la lettre volee

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LACAN

La lettre vole

1955

Ce document de travail a pour sources principales:

Le sminaire sur la lettre vole, in la revue La Psychanalyse n2, P.U.F. 1956, pp. 1-44.

Le sminaire sur la lettre vole, sur le site de lE.L.P. (1956-08-15).

Ce qui sinscrit entre crochets droits [ ] nest pas de Jacques LACAN.

Les rfrences bibliographiques privilgient les ditions les plus rcentes.

Les schmas sont refaits.

N.B.

Ce qui sinscrit entre crochets droits [ ] nest pas de Jacques LACAN.

LE SMINAIRE SUR LA LETTRE VOLE

introduction

La leon de notre Sminaire que nous donnons ici rdige fut prononce le 26 Avril 1955.

Elle est un moment du commentaire que nous avons consacr, toute cette anne scolaire,

lAudel du principe de plaisir.

On sait que cest luvre de Freud que beaucoup de ceux qui sautorisent du titre de psychanalyste, nhsitent pas rejeter comme une spculation superflue, voire hasarde, et lon peut mesurer

lantinomie par excellence quest la notion dinstinct de mort o elle se rsout,

quel point elle peut tre impensable quon nous passe le mot pour la plupart.

Il est pourtant difficile de tenir pour une excursion, moins encore pour un fauxpas, de la doctrine freudienne, luvre qui y prlude prcisment la nouvelle topique, celle que reprsentent les termes de moi, de a et de surmoi, devenus aussi prvalents dans lusage thoricien que dans sa diffusion populaire. Cette simple apprhension se confirme pntrer les motivations qui articulent ladite spculation la rvision thorique dont elle savre tre constituante.

Un tel procs ne laisse pas de doute sur labtardissement, voire le contresens, qui frappe lusage prsent desdits termes, dj manifeste en ce quil est parfaitement quivalent du thoricien

au vulgaire.

Cest l sans doute ce qui justifie le propos avou par tels pigones de trouver en ces termes

le truchement par o faire rentrer lexprience de la psychanalyse dans ce quils appellent

la psychologie gnrale.

Posons seulement ici quelques jalons.

Lautomatisme de rptition, Wiederholungszwang

bien que la notion sen prsente dans luvre ici en cause, comme destine rpondre

certains paradoxes de la clinique, tels que les rves de la nvrose traumatique

o la raction thrapeutique ngative

ne saurait tre conu comme un rajout, ftil mme couronnant, ldifice doctrinal.

Cest sa dcouverte inaugurale que Freud y raffirme: savoir la conception de la mmoire quimplique son inconscient. Les faits nouveaux sont ici loccasion pour lui de la restructurer de faon plus rigoureuse en lui donnant une forme gnralise, mais aussi de rouvrir

sa problmatique contre la dgradation, qui se faisait sentir ds alors, den prendre les effets

pour un simple donn.

Ce qui ici se rnove, dj sarticulait dans le projet [footnoteRef:1] o sa divination traait les avenues [1: 1 Il sagit de lEntwurf einer Psychologie de 1895 qui contrairement aux fameuses lettres Fliess auxquelles il est joint, comme il lui tait adress, na pas t censur par ses diteurs. Certaines fautes dans la lecture du manuscrit que porte ldition allemande, tmoignent mme du peu dattention port son sens. II est clair que nous ne faisons dans ce passage que ponctuer une position, dgage dans notre sminaire.]

par o devait le faire passer sa recherche: le systme , prdcesseur de linconscient,

y manifeste son originalit, de ne pouvoir se satisfaire que de retrouver lobjet foncirement perdu.

Cest ainsi que Freud se situe ds le principe dans lopposition, dont Kierkegaard nous a instruit, concernant la notion de lexistence selon quelle se fonde sur la rminiscence ou sur la rptition.

Si Kierkegaard y discerne admirablement la diffrence de la conception antique et moderne de lhomme, il apparat que Freud fait faire cette dernire son pas dcisif en ravissant lagent humain identifi la conscience, la ncessit incluse dans cette rptition.

Cette rptition tant rptition symbolique, il sy avre que lordre du symbole

ne peut plus tre conu comme constitu par lhomme, mais comme le constituant.

Cest ainsi que nous nous sommes senti mis en demeure dexercer vritablement nos auditeurs la notion de la remmoration quimplique luvre de Freud: ceci dans la considration trop prouve qu la laisser implicite, les donnes mmes de lanalyse flottent dans lair.

Cest parce que Freud ne cde pas sur loriginal de son exprience que nous le voyons contraint

dy voquer un lment qui la gouverne daudel de la vie et quil appelle linstinct de mort.

Lindication que Freud donne ici ses suivants se disant tels ne peut scandaliser

que ceux chez qui le sommeil de la raison sentretient selon la formule lapidaire de Goya

des monstres quil engendre.

Car pour ne pas dchoir son accoutume, Freud ne nous livre sa notion quaccompagne dun exemple qui ici va mettre nu de faon blouissante la formalisation fondamentale quelle dsigne.

Ce jeu par o lenfant sexerce faire disparatre de sa vue, pour ly ramener, puis loblitrer

nouveau, un objet, au reste indiffrent de sa nature, cependant quil module cette alternance

de syllabes distinctives, ce jeu, dironsnous, manifeste en ses traits radicaux la dtermination

que lanimal humain reoit de lordre symbolique.

Lhomme littralement dvoue son temps dployer lalternative structurale o la prsence

et labsence prennent lune de lautre leur appel. Cest au moment de leur conjonction essentielle,

et pour ainsi dire, au point zro du dsir, que lobjet humain tombe sous le coup de la saisie,

qui, annulant sa proprit naturelle, lasservit dsormais aux conditions du symbole.

vrai dire, il ny a l quun aperu illuminant de lentre de lindividu dans un ordre dont

la masse le supporte et laccueille sous la forme du langage, et surimpose dans la diachronie

comme dans la synchronie la dtermination du signifiant celle du signifi.

On peut saisir son mergence mme cette surdtermination qui est la seule dont il sagisse

dans laperception freudienne de la fonction symbolique.

La simple connotation par (+) et () dune srie jouant sur la seule alternative fondamentale de la prsence et de labsence, permet de dmontrer comment les plus strictes dterminations symboliques saccommodent dune succession de coups dont la ralit se rpartit strictement au hasard.

Il suffit en effet de symboliser dans la diachronie dune telle srie les groupes de trois

qui se concluent avec chaque signe, en les dfinissant synchroniquement par exemple par la symtrie

de la constance (+++, ) note par (1),

ou de lalternance (+ +, +) note par (3),

rservant la notation (2) la dissymtrie rvle par limpair [footnoteRef:2] sous la forme du groupe [2: Laquelle est proprement celle qui runit les emplois du mot anglais sans quivalent que nous connaissions dans une autre langue: odd. Lusage franais du mot impair pour dsigner une aberration de la conduite, en montre lamorce; mais le mot: disparate, lui-mme sy avre insuffisant.]

de deux signes semblables indiffremment prcds ou suivis du signe contraire (+ , + +, + +, +)

pour quapparaissent, dans la nouvelle srie ainsi constitue, des possibilits et des impossibilits

de succession que le rseau suivant rsume en mme temps quil manifeste la symtrie concentrique dont est grosse la triade,cestdire remarquonsle la structure mme quoi doit se rfrer

la question toujours rouverte par les anthropologues, du caractre foncier ou apparent

du dualisme des organisations symboliques [footnoteRef:3]. Voici ce rseau [footnoteRef:4]: [3: Cf. sa reprise renouvelante par Claude Lvi-Strauss dans son article: Les organisations dualistes existent-elles ?, in Bijdragen tot de taal-land-en-volkenkunde, Deel 112, 2e aflevering, Gravenhage, 1956, pp. 99-128. ] [4: Cf. Agns Sofiyana: La coupure et la Loi, introduction au sminaire sur La Lettre vole, dont sont repris les ajouts qui suivent.]

Dans la srie des symboles (1), (2), (3) par exemple, on peut constater quaussi longtemps que dure une succession uniforme de (2) qui a commenc aprs un (1), la srie se souviendra du rang pair ou impair de chacun de ces (2), puisque de ce rang dpend que cette squence ne puisse

se rompre que par un (1) aprs un nombre pair de (2), ou par un (3) aprs un nombre impair.

+

+

+

-

-

+

+

+

.

.

1

2

2

2

2

1

-

-

-

+

+

-

-

-

.

.

1

2

2

2

2

1

+

+

+

-

-

+

+

-

+

.

.

1

2

2

2

2

2

3

-

-

-

+

+

-

-

+

-

.

.

1

2

2

2

2

2

3

Ainsi ds la premire composition avec soimme du symbole primordial

et nous indiquerons que ce nest pas arbitrairement que nous lavons propose telle

une structure, toute transparente quelle reste encore ses donnes,

fait apparatre la liaison essentielle de la mmoire la loi.

Mais nous allons voir la fois comment sopacifie la dtermination symbolique en mme temps

que se rvle la nature du signifiant, seulement rappliquer le groupement par trois

la srie trois termes pour y dfinir une relation quadratique.

La seule considration du rseau 13 [supra] suffit en effet montrer qu y poser les deux extrmes

dun groupe de trois, selon les termes dont il fixe la succession, le moyen sera dtermin de faon univoque, autrement dit que ledit groupe sera suffisamment dfini par ses deux extrmes.

Posons alors que ces extrmes: (1) et (3) dans le groupe [(1) (2) (3)] par exemple, sils conjoignent par leur symbole:

une symtrie une symtrie [(1) (1) [1,1,1], (3) (3) [3,3,3], (1) (3) [1,2,3], (3) (1) [3,2,1]], feront noter le groupe quils dfinissent par ,

une dissymtrie une dissymtrie [(2) (2) [(2,3,2), (2,1,2) et 2 cas (2,2,2): en haut et en bas du graphe]], feront noter le groupe quils dfinissent par ,

mais qu lencontre de notre premire symbolisation, cest de deux signes, et , que disposeront les conjonctions croises:

par exemple notant celle de la symtrie la dissymtrie

[(1) (2) [(1,1,2) et (1,2,2)], (3) (2) [(3,3,2) et (3,2,2)]],

et celle de la dissymtrie la symtrie [(2) (1) [(2,3,3), (2,2,2)] , (2) (3) [(2,1,1), (2,2,3)]].

+

+

+

-

+

-

-

+

-

+

+

-

-

-

+

-

-

-

-

.

.

1

2

3

3

2

2

3

3

2

2

2

1

2

3

2

1

1

.

.

.

.

On va constater alors que, bien que cette convention restaure une stricte galit de chances combinatoires entre quatre symboles , , ,

contrairement lambigut cumulative qui faisait quivaloir aux chances

des deux autres celles du symbole (2) de la convention prcdente

il nen reste pas moins que des liaisons quon peut dire dj proprement syntaxiques

entre , , , , dterminent des possibilits de rpartition absolument dissymtriques

entre et dune part, et de lautre.

tant reconnu en effet quun quelconque de ces termes peut succder immdiatement nimporte lequel des autres, et pouvant galement tre atteint au 4e temps compt partir de lun deux,

il savre lencontre que le temps troisime, autrement dit la conjonction des signes de 2 en 2, obit une loi dexclusion qui veut qu partir dun ou dun on ne puisse obtenir quun

ou un et qu partir dun ou dun on ne puisse obtenir quun ou un .

Ce qui peut scrire sous la forme suivante:

o les symboles compatibles du 1er au 3e temps se rpondent selon ltagement horizontal

qui les divise dans le rpartitoire, tandis que leur choix est indiffrent au 2e temps.

Que la liaison ici apparue ne soit rien de moins que la formalisation la plus simple de lchange, cest ce qui nous confirme son intrt anthropologique. Nous ne ferons quindiquer ce niveau

sa valeur constituante pour une subjectivit primordiale, dont nous situerons plus loin la notion.

La liaison, compte tenu de son orientation, est en effet rciproque, autrement dit,

elle nest pas rversible, mais elle est rtroactive.

Cest ainsi qu fixer le terme du 4e temps, celui du 2e ne sera pas indiffrent.

On peut dmontrer qu connatre le 1er et le 4e terme dune srie,

il y aura toujours un terme dont la possibilit sera exclue des deux termes intermdiaires.

Ce terme est dsign dans les deux tableaux et O [footnoteRef:5]: [5: Ces deux lettres rpondent respectivement la dextrogyrie et la lvogyrie dun autre mode de figuration des termes exclus.]

dont la premire ligne permet de reprer entre les deux tableaux la combinaison cherche

du 1er au 4e temps, la lettre qui lui correspond dans la deuxime ligne tant celle du terme

que cette combinaison exclut au 2e et 3e temps.

Ceci pourrait snoncer sous cette forme quil est une part dtermine de mon avenir,

laquelle sinsre entre

un futur immdiat qui en de delle,

et un futur loign qui au-del

qui sont dans une indtermination apparente, mais quil suffit que mon projet dtermine

ce futur loign pour que mon futur immdiat devenant futur antrieur et se conjoignant

la dtermination venir de mon pass, ceci exclue [subjonctif] de lintervalle qui me spare

de la ralisation de mon projet le quart des possibilits signifiantes o ce projet se situe.

Ce caput mortuum du signifiant [footnoteRef:6] peut tre considr comme caractristique de tout parcours subjectif. [6: Le tableau (supra) restitue les 64 combinaisons possibles (43). Avec les impossibles le total serait de 256 (44), les impossibles (caput mortuum) reprsentent donc les du total. [Caput mortuum (alchimie): rsidu dont on ne peut rien tirer.] ]

Mais cest lordre de la dtermination signifiante qui permet de situer justement celui

dune subjectivit, que lon confond ordinairement et tort avec sa relation au rel.

Pour cela, il nest pas mauvais de sattarder des consquences qui peuvent se dduire facilement de nos premires formules, savoir par exemple que si, dans une chane d,,,, on peut rencontrer deux qui se succdent, cest toujours soit directement ( ) ou aprs interposition

dun nombre dailleurs indfini de couples ( ), mais quaprs le second

nul nouveau ne peut apparatre dans la chane avant que ne sy soit produit.

Cependant, la succession susdfinie de deux ne peut se reproduire, sans quun second

ne sajoute au premier dans une liaison quivalente (au renversement prs du couple en )

celle qui simpose aux deux .

Do rsulte immdiatement la dissymtrie que nous annoncions plus haut dans la probabilit dapparition des diffrents symboles de la chane.

Tandis que les et les en effet peuvent par une srie heureuse du hasard se rpter jusqu couvrir la chane tout entire, il est exclu, mme par les chances les plus favorables que et puissent augmenter leur proportion sinon de faon strictement quivalente un terme prs,

ce qui limite 50% le maximum de leur frquence possible.

La probabilit de la combinaison de coups que supposent les et les tant quivalente celle

que supposent les et les et le tirage rel des coups tant dautre part laiss strictement au hasard, on voit donc se dtacher du rel une dtermination symbolique qui, pour tre celle mme o peut senregistrer toute partialit du rel, lui est prexistante dans sa disparit singulire.

Disparit manifestable de plus dune faon simplement considrer le contraste structural

des deux tableaux et O, cestdire le caractre direct ou crois des exclusions

selon le tableau auquel appartient la liaison des extrmes.

Cest ainsi quon constate que si les deux couples intermdiaire et extrme peuvent tre identiques si le dernier sinscrit dans le tableau O (tels , , , , , , , voire , qui sont possibles), ils ne peuvent ltre si le dernier sinscrit dans le sens (, , , , , , , impossibles, et bien entendu , cf. plus haut).

Autre exemple de la dtermination symbolique, dont le caractre rcratif ne doit pas nous garer.

Car il ny a pas dautre lien que celui de cette dtermination symbolique o puisse se situer cette surdtermination signifiante dont Freud nous apporte la notion, et qui na jamais pu tre conue comme une surdtermination relle dans un esprit comme le sien, dont tout contredit quil sabandonne cette aberration conceptuelle o philosophes et mdecins trouvent trop facilement

calmer leurs chauffements religieux.

Cette position de lautonomie du symbolique est la seule qui permette de dgager de ses quivoques la thorie et la pratique de lassociation libre en psychanalyse.

Car cest tout autre chose den rapporter le ressort la dtermination symbolique et ses lois, quaux prsupposs scolastiques dune inertie imaginaire qui la supportent dans lassociationnisme, philosophique ou pseudotel avant de se prtendre exprimental.

Den avoir abandonn lexamen, les psychanalystes trouvent ici un point dappel de plus

pour la confusion psychologisante o ils retombent sans cesse, certains de propos dlibr.

En fait seuls les exemples de conservation, indfinie dans leur suspension, des exigences de

la chane symbolique, tels que ceux que nous venons de donner, permettent de concevoir o se situe le dsir inconscient dans sa persistance indestructible, laquelle, pour paradoxale quelle paraisse dans la doctrine freudienne, nen est pas moins un des traits qui y sont le plus affirms.

Ce caractre est en tout cas incommensurable avec aucun des effets connus en psychologie authentiquement exprimentale, et qui, quels que soient les dlais ou retards quoi ils soient sujets, viennent comme toute raction vitale samortir et steindre.

Cest prcisment la question laquelle Freud revient une fois de plus dans lAudel du principe de plaisir, et pour marquer que linsistance o nous avons trouv le caractre essentiel

des phnomnes de lautomatisme de rptition, ne lui parat pouvoir trouver de motivation

que pr-vitale et trans-biologique.

Cette conclusion peut surprendre, mais elle est de Freud parlant de ce dont il est le premier avoir parl. Et il faut tre sourd pour ne pas lentendre. On ne pensera pas que sous sa plume il sagisse dun recours spiritualiste: cest de la structure de la dtermination quil est ici question.

La matire quelle dplace en ses effets, dpasse de beaucoup en tendue celle de lorganisation crbrale, aux vicissitudes de laquelle certains dentre eux sont confis, mais les autres

ne restent pas moins actifs et structurs comme symboliques, de se matrialiser autrement.

Cest ainsi que si lhomme vient penser lordre symbolique, cest quil y est dabord pris dans son tre. Lillusion quil lait form par sa conscience, provient de ce que cest par la voie dune bance spcifique de sa relation imaginaire son semblable, quil a pu entrer dans cet ordre comme sujet.

Mais il na pu faire cette entre que par le dfil radical de la parole, soit le mme dont nous avons reconnu dans le jeu de lenfant un moment gntique, mais qui, dans sa forme complte,

se reproduit chaque fois que le sujet sadresse lAutre comme absolu, cestdire comme lAutre qui peut lannuler luimme, de la mme faon quil peut en agir avec lui, cestdire en se faisant objet pour le tromper. Cette dialectique de lintersubjectivit, dont nous avons dmontr lusage ncessaire travers les trois ans passs de notre sminaire SainteAnne, depuis la thorie du transfert jusqu la structure de la paranoa, sappuie volontiers du schma suivant:

dsormais familier nos lves et o les deux termes moyens reprsentent le couple

de rciproque objectivation imaginaire que nous avons dgag dans le stade du miroir.

La relation spculaire lautre

par o nous avons voulu dabord en effet redonner sa position dominante

dans la fonction du moi la thorie cruciale dans Freud du narcissisme

ne peut rduire sa subordination effective toute la fantasmatisation mise au jour

par lexprience analytique, qu sinterposer, comme lexprime le schma,

entre cet en de du Sujet et cet audel de lAutre, o linsre en effet la parole,

en tant que les existences qui se fondent en celleci sont tout entires la merci de sa foi.

Cest davoir confondu ces deux couples que les lgataires dune praxis et dun enseignement qui a aussi dcisivement tranch quon peut le lire dans Freud, de la nature foncirement narcissique

de toute namoration (Verliebtheit), ont pu diviniser la chimre de lamour dit gnital

au point de lui attribuer la vertu doblativit, do sont issus tant de fourvoiements thrapeutiques.

Mais de supprimer simplement toute rfrence aux ples symboliques de lintersubjectivit

pour rduire la cure une utopique rectification du couple imaginaire, nous en sommes maintenant

une pratique o, sous le pavillon de la relation dobjet, se consomme ce qui chez tout homme

de bonne foi ne peut que susciter le sentiment de labjection.

Cest l ce qui justifie la vritable gymnastique du registre intersubjectif

que constituent tels des exercices auxquels notre sminaire a pu paratre sattarder.

La parent de la relation entre les termes du schma L et de celle qui unit les 4 temps plus haut distingus dans la srie oriente o nous voyons la premire forme acheve dune chane symbolique, ne peut manquer de frapper, ds quon en fait le rapprochement.

Nous allons y trouver une analogie plus frappante encore, en retrouvant dans La lettre vole, comme telle, le caractre dcisif de ce que nous avons appel le caput mortuum du signifiant.

Mais nous nen sommes en ce moment qu la lance dune arche dont les annes seulement maonneront le pont. Cest ainsi que pour dmontrer nos auditeurs ce qui distingue de la relation duelle implique dans la notion de projection, une intersubjectivit vritable, nous nous tions dj servi du raisonnement rapport par Poe luimme avec faveur dans lhistoire qui sera le sujet

du prsent sminaire, comme celui qui guidait un prtendu enfant prodige pour le faire gagner

plus qu son tour au jeu de pair ou impair.

Il faut suivre ce raisonnement

enfantin, cest le cas de le dire, mais qui en dautres lieux sduit plus dun

saisir le point o sen dnonce le leurre.

Ici le sujet est linterrog: il rpond la question de deviner si les objets que son adversaire cache en sa main sont en nombre pair ou impair. Aprs un coup gagn ou perdu pour moi, nous dit

en substance le garon, je sais que si mon adversaire est un simple, sa ruse nira pas plus loin

qu changer de tableau pour sa mise, mais que sil est dun degr plus fin, il lui viendra lesprit que cest ce dont je vais maviser et que ds lors il convient quil joue sur le mme.

Cest donc lobjectivation du degr plus ou moins pouss de la frisure crbrale de son adversaire que lenfant sen remettait pour obtenir ses succs. Point de vue dont le lien avec lidentification imaginaire est aussitt manifest par le fait que cest par une imitation interne de ses attitudes

et de sa mimique quil prtend obtenir la juste apprciation de son objet.

Mais quen peutil tre au degr suivant quand ladversaire, ayant reconnu que je suis assez intelligent pour le suivre dans ce mouvement, manifestera sa propre intelligence sapercevoir

que cest faire lidiot quil a sa chance de me tromper.

De ce moment il ny a pas dautre temps valable du raisonnement,

prcisment parce quil ne peut ds lors que se rpter en une oscillation indfinie.

Et hors le cas dimbcillit pure, o le raisonnement paraissait se fonder objectivement, lenfant ne peut faire que de penser que son adversaire arrive la bute de ce troisime temps, puisquil lui a permis le deuxime, par o il est luimme considr par son adversaire comme un sujet qui lobjective, car il est vrai quil soit ce sujet, et ds lors le voil pris avec lui dans limpasse que comporte toute intersubjectivit purement duelle, celle dtre sans recours contre un Autre absolu.

Remarquons en passant le rle vanouissant que joue lintelligence dans la constitution du temps deuxime o la dialectique se dtache des contingences du donn, et quil suffit que je limpute

mon adversaire pour que sa fonction soit inutile puisqu partir de l

elle rentre dans ces contingences.

Nous ne dirons pas cependant que la voie de lidentification imaginaire ladversaire linstant

de chacun des coups, soit une voie davance condamne; nous dirons quelle exclut le procs proprement symbolique qui apparat ds que cette identification se fait, non pas ladversaire,

mais son raisonnement quelle articule (diffrence au reste qui snonce dans le texte).

Le fait prouve dailleurs quune telle identification purement imaginaire choue dans lensemble.

Ds lors le recours de chaque joueur, sil raisonne, ne peut se trouver quau-del de la relation duelle, cestdire dans quelque loi qui prside la succession des coups qui me sont proposs.

Et cest si vrai que si cest moi qui donne le coup deviner, cestdire qui suis le sujet actif,

mon effort chaque instant sera de suggrer ladversaire lexistence dune loi qui prside une certaine rgularit de mes coups, pour lui en drober le plus de fois possible par sa rupture la saisie.

Plus cette dmarche arrivera se rendre libre de ce qui sbauche malgr moi de rgularit relle, plus elle aura effectivement de succs, et cest pourquoi un [ Octave Mannoni ] de ceux qui ont particip une des preuves de ce jeu que nous navons pas hsit faire passer au rang de travaux pratiques, a avou qu un moment o il avait le sentiment, fond ou non, dtre trop souvent perc jour,

il sen tait dlivr en se rglant sur la succession conventionnellement transpose des lettres

dun vers de Mallarm pour la suite des coups quil allait proposer ds lors son adversaire.

Mais si le jeu et dur le temps de tout un pome et si par miracle ladversaire et pu reconnatre celuici, il aurait alors gagn tout coup.

Cest ce qui nous a permis de dire que si linconscient existe au sens de Freud, nous voulons dire: si nous entendons les implications de la leon quil tire des expriences de la psychopathologie

de la vie quotidienne par exemple, il nest pas impensable quune moderne machine calculer,

en dgageant la phrase qui module son insu et long terme les choix dun sujet,

narrive gagner au-del de toute proportion accoutume au jeu de pair et impair.

Pur paradoxe sans doute, mais o sexprime que ce nest pas pour le dfaut dune vertu qui serait celle de la conscience humaine, que nous refusons de qualifier de machine penser celle qui nous accorderions de si mirifiques performances, mais simplement parce quelle ne penserait pas plus

que ne fait lhomme en son statut commun sans en tre pour autant moins en proie

aux appels du signifiant.

Aussi bien la possibilit ainsi suggre atelle eu lintrt de nous faire entendre leffet de dsarroi, voire dangoisse, que certains en prouvrent et dont ils voulurent bien nous faire part.

Raction sur laquelle on peut ironiser, venant danalystes dont toute la technique repose sur la dtermination inconsciente que lon y accorde lassociation dite libre, et qui peuvent lire en toutes lettres, dans louvrage de Freud que nous venons de citer, quun chiffre nest jamais choisi

au hasard.

Mais raction fonde si lon songe que rien ne leur a appris se dtacher de lopinion commune

en distinguant ce quelle ignore: savoir la nature de la surdtermination freudienne,

cestdire de la dtermination symbolique telle que nous la promouvons ici.

Si cette surdtermination devait tre prise pour relle, comme le leur suggrait mon exemple pour ce quils confondent comme tout un chacun les calculs de la machine avec son mcanisme[footnoteRef:7], [7: Cest pour essayer de dissiper cette illusion que nous avons clos le cycle de cette anne-l par une confrence sur Psychanalyse et cyberntique, qui a du beaucoup de monde, du fait que nous ny ayons gure parl que de la numration binaire, du triangle arithmtique, voire de la simple porte, dfinie par ce quil faut quelle soit ouverte ou ferme, bref, que nous nayons pas paru nous tre lev beaucoup au-dessus de ltape pascalienne de la question.]

alors en effet leur angoisse se justifierait, car en un geste plus sinistre que de toucher la hache,

nous serions celui qui la porte sur les lois du hasard, et en bons dterministes que sont en effet ceux que ce geste a tant mus, ils sentent, et avec raison, que si lon touche ces lois, il ny en a plus aucune de concevable.

Mais ces lois sont prcisment celles de la dtermination symbolique.

Car il est clair quelles sont antrieures toute constatation relle du hasard, comme il se voit que cest daprs son obissance ces lois, quon juge si un objet est propre ou non tre utilis pour obtenir une srie, dans ce cas toujours symbolique, de coups de hasard: qualifier par exemple pour cette fonction une pice de monnaie ou cet objet admirablement dnomm d.

Pass ce stage, il nous fallait illustrer dune faon concrte la dominance que nous affirmons du signifiant sur le sujet. Si cest l une vrit, elle gt partout, et nous devions pouvoir de nimporte quel point la porte de notre perce, la faire jaillir comme le vin dans la taverne dAuerbach.[footnoteRef:8] [8: Cf. Goethe, Faust: la taverne dAuerbach o Mephistopheles fait surgir des vins (Champagne, Tokay) du bois de la table.]

Cest ainsi que nous prmes le conte mme dont nous avions extrait, sans y voir dabord plus loin, le raisonnement litigieux sur le jeu de pair ou impair: nous y trouvmes une faveur que notre notion de dtermination symbolique nous interdirait dj de tenir pour un simple hasard, si mme il ne se ft pas avr au cours de notre examen que Poe

en bon prcurseur quil est des recherches de stratgie combinatoire

qui sont en train de renouveler lordre des sciences

avait t guid en sa fiction par un dessein pareil au ntre.

Du moins pouvonsnous dire que ce que nous en fmes sentir dans son expos,

toucha assez nos auditeurs pour que ce soit leur requte que nous en publions ici une version.

En le remaniant conformment aux exigences de lcrit, diffrentes de celles de la parole,

nous navons pu nous garder danticiper quelque peu sur llaboration que nous avons donne depuis des notions quil introduisait alors.

Cest ainsi que laccent dont nous avons toujours promu plus avant la notion de signifiant dans

le symbole, sest ici rtroactivement exerc. En estomper les traits par une sorte de feinte historique, et paru, nous le croyons, artificiel ceux qui nous suivent.

Souhaitons que de nous en tre dispens, ne doive pas leur souvenir.

Und wenn es uns glck,

Und wenn es sich schickt,

So sind es Gedanken !

[ Gthe : Faust, Hexenkche ]

Notre recherche nous a men ce point de reconnatre que lautomatisme de rptition, Wiederholungszwang, prend son principe dans ce que nous avons appel linsistance de la chane signifiante.

Cette notion ellemme, nous lavons dgage comme corrlative de lexsistence (soit: de la place excentrique)

o il nous faut situer le sujet de linconscient, si nous devons prendre au srieux la dcouverte de FREUD.

Cest, on le sait, dans lexprience inaugure

par la psychanalyse quon peut saisir par quels biais de limaginaire vient sexercer, jusquau plus intime

de lorganisme humain, cette prise du symbolique.

Lenseignement de ce sminaire est fait pour soutenir que ces incidences imaginaires, loin de reprsenter lessentiel de notre exprience, nen livrent rien que dinconsistant, sauf tre rapportes la chane symbolique qui les lie et les oriente.

Certes savonsnous limportance des imprgnations imaginaires, Prgung, dans ces partialisations de lalternative symbolique

qui donnent la chane signifiante son allure.

Mais nous posons que cest la loi propre cette chane qui rgit les effets psychanalytiques dterminants pour le sujet, tels que:

la forclusion, Verwerfung,

le refoulement, Verdrngung,

la dngation, Verneinung ellemme,

prcisant de laccent qui y convient que ces effets suivent si fidlement le dplacement (Entstellung) du signifiant que les facteurs imaginaires, malgr leur inertie, ny font figure que dombres et de reflets.

Encore cet accent seraitil prodigu en vain,

sil ne servait votre regard, qu abstraire une forme gnrale de phnomnes dont la particularit dans notre exprience resterait pour vous lessentiel,

et dont ce ne serait pas sans artifice quon romprait le composite original.

Cest pourquoi nous avons pens illustrer pour vous aujourdhui la vrit qui se dgage du moment de

la pense freudienne que nous tudions, savoir que cest lordre symbolique qui est, pour le sujet, constituant, en vous dmontrant dans une histoire la dtermination majeure que le sujet reoit du parcours dun signifiant.

Cest cette vrit, remarquonsle,

qui rend possible lexistence mme de la fiction.

Ds lors une fable est aussi propre quune autre histoire la mettre en lumire,quitte y faire lpreuve

de sa cohrence.

cette rserve prs, elle a mme lavantage

de manifester dautant plus purement la ncessit symbolique quon pourrait la croire rgie par larbitraire.

Cest pourquoi sans chercher plus loin, nous avons pris notre exemple dans lhistoire mme o est insre la dialectique concernant le jeu de pair ou impair, dont nous avons le plus rcemment tir profit.

Sans doute nestce pas par hasard que cette histoire sest avre favorable donner suite un cours de recherche qui y avait dj trouv appui.

Il sagit, vous le savez, du conte que BAUDELAIRE

a traduit sous le titre deLa lettre vole.

Ds le premier abord, on y distinguera un drame,

de la narration qui en est faite,

et des conditions de cette narration.

On voit vite au reste ce qui rend ncessaires ces composants, et quils nont pu chapper aux intentions de qui les a composs.

La narration double en effet le drame dun commentaire, sans lequel il ny aurait pas de mise en scne possible.

Disons que laction en resterait, proprement parler, invisible de la salle

outre que le dialogue en serait expressment et par les besoins mmes du drame, vide de tout sens qui pt sy rapporter pour un auditeur

autrement dit que rien du drame ne pourrait apparatre

ni la prise de vues, ni la prise de sons

sans lclairage jour frisant, si lon peut dire,

que la narration donne chaque scne du point de vue quavait en le jouant, lun de ses acteurs.

Ces scnes sont deux:

dont nous irons aussitt dsigner la 1re sous le nom de scne primitive, et non pas par inattention,

puisque la 2de peut tre considre comme sa rptition, au sens qui est icimme lordre du jour.

La scne primitive donc se joue nous diton dans le boudoir royal, de sorte que nous souponnons que la personne du plus haut rang, dite encore lillustre personne, qui y est seule quand elle reoit une lettre, est la Reine.

Ce sentiment se confirme de lembarras o la plonge lentre de lautre illustre personnage, dont on nous a dj dit avant ce rcit que la notion quil pourrait avoir de ladite lettre, ne mettrait en jeu rien de moins pour la dame que son honneur et sa scurit.

Nous sommes en effet promptement tirs hors du doute quil sagisse bien du Roi, mesure de la scne

qui sengage, avec lentre du ministre D

ce moment en effet, la Reine na pu faire mieux

que de jouer sur linattention du Roi en laissant

la lettre sur la table retourne, la suscription en dessus.

Celleci pourtant nchappe pas lil de lynx du ministre, non plus quil ne manque de remarquer le dsarroi

de la Reine, ni dventer ainsi son secret.

Ds lors tout se droule comme dans une horloge.

Aprs avoir trait

du train et de lesprit dont il est coutumier

les affaires courantes, le ministre tire de sa poche une lettre qui ressemble daspect celle qui est

en sa vue, et ayant feint de la lire,

il la dpose ct de celleci.

Quelques mots encore dont il amuse le royal tapis,

et il sempare tout roidement de la lettre embarrassante, dcampant sans que la Reine

qui na rien perdu de son mange

ait pu intervenir dans la crainte dveiller lattention du royal conjoint qui ce moment la coudoie.

Tout pourrait donc avoir pass inaperu pour un spectateur idal dune opration o personne na bronch, et dont le quotient est que le ministre a drob

la Reine sa lettre et que

rsultat plus important encore que le premier

la Reine sait que cest lui qui la dtient maintenant, et non pas innocemment.

Un reste quaucun analyste ne ngligera

dress quil est retenir tout ce qui est

du signifiant sans pour autant savoir toujours quen faire

la lettre laisse pour compte par le ministre, et que la main

de la Reine peut maintenant rouler en boule.

Deuxime scne: dans le bureau du ministre.

Cest son htel, et nous savons, selon le rcit

que le prfet de police en a fait au DUPIN

dont POE introduit ici pour la seconde fois

le gnie propre rsoudre les nigmes

que la police depuis dixhuit mois

y revenant aussi souvent que le lui ont permis les absences nocturnes, ordinaires au ministre

a fouill lhtel et ses abords de fond en comble.

En vain,encore que chacun puisse dduire de la situation que le ministre garde cette lettre sa porte.

DUPIN sest fait annoncer au ministre.

Celuici le reoit avec une nonchalance affiche,

des propos affectant un romantique ennui.

Cependant DUPIN, que cette feinte ne trompe pas,

de ses yeux protgs de vertes lunettes, inspecte les atres.

Quand son regard se porte sur un billet fort raill qui semble labandon dans la case dun mchant portecartes en carton qui pend, retenant lil de quelque clinquant, au beau milieu du manteau de la chemine,

il sait dj quil a affaire ce quil cherche.

Sa conviction se renforce des dtails mmes qui paraissent faits pour contrarier le signalement

quil a de la lettre vole, au format prs qui est conforme.

Ds lors il na plus qu se retirer aprs avoir oubli sa tabatire sur la table, pour revenir

le lendemain la rechercher, arm dune contrefaon qui simule le prsent aspect de la lettre.

Un incident de la rue, prpar pour le bon moment, ayant attir le ministre la fentre, DUPIN en profite pour semparer son tour de la lettre en lui substituant son semblant, et na plus qu sauver auprs du ministre les apparences dun cong normal.

L aussi tout sest pass, sinon sans bruit, du moins sans fracas. Le quotient de lopration est que le ministre

na plus la lettre, mais lui nen sait rien,

loin de souponner que cest DUPIN qui la lui ravit.

En outre ce qui lui reste en main est ici bien loin dtre insignifiant pour la suite.

Nous reviendrons sur ce qui a conduit DUPIN

donner un libell sa lettre factice.

Quoi quil en soit, le ministre, quand il voudra

en faire usage, pourra y lire ces mots tracs

pour quil y reconnaisse la main de DUPIN:

Un dessein si funeste, sil nest digne dAtre, est digne de Thyeste.

que DUPIN nous indique provenir de lAtre de CRBILLON.

Estil besoin que nous soulignions que ces deux actions sont semblables?

Oui, car la similitude que nous visons nest pas faite de la simple runion de traits choisis

la seule fin dappareiller leur diffrence.

Et il ne suffirait pas de retenir ces traits

de ressemblance aux dpens des autres pour quil en rsulte une vrit quelconque.

Cest lintersubjectivit o les deux actions se motivent

que nous voulons relever, et les trois termes dont elle les structure.

Le privilge de ceuxci se juge ce quils rpondent la fois:

aux trois temps logiques par quoi la dcision se prcipite,

et aux trois places quelle assigne aux sujets quelle dpartage.

Cette dcision se conclut dans le moment dun regard [footnoteRef:9]. [9: On cherchera ici la rfrence ncessaire en notre essai sur Le temps logique ou lassertion de certitude anticipe, cf. Cahiers dart, 1945-46, 14, rue du Dragon, Paris 6e, pp. 32-42.]

Car les manuvres qui sensuivent, sil sy prolonge en tapinois, ny ajoutent rien, pas plus que leur ajournement dopportunit, dans la seconde scne,

ne rompt lunit de ce moment.

Ce regard en suppose deux autres quil rassemble en

une vue de louverture laisse dans leur fallacieuse complmentarit, pour y anticiper sur la rapine offerte en ce dcouvert.

Donc trois temps, ordonnant trois regards, supports par trois sujets, chaque fois incarns par des personnes diffrentes.

Le premier est dun regard qui ne voit rien: cest le Roi[avec la Reine], et cest la police[avec le ministre].

Le second dun regard qui voit que le premier ne voit rien et se leurre den voir couvert

ce quil cache: cest la Reine [avec le Roi], puis cest le ministre [avec la police].

Le troisime, qui de ces deux regards, voit quils laissent ce qui est cacher dcouvert pour qui voudra sen emparer: cest le ministre [avec la Reine], et cest Dupin enfin [avec le ministre].

Pour faire saisir dans son unit le complexe intersubjectif ainsi dcrit, nous lui chercherions volontiers patronage dans la technique lgendairement attribue lautruche pour se mettre labri des dangers,

car celleci mriterait enfin dtre qualifie de politique, se rpartir ici entre trois partenaires,

dont le second se croirait revtu dinvisibilit,

du fait que le premier aurait sa tte enfonce dans le sable,

cependant quil laisserait un troisime lui plumer tranquillement le derrire.

Il suffirait quenrichissant dune lettre

sa dnomination proverbiale, nous en fassions

la politique de lautruiche, pour quen ellemme enfin elle trouve un nouveau sens pour toujours.

Le module intersubjectif tant ainsi donn de laction qui se rpte, il reste y reconnatre un automatisme de rptition,

au sens qui nous intresse dans le texte de FREUD.

La pluralit des sujets bien entendu ne peut tre

une objection pour tous ceux qui sont rompus depuis longtemps aux perspectives que rsume notre formule: linconscient, cest le discours de lAutre.

Et nous ne rappellerons pas maintenant ce quy ajoute la notion de limmixtion des sujets, nagure introduite

par nous en reprenant lanalyse du rve de linjection dIrma.

Ce qui nous intresse aujourdhui, cest la faon dont les sujets se relaient dans leur dplacement

au cours de la rptition intersubjective.

Nous verrons que leur dplacement est dtermin

par la place que vient occuper le pur signifiant

quest la lettre vole, dans leur trio. Et cest l ce qui

pour nous le confirmera comme automatisme de rptition.

Il ne parat pas de trop cependant

avant de nous engager dans cette voie

de questionner si la vise du conte et lintrt

que nous y prenons

pour autant quils concident

ne gisent pas ailleurs.

Pouvonsnous tenir pour une simple rationalisation, selon notre rude langage, le fait que lhistoire

nous soit conte comme une nigme policire?

la vrit nous serions en droit destimer ce fait pour peu assur, remarquer que tout ce dont une telle nigme se motive partir dun crime ou dun dlit

savoir:

sa nature et ses mobiles,

ses instruments et son excution,

le procd pour en dcouvrir lauteur et la voie pour len convaincre

est ici soigneusement limin ds le dpart de chaque priptie:

le dol est en effet ds labord aussi clairement connu que les menes du coupable et leurs effets sur sa victime.

Le problme, quand on nous lexpose, se limite

la recherche aux fins de restitution de lobjet quoi tient ce dol,

et il semble bien intentionnel que sa solution

soit obtenue dj, quand on nous lexplique.

Estce par l quon nous tient en haleine?

Quelque crdit en effet que lon puisse faire

la convention dun genre pour susciter un intrt spcifique chez le lecteur, noublions pas

que le Dupin ici deuxime paratre est un prototype,

et que pour ne recevoir son genre que du premier, cest un peu tt pour que lauteur joue sur une convention.

Ce serait pourtant un autre excs que de rduire

le tout une fable dont la moralit serait que pour maintenir labri des regards une de ces correspondances dont le secret est parfois ncessaire la paix conjugale,

il suffise den laisser traner les libells sur notre table, mme les retourner sur leur face signifiante.

Cest l un leurre dont pour nous,

nous ne recommanderions lessai personne,

crainte quil soit du sy fier.

Ny auraitil donc ici dautre nigme que:

du ct du Prfet de police, une incapacit au principe dun insuccs,

si ce nest peuttre du ct de Dupin une certaine discordance, que nous navouons pas de bon gr, entre:

les remarques assurment fort pntrantes, quoique pas toujours absolument pertinentes en leur gnralit, dont il nous introduit sa mthode,

et la faon dont en fait il intervient.

pousser un peu ce sentiment de poudre aux yeux, nous en serions bientt nous demander si

de la scne inaugurale que seule la qualit de ses protagonistes sauve du vaudeville,

la chute dans le ridicule qui semble dans la conclusion tre promise au ministre

ce nest pas que tout le monde soit jou,

qui fait ici notre plaisir.

Et nous serions dautant plus enclins ladmettre que nous y retrouverions avec ceux qui ici nous lisent, la dfinition que nous avons donne quelque part

en passant du hros moderne quillustrent des exploits drisoires

dans une situation dgarement[footnoteRef:10]. [10: Cf. Fonction et champ de la parole, in La Psychanalyse, P.U.F., vol. 1, p. 89.]

Mais ne sommesnous pas pris nousmmes la prestance du dtective amateur, prototype dun nouveau matamore,

encore prserv de linsipidit du superman contemporain.

Boutade, qui suffit nous faire relever bien au contraire en ce rcit une vraisemblance si parfaite, quon peut dire que la vrit y rvle son ordonnance de fiction.

Car telle est bien la voie o nous mnent

les raisons de cette vraisemblance.

entrer dabord dans son procd, nous apercevons en effet un nouveau drame que nous dirons complmentaire du premier, pour ce que celuici tait ce quon appelle un drame sans paroles, mais que cest sur les proprits du discours que joue lintrt du second[footnoteRef:11]. [11: La complte intelligence de ce qui suit exige bien entendu quon relise ce texte extrmement rpandu (en franais comme en anglais), et dailleurs court, quest La lettre vole.]

Sil est patent en effet que chacune des deux scnes du drame rel nous est narre au cours dun dialogue diffrent, il nest que dtre muni des notions

que nous faisons dans notre enseignement valoir,

pour reconnatre quil nen est pas ainsi pour le seul agrment de lexposition, mais que ces dialogues euxmmes prennent, dans lusage oppos qui y est fait des vertus de la parole, la tension qui en fait un autre drame, celui que notre vocabulaire distinguera du premier comme se soutenant dans lordre symbolique.

Le premier dialogue

entre le Prfet de police et DUPIN

se joue comme celui dun sourd avec un qui entend.

Cestdire quil reprsente la complexit vritable de ce quon simplifie dordinaire, pour les rsultats les plus confus, dans la notion de communication.

On saisit en effet dans cet exemple,

comment la communication peut donner limpression

o la thorie trop souvent sarrte

de ne comporter dans sa transmission quun seul sens, comme si le commentaire plein de signification auquel laccorde celui qui entend, pouvait

dtre inaperu de celui qui nentend pas

tre tenu pour neutralis.

Il reste qu ne retenir que le sens de compterendu du dialogue, il apparat que sa vraisemblance joue sur la garantie de lexactitude.

Mais le voici alors plus fertile quil ne semble,

ce que nous en dmontrions le procd:comme on va le voir nous limiter au rcit de notre premire scne.

Car le double et mme le triple filtre subjectif sous lequel

elle nous parvient

narration par lami et familier de DUPIN, que nous appellerons dsormais le narrateur gnral de lhistoire,

du rcit par quoi le Prfet fait connatre DUPIN

le rapport que lui en a fait la Reine,

nest pas l seulement la consquence

dun arrangement fortuit.

Si en effet lextrmit o est porte la narratrice originale exclut quelle ait altr les vnements, on aurait tort de croire que le Prfet ne soit ici habilit lui prter sa voix que pour le manque dimagination dont il a dj, si lon peut dire, la patente.

Le fait que le message soit ainsi retransmis nous assure de ce qui ne va pas absolument de soi:

savoir quil appartient bien la dimension du langage.

Ceux qui sont ici connaissent nos remarques ldessus, et particulirement celles que nous avons illustres du repoussoir du prtendu langage des abeilles:

o un linguiste[footnoteRef:12] ne peut voir quune simple signalisation [12: Cf. mile Benveniste: Communication animale et langage humain, dans la revue Diogne, n 1, et notre Rapport de Rome, in La Psychanalyse, vol. 1, pp. 141-142.]

de la position de lobjet, autrement dit quune fonction imaginaire plus diffrencie que les autres.

Nous soulignons ici quune telle forme de communication nest pas absente chez lhomme, si vanouissant

que soit pour lui lobjet quant son donn naturel

en raison de la dsintgration quil subit de par lusage du symbole.

On peut en effet en saisir lquivalent dans

la communion qui stablit entre deux personnes

dans la haine envers un mme objet:

ceci prs que la rencontre nest jamais possible que sur un objet seulement, dfini par les traits

de ltre auquel lune et lautre se refusent.

Mais une telle communication nest pas transmissible sous la forme symbolique.

Elle ne se soutient que dans la relation cet objet.

Cest ainsi quelle peut runir un nombre indfini

de sujets dans un mme idal: la communication dun sujet lautre lintrieur de la foule[footnoteRef:13] ainsi constitue, nen restera pas moins irrductiblement mdiatise par une relation ineffable. [13: Cf. S. Freud: Massenpsychologie und Ich-analyse (1921), Psychologie collective et analyse du moi.]

Cette excursion nest pas seulement ici un rappel

de principes ladresse lointaine de ceux qui

nous imputent dignorer la communication non verbale:

en dterminant la porte de ce que rpte le discours, elle prpare la question de ce que rpte le symptme.

Ainsi la relation [relater] indirecte dcante la dimension

du langage et le narrateur gnral, la redoubler, ny ajoute rien par hypothse.

Mais il en est tout autrement de son office dans le second dialogue. Car celuici va sopposer au premier comme les ples que nous avons distingus ailleurs dans le langage et qui sopposent comme le mot la parole[footnoteRef:14]. [14: Cf. Rapport de Rome, La Psychanalyse, vol. 1, pp. 245-250.]

Cest dire quon y passe du champ de lexactitude

au registre de la vrit.

Or ce registre

nous osons penser que nous navons pas y revenir

se situe tout fait ailleurs, soit proprement

la fondation de lintersubjectivit.

Il se situe l o le sujet ne peut rien saisir sinon la subjectivit mme qui constitue un Autre en absolu.

Nous nous contenterons, pour indiquer ici sa place, dvoquer le dialogue qui nous parat mriter

son attribution dhistoire juive, du dpouillement

o apparat la relation du signifiant la parole, dans ladjuration o il vient culminer:

Pourquoi me menstu

sy exclameton bout de souffle

oui, pourquoi me menstu en me disant que tu vas Cracovie pour que je croie que tu vas Lemberg, alors quen ralit cest Cracovie que tu vas?

Cest une question semblable quimposerait notre esprit le dferlement dapories, dnigmes ristiques, de paradoxes, voire de boutades, qui nous est prsent en guise dintroduction la mthode de Dupin,

si de nous tre livr comme une confidence

par quelquun qui se pose en disciple,

il ne sy ajoutait quelque vertu de cette dlgation.

Tel est le prestige immanquable du testament:

la fidlit du tmoin est le capuchon dont

on endort en laveuglant la critique du tmoignage.

Quoi de plus convaincant dautre part que le geste

de retourner les cartes sur la table?

Il lest au point quil nous persuade un moment

que le prestidigitateur a effectivement dmontr, comme il la annonc, le procd de son tour,

alors quil la seulement renouvel sous une forme plus pure: et ce moment nous fait mesurer

la suprmatie du signifiant dans le sujet.

Tel opre DUPIN, quand il part de lhistoire du petit prodige qui blousait tous ses camarades au jeu de pair ou impair, avec son truc de lidentification ladversaire, dont nous avons pourtant montr quil ne peut atteindre

le premier plan de son laboration mentale,

savoir la notion de lalternance intersubjective, sans y achopper aussitt sur la bute de son retour[footnoteRef:15]. [15: Cf. notre introduction.]

Ne nous en sont pas moins jets

histoire de nous en mettre plein la vue

les noms de LA ROCHEFOUCAULD, de LA BRUYRE,

de MACHIAVEL et de CAMPANELLA, dont la renomme napparatrait plus que futile auprs de la prouesse enfantine.

Et denchaner sur CHAMFORT dont la formule

quil y a parier que toute ide publique, toute convention reue est une sottise, car elle a convenu au plus grand nombre contentera coup sr tous ceux qui pensent chapper sa loi, cestdire prcisment le plus grand nombre.

Que DUPIN taxe de tricherie lapplication par

les Franais du motanalyse lalgbre, voil qui na gure de chance datteindre notre fiert, quand

de surcrot la libration du terme dautres fins na rien pour quun psychanalyste ne se sente

en posture dy faire valoir ses droits.

Et le voici des remarques philologiques combler daise les amoureux du latin: quil leur rappelle sans daigner plus en dire quambitus ne signifie pas ambition, religio, religion, homines honesti, les honntes gens.

Qui parmi vous ne se plairait se souvenir que

cest dtour, lien sacr, les gens bien que veulent dire ces mots

pour quiconque pratique CICRON et LUCRCE?

Sans doute POE samusetil

Mais un soupon nous vient: cette parade drudition nestelle pas destine nous faire entendre

les matresmots de notre drame?

Le prestidigitateur ne rptetil pas devant nous son tour, sans nous leurrer cette fois de nous en livrer le secret, mais en poussant ici sa gageure nous lclairer rellement sans que nous y voyions goutte.

Ce serait bien l le comble o pt atteindre lillusionniste que de nous faire par un tre de

sa fiction vritablement tromper.

Et nestce pas de tels effets qui nous justifient

de parler sans y chercher malice de maints hros imaginaires

comme de personnages rels?

Aussi bien quand nous nous ouvrons entendre

la faon dont Martin HEIDEGGER nous dcouvre dans

le mot [alets] le jeu de la vrit, ne faisonsnous que retrouver un secret o celleci a toujours initi ses amants, et do ils tiennent que cest ce quelle se cache, quelle soffre eux le plus vraiment.

Ainsi les propos de DUPIN ne nous dfieraientils pas

si manifestement de nous y fier, quencore nous faudraitil

en faire la tentative contre la tentation contraire.

Dpistons donc sa foule l o elle nous dpiste[footnoteRef:16]. [16: Il nous plairait de reposer devant M. Benveniste la question du sens antinomique de certains mots, primitifs ou non, aprs la rectification magistrale quil a apporte la fausse voie dans laquelle Freud la engage sur le terrain philologique (cf. La Psychanalyse, vol. 1, pp. 5-16). Car il nous semble que cette question reste entire, dgager dans sa rigueur linstance du signifiant. Bloch et Wartburg datent de 1875 lapparition de la signification du verbe dpister dans le second emploi que nous en faisons dans notre phrase.]

Et dabord dans la critique dont il motive linsuccs du Prfet. Dj nous la voyions pointer dans ces brocards en sousmain dont le Prfet navait cure

au premier entretien, ny trouvant dautre matire qu sesclaffer.

Que ce soit en effet, comme DUPIN linsinue, parce quun problme est trop simple, voire trop vident, quil peut paratre obscur, naura jamais pour lui plus de porte quune friction un peu vigoureuse

du gril costal.

Tout est fait pour nous induire la notion de limbcillit du personnage. Et on larticule puissamment du fait que lui et ses acolytes niront jamais concevoir, pour cacher un objet, rien qui dpasse ce que peut imaginer un fripon ordinaire, cestdire prcisment la srie trop connue

des cachettes extraordinairesdont on nous donne la revue:

des tiroirs dissimuls du secrtaire au plateau dmont de la table,

des garnitures dcousues des siges leurs pieds vids,

du revers du tain des glaces lpaisseur de la reliure des livres.

Et ldessus de dauber sur lerreur que le Prfet commet dduire, de ce que le ministre est pote, quil nest pas loin dtre fou

Erreur, argueton, qui ne tiendrait

mais ce nest pas peu dire

quen une fausse distribution du moyen terme,

car elle est loin de rsulter de ce que tous les fous soient potes.

Ouida, mais on nous laisse nousmmes dans lerrance sur ce qui constitue en matire de cachette,

la supriorit du pote, savrtil doubl

dun mathmaticien, puisquici on brise soudain notre lancer en nous entranant dans un fourr de mauvaises querelles faites au raisonnement des mathmaticiens, qui nont jamais montr, que je sache, tant dattachement leurs formules que de les identifier la raison raisonnante.

Au moins tmoigneronsnous qu linverse de ce dont POE semble avoir lexprience, il nous arrive parfois devant notre ami [Jacques] RIGUET qui vous est ici le garant par sa prsence que nos incursions dans la combinatoire ne nous garent pas, de nous laisser aller des incartades aussi graves

ce qu Dieu ne dt plaire selon POE

que de mettre doute que (x2 + px) ne soit peuttre pas absolument gal q, sans jamais

nous en donnons POE le dmenti

avoir eu nous garder de quelque svice inopin.

Ne dpenseton donc tant desprit quafin de dtourner le ntre de ce quil nous ft indiqu de tenir pour acquis auparavant, savoir que la police a cherch partout: ce quil nous fallait entendre, concernant le champ dans lequel la police prsumait, non sans raison, que dt se trouver la lettre,

au sens dune exhaustion de lespace, sans doute thorique, mais dont cest le sel de lhistoire

que de le prendre au pied de la lettre,le quadrillage rglant lopration nous tant donn pour si exact quil ne permettait pas, disaiton quun cinquantime de ligne chappt lexploration des fouilleurs.

Ne sommesnous pas ds lors en droit de demander comment il se fait que la lettre nait t trouve nulle part, ou plutt de remarquer que tout ce quon nous dit dune conception dune plus haute vole du recel

ne nous explique pas la rigueur que la lettre

ait chapp aux recherches, puisque le champ

quelles ont puis, la contenait en fait

comme enfin la prouv la trouvaille de DUPIN.

Fautil que la lettre, entre tous les objets,

ait t doue de la proprit de nullibit:

pour nous servir de ce terme que le vocabulaire

bien connu sous le titre du Roget [footnoteRef:17] reprend de lutopie smiologique de lvque WILKINS[footnoteRef:18]? [17: Roget's Thesaurus of English Words and Phrases published in 1911.] [18: Celle-l mme qui M. Jorge Luis Borges, dans son uvre si harmonique au phylum de notre propos, fait un sort ,que dautres ramnent ses justes proportions. Cf. Les Temps modernes, juin-juillet 1955, pp. 2135-38, et oct. 1955, pp. 574-75.]

Il est vident (a little too self vident) que la lettre a en effet avec le lieu, des rapports pour lesquels aucun mot franais na toute la porte du qualificatif anglaisodd. Bizarre, dont BAUDELAIRE le traduit rgulirement, nest quapproximatif. Disons que ces rapports sont singuliers, car ce sont

ceuxl mme quavec le lieu entretient le signifiant.

Vous savez que notre dessein nest pas den faire

des rapports subtils, que notre propos nest pas de confondre la lettre avec lesprit, mme quand nous la recevons par pneumatique, et que nous admettons fort bien que lune tue si lautre vivifie,

pour autant que le signifiant

vous commencez peuttre lentendre

matrialise linstance de la mort.

Mais si cest dabord sur la matrialit du signifiant

que nous avons insist, cette matrialit est singulire en bien des points dont le premier est de ne point supporter la partition. Mettez une lettre en petits morceaux, elle reste la lettre quelle est, et ceci en un tout autre sens que la Gestaltheorie ne peut en

rendre compte avec le vitalisme larv de sa notion du tout[footnoteRef:19]. [19: Et cest si vrai que la philosophie dans les exemples, dcolors dtre ressasss, dont elle argumente partir de lun et du plusieurs, nemploiera pas aux mmes usages la simple feuille blanche par le mitan dchire et le cercle interrompu, voire le vase bris, sans parler du ver coup.]

Le langage rend sa sentence qui sait lentendre: par lusage de larticle employ comme particule partitive. Cest mme bien l que lesprit

si lesprit est la vivante signification

apparat non moins singulirement plus offert

la quantification que la lettre.

commencer par la signification ellemme qui souffre quon disece discours plein de signification, de mme:

quon reconnat de lintention dans un acte,

quon dplore quil ny ait plus damour,

quon accumule de la haine,

et quon dpense du dvouement,

et que tant dinfatuation se raccommode de ce quil y aura toujours de la cuisse revendre,

et du rififi chez les hommes.

Mais pour la lettre

quon la prenne au sens de llment typographique, de lptre ou de ce qui fait le lettr

on dira:

que ce quon dit est entendre la lettre,

quil vous attend chez le vaguemestre une lettre,

voire que vous avez des lettres,

jamais quil ny ait nulle part de la lettre,

quelque titre quelle vous concerne,

ftce dsigner du courrier en retard.

Cest que le signifiant est unit dtre unique, ntant de par sa nature, symbole que dune absence.

Et cest ainsi quon ne peut dire de la lettre vole

quil faille qu linstar des autres objets:

elle soit ou ne soit pas quelque part,

mais bien qu leur diffrence:

elle sera et ne sera pas l o elle est, o quelle aille.

Regardons en effet de plus prs ce qui arrive aux policiers. On ne nous fait grce de rien quant aux procds dont ils fouillent lespace vou leur investigation:

de la rpartition de cet espace en volumes qui nen laissent pas se drober une paisseur,

laiguille sondant le mou,

et, dfaut de la rpercussion sondant le dur, au microscope dnonant les excrments de la tarire lore de son forage, voire le billement infime dabmes mesquins.

mesure mme que leur rseau se resserre pour

quils en viennent, non contents de secouer les pages des livres, les compter, ne voyonsnous pas lespace seffeuiller la semblance de la lettre?

Mais les chercheurs ont une notion du rel tellement immuable quils ne remarquent pas que leur recherche va le transformer en son objet. Trait o peuttre ils pourraient distinguer cet objet de tous les autres.

Ce serait trop leur demander sans doute, non en raison de leur manque de vues, mais bien plutt du ntre.

Car leur imbcillit nest pas despce individuelle, ni corporative, elle est de source subjective.

Cest limbcillit raliste qui ne sarrte pas

se dire que rien, si loin quune main vienne

lenfoncer dans les entrailles du monde,

ny sera jamais cach, puisquune autre main peut ly rejoindre, et que ce qui est cach nest jamais que

ce qui manque sa place, comme sexprime la fiche de recherche dun volume quand il est gar dans la bibliothque.

Et celuici seraitil en effet sur le rayon ou sur la case d ct quil y serait cach, si visible quil y paraisse.

Cest quon ne peut dire la lettre que ceci manque sa place que de ce qui peut en changer, cestdire du symbolique.

Car pour le rel, quelque bouleversement quon puisse y apporter, il y est toujours [ sa place] et en tout cas, il lemporte colle sa semelle, sans rien connatre qui puisse len exiler.

Et comment en effet

pour revenir nos policiers

auraientils pu saisir la lettre

ceux qui lont prise [ceux qui lont effectivement tenue dans leurs mains]

la place o elle tait cache?

Dans ce quils tournaient entre leurs doigts, que tenaientils dautre que ce qui ne rpondait pas au signalement quils en avaient?

A letter, a litter, une lettre, une ordure. On a quivoqu

dans le cnacle de JOYCE[footnoteRef:20] sur lhomophonie [20: Cf. Our exagmination round his factification for incamination of work in progress, Shakespeare and Company, 12, rue de lOdon, Paris, 1929. Cf. Lituraterre]

de ces deux mots en anglais.

La sorte de dchet que les policiers ce moment manipulent, ne leur livre pas plus son autre nature de ntre qu demi dchir.

Un sceau diffrent sur un cachet dune autre couleur, un autre cachet du graphisme de la suscription

sont l les plus infrangibles des cachettes.

Et sils sarrtent au revers de la lettre o,

comme on sait, cest l qu lpoque ladresse

du destinataire sinscrivait, cest que la lettre

na pas pour eux dautre face que ce revers.

Que pourraientils en effet dtecter de son avers?

Son message comme on sexprime pour la joie

de nos dimanches cyberntiques?

Mais ne nous vientil pas lide que ce message est dj parvenu sa destinataire et quil lui est mme rest pour compte avec le bout de papier insignifiant, qui ne le reprsente maintenant pas moins bien que le billet original.

Si lon pouvait dire quune lettre a combl son destin aprs avoir rempli sa fonction, la crmonie de rendre les lettres serait moins admise servir de clture lextinction des feux des ftes de lamour.

Le signifiant nest pas fonctionnel.

Et aussi bien la mobilisation du joli monde dont

nous suivons ici les bats, naurait pas de sens,

si la lettre, elle, se contentait den avoir un.

Car ce ne serait pas une faon trs adquate de

le garder secret que den faire part une escouade de poulets.

On pourrait mme admettre que la lettre ait un tout autre sens, sinon plus brlant, pour la Reine que celui quelle offre lintelligence du ministre.

La marche des choses nen serait pas sensiblement affecte, et non pas mme si elle tait strictement incomprhensible tout lecteur non averti.

Car elle ne lest certainement pas tout le monde, puisque, comme nous lassure emphatiquement le Prfet

pour la gausserie de tous:

Ce document, rvl un troisime personnage dont il taira le nom

ce nom qui saute lil comme la queue du cochon entre les dents du pre UBU

mettrait en question nous ditil lhonneur dune personne du plus haut rang

voire que la scurit de lauguste personne serait ainsi mise en pril.

Ds lors ce nest pas seulement le sens,

mais le texte du message quil serait prilleux

de mettre en circulation, et ce dautant plus

quil paratrait plus anodin, puisque les risques

en seraient accrus de lindiscrtion quun de ses dpositaires pourrait commettre son insu.

Rien donc ne peut sauver la position de la police,

et lon ny changerait rien amliorer sa culture. Scripta manent, cest en vain quelle apprendrait dun humanisme ddition de luxe la leon proverbiale

que verba volant termine. [Verba volant, scripta manent: les paroles senvolent, les crits restent ]

Plt au ciel que les crits restassent, comme cest plutt

le cas des paroles: car de cellesci la dette ineffaable

du moins fconde nos actes par ses transferts.

Les crits emportent au vent les traites en blanc dune cavalerie folle. Et sils ntaient feuilles volantes, il ny aurait pas de lettres voles.

Mais quen estil ce propos?

Pour quil y ait lettre vole nous dironsnous

qui une lettre appartientelle?

Nous accentuions tout lheure ce quil y a de singulier dans le retour de la lettre qui nagure en laissait ardemment senvoler le gage.

Et lon juge gnralement indigne le procd

de ces publications prmatures, de la sorte

dont le Chevalier dON mit quelquesuns

de ses correspondants en posture plutt piteuse.

La lettre sur laquelle celui qui la envoye

garde encore des droits, nappartiendrait donc pas tout fait celui qui elle sadresse?

Ou seraitce que ce dernier nen fut jamais le vrai destinataire?

Voyons ici: ce qui va nous clairer est ce qui peut dabord obscurcir encore le cas, savoir que lhistoire nous laisse ignorer peu prs tout de lexpditeur, non moins que du contenu de la lettre.

Il nous est seulement dit que le ministre a reconnu demble lcriture de son adresse la Reine,

et cest incidemment propos de son camouflage

par le ministre quil se trouve mentionn

que son sceau original est celui du Duc de S

Pour sa porte, nous savons seulement les prils quelle emporte ce quelle vienne entre les mains dun certain tiers, et que sa possession a permis

au ministre duser jusqu un point fort dangereux dans un but politique

de lempire quelle lui assure sur lintresse.

Mais ceci ne nous dit rien du message quelle vhicule.

Lettre damour ou lettre de conspiration, lettre dlatrice ou lettre dinstruction, lettre sommatoire ou lettre de dtresse, nous nen pouvons retenir quune chose, cest que la Reine ne saurait la porter la connaissance de son seigneur et matre.

Or ces termes, loin de tolrer laccent dcri

quils ont dans la comdie bourgeoise,

prennent un sens minent de dsigner son souverain,

qui la lie la foi jure, et de faon redouble puisque

sa position de conjointe ne la relve pas de son devoir de sujette, mais bien llve la garde de ce que

la royaut selon la loi incarne du pouvoir

et qui sappelle la lgitimit.

Ds lors

quelles que soient les suites

que la Reine ait choisi de donner la lettre

il reste que cette lettre est le symbole dun pacte, et que

mme si sa destinataire nassume pas ce pacte lexistence de la lettre la situe dans une chane symbolique trangre celle qui constitue sa foi.

Quelle y soit incompatible, la preuve en est donne par le fait que la possession de la lettre est impossible faire valoir publiquement comme lgitime, et que pour la faire respecter, la Reine ne saurait invoquer que le droit de son priv, dont le privilge se fonde sur lhonneur auquel cette possession droge.

Car celle qui incarne la figure de grce de la souverainet, ne saurait accueillir dintelligence mme prive

sans quelle intresse le pouvoir, et elle ne peut

lendroit du souverain se prvaloir du secret

sans entrer dans la clandestinit.

Ds lors la responsabilit de lauteur de la lettre passe au second rang auprs de celle de qui la dtient: car loffense la majest vient sy doubler de la plus haute trahison.

Nous disonsqui la dtient et non pasqui la possde.

Car il devient clair ds lors que la proprit de la lettre nest pas moins contestable sa destinataire qu nimporte qui elle puisse venir entre les mains, puisque rien, quant lexistence de la lettre,

ne peut rentrer dans lordre, sans que celui

aux prrogatives de qui elle attente, nait eu

en juger.

Tout ceci nimplique pas pourtant que, pour ce que le secret de la lettre est indfendable, la dnonciation de ce secret soit daucune faon honorable.

Les honesti homines, les gens bien, ne sauraient sen tirer si bon compte. Il y a plus dune religio, et ce nest pas pour demain que les liens sacrs cesseront de nous tirer hue et dia. Pour lambitus, le dtour, on le voit, ce nest pas toujours lambition qui linspire.

Car sil en est un [dtour] par quoi nous passons ici,

nous ne lavons pas vol, cest le cas de le dire, puisque, pour tout vous avouer, nous navons adopt le titre de BAUDELAIRE que dans lesprit de bien marquer non pas

comme on lnonce improprement

le caractre conventionnel du signifiant, mais plutt sa prsance par rapport au signifi.

Il nen reste pas moins que BAUDELAIRE, malgr sa dvotion, a trahi POE en traduisant par La lettre vole son titre qui estThe purloined letter, cestdire qui use dun mot assez rare pour quil nous soit plus facile den dfinir ltymologie que lemploi.

To purloin, nous dit le dictionnaire dOxford, est un mot anglofranais, cestdire composdu prfixe pur

quon retrouve dans purpose: propos, purchase: provision, purport: porte

et du mot de lancien franaisloing, loigner: long.

Nous reconnatrons dans le premier lment le latin pro en tant quil se distingue dante par ce quil suppose

dun arrire en avant de quoi il se porte, ventuellement pour le garantir, voire pour sen porter garant alors quante sen va audevant

de ce qui vient sa rencontre.

Pour le second, vieux mot franais: loigner,

verbe de lattribut de lieu au loing, ou encore long,

il ne veut pas dire au loin, mais au long de,

il sagit donc de mettre de ct, ou

pour recourir une locution familire

qui joue sur les deux sens

demettre gauche.

Cest ainsi que nous nous trouvons confirm

dans notre dtour par lobjet mme qui nous y entrane: car cest bel et bien la lettre dtourne qui nous occupe, celle dont le trajet a t prolong

cest littralement le mot anglais

ou pour recourir au vocabulaire postal, la lettre en souffrance.

Voici donc Simple and odd

comme on nous lannonce ds la premire page

rduite sa plus simple expression la singularit de la lettre qui comme le titre lindique est le sujet vritable du conte: puisquelle peut subir un dtour, cest quelle a un trajet qui lui est propre.

Trait o saffirme ici son incidence de signifiant.

Car nous avons appris concevoir que le signifiant ne se maintient que dans un dplacement comparable

celui de nos bandes dannonces lumineuses ou des mmoires rotatives de nos machines penser comme les hommes [footnoteRef:21], [21: 21 Cf. notre introduction.]

ceci en raison de son fonctionnement alternant

en son principe, lequel exige quil quitte sa place, quitte y faire retour circulairement.

Cest bien ce qui se passe dans lautomatisme de rptition.

Ce que FREUD nous enseigne dans le texte que nous commentons, cest que le sujet suit la filire du symbolique, mais ce dont vous avez ici lillustration est plus saisissant encore: ce nest pas seulement le sujet, mais les sujets, pris dans leur intersubjectivit, qui prennent la file, autrement dit nos autruches, auxquelles nous voil revenus, et qui, plus dociles que des moutons, modlent leur tre mme sur le moment qui les parcourt de la chane signifiante.

Si ce que FREUD a dcouvert

et redcouvre dans un abrupt toujours accru

a un sens, cest que le dplacement du signifiant dtermine les sujets

dans leurs actes,

dans leur destin,

dans leurs refus,

dans leurs aveuglements,

dans leur succs et dans leur sort,

nonobstant leurs dons inns et leur acquis social, sans gard pour le caractre ou le sexe, et que bon gr mal gr suivra le train du signifiant comme armes et bagages, tout ce qui est du donn psychologique.

Nous voici en effet derechef au carrefour o nous avions laiss notre drame et sa ronde avec la question de la faon dont les sujets sy relaient.

Notre apologue est fait pour montrer que cest la lettre et son dtour qui rgit leurs entres et leurs rles. Quelle soit en souffrance, cest eux qui vont en ptir.

passer sous son ombre[footnoteRef:22], ils deviennent son reflet. [22: Cf. Freud: L Ombre de lobjet est tomb sur le moi : Deuil et mlancolie (1917) in Mtapsychologie; Trauer und Melancholie.]

tomber en possession de la lettre admirable ambigut du langage cest son sens qui les possde.

Cest ce que nous montre le hros du drame qui ici nous est cont, quand se rpte la situation mme

qua noue son audace une premire fois pour son triomphe.

Si maintenant il y succombe, cest dtre pass

au rang second de la triade dont il fut dabord

le troisime en mme temps que le larron,

ceci par la vertu de lobjet de son rapt.

Car sil sagit maintenant comme avant de protger

la lettre des regards, il ne peut faire quil ny emploie le mme procd quil a luimme djou:

la laisser dcouvert?

Et lon est en droit de douter quil sache ainsi

ce quil fait, le voir captiv aussitt

par une relation duelle o nous retrouvons tous

les caractres du leurre mimtique ou de lanimal qui fait le mort, et

pris au pige de la situation typiquement imaginaire

de voir quon ne le voit pas

mconnatre la situation relle o il est vu ne pas voir.

Et questce quil ne voit pas?

Justement la situation symbolique quil a su luimme si bien voir,

et o maintenant le voil vu se voyant ntre pas vu.

Le ministre agit en homme qui sait que la recherche de la police est sa dfense, puisquon nous dit

que cest exprs quil lui laisse le champ libre

par ses absences: il nen mconnat pas moins quhors cette recherche, il nest plus dfendu.

Cest lautruicherie mme dont il fut lartisan,

si lon nous permet de faire provigner notre monstre, mais ce ne peut tre par quelque imbcillit

quil vient en tre la dupe.

Cest qu jouer la partie de celui qui cache,

cest le rle de la Reine dont il lui faut se revtir,

et jusquaux attributs de la femme et de lombre,

si propices lacte de cacher.

Ce nest pas que nous rduisions lopposition primaire de lobscur et du clair, le couple vtran du yin et du yang.

Car son maniement exact comporte ce qua daveuglant lclat de la lumire, non moins que les miroitements dont lombre se sert pour ne pas lcher sa proie.

Ici le signe et ltre merveilleusement disjoints, nous montrent lequel lemporte quand ils sopposent. Lhomme assez homme pour braver jusquau mpris lire redoute de la femme, subit jusqu la mtamorphose la maldiction du signe dont il la dpossde.

Car ce signe est bien celui de la femme,

pour ce quelle y fait valoir son tre,

en le fondant hors de la Loi qui la contient toujours

de par leffet des origines

en position de signifiant, voire de ftiche.

Pour tre la hauteur du pouvoir de ce signe,

elle na qu se tenir immobile son ombre,

y trouvant de surcrot, telle la Reine,

cette simulation de la matrise du nonagir,

que seul lil de lynx du ministre a pu percer.

Ce signe ravi, voici donc lhomme en sa possession: nfaste de ce quelle ne peut se soutenir que de lhonneur quelle dfie, maudite dappeler celui

qui la soutient la punition ou au crime,

qui lune et lautre brisent sa vassalit la Loi.

Il faut quil y ait dans ce signe un noli me tangere

bien singulier pour que

semblable la torpille socratique [Cf. Mnon 80a-b, p.527 de ld. Pliade, t.1]

sa possession engourdisse son homme au point de le faire tomber dans ce qui chez lui se trahit

sans quivoque comme inaction.

Car remarquer comme le fait le narrateur

ds le premier entretien, quavec lusage de la lettre

se dissipe son pouvoir, nous apercevons que cette remarque ne vise justement que son usage des fins de pouvoir,et du mme coup que cet usage devient forc pour le ministre.

Pour ne pouvoir sen dlivrer, il faut que le ministre ne sache que faire dautre de la lettre.

Car cet usage le met dans une dpendance si totale

de la lettre comme telle, qu la longue

il [cet usage] ne la concerne mme plus.

Nous voulons dire que pour que cet usage concernt vraiment la lettre, le ministre

qui aprs tout y serait autoris

par le service du Roi son matre

pourrait prsenter la Reine des remontrances respectueuses, dtil sassurer de leur effet de retour par des garanties appropries,

ou bien introduire quelque action contre lauteur de la lettre dont le fait quil reste ici hors du jeu, montre quel point il sagit peu ici de la culpabilit et de la faute, mais du signe de contradiction et de scandale que constitue la lettre, au sens o lvangile dit quil faut quil arrive sans gard au malheur de qui sen fait le porteur,

voire soumettre la lettre devenue pice dun dossier au troisime personnage, qualifi pour savoir sil en fera sortir une Chambre Ardente pour la Reine ou la disgrce pour le ministre.

Nous ne saurons pas pourquoi le ministre nen fait pas lun de ces usages, et il convient que nous nen sachions rien puisque seul nous intresse leffet

de ce nonusage, il nous suffit de savoir que le mode dacquisition de la lettre ne serait un obstacle

aucun dentre deux.

Car il est clair que si lusage non significatif

de la lettre est un usage forc pour le ministre,

son usage des fins de pouvoir ne peut tre que potentiel, puisquil ne peut passer lacte sans svanouir aussitt,ds lors que la lettre nexiste comme moyen de pouvoir que par les assignations ultimes du pur signifiant, soit:

prolonger son dtour pour la faire parvenir qui de droit par un transit de surcrot, cestdire par une autre trahison dont la gravit de la lettre rend difficile de prvenir les retours,

ou bien dtruire la lettre, ce qui serait la seule faon sre

et comme telle profre demble par DUPIN den finir avec ce qui est destin par nature signifier lannulation de ce quil signifie.

Lascendant que le ministre tire de la situation

ne tient donc pas la lettre, mais, quil le sache ou non, au personnage quelle lui constitue.

Et aussi bien les propos du Prfet nous le prsententils comme quelquun tout oser, who dares all things

et lon commente significativement:

those unbecoming as well as those becoming a man .

Ce qui veut dire:ce qui est indigne aussi bien que ce qui est digne dun homme, et ce dont BAUDELAIRE laisse chapper la pointe en le traduisant: ce qui est indigne dun homme aussi bien que ce qui est digne de lui.

Car dans sa forme originale, lapprciation est beaucoup plus approprie ce qui intresse une femme.

Ceci laisse apparatre la porte imaginaire de ce personnage, cestdire la relation narcissique o se trouve engag

le ministre, cette fois certainement son insu.

Elle est indique aussi dans le texte anglais,

ds la deuxime page, par une remarque du narrateur dont la forme est savoureuse:

Lascendant, nous ditil, qua pris le ministre, dpendrait de la connaissance

qua le ravisseur, de la connaissance qua la victime de son ravisseur.

Textuellement: the robbers knowledge of the losers knowledge of the robber.

Termes dont lauteur souligne limportance

en les faisant reprendre littralement par DUPIN

tout de suite aprs le rcit sur lequel on a enchan de la scne du rapt de la lettre.

Ici encore on peut dire que BAUDELAIRE flotte en son langage en faisant lun interroger, lautre confirmer par ces mots:

Le voleur saitil

puis

le voleur sait Quoi? que la personne vole connat son voleur.

Car ce qui importe au voleur:

ce nest pas seulement que ladite personne sache qui la vol,

mais bien qui elle a affaire en fait de voleur,

cest quelle le croie capable de tout,

ce quil faut entendre: quelle lui confre la position quil nest la mesure de personne dassumer rellement parce quelle est imaginaire, celle du matre absolu.

En vrit cest une position de faiblesse absolue, mais pas pour qui on donne le croire.

La preuve nen est pas seulement que la Reine

y prenne laudace den appeler la police.

Car elle ne fait que se conformer son dplacement dun cran dans la range de la triade de dpart,

en sen remettant laveuglement mme qui est requis pour occuper cette place:

No more sagacious agent could, I suppose ironise Dupin be desired or even imagined.

Non, si elle a franchi ce pas, cest moins dtre pousse au dsespoir, driven to despair, comme on nous le dit, quen prenant la charge dune impatience

qui est plutt imputer un mirage spculaire.

Car le ministre a fort faire pour se contenir

dans linaction qui est son lot ce moment.

Le ministre en effet nest pas absolument fou.

Cest une remarque du Prfet qui toujours parle dor:

il est vrai que lor de ses paroles ne coule que pour DUPIN, et ne sarrte de couler qu concurrence des cinquante mille francs quil lui en cotera, ltalon de ce mtal lpoque, encore que ce ne doive pas tre sans lui laisser un solde bnficiaire.

Le ministre donc nest pas absolument fou dans cette stagnation de folie, et cest pourquoi il doit se comporter selon le mode de la nvrose:

tel lhomme qui sest retir dans une le pour oublier quoi? il a oubli

tel le ministre ne pas faire usage de la lettre, en vient loublier.

Cest ce quexprime la persistance de sa conduite. Mais la lettre, pas plus que linconscient du nvros, ne loublie.

Elle loublie si peu quelle le transforme de plus en plus

limage de celle qui la offerte sa surprise, et quil va maintenant cder, son exemple, une surprise semblable.

Les traits de cette transformation sont nots,

et sous une forme assez caractristique dans leur gratuit apparente pour tre rapprochs valablement du retour du refoul.

Ainsi apprenonsnous dabord qu son tour il a retourn la lettre, non certes dans le geste htif de la Reine, mais dune faon plus applique, la faon dont on retourne un vtement.

Cest en effet ainsi quil lui faut oprer,

daprs le mode dont lpoque on plie une lettre

et la cachette, pour dgager la place vierge

o inscrire une nouvelle adresse[footnoteRef:23]. [23: Nous nous sommes crus oblig den faire ici la dmonstration lauditoire sur une lettre de lpoque intressant M. de Chateaubriand et sa recherche dun secrtaire. Il nous a paru amusant que M. de Chateaubriand ait mis le point final au premier tat, rcemment restitu, de ses mmoires en ce mois mme de novembre 1841 o paraissait dans le Chambers journal la lettre vole. Le dvouement de M. de Chateaubriand au pouvoir quil dcrie et lhonneur que ce dvouement fait sa personne (on nen avait pas encore invent le don), le feraient-ils ranger au regard du jugement auquel nous verrons plus loin soumis le ministre, parmi les hommes de gnie avec ou sans principes?]

Cette adresse devient la sienne propre.

Quelle soit de sa main ou dune autre, elle apparatra comme dune criture fminine trs fine, et le cachet passant du rouge de la passion au noir de ses miroirs, il y imprime son propre sceau.

Cette singularit dune lettre marque du sceau

de son destinataire est dautant plus frappante

noter dans son invention, quarticule avec force dans le texte, elle nest ensuite mme pas rele