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Journal d’Etudiant(e)s en Science Politique et Relations Internationales 09 DOSSIER AVEC DES SI...

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Avec des si... : notre dossier

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Journal d’Etudiant(e)s en Science Politique et Relations Internationales

09

DOSSIER

AVEC DES SI...

Page 2: International Ink n°9

INTERNATIONAL.ink – n°09Novembre 2010

Edité par l’Association des Etudiants en Science Politique et en Relations Internationales (AESPRI).

Imprimé par l’atelier d’impressionCominpress

Financé par la Commission deGestion des Taxes Fixes (CGTF)

RÉDACTION

CoordinateursAude Fellay, Mohamed Musadak

Rédacteurs externesClément Bürge, Antoine Roth

MembresAdrià Budry Carbó, Aude Fellay,Aurélia Bernard, Cindy Helfer,Claire Camblain, Damien Callegari,Fabien Kaufmann, Lukas à Porta,Marie Nicolet, Matthieu Heiniger,Michaël Wicki, Romain Roustant,Sophie Fellay, Victoria Barras, Youri Hanne, Rasan Cengiz

GraphisteThomas Betschart

IllustrateurMatthieu Heiniger

Photo de la page de titreMichaël Wicki

Site webwww.aespri.ch/journal

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SOMMAIRE

030406

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22

26

30Et venez visiter notre magnifique blog

http://international-ink.blogspot.com

ÉDITORIAL

DES PETITS PAS... DE LA CACOPHONIEÀ LA DANSE DE SALONLe dernier numéro, chers lecteurs, je me lamentais de la

cacophonie qui emplissait les murs de l’université et qui était

jouée, en cœur, par tous ses acteurs principaux mais c’est une

tout autre musique qui se fait entendre ces dernier temps au

sein de l’Alma Mater. Il faut dire que la berceuse que jouait la

troupe des SES ne rencontrait que peu de succès pour apaiser

les craintes du petit BARI. En effet, les étudiants par le biais

de l’AESPRI manifestaient leurs peurs grandissantes et légiti-

mes d’être laissés à l’abandon une fois leur bachelor en poche ;

les départements et facultés se livraient à une guerre sans

merci pour s’accaparer la manne financière que le BARI repré-

sente, tandis que certains professeurs se rendaient compte

du rachitisme académique que notre très cher bachelor avait

contracté à force d’être nourri de la soupe indigente d’un plan

d’études incohérent.

Rapidement, tous les acteurs de cette symphonie malheureuse

se rendirent compte que malgré l’énergie qu’ils y mettaient, le

résultat était aussi productif et mélodieux qu’un cloaque. La

panique des débuts du Bachelor en relations internationales

passée, l’AESPRI semble redécouvrir les vertus du pragma-

tisme. Il fallait oublier son adolescence agitée d’expérience

plus ou moins formatrice, comme un flirt avec le mouvement

« education is not for sale » ou une crise d’identité qui poussait

l’association à mimer la CUAE. Il fallait prendre conscience

qu’en politique, même à un niveau aussi humble que celui de

l’AESPRI, on ne doit jamais tourner le dos au dialogue, qu’il est

possible de faire des alliances de circonstances, que le jusqu’-

au-boutisme est rarement efficace et que toute revendication

s’obtient étape par étape, l’impatience étant une marque

d’immaturité…

Forte de ces nouvelles dispositions, l’AESPRI s’est jetée dans

la danse diplomatique à l’université l’année passée, et plus

particulièrement lors du second semestre, révélant à tous les

acteurs du débat sur le BARI, des charmes encore insoupçon-

nés chez cette jeune association. Tantôt active dans le conseil

participatif par le biais de « ses » élus, tantôt sollicitée par la

commission de direction du BARI, l’AESPRI à fait preuve de

beaucoup de sérieux, notamment avec un sondage dans le

cadre de la réflexion sur le BARI (plus de 300 étudiants son-

dés) ou encore en négociant âprement le nouveau règlement

d’études. Malheureusement, il faut reconnaitre aux détrac-

teurs de ses méthodes douces que les résultats n’étaient pas

à la hauteur des attentes. En effet, malgré quelques succès

comme le réaménagement des séminaires de relations inter-

nationales III A et B1 ainsi que l’accès aux étudiants du BARI

aux contrôles continus des cours donnés par la faculté de

droit, les résultats n’ont pas récompensés les efforts fournis :

le règlement d’étude est passé en force et le vaste sondage de

l’AESPRI a été royalement ignoré.

Alors que retenir finalement ? La réponse est simple : l’AESPRI

doit apprendre à danser. Si la politique est une danse,

encore faut-il pouvoir suivre le rythme et bien choisir ses cava-

liers. Surtout, lorsqu’on est jeune et vertueux, il faut être vigilant

et ne pas coucher dès le premier soir… On n'aurait plus de

vertu à défendre !

Mohamed Musadak

ÉDITORIAL• Des petits pas... De la cacophonie à• la danse de salon

PORTRAIT• Profil de Youssef Cassis

DOSSIER : ET SI ON METTAITPARIS EN BOUTEILLE ?• Et si le monde dans lequel nous vivons...• Et si les étudiants devaient véritablement• se mobiliser ?• Et si l'Usine fermait ses portes...• Et si Adam était né de la côte d'Eve ?• Et si l'Université était gratuite ?• Et si Faceplouc n'existait plus ?• Et si tout était écrit...

ZOOM :LA LIBERTÉ D'EXPRESSION• La liberté d'expression à travers le cas• de Dieudonné• Expressions d'une liberté

VIE UNIVERSITAIRE• La réforme du Bachelor en Relations• Internationales ou le mythe de Sisyphe• DÉBAT « Celui qui croit qu’une croissance• infinie est possible dans un monde fini• est soit un fou, soit un économiste »• Arm aber sexy

LES URBAINES• Quartier des Pâquis• L’humeur d’un jour• La goulache culturelle

REMPLISSAGE• Parce que l’inutile a son importance…

1 Il fallait jusqu’à maintenant réussir impérativement

1 le séminaire A pour suivre le séminaire B ce qui

1 décalait d’une année l’obtention du bachelor pour

1 les étudiants réalisant leur projet de recherche en

1 science politique et éliminait ceux d’entre eux qui

1 avaient redoublé leur première partie.

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PORTRAIT

PROFIL DE YOUSSEF CASSIS Damien Callegari & Antoine Roth

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A en croire Lamartine, rien n’enrichit plus que de beaucoup voyager, et de changer vingt fois la forme de sa pensée et de sa vie. Youssef Cassis ne pourra qu’approu-ver. Rencontre avec le professeur d’histoi-re économique et financière, qui quittera en décembre notre université pour l’insti-tut universitaire européen de Florence.

La matière du cours d’histoire financière internationale du professeur Cassis est en parfaite adéquation avec sa manière d’être et d’enseigner. Avec son assuran-ce nonchalante et son éloquence teintée d’ironie, on le prendrait pour un chief economist évadé d’une grande banque de la City de Londres. Pourtant, s’il a effectivement de fortes attaches avec la capitale anglaise et connaît comme per-sonne le milieu de la finance internatio-nale, Youssef Cassis n’a jamais quitté le monde académique.

Lorsque Youssef Cassis effectue sa li-cence en histoire à l’Université de Ge-nève dans les années 1970, il se définit comme maoïste et participe activement au débat estudiantin dans une atmos-phère très politisée. Il n’est cependant pas aveuglé en enfermé dans un anti-capitalisme dogmatique : son mémoire de licence en 1974 porte sur le milieu de la haute bourgeoisie, qu’il souhaitait ap-prendre à connaître pour mieux fonder sa critique. Ce premier travail éveille sa curiosité et le pousse à continuer à tra-vailler dans la même direction. Une fois assistant, ses recherches le mènent rapi-dement à Londres où, encouragé et suivi par l’historien britannique Eric Hobs-bawm, il écrit une thèse sur l’histoire des banquiers et du monde de la haute finance, dont est issu son livre Les ban-quiers de la City à l’époque édouardien-ne, 1890-1914. Le voici en quelque sorte passé de l’autre côté du miroir: jadis cri-tique des rouages du capitalisme, il en devient l’historien. Devenu maître assis-tant, il reçoit, à deux reprises, une bour-se du Fonds national pour la recherche scientifique (FNS), ce qui lui permettra de travailler à une histoire comparée du monde des grandes affaires en Angleter-re, France et Allemagne puis d’explorer l’histoire des banques suisses. Ces an-nées lui offrent une grande flexibilité et lui permettront de décortiquer les méca-nismes de la place financière helvétique tout en habitant à Londres, qui gardera toujours une place spéciale dans son cœur et qu’il ne quittera ensuite jamais totalement.

En 1995, il se présente comme professeur ordinaire pour succéder à Paul Bairoch, alors sur le point de prendre sa retraite. Bien que le collège des professeurs letenait pour favori, Bairoch lui « barre fina-lement la route ». Cette déception lui fera connaître une difficile année de chômage et de remise en question. Une place de professeur en Grande-Bretagne parait difficile à dénicher, d’autant plus que les premières années du gouvernement de Margaret Thatcher voient le pays subir une rude cure d’austérité. De plus, « on ne peut entrer dans le système académique britannique que par tout en haut ou par tout en bas ». Il se présente finalement à l’université de Grenoble, qui lui offre un poste de professeur ordinaire. Si cette pé-riode d’enseignement lui convient parfai-tement, Youssef Cassis ne cache pas que le fait de vivre à cheval entre deux villes (il a en effet fondé une famille à Londres) est financièrement difficile à assumer, d’autant plus que les salaires pratiqués en France sont bas.

C’est dans ce contexte qu’il rencontre l’un des associés de la banque Pictet à Ge-nève, qui souhaite publier un livre d’his-toire bancaire et financière à l’occasion du 200ème anniversaire de la banque en 2005. Cette rencontre sera des plus heureuses. Au lieu d’écrire servilement l’histoire d’un établissement particulier, son contact luioffre la possibilité de réaliser un projet bien plus ambitieux : écrire l’histoire de la finance internationale et des places fi-nancières durant la période d’existence de la banque Pictet... Il jouit d’une liberté to-tale quant au contenu. C’est ainsi que pa-rait « Les Capitales du capital », qui restel’ouvrage majeur du professeur et lui vaut une certaine renommée internationale –le livre sera notamment traduit en six lan-gues.

En 2004, une place de professeur se libère à l’Université et lui est proposée. Yous-sef Cassis accepte malgré l’amertume toujours présente de sa première candi-dature rejetée. Enseigner dans son alma mater est en effet une perspective très séduisante qui vaut bien quelques allers-retours hebdomadaires avec Londres. De 2004 à 2010, une partie de son enseigne-ment s’est donc articulée autour du thème de recherche de son livre, soit l’histoire de la finance internationale.

En 2010, c’est à son tour de donner son congé à l’Université de Genève et de chan-ger à nouveau de pays et d’institution. Il

va désormais se consacrer à la recherche et à l’enseignement post-Master à l’insti-tut universitaire européen de Florence.

A l’heure du départ, c’est aussi l’occasion pour lui de nous livrer son point de vue quant à l’avenir du Bari, au centre de nom-breuses discussions en cette année 2010. Le professeur résume ainsi le principal problème auquel fait actuellement face la formation: le Bari est un agrégat de dif-férentes branches et enseignements que l’on a assemblé sans lui donner une co-hérence globale. Le tout est moins que la somme des parties. Les espaces de cours sont trop fragmentés les uns par rapport aux autres du fait du manque d’entente interfacultaire et du peu de concertation entre professeurs. Il est donc vital d’élabo-rer un projet pédagogique commun entre les matières. Cela permettrait d’avoir plus de cohérence dans un plan d’étude qui bénéficierait alors d’un « fil rouge » autour duquel les différents départements pour-raient apporter leur vision spécifique. Il est par ailleurs regrettable que les ensei-gnants nommés pourtant spécifiquement pour le Bari, ne consacrent en pratique pas l’intégralité de leur temps de travail à celui-ci. « Il faudrait enfin doter le Bari de moyens à la hauteur de ses ambitions ».

Le professeur Cassis relève enfin une lacune générale de notre université : le manque d’une réelle identité propre, mal-gré un fort potentiel. En ce qui concerne le domaine des relations internationales, l’université pourrait réellement s’affirmer comme un « pôle » en Europe. Cela passe-rait notamment par une vraie internatio-nalisation de la filière Bari avec une offre de cours en anglais et par l’ouverture de Masters de spécialisation dans le domai-ne des RI. Cela éviterait de voir les person-nes formées partir vers d’autres horizons, permettrait d’attirer des étudiants post-bachelor et renforcerait Genève comme lieu d’échanges académiques.

PORTRAIT

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Nous utilisons quotidiennement des phra-ses conditionnelles du type « si tu viens au cinéma avec moi, je t’achèterai une glace ». Comme leur nom l’indique, ces phrases contiennent une condition. Celle-ci doit être remplie pour qu’un état de fait relatif soit réalisé. Pour que je puisse me régaler d’une délicieuse glace à moindres frais, il faut que j’aille au cinéma avec l’indéli-cieuse Gwendoline et qu’elle respecte sa promesse. Les parents sont très prompts à utiliser des conditionnelles de manière explicite, soit pour amadouer leur progéni-ture, soit pour faire planer au-dessus d’elle une épée de Damoclès annonciatrice d’une punition bien réelle, au cas où leur enfant récalcitrant n’obtempérait pas.

Mais condition ne rime pas seulement avec éducation ou conditionnement. Il existe une sous-catégorie tout à fait in-trigante de propositions conditionnelles : les contrefactuels. Une proposition contre-factuelle s’appuie sur une ou plusieurs

prémisses fausses – le ou les contrefac-tuels – et exprime une situation hypo-thétique qui en découle. Pour construire une telle proposition, on prend n’importe quel fait déjà consommé, comme par exemple j’ai écrit un texte bourré de fau-tes d’orthographe puis on modifie une condition nécessaire à sa réalisation, ici ma maîtrise supposée de l’écrit : si je ne savais pas écrire, je n’aurais pas fait de fautes d’orthographe et j’aurais pu aller me fumer un joint avec Elias. Un autre exemple : si Obama n’avait pas gagné les élections, Mc Cain aurait vraisemblable-ment été président des Etats-Unis. Les journalistes et historiens audacieux sont friands de ce genre de propositions. Que ce serait-il passé si Hitler avait été assas-siné en 1942 ? Si l’Union des républiques socialistes soviétiques n’avait pas envahi l’Afghanistan ? Si George Bush était resté alcoolique ? Il serait devenu président des Etats-Unis diront les mauvaises langues. L’idée principale est de tenter d’imaginer

comment une histoire déjà connue se se-rait déroulée en en modifiant une ou plu-sieurs prémisses. Bien sûr, l’incertitude est inhérente à ce type de récit. Mais ce serait se méprendre que de considérer la véracité comme le seul critère pertinent pour évaluer celui-ci. Si ces propositions contrefactuelles ne permettent pas de dire quelque chose de vrai sur notre monde alors à quoi peuvent-elles bien servir ? Ne sont-elles que des prédictions nécessai-rement fausses car figées dans un passé déjà consommé ? Avant de développer plus avant ce point, élargissons un peu notre analyse. Au côté des propositions contrefactuelles on trouve les expériences de pensée, dont le champ des possibles est plus large encore. Ces dernières ne se réduisent pas aux seuls faits passés mais peuvent aider à imaginer des situations fu-tures ou à construire des systèmes cohé-rents de propositions hypothétiques. Les expériences de pensée permettent d’envi-sager les conséquences d’un certain nom-bre de principes dans un domaine plus ou moins strictement défini. Si je pars de l’hypothèse que la loi universelle de la gra-vitation est correcte, alors je devrais tôt ou tard m’attendre à voir tomber sur mon pied l’enclume que j’avais négligemment posée sur ma tête. Ces expériences sont utilisées tant en physique qu’en philoso-phie. Dans ce dernier domaine, on peut prendre comme exemple les théoriciens du contrat social, de Rousseau à Locke en passant par Hobbes, qui s’appuient allé-grement sur un tel procédé pour raconter le passage d’un hypothétique état de na-ture à l’état de société. Quand Rawls ima-gine la position originelle – une situation hypothétique dans laquelle des individus rationnels mais largement ignorants de leur condition sociale, physique ou his-torique, doivent décider des principes de justice qui gouverneront la société –, il uti-lise un procédé similaire. Grâce à ces ex-périences fictives, Rawls, Locke, Hobbes et Rousseau tirent des enseignements sur ce à quoi une société juste devrait ressem-bler dans la réalité. Ces auteurs veulent justifier un certain nombre de principes en cadrant leur imagination. Ils pensent donc que les expériences de pensée, bien que fictives, ont un pouvoir normatif et peuvent nous éclairer sur ce qui devrait être. Admettons qu’ils aient tort, que les expériences de pensée ne puissent rien justifier. Que resterait-il de cette méthode et des contrefactuels en particulier ?

ET SI LE MONDEDANS LEQUEL NOUS VIVONS... Lukas à Porta

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En fait il semble que les contrefactuels, dans certaines circonstances, peuvent exprimer des propositions qui, sans être absolument vraies, se rapprochent néan-moins de la vérité. Un exemple servira à illustrer mon propos. Si Christophe ne por-te pas assistance à Zoya, par ailleurs en danger de mort et que Zoya vient à mourir, alors Christophe risque d’être condamné pour non-assistance à personne en dan-ger. S’il avait agi autrement, il semble qu’il aurait pu la sauver. C’est bien un contre-factuel dont il est question ici : les juges sont chargés d’envisager les conséquen-ces d’un ‘contre-acte’ et cette inférence est évaluée comme suffisamment proba-ble pour justifier la condamnation ou la disculpation de Christophe. Si la justice se permet d’attribuer à des conséquen-ces de contrefactuels une valeur de vé-rité, même approximative, alors il semble que nous puissions considérer cette mé-thode comme non dénuée d’intérêt, voire même applicable à d’autres domaines. A condition toutefois de prendre certaines précautions, comme se concentrer sur les conséquences temporellement proches d’un fait et de son contrefactuel mais éga-lement d’accepter le concept controversé de vérité approximative.

Les expériences de pensée, si elles sont bien menées, c’est-à-dire proches d’une méthode hypothético-déductive, sont utiles et permettent d’éclairer certaines situations sous un angle nouveau. Bien sûr, celui ou celle qui tentera d’imaginer un monde sans Sarah Palin – grand bien lui en prendra – prêtera toujours le flan à une critique majeure sur la non-véracité de son propos ou sur l’apparente impossi-bilité de tester son hypothèse. En effet, les expériences de pensée en histoire ou en philosophie semblent malheureusement impossibles à éprouver empiriquement, à la différence de certaines de leurs homolo-gues en physique. J’ai bien dit ‘semblent’. Les situations hypothétiques futures ima-ginées par des chercheurs à l’esprit débri-dé peuvent en fait être sanctionnées par l’expérience, à la différence des contrefac-tuels passés. Après tout, il se pourrait que le monde possible soulagé de Sarah Palin ressemble à s’y méprendre au monde où elle n’existe réellement plus. Pour en être sûr, il faudrait que l’hélicoptère utilisé par l’ancienne colistière républicaine pour chasser du caribou daigne bien s’écraser avec elle à son bord. En bref, s’armer de patience ou s’armer tout court.

Les expériences de pensée nous permet-tent d’explorer les possibles, futurs ou an-térieurs, et nous informent par effet rico-chet de la situation actuelle. Plutôt que de

les condamner comme non-scientifiques, i l serait plus opportun de comprendre leur fonctionnement, tant elles font par-ties intégrantes de notre quotidien. Alors sortez vos boules de cristal, creusez vos méninges et sélectionnez parmi une infi-nité de possibles celui qui se réalisera. Si le temps vous donne raison, il se pourrait bien que vous deveniez célèbre, comme les cassandres qui prédirent naguère la chute de l’URSS ou le Krach financier de ce nouveau millénaire. Et n’oubliez pas, rien ne vous empêche de prédire des si-tuations heureuses…

Et si les événements avaient pris un tout autre cours ?

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C’est avec empathie et un brin de condes-cendance que les mouvements de contes-tation estudiantine, qui ont démarré en Autriche et en Allemagne puis ont pro-gressivement gagné de nombreux autres pays d’Europe, furent observés depuis no-tre tour d’ivoire genevoise.

Défilés de milliers d’étudiants dans les rues de Vienne et de Berlin, discours enf lammés, débats publiques. Autant d’événements spectaculaires témoignant de la puissance d’un groupe homogène et solidaire. Le rejet du système de Bo-logne vient des tripes. Quotidiennement confrontés à des entraves administrati-ves, voyant la qualité de leurs universités se dégrader, découragés par de multiples entraves à l’éducation, ces étudiants ont décidé que la procrastination n’était plus possible.

Cette attitude volontariste, et l’espoir que chacun a de contribuer à une re-fonte du système, évoquent – certes en dimensions bien plus modestes – les mobilisations étudiantes qui, au cours de l’histoire récente, purent inf luencer les décisions politiques, ou du moins encourager le débat publique pour que la voix des protestataires soient enten-due.

Des soulèvements d’une telle ampleur apparaissent aujourd’hui comme utopi-ques en Europe. Les années 2000 ont essentiel lement vu les revendications étudiantes se crista l l iser autour des réformes diverses du système universi-taire et donc se concentrer sur des pro-blèmes internes aux universités. Malgré l’absence d’un climat « révolutionnaire » digne des grands bouleversements so-ciaux du passé, les étudiants européens donnent l’impression d’une apparente unité. Les revendications des protes-tatai res sont exprimées de manière cohérente et expriment les préoccupa-tions de la majorité silencieuse de leurs condisciples.

A Genève cependant, rien de tel. L’écho des mani festat ions d’A l lemagne et d’Autriche n’y a fait que l’effet d’un pé-tard mouillé. Une réflexion et une remi-se en question pourtant nécessaire du

système de Bologne a été court-circui-tée par un comité de protestation auto-proclamé. Comme c’est souvent le cas, un petit nombre de contestataires aux positions extrêmes monopolisent l’at-tention et la parole. On se retrouve donc dans une situation paradoxale où une faible minorité particulièrement active occulte une majorité soit apathique, soit dissuadée de s’engager par l’impression que leur avis plus modéré ne peut être entendu. Le mouvement contestataire perd ainsi sa légitimité de deux maniè-res : il s’attire l’hostilité d’une partie des étudiants repoussés par un discours bel-liqueux et renforce l’impression qu’une poignée d’étudiants radicaux monopoli-sent la parole sans laisser la place pour d’autres opinions plus pragmatiques et moins idéologiquement marquées de s’exprimer. Peut-on pour autant repro-cher à cette poignée d’activistes d’étouf-fer le débat et de monopoliser la parole ? S’i ls n’encouragent certainement pas la discussion par leur intransigeance et se montrent hostiles à toute remise en question de leur ligne d’action – ou du moins donnent cette impression –, le manque d’intérêt de l’immense majorité des étudiants pour les questions de poli-tique universitaire est la véritable raison du monopole de la minorité radicale.

Comment expliquer ce désintérêt du plus grand nombre ? Un premier élément d’ex-plication apparaît assez vite : les condi-tions d’étude genevoises sont en somme loin d’être mauvaises et une comparai-son internationale nous ferait apparaître comme privilégiés. Si les étudiants ne se sentent pas concernés par les réformes universitaires, c’est d’abord parce qu’ils ne craignent pas une remise en question fondamentale des conditions dans les-quelles ils devront étudier. Cela ne signi-fie bien entendu pas que le fonctionne-ment de notre université est idéal, loin de là. Mais les plaintes et les protestations des étudiants ne prennent pas l’ampleur d’une remise en cause globale du systè-me universitaire actuel.

L’organisation de notre établissement décourage également la participation des étudiants. Comment s’intéresser à une politique universitaire décidée

par un rectorat qui ne daigne jamais quit-ter ses hauteurs olympiennes et par des décanats qui ne prennent pas la peine d’informer les étudiants des réformes à venir (la prochaine restructuration de la faculté SES en est l’exemple parfait1) ? Les contestataires occupent donc une place laissée vacante par les étudiants qui ne se sentent pas suffisamment im-pliqués dans la vie de leurs facultés res-pectives.

Supposons maintenant que se réalisent les pires craintes de ceux qui s’insur-gent contre la privatisation supposée de l’Université. Laissons donc courir notreimagination : les fi lières académiques non-rentables sont purement et simple-ment supprimées. La faculté des Let-tres est fusionnée avec les Sciences de l’éducation, et n’a désormais pour but que de former un nombre juste suffisant d’enseignants, en respectant un nume-rus clausus restrictif ; il est désormais trop couteux de former des spécialistes de périodes historiques, de langues ou de philosophie qui n’ont plus aucun rôle économiquement profitable pour la so-ciété : il faut former des professionnels. en SES, les bachelors en géographie, so-ciologie et autres petits départements sont rassemblés pour se transformer en bachelor en sciences sociales, qui, bien que « non-rentables » n’est pas supprimé, mais est désormais réservé à qui peut payer des taxes universitaires établies en proportion du déficit creusé par cette formation.

Nul doute qu’un tel scénario catastrophe, même s’il ne prenait forme que progres-sivement, provoquerait un réveil et une forte mobilisation chez les étudiants. La question est de savoir si leurs préoc-cupations trouveraient alors un moyen d’expression efficace. Une telle interro-gation permet de souligner à quel point le système de représentation actuel est inadéquat. La Conférence Universitaire des Associations d’Etudiants (CUAE), qui se considère elle-même comme un syndicat étudiant, souffre d’un manque de crédibilité autant auprès du recto-rat et de nombre d’étudiants. Manque qui n’est que renforcé par son associa-tion, réel le ou supposée, à dif férents

ET SI LES ÉTUDIANTSDEVAIENT VÉRITABLEMENTSE MOBILISER ? Damien Callegari & Antoine Roth

DOSSIER

mouvements de protestation tels que « Edu-cation is not for Sale ». Peu d’étudiants se soucient du travail pourtant important de l’Assemblée de l’Université. Les associa-tions d’étudiants des différentes sections d’enseignement ont quant à elles tant de questions à traiter au niveau de leurs dé-partements respectifs qu’elles auraient du mal à également prendre en charge des demandes concernant la direction géné-rale de notre institution. Ceci nous mène au constat suivant : si les étudiants s’en-gageaient massivement pour défendre le fonctionnement actuel de l’Université et développaient un véritable intérêt pour la

politique universitaire, ils ne sauraient comment tirer partie du système de repré-sentation actuel. Et si des circonstances autrement plus dramatiques que celles que nous vivons ici et maintenant néces-sitaient la création d’une association fai-tière capable de relayer des propositions porteuses de tout le poids d’une adoption démocratique par l’ensemble des étu-diants, la CUAE n’existerait pas sous sa forme présente. Tout changement de la situation actuelle nécessiterait cependant une grave péjoration de notre milieu aca-démique. On ne peut qu’espérer qu’une telle éventualité ne se concrétise jamais.

1 Voir à ce sujet deux articles sur le site Unige-info :

1 http://www.unige-info.ch/Sur-la-restructuration-

1 de-la.html?var_recherche=restructuration%20ses

1 et http://www.unige-info.ch/SES-La-restructura-

1 tion-passe-en.html?var_recherche=restructuration%20ses

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Pour la rédaction de cet article, l’auteur s’est inspiré d’une interview réalisée le 20 avril 2010 auprès d’un des membres du personnel du Zoo, salle de concert de l’Usine à Genève. Nous profitons d’ailleurs de ces lignes pour le remercier de sa dis-ponibilité.

La cité de Calvin, depuis quelques an-nées, semble bien décidée à changer de visage. À l’instar des évacuations succes-sives et spectaculaires de plusieurs squats emblématiques, de la loi récente sur l’af-fichage sauvage, de la fermeture d’Arta-mis ou encore de l’initiative sur la fumée passive, Genève vit indéniablement un tournant. Ces éléments symptomatiques du changement posent question, à divers niveaux des débats publics et politiques. Ils témoignent, parfois malgré eux, d’une seule et même conception de la société. Le dernier bastion genevois de la culture dite alternative se trouve sans doute Place des Volontaires, à la jonction du Rhône et de l’Arve. L’Usine se retrouve régulière-ment à guichets fermés lors de manifes-tations culturelles variées, telles que des concerts, des projections de films ou des festivals. Pourtant, des indices montrent que les lignes de sa main tendent à rétré-cir comme peau de chagrin. Qu’on se le dise, l’heure n’est pas à la disparition ni à la fermeture du lieu. Le passé nous en-seigne toutefois qu’à force de concéder du terrain au gré des lois ou des coupures de subventions, tout peut s’enchainer rapide-ment. La norme croit engloutir la marge comme George Clooney changerait de marque de café ou Nasir Jones de maison de disque1.

L’Usine, un lieu stigmatisé ?Au mois d’avril 2010, la Ville de Genève revenait sur sa décision d’accorder une subvention de 200’000 francs à l’Usine. Une somme censée couvrir en partie les frais de la célébration des vingt années de vie du lieu culturel. La Ville reproche à l’association faîtière d’ignorer un certain nombre d’injonctions à son égard. Celles-ci s’articulent autour de deux problèmes : le bruit, dans un premier temps, et la fu-mée, dont l’interdiction n’est pas toujours respectée à l’Usine. « Le bruit et l’odeur »2, est-on tenté de comprendre. Pour le bruit, c’est le resto-bar du Moloko qui est incri-miné. Aucun concert ne doit s’y dérouler, arguent les autorités municipales. Le lieu ne disposant pas d’une insonorisation

« aux normes », du moins efficace, pour préserver le voisinage qui n’hésite pas à se plaindre. Malgré la mise en demeure de la ville, le Moloko a maintenu au program-me un de ses concerts. Récemment, la bu-vette avait pourtant annulé les quatorze concerts qui devaient s’y dérouler dans le cadre du festival Electron. La sanction ne s’est pas fait attendre.

Dans plusieurs coins de l’Usine, une bonne partie du public continue à fumer, contournant la loi en vigueur, dans un es-pace à ses yeux alternatif. Et c’est de cette connotation que la subversion se nourrit et s’exprime. Ce comportement déviant ne fait pourtant pas de ses auteurs des anarchistes, ni des fauteurs de trouble. Mais que reflète-t-il au juste ? Peut-être le besoin d’échapper ponctuellement sinon à la loi, au moins à un certain mode de vie. S’il n’est pas quantifiable, ce besoin est inhérent à notre société dont il est sain et nécessaire de questionner les normes et les lois. N’est-ce pas le propre ou le rôle des lieux alternatifs, non pas d’inciter à la transgression, mais bien de cadrer des for-mes d’expression ou des comportements plus ou moins subversifs ?

La question peut faire débat. Plus même, elle doit en faire l’objet. Elle amène une ré-flexion sur l’urbanisme et même sur notre société.

Tout n’est pas permis à l’Usine. Dès lors, le public majeur et vacciné sait qu’i l jouira ou souffrira de la fumée au cours d’une soirée. Ce n’est pas un hasard s’il fréquente l’Usine plutôt que des boîtes « mainstream ». Les prix de l’entrée et des consommations, la qualité de la musique ou l’accès facilité pour toutes les couches de la population sont autant d’arguments

décisifs pour le public. Dans les différents locaux de l’Usine, on a le fort sentiment de pouvoir exister comme on l’entend. Pas de table réservée, tout le monde debout. Pas de bouteille de Champagne ; la bière est bon marché. À l’entrée, pas de discrimi-nation au faciès, à la tenue vestimentaire ou au pouvoir d’achat apparent. Alternatif veut peut-être dire espace dans lequel les gens cohabitent, en dépit de leurs diffé-rences, et où l’argent ou l’artifice n’exer-cent pas de hiérarchie. Ce statut donne-t-il pour autant plus de droits à l’Usine qu’à d’autres ?

Vu la proportion qu’a pris la sanction de la Ville de Genève à l’encontre de l’Usine, au moins deux alternatives s’offrent aux res-ponsables et aux usagers du lieu. La bu-vette du Moloko, par exemple, pourrait se radicaliser face à son interlocuteur. Puis-que la Ville préfère sévir par la privation plutôt que le dialogue, la buvette pourrait être amenée à jouer la carte du « rien à per-dre ». Devant le fait accompli, les autorités relèveront certainement les incohérences de leur choix. Depuis la disparition de lieux de contre-culture comme Artamis ou le Rhino à Genève, la concentration du public alternatif a explosé à l’Usine. Faute de place, des centaines de personnes se voient refuser l’entrée chaque week-end. La loi anti-fumée oblige la clientèle à un va-et-vient permanent dont le voisinage fait les frais. Ajouté à cela, les dealers, la police et les bagarres augmentent la ten-sion. Au final, ce sont tout un tas d’indivi-dus qui paient cher la politique du Procu-reur général Daniel Zappelli3. Afin d’éviter le « coup de balai » que la Ville semble décidée à infliger aux institutions alter-natives, l’Usine peut aussi choisir de faire profil bas et mettre en avant des aspects positifs. Dans une perspective fonction-naliste, la forte demande du public et les salles bondées suffisent à légitimer l’exis-tence et la pérennité de l’institution.

ET SI L’USINEFERMAIT SES PORTES... Youri Hanne

DOSSIER

La contre-culture comme endigue-ment à la révolteApparemment, c’est hors périphérie que la culture alternative est la plus tolérée. Incapable de trouver ou de payer des lo-caux, l’Usine devra peut-être se déloca-liser. Imaginons, rien qu’un instant, une situation dans laquelle le dernier bastion de la culture alternative genevoise ferme-rait ses portes. Si Genève a réussi à faire tomber les remparts voisins d’Artamis ou des squats, il se pourrait qu’elle décide un jour d’infliger le coup de grâce à la culture. Le fantasme de tolérance zéro, très en vo-gue ces derniers temps, pourrait ajouter une victime à son palmarès. Pour illus-trer une tendance flagrante, souvenons-nous de la proposition du Parti Démocrate Chrétien d’interdire toute manifestation à Genève, suite aux débordements sur-venus lors du défilé anti-OMC, fin 2009. Quel aveu de faiblesse ! La loi interdisant l’affichage sauvage, adoptée en 2007 par le peuple genevois, montre aussi à quel point on tend à rendre exclusive la voie classi-que d’expression. Que deviendraient alors ceux qui refusent de se plier à la norme ? À défaut d’organiser une rave party ou un botellón chaque fois que le calendrier de l’Usine avait pour habitude d’offrir un concert à son public, les acteurs concernésdevraient faire preuve de créativité et

de pugnacité. Genève se tromperait en espérant se priver de ses marges par la technique de la saignée. Il n’y a pas plus dangereux qu’un homme blessé dans son égo, qu’un pan de population laissé pour compte.

Fréquenter les l ieux et promouvoir la culture alternative, ce n’est pas seulement une question de musique ou de fête. Dans une société qui, manifestement, tend à s’aseptiser, la Ville de Genève devrait gar-der à l’esprit l’exutoire que représentent les milieux alternatifs.

Et tout comme on boit parfois le même café toute sa vie, les artistes qui jouent à l’Usine seront reconnaissants des belles nuits à venir.

1 En 2006, le rappeur Nasir Jones a l ias Nas a

1 rejoint le label Def Jam recordings alors que celui-ci

1 éta it présidé par Jay-Z, son ex grand r iva l .

2 Jacques Chirac, Discours d’Orléans, 1991.

3 Connu pour sa politique de tolérance zéro, le

3 Procureur général est à l’origine de plusieurs éva-

3 cuations de squats dont le programme nocturne

3 soulageait l’Usine de leur vivant.

DOSSIER

Apparemment, c’est hors périphérie que la culture alternative est la plus tolérée.

Depuis la disparition de lieux de contre-culture comme Artamis ou le Rhino à Genève, la concentration du public alternatif a explosé à l’Usine.

« C’est la marge qui tient la page. »

Jean-Luc Godard

N’est-ce pas le propre ou le rôle des lieux alternatifs, non pas d’inciter à la transgression, mais bien de cadrer des formes d’expression ou des comportements plus ou moins subversifs ?

L'Usine en 2011 ?

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« Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair ! Celle-ci sera appelée « homme », car elle fut tirée de la femme, celui-ci ! »1

Durant l’Antiquité, la femme, qu’elle soit grecque ou romaine, ne jouit d’aucun droit civique. Le législateur justifie cela par sa faiblesse d’esprit, « imbecellitas mentis ». L’Athénienne doit être accom-pagnée d’un esclave lors de ses sorties et a la formelle interdiction d’assister aux jeux et aux pièces de théâtre. A Rome, elle n’est pas prise en compte dans les recensements.

De nos jours, la gent féminine a le droit de s’exprimer, d’étudier, de voter, de s’habiller comme bon lui semble et de s’entourer d’ami(e)s correspondant à ses goûts. Alors, franchement, pourquoi y a-t-il encore des femmes militant pour les droits de leurs semblables ?

Sûrement parce que malgré cette appa-rente liberté, tôt ou tard, le choix s’impo-se entre une carrière professionnelle ou la maternité. La femme a alors plusieurs options, limitées :

1) arrêter de travailler pour éduquer ses1) enfants (et ceux de son mari soit dit en1) passant)

2) continuer de travailler en éduquant ses2) enfants, au risque de se faire dire, par2) belle-maman par exemple, qu’elle est2) une mauvaise mère et qu’il est impos-2) sible d’effectuer les deux tâches paral-2) lèlement et convenablement

3) ne pas avoir d’enfants afin de se consa-3) crer à son job et entendre que, quand3) même, ne pas transmettre la moitié de3) son patrimoine génétique, c’est une3) erreur et qu’elle le regrettera tout sa3) vie.

Ces trois propositions, certes un peu ca-ricaturales, auraient pu être autres si les bons vieux schémas occidentaux avaient été basés sur : « Alors Yahvé Dieu fit tom-ber une torpeur sur la femme, qui s’endor-mit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place. Puis, de la côte qu’il avait tirée de la femme, Yahvé Dieu façonna un homme et l’amena à la femme. Alors cel-le-ci s’écria : « Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair ! Celle-ci sera appelée « homme », car elle fut tirée de la femme, celui-ci ! »2

Les personnes fami l ières à ce texte auront peut-être une sensation bizarre en lisant cet extrait de la Genèse réadaptée à la sauce féminine. Ne voyez ici aucune offense à l’encontre de la religion chré-tienne. Imaginez juste l’homme portant la lourde responsabilité du pêché originel… Probablement que ceci aurait bien chan-gé la donne. Le monde serait-il devenu un

ET SI ADAMÉTAIT NÉ DE LA CÔTE D’ÈVE ? Victoria Barras

DOSSIER

1 En 2 Genèse 2 4-21

2 Genèse 2 4-21

3 ZURCHER, Christoph, L’Hebdo, no. 8, semaine du

3 25 février, p. 38-41

4 http://www.psycho-ressources.com/bibli/femmes

4 -et-hommes.html

5 PELLEGRINI, Xavier, “Erotisme tout puissant”,

5 Le Temps, 20 avril 2010

6 Ibid.

DOSSIER

Bibliographie

• http://www.histoire-en-questions.fr/• antiquite/grecefemmes.html• http://www.journeedelafemme.com/• feminismeselonencarta1.htm• http://www.uni-ulm.de/LiLL/3.0/D/• frauen/biografien/Jh14/geschichtefr.htm• http://www.evene.fr/citations/auteur.• php?ida=230&p=7• http://www.larousse.fr/encyclopedie/• nom-commun-nom/f%C3%A9minisme•/51566• http://www.egyptos.net/egyptos/• pharaon/cleopatre-VII.php

vaste empire des femmes, comme c’est le cas des Mosuos, une communauté des montagnes du sud de la Chine, dans la province du Yunnan. Leur langage en dit déjà long sur leur façon de voir les cho-ses : un mot complété de « femme » de-vient grand, complété du mot « homme », il devient petit. A l’exception de cette discrimination linguistique, il faut recon-naître à ces femmes mosuos une certaine cohérence : elles ne délaissent pas les tâ-ches « ingrates » aux hommes. Elles pré-fèrent assumer tout le travail, car selon elles, il sera plus vite et mieux fait que si les hommes s’en chargeaient. Et puis, elles ne veulent pas d’un homme fatigué dans leur lit.3 L’expression « femmes ma-chos » serait presque appropriée pour les définir. Difficile ensuite d’affirmer si oui ou non elles correspondent à la définition de Simone de Beauvoir « on ne naît pas femme, on le devient ».

Le mode d’emploi pour devenir femme n’a pas encore été inventé. Mais cette vo-lonté de le devenir ne se définit-elle pas, malheureusement ou heureusement, par opposition à toutes les structures socié-tales créées par l’homme ? Ou pour les moins hardies, par complémentarité. L’homme est représenté comme fort et violent, la femme incarne la fragilité et la douceur. Ici encore, caricature, dont il est ma foi difficile de s’extirper lorsque par exemple, une figure reconnue de la psychologie, Serge Ginger, psychologue gestaltiste tient de tels propos : « elles(les femmes) m’entendent avec leurs deux hémisphères, tandis que les hom-mes m’écoutent essentiel lement avec l’hémisphère gauche, verbal, logique et donc critique. Les femmes mobilisent en même temps leur hémisphère droit […] et mon discours est donc coloré d’émo-tions, perçu subjectivement à travers leurs désirs et leurs craintes, leurs va-leurs éthiques et sociales (par exemple, féministes…). »4

Cette catégor isat ion réductr ice est agaçante. Hommes et femmes sont dif-férents, ceci est indéniable. Une sprin-teuse ne courra jamais le 100 mètre en 9.58 secondes. Un futur papa ne termi-nera jamais neuf mois de grossesse en salle d’accouchement (on n’arrête pas la science mais espérons que certaines li-mites ne soient pas franchies). Chaque individu a son parcours de vie, ses qua-lités et nombreux défauts et ceci indé-pendamment de son sexe. Etre capable d’envisager chaque homme ou femme de cette manière reste probablement un leurre et le débat de la supériorité masculine ou féminine dans certainsdomaines continuera de faire rage, pour le meil leur ou pour le pire comme en témoigne une toute récente recherche menée par Catherine Hakim, qui stipule que les femmes sont mieux dotées et plus expérimentées dans l’utilisation de leur capital érotique et que, pour cette raison, « le vieux modèle patriarcal les a maintenues dans les cuisines et les sa lons pour qu’el les ne puissent pas faire usage de leur avantage compara-tif dans la vie professionnelle et sociale et ainsi surpasser les hommes. »5 Elle pousse même la provocation plus loin en affirmant que grâce à ce pouvoir, une femme attirante, si elle est désirée par des hommes dotés d’un bon compte en banque, peut tout aussi bien… rester à la maison ! Mais par choix, et non plus, comme dans le vieux schéma patriarcal, par obligation. Car les hommes, soutient Catherine Hakim, ne changent guère. « Même s’ils n’osent pas le dire, ils don-nent majoritairement la préférence à une épouse qui f latte leur narcissisme en se cantonnant dans son rôle sexué tra-ditionnel, les bichonne à leur retour du travail.[…] »6

Le débat est relancé, à vous, lecteurs, de vous faire une opinion…

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L’expression« femmes machos »serait presque appropriée pour les définir.Difficile ensuited’affirmer si oui ou non elles correspondentà la définition deSimone de Beauvoir« on ne naît pas femme,on le devient ».

Une sprinteuse ne courrajamais le 100 mètreen 9.58 secondes. Un futurpapa ne terminera jamais neuf mois de grossesse en salle d’accouchement (on n’arrête pas la science mais espérons que certaines limites nesoient pas franchies).

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de financer ses études et ne résoud en rien la sous repésentation des « couches bas-ses » à l’université.

« More means worse »Au regard du réel coût de nos études, les taxes universitaires genevoises représen-tent une somme presque symbolique. El-les ont cependant l’avantage de forcer les étudiants à réfléchir par deux fois à leur véritable ambition académique. Une im-plication financière des étudiants prévient le risque de la présence d’un trop grand nombre d’étudiants inscrits à l’université par défaut. Un système de notes minima-les préviendrait-il cette massification ? Supposons qu’une moyenne générale de 5 conditionne l’entrée à l’université. Un tel système excluerait de l’université des étudiants qui mènent en parallèle à leurs études une activité sportive, musicale ou encore rénumérée et qui par contrainte de temps ne satisferaient plus les critè-res d’entrée. De surcroît, un étudiant qui contribue au financement de ses études sera non seulement plus assidu mais il exi-gera également plus de ses professeurs7. Plus encore, la gratuité de l’université accorde un lourd et problématique droit de regard à l’Etat. En effet, le gou-vernement doit s’assurer que l’argent du contribuable soit dépenser à bon es-cient. Il tendra alors à inciter l’université àabsorber un nombre de plus en plus impor-tant d’étudiants mais cela sans pouvoir li-

bérer les fonds nécessaires à une augmen-tation exponentielle des effectifs. L’Etat se verra alors contraint de « micromanager » les universités, soit de mener de pesants et excessifs contrôles sur les activités et lebudget de l’université. Inévitablement, la qualité des études en sera affectée8. Les étudiants privilégiés s’orienteront alors vers des établissements universitaires privés de meilleure qualité accentuant plus lourdement encore l’écart entre les couches sociales. « Plus » implique effecti-vement « pire » si les fonds disponibles ne sont pas suffisants et le budget de l’Etat a malheureusement ses limites.

L’indéniable importance aujourd’hui d’une solide économie du savoir suppose une forte implication de l’Etat dans la pro-motion des études. Cet engagement doit se faire par un système de bourses et de prêts d’étude performant et non pas par la gratuité des études. L’Etat doit combi-ner égalité des chances et performance, et non pas l’un au détriment de l’autre. Les universités suisses y parviennent d’ailleurs de manière efficace. Nous com-binons performance, en témoigne le bon classement de nos établissements univer-sitaires au niveau international, et égalité des chances, grâce à des taxes accessi-bles pour la grande majorité et un système de bourse épaulant les étudiants dans le besoin9. Exiger la gratuité des études est le caprice d’une équité mal placée.

Quand sonne l’heure de la rentrée, les pro-testations endormies le temps d’un été resurgissent plus nombreuses encore : pé-nurie de logement étudiant, suppression de filières, surpeuplement des classes ou encore cours d’économie politique à 9 cré-dits. Pourtant, s’il y a une revendication qui réapparait avec une constance iné-branlable, c’est bien la question des taxes universitaires. D’une voix unanime, les défenseurs de la cause estudiantine ap-pellent à la gratuité des études universi-taires : « (…)la formation est un bien public et doit donc être assurée par un finance-ment public »1. Soit, et si l’université était gratuite ?

Qui doit payer ?Une université publique et gratuite sup-pose un financement intégral de l’Etat, soit de la société via la taxation. Au nom de sa croissance économique et de sa sta-bilité politique, la collectivité se voit déjà imposer une grande partie des coûts co-lossaux de nos formations. Comment donc justifier leur entière gratuité ? Selon lesdéfenseurs d’un accès gratuit à l’univer-sité, la contrainte économique fait obsta-cle à l’accès aux études et constitue « une forme de financement privé des universi-tés » contraire au principe du financement public de la formation. Cette barrière fi-nancière condamne également certains jeunes issus de milieux modestes à une activité rénumérée en parallèle à leurs études. Un travail d’étudiant suppose une réduction du temps consacré à étudier, péjorant ainsi la qualité du travail fourni : « personne ne devrait (donc) être contraint à étudier à temps partiel »2. Aussi la gra-tuité des universités permettrait une tota-le démocratisation des études et libérerait les étudiants de la nécessité d’un travail à temps partiel. Les taxes d’études genevoi-ses n’ont pourtant rien d’insurmontable au regard des taxes universitaires d’un étu-diant américain. Les Etats Unis envoient toutefois à l’université une plus grande proportion de jeunes issus de milieux pauvres que l’Allemagne par exemple3, qui justifie la gratuité de ses universités par l’accès universel4. Y a-t-il donc une si-gnificative corrélation entre gratuité des études et démocratisation de l’université ? Qui le contribuable suisse financerait-il ? La grande majorité des étudiants univer-sitaires suisses émane de milieux relati-vement privilégiés. Selon le rapport sur la situation sociale des étudiants (2005) de

l’office fédéral de la statistique, 82% d’en-tre nous se trouvent répartis entre les 3 catégories suivantes : « couche moyenne », « couche élevée » et « couche supérieure »5. Quel paradoxe ! Au nom de l’équité, les contribuables subventioneraient les privilégiés6. De surcroît, les cantons ainsi que de nombreuses institutions pri-vées promeuvent l’égalité des chances en offrant des bourses d’études ou des prêts aux jeunes dans le besoin. Et bien qu’un travail à temps partiel diminue le temps consacré aux études, il est aujourd’hui un

réel atout car l’université n’a pas pour but de nous former à un métier. Le travail par-tiel constitue une contrainte positive sur le long terme.

En définitive, si la sélection ne se fait pas sur l’argent, ou que très peu, d’autres pa-ramètres, qu’il ne convient pas ici de dé-terminer, contribuent à créer une inégalité entre les couches sociales. Une université gratuite implique donc le lourd finance-ment par les contribuables d’une future élite qui, en majorité, possède les moyens

ET SI L’UNIVERSITÉÉTAIT GRATUITE ? Aude Fellay

DOSSIER

1 « Inégalités économiques d’accès aux études sup-

1 érieures ». Indisciplinarités n°1, Printemps 2010, p.7.

2 « Inégalités économiques d’accès aux études sup-

2 érieures ». Indisciplinarités n°1, Printemps 2010, p.7-8.

3 De nombreuses universités allemandes ont d'aill-

3 eurs réintroduit les taxes d’études.

4 « The Best is yet to come ». The Economist (en

4 ligne), 8 septembre 2005.

4 http://www.economist.com/node/4340083

4 (Page consultée le 29 septembre 2010)

4 « The cost of higher education ». The Economist (en

4 ligne), 29 octobre 2008.

4 http://www.economist.com/debate/days/view/239

4 (Page consultée le 25 septembre 2010)

5 « Analyse-situations sociales des étudiants 2005 »,

5 Office fédéral de la statistique (en ligne).

5 http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen

5 /15/06/dos/blank/06/07_00.html

5 (Page consultée le 29 septembre 2010)

6 « The Best is yet to come ». The Economist (en ligne),

6 8 septembre 2005. http://www.economist.com/node/

6 4340083 (Page consultée le 29 septembre 2010)

7 « The cost of higher education ». The Economist (en

7 ligne), 29 octobre 2008.

7 http://www.economist.com/debate/days/view/239

7 (Page consultée le 25 septembre 2010)

8 « How Europe fails its young ». The Economist (en

8 ligne), 8 septembre 2005. http://www.economist.com

8 /node/4370590 (Page consultée le 29 sept. 2010)

9 S. Hochstrasser, « L’EPFZ, meilleure université non

9 anglo-saxonne », Le Temps (en ligne), 16 sept. 2010.

9 http://www.letemps.ch/Page/Uuid/b49c96ba-c16a

9 -11df-90d7-b498839b5306/LEPFZ_meil leure_

9 universit%C3%A9_non_anglo-saxonne

9 (Page consultée le 10 octobre 2010)

DOSSIER

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Venezdécouvrirnotre blog !

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Imaginez un instant que quelle que soit la décision que vous prenez, vous abouti-rez de toute manière à ce que la vie vous réserve.

Qui suis-je… ? Quel sens puis-je donner à ma vie… ? Pourquoi ne pas essayer… ? D’où est-ce que je viens… ? Est-ce que je vais réussir ma vie… ? Et si tout était pos-sible… ? Est-ce que ça changera… ? Suis-je sur le bon chemin… ? Que vais-je faire de ma vie… ? Comment vais-je mourir… ? Ou serais-je dans 10 ans… ? Où cette filiè-re me mènera-t-elle… ? Vais-je avoir des enfants… ? Et si tout était écrit…

Chaque jour de notre vie est fait de choix. Nous choisissons comment nous habiller, ce que nous souhaitons manger, ce que nous lisons, ce que nous créons, ce que nous faisons de nos journées, etc. Cer-tains de ces choix nous paraissent fon-damentaux et d’autres complètement futiles. Les premiers nous poussent à la réflexion et peuvent même aller jusqu’à nous torturer l’esprit plusieurs jours durant. Alors que les seconds, nous les effectuons machinalement, sans même y prêter attention. Nous avons tous nos propres critères de décisions.

En temps que jeunes adultes, nous nous posons beaucoup de questions sur la ma-nière dont nous devons guider nos vies. Beaucoup de choix s’imposent à nous et souvent, nous avons l’impression qu’ils se-ront déterminants pour les 50 prochaines années… Et si ce n’était pas le cas ? Si je vous soufflais à l’oreille qu’à partir du mo-ment où nous avons défini un but de vie peu importe le chemin que nous emprun-tons pour y arriver… Nous aurons un mé-tier qui nous plaît, une vie valant la peine d’être vécue ; bref les choix faits précé-demment ne nous auront que peu engagés finalement ou pour de courtes périodes. Ainsi, si nous voulons traverser une forêt, peu importe les arbres et les buissons que nous choisissons d’abattre, à la condition de toujours avancer, l’essentiel étant de parvenir de l’autre côté.

Je ne dis pas qu’il ne faille jamais choi-sir… Bien au contraire ! Mais j’ai envie de croire que nos choix ont moins d’im-portance que celle que nous voulons bien leur accorder. Cependant, parallèlement, nous avons le pouvoir de décider… Alors pourquoi ne pas l’utiliser ? Si cela peut influencer ne serait-ce qu’un petit peu les choses, pourquoi ne pas essayer ?!

Ce pouvoir nous est donné pour que nous ne soyons pas fatalistes, dans le but que nous puissions, dans une certaine mesu-re, rester acteurs de nos vies et non spec-tateurs.

Il est clair que la partie fataliste minimise l’impact de mes choix, mais je vous assure que cette façon de voir les choses rend nos choix moins difficiles, elle nous aide à les exécuter, à les relativiser. Je suis tou-jours décontenancée de voir que certains d’entre nous vont même jusqu’à repousser indéfiniment leurs choix… C’est tentant, mais prenons garde, le fait de ne pas déci-der engendre tout de même une décision! Et c’est malheureusement souvent la so-lution de facilité qui est choisie. Vous ne voudriez pas vous retrouver dans quelques années avec des remords… Mais déculpa-bilisez-vous, nous avons tous tendance à remettre les choix trop importants au len-demain. L’explication la plus rationnelle à cela réside dans la peur de l’échec. Mais après tout et comme dit l’adage, l’essentiel n’est pas de faire ce que l’on veut mais de vouloir ce que l’on fait.

Pour conclure, nous avons des choix à faire, certes, mais je pense que la vie nous rend ce que nous lui donnons. C’est-à-dire que notre pouvoir de décisions nous amène à être maître de notre existence et ne pas aboutir au fatalisme. Mais est-il tout à fait vrai que rien, absolument rien, n’est écrit ou dicté par notre lieu de naissance ? Je vous laisse le soin de répondre à cela selon vos convictions religieuses ou politiques. Cependant, gardons à l’esprit que nos choix sont conditionnés par notre peur. La peur, ce sentiment que l’on connait tous trop bien ; nous avons tous tendance à la laisser nous submerger. La vie nous ouvre des portes, mais nous laissons la peur nous les refermer. Je crois sincèrement que nous devons y faire face puisque la vie nous joue toujours des tours… A nous de jouer avec la vie !

ET SI TOUTÉTAIT ÉCRIT… Marie Nicolet

DOSSIER

« Il n’est pas de hasard, il est des rendez-vous… Pas de coïncidences ! » E.Daho

Restons acteur de nos vies et non spectateur

Sources

• Votre chemin de vie, Dan Millman,• Edition du Roseau, 1995

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14h. La masse inanimée et imbibée que j’étais il y a quelques instants émerge gentiment de son sommei l. Premier réf lexe matinal, se vider la vessie et boire un peu d’eau pour étancher une soif qui, je le sais d’avance, m’accom-pagnera toute la journée. Deuxième ré-f lexe, allumer mon ordinateur. Je lance la page internet et il me suffit de taper « F » dans la barre de recherche pour arriver sur la page d’accueil du site sur lequel je passe la moitié de mes jour-nées.

Mais là, stupeur ! Non ! Impossible ! A la place de la traditionnelle page rem-pl ie par les actua l ités de mes amis ( je ne me déconnecte jamais de mon compte) apparaît le message suivant : « Je, Ma rc Zuckerberg, a i le reg ret de vous informer, que mon site de réseau-tage, ferme ses portes suite à une dé-cision du tribunal international de la protection des bobets acceptant volon-tairement la violation de leurs droits privés. » Choc pour moi et les quelques trois cents cinquante millions d’utili-sateurs1 apprenant subitement qu’i ls deviennent des apatrides, refoulés aux frontières virtuelles de leur Etat. C’est Sarko qui doit être jaloux.

En l’espace de quelques secondes, je dois faire le deuil de six cent septante-neuf amitiés. En plus, j’oublierai certai-nement autant d’anniversaires ; ce qui ne manquera pas de me créer quelques ennemis et pas virtuels cette fois.

Et ce n’est que l’une des nombreuses répercussions sur mon quotidien. Im-possible maintenant de publ ier des photos portrait de « me, mysel f and I » en mini-string afin de récolter des dizaines de commentaires masculins plus sincères les uns que les autres. Pauvre auditoire MR 380 qui ne pro-fitera plus de l’étalage visuel de mon compte pendant les cours. Mais quand je pense à ma situation, je ne suis pas trop à plaindre. J’imagine les pauvres mecs qui, pendant toute une pério-de bénie, pouvaient aborder les fi l les

avec cette phrase, summum de la dra-gue version 2.0 : « hé salut, t’as Face-plouc ? » provoquant alternativement, soit un instant de pitié dicté par l’ins-tinct maternel soit, le plus souvent, un râteau magistral.Ce qui me désole le plus en réa l ité, c’est d’assister, impuissante, à la mort de l’ère de la récolte d’information gra-tuite et rapide sur mes moindres faits et gestes. Fini pour les entreprises d’affi-cher sur mes pages web des publicités titillant mon intérêt afin de me donner envie de consommer inutilement. Fini d’être au courant de l’itinéraire exact que j’utilise pour al ler à l’uni. Ou en-core de connaître la localisation de mes bars préférés le samedi soir. Dire que pendant plus de six ans,2 j’ai contribué à l’avancée de la sociologie, qui, grâce aux sites de réseau en l igne, aurait bientôt pu prétendre au titre de disci-pline scientifique.3

Je retrouve le statut d’anonyme, noyée dans la masse ridicule de la population helvétique, tel un fantôme se prome-nant, un Iphone à la main… inutile dé-sormais.

Et si j’arrêtais de me lamenter ? Après tout, i l me reste mon téléphone porta-ble... Bon ok, je devrai réapprendre à

demander le numéro du mec canon que j’ai croisé hier, sans avoir l’air inté-ressée, en prenant le risque de tomber sur un secoué du bocal qui m’appellera toutes les dix minutes. I l faudra vivre sans savoir que Marc a loupé son train, que Johanna a fêté les 14 ans de sa pe-tite sœur, que Luca était rond comme un ballon et a vomi dans son lit…

Je ne chatterai plus six heures tous les soirs avec un mec rencontré pendant mes vacances estivales, habitant, ac-cessoirement, à l’autre bout du monde…

Mais au fait, Caramail, ça existe tou-jours ?

ET SI FACEPLOUCN’EXISTAIT PLUS ? Victoria Barras

1 http://www.maxisciences.com/facebook/facebook

1 -350-millions-d-039-utilisateurs-dont-15-millions-

1 sont-francais_art5278.html

2 http://fr.m.wikipedia.org/wiki/Facebook?wasRed-

2 irected=true

3 Buchanan Mark, Courrier International no 1036,

3 semaine du 9 au 15 septembre, extrait du New

3 Scientist, Londres.

En l’espacede quelques secondes,je dois faire le deuilde 679 amitiés.

Bon ok, je devrairéapprendre à demanderle numéro du mec canon que j'ai croisé hier.

DOSSIER

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Pour cette édition, International.ink offre spé-cialement quelques lignes à la liberté d’expres-sion. Nota bene : les deux auteurs ne se sont pas concertés pour la rédactions de leurs articles. Ils apportent chacun leur propre éclairage.Bonne lecture !

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LA LIBERTÉ D’EXPRESSIONÀ TRAVERS LE CAS DE DIEUDONNÉYOURI HANNE • De Voltaire à Chomsky

L’héritage voltairien nous demande de défendre, voire protéger le droit de qui-conque d’exprimer ses opinions. Peu importe qu’on adhère ou pas. En 1789, au moment de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, deux camps s’opposent pour statuer sur la liberté d’expression. Sieyès, homme d’Eglise, prône une limite légale à ce concept, alors que Robespierre, avocat, et Marat, martyr de la révolution voient dans la liberté d’expression sans limite le moyen efficace de faire triompher la vérité. Depuis la Révolution Française, la liberté d’expression est au moins une idéologie à poursuivre. Au mieux, c’est même un des biens les plus sacrés dont dispose chaque citoyen. Si le législateur n’a pas directement puisé dans l’héritage voltairien, il s’en est largement inspiré pour en faire un des piliers de la République.

Dans les années 1980, Robert Faurisson était professeur de Lettres à l’université de Lyon, au moment où il a créé la polémique sur la Shoah. Il est, aujourd’hui encore, l’une des figures les plus connues du négationnisme. Faurisson n’a ja-mais milité pour la liberté d’expression mais ses thèses ont suscité le débat. Ses prises de position sur la Shoah, les chambres à gaz et le génocide des Juifs ont rapidement contribué à faire de lui un falsificateur de l’histoire et une insulte pour la mémoire juive et la mémoire de l’humanité. Pour lui, il est tech-niquement impossible que les chambres à gaz aient existé. En France, la loi ne permet pas que l’on remette en cause une assertion devenue, avec le temps, une vérité historique. Les institutions françaises, qui ont condamné RobertFaurisson à plusieurs reprises, soulignent la limite à ne pas franchir. N’en dé-plaise à certains défenseurs de la liberté totale d’opinion, aussi odieuse soit-elle. Le penseur Noam Chomsky, linguiste et philosophe américain, est intervenu en faveur du Professeur Faurisson en défendant son droit d’exprimer ses thèses sur les chambres à gaz. À l’époque du scandale, Chomsky a rédigé un texte sur la liberté d’expression repris par Faurisson pour en faire la préface d’un livre. Cette prise de position lui a beaucoup été reprochée en France et aux Etats-Unis. D’aucuns considèrent que, dans le cas de Faurisson, la liberté d’expres-sion a dépassé les bornes. C’est aussi ce à quoi se trouve confronté l’humoriste Dieudonné. D’artiste provocateur, il est désormais considéré comme paria du monde de la scène.

On ne peut pas plaire à tout le monde

Depuis son fameux sketch en 2003, dans l’émission On ne peut pas plaire à tout le monde de Marc-Olivier Fogiel sur une chaine du service public français, Dieudonné est entré, autant qu’on l’a fait entrer, dans une tempête politico-

médiatique. La standing ovation que lui a réservé le public ce jour-là a fait long feu. La quasi totalité de la presse s’est empressée de le faire passer, au bas mot, pour antisémite. Ajouté à ce lynchage, nombre d’associations juives ont crié à l’incitation à la haine raciale. Là où l’humoriste mettait en scène un colon israé-lien en treillis militaire pour dénoncer la politique d’un Etat, beaucoup n’ont vu que le Juif auquel ils s’identifiaient. Dieudonné met au défi les Français, juifs ou pas, de se questionner sur le communautarisme, le comportement violent d’Israël envers le peuple palestinien et, dans une autre mesure, sur l’attitude de la France vis-à-vis de son histoire. Comme le rappelle l’avocat de l’humoriste, la Cour européenne des droits de l’homme stipule que la liberté d’expression peut aller jusqu’aux « idées qui heurtent, choquent ou inquiètent » mais pas racistes ou qui excluent. S’il est des esprits plus ou moins éclairés pour vouloir empê-cher Dieudonné d’aborder certaines questions, ils s’inscrivent dans une démar-che d’exclusion et de refus du débat, ce qui n’est pas le cas de l’artiste. Par son côté guignolesque et son recours à la caricature, Dieudonné place le public dans une situation délicate. Il ne provoque pas seulement le rire. Dans ses spectacles, les personnages nous renvoient sans cesse à nos convictions et à nos doutes. Ils nous amènent à bousculer nos limites.

Ce que reproche Dieudonné à la justice française et aux institutions comme la LICRA (Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme), c’est d’établir une sorte de hiérarchie victimaire. La Shoah prendrait apparemment place tout en haut de la pyramide. Les Juifs détiendraient à jamais le mono-pole de la souffrance de l’humanité. Or, c’est bien l’humanité tout entière qui souffre et a souffert de l’horreur de la guerre et de la Shoah, mais aussi de nombreux autres génocides, avant et après celui-ci, et notamment de plusieurs siècles d’esclavage des Noirs. À ce sujet, Dieudonné qualifie de « pornographie mémorielle » le sectarisme des souffrances. Pour Dieudonné, la « compétition victimaire » à laquelle se livreraient certaines institutions antiracistes servirait de chantage pour légitimer la politique israélienne et l’ingérence française en Israël. Même s’il reste peu clair sur ce point, Dieudonné dénonce l’influence etl’extorsion qu’exercerait le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Jui-ves de France) sur les Affaires Etrangères de la France. Par ailleurs, l’écrivain belge Jean Bricmont a un jour expliqué que l’amalgame, le raccourci et l’élar-gissement de propos tenus sur la politique d’Israël risquent de banaliser et de légitimer l’antisémitisme. Au même titre, Noam Chomsky déclare à propos de la censure : « C’est rendre un mauvais service aux victimes de l’Holocauste que d’adopter la doctrine de leurs bourreaux ».

En invitant Robert Faurisson à le rejoindre sur scène lors d’un spectacle au Zénith de Paris en 2008, Dieudonné a envoyé un message fort. En particulier, à ceux qui pensent le décourager dans sa démarche par des poursuites ou des agressions d’ordre verbal ou physique. « Voilà de quoi je suis capable » pourrait-on interpréter. En France, Serge Klarsfeld, avocat de la cause des déportés, s’est dit blessé par la provocation de l’humoriste. Pour le reste, il a estimé qu’il n’y avait pas matière à porter plainte contre Dieudonné.

L’art et la manière

La tradition française a fait du bouffon une figure éminemment subversive au cours de l’histoire. Dieudonné revêt fièrement ce costume lorsqu’il est sur les planches, comme Coluche ou Desproges avant lui. Du temps des rois de Fran-ce, la liberté d’expression et de provocation du bouffon n’était pas remise en cause. L’humoriste transcende son rôle lorsqu’il devient politicien ou activiste. En 2009, Dieudonné s’est présenté sur la « Liste antisioniste » aux élections pour le Parlement européen. Il y a au moins deux grilles de lecture à la démarche de Dieudonné. Soit l’artiste a perdu les pédales et paie cher une certaine ma-ladresse ; il se perd dans son combat et stigmatise une population. Soit il est l’exemple parfait du jusqu’au-boutisme et de l’intégrité. Humilié, manipulé,

condamné, Dieudonné ne renonce pas au combat pour ses idées et sa dignité. La liberté d’expression doit-elle être la même pour un artiste, pour un politicien ou pour un historien ?

On ne peut pas attendre de tout un chacun qu’il soit disposé à écouter n’impor-te quel discours. D’ailleurs, tous les Juifs du monde ne forment pas une seule et même communauté. Toutefois, les Juifs ont su s’organiser avec acharnement pour se protéger et pour protéger leur histoire. La question de la liberté d’expressionne peut pas évincer l’aspect émotionnel et la souffrance d’une population. Tou-tes les luttes ne sont pas au même niveau parce que toutes les consciences ne sont pas également construites ou également meurtries. De fait, chacun est libre de mener les combats qu’il entend. Les salles de Dieudonné ont longtemps été pleines. Aujourd’hui, il joue ses spectacles dans un bus. Par la force de son propos et par le talent, Dieudonné nous oblige à interroger notre conscience et notre inconscient. Depuis la création d’Israël, l’eau a coulé sous les ponts. La lé-gitimité de l’Etat juif a-t-elle des limites ? En France, Dieudonné tente d’ouvrir un débat national sur les questions sensibles de la mémoire collective. Chacun peut se demander pourquoi les propos de l’humoriste résonnent dans nos têtes. Avec l’héritage de Voltaire et un peu de courage, il semble possible de briser les tabous. Encore faut-il y mettre la manière.

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LUKAS À PORTA • L’enjeu du présent article est de répondre à deux questions morales : Est-il ou non justifié de restreindre la liberté d’expression ? Si la ré-ponse apportée est positive, jusqu’à quel point et au nom de quel principe ? On associera sans justification une valeur positive à la liberté d’expression.

La liberté d’expression peut être définie comme le fait de pouvoir exprimer, sans restriction, toutes opinions. Le terme ‘expression’ englobe plusieurs vecteurs de sens tels que la prise de parole, l’intervention écrite ou la démonstration artisti-que. Cette liberté est intimement liée à la liberté de diffusion de l’information. Si une personne donnée exprime une opinion dans un blog mais que l’accès à ce blog est rendu inopérant par autrui, alors il sera difficile d’admettre que l’on est en présence de ladite liberté. Chacun doit pouvoir à la fois produire et diffuser librement des idées ou des opinions, indifféremment de leur qualité « réelle » ou supposée. Le corollaire de cette proposition est que de précieuses vérités comme de vils mensonges peuvent être exprimés publiquement sans qu’une personne, un groupe ou une institution ne puissent, immédiatement ou préventivement, en empêcher la formulation. Si personne ne peut, selon la définition de travail adoptée, interférer dans la diffusion d’une opinion, chacun a le droit de la dis-cuter et de répondre directement ou indirectement à celui qui l’a émise : le débat et l’échange d’idées sont ainsi garantis.

Le terme de liberté renverra dans cet article à la capacité de l’individu à agir de manière autonome. On peut définir cette capacité comme la faculté psychologi-que de choisir une action à réaliser parmi toutes les actions possibles sans subir de contrainte extérieure de quelque sorte que ce soit. Appliquée à un monde social où de nombreux individus évoluent, cette conception licencieuse ne va pas sans poser de problèmes. Si je décide, armé d’une pelle et d’une intention tenace, de déposséder un être humain de la citrouille qui lui sert de tête, mon action entravera de manière directe et définitive la liberté du futur décapité. En réalisant certaines actions précises, comme boire l’unique bière brune qui trône dans mon réfrigérateur, je prive autrui de la possibilité de réaliser l’action corré-lative. Le premier exemple tend à légitimer une diminution générale des libertés

individuelles, pas le second. Tuer une personne apparait comme étant pertinent moralement, alors que boire ou non une bière ne l’est pas. Interdire le meurtre, soit entraver la liberté d’action des tueurs en herbe, permet de préserver la vie et donc la liberté des malheureuses et potentielles victimes. Jusqu’où devraient aller ces restrictions? Plutôt que de rentrer dans des considérations comple-xes, bornons-nous à emprunter à John Stuart Mill le principe de non-nuisance, auquel nous donnerons un contenu différent. Définissons ainsi ledit principe : ma liberté s’arrête là où commence la souffrance physique d’autrui. La liberté exclut ainsi le droit de nuire physiquement à autrui. Notre principe de non-nui-sance conduit logiquement à l’interdiction de la peine de mort et de la torture. Corollaire positif : tout ce qui ne nuit pas physiquement à autrui est permis.

Appliquons notre principe à la problématique de la liberté d’expression. Tous les propos qui ne blessent pas physiquement quelqu’un devraient être tolérés. Or, il semble impossible de blesser physiquement quelqu’un en s’exprimant, sauf peut-être en lui hurlant continuellement dans les oreilles, cas limite que l’on ne traitera pas. A-t-on vraiment la licence de tout dire ? Si les paroles ne peuvent en elles-mêmes blesser, les conséquences qui résultent de leur énonciation peuvent se révéler, dans certains contextes, dommageables pour autrui. Lorsqu’un juge requiert la peine de mort à l’encontre d’un individu, la sentence est, sauf ex-ception, irrémédiablement suivie par la mort du coupable. Être contre la peine de mort, ce n’est pas seulement condamner l’acte en lui-même, mais aussi la sentence qui a rendu licite l’exécution, car il y a un lien causal entre la parole du juge et la mort du condamné. Il est par conséquent légitime de restreindre la liberté d’expression de celles et ceux qui ont le pouvoir de requérir la peine capitale. On serait tenté d’étendre ce raisonnement à d’autres cas. Exprimer pu-bliquement son intention d’assassiner une personne ou un groupe en particulier ne devrait pas, semble-t-il, être toléré. Mais à la différence du précédant cas, et bien que l’on puisse probablement constater empiriquement une corrélation né-gative entre l’espérance de vie d’une personne et le nombre de menaces de mort qu’elle a reçues, il semble plus ardu d’interdire ce type d’affirmations. Pour le juge, prononcer la sentence, c’est tuer. Pour celui qui appelle au meurtre, dire

EXPRESSIONS D’UNE LIBERTÉ n’est pas tuer, mais au mieux rendre plus probable la mort de l’individu ou du groupe visé. Est-ce suffisant pour réviser les limites de la liberté d’expression ? Cela dépend de la nature de la relation entre les menaces de mort et les morts effectives. Bornons-nous ici à constater que le contenu donné au principe de non-nuisance apparait dans ce cas comme insuffisant pour justifier une limita-tion de la liberté d’expression. Et passons à l’analyse d’un cas pratique.

Karam Fall, alias Lefa, membre du groupe de rap français Sexion d’Assaut, a tenu ces propos dans une interview parue dans le numéro 10 du magazine International Hip Hop : « Pendant un temps, on a beaucoup attaqué les ho-mosexuels parce qu’on est homophobes à cent pour cent et qu’on l’assume ; le fait d’être homosexuel est une déviance qui n’est pas tolérable ; on est des gens très tolérants, on est croyants et même Dieu a envoyé un prophète chez les gays pour les rappeler à l’islam et leur pardonner leurs péchés ». Dans la chanson Humilié, Gandhi Bilel Djuna, alias Maître Gims, rap ceci : « Je crois qu’il est grand temps que les pédés périssent, coupe-leur le pénis, laissent les morts, re-trouvés sur le périphérique ». Admettons que les coreligionnaires de Lefa soient également homophobes. Sachant que l’un des membres de ce groupe, en dehors de ses prestations artistiques, a affiché ouvertement son homophobie, peut-on considérer ces paroles comme des appels au meurtre ? Doit-on permettre à des personnes intolérantes d’énoncer publiquement des appels à l’intolérance ? Si nous considérons que ces paroles sont d’authentiques appels au meurtre et que l’on peut expliquer la nature du lien entre ces menaces et les morts effectives, en l’occurrence les meurtres, voire les suicides d’individus homosexuels, alors ces éléments sont suffisants pour restreindre la liberté d’expression du groupe. Dans le cas contraire, il faut les tolérer. Mais qu’est-ce que cela signifie, ‘res-treindre leur liberté d’expression’ ? Nous aborderons cette question dans le der-nier exemple, celui des humoristes.

Pierre Desproges a campé les traits d’un antisémite dans l’un de ses sketchs. Condamner moralement Desproges pour les paroles qu’il a mises dans la bou-che de l’un de ses personnages – quelle qu’en soit leur teneur – semble hasar-deux. De la même façon que de condamner quelqu’un pour avoir rapporté, dans un pays comme la France où la négation de la Shoah est un délit, les propos d’un négationniste notoire. Le comédien est dans la situation d’une per-sonne qui rapporte des propos tenus par autrui. Mais est-ce toujours le cas ? Imaginons que Jean-Marie Le Pen ait débuté sa carrière en tant que comique et non en tant que tortionnaire dans la guerre d’Algérie. Admettons que ce tur-lupin d’extrême-droite cultivait une haine non-dissimulée des populations ara-bes. Si ce dernier décide de prendre les traits d’un raciste anti-arabe dans l’un de ses sketchs, l’argument de la distanciation entre le comique et son personnage devient difficilement tenable. Faut-il être antiraciste pour avoir la permission de faire des blagues à connotation raciste ?

Prenons le cas de Dieudonné. Cet humoriste et politicien, qui a participé aux élections européennes en tant que candidat du Parti Anti Sioniste, a été condamné plusieurs fois par la justice française pour avoir proféré, la plupart du temps en dehors de ses représentations artistiques, des injures à caractère raciste et en particulier antisémites. Alain Soral, transfuge du Front National et ami de l’humoriste français, a également été condamné pour avoir prononcé des injures antisémites. On a reproché à Dieudonné d’avoir qualifié les commé-morations liées à la Shoah de « pornographie mémorielle » et laissé entendre que les Juifs étaient responsables de la traite des noirs. Début 2010, en réac-tion à un dérapage racialiste d’Eric Zemmour, il a soutenu qu’il fallait être juif pour avoir la liberté d’expression dans les médias français. Selon notre principe de non-nuisance, tous ces propos, qu’ils aient été ou non prononcés sur scène, doivent être tolérés, même s’ils semblent contribuer à diffuser la haine.

Suite à ces multiples condamnations, il est aisé de soutenir que Dieudonné est antisémite. Sur ces bases seules, il est par contre extrêmement difficile de lui interdire un spectacle ou une tribune, de lui refuser d’atteindre un public au nom de propos qu’il pourrait tenir. La dangerosité pré-délictuelle n’est pas un concept moral et juridique tenable. Par contre, il n’y a aucune obligation à assis-ter aux spectacles du trublion ou à voter pour le Parti Anti Sioniste. Aucun mé-dia ni aucune salle de spectacle privés ne sont moralement contraints d’inviter un comédien ou un politicien. Qu’en est-il des salles et médias publics ? L’Etat, qui dispose d’une importante force de frappe médiatique, doit-il offrir une tri-bune à Dieudonné, à travers les chaînes qu’il détient ? Laissons ouverte cette question. Que pouvons-nous faire si nous sommes convaincus que Dieudonné est un raciste multirécidiviste, que nous ne voulons pas participer à la diffusion de l’intolérance mais qu’en même temps nous chérissons la liberté d’expression ? On peut appeler au boycott de ses spectacles, pas à leur interdiction. C’est ma position. J’exprime librement l’opinion que Dieudonné est un raciste et je ne veux pas contribuer financièrement à améliorer ses conditions matérielles, à l’instar de tous les racistes et intolérants notoires. A la contribution financière, je préférai le téléchargement gratuit et légal de ses spectacles, profitant des largesses du système juridique suisse sur cette question. Par ailleurs, j’estime également qu’il est extrêmement important de répondre aux allégations que Dieudonné formule à l’égard du peuple juif, considéré par lui comme un tout homogène. De façon similaire, il est nécessaire de répondre et de vilipender les propos homophobes de Lefa. Que cela soit clair : en aucune façon on ne peut et on ne doit interdire un spectacle de Dieudonné ou lui refuser une tribune publi-que, même si l’on sait à l’avance qu’il y tiendra des propos racistes. Est-il cohé-rent d’appeler au boycott de ses spectacles et de défendre sa liberté d’expression ? Oui, dans la mesure où cet appel n’a pas pour but d’empêcher l’humoriste de s’exprimer mais de réduire son audience.

Notre principe de non-nuisance s’est révélé insatisfaisant dans le cas de la liberté d’expression. Il semble difficilement applicable au cas de la diffamation, de l’insulte ou de la propagation de fausses rumeurs… Reste une solution, plus pragmatique et charitable pour Dieudonné, s’en tenir à la façon dont Il conçoit la liberté d’expression. D’une part, Il semble souhaiter une liberté d’expression maximale pour tous et toutes, d’autre part, Il attaque en justice ses détracteurs pour diffamation ou insulte. Si l’on s’en tient à ce que le maître à penser fait, on devrait attaquer en justice une personne chaque fois que l’on estime qu’elle nous diffame, y compris si le maître à penser est précisément cette personne. Si l’on accepte que les appels à la haine, à l’intolérance ou aux meurtres sont plus graves que la diffamation, alors on devrait en faire de même pour ces cas. Par respect pour l’enseignement de Dieudonné et sa praxis au-dessus de tout soupçon, j’appel donc toutes les personnes ou groupes qui le soupçonnent de diffamation, d’appel à la haine ou au meurtre, à l’attaquer en justice pour les propos qu’il a tenus en dehors de ses représentations artistiques.

Ah, si seulement on vivait sur la même planète que Dieudonné, tout serait si simple…

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D’EXPRESSIONLA LIBERTÉ

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VIE UNIVERSITAIREVIE UNIVERSITAIRE

Le Bachelor en Relations Internationales est encore jeune et en pleine évolution. Il affronte de nombreux obstacles qui, s’ils ne sont pas surmontés, risquent de com-promettre sérieusement son avenir. À l’heure où une large réflexion est menée sur le sujet, quels remèdes sont-ils propo-sés ?

On le voyait boiter et tousser dans les couloirs de l’Université, tous le pensaient fébrile, mais peu l’imaginaient si mal en point. Finalement, le rectorat a convaincu son enfant terrible de consulter les mé-decins. Ainsi, une fois encore, le BARI est de retour dans la salle d’opération. On l’examine, on le dissèque, et le constat est frappant. Derrière une vague enveloppe corporelle, on découvre un organisme surexploité en phase d’être étouffé par un nombre étourdissant d’étudiants. Ses

artères sont empêtrées entre les trois fa-cultés qui habitent son corps. Pire encore, les plus éminents spécialistes ne remar-quent que maintenant que la pauvre for-mation vivait jusqu’à présent sans visage ni cerveau.

Pour faire face à ses problèmes, le rectorat a chargé ce printemps une Commission professorale réunie par le professeur Keller d’envisager l’avenir institutionnel du BARI et sa pérennité. (Une seconde Commis-sion évaluera ensuite le contenu concret de la formation.) Les étudiants n’ont pas été oubliés et l’AESPRI a été invitée à présenter ses avis et recommandations, après avoir mené une large consultation auprès de sa base et s’être entretenue avec différents professeurs et assistants. Tous se retrouvent ainsi réunis au chevet d’une formation qui a grand besoin de

réformes autant au niveau de son fonction-nement institutionnel que du contenu de l’enseignement. Il semble qu’un heureux consensus puisse se dégager autour de celles-ci.

Fonctionnement institutionnel :assurer autonomie et indépendanceNul ne disputera que la structure actuelle du BARI est peu satisfaisante, et ce, sur deux plans. Sa place au sein de l’organi-gramme de l’Université est d’abord aussi floue que précaire. Elle est certes ratta-chée à la Faculté des SES, mais dépend pour son administration des 3 facultés qui participent à l’enseignement. Ceci amène d’incessants conflits entre les différents règlements facultaires, dont découlent des inégalités de traitements entre les étu-diants de Relations Internationales et les autres, des tracasseries administratives inutiles et, de manière générale, des incer-titudes sur les règles régissant la forma-tion. A ceci s’ajoute qu’elle ne dispose pas de ses propres professeurs et assistants et doit donc les emprunter aux facultés.

D’autre part, dépendante de la bonne volonté de trois conseils facultaires dif-férents, la Commission de direction du BARI manque singulièrement de pou-voir de décision. Elle doit constamment se référer à d’autres organes universitai-res lorsqu’il s’agit de résoudre des problè-mes ou de modifier un quelconque aspect de la formation.

Le fonctionnement actuel de la formation est également bancal sur le plan interne.Son statut particulier le prive en effet d’une structure appropriée pour accueillir le nombre énorme et toujours grandissant d’étudiants qui s’engagent dans cette for-mation. Le Bachelor se trouve donc dans une situation paradoxale : il compte un nombre d’étudiants assez important pour remplir une faculté entière, mais est privé de toutes les instances qui l’accompa-gnent. Il se retrouve ainsi dépourvu d’un secrétariat et ne possède qu’une seu-le conseillère aux études – à laquelle le rectorat a, de façon aberrante, seule-ment récemment accepté d’accorder un poste à plein temps. De plus, il ne peutpas signer ses propres accords de coopé-ration et d’échanges internationaux et ne

dispose pas d’organe permettant à tous les corps de se retrouver sur une base ré-gulière. Aujourd’hui, force est de constater que nombre d’étudiants se plaignent d’un manque d’information et d’encadrement.

Face à cette absence de marge de manœu-vre externe et de structures internes, une refonte en profondeur s’impose. Il s’agit d’abord d’assurer l’indépendance et l’auto-nomie du BARI en lui donnant un cadre administratif clairement défini. L’impor-tant n’est pas ici le nom ou la définition de ce nouveau cadre, mais bien ce qu’il doit permettre. Dans un premier temps, il doit pouvoir bénéficier d’une véritable structu-re administrative et d’un règlement d’étu-des propre afin de définitivement mettre un terme au flou qui entoure sa place au sein de l’Université. La gestion autonome de l’administration comme de l’ensei-gnement doit également être assurée, de même que la création d’un corps intermé-diaire et professoral dédiés entièrement à cette formation. Finalement, si le rectorat veut accomplir ses objectifs, il faut que cette nouvelle ossature soit apte à déve-lopper à l’avenir les Relations Internatio-nales à l’Université de Genève par l’ajout d’un ou plusieurs éventuels Masters ou unités de recherche. Tout ceci nécessite que les RI jouissent d’un statut bien défini et d’une véritable indépendance.

Il n’est cependant pas nécessaire d’im-médiatement évoquer la création d’une nouvelle faculté à part entière, structure lourde et complexe à mettre en place. Un statut proche de celui de l’Institut euro-péen ou des Unités d’Enseignement et de Recherche de SES garantirait déjà une autonomie suffisante tout en étant plus ra-pide et facile à élaborer. Le rattachement officiel à la Faculté des SES est d’ailleurs somme toute secondaire. Il aurait été pé-rilleux de tenter de mettre en place une nouvelle structure fixe dès la création du BARI. Désormais, après 5 ans d’existence, le BARI a quitté la petite enfance et tout développement futur nécessite d’assurer son avenir institutionnel.

L’enseignement : entre répétitions et incohérencesUn cadre solide n’est cependant rien s’il ne sert pas un enseignement de qualité, et celui-ci a également grand besoin de réfor-mes. De nombreux problèmes découlent du péché originel du Bachelor, soit l’absence d’un projet pédagogique cohérent à la base de la formation. Plusieurs étudiants déplo-rent par exemple des cours aux thèmes trop éparpillés et divers, parfois très faiblement rattachés aux Relations Internationales et qui nuisent à la cohérence du plan d’étude.

Or cette tendance est encouragée par la division des enseignements en petites unités indépendantes et par le manque de dialogue entre professeurs de sections et facultés différentes. Des thèmes cen-traux et communs à plusieurs cours sont traités plusieurs fois sans pour autant que les étudiants puissent obtenir une image d’ensemble cohérente des questions abor-dées, puisqu’ils doivent les assimiler par petits bouts et à travers différentes appro-ches sans que les liens et complémentari-tés entre celles-ci ne soient mis en avant. Aujourd’hui, le plan d’études ressemble plus à une liste quasi-exhaustive des cours des trois facultés comportant un quelcon-que lien avec la société internationale qu’à un véritable cursus académique.

La pluridisciplinarité au centre du BARI souffre d’un manque de cohérence entre les enseignements, et l’atout qu’elle re-présente dans le traitement d’un champ d’études aussi divers et varié que les Re-lations Internationales se trouve grande-ment diminué par le morcellement et la dispersion du plan de cours. L’approche pluridisciplinaire n’est pas en soi suffi-sante pour structurer un plan d’étude où se retrouvent rassemblés des enseigne-ments très nombreux et différents, et il est nécessaire de le repenser sous un nouvel angle.

Une approche transdisciplinaireUne option serait d’envisager un plan d’études en deux pans. Le premier concernerait l’aspect théorique et métho-dologique de chacune des quatre disci-plines. Une spécialisation serait alors ef-fectuée dans une seule discipline au lieu de deux. Cela permettrait de développer de façon plus pointue les connaissances méthodologiques des étudiants, dont le manque se fait cruellement ressentir ac-tuellement.

Le second pan du BARI serait envisagé non plus sur une base pluridisciplinaire, mais plutôt transdisciplinaire : les en-seignements pourraient être regroupés sous forme de modules thématiques (par exemple les organisations internationa-les, l’Europe du 19e et 20e siècle, la mon-dialisation, etc.). Ces thèmes seraient ainsi abordés à travers chaque approche disciplinaire pour en examiner toutes les facettes et en avoir une image d’ensem-ble cohérente et complète. Ceci permet-trait de recentrer l’enseignement sur les Relations Internationales elles-mêmes et de mettre en valeur la complémentarité et les convergences entre les quatre dis-ciplines du Bachelor. Le plan d’étude ga-gnerait grandement en cohérence.

Vers l’infini et l’au-delàDans le plan stratégique « une vision pour 2020 », le rectorat se fixe comme objectif de renforcer la dimension internationale de notre université, et ce, notamment en développant un pôle en Relations Interna-tionales. Le moment est désormais venu d’agir en conséquence. Si le BARI veut affronter la prochaine décennie avec sé-rénité, il lui faut une structure appropriée garantissant son indépendance et son autonomie ainsi qu’un plan d’étude solide accentuant son aspect multidisciplinaire sans en sacrifier la cohérence.

Pour réussir sa transition vers ce modèle, le Bachelor en Relations Internationales aura cependant besoin d’attention sou-tenue et de ressources, autant humaines – de nouveaux professeurs et assistants attachés uniquement à la formation – que financières. À l’heure où les sciences exac-tes prennent malheureusement de plus en plus le pas sur les sciences humaines et attirent la plus grande partie du finance-ment, il est d’autant plus important que le rectorat s’engage à défendre sa vision internationale et ne laisse pas ce Bache-lor s’écrouler sous le poids de son succès grandissant.

Celui-ci constitue une sérieuse menace pour la formation. I l reste en effet une question majeure qui n’a pas été abordée dans cet article. L’accroissement expo-nentiel du nombre d’étudiants intéressés par les Relations Internationales présente en effet à plus d’un titre un défi pour tous les acteurs prenant part au jeu du BARI. Que ce soit par la mise en place d’un nu-merus clausus ou par l’élaboration d’une structure d’encadrement assez massive pour accueillir autant de candidats au Ba-chelor, le rectorat se doit de prendre des mesures afin de répondre à ce problème qui menace non seulement la qualité de la formation, mais également la réputation de l’Université dans son ensemble. La ma-jorité des étudiants se plaignent d’ailleurs déjà du nombre trop important de leurs condisciples, et la question devra tôt ou tard être réglée. Elle fera, espérons-le, l’objet d’un débat sérieux dans un avenir proche.

LA RÉFORME DU BACHELOREN RELATIONS INTERNATIONALESOU LE MYTHE DE SISYPHE Clément Bürge & Antoine Roth

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A l'image de Sisyphe, le BARI est-il victime de son propre succès ?

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VIE UNIVERSITAIRE

Ce propos de Serge Latouche, a été recueilli lors de la Conférence-débat qui s’est dérou-lée à Unimail le jeudi 28 avril 2010. Econo-miste et grand partisan de la décroissance économique soutenable, avec ses confrères, il rejette « (…) l’objectif insensé de la crois-sance pour la croissance, objectif dont le moteur n’est autre que la recherche effrénée du profit par les détenteurs du capital. »1 Le principe même du capitalisme est remis en question, mais pour quelle alternative ? Une société de décroissance conviviale, selon les therme de Serge Latouche, dans laquelle les besoins seraient réduits et la marchandisa-tion des rapports sociaux bannie. Plus convi-viale, la vie y serait d’autant plus riche.

Le terme de décroissance trouve son origine dans deux sources. La première, anthropo-logique, est une critique ancienne de l’éco-nomie capitaliste et de la base originelle de son « homo economicus », dit rationnel et à la recherche perpétuelle de son intérêt propre. Il serait souhaitable de sortir de ce système qui limite l’humain à son caractère égoïste, car nous vivrions mieux dans une société ré-gie par la coopération plutôt que par la com-pétition. La seconde source provient de son caractère impératif pour des raisons phy-siques. Georgescu-Rœgen, le précurseur de la théorie de la décroissance avait déjà mis en évidence l’aspect impératif d’une dé-croissance. Dans son livre The Entropy Law and the Economic Process (1971), il met en lumière la contradiction entre la loi de l’en-tropie qui montre que l’usage des ressources naturelles utiles à l’humanité provoque une dégradation inéluctable de l’environnement, et une croissance matérielle sans limite. Il prévient que la planète ne pourra pas sup-porter longtemps cette contradiction. C’est pourquoi l’impératif de décroître jusqu’à un niveau soutenable pour la terre est une question vitale. En effet, le groupe intergou-vernemental d’experts sur l’évolution du cli-mat a, lui aussi, bien signalé la menace cli-matique et la nécessité de diminuer de 80% notre dépendance aux énergies fossiles, d’ici 40 ans pour éviter la catastrophe... Ainsi, en liant les deux, le souhait et la nécessité, on pourrait vivre très bien autrement.

Concrètement, puisque l’environnement de chaque milieu exige des moyens par-ticuliers, l’objectif de décroissance ne pré-conise pas une solution unique qui serait applicable partout. Néanmoins, la réduc-tion du temps de travail de chacun pour as-surer un emploi à tous serait une condition préalable. De plus, selon Serge Latouche, le programme en six “ R ” (Réévaluer, Res-tructurer, Redistribuer, Réduire, Réutiliser, Recycler) proposés au Forum des ONG de Rio conduirait vers un cercle vertueux de décroissance soutenable et conviviale.

Voilà une alternative bien intéressante qui va à l’encontre des croyances dominantes et bien solides selon lesquelles la résolution de tous les problèmes, notamment écologi-ques ou de pauvreté, ne pourront se réaliser qu’avec plus de croissance. C’est en raison de la terrible ténacité de cette conviction que, l’être humain « moderne », pour être en mesure d’intégrer l’idée de décroissance, doit d’abord « décoloniser son imaginaire » imprégné de cette logique du « toujours plus », remettre en question sa foi en les bienfaits d’une accumulation illimitée et

opter pour une simplicité volontaire, qui consisterait à diminuer volontairement ses besoins en les maîtrisant.

Précisons pour finir que ce mouvements’oppose au développement durable. Ce dernier, impliquant en son principe même une croissance infinie, ne serait en fait qu’un leurre pour remédier aux crises écologiques, économiques, sociales et po-litiques que rencontrent l’humanité. C’est bien pour prolonger un peu plus cette crois-sance insoutenable que l’adjectif « durable » est accolé au terme « développement ». En effet, les décideurs utiliseraient l’expres-sion de « développement durable », plus pour poursuivre ce développement effréné plutôt que pour préserver l’environnement

« CELUI QUI CROIT QU’UNE CROISSANCEINFINIE EST POSSIBLE DANSUN MONDE FINI EST SOIT UN FOU,SOIT UN ÉCONOMISTE » Rasan Cengiz

La réduction du tempsde travail de chacunpour assurer un emploià tous serait une condition préalable.

L’impératif de décroître jusqu’à un niveau soutenable pour la terre est une question vitale.

Sources

• LATOUCHE Serge (dir.), Collectif• décroissance. Vers une société harmo-• nieuse., Editions françaises The Eco-• logist , Paris : 2003.

En avril 2010, l’AESPRI organisa un voyage d’étude à Berlin. Trente élèves de l’UniGE débarquèrent donc pour une semaine dans une des villes d’Europe la plus courue du moment pour sa vie nocturne et son activité culturelle.

Rendez-vous à 18h00, gare routière de Genè-ve. Le reste est une longue nuit. L’ambiance renouait vaguement avec celle des courses d’école, excitation, angoisse : nos grandes at-tentes se heurtent d’abord à la perspective des 16 heures de car, entassé-e-s avec les co-pain-ine-s, mais aussi avec nombre d’incon-nu-e-s. Elles furent passablement épuisantes en effet, malgré les efforts appréciables du groupe « Voyage » de l’Aespri qui prenait des allures de Gentil-le-s Organisateur-trice-s.

Le périple n’était pas sans risques : des témoi-gnages attestent de l’agilité supérieure des chauffeurs qui ont assez compté sur l’aéro (et hydro) dynamisme du bus pour se faufiler entre camions et autres convois en soulevant tour à tour l’aile nord ou sud de l’appareil. Si la langue de l’un d’entre eux nous échappât complètement – des pattes de mouche ora-les pour sûr – le second nous confia que ses jambes étaient trop courtes pour arriver ef-ficacement aux freins, de sorte qu’il devait conduire à l’amble, par un déhanchement subtil et un système de balancier. Quelques arrêts pour piocher le reste des camarades extra-genevois-es (qu’on accueillât à grands cris) , pas mal de chansons, de déconne, de sommeil et d’onéreux arrêts labellisés nour-riture et vessie, puis, on se retrouvât dans les banlieues grises de Berlin. Premier pied sur le trottoir d’Oranienstrasse, on manque de se faire transpercer par quelques vélos (les pistes cyclables n’y sont pas jaunes), dont les usager-ère-s beuglent quelque germanerie peu aimable. Bienvenue en terre hostile.

L’auberge renversât cette première impres-sion, nous entourant de tendresses inatten-dues – on nous précisa notamment que le bar ouvrait très tard et qu’on pouvait y fumer le soir. Correction : bienvenue à la maison. On nous gratifia alors de dortoirs à thème : la Suisse (non ce n’est pas une blague), l’Al-lemagne (non plus) et la Hongrie (…). Nous soulignons ici la présence d’une coccinelle rose–lit dans le dortoir allemand, ce qui, nous estimons, est un argument d’autorité assez puissant pour dire qu’il était « le plus stylé ».

On s’aventura dans les rues achalandées du quartier de Kreuzberg (Xberg pour les intimes), les cafés, les boutiques de secon-de-main, les petits restos, et on se prit d’un

amour violent et persistant du désordre, ré-haussé par la variété et la vivacité des co-loris, de l’activité, des gens. Berlin est une fourmilière, mais également, la cité anar-chique (et anarchiste ?) par excellence. Tout est concentré, imbriqué, défoncé, taggé, ra-piécé, bancal, alternatif. Tout est aussi mo-derne, efficace, fonctionnel, propre. Oui, les deux. Le tout parsemé de terrains vagues, de trous inopinés. Nous nous sommes trouvé-e-s absorbé-e-s, totalement perdu-e-s dans la grande Berlin.

De cet inextricable éclectisme se détachent sensiblement les lieux méticuleusement choisis pour nos visites. Que ce soit la Chan-cellerie, l’Hôtel de ville ou le Parlement, il pla-nait un ordre et un formalisme – on pouvait s’y attendre – qui collait beaucoup mieux aux clichés qu’on se fait de l’Allemagne et du « style » efficace allemand. Tout était soudain lisse. Et là : visite du camp de travail de Sach-senhausen. Grosse baffe. Non, tout n’était pas lisse. A ce propos, on constate assez vite qu’il y a pléthore de monuments dédiés aux morts des uns et des autres, aux guerres. Si la ville ne croule pas encore sous le poids de son histoire, les pierres demandent pardon.

Pour clore le chapitre des visites, on aimerait passer rapidement sur l’intéressante ren-contré que nous fîmes – en bon-ne-s chau-vin-e-s – avec l’ambassade suisse. On nous expliqua notamment qu’on avait un brillant avenir devant nous, qu’ils/elles recrutaient des stagiaires, comment faire pour être un-e grand-e diplomate, que non la votation sur les minarets n’affectait pas les relations entre la Suisse et le reste du monde (non ils/elles ne galèraient pas plus pour expliquer la position diplomatique des helvètes), et qu’ils/elles or-ganisaient des formations (pour ne pas dire camps, on n’aime pas le mot) pour intégrer

les étranger-ère-s en Allemagne et leur ap-prendre les coutumes allemandes. “ Et vous vous organisez cela pour les suisses immi-gré-e-s j’imagine ? ”. Indignation et vague hésitation de la part des conférenciers : ils estimaient que les cultures étaient si pro-ches qu’il n’y avait là aucun besoin d’appren-tissage. Retour au coma berlinois.

Rien n’est cher et tout est facile à Berlin. Sauf peut-être le contact humain. Bon, il faut à ce stade préciser que l’une des auteures n’a jamais fait d’Allemand de sa vie. Elle a violemment mesuré le gouffre d’inaptitude dans lequel elle se trouvait, et l’abîme cultu-rel qui la séparait de manière subséquente des autochtones, lorsqu’elle se perdît dans le métro ne comprenant pas comment, en descendant à des stations différentes, elle se trouvait toujours à l’arrêt « Ausgang » (écrit en gros au-dessus de sa tête) – « toutes les stations s’appelleraient-elles pareil dans la zone ? ».

Maintenant que nous avons situé notre point de vue, on se permettra de remarquer que l’espèce berlinoise n’est pas la plus friendly qui soit. N’empêche qu’on nous a quand même invitées à danser la salsa, à passer le 1er mai (en cassant allègrement du flic, mais c’est folklorique ce jour là), et à un bal de vampires. L’affirmation s’en trouve nuan-cée. Mais le-a berlinois-e existe-t-il/elle seu-lement ? Nous avons passé des soirées en-tières à entendre parler Espagnol, Français, Anglais, Italien, Turc et d’autres nébuleux idiomes sans un souffle germanique. En fait on vient de trouver, il existe quand même un point commun entre Genève et Berlin : si tu parles la langue vernaculaire, tu rentres dans le bus, et tu ne comprends rien. En somme, Berlin fut un scandale, au propre, comme au sale.

ARM ABER SEXY Justine Chauvin & Ainhoa Rubiato

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REMPLISSAGEREMPLISSAGE

Etudiant mâle :

Etudiante femelle : [Séminaire] :

Etudiant mâle :

Etudiant mâle : [à une étudiante femelle en plein fou rire] :

Debarbieux :

STASZAK :

Kolb :

Oris :

Levrat : « C’est n’est pas moi qui suis confus, c’est la matière qui est complexe ».

-Détective masquée-

-Ne laissez pas vos conversations sans surveillance-

[cours d’histoire économique, on nous montreune assiette en porcelaine]« Merde, j’ai les même chez moi. »

[au sujet de l’augmentation de la bureaucratieà L’Université de Genève en particulier]« Bientôt il faudra écrire un rapport au rectorat pour tousser ».

« Dans les situations de crise, on se marie moins et il y a moins de naissances. Les couples sont moins enclins à faire du boogie-woogie avant les prières du soir. »

« Non mais y’avait quoi dans ton boursin à midi ? »

« Pour donner un exemple de la diffusion par connexité, il y a les virus : ils n’ont pas besoin de visa pour se déplacer. »

« Et Laura tu fais péter le mot croisé ! Canin j’ai vu que ça marchait pas ! [un peu après] : T’as trouvé le légume précoce ? »

« Pourquoi ramener les images des toilettes à la sexualité ? On n’y va pas pour mettre l’écrou dans le boulon, non ? »

« Son cours est tellement monotone, qu’il suffit qu’il boive son café pour que l’amphi se marre ».

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