gueroult logique, argumentation, et histoire de la philosophie chez aristote

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LOGIQUE, ARGUMENTATION, ET HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE CHEZ ARISTOTE MARTIAL GLIEROULT M. Perelman, à qui ce recueil d'articles est dédié en juste hommage, a, par ses études originales sur l'argumentation, rendu une nouvelle jeunesse la Réthorique, discipline philosophique si délaissée depuis RaMUS. On lira dans les lignes suivantes une discussion sur le rôle de l'argumentation chez Aritote, historien de la philosophie, qui est dans la ligne des préoccupations chères a l'éminent auteur du Traité de l'Argumentation. M.G. § 1. — Dans quelle mesure et de quelle façon, chez Aristote, la logique gouverne-t-elle l'histoire de la philosophie ? Question qui se pose naturellement pour un philosophie qui a eu le mérite d'instau- rer une science se voulant en accord avec le réel, de découvrir la logique et de déterminer avec précision les divers procédés que l'intel- lect doit appliquer suivant les diverses disciplines. Question qui implique toutefois que, pour Aristote, il y a une histoire de la philosophie possédant son existence propre, définissa- ble dans son concept et consciente de ses méthodes. Tel est semble-t-il le cas. Cette histoire naît avec lui. Avant lui. Xénophon, dans ses Mémorables, Platon dans ses Dialogues, ont évo- qué des philosophes, discuté leurs doctrines, mais sans dessein pré- conçu de faire de l'histoire et seulement dans une intention apolo- gétique ou polémique. Quand Platon expose certaines doctrines de ses prédécesseurs, ce n'est pas par curiosité scientifique, c'est uni- quement pour les mettre en cause comme des thèse .d'actualité qu'il s'agit de réfuter pour mieux asseoir la théorie des Idées. Aristote, au contraire, accomplit un progrès décisif. L'histoire de la philosophie apparaît avec lai comme une discipline spéciale, propédeutique indispensable a une réflexion méthodique. Toutes ses investigations, qu'il s'agisse de physique, de métaphysique, de psy- chologie, d'éthique, comportent en effet une revue systématique préa- lable des opinions antérieures et leur discussion contradictoire. Aristote étend ce procédé à toutes les disciplines non philosophiques, si bien qu'il fonde, en même temps, Vhistoire de toutes les sciences particulières; mathématique, astronomie, médecine, etc L e pé- ripatétisme est ainsi à la source des différentes doxographies, qui, 431

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Un article peu connu de Martial Gueroult sur l'histoire de la philosophie chez Aristote.

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Page 1: Gueroult Logique, Argumentation, Et Histoire de La Philosophie Chez Aristote

LOGIQUE, ARGUMENTATION, ET HISTOIRE DE LAPHILOSOPHIE CHEZ ARISTOTE

MARTIAL GLIEROULT

M. Perelman, à q u i ce rec ueil d'art ic les est dédié en jus te hommage, a,par ses études originales s ur l'argumentat ion, rendu une nouvelle jeunesse

la Réthorique, disc ipline philosophique s i délaissée depuis RaMUS. O n l i radans les lignes suivantes une discussion s ur le rô le de l'argumentat ion chezAritote, his torien de la philosophie, qui est dans la ligne des préoccupationschères a l'éminent auteur du Traité de l'Argumentat ion.

M.G.

§ 1. — Dans quelle mesure et de quelle façon, chez Aristote, l alogique gouverne-t-elle l'his toire de la philosophie ? Quest ion qui sepose naturellement pour un philosophie qui a eu le mérite d'instau-rer une science se voulant en accord avec le réel, de découvrir lalogique et de déterminer avec précision les divers procédés que l' intel-lect doit appliquer suivant les diverses disciplines.

Question q u i impl ique toutefois que, pour Aristote, i l y a unehistoire de la philosophie possédant son existence propre, définissa-ble dans son concept et consciente de ses méthodes.

Tel est semble-t -il le cas. Cet te his toire naî t avec lui. Av ant lui.Xénophon, dans ses Mémorables, Platon dans ses Dialogues, ont évo-qué des philosophes, discuté leurs doctrines, mais sans dessein pré-conçu de faire de l'his toire et seulement dans une intent ion apolo-gétique o u polémique. Quand Platon expose certaines doctrines deses prédécesseurs, ce n'est pas par curiosité scient if ique, c'est un i -quement pour les met t re en cause comme des thèse .d'actualité qu' i ls'agit de réfuter pour mieux asseoir la théorie des Idées.

Aristote, au contraire, accomplit u n progrès décisif. L'his toire dela philosophie apparaî t avec l a i c omme une disc ipline spéciale,propédeutique indispensable a une réf lex ion méthodique. Toutes sesinvestigations, qu ' i l s'agisse de physique, de métaphysique, de psy-chologie, d'éthique, comportent en effet une revue systématique préa-lable des opinions antérieures e t l e u r discussion cont radic toire.Aristote étend ce procédé à toutes les disciplines non philosophiques,si bien qu' i l fonde, en même temps, Vhistoire de toutes les sciencesparticulières; mathématique, astronomie, médecine, etc L e pé-ripatétisme est ainsi à la source des différentes doxographies, qui,

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pour chaque domaine d u savoir, s e dis t inguent expressément d usavoir en mouvement, et qui se donnent uniquement pour tâche detransmettre e t d'exposer l e contenu des doctrines déjà constituéesen les groupant sous les rubriques des grandes questions t radit ion-nellement traitées par les philosophes et les savants.

D'autre part , en dehors de ces grandes int roduct ions historiques,Aristote a éc rit s ur ses prédécesseurs e t contemporains une f ouled'opuscules spéciaux. Selon Diogène ('), i l aurait composé des t rai-tés sur Archytas, Speusippe, Xénocrate, les disciples d'Archytas, Me-lissus, Alcrnéon, les Pythagoriciens, Gorgias, Zénon; selon Simpl i -cius (2) , i l a ur ai t rédigé un ouvrage sur Démocrite; enfin, si le De

Melisso Xenophane et Gorgia lu i a été at t ribué à tort, i l est en toutcas d'un de ses élèves, vraisemblablement de Théophraste.

Dans tous ces exposés. du moins dans ceux que nous possédons,il n ' y a r ien de dramat ique, d' ironique, de poét ique, c omme chezPlaton. Le ton est toujours celui de l ' informat ion technique et de ladiscussion f roide et concise. I l semble ains i que le souci de l'objec-tivité scient if ique tende à at ténuer l a part ialit é inhérente à toutepolémique et les déformat ions résultant, c omme par exemple chezPlaton, des mouvements plus o u moins animés du dialogue ent redes personnages. A tous ces t itres, Aris tote a p u êt re à bon dro i tconsidéré comme le fondateur du genre, comme <de père de l'his toirede la philosophie» (3) . § 2 C e t t e qualité parait d'autant moins devoir lu i êt re refuséeque la constitution de l'his toire de la philosophie, comme aussi cellede l'his toire des dif férentes sciences, était impliquée dans l a mé-thode générale aris totélic ienne d' invest igat ion des dif férents p ro -blèmes, c'est à savoir la méthode dialect ique, et qu' i l était naturelde déboucher par là sur une conception philosophique de l'his toirede la philosophie.

Préalablement à l a recherche personnelle d'une solut ion propre-ment scientif ique, c'est à di re apodict ique, rigoureusement démon-trée, ou à défaut de la science elle-même, en vue de constituer unsavoir probable, i l conv ient de conf ronter les doctrines des prédé-cesseurs. De la confrontat ion de ces opinions autorisées doit surgir

(') Diogène LAERCE, Vitae Philosophorum, V, ch. 1, § 12.(2) SIMPLICIUS, Corn. in De Coelo (éd. des commentateurs, VII). Quelques

fragments Ont été conservés des traités sur les Pythagoriciens, s ur la Philoso-phie d'Archytas et de Démocrite. Cf . Valent in ROSE, Aristoteles Pseudepigra-phus 1, Frag. Aris t . philosophica, pp. 193-214.

(3) E. BRÉHIER, Histoire de la philosophie, I, p. 36.

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la thèse vraisemblable, qu i prouvera sa v aleur par sa capacité defaire sur elle l'accord du plus grand nombre de compétences.

S'il s 'agit par exemple d'étudier l'âme, « i l est nécessaire que touten posant les problèmes sur les questions à propos desquelles nousaurons p lus t ard à t rouv er des solut ions, nous rassemblions l esopinions de ceux de nos prédécesseurs qui ont formulé quelques opi-nions sur l'âme, de façon à retenir celles qui sont bonnes et à nousmettre en garde cont re les autres. Ains i, l e point de départ de larecherche, c e sera d'exposer les opinions les plus accréditées s urles propriétés naturelles de l'âme» (4) . U n a u t r e t e x t e d u V I I & m e

livre de l'Ethique à Nicomaque (5) e s t p a r e i l l e m e n t s i g n i f i c a t if : « I l

faut toujours commencer la recherche en exposant les vraisemblan-ces et en posant les problèmes de façon à met t re en lumière autantque possible toutes les opinions qu i f ont autorité, s inon toutes, d umoins les plus importantes. Une fois la dif f iculté résolue et les opi-nions accréditées laissées derrière nous, alors nous pourrons es t i-mer avoir assez fait pour expliquer notre objet. De même, au débutde la Métaphysique (6) . A r i s t o t e r e m a r qu e q ue s i l 'o n v eu t r é so u dr e

les problèmes, i l f aut commencer par les bien poser (iintoeflam,), cequi ne se peut que s i l 'on se situe par rapport aux recherches anté-rieures.

Cette méthode, q u i représente l e t rois ième usage de l a dialec -tique (7) , e st p ar t ic ul i èr em en t nécessaire quand il s'agit d'une in-

vestigation portant sur les principes: «En effet, observe Aris tote (8) ,dans les sciences philosophiques, i l serait impossible, puisque lesprincipes sont en toutes ce qu i est premier, de r ien d i re au sujetdes principes de chacune, s i l ' on ne commençait l a recherche parun examen des opinions accréditées (r i t Evt ioa). Si l ' on commencepar poser des problèmes en sens contraire (btaltogipai n e ; etutpot4a),il sera plus fac ile ensuite d'apercevoir on est le v rai et le faux, eten second lieu, c'est, comme on v ient de le voir, une nécessité. C'estlà la plus essentielle propriété de la dialectique. En tant que crit ique(e t aanx i i ) , la dialect ique ouvre la voie à la connaissance des prin-cipes de toutes les disciplines)). Aussi tous les grands ouvrages d'Aris-tote commencent-ils par cette crit ique, qu i constitue comme un re-

(4) De Anima I, 2, Sub init.

(5) Eth. Nicom. VII, 1 sub fin.

(6) Métaphysique III ch. 1.

(7) Le premier constitue une gymnastique mentale, le second prépare

la discussion droite de n'importe quel sujet avec n'importe quel adversaire.(8) Topiques I, 2, 101 a, 34sq.

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cueil d'apories. C'est ce que l 'on voit au l iv re I de la Physique, aulivre I du De Anima, au début de la Métaphysique, etc... (9) .

L'origine platonic ienne d e cette mét hode es t incontestable. Sonnom même en témoigne. Mais d'une part , el le est l imitée dans sonchamp d'applicat ion, n'étant légit ime que l à o ù f a i t défaut toutepreuve directe possible. D'aut re part , e l le semble revêt ir un carac-tère expressément his torique q u i l u i manquai t chez Platon. E l l ecommande au penseur de se s ituer à l ' int érieur d ' un mouvementévolutif. S i bien qu'on a v u en Aristote l' inventeur de la not ion dudéveloppement temporel de l' intelligence, lui-même ayant considéréles concepts de sa propre philosophie comme résultant d'une évolu-t ion régie par une lo i propre (1 9) . L ' h i s t o i r e a p p a r a î t a l o r s c o m me l a

matière à laquelle doit s 'appliquer une certaine méthode logique deconfrontation des opinions. Elle nous renseigne s ur l'accord de cesopinions et nous f ournit par là-même u n c ritère d u probable (").Aussi, à défaut d'une expérience valable des choses elles-mêmes eten l'absence d'une mét hode expérimentale, l 'élaborat ion d e l ' his -toire des doctrines p a r l a dialec t ique est -elle conçue c omme l aseule méthode apte a faire avancer la science. Ent re l'his toire et ladialectique, i l y a, t oute proport ion gardée, u n rapport analogue

celui qui s'établit entre l'expérience et le raisonnement expérimen-tal dans l a science d'aujourd'hui. Auss i l'his toire des idées a-t -elledans l a concept ion Aris totélic ienne u n rô le d e premier plan. L adocumentation, l 'émdit ion, doivent prendre une place considérabledans la v ie d'un philosophe, et l 'on comprend qu'Aristote ait pu mé-riter le nom de «liseur» (").

§ 3 C e t t e façon de considérer l'his toire de la philosophie en-veloppe-t-elle une conception philosophique de cette his toire ?

Sur ce point les opinions sont partagées.Pour les uns (1 3) , , l e r a p p or t q u ' Ar i s t ot e é ta bl i t en tr e la p hi lo so ph ie

M O n trouve dans la Métaphysique deux recueils d'apories, les liv res A let B ( I et I I I ) v raisemblablement rédigés pa r des élèves d'Aris tote, Eudémeou Andronicus de Rhodes.

(") Werner JAEGER, Aristotetes (Berlin, 1923).(") L'accord de tous les physiciens sur la nécessité de s'occuper de l' in f in i

prouve que cette question appart ient à la physique (Phys. I I I , 203 a 1). Leuraccord sur le caractère inengendré du temps prouve l'erreur de Platon, qui lefait commencer (Ibid., VII I , 2, 251 b 17), etc. Cf. LEBLOND, Logique et Méthodechez Aristote, Paris 1939, p. 260.

(12) PSEUDO-AMMONIUS, Vie d'Aristote, V. ROSE, Aristotetis Fragm. P. 428.

(13) Les Eclectiques, en particulier Amédée JA.couEs, Aristote considéré com-

me his torien de la philosophie, Paris , 1827.

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et son histoire about it à un système explic ite de l'histoire de la phi-losophie, système dans lequel l a philosophie éc laire l a marche del'histoire, t andis que l'his toire nour r i t e t sout ient l a philosophie.S'il en était ainsi, Aris tote serait u n génial précurseur des théoriesles plus modernes. Tel le est l a thèse soutenue par les tenants del'école de Vic tor Cousin, — et dans une certaine mesure par M. E.Gilson (1 4) .

Mais t out en assujettissant l'his toire aux procédés de la méthodeplatonicienne, Aris tote l u i f ai t perdre sa consistance et sa couleuren la muant en un conf lit abstrait d'opinions intemporelles. L'expé-rience his torique n'est pas en l'espèce le succédané de l'expériencedes choses, car en réalité, ce n'est pas à l'his toire, c'est à l'analyseabstraite de concepts qu ' i l est f a i t appel. Aris tote semble nous ledire lui-même: (Not re habitude à tous n'est pas de faire progresserla recherche par une investigation portant sur la chose même, maispar une c rit ique de l 'opinion adverse; e t chacun ne pousse l'exa-men de sa prof ire thèse que jusqu'au point où i l s 'aperçoit qu'ellene peut pas se contredire elle-même. Ains i, quiconque veut procédercorrectement dans une recherche doit être expert en l 'art d'évoquerles objections appropriées au genre de la chose en question, ce quiimplique la considération préalable des différences (15 » . D a n s c e c a s ,

on dev ra d i re avec M. Chemiss (16) q u e c h a q u e d i s c u s s i o n e s t u n

dialogue o ù les opinions des auteurs anc iens prennent l a plac equ'avaient chez Platon les interlocuteurs réels et où l a conclusionest préparée à par t i r d'une hypothèse et d'une object ion. Chaqueopinion invoquée joue s a part ie dans l e développement. E l l e es tchoisie et ajustée bon gré mal gré en vue de cette f in. I l n'y auraitdonc pas chez Aristote d'histoire de la philosophie proprement dite,mais sophistication de l'his toire en v ue d'en f aire un t rompe l'ceildans une joute d'opinions.

§ 4 E x a m i n o n s chacune de ces interprétations. La première sefait j ou r en France au début du M ê m e siècle, au moment du re-nouveau des études d'his toire de l a philosophie marqué par l'avè-nement de l'éclectisme de Cousin. Elle s 'appuie surtout sur le l iv reI(A') de la Métaphysique, qui semble f ournir une théorie de l 'origi-ne de la philosophie jointe à une déterminat ion précise des rapports

(") E. Gu.soN, The Unit y o f philosophical Experience, New-York 1937, p .VI, L'esprit de la Philosophie Médiévale, ch. IV, note 6, p. 241.

(15) ARISTOTE, De Coelo, II, ch. 13, 294 b 6-13.

(111) CHERNISS, Aristotle's Criticism of Presocratic Philosophy, Baltimore,

1935.

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entre l a philosophie comme système et la philosophie c omme his -toire.

Tout d'abord, Aris tote concevrait l a philosophie const ituée p a rl'ensemble des systèmes philosophiques comme «sortant de la rel i -gion et ne faisant qu'élever les solut ions religieuses, sans en chan-ger le fond, à une f orme plus abstraite» (")• La philosophie naî t eneffet de l'étonnement q u i es t conscience soudaine d e l' ignorance.C'est pourquoi elle fut d'abord mythologique, le mythe étant l'expres-sion du merveilleux ("). C'est pourquoi les premiers cosmologistesfurent des théologiens (1 9) , e n l ' e s p è c e d e s p o è t es : H o m èr e , H é s io d e ,

le légendaire Orphée. Les fables de l'Océan, de Thétys, du Styx, nesont que les préf igurat ions mythologiques de l a doc t rine sc ient if i-que de Thalès. L'amour, célébré par Hésiode comme le plus admira-ble des immortels , annonce cet amour dont Parménide a f a i t u nprincipe (2' ) . L a d o ct r i ne a r is t ot é li c ie n ne de l'unité du ciel et de la

div inité des astres n'est qu'une doct rine t rès ancienne que le my -the av ait revêtue d'anthropomorphisme e t d e zoomorphisme «envue de persuader la mult it ude et pour serv ir les lois et les intérêtscommuns» (2 1) .

Si l 'on retranche de ces mythes le merveilleux, i l subsistera cettepensée que les Dieux ont précédé toute aut re existence, et ce qu' ilsdisent révélera quelque chose d e div in, c omme u n débris sauvéjusqu'à nous de la philosophie et de la v raie science, probablementtrouvée plusieurs fois et perdue et retrouvée t our à t our (2 2) •

Dans ces conditions, l'his toire de la philosophie ne saurait être lesimple objet d'une vaine curiosité se complaisant au spectacle desaberrations de l'esprit humain. El le a u n contenu de vérité imma-nente. A ce t it re, elle est pour la philosophie elle-même un ins t ru-ment d' informat ion, de contrôle, et de rect if icat ion: «Reprenons lesopinions des philosophes qu i nous on t précédés dans l'étude desêtres et de l a vérité, nous demande Aristote, i l est év ident qu' i lsreconnaissent aussi certaines causes et certains principes; cette re-vue peut donc nous êt re ut i le pour l a recherche qu i nous occupe;car i l arrivera ou que nous rencontrerons un ordre de causes quenous avons omis ou que nous prendrons plus de confiance dans la

(17) A. JACQUES, op.cit., p.55; cf aussi, pp.6-9.

(18) ARISTOTt, Meta. I 2 Tout cp116crocpog est par conséquent tpt)Aluttog 982 b,

18.(9) Ibid., III, 983 b 9sq.

(20) Ibid., IV, 984 b 23 sq.

(21) Ibid., XII, 8, 1074 b Isq.

(21) Ibid., 1074 b 1-14.

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théorie que nous venons d'exposer» (2 3) . L ' h i s t o i r e d e l a p h i l o s o p h ie

est donc pour la philosophie à la fois un c rit érium et un remède.Elle rév èle les éléments q u i peuvent l u i manquer et , e n mêmetemps, les lu i restitue.

Il en résulte que la v raie méthode historique réside dans l 'all ian-ce de deux procédés, l ' u n empirique, l 'aut re rat ionnel. Ains i, dansle l iv re I de la Métaphysique, Aristote t ire de l'analyse abstraite denotions présentes dans l'esprit humain les quatre sortes de causalité,matérielle, ef f ic iente, f ormel le e t f inale; puis , les rangeant selonl'ordre de leur acquisit ion dans la conscience, i l obt ient a pr ior i lesdivisions d e l 'his toire e t les stades nécessaires à s on développe-ment (2 4) . L a s uc ce ss io n des doctrines est donc conforme à la succes-

sion de ces concepts: «La réalité elle-même, déc lare Aristote, l eu rtraça la voie et les obligea à une recherche plus approfondie» (").Grâce à ce système a priori, i l est possible de s 'orienter dans l'his -toire sans se perdre dans l ' in f in i d e l'observat ion empirique. E nrevanche, l'observaf ion his torique ne l'acceptera c omme règle qu'a-près l 'av oir éprouvé et redressé, s ' i l y a l ieu (2 6) . D e u x r e m a r q u e sd'Aristote attestent c e pouv oir vérif icateur d e l 'his toire à l ' égarddu système qu i l 'oriente; l ' une es t préliminaire:» «Peut êt re quenous rencontrerons u n ordre de cause que nous avons omis » ;l'autre est f inale: «Ainsi, que le nombre et la nature des causes aientété déterminés par nous avec exactitude, c'est ce dont semblent té-moigner tous ces philosophes dans l' imposs ibilité où i ls sont d'ap-pliquer aucun aut re principe» (")•

L'éclectisme cousinien c roit pouvoir conclure que, pou r Aristote,il n'y a rien de plus n i r ien de moins dans l'his toire que dans l'es-prit, e t que l 'ordre his torique est l e même que l 'ordre psychologi-que (").

§ 5 C e t t e conception a pour conséquence d ' impr imer à l a c ri-tique historique des caractères sui generis. Puisque tous les systèmessont v rais sous un certain aspect: l'aspect posit if , et f aux sous u nautre: l'aspect négatif , i ls ne pêchent que par omiss ion et unilaté-ralité; la crit ique devra donc être avant tout faite de tolérance éclai-rée. Elle approuvera tout d'abord le principe ou le point de départ de

(23) Ibid., I, 3, 984 a 19 sqq.

(24) A. JAcquEs, op.cit., pp. 10-16, 55.

(22) ARISTOTE, Méta. I, 3, 984 a 19 sq.

(22) A. JACQUES, op.cit., pp. 22-27.

(27) ARISTOTE, Méta. I, 7, 988 b 16. Cf. aussi 988 a 20.

(28) A. JACQUES, op.cit., pp. 37-45.

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la solut ion, s i paradoxal qu' i l puisse paraître. Rien de plus absur-de, pa r exemple, que l a doc t rine de Thalès de l 'eau princ ipe deschoses, mais r ien de plus naturel, s i l ' on y réf léchit : c 'est d'abordla t raduc t ion sc ient if ique d ' une d e ces labiles anciennes don t l aphilosophie subit a son insu la secrète inf luence; c'est ensuite quela nourrit ure et la semence des animaux sont humides, que la cha-leur elle-même v ient de l ' humide et en v i t ("). Un f ai t v rai, ma linterprété, est la raison vraie d'un système faux. Dans le même es-prit de tolérance, Aris tote s'attache a démêler sous l a f orme indé-cise des premiers systèmes le germe de théories modernes, supérieu-res surtout par leur plus haut degré de précis ion et de clarté. A in-si, l a théorie anaxagoréenne du chaos indéf ini e t de l' intelligencequi l'ordonne n'est que la préf igurat ion de la théorie aristotéliciennede l a mat ière et de l a f orme; l'aris totélisme ne f a i t qu'actualiserses v irtualités: «En suivant l a pensée d'Anaxagore, d i t Aristote, eten art iculant c e qu ' i l a v oulu dire, o n arriverait a une doc t rineassez conforme a la réalité et aux doctrines modernes» (").

Aussi l a c rit ique d'Aris tote ne porte-t -elle, e n général, que s urdeux points: 1' ) l'omiss ion: les anciens n'ont aperçu qu'une part iedes principes, c'est pourquoi i ls leur ont donné une extension i l -légit ime, et, réduisant à une sphère t rop étroite l'ensemble des réa-lités, i ls se condamnent a une science inadéquate et part ielle; 2 ' )l'erreur sur la vraie nature des principes.

L'objet de l a c rit ique philosophique est d'about ir à une contre-partie posit ive: puisque tous les systèmes ne sont faux que par leurcaractère part iel, i l f aut les un i r en une synthèse qu i ref lète cetteunité de l' intelligence où se concilient les princ ipes; puisqu' ils pê-chent, non seulement par l'étroitesse de leur base, mais pa r leurinexactitude, i l f aut pénétrer plus avant encore dans la nature dechaque princ ipe pour en démêler les caractères propres et les d i -vers modes. Ainsi, la science ne comprendra que la réalité et la com-prendra toute. Découvrir ce système, tel est le but d'Aristote. L'his -toire l u i f ournit en l'espèce les moyens et la f in: 4 1 résulte c laire-ment de tout ce que nous avons d i t jusqu'ic i, conc lut Aristote, queles recherches de tous les philosophes se rapportent aux quatre prin-cipes déterminés par nous dans la Physique et qu'en delors de ceux-la i l n'y en a pas d'autres; mais ces recherches ont été faites sansprécision, et si, en un sens, on a parlé avant nous de tous les prin-cipes, on peut dire, dans un autre, qu' i l n'en a pas été parlé, car lesphilosophies primit ives, jeunes et faibles encore, semblent bégayer

(") ARISTOTE, Méta., I , 3, 983 b 2 sq.(81)) ARISTOTE, Méta., I, 8, 989 b, 5 sq. et aussi 989 b 20.

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sur toutes choses. L'insuff isance des recherches de nos devanciersa été assez démontrée» (3 1) .

Résumant tous ces traits, l'école cousinienne n'a pas de mal a re-trouver chez Aris t ot e l'essentiel de s a propre doctrine. Selon A .Jacques, «C'est la gloire d'Aristote d'avoir, le premier, élevé l'élec-tisme dans cette enfance de la science, à l a hauteur et à l a dignitéd'un principe» (").

§ 6 M a i s on peut contester l'existence chez Aris tote, non seu-lement de cette doctrine, mais de sa pratique.

Sans doute y a-t -il chez lu i un certain éclectisme conciliateur, unpressentiment de la dist inct ion ent re la philosophie et son histoire,la not ion d'un développement de la philosophie dans l'his toire ana-logue au passage de la puissance à l'acte; le passage du bégaiementa la f ormule explic ite et articulée. I l conçoit de plus une vérité an-térieure et dominatrice, perdue et retrouvée maintes fois, immanen-te a u développement his torique, l e dir igeant d e lo in, c omme l eNoil; int angible dans sa sphère, impos e a l'ensemble des chosesleur mouvement et leur direct ion. I l paraî t b ien aussi chercherconf irmer la théorie par l'his toire et orienter l'his toire par la théo-rie. Mais , out re que l a not ion de développement his torique de l apuissance à l'acte ne se concilie pas aisément avec celle d'un retourcyclique d'une vérité perdue et retrouvée, on ne t rouve nulle partchez lu i un système coordonné et exprès des rapports de la philoso-phie et de son histoire. Les Cousiniens ont dû eux-mêmes le recon-naître: «Aristote n'a pas résolu avec cette fermeté qui suppose l'expé-rience d'un âge plus avancé le problème de la méthode historique, eti l ne l ' a pas posé, du moins explicitement. Mais s ' il n ' a pas donnédirectement le précepte, i l l ' a suiv i; et de sa prat ique i l est aisé deconclure l a théorie» (").

Mais l 'a-t - i l prat iquement suiv i ? Selon l'école cousinienne, Ar is -tote donnerait un système ne varietur, t ant des princ ipes que deleur ordre logique, puis, déterminant leur ordre psychologique d'ap-parit ion dans la conscience, i l en t irerait leur ordre chronologiqued'apparit ion dans l'his toire: cause matérielle (reconnue pa r tous);cause mot r ic e (Empédocle, Anaxagore, Parménide); cause f i na le(Anaxagore, mais de façon accessoire), cause formelle (Platon, maisdans une certaine mesure seulement). Aris tote aura i t v ér i f ié c e t

(31) Ibid., 1, 7, 988 a 20 sq. A. JAcQuEs, op.cit., p. 55.

(32) A. jACQUES, op.cit., p. 17.

(31) Ibid., p.24.

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ordre a pr ior i «par le procédé expérimental e m p l o y é avec unevigueur peu c ommune dans une rev ue minut ieusement complètede toutes les doctrines antérieures», qui décèle «le respect scrupuleuxde l'enchaînement naturel des systèmes dans l 'ordre o ù l e tempsles a produits» (3 4) .

Or, l 'examen des textes semble b ien conduire à de t out autresconclusions. C'es t ains i que l ' on s 'aperçoit que l e classement descauses n'es t pas chez Aris tote u n système n e varietur. Dans l aPhysique, par exemple, les causes sont disposées dans un aut re or-dre que dans l a Métaphysique: cause matérielle, cause f ormelle,motrice, cause f inale (s ) . D e p l u s , l e c a d r e a p r i or i t r ac é d an s le

livre I d e l a Phys ique (Chap. 2), p o u r déterminer ultérieurementle plan des exposés et des discussions des philosophies antérieures,diffère du cadre tracé dans l a Méthaphysique et s 'établit à un aut repoint de vue, déterminé cependant, l u i aussi, par la philosophie aris-totélicienne.

§ 7—. En approfondissant ces considérations o n about it à l ' in -terprétation toute dif férente de M. Cherniss (3 6) .

M. Chemiss remarque que, dans l 'examen des doctrines his tori-ques,, Aris tote n e s uit pas scrupuleusement l ' ordre chronologiqueréel. Ains i, au Chap. 5 du l iv re I de la Métaphysique, Aris tote ex-pose la théorie de Démocrite avant celle des Pythagoriciens et desEléates, et d'aucuns en ont conclu, à tort , qu'Aristote croyait Démo-crite antérieur aux Pythagoriciens (3 7) •

Il observe, en outre, que les exposés qu'Aristote donne des phi lo-sophies antérieures sont dif férents les uns des autres et ne peuvents'accorder entre eux. I l en est de même du groupement des philo-sophes qui sont tour à tour, selon les occasions, ident if iés ou oppo-sés les uns aux autres (3 8) . (

4) A. jAcouEs, exit., p.26.

(35) ARISTOTE, Physique, II, 3, 194 b 23-195 a 2; 7, 198 a 22-24.

(36) CHERNISS, OP.CiI. M. Chemisa soutient la même thèse dans son ouvrage

de 1940 s ur Aris tote his torien de Platon.(37) Par exemple. Erich FRANK, dans Plato u. die Sogenannten Pythagoreer

p. 221. O r, Aris tote éc rit : «Au temps de ces philosophes (les atomistes) e tmême avant eux... (Méta, I 985 b 23).

(s8) Tantôt Empédocle et les atomistes sont considérés comme appartenant

au même groupe que les Ioniens, en tant que matérialis tes monistes; tantôtopposés à eux comme ayant soupçonné la cause formelle. Anaxagore, louécomme un «moderne» quand son “Noiig» est interprété comme cause formel-le, est placé au dessous d'Empédocle pour av oir af f irmé u n nombre in f in i

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Ainsi, d'une part, on est f rappé du caractère systématique qu'Aris-tote donne à ses exposés historiques, prenant comme f i l conducteurdes concepts t irés a pr ior i de sa propre doctrine: de cette façon, leles p hi lo s o ph i e s a nt ér i eu re s a pp ar ai ss en t toujours comme des préfi-

gurations grossières de l a science, e t leur succession semble ref lé-ter approx imat ivement l 'ordre nécessaire de l a procession philoso-phique des concepts. D'aut re part , o n do i t constater l e caractèreéminemment variable de ces exposés systématiques, en ce •qui con-cerne tant les cadres a priori, que la disposit ion intérieure succes-sive de leur contenu et que ce contenu lui même, c'est à dire l' inter-prétation doctrines.

§8--- L a croyance cousinienne en l'existence, chez Aristote, d ' unsystème philosophique de l'his toire des idées ne résiste donc pas

l'examen at tent if des textes. Mais i l f aut se demander pourquoiles exposés d'Aris tote gardent u n caractère de f i l iat ion systémat i-que tout en présentant des classifications, des exposés, et des inter-prétations, dont l a diversité exc lut u n système de l'his toire.

Cette divers ité provient , selon M. Chemiss, d u dessein dif férentqu'Aristote se propose chaque fois dans les argumentat ions où in -terviennent des considérat ions his toriques. A ins i , les t ro is dif f é-rentes doctrines qu' i l donne de l'origine de lTléat isme ne sont peut-être que part iellement v raies o u toutes les t rois fausses, mais entout cas, chacune d'elles s'ajuste parfaitement, dans l e passage où

de princ ipes. I c i, Anax imandre est compté pa rmi les Ioniens matérialis tes ;là, i l est rattaché a Anaxagore e t a Empédocle. Hérac lite est classé, tantôtavec Thalès , Anax imandre e t Anax imène, tantôt avec les Atomistes, etc ...(CHERNiss, Op.cit., pl). 356-357). De même, la genèse des différentes doctrinesest représentée souvent de façon contradictoire. Ains i, a u l iv re I de la Mé-taphysique, la doc trine éléatique est conçue comme résultant de ce fa it queles Eléates ont aperçu la nécessité de rechercher une cause du mouvement,mais que ne pouvant la t rouver hors du substratum, lequel ne peut se mou-voir lui-même, i ls ont d û se rés igner a admettre que la nature une étaitimmobile dans tous les sens (984 a 16 sq 984 b 1). Dans le De Generat ioneet Corrupt ione, l'un it é e t l ' immobilit é d e la nature éléat ique sont conçuesau contraire comme dérivant de cet ax iome que le v ide ne peut exister (DeGen. e t Cor. 324 b, 35 sq-325 a 2). Dans l e De Caelo, enf in l'Eléat is me es tconçu comme résultant de ce f a it que les Eléates, ayant été les premiers avoir que la connaissance requiert l'existence de substances immobiles , maisne concevant pas d'autres existences que celles des objets sensibles ont ap-pliqué a ceux-c i des arguments valables pour les seuls objets de la pensée.(De Caelo, 298 b 14-24) (CHERNiss, Op.cit., pp. 63, 95, 220-223 sq.).

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elle f igure, avec l'argumentat ion part iculière à laquelle elle est as-sociée. De toute évidence, elle a été choisie chaque fois en vue defonder l a conclusion spéciale a laquelle Aris tote désire about ir (").Les exposés des doctrines ne sont donc pas déterminés par leur con-tenu object if , mais avant tout par le rôle et l a place qu i leur sontattribués dans telle ou telle démonstrat ion. I l en résulte pour ellesdiverses altérations. M. Chemiss a énuméré sept procédés de défor-mation, q u i peuvent jouer concurremment auss i b ien que séparé-ment.

L'essentiel pour Aris tote est de pouvoir présenter les conf lits dedoctrines c omme des conf lits de vérités part ielles dont sa philoso-phie assure l a synthèse. Par exemple, l e doc t rine de l' interac t ioncomme passage de la puissance a l'acte est représentée par lu i com-me l a synthèse de deux conceptions opposées apparues séparémentdans l'his toire. L'une, qui, se s ituant dans l a puissance, v o i t dansl'interaction l'ass imilat ion des semblables, c'est la thèse des atomis-tes; l'aut re qui, se s ituant dans l'actual, voit dans l' interac t ion l'as-s imilat ion des dissemblables, c 'est l a thèse des aut res présocrat i-ques. Or , Aris tote av ait at t ribué l e princ ipe de l'ass imilat ion dessemblables à tous les Présocratiques. Mais i l ne se soucie pas de cettecontradiction. Ce qu i lu i importe, c'est par cette reconstruction ar -bit raire d'une his toire ant inomique, d e pouv oir présenter sa doc -trine c omme l'about issement synthét ique d ' un procès logico-his to-rique: «La raison de ce conf lit d'opinions, c'est qu' i l faudrait envisa-ger le sujet dans sa totalité, alors qu'en fait chaque groupe se trouven'en envisager qu'une part ie» ("). La philosophie aristotélicienne estprécisément capable d'embrasser cette totalité et de réconc ilier lesgroupes adverses (4 1) .

Enfin, Aris tote veut t rouver dans les doctrines les plus anciennesla rac ine de sa propre philosophie pour prendre appui, p a r leu rintermédiaire, s ur cette vérité originelle, aut refois découverte, puisperdue; et i l veut en même temps établir sa supériorité sur les pré-décesseurs. Ces deux préoccupations opposées engendrent deux dé-formations contraires qu i résultent souvent de l a même interpréta-tion. Ainsi, i l loue Anaxagore d'avoir aperçu dans le migrna primit if ,la mat ière première, mais i l l e b lâme d'av oir été amené, p a r sathéorie du Naig, cause de la séparat ion entre les éléments, à poserl'existence séparée des qualités. I l est v rai qu'Anaxagore n'a jamais

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(19) CHERNISS, p.349.

(40) ARISTOTE, De Generatione et Corruptione, I, 7, 323 b 17 sq.

(41) CHERNISS, Op.eit., pp. 89-93; 358-359.

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professé de telles théories; mais pour Aristote, c'est Là s implementla preuve qu' i l ne s'est pas compris lui-même (4 2) . E m p é d o c l e a u r a i t

soutenu d'un côté que les quat re éléments se développent à part i rdu sphoerus, ce qui implique qu' ils peuvent se changer les uns dansles autres, et d'un autre côté que le sphoerus résulte de la combinai-son des éléments, ce qu i suppose leur antériorité par rapport à l asimple mat ière. Thèses contradictoires q u i n e permet tent pas d esavoir s i c'est le sphoerus ou les éléments qui constituent la mat ièrepremière; (43) t h è se s q u 'E m pé d oc l e n'a pas non plus soutenues, et

qui sont nées d'une double déformat ion; mais thèses qui permettentde rattacher Empédocle à Aris tote par un l ien de f iliat ion, t out enmettant en évidence la supériorité du péripatét isme (a) .

Cette manière de t raiter l'his toire n'a donc r ien de c ommun avecun grand système a pr ior i du développement de l'his toire comman-dé par la philosophie immanente. I l n ' y a pas Là un système, maisune mult it ude de systématisations, mobiles et changeantes, dont lesvariations sont fonc t ion de l a variété des polémiques.

De plus, la précarité et le polymorphisme de ces systématisationsne les rendent pas moins adultérantes à l'égard des pensées authen-tiques qu'un système proprement dit . L' interprétat ion de M. Chemisstend à mont rer combien Aristote est lo in de la tolérance et de l'ob-jectivité que lu i at t ribue l'école cousinienne. Aris tote ne se contentepas, comme bien d'autres philosophes, de remodeler à sa guise lesmatériaux qu' i l puise chez les autres, mais changeant de perspectivesaussi fac ilement qu'un avocat selon les inc idents de l'audience, i lutilise toute une variété de fausses représentations de l'histoire, defausses généalogies, pour mieux persuader son lecteur. Dans cettemesure, ce procédé rappellerait plus la sophistique que la dialect iqueplatonicienne. L'appel à l'his toire ne serait donc pas un moyen decontrôle ou de vérif icat ion, mais un art if ice de persuasion, spéculantsur le prestige que s'att ire une doctrine, lorsqu'elle peut se présen-ter comme absorbant en elle le passé tout ent ier dans ce qu' i l a deconsistant et comme ajoutant à la plénitude du contenu la parfaiteexplicitation de l a forme.

Ce souci de se présenter comme étant à l a fois original et totalexplique qu'Aristote se soit préoccupé de réfuter, non pas seulementses contemporains ou prédécesseurs immédiats, mais aussi des doc-trines que personne ne soutenait plus, comme celle de Thalès, d'Ana-

(42) ARISTOTE, Physique I, 4, 1888 a.; Méta. I, 4, 985 a 15-17.

(43) De Gen. et Cor., I, 1.

(44) CHERNISS, OP.Cit., p. 348.

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ximène, d'Anaxagore, de Pythagore, l' idée le hante d'une totalité quirestaurerait dans son intégrité la vérité authent ique originelle, briséeen éclats, vérité qu' il dit avoir été perdue, puis retrouvée une inf initéde fois. Les systèmes antérieurs sont en conséquence présentés etcomme des débris vagues et confus de cette vérit é et c omme desessais balbutiants d'une philosophie accomplie, où atteint seul l'aris -totélisme. Dans cette préf igurat ion de sa doc t rine chez les anciensAristote, selon M. Cherniss, c roit découvrir une preuve supplémen-taire de sa légit imité (").

§9—. Cet te façon d'user, — ou plutôt d'abuser — de l'his toire,commande une certaine méthode d'ut ilisat ion du témoignage aristo-télicien. Puisque les exposés variables qu'Aris tote donne des phi lo-sophies antérieures sont fonc t ion du dessein qu' i l poursuit dans lepassage o u i ls f igurent , i l s sont dépourvus de sens dès qu'on lesisole de leur contexte. l i s sont inconciliables ent re eux, s i o n lesrapporte à la même doctrine originale qu' ils déforment, chacun, defaçon dif férente. I l en résulte qu' i l est impossible en les réunissantde donner à propos de chaque philosophe une esquisse de la con-ception qu'Aris tote pouvait s 'en f aire (")• La v raie méthode d'ut i l i -sation de cette fausse histoire ne peut donc être qu'une régénérat iondu témoignage par le retour, à chaque fois, au contexte d'où dérivele sens de l a déviat ion, de façon à inverser l e procédé déforma-teur (").

§ 10.— Cette interprétat ion parait inf in iment p lus proche d e l avérité que celle de l'école cousinienne. Toutefois, i l f aut se garderde penser qu'Aristote n'obéirait à aucune règle dans l' interprétat iondes doctrines et que leurs ajustement et déformat ions variables res-sortiraient uniquement de l'opportunité. S' i l en était ainsi, Aris toteserait plutôt le disc iple des Sophistes que celui de Platon. En re-cherchant l a raison qu i conduit Aris tote à v ouloir t rouver des ra-cines historiques à sa philosophie, M. Cherniss constate qu'Aris tote

(45) CHERNISS, Op.cit., p. 348.

(46) C'est pourtant ce que M. DEMAN a tenté dans son ouvrage sur le Té-

moignage d'Aris tote sur Socrate (Paris 1942): f ou rn ir un »Aristoteles de So-crate». Mais cet excellent t rav ail reconnaît le caractère déconcertant e t in -fidèle d u témoignage d'Aris tote (p . 124) e t c ombien c e témoignage ex iged'effort de pénétration et de discernement relat ifs tant ,à l'interprétat ion qu'Arinformat ion du témoin (pp. 125-126).

(47) CITERNISS, Op.Cit. Préface, pp. XI-XIV et p. 347. C'est d'ailleurs ce que

fait souvent Simplic ius dans son Commentaire de la Physique.

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y découvre u n surcroît de preuve. Une t el le raison impl ique unecertaine vénérat ion du passé. Un t el surcroî t de preuve ne sauraitrésulter, aux yeux de celui qu i c roit en bénéf ic ier, d ' une his toirepurement et s implement sophistiquée au gré des opportunités de ladispute.

La vérité, c'est qu'Aristote est un logic ien et qu' i l ne peut penserl'histoire, n i surtout l'ut iliser, qu'en l a concevant à t ravers l a l o -gique. Nu l doute que ne se produise pour la première fois avec lu ila confrontat ion implic it e ent re la nécessité inhérente à l a philoso-phie et la contingence évidente de son histoire. Or, dans un espritlogicien comme le sien, i l était naturel que la conciliat ion s 'opérâtau prof it de la logique, c'est à d i re que la déterminat ion du droi tvint d'avance éc lairer l e fait , i l l uminer l'his toire e t l u i permet t rede remplir un rôle dans l'élaborat ion de la science. Cette subordina-tion a pr ior i du f ait au droit , en fonct ion de la logique, cette idéeque la force logique de la vérité est le moteur de l'histoire est ce quipermet de rapprocher Aris tote de Hegel (4s )• M a i s a l o r s q u e H e g e l

construit un système de l'histoire, Aristote se contente de la t raiteren général selon une méthode a priori. Ains i s'explique, malgré laconstance du procédé, l a divers ité de ses applicat ions et de ses ré-sultats.

D'autre part , la thèse de M. Ohemiss semble t rop absolue. I l estincontestable que les déduct ions d'Aris tote f ont s urgir des cont ra-dictions chez les auteurs qu' i l discute, mais i l est douteux que cescontradictions n ' a ient jamais l e u r princ ipe chez les auteurs mê -mes (").

L'objet d'Aris tote, c ' e s t t o u j o ur s d ' a bo u t i r à une e n to p lè t ou à un

ectôpvtu, c'est-à-dire à une sorte d'.égalitéo (ineyrti;), de balancement.

(4s) Ce qui permet d'attribuer légitimement à Aristote le mérite d'avoir

été le premier a donné l'exemple d'une his toire philosophique de la ph ilo -sophie. Cf . GILSON, Op.cit., p. VII.

(49) Ainsi dans la Métaphysique, I, 4, 985 à 22, Aristote déclare: «Empédocle

n'est pas toujours d'accord avec lui-même. Souvent chez lu i l 'amit ié sépareet la haine réunit . E n effet, lorsque le tout se dis t ribue e n éléments sousl'influence d e l a haine, a lors les parcelles d e f e u q u i dans l e sphoerusétaient disséminées se rassemblent pour former une substance homogène, etil en est de même des autres éléments. Inversement, lorsque, sous l'inf luencede l'amit ié, t out rev ient à l 'un it é les parcelles élémentaires se séparent denouveau: l'unit é du feu est dissoute et de même pour les autres éléments».I l y a certes Là une déduction d'Aris tote plutôt qu'une assertion d'Empédocle,d'après les fragments que nous possédons. Mais o n n e v o it pas c ommentEmpédocle aurait pu se soustraire à la conséquence t irée ic i contre lu i.

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Rentre des considérations réf léchies contraires ent re elles» bref ,une sorte de syllogisme dialect ique de la contradict ion ("). Ce pro-cédé, s ' i l réussit, permet en ef fet d'about ir à un haut degré de cer-titude, car dans une dis jonct ion s imple ou complexe, l a preuve del'impossibilité ou de la fausseté de tous les termes en balancement,sauf un, équivaut presque, quant à la certitude, à la preuve directede la vérité du terme subsistant; o I l f aut auparavant examiner lesopinions des autres, c ar la preuve d'un opposé se t i re des aporiesque comporte l'aut re opposé, et en même temps on sera plus per-suadé de ce qu i a pu êt re dit sur la question, s i l ' on a préalable-ment entendu les just if icat ions des théories en présence. O n risquemoins ains i d'avoir l ' a i r de perdre son procès par défaut. Quant àceux qui sont en état de juger suff isamment de la vérité, i ls ne doi-vent pas apparaî t re dans l e procès c omme des adversaires, ma iscomme des arbitres» (5 1) .

Toutefois, l a cert itude qu i découle de l a réfutat ion des opposésn'est possible que s i l ' on est assuré qu' i l n ' y a pas d'autres termesconcevables en dehors de ceux que l ' on a contradic toirement misen présence. Cet te condit ion ne peut êt re réalisée que s i l ' on en-visage, non pas seulement tous les termes effect ivement liv rés parl'histoire, mais tous les termes concevables. L'his torien se mue alorsen un dialect ic ien qui ne se contente pas de passer en revue et dediscuter les opinions déjà soutenues en fait , mais qui doit examinertoutes les opinions possibles en droit ("). L'his toire n' interv ient quesubsidiairement pour remplir, et le plus souvent de façon part ielle,un cadre t racé a pr ior i par la raison philosophante. A l a limite, i lsemble donc qu'on pourrait se passer de l'histoire, qu i n 'a qu'acci-dentellement réalisé telle doctrine déterminable a priori. Nous voy-ons ic i le souci de l'his torien le céder au souci du logic ien, l'expé-rience philosophique de l'his toire à l a déterminat ion a pr io r i desdoctrines. C'est ains i qu'au Liv re I de la Physique, la classif icationdes doctrines s'opère de façon nécessaire et a priori (5' ) . L ' i m p o r t a n c e

(50) ARISTOTE, Topiques VII, 6, 14.5 b 2; 17-20; VIII, 2, 162 a 17. C'est ce

procédé que DESCARTES combat dans la Règle I I I des Regulae, A. T. X., p. 367-368.

(") ARISTOTE, De Caelo, I , 10, 279 b, 6-12. — Ces arbitres ce sont les com-pétences.

(52) Ce sera aussi la méthode de Carnéade, la Carneadia Divisio.

(53) «Il est nécessaire qu'il y ait ou un seul principe ou plusieurs. S'il y

en a un seul, i l est nécessaire ou qu ' i l soit immobile (Parménide, Melissus)ou qu ' i l soit en mouvement ( l 'a ir ou l'eau des physiciens.) S ' i l y en a p lu -

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de la déterminat ion a pr ior i des doctrines possibles l'emporte à cepoint sur les faits de l'histoire, qu'Aristote ne se préoccupe pas par-fois de met t re un nom sur les philosophies qu ' i l caractérise. I l enrésulte que les interprètes discutent à l ' in f in i pou r essayer de lesident if ier ("). De même, lorsqu'au début d u Liv re XI I I ( M) de l aMétaphysique (Chap. 6), Aris tote dis t ingue diverses sortes de nom-bres idéaux, i l indique d'abord le point de vue du droit : «Telles sontnécessairement en pariant de l'hypothèse de nombres substantiels etexistants en eux-mêmes à l a manière des Idées, toutes les façonset les seules façons dont i l est possible qu'existent des nombres sé-parés» (5 5) . I l s ' ag i t là de la d ét er mi na ti on a priori des opinions qui

doivent se balancer. Puis , se plaçant au point de v ue d u fait , i lajoute que presque toutes les conceptions, sauf une ont t rouvé desdéfenseurs ("). L'expérience his torique n'est donc ut ilisable pour l ascience que selon cette stricte méthode de répart it ion dans les ba-lances du syllogisme dialect ique de la contradict ion. Comme ce syl-logisme dif f ère avec l a nature de chaque problème, cette dis t ribu-t ion sera dif férente à chaque fois. Ains i s 'explique du même pas laconstance e t l a variété de l a systématisation imposée à l'his toire.I l ne s 'agit pas l a d ' un s imple art if ice sophist ique édic té pa r lesopportunités, mais d'une exigence de méthode scientif ique.

§ 11,— Cette méthode tend à l a f ois à imposer à l 'his toire descadres a pr ior i et à substituer aux doctrines concrètes des conceptsabstraits t irés de l a philosophie propre à l'his torien. L'absence decoïncidence entre ces concepts et ces doctrines marque la déficiencede celle-c i par rapport à l a v raie philosophie (en l'espèce l'aris to-télicienne). Leur coïncidence souligne la part de vérité qui se t rouve

sieurs, i l es t nécessaire ou que cette mult ip lic ité soit f in ie (deux , trois , o uquatre principes) o u qu'elle soit inf inie. Dans ce dernier cas, i l y a aura oubien pluralis me in f in i quant itat if , fondé s ur la divers ité in f in ie des figures(Démocrite) ou bien pluralisme inf ini qualitat if , fondé sur une divers ité inf iniedes qualités contraires (Anaxagore)» (184 b, 15 sqq).

(") Par exemple: la doc trine des deux princ ipes est-elle, comme le penseSimplicius, celle de Parménide, quand ce dernier se place au point de vue del'opinion (obscurité et lumière, f ro id et chaud) o u b ien celle de Xénophane(terre et eau) o u encore celle d'Archelaiis ? L a doc trine des t rois princ ipesest-elle c elle d'Aris tote lui-même, c omme l e c ro it Simplic ius (à t o r t , p u i s -qu'il s 'agit d'Antéaristotélic iens) ? de Platon ? de Speusippe ? de Xénocrate ?

(55) ARISTOTE, Méta. XIII. M, 6 p. 1080 a 15 sq et 1080 b, 5 sq.

(56) ROBIN, La théorie platonicienne des Idées et des Nombres d'après Aris-

tote, note 258, pl). 272-273.

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en elles. Ains i le logic isme s 'unit au dogmat isme et à l'esprit polé-mique pour produire immanquablement une déformat ion profondedes pensées originales (' ). L'object iv ité et l'esprit de tolérence quel'école de Cous in pense découvrir chez Aris tote n'est donc qu'unepure apparence. Aris tote n'étudie ses devanciers que pour les réfuterou retrouver à tout prix chez eux ses propres principes. On ne sauvequelque chose des doctrines anciennes que pour mieux les suppri-mer au prof it de la doctrine nouvelle. C'est ce qui choquait s i f ortFr. Bacon: “Aris tote, écrit -il, a l'exemple des souverains ottomans.a c ru qu' i l ne pourrait jamais régner en sûreté s ' i l ne commençaitpar massacrer tous ses frères» ( ' ) .

Mais on ne doit pas en conclure, en poussant à l'ex t rême l' inter-prétation de M. Chemiss, qu'Aris tote a complètement manqué desens his torique et qu ' i l n ' a été qu'un fals if icateur plus ou moinsconscient de l'his toire. Certes, Aris tote n ' a pas le sens his toriquetel que nous l'exigeons de nos jours; ce qui suppose, avant tout, lesentiment de l'originalité intrinsèque des diverses philosophies, celuide l' irréduc t ibilité des diverses époques, et , par conséquent, l a re-cherche et le respect scrupuleux des pensées authentiques. I l ne l 'apas non plus dans la mesure où i l annule, par sa conception cycliquedu retour de la même vérité, l a valeur dynamique et créatrice dudevenir historique qu' il a parfois aperçue ("). Sur ce point, i l professed'ailleurs une opinion commune à t out l'hellénisme.

(57) oli est clair que la reconstitution historique de la philosophie grecque.

où chacune des doctrines se trouve déf inie p a r la place qu i lu i est assignéedans le cadre des quatre causes suppose que l'on a déjà résolu dans le sensoù Aris tote l 'a f a it le problème de la causalité. Les prédécesseurs d'Aris toten'avalent c onnu qu'une cause o u deux ; e n rév élant c e qu ' i ls ignoraient ,Aristote les c orrigerait d e leurs erreurs . Ma is cette conception à l a f o iseclectique et symbolique de la vérité. . , ris que de fausser la perspective del'histoire». BRUNSCHVICG. L'expérience humaine et l a causalité phys ique, p .119.

(58) BACON, De Dignitate et Augnzentis, HI ch. 4 trad. RÉAUX, éd. Charpen-

tier. Paris 1843, I p. 169; c f aussi p.154; Nov . Org. 1, § 67, p.30.(59) C'est surtout dans le livre II de la Métaphysique, qui n'est peut-être

pas d'Aris tote, mais qu i est de substance e t de s ty le aristotélic iens, que setrouve aff irmée l' idée du progrès des sciences et des arts. Chaque philosophe,spécifie-t-il, t rouv e à d i re quelque chose s ur l a nature; e n lui-même, c etapport n'est rien sans doute ou i l est peu de choses, mais l'ensemble de tou-tes les réflexions produit de féconds résultats.» (993 b, 1-4) «Nous avons reçupar héritage certaines opinions d e plus ieurs philosophes, ma is les autresphilosophes on t été causes de l a venue d e c eux -là'. (993 b, 18; c f ; auss i

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Page 19: Gueroult Logique, Argumentation, Et Histoire de La Philosophie Chez Aristote

En revanche, c 'est certainement une convic t ion in t ime chez l u ique l'ensemble de l'expérience philosophique l iv rée p a r l 'his toireprésente un contenu valable et part ic ipe au mouvement de la vérité.Sans doute, cette convict ion reste-t-elle une vue générale qui n'abou-tit pas, comme d'aucuns l'ont cru, à un système; mais elle le conduità. considérer la substance de l'his toire comme éminemment fécondeet réclamant à ce t it re d'être insérée dans le mécanisme logique qui,selon lu i doit régir l' invest igat ion. Le philosophe ne peut donc, n ien fait, n i en droit , ignorer la tradit ion. I l doit la recevoir tout en ladépassant. I l y a là un ensemble de vues qu i élève cette méthodeau-dessus, non seulement d'une s imple sophist icat ion de l'his toiremais du dialogue platonic ien entre des opinions. Certes, pour conci-lier la philosophie et son passé, la logic isat ion de l'his toire est unesolution défectueuse. Du moins n'est-ce pas pour Aristote un mincemérite que d'avoir été le premier a apercevoir le problème, le pre-mier à tenter de le résoudre, et i l serait excessif d'exiger d'un génieplus que ce que son époque lu i permet de donner.

984 b, 10). M. LEBLOND (019.eit., p. 262) es t ime que la théorie toute dif férentedu retour cyclique n'a pas d'importance chez Aris tote et correspond s imple-ment a une façon de parler courante. O n doit remarquer pourtant l'ins is tan-ce avec laquelle Aris tote déc lare que la v érité a été découverte e t perduea plus ieurs reprises (Meta. X I I , 8 , 1 0 7 4 b 1 0 - 1 4 , P o l i t iq u e ( 1 2 64 , a 1 5, e tc .)

Dans les Meteorologiea, i l déc lare « je ne d ira i pas que les opinions qu i sesont produites chez les hommes sont cyc liquement revenues une, deux ouplusieurs fois , mais u n nombre in f in i d e fois « (339 b 27-30). Cette idée re -vient t rès souvent e n termes ident iques : D e Cae lo 270 b 16-20, Polit ique,1229 b 25-30, Meta, 8, 1074 b, etc....

Ma r t ia l GIJEROULT

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