international ink n°16

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16 contre 1 : notre dossier spécial sport

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sommaire

éDITOP3 Benjamin DanBakli, Fitore MuharreMi

DOSSIER – lE SpORT En DécaDEncEP4 Pour une approche critique du sport ian FlorinP6 Le sport, nouveau nuage de fumée électorale ? Maygane JaninP8 Quand Poutine organise des jeux olympiques Florian TissoTP10 Fuites en série : déserteurs dans les starting-Blocks elodie FeiJooP12 Soft-power 2.0, mode d’emploi par le Qatar hélène MinacciP14 Le sport, nouvelle religion ? audrey MagaTP16 Dégénérescence des sportifs : le sujet qui fait mal Mélissa DuMonT

zoom – DE la guéRIlla au gOuvERnEmEnTP20 Quand le désespoir crée le rassemblement Jérôme ennezaTP22 Uneavenuesansfin Fitore MuharreMiP24 Le mir et le gouvernement socialiste chilien d’allende : une relation ambiguë clara rita noraMBuena

vIE unI ( vERSITaIRE )P26 a-t-on besoin de l’économie pour comprendre la science politique ? hugo houBarTP28 spotted interview Benjamin DanBakli

RuE D a n D YP32 L’insoutenable légèreté de l’être de Kundera : unefictionàlaconquêteduRéel lubiana gosp server

vOYagE [S]P34 Les pays d’asie ont-ils besoin d’un Père ? Théo aiolFiP36 L’odyssée illustrée Fitore MuharreMi

P38 BRèvES D’ampHI P39 … BRèvES D’anTIcIpaTIOn

une réaction, un commentaire ou envie de participer à la rédaction ? visite notre site web :

http://international-ink.tumblr.com/ ou contacte-nous par mail à l’adresse suivante :

[email protected]

RédactionThéo Aiolfi, Alexis Rapin, Anaïs Pascal, Charlotte Ruiz, Ian Florin, Lubiana Gosp Server, Melissa Dumont, Paul De Freitas, Paulos Asfaha, Jérôme Ennezat, Moritz Fegert, Elodie Feijoo, Madeleine Hamel, Bastien NéelMaygane Janin, Hugo Houbart, Matteo Maillard, Aline Aincici, Audrey Magat, Hélène Minacci, Julie Muller, Clara Norambuena, Julien Steinegger, Florian Tissot

coordinateurs Benjamin Danbakli Fitore Muharremi

correcteurBastien Néel

graphiste Sonia Dominguez www.sttada.com

Illustrateur dossier Robin Junod/Herji www.universelle-ratatouille.com

Illustration 4e de couverturePierre Andrey

Edité par l’Association des Etudiants en Science Politique et Relations Internationales (AESPRI)

Imprimé par l’atelier d’impression CominpressFinancé par la Commission de Gestion des Taxes Fixes

contact [email protected]://international-ink.tumblr.com/

…BRèvES D’anTIcIpaTIOn 39

Benji :

Genève à cœur ouvertBravant l’interdiction de sortir des bunkers, deux individus ont été aperçus par les caméras de sécurité dans la rue de carouge hier soir, à 23h43. personne n’a, à cette heure, de nouvelles d’eux. l’appât du gain et le vandalisme ont, semble-t-il, encore été à l’origine d’une triste disparition. un autre message alarmant qui nous rappelle qu’il est formellement interdit de sortir des bunkers. autrefois décrié par nos voisins, notre pays, fort de ses articles 43 et 46 de la loi fédérale sur la protection de la population et sur la protection civile, peut aujourd’hui se vanter de sa « paranoïa » !Genève, 12 février 2029

Les civiLisations sur tensionsBasques et syriaques, ouïgours et kurdes, le monde est divisé comme jamais et fait face à un dilemme auquel même les libéraux ne peuvent plus trouver une issue gagnant-gagnant. la souveraineté est cette corde que chaque équipe tire de son côté jusqu’à l’épuisement. sa fracture est inéluctable. l’europe fait face à de multiples conflits régionaux et nationaux mais son sort n’a pas l’air d’inquiéter la ligue internationale (chine, russie, États-Unis...), trop occupée à gérer ses propres conflits internes. Aucune force au monde ne semble pouvoir mettre fin à ces conflits. Quelles sont les issues potentielles ? C’est ce que nous verrons dans cet interview avec M. X, sociologue des minorités ethniques et politologues des religions.Tarbes, 6 janvier 2024

Hugo : toKYo, 2 DécemBre 2013 un Boeing 787 de la compagnie Japan airlines a été abattu par l’armée de l’air chinoise alors qu’il survolait la très controversée zone aérienne d’identification récemment étendue par Pékin en mer de chine orientale.

le vol contenait à son bord 310 passagers, dont une dizaine de Français, et était à destination de Tokyo. vers 12h heure française deux chasseurs de type J-10 ont visiblement ouvert le feu en raison, semble-t-il, d’un refus de l’appareil de transmettre son plan de vol. Des secours ont été envoyés sur place mais il semble y a voir peu d’espoir de retrouver des survivants.

le premier ministre Japonais, shinzo abe, a réagi il y a moins d’une heure en déclarant que « le Japon prend bonne note de cet acte de terrorisme » et que « des mesures de représailles ne sont pas à exclure ». le ministre serait actuellement en discussion de crise avec Washington. selon certaines sources une réponse militaire est envisageable.

Bastien :

(intro)Toujours plus de tensions. Toujours plus de négociations vouées à l’échec et qui, ô surprise, échouent. Toujours plus de polarisation entre un occident qui se tire dans les pattes à coups d’espionnage à grande échelle et un monde « alternatif » qui, russie, chine et iran en tête, bloque toute résolution de l’onu qui menacerait ses intérêts financiers ou militaires.une tension, physiquement, peut donner lieu à un retour à l’état initial, comme quand, arrivé à un everest de procrastination, on joue avec un élastique et qu’on le relâche doucement. négociation réussie. Mais on peut tirer un peu trop fort et trop longtemps sur ce pauvre élastique, et il s’en souviendra, de cette séance d’ennui qui l’a rallongé de quelques centimètres. négociation médiocre. Mais quand la tension est trop forte ? Il va finir inéluctablement par se casser. Et le clap de fin de son insignifiante existence sera également… le début de la fin.alors réfugiez-vous dans vos abris antiatomiques et préparez la Dca et des élastiques de rechange, car on a décidé qu’il y avait trop de tensions pour que l’on s’en sorte indemne, et on a tenté d’imaginer ce que donnerait aujourd’hui et demain un Monde qui aurait abandonné la diplomatie au profit de « négociations agressives ».

édito

Benjamin DanBakliFitore MuharreMi

un siècle s’est écoulé et notre combat à présent se voit transformé. alors que nos aïeux partaient dans les tranchées la fleur au fusil, nous, jeunes inkiens, combattons sur le papier la plume à la main. notre vocation n’est pas de faire couler le sang de nos ennemis mais l’encre de nos pensées. lors de notre dernier numéro, nous cherchions l’émancipation humaine, « cette indicible capacité de redessiner les contours de notre société ». aujourd’hui, nous prenons le stade comme champ de bataille et attaquons une composante incontournable de notre société : le Sport. nous poursuivrons notre lutte en zoomant sur la transition politique qui fait d’une guérilla un gouvernement.

l’équipe du ink, forte de ses nouveaux membres, se lance dans une insolite croisade face à un monument culturel souvent traité d’un angle insatisfaisant. Souvent déçus des discours superficiels, dont l’exhaustivité est à pondérer, des commentateurs sportifs, nous suivons aujourd’hui un tout autre chemin. la façon dont le sport est commenté n’est pas notre unique source de désappointement. nous autres étudiants restons également déçus par des sujets qui nous sont plus proches telle la politique exécutive universitaire à laquelle nous aussi étions dernièrement confrontés. Déception comparable d’une annonce unilatérale et despotique, déception d’une information partagée via Outlook, déception d’un choix indigne du système électoral consensuel helvétique, déception des étudiants encore mis à l’écart des enjeux qui les concernent. Cependant, dissolution faite, nous nous tournons à présent vers l’avenir. un réel engouement se fait ressentir de la part de tous les corps afin de mettre sur pied une nouvelle faculté à notre image. les multiples commissions créées de la participation active de nombreux membres de la faculté nous rendent plus optimiste. Cette « new SeS » –

Sciences sociales et politiques ? Science de la société ? – ne semble peut-être pas vouée à l’échec. Malgré cela, le maître mot reste la prudence de la part des étudiants quant aux prochains plans et règlements d’études. Même si notre parole a été bafouée jusqu’ici, les apparences peuvent être parfois trompeuses. nous avons encore à assumer nos responsabilités. nous possédons le droit à l’expression, mettons - le à profit pour défendre nos intérêts et notre faculté.

l’année 2013 n’a pas seulement été marquée par cette scandaleuse dissolution, mais aussi par la rentrée effective des étudiants en relations internationales auprès du « GSi » – Global Studies institute – anglicisme blingbling préférant les fonds internationaux et séduisant les collégiens des quatre vents par slogan de façade au lieu de privilégier un programme cohérent et une administration fiable. nonobstant cela, le GSi ne se réduit pas à cette vision prétentieuse qu’il renvoie. implanté dans la Genève internationale, son attractivité croissante draine des jeunes cerveaux venus de tous les horizons et permet la constitution d’une structure d’échanges riche et diversifiée.

Quittant Uni-Mail pour le stade, l’équipe inkienne marquée d’un flamboyant numéro 16 entre sur le ring frappant de ses pages le Léviathan du ballon.

éDITO 3

international.ink n°16 janvier/février 2014

4 InTernaTIOnal.Ink #16

PoUr Une aPProche critiQUe dU sPort

ian FlOrin

le sport s’est imposé depuis quelques siècles comme une composante incontournable de notre société : on le pratique, on le regarde, on le subit au quotidien. le monde entier semble sportivisé : hommes, femmes, riches, pauvres, jeunes, vieux, tous veulent leur dose quotidienne de sport, qu’elle prenne la forme d’un jogging matinal ou d’une vidéo des meilleurs buts de Zlatan dégustée avec un paquet de chips à l’ancienne. la planète entière semble acquise à la cause du sport et aux valeurs qu’on lui as-socie. De l’extrême gauche à l’extrême droite, on s’accorde sur sa capacité bienfaisante à inculquer aux masses les notions de partage, de respect ou de dépassement de soi.

– le sport implique une forme de darwinisme social, qui se traduit par un processus infini

de sélection à tous les niveaux –

Loi dU PLUs fort et LogiQUe sUicidaire dU dé-PasseMent de soiCette vision angélique est remise en cause par des partisans d’une approche critique, qui dénoncent l’idéologie véhiculée par le sport. Pour le philosophe Fabien Ollier, directeur de la revue Quel Sport ?, l’institutionnalisation et l’uniformatisation des ac-tivités physiques au long des XiXe et XXe siècles a fait du sport un objet politique générateur de valeurs malsaines. Pour lui, le sport répond à une logique de la compétition du tous contre tous : il ne peut y avoir de sport sans système de comparaison, cris-tallisé autour de champions ou de records. Du chronomètre du coureur du dimanche au classement mondial de la FiFa, l’impor-tance donnée à l’objectivation de la performance et aux résultats alimente un mécanisme de hiérarchisation systématique inhérent au sport. Chaque joueur, équipe ou entraineur se voit évalué par rapport aux exploits du passé et du présent, de ses concurrents proches ou lointains.

– De l’extrême gauche à l’extrême droite, on s’accorde sur la capacité bienfaisante du sport à

inculquer aux masses les notions de partage, de respect ou de dépassement de soi –

le sport implique une forme de darwinisme social, qui se traduit par un processus infini de sélection à tous les niveaux. une partiede balle brûlée ne se gagne ni avec des filles, ni avec des petits gros, alors qu’une coupe du monde de rugby ne se remporte pas sans des joueurs choisis scientifiquement dès leur plus jeune âge

Si le sport est souvent perçu comme une activité aux valeurs positives, ses implications philosophiques et politiques sont loin d’être anodines.

le bien-être après l’effort flickr.com

InTrO DOSSIer 5

suivant leur taille et leur poids. le sport procède ainsi d’une fragmentation du corps social plutôt que la belle socialisation qu’on lui attribue. On met en avant la supériorité des uns sur les autres : les hommes contre les femmes, les jeunes contre les vieux, les valides contre les invalides. Pour Fabien Ollier, le sport apparaît comme une forme de cap-italisme incarné, le corps étant soumis à une simple logique de rendement. il s’agit dès lors pour le sportif de faire fructifier son capital à force d’entraînement et de programmes de nutrition. en revanche, celui qui, répondant à cette logique, aura triché ou se sera dopé, sera sacrifié sur l’autel du fair-play comme un traître à la mission moralisatrice du sport.

Dans ce contexte de recherche généralisée de la performance, on en vient à rendre positives et esthétiques la fatigue auto-provo-quée et la souffrance inhérentes au dépassement permanent des limites du corps. Qui ne s’est jamais satisfait de s’être « sorti les tripes » après un match éprouvant dans un réflexe masochiste ou s’être extasié devant la transpiration et les titubations d’un marathonien en fin de course ? On va voir dans ce dossier que la logique suicidaire de repoussement infini des limites corporelles à laquelle obéit le sport touche des pratiquants de tous âges et dans des disciplines variées.

dU Pain et des jeUxle sport est partout, tout le temps : quand on ne le pratique pas on le regarde, quand ce n’est plus roland Garros, c’est déjà le Tour de France. Fabien Ollier assimile cette omniprésence du sport à une forme de totalitarisme aliénant : « les gens ne lisent plus, ils marchent, courent, pédalent ». a la manière des jeux de cirque en leur temps, la masse se contente du divertisse-ment sportif plutôt que de s’intéresser à sa propre condition. les rugbymen surpayés ont remplacé les gladiateurs mais le spectacle à l’esthétique guerrière est le même : on regarde avec un

plaisir voyeuriste des brutasses se percuter et se battre mutuelle-ment pour la victoire. On ne peut que s’étonner de l’engouement autour de cet étalage de richesse indécent qui permet à des ac-teurs grassement rémunérés de se donner en spectacle devant des salariés sous-payés. a ceux qui voient les stars du sport comme des sources d’inspiration pour la masse, on répondra qu’ils n’incarnent aucune valeur sinon celles de marchandises qui se vendent au club le plus offrant ou à la marque la plus en vogue.

le public du Colisée a laissé place aux masses de supporters drogués aux sentiments patriotiques les plus primaires. l’hys-térie collective entourant la compétition sportive fait office de véritable diversion politique, donnant à chaque analyste de café des sports l’impression d’exercer sa pensée critique en jugeant la dernière méforme de Federer. la dimension politique du sport n’en fait pas seulement un puissant moyen de contrôle idéologique mais également un outil de communication de plus en plus prisé. De nombreux acteurs usent et abusent du consen-sus autour du caractère humaniste et positif des valeurs véhic-ulées par le sport pour renforcer leurs discours. On va voir dans ce numéro comment jogging matinal pour certains et chasse aux tigres pour d’autres permettent de se bâtir une image d’homme présidentiable. a une autre échelle, on s’intéressera à la place centrale du sport dans la quête de respectabilité du Qatar sur la scène internationale. Dans une même perspective, on verra com-ment les cas de violation des droits humains dans le cadre de grandes manifestations sportives sont donnés à penser comme étant doublement scandaleuses dans le mesure où ils violeraient à la fois le droit international et surtout les valeurs olympiques.

– le sport rend positives et esthétiques la fatigue auto-provoquée et

la souffrance inhérentes au dépassement permanent des limites du corps –

PoUr Une critiQUe radi-caLe de L’idéoLogie sPor-tivePour les tenants d’une approche critique du sport, l’indignation ponctuelle sur ses travers ne suffit pas : c’est une critique radicale de fond qu’il faut formuler. Pour Fabien Ollier, il est inutile de « constater amèrement les dérives du sport mais noyer le tout dans un dis-cours idéaliste sur les valeurs pos-itives ». S’il semble nécessaire de dénoncer les magouilles mafieuses des organes dirigeants du sport, il s’agit surtout de mettre en lumière les contradictions évidentes de l’idéolo-gie sportive. au-delà de la nécessité d’une réflexion d’ordre philosophique sur le sujet, les théoriciens de la cri-tique du sport ont le mérite de casser l’angélisme autour des valeurs olym-piques, pour mieux poser une question fondamentale : peut-on penser le sport différemment ?

Meeting d’humanistes parisiens flickr.com

Le sPort noUveaU nUage de fUMée éLectoraLe ?

Maygane Janin

le sport a toujours été étroitement lié à la politique, que ce soit pour départager les cités grecques durant l’époque antique, ou pour s’assurer la mobilisation d’une jeunesse em-brigadée via des valeurs idéologiques prétendument sportives sous les régimes fascistes et communistes du XXe siècle. Mais au-delà d’être un moyen pour un État de montrer sa puis-sance, ou de s’assurer la croyance en une idéologie, le sport peut aussi se mettre au service des personnalités politiques. Ou plutôt, les hommes d’État savent se servir du sport comme un moyen de faire passer une certaine image d’eux dans l’optique de leur assurer un appui électoral, ou encore comme une sorte d’écran de fumée ayant pour but de détourner les citoyens de questions socio-économiques plus délicates, et celles-ci risquent de remet-tre en jeu leur popularité. alors qu’un président disant aimer le sport le plus populaire dans son pays est quasi-assuré d’une cote de popularité minimale.

– Dans un pays où l’idéal de l’homme est encore majoritairement celui d’un homme viril et fort.

Un homme, un vrai –

en effet, plus personne ne s’étonne aujourd’hui d’ouvrir un quo-tidien d’informations et d’y trouver l’image d’un président, ou d’une autre personnalité politique en train de faire du sport. les français s’étaient habitués sous la présidence de nicolas Sarkozy à voir des photos de leur chef d’État en train de faire son jog-ging quotidien, les russes quant à eux ont pris l’habitude de voir Vladimir Poutine dans un combat de judo, ou en train de chasser des tigres. On peut toutefois se poser la question de l’intérêt pour ces hommes de se montrer ainsi à leurs électeurs ? Pourquoi une telle médiatisation d’un simple jogging, quand cela n’est qu’une banalité pour n’importe quelle autre personne qui part courir le matin ? une des raisons peut être que le métier de chef d’État n’est pas simple, il est même plutôt épuisant. Or aucun électeur n’au-rait envie de voter pour un candidat en sachant à l’avance qu’il serait dans l’incapacité physique d’assurer son mandat. Pour un homme politique il s’agit alors de faire passer une sorte de mes-sage à ses électeurs : il propose non seulement un programme,

mais il assure aussi qu’il sera dans la mesure, du moins physique, d’assurer son mandat, cela peut être rassurant pour les électeurs qui voient alors en lui un homme en bonne santé. Mais en se montrant en train de faire du sport, et non pas en se contentant d’en faire, les personnalités politiques peuvent aussi permettre à leurs électeurs de s’identifier. non seulement con-cernant l’acte sportif en lui-même, en se montrant comme une personne pratiquant les mêmes activités de détente que des mil-lions d’autres personnes, mais aussi de par la transmission de certaines valeurs. il n’est en effet pas innocent pour Vladimir Poutine de choisir de communiquer des photos de lui en train de pratiquer des sports tels que les arts martiaux, la boxe ou le tir. Dans un pays où l’idéal de l’homme est encore majoritairement celui d’un homme viril et fort. un homme, un vrai. le prési-dent russe se met en scène dans des sports qui peuvent être vus comme des stéréotypes de l’homme fort. il s’agirait plus en effet de construire toute une image autour de sa personne, le montrant comme l’homme fort venu sauver le monde – un simple tour des vidéos sur internet peut nous le confirmer, il est en effet facile de trouver une vidéo de Poutine le montrant comme un héros pou-vant sauver le monde – Or, il s’agit d’une image bénéfique pour Vladimir Poutine. il sait que même s’il est remis en cause par les médias étrangers, et par les opposants dans son propre pays, il peut toujours compter sur un large appui électoral. et ce, grâce à cette identification sportive qu’il a su construire autour de lui.

– non, non, la photo de ce G8 ne fut autre que celle de nos dirigeants, réunis dans une salle pour

regarder la finale de la ligue des champions entre l’allemagne et le royaume-Uni –

D’un autre côté, une fois que l’image de chef d’État sportif a été construite, le sport peut aussi servir aux dirigeants à détourner l’at-tention de leurs citoyens des problématiques les plus importantes. le 1er ministre hongrois Viktor Orban, déjà connu pour accorder plus facilement des crédits à la construction d’un stade de foot qu’à des centres d’accueil pour sans-abris, l’a d’ailleurs parfait-ement compris en accordant récemment plus d’importance à la non-qualification de la hongrie pour les prochains mondiaux de football qu’à la situation économique préoccupante du pays. Ce qui est d’autant plus drôle quand l’on sait que ce même

6 InTernaTIOnal.Ink #16

Quand nos politiques prennent le temps de faire leur jogging et regarder des matchs, plutôt que de répondre aux problématiques du monde actuel.

premier ministre a récemment dû annuler sa visite aux nations unies à new-York en raison d’une blessure à la cheville, suite à un match de foot...

Mais au-delà de la passion d’Orban pour le foot qui lui sert bien souvent à détourner l’attention de ses concitoyens, le sport est aussi utilisé à l’échelle mondiale dans ce même but.un exemple flagrant de cette utilisation du sport par les politiques pour ne pas avoir à commenter dans les médias des probléma-tiques plus urgentes, a eu lieu lors du dernier G8 à Camp David aux uSa. la photo la plus retransmise dans les médias n’a pas été la traditionnelle photo de groupe des différents chefs d’État, ni une photo les montrant tous concentrés autour d’une table en train d’essayer de trouver des solutions aux problèmes de ce monde. non, non, la photo de ce G8 ne fut autre que celle de nos dirigeants, réunis dans une salle pour regarder la finale de la ligue des champions entre l’allemagne et le royaume-uni. Qu’y aurait-il en effet de plus important à retenir d’une réunion entre les chefs d’État du G8 qu’un match de football ?néanmoins, pendant que l’attention des médias se portait sur les commentaires de cette photo, et du fait sur le match de foot, on peut se poser encore la question des réels aboutissements des négociations entre les huit pays les plus puissants du monde. Car alors que les différents enjeux, allant des problématiques du Moyen-Orient à la situation économique difficile d’un grand nombre de pays, sont certainement beaucoup plus importants aux yeux des citoyens que de savoir que leurs dirigeants re-gardent eux aussi un match de foot, ils se retrouvent alors relégués au second plan par les médias.

DOSSIer 7

les politiques ont donc su développer un intérêt certain pour le sport, de préférence pour les disciplines sportives les plus médi-atiques, avec le football en première ligne, dans le but de pouvoir créer autour d’eux toute une illusion. une illusion sur le plan de leur personne, qui se montre en train de pratiquer du sport, comme tout citoyen. une illusion, aussi, en devenant le premier supporter de toute équipe nationale qui permettrait d’apporter autre chose qu’une difficulté politique de plus. et enfin, une il-lusion sur le plan communicationnel quand les dirigeants font le choix de mettre en avant des photos ou informations en lien avec le sport, plutôt que des informations concernant l’avancé des problèmes qui préoccupent plus leurs concitoyens.

theguardian.com

QUand PoUtine organise des jeUx oLyMPiQUes

Florian TiSSOT

les prochains Jeux Olympiques d’hiver, organisés par la russie de Vladimir Poutine, suscitent de nombreuses polémiques. Parmi elles, la loi très médiatisée ces derniers mois contre la « propagande des relations sexuelles non-traditionnelles » auprès des mineurs qui porte une atteinte à la liberté d’expression de la communauté lGBT (lesbienne-Gay-Bi-Trans). Mais d’autres problèmes majeurs sont dénoncés par des observateurs internationaux tels que les soupçons de détournement des fonds du budget démesuré destiné à l’organisation des jeux, les atteintes aux droits des ouvriers sur les sites olympiques ou encore les risques liés à la sécurité durant les jeux en raison du caractère très instable de la région.

Un bUdget exorbitant sUr fond de corrUPtion nul doute que ces prochains Jeux Olympiques seront une vitrine internationale de la mégalomanie de la russie dirigée par Poutine, comme en témoigne le budget historique de ces Jeux, estimé à plus de 36 milliards d’euros, soit 5 fois le budget initial. Pour donner un ordre d’idée, les Jeux de Vancouver avaient coûté moins de 2 milliards d’euros. Si ce budget est aussi élevé, c’est avant tout parce qu’il a fallu partir de zéro pour construire tous les équipements nécessaires à ces jeux, à l’image de la station de ski de rosa-khutor : entièrement construite en 7 ans pour les jeux, alors même qu’elle n’a pas un très grand avenir devant elle. elle est en effet située à seulement 600 m d’altitude, dans un climat subtropical où la moyenne de saison en février est de 6°C, avec seulement 13 jours d’enneigement par an.

– Des détournements massifs, estimés à près de 22 milliards d’euros –

Mais c’est aussi et surtout en raison des détournements massifs, estimés à près de 22

milliards d’euros, sur des contrats de construction cédés à des proches de Poutine bien souvent sans avoir eu recours à des appels d’offre. Parmi les supposés bénéficiaires de ce magot, un certain arkadi rotenberg, ami d’enfance de Vladimir Poutine et accessoirement l’heureux propriétaire de la société en génie civil Mostorest. Cette entreprise a obtenu la concession de l’autoroute reliant l’aéroport à la station où se déroulera les épreuves pour la très coquette somme de 6,25 milliards d’euros pour seulement 48 km (soit 130 millions d’euros le km). a titre de comparaison, l’autoroute a1 en Suisse a couté 9 milliards de francs pour ses 383 km (soit 23,5 millions de francs le km [19 millions € / km]). a ce prix-là, elle doit être pavée d’or. et tout doit fonctionner parfaitement, au risque de se mettre à dos Poutine, comme a pu l’expérimenter akhmed Bilalov, ex-vice-président du Comité olympique russe qui a été limogé et humilié par Poutine après les

8 InTernaTIOnal.Ink #16

les prochains Jeux Olympiques d’hiver auront lieu du 4 au 27 février 2014 dans la ville de Sotchi, en russie. leur organisation par Poutine et son club d’oligarques fait l’objet de nombreuses critiques sur des violations majeures du point de vue des Droits de l’homme et des valeurs de la Charte olympique. Petit tour d’horizon…

Caricature de Poutine parue sur le site toonpool.com

retards dans la construction du tremplin pour l’épreuve de saut à ski. il est actuellement exilé en allemagne après qu’une enquête criminelle pour « dépenses infondées » ait été menée contre lui, et il a récemment déclaré être hospitalisé pour intoxication au mercure.

des conditions de travaiL indignes des vaLeUrs oLyMPiQUes

une chose est sûre, ce ne sont pas les ouvriers s’affairant à la construction des sites olympiques qui profitent de ces faramineuses extensions de budget. leurs conditions de travail ont été dénoncées par human rights Watch, qui reproche notamment aux organisateurs l’exploitation d’ouvriers immigrés venus d’ukraine, de Serbie, d’arménie, du kirghizistan, du Tadjikistan, ou encore d’Ouzbékistan. la majeure partie de ces ouvriers est présente illégalement sur le territoire russe, et risque donc constamment de se faire expulser par les autorités. ils sont par ailleurs victimes de détentions abusives ou expulsés de leurs dortoirs insalubres s’il leur venait la mauvaise idée de contester leurs indignes conditions de travail. leurs salaires, dans les cas où ils leur sont effectivement versés, varient entre 318 et 436 € par mois pour 12h par jour. Qui plus est, les employés ne bénéficient que d’un à deux jours de repos par mois, en dépit de la législation russe du travail.De même, toujours selon human rights Watch, on dénombre de nombreux cas de salaires non payés ou en retard (jusqu’à 5 mois). les employeurs pratiquent de manière courante la rétention de passeport ou de visa et ne fournissent aucun contrat de travail à leurs employés, ni aucune information sur leurs droits. enfin, des habitants de Sotchi ont subi des expropriations de terrains sans indemnisations adéquates. la loi olympique, qui accélère les procédures d’expropriations de terrains, est également utilisée pour spéculer sur des projets immobiliers, sans lien avec l’organisation des Jeux. Par ailleurs, des pressions et du harcèlement policier sur des équipes de journalistes tentant d’enquêter sur place ont été signalés. le Comité international Olympique, qui siège à lausanne, reste bien silencieux sur ces violations des droits des ouvriers sur les sites olympiques, alors qu’il devrait réagir et exiger des organisateurs de meilleures conditions de travail et de rémunération, en accord avec les valeurs olympiques qu’il est censé défendre.

Une sécUrité reMise en QUestion, dans Un contexte exPLosif la région du Caucase est une zone de très grandes tensions. en effet, cette région a vu naître les deux guerres entre la Tchétchénie et la russie en 1994-1995, puis en 1999-2000, et la guerre d’Ossétie du Sud (août 2008) où la russie a soutenu militairement les indépendantistes face à la Géorgie. aujourd’hui, le Daguestan, une république à majorité musulmane appartenant au territoire russe, située à quelques centaines de kilomètres de Sotchi, semble être la région la plus problématique. en effet, cette région est actuellement le théâtre de répressions violentes par les autorités russes de mouvements islamistes retranchés dans les maquis et les forêts. Cette répression s’accentue depuis quelques mois afin de « nettoyer » la zone en vue des Jeux Olympiques. la procédure est simple : pas de prisonniers, ce qui implique des exécutions extra-judiciaires. les insurgés sont systématiquement tués dans les assauts. Cette violence arbitraire attise le ressentiment de la population locale, dans cette région où le taux chômage est deux fois plus élevé et les salaires deux fois moins élevés que dans le reste de la russie.

– Un terreau très fertile aux recruteurs de réseaux islamistes –

Ce contexte fournit un terreau très fertile aux recruteurs de réseaux islamistes, ce qui augmente considérablement le risque de voir une recrudescence des attentats terroristes durant les Jeux. a l’heure où nous bouclons ce numéro (29 janvier 2014), déjà trois attentas ont eu lieu à Volgograd (ex Stalingrad). l’un le 21 Octobre 2013, où une femme s’est fait exploser dans un bus rempli d’étudiants, causant la mort de 6 personnes et en blessant 28 autres. les deux autres les 29 et 30 décembre 2013, respectivement dans le hall de la Gare de Volgograd (17 morts et 44 blessés) et dans un trolleybus en pleine heure de pointe (14 morts et 41 blessés). Dans ce contexte, les autorités russes semblent très tendues et réagissent en promettant une sécurité maximale à coups de grands renforts policiers et militaires pour sécuriser les sites olympiques. De plus, une loi promulguée par Poutine début novembre prévoit de rendre les familles des terroristes financièrement responsables des dégâts causés par leurs proches. et enfin, un décret raccourcit les délais pour déclarer son arrivée à Sotchi aux autorités russes, passant de 90 à 3 jours pour les russes, et à seulement 24h pour les étrangers. Cependant, en dépit de ces dispositifs de sécurité renforcés, on peut malgré tout redouter des attentats à Sotchi. Dans une vidéo postée le 20 janvier 2014, un groupe islamiste – dont le leader Dokou Oumarov avait appelé à empêcher la tenue des Jeux « par tous les moyens » – promet une « surprise » lors des Jeux de Sotchi. un correspondant de l’aFP à confirmé le 28 janvier 2014 avoir aperçu un document destiné aux policiers de Sotchi signalant trois « veuves noires » kamikazes, dont l’une d’elle, ruzanna ibragimova (22 ans), serait déjà à l’intérieur du périmètre de sécurité de Sotchi.

– Une machine à fric pragmatique, dépouillée de toute valeur –

Ce bel événement planétaire promoteur de valeurs telles que la paix, la non-discrimination et le développement durable a donc bien changé au point de devenir une machine à fric pragmatique, dépouillée de toutes les valeurs qui ont pourtant motivé sa création.

Un ouvrier travaillant sur la construction du Media Center à Sotchi s’est cousu la bouche pour

protester contre ses conditions de travail et le non-paiement de son salaire pendant 2 mois.

youtube.com

DOSSIer 9

elodie FeiJOO

Trente sportifs se sont évaporés dans la nature à la fin des Jeux de la francophonie de Nice du 7 au 15 septembre dernier. aux Jeux Olympiques de londres de 2012, ce sont dix sportifs qui ont disparu. le bien triste record de défections lors des Jeux de la Francophonie a, lui, été atteint à Ottawa en 2001 avec 106 disparitions1. Bien que dernièrement ces sportifs proviennent majoritairement de pays africains (Cameroun, rDC, Congo, Djibouti, Côte d’ivoire), d’autres pays subissent eux aus-si ce phénomène : Taïwan et la Chine, pour n’en citer que deux.

QU’est-ce QUi Motive aUjoUrd’hUi ces sPor-tifs à s’enfUir ?Certains choisissent le sport comme échappatoire politique. les athlètes profitent des compétitions internationales pour fuir un régime instable, oppressif, ou encore dangereux. C’est probable-ment le cas pour les treize congolais disparus lors des derniers Jeux de la francophonie. en effet, le gouvernement peu stable de Joseph kabila en rDC et les affrontements fréquents entre l’armée régulière et les rebelles du M23 en incitent plusieurs à opter pour l’exil. les compétitions à l’étranger constituent donc une opportunité inespérée d’évasion vers la paix.

– Fin de carrière est souvent synonyme de mendicité ! –

les autres, qui constituent la majorité, partent pour des raisons économiques. ils dénoncent les mauvaises politiques sportives de leurs gouvernements et fuient avec l’espoir d’une vie meil-leure. Déjà, dans leurs pays, ils ne possèdent pas le matériel et l’encadrement nécessaires pour exercer correctement leur sport. Ce motif a poussé sept Camerounais à s’éclipser des JO de londres. l’un d’eux, Paul edingue ekane, raconte qu’au Cameroun il s’entraîne deux fois par semaine dans une piscine de 15 m et ceci, sans coach. Il paraît difficile de devenir un sportif de haut niveau dans ces conditions. Cependant, leur mécontentement ne s’arrête pas là. S’ils n’ont pas l’occasion de progresser, les

sportifs peuvent tout de même se blesser. la blessure s’accom-pagne d’une possible fin de carrière sportive. Ces sportifs n’ont pourtant pas de grandes exigences ; ils aimeraient simplement pou-voir vivre de leur sport et pouvoir compter sur un après-carrière assuré. Malheureusement, ce n’est pas le cas. non seulement ils disposent de salaires si bas que vivre du sport constitue un vrai défi, mais encore aucune reconversion n’est prévue. Ainsi, fin de carrière est souvent synonyme de mendicité. Chez nous par contre, le monde du sport roule sur l’or. les sportifs y sont vus comme des objets dorés s’échangeant entre clubs pour des millions et au service desquels des infrastructures extrêmement coûteuses sont mises à disposition. On voit bien là le malaise planant sur le monde du sport.

– la république Démocratique du Congo (...) a interdit à une grande partie de ses sportifs de quitter

le territoire durant deux ans –

Mais QUe fait donc La coMMission de soLida-rité oLyMPiQUe ?Face aux inégalités flagrantes auxquelles sont confrontés les spor-tifs provenant de pays pauvres, le comité international olympique avait décidé, et ce déjà en 1981, de créer la commission de soli-darité olympique. Cette commission a été mise en place dans le but d’aider les Comités nationaux Olympiques à améliorer leurs structures et à faciliter l’essor du sport dans leur pays. Malgré l’intention louable de cette commission, elle n’a pas vraiment rempli son rôle. Trente ans après, la fuite des sportifs persiste. il existe un véritable problème avec cette commission. en dépit des fortes sommes allouées aux etats pour qu’ils améliorent leurs infrastructures sportives ainsi que le quotidien de leurs sportifs, aucun progrès n’est visible. une gestion plus transparente de ces fonds se fait nécessaire. lorsque de l’argent est versé à des gou-vernements au sein desquels la corruption subsiste, il se révèle indispensable de s’assurer de la destination finale des fonds. Or, à l’heure actuelle, on ne peut tracer leur usage. De plus, on ne connaît ni les bénéficiaires ni le réel montant déboursé. Des pro-grès doivent donc encore être faits du côté de la Commission si on souhaite se rapprocher d’un semblant d’équité dans le monde du sport.

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fUites en série : déserteUrs dans Les starting-bLocksOn entend beaucoup parler de la fuite des cerveaux, de la fuite des grandes fortunes, de la fuite des capitaux, et si on parlait enfin de la fuite des sportifs. Phénomène bien plus fréquent qu’on ne le pense, il se répète à chaque grande compétition internationale. Certaines équipes repartent des JO avec une médaille, d’autres avec des sportifs en moins.

1KHELIF Remi, Compétitions sportives : la fuite organisée, http://www.semelle-web.fr/athletisme/competitions-spor-tives-la-fuite-organisee/9329

DOSSIer

et Les goUverneMents ?Certains gouvernements, tels que la Chine, répondent à l’exode par le mépris et l’insulte. le comportement des déserteurs est perçu comme antipatriotique. la tradition sportive de la Chine est souvent décriée car connue pour avoir un entraînement très intensif dès le plus jeune âge, et ce sans prévoir de formation ni de plan de reconversion pour ses sportifs. le sportif y est vu d’une façon utilitariste, inexistant lorsqu’il n’est plus rentable. Malgré les critiques et les désertions, nulle remise en question de la part du gouvernement chinois sur ce qui pousse plusieurs de ses athlètes à préférer son voisin le Japon.

D’autres encore paraissent ignorer les causes réelles de ces fuites massives et décident d’y répondre par la répression. C’est le cas notamment de la république Démocratique du Congo qui, voyant dans ces évasions une mauvaise publicité pour son pays, a interdit à une grande partie de ses sportifs de quitter le territoire durant deux ans. la décision de sanctionner les fédé-rations n’ayant pas su retenir leurs sportifs semble inappropriée à la situation. ainsi, le gouvernement renonce à faire participer ses athlètes aux compétitions internationales, et ce, uniquement dans le but de sauver l’honneur du pays ; mais rien n’empêche le phénomène de se répéter dans deux ans. le fond du problème reste lui non résolu. le gouvernement sénégalais, après avoir lui aussi pris des sanctions, a reconnu devoir revoir sa politique sportive de haut niveau pour retenir ses sportifs. Celui-ci souhaite que ses

athlètes puissent vivre de leur sport et ne se laissent plus tenter par l’émigration. Même s’il semble avoir entendu les appels au secours et les critiques de ses sportifs lors des derniers Jeux de la Francophonie, rien n’est encore fait. le cas du Sénégal pourrait en inspirer d’autres, affaire à suivre donc avec grande attention.

aLors, Une soLUtion ? aujourd’hui, il est essentiel que les gouvernements prennent conscience de la nécessité d’une réforme de leur politique spor-tive. il faut cesser d’ignorer ce phénomène et agir. agir car la désertion reste défavorable pour chaque partie.

les gouvernements perdent, avec l’évasion d’un sportif, un inves-tissement non négligeable et l’image du pays se voit aussi dégradée. les déserteurs sortent eux aussi perdants car la plupart est destinée à la clandestinité et à la pauvreté. Seule une extrême minorité d’ex-cellents sportifs obtient la nationalité et peut continuer à vivre du sport. Sans oublier que l’abandon de leur culture, de leur famille et de leurs amis constitue une véritable épreuve. Bien entendu, l’éga-lité dans le monde du sport, tout comme dans le monde tout court, n’est pas prévue pour aujourd’hui. Cependant, rien n’empêche d’essayer de diminuer les inégalités. Malheureusement, l’hypocri-sie et l’indifférence des pays riches n’arrangent rien. Ces derniers agissent de façade en créant une commission quasi-obsolète, mais ne font en réalité que reléguer le problème à des gouvernements rongés par la corruption. il ne nous reste alors plus qu’à attendre éternellement la bonne volonté de ces gouvernements...

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hélène MinaCCi

en investissant massivement dans le sport, le petit etat du Golfe commence en effet à se positionner sur l’échiquier international. Sa diplomatie sportive prend de l’ampleur depuis plusieurs années ; le Qatar et ses moyens financiers massifs sont effectivement omniprésents sur la scène sportive internationale et surtout occidentale. Cette stratégie s’insère dans une volonté plus large de rayonnement régional et international du Qatar. néanmoins des scandales éclatent, notamment concernant l’organisation de la coupe du monde de football 2022 et entachent la belle image que Doha se donne tant de peine à instaurer dans les consciences.

Un instrUMent PoLitiQUeLe Qatar est un Etat particulier : une superficie minime et une population réduite mais un PiB par habitant parmi les plus élevés au monde grâce à l’exploitation des gisements d’hydrocarbures. Malgré tout, la richesse ne fait pas tout et les dirigeants qataris le savent bien. Face à des voisins régionaux aussi puissants que l’arabie Saoudite ou l’iran, le Qatar ne peut pas prétendre à une égalité de force. Pour se démarquer, une diplomatie spécifique doit donc être mise en place afin de pouvoir être perçu comme un etat respectable et à la pointe de la modernité. Développé dans les années 1990, le concept de soft power 1 définit justement ce principe consistant à imposer ses intérêts par des moyens autres que la puissance militaire ou l’action coercitive, outils classiques du hard power. les États-unis et l’urSS en étaient friands durant la Guerre Froide, utilisant abondamment les moyens culturels et idéologiques pour asseoir leurs intérêts. Doha se distingue quelque peu des pratiques « habituelles » et tradition-nelles du soft power et trouve dans le sport une solution pour se positionner régionalement et internationalement.Depuis plusieurs années, le Qatar est l’un des etats les plus présents sur la scène sportive internationale. etonnant pour un etat qui ne dispose pas véritablement de sportifs d’élite ou d’équipe connue et au sein duquel le sport ne fait pas spécia-lement vibrer la population... Pourtant, avec sa forte croissance annuelle, il peut se permettre d’investir massivement dans

l’organisation d’évènements sportifs majeurs comme le cham-pionnat du monde de handball en 2015 ou encore et surtout la coupe du monde de football en 2022. il va même jusqu’à racheter des clubs footballistiques étrangers tels que le PSG ou encore les droits télévisuels grâce à sa chaine al-Jazeera pour la dif-fusion d’évènements sportifs. le Qatar cherche également à se positionner comme un centre sportif mondial de pointe en créant des centres de développement sportif, de médecine sportive et de formation accueillant des athlètes du monde entier. Ce com-portement a d’ailleurs amené le géopolitologue français Pascal Bonniface à proposer le concept de sport power, dérivé du soft power pour définir le comportement qatari sur la scène internatio-nale, utilisant le sport comme moyen d’influence internationale2.

Un Moyen de rayonnerle Qatar ratisse donc très large dans l’instauration de sa diplo-matie par le sport, mais quels sont les buts d’une telle politique ? De natures multiples évidemment, le principal reste un désir de se positionner en figure de proue du monde arabe. Doha n’a pas vocation à imposer sa force militaire ou économique, ce n’est pas un pays qui aspire à entrer dans le cercle restreint des grandes puissances comme les pays émergents. Son but est plutôt d’éta-blir une réputation positive, extrêmement moderne et innova-trice. Sa puissance financière démesurée et la médiatisation énorme dont bénéficie le sport constituent ses principaux outils de communication pour se distinguer dans une région du monde souvent associée à al-Qaïda et autres dans les esprits populaires. Leur volonté de diversifier une économie essentiellement basée sur les hydrocarbures est également une source de motivation pour continuer cette politique d’investissements sportifs.

– les moyens diplomatiques évoluent, les etats doivent s’adapter mais surtout innover –

Une vitrineles conséquences d’une telle diplomatie commencent à se constater puisque le Qatar obtient de plus en plus l’attribution d’organisation d’évènements sportifs majeurs, notamment et surtout

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Soft power 2.0, Mode d’eMPLoi Par Le QatarComment faire sa place sur la scène internationale sans puissance militaire ou politique imposante ? le Qatar, installé confortablement sur sa masse de pétrodollars, semble avoir bien compris la technique.

1NYE Joseph, Bound to Lead : The Changing Nature of American Power, New York, Basic Books, 1990.

2BONIFACE Pascal, VERSCHUUREN Pim, BILLION Didier, ABY Romain, La diplomatie sportive qatarie, Le “sport power” : le sport au service de la reconnaissance internationale du Qatar, Diplosport, IRIS/CSFRS, 2012.

DOSSIer

la coupe du monde de football en 2022 ; une première pour un etat du Moyen-Orient. On sait qu’organiser une coupe du monde pour un pays est une occasion exceptionnelle de montrer aux autres nations de quoi il est capable en termes d’innova-tion, de modernité et d’organisation. la transmission d’une telle image peut être un moyen pour Doha de mettre en avant ses atouts et de masquer ou en tout cas mettre au second plan les aspects critiquables de l’État comme l’absence totale de dé-mocratie ou le soutien étrange et relativement inavoué aux révolutions arabes, notamment aux rebelles islamistes en Syrie. les critiques et scandales émergent cependant, notamment sur les conditions de travail auxquelles sont soumis les travailleurs étrangers employés à la construction pharaonique des infrastruc-tures. le Qatar voit donc son image entachée par ses problèmes de violation des droits de l’homme, mais cela doit-il vraiment l’inquiéter ? il ne s’agit après tout pas du seul pays où l’orga-nisation d’évènements sportifs provoque une onde de choc, on pense notamment à la Chine ou la russie lors de l’organisation des jeux olympiques. une image certes peu reluisante mais pas près d’être entachée ni par la FiFa se déclarant politiquement neutre, ni par d’autres etats n’ayant aucun intérêt à s’ingérer dans les affaires intérieures qataries.

Une noUveLLe diPLoMatie ?le sport power serait-il en voie de devenir une nouvelle forme de diplomatie douce ? il prouve en tout cas qu’il est aujourd’hui possible d’affirmer sa présence et sa puissance dans les relations internationales avec des instruments moins conventionnels et classiques que les armes. les moyens diplomatiques évoluent, les etats doivent s’adapter mais surtout innover. la recette sportive requiert cependant des ingrédients bien spécifiques notamment et avant tout de l’argent, énormément d’argent, de la patience politique mais où paradoxalement la pratique du sport n’en est pas nécessairement un.

il serait précoce de tirer un bilan de la diplomatie qatarie qui est novatrice car les résultats commencent à apparaître. néanmoins, sous ses apparences neutres et universelles, le sport est un business, il est politique et a un prix ; il permet donc d’exercer une influence certaine pour qui comprend son pouvoir, ce que le Qatar a parfaitement saisi. la question reste de savoir si l’instrument sportif est suffisant pour effectivement s’imposer sur la scène internationale.

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Travailleur étranger employé pour la construction des stades de la coupe du monde 2022 paru dans Le Temps, 28 septembre 2013

audrey MaGaT

l’éthiopienne Meseret Defar, épuisée et victorieuse de l’épreuve du 5000 m aux Jeux Olympiques de londres en 2012, expose sa foi en brandissant une image de la vierge au public et aux caméras. le footballeur bâlois Mohamed Sallah met son front sur le sol après avoir marqué un but en israël pour affirmer sa croyance. Maradona, quant à lui marque un but de la main qui permet à l’argentine de gagner contre l’angleterre durant la coupe du monde de football de 1986, et revendique que c’est grâce à « la main de dieu ». Mais pourquoi une telle ferveur religieuse dans le sport aujourd’hui ?

– Il existe donc cette envie de n’avoir aucune contrainte à notre pratique sportive –

les Églises se vident, les stades, eux, sont bondés. On remarque aujourd’hui dans le sport une attention quasi religieuse. les matchs de football sont de grandes messes, où les supporters se retrouvent en procession comme le feraient des Chrétiens face au Pape. ils chantent en cœur leur hymne d’encouragement, et surtout prient. Des millions de personnes prient ensemble pour que leur équipe gagne, que le joueur marque ce fameux pénalty.

– Si la religiosité est en baisse, les rituels eux restent –

Paradoxalement, la religiosité est en baisse partout dans le monde occidental, cependant les sociologues notent une forte montée de la « spiritualité ». Cette dernière s’apparentant à une recherche de paix intérieure se distingue de la religion par le fait qu’elle est strictement personnelle, de son origine à son application, sans intervention d’une quelconque institution extérieure.la pratique d’un sport est un engagement personnel, un choix individuel. C’est ainsi il est un parfait moyen d’essayer d’être en accord avec son corps, son enveloppe physique sans que per-sonne ne nous y ait forcé.Cette nouvelle approche implique directement un changement radical dans la façon dont les pratiques sportives sont perçues. le sport en compétition est vu désormais comme quelque chose de professionnel, un métier, un effort trop intense et nécessitant

trop de travail pour être accessible à tous, contrairement à avant. Bien évidemment, on peut toujours faire de la compétition au-jourd’hui, mais presque tous les clubs de ces sports compéti-tifs, comme le basketball, le football ou la natation par exemple offrent au public les mêmes cours qu’en compétition, mais en précisant « loisirs », ou « sans compétition ». il existe donc cette envie de n’avoir aucune contrainte à notre pratique sportive.

ainsi émerge dans nos pays tout un tas de sport, moins compéti-tifs, se positionnant plus dans la recherche d’un calme intérieur. Certains viennent directement d’asie, comme le yoga, les Feng-shui, tai-chi, qi-gong. Ces « méditations-sports » permettent d’allier la spiritualité et la dépense physique. Ces pratiques asiatiques incitent à être proche de son corps, à bouger non pour un résultat ou une performance, mais avec sérénité, pour calmer notre personnalité, « nettoyer » notre corps des mauvais moments de nos journées.Cette pratique du sport devient un rituel, une habitude presque religieuse. Si la religiosité est en baisse, les rituels eux restent.

a la manière des fondamentalistes religieux, les sportifs de haute compétition se vouent corps et âme à leur cause. Parfois jusqu’à l’excès. Dans des cas tel que le dopage, de crises cardiaques,

14 InTernaTIOnal.Ink #16

Le sPort,noUveLLe reLigion ?Qu’est ce qui nous force à être assidu à une activité sportive ? Quelle place le sport occupe-t-il dans nos sociétés contemporaines ? aujourd’hui, le sport n’est plus seulement une question de compétition, de performance physique. C’est un défouloir, un moyen de trouver notre sérénité, notre calme intérieur : un rituel.

Marathon de religieuses

DOSSIer

le corps de ces sportifs est poussé à bout, au fond de l’effort. religion et sport sont très liés, parce qu’animés d’efforts et de croyance, ces passionnés dédient leur vie à leur cause. il n’est d’ailleurs pas rare de voir des sportifs, qui, à la fin d’un match et à bout de souffle, s’agenouillent pour remercier leur dieu. le sport devient un rituel collectif.

– religion et sport sont très liés, parce qu’animés d’efforts et de croyance,

ces passionnés dédient leur vie à leur cause –

Dans l’antiquité, le sport est un moyen de se dépasser, de prou-ver dans des compétitions une supériorité physique sur l’adver-saire, car l’homme a le besoin de se mesurer aux autres, de véri-fier sa puissance. Néanmoins toutes les compétitions demeurent liées aux dieux ; par exemple en Grèce, où les jeux olympiques auraient été créés par Héraclès, un des fils de Zeus, en l’honneur de son père. ici, on fait du sport en hommage à son dieu.

la renaissance quant à elle montre une autre facette du sport, celle des classes sociales. les aristocrates vont régulièrement à la chasse, apprennent la natation, la gymnastique ou l’escrime dès leur plus jeune âge pour se différencier de la classe popu-laire. les nobles renforcent leur image de « classe de loisir », selon l’expression de Thorstein Veblen1, qui a beaucoup de

temps libre et fait du sport. ici, on fait du sport pour passer le temps mais surtout pour affirmer son aisance socio-économique et son statut social.

le mot sport vient à l’origine du vieux français « desport » dont le verbe signifie « s’ébattre ». Il concernait au XIXe surtout les courses hippiques, la boxe et les paris en tous genres. Mais aujourd’hui le sport n’est plus un combat ou un simple exercice de style, c’est un rituel menant à l’accomplissement personnel. ici, on fait du sport pour soi.

– le sport devient un rituel collectif –

au jour d’aujourd’hui, les personnes utilisent le sport comme lieu de rencontre, se forgent une communauté avec un même point d’intérêt, non pas dieu, mais plutôt l’envie de prendre soin de leur corps, ou pour l’extase d’une victoire. ainsi ils se lient, se retrouvent chaque semaine au même entraînement, discutent, et appréhende leur nouvelle spiritualité à plusieurs.ainsi le sport a fortement évolué depuis sa création, devenant de plus en plus marqué de rituels, se rapprochant sur bien des points, du religieux.

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l’athlète Meseret Defar

1VEBLEN Thorstein, Théorie de la classe de loisir (1899), Paris : Gallimard, 1970

Mélissa DuMOnT

les joueurs entrent dans le stade. Gladiateurs mod- ernes, les rugbymen sont prêts pour le combat. Ces hommes qui, durant 80 minutes, vont essayer de percer la défense adverse pour aplatir le ballon ovale lancent leurs corps contre d’autres. les chocs sont violents, le spectacle est délectable. les dégâts, eux, le sont moins.

– J’ai vu des étoiles, je me suis relevé, j’ai demandé de l’eau et je suis retourné sur le terrain.

Sur ce même match, je me suis fracturé le poignet, et je ne m’en suis aperçu que dix minutes plus tard.

Tant que tu peux jouer, tu joues –

a la suite d’un choc direct ou non porté au corps, la fonction cérébrale se voit perturbée pendant un instant, entraînant un déplacement des tissus mous du cerveau dans la boîte crânienne et endommageant les vaisseaux sanguins. Deux sites dans le cerveau sont sujets aux saignements : tout d’abord lors du premier choc et le second suite au contrecoup. C’est cette double peine que l’on nomme commotion cérébrale. les symptômes ne sont pas toujours immédiatement évidents, le joueur peut ainsi continuer sur le terrain sans manifester un quelconque trouble. Celui-ci ne sera détecté que si le joueur ne réagit pas comme prévu, attendant parfois la rentrée aux vestiaires.

les commotions cérébrales n’étant que très peu visibles – contrairement aux fractures par exemple –, elles ne sont pas autant médiatisées. ainsi, une blessure cérébrale paraît tout de suite plus importante, ce qui peut expliquer pourquoi on évite une telle source d’angoisse en préférant se dire que ce qui ne se voit pas est moindre. Ce qui ne se voit pas peut plus facilement se refouler…

alexandre Gojkovic, 92 kilos, jouant au rugby depuis huit ans et évoluant actuellement en troisième ligne avec le club de nantua, connaît bien le sujet. Pour lui, les règles ne sont quasiment pas respectées et les commotions sont extrêmement fréquentes. « Tous les lendemains de match, j’avais mal à la tête. a force de plaquer, tu engages l’épaule, mais le corps entier ressent la

secousse, le cerveau tape au fond de la boîte et c’est le flash dans les yeux… Ce ne sont pas des gros kO, mais les traumatismes crâniens sont très fréquents. une fois, contre le Stade Français, je me suis pris un joueur de 140 kilos, et je ne me souviens que de l’avoir accompagné au sol, rien d’autre. J’ai vu des étoiles, je me suis relevé, j’ai demandé de l’eau et je suis retourné sur le terrain. Sur ce même match, je me suis fracturé le poignet, et je ne m’en suis aperçu que dix minutes plus tard. Tant que tu peux jouer, tu joues ».

Des chocs à répétitions peuvent profondément endommager le système cérébral des joueurs, qui peuvent notamment développer une maladie appelée l’encéphalopathie chronique post-traumatique (CTe). les indices indiquant un lien entre les deux sont de plus en plus nombreux. Cette maladie, également appelée punch drunk et connue depuis les années 20 dans le milieu de la boxe, se profile comme la destruction d’une partie du cerveau, rendant ainsi les joueurs déments. les conséquences sont dramatiques : mémoire défaillante, attitude agressive et dépressive, perte du contrôle de soi et tendance suicidaire.

Cette pathologie présente deux éléments intéressants. Tout d’abord, on ne peut la détecter que post-mortem. ensuite, tout comme la maladie d’alzheimer, elle possède la protéine tau, un indicateur de maladie neurodégénérative.le centre de neurologie rattaché à l’université de Boston a fait une étude, utilisant 85 cerveaux post-mortem de sujets à risque (athlètes, militaires et un autre sujet) et 18 sujets sains pour le contrôle. le résultat qui en est ressorti est que 68 sujets portaient la trace de cette pathologie.il y a quatre évolutions de la CTe qu’il convient de définir. le premier et le deuxième stade de la maladie se définissent dans le cortex frontal qui est l’endroit où se situent la personnalité et les fonctions exécutives. Pour le premier stade, la protéine tau (p-tau) s’accumule au niveau des sulcus, qui sont des dépressions linéaires de la surface du cortex. le deuxième stade signifie que la p-tau se propage dans un périmètre plus élevé. Pour les stades iii et iV, la p-tau se trouve toujours dans le cortex frontal mais aussi temporal. Cependant, à ce niveau de progression de la maladie, elle s’est également déplacée dans le subcortex, zone composée de l’hippocampe et de l’amygdale. l’hippocampe est

dégénérescence des sPortifs : Le sUjet QUi fait MaLrugby, football américain, boxe : nombreux sont les sports de contact où coups, plaquages et uppercuts sont monnaie courante. loin d’être anodins, ces tamponnages entraînent des commotions cérébrales provoquant de nombreux dommages à long terme.

16 InTernaTIOnal.Ink #16

essentiel pour la fonction de mémorisation de l’être humain. le dernier stade de la pathologie est une aggravation du stade iii. la p-tau est alors très étendue.

Plus précisément, trente quatre des trente cinq anciens joueurs professionnels de football américain étaient atteints de CTe ou de CTe couplée avec une autre pathologie. la position jouée par les joueurs est aussi très importante. en effet, pour les joueurs de la ligue nationale offensive linemen, 26% d’entre eux souffraient de CTe alors que les quaterbaks ne représentaient que 6% des joueurs touchés. en ce qui concerne les anciens joueurs de hockey professionnels, un cas ne montrait pas de trace de pathologie, trois autres étaient au stade ii/iV de CTe et un au stade iii/iV avec en plus une autre maladie neurodégénérative. il est clair qu’une fois leur carrière sportive terminée, certains joueurs en ressortent extrêmement fragilisés et ceci, peu se l’avouent. On ne se souviendra d’eux que dans les moments glorieux ou de défaite, mais sûrement pas comme des personnes souffrant au quotidien.

– l’accumulation des coups réduit le niveau de tolérance, et le risque de devenir

symptomatique augmente –

Face à l’augmentation des commotions cérébrales dans le rugby, un nouveau dispositif a été mis en place : la procédure commotion. après un choc, un joueur est ainsi autorisé à sortir cinq minutes au maximum, durée pour laquelle il peut être remplacé pour permettre une évaluation de son état. Pour détecter les commotions cérébrales, il existe une procédure à suivre consistant en une analyse médicale et cognitive. Cette dernière consiste en une série de questions, communément appelée « score de Maddocks ». Cinq questions sont généralement posées au joueur, du type : « dans quel stade vous trouvez-vous », « quelle est l’actuelle mi-temps ? », « quelle équipe a marqué les derniers points ? », « quel a été votre dernier match ? », et enfin :

« quelle équipe a gagné ce précédent match ? ».Selon la fiche de la Fédération Française de rugby concernant les commotions cérébrales, « une consultation spécialisée doit être réalisée après un délai de 48h de repos complet afin d’établir les critères de retour au jeu qui doit se faire par paliers successifs de 24h, en s’assurant de l’absence de tout symptôme entre chaque palier ». les paliers sont les suivants : repos physique et intellectuel complet, travail aérobie doux, entraînement physique normal, entraînement sans contact, entraînement avec contact et finalement, retour à la compétition. Ces mesures sont nécessaires pour éviter qu’un joueur déjà sujet à un choc n’en subisse un deuxième, aggravant ainsi considérablement son état.l’accumulation des coups réduit le niveau de tolérance, et le risque de devenir symptomatique augmente. il faut faire très attention car les cellules dans le cerveau ne se régénèrent pas. Selon alexandre Gojkvovic, une pression existe. « le staff te fait comprendre qu’ils ont besoin de toi et il y a la compétition. le joueur veut rester sur le terrain. Par exemple, je suis revenu sur le terrain après une blessure, sans entraînement depuis bien 4 semaines et j’ai recommencé directement comme titulaire dans un match, je n’avais pas le choix et je voulais jouer. Ça va dans les deux sens ».

Pourquoi ces conséquences ne sont-elles pas plus pointées du doigt ? ne faut-il pas toujours mieux prévenir que guérir ? Des mesures de sécurité doivent être mises en place pour permettre une meilleure protection des joueurs, notamment des jeunes, et faire en sorte que, sur le long terme, les risques soient minimisés. le sport est primordial et le débat n’est pas de savoir si un sport, de par sa dangerosité, doit être arrêté ou pas. le point ici est de mettre en avant que, malgré le statut quasi héroïque des sportifs, ils ne sont après tout que des humains. a un moment donné, il faut savoir prendre la décision de sortir un joueur du terrain, et ce dès le choc, même si cela amène à perdre le match.

17DOSSIer

ζsPort has the Power to change the worLd …it has the Power to insPire. it has the Power to Unite PeoPLe in a way that LittLe eLse does.

it sPeaks to yoUth in a LangUage they

Understand. sPort can create hoPe

where once there was onLy desPair.

it is More PowerfUL than governMent in

breaking down raciaL barriers.

ζ

nelSOn ManDela

18 InTernaTIOnal.Ink #16

daily

mai

l.co.

uk

19DOSSIer

Jérôme enneZaT

« Je suis Syrien » me répondit le docteur Feras Z à la question de son appartenance confessionnelle au sein de l’islam. Feras est né à homs. il a étudié la médecine à alep jusqu’en 2010. une bourse d’étude lui a ensuite permis de venir en France avec sa femme et ses enfants pour compléter sa formation médicale. il doit maintenant rentrer dans son pays natal pour y exercer son métier. La situation conflictuelle ne l’effraie pas. Feras est même satisfait de pouvoir se rendre utile en tant que médecin dans son pays et pour le gouvernement. il n’est donc pas question d’émigrer avec sa famille vers un pays voisin ou de s’installer en France.

– Qu’on nous laisse régler nos affaires entre nous ! –Dr. Feras Z

Feras veut croire en une Syrie unie où la question de l’appartenance religieuse n’est pas un obstacle. a l’heure actuelle, l’image de son pays déchiré l’attriste profondément. une grave crise économique et sociale et une aspiration à plus de liberté ont déclenché des manifestations contre le gouvernement

assad. il y a deux ans on ne par-lait pas de guerre civile mais de réformes nécessaires. Ce sont des groupes extrémistes venus des pays du Proche-Orient et de toutes parts qui ont déstabilisé le pays et agité le spectre des luttes intercommu-nautaires. Pour Feras, la cohésion sociale est gravement blessée mais la constante résistance du gouver-nement face aux rebelles serait un rempart qui l’empêcherait d’exploser. Feras souhaite clairement la victoire du gouvernement sur les rebelles et le retour à l’ordre public. « Si la communauté internationale ne livrait pas des armes aux rebelles, la guerre serait déjà finie ». Quand j’évoque les conséquences d’une possible victoire rebelle sur assad, Feras parle alors de « catas-trophe pour la coexistence des groupes ethno-religieux qui composent la Syrie ».

lorsqu’on aborde les massacres de populations civiles ou de crimes, la responsabilité en incombe aux rebelles ; le gouverne-ment ne fait que se défendre. et il ne se défend pas contre la population mais contre des groupes armés qui ne représentent en aucune façon le peuple syrien. inutile de s’étendre sur la question d’une intervention extérieure, Feras se dit soulagé qu’elle n’ait pas eu lieu. la seule chose que répète le jeune médecin : « qu’on nous laisse régler nos affaires entre nous ! »

le point de vue de Feras est celui de nombreux autres syriens. il exprime la désillusion du peuple à la suite d’un désir de changement. une révolution qui se voulait au départ populaire et démocratique et qui a rapidement été colonisée par des groupes extrémistes salafistes ou de frères musulmans. Le Gouvernement assad, de son côté, ne se prive pas de diffuser une large propa-gande sur la menace « djihadiste ». Il en profite pour discrédi-ter les revendications populaires. Cette propagande lui permet d’autant plus de se mettre sous le coude les nombreuses mino-rités qui n’ont, en aucune manière, le désir de voir arriver un gouvernement islamique au pouvoir. le but de Bachar el assad est bien d’opposer les groupes armés « djihadistes » à la majeure

QUand Le désesPoir crée Le rasseMbLe-Ment

20 InTernaTIOnal.Ink #16

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partie de sa population et de se poser en tant que rassembleur. La position de la minorité chrétienne, finalement, devient semblable à une part toujours croissante de la population sy-rienne, contrainte de penser la révolution de manière négative. Mais il est important de souligner que la révolution populaire n’est pas anéantie. elle est certes gravement blessée par l’islam radical ainsi que par le gouvernement assad mais il y a toujours une volonté démocratique en Syrie qui est bien réelle, exigeant l’instauration d’un etat mis en place par le peuple.

– le rôle de médiateur que les chrétiens rêvent de jouer se voit être une tâche de plus en plus difficile –

Si la vision de la révolution du docteur Z a évolué au fil du temps comme celle de beaucoup d’autres Syriens, celle des chrétiens a évolué d’une manière différente. Plus vite que d’autres, les chrétiens étaient réticents à l’idée d’un changement de régime. Pourquoi un tel attachement au gouvernement assad ? alaouite, Bachar al assad se veut aussi laïc et en tant que tel, se situe dans le prolongement du nationalisme arabe qui a la faveur des minorités et en particulier des chrétiens. un nationalisme arabe mieux à même selon eux d’apaiser les tensions interreligieuses et tolérant le multiculturalisme. en cas de renversement du régime, les chrétiens envisagent le pire scénario. les chrétiens sont dans une situation complexe. la guerre qui dé-chire entre eux des musulmans ne les concerne pas mais son issue est, pour cette minorité, lourde de menaces. Doivent-ils prendre clairement position et risquer des retours de bâton et des persécu-tions en cas de victoire du camp adverse ? Ou doivent-ils rester neutres et considérer que cette guerre n’est pas la leur en abandon-nant leur destin au vainqueur ? leur position est rendue d’autant plus difficile que Bachar Al Assad ne cesse d’attiser les tensions entre chrétiens et sunnites dans le but d’en faire ses alliés. le rôle de « troisième voie » ou de médiateur que les chrétiens rêvent de jouer dans cette guerre, devenue peu à peu confession-nelle, se voit être une tâche de plus en plus difficile. un résumé de la situation induit à une prise de conscience. la désillusion de la révolution, provoquée par la propagande du

zooM

economist.com

gouvernement, provoque un revirement croissant de l’opinion syrienne qui n’a aucune envie de voir des intégristes accéder au pouvoir, des intégristes opposés aux revendications ini-tiales du peuple syrien. De l’autre côté, les chrétiens et plus globalement les autres minorités restent fidèles au régime. Finalement c’est une bonne partie de la population qui craint la même chose : le risque intégriste. Ce partage d’idées montre bien que la situation, aussi grave soit elle, n’est peut-être pas désespérée ! Même si la paix se fait attendre, un rassemblement des diverses composantes de la population pourrait se réaliser dans une lutte commune contre l’islam radical.

InTernaTIOnal.Ink #16 22

Fitore MuharerreMi

le 17 décembre 2010, jour de la mort du jeune vendeur de fruits et légumes Mohamed Bouazizi qui s’était immolé par le feu à Sidi Bouzid en Tunisie, paraissait à nos yeux comme un banal fait-divers tragique qui suscitait quelques vifs émois régionaux. il s’agissait, en fait, de la première étincelle du vaste mouvement populaire de protestations qui fini par emporter le régime autoritaire de Ben ali.

– « DéGaGe » voilà le cri colérique brandi par leurs voix et leurs pancartes –

Le soulèvement pacifique du peuple tunisien montra au reste du monde qu’une dictature pouvait être renversée par la qua-si non-violence et devint une source d’inspiration et d’espoir incontestable pour les peuples opprimés du monde arabe. rapidement, les médias occidentaux s’enthousiasment par ces événements et iront même jusqu’à qualifier cette période tour-mentée de « révolution de Jasmin ». n’est-ce pas un peu précoce de parler de « révolution » ? Qu’est-ce qu’une révolution ? Cette notion s’applique-t-elle au cas tunisien ? Tout ceci semble encore un peu trop confus.

– De profondes inégalités régionales, entre un littoral en plein boom et un arrière-pays rural

et exclu, touchaient le pays –

Un toUrnant de révoLtesDescendus par milliers dans les rues de toutes les régions tunisiennes, on se rappelle de cette masse qui exprimait inlas-sablement son mécontentement face à la dictature de Ben ali. « DÉGaGe » voilà le cri colérique brandi par leurs voix et leurs pancartes. À croire que ce mot en dit long. Précis, court, expressif et interpellant, répondant à toutes les exigences de l’accroche réussie. D’ailleurs, sa force impérative envoie un message clair au despote, celui qui ne demande rien d’autre que son départ. Qu’est-ce qui pouvait bien pousser ces gens à se révolter spontanément et vouloir aussi assurément protester ? la réponse se trouve forcément dans les insoutenables structures socio-politiques instaurées par l’autorité au pouvoir.

en effet, la société tunisienne baignait dans une eau très agitée. De profondes inégalités régionales, entre un littoral en plein boom et un arrière-pays rural et exclu, touchaient le pays. le taux de jeunes diplômés se retrouvant au chômage avoisinait les

30% 1. Les prix des produits de base augmentaient en flèche. La corruption se faisait à tous les niveaux et de massives violations des libertés fondamentales se répétaient au quotidien. Bref, de quoi provoquer de l’exaspération à tout un chacun. Le peuple finit par prendre conscience de sa vulnérabilité et s’empressa de se révolter contre le système pour un avenir plus lumineux qui englobe les idées de démocratie, de liberté, et d’égalité sociale.après 29 jours de protestations, voilà que Ben ali se voit contraint de quitter le pays, à croire que le message envoyé par son peuple ne l’avait pas laissé indifférent. Son exil apporta ainsi un bouleversement brusque et majeur pour la nation tunisienne. Il semblait bien que la fin de l’ordre dictatorial établi depuis 23 ans soit arrivée. Toutefois, toute fin est un commencement d’une nouvelle ère. la chute de ce régime oppressif laisse place à un gouvernement transitoire d’union nationale.

– Il s’agira tout de même de démanteler un système autarcique fondé sur le clientélisme et la corruption –

À ce stade, le terme de révolution s’accentue. On pourrait même le préciser, en relevant son fond politique, idéologique et social. Il se définit donc comme l’instauration brutale d’un nouvel ordre politique suite à une importante mobilisation contestataire du peuple. Mais cette définition semble être incomplète.

Une avenUe sans fin

Mirabeau disait : « il est plus facile de commencer une révolution que de la finir ». et ce n’est pas le cas tunisien qui nous dira le contraire. rebâtir un etat démocratique sur les ruines d’un passé dictatorial demeure une équation périlleuse. ne la sous-estimons pas.

1Ben aMO Mouldi, Le Chômage des jeunes : Déterminants et caractéristiques, Institut tunisien de la compétitivité et des études quantitatives, 2012http://www.mdci.gov.tn/fileadmin/Liste_Ouvrages/etudepdf/itceq10_Le_ch%C3%B4mage_des%20jeunes_BenAmor_Mouldi_2012.pdf

Fier de leur drapeau, 16-01-2011 Eric Dessons

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Renverser l’ordre établi suffit-il pour mener une révolution à son terme ? ne faudrait-il pas, également, espérer que de profonds changements politiques et sociaux émergent ?

Ces changements ne se feront pas sans difficultés. Chasser le dictateur ne dirigera pas le pays vers la libération et la démo-cratisation. il s’agira tout de même de démanteler un système autarcique fondé sur le clientélisme et la corruption. un chemin qui s’avère long et qui requerra une extrême vigilance de la part de la société civile tunisienne.2

transition déMocratiQUe chaotiQUeen octobre 2011, lors premières élections libres en Tunisie depuis 1956, un parti conservateur islamiste nommé l’ennahda devient la première force politique du pays. le parti aura comme défi de piloter la démocratisation du pays dans un contexte de crise économique et sociale complexe. Trois années se sont pas-sées depuis les événements qui ont conduit Ben ali à quitter le pouvoir, et pourtant le gouvernement tunisien peine à faire avan-cer son processus de démocratisation du pays 3. Crise politique et escalade de violence se laissent remarquer sans scrupule.

En effet, il subsiste un désaccord flagrant entre l’opposition « laïque » et progressiste, et le parti islamiste au pouvoir : sur l’inscription de l’islam comme source de droit dans le projet

de la nouvelle Constitution. Dans la dernière version du projet, l’ennahda renonce à inscrire la Charia. Malgré ceci, l’opposi-tion juge que le projet soumis aux parlementaires ne garantit pas de manière suffisante les libertés et l’égalité des sexes. en parallèle à ces débats autour du projet constitutionnel s’ajoute l’arrivée du phénomène salafiste et sa composante djihadiste qui, sous l’ère Ben ali, restait plutôt discrète et loya-liste. Ce groupe qui a refait surface préconise l’inscription de la Charia dans la constitution. Quant aux salafistes-djihadistes, ils soutiennent la lutte armée.Plusieurs fois, l’ennahda se trouve dans une position délicate. les grèves et mouvements de protestation de tout ordre, les assassinats politiques, l’insurrection populaire, et l’attentat djihadiste contre l’ambassade américaine montrent les défail-lances du gouvernement et la dérive tunisienne dans la violence. Où s’arrêtera cette violence ? une révolution peut-elle se faire sans violence ? la violence ne transforme-t-elle pas, justement, cette révolution du Jasmin en une révolution au sens physique, c’est-à-dire un retour au point de départ, en l’occurrence au début de la reconstruction de l’État ? Peut-être s’agit-il du chemin par lequel la Révolution est destinée à passer pour arriver à ses fins ?a l’heure où l’on se trouve, il parait plus prudent de laisser seul à l’histoire le droit de répondre à toutes ces questions. espérons que cette révolution aboutira à ce que le peuple désire réelle-ment. l’avenir reste entre ses mains.

le jour où l'insurrection a embrasé Tunis, 16-01-2011Eric Dessons

2 raMaDan Tariq, L’Islam et le Réveil Arabe, Presses du Châtelet, 20113leClerC Cécile, L’apprentissage de la démocratie fait mal, Slate Afrique, 2012http://monde-arabe.arte.tv/lapprentissage-de-la-d%C3%A9mocratie-fait-mal/

Dimanche 26 janvier 2014, l'adoption définitive de la nouvelle constitution progressiste achève la turbulente transition démo-cratique sans que le chaos ou la guerre civile ne l'emporte. belle victoire pour la démocratie et le monde arabe !

InTernaTIOnal.Ink #16 24

Clara rita nOraMBuena

les relations qu’entretiennent un gouvernement de gauche et un parti de gauche radicale sont toujours com-plexes. en effet, malgré le fait que les partis socia-listes, communistes et d’extrême-gauche ap-partiennent à un même front de gauche, ils sont déchirés par des idéaux distincts, comme le mon-tra, au Chili, l’exemple du gouvernement socia-liste de Salvador allende (1908-1973) et du Mir. Or pour garder leur force, ces mouvements politiques divergents ne devraient-ils pas s’unir, plutôt que se laisser dévorer par leurs points de vue différents ? Tou-tefois, est-il possible de travailler dans une union parfaite ?

en 1965, eduardo Frei Montalva dirige le Chili. Membre du Parti démocrate-chrétien, soutenu par de nombreux pays occidentaux, il applique une politique de droite traditionnelle. en octobre 1965, insatisfaits de la politique de Frei et du rôle joué par la gauche chilienne, des jeunes étudiants de l’université de Concepción, une ville située au centre du Chili, fondent le Mir (Movimiento de Izquierda Revolucionaria – Mouvement de la gauche révolutionnaire). le leader du Mir est Miguel enriquez, un étudiant en médecine. enriquez préside le Mir jusqu’à sa

mort en octobre 1974, sous les balles de militaires, lors d’une confrontation. Pinochet est déjà au pouvoir. C’est andres Pascal allende, co-fondateur du Mir et neveu de Salvador allende qui le remplace, alors qu’il est encore universitaire en sociologie.le gouvernement d’allende et le Mir ont toujours eu un ob-jectif commun : celui de la construction d’un Chili uni, où les travailleurs seraient au pouvoir. Toutefois, les moyens pour ar-river à ce but divergent : Allende défend la voie pacifique à la démocratie, le MIR la voie révolutionnaire. Jusqu’à la fin, le but du Mir sera de protéger le président contre un coup d’état. le soutien d’allende au Mir est aussi fort. Toutefois, lorsque le gouvernement socialiste commence à se fragiliser et qu’allende subit de plus en plus de pressions, les rapports du Mir avec le

gouvernement se tendent également. en effet, de nombreuses idées diver-gent fondamentalement.

Les idées dU MirLe MIR est influencé par la révolution cubaine. Dès le début, il soutient l’idée de la conquête du pou-voir par la voie insurrec-tionnelle, comme cela fut le cas en 1958, lorsque, au sein de la guérilla cu-baine, la voie insurrectio- nnelle l’a emporté sur la voie politique1. D’autre part, le Mir cherche un chemin de révolte propre à la politique chilienne des travailleurs. Sa stratégie consiste à agir dans les zones urbaines (usines, uni-

versités, écoles), afin d’obtenir une adhésion populaire lors de débats et de ma-nifestations publiques. le Mir cherche également à créer une situation de guérilla urbaine. Enfin, dans les campagnes, proches des communautés mapuches (peuple indien du Chili)

Le Mir et Le goU-verneMent sociaListe chiLien d’aLLende : Une reLa-tion aM-bigUë

les relations entre un gouvernement de gauche et un parti de la gauche radicale sont toujours complexes. l’exemple du Chili de la période de Salvador allende le montre. Or, pour garder leur force, les différents mouvements politiques de gauche ne devraient-ils pas s’unir ?

1 http://www.gauche-anticapitaliste.org/content/chili-le-combat-revolutionnaire-du-mir

zooM 25

et des grandes propriétés terriennes, sa stratégie est d’obtenir l’adhésion des Mapuches et des ouvriers agricoles.

– Allende défend la voie pacifique à la démocratie, le MIr la voie révolutionnaire –

le Mir est loin d’être un groupuscule d’illuminés. en effet, il est composé d’un vaste mouvement populaire : le FTr (front des travailleurs révolutionnaires), le MCr (front des paysans révolu-tionnaires), le FPr (front des habitants), le Fer (front des étu-diants révolutionnaires) et le Mui (front universitaire de gauche).

Pour le MIR, le défi est de transmettre le pouvoir hiérarchique et privilégié des grands capitalistes chiliens et étrangers au peuple chilien. le point fort du groupe est son ardeur à militer contre la structure répressive même du système, en organisant des actions armées.

La reLation dU Mir avec Le régiMe sociaListePour le Mir, il y a peu de chance que le passage du socialisme au pouvoir puisse avoir lieu par la voie démocratique : « (…) nous soutenons que les élections ne sont pas un chemin pour la conquête du pouvoir. Nous ne croyons pas que par cette voie il y aura un gouvernement des ouvriers et des paysans et que commencera la construction du socialisme » 2. Telle est une des grandes divergences entre la politique d’allende et celle du Mir. Toutefois, malgré le fait que le Mir considère l’unité populaire d’allende comme simplement idéaliste et rêveuse, il salue son élection.

– Trouver un terrain d’entente est indispensable à la force d’un mouvement politique –

ainsi, malgré leurs divergences, le Mir soutient allende. Peut-être aurait-il fallu poursuivre dans ce sens. les différents points de vue entre mouvements et gouvernements ne peuvent bien entendu pas être ignorés, et il est difficile, en politique, d’avoir une opinion commune. Toutefois, trouver un terrain d’entente est indispensable à la force d’un mouvement politique, certes pluriel, mais quand même situé à la gauche de l’échiquier politique, et qui plus est soumis à une pression lourde de la part des adversaires politiques de droite. Car pour en revenir au Mir, sa position durant tout le régime de l’unité populaire d’allende est ambiguë : le Mir soutient allende tout en le critiquant. Par exemple, le Mir n’a jamais accepté de bon gré la politique réformiste du gouvernement en ce qui concerne la réforme agraire et la restitution des terres des Mapuches. Pour lui, ce processus est trop lent. ainsi, contre l’avis du gouvernement, le Mir décide d’occuper les terrains agricoles de grands proprié-taires terriens. en effet, le Mir et les indiens considèrent que ceux-ci ont usurpé ces terres. Du côté des grandes entreprises et industries, le Front des travailleurs révolutionnaires (FTr), une des branches du Mir, renforce aussi ses pressions sur le grand patronat contre l’exploitation des ouvriers, toujours sans l’accord du président 3.

Enfin, les tensions augmentent encore lorsqu’Allende s’aligne avec la Démocratie chrétienne. Or allende ne peut se passer de l’alliance avec la démocratie chrétienne, ce que le Mir

2 http://www.gauche-anticapitaliste.org/content/chili-le-combat-revolutionnaire-du-mir3 Ancien militant du MIR

contredit. en effet, pour le Mir, un gouvernement populaire ne peut avoir des membres politiquement opposés dans son entou-rage. Au fur et à mesure que le grand capital financier chilien et étranger boycotte la politique du gouvernement d’allende, le Mir se distancie du pouvoir politique, et se radicalise.

Toutefois, le différend le plus important du Mir avec le gouver-nement porte sur le pacte que ce dernier a passé avec l’armée. En effet, vers la fin de son parcours politique, la situation se complique gravement pour le président. allende subit de plus en plus de pressions de la droite financière, nationale et étran-gère 4. Pour calmer le jeu et répondre aux demandes de la droite, allende introduit des militaires dans son gouvernement. Pour le Mir, il s’agit d’une erreur colossale, et dès lors, il s’attend à un coup d’état. allende est lui convaincu qu’avec ce pacte, les pressions de la droite dure s’apaiseront. la réalité en a toutefois voulu autrement. le 11 septembre 1973, Pinochet, fortement soutenu par la Cia, prend le pouvoir au Chili, qui sombre dans une terrible dictature militaire pour de nombreuses années.

à La recherche d’Une Unité PLUrieLLeau-delà du cas chilien, dans l’idéal, les mouvements progres-sistes devraient travailler dans l’union plutôt que dans la divi-sion et la confrontation. Malgré les divergences, les mouvements politiques de gauche devraient trouver un terrain d’entente, travailler sur des projets politiques plus unitaires. la question du soutien et de l’unité dépasse d’ailleurs largement l’exemple du Chili. en effet, selon l’idée courante, une unité n’est pos-sible que s’il y a un consensus fort au sein d’un groupe. Or, en politique, obtenir un consensus est extrêmement complexe, voire impossible. Quoiqu’il arrive, les points de vues divergent, et heureusement d’ailleurs. l’idée d’une unité plurielle non dogmatique serait donc de pouvoir composer avec les diffé-rences, les diversités, au lieu de les exclure. il ne s’agit donc pas d’effacer, d’ignorer les opinions opposées, mais de pouvoir les mettre en arrière-plan.

Dès lors, le Mir a-t-il, de façon indirecte, aussi contribué à la chute du président socialiste en septembre 1973 ? C’est oublier qu’un coup d’état se préparait activement au Chili, avec le sou-tien des États-unis. un appui total du Mir à allende ne l’aurait certainement pas empêché, la partie adverse étant bien trop puis-sante. Mais la question de l’unité dans la pluralité n’en demeure pas moins centrale.

4GUzMan Patricio, film Salvador Allende, 2004

26 InTernaTIOnal.Ink #16

hugo hOuBarT

Pareil contexte nous pose face à la problématique fondamentale de l’importance de l’économie pour la compréhension de la science politique. une question complexe s’il en est, mais qui semble tout de même essentielle.

– l’histoire politique regorge d’économie –

Difficile d’aborder cette relation sans se référer aux origines de ces matières et à leur histoire. Comment pourrions-nous nier leurs origines communes ? la philosophie antique étant la mère de toutes les sciences, l’économie comme la politique ne sont à ce titre rien d’autre qu’un prolongement d’anciennes réflexions philosophiques. une première ressemblance entre ces deux domaines : la nécessité d’une interaction. en effet, si pour aristote « l’homme est par nature un animal politique », c’est aussi, comme le dit bien Smith, « un animal qui pratique l’échange ». Dans les deux cas nous sommes confrontés à des interactions. il n’y a ni économie ni politique sans interactions sociales. C’est là un point commun basique mais essentiel qui caractérise toutes les sciences sociales.

Mais la relation entre l’économie et la science politique va bien au-delà de cette simple similitude. Tout d’abord, force est de constater que l’économie s’est toujours trouvée plus ou moins présente dans l’ombre du pouvoir, et qu’à ce titre elle a eu une influence considérable sur les décideurs. l’histoire politique regorge d’économie. la gouvernance d’un etat ne peut se faire sans un minimum de considération pour ce domaine. ainsi, nous pourrions citer les exemples de François Quesnay, médecin du roi et économiste, et de Jacques Turgot, contrôleur général des finances, qui se sont essayés à la douloureuse réforme du royaume de France au XViiie siècle. Quel rapport avec la politique ? ni plus ni moins que la révolution Française. en effet, si on ne peut résumer ce bouleversement politique à l’économie, son importance est indéniable pour sa compréhension. le marxisme

est encore plus représentatif de ce lien. Ses interprétations politiques, toujours teintées d’économie, ont laissé leurs traces dans l’histoire, pour le meilleur comme pour le pire.

et comment ne pas aborder le libéralisme, ce paradigme qui prend racine dans l’économie ? Comment contourner des grands noms comme Smith, Malthus et ricardo, autant de penseurs économiques majeurs qui ont, par leurs travaux, façonné l’économie moderne, et indirectement la science politique ? le commerce est considéré comme un gage de paix, d’harmonie, d’interdépendance et de partage par kant et Montesquieu. Chaque penseur a eu, à sa manière, une influence sur les autres.

ni l’économie, ni la science politique n’échappent à cette règle. Ainsi, il paraît difficile de prétendre comprendre la pensée de l’un d’entre eux sans s’atteler à l’étude de l’ensemble : contextes, prédécesseurs, influences.

l’économie ne s’est donc pas contentée de rester dans l’ombre, elle a aussi influencé les raisonnements, les décisions et les explications de phénomènes politiques. les comportements des

cela ne vous a sans doute pas échappé, un débat universitaire secoue la faculté de sciences économiques

et sociales depuis plusieurs mois maintenant. Un divorce entre ces deux domaines est à l’ordre du jour

après presque un siècle de vie commune.

Une décision délicate, qui ne semble pas faire l’unanimité mais, au-delà des querelles partisanes, la principale interrogation qui se pose au sein du

département de science politique concerne le maintien ou la suppression des enseignements d’économie.

a-t-on besoin de l’éCOnOMIe PoUr coMPrendre la SCIenCe POlITIQUe ?

ronald reagan décrivant le plan de réduction des impôts de la législation, juillet 1981.

VIe UnI ( VerSITaIre ) 27

etats comme des producteurs/consommateurs, la « rationalité limitée » ou encore la théorie des jeux sont autant de concepts susceptibles d’éclairer notre modeste compréhension des relations de pouvoirs et des objets politiques. À cela s’ajoutent les problématiques de la gestion de l’administration publique, du financement de l’État, des dépenses publiques, de la gestion des biens publics et des fonctions régaliennes qui trouvent réponse dans un savant mélange de politique et d’économie. D’ailleurs ne parle-t-on pas de politique économique ? Enfin, l’économie offre aussi des réponses et des explications à certains comportements politiques. À ce titre, l’école du public choice, le théorème d’équivalence ricardo-Barro ou le paradoxe de l’action collective apparaissent comme de parfaits exemples d’applications concrètes de l’économie. laissons maintenant le lecteur étancher seul sa soif de connaissance sur ces exemples et concentrons-nous sur les enjeux contemporains qui mêlent économie et politique.

– La globalisation économique et financière est à ce titre représentative de l’évolution du monde

dans la seconde moitié du XXe siècle –

Car la science économique, tout comme la science politique, est une discipline qui évolue et s’adapte avec son temps. De nouveaux courants, théories et concepts émergent afin d’être plus à même d’apporter une explication à la situation présente. Explications qui se transformeront en justifications entre les mains des décideurs afin de légitimer la conduite de leurs politiques pour le meilleur comme pour le pire. aussi, il faut bien reconnaître que les décideurs ne se sont pas toujours montrés capables d’appréhender correctement le monde économique. un manque de clairvoyance qui, dans le meilleur des cas, annule l’efficacité de la politique mise en œuvre (la relance française

Photo-libre.fr

menée par Pierre Mauroy au début des années 80 est un bon exemple) et dans le pire des cas, provoque une grave crise économique dont les conséquences sont parfois tragiques.

La globalisation économique et financière est à ce titre représentative de l’évolution du monde dans la seconde moitié du XXe siècle. les rapports d’interdépendances qui en ont résulté peuvent être considérés comme des objets politiques en ce sens qu’ils traduisent des relations de pouvoir entre les etats. le pétrole est sans doute l’exemple le plus explicite : non seulement il s’agit d’une manne financière exceptionnelle pour les pays producteurs, mais aussi et surtout une arme politique redoutable. les interconnexions entre etats gagnent alors en potentiel d’explosivité. les crises d’origine économique risquent alors de se transformer en crises sociales et politiques. L’inoubliable crise de 2008, d’origine financière, de par son ampleur, est rapidement devenue une crise politique aux conséquences sociales.

Voilà donc ce qui permet une bonne compréhension de la science politique : une capacité à mener une réflexion à la croisée de plusieurs disciplines susceptibles d’expliquer au mieux la complexité du monde. Pour toutes ces raisons, l’économie semble plus que jamais essentielle aux politologues et à l’étude des sciences politiques.

benjaMin danbakLi PoUr ink : tout d’abord, quand as-tu créé le personnage spotted Unige ?SPOTTeD : le personnage de Spotted uniGe a été créé en Janvier 2013, lors d’une interminable séance de révisions en vue des partiels.

ink : et comment as-tu fait ce choix ? d’où t’est venue l’idée de créer spotted Unige ? en bref, pourquoi as-tu choisi d’endosser ce rôle toi-même ?SPOTTeD : Cela faisait déjà un petit moment que je connaissais le principe de Spotted, comme beaucoup d’autres étudiants. le concept m’a plu, et vu qu’à l’uniGe il n’y avait pas encore de page de ce type, je me suis dit, « pourquoi pas moi ».

ink : fais-tu partie d’un vaste réseau spotted qui t’aurait choisi pour endosser ce rôle ou bien est- ce une initiative personnelle qui t’as conduit ici ?SPOTTeD : C’est une initiative personnelle. Je n’ai jamais com-muniqué avec d’autres Spotted, et je ne sais même pas s’il existe un tel réseau organisé !

Janvier 2013 : le début d’un paramétrage émotionnel. Ce personnage, inventé aux États-Unis, enjambe très tôt l’Atlan-tique puis parcourt le monde. Être plus rapide que Magellan ne lui suffit pas, il lui faut également atteindre toutes les sphères de la société, toutes les universités ont leur Spotted, ainsi que les lycées, les entreprises et même les administrations. Spotted est ce Big Brother qui nous connait mieux que nous-même. Il connait nos moindres fantasmes, nos envies… Une véritable base de données de nos faiblesses. Pourtant cette toile d’araignée mondialisée n’est ni une arme, ni un moyen de contrôle étatique, mais une multitude de cupidon agissant chacun dans l’intérêt de sa localité. Amateurs des théories du complot, ce sera pour une prochaine fois !

ink : Qu’est-ce qui te plaît dans ce rôle que tu joues ?SPOTTeD : C’est une question assez rude que tu me poses là. En effet je n’y avais jamais vraiment réfléchi auparavant, dans la mesure où j’ai créé ce Spotted par hasard. Je pense que ce qui me plaît le plus dans ce rôle c’est d’être un messager. (un message ?) C’est intéressant de pouvoir donner l’opportunité aux

gens de s’exprimer au travers de cette page, de voir de quelle manière cela évolue, et d’éventuellement avoir aidé des per-sonnes à se rencontrer.

ink : comment comptes-tu assurer la relève ?SPOTTeD : Pour l’instant la question ne se pose pas vraiment, dans la mesure où je suis à l’uniGe. Mais quand il faudra as-surer la relève (si le phénomène Spotted ne s’essouffle pas d’ici là), je procéderai peut-être en lançant un appel sur la page, ce serait encore le plus simple je pense. Mais si tu as d’autres idées, je prends.note à côté (genre un petit encadré avec une flèche, comme un commentaire) : Si tu as une idée ou bien si tu veux rajouter Spotted sur ton CV tu peux nous contacter sur [email protected] ou bien contacter Spotted uniGe par MP !

ink : as-tu des statistiques concernant les publications des étudiants (garçon/fille, faculté, etc.) ?SPOTTeD : Je dispose seulement des statistiques Facebook. (…) J’ai toutefois noté que les étudiants en médecine étaient plutôt prolifiques, surtout quand il s’agit de longs messages avec des noms barbares pour les non-initiés.

International.Ink vous offre ici des informations exclusives et pour le moins déconcertantes, enfin on s’y attendait un peu quand même ! Nous avons apparemment affaire à un romantisme au féminin. A croire que l’image du jeune Musset n’est plus à la mode chez la gent masculine, ne désespérez pas les filles, la part des 65 ans + est plus importante chez les hommes que chez les femmes, ça vous laisse du choix ! Quant aux médecines, qui sait si c’est de voir la mort d’aussi près qui vous rend si romantique ou bien d’avoir des patients canons mais intouchables dans vos lits toute la journée qui vous font déverser vos fantasmes avec tant d’enthousiasme ?

ink : ce “travail” te prend-il beaucoup de temps ?SPOTTeD : etant donné que je gère cette page de manière plutôt passive, pas vraiment. (…) le seul moment où cela devient un peu plus compliqué, c’est en déplacement, lorsque je n’ai pas forcément internet. Ça ne me prend pas plus de temps, mais les messages sont alors publiés en différé, avec parfois un laps de

sPotted interviewen eXClUSIVITé !

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Si tu as une idée ou bien si tu veux rajouter Spotted sur ton CV tu peux nous contacter sur [email protected] ou bien contacter Spotted UNIGE par MP !

InTernaTIOnal.Ink #16

Pour ce 16e numéro, le ink vous propose une interview exclusive, du jamais vu jusqu’à présent à l’Unige,

spotted révèle ses secrets.

a la fin de cet article, vous saurez tout ! ou presque…(Ps : cette interview s’est déroulée via facebook et

non en face à face, anonymat oblige)

29

temps assez conséquent. Donc s’il vous est arrivé d’être publié avec (beaucoup) de retard, veuillez m’en excuser, c’est que je n’étais VraiMenT pas disponible.note à côté : excuse acceptée ! Je sais de quoi je parle ;)

ink : Peux-tu m’en dire plus sur spotted gay Unige ? es-tu aussi à la base de ce spotted, si non, qu’en penses-tu ?SPOTTeD : Je ne suis pas à l’origine de ce Spotted, même si les pages ont été créées sensiblement au même moment. et même si la page n’a pas fonctionné, je pense que l’idée était bonne. J’ai regardé d’autres pages « Spotted gay », mais visiblement aucune n’a trouvé d’écho. Peut-être parce qu’elles ne sont pas une réelle nécessité ? en effet, depuis la création de ce Spotted unige, j’ai reçu plusieurs messages gay, tout comme j’ai reçu des messages hétéros. Je ne vois pas pourquoi l’on devrait faire une distinc-tion. Cette page est faite pour rassembler, pour permettre de se déclarer, et elle s’adresse à TOuS !

L’échec de la page Spotted gay UNIGE pourrait en effet être la preuve que les homosexuels aient enfin tourné la page avec le communautarisme dans lequel notre société homophobe les a obligés à se placer pendant tant de siècles. Cependant même si certains d’entre eux ont déjà publié sur Spotted UNIGE, comment peut-on savoir s’il n’existe toujours pas une réticence de leur part ? Et puis quel intérêt de deux Spotted distincts alors que les deux protègent l’anonymat ? Cachons-nous ensemble pour une fois !

ink : Penses-tu vraiment que des couples se soient formés grâce à un spot ?SPOTTeD : Ce serait génial ! Mais honnêtement, je ne sais pas. Quelques personnes ont été mises en relation via Spotted, mais je n’ai jamais eu aucun retour. Si c’était le cas, Spotted pourrait être fier d’avoir contribué à cela !

ink : Que penses-tu des messages ayant un dis cours érotique voire plus grossier ?SPOTTeD : Cela ne me dérange pas. Je pense que cette page est aussi un exutoire, un moyen d’exprimer ce que l’on n’ose pas. alors pourquoi pas des pensées érotiques ? ink : Pratiques-tu parfois la censure ?SPOTTeD : Cela m’est arrivé une seule fois. le message avait été publié, puis la personne visée m’a demandé de retirer le mes-sage, car elle l’avait trouvé offensant. l’auteur s’est par la suite

excusé, et j’ai moi-même reconnu avoir effectué une erreur de jugement sur le message – que je pensais humoristique. C’est donc un fait isolé, et je trouve que c’est une bonne chose.

ink : spotted entre Poésie et érotisme, deux rôles complémentaires ou antagonistes ? Peux-tu m’en dire plus ?SPOTTeD : Je pense que ces deux rôles sont très complémen-taires. en effet, mêler ces deux « pôles » n’est pas une invention nouvelle. Prenons par exemple certains poèmes d’apollinaires, ou encore la correspondance entre George Sand et alfred de Musset. l’érotisme fait partie de ce que l’on exprime (trop) rarement, donc je trouve ça au contraire plutôt positif que les gens osent le faire sur cette page, et pour ceux qui le font en poésie, c’est encore mieux.

Apollinaire, Sand, Musset ? Beaucoup de messages y ressemblent en effet. Mais si ces derniers avaient écrit des messages comme ceux qui sont publiés, trop de forêts auraient été dévastées pour alimenter les bûchers (clin d’œil aux médecines par ailleurs) ! Mais si les pénis n’avaient pas été sujet de railleries, celui de Raspoutine ne serait pas exposé en Iceland ! Malheureusement l’humour trouve toujours sa place là où il est dure à entendre. L’utiliser sur un espace anonyme est peut-être la preuve que le tabou reste encore vivant.

ink : crains-tu qu’il arrive des « dérapages » comme ça a été le cas parfois en france où, en ne pratiquant aucune censure, la page spotted a été utilisée à des fins d’humiliations de certains personnes qu’on pourrait qualifier de « vulnérables » ?SPOTTeD : Je n’ai jamais eu affaire à des messages de ce type, et si c’était le cas... il y aurait de la censure. après je ne sais pas quels Spotteds ont eu ce genre de messages, lycéens ou universi-taires ? Pour les premiers, je pense qu’il y règne en effet une autre atmosphère. il y a moins de personnes, tous se connaissent, et les esprits ne sont pas encore très matures. Je pense – mais ce n’est que mon avis – qu’au sein de l’université, les messages n’ont pas la même influence. Nous sommes plus nombreux, dispersés dans de nombreuses facultés, on ne se connait VraiMenT pas tous, même de vue, et j’ose espérer que nous sommes aussi plus matures... D’ailleurs le fait que je n’ai pas eu à censurer montre que les gens qui utilisent ce Spotted ont autre chose à faire que de déblatérer sur leur voisin d’amphi.

INK : Enfin, et ce sera ma dernière question, as-tu déjà spotté toi-même ?SPOTTeD : non, je n’ai pour ma part jamais Spotté. Mais qui sait, peut-être qu’un jour ça viendra !

Excuse acceptée ! Je sais de quoi je parle ;)

Des retours ??? Idem pour les contacts…

Femmes

Vos fans

Vos fans

Tout Facebook 0,5% 5% 0.3% 0.3%

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Tout Facebook

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Hommes

Les personnes qui aiment votre Page

13-17 18-24 25-34 35-44 45-54 55-64 65+

61%

27%

VIe UnI ( VerSITaIre )

30 InTernaTIOnal.Ink #16

Mon seul spot restera donc pour ce journal :

Pour ma part je n’ai pas encore vu d’allégories venant d’étudiants de sciences ou de ses (pour autant que cela s’appelle toujours SES), il y aurait tant à faire !

conseil : restez poétiques et faites jouer votre imagination !

j’espère que cette brève interview vous aura éclairé. alors n’hésitez pas à spotter ! Peut-être trouverez-vous l’amour, ou du moins continuerez-vous à faire rire vos amis !

VIe UnI ( VerSITaIre ) 31

Ô toi, Mon seUL aMoUr, de Mon écritUre franche,je t’arrose sUr tes feUiLLes, de Ma PUre Pensée bLanche,en éLevant Ma PLUMe, je féconde sUr tes Pages,toUtes Mes idées noctUrnes, Pénétrant dans ta cage,QUaLité et esthétiQUe, garanties et UniQUes,je ne jUre QUe Par toi, internationaL.ink !

InTernaTIOnal.Ink #16 32

L’inSoutenabLe Légèreté de L’être

de kUndera :

Une FICTIOn à la COnQUêTe DU réel

rUe D a n D Y 33

lubiana GOSP SerVer

« Son drame n’était pas le drame de la pesanteur, mais de la légèreté. Ce qui s’était abattu sur elle, ce n’était pas un fardeau, mais l’insoutenable légèreté de l’être », écrit kundera en présentant si ce n’est la grande problématique de l’existence humaine, celle de son œuvre.

L’insoutenable légèreté de l’être est le cinquième ouvrage de kundera et vient s’inscrire dans le cadre du printemps de Prague de 1968. C’est donc au cœur d’un contexte historique et social complexe que Kundera s’applique à dépeindre les difficultés de l’existence humaine. l’histoire se focalise principalement sur deux couples. l’un unit Tomas et Tereza, tandis que s’installe l’occupation russe à Prague. La plus grosse des tensions réside tant dans l’infidé-lité de Tomas que dans la jalousie de Tereza. l’autre, c’est « l’ami-tié érotique » qu’entretient l’artiste Sabine avec Tomas alors qu’elle fréquente également Franz – qui quant à lui commet l’adultère. Sabine, c’est l’incarnation de la légereté. Tereza, celle de l’amour pesant, destiné.

l’histoire n’a en fait de véritable in-térêt que dans sa totalité, elle ne peut être résumée, elle en serait automatiquement amputée. Ce sont les personnages qui donnent vie à l’œuvre car ils incor-porent, tant dans leur person-nalité que dans leur relation, le symbole du paradoxe humain. C’est la raison pour laquelle nous n’en faisons qu’une brève présenta-tion et que nous nous pencherons davantage sur l’analyse.

kundera n’amorce pas son écrit dans la fiction mais ins-crit bien le fondement de son chef d’œuvre dans la philosophie. Pour ceci, il annonce dès son commencement les interrogations qui encadreront le roman. Ces questions sont d’ordre philoso-phique. kundera ouvre le premier livre in-titulé « la légèreté et la pesanteur» en questionnant une contradiction. il pose comme point de départ le concept « d’éternel retour » cher à nietzsche, pour aboutir à une conclusion existentielle : celle de notre incapacité à juger les faits. en effet, ne pouvant réitérer ni nos ac-tions, ni même l’histoire, nous voguons dans l’incertitude du bon ou du mauvais choix. Il en résulte une véritable insignifiance de la vie humaine. notre soif de compréhension se meut sur le terrain aride de nos existences. « l’éternel » sera le point de convergence entre les divers motifs philosophiques qu’il évoquera tout au long du livre.

le style de kundera tend à créer une résonance entre sujet et forme. il use d’un ton conforme à la gravité du sujet, bien qu’il soit toujours teinté de l’empreinte du personnage visé. le début de l’œuvre évoque ainsi un mouvement circulaire qui correspond à ce que le renouveau de l’éternel questionne tandis qu’il terminera sur la verticalité qui correspond à une fin sans concession. De même, la composition du livre est en harmonie avec la double histoire. il y présente une structure bien définie car ses sept livres se répondent et suivent une logique interne. la partie « les mots incompris » semble

être le point culminant et suscite une rupture entre le retour de « la légèreté et la pesanteur » et « l’âme et le corps ». Pourtant, kundera ne s’arrête pas là : bien que la boucle soit bouclée, il ajoute deux autres parties, celles de la « Grande marche » et du « Sourire de karénine ». elles concentrent à elles deux le côté humain et impré-visible de l’œuvre et révèlent la dernière préoccupation de la pensée romanesque : le kitsch.

Une de ses réflexions touche notamment à l’écriture. Le lecteur est confronté à un choix délibéré : celle d’une conception spécifique du rôle de la littérature. effectivement, sa fonction ne peut être ici dis-sociée de celle de la philosophie car toutes deux mènent une quête vers et pour la vérité. Cette fiction (qu’il revendique haut et fort comme telle) se rapproche pourtant grandement de la réalité : les vies humaines servent d’inspiration et viennent à questionner le vrai. lorsqu’au début du deuxième livre, il rédige : « il serait sot, de la part de l’au- teur, de vouloir faire croire au lecteur que ses personnages ont réellement

existé. ils ne sont pas nés d’un corps maternel, mais de quelques

phrases évocatrices ou d’une situation clé », il an-nonce, non sans ironie, qu’à la manière d’un Dieu omniprésent, l’écrivain dé-tient le verbe créateur. il

est ainsi l’acteur, le créa-teur de ses personnages, mais il en est également

le spectateur. Passif, il observe leurs existences dans

l’espoir d’assimiler l’insaisissable. il s’agit donc d’une double introspection

menée d’une part sur l’homme dans son environnement relationnel et d’autre part sur l’écriture.

l’amour est un des grands thèmes abordés au côté de la question de l’imagina-

tion créative. Cette œuvre est l’occasion d’y voir se confronter les différentes formes d’affection. On y

rencontre une synthèse des penchants humains. Ces différentes approches, qui d’abord se présentent dans leur radi-

calité, s’estompent peu à peu... Derrière le protagoniste se dévoile notamment la tentative avortée d’une dissociation entre amour char-nel et sentimental. Peu à peu, l’ivresse devient une nécessité dans l’infidélité. Ce qui au commencement était d’une facilité enfantine se transforme en un déchirement émotionnel. « l’amitié érotique », relation permettant la confidence intime avec Sabine, finit par mettre en exergue l’amour impératif qu’il éprouve pour Tereza.

l’auteur s’amuse de cet amour car sa grandeur en est écrasante. l’impératif qui en découle est lourd et catégorique. Dans son incli-nation pour Tereza, Tomas répète avoir le sentiment d’être respon-sable d’elle comme d’un enfant recueilli au hasard, alors qu’il avait été abandonné dans une corbeille sur un fleuve. Kundera écrit à ce propos : « Tomas ne savait pas, alors, que les métaphores sont une chose dangereuse. On ne badine pas avec les métaphores. l’amour peut naître d’une seule métaphore ». la scission coupable-victime, acteur-spectateur s’atténue. nous comprenons alors que le « es muss sein » ne s’impose ni de l’extérieur, ni de l’intérieur mais d’un-entre-deux : la création artistique. il y a une beauté terrible à notre impuis-sance face à la pesanteur de nos existences. Seule la puissance de l’écrit peut y remédier.

InTernaTIOnal.Ink #16 34

Les Pays d’asie ont-iLs besoin d’Un Père ?De ho Chi Minh à lee kuan Yew, on constate une similitude frappante unissant toutes les cultures politiques asiatiques, et sud-est asiatiques en particulier :la présence d’une figure paternelle charismatique.

lee kuan Yew et Bhumibol, les deux derniers « pères » encore vivants National Archives of Singapore

la mort du roi Sihanouk en 2012, tragédie nationale au Cambodge Associated Press

VOYaGe [S] 35

Ferdinand Marcos aux Philippines, dont les années au pouvoir et les abus qui ont parsemé son parcours ont écorné une image peu glorieuse, certains n’hésitant pas à le qualifier de dictateur plus que de bienfaiteur de son pays.

Mais s’il faut prendre garde à ne pas simplement voir ces leaders comme des tyrans, c’est surtout parce que la plupart de ces « Pères de la nation » sont des personnalités profondément respectées et admirées par la majeure partie de la population, comme le roi Sihanouk au Cambodge ou lee kuan Yew. Ce dernier, surnommé « le lion de Singapour », a indubitablement permis à Singapour de se développer et de s’enrichir d’une façon jamais précédée ni égalée dans l’histoire de l’humanité, permettant à la cité-état de passer « du tiers monde au premier », nom de son célèbre best-seller auto-biographique, en moins d’un demi-siècle.

PLUs QU’Une variante aUtoritaire de La déMocratie ?Bien que le paternalisme ait des connotations très négatives dans les pays occidentaux, il n’est pas du tout perçu comme tel dans les pays d’asie du Sud-Est. S’il reste difficile d’établir une origine historique claire de cette situation, on peut sans doute lier ce paternalisme aux influences culturelles que sont l’hindouisme et le confucianisme dans tous ces pays. Ces deux courants de pensée, au croisement de la religion, de la philosophie et de la doctrine sociale, accordent tous deux une importance majeure au respect de l’autorité ainsi qu’à la non-contestation de la hiérarchie de la société, établies comme telles par l’ordre naturel ou divin.Mais ce qui est vraiment intéressant avec ces politiques paternalistes, c’est le consentement tacite qu’elles suscitent majoritairement auprès du peuple comme des élites. C’est ainsi que la Thaïlande et la Malaisie ont par exemple vu triompher à plusieurs reprises des courants politiques prônant une « démocratie à l’asiatique », plus dirigiste et tournée vers un exécutif fort que son équivalent traditionnel.

– entre la démocratie paternaliste éclairée et la dictature autoritaire, la ligne est fine –

Ce choix volontaire remet en question nombre de thématiques et d’a priori sur les axiomes de la politique démocratique à l’occidentale. l’alternance sur le court terme de dirigeants élus pour quatre ou cinq ans, que ce soit au niveau national ou local, n’ampute-t-elle pas les pays démocratiques d’une certaine pensée directrice transcendante ? ne condamne-t-elle pas à une forme de politique exclusivement tournée sur le court terme et les prochaines (ré)élections ? ne laisse-t-elle pas les dirigeants contraints à se plier aux moindres caprices d’une opinion constamment changeante et facilement manipulée ?et du point de vue de la théorie politique, il est aussi fascinant de voir émerger ces « démocraties », qui n’en portent parfois que le nom, que de réfléchir aux raisons qui poussent des majorités de citoyens à céder une part de leur droit de regard, de responsabilisation vis-à-vis de leurs dirigeants en échange d’une politique plus efficace et orientée vers les résultats.

Le PaternaLisMe et La Mort dU PèreToutefois, entre la démocratie paternaliste éclairée et la dictature autoritaire, la ligne est fine et cette question de la responsabilité du gouvernant face aux gouvernés dans un système démocratique devient un enjeu essentiel pour rendre au peuple son pouvoir de contrôle. De même, ces figures paternelles ont beau avoir marqué pour le meilleur et pour le pire l’histoire de leur pays, aucune d’entre elle n’est immortelle et c’est à l’approche de leurs derniers instants que le peuple se rend compte de la forte dépendance qu’il entretenait plus ou moins consciemment avec son « Père ».

l’inéluctable vieillissement de lee kuan Yew, le vieux lion de Singapour, et du roi Bhumibol ramène ce modèle paternaliste à la problématique essentielle de sa propre durabilité : une nation n’a-t-elle besoin d’un « père » que pour une période transitoire, comme un adolescent qui ressent le besoin d’émancipation une fois entré dans l’âge adulte ?

au-delà de savoir si les politiques paternalistes peuvent survivre à la mort de leur fondateur, le vide politique laissé par la mort du Père est un terreau qui peut tout autant mener au chaos et à la dictature, qu’à une démocratie plus consensuelle fondée sur les bases de cet héritage fort. amorcer le virage de l’émancipation est un passage délicat dans l’histoire d’une nation, la France d’après napoléon en sait quelque chose. ne reste plus alors qu’à contempler la façon dont la Thaïlande va s’en sortir.

Théo aiOlFi

Trois ans après les émeutes de 2010 et le fragile statu quo qui avait mis fin aux hostilités entre les « chemises rouges », partisans farouches d’une démocratie forte et républicaine, et les « chemises jaunes », défenseurs des valeurs traditionnelles de la monarchie, voilà que la Thaïlande s’embrase à nouveau. la raison principale de la révolte populaire réside dans une proposition d’amnistie que Yingluck Shinawatra, première ministre élue en surfant sur les revendications des « rouges », a présenté au parlement début décembre. Cette mesure aurait notamment permis à Thaksin, son frère, ancien premier ministre exilé et figure hautement controversée, de faire un retour triomphal au pays, lavé des accusations de corruption et de terrorisme qui pesaient sur lui.

Mais dans la confusion bruyante qui règne en Thaïlande, une seule chose fait plus trembler les thaïs que le retour de Thaksin : l’inquiétant silence du roi Bhumibol adulyadej, dit rama iX. après plus de six décennies à régner, le roi n’a rien perdu de son aura bienveillante, bien au contraire : plus les années passent, plus celle-ci prend en ampleur. en premier lieu parce que la fragilité du monarque, qui fêtait ses 86 ans le 5 décembre, jour de trêve, rend sa présence d’autant plus précieuse. ensuite parce que plus son état se dégrade et ses apparitions se font rares, plus ses sujets se rendent compte du rôle crucial que le souverain jouait dans la politique du pays.

– Bien que le paternalisme ait des connotations très négatives dans les pays occidentaux, il n’est pas du tout perçu comme

tel dans les pays d’asie du Sud-est –

Un PhénoMène régionaLCette situation, dans un pays où la constitution devrait cantonner le roi à un rôle symbolique, est révélatrice de l’importance primordiale de cette figure paternelle dans la construction de l’identité de la Thaïlande. Mais ce qui est encore plus frappant, c’est la récurrence de ce phénomène dans la totalité des pays du Sud-est asiatique : lee kuan Yew à Singapour, Tunku abdul rahman puis le Docteur Mahatir en Malaisie, le roi Sihanouk au Cambodge, Aung San puis sa fille, Aung San Suu Kyi au Myanmar, Ferdinand Marcos aux Philippines, Soekarno en indonésie, Souphanouvong au laos ou encore Ho Chi Minh au Vietnam, il suffit à peine d’effleurer l’histoire de ces pays pour voir émerger ces figures charismatiques.

Cela étant dit, il reste très délicat de tirer des conclusions hâtives de ces similitudes, tant ces « Pères de la nation » ont des trajectoires personnelles et des opinions politiques différentes les uns des autres. Beaucoup d’entre eux sont issus de la gauche post-coloniale et du communisme (aung San, ho Chi Minh), alors que d’autres viennent des milieux libéraux (Marcos) ou royaux (Sihanouk, Bhumibol) portés par le nationalisme. Certains ont même un parcours vraiment atypique, comme lee kuan Yew, passé de la gauche populaire à la droite conservatrice, ou comme Souphanouvong, prince laotien devenu fondateur du Pathet lao, le mouvement communiste et indépendantiste au laos, ce qui lui a valu son surnom de « Prince rouge ».

il n’y a donc aucune unité politique entre ces leaders qui transcendent les clivages traditionnels et contribuent bien souvent à dicter les règles mêmes du champ de la politique nationale, surtout dans des états où cette dernière en est encore à ses premiers balbutiements post-coloniaux. Mais s’il est bien une chose qui unisse toutes ces figures paternelles, c’est évidemment le consensus unanime entretenu autour de leur image officielle dans leur propre pays.

À ce titre, le Vietnam ou la Thaïlande sont emblématiques de cette admiration, proche de l’idolâtrie, des leaders nationaux : on ne compte plus le nombre de places et de rues renommées en l’honneur de « Bác hô » (frère hô) et même Saigon « la décadente », contrôlée par les forces occidentales pendant la guerre du Vietnam, a été re-baptisée ho-Chi-Minh City à peine la victoire du nord célébrée. De même, les portraits et statues du roi rama iX et de sa famille sont placardés partout dans les rues de Thaïlande et vont même jusqu’à s’imposer au fond des logis de l’immense majorité des citoyens. au-delà même du crime de lèse-majesté, dont la peine peut s’élever jusqu’à quinze ans de prison, critiquer ouvertement le roi Bhumibol devant un thaï est considéré comme irrespectueux.

des figUres sincèreMent aPPréciéesToutefois, cantonner ces figures paternelles à une présence intimidante et forcée reste incroyablement réducteur. D’abord, parce que certains de ces leaders laissent des souvenirs mitigés dans la psyché collective, comme

36 InTernaTIOnal.Ink #16

37VOYaGe [S]

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p. 9

2)

BrèVeS D’aMPHI38

ces enfants à la caisse [...], qui n'ont pas de carte de crédit pour acheter ce qui est près de la caisse mais qui ont une puissance de nuisance telle qu'ils arrivent à imposer leur volonté à leurs parents. pierre allan

Je ne résiste pas à l'anecdote : un jour j'ai dit à quelqu'un, en l'occurrence à quelqu'une, qu'elle me faisait pitié, et au moment ou vous parlez vous avez qu'une envie c'est que les mots reviennent, je vous remets le film à l'envers parce qu'on a dit la plus grosse connerie... pardonnez mon langage. Et en l'occurrence j’ai pas pu me rattraper, la colère grondait en face de moi malgré le vin et les mets exquis et donc le seul moyen que j'ai trouvé pour me rattraper c'est de partir sur Rousseau. C'est à dire de dire je vous donne ce truc de dire mais non, pas du tout la pitié comme on l'entend, la pitié au sens de Rousseau, et je suis donc parti sur une sorte de délire rousseauiste, et je n'oublierai jamais Rousseau à cause de ça parce qu'il m'a vraiment sauvé la vie (…) la suite a montré que je n'avais pas été très convaincant, mais fondamentalement j'ai tenté le coup et donc je vous donne ce truc, messieurs, si jamais vous devez avoir recours à la pitié, utilisez la notion rousseauiste de la pitié. Alexis Keller

Peut-être qu'il chante pour attirer d'autres oiseaux, pendant la période... la période d'augmentation du nombre des oiseaux ! pierre allan

Foucault c'est comme le Cenovis. Barbara Lucas

La poule communautaire pond l’œuf moral. pierre allan

je suis de la génération où le sexe était sale mais l'air était pur, maintenant vous vous êtes de la génération où le sexe est pur mais c'est l'air qui est sale. pierre allan

Derrière un mot, il peut y avoir un monde. Barbara Lucas

Kadhafi a refusé le nucléaire, il n'est plus là contrairement à la corée du sud. pierre allan

sommaire

éDITOP3 Benjamin DanBakli, Fitore MuharreMi

DOSSIER – lE SpORT En DécaDEncEP4 Pour une approche critique du sport ian FlorinP6 Le sport, nouveau nuage de fumée électorale ? Maygane JaninP8 Quand Poutine organise des jeux olympiques Florian TissoTP10 Fuites en série : déserteurs dans les starting-Blocks elodie FeiJooP12 Soft-power 2.0, mode d’emploi par le Qatar hélène MinacciP14 Le sport, nouvelle religion ? audrey MagaTP16 Dégénérescence des sportifs : le sujet qui fait mal Mélissa DuMonT

zoom – DE la guéRIlla au gOuvERnEmEnTP20 Quand le désespoir crée le rassemblement Jérôme ennezaTP22 Uneavenuesansfin Fitore MuharreMiP24 Le mir et le gouvernement socialiste chilien d’allende : une relation ambiguë clara rita noraMBuena

vIE unI ( vERSITaIRE )P26 a-t-on besoin de l’économie pour comprendre la science politique ? hugo houBarTP28 spotted interview Benjamin DanBakli

RuE D a n D YP32 L’insoutenable légèreté de l’être de Kundera : unefictionàlaconquêteduRéel lubiana gosp server

vOYagE [S]P34 Les pays d’asie ont-ils besoin d’un Père ? Théo aiolFiP36 L’odyssée illustrée Fitore MuharreMi

P38 BRèvES D’ampHI P39 … BRèvES D’anTIcIpaTIOn

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[email protected]

RédactionThéo Aiolfi, Alexis Rapin, Anaïs Pascal, Charlotte Ruiz, Ian Florin, Lubiana Gosp Server, Melissa Dumont, Paul De Freitas, Paulos Asfaha, Jérôme Ennezat, Moritz Fegert, Elodie Feijoo, Madeleine Hamel, Bastien NéelMaygane Janin, Hugo Houbart, Matteo Maillard, Aline Aincici, Audrey Magat, Hélène Minacci, Julie Muller, Clara Norambuena, Julien Steinegger, Florian Tissot

coordinateurs Benjamin Danbakli Fitore Muharremi

correcteurBastien Néel

graphiste Sonia Dominguez www.sttada.com

Illustrateur dossier Robin Junod/Herji www.universelle-ratatouille.com

Illustration 4e de couverturePierre Andrey

Edité par l’Association des Etudiants en Science Politique et Relations Internationales (AESPRI)

Imprimé par l’atelier d’impression CominpressFinancé par la Commission de Gestion des Taxes Fixes

contact [email protected]://international-ink.tumblr.com/

…BRèvES D’anTIcIpaTIOn 39

Benji :

Genève à cœur ouvertBravant l’interdiction de sortir des bunkers, deux individus ont été aperçus par les caméras de sécurité dans la rue de carouge hier soir, à 23h43. personne n’a, à cette heure, de nouvelles d’eux. l’appât du gain et le vandalisme ont, semble-t-il, encore été à l’origine d’une triste disparition. un autre message alarmant qui nous rappelle qu’il est formellement interdit de sortir des bunkers. autrefois décrié par nos voisins, notre pays, fort de ses articles 43 et 46 de la loi fédérale sur la protection de la population et sur la protection civile, peut aujourd’hui se vanter de sa « paranoïa » !Genève, 12 février 2029

Les civiLisations sur tensionsBasques et syriaques, ouïgours et kurdes, le monde est divisé comme jamais et fait face à un dilemme auquel même les libéraux ne peuvent plus trouver une issue gagnant-gagnant. la souveraineté est cette corde que chaque équipe tire de son côté jusqu’à l’épuisement. sa fracture est inéluctable. l’europe fait face à de multiples conflits régionaux et nationaux mais son sort n’a pas l’air d’inquiéter la ligue internationale (chine, russie, États-Unis...), trop occupée à gérer ses propres conflits internes. Aucune force au monde ne semble pouvoir mettre fin à ces conflits. Quelles sont les issues potentielles ? C’est ce que nous verrons dans cet interview avec M. X, sociologue des minorités ethniques et politologues des religions.Tarbes, 6 janvier 2024

Hugo : toKYo, 2 DécemBre 2013 un Boeing 787 de la compagnie Japan airlines a été abattu par l’armée de l’air chinoise alors qu’il survolait la très controversée zone aérienne d’identification récemment étendue par Pékin en mer de chine orientale.

le vol contenait à son bord 310 passagers, dont une dizaine de Français, et était à destination de Tokyo. vers 12h heure française deux chasseurs de type J-10 ont visiblement ouvert le feu en raison, semble-t-il, d’un refus de l’appareil de transmettre son plan de vol. Des secours ont été envoyés sur place mais il semble y a voir peu d’espoir de retrouver des survivants.

le premier ministre Japonais, shinzo abe, a réagi il y a moins d’une heure en déclarant que « le Japon prend bonne note de cet acte de terrorisme » et que « des mesures de représailles ne sont pas à exclure ». le ministre serait actuellement en discussion de crise avec Washington. selon certaines sources une réponse militaire est envisageable.

Bastien :

(intro)Toujours plus de tensions. Toujours plus de négociations vouées à l’échec et qui, ô surprise, échouent. Toujours plus de polarisation entre un occident qui se tire dans les pattes à coups d’espionnage à grande échelle et un monde « alternatif » qui, russie, chine et iran en tête, bloque toute résolution de l’onu qui menacerait ses intérêts financiers ou militaires.une tension, physiquement, peut donner lieu à un retour à l’état initial, comme quand, arrivé à un everest de procrastination, on joue avec un élastique et qu’on le relâche doucement. négociation réussie. Mais on peut tirer un peu trop fort et trop longtemps sur ce pauvre élastique, et il s’en souviendra, de cette séance d’ennui qui l’a rallongé de quelques centimètres. négociation médiocre. Mais quand la tension est trop forte ? Il va finir inéluctablement par se casser. Et le clap de fin de son insignifiante existence sera également… le début de la fin.alors réfugiez-vous dans vos abris antiatomiques et préparez la Dca et des élastiques de rechange, car on a décidé qu’il y avait trop de tensions pour que l’on s’en sorte indemne, et on a tenté d’imaginer ce que donnerait aujourd’hui et demain un Monde qui aurait abandonné la diplomatie au profit de « négociations agressives ».