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LA GESTION DES CRUES EN MILIEU URBAIN Nos agglomérations sont exposées à différents dangers d’inondation selon leurs situations géogra- phiques. Mais elles ont pour caractéristiques communes une densité du bâti induisant un potentiel de dommages très important et une faible marge de manœuvre pour l’adaptation des ouvrages de protection qui ne peut donc se faire qu’à des coûts très élevés. Dans ces conditions, l’application d’une gestion intégrée des risques est décisive pour offrir une protection appropriée et rationnelle. Jean-Pierre Jordan, Office fédéral de l’environnement LE RISQUE CRUE EN MILIEU URBAIN Les villes ont souvent été fondées et se sont développées à proxi- mité des cours d’eau, pour les usages de l’eau, pour la boisson, la lessive, l’évacuation des déchets, comme source d’énergie ou moyen de déplacement. A l’origine, dans des endroits à l’abri des inondations, le développement des villes a conduit à occuper les zones inondables. Dans le même temps, les villes ont cher- ché à cacher l’eau et le risque d’inondation en évacuant l’eau le plus rapidement possible par des cours d’eau canalisés et enter- rés. Seuls les cours d’eau les plus importants, et les lacs, de nos grandes villes ont gardé un caractère naturel et leur attractivité pour les loisirs. Les cours d’eau font aujourd’hui entièrement partie du paysage urbain et leur fonction de protection contre les crues ne se rap- pelle aux souvenirs que lors d’événements exceptionnels qui, par la densité d’occupation, provoquent alors souvent des dom- mages considérables (fig. 1). Mais, la plupart du temps, les inondations ne proviennent pas uniquement des débordements de la rivière pérenne qui tra- 50 | ARTICLE AQUA & GAS N o 7/8 | 2012 HOCHWASSERSCHUTZ IN SIEDLUNGSGEBIETEN Städte sind von Hochwasserereignissen nicht ausgenommen. Der Artikel gibt eine Übersicht über bestehende Gefährdungen und zeigt anhand von Beispielen aus der jüngeren Vergangenheit auf, mit welchen konkreten Massnahmen die Risiken vermindert werden können, die durch das Überborden von ständig wasserfüh- renden Fliessgewässern in Agglomerationen ausgehen. Aufgrund gegebener Sachzwänge – vorhandene Bausubstanz und Infrastruk- turen – gestalten sich wasserbauliche Eingriffe zur Erhöhung der Abflusskapazität häufig komplex und kostspielig. Hier sind Ablei- tungs- oder – besser noch – Rückhaltemöglichkeiten zu prüfen. Angesichts der hohen Bodennutzungsdichte ist die Wirtschaftlich- keit wasserbaulicher Massnahmen indessen nicht immer garan- tiert. In solchen Fällen sind Massnahmen zu bevorzugen, die die Verletzlichkeit vermindern. Solche Massnahmen zeichnen sich oft durch eine hohe Effizienz aus, auch wenn ihre Durchführung eine Daueraufgabe darstellt. Und schliesslich gilt es, dem unvermeid- baren Restrisiko Rechnung zu tragen und eine Einsatzplanung für Notfälle auszuarbeiten. Oberstes Ziel des baulichen Hochwasser- schutzes bleibt indessen eine grösstmögliche Robustheit auch bei unerwarteten Ereignissen. Crue d’aout 2007, Bienne (photo: Peter Schaer)

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La gestion des crues en miLieu urbain

Nos agglomérations sont exposées à différents dangers d’inondation selon leurs situations géogra-phiques. Mais elles ont pour caractéristiques communes une densité du bâti induisant un potentiel de dommages très important et une faible marge de manœuvre pour l’adaptation des ouvrages de protection qui ne peut donc se faire qu’à des coûts très élevés. Dans ces conditions, l’application d’une gestion intégrée des risques est décisive pour offrir une protection appropriée et rationnelle.

Jean-Pierre Jordan, Office fédéral de l’environnement

Le risQue crue en miLieu urbain

Les villes ont souvent été fondées et se sont développées à proxi-mité des cours d’eau, pour les usages de l’eau, pour la boisson, la lessive, l’évacuation des déchets, comme source d’énergie ou moyen de déplacement. A l’origine, dans des endroits à l’abri des inondations, le développement des villes a conduit à occuper les zones inondables. Dans le même temps, les villes ont cher-ché à cacher l’eau et le risque d’inondation en évacuant l’eau le plus rapidement possible par des cours d’eau canalisés et enter-rés. Seuls les cours d’eau les plus importants, et les lacs, de nos grandes villes ont gardé un caractère naturel et leur attractivité pour les loisirs.Les cours d’eau font aujourd’hui entièrement partie du paysage urbain et leur fonction de protection contre les crues ne se rap-pelle aux souvenirs que lors d’événements exceptionnels qui, par la densité d’occupation, provoquent alors souvent des dom-mages considérables (fig. 1). Mais, la plupart du temps, les inondations ne proviennent pas uniquement des débordements de la rivière pérenne qui tra-

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HocHwasserscHutz in siedLungsgebieten

Städte sind von Hochwasserereignissen nicht ausgenommen. Der Artikel gibt eine Übersicht über bestehende Gefährdungen und zeigt anhand von Beispielen aus der jüngeren Vergangenheit auf, mit welchen konkreten Massnahmen die Risiken vermindert werden können, die durch das Überborden von ständig wasserfüh-renden Fliessgewässern in Agglomerationen ausgehen. Aufgrund gegebener Sachzwänge – vorhandene Bausubstanz und Infrastruk-turen – gestalten sich wasserbauliche Eingriffe zur Erhöhung der Abflusskapazität häufig komplex und kostspielig. Hier sind Ablei-tungs- oder – besser noch – Rückhaltemöglichkeiten zu prüfen. Angesichts der hohen Bodennutzungsdichte ist die Wirtschaftlich-keit wasserbaulicher Massnahmen indessen nicht immer garan-tiert. In solchen Fällen sind Massnahmen zu bevorzugen, die die Verletzlichkeit vermindern. Solche Massnahmen zeichnen sich oft durch eine hohe Effizienz aus, auch wenn ihre Durchführung eine Daueraufgabe darstellt. Und schliesslich gilt es, dem unvermeid-baren Restrisiko Rechnung zu tragen und eine Einsatzplanung für Notfälle auszuarbeiten. Oberstes Ziel des baulichen Hochwasser-schutzes bleibt indessen eine grösstmögliche Robustheit auch bei unerwarteten Ereignissen.

Crue d’aout 2007, Bienne (photo: Peter Schaer)

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verse la ville. L’inondation du type «crue urbaine» associe des ruissellements, dans les lits urbanisés d’anciens cours d’eau et dans un réseau hydrographique de rues créé de toute pièce lors de l’urbanisation, et le débordement des collecteurs d’éva-cuation des eaux pluviales qui ne permettent d’évacuer que des eaux de précipitations relativement fréquentes. Le refoulement dans le réseau d’assainissement ou les remontées de nappes sont des phénomènes qui aggravent encore les inondations. Enfin, plusieurs villes suisses sont situées au bord des lacs périalpins qui ne peuvent pas toujours contenir les apports des rivières en crue.Si la «crue urbaine» se compose souvent de débordements d’ori-gines diverses, nous nous limiterons volontairement aux crues «éclairs» provoquées par les rivières pérennes. Dans des villes situées en pente ou sur un cône de déjection de torrents, le trans-port solide, l’érosion du lit et des berges, les laves torrentielles peuvent constituer d’autres facteurs aggravants nécessitant des mesures palliatives spécifiques. Elles ne seront pas abordées ici. Destiné à des non spécialistes, cette article passe en revue, au moyen d’exemples, différentes solutions permettant de réduire le risque dans un milieu où l’utilisation très dense du sol ne laisse que peu de marge de manœuvre. Mais, en premier lieu, l’identification des déficits de protection qui résultent de la jux-taposition des dangers potentiels et de l’utilisation du sol exis-tante est indispensable pour évaluer les besoins d’action.

Fig. 1 Brigue 1993: Pouvoir destructeur d’une inondation empruntant les rues en pente (photo: J.-P. Jordan)

Brig 1993: Die zerstörerische Kraft der Fluten einer Überschwemmung in abschüssigen Strassen

La connaissance du dangerLes aménagements réalisés par le passé se fiaient soit à la mé-moire humaine, soit aux vestiges du passé, comme les marques de niveau de crues sur les bâtiments ou les ouvrages. Les ob-servations lors de crues constituaient la seule source complé-mentaire d’information hydrologique et hydraulique. Des adap-tations progressives étaient réalisées après des événements destructeurs, les réflexions sur le dimensionnement hydraulique des ouvrages étant alors réduites au minimum. Des collecteurs de cours d’eau enterrés dont le diamètre diminue vers l’aval ne sont pas des cas exceptionnels. Les ponts ou voûtages étaient dimensionnés pour d’autres contraintes que celles de la sécurité hydraulique (profil en long de la route et portée du pont).

De nos jours, l’analyse du danger est en revanche réalisée sous une forme systématique et standardisée à l’échelle de l’entier du bassin versant. Elle se base sur des estimations hydrologiques robustes et la prise en compte des incertitudes. Sur le plan de l’hydraulique, la grande hétérogénéité des sections d’écoulement est une caracté-ristique dominante en milieu urbain. La présence de singulari-tés hydrauliques, qui sont autant de points faibles, rend souvent la définition de scenarii compliquée. Lors du calcul hydraulique, les passages sous routes, les ponts, les ouvrages d’entrée des collecteurs doivent faire l’objet d’une attention particulière avec des calculs hydrauliques détaillés. Les processus de danger vont également dépendre de la pré-sence ou non de transport solide ou de matériaux flottants. La nécessité de mettre en œuvre une modélisation du transport solide doit être appréciée rapidement en fonction des conditions rencontrées.La comparaison des capacités hydrauliques, ou l’estimation des risques d’embâcle, avec les débits de pointe de différentes pé-riodes de retour donne un débit probable de débordement. Les in-tensités, hauteurs d’eau ou vitesses des eaux débordées doivent être évaluées en tout point. Cette évaluation se fait à l’aide de visites sur terrain en vue de définir des cheminements préféren-tiels, spécificité du milieu urbain. Puis, des calculs hydrauliques sommaires à l’aide d’un modèle unidimensionnel sont effectués. Depuis quelques années, la mise à disposition de modèles numé-riques de terrain de haute précision et la puissance de calcul des ordinateurs a cependant permis de développer des modèles ma-thématiques à deux dimensions. La carte de dangers actuelle de la station de Verbier (VS) a été établie selon cette approche par le bureau HydroCosmos SA [1]. La commune de Bagnes a en effet fait l’expérience que la carte de dangers établie précédemment, basée sur des calculs unidimensionnels et des visites de terrain, n’offrait pas une résolution et une précision suffisante pour juger efficacement de la situation de danger des nombreux projets de construction. Une nouvelle carte de dangers basée sur une resti-tution photogrammétrique et sur une modélisation hydraulique bidimensionnelle de haute définition a donc été établie. Un modèle hydrodynamique 2D sur la base du modèle numérique de terrain résolvant les équations complètes de St-Venant par la méthode des volumes finis a permis de simuler chaque scénario de déborde-ment, pour la crue centennale et la crue extrême, à chaque endroit critique de chaque cours d’eau (93 scénarios ont été définis pour la crue centennale). Pour chaque scénario, une carte d’intensité a été établie dont la superposition a constitué la carte de dangers.Le résultat de cette approche est donné à la figure 2 qui compare la nouvelle carte avec celle obtenue par une approche simplifiée.La carte de dangers 2011 présente des dangers moins étalés que la carte de dangers 2004. Car les simulations bidimensionnelles permettent de déterminer en détail les cheminements préféren-tiels de l’eau. L’eau débordée d’un torrent ne se répartit pas uni-formément sur le terrain; elle est très vite canalisée par des pe-tites structures dans la topographie (routes, etc.). Elle présente aussi beaucoup moins de surfaces touchées par des intensités moyennes (bleue) et fortes (rouge). Ceci est certainement dû en partie aux calculs d’intensités plus précis. La transposition dans l’aménagement du territoire de cartes de telles précisions soulève toutefois quelques réserves. Car, mal-gré tous les progrès réalisés dans la représentation des proces-sus de dangers, les incertitudes restent importantes.

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L’estimation des débits de pointe ou des volumes de crues de temps de retour élevés (100 ans ou plus) sur des petits bassins versants non jaugés peut conduire à des incertitudes de l’ordre de 50%, alors que c’est souvent l’écart qui sépare une crue décennale d’une crue centennale. Ces incertitudes concernent également le cheminement des eaux qui peut être modifié constamment au cours du temps, soit par une modification de la géométrie du lit majeur (aménagements locaux), soit pendant l’événement par les débris urbains créant des embâcles (voiture, chariot de supermarché, etc.). Les cartes de dangers et leur transposition dans l’aménagement du territoire doivent en tenir compte en adoptant une démarche prudente dans l’interprétation des documents de dangers. En revanche, une évaluation détaillée des intensités à l’aide d’un modèle 2D peut fournir des renseignements précieux pour le dimensionnement des mesures de protection aux objets qui seront abordées plus loin.L’analyse systématique des dangers de crues menée depuis une quinzaine d’années couvre aujourd’hui pratiquement tout le ter-ritoire suisse. La démarche a conduit à mettre en évidence des dangers souvent ignorés qui justifient une meilleure protection.

La gestion integrÉe des risQues

Aujourd'hui, la protection contre les dangers naturels se conforme aux principes de la gestion intégrée des risques qui vise à les réduire en appliquant toute la palette de mesures de protection possible et en les combinant de manière optimale tenant compte des contraintes économiques, sociales et environ-nementales. Pendant longtemps, une foi inébranlable dans la technologie a conduit à privilégier une action de pure défense contre les dan-gers qui pouvait offrir, pensait-on, une protection absolue. Or, cela ne suffit pas à maîtriser les risques, spécialement en milieu urbain. Les autres solutions disponibles consistent alors à agir sur les deux autres termes de l’équation définissant le risque: R = A (P, I) × E × V, où A est l’aléa (ou le danger) caractérisé par une probabilité P et une intensité I, E est l’exposition au risque et V, la vulnérabilité de l’objet.La prévention la plus efficace vis-à-vis des dangers naturels consiste essentiellement à utiliser le territoire de manière ap-propriée, en soustrayant les biens ou les personnes à la menace,

c’est-à-dire à agir sur les terme E ou V. C’est la raison pour laquelle les mesures de planification du territoire sont de pre-mière priorité selon la loi fédérale sur l’aménagement des eaux (LACE, SR 721.100). Dans ce cadre, alors que les interdictions de construire sont de portée limitée en milieu déjà construit, la réglementation sur les constructions permettra de réduire significativement leur vulnérabilité. Cette réglementation vise des mesures de protection directe des objets.Les mesures d’urgence permettent également de soustraire les personnes ou les biens à l’exposition des risques. Elles portent sur l’alerte à la population et son évacuation, ou la préservation des biens à l’intérieur des bâtiments. Elles peuvent permettre d’épargner des dommages importants. Il a été estimé que lors des crues 2005 qui ont provoqué pour plus de 3 milliards de francs de dommages, une meilleure alarme et organisation des interventions d’urgence aurait permis de réduire ceux-ci de 600 millions.

Les amÉnagements de ProtectionLes contraintes définies par le milieu déjà fortement bâti laissent peu de marge de manœuvre et des mesures de construction éco-nomiques sont souvent difficiles à trouver. L’espace réservé au cours d’eau est limité et ne peut être agrandi, dans un objectif d’augmentation de la capacité hydraulique, qu’au prix d’inves-tissements très importants et en conflit avec d’autres utilisations du sol. Le manque d’espace et la présence d’une infrastructure dense en surface et en souterrain (tous les réseaux) rend les chantiers particulièrement onéreux.Les travaux en cours de réalisation à Naters (VS) sur la rivière Kelchbach en constituent un bon exemple. L’augmentation de la capacité hydraulique nécessaire pour la porter d’environ 50 m3/s à 100 m3/s, permettant d’évacuer une crue extrême, a nécessité un élargissement sur la voie publique. Cette aug-mentation de section ne pouvait se réaliser qu’en créant des consoles, car les deux routes longeant la rivière étaient indis-pensables au maintien de l’accès aux bâtiments. Dans ces condi-tions, des objectifs environnementaux sont également difficiles à atteindre, même si l’élargissement a permis de redonner un fond du lit plus naturel (fig. 3).Parmi les solutions alternatives à un élargissement, le rehausse-ment des murs de rives ou l’approfondissement du lit du cours d’eau ne permettent souvent pas d’augmenter suffisamment la

Fig. 2 Comparaison des cartes de dangers établies sur la base de modèles 1D et 2D (tiré de [1]) Vergleich der auf Basis von ein- und zweidimensionalen Modellen [1] erstellten Gefahrenkarten

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capacité hydraulique. Cela ne peut se faire que dans une pro-portion limitée, principalement pour des questions d’intégration paysagère, quand il s’agit de murs, et de coûts (reprise en sous-œuvre des ouvrages) ou d’impact sur les eaux souterraines, lorsque le lit du cours d’eau est abaissé. Ces solutions sont alors peu robustes: elles ne peuvent être adaptées ultérieurement à un coût raisonnable, notamment à cause des effets du change-ment climatique [2].Restent alors les solutions de rétention des eaux ou de dérivation à l’amont de l’agglomération. La dérivation des eaux est encore souvent pratiquée, les derniers exemples en date étant celles du Lyssbach à Lyss (BE) par un tunnel ou de la Flaz à Samedan (GR) par un nouveau tracé du cours d’eau à l’extérieur du village. Ces interventions ont l’inconvénient d’être très chères. En outre, sans intervention sur le cours d’eau lui-même, il n’est pas pos-sible de développer des synergies en atteignant des objectifs de revitalisation. Sur la Flaz, la réalisation d’un nouveau tracé naturel du cours d’eau contournant le village constitue une ex-ception, car une telle opportunité ne se présente que rarement. Lorsque la dérivation se fait par un collecteur enterré, les me-sures souffrent également d’un manque d’adaptabilité. Sur l’Aire (GE), une galerie de décharge a été réalisée dans les années 80 afin de dériver ses eaux de crue vers le Rhône et protéger ainsi un quartier important de la ville de Genève. La Tribune de Ge-nève titrait à ce sujet le 12 décembre 1979: «Trois projets pour sauver l’Aire. Le meilleur: creuser une galerie sous Confignon pour absorber les crues et réguler le débit. Les deux autres pro-jets coûteraient cher à l’entretien, sacrifieraient de nombreux arbres et sonneraient le glas de ce qui reste encore comme rives naturelles».Le montant des travaux a atteint 23 millions de francs de l’époque, avec un dépassement d’un quart des coûts du devis ini-tial en raison des difficultés du terrain traversé (limons fluents). Aujourd’hui, les nouvelles évaluations hydrologiques, tenant compte notamment de l’important développement de l’urbanisa-tion du bassin versant à l’amont sur la partie française, montrent

que la dérivation ne permet pas d’atteindre une protection suf-fisante de l’aval. C’est la raison pour laquelle la réalisation d’un bassin de rétention des crues va prochainement démarrer cou-plée avec la renaturation de l’Aire. Les temps changent.La rétention représente effectivement une alternative intéres-sante lorsque le bassin versant n’est pas de trop grande im-portance (jusqu’à quelques dizaines de km2). Car les volumes nécessaires deviennent vite très importants. Une statistique sommaire réalisée sur les bassins de rétention du pays montre qu’il faut pouvoir stocker environ 10 000 m3 par km2 pour écrê-ter efficacement une crue rare. La restauration des surfaces d’expansion des crues afin de mieux protéger l’aval répond à une nouvelle orientation de la protection contre les crues. Que ce soit la rétention à petite échelle (rétention à la source), dans des zones naturelles ou dans des ouvrages avec digue de rétention, toutes les opportuni-tés doivent être utilisées.

Fig. 3 Travaux d’aménagement du Kelchbach à Naters (VS) (photo: S. Summermatter)

Hochwasserschutzarbeiten am Kelchbach in Naters (VS)

Fig. 4 Caractéristiques hydrauliques principales des ouvrages de rétention et vue actuelle de l’ouvrage sur la Mèbre à Chavannes-près-Renens situé en bordure d’autoroute (photo: J.-P. Jordan)

Die wichtigsten Hydraulikeigenschaften der Rückhaltewerke und aktuelle Ansicht des Werkes an der Mébre bei Chavannes-près-Renens, einem an der Autobahn gelegenen Ort

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Dans l’ouest lausannois (VD), quatre ouvrages de rétention ont été réalisés à la fin des années 90 sur la Sorge et la Mèbre qui se rejoignent pour former la Chamberonne. Ces rétentions dont le schéma est représenté à la figure 4 ont été dimensionnées sur la base d’une modélisation pluie-débit continue afin de représenter au mieux l’éventail des conditions hydrologiques qui pourraient advenir lors d’un événement exceptionnel. Grâce à l’écrêtement des crues dans ces ouvrages, il a été possible de renoncer à des adaptations très onéreuses de l’infrastructure actuelle, notam-ment à l’adaptation de nombreux voûtages sous les routes. Un autre avantage constaté est la valorisation des espaces destinés à la rétention pour atteindre des objectifs écologiques ou de loi-sir [4].Cette brève revue des ouvrages de protection contre les crues se-rait incomplète, si l’un des aspects clefs n’était pas abordé. C’est celui du cas de surcharge [3]. Il est en effet indispensable de prendre en considération que les mesures de protection peuvent engendrer des risques particuliers en cas de défaillance. Il faut donc prévoir le dépassement de la capacité de ces ouvrages lors d’événements plus critiques que ceux ayant servis au dimen-sionnement. Les risques technologiques doivent être écartés afin que le remède ne s’avère pas pire que le mal. Les débits excédentaires seront dirigés dans la mesure du possible vers des zones de moindre sensibilité.

agir sur L’eXPosition auX risQues ou sur La VuLnÉrabiLitÉL’espace limité disponible en milieu urbain et les coûts impor-tants que cela peut engendrer rendent parfois les mesures de

construction disproportionnées. D’où la nécessité de privilégier les actions sur la vulnérabilité et l’exposition aux risques.

L A CO N ST RU CT I O N E N Z O N E I N O N DA B L E O U L E S P ROT E CT I O N S D ’ O BJ E TSLa construction en zone inondable devrait être limitée aux zones déjà urbanisées et à la condition que des mesures prises direc-tement sur le bâtiment puissent protéger les premiers niveaux d’habitation. Pour dimensionner les mesures visant à protéger des objets, il faut disposer des données concernant la hauteur d’inondation et la vitesse de l’écoulement. Les résultats des si-mulations 2D, présentées précédemment, représentent alors un atout. Les actions possibles sont très bien documentées dans les recommandations des établissements cantonaux d’assurance [5]. Il y a lieu de distinguer les mesures permanentes des me-sures temporaires. En milieu urbain, en raison de la rapidité des phénomènes et donc du temps d’intervention réduit, les mesures permanentes sont à préférer. Des adaptations de faible ampleur permettent souvent d’éviter des dommages considérables, sans qu’il faille limiter l’utilisation des bâtiments ou supporter un coût considérable. Ces mesures sont par conséquent d’une grande efficacité économique. Pour se prévenir des crues, les mesures suivantes peuvent être mentionnées. Pour les construc-tions existantes: surélévation des soupiraux, construction de digues ou de murs, étanchement des ouvertures, ancrage des ci-ternes à mazout. Pour les nouvelles constructions: surélévation du rez-de-chaussée ou des ouvertures, utilisation appropriée des espaces intérieurs, agencement sur remblai ou construction de digues ou de murs. Les réseaux d’énergie, de téléphone ou d’as-sainissement peuvent être mis hors d’eau soit par étanchéité, soit par surélévation au-dessus du niveau de référence.Lors d’intempéries en 1998, l’entrée de la conduite d’eau souter-raine ayant été encombrée par des alluvions, le Werdbach à Hei-den (AR) est sorti de son lit occasionnant d’importants dégâts. Par manque de place et en raison des coûts, des mesures d’aug-mentation de la capacité du voûtage n’étaient pas envisageables.Les simulations 2D réalisées suite à la crue ont montré que l’eau a en grande partie cheminé en suivant l’ancien lit du Werdbach enterré. Si elles ont mis en évidence que l’eau s’est écoulée à grande vitesse, son niveau est resté limité. Si bien que de petites modifications effectuées dans le terrain s'avèrent suffisantes pour diriger l’eau sur la route principale vers des secteurs où elle occasionnait un minimum de dégâts. Autour de l’hôpital, les trottoirs ont été surélevés et des murets de jardin construits (fig. 5).

L E S I N T E RV E N T I O N S D ’ U RG E N C EMalgré toutes les mesures de prévention possibles prises, il n’existe pas de protection absolue contre les crues. La violence de l’eau recèle un danger potentiel qui peut ni être saisi dans toute son étendue, ni maîtrisé totalement. Pour bien gérer le risque restant, il est indispensable de disposer d’une organi-sation en cas d’urgence qui soit structurée intelligiblement et qui comporte une répartition claire des compétences et un plan d’action correspondant. Cette organisation en cas d’urgence n’est utile que si elle peut être mise en place rapidement. Dans les petits bassins versants, les orages localisés très intenses conduisent à une montée des eaux extrêmement rapide.Le canton de Lucerne [6] a lancé une vaste réflexion pour éla-borer un concept d’intervention d’urgence qui puisse être mis à disposition des communes. Les interventions sont structurées

Fig. 5 Des murs bas et des puits protègent l’hôpital contre une nouvelle inondation (photo: M. Eugster)

Wälle und Schächte schützen das Krankenhaus vor weiteren Über-schwemmungen

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selon trois niveaux d’urgence, de la mobi-lisation à la situation de catastrophe en passant par l’intervention (phase oran-ge). Trois éléments constituent le plan d’intervention: des instructions détail-lées sur les tâches à effectuer (mesures à prendre avec quel matériel et combien de personne), des plans d’intervention où les tâches sont situées et enfin des instructions générales qui contiennent la définition du déclenchement des phases ainsi que de brèves instructions de tac-tique (fig. 6). La difficulté principale est de mettre en évidence les seuils de déclenchement des différentes phases. Toute la planification est basée sur une collaboration étroite entre les spécialistes des dangers natu-rels et les pompiers.

concLusions

Une large palette de solutions existe donc pour permettre de réduire efficacement le risque. Particulièrement en milieu urbain, aucune ne doit être écartée car les contraintes laissent peu de marges de manœuvre à l’aménagement des cours d’eau. C’est donc seulement en englobant

tous les volets de la gestion intégrée des risques (mesures d’aménagement du territoire, de protection des objets, plans d’intervention en cas d’urgence, etc.) en plus des possibilités techniques de la protection contre les crues que des stra-tégies de protection robustes peuvent être élaborées. C’est un des plus grands défis pour le concepteur [3], car pour se faire il doit s’appuyer sur un nombre important d’acteurs et faire preuve d’une approche pluridisciplinaire. Pour le dimensionnement d’ouvrages également, il devra faire preuve d’imagi-nation. Les événements catastrophiques présentent la plupart du temps un dérou-lement inattendu tant dans l’ampleur du phénomène que dans les processus mis en jeux. Penser à l’impensable, prévoir la construction d’ouvrages résilients et gé-rer les risques résiduels requièrent alors des approches créatives. Tout en sachant que finalement chaque individu peut éga-lement fortement contribuer à la réduc-tion des dommages lors d’un événement. Dans ce but, la société doit clairement informer la population des dangers et lui enseigner les règles de comportement élémentaires en cas de crue.

bibLiograPHie[1] Dubois, J. et al. (2012): NOMOS – un modèle

bidimensionnel à haute résolution pour l’établisse-

ment d’une carte de danger. Interpraevent 2012,

Proceedings

[2] Kommission Hochwasserschutz (KOHS) (2007):

Répercussions des changements climatiques sur

la protection contre les crues en Suisse. Eau, éner-

gie, air n° 99/1, 60–62

[3] Bezzola, G. R. (2008): Le cas de surcharge: défini-

tion, stratégies, concepts. Cours de perfectionne-

ment KOHS «Protection contre les crues»

[4] Ministère de l’aménagement du territoire et de

l’environnement (1999): Valoriser les zones inon-

dables dans l’aménagement urbain. Repères pour

une nouvelle démarche. Dossiers Eau et aménage-

ment, CERTU no 97

[5] Egli, Th. (2005): Recommandations Protection des

objets contre les dangers naturels gravitationnels.

Association des établissement cantonaux d’assu-

rance incendie (Ed.), Berne

[6] Graf, R. (2012): Nature hazard emergency plan-

ning on local level. The bottom-up approach of the

canton of Lucerne. Interpraevent 2012, Extended

approach

[7] Office fédéral des eaux et de la géologie (2001):

Protection contre les crues des cours d’eau. Direc-

tives de l’OFEG, Bienne.

Site Internet: www.bafu.admin.ch/naturgefahren/

Fig. 6 Exemple d’un plan global d’intervention (à gauche) et d’une feuille d’instruction des tâches sur la Kleine Emme dans la ville de Lucerne Beispiel eines globalen Einsatzplans (links) und Ausführungsanweisung für die Kleine Emme in Luzern

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