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LA FANTAISIE DE L'EXISTENCE CHEZ TRISTAN . CORBIERE

by

Andris Talmanis.

Thesis submitted to the Faculty of Graduate Studies

and Research in partial fu1filment of the requiremants

for the degree of Master o~ Arts

Department.of French Language and Literature, McGill University, Montreal.

April, 1967 •

E -;-, @ Andris Talmanis 1969 ~t~

Résumé de

LA FANTAISIE EXISTENTIELLE CHEZ TRISTAN CORBIERE

par

A. TALHANIS

4

Le bût de cette·thèse est de montrer que l'oeuvre de

Tristan Corbiêre est avant tout une fantaisie existentielle.

L'idée de l'auteur est de parvenir à la IIpossession" de la

vie dont il rêvait. En fait il n'en est rien et l'on retombe

dans "l'harmonie perdue" ce qui se traduit, 1:iJ:l;érairement

pariant, par "la fantaisie".l La vie et l'oeuvre de l'auteur

illustrent une fantaisie de "l'engagement".

Pour imiter son père, Tristan avait le désir de s'engager

dans l'action. l-1alheureusement· pour lui la maladie a coupé

court à tous ses espoirs. S'il avait eu la possibilité de

participer au Symbolisme son oeuvre aurait eu une signification

d'engagement. Comme il est resté toute sa vie sans contact

avec les I110uvements littéraires, 1 t engagement par l'oeuvre lui

fut impossible aussi.

La vie et l'oeuvre sont donc devenus un jeu pour Tristan

Corbière, et le jeu peut rarement être sérieux. Dans sa vie

il y a des mystifications et des tours au dépens de ses concitoyens.

Cependant cet humour est toujours près du douloureux. Il se

moque des conventions et, dans l'oeuvre du poète, cela se

traduit par un manque de respect pour la langue traditionelle. -.

En ce qui concerne la vie de Corbière les sources principales

de cette thèse sont les études de Martineau, de Levi et de

1 , Au sens ou l'entend Ch~r1es Lalo

Sonnenfeld. Pour situer la vie de l'auteur· par rapport aux

Amours Jaunes" et cela dans le contexte de l'existence" ~

Traité du Désespoir de Soeren Kirkegaa~d, Les Philosophies

de l'Existence de Jean· Wahl et l and Thou de Martin Buber ont

fourni le fond de p~nsée nécessaire~

TABLE DES MATIERES

Chapitre

-1. APERCU DE LA VIE D'EDOUARD CORBIERE, LE PERE DE TRISTAN • • • • • • • • • •

Page

• • • • • • 1

II • lA JEUNESSE DE TRISTAN CORBIERE. • 0 0 • • • • • • 6

III. LA NAISSANCE DE LA. "FANTAISIE EXISTENTIELLE n CHEZ TRISTAN CORBIERE. • • • •. • • • • • • • e e 015

. -

IV • LA tlFANTAISIE EXISTENTIELLE Il BANS LA VIE. DE TRISTAN CORBIERE. • _. • .. •• • • • • • .• • • .22

. . V • LA. "FANTAISIE EXISTENTIELLE Il DANS LES

AMOURS JAUNES. • • • • • • • • • • • • • • • • .'- • .33,

VI • lA FANTAISIE DANS LE LANGAGE POETIQUE DES AMOURS JAUNES ••• i •••••.••• • • • • •

VII. CONCLUSION ••• • • • • • • • • • • • • • • • • .88 VIII. BIBLIOGRAPHIE. • • • • • • • • • • • • • • • • • .qza

CHAPITRE 1

APERCU DE LA. VIE D'EDOUARD CORBIERE" .1

LE PERE DE TRISTAN

, Né en 1793" le pere de Tristan eut une jeunesse

aventureuse. ,

Son pere, capitaine· d'artillerie de marine~

mourut en 1802 laissant seulement une petite pension.

Sa mère l'inscrivit sur le registre des cadets de la

Marine impériale en 1807. ,En 1811 il fut légèrement blessé

quand "La Cannonière 93 11 à bord·de laquelle il se trouvait,

fut coulée par la brigantine anglaise "Scylla Il. Après

quelques mois passés dans lescoriditions terribles des pon­

tons anglais il fut renvàyé sur parole en France. Affecté

au· port de Brest il y resta· jusqu 1 en 1816 quand son nom fut

rayé du registre de la Marine par le gouvernement de la

Restauration. 1

En 1818 il devint l'éditeur du journal politique

la Guêpe à Brest mais·sa publication dut être intérrompue . .

en 1819 à cause de difficultés avec les autorités. Il

devint ensuite pamIidetaire attaqq.ant..::les nouveaux-riches

et les Jésuites. Il fut traduit devant un tribunal pour

un de.3ses pamphlets mais fut acquitté. En 1820 il fonda

lAida Levi, Tristan Corbière, a biographical and critical study (Thêse Inédit~, MS. D. Phil. d. 1019 Oxford: 1951, pp. 1-4.

2

la Nacelle à. Roue.n~ et continua à. l" éditer jusqu'au mois de , -

janvier 1823 quand~ apres avoir été accusé' d'intrigue politique - -- ~ ,

dans son journal~ il fut condamné a une amende et ~ quelques

mois de prison. 1

A ce point un de ses amis, le baron Charles Levasseur, ,

vient a son aide en payant l'amende et en le nommant capitaine

à bord de la Nina qU'il avait achetée pour l'occasion. Alors~

pendant six ans, Edouard parcourut les mers entre le Havre

et les Antilles. Cette période de sa vie fut remplie d'aven­

tures et lui permit aussi de se, familiariser avec l'adminis-J

tration coloniale et tous les ~~pects de la vie maritime. 2 " '"

En 1828 Edouard Corbièrela.issa derrière lui la vie - \

aventureuse de la mer pour devenir l'éditeur du Journal du

Havre récemment fondé. Les art~cles qu'il y publiait traitaient

surtout des affaires du port et du commerce maritime en

général. Il resta attaché à. ce journal jusqu'en 1842.3

Le Journal-du Havre ne demandait pas toute l'attention

d'Edoua.rd Corbière. En 1828 il avait a.ussi fondé le N-avigateur

avec J. Morlent. Ce journal partit en lutte- contre la.

conception romantique de la mer qui était courante à. l'époque~

ayant été popularisée par des auteurs tels que Hugo et

Lamartine. Pour représenter la vie en mer comme elle l'était

vraiment les récits d'incidents authentiques seulement étaient

lIbid.~ pp. 4-8.

2Albert Sonnenfeld, L' O-euvre poétique de Tristan Corbière, (New Jersey U. S. A.: Université de Princton~ Dépt. de Langues Romanes~ 1960), p. 9.

3LeVi~ op. cit., -po 10.

e

3

admis dans ce jOurnal. l Le Navigat~ur fut transféré à. Paris

en 1833 où la publication se termina en 1834. A partir de , " "

cette date Edouard Corbiere donna des articles au journal

la France maritime qui remplaçait Le Navigateur~ même si la

fiction y était permise à côté des histoire "vraies".~

Après qu'Edouard Corbière eut quitté la mer le journalisme

ne fut pas son seul intérêt car il se lança aussi dans la

littérature. En 1828 il publia "un recueil de vers sans

grande valeur, les Elégies brésiliennes. Son premier roman

fut le Négrier qui parut en 1832. Entre 1832 et 1842 il con­

tinua à publier des récits et des romans de la mer; Contes

de bord (1833); le Prisonnier de guerre (1834); le Banian (1836);

Scènes de mer (1836); les Trois Pirates (1838); Tribord et

babord (1840); Pelaio (1842); et d'autres encore.3 Toutes

ces histoires étaient basé~s sur les divers incidents qui

avaient marqué les années passées en mer. Dans tous ses romans ,

il essaya de reproduire aussi fidelement que possible la vie

des marins. Il se"" servit toujours de la vraie langue des ,

marins sans la soumettre aux regles de la grammaire. Il

vanta toujours les qualités du mar:tn. Peut-être par réactioh

contre l'attitude anti-parisienne de ses romans la plupart" ,

des critiques condamnerent son langage technique. Ses livres ,

eurent pourtant du sucees et pendant quelques années certains

1 Ibid." p. Il. 2 Ibid., p. 21.

3Sonnenfeld, op. cit." p. 13.

4

é .. C . 1 le consid rerent comm~ un, POSSi?l~,Fenimore ooper français.

En 1839 Edouard Corbière, participa à la fondation de

La Société des Bateaux du Havre-Morlaix qui fut fondée dans

11 e~poir dl ouvrir .. de nouveaux marchés .. a~ p~od~i ts de la

région de Morlaix. L'affaire marcha bien et alors·qu'il

quittait Le Journal du Havre 'il s'installa à.Morlaix ayant .' , ,

été nommé directeur de la. comp,agnie. Sa..u,f pour quelques rares

articles pour La. France maritime et la Bevue de Bretagne ainsi

qu'un recueil de nouvell~~,Cric~Crac (1846) Edouard Corbière

abandonna le .journalisme et la li ttéra ture. .. '

Des son arrivée

à Morlaix il consacra toute son attention à la vie pub~~ue 2 de la ville et aux affaires de la comp~gnie.

En avril 1844 il épousa la. fille dlun de ses amis, !

Marie-Angélique~A.pasie4Puyo" alors.i,gée de diX-hti.it ans.

Edouard Joachim Corbière" plus tard Tristan" naquit- le 18

juillet 1845. Le couple eut encore deux ,autres enfants; , 3 '

Lucie" née en 1850 et Edmond" né en 1855. Ces breves

remarques montrent qu'Edouard Corbière fut un homme dlaction

pendant une grande partie de sa vie. ,

Sa retraite a Morlaix ne reniait pas 11 action. Ayant

fait le coup de sabre et connu le danger il se sentait un

homme et, dans sa vieillesse, il avait bien le droit de se

ranger pour jouir des fruits de sa vie. Engagé dans la vie

lRené Martineau, Tristan Corbière" (Paris: Le Divan, 1925), p. '18.

2 Levi, op. cit., pp. 35-37.

3Sonnenfeld, op. Cit~, p~ 14.

5 ..

publique, prospere en affaires et gardant encore une certaine

réputation d'écrivain, il fut sans doute quelqu'und'assez

imposant pour ses concitoyens ainsi que pour son fils Edouard

Joachim.

o

CHAPITRE 2 . .

LA JEUNESSE DE TRISTAN CORBIERE

Edouard-Joachim Corbière naquit le 18 juillet 1845

au manoir de Coat-Congar de son grand-père maternel, non

loin de Morlaix. Il passa la plus grande partie de ses pre­

mières années à. la propriété "Le Launay" que louaient ses

parents et qui se trouvait à quelques centaines de mètres 2 ,

seulement de Coat-Congar. Tout porte a croire que son enfance

fut 'normale. Il fut peut-être un enfant un peu solitaire car

il semble avoir préféré la compagnie de sa soeur, de son

c.Qusin Paul et de sa fami11e,à celle de ses camarades alors

qu'il allait à l'école de Morlaix. 3 Martineau nous raconte

qu'il prit parfois des drogues pour ne pas aller à une école 4

qU'il n'aimait pas. Mlle. Levi trouve qu'.on ne peut douter

que sa préférence pour sa famille montre une affection qui

a quelque chose d'un peu morbide. Elle pense aussi que l'inci­

dent des drogues indique une haine de la discipline née d'un

lQuand il devint un invalide à Roscoff il adopta le nom de Tristan. Pour éviter la contmsion avec son père et parce que c'est par ce nom qu'il est surtout connu maintenant ce sera donc de ce nom que nous le désignerons.

2J • Vacher-Corbière, Portrait de famille, Tristan Corbière, (Monte-Carlo: Regain; 1955), p. 13.

3 Martineau, OP. cit., p. 28.

4MartineauJ Loc. cit. 6

e

7

manque de contact avec les autres enfants, sans parler

d'une aversion pour l'effort physi~e.l Une telle inter­

prétation semble quand mime un peu exagérée car il est difficile

de comprendre pourquoi sa réserve envers les étrangers et

son affection pour ceux qui l'aimeraient doit 3tre considérée

comme morbide.

Beaucoup plus de choses sont connues au sujet de sa

vie entre 1859-1862 gr~ce A une cinquantaine de se~ lettres

de ~éen, décourvertes dans une malle en 1948. 2 Cette

période de sa vie commence en 1858 par son entrée comme

interne au lycée de Saint Brieux pour faire sa classe de

cinquiême. Tous ses biographes sont d'accord sur le fait qU'il

fut três malheureux au lycée. Il n'est par surprenant qU'il

en ait été ainsi si on considêre qu'A peine !gé-de'treize

ans et habitué à l'affection familliale il dut"'soudain faire

face à l'impersonnelle froideur de la vie du lycée. Dans

ses lettres il ne pense qu'à sa famille et compte les jours

avant les vacances •

. Je regrette toujours autant le Launay et je ne sais comment je passerai les deux mois et demi que j'ai à attendre avant de le revoir; ils me parattront un siêcle, et maintenant je regarde comma três éloigné et presque inattrapable le moment ~à je'pourrai embrasser les habitants du Launay.

! .

1 Levi,.op. cit., pp. 45-46. 2 Sonnenfeld, .2E.!... cit., p. 15.

3Jean Rousselot, Tristan Corbiêrej cité: cVune lettre publiée par le Goëland, septembre 1950, (France:. Poêtes d'auJourd'hui 23, Pierre Seghers editeur, 1951), p. 17.

. 8

8

••• dis leur à tous de ma part bientat. C'est pour patienter un peu que je vous dis bientat car quand je pense que j'ai encore 32 jours à avaler je ne sais pas comment je pourrai attendre si longtemps.l

Il y a três peu de lettres o~ il ne mentionne pas la famille

et les vacances ..

En grande partie son malheur était sans doute dn à la

solitude.

Ici, je n'ai personne qui m'aime et qui me dise quelque chose pour m~encourager ou me faire prendre patience ••• 2

La détresse semble avoir été un état normal pour lui variant

seulement d'intensité de jour en jour.

Depuis quelques jours je suis plus triste qu'à l'ordi­naire et je pense plus souvent à mon sort ce qui suffit pOUD ma r.aire trouver mon exil plus dur. Je niai plus de courage à rien et toute la journée je ne fais que penser à vous. C'est bien triste tout de même d l3tre ici au milieu de vilains bougres qui ne slintéressent pas le moindrement à vous et qui font tout ce qU'ils peuvent pour vous rendre la vie aussi dure que possible. 3

Compte tenu de ce sentiment de persécution, fondé ou

non, il semble tout naturel que l'enfant ait cherché l'affection

de sa famille. A.joutons aussi à cela le fait qu' 11 ne s'était

pas fait de vrais amis au Lycée. 4 Il devient évident alors

pourquoi il était si malheureux et désirait retrouver le

bonheur parmi les siens.

Tristan ':Corbiêre fut un étudiant moyen Bans plus. En

lettres il se classa parmi les premiers, étant intéressé

surtout par la littérature française et la littérature classique,

ICi té par S'onnenfeld, p. 17.

2Cité par Rousselot, p. 18.

3Cité par Martineau, PP. 31-32 •

4Ibid., pp. 22-23.

9 1

mais en mathématiques il ne brillait jamais. Ses lettres

indiquent une vive préoccupation des notes.

Je suis. tou'jours bien tourmenté de mes examens, surtout des examens décisifs de la fin de l'année, car je sais toute la peine que ça te ferait,! papa et ! toi si j'échouais et malgré l'assurance que me donne papa, que je serai bien reçu 'avec ou sans couronne je sais que si j'étais obligé de redoubler ma 4e vous ne me reverriez pas avec autant de plaisir. 2

D'aprês cela il est évident que la possibilité d'un échec

pesait beaucoup sur lui.

Q.uand il parle de "bonnes notes" le ton change complète­

ment et il veut s'assurer que ses succês serontdnment

, ~écompensés.

En propos, je vais :Caire mes conditions avec" vous: pour l~accessit j'aurais 5 :Cranes, pour 2 accessit j'aurais une paire de gu3tres blanches et on mettra une bandouilère'en cuir à mon fusil, pour 3 accessit tous ces derniers articles plus une baguette"de fusil. 3

Avec ou sans: bonnes notes il demande des cadea.uxdans presque

toutes ses, lettres. Sonnenfeld trouve que les cadeaux

devaient représenter pour lui un symbole de l'~our de ses

parents, en dépit de ses mauvaises notes, car autrement il

n'aurait pas tant insisté pour en avoir. 4 Cette supposition

semble un peu gratuite car tout enfant veut autant-de cadeaux

que possible.-et cela pour les cadeaux eui-m3mes ·plutet que

pour la-preuve d'amour.

En fait il ne :Cut pas un si mauvais élève car il ne dut

jamais redoubler de classe. S'il avait le sentiment de l'échec

lMartineau, op. cit., p. 30.

2cité par Sonnenfeld, pp. 18-19.

3Cité par Levi, p. 48.

4Sonnenfeld, op. cit., p. 22.

• V

10

c'èst peut-être parce que ses parents n'étaient pas satisfaits

de résultats moyens.

Mon cher Edouard~ nous avons reçu ce matin ton bulle­tin du trimestre dernier. Il est moins mauvais que celui du trim~stre précédent. Mais il n'est pas. encore aussi satisfaisant que je le voudrais. Il ne dépend cependant ~ue de toi d'arriver à quelque chose de mieux et j'espere bien encore qu'avec l'intelli­gence que les professeurs te reconnaissent~ il te sera factle d'atteindre à un rang supérieur à celui où te rele~e lelnuméro 17 sur le nombre asse: restrei~t de 32 éleves.

Cela montre qu'ayant réussi lUi-même dans la vie le père

de Tristan voulait que son fila s'assure un bel avenir par

de bonnes études. ,

La santé de Tristan n'avait jamais été tres bonne.

Pendant l'hiver 1860 il subit une première crise: de rhumatismes~

et son oncle, le.Dr. Chenantais~ propose de le prendre en ,

pension chez lui~ a Nantes. Tristan continuera dans cette ville

ses études comme externe au. Lycée. Il reçut un accueil

chaleureux chez les Chenantais et ses lettres perdent le ton

désespéré de celles de Saint-Brieux. Ses notes aussi s'amé-, ,

liorent un peu et il termine avec sucees sa classe de deuxieme

le 8 août 1861. Après cette date les attaques de rhumatismes

devinrent de plus en plus nombreuses. Sa présence en classe

fut sporadique et une crise particulièrement ~iguë au début

de l'été 1862 le laissa partiellement infirme. On ~ndonna

tout espoir pour son baccalauréat et sa mère l'emmena à Cannes

pour qU'il puisse se remettre. Revenu de Cannes il passa une

année à Morlaix mais·sa santé ne s'améliora guère. Alors le

docteur Chenantais proposa qu'on l'installe dans la maison

lCité par Martineau, pp. 37-38.

11

de vacances des Corbière à Roscoff o~ le climat était idéal 1

pour les rhumatisants. A Roscoff une nouvelle vie s'ouvrit

devant lui.

Durant cette premiêre partie de sa vie Tristan

manifesta déja un certain talent littéraire.eonnn.e nous

l'avons vu'ses me~lleures notes au lycée étaient, toujours en

lettres. En 1855, lors de la quatriême réimpression du Né:grier,

il entra en contact avec les oeuvres de son pêre et le résultat

fut une vive admiration pour lui, en tant qu'écrivain, et qui

ne fléchit pas pour le reste de sa vie. 2 Ses lettres du lycée

montrent qu'il éprouva le- d'ésir d'imite~ son pêre.

La ~re navigue toute c~~01ine dehors, la fille a toujours son pàvillon d

3' appel à bout de mit • • • (je

veux parler comme toi). ' -

Cet emploi de la langue du marin pour décrire la promenade

d'une mère et de sa fille-indique bien l'influence, qu'avaient

eu les romans de son pêre sur les gonts de Tristan.

Figure-toi que 'tout ce que tu me dis A propos de mon naufrage de navire je 'l'avais pensé tout-A-fait comme toi. Je' savais bien que cette histoire de foc n'était pas possible mais je 'savais aussi à qui j'avais à faire, les aniate'urs appelés à 3tre mes juges n'avaient vu de ,temp3tes que daris les livres grecs

40u latins de

sorte qu'ils ont trouvé ça tout naturel. , '

Ce pass~ge montre aussi que Tristan, avait dn étudier les

livres de son pêre à fond pour avoir une telle assurance

des techniques de la navigation. A part cela il faut remarquer

que c'est l'opinion critique de son pêre qui compte pour lui

lsonnenfel~, op. cit., Pp. 28-33.

2Martineau, op. cit., p. 29.

3Cité par Vacher-Corbiêre, p. 34.

4Cité par Martineau, p. 31.

12

plutôt que le jugement de ses professeurs. Il.accepte ses , '.

opinions littéraires et indique déja une certaine impatience

en trouvant que sa liberté dl expression' est entravée par

les limitations d'un sujet imposé.

Tu-as raison je nlétais pas' dans mon élément pas même tout-à- fait dans la description de la tempête car· du moment qulon vous' donne un sujet" qulil soit ou non de

. votre goût on le fait comme un devoir. l

Comme nous le verrons plus tard dans les Amours jaunes sa' .

répugnance pour les sujets et les règles imposés n'aura pas

changé.

Le fait qU'il rencontrait aussi des témoignages publics , ,

en faveur de son pere contribuait certainement a son

admiration.

A propos j'étais chouettement fier cet après-midi car c~t apr~s-midi un de mes camarades m'a montré dans la préf~ce d'un livre intitulé Léon le Pelletais un endroit ou il y avait: 'Il faudrait la plume dlun Corb~ère ~our racon~~r la vie de ce Neptune mortel.' Voila déja la trois~eme f~iS que je vois papa cité dans des livres comme ça.

, , Cette admiration le pousse a vouloir imiter son pereo

J'ai aussi (avec non moins de modestie) dans la tête que je serai ~ jour un grand homme, que je ferai un Négrj er •..

Donc pour lui "le père Il es t 11 exemple même de l' homme qui a

réussi.

A côté des sujets de composition Tristan commença

aussi à faire des poèmes alors qu'il était au lycée et

pendant l'année qui il passa à Morlaix avant de s'installer à

lIbid.

2Cité par Levi, p. 49.

3Cité par Sonnenfeld" p. 28.

• W

13

Roscoff. Tous ces premiers po~mes sont satiriques comme

l'Ode au chap~au ot.i~ se,moque de son professeur d'histoire.

Venez,Meuses, venez neuf soeurs Accorder ma cythàre ' Je chantè le taf à Lamare

Le plus 'cruel de' tous mes professeurs Et puissent mes vers si faibles par eux-mêmes

'Etre grandis par le noble sujet' -" Que j'embrasse en chant~ ce oouvre-chef supr3me

Ce respectable ob,jet. ' ,

On peut voir par cet extrait qU'il possêde ce'go~t~du sarcasme

qU'il va, tourner contre lui-m3me dans les ~ours', Jaunes.

A part cela le poême est sans grand intér3t.

Les poêmes de cette période montrent aussi l'influence

de son éducation classique. Cela se voit bien dans un

poêm.e écrit, ,à Morlaix qui est une parodie de l'Ode à M. Du Périer

de Malherbe,~,

."Ode à Déperrier Locataire du premier ét,age sur" lés émanations obstinées de la cour, des écuries et water-closet

(imité de Malherbe) , enfin Malherbe vint et le premier en France fit sentir 'dans les vers une juste cr"jance' • • •

Boileau

Cette odeur Déperrier, sera donc éternellel Le purin de nos cours

A travers le caca de tes commis ruisselle Et ruisselle toujours.

L'ordure 'du second au premier descendue Par le canal d'en. ba.s, ..

Trouve-t-elle un dédale ~t. la merde perdue Ne se retrouve pas!

La parodie du poême de Malherbe présage peut-être le manque

de respect qu'il va montrer pour les rêgles de la poésie

classique plus tard. La vulgarité qu'on voit ici sera

ICité par Levi, p. 56.

2Ibid., p. 59.

14

présente aussi dans les Amours Jaunes. Avant tout ces poèmes

nous indiquent que les Amours jaunes ne fut pas un premier

effort mais le fruit d'un talent découvert déjà au lycée.

Tout ce que nous ... avons vu montre que la jeunesse de Tristan

fut normale.

CHAPITRE 3

LA. NAISSANCE DE LA '~ANTAISIE EXISTENTIELLE Il

CHEZ TRISTAN CORBIERE

... Pour commencer il faut se rapporter au pere de Tristan

et examiner sa vie en fonction de certain's aspects des

philosophies de l'existence. Ensuite il sera plus facile de

comprendre la nature de la fantaisie existentielle de

Tristan. A 1 D L'existant est celui qu~ se risque lui-meme. ans

le premier chapitre nous aVOns vu que comme marin et journa­

liste Edouard Corbière n'hésitait pas devant le risque. En

quittant la mer et la vie du risque il demeura cependant un

existant.

La philosophie de l'existence ne s'oppose pas à la pensée~ou~ que cette pensée soit intense et passiorl~e.

Dans ses romans il fut un passionné par son sens de l'engage­

ment.

La genèse de la "fantaisie existentielle" chez Tristan ...

Corbiere semble avoir eu deux sources. En premier lieu il

y eut l'influence de la vie de son père, ensuite l'effet de

sa mauvaise santé qui limita son choix d'activités possibles • ...

Pour comprendre ce qui arriva a Tristan il faut savoir la

nature de l'existence.

1 Jean Wahl, Les Philosophies de l'existence, (Paris,

Collection Armand Colin No. 289, 1959), p. 45.

2Ibid ., p. 48.

16

Le domaine de l'existence, c'est le domaine du possiblel non pas du possible intellectuel, mais du possible yécu, du possible en tant qu'il est voulu dans notreaction. l

Dans cette optique il -s'agit d'examiner ce que Tristan Corbière

voulait de la vie. Comme nous le verrons il désirait surtout

être l'émule de son père. " Il n'hésite pas à insulter et~se battre avec un élève

plus fort pour prouver son courage et s'attirer l'admiration

des autres. Après avoir parié avec un autre élève de nager , '

hors des limites il a des difficultés a revenir mais en

racontant cet incident à son père il dit : ft,.. • j'irai ,

comme toi aussi loin a condition que tu me remarques quand

je serai fatigué".2 Dans cet incident c'était évidemment

l'idée d'imiter son père, plutôt que le pari, qui comptait.

Il trouve du plaisir dans l'activité physique.

A propos j'ai repris me~ leçons d'armes et le maître­férailleur me prend de 7 a 7 he~res et demie du matin. ~a me r~chauffe joliment et apres je me sens tout dégourdi l dis ça a maman.3

Quanâ sa mère voit, sans enthousiasme, son désir de faire de

l'équitation, il la rassure en présentant l'opinion paternelle,

sur le même sujet. ...,

Tu as toujours peur. Tu verras.. Demande un peu a papa s'il y a du danger4 c'est lui-même qui m'a dit qU'il n'yen avait pas.

D'après cela on peut supposer que non seulement Tristan s'orien­

tait vers une vie active mais aussi que son pè~e l'encourageait

1 Ibid. 1 p. 67.

2Sonnenfe1d, OP. cit., p. 24.

3Cité par Martineau, p. 32.

4Cité par Sonnenfe1dl p.25.

,>

17

dans ce sens.

L'attitude devant la vie de Tristan est particuli~re-

ment bien résumée par Martineau.

Edouard Corbi~re l'a bercé 'de récits d'aventure qui ont fait sUr son !me une impression durable. Tristan a vite compris que son père ne fut pas seulement un"homme d'une intelligence supérieure~ mais encore q'il vécut une vie exempté de banalité et cette vie Tristan ent voulu la vivre. l

A~ors qulil était au lycée rien ne semblait emp3cher le jeune

homme d'avoir une telle vie si les choses suivaient leur

cours. :L'admiration qulil avait reçue de son p~re'pour la

vie des marins nous permet de supposer qu'aprês ses études

il aurait choisi ce rude métier, au moins queiques années.

La maladie a:coupé court 2:ux.projets de ce genre. Non seù.le­

.ment il ne devait jama~s 3tre marin mais il devait considérer

la natation,l'escrime" l'equitation et la vie active en géné­

ral comme des choses passées. Une éducation incomplête et

des attaques de rhumatisme le portent à se contenter de la

vie oisive d'un invalide. Donc par rapport à'l'existence

con~ue comme le domain~ .du possible voulu2 ce que voulait

Tristan lui était devenu impossible.

In$t~llé à Roscoff Tristan sewouvait dans une impasse

dlo~ il ne pouvait s'évader pour continuer sa vie.

Donc seconnattre en se retournant vers son origine, et en m3me temps se conna!tre en se tournant vers son avenir, telles sont les caractéristiques de llexistant. 3

Par sa maladie Corbière se trouvait soudain dans une

lMartineau, op. cit., p. 43. 2Cf • Chapitre 2, p. 16.

3Wahl , .op. cit., p. 78.

18 .. ~

situation o~ il lui était impo~sible d'accorder son avenir

avec les'influences de son passé. C'est â ce point que dut

~a!tre le désarroi constant et le dégo~t devant lui-m!me

que nous verrons dans les Amours jaunes. Il devait faire face

l"un avenir qui était la négation de tous ses premiers espoirs.

LJatroce situation fut qU'il n'avait m8mepas la possi­

bilité d'une révolte qui signifierait quelque chose car la

condition o~ l'avait réduit la maladie ne pouvait3tre changée.

Il n'y a pas de révolte contre quelque chose qU'on ne peut

humainement changer, il n 'y a que des sursauts"de ',désespoir.

Seul le monde de l'irréel accesible par la fantaisie fut

ouvert à Tristan. Malheureusement la fantaisie ·ne ,·mène qu'à

un semblant·d'existence et non pa.s à l'e::tistence·véritable.

Le poête se rendit compte de cette vérité qui exprimera

souvent l'accent du désespoir dans son oeuvre.

Avant de passer â autre chose il faut examiner la posi-

tion de Rousselot qui pense qulil y a plus que,.simple

fantaisie dans la vie de Tristan à Roscoff. Il. croit que

non seulement le poête refuse d'accepter une vie inactive

en composant ·,hors du réel le personnage qu'il veut 3tre mais

aussi qU'il se révolte contre l'autorité et l'influence

que son pêreavait toujours sur lui.

"s'illusioner", c'est surtout affirmer, les pieds dans le'plat, qU'on ne-tolêre plUS la tutelle paternelle, se révolter à tous crins contre Corbiêre-Dieu, Corbiêre­Providence, Corbiêre-On, Corbiêre à l'ombre mortelle.

Cette révolte contre son pêre semble improbable. Le fait

qu'il se tourna vers la fantaisie, vers la vie active d'un

lRousselot, op. cit., p. 22.

• • 1

-

19

marin, comme Rousselot l'indique lui aussi,lsemble 'démontrer

le contraire de cette révolte car c'était précisement la vie

de marin qui était chére à son pêre. A part cela Tristan

avait baptisé un cotre, acheté à Roscoff, le Négrier, et le

recueil des Amours jaunes fut dédié â l'auteur du Négrier.

C'est pourtant â cette époque que le jeune homme

abœndonne son nom d'Edouard, venu de son pêre, pour adopter

celui de Tristan. Acte décisif de révolte contre le pére

selon Rousselot. 2 Encore une fois cela semble discutable mais

comme Tristan n'a pas laissé d'explications à'ce"sujet on

ignorera toujours la raison exacte de cet acte"ainsi que le

choix du. nom· "Tristan". R<?usselot croit qU'il prit ce nom

en se souvenant du héros désenchanté du moyen-Ige. 3 L'hypo­

thêse paratt -fort possible 0 Il se peut aussi·· que .. sachant

qu'il ne serait pas comme son père il se crut indigne d'avoir

le m~me nom que lui. Il y a aussi une certaine-assonance entre

le mot triste et Tristan qui put influencer son choix. En

fin de compte on ne sait rien.

Au·.commencement de ce chapitre nous avons -vu.,qu'Edouard

Corbière pouvait être considéré comme un "existant·If m3me

aprés avoir quitté la mer et cela à cause de son·:engagement

dans ses ·romans. On peut se demander alors pourquoi Tristan

ne l'imitait pas sur ce point m3me avec sa mauvaise santé? ••

La réponse est que sa situation n'était pas analogue. Quand

son père écrivait il existait en France un assez grand intérêt

pour de tels romans, à cause de la popularité des traductions

lIbid. , p. 22.

2Ibid. , p. 23.

3Ibid. , p. 23.

20

des oeuvres de Fenimore Cooper.

Il Y a plusieurs facteurs qui rendaient différente la

situation de Tristan. Premièrement il ne pouvait pas faire

un N§grier vraiment réaliste car il n'avait jamais connu

la vie de marin. Et même s'il avait pu écrire un Négrier

cela aurait été une oeuvre à part parce que ce genre de

roman d-'aventure n'était plUS en vogue. Dans ces conditions

l'oeuvre aurait été un échec sans possibilité 'd'influencer

qui que ce soit et sans une telle possibilité-il'n'y a pas

d'engagement ,significatif.

La-poésie n'offrait pas au jeune'homme la·possibilité

de l'engagement par l'·oeuvre. Il était isolé à-Roscoff sans

contact- avec ·les courants littéraires qui se dé:v:e1.:9ppaient

alors en·France. Mlle. Levi affirme que tout indique que

m3me pendant les quelques trois années qU'il passa à Paris,

à-la fin de-sa vie, il n'eut aucun contact avec des poètes

comme Rimbaud, Verlaine ou Cros et, qu'en fait j il·ne fréquenta 1

jamais les cercles littéraires de la capitale. Il était si

loin des courants littéraires après la publication-des Amours

jaunes qu'un seul article critique dans un journal signala

. 2 p • 1 ~. 1 i u1 t son oeuvre. , our ces ra~sons a poes~e u a se emen

offert un moyen d'évasion; elle fut aussi un véhicule pour

l'expression du désespoir que lui inspirait sa condition quand

tombait le masque de la fantaisie.

En conclusion on peut dire que la "fantaisie existentielle ll

lL' . t 104 ev~, op. c~ ., p. •

2 . 8 Ibid., p. 29 •

21

que Tristan montra dans la vie, comme dans les Amours jaunes,

représente surtout l'impossibilité de s'engager dans une vie

d'action.

CHAPITRE 4 LA "FANTAISIE EXISTENTIELLE" DANS LA VIE

DE TRISTAN CORBIERE

Il ne put vivre la grande aventure en haute mer •••

alors il dut lui substituer les excursions le long de la cOte

dans son cotre le Négrier. Comme équipage il avait un sous­

officier, à la retraite, nommé Bellec qui dut participer bon

gré mal gré à ses efforts pour créer l'aventure.

Un jour il cacha le cotre dans une anse 'de lltle de

Batz. Comme il ne permit pas au père Bellec de signaler

qu'ils étaient sains et saufs'on peut s'imagineroque vers

~a soirée on commençait à s'inquitter à Roscoff. ' Le tout

était un tour pour apprendre à Mmme. Bellec les sentiments 1

d'une veuve de marin.

Une autre fois un ami de Tristan remarqua la veille

d'une promenade, dans le Négrier, qu'il n'avait jamais

expérimenté un naufrage. Le lendemain Tristan fit chavirer

le cotre, et son ami eut cette expérience. 2

Ep. fait Tristan devint un marin três ha"tdlte dans son

cotre. 3., .I~ le sortait beau temps mauvais temps sans jamais

se souci~r.du danger. 4 Le seul malheur dans tout.~ela était

lMartineau, op. cit., P. 56. 2Ibid., PP. 56-57. 3L · . t eV1, op. C1 ., p. 90.

If Ibid. , p. 67.

22

23

l'absence de signification, "d'engagement", dans ce qu'il

faisait. Il jouait au marin, mais le jeu ne peut jamais

remplacer l'expériencel

Roscoff était surtout une ville de pêcheurs o~ le

souvenir des corsaires était encore assez récent. 1 L'ambiance

maritime· qui y régnait était faite, .. A mervei1le~ peur la

fantaisie du "marin" Tristan. Comme la fantaisie 'vécue se

heurte toujours à la réalité nous verrons que 'ce tut surtout

par la poésie que Corbiêre s'évada dans le monde·du marin.

Un autre aspect de sa fantaisie nous est·: donné par les

tours qu'il jouait A ses concitoyens. Il est évidémment

impossible d'affir.mer pourquoi il jouait tel ou tel tour;

c~pendant, ·on peut supposer que c'était surtout"'pour attirer

l'attention sur lui-m3me. Par ses tours il affirmait qu'il

était quelqu'un. C'était une maniêre d1entrer dans llaction.

Sans ses farces il aurait été un simple invalide vivotant,

d'une façon-banale mais, par les cocasseries, -il "agissait

sur le monde. Ce n'était pas l'action de l'existence

véritable·mais c'était mieux que l'inaction complète.

Dtaprês un édit du maire tous les chiens,A-'Roscoff,

devaient 3tres gardés en laisse. Tristan admit··la-:chose mais

il attacha-son chien à une laisse de trente-cinq·mêtres.

Au grand amusement des badauds le chien se promenait librement

pendant que ~on maitre buvait un verre à l'hôtel.·

Le Gad, un ancien cuisinier de frégate, était le

lSonnenfeld, op. cit., pp. 34-35.

2Ibid., p. 34.

24

propriétaire du seul hetel de la ville. Comme Tristan n'était

pas homme à préparer ses propres repas il devint vite un

habitué de l'établissement et un grand ami de Le Gad. Ce , 1

dernier participa bientet aux tours de Tristan.

La maison du po~te, à Roscoff, se trouvait tout prês

de l'église. Un dimanche, alors que le sermon à"l"'église

était sur le jugement dernier, Tristan et Le Gad préparèrent

des pétards dans son jardin. A la fin du service les 2

explosions firent penser plUS d'un au sujet du sermon.

Corbiêre joua un de ses tours les plUS spect~culaires

du balcon, de la maison de son père à Morlaix." Vêtu d'une

soutane- -et coiffé d'une mitre d'évêque il parut ",un.,. jour sur

le balcon d'o~ il adressa des bénédictions vulgaires aux

passants. Bien entendu l'effet fut considérable dans cette

ville beaucoup plus conventionnelle que RoscOff. 3

Son humour, cependant, n'est qU'une fa"ade derrière

laquelle il y a le douloureux de sa condition. Une partie

de sa fantaisie consiste à exagérer son infériorité. Quand

il n'est pas~le marin il est le paria.

Parfois il s'habillait en for"at et se promenait

ainsi daps les rues de Roscoff. 4 Symboliquement il était

alors celui qui est rejeté par le monde et la vie. Il était

l'homme condamné à la non-existence. Cette conception de

lIbid., p. 34.

2Martineau, op. cit., p. 56.

3Vacher-Corbiêre, op. cit., p. 15.

4vacher-corbière, op. cit., p. 15.

25 lui-m3me montre bien qu'il se rendait compte que la fantaisie

de l'existence ne lui avait pas donné l'existence.

Ce sentiment de déchéance se voit aussi -dans t,le fait 1

qu'il donna le nom de Tristan A son chien. Connne'il n'avait

plus la possibilité de l'engagement existentiel il avait

perdu, en'quelque sorte, son humanité. Son exmstence n'avait

pas plus, de' signification que celle de son chien.

Avec,',la maladie le physique de Tristan avait,:aussi

changé. ~--, --Aprês sa maladie il devint presque squelettique.

Sa maigreur accentua la longueur de son nez et'lerendit

grotesque. ,En fait les Roscovites l'avaient surnommé fl1'ancou":, 3 ce qui veut dire "le spe ctre de la mort fi • Pour Tristan

l'apparence-physique devint le signe extér~ieur"'de-l'impossi­

bi1ité d'exister comme les autres. Des sinateur-"de,:> talent

il se caricaturait A toute occasion. D'aprâs·1escaricatures

qui nous-sont parvenues il se concevait connne~un·hideux , .

bohhomme- au nez démesuré, aux lèvres épaises, -presque sans

4 menton.,:,,' Nous pouvons voir toutefois qu'il-exagérait beaucoup

en comparant. de telles caricatures à un dessinnde-lui qui fit

Jean Benner.? 'l. .... Q

C'estVpar ses caricatures Tristan'-',soulignait

son isolement.

Au pr~ntemps 1871 un événement important'marqua la vie

ISonne~feld, op. cit., p. 36.

2A voir la photo A la page du titre dans Martineau.

3Martineau, op. cit., p. 46.

4Ibid., p. 44 et p. 47. 5Ibid., p. 54.

26

de Tristan:: il trouva l'amour. Cet amour est três important

pour nous car il inspira un grand nombre de poêmesdes

Amours jaunes.

Ce printemps-là 1 'hôtel de Le Gad accueillait le

comte Rodolphe de ~attineet sa maîtresse Armida-Josephina

Cuchiani. Le com;te avait un petit château" les,-Aiguebelles,

à" quelquer quarante kilomêtres du Mans. Sa résidence normale

se trouvait·A Paris où il dépensait son argent au jeu.

Blessé pend~~t la guerre franco-allemande il était,'venu

à'Roscoff pour quelques mois afin de se remettre de sa 1 "" ,",

blessure.'

Armida" dite Herminie" était d'origine italienne

mais, A-part cela" on ne sait rien de son passé. Quand

Rodolphe l'avait rencontrée elle jouait de petits-rôles

dans un théâtre du Boulevard. Elle était blonde et jo~ie

sans 3tre d'une beauté extraordinaire. Rodolphe aimait la

faire passer pour sa femme mais le simple fait'-qu'!l l'appelait

"Madame la Comtesse" ne trompait pas les gens.'~ Tristan eut vite fait d'apprendre de Le-Gad leur'

identité--etleur état civil. Bient8t il devint'leur com-

pagnon régulier et ils firent souvent ensemble des promenades

en mer. Pour eux Tristan vendit m3me le Négrier-et le

remplaça par un yacht plus grand qu'il nomma Le Tristan. 3

Et il devint bientôt amoureux d'Armida. Nous ignorons

presque totalement la nature des relations qui existaient

entre ces 3tres. On ne sait pas si la femme répondit ou

lMartineau, op. cit." PP. 57-58. 2Sonnenfeld" op. cit." p. 40. 3 Ibid." p. 40.

27

non à ses avances, toute correspondance ayant été perdue ou

détruite ••• Les critiques ont essayé d'éclaircir lemystE!re

en se rapportant aux Amours jaunes o~ il est question de Marcelle •.

Certains pensent qu'elle s'est servie de Tristan pour se

divertir et que derrière sa façade de grande dame il y avait 1

les pires turpitudes. D'autres supposent qu'elle·"ét.ait une

femme très humaine qui aima Tristan sincèreme~t.2- Cette

confusion" viènt du fait que dans les poE!mes i]:;'n'''y' a pas de

réponse-claire mais, plutôt, des vers ambigus 'qui,·-·tant<3t

semblent donner raison à un point de vue, tantôt à', un autre.

Quoi qu'il en soit Marcelle ne laissa pas Rodolphe

et repartit avec lui pour Paris en octobre 1871. Tristan fut

incapable d'endurer la séparation et décida de la suivre

au printemps 1872. A Paris il passa presque tout son temps

en compagnie des Battines ou avec les peintres qu'il avait 3

recontrés à Roscoff.

La vie à Paris n'était pas faite pour lui. Il restait

des heures 'dans sa chambre à chanter des complaintes bretonnes

habillé de son costume de marin de ROSCOff. 4 -Tristan réussit

à convaincre Marcelle et Rodolphe de passer l'été à Roscoff

mais quand.i~s rentrèrent à Paris en novembre il ne tarda

pas à les y-rejoindre une fois encore.5

1"' ': Martine au, op. cit., p. 61.

, "

2L ° °t 97 98 eV1, op. C1 ., pp. - •

3Ibid., p. 104.

4Martineau, op. cit., pp. 70-71. 5 . Ibid., p. 73.

-.1

28

Cette fois Tristan essaya de s'adapter mieux! la vie

de Paris en s'habillant! la derni~re mode et en se faisant

tailler la barbe et la moustache de façon conventionelle.

Cependant sa dégradation physique l'accablait toujours car

sa chambre était dominée par ~e cruelle caricature de lui­

m3me. S'a déchéance physique, à ses yeux, le faisait l'égal '.

d'un crapaud séché cloué! un mur de sa chambre,.l",

Il publia les 'Amours jaunes! la fin de ,,1813,' chez les

frères Glady qui avaient la réputation de se spécialiser dans

1 # tO 2 es oeuvres ero J.ques. Il distribua un certain"nombre de

copies avec des dédicaces à des amis et aux membres de sa

famille;rpuis il ne s'en occupa plus. 3 L'indi-fférence

avec laquelle il traita son oeuvre après la publication

fut presque égale à celle du PUblic. 4 Cela semble'""bien

prouver qU'il ne considérait pas son oeuvre comme "un engagement

dans la· vie mais qu'elle fai sai t pl utê5t partie'~de "'son uim! ta­

tion existentielle" et qU'il l'avait publiée tout simplement

pour sa· propre satisfaction et non pas dans llespoir du

succ~s. '., " . " 7 ~. • .,

Nou~ . ignorons la réaction de Marcelle à ··la'·publication

de ces poèmes qu'elle avait en partie inspirés. 5 En tout

cas Tristan continua à fréquenter les Battine~ et les visita

1 ;",! Ibid., pp. 73-74.

2Ibid., pp. 75-76.

3Levi, op. cit., p. 109.

~artineau, op. cit., p. 77.

5Sonnenfeld, EE.. 'ci t., p. 45.

• ~ _ •..• r

29

pour une quinzaine de jours au chateau de Rodolphe 011 ce

dernier fut obligé de passer quelques mois après-la mort

de son pêre. l A part cette visite il avait passé l'été à

Roscoff, espérant sg~~~~eun peu car sa santé ~lempirait

de plus en plus. Ce séjour ne semble pas avoir eu·l'effet

désiré car, un matin de décembre, quelq~es mois·aprês son

retour â Paris, un ami le trouva inconscient sur le parquet

de sa chambre. Aprês un séjour de quelques trois semaines

à l'h8pital ·Dubois, à Paris, sa mère le ramèna: à:~Morlaix 0'0. 2

il mourut·le'ler mars 1875.

En:: somme nous pouvons dire que ce fut son amour pour

Marcelle qui· poussa Tristan à quitter le climat-salubre

de Roscoff pour s'installer à Paris, et qui, par···là,

précipita·sa"mort. Il est ironique que cet ameuF .. fut, comme

tout le reste de sa vie, un semblant d'amour. Il·importe

peu que Marcelle ait vraiment répondu à cet amour.· .. · Il aimait

la maîtresse d'un autre homme et même si elle avait voulu quitter

le comte l'argent que Tristan recevait de son'pêre,ine lui

aurait pas·.permis de l'entretenir ••• A causedu"sca~d~le que

cela aurait provoqué dans sa famille le mariage·avec une telle

femme étiait-.évidemment hors de question. Encore"une fois,.

il se t~ouvait dans une situation o~ il lui était impossible

de réaliser"dans la vie, quelque chose vers quoi tendait

tout son .. ê.tre. Il ne pouvait aspirer qu'à un semblant de

l'amour véritable.

lMartineau, op. cit., p. 78.

2Sonnenfeld, op. cit.,pp. 45-46.

30

La grande tragédie, dans la vie de Tristan, fut sa

lucidité en face de ce qu'il voulait Gtre. L'impossibilité,

dans laquelle il se trouvait, de donner suite à ses ambitions,

le rendit un des hommes les plus malheureux qui soient.

Le désespoir, o~ l'on veut 3tre soi-même, exige la conscience d'un moi infini, qui n'est au fond que la plus abstraite des formes du moi, le plus abstrait de ses possibles. C'est là le moi que le désespéré veut être en le'àétachant de tout rapport à un pouvoir·qui l'a posé, en l'arrachant de. l'existence d'un tel pouvoir. A l'aide· de cette formule infinie le moi veut·déses­pérément disposer de lui-m3me, ou, créateur de lui-m3me, faire de/son moi le moi qulil veut devenir; choisir ce qU'il admettra ou non dans son moi concret. Car celui-ei·n'est pas une concrétion quelconque,· c'est la sienne,-elle comporte en effet, de la nécessité, des limites, c'est un déterminé précis, particulier, avec ses dons, ses ressources etc., issu de faits concrets, etc. Mais à l'aide de la forme infinie qu'est le moi négatif, l'homme se met d'abord en tête de transformer ce tout pour en tirer ainsi un moi à son idée, produit grâce -à cette forme infinie du moi négatif--. • • après quoi il veut 3tre lui-même. C'est à dire qu'il veut commencer un peu plUS tôt que les autres hommes, non par le commencement, ni-avec, mais "au commencement"; et refusant d'endosser son moi, de voir sa"'tâche dans ce moi qui lui échut, il veut, par la forme infinie, qu'il s'a.charne à ~tre, construire lui-même son moi. l

Le moi'que Tristan voulut façozrer était celu1del'homme d'action,

celui du marin, celui de l'écrivain engagé. L'impossibilité

d'atteindre ce moi le poussa probablement au désespoir. Il

aurait bien pu essayer de s'adapter â l'état oÜ·la;::maladie

l'avait" réduit et oublier tous ses anciens esp0irs. Plutôt

que de faire, cela il préfâra le désespoir et le:"défi était

son refus de se plier à la réalité, à sa condition-de malade.

D'o~ le dégoût qu'il éprouvait pour sa propre personne. Son moi

véritable était le moi qu'il avait construit par la fantaisie o

lSoeren Kirkegaard, Traité du désespoir, Traduit du danois par Knud Ferliv et Jean-J. Gate au, (France: Nrf. Gallimard, 1949), première édition danoise 1849, pp. 143-44.

-~-- )

31

I,a période de sa vie qui connnença avec son arrivée à

Roscoff fut aussi marquée par une solitude intense. Il se

voyait comme le forçatl ou le crapaud2 que le monde rejette.

There are two kinds of solitude, according to that from which they have turned. If we calI it solitude to free oneselt trom intercourse ot experiencing and using of things, then it is always necessary, in order that the act of relation, and not that ot the supreme relation only, May be reached. But if solitude means absence of ~elation, then he who has been forsaken by the beings to which he spoke the true Thou will be raised ~p by God, but not he who himself f~~sook the beings.

La solitude de Tristan fut la seconde des Itdeux mis~resn citées

plus-haut. - -En se retranchant dans la fantaisie-de "la vie il

avait rompu· tout contact avec autrui. Comme il ne~pratiquait

pas de religion la vie spirituelle ne lui fut d i·aucun secours.

Il faut remarquer que, sur ce point, il fut indifférent

à tout plutet qu'en opposition active comme Rimbaud. Tristan

eorbi~repeut 3tre considéré comme un isolé absolu dans la

fantaisie- et le désespoir.

Il est évident, aussi, qu'à cause de sa ma1.~die le

poête se trouva plongé dans une angoisse constante:

La crainte. ou la peur s'adressent toujours'à-des choses particuliêres, tandis que dans l'angoisse c'est le monde dans son ensemble, ou l'étant dan~ son ensemble, qui se présente à nous et nous angoisse.~

Malade devant le monde, et, ne pouvant rien faire pour changer

let •. p. 26.

2Cf • p. 30. ,',

3Martin Buber, l and Thou, Second edition, with a Postscript by the author added, translated by R. G. Smith, (New York: Charles Scribner's Sons, 2958), pp. 103-104.

4Jean Wahl, op. cit., p. 101.

32

sa situation~ l'angoisse natt en lui devant la vie à laquelle

il ne peut pas participer.

L'être est présence et absence à la fois, il se révèle, mais il ne se révèle j~s complètement et on peut m3me dire qu'il se cache.

Pour Tristan il n'y avait m3me pas possibilité de saisir

l'!tre' car l'action et l'engagement lui étaient impossibles.

La vie se présentait à lui comme un mur infranchissable.

lIbid., p. 63.

CHAPITRE 5

LA. FANTAISIE EXISTENTIELLE DANS LES AMOURS JAUNES

Le. petit recueil de poèmes Les Amours .iaunes~ de:Tristan , ,

Corbiere, est divise en six parties principales. Les trois ,

premieres sont Les Amours jaunes, Sérénade des sérénades et

Raccrocs. , .

Dans ces trois premieres parties les deux grands , .

themes sont Marcelle et Paris. La partie suivante est Armor . ,.. . .

qui a surtout pour themes la Bretagne, ses coutumes et les - ,

Bretons. Dans Gens de Mer le poete parle encore des Bretons

mais il s'agit toujours de marins ou de gens qui, d'une façon

ou d'une autre, sont attachés à la mer. , ,

Quant a la sixieme ,.. ,. ,

partie, Rondels pour apres,~theme est la mort qui approche.

La façon dont Tristan Corbière a disposé les diverses ,

parties de son recueil.1, est trescurieuse. Il semble que

les cinq premières parties soient présentées inversement

à l'ordre chronologique dans lequel elles ont été écrites;

alors que les poèmes de Rondels pour après ont bien été écrits ,1 ,

apres les autres. M. Sonnenfeld pense que Corbiere se

souciait fort peu de la chronologie. Selon lui les parties

qui traitent de P~ris sont présentées en premier pour montrer

de façon symbolique la nostalgie de la Bretagne. Il est

fort possible que le poète ai t, en fait,' "arrangé" ses poèmes

ainsi pour donner cette impression symbolique car tout indique

lLevi, ~_ cit., p. 194.

313

34 qu'il se sentait malheureux et depaysé à Paris. Dans se~

poêmes il vante les vertus de la Bretagne et des Bretons mais

dénigre Paris et les Parisiens.

P01,lr comprendre les Amours jaunes il, ne faut pas s,, arr@ter

l"l'analyse des thêmes des divers poêmes ou m!mel'analyse

des diverses parties de l'oeuvre. Il est nécessaire plutet

~e considérer les Amours jaunes comme une fantaisie

de la vie. On ne doit do~c pas examiner seulement chaque ,

poême pour son thème mais essayer de le si tue~' ie'nfonction

de la vie de Tristan. Avant tout il y a, 'dans"l'oeuvre, le

désir d'une évasion vers l'action. Les jugements de valeur

qu'on trouve au sujet de la vie du, marin auss'i bien qu'au

sujet de celle du Parisien partent 'de l'idée de l'action.

La fantaisie, dans l'oeuvre, ne se limite pas simplement aux

poèmes d'aventUl'e où l'auteU7:" peut s'YlIlboliquementdevenir

le héros dont il parle. C'est aussi la fantaisie au sens

où il peut-critiquer ou juger tout ce qui attire son atten­

tion. La vie ne lui avait fourni qu'un semblant d'existence ••

Dans l'oeuvre, par contre, la fantaisie lui permet de parler

comme s'il avait vraiment é2-l,)lkcit4i)llé.', l'amour, la vie active

ou 1!\.'engagement" dans un début littéraire à la façon de son

père. On rencontre aussi, de temps à autre, le Tristan de la

réalité et c'est alors qu'appairait le douloureux.

Nous allons commencer l'examen des poèmes avec les Gens -de 'mer; ensuite nous verrons le reste en remontant vers le

commencement du recueil. Cette façon de procéder va per­

mettre de suivre la fantaisie de l'auteur.

.. .

..

35 Pour cette raison les Rondels pour aprês vont être vus à

la fin de l'analyse car, non seulement ils ~arquent la fin

de l'oeuvre, mais aussi, par leur ton, on dirait que Tristan

les a écrits avec la prémonition d'une mort toute proche.

Avant da procéder à l'examen de Gens de mer il faut

voir le premier poême du rectrail Le Poête et la"'oigale

et le dernier La Cigale et le poête qui sont une':parodie

de La Cigale et la fourmi de La Fontaine. De 'même "il est

nécessaire aussi d'examiner i-!' Paris et Epitaphe qui

précêdent les six parties principales, ot. T~istan introduit

l'oeuvre qui va suivre en analysant sa vie, ses espoirs et

sa personnalité.

Dans le Poête et la cigale et dans La Cigale et le

poête, Marcelle est la cigale comme l'indique la dédicace

"A MARCELLE" qui se trouve juste avant le titre des deux poêmes.

Il l'implore pour qU'elle soit son inspiration, sa Muse.

Il alla crier famine Chez une blonde voisine, La priant de lui pr3ter Son petit nom pour rimer. l

A la fin il s'excuse auprês d'elle pour ce qu'il vient de

faire.

Pour lui peindre ses regrets D'avoir fait--Oh! pas exprêsl--2 Son honteux monstre de livre! •••

L'emploi de "honteux monst:re" pour décrire le livre ne doit

pas ~tre pris à la lettre, il doit plutôt être-pris pour de

lTristan Corbiêre, Les Amours jaunes, Le Poête et la cigale, (Paris~ Nouvel Office d'Edition, 1963), p. 13.

2Ibid., La Cigale et le poête, p. 185.

36

l'humour.

La remarque de M. Sonnenfeld pour qui ces deux poèmes

seraient seulement un effort de la part de Tristan pour donner 1

un aspect d'unité au receuil semble très juste. Il ne faut

pas oublier qu'un grand nombre des poèmes furent écrits avant

la rencontre de Corbiêre et de Marcelle.

Dans-Ca le poète examine ce qu'il a produit.: De faç~n or-

caractéristique Tristan dénigre ce qu'il a fait. - Tout le

poême consiste en une longue série de questions que se pose

le poête au $ujet de son oeuvre et de réponses--qui . sont

toujours- négatives. Ainsi il nous assure que ce n'est pas

un livre, un poême, des bouts-rimés, des vers, -un ouvrage

etc. Dans toutes ces réponses c'est l'humour qui joue-et

Tristan-n'est pas vraiment sérieux. Les deux derniêres

strophes ont cependant du sérieux derriêre la-façade de l'humour.

CA c'est naivement une impudente pose; b 'est, ou ce n'est pas ça:' rien ou quelque chose. --Un chef-d'oeuvre? Il-se peut je n'en ai -jamais fait. - Mais, est-ce du huron, du Gagne, ou du Musset? - C'est du ••• mais j'ai mis lê. mon humble nom d "auteur, Et mon enfant n'a pas même un titre menteur. -C'est un coup de raceroc, juste ou faux par hasard2 •• L'Art ne me connaît pas. Je ne connais pas l'Art.

Il est sérieux en déclarant que l'oeuvre est une pose. La

fantaisie poétique lui permet en effet de prétendre être

n'importe quoi. L'idée qu'il ne conna!t pas l'art et que

l'art ne le conna!t pas semble 3tre, ê. premiêre vue, simple­

ment de l'humour. On peut cependant interpréter cela comme

une affirmation d'indépendence. Il vit hors de toute école

lSonnenfeld, op. cit., p. 53.

2Corbiêre, Ca, p. 16.

littéraire et annonce son affranchissement de la tradition ..

poétique et de ses regles • ..

Le poeme Paris est, en quelque sorte, un résumé de

toute son expérience à Paris. Premièrement i~ déclare qu'il

n'appartient pas à ce mande où ies valeurs sont fausses.

Bâtard de Créole et Breton, Il vint aussi-- là. - fourmilière, Bazar où rien n'est en pierïe, Où le soleil manque de ton.

Il se rend compte qu'à Paris sa poésie ne sera pas acceptée.

L'incompris couche avec sa pose, Sous -1& zinc d'un mancenillier; Le Naif "voudrait que la rose, Dondé~ fût encore au rosier~n

"La rose-au rosier Dondaine~" - On a le pied fait à sa chaîne.

.. "La rose au rosier Il ••• -Trop tard ~ -- ,

"Lâ:rose au rosier" - Nature~ - On est essayeur, pédicure, Ou quelqu'autre chose dans lrart~2

Il faut remarquer le mancenillier qui est connu comme l'arbre

de la mort. Les réalités vitales, à Paris, tuent donc la fan­

taisie de la "pose". Le vers de A la claire fontaine qui suit

celui qU'il cite est, "Et moi et ma maîtresse dans<les mêmes

amitiés." Le présent à Paris est comme une ct,laîne qui l'empêChe

de retourner en~;-,arr1ère alors que l'amour et la poésie étaient ..

différents, loin des artifices de Paris ou la nature 'et le

folklore n'ont pas de place.

A Paris il renie, qu'il'le veuille ou non, par la vie .. .

qU'il mene, la terre de son enfance.

lIbid., Paris, p. 17.

2Ibid ., p. 18.

ja"

C'est la bohêmeJ enfant:, Reniel,

Ta lande et ton clocher a jourJ

Cette ville l'engloutit et il faut qu'il adopte le masque

de la vie qui est celui du milieu dans lequel il se trouve. /

Mais ici: fauette-toi d'àrgie~ Charge ta paupiere rougieJ Et sors ton grand air de catint 2

Cette vie ne lui donne pourta.nt pas le bonheur.

Pour ·toi seul~ ta nostalgieJ Tes nuits blanches sans bougie ••• 3 Tristes versJ tristes au matint.~.

" Cette nostalgie est pour la Bretagne a laquelle il appartient.

Dans le chapitre précédent nous avons bien vu qu'à Paris ,.

Tristan Corbière passait des heuresentièresJ seul dans sa , ' ,

chambreJ a chanter des complaintes bretonnes •••

La ville a tout usé; même l'amourJ par un contact infect.

"Tiens: -- c'est toujours neuf -- calomnie Tes pauvres amours ••.• et l'amour. Il

Ici il ne voit pas l'amour de sa fantaisie mais plutôt la

réalité qui le blesse. Il a vu maintenant·le monde vulgaire

qui écrase la dignité humaine des femmes comme sa Marcelle.

Rôde en la coulisse malsaine Où vont les fruits mal secs moisirl Moisir pour un.quart-d'heure en sc~ne ••• Voir les planches, ~ puis mourirt

C'est bien là l'horreur de Paris où l'on sacrifie toute une

vie pour quinze minutes qui vont peut-être donner' le succès.

A la fin on voit le grand vide qui s'est fait dans

sa vie.

lIbid. , p. 19.

2Ibid. , p. 19. 3Ibid., p. 19.

4Ibid. , p. 20.

ft

"" .J

39 .'.

DrÔle de pistolet fini! ••• ou reste, et bois tonlfond de vie, Sur une nappe desservie.

En fin de compte, c'est à Paris qu'il trouve le néant. Il

a le douloureux choix de mettre fin à tout cela par un coup

décisif de pistolet ou de continuer sans aucune raison d t 3tre.

Le poème Epitaphe est un résumé en même temps qU'une

analyse de sa vie. Il se rend compte que la vie a passé

devant luie,t qu'il n'y a vraiment pas participé,.·.·.<.>

Flâneur au large, - à la dér~ve, Epave qui jamais n'arrive •••

........ ,

L'engagement dans la vie lui a donc été impossible. Son

~tat naturel a été la fantaisie.

Ne fut quelqu'un ni quelqu~ chose. Son naturel était la pose.

Comme il.ne participait pas à l'action de la vie, en jouant

ses rÔles, il se trouvait isolé dans toutes les situations.

Sans avoir été, - revenu; 4 Se retrouvant partout perdu.

Tout le poêma est une répétition continue de l'impuissance

qu'il a éppouvée devant une vie.qui lui échapp~it ••• Il y a

un accent-pathétique qui dOÎnine, dans ce poême, et qui vient

surtout de cette analyse lucide d~ son existence en dehors

de la vie. ·A la fin il exprime vraiment le douloureux de

sa situation .•

Trop. Soi pour se pouJ'voir souffrir, L'esprit à sec et la ~ête ivre,

.i. -

~Ibid., p. 21. 2Ibid • , EEitaEhe, p. 25. 3Ibid.~ p. 24. 4 Ibid. , p. 24.

e· Fini mais ne sachant finir, Il mourut en s'attendant vivre Et vécut en Si attendant· mourir.

Ci-gît, -- coeur sans coeur! mal planté Trop· réussi, -- comme raté.

Le désarroi de llhomme qui ne peut supporter ce qui il est

mais qui ne peut rien faire non plus pour devenir tel·

qu'il voudrait être semble, ici, évident. Le douloureux

vient surtout du fait qu'il est conscient que, du point de ..

vue de la participation active a la vie, clest un raté.

La grande fantaisie d'une·vie dlaction en mer se

trouve surtout dans Gens de mer. Cette partie de l'oeuvre

est, de loin, la plus importante pour notre analyse de la

fantaisie existentielle. Pour cette raison nous allons .

examiner dans le détail les différents poèmes.

Il y a plus que la fantaisie dans cette partie de l'oeuvre. .... ..

Dans' plusieurs poemes Corbiere compare la fantaisie a la

vie réelle. Ses poèmes nous permettent de comprendre son

désarroi devant la réalité et soulignent pourquoi il S'I est

lancé dans la fantaisie. Vers la fin il y a déjà des

indications montrant que l'amour va détourner son attention

d'une fantaisie de llaction en mer • ..

Dans les trois premieres parties de l'oeuvre il y a

surtout une fantaisie qui part de l'amour. ..

Les poemes

montrent un certain sens de la culpabilité chez llauteur

qui a, en quelque sorte, trahi la fantaisie de l'action en

se tournant vers l'amour et vers Paris.

1 Ibid., p. 25.

" ' '\, Armor se situe a part dans l'oeuvre de Tristan Corbiere.

La fantaisie lui permet ici de s'unir avec la Bretagne et , .

les Bretons. Les':,vertu~ qu'il décrit là contrastent avec " " l'immoralité a Paris.

" . " Dans les poemes de Gens de mer le poe te décrit la vie

du marin, qU'il conçoit comme une vie idéale. Il faut

remarquer surtout que c'est par la fantaisie qu'il parle de

la vie du marin comme s'il était un vieux. marin lui-même •••

'" La fantaisie le rend l'égal de son pere. Comme lui il peut

maintenant vanter les flots et critiquer les terriens, aux

vies ternes, qui n'ont jamais connu la grande aventure, celle

qui façonne vraiment l'homme. Bien qu'il soit, en réalité,

un marin manqué, il oublie cette torture dans la fantaisie

" et suit les traces de son pere en se soulevant avec indignation

contre les faux. auteurs qui osent parler de la vie

du marin sans jamais,l'avoir connue.1 Bien que le Tristan

" " de la réalité ne soit pas completement absent de ces poemes

c'est surtout Tristan le marin qui parle et agit.

Gens de mer commence avec une introduction sans titre

où il se proclame "Homme de Mer" •••

Mais il fut flottant, mon berceau, Fait comme le nid de l'oiseau Qui couve ses oeufs sur la houle ••• Mon lit d'amour fut un hamac;

A , " Et, pour tantot, j espere un sac 2 Lesté d'un bon caillou qui coule.

Ces vers montrent le Tristan de la fantaisie. C'est sous le

signe de cette fantaisie d'ailleurs qu'il composera les

1 Cf. p. 2.

2corbière, op. cit., Gens de mer, p. 143.

Gens de mer~ mais n'oublions pas qu'il se rend compte, aussi;J

que rien en cela n'abolit la réalité.

--Va, bonhomme de mer mal fait~. Va, Muse à la voix de rogomme' Va, Chef-d'oeuvre de cabaret~1

La fantaisie qui inspire 'sa Muse est comme grisée d'alcool.

Elle n'est pas plus vraie que les images.produites par l'intoxi­

cation alcoolique.

L'introduction. terminée Tristan reprend sa fantaisie

et passe à l'attaquef dès le premier poème, il s'élève

contre la conception populaire du marin.

Vos marins de quinquets à l'Opéra comique, . Sous un:2frac en bleu-ciel jurent "Mille sabords ~ fi Et sur les boulevards, le ~urvivantchronique Du Vengeur vend l'onguent a tuer les rats morts. Le Jûn'hornme infligé d'un bras--même en voyage-­Infortunée chantant par suite de naufrage; La femme en bain de mer qui tord ses ~ras au flot; Et l'amiral --Ce nlest pas matelot~

En commaissance de cause il peut alors décrire ce qu'est

"le matelot " .•

C'est qu'ils se sentent bien, ces chiens~ Ce sont des inâ.les~ Eux: l'Océan~--et vous: les plates-bandes· sales ••• ; Vous êtes des terriens en un mot des troupiers, 3 --De la terre de pipe ët de la sueur de pieds~--

Il affirme que la vie à terre nlest pas faite pour un matelot.

"Ils ont le mal de mer sur vos planchers à boeufs; ,,4

C'est sur la mer qu'il y a vraiment la vie alors qu'en contact

avec les forces de la nature llâme saisit, enfin, la signifi-

lIbid. , p. 143. 2Ibid. , Matelots, p. 143. 3Ibid ., p. 144. 4 Ibid. , p. 144.

cation de la vie". sans le savoir.

--Allez: à bord" chez eux" ils on~ leur poésie~ Ces brutes ont des chants ivres drame saisie" Improvisée aux quarts .sur le gailtard d'avani ••• --Ils ne s'en doutent pas eux" poeme vivant.

Le matelot qui meurt en mer périt en vrai homme.

Il finit comme ça" simple en sa grande allure" D'un bloc:--Un tr~udans lieau quoi~ ••• pas de

t'iori ture ~ •••

Il ~1a quelque chose de noble dans cette mort si simple" sans

ornements. La fiancée du matelot mort ne se tord pas les '\

bras devant la mer a la façon des descriptions romantiques.

--Car la mer est pien ~rande et la mer est jalouse-­Mais e:J..lelsera :f'iere" a travers un sanglot" 3 De pouvoir dire encore:--Il était matelot~ •••

A travers aa douleur il y a une certaine noblesse na!ve que

lui donne la grandeur de son matelot mort.

Dans la deuxième partie du poème Tristan décrit le '\

vide qui se fait dans la vie d'un matelot des que la '\

vieillesse le force a quitter la mer.

Ame-de-mer en peine est le vieux mate40t Attendant" échoué ••• --quoi: la mort?

La mort seule peut délivrer le vieux matelot de l~existence

morne qu'il a vécue à terre car il n'y a pas de substitut

pour la vraie vie de marin. Dans ce sens ces·vers s'appliquent '\ aussi a Tristan: hors de la fantaisie son cas est pareil

à ce~ui 4~,vieux marin dont il parle.

lIbid." p. 145.

2Ibid." p. 146. 3 Ibid." p. 145. 4 Ibid. , p. 146.

, , Dans cette partie du poeme,Corbiere déplore aussi

la marche du temps qui a changé la vie du marin •••

Ah, les vieux avaient de plus fiers appétits~ , , En haussant leur épaule ils vous trouvent petits. A treize ans ils mangaient de l'Anglais, les corsaires~ Vous, vous n'êtes que des pelle'ta.s militaires... 1 Allez, on n'en fait plus de ces purs, premier brin~ ,

Il ne faut pas oublier qu'à, l'âge de treize ans le père

de Tristan'avait participé au combat sur la "Cannonière 93".2

Dans un ancien nid de corsaires comme Roscoff il a certaine­

ment dû connattre des vieux qui avaient fait la course.

A cause de ces influences Tristan n'aspire pas simplement , " , , a la vie de marin par sa fantaisie, mais a la vie de marin

comme elle était, auparavant, au temps des corsaires. ,

Le sUjet du long poeme le Bossu Bitor est surtout

la dégradation. Bitor représente probablement Tristan et

il y ,a des indication's, à. cet effet, au début du poème.

Un pauyre petit diabl~ au~~i vaillant qu'un autre, Quatrieme et dernier a '@o:~d d'un petit cotre ••• Fier d'être matelot et de manger pour rien, Il remplaçait le coq, le mousse et le chien; Et compt~it comme, ça quarante ans de serviQe, Sur le role toujours inscrit comme-novice~~

Bitor est sur un cotre, il n'a pas d'importance et peu

importe comment il essaie de de~enir marin puisqu'il restera

toujours novice. Tout cela indique que Bitor est bien Tristan. ,

Le poeme raconte l'histoire de Bitor qui se rend dans

un lupanar. Après avoir été tourmenté par les filles de

joie il y laisse sa vie. Cela montre que ce pauvre être,

déformé et faible, n'a pas de place dans un monde vicieux,

.. ___ c_i_t_., Gens de mer, le Bossu Bitor, p. 147.

'- - .... _,."" ...

"-réservé aux forts, a ceux qui ne sont pas des novices.

C'est à terre que le marin rencontre la dégradation car"

même un demi-marin comme Bitor, était heureux à bord du cotre.

IMais les soirs étaient doux aussi pour Bttor, 1 Il était libre aussi" maître et gardien a bord •••

Il faut remarquer que Bitor est, ici, heureux à bord d'un

cotre amaré au quai. Les vrais marins ntauraient pas,été

écrasés comme Bitor pendant leurs ébats à terre. C'est

pourquoi; ilLe navire est parti sans Bitor u2 car la mer

n'est pas faite pour les faibles • ..

La fantaisie du poeme ne se trouve pas dans un effort

pour créer une existence de marin mais elle sert plutôt à

présenter une certaine ambiance de corruption dans le

monde réel. Il est probable que Tristan ne connut pas les ..

maisons dtamour a trente sous, pour marins, comme celle qU'il

décrit dans ce poème. A l'époque Roscoff était plutôt

une paisible petite ville de pêcheurs et non pas le·grand

centre maritime où lton rencontre de tels endroits fréquentés

par des marins de tous les coins du monde. Les détails qui

abondent sur l'ambiance de la maison qU'il décrit viennent ...

probablement de récits de marins qu'il connaissait a Roscoff • .. Le poeme suivant est un 111élange de fantaisie et de

réalité. Il commence en Se présentant tel qU'il se voit dans

la réalité.

Ca, c'est un renégat. Contumace ~artout: ~our ne rien faire, ça fait tout./

lIbid., p. 148.

2Ibid., p. 154.

3Ibid." Gens de mer, Le renégat, p. 155.

Il est comme un renégat parce qu'il n'appartient pas et ne

" participe pas effectivement a la vie. La maladie le réduit

à un état où il n'est ni mort ni vivant.

La mort le connaît bien~ mais n'en a plus invie ••• Recraché par la mort~ recraché par la vie~

Il montre~ ici~ que la maladie ne l'a pas achevé mais qu'elle

l'a réduit à un état où il ne 'peut plus variment s'engager

dans la vie.

Ensuite il montre quelle a été sa réaction devant la

réalité accablante.

Son nom? Il a changé de_peau~ comme chemise ••• Dans toutes·langues c'est: Ignace ou Cydalyse,

,Todos los santos ••• Mais il ne porte plus çaj Il a bien effacé-son T. F. de forçat~ ••• 2

Il a,fui la réalité par la fantaisie, ce qui lui permit dé

" devenir ce qu'il voulait, a sa guise. La réalité nel'attache

plus comme un forçat car~ par la fantaisie, il s'en libère.

"Pur, à. force d'avoir purgé tous les dégoûts".3

Il est pur maintenant dans la fantaisie, ayant purgé sa peine

dans la réalité.

Le poème Aurora montre une pure évasion dans la fantaisie. ,

Va donc Mary-Gratis brick écumeur dlAnglais~ Vire a pic et dérape~ ••• --Un coquin de vent frain Largue, en vrai matelotj les voiles de l'aurore.

On sait que c'est de la pure fantaisie car l'époque des

corsaires était révolue et la paix existait avec l'Angleterre

depuis longtemps.o.

lIbid., 'p. 155.

2Ibid., p. 155. 3Ibid. , p. 156.

4Ibid ., Gens de mer; Aurora, p. 156.

e

47 Avec la fantaisie de l'.action il y a aussi "la

fantaisie sentimentale. Tristan ajoute une belle fille,

qui va attendre son retour, à la scêne qu'il décrit.

Jusqu'au revoir la belle, .. n'Bientôt nous reviendron~ ••• "l

Mais, en continuant de poursuivre sa fantaisie, il ne veut

pas de retour et préfêre une fin glorieuse! l'aventure.

La houle qui roulait leur chanson sur la plage Murmure ~<iUt'demeilt, revenant· sur se s pas: --Tout est payé, la belle! ••• ils ne reviendront pas. 2

La mort en mer, en pleine action, était sans doute la grande

ambition irréalisable qu'avait Tristan, l'invalide, devant

la réa:J.i té .-' . . '.

Dans le poême suivant Le Novice, en partance et

sentimen·tal on retrouve la fantaisie .de la vie· du marin. Le

marin se trouve avec une fille d'un débit du port la veille

du départ de son navire. Il pense aux plaisirs des rencontres

pendant d'autres mouillages mais, en fin de compte, il

décide qulil est encore plus heureux en mare

Et hisse le grand focl--la loi me lé commande-­Largue les garcette's, sans gant!

Etraque ! bloc:"",-L'homme est libre et la mer e~t grande. La femme:: un sillage t ••• Et bon vent! •••

Quand le jeune marin quitte la fenmw pour reprendre la mer

c'est seulement alors qu'il retrouve son vrai amour. Pour

le marin le départ n'est pas douloureux puisque, par lui,

on retrouve l'aventure!

lIbid., . p. 156.

2Ibid • ~ p. 157.

3Ïbid. , Gens de p. 159.

Mer, Le Novice en partance et sentimental, '. ~,;;,;,;;,.-;;.;;,.----

48 --C'est bon. Jusqu'au retour de n'importe o~, M'amie •••

Du tropique ou Noukahiva. Tachez d'être fidêle, et moi:, sans alarie •••

Une autre fois mieux: ••• Adieu-va!

Ce sont de tels départs "fantaisistes" que Tristan aurait aimé

dans la réalité.

Dans La Goutte il éprouve, par la fantaisie, le

danger dans· l'ouragan. C'est un poême de grande action mais,

pour le marin, c'est un aspect normal de la vie. L'action

s'ouvre dans l'ouragan qui menace de faire sombrer le navire.

--Le Hunier emporté !'--O 'est 'la fin. Ql.lelqu' un , chante----Tais,-toi, Lascar! --Tantôt. --Le Hùnier empor~é ••• --Pare le foc, quelqu'un de bonne volonté! .~.'. "

Ce même Lascar qui chante insouciant devant l'ouragan pare

le foc et sauve le navire. Une lame l'emporte .. ! la mer

mais de fa~on presque miraculeuse elle le redépose. sain

et sauf sur le bateau. La réaction du Lascarj 'aprês son

aventüre, est seulement l'humour.

"Allons, mes poux n'auront pas besoin d'onguent-gris".3

Le capitaine non plus ne voit rien d'extraordinaire dans ce

qui s'est pe.ss6.

Le capitaine'mit, ce jour, sur son rapport: 4 ~-Gros temps. Laissé porter. Rien de neuf! bord.--

Cette réaction qui minimise le danger couru et qui le traite

comme uri: événement ordin,aire représente la grande aventure.

Ici Tristan, qui est â la fois le IILascar ll et le capitaine,

l'a connue par la fantaisie.

lIbid., p. 161.

2Ibid., Gens de mer, La Goutte, p. 161.

3Ibid., p. 16'2.

4Ibid., p. 163.

Sa fantaisie continue son cours dans Bambine. Cette·

fois Tristan devient le vieux loup de mer, le capitaine

Bambine.

Qui, vingt-huit ans, fit voir au Parisien béant, 1 Pour vingt sous: L'OCEAN! L'OCEAN!!. L'OCEAN!!!

Une fois que le temps sèg~te la supériorité de Bambine sur

sa cargaison de terriens devient évidente. Les passagers

crient qu'ils en ont assez.

Un angr une femme Le pren4i: --c'est etlnuyeux, 9a conduèteur~.. Cessez ~ 2 Faites-moi mettre a terre, a la fin~ C'est assez~--

En osant désigner ce vieux capitaine comme conducteur/cette

femme et ses semblables montrent une incomprépension totale

en face du marin et de sa vie. ,

Cela ne fait rien a Bambine. ,

Seul a bord il domine la situation en attendant, avec fatalisme,

la suite des événements.

J'voudrais bien~ ••• attendu q.' si t' t-à:!.l' heure l' prim' flot Ne soulag' pas la coqu:~

-. La mer seule peut libérer le 'navire du banc de sable tout comme

elle peut aussi les faire périr. Pour Bambine et pour la

mer les ordres de cette créature inférieure ne comptent pas.

Dans le tout petit poème Capitaine Ledoux le capitaine

apprend soudain qU'il ~ un fils.

--Eh laissez, l'chérubin~ c'est à vous? Mon portrait craché hein? •• --Ah •••

Ah~ l'vilain p'tit bougre. 4

lIbid., Gens de Mer, Bambine, p.163.

2Ibid., p. 163.

3Ibid., p. 164. 4 Ibid., Gens de mer, Capitaine Ledoux, p. 164.

"'.

Tristan comme le petit bougre est fils de capitaine. Par

la fantaisie il n'est plus le,rejeton d'une honorable union

mais ce petit bâta.rd d'une fille d,' auberge. Cela le place

un peu plus haut dans le cadre de la vie de marin.

Dans le poème Lettre du Mexique Tristan exait'e' 'encore

le marin. Le poème est écrit sous forme de lettre touchante;

celle d' unl; capi t~ine à la mère d'un petit' mousse mort de

la fièvre jaune. La mort est tragique mais la mère peut se

consoler en pensant que son fils est mort'matelot.

Il fait dire à maman qu'il fait sa prière. Au père: qU'il sera~t mieux mort dans un combat. Deux anges étaient là. sur son heu1e derniè're:

Un matelot. Un vieux soldat.

Ce petit mousse est mort de là frièvre mais l'ange du vieux

soldat était là pour saluer son âme car3 étant matelot3 il

va de soi qu'il avait aussi le courage du soldat. " Le poeme

montre un fatalisme complet devant la mort. La. mort fait

partie de la rude vie ,.;des marins.' Dans la fantaisie de

Tristan c'est précisement la présence constante du danger qui

fait de la vie de marin la vie idéale.

Le Mousse ressemble beaucoup à Lettre du Mexique.

Ici c'est le père3 un simple pêcheur, qui est mort en mer.

Loin d'éloigner le petit mousse de la mer cette mort

" réaffirme d'avantage son ambition de suivre les traces du pere.

La mère pleure3 le dimanche Pour repos ••• Moi: J'ai ma revanche Quand je serai grand-matelot~2

Il sera encore plus vaillant que son père3 le pêcheur; il sera

lIbid. 3 Gens de mer, Lettre du Mexique, p. 165. 2 Ibid., Gens de mer, Le Mousse, p. 166.

~ . . ... ' , 1

51 .-1

matelot. C'est presque un défi que l~ mousse "lance !

la mer. Dans la fantaisie c'est aussi un défi 'de 'la part

de Tristan à son pêre. Symboliquement il est'le mousse et, . ;,

dans son,existence de fantaisie; non seulement il'l'égalera,

mais il le surpassera.

Au Vieux Roscoff fait de la ville de Rosco:C:C .. , un vieux:

navire de guerre • Une fois encore Tristan nous montre que'

c'est la, vie d·tautrefois, en mer, que sa fantaisie,'recherche

et non pas celle du présent. Tout le poême exprime une

grande nostalgie pour les gloires du passé'".

--011 sont les noms de tes amants? •• " --La mer et la gloire étaient folles!--Noms de lascars ~ 'noms de géants! ' Crachés des gu~es d'espingoles ••• l

Dans ce poême sa fantaisie évoque le problême 'du temps. La

fantaisie peut recréer les images de la gloire passée mais,

dês que l'idée de la fuite du temps intervient, le poête demande

ce qui est arrivé à cette gloire. En un sens, Roscoff est

pa~eil à lui. Roscoff a eu sa gloire, et lui,' il a eu espoir

en la grande vie d'action!

Le poême Le Douanier présente divers aspects de la

poésie de Corbiêre. Sous le titre il y a la dé,dicace suivante:

ELEGIE DE CORPS-DE-GARDE

A LA MEMOIRE DES DOUANIERS GARDES-COTES

MIS A LA RETRAITE LE 30 NOVEMBRE 18692

Comme c'est une élégie il s'agit d'un é,vénement triste, voire .,;.,-"

regrettable. Il condamne donc cet acte du gouvernement qui

lIbid., Gens de mer~ Au Vieux Roscoff, p. 167.

2Ibid., Gens de mer, Le Douanier, p. 168.

~ ôte toute signification de vie,à ces hommes. On ne doit

pas oublier que le gouvernement de la Restauration avait , ,

aussi arbitrairement raye le nom du pere de Tristan du l ' 1

registre naval. Son père 'avait été pamphlétaire et, dans

le poème, Tris~an suit son exemple. Toutefois il est comme

son père par la fantaisie car il sait que le poème n~aura

, pas d'influence et ne changera rien.

--Brigadier, brigadier, vous n'aurez plus raison~ ••• --Plus de longue journée à gratter l'horizon, , , Plus de ,siest~ au so~eil, plus de pipe a la lune, Plus de nuit a l'affut des lapins sur la dune ••• Plus rien" quoi ~ ••• que la goutte et le 'ressouvenir ••• --Ah t pourtant: tout cela c' eS t bien vieux pou:r'··r:Ln'1rt 2

Il est trop habitué à sa viede~ouanierpour changer. Tout

ce qui lui reste, c'est le souvenir "mais un souvenir n '"est_

pas la même chose que la vie. ~e prOblème du douanier ,est

aussi celui de Tristan.

Quel sera désormais le terme du prOblème: --L'ennui contemRlatif divisé par lui-même?-­Quel balancier reveur fera donc les cent pas, Poète" sans savoir qu'il ne s'en doute pas ••• Qui? sinon le douanier.--Hélas, qu'on m3 le rendet Dussé-je pour cela faire la contrabande.

Comme le poète il ne peut plus participer à la vie et devra

souffrir l'ennui de l'inaction. En fin de compte Tristan

devient ce douanier et, par l'engagement dans la vie, il

reprend goût. La contrebande" dont il parle" est l~existence

de sa fantaisie. ,

Le douanier est un personnage fait a merveille'pour

lCf. p.' 1.

2corbière, op.cit." Gens de mer" Le Douanier" p. 170.

3 Ibid." p. 171.

53

présenter leproblême d'une existence impossible et sans but,

celle que Tristan mêne ••• Dans une région o~, à l'occasion,

p3cheurs et marins deviennent contrebandiers, le douanier

est, en quelque sorte, le paria. Il est quelqu'un aussi

qui est três près de la mer mais qui n'est jamais marin.

Il y a un certain humour verbal dans ce poême.

--Contre deux rasoirs d'Albion perfide Nous verbalisions tu verbalisais! Plus les deux susdits ••• dont un baril vide ••• J'avais composé, tu repolissais •••

La banalité qui entre:.:soudain en jeu fait naître le sourire.

Cela ne dure pas et le poème finit sur une note doUloureuse. . .

--Non: fini ••• réformé! Va, l'oreille fendue, Rendre au gouvernement ta pa~e be rendue ••• Rends ton gabidon, rends tes'Procès-verbaux divers: Rends ton bancal, rends tout, rends ta ~hique! •••

Et mes vers.

Une fois que tout est rendu rien ne reste au douanier, ni au

poète, . sauf·· le néant. ~ •• • '1 • ':..

Tristan change encore de peau dans Le Naurra~eur

et par la fantaisie il devient fils de naufrageurs.

Mon pêre était un vieux saltin Ma mêre une vieille morgate ••• ~

Comme tel il peut s'unir, par sa fantaisie, à l'action sauvage

de la mer sur les cetes bretonnes.

Votre écume à moi, cavales d'Armor! Et 'vos. crins au vent! ••• Je ris comme un mort--4-

Ce rire de mort peut pourtant avoir deux sens. Cela peut

être le rire spectr~l du naufrageur devant la mer déchaînée

attenda~t qu'elle lui livre quelque victime dans sa furie,

lIbid., p. 170.

2Ibid., p. 171.

3Ibid ., Gens de mer, Le Naufrageur, p. 172. 4-Ibid., p. 172.

54 mais, connaissant liristan, il es~ fo~t ,possil?le que ce soit

aussi le rire de l'homme que la vie rejette comme une épave

sur la gr~,ve,' de s ~ spoirs déçus.

Le poème A mon cotre "Le N"gr~ern a dii 3tre inspiré

par la vente du Négrier quand Tristan acheta ~ yacht plus

grand pour" ses prom~nades en mer av~c Marcelle. l .. 'Pour

c,ommencer c'est un p()~me de la nos,t~~gie devant 'le temps

qui fuit avec des instants de bollh6ur"qu'on ne retrouvera

plus.

Nous n'irons plus sur ~~'vague lascive Nous gtter en fringuant!

Plus, nous n'irons à :à..molle2dérive Nous rouler en revant •••

Tristan a bien vogué ainsi, en réalité, mais nous sommes encore

dans le domaine de la fantaisie. N'oublions pas que, dans

sa vie, le po~te a essayé' de vivre "la fantaisie U,.3 Ces

instants de:bonheur sur son cotre viennent d'une réalité

o~ il jouait le marin.

Il y a aussi certaines allusions, dans ce poème, à

l'amour naissant de Tristan o

--Va, pourfendeur de lames, Pourfendre, e' NégrierJ L'estomac à des dames ' '4 Qu~, paieront le ur loyer •

.. On peut se demander d'o~ vient cette idée des dames qui

paieront leur loyer. Il est possible que Marcelle ait payé

1 Cf. p. 28.

?Corbière, op a cit., Gens de mer,A mon cotre "Le Nêgrier't, p. 173.

3 Cf. 22.

4-Corbière, op. cit., Gens de mer, A mon cotre "Le Négrier", p. 173.

le sien dans la fantaisie de Tristan ou même dans la

réalité. Le mot "pourfendre" semblerait de liaison plus

logique avec coeur qu'avec estomac. Les vers suivants

semblent aussi suggérer, que l'amour du poète réside plus dans

le;monde·de la fantaisie qU'il ne le voudrait.

Va ••• --P~ur moi seul rafalé'lla rafalée, Souleve un flot amer~ •••

Il fallait quelque chose d'extraordi~ire pour que Tristan

vendit 'son cher cotre. Si c'est l'amour il est imparfait

et lui laisse un goût amer.

Le poème le Phare est aussi un poème ::.très personnel.

Il commence par ce' qui semble être une simple description

d'un phare. ,

Dans cette premiere partie il y a pourtant

beaucoup de mots comme lise couche l', 'rut!' ~ompe'~r 'vestale~r 2 ' . 'vierge l' qui évoquent la vie sexuelle. Mais a la fin il

é ' '" sembl~ soudain, ,~ident que c est du poete-meme et non pas

d'un'phare qu'il s'agit •••

Est-il philosophe ou poète? •• --Il n'en sait rien.--,

Lunatique ou simplement bête?& •• --Ça se vaut bien.-- ,

Demandez-lui donc s'il chérit Sa solitude?

--S'il parle il,r~ondra qU'il vit ••• Par habitude.

C'est bien le Tristan qui a été dépassé par l~ vie. Ne

pouvant pas "s'engager" il ne peut communiquer avec les autres

et sa solitude est pathétique.

l Ibid., p. 174.

2Ibid ., Gens de mer, Le Phare, p. 175.

3Ibid ., p. 176.

" .

ra ·~iO

Dans la' deuxième partie du poème, c'est la f~ntaisie

qui reprend. Cette fois, il rêve de s'évader par l'amour.

--Oh~ que je v:oudrais là, .Madame, Tous deuxr~·', •• veux-tu?--

r.. A

Vivre, ~ent pour oei±, corps pour ame~ ••• --Reve pointu.--

Il admet lui même qu'il caresse là un rêve mais il poursuit

dans la fantaisie pour voir ce qui se passerait ensuite •••

Dans le boy tau de l'édifice Nous promenant,

Et, dans le feu--sans2artifice-­

Nous rencontrant.

C'est bien beau mais revenant à la réalité le poète se sent

incapable d'avoir un tel amour.

--Entre nous ••• l'érection du phare n'y tiendrait pas ••• 3

'" Tristan se sent donc incapable de vivre comme les autres, meme

quand il s'agit d'amour. ... .. ..

Dans le dernier poeme La Fin Corbiere imite son pere 4 en attaquant la conception romantique du marin. Il attaque

en particulier Victor Hugo et son Oceano nox qU'il cite ..

avant de commencer son propre poeme. Son attaque est sans

doute fondée entièrement sur la fantaisie, mais il parle ..

comme le vrai marin, montrant a Hugo toutes ses erreurs,

alors quI en réalité il n I étai t pas plus marin que lui., . Il

pousse la fantaisie jusqu'à da ter le poème; '!A. bord--ll février". 5

lIbido , p. 176.

2Jbid. , p. 176.

3Ibid • , p. 176. 4 Cf. p. 2.

5Ibid • , p. 178 •

57 Or, nous savon~ que les seules traverées de Corbière ont

été des randonnées A bord de son c,otre! La fantaisie

l'aide simplement à s'évader de la réalité. Sa poésie . . .

est, en quelque sorte, un re.f;uge 0-0., grâce A la fantaisie,

il peut enfin vivre et exister comme il lui platte - '

Du reste en attaquant le poème de Hugo,'Tristan Corbière

a pour but de souligner la valeur humaine du maria~ Quand

il vante le courage des gens de mer, et leur fermeté devant

le mort, ···il- se décrit aussi lui-m3me car, par la fantaisie,

il se trouve avec eux au milieu de l'ouragan.' 'Tristan, le

marin, ne se désole pas devant la mort en mer,connne le fait

Hugo, il l'accepte comme une chose toute naturelle.

"Allons! c'est leur métier; ils sont morts dans leurs c bottes. ,,1

Le marin de Tristan garde son courage jusqu'au bout. - . ,

Le 'défi dans'lesyeux, dans les dents le juron! A l'écume crachant une chique ralée, Buvant sans hauts-de-coeur la grand'tasse salée,,2

La douleur langoureuse qui accompagne la description de la

mort des marins, chez Hugo, serait ridicule, si elle était

appliquée 'aux rudes marins de Tristan. Le poète' sort vain­

queur de· cette dispute littéraire ~, sa fantaisie. Par

elle il· a réussi encore une fois ce qu'il ne pouvait entre-

prendre dans la réalité.

D'après ce qui a été vu dans les poêmes de Gens de mer

on peut dire, qu'en général, cette partie de l'oeuvre est

surtout une fantaisie de l'existence face à l'action. Cette

l Ibid., p. 177.

2Ibid., p. 178.

,-58

fantaisie lui permet, enfin, d'imiter son pêrei en'tout.

De temps" à "';autre la réali té ~e mêle à la fantaisie ':e t laisse

des traces douloureuses mais, le plus souvent, Tristan

rencontre dans ces poèmes la vie d'aventure qui lui était

impossible dans la réalité.

Dàns les piêces d'Armo~ il exalte la Bretagne comme

le pays o~ tout homme peut se faire valoir. Ce-pays rude

et sauvage accepte la disgrâce physique des 3tres comme'

T~istari.. Par la fantaisie il s'identifie avec les 'pauvres , ' ,

hêres dont il parle. Ils représentent les sentiments du

poè te, -'malade, malheureux sans doute, mais loin d têtre

aussi infortuné que les personnages de ces po~mes!~' Sa

fantaisie,·. cherche aussi l'union de ses propres--émotions avec

la triste nature bretonne.

Dans le pre~er poème de cette partie, Paysage mauvais,

'J;':ristan·· et:la nature se rencontrent par la fantaisie. Cet

effort-·se ·tra.duit seulement dans cette partie 'Armor de son

oeuvre .. indiquant que c'est vraiment à la Bretagne qu' il . . appartient 0 Il faut remarquer que cette nature rejoint la

mer qui est force dominante dans son oeuvre.

Sable de vieux os--Le flot râle Des glas! crèvant bruit sur bruit ••• --Palaud pâlé, ou la lune avale ' De gros vers; pour passer la nuit. l

C'est une nature o~ vivent les crapauds et, comme nous l'avons -,

vu, Tristan trouvait, dans le crapaud, l'être laid et difforme

l . l . t b li"" , •. dt· f . 2 auque ~ pouva~ sym 0 quemenv s ~ en ~ ~er.

lIbid., Armor, Paysage mauvais, p. 121.

2 Cf. p. 30.

59 --La Lavandière blanche étale· Des trépassés le linge sale~ Au soleil des loups ••• --Les crapauds~l

C'est dans la lumière irréelle de la lune que vivent les , ,

crapauds et cette lumiere correspond a la vie irréelle de , ,

Corbiere malade. Il·termine le poeme par son propre portrait~

symbolisé par le crapaud.

Petits chantres mélancoliques~ Empo'isonnent de leurs coliques ~ 2 Les champignons~ leurs escabeaux.

Tristan est le grand mélancolique devant la vie qui le refuse~

et il empoisonnait aussi~ par son dégoût cynique~ tout ce que . , ,

la vie lui presentait a Roscoff.

Dans Nature morte le poète et cette nature qu'il décrit

sont pareils. :::.A._;.~: toutes fins pratiques il est mort par , ,

rapport a la vie. Le poeme s'ouvre par des vers chargés

de mots qu'on peut associer avec la mort.

,

Des coucous l'Angelus funèbre A fait sursauter~ ·à ténèbre~3 Le coucou~ pendule du vieux~

A la fin on voit qU'il y a vraiment un mort dans ce

poeme.

Et d'un vol joyeux, la corneille Fait le tour du toit où l'on ~eille Le Défunt qui s'en va demain~

Le cri de l'oiseau de la mort est joyeUx car tout départ~

même dans la mort~ est de l'aventure pour Tristan qui est

1Corbière~ OP. cit., Armor, Paysage mauvais~ p. 121.

2Ibid ., p. 121.

3Ibid ., Armor~ Nature morte~ p. 121.

4Ibid ., p. 122.

60

un mort dans la,vie par l'inaction. , ,

Dans le poeme un Riche en Bretagne Corbiere nous

décrit la réception qui est accordée aux pauvres.

Il va de ferme en ferme. Et, jamais à son pas la porte ne se ferme. l

Il faut remarquer~ qu'en Bretagne~ on ne juge pas l'homme

par l'apparence extérieure seulement.' Il est in~irme e~

pauvre mais il a quand même quelque chose à offrir. , ,

Noblesse oblige.~-Ilest saint: a cpaque foyer Sa niche est là~ tout près du grilllon familier. Bon messager boiteux~ il a.plus d'une histoire A faire froid au dos~ quand la nait est bien nOire. 2

Ce qui compte surtout c'est que l'homme n"est pas rejeté~ , ,."., ici, a cause de sa mis~rephys~que ou materielle. Tristan

est, en quelque sorte, comme le pauvre.

"--Travailler--pour que faire? •• On travaille pour lui. "3 ,..

l '" -

L:ar ,la fantaisi~cor~ière s'identifie au pauvre qu'il dépeint:

il voudrait être exactement comme lui car il y a une diffé­

rence fondamentale entre eux.

Ah, s'il avait été senti du doux Virgile ••• Il eût 'té traduit par monsieur Delille,

Comme'un "trop fortuné s'il connût son bonheur" •••

--Merci: ça le connaît, ce marmlteux Seigneur~4 Donc le pauvre est heureux et,c'est là la grande différence

entre eux. Tristan est malheureux et c'est pour cela que la

fantaisie le pousse vers ce pauvre.

l Ibid., Armor, Un Riche en Bretagne, p. 122. 2 Ibid., p. 123. 3 Ibid. , p. 123.

4Ibid ., p. 123.

, , Le poeme Saint Tupetu de Tu-Pe-Tu, est un poeme

d'espoir. ,

Le titre Tu-Pe-tusuggere ~u-peux-tout. L'idée ,

du poete, en créant ce saint fictif, semble avoir été de

prouver que tout est possible par la persévérance.

Et chacun s'en va comme il est venu, quitte à revenir l'an prochain.1.Tu-pe-tu finit fatalement par avoir son effet. .

Ce saint oracle qui prédit le bonheur ou le malheur finit

toujours par avoir raison si la question est posée souvent.

Pour Corbière tout a été possible par la fantaisie. ,

Dans le poeme La Rapsodie foraine et le Pardon de Saint-,

Anne le grand theme est l'acceptation des tares physiques de

l'homme, en Bretagne. , . ,

La premiere partie du poeme est une

description d'un Pardon brèton. Ces.~tres qui viennent

à Sainte-Anne pour le pardon sont dans la misère la plus

abjecte.

En aboyant, un rachitique Secoue un moignon désossé, Coudoyant un épileptique Qui tra~lle dans un fossé.

Là ce tronc d'arbre où croit l'ulcère, Contre un tronc d'arbre où croît le ,·gui; 2

Par leurs souffrances ils sont' très près de Dieu et c'est

pour cela que la simple foi des Bretons eXige qu'on les

respecte.

Tas d'ex-voto, de carne impure, Charnier d'élus pour les cieux, Chez le Seigneur' ils sont chez e~~ --Ne sont-ils pas .sa. créature •.••

l 4 Ibid., Armor, Saint Tupetu de Tu-pe-tu, p. 12 • 2I·bid., Armor, La Rapsodie foraine et le Pardon de

Sainte-Anne, p. 131.

3Ibid., p. 132.

, , A la fin de cett.e partie du poeme C.orbiere s'identifie avec

les malheureux qui sont venus au Pardon.

Du grand troupeau, boucs émissaires Chargés des forfaits d'ici-bas, Sur eux Dieu purge ses colères~l --Le pasteur de Sainte-Anne est gros.--

Dieu a vraiment purgé ses colères sur Tristan. En lui

imposant la maladie il lui imposait aussi le désespoir .. ~"""'~-

de l'homme destiné à une vie d'action qui est forcé de mener

une vie oisive. , ,

Dans la deuxieme partie le poete fait la description

d'une vieille rapsod~ foraine mais symboliquement cette

description s'applique autant à lui qu'à la rapsode:

--Ça chante comme ça respire, . Triste oiseau sans plume et sans nid Vaquant où son instinct lfatt1re~

. Autour des Bon Dieu de granit •••

Comme elle, Corbi~re se promène sans but dans la vie. La

vie d'action en mer serait son nid mais il ne le trouvera

jamais. Il vogue vers, ce qui l'attire par la fantaisie, mais

ce n'est pas réel, pareil en cela au Bon Dieu de granit de

la rapsode. Cette existence est avant tout une promenade

futile à travers la vie. ,

Son nom? •• ça se nomme Misere. Qa s'est trouvé né par hasard. Ça sera trouvé mort par terre ••• La même chose--quelque part.)

Donc par la fantaisie Corbière s'est plongé dans une misère

encore plus grande que la réalité de sa maladie. Il faut

l Ibid., p. 133. 2Ibid., p. 133.

3Ibid ., p. 134.

, "

63

remarquer qu l en Bretagne la misêre phys~que est portée avec

une certaine dignité et n'entraine pas la ,condamnation par

la société: ellefor.me plutet une partie intégrale du fol­

klore.

Le poème Cris d'aveugle est une parodie 'de la passion

du Christ sur la (croix. Symboliquement c'est·aussi Tristan

sur la croix de sa vie manquée.

Les oiseaux croque~morts Ont donc peur à mon. corps Mon Golgotha n'est pas fini., Lamma lamma sabacthani Colombes de la Mort Soiffez aprês mon corps.l

C'est parce qu'il sait la futilité de son existence qu'il' est

dégo~té de la vie et rencontre le douloureux.

Pardon de prier fort Seigneur si c'est le sort

Mes yeux deux bénêtiers ardents Le diable a mis ses doigts dedans " .'" ";

Pardon de crier fort Seigneur contre lesort. 2

Dans ce poême Tristan nous ouvre son coeur. Il indique ici

pourquoi il a~se tourner vers la fantaisie. Nous voyons

que celle-ci est simplement un effort pour remplir 'le néant

de la vie .. qu'il décrit dans le poême.

Il ya un grand contraste entre Cris d'aveugle et

la Pastorale de Conlie. Cette derniêre piêce a évidemment

été inspirée par des récits ou des articles au sujet du camp

de Conlie organisé pour l'entrainement des volontaires bretons

lors de la guerre fJ:,anco-allemande. Les pluies ont vite

lIbid., Armor, Cris d'aveugle, p. 135.

2Ibid ., p. 136.

64 changé le camp en une véritable mer de boue o~ les

volontaires ont souffert de faqon at,roce, abandonnés, k toute

apparence, par le gouvernement.

Corbiêre alors devient, par la fantaisie, un des

malheureux volontaires et souffre avec eux.

Que nous avait levés dans le Mois-noir-Novembre-­Et parqués comme des troupes,lix

Pour laisser dans la boue, au mois PlïS noir--Décembre--Des peaux de mouton et nos peaux! '

Cette association lui permet aussi de prendre une position

d'engagement contre le gouvernement qui a délaissé tous

ces honnnes.

Pourquoi? dites leur donc! Vous du Quatre-Septembre! A, ces vingt mille croupissants!.~.

Citoyens décréteurs de victoiré~ en chambre, Tyrans forains impuissants. '

Par cela Tristan le breton s 'él~ve 'contre ces étrangers de

français qui les font ainsi souffrir. La fantaisie existen­

tielle de Corbiêre est celle d'un patriote plutôt que d'un

marin et elle s'accorde avec son désir de s'identifier à

la Bretagne, grand thême de cette partie de l'oeuvre.

Dans -Raccrocs que nous allons examiner, la-"g~ande , ,

fantaisie existentielle de la vie n'est pas évidente. Comme

le titre l'indique ce sont pour la plupart des poêmes écrits

plus ou moins au ha2&ard selon l'inspiration du'moment.

Unthême qu'on trouve dans plusieurs de ces'·poêmes

est la,vie. Tristan examine ce qu'il est dans la vie, ce

qu'il aimerait être et ainsi de suite ••• Un des poêmes les

plus révélateurs, à ce sujet, est Paria. Le poête se voit

lIbid., p. 136.

2Ibid ., p. 137.

comme un isolé dans ce monde.

Je ne connais pas mon semblable; Moi, je suis ce que j~.me fais. --Le Moi humain est haissable ••• --Je ne m'aime ni me haiS.~

Son moi ne lui plaît pas parce 'qu'il nia vraiment pas vécu.

--Allons~ la vie est une fille Qui ,m'a pris à son bon plaisir ••• Le mien, c'est: la mettr2 en guenille, La prostituer sans désir •

.. Ce qui est tres important, de notre point de vue, c'est que

'Corbière reconnaît que la fantaisie existentielle pour un

départ vers l'aventure exprime son vrai moi.

--L'idéal à moi: c'est un songe Creux; mon horizon--llimprévu--Et le mal du pays me ronge.~. Du pays que je n'ai pas vu./

Dans la Litanie du sommeil. il est encore plus explicite

en indiquant sa tendance vers la fantaisie existentielle.

SOMMEIL--Ecoute moi je te parlerai bien bas; Crépuscule flottant de l'Etre ou n'Etre pas~ •••

Sombre lucidité~ Clair-obscur~ Souvenir De l'Inoui~ Marée~ HOD1zon~ Avenir! Conte des Mille-et-unè~nuits doux à ouir14

C'est donc dans le rêve,ou la fantaisie~qu'il trouvera la

grande aventure.

Le thème du vide dans la vie domine aussi Laisser-Courre • ..

La vie a grandes guides ••• Au bout des guid~-rien-­••• Laissé, blasé, passé, 5 Rien ne m'a rien laissé •••

IIbid ., Raccrocs" Paria" p.

2Ibid. " p. 117. 3 Ibid. , p. 116. 4Ibid ., Raccrocs, Litanie du

117.

sommeil, p.

5Ibid., Raccrocs, Laisser-Courre, p •. 85.

96.

66

Dans Décourageuxil montre qu'il n'a pas agi dans la vie,

préférant trouver refuge dans la fantaisie.

Ce fut un vrai poête: . il n'avait pas 'de chant" '. Mort, il aimait le jour et dédaigna de ge indre •

Peintre: il aimait son art--Il oublia depèindre ••• Il voyait trop.--Et voir .est un aveug~ement.

--Songe creux: bien profond il resta dans son r3ve; Sans lui donner la forme en baudruchè· qui crêve

1 Sans ouvrir le bonhomme, et se chercher dedans.

Les thèmes de la vie ~anquée et de l'évasion dans

la fantaisie se retrouvent dans plusieurs autres "poèmes

de cette partie: ~ un Juvenal de lait, Rapsodie du sourd et ~~ .

Frère et d soeur jUlllaux. exprime.nt surtout ces m3mes . idée s.

Six··des poèmes de "Raccrocs" ont é té évidemment inspirés

par le voyage de Tristan en Italie. Le thème de·cinq des

six Veder Napoli poi mori, Vésuves et cie, A l'Etna, Soneto ;

a Napoli, et Le fils de Lamartine cet Graziella est·la

déception du poète devant la réalit.é de l'Italie. Les romantiques

avaient chanté la gloire de la beauté italienne., En insis-

tant sur le fait que la réalité ne se mesure pas aux descriptions . .

poétiques Corbiêre attaque les poêtes romantiques comme de

faux poètes.

Il indique sa déception dès le premier vers du premier

de ces poèmes.

IJVoir Naples et ••• --Fort bien merci. J'en viens. ,,2

En soulignant qu'il n'a pas aimé Naples Corbière ,se moque

des Contes d'Espagne et d'Italie de Musset. Il ne voit

pas la beauté à Naples mais plutôt des gens aux moeurs

déplaisantes.

~Ibid., Raccrocs, Décourageux, p. 89.

2Ibid., Raccrocs, Veder Napoli poi mori, p. 105.

Lurie~ Bouc~ Civré cafard Q,ui rirait tricorne cornard; --Corne au front et corde aï seuil Préserve du ~auvais oeil.--

La fameux Vésuve a aus,si été une déception.

Etna--j'ai monté la Vésuve •• Le Vésuve a beaucoup baissé:~

, La plus violente sortie anti-romantique de Corbiere est

dirigée contre le Lamartine' larmoyant de Graziella. Il "' .

parodie Lamartine et invente un fils de Lamartine~ né de

la pure , , Graziella, qui~ comme son pere~ sait tirer profit

d'une sentimentalité artificielle.

--Lui se souvient très peu de ces scènes passées ••• Mais,il laisse le vent et le flot murmurer, Et l'Etranger plongeant dans ses tr1stes pensées.~.

En tire un franc--pour pleurert) , " , En somme, dans ces poemes, Corbiere attaque l'exces de ,

sentimentalité des po.etes romanti,ques.

Il indique qu'il a écrit le poème Liberta dans

une cellule de la prison de Gênes. Nous ignorons s'il a

vraiment été emprisonné ou s'il s'agit d'une fantaisie •••

Le thème du poème est un bonheur né de l'apparent arrêt

de la marche du temps •••

--Mon nom est Quatre-Bis,-­Hors la terrestre croûte, Désert mal habité, Loin des mortels j~ goûte Un peu d' éternité. , '

:pès qU'il sort de prison la vie, sans but, s'impof?e de nouveau

lIbid ., Raccrocs~ Soneto a';Napoli, p. 108.

2Ibid., Raccrocs, A L'Etna, p. 109.

3Ibid., Raccrocs, Le Fils de Lamartine et Graziella, p. 112.

4Ibid ., Raccrocs, Liberta, p. 114.

68

à lui.

Jusqu'au jour de misêre O~ condamné je sors Seul ramer ma galêre Là, n'importe o~ ••• dehors Laissant emprisonnée A perpétuité Cette fleur cloisonrtéi' Qui fut ma liberté •••

Dans les poèmes A ma jument souris et A la douce amie -" ... .

le thême est l'homme dominant la femme.

J'ai la tête dans ta criniêre, Mes deux bras te font un collier. 2

Laisse ·me s doigts dans ta criniê.re ~ •• J'aime voir ton beau' col ployer!) •• Demain: je te donne un collier.

Dans la réalité Tristan ne dominait pas Marcelle qui, en

vivant avec Rodolphe, a Plutôt forcé Tristan à courir aprês

elle •••

En·· conclusion on peut dire que la grande fantaisie

existentielle d'une vie d'action est absente de Raccrocs.

Corbiêre se contente d'indiquer que la fantaisie est une

alternative qu'il n'accepte pas.

En écrivant Sérénade de sérénades le poête s'est sans

doute inspiré de la poésie de Musset consacrée! l'·Espagne.

Il est presque certain qu'il n'avait jamais vl:.sité,"ce pays

lui-même. Le grand thêma de cette partie de l'oeuvre est

l'aspiration du poête à un amour qui lui sera rendu. Il y

a fantaisie car tout se déroule en Espagne et non pas à Paris.

1 114. Ibid. , p.

2 Ibi~, Raccrocs, A ma jument souris, p. 86.

3Ibid• , Raccrocs, A la douce amie, p. 86.

-

69

L'auteur ne cherche pas le pale semblant d'amour qU'il

avait pu trouver auprês de la maîtresse d'un autre homme.

Il faut remarquer que .Tristan lui-m~me n'a pas changé.·

Et je te laisserai bien fraîche Comme un petit Jésus en crêche, Quant le rayon indiscret ••• Je suis si laid!-_l

L'exclamation qui termine ces vers indique bien que, par

l'amour, il ne devient pas un homme différent comma c'était

le cas dans sa fantaisie de marin.

Il est intéressant de noter que, dans ces poêmes, la

femme ne répond pas à l'amour que lui offre le poête.

--Navaja--Dolorês-y Crucificcion! --Le Christ avait au moins son éponge d' abs~nthe •• " Quand donc arriverai-je à ton Ascenpion!... .

Il souffre de voir son amour refusé mais elle ne l'écoute

toujours pas.

Sen0raï' si j'étais Toi •••. J'Quvrirais au pa~vr~ Moi~

;-. '... --Ouvrl.ral.s!--.}

Cependant elle devrait accepter son amour car, selon la

traditioni la femme est l'3tre faible, qui ne peut résister

à la tentation.

Je suis encor, Ma três-Chêre, Serpent comme le Serpent Froid, coUlant, poisson r$Mpant Qui fit pécher ta grand'mêre ••• . .

••• Vaux-tu ma chanson~·énpore? •• Me.vaux--tu seulement moi! ••• ~

1 Ibid. , Sérénade des sérénades, Guitare,

. 2Ibid. , Sérénade des sérénades~ ChaElet,

p • 66.

p. 69.

3Ibid., Sérénade des sérénades, Chanson on "Si If,

4Ibid. , Sérénade des sérénades, Vendetta, p. 72.

p. 74. .

70

Ce sentiment de supériorité ne .dure pourtant pas.

J'ai compté plus de quatorze heures.~. L'heure est Une larme-Tu pleures, 1 Mon coeur! ••• Chante encore, va--Ne compte pas.

Sans la remma l'ennui l'accable et alors l'amour prend le

dessùs sur le sophisme.

A la fin il abandonne la prétention et fait face à

la réalité.

Je soupire, en vache ~spagnole, Ton numéro

Qui n'est en français~ Vierge molle! Qu'un grand ZERO.

Tous ces po~mes affublé,s de l'ambiance romantique de l'Espagne ,

n'ont rien changé. Dans la réalité il fait toujours face au

néant.

L'analyse de la partie de l'oeuvre intitulée Les Amours

jaunas, présente de sérieuses difficul-Pés.

Compte tenu du penchant de Tristan pour la fantaisie

existentielle il est presque certain qu'il y a plus de

fantaisie que de réalité là comme ailleurs. Le fait que

Marcelle n'ait jamais quitté Rodolphe montre que, dans la

réalité, l'amour de Tristan Corbi~re consistait tout au plus

à tromper ce dernier de temps à autre. On peut donc

supposer que l'amour que nous allons examiner-dans-cette

partie de l'oeuvre est le produit de la fantaisie pour

montrer ce qU'il voulait et non pas ce qu'il avait.

Au commancement Corbiêre décrit ta naissance de son amour.

1 . Ibid., Sérénade des sérénades, Heures, p. 72.

2Ibid., Sérénade des sérénades, Pi~ce a carreaux, p. 79.

71

Beau chien," quand je te vois caresser ta mattresse, Je grogne malglté inoi--pc)'urqil.6i ?-;.tü n'en sais rien. ~ • --Ah! c'est que"·moi--vois~tù~~"jamais"" je ne caresse, l Je n'ai- pas de maîtresse, et ••• ne suis pas beau chien. .. . .

L'rumour lui manque tellement qU'il veut devenir ce chien

heureux.

--0 Bob! nous "changerons, à la métampsycose: Prends mon sonnet, moi ta sonnette "à faveur" "r~se; Toi ma peau, moi ton poil--avec puces ou non.

C'est pendant une promenade en mer que le vrai amour a vu

le jour.

En fumée, elle"est donc chassée L'éternité~ la traversée"

Qui fit dé Vous ma s6èùr"3d 'un jour, Ma soeur d'amour!... "

Il ne faut pas oublier que c'est en mer que Tristan se

sentait vraiment homme. Cependant il était marin surtout par

la fantaisie et probablement la mSme fantaisie a fait de la

femme, sa" soeur d'amour. En tout cas la réalité les attend

à'terre.

Quel ménélas,·sUr son rivage, Fait"le pied? •• --Va, j'ai ton sillage ••• J'ai;~-quand4il est la voir venir,-­Ton souvenir!

Que RodOlphe attende sur le rivage ne compte pas car, dans

le poésie, tout au moins, il peut être éliminé par la

fantaisie.

Dans cette union sentimenta~ c'est Tristan qui domine • ..

lIbid., Les Amours .jaunes, Sonnet à Sir Bob, p. 35.

2Ibid., p .. 35.

3Ibid• , Les Amours jaunes, Ste rum-boa t, p. 35.

~bid., p. 36.

72

Sois femelle de l'ho~, et'sers de Muse, a femme, Quand le poête brame' en Ame, en Lamé en Flamme! Puis--quand il ronflera--viens .baiser ton Vair.queurl l

C'est le poête qui est le vainqueur et la poés1ée pour Tristan

est surtout fantaisie.

Bientôt le ton change et, par la possibilité de la

tromper, l~ femme domine.

Eternel Féminin de l'éternel Jocrissel Fais-nous sauter, pant~ins nous payons les décorsl Nous 'éclairons la ramp·e ••• Et toi dans la cou1isse~ Tu peux faire au pompier le. pur don de ton corps.

Le sarcasme est la répli.que du poête à l'idée qu'elle le

trompe.

Et de chair ••• de cette oeuvre On est fort curieuse, Sauf le vendredi--seùlement: .

Le confesseur est maigre ••• et l'è~tase pieuse En fait: car3me entièrement.~ .

Il définit la femme comme un être qui change constamment.

La passion c'est l'averse Q,ue tra'verse I

-Mais la femme n'est qu'un grain: Grain de beauté dé folie

Ou de pluie.... 4 Grain d'orage--ou de serein--

Espérer qu'un tel ~tre soit fidêle est futile et, en

conséquence, il se prépare à l'inévitable.

Va gommeuse et gommé ô rose De couperose

FleUrir les faux-cole.5et les coeurs, Gile ts vainqueUl!ll

Une fois que l'idée est venue au poète que peut-être il n'a

lIbid. , Les Amours jaunes~ A l'Eternel Madame, p. 29.

2Ibid • , Les Amours jaunes, Féminin Sin~ulier, p. 29.

3Ibid • , 'Les Amours jaunes~ Prudentia, p. 'J7.

4Ibid. , Les Amours jaunes~ AErès la Eluie., p • 38.

.5Ibid • , Les Amours jaunes, A une rose, p. 42.

73

pas son amour à lui seul il commence à le dédaigner.

Que me veux~tudonc, l'emme trois fois 'fille? •• Moiqui'::t'e cr6yàis urt si bon eilf'ant!' , ,;,.-De l'amour?~ •• --Allons:cherche, apporte;lPille! M'aimer aussi, toil ••• moi qui t'aimais tant! '

C'est maintenant le'poête qui se montre farouche et qui

refuse d'aimer. L'amour ne l'intéresse que lorsque l'être

aimé demeure plus ou ~oins ho~s ~e sa portée, une fois qu'il

est accessibl~ ~'int~r3t se perd.

Mon, amour, à moi, n'aime p'as qu' oil' l'aime; Mendiant, ,il a peur d 'être écouté~.' ~ C'est un lazzarone enfih,un boh3~, DéjeUnant de jeûne et de liberté. 2

Ensuite Tristan se met à la place de la femme et

analyse cet amour de son point de vue. Elle se demande

pourquoi élle l'aime.

Lui cet !tre faussé, mal aimé, mal souffert, Mal haoi--mauvais livre ••• et pire:. il m'i,ntéresse.-­S'il a'st vide aprês tout ••• Oh! mo~ dieu, je le laisse, Comme un roman pauvre entr'ouvert. ,

Il éveille la curiosité plutôt que l'amour. Elle exprime le

m3me sentiment plus loin dans le poême.

Comme Eve--femme aussi--qui n'aimai4pas la pomme, Je ne l'aime pas--et j'en veux!

Donc dans la conception de Dorbiêre la femme n'a pas pour

lui d'amour véritable.

Redevenant homme,o CorbiElre constate que IJamour s'est

fané comme une fleur.

lIbid., Les Amours jaunes, A une camarade, p. 44. 2 Ibid., p. 44. 3Ibid., Les Amours jaunes, Femme, p. 51.

4Ibid., p. 52.

74 Amour mort, tombé'de'ma"boutonhiElre. ;'-A~moi, plaie 'ouverte etfleur'frintaIP.'liElrel Camelia vivant, de sang panaché l i

I~ ne faut m3me pas regretter, qu'il ait disparu peu à peu.

Alors pas de pleurs à notre mémoire! --C'est la male";'m6rt de l'amour ici--Fin du myosotis~ vieux sachet d~armoire~2

Maintenant ,qu'il a connu l'~o~ il n'en a pas besoin.

Lui ne, vous connatt plus, 'Vous l'Ombre dé,jà~,"VUé, Vous qU'il avait couchéé'èn sonciel .. toute 'nue, 3 Q..uand il était un Dieu! ••• Tout cela--n'en faut':plus •••

A ~a fin nousvoypns cependant que le poElte s'est amêrement

~~~~en pensant qU'il n'a~ait plus besoin de l'amour de

cette femme. Loin d'e~le, sur la côte d'Armor, il souffre

de la séparation. Tout lui rappelle son amour d'autrefois.

__ If Je r3vasse ••• et toujours c'est Toi. Sur toute chose, Comme un esprit follet, ton souvenir se pose; Ma solitude--Toi!--Meshiboux à l'oeil d'or: --T'oi--Ma girouette folIé:, Oh Toi! ••• -';'Que sais- je encor ••• ,--Toi:. 'mes volets ouvi;ant les bras dans la tempête ••• Une loihtaine voix: C{!)9st'Ta chanson!--c'est b3te-- ' C'est bête, mais c'est Toi'! Mon coeur grand ouvert

comme mes volets en pàJtenne, Bat, tout affolé sous'~l' hale.ine 4 Des plus bizarres courants d'air.

L'amour est aiguisé par la solitude et devient alors une

véritable obsession. ::;':_'\-:~ 6e qui est perdu ne peut pas être

retrouvé.

lIbid. , Les Amours Jaunes~ Duel aux caméliaszp. 53. 2 . Ibid. , Les Amours jaunes, Fleur d'art, p. 54.

, '

3Ibid• , Les Amours jaunes, Bonsoir, p. 55.

4Ibid • , Les Amours ,launes z Le PoElte contamace, p. 60.

75 Sa lampe se mourait. Il ouvrit la fen3tre~ Le soleil se lev;ait~ Il regarda sa lettre, Rit et la déchira ••• Les petits morceaux blanc~, Dans la brume, semblaient un vol de goélands.

Il comprend qu'on ne retrouve pas le passé et qU'il devra

vivre tant bien que mal avec sa solitude o

Dans les Amours jaunes, Tristan Corbi~re examine

aussi ce qu'il est devenu dans la vie. Un des po~mes

les plus révélateurs à ce sujet est le Boête contumace.

Faisant, d'un à- peu-près d'artiste, Un philosophe d'àpeu prês, . Raleur de soleil ou de frais; En dehors de l'humaine piste. 2

Il indique bien qu'il ne vit pas de façon normale, comme

les autres, et que sa vie trouve alors sa réalité dans la

fantaisie.

Se mourant en sommeil, il se vivait en rêve, Son rêve était le flot qui montait sur la grêve,

Le flot qui descendait; Q,uelquefoi"s vaguement, il se prenait attendre .••• Attendre quoi ••• le flotmonter--le flot

3descendre--

Ou l'Absente ••• Q,ui sait? .

La vie le laisse troublé et c'est seulement dans la

fantaisie qu'il trouve le calme.

--Dors encor:' la Bête est cÉllmée, File ton rêve jusqu'au bout •••. Mon~auvre! ••• la fumée est tout. 4 S'il es~ vrai que tout est fumée •••

. Il se rend bien compte qu'il ne fait rien qui vaille

et que c'est un autre qui le fait vivre.

lIbid., p. 61.

2Ibid ., p. 57.

3Ibid., p. 57.

4Ibid., Les Amours jaunes, La Pipe au poête, p. 50.

~ \1!f)

76

Papa, --pou,mais honnête;-­M'a laissé quelques "sous. Dont j rai fait qûelque· fette, Pour me payer des poux.

La chose remarquable dans tout cela est que notre auteur

se conna!"t parfai tement e Par le style direct il décrit ce

qu'il est: il y a un fatalisme qui indique qu'il comprend

que la révolte est inutile et que seule la fantaisie peut"

changer la réalité.

Il y a aussi un contraste dans cette partie de l'oeuvre

avec certains aspects d'Armor. En Bretagne la disgrâce

physique était acceptée alors qu'A Paris elle ne l'est pas.

--Un crapaud!--Pourqtioi cette peur Prês de "moi ton soldât fidêle? . Vois-le, poête tondu~" sans aile,"" 2 Rossignol de la"boue ••• --Horreur~--

En Bretagne Tristan, le crapaud laid, était chez lui, mais ici

il est dépaysé et provoque une exclamation horrifiée. Dans

le pays d'Armor la laideur pouvait cacher quelque chose de

valable et un tel personnage était respecté malgré la

laideur. A Paris c'est la pitié sans respect.

Un beau jour--quel métier--je faisais comme qaj Ma croisiêre. --Métier! ••• --Enfin, Elle passa --Elle qui? --L~ Passànte! Elle, avec son ombrelle! Vrai va~et de bourreau, je la frôlai ••• -~mais elle Me "regarda tout bas, souriant en dessous, Et ••• me tendit sa" main et... 3

m'a donné deux sous.

Il n'est plus un humain avec qui on peut communiquer

mais tout simplement un 3tre sans personnalité pour qui,

lIbid., Les Amours ,jaunes, Bohême de chic, p. 30.

2Ibid • , Les Amours ,jaunes z Le Cral2aud, p. 51. 3Ibid• , Les Amours jaunes, Bonne fortune et fortune,

pp. 43-44.

77 si on le veut, on peut avoir de, la pitié.

La vie à Paris l'avait contaminé de sorte qu'en

revenant en Bretagne il n~appartenait plus àce pays.

Pour les gens- du pays;, il ne lès voyait 'pas: Seu1ement~ en passant, eux re~ardà.ien~ d'en bas,

Se montrant du nez safenetre; Le curé se doutait que c'était un lépreux; Et le maire disai t::--Moi', qû 'est-ce' qUï j 'y 'peux,

C'est p1utet un Anglais ••• un Etre.

Finie l'identification avec la Bretagne des poêmes d'Armor.

Maintenant il n'appartient à nulle part. Il se sent étranger

aussi bien à Paris qu'en Bretagne.

Dana cette partie de l'oeuvre il y a aussi une attaque

contre la rigidité des théories du Parnasse au sujet de la

poésie.

--Télégramme sacr6:c-~20 mots--Vite à mon aide ••• (Sonnet--c'est un soimet--) ô Muse d'Archimêdel --La preuve du sonnet est par l'addition:

--Je pose 4 et 4. 81 Alors je procêde, En posa.nt 3 et 31 Tenons Pégase raide: "0 lyre 1 0 délire:; O ••• n--Sonnet-~Attention!2

Il est évident que Tristan Corbiêre croit que la poésie est

dans le coeur et non dans les rêgles.

Dans un autre poême il passe en revue le s romantiques.

Il est" inutile de citer toutes ses remarques car quelques

exemples seulement suffisent pour montrer le peu d'estime

qu'il avait pour ces gens là. Lamartine en particulier

est une b~te noire pour lui.

78

Doux bedeau, pleureuse en lévité, Harmonieux tronc des moissonnés, Inventeur de la· larme écrite, Lacrymatoire d'abonnés! •••

Quant à Hugo le contenu de ses poêmes n'atteint pas la

hauteur de l'épopée dont il se sert.

--Hugo: l'Homme apocalyptique, L'H6mme-ceci-tara-celaj -Meurt, garde national épique;2 Il n'en reste qu'un-celui-là!

En général ces poêtes n'ont rien dit et méritent tout

simplement l'oubli •

••• Puis un tas d'amants de la Itme; Guêre plus morts qu'ils n'ont vécu, Et changeant de fosse commune-

3 Sans un discours, sans un écul

Pour 3tre vraiment poête on ne doit pas devenir célêbre,.

Son coeur a pris du véntre et dit Bonjour en prose. Il est coté fort' 'cher ••• ce Dieu est quelque chose; Il ne va plusle-s mains dans les poches tout nu ••• Dans sa gloire qu'il porté en porte en paletot funêbre, Vous le reconnattrezfini, banal, célêbre~~p' Vous le reconnaîtrez, alors, cet inconnu ••• ~

Pour être vrai poête c'est donc la souffrance plut5t que

la gloire et l'opulence qui est nécessaire.

Dans les six poêmes de Rondels pour aprês, .Corbi~re

semble avoir le pressentiment de sa mort route proche. Il

indique qU'il sait bien qu'il a surtout vécu dans la

fantaisie.

"Dors:, on tJappellera be au décrocheur d'étoile s! ,,5

lIbid., Les Amours jaunes, Un Jeune qui s'en va, p. 47. 2Ibid., p. 48.

3Ibid., p. 48.

4Ibid., Les Amours jaunes, ,Déclin, p. 55. 5Ibid ., Rondels pour aprês, Sonnet posthume, p. 181.

79

"Il fait nOfr" enfant voleur'd'étincelles!"l '., ' ... -' .. ', ...

"Va vi te,. léger p~.i~e:ur ~~ ~0IrJ.êtes! n2

Il y a un grand sentiment d'urgence . dans tous ces vers qui

indique qU'il pense qu'il ne lui reste plus de temps pour

faire des choses merveilleuses dans la fantaisie.

Ne' fais pas le lourd:' cercueils de poêtes' Pour les croque-morts solitdè simples " jeux, Bottes à violon qui sonnent "là ·cre:tlX~ •• Ils "" te croiront mort--Les b6Uligeoi~ sont bêtes--Va vite léger peigneur de comêtes! .

Le poête ne meurt pas comme les autres hommes. Les bourgeois

ne se rendent pas compte qu'il va continuer de vivre par

la poésie qu'il iliaisse derriêre lui.

Ces quelques poêmes sont donc la fantaisie de la mort.

Elle ne l'effraie pas car sa poésie va continuer de vivre pour

lui. On dirait que non seulement Corbiêre a eu le ··pressentiment

de la mort mais aussi il semble avoir eu la prémonition qu'un

jour sa· poésie serait reconnue.

En fin de compte nous pouvons dire simplement que dans

l'oeuvre la fantaisie existentielle de Tristan a pris deux

formes. Le Tristan qui "existait" dans la fantaisie était

souvent le marin. A cette fantaisie s'opposait celle de

l'amour qui, en quelque sorte, l'a forcé à trahir le milieu

auquel il appartenait. Dans les deux cas lafantaisie existentielle

lui a surtout permis de vivre des expé"riences qui lui étaient

impossibles dans la réalité.

1 Ibid. , Rondels Eour a;erês, Rondel, p. 181.

2Ibid • , Rondels ;eour aErêsl. Petit mort Eour rire, p. 183.

3Ibid• , p. 183.

~ ~

CHAPITRE 6

LA FANTAISIE DANS LE LANGAGE POETIQ,UE

DES AMOURS JAUNES

Dans sa poésie Tristan ne s'est pas arrGté aux

idées pour exprimer sa fantaisie existentielle. Il met la

langue de ses po~mes au service de la fantaisie. Selon la

tradition la langue de toute bonne poésie se devait d'être

lyrique. Avec son insouciance habituelle Corbiêre rompt

avec la tradition poétique et crée une nouvelle langue.

C'est surtout par sa langue poétique, qui en compa~âison

avec le langage poétique traditionnel est'-presque anti­

poétique, que Tristan doit être considéré comme-un-grand

novateur dans la poésie française.

Tristan Corbiêre est le premier à introduire- -la langue

de la conversation normale dans la poésie. Il fait même

plus que cela en introduisant, quand la scêne qU'il décrit

s'y prGte, le langage particulier des marins, -ou l'argot.

Les poêmes de Gens de mer fourmillent d'expressions

propres aux marins.

--A terrI! q'vous avezdit? •• vous avez dit:- à terre. A terr'! pas dégoûta! •• Moi-z'aussi, foi d'mat'lot, J'voudrais ben! ••• anttendu q'si t't' -à-l'heure l'prim'flot Ne soulag' pas la coqu': 'vous et moi mes princesses'l J'bêron ben, sauf respect, la lavure é.d'nos fesses!--

lIbid., Gens de mer, Bambine, p. 164.

80

81

Les conversations entre les personnages de ces po~mes

se font de faç'on naturelle tout comme Si il ne s'agissait

plus de poésie.

--Un bon frais, m'am Galmiche, ! faire plier mon pouce: R'lâchés en avarie, en rade, avec mon lo~~ ••• --Augtiss i! on' se· hiss' pas colTlIiliça' de sur les glnoux l Des cap'tain's! ••• --Eh, laissez, l'chérubin! c'est ~ vous.

Si Corbiêre ne s'était pas servi de la langue du marin ici

il lui aurait fallu abandonner la conversation et se servir

plutôt de la description. Un Cap 'tain Ledoux parlant la

langue d'un fin lettré aurait été tout simplement ridicule.

Il n'hésite même pas devant les termes techniques

pour décrire une scêne en mer.

--Garçons, tous à la drisse! ! nous! pare l'écél>ute! ••• (Le coup de grâce enfin~ ~ ~ ~--Hisse ,1 barre au vent toute! Hurrah! nous abattons!... '

Une description n'aurait pas pu reproduire le m3me·sentiment

du danger imminent que suscitent ces quelques ordres criés

assez fort pour ~tre entendus dans l'ouragan.

En employant le m3me langage que son pêre)Tristan

devenait son égal dans la fantaisie. ,La même chose

s'applique à Corbiêre le marin de la fantaisie. Pour vivre

en marin dans sa fantaisie existentielle il fallait qu'il

parle comme les marins.

Du point de vue des sujets qU'ilS traitent Baudelaire

et Tristan Corbiêre-le Parisien-ont beaucoup en commun. La

ressemblance ne ·va pas plus loin pourtant. Dans sa poésie

Baudelaire a introduit les différents aspects du mal mais

lIbid., Gens de mer, CapItaine Ledoux, p. 164.

2Ibid., Gens de mer, La Goutte, p. 162.

82

pour le décrire il garde la langue poétique traditionnelle.

Pour la fantaisie existentielle de Tristan cette langue était

insuffisante.

Quand Baudelaire parle des prostituées, le matin, il

agit en spectateur et décrit tout simplement ce qu'il observe.

Les maison ça et là commença.ient à fumer ' -- ,i

Les femmes de plaisir, la p~upi~re livide,' 1 Bouche ouverte~ dormaient de leur sommeil -stupide;

Pour la mSme scêne Corbiêre n'est pas un simple spectateur.

Il vit dans le tableau dont il parle.

Velours râtissant la chausséè; Grande-duchesse mal chaussée, Cocotte qui court-becqueter 2 Et- qui dit bonjour pour chanter •••

Il se sert du mot familier "cocotte" plutôt que de l'expression

femme de plaisir, qui n'offense pas la langue poétique, pour

indiquer que par la fantaisie existentielle il vit dans ce

monde qui lui impose les expressions du milieu. Cela se voit

encore mieux dans le Bossu Bittor.

--Je te dis que je'véux la belle dame rose!... 3 --C·a-t .• Y' du vice· ••• Ah-ça: t'es porté sur la"'chose? ••

Par la fantaisie Tristan se trouve vraiment dans le lupanar et

parle à ces femmes.

Il n'y a jamais de ces conversations directes dans la

poésie de Baudelaire. Pour cette raison il a pu garder la

langue traditionelle pour exprimer des sujets nouveaux. Par

lChàrles Baudelaire, Les Fleùrs du mal, (Tableaux Parisiens, Le Crépuscule'du-matin), (Paris; Edition Gallimard, Le Livre de Poc~e, ~965)"p. 120. ,

2 ,Corbiêre, op. cit., Raccrocs, Idylle coupée, p. 99.

3Ibid., Gens de mer, Le Bossu Bittor, p. 152.

83

cet aspect de la conversation on a souvent l'impression

que la poésie de Tristan devrait être récitéeplut8t

que lue pour que tout l'effet soit vraiment senti. Il n'est

pas question de suggérer ici que le style de Tristan soit

supérieur à celui de Baudelaire. Tout simplement nous

voulons indiquer que la langue familiê:r;oe convenait""·mieux

à l'expression de la fantaisie existentielle que la langue

poétique traditionnelle.

La langue familière n'empêche pas Corbiêre d'obtenir

un effet musical dans sa poésie. Ce que sa poésie perd

en lyrisme elle le reprend par sa musicalité.

Feuilleo~ pondent"les journalistes Unfait-diirers,

Pt;pier-- Joseph, croquis ~'artis te s:: --Chiffres ou vers--

La rime riche "istes", IIvers ", Ifistes", "vers u, qu'on voit ici

produit la musicalité qui rend ces vers poétiques. Cette

rime lùi permet de se servir de mots d'une três grande

bana.lité comme "journalistes" et "divers", qui, à premiêre

vue, sembent être antipoéti~ues. Cet emploi de la langue

ordinaire lui fait soigner la rime. Ordinairement il

respecte l'alternance. Il préfère la rime riche ou suffisante

à la rime pauvre. La disposition des rimes varie beaucoup

dans sa poésie. De temps à autre il se sert des rimes plates.

(Et son cheval paissait" mon col. )--Pauvre animal,A Il vous aime déjà! Ne prenez pas à mal... ~ --Au large!--Oh! mais: au moins votre bout de

La Vierge vous le rende.--Allons: cigare •••

au large! ou: gare ••• 2

lIbid., Les Amours Jaunes, A une rose, p. 41.

2Ibid ., Raccrocs, Hidalgo, p. 115.

B

B

84 Cependant, dans la plupa~t de ses poêmes il a choisi les

~imes c~oiséès ou emb~assées.

--Allons! la vie est une fille A Qui m'a'p~is à son bon plaisi~ B Le mien, c'est la mett~eïn guenille, A La p~ostituer sans désir. B

S~ . ton l)~as ~ soutiens ton poâte, A Toi,· sa Muse, quand il chantait B Son so~i~e'quand il mou~ait, B Et sa Fête.· •• quand c' étai t fête! 2 .A

Cette g~ande dépendance de la ~ime pour obtenir l'effet

poétique es.t une des faiblesses de sa poésie. Pour

obtenir l'effet il doit souvent recouri~ à des a~tifices.

Qu'elle va ,me semble~ étroité; Tout seul, la botte àdeux! ••• la boite O~ nous'n'avions' qu'un oreiller pour sommeiller.3

La répétition du mot boite n'ajo1,1tt.::,; rien au poElme 'et

se fait seulement p.our satisfaire ~es exigen~es de la ~imeo

Le résultat de tels efforts est un style qui, pa~ endroits,

semble 8t~e assez rocailleux.

Pour p~ésente~ sa poésie Corbiêre se sert aussi de

p~océdés expressionnistes. Son exp~essionnisme n'est pas une

épuzl,:i::l!(;'ti;odi.·':';J! symboliste de la langue ,comme pa~exemple celle

de Mallarmé. L'exp~essionnisme de Corbiêre se manifeste pa~

la défor.mation caricaturale. Par cela il a une certaine

~essemblance avec Rimoaud quoique l'expressionnisme de

T~istan demeure toujours infé~ieur à celui de Rimbaud.

lIbid., Racc~ocs, Pari~, ~. 117.

2Ibid., Les Amours jaunes, Un Jeune qui s'en va, p. 45.

3Ibid., Les Amours jaunes, Steam-boat, p. 36.

85 Ont-elles pris les crêmes brunes Sur les mares des voluptés? Ont-elles trempé dans-lef lunes Aux étangs de sérénités? .

Il n'y a rien dans l'oeuvre de Corbi~re qui se compare -

de façon favorable à cette magnifique image expressioruiiè-te

de Rimbaud~ Les meilleures images de ce genre se trouvent

dans Litanie du sommeil:

Sommeil!--Camé]bn tout pailleté d'étoiles! Vaisseau-fantôme errant tout seul à pleines voiles! Femme du rendez-vou~, s'enveloppant d'un voile. 2 Sommeil!--'Triste Art'aignée, étends sur moi ta toile!

L'image est belle mais il lui manque la fluidité qui

permet de passer d'une évocation à une autre sans choc.

Dans l'image de Tristan les mots ne sont pas aussi bien

choisis et il 'y a cette malheureuse répétition du ,mot voile

pour faciliter la rime. I!' . 1 •

Corbiêre est plus prês de Rimbaud par liemploi du terme

vulgaire' mais en cela il ne va jamais três loin' •••

Dont mon doigt désirait ouvrir la fe'nte, ••• on! non! •••• -­Pour avoir le bout, gros, noir et'dYr de mon pêre, Dont la pileuse main me berçait! ••• ~

.Corbiê,re n'est jamais aussi explicite dans la vulgarité

sexuelle:: il suggêre plutôt par l'image que par le mot.

Dans le boy_au de l'édifice Nous promenant,

Et, dans le feu--sans4artifice-­Nous rencontrant.

lArthur Rimbaud, Poésies com~l~t~s, (Les Mains de Jeanne-Marie), (Paris: _ Editio~~ GallImar~, Le Livre de poche~ 1960), p. 56.

2Corbiêre, op cit., Raccrocs, Litanie du sommeil, p. 95.

3Rimbaud, op. cit., .~Remember~ces du vieillard idiot, p. 83

4Corbière , op. ci t., Gens de Mer, le Phare, p .176.

86

Le vulgarité de Tristan se trouve ·surtout dans· les expressions

de la langue du peuple conune "Cocotte Il. . Cette vulgarité

n'est pas tellement pçur choquer: elle sert plutôt à donner , .

l'impression de la réalité à la fan~ai~ie existentielle.

Les Surr~aliste.S orit ·trouvé. que la Litanie du sommeil

est un premier exemple d'écriture a1,1.tomatique. Il y a

évidémment des automatismes dans ce poème. Cependant Tristan

Corbière ne s'en est pas servi pour y trouver quelque réponse,

aux problèmes de la vie, â. la·facon des Surréalistes. Ses

automatismes s.ont occasionnés parles exigences de la rime

plut5t quepar·l'à.ssociation automatique des mots. Aussi, si

on examine le poème dans son ensemble, on voit qu'·il y a un certain

rapport entre les diverses images. Pour Corbiêre le sommeil

est quelque chose qui permet de s'échapper de la réalité.

En l'occurence il y a beaucoup de références symboliques· à

l'amour et à la vie d'action qu'il vit par la fantaisie ':

existentielle hors de cetter réa·lité.

Grand Dieu, Ma!tre de tout! . Mattre de ma Maîtresse Qui me trompe ave c ." toi--l' amoureuse paresse--o Bain de voluptés! Eventail de caresse!

Sommeil~-Ecoute moi je parlerai bien bas; Crêpusêûle flottant de l'Etre ou n'être pas! •••

. .

Sombre lucidité! Clair-obscur! De l'i~oul! Marée! Horizon!

Souvenir Avenir!

Conte des Mille-et-une-nuits doux à ouir' Lampiste d'Aladin qui sais nous éblouir!!

Il y a quand même un certain plan prémédité dans ce poème.

Bien entendu on en trouve aussi dans les oeuvres surréalistes

lIbid., p. 96.

87

mais, en théorie du moins, il ne doit pas y en avoir.

Donc ili'écriture automatique n'a pas été vraiment un aspect

de la fantaisie de Tristan Corbiêre.

En- conclusion on peut dire qu'il sIest servi de

la langue de la conversation pour mieux reproduire le

semblant de réalité qu'il créait par la fantaisie. Pour

garder un aspect poétique à ses vers il a da alors se

concentrer sur la rime.

CHAPITRE 7

CONCLUSION

La vie de Tristan Corbi~re comprend deux périodes

distinctes. De toute apparence il y.··.a d'abord la période

de la jeunesse normale. Ensuite il y a la grande coupure de

la maladie. Avec la maladie commence la période de Tristan,

l'invalide, le malade, qui continue jusqu'à sa mort.

Bien qu'elle semble logique cette séparation de la

vie en deux parties différentes est essentiellement

fausse. En vérité la maladie a causé un choc mais elle n'a

pas vraiment changé sa vie. Tristan Corbi~re a su s'adapter

aux conditions qu'imposait la maladie pour continuer sa vie.

Dans son cas l'avenir était bien clair vers la fin de

son adolescence. Ses racines remontaient à la mer'et à

l'aventure. Il allait être connne son pêre; marin soldat,

écrivain reconnu. La vie de l'action, de l'engagement, était

devenue une nécessité pour lui. Il allait égaler et même

dépasser ce que son pêre avait accompli dans la vie. La voie

qu'il allait suivre était donc bien claire.

Puis il y eut le choc de sa maladie et tout s·emblait

avoir été changé. La vie d'engagement dans l'action paraissait

impossible. La destinée lui réservait maintenant la vie oisive

de l'invalide attendant la mort. Il allait être obligé de

renier l'avenir pour lequel son passé l'avait préparé.

Tristan Corbiêre a refusé ce verdict. Il voulait vivre

88

fid~le à ses origines, à tout prix. La vie d'action

pour laquelle il se préparait allait donc continuer. Mais

devant la réalité de sa maladie seule une sublimation

fantaisiste de la vie pouvait lui permettre de se manifester.

Alors, comme c' étai t la seule voie qui lui était encore . .

ouverte, il mena la vie, qu'il avait choisie avant-sa maladie,

par la f;antaisie existentielle. Grâce à cette fantaisie

la maladie n'a pas vraiment occasionné de "coupure ".

Il a pratiqué cette fantaisie dans la vie et dans

sa poésie. Malheureusement la fantaisie n'était qu'une

armure tr~s mince pour le séparer de la réalité. Quelquefois

la réalité passe à travers la fantaisie et alors c'est

le grand désarroi.

En d'autres mots la fantaisie existentielle <a permis

ê." Corbiêre de se façonner un semblant de l'existence qu'il

voulait mener. Avant tout elle a été l'inspiration des

Amours' jaunes. Ses efforts pour vivre, dans sa·poésie,

par la fantaisie existentielle, comme il le voulait, l'ont

forcé à s'aventurer dans des régions nouvelles de la poésie

française. La création d'un monde de fantaisie qui pouvait

m.Gme partiellement repousser la réalité l'a obligé, à innover

dans la poésie comme aucun autre à cette époque."

Ce qui est le pl us remarquable c" est qu'il a fait tout

cela sans subir l'influence des poêtes contemporains. Il

n'a jamais appartenu à une .école ou à un mouvement. Il

a été un isolé avec ses propres ressources poétiques pour

l'aider.

Bien que les poètes Décadents l'aient critiqué ils l'ont

90

aussi imité: De cette maniêre il a exercé une influence sur

toute la poésie qui part des déc'adents. Même les Surréalistes , .

1 '~bnt reconnu comme un précu~seur, dans une certaine mesure •••

Quoi qu'il en soit sa poésie demeure le témoignage de

la lutte d'un homme contre le destin. Par cela elle demeurera

toujours lisible à tout ho~ qui s'intéresse aux problêmes

de l' exis tence •

~ '8'1

~ ~

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