ingeborg bachmann
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/1
D o s s i e r I n g e b o rg B a c h ma n n
p a r F r a n o i s e R t i f
Poezibao entreprend la publication dun ensemble de pomes dIngeborg
Bachmann, traduits par Franoise Rtif. Celle -ci a t sol l icite par la
revue Po&sie pour construire un substantiel ensemble autour dIn geborg
Bachmann, paratre dans le numro 130 de la revue, qui sera mise en
vente prochainement. Mais la revue a tai l l trs largement dans le
dossier prpar par Franoise Rtif et cela sans l en informer. Grave
prjudice son travail et la cohrence du dossier prpar dont el le
sexplique dans une lettre ouverte que l on peut l i re sur le site uvres
Ouvert es .
Franoise Rtif sest donc tourne vers uvres Ouvert es , le si te de
Laurent Margantin et Poezibao , pour leur demander de publier les textes
indment carts et rendre ainsi justice l ide qui a prsid la
conception de ce dossier : explorer la relation potique entre Ingeborg
Bachmann et Paul Celan, pour permettre de rviser certains prjugs qui
feraient de Celan le matre et Bachmann, l pigone. La relation est
infiniment plus riche et complexe comme Franoise Rtif l explique
dans son texte d introduction, que Poezibao publ ie aujourdhui, en
prlude aux pomes.
Poezibao et uvres ouvert es se sont en effet rpart is les textes, la prose
tant publie chez Laurent Margantin , la posie dansPoezibao .
Je tiens remercier trs vivement Franoise Rti f de sa confiance et
dire quel point Poezibao est heureux daccueil l i r cet ensemble
exceptionnel dont i l faut esprer qui l contribuera une meil leure
connaissance dune pote essentiel le .
Dossier Ingeborg Bachmann sur le site uvres Ouvertes
Franoise Rtif a compos le dossier Bachmann paru dans la revue
Europe n 892/893, en 2003 ainsi quun Ingeborg Bachmann aux
ditions Belin. Elle est professeure des Universits, chaire de l ittrature
al lemande et autrichienne (Rouen) et directrice du CR2A (Centre de
recherche sur l Autriche et l Allemagne, de l Universi t de Rouen).
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/2
Quelques pomes en dialogue
Les pomes prsents ic i parurent entre 1952 et 1957, l exception du
pome en prose inachev Le pome au lecteur 1, dont on ignore la date de
composition, et qui fut publi t itre posthume, en 1978, dans l dition
complte des uvres dIngeborg Bachmann 2, morte Rome, cinq ans
auparavant, en laissant derrire el le, on le sai t, des mill iers de pages
dindits qui sont peu peu rvls au public 3. Ils ont donc t cri ts au
moment o les deux potes Ingeborg Bachmann et Paul Celan vivaient
chacun de leur ct et lors de brves rencontres une relation passionnel le,
dont le lecteur franais dcouvrira les vicissi tudes travers leur
correspondance, paratre l automne prochain, au Seui l , dans la traduction
de Bertrand Badiou (el le est parue en Allemagne chez Suhrkamp sous le t itre
Herzzei t 4) .
Ces pomes ont t rassembls non seulement parce qui ls s inscrivent
dans ce contexte de la relation amoureuse Paul Celan, mais aussi et surtout
parce qu i ls entrent en dialogue avec son uvre. Il est important de mettre
en vidence que le dialogue fut non pas univoque, comme on eut trop
longtemps tendance le dire, mais symtrique, en dautres termes qui l ne
sagit pas d influence mais dun change de pote pote indis sociable
de la relat ion damante amant. Nous avons donc affa ire un phnomne
plutt rare dans l histoire l i ttraire dont i l sagit de prendre la mesure et la
nouveaut. Le peti t recueil prsent ici nest quune premire pice
apporte au dossier .
La cri tique et la recherche ont mis au jour depuis plusieurs annes dj que
le pome Dire l obscur/ Dunkles zu sagen (1952) rpondait au pome
Corona (1948) de Celan. Ou bien encore que le pome Htel de la
paix fa isait rfrence l htel du mme nom, rue de Blainvil le, o
Bachmann tai t descendue, en 1956, lors de l un des sjours quel le fi t
Paris pour retrouver son amant. Dans l ensemble, les chos de Celan chez
Bachmann ont t bien t relevs et comments 5. Ce qui est plus diffic i le
mettre en vidence, ce sont les chos de Bachmann chez Celan, dune part
1 P u b l i p o u r l a p r e m i r e f o i s e n v e r s i o n f r a n a i s e d a n s l a r e v u e E u r o p e , a o t -s e p t e m b r e 2 0 0 3 , p . 1 2 8 . 2 I n g e b o r g B a c h m a n n , W e r k e , h e r a u s g e g e b e n v o n C h r i s t i n e K o s c h e l , I n g e v o n W e i d e n b a u m , C l e m e n s M n s t e r , M n c h e n Z r i c h , P i p e r V e r l a g , 1 9 7 8 , 4 t o m e s . 3 C f . F r a n o i s e R t i f , I n g e b o r g B a c h m a n n , P a r i s , B e l i n , c o l l e c t i o n V o i x a l l e m a n d e s , 2 0 0 8 . 4 H e r z z e i t I n g e b o r g B a c h m a n n P a u l C e l a n . D e r B r i e f w e c h s e l , M i t d e n B r i e f w e c h s e l n z w i s c h e n P a u l C e l a n u n d M a x F r i s c h s o w i e z w i s c h e n I n g e b o r g B a c h m a n n u n d G i s l e C e l a n - L e s t r a n g e , h e r a u s g e g e b e n u n d k o m m e n t i e r t v o n B e r t r a n d B a d i o u , H a n s H l l e r , A n d r e a S t o l l u n d B a r b a r a W i e d e m a n n , F r a n k f u r t a m M a i n , S u h r k a m p , 2 0 0 8 , 4 0 4 p . 5 C f . p a r e x e m p l e l a t r a d u c t i o n d u n e x t r a i t d e l o u v r a g e d e S i g r i d W e i g e l d a n s : E u r o p e , o p . c i t . , p . 8 4 - 1 0 4 .
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/3
parce que la crit ique, du moins en France, a eu tendance jusqu prsent
considrer Celan comme le matre et Bachmann comme lpigone, dautre
part parce que les traces de ce dialogue sont encore plus cryptes chez
Celan que chez Bachmann. On a pu soul igner cependant que le pome En
haut, sans bruit/Oben, geruschlos de Celan, et plus gnralement une
grande partie du recueil Gril le de parole/Sprachgitter (1959) taient une
rponse au pome Paris de Bachmann, voire au recuei l Le Temps en
sursis/ Die gestundete Zeit (1953) 6.
Peu peu i l est permis de faire la lumire ici ou l 7. Ainsi la correspondance
parue rcemment en Allemagne prouve -t-el le que le cycle Chants en
fuite , dont bien des passages sont obscurs, sadresse indirectement Paul
Celan : Bachmann l exhorte dans la lettre du 28 octobre 1957 le l ire
attentivement 8. Lchange pistolaire nous permet galement de l ire le
pome Myriam paru en 1957 soit au moment le plus intense, du moins
pour Celan, de la relation amoureuse comme une rponse tardive
l amant pote, et sa conception de l trangre , tel le que la thmatise le
pome En Egypte/In gypten (Pavot et Mmoire/ Mohn und Gedchtni s ,
1952) , que Celan ddicace Bachmann en 1948, c est --dire au tout dbut de
leur relation. Myriam nest plus, chez Bachmann, une figure du foss
insurmontable qui sparait, en 1948, se lon Celan, le Juif qui l tai t de
l Autrichienne protestante, leve en pays nazi, qutai t Bachmann 9, mais
celle dont les larmes et la rsistance passive sont salvat r ices et dont l tre
tranger est partag par tous les tres. Sans doute Bachmann se rend -elle
compte ce moment- l de l impact que peuvent avoir ses textes sur Ce lan,
sur sa conception de la vie et de la posie, puisqui l lui cri t dans une lettre
de dcembre 1957 : Je suis tel lement empli de toi. Et sa is aussi , enfin, ce
que sont tes pomes 10.
Il est souvent et restera probablement jamais diff ici le de savoir qui
revient la primeur de tel ou tel mot, de tel le ou tel le expression, de tel le ou
tel le image, ne sera i t -ce que parce que les pomes furent aussi crits en
chos des situations, des changes, des rencontres, o l inspiration fut
partage (Cf. par exemple le pome Kln, am Hof/ Cologne, am Hof
(Sprachgit t er/Gril l e de parole ) de Celan). Dail leurs est -ce bien important de
6 Cf. F. Rtif, Bachmann, Celan et le mythe dOrphe , in : Europe, op.
cit . , p. 104-128.
7 On nest quau dbut dune recherche et enqute qui sera longue.
Lensemble prsent ici ne prtend pas tre exhaustif ni rigoureusement
scientifique, ne serait que parce que de nombreux textes en prose
dIngeborg Bachmann entrent galement en dialogue avec Paul Celan.
8 Herzzeit, op. ci t . , p. 63.
9 Il est peu probable que Ingeborg Bachmann ait avou Paul Celan que son
pre sta it engag dans le part i nat ional -social iste, comme la rvl trs
rcemment la monographie de Hans Hller.
10 Herzzeit, op. ci t . , p. 77. Traduction F.R .
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/4
pouvoir dterminer et dpartager qui fut le premier ? Des mots comme
roses, pines, feuil le , obscur, boucle , perdu, lampe , etc . font dsormais
part ie dun peti t lexique de la posie et de l amour dont seuls les deux
potes ont connu tous les mystres.
La correspondance atteste surtout, au moins en l tat actuel des recherches
et publications, ce que l on pouvait ressentir d j confusment la lecture
des pomes, de ceux en particul ier donns l i re ic i : le dialogue, diffici le ,
parfois impossible, entre Bachmann et Celan ne pouvait faire le partage
entre posie et vie ; i l fut si intense, si secret car inscrit dans l intimi t
jamais tue des deux potes qui l ne pouvait se dire que dans le langage de la
posie cet autre langage aux l imites du langage. Tout vrai dialogue ne
pouvait tre entre eux qu la fois amoureux et potique, voire potologique.
Et cest cela qui est extraordinaire : cette imbrication incandescente du cur
et de l esprit , de l engagement et de la vie. Dans sa lettre du 31 octobre
1957, Celan crit : Tu le sais aussi : tu tais , quand je tai rencontre, l un
et l autre pour moi : sensuali t et spiritualit. Cela ne pourra jamais tre
spar, Ingeborg 11. Ce qui est en jeu avant tout entre ces deux potes
amante et amant, cest la possibil i t mme du l ien entre posie et vie.
Les pomes de Bachmann dfendent envers et contre tout, et envers Celan
lui-mme, jamais victime de la tragdie de la Shoah, une forme dcri ture
qui trouve sa source dans le geste damour. Comme le chante le Pome au
lecteur : un amour insatiable pour toi ne m'a jamais quitte et je cherche
prsent dans les ruines et le s airs, dans le vent glac et sous le solei l , les
mots pour toi qui me jetteraient de nouveau dans tes bras .
11 Herzz e i t , op. c i t . , p . 64 . Traduc t ion F .R .
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/5
DIRE L OBSCUR12
Comme Orphe je joue
sur les cordes de la vie la mort
et de la beaut de la terre
et de tes yeux qui rgnent sur le cie l
je ne sais dire que l 'obscur.
N'oublie pas que toi aussi , soudain,
ce matin-l, alors que ta couche
tait encore humide de rose et que l 'il let
tait endormi sur ton cur,
tu vis le fleuve obscur
qui passait prs de toi.
La corde de si lence
tendue sur la vague de sang,
je sa isis ton cur rsonnant.
Transforme fut ta boucle
en cheveux d'ombre de la nuit,
des tnbres les noirs flocons
enneigrent ton visage.
Et je ne t 'appart iens pas.
Tous deux prsent nous nous plaignons.
Mais comme Orphe je sa is
du ct de la mort la vie
et pour moi bleuit l 'horizon
ton il jamais ferm.
12 Dunkles zu sagen , in : Die gestundet e Zei t/ Le temps en surs is , in : Werke ,
uvres compltes dites par Christine Koschel , Clemens Mnster, Inge von
Weidenbaum, Munich, Piper Verlag, 1978, tome I, p. 28 -59. Les quatre
pomes suivants sont extra its du mme recueil . La total it des pomes du
recueil a dj t traduite chez Actes Sud par Franois -Ren Dail l ie , Acte s
Sud, 1989.
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/6
PARIS
Sur la roue de la nui t tresss
dorment les perdus
dans les couloirs tonitruants en bas ;
mais l o nous sommes est la lumire.
Nous avons les bras pleins de fleurs
mimosas de tant d'annes ;
pont aprs pont tombe de l or
sans un souffle dans le fleuve.
Froide est la lumire, encore plus froide
la pierre devant le porche,
et les conques des fontaines
sont dj demi vides.
Qu'adviendra-t-i l si , pris de nostalg ie
jusque dans les cheveux fuyants,
nous demeurons ici et demandons: qu'adviendra -t-i l
si nous surmontons l preuve de la beaut?
Sur les chars glorieux de lumire,
Mme veil lant, nous sommes perdus,
sur les champs des gnies en haut ;
mais o nous ne sommes pas, cest la nuit.
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/7
LE TEMPS EN SURSIS
Des jours plus durs approchent.
Le temps en sursis rvocable
appara t l horizon.
Il te faudra bientt lacer tes chaussures
et renvoyer les chiens dans les fermes des marais l it toraux.
Car les entrai l les des poissons
ont refroidi dans le vent.
La lumire des lupins brle chichement.
Ton regard suit la trace dans l e brouil lard :
Le temps en sursis rvocable
apparat l horizon.
Ta bien-aime de l autre ct senfonce dans le sable ,
i l monte autour de ses cheveux flottants,
i l lu i coupe la parole ,
i l lu i enjoint de se taire,
i l la trouve mortelle
et dispose l ad ieu
aprs chaque treinte.
Ne regarde pas en arr ire.
Lace tes chaussures.
Renvoie les chiens.
Jette les poissons la mer.
Eteins les lupins !
Des jours plus durs approchent.
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/8
LES PONTS
Le vent tend plus fort le ruban devant les ponts.
Aux traverses le c iel dchire
son bleu le plus sombre.
De ce ct et de l autre nos ombres
changent sous la lumire.
Pont Mirabeau Waterloo Bridge
Comment les noms supportent -i ls
de porter les sans- nom?
Emus par les perdus
que ne soutenait pas la foi,
les tambours du fleuve sveil lent.
Tous les ponts sont solita ires,
et la g loire est dangereuse, pour eux
comme pour nous, mme si nous croyons sentir
le pas des toiles
sur nos paules.
Mais nul rve ne dploie son arche
sur la pente du temps qui passe.
Il vaut mieux vivre
au nom des r ives, de l une l autre ,
et jour aprs jour veil ler,
que celui qui a vocation coupe le ruban.
Car i l atteint les c iseaux du solei l
dans le broui l lard, et s i ls l blouissent,
dans sa chute le broui l lard l enlace.
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/9
SOUS L 'ORAGE DE ROSES
O que nous al l ions sous l 'orage de roses
la nuit est i l lumine d'pines, et le tonnerre
du feuil lage, nagure si doux dans les buissons,
est dsormais sur nos talons.
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/10
OMBRES ROSES OMBRES13
Sous un cie l tranger
ombres roses
ombres
sur une terre trangre
entre roses et ombres
dans une eau trangre
mon ombre
13 Schat ten Rosen Schatten , extrai t du recueil Anrufung des groen
Bren/Invocation de la grande Ours e (1956), Werke , op. cit . , p. 135.
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/11
CHANTS EN FUITE14
I
La palme dans la neige se brise
seffondrent les escaliers
la vi l le r igide bri l le
dans l clat de l hiver tranger.
Les enfants crient et gravissent
la montagne de la faim
de farine blanche se nourrissent
et prient le ciel sans f in.
Luxueuses pail lettes de l hiver,
or des mandarines,
dans les bourrasques drivent.
Roule l orange sanguine.
II
Mais moi je gis seule
tas de plaies dans l abattis de glace.
La neige ne ma pas encore
les yeux band.
En toutes langues font si lence
les morts contre moi presss.
Personne ne maime et na
pour moi de lampe agit !
III
Les Sporades, semes en mer,
embrasses de courants froids,
bel ouvrage fragmentaire
14 Dernier pome du recueil Anrufung des groen Bren/Invocation de la grande
Ourse (1956), Werke , op. ci t . , p. 138-147.
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/12
tendent encore leurs fruits par l.
Les sauveurs blancs, les bateaux
Voile, main soli taire
avant de sombrer sous l eau
font signe vers la terre.
IV
Un froid ingal s est infi l tr.
Des commandos volants sont venus par la mer.
Le golf s est rendu et toutes ses lumires.
La vi l le est tombe.
Je suis innocente et prisonnire
dans Naples soumise
o l hiver
lve au c iel le Pausil ippe et Vomro,
o ses clairs blancs ravagent
les chants,
o de ses tonnerres rauques
i l fa it valoir le droit.
Je suis innocente, et jusqu Camaldoni
les pins meuvent les nuages ;
et inconsole, car les palmiers
ne seront de si tt cail ls par la pluie ;
sans espoir, car je ne dois pas menfuir ,
mme si le poisson hrisse ses nageoires protectrices,
mme si sur la plage hivernale le s embruns
projets par des vagues toujours chaudes
me font un mur,
mme si les flots
en fuyant
dispensent le fugit if
du but le plus proche.
V
Bannie soit la neige de la vi l le pice !
Quun air fruit envahisse les rues.
Rpandez les rais ins de Corinthe,
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/13
les figues apportez, les cpres !
Ravivez l t
ravivez le cycle ,
naissance, sang, excrments, djections,
Mort creusez les meurtrissures,
les l ignes infl iges des visages
mfiants, paresseux et gs,
cerns la chaux et baigns dhui le,
madrs par les querel les,
famil iers du danger,
de l i re du dieu des laves,
de la fume des anges
et de la braise maudite !
VI
Instruits en amour
par des mill iers de l ivres,
rudits par la transmission
de gestes peu changeables
et de serments insenss
init is l amour
cependant ic i seulement
quand la lave coula
et que son souffle nous toucha
au pied de la montagne,
quand enfin le cratre puis
l ivra la clef
de ces corps verrouil ls
Nous entrmes dans des espaces enchants
et clairmes l obscur
du bout de nos doigts.
VII
Au-dedans tes yeux sont des fentres
sur un pays o je suis en clart .
Au-dedans ta poitrine est une mer
qui mattire vers le fond.
Au-dedans tes hanches sont un dbarcadre
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/14
pour mes vaisseaux qui rentrent au pays
aprs de trop longs voyages.
Le bonheur tisse un cordage dargent
auquel je suis amarre.
Au-dedans ta bouche est un nid duveteux
pour ma langue prte voler de ses ai les.
Au-dedans ta chair de melon est lumineuse
douce et savoureuse indfiniment.
Au-dedans tes veines sont ca lmes
et satures de cet or
que je lave de mes larmes
et qui un jour mqui l ibrera.
Tu reois des ti tres, tes bras embrassent des biens
qui te sont dcerns en premier.
Au-dedans tes pieds ne sont jamais en chemin
mais dj arrivs dans mes pays de vel ours.
Au-dedans tes os sont des fltes claires
dont je ti re des sons enchanteurs
qui charmeront mme la mort
VIII
Terre, mer et c iel .
Bouleverses de baisers
la terre ,
la mer et le c iel .
De mes mots treinte
la terre ,
de mon dernier mot encore treint s
la mer et le c iel !
Affl ige par mes sons
cette terre
qui sanglotant entre mes dents
jeta l ancre
avec tous ses hauts fourneaux, ses tours
et ses cimes orgueil leuses,
cette terre vaincue,
qui devant moi dnuda
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/15
ses gorges, ses steppes, dserts et tound ras,
cette terre sans repos
et les tressail lements de ses champs magntiques
qui senchana ici avec des forces
encore inconnues el le -mme,
cette terre tourdie et tourdissante
avec sa vgtation dombres nocturnes,
ses poisons saturniens
et ses r ivires de parfums
se couchant dans la mer
et se levant au cie l
la terre !
IX
Le chat noir,
l hui le sur le sol,
le mauvais il :
malheur !
Tire la corne de corai l ,
Suspends les cornes devant la maison,
Obscurit , pas de lumire !
X
amour, qui brisa et emporta nos carapaces,
notre boucl ier , abri par tous les temps
et roui l le brune des ans !
souffrances, qui crasrent notre amour,
son feu humide dans les parties sensibles !
Enfume, crevant dans la fume, la flamme se replie et meurt.
XI
Tu veux les clairs de chaleur, lances les couteaux,
spares et fends de l air les veines brlantes;
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/16
sans bruit , des pouls ouverts ja i l l issent,
t blouissant, les derniers feux dartif ice :
Folie , mpris, puis la vengeance,
et bientt le regret et le dmenti .
Tu perois encore que tes lames smoussent
et sens finalement que l amour sachve :
avec des orages sincres, du souffle pur.
Et te chasse dans l oubliette du rve.
L o pendent ses cheveux dor,
Tu ten saisis, chelle dans le nant.
Hauts de mille et une nuits sont les barreaux.
Le pas dans le vide est le dernier pas.
Et l o tu tabats sont les l ieux anciens,
chaque l ieu tu donnes trois gouttes de ton sang.
Envelopp de nuit tu tiens des boucles sans racine la main.
Le grelot tinte, et cest assez.
XII
Bouche, qui dans ma bouche a pass les nuits,
il que mon il veil la ,
Main
Yeux qui gl issrent sur moi !
Bouche qui pronona le verdict,
Main qui mexcuta !
XIII
Le sole i l ne rchauffe pas, la mer est sans voix.
Les tombes, empaquetes de neige, personne pour les dgager.
Personne pour remplir un brasero de braise durable ?
Mais la braise ny fa it rien.
Dlivre-moi ! Je ne puis mourir plus longtemps.
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/17
Le saint a autre chose faire ;
inquiet pour la vi l le, cest du pain qui l a cure.
Le drap sur le fi l pse si lourd;
i l tombera bientt. Sans cependant me recouvrir.
Je suis encore coupable. Relve -moi.
Je ne suis pas coupable. Relve -moi.
Dtache le grain de glace
de l i l scell par le froid,
pntre du regard,
cherche les fonds dazur,
nage, regarde et plonge :
Ce nest pas moi.
Cest moi.
XIV
Attends ma mort et puis entends -moi de nouveau,
la corbeil le de neige se renverse, l eau chante,
tous les sons confluent Tolde, tout fond,
l harmonie rompt la g lace.
grand dgel !
Tu as tant attendre !
Syllabes dans le laurier rose
Mot dans le vert des acacias
Cascades ruisselant du mur.
Les bassins dbordent,
claire et vivante,
de musique.
XV
Lamour a son tr iomphe et la mort le sien,
le temps et le temps daprs.
Nous nen avons aucun.
Rien que des chutes dtoi les autour de nous. Reflet et s i lence.
Mais le chant sur la poussire daprs
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/18
nous surpassera.
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/19
HTEL DE LA PAIX15
Le fardeau de roses tombe sans bruit des murs,
travers le tapis perce le fond et la ruine.
De la lampe le cur de lumire se brise.
Obscurit . Bruit de pas.
Le verrou a barr la porte la mort.
15 Lu la radio de Hambourg (NDR) le premier fvrier 1957.
Publi dans la revue Botteghe Oscure , Roma, Quaderno XIX, Spring 1957, p.
445.
Repris dans Werke, I , op. ci t . , p. 152.
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/20
EXIL16
Je suis un mort ambulant
port prsent nulle part
inconnu au royaume des prfets
en surnombre dans les vil les dores
et les campagnes verdissan tes
relgu depuis longtemps
et dot de rien
Que de vent de temps de son
moi qui parmi les hommes ne peut vivre
Moi avec la langue al lemande
cette nue autour de moi
que je tiens pour maison
parcours toutes les langues
O comme elle sobscurcit
les notes de pluies les sombres
rares celles qui tombent
En haut en des zones plus c laires el le porte ensuite le mort
16 Publi dans la revue Botteghe Oscure , Roma, Quaderno XIX, Spring
1957, p. 447.
Repris dans Werke, I, p. 153.
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/21
APRS CE DLUGE17
Aprs ce dluge
j a imerais voir la colombe
et r ien que la colombe
encore une fois sauve.
Je sombrerais sans doute dans cett e mer !
si e l le ne senvolai t
si e l le napportai t pas
la dernire heure la feuil le.
17 Publ i comme le prcdent dans le numro XIX de Botteghe Oscure , p.
445.
Puis dans Akzente. Zeitschri f t fr Dichtung , Mnchen, Jg . 4, Heft 6, Dezember
1957, p. 491.
Repris Werke, I , p. 154.
Lu en juin 1957 la radion SDR Stuttgart.
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/22
MYRIAM18
O as-tu pris ta sombre chevelure,
le nom si doux au son damende mre ?
Ce nest pas ta jeunesse, cet clat de levant
ton pays est levant, depuis plus de mill e ans.
Promets-nous Jricho, au psautier donne vie,
que de ta main coule la source du Jourdain,
fais que les meurtriers soient ptrifis soudain
et un instant aussi ta seconde patrie !
Effleure les poitrines de pierre et produis le miracle,
que les larmes enfin submergent aussi la pierre .
Et fa is-toi baptiser avec l eau brlante.
Ne nous reste trangre que le temps dtre plus trangers nous -mmes.
Une neige tombera souvent sur ton berceau.
Sous les patins ce sera son de glace.
Mais dors poings ferms, et le monde est dompt.
De la Mer rouge se retirent les eaux !
18 Publ i comme le prcdent dans le numro XIX de Botteghe Oscure , p.
448.
Repris dans Werke I , p. 155.
Lu galement comme le prcdent la radio de Stuttgart.
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/23
ARIA 119
O que nous al l ions sous l orage de roses
la nuit est claire dpines, et le tonnerre
du feuil lage, nagure si doux dans les buissons,
est maintenant sur nos talons.
O toujours on teint ce quenflamment les roses
la pluie au fleuve nous emporte . nuit plus lointaine !
Une feuil le pourtant, qui nous toucha, sur les ondes drive
derrire nous jusqu l embouchure.
19 La premire strophe, publie en 1953, sous le ti tre Sous l orage de roses (Cf.
infra p.9) est un cho du pome Sti l l e de Celan ; la deuxime fut cri te la
demande de Henze ; le tout fut envoy Celan dans une lettre de 1958. Les
deux strophes du pome, ainsi que le pome suivant, Freies Gel ei t (Sauf-
condui t) , furent mis en musique par Hans Werner Henze sous le ti tre
Nachtstcke und Arien (Premire le 20 octobre 1957).
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Dossier Ingeborg Bachmann, par Franoise Rtif, Poezibao, mars 2010/24
Le Pome au lecteur
(esquisse) 20
Qu'est-ce qui nous a lo igns l 'un de l 'autre? Si je me regarde dans le miroir
et m'interroge, je me vois l 'envers, une criture sol itaire, et je ne me
comprends plus. Dans ce grand froid qui rgne, nous nous serions
froidement dtourns l 'un de l 'autre, malgr cet amour insati able entre
nous? Je t 'a i certes jet des mots fumants, brls, au mauvais arrire -got,
des phrases tranchantes ou bien mousses, sans clat. Comme si je voula is
accrotre ta dtresse et avec mon entendement t 'exclure de mes contres. Tu
venais moi si confiant, parfois mme balourd, tu exigeais un mot qui
embell t la vri t; tu voulais aussi tre consol, et je ne connaissais pas de
consolation pour toi. La rflexion non plus ne relve pas de mes fonctions.
Mais un amour insatiable pour toi ne m'a jamai s quitt et je cherche
prsent dans les ruines et les a irs, dans le vent glac et sous le solei l , les
mots pour toi qui me jetteraient de nouveau dans tes bras. Car je languis
loin de toi.
Je ne suis pas un tissu, pas une toffe pour couvrir ta nudit, mais j ai l c lat
de toutes les toffes, et je veux clater dans tes sens et dans ton esprit
comme les veines d'or dans la terre, et de ma lumire, de mon lustre, je veux
te transpercer, te transporter, lorsque se dclare en toi le noir incendie, ton
tre mortel .
Je ne sais pas ce que tu attends de moi. Pour le chant que tu pourrais
entonner pour gagner une bata il le, je ne vaux rien. Devant les autels, je me
retire. Je ne suis pas un concil iateur. Toutes tes affaires me la issent froid.
Mais pas toi, non pas toi . Rien que toi.
Tu es tout pour moi . Que ne voudrais -je tre pour toi! Je voudrais te suivre ,
lorsque tu seras mort, me retourner vers toi , au risque dtre ptrifi, je
voudrais rsonner, fa ire pleurer les animaux et f leurir les pierres, de chaque
branche exhaler le parfum.
20 Manuscrit inachev, publ i dans la version orig inale pour la premire fois
en 1978 (cf. Werke , IV , p. 307), mais dont la date de rdaction est inconnue
(probablement aux alentours de 1960). Certains mots (en part iculier les mots
de la fin Getier et Gest en particul ier) sont incertains. Premire traduction
par nos soins dans le numro dEurope, aot-septembre 2003.