exploration sous-marine sur les côtes de...

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- eux- EXPLORATION SOUS-MARINE SUR LES CÔTES DE PROVENCE La découverte fortuite de statues antiques en Grèce. à Mahdia. dans le golfe des Syrtes, dernièrement celle d'un sarcophage de marbre décoré de la légende de Phèdre ·et Hippolyte au large de Tarragone. montre que l'àrchéologje sous-marine, grâce aux moyens techniques mis à la disposition des plongeurs autonomes, peut apporter une im- portante contribution à la connaissance de l'histoire antique. Non point qu'Il faille escompter la découverte de navires chargés d'oeuvres d'art, comme celui qu'avaient reconnu des pêcheurs d'éponges à Mah- dia et qui a enrichi le musée de Bardo, mais les résultats acquis à ce jour. si modestes soient-ils. font bien augurer d'une prospection qui n'en est qU'à ses débuts. L'archéologie sous-marine doit être protégée. comme l'archéologie terrestre. de façon à ce que le pillage d'épaves ne détruise pas des gise- ments, dont l'intérêt scientifique échappe aux amateurs qui n'ont d'autre but que de prélever un souvenir sur notre patrimoine histori- que ou d'en faire objet de commerce, Une conférence interministé- rielle. en 1951. réunissant quatre ministèI.... l'Education Nationale (Direction de I·Architecture). la Marine marchande (Direction des Affaires économiques et du matériel naval). Les Travaux publics. le Transport et le Tourisme (Direction des Ports maritimes) et les Finan- ees et Affaires économiques (Direction générale des Douanes et droits indirects), a arrêté les mesures propres, dans le cadre de la legislation sur les épaves maritimes, à protéger et sauvegarder les vestiges ayant un intérêt archéologique ou historique. Tout ce qui est au fond de la mer est soumis à la police de l'Inscrip- tion maritime et la recherche ne peut en être autorisée qu'avec l'ac- cord de la Direction de l'Inscription maritime et de la Direction des Antiquités. qui est désignée pour faire jouer le dIoit de préemption de Etat. Ainsi est née l'Arch/ologie sous-marine. Du golfe du Lion au rocher de Monaco. eUe a déjà ses fervents. affiliés à des clubs. ou chercheurs isolés. qui se partagent en secteurs la côte provençale et ont dressé un programme méthodique de prospection. POS. - La Société des Amis du Vieil Islres (Président Dr Beau- caire). déjà connue par ses fouiUes terrestres à l'oppidum du Castelan, sur l'étang de I·Olivier. à inauguré la fouille sous-marine à la piocbe. Le groupe a relevé la trace de murs en place dans le golfe, au large du rocher de Saint-Gervais et trouvé dans les alluvions anciennes du lit- toral qui a 9ubi une profonde érosion, des documents importants re- montant à la fin de la République et au début de l'Empire : cérami- que campanienne et arrétine. grauiesenque. lampes. dont un frag. ment de grande lampe à plusieurs becs décorée d 'un pêcheur et d'une Ilrène-oiseau. un skypho. décoré de pampres à émail plombifère du début durer siècle et une m\IgttÜlque appllque d. 'lvoire. à tête d'Aphro- dite ; d .. fragment. d·architecture. colonne avec encorbelle- ment pour soutenir la toiture d 'un portique ou une tribune. cancel

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EXPLORATION SOUS-MARINE

SUR LES CÔTES DE PROVENCE

La découverte fortuite de statues antiques en Grèce. à Mahdia. dans le golfe des Syrtes, to~t dernièrement celle d'un sarcophage de marbre décoré de la légende de Phèdre ·et Hippolyte au large de Tarragone. montre que l'àrchéologje sous-marine, grâce aux moyens techniques mis à la disposition des plongeurs autonomes, peut apporter une im­portante contribution à la connaissance de l'histoire antique. Non point qu'Il faille escompter la découverte de navires chargés d'œuvres d 'art, comme celui qu'avaient reconnu des pêcheurs d'éponges à Mah­dia et qui a enrichi le musée de Bardo, mais les résultats acquis à ce jour. si modestes soient-ils. font bien augurer d'une prospection qui n'en est qU'à ses débuts.

L'archéologie sous-marine doit être protégée. comme l'archéologie terrestre. de façon à ce que le pillage d'épaves ne détruise pas des gise­ments, dont l'intérêt scientifique échappe aux amateurs qui n'ont d'autre but que de prélever un souvenir sur notre patrimoine histori­que ou d'en faire objet de commerce, Une conférence interministé­rielle. en 1951. réunissant quatre ministèI .... l'Education Nationale (Direction de I·Architecture). la Marine marchande (Direction des Affaires économiques et du matériel naval). Les Travaux publics. le Transport et le Tourisme (Direction des Ports maritimes) et les Finan­ees et Affaires économiques (Direction générale des Douanes et droits indirects), a arrêté les mesures propres, dans le cadre de la legislation sur les épaves maritimes, à protéger et sauvegarder les vestiges ayant un intérêt archéologique ou historique.

Tout ce qui est au fond de la mer est soumis à la police de l'Inscrip­tion maritime et la recherche ne peut en être autorisée qu'avec l'ac­cord de la Direction de l'Inscription maritime et de la Direction des Antiquités. qui est désignée pour faire jouer le dIoit de préemption de I·Etat.

Ainsi est née l'Arch/ologie sous-marine. Du golfe du Lion au rocher de Monaco. eUe a déjà ses fervents. affiliés à des clubs. ou chercheurs isolés. qui se partagent en secteurs la côte provençale et ont dressé un programme méthodique de prospection.

POS. - La Société des Amis du Vieil Islres (Président Dr Beau­caire). déjà connue par ses fouiUes terrestres à l'oppidum du Castelan, sur l'étang de I·Olivier. à inauguré la fouille sous-marine à la piocbe. Le groupe a relevé la trace de murs en place dans le golfe, au large du rocher de Saint-Gervais et trouvé dans les alluvions anciennes du lit­toral qui a 9ubi une profonde érosion, des documents importants re­montant à la fin de la République et au début de l'Empire : cérami­que campanienne et arrétine. grauiesenque. lampes. dont un frag. ment de grande lampe à plusieurs becs décorée d 'un pêcheur et d'une Ilrène-oiseau. un skypho. décoré de pampres à émail plombifère du début durer siècle et une m\IgttÜlque appllque d.'lvoire. à tête d'Aphro­dite ; ~alenxent d .. fragment. d·architecture. colonne avec encorbelle­ment pour soutenir la toiture d 'un portique ou une tribune. cancel

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de pierre du IVe--Ve siècle, orné de croix en forme d'étoile, non ajou~ rées, semblable aux: balustrades paléochrétiennes en marbre de l 'ab­baye deSt-Victorde Marseille et, à Rome, du Titulus Aequitii et de la basilique St-Laurent (Dict. Arch. chrétienne, II , c. 1830).

A Port-de-Bouc. la société a sauvé et déposé au centre a rchéologi­que d'Istres des fragments de chapiteau corinthien de marbre et d'un très beau sarcophage hellénistique décoré d 'un candélabre accosté de deux panthères, qui avaient été soulevés du fond de l 'isthme par la dragueuse des Ponts-et-Chaussées.

SANARY. - MM. G. Sérénon et Pihan de la Forest ont repéré par 8 m. de fond, au pied du récif des Magnons, à droite du phare du Rou­veau, des épaves de navires. Ils ont remis au (1 dépôt archéologique li

du château Borély (salle de la Marine) des amphores (type 1 de Dressel) et un collier de plomb, provenant du gréement d'un navire.

HYI1:RES. - Sur le littoral du comptoir massaliote d'Olbia, M. J. Coupry,le découvreur du site gréco-romain. avec le concours du « Club alpin sous-marin» de Cannes, a repéré à 50 m. du rivage les traces d'un môle, de grands blocs architecturaux de pierre et des débris d'hy­pocaustes.

BREGANSON. - Au large de la citadelle de Bréganson qui, de l'épo­que antique au moyen âge, fut un petit port de surveillance et de dé­fenSe de la côte, M. P. Combalot a fait une pêche fructueuse: avec des fragments de terre vernissée de la Renaissance, une épave ensablée de ,l'époque grecque. Il a fait don au musée Borély d'une amphore à bouton, à pâte micacée, de forme sphérique, (haut. 0,44), de fabrica­tion marseillaise, portant sur la panse un graffite VA.

LE LAVANDOU. - Le rocher de la Fourmigue, à 25 m. de fond, est riche en épaves. M. Girault a remonté un jas d 'ancre en plomb, de petit modèle (long. 0,63) , qu'il a remis au musée Borély.

SAINT-TROPEZ. - Le Club alpin sous-marin de Cannes, avec MM. H . Broussard, R. Chaussebourg, J. Chervoz, etc ... , a étudié une épave de blocs de marbre, échouée à 100 m. au Nord du cimetière, par 5 à 6 m. de fond. Les u roues de meule », disaient les pêcheurs, qui avaient signalé ce gisement. L~s plongées et les photographies sous­marines ont révélé qu'il ,s'agissait de tambours de colonnes, en marbre de carrare, de dimension colossale.

Grâce à l 'appui de la Direction des travaux maritimes de Toulon et à l'aimable et bénévole concours de M. J. C. Mullois, directeur des travaux de l'entreprise Dodin, treize blocs ont été remontés et déposés à Saint-Tropez, où ils seront dressés de façon à former un , portique marin » ouvert sur le large: tambours de colonnes de l m. 80 de dia­mètre, bases épannelées comportant une plinthe de 2 m , 70 de lon­gueur, architrave de 5 m . 50 de longueur. L'épave appartient à un navire de commerce qui transportait le matériau de Carrare à des~ tination'"d'une ville de la côte, sans doute Narbonne, où les foullies des Mou1inassés au siècle dernier ont révélé la présence d 'un temple colosaa1, tout de marbre; qu'Aùsone devait citer avec admiration (ds

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L'épave colossale de Saint-Tropez

(C!. M. Vachon)

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"",rmot'e Pario). dans sa description des c Villes célèbres' de la Gaule. C'était le temple provincial d'Auguste relevé après l'incendie de '49, sous Antonin le Pieux, par un armateur narbonnais, ancien affranchi. Sextus F adius S ecundU1i Musa. dont les navires commerçaient avec Rome et Ostie.

Ainsi l'archéologie sous·marine a-t .. Ue réussi, à Saint-Tropez, à mettre au jour les témoins d'un temple qui est resté enseveli à Nar­bonne.

La découverte et l'étude de cette épave de marbre nous intéresse au point de vue archéologique. à un double titre :

Ces blocs constituent un intéressant document pour la connaissance des conditions de transport et de taiUe des matériaux. Epannelés à la carrière, ils étaient taiUés sur le chantier. Les tronçons de colonne, de l m. 80 de diamètre, étaient considérablement réduits à la fiuition, en raison du creusement des canneltUeS; le diamètre de 1 m. 80 pouvait être réduit à l m. 30, qui est le diamètre du tambour de Narbonne. La base est épannelée en .. escalier l, le tore supérieur étant moins sail­lant que le tore inférieur,largement assis sur la plinthe; la longueur de la plinthe est assez voisine des plus grandes plinthes de Rome, qui dépassent 2 m. de longueur.

On retrouve des matériaux présentant un épannelage analogue à Sabrata et à Leptis Magua, en Afrique du Nord, à l'époque d 'Hadrien, le transport de masses aussi considérables n 'étant devenu usuel qu'avec le progrès de la marine au Ile siècle . . L'évaluation prècise du poids de ce chargement, qui provient d'un

seul navire, d'après le relevé fait par le « Club li de Cannes, constitue donc un document capital-le premier - pour l'évaluation du ton­nage d'un navire de commerce d'un armateur gallo-romain, qui dé­passait 150 tonnes. Ce tonnage ne nous étonnera pas, à l'époque anti­que, puisque nous savons que le transport des obélisques rendit né­cessafre la construction de navires pouvant porter des charges de plus de 500 tonnes et que les négociants de marbres, selon Pline, em­ployaient de lourds bateaux construits à cet effet. L'exploration du fond sous-marin, rocheux et peu profond, n'a malheureusement pas permis de retrouver de vestiges qui nous eussent renseignés sur la forme et la dimension du navire. Enfin dans la baie de St-Tropez, M. TinIacheff, aidé du Dr Chénevèe, a retiré de la mer un jas d'ancre en plomb de 2 mètres de longueur.

AGAY-AlITBEOR. - L'épave chargée d'amphores siguaIée en I948, par 2 l m. de fond à l'Est de la balise « La Chrétienne . par M. H. Brous­sard, président du « Club alpin sOus-marin» de Cannes, a malheureuS;e­ment été l'objet de nombreuses prospections et de pUlages. Les am­phores appartiennent au type de la première moitié du premier siècle avant J .-C. Quelques-unes avaient conservé leur fermeture: ainsi que l 'avait x:econnu le premier M. S. Gagnière par la découverte de bou­chons semblables aux Saintes-Maries-de-la-Mer (1) , le col de l 'amphore était fermé par Un bouchon de liège, auquel était superposé un oper­cule portant estampé le nom du négociant. Celui-ci présente, en carac-

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tères osques, la marque de M (ani",) (et) C (aiu$) Lass (i01'Um), c'est­à-dire Manius et Caius de la famille des Lassii. connue au 1er siècle avant J .-C. en Campanie, à Pompéi et à Sorrente.

L'analyse de l'opercule a révélé que celui-ci était en pouzzolam, ce qui confirme l'origine à la fois du vin et du type d 'amphore, si fré-­quent en Gaule.

Mais l 'épave mérite d'être étudiée au point de vue de la forme du navire, du gréement, du mode de chargement. L'analyse d'un clou de cuivre, fait par le Laboratoire central de l'Artillerie navale , montre que celui-ci est en cuivre quasi pur; sa composition est analogue à celle d'un clou du navire de Mahdia, ce qui prouverait la contempo-­ranéité des deux épaves. Par contre, elle s'écarte sensiblement de celle des clous de cuivre de la galère trouvée à Marseille en 1864. rue de la République, dont la teneur, d'après l'analyse faite à la Faculté des Sciences de Marseille, indique une proportion de 8,5 % d'étain. cor­respondant sans doute à une époque moins ancienne, ce qui confirme­rait la date tardive de œtte épave dont E. Duprat niait l'antiquité.

ILE SADlTE-IIlARGUERITE. - M. H . Broussard a relevé à ,so m. à l'Est de l'Ile un jas d'ancre en plomb (. m. oS long.), conservé au c dépôt archéologique. du Club de Cannes.

AlITIBES. - Le Dr Chénevèe a recueilli à l'Est du cap d'J,ntlbes, .ur le haut fond de Pequerolles, par 30 m. de profondeur, près de l'Ilot de la Greuille, un jas d'ancre en plomb de grande dimension (. m. go de longueur), presque aussi massif que œlui de Carry-le-Rouet (2 m. 16 de longueur), conservé au musée Borély, dans la salle de la Marine. Il est décoré de masques de Méduse, sur trois faces, en guise de talis­man protecteur.

Le c Club de la Mer, (Dr J. Piroux) et M. R. Garreau ont établi un programme de recbercbe au large et dans le port d'Antibes.

1II0NACO. - Un lot de bronzes antiques, découverts sur la côte, en des points qui ne sont pas précisés, entre le cap d 'Antibes et Monte­Carlo, a été signalé à Monaco en '949. Il comportait un grand plateau de bronze et un fanal de navire, représentant une tour crénelée, ainsi qu'une panthère, la patte gaucbe levée, remarquable par ses grandes dimensions (0 m. 5r de hauteur et de longueur) et ses mouchetures de cuivre rouge. Acbetée par le Musée de St-Germain-en-Laye, la panthère a été exposée, après décapage, dans la nouvelle oaIle des brot12eS du Musée du Louvre. Il est à souhaiter qu'une recbehle soit faite au point de découverte,'lorsque celle-ci aura été localisée, en vue d'une étude sclentilique de l'épa~ et de l 'exploitation du gisement.

Fernand BENOIT,

Dirlcuur des Antiguith th h<!fllm_.