT, Dveloppement conomique et dveloppement juridique ,Mlanges A. SAYAG, Litec, 1997, p. 71 ; G. VEDEL, Le droit conomique existe-t-il ? , Mlanges VIGREUX, p.766.
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la vie conomique et de gestion de leurs entreprises par les agents conomiques 17 . Cette
intervention, qui est marque par une adaptation aux bouleversements conomiques et sociaux,
est caractrise par la volont de traduire ltat de rgle, le but qui a t entrevu par la
politique juridique 18. Toute la structure dune science dpend en effet de lide que lon se fait
de sa finalit : le droit ne constitue pas un systme ferm, statique, mais un moyen permettant
datteindre certains buts, de promouvoir certaines valeurs 19. Cette ambition concerne le droit
objectif dans son ensemble mais plus particulirement le droit des procdures collectives qui est
le premier des droits conomiques qui se dfinit par un rapport dinstrumentalisation par
rapport la ralit 20. Cette ralit conomique et sociale est perceptible en la matire depuis le
code de commerce et na cess dvoluer.
10. En fait, la faillite tait une voie dexcution collective des biens du commerant dfaillant
qui consistait, pour protger les cranciers, saisir et vendre les biens du failli frapp de
dessaisissement total, pour rpartir le produit entre les cranciers munis de srets et les
cranciers chirographaires selon la rgle de lgalit, autrement dit, proportionnellement au
montant de la crance. Le caractre collectif de la procdure est traduit par la masse qui unit les
cranciers. Le droit de la faillite tait domin par son caractre rpressif, puis moral21.
11. A lorigine, si la finalit traditionnelle de la faillite tait conue pour protger le
crancier, elle a depuis laiss place une lgislation dune moindre rigueur envers le dbiteur,
tout en affirmant limportance de lentreprise et en valorisant son sauvetage. Ainsi, le droit de la
faillite, devenu rcemment, le droit des entreprises en difficult, rend compte dune volution qui
sest opre au dtriment des prrogatives discrtionnaires des cranciers au profit des intrts de
17 B. OPPETIT, Philosophie du droit, Prcis Dalloz, 1999, n 87, p. 105.18 P. ROUBIER, Thorie gnrale du droit. Histoire des doctrines juridiques et philosophiques des valeurs sociales,Sirey, 1946, n 9, p. 75.19 B. SOINNE, Bilan de la loi du 25 janvier 1985 sur le redressement et la liquidation judiciaires : Mythes ouralits. Propositions de modification , Rev. proc. coll. 1993, p. 355 et s.20 M. A. FRISON-ROCHE, Le lgislateur des procdures collectives et ses checs , Mlanges A. HONORAT, p.113 et s.21 Lvolution historique de la faillite montre que trois finalits se sont succde. Dans un premier temps, lelgislateur a voulu punir le commerant qui nhonorait pas ses engagements. Puis, il a voulu protger les cranciersimpays. Enfin, une poque beaucoup plus rcente, il sest proccup dassurer la survie des entreprises quimritaient dtre sauves : voir dans ce sens, J. PAILLUSSEAU, Du droit de la faillite au droit des entreprises endifficult , Mlanges R. HOUIN, Dalloz/Sirey, 1985, p. 109 et s. Sur lensemble de la question, E. THALLER,Trait gnral thorique et pratique de droit commercial, Des faillites et des banqueroutes et des liquidationsjudiciaires, par J. PERCEROU, t. 1, Rousseau diteur, 1907, n 5 et s., p. 4 et s. ; R. ITHURBIDE, Histoire critiquede la faillite, LGDJ, 1973, p. 3 et s. ; J. HILAIRE, Introduction historique au droit commercial, PUF, 1986, n 187et s., p. 305 et s. ; G. RIPERT et R. ROBLOT, par Ph. DELEBECQUE et M. GERMAIN, Trait de droitcommercial, t. 2, 16e d., LGDJ, 2000, n 2794 ; Y. GUYON, Droit des affaires, t. 2, Entreprises en difficult,Redressement judiciaire, Faillite, 9e d., Economica, 2003, n 1007 et s. ; B. SOINNE, Trait des procdurescollectives, 2e d., Litec, 1995, n 1 et s. ; J. FOYER, De lexcution collective des biens du dbiteur lamdecine des entreprises , Mlanges AZARD, Cujas, 1980, p. 54.
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lentreprise. En effet, le lgislateur franais de 1967, inspir par les impratifs conomiques,
dissocie le sort de lentreprise de celui de la personne de son dirigeant.
12. Le redressement de lentreprise devient une ncessit mais il repose inluctablement sur des
sacrifices de la part des cranciers puisque sa sauvegarde doit primer sur les intrts privs. De
plus, ladoption de lordonnance du 23 septembre 1967 sur la procdure de suspension provisoire
des poursuites et de la loi du 25 janvier 1985 sur le redressement judiciaire a dmontr dune
faon claire une ide force fonde sur la situation conomique du dbiteur dautant plus que
lentreprise qui peut tre sauve doit ltre afin dviter les dsordres conomiques et sociaux
quentranerait sa disparition. A cet gard, la dfaillance du dbiteur principal, personne
physique ou personne morale, est devenue un des risques majeurs pouvant entraner une raction
en chane lourde de consquences conomiques et sociales auxquelles lon a tent de remdier
par divers moyens22. Les plus extrmes se situent au niveau du traitement des difficults par le
sursis de paiement, la gestion contrle, les remises concordataires, larrt du cours des intrts
et dautres mesures dapurement du passif, aussi bien pour les entreprises que pour les
particuliers commerants23. Le droit uniforme est dans ce sillage lgislatif et prvoit trois sortes
de procdures : le rglement prventif, le redressement judicaire et la liquidation des biens24.
13. Face la particularit de la situation des entreprises en difficult, les rgles traditionnelles
mises la disposition des cranciers pour contraindre un dbiteur qui vient ne pas tenir ses
engagements se rvlent inoprantes25. Il ne fait aucun doute quil faut payer les cranciers en
respectant la parole donne, mais la politique lgislative telle quenvisage par le lgislateur de
nos jours, confre au dbiteur le droit de ne pas payer ses dettes momentanment ou
durablement26. Dans un tel contexte, la dfaillance des entreprises nest pas seulement laffaire
du crancier : elle intresse galement lEtat en raison des consquences dordre conomique et
dordre social pouvant en dcouler. Guyon affirmait, ce sujet, que la collectivit tout entire
ne peut se dsintresser du sort dune entreprise dont la disparition augmentera le chmage,
dgradera lenvironnement conomique dune rgion et fera parfois cesser une production
nationale, obligeant recourir limportation 27.
22 F. M. SAWADOGO, OHADA, Droit des entreprises en difficult, prc., p. 3.23 Art. 77 Acte Uniforme de lOHADA portant organisation des procdures collectives dapurement du passif.24 Larticle 2 AUPC dfinit les trois types de procdures collectives.25 Suspension des poursuites individuelles.26 G. RIPERT, Le droit de ne pas payer ses dettes , D. 1936, chron. p. 37.27 Y. GUYON, op. cit., n 1005, p. 6 et s.
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14. Il sensuit que la sauvegarde de lentreprise devient une priorit au dtriment des partenaires
conomiques. Dans ce cas, le crancier bnficiaire du cautionnement se tournera vers la caution
car, la sret a pour fonction essentielle dassurer le paiement de la dette lorsque le dbiteur ny
satisfait pas. Louverture dune procdure collective constitue donc, dans une large mesure,
lultime moment pour raliser la garantie28. Certains ont pu soutenir que rien ne peut jouer contre
le crancier29. Dautres estiment que le droit des procdures collectives est ainsi comparable
ltat durgence, qui suspend lapplication des lois habituelles jusquau rtablissement de
lordre rpublicain 30.
15. Or, dun point de vue conceptuel, depuis Pothier, il est enseign que lengagement de la
caution est accessoire par rapport lengagement du dbiteur principal 31 . Revtant une
dimension toute particulire, le caractre accessoire attach au cautionnement est devenu un
guide de la pense juridique en matire de cautionnement, tantt peru comme une norme32,
tantt rig en un dogme33 ou, encore, une hypothse thorique communment reue partir de
laquelle sont chafaudes des problmatiques et des solutions. La Cour de cassation franaise,
depuis un arrt du 19 fvrier 1908, a pris le soin de prciser que le cautionnement nest que
laccessoire de la dette principale, et il importe peu quil sagisse dun cautionnement solidaire,
puisque cette solidarit ne change pas la nature du cautionnement 34 . Selon la doctrine
classique, le principe de laccessoire, vritable cl de vote de tout systme des srets
personnelles 35, figure indiscutablement au cur de toute thorie gnrale des srets et les
spare en deux catgories antinomiques : les srets accessoires et les srets indpendantes36.
28 J. ISSA-SAYEGH, Commentaires de lActe uniforme portant organisation des srets, in Trait et Actesuniformes de lOHADA comments et annots, sous la direction de J. ISSA-SAYEGH, P.-G. POUGOUE, F. M.SAWADOGO, Juriscope, 3e d., 2008 ; sur la situation exorbitante de protection du crancier, A. A. DE SAMBA,OHADA. La protection du crancier dans la procdure simplifie de recouvrement des crances civiles etcommerciales, Les ditions de la rose bleue, Lom, 2005, p. 83 et s.29 F. M. SAWADOGO, op. cit., n 217 et 271.30 Y. GUYON, Le droit des contrats lpreuve du droit des procdures collectives , Mlanges J. GHESTIN, Le contrat au dbut du XXI e sicle , LGDJ, 2001, p. 405.31 M. STORCK, Cautionnement et procdures collectives , Petites affiches, 2000, n 188, p. 33.32 G. GOUBEAUX, La rgle de laccessoire en droit priv, prf. D. TALLON, LGDJ, Bibl. droit priv, Tome 166,1980.33 Sur lexistence exagre du dogme de laccessoire, D. GRIMAUD, Le caractre accessoire du cautionnement,prf. D. LEGEAIS, Presses universitaires dAix-Marseille, 2001, p. 35 et s.34 Req. , 19 fvrier 1908, S. 1911, p. 529. Pour une critique de lassimilation du cautionnement la rgle de lasolidarit : D. VEAUX et P. VEAUX-FOURNERIE, La reprsentation mutuelle de coobligs , in Mlanges A.Weill, Dalloz/Litec, 1983, p. 547 qui estiment que ce principe de reprsentation mutuelle quaucun texte naffirme,fait partie du folklore juridique que les auteurs se transmettent de gnration en gnration, aurol de quelquesformules de mauvais latin, crant, la longue, un rflexe si puissant que, mme lorsquon ny croit pas, on noseplus sy attaquer () ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, Droit des srets, 6e d., Paris, Litec, 2002, p. 251, n331.35 T. R. ROSSI, La garantie bancaire premire demande, thse Lausanne, Mta-Editions, 1989, p. 97, n 264 et s.36 W. WIEGAND, Akzessoriett und Spezialitt. Zum Verhltnis Zwischen Forderung und Sicherungsgegenstand,in Probleme der Kreditsicherung, Berner Tage fr die juristische Praxis 1881, Berne 1982, p. 43.
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16. Le cautionnement appartiendrait la premire catgorie et les autres garanties personnelles
relveraient de la seconde. On considre cet effet que la caution est tenue la mme dette que
le dbiteur tant dans son tendue que dans son exigibilit, lui ouvrant la voie au bnfice des
exceptions, tandis que le garant fournit une prestation et, par voie de consquence, est priv des
exceptions du dbiteur37. A la suite du droit franais, la doctrine suisse sen est fait cho : daprs
M. Scyboz, le cautionnement ne peut tre quaccessoire, et cen est llment essentiel () 38.
En revanche, le garant sengage fournir autre chose que lexcution de la dette garantie,
savoir une indemnit ou un succdan spcial qui tous deux restituent au crancier son intrt
lexcution, le satisfont mais ne le payent pas 39. Ainsi, dans leur structure juridique, les figures
contractuelles de garantie indpendante ou du cautionnement divergent tel point quon ne peut
se trouver en prsence que dun contrat de garantie autonome ou dun contrat de cautionnement,
observable partir de la rgle de laccessoire. Il est dailleurs soutenu que lantinomie entre le
cautionnement et la lettre de garantie prcde la rglementation juridique 40. Elle puiserait ses
racines dans la logique des catgories gnrales de pense et non dans les dfinitions du droit
positif 41. M. Kleiner a pu affirmer mme que lantinomie fondamentale entre la garantie et le
cautionnement apparat comme un concept juridique pr-positif. Aussi lon peut parler avec
Radbauch des concepts de droit aporioristes, car, lindpendance de la garantie oppose aux
rapports juridiques accessoires appartient aux catgories indispensables de la pense juridique
qui sont les instruments et non les rsultats de la science du droit 42.
17. Prolongeant cette culture juridique et au nom de ce principe selon lequel lengagement de la
caution doit se mesurer en fonction de celui du dbiteur principal ou, encore, laccessoire doit
suivre le sort du principal, lActe uniforme de lOHADA portant organisation des srets dispose
que la caution ne peut pas tre tenue dune faon plus onreuse que le dbiteur principal ; son
engagement ne peut excder ce qui est d par le dbiteur principal au moment des poursuites43.
De plus, le crancier ne peut poursuivre la caution sans mettre pralablement en cause le dbiteur
37 M. CONTAMINE-RAYNAUD, Les rapports entre la garantie premire demande et le contrat de base en droitfranais , Mlanges ROBLOT, 1984, p. 421 et s. ; P. LE MAX-PLANCK, Le cautionnement dans le droit des Etatsmembres des communauts europennes, Institut fr auslndisches und internationales Privatrecht de Hambourg,Bruxelles 1971, p. 56.38 G. SCYBOZ, Trait de droit priv suisse, Tome VII, Le cautionnement Le contrat de garantie, 1re d. Fribourg,1977, p. 47.39 G. SCYBOZ, op. cit., p. 72: selon cet auteur, la caution ne peut renoncer au droit dopposer au crancier toutesles exceptions appartenant au dbiteur; elle sobligera alors comme un porte-fort ou par une reprise cumulative de ladette.40 G. SCYBOZ, op. cit. p. 71; P. A. GILLIERON, Les garanties personnelles en matire bancaire, thse Genve,1958, p. 158.41 B. KLEINER, Bankgarantie (traduction), p. 19, cit par SCYBOZ, op. cit. p. 71 et s.42 B. KLEINER, op. cit., p. 19.43 Article 7, alina 3 AUS.
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principal44. Par ailleurs, la caution peut soulever toutes les exceptions inhrentes la dette et qui
appartiennent au dbiteur principal 45 . Ds lors, les multiples manifestations de la rgle de
laccessoire inhrente au cautionnement, telle que dcrite, sont-elles respectes par le droit des
procdures collectives ? Les solutions protectrices de la caution dgages de la rgle de
laccessoire de la garantie sont-elles maintenues dans le cadre des procdures collectives ? Sil
ne fait aucun doute que le crancier va, dans tous les cas, souhaiter tre pay, la caution peut-elle
se prvaloir des remises consenties au dbiteur principal dans le cadre des procdures de
rglement prventif et de redressement judiciaire du dbiteur dfaillant ? La rponse toutes ces
questions nest pas aise, cest pourquoi, en labsence dune disposition prcise en droit franais,
la jurisprudence tait hsitante, lvolution des pisodes en la matire tant caractrise tantt
par un big crunch jurisprudentiel , annonant le retour de la svrit46, tantt par une sorte
de big bang favorable aux intrts de la caution47, tant donn qu une ligne de conduite
affirme reste impossible 48 . Or, le droit uniforme a choisi une politique rigoureusement
tranche et svre pour la caution lorsquil prvoit que la caution simple ou solidaire ne peut se
44 Article 13, alina 2, de lAUS.45 Article 18 AUS.46 Cass. civ. 1re, 13 nov. 1996, D. 1997, 141, note T. MOUSSA: cest la premire fois que la Cour de cassationrpond la question, fort importante, de savoir si les remises consenties par le crancier au dbiteur principal, dansle cadre dun plan conventionnel de rglement ou de redressement, labor dans le cadre dune procdure judiciaire,bnficient ou non la caution. La cour rpond ngativement, en affirmant que malgr leur caractre volontaire,les mesures consenties par les cranciers dans le plan conventionnel de rglement ne constituent pas, eu gard lafinalit dun tel plan, une remise de dette au sens de larticle 1287 du Code civil . La chambre commerciale avaitdj jug (Com., 17 nov. 1992, Bull. civ. IV, n 355 ; D. 1993, p. 41, note D. VIDAL ; JCP G 1993, I, n 3680, n7, obs. Ph. SIMLER ; Defrnois 1993, n 8, p. 527, obs. SENECHAL) que, malgr leur caractre volontaire, lesremises acceptes par les cranciers dans les conditions prvues aux 2e et 3e alinas de lart. 24 de la loi n 85-98 du25 janvier 1985, pour llaboration du plan de redressement dune entreprise en redressement judiciaire ne peuventtre assimiles aux remises conventionnelles de dette prvues par lart. 1287 c. civ. . Mais elle a justifi cetteexclusion en retenant que les remises consenties peuvent tre rduites par le tribunal, quelles participent de lanature judiciaire des dispositions du plan arrt pour permettre la continuation de lentreprise et quen vertu de lart.64, al. 2, de la loi du 25 janv. 1985, les cautions solidaires ne peuvent sen prvaloir.47 Cass. com., 5 mai 2004, D. 2004, 1594, obs. A. LIENHARD. Comme a pu le souligner le commentateur, plusnovateur est lapport de cette dcision quant au sort de la caution ou du garant : les remises ou dlais accords par uncrancier dans le cadre dun rglement amiable bnficient la caution. Jamais encore, la cour de cassation navaitt amene prendre position sur ce point. La solution correspond lopinion doctrinale dominante de lpoque.Dans ce sens, P.-M. LE CORRE, Droit et pratique des procdures collectives, Dalloz/Action, 2003/2004, n 13.42 ; F. PEROCHON et R. BONHOMME, Entreprises en difficult, Instruments de crdit, 6e d., LGDJ, 2003, n73 ; ces auteurs la fondent gnralement sur lart. 1287 du Code civil, sagissant des remises. En vertu de cettedisposition, la remise ou dcharge conventionnelle accorde au dbiteur principal libre les cautions . Et, en cequi concerne les dlais, sur la rgle de laccessoire et lanc. art. 2013 du Code civil, selon lequel le cautionnementne peut excder ce qui est d par le dbiteur . Ce qui suppose, bien entendu, que lintervention judiciaire dans laprocdure de rglement amiable ne soit pas de nature lui faire perdre son caractre contractuel ; et de seconvaincre, ce sujet, pour faire taire le doute suscit par la jurisprudence contraire en matire de planconventionnel de redressement des particuliers surendetts (Civ. 1re, 13 nov. 1996, D. 1997, p. 141, concl. J.SAINTE-ROSE ; note T. MOUSSA et somm. p. 178, obs. D. MAZEAUD, et p. 200, obs. P.-L. CHATAIN et F.FERRIERE ; RTD civ. 1997, p. 1997, p. 190, obs. P. CROCQ) que lanalogie nest pas due (Ph. SIMLER,Cautionnement et garanties autonomes, 3e d., Litec, 2000, n 478).48 P. CROCQ, RTD civ. 2003, p. 122.
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prvaloir des remises consenties au dbiteur principal dans le cadre des procdures
collectives 49, sans distinguer selon que la procdure est essentiellement prventive ou curative.
18. Cette solution du droit uniforme ne rgle donc pas dune faon intressante et juste la
question du sort de la caution lorsquune procdure de rglement prventif ou de redressement
judiciaire souvre contre le dbiteur principal car, la question essentielle reste de savoir sil
existe, en droit OHADA, des rgles selon que la sret de cautionnement mane dune banque,
dun consommateur caution profane, dun dirigeant de socit caution avertie, dune socit
civile ou commerciale. En effet, aucune distinction nest faite entre la caution quelle soit une
personne physique ou une personne morale50. Or, en droit franais, la situation de la caution a
considrablement volu dans le sens de sa protection.
19. Si la lgislation de lOHADA nignore pas certaines spcificits nationales, son
particularisme ne doit pas tre exagr, dautant plus quelle reprend pour lessentiel les notions,
principes et mcanismes du droit franais et que, pour une grande part, elle ne fait que saligner
sur lvolution du droit franais depuis les indpendances ou anticiper sur les rformes en cours
en France et les propositions doctrinales 51 . Or, depuis la loi franaise de sauvegarde des
entreprises du 26 juillet 2005, la caution personne physique et le garant autonome peuvent se
prvaloir des mesures de prvention et de sauvegarde prvues par la loi et accordes au dbiteur
principal par le juge.
20. Dans ces circonstances, il faut comprendre que lintrt de lanalyse, les raisons
fondamentales et concrtes des rapports conflictuels du cautionnement et des procdures
collectives en droit uniforme issu du Trait de lOHADA sont beaucoup plus profondes : pour
lessentiel, la caution dans le cadre des entreprises est trs souvent le dirigeant social ou une
tierce personne en relation avec le dbiteur en difficult52, ce qui pose un problme dimbrication
des intrts protger et une mise en uvre contraste des rgles du droit commun, du droit des
socits, du droit des entreprises en difficult et du droit du cautionnement53. En consquence,
49 Article 18 AUS.50Article 18 AUS parle de toute caution ou certificateur de caution .51 P. BOUREL, A propos de lOHADA : libres opinions sur lharmonisation du droit des affaires en Afrique , D.2007, chron. p. 969 et s. spc. p. 972.52 F. K. DECKON, Le conjoint du dbiteur soumis une procdure collective en droit uniforme de lOHADA ,(premire partie), Petites affiches, 14 janv. 2008, p. 6 et s. 53 Parce que la caution est souvent le dirigeant de la socit commerciale, linterfrence des diverses rglesjuridiques sobserve dans les procdures collectives, qui sont une discipline carrefour entre le droit des socits (J.PAILLUSSEAU, LActe uniforme sur le droit des socits , Petites affiches, 13 oct. 2004, p. 19 et s.), le droit
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cette prise de position de lActe uniforme, qui est une innovation en la matire, cre une rigueur
inexplique lgard de la caution surtout personne physique.
21. Lobjet de ltude. La mise en oeuvre du droit du cautionnement lorsquune procdure
collective souvre contre le dbiteur principal cre encore aujourdhui, dans le droit africain, une
situation conflictuelle trs dfavorable la caution. En effet, la rgle de laccessoire inhrente
la conception classique du cautionnement et les intrts lgitimes de la caution, dune part, et la
finalit du cautionnement, dautre part, semblent se manifester simultanment soulevant ainsi la
difficult de linfluence prcise des impratifs du droit des procdures collectives sur lquilibre
des prestations contractuelles dans lopration du cautionnement. Il est imprieux denvisager les
rapports entre le rgime du cautionnement et le rgime des procdures collectives en les
confrontant afin de percer les mystres des insolubles conflits de frontires entre ces deux corps
de rgles du droit priv.
22. Pour dterminer quelles doivent tre les consquences de louverture dune procdure
judiciaire sur le cautionnement, deux positions sont possibles. La premire consiste faire
application de la rgle de laccessoire du cautionnement et, dans ce cas, la caution bnficie de
toutes les mesures de faveur consenties au dbiteur garanti. Cette position est contestable en
raison de la survenance dans une certaine mesure du risque pour lequel le crancier a voulu se
protger, notamment dans lhypothse dune situation irrmdiablement compromise. La
seconde position consiste considrer que la rgle de laccessoire na pas jouer du tout quand
survient une procdure de prvention ou de traitement des difficults contre le dbiteur principal
et que, dans ce cas, la caution doit tre poursuivie comme un garant autonome ds la constatation
du non-paiement dune crance devenue exigible. Le droit OHADA a emprunt cette seconde
voie et est regard comme un droit partisan54. Cest un facteur defficacit absolue de la garantie
car, la solution est trs favorable au crancier qui jouit de lindpendance du droit de poursuite
contre la caution.
commercial gnral (J. LOHOUES-OBLE, Innovation dans le droit commercial gnral , Petites affiches, 13 oct.2004, p. 8 et s.), du droit des srets (M. GRIMALDI, LActe uniforme portant organisation des srets ,prc., p.30 et s.), mais du droit priv en gnral.54 P. BOUREL ( A propos de lOHADA : libres opinions sur lharmonisation du droit des affaires en Afrique ,prc., p. 970) exprime, dune faon xagre, cette ide, en qualifiant le droit uniforme africain d un droit impos,venu den haut , ou d un droit import, venu dailleurs , ou encore, lorsquil souligne que limage donne deldifice du droit OHADA, pour sduisante quelle soit en apparence, est trompeuse, car y regarder de prs, ellelaisse entrevoir des failles. Pour cet auteur averti, A la construction, il manque des pices matresses. Cest que,pour reprendre le titre du roman de Paul Morand, le lgislateur africain est un homme press. Sous la contraintedes groupes de pression, bailleurs de fonds, lobbies, hommes daffaires internationaux, lOHADA, vritable arsenal
fabriquer du droit, a prfr, pour ne pas freiner les travaux, contourner les obstacles au lieu de les affronter .
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23. Cependant, il faut rappeler que la procdure prventive peut tre ouverte mme si le dbiteur
est in bonis dautant plus que le critre de louverture de la procdure de rglement prventif
nest pas la cessation des paiements mais lexistence des difficults conomiques ou financires.
Il se cre donc une conception de la dfaillance du dbiteur, en lespce, largement protectrice du
dbiteur principal et du crancier. Or, la caution aussi est une personne digne de protection
surtout que la dfinition du cautionnement subordonne le recours contre la caution la
dfaillance du dbiteur principal, qui ne doit pas tre perue comme le simple non-paiement de
la dette arrive lchance dans le cadre prcis du droit des entreprises en difficult.
24. En ralit, le droit des procdures collectives est un droit conqurant tendance
envahissante, qui pntre le droit priv55, en gnral, et le droit du cautionnement, en particulier.
Cette intrusion pose ainsi des problmes de dlimitation des frontires tnues entre ces corps de
rgles. Or, le lgislateur contemporain a la fcheuse tendance dnoncer des rgles sans
soccuper des rapports quelles entretiennent avec le reste du droit 56 . Cest ainsi que le
lgislateur OHADA sest proccup dune manire parcellaire du rgime du cautionnement dans
les procdures collectives, souvent envisages comme un droit drogatoire ou spcial, en voulant
rgler cette question par la distinction simpliste entre les exceptions en temps normal dont la
caution pourrait se prvaloir et les exceptions consenties au dbiteur dans le cadre des
procdures collectives que la caution ne peut pas opposer au crancier. Or, dans le mme temps,
toutes les poursuites individuelles contre le dbiteur garanti sont suspendues dans toutes les
procdures. De plus, il est interdit au dbiteur de dsintresser la caution qui a pay le crancier.
25. Il existe donc une ingalit srieuse de traitement des partenaires conomiques en cause57
dautant plus que la caution qui a pay le crancier ne peut pas exercer ses recours en
remboursement. Peut-on taper un enfant et lui interdire de pleurer ? Loin dtre une uvre
dun bon pre de famille , le dispositif ainsi prvu semble tre injuste pour la caution. Ltude
doit donc explorer les ingalits du dispositif issu du droit uniforme et proposer des solutions
55 E. CHVIKA, Droit priv et procdures collectives, prface Th. BONNEAU, Defrnois, 2003, p. 1 et s. ; M.-H.MONSERIE, Aperu sur les apports rcents de la confrontation des droits des procdures collectives et du droitdes obligations , Mlanges M. JEANTIN, Perspectives du droit conomique , Dalloz, 1999, p. 429 ; J. F.MONTREDON, La thorie gnrale du contrat lpreuve du nouveau droit des procdures collectives , JCP E1988, II, 15156.56 M. DELMAS-MARTY, Rinventer le droit commun , D. 1995, chron. p. 2.57 K. ASSOGBAVI, Les procdures collectives dapurement du passif dans lespace OHADA , Penant, 2000, n832, p. 55.
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visant gouverner la rencontre conflictuelle du droit du cautionnement et du droit des
procdures collectives.
26. Certes, le droit des procdures collectives soumet le cautionnement des solutions
drogatoires qui altrent ou, mieux, dnaturent le concept mme de la sret de cautionnement.
Mais ce corps de rgles du droit priv peut constituer un banc dessai ou loccasion pour
explorer les potentialits mconnues du cautionnement en raison du contexte de dtresse du
dbiteur principal et de la protection dordre public de la caution, pour envisager certaines
consquences sur le critre de la distinction tablie entre le cautionnement et la lettre de garantie
(lopposition accessoirit/autonomie)58 ainsi que les impacts sur la prvention des difficults
des entreprises. A cet gard, le traitement des difficults de lentreprise confre cette sret une
nouvelle image car entranant, en cas de mconnaissance de son caractre accessoire, un risque
de confusion de rgime, dmontrant par l mme son aptitude rvler les mystres dune
garantie dont on pouvait penser que sa mise en uvre ne poserait plus de problme59.
27. Les axes de la recherche : les rapports daltration et de survie. Le droit, a pu affirmer
M. Malaurie, nest pas un positivisme arrogant au-dessus de la mle mais il est un conflit
permanent de valeurs, dintrts et de passions, et une recherche incessante de la justice et de la
paix 60. A ce titre, les rapports entre les rgles du cautionnement avec celles des procdures
collectives montrent quil existe un rapport de conflit et quil est ncessaire de trouver un
quilibre, une conciliation entre les intrts divergents. Cette ambition nest pas aise, surtout
58 La refonte du droit des srets a t loccasion dintroduire sur le plan lgislatif, afin de lorganiser, une desgaranties autonomes les plus rpandues dans le monde des affaires : la garantie premire demande, que lelgislateur du droit uniforme a appel la lettre de garantie . La rglementation, que certains qualifient de lgre,afin de ne pas la rendre rebutante , notamment, J. ISSA-SAYEGH (Commentaires sous la lettre de garantie,OHADA, Trait et actes uniformes comments et annots, op. cit., p. 636), est emprunte aux rgles suggres parla Chambre de Commerce International de Paris pour la rdaction de telles garanties. Pour les rgles uniformes de laCCI relatives aux garanties sur demande, CCI, 1992, M. VASSEUR, Les nouvelles rgles de la Chambre decommerce international pour les garanties sur demande , RDAI/IBLJ, n 3, 1992, p. 239 et s. De plus, larticle 28,alina 1er AUS dfinit la lettre de garantie comme une convention par laquelle, la requte ou sur instructions dudonneur dordre, le garant sengage payer une somme dtermine au bnficiaire, sur premire demande de la partde ce dernier. Sur la confusion de rgime du cautionnement et de la lettre de garantie : L. BERGEL, Diffrence denature (gale), diffrence de rgime , RTD civ. 1984, p. 255 et s. La confusion de rgime peut conduire vider leprincipe de son contenu . E. BERTRAND, Le rle de la dialectique en droit priv positif , D. 1951, chron. p.151.59 B. MARTOR, N. PILKINGTON, D. SELLERS, S. THOUVENOT, Le droit uniforme des affaires issu delOHADA, prc., p. 222, n 1045 : ces auteurs prcisent utilement que le crancier qui dsire prendre uncautionnement, et qui a lhabitude du droit franais, doit se montrer particulirement prudent, car si globalement larglementation de lActe uniforme ressemble celle des articles du Code civil, telle quelle a t prcise etcomplte par la jurisprudence, sur de nombreux points, le droit OHADA contient des solutions originales, de tellesorte que la porte des diffrentes clauses des contrats de cautionnement sera parfois diffrente de celle laquelle lejuriste franais peut sattendre.60 Ph. MALAURIE et L. AYNES, Introduction ltude du droit, par Ph. Malaurie, 2e d., 1994, in Prface lintroduction.
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lorsquil sagit dun aspect de la vie qui divise toujours pour rgner, plus quil nunit : largent,
ce Mammon 61. Seulement cette tude est guide par un intrt conomico-juridique62, un
souci de cohrence et dquit. Aucune tude nest encore faite sur la question en droit OHADA.
Deux tudes, notre connaissance, avaient t menes, en droit franais, sur le cautionnement
dans les procdures de rglement du passif du dbiteur dans le cadre de la loi du 10 juin 199463,
sans prendre en compte dune faon extensive lincidence des procdures collectives sur le
cautionnement, envisage depuis la phase prventive. De plus, lvolution de la jurisprudence
franaise et ladoption de la loi du 26 juillet 2005 redonnent une vitalit indite la matire. Par
ailleurs, la crise du crdit hypothcaire, venue des Etats-Unis et gagnant les tablissements
financiers sur le plan mondial, peut conduire un dsintrt pour les srets relles, un
durcissement de la politique bancaire du crdit et un regain dintrt du cautionnement.
Cependant, avec la mise en place du droit uniforme africain, le cautionnement tend vers le
durcissement de la situation de la caution dans les diverses dispositions elle consacres dans le
cadre des procdures de rglement prventif, de redressement judiciaire et de liquidation des
biens, traduisant, du coup, une actualit vidente du sujet.
28. Sur un plan thorique, en effet, la valeur dun systme juridique se mesure en fonction de
lquilibre quil parvient raliser entre les institutions juridiques64 : nul ne doit sy sentir ls,
sacrifi au profit des autres. Chacun doit ds lors y trouver une limite et chacun doit accepter les
sacrifices exigs par la vie des affaires et de la socit65. La rgle de droit ne tend-elle pas de nos
jours protger les parties les plus faibles dans les relations contractuelles ? A ce titre, un droit
digne de ce nom nest pas partisan ; si ce seuil critique est atteint, loutil nest plus fiable. Il va
sans dire quun systme juridique se doit de concilier dans llaboration des rgles les impratifs
divers et les intrts varis. Il ncessite galement dans une certaine mesure pour tre appliqu et
avoir une audience quil prsente une certaine scurit juridique du point de vue de la
prvisibilit contractuelle afin de ne pas surprendre dune manire excessive les sujets de droit
dans leurs engagements, pratiques, prvisions et attentes. Cette vision de la scurit juridique est
assurment ncessaire et reprsente certainement lun des impratifs ou des intrts lgitimes
61 Lexpression est utilise par J. CARBONNIER, in Limagerie des monnaies , Flexible droit, 10e d., LGDJ,Paris, 2004, 391.62 B. OPPETIT, Droit et conomie , Archives de philosophie du droit, t. 37, Sirey, Paris, 1992, 17.63 Sur une tude du cautionnement dans le surendettement et le redressement judicaire du dbiteur : E. BROCARD,La place du cautionnement dans les procdures de rglement du passif et de redressement judiciaire du dbiteur,thse Reims, 1996. Sur le cautionnement dans les procdures judiciaires ouvertes aprs la cessation des paiements :A. ARTHOZOUL, Le cautionnement (dans le cadre de la nouvelle loi) dans le redressement et la liquidationjudiciaires, thse Toulouse 1, 2002.64 M. TRIGEAUD et R. SEVE, Le systme juridique , Archives de philosophie du droit, 1997, n 31.65 F. DIESSE, Le devoir de coopration comme principe directeur du contrat , Archives de philosophie du droit,Le droit et limmatriel, t. 43, 1999, 259.
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que le lgislateur doit avoir lesprit, lorsquil labore, modifie le droit mais quil met en
balance avec dautres intrts et besoins ou contraintes66.
29. A cet gard, le droit des procdures collectives ne doit pas totalement carter la mise en
uvre du cautionnement, cette opration triangulaire, telle enseigne quon doit le regarder
encore notre sicle comme une exception telle que lavait envisage Pothier en son temps67. De
son ct, le droit du cautionnement ne doit pas non plus tre aussi indiffrent louverture dune
procdure collective, comme la rappel, trs rcemment, le Professeur Crocq68. Ce postulat
permet davoir une vue densemble plus flexible sur les limites des intrts protger, histoire de
concilier les exigences propres des deux corps de rgles du droit priv. Le droit des procdures
collectives a pendant longtemps t un droit de paiement mais, aujourdhui, il est devenu en
partie un droit de sauvetage mettant ainsi en chec lapplication des rgles classiques du
paiement immdiat de la dette69. La garantie peut sen sortir affaiblie, dtraque. En Afrique,
souvent, aucune des trois finalits ne se ralise : ni sauvetage de lentreprise, ni paiement des
cranciers, ni punition du dbiteur ou des dirigeants fautifs.
30. Laspect contractuel ne doit pas tre mconnu du point de vue de lopration du
cautionnement et de la rciprocit dans lexcution des devoirs lgaux. Lorsque la caution limite
son engagement un montant prfix ou la valeur de ralisation dun bien, contenu dans un
acte crit, il est impossible de lengager au-del de ltendue de sa garantie. De plus, certains
mcanismes, notamment les devoirs lgaux mis la charge du crancier, que certains appellent
les dix commandements du crancier 70 , sont plus favorables la caution, personne
physique71. Ainsi, grce au devoir de bonne foi dans la conclusion et lexcution du contrat de
cautionnement, les devoirs mis la charge du crancier peuvent tre maintenus dans le cadre des
procdures collectives. Il en va ainsi de linterdiction du soutien abusif au dbiteur en priode
suspecte, du devoir dinformation et de mise en garde de la caution dans loctroi dun crdit
excdant les facults du dbiteur et du devoir de sauvegarder les intrts de la caution par la
66 F. POLLAUD-DULIAN, A propos de la scurit juridique , RTD civ. 2001, p. 491.67 Ph. ROUSSEL GALLE, OHADA et les difficults des entreprises : Etude critique des conditions et effets delouverture de la procdure de rglement prventif , RJ com., 2001, p. 21 ; M. POCANAM, Rflexions surquelques aspects du droit de la faillite au Togo , Penant, n 812, mai septembre 1993, 189 230 ; Du mmeauteur, Le concordat prventif, remde aux difficults des entreprises au Togo ? , Annales de luniversit duBnin, Tome XII, Presses de lUB, Lom, 1994, p. 207 et s.68 P. CROCQ, Le droit des procdures collectives et le caractre accessoire du cautionnement , Mlanges Ph.Malaurie, Defrnois, 2005, p. 171 et s.; Com., 5 mai 2004 D. 2004, 1594 et 23 nov. 2004, D. 2004, AJ, p. 3220.69 J. LOHOUES-OBLE, Lapparition dun droit international des affaires en Afrique , prc., p. 543 et s.70 Ph. DUPICHOT, Le pouvoir des volonts individuelles en droit des srets, Prface M. GRIMALDI, d. PanthonAssas, 2005, p. 150 et s.71 G. MORRIS-BECQUET, Surendettement , Lamy droit des srets, 2002, Etude 175.
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production de la crance la procdure collective. Il en va galement ainsi des diverses actions
susceptibles dtre transmises la caution par le jeu de la subrogation. En consquence, la
compatibilit du droit du cautionnement et celui des procdures collectives peut sobserver dans
la liquidation des biens qui est lexpression de la dfaillance dfinitive du dbiteur et o on peut
observer la reprise des poursuites individuelles contre le dbiteur la clture de la procdure.
Cette solution tranche avec le droit antrieur, ce qui dmontre que la dfaillance dfinitive du
dbiteur constitue plutt la phase de paiement collectif des cranciers et lultime moment de
conciliation entre les deux corps de rgles du droit priv. A ce stade, le crancier peut agir
contre le dbiteur principal ou la caution. De son ct, la caution peut exercer ses recours
personnels en remboursement avant ou aprs paiement ou, encore, son recours subrogatoire, pour
viter de contribuer de manire dfinitive la dette garantie.
31. Sur un plan conomique et pratique, le refus dtendre les remises consenties au dbiteur la
caution en droit OHADA est une mdaille revers susceptible de remettre en cause la
sauvegarde de lentreprise. La tentation est donc forte de plaider pour lextension des remises
consenties la caution personne physique : cest un modus vivendi pour viter que la prsence de
la caution ne constitue un frein louverture de la procdure anticipe. En effet, la caution
dirigeante sociale honnte mais malheureuse exclue du bnfice des mesures consenties son
entreprise ne pourra point dclencher louverture de la procdure collective72.
32. Lexplication, mme si elle reste discutable sur le plan du raisonnement juridique en
fonction des discriminations opres, du manque de principes directeurs ou de la confusion et
source daffaiblissement de la garantie, relve tout de mme de la politique prventive73. Telle
semble tre la politique choisie par le lgislateur OHADA mais lissue nest pas heureuse parce
que non conciliante et, par voie de consquence, manquant de flexibilit 74 . De lapproche
conflictuelle, lanalyse peut se rvler fructueuse et enrichissante et permettre de restaurer la
cohrence tant attendue.
72 Dans les affaires opposant respectivement BIA-TOGO et les cautions dirigeantes sociales des socitsCOTONFIL SARL et LOMETEX SA, rien nest fait pour sauver les entreprises si bien que le Tribunal de premireinstance de Lom, dans les dcisions des 21 dc. 2001 et 20 dc. 2002 ( jugement n 1857/2001 et n 1941/2002),navait dautres choix que de prononcer la liquidation des biens.73 Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, Droit civil, Les srets et la publicit foncire, 4e d., Dalloz, Paris, 2004,151.74 Pour une sociologie du droit sans rigueur, J. CARBONNIER, Flexible droit, LGDJ, 2001, p. 393.
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33. Plan. Le droit des procdures collectives se prsente donc comme un laboratoire
dexprimentation dans lequel le droit du cautionnement subit une crise 75 ou une
dfiguration76. Il en rsulte que le caractre accessoire de la garantie est cart par les procdures
de sauvetage du dbiteur principal (Premire partie). Cependant, le droit du cautionnement fait
preuve de survie dans les procdures collectives. Certains aspects du cautionnement favorables
la caution sont maintenus dans le droit des procdures collectives (Seconde partie).
75 D. GRIMAUD, Le caractre accessoire du cautionnement, thse prc., 238 et s.76 C. SAINT-ALARY-HOUIN, Rapport de synthse , colloque sur Srets et procdures collectives : morceauxchoisis , prc., n 188, 40.
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PREMIERE PARTIE
LALTERATION DU CARACTERE ACCESSOIRE DU CAUTIONNEMENT PAR LES
PROCEDURES DE SAUVETAGE DU DEBITEUR PRINCIPAL
34. Difficult de la question. Le caractre accessoire du cautionnement est cette qualit qui
place lobligation de la caution dans une relation de dpendance unilatrale lgard de la
crance dont elle garantit la satisfaction. Les manifestations de cette qualification du
cautionnement oprent autour de deux ples : sa fonction normative et sa fonction de
catgorisation. Devenu un guide de la pense juridique en matire de cautionnement, une
hypothse thorique communment reue partir de laquelle sont chafaudes des
problmatiques et des solutions, le caractre accessoire rattach au cautionnement revt une
dimension toute particulire ; car, nanti dune porte que lon peut qualifier de paradigmatique,
permettant de justifier lextension des mesures consenties au dbiteur principal la caution. A
lvidence, ni lexistence, ni le dynamisme du principe de laccessoire, en droit positif, ne
sauraient tre contests77. Est-ce dire quil soit possible den donner une vision sereine dans le
cadre des procdures collectives ?
35. Lviction de la rgle de laccessoire au profit du crancier et du sauvetage du
dbiteur. La conception accessoire du cautionnement est branle par les attaques que subit la
thorie de laccessoire dans sa fonction traditionnelle de norme. Envahi par un afflux de
solutions drogatoires, dune faon imprative et lgale, un tel mouvement prend toute sa
consistance dans le traitement juridique des situations dendettement, manant de deux sphres
que constituent, dune part, la procdure de prvention des difficults, et, dautre part, la
procdure de redressement judicaire du dbiteur principal. En effet, lavnement irrversible de
lconomie dendettement constitue un phnomne social contemporain que ne pouvaient pas
avoir lesprit les rdacteurs du Code civil78 , lorsquils imitrent Pothier et faonnrent le
principe qui veut que lobligation de garantie de la caution trouve constamment sa mesure dans
la crance couverte. M. Oppetit soulignait, cet effet, qu une conomie
dendettement provoque inluctablement un affaiblissement des notions de force obligatoire, de
terme, dexigibilit et dexcution des engagements, voire un travestissement de la situation
77 Sur une tude globale de la question, D. GRIMAUD, Le caractre accessoire du cautionnement, thse prc., n97 et s..78 Sur cette volution, D. MAZEAUD, Rapport franais sur lendettement des particuliers , in Lendettement,Travaux de lassociation Henri Capitant, 1995, LGDJ, Tome XLVI, 1997, p. 127 et s. ; L. AYNES, Criseconomique et rapports de droit priv , in La crise et le droit, Journe R. Savatier, 1995, p. 57 et s. ; S. GJIDARA,Lendettement et le droit priv, prf. A. GHOZI, Bibl. dr. pr., Tome 316, 1999.
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dendettement dun dbiteur 79. Ainsi, le droit des procdures collectives nest plus, a priori, un
droit de recouvrement des crances. Le souci dassurer la survie ou la rdemption conomique de
lentreprise innerve lensemble des dispositions dans lesquelles des mesures de faveur sont
accordes au dbiteur principal pour sauver son activit.
36. Reste toutefois pose la question de fond : qui, en dfinitive, supportera la charge
conomique de lobligation dfaut de celui auquel elle incombe ? Cest ici que la thorie des
obligations (ou celle du caractre accessoire du cautionnement, pouvons-nous ajouter) va sans
doute subir son atteinte la plus profonde : alors quelle reposait pour lessentiel, selon les
postulats du libralisme, sur un principe de justice commutative, elle met dsormais en uvre
bien davantage une justice distributive, linstar dautres branches du droit, tel le droit fiscal ou
le droit social, qui connaissent depuis longtemps ces phnomnes de translation et dincidence
dbouchant, au nom de solidarits nouvelles, sur des transferts sociaux : une partie non
ngligeable des dbiteurs est aujourdhui en mesure de rsorber sa dette par vaporation ou par
substitution 80 . Dans cet ordre dides, par son intgration une procdure prventive ou
curative, le rapport dobligation que garantit la caution se trouvera ainsi fortement affect dans la
mesure o les sacrifices ncessits par la survie du dbiteur principal, voire, les spoliations dont
les cranciers risquent de faire lobjet, les rendront logiquement enclins reporter sur les
cautions tous les espoirs dune satisfaction intgrale. En consquence, la vocation de principe du
cautionnement suivre le sort de la dette principale est en proie une rosion.
37. Une telle modification de la porte de la conception du droit du cautionnement est observable
tant au stade de la dtection prcoce des difficults, autrement dit, dans la procdure de
rglement prventif (Titre I), quau stade du traitement des difficults, en loccurrence, dans la
procdure de redressement judiciaire (Titre II).
79 B. OPPETIT, Lendettement et le droit , Mlanges BRETON-DERRIDA, Dalloz, 1991, p. 310.80 B. OPPETIT, art. prc., p. 310.
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TITRE I LALTERATION DU CARACTERE ACCESSOIRE DU CAUTIONNEMENT
PAR LA PREVENTION DES DIFFICULTES DU DEBITEUR PRINCIPAL
38. La caution confronte lapprciation de la dfaillance du dbiteur principal.
Lrosion qui frappe la thorie de laccessoire dans son contenu normatif entretient un lien
intime avec lvolution du droit des entreprises en difficult, dautant plus quelle en traduit les
incidences sur celui du droit du cautionnement. Le relchement du lien de dpendance
unilatrale soudant le contrat de base et la garantie, linsensibilit de celle-ci aux vicissitudes de
la dette couverte constituent, en effet, la rponse la plus frquente au problme pos par la
situation des cautions face aux perturbations de la notion dobligation typiques dune conomie
dendettement 81 . LActe uniforme a ainsi pris soin de prciser, larticle 2 AUS, que le
cautionnement est un engagement par lequel la caution paie en cas de dfaillance du dbiteur.
Cependant, cette disposition ne prcise pas si la dfaillance rsulte dun arrt total de paiement
du dbiteur principal ou seulement des difficults pour pargner le dbiteur principal du
paiement de sa dette. La rponse vient de louverture de la procdure du rglement prventif
offerte lentreprise qui connat une situation conomique et financire difficile mais non
irrmdiablement compromise 82 . Deux conditions se dgagent de ce texte : situation
conomique et situation financire difficile. A ces deux conditions, on peut ajouter une troisime
mme si le texte ne le dit pas expressment : lentreprise ne doit pas encore tre en cessation des
paiements.
39. A la diffrence de lordonnance franaise de 1967 qui faisait rfrence des difficults
uniquement financires, le droit uniforme vise une situation conomique et financire difficile.
Cette formule faisant rfrence aux difficults conomiques est opportune 83, si bien que le
dbiteur peut se prvaloir des difficults relatives la conjoncture et au contexte conomiques84
ou de difficults financires qui ne peuvent tre rsolues par des moyens habituels de gestion.
Tout lesprit de lActe uniforme sur la procdure prventive peut tre rsum par le triptyque
suivant : il faut anticiper au maximum la crise avant quelle ne devienne irrversible, simplifier
les procdures judiciaires, stricto sensu, lorsque cette crise irrversible est atteinte et surtout ne
pas empcher le dirigeant honnte mais malheureux de rebondir.
81 D. GRIMAUD, thse prc., n 9.82 Article 2-1 al. 2 AUPC.83 Ph. ROUSSEL GALLE, art. prc., p. 14.84 Comparaison avec le rglement amiable, voir P. LE CANNU, J.-M. LUCHEUX, M. PITRON et J.-P.SENECHAL, Entreprises en difficult, GLN Joly, 1994, n 155, p. 80.
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40. La dlicate articulation entre la dfaillance et la notion de situation difficile. La
dfaillance du dbiteur se conoit difficilement avec la notion de situation difficile. En effet,
viter ou prvenir, cest faire en sorte que le risque ne se ralise pas85. Or, justement, lorsquun
dbiteur sollicite louverture du rglement prventif, la question qui se pose est celle de savoir si
lentreprise nprouve pas dj de difficult dont le traitement doit tre ncessairement curatif.
Le lgislateur prvoit quil doit sagir de situation difficile mais non irrmdiablement
compromise ; mais le problme rside dans la conception mme de situation difficile ,
dautant plus que la caution ne sera appele payer quen cas de dfaillance du dbiteur
principal86. En fait, tout porte croire que le dbiteur in bonis nest pas dfaillant ; or, il ne doit
pas attendre la ralisation des difficults pour demander louverture de la procdure du rglement
prventif, autrement, il se verra en cessation de paiements. Comment reconnatre alors le
dbiteur en difficult ?
41. Les critres de reconnaissance du dbiteur en difficult. Le rapport de Roux donne des
prcisions utiles issues de la pratique des tribunaux de commerce franais en la matire en ces
termes : Ainsi, le vade-mecum de la prvention judiciaire, prsente sous limpulsion de la
confrence gnrale des tribunaux de commerce en novembre 2002, recense au moins six
clignotants internes lentreprise, communment utiliss par les greffes dans la dmarche de
dtection de leurs difficults quils mettent en uvre pour le compte du prsident du tribunal :
inscription de nantissement et de privilges ; la perte de plus de la moiti du capital social, qui
contraint en principe les actionnaires la recapitalisation ; les capitaux propres devenus
ngatifs ; labsence de dpt des comptes sociaux annuels ; les injonctions de payer rptition
et les assignations en redressement laisses sans suite par paiement la barre ; enfin, les
demandes de prorogation de la date de lAssemble Gnrale Ordinaire pour adopter les
comptes 87.
42. M. Roussel Galle affirme, pour sa part, que les difficults ne doivent pas tre minimes, mais
au contraire, tre srieuses et traduire une situation telle qu terme la continuation de lactivit
parat impossible, si les mesures adquates ne sont pas prises88. Il sensuit que la demande ne
doit pas tre prcoce. Cependant, elle ne doit pas non plus tre trop tardive, auquel cas, le
85 Ch. LEBEL ( Etre ou ne pas tre en cessation de paiement , Petites affiches, 08 sept. 2005, n 251, p. 14)affirme par ailleurs que les dcisions rendues sous lempire de la loi franaise de 1984 sont pauvres enrenseignements sur la notion de difficults.86 Larticle 3 AUS prvoit que la caution sengage excuter lobligation du dbiteur si celui-ci ny satisfait pas lui-mme.87 De ROUX, in Rapport du Snat, n 2092, Doc. AN, X., fv. 2005, p. 25.88 Ph. ROUSSEL GALLE, art. prc., p. 14.
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dbiteur se trouverait en cessation des paiements, situation quil sagit dviter. La dfinition de
la cessation des paiements ne prcise pas si le passif exigible doit galement avoir t exig par
les cranciers. Cette absence de prcision laisse une marge dinterprtation de la date de la
cessation des paiements suivant quest appliqu le principe dies interpellat pro homine
(lchance du terme valant interpellation) ou celui de lexigence dune mise en demeure
effective par les cranciers. Larticle 11 AUPC prcise expressment que lentreprise ne doit pas
se trouver en cessation des paiements. Ce texte complte donc larticle 2 du mme Acte
uniforme qui dispose que le rglement prventif est destin viter la cessation des
paiements .
43. Une prtendue difficult prvisible ! En fait, viter suppose prvenir. A cet gard, suffit-il
que les difficults soient prvisibles ? Que faut-il alors entendre par difficult prvisible ? La
prvisibilit des difficults du dbiteur, dans une certaine mesure, peut ressortir dlments
factuels que le prsident du tribunal comptent apprciera, au cas par cas, lors de sa dcision
douverture ou non de la procdure de rglement prventif. Mais cette prvisibilit peut rsulter
aussi dautres lments, tels que la perte dun client important ou des difficults dordre social89.
Le dbiteur sollicitant louverture de la procdure prventive devra prouver lexistence dune
difficult prvisible 90 ; mais deux observations simposent sur ce point : tout dabord, la
prvisibilit, par dfinition, signifie que lvnement en cause nest pas encore ralis, or, la
perte dun gros client est une donne relle et non pas simplement prvisible. Dans ce cas, le
risque est dj ralis. Ensuite, les prsidents des juridictions comptentes devront tre vigilants
quant la justification dune difficult prvisible par des comptes prvisionnels, et, notamment,
quant aux conditions dlaboration des documents afin dviter tout risque de dtournement de la
procdure au dtriment des cautions.
44. La dtermination de la notion de difficult exige pour bnficier de la procdure de
rglement prventif peut savrer dlicate cerner en raison de la diversit des modes danalyse
des dfaillances, des stades de gravit de la situation, de la varit des critres permettant de les
dceler et de lhtrognit de leurs causes. En optant pour les difficults conomiques et
financires, lapproche prventive retenue par le droit uniforme peut tre opre travers, dun
ct, la rentabilit et lefficacit de lunit de production ou du dbiteur, et de lautre ct, les
problmes de trsorerie, limportance des fonds propres et les besoins de crdits. Le sort de la
caution nest pas tranger aux diverses apprciations des situations en cause.
89 Rapport n 335 de J. J. HYEST au nom de la commission des lois de lassemble nationale franaise, p. 101.90 idem
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45. La problmatique de la remise en cause du cautionnement par la prvention des
difficults du dbiteur. Envisage comme la figure de proue de la prvention des difficults de
lentreprise, la finalit de la procdure de prvention des difficults est de permettre au dbiteur
de ngocier avec ses cranciers, sous les auspices dun expert dsign par le prsident de la
juridiction comptente, les mesures et conditions de redressement adquates et appropries la
situation en cause. Dans cette perspective, les critres douverture de la procdure et les
conditions dlaboration du concordat prventif aboutissent au prononc de la suspension des
poursuites individuelles contre le dbiteur, la rduction de crances et des reports dchance.
Le contenu de la norme de laccessoire attach au cautionnement selon lequel lengagement de la
caution a vocation suivre le sort de celui du dbiteur principal est-il respect ? Sur la scne des
procdures collectives dapurement du passif du dbiteur principal, la rgle du caractre
accessoire et le souci doptimiser la fonction de garantie du cautionnement saffrontent dans un
permanent conflit.
46. Il en rsulte que la question de lincidence des mesures consenties au dbiteur sur
lobligation de la caution, dune part (Chapitre I), et les garanties de leur mise en uvre, dautre
part (Chapitre II), se pose avec acuit dans le cadre de la procdure prventive.
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CHAPITRE I- LALTERATION DU DROIT DU CAUTIONNEMENT PAR LADOPTION
DES MESURES PREVENTIVES
47. Ladoption des mesures prventives : une procdure introductive dinstance.
Laltration du cautionnement sobserve, tout dabord, dans ladoption des mesures prventives
de rglement des difficults du dbiteur prenant la forme dune requte introductive dinstance.
La saisine par le dbiteur prend la forme dune requte adresse au Prsident de la juridiction
comptente. Ainsi, la juridiction comptente est le tribunal de premire instance ou le tribunal de
grande instance pour la plupart des Etats de lespace OHADA. La requte indique les crances
pour lesquelles le dbiteur demande la suspension des poursuites individuelles, laissant supposer
que le dbiteur connat ltendue de son passif et va oprer une discrimination en fonction des
caractristiques de ses dettes : montant lev ou faible, exigibilit immdiate ou terme,
existence ou non dune sret, importance du bien servant dassiette la sret91. Parce que cette
procdure autorise le dbiteur in bonis ne pas payer momentanment ses dettes, des risques
srieux dabus peuvent tenter certains dbiteurs y recourir titre purement dilatoire au
dtriment de la caution qui sera actionne ce moment et tenue, en consquence, plus
svrement que le dbiteur principal. En effet, pour se placer sous le rgime du rglement
prventif, le dbiteur doit, en adressant la requte au prsident de la juridiction comptente,
prciser les crances pour lesquelles il sengage prendre des mesures contenues dans une offre
de concordat prventif. Il est libre dindiquer ou non les crances cautionnes pour voir
poursuivre la caution trangre lentreprise. Lorsquil sagit du dirigeant caution, il risque de
sexposer des menaces de poursuites des cranciers. Il en va ainsi pour le conjoint caution du
dbiteur en difficult, dun ami ou dun parent.
48. Or, les chefs dentreprise sont comme les autorits publiques dans la mesure o les intrts
publics obligent ceux qui ont la conduite des Etats les gouverner en sorte quils puissent non
seulement les garantir de tout le mal qui se peut viter mais encore de lapprhension quils en
pourraient avoir 92 . A ce titre, ne devraient-ils pas alors, en dehors des garanties quils
apportent lentreprise lors des engagements, apprhender de mme les difficults auxquelles ils
pourraient tre confronts pour viter dentrer dans la zone dinscurit aux consquences
plus drastiques quest la phase du traitement judiciaire, grce lefficacit du service prventif