lab eau bi en public

Upload: julie-courtemanche

Post on 07-Jul-2015

3.792 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

LEau, Bien public, Bien communpour une gestion dmocratique et durable

groupe : Eau, les bonnes pratiquesAnimateur : Jrme royer rapporteur : Marc Laim Coordinatrice : Anne de Hauteclocque

dAte : Juin 2011

Les rapports tablis par les groupes de rflexion du Lab sont des contributions libres aux dbats et rflexions politiques du parti socialiste.

www.laboratoire-des-idees.fr

Pour tablir ce rapport, le groupe Eau, les bonnes pratiques du Laboratoire des ides a choisi de procder laudition dun large spectre de personnalits qualifies sur la question de leau paralllement la prise en compte des nombreux rapports publis ces dernires annes. Fidles l'esprit du Lab, nous avons voulu un dossier qui soit " grand public ", c'est--dire que toute personne n'ayant aucune connaissance particulire ait sa porte les informations lies l'ensemble de la large problmatique des enjeux de l'eau et puisse suivre la logique de notre rflexion ; et un dossier qui soit suffisamment technique pour tablir des recommandations tant d'ordre rglementaire que lgislatif, l'attention d'un programme de gouvernement. Nous avons ainsi tent dobjectiver au mieux lapproche de cette problmatique complexe. tablir un tat des lieux et des enjeux de laccs leau, mener une rflexion et faire des propositions pour une gestion tourne vers la protection des milieux aquatiques mais tenant compte des impratifs conomiques, une gouvernance renouvele, une gestion rationalise, traduisant une meilleure matrise dmocratique et cologique. Le forum des ides du Parti socialiste Pour des biens communs partags et des services essentiels accessibles tous qui sest droul le 4 mai 2011 nous a donn lopportunit de prsenter une partie de nos travaux et den valider quelques grandes lignes. Le prsent rapport d'tape s'appuie tout la fois sur des rapports et analyses relatifs la question de leau (liste non exhaustive en annexe) et sur les auditions conduites en 2010 et 2011. Nous avons ainsi reu : Bernard Barraqu, directeur de recherche CNRS au CIRED HDR. AgroParisTech, Daniel Bideau*, administrateur lUFC-Que Choisir, Grgory Caret*, directeur des tudes lUFC-Que Choisir, Jean-Paul Chirouze, ex- dlgu l'Expertise scientifique et technique au CEMAGREF, ex-prsident de l'ASTEE, Daniel Duminy, ex-directeur gnral du SIAAP, Pierre Etchart*, prsident d'AGUR et prsident de la Fdration des distributeurs d'eau indpendants, Loc Fauchon*, prsident du Conseil mondial de l'eau, prsident de la Socit des eaux de Marseille, Antoine Frrot, directeur gnral de Veolia Environnement, Vincent Frey, ancien directeur de lAgence de leau Adour-Garonne, Patrice Garin*, CEMAGREF, Graud Guibert, lu municipal et communautaire du Mans, Louis Hubert, dlgu de lAgence de leau Seine-Normandie, Sylvain Huet, prsident du Syndicat des juridictions financires, Isabelle Kcher, directrice gnrale de la Lyonnaise des Eaux, Dominique Lorrain*, directeur de recherche au CNRS, Daniel Marcovitch, viceprsident du Conseil national de lEau, Didier Meyerfeld, chef de la mission Eau Titres Environnement - Division Production Ingnirie Hydraulique d'EDF, Germinal Peiro*, dput, secrtaire national du PS l'agriculture, Pascal Popelin*, vice-prsident du SEDIF et prsident des Grands lacs de Seine, Guy Pustelnik, directeur de lEPTB EPIDOR, Laurence Rossignol, conseillre rgionale, secrtaire nationale du PS l'Environnement, Sylvain Rotillon, chef de projet lONEMA, Bernard Rousseau*, ancien prsident de France Nature Environnement, administrateur responsable du ple eau, Patrick Monfort, secrtaire gnral du Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS-FSU), Henri Smets*, membre de lAcadmie de leau et Prsident de lADEDE, Jean-Bernard Schmidt, journaliste M6 (mission Capital), ancien rdacteur en chef adjoint du magazine complment denqute sur France 2, Igor Semo, Viceprsident de la FP2E, directeur des relations extrieures de la Lyonnaise des Eaux, Jacques Tcheng*, directeur de la Rgie des Eaux de Grenoble, Xavier Ursat, directeur dlgu de la division production et ingnierie hydraulique EDF, Hlne Valade, directrice du dveloppement durable de la Lyonnaise des Eaux, Pierre Victoria, directeur- adjoint du dveloppement durable de Veolia- Environnement.

* Audition dont le compte rendu est disponible sur le site internet du Lab, publi avec l'accord de l'auteur

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

2

Le groupe de travail a t anim par : Jrme Royer, maire de Jarnac, animateur du groupe, Marc Laim, conseil en politiques publiques, co-animateur et rapporteur, et Anne de Hauteclocque, qui a coordonn les travaux pour le Laboratoire des ides.

Ont contribu aux travaux du groupe, apportant leur exprience, leurs rflexions enrichies par leur engagement en faveur du dveloppement durable et du dbat dmocratique : Pascal Bonnetain, conseiller rgional Rhne-Alpes, prsident de la Commission Locale de l'Eau du bassin versant de l'Ardche, vice-prsident du conseil dadministration de l'Agence de l'Eau Rhne-Mditerrane & Corse Franois Brottes, dput de lIsre, prsident du groupe dtudes sur les nergies et responsable pour le groupe socialiste de la commission des affaires conomiques Jean-Paul Chanteguet, dput de lIndre, prsident du groupe dtudes sur les parcs nationaux et rgionaux, responsable pour le groupe socialiste de la commission du dveloppement durable et de l'amnagement du territoire Marguerite Culot, collaboratrice du groupe socialiste lAssemble nationale sur les questions de dveloppement durable Razzy Hammadi, Secrtaire national du Parti socialiste charg des services publics Anne Le Strat, adjointe au maire de Paris, prsidente d Eau de Paris et de Aqua Publica Europea Paul Raoult, snateur, maire du Quesnoy, prsident du SIDEN-SIAN Isabelle Sahagun, collaboratrice du groupe socialiste au Snat sur les questions d'agriculture, dveloppement rural, tourisme, environnement, politique de l'eau, scurit sanitaire Sverine Teissier, collaboratrice de Christian Paul lAssemble nationale Jean-Luc Touly, prsident de l'Association pour le Contrat Mondial de l'Eau, dlgu secteur eau de la Fondation France-Liberts ainsi que Jonas Moser et Amadis Delmas, stagiaires au Lab, qui ont ainsi eu loccasion dapporter leur concours au travail dcriture et de documentation. Les dbats qui se sont tenus le 22 juin 2011 dans le cadre de la sance de restitution publique de nos travaux ont permis de faire partager nos rflexions un large spectre dexperts de diffrents domaines lis leau, et nous a utilement conforts dans le travail engag que nous prsentons ici en tenant compte des changes qui se sont drouls.

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

3

Sommaire

Introduction

.........................................................................................................................

7 9

A- LE CONTEXTE GNRAL

.....................................................................................

I- tat gnral de la ressource et impact du changement climatique

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 1.1. Au niveau mondial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 1.1.1. La lutte contre les missions de gaz effet de serre prioritaire 1.1.2. tat des lieux et nouvelles frontires de la gestion de leau 1.1.3. La problmatique des grands barrages 1.1.4. Les engagements internationaux 1.1.5. Les rponses techniques innovantes 1.1.6. L'empreinte eau ou " Water footprint " 1.2. Sur le territoire franais . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 1.2.1. Des consquences sur les pratiques agricoles 1.2.2. Une nouvelle politique de prvention simpose

II- Le cadre lgislatif et rglementaire

20 2.1. Le cadre europen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 2.1.1. Une politique europenne volontariste et ambitieuse 2.1.2. La DCE : de la logique de moyens l'obligation de rsultat 2.2. Le dispositif lgislatif et rglementaire franais . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 2.2.1. Les trois textes principaux : lois cadre de 1964, 1992 et 2006 2.2.2. Le Grenelle de lEnvironnement 2.2.3. De nombreuses dispositions sur la gestion dlgue.............................................................

III- Point d'tape sur la mise en uvre de la politique communautaire

24 3.1. Retards et insuffisance des moyens mis en uvre par les tats membres . . . . . . . . . . 24 3.2. Un 1er bilan de la mise en uvre de la politique communautaire en France . . . . . . . . . . . 26...........................................................................

IV- Le petit cycle de l'eau, sa gestion, son financement

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 4.1. Le service dalimentation en eau potable : 3 tapes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 4.2. Les services dassainissement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 4.3. Les modalits de gestion des services publics de l'eau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 4.4. Les ouvrages, part importante du patrimoine communal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .3 1 4.5. La facture deau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

4

B- LES QUATRE ENJEUX

.........................................................................................

35

I- Premier enjeu : les dfis lis la prservation de la ressource

. . . . . . . . . 36 1.1. Prlvements et rgulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 1.1.1. Les prlvements lis lurbanisme et au tourisme 1.1.2. La problmatique des inondations 1.1.3. Retenues deau : barrages et retenues collinaires 1.1.4. Les tensions du monde agricole 1.2. Le dfi des pollutions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 1.2.1. Les principales pollutions qui posent problme aujourdhui 1.2.2. Le traitement des eaux 1.3. Le dfi de la protection de la ressource . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 1.3.1. La trame bleue 1.3.2. Lentretien des cours deau et des voies navigables 1.3.3. Lenjeu de protection des zones humides et sensibles 1.3.4. La protection des captages 1.3.5. Une nouvelle hydro-solidarit face au changement climatique 1.3.6. Lintrt dune lgislation sur les servitudes environnementales 1.4. Nos propositions sur lenjeu qualit et disponibilit de la ressource . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82

II- Deuxime enjeu : pour une nouvelle gouvernance

86 2.1. lchelle nationale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 2.1.1. LOffice national de leau et des milieux aquatiques (ONEMA) 2.1.2. Le Comit national de lEau (CNE) 2.1.3. La police de leau 2.1.4. Conforter le pilotage de ltat 2.2. lchelle du bassin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 2.2.1. Le Comit de bassin 2.2.2. LAgence de lEau 2.3. lchelle locale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 2.3.1. La Commission locale de leau (CLE) 2.3.2. Ltablissement public territorial de bassin (EPTB) 2.3.3. Les syndicats de rivire 2.3.4. Les associations syndicales autorises (ASA) 2.4. Une rforme ncessaire confirment les grandes juridictions administratives franaises . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101 2.4.1. Le rapport de la Cour des Comptes de fvrier 2010 2.4.2. Le rapport du Conseil dtat de juin 2010 2.5. Nos propositions pour une gouvernance performante et efficace. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103...................................

III- Troisime enjeu: les acteurs de la gestion du service public de leau

108 3.1. Les diffrents modes de gestion de l'eau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109 3.1.1. La gestion dlgue 3.1.2. La gestion publique 3.1.3. Lespace de concertation offert par la FNCCR aux collectivits dans leur approche diffrencie de la gestion de leau......................................................................................

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

5

3.2. Une absence de rgulation dommageable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116 3.2.1. Un cadre rglementaire dficient, une matrise locale insuffisante 3.2.2. Lchec de lObservatoire national des services deau et dassainissement (SISPEA) 3.2.3. Un clatement des services prjudiciable toute rgulation 3.3. Conforter la gestion publique et les moyens dvolus aux lus pour une gestion matrise des dossiers de leau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121 3.3.1. La formation des lus 3.3.2. Valoriser les rseaux hydrauliques dans le patrimoine communal 3.3.3. Refonder une ingnierie publique 3.4. Nos propositions dappui une gestion publique performante et rationalise . . . . . 125

IV- Quatrime enjeu: quels financements pour une gestion moderne et durable?

. . . . . . . . . . . . . . . . 129 4.1. Un modle conomique bout de souffle ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130 4.1.1. Lvolution du modle conomique 4.1.2. Des besoins de financement considrables 4.1.3. Les oprateurs privs la recherche dune nouvelle stratgie 4.2. Le prix de leau : permettre laccs de tous leau tout en encourageant aux bonnes pratiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134 4.2.1. La facture adresse lusager 4.2.2. Une prcarit et donc des besoins en hausse 4.2.3. Les dbats sur le droit leau 4.2.4. Les dbats sur la tarification progressive, ne pas confondre avec une tarification sociale 4.2.5. Les dbats sur le prix de leau et la prservation environnementale 4.2.6. La position du groupe de travail 4.3. Nos propositions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .144

Conclusion Glossaire

.........................................................................................................................

145 147

.............................................................................................................................

Pour faciliter tout la fois la rdaction et la comprhension, le glossaire en fin de rapport reprend les sigles rencontrs et lexplication de certaines donnes techniques.

Bibliographie

.....................................................................................................................

158

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

6

IntroductionL'eau se situe la convergence d'enjeux multidimensionnels : techniques, environnementaux, territoriaux, conomiques et sociaux, indissociables et qui font systme. Sa gestion semble tre entre depuis quelques annes dans l're de l'inquitude, voire du soupon. Le groupe de travail a choisi darticuler sa rflexion partir de larticle 1er de la Loi sur leau et les milieux aquatiques, Loi n2006-1772 du 30 dcembre 2006 - art. 1 JORF 31 dcembre 2006 : l'chelle mondiale, le spectre de la pnurie et de la dgradation de la qualit de cette ressource unique affecte plus de deux milliards d'tres humains. Une situation dont on estime qu'elle provoque prs de 30 000 morts chaque jour, dix fois plus que la mortalit dcoulant des conflits arms. Car, en dpit des engagements rpts de la communaut internationale, le droit d'accs l'eau n'est toujours pas assur effectivement. Aujourd'hui, plus de 1,1 milliard d'tres humains n'ont pas accs une eau potable de bonne qualit sanitaire, prs de 3 milliards nont accs qu un service rudimentaire (borne fontaine ou approvisionnement hors du domicile), et 2,6 milliards ne disposent pas d'installations sanitaires de base. Symbolisant cruellement les ingalits qui dchirent la plante, l'accs l'eau apparat comme l'un des enjeux majeurs pour l'humanit au 21me sicle. Aprs dix ans de dbats sur sa dfinition, le droit l'eau a t reconnu en 2010 par l'ONU comme un droit humain fondamental et dot, en septembre, d'une base juridique internationale. Il est consacr par le Conseil des droits de l'Homme de Genve comme " le droit pour les individus avoir une eau potable, accessible, dans des conditions acceptables et d'un cot abordable ". La gratuit n'a pas t retenue, en raison des cots de l'approvisionnement et du traitement. Il reste toutefois un formidable dfi : rendre ce droit effectif. Ce qui pose la question du financement de laccs leau lchelle de la plante et la question de la protection de cette ressource dont la qualit est dramatiquement menace par la croissance conomique dsordonne des pays du Sud. Dans les pays dvelopps, des inquitudes se font aussi jour face la pollution croissante des ressources en eau et de son impact sur l'environnement et la sant publique ; l'augmentation continue du

Leau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le dveloppement de la ressource utilisable, dans le respect des quilibres naturels, sont d'intrt gnral. Dans le cadre des lois et rglements ainsi que des droits antrieurement tablis, l'usage de l'eau appartient tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygine, a le droit d'accder l'eau potable dans des conditions conomiquement acceptables par tous. Les cots lis l'utilisation de l'eau, y compris les cots pour l'environnement et les ressources elles-mmes, sont supports par les utilisateurs en tenant compte des consquences sociales, environnementales et conomiques ainsi que des conditions gographiques et climatiques.

Nous ne pouvons cependant abstraire notre rflexion du contexte mondial. Ne serait-ce que parce que certains facteurs intressent effectivement lensemble de la plante : - le changement climatique luvre, - les bouleversements sociaux et conomiques entre le nord et le sud, - la dynamique des grandes entreprises franaises, devenues les leaders mondiaux des services aux collectivits dans le domaine de leau.

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

7

montant de la facture et l'opacit persistante de la gestion d'un service public essentiel ; la prsence dominante, enfin, notamment en France, d'entreprises transnationales, associes aux thmes de la libralisation et de la " marchandisation " d'un bien vital, insubstituable, sur fond de soupon, souvent avr, dabus de position dominante, voire de corruption lors de l'attribution de marchs. La question de leau alimente ds lors toutes les rflexions autour dun nouveau modle de dveloppement, tant des conomies dveloppes que du monde en dveloppement. Elle fait figure denjeu central quand le changement climatique va bouleverser le cycle hydrologique traditionnel. Sa prservation, ses usages, sa gouvernance et ses modes de gestion appellent donc lmergence dun nouveau paradigme. Il ny a pas de solution purement hydrologique la question de leau. Il nous faut sortir des logiques exclusivement curatives pour nous confronter aux causes de la crise de leau, en portant notre regard sur notre mode de vie, sur lorganisation de la socit, sur notre mode de consommation, sur les finalits de production, sur notre relation au travail. Ces questions interpellent le systme capitaliste tel quil impose son mode de pense, dans ses objectifs et ses outrances. Cest un projet politique quil faudrait construire lchelle de lEurope lchelle de la plante ! D'aucuns s'y essaient. Ainsi, le Conseil mondial de l'eau (CME) organise son prochain forum mondial, intitul " forum des solutions ", en mars 2012 Marseille, avec l'appui du secrtaire gnral des Nations Unies. Mais, ni entit tatique ni organisation non gouvernementale (ONG), sa lgitimit est conteste, un certain nombre d'acteurs lui reprochant d'tre, comme l'Organisation mondiale du commerce (OMC), une organisation prive au service d'intrts privs. son niveau, le groupe de travail " Eau, les bonnes pratiques " du Laboratoire des ides a engag un tat des lieux approfondi de la question de leau en France dont le modle de gestion est devenu une rfrence au niveau mondial. Il s'est agi de faire merger les enjeux et dirriguer la rflexion autour de lindispensable rnovation dun service public de

leau, au service des territoires et de leurs habitants, garant d'un dveloppement matris et soutenable dans un cadre de transparence dmocratique. C'est ainsi qu'aprs avoir voqu, dans une premire partie (A) le cadre gnral de la question de l'eau sur notre territoire : - l'volution climatique et ses consquences directes, - le cadre lgislatif et rglementaire, europen et franais, - prciser ce que l'on entend par le " petit cycle de l'eau ", dans une seconde partie (B), le groupe de travail a abord les 4 enjeux qu'il estime essentiels pour une gestion publique performante de l'eau : - les dfis lis la prservation de la ressource de qualit avec notamment l'ensemble des questions lies aux prlvements et la pollution, en favorisant une politique de prvention ; - une analyse de la gouvernance de l'eau dans notre pays, ses dficiences reconnues, des propositions pour en amliorer la cohrence ; - les diffrents modes de gestion publique (gestion dlgue ou rgie publique), leurs avantages et inconvnients, les propositions pour optimiser le cadre et l'quilibre, notamment la problmatique lie la disparition orchestre de l'ingnierie publique au profit de l'ingnierie prive, et son impact sur la capacit de matrise denjeux essentiels par les lus ; - une remise plat de lensemble du systme de financement et des investissements inluctables porter dans les 10 prochaines annes, en diffrenciant petit et grand cycle de leau, et en se posant les questions de laccs leau de tous et de lvolution des comportements quotidiens dans une logique vertueuse de prservation de la ressource. Les dfis poss par la gestion de leau lhorizon de ces toutes prochaines annes sont considrables. Ils ne seront surmonts quau prix dune remise en cause radicale de nos pratiques, de nos modes de vie et de notre modle conomique. Et, bien entendu, dune volont politique extrmement forte.8

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

A- Le contexte gnral actuel

I- tat gnral de la ressource et impact du changement climatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .10- Au niveau mondial - Sur le territoire franais

II- Le cadre lgislatif et rglementaire

........................................................................

20

- Le cadre europen - Le dispositif lgislatif et rglementaire franais

III- Point d'tape sur la mise en uvre de la politique communautaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24- Retards et insuffisance des moyens mis en uvre par les tats membres - Un 1er bilan de la mise en uvre de la politique communautaire en France

IV- Le petit cycle de l'eau, sa gestion, son financement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .28- Le service dalimentation en eau potable : 3 tapes - Les services dassainissement - Les modalits de gestion des services publics de l'eau - Les ouvrages, part importante du patrimoine communal - La facture deau

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

9

A- Le contexte gnral actuel

I - tat de la ressource et impact du changement climatique1.1. Au niveau mondialLe changement climatique est un changement long terme provoqu par des facteurs naturels qui sont aujourdhui largement renforcs, comme le reconnat dsormais la communaut internationale, par des activits humaines entranant lmission de gaz effet de serre. Ces gaz capturent la chaleur que la surface de la terre rflchit et empchent quelle soit rejete dans lespace, provoquant ainsi le rchauffement climatique . La temprature moyenne la surface de la Terre a augment de 0,6C Celsius depuis la fin du XIXme sicle. Les projections varient, mais la fin du XXIme sicle, elle pourrait augmenter de 1,4 5,8C. Pendant la mme priode, le niveau de la mer pourrait slever de 9 88 centimtres. Il est gnralement admis que les zones comprises entre les latitudes 30 et 90 Nord, ainsi que 30 et 90 Sud, devraient bnficier de prcipitations plus abondantes en raison de laugmentation de lvapotranspiration. En revanche, plusieurs rgions tropicales et sub-tropicales ainsi que la zone mditerranenne devraient faire les frais, au cours des prochaines dcennies, de prcipitations moins abondantes et plus erratiques. Le changement climatique a un impact significatif sur les modles mtorologiques, les prcipitations et le cycle hydrologique, affectant la disponibilit des eaux de surface, lhumidit des sols et lalimentation des nappes souterraines. Partout dans le monde, les changements et les imprvus climatiques auxquels nous allons tre confronts vont galement rendre la gestion de leau de plus en plus difficile. Nous devons ds lors trouver les meilleures solutions possibles pour parer des conditions climatiques beaucoup plus imprvisibles. Le changement climatique aura en outre des rpercussions sur la sant publique, qui est la raison dtre des efforts raliss en matire dassainissement. Aujourdhui, plus de 2,5 milliards de personnes sont prives dassainissement de base. Il est donc urgent dacclrer les initiatives en la matire. Le changement climatique devrait provoquer enfin laugmentation de lampleur et de la frquence des catastrophes naturelles lies aux prcipitations (inondations, scheresses, glissements de terrain, ouragans et cyclones). La concentration de la population mondiale sur le littoral (40 % de la population mondiale vit moins de 100 km de la mer) accrot dautant plus limpact du changement climatique. Il pourrait aussi multiplier par cinq le nombre de rfugis environnementaux d'ici 2050. Le climat plus irrgulier dans les annes venir, et notamment laccentuation de la variabilit des prcipitations, tant dans le courant de l'anne qu'interannuelle, aura pour consquence dimpacter le rendement des cultures, tant dans les pays dvelopps que dans les pays en dveloppement. Une tude rcente1 estime que depuis trente ans, le changement climatique entrave la production cralire mondiale avec une rduction de 5,5 % et 3,8 % des rendements du bl et du mas, les pertes de rendement tant constates un peu partout, sans distinction de latitude : Chine, Inde, Brsil, Russie, France sont touchs des degrs varis, lAmrique du nord tant la rgion la plus pargne.

1.1.1. La lutte contre les missions de gaz effet de serre prioritaireLe combat pour prserver lapprovisionnement en eau passe donc en premier lieu par la lutte contre le changement climatique et les mesures instaurer contre les missions de gaz effet de serre qui en sont des facteurs daggravation.

1 cf. Le Monde du 7 mai 2011 : tude mene par plusieurs chercheurs publie par la Revue Science le 6 mai 2011

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

10

Or les missions de CO2, lies la combustion dnergies fossiles ont atteint un niveau record en 2010 (estimations de lAgence internationale de l'nergie, AIE2, publies lundi 30 mai 2011). Elles ont culmin 30,6 GT (gigatonnes), une hausse de 5 % par rapport 2008, anne du prcdent record. Cette augmentation fait de l'objectif du maintien 2C du rchauffement de la plante une douce utopie selon Fatih Birol3, chef conomiste de lAIE. Ce qui signifie que, sans inversement de la tendance, la plante devrait se rchauffer de 4C dici 2100, et bien davantage par endroits. Pour Jean Jouzel, membre du bureau du Groupe dexperts intergouvernemental sur lvolution du climat, GIEC4, on est sur la trajectoire des pires des scnarios du GIEC. () Pour viter cela, il faudrait que le niveau des missions commence baisser en 2015, puis chute trs rapidement partir de 2020 . Le protocole de Kyoto la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), sign en 1997, est entr en vigueur en fvrier 2005, aprs sa ratification par 55 parties contractantes dont nont pas fait partie les tatsUnis. Elles se sont engages rduire les missions de six gaz effet de serre5. Pour sa part, la Communaut europenne sest engage ramener les missions de CO2 8 % en dessous des niveaux de 1990 au cours de la priode 2008-2012. Puis en 2008, a pris le nouvel engagement de les rduire de 20 % dici 2020 et de porter 20 % la part des nergies renouvelables dans la consommation dnergie. Des coulisses de la runion du G8 Deauville les 26 et 27 mai derniers, il ressort le refus dune partie de ses membres (Canada, tats-Unis, Russie et Japon) de sengager dans une ventuelle deuxime priode du protocole de Kyoto aprs 2012. Le protocole de Kyoto a laiss de ct les pays en dveloppement et les pays mergents comme la Chine, aujourd'hui en tte des pays pollueurs. La confrence de Copenhague en 2009 qui devait donner une suite au protocole de Kyoto a t un chec. Lors de la confrence suivante, organise en dcembre 2010 Cancun, les participants se sont engags contenir le rchauffement plantaire

sous les 2C. Mais les discussions ont surtout port sur la cration de nouvelles institutions, telles le Fonds Climatique Vert pour aider les pays les plus vulnrables faire face au changement climatique, sans pour autant rgler la question du financement comme celle de la responsabilit historique des pays industrialiss qui restent le nud du problme. Les pays en dveloppement ont pour leur part exig que les pays les plus riches restent lis dans leurs engagements par un trait lgalement contraignant, ce qui ne serait plus le cas aprs l'expiration du protocole de Kyoto. La confrence de Durban (novembre 2011) sannonce trs difficile. Les tats-Unis souhaitent que les ngociations portent essentiellement sur la mise en uvre des mcanismes dcids Cancun alors quune grande partie des pays en dveloppement insistent sur des ngociations plus larges. Christina Figueres, secrtaire excutive de la Convention cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques6 multiplie les efforts pour raliser un nouveau pas en avant Durban et insiste notamment pour que le dbat sur le protocole de Kyoto ne porte pas uniquement sur la forme que devrait prendre un nouvel accord, mais galement sur le contenu et le fonctionnement de celui-ci. Lobjectif de limiter 2 C laugmentation du rchauffement ncessite des investissements massifs dans les nergies renouvelables et les conomies dnergie. Il est peu probable que les gouvernements prennent ce chemin en labsence dun accord international ambitieux. LUnion europenne, qui sest dj engage rduire ses missions de gaz effet de serre de 20 % dici 2020 par rapport aux2 LAIE a t fonde lOCDE en 1974 pour faire face au choc ptrolier. Organe autonome elle uvre pour la production dune nergie propre, sre et accessible pour ses 28 pays membres et pour les pays non-membres. 3 Source : Le Monde paru le 1er juin, des missions de CO2 record en 2010 aggravent le pril climatique 4

Le GIEC est un organe scientifique intergouvernemental, ouvert tous les pays membres de l'ONU. Il a pour mandat d'valuer, sans parti pris et de manire mthodique, claire et objective, les informations scientifiques, techniques et socio-conomiques disponibles en rapport avec la question du changement climatique dorigine humaine.

5 Dioxyde de carbonne (CO2), mthane, protoxyde dazote, hydrofluorocarbones, hydrocarbures perfluors, hexaflurorure de soufre. 6 CCNUCC ou UNFCC : United Nations Framework Convention on Climate

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

11

niveaux de 1990 est-elle prte aller 30 % pour donner lexemple et avoir un effet dentranement international ? Sept pays europens soutiennent cet objectif7, tout comme le Parlement europen et les eurodputs de la Commission Environnement. LUnion europenne doit sengager pour ellemme et jeter les bases de son dveloppement long terme, dessinant lavenir conomique pour les cinquante annes venir. Lobjectif de 30 % a minima en 2020, comme la not le Parlement europen, est une cible intermdiaire oblige si lEurope veut tenir ses engagements et rduire ses missions dau moins 80 % dici 2050. Aujourdhui, le gouvernement de Nicolas Sarkozy tergiverse. Le Conseil europen du 21 juin prochain remettrat-il le climat au premier plan ? Cest ce que nous demandons. Par ailleurs, le phnomne de scheresse, qui peut toucher plus particulirement certaines rgions plutt que dautres, peut avoir des causes directement lies lamnagement du territoire, il ne dpend pas uniquement de ce qui se passe dans latmosphre. Il est troitement dpendant de paramtres lis aux sols, comme leur facult rflchir le rayonnement solaire (aldbo), leur humidit, la couverture vgtale. Ainsi, lexemple du sud de lEspagne qui a t largement dfrich au profit de cultures sous serre : lhomme a cr une sorte de dsert artificiel sur lequel il ne pleut presque jamais ou presque. Cest une situation qui nest pas lie aux gaz effet de serre anthropiques mais des facteurs locaux. Enfin, dans certains pays, dautres facteurs, tels que la croissance de la population et lamnagement de lespace, pourraient savrer beaucoup plus importants et dlicats traiter que le changement climatique. Cest la raison pour laquelle limpact du changement climatique sur lapprovisionnement en eau et son utilisation doit tre tudi en corrlation avec les autres enjeux du dveloppement. Il est estim que ce sont trois milliards de personnes qui pourraient tre exposes des pnuries deau d'ici 2025.

1.1.2. tat des lieux et " nouvelles frontires " de la gestion de l'eauLeau est prsente sous plusieurs formes sur tous les continents. Si la ressource nest pas proprement parler, si rare que cela, elle est ingalement rpartie. Environ 40 000 km3 deau douce scoulent chaque anne sur les terres merges. La consommation en eau slevant environ 30 000 km3 par an, il devrait tre possible de fournir les 7 000 m3 deau ncessaire aux 6,5 milliards dindividus vivant sur terre. Pourtant, nous constatons que plus de 40 % de la population souffre de manque deau. Cela tient dabord lingalit de la rpartition de la ressource : 9 pays se partagent 60 % de rserves mondiales deau douce (Brsil, Colombie, Prou, Russie, Canada, tats-Unis, Inde, Indonsie et Chine) tandis que la part mondiale de ressource en eau douce pour le continent africain est denviron 9 % ! Outre les insuffisances structurelles en eau, on enregistre aujourdhui une dgradation acclre de la ressource, non plus seulement dans les zones dficitaires chroniques mais sur lensemble de la plante. En effet, des pressions excessives sont souvent exerces sur des ressources qui ne peuvent se renouveler ce qui pnalise la prennit du cycle de leau, et laugmentation des pollutions qui prolifrent dans la plupart des rgions du monde conduit devoir faire face des perspectives dsastreuses. Plusieurs explications peuvent tre donnes pour expliquer la moindre disponibilit de la ressource qui pourtant reste inchange en volume global. - La population mondiale devrait crotre et passer de 6,5 8 milliards de personnes dici 2025, lexplosion dmographique devant se situer en Afrique o la population devrait littralement doubler dici 30 ans. La quantit moyenne deau douce disponible par habitant et par an va logiquement dcrotre (rduction d1/3 selon les experts). Il parat important pour7 Grce, Royaume-Uni, Sude, Danemark, Espagne, Portugal et Allemagne

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

12

ces pays de contrler efficacement leur croissance dmographique et de dfinir des politiques de dveloppement durable (dfinir des programmes de contraceptions efficaces, garantir la scolarisation universelle, revoir les stratgies de dveloppement de lurbanisme, etc.). - Certains pays accdent un nouveau niveau de vie et dcouvrent de nouveaux usages de leau (piscine, jacuzzi, golf, etc.) ce qui provoque une croissance de leur consommation pouvant aller jusqu une certaine gabegie de la ressource. - Une matrise insuffisante, un entretien dfectueux, des ngligences avres entranent des pertes (drainage, fuite et vaporation lors de lirrigation, fuite dans les rseaux), qui peuvent tre particulirement importantes dans certains pays, et sont sources de gaspillage. En consquence, il semble essentiel de dfinir des politiques incitant la population conomiser leau et dcourageant les consommations individuelles deau superflues . Parce que le problme de leau nest pas que quantitatif, un autre dfi auquel nous devons faire face tient laugmentation de la pollution de leau. Plus nous consommons deau, plus nous rejetons des eaux uses, obligeant les pouvoirs publics investir des sommes considrables dans leur traitement. Dans les pays pauvres, une grande majorit des eaux rsiduaires et des dchets industriels sont rejets sans traitement dans les cours deau, contaminant les rserves deau potable. L'amlioration de l'accs l'eau sans introduction de l'assainissement des eaux uses conduit une dgradation acclre de la ressource. La situation de la qualit des eaux nest gure meilleure dans le Nord, mme si les problmes peuvent dans labsolu y tre matriss. Toutes les ressources en eau (fleuves, rivires, nappes phratiques, etc.) sont de plus en plus pollues par des produits chimiques, mtaux lourds, pesticides, nitrates, phosphates, mdicaments, etc. Les pouvoirs publics, o quils soient, doivent agir en priorit pour viter des crises sanitaires rptition (interdiction pour les entreprises de rejeter leurs dchets dans la nature,

interdiction dutiliser des produits phytosanitaires a minima dans un primtre de captage largi, utilisation raisonne des rserves en eau par tous les acteurs conomiques, etc.). La fuite en avant que nous connaissons actuellement dans les pays occidentaux qui vise investir dans les dpollutions ne rsout rien, revient jouer sur les effets mais pas sur les causes. Seule une remise en cause de notre modle de dveloppement permettra de recouvrer le bon tat cologique et chimique des masses deau, comme nous y engage la Directive-cadre europenne sur leau. Lurbanisation galopante et chaotique que connaissent la plupart des pays du Sud constitue un dfi supplmentaire pour la gestion de leau potable dans ces pays (dans 20 25 ans, les mgalopoles du Sud compteront 4 Mds dhabitants, soit 60 % de la population mondiale). Ce phnomne est notamment la consquence dun exode rural massif, qui nous fait craindre des lendemains amers pour des pays de plus en plus dpendants des importations de produits alimentaires dont les prix sont de plus en plus levs et de plus en plus volatils. Les meutes de la faim que connaissent de nombreux pays dAfrique depuis 2008 sont malheureusement appeles se rpter si ces pays nengagent pas une rvolution agricole, soutenue par les pays occidentaux, rsiliente aux effets du changement climatique et durable. Nous pouvons en effet tre trs inquiets ce sujet. De nombreux pays continuent produire, principalement en dveloppant les cultures irrigues et les levages intensifs sans se proccuper de la dgradation des ressources en eau. Si ces pratiques continuent, leau va bientt manquer, ce qui entranera invitablement une diminution et un renchrissement de la production alimentaire. Ce sont malheureusement les pauvres qui en ressentiront le plus les effets.

Les frontires de la gestion de leau sont redessines par de nouvelles donnes internationales : la financiarisation du risque de pnurie : cest lexemple du partenariat entre le programme alimentaire mondial en thiopie et lassureur AXA R qui indemnisera, en ayant recours aux produits

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

13

drivs, le Programme alimentaire mondial (PAM) au cas o le niveau de pluviomtrie serait dficitaire. ldification de trs grands barrages hydrauliques aux consquences environnementales et sociales trs importantes.

on en compterait en fait dj 50 000. Si les pays industrialiss se sont dots de longue date de telles structures, il nen est pas de mme pour les pays en voie de dveloppement. La Chine et lInde construisent 200 barrages par an, suivis de prs par le Brsil. Le potentiel hydrolectrique reste ainsi important en Asie (taux dquipement estim 33 %), en Amrique du sud (25 %) et en Afrique (7 %)10. Cependant, les consquences environnementales des trs grands barrages en cours ou projets sont extrmement fortes. Quant aux consquences sociales, ce sont entre 40 et 80 millions de personnes qui auraient dj t dplaces du fait de la construction de barrages selon le Fonds mondial pour la nature (WWF). Quelques exemples : Le barrage de Xayaburi (rgion du Haut Laos) sur le Mkong dont la construction vient de dbuter fermiers et pcheurs auraient reu une quinzaine de dollars en ddommagement de leur expulsion de la zone des travaux. Cet ouvrage sinscrit dans un projet global de construction de 10 barrages sur le fleuve. Le Laos, pays pauvre et sans ressource, voudrait en effet devenir la batterie lectrique de la rgion. Mais trois autres pays sont riverains du fleuve. Le Vietnam sest dclar profondment inquiet (craintes de rduction des volumes deau en aval avec ses rpercussions sur la pche dans le delta, dune aggravation des phnomnes de salinisation des terres agricoles). La Thalande sest dite inquite, mais a accept de participer au financement du barrage en dclarant vouloir acheter 95 % de llectricit produite. Une commission a bien t cre afin que les quatre pays riverains puissent se consulter, mais ses membres ne sont pas tenus dappliquer les dcisions qui y sont prises Le barrage de Belo Monte en Amazonie, un des 60 projets du gouvernement brsilien, devrait tre le troisime plus gros au monde, mais suscite

1.1.3. La problmatique des grands barragesLes fonctions de rgulation du cours des fleuves par les barrages ont t dveloppes sur toute la plante depuis 5 000 ans. Initialement ddis lirrigation et lalimentation humaine, cest au tournant du XXme sicle, avec la rvolution de lhydrolectricit dont la France aura t pionnire, quils se sont vus assigner des fonctions nergtiques. Outre la production dhydrolectricit, les grands et moyens barrages assurent des fonctions de rgulation essentielles : dbit dtiage, protection contre les crues et les inondations, irrigation agricole, eau de process pour lindustrie, refroidissement du parc lectro-nuclaire, alimentation en eau potable, pche, sports deau vive et tourisme Pour assurer lirrigation des terres et les protger des crues, puis pour alimenter les villes en eau, depuis trs longtemps8 des barrages ont t construits, de dimensions variables. Laccident de Fukushima et les interrogations sur le nuclaire sajoutent aujourdhui la lutte contre les gaz effet de serre pour inciter les pays squiper de grands barrages pour la production dnergie, laquelle sajoutent ensuite des objectifs multiples : irrigation des terres, approvisionnement des entreprises, distribution deau potable aux populations de plus en plus urbanises... Lhydraulique produit quelque 20 % de llectricit dans le monde et reprsente 80 % de llectricit dorigine renouvelable, loin devant lolien et le solaire. Considre comme une nergie propre, elle nest pas labri de production de gaz effet de serre lie la dcomposition de la biomasse immerge qui peut provoquer une dsoxygnation rapide des eaux et au bout de quelques mois une forte production de mthane et de CO2. La CIBG (Commission internationale des grands barrages) a recens 33 000 grands barrages9, mais

8 Ainsi, le barrage de Cornalvo en Espagne, dune hauteur de 18 m et dune longueur de 220 m, construit par les Romains il y a plus de 2 000 ans, fonctionne toujours. Le plus ancien barrage connu est celui de Jawa en Jordanie, qui remonte la fin du 4me millnaire avant J.-C. 9 La dfinition du grand barrage : hauteur suprieure 15 m, ou si elle est comprise entre entre 5 et 15 m, dont le rservoir a une contenance suprieure 3 millions de m3 deau. 10

Source : Le Monde paru le 19 avril 2011

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

14

une vive opposition des populations riveraines. Le projet a t suspendu en avril 2011, faute de consultation suffisante des communauts (action de la Commission interamricaine des droits de lhomme (CIDH). La construction noierait 500 km2 de forts et 20 000 40 000 personnes seraient dplaces. Au Chili, un mouvement de protestation de grande ampleur a pris corps contre un projet de barrages hydrolectriques en Patagonie, destins assurer les besoins nergtiques de divers projets miniers jusque dans le dsert de lAtacama des milliers de kilomtres au Nord, lautre bout du pays. Il est prvu 5 barrages pour une capacit totale de 2 750 mgawatts. Le projet est port par un consortium chileno-espagnol, emmen par la multinationale espagnole Endesa (contrle dsormais par litalien Enel) et une filiale du groupe chilien Matte. Ce projet affecte 6 parcs nationaux et prs dune centaine de sites protgs dans une zone qui est encore largement sauvage. Le feu vert officiel au projet a t donn le 9 mai dernier, et depuis les manifestations se sont succd. Le projet a t rendu possible par le droit chilien qui permet la proprit prive de leau. Lentreprise espagnole Endesa sest accapare la quasi totalit des droits relatifs aux rivires Pascua et Baker.

une mobilisation de ressources sans prcdent afin de rduire lcart considrable qui spare les populations urbaines et rurales cet gard. Or, laide publique au dveloppement pour leau et lassainissement ne cesse de baisser tandis que les aides bilatrales avaient dj dcru de 2,7 1,3 Mds de dollars entre 1997 et 2002. Ds lors plusieurs rapports ont malheureusement tabli que les OMD dans le secteur de leau ne seraient pas atteints en 2015. La crise conomique que la plupart des pays occidentaux traversent en ce moment nannonce malheureusement pas une mobilisation la hauteur de ces enjeux. Confronts galement des vnements naturels extrmes (scheresse et inondations en Australie, aux USA et en Europe, tremblement de terre et tsunami au Japon), il est fort craindre une baisse de laide publique au dveloppement dirige vers le secteur de leau et de lassainissement. vnement international fort retentissement mdiatique, le Forum Mondial de l'Eau, intitul forum des solutions , va se drouler Marseille en mars 2012, avec l'appui du secrtaire gnral des Nations Unies. Plus de 25 000 participant sont attendus. Ce rassemblement mondial est essentiel sur cette problmatique de l'Eau, essentielle la vie et son dveloppement. Il est en effet indispensable de dfendre l'accs l'eau pour tous et de faciliter les modes de coopration avec certains pays en leur apportant certaines aides (matrielles, expertise, formation) pour les rendre plus autonomes. De fait, ces partenariats existent dj avec de nombreuses collectivits, mais il convient de les renforcer. Mais, ni entit tatique ni organisation non gouvernementale (ONG), la lgitimit du Conseil Mondial de lEau, organisateur de lvnement, est conteste, un certain nombre d'acteurs lui reprochant d'tre, comme l'Organisation mondiale du commerce (OMC), une organisation prive au service d'intrts privs. Ce rassemblement doit effectivement nous appeler la vigilance face son exploitation par certaines multinationales qui profitent de cet vnement pour raliser leur promotion mondiale. Enfin cet vnement plantaire

1.1.4. Les engagements internationauxFace aux constats de lingalit de la ressource entre les diffrentes rgions du globe et de la dgradation de la ressource moyen et long terme, la communaut internationale multiplie les engagements visant garantir laccs leau et lassainissement pour tous. Notons par exemple les Objectifs du millnaire pour le dveloppement (OMD) acts en 2000 par la Communaut internationales. LOMD n7 relatif leau potable et lassainissement visait surmonter deux importants problmes. Dune part, soutenir la construction de rseaux dassainissement face la rapidit du rythme actuel durbanisation, et dautre part rpondre aux besoins urgents des populations rurales encore prives daccs leau potable et lassainissement de base. La situation actuelle impose de procder

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

15

qui se droule un mois avant les prsidentielles et sur notre territoire mtropolitain va certainement amener une mdiatisation forte et difficilement matrisable.

alimentaire nord-amricain qui consomme de faon importante des protines animales exigera par exemple une quantit d'eau nettement plus leve, estime 5,4 m3 par jour, quun rgime vgtarien dont la consommation est estime 2,6 m3 par jour. L'indicateur de l'eau virtuelle sert galement pour calculer l'empreinte moyenne en eau des habitants d'une nation et permet de mettre en vidence des chelles de grandeur qui confirment l'iniquit dans la rpartition des ressources entre les pays dvelopps et les pays en dveloppement. Au fondement du calcul de lempreinte eau , cest la pression exerce sur la ressource qui est mise en valeur. Ce concept aborde des questions essentielles telles la rduction ncessaire des pressions exerces sur les ressources en eau par les activits pratiques, la scurit alimentaire ou encore, les marchs de leau. Cette empreinte eau, volume deau ncessaire pour la production des biens et des services consomms par les habitants, est videmment trs variable dun tat lautre11: - 2 483 m3/personne/an aux tats-Unis - 2 332 m3/personne/an en Italie - 1 875 m3/personne/an en France - 1 682 m3/personne/an en Suisse - 1 103 m3/personne/an en Pologne - 675 m3/personne/an en thiopie Le concept dempreinte eau peut ds lors sappliquer aux changes entre nations, par l'analyse des flux deau virtuelle entre pays exportateurs et pays importateurs de marchandises. Ce concept est de plus en plus sollicit, mais doit tre abord avec prcaution au regard des risques de marchandisation accrue quil peut entraner. D'autant que la mthode de calcul n'est pas suffisamment fiable. Ce concept peut nanmoins tre intressant pour les comparaisons. Il est ainsi repris par certains, dans le cadre des ngociations sur la rforme de la PAC, qui nhsitent pas mettre en avant lavantage comparatif des pays agricoles europens appels, selon eux, continuer produire comme ils le font actuellement et exporter leur excdent des pays11

1.1.5. Les rponses techniques innovantesLes inquitudes suscites par le changement climatique au niveau de la ressource en eau conduisent aussi dsormais promouvoir massivement des rponses techniques innovantes : transferts deau entre les pays, dessalement de leau de mer, rutilisation des eaux uses pour des usages agricoles, industriels et de loisirs (" re-use "), recharge artificielle de nappes phratiques, cration de rserves, captage de la brume, constitution de marchs de leau Paralllement ces avances technologiques qui peuvent tre parfois haut risque, la consommation deaux en bouteille va croissant aussi bien dans les pays occidentaux que dans les pays du Sud, o il peut savrer moins ardu dassurer lalimentation en eau de la population en recourant leau embouteille au dtriment de limmense partie des populations pauvres. Or, laccroissement de la consommation deau embouteille est synonyme daugmentation des dchets et de la consommation dnergies. Mais ce sont l, avant tout, des palliatifs qui n'apportent pas de rponse de fond la crise de leau puisqu'il s'agit de technologies coteuses qui risquent, au contraire, daggraver des ingalits dj criantes entre pays riches et pauvres.

1.1.6. L'empreinte eau ou " Water footprint "Le concept deau virtuelle dvelopp par le chercheur Tony Allan dans les annes 1990 mrite de retenir lattention. Il correspond l'valuation de la quantit d'eau utilise pour la production de biens de toutes sortes, notamment les produits agricoles et les biens alimentaires (1 litre de lait = 790 l. / 1kg de buf = 13 500 l. etc.). Les diffrents types d'alimentation auront ainsi des besoins diffrents en ressources hydriques. Un rgime

Source : www.waterfootprint.org

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

16

dficitaires en eau qui peinent sauto-suffire. Ils omettent videmment de parler des consquences quengendrent les subventions europennes sur le dveloppement dune filire agricole prenne et durable dans les pays en dveloppement. Et ne disent videmment rien sur les consquences environnementales et sociales de lagriculture intensive la base de ce systme.

printemps 2011 (mars, avril et mai), natteignent que 45 % de la moyenne sur 30 ans, prcipitations qui, en particulier en montagne, ont connu un dficit au cours de lhiver dernier. Ce sont 56 dpartements qui connaissent des restrictions deau la fin de ce mois de mai 2011.

A contrario, le concept dempreinte eau peut permettre dlaborer des indicateurs pour orienter nos choix et nous assurer que les emplois productifs agricoles, industriels ou de loisirs de leau ne compromettent pas les besoins de base des tres humains et des cosystmes.

1.2. Sur le territoire franaisLa France ne manque pas deau, mais celle-ci est ingalement rpartie sur le territoire. Le volume total des eaux renouvelables atteint annuellement 200 milliards de m3 en France mtropolitaine12. Il sagit de lapport pluvial, auquel sajoutent les dbits en provenance des pays voisins, dont il faut dduire lvaporation atmosphrique estime 60 %. Les 3/5mes de ces eaux rechargent les nappes phratiques en sinfiltrant dans le sol tandis que les 2/5mes ruissellent vers les rivires et les eaux stagnantes. Cependant, on peut constater que ce sont une vingtaine de dpartements qui, lors de ces douze dernires annes, connaissent des restrictions de consommation deau chaque anne. Ce nombre a doubl les annes relativement sches (1998, 2004) et ce sont 60 dpartements qui ont t touchs les annes les plus sches en 2003 et 2005. Cette anne 2011 sannonce particulirement difficile : selon Mto France13, la moiti nord de la France connat des niveaux de scheresse des sols superficiels jamais atteints la fin avril au cours des cinquante dernires annes. Cependant, ceuxci apparaissent plus lis un problme d'usage que de manque dans l'absolu. Mais le printemps 2011 est considr comme le plus chaud depuis 1900 : un mois davril o les tempratures ont t suprieures de 4C la moyenne, des pluies cumules qui, pour le

Si on regarde les cinq dernires dcennies, on a limpression quon voit de plus en plus de tels vnements grosso modo, trois l o on en attendrait un. On voit dailleurs des augmentations de frquence plus que dintensit mise part lexception de 2003. Cependant, lors des derniers sicles, il y a dj eu des mga-scheresses en France avec des destructions entires de rcoltes atteste le chercheur Pascal Yiou qui dirige le groupe de statistiques au Laboratoire des sciences du climat et de lenvironnement (LSCE)14. Des chroniques du XVIIIme sicle mentionnent ainsi des paysans normands notant des absences de pluies entre la Toussaint et Pques, ce qui parat incroyable de nos jours. Ainsi, si des vnements comme 2003, 2005 et 2011 sont exceptionnels au regard du XXme sicle, ils ne le sont plus dans la dure. Il est ainsi extrmement difficile de srier ce qui ressort du changement climatique de ce qui ressort de cycles de variabilit naturelle du climat. Nanmoins, des simulations effectues sur certains vnements ( lexemple de celles pratiques sur les trs fortes prcipitations qui avaient noy le Pays de Galles lautomne 2000 et de la canicule de 2003) montrent que certains vnements taient extrmement peu probables en labsence des gaz effet de serre ajouts par lhomme dans latmosphre. Ainsi, les effets dj avrs du changement climatique conjugus des cycles naturels de perturbation pourraient entraner lhorizon des prochaines dcennies une forte variabilit12 13

Rapport annuel 2010 du Conseil dtat Leau et son droit

Les analystes ralisent des prvisions long terme avec des logiciels qui calculent les flux atmosphriques partir des donnes rcoltes sur lensemble du globe. Ces simulations sont plus ou moins alatoires. Pour 2011, lincertitude semble rduite par la constance des modles obtenus depuis la mois de janvier. Cependant, ces analyses globales ne permettent pas de dtailler les phnomnes locaux. Ni de comprendre la raison de telles scheresses.14

Le Monde paru le 31 mai 2011

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

17

dvnements hydrologiques extrmes, inondations ou scheresses, qui ont dj fait leur apparition depuis le dbut des annes 2000.

1.2.1. Des consquences sur les pratiques agricolesSi lon en croit plusieurs tudes qui se sont interroges sur les volutions climatiques et leurs impacts lhorizon 2050, limage du rapport Perspectives nergtiques de la France lhorizon 2020-2050 , publi en octobre 2007 par le Centre danalyse stratgique, lvolution actuelle rend prvisible un schma pour les 20 ou 30 prochaines annes avec les alas inhrents ce type de prvision : - davantage de pluie au nord de la Loire, qui deviendra plus agricole, - moins de pluie au sud de la Loire, qui va souffrir de scheresse avec une hausse des tempratures entranant une augmentation de la demande en eau. Ces projections imposent de prendre des dispositions permettant la mise en uvre dune nouvelle gestion intgre des ressources, mieux adapte ces perspectives. Si le modle agricole actuel perdure, lirrigation va simposer de plus en plus, notamment dans la partie sud de la France. Ce qui rend les choses problmatiques terme, notamment dans le Sud-ouest du territoire, o sont dj apparues des situations de crise et de tensions entre acteurs, difficiles grer. Dautres rgions de France, lexemple de la Vende ou de certaines zones de la Charente, sont dj confrontes lappauvrissement des ressources que lon ne sait pas grer de faon pratique et immdiate. Ainsi, Niort a failli manquer deau en 2005, et un vaste programme de recherche interdisciplinaire a t lanc par le CEMAGREF (hydrologie, tude des sols, agronomie, aspects conomiques, sociologiques), dans lespoir dchapper une situation de crise. La chambre d'agriculture15 de Dordogne16 constate des effets dj perceptibles dans le dpartement : " Le ple productions vgtales et hydraulique

agricole observe par exemple de plus en plus frquemment, des semis de varits plus tardives, des dates de vendanges plus prcoces. () ". Elle sest ainsi engage dans le programme de coopration Sud-ouest Europen , SUDOE, avec dix partenaires diffrents de ces territoires (Espagne, Portugal, France et Gibraltar). Ce projet transrgional a pour objectifs llaboration des diffrents scnarios climatiques envisageables l'horizon 2020 et de leurs impacts sur les secteurs conomiques les plus dpendants des ressources en eau, leurs consquences sur les exploitations. Ce, afin dtablir une stratgie de gestion environnementale et dadaptation afin notamment que les agriculteurs puissent anticiper la modification de leurs pratiques, de leurs cultures et des dbouchs conomiques.Il est essentiel dacclrer ce mouvement de prise de conscience dans toutes les activits lies ou dpendantes de leau.

1.2.2. Une nouvelle politique de prvention des crues et inondations simposeLes perspectives de limpact du changement climatique sur le fonctionnement du cycle hydrologique avec une augmentation des prcipitations intenses ont conduit intensifier ces dernires annes ladoption de diffrents programmes de protection contre les crues et les inondations. Efforts insuffisants, lactualit rcente nous en a donn plusieurs exemples tragiques. Le poids financier des missions qui en rsultent va aller croissant, dans des proportions hier encore inimaginables. Ainsi dans la rgion parisienne, linstitution des Grands Lacs de Seine17, qui assure

15

Les Chambres d'agriculture sont des organismes consulaires chargs de reprsenter l'ensemble des diffrents agents conomiques de l'agriculture : exploitants agricoles, mais aussi propritaires, salaris, et organisations agricoles telles que les mutualits, coopratives, crdits et syndicats vocation gnrale. ll y a une Chambre d'Agriculture par dpartement franais en rgle gnrale, certaines couvrant plusieurs dpartements, soit 94 chambres au total avec les DOM. Au niveau dpartemental les chambres d'agriculture jouent un rle essentiel d'information et d'aide aux agriculteurs.

16 http://www.dordogne.chambagri.fr/productions-vegetalesirrigation/changements-climatiques.html

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

18

un dbit minimal du fleuve en priode dtiage en amont de Paris par le biais de quatre grands barrages-rservoirs construits depuis les annes 50, envisage de mobiliser 500 millions deuros lhorizon des 10 prochaines annes afin de rduire les impacts des crues majeures, type crue centennale de 1910, sur Paris et les dpartements en aval et amont de la Seine. Augmentation des prcipitations intenses, mais rarfaction des pluies et rchauffement. Chacun saccorde sur le caractre inluctable des nouvelles tensions qui vont dcouler du changement climatique. Les tempratures qui ne vont pas cesser daugmenter entranent la diminution de lenneigement et la fonte des glaciers. Les rgimes hydrauliques des grands fleuves europens vont se trouver fortement perturbs, ceci une chance annonce de quarante cinquante annes. Ces prcipitations qui tombent aujourdhui sous forme de neige et qui tomberont sous forme de pluie augmenteront le risque dinondations laval en priode hivernale, tandis que la disparition de la masse glaciaire engendrera une baisse consquente des niveaux deau la fin de lt.

Nous devons ainsi dans notre politique de leau prendre en compte les impacts prvisibles du changement climatique luvre. Il sagit non seulement de grer la ressource existante mais galement dagir pour assurer le futur.

17 Les inondations dramatiques de 1910 et 1921 ont entran la construction, ds 1928, de 4 lacs-rservoirs sur les bassins de la Seine et de la Marne, permettant de soutenir les dbits en priode de scheresse en plus de protger lagglomration contres les inondations : lacs du Der-Chantecoq sur la Marne (350 Mm3), dOrient sur la Seine (205 Mm3), Amance et Temple sur lAube (170 Mm3) et Pannecire sur lYonne (80 Mm3).

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

19

A- Le contexte gnral actuel

II- Le cadre lgislatif et rglementaire2.1. Le cadre europenLa majorit des dispositions lgislatives et rglementaires qui encadrent la gestion de leau en France dcoulent de la transcription de directives ou rglements dorigine communautaire. traitement et le rejet des eaux urbaines rsiduaires ainsi que le traitement et le rejet des eaux uses provenant de certains secteurs industriels. Le souci premier de protection de la sant est visible dans les textes suivants. Ainsi la " directive nitrates " du 12 dcembre 1991 impose la lutte contre la pollution des eaux par les nitrates dorigine agricole, dont le seuil limite de 50 milligrammes par litre (mg/l) est le mme dans les rglementations sur les eaux brutes et celle de leau au robinet. Le message de lEurope est clair : cest la prvention qui est la bonne pratique. Un autre exemple illustre cette politique europenne : le niveau des seuils de pesticides dans leau rendre potable a t fix, non pas en fonction des tudes toxicologiques, comme le fait lOrganisation mondiale de la sant (OMS), mais par rapport au seuil de dtection des appareils danalyse. Ce qui est une manire de dire : zro pesticides dans les eaux . Cette norme est le point de dpart du long combat contre la prsence de ces produits dans lenvironnement et de la rglementation relative leur utilisation, dsormais symbolise par le rglement REACH18 de 2006. Ce sont ces directives europennes de 1980, 1991 et la directive cadre de 2000 qui dfinissent les objectifs des services deau et dassainissement des tats-membres.

2.1.1. Une politique europenne volontariste et ambitieuseLa politique europenne de leau, ne dans les annes 1970, est aujourdhui la croise des chemins. LUnion sest fixe des objectifs trs ambitieux de reconqute de la qualit des eaux par tapes successives. Une trentaine de directives et de rglements adopts depuis les annes 1970 font merger la politique europenne de leau qui sinscrit dans le cadre de la co-dcision le Conseil ne pouvant en dcider sans laccord du Parlement. Les diffrentes tapes : La politique europenne de leau est dsormais symbolise par la directive 2000 / 60 / CE du Parlement et du Conseil du 23 octobre 2000, qui tablit un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau (DCE). Elle engage chaque tat-membre dans un objectif de protection et de reconqute de la qualit des eaux et des milieux aquatiques. Cette directive structure l'ensemble de la politique de l'eau jusque l aborde successivement sous des angles divers. Le premier texte adopt en 1975 concernait leau destine la potabilisation, Le second, publi en 1976, concernait les eaux de baignade. Il sagit, pour ces deux textes, de sattaquer aux deux usages de leau les plus directement en rapport avec la sant publique, cet aspect ayant t un facteur important pour ladhsion des tats membres. La directive 91 / 271 / CEE du Conseil, du 21 mai 1991, dite DERU ou encore directive ERU , intresse le

2.1.2. La DCE : de la logique de moyens lobligation de rsultatLa Directive cadre sur leau doctobre 2000 impose aux tats-membres de rtablir un bon tat18

Le systme REACH, mis en place par l'UE en 2006, est un systme intgr denregistrement, dvaluation, dautorisation et de restrictions des substances chimiques et institue une agence europenne des produits chimiques. REACH oblige les entreprises qui fabriquent et importent des substances chimiques valuer les risques rsultant de leur utilisation et prendre les mesures ncessaires pour grer tout risque identifi.

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

20

cologique et chimique de toutes les masses deau de surface, continentales (cours deau, plans deau) et littorales, ainsi que souterraines, dici 2015. Ce bon tat est valu partir de critres de qualit physicochimiques de l'eau, et de critres biologiques19. Il s'agit d'un texte fondamental, la DCE apporte des modifications majeures, tant dans la mthode que dans l'ambition. L'objectif est l'cologie des milieux. C'est une conception radicalement nouvelle par rapport la ligne politique antrieure : dune logique de moyens on passe une obligation de rsultats dont la non atteinte peut tre sanctionne, la demande de la Commission, par la Cour de Justice des communauts europennes (CJCE). Trois novations importantes sont introduites La DCE synthtise et simplifie toutes les directives concernant les eaux continentales et maritimes dj mises en place ainsi que les conventions internationales, souvent dterminantes en matire environnementale (convention OSPAR sur les apports la mer par exemple) ; La politique de l'eau est vue dans une acception large et concerne non seulement les eaux de surface (soit les eaux " naturelles " : rivires, lacs, eaux ctires...), mais galement les eaux fortement modifies ou artificielles (barrages), et les eaux souterraines ; Les objectifs de qualit sont tablis par " masse d'eau ". Il s'agit l encore d'un concept nouveau. La masse d'eau correspond en effet un volume d'eau dont les caractristiques sont communes et sur lesquelles les pressions autre nouveaut conceptuelle qui voque les pressions urbaines, agricoles ou industrielles sont homognes. Ainsi, il peut y avoir des masses d'eau trs importantes (partie d'un fleuve entre une grande zone d'activits et l'estuaire) ou des masses deau trs rduites (tronon de rivire, lac). Lorganisation de la gestion Chaque tat doit recenser ses masses deau, dresser un tat des lieux et, en consquence, mettre en place un plan de gestion avec des objectifs environnementaux ainsi que des programmes de surveillance.

La directive organise la gestion intgre de la ressource en s'appuyant sur plusieurs lments : l'identification des districts hydrographiques comme chelle de gestion, la dsignation d'une autorit comptente pour le district, afin dassurer la coordination et le suivi des mesures, l'tablissement d'un plan de gestion, document de programmation pour le district, qui runit notamment les mesures ncessaires pour atteindre l'objectif. La logique de la gestion par bassin est en outre pleinement mise en uvre, puisque la directive prvoit la dlimitation de districts uniques dans le cas de bassins internationaux et retient l'objectif de l'laboration de plans de gestion uniques pour ces bassins. Autre novation, la participation du public Il faut noter l'importance de l'article 14 qui demande qu'un grand nombre d'informations soient publies et soumises aux observations du public, toutes les tapes de la mise en uvre de la DCE : le calendrier, le programme de travail pour l'laboration des plans de gestion de district hydrographique, une synthse provisoire des questions importantes qui se posent dans le bassin hydrographique, un projet de plan de gestion un an au moins avant le dbut de la priode de rfrence du plan. Une grande attention est traditionnellement porte dans la rglementation communautaire l'accs l'information et la prise en compte des opinions du public. Mais la DCE ne vise pas seulement accorder un bon accs aux documents labors, elle veut garantir la participation active du public la procdure d'laboration du plan de gestion. Ainsi, gage d'une relle transparence voulue par les institutions europennes, un calendrier de mise disposition des documents est impos : des dlais suffisants doivent tre prvus (au minimum 6 mois) afin de permettre la formulation, par crit, des observations sur les documents de rfrence ayant servi l'laboration du projet de plan de gestion.19

Critres de bon tat : se reporter au glossaire

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

21

Une difficult relle rside cependant dans la mise en uvre de la participation : la directive est complexe, la plupart des documents sont techniques et la prise en compte effective d'opinions ne peut que soulever des difficults pratiques (recueil des avis, cho leur donner, etc.).

2.2. Le dispositif lgislatif et rglementaire franaisLa politique de leau en France est dfinie par trois lois-cadres, auxquelles sajoute une lgislation et une rglementation foisonnantes qui rendent malaise une comprhension densemble de la gestion de leau, de ses enjeux et des stratgies dacteurs qui sy dploient. La mise en place de la politique communautaire pse en fait trs fortement sur les dispositions prises au niveau national ces vingt dernires annes, que ce soit au niveau lgislatif ou rglementaire.

besoins en eau lis aux activit humaines. Cest elle qui : pose le principe que l'eau fait partie du patrimoine commun de la Nation , et prcise la rpartition des comptences entre l'tat et chaque niveau de collectivit territoriale (communes, dpartements, rgions). prvoit la mise en place dans chaque bassin ou groupement de bassins d'un schma directeur d'amnagement et de gestion des eaux (SDAGE), complts dans chaque sous-bassin par des schmas d'amnagement et de gestion des eaux (SAGE). transpose dans notre droit la DERU (directive europenne du 21 mai 1991, relative au traitement des eaux rsiduaires urbaines), qui impose aux tats membres la collecte et le traitement des eaux uses pour toutes les agglomrations. - La loi du 30 dcembre 2006 sur leau et les milieux aquatiques (LEMA) transpose la DCE (directive cadre europenne sur leau doctobre 2000) afin de parvenir aux objectifs fixs, notamment : le bon tat des eaux, toutes origines confondues, dici 2015, l'amlioration des conditions daccs leau pour tous, une meilleure transparence dans le fonctionnement du service public de leau, la rnovation de lorganisation de la pche en eau douce. La LEMA a revu en profondeur lorganisation de la gouvernance de leau au niveau national. Elle a : constitutionnalis les redevances des Agences de leau, dsormais au nombre de sept, dont lassiette, le taux et les modalits de recouvrement sont fixs par le lgislateur, rorganis les comptences et le financement des Agences de leau, cr lOffice national de leau et des milieux aquatiques (ONEMA), aux pouvoirs renforcs par rapport ceux du Conseil suprieur de la pche (CSP) quentre autres missions, il a remplac. Les obligations d'origine communautaire ont par ailleurs amen la France prendre de multiples dispositions rglementaires qui ont suscit des investissements consquents.20

2.2.1. Les 3 textes principaux : lois cadre de 1964, 1992 et 2006- La loi cadre du 16 dcembre 1964, relative au rgime et la rpartition des eaux et la lutte contre leur pollution marque son caractre novateur en posant les bases de ce qui est devenu l'cole franaise de gestion de l'eau . Elle s'incarne notamment dans : l'application du principe pollueur-payeur par le biais de structures nouvelles, les Agences de l'eau, la dlimitation de bassins hydrographiques ou bassins versants comme units pertinentes de gestion de la ressource. C'est ainsi la loi de 1964 qui cre, en France mtropolitaine, les six Agences de leau20 associes aux grands bassins hydrographiques. - La loi du 3 janvier 1992 sur l'eau est dj marque par la transposition de directives communautaires et la prise en compte de nouveaux concepts (dveloppement durable, gestion globale, etc.). Son objet est de garantir la gestion quilibre des ressources en eau, prenant en compte les besoins en eau des cosystmes et non plus seulement des

Adour-Garonne, Artois-Picardie, Rhin-Meuse, Loire-Bretagne, Rhne-Mditerrane & Corse, Seine-Normandie

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

22

2.2.2. Le Grenelle EnvironnementOrganis en 2007, il sest agi dun grand dbat national runissant ltat et la socit civile, sorte de dmarche nationale participative faisant appel aux innovations pour tenter de relever les dfis du dveloppement durable. Les conclusions du Grenelle rendues publiques en octobre 2007 ont abouti 268 engagements nationaux en faveur de lenvironnement. En dcembre 2007, 34 comits oprationnels ont t lancs, chacun dentre eux pilot par un parlementaire ou une personnalit reconnue, dont la mission tait de proposer des actions concrtes pour la mise en uvre de ces engagements. Les travaux se sont, pour la plupart, achevs en mai 2008. Le Parlement a alors adopt, entre 2008 et 2010, des textes dans la finalit de traduire lgislativement les engagements du Grenelle : La " loi Grenelle 1 ", promulgue le 3 aot 2009, propose, entre autres, des mesures touchant la biodiversit et les milieux naturels. Elle confirme les dispositions concernant notamment la trame verte et bleue, les agricultures conomes et productives, la dynamisation forestire et la gestion intgre de la mer et du littoral. La volont de stopper la perte de biodiversit est raffirme dans tous ces secteurs. Dans un autre volet, elle dcide de la cration par ltat dun portail environnemental permettant tout internaute daccder aux informations environnementales dtenues par les autorits publiques. La " loi Grenelle 2 ", promulgue le 12 juillet 2010, portant engagement national pour lenvironnement enrichit les articles du Grenelle et dclinent des mesures dans six chantiers majeurs notamment le volet prservation de la biodiversit. Les principales avances pour le bon fonctionnement des cosystmes et la protection des espces et les habitats concernent : - llaboration de la trame verte et bleue, - un tournant vers lagriculture durable en matrisant les produits phytopharmaceutiques et en dveloppant le bio (rduction vise de 50 % de lusage des produits phytosanitaires), - la protection des zones humides et des captages deau potable,

- lencadrement de lassainissement non collectif et la lutte contre les pertes deau dans les rseaux, - la protection de la mer et du littoral.

2.2.3. De nombreuses dispositions concernent la gestion dlgue ct de cet ensemble de dispositions sur le fond, d'inspiration communautaire, une lgislation toute nationale s'est intresse aux modalits de la gestion du service public d'eau et d'assainissement (SPEA) dans le cadre du territoire national afin d'en amliorer les procdures et la transparence. Nombre de celles-ci concerne la dlgation de service public (DSP). La Loi Sapin du 29 janvier 1993, relative la prvention de la corruption et la transparence de la vie conomique et des procdures publiques , organise la publicit ainsi que les conditions de mise en concurrence et dexamen des offres. La loi Barnier du 2 fvrier 1995, relative au renforcement de la protection de l'environnement , encadre la dure des contrats 20 ans, interdit le versement de droits dentre, et institue le rapport annuel du maire. La loi Mazeaud-Seguin du 8 fvrier 1995, relative aux marchs publics et dlgations de service public , institue notamment le rapport du dlgataire et le contrle de ses comptes par les chambres rgionales des Comptes (CRC). La loi du 27 fvrier 2002, relative la dmocratie de proximit , introduit la participation des usagers de leau au travers de la commission consultative des services publics locaux (CCSPL).

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

23

A- Le contexte gnral actuel

III- point d'tape sur la mise en uvre de la politique communautaireLa mise en uvre de cette politique communautaire ambitieuse se traduit par des phases de prparation laborieuses et des dlais de ralisation trs longs. Ainsi, la directive ERU, Eaux rsiduaires urbaines , a t mise ltude partir de 1987, adopte en 1991, et fixait pour les dlais les plus longs un objectif de respect pour 2005. La DCE, adopte en octobre 2000, qui vise un bon tat cologique des eaux des rivires, des lacs, des estuaires, de surface ou souterraines en 2015, trouve sa source dans un rapport du Parlement europen soulignant le manque de cohrence de la politique communautaire de leau qui date de 1995. Cette notion de temps long est partag au niveau des tats-membres. La DCE a contribu faire merger une dynamique nouvelle. Les rapports dinformation sur ltat des eaux ont gnralement t transmis temps la Commission, de nouvelles mthodes de travail communes se sont faites jour : approche par bassins hydrographiques pour une coordination inter-tats, participation du public, mobilisation des donnes et transparence. Les pays qui risquent de ne pas atteindre lobjectif de bon tat en 2015 apportent trs souvent des rponses rglementaires court terme se rfrant une demande sociale engendre par des vnements plus ou moins spectaculaires : scheresses, inondations, polmique sur une pollution, alors mme que la politique de leau construite autour des directives europennes est dune autre nature. Il nen demeure pas moins que lon peut aujourdhui mesurer un cart de performances en matire dassainissement de prs de 20 points entre un groupe de tte constitu par lAllemagne, le Danemark et lAutriche, et les pays du sud tels que lItalie, lEspagne ou la France. Pour ce qui est des infractions et des contentieux relatifs lensemble des directives sur leau, l encore des pays comme le Danemark, la Sude et lAutriche sont exemplaires, linverse de la France, du Portugal, du RoyaumeUni et de lEspagne qui font figure de mauvais lves. Le premier groupe dtats bnficie de circonstances gographiques ou climatiques favorables ; les seconds ont prouv des difficults lors de la transcription en droit national des textes europens. Le bilan global des efforts consentis pour la protection de leau apparat ainsi mitig. Dans sa communication sur la premire tape de la mise en uvre de la DCE, publie le 22 mars 2007,

3.1. Retards et insuffisance des moyens mis en uvre par les tats-membresLa situation actuelle des eaux communautaires est plus grave que prvue, puisqu'il est estim que 40 % des eaux de surface risquent de ne pas atteindre le bon tat, que 30 % seulement pourraient y parvenir, et que lon manque dinformations suffisantes pour les masses deau restantes. Les causes essentielles de ce mauvais tat sont lies aux pollutions diffuses, aux modifications physiques et la surexploitation des ressources. Les tats membres qui avaient prcdemment mis en place les directives de moyens, telles que la DERU, la directive nitrates ou les directives sur les limitations des missions industrielles, ont commenc rsoudre une partie de leurs problmes. En revanche les douze nouveaux tats membres demeurent confronts des pollutions ponctuelles quils ne matrisent pas.

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

24

la Commission estimait que latteinte de lobjectif du bon tat cologique des eaux dici 2015 est possible, mais considrait galement que les tats doivent faire plus . Cest tout particulirement la qualit de la transposition juridique qui, selon les termes de la Commission, laisse dsirer . La Commission considre que pas moins de dix-neuf tats membres ont une lgislation qui prsente de graves lacunes et que la directive n'a pas t transpose dans son intgralit. Elle a ainsi engag une action judiciaire leur encontre. La Cour de Justice des Communauts europennes (CJCE) est en effet comptente pour dclarer quun tat na pas respect ses obligations en ne transposant pas une directive dans le dlai imparti. Dclarer , le terme est prcis car le premier arrt de la cour na pas de consquences pratiques ; ce nest que si ltat nexcute pas cet arrt que la Cour, saisie nouveau par la Commission, peut alors prononcer une sanction pcuniaire21. Les tats membres ont aussi du retard en matire dintroduction dinstruments conomiques dans les systmes de gestion de leau. La Commission a galement publi un rapport sur lapplication de la directive ERU. Il apparat que seulement 51 % des stations dpuration de lUnion europenne, avant llargissement de 2004, sont aux normes. Un autre rapport concerne la directive nitrates, qui vise rduire et prvenir la pollution agricole des eaux par ces substances. Son application reste incomplte dans plusieurs tats, et les profils de pollution varient considrablement travers lUnion. Les excs de nitrates les plus importants ont t constats aux Pays-Bas et en Belgique, ainsi quen France et en Allemagne (Basse-Saxe). Mais le cadre danalyse communautaire est globalement construit dans une perspective de pays dEurope du Nord et ne tient pas compte de la spcificit des pays faible densit dhabitat, comme la France, lEspagne, le Portugal, la Finlande et la Sude. Ainsi la France compte-t-elle plus de 17 700 stations dpuration (STEP) alors que

leur nombre aux Pays-Bas nexcde pas 450. Ces STEP hollandaises sont grandes, recourent la technologie des boues actives et sont conformes aux prescriptions europennes, alors que la France compte aussi plus de 5 millions et demi de fosses septiques appartenant des particuliers qui ne sont pas raccordes au rseau. Ces diffrences ne concourent videmment pas faciliter la mise en uvre de rfrentiels communs. Ainsi, si la DCE marque diverses avances (participation du public, planification de la gestion de l'eau, prise en compte de la dimension conomique, etc.), un certain nombre de questions demeurent. Car le texte final, fruit d'un difficile consensus, ne peut satisfaire toutes les parties concernes. Une interrogation fondamentale concerne l'approche uniforme retenue. Les mmes obligations s'appliquent dans toute l'Union, sur tous les districts, et les mmes procdures devront tre mises en uvre. Mais compte tenu de la diversit de milieux existant au sein de l'Union, de la multiplicit des pressions d'un bassin l'autre, de la varit des enjeux, des diffrences hydrologiques ou encore des influences plus ou moins marques de particularits gographiques, une approche unique parat discutable. On se heurte ici une difficult courante, celle de prendre en compte dans un texte communautaire les particularits locales. On peut aussi souligner parmi les points qui font dbat : - l'exclusion des eaux marines ; - la difficult de l'apprciation homogne (et normalise) de la qualit cologique des eaux l'chelle europenne ; - les passerelles avec les politiques sectorielles fort impact potentiel sur l'eau : si les rejets industriels sont viss, les aspects agricoles ont t peu ou prou oublis ; - enfin quen est-il du rle qui pourra tre donn l'approche conomique : outil d'aide la dcision ou instrument permettant d'imposer des orientations ?

21 Si les rsultats ne sont pas atteints, lchec peut entraner de lourdes sanctions communautaires, soit des amendes qui peuvent atteindre des dizaines, voire des centaines de millions deuros.

L'Eau, Bien public, Bien commun pour une gestion dmocratique et durable / Le Laboratoire des ides / Juin 2011

25

Ces politiques volontaristes de lUnion Europenne sont ainsi plus ou moins couronnes de succs et dsormais confrontes des dfis majeurs. Les objectifs fixs par lUnion serontils atteints ? Quel sera limpact du rchauffement climatique sur les politiques de leau ? Comment rduire les ingalits daccs qui demeurent dans lespace europen ? Quel avenir pour le service public de leau en Europe ? Comment accrotre une indispensable solidarit Nord-Sud en matire daccs leau ? Autant denjeux susceptibles dentraner de considrables inflexions de la politique europenne de leau, et dont limpact excde trs largement sa dfinition strictement sectorielle.

Des drogations lobjectif datteinte du bon tat dici 2015 sont possibles sous rserve de justifications. La DCE a instaur une dmarche pragmatique de progrs, par cycles de gestion de six annes 2009 - 2015, 2015 - 2021, 2021 - 2027... En mars 2010, la France rendait compte la Commission europenne de la mise en uvre de la DCE, les donnes transmises incluant une valuation de ltat des eaux en 2009, laffectation chaque masse deau dun objectif, et une estimation dtaille par bassin du cot des actions ncessaires pour latteinte de ces objectifs. Sur lobjectif du bon tat des masses deaux de surface, la France prsente un bilan 2009 de 45 % conformes (tat cologique et tat chimique) et assure que les deux tiers le seront dici 2015. Ce qui corrobore l'objectif ambit