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1 La Gestion axée sur les résultats et le développement local ? La GRD (Gestion Axée sur les Résultats) est elle une procédure de plus après tant d’autres (RCB, LOLF, etc) , des procédures souvent imposées par les bailleurs de fonds et certaines organisations internationales ? Ce sont ces dernières organisations qui avaient, et pas à tort, insisté sur la nécessaire démocratisation et l’implication des populations, sans pourtant beaucoup se préoccuper d’en adapter les formes et le contenu aux réalités des pays concernés. S’apercevant alors que cela ne débouchait pas systématiquement sur une progression du développement et que parfois même cela pouvait, parce que trop centré sur les apparences, provoquer des désordres dans des Etats fragilisés, les bailleurs ont légitimement mis ensuite l’accent sur la bonne gouvernance. Mais, depuis quelques temps, constatant que cet accent avait surtout été mis sur les procédures en oubliant d’en vérifier l’efficacité, on a insisté sur la nécessaire évaluation, sans toutefois que les objectifs initiaux aient été toujours clairement identifiés ou même tout simplement oubliés au profit de règles sélectives de « bonne gestion ». On s’empressa alors d’y ajouter des mécanismes et procédures d’évaluation pour en vérifier la réussite, mais avec des évaluations trop ponctuelles, à posteriori et plus ou moins parachutées. D’où cette volonté d’accorder désormais la priorité, non seulement à l’analyse des résultats et à leur vérification dans le cadre d’une démarche intégrative, participative et plus transparente. On en peut donc que se réjouir de cette évolution, à laquelle Afrik4R n’a pas peu contribué, et qui rejoint en effet le concept et même la philosophie du développement local. En outre cette évolution coïncide avec les mouvements de décentralisation et régionalisation en cours ou à l’étude dans nombre de nos pays. Cela rejoint même plus largement la question de la modernisation ou de l’adaptation de nos Etats qui est ainsi à l’ordre du jour avec, il faut bien en convenir, des contraintes budgétaires de plus en plus sévères qui obligent à rechercher l’efficacité maximum. Quand je parle de l’Etat, je pense évidement tant à l’Etat central qu’à ses composantes déconcentrées et, surtout, décentralisées. La promotion de la GRD suppose t-elle qu’auparavant on ne se souciait pas des résultats, à moins qu’il ne s’agisse aussi, et peut-être principalement, d’une question culturelle, et donc de formation ? Je ne puis donc, personnellement et comme militant et ancien acteur de la décentralisation et du développement local, rejoindre ce que, dans la présentation des objectifs de ces journées, vous nommez une « vision ». Elle est indispensable mais ne s’improvise pas

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La Gestion axée sur les résultats et le développement local ? La GRD (Gestion Axée sur les Résultats) est elle une procédure de plus après tant d’autres (RCB, LOLF, etc…) , des procédures souvent imposées par les bailleurs de fonds et certaines organisations internationales ? Ce sont ces dernières organisations qui avaient, et pas à tort, insisté sur la nécessaire démocratisation et l’implication des populations, sans pourtant beaucoup se préoccuper d’en adapter les formes et le contenu aux réalités des pays concernés. S’apercevant alors que cela ne débouchait pas systématiquement sur une progression du développement et que parfois même cela pouvait, parce que trop centré sur les apparences, provoquer des désordres dans des Etats fragilisés, les bailleurs ont légitimement mis ensuite l’accent sur la bonne gouvernance. Mais, depuis quelques temps, constatant que cet accent avait surtout été mis sur les procédures en oubliant d’en vérifier l’efficacité, on a insisté sur la nécessaire évaluation, sans toutefois que les objectifs initiaux aient été toujours clairement identifiés ou même tout simplement oubliés au profit de règles sélectives de « bonne gestion ». On s’empressa alors d’y ajouter des mécanismes et procédures d’évaluation pour en vérifier la réussite, mais avec des évaluations trop ponctuelles, à posteriori et plus ou moins parachutées. D’où cette volonté d’accorder désormais la priorité, non seulement à l’analyse des résultats et à leur vérification dans le cadre d’une démarche intégrative, participative et plus transparente. On en peut donc que se réjouir de cette évolution, à laquelle Afrik4R n’a pas peu contribué, et qui rejoint en effet le concept et même la philosophie du développement local. En outre cette évolution coïncide avec les mouvements de décentralisation et régionalisation en cours ou à l’étude dans nombre de nos pays. Cela rejoint même plus largement la question de la modernisation ou de l’adaptation de nos Etats qui est ainsi à l’ordre du jour avec, il faut bien en convenir, des contraintes budgétaires de plus en plus sévères qui obligent à rechercher l’efficacité maximum. Quand je parle de l’Etat, je pense évidement tant à l’Etat central qu’à ses composantes déconcentrées et, surtout, décentralisées. La promotion de la GRD suppose t-elle qu’auparavant on ne se souciait pas des résultats, à moins qu’il ne s’agisse aussi, et peut-être principalement, d’une question culturelle, et donc de formation ? Je ne puis donc, personnellement et comme militant et ancien acteur de la décentralisation et du développement local, rejoindre ce que, dans la présentation des objectifs de ces journées, vous nommez une « vision ». Elle est indispensable mais ne s’improvise pas…

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Cela correspond à la méthodologie promue par les responsables de la BAD auxquels je tiens à rendre hommage. Ils ont su, mais cela a été dit par d’autres, éviter de se plier aux méthodes procédurales d’autres organisations. Dans l’interview qu’il nous a accordée en décembre dernier à l’occasion de la Conférence de Dakar sur la coopération transfrontalière, organisée par le CCT/UEMOA avec le Global local forum, le président de la BAD, M. Donald KABERUKA, avait ainsi insisté sur cette dimension du développement local, sur le rôle en ce sens des villes et collectivités territoriales. Cette préoccupation est particulièrement d’actualité au moment on l’on débat un peu partout dans le monde, au moins dans les états démocratiques, du rôle de l’Etat : celui-ci doit il être un Etat gestionnaire ou un Etat Stratège ou Manager ? un Etat central gestionnaire et tutélaire, ou un Etat mobilisateur intégrant également les collectivités territoriales qui participent à la puissance publique ? Un tel Etat pourrait il mieux se concentrer sur le maintien ou le renforcement des équilibres géographiques, sociaux, économiques, et assurer collectivement la protection et la sécurité indispensable des citoyens, ainsi que les libertés individuelles et collectives, voire identitaires ? Ces questions sont incontestablement liées à notre sujet Je ne reviendrai pas sur les principes même qui caractérisent la GRD sauf pour souligner que c’est à juste raison que les organisateurs ont fait le lien avec le développement local. Il y a là assurément une complémentarité dans la mesure où la GRD renforce tant les principes que la méthodologie dans une complémentarité qu’il convient en effet de renforcer. Je relève que la GRD emprunte à l’entreprise privée certaines de ses méthodes. Pour le chef d’entreprise ou l’artisan, le résultat est la priorité absolue avec le marketing (et le géomarketing). Ne parle t-on pas aujourd’hui de marketing territorial ?

Le développement local Le concept de développement local est apparu en France en réaction aux pratiques dirigistes de l’aménagement du territoire fondées sur des logiques sectorielles de filières, dans le cadre de politiques de planification. Ces dernières ont certes, comme dans d’autres pays centralisés, jouer un rôle dans le rééquilibrage territorial mais sans provoquer de véritable dynamique de développement. Cela fait aussi partie de l’héritage colonial qu’il est pas possible d’ignorer. Le développement local est donc bien né d’une volonté de joindre à cette action publique descendante et volontariste, politiques et stratégies ascendantes de type « autogestionnaire » (comme on disait alors) basées sur le territoire. Une démarche qui est plus proche de la culture de notre continent. Le développement local est d’abord un mouvement culturel, économique, social qui entend valoriser (et donc repérer) les ressources et potentialités d’un territoire bien identifié, aussi cohérent que possible, et pris en charge par les populations et acteurs qui vivent sur ce territoire. Ce développement doit être global et non plus seulement sectoriel. Et c’est dans la méthode d’organisation que l’on rejoint les règles de la Gestion Axée sur les Résultats. Les élus locaux jouent un rôle décisif dans cette dynamique de sensibilisation et mobilisation des « forces vives » du territoire, publiques aussi bien que privées, et de tous les secteurs d’activité. Il s’agit bien d’abord de porter un diagnostic de la réalité dudit territoire et de son environnement, sans oublier son voisinage, d’en identifier les forces et faiblesses, et de définir des objectifs généraux et d’autres ciblées comme prioritaires et concrets pouvant avoir un rôle d’entrainement ou jouer un rôle de levier.

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La communication internet et externe (marketing territorial) essentielle dans la construction d’une réelle dynamique démocratique et collective, ce qui suppose des méthodes participatives et d’organisation délibérative et décloisonnées, aussi claires et transparentes que possible pour coller aux réalités de terrain vécues par les populations et à leur évolution. La recherche de l’efficacité est au cœur de cette démarche qui doit aussi mobiliser des moyens, notamment financiers, internes et externes, ces derniers exigeant donc une vraie stratégie de développement basée sur les richesses du territoire, y compris humaines, ouverte sur l’extérieur, y compris à l’étranger avec éventuellement le rôle des diasporas, sans oublier le rôle des cultures identitaires qui peuvent être des éléments de valorisation et donc de développement harmonieux. La formation est aussi décisive. Mais cette recherche d’efficacité, dans toutes ses dimensions, nécessite de s’inscrire dans la durée indispensable à tout développement, avec la mise en place d’un dispositif de suivi ou de control (sans « e ») comme on dit en anglais, en continu afin de permettre les adaptations qui peuvent se révéler utiles pour atteindre les objectifs définis au départ et qui peuvent ainsi intégrer des contraintes ou opportunités nouvelles. Ce sont en effet ces résultats qu’il convient d’analyser pour vérifier qu’ils correspondent bien à ces objectifs sachant que ceux-ci doivent être inscrits dans la durée et respecter l’environnement y compris institutionnel et politique. Cette dimension de la durée est trop souvent négligée dans la mesure où un résultat peut être différent dans le temps avec des effets négatifs ou inattendus qui peuvent apparaître, ou parce que tous les paramètre en matière de fonctionnement n’ont pas été intégrés ou pris en compte. (Exemple de telle école construite par une ONG et inaugurée avec force publicité, mais sans avoir programmé les moyens de d’entretien et de fonctionnement, conduisant parfois à aller « piocher » autoritairement des enseignants dans des écoles de villages voisins au détriment de ceux-ci). Je voudrais, à ce propos, insister sur le concept de multi-level-governance, ou gouvernance à multiniveaux, développé par le Comté des Régions de l’Union européenne. Il est en effet indispensable d’articuler la stratégie de développement local avec celles des autres niveaux de décision, notamment celui de l’Etat dont les représentants sont évidement associés aux différentes phases évoquées. Enfin, je rappelle que les populations concernées sont aussi celles qui votent, quand cela leur est possible, et que c’est aussi une manière de rester attentif aux résultats. Il y a enfin un vrai besoin de renforcement des capacités (capacity builfding) au sein de nos collectivités locales, villes et régions, et qu’il y a un besoin de formation de nos collaborateurs à la démarche de la Gestion Axée sur le Résultats. Il s’agit d’un sujet qui pourrait d’ailleurs être opportunément inscrit dans le partenariat que je viens de signer avec l’EuroAfricanPartnerShip de Florence, en Italie, qui envisage de développer les échanges de fonctionnaires entre l’Europe et l’Afrique. Pour être concret et constructif avec un objectif de résultat, je pourrais proposer au président Enrico Cecchetti, si vous l’estimiez utile cher président Ibrahima NDIAYE, que nous nous puissions nous associer en ce sens avec l’Afrika4R. Je vous remercie de votre attention.

Abdoulaye SENE Septembre 2014

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