jean neuville - la condition ouvrière au xixe siècle (tome 1: l'ouvrier objet)
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7/23/2019 Jean Neuville - La condition ouvrière au XIXe siècle (Tome 1: L'ouvrier objet)
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H I S T O I R E D U M O U V E M E N T O U V R I E R E N B E L G I Q U E
1
Jean Neuville
La condition ouvrière au XIXe siècle
Tome 1
L’ouvrier objet
DEUXIÈME ÉDITION
Editions Vie Ouvrièrea.s.b.L
Avenue Van Volxem 305
1190 Bruxelles
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Histo ire du mouvement ouvr ier en Be lg ique
Quelques précisions sur l’ordonnance de la collection :
Elle se décompose en quatre parties :* Les volum es revêtus d’une jaquette dans les teintes rouges constituent une série, suffisante
en soi, pour une initiation générale à l’Histoire du Mouvement Ouvrier en Belgique. Vol. n° 1 : La condition ouvrière au XIXe siècle tome 1 : l’ouvrier objet (J. Neuville)
Vol. n° 2 : La condition ouvrière au XIXe siècle tome 2 : l’ouvrier suspect(J. Neuville)Vol. n° 3 : Origine et première mutation du mouvement ouvrier socialiste (M. Liebman)
Sortie prévue : 1er semestre 1978
Vol. n° 4 : Origine et première mutation du mouvement ouvrier chrétien (J. Neuville)
Ce livre est en préparation.
* Les volumes revêtus d’une jaquette dans les teintes vertes contiendront l’évolution de
certains mécanismes économiques, politiques, sociaux, culturels... dans lesquels le mouvement ouvrier est impliqué.Vol. n° 5 : L’évo lutio n des relations industrielles tom e 1 : l’avènem ent du système des
relations «collectives» (J. Neuville)Vol. n° 6 : L’évolution des relations industrielles tome 2 : l’entre deux guerres (J. Neuville)
Vo l. n° 7 : L’évolu tion des relations industrielles tom e 3 : l’après-guerre 19 40 (M. M olitor)
Ces deux derniers volumes sont en cours de réalisation.
* Une troisième série de volum es seront revêtus de jaquettes dans les teintes grises et seront réservés à l’histoire des organ isations ou des institutions créées par le Mo uve m ent O uvrier. Vol. n° 8 : Histoire du syndicalisme (J. Neuville) Sortie prévue : 1978
Nous espérons accueillir dans cette série plusieurs autres volumes.
* La quatrième série serait constituée de volum es don t la couleur des jaquettes n’a pas encore
été déterminée. Les ouvrages de cette série retraceraient l’histoire du Mouvement Ouvrier
dans les différentes rég ions du pays. Il ne s’agit ici que d’un avant-projet.
Autre ouvrage du même auteur, chez le même éditeur, Adieu à la démocratie chrétienne?
« Aux term es de la loi belge du 22 mars 1 886 sur le droit d ’auteur, seul l’auteur
a le droit de reproduire ce livre ou d’en autoriser la reproduction de quelque
manière et sous quelque forme que ce soit. Toute photocopie ou reproduction
sous une autre forme est donc faite en violation de la loi. »
Tous droits réservés pour tous pays.
° Édition Vie Ouvrière, Bruxelles 1976.
ISBN 2-87003-111-4
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Introduction
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U ne histoire du M ou vem en t ouvrier ne peut se con cevo ir sans une
« préface » évo qu an t la con dit ion m isérable des ouvriers dans les décenn ies
qui précèdent sa naissance. Cette condit ion explique, en effet , pourquoi la
masse ouvrière n’a pas réagi plus tôt; l’atonie dans laquelle la place la
misère ne lui laissant pas la force nécessaire pour secouer le joug qu’el le
supp orte. M ais el le sera aussi un élém ent qui soutiendra ensu ite l ’action
parce qu’une fois entrée dans la conscience claire des travailleurs, elle sera
jugée com m e s itu a tion im m éritée ap pelant, au n om de la justice un renver
sement complet .
C ’est cet te préface que ce volum e vou drait être. D u m oins un e première
étape dans la description de la condit ion de l’ouvrier belge dans les
quarante prem ières années de notre indép enda nce nat ionale . N ou s
cro yo ns q ue ce qui cara ctérise l’ouv rier de cette épo q ue , c’est d ’être réduit
au rang d’objet par le système de production; i l faudra un long travail du
mouvement ouvrier pour faire accepter l ’ouvrier comme sujet dans la
société qui reste dominée par la bourgeois ie. Une seconde caractérist ique
est que cet te même société le cons idère comme un suspect; nous l ’aborde
rons dans un volume suivant pour évi ter de donner à celui -c i une dimen
sion qui risquerait de décourager le lecteur.
N o u s avo ns écarté l ’idée de décrire la m isère ouvrière à partir d ’une
étude des salaires payés à l ’époq ue. N o n seulement on est m al renseigné à
ce sujet, m ais les dévaluat ions de la m on na ie im poseraient un gros travail
de convers ion pour que les chif fres ne faussent pas la percept ion de la
s ituat ion . C om m e notre propos es t de m ettre un out i l d ’é tude notam m ent
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à la disposi t ion des mi l i tants ouvriers , nous avons cru donner une image
beaucoup plus parlante en fa isant appel à ces indicateurs que tout le
m ond e sais it a isément : la nourriture, le logem ent , etc . N otre source essen
t ie l le est const i tuée par les enquêtes contemporaines qui ne peuvent être
suspectées puisqu’el les furent menées par des bourgeois auprès des bour
geois, en dehors de toute intervention des ouvriers.
Notre travai l ne dépasse pas la guerre de 1870, date que nous chois issons com m e po int de repère m arquan t le passage du cap ital ism e l ibéral des
petites entités à un capital isme de concentration où les grandes entités
deviennen t dom inantes . C ’est en ef fet avec ce second capital ism e que naî t
le m ou vem en t ouvrier et q u ’il com m ence à lutter avec ef ficacité . N otr e
« préface » à l ’histoire du M ou ve m en t ouvrier s ’arrête do nc a ux env irons
de 1870 avec l ’enquête menée à cette date par le ministère de l ’Intérieur.
Cel le de 18 86 , d ont nous som m es lo in de n ier l ’im portance , es t con tem po
raine de la naissance du m ou vem ent ouvrier et sort don c du cadre qui est le
nôtre ici .
On trouvera dans les pages qui suivent une quant i té impressionnante
de citat ions, parfois assez longues, dont certains trouveront peut-être
qu’el les a l longent inut i lement le cheminement de notre descript ion. On
nous permettra de ne pas partager cet avis , car nous sommes conscients
que la majorité de ceux qui nous l iront n’ont ni le temps ni la possibi l i té
d’aller euxrmêmes rechercher ces documents, devenus fort rares, et qu’on
ne peut plus guère consulter que dans quelques bibl iothèques qui , avec
raison, ne les laissent pas franchir le seuil de leurs sallçs de lecture.
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La population ouvrière
en Belgique
au 19e siècle
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Ceux dont nous a l lons nous occuper ne sont pas minor i té dans la
Belgique indépendante; i l s ne sont point une quanti té négl igeable
p uisq u’ils con st ituen t environ la m oit ié de la p op u lat ion act ive . Le prem ier
recensement à même de fournir des é léments assez sér ieux date de 1846.
C’est un point de repère intéressant puisqu’i l se s i tue une dizaine d’années
après le premier démarrage important de l ’ industrial isation du pays, vers
18 34 , 18 35 (*). Par a il leurs , c ’est en 184 3 que le gou vern em ent décide de
faire mener une enquête sur la condition des classes ouvrières et sur le
travai l des enfants; les résul tats en seront publ iés en 1846 et en 1848.E n 1 8 4 6 , la po pul a ti o n du pa y s dépa sse lé g èr e m e nt 4 . 3 0 0 . 0 0 0 un i
tés . Sur ce chi ffre , à peu p rès la m oit ié const i tue la p op u lat ion « pro du cti
ve» . Beno î t Verhaegen es t ime ce l l e -c i à 1 .961 .849 . S i on se basa i t sur l e
r ec e nse m e nt « pr o fe s s i o nn e l » de 1 8 4 6 , o n de v ra it c o ns ta te r 2 . 2 3 6 . 0 9 0
ouvriers dont 1 .232 .828 dans l ’agricul ture . Ce sont les chi ffres que donne
l ' E x p o s é d e l a s i t u a t i o n d u R o y a u m e p u b lié en 1 8 5 2 (12). C es c h iffres
com pre nn ent à l ’éviden ce des gen s qui ne so nt pas d es « ouvriers » (par
exemple, les artisans); i l faut donc se reporter au recensement industriel
pour mieux approcher la réal i té , non seulement en quanti té , mais auss i
pou r détecter les différents types d ’ouvriers existan t à l ’épo qu e. Le tableau
qu ’on peu t lire pa ge 13 reprend les 31 4 .84 2 ouvriers recensés , mais il faut
y ajouter deux catégories regroupant beaucoup d’autres ouvriers non
(1) Léon H. Dupriez, Des mouvements économiques généraux, Louvain, 1947, tome 1er, p. 239 :
« malgré les tentatives intéressantes de Guillaume Ier d ’Orange vers 1822, il est correct de faire débuter le
véritable essor industriel de la Belgique au cours des années 1834-1835... »(2) Tableau des pages 16 et 17 du titre II.
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Nbre de Nombre d’ouvriers
manufac- Total De 16 ans et au-dessous De plus de 16 ans
tures Garçons Filles Total Hommes Femmes Total
Industries minérales
Houille et Coke .................................................... 202 46.186 7.378. 2.961 10.339 31.742 4.105 35.847- Etablissements principaux ............ 243 21.312 1.447 175 1.622 18.590 1.100 19.690
Métallurgie - Etablissements secondaires ........... 2.176 4.966 760 222 982 3.548 436 3.984- Ateliers d’artisans .............. ............ 12.028 16.011 2.393 35 2.428 13.460 123 13.583
Carrières, ardoisières - Etablissements industriels 1.613 19.976 2.982 627 3.609 15.249 1.118 16.367et céramiques - Ateliers d’arti sa n s .......... 6.786 11.789 928 18 946 10.696 147 10.843
v , • - Etablissements industr iels ................
Verrer.es _ Ate,ieisd>artisans ............................
35 3.694 539 119 658 2.718 318 3.036595 265 29 — 29 235 1 236
Industries manufacturières
Un et chan vre-E^ isseme m s industriels . . . .-Ateliers d artisans ....................
2.401 17.229 1.491 2.147 3.638 7.006 6.585 13.59118.732 42.794 2.361 18.046 20.407 11.559 10.828 22.387
Laine ........................................................................ 768 18.153 2.076 1.257 3.333 10.134 4.686 14.820r - Etablissements industriels ....................
- Ateliers d’artisans ..................................
350 14.318 2.491 1.247 3.738 7.551 3.029 10.58043 362 3 258 261 1 100 101
Soie .......................................................................... 27 675 208 29 237 380 58 438Bonneterie, rubanerie, passementerie ................ 1.074 3.010 501 337 838 1.497 675 2.172Industries de confection en tissus .................... 10.036 11.057 1.352 1.247 2.599 5.817 2.641 8.458Industries ayant pour objet :
le chauffage (tourbe) ............................................ 12 71 8 2 10 45 16 61l’éclairage ................................................................ 1.690 3.133 176 147 323 2.624 186 2.810
l’alimentation ~ Eta^ isse7ients industriels ........
8.434 22.404 1.329 567 1.896 18.451 2.057 20.508-Ateliers d’artisans ...................... 7.928 7.457 ' 688 44 732 6.291 434 6.725
Industries diverses
- Etablissements industriels ......................
- Ateliers d’artisans ....................................
1.032 1.722 135 10 145 1.524 53 1.57720.636 19.235 2.060 46 2.106 16.960 169 17.129
r , • - Etablissements industriels ......................
- Ateliers d’artisans....................................
968 2.692 157 63 220 2.292 180 2.472
11.841 10.459 2.150 52 2.202 8.039 218 8.257Papeteries et - Etablissements ind us trie ls........ 142 2.671 380 185 565 1.202 904 2.106imprimeries-Ateliers d’artisans .................... 611 2.705 632 19 651 2.034 20 2.054
Produits chimiques - Etablissements industriels .^ —Ateliers d artisans ..........
417 1.453 126 3 129 1.262 62 1.3241.240 1.627 125 2 127 1.484 16 1.500
Industries diverses ................................................ 2.691 7.416 1.451 164 1.615 5.393 408 5.801
TOTAUX ................................................................ 114.751 314.842 36.356 30.029 66.385 207.784 40.673 248.457
L A P OP UL AT I O N O
U VRI È RE
E N B E L GI Q UE
A U 1 9 *
S I È
CL E
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provinces wal lonnes , Liège et Hainaut (5) .
Enfin, ces deux industries sont assez différentes. Par une logique
interne, l ’exploitation charbonnière a dû se mécaniser et a fait appel à de
gros inv estissem en ts. L ’industrie linière, par contre, a résisté fortem en t à la
mécanisation, e l le reste plus disséminée que cel le de la houil le et présente
d ’autres types de travail leurs par suite de son im brication d ans l ’agricultu
re. D ’une part, il s’agit d’une indu strie en exp an sion, q ui con n ait très tô t le
capital isme industriel , tandis que, d’autre part, on se trouve devant une
industr ie en récess ion où règne le capi ta l i sme commercia l .
(5) Soulignons pourtant que la Wallonie compte à l’époque un nombre important de tisserands etde fileuses. Rien que dans le Hainaut, par exemple, on dénombre en 1840:
Tisserands Fileuses
à Toumay 1.087 10.468à Thuin 187 864à Soignies 3.122 8.820
à Mons 160 718à Charleroy 324 1.540à Ath 3.356 10.948
8.236 33.358
(Rapport de la députation permanente du Hainaut, 1844, p. 277).
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Anvers Brabant Fl. occ. Fl. or. Hainaut Liège Limbourg Luxemb. N am ur Pays
Houille et coke — — — — 33.497 11.872 — — 81 7 46.186
Métallurgie 1.95 3 3 .7 93 1.724 3.132 9.175 15.544 497 678 5.793 42.289
Carrières, ardoises, céramique 4.266 4.459 2.6 08 2 .8 53 9 .9 64 2 .3 14 976 1.292 3.031 31.763
Verreries 42 272 35 47 2.476 967 5 15 100 3.959Lin et chanvre 3 .8 97 4 .6 69 2 5.0 97 20.554 3.397 1.011 619 260 519 60.023
Laine 681 762 1.076 503 1.377 13.621 68 8 57 18.153
Coton 432 2.628 1 87 1 0.1 16 1.016 303 — — — 14.682
Soie 530 52 40 45 8 — — — — 67 5
Bonneterie, rubans, etc. 57 3 803 369 24 1 80 6 68 25 1 124 3 .010
Confection en tissus 1 .2 92 2 .3 57 1 .720 2.55 1 1.568 517 534 248 270 11 .057
Chauffage — — 71 — — — — — — 71
Eclairage 217 56 3 83 8 841 419 137 45 33 40 3 .133
Alimentation 3.006 5.016 4.375 5.120 6.636 2.169 1.771 580 1.188 29.861
Bois 2 .9 51 3 .0 94 2.919 4.995 2.766 1.500 940 788 1 .0 04 2 0 .9 57
Cuir 1 .4 33 2 .5 18 2.047 2.177 2 .092 1.185 552 538 609 13.151
Papeterie, imprimerie 58 1 2.588 221 440 290 816 61 52 327 5.376
Produits chimiques 356 793 371 6 88 407 205 96 9 155 3.080Industries diverses 84 8 1.713 80 3 883 589 1.422 808 127 223 7.416
TOTAUX 23 .058 36 .080 44.501 55.186 76.483 53.651 6.997 4.629 14.257 314.842
L A P OP UL AT I O N O U VRI
È RE
E N B E L GI Q UE
A U 1 9 e S I È CL E
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Effect i f des journal iers en 18 4 6
Journaliers Journaliers Total
non agricoles agricoles
Anvers 34.195 6.986 41.181
Brabant 44.187 22.909 67.096
Fl. occ. 39.718 27.810 67.528
Fl. or. 56.703 23.559 80.262
Hainaut 74.065 29.248 103.313
Liège 30.946 10.787 41.733
Limbourg 10.334 5.204 15.538
Luxembourg 10.491 2.655 13.146
Namur 25.026 11.438 36.464
Pays 325.665 140.596 466.261
Effectifs des do m estiqu es et con cierges en 1 8 4 6
Domestiques Domestiques Total
non agricoles agricoles
Anvers 13.659 11.412 25.071
Brabant 30.939 7.631 38.570
Fl. occ. 14.899 25.577 40.476
Fl. or. 20.494 25.367 45.861
Hainaut 14.852 9.475 24.327
Liège 13.224 3.736 16.960
Limbourg 2.541 11.388 13.929
Luxembourg 5.169 735 5.904Namur 6.440 2.829 9.269
Pays 122.217 98.150 220.367
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Chapitre 1er
Les ouvriers liniers
L ’analyse de la p op ulation occu pée dans l ’industrie l inière est pa rtiel
lement éclairée par une enquête antérieure au recensement de 1846; l ' E n
q u ê t e s u r l ' i n d u s t r i e l i n i è r e , organisée en 1840 par le ministre de l ’Inté
rieur. La C om m ission qui en fut chargé e a, en effet, réservé une partie de
ses con clu sion s à l ’état de la classe ouvrière (6). C ’est particulièrem ent
lorsqu’elle évoque les tisserands que les types de travailleurs apparaissent
clairement.
L orsq u’elle parle de Y é t a t d e l a c l a s s e o u v r i è r e , la C om m iss ion établ it
quatre classes; lorsque, plus loin, el le abordel e s o r t d e s o u v r i e r s ,
el le disting ue cinq classes , le term e « ou vrier » étan t pris au sens large de
«travai l leur» .
Les types de travailleurs dans le lin
La première classe est com po sée dé t i s s e r a n d s c u l t i v a t e u r s . Il s’agit
d ’un état où l’agriculture tient en core une large plac e d ans l ’activité et dans
la sub sistance . En effet, ces tisserand s « exp loiten t une étend ue su ffisan te
de terre pour pourvoir à leur nourriture et à celle de leur famille » (7). Ils
mettent en œuvre le l in qu’ils ont cultivé et n’en achètent qu’en cas
(l’insuffisance de la récolte (8). Ils cultivent jusqu’à deux ou trois hectares
(<ï) Il faut entendre ici le terme « classe », employé par la Commission, dans le sens de « catégorie ».(7) Enquête de 1840, tome II, p. 398.
(8) ld., p. 363.
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et possèdent un métier (9) . De plus, « i ls ont des domestiques qui f i lent et
qui tissent» (1011).
La deuxième c lasse est formée par les f a b r i c a n t s t i s s e r a n d s . Ici, « les
plus aisés achètent leur l in sur pied, le font préparer et survei l lent ainsi ce
produit dans toutes ses transformations jusqu’au t i ssage inc lus ivement .
D ’autres ach ètent le l in te i l lé chez le m archa nd prép arateur de l in; le plus
souvent , i l s ont un certain nombre de métiers , depuis deux jusqu’à qua
rante e t même so ixante ( n ) qu’i ls occupent, eux, leur famil le et leurs
d om estiqu es ou leurs ou vriers » (12).
La trois ième c lasse , que la Commiss ion d’enquête considère comme
l a p lus nombreuse , compte ceux que nous pourr ions appe ler a r t i s a n s -
t i s s e r a n d s qui , l ’été , sou ven t, aba nd on ne nt le t issage pou r la culture, soit
po ur leur com pte , so i t , le plus souv ent , pou r se louer com m e journalier
dan s les fermes. « Ce son t des individu s qui ne p ossè de nt q u ’un m étier,
t iennen t un e p eti te dem eure avec un journal de terre (13) et qu elqu efois
moins, en location, achètent leur l in te i l lé à crédit chez le marchand ou le
gros fermier et vendent la toi le sur le métier ou au marché. En été , i l s
s’occupent de cul ture , ou pour eux ou pour les fermiers de leurs environs » (14).
La quatrième classe est consti tuée par les t i s s e r a n d s à d o m i c i l e . « Ils
travai l l ent chez eux sur commande pour compte de fabr icants , de mar
chan ds et de b ou rge ois » (15). Selon l ’enq uête, « i ls so n t en p eti t nom bre,
mais dans ces derniers temps le nombre s’en est accru, par suite des
tentatives faites çà et là pour l ’emploi du f i l mécanique dans le t issage des
toiles » (16).
La cinq uièm e classe enfin regro up e « les tisserand s qui travai l lent
dans des ate l iers pour faire de la toi le à voi les ou du l inge damassé . De ce
nombre se trouvent ceux qui ont é té réunis dans ces derniers temps sur
plusieurs p oints po ur co nfect ionn er d e la toi le en f i l m écaniqu e » (17). O n
pourrait croire qu’i l s’agit ic i d’ouvriers travai l lant directement sous pa
tron. I l n ’en est r ien; dans sa prem ière classif ication, la com m ission les
réunit avec les t i s s e r a n d s à d o m i c i l e s disan t : « D an s la qu an tité , o n n ’en
co m p te en cor e qu e bien peu q ui so ien t réunis en atelier » (18). A illeurs, el le
(9) Id., p. 398.
(10) Id., p. 363.
(11) P* 398. L’enquête signale pourtant les chiffres de vingt et trente comme maximum; «Lacommission en a rencontré un qui en possède quarante».
(12) Enquête de 1840, tome II, p. 363.
(13) Le journal de terre était la surface qu’un individu pouvait bêcher en une journée.
(14) Enquête de 1840 , tome II, p. 363.(15) Id., p. 399.
(16) Id., p. 364.(17) Id., p. 399.(18) Id., p. 364.
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avai t soul igné qu’«Il est quelques sortes spécia les de t i ssus , comme les
couti ls , les toi les à matelas, le l inge damassé, les toi les à voi les, les rubans,
etc. , qui sont entre les mains de quelques fabricants qui font travai l ler les
t isserands po ur leur com pte, soit q u ’ils les réun issent dan s des atel iers, soit
q u ’ils leur d on n en t le fi l à d om icile » (19).
O n p eut conclure q u ’à l ’ép oq ue, un e grande part ie du t issage est
encore réal isée par des artisans. M ais on trouv e, dan s le classem en t de la
C om m ission , d ’une part , des o u v r i e r s qui travai llent p ou r un fabricant
tisserand. C e fabr icant, « c ’est le p a t r o n qui app araît sur la scène et prélu de
à une n ou ve l le org an isation ind ustrielle » (20). D ’autre part, on trou ve d es
domestiques qui l ivrent leur travai l aux tisserands cultivateurs ou aux fabricants t isserands. Ces d o m e s t i q u e s do ivent év idemment être pris en
con sidéra tion lo rsq u ’on étud ie le sort des ouvriers, car, en réali té , leur état
est fort pro che de ce lui de ces derniers. O n les trouve dans le recensem ent
général de la populat ion de 1846 sous la rubrique domest iques et
concierges (21). De même, i l faut y ajouter les j o u r n a l i e r s e t o u v r i e r s s a n s
p r o f e s s i o n d é t e r m i n é e (22) qui , eux no n p lus , ne sont pas com ptés d ans le
recensem ent ind ustriel, a lors qu e « l ’industrie et surto ut l ’agriculture recru
tent gé n éra lem en t leurs ou vriers d ans cette ca tégo rie » (23).
Une industrie stagnante
Alors que dans l ’ industrie de la laine et dans cel le du coton, la
mutation vers le machinisme s’opère sans trop de heurts , parce que le
nombre de travai l leurs qui y sont occupés est assez réduit , i l n’en sera pas
de même dans le l in . Dans cette industr ie , en effet , en 1830, i l y a encore
280 .396 f i l euses , 74 .700 t i s serands e t 50 .000 ouvr iers occupés dans la
préparation du tissage (24).
Dans la f i lature du coton, par exemple, alors qu’en Angleterre où
sont appl iquées les premières inventions de mécaniques , l es inventeurs
H argrave d ’abo rd, Ark w right ensu ite , voien t leurs m ach ines brisées par les
ouvriers, en Belgique Liévin Bauwens parvient, à la f in du XVIIIe siècle , après b eau cou p d ’avatars, à im porter en fraude d ’A ngleterre une partie des
pièces nécessa ires à la con struct ion de m achines à filer le coton . D e m êm e,
il parv ient à faire venir à G an d u n certain nom bre d ’ouvriers an glais
(19) Id., p. 256.
(20) E. Dubois, L ’industrie du tissage du lin dans les Flandres, 1900, p. 64.
(21) N° 41.(22) N° 117.(23) Recensement général de la population de 1846, Introduction, p. XLVII.
(24) L. Varie/, Les salaires dans l’industrie gantoise, II, Industrie de la filature du lin, Bruxelles,IV04, p. XXIX.
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qu alif iés . Il étab l it , au d ébu t du X IX e siècle , dans le loca l de la C hartreuse,
à G an d, « un é tab l issem en t où le co ton se cardait et se f ilait d ’après le
systèm e an glais » (25). Plusieurs m ill iers d ’ouv riers y étaien t o ccu pé s en
1805 déjà .
Bauwens s’intéressa également à la f i lature du l in, mais, dès 1808, i l
écrira : « les résultats m ’on t pro uv é q u ’au cun e filature de cette e spè ce, la
mieux combinée et la plus économique, ne peut a l ler en concurrence avec
le bas prix au qu el les ha bitan ts de la cam pa gne peu ven t f iler à la main dans
tou s les pa ys où ce vég étal es t cu ltivé » (26).
Les que lques essais d ’introd uction de la fi lature du lin à la m écaniq ue
furent ensui te très l im ités , e t cec i , m algré les encouragem ents de N ap oléo n
durant le blocus continental en vue de suppléer par le l in à la carence du
coton qui ne pénétrait plus guère en France (27). Les premières fi latures de
l in furent érigées à la fin du régime hollandais, mais ce type de fi lature
n’était pas encore très développé au lendemain de la révolution belge. En
1835, à l ’exposition industriel le de Bruxel les, les f i ls à la mécanique
« é ta ient cons idérés p lutô t com m e des échant i llons que com m e d es pro
d uits d ’un e fab rica tion su ivie » (28).
C ’est le fi l an glais, fi lé à la m éca niq ue , qui finit par con qu érir les
m archés. « L ’An gleterre qui , en 18 25 , vend ai t à pe ine 1 .00 0 kg de f i l e t de
to i le à la France, lui en fournissa it , en 18 37 , plus de 3 .5 0 0 .00 0 kg et la
B elgiqu e perd ait tou t le terrain que g agn aient les f ilateurs et les t isserands
an glais » (29). D an s ce s exp or tatio n s an glaises, le fi l de l in éta it pa ssé de
161 kg en 182 5 à 3 .1 9 9 .91 7 kg en 1 83 7 (30). Par a illeurs , de 18 32 à 18 38 ,
l ’ importat ion des f i l s écrus fabriqués mécaniquement éta i t montée de
49 .98 8 à 1 .22 2 .49 1 kg , tandis que nos exporta t ions tom baient , de 1835 à
18 38 , de 1 .04 0 .10 5 à 38 9 .99 0 kg (31). En 18 49 , la Be lgique im porta i t près
de 14 0 fois plu s de f i l à la m écan ique d ’An gleterre qu ’en 18 33 (32).
La si tuation ne manque pas d’alerter l ’opinion publique. L’industrie
l inière est , en effet , pou r les con tem po rains « un des plus b eau x fleuron s de
la c ou ron ne indu striel le » de la B elgique, p our ainsi dire « un e étoffe q ui
n’a pas de revers: agricole d’un côté, e l le est manufacturière de l ’au
(25) Briavoine, De l’industrie en Belgique, Tome I, p. 315.(26) Observations sur une lettre de François de Neufchâteau, Gand, 15 mars 1808, Dossier « Lin »,
Bibliothèque de Gand, cité par Variez: Les salaires dans l’industrie gantoise, o.c., p. XXXI, note 1.
(27) Napoléon offrit, le 7 mai 1810, une récompense de un million à l'inventeur du système qui
filerait le lin avec la même perfection que le coton (Briavoine : De l’industrie en Belgique, Tome II, p. 362).(28) G. Jacquemyns, Histoire de la crise économique des Flandres (1845-1850), Bruxelles, 1929.,
p. 78.
(29) Romberg, Les grandes industries, Patria Belgica, Tome III, p. 222.(30) Variez, o.c., p. XXXIII. — Dubois, o.c., p. 21.
(31) Id., p. XXXIX.(32) Jacquemyns, o.c., p. 145.
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tre »! (33). Il y eut des vo ix p ou r préco niser la m éca nisa tion . « Les ch am
bres ne tardèrent pas à s’ém ou vo ir de cette s itua tion . D ès 1 8 3 4 , tant à la
Cham bre q u’au Sénat, on pro po sa d ’encourager l ’introdu ct ion d es m achi
nes à f iler m écan iquem ent le lin » (34). D ep ou h on , d éputé, y déclara n o
tam m en t : « la ville des Flandr es qui élèver ait en so n sein un éta blissem en t
de f ilature com m e i l en ex iste en G rande-Bretagne se préparerait un avenir
des plus prospère. Avec les mêmes moyens de fabricat ion, nos Flandres
seraient en mesure de soutenir avec avantage la concurrence de l’ industrie
anglaise pour la filature du lin, parce qu’elles ont la matière première à
meilleur compte et moins de charges à supporter» (35) .
Les bourgeois contre les mécaniques
Cependant , en 1841, i l n’y avait encore en Belgique que 47.000
broches . I l faudra attendre 1896 pour que leur nombre atte igne 292.156,
alors q u ’en 1 8 4 0 , i l y en a vait déjà un m illion en An gleterre (36). C ’est
qu’en ef fet une oppos i t ion extrêmement tenace mit en œuvre tous les m oyen s po ssibles pou r em pêche r l’installat ion des m écaniq ues à f iler le l in.
Au moment où , en 1834 , on proposa i t , à la Chambre , d’encourager
l ’introd uction de m achines à f iler le l in, les représentants des prov inces les
plus intéressées s ’y o p po saien t ou se taisaient; « la plupa rt des députés d es
Flandres combatt irent avec acharnement toute idée d’abandonner les
vieux procé dés; i ls s ’opp osèren t aux inn ovat ions . C e furent généralem ent
les m êm es dépu tés qui s’élevèren t en défenseurs de l’ancienne ind ustrie: à
la Chambre, l ’abbé De Haerne, député de Courtrai ; l ’abbé de Foere,
député de Thielt , et Eugène Desmet, représentant de l’arrondissement
d’A lost ; .. . au Sénat, Bon né-M aes , sénateur de R oulers , négocian t en
toi les . Un grand nombre de représentants des Flandres n’intervinrent que
très rarement dans les débats où il était question de l’industrie toilière; i ls
sem blaien t vivre en m arge d e la m isère d es fileuses et des tisserand s » (37).
A la base de cet te oppos i t ion, i l y a une catégorie de gens qui sont
parfois des polit iciens, mais presque toujours des capital istes du premier type: des capital istes commerciaux (38); «la plupart restaient étrangers à
la fab rica tion : ce n ’éta ien t pa s des indu striels » (39). C e so n t c eu x qui
(33) Comte J. Arrivabene, Situation économique de la Belgique exposée d’après les documents
officiels, Bruxelles, 1943, p. 51.(34) Variez, o.c., p. XXXIII.
(35) Chambre, 20 février 1834, cité par Jacquemyns, o.c., p. 76.(36) E. Romberg, o.c., p. 222.
(37) Jacquemyns, o.c., p. 100.(38) Les capitalistes industriels étant du second type.(39) Jacquemyns, o.c., p. 103.
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ach ètent, p ou r les revend re, f ils et toiles (40). C ’est à eu x q ue reven aient les
pro fits de la fabrication (41). « Les pa uvres t isserands, g ag na nt qu elques
cent imes par jour, se trouvaient sous leur dépendance économique. La
prospérité de ces bourgeois était int imement l iée à l ’organisat ion spéciale
de l’ industrie l inière. Dans cette industrie des campagnes, les frais de
fabrication étaient réduits au minimum. Les t isserands isolés devaient
accepter les c on dit ion s f ixées par les m archan ds » (42).
Fo nd am entalem ent ces capitali stes com m erciaux craignent d’être
supplantés par les capital istes industriels à la suite de l ’ introduction des
m écaniques. « La pro du ct ion d ispersée of frai t une m ain-d ’œ uvr e m oins
chère et plus d oci le. La rév olution indu striel le m enaça it cette org an isat ion :
el le deva it cond uire à la conc entra tion de la pro du ction d es f i ls , et du cou p,
l ’har m onie da ns la fabrication à d om ici le dev ait disparaître. Il fal lait
craindre que d’autres capitalistes n’achètent en gros le l in et aussi les f i ls
sortant des f ilatures et les fassent t isser po ur leur com pte p ar les t isserands
aussi bien des vi l les q ue d es cam pag nes. Le fabricant se serait sub st itué au
marchand. Celui-ci aurait , le cas échéant, pu évoluer; mais, par esprit de
routine autant que par intérêt, i l s’efforça de m aintenir l ’an cienne industrie
l inière qui lui procurait des bénéfices assurés. Cependant cette industrie
dont on proclamait la supériorité étant branlante; el le était marquée du
sceau de la mort. Il fallait la sauver. Pour arrêter sa décadence, les mar
cha nd s form èren t une va ste a sso cia tion » (43).
La salive humaine, atout du capitalisme commercial
Celle-ci — l ’A sso ciat ion na tionale p ou r le progrès de l ’industrie
l inière — fut créée le 8 mai 18 38 (44). D ès l ’ann ée suivante, en nov em br e,
cette appe llat ion fait place à l ’A sso ciat ion na tion ale pour l a c o n s e r v a t i o n
et le progrès d e l ’a n c i e n n e indu strie linière. « Le C om ité directeur était
présidé par Desmasières , député de Gand. Les quatre autres membres
étaient: Eugène Desm et , député , B on né-M aes, sénateur et négo ciant en
toi les; Rey Ainé et Staes-Vrancken, négociants en toi les. Le comité direc
teur était assisté d ’un C on sei l général de qu arante-hu it m em bres d o n t d e u x
t i e r s é t a i e n t des m archand s de toi les. Ils se tena ient en relat ions con stantes
(40) Des commissionnaires servent d’intermédiaires pour les approvisionner. Les « Cutzers » ou
« opkoopers » parcourent les campagnes et achètent les toiles sur le métier (voir Variez, o.c., pp. 61 et ss).
— Dans la vallée de la Vesdre, les façonnaires jouent un rôle similaire. Ils sont les intermédiaires entre le
paysan et le marchand de la ville (voir: Duchesne, Histoire économique de la Belgique, p. 47).
(41) Jacquemyns, o.c., pp. 61 et ss.(42) Id., p. 106.
(43) Id., pp. 106-107.(44) Parmi les souscripteurs des actions de la nouvelle association : le roi et la reine, la Société
générale, le duc d’Arenberg, le Prince de Ligne, etc...
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avec les f i leuses et les t isserands par l’interm édiaire des com ités ca nto na ux
org an isés dan s to us les districts l iniers im po rtan ts » (45).
D ’une part, l ’A ssociat ion m ena une act ion p ou r le perfect ionnem ent
du travail à la m ain (pour le perfect ionnem ent des rou ets par exem ple) , e t,
d ’autre part , elle s’efforça d ’ob tenir des subv ention s des po uv oirs pu blics
no tam m ent pou r procurer du l in à m eil leur com pte a ux f ileuses à la m ain.
Un premier subside de 60.000 frs fut accordé en 1840 (46) . Ces subsides
allèrent cro issant jusqu ’à atteindre le triple en 1 8 44 et 1 84 5. « M ais, par
l ’effet de cette vie art if iciel le , communiquée au f i lage à la main par les
ventes de f i ls opérées en dessous des cours, la situation des f i latures
mécaniques, à peine const i tuées , partout encore précaire , devenait péri lleuse au point que le ministre de l ’Intérieur, par une singulière contradic
t ion, parlai t (27 janvier 1840) de leur donner aussi des subsides pour le
pe rfec tion n em en t de l ’ou tillage » (47).
Aussi les tenants de l ’ancienne industrie crurent- i ls pouvoir chanter
victoire. Le 20 jui l let 1941, Eug. De Smet écrivait dans le rapport du
C om ité de direct ion de l ’A sso cia t ion : « La Belgique a m ainten an t la cert i
tude de maintenir son antique travail du l in. . . Certains ont recherché des procédés nouveaux pour faire du f i l , sans suivre ceux que les f i leuses
f lamandes emploient exclusivement avec tant d’art et d’ inte l l igence. On
pensait les avoir trouvés à l ’aide de mécaniques, et on a cru que les
cylindres et les broches, mus tous à la fois par un moteur unique, auraient
pu remplacer les doigts et que la sal ive humaine aurait été faci lement
imitée par u ne eau préparée a rt if iciellemen t! O n l’avait cru ainsi , parce que
les inventeurs de mécaniques ignoraient les points essentiels du f i lage à la
main et qu’i ls ne savaient pas que là force d’adhésion de la sal ive, qui en
fait un e sor te de cim ent, était in im itable » (48).
Les « démonstrations » sur les qualités prétendument supérieures de
la f i lature à la m ain on t atteint , à l ’ép oq ue, un nom bre et une variété
inouïes . El les con st ituent une col lect ion impressionna nte de docum ents , de
brochures, etc. (49).-
M ora lité, religion , ordre social, arguments capitalistes
O n s’imagine aisément que les capital istes com m erciaux f irent, dans
leur campagne en faveur du maintien de l ’ancienne industrie, un large
(45) Jacquemyns, o.c., p. 108.(46) Variez, o.c., p. XL.
(47) Variez, o.c., p. XLI.
(48) Variez, o.c., p. XLI.
(49) Voir Jacquemyns, o.c., p. 116 et Variez, -pp. XXXVI-XXXVII, note (1).
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appel aux argum ents qui leur perm etta ient de dissim uler un com ba t d ’inté
rêt sou s d es deh ors de lutte pou r la m oral i té , la religion, l ’ordre social.
Jacquemyns en a co l lect ionné une sér ie dont i l suff ira de c i ter quelques
perles : (50)
...«La question est morale, car il n’est pas d’industrie manufacturière qui
nécessite un travail plus constant, qui éloigne par conséquent davantage le danger
et l’occa sion des m auvaises habitudes : il n’en est pas qui conserve plus précieuse
ment l’esprit de famille » (51).
...«il est utile de maintenir l’ancienne organisation du travail, parce que,
indépendamment de ce qu’il économise à l’industrie certains frais généraux, l’ou
vrier de la campagne est plus m oral, plus religieux, plus économ e, plus réglé, parce
qu ’en gagnant de plus petites journées il a moins de luxe et dépense par conséquent
d’une manière plus utile le fruit de son travail » (52).
...« une partie de la population des campagnes qui vivait, sinon contente de
son sort, du moins plus rangée, plus laborieuse, vient grossit les masses souvent
corrompues qui ne savent que dépenser, et dont la position est assujettie à beau
coup plus de vicissitudes que celles des paysans [...] le grand nombre de personnes
de sexe et d’âge différents, rémunérées dans les mêmes ateliers, exercent les uns sur
les autres une influence pernicieuse en se communiquant mutuellement leurs pen
chants et leurs vices [...]. Enfin, beaucoup d’ouvriers forment dans plusieurs villes
des m asses agglomérées de prolétaires ordinairement m écontents » (53)....« N o u s pouvons le dire que c’est un bonheur pour la Belgique d’avoir
désormais la certitude de maintenir son antique travail du lin. La religion et la
moralité d’un grande partie de la nation y trouvent une garantie contre la corrup
tion que les ateliers de fabrication traînent toujours à leur suite » (54).
(50) Voir Jacquemyns, o.c., pp. 111 et ss.
(51) Association nationale... Statuts, Discours, 9.(52) Mémorial de l’Association, déc. 1839, 302.
(53) Id., janvier 1840, n° 1, 14 à 16.
(54) Id., avril à.novembre 1841, n° 4 à 11; 104.
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Chapitre 2
Les ouvriers houilleurs
A l’époque qui nous occupe, c’es t -à-dire la première moit ié du XIXe
s iècle, les travail leurs des m ines son t, depuis lon gtem ps, des ouvriers au
statut semblable à celui des ouvriers des f i latures à la mécanique, évoquées
ci-dessus.
N o u s avo ns sou l ign é que , dans l ’industrie l in ière se rencontrait un
no m bre im po rtan t de travail leurs à dom icile (S5). C es travail leurs subissent
deu x sujét ions . D ’une part , ce lle des m archands à qui i ls durent se soum et
tre par manque de capitaux pour se procurer la matière première mais
auss i parce qu’eux seuls pouvaient p lacer les to i les sur les marchés é lo i
gnés. D ’autre part , cel le des p ropriétaires fonciers qu i « trouv aient, dans
une populat ion dense de pet i ts locataires ou de fermiers retenus à la
cam pagn e par l ’industrie loca le , une forte dem and e d’ im m eubles qui assu
rait des loy ers et d es fe rm age s rém unér ateurs » (56).
Les prem iers ouvriers houi l leurs o nt con nu orig inel lem ent une s i tua
tion o ù i ls sub irent, eu x aussi , la sujétion des propriétaires fonciers et cel le
des marchands .
Le travail en « band e » des prem iers hou illeurs
So us l ’ancien régim e, l’au torisation d ’extraire la ho uil le ne prend p as
la forme d’une concession octroyée par l’Etat . Les mines et minières ne
seront en effet m ises à la disposit ion de la na tion q u ’à la suite de l’an ne xion
(55) Nous reviendrons plus loin sur ce type de travailleur.
(56) L. Dechesne, Histoire économique et sociale de la Belgique, 1932, p. 390.
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du pays par la France en 17 94 , an nex ion qui le soum ettra à la lo i des 12 -28
juillet 1 7 9 1 . A van t cette date, c ’es t du « S eig n eu r» q u ’il fau t ob ten ir la
con cess ion. A L iège — ainsi qu ’à Charleroi et environs qui en dépen dent
— le pro priétaire du sol es t dit pro priétaire « jusq u’au centre de la terre ».
Dans le Hainaut, le droit sur les richesses du sous-sol était celui du
Seigneur Haut-Just ic ier . Dans le comté de Namur, c’étai t également le
seigneur foncier.
La concession était octroyée à des groupes d’ouvriers constituant des
associat ions de fai t prenant le nom de «bandes». Parfois , on trouvait
com m e à M on s d eu x typ es d ’associés : « les m a î t r e s proprement d i t s ou
p a r c h o n n i e r s , qu i po sséd aien t la co nc ession et sou tena ient l ’entreprise sans
fournir de travail manuel, et les p e t i t s m a î t r e s , subordonnés aux premiers
et form ant la ban de t r a v a i l l a n t e . C eu x-ci, à leur tour, se faisaien t aider par
des travailleurs salariés n’ayant aucune part dans les bénéfices et dans les
pertes, les m e n i l s o u p e t i t s o u v r i e r s . Pour certaines catégories de travaux,
ces derniers se réun issaient et contractaient avec leurs maîtres po ur un p rix
f ixe o u p rop ortion né à l’avan cem ent (m archanda ge) » (57).
Ces maîtres de fosses étaient donc des entrepreneurs mais de condit ion extrêmement modeste , travai l lant souvent avec leurs compagnons .
L’orga nisation était très rud imentaire et chacun assum ait selon les circon s
tances les diverses opérations appelées par l’extraction. Le charbon était
généralemen t vendu sans intermédiaire m ais les rentrées ne po uv aient que
faire vivre ch ichem ent les charbonn iers. « Pend ant long tem ps, l ’industrie
houil lère écoulant avec une certaine diff iculté ses produits , i ls se voyaient
obligés pour pourvoir à leur subsistance de recourir à d’autres ressources,
d ’être en m êm e tem ps charbo nniers , agriculteurs, artisans, do m esti
ques » (58).
On retrouve ici le cumul d’une profession industriel le et d’une pro
fess ion agricole comme le s ignale l ’enquête de 1840 pour les ouvriers
travail lant le l in dans les Flandres. Benoît Verhaegen a souligné le fait en
montrant la double interprétat ion qui peut être donnée à ces cumuls
pr ofession ne ls . « Le prem ier, existant d ans les Flandres, tém oign e d e la
carence des revenus agricoles. L’activité industrielle est un appoint et est
organ isée en ce sens ( .. .) . Le secon d type de cum ul est celui que l ’on trouve
dans la province de Hainaut où l’essor de l’ industrial isation, provoquant
des migrations par appel , coïncide avec un mode de vie rural et une
dispersion des travailleurs dans les campagnes. L’activité agricole, exercée
(57) Gonzalès Decamps, Mémoire historique sur l’origine et les développements de l’industrie houillère dans le bassin du couchant de Mons, Mémoires et publications de la Société des sciences, des arts
et des lettres du Hainaut, IVe Série, Tome 5e, 1879, p. 194. Ce qui est valable pour le couchant de Mons
l’est aussi pour Charleroi (voir: H. Hasquin, Le « pays de Charleroi » aux X VII9 et X VI II9 siècles, p. 116).
(58) G. Decamps, o.c., p. 191.
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dan s de petites u nités, n ’est p lus, dès lors, qu ’une a ctivité d ’ap po int » (59).
Par con séq ue nt, co nclu t-i l, « selon que les revenus pro ven an t de ses pre sta
tions industriel les suffisent ou non à faire vivre sa famil le , l ’exploitation
agricole parcel laire signifie po ur l ’ouvrier un d ébut d ’aisance o u une stricte
néce ssité. C ’est là que réside la d ifféren ce entre l ’agriculture parcellaire des
pro vin ces de H ain au t et de L iège et celle des F land res » (60). C ’est un e
interprétation qui peut être admise pour la période qui se s i tue vers la f in
de la prem ière m oitié du X IX e siècle. A ce m om en t, l ’industrie s’est
dév elopp ée d ans ces provinces w al lonn es et les Flandres on t freiné l ’indu s
tr ia l isat ion d u lin . M ais la s i tuat ion des ouvriers hou i lleurs au m om ent où
l ’extract ion de la h oui l le est au stade écono m iqu e et technique q ui est ce lui de l ’industrie linière vers 1 84 0 , es t la m êm e que ce l le d es ouvriers liniers à
ce moment. Avant l ’ industrial isation, le cumul des activités industriel les et
agricoles a , en W allon ie, la m êm e sign ification : atteind re un revenu su ffi
sant pour l ’ouvrier et sa famil le .
Exploités par les propriétaires fonciers
Les propriétaires fonciers n e con cèd en t pas le dro it d ’extraire le
charbo n sans contrep artie , on s’en d oute. Lo ua nt déjà la surface du sol aux
fermiers, l ’extraction des richesses du sous-sol va leur permettre de perce
voir un s eco nd loyer : les charb onn iers do ivent pa yer le c e n s au pro priéta i
re. C ’est un dro it f ixe d’abord. « Le cens est la prem ière form e de revenu s
pour droi t de charbonnage. C ’éta i t, s i no us c om pren ons bien, le pr ix d ’une
s im ple loca t ion a insi que le m ot l ’indique, m ais une locat ion qui dou bla i t celle du fermier o ccu p an t la terre » (61). C ’est bien tôt un dr oit variab le :
V e n t r e c e n s . « L ’entrecens peu t être considéré com m e une revanche du
propriétaire contre les avantages inattendus tirés de la location à des f ins
industriel les; c ’est un e sorte de cens pro po rtionn el inspiré par la disp rop or
tion de plus en plus grande entre le droit du propriétaire et le profit de
l’usufruitier » (62).
Le droit payé par le charbonnier au propriétaire ou droit de terrage
prenait généralement la forme d’une partie du charbon a remettre à ce
dernier. Ainsi , pou r n ’en citer q u ’un exem ple, en 1 3 7 2, « l ’abbé de St-
Denis céda à t i tre de bai l à quelques particul iers les gisements de houil le
sous divers biens du m onastère à Ho u de ng et à G œ gn ies , à charge pou r les
concess ionnaires de remettre à la communauté la quatr ième mesure du
(59) Benoît Vcrhaegcn, Contribution à l'histoire économique des Flandres, 1961, volume I, p. 115.
(60) B. Verhacgen, o.c., p. 154.
(61) J. Plumet, Une société minière sous l ’ancien régime, 79.
(62) J. Plumet, o.c., p. 10.
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com bu stible extra it » (63). Les propriétaires ne se fon t pa s fau te d ’exp loiter
les pauvres charbo nniers; parfois mêm e ceux -ci son t mis dans l ’im po ssibi
l i té de continuer l’extraction tel lement le contrat avec le propriétaire est
léonin (64).
Les communautés re l ig ieuses , dont on sai t qu’el les const i tuent , avec
les Seigneurs laïcs, la classe des grands propriétaires fonc iers, ne déton ne nt
pas dans la façon d’ut i l i ser cet te propriété foncière pour exploi ter les
charbonniers . Une requête de 16 43 , c i tée par Decam ps, b ien que ne s ’en
prena nt pa s directem ent (prudence?) au chapitre de Sainte W audru , est
signif icat ive. Elle est ad ressée au dit chapitre par des exp loitan ts de Qu are-
gn on : « En ce qu i tou ch e l ’octroy des vaines , o n n ’esco ute que trop sou ven t les gens co m m is au regard et à la recet te des droi ts dudit chapitre
en ce quart ier , gens peu ydoines pour sais ir le travai l des carbonniers ,
hab i les u niquem ent à soign er les intérêts de leur bourse . Pour prendre plus
de proff it des vins et droits payés au renouvellement des censses, i ls
m orc ellent sans raison les plus bel les veines en nom bre ux renda ges. . . » (6S).
On es t t enté de rapprocher ce morce l l ement des ve ines données en
exp loi tat ion d u m orcel lem ent des terres cul t ivab les don nées en loc at ion en
Flandres vers 1 8 4 0 . Ici, « les parcel les et les pet ites ferm es se lou an t plus
cher à l ’hectare que les grandes et les moyennes exploi tat ions, i l est
évident, écrit B. Verhaegen, qu’une gest ion rationnelle tend à subdiviser
l ’ex p loitat io n d u so l jusq u’à l’extrêm e l im ite » (66). Ainsi vo it-on , une fo is
encore, les houil leurs subir, deux siècles avant les l iniers, les mêmes
contraintes d’exploi tat ion.
L'obstacle de l'eau les soumet aux marchands
Culture du l in et extraction de la houil le se heurtent à des obstacles
naturels m ais à u ne éc helle très différente. P our la première, i l faut trava il
ler et amender la surface du sol , subir les aléas cl imatiques; la seconde
de m an de de creuser la terre à une pr ofo nd eu r grandissante et de vaincre un
ob stacle naturel autrem ent contraignant que le c l im at: l ’eau. S i mêm e on adm et q u ’aux X V e et X V Ie s ièc le on trouve encore dans le pays des chantiers
(63) Jules Monnoyer, Mémoire sur l’origine et le développement de l’industrie houillère dans le Bassin du Centre, Mons, 1873, p. 31.
(64) «Le 11 janvier 1773, quatre mineurs du nom de Joseph et Jean-Baptiste Dugauquier,Jean-Joseph Brassau et Nicolas Louvet signèrent avec la douairière Van Brockem, née Odwycr, un bail de
30 ans sur le quartier nommé « le Canton », touchant au Bois de Luc, le droit d’entrecens était fixé au
onzième; mais les autres conditions étaient tellement tyranniques que les associés renoncèrent à leursengagements en janvier 1777 » (Exemple cité par Jules Plumet, Une société minière sous l’ancien régime, 1941, p. 6).
(65) G. Decamps, o.c., p. 265.(66) B. Verhaegen, o.c., t. I, p. 129.
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d’extraction à ciel ouvert , i ls ne peuvent être qu’exception car la quantité
de travail im pr od u ctif que représente le dép lacem ent des « m orts-terrains »
rend le système n on rentable . Da ns l e Couch ant de M on s , par exem ple ,
« po ur t irer b on p arti des v eines, les anciens ch arbo nn iers furent ob ligés de
bonne heure de creuser la terre verticalement, d ’a v a l l e r des p u i t s , des
f o s s e s , ou, comme on le disai t souvent , des t u y a u x o u a v a l e r e s s e s » (67).
L’idée de creuser un puits est peut-être venue de la méthode uti l isée
déjà po ur trouver de l’eau. C ’est ce que suggère un M ém oire d u 1 8e s iècle
en écrivant : « Il y a dans le Ha inau t im périal beau cou p d ’end roits où les
rochers ne so nt q u ’à 8, 10 ou 12 pied s de distance d e la surface de la terre.
Un pa ysan , en faisant un puits p ou r son usage, y rencontre le rocher et, en
m êm e tem ps, la tête d ’une veine de charbon . C harmé de cet te décou verte , i l
s’associe avec cinq autres paysans pour la continuer. I ls exploitèrent cette
veine à leur profit . Leur exe m ple fut bientôt suivi par bea uc ou p d ’autres
qui f irent une extraction considérable du charbon de terre» (68) .
A u déb ut , ces puits sont peu pr ofon ds et rudimentaires; « un puits
peu pro fond , qu elques galeries où les entrepreneurs descend aient travai ller
eux-m êm es en s ’a idant des m oyens m écaniques les p lus s im ples, t els é ta ient
les m ode stes é lém ents des prim itives c h a r b o n n i è r e s » (69). M ais au fur et à
m esure de l ’épu isem ent des veines se trouva nt près de la surface, i l faut
ap profon dir les puits . Les pu its peu pro fond s se rencontrent jusqu’au X V e
siècle; d ix à qu inze toises (70) m ax im um jusqu ’à la f in du X IV e s iècle
estim e D escam ps. Ils deviennen t ensuite de plus en plus p rofond s . « A u
commencement du XVIe s ièc le , on ment ionne des pui t s de 20 à 25 to i ses
(35 à 42 mètres) ; soixante ou septante ans plus tard, on al la i t jusqu’à 50 toises (88 m ètres) sur les territoires de Bo ussu et de Frameries . V ers 1 6 90 ,
la profondeur moyenne des puits étai t de 40 toises (70 mètres) , mais i l se
rencontrait des exploi tat ions qui , par leur tuyau et les tourets qui y
succédaient vers le fond, at te ignaient jusqu’à 80 à 95 toises (140-167
mètres) » (71).
Plus on ap profon dit les pu its , p lus les problèm es techniques se p osen t
et plus s’al longe le temps nécessaire avant que le travail soit productif de
char bon . M ais aussi et surtout, on trou ve de l’eau q u ’il faut évacuer. « D ès
le XIIIe s iècle , le gouvernement et les exploi tants eux-mêmes reconnurent
l ’urgence et la nécessité de se débarrasser des eaux qui inondaient les
travaux souterrains. Les cris de détresse des consommateurs f i t de cette
(67) G. Dec amp s, o.c., p. 135.(68) Cité par G. Decamps, o.c., p. 137.
(69) J. Monnoyer, o.c., p. 35.
(70) Une toile correspondait à 1 m 75.(71) Ci. Decamps, o.c., p. 139.
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né cessité un e lo i su pr êm e » (72). L ’exh au re se fait selo n les p ossibilités.
D ’ab ord , on p uise l ’eau a vec un récipient que l’on rem onte à la surface un
peu com m e o n po urrait pu iser dans un puits creusé pour l ’al imen tat ion en
eau . A insi , dans le ba ssin d e M on s, po ur « sakier et battre les eau x », on
puisai t au fond de l ’avaleresse avec des tonneaux qui montaient et descen
daient « à l ’aide d’un tourniquet ou bourriquet à bras (escor à thours et à
t innes) . Des ouvriers spéciaux, les tourteurs ou moul ineurs d’eaux, se
ch arg eaien t de ce trava il » (73). Sou ve nt, à con d ition que le perm it la
dén ivel lat ion du sol , c ’est une galerie creusée à partir du puits qui évac uait
l ’eau au fur et à mesure qu’el le envahissait la fosse; appelée a r e i n e dans le
pays de Liège, on dénommait cet te galerie s e w e o u s a i w e dans le pays de C harleroi , à M on s : e s c o r ou c o n d u i t (74).
Les deux procédés f inissent par coûter très cher. Surtout lorsque les
puits s’approfondissent sérieusement vers le XVIe s iècle, le matériel d’ex-
haure devient plus im portan t , il faut ut il iser des chevau x. D an s le cou cha nt
de M on s , par exe m ple, se répanden t vers le m i lieu du XV Ie s iècle les g r a n d s
t o u r s , b a r i t e l s , m a c h i n e s à m o l e t t e s . « Leu r form e o rdinaire est celle d’une
sorte de treuil com po sé d ’un arbre avec tam bou r placé vert icalem ent sur
lequel s ’enrou lait une cord e ou une ch aîne ram enée au dessus du pu its par
un système variable de poul ies ( m o l e t t e s ) . L’arbre était muni de longs
leviers manœuvrés à bras et dans les fosses importantes par des chevaux
aveugles » (75).
Creuser des galeries d’évacuat ion des eaux, instal ler des manèges ,
entretenir les che vau x, dem and ent des « invest issem ents » do nt sont bien
incapables personnellement les pauvres charbonniers (76) . I ls vont devoir
passer par les marchands de charbon et , par voie de conséquence, tomber
sous leur coupe.
Vers le début du XVe siècle, dit Decamps (77) à propos du bassin du
C ouch ant de M on s , « l ’industrie houi l lère com m ence à fixer l ’at tent ion par
son dé velop pem ent toujours progress i f m algré tant d’obstacles; à côté de
simples ouvriers , des personnes plus aisées s’ intéressent dans les charbon
nages, un contrat spécial règle les rapports de l’association s’ i ls n’ont pas
été déterminés par l ’acte de concess ion. Les cap itaux com m e les débo uché s
sont aussi plus faci les à trouver.
(72) De Crassier, Traité des arènes, Liège, 1817, pp. 2, 3.
(73) G. Decamps, o.c., p. 142.
(74) Id. p. 143.(75) Id. p. 152.
(76) « ]La construction des arènes a exigé des capitaux qui, aux treizième, quatorzième et quinzièmesiècles n’étaient point à la disposition du commun des hommes. Aussi, dès en 1439 le tribunal des échevinsde Liège déclare que ceux qui avaient enlevé arène et avant bouté l’avaient fait à leurs très-grands coûts et
dépens » (De Crassier, Traité des Arènes, Liège, 1827, p. 4).
(77) G. Decamps, o.c., pp. 191-193.
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« C ’est id le l ieu de dire quelques m ots d ’une d as se d ’agents qui eut
auss i une inf luence co ns idérab le sur l ’exp loi tat ion d u co uc ha nt : les m ar
chands de charbon. D ès l e com m encem ent du X IVe s ièc le , on vo i t apparaî
tre certains trafiquants de houil le (marcans de carbon) qui contractaient
avec les exp loi tants pou r la l ivraison d e certaines qua nt i tés de ce m inéral , à
l ’année, au mois . Dans la plupart des cas , les charbonniers ne possédant
que d es ressources très b ornées pou r asseoir ou sou tenir leur établ issem ent ,
ces marchands se présentaient comme bai l leurs de fonds; i l s fournissaient
aux associat ions charbonnières les capitaux nécessaires et s ’en faisaient
rembourser l e montant en charbon.
« Peu à peu, les ma rchan ds intervinrent d’un e m anière plus a ctive
dans l’exploitation. I ls se f irent octroyer la concession des veines par les
seigneurs et les remirent à des compagnies de mineurs salariés ou établ is
comme sous-concess ionnaires à charge d’une redevance f ixe en argent et
d ’un dro it de préférence po ur ach eter les pr od uits de leur ex trac tion. . . ». Si
m êm e, au X V Ie s iècle on en revint à certains en dro its à des init iat ives prises
par de s imples charbonniers , le cens et l ’entrecens, les investissements
nécessaires , les trava ux n écessaires avan t le travail rentable, ne pe rm ettaient pas aux charbonn iers de tenir le coup . « Force leur étai t don c, dan s
tout état , de recourir à la bourse des marchands et d’accepter les condi
t ions o néreu ses auxq uel les il s ne m anq uaient jam ais de subo rdon ner leur
in tervent ion . Chaque explo i tat ion é ta i t subs id iée par deux ou tro i s mar
chand s; se lon le cas , i ls form aient une assoc iation p articulière o u s’intéres
sa ient d irectement dans la bande formée pour explo i ter un charbonna
ge. » (78)
C e « cap italism e com m ercial » se remarque au ssi très bien dès le X V e
s iècle dans les m ines du D uch é de Limb ourg où « les besoins gran dissants
de l’ industrie, réclamant des capitaux, ont amené l’ intervention des « mar
cha nd s ca pita listes » (79). Ep ou san t la thèse de Strieder, Y an s affirm e qu e
« les m ines Em bourgeoises n’on t pas d éterminé une a ccum ulat ion de cap i
taux. Les premiers ex ploi tan ts trouvent seulement la rém unérat ion de leur
labeur dan s la m ise en valeur des richesses m inières . L’ép oq ue de splendeur
des mines coïncide avec l’arrivée des marchands qui apportent l ’argent
nécessaire à la « stand ard isation » des entreprises. C om m e les mines E m
bourgeoises , les exploi tat ions du Sud de la future Al lemagne ont connu
éga lem ent cette intrusion des m archa nds. Elle se diss im ule sous l ’appo rt de
« m ises de fon ds » (verlagssystem ). Un exp loitan t gêné s’adresse à des
marchands qui lui fournissent les ressources pécuniaires nécessaires à la
(78) Decamps cite une série d’exemples d’intervention des marchands ou des « bourgeois » voirpages 215, 251, 289, 301, 327 — voir aussi Plumet pour le Bassin du Centre, pp. 97 et 98.
(79) Maurice Yans, Histoire économique du Duché de Limbourg sous la maison de Bourgogne, p.
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cont inuat ion des travaux; parfois ces marchands achètent des parts de
copropriétaires. Devenus peu à peu les bail leurs de fonds des miniers, i ls
dirigent effect ivement les entreprises de ceux-ci» (80) .
Les associés font travailler, les ouvriers travaillent
La d ist inc t ion entre a ssoc iés qui fo n t travailler et ouvriers qui trav ail
lent ne se fa i t évidemment que progressivement . Au début du XIXe s ièc le ,
par exem ple , « dan s les houi llères qui dépen daient du D om ain e et du
Ch apitre de Sainte-W audru, les maîtres de fosses con t inuèren t com m e par
le passé à s’occuper manuellement de l ’exploitat ion, à l ’égal de simples
ouvriers; i ls recevaient seulement une gratif icat ion de deux ou trois pa-
tards, en sus du salaire le plus élevé ». La situation ne se modif ia que tard
dans le X IX e siècle. Par contre, « à W asm es, à D ou r, à B ou ssu, à Elou ges,
les p a r c h o n n i e r s possédaient ordinairement d’autres ressources que leurs
p a r t s à f o s s e et leur travail manuel. Ils ne s’occupaient que de la surveil
lance des travaux du fond, du contrôle de la quant i té de charbon extrai te
et des journées des m e s n i e s , ouvriers recrutés aux alentours et qui travail
laien t so u s leurs ord res » (81).
C ’est ce qui a fa it écrire à V an H ou tte q ue la différen ciat ion entre
associés et ouvriers ne commence à se marquer qu’à la f in du XVIIIe
siècle (82).
Plumet a montré qu’en tout cas pour la société d’Houdeng, ceci se
passa beaucoup plus tôt . L’appel lat ion de cet te société const i tuée le 14
février 1 68 5 indique bien que le m ot i f po ur lequel e lle est const i tuée est la
né cessité d ’invest ir po ur d rainer le terrain: « So ciété du gran d co nd uit et
d u ch a rb o n n a g e d ’H o u d e n g » . J ean Fra n çois le Da n o i s , s eig n eu r d ’H o u
deng souscri t 4 parts du capital, deux nég ociants de Binche et deu x a vocats
de M on s furent les autres bai lleurs de fond s, tand is que trois m ineurs
ap po rtaient leur travail et leur con na issanc e des travau x (83). Le contrat de
société st ipule n otam m en t: « . ..Et ont rem ontré qu ’il s se son t résolus de
faire ouvrir un co nd uit po ur t irer les ea u x e t assécher les vein es à l ’ho uil le du terre in dudi t Houdeng e t l ’ entour pour par ce moyen en pouvoir
extraire le charb on ; et qu ’aupa ravan t d ’y parvenir il con viend ra d ’exp oser
indispensablement assez grosse somme d’argent pour subvenir aux jour
né es de s ou vrier s » e tc... (84). L ’h istoire de l’activ ité ind us trie lle d e la
(80) Id. p. 173.
(81) G. Decamps, Mémoire..., suite, 5e série, tome 1er, 1889, p. 194.(82) H. Van Houtte, Histoire économique de la Belgique à la fin de l*ancien régime, 1920, p. 38,
(83) Plumet, o.c., p. 21.
(84) J. Monnoyer, o.c., p. 39, note 2.
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Société , de 17 65 à 18 00 , se résume à l ’h isto ire des deux co nd uits d ’assè
chement qui furent creusés (85). Déjà ce contrat de 1685 « trahit le dessein
du Seigneur et des bail leurs de fonds de n’accorder aux ouvriers qu’une
part réduite des droits et de l’autorité; sur sept actionnaires i l n’y a que
deux ouvriers détenant deux voix sur dix , a lors que dans les contrats
d’autres sociétés , même postérieures à 1685, leur nombre étai t notable
m ent plu s élevé. La con tribution d ’un m inimum d ’ouvriers maîtres était
nécessaire , indispensable au recrutement des hommes de mét ier qui n’au
raient apporté leur concours qu’à des compétences méri tant leur conf ian
ce. Ils n’étaient là que pour leurs connaissances professionnelles, en quel
qu e s or te p o u r lan cer l ’affaire » (86).A C harleroi, la form ule qu ’on appel lerait m aintenan t « autog est ion »
par les « com pa rçon niers » va se m âtiner prog ressivem ent à partir de la
m oitié du X VIIIe siècle d’ingérence de représen tants des ba illeurs de fond s.
Pour le m êm e m ot i f qu ’à M on s — appel aux investisseurs parce que les
ouvriers exp loi tan ts n ’on t pas le m oyen d ’y fa ire face — ces invest isseurs
vont exiger que leurs intérêts soient représentés et défendus sur place par
des co m m is, ou des « facteurs » (87).
H asqu in rapporte le cas de Gui llaum e N ico las M oreau qui fa it aux
comparçonniers du Grusiat , au Faubourg de Charleroi , un versement de
52 8 f lorins dans le cadre d’un règlem ent notarié datant du 21 m ars 173 1 et
où on pe u t lire entre au tres : « Prisme, q u ’il y aura à la direction et vo lon té
du di t s ieur M orea u un com m is aux frais et gage de tous les com pa rçon
niers, que ce commis serat tenu de remettre son état tous les quinze jours
des recens et débourses , et au bout de chaque mois , un compte exacte et
escris de sa main, par feuillet , aussy et de la mannierre qu’il luy sera
enseigné et m ontré par le d i t s ieur M oreau.
« Que ce commis payera du provenus tous les ouvriers et maîtres qui
travail lerons comme ouvriers, sur le même pied que les ouvriers, employez
par les m aîtres so n t pay és » (88).
A la soc ié té N otre D am e au Bois de Jumet , le 13 novem bre 1 74 5 , un
directeur, M ichel L efèvre, est no m m é et , pour la secon de m oitié du XV IIIe
s ièc le , Hasquin a dénombré 18 charbonnages carolorégiens où une « orga
nisat ion» est introduite de cet te façon de 1758 à 1793 (89) .
(85) J. Plumet, o.c., p. 71.(86) Id., pp. 127, 128.(87) Ce n’est pas uniquement dans l’industrie charbonnière qu’on rencontre ce type. Déjà au XVIIe
siècle, on le rencontre en métallurgie. « Cette fonction est nécessitée soit par la multiplicité des exploita
tions appartenant à un même propriétaire, soit par l’impéritie de celui-ci dans les questions techniques:c’est le cas notamment pour les femmes, les jurisconsultes, les ecclésiastiques » (J. Yemaux : La métallurgie liégeoise et son expansion au XVII • siècle, Liège, 1939, p. 66).
(88) Hasquin, p. 120.(89) Voir la liste dressée par Hasquin, o.c., pp. 123 et ss.
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C ette « or ga nisa t ion » qui , en fait, m et les charb on na ges à la m erci
du capital ne sera évidem m ent pas introduite sans susci ter de réact ions de
la part de ce ux qui ef fectivem ent assu m ent le travail d ’extra ct ion d ’autant
plus que c’est aux frais de tous que ces commis ou facteurs sont imposés .
H asq uin c i te le cas de la So ciété « Sablonière et Ve inet te G enau x » à
Charleroi où, en 1766, lorsqu’on introduit un facteur qui doi t être payé
par tous , « deu x d es sociétaires s ’insurgen t contre cette idée car i ls est im ent
«être très en état de régir et gouverner par eux-mêmes les intérest qui
peu ven t leur incom ber da ns cet te société tant pou r la recet te que la dép en
ce, même pour la conduite et d irect ion des ouvrages puisqu’ i l s sont houi l
leurs de profess ion, ce pourquoy i l s n’ont besoin de facteur pour manger leur argent », et i ls ajou ten t : « m ais si Es tienn e Bastin ( . ..) T h om as J oseph
T ho m as (.. .) qui n ’on t aucune con na issance dan s les ouvra ges de hou i lle-
ries, ont besoin d’une personne pour régir et gouverner leur intérest , bien
leur convienne d’y placer une personne qu’ i l s trouveront convenir à leur
fraix et dépens (...) » (90).
L’introduction des machines plus perfect ionnées pour assurer l ’ex-
haure des eaux va accentuer encore la différenciat ion associés-ouvriers. L’approfondissement des fosses les impose spécialement lorsque le
conduit ne peut plus déboucher à un niveau inférieur. Dans le Borinage,
leur instal lat ion fut en grande partie l ’effet des inondations de 1748 à
17 50 . « D ’un autre côté , l ’e n t r e p r i s e d e s m a c h i n e s à v a p e u r (91) e t d e s
m i n e s commença à ê tre cons idérée comme un p lacement avantageux des
capitaux rassemblés pendant trente ans de paix et de prospéri té . Des
som m es con sidérables son t nécessaires à ces invest issem ents . « Les capita
l istes, pou r se pay er de leurs avan ces, exigèren t , à l ’exe m ple d es off ices
seigneuriaux, un tantième dans les produits de l ’extraction; cette redevan
ce , n o m m ée d r o i t d ’e x h a u r e , s’élevait quelque fois au onzième et était
rarement inférieur au quatorzième denier de tout le charbon extrait . I l y
avait dans cette opération f inancière une source de gros bénéfices qui fut
évidem m ent e xp loi tée par quelques personn es r iches »(92).
L ’orj
XVI;anisation cap italiste des charb onn ages est en place dès le
Ie siècle
Le pré lèvem ent opéré par les bail leurs de fonds sou s le n om de droit
d’exh au re, po ur l’instal lat ion de ces m achines s’éleva p arfois jusq u’au
(90) Hasquin, o.c., p. 122.
(91) La première machine avait été installée à Jemeppe/Meuse en 1721.
(92) G. Decamps, Mémoire, suite, pp. 21, 22.
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quart du produit de l’extraction (93). Parfois ce sont les constructeurs qui
pe rço ivent ce droit , parfois ce son t des m archan ds d e charb on (94), ou bien
encore, la société étai t devenue assez puissante pour f inancer e l le-même
l’opération (95) mais alors c’est qu’elle est entrée déjà dans la forme capita
l iste. Cette organisat ion capital iste est bien en place au XVIIIe siècle dans
la Société d ’H ou de ng décrite par Plum et; à part ir de 1 72 4, l ’avocat de
W esem al , fond é de pouv oir de le D an ois (M essire Joseph Franço i s le
D aüo is , d it de N eufchaste l , v icom te e t se igneur d’H ou den g e t grand M a-
reschal d’Haynan, etc . ) supplante peu à peu les descendants des maîtres
qui représentaient l’assemblée sur les travaux (96). La vente du charbon
sera sou m ise à la vérif icat ion d ’un contrô leur asserm enté tand is que la direct ion d es travaux est con fiée à deux inspecteur s, « sorte de chefs
ouv riers » (97). U ne h iérarchie est définie dan s le règlem en t de 1 7 7 9 : « 1°
Le receveur a la direction générale et fait la recette, 2° Le contrôleur vérifie
et survei l le son chef dans la vente du charbon* 3° Les deux directeurs des
travaux s ’occu pen t de la b esogn e des ouvriers , 4° Par dessus tout , l ’A ssem
blée dom ine par l ’organe du bai ll i d ’H ou de ng qui fa i t passer les em ployés à
son tribun al et leur fait rendre des com p tes » (98 99100).
Les « bandes » existent toujours. Les ouvriers du fond, par exemple,
« étaient grou pés par b and es de six parmi lesqu els un ch ef était désigné :
deux à la veine, deux sc lôneurs et deux t ireurs . La bande étai t donc la
cel lule ou vrière du fond ; qu an d i l s’agissait d ’aug m enter ou de dim inuer la
m ain d ’œ uvr e, c ’étai t par groupes de s ix q u ’on les em bau chait ou q u’on les
ren voy ait » (" ) .
M ais ces « ban des » on t perdu le sens premier. Elles son t deven ues des sortes d’équipes sur lesquelles règne le capital . Le règlement de la
soc iété arrêté en 1 7 79 pr évo it le renvo i « po ur m o tif grave » : « L ors qu ’il
s’agira du c h oix ou du ren voi de plusieurs ouvriers, le receveur ne pou rra le
faire que de la participation de deux maîtres, résidant au l ieu, qui seront
nom m és à cet ef fet par la soc iété , sauf que trouva nt un ouvrier en défaut de
remplir ses devoirs en contravent ion aux règlements de la société , ou
commettant des malversat ions, i l pourra les renvoyer sans consulter per
sonne, les maîtres restant néanmoins en entier d’examiner la cause s’ i ls en
son t requ is » (10°). Il pr évo it aussi qu e le receveur veillera à un e pro d u ction
diligente : « Il po rtera un soin p articulier à ce que les ou vriers rem plissent
(93) J. Monnoyer, o.c., pp. 69, 70.(94) Id., p. 74.
(95) Selon Hasquin, o.c., p. 144, c’est le cas pour la région de Charleroi.
(96) J. Plumet, o.c., p. 51.(97) Id., p. 52.
(98) Id., p. 53.
(99) Plumet, o.c., p. 57.(100) Article 17.
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f idèlement leurs journées ou les tâches leur prescrites, et que les ouvrages
soien t cond uits et cont inué s avec di ligence et ass iduité au plus grand prof it
de la Société, et à qu el effet, il les visitera de tem ps en tem ps, au m oins une
fois par sem aine, et il fera rendre com p te par le directeur au m oin s deu x
fois chaque semaine, des observations qu’il aura faites à cet égard (101).
Le receveur do i t prévo ir dans ch aque bande l es « ho m m es du p a
tron » : « p ou r s ’assurer d ’au tant plu s d e l ’ex ac titud e et de la fidélité des
ouvriers, i l sera attentif dans la formation des bandes, qu’i l y en ait au
m oins un ou deu x de conf ian ce et sur la prob ité desquels il croira pou vo ir
co m p ter » (102).
La paie a l ieu to us les qu inze jours, la prem ière ne com po rtan t qu ’un
aco m pte car c’est à la f in du m ois seu lem en t que le receveur rem et ses
co m pte s. « Po ur faire ses « états », le receveu r app elait chez lui q ue lque s
ouvriers, sans doute les chefs de bande, qui le renseignaient sur les heures
faites par leurs h om m es » (103). A jou ton s enco re q ue les long ue s journées
de travail son t déjà im po sé es : 12 heu res et peu t-être plus; « il arrivait assez
fréquemment que sur 48 heures, i ls y restaient 24 heures d’aff i lée, lorsque
la besogne pressait» (104).
Les ouvriers, domestiques des «autres»
Le règlement d e 17 79 n ’est cepen dan t que la traduct ion écrite d’une
s i tuat ion préexistante . Depuis longtemps, i l s ne sont plus à la société
d ’H o u d e n g q u e d es « d o m e s t iq u e s » . D è s 1 7 2 4 , le f on d é de p o u v o ir du
Comte de Houdeng , l e Danois , l ’avocat de Wesemael prend chez lu i l e s
l ivres de com pte et dans le procès qui l ’op po se a ux f il s des ma îtres de fosse ,
son argumentation repose sur l ’ idée qu’on avait fait appel aux ouvriers
fondateurs p our travail ler « et en certaine façon, com m e d om est iqu es des
autres» (105).
La ségrégation sera particulièrement visible lorsqu’on bénira la
pompe à f eu à Houdeng . On s ’aperçut , en 1773 , que certa ines ve ines se
trouvaient déjà sous le n iveau du second conduit . Les associés décidèrent ,
le 19 avril 1 77 3, la construct ion d ’une po m p e à feu. Sa bén édict ion eut lieu
le 23 m ai 1 7 8 0 (106). La soc iété s’int itula dor én av an t: « Soc iété du ch ar
(101) Article 18.
(102) Article 19.(103) J. Plumet, o.c., p. 61.(104) J. Plumet, o.c., p. 60.
(105) Plumet, o.c., pp. 128, 129.
(106) Id., pp. ,87 à 89.
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bon nag e et m achine à feu d ’H ou de n g» (107). A cet te bén édict ion étaient
invités les abbés de Saint Denis , de Bonne Espérance et de Saint Feuil len.
« I l y eut à cette occasion un grand diner chez le receveur, auquel assistè
rent M M . les A bb és précités , le curé, le vicaire de la paro isse, le doy en de la chrétienté de Binche, le sieur Hallet qui se trouvait au dit l ieu à cause de la
bén édiction d ’une cloch e q u ’il avait faite le m êm e jour, tou s les principa ux
maîtres avec leurs femmes et familles , et comme le nombre des petits
m aîtres résidant au dit H ou de ng , était trop grand, on av oit réglé qu’il y en
auroit seulement s ix du dixième de Pourbaix et autant de celui des Blan-
quet, ceux-ci mangèrent dans une chambre séparée avec les receveur,
contrôleur et directeur, le f i ls du machiniste étoit à leur table et on leur
donna aussi du vin. On distribua aux ouvriers trois tonnes de bière, trois
jam bons et un salé de 2 0 pesan ts » (107).
C ette app ellat ion de « do m estique » se trouve déjà au X V e siècle dans
les mines du Duché de Limbourg. A la mine d’Eselbach, lorsqu’en 1433,
Herman Pael en reprend l’exploitation, i l dépossède les ouvriers extrac
teurs de leurs droits et ceux-ci sont «progressivement relégués vers le
salariat, voire vers le prolétar iat » (108). Les dirigeants de B leasberch c o m
prennent les entrepreneurs, représentants du duc, et ceux qui jouissent
d ’une part dan s l’entreprise m inière sans participer à la prod uction . Q ua nt
aux ouvriers ( K n e c h t e n J, salariés, i ls n’ont pas droit aux bénéfices de
l’en trepr ise. La m en tion d ’ou vrier s salariés app ara ît ici en 1 4 7 7 ... » (109).
De pat ientes recherches montreraient probablement que les caractè
res cap italistes son t déjà profo nd ém en t marqués da ns l ’industrie m inière
du X VIIIe s iècle . Ph. M ou rea ux a brièvement évoq ué le cas du charb on
nage de R edem ont près de M ariem on t où, en mai 1 76 9, l ’ouvrier gagne 13
à 20 livres, le receveur, 50 livres, le directeur 33 livres plus 40 livres pour
sa p articip ation aux bé néfices, l’actionn aire enfin tou ch ait 2 7 7 livres (110111).
La nouvelle noblesse
Une fois les charbonniers relégués au seul rôle d’ouvriers salariés, les So ciétés v o n t tenter de sec ou er le joug d es Seigneurs. « C ap italistes » et
pro priétaires fon ciers v on t s’affron ter sur le terrain des d roits d ’entre
cens (m ). Là, les Seigneurs vo n t avoir à faire à plus forte partie. C ’est la
(107) Id., p. 90.
(108) Id., p. 126.(109) Id., p. 129.
(110) Philippe Moureaux, Charbon et capital dans le Hainaut du XVIIIe siècle, Mémoires etpublications de la Société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut, 78e volume, 1964, pp. 39 à 45.
(111) A Houdeng, en 1794, l’entrecens « rapportait au Seigneur 5410 livres, du seul fait de son
droit de propriété, alors que cette même année les dividendes distribués entre les associés et les maîtres
n’atteignaient globalement que 5.254 livres à répartir en 10 parts» (J. Plumet, o.c., p. 11).
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nouvelle bourgeoisie industriel le qui oppose à la puissance basée sur la
propriété immobil ière, cel le , autrement dynamique, basée sur la propriété
m obil ière . T ou t com m e les corp ora t ion s de l ’ancien régim e s ’épu isèrent en
procès pour déterminer les front ières de leur compétence, les Seigneurs
vont s’empêtrer dans les procès dont i l s at tendent la f ixat ion de leur
compétence terri toriale dans le cadre des concessions charbonnières . I l
faudra l ’occupat ion de notre pays et son annexion à la France révolut ion
naire po ur que, f inalem ent les Sociétés se vo ien t « dél ivrées » du jou g du
Seigneur.
A Bois du Luc ( la société d’Houdeng), « en 1796, trois bénéficiaires
de l’entrecens, les abbayes de Saint Denis, Saint Feuil l ien et Bonne Espérance furent sup prim ées : c ’était un gain d e plus de la m oitié de l ’im pô t
seigneurial » (112). Il fut plus difficile de venir à bout des droits de certains
Seigneurs laïcs et particulièrement lorsque ceux-ci étaient en même temps
des act ionnaires de la Société.
Un jugement du tr ibunal de Jemappes en 1798, déclarant de Caron-
delet déch u du d roit d ’entrecen s sur la Soc iété de La He stre (113), m od ifia
la perspective et renforça la possibi l i té pour les sociétés de refouler « progressivement le droit seigneurial de l’entrecens qui les gênait» (114). L’oc
casion de la diminution fut , dès le début du XVIIe siècle, l ’argument du
coût des grands travaux pour augmenter la product ion. On a vu qu’ i l
subsista puisqu’après les « conduits », ce furent les « pompes à feu » pour
l ’exhaure et bientôt les machines pour extraire le charbon. Ces dernières
furent instal lées plus tard que les ma chines po ur pom per l ’eau, parce q u ’on
n ’en se ntait pa s a uta nt la néc essité (115). Au ssi les m ach ines d ’extr action
sont-e l les souvent contemporaines des premières sociétés anonymes de
charbonnage (en 1844, sur 69 charbonnages dans le premier distr ict des
mines, i l y avai t 44 sociétés anonymes) .
(112) J. Plumet, o.c., p. 124.(113) J. Plumet, o.c., p. 124.(114) Id.
(115) J. Monnoyer, o.c., p. 73. Le tableau ci-dessous montre le décallage pour les charbonnages duCentre :
Exhaure ExtractionLa Barette 1766 }
Bois du Luc 1779 1807Bascoup 1788 1835Sars Longchamps 1789 }
La Louvière 1800 }L’Olive 1803 1834Mariemont 1805 1837Bracquegnies 1806 1830La Hestre 1820 1836
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U ne fo is les grandes dép enses terminées , les assoc iés insistèrent po ur
le retour à l ’ancien taux de l ’entrecens. Si bien que, gardant son caractère
variable en fonc t ion de la pr od uc t ion , l ’entrecens ch ang ea de sens; le d roi t
seigneur ial varia « en raison inverse de la pr od uc tion, c ’est-à-dire en raison inverse de l ’accroissement de la puissance industriel le . Une fois le privi lège
ab oli , c’est la so ciété qui do m ine; el le a gag né la batai l le , el le a le tem ps de
laisser s’op érer, sans h eurt, la tra nsition entre les d eu x âges » (116).
Un év én em en t q u ’o n p eu t co n sid érer co m m e u n sy m b o l e d e ce ch a n
g em en t v a se p ro du ire à H o u d en g en 1 8 0 6 . « L e 2 9 o c t o b re 1 8 0 6 , la
Société f i t l ’acquisit ion des biens de l ’ancienne Seigneurie d’Houdeng-
Aimeries mise en vente forcée . Pour couvrir le coût de cet achat , environ 15 0 .0 00 f rancs, e lle l eva 15 0 .0 00 livres de H ainaut qu ’e lle com pta i t rem
bourser en s ix ans. El le céda im m édiatem ent à H enri de W avrin de V i llers ,
pour la somme de 14.000 l ivres tournois , le château, la ferme et ses
dé pe nd an ces , ainsi que cinq bo nn iers de terres, jard ins, etc. » (117).
A insi , tand is que l ’industrie l inière des F landres reste f igée e t que to ut
est fait pou r q u ’el le n ’évo lue pa s vers la m éca nisat ion , l ’industrie hou illère
est, dès le X V IIIe siècle dans le régim e de cap italism e indu striel. Si celui-ci s’est tôt installé, i l faut l’attribuer à la force des choses, mais aussi au fait
que sou ven t « l ’esprit entrepren ant » du cap italism e industriel que B au-
wens avait mis en œuvre dans l ’ industrie cotonnière en Flandre sans
p ou vo ir l ’étendre à l ’industrie linière, cet esprit triom ph e p leinem ent dès le
XVIIIe siècle dans la houillerie.
C harleroi en est un exe m ple typique. D e for m at ion tardive — à la
m oit ié du X VIIe s ièc le , le futur Charleroi ne com pte encore q ue 88 chefs de
fam ille (118) — cette vi l le a pu entrer de p lain pied da ns le cap italism e
puisque le corporat isme n ’y fut jamais introduit. C ’est le cham p d ’act ion
rêvé pour « ces hommes d’af faires géniaux et parfois peu scrupuleux qui
transform ent de fond en c om ble la région de C har leroi » (119).
Le plus remarqu able paraî t b ien être Jean-Jacques D esan dro uin. S on
père déjà , Gédéon Desandrouin, of f ic ier français qui avai t épousé la f i l le
d ’un ma ître d e verrerie de C ha rleroi , avait tracé la vo ie par l’acq uisit ion de
biens fonciers et de verreries . N ob lesse n ouv el le , il est m êm e fai t v icom te
en 17 33 (120) — Jean -Jacques, h érit ier en 17 35 du t itre et de la plupart des
biens paternels va successivem ent « s’intéresser » aux charb on nage s puis à
la sidérurgie jusqu ’à construire ava nt la m oit ié du XV IIIe siècle, u n vér ita
ble empire industriel.
(116) J. Plumet, o.c., pp. 125-126.
(117) J. Plumet, o.c., p. 126.(118) Hervé Hasquin, Une mutation, le «pays de Charleroi» aux X V IIe et XV IIIe siècles,
Bruxelles, 1971, p. 17.
(119) Id., p. 77.
(120) Hasquin, o.c., p. 81.
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« Si l ’on em bra sse d ’un co up d ’œ il l ’ense m ble des act ivités de Jean
Jacques Desandrouin, i l appert qu’en construisant son formidable réseau
industriel, i l en est arrivé à dépendre très peu de tiers; i l est à même
d ’intervenir dan s les différentes étap es de la fabrication du fer ( fourn eau x et forges) et de sa transfo rm ation (fond erie, m aka, plat inerie); ses n om
breux bois lu i permettent de trouver les étançons nécessaires à ses mines,
de m êm e q u ’à fabriquer u ne partie du cha rbon d e bois ind ispensab le à ses
fourneaux et à ses forges; quant à ses houil lères, el les lui assurent du
com bu st ible n on seulem ent «pour ses verreries , mais égalem ent pou r ses
usines sidérurgiques; ajoutons encore que, peu après 1739, l ’ industriel
transform era sa m anu facture d ’armes en u sines de can nes à sou ffler le verre, ce qui ne p o u va it que servir ses intérêts de m aître de verreries; en fin,
i l n’hésitera pas à établir au faubourg de Charleroi une usine où l’on
fabriquait tout un m atérie l , e t notam m ent des buses , indispensable au bon
fonct ionnement de ses pompes à feu» (121) .
Le pet i t- fi ls de G édéo n, Jean-M arie Stanislas D esand rouin, ajoutera à
l ’empire paternel le text i le et la tannerie et ses revenus annuels moyens de
1767 à 1782 représentent env iron 80 % du budget annuel de la vi l le de
Charleroi (122).
D ans ce mi li eu cap i ta l is t e où dom ine les D esandrou in — m ais ou de
nombreux autres se ta i l lent une part non négl igeable , te ls les Chapel ,
Puissant , D or lod ot , M ore au , Dr ion, etc ., e tc . (123) — on retrouve, à côté de
cette tendance à se const ituer un empire industriel , les caractérist iques des
grands capitali stes d e tou s les tem ps :
— l’inf luence sur le po litiqu e po ur en o bten ir privi lèges et faveurs. « Il est ind iscutab le, écrit H asq uin , q u ’i l ex iste un e interpénétration étroite
des m on des po l it ique et f inancier; en tout cas , en m aintes c irconstances , les
relat ions de Desandrouin dans les sphères de la haute administrat ion
fav or isère nt se s d ess ein s » (124).
— l ’écrasem ent du concurrent qui ne veu t pas se la isser absorber, te l
le cas du curé de Dam prem y, M ou che t , copropr ié ta ire du m oul in de ce tte
loca l ité qui f init par k céder parce qu e D esan dr ou in, propriétaire des
écluses de C harleroi , s 'arrange po ur n oyer ce m ou l in qu ’on ne veut pas lu i
céder (125)
— le caractère intern ational et apa tride de ce ca pital ism e. « C es
Desandrouin, d i t Hasquin, éta ient d’ai l leurs sans nat ional i té . Possess ion-
nés dans les Pays-Bas, dans la principauté de Liège et en France, i ls étaient
(12Î) Hasquin o.c., p. 88.(122) Id., p. 215.(123) On lira Hasquin pour le détail des activités de tous ces capitalistes.(124) Hasquin o.c., p. 91. — voir pp. 91 et s$. les preuves apportées par cet auteur.(125) Id., p. 93.
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namuroïs dans les Pays-Bas, l iégeois dans le principauté et Français en
France; s’ i ls trouvaient quelque avantage à ce que tel le usine de la princi
pauté fonct ionnât plutôt que te l le autre des Pays-Bas, i l s n’hési ta ient pas
un.seul instant et faisaient de la principauté le centre de leurs intérêts;
qu’un renversement de conjoncture se produisît , et i ls délaissaient la prin
cipau té au pr ofit des Pay s-Bas ou de la France » (126).
— l ’ad aptat ion aux régim es po l it iques successi f s , servant sans verg o
gne dans une armée puis dans l ’autre . Ou encore, comme J.M. Stanis las
Desandrouin qui « après avoir échappé de justesse à la Terreur, effectuera
un p rom pt redressem ent sous l ’Em pire et après W aterloo , ce sera l ’acte
d’allégeance à Guil laume 1er, ce qui lui vaudra de faire partie du Corps
équ estre de la prov ince du H ain au t» ( 127).
(126) Hatquin, o.c., p. 95.(127) Id„ p. 95.
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Chapitre 3
Les ouvriers à domicile
Bien qu e les recensem ents , avant la f in du s iècle, ne com pten t pas à
part les ouvriers à domicile, ceux-ci constituent une catégorie de travail
leurs extrêmement répandue. On en trouve dans de nombreux secteurs .
N ou s nous b ornerons pourtant à montrer par quel mécanism e i ls font
irruption dans le vie sociale, en nous référant aux travail leurs du l in dont
nous avons parlé au 1er chapitre.
Le capitaliste marchand réduit Partisan au rang de salarié
Les t isserands indépendants vont, dans les années 40, subir le
con tre-cou p du rem placem ent du f il à la m ain par le fil à la m écan ique. A u
m om en t de l’enq uête de 1 8 40 , « ce son t toujours les cult ivateurs ou journ a
liers agricoles, indépendants, travaillant à leurs risques et périls, sur leur
unique métier, effectuant, seuls ou en famille, toutes les opérations, depuis
la production ou l’achat du l in jusqu’à la vente du produit , qui composent
encore la classe la plus n om breu se des p roducteurs de toi les . C ’est, l ’an
cienne et tradit ionnelle organisation du travail qui prédomine. Peu à peu,
ces t i sserands autonomes tombent sous la dépendance d’un marchand,
d ’un fabr icant, d ’un pa tron , qui leur fourn it la m atière prem ière, qui dirige
à sa guise le travail du tissage et qui se cha rge seul de la ven te du tissu. Sou s
ces trois rapports , l ’ indépendance du t isserand est entamée profondément.
Parfois, i l reste propriétaire de son métier, quand on l’emploie chez lui, à
son propre domicile; mais quand il travaille dans l’atelier du patron, i l
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perd généralement la propriété du métier. Le t isserand devient un sala
rié» (128).
C ’est le travailleur à dom ici le , d ifférent de l ’art isan d on t il a perdu
l ’indép end anc e par un do ub le jeu : celui , d ’une part du ca pital ism e ind us
triel qui a conquis le secteur de la fi lature et par celui du capitalisme
commercial qui a conquis la maîtr ise du marché des t i ssus .
Le jeu du cap ital isme industriel d ’abord . « L ’org an isat ion fam iliale
de l’ancienne industrie l inière avait reçu une profonde secousse à l ’avène
m ent de la f ilature m écan ique. Le travail si im po rtan t du f i lage éch app ait à
la fam ille du t isserand . D ’autre part , la con currence d es grandes f i latures
na issantes ren da it les achats de lin plus on éreu x. Le prix du l in m on tait , et
an cienn em ent, il était d ’usage qu e le t isserand ne pay ât son l in q u ’après
avoir vendu sa to ile . C es usages anciens d isparaissaient devan t ceux intro
duits par l ’ industrie nouvelle. Les ressources manquaient aussi aux t isse
rands pour acheter des f i ls faits à la mécanique; parfois, les t isserands-
cult ivateurs qui continuaient à produire le l in trouvaient avantage à le
vendre plutôt qu’à le f i ler et à le t isser. Cette difficulté pour les t isserands
de se procu rer la m atière prem ière, les plaça fa talem ent sou s la dépen dan ce
de commerçants et de marchands munis des capitaux nécessaires pour
faire des a ch ats d ans de b on n es co n d ition s » (129*).
Ici, le cap italism e indu striel place le travail leur à do m ici le so us la
coupe du capital i ste commerçant , mais la modif icat ion des condit ions
m êm es du m arché forc e par ai l leurs le travailleur à suivre les direct ives que
lu i donn e le marchan d. «Im ag inez, écrit D ub ois (13°), un corps de m usi
ciens, où chacun jouerait à sa guise, sans se soucier du voisin et de l ’effet général . Quelle affreuse cacophonie! C’est l ’ image de l ’ancienne industrie
de la toi le . C e qui lui m an qu ait , c’était un ch ef d ’orchestre, cap able de
diriger tous ces efforts épars vers un but commun, de les unif ier, de les
assoup lir. L ’org an isat ion n ou ve lle lui do nn e ce ch ef d ’orchestre, ce pa tron ,
ce manufacturier qui dorénavant prendra la tête de la fabrique col lect ive
de la toile. C ’est lui qui achètera le lin et le f il et le c on fiera au tissera nd , qui
le travaillera d ’après ses ind ication s. U ne fo is le t issu ach evé , le pa tron le
reprendra, pou r le vendre à so n profit . La prop riété des m atières prem ières
et la vente du produit échappent au t isserand, mais i l continuera à travail
ler che z lui et sur so n pr op re m étier. C ’est au patron à observ er l’éta t du
marché et à diriger la fabrication en conséquence, selon les f luctuations et
les exigences de la concurrence».
(129) Dubois, L'industrie du tissage du lin dans les Flandres, 1900, pp. 65-66.
(129) Dubois, o.c., p. 67.(1.10) ld„ p. 70.
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L’ouvrier à dom icile est celui q ui « transpire » po ur un m ar
chand
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le l ieu de travail de l’ou
vrier à domicile n’est pas nécessairement sa propre habitation. La caracté
rist ique essen tielle ici est que — quel que so it le l ieu du travail — au p oin t
de vue du statut , c ' e s t c o m m e s ' i l trava illait chez lui . « C on trairem ent à
l ’op inio n vulgaire, le l ieu o ù s’effectue le travail — la dem eure d e l ’ouv rier
— ne con st itue pas l ’é lém ent essent ie l de la form e de pro du ct ion décentra
lisée » (131).
L ’en qu ête réa lisée à la fin du X IX e siècle en Belgique sur le trava il à
domici le en a révélé de mult iples formes ef fectuées hors du domici le de
l ’ouv rier. Pa rfois l’ou vrier à do m icile trav aille dan s le loca l d ’un autre
ouvrier, parfois encore, c’est dans les locaux aménagés par un fabricant,
dans ce ux d ’un interm édiaire , ou bien m êm e dans un atel ier pub l ic . M ais ,
dan s ces « ateliers », les ouvriers « travail lent co m m e des ouv riers à do m i
cile le feraient chez eu x, po ur le com pte de fab rican ts» (132).
La caractérist ique fondamentale du travail leur à domicile, c’est de n’exécuter que la fonct ion technique, la fonct ion économique étant l ’apa
na ge du fabricant, du m arch and , de l ’« entrepo sitaire », do n t i l dépen d
pou r ob tenir ma t ières premières et com m an des . « La nature cap ital is te de
la direction de l’entreprise, la sub ord ination éco no m iqu e du pro du cteur, la
dépossess ion du marché commercial réal isée au détriment des organes de
p rod uc tion, la divis ion des tâches, l ’épar pil lem ent des ateliers appara issent
dan s ce régim e avec u ne imp ortance au tremen t cons idérable que la fabrica
tio n d om iciliaire » (133).
Ce type d’organisation du travail prend plusieurs appellat ions au
X IX e s iècle . Au C ongrès internat ional de législat ion du travail , en 18 97 , on
l ’appel lera «travai l en chambre» , Gide la dénommera «manufacture à
do m icile », Le Play l’avait b ap tisée « fabr ique co llective » (134). C ette der
nière appel lat ion sera reprise en 1900 par Dubois qui notera qu’une
org an isation no uv elle du travail s’esqu isse vers 1 84 0; « el le se dé velop pe et
se fortif ie dans la suite, pour aboutir aux deux formes industriel les qui se
pa rtag en t au jou rd ’hui le tissage de la to ile : la fabrique co llective et le
grand atelier m éca niq ue » (135).
(131) Schwiedland, La répression du travail en chambre, p. 6.
(132) Recensement industriel de 1896, vol. XVIII, p. 196.
(133) Julin, Les industries à domicile en Belgique vis à vis de la concurrence étrangère, p. 7.
(134) « Système d’organisation de la grande industrie manufacturière, où le patron centralise lecommerce des produits que fabrique pour son compte une population ouvrière; la fabrication a lieu dans
les foyers domestiques des ouvriers, soit dans de petits ateliers multiples » (Le Play, Ouvriers des deux
mondes, tome V).(135) Dubois, o.c., p. 66.
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D an s tou s les cas, « Pen trepositaire du qu el dépen d cette pro du ction
en cha m bre, ex erce les fon ction s d ’entrepreneur; i l répartit à la « fabriqu e
col lect ive» les commandes, réunit par achat les produits fabriqués,
fournit, so i t au façonnier , so i t au pet it patron tom bé sous sa dép endan ce,
des m od èles , des m atières prem ières et souv ent des u stensi les et des ma chi
nes » (136).
Il arrive même que le travail leur à domici le exécute le travail en
uti lisant les services d ’autres ouvriers. Ainsi , au C ongr ès intern ational de
législat ion du travail de 1897, le rapporteur a classé les ouvriers de
fabrique col lect ive en trois types:
« 1° Voici, en premier lieu, le type des petits patrons dépendants qui se
distinguent du maître artisan de jadis en ce qu’ils écoulent leurs produits à des
intermédiaires, marchands ou fabricants, sans entrer directement en rapport avec
les consommateurs, et souvent même sans connaître les revendeurs détaillants. Ils
vendent leurs produits à Pentrepositaire, ou les confectionnent sur commande
contre un salaire déterminé. Souvent ils travaillent avec leurs propres outils sur des
matières brutes que Pentrepositaire leur livre, mais il arrive aussi que les outils
mêmes leur sont prêtés. Parfois, ils travaillant seuls, d’autres fois, ils ont des
auxiliaires ou occupent même, de leur côté, des ouvriers en chambre.
« 2° Ces derniers, les façonniers, peuvent cependant aussi livrer directement
à Pentrepositaire, et même la règle générale est qu’ils dépendent directement de lui. Sans avoir de lettre de maîtrise, ou payer de patente (au moins le plus souvent), ils
travaillent à domicile, en chambre, et s’associent parfois des sous-locataires qui
participent à leurs commandes ou exécutent leur travail indépendamment d’eux.
Dans le nombre de ces façonniers se trouvent beaucoup de femmes qui effectuent quelque travail industriel à côté des travaux de leur ménage.
«3° Souvent on rencontre enfin un groupe d’ouvriers qui travaillent au
domicile de quelques façonniers qui est en train de devenir sous-entrepreneur. C’est le type du Sweater proprement dit. Il fait exécuter par eux, chez lui, à meilleur
marché, ses commandes pour lesquelles il reçoit souvent du magasin les matériaux
préparés, les étoffes coupées, ajustées, etc... » (137).
On n'a même pas estimé nécessaire de les dénombrer
I l faut malheureusement at tendre 1896 avant qu’on établ isse un recensement dans lequel les travai l leurs à domici le sont comptés séparé
m ent . « A va n t l ’explora t ion com plète qui fut fa ite lors du recensem ent
général des industries et des mét iers au 31 octobre 1896, le domaine de
l ’indu strie à d om ici le est po rté com m e « terra incog nita » sur la carte de la
Belgique industriel le . Les enquêtes au cours desquelles on eut parfois à
s’occ up er de la situation des travailleurs à do m ici le , com m e l’enq uête de la
C om m ission l in ière de 1 8 4 3, ne fournissent que de s im ples évaluat ions. Le
(136) Schwiedland, o.c., p. 3.
(137) Id., o.c., p. 6.
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recensement de 1 8 4 6 , œu vre rem arquable pou r l ’époq ue à laque l le il fut
op éré , laissa ces in du stries en de ho rs d es re cher ches » (138).
En 18 96 , on d énom bre 1 1 8 .7 47 «travail leurs à dom ic il e pour le com pte des fabrican ts », chiffre au que l il faut vra isem blablem ent ajouter
5 .39 2 « ouvriers occu pés en atelier chez les fabricants ou les interm édiai
res». Ce qui , en chif fres ronds nous donne près de 125.000 ouvriers à
domici le . I l y en avait certainement beaucoup plus c inquante ans plus tôt
pu isqu’une im portan te conce ntrat ion industrie l le m arque cet te période. B.
V erhaegen a tenté d ’app rocher le nom bre d es travail leurs à dom ici le en
comparant le recensement profess ionnel de 1846 et le recensement indus
trie l de la même année. Ce dernier , ayant exclu le comptage des ouvriers
travai l lant à leur domici le , présente 229.627 travai l leurs de moins que le
recensement des professions (139). En chiffres ronds, i l y aurait donc une
dim inut ion d ’environ 1 0 0 .00 0 travail leurs à do m ici le durant cet te période
de cinquante ans. N o u s croy ons cep end ant que cet te dim inut ion se s itue
vers la f in de la période et c’est d’abord à un accroissement du nombre de
travail leurs à domicile que l’on assiste entre l’enquête de 1840 et les
dernières années avant la guerre de 1870.
Le recensem ent de 18 66 n ’a m alheureusemen t pas com pté séparé
m ent , lu i no n p lus , les travail leurs à dom icile . C ’est d ’autant plus do m
m age q u’il eut été intéressan t de co nn aître l ’év olu tion sur ces ving t ans;
c’est impossible, puisqu’i l ne comporte pas de recensement industriel .
Un indice qui peut la isser supposer l ’augmentat ion du nombre de
travail leurs à d om icile du rant cette pér iode est le recul de l’artisanat. O n
peut certainement supposer que les art isans perdant leur indépendance
po ur les raisons que no us avon s s ignalées plus haut , von t , pour la plupart ,
grossir le nombre des ouvriers à domicile. Ce recul apparaît dans les
chiffres ci-dessous :
Artisans en 1846 et en 1866
1846 1866
Anvers 43.051 (21,24) 19.064 (8,13)Brabant 58.643 (23,39) 46.886 (12,35)
Fl. occ. 101.998 (29,65) 71.767 (19,37)
Fl. or. 91.409 (19,44) 64.620 (15,12)
Ht-Lg 101.423 (21,27) 66.826 (9,85)
Pays 429.762 (21,91) 295 .829 (12,37)
Pendant cette même période, la petite industrie s’est considérable
ment développée, mais on ne peut savoir s i les ouvriers qui y sont occupés
(138) Julin, Les industries à domicile en Belgique vis à vis de la concurrence étrangère, o.c., p. 8.(139) B. Verhaegen, o.c., t. I, p. 182.
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(1 8 2.9 4 2 ) so n t des salariés en fabrique ou à dom icile . En effet , tou t com m e
en 1 8 4 6 , les ouvriers recensés com prenn ent « les pers onn es qui travai llent
hors de chez e l les , seules ou en ate l ier , payées par un patron, a insi que
cel les qui travail lent à do m ici le po ur com p te d ’autrui et sur des m atières
pre m ières ap pa rten an t à autru i » (140).
Une chose est frappante en tous cas , c’est que la diminut ion de
l ’art isanat est plus faible dans les Flandres que dans les provinces où
l ’ industrie se développe plus rapidement. Or l’ industrie l inière, quLretient
notre at tent ion, se local ise surtout dans ces deux provinces . Le manque
d’industrial isat ion permet à l ’art isanat de se maintenir. Encore faut- i l
dist ingu er les secteurs. D an s la fi lature du lin, i l sem ble que la m éca nisa
t ion soi t ent ièrement réal isée vers 1860. L’exposé de la s i tuat ion du
royaum e rap porte , en ef fet , que « la f ilature m écanique s’est com plètem ent
su bstitu ée ap ro uet » (141). Par con tre le tissage d u lin n ’a pa s suivi le m êm e
m ouv em ent . Le m êm e exp osé la isse entrevoir net tem ent que c’est le travai l
leur à do m ici le qui est deven u do m inan t : « . .. le t isseran d n ’est plus à la fois
entrepr eneu r d ’industrie et ouvrier; i l reçoit le f il du fa brican t et lui rend la
toi le q u ’il ne ven d plus guère au m archan d. C ’est entre les m ains de
no m breu x entrepreneurs, don t plusieurs o nt dé velopp é leur industrie sur la
plus vaste éche lle, que se trou ven t aujou rd’hui l ’ex plo itat ion et la direct ion
de la fabrication toilière. Ils achètent leur fil , le l ivrent à l’ouvrier et lui
prescrivent le nombre de f i ls qu’i l doit employer en chaîne et en tra
m e. .. ( 142).
C ’est une con statat ion sem blable qu ’on retrouve dans le R app ort de
la première sect ion du Jury de l ’exposi t ion de l ’ industrie belge en 1847.
Pa rlant de* la filature de lin à la m éca niq ue , le rapp ort d éclare q ue « no us
po uv on s n ou s f latter d ’avoir en ce genre les établ issem ents les p lus c on si
dérables du C ont inent . O n ne s ’est pas con tenté d ’étendre la prod uct ion;
on s’est éga lem en t appliqué à po ur vo ir à tou s les besoins » (143). Alors q u ’à
l ’ expos i t ion de 1835 dont nous avons par lé p lus haut , on ne s ignala i t
comme f i l à la mécanique que des «échant i l lons» , l e rapport de 1847
déclare que « A ujou rd’hui , n os étab l issem ents son t à m êm e de sat isfa ire à
tout ce que les exigences des différentes industries réclament. Ils font avec
une ég ale perfect ion les fi ls po ur chaînes et po ur tram es pou r le t issage : ils
op èren t aussi très bien le retordage po ur les f i ls à cou dre. Il y a six ans, les
f i l s communs pour to i les à voi les manquaient encore; on devait les fa ire
venir de l ’étranger [ .. .] . A ujo ur d ’hui, i l n’en est plus ainsi , et no us auro ns à
constater que ce besoin est sat isfait d’une manière qui ne laisse rien à
(140) Introduction au Recensement de la population de 1866, p. XLI.
(141) Exposé de la situation du Royaum e de 1851 à 1860 , Tome III, p. 141.
(142) Id.(143) Rapports du Jury et documents de l’exposition de l ’industrie belge en 1847, Bruxelles, 1848,
rapport de la première section du jury — article: lin filé à la mécanique, p. 41.
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que l’ industrie l inière se tranforme dans les Flandres, des mutations pro
fondes se produisent dans la main d’œuvre.
Les f i leuses à la main ne vont pas travail ler nécessairement à la
filature mécanique, elles restent pour la plupart sans travail. Un certain
nombre s’oriente vers la dentelle, mais malgré cela, le taux d’activité
f éminine d iminue de 1846 à 1866 .
Une grande partie du personnel domestique (149) travail lant pour la
bo urg eois ie des vi lles com m e Bruxel les et Anvers es t prob ablem ent fournie
par les Flandres. « Il n’est pas douteux que les Flandres constituaient, déjà
à cette époque, la réserve de domestiques et de servantes à laquelle les
grandes vi l les du Royaume faisaient appel . Toutefois , ce phénomène ne peut se traduire dans le recensement des professions, car les domestiques
sont supposés faire partie du ménage de leur employeur et sont recensés à
son d o m icil e » (15°).
Un autre phénomène caractér i se encore la mutat ion économique
dan s les Fland res. U ne p artie des trava illeurs rejetés par la crise linière dan s
le chômage et ne trouvant pas à s’employer dans une industrie qui ne se
crée pas sur place, devront chercher ai l leurs leur subsistance. Les migrat ions al ternantes vo nt être leur lot pour de nom breuses années . N o u s y
reviendrons (151).
(149) Au sens de service personnel.(150) B. Verhaegen, o.c., volume I, p. 97.
(151) Voir chapitre 7.
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Chapitre 4
Les journaliers et les domestiques
Ils con stitue nt la ca tégo rie la plus nom bre use (152). Leur n om bre
dépasse celui du total des ouvriers du recensement industriel . On les
rencontre dans tous les secteurs, aussi bien dans les mines que dans le l in.
L’agriculture en compte un nombre impress ionnant , au point qu’on a
souvent assimilé journalier et ouvrier agricole. « Or le journalier n’est rien
d ’autre qu ’un ouvrier payé à la journée. Ce terme est em ployé couram m ent
pour désigner les cloutiers et les houilleurs» (153).
La masse des journaliers , spécialement dans les Flandres, est une
masse f lot tante , sans at taches avec un employeur. B. Verhaegen est ime
m êm e q u’« on peu t supp oser que c ’est parm i les journal iers que se rangent
la plupa rt des ch ôm eu rs interm ittents et des m en dian ts » (154). D ’après le
tableau établi par Jacquemyns, ceci semble être particulièrement le cas
pendant la crise économique des Flandres de 1845 à 1850: (155)
Professions ou métiers
exercéspar les indigents
1841 1843 1845 1846 1847 1848 1849 1850
Journaliers 12.677 16.329 26.827 36.879 35.330 45.300 46.857 42.747Tisserands 8.251 11.073 16.909 22.961 21.756 18.616 24.047 22.237Cultivateurs 896 1.329 2.597 4.324 3.433 3.183 4.719 4.303Fileuses 10.706 23.051 34.410 44.552 43.136 49.512 49.415 44.602
Dans le Hainaut les journaliers aussi bien industriels qu’agricoles
atteignent les chiffres les plus élevés comparativement aux autres provin
(152) Voir le tableau page 14.
' (153) Hasquin, o.c., p. 292, note 175.(154) B. Verhaegen, o.c., vol. I, p. 94.
(155) Jacquemyns, o.c., p. 309.
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ces , avec un nom bre p art icul ièrem ent haut pour les prem iers . Ic i égalem ent
i l s ’agit d ’ouv riers « pay és à la journée » sans atta ch es av ec un em plo ye ur
et leur no m br e élevé est fon ction de la croissan ce indu striel le. « Le dév e
loppement de l ’ industrie provoque des migrat ions du secteur agricole ou
artisanal sans pourtant offrir, pendant la période de démarrage, les condi
t ions favorables à la s tabi l i sat ion profess ionnel le . Des ef fect i fs nombreux
sont occupés à des travaux temporaires , te l les des construct ions d’us ines
ou de voies de communicat ion, ou de manière intermittente du fai t des
à-co up s sa ison n iers ou con joncture ls de la pro du ction » (156).
Le journalier industrie l es t donc une sorte de n om ad e lou an t au jour
le jour sa « force travail » à un patron cloutier, à un ch arbo nn age. H asq uin
a cité certains textes d ’ép oq ue relatifs aux journaliers hou illeurs. Te l ,
celui-ci , datant de 1781 et dans lequel S.L. Puissant, parlant d’ouvriers
ho uil leurs, dit « que ce son t com m e tous ce ux d es autres hou illères , des
journaliers qui qu itten t l ’ou vrage quand ils le trouven t con ven ir , et q u ’on
congédie auss i quand on trouve à propos; on les paie par journées et
au tant q u ’ils travaillent » (157). U n autre texte re latif à Jum et, en 17 71 : « la
plupart sont tous journaliers occupés à la clouterie et aux houil lères et do nt les premiers ne son t ordinairem ent payés de leur salaire que lorsqu ’il s
font la livrance de tems en tems, le salaire des autres étant réglé à la
quinza ine te l lem ent q u’il arrive sou ven t , et m êm e tou s les jours qu ’üs n ’on t
pas d’argent p ou r ach eter des grains a ux jours des ma rché s » (158). Bien qu e
ceu x qui font « la l ivrance de tem s en tem s» paraissent bien être des
ouvriers à d om icile , on vo it bien cet te absence totale de sécurité de l ’em
plo i. C e qu i caractérise les jour na liers, c ’est « un e gran de insta bilité de
travail (chômage saisonnier, conjoncturel*. . ) , une absence quasi totale de
qu al i ficat ion a ins i q u ’une m ob i li té pr ofess ion nel le qui rend leur c lassem ent
individuel d ans un secteur écon om iqu e d éf ini très dif fic ile . I ssus souv en t
du secteur agricole, i ls offrent leur travail selon les saisons ou les circons
tances éco no m iqu es , tantô t dans le secteur indu strie l, tantô t dans le secteur
agricole . Parfois i l s cumulent une pet i te exploi tat ion agricole avec un
trava il sa larié inte rm ittent » (159160).
B. Verhaeg en croi t q u ’« on peut les cons idérer com m e con st ituan t le
chaînon entre le phénomène du paupérisme, caractéris t ique au XVIIIe
s iècle, et celui du chô m age d u X IX e s iècle. Leur apparit ion est liée au déb ut
de la révolut ion démographique et industrie l le du XIXe s iècle . A mesure
que s’est développé le processus d’industrial isation, i ls furent absorbés et
stabilisés p ar l ’ex p an sion ind ustrielle, o u forcés d ’ém igrer » (16°).
(156) Verhaegen, o.c., vol. I, p. 94.(157) A.G.R., Fonds d’Arenberg n° 9127, dté par Hasquin, o.c., p. 292, note 175.
(158) A.G.R., C.F., n° 4750, dté id.
(159) B. Verhaegen, o.c., vol. II, p. 41.
(160) B. Verhaegen, o.c., vol. D, p. 41.
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Les journaliers agricoles ne semblent pas mieux lot is que les journa
liers industriels. A u dé bu t du siècle, T h om assin (161) parle des jou rnaliers
agricoles com m e d ’une pépinière de m alfaiteurs. « O utre les différences qui
dist ingu en t les W allon s des Flam and s, écrit-i l, i l faut enco re con sidérer les
habitants de la Hesbaye partagés en deux classes très dissemblables par
leurs m œ urs et leur caractère : la première se com po se des fermiers p ro
priétaires et locataires qui sont plus ou moins affables , hospital iers , tandis
que le reste des hab itants ne v it que du travail de ses mains; cette classe très
nom breuse, p uisq u’on ne com pte que deu x o u trois fermiers par vil lage, es t
grossière et parfois brutale. Les fermiers tiennent ces ouvriers dans la
dépendance à tel point que celui qui leur a déplu a souvent de la peine à trouver de l ’em plo i et que, pour s’en procurer, il se trouve forcé de quitter
le vi l lag e et m êm e le can ton. C ’est ainsi que, n ’ayant au cun e propriété, ne
trouvan t p oint de travail , le naturel de ces m anœ uvres se dév elop pe insen
s iblement jusqu’aux préparat i fs et à la consommation du dél i t . Tel le es t
alors, dan s sa s itua tion , la ha ine q u ’il po rte au x prop riétaires , jointe à une
espèce de f ierté, qu’i l préfère la mort à une mendicité ois ive, et , dès lors ,
déshonorante à ses yeux; i l a ime mieux voler , sommer et chauffer que
m e n d i e r » .
La « c lasse » des do m est iqu es com pren d les do m est iqu es agricoles
d’une part et ceux qui sont attachés au service personnel des bourgeois ,
d ’autre part. Leur nom bre « varie av ec l ’état de m isère plus ou m oins
grande des populations » (162).
Plus encore que les journaliers , les domestiques agricoles sont dépen
dan ts de l’em ploy eur . C ’est ce q ue faisait remarquer T ho m assin :« La
plupart des fermiers propriétaires sont riches, mais le reste de la popula
tion, n’ayant aucune industrie que cel le qu’el le peut exercer chez les
fermiers, est à leur merci pour le prix des journées et croupit dans l’ indi
gence, dévorée de tous les vices qu’elle entraîne à sa suite » (163). En 1828,
l e docteur Lebeau, dans sa topographie médica le du canton de Huy, f era
un tab leau très app roc ha nt de celui de Th om assin : « En H esb ay e, dit-i l, —
contra irem ent au C ond roz — dix ou dou ze fermiers possèden t toutes les
propriétés d’une commune, tandis que le reste d’une nombreuse population est obligée de trouver sa subsistance soit en les servant, soit en se
l ivran t à des trava ux étrangers à l ’agriculture. Sou ven t forcé de s’expatrier
pour al ler chercher au loin le travail qui lui manque sur le sol natal , i l
rapporte chque année dans sa famille, presqu’étrangère pour lui , les cou-
(161) Louis François Thomassin, Mémoire statistique du département de l'O urthe, Liège, pp. 219, 221,cité par Vliebergh et Ulens, o.c., p. 59.
(162) B. Verhaegen, o.c., vol. I, p. 97.(163) Louis François Thomassin, o.c., cité par E. Vliebergh et R. Ulens, La population agricole de la
Hesbaye au X IX * siècle, Bruxelles, 1909, p. 108.
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tûmes et surtout les vices des peuples vois ins. L’hiver les laisse sans autre
ressource que la m end icité; dès leurs prem ières an née s, ils en on t contracté
l ’habitude, et cette plaie de la société suff irait pour dépraver l’ individu né
avec les p lus heu reuses d ispo sition s » (164). Le con tra ste entre la situ ation
du travail leur habitant en contrée à terre riche et cel le du travail leur
instal lé sur une terre ingrate n’est pas propre à la région étudiée par
Lebeau : H esbay e-Co nd roz. O n la retrouve, par exem ple, dan s le pays de
W aes pou r lequel Thu ysbaert a soul igné la di fférence entre le « H oo glan d »
et le « Po lder » : « Les grand es ferm es du Polder o n t un grand nom bre de
domest iques et de servantes tandis que o p d e n H o o g e n , les serviteurs
logea nt à la ferme so nt ex cep tion ». Les journaliers (id a g l o o n e r s ) , sont aussi
plus nombreux i n d e n P o l d e r que o p d e n H o o g e n ; ces jou rnaliers tra va il
lent chez les fermiers du Polder à l’entreprise (werken in taak bij de
boeren) (165).
(164) Docteur Lebeau, Topographie médicale du canton de Huy, Liège 1828, p. 86.
(165) Prosper Thuysbaert, Het land van Waes, bijdrage tô t de geschiedenis der landelijke bevolking in deXIXe eeuw, Courtrai, 1913, p. 221.
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L’ouvrier est un objet
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Le système économique que connaît notre pays au début du
XIXe siècle, par son essence même ne peut considérer le travailleur que comme.un objet, une marchandise. Le salaire payé au travail
leur sous le capitalisme des petites entités est, en effet, un coûf. Il est
la contrepartie du travail «acheté» par l’employeur. Aucune adé
quation ne s’établit entre la personne qui fournit le travail et son
salaire. La «personnalisation» du salaire n’interviendra que beau
coup plus tard sous l’effet de l’action syndicale.
Les entreprises, à l’époque, sont de petite taille, aucune ne
peut dominer le marché et y imposer son prix. Le pouvoir politique,
imprégné de l’idéologie du libéralisme économique maintient un
régime juridique qui permet à la concurrence de jouer librement sur
le marché. Or, cette concurrence « est défavorable aux entrepreneurs mais elle l’est encore plus aux travailleurs, qui en supportent
en définitive le poids. Elle conduit les producteurs à abaisser leur
prix de vente, mais aussi à comprimer leur prix de revient : pour y
parvenir, ils réduisent les salaires, ils embauchent des femmes et
des enfants, ils augmentent la durée du travail, etc... »(166)
En fait, dans ce régime les travailleurs subissent une double
concurrence. Celle qui vient d’être signalée et que se font les entreprises en en répercutant finalement les effets négatifs sur le dos de
leurs travailleurs. Celle ensuite que les travailleurs se font entre eux.
Ils se présentent seuls devant l’entrepreneur, aucune entente
(166) Lassègue: La réforme de l'entreprise, p 13.
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n’existe alors entre les travailleurs; elles sont d’ailleurs — nous le
verrons plus loin— interdites à cette époque. « Un conflit les déchi
re, dont les postes de travail sont l’enjeu, et qui, aux époques de
conjoncture funeste, s’exaspère et exerce une pression redoutable
sur le taux des salaires » (167).
La concurrence, que l’idéologie libérale considère comme essentielle pour que le système économique soit efficace, ce sont les
travailleurs qui en supportent tout le poids; « le prolétaire se pré
sente tout nu et désarmé dans la jungle économique. Il y trouve
deux concurrences superposées : la concurrence des patrons entre
eux, sur le marché des produits, concurrence qu’ils invoquent et souvent avec raison pour déclarer impossible sous peine de faillite,
toute amélioration des salaires; et, en outre, la concurrence des
ouvriers entre eux, sur le marché du travail, où ils se trouvent isolés,
inorganisés, en face de patrons qui, selon l’expression d’Adam
Smith constituent, chacun à soi seul, une coalition naturelle. La
classe ouvrière, en fin de compte, fait les frais de toute la concurrence, sur laquelle repose le régime » (168).
L’ouvrier-objet n’est pas seulement un fait, c’est une théorie
enseignée par les économistes de l’époque (169).
L'explication de l’écrasement des salaires par le jeu des
concurrences est fournie par les adeptes du marginalisme. Pourêtre
satisfaisante une telle explication devrait parallèlèment montrer s’il
y a en fait exploitation de l’ouvrier par celui qui loue sa force de
travail. Nous n’avons pas l’intention d’entrer ici dans la polémique
qui a surgi à ce propos(170), mais il faut tout de même bien retenir
que l’observation des faits nous montre qu’à l’époque une classe de
la société « vit bien » tandis que fautre est dans la misère noire. Or il
se fait que la misère est essentiellement le lot de ceux qui n’ont pour
vivre que la vente— ou la location si l’on préfère— de leur force de
travail. Les impératifs du «marché», les lois «inexorables» de la
concurrence ne paraissent donc pas, dans les faits, éliminer une
exploitation très réelle de la masse des salariés par ceux qui détiennent le pouvoir économique, généralement parce qu’ils sont pro
priétaires des moyens de production.
(167) Goetz-Briefs, Le prolétariat industriel, p. 147.
(168) Jean Marchai: Cours d’économie politique, tome 1er, l re édition, p. 97.
(169) G. de Molinari par exemple, voir plus loin, dernière partie.
(170) Voir Pierre Maurice, Les théories modernes de l’exploitation du travail, 1960.
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Chapitre 5
Une misère incommensurable
Il serait pro ba blem en t inexa ct d ’affirmer que la « rév olution indu s
triel le» qui , après s’être amorcée sous le régime français, marquera un
premier essor quelqu es années après la révolut ion de 1 8 30 , est la cause de
la misère extraordinaire qui étreint la classe des ouvriers pendant les
cinquante premières années de notre indépendance. El le existe depuis
long tem ps, à l ’état endém ique selon le m ot de W olo w sk i (171), à l ’état
chro niqu e, selon celui de D uc pé tiaux (172).
M ais , norm alem ent , en augm entant la capac i té de p roduct ion , l ’in
dustrial isat ion aurait dû faire reculer la misère. Il ne paraît donc pas exagéré de m ettre en a ccu sa t ion , le systèm e éco no m ique dans le cadre
du qu el se réalise l’ind us trialisation : le premier cap italism e industriel. O n
ne peut non plus s’empêcher de souligner que si le paupérisme (173) existe
déjà avant l ’avènement du capital isme industriel , i l est alors contemporain
du capital i sme commercial .
(171) Wolowski, Etudes d'économie politique, p. 9.(172) Ducpétiaux, Mémoire sur le paupérisme, p. 10.
(173) Eugène Buret, dans son ouvrage « De la misère des classes laborieuses en Angleterre et en
France » (édition de Bruxelles, en 1843) appelle misère « le dénûment qui réclame le secours de la charité
publique ou privée. L’homme appartiendra, selon nous, à la misère, lorsqu’il ne sera plus en état de
supporter seul sa pauvreté et celle des siens, lorsqu'il devra succomber infailliblement sous le poids, si
personne ne vient à son secours». Les indigents seront pour nous les sujets de la misère. Le terme paupérisme [ . . . ] ne signifie pas plus en espèce que celui de misère; seulement, il est plus général. La misère
s’applique particulièrement aux individus, aux classes; elle fait toujours songer à des souffrances privées,tandis que le mot paupérisme embrasse tout l’ensemble des phénomènes de la pauvreté : ce mot anglais
signifiera donc pour nous la misère en tant que fléau social, la misère publique » (p. 463, col. 1).
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Le paupérisme au 18e siècle
Une des premières causes de cet te misère d’ancien régime est le
chôm age d ont l ’é tendue es t révélée par des docum ents d’épo qu e analysés
no tam m ent par Bon enfan t (174) qui s ignale qu e ce ch ôm age se concen tre
sur deu x catégories d ’ouvriers : ceux qui a ppar t ienn ent au x indu stries en
décadence e t « la grande m asse de ceux n ’ayant pas de form at ion profes
sionnelle » (175).
L’industrial isation, sous la forme de m a c h i n o f a c t u r e ne s ’étant pas
encore im po sée, l ’ouv rier sans qu al i ficat ion ne trouve pa s à s ’occu per car il
n ’y a en core gu ère de m ach ines d o n t le « service » peut être assuré après
quelques jours « d’apprentissage ». Cette carence, Bonenfant l ’attribue, en
s’appuy ant sur L e w in sk i(176) et P ire n n e(177), au «m a nq ue d ’esprit d ’en
treprise des classes q ui d éten aien t alors la p lus gran de richesse du pa ys : la
n ob lesse et le c ler gé » (178). Il en résulte p ou r les ou vriers u ne situa tion
d’indigence général isée au point qu’on peut parler de paupérisme. Un
dénom brem ent de la popu lation b ruxel lo i se en 175 5 m ontre que , parmi les
indigen ts secouru s, on trouv e « des fem m es seules et des ouvriers dans la force de l ’âge dont la famil le parfois ne se compose que de deux person
nes » (179). Ce m êm e dén om bre m ent révèle q ue « faute de ressources é vi
demment , nombre de famil les ouvrières bruxel loises , comptant parfois
ju sq u ’à huit p erson n es, en son t réduites à viv re dans une seu le ch a m
bre » (18°). A A nv ers, selon D ériva i (181) qu e cite B on en fan t, « la dernière
classe des citoyens vit ramassée dans certains quartiers de la vi l le où el le
ha bite d es esp èce s d e cab an es » (182). C ’est enco re D érivai qui rapp orte
qu’à Bruges, les neuf dixièmes des femmes et des f i l les travail lent la
de ntelle et « se nou rrissen t de lait, de pa in bis et d ’un peu d e beurre; si elles
mangent par hasard des pommes de terre, el les les font cuire dans du lait
aigre avec un peu de sel » (183).
Sans qu ’on pu isse c i ter des s tat is tiques précises , de nom breu x tém oi
gnages montrent que le travail infanti le est très répandu. A Anvers, vers
1770, des enfants travail lent dans les rubaneries dès 7 ou 8 ans, i l y en a
dans le dévidage de la soie qui sont âgés de 6 ans, de 7 ans dans la
(174) Bonenfant, Le problème du paupérisme en Belgique à la fin de l’ancien régime, Bruxelles,1934, pp. 33 et ss.
(175) Id., p. 35.
(176) Lewinski, L ’évolution industrielle de la Belgique, Bruxelles, 1911.(177) Pi renne, Histoire de Belgique, Tome V, 1920.(178) Bonenfant, o.c., p. 36.
(179) Id., p. 43.(180) Id., pp. 43, 44.
(181) Dérivai, Le voyageur dans les Pays Bas autrichiens, Amsterdam, 6 vol., 1782.(182) Bonenfant, o.c., p. 44.
(183) Id., p. 49.
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prép aration de la soie et dan s la dentel le (184). D an s le pays d e W aes, le
t issage o cc up e un grand n om bre d ’enfants de 7 à 8 ans (185).
Parlant des ouvriers agricoles , D érivai les d épeint « végé tant dan s la m isère, logés d ans des caban es hum ides et m alsaines. . . I ls son t les
de ux tiers de l’année san s travail et m an qu en t so u ve n t de nourriture » (186).
Les ouvriers ruraux à domicile sont les plus misérables . Dans le
Lim bou rg, « le bas peup lé qui travaille à la f i lature des laines m ène u ne vie
assez misérable; i l se nourrit de pain de seigle très noir, quoiqu’assez
agréable au goût et de lait et de café qu’il boit trois fois par jour» (187).
Selon les éch evins de la Keure de G an d, en 1 7 6 5 , « i ls vivent de pain bis , de
p om m es d e terre, de lait battu, d ’un peu de lard les dim an ch es et de l’eau;
vo ilà tou te leur subsistance. Il n ’y a p a s de gen s plus m isérables au
m on d e » (188).
L’emprise du capital isme commercial sur ces travail leurs à domicile
est s ignalée en 17 64 par W illem sen (189). Les m archan ds s’arrogent « u n
despotisme qui ne leur convient pas, en f ixant le prix de la sueur de
l ’ou vrier cha cun à sa gu ise, sans avo ir d ’autre tarif et sans suivre d ’autre
direction q u ’un intérêt sordide et u ne a vide cup idité qui leur ferme les yeu x
sur les lois divines et hu m aine s » (190). C ’est le S w eatin g System q ue n ou s
avo ns év oq u é plus haut . Le truck-system é galem ent exis te au XV IIIe s iècle;
citant le curé T h y s( 191) qui « con sidère le t isserand a gricole de son pa ys
com m e le rebut de l ’hum ani té , Van H ou t te rapporte que ces « pauvres
esclaves » on t deu x m aîtres : « le fermier qui les em plo ie pen da nt la sa ison
et le petit indu striel p ou r lequ el ils travaillent pen da nt l’hiver. C elui-ci est
le plus sou ven t un bou t iquier chez lequel il s doivent se fournir et payer p lus che r q ue le clien t o rd ina ire » (192).
Les travail leurs à dom icile sont qua lif iés d’esclaves. M ieu x, s i on
retrouve des plaintes des marchands vis à vis des t isserands à domicile,
« toute l’org an isation de cette indu strie rurale à do m icile, en tièrem ent
dominée par le capital isme commercial , démontre l ’ inanité de parei l les
plaintes , et la vérité est sans au cun do ute sou s la plu m e des grands ba ill is et
hau ts échevins des Pays de W aes et de Term ond e, lorsq u’i ls écrivent , en
(184) Id., pp. 50, 51.
(185) Id., p. 52.(186) Id., p. 52.
(187) Id., p. 54.(188) Id., p. 55.(189) Willemsen, Contribution à l’histoire de l’industrie linière en Flandre.
(190) Bonenfant, o.c., p. 54.(191) Thijs, Mem orie o f vertoog over het uytgeven en tô t culture brengen der vage en inculte
gronden in de Meyerge van’s Hertogenbosch, Malines, 1792.(192) H. Van Houtte, Histoire économ ique de la Belgique à la fin de l’ancien régime, p. 488.
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1 7 6 5 , qu e « les pau vres t isserands ne so n t guère m oins q u’esclaves des
m ar ch an ds » (193).
Les corpo rat ions d e m ét iers dans les v il les , qui coex isten t toujours à
cette ép oq ue , « ne so n t plus q ue l ’instrum ent de lutte de classes de pe t its
pa tron s capital istes; el les contra ignen t « l ’ouvrier pauvre, m ais hom m e à
ta le n s . . . de végéter tou te sa v ie dans le fondrde la bout ique d ’un m aître
sou ven t igno rant , en lu i vendan t la sueur de son corps à quelques sols par
jo u r » (194). Les a sso c ia tio n s de résis tan ce ouvrière so n t in te rd ite s (195) et
l ’analphabét isme est le lot de plus de 75 % de la populat ion .
O n trouve au X VIIIe s ièc le une s ituat ion p arad oxa le que l ’enqu ête de
18 4 0 révélera au siècle suiva nt: il est plus lucratif de m end ier que de
travail ler. « Le plu s gran d n om bre des m end iants, rapp orte Ta inte-
nier (196), o n t ch oisi ce m oy en de préférence co m m e étan t plu s lucratif ,
q u o iq u ’ils e us sen t pu trouv er leur sub sistan ce par le trava il » (197).
Bref, à l ’épo qu e m odern e le paup érism e est un m al end ém ique en
Be lgique. D ès la f in du m oy en âge, « on vo it l ’industrie rurale à do m ici le se
placer au premier rang des act ivités industriel les du pays et , de bonne
heu re, elle revêt les caractères q u ’elle con serv e enc ore au XV IIIe siècle : subo rdinat ion au capitali sme com m ercial, bas salaires , travail des femm es
et des enfants. D ès ce t te épo qu e, les corp orat ions urbaines se transform ent
en syndicats patronaux et , dans la plupart des industries, l ’ouvrier ne
trouve plus guère de pro tect ion ef ficace contre les exigence s d es em
ployeurs. Dès cette époque encore, l ’ inf luence du capital , s’exerçant sur
l ’agriculture el le-même, provoque la formation d’un prolétariat agricole
aux condit ions de v ie misérables . Dès cet te époque, l ’augmentat ion du
num éraire entraîne cel le du coû t de la vie, tand is que la su rab ond ance d e la
po pu lation pro voq ue n on seu lem ent le bon marché de la m ain d ’œ uvre ,
m ais a ussi le c hô m age , le v ag ab on da ge et l ’ém igration » (198).
Le paupérisme au 19e siècle
A la vei l le de la révolution de 1830, la situation ne s’est guère am éliorée m algré le déb ut d ’indu strial isat ion du pays. Selon l ’E xp osé de la
s ituat ion , en 18 28 , sur 3 .90 5 .23 5 habi tants dans les prov inces m ér id iona
(193) Bonenfant, o.c., p. 58, citant Willemsen, o.c.
(194) Id., o.c., p. 59. La citation est d’un mémoire adressé en 1778 au Prince de Starhemberg,ministre plénipotentiaire.
(195) Id., o.c., p. 61. Bonenfant s’appuie sur Dechesne (interdiction aux tondeurs d’Eupen en
1763) et Des Marez (interdiction aux chapeliers à Bruxelles en 1786).(196) F. J. Taintegnier, Traité sur la mendicité avec les projets de règlement propre à Vempêcher
dans les villes et dans les villages, dédié à messieurs les officiers de Justice et de police. 1774.(197) Cité par Bonenfant, o.c., p. 67, note 2.
(198) Bonenfant, o.c., p. 73.
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les des Pays-Bas ( l ’actuelle Belgique) , on com ptait 56 4 .5 6 5 inscrits et
secou rus, so it 14,5 indigen ts sur 10 0 ha bitants . « La s itua tion des classes
populaires ne s ’es t donc pas amél iorée au même rythme que la croissance
de l’ industrie. Le paupérisme, cette plaie de l’ancien régime, n’a pas cessé de ro ng er la B elgiq ue » (199).
Cette s i tuat ion se maint ient pendant toute la première moit ié du
X IX e s iècle . La com m iss ion spéciale po ur la réforme de la bienfaisance le
con firm e d ans son rap port de 1 9 0 0 (200). Le no m br e de secou rus, selon la
com m iss ion , a évo lué a ins i :
Les données recue i l l i es par Ducpét iaux amènent à la même conclu
sion puisqu’à partir de ses différents tableaux, i l établit qu’il y avait un
habi tant secouru sur 6 ,93 en 1 82 8 , sur 7 en 1 83 9 , sur 6 ,2 0 en 1 84 6 . A la
moitié du s iècle, le département de la Justice f i t établir une statist ique,
portant sur les années 1848 à 1850 qui avait le grand avantage de dis t in
guer entre indigents secou rus to ute l ’année et indigen ts secouru s une partie
de l’anné e seulem ent. O n verra, en con sultant le deu xièm e tableau (201) que
la première catégorie osci l le autour de 400.000 unités . Pendant cet te
période, le nombre d’ indigents es t monté à un pour 4 ,65 habitants .
Répétons- le , ce serai t une erreur de méconnaître , même pour la
première moit ié du XIXe s iècle , l ’ impact des phénomènes c l imat iques ou
pathologiques (comme la maladie de la pomme de terre) (202). Les années
45 et suivantes vo nt at te indre un niveau part icul ièrem ent é levé d ’indigence
* Selon un rapport aux Etats généraux des Pays-Bas. C’est le même nombre que celui de l’Exposé; un
seul chiffre diffère; peut-être une faute d’impression.
* * Moyenne.
(199) Robert Demoulin, Guillaume 1er et la transformation économique des Provinces belges
(1815-1830), 1938, Liège, p. 224.
(200) Réforme de la bienfaisance en Belgique, Rapport de la Commission spéciale, Bruxelles,1900, p. 79.
(201) Nombre de secourus en 1848, 49 et 50, page 63.(202) Le tableau « phénomènes climatiques et pathologiques » essaie de montrer cette influence
(voir page 65).
1828 (*)
1831 à 1834 ( **
5 6 3 . 5 6 5
6 7 1 . 1 2 8
5 8 7 . 0 9 5
7 0 0 . 1 4 1
9 4 1 . 3 2 6
9 0 1 . 7 8 1
8 6 3 . 0 9 8
1 8 3 9
1 8 4 6
1 8 4 8
1 8 4 9
1 8 5 0
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parce que, dan s les Flandres , aux ef fets catastrophiqu es de la déca den ce de
l ’ industrie l in ière vont venir se superposer, non seulement la maladie du
seigle et la faible réco l te de from ent , m ais auss i la m aladie de la po m m e de
terre qui , sans ce f léau, aurait pu pall ier la disette de céréales . Depuis la
m oit ié du X VIIIe s iècle , la p om m e d e terre étai t en ef fet entrée largem ent
dans l ’al imentat ion.
C ’est un peu ava nt la m oit ié du XV IIIe s iècle seulem en t qu ’el le
co m m en ce à se répa nd re d an s n otre p ay s. Si on en c ro it T or fs (203),* c’est à
un Brugeois no m m é Verh ulst qu’on d oit la « réhab i li tat ion » de la po m m e
de terre, considéré e a ntérieurem ent co m m e « nu isible et m alsaine ». « Ce
digne c i toyen f it d istr ibuer au x cultivateurs de Flandre, un e grand e qu an
t ité de po m m es de terre, sous la prom esse form el le de les planter. C et
engagement fut tenu et les fermiers ayant pu apprécier l ’uti l i té de ce
tubercule pour l ’al imentat ion de l ’homme et du bétai l , s ’empressèrent à
l ’envi d’en étendre la culture, s i bien qu’en 1740, on vit paraître les
premières pommes de terre aux marchés des vi l les . . .
« C ette acq uisit ion d e la po m m e d e terre valait à el le seule tou t l ’or et
l ’argent des mines du n ouv eau M on d e. Il a été pro uv é, en ef fet , q u ’un
hectare planté de p om m es de terre rapportera plus de m atière nu trit ive que
s’il avait été ensem en cé en fro m ent ou en seigle : la différence de pro du it est
d ’un t iers sur le prem ier et de près de la m oit ié sur le seco nd , en faveur de la
solanée américaine. Auss i , les prévent ions s ’évanouissant , on en apprécia
bientôt la va leur com m e prod uct ion e t a limen t à bon m arché , e t , par un
revirement assez ordinaire, on exalta ce tubercule autant qu’on l’avait
d’abord dénigré. L’homme osa même déf ier la nature et les é léments , et ,
tou t f ier de sa no uv elle con qu ête, i l dit d ’un ton superbe : dé sorm ais , la
fam ine est im po ss ible . » « Ce fol orguei l , d it po m peu sem ent To rfs , devait
recevo ir plus d ’un ch âtim ent éclatant. »
C ’est en 18 45 que la ma ladie de la po m m e de terre fi t son app arition dans
les env irons de C ourtrai . Elle al lait régner sur tou te l ’Eu rope avec plus o u
m oins d ’intens i té (204). Au l ieu de 8 4 9 .3 0 9 .7 1 7 k i logra m m es, on ne récolta
en Belgique que 110.350.900 kgs . En Flandre la perte fut la plus forte:
9 2 ,4 % en Flandre occiden tale , 90 ,7% en Flandre orientale (205). L’année
suivante fut encore plus désastreuse parce qu’à la suite des condit ions
cl im atiques, le seigle fut atteint par la rou ille et on p erdit plus de la m oit ié
de la récol te . En même temps, le rendement de toutes les autres céréales
ba issa con sidér ab lem en t (206).
(203) Louis Torfs, Fastes des calamités publiques survenues dans les Pays Bas et particulièrement
en Belgique, depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours , Bruxelles 1859, p. 208.
(204) Torfs, o.c., p. 228.
(205) G. Jacquemyns, Histoire de la crise économique des Flandres (1845-1850), p. 254.
(206) Pour plus de détails sur la crise agricole des Flandres, on se reportera notamment à l’ouvrage
de Jacquemyns.
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1828 1839 1846
Provinces1 habitant
secouru surProvinces
1 habitant secouru sur
Provinces1 habitant
secouru sur
Luxembourg 130,79 Luxembourg 61 Luxembourg 69,22
Anvers 14,67 Limbourg 14 Anvers 16,54
FL orient. 8,69 Anvers 10 Namur 8,96
Limbourg 7,75 Namur 9 Liège 7,89
Namur 7,70 Liège 9. Limbourg 7,62
Fl. occid. 6,68 Fl. orient. 7 Hainaut 6,05
Liège 6,17 Brabant 7 Fl. orient. 5,89
Hainaut 4,48 Hainaut 5 Brabant 4,85
Brabant 4,42 Fl. occid. 5 Fl. occid. 3,87
Le Pays 6,93 7 6,20
Nombre d’habi tants mis en rapport avec l e nombre de secourus
Source : Du cpétiaux , Mémoire sur le Paupérisme dans les Flandres, 18 50 , p. 17. Les
données de 1828 sont établies d’après le Rapport aux Etats généraux des Pays-Bas
déjà signalé, celles de 1839 d’après les exposés des Députations permanentes des
Conseils provinciaux, et celles de 1846, d’après le Recensement général.
N o m b r e d e s e c o u r u s e n 1 8 4 8 , 4 9 e t 5 0
1848 1849 1850
Anvers 21.312 50.110 21 .422 51.473 17.068 45.858
Brabant 53.745 97.161 53.402 96 .856 52.351 95.048
Fl. occ. 143.460 61 .020 132.329 52 .854 130.788 49 .156
Fl. or. 100.840 127.158 93.286 118.457 85.664 107.023Hainaut 58 .202 80 .090 56.240 78.453 56.246 76.858
Liège 31.372 50.352 30.799 50.578 31.851 49.563
Limbourg 13.233 17.828 13.174 17.621 13.320 17.126
Luxemb. 1.133 3.024 988 3.200 944 3 .084
Namur 10.313 20.973 10.106 20.643 10.326 20.824
Pays 433.610 507 .716 411.746 490.135 398.558 464.540
l re colonn e : toute l’année — 2e colonn e : une partie de l ’année.
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Ce n’est donc point la révolution industriel le qu’i l faut accuser de la
m isère dans les Flandres. C ’est , au contraire, à la sup erp osit ion de la crise
agricole et à l ’ab senc e d ’év olu tion d e l’indu strie du lin — elle-m êm e dûe à
l ’opposit ion des classes dirigeantes des Flandres à l ’ introduction de la
m éc an isation — q u ’il faut attribuer la s ituation. D éjà très forte avant la
m aladie de la po m m e de terre, l ’indigence v a s ’accentuer; ainsi , en Flandre
occiden tale d ’un ind igent po ur 4 ,4 1 hab itants en 1 84 3, on passa à 1 pou r
2 ,6 0 en 1 845 , 1 pour 2 ,82 en 1 846 , 1 pour 2 ,71 en 1847 , 1 pour 3 ,04 en
18 48 , 1 pou r 3 ,31 en 18 49 e t 1 pour 3 ,6 6 en 185 0 .
O n a be au cou p discuté de la valeur des statist iqu es des indigen ts qui ,
presqu e toujours son t des statistiques des indigents s e c o u r u s p ar la b ienfaisance of f ic ie l le . Jacquemyns a évoqué ce problème, disant notamment que
« de ce que dan s certaines com m un es i l ne se trouvait pas d ’indigents sur
les l istes off icielles , i l faut co nclure seulem ent à l ’absence de ressourc es du
bureau de bienfaisance; là, au contraire, où l ’on a vait de nom br eu x se
cours à dis tr ibuer, on comptait souvent un nombre exagéré de pauvres
inscrits » (207).
C ette exag érat ion est évoq uée dans l ’E xpo sé de la s i tuat ion du
R oyaum e (18 4 1-1 8 50 ) qui as sure que le rapport des secourus à la pop ula
t ion est p lutôt le résultat du systèm e de charité pub l iqu e en B elgique et des
abus qui y so n t m alheu reu sem ent inhé rents que le reflet du degré réel de la
m isère. « En effet , dit l ’E xp osé, en attacha nt à la q ualité d ’indige nt certains
av an tages, tels qu e la dél ivrance gratuite de passe-po rts , de certif icats et de
papiers divers, l ’adm iss ion aux bureau x d es consultat ion s gratuites d ’av o
cats , les secours m édicau x, et m êm e dans un grand nom bre de local ités
l ’admiss ion gratuite des enfants dans les écoles communales , etc . , on
enco ura ge à certains égards les inscriptions sur les registres des pauvr es. Il
s’ensuit qu’un grand nombre d’ouvriers laborieux, qui gagnent un salaire
suff isant pour satisfaire aux besoins ordinaires de l’existence, se voient
con traints en quelqu e sorte de sol liciter l ’assistance des bure aux de b ienfai
sance et de se sou m ettre à la form al ité de l ’inscription pour éch app er aux
emb arras d ’une gêne m om entan ée et remédier à certains accidents e x
tra or din aires » (208).
C ’est là une op inion qu ’on retrouve sous la plum e des con tem po
rains , a ins i par exemple chez Lebeau dans sa topographie du Canton de
H u y (209), dans les rapports de la D ép uta t ion p erm anente du H ainau t en
(207) Jacquemyns o.c., p. 299.
(208) Exposé p. 262. Le même « Exposé » dit, cependant, p. 296 : « Le manque ou l’insuffisance
des moyens d’occupation peut être considéré comme l’une des principales causes de la misère et du
paupérisme ».(209) « Je n’hésite pas à ranger parmi les causes qui concourent à entretenir la misère de quelques-
unes de oes communes, la distribution de secours à domicile. J’ai toujours remarqué qu’elle était en raison
directe de la richesse du bureau de bienfaisance. Amay jouit d ’un revenu considérable, et ce village est
certainement le plus misérable du canton... » (p. 75).
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Phénomènes c l imat iques e t patho log iques
et pr ix du froment et du se ig le
Froment Seigle
1801 15,95 10,17
— 1802 22,07 16,04 gelées tardives.
1803 19,57 15,43
1804 16,28 10,33
1810 18,19 9,18
1811 20,52 12,08
— 1812 27,04 17,84 sécheresse — orages violents.
1813 21,16 12,82
1814 18,31 11,40
1815 21,85 14,70
— 1816 31,22 21,58 résultat des invasions de 1814-15
— 1817 35,41 24,70+ pluies et mauvaise récolte de pommes
de terre.
1818 26,08 17,62
1819 18,67 12,76
1826 14,19 10,17
— 1827 17,13 12,04 maladie
— 1828 19,69 11,52 dite :
— 1829 23,21 12,89 « cousin » du froment.
1830 20,27 12,42
1844 17,75 10,55— 1845 20,22 13,79 maladie de la pomme de terre
— 1846 24,27 18,71 maladie du seigle (urède-rouille) et
— 1847 31,14 21,62 maigre récolte du froment.
1848 17,94 10,71
1849 17,43 9,59
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18 43 et 18 44 (210); e l le sera reprise dan s le Rap port de la C om m iss ion
spéc iale sur la réform e d e la bien faisance en Be lgique (211). Bo ne nfa nt
reprena it la. m êm e ex plica tion p ou r le X VIIIe s iècle déjà (212).
Ducpét iaux , lu i , s emble avoir évo lué dans son appréc iat ion . Dans
son mémoire de 1844, i l avait déjà soulevé cet te quest ion de la s tat is t ique
de l ’indigence et de sa f iabi l ité : « O n a prétend u qu e le no m bre d e perso n
nes secou rues par les burea ux de bienfaisance, da ns les dif férentes prov in
ces du royaume, es t généralement en rapport avec les ressources f inanciè
res de ces établissements . L e j o u r n a l d e B r u x e l l e s ( d u 28 jui l let 1843)
dém ontre que cet te as sert ion es t erronée e t ne repose sur aucun fondem ent
sol id e » (213). L ’article du journal a uq uel se réfère D u cp étia u x fon da it son
argumentat ion sur l ’absence de corrélat ion entre le nombre d’ indigents et
le revenu de s bu reau x de bien faisance (214).
D an s son m ém oire de 1 85 0 , D ucp ét iau x semble avoir ra llié l ’op in ion
cou ran te : « les l istes dressées p ar les bu reau x de bien faisanc e, écrit- il ,
indiquent bien plus souvent les ressources dont disposent ces établ isse
m ents que le caractère et l ’étend ue de la m isère qu ’il con vien dr ait de
sou lager » (215). Par co ntre, i l dén on ce un e certaine ind igence cac hée , n on
révélée par les statist ique s parce q ue les règles d ’inscription s on t loin d ’être
uniform es; « les usag es varient à cet égard d an s chaqu e loc alité, de telle
sorte que l ’ individu porté comme indigent dans te l le commune ne l ’es t pas
dans te l le autre, quoique placé cependant dans des c irconstances absolu
ment ident iques . Ains i , par exemple , dans l e Luxembourg , l ’ ex i s tence de
terrains com m un au x do nt la jouissance es t assurée à tous les hab itants , es t,
pour un grand nombre de ceux-ci , un véri table secours qui équivaut aux
aum ônes d istr ibué es ai lleurs par les bureau x de bienfaisance. D e là, sans
do ute , en grand e partie, le nom bre restreint d ’indigen ts inscrits dans cette
province » (216).
Les deux tableaux que nous reproduisons pages 6 7 e t 69 don nent , le
premier l’état de l’ indigence en Flandre occidentale en 1845, l ’autre la
(210) « Si, comme nous l’avons fait remarquer dans l’exposé de l’année dernière, la statistique
officielle des personnes secourues dans une commune, prouve la richesse plus ou moins grande du bureau de bienfaisance, plutôt que le degré d’indigence de la population, il n’en reste pas moins vrai que la misère,
surtout dans certaines parties du pays, s’accroît d’année en année» (Session 1844, p. 117).
(211) Bruxelles 1900, p. 90.
(212) « N ’oublions pas, en effet, que le plus ou moins grand nombre des indigents secourus d’une
commune peut dépendre dans une large mesure des ressources dont disposent les institutions de secours »
(o.c., p. 25).
(213) Ducpétiaux, Le paupérisme en Belgique, pp. 8, 9.
(214) On trouvait en effet un indigent pour les revenus qui suivent: Ville de Virton: 417 f.;
Arrondissement de Virton: 8 f.;Ville de Bastogne: 70 f.; Ville de Marche: 9 f.; Arrondissement de
Neufchateau: 20 f.; Ville de Neufchateau: 9 f.; Ville de Malines: 21 f.; Ville de Lierre : 15 f.; Ville de
Turnhout : 13 f.; Arrondissement d’Anvers : 52 f.; Arrondissement de Turnhout : 31 f.; Ville de Verviers :
13 f.; Ville de Huy: 2 f.; Ville de Liège: 9 f.; Arrondissement de Verviers: 12 f.; Arrondissement de
Waremme: 6f.
(215) Ducpétiaux, Le paupérisme dans les Flandres, p. 276.
(216) Id., p. 18.
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L’indigence en F landre occ identa le en 1845
Indigents Population 1 indigent pour
vaies
Bruges 21 .789 46 .813 2,14
Courtrai 11.000 19.864 1,85 C)Dixm ude 1.750 3.681 2 ,10
Fûmes 1.776 4 .780 2,68
Iseghem 3 .300 8 .847 2 ,67
Menin 3 .000 8.208 2,73
Nieuport (compris dans l’arrondissement de Fûmes)
Ostende 3.250 14.110 4 ,34
Poperinghe 5.000 10.540 2,10
Roulers 3.766 10.392 2 ,57 (2)Thielt 2.901 12.394 - 4 ,27
Thourout 3.820 8.530 2,23
Warneton 1.224 5.938 4,85
Wervicq 1.455 5 .747 3,95
Ypres 6.239 16.593 2,65
TOTAL 71.460 176.437 2,47
Arrondissements
Bruges 10.666 63.118 5,91Courtrai 38.572 120.308 3,11
Dixmude 16.033 44 .765 2,78
Fûmes 5 .870 26.851 4 ,57
Ostende 7.187 30.160 4,19
Roulers 25 .188 69.539 2,76
Thielt 20.589 61.415 2,90
Ypres 18.686 65.802 3,52
TOTAL 142.791 481.958 3,36
Total Province 214.251 658.395 2 ,60 (3)
(1) En réalité : 1,81.
(2) En réalité : 2,75.
(3) En réalité : 3,07.
(Source: Jacquemyns, o.c., page 303.)
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s ituat ion dans le H ainau t . G lobalem ent , le niveau d ’indigence es t plus
élevé en Flandre occidentale (1 indigent sur 3,07 habitants) que dans le
Hainaut (1 indigent sur 5 habitants). Si l’ interprétation qui fait dériver le
taux d’indigence du niveau de richesse des caisses de bienfaisance était
appliquée sans nuance, on arriverait à une s ituation inverse pour ces
prov inces , puisque la première es t en grande di ff iculté éco no m ique tandis
que la secon de e st en vo ie d ’industrial isation.
Chose curieuse, c’est pourtant bien à l’argument classique qu’a re
cours la Dép ut a t ion perm anente du Ha inaut dans son rapport : « . . . à
G osse li es, pour une po pu lation de 4 .76 6 âmes , la b ienfa i sance publ ique ne
dispose que de 1911 francs par an, ou de 40 cent imes par tête: auss i le
nombre de personnes secourues n’est - i l que de 1 sur 56. A Tournay, pour
une pop ulat ion d e 24 .9 8 4 âm es, les m aîtres des pauvres ont à leur dispos i
t ion 1 0 5 .2 1 0 francs par an ou 4 francs 24 centim es par tête : i l n ’est pas
étonnant que le nombre des personnes secoürues soi t de 1 sur 2 » (217).
La députat ion permanente maint ient l ’argument à travers ses rap
ports successifs . En 1 8 4 3 , c ’est le p oin t de vue qu ’el le défend. En 1 8 4 4 , elle
y revient : « la statist iqu e off iciel le des p erson nes secou rue s da ns une
commune, prouve la r ichesse plus ou moins grande du bureau de bienfai
sance, p lutôt que le degré d ’indigenc e de la po pu lation » (218). M êm e
op in ion en 18 46 : « . . . on ne peut, en aucune manière , juger de l ’é tat du
paup érism e dans no tre province, par la som m e des secours que les bureaux
de b ienfaisa nce distrib ue nt a ux ind igen ts » (219220) . En 1845, en publ iant les
s tat is t iques auxquel les nous venons de faire al lus ion, la députat ion avait
qu alifié les statist iques b elges du pau pérism e « com plètem en t fausses » et
est im ait « q u ’au l ieu d ’inférer des chiffres posés que le H ain au t r e n f e r m e
r e l a t i v e m e n t p l u s d e f a m i l l e s n é c e s s i t e u s e s q u e l e s a u t r e s p r o v i n c e s , on
aurait dû en conclure uniquement que les bureaux de bienfaisance du
Hainaut sont généralement mieux dotés et peuvent donner à la dis tr ibu
tion de leurs secours plus d’extension que les bureaux de bienfaisance des
au tres pa rties du p ay s » (22°).
En vérité, sans m ésestime r totalem en t l ’imp act du niveau d es revenus
des bureaux de bienfaisance sur le taux d’indigence, ne se trouve-t-on pas
en présence d’une bourgeois ie qui s’efforce de minimiser les révélations
statist iques parce qu’el les sont déplaisantes pour ceux qui détiennent le
pouv oir? O n p ourrait mêm e se dem and er s ’il n’y a pas là une préf igurat ion
de la cam pagn e con tre les « abus » du ch ôm age q u ’on conn aîtra durant
l’entre deux guerres.
(217 ) Rapport de la Députation perm anente du Hainaut, 1845, p. 131.(218) Rapport de 1844, p. 117.
(219) Rapport de 1846, p. 185.
(220) Rapport de 1845, pp. 126-127 . Cette conclusion n’est pas celle qu’on peut tirer des tableaux
que nous donnons.
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L’indigence dans le Hainaut en 1845
Soit
Arrondissements Indigents Population un secouru
pour:— habitants
Recettesordinaires
Ath 20 .604 85.435 4 89.686,56
Charleroi 9.648 98.933 10 87.419,66
Mons 17.922 122.216 6 150.725,11
Soignies 15.160 70.598 4 9 3 .879,65
Thuin 9.495 66 .742 7 89.103,45
Tournai 18.770 101.884 5 115.099,78
Total Communes 91 .599 545.808 6 625.914,21
Villes
Ath 3.400 8.315 2 11.927,29
Chièvres 815 3.125 4 1.158,24
Charleroy 691 5.881 9 5.071,46
Châtelet 857 3.009 4 5.158,32
Fontaine l’Evêque 550 3.053 6 2 .264 ,97
Gosselies 131 4.766 36 1.911,34
Mons 7.094 21.241 3 115.432,75
St-Ghislain 159 2.008 13 4.594,35
Braine-le-Comte 1.310 4.588 3 5.479,62
Enghien 1.295 3.746 3 11.876,32
Lessines 1.160 4.975 4 5.463 ,15
Rœulx 746 2.758 4 6.292,03
Soignies 1.990 6.723 3 8.880,05
Beaumont 653 2.130 3 11.018,13
Binche 1.625 5.306 3 19.126,56
Chimay 377 3.102 8 7.383,94
Thuin 1.304 4.213 3 3.862,82
Antoing 165 2 .162 13 2 .99 3 ,5 7
Leuze 1.037 5 .904 5 6 .401 ,89
Péruwelz 1.365 7.511 5 8.812,88
Tournay 12.200 24 .984 2 105 .209,73
Total des Villes 38 .924 129.500 3 350 .319,41
Total Province 130.523 675.308 5 976 .233,62
(Source : Rapport de la Députation permanente.)
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Par ai lleurs , on sou l ign era en core, avec Jacq uem yns, qu e « la qu es
t ion de la r ichesse des bureaux de bienfaisance n’expl ique pas le grand
nombre d’ ind igents dans l es campagnes . Les revenus des bureaux de
bienfaisance y éta ient de bea uco up inférieurs à ceux des v i l les , e t po urtan t
c ’est dans les com m un es rurales que no us trouv on s, lors de la cr ise , le p lus
d’indigents » (221).
Quel les que soient les tentat ives de minimiser l ’ importance de la
misère, l ’étendue de la mendici té au XIXe s ièc le est là pour en témoigner.
Certes, i l n’y a pas de stat ist ique et cel le des dépôts de mendicité n’en
do nn e q u’une vue très part ie l le . Par contre , les tém oigna ges son t extrêm e
ment nombreux. Pour les Flandres , Jacquemyns en a c i té un certain
nom bre m ontrant les m endiants se dép laçant en bandes , des f erm es voyant
défi ler jusq u’à trois cents m end iants sur une journée (222). Il y a tel lem en t
de vo l s que l e gouverneu r de la Flandre or ienta le par exem ple d o i t recom
mander aux adminis trat ions communales d ’organiser des patroui l l es de
nu it à la suite de la m au vaise récolte de p om m es de terre (223). En 1 8 4 6 , le
même gouverneur recommanda de reprendre l es patroui l l es , qu i se sont
ralenties f in d e l ’hiver, cela parce q ue le nom br e d es vo ls au gm ente (224).
Par une c irculaire du 16 octob re 18 45 , il ava i t recom m and é de sévir contre
le s bandes de m endiants « com po sées en grande partie d ’ho m m es va lides »
qui se présen tent la nu it à la por te des m aiso n s isolées et des ferm es. Il faut ,
dit- il , faire ap plicat ion de l ’article 2 7 6 du C od e pén al (225). Le 8 n o v em b re
1846 , une autre c ircu la ire constate que nombre de mendiants e t de vaga
bo nd s ref luent vers Bruxel les; « toute co m m un e, d i t le gouvern eur, do i t
procurer du sou lagem en t à ses pauvres et les engager, par les secours
qu’el le leur offre et par toutes les voies de la persuasion à ne pas s’éloigner
d e la loc a lité » (226).
La fa im pro vo qu e d ’ail leurs des désordres et des ém eutes , on pi l la des
bou langer ies , des marchés publics . Le 17 m ai 1 84 7 , i l y eut m êm e, à Gand,
une ém eute où des grou pes de m anifestants furent chargés au sabre et à la
b aïo nn ette (227). Il est vrai que la misère , à certains m om en ts, po us sa d es
miséreux dans les bras mêmes de la pol ice; « les malfai teurs , lo in de
craindre les gardiens de l ’ordre, cherch aient m aintes fois l ’oc ca sion de
com m ettre des dél it s en présence des agen ts et des gendarm es. C ’étai t, pour
eux, le moyen de se fa ire envoyer en prison et de recevoir a insi une
nourriture suff isante p ou r ne pas m ourir de faim (228). Un g rand nom bre
(221) Jacquemyns, o.c., p. 300.
(222) Voir Jacquemyns, o.c., pp. 314 et ss.
(223) Mémorial administratif de la Flandre orientale, 1844, 1er semestre, p. 86.
(224) Id., 1846, p. 414.(225) Id., 1845, 2e semestre.
(226) Id., 1846, 2e semestre, p. 788.
(227) Jacquemyns, o.c., p. 329.
(228) L’enquête de 1840 a révélé également cet état d’esprit (voir d-après).
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de vitres furent brisées par des indigen ts qui vo u laien t se faire em pr ison
ner. Tous les rapports off iciels et les journaux de l ’époque signalent ces
b r i s e u r s d e v i t r e s . Les voleurs qui n’avaient pas recours à ce procédé
attend aient sou ven t le m om en t prop ice p ou r se faire attraper » (229).
C e n ’est pas uniquem ent en Flandre que se rencontre cet te men dicité .
La Cham bre de com m erce de M on s es tim e b ien , en 18 4 4 , que la m isère « a
beaucoup perdu de sa r igueur» grâce à l ’abondance de la récol te de
p om m es de terre et le bas prix des céréales » (23°). M ais le C om m issaire
d ’arrondissem ent est m oins op t im iste . I l se p laint de l ’augm entat ion de la
mendicité, surtout dans le Borinage. Il constate que la classe ouvrière est
« dans un grand dénu em ent » et que toute m esure de répression serait
inut ile à cause du grand nom bre d ’individus à at teindre. I l recom m and e,
dans les grandes communes, l ’ inst i tut ion de maîtres des pauvres dont la
mission serait de recueil l ir les dons chez les personnes aisées pour soulager
les pauvres (231). Le C om m issaire d ’arrondissemen t de T our nai no te ég a
lem ent qu e la m end icité est loin de disparaître; « les uns m end ient par
paresse , d ’autres par beso ins , d ’autres enf in par ha bitude » . Co m m e b eau
coup de m end iants p lacent l ’autori té deva nt le d i lemn e : m endier ou entrer
au dépôt de mendici té «et at tendu que de deux maux i l faut chois ir le
m oindre, la pol ice n ’hési te pas, e lle évite à la com m un e les charges du
d ép ôt » (232). R ecrude scence aussi da ns l ’arron dissem ent de T hu in, m ais
ici, selon le com m issaire d ’arron dissem ent, « c ’est plutô t parce que les
m oyen s de la réprimer sont em ployés avec m oins d ’act iv i té que parce qu ’il
m an qu era it du travail aux ouv riers » (233). Il d éve lop pe la m êm e op inio n en
1846 (234) tandis que celui de Tournai , après avoir constaté les progrès de
la mendicité en 1845, « au point que l’on voit dans certaines local ités des
mendiants s ’a t trouper au nombre de 30 à 40 personnes e t demander
l ’au m ôn e d ’un ton plus ou m oins im périeux » , déclare que pour que çà
cha nge i l faudrait « que lques an née s heureuses po ur la classe ouvrière, il
faudrait que l’on fût en mesure de procurer du travail à tous les bras
inactifs » (235).
U n indice de l ’im por tance atteinte par la m isère à l ’ép oq ue est d ’autre
part , le nombre impressionnant d’ouvrages et surtout de brochures qui
sont publiés sur le sujet . Son niveau frappe tel lement que la détect ion des
causes, la recherche des remèdes à y apporter donnent naissance à une
ab ond ante l i ttérature où l ’on vo i t tourner en rond un remarquable m anèg e
(229) Id.
(230) Rapport de la Députation permanente du Hainaut, Session de 1844, p. 323.
(231) Rapport de la Députation... session 1844, p. 50.
(232) Id., p. 55.
(233) Id., p. 58.
(234) Id., session de 1846, p. 75.
(235) Id., p. 49.
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de l ieux com m uns do nt l ’intent ion inavo uée paraît bien être de disculper le
rég ime et de donner bonne consc ience aux détenteurs du pouvoir .
Parmi les « ex p lication s » av an cées, i l y a la « surab ond anc e d e la
pop ulat ion » . Déjà dans son m émoire D e s m o y e n s d e s o u l a g e r l a m i s è r e ,
Ducpét iaux se montre frappé par l e fort accro i s sement de la populat ion .
O r, écrit- il , « s i la pop u lation s’accroit avec trop d e rapidité, la pro po rtion
entre le m on de d es ouvriers et la som m e d es capitaux dest inés à rétribuer
leur travail est dérangée, le salaire baisse et aussitôt arrive la misère. Il
importe donc, pour maintenir le taux du salaire en rapport avec leurs
beso ins , que les c lasses laborieuses ap portent dans leurs m ariages la mêm e
pr évo ya nce que da ns la d isposit ion de leurs m od iques rev enus » (236). O n
retrouve la même thèse dans le mémoire sur L e p a u p é r i s m e d a n s l e s
F l a n d r e s . C on statant qu e la m oyen ne de la popu lat ion pàr l ieue carrée
géographique peut y être évaluée à près de treize mil le habitants , Ducpé
tiaux con clut : « I l suff it de ce fait, c om bin é a vec l ’accro isseme nt de la
pop ulat ion pend ant l e comm encem ent de ce sièc le e t avec la décadence de
la principale industrie de ces deux provinces, pour expliquer en partie les
effrayants progrès qu’y ont fait la misère et le paupérisme. Le nombre des
indigents au gm ente en raison de la dens i té de la po p u la t io n . . . » (237). O n
retrouve l ’ idée, à la même époque, dans le Rapport de la Députat ion
perm anen te du H ainau t qui es tim e que b ien q ue « la po s i t ion de la classe
ouvrière soi t , à bea uco up d ’égards , m oins m auvaise dans le H ainau t que
dans le reste du pays » , le problèm e du pau périsme do it être abordé dans le
rapport. «Il est évident, y l i t -on, que l’accroissement successif(238) de
l ’espèc e h um aine d o it aug m enter les diff icultés de subsister, c’est-à-dire de
se nourrir, de se vêtir, de se loger et d ’élever une fa m ille» . Le rappo rt
considère cet a ccroissem ent com m e la cau se « la plus pressante » du pau
pér ism e et « en ge nd ran t presqu e tou tes les autres » (239).
D uc pé tiau x, p ar ai lleurs, fait rem arquer « qu ’une grande féc ond ité
m arche gén éralem ent de fron t avec une grand e m ortalité » (24°) et estime
« que le m eilleur, le seul m oy en de m ettre un frein à l ’accro isseme nt
excessif des naissances est de réduire, autant que faire se peut, la propor
tion des décès. C’est par une répartit ion aussi égale que possible du
bien-être qu’on parviendra à rétablir l’équilibre troublé entre ces deux
termes. La po pu lation , dans l’état norm al, d oit rester stationn aire ou à peu
près, c’est-à-dire que les naissances doivent se borner à balancer les dé
cès » (241) C om m e ce son t « les classes les plus pau vres (qui) s on t aussi
(236) Ducpétiaux, Des moyens de soulager la misère, 1832, p. 6.
(237) Ducpétiaux, Le paupérisme dans les Flandres, p. 53. La même thèse est reprise dans Le
paupérism e en Belgique, du même auteur, 1844, p. 20.
(238) Peut-être faut-il lire «excessif».
(239) Rapport de la Députation perm anente du Hainaut, 1844, pp. 117 et ss.(240) Ducpétiaux, Le paupérism e dans les Flandres, p. 214.
(241) Ducpétiaux, id., p. 215.
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d ’ord inaire les p lus pr olifique s » (242), i l « n e s’ag it plu s, p ou r arrêter
l ’accroissement anormal de la populat ion, que de réduire le nombre de
pr olétaire s et des ind igents » (243). Le vrai remèd e est pou rtan t, po ur D u c
pét iaux , le «d ép lacem en t» . «L orsqu e l ’accro issement de la pop ulat ion
excèd e les ressources d ’un pay s, c ’est une indicat ion po ur que cet te pop u la
tion ai l le chercher ai l leurs sa subsistance. Tant qu’à côté des régions
cult ivées i l restera des régions sans culture, i l est dans l ’ordre de la Provi
dence que l e nom bre des hom m es augm ente en ra i son de l ’é tendue du
do m ain e q ui leu r reste à con qu érir » (244). C ’est là le rem ède p rôn é pa r
Ducpét iaux pour les Flandres où l ’exubérance « est malheureusement un
obstacle aux amél iorat ions dont la s i tuat ion des Flandres serai t suscept i
ble » . A insi, co nt inue-t -i l, « no us avons pro uvé que le nom bre des cul t iva
teurs dépassait les besoins de la culture, que la concurrence des ouvriers
tendait incessam m ent à déprécier le travail . Il y a d on c évidem m ent sura
bo nd an ce de bras et de forces dans les Flandres. D e là, la nécessité d ’un
déplacement. Ce déplacement, nous l ’avons déjà dit , peut s’opérer de trois
m anières : par la co nst i tut ion de n ouv eau x centres de pop ulat ion dans les
Flandres m êm es, par la colo nisa t ion dans d ’autres parties du pa ys, et enfin
par l ’ém igra tion et la co lon isa tion à l ’étranger » (245).
Le comte Arr ivabene défend la même thèse pour résoudre l e pro
blèm e de l ’indigen ce : « . . . q u oi de plus naturel , de plus simp le que de
tâcher d’opérer le déplacement d’un certain nombre de famil les de labou
reurs ». .. « on fait ainsi un m eilleur sort à ce ux qui parten t , et en éclaircis
sant les rangs des demandeurs de travail , on soulage ceux qui res
tent » (246).
Le déplacement ne fut pas seulement un remède théorique, a insi ,
« dahs le but de se soustraire, autant que possible à la dépense permanente
occasionnée par l ’entret ien de leurs indigents au dépôt de mendici té de
M on s, un certain nom bre d ’adm inis trations com m un ales des prov inces de
Hainaut , de Namur e t de Luxembourg ont payé l es f ra i s de t ransport de
vingt reclus qui a vaien t m an ifesté le désir d ’ém igrer en A m ériq ue » (247).
(242) Id., p. 219.
(243) Id., p. 220.
(244) Id., p. 220.
(245) Id., p. 223.
(246) Arrivabçne, Sur la condition des laboureurs et des ouvriers belges et sur quelques mesures
pour l'améliorer, Bruxelles, 1845, p. 24.
(247) Rap po rt de la Députation perm an ente du Hainaut, 1852, p. 106.
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U n premier tém oignage :
l’enquête de 1840 sur l’industrie linière
L’enquête de 1840 n’est pas une enquête spécialement menée sur la
condit ion ouvrière. Instituée par un arrêté du Ministre de l’Intérieur, De
Theux, le 25 février 1840, e l le se voi t essent ie l lement donner un object i f
éc on om iqu e qui est de « con stater la s ituation de l’industrie l inière en
Belgique et rechercher les moyens d’encouragement et de protect ion qu’ i l
pourrait être uti le d’employer dans l’ intérêt de cette industrie».
Le rapport de la Commiss ion d’enquête comporte b ien un chapi tre
intitulé : « état de la class e o uv rière » (248); m ais il ne faut p as s’y trom pe r :
« classe » est em plo yé, co m m e no us l ’avo ns déjà soul ign é, dan s le sens de
« catég orie » et ouv rier a le sens « d ’oc cu p é au travail du l in ». Le nom bre
de ces personn es occ up ées à travail ler le l in es t bea ucou p plus é levé dan s le
rapport que dans le recensem ent indu strie l de 1 84 6. N ou s av on s vu que le
nombre d’ouvriers du secteur l in et chanvre étai t a lors de 60!023. La
C om m iss ion , en 18 40 , dénom bre 3 5 5 .09 6 travail leurs (249250). Il s’agit donc
au ssi bien d es artisans (25°) que d es trav ailleurs à d om icile et des ouv riers.
C’est une image de la s i tuat ion de toute la populat ion laborieuse qui es t
fournie par ce chapi tre du rapport de la C om m iss ion , bourg eois ie m ar
chande et autre mise à part . On y trouve notamment cet te masse de
travai l leurs à domici le exploi tés par les marchands et dont nous avons
parlé plus haut.
Comme le montre le tableau ci -dessous une forte majori té de ces
travail leurs sont localisés dans les deux Flandres; vient ensuite le Hainaut
qui en compte un nombre assez important .
Fileuses Tisserands
Flandre occidentale 98.385 24.430
Flandre orientale 122.226 32.718
Hainaut 33.358 8.236
Brabant 16.730 4.348
Anvers 3.685 2.491
Luxembourg 2.945 865
Namur 1.950 926
Limbourg 844 432
Liège 273 254
Totaux 280 .396 74.700
(248) Enquête sur l'industrie linière, rapp or t de la Commission , oc tobre 1841, Tome 1er, pages
361 et ss. (désignée ensuite: Enquête 1840). Le tome 2 fut publié en juin 1841.
(249) Id., p. 362.
(250) « De petits fabricants en grand nombre ne peuvent travailler, ce n’est pas seulement la classe
des pauvres gens qui est en souffrance, mais aussi celle des petits fabricants » (Enquête 1840 , Tome 1er, p.
365).
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« En restant assis, ils gagnent autant qu’en travaillant. »
Si réduites que so ient les inform ations sur P« éta t de la classe ouv riè
re » , e l les s on t particulièrement é loquen tes . C onsa cran t quelques pa ges à
répondre à la quest ion: «Le salaire que nos f i leuses et nos t i sserands
reçoivent suff it - i l à leurs besoins? », le rapport i l lustre bien cette réponse
qui sera do nn ée par Va n den B erghe, blan chisseu r à T hielt : « En restant
assis, i ls gagnent autant qu’en travaillant» (251). Il suffit pour s’en rendre
com pte de relever quelques ph rases du rapport de la C om m ission : « Les
t isserands (à A velghem ) n ’on t pa s assez de forces pou r travail ler, ils tom b en t
sur le m étier » (252). « Les tisseran ds et les f i leu ses en gén éral n ’on t plu s
assez pour se vêt ir, i ls payent diff ici lement leur loyer; leur nourriture
con siste en pain sec, en po m m es de terre; ils log en t dans de m auvaises
m aiso ns et n ’o n t pas de linge p ou r se co uvrir et se c ou ch er » (253). « Les
f i leuses des environs de Ninove sont te l lement pauvres qu’el les ne peuvent
plus se n ourrir; el les m end ient qua nd il y a po ssibi l i té . Il y en a qui
préfèr ent être e m pr ison né es p ou r avo ir de la nou rriture » (254).
Les enquêteurs se sont aussi rendus dans les habitat ions de quelques
t isserands e t rappo rtent l ’état navrant de l ’habitat. D ero ch est sans do ute
un travail leur à do m ici le , car « il travail le à la tâche en recevan t d eu x so us
par au ne » ; « i l ne m an ge jam ais de viande , i l ne prend p as de café le m atin,
mais du thé avec un peu de la i t de chèvre, sans sucre; à midi son repas se
com p ose de pain de se ig le , de po m m es de terre avec du la i t bat tu; il ne fa i t
usage que de très peu de beurre, i l n ’achète jam ais de po rc que p our en a voir
la graisse , il s ’im po se b eau cou p de privations; m ais il y a des gens encore
plus m alheureux q ue lu i e t tout récem m ent il a t rouvé m oyen de donner une
chemise . Dans toute la maison , la Commiss ion n’a aperçu qu’un seu l l i t
com p osé d ’une p ai llasse sans draps et d’une couverture en étoup e de lin .
C ette h ab itat ion con siste en d eu x p ièces; l ’une où se trouve le m ét ier et le li t,
l ’autre où l’on fait la cu isine e t l ’on f ile. P endan t tou t l ’hiver, ces gens ne se
chauffent qu’avec le pet it bois qu’i ls ramassent , i ls travail lent depuis cinq
heures et d em ie du m atin jusqu ’à d ix heures du soir » (255).
Le deuxième t i sserand dont la Commission a v is i té l ’habitat ion,
C lém ent K eyser, sem ble être un art isan car il travail le « po ur son com pte ».
Là, « da ns to ute la m aiso n il ne se trou vait q u ’un lit fort étroit , plus
dégradé, plus mal garni que le l i t de l ’habitat ion précédente. Les membres
de la C om m ission n ’on t pas osé dem ander où se retiraient les s ix enfants
(251 ) Enqu ête 1840 , Tome 2, n° 1861.(252) Id., tome 1, p. 383.
(253) Id., p. 383.
(254) Id., p. 384.
(255) Id., p. 386.
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pendant la nuit; i ls ont aperçu à la suite de la cuisine et de l ’atel ier une
trois ième pièce sans meubles et fort mal c lose dans laquel le ne se trouvait
aucun e trace de pai l le , enco re m oins de m atelas , il s o n t craint d ’apprendre
qu el é tait l ’usa ge de cette dernière cha m bre » (256).
« La classe la p lus m alheure use est cel le qui ne m end ie pas. »
Le tome 2 reproduit les interrogatoires menés par la Commission.
Des réponses consignées , une première impression se dégage, c’est l ’éten
due extraordinaire de la mendicité.
Les tisserand s « son t actuel lem ent dévo rés par la misère » répond D e
V os , de H eu l le(257). Le nom bre des pauvres a t te int des pro po rt ion s im
pressionnantes non seulement en Flandre mais aussi en pays wal lon; le
bourgm estre d ’A th, T aintenier , déclare que le nom bre d es pau vres était de
2 .74 9 en 18 36 , « il e s t m aintenant de 3 .00 0 env iron . N otre pop ulat ion es t
de 9 .0 0 0 âm es » (258). G on e, échev in de Fleurus signa le : « no u s com pto ns
1.0 0 0 pauvres , réellement pauvres , sur 3 .3 0 0 h abitants . Il y en a encore
d ’autres qui m ér iten t de figure r sur la liste d es p au vre s » (259).
La m en dicité prend à certains m om en ts l ’allure d ’une inst itut ion, el le
se concentre sur les jours « autorisés ». « Tous les lundis, on voit jusqu’à 7
à 8 00 m endiants venant de Bae legem et de Nederbrake l » , répond V ande-
veld e, t isserand à V elsiqu e (260). « J’ai tro is ce nts pa uvr es le jeu di à m a
po rte, déclare Va n D e M erge l , cult ivateu r à N eder bra kel (261).
Les m endiants vo yag ent en band es. « D an s les v il lages environn ant
Sottege m , signale J. Van B ossch e, fabricant de lam és dans cette loca l ité, où
la mendicité est tolérée un jour par semaine, des bandes de 2 à 300
m en dian ts se p rése nten t d ans la m êm e ferme » (262). D es tisseran ds
« circulent dan s no s cam pa gnes, par 1 00 et 15 0, d em and ent du travail »
répon d D eslo ov er e, cult ivateur à V ive Saint-Eloi (263).
Les bandes de mendiants provoquent la peur . Ce phénomène sur
l eque l nous rev iendrons p lus longuement dans l e tome 2 , est révélé par
certains tém oign ag es: «L a m endicité augm ente toutes les semaines; il
vient des pauvres par b ande la nuit, qui dem and ent du pain et de la v iande.
C es ban des so n t déjà venu es deu x fois chez m oi et j ’ai do nn é de suite. Elles
(256) Id., p. 387.
(257) Id., tome 2, n° 224.
(258) Id., n° 1040.
(259) Id., n° 5117.
(260) Id., n° 2339.
(261) Id., n° 2408.
(262) Id., n° 2314.
(263) Id., n°128.
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ne font pas de mal quand on donne de sui te; je donne par la fenêtre . La
mendici té nocturne se répand. La maréchaussée es t en permanence toutes
les nuits» , déclare Jacques Steenkis t , cul t ivateur et t i sserand à Thou-
rout(264) . «Le nombre de mendiants es t te l lement augmenté que j ’en ai
peur; ils font des m enaces. N otr e pop ulat ion se com po se de 50 0 e t quel
ques famil les . Je donne tous les mercredis ; 140 mendiants viennent à ma
ferme; outre cela, i l y en a encore qui viennent tous les jours avec des
m ena ces », dit V an B elle, cult ivateur et échev in à V ia n n e( 265).
Evidem m ent , on s ’en dou te, certaines personn es interrogées trouv ent
que les mendiants sont responsables de leur état . Aug. Gone, échevin à
Fleurus, a cette répon se éton na nte : « S’i l ne m an gea it pas tou t en un jour,
le travail de la sem aine d evra it gén éra lem ent suffire » (266). D e so n cô té,
Burn, échev in, négo ciant à Z ele trouve q ue « l ’ouvra ge ne m anq ue pas; ce
sont des fainéants . On a essayé de mettre des entraves au mariage des
pauvres; o n a supprim é le pa in et la m oit ié du loye r à ceux qui se
m ariaient, o n n ’a pa s réussi » (267). D e W its, n otaire et b ourg m estre à
N ederb rak el , est im e qu ’« on devrait ext irper la m endici té au m oye n d ’une
mesure générale. J’avais l ’ intention de la faire défendre en recourant à la
force, je ne l’ai pas fait parce que dans les communes vois ines, i l n’y a pas
de moyen de répress ion, nos mendiants de la commune vont ai l leurs . La
réciprocité serait nécessaire. Quoique la chose ait été dél ibérée en consei l ,
j’ai dû y renoncer. Si on p rena it des m esures générales, je serais d isp osé à
payer 200 fr. par an » (268).
C ette peur du m endiant , cet te accusat ion de fainéan t ise , cet te vo lon té
de traquer le pauvre et d ’él im iner la m end icité, toutes ces réactions q u ’on
voit traduites par les réponses à l ’enquête revêtent à nos yeux beaucoup
d ’imp ortance ainsi que nous au rons l ’occa s ion de le m ontrer, com m e nou s
l ’avo ns d it déjà, au volum e 2. C ’est q u ’el les on t en effet, accrédité, au X IX e
siècle, l’opinion que la classe des ouvriers était alors la « classe dangereu
se». La confus ion pauvres et ouvriers paraît certaine, comme dans cet te
répon se du bourgm estre d e W evelgh em , Braban dere : « La p op ula tion
ouvrière étant très nombreuse, i l s’en suit qu’il y a un grand nombre de
pauvres » (269).
O n trouve* aussi cette o p inion que les men diants son t parfois plus
heureux que ceu x qui ne m end ient pas . « N ou s m anq uon s de tout , déclare
W aegebagh, t is serand à Au denarde , de vêtem ent com m e de couchage . La
(264) Id., n°3430.
(265) Id., n° 537.(266) Id., n° 5119.
(267) Id., n° 1682.
(268) Id., n° 2426.
(269) Id., annexe n° 23, p. 765, n° 15.
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classe mendiante es t dans une pos i t ion moins tr is te que nous , parce qu’on
la soutient; à n ou s, o n ne d on ne rien » (270). C e po int de vue est confirm é
par des t isserands de R ena ix qui déclarent : « Bea ucou p m end ient , m ais la
c lasse la p lus malheureuse es t ce lle qui ne m endie pas [ . . . ] • N o u s n ’avons
plus rien po ur no us vêtir ni p ou r n ou s cou che r » (271). U ne f ileuse de
Renaix, J . Ghenens , déclare de son côté que « les mendiants sont dans un
état moins malheureux que les personnes qui travail lent , les premiers
obt iennent de la bienfaisance publ ique plus qu’on en a en travai l
lant » (272).
« J ’en vo is qui pleure nt, qui d ésirent qu e cela f inisse d ’un e m anière o u de
l ’autre. »
Il se dégage des réponses à l ’enquête une autre impression particuliè
rem ent pé nible. C ’est la lassitude, l ’état de d épression da ns leque l se trouv e
les travail leurs. La f i leuse que nous venons de citer, J. Ghenens, ne peut
terminer l’interrogatoire. Les enq uêteurs no tent : « D es larm es son t venues
interrom pre cet interr og atoire » (273). Les ouv riers q ui pleu re nt sur leur
s i tuat ion est chose souvent évoquée dans l ’enquête .
A la question: «Y a-t- i l plus de misère qu’autrefois dans le bas
peup le?» , Herregodt s , de Grammont , répond: «B eaucoup p lus , on vo i t
des gens qui pleuren t au m arché; nou s av on s ici bea uc ou p de t isseran ds, ils
ne p eu ve nt avo ir l ’éto ffe à un prix raiso nn ab le » (274).
« Quel est le sort de votre population ouvrière? » demande-t-on aux
bourgm estre et échevins de W aersch oot . « Bea ucou p de ti sserands doivent
manger du pain sec , répondent- i l s ; ceux qui avaient un cochon n’ont plus
rien, généralement i ls prennent encore un peu de café, les f i leuses n’en ont
pas le m oy en ». Ils af firment m êm e que « la d épense dans les cabarets a
aussi c on sidé ra blem en t d im inué » (275). « La m isère ici, ajo uten t les éd iles
communaux, es t au comble sans exagérat ion. Le samedi mat in, on fai t la
distribution des aumônes; c’est un aspect vraiment déchirant; s i on refuse
deux l iards à un homme, i l p leurera; on a vu des hommes tomber de
faiblesse » (276).
«Le sort des t i sserands es t très malheureux expl ique Vanacker,
(270) Id., n° 5301.
(271) Id., n° 5520.
(272) Id., n° 5389.(273) Id., n° 5392.
(274) Id., n° 687.
(275) Id., n° 3010.
(276) Id., n° 3011.
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nég ocian t en to i le à W evelghem , extrêm em ent tr iste . J’en vois qui p leurent ,
qui d ésiren t q ue cela finisse d ’un e m anière ou de l ’autre » (277).
« Il y a des maisons où on ne trouve pas de lit, ce sont des feuilles
d’arbres.. . »
D e nom breuses répon ses fournissent des in form at ions sur la nourr i
ture et sur la « l iterie » des ouvriers tisserands et des fi leuses. « La nourri
ture de no s ou vriers , d i t V an M aldeg hem , fabricant de to i les à vo i le à
Belem, se com p ose de pain , de pom m es de terre , de la i t, de lard trois fo is
par semaine, quatre à cinq fois par an de la viande, mais la plus pet ite
viande » (278).
« R em arqu ez-vous que la m isère augmente? » dem and e-t-on à V an
D e Keere, n égo cian t en toi le à Lichtervelde. « La pauvr eté est tel lem en t
forte , répond- i l , que le couchage manque complètement . Je parcours le
pays, je trouve les f ileuses et les ti sserands au tour d ’un po t de pom m es de
terre sans beurre ni pain. U n c h ef de fam ille de C ortem arcq q ui ne
mendiait pas est resté huit jours sans pain; un fermier l ’ayant su lui en a
do nn é, m ais dès que le t isserand l ’a eu da ns les m ains, i l est tom bé faible et
est mo rt à la su i te . To ute l ’étend ue d e la m isère n ’est pas en core con nu e,
une quant i té de f i leuses et de t i sserands sont en train de vendre tout ce
qu ’il s po ssèd en t en m eubles et pet it s objets , c ’est l ’année p rochaine qu ’on
saura m ieu x la situ ation vér itable » (279).
G ust in , à E st inne s au M on t , déclare : « no s ta il leurs , quan d i l s reço i
vent leur semaine, l ’ont déjà dépensée à l ’avance; i l y a de la misère, mais
cela a tou jour s été com m e cela; les ouvriers tai lleurs n ’on t jam ais eu
d ’aisance, i ls m an gen t plus de pain de seigle que de pa in de from ent, des
pommes de terre , du fromage, très peu de beurre, du café avec de la
chicorée . La m oit ié n ’a pas de co uch age, toute la fam ille cou che en sem ble
sur la dure; i ls ont encore du l inge sur le corps mais des sabots pour
chaussure » (280).
« N o s pauvres se nou rrissent de se ig le et de po m m es de terre, déclare
Joseph Danhé, fermier à Jodoigne, i l s prennent beaucoup de café , un peu
de lard, presque tous ont un cochon, i l s font à leurs pommes de terre une
sauce au vinaigre et au beurre. Les ouvriers ont les uns un journal et les
(277) Id., n° 5952.
(278) Id., n° 6770.
(279) Id., n° 4367.
(280) Id., n° 4692.
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autres un demi-journal de terre qu’i ls payent très cher. Leur couchage
co ns iste en pa ille ou en éto u p es » (281).
« Il y a, dit Bru lois , fabricant d e lam és et de toi les à M oo rsled e, des
f i leuses et des t isserands qui ne gagnent pas assez pour avoir du l inge chez
eux . L eur nourriture est très pauvre; i ls on t des po m m es d e terre sans
beurre et souvent sans pain. Quand leurs objets de couchage sont usés , i ls
ne peuvent plus les renouveler. La mendicité augmente de jour en jour,
m ais ceux qui on t été occ up és au travail du f ilage et du t issage on t plus de
p eine qu e les au tres à se décider à m end ier, i ls on t plus d e m or alité » (282).
Parlant de ceux qui ne son t pas m endiants , V an de M ergel , cul tiva
teur à N ederbrakel , a ffirme que , pour cette clas se , « . . . la pom m e de terre
est sa nourriture principale; elle ne connaît ni le lard, ni le lait , ce sont des
pommes de terre sèches dont el le fait usage et el le n’en a pas toujours. Le
matin, el le a le café. I l y a des maisons où on ne trouve pas de l i t , ce sont
des feuilles d’arbres; on pratique, à côté du foyer, un puits où le soir toute
la fam ille se met. Là où il y a quelque l i terie, on m et une charge en étoup e,
c ’est dég oûtan t à voir . O n se chauffe avec le bois qu ’on ram asse ou qu ’on
vole. . . » (283).
L ’enqu ête n ’étai t pas , com m e le sera celle de 18 43 , d est inée à con na î
tre le sort des enfants . Cependant, on y découvre l’une ou l’autre al lusion.
A insi V an M aldeg hem , fabricant de toi les à vo i le à Belem , s ignale que « les
t isserands ne font pas apprendre à l ire à leurs enfants , mais nous ne
remarquons pas, ajoute-t-il , qu’ils soient plus méchants » (284). A des tisse
rands de R ena ix on dem an de : « que faites-vo us de vo s enfants? » I ls
rép on de nt : « no s en fan ts n ’on t pas de trav ail. Ils n ’on t qu ’à courir pou r
cher che r d es p om m es de terre » (285).
(281) Id., n°4986.(282) Id., n° 6236.
(283) Id., n°2422.
(284) Id., n° 6771.
(285) Id., n° 6608.
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Chapitre 6
Un témoignage essentiel: l’enquête de 1843
sur la condition ouvrière
C ’est le pro blèm e de légiférer ou no n sur le travail des enfan ts qui
am ena N o th o m b , m inistre de l ’Intérieur à entreprendre une enquê te sur
«la condit ion des c lasses ouvrières et sur le travai l des enfants» . Une
commission, dont Ducpét iaux fut la chevi l le ouvrière , dépoui l la les docu
ments reçus et publia en trois volumes les résultats de cet important tra
vail (286).
Il fau t rem arquer qu e les ouvriers eu x-m êm es n e furent pas interrogés
au cours d e cette enquête. C e so n t les chefs d ’entreprise, les cham bres de
commerce et des manufactures , les ingénieurs des mines a insi que les
com m ission s m édicales , les sociétés de m édecine et les consei ls de salubrité
qui furent sol l icités de donner leur avis. Les commissaires chargés de
constater la condit ion des jeunes ouvriers dans les provinces avaient reçu
com m e instruction d e s ’attacher « à vérif ier l ’exa ctitud e des re nseign e
ments transmis à l ’administration supérieure par les chefs d’ industrie, les
cham bres de comm erce et les com m ission s et sociétés m éd icales» . Ils
devaient compléter ces renseignements « de manière à présenter le tableau
de la condit ion physique, morale et intel lectuel le des jeunes ouvriers dans
les d istricts qui leur auron t été re spectivem ent assignés ». O n p eut d o nc
dire que l ’enqu ête de 18 43 vo i t la con dit ion ouvrière com m e el le est perçue
par la bourgeoisie. Si la çhose est regrettable, el le a par contre l ’avantage
de perm ettre de co nclure que le tableau n ’a pa s été noirci et rend par
(286) A.R. du 7 septembre 1843. Les volumes furent publiés : le deuxième et le troisième en 1
(contenant notamment l’avis de la commission) le premier en 1848 seulement sous le titre « Enquête sur la
condition des classes ouvrières et sur le travail des enfants », Imprimerie Lesigne, Bruxelles, 352, 666 et
672 pages.
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con séqu ent les infor m ation s fourn ies exem ptes d ’exa géra tion (287).
Un témoin aussi peu suspect de cri t ique vis-à-vis des charbonnages
que le docteu r Sch œ nfeld (288) écrira à prop os de l ’enq uête de 18 43 que
« les doc um en ts relat ifs au x hou illeurs p ubliés il y a env iron on ze à
dix- sept ans ( . . . ) sem blent écr its avec exagération e t cependant il s sont
ex ac ts p ou r l ’ép oq u e à laq ue lle ils se r ap po rtent » (289).
Il fa lla i t év idem m ent cho i s ir dans ce t te m asse de docum ents . C om m e
no us l ’avon s déjà di t , nous tenteron s, sur certains po ints com m e l ’a l im en
tat ion , le loge m ent , etc ., de d onn er une vue d ’ensem ble en évi tant soign eu
sement de ne retenir que les cas extrêmes, ce qui fausserait la vue de la
situ at ion réelle (290).
1. The belgian way of life
Le menu de l’ouvrier
Pour l ’a l imentat ion, i l est intéressant de donner une idée se lon les
différentes régions du pays. Les manières de se nourrir peuvent en effet
varier selon les coutumes ou les productions particulières de l ’endroit; de
m êm e, i l faut tenir com pte d es degrés très différents d’indu strial isat ion.
C ’est po urq uo i no us avon s ch ois i de parcourir les d i fférentes prov inces du
pays , en commençant par l es Flandres .
(287) 614 chefs d’entreprises ont adressé une réponse (après élimination des inutilisables) : Anvers :
49, Brabant: 101, Flandre occidentale: 20, Flandre orientale: 61, Hainaut: 156, Liège: 168, Limbourg:
4, Luxembourg: 13, Namur: 42.
14 chambres de commerce répondirent à l’enquête: Bruxelles, Louvain, Gand, Saint-Nicolas,
Alost, Termonde, Mons, Charleroi, Toumay, Liège, Namur, Anvers, Ypres, Courtray.
La commission reçut des rapports des ingénieurs en chef des mines du Hainaut, de Liège et de
Namur-Luxembourg. En plus, des rapports des ingénieurs des mines furent remis pour Mons, Charleroi,
Liège et Limbourg (rive gauche de la meuse) ainsi que pour le sixième e t ie septième districts (Liège).
Ce sont les réponses des corps médicaux qui constituent incontestablement la partie la plus
intéressante de l’enquête. Ils furent nombreux à répondre : L’Académie royale de médecine de Belgique, la
Commission médicale du Brabant, le Conseil central de salubrité publique de Bruxelles, la Commission
médicale du Hainaut, le Conseil de salubrité publique de Liège, la Commission médicale de Namur, la
Commission médicale d’Anvers, la Société de médecine d’Anvers, la Commission médicale de Malines, les
médecins des hospices de Malines, la Commission médicale locale de Lierre, la Commission médicale de la
Flandre occidentale, la Société de médecine de Gand, la Commission médicale de la province de Liège, la
Commission médicale de Bruxelles. A ces rapports vinrent s’ajouter des lettres de médecins, telle celle du
docteur Schoenfeld de Charleroi ou le mémoire du docteur Peetermans de Liège, etc...
(288) On aura l’occasion d’apprécier sa position plus loin.
(289) p. 271 du Mémoire que nous analysons plus loin.(290) Pour la facilité de la composition, les références à l’enquête ont été placées entre parenthèses
directement dans le texte. Ceci évite un trop grand nombre de notes en bas de page. Le chiffre romain
renvoie au volume, le chiffre arabe à la page du volume où se trouve l’information. Certains renseigne
ments complémentaires ayant été ajoutés, ils sont l’objet de références en bas de page.
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Flandre orientale
A la qu estion relative au régim e alime ntaire, les C ham bres de co m
m erce de cet te province on t des réponses presque s téréotypées . « D u p ain,
des pom m es d e terre, le café et l ’eau » répon d cel le de Sa int N ico las (II, 4 9 ) .
« D u p ain, d es pom m es de terre, en majeure partie du lait, des légum es et
qu elqu efois de la viand e le dim an che » répète en éc ho cel le d ’A lost (II, 56 ) .
T erm on d e con firm e : « . . . l’ouv rier vit de pa in, de po m m es de terre et de
lard; sa boisson habituelle est du café fort léger; les plus pauvres sont
même privés de lard; quand à la femme et aux enfants , i ls ne vivent que de
tartines, de café et de p om m es de terre au vinaigre; il est rare que la fam ille
mange une soupe ou des légumes » (II , 66 ). Les m em bres de cette dernière
cham bre n e d isent pas autre cho se; Verm eire répon d que « le régim e
alimentaire habituel de l’ouvrier est sain: i l consiste principalement en
café, lait beurre, pain de seigle et de froment (ce dernier en petite quantité)
et p om m es de terre. La viand e n ’y entre que lquefois que p our une part bien
minime, le salaire peu élevé ne lui permettant pas d’en faire un usage
fréquent (II, 85); D ’H ol lande r a la m êm e énum érat ion : « des pom m es de
terre, du pain noir et de la soupe au lait» (II , 94); le régime signalé par
V an de n Steen est un peu p lus substantiel :« Le m atin, il déjeune ordina ire
m ent avec des tartines et du café; à m idi , i l m ange des p om m es de terre, du
riz , de la soup e, de tem ps en tem ps un peu de viand e, du lard et du po isson
sec; i l boit quelquefois un petit verre de l iqueur spiritueuse le matin et un
verre de bière le soir, quand i l mange ses pommes de terre, mais surtout le
dimanche» ( I I , 99) . Pour la rég ion de Gand, Mareska e t Heyman ont
long uem ent ex pl iqué quel étai t le m ode de nourri ture des ouvriers :
« Ils se rendent à jeun à leur travail; à huit heures, ils déjeunent avec des
tartines.
« Le dîner consiste en une soupe au lait battu ou en un potage maigre, qui est
ordinairement préparé aux poireaux et aux pommes de terre, et en pommes de
terre assaisonnées d’une sauce au vinaigre ou mêlées à des légumes communs, tels
que choux, carottes, oignons, etc. Ils terminent le repas par une ou deux tartines.
« Pendant la récréation de l ’après-midi, ils prennent un repas analogue à
celui du matin.
« Le soir, en entrant chez eux, ils mangent encore des pommes de terre et un
morceau de pain.
« La boisson ordinaire de l ’ouvrier est une infusion faible de café à la
chicorée, coupée d’un peu de lait. Le matin, en se rendant à la fabrique, il apporte
avec lui, dans une petite marmite, la mesure de sa boisson pour la matinée; en
rentrant à une heure, il apporte également la boisson destinée aux besoins de
l’après-dinée. Il la réchauffe le plus souvent sur la chaudière de la machine à
vapeur.« Tel est l ’ordinaire de nos ouvriers. Il subit des variations en plus ou en
moins d’après leurs ressources. Le plus grand nombre y ajoutent de la viande et de
la bière une ou deux fois la semaine. Les jours maigres ils mangent des moules ou
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du poisson sec (stockvisch). Ils consomment autant de pain de froment que de pain
de seigle. Les plus malheureux trouvent moyen de réduire encore ce modeste
régime en se servant exclusivement de pain de seigle et en ne buvant que de l ’eau.
« Les ouvriers les plus aisés, ceux qui trouvent, soit dans la nature de leur
travail, soit dans l’absence de famille, ou dans la coopération de leurs enfants, des
ressources plus grandes, se nourrissent d’une manière plus convenable, pour autant
qu’ils n’aient point d’habitudes d’intempérance. Ils mangent de la viande quatre
fois par semaine et ils assaisonnent leur dîner d’un verre de bière » (III, 378).
Flandre occidentale
On imagine que la s i tuat ion n’est pas mei l leure en Flandre occi
dentale . La Chambre de commerce d’Ypres s ignale même le se l ce qui
indique peut-être q ue so n én um érat ion est exhau st ive : « du café , du pain,
des po m m es d e terre et du sel » (II, 2 1 2 ) et cel le de C ourtrai signa le que « la
nourriture de la c lasse ouvrière se com po se de pain, de po m m es de terre et
de soupe au lait battu, a l im ent sain, m ais que m alheureusem ent la plupart
de n os ouvriers ne peu vent pas toujours se procurer à défaut d ’occup at ion
ou d ’un salaire suff isant » (II, 21 8 ). O n appréciera la dé po sit ion de la
C om m ission m édicale de cette p rov ince: «L a nourriture de la c lasse
ouvrière de la campagne se compose de pain de seigle et de pommes de
terre, qu elqu efois de pa in de from ent; les nav ets , les carottes , les ch ou x, les
haricots , les p ois verts v ienne nt que lquefois interrompre la m on oto nie de
leur régim e. C ette al im entat ion, presque exclus ivem ent végétale es t cepen
dant de temps en temps variée par le lait , les œufs , la viande de porc, et
rarement par la viande de bœuf ou de veau; au surplus , la nourri ture de
l ’ouvrier dépend de la prospérité de-son industrie (III , 305).
Quelques années après la date de la réponse que nous venons de
reproduire, la crise al imentaire va mettre à Pavant-plan ces navets , qui ,
se lon la com m iss ion m édica le, rom paient la m on oton ie a limenta ire des
ouv riers des F landres; « les nav ets rem placère nt le pa in de se igle et les
p om m es de terre » dit Jac qu em yns (291) qui a glané dan s la presse des
années 1 8 4 6 -1 8 4 7 des données qui lui on t perm is de tracer le tableau
suivant :
« D es m ill iers d ’individus ne m ang èrent d ’autre plat chau d q u ’une
soupe préparée avec de la verdure de navets , du colza et un peu de farine;
les plus malheureux arrachaient les fanes des pommes de terre et les
la issaient boui l l ir sans aucun assaisonnement .
« D ’autres at tendaient plusieurs heures aux m archés aux p oisson s ,
pour pouvoir enlever les peaux, les têtes et les entrail les de poisson que les
(291) Jacquemyns, o.c., p. 385.
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O n n e m a n q u e r a p a s , d e v a n t l a d e s c r i p t i o n d e l a m i s è r e o u v r i è r e a u
1 9 e s i è c l e , d ' e n t e n d r e d e b o n s a p ô t r e s d e l ' h a r m o n i e s o c i a l e p r é t e n d r e q u e
l e p r o g r è s é c o n o m i q u e , q u i n e f a i t q u e s ' a m o r c e r a l o r s , n e p e u t e n c o r e
a s s u r e r u n e s u b s i s t a n c e c o n v e n a b l e . C ' e s t t o u t e l a p o p u l a t i o n —
e t n o n
s e u l e m e n t l ' o u v r i e r — q u i e n e s t r é d u i t à u n n i v e a u d e v i e q u i n e p e u t s e
c o m p a r e r a v e c c e l u i q u e c o n n a î t l e 2 0 e s i è c l e .
N o u s n e c o n n a i s s o n s p a s p o u r n o t r e p a y s u n o u v r a g e c o m m e c e l u i
q u ' a é c r i t J e a n - P a u l A r o n s u r « L e m a n g e u r d u X I X e s i è c l e » e t q u i c o n s t i
t u e r l u i s e u l u n e r é p o n s e s u f f i s a n t e à c e t t e o b j e c t i o n . N o u s n o u s b o r n o n s ,
c o m m e « c o m m e n c e m e n t d e p r e u v e » à r e p r o d u i r e q u e l q u e s « M e n u s »
b o u r g e o i s d e l a m o i t i é d u 1 9 e s i è c l e . I l s s o n t a s s e z é l o q u e n t s p o u r s e p a s s e r
d e c o m m e n t a i r e s .
U n c o n t r a s t e s e m b l a b l e p o u r r a i t ê t r e é t a b l i p o u r l ' h a b i t a t , l e v ê t e
m e n t . . .
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nettoyeuses jetaient auparavant comme fumier. Ces restes étaient cuits
avec de la verdure de navets , des fanes de pom m es de terre ou des racines
sauvages . Un jour, à N ederb rak el , on se disputa au débit de la ch air d ’un
chien. C elle-ci fut vend ue à raison de 6 c entim es la livre. Plus de tro is cents
malheureux ne purent être servis . I l arriva qu’on déterra des chevaux
abattus pou r cause de m orve, et des best iaux m orts d ’ép izoot ie .
« Un jour, après un incend ie à T hielt , les pauvres des env irons,
accourus sur les l ieu x, dévorèrent quatorze a nim aux qui ven aient d ’être
brûlés vifs.
« Les plus pauv res ram assaient dan s la rue les épluchures de p om m es
de terre. Pour toute vian de b eauco up m ang eaient des chats , des rats et des
chiens. » (292)
Rappelons, une fois encore, que les Flandres sont, dans les années
décrites par Jacquemyns, vict imes de véritables catastrophes agricoles , et
q u ’il est bo n d e retenir essentiel lem ent les don né es de l’enq uête de 18 43
qui se s itue avant ces événements. De plus, cette démarche permettra de
comparer avec l’al imentation des ouvriers dans des provinces déjà plus
avancées dans l’ industrial isation, Liège et le Hainaut par exemple.
Liège
Si l ’on en croit la Chambre de Commerce, le menu ouvrier n’est
guère différent, c ’est « le pa in et la p om m e de terre, un peu de graisse
commune et du sel , rarement de la viande. Le café est devenu leur besoin
indispen sable >\ (II, 17 5). Le docteu r P eeterma ns, gén éralem ent op tim iste
dans son rapport, est ime que « l’ouvrier se nourrit bien, [ . . . ] i l est conve
na blem en t vêtu et [. . .] il cherche à se loge r le m ieux p ossib le » (III, 1 39 ).
Son confrèr e, le do cteu r Fo ssion , l’est m oin s : « La nourriture de l ’ouv rier,
dans notre province , s e compose presque exc lus ivement de pommes de
terre et de pain. L e pain do nt i l fait usage est assez b on; c’est du pain m oit ié
froment, moit ié seigle. La viande n’entre qu’accessoirement dans l’al imen
tation de l’ouvrier; elle se vend à des prix trop élevés qui la lui rendent
inaccessible. I l faut qu e l ’ouvrier soit assez à l ’aise po ur q ue lê dim an che ou
deux fois par semaine, i l se procure cet al iment savoureux et restaurant;
encore est- i l poussé fatalement à ne faire usage que des viandes les plus
m alsain es, telle que la charcu terie (III, 86 ) [. . .] la boisson habituelle de
l ’ouvrier est le café (87) [ . . . ] i l ne fait usage de bière qu’exceptionnelle-
ment (87) .
La Commiss ion médicale de la province es t plus nuancée et s ignale
(292) Jacquemyns, o.c., pp. 335, 336.
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d ’abord q uatre ca tégor ies d ’ouvriers qui « vivent de pain no ir ou de pain
bis , de p om m es d e terre le plus sou ve nt gril lées et de café » (III, 5 7 3 ). C e
son t : « les ouv riers chargés d ’une fam ille nom breu se, m ais don t les enfants
ne sont pas encore parvenus à cet âge où i l s peuvent apporter leur quote-
part à la com m un au té » et ceci , « qu el que so it le salaire de ces ou vriers » ;
« ceux qui, par paresse, par incurie ou par défaut d’intel l igence ou par un
état valétudinaire , n ’acquièrent que peu d ’apt itude ou m an qu ent d ’act ivi té
dans la profess ion qu’ i l s exercent;
« ceu x qui, m algré tou te l ’intel ligenc e, to ute l ’activité et la m eilleure
vo lon té po ss ible dép ensent leurs forces et exp osen t leur vie dan s l ’exercice
d’une profession peu lucrative et souvent meurtrière, sans en retirer qu’un
salaire ingrat et insuffisant;
« ceux enf in qui s ’ado nnen t à une profess ion sujette au chôm age par
les p lus légères co m m ot ion s» .
A côté de ces quatre catégories, le docteur F oss ion en dis tingue d eux
autres d on t l ’a l im entat ion est un peu m ei lleure :
« C eux qui ne se trouven t pas tou t à fai t dans ces con dit ions d ésavan
tageuses , qui ont une femme bonne ménagère, ou qui sont cél ibataires ,
peu vent y ajouter quelque fois de la viande de porc, un p o t au feu au repas
du soir, un peu de bière et des l iqueurs spiritueuses.
« Les m aîtres ouvriers des fab riques, des ex p loitation s m inières ou
des établissem en ts m étallurgiqu es; les bo ns ouvriers de ces derniers étab lis
sements mangent du pain de froment bluté , de la viande de porc et de
boucherie, des légumes bien assaisonnés, boivent de la bière, des l iqueurs
spiri tueuses , et même quelquefois du vin» (III , 573 et 574) .
Hainaut
Autre province où l’ industrie s’est implantée, le Hainaut parait
fournir une im age assez sem blable au po int de vue al im entaire : les pr ivi lé
giés on t un régim e plus favorable . C ’est a ins i que la C ham bre de comm erce de M o n s con state que « la classe ouvrière de notre ressort se nourrit
hab ituel lem ent de pa in de m éteil , de p om m es de terre, d ’un peu d e lard, de
café et de bière. Les charbon niers , quan d la hau teur des salaires le perm et,
ont généralement un régime plus substant ie l ; i l s mangent assez fréquem
ment de la v iande de boucher ie , ne consomment guère que du pain de
from ent et bo iven t bea uco up de bière » (II, 111 ). La Cham bre d e Charleroi
est moins précise: « les ouvriers , en général , se nourrissent de pain de
froment , de café au lai t et de pommes de terre. Le dimanche, i l s mangent
de la viand e ou prenn ent du bou i llon » (II, 13 0) . S elon celle de To urn ai , les
ouv riers en bo uc he rie : « du pain , des légu m es, rarem ent de la vian de » (II,
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14 2) , les ouvriers des tann eries et des corroyeries paraissent à première vue
des privi légiés, « i ls o n t de la v iand e prove na nt des pea ux de la tannerie »
(II, 146) , mais on reste sceptique sur la qualité; les ouvriers de f i lerie et
rubaner ie m angen t « le pa in , l e s pom m es de t erre , que lquefo i s de là soupe ,
et très rarem ent de la vian de » (II, 149 ); d an s les diverses ind ustries d ’A th :
« le pa in de from ent , la sou pe au x légum es, les po m m es de terre , le café , la
bière. Les uns o n t de la v iande de b œ u f trois fo is la sem aine, d ’autres deux
fois, d ’autres une fois et i l en es t qui n ’en o n t pas du tou t » (III, 15 6); dan s
la fabrication du ch oc o lat : « La viand e et les légum es au repas principal; la
sou pe le m at in et le so ir ( II, 16 1); les carriers de Basècles et Q uev au cam ps :
« Sou pes, so i t au la i t, so i t aux herbes, pain , beurre, from age, po m m es de
terre, ca fé» (II, 16 2); fabricat ion de p orc elaine: «L a viand e au dîner, les
légumes le so ir» ( II , 164) .
Le docteu r Scho enfeld , de C harleroi, s ignale de son cô té que l ’ouvrier
houi l leur se nourri t principalement de pain , de café (ce l iquide prédomine
dans son al im entat ion) et de po m m es de terre; le so ir , après sa journée, i l
mange la soupe aux l égumes; i l ne mange de la v iande e t du boui l lon
qu’une fo i s par semaine , l e d imanche; beaucoup s ’en passent , surtout à
présent que les bénéf ices des journées sont très bornés» (III , 28) .
T o u t es l es d ép o s i ti o n s v o n t d a n s le m êm e sens . Ce lle d e la C o m m i s
s ion m édica le du H ainau t peut ê tre cons idérée com m e en fa isant la synthè
se :
« La n ourriture de la c lasse ouvrière du H ainau t co nsiste généra le
ment en soupe, pommes de terre et pain de se ig le pour un t iers environ de
cette classe, de métei l pour un autre t iers, et de froment pour le troisième
t iers. Un t iers à peu près ne mange que très rarement de la viande, et les
deux autres t iers en font usage une fo is ou deux par semaine.
« Sa boisso n se com po se d ’eau o u t isane, de pet i t café à la chicorée ,
pur o u au la it . La trois ièm e part ie seu lem ent bo i t journe l lem ent de la bière;
m ais n on les fem m es et les enfa nts » (III, 4) .
An v ers
La Cham bre de C om m erce d ’A nvers n uance sa réponse : « A A nvers ,
les ouvriers re çoiven t en général un salaire assez élevé p ou r se procurer un e
nou rriture sa t isfaisante. So us ce rappo rt , la p osit ion des ouvriers mariés est
plus ou m oin s aisée, suivan t le no m bre de leurs enfants et l ’état de leur
santé; suivant que leur fem m e est éco no m e o u dépen sière , et qu ’el le exerce
el le-m êm e un m ét ier ou t ienne u ne pet i te b out ique. Les ouvriers raf fineurs
ont toujours reçu un bon salaire. La plupart se nourrissent de viande, au
m oins trois ou quatre fo is la semaine; p lusieurs en m angent m êm e à leur
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déjeuner; le reste de leur nourriture se com p ose de pain, de po m m es de
terre, d ’œ ufs et de po isson » . . . D ans q uelques vi lles de prov ince, le salaire
est très m inime ; les ouv riers n ’y m an gen t de la viand e que très rarement; ils
se nourrissent presque exclus ivement de pommes de terre qu’ i l s ont cult ivées eux-mêmes , et de pain qu’ i l s achètent chez leur chef» (II , 200) .
Le médec in du bureau de b ienfa i sance de Tu m ho ut conf irm e ces
dernières cons idé rat ions: a l im entat ion v égétale , sau f les im prim eurs,
mieux payés et qui mangent un peu de viande (III , 291) . La Commiss ion
m édicale d ’A nvers d it la m êm e ch ose lor squ ’el le parle du t isserand en
couti ls de la vi l le de Turnhout; i l se nourrit « exclusivement de pain et de
pommes de terre; le café est sa boisson la plus ordinaire; i l ne mange
jam ais de v ian de n i de b o u illo n ; le salaire que son travail assidu lu i
procure, ne lui permet pas cette dépense» (III , 191); presque tous, par
ail leurs, sont des ouvriers à domicile.
La Société de m édecine d ’An vers do nn e un avis qui ne d iverge pas :
« La nourriture ha bituelle de la classe ouv rière con siste g énéra lem ent en
pain de seigle et en pommes de terre, et la boisson ordinaire est une
infusion de café mêlé de chicorée. Parfois on ajoute à cette nourriture du
lait battu, que lques légum es tels que na vets , carottes , har icots et p o is secs .
D an s le plus grand nom bre des com m un es rurales de notre pro vince, il es t
très rare que les ouvriers journaliers mangent de la viande et du poisson.
Dans les vi l les , au contraire, les ouvriers même peu aisés , peuvent encore
assez faci lemen t se procurer une nourriture animale , te lle que p ou m on s,
tr ipes , fo ie de bœuf , mamel les de vache, boudins de sang de porc, moules ,
rogn ures de sto kv isch , de m oru e, etc. . . » (III, 2 3 0 ).
Comme i l s ’agi t d’une enquête d’opinion, on ne s ’étonnera pas de
voir les m édecins de M aline s dire de la s ituation dan s cette vi lle, les uns
q u ’el le est con ven ab le, les autres q u ’el le est déplorable. C ’est la C om m is
sion m édicale loca le qui pe nch e pou r l’op tim ism e : « le régime al imen taire
de n os ouvriers es t généralemen t assez conv enab le; les po m m es de terre et
le pain form ent la base de la nourriture; la b oisso n presque ex clu sive est le
café. Ce régim e ne sub it que de rares m od if ication s à l ’ép oq ue o ù les
légumes abondent et dans la saison des moules . L’usage de la viande, cel le
de porc exceptée es t relat ivement peu fréquent» (III , 271) . Les médecins
des h osp ices de M aline s son t m oins satisfaits et déclarent q u ’ « un nom bre
plus ou moins considérable d’ouvriers sont mal nourris , mal vêtus et en
m êm e tem ps m al logés » (III, 27 8) .
Brabant
M êm e si les app réciations de la s ituation varient, celle-ci semb le se
reproduire pa rtou t avec une s im ilitud e qu i f init par lasser : pa in, pom m es
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de terre, café; très p eu d e vian de . C ’est ce que con state, à Lou va in, la
Ch am bre de co m m erce : « les pom m es de terre, le pain de seigle, une fois
par se m aine d e la vian de , l ’été d u b eurre et, en hiver, du lard fon d u » (II,
3 6 ) .
Bruxel les ne d étonn e pas d ans cet te « harm onie » . O n p eut dire qu ’en
génér al , déclare le con sei l de salubrité pub liqu e de la vi lle, « leur régim e
al im entaire es t m auv ais et peu réparateur; le plus souven t , i l se com po se de
pain d e seigle pur o u de seigle m êlé à des pro port ions plus ou m oins fortes
de from ent ou de seigle et de fécule de po m m es de terre, de légu m es parmi
lesque ls f igurent au prem ier rang les p om m es de terre, pu is les caro ttes , les
haricots , les navets , etc . C es légum es son t presque toujours m al préparés,
assaisonnés avec de mauvaises graisses et avec des condiments avariés ,
achetés à bon marché . Enf in , une infus ion ou décoct ion de café ou de
chicorée de qualité inférieure est le nectar qu’i ls savourent avec le plus de
dél ices , et qui leur fai t oub l ier , du m oins po ur le m om ent , les privat ions et
les peines de leur précaire existence » (II, 64 7 ) . A près ces p rofon de s co n s i
dérations sur l’art de noyer sa peine dans la chicorée, le Conseil croit
pouvoir af f irmer que l ’ouvrier de la vi l le jouit de moins de bien-être que
celui de la cam pa gn e. « L’ouv rier des vi l les , avec d es salaires plu s forts , est
m oins heureux et a m oins de bien-être que celui de la cam pagn e; quels que
soient les avan tages que présentent les v il les p opu leuses en ce q ui regarde
la faci l i té de se procurer les al iments les plus substantiels , la viande et le
poisson, la c lasse ouvrière ne peut guère en jouir parce que ces al iments ,
par leur prix élevé , so nt inab ord ab les pou r el le. . . » (II, 64 8 ).
U n avis contraire es t fourni par la C om m iss ion m édicale du Brabant
pour laquelle « les ouvriers de la province sont généralement mal nourris;
i ls ne m an gen t guère qu e des pom m es de terre cuites à l ’eau; rarem ent ils y
mettent de la graisse, du beurre ou du lard. Le pain dont i ls font usage est
sou ven t un m élange de farine de seigle et de from ent , qu elque fois de seigle
uniquement , ou de farine de féverole; une légère infus ion de café avec du
la i t es t leur boisson favori te . I l s sont presque constamment privés de
substances nutri t ives animales» (II , 383) .
La C om m iss ion m édica le loca le de Bruxelles conf irm e que l es m enus
ouvriers so nt co nfo rm es à la règle généra le : m atin et quatre heu res, légère
infu sion de ca fé à la ch icorée , un peu d e lait , tartines; m idi et soir : sou pe
aux pom m es de terre , aux poireaux, aux ch oux , e tc., pom m es de terre au
vinaigre ou mélangées à des choux, carottes , navets , o ignons ou fèves .
Parfois , en plus , une tart ine avec du fromage. A propos de la viande, la
C om m iss ion ins is te sur la piètre qual i té des m orceau x qui écho ient parfois
au x ou vriers : « La plupart des ouvriers m ang ent de la viand e le dim an che
et le lundi, mais , trop souvent, au l ieu de l’acheter à la boucherie, i ls la
prennent chez le charcutier; cette viande, fort salée, fumée, et quelquefois
gâtée, est malsaine. S’ils l’achètent à la boucherie, l’ insuffisance de leurs
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ressources ne leur perm et pa s de fa ire un ch oix conven able; i ls do iven t se
contenter des os , des tendons, des aponévroses , des muscles p lats , en un
m ot de tou tes les part ies les m oins est im ées et qui ne con t ienn ent que peu
de principe s f ibrineux, si nécessaires à la reform ation des t issus » (III, 62 2 ) .
En ce qui conce rne le pa in, la C om m ission fait rem arquer que « la f leur que
le bou lange r a soin d ’extraire de la farine n ’entre jam ais dans la co nfec t ion
des pains dits de m énage; il l ’em ploie de préférence à la fabrication du pain
de grua u, d es co u qu es, des gâ tea u x, des tartes, etc. » (III, 62 3 ). . . « q u el
qu efois m êm e, pour au gm enter le volum e et le p oid s , on ajoute à la farine
des substances non al imentaires tels que le sulfate de chaux (plâtre) , le
car bo na te de cha ux (craie) » (III, 6 2 4) .
N a m u r - L u x e m b o u r g
On trouve moins d’ informat ions sur ces provinces , mais la Chambre
de commerce de Namur nous apprend pourtant que « le rég ime a l imen
taire de l ’ouv rier se réduit à du pa in, des po m m es de terre, du café,
qu elquefois de la bière , rarem ent un peu de v iande et sou ven t du genièvre
ou de l’eau-de-vie» (II, 190) .
D an s le Lu xem bou rg, vers la m oit ié du X IX e s ièc le , les ouvriers
étaient égalem ent m al nourris : « le pain étai t une m ixture sous forme de
gaufres, d e po m m es d e terre et de seigle; les sénés serva ient à faire de la
choucroute; une soupe à base d’eau de poireaux et de pommes de terre
addit ionnée de pain remplaçai t le premier déjeuner du mat in . Le pain se
m an gea it sec et l ’orge su pp léait au café. La viand e ne faisait que très
rar em en t a pp ar ition sur la t ab le » (293).
Il n ’est évidem m ent pas p os sible de traduire en stat istique la situation
al imenta ire dont nous avons t enté de donner une idée . Mareska e t Hey-
man, de Gand, ont s ignalé que sur 1000 ouvr iers , 187 ne mangeaient
jam ais de v ian d e o u à des in tervalles très é lo ign és, 2 8 5 en m a n geaien t une
fois par semaine, 377, deux fois et 221, quatre fois(294) . Par ai l leurs,
Q uete let a é tab l i la con som m at ion m oyenne de v iande , par personne , pour
1 8 4 5 - 1 8 4 6 , d e l a m a n i ère su i v a n t e : a u Ro y a u m e- Un i : 2 7 k g s 5 4 6 , en
Suède: 20 kgs 200 , en France: 20 kgs , aux Pays-Bas: 18 kgs 250 , en
Prusse: 16 kgs 923 , en Be lg ique: 7 kgs .
Plus important que les quelques chi f fres qu’on pourrai t rassembler
est , croyons-nous, le fait qu’à la presque unanimité, les interrogés, tous
(293) E. Vliebcrgh et R. Ulens, L'Antenne, sa population agricole au X IX e siècle, p. 130.(294) III, 379. On remarquera que le total donne 1070 et non 1000.
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appartenant à la c lasse b ourg eoise , disent que les ouvriers viven t de p om
m es de terre, de pain do nt la qualité est souv ent m ise en do ute et de café :
unanimité également pour constater que la viande f igure rarement au
m enu ouv rier (295). D e p lus, la qu alité de la vian de q ua nd celle-ci est
consommée par l es ouvr iers , es t souvent mise en doute par l es observa
teurs (296).
M areska et H eym an on t résumé la s ituat ion al im entaire de l ’ouvrier
du d ébu t des années 4 0 d ’une m anière qui peu t servir de synthèse du sujet;
non seulement disent- i ls , les substances dont se nourrit l ’ouvrier « lui sont
pesées d’une main avare, mais el les pèchent encore le plus souvent par la
qualité. La viande surtout est du plus mauvais choix. Les chairs fortement color ées et riches en o sm azô m e (297) étant au -dessus de ses m oy en s, il do it
se conten ter des os , des ten do ns, des ap on évro ses (298), des m uscles plats et
en général de toutes les parties de l’animal les moins est imées, et qui
appart iennent plutôt aux al iments gélat ineux et a lbumineux qu’aux al i
m ents f ibrineux ».
Si no us exa m inon s m aintenan t ces diverses substances sous le po int
de vue de leur com po sit ion é lém entaire , disent encore M areska et H eym an, nous trouvons :
« 1° que les al iments féculeux forment la base de la nourriture des
ouvriers (pommes de terre, pain);
2 ° que les substances gélatineuses et albumineuses (os , aponévroses ,
moules) ne concourent à leur al imentat ion qu’en pet i tes quant i tés ;
3° que les m at ières véri tablem ent f ibrineuses n’entrent qu ’excep t ion -
nel lem ent dans la co m po sition de leur régim e» (III, 37 9) .
La prom otion imm obilière : bidonvil les et « cloaques im m on
des»
Bien avan t que so i t entreprise l ’enq uête de 18 43 , on avait fa i t remar
quer cette « relégation » dan s les quartiers m argina ux, de la po pu lation
laborieuse groupée dans les vi l les; séparation entre gens aisés et gens
pauvres que Buret avait soul ignée à propos de l ’Angleterre. A propos de
Sun derland, p ar exem ple, B uret disait : « la vi lle est divisée en de ux parties ,
(295) Le lecteur végétarien voudra bien reconnaître que le fait de ne pas manger de viande au XIXesiècle prend un autre sens qu’à l’heure actuelle.
(296) Nous avons vu qu’il en était souvent de même pour d’autres aliments. Le café est souventpréparé avec des fèves avariées constate la Commission médicale d’Anvers (III, 216).
(297) Substance nutritive, base du bouillon (Petit Larousse).
(298) Membrane blanche résistante qui enveloppe les muscles et sert à les fixer aux os (PetitLarousse).
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l ’une haute, l ’autre basse, la première occupée par les habitants aisés , la
sec on de pa r la p op u lation de s ou vriers » (299).
Dès 1828, le docteur Courtois notai t qu’à Liège, dans la part ie centrale d e la ville, « les rues so n t en génér al fort étr oites, i l y en a
bea uco up , surtout dans la vi lle basse et dans le quart ier d ’O utre-M euse o ù
le solei l ne pénètre presque jamais , où l’air ne circule pas, ou forme des
courans violens et les eaux croupissantes y exhalent en été une odeur
infecte. Aussi , dans ces ruelles populeuses, habitées par la dernière classe,
la plupart des individus sont pâles , bouffis , scrofuleux et rachit iques. La
puberté y est tardive et la leucorrhée très commune. La disposit ion inté
rieure n ’est pa s plus favo rab le que l ’extérieure : un e fou le d ’individu s de
tout âge, de tout sexe sont souvent rassemblés dans des pet i tes chambres
obscu res. O n se ferait diff icilem en t une idée de la m isère et de la m al
propreté qui règne dans ces galetas; et cette dernière ajoute encore aux
cau ses de m ala die s » (30°).
Situation sem blab le à V erviers: « C e que j’ai dit de la classe infé
rieure de la ville de Liège, écrit le m êm e, peu t s’ap pliquer ju squ ’à un certain
point ici , avec cette différence que la propreté y est beaucoup plus recher
chée , et q ue cette classe e st be au co up plus labo rieu se » (301).
A la m êm e date , le docteur Lebeau con statait la m êm e s ituat ion dans
la ville de H u y. Ici, la rue des A ug ustin s, large et bien or ientée « est form ée
de m aiso n s plus va stes, o ccu pé es p ar des ha bitan ts aisés » (302). Il en est de
m êm e de la rue du M ar ch é-a ux -bê tes (303). Par con tre, le qua rtier de la rue
du Fort représente l’autre volet , la rue du Til leul , notamment, « excessive
ment malpropre, presqu’exclus ivement habitée par la c lasse indigente , don ne p assage à plusieurs ruisseaux qui descendent des m ontag nes , et qui,
l ’ inondant à la moindre pluie , y entret iennent une humidité cont inuel
le » (304). Le qu artier de l ’A p lez , « situé à l ’extr ém ité no rd de la rue du F ort,
vo isin de la M eu se, et bâti sur un sol très bas, est encore un de ceux d on t
l ’insalubrité d oit d ’autan t plu s f ixer l ’attention des m agistrats que l’état
misérable de presque tous les habitants les expose davantage aux fréquen
tes causes de maladies qui s’y développent. Les vingt à trente masures qui
s’y trouvent contiennent chacune quinze à vingt individus, l ivrés à la plus
grande misère et à tous les vices qu’elle engendre. . . » (305). Le quartier de
Statte « form e u ne rue long ue et étroite do nt les m aison s, élevées, ma l
(299) Buret, D e la misère des classes laborieuses en Angleterre et en France, édition de Bruxelles à
la Société typographique, p. 474, col. 1.(300) R Courtois, Recherches sur la statistique de la prov ince de Liège , 1828, tome 2, p. 190.
(301) Courtois, o.c., p. 193.(302) Docteur H. Lebeau, Topographie médicale du canton de Huy, Liège, 1828, p. 38.
(303) Id., p. 39.(304) Id., p. 43.
(305) Id., p. 48.
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bât ies et en grande part ie ha bitées par la c lasse ouvrière ( . . . ) Les habitants
de cet te part ie de la v i l le son t rema rquables par leur const i tut ion lym ph a
t ique e t par une d i spos i t ion prononcée aux engorgements des g landes
pulm ona ires et m ésintériques qui , chaq ue année, y fon t périr un grand
no m bre d ’indiv idu s » (306 307).
A Amay, « la p lus grande part ie des maisons qui occupent la val lée
sont très rapprochées de la col l ine et sont habitées par des personnes
aisées . Le f lanc et le sommet de la montagne sont couverts de cabanes,
généralem ent occ up ées pa r des ouvriers de h oui llères et d ’alunières , les
quels, faute de travail , sont réduits en ce moment à l ’état le plus miséra
b l e » ^ 07).
L’enquête de 1843 ne révèle pas une situation différente. L’exiguïté
des logements ouvriers est presque généralement soul ignée bien que les
Chambres de Commerce répondent souvent de manière impréc i se à la
qu est ion relat ive à la man ière do nt l ’ouv rier est logé. V oici d ’abord la
substance de ces réponses :
Louvain : assez bien (II, 36); G and : il est impossible de répondre à cette
question (II, 42); S t Nicolas : assez bien (II, 49); Termonde : passablement (II, 66);
Vermeire, de Termonde: assez proprement, avec cette préc ision: «u ne maison
occupée par une famille ouvrière compte ordinairement deux pièces, un grenier et
une petite étable » (II, 86); d’Hollander, de Termonde : pauvrement; Mons : « dans
des maisons basses, humides et malsaines» (II, 111); TQurnai : fabrication de
bonneterie : « la salubrité laisse beaucoup à désirer chez plusieurs; cet état est
d’autant plus préjudiciable, qu’ils sont constamment dans leurs habitations, dont
plusieurs sont peu aérées, et que leurs métiers se trouvent le plus souvent dans la
même pièce où couche la famille et où l’on fait le ménage, enfin où tout se fait, pour
ceux qui n ’ont qu ’une seule pièce » (II, 142) — tanneries et corroyeries: très mal; « une chambre le plus souvent pour une famille » (II, 146) — fileries et rubaneries :
très mal; «,une chambre pour toute une famille, très souvent un seul lit pour père,
mère, filles et garçons » (II, 149) — diverses industries : l ’ouvrier travaillant dans
les grands établissements industriels est généralement assez bien logé (II, 156) —
fabriques de chocolat et com merce d ’épicerie : fort mal; « une chambre ou deux
pour toute une famille» (II, 161) — fabriques de porcelaine: la plupart des
chambres ne sont pas fort saines (II, 164) — filatures et tissages de coton : assez
mal (II, 166); Liège : «mal, une même pièce sert d’habitation, de cuisine et de
chambre à coucher pour les parents et les enfants » (II, 175); Anvers : presque tous
bien logés (II, 201); Ypres : mal logé, mal couché (II, 213).
Les rapports des commissions médicales conf irment pour la plupart
l ’existence d’une seule chambre par famil le . Le docteur Fossion, de Liège,
le signale (III, 88). « D an s les gran des vi l les com m e A nvers, u ne seule
maison est presque toujours occupée par plusieurs ménages d’ouvriers ,
(306) Id., p. 48.
(307) Id., p. 64.
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Quand Mr Appert visitait Verviers le 30 mai 1848.
« La famille Biolley, qui inventerait le bien si l’Evangile ne l’enseignait
aux riches, a vou lu mettre le com ble à sa prévoyante sollicitude, en construi
sant deux vastes rangées de bâtiments divisés, et formant un grand nombre
de petites maisons ayant chacune une chambre, une cuisine, un petit corridor
au rez-de-chaussée, une chambre et un grenier au premier, et, un joli jardin
derrière la maison. J’ai visité un de ces logements où se trouve un ouvrier
avec sa femme, ses enfants et sa/n ère, parfaitement à l ’aise, et comme le loyer
est de 100 francs par an et que trois personnes et l’aîné des enfants travail
lent, on le retient facilement par petites parties sur le gain des journées. »
(Voyage en Belgique, dédié au Roi, p. 148.)
« Pour suivre l ’ordre de mes visites, je dois parler du Château des
Masures, auquel je me suis rendu d’après l’aimable et prévenante invitation
de son digne propriétaire, M. Edouard Biolley.« Cette magnifique propriété, située à un quart de lieue de Pépinster,
entourée de plus de deux cent cinquante hectares de forêts et jardins d’une
grande beauté, est vraiment royale.
« Le château gothique, dont l’origine paraît remonter au roi Pépin, a
été augmenté et embelli, dans le même style, avec une recherche, un talent
qui donnent la plus haute idée du goût du noble propriétaire, son principal
architecte et créateur. Les meubles, les ornements intérieurs, les tenturès, les
mille objets curieux de ce château hospitalier, sont d ignes de l’admiration des
connaisseurs et donnent l’appréciation des sommes considérables employées
pour réunir tous les genres de curiosités. Un châlet suisse, véritable ferme
habitée par une famille intéressante, le bassin, les cours d’eau, les ponts, les
prairies et surtout la délicieuse chapelle, forment un ensemble séduisant et
grandiose. »
(Voyage en Belgique, dédié au Roi, pp. 145-146.)
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chaque famil le n ’ayant ordinairem ent à sa disposi tion q u ’une seule cha m
bre » (III, 2 3 1 ), d éclare la soc iété de m éde cine de cette ville. C ’est aussi la
con statat ion du C on sei l de salubrité pu blique de B ruxe lles : « le plus
souvent, l ’ouvrier ne possède pour lui et sa famil le qu’une seule pièce qui
sert à tous les besoins du ménage; cette pièce, fréquemment trop exiguë
pou r le nom bre de perso nn es do nt se com po se la famil le , se trouve à l ’étage
ou au rez de chaussée; au rez de chaussée, el le est presque toujours
carrelée, froide, et présen te sou ven t des m urs ruisselants d ’hum idité; à
l ’étage , el le est ord inairem ent planch éiée, plus chaud e et plus sèche; m ais
dan s l ’un et l ’autre cas , on n ’y respire q u ’un air pr ofon dé m en t altéré dan s
sa c o m p o si t io n . . . » ( II, 650 ) .
La qualité du logement ouvrier fait surgir les mêmes qualif icat ifs
sous toutes les p lum es. H ab itat ions « étroi tes , hum ides, froides et som
bres » (C om m ission m édicale d ’A nve rs, III, 2 16 ); «resserrée s, froides et
hum ides » (Cham bre de C om m erce de Liège, II, 174); « basses , hum ides,
resserrées , froides sans a ir et sans lumière» (Commission médicale du
H ainau t , III, 5) . M areska dén om m e « c loaqu es im m ond es » ce q u ’on dési
gne sous le nom d ’en clos ou d ’impasses (III, 38 6) où son t s ituées 3 .5 8 6 des
14 .372 maisons que compte Gand à l ’ époque; «I l ex i s t e , en outre , dans
notre vi l le 2 2 6 caves hab itées. A insi , le quart , et nous oserion s dire le tiers
de la population se trouve entassé sur une superficie qui ne forme sans
doute pas la trois centième partie de cel le de la vi l le» (III, 389) .
Le travai l leur à domici le , dont l ’habitat ion doi t en même temps
fournir abri à la famille et l ieu du travail , est dans une situation particuliè
rement pén ib le . « . . . sa m aison es t trop pet it e pou r lu i e t sa fam ille ,
rapporte la C om m ission m édicale d ’An vers; la p ièce où se trouve son
m étier sert en m êm e tem ps de cham bre à couch er et est encom brée d ’effets
de tou te espè ce » (III, 19 1). Fa ut-il ajou ter qu e les desc riptions de m ob iliers
so n t à l ’avenan t; les con sidéra tions du co nse i l central de salubrité pu blique
de Bruxelles ref lètent assez bien ce qui se retrouve un peu partout .
Les ouvriers, dit le Conseil, n’ont « pour reposer leurs membres, fatigués par
le travail, qu ’un affreux grabat, qu ’une espèce de large bac contenant une méchante
paillasse sur laquelle s’étendent, pêle-mêle, père et mère, garçons et filles, qui la tête au chevet, qui la tête au pied du lit, et n’ayant pour se garantir du froid qu’une sale
et grossière couverture, souvent en lambeaux. Certes, nous ne pouvons pas nous
arrêter à faire le triste tableau de ce que nous avons vu dans ce genre; mais nous
voulons, au moins, en donner un échantillon qui résume assez bien la condition
d’une infinité de familles ouvrières. Dans une commune voisine de la ville de
Bruxelles, vit une famille composée du père, de la mère et de sept enfants, dont
l’habitation est sise en pleine campagne; le père, la mère et deux filles de l’âge de
douze à quatorze ans environ, exercent la profession de tisserands en coton. Leur
logement est au rez de chaussée et se compose d’une petite pièce carrée dans laquelle se trouvent deux métiers à tisser qui en remplissent tout l’espace, puis
d’une espèce de réduit attenant à cette pièce et juste assez grand pour contenir un
métier; c’est dans ce réduit que la famille a trouvé moyen de se loger la nuit, en
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fixant au dessus du métier, et à 80 centimètres environ de distance du plafond, un
immense bac garni d’une mauvaise paillasse; c’est dans ce réduit encore que nous
avons rencontré les provisions du ménage, consistant en quelques légumes, plus
quelques lapins vivants partageant et corrompant avec la famille l’air déjà si peu
salubre de cette pièce. Le pauvre ménage dont nous nous occupons ne mange
jamais de viande; sa nourriture se compose exclusivement de pain, de pommes de
terre et de faible café au lait. . . (II, 653).
La s i tuat ion est assez semb lable à Liège : « . . . les pièces son t basses ,
ha bituel lem ent en fum ée s», qu ant au m obi l ier , le C onsei l de salubrité
pu bl iqu e de Liège écrit : « . . . les li ts son t de m isérables grabats dég oû tant
de m alpr op reté » (III, 88) . La Commiss ion médicale de la province de
Liège établ i t pourtant des nuances dans la manière dont les ouvriers sont
logés. I l y a d ’abord les « ouvriers chargés d ’une fam ille no m bre use, m ais
do nt les enfants ne sont pas en core parvenus à un âge où il s peu vent
app orter leur qu ote-par t à la com m un au té » ; ceu x-ci ha bitent « une cave,
une mansarde, une chambre mal éclairée, de quelques pieds carrés dans
une rue étroi te et populeuse ou dans une gorge humide servant à toute la
fam il le , aux m alades com m e à ceux qui sont en santé , à la fem m e, au m ari,
aux enfants des deux sexes e t même aux animaux domest iques . Ceux-c i
partagent la couche de la famille qui consiste le plus souvent en une l i t ière
de pai l le q u ’on ne renouv el le qu e lorsqu ’elle es t convert ie en fum ier».
Ensuite , les ouvriers « qui on t une femm e b onn e m énagère, ou qui so nt
cél ibataires», i l s habitent «des chambres plus grandes , mieux éclairées ,
moins humides , une pai l lasse mei l leure mais toujours encombrement et
situation m alsa ine » . Enfin, les m aîtres-ouvriers et les bo ns ou vriers des
mines ou de la métallurgie sont mieux logés (III , 574).
A quoi les personnes interrogées attribuent-el les cette s ituation dé
plorab le de l’ha bitat ouvrier? Pour le do cteur M aresk a (Gand) « les m an u
factures sont la cause indirecte de l’existence des impasses puisque partout
on les vo it naître et se mu ltiplier a vec elles et la crainte de po rter atteinte au
dro it de la pr op riété les a fait tolérer » (III, 3 9 1 , 3 9 2 ). M ais la cup idité des
prop riétaires est m ise en cause. C ’est ainsi que la C om m ission m édicale de
la Flandre occidentale, bien qu’el le pense que les habitations des ouvriers
de la province réunissent toutes les condit ions désirables de salubrité,
adm et qu ’il exis te n éanm oins des excep t ion s assez nom breu ses , « surtout
po ur la por tion la plus pau vre de cette classe de la po pu lation ».
Ces infortunés, dit la Commission, séjournent dans de misérables chaumiè
res construites avec quelques morceaux de bois et du limon; le chaume qui les
couvre garantit à peine de la pluie et du vent; il n’y a ni planche, ni pavement et il
arrive souvent que le sol de ces habitations est couvert d’une boue infecte qui
exhale une odeur méphitique et rend ces tristes réduits d’autant plus insalubres
qu’ils abritent tous les animaux domestiques qui appartiennent à la famille. Cet
état de choses ne se voit pas seulement à la campagne mais il existe aussi dans les
villes des emplacements où séjournent quelquefois jusqu’à cent personnes éparses
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dans de misérables taudis qui ne sont guère plus salubres que les habitations dont
nous venons Je parler. Il est vraiment déplorable, conclut la Commission, de voir
jusqu’à quel poin t est poussée la cupidité de certains propriétaires qui, pour faire
valoir leurs capitaux, extorquent à ces infortunés des loyers qui dépassent le plus
souvent leurs moyens et leur donnent pour abri des repaires dont la description.,
quoique fidèle, ne rencontrerait que des incrédules, tant elle serait hideuse » (III,
305).
Droit de propriété souverain , cupidi té des propriétaires . . . de toute
façon, c’est la spéculat ion du type capital iste qui est mise en cause' La
C om m ission m édicale de L iège le soul igne : « Les hab itat ions des ouvriers
de la prov ince son t en général ma l ord on nées, m al construites et insuff isan
tes. D an s les cam pa gn es, c ’est sur les terrains les plus hu m ides, les plus ba s;
dan s les vi l les, c ’est dan s les rues les plus étro ites, les plus to rtue use s qu ’on
élève les con struct ions qui d oiven t donn er asi le à la c lasse ouvrière , parce
que les terrains d on t le prix est le m oins é levé sont les p lus favorables au x
spéculat ions de cet te nature. Ces construct ions se font sans survei l lance
au cun e » (III, 58 0 ).
V oi là qui suf f it , croyo ns-n ou s, à s ituer la qual i té du logem en t ouvrier
à l’ép oq ue ; logem ent? ou p lutôt , des réduits qui « représentent fort bien un
tombeau vivant où viennent se reposer les malheureux ouvriers après
douze heures de travai l» (Commission médicale de Bruxel les , III , 631) .
C’est au point que Desmaisières , gouverneur de la Flandre orientale
adresse le 27 jui l let 1844 une c irculaire aux administrat ions locales dans
laquel le i l recommande aux bureaux de bienfaisance de fa ire de temps en
temps « blanchir à la chaux l’ intérieur des habitat ions des pauvres » et de
fournir « à ceux qui so nt dép ourv us de l i teries de la pa ille de co u ch age » (308). Q ue lqu es an né es plus tard, le journal qu otidien « Le H aina ut »
(9 mars 1 84 9) don nera de l ’hab itat de la c lasse indigente m on toise une
descr ipt ion q ui vaut ce l le de M areska p ou r Ga nd :
« ... Notre intention n’est pas de faire le tableau de l’aspect hideux que
présentent certaines parties de ces quartiers populeux, de décrire les quelques
cloaques d’insalubrité qu’ils renferment, ces maisons où la lumière ne pénètre que
difficilement et où l’air constamment vicié tue les plus fortes organisations; de conduire nos lecteurs dans ces ruelles et ces impasses aux noms caractéristiques et
qui sont presque les mêmes dans toutes les sentines séculaires de l’insalubrité des
villes, sur une place dite des pestiférés ou dans ces vastes pandémonium de la misère,
dont l ’un a nom Troustoufi; — de pénétrer avec eux dans ces constructions pourries
par des suintements pestilentiels, de leur montrer ces murs rongés par les insectes, les
escaliers sur lesquels le p ied glisse dans une b oue infecte, ces fenêtres qui s’ouvrent
sur des cours, sortes de fosses de quelques pieds carrés où l’air s’imprègne d ’émana
tions fétides... »
(308) Mémorial administratif, 1844, 2e semestre, p. 246.
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U n espo ir de vie m oins grand qu e sur le cham p de bataille de
Waterloo
La situation al imentaire et cel le de l ’habitat laissent assez présumer
ce que pou va it être la santé des ouvriers du X IX e. L’enq uête de 1 843 com
prena it un e q uest ion ainsi con çu e : « que l est, en gén éral , l ’état de san té de
vos ouvriers, et en particulier celui des enfants? ». On est assez étonné de
lire les répon ses d es industrie ls à cet te qu est ion. U n pou rcen tage im portan t
se déclaren t sat isfaits de l ’éta t de santé des o uvriers.
La Chambre de commerce de Bruxelles affirme que les réponses sont una
nimes; « tous les ouvriers jouissent en général d’une bonne santé, et plus particulièrement encore les enfants » (II, 23); elle ajoute que le travail assigné aux enfants
« est un exercice manuel utile, propre à les développer et nécessaire pour en former
plus tard de bons ouvriers dans la branche qu’ils ont embrassée » (II, 24). L’état
sanitaire dans les fabriques est caractérisé de « très satisfaisant » par cette Cham
bre; la cause essentielle des maladies, c’est la boisson (II, 24).
Pour la Chambre de Louvain, la santé est, en général, assez bonne (II, 35),
selon celle de St Nicolas, « l’état de tous est satisfaisant» (II, 49), Alost: bon (II,
55), Term onde (verreries) : satisfaisant (II, 85), Term onde (d’Hollander) : très
satisfaisant (II, 94), Termonde (Vandersteen) : généralement bon (II, 99).
A Tournai, les industriels se déclarent généralement satisfaits également:
dans la bonneterie la santé est assez bonne (II, 142), chocolaterie et commerce
d’épicerie: très bon (II, 161), fabriques de porcelaine: en général les ouvriers se
portent bien (II, 163), fabriques de chaux et extraction de pierres: fort bon (II,
165), filature et tissage de coton : satisfaisant (II, 167), industries du canton d’Ath :
parfaitement bon (II, 156).
Quel crédit faut- i l accorder à ces opinions? Les industriels avaient
évide m m ent to ut intérêt à se déclarer sat isfaits de la san té de leurs ouvriers.
Il y en a m êm e un — dans une fabr ique de grains de p lom b du Braban t—
qui déclare que les ouvriers n’éprouvent aucun inconvénient de ce travail;
lui-m êm e cep end an t « n ’a jama is pu s ’y faire et i l a été très grav em ent
m alade au com m encem ent , à t el po int que sa v ie a é té en danger . M ainte
nant encore i l ne pourrait rester dix minutes dans l ’atel ier, sans se trouver
incom m od é et sans éprouver d es dou leurs à la région épigastr ique » (II,
4 5 7 ) .
I l faut reconnaître pourtant que certains employeurs constatent des
déficiences sanitaires; l ’un d’eux (t issanderie de l inge damassé et nouveau
tés , à M olen be ek St Jean) ad m et que « l ’expérience est venu e dém ontrer
l ’existenc e d ’abus regrettables. Les enfants restent gén éralem ent chétifs et
perd ent de b on ne heure leurs facultés ph ysiques et m orales » (I, XII) . Un
autre (filatures d e laine à E lvau x) d éclare q u ’il est « év ide nt que le travail à
un âge trop tendre, ou l’excès à un âge trop avancé, ont sur les pet its
malheureux qui y sont soumis, l ’ inf luence la plus désastreuse» (I , XIV) .
Déjà quelques années avant l ’enquête , le docteur Courtois avai t évoqué le
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travail des femmes dans les fabriques de draps à Verviers; là, écrivait-il , les
femm es qui son t em ployée s à fa ire m ouv oir les m achines à tordre « péris
sent presque tou tes d ’anévrisme du cœu r. C et exercice pén ible et cont inu el
des bras amène nécessairement une congest ion de la poi tr ine qui f in i t tôt ou tard par devenir funeste. On voit par là que ce n’est pas seulement à
Liège que les femmes du peuple sont employées à des travaux pénibles ce
qui avait fait dire aux anciens auteurs que Liège était Y e n f e r d e s f e m
m e s » (309). D an s l ’enq uête, la C ham bre de com m erce de cette dernière
vil le co ns tate e nco re q ue « l ’état de santé des o uvriers et des en fants
présente plus d ’un côté af f ligea nt» ; la Chambre est im e po urtan t « q u ’il
faut m oins l ’im puter à la profess ion q u’ils exercent qu ’aux ha bitat ions qui
son t ord inairem ent resserrées, froides et hum ides » (II, 1 74 ) . A T ou rna i , la
Chambre de commerce reconnaît que dans les laineries et corroyeries,
l ’état sanitaire n ’est guère bon, «b eau cou p sont scrofu leux » (II, 146);
dans les fi leries et rub aneries, « les ou vriers son t en généra l m alingres et
d ’une com plexion qui anno nce peu de force phy sique, les enfants sont
disposés au rachiti sm e, beau coup so nt scrofuleu x» (II, 149 ) .
M ême*du côté m édical, les constatat ions son t plu tôt opt im istes . C ’est
ainsi que pour le docteur Peetermans, de Seraing, « la population ouvrière
du bassin de Seraing présente en général une const itut ion robuste et pleine
de vie . La ph ysion om ie, la d ém arche et la gaieté de l ’ouvrier indiqu ent
assez le degré d’aisance dont i l jouit , malgré les temps diff ici les dans
lesquels n ou s v ivon s et tou t fait croire q u ’hab itué au travail , i l souffre peu
des peines du labeur journal ier dont la durée a cependant augmenté ,
surtout dans les charb onn ages» (III, 1 1 7 ) . . . «C e qui prouve encore ,
ajoute-t- i l plus loin, que la const itut ion physique de nos classes ouvrières est bonne et que le travail qui remplit toute leur existence ne détériore pas
cet te const i tut ion autant qu’on le croi t b ien, c’est que nous possédons un
assez bon nombre de viei l lards, verts encore, parmi les femmes surtout ,
lesquel les ont néanmoins leur part dans les travaux industrie ls de toute
esp èce » (III, 11 9) . Le docteur M ercier , de la Co m m ission m édicale de
N am u r est d ’un avis sem blable p u isq u ’il est im e que les habitants de la
prov ince de Na m u r « et ses ouvriers en particul ier sont doués d ’une bon ne
con stitutio n e t qu e l’état sanitaire laisse peu à désirer » (III, 170 ).
A peine plus nuancée apparaît la déposi t ion du Consei l central de
salubrité publique de Bruxelles pour lequel « la const itut ion physique des
ouvriers est , en général , bonne, à part les ouvriers de quelques établisse
m ents plus o u m oin s insalubres, à part ceux qui étaient déjà d’une con st i
tut ion plus ou moins mol le et chét ive en commençant leur carrière indus
(309) R. Courtois, Recherches sur la statistique physique , agricole et médicale de la province
Liège, tome 2, p. 178.
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triel le, on peut dire qu’i ls offrent presque tous des apparences de santé et
de force. Voi là ce qui es t vrai , quand on cons idère la populat ion ouvrière
en m asse; ma is si l ’on descend au x détails, s i l ’on exa m ine cet te pop ulat ion
dans q uelques travaux spéciau x, d ans q uelques industries part icul ières , le
tableau devient plus aff l igeant; alors disparaissent les apparences de la
santé et de la vigueu r, alors se présenten t à l ’observ ateur d es teints hâv es et
décolorés , des const i tut ions débi les , épuisées , rabougries , etc .
« Relat ivement à la masse, ce sont des except ions , nous le répétons;
mais les except ions sont nombreuses , très nombreuses , et i l importe de les
signaler à l ’attention et à la sol l icitude du go u ve rn em en t» (II, 5 6 6 ).On est un peu étonné de cet te appréciat ion générale qui ne corres
pond guère avec le tableau de l ’hygiène industrie l le dont nous parlerons
dan s un instan t. Il co n vien t cepe nd an t d ’attirer l ’atten tion sur le fait que les
statist iques de mil iciens ajournés ou exemptés, recueil l ies par plusieurs
médecins et l ivrées à la Commiss ion d’enquête indiquent souvent un
pou rcentage plus im por tant de m ilic iens réformés d ans les dis tr icts ind us
triels . C’est ce qu’a montré par exemple le docteur Fossion, de Liège à
travers ce tableau (III, 47 à 60) :
Miliciens ajournés ou exemptés définitivement pour
maladies ou infirmités physiques
Années District de District de District de District de
LiègeVerviers Huy Waremme
(partiellement (partiellement (agricole) (agricole)
industriel) industriel)
un milicien exempté sur:
1836 6,39 10,24 13,88 12,90
1837 7,62 11,06 12,52 13,79
1838 9,75 10,97 14,63 16,55
1839 7,81 7,78 13,53 12,32
1840 9,64 13,04 15,79 15,90
1841 8,06 13,55 23,41 19,48
Moyenne 7,90 13,10 15,11 14,98
F ossion a aussi com pa ré la m ortalité de différentes régions et arrive à
la constatation qu’el le est plus forte là où l’ industrie est plus largement
implantée, les cantons les plus agricoles (Huy et Waremme) ayant la
m orta lité la p lus fa ible (III, 56 ) :
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Années Ville de Ville de Ville de District District District DistrictLiège Verviers Huy agricole
deagricole
deagricole
deagricole
deLiège Verviers Huy Waremme
Un décès sur ... habitants1830 32 26 33 39 37 46 38
1831 31 32 40 45 44 57 51
1832 31 31 31 41 41 51 52
1833 27 18 35 36 34 45 49
1834 24 18 32 27 22 34 38
1835 27 32 31 35 42 43 47
1836 30 27 38 38 41 47 51
1837 27 25 34 35 35 44 41
1838 28 31 37 38 44 47 48
1839 27 27 36 27 42 46 421840 32 25 37 35 39 50 42
1841 32 26 34 43 39 49 431842 31 25 34 36 , 38 52 50
Moyennedes 29,15 26,39 34,77 36,54 38,31 47,00 45,54
13 années
Pou r le H ain au t (310), l’ingén ieur des m ines Bidau t a éta bli un e statis
t ique montrant que les cas de réformes sont beaucoup plus é levés chez les
h ou illeurs et les verriers (II, 2 7 2 ) :
Professions nombre de miliciensprésentés acceptés exemptés
ou ajournés
Houilleurs 123 85 38
Journaliers 39 35 4
Voituriers 6 6 —
Cloutiers 24 23 1
Briquetiers 2 1 1
Tailleurs d’habits 3 3 —
Plafonneurs 10 10 —
Forgerons 16 . 15 1
Cordonniers 5 5 —Verriers 24 18 6
Menuisiers 3 3 —
Carriers et tailleurs de pierres 24 21 3
Le docteur M aresk a, de G and, a égalem ent établ i une statist ique des
réformés et bien qu’i l croit à l ’ influence des «factoreries» sur l’état de
(310) Exactement pour Dampremy, Roux, Jumet, Lodelinsart, Gilly, Montigny-sur-Sambre,ciennes, Lambusart, Felui et Arquennes.
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santé des ouvriers , on sent pourtant une tendance à en minimiser l ’ impor
tance : « La preuve que n ous avon s fourn ie de la détériorat ion con st i tu
tionnelle de nos ouvriers , dit- i l , fait présumer que le travail , dans les
factoreries , n’est pas sans influence sur le grand nombre de difformités
constatées à Gand par le Consei l de recrutement . Cependant , i l serai t
injuste d e m ettre cet te aug m entat ion sur le com pte de l ’industrie seule .
D ’abord , les réform és dans les di fférentes local i tés n e son t pas en pr op or
tion aveè l’extension que l’ industrie y a prise; ensuite, trop de causes
tendent à augmenter progress ivement , surtout dans les grandes vi l les ,
l ’af faiblissem ent des con st itut ions , po ur q u ’on p uisse cons idérer le nom bre
é levé des exempt ions comme provenant uniquement de l ’ extens ion du
système manufacturier» (III , 408) .
Le tab leau établ i par M areska est celui -c i :
Villes Exemptions sur 100
pour défaut pour défauts de taille corporels
Total sur Population
100 en 1840
Gand 15,34 26,87 42,21 93,421Audenaerde 16,66 11,53 28,19 5,614
Alost 20,81 20,82 41,63 14,787
Termonde 16,80 13,60 30,40 7,786
Saint Nicolas 25,09 13,86 38,95 18,477
Lokeren 21,54 13,00 34,54 10,289
Renaix 40,31 13,04 53,33 12,489
Grammont 22,95 18,03 40,98 7,243
Ninove13,11 16,39 29,50 4,446Deinze 21,31 18,03 39,34 3,640
Eekloo
Arrondissements
17,24 21,37 38,61 8,947
Gand 20,80 18,08 38,88 264,069
Audenaerde 29,84 10,54 40,38 111,227
Alost 2 1 , 1 2 15,34 36,46 135,747
Termonde 17,35 13,16 30,51 93,624
Saint Nicolas 19,57 13,50 33,07 111,176
Eekloo 20,95 16,82 37 ,77 53 ,564
Il y a donc une partie des répondants à 1’enquête qui non s eu lement
paraissent opt imistes , mais on croi t percevoir une tendance assez pronon
cée à disculper l ’ industrie . La Commiss ion médicale de la province de
Liège qui es t convaincue que beaucoup d’ouvriers industrie ls ont une
co ns titution p référable à cel le d es ouvriers agricoles , estime q u ’« on ne
peu t attribuer ces résultats qu ’au b ien-être que procu re le salaire plus élevé
des ouvriers des établissements métallurgiques, salaire qui leur donné la
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po ssibil i té de se procurer des a l im ents plus nu trit ifs et des ha bitation s plus
confortables» (111 ,493) .
Des témoignages en sens contraire at ténuent pourtant l ’ impress ion
première que la s ituation industriel le est plus favorable que le travail
agricole à la santé de l’ouvrier.
Ainsi, la Commission médicale du Brabant, croit que « si les travaux agrico
les, renfermés dans de justes limites, sont plus propres à entretenir la santé floris
sante qu’à produire des maladies, il n’en est pas de même de ceux qu’exige
l’industrie des villes [. . .] si nous avons vù les campagnards jouissant d’une bonne
constitution physique, nous ne pouvons en dire autant de la classe ouvrière de nos
villes » (II, 356).
« Les travaux agricoles, dit le Conseil de salubrité publique de Liège, sont
tous compatibles avec le libre exercice des organes et la vigueur de la constitution.
Les ouvriers qui s’y consacrent exclusivement sont, en général, plus forts que les
artisans et les ouvriers employés à la grande industrie : cependant, ils ne sont pas
non plus tout ce qu’ils pourraient être» (III, 45).
« Quoique l ’homme des champs supporte pendant une bonne partie de
l’année des fatigues poussées quelquefois à l’extrême, affirme de son côté le
rapporteur de la Commission médicale de Namur, il se trouve, cependant, sous le
rapport hygiénique, dans des conditions de santé que l’on ne rencontre plus chez celui qui est employé dans les fabriques, principalement lorsqu’elles ont leur siège
dans les villes » (III, 172). Et celle d’Anvers a constaté qu’« en général, les individus
occupés aux travaux agricoles sont plus robustes» (III, 217), constatation qui
ressemble fort à celle des médecins des hospices de Malines : « les ouvriers occupés
aux travaux agricoles jouissent généralement d’une complexion plus robuste et
d’une santé plus florissante que ceux employés dans l’industrie » (III, 275). C’est ce
que pense également le médecin du bureau de bienfaisance de Turnhout (III, 285).
« Les personnes vouées aux travaux agricoles sont, toutes choses égales
d’ailleurs, déclare la Commission médicale de la Flandre occidentale, d’une constitution meilleure et plus robuste, d’un caractère plus énergique, plus franc, plus
jovial, que celles qui travaillent sédentairement dans les établissements industriels »
(III, 301).
Quelle est l ’ importance du facteur travail industriel par rapport à la
concentrat ion en habitat urbain, là où les opinions sont plutôt négat ives
vis-à-vis du travail en usine? L’enqu ête est beau cou p trop peu p récise pour
qu’on puisse le déceler avec exact i tude. Quand le docteur Lebon, de
Nivelles , écrira, quelques années après l ’enquête, que le risque de mort à
la batail le de W aterloo étai t com m e 1 à 30 et qu e po ur la c lasse pauv re et
indigente de Nivelles, le risque est seulement de 1 à 25 (311), c’est l’habitat
q u ’il m ettra e ssen tiellem en t en a ccu sation : « Si l’on divise la po p u lation
nive lloise en deu x catégor ies : 1° la classe bourgeoise et aisée, 2° la classe
ouvrière et indigen te, on con state, pou r l’an née q ui vient de s’écou ler, qu ’il
(311) Docteur Lebon, Habitations de la classe ouvrière et indigente à Nivelles, 1852, p. 22.
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est mort, dans la première classe, une personne sur 51, et , dans la seconde,
une personne sur 25. C’est donc une di f férence de 67 pour cent au
détriment de la classe ouvrière et indigente, différence due principalement
aux habitations insalubres. La différence est plus grande encore s i l ’on
com pare la m ortalité des jeunes enfants dans ces deu x classes; l ’an dernier,
i l est mort à Nivel les 93 enfants de 5 ans et au-dessus; dans ce nombre, la
classe ouvrière était pour 71 et la classe aisée pour 22 seulement » (312).
L’hygiène industriel le, que nous al lons aborder à travers l ’enquête
toujou rs, appar ait fort déficiente pourtan t. En don ner u ne idée à travers les
élém ents rassemblés par les enquê teurs permettra d ’éclairer un peu le
jugem ent à porter sur la q u estion .
Il faut éloigner les poules de l’usine, sinon elles crèvent.. .
La situation hygiénique dans les f i l a t u r e s apparai t com m e part icu l iè
rement déficiente et la description sanitaire que donne le rapporteur de la
Commiss ion médicale du Brabant détonne assez bien dans le concert
opt im iste que nous venons d ’évoquer : « . . . d ’une f igure pâle , é t io lée ,
souvent amaigrie par la misère et un travail excessif , on voit ces ouvriers ,
les enfants surtout, ét iolés avant l ’âge. Leur ventre est développé, pâteux,
leur digest ion pénible; les scrofules , le rachit isme, le carreau, impriment à
leur éco no m ie le cachet de la d égradat ion p hys ique. Leur poitr ine es t
étroite, le système musculaire peu prononcé, leur intel l igence nulle; i ls
n’ont de penchant que pour la débauche, la dépravat ion. Les jeunes f i l les son t tour m entées par des affections verm ineuses; d ’un teint pâ le, d’une
con st itut ion ch ét ive , e l les son t vict im es des af fections ch lorot iques , ané m i
qu es, so n t m al réglées, sou ven t incapa bles de deven ir m ères, et , si el les le
deviennent, ce n’est qu’en courant les plus grands dangers pour el les et
pou r leurs enfants. L ’ostéo m alax ie , le rachitism e, déform ant leur bassin ,
l ’accouchement naturel es t souvent péri l leux, quelquefois imposs ible avec
les seules forces de la nature» (II , 370).
Ce m êm e rapporteur parle long uem ent de cet te s ituat ion hygiénique;
après avoir, entre autres, décrit « les l ieux bas, humides, mal aérés » où se
fait l’im pre ssion da ns les filatur es, i l écrit : « la ga ieté, l’enjo ue m en t, fon t
place à la tristesse qui vient imprimer ses rides et ses sombres couleurs sur
le front de^ jeunes enfants; pâ les , b ou ffis , le corps am aigri, les articulations
tuméf iées , le ventre démesurément développé, ces enfants sont plongés
dans un m orn e s i lence, et m inés par une f ièvre lente. . . » (II, 3 7 9) .
(312) Id., pp. 22, 23.
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La plupart des pet i tes f ilatures — qui sont presque toujour s des
f ilatures à la m ain — son t s ituées dans les caves froides et hu m ides . V oici
une description donnée par les enquêteurs du Conseil central de salubrité
pu bl ique de B ruxel les :
« L’atelier est dans une cave froide et humide, où l’air, se renouvelant
difficilement, est corrompu et fétide. Les homm es et les enfants qui travaillent là du
matin au soir, sont constamment soumis aux causes les plus puissantes de mala
dies: air froid et humide, corrompu par l’acte respiratoire même de ceux qui
travaillent dans ces bouges malpropres, et par l’emploi du savon pour la prépara
tion du coton; insolation nulle, fatigue corporelle, nourriture grossière et insuffi
sante, tout enfin est là de nature à altérer profondément la constitution, et à
disposer l’organisme humain aux plus cruelles affections, la phtisie pulmonaire et
les scrofules. . . »; et ceci, ajoute le rapporteur, « on peut l’appliquer à toutes ces
petites filatures à la main, si nombreuses à Bruxelles. Suivant la déclaration du
chef, les enfants seraient encore plus malheureux dans quelques autres petites
filatures; il assure qu’on y emploie des enfants de cinq à six ans, et que ces petits
malheureux, qu’on fait travailler depuis quatre ou cinq heures du matin jusqu’à
neuf heures du soir, ne gagnent guère que 60 centimes par semaine» (II, 493).
Cette situation n’est pas particulière au Brabant. La Commission médicale
de la Province de Liège, sous la rubrique « ouvriers de fabriques de draps et filatures », donne des ouvriers la description suivante: «L ’aspect des ouvriers de
fabriques est en général peu satisfaisant. Leur physionomie, toute particulière, les
fait facilement reconnaître. Cet aspect résulte de ce que, de père en fils, ils ont
presque toujours exercé la même profession; de ce que, de père en fils, ils ont
toujours été soumis aux mêmes influences, au même régime, aux mêmes habitudes,
aux mêmes privations.
« Petits, maigres ou bouffis, leur peau est pâle, luisante et comme macérée;
ils paraissent vieux avant leur maturité; ils sont ridés avant la vieillesse; le torse est
déformé, les extrémités inférieures faibles et contournées chez un grand nombre.
« L’atmosphère chaude et humide des fabriques; le peu d’aérage et d’éléva
tion des étages dans la plupart d’entre elles; le manque d’espace, la mauvaise
disposition et l’humidité des locaux qui leur servent d’habitations; un salaire
insuffisant; une alimentation pauvre; un travail peu actif, d’une trop grande durée,
égale pour tous, pour l’adulte comme pour l’enfant; les excès d’onanisme ou
vénériens sollicités par les mauvais exem ples, par le contact incessant d’ouvriers des
deux sexes; l’abus du genièvre quand le salaire le permet, sont autant de causes qui,
réunies ou isolées, prédisposent la population des fabriques aux tempéraments
lymphatique ou scrofuleux et aux maladies chroniques qu’ils engendrent » (III, 539).
539).
La mêm e C om m iss ion s ignale plus lo in que, da ns les fi latures de lin ,
les jeunes filles (8 à 15 ans) qui surveillent les métiers à filer, « ont toutes,
ou presque toutes , la peau blafarde et comme macérée. Leur const i tut ion
ne peut qu’aller en se détériorant chaque jour, parce que chaque jour el les
restent plongées pendant quatorze heures et demie dans cet te atmosphère
débil itante, et que leur salaire ne suff it pas pour qu’el les prennent des
al iments capables de s t imuler convenablement leurs fonct ions languissan
tes » (III, 5 4 3 ).
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Dans les autres secteurs , même hygiène déplorable du mil ieu de
travail .Le Conseil Central de salubrité publique de Bruxelles vis ite une
petite f a b r i q u e d e c h a p e a u x d e f e u t r e e t d e s o i e d on t le ch ef déclare que la
p ro fession « n ’a rien de n uisible », qu e la santé d es ou vriers est « assez
b on n e» . O r , « o n n ’y resp ire qu ’une atm osphère puan te , e t chargée de
duv et f in e t de po ils très déliés; les ouvriers qui y travail lent so n t chargés de
ces poi ls et de ce duvet , qui pénètrent dans toutes les ouvertures naturel
les. . . » (II, 438). Ailleurs, le même conseil parle des t i s s e r a n d s : « O n ne
peu t se faire un e idée de la m isère qui ex iste chez les ouvriers tisserand s :
leurs habitat ions sont mauvaises , étroi tes , malpropres et humides , et leur
nourriture grossière, se com po san t de soupe et de m auv ais pain de seigle ,
est sou ven t insu ff isan te : ils m an gen t tou t au plus de la vian de u ne fois par
an , le jour d e la kerm esse. » (II, 52 8 ).
A Herenthals , dans une f a b r i q u e d e d r a p s e t b a i e s , l a Commiss ion
m édicale d ’A nver s n ote ce d étai l peu ragoû tant : « Les laines dest inées à la
fabrication des draps sont d’abord lavées avec de l’urine en putréfaction.
Quoique les ouvriers aient déclaré à l ’un de nous qui s’est rendu sur les
l ieux po ur recuei llir des renseignem ents , qu ’ils n ’étaient nul lem ent in com
modés par les émanat ions qui ont l ieu pendant cet te opérat ion, nous
sommes convaincus qu’el les ne peuvent qu’exercer une inf luence fâcheuse
sur la santé . N o u s avon s prop osé aux fabricants de subst ituer un alcali
(cristal de sou de ) à ce d ég oû tan t liquide, et ils ont pr om is de le faire » (III,
194) .
Très souvent, les ouvriers travail lent dans des caves. Dans une f a b r i
q u e d e p l o m b s d e c h a s s e , « l’atelier est dans une cave donnant sur la rue,
n ’ayant que deu x m ètres d ’élévat ion et fort peu aér ée» ; l ’enquêteur du
Conseil central de salubrité publique de Bruxelles doit en sortir avant
d ’avoir term iné son en qu ête. D éta il typiqu e : « Le p uits où se fait la
pro jection du plom b a att iré aussi notre attention : une po m pe , placée sur
ce puits , semble indiquer qu’on se sert pour les besoins domest iques de
l ’eau q u ’il fourn it. N o u s a vo ns interrogé à cet égard la servante de la
maison, et ses réponses ambiguës nous ont fai t croire que nos présomp
tions étaient fondées: un vois in nous a d’ai l leurs assuré que l’eau de ce
puits étai t em ployée dans le m én ag e» (II, 45 8) .
Les ouvriers des f a b r i q u e s d e p a p i e r n’échappent pas aux mauvaises
co n dit ion s h ygiéniq ues. « Le rachit ism e est fréquent chez les pape tiers ,
rapp orte le C on seil m édical de la Province de Liège : un cinqu ièm e environ
des ouvriers travail lant à la cuve dans les papeteries à l ’ancien système,
son t rachit iqu es » (III, 54 5 ) Le C onseil central de salubrité pub liqu e d e
Br uxelles fait une con statation sem blab le : « Les ouvriers qui travail laient
là ont produit sur nous une pénible impression; la pâleur de la face, la
déformation anticipée des traits , dénotaient assez la funeste influence de
leur travai l. U n formeur de c inq uan te ans , tout courb é et voû té , paraissait
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bien avoir soixan te et dix ans . Les enfants , à face blême, nou s o nt présenté
tou s les caractères de la con stitution scro fuleuse fa m ieux p ro no nc ée : en
les voyant, on peut assurer d’avance qu’i ls ne deviendront jamais des
ho m m es » (II, 4 1 2 ) .
Le même Consei l v is i te une f a b r i q u e d ' a l l u m e t t e s c h i m i q u e s où tra
vai l lent 5 ou 6 enfants de 8 à 12 ans. « Cette fabrique est détestable; les
enfants y travai l lent dans un mauvais hangar, froid, humide, malpropre,
ouvert à tous vents , car les fenêtres , en face desquelles ces malheureux
petits êtres ac co m plissen t leur rude tâch e, se font remarquer par l’absence
d’un bon nombre de carreaux» ( I I , 520) .
Ailleurs, i l décrit un a t e l i e r d e l a v e u r d e c e n d r e s d ' o r e t d ' a r g e n t :
« U ne p ièce au rez de c ha ussée co m p ose l’atelier; c’est un m au vais chen il,
sale , infect , où la pouss ière et les ordures de toutes espèces son t en excès .
Un mauvais fourneau et une marmite en fer sont les instruments qui
servent aux opérat ions du raff inage.
« U n e nfan t de d ix à dou ze ans , pâle , b lême et étio lé , travai l le , pour
qu elques sou s , du m atin au soir dans un cheni l préci té , où l ’air et la lum ière
font éga lement défaut .
« On ne peut que gémir sur le sort du pet i t malheureux condamné à
vivre dans une atmosphère aussi nuis ible, car sa santé et sa constitution ne
peuvent qu’en recevoir de fâcheuses atteintes .
« N o u s le rép éton s, on ne saurait rien im aginer de plus sale, de plus
misérable et de plus dégoûtant que l’atel ier de ce laveur de cendres et
d’argent» (II , 521 et 522) .
On imagine bien qu’ i l ne trouve pas mieux dans les u s i n e s d e p r o
d u i t s c h i m i q u e s ; dan s un établissem ent : « au bo ut d ’un certain tem ps les
ouvriers portent sur la f igure un cachet tout particulier, dû à la nature de
leur travail; ainsi , i ls pâlissent, maigrissent, commencent à tousser et sont
pris d ’une diarrhée qui devient souv ent fâcheuse. D eu x ouvriers son t
m orts , depuis peu, de pht isie pulmo naire » ( l ’établ isseme nt occu pe 5 o u
vriers) (II, 394). Dans une autre où deux ouvriers travaillent à raison d’un
franc par jour: « Les gaz acide carbonique et ox yd e de carbo ne, trouvant
de la peine à s’échapper, s’accumulent dans la fabrique et en rendent le
séjour très nuisible; à certaines époques de l’opération, le dégagement de
ces gaz est s i abondant, que les poules vaguant dans la cour intérieure,
tombent, au dire même du propriétaire, quelquefois asphyxiées , et qu’i l a
fallu prendre l ’ha bitude de les chasser dans la cam pag ne pou r les soustraire
à u ne m ort certaine » (II, 3 9 5 ).
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La C hambre de com m erce de M on s ne trouve p as excess i f le travail
des enfan ts dans les charbo nnag es . « Les enfants adm is dans nos ch arbo n
nages son t lo in d ’être exposés aux fatigues excess ives , aux dangers perm a
nents qui compromettent sans cesse la santé et la vie des jeunes ouvriers
des deux sexes» (II , 109) . Opinion qui ne rencontre pas cel le de la
Commiss ion médicale du Hainaut dont le rapporteur s ’écrie , après avoir
décri t les mauvaises condit ions de labeur et d’al imentat ion du mineur de
fond s : « D o it-on s ’étonn er, d ’après cela, de voir n os bora ins sortir de la
fosse com m e des mo rts sort iraient du tom beau , et se l ivrer d’abord, dan s le
premier cabaret venu , à la sat is fact ion d ’un besoin trop longtem ps co m
primé, et qui , pour cela mêm e, dégénère bientôt en un ex cès a uss i nu isible
que la longue abst inence qu’ i l s ont supportée» (III , 22) .
Bidau t, ingén ieur du 2 e district, I e divis ion (Ch arleroi), après avo ir
énuméré les raisons pour lesquelles i l faut interdire le travail des femmes
dans la m ine, ne m âche pas ses m ots :
« le gouvernement apporte, dans notre pays, des soins minutieux à l’amélio
ration des races de diverses espèces animales; la reproduction de l’une d’elle est
entourée de précautions infinies; chaque jour, des mesures nouvelles témoignent
d’une sollicitude plus grande à cet égard : ne devrait-on pas s ’occuper également de
l’amélioration physique de la race humaine, ou, au moins, tâcher d’en arrêter la
dégradation? » (II, 261/62).
Bida ut cro it qu ’en tête des cau ses de « l ’influenc e d élétère exercée par
l ’exploi tat ion des mines sur ceux qui la prat iquent», i l faut placer «les
efforts phys iques trop cons idérables des jeunes mineurs , condamnés à des
po si t ion s s i forcées par la form e et l ’exiguïté des exc av at ions dans lesqu el
les i ls se m euv ent ». .. M ais ce n ’est pa s tou t, ajoute-t- il plus loin : « So u
ven t, en pro ie à la transpiration q ue fo nt ruisseler sur leurs corps ap pauvris
des efforts continus, i ls ont les pieds, parfois les jambes, parfois même une
partie du tronc plongés dans l’eau froide; I ls sont tantôt exposés à un
cou ran t d ’air actif et froid, m ais pur; tan tôt à un air tiède et vicié par son
mélange avec les hydrogènes carbonés, l ’acide carbonique, etc. » (II , 269).
L’ingénieur de la première divis ion du Hainaut aborde ensuite la
qu estion de la rem ontée d es m ineurs par le système des échelles :
« Enfin, après dix ou douze heures de ce supplice, que chaque jour leur
ramène, leur tâche est finie : ils sont, ou trempés de sueur, si le contact des fluides
froids ne l ’a point arrêtée, ou bien mouillés de la tête aux pieds : il serait naturel de
penser qii’ils vont immédiatement remonter à la surface et changer de vêtements. Il
en serait ainsi, si les exploitants, et malheureusement aussi les mineurs du second
district, n’avaient pas, contre les échelles, des préventions irrationnelles et funestes,
qui empêchent, en général, les premiers d’en placer, et les seconds de s’en servir
quand il y en a. Mais les mineurs sont remontés au jour à l’aide des machines
d’extraction. Or il est impossible de mettre ce moyen de locomotion à la disposi
tion de chacun de ceux qui se présente isolément pour en profiter. Il faut donc
attendre, la plupart du temps, que le nombre de mineurs qui peuvent remplir un
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cuffat soit complet, et quelquefois, que la machine ait achevé l’extraction entière du
combustible. Que deviennent, cependant, les hiércheurs? Ils sont dans les chambres
d’accrochage, grelottant sous l’influence du courant d’air frais venant de la surface,
et exposés aux suppressions de transpiration et à toutes les maladies des appareils
respiratoire et digestif, qui en sont les conséquences» (II, 269/270).
M ais Bidaut es t ingénieur, il n’est pas m édecin et on se dem and e s i la
prévent ion des mineurs contre les échel les es t te l lement «irrat ionnel le».
Ce n ’est pas , en tou s cas — et, sem ble-t- il , à juste t itre— l ’avis du d octeur
Fo ss ion , rapporteur pou r le C onsei l de salubrité publ ique de L iège :
« Dans certaines houillères, celle de Sainte Marguerite par exem ple, les
ouvriers remontent par des échelles; dans d’autres, c’est par le cufat. Il y a quelques
années, on ne permettait à aucun ouvrier de remonter par le cufat. Ce mode
d’ascension avait plus d’une fois occasionné des malheurs effroyables, que l’on
voulait désormais éviter. Les chaînes peuvent se rompre et se sont en effet rompues
fréquemment. Des morceaux de houille, des pierres qui tombent d’une grande
hauteur, ont quelquefois écrasé des malheureux ouvriers. On abandonna donc le
cufat, et on prescrivit aux ouvriers de remonter par les échelles.
« Ce dernier mode d ’ascension offre également des inconvénients graves qui,
pour ne pas être aussi frappants, n’en sont pas moins pernicieux. Les échelles fatiguent les ouvriers : ils ont bras et jambes brisés quand ils remontent à la surface;
la respiration est anhéleuse. Que l’on juge combien doit être essouflé un homme
qui, fatigué et éreinté par le travail, doit monter 150 à 200 toises, et on appréciera
les inconvénients de tout genre "que présentent les échelles. Elles usent la vie
lentement, en produisant des maladies, des infirmités qui compensent les avantages
qui y sont attachés »\(III, 73).
D éjà le docteu r C ou rtois attribua it « l ’aném ie » du m ineur à l’uti l isa
tion des éch elles : « C eu x qui éta ient ob ligés de se servir d’éch elles pou r
rem on ter à la surface , après leur journé e, étaien t plus sujets qu e les au tres à
contracter des asthmes , des palpitat ions que ceux qui descendaient et
remontaient à l’aide de paniers » (313). Quelques années après l’enquête, le
docteur H an ot co nd am nai t sans retour le sys tèm e des éche l les dans l es
puits de mines.
C’est dans ces termes qu’il décrit la remontée de « cet ouvrier fatigué, qui,
arrivé à la fin de sa journée, vient s’asseoir tristement aux pieds des échelles, se repose, gémit; puis, rappelant le reste de ses forces, monte par la voie étroite que
nous connaissons, à une hauteur de quatre à cinq cents mètres. Pour surcroît de
malheur, c’est enveloppé de cet air vicié qui a parcouru les travaux, c’est dans cette
suite de puits étroits, rétrécis, gorgés de l’atmosphère du fond qu’ils sont chargés de
reporter au jour, que doit monter l’ouvrier mineur dans la plupart des houillères,
inondé de sueur, mouillé par la pluie de niveau qui lui tombe d’une manière
incessante sur le corps haletant dans ce fluide impur qui le presse pas à pas de ses
(313) Docteur R. Courtois, Recherches sur la statistique physique, agricole et médicale de là
province de Liège, 1828, p. 172.
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flots étouffants. C’est à travers tant de maux que l’ouvrier, chaque jour, doit sortir
de son travail pour revoir le jour, où il s’assied essouflé sur la trappe du tombeau
dont il sort: je dis tombeau, et ce n’est pas au figuré que j’emploie ce mot; car,
comme je vais le démontrer, c’est dans cette voie de sortie quegfr la grande cause de mortalité des mineurs: ce sont ces milliers d’échelons au sommet desquels il doit
chaque jour hisser tout le poids de son corps sur la force de ses bras, c’est cet air
impur dans lequel il monte, livré aux angoisses de l’essouflement occasionné par
ces grands mouvements contre nature qui tendent à arrêter, par leur mode d’action
nuisible, la fonction gemelle de la respiration et de la circulation, comme nous le
verrons bientôt, qui sont cause de la vieillesse et de la mort prématurées de l’ouvrier
mineur. En effet, si nous avons vu déjà qu’à 45 ans l’ouvrier mineur était souvent
hors d’état de travailler, c’est aux échelles qu’il doit ce funeste présent. Je le répète :
cette voie de retour est le tombeau anticipé de l’homme des mines » (314).*
* *
N ou s avon s soul igné précédem m ent qu’il y a une tendance à d i scu l
per l’ industrie de la responsabil ité d’influence négative sur la santé des
ouvriers . Ce qui nous es t rapporté de l ’hygiène des établ issements indus
triels tend à d isculper la gra nd e indu strie et à culpa bil iser la petite. N o u s
avons trouvé un avis opposé, c’es t celui de la Commiss ion médicale de la
pro vince d e Liège qui pen se qu e « l ’air des grands étab lissem en ts ind us
triels étant plus vicié que celui des établissements de la petite industrie,
parce que la populat ion des premiers es t comparat ivement de beaucoup
supérieure à cel le des seconds , qu’on y emploie des machines qui , par le
frottement des rouages , vaporisent une part ie des corps gras dont i l s sont
chargés et que l ’éclairage au gaz qui y est introdu it vicie l ’air bien plus qu e
ne le fait l ’éclairage à l’hu ile d on t on se sert dans les p etits étab lissem ents , i l
doit en résulter que les ouvriers occupés sédentairement à la petite indus
trie sont m oins exp osés a ux m aladies chroniques que ceux qui travail lent
dans les grands établissements industriels» (III , 495).
M ais à cô té de cette opin ion l iégeoise, c’est la petite industrie, et
souvent , croyons-nous , l ’ industrie à domici le qui es t mise en accusat ion.
Une autre inst itution l iégeoise, le Conseil de salubrité publique,
déclare que dans la grande comme dans la pet i te , on emploie des enfants be au cou p trop jeunes, m ais « da ns la petite industrie, il n’y a pas no n p lus
de frein à la durée du travail et à son intensité. Sollicités par l’appât du
gain, ob ligés de lutter p ou r ne pa s être écrasés par le f léau de la con curr en
ce, les ouvriers prolongent leurs journées jusque tard dans la nuit . Je
connais des fabricants de fourchettes qui travail lent depuis cinq heures du
m atin jusq u ’à on ze d u soir » (III, 4 1 ). Il s ’agit sans do u te là de travailleurs à
do m icile. C ette rem arque du C on seil le confirme : « Certes , les ho uil leur s
et les ou vriers des fab rique s so n t à plaindr e : la nature de leurs trava ux
(314) Doçteur Hanot, De la mortalité des ouvriers mineurs, 1846, p. 86.
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sou m et leur con stitution à de rudes épreuves; m ais les ouvriers qui travail
lent chez eu x à la pièce o u à la journée, en un m ot , tou t ceux qui v ivent de
la pe tite indu strie, ne so n t pa s toujours m ieux partagés » (III, 1 20 ). C ’est la
m êm e catégorie — (et avec la m êm e accusat ion de céder à l ’appât du ga in .
O h! ironie) — qu e v ise le d octeur Peetermans , de Liège : « . . . toujours
ex cités par l ’app ât du ga in, n ’étan t retenus par rien, i ls trav aillent , dans le
tem ps d e presse, pou r ainsi dire nu it et jour » (III, 1 20 ). Par contre, d ès qu ’il
s’agit de grand s étab lissem en ts indu striels , i ls son t, pa rait- il , « bien
con struits , sp ac ieux , aérés », on a so in d ’y entretenir « une tem pérature qui
leur est salutaire » (mé decin d u bu reau de b ienfaisance de T ur nh ou t, III,
2 8 7 ) .
Cette opposit ion entre l’appréciation de l’hygiène dans les grands
établissements et cel le rencontrée dans les petits est formulée de manière
radicale par la C om m ission m édicale du Brabant :
« Les grands établissements industriels sont dirigés, la plupart du temps, par
des hommes instruits et de cœur, qui, loin de regarder leurs ouvriers comme des
esclaves ou des machines, ont pour eux, si ce n ’est des égards, au m oins de la bonté.
Aussi les voit-on faire des sacrifices d’argent pour doter leurs établissements des
bénéfices d’une saine hygiène, et détruire, par les dispositions qu’ils donnent à leurs ateliers, les mauvais effets que la confusion, l’encombrement, le défaut d’aérage,
l’humidité, amènent avec eux. Ici les ouvriers ne sont ni harassés d’ouvrage, ni
plongés au milieu d’une atmosphère corrompue; aussi sont-ils moins souvent
malades, prennent-ils moins souvent les germes de cruelles maladies, qui les
conduisent au tombeau.
« Dans la plupart des petits établissements industriels, au contraire, où le
maître, privé d’éducation, n’est dominé que par l’appât du lucre, dont l’âme est
souvent inaccessible aux sentiments généreux, les ouvriers sont bien plus souvent
atteints de maladies funestes pour eux et pour leurs descendants, parce qu’ils sont
plus maltraités, que leur salaire est moins élevé, et qu’ils ne jouissent pas des mêmes
conditions hygiéniques que les ouvriers employés dans les établissements précé
dents» (III, 360).
La com m ission m édicale du Brab ant est aussi très radicale lorsq u’el le
se pen che sur la santé des dentell ières d on t beauco up so nt évidem m ent des
travail leuses à domicile. Elle fait exception pour « cel les qui travail lent en
fabrique » m ais qui son t peu n om breu ses. Q ua nt aux au tres , el le décrit ainsi
leur s i tua t ion :
« R assem blées dans des cham bres ba sses, étroites et hu m ides, mal
aérées, dans des rues où les rayons du solei l ne pénètrent jamais , le tronc
courbé sur leur tabouret , leurs yeux f ixant toujours des objets de petit
volume, gagnant peu, et plongées souvent dans la misère, e l les ne tardent
pas à éprou ver l ’influen ce déb ili tante de tel les con d it ion s. [. . . ] D ’autre
part , la débauch e, les excès , un m auvais régime, concou rent pu issam m ent
à développer dans cette classe nombreuse d’artisans, une foule d’affections
qui détériorent leur santé. La phtisie pulmonaire fait périr, chaque année,
un grand nombre de dentel l ières . L’anémie, l ’aménorrhée, la chlorose, les
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dé viat ions tho raciqu es et vertébrales, le rachitisme, les scrofu les, les en go r
gements des v iscères abdominaux et des extrémités pelviennes, sont , en
outre , les d i f form ités et les m aladies qu ’on observe très fréquem m ent chez
ellçs. Il y a peu de dentellières qui ne soient atteintes de l’une ou l’autre de
ces inf irm ités . N o u s p ou vo ns dire sans crainte de nou s trom per, que l ’état
de san té est chez elles l’ex ce p tion , l’état de m alad ie la règle géné rale » (II,
3 7 1 , 3 7 2 ) .
« L’ouvrier qui cherche sa vie dan s le trava il, y rencontre de
nom breuses chances de m aladies et de m o rt» .
Les réponses à l ’enquête de 1843 insistent en général plus sur l ’hy
giène que sur la sécurité au travail . On le comprend. Le manque d’hygiène
frappe l’enquêteur qui se présente dans l ’atel ier tandis que pour déceler
l ’ importance des accidents, une enquête dans le temps est nécessaire ainsi
que le fait remarquer le C on sei l central de salubrité pu blique de Brux elles :
« N ou s ne posséd on s pas les don nées suff isantes pour r ép on d re . . . Ces
données, nous n’avons pu les acquérir parce qu’el les ne peuvent être
fournies que par une observat ion cont inuée pendant plusieurs années sur
chaq ue ind ustrie en particulier. Il y a ici des recherches stat ist iqu es im po r
tantes à faire et no us nou s fa isons un dev oir de les signaler à l ’attention d u
gouvernement» ( II , 621) .
Les accidents du travail paraissent , malgré le manque de renseigne
m ents, être une pla ie très con séq ue nte du travail indu striel au X IX e, surtou t
là où « l ’on fait usage de b eau cou p de m achines et de m étiers m unis d ’un
grand nombre d’engrenages et de courroies , on observe fréquemment des
mutilat ions des extrémités, des fractures, des plaies par arrachement,
l ’enlève m ent com plet du cuir chevelu lorsque la chevelure s ’enga ge da ns les
boucles des courroies et même la mort par broiement» (III , 541) . Le
docteur Mareska, qui a étudié spécialement les manufactures de coton,
assure que « les tableau x stat ist iqu es prouv ent q u ’un cinquièm e des o u
vriers em ploy és dans les fabriques o nt été atteints par les m écan iques.
Encore ce rapport n’exprime-t- i l pas le nombre réel des malheurs puisque
ob tenu par la vo ie d ’interrogation d irecte dans les ateliers, il ne peu t
comprendre ni les accidents qui ont causé la mort immédiate, ni ceux qui
on t éloig n é à jam ais les ouvriers du travail » (III, 4 4 5 ). S elon M are ska , le
plus gran d n om bre de. victim es se renco ntre parm i les enfants (III, 4 4 6 ) et i l
rapporte que, dernièrement, les ouvriers d’un établissement se sont cot isés
entre eux pour faire célébrer une messe en l’honneur de la vierge af in
d ’invoqu er son intercession po ur v oir mettre; un terme aux nom breu x
acc idents d on t la fabrique était , dep uis qu elque tem ps, le théâtre » (III,
4 4 7 ) .
Les dangers courus par les mineurs ont évidemment retenu l ’at ten
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t ion; « la plupart de ces acciden ts son t des blessures légères, des co n tu
sion s. N éa n m oin s, i l en est qui son t très graves : tels son t ceux qui survien
nent à la sui te d ’ex p losion s, de chu tes , de cou ps d ’eau, d ’éb ou lem ents , etc .
Ce son t des fractures du crâne, des com m otion s cérébrales , des déchirures de la moël le épinière , des fractures comminut ives des membres, des luxa
tions, des brûlures qui env ahissen t toute la surface du corps, l ’asp hyx ie »
(III, 66). C om m e p ou r le reste , le docteur Peeterm ans est op t im iste pour sa
région (Seraing) : « les accid en ts dev ienn en t égalem en t d ’une rareté assez
remarquable , dans les houi l lères principalement , grâce aux soins des pro
priétaires, des directeurs et des chefs de ces établissements. . . » (III, 118).
L’importance des accidents survenus pendant la descente ou la remonte
dans les m ines passe g énéralem ent inaperçue dans les dép osi t ion s. Le tr ibut
payé par les mineurs au système mis à leur disposi t ion est cependant
énorme. Voici un tableau qui concerne la période courant de 1821 à
1840 (315):
Nbre Nbre Total
d’ouvriers d’accidents Blessés Tués blessés
+ tués
Belgique
Nombre total d’accidents
37.171
1.352 882 1.710 2.592
A la descente par cuffats 226 50 261 311
ou à la remonte par échelles 95 30 73 103
Total 321 80 334 4 14
Premier district des mines
Nombre total d’accidents
16.896
432 287 532 819
A la descente par cuffats 42 5 4 7 52
ou à la remonte par échelles 70 22 55 77
Total 112 2 7 102 129
Deuxième district des mines
Nombre total d’accidents
8.345
261 151 346 4 97
A la descente par cuffats 60 21 61 82
ou à la remonte par échelles 6 1 5 6
Total 66 22 66 88
Province de Hainaut
Première division des mines
Nombre total d’accidents
25.241
693 440 878 1.318
A la descente par cuffats 102 26 108 134
ou à la remonte par échelles 76 23 60 83
Total 178 49 168 217
Remarque: La première division regroupe le premier et le deuxième districts.
(315) G. Lambert, De la descente et de l'ascension des ouvriers dans les mines, mémoires etpublications de la société des sciences, des arts et des lettres du Hainaut p. 111.
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Il n ou s sem ble que la dé po si tion du C on sei l central de salub
publ ique es t la synthèse de l ’op in ion contem poraine de l ’enquête de 184 3 :
« L ’ouvrier qui cherche sa vie dans le travail y rencontre de nombreuses
chances de maladies et de mort; mais ces chances ne proviennent pas exclusivement
du travail, ou , du m oins, n’en proviennent pas directement. Il serait injuste d’attri
buer au travail seul les maladies si fréquentes et la mortalité si grande parmi la
classe laborieuse; il faut lui reconnaître sa part d’influence et d’intervention dans
ces tristes résultats; mais il faut tenir compte aussi de la condition des travailleurs,
en général si misérable et si malheureuse, de l’abandon dans lequel on les a toujours
laissés, de l’impossibilité où ils se trouvent de se nourrir convenablement, de leurs
habitudes de débauche, d’ivrognerie et de malpropreté, de l’insalubrité de leurs
habitations; il faut tenir compte, disions-nous, de tout cela et convenir que ces
diverses circonstances exercent une influence bien plus funeste que le travail et
qu ’elles contribuent puissam ment à augmenter la mortalité parmi les ouvriers » (II, 655, 656).
I l faut pourtant noter une tendance de beaucoup à fa ire endosser la
respon sabi l ité des accidents par les travail leurs eux -m êm es. « En général ,
écrit le Consei l central de salubrité publique de Bruxelles, ces blessures ne
peuvent être at tr ibuées qu’à l ’ imprudence ou à la maladresse de ceux qui
les on t reçu es» (II, 41 0 ) . Le docteur M areska , dans le mém oire de la
Socié té de médec ine de Gand es t à pe ine p lus nuancé: « . . . t ous l es
fabricants af f irment que la plupart des accidents sont dus à l ’ imprudence
de ceux qui en son t les v ic t im es . N ou s pen sons éga lem ent que l ’habi tude de
vivre au mil ieu des dangers rend téméraire , et que beaucoup de malheurs
pou rraient être évi tés s i les ouv riers étaient m oins indo ci les et prenaient les
pr éca ution s qui leur son t ind iqu ées pa r leurs m aîtres » (III, 3 3 6 ) . Il est vrai
que plus lo in , M aresk a écrit encore : « T ous les jours , à côté de vo us, v os
camarades sont v ic t imes de l eur t éméri té e t vous tombez constamment
dans l es mêmes fautes . Les maî tres sont t émoins des nombreux acc idents
qui vou s frappent , i ls co nn aissent les dangers et votre im prévo yan ce, et il s
négl igent les précaut ions les p lus s imples . Quelques fabricants se sont
efforcés de défendre, autant que possible, les ouvriers contre les péri ls
attachés à leurs travaux ; m ais le p lus grand nom bre n ’on t rien fa i t. Au cun e
con sidérat ion ne saurait excu ser une parei lle insoucian ce, n ous a l l ions dire
un parei l mépris pour la santé et la vie des ouvriers. L’absence presque
générale de moyens préservatifs contre les accidents, révèle dans l ’organi
sat ion des établ issements industrie ls une lacune que nous nous fa isons un
dev oir de signaler au go uv ern em en t» (III, 4 47 ) .
A p rop os des a cc idents dans les us ines , la C om m iss ion m édica le de la
Province de Liège rejette aussi la responsabil i té sur les ouvriers mineurs
(III, 526); el le y revient même à plusieurs reprises: «Les accidents qui
pro vienne nt des éb ou lem ents de la couch e de ho ui l le , du to i t de la veine ou
du fa ux -toi t , résul tent ordinairem ent de l ’im prévo yan ce des ouvriers et de
leur précipi tat ion à placer les étançons» (III , 601) .
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Le truck System, forme de surexploitation de l’ouvrier
U ne forme d ’exp lo i tat ion p atronale qui eut pendant longtem ps un
effet néfaste sur le revenu des travailleurs, est le truck System. Il consiste,
de la part de l’employeur à payer une partie du salaire en nature ou à
imposer de dépenser une part ie du salaire dans un magasin lui apparte
nan t. A insi , i l réalise un b éné fice sur le salaire de l ’ouvrier. C om m e sou ven t
la ma rcha ndise est vend ue à un pr ix supérieur ou bien qu ’il s’agit de cho ses
dont l’ouvrier n’a pas un besoin urgent, la pratique a une répercussion
directe sur le niveau de vie de l’ouvrier.
Peu d ’indicat ions se trouven t dans les réponses à l ’enqu ête de 18 43 , pour la s imple raison qu’aucune quest ion directe n’appelai t ces réponses ,
on ne pouvait guère at tendre des employeurs consultés qu’ i l s avouassent
spontanément la prat ique du système en cause.
Le terme se trouve cepend ant dans le Rapp ort de la C om m ission (T.
I , p. LXI), là où el le parle de l’enquête de la Chambre de Commerce
d ’A nvers : « Ce qu i con tribu e, répon d en effet la Cham bre à la 22eques t ion ,
à aggraver la po sit ion de ces ouvriers , c ’est que les salaires leur so nt payés souvent en nature et non en espèces. Ainsi , la l iberté de l’ouvrier est
entravée, et on l ’obl ige quelquefois à accepter en payement des objets
autres que ceux dont i l a le plus impérieusement besoin. Les fabricants de
Turnhout ont fai t très récemment un arrangement entre eux pour donner
un salaire uniforme à leurs ouvriers; mais il serait à désirer qu’ils convins
sen t aussi de les pay er tou s en arge nt sur le m êm e pied » (T. II, pp.
200 / 201) .
Sur cet te s i tuat ion à T urnh out , plus d ’indicat ions on t été fournies par
la C om m ission m édicale d’A nvers parlant des Tisserands en cou t il s de
cette région :
« Si les renseignements qui nous sont parvenus sont exacts, nous devons
signaler encore ici des abus qui contribuent puissamment à retenir les ouvriers dans
un état de dépendance qui détruit toute émulation, tout désir d’améliorer leur
position et les énerve au moral. Voici ce dont il s’agit: Les fabricants font des
avances aux tisserands, qui travaillent tous à la pièce ou à la tâche; c’est un abus qui leur est très nuisible, car il arrive fréquemment qu’ils dépensent ces avances en
débauches, avant mêm e de commencer à tisser la pièce. D ’un autre côté, plusieurs
fabricants ont adopté, dit-on, un mode de payement, connu sous le nom de système de troc. Les ouvriers sont payés en marchandises au lieu d’argent; les fabricants
tiennent boutique en même temps, de tous les articles dont les ouvriers ont besoin,
jusqu’au pain et au beurre qu’ils doivent payer plus cher que chez les boulangers.
Les ouvriers sont forcés de prendre ces marchandises de leurs maîtres, quelle qu’en
soit la qualité, et à tel prix qu’il leur plaît de fixer; ces prix sont ordinairement plus
élevés que dans les autres boutiques, et de cette manière, les ouvriers sont frustrés d’une grande partie de leur salaire.
« Il serait d ’autant plus à désirer que l’autorité pût intervenir par des moyens
efficaces pour mettre fin à cet abus, que déjà ce mode de payem ent s’étend, à ce qu’il
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parait, à d’autres industries. A Turnhout, les fabricants de dentelles forcent les ouvrières à venir acheter le fil chez eux. Ils le leur vendent à un prix exorbitant. On nous assure qu’on leur fait payer 16 florins (30 fr.) la livre, la même qualité qu’on vend ailleurs 4 florins (7 fr. environ). Pour obliger les ouvrières à prendre leur fil, ces fabricants n’achètent que les dentelles de celles qui ont chez eux un compte courant. Quelques bijoutiers à Boom et à Niel semblent avoir adopté déjà le même système» (III, 192).
Le recensement de 1846 révélera que le paiement en nature es t
sou ve n t le lo t des travailleurs agricoles . C ’est du m oins le cas pou r plus de
la m oi ti é des com m unes de F landres . En W al lonie , sur 16 14 com m unes
recensées en 1846, 1371 déclarent que les journal iers ne sont pas nourris
dans les ex p loitation s. C ’est la m isère et l ’instabil ité de l ’em ploi q ui co n traig n en t les journ aliers à a ccep ter le salaire en nature (316). L. Be llefroid
écrit dans l ’introduct ion à A griculture-Re censem ent général de 1 8 4 6 , tom e
I, p. C C IV (317) : « Il y a, d an s ce s pro vin ce s (les Flan dres) de s loc alités o ù
les journaliers étaient heureux alors de trouver à échanger leur travail
contre la nourriture et lorsqu’ils recevaient outre leur repas, une chétive
rém uné ration en argent, i l était rare que cel le-ci dép asse 30 ou 4 0 centim es,
somme à peine suff isante pour payer 2 à 3 kgs de pommes de terre et tromper a insi la fam ine de leur fam il le» .
2. L’âge de l’insouciance avant l’invention de la
«politique familiale»
Sur quatre ouvriers: un enfant
Le recensement de l ’ industrie , en 1846, sur un total de 314.842
ouvriers en dénombre 66.385 de moins de seize ans , ce qui représente un
jeune de m oin s de se ize ans p o u r un p eu p lus d e tro is ouvriers d ép assan t ce t
âge(318). Les pourcentages des enfants travail lant dans différents secteurs
montrent que c’est surtout le text i le qui occupe un fort cont ingent d’en
fants. 3 2 ,6 % con tre 15 ,5 % da ns les industries diverses , 16 ,6 % da ns les
industries minérales .
Selon l’âge, le travail des enfants se répartissait ainsi:
(316) B. Vcrhaegcn, o.c., tome I, pp. 146, 147.(317) Cité par Verhaegen, id., p. Î49, note 78.(318) Voir le tableau page 11.
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Garçons Filles
9 ans ou moins 0,5 % 1 ,6 %
plus de 9 ans à 12 ans 1,9 % 2,7 %
plus de 12 ans à 16 ans 9,1 % 5,3 %
La Commiss ion d’enquête de 1843 ava i t cru pouvoir conc lure de
tous les chiffres qui lui furent adressés « que le nombre des jeunes enfants
employés dans les d ivers établ issements industrie ls est beaucoup moins
con sidérab le qu ’on ne serait tenté de le sup po ser » (I, C X V ) ta nd is que
l ’Académie royale de médecine aff irmait , au contraire, que « le nombre de
ces enfants est très considérable» (II , 326) .
N o u s tenteron s de résumer les renseignem ents qui on t été fournis
aux enquêteurs par les industriels, les ingénieurs des mines, les Chambres
de commerce e t l e s corps médicaux .
Les résultats de l ’enquête auprès des industriels
A part ir des répon ses des industrie ls — sur un total *de 4 9 7 fabriq u es — la com m ission a établ i le tableau c i -dessou s. Elle fa i t cepend ant
remarquer « qu’i l ne s’agit ici que d’une portion minime de la population
ouvrière et que le nombre des enfants et des jeunes gens est très inégale
m ent réparti entre les diverses industries. Il est particulièrem ent élevé d ans
les fabriqu es de c o to n , de lin et de drap, dan s les ateliers de de ntellerie et de
brod erie et dans les m ines de ho uil le (I , p. IV et V ). L’enq uête ne peu t do nc
être considér ée co m m e s ’éten da nt à tou tes les industries et el le ne four nit
ici « aucune donnée posit ive sur le nombre d’enfants» occupés (I, p. III) .
Sexe masculin Sexe féminin Total
Nbre absolu % Nbre absolu % Nbre absolu %
au-dessous de 9 ans 532 13 164 15 696 13
de 9 à 12 ans 1.615 36 684 61 2.299 42
de 12 à 16 ans 5.638 131 1.881 170 7.519 138
de 16 à 21 ans 5.768 134 3 .37 7 304 9.145 170de 2 1 a ns et au-dessus 2 9 .5 2 0 686 5.002 450 34.522 637
Totaux 43.073 1.000 11.108 1.000 54.181 1.000
La s i tuat ion dans les charbonnages
On jugera à quel point le tableau c i -dessus sous-est ime le nombre
d ’enfants en le m ettant en regard du nom bre d’enfants travai l lant dan s les
charbonnages du Hainaut seulement . Ce tableau est donné par l ’ ingénieur
en ch ef de la première divis ion des m ines (H ainau t), J. G on ot (II, 225 ) :
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Sexe masculin Sexe féminin Total
—de 16 ans+ de 16 ans —de 16 ans+ de 16 ans —de 16 ans+ de 16 ans
Surface 600 3.000 900 1.200 1.500 4.200
Fond 3.600 18.000 900 1.800 4.500 19.800
Total 4.200 21.000 1.800 3.000 6.000 24.000
Il y a do nc, po ur le H ainau t , 16 % de fem m es parmi les ouvriers
houil leurs; 6 % son t des f il les de m oins de 1 6 ans. Au total , 2 0 % d es
houi l leurs son t des enfants de m oins de 16 ans. Près du quart des ouvriers
du fond sont des enfants parmi lesquels 900 f i l les de moins de 16 ans.
Comment se répart issent ces enfants dans les mines du Hainaut? On ne
trouve que des indicat ions dans les rapports . Delneufcour donne les chi f
fres suiva nts (II, 23 7 ) :
Femmes Hommes Total
- de 16 ans + de 16 ans - de 16 ans + de 16 ans - de 16 ans + de 16ans
Mines du Fond 589 1.142 2.179 12.044 2.768 13.186Borinage Surface 549 1.020 250 1.869 799 2.889
Mine de Fond _ _ 12 147 12 147B la ton Surface — — — 33 — 33
Mines du
Levant Fond 22 4 399 1.349 421 1.353de Mons Surface 14 46 — 489 14 535
Totaux 1.174 2.212 2.840 15.931 4.014 18.143
Il se dégage surtout de ce tableau que, là où on em ploie des enfants ,
c’est surtout au fond qu’ils travaillent. Il semble aussi que lorsqu’on
emploie des femmes, une large proport ion sont des f i l les . Le pourcentage
de femm es est sensiblem ent le m êm e que c i-dessus pu isqu ’il dépasse 15 %;
de m êm e p ou r le pou rcen tage de f i l les : il dép asse ici 5 % . En fin, le
po urcen tage des m oins de 16 ans est près de 19 (20 c i -dessus) . Le nom bre
des en fants trava illant au fon d n ’atteint pa s to u t à fait le quart des
houi l l eurs du fond .
Pour l ’arrondissement de C h a r l e r o i , Bidaut , ingénieur des mines du
deu xièm e d istr ict a recensé les ef fect if s de 17 ex p loi tat ions d e hou i lle des plus importantes représentant environ la moit ié du total du personnel
occupé dans les charbonnages. Les pourcentages qu’ i l obt içnt sont les
suiva nts (II, 2 5 5 ) :
Enfants âgés de 9 ans : 0,07 % du total 10 0,2811 1,56
12 3,3113 4,0214 5,0615 4,7616 5,53
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Ic i encore, le po urc entag e de fem m es dans l ’ensem ble est sem blable à
celui de l ’ensemble du Hainaut puisqu’ i l at te int 17 %. Le pourcentage de
f il les dép asse légèrem ent 7 % , celui de l ’ensem ble des enfants , 24 %. En
gros, les pource ntage s son t don c un peu p lus fa ibles dans le B orinage, un
peu plus forts à Charleroi .
Pour les pro vince s de Ntfmwr et L u x e m b o u r g , Gautier, ingénieur des
m ines, f f d ’ingénieur en ch ef de la d eux ièm e divis ion des mines s ignale que
« le nom bre total des ouvriers em ployés dan s cet te d ivis ion à l ’extract ion
de la h oui l le et travai l lant dan s l ’intérieur des m ines est de 86 3 , d on t 84 1
du sexe mascul in et 12 seulement du sexe féminin. Sur ce nombre, l ’on
co m p te 23 2 jeunes ouv riers de 12 à 16 an s, parm i lesquels il ne s’en trouve
que 2 du sexe fém inin » (II, 2 9 6 ) . Le pour centage des enfants occup és au
fond est donc ici fort élevé puisqu’i l atteint presque 30 % alors qu’i l n’est
que de 25 % à peu près pour l ’ensemble du Hainaut .
Pour L i è g e , D ev au x, ingénieur en ch ef des m ines de la 3 e divis ion ,
est im e — sur la base des rapports des 5 e, 6e et 7 e districts — qu e « sur
environ 1 7 .5 50 ouvr iers , i l y a appro xim at ivem ent 1 .200 ga rçons de 10 à
16 ans et 6 à 7 0 0 fem m es don t la m oit ié à peu près de 1 0 à 16 an s » (II,
3 0 1) . V oici le détai l po ur les districts, relevé dans les différents rap ports :
Total des - de 16 ans
5e district
ouvriers houilleurs garçons filles
(Liège, Limbourg, rive gauche
de la Meuse
6.135 676 110
6e district
(Liège)
3.181 390 36
7e district
(Liège)
836 134
Totaux 10.152 1.346
Le pourcentage des enfants par rapport au personnel total ne serait
do nc que d ’un peu plus de 13 % contre 2 0 % dans le H ainau t . M ais quel le
foi faut- i l accorder à ces chiffres? Le rapport de l ’Académie royale de
m édecine de Belgique s ignale en ef fet que « sur 17.70 1 ouvriers em ployés ,
en 1840, dans les houi l lères de la province de Liège, on comptait 6 .090
enfants » (III, 326), ce qui fait passer le rapport de 13 % à plus de 34 %. Il
est fort prob able q ue le pourcentage réel éta i t au m oins aussi fort que dans
le Hainaut .
A joutons encore que le nom bre de f il les travai llant dans les charbo n
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nages ne cessera d’augmenter jusqu’à la guerre de 1870. C’est ce que
m on tre le tab leau que vo ici (319) :
Ouvrières Ouvrières Total
travaillant à l’intérieur travaillant à la surface mineurs
Années Femmes Filles de
- de 16 ans
Femmes Filles de
—de 16 ans
Hommes +
Femmes
1845 2.098 953 1.936 1.035 41.435
1850 2.274 1.221 1.771 1.142 47.949
1860 5.148 3.142 2.604 2.046 78.232
1870 5.151 3.656 2.921 1.880 91.993
1876 4.579 3.306 3.260 2.285 108.343
1880 4.714 3.262 3.540 2.206 102.930
1885 4.256 1.612 3.847 2.241 103.095
1887 3.201 1.032 3.762 2.380 100.739
1888 3.327 1.026 4.051 2.450 103.477
1889 3.233 960 4.132 2.663 108.382
1890 3 .170 945 4.368 2.763 116.779
Source : E lém en ts d 'e n q u ê te su r le rô le d e la fem m e dans l'in d u s tr ie , le s œ u vre s, le s
a rts e t le s sc ien ces en B elg iq ue, Exposition universelle de Chicago, 1893, p. 117.
Les rapports des Chambres de commerce
Il n’est pas possible de retirer des chiffres précis des renseignements
fournis par les Chambres de commerce. Tout ce qu’on peut en retenir , ce
sont des indications, des tendances générales.
Une fabrique de tul le de B r u x e l l e s occup e — déclare le rapport de la
Cham bre de comm erce de B ruxe l les— 30 enfants de 8 à 12 ans ( toutes des
fil les) con tre 3 0 travailleurs de 21 ans et plus (II, 3); u ne fabrique d ’im pr es
sion de foulards, de soie et de moussel ine de laine de la même localité
occu pe 25 garçons de 9 à 12 ans pour 38 ouvriers de 21 ans et plus (II, 4).
Voici un tableau établi à partir des données fournies par la Chambre de
commerce de Bruxel les .
(319) Rappelons que la loi du 13-12-1889, art. 9, stipula qu’à pa rtir du 1er janvier 1892, les fille
les femmes âgées de moins de 21 ans ne pourront être employées dans les travaux souterrains des mines,
minières et carrières. Les femmes et filles employées avant cette date n’étaient pas soumises à cettedisposition.
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D é s i g n a t i o n d e l ’ é t a b l i s s e m e n t
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9 à 1 2 a n s
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A Louvain, il y a 1/4 à 1/3 d’enfants de moins de 16 ans (II, 33), 1/7 à Saint Nicolas (II, 46), 1/5 àAlost sauf dans la dentellerie où ils son t la 1/2 des adultes (II,
52), à Termonde, on trouve 3 enfants sur 20 adultes écrit le président de la
Chambre de commerce (II, 58) tandis que d’autres membres signalent des proportions de 1 à 5 (fabriques de ficelle et rubaneries de fils), 1 à 10 dans les huileries et
amidonneries (II, 79), 1 à 3 dans les filatures et fabriques de couvertures de coto n,
1 à 8 dans les fabriques d’huile, les corderies et papeteries (II, 96).
A Mons, peu nombreux dans les carrières, les verreries, les laminoirs, les
faïenceries, les fabriques de laine, de tabac et de pipes, les enfants sont proportion
nellement nombreux dans les sucreries de betteraves, 1/4 dans les filatures de
coton, tandis que dans les houillères, il y a 1/5 à 1/8 d’enfants. A Charleroi, il y a
1/6 des ouvriers qui n’atteignent pas 16 ans (II, 121). Sur 10 ouvriers, à Tournai, il
y a un garçon; sur 15 ouvrières, une fille (II, 141); 1/3 dans la fabrication des tapis
et la filature des laines (II, 144), 1/6 dans les tanneries et fabriques de cuir (II, 145),
1/4 dans la fabrication du fil à coudre, 1/2 dans la fabrication des cordons (II, 147);
1/4 dans les fabriques d’indiennes; 1/10 dans les carrières (II, 152); 1/3 dans les
chocolateries (II, 160), 1/8 dans les carrières (II, 164); 1/10 dans les filatures de
coton; 1/5 dans le tissage (II, 166). A Liège, la proportion est de 1/4, 1/3 et même
parfois de moitié, particulièrement dans les industries où les machines jouent un
rôle. A Namur, 13 % en moyenne (II, 184).
A Anvers, 3 sur 8 dans les fabriques de soie à coudre, 1/5 dans les fabriques
d ’étoffes de soie, 1/12 dans une fabrique de calicots et tulles, 1/3 dans une fabrique
de toiles et coutils, 5/10 dans deux fabriques de papier peint, 1/5 dans une fabrique
de siam oise, fabriques de drap et dans une fabrique de matière servant de prépara
tion au feutrage de vieux articles en laine, 2/3 dans les fabriques de tabac et cigares.
Les rapport s des co l lèges m édicaux
V A c a d é m i e r o y a l e d e m é d e c i n e , nous l ’avons déjà dit , s ignale que le
nom bre des en fants au travai l est « très con sidérable » , « — la prop ort ion
m oy en ne d ’une f ilature po ur les enfants est d’un t iers . Sur ce nom bre, la
m oit ié o n t l ’âge de s ix an s et dem i à dix ans; l ’autre m oit ié de dix à q uinze
ans. Dans les autres industries , le nombre des enfants employés est égale
m en t très con sidér ab le» (II, 32 6) . Le C o n s e i l d e s a l u b r i t é p u b l i q u e d e
B r u x e l l e s a mené dans l e Brabant une enquête consc ienc ieuse qu i a duré
environ s ix m ois et po rté sur au m oins 17 0 fabriques et ateliers; les
renseignem ents rassem blés son t m alheureusem ent di f fic iles à résumer dans
un tableau. La s o c i é t é d e m é d e c i n e d e G a n d , qu i a m ené son enq uête sur le
t rava i l e t la condi t ion phys ique e t morale des ouvr iers employés dans l es
manufactures de coton de cet te v i l le , est ime l ’ensemble des ouvriers du
coto n à 9 ou 10 .00 0 e t é tab l it dans un tab leau la pro port ion des jeunes . Les
auteurs du rapport , M areska e t Hey m an, on t é tab l i la com paraison av ec
les d on né es fournies par les indu strie ls :
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Ages Résumé des réponses
des industriels
Sexe
Mareska et
Heyman
Sexe
Masculin Féminin Masculin Féminin
Au-dessus de 9 ans 8 7 5
De 9 à 12 ans
De 12 à 16 ans
De 16 à 21 ans
De 21 ans et au-dessus
Totaux
73
122
280
517
1.000
41 50 17
100 170 177
338 170 322
514 605 484
1.000 1.000 1.000
Le début de la carrière ouvrière: six ans, mais, de préférence
après la première communion ce qui évite les « crédits d'heu
res» pour aller au catéchisme
Généralement, i l semble que l’âge d’entrée au travail se situe vers la
9e année. C ’est du m oins ce qui ap paraît du tableau reprod uit pages 130 ,
131 et que nous avons établ i d’après les réponses des Chambres de
commerce .
Souv ent cepen dan t c’est à un âge plus précoce qu e les enfants com
m enc ent leur vie de travail. A insi à T erm on de où la fabr ication de f icel le et
la rubanerie engagent les enfants dès s ix ans. La dentel lerie fait tout
particulièrement exception à cet âge moyen. A Ypres, c’est dès 5 ans. I l
s ’agit ici , évidem m ent, des fameu ses « éco les po ur d entel lières » qui , en
Flandre orientale , en 18 56 , rassemb leront 19 .78 5 jeunes ouvriers . Il devait
y en avoir un nombre déjà considérable en 1843 bien que la crise de
l’ industrie linière n’aie pas encore probablement rejeté les fileuses vers la
den tellerie au m om en t de l’enqu ête. Le rapport du jury de l’ex p osit ion de
l ’ industrie belge de 1847 note, qu’à cette date en tout cas, «i l est peu
d ’industries qui pu issent prétendre à occu per autant de bras en Belgique »;
m ais, à ce m om ent , « . . . nos v il les ne sont p lus seu les en po ssess ion de
l ’exploi ter . Les cam pag nes s ’en sont emp arées auss i com m e d ’un m oyen de remplacer, jusqu’à un certain point , le travail des f i leuses . Dans les Flan
dres surtout, il y a peu d ’éco les de vi l lage où el le ne se soit introdu ite avec
av an tage » (322). Le rap por t dit enc ore qu e ce son t les m ains d élicates d es
jeunes en fants du sexe fém inin qui « dès l ’âge de six à huit ans, co m m en
ce nt à ap pre nd re l ’art de co nd uire ces fus ea ux légers » (323). C itan t, par
ailleurs, l ’éc ole des filles pau vres à Brug es, le rapp ort estim e q u ’elle
(322) p. 105. Nous reviendrons sur la question au chapitre 7. Sans doute faut-il lire en position de
l’exploiter.G23) p. 105.
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« éch ap pe au p rincipe qui prive, en général , les étab lissem ents de cha rité
d’être placés sur la même l igne que les fabricants ordinaires . Le jury a
pensé qu’i l ne serait pas juste d’appliquer ce système aux écoles de dentel
les no n sub sidiées; pa rte qu e ces m aison s son t de vér itables ateliers trava il
lant en concurrence avec le commerce ordinaire et , souvent même, pour
so n co m p te » (324).
A B ruxe lles , « dan s la fabrication des de ntel les , les jeunes ou vrières
com m en cen t déjà à apprendre dès l ’âge de s ix a n s» (II, 8).
D ans le s hou il lères, s i — év idem m ent — on n ’im ag ine pas des en
fants descendant à l ’âge de s ix ans, on en trouve dès l ’âge de 9 ans. Et
encore! la C ham bre de com m erce de Tam ines s ign ale avoir « les preuv es
dan s les relevés fai ts i l y a en viron trois m ois par l ’ad m inis tration des m ines
que des enfants ont commencé leur état d’ouvrier houi l leur à l ’âge de s ix
ans et au-dessou s » (I, p . X V I). Les rapporteurs de la C om m iss ion disent
cependant ne pas avoir conf irmation de ce fai t et croient qu’ i l s ’agi t de
travaux de surface ( tr iage); par contre, la Chambre de commerce de
N am ur, après a voir rappelé l ’article 9 du d écret im périal du 3 janvier 18 13
défendant de la isser descendre dans les mines des enfants au-dessous de d ix a ns, no te qu e « cette pa rtie de la loi n ’est pa s fidèlem en t ob serv ée » (II,
183 ) . C ec i ne confirme pas év idem m ent que les enfants com m encent à s ix
ans. D ’autre part , le docteu r Sch œ nfeld, de Ch arleroi , croit que ce décret
« est gén éra lem ent observé d ans n otre contrée, et s i l ’on em ploie pa rfois
des enfants plus jeunes, ce sont des enfants de veuves ou d’ouvriers très
pa uv res » (III, 2 9 ).
L’Académie royale et la Commiss ion médicale du Hainaut af f irment
qu e l’âge d ’accès à la m ine est d ix ans. La secon de tro uv e d ’ailleu rs que ce t
âge est trop bas : « N otr e co nsc ience de méd ecins, de citoyens d ’une nation
l ibre, nous crie que pour l ivrer nos frères aux travaux propres à ces
souterr ains, i l faut q u ’ils soien t assez forts po ur ne pa s en recevo ir d ’at
te inte dan s leur orga nisat ion, ni d ’em pêchem ent dans leur édu cat ion. C ’est
pourquoi nous pensons qu’on ne doit permettre la descente en quest ion
qu’après l’âge de treize ans, pour les travaux qui ne demandent point
d ’efforts m usculaires , et de qu atorze ans pou r le service d es w ag on s » (III,
21 ).
Un tableau établi par l’ ingénieur Bidaut pour l’arrondissement de
(324) p. 110. — Une dépêche de Ganser, procureur général à Gand, à De Haussy, ministre dJustice, le 6 mars 1848, apprend qu’une femme de médecin exploite plusieurs écoles de ce type: « ...hier
>s’est présenté chez moi le sieur Hamelrath, docteur en médecine à Ypres, don t l’épouse, faisant lecommerce de dentelles, emploie un grand nombre d’écoles de jeunes dentellières. Le commerce souffre
considérablement à raison des événements politiques actuels, et Hamelrath a diminué de 10 % le salairequ’il payait à ses ouvrières. (Du reste, il en est de même à Gand.) — Pour ce motif, le docteur Hamelrath est
devenu, m’a-t-il dit, l’objet de menaces de la part de la populace d’Ypres (Archives de la police des
étrangers, dossier général, 15 B in Wouters, Dokumenten betreffende de geschieden der Arbeidersbewe-ging, Deel I, n° 623).
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L’âge du début de la vie de travail selon les chambres de commerce
Chambre de :
Bruxelles
Dentelle
Rubanerie, tissage de laine et de soie
Tulle
Ateliers de mécanique
Filature de lin
Manufactures de papier peint
Fabriques de papier
Impression d’indiennes
Impression de foulards, soie et mousseline de laine
Teinturerie
Tissage d’étoffes
dès 6 ans
au-dessous de 9 ans
8 ans
9 à 12 ans
9 ans
9 ans
au-dessous de 9 ans
9 ans
9 ans
9 ans
au-dessous de 9 ans
Louvain 12 à 13 ans
Gand
Filatures 9 ans H
Saint-Nicolas 9 à 12 ans
Alost 9 ans (2)
Termonde
Fabrication de la poudre et construction de navires
Fabrication de ficelles et rubaneries
8 à 10 ans
15 à 17 ans
6 ans
Mons
Filatures de coton
Sucreries de betteraves, fabriques de pipes, faïenceries,
7 à 8 ans
verreries
Fabriques de laine, de tabac, carrières, laminoirs
Houillères (travaux souterrains)
9 ans
12 ans
10 ans
Charleroi 10 à 12 ans
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Ch a m b re d e :
Tournai
Bonneterie
Fabrication de tapis
Tanneries, corroyeries
Filerie, rubanerie Diverses industries à Ath
Carrières
Chocolaterie
Carrières de pierres
Fabrique de porcelaine
Fabrique de chaux, extraction de pierres
Filatures et tissages de coton
12 ans
9 à 10 ans
15 ans
7 ans9 ans
12 ans
15 ans
10 ans (garçons)
17 ans (filles)
16 ans
10 ans
11 ans
Liège avant 10 ans
Namur
Faïenceries, houillères, mines, papeteries, filatures,
fabriques d’objets en terre plastique
Forges, fonderies de fer, coutellerie, cristallerie,
10 ans
fabriques de cuivre
Exploitation de marbre, houillères
dès la première
com munion (3)
9 ans
Anvers
Fabriques
Dentelle
8 à 9 ans
6 ans (4)
Ypres
Industrie dentellière
Autres industries
5 ans
7 ans
CourtraiTissage, filatures de lin 7 ans(5)
(1) «Quelques parents amènent leurs enfants au-dessous de cet âge» (II, 38).
(2) « On en prend quelques fois à 7 ans, mais c’est un abus » (II, 52).
(3) « Ils doivent commencer jeunes pour parvenir à être ouvriers à l’âge où ils en on t la force » (II,
183).(4) « Les dentellières dans les écoles commencent vers 6 ans » (II, 194).
(5) «Ce travail n’est point fatigant et ne peut énerver leur constitution» (II, 215).
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C harleroi (325), do nt no us ne do nn on s q ue les totaux , fou rnit des rensei
gn em en ts précis sur l’âge des enfa nts occu pé s dan s les m ines de cette région
(II, 254).
9 10 11 12
Hommes 3 9 53 106
Femmes 3 13 34
Total 3 12 66 140
13 14 15 16 ans 17 ans
et plus
Total
119 142 147 163 2 .763 3.505
51 72 ‘ 55 71 428 • 7 2 7
170 214 202 234 3.191 4.232
La proport ion des moins de seize ans es t donc importante .
L’âge de la première communion est parfois s ignalé comme l ’événe
m ent m arquan t l ’entrée au travail . O n en trouve le m ot i f dans le rapport de
la Commiss ion médicale de Liège, parlant de la fabrique d’épingles de
Fra nco tte : « Les en fants son t ad m is, en génér al , après qu ’i ls o n t fait leur
première communion, mais on en rencontre quelques uns âgés de moins de
dix ans. Les fabricants préfèrent les premiers quand i ls peuvent s’en
procurer autant que l’exigent les besoins de l’ industrie, parce qu’une fois
entrés dans la fabrique, i ls n ’o n t pa s be soin de la qu itter po u r se rendre au catéch ism e» (III, 5 49 ) .
« Q uan d les travaux ne sont Q U E de dou ze heures, les enfants
ne se plaigne nt pas de la fatigue »
Détecter exactement la durée de la journée de travail n’est pas plus co m m od e qu e de préciser l’âge de déb ut de travail, qu ’il s’agisse des
adultes ou des enfants . En matière de durée du travail des enfants au XIXe
siècle, on cite en général les chiffres les plus élevés, c’est-à-dire ceux qui
heurten t le p lus , de mêm e — pour produ ire le mêm e e f f e t — on c ite
sou ve nt les plus bas p ou r l’âge d ’entrée au travail. La s ituation réel le est
évid em m ent plus n ua nc ée et il est fort diff icile d ’établir, à travers l ’enq uête,
une m oyen ne de la durée du travail , ce qui pourrait donner un e idée un peu
plus app rochan te de l ’image réelle . Faute de pou vo ir y arriver, no us avon s
établi un tableau, qu’on trouvera pages 1 3 6 ,1 3 7 , à partir des répon ses des
C ham bres de co m m erce à la qua trièm e q uestion qui leur était po sée (326).
(325) Ce tableau concerne les mines suivantes : Marcinelle (Nord), Carabinier français, Ardinoises,
Pays de Liège, Gouffre, Monceau Fontaine, Réunion (Mont sur Marchienne), Bayemont, Sacré madame,
Falmée, Lodelinsart, Bascoup, Courcelles (Nord), Sars le Moulin, Sacré Français, Mariemont, L’Olive.(326) « Quelle est la durée habituelle du travail journalier pour les enfants? Signalez les cas où cette
durée vous paraît excessive. » — Il se dégage clairement des réponses que les Chambres ont bien distinguéles deux éléments dans leurs rapports; elles n’ont pas répondu à la première partie de la question par des
renseignements relatifs à la seconde partie. On peut donc faire confiance aux chiffres qu’elles fournissent,
d’autant plus, comme nous l’avons déjà signalé, que les dirigeants des chambres n’avaient aucun intérêt à
noircir le tableau.
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Ce tableau comprend deux co lonnes ; l es Chambres répondant à la ques
tion soit en donnant le nombre d’heures de travail journalier, soit par le
détour des heures de début et f in du travail . Pour rester aussi près que
poss ible des données de l ’enquête , nous reprenons les deux formulat ions .
L ’« im pr ession » q u ’on retire c ’est que g én éra lem ent la journ ée de travail
est de douz e heures — un peu m oins en h iver faute d ’éc la irage— avec une
heure environ po ur les repas . Evidemm ent , com m e po ur l ’âge du début de
travail , i l y a de nombreuses exceptions.
U ne ch ose qu i appara ît certaine à travers l ’enq uête, c ’est que la durée
du travail des enfants est la même que cel le des adultes . A partir des
réponses des industriels, les rapporteurs Visschers et Ducpétiaux l’ont affirm é n ettem en t : « la durée d u travail est, sau f de rares exc ep tion s, la
même pour les enfants et les jeunes gens que pour les adultes; el le est
gén éralem ent de d ouz e h eures et varie entre huit et quin ze heu res » (I, p.
V).
De cette af f irmation, on trouve maintes conf irmations dans les ré
ponses venues d’autres mil ieux.
Dans les mines du Borinage, répond la Commiss ion médicale du
Hainaut, la durée du travail « est la même pour l’adulte et pour l’enfant,
douze à quatorze heures en général. . . » (III, 21), dans les autres centres
d ’ex p loita tion , elle, n ’est que"de 7 à 8 h. ( id.) . Ceci laisserait supposer une
durée du travail plus long ue dans les m ines du Bor inage, m ais on ne trouve
pas confirmation de cette opinion; c’est ainsi que le docteur Schœnfeld de
C ha rlero i pa rle de d ou ze he ur es de travail jour nalier : « . . . c ’est à d ix an s,
l imite inférieure de l’âge des enfants employés, que l’enfant de l’ouvrier
m ineur dev ient traîneur ou hiercheur. Le m inimu m de la journée de travail
de cet enfan t est de neu f heures, dep uis sept à huit heures du m atin ju squ ’à
six, ou dep uis cinq à s ix heures de relevée jusqu ’à quatre heures du m atin;
le maximum de la journée es t de douze heures , et ce maximum est plus
gén éralem ent suivi , car les ouvriers traîneurs son t, com m e les autres, à leur
tâche et non à la journée. L’enfant se lève à six heures du matin, se lave
tant bien que mal la face et les mains, déjeune de tafé faible au lait , à la
chicorée, et de pain; i l em po rte avec lui son bidon plein du m êm e l iquide et
du pain un peu beurré; dans le courant du travail , i l mange et boit selon
que le besoin se fait sentir; le soir il mange de la soupe ou de la salade, se
lave et se cou ch e. La distance de la fosse à l ’ha bitation est souv en t grande;
souvent ces enfants jouent après le travail et jouissent alors de l’air pur des
ch am p s» (!) (III, 30 ). A L iège aussi, i l y a assim ilation de la durée du
travail des en fan ts à celle des a du ltes : « la durée du travail des en fants est
la m êm e que cel le du travail des adu ltes » répond la Ch am bre de com m erce
(II, 17 0) et le docte ur F ossio n d on n e exa ctem en t le m êm e avis : « . . . leur
travail dure autant que celui de l’adulte» (III , 41) . L’Académie de méde
cine l’aff irme également en précisant que c’est une s ituation généralisée:
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« La durée du travai l des enfan ts des deu x sexes dans les m anu factures ,
m ines et usines , est la m êm e que cel le des ho m m es forts » (II, 3 2 8 ) . M êm e
s i tuat ion à Gand dans l es manufactures de coton pour l esque l l es l e s
docteurs M areska e t H eym an s ignalent que « la durée du trava il pou r les
enfan ts est la m êm e q ue cel le pou r les ou vriers adultes » (III, 3 6 6 ) . C ette
dur ée, ils la décr ivent ainsi : « la durée h ab ituel le des trav au x, dan s no s
étab li ssem ents , e s t don c de d ouz e à q uatorze heures , c inq fo i s par sema ine
et de sept à neu f heures le lun di , ce qui revient à soixa nte-sep t o u soixa nte
et dix-n eu f heures par sem aine, d ’après les saisons » (III, 3 6 4 ) . Fro idem ent,
les de ux m édecins fon t remarquer : « qu and les travaux n e so nt q ue de
do uz e h eures, les enfa nts ne se plaign en t pa s de la fatigue » (III, 36 6 ) .
E videm m ent , presque partout , « la journée de travail est cou pé e par
trois intervalles de repos, à savoir, une demi heure le matin, une heure à
m idi et une dem i heure l ’après d îné e» (I, p . V ) , m ais la C om m ission
médicale locale de Bruxel les constate que l ’ouvrier travai l le douze heures
en été, n on com pris les heures de repos; el le ajoute, elle aussi , qu e « les
enfants son t en général ass im i lés au x ad ultes sous le rapport de la durée du
travai l » ( III, 63 5 ) . A Y pres, se lon la C ham bre de com m erce, les dentel liè
res et les garçons boulangers travail lent de manière continue (II, 210) .
L orsq u’il y a p ro lon ga tion du travail, l ’assim ilat ion su bsiste. C ’est ce
qu’a noté le Consei l de salubri té publ ique de Bruxel les , parlant d’une
fabrique de dentel les désignée E tabl issem ent A : « la journée des plus
jeu nes en fan ts est gén éra lem en t éga le en durée à ce lle des ad u ltes , e lle p eu t
se prolonger pendant quatorze ou quinze heures ( . . . ) ; quelquefois les
ouv rières ( . .. ) travail lent la nu it ou le dim an che ( .. .) ; qua nd i l y a un travail
extraordinaire la n uit ou le d im anch e, les enfants do ivent y prendre part »
( II , 460) . Le même consei l le note aussi à propos d’une fabrique de tabacs
et cigares (Etablissement B); la durée du travail , en été, va de 6 heures du
m atin à 7 heures du soir , en hiver , de 7 heures à 7 heures , m ais , ajouten t les
enq uêteurs, « il arrive qu elque fois , dan s des ca s pressants , qu e l ’on dép asse
ces l imites ordinaires de travai l ; cependant on ne les dépasse guère que
d ’un e heu re. L e s e n f a n t s d o i v e n t a l o r s t r a v a i l l e r c o m m e l e s o u v r i e r s f a i t s »
(II, 429) .Les rapporteurs de la C om m iss ion de 1843 on t cru po uv oir conc lure
— à la sui te des réponses des indu strie ls— que dans la plupart des ind us
tries, i l n ’y a p as de trav ail de nuit; ce travail n ’ex istait guère à l ’ép oq u e q ue
dans les mines et les usines à feu continu, quelques f i latures de l in, et ,
occ asion ne l lem ent , lorsque l ’ouvrage est pressé , dans les fabriques de drap
et de co ton . Les enfants — toujours se lon les rapporteurs — y son t astreints
de même que les adultes (I , p. V). Le Consei l central de salubrité publique
de B rux elles sign ale certaines indu stries où le travail dure 24 heures : dan s
une fab rique de pa pier (E tablissem ent B), « les meun iers travail lent encore
24 heures de sui te , mais on nous a assuré que bientôt on les re layerai t de
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dou ze en do uz e heures » (II, 4 0 6 ) . Il en es t de m êm e dan s un établ issem ent
similaire (Etablisseme nt F, II, 4 0 9 ) où les ouvriers ga gn en t 2 ,7 2 fr. po ur les
2 4 heures et à l ’Etabl issem ent G , où , pour 24 heures de travail con sécu t if
i ls ne ga gn en t que 1 ,35 à 1,4 4 fr. (II, 4 1 1 ); à l ’Etab lissem ent H , les
m euniers t ravail lent éga lemen t 2 4 heures . La Com m iss ion m édica le de
Liège con state que « les ouvriers en z inc, de m êm e q ue ceu x qui sont
em ployés à la rédu ct ion des autres m étaux , travail lent vingt-quatre heures
et se reposen t le m êm e laps de tem ps » (III, 53 1); m ais , ajoute la C om m is
s ion l iégeo ise , « les dix-neu f heures qui restent son t em ployée s à un travail
de surv eil lanc e, qu i n ’est nullem ent pé nible, et à la fon te des l ing ots » (III,
5 31 ); les enfants qui sont occup és u niquem ent au tr iage des débris de vieu x
creusets « quit tent cet te occ up at ion quan d i ls le jugent à pro po s , sans
jam ais être astreints à un travail co n tin u » (III, 5 3 1 ) .
La Commiss ion médica le loca le de Bruxel les n’a pas rencontré de
jeunes ouvriers occu p és p en d an t la n u it (III, 6 3 7 ) . Il en est de m êm e dans
les m anu factures de c oton gan toises s i on en croi t le docteur M areska :
« La plupa rt des fabricants , dit- il , considéra ient les travaux ex cep tionn els
de nu it co m m e n uisibles à leurs intérêts. La m ain-d ’œ uv re, disaient- i ls , est
plus chère à ca use de la lum ière, et l ’ouv rage est m oin s bo n : ce son t là
deux condi t ions fâcheuses dans un pays où l ’ ex igence du consommateur
est grande, et où, par la réduct ion du m arché, l ’éco ulem en t des prod uits es t
de ve nu p lus d ifficile » (III, 36 5 ).
Les C ham bres de com m erce répondent de m êm e que , dans la p lupart
des branches, i l n’y a pas de travail de nuit , bien que parfois celui-ci se
présente en période d e presse . La Ch am bre de Bruxel les signale une exce p
t ion « po ur les établ issem ents où les mécan iques so nt m ult ipl iées, fort
coûteuses , et où les chefs ont par conséquent un intérêt fort grave à leur
faire produire tout ce qu’el les peuvent; tel les sont ici les machines à
fabriquer le tulle et à filer le l in. Telle est aussi la fabrique d’acides où
de ux ouvriers son t occu pés tou tes les n uits» (II, 13); à Te rm ond e,
« chez qu elqu es rub aniers , on travaille le soir, en h iver de sept à n eu f
ou d ix he ures» (II, 80) . La C ham bre de com m erce de M on s a cons taté
que c’est seulement dans les houil lères que les enfants travail lent la nuit ,
i ls so nt « rarem ent » âgés d e m oins de 13 ans et n e trav aillent pa s le
jour (II, 1 0 4 ). G o n o t, in gén ieu r d es m ines de la prem iè re d iv is ion d u
H aina ut est im e q u ’un tiers des m oin s de 16 a ns trava illent la nuit (II, 22 6 );
Delneufcour, du 1er district de la première divis ion est ime que dans les
m ines du B or inage , deux- s ep t ièm es — s o it 750 à 8 0 0 — des ouvriers de 10
à 16 ans travail lent la nuit (II , 238); selon Bidaut, pour Charleroi (2e
d istria , l re divis ion ) , 1 78 m ineurs de m oins de 1 7 ans travai llent la nuit (II,
267) . A Namur, se lon la Chambre de commerce , l es enfants , dans l es
m ines, « fo n t leur p ério de de nu it » et « la fon te des cristalleries ex ige un
travail de nu it auq uel les en fan ts pren nen t part » (II, 1 84 ). A To ur na i, dans
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La durée du travail selon les chambres de commerce
Chambre de commerce de : Durée du travail
par jour Heures de début et
de fin du travail
Bruxelles
Rubanerie 8 à 9 h.
Tulles 11 à 12 h.
Ateliers de mécanique 12 à 13 h.
Filatures de lin — de 6 h. à 19 h.
Fabriques de papier 11 h. de 7 h. à 18 h.
Papiers peints Eté: 12 h. Hiver: 9 h.
Dentellières — de 6 h. à 21 h.
Imprimeurs d’indiennes Eté: 12 h.
Hiver: 9 h.
Tissage d’étoffes Eté : 12 h.
Hiver: 9 h.
Fabrique diacides 12V î h.
Louvain Eté : 12 h.
Hiver: 8 h.
Gand — Eté: 5 à 20 h.
— Hiver: de l’aube à 21/22 h.
Saint-Nicolas — Eté: 5 à 20 h.
— Hiver: 7 à 20 h.
Alost — Eté : 6 à 20 h.
— Hiver: 7 a 20 h. •Termonde
Delwart-Landas — 6 à 18 h.
Vermeire Eté : 12 h. —
Hiver: 7/8 h. —
J. d’Hollander — 6 à 19 h.
Van den Steen 8/10 h. —
Mons — Eté : 6 à 19 h.
— Hiver: 7 à 18 h.— Houillères: 4 à 16 h.
Charleroi 9/12 h. —
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Chambre de commerce de : Durée du travail Heures de début etpar jour de fin du travail
Tournai
Bonneterie ± 12 h.
Tapis 12 h. —
Tanneries, Corroyeries — 6 à 20 h.
Filerie, rubanerie 13 h. —
Diverses industries (Ath) Eté : 12 h.
Hiver: 8 h.
Fabriques de chocolat et
commerce d’épicerie — 6 à 20 h.
Fabrication de porcelaine
Fabrication de chaux et
12 h. —
extraction de pierres Eté : 10 h.
Hiver: 8 h.
—
Filature et tissage de coton Com me les adultes
Liège 12 h.
8 h. (houillères)fréquemm ent porté à 13 /14 h.
Namur
Houillères 8 h.
Fabriques 12 h.
Filatures
Forges, fabriques de
14 h.
cuivre et de couteaux 10/12 h.
Verreries 11 h.
Tailleurs sur cristaux 10 h.
Carrières de marbre Eté: 11 h.
Hiver: 8/9 h.
Anvers 10/11 h.
Ypres
Dentelle Eté: 7 à 19 h. (en ville)
6 à 20 h. (à la campagne);
Hiver: 3U d’h. en moins.
Boulangers — 2 h. du m atin à une heure fort;avancée de la nuit.
Courtrai moindre que pour
les ouvriers.
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la chocolaterie et le commerce d’épicerie, lorsque les enfants travail lent la
nuit , « c’est le sam edi, de m anière q u ’ils se repo sent le dim an che » (II, 1 60 ) .
La Chambre de commerce d’Ypres rapporte que les apprent is boulangers ,
sou ven t, « son t à l ’ou vra ge d epu is deu x heures du m atin jusq u’à d ix heures
du soir» ( II , 210) . Cel le de Gand s ignale que lorsque les enfants sont
occ up és la nu it , « on cesse à 9 h eures du soir po ur reprendre à 10 heures et
le travail est con tinu é avec un intervalle d ’une dem i heure à m inuit
ju sq u ’au jo u r» (V , 3 9 ) .
L’enfant, petit moteur électrique de la machine du 19e siècle,
o u jeune lam ineur « do nt la fibre m usculaire est pu isam m ent
stimulée par la crainte du danger », ou jeune houilleur « qu’il
est cruellemen t utile de faire descendre de bo nn e heure »
La plupart des réponses à l ’enquête de 1843 présentent les travaux
do nt o n charge les enfan ts com m e travaux légers : travaux de pet i t s m a
nœuvres, d’aide ouvrier, etc.
Dans les fabriques de bas, répond la Commission médicale d’Anvers, « les
enfants de dix à onze ans sont employés au dévidage; ce travail n’excède pas leurs
forces, et sa durée ne dépasse pas une limite convenable » (III, 187), à la Fabrique
de papiers peints Delhuvenne, à Turnhout, « les jeunes ouvriers de 9 à 16 ans sont
employés à pendre et à sécher le papier, et à peindre les images » (III, 20 4) . A
Louvain, on répond qu’ils aident les ouvriers (II, 33); à Saint Nicolas, les garçons
rattachent et dévident dans les filatures (II, 46) tandis que les filles assortissent et
épluchent les laines (II, 46 ); à Alost, les enfants bobinent le fil et le coton , battent le
fil, égalisent les couleurs dans les imprimeries, font les commissions (II, 52); à
Termonde, ils sont occupés à la fabrication de la dentelle (II, 90); à Namur, les
enfants sont manœuvres légers dans les fabriques de papier et dans l’extraction
plastique, dans les filatures de coton, ils surveillent les machines (II, 183).
La Chambre de Tournai fournit de nombreuses réponses du même genre:
« Les garçons font leur apprentissage sur les métiers à bas, etc. Les filles apprennent
à coudre et à bobiner » (Bonneterie, II, 14 1) , « préparation de la matière première à
placer sur métiers; ils sont aussi chargés des dernières manipulations que l’on fait
subir aux marchandises avant de les livrer à la consommation » (Filerie et rubane-
rie, II, 14 7) , « étendre, au m oyen de petites brosses, sur des tamis en drap, les
couleurs dont on se sert pour imprimer » (Fabriques d’indiennes, II, 152), « mise en
forme des chocolats et menues préparations » (Fabriques de chocolat, II, 160),
« taille des pierres...; les jeunes filles achèvent la polissure des carreaux à paver, qui
ont subi une première opération au moyen du manège (Carrières, II, 162), « dé
blayer le banc de rocher des petites pierres et la chaux des résidus; ils font aussi des
marchés de terrassements » (Fabrication de chaux et extraction de pierres, II, 164),
« dans la filature, quelques petites so igneuses et rattache uses; dans le tissage, les
bobineurs de la trame » (Filature et tissage de coton , II, 166).
Il ne faut pourtant pas trop s’ i l lusionner sur la légèreté du travail
dévolu aux enfants. Le travail de dentel lerie par exemple apparaît à
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première vue com m e un travai l léger . La Cham bre de com m erce d ’An vers
s ignale pourtant com m e u ne excep t ion aux travaux « qu i ne fa tiguent
p oint et qui ne son t pas su scept ibles de nuire au dévelop pem ent » (II, 19 4)
le travail des den tellières de T u m h ou t et de quelques local ités de la
C am pine : « les jeunes f i lles étan t p ou r la plupart en fants de t isseran ds, les
ateliers de t issage leur servent d ’éco les; el les trava illent dan s ces en dro its
humides et malsains depuis sept heures du mat in jusqu’à midi , e t depuis
une heure de l ’après-midi jusqu’à huit heures du soir, et cela dès l ’âge de
six ans. Le mauvais air qu’el les respirent continuellement, joint à leur
po si t ion assise et p lus ou m oins cou rbée, ne peut ma nqu er d ’être funeste à
leur santé et à leur cro issance : aussi , elles con tracten t ordinairem ent des
difform ités et viei l lissent ava nt le tem p s» (II, 19 5 ) .
D an s le m êm e sens, la descript ion fourn ie par l ’A cad ém ie royale de
m édecine at tire l ’at tent ion sur des travaux s ou ven t présentés com m e lé
gers : ceu x de s enfants em ploy és co m m e rattacheurs dans les fi latures de fi l
et de c oto n à la m écan ique : « Ces d erniers son t chargés de su rveil ler les
f il s, de rattacher ceux qui se rom pent , de net toyer les bo bines , de ram ener
le coto n qui s ’éch ap pe du v enti lateur, au risque de se faire broyer les do igts
et les m ains par les rouag es des m achines . C e son t , à proprem ent parler , d it
un auteur moderne, les aides, les élèves, et presque toujours les souffre-
douleurs d u f ileur. Ajoutez que ces diverses occu pa t ion s exigen t de l ’enfan t
une attention et une act ivité qui ne soient jamais interrompues, car le
moteur est là qui les presse, et toute distract ion de leur part , par cela seul
qu’el le serait préjudiciable au f i leur, serait punie de la manière la plus
sévèr e» (II, 3 29 ) .
Ce travai l est pou rtant fréquent : à Gan d, se lon M areska et H eym an ,
« tous les garçons, à l ’exception de quelques enlaçeurs et apprentis t isse
rands, so nt des rattacheurs et des m on teurs. . . » (III, 3 5 7 ) .
Il est enco re d ’autres travau x, co m m e ceu x d es « épingleries à tête
battue » exercés presque exc lusivem ent par des enfants de 10 ans e t m oins ,
d on t la C om m ission m éd icale de Liège décrit l ’act ivité : « C es pet its enfa nts
introduisent , à l ’aide de la main gauche, la t ige de l ’épingle dans la tête,
placen t cet te tête sous un m ou ton du poids de 4 à 5 ki logr. , qu ’ils font
m ou vo ir quatre à cinq fo is de suite par un levier à l ’aide de la jamb e dro ite
alors que la main gauche est déjà occupée à introduire une nouvel le t ige
dan s un e au tre tête et ainsi de su ite tant que la journée dure » (III, 54 9 ) . E t
cet te journée dure 12 heures! La même commission médicale fa i t montre
d’une admirat ion assez désarmante devant le travai l des lamineurs qui
d ébu tent dès l ’âge de 1 2 à 15 an s et travaillent 12 h eures par jour: « leur
act iv i té est admirable; on ne comprendrait point l ’adresse dont i l s font
preuve en saisissant le métal en ignit ion, en le passant d’une f i l ière à
l ’autre, si l ’on ne connaissait pas tout ce que peut une longue habitude sur
de jeunes sujets, dont la f ibre musculaire est puissamment st imulée par la
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crainte du danger, l ’ incandescence des barreaux de fer qu’i ls manient, le
bruit et la vitesse d es m ach ines et des lam ineurs » (III, 5 3 3 ). C ’est là un
effet de l ’environnement auquel on n’aurait pas pensé!
Le travail des enfants dans les mines ne paraît pas appuyer l’hy
pothèse des « travaux légers» . Evidemment l e docteur Peetermans fa i t
enco re une dé po sit ion op tim iste (327) sur ce sujet : « l ’em ploi des c he va ux ,
un air plus pur et l ’assèchem ent des travaux souterrains o nt en f in m is un
terme à la plupart des causes qui , dans les charbonnages , produisaient
spécialement ces effets ( les maladies qu’i l a décrites auparavant) sur l’en
fance employée ci-devant au traînage des produits , espèce de travail très
n uisib le et p ou r lequ el elle était très rech erch ée » (III, 13 1 ).. . les acc iden ts « son t actuellem ent d ’une ex cessive r areté» ( id.) .. . et i l va m êm e jusqu ’à
considérer « les inco nv énients at tachés au travail du jeune m ineur com m e
m oins grands et m oins d éfavorables à sa con st itut ion phys ique, que ceux
qui résultent des pro fession s séde ntaires emb rassées par d ’autres enfants »
(III, 1 32 ). M ais Peeterm ans a born é ses recherches aux m ines de sa loca lité.
Les ingénieurs des mines de la trois ième divis ion (Liège) nous apprennent
effect ivement que « dans les grandes mines , comme dans cel les du canton
de Seraing, où le trainage est exécuté presque partout par des chevaux, les
enfants sont occupés à reporter les lampes, nettoyer les rigoles , porter des
m atériaux , fermer les portes et il s sont à peu près en m êm e no m bre le jour
que la n u it» (II, 3 1 0 ) . M ais il n ’en est pas partout de mêm e; « d a n s les
mines moins importantes , comme cel les qui se trouvent au nord de la
Vesdre, rapportent ces ingénieurs , les enfants sont employés comme traî
neurs et l ’extraction étant plus active le jour que la nuit , on emploie
bea uco up plus d ’enfants pend ant le jour que pen dan t la nuit » (II, 31 0) . Le
docteur Foss ion auss i es t plus nuancé que Peetermans: «I l es t de ces
enfants , et c’es t le plus grand nombre, dont l ’occupat ion cons is te à
conduire la houi l le , soi t au puits d’extract ion pour être immédiatement
chargé dans le cuffat , soit dans les galeries principales qui sont assez
élevées et assez larges pour que les chevaux puissent y circuler. Dans les
anciennes houil lères , le charbon était chargé dans des espèces de paniers
que l’on devait traîner sur la terre toujours recouverte de pierres, de
morceaux de houi l le , etc . Cette tâche étai t extrêmement fat igante; e l le
épuisait les forces des petits malheureux que l’on voue au métier de
houil leur. Les galeries étaient quelquefois tel lement basses que les enfants
de dix à douze ans devaient se courber et se pl ier pour y circuler. Depuis
quelques années, cet état de choses s’est beaucoup amélioré. . . » (III , 77) .
Pour le bassin de Charleroi , une s ituation assez semblable est décrite
(327) Signalons que le docteur Peetermans était chargé depuis dix ans du service médchirurgical des trois charbonnages de l’Espérance à Seraing (III, 131).
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par le do cteu r S chœ nfeld : « D an s un p etit nom bre de fosses de p eu
d ’im portance, app elées cayats , on em ploie encore l ’ancien m od e de traîna
ge. C e m od e, q ui con siste à faire t irer par les enfan ts un traîneau sur lequ el
est placé un cuffat , a des inconvénients grades pour l’enfant qui doit faire
beaucoup d’efforts pour vaincre la résistance que rencontre le traîneau.
Depuis d ix à douze ans , on emplo ie rarement ce mode de transport dans
l ’ intérieur des mines et ceux qui, autrefois , ont travail lé à ce genre de
traînage se fo nt rem arquer à l’observateur par la stature et la con stitution
que j’ai décrites au commencement de ma lettre; ceux-là ont été é c r a s é s
dans les fosses , suivant l ’expression pittoresque des ouvriers» (III , 30) .
Le « hierchage » par les enfants était donc une plaie avant l’enquête de 1 84 3. Le docteur Lebeau, en 18 28 , y faisai t déjà allus ion. Ce m al , pou r
le docteur hutois naît du dénuement absolu de la majori té des habitants
des com m un es de la r ive gauch e de la M euse. C e « travail forcé au quel sont
ob ligés de se livrer, trop jeunes, les m alheur eux e nfan s des paysans; à peine
ont- i ls sept à huit ans que le plus grand nom bre v on t déjà aux travaux d es
hou i llères ou des alunières. Q u ’on se f igure com m ent do it se développ er un
infortuné, obl igé de traîner chaque jour pendant dix heures un poids
au-dessus de ses forces , dans la posit ion la plus gênante, et renfermé dans
une mine dont l’air humide et vicié n’est jamais corrigé par la lumière du
so leil... » (328). Il n ’est pa s certa in q ue ce gen re d e trava il infan tile, gé né ra
teur d ’une « fou le de graves accid en ts », rend ant les en fan ts « im pro pres au
travail à un âge où d’autres ont acquis un plus grand degré de force
(Chambre de commerce de Namur, I I , 183) , so i t é l iminé au moment de
l ’enqu ête. C ’est ainsi que Bidau t, ingén ieur de la prem ière d ivision du
premier district (Charleroi) , constate que le transport des «substances
pro vena nt du p ercem ent des excav at ions prat iquées d ans les m ines » est
assuré par « 1 un certain nombre d’individus mâles ayant dépassé seize
ans; 2 tou tes les fem m es em ploy ées dans les travau x intérieurs; 3 tous les
individus mâles au-dessous de seize ans , excepté ceux qui sont employés
com m e aides des catégories de m ineurs que je viens de désigner » (II , 2 6 3 ).
On trouve conf irmation de cet te dernière constatat ion dans les cons idéra
t ions de la Chambre de commerce de Charleroi à propos du travai l des
enfants dan s les m ines :
« Il est une partie des travaux imposés aux enfants dans les mines de houille
qui nous paraît nuisible à leur santé. Souvent ils sont employés à hiercher, c’est-à-
dire à tirer ou pousser les chariots chargés de charbon pour les conduire depuis
l ’endroit où travaille le mineur proprement dit, jusqu’au puits d’extraction : c’est
un travail très fatigant. Obligé quelquefois par le peu de hauteur de la galerie, à
ramper, le jeune ouvrier s’attache au corps une sangle, terminée par une chaîne
accrochée au chariot ou wagon. Il se traîne alors, comme il le peut, sur les pieds et
(328) Docteur Lebeau, Topographie médicale du Canton de Huy, 1828, p. 86.
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les mains, tandis qu’un autre enfant, placé derrière le chariot, le pousse devant lui
avec la tête et les mains. Ceux-là sont écrasés dans les fosses, suivant l’expression
des ouvriers. Ce travail est d’autant plus au-dessus de leurs forces, qu’ils sont
obligés de l’accomplir dans les galeries basses et étroites, exposés tantôt à des
courants d’air très frais, tantôt à une température assez élevée, et ayant constamment à lutter contre les mauvais effets de la poussière de charbon et des gaz
délétères. Heureusement que déjà la science a apporté quelques changements au
système suivi depuis longtemps; et, dans certaines exploitations, des chemins de fer
rendent plus facile la traction des chariots chargés de houille. Il serait à désirer que
ce système fut mis indistinctement en usage dans toutes nos exploitations, notam
ment dans les remises à forfait. Les ouvriers hiercheurs se font généralement
remarquer par leur constitution rachitique.
« La sûreté des m ines exige que les galeries soient coupées par des portes,
afin de prévenir de dangereux courants d’air, qui, dans les entrailles de la terre,
pourraient produire de terribles accidents. Ce sont ordinairement des enfants qui
sont chargés de la garde de ces portes, qu’ils doivent ouvrir aussitôt qu’un ouvrier
ou qu’un chariot se présente, et qui se referment d’elles-mêmes, ordinairement dans
l’obscurité, car on ne leur fournit pas toujours de la lumière, et dans l’humidité
pendant tout le temps que dure la journée de travail, ces enfants arrivent souvent à
un état d’imbécilité qu’ils conservent toute leur vie, indépendamment de l’altéra
tion de leur constitu tion physique » (II, 12 2, 123).
On peut même être sûr que le hiérchage par les enfants pers is te
plusieurs ann ées après l ’enqu ête. Ainsi le docteu r H an ot écrit enco re à ce
sujet en 18 46 :
« Le genre de travail qui m’a paru le plus rude et le plus dur, c’est le traînage
du charbon dans les différentes galeries : il se fait ordinairement par des jeunes gens
forts et robustes, et le plus souvent étrangers au pays charbonnier, car les ouvriers
de la localité s’en gardent bien en général. Au reste, ce service fatigant, qui a lieu, pour la plupart des houillères, dans la voie d’arrivage de l’air frais, où celui-ci n’a
pas encore pu se vicier, s’accorde bien avec la dépense de forces que ce travail exige.
Le charbon est transporté au moyen de chariots dont la grandeur varie; les roues
marchent ordinairement sur des rails en fer » (329).
H an ot a d ’ail leurs une curieuse p os i t ion en face de ce prob lème. Il
n’est pas un tenant de l’adaptation de la machine à l’homme, mais de
l ’homme à la machine.
«M oi, je soutiens, écrit-il, et j’en ai la preuve, qu’il est infiniment plus
dangereux de laisser commencer à descendre dans les travaux des mines un homm e
fait qu’un jeune enfant : je vais plus loin, et je dis qu’il est cruellement utile de faire
descendre de bonne heure un enfant qu’on destine à la profession de houilleur; car,
je le répète, on se fait à tout, et c’est dans le jeune âge, comme je l ’ai prouvé, qu’on
doit s’y prendre pour y parvenir. Cet enfant s’habituera à grimper pour monter aux
(329) Docteur Hano t, De la mortalité des ouvriers mineurs, Bruxelles, 1846, p. 82. L’essentiel
cet ouvrage est un mémoire présenté par l’auteur à la Société des Sciences, des Arts et des Lettres duHainaut.
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échelles; il s’habituera à se nourrir d ’un air peu riche en oxygèn e : les positions gênantes qu’on est forcé de tenir dans ce genre de travaux lui deviendront familiè
res; il basera de bonne heure son alimentation sur sa respiration, dont la somme d’activité de fonction se dosera sur elle; sa poitrine ne prendra pas une ampleur inutile et dangereuse pour lui : en effet, j’ai cru remarquer que les hommes au thorax large et développé devenaient plus tôt asthmatiques que ceux dont celui-ci est long et étroit; et il s’établira un équilibre organique entre le milieu dans lequel il est appelé à vivre et la constitution physique qui lui sera convenable; enfin, sa nature se sera moulée sur son genre de vie, et il aura acquis droit de domicile dans ces sombres demeures qui, pareilles au sol africain pour ce Samoyède transplanté, tuent celui qui voudrait venir les habiter, passé un certain âge » (33°).
C ’est ce que H an ot a ppel le « la période d ’accl im atem ent » de l ’enfant ho ui l leur :
A son entrée dans les travaux des mines, il s’opère une révolution complète dans ses habitudes, sa manière de vivre. Il se lève maintenant à deux heures du matin et on sait quelle influence a la privation du sommeil sur la santé, et surtout sur celle d’un enfant : il doit, pour gagner la fosse où il travaille, voyager par toutes les intempéries des saisons; il va descendre les échelles, respirer un air vicié (*), être contraint dans une attitude plus ou moins immobile et gênante, puis ensuite il
remontera par les échelles que nous connaissons. Ajoutez à cela la cessation de ses jeux, le changem ent de son régime, et vous conviendrez qu’une révolution aussi bouleversante, qui s’opère tout à coup autour de cette tendre organisation, suffit déjà pour imprimer à ce jeune sujet une teinte de souffrance intérieure qu’on lit dans ses traits. Aussi le voit-on bientôt pâlir et maigrir; son appétit diminue; il devient triste; il répugne au mouvement; enfin, il présente tous les symptômes, que nous connaisson s déjà, de dépérissement et d ’affaissement physique : c’est la période d 'acclimatement » (330331).
H an ot n ’est pas inventeur de cet te curieuse at ti tude, pu isqu’en 18 43 déjà, le docteur V and enbr oeck relatait que « quelques m édecins , ce m e
semble, ont émis à ce sujet une opinion bien étrange en avançant que la
l imite d’âge adoptée pouvait être plutôt d iminuée qu’augmentée , p a r c e
q u e , disaient-ils, l e s e n f a n t s e m p l o y é s d a n s l e s m i n e s a c q u i è r e n t f a c i l e m e n t
l ' h a b i t u d e d u t r a v a i l e t q u ' i l s s o u f f r e n t m o i n s , p l u s t a r d , d e s i n c o n v é n i e n t s
a t t a c h é s à l ' e x e r c i c e d e l e u r p r o f e s s i o n . Cette manière de voir, ajoutait
Vandenbroek, n’est que spécieuse, et je vais tâcher de le démontrer » (332). Avant cela Vandenbroeck s’était déjà, lui , prononcé contre l ’art icle 29 du
décret du 3 janvier 18 13 (333) interd isant de laisser descen dre les en fants d e
(330) Hanot, o.c., pp. 102/103.* « On sait que plusieurs de ces enfants, fixés invariablement dans une impasse, qui est un bout de
galerie fermé par une porte qu’ils sont chargés d’ouvrir, se trouvent par conséquent inactifs dans un air peurenouvelé ».
(331) Id., pp. 106, 107. ,(332) Docteur Vandenbroeck, professeur de chimie, de métallurgie et d’hygiène à l’école provin
ciale des mines du Hainaut, Aperçu sur l'état physique et moral de certaines classes ouvrières. Présenté àM. le ministre des Travaux publics, Bruxelles 1843 1843, p. 51.
(333) Confirmé par l’article 7 du règlement de la députation des États du Hainaut le 17 sept. 1833.
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m oins de dix ans; n on seulem ent , af f irm ait- il , « cet te injon ct ion ne se
trouv e pas toujours ob servée », m ais « la l im ite q u ’el le assigne ne m e paraît
pa s suff isante » (334). C ette l im ite pou r V and enb roec k aurait dû être portée
à 15 ans.
On peut donc conclure que, dans les mines , les enfants exercèrent
très longtemps les fonct ions de hiercheurs dans des condit ions extrême
m ent pénibles . Pet it à pet i t, il s furent remplacés par des m oyen s m écan i
ques. C e dernier p hé no m èn e est im po rtan t à noter. Il paraît en effet certain
qu’un des éléments les plus pénibles du travail des enfants dans les usines
au début de l’ industrial isation, est qu’on leur f it jouer le rôle de force
motrice .La C om m ission m édicale d ’A nvers l ’a bien remarqué en écrivant que
da ns la grand e corde rie, « . .. on n ’ad m et pa s les enfants au-d essou s de
treize ans, parce qu ’un m ou lin à bras rem place l’ou vrage des enfan ts qui ne
font que tourner » (III , 189). Plus s ignif icative encore cette autre notation
de la même chambre à propos de l ’ Industrie de la tai l le du diamant:
« D an s les ateliers de M . B orie, qui occu p e au -delà de cent ou vriers , les
disques sur lesquels le diamant es t pol i , sont mis en mouvement par une
machine à vapeur. Les ouvriers qui travail lent chez eux impriment ce
m ouv em ent au disque au m oyen d ’un m ou l in à bras , qui es t tourn é par un
apprenti adolescent» (III , 202).
M ou vo ir les tours et les roues, étai t une fonct ion sou ven t dév olue
au x enfants; chez les fabricants de ficel les à T erm on de, i ls tou rn en t la roue
du f i leur (II, 79 ) , d ans les faïenceries de M o n s, ils tou rnen t les roue s des
tours (II , 103), de même dans cel les de Namur (II , 183). . .
Parfois , c’es t un autre m ou vem ent m écaniqu e q u’ils do ivent assurer,
com m e celui de « ploq ue r » : « D an s un établissem en t où l ’on fabrique des
couv ertures de laine, rapp orte l ’A cad ém ie roya le de m édec ine, on se sert de
machines mobi les , d i tes machines-à boudiner, auxquel les i l faut imprimer
des m ou vem en ts successifs de va -et-vient. Pou r faire reculer la m ach ine
poussée en avant par les boudineurs , les enfants occupés à ploquer, ne
pouvant se servir de leurs membres inférieurs, appliquent à cet effet la
partie antérieure et moyenne de la jambe contre le support de la machine
qui est élevée sur des roulettes et , de ces actions fréquemment répétées , i ls
résulte que les os flexibles des jeunes ouvriers cèdent sous l’effort, et
subissent , à la longue, une incurvat ion qui const i tue une déformation
permanente des jambes de ces enfants» (II , 340) .
Le Comité de salubrité publique de Bruxelles décrit le genre de
(334) Vandenbroeck, Réflexions sur l'hygiène des mineurs et des ouvriers d'usines métallurgiq
suivies de l'exposé des moyens propres à les secourir en cas d'accidents..., Mons, 1840, p. 232.
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travai l des enfants dans les fabriques de papier peint : «Tout l ’apparei l
nécessaire à l ’ impression du papier ne const itue pas autre chose qu’un
levier du second genre, c’est-à-dire que la résistance à vaincre se trouve
entre le point d’appui et la puissance, mais b ien plus rapprochée du
premier que de la dernière. La puissance, c’est l ’enfant qui , saisissant à
pleines m ains le bras du levier au -delà de la résistance, saute sur ce bras et
lu i imprime, en se courbant , tout le poids de son corps. Dans cet te act ion,
qui se répète constamment , la région épigastr ique subit une compression
très con sidérable , d ’où do it résulter naturel lem ent un refou leme nt des
organes abdominaux , re fou lement s ingul ièrement suscept ib le de provo
quer peu à peu la format ion des hernies . On conçoit a isément que cet te
manière de travail ler peut encore avoir d’autres inconvénients pour les
organ es intra ab dom inau x, par la secou sse v ive q u’ils on t à chaqu e instant
à sup po rter ».
Par ailleurs, dans une fabrique de passementerie, « l’enfant (i l s’agit
d ’en fants d e 12 à 1 5 ans q ui trava illent 1 2 1/2 h. par jour) q uan d i l
trava ille au m étier, est assis sur une traverse étroite et ten u en plac e par une
lanière de cuir passant sur la région sacro-lombaire; tandis que ses pieds
son t toujou rs en m ouv em ent pou r faire jouer les péd ales du mét ier , la
moitié supérieure du tronc est fortement précipitée en avant, et la chute
serait infai l l ible s’ i l n’était soutenu par deux courroies passant sur les
parties latérales et antérieures de la poitrine, qui , par conséquent, éprouve
cont inuel lement une forte compression» (II , 467) .
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Chapitre 7
La situation après un quart de siècle
de progrès industriel
En 1865 , l e Docteur Meynne publ ie sa T o p o g r a p h i e m é d i c a l e d e l a
B e l g i q u e (335). C ’est la date q ue n ou s ch oisiro n s pou r tenter d ’apprécier l ’évolution de la s ituation. Le choix est quelque peu arbitraire. I l eut été
séduisant d ’essayer d ’établir une com par aison de rythme décenn al; en
1855, en ef fet , Ducpét iaux publ ie un important travai l sous le t i tre:
B u d g e t s é c o n o m i q u e s d e s c l a s s e s o u v r i è r e s e n B e l g i q u e (335a) auquel on a
sou ven t recours , proba blem ent parce qu ’on y trouve des don née s chif frées.
N o u s avon s déjà di t po ur qu oi nous n ’avon s pas chois i la « vo ie chif frée » .
Il faut ajouter que, d’une part , le nombre de budgets étudiés par Ducpé
tiaux est assez réduit et que, d ’autre part , la plupart des com m entaires qui
acco m pag nen t la présentat ion des budgets sont repris à l ’enqu ête de 1 84 3,
c’est-à-dire vieux de vingt ans.
M eyn ne a , lu i aussi , souven t recours aux do nn ées de cette enqu ête ,
m ais avec la vo lon té d ’établ ir la com para ison. C ’est po urq uo i il nous
paraît une bonne référence de départ pour l’étude de la s ituation à l’aube
de la deux ièm e généra t ion de la Belgique indép endan te. D ’autant plus que
quelques années p lus tard — en 186 8 — une nouvel le enquête es t publ iée
par l’A cad ém ie de m édec ine tandis que le ministère des travaux p ub lics en
commande une qui prendra part ie l lement f igure de contre enquête , la
première ayant suscité l ’ ire des associations charbonnières . L’année sui
(335) Dr Meyenne, Topographie médicale de la Belgique , Manceaux, Bruxelles, 1865, 582(335a) E. Ducpétiaux, Budgets économiques des classes ouvrières en Belgique — Subsistances —
salaires — popu lation, Hayez, 1855, Extrait du tome VI du Bulletin de la Commission centrale destatistiques, 340 pages.
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van te, c’est le ministre de l ’Intérieur qui com m an de une en qu ête qui
clôture ains i la période que n ous nou s som m es ass igné de passer en revue.
Nous ne f erons donc appe l aux B u d g e t s é c o n o m i q u e s d e D u c p é
t iaux qu’au moment où ce travai l nous parait apporter des é léments
éclairant notre démarche (335b). I l en sera de même de l’enquête menée à
l ’ init iat ive du ministre de l’Intérieur Rogier, en 1860 sur la condit ion de
travail des femmes et des enfants (335c). Celle-ci, en effet, n’est pas essen
tiellement révélatrice de la condition ouvrière; i l s’agit en fait d’un sondage
de l ’op inio n des m ilieux indu striels sur l’op po rtun ité de légiférer sur le
travail des femmes et des enfants .
Les dernières enquêtes avant 1870 révèlent que l’attention s’est cen
trée surtout sur le travail des femmes et des enfants dans les mines et ,
accessoirement, dans la métallurgie. C’est là que le capital isme industriel
s’est fortement ancré; aussi assistera-t-on à une réaction énergique de sa
part lorsque des médecins le mettront en accusation à travers les révéla
t ions de leurs témoignages sur la condit ion des femmes et des enfants au
travail.
1. Les mutations dans la population ouvrière
Le nombre des « ouvriers » paraît avoir augmenté d’un tiers environ d ’un recensement à l ’autre — de 18 46 à 18 66 — . Cec i pour autant que
l ’es t imat ion pour 1846 soi t relat ivement exacte . I l y a donc environ
5 0 0 .0 0 0 ouvriers en plus alors que la po pu lat ion glob ale e l le-mêm e n’a
augmenté que d’à pe ine 500 .000 uni tés .
Le tableau ci-dessous reprend (336), pour le pay s, le nom bre d ’o u
vriers par groupes professionnels . Encore faut- i l considérer que le recen
sement de 1866 n’a pas recensé certaines profess ions en comptant séparé
ment maîtres et ouvriers .
(335 b) Nous donnons pourtant en annexe le tableau synthétique publié par Ducpétiaux pages146 à 148 de son étude parce qu’il permet de comparer — avec les réserves nécessaires — la situation selon
les provinces.(335 c) Le Rapport Rogier a été publié dans les Actes parlementaires, session 1859-1860, Chambre
des Représentants, document n° 41. — Voir page 481 (17 janvier 1860) : dépôt du rapport. , — pages 247 à251: projet de 1843, objections suscitées, situation à l’étranger, nouveau projet du gouvernement, —
pages 886 à 889 : annexes reprenant les documents des milieux industriels gantois, lettres, pétition, etc., —
pages 977 à 1000 : réponses des chambres de commerce et des députations permanentes.(336) D’après Verhaegen, o.c., Vol. II, p. 292.
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A griculture 3 3 8 .8 2 3
Grande industrie 1 9 9 . 8 5 1
Petite industrie 1 8 2 . 9 4 2
Art isanat 1 6 5 . 1 0 8
Commerce e t art i sanat 4 0 . 2 6 5
M oyen ne indus tr ie . 3 7 .42 6
T ransports 3 .8 5 3
Services personnels 4 6 6
C o m m e r c e 5 4
Pêche 4 3
T ot a l 9 6 8 . 8 3 1Journaliers industriels 3 0 1 . 4 0 1
T o t a l 1 . 2 7 0 . 2 3 2
I l faut ajouter 130.000 domest iques dont la vent i lat ion n’a pas été
fai te dans les services personnels . Ce qui porte le total à 1 .400.232.
Lorsqu’on compare l es t ro i s recensements de 1846 ,1856 e t 1866 , on
constate que la populat ion enregis tre une expansion importante dans le
s il lon industrie l Sambre et M euse, spécialem ent dans les prov inces du
H aina ut et de Liège, les plus ind ustrialisées . Elle stagne, au con traire, dans
cel les où l’ industrie ne se modernise presque pas; spécialement dans les
Flandres où l’industrie linière a été maintenue dans une situation arriérée
pour les mot i fs que nous avons soul ignés .
Le tableau ci -dessous m ontre cet te évolut ion :
1846 1856 1866
Anvers 406.354 434.485 465.607
Brabant 691.357 748.840 813.552
Fl. occ. 643.004 624.912 642.217
Fl. or. 793.264 776.960 805.835
Hainaut 714.708 769.065 845.438
Liège 452.828 503.662 557.194
Limbourg185.913 191.708 195.302Luxembourg 186.265 193.754 199.910
Namur 263.503 286.075 302.778
PAYS 4.337.196 4.529.461 4.827.833
L’industrial i sat ion est donc accompagnée d’une augmentat ion de la
po pu lation (337) tand is que la m isère dans les Flandres pr ov oq ue la stagn a
tion . « Si le pro létar iat ag ricole des Flan dre s, dit D ec h esn e (338), y avait
(337) A. De Laveleye: Etudes diverses, La Belgique, Bruxelles 1864, pp. 38, 39.(338) L. Dechesne: Histoire économique et sociale de la Belgique, Liège, 1932, pp. 410, 411.
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favorisé autrefois le développement des industries à domici le , i l n’y aida
guère celui de la grande industrie mécanique. Au contraire, cel le-ci s’épa
no uit surtout en W al lonie , où p ourtant les sa la ires étaient plus é levés , mais
où el le était att irée par le charbon et elle con tinua à y a ccélérer l ’accr oissement de la population, tandis que celui des Flandres se ralentissait . Le
prolétariat f lamand ne favorisa qu’une seule industrie mécanique impor
tante : le f i lage du c oto n , fourn issant aux usines de B au w ens la plus grand e
partie de son pers on ne l .. . » .
« Ils étaient m orts m ais n e s ’étaient pas pla ints »
C ette s tagnat ion de la popu lation — cette d im inut ion m ême,
lorsqu’on com pare les recensem ents de 184 6 e t 1 85 6 — dans les deux
Flandres d oi t certainement une part à la m ortal i té pr ovo qu ée par la misère
invraisemblable. Après la crise de l’ industrie l inière, la situation de la
cam pa gne avait bien chan gé co ns tatait Va riez (339); « des centaines de
vil lages avaient vu leur population décimée; selon l’expression du repré
sentant Tou ssaint , de Thielt* beau cou p de Flamands avaient imité la garde
impériale; i ls étaient morts, mais ne s’étaient pas plaints».
Crise industriel le et crise agricole jumelées avaient eu raison d’une
population qui jusque-là avait été en expansion. A la f in du siècle, certains
croya ient que sans la crise agricole la misère n’eut pas prov oq ué la dim inu
t ion de la popu lation . D egand D opc hie , par exem ple , secréta ire com m unal
d ’Ellezelle§, écrivait en 18 98 q u ’à son avis les ouvriers tisseran ds « au raient
peu souffert de la crise industrielle si celle-ci ne se fût compliquée d’une crise agricole intense (maladie des pommes de terre, mauvaise récolte des
céréales) .. . Ce fut la fam ine avec tou tes ses horreurs. Le tiers de la po p u la
tion d ’Ellezelles — 2.000 hab i tants sur 6 .0 0 0 — tom ba à charge de la
bienfaisance publ ique. . . C’est à part ir de 1846 et 1847 que commença
l ’exode annuel de nos ouvriers vers la France, où beaucoup se sont f ixés à
cette ép oq ue . La po pu lation d ’Ellezel les, qui était , au 31 décem bre 1 84 3 de
6 .37 7 h abi tants , é ta i t tomb ée à 5 .61 8 en 1 846 . C haque année , depuis lors ,
un mil l ier d’ouvriers, hommes, femmes, enfants et adolescents, se rendent
encore en France pour s’y livrer aux travaux agricoles et rapporter à leur
fam ille d e q u o i vivre p en da n t l ’hiver » (340).
A ug m enta tion des décès et de l ’ém igration d ’une part , baisse des
mariages et des naissances, d’autre part , furent les facteurs de la diminu
t ion de la pop ulat ion dans les Flandres, spécialem ent en Flandre occ iden ta
le .
(339) L. Variez, Les salaires dans l'industrie gantoise, IL Industrie de la filature du lin, p. XLVI.
(340) Degand Dopchie: La commune d’Ellezelles pendant le XIXe siècle, 1898, p. 56., dté par
Vandervelde: L ’exod e rural et le retour au x champs, Paris, 1903, p. 164.
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C ’est dans les arr ond issem ents l iniers que ces facteurs furen t le plus
ressentis . Jacquemyns l ’a montré à l ’a ide de nombreux tableaux stat i s t i
ques (341). Il suffira de retenir qu elqu es chiffres seulem en t. En 1 8 4 7 , i l y a 1
décès pou r 27 ,5 hab itants d ans les arrond issem ents liniers a lors qu ’il y en a
un pou r 34 ,2 dans les arrondissem ents non lin iers (342). La m êm e anné e, en
Flandre orientale , i l y a un m ariage po ur 2 6 2 ,1 habitants dans les arrondis
sem ents liniers et un po ur 2 1 9 ,5 dans les non lin iers; en Flandre occ iden ta
le , un mariage pour 272,6 habitants dans les arrondissements l in iers et un
po ur 19 4,2 dans les non l in iers (343). Tou jours po ur 18 4 7 , la Flandre
orientale compte une naissance pour 45 ,1 habitants dans les arrondisse
m ents lin iers contre une po ur 3 9 ,2 h abitants dans les arrondissem ents no n l iniers. Les arrondissements l iniers de Flandre occidentale enregistrent en
1847 5 .706 décès de p lus que de naissances a lors que les non l in iers en
enre gistrent 89 3 seu lem en t (344).
Q ua nt à l ’ém igration , e lle affecte égalem ent les arrondissem ents
l iniers en particulier. D e 18 45 à 1 8 5 0 les districts liniers de la Flandre
occ identa le ont 4 .1 5 0 émigrés en p lus que d ’im m igrés, a lors que l es d i s
tricts non l iniers n’enregistrent qu’une différence de 31. En Flandre orien
tale , l es chi ffres , pour la même période, sont respect ivement de 11 .159 et
4.397 (34$).
Migration professionnelle à rebours
M ais ce type d e m igration n ’est peu t-être pas ce lu i qui affecte le p lus
les deux Flandres. A côté de cette émigration pour al ler s’instal ler dans
d’autres provinces ou à l ’étranger , i l y a une migration profess ionnel le
im portan te parce q u’e l le traduit auss i une s i tuat ion écon om ique qui rétro
grade : c ’est l ’aug m entat ion du n om bre d es person nes qui ref luent vers les
profess ions agricoles . De 1846 à 1866, la part de l ’agricul ture dans la
p o p u l a t io n p r o d u c t iv e p a s se d e 3 1 , 7 % à 3 6 , 6 % (346). C eci p ro vie n t
essentie llem ent d ’une d ispari tion prog ress ive du travail à do m icile qui
con st i tuai t antér ieurem ent l ’occu pa tion principale , l ’agriculture étan t l ’o ccup ation d ’app oint . C ette « m igration profess ion nel le à rebours » com m e
l ’appel le B. Verhaegen (347) est faci l i tée par la pol i t ique agricole protec
t ionniste qui perm et une hau sse des prix agricoles de 1 82 2 à 18 80 . « O n
(341) G. Jacquemyns, Histoire de la crise écon om ique des Flandres, pp. 352 et ss.(342) Id. p. 361.
(343) Id. p. 367.(344) Id. pp. 374 et 380.(345) Id. pp. 385 et 386.
(346) B. Verhaegen : Contribution à l’Histoire économique des Flandres, vol. I, p. 220.(347) Id. p. 220.
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peut comparer la pol i t ique agricole de cet te période avec la pol i t ique qui ,
entre 1839 et 1848, tenta de préserver l ’ industrie l in ière à domici le . Dans
les deux cas, sous prétexte de protéger les revenus de la masse rurale, les
mêmes intérêts furent défendus , à savoir ceux des propriétaires fonciers;
les mêmes conséquences en résultèrent, c’est-à-dire l’engorgement d’un
secteur profess ionnel voué à brève échéance à une crise de réorganisat ion
profonde. Le développement de l ’ industrie à domici le durant la première
m oitié du X IX e s ièc le avait about i à la misère e f froyable de 1 84 5-1 84 8 . D u
gon f lem en t des ef fecti fs agricoles après 1 85 0 résulteront , pou r l ’agricul
ture belge, les années catastrophiques d’après 1880. . . (348).
Ce go nf lem en t des ef fect ifs agricoles ne résulte que part ie llemen t de celui des effectifs occupés sur place. Une large partie provient des ouvriers
qui se d ép lace nt po ur l ivrer leurs services dans l ’agriculture d ’autres pr o
vinces o ù l ’industrie a po m pé la main d ’œ uvre, m ais auss i à l ’étranger.
« L ’apport de revenus q ue les travail leurs saisonniers procura ient aux
entreprises agricoles f lamandes rempli t la même fonct ion en 1866 que le
cumul d’une occupation industriel le en 1846» (349). Ici encore la prove
na nc e esse n tielle de ces « saison nier s » se situe d an s des d istricts liniers.
«Tous d’ai l leurs ne sont pas des Flamands: i l en es t un assez grand
nombre qui v iennent de la part ie nord du Hainaut , des Arrondissements
d ’A th et de Tou rnai . A vec une p récision tout à fait rem arquable , leur zon e
d’émigrat ion coïncide avec la zone de dispers ion de la c i -devant industrie
l inière à d om icile » (35°). « Les Fra nsch m ans dit R on se, so n t des ou vriers
agricoles f lamands ou hennuyers qui font en France les travaux des
cha m ps » (351); débu t du X X e siècle, il estime la pro po rtion de ces saiso n
niers par rapport au nombre total d’ouvriers agricoles masculins de la
Flandre orientale, de la Flandre occidentale, des arrondissements adminis
tratifs d ’A th, de Soign ies et de To ur na i à 33 ,5 2 % (352).
Bien qu’i l soit diff ici le de chiffrer le mouvement, un certain nombre
de travai l leurs à domici le sont devenus , en 1866, des saisonniers dont les
effect i fs sont repris dans les 338.823 ouvriers agricoles du recensement .
Ceux-ci const i tuent environ le t iers des ouvriers en 1866 dont le total es t
de 9 6 8 .8 3 1 (353). C ’est po ur tant d ans les régions où fut travail lé le lin à domicile que ce mode de travail subsistera le plus tard d’une manière
im po rta n te (354).
(348) B. Verhacgcn, id. p. 220/221.
(349) Id. p. 222.
(350) E. Vandervelde : Uexode rural et le retour aux champs , p. 162.(351) Edmond Ronse: Uémigration saisonnière belge.
(352) Id., pp. 74, 75.(353) B. Verhaegen, o.c., tome 2, p. 292.(354) L. Dechenne, Histoire écon om ique..., pp. 440 et ss.
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D an s le tableau ci-desso us (355) reprenant le nom bre d ’ouv riers dans
les de ux Flandres , i l faut tenir com pte q u ’une part ie de ces ou vriers son t —
sans que nou s p uiss ions en d éterm iner l ’im portance — des ouvriers, sa i
sonniers (repris dans l ’agriculture) et des ouvriers à domici le . De plus, au
total du tableau, il faut ajouter 7 0.2 3 1 journaliers industrie ls (do nt 29 .75 1
fem m es) e t 3 5 . 3 9 3 d o m es ti q u es (d o n t 2 2 . 5 5 6 fem m es).
Les groupes les plus nombreux
Les groupes les plus importants sont donc, cette fois, les ouvriers
ag rico les, les jour naliers, les de ntellières, les f ileurs et les do m estiq u es; les
t isserands se classant en 6e posit ion seulement.
Les f i leurs , au moment du recensement de 1866, sont tous prat ique
ment des travai l leurs en usine. Dans le coton, i l y avai t déjà 360.000
broch es en 1 84 6. Il y en a 6 5 0 .0 0 0 en 1 8 6 0 (356). D an s le l in, il n ’y avait en
1846 que 92 .000 à 95 .000 broches; en 1860 , i l y en a 180 .000 (357) . Ces
f i latures, si tuées pour une bonne part à Gand, sont de grandes f i latures
avec une q uant i té de b roches et un niveau d e concen trat ion p lus é levé que
la m oye nn e du pay s. 8 2 ,9 % des f ileurs son t des travailleuses (358).
Les t i sserands en coton sont également des ouvriers travai l lant en
fabrique. Ceux qui t i ssent le l in sont encore pour une grande part des
travailleurs à d om icile; le t isseran d en lin, en effet, à l’ép oq ue « reço it le fil du fabricant et lui rend la toi le qu’i l ne vend plus guère au mar
chand» (359).
Les dentel l ières, d’après le recensement de 1846, étaient au nombre
de 49.000. Ce chi f fre a augmenté de manière extraordinaire bien que le
(355) D’après B. Verhaegen, tome 2, p. 84.(356) B. Verhaegen, Tome i, p. 227.(357) Id.
(358) Id., p. 228.
(359) Exposé de la situation du royaume, 1831-1860, Tome III, p. 141.
Agriculture 155.036
61.971
28.441
48.574
10.6708.554
5.789
5.911
5.737
5.711
Dentelle
Tissage
Filature
Lin
Couture, broderie
Confection
Chaussure
Bois
Bâtiment
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docteur Van H olsbeek croyai t imp oss ib le d ’en connaî tre le nom bre exact ;
il l’estim ait à plus de cinq uan te cinq m ille (36G). Va n der D uss en par con tre
l ’est imait à 150.000 ce qui est le chiffre de l’exposé de la s ituation du
royaume (360361) qui lui-même ne correspond pas au chiffre du recensement
de 18 66 parce que, da ns celui -ci , les é lèves des nom bre uses écoles den tell iè
res n ’on t pas été reprises. O r le no m bre d e ces éc oles d épa sse à l ’ép oq ue
celui des fabriques de dentel les . « On est ime généralement le nombre des
manufactures de dentel les en Belgique à huit cents et celui des écoles
den tellières à m ille » (362). C ’est su rtout da ns les Flandres q u ’on retrou ve
écoles et fabriques, 900 des premières, 380 des secondes; i l y a peu de
fabriques dans les provinces de Luxembourg, de Limbourg, de Liège, une cinquantaine dans le Hai'naut et la même chose dans la province de
N am u r (363).
C ette prog ress ion extraordinaire du n om bre des dentel lières , surtout
dans les Flandres, est probablement dûe à la crise industriel le du l in qui ,
jum elée avec la crise agricole , a rejeté une im portante quantité de m ain
d ’œ uv re fém inine vers la den telle; le travail saisonn ier en France et dans
no s prov inces , w al lonne s surtout , étai t principalement le fait des hom m es. Au moment du recensement de 1866, la crise du coton subissai t encore les
effets de la guerre de sécession (1 86 1 -18 6 5 ) qui avait pro voq ué un chô
m age imp ortant , l ’arrêt de l ’exp ortat ion des cotons am éricains em pêcha nt
les patrons gantois de se procurer leur matière première habituelle (364).
Sans perdre de vue q ue « l ’imm ense m ajorité travail le au foyer d o
m estique » (365), on peu t tenter de se faire une id ée de la rép artition d es
d en tellières entre les ateliers et les « éc ole s ».
V an der D ussen divise les établ issem ents dentell iers en deu x classes :
les ateliers laïcs et les ateliers du clergé. « C ha cu ne d e ces de ux classes,
ajoute-t- i l , pourrait être subdivisée en fabriques et en écoles , s i beaucoup
de fabriques , tant la ïques qu’appartenant au clergé, ne cherchaient pas à
déguiser leur véritable caractère en prenant le t i tre d ' é c o l e s » (366). Selon
cet auteur le nom bre de ces dernières po ur le p ay s étai t de 90 0 contre 7 0 0
m anu factures de dentelles. A part ir des chiffres c ités par V an der D ussen ,
nous avons reconst i tué le tableau ci -dessous , forcément incomplet
puisqu’ i l ne correspond pas aux totaux généraux que lu i -même donne .
(360) Docteur Henry Van Holsbeek, L ’industrie dentellière en Belgique — étude sur la condition physique et morale des ouvrières en dentelles, Bruxelles, 1863, p. 8.
(361) Benoît van der Dussen, L ’industrie dentellière belge, Bruxelles, 1860, p. 83.
(362) Van Holsbeek, o.c., p. 9.(363) Id., p. 9.
(364) Louis Variez, Les salaires dans l’industrie gantoise, I L ’industrie cotonnière, p. 56.(365) Van der Dussen, o.c., p. 83.(366) o.c., p. 93.
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1 5 4 LA CONDITION OUVRIÈRE AU XDC' SIÈCLE. T. 1
Provinces Manufactures Ecoles dentellièresde dentelles religieuses laïques
Anvers 100 15 10
Brabant 110 15 5FL occ. 180 157 243FL or. 200 200 250Hainaut 50 7Liège (peu) —
Luxembourg 10 quelques écolesLimbourg 2 —
Namur 2 — -
Com m e p op u l a ti on d e ce s éco l e s, V an D er Du ssen s ign a le q u e 1 .200
f il les pauvres fréquen tent les écoles den tel lières de la pro vin ce d ’A nv ers, il
y a 5 0 0 é lèves dans cel les du Brabant et 2 2 7 ap prent is dans le H aina ut . C e
sont les deux F landres qui en com ptent év idem m ent l e p lus grand nom bre :
15 .00 0 apprent is en F landre or ienta le e t 3 0 .00 0 apprent is rien que dans les
écoles de la Flandre occidentale dépendant des congrégat ions rel ig ieuses .
U E x p o s é d e l a s i t u a t i o n d u R o y a u m e p ou r 1841 - 1850 s i gn a l a i t 73 éco l e s
m anufactures com ptan t 2 .85 0 é lèves pour la prov ince d ’A nvers . Pour le
Brabant où les ren seignem ents so nt incom plets : 6 éco les avec 842 é lèves .
La F landre occ identa le compta i t 483 éco les avec 25 .000 é lèves . Pour la
Flandre orientale , l ’Exposé relève 369 écoles manufactures avec 17.082
ouvrières é lèves; avec les dentel l ières à domici le , ce la fa i t 34 .000 ouvriè
res (367). C es chiffres son t fort im précis m ais i ls m ontre nt cep en da nt l ’im
portance du nombre d’enfants dentel l iers . Voic i un tableau récapitulat i f d ’ap rès 1" E x p o s é d e l a s i t u a t i o n d u R o y a u m e de 1861 à 1876 . I l donne
d ’abord le nom bre des « ateliers de charité et d ’app rentissage d on t la
plupart sont des écoles dentellières (368).
1845 1851 1854 1857 1860 1863 1866 1869 1872 1875
Pour garçons 7 12 21 28 43 40 42 24 21 61Pour filles 550 717 819 869 625 579 526 464 424 357Pour les deux 54 56 69 65 70 61 33 26 22 12Total 611 785 909 962 738 680 601 514 467 430
Quant au nombre d’élèves des écoles-manufactures , s ignalé par le
(367) Exposé de la situation du royaume, 1841-1850, p. 301.
(368) Id., 1861 à 1876, tome 2, pp. 50, 51.
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même Exposé (369370) il apparaît com m e m oins é levé que d ans les es tim at ions
précitées :
Garçons 1.605 1.347 2.096 2.013 3.272 2.859 2.055 1.310 1.174 2.207
Filles 34.391 32.531 41.008 42.388 34.027 30.729 31.226 25.873 25.575 19.974Total 35.996 33.878 43.104 44.401 37.299 33.588 33.281 27.183 26.749 22.181
Les ouvriers dans la grande industrie
Les provinces de Ha inaut-Liège enregis trent, en 18 66 , dans la pet i te ,
la m oy en ne et la grande indu strie, un nom bre d ’ouvriers dép assant celui
des deux Flandres. Pour la grande industrie, la proportion dépasse le double. Par contre les ouvriers de l’artisanat sont plus nombreux dans
chacune des deux Flandres que dans les deux provinces wal lonnes ensem
ble. De même, le nombre de journaliers industriels est beaucoup plus élevé
en Wallonie .
Si on m et en regard le nom bre de journaliers ind ustriels , des ouvriers
agricoles , ainsi que celui de la petite, moyenne et grande industrie, on
obtient le tableau ci-dessous.
Fl. occ. Fl. orient. D eux Fl. Hainaut
+ Liège
Journaliers 39 .296 30.935 70.231 94.163
Ouvriers agricoles 56 .652 98.384 155.036 76.761
Petite Industrie 18.856 40.057 58.913 60.228
M oyenne Industrie 963 6.026 6.989 11.919
Grande Industrie 20.188 29.644 49.832 132.809
Ouvriers de l’Artisanat 41.241 53.439 94.680 32.627
L’essor de l’industrie est am orcé en W allonie. Pour ne citer que
quelqu es chif fres , l ’au gm entat ion, en tonn eau x, de la prod uct ion m étallur
gique dans le Hainaut a le prof i l suivant au cours des trente premières
années de l’indépendance (37°) :
Hauts Fonderies
fourneaux
Fabriques Platineries et
de fer Fenderies
1830 7.960
1840 52.628
1850 62.821
1860 183.910
4.000 (*)
7.361
23.578
7.220
20 .84 8 (*) 1.646 (*)
34.369 2.490
101.455 3.377
(*) 1841
(369) Id., p. 53.
(370) Source : A. Warzée, Mémoire sur l’histoire métallurgique du Hainaut, Mémoires et publica
tions de la Société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut, Années 1860-1862.
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Les ouvriers houi l leurs restent le groupe le plus nombreux. Leur
nom bre évolue a insi :
1 8 40 — 3 9 .1 5 0 1 8 50 — 4 7 .9 4 9
1 8 6 0 — 7 8 .2 3 2
1 8 70 — 9 1 .9 9 3
Les ouvriers du fer augm entent au ss i rapidement m ais i ls ne vienn ent
pourtant qu’en second rang.
usinesminéralurgiques
usinessidérurgiques
1846 à 1850 12.595 7.475
1851 à 1855 16.670 10.428
1856 à 1860 22.615 13.806
1861 à 1865 27.779 18.082
1866 à 1870 33 .805 21.038
1871 à 1875 40 .994 25 .510
2. Vers 1865, la misère n’a pas reculé
C ’est don c à cet te da te que le docteur M eyn ne pu bl ie sa « topog ra
p hie m éd icale d e la B elgiqu e » (371). Il y co nsta te qu e la m isère n ’a pa s
reculé . U ne est im at ion d atant des environs de 18 60 répartit le m i ll ion de
fam illes ex istan t alor s dan s le pay s de la m anière suivan te (372) :
— 100.000 famil les riches ou dans l’aisance,
— 4 2 0 .0 0 0 familles de la pet i te bou rgeois ie parmi lesquel les une partie
n’est pas toujours exempte de privat ions ,
— 4 8 0 .0 0 0 famil les d ’ouvriers de dif férentes c lasses do nt une m oitié
vivent dans la gêne continuelle ou dans un état rapproché de la pauvreté .
Etabl issant la comparaison avec la période des premières enquêtes ,
M eyn ne cons idère q ue « plus ieurs grandes catégo ries de travail leurs sont
restés dans une situation très précaire; le chiffre des pauvres n’a pas
diminué; les salaires , pour une grande part des travail leurs, sont insuff i
sants » (373). C ’est une co nsta tation sem blab le que le docteu r Le bon faisait
(371) Voir plus haut.
(372) P. 468.(373) Id., p. 450.
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pour Nivel les vers 1850 puisque sur 902 ménages inscri ts sur le l ivre
off iciel de l ’indigence, 3 7 9 y so n t à cau se de l’insuff isance d u salaire. Parmi
les chefs de ces 9 0 2 m énag es , 2 5 9 étaient des journal iers , 67 des journal iè
res et 56 des dentellières (374375).
M ey nn e co nstate enc ore qu e « l’état sanitaire ne s ’est pa s am élioré
dans les classes infimes; les excès de toute nature sont grandissant tous les
jours; en un m ot, la p lupart des calam ités que con sta ten t le s rap ports (37s)
que nous allons lire, sont à peu près ce qu’elles étaient il y a vingt
ans » (376).
Quelques pages plus lo in , i l écrira même que « depuis le commence
m ent du s ièc le , e t en la is sant de côté l ’époq ue de fam ine de 1 8 4 6-1 84 8 , la
pro por t ion des indigents s ’a c c r o î t s a n s c e s s e (c ’est lui qui sou ligne ). L’on se
demande avec inquiétude ce que deviendra la société, s i le salaire devient
de moins en moins en rapport avec les premiers besoins de la vie , et s i
chaque c hô m age, chaque crise industrie l le , chaque m auvaise récolte do i
vent fatalement plonger de nouvel les famil les dans la catégorie des indi
gents? » (377).
A près avoir exam iné ce q u ’il range parm i les causes de m ortalité dan s
le pays, M ey nn e c on clut que la m isère prime tou tes les au tres : « La
pauvreté est la cause morbigène qui domine toutes les autres parce qu’el le
comprend toutes les mauvaises influences. Elle entraîne une habitation
insalubre, un air vicié, une al imentation insuff isante ou non convenable,
souvent un excès habituel dans le travail , de la malpropreté, l ’exercice de
métiers dangereux, et parfois aussi le désordre, l ’ imprévoyance ou le
déco ura gem ent. L ’action du sol et du clima t, la contagion* et mêm e l’hérédité, cèdent la place devant ce facteur multiple et universel qui, à lui seul
ex pliqu e la déch éan ce ph ysiqu e d ’une fou le d ’ouv riers et de pauvr es » (378).
Là où l’industrie a amélioré la situation, c’est surtout pour les
classes aisées
Il sem ble que le docteur M eynn e évoq ue surtout ic i la m isère qui
règne dan s les Flandres; là où l’industrie s’est im plan tée, la s ituation paraît
différente. C ’est ainsi qu ’alors que dans les années 4 0 , la m end icité est
(374) Docteur Lebon, membre du Bureau de bienfaisance, Quelques renseignements sur la popu la
tion indigène de -N ivel les qu i a participé, en 1851, aux secours publics, Manuscrit 4°, 1853, 20 p. Ce
manuscrit est déposé au Fonds Quetelet sous le n° 3021 Bg.
(375) Il s’agit des rapports de l’enquête de 1843.
(376) Meynne, o.c., p. 450.
(377) Id., p. 468.(378) Id., p. 503.
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encore s ignalée com m e une p la ie par les rapports de la D épu tat ion perm a
nente du H âinau t , ceux qu ’el le pu bl ie qu elque dix ans plus tard la préten
dent en vo ie d ’être é l im inée d ans la province. Le com m issaire d ’arrondis
semen t de Tou rnay cons tate , en 18 58 , que la m endic ité est presque nulle; « le travail ne fait d éfau t dans au cun e co m m un e » (379). Celui d e C harleroi
constate une diminut ion cons idérable du nombre des mendiants; i l en
con clut q u ’il faut do n c tenir la main à la répression de la m en dicité surtou t
cel le des enfants «p ar ce q u ’el le inspire à ceu x-ci l ’é loignem ent po ur le
travail et le go û t du va ga b on d ag e » (380). C elui d ’A th c on seille de faire des
distributions en nature plus qu’en argent; i l faut cependant vei l ler à la
qu alité des b iens d istribu és car « il faut éviter tout ce qui p eu t porter
atteinte à la cons idérat ion des membres des bureaux de bienfaisan
ce » (381).
Les avis des com m issaires sont les m êm es les anné es suivan tes : en
18 59 e t en 1 86 0 . En 18 61 , le com m issa ire d’A rrondis sem ent de M on s
signale même que « les bras manquent presque partout et i l n’y a que des
hommes vic ieux, des vie i l lards ou des inf irmes privés de famil le qui puis
sen t être rédu its en co re à la m en dic ité » (382).
Pour le docteu r M ey nn e, « . .. la po s i t ion des ouvriers dan s les bass ins
de M on s , de C harleroi et de Liège a été sens iblem ent am él iorée, depu is la
rédaction de ces Rapports (383). Le salaire a été augmenté, les condit ions
hygiéniques du travai l minier ont été amél iorées mais tout ce qui a été di t
sur l’éta t insalubre de leurs ha bitation s, sur les excè s d u lund i, sur les abus
des l iqueurs fortes , sur le défaut d’ordre et de prévoyance, tout cela est
enc ore pa rfaitem ent ap plicab le au x travailleurs actuels » (384).
L’exp osé de la s ituat ion du royaum e 1 8 5 1-1 86 0 s ignale que la d i ffé
rence et l ’augmentation des salaires des ouvriers agricoles suit à p e u près
les l im ites qui séparent les provinces f lam and es des provinces w al lon ne s :
« D an s la région f lam an de, o ù l ’agriculture est la plus a van cée, l ’ouv rier de
la campagne ne gagne pas autant que dans la rég ion wal lonne où les
établ issem ents industrie ls et les exp loi tat ions m inières son t en grand n om
bre.
« La m êm e différence e xiste encor e dans la nourriture q u ’on lui do nn e ou
qu’i l prend à domicile. L’ouvrier f lamand se contente de pain de seigle, de
po m m es de terre et de lait battu; q ue lqu efois un m orceau, de lard ou de
viande salée viennent faire diversion à ce régime peu fortif iant. Dans sa
(379) Députation permanente du Hainaut, Rapport 1858, p. 352.
(380) Id., p. 375.(381) Id., p. 362.
(382) Id., Rapport de 1861, 2e partie, p. 9.
(383) Les rapports de l’Enquête de 1843.(384) Meynne, o.c., p. 457.
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fam ille , la nourriture es t encore p lus m auvaise . L ’ouvrier w al lon , au
contraire , ne co nso m m e guère que du pain de m éteil ou d ’épeautre, et la
viande entre pour une part dans son a l imentat ion» .
Les métiers pratiqués dans le nord du Pays, t isserands, f i leurs de
co ton , terrassiers , dentel lières et brodeu ses sont m oins bien rémunérés que
ceux prat iqués dans la part ie sud: mécaniciens , houi l leurs , armuriers ,
forgerons, fondeurs, mineurs, tai l leurs de pierre, paveurs, etc. De plus,
« les métiers des f i leurs de co to n , des den tell ières et br od euses so n t par
eux -m êm es b eaucoup p lus n uisib les que l es professions qui se rat tachent à
la m étallurg ie. » A qu oi il faut enco re ajouter les séqu elles de la périod e de
1 84 0 à 1 8 5 0 (385).
L’amélioration perceptible dans les régions industrial isées avait déjà
été s ignalée dans l es Budgets économiques de Ducpét iaux , mais i l y es t
uniquem ent ques t ion du H ainau t où , d i sent les comm entaires , la s ituat ion
« est génér alem ent bea uco up m ei lleure q ue d ans la plupart des au tres
provinces, et particulièrement dans les Flandres. Les districts où se trou
vent les mines , les us ines métal lurgiques qui assurent aux ouvriers un
travai l cont inu et bien rétribué sont les plus favorisés sous ce rap
port» (386).
Le truck System sem ble régner d’une m anière assez générale . « D an s
plus ieurs rapports success i fs , d i t la Chambre de commerce de Roulers , en
1863, nous avons s ignalé le regrettable traf ic prat iqué au détriment de
l ’ouvrier , forcé d’accepter en rémunérat ion de son travai l des denrées ou
des marchandises . . . L’usage de payer le salaire en marchandises p l u s o u
m o i n s a v a r i é e s , e n p a i n s d ’u n p o i d s d o u t e u x , s ’es t notablement restreint sans doute, mais i l es t des établ issements qui en perpétuent habi lement la
mauvaise tradit ion. . . I l est tel le jeune enfant, ouvrière en dentel le, dont la
.dette s’élèv e à 80 o u à 1 0 0 francs, et diff icilem ent l’on com pre nd la
sincérité d ’un créd it aussi large en regard d ’un salaire p lus que rédu it.
L ’a b s e n c e d e C o n t r ô l e , l’incurie d es par ents (387), l’ap pâ t du lux e et le désir
de river de pauv res êtres au m étier où leur santé s’ét io le, d on n en t la clef de
ces gro sses ad dit ion s . .. » . D éjà en 1 8 5 9, la dép utat ion perm anente d ’A n
vers répon da nt à l ’enqu ête R og ier croyait « dev oir signaler au gou ver ne
ment l ’abus criant des salaires en nature imposé par nombre de patrons à
leurs ouvriers . Ce mode de paiement , ajoutai t la députat ion, at tr ibue au
maître un double gain et infl ige au travail leur une double perte» (388).
(385) Mcynnc, o.c., p. 493.(386) Ducpétiaux, Budgets économiques..., p. 83.(387) Ce thème revient souvent. La chambre de commerce d’Anvers, répondant à l’enquête Rogier
déclarait que « c’est un triste spectacle de voir, dans tan t de manufactures, de pauvres petits êtres chétifs et
étiolés assujettis à des travaux rudes ou malsains et exploités par des parents qui détruisent ainsi le germe
de leur santé et de leur intelligence», (p. 977, réponse du 12 sept. 1859).(388) Rapport Rogier cité, p. 977, réponse du 7 octobre 1859.
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M eyn ne assure m êm e que le systèm e est prat iqué par certains responsab les
de la b ienfaisance : « D an s co m bien de v i l les n ’existe- t -i l pas d e m aîtres des
pauvres , qui so n t en m êm e tem ps débitants de denrées ou d ’étoffes? Et qui
ne comprend combien ce seu l fa i t p lace l es pauvres dans une pos i t ion
dépen dan te et précaire v is à v is de ces traf iqua nts , qui on t po ur ainsi d ire
un pouvoir arbitraire sur les secours publics qui passent par leurs
m ain s? » (389).
I l faut encor e soul igner que M ey nn e fa i t ressortir que les c lasses
aisées ont surtout bénéf ic ié de l ’évolut ion favorable de la s i tuat ion.
Après a voir évo q ué la récession de la m ortal ité et l ’accroissem ent de
la po pu lat ion , i l soul igne q u ’on « do i t surtout se garder de conclure d es
résultats avantageux que nous venons d’ indiquer, que toutes les couches
sociales y participent . Il y a, au contraire, un contraste frappant entre la
situation sanitaire des personnes aisées et cel le des classes inf imes. Bien
loin d ’être en progrè s, les classes prolétaires son t plutôt en recul . Leur vie
m oy en ne est de bea uco up plus cou rte que celle des gens r iches et e lle tend à
dim inuer sans cesse . D e l ’avis de tous les m édecins , les ma ladies atoniqu es
deviennent de plus en plus communes parmi e l les; les cachexies et af fect ions diathésiques s’étendent tous les jours; les const i tut ions subissent un
affaisemen t graduel , une déchéan ce lente , m ais cont inue. D on c, s’i l y a
prog rès sous le rapport san itaire, pou r les habitan ts aisés, s’il y a un e légère
amélioration pour certaines catégories de travail leurs (ouvriers en métal
lurgie, houil leurs, m enu isiers, m aço ns, etc.) et po u r la pet ite bou rge oisie, i l
y a en revanche abâtardissem ent progre ssi f pour les pauvres en géné
ral » ( 390).
Parlant plus sp écialem en t de la vil le de Liège, M eyn ne co ns tate « que
c’est parmi les ouvriers qui v i v e n t l e p l u s m i s é r a b l e m e n t que les décès ont
été les plus nombreux. Ces états sont ceux de terrassier, briquetier, ba
layeur de rues, égoutier, etc. La classe des ouvriers houil leurs a eu aussi
beaucoup de victimes » (391). Dès qu’il y a épidémie, « ce sont les pauvres
qui p aie n t le p lus lou rd tribut » (392).
Les accidents de travail deviennent progressivement la rançon — plu tôt un e des ranç on s — pay ées par les ouvriers à l ’industrial isat ion. « Les
décès par accidents involontaires , écri t M eyn ne, so nt nom breu x dan s notre
pays industriel et riche en produits miniers. Dans l’espace de cinq années
(1 85 1-1 85 5) le chif fre total s’en est é levé à 7 .36 2 cas , so i t en m oyen ne près
(389) Meynne, o.c., pp. 526, 527. Il est en tout cas un fait : la distribution des secours en nature estrecommandée aux bureaux de bienfaisance. Ainsi, à Ath, en 1858. (Rapport de la Députation permanente,
p. 362).(390) Meynne, o.c., p. 486.
(391) Id., p. 233.
(392) Id., p. 440.
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de 1.500 annuellement, ou 18 décès sur 1.000 décès généraux... Les
provinces industrielles sont naturellement celles qui ont eu la plus large
part dans ces accidents. »
Liège a eu 33 cas sur 1.000 décès généraux
Hainaut a eu 30 cas sur 1.000 décès généraux
Namur a eu 26 cas sur 1.000 décès généraux
Luxembourg a eu 17 cas sur 1.000 décès généraux
Brabant a eu 15 cas sur 1.000 décès généraux
FL orientale a eu 12 cas sur 1.000 décès généraux
Anvers a eu 12 cas sur 1.000 décès généraux
Fl. occidentale a eu, 10 cas sur 1.000 décès généraux Limbourg a eu 9 cas sur 1.000 décès généraux
Le même auteur a aussi souligné l’importance des accidents dans les
mines; de 1831 à 1840: 1.016 tués, de 1841 à 1850: 1.306, de 1851 à
1855: 1.047. Les accidents dans les fabriques de tissage, les filatures, draperies etc. sont moins souvent mortels; « Dans les manufactures coton
nières de Gand, on compte que sur 1.000 ouvriers il y en a 19 qui
conservent des difformités, suites d’acddents divers... » (393).
La situation alimentaire s’est détériorée
Le docteur Burggraeve, professeur à l’université de Gand soulignait
déjà en 1955 la persistance de l’absence de viande dans l’alimentation
ouvrière : « Le régime de l’ouvrier de fabrique consiste principalement en
féculents, bouillies de riz ou d’orge, infusions de café à la chicorée, pom
mes de terre, toutes substances qui élèvent d’un faible degré la température
animale et qui laissent le corps sans énergie. Le pain seul est pour lui un
aliment complet, puisqu’il renferme à la fois des matières azotées et non
azotées. En fait de substances animales, il ne mange que des débris de
boucherie, des os, des parties tendineuses qui ne lui fournissent qu’un
bouillon gélatineux incapable de le soutenir» (394).
Burggraeve évoque surtout la situation à Gand, après avoir rappelé ce que Mareska et Heyman en avaient dit en 1845. Ses considérations sont
d’ailleurs confirmées dans les « observations » annexées aux budgets en
voyés de l’arrondissement de Gand pour l’enquête de Ducpétiaux en 1855.
La situation alimentaire y est décrite dans des termes fort proches de ceux
de l’enquête de 1843 et, de plus, il y est dit que ce régime alimentaire est à
peu près uniforme pour les diverses catégories d’ouvriers.
(393) Meynne, o.c., pp. 220, 221.(394) D r Buiggraeve, Le choléra indien considéré sous le rapport hygiénique, médical et économi
que, Hoste, Gand, 1855, p. 214.
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Evolution du prix de certaines denrées selon Ducpétiaux
OBJETS Quantités1830-1834Moyenneannuelle
1835-1839Moyenneannuelle
1840-1844Moyenneannuelle
1845-1848Moyenneannuelle
1849 1850 1851
en F. en F. en F. en F. en F. en F. en F.
Froment 100 kg 25,30 21,19 26,06 30,46 24,92 23,55 26,04Seigle •— 16,51 15,14 18,14 24,91 16,72 14,70 17,87Pain de froment, de farine non blutée T-- 27,12 22,77 26,80 28,59 29,71 21,26 23,05Pain de seigle — 15,62 13,05 15,15 18,82 1 4,03 13,12 15,13
Viande de vache — 66,80 63,70 61,88 68,66 75,54 73,67 70,96Pommes de terre — 4,43 4,36 4,96 7,03 7,03 5,12 7,60Légumes — 15,85 18,62 11,64 11,26 11,87 11,30 13,15Oignons — 16,34 15,32 14,32 12,83 13,08 12,14 14,50Riz — 50,75 37,19 38,93 49,35 35 30,90 36Pois secs — 19,27 18,87 21,76 28,91 27,83 20,13 23,07Gruau d’orge — 26,42 24,39 — 38,71 28,47 26,87 29,89Beurre — 131,70 148,61 152,45 170,49 171,97 156,80 155,60Café — — — 171 150,62 — — —
Sel — 25,76 24,60 25,83 26,22 27,61 27,48 27,60Poivre — 100,38 115,75 99,43 104,64 103,39 102,56 108,22Savon noir — 47,69 52,97 47,95 46,53 49,87 53,41 54,21Sel de soude — — — 53,91 40,71 41,92 36,26 37A bleu Amidon ,,
blanc— — — — — —
Paille de seigle — 3,75 4,44 5,25 5 ,07 4,28 3,34 4,23Charbon gros — 2,43 2,82 2,66 2,93 2,49 2,19 2,19Charbon menu — 1,82 1,86 1,81 2,03 1,57 1,42 1,39Bois à brûler le stère 8,55 8,76 9,29 10,14 8,44 8,80 8,56Balais les 100 9,08 9,01 8,57 9,69 — __ __
Huile de colza (pour lampes) 10Q litres 86,44 90,06 87,98 81,92 84,56 97,70 94,63Lait doux — 12,23 13,10 11,43 10,42 12,50 12,89 14,88Bière — 12,49 11,49 12,06 9,34 — __ 10,50Vinaigre de bière — 13,19 11,62 13,97 16,32 — — 14
OBJETS Quantités 1852 1853 1854 1855
1849-1854
Moyenne
annuelle
Moyenne de
1849-1854
augmentée de 15 %
Prix de détail
à Bruxelles
Juillet 1854
Froment 100 kg
en F.
27 ,17
en F.
28,81
en F.
45,51
en F.
38 31
en F.
29
en F.
33 35
en F.
Seigle — 19 ,90 21 ,4 2 3 1 ,57 27 ,21 20 ,3 6 23,41 —
Pain de froment, de farine non blutée — 22,82T 2 4 ,4 7 35 ,70 35 ,12 2 6 ,1 7 30 ,10 0,43 le kg
Pain de seigle — 15,68 17,81 25 ,50 26 ,14 16,88 19,41 0 ,28 —
Viande de vache — 66 ,24 66,94 79 ,17 94 ,54 72 ,09 80,80 1 —
Pommes de terre — 7 ,47 8,47 9,73 11,86 7,57 8,70 0 ,12 —
Légumes — 12,82 13,58 1 3,04 15,83 1 2,63 14,52 0 ,25 —
Oignons — 15,16 15,58 16,24 17,92 14,45 16,62 0,25 —
Riz —
35 ,50 35 40 49 ,9 0 35 ,40 40 ,71 0 ,36 —Pois secs — 21,45 26,61 34,56 34 ,97 25,61 29 ,45 1,20 —
Gruau d’orge — 27,50 28 ,74 32,98 44 29 ,0 7 33 ,43 1 ,50 —
Beurre — 155,93 16 9,20 1 85,0 8 202 ,8 0 165,76 190,62 1,75 —
Café — 142 145 172 162 ,50 15 3 175,95 2 —
Sel — 27,34 27,45 27,00 27 ,65 27,41 31 ,52 0 ,30 —
Poivre — 111,78 1 17 ,8 8 1 33 ,1 4 162,17 112,83 129,75 1,50 —
Savon noir — 51 ,12 4 8 ,28 48,38 5 6 ,79 50,88 58 ,51 0 ,56 —
Sel de soude — 37,30 31,72 31,43 33 ,15 35 ,94 41,33 0,38 —
A bleuAminAn
— 50 52 85 100 62,33 71 ,68 0,88 —
blanc — 80 8 0 ’ — 90 76 ,67 88 ,17 1 —
Paille de seigle — 4,20 4,62 5,56 5,20 4 ,37 5,02 0,06 —
Charbon gros — 2 ,18 2,23 2 ,44 2 ,8 ? 2,29 2,63 3 les 100 kg
Charbon menu —r 1,36 1,36 1,59 2,04 1,45 1,66 2 ,20 —
Bois à brûler le stère 8,31 8,04 9,04 9 ,07 8,53 9,81 2 ,2 0 —
Balais les 100 9 9 11 11,42 9,67 11,12 0,10 la pièceHuile de colza (pour lampes) 1 00 litres 8 5,4 5 8 5,2 4 96 ,27 112,04 90 ,64 104,25 0,9 6 le litre
Lait doux — 13,38 13,11 13,37 14,05 13,35 15,35 0 ,12 —
Bière — 10,50 1 0,50 13 11,49 11,12 12,78 0,13 —
Vinaigre de bière — 14 14 17 19,92 14,75 16,96 0 ,2 4 —
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7/23/2019 Jean Neuville - La condition ouvrière au XIXe siècle (Tome 1: L'ouvrier objet)
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« En général, les ouvriers font trois repas par jour. Le premier, le matin, à
leur lever (en été à 5 heures et en hiver à 6 heures), consiste en café mélangé de
chicorée, avec des tartines de pain de seigle, ou des pommes de terre. Le second,- à
îhidi, consiste dans une maigre soupe de lait battu, avec un mélange de farine de
sarrasin ou de seigle, de gruau, de quelques croûtes de pain de seigle, ou dé riz, suivie d’une portion de pommes de terre avec une sauce au lard ou autre graisse.
Mais ce dernier plat est déjà limité à la classe plus ou moins aisée, et il en est
beaucoup qui n’ont pas le bonheur de se régaler d’un pareil diner, quelque frugal qu’il soit.
Quand les denrées alimentaires renchérissent, on économ ise particulièrement
le beurre, l’huile, la graisse et les assaisonnements.
L’ouvrier peu aisé ou indigent ne mange guère de pain de froment ou de
méteil.Les carottes et les navets, depuis la maladie des pommes de terre, entrent
pour une large part dans l ’alimentation de beaucoup d’ouvriers. O n en prépare une
espèce de potage, avec des fèves, des pois, du riz ou du gruau, et un peu de graisse.
Le troisième repas se prend vers le soir et consiste généralejnent en café-
chicorée, avec des tartines de pain ’de seigle ou des pommes de terre.
Les ouvriers plus aisés, et ceux qui travaillent chez les fermiers et les fabri
cants, déjeunent, en outre, à 8 heures du matin, et goûtent à 4 heures de relevée.
L’usage. de la bière et d’autres boissons, ainsi que celui de la viande, est devenu très rare. Dans d’autres temps, lorsque l’industrie linière florissait, presque
chaque tisserand ou ouvrier engraissait un porc pour la consommation de son
ménage. Cet usage tend à disparaître, et même lorsque des ouvriers le suivent
encore, ils sont souvent dans la triste nécessité de vendre leur porc pour en
consacrer le prix à des besoins plus pressants » (395).
Très voisines sont les observations qui accompagnent le budget
venant de la commune de Wijnghene et qui est celui d’un tisserand non secouru :
« Les familles de cette catégorie sont, en général, soigneuses, écono
mes et se contentent du strict nécessaire. Elles ne font jamais usage de pain
de froment, de méteil, de viande, d’œufs, de poisson, de bière. Le seigle et
les pommes de terre forment la base exclusive de leur alimentation. Cha
que famille a une chèvre qui lui fournit son laitage; le sel et le vinaigre
constituent pour elle une assez forte dépense... (396).
Bien que l’ouvrier agricole de l’arrondissement de Waremme paraisse
mieux loti parce qu’au lieu d’une chèvre comme à Wijnghene; il nourrit
presque toujours une vache, une truie et un cochon qu’il engraisse, en fait,
sa situation est également précaire. Etabli sous le contrôle du baron Edm.
de Selys Longchamps, le budget est accompagné de cette remarque:
« J’admets que la vache soit assez bonne laitière pour fournir tout le lait et
(395) Ducpétiaux, Budgets économiques..., p. 40.(396) Ici., p. 66.
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tout le beurre dont il a besoin pendant l’année entière. Mais il ne peut
guère compter sur ce produit pour son ménage; le plus souvent il est obligé
de vendre son beurre ou son lait, et de manger son pain sec, pour se
procurer d’autres aliments ou des vêtements. A l’exception de la kermesse, où il se permet de la viande fraîche, il n’a d’autre viande pendant toute
l’année que celle du cochon qu’il a engraissé; il en conserve la plus grande
partie pour le temps de la moisson. Hors de là, il n’en mange qu’un peu le
dimanche... » (397).
Meynne, dans sa Topographie souligne sans équivoque que la situa
tion alimentaire s’est détériorée : « Il n’y a pas quarante ans que tous les
ouvriers, dans les Flandres, mangeaient habituellement du beurre, du poisson, des œufs, du laitage et souvent de la viande. Le hareng était un
met recherché et très répandu. L’ouvrier se régalait souvent de lapins;
c’était encore un manger de prédilection. Il achetait alors un lapin pour 50
ou 60 centimes.,. » (398). Il est vrai qu’à cette date — plus exactement en
1828 — le docteur Courtois constatait que* « les aliments sont très abon
dants et d’une nature très variée. La qualité en est bonne en général, lorsque
leur nature n’est pas altérée par de coupables spéculations ou par suite de la température» (399). Mais il ajoutait, et ceci est important, «que de
différences dans les substances dont ils (les repas) se composent, suivant les
classes et les localités » (400)... « Dans les villes, la classe inférieure est mal
nourrie» (400).
Quoiqu’il en soit de ce que Meynne pense de la situation à la fin du
premier quart du 19e siècle, il trouve en 1865, que la situation s’est
détériorée quant à l’alimentation. A ce moment, selon notre auteur, on paie le lapin 2,50 fr ou 4 fr. « et ce n’est pas qu’ils soient devenus rares
puisque le canton de Roulers seul en expédie annuellement près de200.000 en Angleterre. Malheureusement, telle est la situation, que notre
immense production de porcs, de moutons, de beurre, d’œufs, de lapins,
etc. semble ne plus exister pour le tiers de la nation » (401). Au fond,
Meynne rencontre en 1865, la même situation que celle décrite par
Courtois : ce sont les classes aisées qui mangent bien et les classes défavori
sées qui font ceinture. Chez ces dernières, dit-il, les classes « inférieures », la nourriture est insuffisante ou trop uniformément composée de substan
ces végétales. Meynne estime que deux millions de Belges ne mangent de la
viande qu’à de rares intervalles (402).
(397) Id., p. 402.(398) Meynne, o.c., p. 441.(399) Courtois, o.c., tome 2, p. 181.
(400) Id., p. 182.(401) Meynne, o.c., p. 441.
(402) Id., p. 443, note 1.
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La vie du poisson trente fois plus protégée que celle des
travailleurs
Encore faut-il souligner que la qualité des aliments pour les ouvriers
est souvent mauvaise; « Toutes les denrées mauvaises : les grains avariés,
les déchets des viandes, le poisson à moitié gâté, le lard rance, les mauvais
fromages, les légumes grossiers, les pommes de terre aqueuses ou piquées,
le pain mal fait, les fruits verts, tout cela ne trouve d’écoulement que chez
les pauvres et les petits ouvriers » (403). La qualité des produits alimentaires
semble bien être un problème de tout le 19e. Le docteur Kubom, qui publie
en 1897, un Aperçu historique sur l'hygiène publique en Belgique depuis 1830, signale qu’avant la loi du 4 août 1890, cette qualité était déplorable.
« ...la trom perie sur la quantité et la qualité des denrées alimentaires,
rapporte-t-il, devenait de plus en plus générale. Liés aux propriétaires des magasins
qui leur avaient livré la marchandise à crédit, les débiteurs, ne pouvant se libérer,
n’osaient se plaindre. Parfois assignés devant les juges de paix par leurs créanciers,
ils faisaient entendre des doléances. Mais les choses n’allaient pas plus loin. A
Bruxelles, par exem ple, sur 508 échantillons de denrées saisies par l’administration
communale, le laboratoire de la ville en rejetait 181 comme suspects. Le débit de viandes malsaines se pratiquait aussi partout sur une grande échelle. On a vu tel
abattoir refuser ou détruire en dix ans (1878 à 1888) au delà de 270.000 kg de
viande; dans la capitale, on dut enfouir sur une année 73.250 kg de viandes
malsaines, 5 .000 pièces de gibier, de volaille, plus une énorme quantité de poissons,
mollusques, crustacés.
« Des distilleries agricoles, on vit expédier vers les grandes villes des bêtes
péripneumoniques vivantes; à l’arrière-saison notamment, à l’époque des kermes
ses de village, on égorgeait des porcs malades, des bêtes souffreteuses, atteintes de
phtisie tuberculeuse, de tumeurs à l’aine, au pis, au genou, et cela sous l’œil impassible de l’autorité.
« Les abattages clandestins d’animaux malades étaient communs, surtout à
la campagne. A défaut d’autres consommateurs, les usines à saucissons étaient là.
« De ces tueries, de ces abattoirs privés, s’écoulaient sur la voierie, dans les
rigoles, le sang de toute espèce d’animaux. Il n’était pas rare de rencontrer des
fabriques de saucissons annexées à des clos d’équartissage.
« Ceux-ci d’ailleurs, pas plus que l’enfouissement, n’offraient des garanties
suffisantes contre les nocturnes spéculateurs ayant à tâche de faire rentrer dans la consommation les viandes saisies.
« Quant aux débitants de viandes de charcuterie, ils pouvaient plus impuné
ment encore livrer leurs produits malsains soit dès l’origine, soit par suite d’altéra
tions consécutives subies par la durée.
« Il existait bien des règlements communaux, mais, en dehors des grandes
villes, ils n’offraient aucune garantie sérieuse.
« En somme, toutes les classes sociales souffraient d’un état de choses atten
tatoire à l’hygiène et à la morale. Toutes les classes en étaient victimes, et plus
(403) Id., p. 427.
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spécialement les classes ouvrières et nécessiteuses. Les médecins, les commissions
médicales constataient chaque jour l’étendue du mal, mais leurs efforts restaient
impuissants vis à vis des administrations communales. En 1865, le Conseil supé
rieur d ’hygiène s’était occupé de la q uestion... » (404).
On pourrait établir une belle collection des méthodes de falsifica
tions alimentaires utilisées à l’époque. Par exemple, le quotidien L e H a i -
n a u t du 3 juillet 1849 explique quels sont les produits utilisés dans les
falsifications les plus courantes de la chicorée: la brique pilée, l’ocre, la
terre, le pain torréfié, les débris de semoule ou de vermicelle, le gland
torréfié, les semences de graminées torréfiées, les fêverolles, les haricots, les
pois torréfiés, les coques de cacao, la poudre de vieilles écorces, la betterave et la carotte torréfiées.
Cette situation avait fait dire au docteur Vandenbroeck, de Mons, au
Congrès d’hygiène de 1852, que « la vie du poisson qui peuple nos étangs
est t r e n t e f o i s plus protégée que celle du travailleur! (article 475 du Code
pénal mis en regard de l’article 25 du Code de la pêche fluviale) » (405).
Au premier congrès de Y A s s o c i a t i o n i n t e r n a t i o n a l e p o u r l e p r o g r è s
d e s s c i e n c e s s o c i a l e s , en septembre 1962, Kayser, de Schaarbeek, signalait de son côté que « prétendant venir en aide à l’insuffisance des ressources de
l’ouvrier, l’industrie lui fournit, depuis quelques années, un grand nombre
.de substances économiques et principalement une matière connue sous le
nom de graisse d’hôtel, qui n’est autre chose que le produit d’une ébullition
prolongée des os et de tous les déchets des cuisines d’hôtel » (406).
La « p rom otion im m obilière » n ’a pas chan gé
En 1851, le Congrès d’hygiène publique avait révélé des conditions
de logement aussi déficientes que celles de 1840. C’est au point qu’une
question posée au Congrès envisageait « la défense de mettre des caves en
location pour servir de logements »; ce qui valut au Congrès une interven
tion de Dumortier, échevin de Toumay qui crut devoir déclarer: «je ne
crois pas que l’habitation des caves soit toujours insalubre » (407). Un autre intervenant, le docteur Vandermeulen, conseiller communal à Lokeren, décrit de cette façon l’état du logement : « ...tout le mal que nous voulons
(404) pp. 75, 76.
(405) Compte-rendu, p. 109. L’article 475, 6° condamnait d’une amende de 6 à 10 fr « ceux quiauront vendu ou débité des boissons falsifiées; sans préjudice des peines plus sévères qui seront prononcées
par les tribunaux de police correctionnelle, dans le cas où elles contiendraient des mixtions nuisibles à lasanté».
(406) Annales de l’Association internationale pour le progrès des sciences sociales, compte-rendu
du premier Congrès tenu à Bruxelles, 1863, p. 508.(407) Congrès d'hygiène publique, session de 1851, p. 27.
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combattre, gît dans l’intérieur des maisons des pauvres, gît dans ces demeures pestilentielles où femmes et hommes, grands et petits sont accu
mulés pêle-mêle, sans air, sans espace, sans soleil. Aussi longtemps que ces. réduits existeront, tous les efforts du gouvernement, tous les efforts des communes, des comités de salubrité publique, des administrations locales, seront frappés de stérilité. Nous aurons beau élargir nos rues, en faire enlever les immondices, aussi longtemps que ces réduits infects seront debout, aussi longtemps qu’ils ne seront pas remplacés par des maisons convenables, par de bonnes cités ouvrières, je désespère de l’hygiène publi
que... » (408). Il sera aussi signalé au Congrès que même les lieux d’aisance
sont l’objet de spéculation. C’est Van Oye, conseiller communal et professeur à l’école d’agriculture de Thourout qui le fait remarquer: «Dans plusieurs petites villes de la Flandre, il existe de ces lieux d’aisances publics, établis, dans un but de spéculation, par des particuliers. Ces lieux d’aisance, que fréquentent les campagnards au sortir de l’église, sont devenus de véritables foyers d’infection » (409*).
A peu près à la même époque, le docteur Lebon, membre du Bureau
de bienfaisance et du Conseil d’hygiène publique de Nivelles, écrit qu’en cette ville les propriétaires des maisons insalubres louées aux ouvriers ne s’occupent nullement de savoir si leurs locataires seront ou non dans des conditions de salubrité; « ils s’inquiètent peu d’augmenter pour ces der
niers les chances de mortalité, pourvu qu’ils augmentent leur reve
nu » (41°). Parmi les nombreuses descriptions d’habitations ouvrières de Nivelles, on n’en retiendra qu’une, les autres étant de la même veine : « la cour étroite qui précède ce misérable réduit, est resserrée entre de hautes murailles; elle formait un vrai cloaque, dans un coin qui tient lieu de latrine, on apercevait un monceau de fèces humaines; le sol, mal pavé, présentait, à chaque pas, des cavités remplies d’eau boueuse et d’urine croupissante, liquides qui ne pouvaient disparaître qu’en s’infiltrant dans le sol ou par évaporation; un égoût à ciel ouvert, venant des maisons voisines, charriait à travers cette cour, des immondices et des eaux ména
gères qui allaient s’accumuler sous le seuil de la porte de l’habitation, où
un passage leur était jadis ouvert » (4n). « Demandez, dit plus loin le docteur Lebon, au médecin du pauvre, quel triste spectacle il lui arrive de rencontrer quand il est appelé la nuit dans un de ces déplorables taudis dont je vous ai crayonné une esquisse; il vous dira : j’ai vu sur de sales grabats et même sur de la paille jetée sur le carreau, des familles entières qui n’avaient pour se couvrir que des lambeaux de couverture ou des
(408) Id., p. 34.(409) Id., p. 39.(4IÔ) Docteur Lebon, Habitations de la classe ouvrière et indigente à Nivelles, 1852, p. 7.(411) Id., p. 12.
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paquets de hail lons; el les y gisaient pêle-mêle, sans dist inct ion d’âge ni de
sex e : les enfants à cô té des ad ultes, les fi lles à côté des g arço ns, les m alade s
à côté des val ides; ici un même l i t réunit un père, sa femme et sa nièce,
jeune fille de 15 ans; aille urs en co re, un jeune h o m m e avec sa m ère
paralysée et une sœu r scro fuleus e» (412). Da ns le m anu scrit que n ou s
avon s déjà c i té et qui date de 1 85 1 , le m êm e docteur Lebo n recense les 9 0 2
ménages ind igents de Nive l l es e t exp l ique que l es logements occupés par
ceux-ci se vent i lent de cet te manière: 375 n’avaient qu’une pièce , 406 en
avaient 2 , 70 en compta ient 3 , 44 a t te ignaient 4 p ièces e t 7 seu lement en
avaient 5 . 79 de ces habitat ions étaient insalubres et 91 absolument
insalubres. D ’autre part , sur 93 décès d’enfan ts, 71 étaient des enfan ts d’ouvriers, 22 de la classe aisée.
Quelques années après les constatat ions qui précèdent, le Dr Burg-
graeve considérait l ’habitat comme le facteur le plus important dans la
prop agat ion des ép idémies . Après avo ir long uem ent c it é M areska e t H ey-
man, i l fa i t appel au témoignage apporté v ingt ans plus tard par le Dr
Lessel iers à la Société de médecine de Gand et qui arrive aux mêmes
tém oigna ges : « toutes ces ha bitat ions se trouv ent d ans les co nd it ion s suivantes : dan s un e cou r peu spacieuse o u bien d ans une rue le p lu s
souvent étroi te et dont le so l est p lus é levé que celui des demeures, se
trouvent serrés les uns contre les autres des tas de pierres qu’on appelle
maisons. Cel les-c i sont composées d’une porte et d’une, deux ou trois
fenêtres , qui ordinairement ne sont pas suscept ibles de s’ouvrir . Toutes
indist inctement ne reçoivent le jour que par un seul de leurs quatre côtés.
Les ouvriers , les pau vres , son t cou chés là par m asses dans des a lcôves , dans
des coins et des re coins, sur des l its fort peu élevés au-de ssus d u sol ou b ien
sur des pa il lass on s jetés sur le sol m êm e» (413).
Le m êm e Burggraeve n ’enregistre pas une am él iorat ion bien sensible
de l’habitat ouvrier lorsqu’i l en parle à la deuxième session du Congrès de
l ’A sso ciat io n interna tion ale po ur le prog rès des science s soc iales (414) :
« En ce qu i co nc ern e la ville d e G an d, je dois le dire av ec régret, ces
amél iorat ions ont été de nul ef fet ou i l lusoires . On y a introduit quelques
mesures de propreté, mais on a laissé subsister ce que les habitat ions
actuel les présentent de vicieux quant à leur situation et leur distribu
tion .. . » (415). « Les m aiso n s ouv rières, da ns les dé plo rab les con d ition s où
el les sont aujourd’hui , sont un obstacle non seulement à la santé de
l’ouvrier, mais à sa moralité, qu’on n’aille pas, après cela, lui faire un
(412) Id. p. 14.(413) Dr Burggraeve, Le choléra indien..., 1855, pp. 204, 205.(414) Gand, 1963.
(415) Annales de l'Association internationale pour le progrès des Sciences sociales, compte-rendudu Congrès de Gand, 1864, p. 550.
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reproche de chercher des distractions et des amusements souvent grossiers
au cabaret. Le foyer domestique n’est pas une abstraction; quand tout y
manque, l’air, la lumière, la chaleur, c’est bien le moins qu’on permette à
l’ouvrier d’aller chercher ces conditions vitales au dehors... » (416).Le docteur Meynne, dans sa topographie médicale de 1865, constate
que « l’encombrement se retrouve dans la demeure de tous les pauvres et
de la plupart des ouvriers. Ils habitent d’ordinaire des ruelles étroites, des
quartiers resserrés et populeux, des cours intérieures, des logements com
posés d’une pièce ou de deux tout au plus. Toute la famille y vit pêle-mêle
au milieu d’une atmosphère profondément corrompue. Ces habitations
sont généralement sombres, basses d’étage : le soleil y pénètre à peine et les vents ne viennent pas les purifier» (417). La mortalité, ajoute cet auteur,
« est à peu près double dans les quartiers agglomérés et pauvres » (418). On
ne peut cependant trop tabler sur ce qui précède car toutes les citations de
Meynne pour appuyer ces affirmations datent des travaux relatifs aux
années 40 et même antérieures.
« A vec le p etit carré de ch ou x si m oralisateur... »
Sur l’état déplorable de l’habitat ouvrier, l’opinion apparaît donc
unanime. Elle l’est moins sur les causes de la situation. On trouve même au
Congrès de Gand de l’Association internationale pour le progrès des
sciences sociales, une opinion qu’on rapprochera de celle souvent émise à
l’heure actuelle sur le problème du logement des ouvriers étrangers. Jac-
quemyns, de Gand, explique à l’auditoire pourquoi, à son avis, on ne construit pas plus de logements ouvriers dans cette ville (ce qui, selon lui,
ferait baisser les loyers) : « Il y a à Gand une foule de particuliers qui ont1.000 à 1.500 fr disponibles et qui pourraient, du jour au lendemain, bâtir
une maison d’ouvriers, si cela leur offrait un placement avantageux et leur
rapportait un intérêt de 12 à 15 p.c. Pourquoi ces particuliers ne le font-ils
pas? Pour une raison bien simple; c’est qu’une maison d’ouvriers est le plus
souvent très mal habitée; qu’elle est exposée à de nombreuses dégradations, qu’il y a des chances de non-paiement, et que le propriétaire qui est censé avoir 12 à 15 p.c. de son argent, retire un loyer en réalité beaucoup
moindre qu’il ne perçoit qu’avec des peines infinies. Je connais tel proprié
taire qui a imaginé l’expédient de déléguer un agent de police pour recevoir
ses loyers » (419).
(416) Id., p. 551.(417) Meynne, Topographie..., p. 427.
(418) Id., p. 429.
(419) Annales..., p. 545.
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Les formules ayant en vue de permettre à l ’ouvrier de devenir pro
priétaire de son logem ent grâce à un système de f inancem ent pa tronal
sou lèvent certaines ob ject ion s , do nt i l faut reconnaître q u ’el les ne m an
quent pas d’une certaine pertinence. « Que résulte-t- i l de ce fait que l’ouvrier peut devenir propriétaire?, se demande Laussedat, de Bruxelles .
D ’abord l ’eng agem ent q u ’il contracte le lie , non p lus à la glèbe, m ais à
l ’étab lissem ent. Il ne peu t plus, lorsq u’il a pa yé, pe nd an t deu x o u trois ans,
ses annuités , discuter son salaire avec l’ industriel , parce qu’i l ne peut
abandonner sa maison dont i l a déjà payé une part ie . I l ne peut pas non
plus aller da ns u ne autre usine, o ù le salaire serait p lus con sidér ab le » (420).
Et si l’usine vient à licencier l’ouvrier par suite de crise, la solution devient
imposs ible constate- t - i l encore.
Le docteur Burggraeve, pour sa part , n’hésite pas à mettre le régime
en cause. Bien qu’ i l ne cache pas son admirat ion pour Liévin Bauwens ,
« un des grands instrum ents » de la pensée de N ap olé on , i l n ’hés i te pas à
déclarer :
« A cette époque, l’idée industrielle n’avait pas jncore l’extension qu’elle a
prise aujourd’hui. Il fallait trouver des ouvriers et surtout des ouvrières. Là était la
grande difficulté. On est parvenu à trouver quelques ouvriers et quelques ouvrières, mais par suite d’un préjugé des autres classes de la société, ces ouvriers et ouvrières
étaient considérés comme tombé tellement bas, qu’on leur donnait un sobriquet
particulier; on leur avait infligé le nom d’un poisson, si commun à cette époque,
qu’il servait à nourrir les porcs et à engraisser les champs.
« La pop ulation ouvrière ne pouvait tomber plus bas. Pour ces misérables,
qu’on ne considérait plus comme des hommes, on a construit des bouges. Je me
sers de ce mot, parce que je n’en ai pas d’autre. Quiconque avait un terrain presque
sans valeur, mal situé ou marécageux, y bâtissait le plus grand nombre de loge
ments possible, sans se soucier des conditions de salubrité. Ainsi se sont formés les enclos; nous en avons encore aujourd’hui qui contiennent quatre cents maisons.
« Ces maisons sont restées ce qu’elles étaient. On y a passé le badigeon; et
l’on a pu décerner à ceux qui les habitaient des prix de propreté. Car remarquez
jusqu’où va l’héroïsme de ces pauvres gens: ils ont su conquérir des prix de
propreté au milieu de la boue. Mais l’état insalubre de ces habitations continue à
exercer son influence sur nos populations. Aussi, à l’heure qu’il est, notre popula
tion ouvrière n’a plus de sang dans les veines [...] alors que dans le restant de la
population , la moyenne de vie tend constamm ent à s’accroître et que nous somm es
presque arrivés en Europe à 48 années d’existence moyenne, la vie de nos ouvriers
est de 18 ans à peine... » (421).
O n e st lo in d’avoir réalisé pa rtout le m inim um nécessaire com m e Ch.
Potvin le trouve à H o m u où le propriétaire a fond é un e c ité ouvrière en
m êm e tem ps que l’ex p loitation industriel le. Là, dit Potvin, « l ’ouvrier a sa
m aison , a vec le petit carré de c ho ux s i m or alisate ur ». . . (422).
(420) Id., p. 565.(421) Id., p. 569. .
(422) Id., p. 589.
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En somme, comme pour l ’a l imentat ion , ce qui es t f rappant , pour
l’habitat, c’est l’inégal profit retiré par les classes privilégiées et les classes
défavorisées des bienfai ts du progrès économique. Burggraeve le s ignale
au x participa nts du C on grès de G and : « M essieurs les étrangers, vo us avez admiré nos grands quartiers , nos quartiers de luxe, i l est bon que vous
vis i t iez également nos quart iers ouvriers . Là, vous verrez que tout man
qu e : l ’air et l’esp ac e » (423). C ’est au ssi ce qu e c on sta te, à la m êm e d ate le
docteur M eynne :
« L’ouvrier pâtit mêm e souvent de nos idées de progrès; et lorsqu’on invoque
l’intérêt général, en réalité le sien est presque toujours oublié. J’en citerai deux
exemples, mais il serait facile d’en produire un grand nombre.
« Lorsque la ville de Bruxelles a établi cette belle œuvre qui devait donner de
l’eau en abondance à tous les habitants de la capitale, on n’a pas manqué de faire
valoir des raisons de santé et d’intérêt général. On a, en effet, amplement pourvu
aux choses de luxe et de commodité; on a établi de beaux jets d’eau et un système
régulier d’arrosage. Les riches ont pu avoir de l’eau à tous leurs étages; mais en
revanche la plupart des fontaines et pompes publiques ont été supprimées. De
manière que le peuple, la masse, la généralité, se sont trouvés beaucoup plus gênés
qu’auparavant. Il y avait de l ’eau pour arroser les arbres des boulevards, mais il n’y
en avait plus pour les pauvres.
« Depuis quelques années, nous avons vu dans plusieurs villes, percer de
grandes artères « pour assainir des quartiers de travailleurs »; mais nulle part nous
n’avons vu les travailleurs profiter de ces projets. Chaque fois, pendant l ’exécution
du travail, le but d’hygiène se transforme en un but de luxe et de spéculation, et les
ouvriers sont forcés de déguerpir. Toutes les petites masures démolies sont rempla
cées par de grandes maisons dans lesquelles il n’y a pas la moindre place pour le
prolétaire; pas même aux mansardes, com me c ’était jadis l’habitude. Chaque vaste
démolition fait ainsi expulser des centaines de familles pauvres qui sont obligées, sans indemnité, d’aller beaucoup plus loin et de payer plus cher parce que l’on
construit bien moins pour les classes inférieures que l’on ne démolit. C’est ainsi que
d’excellents projets hygiéniques tournent en réalité au désavantage des misérables.
Aussi, l’étude pratique des constructions ouvrières est-elle, comme nous le dirons
tantôt, une des mesures réparatrices les plus urgentes envers ceux qui souf
frent » (424).
Q ua nt aux dom est iqu es agricoles , souv ent , i ls logen t dans les écuries .
« Jadis , écrit V liebe rgh , à pr op os de l ’A rden ne au X IX e s iècle, les do m estiques logeaient pour la plupart dans les écuries; leur l i t était suspendu à la
vo ûte et on y m on tait au m oy en d ’une éch elle » (425). C ’était éga lem ent le
cas dans les fermes de H esbay e, où , pour tant , parfois , « ils on t une cham -
brette au dessus de l’écurie. Il n’y fait pas toujours très propre, mais c’est
quelque peu la faute des domest iques eux-mêmes; i l s font leur l i t ; à
(423) Id., p. 550.(424) Meynne, Topographie..., p. 529.(425) E. Vliebergh et R. Ulens, L ’Ardenne, sa population agricole au X IX e siècle, 1912, p. 128.
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certains intervalles , i ls ont droit à des draps propres, mais bien souvent i l
faut que la fermière leur impose de nouveaux draps , s inon i l s conservent
ceux qu’i ls ont, disposés à dire que la l i terie nouvelle est moins chau
de » (426). D an s le pays de W aes, Th uysb aert e st im ait que « la m anière de
passer la nu it ( d e s l a p i n g ) constitue la différence essentielle entre le fermier
( d e b o e r ) e t le domest ique ( d e k n e c h t ) . Le dom est ique d ort dans l ’écurie
( s t a l ) , le fermier à la ferme. Le domestique ( d e p a a r d e n k n e c h t ) dort dan s
l’appentis ( d e K l u i s — l i t t é r a l e m e n t : c e l l u l e , e r m i t a g e ! ) , un e pet i te cham bre
de fortune ( e e n k l e i n s o m s m e t i g v e r t r e k ) , près de l’écurie. Les autres
do m est iqu es dorm ent dan s le « cou ven t » ( h e t « c o v e n t » ) , une p lace ex igüe
pr ès d e l ’é ta b le » (427).
Sur ce pro blèm e de la « l iterie », des infor m ation s son t fournies par
les commentaires des B u d g e t s é c o n o m i q u e s d e D ucp ét iaux . Da ns l ’arron
dissem ent de G and, « beau coup d ’indigents couch ent sur la pai lle ou des
feui l les sèches et se couvrent de quelques lambeaux ou de leurs habi l le
m en ts » (428) A W ijngh ene , c ’est à un autre usag e en cor e q ue les feuilles
sèches servent; là, el les sont « un excel lent combustible pour les familles et
ne leur c oû ten t que la p eine de les r ecue illir.. . »! (429 430).Pou r l ’ha bil lem ent, B urggraeve trouve q u ’on est en recul. « L ’état
que l ’enqu ête constatai t en 1 8 4 5 , es t devenu aujourd’hui l ’excep t ion . Tou t
ce lux e a disparu; les enfants surtout sont à peine vê tus — quan d, m utilés
par les den ts des m ach ines, on les p orte à l ’hô pital pâ les et extén ué s, c’est à
peine s i leur nudité est couverte. L’espèce d’indifférence qu’i ls semblent
op po ser à l ’intemp érie de l’air, est du stoïcisme. ... H ab itués à la pein e, i ls
ne con na issent po int la plainte , m ême d ans leurs dou leurs les plus po igna n
tes . Le travail seul sou tient leur existenc e f iévreuse et leur fait ou blier leur
m isèr e» (43°).
3. La condition des ouvrières dentellières
Le systèm e des écoles d entel lières - qui sont de réelles m anu factures -
a comme résultat que les petites f i l les commencent à travail ler dans cette
branche à un âge extrêmement tendre. Certains auteurs se refusent à
(426) Id., La population agricole de la Hesbaye au X IX e siècle, 1909, p. 123.(427) P. Thuysbaert, Het land van Waes, p. 122.
(428) Ducpétiaux, Budgets économiques..., p. 41.
(429) Id., p. 66.
(430) Burggraeve, Le choléra indien..., p. 217.
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établir une distinction entre la manufacture et l’école dentellière, mettant l’une et l’autre sur le même pied. Wagener, par exemple, d’une enquête
faite dans les écoles communales de Gand, peut conclure que « sur 850
enfants qui, de 1864 à 1866, ont quitté (ces) écoles à l’âge de 10 ans, 483, c’est-à-dire plus de 56 % sont entrés aux fabriques ou aux écoles dentelliè
res. C’est dans les mêmes établissements qu’ont été employés 751 enfants
sur 1401 (plus de 54 %) qui, pendant la même période, ont quitté nos
écoles à 11 ans».
« Nous n’avons pas voulu continue-t-il, dans les calculs qui précè
dent, séparer des fabriques les écoles dentellières, et dans les indications
que nous avons fournies au sujet des enfants qui, au sortir de nos écoles, continuent à recevoir de l’instruction, nous avons cru ne pas devoir tenir
compte de ces établissements hybrides qui, tout en se décorant du titre
spécieux d’écoles, ne sont, en général, que des exploitations industrielles, beaucoup plus préjudiciables à la santé que les manufactures » (431).
Ouvrière dentellière à quatre ans, mais il y a des intervalles de
repos pour apprendre des cantiques
Toutes les sources sont d’accord sur la précocité du travail des petites
dentellières. Ainsi l’Exposé de la situation du Royaume pour 1841-1850,
dans son commentaire à propos de la Flandre orientale signale qu’on les
admet à tout âge, « même à cinq et quatre ans, cependant la plupart d’entre
elles ne sont admises qu’à l’âge de six à sept ans; elles y restent rarement après 20 ans » (432). Dans cette province, il y a également des garçons de 6
à 14 ans qui ont du apprendre la dentellerie (433).
En Flandre occidentale, selon la même source, l’enseignement dis
pensé aux enfants dans les écoles dentellières est insignifiant, « les conditions d’hygiène manquent et la durée du travail est de 10, 12 et même 14
heures pas jour ». L’auteur ne peut « s’empêcher de déplorer le développe
ment excessif que prend la fabrication de la dentelle et la position précaire dans laquelle se trouvent, en présence d’une crise toujours imminente, la
plupart des enfants qui fréquentent les écoles dentellières » (434).
Wagener rapporte qu’en 1856, les écoles dentellières comptaient une
population de 19.785 jeunes ouvrières « condamnées au travail à partir de
(431) A. Wagener, De la nécessité au point de vue de l’instruction primaire, d ’une loi sur le travail des enfants dans les manufactures, Gand, 1867, p. 17.
(432) Exposé de la situation du Royaume, 1841-1850, p. 300.(433) Id., p. 301.(434) Id., p. 298.
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l’âge de six ans » (435). Considérant soulignait en 1863 que le travail dans
ces écoles durait 12 à 15 heures (436).
Un autre auteur dont le propos n’est pas d’étudier particulièrement la
situation sociale note que « l’apprentissage commence ordinairement à
l’âge de six ans; il est suivi d’un travail gratuit de deux à quatre années,
pendant lesquelles on les instruit en leur fournissant la matière. Après ce
laps de temps, elles touchent une rétribution sans être encore ouvrières
parfaites; mais elles payent à l’école ou à l’atelier particulier une indemnité
mensuelle de 1,60 fr à 1,80 fr et le prix de la matière première qu’elles
emploient » (437).
Van Holsbeek qui estime que jusqu’à 13-14 ans, les enfants ne
devraient travailler qu’une demi-journée, donne une description plus élo
quente encore la durée du travail chez les dentellières.
« En général, dans les ateliers, la durée du travail est proportionnée à l’âge
des ouvrières; ainsi, pour les enfants de six à sept ans, la journée de travail
commence à huit heures du matin et se termine à six heures du soir pour les plus
jeunes et à huit heures pour les plus âgées. Pour les filles âgées de douze à seize ans,
la journée de travail com mence en été à six heures du matin, pour se.terminer à huit
heures du soir.
« La durée du travail journalier est interrompue par des intervalles de repos.
Ces intervalles sont employés dans certains ateliers, soit au repas, soit à donner aux
enfants des leçons de catéchisme, de politesse, ou à leur apprendre des cantiques.
Ces leçons, outre leur avantage moral, ont encore celui de permettre aux enfants de
quitter la position assise, et de leur procurer quelque exercice musculaire. On ne
peut donner que des éloges à ces dispositions réglementaires.
Si la durée du travail est réglée dans la plupart des ateliers d’apprentissage, il
n’en est pas de même dans les ouvroirs dont nous parlons plus haut. La durée du travail varie au gré de la maîtresse. Celle-ci, étant payée à la pièce, est intéressée à
travailler le plus possible, surtout quant elle n’a pas d’autres ressources. La journée
des plus jeunes enfants est généralement égale à celle des adultes; elle peut se
prolonger pendant quatorze ou quinze heures » (438).
Même certaines chambres de commerce réagissent contre le système
des écoles dentellières. C’est ainsi que la Chambre de commerce et des
fabriques de Gand dans la lettre qu’elle avait adressée au ministre Rogier et
qui est à l’origine de l’enquête que ce dernier décide en 1859 (circulaire du
20 juillet aux Gouverneurs) écrit :
« Dans le principe, la bienfaisance avait été le mobile des fondateurs de ces
écoles; mais lorsque après d’assez grands sacrifices, le développement de l’industrie
dentellière et l’instruction des ouvrières qu’on avait formées eurent permis la
(435) Wagener, o.c., p. 18.(436) Considérant, o.c., p. 18.
(437) A. Meulemans, La Belgique, ses ressources agricoles, industrielles et commerciales, Bruxelles, 1864, p. 219.
(438) Van Holsbeek, L ’industrie dentellière en Belgique, 1863, pp. 26, 27.
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réalisation de bénéfices, l’idée première, dans beaucoup de cas, dégénéra, et le gain
devint la préoccupation principale de quelques directeurs.
« La majeure partie des filles pauvres de la campagne se livrent dès l’âge le
plus tendre, dans quelques-unes des écoles dentellières, à un travail trop prolongé et préjudiciable au plus haut point à leur santé.
« L’intérêt public com mand e au gouvernem ent des m esures prom ptes et
efficaces contre les abus qui ne sauraient manquer d’être cause dans l’avenir de la
dégénérescence de notre population ouvrière... » (439).
La Chambre de commerce de Bruges également réagi t contre les
« éco l e s - m a n u f a c t u r es» . A l a s éa nce d u 1 5 m a rs 1 8 6 0 , a u C o n se il S u p é
rieur de l ’Industrie et du Commerce, un de ses membres, Thooris, le rappela après qu’un membre de la Chambre de commerce de Gand,
G rov erm an, eût interpellé le C on sei l sur la nécessité de rem édier « aux
abus qui se pro du isent d ans certaines écoles-m an ufac tures » (440).
Messieurs, je crois pouvoir revendiquer, pour la Chambre de commerce de
Bruges, l’honneur d’avoir, la première, éveillé l’attention sur ce point. Dans le
rapport qu’elle a publié, il y a deux ans, elle a fait connaître au pays tout entier ce
qui se passait dans les écoles-manufactures, qui sont, dans certains de nos cantons,
aussi nombreuses, et plus nombreuses que les communes mêmes, car il n’y a pas de
commune qui n’en ait au moins une, et plusieurs en ont trois ou quatre.
Peu importe par qui sont dirigées ces écoles-manufactures; là n’est pas la
question; mais le fait est, qu’il s’y commet des abus extrêmement graves. On y
soumet les enfants, à partir de l’âge de cinq ans, au travail de la dentelle, qui est
presque la seule industrie exploitée dans ces cantons, travail dont vous connaissez
probablem ent tous les inconvénients, sous le rapport de la santé et de l’hygiène. On
y astreint ces enfants à un labeur, qui commence, en été comme en hiver, avec le
jour; qui dure, pendant l’été, aussi longtemps que le jour, et qui, pendant l’hiver, se prolonge dans la nuit. Ces petits êtres, dans un âge où le jeu, où le plein air, où
l’exercice sont un besoin pour leur développement, sont astreints à rester, pendant
de longues heures, courbés, littéralement courbés, pliés en deux, sur le carreau à
dentelles, et ils n’ont, pendant toute la journée, que quelques instants pour se livrer
à l’exercice.
Voilà un premier abus, et qui, depuis qu’il s’est introduit dans nos Flandres,
a produit des résultats extrêmement déplorables.
Un second abus consiste dans le payement des salaires. Quelque peu d’ou
vrage que fassent ces enfants, ils gagnent quelque chose. Il n’y a pas de dentelle, si
mauvaise qu’elle so it, qui ne finisse par trouver un acheteur. Ces enfants, je vous en
parle en connaissance de cause, parce que j’ai fait les calculs, font des dentelles qui
ont une valeur tellement m inime, q u’il leur revient de 8 à 9 centimes par jour. Cela
se conçoit, on ne peut attendre davantage d’enfants aussi jeunes.
Mais, sur ces 8 ou 9 centimes que vaut leur travail quotidien, on leur en
retient, sous prétexte d’apprentissage, 5, 6 et quelquefois 7. On pourrait même
(439) Enquête Rogier citée, p. 887
(440) Bulletin du Conseil supérieur de l’Industrie et du Commerce, Tome I, Session 1860-1861,
pp. 537 et ss.
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citer des établissements où l’on exige des enfants au delà de la somme payée pour leur ouvrage.
Dans d’autres établissements, et ici il ne s’agit plus de commençants, voici
ce qui se passe.
L’ouvrage fait, le chef de l’établissement, quel qu’il soit, s’en empare. Je dois ajouter, il est vrai, qu’il existe sur ce point une convention quelquefois consentie, une convention quelquefois imposée; mais enfin il y a une convention. Le chef de l’établissement s’empare de la dentelle, et la vend, soit à un intermédiaire, soit directement aux consom mateurs. Eh bien, on a constaté juridiquement, il y a un an à peu près, que, sur le travail qui valait 16 francs, l’ouvrière n’en recevait que 9, et ce travail avait été exécuté en vingt et un jours, par des ouvrières de seize à dix-sept
ans. Voilà d onc que, sous prétexte du prix d’école, on retient à peu près 50 % de la valeur du produit. Évidemment, il y a là un abus grave.
Malheureusement, les moyens qui sont actuellement donnés aux autorités, aux particuliers, aux tribunaux sont trop faibles, et l’on ne peut pas atteindre ces abus. Lorsque le public s’en occupe, lorsqu’un journal les signale, savez-vous ce qu’on fait? On poursuit ce journal en calomnie. Il y a actuellement en Belgique dix journaux qui sont poursuivis pour calomnie, et cela parce qu’ils ont révélé un abus pareil.
Je crois donc, messieurs, qu’il est important, qu’il est urgent, qu’il est
essentiel que le Gouvernement avise à des moyens, quels qu’ils soient. Nous n’avons pas à nous occuper ici de rechercher ces moyens, c’est au Gouvernement, c’est au pouvoir législatif à faire la loi. Nous ne pouvons qu’attirer son attention sur ce point; mais je crois qu’il est nécessaire, qu’il est indispensable que le Gouvernement s’en occupe dans un bref délai. Il y a dans les campagnes des deux Flandres une quantité d’enfants, depuis l’âge de cinq ans jusqu’à celui de dix-huit à vingt ans, que l’on exploite dans ces écoles de la manière la plus indigne.
Entre autres moyens que l’on emploie pour attacher ces enfants à l’école, on
leur fait, au moment de leur entrée, des avances pour une somme beaucoup plus forte que la valeur du travail qu’ils peuvent produire pendant deux ou trois mois, pendant un an même; et on les retient sous prétexte de remboursement, par le travail, des avances qui leur ont été faites. Lorsque la première avance est à peu près remboursée par le travail, on leur en fait une seconde. Ces enfants sont, de cette façon, toujours débiteurs envers l’établissement, et on les retient ainsi, jusqu’à l’âge de majorité, à travailler au grand bénéfice de ces écoles-manufactures.
On a même cité des faits assez curieux. Ils se sont déroulés, il n’y a pas bien longtemps, devant le tribunal de Courtrai.
M. BUYSE-VAN ISSELSTEYN. — L’administration des hospices a eu à soutenir un procès pour les orphelins.
M. THOORIS. — On avait trouvé un moyen fort ingénieux de retenir les ouvrières à l’établissement. Non seulement on s’emparait du produit de leur travail, mais on leur réclamait encore une somme assez forte. On avait établi un compte fort habile, fort détaillé, par lequel les enfants étaient débiteurs envers l’établissement pour avances, fournitures de fil, fournitures d’outils, etc. Et, en fin de compte, rien n’était moins exact; c’était une vengeance exercée contre eux, afin
de les tenir sous la chaîne.
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La santé est l'exception, l'état de maladie la règle générale
Le docteur V an H olsbeek a é tudié so igneu sem ent l ’é ta t de santé des
dentell ières et con clut q ue « nou s po uv on s dire , sans crainte de no us
tromper, que l’état de santé est chez el les l ’exception, l ’état de maladie, la
règle g énérale » (441). R égim e de trava il, m ais au ssi al im en tation dé fec
tueuse et hab itat da ns « ces antres im m on des » où logen t la p lupart des
den tell ières, son t les cau ses de cette situa tion (442). Van H olsb ee k e st im e
d’ail leurs que « les manufactures sont la cause indirecte de l ’existence des
impasses, puisque partout on les voit naître et se mult ipl ier avec el les, et la
cra inte de po rter attein te au d ro it de la pr op riété les a fait tolérer » (443).
L’école doit ici être mise sur le même pied que l’atel ier, «dans la
plupart de ces écoles , re l ig ieuses ou la ïques, les abus sont scandaleux,
rév oltan ts, inc ro ya b les » (444).
C’est un écho à peu près semblable qui nous est révélé pour le
Limbourg par l e rapport é tab l i l e 20 mai 1869 par la Chambre de com
m erce de Ha ssel t à pr op os de l ’école dentel lière tenue par les Sœurs N oires
à Saint-Tron d :« 102 apprenties ou ouvrières, écrit-elle, ont fréquenté cet atelier en 1868.
Les jeunes filles y sont admises dès l’âge de six ans. A l’expiration de leur terme
d’apprentissage, qui est de trois ans, les apprenties reçoivent une somme de 15
francs à titre de gratification. Quelques-unes, profitant de la faculté qui leur est
laissée de rester attachées à l’établissement, en qualité d’ouvrières salariées, conti
nuent à y aller travailler. Leurs travaux, dans ce cas, se font pour le compte de
l’atelier. Celles d’entre les ouvrières qui se distinguent par une grande habileté
parviennent à gagner 15 à 16 francs par mois, en travaillant pendant onze heures
par jour, c’est-à-dire depuis sept heures du matin jusqu’à sept heures du soir. A midi, elles jouissent d’une heure de repos. Tou tefois, la journée de travail n ’est que
de sept heures pour les filles âgées de moins de onze ans. » A propos de cet atelier,
la Chambre fait encore remarquer que les ateliers dirigés par des ouvrières laïques
sont beaucoup moins bien que celui des sœurs noires, mais n’en conclut pas que
celui-ci ne laisse rien à désirer ou puisse être cité comm e m odèle à suivre. « Loin de
là; écrit-elle, car si, d’une part, cet atelier facilite aux enfants l’apprentissage de la
fabrication des dentelles, il est, d’autre part, cause qu’à Saint-Trond les filles de la
classe ouvrière restent en grande partie privées d es bienfaits de l’instruction primai
re... L’éducation intellectuelle, paraît-il, y est peu ou point estimée; c’est à peine si l’on enseigne aux enfants les premiers éléments de la lecture et de l’écriture. Aussi
ne consacre-t-on à cet enseignement que deux heures par semaine, tandis qu’on
retient les enfants pendant sept heures par jour courbées sur le carreau à dentel
les » (445).
(441) Van Holsbeek, o.c., p. 74.(442) Id., p. 46.(443) Id., p. 46.(444) Wagener, o.c., p. 18.(445) Cité dans l’Enquête 1870-1871 du Ministère de l’Intérieur, I, p. 209.
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Finalement, les dentellières n’ont plus comme perspective que le
dépôt de mendicité, cette institution sinistre dont nous parlerons au
tome 2. « Obligées de cesser de bonne heure, par suite de maladies, le
métier qui subvient à leur existence, le plus grand nombre de dentellières sont contraintes, vers leur cinquantième année, d’aller frapper à la porte
du dépôt de mendicité, ce dernier asile de la classe ouvrière, où vont s’engloutir tant de souffrances et de misères dont les riches ne soupçonnent
pas même l’existence (446).
(446) Van Holsbeek, o.c., pp. 163, 164.
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Chapitre 8
La condition des ouvriers houilleurs
à la veille de la guerre de 1870
C ’est la discuss ion autour d e la s i tua t ion des ouvriers h oui l leurs qui ,
à ce moment, paraît avoir pris le pas sur les débats autour de l’ industrie
l in ière , problème de la moit ié du s iècle . Deux problèmes semblent avoir
retenu l’attention; d’abord celui du travail des enfants dans les mines;
ensuite celui de l’amélioration de la salubrité dans les charbonnages. C’est
surtout la pub l icat ion du rapport K ub om fa it pour l ’Acad ém ie de m éde
cine qui sera l ’é lém ent ex plos i f . M ais le remu e m énage q u’il pro voq ue t ient
au fait qu ’avan t ce rapp ort com m e après, à travers les réac tions q u ’il
suscite, c’est le capital isme industriel , fortement instal lé dans les charbon
nages, qui se défend contre les accusations relatives à la condit ion des
ouvriers houil leurs.
1. Le travail des enfants dans les mines
Le congrès d’hygiène publique de 1851 l’avait évoqué en
parallèle avec le travail des enfants dentelliers
Au Congrès d’hygiène publ ique de 1851 , convoqué par Rogier
pour st imuler le zèle des comités locaux de salubrité, la question de la
réglementat ion du travai l des enfants es t évoquée les 22 et 23 septembre.
U n vœ u souh ai tant que le projet de la Co m m iss ion de 18 43 about i sse enfin
devant les chambres légis lat ives suscite, en faveur des enfants houil leurs,
une intervent ion du docteur Van den Broeck , membre du Comité de
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salubrité de Mons. Van den Broeck, qui était professeur de chimie, de
métallurgie et d’hygiène à l’école provinciale des mines du Hainaut, s’était
déjà prononcé en 1840 contre l’admission des enfants au travail minier
avant l’âge de 15 ans (447). En 1843, il estimait « que l’hygiène et la morale
s’opposent également à l’emploi des femmes dans les exploitations char
bonnières »; mais le médecin montois ne se fait guère d’illusions, « qu’on
ne s’y trompe pas, dit-il, ces considérations si puissantes pour le médecin et
pour le législateur, ne pèsent en aucune façon dans la balance industrielle.
Là où la question d’argent est tout, comment peut-on prétendre que
l’humanité puisse être quelque chose? » (448449). Au Congrès de 1851, Van
den Broeck fait remarquer que, malgré le décret de 1813, des enfants de moins de 10 ans descendent encore au fond de la mine en cette moitié du
XIXe siècle : « Aux termes d’une ancienne loi, les enfants ne peuvent
descendre dans les mines au-dessous de l’âge de 10 ans. Cependant, il y a
considérablement d’enfants au dessous de cet âge qui sont reçus dans les
mines et qui y rendent seulement, il est vrai, de petits services, tels que
fermer les portes, etc. Mais il n’en est pas moins vrai que par suite du
défaut d’air et de lumière, les enfants s’y abâtardissent, leur constitution
s’y détériore. Je voudrais que la loi remédiat à de pareils faits en défendant
de laisser descendre dans les mines les enfants au dessous de 15 ans. A cet
âge, les enfants peuvent rendre des services utiles et leur constitution est
assez forte pour qu’çlle ne se détériore pas par le travail souterrain. Il est
bien entendu qu’il s’agit des enfants mâles. Quant aux filles, elles ne
pourraient.descendre dans les mines avant l’âge de 18 ans» (448).
Malgré une intervention du docteur Mareska, de Gand, qui eut
souhaité qu’on restât dans les généralités, un autre gantois, le capitaine
Rousseau, appuie Van den Broeck, et, assurant bien connaître le pays
borain où il est né, il affirme pouvoir garantir que « si le système actuel est
maintenu, la population boraine s’étiolera de plus en plus. On fait descen
dre les enfants tellement jeunes dans les fosses, dit Rousseau, qu’il est
impossible qu’ils vivent longtemps. Souvent à l’âge de 16 ou 17 ans, ils
sont atteints de maladies des poumons, ils sont rachitiques, ils n’ont plus
de fQrme. Un Borain de 40 ans, sain et robuste est chose (45°) presque impossible à trouver aujourd’hui. Cependant, autrefois, cette race était
forte, elle était renommée à cet égard. Aujourd’hui, elle est dans un
véritable état de décadence» (451).
(447) Vandenbroeck, Réflexion sur l'hygiène des mineurs et des ouvriers d'usines métallurgiques,
suivies de l'exposé des moyens propres à les secourir en cas d'accidents...,
Mons, 1840, p. 13.
(448) Aperçu sur l 'état physique et m oral de certaines classes ouvrières... Bruxelles, 1843, p. 10.
(449) Congrès d’hygiène publique, session de 1851, compte-rendu des séances, p. 73.
(450) Sic.
(451) Congrès d’hygiène publique, o.c., p. 73.
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Visschers, conseiller au Conseil des mines et membre du Conseil supérieur d’hygiène, membre de la Commission de 1843, rappelle que
celle-ci avait proposé d’interdire la descente des femmes dans la mine;
« nous croyons, dit-il, que la place de la femme est au foyer domestique et
non dans les grottes souterraines, mêlée avec les hommes » (452). Il est beaucoup moins exigeant pour les jeunes gens : « quant à l’âge des ouvriers
mineurs, il faut concilier les intérêts de l’industrie avec les intérêts des
populations et je crois qu’à l’âge de douze ans, l’enfant est ordinairement
assez fort pour que l’on n’ait pas à craindre, comme effet de son séjour
dans les mines, la dégénérescence de la race » (453). Ancien directeur de
l’administration des mines, Visschers veut répondre à l’accusation de Van den Broeck. Il admet « que la population des ouvriers mineurs est .une
population souffrante, souvent étiolée. Mais, ajoute-t-il, ce que je ne puis
croire, c’est que malgré les soins que les ingénieurs des mines mettent à
exiger des ouvriers des livrets, on ait admis des enfants au-dessous de dix
ans dans l’intérieur des mines. Quelquefois, concède Visschers, on admet
des enfants de neuf à dix ans à l’extérieur des mines, pour nettoyer le
charbon, pour tirer les pierres et les mettre de côté. Mais ce n’est là qu’un
exercice gymnastique et non une industrie dangereuse » (454).
Contre l’opinion de Visschers, Lombard, président de la Commission
médicale de la province de Liège, vient appuyer la position de Van den
Broeck et Rousseau en signalant qu’au temps où les enfants descendaient
encore dans les mines de Liège, ce travail leur était néfaste : «... nous
avons eu la preuve des ravages que produit sur les enfants leur descente
dans les mines à un âge trop tendre. Les enfants de nos houilleurs étaient
beaux, forts, d’une bonne constitution. A l’âge de huit ou neuf ans, ils
descendaient dans nos mines; ils n’y passaient pas deux ans, rarement
trois, sans être atteints de rachitisme, sans s’étioler, sans que leur constitu
tion fut complètement détériorée. Nos houilleurs formaient une race abâ
tardie, dont la vie était très courte. » (455) Lombard estime que la limite de
douze ans est insuffisante parce qu’à cet âge ils sont aussi vulnérables qu’à
9 ou à 8 ans.
La tendance Visschers l’emportera pourtant, appuyée notamment par Ducpétiaux qui souligne que d’autres enfants au travail sont également
à prendre en considération : les enfants travaillant dans la dentelle : « On
parle des mines, mais il est dans certaines industries des maux beaucoup
plus grands encore que ceux que vous déplorez pour les enfants employés
dans les houillères. Ainsi dans les Flandres, où vous n’avez pas de grandes
(452) Id., p. 74.(453) Id., p. 74.(454) Id., p. 74.
(455) Id., p. 75.
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industries, au moins dans les communes rurales, il y a une industrie
réellement meurtrière, qui emploie, dans ce moment 30.000 enfants. Un
grand nombre de ces enfants, depuis le premier jour de l’année jusqu’au
dernier, depuis le point du jour jusque bien avant dans la soirée, sont occupés à faire de la dentelle, le corps plié en deux sur un carreau. C’est là
le plus grand des supplices, et s’il est un vœu qu’il y aurait lieu d’émettre,
c’est que ce martyre, auquel sont condamnés un grand nombre d’enfants
dans les Flandres, ait un terme; et ce terme, vous ne l’aurez que par une loi
générale qui s’appliquera à ces enfants comme à ceux que l’on emploie
dans les houillères » (456).
Bourson, directeur du Moniteur, tentera encore de faire admettre une disposition additionnelle par laquelle le Congrès aurait émis le vœu
que l’âge des enfants admis dans les mines soit d’au moins 14 ou 15
ans (457). Mais l’opinion défendue par Visschers, Ducpétiaux, Mareska et
Arrivabene (458) fut seule retenue : le projet initial fut voté par l’Assemblée
sans modification.
L'enquête de l'A cadém ie de m édecine sur l'em ploi des fem m es
dans les travaux souterrains des mines
Tenace, le docteur Van den Broeck écrit, le 22 février 1867 à l’Aca
démie de médecine, dont il est correspondant, pour solliciter son appui
auprès du gouvernement afin que celui-ci soumette aux chambres un
projet de loi statuant sur l’admission des femmes et des enfants dans les
travaux souterrains des mines. Une commission spéciale fut constituée,
composée des docteurs Vleminckx, Boulvin, Sovet et d’un correspondant,
le docteur Kuborn, qui fut chargé des fonctions de rapporteur. Celui-ci, au
début de son rapport (459), a insisté sur le soin que mirent les commissaires
à rassembler leur information. « Ils ne se sont pas bornés à compulser les
nombreux documents publiés dans ces dernières années par les Collèges
médicaux et les Chambres de commerce, les rapports des Députations
permanentes, les communications que le ministère de l’Intérieur a mises à ieur disposition; ils se sont directement adressés aux praticiens du pays
qui, par les localités qu’ils habitent, se trouvent dans la position la plus
(456) Id., p. 76.(457) Id., p. 77.(458) Le comte Arrivabene était membre du conseil supérieur d’hygiène.(459) Le rapport de la commission a été publié dans le Bulletin de l’Académie 3* série, tome II, p.
802. Il fut publié en tiré à part sous le titre : « Rapport sur l’enquête faite au nom de l’Académie demédecine de Belgique, par la Commission chargée d’étudier la question de remploi des femmes dans les
travaux souterrains des mines». Nos références renvoient à la pagination du tiré à part que nous
désignons : « Rapport Académie 1868 ».
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favorable pour fournir des renseignements précis. Ds se sont transportés
dans les différents districts houillers, tantôt pour élucider des points obs
curs ou contestés, tantôt pour recueillir des faits dont ils soupçonnaient
l’existence mais qu’on semblait enclin à cacher afin de ne pas compromettre les intérêts mal entendus. Ils ont voulu traiter d’une façon complète
l’important sujet soumis à leurs investigations, n’émettre aucune allégation
qui ne s’appuyât sur des faits. Ils ont procédé à la recherche de la vérité
avec indépendance et impartialité. Ils n’hésitent pas davantage à dire le mal
et ses sources, quelque pénible que ce puisse être; à affirmer qu’ils parlent,
comme sous la foi du serment, « sans crainte et sans haine » (460).
Les causes
Selon les renseignements recueillis par l’Académie, il y a, au moment
de l’enquête 13.524 femmes et filles qui travaillent dans les mines dont
9122 à l’intérieur (461). Trois causes de cette situation sont dégagées par le
rapporteur.
La première est la misère qui, elle-même, procède de deux causes.
« Bien souvent elle est due à l’absence de prévoyance et au manque d’ordre; quelquefois à la privation des ressources que fournissait à la famille
son chef frappé par la mort ou réduit à l’impuissance; plus rarement à la
cherté des denrées alimentaires. On dit que les femmes entrent alors dans
les mines par vertu, pour échapper à la prostitution; nous verrons plus loin
ce qu’il faut penser de cette allégation» (462).
Le rapporteur semble surtout avoir été frappé par une seconde cause
sur laquelle il revient souvent : la vanité féminine! « Il n’est guère, écrit-il,
de profession qui donne plus de liberté avec des salaires plus élevés que
celle de l’ouvrier mineur»... «Le travail dans les mines leur procure
facilement le gain nécessaire à leur ajustement. Il en est beaucoup qui, à
l’instar des hommes, font double tâche, c’est-à-dire passent des vingt-
quatre heures dans la fosse. La vanité, innée chez les femmes, est portée
d’autant plus haut qu’on a moins développé en elles les qualités du cœur
susceptibles d’en contrebalancer l’influence » (463).
Enfin, le rapport signale — c’est là une cause, ou une accusation que
nous avons déjà rencontrée à plusieurs reprises — la « cupidité des pa
rents ». « Le désir du chef de famille de tirer de ses enfants qu’il considère
(460) Rapport Académie 1868, p. 3.
(461) Voir tableau page 189.(462) Rapport Académie 1868, p. 15.
(463) Id., p. 16.
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Hainaut Namur Liège
Nombre Salaire Nombre Salaire Nombre Salaire
A L’INTERIEUR
Hommes 35.918 3,81 1.409 3,71 12.486 3,25Femmes 4 .289 2,25 54 1,89 817 1,76
Garçons 6 .840 1,70 2 77 1,75 1.576 4 ,52( i )
Filles • 3 .5 54 1,46 13 1,29 125 1,39
SURFACE
H om m es 10.027 2 ,6 0 348 2,55 2 .613 2,34
Femmes 1.556 1,49 161 1,36 940 1,23
Garçons 1.531 1,19 34 1,15 308 0,93
Filles 1.258 0 ,99 65 0,91 422 0,78
RECAPITULATION
Le nombre de mineurs travaillant dans les charbonnages en 1868
Intérieur
Surface
Hommes
Femmes
Garçons
Filles
Hommes
FemmesGarçons
Filles
49 .913 (2)
5.160
8.693
3.9 62 (3)
12.988
2 . 6 5 71.873
1.745
87.001
soit en tout, femm es et filles, 13 .52 4 (4),
dont 9 .1 22 à l’intérieur (5)
(1) U s'agit probablement d'une erreur typographique. Sans doute faut-il lire: 1,52.(2) En réalité, le total est 49.813.(3) En réalité, le total est 3.692.(4 ) En réalité: 13.254.
(5 ) En réalité : 8.752. (Source: Rapport Académie 1868, pp. 14 et 15).
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comme un capital, le plus de profits possible. Cette cupidité a quelquefois
pour mobile la paresse ou le désir de faciliter la satisfaction de certains
goûts, de certains plaisirs plus ou moins avouables » (464).
Le genre de travail effectué
Le rapporteur a classé en huit catégories les types de travaux effec
tués par les femmes et les enfants dans les charbonnages. Ou plutôt, il n’a
pas parlé de travail, son expression est: «voici le lot qui échoit aux
femmes, aux filles ou aux enfants dès l’âge de 12 ans » :1° Le transport par gaillots dans les fausses voies, ou vo ies intermédiaires, du
charbon pendant le jour, des pierres et des terres pendant la nuit. Les galeries
comptent parmi les moins élevées. On donne à ce genre de travail le nom de
hierchage ou traînage;
2° Le remblayage des tailles pendant la nuit, lequel consiste à remplacer le
charbon extrait par les pierres détachées pour avancer la voie;
3° Le boutage, opération qui sert à faire passer le charbon de la taille dans la
voie à l’aide de pelles.Ces divers travaux occupent les deux sexes;
4° Le maniement des freins, le soin d’attacher des charriots sur les plans
inclinés, qui sont nombreux dans les systèmes d’exploitation en tailles d’allonge
ment;
5° La manœuvre des treuils, employés soit pour élever le charbon sur des
plans inclinés en vallées, dits défoncements, soit des pierres des puits en voie de
creusement ou d’approfondissement, connus sous le nom d’avaleresses;
6° Le service des pompes;
7° La ventilation des travaux préparatoires.
Les deux dernières opérations, dans la plupart des fosses, ainsi que la
manœuvre des freins et des treuils, sont plus spécialement réservées aux femmes ou
filles;
8° Les fonctions auxquelles sont préposés les enfants en dehors du trainage
et du remblayage consistent à accompagner les raccommodeurs de voies, à transfé
rer du bois d’une place à l’autre, à aller rallumer les lampes éteintes pour les
reporter dans les tailles, à suivre les trains de wagons conduits par des chevaux » (465466).
Quant à la durée de ce travail, elle « varie entre huit et douze heures.
La tâche commence vers 4, 5 et 6 heures du matin. Aux ouvriers de jour
succèdent aussitôt les ouvriers de nuit » (46<s).
(464) Id.
(465) Id., pp. 16/17.(466) Id., p. 18.
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Une forte mortalité infantile
Après avoir noté quelques améliorations intervenues dans le travail
du hierchage depuis que fut menée l’enquête de 1843, le Rapport imprime l’avis envoyé par un docteur du Hainaut déclarant notamment : « La jeune
enfant qui est envoyée dans les fosses, à l’âge de 11 ans, ne verra plus la
lumière du jour que le dimanche, du moins pendant la plus grande partie
de l’année. Elle quitte le foyer paternel vers trois heures du matin, pour n’y
rentrer que de 6 à 8 heures du soir. Si de 11 à 13 et 14 ans, le travail en
lui-même n’est pas toujours pénible, cette absence d’insolation, jointe à un
air souvent impur, est déjà nuisible au développement des forces physiques (...); l’influence fâcheuse du travail des mines sur la constitution,
spécialement chez la femme, est toujours manifeste. Généralement pâles, de petite taille, les filles de fosse, comme on les désigne, ne sont réglées que
fort tard, la plupart deviennent mères avant d’être suffisamment aptes à
remplir, même au point de vue animal, les devoirs de la maternité » f467).
Kubom croit d’ailleurs que les perfectionnements apportés « ne sont,
à bien des égards que des palliatifs » (468); il y a, en effet, des causes qui sont inhérentes à la nature du travail. Ces considérations, l’auteur les écrit après avoir évoqué la pénible situation des mineurs soumis continuelle
ment aux brusques changements de température : « Couverts de sueur et de poussière, les femmes et les enfants se trouvent selon la nature de leur
travail, exposés alternativement pendant neuf à dix heures, à un courant actif d’air tantôt froid et pur, tantôt tiède et vicié; la tâche finie, ils se
présentent au cuffat pour remonter au jour; ils attendent leur tour dans les
chambres d’accrochage, grelottant là encore, sous le courant d’air froid et hymide qui arrive de la surface, se préparent à subir toutes les conséquen
ces des brusques suppressions de transpiration. Cette circonstance est très
commune dans les mines où la cage ne transporte personne si l’extraction
n’est terminée » (469).
Le rapporteur cite encore une série de témoignages relatifs aux effets
du travail minier sur la grossesse et la parturition. C’est à cet endroit qu’il
fait état des réticences que les enquêteurs ont rencontrées dans leur recherche de la vérité : « On avait prévenu les membres de la Commission qu’ils
auraient quelque peine à découvrir la vérité, si elle était mauvaise. Ils s’en
aperçurent aisément dans les interrogatoires auxquels ils procédèrent. Ils
comprirent le mobile de la réserve des praticiens, en voyant avec quelle
insistance ceux qui consentaient à fournir des éclaircissements écrits, de
(467) Id., pp. 21, 22.
(468) Id., p. 23.
(469) Id., p. 23.
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mandaient à ce qu’on ne publiât pas leurs noms. Il résulte toutefois des
investigations de la Commission, que le travail des femmes, admises jeunes
dans les mines, imprime souvent à leur système osseux des dispositions
vicieuses, incurve la colonne, rétrécit le bassin; que chez elle, les avortements, les accouchements avant terme, sont très fréquents; que la mortalité
à la naissance, est plus forte que chez les enfants des ménagères... » (470).
Revenant plus loin sur la mortalité dans les communes charbonnières
et tout en regrettant la défectuosité des statistiques, Kubom dte les quel
ques chiffres suivants :
« Les villes de Courtrai, Ath, Nivelles, Huy, Andenne, Lessines, comprennent
une population de 64.713 habitants; les puissantes communes charbonnières de Seraing, Quaregnon, Gilly, Châtelet, Dampremy, Hornu, de 68.456. Pendant la
période précitée, le nombre de décès d’enfants en dessous de 7 ans, s’est élevé à
2 .359 pour les premières, à 3.0 60 pour les secondes, ce qui donne pour celles-ci 44
décès, pour les autres 36 sur 1.000 habitants, moyenne annuelle, 11 et 9.
« Dans ce relevé, quelques chiffres sont frappants.
« Ainsi Ath, qui possède une population de 8 .47 2 âmes, fournit 24 3 décès en
quatre années, tandis que Hornu, qui n’en compte que 6.674, en fournit 271. La
commune de Seraing, sur 4.105 décès en général, compte 1.034 décès d’enfants en
dessous d’un an, soit 257 décès sur 1.000, chiffre calculé sur une moyenne de 9
années (1857-1866 exclusivement); c’est énorme.
«La proportion des enfants décédés en dessous de 7 ans dans la même
commune, pendant la période quatemale de 1862 à 1865, est de 160 pour 1.000
décès en général et de 48 pour 1.000 habitants, soit une moyenne annuelle de 152
et de 12 » (471).
<<Les plus belles filles appartiennent d’abord aux maîtres ouvriers »
Kubom et les enquêteurs paraissent avoir été surtout frappés par la
situation de la moralité des femmes travaillant à la mine. C’est un des
points du rapport qui sera furieusement contesté dans la controverse dont
nous parlerons plus loin.
« ...Toutes les licences, tou tes les privautés sont permises. Pendant ce retour,
au crépuscule, bien souvent la fille des houillères s’écarte un peu de la bande pour se livrer sans honte, ni pudeur, presque sous les yeux de ses com pagnons de travail.
« Enfin, elle rentre au logis, monte à son étroite chambre. Elle y cherche du
regard le matelas où se trouve une place vide. En voilà une que vient de quitter un
logeur pour aller à son travail. Qui repose à l’autre? C’est son frère, son père, son
oncle, son cousin, un étranger peut-être! A-t-elle le temps de s’en préoccuper; elle
est fatiguée! Elle prend la première place venue, sans que son imprudente mère
s’inquiète des conséquences qui peuvent résulter de cette insouciance.
(470) Id., p. 30.(471) Id., pp. 50/51.
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« Fait-elle sa toilette? Elle agit comme si elle était seule; tout près pourtant
des hommes se lavent à moitié nus comme elle.
« Pourquoi rougirait-elle? Ses sœurs sont à cô té qui en font autant; le fait est
passé dans les habitudes.« Sa mère qui tient la poêle où frit une tranche de lard, est là aussi, simple
ment vêtue d’une chemise et d’un jupon, la gorge découverte! » (472).
La d escr ipt ion du com portem ent au charb onnag e es t part icu l ière
m ent imp lacable d ans ses a ccusa t ions v is à v is des « m aîtres-ouvriers » :
« La femme mariée a souvent pour am ant un des homm es qu’elle tient en
logement. Partout ou à peu près, mais spécialement dans les grands centres, tels
Seraing, Charleroi, Gilly, Dampremy, Quaregnon, Lodelinsart, les plus belles filles appartiennent d’abord aux maîtres ouvriers. Des tolérances de toute espèce sont le
gage de leurs faveurs.
« Void, nous dit-on, le procédé mis en usage pour les obtenir. La jeune fille
est placée dans un endroit où elle peut être fadlement surveillée. On cherche à
l’allécher par l’appât d’une augmentation de salaire. Si elle refuse on l’isole sous
l ’un ou l ’autre prétexte; on lui donne la tâche la moins facile, et cela dure jusqu’au
moment où elle consent à l’échanger, au prix proposé, contre une autre moins
pénible.
« Parmi les jeunes filles qui travaillent dans les fosses, il est vraiment excep
tionnel d ’en rencontrer qui soient encore vierges à quatorze ans! Dans une houillère
près de Gilly, une femme de fosse nous débita que l’on venait de renvoyer un chef
mineur marié, pour avoir rendu mères deux jeunes filles de 16 à 17 ans. Tout
récemment, dans le bassin de Seraing, un maître ouvrier, marié aussi et père d’une
nombreuse famille, a vu naître un troisième enfant de sa concubine âgée de moins
de 20 ans. Un autre, un contremaître aussi, ayant femme et cinq enfants vient de
retirer de la houillère, pour la mettre en chambre, une jeune fille de 16 à 17 ans,
dont il a obtenu dans la fosse même les premières faveurs. Un quatrième avait un
enfant d ’une fille à peine nubile issue du premier mariage de sa femme; il couchait
dans la chambre de celle-ci avec cette fille. Nous pourrions multiplier les exemples
que nous avons recueillis... » (473).
Selon K ub orn , la situa tion ne s ’est guère am éliorée depuis vingt ans.
Après avoir cité des stat ist iques de naissances i l légit imes, i l conclut ainsi :
« Au dire des directeurs de charbonnages, ce ne serait pas dans les travaux
que se commettraient les actes d’amour; c’est là du moins que se fixent les
rendez-vous pour le moment du retour ou l’arrivée du lendemain. Citons cependant un exemple odieux qui prouve que la surveillance la plus active peut être
trompée. Il y a deux ou trois ans, dans une des houillères en amont de Liège, une
fille, bien jeune encore, reçut un coup à la tête et perdit connaissance. Un mineur
travaillant à proximité, lui porte secours et s’apercevant sans doute qu’elle n’était
qu’évanouie, assouvit sa passion sur elle.
« Croit-on que l’idée bestiale l’eût seul guidé? Du tout. Il était atteint d’un
chancre qu’il communiqua à sa victime. Son viol lui était commandé par cet
(472) Id., pp. 33, 34.
(473) Id., p. 38.
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abominable préjugé, que dans ces sortes de maladies on guérit plus sûrement et
plus promptement en se livrant à une fille vierge! Voilà comment la pudeur des
ouvrières est protégée dans certaines fosses! » (474).
Q u e faire?
La grande plaie , pour le Rapport de l ’Académie, c’es t l ’absence de
form ation, d ’instruct ion des femm es qu i , tou te jeunes , se rendent à la
fosse. A Seraing, le rapp orteur a interrog é « tou tes les fem m es o u f i lles ,
d ’où q u ’el les provienn ent , travai l lant ou ayan t travai llé dans les h ou i lles , et
qui se sont présen tées à son cab inet pen da nt l ’espace d ’un an. Sur 11 7 f emm es o u f illes :
19 savaient l ire, écrire et un peu chiffrer;
32 à peine l ire ou épeler;
6 6 rien d u to u t » (475).
La form ation m énagère es t ab solum ent nul le . « . . .N ’ayan t aucun e
idée d ’ordre, aucun e n ot ion d ’éco no m ie do m est iqu e, ne conna issan t r ien
aux travaux du ménage, paresseuse par ignorance, négl igée dans sa tenue, ne sachant ni pétrir la pâte , ni fa ire un rag oût , ni m êm e peler une po m m e,
encore m oins cou dre, tr icoter , ravauder des ba s , racom m od er lé l inge, e lle
prépare à son m ari , qui trouv e, à son retour, la tab le nue et le foye r glacé,
la pire des ex is tenc es , et à ses enfants l ’exem ple d ’une un ion m al assortie ,
avec toutes ses conséquences. . . » (476).
La travail leuse à la mine n’a aucune notion de puériculture; « L’en
fant es t exp osé tou s l es jours aux n om breux dangers qui le m enacen t dans le jeune âge; quel les précau t ions pren d-el le po ur le vêt ir en rap port av ec la
saison, sans nuire à la l iberté de ses mouvements; pour ne gêner ni la
respiration, ni la circulation, ni la digest ion? Elle ne donnera pas l’al imen
tat ion appropriée à un tendre es tomac, mais les mets dont e l le use e l le-
m ême; e l le sortira par un tem ps froid et h um ide en le po rtant sur le bras ou
sur le dos; el le restera enfermée avec lui dans une pièce enfumée par le
tabac et le charbon, non venti lée, servant de lavoir, de séchoir, chauffé
outre m esure à l’aide d ’un po êle sur lequel el le cuit des a l im ents . A -t-el le à
vaquer à quelque occupation? el le laissera l’enfant se rouler à terre au
milieu des ordures et se couvrir de malpropreté; el le n’aura pas même
l ’attention de le décrasser pour le retour du père; el le ne songera pas à
retenir celui -c i au logis par la vue d’un enfant propre ou d’une épouse
avenante... » (477).
(474) Id., p. 42.
(475) Id., p. 45.(476) Id., pp. 42, 43.
(477) Id., p. 49.
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K uborn ne v oi t qu ’un rem ède : la fem m e d oit quit ter la fosse et
s’occu per d u m éna ge. « L’aisance , la m ora lité et la san té n’existent que
dans les ménages où la femme est rendue à son vrai rôle , nul le part
ailleurs » (478). C ela rev ient co m m e u n leit-m otiv : « D a n s les m én ag es d e houi l leurs dont la femme ne pénètre pas dans les mines, i l y a plus de
prop reté , d ’aisance, de m oral i té , de bonheu r au foyer dom est iqu e, que
dan s les circo nstan ces o p po sée s » (479) .. . « A B ois du L uc, o ù la ho uil le est
ex p l o i tée d ep u i s 1 8 1 0 , a u cu n e fem m e n e d escen d d a n s le s fo s se s . N o u s
avons v is i té de nombreux ménages et nous y avons rencontré l ’ordre et la
prospérité. Les pièces étaient vastes, bien aérées, bien éclairées, les l i ts
soignés. De petites f i l les de 6 à 7 ans tricotaient sur le seuil , de pet its
garç on s jou ff lus, l ’air de san té au visage, jou aient au d eh ors . .. » (48°). D an s
la Région de Liège également , là où les femmes ne descendent pas à la
fosse, « . . .on con state aisém ent qu ’il y a dans les m éna ges un esprit d’ordre
et de prév oy an ce assez m arq ué » (481).
A u Bleyberg, « . .. les garç on s ne son t adm is dans les m ines q u ’à partir
de quinze ans, les jeunes f i l les en sont exclues absolument , a insi que des
fonderies . Les mères de famil le ne quit tent pas le foyer domest ique, leur
moralité est à l ’abri de tout reproche. Les grèves, les débats relat ifs aux
salaires, ne se présentent jamais au Bleyberg. Les deux cinquièmes des
ouv riers s o n t prop riétaires de leurs h ab itation s » (482).
Le rapport du docteur Kuborn f i t l ’objet de discussions au cours de
six séanc es de l ’A cad ém ie de m éde cine, du 16 janvier au 6 jui llet 18 6 9 (483)
pour débouch er , à la réunion du 30 décem bre 1 86 9 sur ce t te conc lus ion :
« L ’A cad ém ie royale de m édecine, éc la irée par le rapport de sa
Commiss ion a ins i que par la longue d i scuss ion à laque l l e ce document a
donné l ieu, émet l ’avis, ainsi que l’ont fait déjà un grand nombre de
directeurs de charbonnages, que le travail des femmes et des f i l les dans les
fosses n ’est pa s en harm onie a vec leur organisat ion; q u ’à d ’autres p oints de
vue d’ai l leurs , i l convient d’en recommander la prompte suppression, la
bon ne con st itu t ion du foyer dom est ique a ins i que l e b ien-ê tre phys ique e t
m oral de la po pu lation ho uil lère y étant p articulièrem ent intéressés » (484).
(478) Id., p. 71.(479) Id., p. 85.
(480) Id., p. 62.
(481) ld., p. 63.(482) Id., p. 68.
(483) Bulletin de ïAcadém ie royale de médecine, année 1869, tome 3, 3e série, pp. 11, 99, 366,483, 632, 730 (livre n° 1, 2, 4, 5, 7, 8).
(484) A l’unanimité moins deux voix (Kuborn, Aperçu historique..., p. 162).
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2. La salubrité des charbonnages s’est-elle amélio
rée?
Si la plupart des témoignages convergent pour nous dire qu’en un
quart de s iècle la s ituation des ouvriers ne s’est guère améliorée, i l s ’en
trouve po ur assurer que celui des ouvriers h oui l leurs — contrairem ent à ce
que révèle l ’enq uête de l ’A cad ém ie de m édecine — a fait de grands progrès .
L e doc teur M eynn e par exem ple , dans s on ouvrage de 18 65 , e s tim e .
que « les ind ustries da ns lesqu elles le salaire a subi u ne ha usse sen sible,
appart iennent pour la plupart aux quatre provinces méridionales . Ce sont
part icul ièrement les branches qui t iennent à la métal lurgie et aux extrac
t ions m inières. D an s l ’industrie ho ui l lère , ajoute M eyn ne, i l y a égalem ent ,
depuis une vingtaine d’années , une amél iorat ion remarquable . Les mines
on t été m ieux *aérées, les trava ux les plus fatigan ts son t faits par des
machines et les salaires ont été plus que doublés.. . » (485).
A van t lui, C on sidéra nt croyait po uv oir aff irmer, en 1 8 63 , cette
am élioration d u travail da ns les m ines; « . . .le nom bre des h i e r c h e u r s , — o n
app elle ainsi les-enfan ts chargés de traîner, so uv en t en s’aidan t des pieds et
des m ains , les chariots de charb on da ns la t a i l l e —: tend à dim inu er de plus
en plus . D es chem ins de fer ont été étab l is dan s les galeries pou r y faci li ter
la traction, et dans certaines houil lères du pays de Liège, on n’emploie
même plus à cet te besogne que de pet i t s chevaux ardennais . Dans nos
usines et nos manufactures , la subst i tut ion de plus en plus complète des
m achines au travai l des bras a s ingu l ièrem ent al légé la tâche d es enfants en même temps que cel le des adultes , et , sous ce rapport , le progrès es t lo in
d ’av oir dit son dern ier m o t » (486).
C es auteurs av aien t peu t-être été influen cés dan s leur jugem ent par le
do cteur Sc ho en feld qu i s’était fait le héra ut d e la « périod e de salubrité »
des mines. Que l’ industrial isation ait amélioré les salaires par rapport au
nivea u o ù i ls étaien t restés en Flandre, d ans l’industrie l inière no n évo luée ,
c’est certain. M ais Sch oen feld insiste surtou t sur l’am élioration des condit ions mêmes du travail dans les mines.
La «période de salubrité» des charbonnages
O rig inaire de H i ldburgh ausen où il es t né en 17 96 , le docteur M art in
Sch oenfeld avait étudié la m édecine à l ’universi té de W ürzbo urg. A la
(485) Docteur Meynne, o.c., p. 463.(486) N. Considérant, Du travail des enfants dans les manufactures e t dans les ateliers de la petite
industrie, Bruxelles, 1863, p. 14.
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sortie de cel le-ci , i l prend du service dans l’armée des Pays-Bas et est
en vo yé à C harleroi . En 1 83 0, il dev int che f du service sanitaire de la
garnison de cette vi l le . Après la révolution belge, i l obtient, le 8 février
1831, la grande naturalisation (487).
Une let tre du 20 novembre 1842 qu’ i l avait envoyée à Gui l lery,
professeur à l’Université de Bruxelles sur « l ’état hygiénique et moral des
ouvriers-enfants employés aux mines de charbon dans le dis tr ia de
C ha rleroy », et insérée d an s le tom e III de l ’en qu ête de 1 8 4 3 (488), faisait
déjà état d ’am éliorations dan s les m esures de sûreté et de salub rité dan s les
m ines do nt, disait- il , « tou t fait espérer qu ’on o btiend ra d ans peu d ’ann ées
des ré su ltats sa tisfa isa n ts » (489).
C ’est surtout dans le M ém oire q u’il adresse à l ’A cad ém ie de m édeci
ne (490) en réponse à la quest ion mise en concours pour 1856-1857 (491)
que Schoenfeld présente sa thèse de la transformation des condit ions de
salubrité dans les charbonnages. I l importe de rappeler qu’à l’époque les
charbo nnag es so nt en plein essor capitalis te et que S cho enfeld es t m édecin
attaché à un ch arb on nag e (492). N o u s au rons l’oc ca sion d e voir au f il de ses
pu bl icat ion s que l ’auteur ne paraît pas avoir pris bea uco up de dis tance vis à vis de sa fonaion dans l ’ industrie .
A près av oir dit tou t le bien q u ’il pe nse d es rév élations d e l’enq uête de
1 8 4 3 , S choen feld af firm e que tou t cela a bien chan gé. « I l faut se garder,
écrit- i l , de juger l’atmosphère du fond d’après les écrits dont nous venons
de parler; on croirai t faci lement que les houi l leurs n’ont pas assez d’oxy
gène à absorber et que leur san g a du m al de se dép ou i ller conven ablem ent
de son carbone.
« Les charbonnages ne forment pas une popu lation robuste et belle; c’est une
génération qui se ressent beaucoup des pernicieuses influences qui ont agi sur leurs
parents et aïeux. En outre, elle éprouve l’effet des nombreuses causes fâcheuses
auxquelles sont assujetties toutes les autres familles ouvrières des localités indus
trielles; mais c’est une race d’ouvriers dont les conditions physiques se sont singu
lièrement améliorées depuis environ quinze ans et s’améliorent encore de jour en
jour, attendu que l’atmosphère de travail est en général meilleure que celle de
beaucoup d’ateliers situés à la surface. Il est incontestable qu’en général les travaux
des mines sont encore mal jugés et qu’il y a même des médecins qui en ont une idée très vague. On en connaît quelques généralités; mais on en ignore les particularités
(487) Notice de L. Dekeyser dans la Biographie de Belgique, tome 21, col. 747.
(488) Enquête de 1843, tome III, pp. 26 à 35.(489) Id., p. 31.(490) Dont il est devenu correspondant le 29 octobre 1842.(491) Docteur Martin Schoenfeld, Recherches sur l’état sanitaire des houilleurs pendant la période
de salubrité des mines en Belgique. Mémoire adressé à l’Académie royale de médecine de Belgique sur la
question suivante qu’elle avait mise au concours pour 1856-1857 : « Exposer les causes, les symptômes, lecaractère et le traitement des maladies propres aux ouvriers employés aux travaux des exploitations
houillères du royaume ». Les mémoires des concours et des savants étrangers publiés par l’Académie royale
de médecine de Belgique, tome III, Bruxelles, 1855, pp. 261 à 424. — Tiré à part 1859, 4° 163 p.(492) 11 le signale lui-même p. 406 de son Mémoire.
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nombreuses et importantes. Cependant, tous les homm es compétents savent que les
agents gazeux, emportés rapidement, ne peuvent plus exercer d’action funeste sur
les houilleurs.
« Le contraste de l’état sanitaire entre les houilleurs d’autrefois et ceux de
notre temps n’a échappé à aucun des praticiens. Ils ont constaté un heureux
changement et tous sont d’accord pour admettre que les maladies dites propres à
ces ouvriers ne se montrent presque plus et qu’il faut maintenant biffer bien des
pages de pathologie écrites au milieu de cri constances d’une autre époque » (493).
Sch oenfeld es t assez vagu e sur la front ière séparant les deu x périodes
de salub rité dan s les m ines : « I l no us est im po ssible de f ixer ave c que lque
précis ion la date de cet te amél iorat ion dans les condit ions hygiéniques de
l ’ouvrier des mines de charbon; d’ai l leurs, el le ne s’est pas établie d’une
m anière égale da ns tou s n os b assins » (494). C ette ex plica tion est plausible.
On voit bien qu’une te l le transformation ne puisse se faire en quelques
semaines ou quelques mois . Ce qui paraît plus sujet à être cons idéré avec
scept ic ism e — surtout s i on p ense à l ’év olu t ion ul térieure de là san té des
m ineurs — c’est l ’op t im ism e d on t fait preuve Scho enfeld sur la s i tuat ion à
la m oit ié du X IX e s iècle. S on ap pré ciation est , en effet, rad icale; « . .. les
travaux actuels ne laissent rien à désirer sous le rapport de la salubrité » (495). A la lecture du tableau qu ’il do nn e, on com pr end m êm e q ue
certains aient pu croire qu e la W allonie étai t devenue u n paradis pou r les
ouvriers tand is qu e leur enfer se s itua it en Flandre :
« En général, toutes les conditions de l’ouvrier mineur se sont améliorées.
Après dix-huit ou vingt ans, il y a parmi eux une plus grande aisance. L’élévation
du salaire leur permet de pourvoir plus facilement à leurs besoins. Le charbonnier
est sans contredit mieux vêtu qu’il ne l’était sous l’anden régime; la blouse et le
pantalon léger, ont fait place au paletot et au bon pantalon de drap. Le luxe a pénétré aussi dans les familles de houilleurs; on rencontre parfois des ouvrières en
robe de soie le dimanche. Il y a des charbonniers qui sont dans une grande aisance
et dont les fils étudient pour être ecclésiastique et même pour être médecin.
Beaucoup de houilleurs ne s’appellent plus Pierre ou Jean, mais Alfred ou Arthur et
sont membres d’une société de chant ou de musique »... (496).
Schoenfe ld concède donc que la s i tuat ion fut mauvaise; mais l e
souvenir d ’une épo qu e m alheureuse détermine à tort l ’op inion qu ’il en es t
encore ainsi , fa it no tam m ent croire qu ’il exis te des maladies prop res aux
houi ll eurs , provo qu ées par l ’exe rd ce de la profess ion — ce q u’on appellera
un jour « m aladies profess ionn el les » , — alors que « l ’ob servat ion pe rson
nel le , journal ière , seule compétente pour résoudre cet te quest ion, nous
apprend qu’en réal i té , chez nous , les travaux des mines de charbon ne
nu isent en r ien à la santé et qu ’il n’exis te plus en B elgique c om m e autrefois
(493) O.C, pp. 271, 272.(494) O .C , p. 272.(495) O .C , p. 274.
(496) O .C , pp. 278, 279.
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des maladies qui appart iennent aux houi l leurs à l ’exclus ion des autres
classes ouvrières . Ces maladies ont disparu depuis un grand nombre d’an
nées et l ’état sanitaire de la population qui vit dans notre pays de l’extrac
t ion du charbon est devenu te l lement sat is faisant que les adminis trat ions de beaucoup d’exploi tat ions , vu le peu d’occupat ions que donnaient les
abo nn em ents des houi l lères , on t obl igé les m édecins de soigner les famil les
des ch arbo nn iers sans au cun e a ug m en tation d e leurs hon ora ires » (497).
La qual i té de m édec in de charbon nage la i sse év idem m ent p laner un
doute sur la manière dont Schoenfeld voit et interprète les faits . Ceci
apparaît lor squ ’il parle de l’im m igration f lam and e vers les houil lères w a l
lonnes dont i l s i tue le début vers 1840. A l’en croire, c’est parce qu’i ls savent que les mines ne sont plus insalubres que ces ouvriers viennent y
travailler :
« Depuis l’immigration flamande, beaucoup de fils de journaliers, d'artisans, de petits cultivateurs, voire même de fils de meuniers et de boulangers, vont
travailler aux mines de charbon et deviennent ouvriers-mineurs, sachant parfaite
ment que la profession n’est plus insalubre et qu’elle procure toujours de l ’ouvrage,
car il faudra du charbon en tout temps. Les ouvriers logent à proximité de
l’exploitation et retournent une fois par semaine dans leurs familles fixées souvent
à plusieurs lieues du charbonnage, dans une localité agricole. Tous ces houilleurs
nouveaux ont empêché, depuis un grand nombre d’années, la mise en grève des
houilleurs wallons ».
Que ces nouveaux venus aient freiné les grèves , c’es t vraisemblable ,
mais n’est-ce pas plus la nécessité de gagner le pain quotidien qui les att ire
plutôt que la croyance à la salubrité? La connaissance que nous avons
actuel lement de l ’emploi des migrants dans les charbonnages ébranle sé
rieusem ent l’arg um entation de S ch oen feld. La ré action q u ’il aura — ^.paral
lè lem ent aux associat ions charb onnières — lorsque sera con nu le résultat
de l ’enqu ête de l ’A cadém ie de m édecine en 1 86 8, achève de convaincre le
lecteur de bonne foi du manque d’object ivi té de Schoenfeld.
La réaction des Associations charbonnières à Penquête de
l 'Académie
Le Rap port K uborn « souleva de violentes colères parmi les indu s
triels intéressés et les a dm inistra tion s de ch arb on na ge s » (498). Les réa c
tions vinrent surtout du Comité houiller de Charleroi (499) et de l’Union
de charbonnages , mines et us ines métal lurgiques de la province de Liè
(497) O.G, p. 289.(498) H. Kuborn, Aperçu historique sur l’hygiène publique en Belgique depuis 1830, p. 162.
(499) Lettre du Comité houiller de Charleroi. Nouvelle lettre de l’Association charbonnière de
Charleroi, Charleroi, 1869, Imprimerie Auguste Piette.
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ge (50°). S cho enfeld, d e so n cô té se dis t ingu era pa rt icul ièrem ent dan s ces
at taques contre K ub om . La thèse générale es t év idem m ent ce lle de la
s i tua t ion a ssainie dans les charb onn ages . A ins i, pou r l ’U nion ch arbon nière
de Liège, « on serai t tenté , en l isant le R app ort de la C om m ission, de croire
que no us som m es encore à l ’épo qu e o ù le t ravail des mines é ta it cons idéré
com m e dég radan t à la fois l ’âm e et le corps de ceu x qui l ’exerc ent » (500501).
Pou r la com m iss ion de l ’U nion l iége oise , qui a rédigé le rapport , i l serait
m oins n oc i f à un e fem m e de travail ler dans la m ine que dans u n ate li er de
couture : « Les fem m es so n t em ployé es da ns les mines à des travau x très
divers , les principaux sont le transport , le boutage, le chargement des
wagons , le remblayage, la manœuvre des treui ls , etc . Certains de ces
travaux , concè de l ’U nion charb onn ière, i l faut l ’avouer, con vienn ent pe u
par leur rud esse à la nature de la fem m e; i l s ’en faut cepe nd an t qu ’ils soien t
plus excess if s ou p lus d é lé tères que ceux auxq uels les fem m es son t souven t
em ployé es à la surface. N o u s ne c i terons , d’une part , qu e le décha rgem ent
des ba teau x d ans les por ts et, d ’autre part , le travail des ateliers de couture,
surtout depuis que la machine à coudre y es t venue exercer des ravages
au xqu els ceu x des trava ux de m ine ne son t pas à com parer » (502).
Quel le que soi t la valeur de ce rapprochement , l ’af f irmation de
l ’Union l iégeoise es t formel le; les travaux rudes qu’assuraient les femmes
ne son t plus e xéc utés dans les con dit ions antérieures. « Le tramage o u
hierchage des wagons de mine est certainement le plus rude d’entre les
travaux qui soient conf iés à des fem m es. C epend ant , il es t b on d e dire que
nos galeries , généralement larges et é levées , ne nécess i tent pas de la part
des hiercheurs les posit ions gênantes que se plait à décrire le rapport de la
Commiss ion d’enquête comme funes tes au déve loppement phys ique . La
s i tuat ion a bien changé sous ce rapport . Les chevaux et les moyens méca
niques , treui ls , p lans automoteurs , sont employés sur une vaste échel le
dan s tou tes n os gran des ex p loita tion s » (503). D ’ail leurs, à en croire
l ’U nio n c ha rbo nn ière, travail ler dans les m ines est gag e de santé; « . .. les
étrangers qui ne sont pas habitués à voir travail ler les femmes dans les
mines sont étonnés de l ’air de santé et de bonne humeur de la plupart de
no s fem m es de houi llères . Les enfants occupés dans nos m ines son t robu stes et a lertes. N o u s ne c i tons ce fait que po ur répondre au x al léga t ions de
d é g é n é r e s c e n c e d e l a r a c e , en réservant ent ièrement l ’examen de la ques
tion du travail des enfants . Si le type de nos houil leurs n’est pas un modèle
au po int de vue p lastique, c ’es t peut-être une q uest ion de race, m ais no n à
(500) Du travail des femmes dans les mines, rapport présenté par une Commission spéciale et
approuvé par le Comité permanent de l’Union des Charbonnages, mines et usines métallurgiques de laprovince de Liège dans sa séance du 10 mars 1869, Imprimerie J.G. Carmanne, à liège, 1869.
(501) Du travail des femmes dans les mines..., p. 12.(502) Id., pp. 13, 14.
(503) Id., p. 17.
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coup sûr de dégénérescence » (504). Et s’il y a des « bronchites », il ne peut
être quest ion d’en accuser le travail minier; la faute en incombe au mineur
lui-m êm e; « si les bro nch ites son t fréquentes parmi les ouvriers m ineurs, ce
n’est pas en attendant au pied du puits qu’i ls en gagnent le germe, c’est
bien p lutôt en re tournant chez eux avec des habit s hum ides sans se prému
nir co n tre le f ro id » (505).
Il y a enfin « l ’aném ie du m ineur ». Elle fait l ’ob jet de d eu x avis —
discordan ts — pub l iés en ann exe du rapport de l ’U nion l iégeoise . C ’est
qu’ici cette dernière a eu recours à l ’avis de médecins, probablement parce
qu ’il s ’agissai t d ’une op inion à don ner sur une m aladie de type pr ofess io n
nelle où le m édecin est p lus crédible que le d ir igeant d ’asso ciat ion patro nale . Le docteur M aw et , d ’abord , reconn aît qu ’il y a des cas d ’aném ie, mais
que « la plup art son t plus app arents qu e réels, c’est-à-dire se résum ent tou t
s implement en une déco lorat ion des t i s sus provenant du défaut d ’ inso la
t ion, m ais so n t com pa tibles a vec u n état de sa nté sat isfaisant » (506). Le
docteur Otte , au contraire , constate que plusieurs causes concourrent à
pr ov oq ue r l’aném ie chez les ho uil leurs : « O n ne pe ut nier que l ’air plus o u
m oins v id é q ue ces fem m es respirent dans l ’intérieur des m ines y contribue
pour une très grande part ; mais i l faut également tenir compte du défaut
d’al imentat ion qui n’est pas en rapport avec la dépense de forces qu’el les
doivent fa ire; le repos qu’el les prennent n’est pas non plus suf f i samment
réparateur. Les m êm es causes d u reste, agissent sur no s ho ui lleurs do nt le
te int pâle et p lombé n’annonce pas un sang bien r iche; l ’anémie des
houil leurs n’est pas bien rare, el le est poussée quelquefois tel lement loin
q u ’ils d oiv en t su sp en dr e leu r trava il » (507).
Q ua nt à la s i tuat ion de la m oral ité , pour l ’U nio n l iégeoise , e lle n’est
pas aussi négative que l’Académie l ’a aff irmé. « Ce n’est pas dans la mine
que peuvent se commettre les désordres que l ’on s ignale . Outre les obsta
cles provenant de la survei l lance et de l ’act ivité qui y régnent, l ’ouvrier
mineur est superst it ieux. Il connaît les dangers qui entourent son travail et
cro ira it s ’exposer en y com m et tant une act ion que sa croyance con da m
ne » (508). E voq ua nt les naissan ces i l légit im es, l ’U n ion tente de disculper les
charbonnages en re je tant la faute sur l ’é ta t du logem en t : «C om m en t veu t-on qu e le sens m oral se dévelop pe, a lors qu ’un seul grabat reçoi t toute
une fam ille , sans d ist inc t ion d ’âges n i de sexes? C ’est là qu e gît la véritable
promiscuité, cel le qui détruit tout sens moral chez l ’enfant , avant qu’i l ne
soit h om m e et ne p uisse ra isonn er ses actes » (509).
(504) Id., p. 14.
(505) Id., p. 18.(506) Id., p. 30.(507) Id., p. 32.(508) Id., p. 10.
(509) Id., p. 11.
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En conc lus ion , l ’Union demande au gouvernement une contre-
enquête , enquête d ’op in ion auprès de la bourgeo i s i e év idemment :
« N ou s d emandons en conséquence qu’une contre-enquête soit ordonnée par
le Gouvernement, afin qu’il ne reste pas de trace dans l’opinion publique, des faits
erronés avancés par le Commission de l’Académie. Nous demandons que cette
enquête soit faite par des personnes compétentes et impartiales; nous demandons
qu ’elle soit aussi com plète que possible, qu ’elle embrasse la popu lation ouvrière des
ateliers et des champs aussi bien que celle des mines; nous demandons que tous
ceux qui ont des rapports avec cette population, industriels, ingénieurs, médecins,
prêtres, y soient interrogés; nous demandons enfin que l’état de salubrité en soit
officiellement constaté par des personnes désintéressées. La contre-enquête que
nous proposons viendra compléter l’enquête du travail récemment confiée à nos
ingénieurs de mines et fera justice des opinions préconçues que le public est trop souvent enclin à partager sans preuves suffisantes... (51°).
Un médecin de charbonnage brouillé avec Descartes
Dès 1862, le docteur Boëns-Boissau s’étai t inscri t en faux contre
l ’opt imisme de Schoenfeld (510511). Il rec on na ît que « les ou vriers e m plo yé s
aux travaux des charbonnages de la Belgique se trouvent certainement
au jourd ’hui dan s des con dit ion s sanitaires m eilleures qu ’el les ne l ’étaient
il y a q ue lqu es a nn ées » (512). M ais ...
« Cependant il faut se garder de prendre pour un état parfait, pour une
époque d 'innocuité complète, l’état et l’époque de l’exploitation actuelle des mines
de charbon. Un médecin qui a habité autrefois Charleroi et qui s’est retiré depuis
dans une charmante villa, M. Martin Schoenfeld, dans un mémoire qui contient
beaucoup de remarques judicieuses a eu, selon nous, le tort d’insister, à chaque
page, sur la parfaite salubrité du plus grand nombre des charbonnages de notre
pays, et sur la complète disparition des cas d'anémie, d'emphysème pulmonaire, de
phtisie, par le fait du travail des houilleurs. Il suffit d’avoir visité l’intérieur des
mines à charbon, d’avoir vu les ouvriers à l’œuvre, pour comprendre que, malgré
les précautions les plus minutieuses et les améliorations les plus considérables,
l’état de houilleur comptera toujours au nombre de ceux qui nuisent le plus à la
santé, par les attitudes forcées, les mouvem ents irréguliers, la privation trop longue
de la lumière du soleil et le dégagement inévitable de gaz, de vapeurs et de
poussières délétères, auxquels l’homme est soumis pendant tout le cours de son
travail. Si, d’ailleurs, comme M. Schoenfeld le reconnaît lui-même, il existe très peu
de professions qui soient exemptes d’inconvénients, il y a tout lieu de présumer que
celle du houilleur, qui s’exerce dans des espaces souterrains, accidentés, et qui exige
un déploiement de forces et d ’attitudes particulières, ne peut être rangée au nombre
des privilégiées. L’expérience et l’observation, ainsi que nous le verrons par la suite,
ne confirment que trop cette présomption. »
(510) Id., p. 22.(511) Docteur H. Boëns-Boissau : Traité pratique des maladies, des accidents et des d ifformités des
houilleurs, Tircher, Bruxelles, 1862, 186 p.(512) p. 3.
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C e n ’est peut-être pas sol l ic i ter la pen sée du d octeur Bo ëns de sup po
ser q u’à son avis Sch oen feld, ret iré « da ns une ch arm an te vil la », a ten
dan ce à peindre la s ituat ion du ho ui lleur de cet te épo q ue so us un jour trop
favorable parce qu’i l n’a plus le contact direct . En tout cas, i l redit encore un peu p lus lo in sa d ivergence de vue avec Schoen fe ld :
« Une différence capitale existe donc entre notre manière de voir et celle de
M. Schoenfeld. Selon lui, « les travaux charbonniers n’occasionnent plus dans
notre pays des altérations de constitution de l’ouvrier par des agents morbifiques
spéciaux comme autrefois; mais les influences, jadis si funestes, de ces travaux ont
imprimé à toute la race des anciens houilleurs et à leurs descendants un cachet
particulier qu’il importe d’étudier de nouveau, puisqu’il doit nécessairement modi
fier la thérapeutique des maladies. » Selon nous, au contraire, malgré l’incontesta
ble amélioration des conditions sanitaires dans lesquelles les houilleurs travaillent
aujourd’hui, la profession charbonnière exerce, et exercera toujours, quoi qu’on
fasse, certaines influences fâcheuses sur la santé et sur la constitution des ouvriers.
C’est à déterminer ces influences, et à indiquer les moyen s d ’en com battre les effets
morbides, que nous allons nous attacher dans les pages suivantes».
B oën s crit ique l ’existen ce d es « m archés à forfait » qu i font travailler
les ouv riers à vein e « ou tre m esure » (513). Il év o q u e au ssi « un e ca tég orie
d ’individus sans fam ille et san s prop riété , qui v i t dan s des logem ents
insa lubres , où i ls dorm ent com m e des bohèm es , au nom bre de quatre , six
ou hu it, d an s de m isérables rédu its, sur de s l its sales et in fects » (514).
C e qui le frappe égalem en t, c’est l ’im m ora lité q u ’il trou ve chez les
m ineurs :
« Les mœurs des charbonniers sont loin d’être recommandables. Il suffit de
jeter un coup d ’œil sur le tableau des naissances dans les communes qu’ils habitent,
pour être convaincu du débordement et de la dépravation de leur conduite. Les distrias houillers se font remarquer par la grande quantité d’enfants illégitimes
qu’on y rencontre. Il est rare que les hiercheuses se marient sans être dans un état de
grossesse plus ou moins avancé, ou sans avoir eu déjà un ou plusieurs bâtards.
Lorsqu’on passe auprès d’un groupe de ces jeunes filles, on peut juger aisément du
degré de leur moralité par les sales propos et les gestes lascifs qu’elles s’adressent
mutuellement dans leurs plaisanteries. Il ne peut guère en être autrement lorsque
des filles et des garçons, dès leur plus tendre jeunesse, se trouvent continuellement
en présence dans les heures de travail, aussi bien que dans les moments de loisir » (515).
Ev idem m ent , il faut tenir com pte d e la part de subject iv i té qui peut
intervenir dans cette appréciat ion, surtout de la part de quelqu’un qui
trouve que s i les mineurs « s’at tachaient à mieux comprendre et surtout à
prat iquer plus régul ièrem ent les devo irs de la re l ig ion, i l s seraient m oins
tentés de cou rir au cabaret et i ls n ’auraient , d ’ai lleurs, pas au tant de loisirs
(513) Boëns, o.c., p. 10, p. 16.(514) Id, p. 22.(515) Id., p. 23.
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pendant les jours fériés » (516) . Toujours est- i l que Boëns prend fort nette
m en t ses d istanc es v is à v is de la thèse de Schoen feld . Ten ace, cepe nda nt , ce
dernier, à 75 ans , pu bl ie en 1870 une série de discours et « étu de s » sur le
travail des f il les dan s les charb on na ges (517). Cet am algam e de doc um ents
est assez déro utant . O n aperço i t b ien q ue Schoen fe ld es t un adversa ire
déc idé de la p os i t ion ad optée par l ’A cadém ie de méd ec ine à la su i te du
docteur K ub om . M ais , la construct ion des exp osés e t l ’ar t icu lation des
argumentat ions coupent parfo i s l e souf f l e .
Schoenfe ld appara î t comme un croyant mât iné d’ant ic lér ica l i sme.
D ès l ’ouverture d e la brochure , on tom be sur t ro i s poés ies d on t la t ro i
s ièm e int i tulée « Le repos de l ’enfan t du h oui l leur » est appu yée par un e no te de Scho enfe ld a insi conçu e : « C e can t ique a é té co m p osé par un
chrét ien se lon l ’Evangi le à l ’usage des ouvriers enfants des mineurs et a
amené bon nombre d’entre eux à penser au Sauveur J . -C. Dans l e monde
des houi l leurs on sai t qu’ i l n’est pas rare que ces enfants sont blessés ou
tués par des accidents et l ’auteur de ce l ivre dans sa longue carrière a
prat iqué un assez grand nombre d’amputat ions et d’autres opérat ions sur
des enfan ts de charb onn iers » (518). Po urtant , Scho enfeld sem ble en vo uloir
spécialem ent au x O rdres re lig ieux. D an s « l ’étude » qu ’il int itule po m pe u
sement S c i e n c e S o c i a l e , i l donne l ibre cours à sa cr i t ique en mettant
n o t a m m en t en d o u t e l a m o ra l i t é d es en se i g n a n t s ca t h o l i q u es : « . . . o u t re
l ’absen ce de tou te garan t ie de cap aci té d e savo ir et de savoir enseigner, les
m aîtres e t leurs antécédents , sont pou r a ins i d ire com plèteme nt m éconn us
dan s la local i té où i ls son t appelés pou r instruire . Il y a d on c a bsence totale
de g aran tie de m ora lité » (519). Le do cteu r caro lorégien est spé cialem en t
acerbe vis à vis des petits frères; « on sait du reste, écrit-il , que les écoliérs
des pet i t s frères sont souvent en danger de perdre leur innocence; ces
maîtres sal i ssent assez souvent de leurs at te intes la pureté des en
fan ts» (52°). P our lu i , l ’é lévat ion du niveau m oral des charb onniers ne
résu l tera pas d ’une amél iorat ion du logement comme le la i sse supposer
B oën s m ais elle est tributaire de la sup pr ession des ordres rel igieu x: « Si
vou s vou lez le perfect ionn em ent des bon nes m œurs de nos charbonniers , si
vous voulez la régénérat ion morale des travai l leurs , i l ne faut pas des inst i tuteurs qui portent un uniforme, i l ne faut pas d’académie de médeci
ne; inst ituez une assemblée de ministres de l ’Evangile, des inst ituteurs
p ieu x, des m agistrats , mais pas de corpo rat ions d i tes re lig ieuses , alors vous
serez m ieu x re nseignés sur les m oy en s d ’élever le niveau m o ra l» (521).
(516) Id., p. 25.(517) Martin Schoenfeld, Nouvelles recherches sur l’état sanitaire, moral et social des houilleurs
pendan t la période actuelle de salubrité des mines en Belgique, 178 pages, Charleroi, 1870.(518) Id., p. 75.(519) Id., p. 104.
(520) Id., p. 106.
(521) Id., p. 107.
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Q ua nt à son appréc iat ion de la format ion don née par l ’ense ignem ent
cath oliqu e, el le est de la m êm e ve ine : « Par un ch ristianism e so ph ist iqu é
qui ne s’élève pas au-dessus de l’honnêteté civi le, par un enseignement
chargé d’inventions et de superstit ions humaines, les enfants se trouvent
emprisonnés dans un système funeste qui asservit et fausse les consciences;
la m ém oire des enfants es t rem plie de catéchism e et la co nscience es t v ide;
i ls sont exercés à servir la messe, mais les cœurs ne sont pas exercés à la
vertu » (522).
Cela dit , la thèse fondamentale de Schoenfeld, c’est que la période
d ’insalubrité des m ines était f inie à la m i X IX e s iècle. « V ou s co nn aissez ou
vous ignorez ou vous semblez ignorer, di t - i l en s ’adressant à l ’Académie dans son d iscours du 2 7 m ars 1 86 9, ce que j’ai dém ontré à l ’évidence dan s
mon mémoire de 1858, savoir le fai t des deux époques d’ insalubrité et de
salubrité des ho uil lères de notre pays? » (523). C ’est de pu is 1 8 4 3 -1 8 4 4 que
l ’aném ie des houil leurs a disparu grâce à l’action d es ingénieurs des m i
nes (524), et «p arler, en 1 8 6 9 , com m e le rapp orteur, d ’a i r c o r r o m p u d es
ateliers souter rains , c ’est faire pre uv e d ’une gra nd e ign or an ce » (525). Ce
le itm ot iv revient dans son d iscours du 10 juil let 1 86 9 : «A ve c l ’établ isse
ment de la salubrité dans les mines de houi l le , l ’époque de caducité et de
sénilité p réc oc e des m ineurs est a ussi passé e » (526). Il en sera de m êm e
dan s son « étud e » sur la salubrité : « V ou loir sou tenir de no s jours que n os
ex ploi tat ion s souterraines son t insalubres , n’est pas seulem ent une préten
t ion ridicule, c ’es t un anach ronism e cou pab le , oui cou pa ble envers la vérité
que l ’on dénature, cou pa ble envers notre exc el lent corps des mines don t on
m éc on n ait les ser vices rendus » (527).
On est pourtant frappé par trois choses en l i sant Schoenfeld.
T ou t d ’abo rd, c’est sa m anière curieuse de raisonner . Il p roc èd e
essent ie l l ement par af f i rmat ion , évoquant avec compla i sance son expé
rience, sa com péten ce : « M od est ie à part, m a com pétence p ou r parler des
ch ar b on na ge s et d es cha rb on niers ne sau rait être récu sée » (528). Pa sse
encore pour la modest ie , mais les syl logismes de Schoenberg n’en font pas
un disciple de Descartes . Ains i , à propos de l ’appréciat ion que le docteur
de C harleroi po rte sur la sen sat ion pro duite dans l ’op inion publ ique par le
R app ort K ub orn : « L ’éton ne m en t était d’autant plus grand q ue le travail
académique aff irmait sérieusement un état d’insalubrité des galeries sou
terraines qui produit une série d’affections graves que l’on croyait avec
(522) Id., p. 105.
(523) Id., p. 19.
(524) Id., p. 15, note 2.(525) Id., p. 15.
(526) Id., p. 31.(527) Id., p. 111.(528) Id., p. 111.
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raison disparues depuis fort longtemps. A force de répéter cet te absurde
assert ion d’insalubrité de nos charbonnages, i l s’était formé un parti aca
dém ique qui ferm em ent la croi t fond ée. N o u s disons absurd e, car s i e l le ne
l ’éta i t pas , l ’état san itaire des ouvriers co nstaté partou t com m e excel lent
entre tous, serai t partout déplorable et tout le monde sai t que cela n’est
pas » (529).
La deuxième chose qui frappe, c’est qu’i l affect ionne d’appeler à
l ’appui de ses aff irmations ceux dont on s’attend à priori qu’i ls ne noirçi-
ron t pa s le tableau de la situa tion dan s les hou illères : « A près on ze ans, les
C om ités charb onn iers , les ingénieurs en ch ef des mines, les Caisses de
Prévoyance, les prat ic iens at tachés à ces caisses , at testent abondamment
que l ’ép oq ue d ’insalubri té des m ines est pa ssée depu is longtem ps et qu ’il
n’y a plus depuis un grand nombre d’années les maladies provenant des
travaux souterrains et qu’aucun travail des divers ouvriers houil leurs ne
peu t plus les énerv er » (53°). Par contre, « les m em bres de la C om m ission
so nt évid em m en t de s arriérés » (531) et « le télesc op e du rapp orteur a
découvert une fou le de ch oses inou ïes e t jusqu’ici incon nu es des A ssoc ia
t ions charbo nnières , des m em bres des Ca isses de Prévoyance, de la généralité des pra ticiens e t des a dm inistration s co m m un ales » (532). La valeur de
son M ém oire de 18 58 , il l ’a ttr ibue b ien sûr à sa com pétence personnell e
m ais, de plus, il a po ur lui à présen t « des autorités d ’un grand p oid s, les
ingénieurs en che f des m ines, l ’A ssocia t ion charbon nière du plus im portan t
bassin houi l ler du pa ys, les rapports ann uels des caisses de prévo yan ce des
houi l leurs et les médecins at tachés à ces inst i tut ions, tous hommes dist in
gués et méritant toute confiance » (533). Et les « arguments » se succèdent,
tou s de la m êm e veine : « vo ulo ir faire croire à l ’insalubrité des cha rbo nn a
ges de la Belgique fa i t hausser les épaules à tous les membres des comités
houillers et des caisses de prévoyance des cinq bassins.. . » (534).
Le plus curieux est la manière dont Schoenfeld s’y prend pour
«d ém on trer» que l es patrons charbonniers n ’exercent po int de pression
sur lès m éde cins attaché s à leurs exp loitat io n s. « Il est certain, écrit- il , que
les sociétés des houil lères les laissent parfaitement l ibres, car ces sociétés
n ’on t ab solum en t rien à cach er » (53S). Et po ur appu yer cette aff irm ation, il
fa it tou t s im plem ent appel à un e let tre de septem bre 1 86 9 d e l ’A ssociat ion
cha rbon nière d e C har leroi el le-m êm e : « la vérité est que la plus gra nde
l iberté a été laissée aux médecins pour leur permettre d’exprimer leurs
(529) Id., p. 127.(530) Id., p. 17.
(531) Id., p. 44.(532) Id., p. 21.
(533) Id., p. 32.(534) Id., p. 114.
(535) Id., p. 140.
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op inions com m e i ls l ’entenda ient , et q u ’il s n ’on t pa s été de la part des
exp loi tants l ’objet d ’aucune dém arche capab le d’avoir pu entraver la l ibre
m an ifesta tion d e leurs idées, de leurs app réc iations » (536). Sc ho en feld est
tel lement convaincu de son aff irmation qu’i l va jusqu’à reprocher à la
Commission de ne pas avoir interrogé d’ouvriers , car dans son espri t , i l
semble bien qu’i l est certain que si les ouvriers descendent dans la mine,
c’çst que rien ne les rebute, sino n, i ls n ’iraient pas. N o tre m édec in ne paraît
pas le m oins du m ond e envisager qu ’i ls pu issent y descend re par nécessité :
« D u reste, to ut le m on de sait q u ’i l est de l ’intérêt de l ’ex p loitan t de
m aintenir avec soin la salubrité des travau x et s ’il n’y a pas de salubrité, il
n ’y a p as m oy en d ’avo ir des ouv riers » (537).
En f in , il apparaît com m e évident , à travers tou te « l ’argum entat ion »
de Sch oen feld, qu ’il est un tena nt du ma intien de l ’ordre l ibéral éc o n o m i
que et qu e, d ès lors, ce qu ’il crain t avant tou t, c ’est la « m ena ce » soc ia
l iste : « U ne m asse assez con sidérab le d ’incrédules et de m au va is drô les
parm i les houi lleurs n ’at tend ent qu ’une occa sion fav orab le po ur secouer le
jo u g de l ’o rd re et de la co n sc ien ce . C ette c lasse est travaillée d ep u is
longtemps par des inf luences et par des publ icat ions qui ont des côtés social i stes malsains et un immense nombre d’ouvriers ont rompu avec
toute rel igion. Il est à craindre que vos conclusions peu prévoyantes ne
viennent ren ouveler les scènes san glantes de M arch ienne et de Ch âteli -
neau » (538).
Les pi l iers de cet ordre que menacent d’ébranler les «conclusions
peu p révo yan tes » de l’A cad ém ie, selon S cho enfeld, c ’est , d’une part , la
l iberté; dans l ’étude qu ’il int itule « Sc ienc e so c ia le» , il évo qu e le tém oi
gnage des économistes dont on connaît l ’orientat ion quasi unanime à
l ’ép oq ue : « N otr e e xc el lente société b elge d’éc on om ie po lit ique a aussi
reconnu que la légis lat ion est impuissante pour porter remède aux maux
des classes ouvrières et qu ’ici com m e en bien d’autres co m plica tions la vo ie
roy ale du pr og rès est la liberté » (539).
L ’autre pilier, c’est la religion , du m oin s . la re ligion telle que la
conçoit Schoenfeld; « I l manque de sol ides principes moraux à la base de
notre c ivi lisat ion; c ’est su rtou t l ’élém en t religieux q ui est absent . O n pren d
pour rel igion ce qui n’est qu’un ensemble de cérémonies et de pratiques
toute extérieures qui la issent les con sciences end orm ies. Les m asses ne son t
pas placées so us u ne inf luen ce sérieusem ent chrétienne. Ce ne son t pa s les
inf luences hygiéniques plus ou moins mauvaises , ce n’est pas le défaut
d’instruction élémentaire qui déterminent les écarts de la nature humaine,
(536) Id., p. 140, note 2.(537) Id., p. 116.(538) Id., p. 29.(539) Id., p. 74.
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c’est l ’a b s e n c e t o t a l e d ’u n e p r é d i c a t i o n é v a n g é l i q u e forte et énergi
que » (540).
Object ivement , i l faut reconnaître que Schoenfeld n’est pas seul à
s’opposer au rapport de Kuborn. I l faudrait dépoui l ler une abondante
l it térature po ur fa ire un e ana lyse com plète de cet te d ispute vraiment
s ignificat ive des déb uts du capitali sme industrie l tr iom pha nt . N o u s no us
bornerons s implement à évoquer l e t émoignage d’un autre médec in , l i é
geois celui-ci .
Le docteur F ossion , dans sa « R épo nse au rapport de M . K u
bo rn » (541) sign ale q u ’il a d ’ab ord été fav or ab le à la sup pr ession du travail
des femm es, « m ais , après un exam en p lus ap profond i de cet te grave et
épineuse quest ion, je suis revenu à d’autres sentiments et je me range
aujou rd’hui aux principes de l ’éco le des éco no m istes m ode rnes, je crois
q u ’il faut laisser le travail com plètem en t libre, tou t en répriman t, si p o ss i
ble, les a bu s q ui p eu ve n t naître d ’un e liberté sans lim ites » (542).
F ossion révoq ue en do ute l ’insalubri té et l ’imm oral ité do nt les m ines
son t accusées par l ’A cadém ie; « . .. le m ét ier de m ineur est m oins insalubre
et peut-être m oins im m oral qu e celui de ta il leur d ’habit , de cord onn ier , de couturière , de m od iste , de f leuriste , etc . et tou t ce que la co m m ission vou s
dit dans son rapport du travai l des femmes dans les mines s’appl iquerai t
avec beaucoup plus de raison à tous les métiers de la grande et de la pet ite
indu strie » (543). C on tre l ’accu sation d ’im m ora lité, les réa ctions v ienne nt
de plusieurs m édecins . Il sem ble qu ’el le a i t été perçue com m e spécialem ent
offensan te . C ’est a insi que le docteu r B oën s, de Ch arleroi, dan s son dis
cours, est imera que ce n’est pas sur les considérat ions sociales et morales
qu’i l faut mettre l ’accent; la situation de la moralité n’est pas, dit- i l ,
particulière au x m ines : « . . .le rapport dit que les jolies hierch euses d evien
nent les v ictimes de leurs chefs .. . C ela est qu elques fo is vrai , m alheureu se
m ent . M ais à qui son t dest inées les jo l ies servantes , y com pris les bonn es
d ’enfan ts, les ga rde-m alade s m ême? Le rapp ort cite un acte infâm e : un
ho i ii lleur, sous pré texte de po rter secours à une f i lle b lessée au fond d ’une
fosse , lu i co m m un ique la syphi ll is . J’ai vu un e nourrice contracter cette
m aladie par le fa it m êm e d u père de son nourr i sson . Infâmie pour in fâm ie ,
je cro is q u e le fa it q u e je sign ale v a u t ce lu i d u rap port » (544).
F ossion se basera essent ie l lem ent sur les stat istiques com pa rées de la
(540) Id., p. 27.
(541) Docteur Fossion, Réponse au rapport de M. Kuborn sur le travail des femmes dans les mines,
Bulletin de l’Académie royale de médecine, t. III, 3e série n° 2, tiré à paît publié par le librairie de Henri
Manceaux, Bruxelles, 1869. Nos références renvoient à ce tiré à part.(542) p. 4.(543) p. 5.
(544) Discours du 16 janvier 1869 à l’Académie, extrait du Bulletin de l’Académie royale demédecine, tome III, 3e série, p. 13.
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m ortalité et de la m ortalité infanti le d ans les « loc alités ch arb onn ières » et
da ns les « loca lités salubr es ». Il résulte des chiffres, dit-il , « qu e les loc alités
charbonnières ont fourni de 1 85 6 à 186 5 inc lus une m orta li té m oyen ne de
1 sur 56,5 tandis que les local i tés qu’on peut cons idérer comme très salubres o n t fourni une m ortalité de 1 sur 4 4 ,3 : par con séq ue nt, un e
différen ce de 12 » (545). Il pa raît év iden t qu e ces com p ar aiso n s statistiqu es
(comme cel les du rapport lui-même d’ail leurs) sont fort superficiel les , mis
à part le fait qu ’el les ne so nt pa s n écessairem ent le m eilleur ind icateur de la
situation des ho uil leur s, d ’autres facteurs im po rtan ts devraient être pris en
considération (546). On imagine bien qu’i l ne peut être question ici d’en
treprendre un tel travail de vérification . Il suffira ici d ’enregistrer que
Fossion considère que le travail féminin dans les mines n’est pas un travail
te llem ent ardu, au p oint qu e les femm es, se lon lui , « ne po urraient que
perdre en écha ngea nt leur m ét ier contre celui de cou turière ou d ’ouvrière
de fabrique; ce n ’est pas une b esog ne bien dure que de charger à la pel le
des berlaines ou de les faire glisser sur les rails à une certaine distance. Ce
n ’es t que p ar excep t ion qu ’on vo i t encore par ci par là un charbonn age m al
aménagé où les femmes doivent trainer les berlaines à l ’a ide de sangles
p ass an t sur la poitrin e et les m am m elles.. . » (547). Pour le jeune ou vrier
éga lem ent le travail des m ines n ’est pa s néfaste pu isq u ’il constitue « une
gymnast ique cont inuel le de la poitr ine» (548) . Foss ion va même jusqu’à
suggérer que le travail du houil leur est plus sain que celui du médecin. En
effet , les co nd it ions dans lesq ue lles s’effectue ce travail « o n t plutô t pou r
effet de le fortifier que de l’affaiblir; on ne pourrait pas en dire autant des
tai l leurs, des cordonniers et des ouvriers de fabrique qui sont décimés par
la tuberculose pulmonaire; peut-être même les médecins , qui sont cons tamment occupés à chercher l es moyens d’amél iorer la condi t ion
physique des populat ions , se trouvent- i l s moins bien partagés que les
charbonniers » (549).
C ’est la péroraison du d iscours de F oss ion qui rend sa po s i tion auss i
suspecte que cel le de Schoenfeld. Déjà pour défendre les charbonnages
d’être des l ieux où sévit particulièrement l’ immoralité, i l a eu recours à un
tém oign ag e p atron al : « L ’ouv rier ho uil leur e st religieux, m ais en m êm e
temps superst i t ieux, son espri t dans la mine es t toujours préoccupé du
danger qu’i l court , i l ne se permet dans les travaux aucune l icence; s i dans
un atel ier i l y avait un ouvrier qui proférait des jurements ou des blasphè
(545) Fossion, o.c., p. 12.
(546) Fossion a présenté le problème : « Je dois avouer cependant, écrit-il, que le mode que j’aisuivi n’est pas tout à fait régulier, en com parant diverses localités entre elles; il se pourrai t que je sois tombé
par hasard sur des localités soit industrielles, soit non industrielles favorables aux résultats que je viens devous faire connaître» ( p. 21).
(547) Id., p. 17.(548) Id., p. 18.
(549) Id., p. 19.
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mes, les autres demanderaient son exclus ion et , dans le cas où cela leur
serait refusé, i ls qu itteraien t les travau x. V oilà ce qui m ’a été dit par M .
Ca m p, bo urgm estre de Seraing et directeur des charbo nn ages de la Société
Cockerill » (550).
M ais i l est p lus clair enc ore dan s ses con clusion s. « I l est en général ,
dit- i l , de bon ton d’avoir l ’air de s’apitoyer sur le travail , de plaindre les
travai lleurs et de les présenter com m e des vict im es de la so i f insat iab le des
cap italistes à recueil lir de l ’or d e leurs ac tions industrielles . Je t iens, m es
sieurs, à vo us rassurer sur ce po int . Il est rare de voir prospérer les sociétés
qu i se son t livrées à de s entreprises ex ige an t de gran ds ca pita ux » (551). Les
actionnaires? q u ’on t-i ls ret iré de leurs actions? « Ils on t be au cou p espéré; m ais en f in de com pte, i ls on t consacré leurs cap itaux à la prospéri té
pub l ique . V oi là la vér ité pou r beau coup d ’industries . N e d i sons p as de mal
des capital istes et ne prêtons pas surtout des armes à ces fauteurs de
désordres qui cherchent aujourd’hui plus que jamais , à soulever la classe
ouvr ière en lui per sua da nt qu ’el le est la vict im e des cap ital istes . En vo ula nt
faire hausser les salaires , d’une manière disproport ionnée aux bénéf ices
réalisés , ils ruineraient l ’industrie et m êm e les ouvriers qui y ch erche nt des
m oy en s d ’ex isten ce » (552).
La conclusion est assez claire. Inutile d’insister!
3. L’enquête du département des travaux publics en 1869
En novembre 1868, le département des travaux publ ics f i t ef fectuer,
pa r les ingén ieurs et sous ing énieurs des m ines, un e enqu ête sur la s itua tion
des ouv riers des m ines, m inières , carrières et usines m étallurg iques de la
Be lgique d on t les résultats furent pub liés en 1 86 9 (553). Etait-elle cette
(550) Id., pp. 2>, 28.(551) Id., p. 37.
(552) Id., pp. 37, 38. Le docteur Burggraeve, de Gand, qui déclarait au premier congrès deY Association internationale pour le progrès des sciences sociales en 1962 que l’ouvrier houilleur était bien
nourri et mangeait de la viande tous les jours, ne semble avoir mené qu ’une enquête ttès limitée, au niveau
d’une société, celle dont était administrateur « M. le comte Alb. Duchastel, un de ces nobles qui ne croientpas déroger en s’occupant d'industrie parce qu’ils comprennent sa haute mission : celle de moraliser les
masses par le travail et le bien-être » (Annales de l'Association... p. 504).(553) Résulta ts de Venquête ouverte pa r les officiers du corps des mines sur la situation des ouvriers
dans les mines et les usines métallurgiques de la Belgique en exécution de la circulaire adressée le 3
novem bre 18 68 pa r M. le Ministre des travaux publics aux ingénieurs en chef des mines, Bruxelles,
Bruyland Christophe, 1869, 489 pages. (Plus loin désignée : Enquête mines 1869).
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contre-enquête demandée par l ’Union des charbonnages , mines e t us ines
m étallurgiqu es de la Prov ince de L iège, « af in q u ’i l ne reste pas d e trace
dans l ’op in ion pu bl iqu e des fa i ts erronés avancés par la com m iss ion de
l ’A ca d ém ie»? En principe, no n, m ais , en fa it , les ingénieurs des m ines
semblent bien l ’avoir compris a insi .
Les ingénieurs des mines contre les « exagérations » de l’Aca
démie de médecine
C ’est ainsi que L agu esse (554), qui , to u t en a dm ettant que l’ex clu sion de fem m es du travail m inier est sou ha itab le , s ’emp resse de crit iquer ou ver
tem ent l ’A cad ém ie. « T ou t en s’é levan t contre les exa gér at ions con tenu es
dans le rapport présenté récem m ent à l ’A cadém ie de m édec ine , exa géra
t ions qui tendraient à fa ire sup poser que les fem m es em ploy ées à l ’intérieur
des mines se trouvent dans des condit ions de moral i té et de salubri té
beaucoup plus fâcheuses que dans les autres industries , je crois , en me
plaçant surtout au point de vue du rôle que la femme doit rempl ir dans la
famil le , qu’i l serait extrêmement désirable qu’el le ne fut plus admise dans
ces travaux, où sa nature s’ imprègne d’une rudesse par trop mascul i
ne » (555). O n tro u ve la m êm e attitude ch ez L am bert (556), pou r q ui, « au
l ieu de s’appuyer aussi longuement sur l ’ immoral i té , qui est une chose
appréc iab le pour tout l e monde , ( . . . ) une commiss ion académique aura i t
pu rendre plus de services en portant ses études scientif iques vers des faits
qui se passent dans l es mines e t qu i demandent un examen approfondi
p o u r en rec her che r les effe ts » (557).
Et tandis que l’ ingénieur principal Flamache (558) note simplement
qu ’il « regarde com m e h au tem ent désirable que la femm e ne soi t pas
occu pée d ans les houi l lères , du m oins à l ’intérieur des tra va u x» , Jo-
chams (559) insiste dans le sens de Laguesse. Il rappelle d’abord l’opinion
de son p rédécesseur G on ot af f irm ant qu’i l y a très peu de fem m es mariées
qui travai l lent dans les mines; . . .« aucune idée de déshonneur ou de mau
vaise con du ite n ’est attach ée, dan s la classe ouvrière, au travail des m ine s » (560) « . . .i l se co m m et m oin s d ’actes rép réh ensib les dan s les travau x
souterrains qu’à la surface, et surtout que dans les fabriques et dans les
m anu factures où ex iste la prom iscuité des sex es » (561). Joc ha m s est
(554) Ingénieur principal des mines au 5e arrondissement de la 2e division (Liège précisément).(555) Enquête mines 1869, p. 141.
(556) Ingénieur principal des mines, 2e arrondissement de la l re division (Charleroi).
(557) Enquête mines 1869, p. 70.(558) 1er Arrondissement de la l re Direction (Mons).(559) Ingénieur en chef, directeur des mines, 1er district (Mons).
(560) Enquête mines, 1869, p. 3.
(561) Id., p. 4.
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form el : « . .. les m œ urs des ou vriers m ineurs s on t plus régulières que cel les
des au tres classes de la s oc iété en géné ral , et , da ns tou s les cas ( .. .) leur vie
n’est pas aussi désordonnée qu’on pourrait le croire d’après les assert ions,
pour la plupart erronées, qui ont été émises à ce sujet. . . » (562). Il s’efforce
alors de montrer que la mortal i té , le nombre d’enfants morts-nés et ce lui
des naissances i l légi t imes ne sont pas plus importants dans les provinces
minières que dans les provinces manufacturières (563) .
Des magasins patronaux... mais bains et lavoirs pratique
ment inexistants
A cette ép oq ue où le « truck System » est une p laie contre laq uelle de
nombreuses voix f in iront par s’é lever , le système du magasin patronal est
considéré par R uc loux (564) com m e un remède contre l ’ex ploi tat ion par les
com m erçants . « U n certain n om bre de soc iétés , d i t - il , on t inst itué des
magasins de denrées a l imentaires ou contribué à l ’établ issement de mai
sons de comm erce soum ises à leur con trô le e t venda nt aux ouvr iers à des
co n d ition s d éterm inées » (565). .. « Il n ’arrive que trop so u ve n t que l ’ou vrier
est exp lo i t é par des commerçants malhonnêtes qu i commencent par lu i
accorder du crédit jusqu’à ce que sa dette excède ses ressources et le
tienn en t alors en q ue lqu e s or te à leur m erci » (565). .. « l ’étab lissem en t de
magasins de denrées a l imentaires où l ’ouvrier peut s’approvis ionner
ju sq u ’à con cu rren ce du m o n ta n t d u salair e qui lu i est d û , es t u ne ex cellen te
m esure p ou r le m ettre à l ’abri d e cette indigne ex p loitat io n » (566). C es
m agasins p atronaux v enden t parfo i s au pr ix coûtant « mais le p lus souven t
avec un certain bénéf ice qui est employé à des œuvres ut i les ou distr ibué
entre les ouvriers c l ients , proport ionnel lement aux achats qu’ i l s ont
faits » (567). Des efforts ont été faits pour amener les ouvriers à se charger
de la ge stio n , m ais sa ns résu ltat (568),
L’enthousiasme n’est pas unanime; peut-être même y a- t - i l une cer
taine m auva ise conscience v is à v is des m agasins pa tronau x. « Presque
tou tes les répon ses so nt n éga tives, dit Lam bert , sur le p oin t de sav oir s’il y a des contremaîtres , chefs ou act ionnaires intéressés dans les commerces
qui fournissent d’ordinaire les objets de consommation aux ou
vriers » (569). Flam ach e, de so n cô té, r eco nn aît qu ’« il ex iste en core qu el
(562) Id., p. 6.
(563) Id., pp. 11 et ss.(564) 2e division (Namur, Luxembourg, Liège, Limbourg, Anvers).
(565) Enquête mines, 1869, p. 30.(566) Id.
(567) Id., p. 31.
(568) Id.
(569) Id., p. 77.
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ques charbonnages où l es employés infér ieurs t i ennent ouvertement des
déb its de liqueu rs, d ’épiceries , etc. C ’est là un ab us m an ifeste con tre lequ el
on s ’est déjà é levé à diverses épo qu es et qu i , s ’il d im inue, garde en core de
trop fortes p ro p or tion s » (570).
Pour ce qui es t des bains et lavoirs m is à la d ispos i t ion des m ineurs,
« l ’inst itut ion es t de créat ion trop récente po ur qu ’elle pu isse être déjà
répandue; e l le n’exis te encore qu’aux charbonnages des s ix Bonniers , de
W ariha ye et d’A ng leur » (571). L’ingénieur H am al en re con na ît l ’uti li té,
« nul d ou te que les b ains et lavoirs ne puissen t être d ’une grande ut i li té au x
m ineurs » , m ais , « on ne paraît guère disposé cepend ant à en établ ir da ns le
4 e arro nd issem ent » (Nam ur) (572). A C har leroi , « le charb on na ge du Ce n
tre de G i lly es t le seul qui possède des baignoires à pro xim ité de la m achine
d ’épuisem ent du T rieu A lbert » ; e l les son t établ ies dans de bo nn es con di
t ions mais peu uti l isées par les ouvriers (573). Dans les charbonnages du
Borinage, i l n’existe aucun local de bains (574).
Les influences « fâcheuses » et les autres
A vrai dire, l ’enq uête de 1 86 9 n ’est pa s spécialem ent révélatrice de la
con d it ion ouvrière à l ’épo qu e. A part les inform ations sur le nom bre de
fem m es et de jeune s occ up és (575), on n ’appr end pa s gran d ch ose sur le
genre d e travail q u ’ils effectuent. L am bert no us dit bien que « dan s le
bass in de C harleroi, le travail des fem m es con s is te principalemen t à p ou s
ser des chariots sur des voies ferrées , dans des galeries qui ont 1 m 30 à
1 m 80 de hauteur; à élever, à l ’aide de treuils , les charbons exploités en
vallées , à m anœ uvr er des freins sur les plan s incl inés au tom oteu rs » (576),
m ais , pou r le reste , les ingénieurs ne so n t guère loq uac es sur le sujet . N o n
seulement, on retire l ’ impression qu’on est bien en présence de la contre-
enq uête sou ha itée pa r les charb onniers , m ais il en ressort que les ingénieurs
des mines sont lo in d’épouser la cause des mineurs . On les trouve plus
pr éoc cu pé s de « l ’ordre » dans le cha rbo nn age , de la « bo nn e enten te »avec
les m aîtres de charb on na ges que de con d it ion ou vrière. « La grève qui vient d’éclater à Seraing, écri t Rucloux en conclus ion de son rapport , a de
nouveau mis en lumière les idées fausses répandues dans la classe ouvrière
(570) Id., p. 58.(571) Id., p. 34.
(572) Id., p. 136.(573) Id., p. 78.
(574) Id., p. 58. Le docteur Burggraeve, de Gand que nous avons déjà cité, avait trouvé en 1862,dans la Société où il a mené son enquête, à Bemissart, « un bon feu et un bain » qui attendent les mineursau sortir de la fosse (Annales citées, p. 503).
(557) Voir les tableaux-résumés que nous reproduisons.
(576) Enquête mines 1869, p. 69.
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et les exc itation s d on t elle est l ’ob jet de la part d’esprits m alades et m éco n
tents, ab usan t des l ibertés d on t no us jouissons p ou r créer entre les ouvriers
et les patron s un an tago nism e d éplor ab le » (577). Flam ach e, de M on s,
répète com m e un éch o, en évoq ua nt les piquets de grève sur le chem in du
travail : « les m aison s d ’ouvriers s ituées à pr ox im ité des fo sses on t le grand
avantage de soustraire leurs habitants à ces influences fâcheuses» (578).
Serait-ce un des motifs pour lesquels on a col lé les corons ouvriers le nez
sur les ch arbo nna ges? La n ota tion la p lus « savou reu se » est cel le de
Beaujean, ingén ieur principal à M on s, qui , parlant de l’état m oral , cite la
répon se de M on ceau -Fo ntaine et M art inet : « j’ajouterai q u’indépend am -
ment de tout ce qui a été fait pour moraliser l ’ouvrier, la Société de M onc eau-F onta ine a accordé , en 1 86 7 , un subs ide de 15 .00 0 frs pour
aider la com m un e de Forchies la M arche da ns les frais de recon struct ion de
son église et l ’établissement de nouvelles écoles» (579).
(577) Id., p. 41.
(578) Id., p. 56.
(579) Id., p. 96.
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Chapitre 9
L’enquête de 1870 sur le travail des enfants
Le 5 octobre 1869, le ministre de l’Intérieur, Kervyn de Lettenhove
envoyai t aux Chambres de commerce un ques t ionnaire , en rappelant que
son prédécesseur av ait « prom is de fournir aux cham bres , dans leur pro
chaine session, divers renseignem ents sur la question du travail des enfants
dans les mines et les manufactures».
Le minis tre demandait aux chambres de commerce de joindre à leur
rapp ort « tous les ren seignem ents do nt la légis lature et le gou vern em ent
pourront avoir besoin lorsque, dans un délai rapproché, i ls auront à
examiner de nouveau les quest ions que soulève la réglementat ion du
travail dans les m ines et dans les établissem ents ind u striels». C ’est assez
dire que les Chambres de commerce, du moins s i el les étaient adversaires
de la réglementation, n’al laient pas pousser au noir le tableau de la
situation. De plus, on ne peut oublier que les réponses reprennent les
données qu’ont bien voulu fournir les industriels .
Il ne faut pas perdre de vue qu’avec le capitalisme industriel qui, à ce
m om ent , es t déjà sol idem ent im planté , les enquêtes prenn ent m oins figure
d’une recherche sur les souffrances ouvrières (comme cel le de 1843 par
exem ple) que d ’instrum ent po ur tenter de départager partisans et ad versai
res d ’une lég islation sur le travail infantile. Les info rm ation s q u ’elles
four nissent risquen t do nc d ’être plus f i ltrées. D ’autre part, d ans ce cl im at,
les avis émis par les ingénieurs des mines que nous venons de résumer et
qui , en principe d evraient être des plus précieux sont prob ablem ent lo in de
noircir le tableau. Formés à l’Université, i ls appartiennent évidemment, en
fai t , à la c lasse dominante et en épousent forcément les vues . On peut
même supposer que les médecins , bien que sortant auss i de l ’Univers i té ,
on t une pro pen sion plus grande à réagir plus hu m ainem ent parce q ue plus
attentifs aux problèmes de la santé.
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Ces stat ist iques fournies par les chambres de commerce n’ont donc
forcément que valeur de sondage fort imparfai t . Presque chaque chambre
fait d’ai l leurs état des diff icultés rencontrées et du nombre souvent l imité
de réponses reçues.
Certaines chambres se bornent à signaler simplement le fait . Le
tableau, d it la cham bre d ’A nvers « con state les don né es stat ist iqu es que
nous avons pu nous procurer à ce sujet» ( I , 156); de même cel le d’Aude-
narde signale qu’el le envoie les renseignements qu’el le a pu recueil l ir (I ,
18 3) et cel le de C harleroi avo ue q ue « les chiffres n ’o n t rien d ’off iciel; i ls se
rapprochent toutefois de la vérité autant que faire se peut» (I, 195) .
D ’autres cham bres n ’en vo ient 'pa s de statistiques com plètes , parce
que « ne possédant pas des éléments posit i fs d’appréciat ion », c’est le cas
de cel le de Louvain (I, 163); ou bien el les n’envoient aucune stat ist iques
telle cel le d ’Y pre s-D ixm ud e qui regrette « de n ’avo ir pu recueill ir des
don nées suf fi santes » (1 ,179) ou encore celle de B ruxel les d on t les répon ses
son t cepen da nt basées sur 52 répo nses d ’industriels et qui signale que « les
industries qui em ploien t le plus d ’enfan ts et d ’ad olescen ts son t les f ilatures
de l in, de laine, le t issage de la toi le , des cotonnettes, etc. , et quelques
usines m étal lurg iques» (I, 160 ) .
Pourquoi l ’enquête a-t-el le eu si peu de rendement?
Plusieurs expl icat ions sont données par les chambres de commerce.
N ivel les , par exem ple , at tr ibue « en part ie aux évén em ents pol it iqu es
la d i f f icul té que nous avons éprouvée d’obtenir ces renseignements que
nou s devons vous donner inco m plet s» (I, 165) . Certa ines chambres sem
blen t dire qu ’un tel travail dé pa sse leurs p ossib ilités d ’enq uê te. « D an s un
arrondissement aussi vaste que le nôtre, et où le nombre de fabriques est si
con sidérab le, i l ne no us est pas p oss ible d ’indiquer, par chiffres, le no m bre
et l ’âge des enfants employés dans l ’ industrie. Le seul renseignement que
nous possédions à cet égard, et qui n’a qu’un caractère privé, remonte à
18 59 ; m ais la s ituat ion à peu ch an gé» (I, 179) . « C es en quêtes , d i t la
chambre de Termonde, ne peuvent pas être d’une exact i tude absolue de
chiffres, par la diff iculté que l’on épro uv e de se renseigner très exa ctem en t.
I l faudrait pour avoir une enquête complète s’adresser à chaque chef
d’atelier» (I, 185).
D e m êm e, M on s n ’envo ie aucun rense ignem ent parce qu ’e lle « ne
dispose ni du personnel nécessaire pour recueil l ir directement les rensei
gnements demandés, n i des moyens d’ inf luence indispensables pour les
obtenir des industriels. Sans doute, beaucoup d’entre ceux-ci seraient
disposés à les fournir, mais plusieurs s’y refuseront, alors surtout que la
dem and e leur en sera faite par un c ol lègu e dans lequel ils incl inen t m alhe u
reusement , trop souvent encore, à voir des concurrents p lutôt que des
délégués» (I , 194) .
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D ’autres cham bres se heurtent égalem ent à cette at ti tud e des chefs
d ’entreprises. « I l n ou s es t im po ss ible , d i t celle d ’A lost , de d onn er les
chif fres demandés dans le tableau s tat is t ique y annexé; en ef fet , les don
nées no us m an qu ent et i l n ’y a aucun m oy en de les obtenir . Il faudrait po ur cela s’adresser au x fab ricants qu i , po ur la plupart, cherchera ient à dégu iser
la véri té . D ison s seu lem ent q u ’à part ir de la trois ièm e catégo rie (enfants de
dix à d ouz e a ns) , le nom bre em ployé da ns les ateliers es t con s idérab le » (I,
181) . Courtrai fa i t remarquer que « malgré nos demandes réi térées et des
démarches personnel les , quelques industrie ls n’ont pas sat is fai t à notre
invi tat ion» (I , 168) .
Pour d’autres enfin c’est le fait que les enfants sont surtout occupés
dans une mult i tude de pet i ts atel iers qui empêche d’en établ ir un recense
m en t sérieux : « l ’enq uê te à laq uelle la cham bre s ’est livré rép on d B ru xel
les , est inc om plète , parce que le no m br e d ’industriels à qui el le s’est
adressée, est forcément restreint , et que la plupart des enfants et adoles
cents ouvriers son t em ployé s par les art isans et les ouvriers en cham bre,
lesquels son t dissém inés dans tou tes les com m un es de l ’arron dissem ent »
(I, 1 60 ) . A vis sem blable de la part de la chambre de N ivel les qui déclare :
« le t issage des étoffes occupe un grand nombre de bras, mais le travail se
fait à d om icile. L es paren ts em plo ient leurs enfan ts po u r les aider à la
prép aration du travail. Il nou s est im po ssible d ’établir cette statist ique » (I,
165) .
C ’est don c a vec tou tes ces réserves que les tableau x do iven t être pris
en con s idéra t ion, spécialem ent celui des cham bres de co m m erce (58°).
Des centaines d'enfants de moins de 8 ans, des milliers de
moins de 14 ans
Le tableau récapitulatif donne une idée de l’âge des enfants au
travail. Il est pa r co ntre p lus d ifficile d ’étab lir l ’â g e d ’a d m i s s i o n d e s e n f a n t s
a u t r a v a i l .
Des rares indicat ions fournies par les chambres de commerce, on
peut inférer que c’est surtout vers 1 1 o u 1 2 a n s ; c’est du moins ce
qu’aff irme cel le de Bruxel les , de même que cel le de Gand qui ajoute
cependant que l ’engagement assez fréquemment a l ieu avant 1 2 a n s . Celle
de T ourna i donn e éga l em ent 1 1 a n s , m ais , selon el le, ce serait plu s sou ven t
à 12 a n s ; cette chambre ajoute qu’« il n’y a guère que l’industrie céramique 580
(580) Nous l'avons établi à partir des renseignements fournis par les chambres de commerce
classant les données par branche industrielle. Nous reprenons également les données fournies par lesingénieurs des mines pour les mines et pour les usines métallurgiques. En comparant ces différents
tableaux, on verra que les données fournies par les chambres de commerce sont peu crédibles.
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et les f ilatures d e laine, de c o ton et de l in qui em p loien t les enfants » (I,
1 9 8 ) . La ch a m b re d ’Yp res e t D i x m u d e d o n n e a u ss i 1 1 à 1 2 a n s pour la
rubannerie et la t issanderie, 1 2 à 1 3 a n s pour la construct ion des mécani
ques, la chaudronnerie, la serrurerie et la poêlerie; « dans les fonderies de
fer, les apprentis ne sont admis qu’à l’âge de 1 4 à 1 5 a n s » (I, 178);
exception pour l’ industrie dentel l ière « qui occupe le plus de bras dans le
ressort de cet te chambre, et qui s’exerce généralement à domici le , les
enfants sont admis à l ’apprentissage dès l ’âge de 8 a n s » (I, 17 8 ).
C e dernier âge est égalem en t signalé p ou r A lost : « Ce so n t les fabri
ques de f il à coudre, à A lost et à N ino v e, et les fabriques d ’al lum ettes
ch im iques , à G ram m ont , qu i, dans notre arrondissement , em plo ient le p lus
d ’enfan ts. D an s cette dernière industrie su rtout , les abus so n t criants, car
on y em plo ie l es enfants d e h u i t à d i x a n s e t m ê m e a u - d e s s o u s de cet âge »
(I , 181) . « Quant aux autres industries de l ’arrondissement, soieries, fabri
ques de coton à tr icoter et à coudre, étof fes à pantalon et to i les , e tc . , le
nom bre d ’enfants qu ’e lles em plo ient es t m oindre, e t com m e q ue lques-unes
font travail ler à domici le , on ne peut savoir si , ni dans quelle mesure, el les
ont recours au travail des enfants» (I, 181) .
La chambre de Hasse l t donne que lques in format ions sur l es enfants
travaillant dans le tressage de la paille et dans l’ industrie dentellière.
« En viron 9 2 5 en fants et ado lescen ts, écrit la cham bre, de l ’âge d e s e p t à
d i x - h u i t a n s s’occupent du tressage de la pail le dans les différents vi l lages
de la val lée du Geer. Ces enfants travail lent , sous la survei l lance de leurs
parents, en été, à la promenade, et en hiver, au coin du feu. Les enfants de
l ’âge de sept à douze ans fréquentent assez régulièrement les écoles primai
res de leurs co m m un es resp ectives et ne se livrent au tressage de la paille
qu’en dehors des heures de classe. Les fil les ne travaillent jamais à l’atelier,
et les garçon s y so nt rarement adm is avant l ’âge de dix-sept à dix-huit ans.
Q ua nt à l ’industrie dentell ière , e l le occ up e à S aint-Trond environ 3 0 0 f il les
de l’âge de s i x à d i x - h u i t a n s . Ces fil les, dès qu’elles sont exercées à la
fabrication de la dentel le , travail lent également chez el les, sous la survei l
lance d e leurs par ents. Il n ’y a que les ouv rières attac hé es à l ’atelier
d ’ap pren tissage qui fassent ex cep tion à cette règle. » (I, 2 0 8 ) .
Les réponses des chambres de commerce montrent qu’en généra l l a
d u r é e d u t r a v a i l se si tue encore à 10 , 11 o u 12 heures par jour:
La cham bre d ’Y pres-D ixm ud e s ignale que dans les écoles den tell iè
res, on trav ail le 9 h eures, été com m e hiver, da ns les rub ann eries et les
tissan de ries : 9 heu res en hiver, 11 heures en été; en construction de
m éca niq ue s et da ns les fon der ies de fer, l ’hiver on travaille 10 h eures , m ais
l’été 12 heures .
La ch am bre de Bru xelles cite le chiffre de 11 h eures, cel le de G and :
12 heures. A A lost , dan s les fabriques de f il , on travail le 12 1/2 h eures l ’été
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Travailleurs de 18 ans et moins selon les chambres de commerce
(Enquête de 1870)
moins de de 8 à de 10 à de 12 à de 14 àTotal
8 ans 10 ans 12 ans 14 ans 18 ans
Industrie métallurgique _ ? 11 5 43 3 294 851
Mines _
r 599 1.636 82 2.323
Verre - céramique — 13 7 294 49 8 773 1.702
Textile 2 250 486 1.232 2.229 4.199
Industries diverses 268 567 656 1.299 2.576 5.366
Totaux par âges 270 96 9 2.150 5.098 5 .954 14.441
Travailleurs de 8 à 14 ans dans les mines de houille
(Enquête de 1870) (Ingénieurs des mines)
8 à 10 ans 10 à 12 ans 12 à 14 ans Total
Durée duFilles Garçons Filles Garçons Filles Garçons Filles Garçons F. + G. travail
Province de Ha inau t S. 22 18 30 3 33 8 599 6 1 7 ‘ 924 97 3 1.897 10 à 12 h.
(1er, 2e, 3e arrondissem ents) F. — — 566 1.120 1.478 2.706 2.044 3.826 5.870 8 à 12 h.
Province de Liège S. 4 7 24 23 215 188 243 21 8 46 1 10 à 12 h.
(5e, 6e, 7e arrondissem ents ) F.— — .
2 33 96 59 6 98 62 9 72 7 8 à 9 h.Province de Nam ur S. _
— 3 5 36 22 39 27 66 11 h.
(4e arrondissemen t) F. — — — 4 3 126 3 130 133 8 à 12 h.
Total 26 25 89 8 1.523 2.427 4.255 3.351 5.803 9.154
F. — — 56 8 1.157 1.577 3.428 2.145 4.585 6.730
S. 26 25 330 366 850 827' 1.206 1.218 2.424
Travailleurs de 8 à 14 ans dans les usines métallurgiques
(Enquête de 1870) (Ingénieurs des mines)
8 à 10 ans 10 à 12 ans 12 à 14 ans Total
Files Garçons Filles Garçons Filles Garçons Filles Garçons F. + G.Durée du
travail
Province du Hainaut — — — 1 03 13 4 0 3 13 5 0 6 5 1 9 12 h .
Province de Liège 4 3 0 2 0 1 0 7 9 9 4 8 6 1 23 6 2 3 7 4 6 10 à 12 h.Province de Namur — — — 2 6 13 6 15 2 1 1 0 à 12 h .
Total 4 3 0 2 0 2 1 2 1 1 8 9 0 2 1 4 2 1 . 1 4 4 1 . 2 8 6
Idem dans les mines métalliques
8 à 10 ans 10 à 12 ans 12 à 14 ans Total
Filles Garçons Filles Garçons Filles Garçons Filles Garçons F. + G.
Province de LiègeS.
F.
— — — 3 3 5 73
7
3 5 7 6
7
11 1
7
S. —— — — — 6 _ 6 6
Province F. — — _. __ __ _ _ _
de Namur (‘) s. — — — — — 14 — 1 4 1 4
t1) F. — — — 3 — 2 9 — 3 2 3 2
Total S. — — — 3 3 5 9 3 3 5 9 6 13 1
*F. — . — — 3 — 3 6 — 3 9 3 9
2 1 6
L A C O
NDI T
I O N O U VRI È RE A U XI X e S I È CL E .T .1
L ’ E N Q UÊ T E DE
1 8 7 0
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T RA VAI L
DE S
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— « ce qui es t exc ess i f mêm e p ou r les adultes et écrasant po ur les enfan ts »
con state la cham bre (I, 1 81 ) , — l ’hiver, on travail le depu is q u ’il fait clair,
le matin, jusqu’à huit heures du soir; dans les fabriques d’al lumettes , le
travai l commence à 6 heures et finit à 20 heures, avec 2 heures d’interruption.
La cham bre de T ou rn ai, enfin, s ignale que les enfan ts « ne travail lent
généralement que ( s i c ) 10 heures par jour (I, 19 8) .
Les houil lères ne le cèdent en rien aux manufactures. L’ingénieur
principal du premier arrond issem ent des m ines — Flam ache — écri t dans
son rapport : « A la surface, la journée est hab ituellem ent de do uz e heures;
à l’intérieur, sa durée est p lus variable. Les enfan ts des p os tes d ’aprè s-midi
et de nuit et ceux du poste de jour qui sont indépendants du trai t ,
travail lent de huit à dix heures par journée. Les enfants du poste de jour,
dépendant du trait , ont à faire une journée plus longue, de douze heures et
plus; mais le système de rebandes (ou renouvellement de journée) , fort
usité dans un certain nom bre de charb onn ages , augm ente la durée norm ale
du séjour dans la m ine. L orsq u’il y a reband e, le travail dure que lqu efois de
seize à vingt heures. Du reste, le nombre de ses redoublements de travail
par semaine est très variable, suivant les mines et les temps de plus ou
moins grande act ivi té du travai l» (I , 219) .
En général , on ne s ignale guère de t r a v a i l d e n u i t po ur les enfants . Les
réponses des chambres de Courtrai , Roulers , Gand, Alost , Audenarde,
To urna i sont n égat ives . D ’autres sont n égat ives avec une légère réserve:
Y pres -D ixmu de (exceptionnel lem ent ) , Term onde ( sauf dans une fabrique),
Sa int-Nicolas (parfois dans une fabrique), Liège (sauf une exce pt ion occ a
sionnelle) .
Dans les papeteries et laminoirs relevant de la chambre de Nivel les ,
les enfants travail lent une semaine de jour et une semaine de nuit . Ce qui
est le régime des sucreries semble-t- i l ; la chambre de Louvain s ignale que
les enfan ts ne travail lent pas la nu it, sau f au x sucreries de Tirlem on t où
« les ad olescen ts trava illent par qu inzaine h uit journées de n uit , leur travail
de nuit étant le m êm e que le travail de jou r» (I, 163 ) . D e m êm e, la
cham bre d ’A nvers qui rapp orte qu ’en gén éral les enfants ne travail lent pa s
la nu it sau f dan s les sucreries de L illo, S ch oo ten et Lierre ainsi qu ’à la
pa peterie de W illeb roe k; ici , le travail de nuit dure 10 heures , i l com m ence
à n eu f heu res du so ir pou r finir à cinq h eures du m atin ». A B ruxe lles les
enfants travaillent la nuit dans quelques industries et, là aussi, « i ls alter
nent de sem aine en sem aine » (I, 1 59 ) .
D an s les char bo nn age s et dans les usines à travail continu , les enfants
travail lent presque partout de nuit . L’ingénieur Flamache écrit dans son
rapport : « D an s tou s les charbon nages du co uch an t de M on s , les enfants
son t assoc iés aux travau x de nuit. A la surface, le nom bre en est peu
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considérable; mais , à l ’ intérieur des travaux, les enfants sont employés
dans une mesure très large, quoique imposs ible à préciser , en ce qu’el le
varie avec l ’al lure des couches , l ’organisat ion du travai l en deux ou trois
postes , le nombre des rebandes , etc . On peut dire , cependant que la forte
moit ié et plus souvent les deux t iers des enfants du personnel souterrain
trava illent la nu it» (I, 222 ).
Le t r a v a i l d u d i m a n c h e e t d e s j o u r s f é r i é s s emble moins répandu
encore que l e t ravai l de nui t . De nombreuses chambres répondent par la
négat ive à la q ues t ion p osée : N ive l l es , Rou lers , G and , A los t, Au denarde ,
Courtrai , Termonde, St-Nicolas , Tournai , Liège. Ai l leurs , i l n’est qu’ex
cept ionnel : Bruxel les , Ypres -Dixmude a ins i que , s e lon l es réponses des
ingénieurs des mines , à Anvers , où i l n ’es t «pas d’usage» .
Presque toutes les chambres assurent que les enfants ne sont pas
occupés à des t r a v a u x d a n g e r e u x . Les chambres su ivantes répondent né ga
t ivement : B ruxe l l e s , N ive l l e s , L ouva in , Ypres - Dixmude , Gand , Aude
narde , Term ond e, Sa int -N ico las , Tou rnai e t L iège . Anvers donn e au ssi une
réponse n égat ive sau f po ur les ma nufactures de tab ac a ins i que p ou r l ’éco le
pyrotechnique (qui occupe so ixante-deux enfants ) .
Deux chambres at t irent l ’at tent ion sur l ’état de Y h y g i è n e d e s t r a
v a u x . C el le de R oulers es tim e que « les travaux de la f ilature ne sont po int
dangereux, mais (que) l ’air vicié qu’on y respire et l ’atmosphère chaude et
hum ide d ont on y es t cont inuel lem ent entouré doiven t certa inem ent in
fluencer, d’une manière très nuisible, sur ces jeunes créatures» (I , 174) .
Celle d ’A lost : « la fabricat ion des al lum ettes chim iques const i tue un tra
vail ém inem m ent dé lé tère» (I, 181 ) .On ne peut pourtant s ’empêcher d’exprimer une certaine réserve
devant les répon ses à l ’enq uête sur ces po ints , tou t spéc ialem ent lorsqu ’on
voit la d éclaration de L am bert, ingénieu r du 2 e arro nd issemen t : « Je ne
pense pas que les mines de houi l le et les us ines métal lurgiques soient
considérées comme des atel iers d a n g e r e u x , au m oins sous le rapport de la
santé» (I, 221 ).
Un niveau d'instruction presque nul
L’instruction, s i on en croit les rapports des chambres de commerce
est a b so lum en t défe ctu eu se. L ou va in : « laisse à désirer » ; N ive lles : « ins
truction élém entaire insu ff isan te »; Bru xelles : « l ’ instruction est génér ale
ment plus répandue chez les enfants employés dans les établ issements
industriels éloignés des grands centres » (I , 159) . La chambre de Bruxelles
est « persu ad ée que rendre l’instruction ob liga toire serait em pêch er en
part ie l ’abus du travai l prématuré des enfants; la chambre de commerce
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app el le la sérieuse at tent ion d u G ouv ernem ent sur cet te qu est ion e t émet le
vœu qu’une d i spos i t ion dans ce sens so i t soumise aux Chambres dans l e
plu s b ref délai » (I, 16 1 ) .
O ptim iste à p rop os des co nd itions m atériel les qui « ne la issent plus
rien ou peu de ch ose à dés irer , la Cham bre de R oulers es t p lutôt pess imiste
sou s le rapport instruc tion pa rce que « grand nom bre d e no s travail leurs
sont encore privés du pain de Taine et croupissent dans une complète
ignorance»; auss i se prononce-t -e l le pour l ’enseignement obl igatoire (I
173) . L’ ignorance, pour la Chambre de Roulers , doi t être combattue au
même titre que la misère; el le avait constaté que, dans les principaux
établ issements industrie ls de son ressort , sur 100 ouvriers , 85 étaient
com plètem ent il let trés , 5 savaient lire , 10 s igner leur no m (1 ,17 4); p our la
vi ll e de Roulers, sur une po pu lation de 1 3 .7 74 habi tants, 9 .8 4 9 ne savaient
rii l ire ni écrire, « so it 7 0 % d ’ign ora nc e!» (I, 175 ) .
Q ua nt à la C ham bre d ’A lost , e l le con state T« ét iolem ent phys ique et
m oral » dans les fabriques d ’al lum ettes . La s ituation y est enco re pire que
da ns les fabrique s de fil à cou dre. « Les enfa nts ad m is dan s les ateliers à un
âge encore m oins a vancé n e fréquentent d ’école , n i avant leur adm ission ni
pen da nt, ni jamais . Ignoran ce ab solue, ét iolem en t phy sique et m oral » (I,
182) .
Enfin, la Chambre d’Anvers, après avoir constaté que l’ instruction
élém entaire fait généra lem ent défau t, est im e que c ’est à l ’autorité « q u ’ap
pa rtient le soin et le d evoir imp érieux de tracer le chem in, d ’orga niser sur
des bases obligatoires l ’ instruction publique, surtout dans les centres in
dustriels , af in de battre en brèche cette ignorance qui paralyse les forces
vitales de la nation et placerait la Belgique dans un état d’infériorité vis à
vis des peuples qui comprennent mieux les avantages d’une instruct ion
so lide , do nn ée à to u tes les classes de la so ciété » (I, 16 7).
I l faut reconnaître pourtant que des Chambres soulignent la diff i
cu lté p ou r les jeunes o uv riers d ’aller à l ’éc o le a près le dur lab eur q u ’ils on t
fourni toute la journée. C el le d ’A nvers , par exem ple: « les en fants ou
adolescents se trouvent avoir l ’esprit peu dispos et propre à recevoir avec
fruit l ’instruction des écoles du so ir» (I, 15 7) . C elle d ’A lost con state
qu’après avoir passé onze heures et demie à l ’atel ier, les enfants ne sont
plu s cap ables d ’al ler encore suivre une heure o u d eux à l’éco le du soir (I,
18 2). « L’ouv rier qu i n ’a pas m archan dé sa peine (dou ze heures) aspire à
bo n droit au repos » déclare celle de Rou lers (I, 17 5); aussi pr op ose-t-el le
de rem placer les écoles du soir par des c o u r s ......du dimanche! Une Ch am
bre détonne par ses constatat ions; c’es t cel le de Saint-Nicolas se lon la
quelle les adolescents , travail lant jusqu’à 14 heures par jour, suivent les
cours qui se donnent le soir! (I , 191) .
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Les causes d u travail des enfants s elon la classe « aisée »
Po int de vu e que n ous avo ns déjà rencontré — il paraît être très
courant à l ’épo qu e — les Cham bres es timent gén éralemen t que c’est par
suite de « l ’insouc iance des paren ts » que les en fants ne fréqu entent pa s les
écoles du soir ou du dimanche; i ls les envoient au travail , dit la Chambre
d ’A nvers, par « désir d ’exp loiter sou ven t pré m aturém ent à leur profit les
forces physiques de leurs enfants» (I , 157) . Pour cel le de Bruxelles , le
m anq ue d ’instruction serait dû à l’indifférence des p arents « qui laissent
va gab on de r leurs enfan ts » o u bien qui veu lent, par n écessité, « tirer parti
de leur trav ail ava nt qu ’ils aient atteint l’âge de on ze ans » (I, 15 9 , 1 6 0) .
R oulers va m êm e jusq u’à avan cer qu e c ’est « sédu its par l’app ât d ’un
salaire é levé» ( s i c ) que les paren ts con da m ne nt l’enfan t « au x rudes tra
vaux des fabriques où sa santé s’étiole, où ses facultés intellectuelles
s’altèrent et f inissent par s’oblitérer com p lètem en t» (I, 1 73 ) . C ’est po ur
cette cham bre u ne vraie ob sess ion , sem ble-t-il : « les paren ts les env oie nt
dans les fabriques, sacrifiant ainsi à l’appât d’un salaire élevé leur dévelop
pement intel lectuel , v ict imes eux-mêmes de l ’ ignorance de leurs ascen
dants; i ls ne sentent pas le besoin de l’ instruction et prétendent que leurs
enfants viven t com m e i ls on t vécu » (I, 17 5) .
Pas que st ion, par contre de sup poser que ce soient les em ployeurs qui
pro f itent de l ’em ploi des enfants . Un ingénieur des m ines , rappo rtant que
ce n’est qu ’excep t ion nel lem ent que les enfants travai l lent au charb onn age
avant leur douz ièm e année, va m êm e jusqu’à assurer que « ceux qui n’on t
pas at te int l ’âge de douze ans ne sont employés que pour des mot i fs
charitables» (I, 220 ).
Les progrès de l'idée de réglementation
On peut constater, à travers l ’enquête de 1870, que l’ idée de la
réglementation du travail des enfants s’est propagée sérieusement. Beau
coup de Chambres de commerce se prononcent en faveur de cet te régle
mentation. Celle d’Alost considère même « une tel le loi comme une stricte
obligation morale et une nécessité absolue. Si l ’on veut, ajoute-t-el le,
prévenir l ’abâtardissement de nos populations, i l faut des mesures sévères
et ef f icaces et non de vains pal l iat i fs» . C’est pourquoi , e l le se prononce
pour « l’ interdict ion absolue de tout travail pour les enfants au-dessous de
douze ans , la l imitat ion du travai l de douze à quatorze ans , et celà pour
toutes les industries et tous les ateliers, grands ou petits; serait seul
exempté le travail de l’enfant avec son père, au domicile paternel , parce
que, là, la surveil lance est vraiment impossible et que, dans ce cas, le but
ne pourrait être atteint que par une loi rendant l’ instruction obligatoire »
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(I, 182 ) . La Cham bre de R oulers se prono nce à la fois pou r la l im itat ion de
l ’âge d ’ad m ission et la l im itation de la durée du travail . Pour cel le de G an d,
on devrait f ixer q uatre con dit ion s à l ’adm ission des enfants en fabrique :
« 1° que l’enfan t ait plus d e do uz e ans acco m plis; 2° q u’il sache lire et
écrire; 3° que la durée du travail soit l imitée à douze heures; 4° condit ions
spéciales pour les éc oles den tell ières » (I, 1 80 ) . La Ch am bre de Br uxelles
est im e q u ’une lo i sur le travail des enfan ts pour rait « po ser des principes,
mais leur application serait bien diff ici le, s inon impossible à constater,
sur tou t dans les villes, à ca use de la m ultiplicité des petits ateliers », aussi
est ime-t-el le néanmoins que « quelques règles générales , tutélaires de l’en
fance et de l’adolescence, pourraient être prises , quant aux heures de
travail, à l’âge, au lo ca l, au x trav au x d e nu it, etc. ».
L’intérêt de l’industrie à la réglementation est évoqué, à côté de
l ’aspect humanitaire, par une Chambre seulement, cel le de Courtrai , parce
que , dit-el le, en pr otég ea nt les enfants contre un travail « énerv ant et
abus i f» , l e gouvernement ménagerai t «dans l ’avenir une populat ion ou
vrière intel l igen te et ro bu ste, su sceptible d e sup pléer par un surcroit d ’acti
vité, à la réduction d e qu elques heures dan s le travail des enfants » (1 ,16 8).
A lors que la Ch am bre d ’A lost es tim ait n’avoir pas à se prono ncer sur
l ’instruction ob ligato ire to ut en est im an t que sans elle l ’eff icacité d ’une
l im itat ion serait fort réduite , ce lle de N ivel les se pron onc e plus n ettem ent
en faveu r d ’une légis lat ion rendan t la scolarité ob liga toire : « D es é co n o
mistes voudraient que le travail dans les mines et les manufactures fût
défendu aux enfants âgés de moins de quatorze à quinze ans . L’ intent ion
est louable, mais dans l’état de notre légis lat ion, quel serait le résultat de
cette mesure? Aucune dispos i t ion n’obl ige les parents à envoyer leurs
enfants à l’école. Ils les reprennent lorsqu’ils ont atteint l’âge de douze ans,
pour les aider à subvenir aux besoins de la famille. En leur défendant
l ’entrée de l’atel ier, ne s’expose-t-on pas à les laisser désœuvrés pendant
deu x o u trois ans? Le remède pourrait être pire que le m al , et nous som m es
d’avis que cette défense ne doit pas être inscrite dans nos lois , aussi
lon gtem ps q ue l ’instruction primaire n ’est pa s ob liga toire en Be lgique » (I,
16 6) . C ’est une po s i t ion s im ilaire qui est avancée par la C ham bre d ’A n
vers : « l ’ad m ission des en fants au -desso us de treize ans po ur rait être
absolument interdite dans les atel iers , fabriques ou autres établissements
industriels , et, passé cet âge, sub ord on née à la pro du ction d ’un certificat de
capacité ou de fréquentation des écoles » (I , 157) . Plus radicale, la Cham
bre d ’A rlon trouve que « cette prétendue atteinte po rtée à la l iberté ind ivi
du elle et à la l iberté du travail est beau cou p p lus légit im e et plus rationne lle
que les disposit ions contre les établissements dangereux et insalubres,
contre l’emploi des machines sans autorisation préalable, contre la circula
tion sur les rou tes dan s certaines circonstan ces don nées; en un m ot, qu ’une
foule de restrict ions et d’entraves qui n’ont pas pour objet de sauvegarder
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un intérêt aussi élevé pour l’avenir physique et moral des classes les plus
nombreuses de la soc ié té» ( I , 210) .
A côté de cet te m ajor ité de chambres de com m erce qui se pron oncen t
en faveur de la réglem entat ion, trois chamb res w al lon ne s en sont adversai
res . Ce lle de V erviers d ’ab ord , qui , après avoir aff irmé que le travail des
enfan ts dans le région « n ’est pas gén éralem ent de nature à entraver leur
développement corpore l» , s e prononce , avec fougue pourrai t -on d ire ,
contre tou te réglem entat ion : « D an s toutes c irconstanc es , nou s som m es
antag on is tes des lo is qui veu lent réglem enter l ’industrie; n ous dem and ons
toujours la l iberté la plus complète pour le travail , mais ici surtout, en
présence d’un état de choses auss i sat is faisant , nous appuyons énergique
m ent sur l ’inopp ortunité d ’une intervent ion gou vernem entale et no us no us
•déclarons adversaires d ’une lo i o u d ’un règlement sur la m at ière . N o u s
sommes convaincus qu’une réglementat ion légale gênerait cons idérable
ment les patrons et serait moins féconde en bons résultats que l’ init iat ive
privée » (I, 2 0 6 ) . La Ch am bre de Liège, aussi radicale da ns son op p osit ion
tente de disculper les em ployeu rs en én um éran t l'es facteurs qui d ’après
el les doivent être considérés comme responsables de l’altération de la santé
des enfa nts . « La loi n ’a pas, p ou r réglemen ter le trava il, la p uissance et
l ’eff icacité qu’on suppose; les petits atel iers échappent à son empire; de
sorte q u ’elle ne peu t agir qu ’à l ’égard de la gran de indu strie. Les lois
restrictives de la liberté du travail , non seulem ent ne son t pas d ’une
app l icat ion g énérale, m ais e lles ne peu ven t couper le ma l dans sa racine ni
supprimer les nécessités auxquelles les familles ouvrières ont en vue de
subve nir lor sq u ’el les s’infl igen t les excès de travail qu e l’on vou dra it em p ê
cher. Parm i toutes les causes qui p euv ent altérer la san té des femm es et des
enfants dans les classes ouvrières , la plus puissante ne se trouve pas dans
un travail trop prolongé. Le défaut de nourriture substantiel le, le manque
de vêtem ents et de chaussures conven ab les , une ha bitat ion m alsaine et peu
aérée sont bien plus nuisibles à l ’enfance que les fat igues de l’atel ier. Or
toute restrict ion dans le travail entraîne une diminution de salaire, c’est-
à-dire un e rédu ction da ns les seules ressources des fam illes d ’ouvriers .
N o u s co nsta tons avec bonh eur que l ’on ne signale pa s , dans le ressort de la
C ham bre de com m erce, des abus da ns le travail des enfants . Pour remédier
à ceux qui viendraient à se produire ou à se révéler, la l iberté a des
ressources m ultiples : c’est ainsi q u ’à Verviers de gén éreux industriels o n t
fondé une associat ion qui a pour but d’écarter l ’enfant trop jeune des
m anu factures ou d ’em pêche r qu ’on l ’astreigne à un travail trop pro long é.
Ainsi, par l’initiative individuelle, on peut prévenir les abus; à la vérité,
l ’ intervention du légis lateur agit d’une manière plus prompte et plus éten
due. Les réformes par la l iberté sont plus lentes , mais plus durables , parce
qu’el les peuvent mieux remédier aux causes qui produisent les abus».
Disculper les employeurs, mais aussi culpabil iser les travail leurs
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eu x-m êm es, c ’est bien le but pour suivi par la Cham bre l iége oise : « L’inter
ven t ion du légis lateur en m atière de travail ne do it être adm ise que quand
el le es t commandée par une impérieuse nécess i té; or , jamais e l le n’a été
m oins ind ispensab le , jam ais les c lasses supérieures ne se son t préoccup ées d’une manière plus générale du sort des classes inférieures; jamais on n’a
fai t autant de sacrif ices vo lontaires en vue d e contribuer à leur progrès , so i t
m atériel , soit m ora l . Si une am élioration p lus sensible ne se fait pa s sentir,
cela vient surtout de ce que ceux- là même qui ont le plus besoin d’aide et
de protec t ion on t toujours la plus grande part de responsab i li té da ns leurs
dest inées . Le m anq ue d’ordre dans les m énag es et les habitudes de cabaret
ont une influence pernicieuse sur le bien être des familles ouvrières et
empêchent les mei l leures mesures prises en leur faveur de produire leurs
fruits» (I, 199, 200) (581).
L’oscar revient f inalement à la Chambre de commerce de Tournai .
Car après le chœ ur des C ham bres pou r cu lpabi li ser les parents des enfants
ouvriers , voi là que cel le de Tournai rejette l ’ idée d’une légis lat ion l imita
tive parce que ce serait froisser les parents dans leurs sentiments de
responsabilités vis à vis de leurs enfants! Une telle loi aurait, en effet,
quelque chose « qui froisserait les sentiments les plus naturels de la classe
ouvrière. C e serait un e loi qui d est ituerait en m asse de la tutel le naturelle et
légit im e de leurs enfan ts les pères de fam ille d es classes labo rieuses; u ne loi
qui déclarerait qu’i ls sont à la fois indignes et incapables d’exercer conve
nablement cette tutel le; une loi qui proclamerait qu’au sein des classes
labo rieuses , les pères so nt sans cœ ur et les m ères sans entrail les . .. » (1 ,19 7).
(581) Il y a cependant un «industriel important», Charles Begasse, fabricant de couverture de
laine, qui émet un avis différent : « ...je suis très hostile au travail des jeunes enfants. J’ai reconnu qu’il estbeaucoup plus avantageux de prendre des enfants plus âgés et de les payer mieux, ils font beaucoup plus
d’ouvrage et le font mieux. Avant douze ans, je trouve que dans mon industrie les enfants ne peuventrendre aucun service réel » (I, 200).
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L’ouvrier méprisé
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Est-i l exag éré de con clure qu e la con dit ion o uvrière au X IX e s iècle est
celle d ’un être m éprisé par la société? R éd uit au rang d ’ob jet par le systèm e économique, c’es t une véri table déconsidérat ion, un authent ique mépris
qui pèse sur lui.
« L'ouvrier est un véritable o u til qui s'use ou se rom pt »
L’entrée de l’ouvrier à l ’usine en fait une sorte de m ach ine parm i les
autres. C ette s ituat ion, un écon om iste belge que nou s av ons eu l ’occa s ion
de citer déjà, G . de M olina ri , l ’a théorisée dans son cours d ’éc on om ie
pol i t ique: «Au point de vue économique , l es t ravai l l eurs do ivent ê tre
considérés comme de véri tables machines . Ce sont des machines qui four
nissent une certaine quantité de forces productives et qui exigent, en
retour, certains frais d ’entretien et de reno uvel leme nt p our po uv oir fon c
tionner d’une manière régulière et continue. Ces frais d’entretien et de
renou vel lem ent , que le travai lleur exige, con st ituent les frais de pro du ct ion du travai l , ou, pour nous servir d’une express ion fréquemment employée
par les éc on om istes , le m inim um de subsistances d u travailleur » (582).
D ucp ét iaux avait évoqu é cet te at ti tude dès l ’introduct ion du 1er tom e
de son o uvra ge sur la cond ition phy s iqu e et morale des jeunes ouvriers. O n
a, dit -i l, cons idéré l ’ho m m e « com m e un instrum ent ou un out i l; lorsque
l ’outi l est ébréch é, on le rejette, lorsque l’instrum ent est usé, on le remp la
(582) G. de Molinari, Professeur au Musée de l’industrie, Directeur de l'Economiste belge, Cours d’Ecortomie Politique, tome 1er, 2e édition, 1863, pp. 203, 204.
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cul ièrem ent pénible . A pr op os du sort des « apprent is des paro isses »
em ployés dans les fabriques, M an tou x rapporte que « la disc ipline étai t
féroce, si l ’on peut appeler discipl ine le déploiement d’une brutal ité sans
no m , et parfois d ’une cruauté raff inée qui s’asso uv issait à plaisir sur des êtres sans défense. Le récit fameux des souffrances endurées par un ap
prent i de fabrique, Robert Bl incoe, fa i t frémir d’horreur*. A Lowdham,
près de No tt in gh am , où il fut env oyé en 1 79 9 avec un lot d ’environ
quatre-vingts enfants des d eux sexes , o n se con tentai t d’em ployer le fou et :
on 1’em ploy ait , il est vrai , du m atin jusq u’au soir, n on seu lem en t po ur
corriger les apprentis de la faute la plus légère, mais pour les stimuler au
travail , pour les tenir éveillés lorsque la fatigue les accablait . A la fabrique
de L itton, c ’était bien autre ch ose : le pa tron, un certain E llice N eed ha m ,
frappait les enfants à coups de poing, à coups de pied, à coup de cravache;
un e de ses gentillesses co ns istait à leur pincer l’oreille entre les on gle s, assez
fort pour la traverser. Les contremaîtres étaient pires. L’un d’eux, Robert
W oo dw ard , inven tait des tortures ingénieuses . Ce fut lu i qui im agina de
suspendre Bl incoe par les poignets au-dessus d ’une m achine en m ou ve
ment, dont le va et vient l’obligeait à tenir ses jambes repliées; de le faire
travail ler presqu e nu, en hiver, avec des po ids très lou rds sur les épau les; de lui limer les dents. Le ma lheureu x ava it reçu tant de cou p s, que sa tête était
couv erte d e plaies : po ur le soigner , on com m enç a par lui arracher les
ch eve ux au m oy en d ’une ca lotte de p o ix. . . » (588).
A -t -on co nn u ces fabriques-camp s de con centrat ion dans notre pays?
L’enquête de 1843 ne nous renseigne guère sur ce point . Les réponses
ém anen t d ’ail leurs pou r la plupart de gens qui o n t intérêt à le passer sous
s ilence. N o u s n ’avon s, du m oins p as trouvé de réci ts à « faire frémir d ’horreur ». Par con tre, ce qui frappe c ’est d ’abord u ne divergence de vu es
à propos des mauvais trai tements éventuels inf l igés aux enfants . Selon
l ’Académie royale de médecine, les enfants sont rarement maltraités (589) ,
mais, à côté de ce témoignage, i l y a certaines al lusions à des « punit ions »
inf l igées aux enfants . Parlant du peu de doci l i té des enfants occupés dans
une rubanerie, le chef de l ’établ issem ent déclare à la C ham bre d e co m
merce de Bruxelles « . . .qu’ils sont d’autant plus difficiles à corriger, qu’en
deh ors d e la fabrique leurs paren ts on t le défaut d ’éco uter leurs plaintes et
le p lus souvent de leur donner raison dans leur insubordinat ion,
lor sq u ’une pu n ition leur est infligé e par l’un des ch efs d ’atelier... » (590). A
* « Robert Blincoe fut découvert, en 1822, par J. Brown, qui faisait dans les centres industriels une
enquête sur les effets moraux et sociaux du système de fabrique. Le récit de sa triste enfance fut publié en1828 dans The Lion, périodique radical dirigé par R. Carlile, et en 1832 dans The Poor Man’s Advocate. Ilfaut reconnaître qu’il s’agit là de faits exceptionnels, rapportés par un journaliste en qui on ne peut avoir
une confiance absolue. »(588) Mantoux, o.c., pp. 435, 436.
(589) Enquête de 1843, tome 2, p. 332.
(590) Id., tome 2, p. 21.
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pr op os d es enfan ts trava illant à la m ine, le do cteur F ossion décrit le travail
de ceux qui sont chargés d’ouvrir et de fermer les portes d’aérage et fait
remarquer : « q uo iqu e, en g énéral , les enfan ts soien t bien traités dans n os
houil lères, qu’i l soit expressément défendu de les frapper, i ls doivent subir
d ’amers repro ches, d es invective^ m êm es, s’ils on t le m alheur de s ’ou blier
un in st an t » (591).
La C om m ission m édicale du Brabant n’est pas d ’accord avec l ’A ca
dém ie de m édecine : « Si nou s n ous trou von s en désaccord av ec la C om
m ission de l ’A cad ém ie royale de m édec ine de Belgique, qui croit qu ’i l est
rare que les ouvriers, su rtout les enfan ts, so ient m altraités par ceu x qui les
emploient , c’est , croyons-nous, qu’el le a porté principalement ses recherches sur les ouv riers em ploy és dans les grands établissem ents industriels, et
ceux d’une moyenne importance, en ne s’occupant que peu de ces pet i t s
étab lissem en ts où six et huit ind ividu s se trou ven t réun is » (592).
Ce qui frappe égalem ent, c’est , une fois encor e, la tend an ce à culpa bi
l i ser les parents p lutôt que les employeurs. Tout en minimisant les fa i t s ,
M areska et H eym an les at tr ibuent plutô t aux parents travail lant en co m
pagnie de leurs enfants qu’aux employeurs eux-mêmes.« Les enfan ts, dan s les fabriqu es, so nt p lutô t sous la dép end an ce et la
survei l lance des ouvriers, que sous cel les du maître. Ce sont eux qui les
enga gent , les em ploient , les payen t; ce sont eux aussi qui les punissent
lorsqu’i ls sont inattentifs ou négligents. Les correct ions se ressentent de
l ’édu cation de ce ux qui les inf l igent : tand is que le chef se co nte nte d ’une
ad m onit ion ou d ’une am ende, l ’ouvrier a recours aux chât im ents corp o
rels. J .-B. H ov e, âgé de dou ze ans, rattacheur, nous a déclaré, dans son
interrogatoire, que deux fois i l a reçu des soufflets du fileur, parce qu’il
n ’avait pas soign é les bob ines. W elt inck , Fran çois, âgé de treize ans,
m onteur, a été battu par son com pa gn on , rat tacheur. W ett inck , A lexa n
dre, âgé de dix ans, a été également battu autrefois par son rattacheur;
mais il ne l’est plus par celui sous lequel i l travaille actuellement.
« Les tireurs o u brosse urs d es imp rim eries, lor sq u’ils sou illen t les
imprimés en les p l iant , ou quand i l s y font des taches, sont également
gron dés o u frappé s. D ’après la dé po sit ion de plusieurs tireurs, ces coup s se
do nn en t parfois avec le bâton de l ’étab li, m ais jam ais ils n ’o n t déterm iné
d’accidents.
« S i . notre enq uête nou s a four ni la preuve que les en fants son t
quelquefois maltrai tés , nous sommes cependant convaincus qu’ i l s le sont
en général inf iniment moins que dans certaines fabriques de France et
(591) Id., tome 3, p. 76.(592) Id., tome 2, p. 360.
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d ’A ngleterre, si tou tefois les détai ls do nn és par quelqu es auteurs ne son t
point exagérés (*) .
« Q ua nd un en fant reçoit des coup s, c ’est ordinairem ent de son père
ou, de so n frère. O n sait q u ’un grand n om bre de rattacheurs travail lent
avec leurs parents; nous en avons trouvé environ 12 % dans cette catégo
rie.
« N ou s partageons com plètem ent l’av is de M M . D ucp ét iaux e t Burg-
graeve sur ce qu’i ls rapportent concernant les sentiments généreux qui
an imen t no s ouvriers : « Si notre classe ouvrière, d it M . D uc pé tiau x, est
ignorante à beaucoup d’égards, e l le possède néanmoins d’excel lentes qua
li tés et se d istingue par une grande hu m an ité». M . Burggraeve, dans son rapport à l ’A cad ém ie, dit avec raison « que c ’est un fait con sola n t à
rapporter , qu ’il est rare qu ’un enfant soi t m altrai té» . Q ua nt à nou s, no us
avon s, dans nos recherches, acqu is la certi tude que no n seulem ent tou t acte
d’oppression grave est sévèrement défendu par les maîtres , mais nous
sommes persuadés que les ouvriers eux-mêmes ne le to léreraient pas.
« C e qui vient à l ’appu i de l ’op inion de ce s d eu x auteurs sur la
disposi t ion des c lasses pauvres à la b ienfaisance, ce sont les exemples no m br eu x que n ou s au rons à citer pa r la suite, d’ou vriers qui, renco ntrant
des enfants malheureux et abandonnés, les amènent à la fabrique, et ont ,
com m e d it M . E. Sue, l ’adm irable courage de les prendre à leur charge,
q u oiq u ’ils aient déjà u ne fam ille no m br euse à nour rir » (593).
Un autre tém oignage , ce lui de la Co m m ission m édicale de Liège, m et
en cause les em ployeurs au m oins autant , s inon p lus , que les parents. Après
avoir expliqué comment les briquetiers s’associent pour al ler travail ler à l ’étranger, la Co m m ission con t inu e : « Le chef, auqu el on d onn e le nom de
l ivrehai’e, règn e en de sp ote. L es ouvriers o n t pris enve rs lui, ava nt la saison ,
un en gagem ent qu e l ’hon neu r o u l ’imp ossibil ité leur interdit de rompre. I l
n ’est pas de m au vais traiteme nts q u ’i ls n ’aient à subir de sa part. La m ère
qui, par nécessité, lui a confié sa fil le, n’est pas certaine de la voir rentrer
pu re so us le toit pa ternel » (594). Le rapp orteur ajo ute qu e c ’éta it à tel p oin t
que le gouvernement prussien, en 1845, décida « que les ouvriers tui l iers
belges ne seraient doréna van t autorisés à am ener avec eux d es apprentis ou
aides , âgés de moins de dix huit ans, que dans le cas ou ceux-ci seraient
accompagnés de leurs parents» . L’ordonnance fut prise à la sui te de la
condamnat ion d’un ouvrier tui l ier de la province de Liège aux travaux
* M. Villermé rapporte, d’après l’industriel de la Champagne, journal imprimé à Reims, que, dansquelques établissements de la Normandie, le nerf de bœuf figure sur le métier au nombre des instruments
de travail, lorsque les ouvriers passent la nuit à travailler, et que les pauvres enfants, succombant ausommeil, cessent d’agir, on les éveille par tous les moyens possibles, le ne rf de bœuf compris. A Rouen, lesmêmes abus existent. Rien de semblable ne s’observe à Gand. »
(593) Id., tome 3, pp. 362, 363.(594) Id., tome 3, p. 552.
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forcés à perp étuité (sa fem m e à deux ans de prison) « po ur a voir exercé sur
une jeune f i l le de Liège qui travail lait avec eux, des mauvais traitements , à
la suite d esque ls el le ava it succo m bé ». Plus loin, d écrivant le sort réservé
au x en fants q u ’on en vo ie prém aturém ent au travail : « Ils ne viven t plus, i ls végèten t : trop h eu reu x s i les m auv ais traiteme nts de leurs parents , ou de
leurs maîtres quand i ls sont employés dans les petites industries , ne vien
ne nt pas joindre un e m isère de plus à leur m isère, un chagrin de p lus à leurs
chagrins; une cause de plus à leur affaiblissement tant physique que
m oral » (595).
« Il n ’a m êm e pas le m érite de la résignation »
« I ls ne viven t plus, i ls végè tent » d it la C om m ission m éd icale de
Liège à pro po s d es enfants! M ais n ’est-ce pa s le cas des adultes égalem ent?
Il y a, dit Bidaut, ingénieur à l’inspection des mines à Charleroi, peu de
reproch es à adresser à la classe des ou vriers houil leurs de l ’arrond issem ent.
« La discipline, l ’ob éissan ce p resque p assive et la résignation, son t s i bien
dans ses habitudes, que depuis quelques années on l’a vue subir de bien
grandes vic issi tud es , passer bru squem ent des c irconstances f inancières les
plus heureuses à une pos i t ion comparat ivement déplorable , accepter une
mesure (le rétablissement des livrets) que, à très grand tort, i l est vrai, elle
con sidérait co m m e ho sti le à ses intérêts; on l ’a vue, dis-je, supp orter tou t
cela sans q u ’au cu n acte répré hen sible ait été po sé p ar elle » (596). A près
avo ir exp osé les causes du récent chô m ag e, Bidaut dit enco re : « . ..cep en
dan t les ho ui l leurs , d on t les ressources on t été auss i paralysées ou réduites ,
supp ortent pa t iem m ent leur détresse , en at tend ant des temps plus heureux ,
et aucun crim e ni aucun dél i t no table , n on p as just if ié , m ais pro voq ué et
exp liqu é p ar la m isère, n ’a été révélé pa r la v oie pu blique » (597).
Le docteur Va n den B roeck va plus lo in encore, après avoir dépeint la
tris .te s ituation, et répondant à l ’objection que les ouvriers mineurs sont
cependant «heureux e t contents» , i l d i t : « . . .n ’ayant pas l ’ idée d’une
condit ion meil leure, i l accepte, sans souci , cel le qui , de père en f i ls , lui est
dév olue, et dans cet acte de p hi losop hie aveug le et pou r ains i dire instinct ive, i l n ’a p as m êm e le m érite de la r ésign ation » (598).
(595) Id., tome 3, p. 558.(596) Enquête de 1843, tome 2, p. 288. Déjà les rapporteurs de l’enquête de 1840 avaient écrit
«que la population qui s’adonne à la mise en œuvre du lin se distingue généralement par une grandedouceur dans les mœurs, une régularité louable dans ses habitudes, une loyauté qui se dément rarement,
qu’elle montre de la patience et de la résignation dans les privations, beaucoup de modestie dans les
désits... » (tome II, p. 410).(597) Enquête de 1843, Tome II, pp. 289,290. Signalons que la réponse de Bidaut à l’Enquête de
1843 a également été publiée dans les Annales des Travaux publics de Belgique, tome II.
(598) Docteur Van den Broeck, Aperçu sur l’éta t physique et moral de certaines classes ouvrières.
Présenté à M. le ministre des Travaux publics, 1843, p. 6.
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Ce n’est, en effet, semble-t-il , pas la résignation qui caractérise l’ou
vrier da ns les trois prem iers quarts du X IX e siècle, c ’est l’ato nie. Il ne se
résigne p as, i l subit. I l faudra un lon g travail de « m ilitants » po ur seco uer
cette aton ie et con scientiser pro gressivem ent l’ouv rier du X IX e s iècle. Les
volum es qui suivront cet te ( trop) long ue préface à l ’H istoire du m ou ve
ment ouvrier en Belgique le montreront .
N ou s vo ud rions s imp lemen t terminer sur une dernière c itat ion qui
nous a toujours paru une sorte de microcosme de la s ituation au s iècle
dernier. Situation de mépris dans laquelle se trouve placé l’ouvrier et
suprém atie tou te d ’arrogance d on t jouit l ’em ploy eur qui va jusqu ’à exercer
les prérogatives du Pouvoir judiciaire.
C ’est le C on seil central de salubrité publique de Brux elles qui rap
porte ce fait, à l’issue de la visite qu’il a effectuée dans une filature de
laine :
« N o u s ne terminerons pas sans m ent ionn er une pun i tion q u’on
inf l ige aux ouvriers qui se permettent de remplir leurs poches de laine,
parce que la vue de l’ instrument du supplice a évei l lé en nous des senti
m ents trop pénibles . N o u s av on s vu da ns la cour de l ’établ issem ent , et ,
scellée dan s un m ur, une cha îne de fer, term inée pa r un so l ide carca n,
auq uel on attache celui qui est pris sur le fait d ’un vo l de laine : le cou pa ble
reste ex p osé au x regards de ses com pa gno ns de travail penda nt un laps de
temps plus ou m oins long, et qui varie se lon q u’il tém oigne plus ou m oins
de ho nte et de repent ir . C ette e xp os i t ion est suivie de l ’exp uls ion im m é
diate de la fabrique». (599).
(599) Enquête de 1843, tome 2, p. 547.
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Régime alimentaire des ouvriers en Belgique en 1855 selon les budgets économiques publiés par Ducpétiaux
Moyenne de la consommation annuelle par personne (l)
Pain Pommes de terre
(ou équivalent
en légumes,
ou en autres
substances)
Viande
et
lard
Beurre
et
graisse
CaféFroment
ou
épeautre
Méteil (2). Seigle
FLANDRE OCCIDENTALE
kg kg kg kg kg kg kg
Villes. Ouvriers indigents ( l re catégorie) — — 16 7 18 8 — 4,20 5
Villes. Ouvriers peu aisés (2e catégorie) 104 10 4 20 8 — 10,40 p
Villes. Ouvriers aisés (3e catégorie) 23 9 — — 23 4 22 12,50 7,50Cam pagnes. Ouvriers indigents ( l re catégorie) — — 22 1 20 0 6,10 9,50 4,20
Cam pagnes. Ouvriers peu aisés (2e catégorie) 182 — 21 3 23 6 20 ,40 12,60 10,40
FLANDRE ORIENTALE
Villes ( lre catégorie) 61 7 11 7 257 — 7,40 8,10
Villes (2e catégorie) 22 18 142 25 0 6,50 9,10 5,40
Villes. (3e catégorie) 92 — 99 25 0 14,40 14,30 10,40
Campagnes ( l re catégorie) 5 28 122 24 6 — 6,90 7,80
Cam pagnes. (2e catégorie) — 103 73 26 2 8,70 12,10 6,10
Cam pagnes. (3e catégorie) 22 50 14 6 25 2 13,05 10,40 10,40
Ouvriers employés aux travaux publics (l,re cat.) — — 17 7 36 4 — 5,20 ?
Ouvriers em ployés aux travaux publics (2e cat.) 16 7 — — 31 2 31,20 5,20 p
Ouvriers employés aux travaux publics (3e cat.) 146 — — 31 2 41 ,60 10,40 ?
ANVERS
Villes ( l re catégorie) 10,40 72,80 — 437 — 5,20 p
(3e catégorie) 31 ,20 72,80 — 49 9 10,40 10,40 10*40Camp agnes ( lre catégorie) — — 286 56 1 1,20 2 ,60 5,20
(3e catégorie) — — 26 2 78 0 20 ,80 10,40 6,24
LIMBOURG
Campagnes ( l rc catégorie) — — 20 1 40 0 — 3 6
(2e catégorie) — — 21 3 49 0 6,30 6,90 4,80
(3e catégorie) — 219 — 51 0 10,40 10,40 4
BRABANT
Arrondissement de Bruxelles
Cam pagnes ( l re catégorie) — — 23 0 37 5 — 6,40 3,50
(2e catégorie) 30 — 222 37 6 8,80 8,06 3,90
(3e catégorie) 15 44 19 0 37 5 17,70 11,45 7,80
Arrondissement de Louvain
Cam pagnes ( l re catégorie) — — 20 4 40 8 — 5,03 2,70
(2e catégorie) 4,50 — 19 2 381 6 ,50 8,50 4,30
(3e catégorie) 14,30 — 18 0 35 9 11 12,60 4 ,30
Arron4issement de NivellesCampagnes ( lre catégorie) — — 27 8 327 — 5,05 4,50
(2e catégorie) 2 128 172 33 0 12 8,25 6,30
(3e catégorie) 123 14 4 46 333 24 ,40 12,80 7,95
Villes ( lre catégorie) — 20 8 — 17 7 — 2 ,60 1,60
(2e catégorie) — 21 8 — 21 8 — 2,10 1,60
(3e catégorie) 18 7 — — 146 5,20 5,20 2 ,60
HAINAUT
Ouvriers d’industrie, mines, usines, etc. (2e cat.) 183 20 23 23 3 12,50 14,60 6,80
(3e cat.) 23 2 52 — 276 13,70 15,70 8,30
Ville de M ons ( l re catégorie) — 17 7 — 73 5 ,20 5,20 5,20
(2e catégorie) 162 — — 13 0 10,40 5,20 5 ,20
(3e catégorie) 16 2 — — 13 0 20 ,80 10,40 5,20
LIEGE
Ville de Liège et environs
Ouvriers d’industrie, mines, u sines, etc. ( l re cat.) — — 18 4 26 0 4 ,50 10,40 4,50
(2e cat.) 20 2 28 — 2 10 10 13,50 5,20
(3e cat.) 23 7 — — 20 3 25 20 ,80 9,10
Cam pagnes ( l re catégorie) — — 21 9 26 0 — 10,20 5,20
(2e catégorie) — 24 0 — 260 10,40 15,60 7,80
(3e catégorie) — 24 0 — 26 0 15,60 20 ,40 10,40
NAMUR
Villes ( lre catégorie) 131 54 — 11 4 2 2,25 3(2e catégorie) 15 6 — — 14 6 7,60 7,60 2(3e catégorie) 162 — — 23 8 14,30 8 ,30 4
Campagn es ( lre catégorie) — — 21 9 210 — 3 2(2e catégorie) 102 43 54 29 6 3,20 8,20 4(3e catégorie) 14 6 — — 219 26 10,40 7,80
LUXEMBOURGVilles et campagne s ( l re catégorie) 35 59 13 4 330 — 5,70 4,40
(2è catégorie) 35 92 12 0 32 1 4 ,30 8,60 5,40
(3e catégorie) 101 15 6 — 34 4 20 ,90 12,10 8,10
LE ROYAUME
MOYENNE GENERALE 66 47 98 31 2 9,60 9 5
(1) La consommation des enfants en bas âge est calculée à raison de deux enfants pour un adulte.
(2) Le pain de méteil est composé de moitié froment et de moitié seigle.
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Table des matières
L A PO PU L A T IO N O U V R IÈ R E E N B E L G IQ U E A U 1 9 e SIÈ C LE . 7
C hap itre 1er. Les ouvriers lin ie rs .................................................................... 15
Les types de travailleurs dans le l in ....................................................... 15
Une industr ie s tagnante ......................... *..................................................... 1 7
Les b o u rgeo is con tr e les m écaniq ues ..................«.................................. 1 9
La sa l ive humaine, atout du capita l i sme commercia l .......... .. 2 0
M ora lité , religion, ordre social , argum ents capital istes ............... 2 1
C hapitre 2 . Les ouvriers h ou il le u rs ............................................................... 2 3
Le travai l en «bande» des premiers houi l leurs .............................. 2 3
E x p lo ités par les p roprié ta ir es fo ncie rs ................................................ 2 5
L’o b st a c le de l ’ea u les so u m e t a u x m ar ch an ds ................................. 2 6
Les a sso cié s fo n t trav ailler , les ou vrie rs tr av aille n t ....................... 3 0
L’organisat ion capital iste des charbonnages est en place dès le
1 8 e siè cle ........................................................................................................... 3 2
Les ou vriers, do m estiques des « autres » ............................................. 3 4
La nouvel le noblesse ................................... .............. : .................................. 3 5
C hapitre 3 . Les ouvriers à d o m ic ile ............................................................... 4 0
Le cap italiste m archand réduit l ’art isan au rang de salarié . . . 4 0
On n’a même pas est imé nécessaire de les dénombrer...............
4 3
Chapitre 4. Les journaliers et les domestiques .............................. ......... 4 8
7/23/2019 Jean Neuville - La condition ouvrière au XIXe siècle (Tome 1: L'ouvrier objet)
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L ’O U V R I E R E ST U N O B J E T ............................................. .............................. 5 3
Chapi tre 5 . Une misère incommensurable ................................................ 5 7
Le paupérism e au 1 8 e si ècle ......................................................................... 5 8Le paup érism e au 1 9 e siècle ......................................................................... 6 0
U n prem ier tém oign ag e : l ’enq uête de 1 8 4 0 sur l’industrie l inière 74
« En restant assis , ils gag nen t au tant q u ’en travail lant » . . . 75
« La classe la plus m alheu reu se est cel le qui ne m end ie pa s » . . 76
«J’en vois qui pleurent, qui désirent que cela f inisse d’une
m aniè re o u d e l’au tre» ......................................................................... 78
« Il y a des m aisons où on ne trouv e pas de li t, ce so nt des
feu illes d ’arb res... » 7 9
Chapi tre 6 . Un témoignage es sent ie l : l ’ enquête de 1843 sur la
condi t ion ouvrière .......................................... 81
1 . T h e b e l g i a n w a y o f l i f e ........................................................................... .. 82
Le m enu de l’o uvrie r ........................................................................................ 8 2
La pro m otion im m obil ière : bidon vi lles et « c loaqu es im m on des » 96Un espoir de vie moins grand que sur le champ de batai l le de
W at er loo ............................................... 103
Il faut éloigner les poules de l’usine, sinon elle crèvent ............. 1 0 9
« L ’ouv rier qu i ch erch e sa vie d ans le travail, y renc on tre de
nom breuses chances de maladies ou de m ort» .................... 1 1 7
Le truck System, forme de surexploitation de l’ouvrier ............. 1 2 0
2 . U â g e d e V i n s o u c i a n c e a v a n t V i n v e n t i o n d e l a « p o l i t i q u e f a m i
l i a l e » ....................................... 121
Sur quatre ouv riers : un en fan t .................................................................. 121
Le déb ut de la carrière ouvrière : six ans, m ais, de préféren ce
après la prem ière co m m union ce qui ^ i t e les « crédits
d ’heures » pou r al ler au c atéch ism e .................................................. 128
« Q uan d les travau x n e sont Q UE de do uz e heures , les enfants
ne se p la ig n en t pas de la fa tigu e ......................................................... 1 3 2L’enfant , pet i t moteur é lectrique de la machine du 19e s iècle ,
ou jeune lam ineur « do nt la f ibre m usculaire es t pu isam m ent
s timu lée par la crainte du da n ge r» , ou jeune houi l leur « qu ’il
est crue llem ent uti le de faire descen dre de bo nn e heure » . . 13 8
C hap itre 7. La s ituation après un qu art de s iècle de progrès
industriel .................................• ................................... .................... 1 4 6
1 . L e s m u t a t i o n s d a n s l a p o p u l a t i o n o u v r i è r e ................................... . . 1 4 7
« Ils éta ient m orts m ais n e s’étaien t pa s p laints » ......................... 1 4 9
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M ig ra tio n p ro fe ssio n n elle à re bours ........................................................ 1 5 0
Les groupes l es p lus nombreux ......................... ....................................... 1 5 2
Les ouvriers dans la gran de in dustrie ................................................... 155
2 . V e r s 1 8 6 5 , l a m i s è r e n ' a p a s r e c u l é ........................................................ 1 5 6
Là où l’ industrie a amélioré la s ituation, c’est surtout pour les
classes aisées ..................................................................................................... 1 5 7
La situ a tion a lim enta ire s ’est détério ré e .............................................. 161
La vie du poisson trente fois plus protégée que cel le des tra
vail le urs ............................................................................................................... 1 6 6
L a «p rom ot ion im m obi lière» n ’a pas changé ................................. 1 6 7
« A vec le petit carré de ch ou x s i m oralisateur. . . » .................. .. 1 7 0
3 . L a c o n d i t i o n d e s o u v r i è r e s d e n t e l l i è r e s .......... ..................................... 173
Ouvrières dentellières à quatre ans, mais il y a des intervalles de
repos pour apprendre des cant iques .................................................. 1 7 4
La santé est l ’ex cep tion, l ’état de m aladie la règle génér ale . . 17 8
Chapitre 8. La condit ion des ouvriers houil leurs à la vei l le de laguerr e de 1 8 7 0 .............................................................................. 1 8 0
1 . L e t r a v a i l d e s e n f a n t s d a n s l e s m i n e s ..................................................... 1 8 0
Le congrès d’hygiène publ ique de 185 1 l ’ava it évo qu é en paral
lèle avec le travail des enfants dentelliers ..................................... 1 8 0
L’Enquête de l ’Académie de médecine sur l ’emploi des femmes
d ans les tr avau x so uterr a ins des m ines ........................................... 183
Les causes .......... ; ................... ........................................................................ 1 84
L e genre de tr avail eff ectu é .................................................................... 1 8 6
Une forte mortalité infanti lë ................................................................. 1 8 7
«Les plus bel les f i l les appartiennent d’abord aux maîtres
ouvriers» ......... 18 8
Que faire? ........................... 1 9 0
2 . L a s a l u b r i t é d e s c h a r b o n n a g e s s ' e s t - e l l e a m é l i o r é e ? .................... 1 9 2
La «période de salubrité» des charbonnages ................................... 1 9 2
La réaction des Associations charbonnières à l ’enquête de l’Aca
démie ------ \ ........................................................................................................ 195
U n m éd ec in de ch ar b on n ag e br ou illé av ec D esc ar tes .................. 19 8
3 . L ' e n q u ê t e d u d é p a r t e m e n t d e s t r a v a u x p u b l i c s e n 1 8 6 9 .......... 2 0 6
Les ingén ieurs d es m ines co ntre les « exa géra tions » de l’A ca
d ém ie ................................................................................................................... 2 0 8Des magas ins patronaux, mais bains et lavoirs prat iquement
in ex is ta n ts ............................................... 2 0 9
Les influences « fâ cheu se s » et les au tres ........................................ 2 1 0
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Chapitre 9. L’enquête de 1870 sur le travail des enfants .......... .... 2 1 2
Des centaines d’enfants de moins de 8 ans , des mi l l iers de moinsde 14 ans ........................................................................................................... 2 1 4
U n n iv eau d ’instr u ction p resque nul ..................................................... 2 1 9
Les cause s du travail des enfants se lon la classe « aisé e» ------ 2 2 1
Les progrès de l ’ idée de réglementation ................................................ 2 2 1
L ’O U V R IE R M É PR IS É ....................................................................................... 2 2 5
« L ’ouvrier est un véritable ou ti l qui s’use ou se ro m pt » ------ 2 2 7
Les enfants ouvriers sont- i ls m a ltra i tés ? ............... ................................ 2 2 8
« Il n ’a m êm e p as le m érite de la ré sign ation » .............................. 2 3 2
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D/l 976/0029/7
Imprimé en Belgique
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Achevé d'imprimer le 15 décembre 1976
sur les presses de GED1T S.A.
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