montmorency. histoire d'une communauté ouvrière

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MONTMORENCY Histoire d’une communauté ouvrière Jean-François Simard SEPTENTRION Préface de Fernand Daoust Extrait de la publication

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Page 1: Montmorency. Histoire d'une communauté ouvrière

MONTMORENCYHistoire d’une communauté ouvrière

Jean-François Simard

S E P T E N T R I O N

Préface de Fernand Daoust

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montmorency

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Jean-François Simard

montmorencyHistoire d’une communauté ouvrière

Préface de Fernand Daoustancien président de la Fédération des travailleurs du Québec

septentrion

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Les éditions du Septentrion remercient le Conseil des Arts du Canada et la Société de dévelop-pement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour le soutien accordé à leur pro-gramme d’édition, ainsi que le gouvernement du Québec pour son Programme de crédit d’impôtpour l’édition de livres. Nous reconnaissons également l’aide financière du gouvernement duCanada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition(PADIÉ) pour nos activités d’édition.

Illustrations de couverture : vues de la chute Montmorency, photos Pierre Lahoud ; la Dominiontextile, détail de la photographie aérienne de la chute Montmorency par la Compagnie aériennefranco-canadienne, vers 1930, Archives nationales du Québec, no N47-22A.

Révision : Solange Deschênes

Mise en pages : Folio infographie

Si vous désirez être tenu au courant des publicationsdes ÉDITIONS DU SEPTENTRION

vous pouvez nous écrire au1300, av. Maguire, Sillery (Québec) G1T 1Z3

ou par télécopieur (418) 527-4978ou consultez notre catalogue sur Internet :

www.septentrion.qc.ca

© Les éditions du Septentrion Diffusion au Canada :1300, av. Maguire Diffusion DimediaSillery (Québec) 539, boul. LebeauG1T 1Z3 Saint-Laurent (Québec)

H4N 1S2

Dépôt légal – 1er trimestre 2001 Ventes en Europe :Bibliothèque nationale du Québec Librairie du QuébecISBN 2-89448-172-1 30, rue Gay-Lussac

75005 Paris

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À Fernand Dumont

« Car j’aimerais bien, je n’aimerais que cela,écrire un livre sur Montmorency. »

Fernand Dumont (1972)

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La rue de l’Église(coll. privée)

La chute Montmorency (coll. privée)

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préface

Il faut lire cet ouvrage pour découvrir la fresque émouvante de lavie des gens humbles et attachants de ce pays qui se sont établis au

cours des ans à Saint-Grégoire-de-Montmorency. Jean-François Simard,par un remarquable travail de recherche minutieuse et parfois inédite,brosse un saisissant tableau d’une petite société qui souffre, qui peinemais qui rêve aussi tout au long de ses inépuisables générations éche-lonnées sur près de deux siècles.

C’est d’abord sous le Régime français que le peuplement prendforme. Une spectaculaire chute d’une rivière qui se jette dans le Saint-Laurent à quelques kilomètres à l’est de Québec attira l’attention deSamuel de Champlain qui lui donna le nom de « Sault de Montmo-rency ». Et puis vint la Conquête qui fut précédée par des affrontementsqui marquent l’imaginaire collectif puisque, au cours de l’été 1759, lestroupes de Wolfe subirent une lourde défaite lors de la bataille deMontmorency. Cependant ce dernier prit sa revanche, lors de la batailledes plaines d’Abraham, qui scellera le sort de la Nouvelle-France, quidevint une colonie de la Couronne britannique en 1763.

Au cours du demi-siècle suivant, la situation géographique de l’en-droit avec ses voies de communications — le fleuve et la route —, sesressources forestières et hydrauliques abondantes et la présence d’unemain-d’œuvre disponible dans la région, de souche rurale et habituéeaux durs labeurs, attira des industriels anglophones entreprenants quiconstruisirent un moulin à scie, devenant très prospère, compte tenu desmarchés d’exportation qui s’ouvraient à ce moment-là aux produits dubois. C’est le début de la période préindustrielle qui s’amorce pour lestravailleurs de Montmorency. C’est la conscience ouvrière aussi quicommence à se manifester.

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À tel point que les ouvriers de cette scierie, las des conditions detravail inacceptables et des salaires trop bas, vont recourir à une grève en1876 qui dérangera les bien-pensants du coin. Ce geste spontané de soli-darité, sans encadrement syndical, sera dénoncé par le journal Le Cana-dien et assimilé à rien d’autre qu’une mutinerie faisant du patron le seulmaître à bord.

Cette grève, premier acte de rejet de l’exploitation, fut cependant decourte durée. La soumission et la fidélité à l’employeur, le souci d’hono-rer ses devoirs d’employés sont des vertus valorisées, rappelle l’auteur. Etces sentiments portés par les élites locales serviront d’éteignoir auxvelléités d’affirmation qui couvaient dans la population ouvrière.

Des difficultés liées à la conjoncture économique de l’époque eurentraison de cette entreprise à la fin du siècle dernier. À peu près au mêmemoment, la Montmorency Cotton Mills Company Limited assura larelance économique de la petite localité en construisant une filature decoton en 1886. Une vingtaine d’années plus tard (1905), cette filaturepassa aux mains de la Dominion Textile, une importante société dansl’industrie textile possédant de multiples usines en Ontario et au Québecet qui deviendra le chef de file dans son domaine.

L’usine de Montmorency sera le fleuron de cette puissante société etses travailleurs et travailleuses entrent de plain-pied dans la modernitéindustrielle bien qu’ils vivent dans un environnement plutôt rural. Lecaractère identitaire de Montmorency prend forme, se révèle, se précise.

Rappelons qu’une certaine conscience de classe se manifesta de façonoriginale et inédite par la fondation d’une section des Chevaliers dutravail qui s’accompagne d’un arrêt de travail en 1900.

Les Chevaliers du travail, dont l’origine est américaine, véhiculentune idéologie qui fait frémir l’épiscopat du temps, pour qui de tels mou-vements qui osent avoir recours à la grève ont l’outrecuidance de vouloirempiéter sur les droits des patrons !

N’oublions pas que nous sommes au début du siècle et l’Église estjalouse du pouvoir qu’elle exerce sur ses ouailles et sur l’organisationsociale.

Une grande usine est donc créée. Elle constitue certes le point centralde développement mais dans le même temps elle cristallise de légitimesmécontentements. En effet, nombre de travailleurs et travailleuses viventune condition ouvrière difficile dans la filature de coton. La pénibilité destâches, les salaires de famine, les conditions de santé déplorables du

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milieu de travail ravivent la combativité des salariés qui déclencheront demultiples arrêts de travail dans les deux premières décennies du siècle.

Les diverses tentatives de créer un syndicat avec l’appui, la solidaritéet les moyens de lutte d’autres syndicats internationaux ou militant dansle même secteur échoueront à cause de l’opposition manifeste du clergéà l’égard de ces syndicats qualifiés de « neutres » parce qu’ils sont nonconfessionnels.

Ce n’est qu’en 1935 — trente ans après que la Dominion Textile sesoit implantée à Montmorency — qu’avec l’appui de la Confédération detravailleurs catholiques du Canada un syndicat prit racine dans cetteusine et que s’atténue l’opposition du clergé, revenu ainsi à de meilleurssentiments quant à l’existence d’un contre-pouvoir dans cette grandeusine.

Les travailleurs et les travailleuses de Montmorency se sont enfindonné un instrument de défense approprié, en mesure de véhiculer leursrevendications et d’appuyer les multiples luttes épiques qui ont marquéprofondément le milieu de ce coin de pays et qui rejoignirent ainsi lescombats menés par des syndicats de diverses allégeances dans d’autresusines de la Dominion Textile, aussi bien au Québec qu’en Ontario.

La filature de coton à Montmorency a vécu une bonne demi-douzaine de débrayages en une trentaine d’années, dont la dure grève dequatre mois en 1966 qui fut la plus longue de tous les conflits ouvriers decette usine. On lira avec intérêt les descriptions que fait Jean-FrançoisSimard de la condition ouvrière car elles nous font mesurer à quel pointon a pu abuser non seulement de la santé mais de la dignité de cescentaines d’hommes et de femmes qui ont donné le meilleur de leur vieactive à une entreprise qui a sans aucun doute engrangé sur leur dos defabuleux dividendes pour l’époque.

L’histoire de ces hommes et de ces femmes qui ont vécu à Mont-morency fait partie de notre patrimoine collectif. Elle appartient à tout leQuébec. Les luttes qu’ils ont menées, les deuils qu’ils ont vécus suite à desfermetures d’usine, les stigmates qu’ils ont connus aussi bien sur le planpsychologique que physique découlant de la dure condition ouvrière, lesespoirs et les rêves qui les ont accompagnés n’auront pas été vains. Ils ontcertainement fait avancer l’idée que la cause ouvrière ne peut pas êtredéfendue sans que soient livrés des combats pour une plus grande justicesociale à l’endroit de ceux et de celles qui sont les producteurs derichesse.

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En rappelant les péripéties de ces luttes, l’auteur a su nous convier àun devoir de mémoire, d’attachement et de reconnaissance envers unpetit coin attachant du pays dont le labeur et le sens de la dignité de seshabitants ont contribué à forger l’authenticité d’un peuple et à perpétuerses valeurs d’endurance et de solidarité.

Cela nous renvoie à l’apport dans ce domaine du plus éminent socio-logue québécois contemporain, Fernand Dumont, un fils du pays et deMontmorency qui s’est largement inspiré de ce que son père et ses pro-ches ont vécu et peiné dur dans ces usines de la région. Ses travaux surla société québécoise, ses analyses de nos comportements, sa lucidité etses réflexions sur le devenir du Québec ont été largement influencés parles particularités de ces milieux de vie.

C’est à une épopée de la même veine que nous convie cet autre filsdu pays, Jean-François Simard auquel, après avoir lu cet ouvrage, noustémoignons nos éloges et nos remerciements amplement mérités.

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introduction

« Les institutions, comme les hommes d’ailleurs, prennent consciencede ce qu’elles sont et de ce qu’elles peuvent devenir en se redisant

leur expérience. Et toute expérience, parce que ancrée dansla temporalité, se réduit à une suite d’événements, donc à une histoire. »

Hamelin, 1995 : XI

J’ai grandi non loin de Montmorency. J’ai toujours été fasciné parce quartier à quelques égards mythique. Je dois sans doute cette fasci-

nation, cet attachement même, à ma famille. Mon grand-père Benoît futlongtemps gérant du centre d’emploi de l’endroit. La sœur de ma grand-mère était l’épouse du maire du village. Mon grand-oncle Albert travaillaà la Dominion Textile pendant cinquante ans. Ma tante Micheline ybesogna aussi du temps qu’elle «était fille».

Mon engagement politique me permit de diversifier et d’enrichir lesrelations que j’entretenais avec les gens de ce patelin. De ces nombreusesrencontres et multiples complicités sont nées de profondes amitiés. Mesfonctions de député m’amènent désormais à connaître encore plus inti-mement Montmorency, en partageant au quotidien les angoisses, lesdéceptions, les difficultés mais aussi les besoins, les joies et les rêves de ceshabitants.

Les gens de Montmorency ont la parole facile. On se laisse rapi-dement séduire par le verbe de ces bons conteurs. Là-bas, les anecdotessont légion. Autant d’histoires à travers lesquelles se révèle ce queFernand Dumont appelait tendrement son pays natal. J’espère d’ailleursque cet ouvrage, en nous permettant de mieux comprendre cet universde vie dont Dumont n’a jamais cessé de se réclamer, pourra aussi nousaider à mieux saisir l’homme de science qu’il était.

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Étudier l’histoire d’une communauté appelle le sociologue à mettreen scène des acteurs et des phénomènes sociaux comme un romancier lefait de ses personnages.

Le roman, même de facture historique, accentue et colore à souhaitdes aspects de la vie. La fantaisie de l’auteur est le moteur de l’histoire, cequi du reste donne à l’écriture toute sa manière et sa matière. La mono-graphie est de nature beaucoup plus modeste que le roman. Son ambi-tion première est de cerner une dimension précise de la société, sans ladénaturer. Le roman nous permet de rêver, la monographie de contem-pler une réalité dans ce qu’elle a de plus routinier comme dans ce qu’ellea de plus grandiose.

Cet ouvrage s’intéresse à l’essor puis au déclin d’une petite commu-nauté ouvrière, dans sa relation au double mouvement d’industria-lisation et de désindustrialisation qui a rythmé l’histoire du capitalisme,au cours du dernier siècle. Dès lors que vous avez fait la connaissanced’une personne native de Montmorency, elle ne pourra pas ne pas évo-quer avec vous le temps de la vie à l’usine. Et vous ne pourrez pas ne pasressentir avec elle la nostalgie d’une époque révolue… Mais commel’exprime John Lukacs (1998 :xii) dans l’une de ses plus récentes paru-tions, contrairement à une certaine prétention scientifique, il n’y a pas derésultat final dans la recherche et l’écriture de l’histoire. En ce sens, àl’instar du roman, la monographie peut elle aussi contenir une intrigue.Elle est en l’occurrence ici toute simple à énoncer, mais combien com-plexe à élucider: une communauté peut-elle survivre à la perte de ce quiétait au cœur de son identité ?

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Première partie

le travail comme fondementcommunautaire du lien social

« L’organisation matérielle et morale de la populationouvrière et la nature de ses travaux forment un

des traits caractéristiques de la constitution des sociétés. »

Frédéric Le Play (1879 :208)

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Les « filatures de coton » vues de la falaise (coll. privée)

La « bâtisse du pouvoir électrique » (coll. privée)

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Chapitre premier

montmorencyavant l’ infusion de l’âme

Théologiens et philosophes s’interrogent lorsqu’il s’agit dedéterminer le moment de la vie embryonnaire où l’âme humaine est

créée. Par inférence théorique, le sociologue est appelé à se questionnersur ce moment à partir duquel le développement d’un groupe humainest assez élaboré et significatif pour constituer une communauté. Essayerde rendre objectivement observable la constitution de telles référencesoblige le chercheur à puiser dans la mémoire collective, ce qui fait dire àBusino (1986 :21) qu’il n’y a pas de sociologie sans histoire et pas d’his-toire sans sociologie.

Montmorency : un lieu au cachet historique

Montmorency, comme site géographique, fut un témoin privilégié :l’arrivée de Samuel de Champlain et le début d’une véritable colonisationen Nouvelle-France, la bataille de Montmorency et l’établissement del’aristocratie anglaise avec le gouverneur Haldimand.

Une chute baptisée par Samuel de Champlain

Au xixe siècle, les finances publiques de la France étaient dans un étatprécaire. Les subsides consentis au projet de colonisation de la Nouvelle-France se faisaient plutôt rares. Notamment pour cette raison, il étaitd’usage pour l’explorateur, afin d’obtenir les faveurs de la Cour, de bap-tiser du nom de ses protecteurs et bienfaiteurs des sites dignes d’intérêt(Poirier, 1982 :10). C’est ainsi que, sur une carte des environs de Québec

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qu’il confectionna en 1613, Samuel de Champlain dénomme l’immensetorrent d’eau situé en face de l’extrémité ouest de l’ile d’Orléans « le Saultde Montmorency » (Magnan, 1925 :422). L’historien Pierre-Georges Roy(1906 :439) précise au sujet de cette appellation dédicatoire que :

« C’est en l’honneur de Charles de Montmorency, Chevalier des Ordres duroi, Seigneur d’Ampville et de Meru, Comte de Secondigny, Vicomte deMelun, Baron de Châteauneuf et de Gouart, Amiral de France et deBretagne, que le fondateur de la Nouvelle-France nomma ainsi ce Sault. CeMontmorency était alors vice-roi de la Nouvelle-France. »

L’importance assez considérable qu’accordent les monographies trai-tant de Montmorency à cette référence historique est bien sûr anecdo-tique. Mais, comme toute anecdote, elle est révélatrice. En l’occurrence,elle reflète ici le lien étroit qui a toujours existé entre la « chute Mont-morency » et la communauté sise à ses pieds1.

La rivière séparant Wolfe de Montcalm

À maints égards, Montmorency entre dans l’histoire. Au premier chef,rappelons ces « hauts faits d’armes qui ont vu l’Armée française rem-porter une brillante victoire contre les troupes britanniques beaucoupplus nombreuses et plus puissantes, tant en hommes qu’en matériel »(Pouliot, 1944 :5-6). Au cours de l’été 1759, à l’endroit même où s’estconstruite la paroisse de Montmorency, Wolfe, pressé par l’approche del’hiver, décida d’attaquer Montcalm de front, alors stationné tout près,dans le camp de Beauport.

L’Histoire du Canada (1914 :284-285), rédigée par les Frères desÉcoles chrétiennes, a marqué l’imaginaire collectif local. La majorité desmonographies consultées qui font référence à la « bataille de Montmo-rency » s’en inspirent allègrement2. Voici le célèbre extrait à partir duquel

1. L’historicité des lieux se confirme aussi par le fait que Montmorency est partie inté-grante de la première seigneurie de la Nouvelle-France (celle de Beauport), octroyée en1634 au médecin Robert Giffard (Giroux, 1934). Mais comme nous le verrons plus tard,il n’y a jamais eu de véritable vie typiquement locale, dotée d’une organisation socialerelativement développée et singulière sur l’actuel territoire de Montmorency avant lemilieu du xixe siècle.2. Bhérer (1940 :67-68), qui plagia certains passages de L’Histoire du Canada (1914) desFrères des Écoles chrétiennes, sera à son tour plagié par de nombreux thésards de

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les Grégoriens nés avant la Deuxième Guerre mondiale se remémorentavec fierté l’historicité des lieux qu’ils habitent :

« Bataille de Montmorency. — Québec était en ruines, les campagnes envi-ronnantes avaient été dévastées ; Dumas, avec un millier d’hommes, occu-pait les hauteurs du cap Rouge, tandis que Montcalm paraissait s’être immo-bilisé avec son armée dans le camp de Beauport. Wolfe, voyant la saisonavancée, résolut d’attaquer Montcalm de front. Le matin du 31 juillet, àmarée haute, on vit le Centurion, de 60 canons, venir mouiller au large pourde là ouvrir le feu sur le camp français. Deux transports, armés chacun de14 canons, s’approchèrent le plus possible de la côte pour tirer sur lapremière redoute et s’échouèrent avec le jusant, qui les laissa complètementà sec dans la vase. De plus, une batterie de 60 pièces, perchée sur la crête dela côte, ouvrait, sans cependant beaucoup de succès, une canonnadefurieuse sur le flanc des retranchements français. Les Canadiens, sansbroncher, gardèrent leurs positions. Les batteries du Centurion, des deuxtransports et de la côte de Montmorency — environ cent dix-huit pièces entout — recommencèrent le feu avec une ardeur décidée. En même temps,celles de la Pointe de Lévy tonnaient contre la ville. Les batteries françaises,très faibles, ripostèrent prestement. Ce fut pendant ce tintamarre étour-dissant qu’une colonne anglaise de 2000 hommes mit pied à terre sur lagrève boueuse du saut et s’avança au pas de course vers la redoute française,située au pied de la côte. Cette colonne fut immédiatement suivie d’autrescorps, qui portèrent le chiffre des assaillants au total de 6000. Les premiersarrivés à la redoute l’attaquèrent sans attendre le commandement. Aux pre-miers coups, les Français se retirèrent, mais dès que les Anglais furentmaîtres de la place, des milliers de mousquets, des hauteurs voisines, firenttomber sur eux une grêle de balles. Les Anglais, tentant d’escalader l’escar-pement, furent violemment repoussés, et l’on vit morts et blessés roulerpêle-mêle sur le flanc du coteau. Les colonnes anglaises se rompirent etprirent la fuite. Une pluie torrentielle survint alors pendant laquelle Wolfe,comprenant qu’il ne pouvait avancer, ordonna la retraite, qui se fit en bonordre. La pluie cessa, et les sauvages dévalèrent précipitamment du coteaupour scalper ceux qui étaient tombés. Après avoir mis le feu aux deuxtransports, les Anglais se retirèrent le long des battures et à travers la rivière.Dans cette infructueuse attaque, où l’on tira au moins 3000 coups de canonsans compter les bombes et les grenades, Wolfe perdit quatre à cinq cents deses meilleurs soldats. »

l’Université Laval et ce, jusqu’au début des années quatre-vingt. C’est dire l’importance decette référence dans la mémoire collective locale.

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Cette défaite de l’armée anglaise précipita l’ultime offensive menéepar Wolfe, cette fois-ci lors du célèbre débarquement nocturne à l’anse auFoulon, qui culmina par un affrontement sur les plaines d’Abraham, le17 septembre 1759. Cette bataille devra ultimement conduire à la cessiondéfinitive de la Nouvelle-France à la Couronne britannique par le traitéde Paris en 1763. Mais, pour le jeune lecteur de Montmorency quicontemple le passé avec trois siècles de recul, l’honneur des lieux est sauf !Car l’histoire a fait de la bataille de Montmorency un symbole de larésistance à l’hégémonie britannique.

Le refuge de la Dame Blanche3

La légende de la Dame Blanche est associée à la bataille de Montmorency.Elle rappelle le destin tragique d’une jeune fille de Beauport et celui deson fiancé, un soldat du détachement de la marine, affecté aux avant-postes de l’armée française, sise au bord de la falaise.

Au soir de la bataille, lorsque l’on fit le décompte des pertes en vieshumaines, le soldat ne répondait plus à l’appel. Il était introuvable. Maisla fille gardait l’espoir de le revoir vivant. Car, après tout, les Anglaisauraient pu le constituer prisonnier.

Dans les jours qui suivirent, alors qu’elle cherchait désespérémentson amant, elle retrouva le corps de celui-ci inanimé, aux abords de larivière Montmorency. Atterrée par ce malheur, on aperçut la villageoise,vêtue de la blanche robe qu’elle portait le jour de ses fiançailles, errer desjours durant jusqu’à ce que le chagrin et la folie ne l’emportent dans lesabîmes de la chute…

Mais la Dame Blanche n’est jamais totalement disparue. Depuis cetemps, les habitants de l’île d’Orléans disent apercevoir, les soirs sanslune, une étrange forme blanche se promener au pied du majestueuxprécipice. D’autres encore, l’hiver venu, prétendent distinguer sa sil-houette dans les glaces de la chute4.

3. Quelles sont les véritables origines de la légende de la Dame Blanche de la chuteMontmorency ? Nous n’en avons aucune assurance. Comme il en avait l’habitude, l’histo-rien et archiviste Pierre-Georges Roy ([1928] 1976 :485), qui a fait revivre la légende enl’incorporant à sa monographie sur l’île d’Orléans, ne cite pas ses sources avec précision.Tout au plus insinue-t-il en avoir pris connaissance dans Les Soirées canadiennes, qui ontfait leur apparition en 1861.4. La légende a été partiellement récupérée. D’abord, au début des années 1990, ungroupe de citoyens principalement composé de résidents de la côte de Beaupré, de

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Rétablir un lien piétonnier avec la chute 206Réaménager le boulevard Sainte-Anne, secteur Montmorency 207Vers une identité postindustrielle 209

synthèse historique 211Première période : l’ère pré-industrielle

et précommunautaire (1812-1889) 211Deuxième période : l’ère industrielle

et communautaire (1890-1986) 214Un « exil intérieur » : 1890-1947 214La décommunautarisation tranquille : 1948-1986 217

Troisième période : une ère à la recherche de nouveaux repères,l’époque postindustrielle (1987 à nos jours) 218

bibliographie 221Ouvrages et articles généraux 221Monographies traitant partiellement

ou entièrement de Montmorency 234Films et matériel audiovisuel 236

Extrait de la publication

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composé en minion corps 10,8selon une maquette réalisée par josée lalancette

et achevé d’imprimer en mars 2001sur les presses de agmv-marquis

à cap-saint-ignacepour le compte de gaston deschêneséditeur à l’enseigne du septentrion

Extrait de la publication