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HAL Id: tel-02009790 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02009790 Submitted on 6 Feb 2019 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. L’imputabilité en droit pénal Elisabeth Gomez To cite this version: Elisabeth Gomez. L’imputabilité en droit pénal. Droit. Université de La Rochelle, 2017. Français. NNT : 2017LAROD008. tel-02009790

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HAL Id: tel-02009790https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02009790

Submitted on 6 Feb 2019

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

L’imputabilité en droit pénalElisabeth Gomez

To cite this version:Elisabeth Gomez. L’imputabilité en droit pénal. Droit. Université de La Rochelle, 2017. Français.�NNT : 2017LAROD008�. �tel-02009790�

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Université de La Rochelle

École doctorale Droit et Science politique Pierre-Couvrat

Doctorat en droit

Élisabeth GOMEZ

L’imputabilité en droit pénal

thèse soutenue publiquement le 17 novembre 2017 à la Faculté de droit, de science politique et de gestion de La Rochelle

Membres du jury M. Yves MAYAUD Professeur émérite à l’Université Panthéon-Assas (Paris II) Mme Catherine MARIE Professeur à l’Université de La Rochelle Doyen honoraire de la Faculté de droit de La Rochelle Mme Haritini MATSOPOULOU Professeur à l’Université Paris-Sud (Paris XI) M. François ROUSSEAU Professeur à l’Université de Nantes Directeur de thèse M. André GIUDICELLI Professeur à l’Université de Corse Pasquale Paoli Doyen honoraire de la Faculté de droit de La Rochelle

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À mes parents, À Jean-Gérard.

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Je voudrais tout d’abord remercier vivement mon directeur de thèse, André Giudicelli, pour son accompagnement sans faille. J’ai toujours pu compter sur son appui scientifique et son aide bienveillante. Je voudrais aussi lui témoigner ma reconnaissance sincère pour la confiance et la liberté qu’il m’a accordées. Je suis heureuse de pouvoir aujourd’hui les honorer. Je voudrais remercier tous les enseignants-chercheurs de l’Université de La Rochelle et, en particulier, Madame le Professeur Catherine Marie pour sa disponibilité et ses conseils toujours avisés. Au-delà, je voudrais aussi remercier Madame Catherine Marie pour son soutien chaleureux et amical de tous les instants. Un grand merci à Jean-Gérard qui m’a accompagnée jusqu’au terme de cette recherche, à ma famille, avec des pensées spéciales pour mes grands-parents, mes parents, ma sœur, Anne, mon frère, Jean-Pierre, et la merveilleuse jeunesse, Éléonore, Pierre, Édouard, Armand et Gaspard.

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Sommaire –

Introduction

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Partie 1 : L’imputabilité dans la théorie classique de la responsabilité pénale

Titre 1 L’autonomie de l’imputabilité et de la culpabilité entendue strictement 33

Chapitre I Les conditions de l’imputabilité découlant du caractère objectivé de la culpabilité 35

Chapitre II La reconfiguration du champ de la condition de liberté relevant de l’imputabilité 89

Titre 2 La place de l’imputabilité dans la mise en œuvre de la responsabilité pénale 121

Chapitre I L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’élément psychologique de l’infraction 123

Chapitre II La localisation de l’imputabilité et de la culpabilité déterminante de leurs fonctions respectives 171

Partie 2 : L’imputabilité à l’épreuve d’un droit

pénal post-moderne

Titre 1 La montée d’un droit pénal néopositiviste sonnant le glas d’une conception unitaire de l’imputabilité 229

Chapitre I L’objectivation de l’imputabilité en lien avec l’évolution de la responsabilité pénale des personnes morales 231

Chapitre II L’imputabilité en danger au regard de la responsabilité pénale des personnes physiques 277

Titre 2 Pour une cohabitation dédramatisée de l’imputabilité et de la dangerosité dans un droit pénal post-moderne 333

Chapitre I La recherche d’une cohabitation dédramatisée de l’imputabilité et de la dangerosité dans le cadre de la césure du procès pénal 341

Chapitre II L’usage recentré de la dangerosité 379

Conclusion

429

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Principales abréviations –

art. article

Gaz. Pal. La Gazette du Palais

BOMJ Bulletin officiel du ministère de la Justice

J.-Cl. Pénal Juris-Classeur pénal

Bull civ. Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassation

JCP G Juris-Classeur périodique (Semaine juridique), édition générale

Bull. crim. Bulletin des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation

JDI Journal Droit international

C. civ. Code civil

JO Journal officiel

C. pén. Code pénal

L. loi

C. pr. pén. Code de procédure pénale

La Doc. fr. La Documentation française

CA cour d’appel

LPA Les Petites Affiches

Cass. ass. plén. assemblée plénière

obs. observation

Cass. civ. Cour de cassation, chambre(s) civile(s) 1re et 2e

OPJ officier de police judiciaire

Cass. com. Cour de cassation, chambre commerciale

préc. précité

Cass. crim. Cour de cassation, chambre criminelle

QPC question prioritaire de constitutionnalité

Cass. req. Cour de cassation, chambre des requêtes

Rép. pr. civ. Répertoire de procédure civile

Cass. soc. Cour de cassation, chambre sociale

RIDP Revue internationale de droit pénal

CEDH Cour européenne des droits de l’homme

RDP Revue de droit pénal

CJUE Cour de justice de l’Union européenne

RPDP Revue pénitentiaire et de droit pénal

comm. commentaire

RDSS Revue de droit sanitaire et social

Comm. révision Cour de cassation, commission de révision

RSC Revue de science criminelle et de droit comparé

Cons. const. Conseil constitutionnel

RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil

D. : Recueil Dalloz

S. Recueil Sirey

Dr. fam. revue Droit de la famille

somm. sommaire

Dr. pén. revue Droit pénal

t. tome

Dr. soc. revue Droit social

th. thèse

éd. édition

trib. corr. tribunal correctionnel

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Introduction –

« La notion d’imputabilité est peut-être la plus controversée et celle qui est la moins unanimement entendue. »

Éric Lepointe1

La doctrine contemporaine appréhende dans son ensemble la responsabilité pénale comme l’obligation de rendre compte d’un acte délictueux par l’accomplissement d’une peine2. C’est au XVIIIe siècle qu’est apparu, pour la première fois, le terme de responsabilité dans le sens d’« obligation de répondre de ses actes » ou d’en rendre compte3. La notion est le fruit d’une longue évolution. Dans les sociétés archaïques, la responsabilité était d’essence objective et collective. Il n’y avait pas de place pour le concept d’imputabilité, ni même pour celui d’imputation4. Une responsabilité est collective quand un membre du clan ou de la famille peut être amené à répondre du délit commis par l’un d’entre eux. L’auteur du délit n’est pas considéré comme personnellement responsable. Juridiquement, tous les membres du clan sont responsables. Cela signifie que n’importe quel membre du clan offensé pouvait exercer sa vengeance sur n’importe quel membre du clan de l’offenseur. Un exemple d’individualisation balbutiante peut être trouvé, à l’époque romaine, avec la pratique de l’abandon noxal. Pour remédier aux incessantes guerres interclaniques générées par la vengeance privée, le pater familias

5 pouvait remettre au clan de la victime, l’auteur du dommage6. L’action noxale mettait implicitement en œuvre un principe de responsabilité

1. É. LEPOINTE, « Le diagnostic judiciaire des faits justificatifs », RSC 1969., p. 547, no 4. 2. Cf. notamment B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 25e éd., 2017, no 399 ; F. DESPORTES et F. LE

GUNEHEC, Droit pénal général, Corpus droit privé, Economica, 16e éd., 2010, no 427. 3. A. REY (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 2004 ; J. HENRIOT, « Note sur la date et le

sens de l’apparition du mot “responsabilité” », Arch. phil. dr., 1977, t. 22, p. 59 ; M. VILLEY, « Esquisse historique sur le mot responsable », Arch. phil. dr., 1977, t. 22, p. 45.

4. Cf. infra pour la distinction entre les deux notions. 5. À Rome, il existait deux catégories de personnes, les sui juris et les alieni juris. Seul le pater familias était sui juris.

Tous les autres membres de la famille, tant que le père était vivant, étaient des alieni juris (enfants biologiques, enfants adoptés, cousins, esclaves, animaux…).

6. Si, en pratique, c’est uniquement l’auteur qui a commis l’acte répréhensible qui est remis à la victime et, plus précisément, à un autre pater familias, sur le plan des principes, il n’est pas si évident que l’action noxale mette en œuvre une responsabilité individuelle. Cela tient au fait que seul le pater familias est capable juridiquement. Pour cette raison, l’action ne peut directement être exercée contre l’auteur. Lorsque la victime intente l’action, elle commence par interpeller le pater familias, en tant que chef de clan, dans la phase in jure du procès. Avant de remettre le coupable, le pater doit procéder à une cessation de sa puissance sur l’alieni juris – la derelictio. L’acte d’interpellation est le fondement juridique de la deditio – la remise du coupable. Si le pater familias est interpellé, c’est uniquement pour que les liens soient rompus. La derelictio est fondamentale car elle va orienter

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individuelle dans la mesure où l’abandonné noxalement était le véritable auteur de l’acte7. Certes, il ne s’agissait pas à proprement parler d’une responsabilité individuelle et personnelle dans la mesure où, en doit strict, seul le pater familias était un sui juris. L’abandonné noxal, en tant qu’alieni juris, était irresponsable en droit mais responsable en pratique. Ainsi, une place a d’abord été ménagée à la notion d’imputation par le biais de l’individualisation de la responsabilité, l’imputation consistant en une opération purement objective d’attribution de l’infraction au « bon coupable »8. Dans les sociétés archaïques, la responsabilité pénale était en outre doublement objective. En premier lieu, son approche objective résultait du caractère matériel de l’infraction. Seul compte, pendant des siècles, la matérialité de l’acte. À titre d’exemple, l’injuria, dans la loi des XII Tables, correspond à l’acte contraire au droit. L’adage romain, Noxae se obligare, résume cette conception du délit : on ne s’engage pas en raison d’un acte qu’on a commis, on se trouve engagé car l’acte vous désigne par la cause. En d’autres termes, c’est parce qu’il y a un fait qu’il y a un coupable. Par voie de conséquence, l’état d’esprit de l’agent au moment des faits n’avait que peu d’importance. On ne s’intéresse pas de savoir si l’agent a fait preuve d’hostilité ou d’une simple indifférence aux valeurs sociales. Ainsi, l’homicide non intentionnel était réprimé comme le meurtre, tandis que l’homicide volontaire commis en état de légitime défense était réprimé. À l’inverse, la tentative de délit n’était pas punissable. Le droit de l’époque franque très empirique, en rappelant le très ancien droit romain, a fait perdurer l’acception matérielle du délit. D’ailleurs, lorsque, pour remédier à la faida – vengeance privée –, la loi est venue faire obligation au coupable ou à son clan de verser à l’offensé ou à sa famille une composition pécuniaire, le wergeld, son montant s’est trouvé déterminé à partir de critères objectifs9. Le caractère objectif de la responsabilité découlait aussi du fait que la qualité de l’auteur du délit importait peu. La sanction frappait aussi bien l’homme jouissant de toutes ses facultés intellectuelles que celui souffrant de troubles mentaux. On comprend alors que cette dimension doublement objective était à l’origine d’une responsabilité pénale étendue, la sanction pouvant frapper jusqu’aux animaux10. L’influence du christianisme et sa rhétorique du péché, combinées aux philosophies humanistes, vont entraîner l’émergence d’une responsabilité subjective, conditionnée par l’exigence d’une volonté libre. On peut donc considérer que « l’imputation d’une infraction a, d’abord, reposé sur un rapport essentiellement objectif ou matériel, pour, ensuite, s’enrichir

les poursuites. Dès lors qu’elle est accomplie, le pater familias ne peut plus être attaqué (cf. cours de M. Jacques BOUINEAU, Fondements romano-canoniques de la responsabilité, master 2 recherche « Droit de la responsabilité », faculté de droit de La Rochelle, année 2005-2006.

7. Il est vrai que le mouvement ainsi impulsé d’individualisation et, au-delà, de personnalisation de la responsabilité pénale, devait être freiné, par la suite, par la possibilité ensuite offerte au pater familias, pour une raison d’humanité, de chercher à éviter cet abandon par le paiement d’une composition pécuniaire – dénommée « Wehrgeld » dans le royaume romano-germanique ou Mannboetr dans les sociétés scandinaves (cf. cours de M. Jacques BOUINEAU, op. cit.).

8. Cf. infra pour la distinction de la notion de celle d’imputabilité. 9. On ne tenait compte d’aucun autre élément que de la gravité du crime commis et de la qualité de la victime

– par exemple, dans la loi Salique, le Wergeld du Gallo-Romain était la moitié de celui du Franc. 10. Les tribunaux ecclésiastiques ont même condamné des animaux jusqu’au XVIIIe siècle. Le droit romain,

quant à lui, a consacré l’action de pauperie dès l’époque de la loi des XII Tables. Cette action était dirigée directement contre le propriétaire de l’animal sur le fondement d’une sorte de responsabilité du fait des choses. Dès lors, l’animal n’était plus susceptible d’être considéré comme l’auteur d’une infraction quand il causait un dommage, que celui-ci soit matériel ou corporel (cf. cours de M. Jacques BOUINEAU, op. cit.).

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d’une exigence subjective tenant au libre arbitre de la personne humaine »11. L’émergence de la donnée imputabilité a donc succédé à celle d’imputation. Cette succession dans l’apparition des notions contribue à exclure l’existence d’une conception exclusivement objective de l’imputabilité. L’exclusion d’une conception exclusivement objective de l’imputabilité Le législateur ne définit pas la notion d’imputabilité. Tout au plus emploie-t-il le verbe imputer dans un sens comptable12. Le mot imputabilité vient du latin imputare signifiant « porter en compte », « mettre en ligne de compte » ou encore « attribuer »13. Transposée à la matière pénale, l’idée, relativement simple, que l’acte délictueux doit pouvoir être porté au compte de l’agent n’exclut pas un certain nombre de difficultés. La première difficulté, qui découle de l’éclairage étymologique du terme « imputabilité », est relative aux conditions dans lesquelles un acte délictueux doit pouvoir être porté au compte de l’agent. Or, précisément, ces dernières ne sont pas unanimement entendues par la doctrine, ce qui donne lieu à des incertitudes sur les frontières de l’imputabilité14. Une certaine unanimité se dégage cependant pour considérer qu’à l’égard des personnes physiques, l’imputabilité ne saurait se réduire à une simple relation de cause à effet entre l’acte pénalement répréhensible et un individu considéré. En effet, la doctrine « a pris l’habitude de regrouper sous cette notion les conditions qui intéressent l’aptitude de l’agent à se voir reprocher une infraction »15. Ainsi, aux termes de la conception d’essence classique de l’imputabilité pénale16, un acte délictueux est imputable dès lors que l’agent a agi « avec une intelligence lucide et une volonté libre »17. Elle ne saurait donc être confondue avec la notion d’imputation qui, dans une acception étroite, s’entend d’« une opération purement matérielle de rattachement de l’infraction à un agent »18. L’imputation correspondrait, quant à elle, à « l’opération objective d’attribution d’un fait illicite à une personne »19. C’est cette acception étroite de l’imputation qui sera retenue dans le cadre de cette étude20. Si les deux termes dérivent du verbe imputer, en renvoyant l’un comme l’autre au fait d’attribuer un fait ou une chose à une personne afin d’en rendre compte, il sera considéré que le droit pénal retient plutôt une conception étroite de l’imputation, donc objective, et appréhende l’imputabilité par son versant subjectif.

11. F. ROUSSEAU, L’imputation de la responsabilité pénale, Dalloz, 2009, no 5, p. 8. 12. Cf. par exemple, C. pén., art. 131-32 pour le calcul de la durée d’interdiction de séjour lorsqu’elle est

accompagnée d’une peine privative de liberté. 13. A. REY (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, op. cit. 14. En référence à A. GIUDICELLI, « Incertitudes sur les frontières de l’intention », in Dix ans après la réforme de

1994, quels repères dans le code pénal ?, travaux de l’Institut de sciences criminelles de Poitiers, t. XXIV, Cujas, 2005.

15. F. ROUSSEAU, L’imputation de la responsabilité pénale, op. cit., no 6, p. 9. 16. Par opposition à la conception civiliste majoritaire de l’imputabilité qui la réduit à la seule exigence du

discernement, sans égard à un quelconque élément de volonté. 17. J.-M. AUSSEL, « La contrainte et la nécessité en droit pénal », in G. STÉFANI (dir.), Quelques aspects de l’autonomie

du droit pénal. Études de droit criminel, Dalloz, 1956, p. 256, no 6. 18. F. ROUSSEAU, L’imputation de la responsabilité pénale, op. cit., no 6, p. 9. 19. Ibid., no 7, p. 11. 20. Cette acception étroite de l’imputation ne condamne pas la notion à la marginalisation. En effet, dans la

seconde partie de cette étude, nous tenterons d’établir le renouveau de l’imputation à la faveur de l’évolution de la responsabilité pénale des personnes morales vers l’autonomie. Certains auteurs, à l’instar de François Rousseau, considèrent, à l’inverse, qu’il est permis de retenir une conception large de l’imputation, cette dernière, en présentant une facette subjective, absorberait alors le concept d’imputabilité.

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L’imputation se limitera à l’action d’imputer sans inclure la dimension de reproche possible. Quant à l’imputabilité, elle s’entendra, à l’inverse d’« une opération essentiellement subjective, qui dépend de la capacité de comprendre et de vouloir de l’agent ou, autrement dit, de son libre arbitre, permettant de lui reprocher la commission d’une infraction »21. Si l’enjeu de cette recherche n’est pas dans l’identification des deux composantes de l’imputabilité, ces dernières faisant aujourd’hui l’unanimité, il importera cependant d’en préciser le sens. L’acception subjective de l’imputabilité confirmée par l’analyse de ses conditions traditionnelles : la capacité de comprendre ou l’exigence de discernement et la volonté libre En l’absence de définition du législateur, il est possible de se tourner vers les articles 122-1 et 122-8 du Code pénal. En vertu de l’article 122-1, alinéa 1er du Code pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. » Ainsi, la condition de discernement est appréhendée par la négative et par le biais de son origine consistant dans l’existence, ou plutôt l’absence, de troubles psychiques ou neuropsychiques. L’ancien Code pénal se référait à la notion de démence. Dans l’esprit des rédacteurs du Code pénal de 1810, elle s’apparentait à l’aliénation mentale, en d’autres termes, à la folie. La jurisprudence, au diapason, considérait que la notion de démence devait être largement comprise en incluant les diverses formes d’aliénation mentale. L’imprécision de la notion, peu scientifique, a cependant conduit à son abandon lors de l’adoption du Code pénal de 1994. Toutefois, les rédacteurs du « nouveau » Code pénal ne sont pas parvenus à donner un nom commun aux différentes formes de maladies mentales susceptibles d’abolir le discernement. Pour cette raison, ils ont préféré parler de troubles psychiques ou neuropsychiques en retenant pour critère les effets produits par toute forme de démence. En d’autres termes, ce qui importe est de savoir si les facultés mentales de celui qui a agi étaient ou non affectées au moment de l’acte et, dans l’affirmative, de déterminer le degré de cette affectation. Peu importe la forme et la nature du trouble22. On ne peut qu’approuver un tel choix législatif dans la mesure où la discussion sur l’imputabilité ne saurait se circonscrire à un diagnostic ou à une exclusion de pathologie mentale avérée. Il semble plus fécond d’étudier les caractéristiques psychiques d’un individu. En effet, rattacher la criminalité à une structuration psychotique n’a aucune base scientifique. Il existe des structures psychotiques qui restent stables toute leur vie, du moment qu’elle ne fait pas intervenir d’éléments trop déstabilisants23. À titre d’exemple, les passages à l’acte criminel ne sont pas fréquents chez les schizophrènes, y compris au moment de leurs délires. Il importe aussi de distinguer les troubles psychiques des troubles de la personnalité ou du comportement. Ces derniers, en

21. F. ROUSSEAU, L’imputation de la responsabilité pénale, op. cit., no 6, p. 9. 22. Le trouble mental peut consister en une maladie de l’intelligence congénitale, consécutive à une maladie, à

un accident. 23. De nombreux psychanalystes dans la continuité de Mélanie Klein, John Bowlby, Donald Winnicott, Michael

Balint, Joyce Mac Dougall, Michèle Monjauze, chacun à sa manière, ont affirmé, à partir d’observations cliniques, que nous avons tous une part psychotique dans notre fonctionnement psychique.

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étant susceptibles d’accroître considérablement la dangerosité de l’individu24, ne doivent pas être mis en relation avec l’existence d’une pathologie mentale avérée. D’ailleurs, dans la mesure où ils ne se manifestent pas sous la forme de délires pouvant faire perdre toute conscience rationnelle à l’individu, ces troubles ne peuvent en aucun cas abolir son discernement ou sa responsabilité25. Par exemple, des troubles du comportement de nature sexuelle sont particulièrement apparents dans le cas de certains pédophiles. Finalement, la problématique de la distinction entre troubles psychiques ou neuropsychiques et troubles de la personnalité ou du comportement est éludée par la prise en compte des seuls effets du trouble sur l’existence du discernement de l’agent. La seule exception à la prise en compte des effets du trouble consiste dans l’engagement de la responsabilité pénale de l’agent lorsque l’abolition du discernement est consécutive à une intoxication volontaire26. Finalement, on ne peut qu’approuver un tel choix législatif dans la mesure où la discussion sur l’imputabilité ne saurait se circonscrire à un diagnostic ou à une exclusion de pathologie mentale avérée. Il semble plus fécond d’étudier les caractéristiques psychiques d’un individu, celles qui peuvent atténuer ou, au contraire, aggraver la responsabilité. L’article 122-1, alinéa 1er évoque aussi le trouble mental privant l’individu du « contrôle de ses actes ». La nuance ainsi introduite a pour but d’écarter de la sphère pénale des individus qui, tout en comprenant ce qui leur arrive, ne parviennent pas à se dominer. À l’instar d’Emmanuel Dreyer, on peut « douter de l’utilité d’une distinction aussi scrupuleuse »27. En effet, ne faut-il pas considérer que « l’hypothèse du trouble psychique ou neuropsychique privant un individu du contrôle de ses actes sans abolir son discernement relève plutôt de la contrainte morale »28 ? De la même manière, il convient de distinguer entre les troubles mentaux et les troubles du comportement et de la personnalité qui sont quant à eux susceptibles d’accroître considérablement la dangerosité de l’individu29. Finalement, il semble permis d’avancer, sur le fondement de l’article 122-1, que le discernement procède d’une acception scientifique et consiste, dans son versant positif, dans la faculté d’interpréter ses actes dans la réalité. En vertu de l’article 122-8, alinéa 1er du Code pénal : « Les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils ont été reconnus coupables, dans des conditions fixées par une loi particulière qui détermine les mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation dont ils peuvent faire l’objet. » Si le législateur fait du discernement du mineur une condition à l’engagement de sa responsabilité pénale, il ne définit pas plus la notion, que l’on considère l’article 122-8 ou la « loi

24. Cf. infra, partie 2, titre 2, chapitre II pour le lien établi entre l’existence de troubles du comportement ou de

la personnalité et la dangerosité sociale d’un individu considéré. 25. Il n’est même pas certain qu’une simple altération du dicsernement soit envisageable en pareilles hypothèses. 26. La Cour de cassation considère que l’influence de l’ivresse sur la responsabilité pénale est une question de

fait laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond (cf. par exemple Cass. crim., 14 nov. 1924, Bull. crim., no 381 ; 11 mars 1958, Bull. crim., no 238 ; 5 févr. 1957, Bull. crim., no 112, RSC, 1958, p. 93, obs. A. LEGAL ; Cass. crim. 22 sept. 1999, Bull. crim., no 197, RSC, 2000, p. 386, obs. B. BOULOC. Cf. également B. BOULOC et H. MATSOPOULOU, Droit pénal et procédure pénale, Sirey, coll. « Intégral concours », 20e éd. 2016, nos 218 et suiv. Nous tenterons d’établir que le maintien de la répression tient, dans cette hypothèse, au rattachement de la faute de l’agent à l’imputabilité (cf. infra).

27. E. DREYER. Droit pénal général, Droit pénal général, Litec, 2016, 4e éd., 792, p. 603, no 785, p. 571. 28. Loc. cit. Cf. également partie 1, titre 1, chapitre II : « La reconfiguration du champ de la condition de liberté

relevant de l’imputabilité». 29. Cf. infra, partie 2, titre 2, chapitre II.

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particulière » visée par le texte et qui consiste dans l’ordonnance no 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. S’il découle de ces articles que la minorité soulève la question de l’existence du discernement, on retient que « le critère rigide de l’âge »30 n’a été retenu par le législateur pour déterminer l’existence du discernement. De ce point de vue, la jurisprudence rappelle régulièrement l’insuffisance du critère de l’âge pour apprécier le discernement. Par exemple, La première chambre civile, dans un arrêt du 18 mars 2015, a considéré, au visa des articles 388-1 du Code civil et 388-4 du Code de procédure civile, que devait être cassée la décision d’une cour d’appel qui refuse l’audition d’un enfant mineur en se bornant à se référer à l’âge du mineur, sans expliquer en quoi celui-ci n’était pas capable de discernement31. En vertu de l’article 388-1 du Code civil : « Dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet. » Par ailleurs, en application de l’article 338-4 du Code de procédure civile : « Lorsque la demande est formée par le mineur, le refus d’audition ne peut être fondé que sur son absence de discernement ou sur le fait que la procédure ne le concerne pas. » On peut vérifier que la loi a fait le choix de ne préciser aucun âge minimum et se contente d’exiger que l’enfant soit en capacité de comprendre les échanges qui pourront être effectués, qu’il soit « capable de discernement » selon les termes de l’article 388-1 du Code civil. Cependant, le discernement ne fait pas plus l’objet d’une définition légale. En outre, les critères dégagés par la jurisprudence ne permettent pas d’en avoir une vue très claire. Comme le relève Mehdi Kebir, « c’est pour pallier cette difficulté que les juridictions du fond ont tendance à se fonder sur la seule considération de l’âge de l’enfant pour conclure à l’absence de discernement de ce dernier »32. Alors que l’on présente souvent l’âge de 7 ans comme l’âge de raison, la chambre criminelle de la Cour de cassation vient implicitement d’approuver les juridictions du fond d’avoir condamné du chef d’agressions sexuelles aggravées un mineur âgé de 10 ans33. Finalement, il est permis de considérer que le discernement ne procède pas d’une acception morale, comme nous y invitent certaines définitions doctrinales en application desquelles il consisterait à discerner le bien du mal. La révolution du jus naturaliste34 a consisté à rompre, au nom de la raison, avec le modèle scolastique – associant dogmes chrétiens et philosophie

30. Cf. résumé de la thèse de Carmen Montoir, Les principes supérieurs du droit pénal des mineurs délinquants, thèse

Paris-II, 2014. 31. Cass. civ. 1re, 18 mars 2015, no 14-11.392, Bull. I 2015, no 58 ; Dalloz act., 8 avr. 2015, obs. M. KEBIR. Dans

cette affaire, un juge aux affaires familiales avait fixé la résidence d’un enfant chez sa mère et aménagé le droit de visite et d’hébergement du père. Au cours d’une instance d’appel, l’enfant avait demandé une audition à la juridiction mais celle-ci rejeta la demande au motif, d’une part, que cet enfant n’était âgé que de 9 ans et n’était donc pas capable de discernement et, d’autre part, que la demande apparaissait contraire à son intérêt. À l’issue d’un pourvoi formé à l’encontre de cette décision, la Cour de cassation décide de censurer les juges du fond au visa des articles 388-1 du Code civil et 338-4 du Code de procédure civile. Rappelant qu’il résulte de ces textes que, lorsque la demande est formée par le mineur, le refus d’audition ne peut être fondé que sur son absence de discernement ou sur le fait que la procédure ne le concerne pas, la Cour de cassation reproche à la cour d’appel de s’être bornée à se référer à l’âge du mineur, sans expliquer en quoi celui-ci n’était pas capable de discernement. La cour d’appel s’était donc prononcée par un motif impropre à justifier le refus d’audition.

32. M. KEBIR, « Audition de l’enfant : insuffisance du recours à l’âge pour apprécier le discernement », Dalloz act. 8 avr. 2015. Cf. également sur ce point, A. GOUTTENOIRE, Rép. pr. civ., vo Mineurs, nos 34 et suiv.

33. Cass. crim., 8 juin 2017, no 16-83.345, à paraître au bulletin. 34. Révolution représentée par l’École de droit naturel moderne, à l’âge classique, XVIIe et XVIIIe siècles.

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traditionnelle – hérité du Moyen Âge35. Le Moyen Âge avait vu l’apogée du droit canon36. Le droit canonique et la notion corrélative de pêché, en contribuant à la spiritualisation de la responsabilité pénale, ont imprégné le droit pénal. Les fondements du droit traditionnel étaient donc religieux37. Sous l’influence conjointe du droit naturel et des philosophes du contrat social, il a laissé la place à un droit pénal moderne laïcisé, dont le fondement est la raison et non plus la morale. Aussi, afin de parachever l’une des ruptures épistémologiques du droit, entreprise par la révolution du jus naturaliste, il serait souhaitable d’expurger l’imputabilité de toute référence explicite à la morale en abandonnant les termes de bien et de mal dans la définition du discernement. La référence à ces termes, en plus d’être surannée, ne paraît pas opportune dans une époque où la distinction du droit et de la morale est souvent brouillée ou instrumentalisée. Dans la mesure où la loi peut être perçue comme l’instrument privilégié et opérationnel d’organisation des rapports sociaux38, le bien deviendrait le légal et le mal, l’illégal. Il semble qu’il est temps, pour l’imputabilité, de se défaire de ses oripeaux moraux. Finalement, le discernement procède d’une définition unitaire, la diversité provenant de son origine : soit trouble psychique, soit développement de l’intelligence encore insuffisant. Ensuite, il importe seulement de le quantifier, les deux circonstances précitées étant de nature à empêcher l’agent de se représenter les actes dans la réalité. La notion de volonté est susceptible de se dédoubler en un aspect objectivé et en un aspect subjectif. Plus particulièrement, elle se prête à une double approche à la fois « réaliste » et « qualitative ». Nous verrons que si cette dernière approche, en renvoyant à l’exigence d’une volonté libre, se rattache à la notion d’imputabilité, la première relève en revanche du domaine de la culpabilité39. Cette approche dichotomique de la volonté repose sur l’autonomie de l’imputabilité par rapport à la culpabilité, entendue comme élément psychologique de l’infraction. Au-delà même de ce postulat, nous écarterons ce que l’on pourrait appeler la conception dualiste de l’élément psychologique de l’infraction. Dans le prolongement de l’acception subjective de l’imputabilité, il est permis de soutenir qu’elle procède d’une conception étroite. Elle ne saurait voir le champ de ses conditions étendu par le rattachement des faits justificatifs dont l’essence objective est établie. L’exclusion d’une conception large de l’imputabilité supposant un rattachement des faits justificatifs La distinction, fait justificatif/cause de non-imputabilité, paraît évidente à la lecture des traités et manuels. Pourtant un doute découle de la présentation par le Code pénal de l’ensemble des causes d’exonération de la responsabilité pénale dans un chapitre unique intitulé « Des causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité ». Les causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité sont listées les unes à la suite des autres

35. Cf. « Prologue », in M. MASSE, J.-P. JEAN et A. GIUDICELLI (dir.), Un droit pénal postmoderne ? Mise en perspective

des évolutions et ruptures contemporaines, PUF, coll. « Droit et Justice », 2009, p. 20. 36. Les décisions de l’assemblée des évêques, le concile œcuménique, portaient le nom de « canons ». 37. Cf. « Prologue », in M. MASSE, J.-P. JEAN et A. GIUDICELLI (dir.), Un droit pénal postmoderne ? Mise en perspective

des évolutions et ruptures contemporaines, op. cit., p. 21. 38. Notamment parce que la loi est l’expression sacralisée de la volonté générale (cf. ibid). 39. Cf. infra, partie 1, titre 1 : « L’autonomie de l’imputabilité et de la culpabilité entendue strictement ».

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par les articles 122-1 à 122-940 du Code pénal, sans qu’une classification particulière ne soit mise en évidence. En d’autres termes, le Code pénal n’utilise pas les expressions de « fait justificatif » ou de « cause de non-imputabilité ». Il traite « pêle-mêle »41 de tous les moyens de défense dans les articles 122-1 et suivants du Code pénal. Une aide à la catégorisation pouvait être trouvée dans l’ancien article 64 du Code pénal qui disposait : « Il n’y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action, ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister. » Ce dernier invitait donc à réunir sous la même bannière l’absence de discernement et la contrainte. Le fait est que la présentation actuelle des causes d’exonération masque la spécificité des causes d’irresponsabilité. Or, on sait qu’il est de coutume de les diviser en deux catégories, les faits justificatifs ou causes objectives d’irresponsabilité d’une part, et les causes de non-imputabilité ou causes subjectives d’irresponsabilité d’autre part. Comme leur dénomination doctrinale invite à le penser, les faits justificatifs suppriment, sous certaines conditions, le caractère infractionnel d’un comportement. Bien que leur incidence sur les éléments constitutifs de l’infraction ait fait l’objet de nombreuses controverses doctrinales42, la majorité des auteurs rattachent les faits justificatifs à l’élément légal de l’infraction qu’ils neutralisent43. Ils font obstacle à la qualification pénale des faits. Traditionnellement, on dénombre au rang de ces causes objectives d’exonération de la responsabilité pénale la légitime défense44, l’état de nécessité45, l’ordre ou l’autorisation de la loi46 et le commandement de l’autorité légitime47. Il est permis de signaler la création récente du « fait justificatif d’homicide ou de blessures »48. À la différence des faits justificatifs, les causes de non-imputabilité n’ont pas pour effet de neutraliser l’élément légal, l’acte demeure en lui-même délictueux : si l’agent échappe à toute sanction, c’est parce que l’infraction qu’il a commise ne peut être mise sur son compte, en raison d’une circonstance qui lui est personnelle. Il peut s’agir d’un trouble psychique ou neuropsychique49, de sa minorité50 ou d’une contrainte51. La pertinence de cette division bipartite des causes d’exonération de la responsabilité pénale renvoie à la question d’une

40 . Depuis que la loi no 2016-1691 du 9 décembre 2016 a ajouté un fait justificatif concernant les lanceurs d’alerte. 41. C. MARIE, Droit pénal général, Hachette, 2005, no 145, p. 72. 42. La controverse tient notamment au fait que l’existence d’un élément légal est contestée par une partie de la

doctrine – en ce sens R. BERNARDINI, Droit pénal général : introduction au droit criminel, théorie générale de la responsabilité pénale, Gualino, 2003, no 331 ; A. DECOCQ, Droit pénal général, A. Colin, 1971, p. 61 ; F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, op. cit., no 430 ; M.-L. RASSAT, Droit pénal général, Ellipses, 4e éd., 2017, no 86, p. 91 et 92 ; J.-H. ROBERT, Droit pénal général, 6e éd., PUF, coll. « Thémis », 2005, p. 104.

43. Cf. notamment B. BOULOC, Droit pénal général, op. cit., no 406 ; P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 241 ; Y. MAYAUD, Droit pénal général, 5e éd., Paris, PUF, nos 419 et suiv. ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel –Droit pénal général, Cujas 7e éd., 1997, no 438. Un appui à la théorie selon laquelle les faits justificatifs détruisent l’infraction par la neutralisation de son élément légal peut être trouvé dans l’analyse du fait justificatif de l’ordre ou l’autorisation de la loi ou du règlement, prévu à l’article 122-4, alinéa 1er du Code pénal. Ce dernier met en évidence que la violation de la norme pénale peut être légitimée par le législateur.

44. C. pén., art. 122-5 et 122-6. 45. C. pén., art. 122-7. 46. C. pén., art. 122-4, alinéa 1er. 47. C. pén., art. 122-4, alinéa 2. 48. C. pén., art. 122-4-1, créé par la loi no 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé,

le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. 49. C. pén., art. 122-1. 50. C. pén., art. 122-8. 51. C. pén., art. 122-2.

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acception large ou étroite de l’imputabilité. Elle mérite aujourd’hui d’être questionnée en raison de la tendance observée, en jurisprudence à la subjectivisation des faits justificatifs. L’ampleur de ce phénomène, s’il venait à être avéré, ne pourrait-il pas constituer un argument en faveur du rattachement des faits justificatifs à l’imputabilité ? S’agissant des frontières externes de l’imputabilité, une partie de la doctrine oscille en effet entre deux conceptions, le terme pouvant être pris dans un sens étroit ou, au contraire, dans un sens plus large. Une acception large de l’imputabilité, ou plutôt de la non-imputabilité, qui aurait vocation à regrouper sous ce vocable des causes d’impunité extérieures à l’agent, doit, selon nous, toujours être écartée. Il importe donc dans le cadre de cette introduction de justifier cette présentation dichotomique des causes d’exonération de la responsabilité pénale en établissant l’exclusion du rattachement des faits justificatifs aux causes de non-imputabilité. Afin d’établir l’extranéité des faits justificatifs du champ de la non-imputabilité, il importe de souligner la permanence de leur caractère objectif malgré la tendance jurisprudentielle à leur subjectivisation et le développement, en doctrine, d’une argumentation en faveur de leur caractère subjectif. Malgré une approche traditionnellement objective des faits justificatifs, une partie de la doctrine milite en faveur de leur caractère subjectif. Certains auteurs invoquent au soutien de leur argumentation le fondement du mobile légitime. Il faudrait donc tenir compte des mobiles sur le terrain de la justification. Ainsi, c’est précisément le caractère légitime du mobile de l’agent qui ferait réellement disparaître l’infraction 52. Selon Éric Lepointe, l’intérêt de cette analyse est restreint en ce sens qu’elle ne permet pas de dépasser notablement le cadre alors fixé au domaine de la justification, « dans la mesure où la légitimité du mobile dépend, d’après ces auteurs eux-mêmes, soit des prescriptions légales qui leur reconnaîtraient cette qualité, soit de l’inutilité de la répression »53. François Rousseau, qui, dans sa thèse sur L’imputation dans la théorie de la responsabilité pénale, souscrit au fondement du mobile légitime relativement aux faits justificatifs, dépasse cette critique en proposant de sortir du cadre des prescriptions égales. Selon l’auteur, la légitimité du mobile légitime, hors le cas du critère formel, ne peut reposer que sur la volonté de servir l’intérêt social. Or, pour établir la réalité de cette donnée subjective, il propose de recourir aux critères matériels de proportion et de nécessité, qui ne sont rien d’autre que les critères légaux actuels de la justification. Par conséquent, le dépassement des critères actuels n’est qu’apparent. Non seulement la prise en compte de la volonté de servir l’intérêt général ne permet pas de sortir du cadre positif de la justification, mais encore, cette condition reste d’essence purement objective54. Devant le risque d’arbitraire, il n’est pas possible de recourir à des critères subjectifs pour établir la réalité du mobile légitime. François Rousseau exclut même à cet effet toute possibilité d’une appréciation personnelle de la légitimité du mobile. Il démontre qu’elle est à exclure, qu’elle soit personnelle à l’auteur de l’infraction ou au juge, car elle serait dangereuse et source

52. Cf. par exemple J.-P. GAGNIEUR, Du motif légitime comme fait justificatif, thèse, Paris, 1941. 53. É. LEPOINTE, « Le diagnostic judiciaire des faits justificatifs », op. cit.. 54. Cette considération rejoint la démonstration effectuée, dans le cadre de cette étude, selon laquelle la prise

en compte exceptionnelle du mobile dans la définition de l’intention n’est pas de nature à subjectiviser l’élément psychologique de l’infraction en raison, précisément, de l’appréhension objective de la notion de mobile par le législateur (cf. partie 1, titre 1, chapitre I).

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d’arbitraire. Ainsi, non seulement le détour par la notion d’intérêt social ne permet pas d’élargir le champ des faits justificatifs, mais surtout, il permet de confirmer la conception objectiviste de la justification. Un autre argument au caractère subjectif des faits justificatifs réside dans la jurisprudence récente relative à la légitime défense. Elle repose sur la confirmation de la prise en compte de la légitime défense vraisemblable55. L’admission par la Cour de cassation que les conditions de la légitime défense n’aient existé que dans l’esprit de celui qui s’est cru agressé, par la prise en compte de la psychologie de l’agent qu’elle implique, pourrait être de nature à subjectiviser, à tout le moins, le fait justificatif de la légitime défense. Nous allons établir que cette approche jurisprudentielle ne fait en réalité que tamiser l’acception objective des faits justificatifs. Autrement dit, la tendance en jurisprudence à la subjectivisation des faits justificatifs ne constitue pas un obstacle au soutien de leur caractère essentiellement objectif. Pour confirmer la permanence de la conception objective des faits justificatifs, il suffit de garder à l’esprit que la constitution des faits justificatifs se caractérise par la réunion de critères matériels ou objectifs. C’est leur addition qui légitime l’admission de ces causes d’irresponsabilité en venant précisément contrebalancer le choix, effectué en liberté par l’agent, de commettre une infraction. Dans le cas de la légitime défense, il s’agit d’étudier la nécessité et la proportionnalité de l’acte de riposte en le confrontant à l’existence d’un danger actuel ou imminent, autant d’attributs objectifs venant grever l’acte considéré. Ces critères objectifs, matérialisés par les exigences de proportion et de nécessité, transcendent l’ensemble des faits justificatifs, vérifiant ainsi leur nature objective. Ainsi, il en résulte que « le fondement de l’irresponsabilité pénale résultant de la justification ne peut être trouvé au niveau de l’agent. C’est sur l’acte lui-même qu’il faut concentrer l’attention »56. En vertu d’une sorte de parallélisme des formes, cette présentation trouve un écho dans l’analyse des effets des faits justificatifs qui, logiquement, opèrent in rem. En venant neutraliser l’élément légal de l’infraction, ils font perdre aux faits leur qualification juridique, empêchant alors sa

55. Cf. Cass. crim., 8 juill. 2015, no 15-81.916, inédit. La Cour de cassation a décidé qu’est en état de légitime

défense celui qui a pu légitimement penser être l’objet d’une attaque. Dans cette affaire, un salarié avait surpris en pleine nuit deux cambrioleurs qui, armés d’un pied-de-biche, étaient venus forcer l’accès du garage automobile de son employeur, où il occupait lui-même un garage de fonction. Un troisième larron qui attendait ses deux acolytes au volant d’un véhicule commençait à s’enfuir en les laissant sur place, puis, se ravisant, faisait une marche arrière à très vive allure afin de les récupérer. Il devait alors heurter violemment le bardage du garage et, la voiture étant l’arrêt, l’un des deux cambrioleurs s’est penché pour se glisser à l’intérieur par l’ouverture d’une vitre abaissée. Le salarié a alors fait feu et la balle a blessé le conducteur, tandis qu’elle tuait l’individu s’efforçant de remonter dans le véhicule. Poursuivi pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, le salarié a été déclaré pénalement irresponsable par la juridiction d’instruction, sur le fondement de la présomption de légitime défense de l’article 122-6 (1°) du Code pénal. Le pourvoi formé par la partie civile est rejeté par la Cour de cassation au motif que le salarié « a tiré un coup de feu proportionnée à l’attaque dont il pouvait légitimement penser faire l’objet ». Or, le salarié s’étant mépris sur les intentions réelles du conducteur, l’agression était simplement imaginaire. Dans la continuité de décisions anciennes (Cass. crim., 7 août 1873, D., 1873, 1, p. 385 ; Cass. crim., 23 juin 1887, Bull. crim., 1887, no 237), la Juridiction suprême admet toujours que les conditions de la légitime défense peuvent n’avoir existé que dans l’esprit de celui qui s’est cru agressé. Il faut cependant établir que son erreur aurait été semblablement commise par une personne raisonnable placée dans la même situation. Malgré cette condition traditionnelle, une apparence d’agression peut être tenue pour réelle en considération de la psychologie de l’agent. Certains auteurs tirent donc argument de cette jurisprudence en faveur du caractère subjectif des faits justificatifs.

56. E. DREYER, Droit pénal général, Litec, op. cit., no 1191 p. 877.

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caractérisation. L’infraction n’est donc plus constituée pour aucune des personnes impliquées dans sa commission. Les faits justificatifs font ainsi obstacle a priori à la répression d’éventuels complices, indépendamment même de l’analyse de leur psychologie, c’est dire le spectre de l’objectivation. Le caractère objectif de la justification est même exacerbé dans le cas de la légitime défense. En effet, son approche objective apparaît plus prégnante encore en raison des présomptions de l’article 122-6 du Code pénal57. Finalement, il est permis de tirer argument de la création, par la loi no 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, de l’article L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure, dans un chapitre dédié, nouveau lui aussi, intitulé « Règles d’usage des armes ». Derrière la consécration d’un régime unifié d’usage des armes, commun à l’ensemble des forces de l’ordre et distinct de celui du simple citoyen réagissant en état de simple légitime défense, se cache « le fait justificatif d’homicide ou de blessures »58. Cet article autorise les agents à faire usage des armes dans cinq situations dès lors que les conditions d’absolue nécessité ou de stricte proportion seront respectées59. En dehors de la légitime défense (1°), les quatre autres situations permettent l’usage des armes, « et donc le recours à une force possiblement meurtrière, hors légitime défense de soi-même ou d’autrui »60. On pourrait dire, dans ces dernières hypothèses, que l’exonération de responsabilité pénale puisera sa justification, non plus dans des circonstances de légitime défense, mais dans « un climat de légitime défense »61. En d’autres termes, les conditions particulières d’usage des armes retenues par le législateur, hors le cas de la légitime défense proprement dite visée à l’article L. 435-1 (1°) du Code de la sécurité intérieure, conduisent à admettre la légitime défense putative. Un indice était en germe dans

57. En vertu de cet article : « Est présumé avoir agi en état de légitime défense celui qui accomplit l’acte :

1° Pour repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité ; 2° Pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence. »

58. La dénomination de « fait justificatif d’homicide ou de blessures » est empruntée à François Fourment (cf. F. FOURMENT, « La loi no 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique dans ses aspects de droit pénal », Dr. pén., 2017, étude 12).

59. Code de la sécurité intérieure, art. L. 435-1 : « Dans l’exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent, outre les cas mentionnés à l’article L. 211-9, faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée : 1° Lorsque des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d’autrui ; 2° Lorsque, après deux sommations faites à haute voix, ils ne peuvent défendre autrement les lieux qu’ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées ; 3° Lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, ils ne peuvent contraindre à s’arrêter, autrement que par l’usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ; 4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ; 5° Dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsqu’ils ont des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont ils disposent au moment où ils font usage de leurs armes. »

60. Ibid. 61. Cette expression est empruntée à François Fourment (F. FOURMENT, op. cit., no 7).

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l’objet « curieux »62 du nouveau texte qui vise à justifier l’usage d’une arme et non pas l’infraction commise au moyen de cette arme. Il est vrai que l’on pourrait aussi considérer que l’article L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure n’énonce pas des hypothèses particulières de légitime défense, hors le cas du 1°, mais des cas où les forces de l’ordre, parce qu’elles portent des armes, sont autorisées à les utiliser. En d’autres termes, l’article L. 435-1 précité procéderait davantage de l’article 122-4 du Code pénal, en vertu duquel le législateur peut imposer ou autoriser un comportement qui est lui-même incriminé par un second texte. Cependant, cela ne change pas substantiellement l’esprit du texte. Il suffirait alors de considérer que le législateur autorise l’usage des armes, par les forces de l’ordre, dans « un climat de défense ». On parviendrait à la même conclusion selon laquelle la condition d’absolue nécessité et de stricte proportion commune aux cinq cas d’usage des armes visées par l’article L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure apparaît alors comme « de grands mots »63 susceptibles de masquer l’admission, non plus de la seule légitime défense putative, mais, plus largement, de la « défense putative ». Cette circonstance, en indexant possiblement la justification sur ce qui relève du domaine de la supposition, est de nature à accroître plus encore le caractère abstrait des faits justificatifs, au-delà même du seul cas de la légitime défense. La formule de Roger Merle et d’André Vitu selon laquelle les faits justificatifs « sont des circonstances objectives, indépendantes de la psychologie du délinquant, qui désarment la réaction sociale contre l’infraction pénale »64 se trouve donc vérifiée. Cela étant, l’étanchéité de cette frontière externe de l’imputabilité sera néanmoins questionnée, et résolue par la négative, dans le cadre d’une confrontation entre les notions de contrainte morale et d’état de nécessité65. La question du rattachement de l’état de nécessité aux causes de non-imputabilité L’un des principaux arguments plaidant contre la désolidarisation de l’état de nécessité des autres faits justificatifs réside dans la réunion de tous les faits justificatifs sous la bannière de leurs conditions de nécessité et de proportionnalité. Nous tenterons d’établir que cet argument ne saurait résister à l’analyse approfondie de cette cause d’exonération de la responsabilité pénale. En effet, l’étude de la genèse de l’état de nécessité nous amènera à considérer qu’il ne constitue qu’une hypothèse de contrainte morale66. En d’autres termes, il conviendrait de le rattacher aux causes de non-imputabilité existantes. Déjà Paul Cuche, en son temps, regroupait l’étude de la contrainte et de l’état de nécessité qu’il rattachait à l’élément psychologique de l’infraction, tandis qu’il logeait les faits justificatifs dans l’examen de l’élément légal67. Il est intéressant de constater que l’auteur associait la contrainte et l’état de nécessité tandis qu’il désolidarisait l’état de nécessité des autres faits justificatifs. D’ailleurs, d’autres indices plaident, a priori, pour le rattachement de l’état de nécessité aux causes de

62. Cette expression est empruntée à Olivier Décima relativement à l’introduction de l’article 122-4-1 du Code

pénal par la loi du 3 juin 2016 (O. DECIMA, « Terreur et métamorphose – À propos de la loi no 2016-731 du 3 juin 2016 sur la lutte contre le terrorisme », D., 2016, p. 1826, spéc. p. 1829).

63. F. FOURMENT, op. cit. 64. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit.,

no 431. 65. Cf. partie 1, titre 1, chapitre II. 66. Ibid. 67. P. CUCHE, Précis de droit criminel, Dalloz, coll. « Précis », 1re éd., 1925.

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non-imputabilité. L’un d’eux peut être puisé, en dehors du domaine du droit pénal, du côté des règles relatives à la responsabilité civile. L’état de nécessité ne supprime pas la responsabilité civile, contrairement aux autres faits justificatifs. Il partage cette singularité avec le trouble mental, au sujet duquel la doctrine s’accorde quasi unanimement à considérer qu’il constitue une cause de non-imputabilité. Un argument d’ordre pénal, de droit positif, plaide aussi en faveur de la dimension subjective de l’état de nécessité. Il consiste dans le fait qu’à la différence des « autres » faits justificatifs, il suppose, pour être admis, l’absence de faute antérieure de l’agent. Certes, il s’agit d’une condition jurisprudentielle, et non légale, à l’admission de l’état de nécessité. Cependant, il est incontestable qu’elle implique une prise en compte plus approfondie de la psychologie de l’agent. Finalement, au-delà même de la redéfinition du champ de la liberté psychologique mobilisée dans la définition de l’imputabilité, c’est tout le champ de la liberté relevant de l’imputabilité qui sera reconfiguré, comme en témoignera le rattachement de la liberté de mouvement à la caractérisation de l’infraction68. De fait, l’imputabilité n’est pas susceptible de regrouper l’ensemble des causes d’exonération de la responsabilité pénale. Elle procède bien d’une acception étroite d’essence subjective. Une fois ce postulat établi, l’un des enjeux de cette étude va consister à déterminer la place de l’imputabilité. Il s’agit plus précisément de déterminer si elle entre ou non dans la constitution de l’infraction. Si cet élément est de nature, en creux, à participer de l’édification d’une théorie générale de l’infraction69, il est aussi susceptible de déterminer le potentiel de l’imputabilité à assumer les défis de l’entrée dans un droit pénal post-moderne. Afin d’en prendre la mesure, il importe préalablement de faire le point sur la donnée infractionnelle, afin d’en cerner les contours. La potentialité d’une inclusion de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction Afin de pouvoir considérer cette potentialité, une nouvelle distinction s’impose concernant les notions d’incrimination et d’infraction, dans la mesure où l’imputabilité ne saurait entrer dans la constitution de l’incrimination. La responsabilité pénale présuppose l’existence d’une infraction. Bien que constituant la pierre angulaire de la responsabilité pénale, elle n’est pas plus définie par le législateur contemporain. Elle s’entend unanimement en doctrine comme tout fait interdit par la loi pénale sous la menace d’une peine70. La notion doit cependant être distinguée de celle d’incrimination. Cette distinction entre les notions d’infraction et d’incrimination est établie en particulier par Jacques-Henri Robert, qui considère que l’incrimination s’entend de la description abstraite d’un comportement interdit par la loi pénale et sanctionné d’une peine, tandis que l’infraction renvoie, quant à elle, au comportement concrètement réalisé par le

68. Cf. partie 1, titre 1, chapitre II. 69. Cette notion n’étant, pas plus que l’imputabilité, définie par le législateur. 70. Cf. notamment R. BERNARDINI, Droit pénal général : introduction au droit criminel, théorie générale de la responsabilité

pénale, op. cit., no 326 ; B. BOULOC, Droit pénal général, op. cit., no 98 ; P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 215 ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 383 ; Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., 2015, no 162.

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délinquant et qui trouble l’ordre social71. Dans le cadre de cette appréhension duelle du fait pénalement répréhensible, il faut alors considérer que c’est l’infraction concrètement commise qui est soumise à la connaissance du juge. On comprend aussi aisément que l’imputabilité, en tant que postulat métaphysique renvoyant à la notion de libre arbitre72, ne saurait, en aucun cas, être une composante du concept d’incrimination. L’un des enjeux de cette étude consistera à tenter d’établir qu’elle ne peut pas plus être regardée comme une donnée de l’infraction concrètement commise. En d’autres termes, bien qu’une partie de la doctrine considère que l’analyse des faits et celle de l’imputabilité soient indissociablement liées, il conviendra en premier lieu d’établir qu’il est possible de caractériser l’existence d’une infraction divisée en éléments constitutifs, avant de s’intéresser à l’imputabilité de l’agent, en tant qu’élément extérieur à l’infraction concrètement réalisée73. Si l’argumentation de la doctrine partisane d’une imbrication des faits délictueux et de l’imputabilité repose pour l’essentiel sur le fait que l’appréciation de l’imputabilité de l’agent doit être circonscrite au moment des faits

74, la démonstration du décloisonnement possible de l’imputabilité du temps de l’action ouvrira la voie à la caractérisation de l’existence d’une infraction indépendamment de la donnée imputabilité75. Cette question de l’intégration de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction est d’une importance technique considérable, car si elle conditionne nombre d’institutions fondamentales du droit pénal, à l’instar de la question de la complicité, elle détermine aussi la faculté du droit pénal à s’adapter aux évolutions contemporaines de la discipline76. Dans le prolongement de ce développement, on comprend qu’il importera de déterminer l’intégration ou non de l’imputabilité dans la constitution de l’élément psychologique de l’infraction. Pour ce faire, il convient préalablement de préciser la structure de l’infraction, en confirmant l’existence d’un élément psychologique. Initialement, cette structure procédait d’un concept purement objectif, se résumant à la commission d’un acte matériel pénalement répréhensible77. Seule comptait la matérialité du fait. Le but était de réprimer un fait perturbant l’équilibre social. Par la suite, différentes théories des éléments constitutifs de l’infraction ont vu le jour, à l’exemple de la théorie de Raymond Garraud et de son analyse quadripartite de l’infraction78. Cette dernière avait cependant peu de chance de prospérer en raison du caractère trop ambitieux du concept d’infraction et des conséquences « absurdes » qui en découlaient. Comme le relève Jacques-Henri Robert, « le droit pénal général se trouve contenu tout entier dans les éléments constitutifs de l’infraction »79. Dans le premier quart du XXe siècle, une désaffection passagère de la doctrine pour la notion même d’élément constitutif de l’infraction a pu être observée. Ainsi, la majorité des ouvrages rédigés entre 1900 et 1925 devaient reprendre la distinction

71. Cette distinction entre les notions d’infraction et d’incrimination est établie par J.-H. Robert

(cf. J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, 6e éd., 2005, p. 103 et suiv.). 72. Cf. infra. 73. Cf. infra, partie 1 : « L’imputabilité dans la théorie classique de la responsabilité pénale ». 74. En référence aux termes employés dans l’article 122-1 du Code pénal. 75. Cf. infra, partie 1 : « L’imputabilité dans la théorie classique de la responsabilité pénale ». 76. Cf. infra, partie 2 : « L’imputabilité à l’épreuve d’un droit pénal post-moderne ». 77. Cf. supra. 78. Cf. R. GARRAUD, Précis de droit criminel, Paris, Larose, 1re éd., 1881 et R. GARRAUD, Traité théorique et pratique

de droit pénal français, 1re éd., 1888-1894. 79. J.-H. ROBERT, « L’histoire des éléments de l’infraction », RSC, 1977, p. 280.

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opérée par Ortolan entre l’étude de l’action et celle du délinquant80. Cependant, l’exclusion de toute « psychologie criminelle » du champ de l’infraction devait condamner à terme cette conception. Aujourd’hui, la doctrine est unanime sur le fait qu’elle se subdivise en éléments constitutifs. En ce qui concerne la structuration de l’infraction en éléments constitutifs, elle est accréditée par un certain nombre de dispositions législatives comme jurisprudentielles. Quant à la nature mixte de l’infraction, à la fois objective et subjective, elle ne peut pas plus être contestée. On peut d’abord citer l’article 111-3 du Code pénal qui utilise le pluriel quand il dispose que « nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi ». L’expression « éléments constitutifs » figure également dans de nombreux arrêts81. L’article 121-3 du Code pénal, créé par le Code pénal de 1994, invite, quant à lui, à considérer l’existence d’un élément psychologique en définissant l’intention ou l’imprudence exigée par le texte d’incrimination. Ainsi, pour qu’une infraction soit juridiquement constituée, un élément psychologique est nécessaire. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs affirmé que « s’agissant des crimes et délits, la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d’actes pénalement sanctionnés »82. À ce stade du raisonnement, il importe de préciser le sens juridique de la culpabilité retenu dans le cadre de cette étude. Le terme sera employé en tant que synonyme d’« élément psychologique de l’infraction ». Une justification à la définition restrictive de la culpabilité peut être trouvée grâce à son étymologie. Le terme « culpabilité » vient du latin culpa, signifiant « faute »83. Cette dernière, en évoquant la faute intentionnelle et la faute non intentionnelle, invite à une acception étroite de la culpabilité84. À ce stade, et dans le cadre de cette recherche, nous préfèrerons parler d’« élément psychologique » plutôt que d’« élément moral » afin, notamment, de signifier la laïcisation de la responsabilité pénale – en d’autres termes, afin d’éviter toute interférence entre le doit et la morale. On peut donc considérer que l’infraction comporte au moins deux éléments constitutifs, soit un élément matériel (acte pénalement répréhensible) et un élément psychologique (culpabilité). La majorité de la doctrine ajoute à ces éléments un élément légal afin de rappeler la nécessité d’un texte d’incrimination. Une minorité d’auteurs préfèrent ajouter un élément injuste85. Dans le cadre de cette

80. Parmi les auteurs ayant refoulé la notion d’éléments constitutifs de l’infraction, on peut citer Georges Vidal

(G. VIDAL, Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, A. Rousseau, 6e éd., 1921), mais surtout Degois (C. DEGOIS, Traité élémentaire de droit criminel à l’usage des étudiants en droit de deuxième année, Dalloz, 1re éd., 1911), Jean-André Roux (J.-A. ROUX, Cours de droit pénal et de procédure pénale, Tenin, 1re éd., 1920) et, en Belgique, Fernand Thiry (F. THIRY, Cours de droit criminel, Liège, A. Desoer, 3e éd., 1909).

81. Cass. crim., 24 sept. 2008, no 08-80856, inédit Dr. pén. 2008, comm. 139, obs. M. VÉRON ; Cass. crim., 17 sept. 2003, no 03-80524 Bull. crim., 2003, n° 165 ; Dr. pén. 2004, comm. 5, obs. M. VERON.

82. Cons. const., 16 juin 1999, n° 99-411 DC, D., 1999, p. 589, note Y. MAYAUD. 83. Cf. A. REY (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, op. cit. 84. Cf. en ce sens, R. BERNARDINI, Droit pénal général, op. cit., nos 406 et 407 ; B. BOULOC, Droit pénal général,

op. cit., no 400 ; P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, op. cit., no 375 ; Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 217 ; M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit., no 312, p. 339. Certains auteurs voient toutefois dans la référence à la faute la vraisemblance d’une acception large de la culpabilité incluant également la participation matérielle de l’agent à l’infraction – en ce sens, P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, op. cit., no 375 ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 522.

85. Dans le sillage de l’analyse, Raymond Garraud qui retenait, quant à lui, une analyse quadripartite de l’infraction. Il ajoutait un élément injuste qui peut s’analyser en une atteint portée à un intérêt protégé par une norme extra-pénale dans des hypothèses où celle-ci est applicable, étant précisé que si la norme pénale s’entend d’une norme qui se contente d’édicter une sanction pénale, la norme extra-pénale établit quant à elle pour les citoyens une obligation ou une interdiction de façon à leur imposer le respect d’un intérêt

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recherche, nous raisonnerons sur une division de l’infraction en trois éléments constitutifs : un élément légal, un élément matériel et un élément psychologique. L’un des enjeux de cette étude consistera à déterminer si l’élément psychologique de l’infraction procède d’une conception unitaire ou dualiste. En d’autres termes, il s’agira de déterminer si la culpabilité doit être entendue largement ou strictement. C’est autrement poser la question de l’intégration de l’imputabilité dans la constitution de l’élément psychologique de l’infraction. La potentialité d’un dédoublement de l’élément psychologique de l’infraction Le caractère subjectif des composantes de l’imputabilité invite, si ce n’est à une confusion des notions de culpabilité et d’imputabilité, à tout le moins, à envisager une conception dualiste de l’élément psychologique de l’infraction. La détermination des frontières internes de l’imputabilité questionne la répartition controversée des données psychologiques de la responsabilité pénale en deux réceptacles distincts, la culpabilité entendue comme élément psychologique de l’infraction d’une part, et l’imputabilité, d’autre part. La lecture de la doctrine passée témoigne de l’extrême difficulté liée au placement de la frontière séparant l’élément psychologique et la théorie de la responsabilité pénale. L’ancien Code pénal ne traitait des données psychologiques de la responsabilité pénale que dans l’article 64 relatif à la démence et à la contrainte, cet élément étant de nature à constituer un argument au soutien de la réunion des données subjectives de la responsabilité pénale sous l’égide d’une même théorie et, en l’occurrence, celle de l’imputabilité. La théorie d’Ortolan, distinguant la théorie de l’action et la théorie du délinquant86, semblait répondre à ces dispositions. Si la tendance persistante à rassembler les données subjectives de la responsabilité sous l’égide d’une seule entité conceptuelle peut trouver appui sur l’« ancien »87 droit, l’introduction, en droit positif, de l’article 121-3 relatif à la définition de l’élément psychologique de l’infraction, à l’entrée en vigueur du Code pénal de 1994, devait conduire à distinguer entre deux pôles subjectifs de la responsabilité : l’un relatif à l’élément psychologique de l’infraction et l’autre déterminant la substance de l’imputabilité morale. En effet, ne faut-il pas tirer argument de la cohabitation, au sein du Code pénal, de l’article 121-3 avec les articles 122-1 et suivants pour scinder l’étude de l’infraction de celle de la responsabilité ? Bien que la doctrine soit divisée sur ce point88, nous tenterons d’établir, à l’instar de Paul Cuche en son temps89, que le droit positif concilie une approche subjective de l’infraction, divisée en éléments constitutifs, avec une « théorie

légalement protégé (cf. J.-H. ROBERT, « L’histoire des éléments de l’infraction », op. cit.). Également dans ce sens, M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit.

86. Cf. supra. 87. En référence à l’ancien Code pénal. 88. Certains auteurs comme Bernard Bouloc, Xavier Pin ou Yves Mayaud traitent « de la culpabilité, c’est-à-

dire l’étude de l’intention et de la faute, dans le cadre de l’élément moral de l’infraction et de l’imputabilité, c’est-à-dire la capacité de comprendre et de vouloir, à propos de la responsibilité pénale ». D’autres auteurs ont même « renoncé à distinguer l’étude de l’infraction de celle de la responsabilité » (cf. J.-C. SOYER, Droit pénal et procédure pénale, LGDJ, 21e éd., 2012, nos 148 et suiv., J. PRADEL, Droit pénal général, Cujas, 21e éd., 2016, no 508, p. 427, M.-L RASSAT, op. cit., nos 285 et suiv., p. 316 et suiv, P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, op. cit., nos 349 et suiv.). À noter particulièrement F. Desportes et F. Le Gunehec, « qui adoptent un plan très original intégrant l’infraction dans un titre consacré à la responsabilité pénale en tant que fait générateur » (cf. F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, op. cit., no 427).

89. P. CUCHE, Précis de droit criminel, Dalloz, coll. « Précis », 1re éd., 1925.

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du délinquant » placée sous l’égide du concept d’imputabilité. En d’autres termes, il est possible de scinder l’étude de l’infraction de l’étude de la responsabilité sans renoncer à l’existence d’un élément psychologique. La difficulté consistera alors à déterminer la consistance de cet élément psychologique. La mise en évidence du caractère objectivé de la culpabilité ouvrira la voie à l’indépendance des deux données subjectives de la responsabilité pénale et, au-delà, à l’extranéité de l’imputabilité à l’infraction90. Cette analyse pourra être vérifiée, tant dans le domaine du droit pénal, par l’étude d’une institution fondamentale qu’est la complicité91, que dans le domaine du domaine civil. On pourrait considérer que cette analyse importe finalement assez peu dès lors que l’ensemble des données subjectives de l’agent restent mobilisées pour déterminer l’existence de sa responsabilité pénale. François Rousseau remarque que « ces discussions sur le contenu exact de l’infraction peuvent apparaître purement verbales ; car, au fond, tous les auteurs s’accordent sur les conditions nécessaires à la répression, de telle sorte que celles qui ne sont pas incluses dans le concept d’infraction, par certains, sont intégrées à d’autres concepts qui conditionnent, tout autant, la responsabilité pénale »92. Pour autant, la distinction des notions de culpabilité et d’imputabilité, en particulier la démonstration de l’extériorité de l’imputabilité à l’infraction, ne sont pas anecdotiques. Plusieurs facteurs décisifs plaident pour une clarification des notions. En premier lieu, « le choix pour telle ou telle conception de l’infraction va nécessairement rejaillir sur la nature et le régime juridique des différentes institutions du droit pénal général »93, à l’instar du régime de la complicité évoqué plus en amont. Cette analyse des composantes subjectives de la responsabilité pénale permettrait par exemple de qualifier pénalement les actes commis par une personne non imputable sans que l’infraction commise ne puisse lui être reprochée, alors qu’elle pourrait l’être à son éventuel complice. Au-delà, la confusion entretenue entre les concepts de culpabilité et d’imputabilité reviendrait à méconnaître l’importance de l’efficience du binôme culpabilité/imputabilité dans la mise en œuvre de la justice pénale qui repose sur un juste cloisonnement des notions. La première partie de cette étude aura pour ambition de mettre en évidence que l’indépendance substantielle et fonctionnelle des notions de culpabilité et d’imputabilité, s’évinçant d’un droit pénal d’essence classique, contribue au « bon » fonctionnement de la justice pénale. La complémentarité de cette association des deux données subjectives de la responsabilité pénale mérite d’être plébiscitée par les tenants d’un droit pénal humaniste, garantiste, face à

90. Pour les partisans de la conception dualiste de l’élément psychologique de l’infraction, structurée par la

primauté d’un débat sur l’imputabilité, l’intégration de l’imputabilité à l’élément psychologique de l’infraction, cette dernière est justifiée par la nécessité d’un débat prioritaire sur l’imputabilité. Cependant, dès lors que l’on démontre le caractère objectivé de la culpabilité, l’intégration de l’imputabilité n’est plus nécessaire.

91. Pour cette raison, le contenu de l’imputabilité n’est pas appréhendé par le biais des causes de non-imputabilité, qu’il s’agisse de la contrainte ou de l’absence de discernement de l’agent au moment des faits. Elle n’est pas définie au terme d’une approche traditionnelle qui conduirait à distinguer, de manière positive, entre, d’une part, la condition tenant à la liberté de l’agent et, d’autre part, la condition tenant à la l’existence du discernement de l’agent.

92. F. ROUSSEAU, L’imputation de la responsabilité pénale, op. cit., no 9, p. 15. À titre d’exemple, la possibilité de caractériser l’existence d’une infraction indépendamment de l’imputabilité de l’auteur justifie la répression du complice du dément comme l’exonération du complice de l’auteur bénéficiant d’un fait justificatif.

93. Ibid.

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la remontée en puissance de la notion de dangerosité. Les enjeux contemporains du concept d’imputabilité ont trait à la résurgence des théories positivistes du XIXe siècle. Les enjeux contemporains de l’imputabilité face à la résurgence du néopositivisme pénal Le positivisme scientifique de la fin du XIXe siècle a mis à mal le système classique de responsabilité pénale par la remise en cause du postulat du libre arbitre, en lui opposant concept de dangerosité et la nécessité de mesures de défense sociale. Pour autant, « le droit pénal moderne s’est construit progressivement, en intégrant dans le modèle initial, après les avoir refaçonnés, certains des bouleversements provoqués par la pensée positiviste »94. De la même manière, l’ambition de cette recherche sera de montrer qu’un droit pénal post-moderne95 est en voie de construction. Il intègrerait dans le modèle moderne, ébranlé par la remise en cause chronique de l’impératif d’imputabilité, certains des bouleversements provoqués par le néopositivisme contemporain, tout en recherchant la cohabitation pacifiée des notions d’imputabilité et de dangerosité. Les impacts provoqués par le néopisitivisme contemporain sur le concept d’imputabilité sont de deux ordres. Si l’on considère les personnes morales, l’imputabilité va opérer une mutation par objectivation. Le renouveau de la dangerosité, que l’on préfère traduire ici par la notion de risque en ce sens qu’il procède d’une plus grande abstraction, a conduit, à l’égard de l’entité abstraite, à la reconnaissance ponctuelle d’une responsabilité directe de la personne morale. En droit positif, l’une des innovations, souvent qualifiée de « majeure », a résulté de la consécration de la responsabilité pénale des personnes morales par le Code pénal de 1994. Il s’agissait d’une responsabilité du fait personnel par représentation. Autrement dit, la consécration de cette responsabilité, dans un premier temps, n’a pas remis en cause le caractère subjectif de l’imputabilité, dans la mesure où elle consistait en une responsabilité indirecte. Elle nécessitait, pour être actionnée, la caractérisation d’une infraction imputée à une personne physique, organe ou représentant de la personne morale. Cependant, le mécanisme de la responsabilité indirecte ne permettait pas de répondre pénalement à toutes les atteintes à la vie et à l’intégrité physique de la personne. Cette situation n’était plus compatible avec l’avènement d’une société qui ne supporte plus la réalisation des risques et, en particulier, celui généré par la puissance économique de l’entité abstraire. Aussi, la nécessité de livrer un coupable a conduit à développer en jurisprudence une conception autonomiste de la responsabilité pénale des personnes morales. On pourra observer qu’une personne morale peut être déclarée responsable en raison de l’imputation de sa propre faute. Certes, la jurisprudence de la Cour de cassation est encore fluctuante mais, précisément, cette indécision présente l’avantage de satisfaire l’objectif de répression en toutes circonstances. Lorsque la responsabilité pénale de la personne morale se fait autonome, il ne saurait plus

94. Cf. « Synthèse et conclusion », in M. MASSE, J.-P. JEAN et A. GIUDICELLI (dir.), Un droit pénal postmoderne ?

Mise en perspective des évolutions et ruptures contemporaines, op. cit. 95. Impulsé selon nous par la résurgence contemporaine de la notion de dangerosité et celle, corrélative, de

mesure de sûreté, qui pourrait être datée à la référence législative expresse du législateur à la dangerosité dans la loi de 2005. Signalons quand même que d’aucuns considèrent que « la période post-moderne pourrait se percevoir au début des années soixante-dix, s’affirmer avec la chute du mur de Berlin en 1989 et la fin d’un monde bipolaire, les attentats du 11 septembre 2001 » (ibid., p. 8).

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être question d’imputabilité mais d’imputation. Cette évolution, que l’on observera aussi du côté législateur, a sonné le glas d’une conception unitaire du concept d’imputabilité selon l’entité juridique considérée. La résurgence du positivisme pénal est plus problématique à l’égard des personnes physiques dans la mesure où l’impact de la remontée de la dangerosité sur l’imputabilité est alors plus radical. Il ne sera plus question d’une dénaturation par objectivation mais d’une éclipse pure et simple de la notion. L’exemple du traitement pénal des personnes souffrant de troubles psychiques ou neuropsychiques est le plus significatif. L’éviction de l’imputabilité y est en outre sournoise, opérant par le truchement de la procédure et reposant sur l’instrumentalisation de la distinction formelle opérée entre les peines et les mesures de sûreté – ces dernières trouvant leur fondement dans la dangerosité du sujet. La crainte de voir l’effacement de l’impératif d’imputabilité généralisé est exacerbé, d’une part, par le mouvement, un temps observé, d’alignement du droit pénal des mineurs sur le droit pénal des majeurs, et, d’autre part, par le phénomène général de convergence des peines et des mesures de sûreté. L’enjeu de cette étude n’est pas d’expurger le droit positif de tout recours à la notion de dangerosité, notamment en considération de la réalité de la criminalité contemporaine. Pour cette raison, il va s’agir d’étudier comment restaurer l’impératif d’imputabilité tout en recherchant à organiser une cohabitation raisonnée avec le concept de dangerosité. Parmi les pistes explorées, pour rétablir l’exigence d’imputabilité, figureront des propositions sur les terrains substantiel et formel. D’un point de vue substantiel, il sera envisagé de réunir les peines et les mesures de sûreté en une catégorie unique de sanctions pénales avec l’imputabilité pour fondement et de consacrer partiellement l’imputabilité comprise comme capacité pénale à l’égard des personnes physiques. La consécration partielle de l’imputabilité comprise comme capacité pénale renvoie à la question de l’acception duelle de l’imputabilité. L’un des enjeux de cette étude réside aussi dans la détermination de l’absorption ou non du concept de capacité pénale par l’imputabilité96. Cette dernière, en s’entendant de « l’aptitude à profiter de la sanction pénale », renvoie à la mesure du discernement de l’agent. Il ne s’agit pas, dans le cadre de cette recherche, de considérer que l’étude de l’imputabilité englobe celle de la personnalité de l’agent97. La notion ne saurait être confondue avec le principe d’individualisation de la sanction pénale. Cependant, en ce qu’elle se réfère au discernement de l’agent, elle a vocation à englober l’ensemble des questions relatives au discernement, qu’il s’agisse de son existence ou de sa mesure. L’appréhension d’une même notion par deux concepts distincts invite à s’interroger sur leur autonomie respective. D’ailleurs, on peut considérer que la notion de capacité pénale faisait déjà l’objet d’une consécration législative implicite en droit pénal des mineurs par le prisme des principes directeurs de la justice pénale des mineurs98. Nous

96. De ce point de vue, Georges Levasseur évoque, dans son article sur l’imputabilité pénale, « l’audace » de

Christine Lazerges de considérer que les concepts d’imputabilité et de capacité n’étaient pas trop éloignés l’un de l’autre (cf. G. LEVASSEUR, « L’imputabilité en droit pénal », RSC, 1982, p. 1).

97. Cf. l’article 122-8 du Code pénal, qui tend à distinguer entre la question du discernement du mineur au temps de l’action (alinéa 1er), et donc de son imputabilité morale, et la question de sa personnalité pour déterminer la sanction ou la mesure applicable (alinéa 2).

98. Cf. partie 2, titre 1, chapitre II.

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établirons qu’elle a récemment été étendue aux délinquants majeurs au discernement altéré99. La consécration partielle de l’imputabilité comprise comme capacité pénale permettra de refouler la prise en compte de la dangerosité dans la détermination du quantum de la peine. Plus en amont, il a été évoqué que le renouveau de la dangerosité avait écarté insidieusement l’imputabilité, notamment par le biais de la procédure pénale. Dans un souci de parallélisme des formes, la restauration de la notion va aussi être envisagée sur le plan formel. La césure du procès pénal, en ce qu’elle est susceptible de dédier une phase du procès pénal à l’étude de l’imputabilité, paraîtrait toute désignée. Cependant, l’analyse de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental conduira à écarter cette perspective100. Pour autant, nous tenterons de mettre en lumière la nécessité d’implications procédurales ponctuelles de l’imputabilité, qu’il s’agisse de proposer une refonte de la procédure applicable à la personne dont le discernement était aboli au moment des faits ou de renforcer les garanties de la procédure pénale applicable au majeur protégé101. L’appréhension de la dangerosité appellera à une vigilance particulière en amont de tout dommage. Finalement, l’imputabilité en droit pénal peut apparaître comme un sujet classique, peut-être trop classique. Ce sentiment semble même confirmé par le constat que l’imputabilité répond à la définition communément répandue en doctrine selon laquelle elle se présente comme la somme des conditions relatives à l’exigence de discernement et de volonté libre de l’agent. L’acception subjective de l’imputabilité et de ses composantes sera confirmée par la négative, à partir de la démonstration du caractère objectivé de la culpabilité, quant à elle entendue strictement. Cependant, nous pensons à l’analyse que la définition traditionnelle de l’imputabilité mérite quelques ajustements. En particulier, tout le champ de la liberté relevant de l’imputabilité sera reconfiguré. Alors que la liberté de mouvement sera rattachée à l’infraction, le domaine de la liberté psychologique sera étendu par le rattachement de l’état de nécessité à la contrainte psychologique, cause de non-imputabilité. Une fois les conditions de l’imputabilité reprécisées, il importera de résoudre la question de sa localisation par rapport à l’infraction. Il s’agira surtout de déterminer si elle peut contribuer à l’édification d’une conception dualiste de l’élément psychologique de l’infraction. Une réponse négative sera apportée. La place de l’imputabilité dans la responsabilité pénale est loin d’être anecdotique. Le régime de certaines institutions fondamentales du droit pénal en dépend, à l’instar de la répression de la complicité. De manière plus subsidiaire, l’extranéité de l’imputabilité à l’infraction participe en creux de la structuration de la notion d’infraction. En l’occurrence, elle va se révéler étrangère à une théorie de l’infraction divisée en éléments constitutifs. Cet élément pourrait être utilisé à des fins pédagogiques. En outre, il importera de souligner que l’indépendance des notions de culpabilité et d’imputabilité participe d’une complémentarité fonctionnelle nécessaire au bon fonctionnement de la justice pénale (partie 1). 99. Ibid. 100. Cf. partie 2, titre 2, chapitre I. 101. Cf. partie 2, titre 2, chapitre II.

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L’imputabilité se trouve donc exclusivement rattachée à la responsabilité et, par voie de conséquence, à son corollaire consistant dans l’infliction d’une sanction pénale. L’exigence d’imputabilité conditionne directement l’engagement de la responsabilité pénale et, indirectement, le prononcé d’une peine. C’est une notion essentielle du droit pénal. Pour cette raison, il conviendra de mesurer les conséquences de la résurgence de la dangerosité, marqueur clef du positivisme pénal, sur l’impératif d’imputabilité. Bien que doublement impactée, de par son décloisonnement de la structure de l’infraction, l’imputabilité est susceptible de jouer un rôle décisif dans un droit pénal post-moderne initié par le néopositivisme contemporain. Cette recherche aura encore pour ambition de mettre en lumière que l’imputabilité contient en germe la potentialité d’une cohabitation pacifiée avec la dangerosité en permettant le recentrage de son usage. Il reste ainsi à exploiter l’ensemble de ses ressources garantistes (partie 2).

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PARTIE 1 –

L’imputabilité dans la théorie classique de la responsabilité

pénale

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TITRE 1 L’AUTONOMIE DE L’IMPUTABILITÉ ET DE

LA CULPABILITÉ ENTENDUE STRICTEMENT

Transposée à la matière pénale, l’idée, relativement simple, que l’acte délictueux doit pouvoir être porté au compte de l’agent n’exclut pas un certain nombre de difficultés. Selon Éric Lepointe, distinguant soigneusement chaque élément de la trilogie culpabilité, imputabilité et responsabilité, « la notion d’imputabilité est peut-être la plus controversée et celle qui est la moins unanimement entendue »102. La première difficulté dans l’appréhension du concept d’imputabilité est relative aux conditions dans lesquelles un acte délictueux doit pouvoir être porté au compte de l’agent. Or, précisément, ces dernières ne sont pas unanimement entendues par la doctrine, ce qui donne lieu à des incertitudes sur les frontières de l’imputabilité103. S’agissant tout d’abord des frontières externes, la doctrine oscille entre deux conceptions de l’imputabilité, le terme pouvant être pris dans un sens étroit ou, au contraire, dans un sens plus large. Nous avons vu dans l’introduction104 qu’une acception large de l’imputabilité – ou plutôt de la non-imputabilité – qui aurait vocation à regrouper sous ce vocable des causes d’impunité (totalement) extérieures à l’agent, devait être écartée dans le cadre de cette étude. En effet, nous avons souscrit à l’extranéité de principe des faits justificatifs du champ de la non-imputabilité. Cela étant, l’étanchéité de cette frontière externe de l’imputabilité sera néanmoins questionnée105 dans le cadre d’une confrontation avec les notions de contrainte morale et d’état de nécessité106. Nous avons donc retenu une conception étroite de l’imputabilité en lien avec des éléments de la psychologie de l’agent. Cette option n’est pas sans évoquer la conception classique de l’imputabilité pénale107 aux termes de laquelle un acte délictueux est imputable dès lors que l’agent a agi « avec une intelligence lucide et une volonté libre »108. Cette référence n’exclut pourtant pas la permanence de divergences doctrinales dans la détermination de ses conditions. Il faut dire que la détermination des frontières internes de l’imputabilité questionne la répartition controversée des données psychologiques de la responsabilité pénale en deux réceptacles distincts : la culpabilité, d’une part, et l’imputabilité, d’autre part.

102. É. LEPOINTE, « Le diagnostic judiciaire des faits justificatifs », op. cit., p. 547, no 4. 103. En référence à A. GIUDICELLI, « Incertitudes sur les frontières de l’intention », op. cit. 104. Cf. supra. 105. Et résolue par la négative. 106. Cf. infra, chapitre II. 107. Par opposition à la conception civiliste majoritaire de l’imputabilité qui la réduit à la seule exigence du

discernement, sans égard à un quelconque élément de volonté. 108. J.-M. AUSSEL, « La contrainte et la nécessité en droit pénal », in Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal.

Études de droit criminel, op. cit., no 6, p. 256.

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De ce point de vue, les notions de discernement et de contrainte ne sont pas sans soulever des difficultés d’étiquetage. Le rattachement du discernement à la substance de l’imputabilité sera établi par la négative, après une étude approfondie du concept de culpabilité. Suivant la démonstration du caractère objectivé de la composante psychologique de l’infraction, il sera permis de déduire l’exclusion du discernement du champ de sa définition ainsi que son absorption subséquente par l’imputabilité (chapitre I). Quant à la contrainte, certains auteurs pénalistes ont décidé de contourner la difficulté en lui prêtant un caractère hybride, distinguant la contrainte physique affectant la liberté de mouvement, cause de non-culpabilité109, et la contrainte morale affectant la liberté psychologique, cause de non-imputabilité110. Nous adopterons cette summa divisio111 pour questionner la pertinence de la composante liberté dans la constitution de l’imputabilité (chapitre II).

109. Peut-être devrait-on employer un terme plus générique, par exemple celui de cause de « non-caractérisation

de l’infraction », étant donné que la contrainte physique n’affecte pas seulement la volonté, du moins la liberté du mouvement, mais s’exerce aussi sur le corps même de l’agent. Dès lors, elle est aussi encline à influer sur le comportement de l’agent qui entre, quant à lui, dans la constitution de l’élément matériel de l’infraction.

110. Ce fut le cas, en son temps, de H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel, no 328, Paris, Sirey, 3e éd., 1947.

111. Cette summa divisio est préférée à celle opérée par l’article 122-2 du Code pénal qui distingue maladroitement la « force » et la « contrainte ». Le législateur entend ce faisant indiquer que la pression exercée sur la volonté de l’agent peut lui être extérieure ou interne. Il faut donc entendre la « force » de l’article 122-2 du Code pénal comme une pression, physique ou morale, extérieure à l’agent. Quant à la « contrainte », elle vise une pression interne propre à l’agent. Suivant cette présentation, la « contrainte » morale ne constitue pas une cause autonome de non-imputabilité. Tout au plus peut-elle être retenue sur le fondement de l’article 122-1, alinéa 1er du Code pénal visant notamment le « trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli […] le contrôle de ses actes ».

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Chapitre I –

Les conditions de l’imputabilité découlant du caractère objectivé de la culpabilité

Le rattachement de la condition de discernement au concept d’imputabilité sera démontré par la négative. La démarche s’explique par le fait qu’un doute peut exister quant à la donnée de rattachement du discernement. En tant qu’élément de la personnalité, il est en effet susceptible d’entrer dans la constitution des deux composantes subjectives de la responsabilité pénale que sont l’imputabilité et la culpabilité. Si le doute tient d’abord à la nature subjective des deux notions, il résulte également de la confusion entourant en doctrine les contours de l’imputabilité et de la culpabilité. Autrement dit, le questionnement relatif à la donnée de rattachement de la condition de discernement résulte de l’interaction substantielle des deux composantes de la responsabilité pénale. L’objet de ce chapitre consistera à renseigner les aspects substantiels spécifiques au concept de culpabilité, afin de déterminer en creux l’une des composantes de l’imputabilité. Il résultera de cette étude que si la culpabilité conserve nécessairement une part irréductible de subjectivité liée à l’essence même de la notion, elle procède avant tout d’un caractère objectivé. Cela ne signifie pas qu’il ne soit pas tenu compte, dans l’édification de la culpabilité de l’agent, de son état d’esprit au moment des faits. Simplement, il sera établi que c’est son état d’esprit juridique qui est appréhendé, conférant dans le même temps un caractère normatif au concept juridique de culpabilité. Les éléments pris en compte ne révélant alors rien de singulier relativement à la personnalité de l’agent, il apparaîtra logique que le discernement n’entre pas dans la composition des éléments constitutifs du concept de culpabilité, cette exclusion établissant ipso facto son rattachement au concept d’imputabilité. Nous allons donc établir le caractère abstrait de la culpabilité, la faible teneur psychologique de la culpabilité des personnes physiques112 résultant tant de la substance même de la notion (section 1) que de son régime juridique (section 2).

112. Le caractère abstrait de la culpabilité des personnes morales résulte quant à lui de l’évolution de la

responsabilité pénale des personnes morales vers une responsabilité directe de ces dernières. Pour l’étude de l’évolution de la responsabilité pénale de l’être moral, cf. la partie 2 de cette étude.

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Section 1 – Le caractère objectivé de la culpabilité des personnes physiques résultant de la substance même de la culpabilité

Comme cela a été précédemment évoqué, il existe deux formes de culpabilité : la culpabilité non intentionnelle, autrement désignée sous la terminologie d’imprudence pénale, et la culpabilité intentionnelle, empruntant le vocable générique d’intention. Le développement suivant va se circonscrire à l’étude de la substance de la culpabilité intentionnelle. Cette exclusion trouve sa justification dans le fait que, bien qu’opposées, ces deux formes de culpabilité présentent un dénominateur psychologique commun constituant l’essence même de la culpabilité non intentionnelle. En effet, on considère traditionnellement en doctrine que les culpabilités intentionnelle et non intentionnelle ont en commun la volonté du comportement répréhensible, mais qu’elles se distinguent par la volonté du résultat infractionnel relevant quant à elle du ressort exclusif de la culpabilité intentionnelle. Comme le relève François Rousseau, « l’imprudence comme l’intention suppose un comportement volontaire […] [et] par-delà la diversité des fautes non intentionnelles, il est possible […] de relever un dénominateur commun à leur élément psychologique : la non-volonté du résultat incriminé »113. Il est donc permis de convenir que la démonstration du caractère objectivé de l’intention entraînera celle de l’imprudence pénale. Afin d’établir le caractère objectivé de la culpabilité, il apparaît donc nécessaire, dans un premier temps, de démontrer que le droit positif retient une acception objectivée de la volonté du comportement, composante commune à l’intention et à l’imprudence (§ 1). Il importera dans un second temps d’établir que la volonté du résultat venant enrichir la composition de l’intention n’est pas de nature à subjectiver le concept de culpabilité (§ 2).

§ 1 - L’objectivation résultant de la volonté du comportement, dénominateur psychologique commun à la culpabilité intentionnelle et non intentionnelle

Il s’agira, dans un premier temps, de démontrer que la volonté du comportement constitue le dénominateur psychologique commun à la culpabilité intentionnelle comme non intentionnelle (A.) avant d’établir que la consistance de cette volonté, d’essence subjective, n’est pas susceptible de constituer une entrave au caractère objectivé de la culpabilité, voire même, au contraire, qu’elle participe de son abstraction (B.).

A. La « volonté » du comportement constituant le dénominateur psychologique commun à la culpabilité intentionnelle et non intentionnelle

Bien que le Code pénal entretienne une certaine confusion des termes, contribuant à une terminologie incertaine, distinguer intention et non-intention ne consiste pas à opposer comportements volontaires et involontaires. Comme le souligne André Giudicelli, « tous les comportements engageant la responsabilité pénale, fondamentalement, sont volontaires »114.

113. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, Dalloz, 2009, no 79, p. 93. 114. A. GIUDICELLI, « Incertitudes sur les frontières de l’intention », op. cit., p. 33.

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Si le rattachement de la volonté au domaine de l’intention ne soulève pas de difficultés particulières115, il importera, afin de lever toute équivoque, de démontrer le rattachement de la volonté à la culpabilité non intentionnelle en général. Nous commencerons par souligner le caractère volitif de la faute de mise en danger délibérée (1.) avant de constater la généralisation de ce caractère à l’ensemble des fautes pénales (2.).

1. L’intrusion de la volonté dans le domaine de l ’imprudence pénale par le truchement de la faute de mise en danger délibé rée

Avant de démontrer le caractère volitif de la faute de mise en danger délibéré (1.2), il importera préalablement de confirmer le caractère non intentionnel de cette faute (1.1).

1.1 La démonstration du caractère non intentionnel de la faute de mise en danger délibérée

Dans son article relatif à l’étude des frontières de l’intention, André Giudicelli souligne que « la gravité certaine de la faute de mise en danger délibérée a suscité des hésitations et des débats, quant à sa nature intentionnelle ou inintentionnelle »116. Fluctuations qui ont été le fait de la jurisprudence117 ou de la doctrine. Au travers de l’analyse du délit de mise en danger d’autrui, dont l’élément psychologique est constitué par la faute de mise en danger délibérée, Jean Cédras s’est prononcé en faveur du caractère intentionnel de l’infraction. Alors, « certes l’agent ne désire provoquer aucun dommage corporel mais […] sa « délibération » ne porte […] pas seulement sur la violation de l’obligation de prudence, elle vise aussi, et nécessairement, cette valeur protégée que constitue le droit d’autrui à la tranquillité. Le délit de mise en danger d’autrui […] change de nature et passe du domaine de la faute à celui de l’intention »118. L’auteur soutient donc implicitement le caractère nécessairement intentionnel de la faute délibérée. Mais comme le relève Yves Mayaud, « il convient d’éviter le piège d’une synonymie trompeuse entre ce qui est intentionnel et ce qui est délibéré »119. D’ailleurs, la position du législateur est sans aucun doute possible sur le caractère non intentionnel de la faute de mise en danger. Plusieurs arguments décisifs peuvent être avancés en ce sens. Le premier réside dans « la construction de l’article 121-3 du Code pénal et l’articulation des alinéas qui le composent »120. C’est au titre d’un alinéa distinct, faisant suite à l’affirmation de la primauté de l’intention en matière délictuelle, que la mise en danger est développée. Toujours selon Yves Mayaud, « non seulement cette présentation témoigne de la nature fautive de la faute de mise en danger, mais elle est encore renforcée par le terme de transition qui assure le lien entre les deux alinéas »121. En effet, après avoir affirmé qu’il n’y a point de délit sans intention de le commettre, c’est l’adverbe toutefois qui introduit l’alinéa relatif à la

115. Cf. par exemple Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 254 : « La volonté renvoie naturellement à

l’intention. Elle en est le support, pour incarner au mieux la détermination d’agir à l’opposé des valeurs sociales protégées. »

116. Loc. cit. 117. Pour des exemples de solutions contraires en jurisprudence, cf. A. GIUDICELLI, « Incertitudes sur les

frontières de l’intention », op. cit., p. 33. 118. J. CEDRAS, « Le dol éventuel : aux limites de l’intention », D., 1995, p. 18. 119. Y. MAYAUD, « De l’article 121-3 du Code pénal à la théorie de la culpabilité en matière criminelle

et délictuelle », D., 1997, p. 37. 120. Loc. cit. 121. Loc. cit.

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mise en danger. Cet adverbe « ne peut qu’exprimer une approche différente quant à sa nature, différence par hypothèse empruntée à la non-intention »122. Un deuxième argument réside dans l’article 339 de la loi d’adaptation du 16 décembre 1992. Cet article avait pour but d’éviter qu’en application de l’article 121-3 nouveau, d’anciennes incriminations – définies sans aucune référence à l’élément psychologique mais reconnues de nature non intentionnelle – ne basculent dans le domaine de l’intention. En vertu de ce dernier, « tous les délits non intentionnels réprimés par des textes antérieurs à l’entrée en vigueur de la présente loi demeurent constitués en cas d’imprudence, de négligence ou de mise en danger de la personne d’autrui, même lorsque la loi ne le prévoit pas expressément ». Comme le relève Yves Mayaud, « la mise en danger est ainsi directement qualifiée, puisque c’est seulement par référence aux délits non intentionnels qu’elle est prise en compte, au même titre que l’imprudence ou la négligence, afin de caractériser moralement les infractions affectées par cette adaptation »123. Finalement, il est possible d’invoquer l’article 470-1 du Code de procédure pénale organisant la compétence civile du juge pénal. Au lendemain de la loi du 13 mai 1996, il prévoyait que « le tribunal saisi, à l’initiative du ministère public ou sur renvoi d’une juridiction d’instruction, de poursuites exercées pour une infraction non intentionnelle au sens des deuxième et troisième alinéas de l’article 121-3 du Code pénal, et qui prononce une relaxe demeure compétent, sur la demande de la partie civile ou de son assureur formulée avant la clôture des débats, pour accorder, en application des règles du droit civil, réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite ». En l’occurrence, l’article vise notamment une infraction non intentionnelle au sens du deuxième alinéa de l’article 121-3. Or, l’alinéa 2 de l’article 121-3 du Code pénal est exclusivement consacré à la faute de mise en danger délibérée124. Il est donc permis de considérer que ce texte affirmait aussi, dès 1996, la nature non intentionnelle de la faute délibérée125.Plusieurs textes législatifs établissent donc directement ou indirectement le caractère non intentionnel de la faute délibérée. La démonstration de son caractère volitif passera quant à elle par l’analyse du délit de très grande vitesse.

1.2 La reconnaissance du caractère volitif de la faute de mise en danger délibérée par l’analyse du délit de grand excès de vitesse

La loi L. no 99-505 du 18 juin 1999 portant diverses mesures relatives à la sécurité routière126 a créé le délit de « très grande vitesse » à l’ancien article 4-1 du Code de la route, devenu l’article L. 413-1 du même code. Aux termes de cet article, « tout conducteur d’un véhicule à moteur qui, déjà condamné définitivement pour un dépassement de la vitesse maximale

122. Loc. cit. 123. Loc. cit. 124. Cf. A. GIUDICELLI, « Incertitudes sur les frontières de l’intention », op. cit. 125. De manière plus subsidiaire, il est également possible d’invoquer l’article 470-1 du Code de procédure pénale

dans sa rédaction issue de la loi du 10 juillet 2000. Plus précisément, il est possible de se prévaloir de l’ajout de l’alinéa 4 de l’article 121-3 du Code pénal dans la liste des alinéas énumérés pour définir les infractions non intentionnelles. L’argument peut être considéré comme moins pertinent, en ce sens que la faute délibérée partage cet alinéa avec la faute caractérisée dont la nature non intentionnelle ne fait, quant à elle, aucun doute.

126. L. no 99-505 du 18 juin 1999, D., 1999, Lég., p. 308.

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autorisée égal ou supérieur à 50 km/h, commet la même infraction dans le délai d’un an à compter de la date à laquelle cette condamnation est devenue définitive » est puni de trois ans d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende. Deux questions intéressant la théorie du droit pénal ont été soulevées par la création de cette infraction. La première est relative à l’utilité du délit de l’ancien article 4-1 du Code de la route dans le dispositif répressif existant avec, sous-jacente, la question des principes présidant à la détermination des infractions127. La seconde est consécutive au silence du législateur sur la teneur de l’élément psychologique du délit avec, en creux, la question des éléments participant de la constitution des infractions. Nous allons voir que la démonstration de l’utilité du délit de « très grande vitesse » dans le dispositif répressif existant combinée à la consécration du caractère intentionnel de l’infraction permettra de conclure au caractère volitif de la faute de mise en danger délibérée. L’utilité du délit de grand excès de vitesse dans le dispositif répressif existant La question qui se posait était celle de savoir s’il ne faisait pas double emploi avec deux incriminations existantes : d’une part, la contravention de l’article R. 232 qui sanctionne le dépassement d’au moins 50 km/h de la vitesse maximale autorisée et, d’autre part, le délit de risques causés à autrui de l’article 223-1 du Code pénal. Rappelons préalablement qu’une seule et même valeur sociale peut être protégée par plusieurs incriminations. On dit alors qu’elles se complètent horizontalement ou verticalement par variation ou gradation. La première hypothèse vise des comportements distincts, recherchés pour leur différence, afin de couvrir toutes les possibilités d’atteinte à la valeur protégée. Dans la seconde, la pluralité d’infractions est un moyen de gérer ce qui s’inscrit dans une articulation ou une progression. Il s’agit de comprendre qu’à chaque comportement correspond une nouvelle étape dans l’atteinte à la valeur sociale, toutes méritant d’être sanctionnées pour ce que chacune représente d’hostilité ou d’indifférence à ladite valeur. Nous allons mettre en évidence que le délit de grand excès de vitesse s’articule utilement entre les deux infractions existantes. En d’autres termes, nous allons montrer la complémentarité par gradation des infractions en cause. Tout d’abord, il convient de relever que d’une infraction à l’autre, la valeur protégée est la même, à savoir la sécurité routière. Ensuite, la complémentarité du délit de l’article L. 413-1 du Code de la route avec la contravention de l’article R. 232 peut être facilement établie. Elle résulte du fait qu’il constitue la récidive de cette contravention. En effet, la caractéristique principale de l’article L. 413-1 du Code de la route est de réprimer plus sévèrement le dépassement de la vitesse maximale autorisée égal ou supérieur à 50 km/h lorsqu’il est commis en état de récidive dans l’année qui suit la première condamnation. Le nouveau délit recouvre donc des manquements plus graves que la contravention primaire de dépassement des vitesses autorisées puisqu’il en sanctionne128 la récidive. Il est également possible de justifier de la complémentarité du délit de grande vitesse avec le délit de risques causés à autrui. Il est justement acquis au regard de la jurisprudence que le délit de risques causés à autrui ne s’ajuste pas à tous les cas d’excès de vitesse, même importants. Si un excès de vitesse est susceptible

127. En cas de réponse négative à cette interrogation, ce sont les principes de nécessité et de proportionnalité

des peines affirmés par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui se trouveraient méconnus.

128. La récidive est correctionnalisée.

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de constituer une violation délibérée d’une obligation particulière de sécurité imposée par la loi et le règlement justifiant le recours à l’article 223-1 du Code pénal, il faut encore, pour la chambre criminelle de la Cour de cassation, que l’excès de vitesse, accompagné d’un autre comportement, ait exposé directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures129. Le délit de grande vitesse recouvre des manquements moins graves puisque, dans le cadre de cette infraction, il n’est pas nécessaire que des tiers aient été effectivement mis en danger. Comme le faisait valoir le gouvernement lors de ses observations130, il peut paraître « nécessaire, et légitime, de mettre en place un dispositif dissuasif suffisamment efficace, sans attendre que les conducteurs qui méconnaissent effectivement la règlementation aient effectivement mis des tiers en danger ». Ensuite, concernant le délit de l’article L. 413-1, le législateur a fixé une peine maximale inférieure aux quanta de la peine pouvant être prononcée si le comportement délictueux répond aux conditions de l’article 223-1 du Code pénal. Ces deux délits paraissent bien complémentaires. Le délit de très grande vitesse se trouve donc justifié comme maillon intermédiaire nécessaire dans la protection de la sécurité routière. Le caractère intentionnel du délit d’excès de très grande vitesse découlant du silence du législateur sur la consistance de l’élément psychologique de l’infraction La lecture de l’article L. 413-1 du Code de la route ne nous renseigne pas sur la consistance de l’élément moral du délit. La question s’est donc posée de savoir si le législateur pouvait faire silence sur la consistance de l’élément psychologique des infractions. Le principe, rappelé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 16 juin 1999, est que la définition des délits « doit inclure outre l’élément matériel de l’infraction, l’élément moral, intentionnel ou non de celle-ci ». La juridiction constitutionnelle se fonde pour ce dire sur les articles 8131 et 9132 combinés de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Dès lors, que fait-on en cas de silence de la loi sur le contenu de cet élément psychologique ? Le Conseil constitutionnel considère alors, en cette absence d’élément moral identifiable, qu’il revient au juge de faire application des dispositions de l’article 121-3 du Code pénal. Rappelons que ce texte privilégie le caractère intentionnel du délit, sauf lorsque la loi en dispose autrement, par renvoi explicite, soit à une mise en danger délibérée de la personne d’autrui, soit à une imprudence, une négligence, ou un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement.

129. Cf. Par exemple Cass. crim., 12 mars 1997, no 96-83.205, Bull. crim., no 102, Bull. crim., no 96-83.205 ;

JurisData, no 002241 et Cass. crim., 12 nov. 1997, no 96-85.756, Bull. crim., no 384. 130. Observations du gouvernement, JO du 19 juin 1999, p. 9024. 131. L’article 8 consacre notamment le principe de la légalité des délits et des peines. L’un des corollaires de ce

principe réside dans l’obligation pour le législateur de rédiger des textes clairs et précis. Il était donc logique qu’en application de cet article, le Conseil constitutionnel invite le législateur à définir la consistance, intentionnelle ou non, de l’élément moral dont il a établi la nécessité sur le fondement de l’article 9 de la même déclaration.

132. L’article 9 consacre le droit à la présomption d’innocence. Si la reconnaissance de ce droit ne fait pas obstacle à l’existence de présomptions de culpabilité (cf. infra), il impose à tout le moins un débat sur la culpabilité de la personne poursuivie. Au-delà, il constitue un fondement à la reconnaissance d’un élément psychologique au titre des éléments constitutifs de l’infraction.

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Dans le même sens, Yves Mayaud souligne, dans son commentaire de la décision rendue par le Conseil constitutionnel, que « le silence de la loi sur la consistance de l’élément moral d’un délit ne peut qu’être interprété en faveur du caractère intentionnel de celui-ci, l’intention s’imposant en quelque sorte par défaut, en application du principe qui en affirme la primauté »133. Par le biais de sa décision du 18 juin 1999, le Conseil constitutionnel a consacré la portée générale de l’article 121-3 du Code pénal et donné au principe qu’il énonce une valeur constitutionnelle. Du silence de la loi sur l’élément psychologique du délit de l’article L. 413-1 du Code de la route, on doit donc déduire le caractère intentionnel de cette infraction. Or, cette solution paraît susceptible de soulever une difficulté inhérente à la cohérence de la complémentarité par gradation entre ce délit et le délit de risques causés à autrui. La complémentarité des infractions par gradation remise en cause par le caractère intentionnel du délit de grand excès de vitesse ? La question se pose dans la mesure où la mise en danger délibérée est une infraction non intentionnelle. Peut-on caractériser un lien par progression sensible de gravité entre une infraction intentionnelle, d’une part, et une infraction non intentionnelle, d’autre part ? La différence de nature entre les deux infractions ne fait-elle pas obstacle à tout rapprochement ? Une réponse par la négative résulte de l’existence d’un dénominateur commun constituant le fondement d’un lien par progression sensible de gravité. C’est en effet ce que relève Yves Mayaud : « Les deux infractions connaissent un dénominateur commun, qui assure de l’une à l’autre le lien permettant de les tenir comme très complémentaires par une progression sensible de gravité »134. La volonté est ce facteur d’unité. Il est en effet assez logique qu’un comportement d’une gravité supérieure à un autre comportement volontaire soit lui-même volontaire. Ainsi, en démontrant que le délit de l’article L. 413-1 du Code de la route est utile, le Conseil constitutionnel établit que la volonté est une composante de la faute de mise en danger délibérée. On peut en conclure que la volonté entre au moins partiellement dans la composition de l’imprudence pénale. Est-il cependant possible de généraliser la composante volitive à l’ensemble de l’imprudence pénale ? Yves Mayaud, par exemple, est partisan de limiter le caractère volitif de la culpabilité non intentionnelle à la seule faute de mise en danger délibérée135. Nous démontrerons néanmoins qu’il est possible d’associer totalement la volonté à toutes les fautes d’imprudence sans qu’elle ne place nécessairement le comportement dans les manifestations les plus graves de la culpabilité136.

133. Y. MAYAUD, « Entre le dit et le non-dit, ou les leçons de droit pénal du Conseil constitutionnel », D., 1999,

p. 589. 134. Loc. cit. 135. Il considère logiquement que, jusqu’à l’adoption du Code pénal de 1994, la volonté était exclusive à

l’intention. L’intrusion partielle de la volonté dans le domaine de l’imprudence pénale serait donc le fait de la création de la faute de mise en danger délibérée par le législateur du « nouveau Code pénal ».

136. Contra Y. MAYAUD, « La volonté à la lumière du nouveau Code pénal », in Mélanges en l’honneur du professeur J. Larguier, Presses universitaires de Grenoble, 1993, p. 203.

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2. La généralisation de la composante volitive à l ’ensemble de l ’ imprudence pénale (faute caractérisée + imprudence ordinaire)

L’inclusion restrictive de la volonté dans le champ de l’imprudence pénale ne résiste pas à la comparaison des fautes de mise en danger délibérée et caractérisée137. Pourquoi instituer une différence entre ces deux imprudences pénales ? Elles sont présentées comme étant toutes deux des fautes d’imprudence qualifiées par opposition à la faute d’imprudence ou de négligence ordinaire. Il s’agit de comprendre qu’elles ont en commun la gravité particulière du comportement. Dès lors, ne faudrait-il pas considérer que la volonté sert aussi de renfort 138 à la faute caractérisée ? Pour preuve, aux termes de la loi du 10 juillet 2000 destinée à atténuer la répression des délits d’imprudence, la faute caractérisée, à l’instar de la faute délibérée, peut justifier la mise en jeu de la responsabilité pénale de l’auteur indirect d’une infraction non intentionnelle alors que, dans cette hypothèse de causalité, la responsabilité ne peut plus être mise en œuvre en présence d’une simple imprudence. Il n’est donc pas logique d’écarter l’extension de la composante volitive à la faute caractérisée. L’autre argument en faveur de la généralisation de la composante volitive à l’ensemble de l’imprudence pénale tient à l’analyse de l’imprudence ou de la négligence ordinaire. Peut-on réellement considérer que l’imprudence ou la négligence ordinaire est exclusive de tout comportement volitif ? À notre sens, une réponse par la négative s’impose et trouve sa principale justification dans l’acception de la volonté mobilisée dans la définition de la culpabilité139. Le développement suivant va alors satisfaire dans le même temps un double objectif : celui de parachever l’extension du caractère volitif du comportement à l’ensemble de l’imprudence pénale et celui de la mise en exergue d’une conception relativement « primitive » de la volonté mobilisée dans la définition de la culpabilité contribuant, par ce fait, à la démonstration du caractère objectivé de la culpabilité.

B. L’identification de la volonté mobilisée dans le champ de la culpabilité

L’identification de la volonté mobilisée dans la définition du concept de culpabilité s’avère nécessaire, car une composante volitive est aussi décelable dans la substance de la notion d’imputabilité (1.). Une fois ce dédoublement mis à jour, il pourra être établi que la composante volitive de la culpabilité est exclusive d’une subjectivation excessive de la notion (2.).

1. La notion de volonté mobilisée dans la définition des concepts de culpabilité et d’imputabilité

Nous allons montrer que l’inclusion de la volonté dans la définition de la culpabilité n’est pas un obstacle à la reconnaissance de son caractère objectivé. Autrement dit, la composante volitive de la culpabilité est exclusive d’une subjectivisation excessive de l’élément

137. Rappelons que l’éclatement du régime unitaire de l’imprudence pénale, initiée par le Code pénal de 1992

avec la consécration de la faute de mise en danger délibérée, a été scellée avec la création, par la loi no 2000-647 du 10 juillet 2000, de la faute caractérisée.

138. Le terme est emprunté à Yves Mayaud qui considère que la volonté participe de la composition de la faute de mise en danger délibérée pour lui servir de renfort (cf. Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 254).

139. Cf. infra.

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psychologique de l’infraction. Cette précision s’avère nécessaire car une méprise est possible en raison de la mobilisation concurrente de la volonté dans le champ de la définition de l’imputabilité, doublée de la croyance erronée de l’intégration de l’imputabilité dans la constitution de l’élément psychologique de l’infraction140. Il serait alors possible d’attribuer le caractère volontaire de tout comportement délictueux, intentionnel comme non intentionnel, à l’intégration de l’imputabilité dans l’élément psychologique de l’infraction. Une partie de la doctrine semble en effet considérer que l’imputabilité entre dans le champ d’une conception large de la culpabilité141. Cependant, ce raisonnement serait de nature à induire une confusion substantielle dans l’appréhension de la substance de la culpabilité car il pourrait donner à penser que l’exclusion de l’imputabilité de la constitution de l’élément psychologique prive la culpabilité de toute composante volitive142. Ce serait se méprendre une nouvelle fois en n’envisageant pas l’étendue du spectre de la volonté. Il s’agit ici de mettre en évidence que la notion est susceptible de se dédoubler en un aspect objectivé et en un aspect subjectif, qu’elle se prête à une double approche à la fois « réaliste » et « qualitative ». Nous verrons que si cette dernière approche se rattache à la notion d’imputabilité, la première relève en revanche de la culpabilité143. D’ailleurs, une source de confusion possible entre les concepts d’imputabilité et de culpabilité réside précisément dans la mobilisation de la volonté dans le champ de la définition des deux notions. Il importe donc, avec une acuité particulière, d’identifier la volonté constituant le socle de toute culpabilité, la volonté commune aux infractions intentionnelles et non-intentionnelles. Pour ce faire, nous survolerons une partie de la doctrine, passée et actuelle.

2. La volonté constituant le socle de toute culpabilité exclusive d ’une subjectivation excessive de la notion

La double acception de la volonté se retrouve dans la doctrine dite classique et dans les écrits plus contemporains. Ortolan, dans son ouvrage Éléments de droit pénal, distingue entre la faculté ou puissance de vouloir, relevant de l’imputabilité, et la volonté de fait, relevant quant à elle de la culpabilité. L’auteur écrit que « les deux conditions constitutives de l’imputabilité sont, chez l’agent, la raison morale et la liberté »144. Il explicite la seconde condition de l’imputabilité de la manière suivante :

Dans l’activité, ce qui forme la seconde condition constitutive de l’imputabilité, c’est la puissance que nous avons de décider que l’action sera faite ou ne sera pas faite […]

140. Cf. infra, titre 2. 141. A priori, c’est une interprétation possible de la thèse que François Rousseau a consacrée à l’étude de

l’imputation dans la responsabilité pénale quand il assimile la volonté-liberté à la volonté infractionnelle en considérant que cette dernière est indispensable à la réalisation de toute infraction (cf. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la théorie de la responsabilité pénale, op. cit., no 79, p. 94).

142. L’exclusion de l’imputabilité de la constitution de l’élément psychologique de l’infraction sera démontrée dans le titre 2 de cette première partie.

143. Pour autant, cette dichotomie n’exclut pas l’existence de nuances au sein de l’élément volonté participant de la définition de la culpabilité.

144. ORTOLAN, Éléments de droit pénal, 2e éd., 1859, H. Plon, p. 216 et suiv., spécialement p. 217 et 218.

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autrement dit, la liberté psychologique, qu’on appelle aussi quelquefois volonté, dans le sens de faculté ou puissance de vouloir. Quant à la volonté de produire le mal contenu dans le délit, volonté de fait à laquelle s’applique beaucoup plus exactement le mot intention, elle n’est pas un élément nécessaire de l’imputabilité.145

René Garraud écrivait :

Le concept de « faute » implique le concept de « volonté » en ce sens que l’acte coupable est toujours un acte volontaire. Mais le concept est indépendant de la liberté de la volonté, du libre arbitre. […] L’État ne se préoccupe pas de savoir si la volonté du délinquant est libre ou déterminée : il suffit qu’elle existe pour que l’acte volontaire soit punissable.146

Il tient compte cependant de la liberté de la volonté quand il envisage la contrainte morale comme cause d’irresponsabilité pénale147. Ainsi, Jean Lebret opposait lui aussi clairement les deux acceptions de la volonté de la manière suivante :

[…] ou bien la volonté n’est rien en soi qu’on puisse saisir, comprendre, isoler ; elle se confond avec l’acte même ; elle existe chez le malade mental, chez le dément, chez l’alcoolique, volonté morbide, mais volonté tout de même ; ou bien, seconde alternative, elle serait un pouvoir d’agir ou de ne pas agir, de se manifester dans un sens ou dans un autre, en toute indépendance ; mais alors il s’agit du “libre arbitre” et de la libre volonté, en lesquels on croirait.148

Ainsi, l’auteur, synthétisant l’acception de la volonté mobilisée dans la définition de la culpabilité, considère qu’« il ne s’agit en aucune manière d’une “volonté libre”. Il s’agit de la volonté, libre ou non, de la volonté tout simplement »149. L’auteur conclut sur ce point qu’« une volonté […] aussi sommaire sera toujours existante, à bien peu de réserve près »150. Le rattachement de la volonté-liberté à l’imputabilité trouve un écho chez les auteurs contemporains151. Yves Mayaud, par exemple, opère une distinction selon que la volonté est un élément de da culpabilité ou qu’elle relève de l’imputabilité. Ainsi, il propose de considérer que la volonté est un élément de la culpabilité quand elle est l’expression d’une détermination, tandis qu’elle relève de l’imputabilité lorsque l’on considère la liberté de cette détermination152. Valérie Cantat-Lampin Saint-Gérand a démontré, dans sa thèse relative à la culpabilité dans la théorie de la responsabilité pénale, que « la volonté peut être tantôt

145. Loc. cit. 146. R. GARRAUD, Traité théorique et pratique du droit pénal français, t. I, Sirey, 3e éd., 1913, no 283, p. 568. 147. Il considère « que la menace d’un mal grave et imminent, devant nécessairement frapper l’agent, si celui-ci

ne commet pas un acte illicite, est de nature à affaiblir ou même à détruire par la crainte qu’elle inspire la liberté de la volonté, qui est une condition de la responsabilité » (R. GARRAUD, Traité théorique et pratique du droit pénal français, op. cit., no 346, p. 685).

148. J. LEBRET, « Essai sur la notion de l’intention criminelle », RSC, 1938, p. 456. 149. Ibid., p. 455. 150. Ibid., p. 456. 151. Précisons cependant que l’étude de la condition liberté de l’imputabilité fera l’objet de l’étude du prochain

chapitre. 152. Cf. Y. MAYAUD, « La volonté à la lumière du nouveau Code pénal », in Mélanges en l’honneur du professeur

J. Larguier, op. cit., p. 203 et suiv.

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assimilée à la liberté lorsqu’elle est inscrite dans l’étude de l’imputabilité, tantôt à la volonté proprement dite de violer la loi pénale, quand elle sert à définir la culpabilité »153. Cette distinction trouve aussi un écho dans la thèse de Clément Margaine consacrée au concept de « capacité pénale ». Dans un développement relatif à l’approche juridique du libre arbitre, que l’auteur assimile à l’imputabilité, il établit une distinction entre la « volonté simple » et la « volonté libre ». Il précise qu’« en attestant de l’absence d’influence extérieure sur la volonté, le libre arbitre apparaît de ce fait comme une qualité supplémentaire de la volonté de son auteur »154. L’auteur ajoute que « cette distinction entre la simple volonté et la volonté libre […] semble particulièrement intéressante en matière pénale, car elle permet de différencier la question de l’existence d’une volonté, qui conditionne l’élément moral de l’infraction, de celle de la liberté de cette volonté, qui conditionne l’imputation de cette infraction »155. Dans la logique de cette dichotomie, l’auteur conclut que « l’absence de liberté, en ce qu’elle prive un individu de la faculté de se déterminer librement, empêche de lui imputer une infraction dont l’élément moral est pourtant caractérisé du fait de l’existence d’une volonté »156. Nous verrons plus particulièrement que, dans une telle hypothèse, l’irresponsabilité pénale est consécutive à la reconnaissance d’une contrainte morale. Cette dernière est constitutive d’une cause de non-imputabilité venant affecter la liberté psychologique de l’agent157. Cette situation s’analyse en effet comme « une hypothèse d’absence de libre arbitre, plutôt que comme une hypothèse d’absence de volonté »158. Nonobstant la diversité des formules159, le clivage de la notion de volonté repose bien sur la dissociation volonté-culpabilité et volonté-imputabilité. En outre, il est notable que cette appréhension duelle de la notion s’articule autour d’une même distinction substantielle. Ainsi, la volonté-culpabilité s’entend d’une volonté réaliste alors que la volonté-imputabilité s’entend d’une volonté qualitative. Quels que soient les écrits, il est possible de relever une constance dans le terme utilisé pour préciser la qualité de la volonté relevant de l’imputabilité : il s’agit d’une volonté libre. En conclusion, peu importe la diversité des formules dès lors qu’elles convergent pour exprimer l’idée selon laquelle la volonté est susceptible de deux acceptions, l’une correspondant à l’idée d’une volonté « réaliste » et relevant du domaine de l’intention, et l’autre exprimant la liberté de la volonté et relevant de la composition de l’imputabilité. Au-delà, et il s’agit là de l’objet de ce développement, cette présentation dichotomique de la volonté permet de mettre en évidence que l’acception de la volonté mobilisée dans la définition de la culpabilité est étrangère à la prise en considération de la psychologie de l’agent. Cette volonté « réaliste », en tant que dénominateur commun aux différentes formes

153. V. CANTA-LAMPIN SAINT-GÉRAND, La culpabilité dans la théorie de la responsabilité pénale, th. Lyon-III, 2000,

no 228, p. 233. 154. C. MARGAINE, La capacité pénale, th. Bordeaux-IV, 2011, no 313. 155. Ibid. 156. Ibid. 157. Cf. infra, dans le chapitre II sur les développements sur la contrainte morale. 158. C. MARGAINE, op. cit., 2011, no 319. 159. Pour la volonté-culpabilité : la volonté de fait, la volonté simple, l’expression d’une détermination, la volonté

proprement dite de violer la loi pénale. Pour la volonté-imputabilité : la faculté ou puissance de vouloir, la liberté psychologique, la liberté d’une détermination ou la volonté libre.

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de culpabilité, participe du caractère objectivé de la notion. Il est possible de conforter cela par l’étude de la substance spécifique à la culpabilité intentionnelle.

§ 2 – L’objectivation résultant de la substance spécifique à la culpabilité intentionnelle

Aux termes de l’article 121-3 du Code pénal, les comportements sont intentionnels par défaut – c’est-à-dire en pratique – lorsque le texte d’incrimination ne fait pas mention de la nécessité d’une faute pour caractériser l’élément psychologique de l’infraction. Comme le relève Emmanuel Dreyer, « cette banalisation conduit nécessairement à un affaiblissement du caractère distinctif de l’intention »160. L’absence de définition légale de l’intention dans la partie générale du Code pénal, alors même que le terme est employé par l’article 121-3, en est un symptôme. Et, lorsque le code fait à nouveau référence dans sa partie spéciale à l’intention, la terminologie reste incertaine puisqu’il parle aussi bien de « fraude »161 que de « mauvaise foi »162, d’acte accompli « volontairement »163, « sciemment »164 ou « en connaissance de cause »165. Autrement dit, « c’est bien souvent le règne de la tautologie »166. Il faut donc se tourner vers la doctrine et la jurisprudence afin de conclure au caractère objectivé de l’intention. Ce dernier résulte tant de la définition positive (A.) que de la définition négative de la notion (B.).

A. L’objectivation résultant de la définition positive de l’intention

Après avoir précisé la définition d’essence classique de l’intention, toujours de droit positif (1.), il sera établi, au travers de l’analyse de ses composantes traditionnelles, qu’elle procède d’une acception objectivée, que l’on considère le dol général (2.) ou le dol spécial (3.).

1. La définition positive d ’essence classique de l’intention

Au cours du XIXe siècle, on a assisté à une floraison de définitions doctrinales de l’intention fondées sur l’origine étymologique du mot. Comme le rappelle Bernard Bouloc, « au sens étymologique, l’intention (intendere) est la volonté tendue vers un certain but »167. Appliquée à la matière pénale, c’est une volonté dirigée vers un but interdit par la loi pénale. Nous allons voir que, partant de ce sens très général, la doctrine classique, toujours de droit positif, a dégagé une définition abstraite de l’intention. Et, nonobstant ce caractère, l’intention n’est pas uniforme en ce sens qu’« elle peut comporter des modalités différentes et des degrés

160. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 873, p. 664. 161. C. pén., art. 311-1, 323-3, 413-5, etc. 162. C. pén., art., 226-15. 163. C. pén., art. 226-1, 223-6, 432-5, etc. 164. C. pén., art. 222-33-3, 224-8, 434-7-2, etc. 165. C. pén., art. 321-1. 166. I. MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », D. 2001, p. 2144 et suiv. 167. B. BOULOC, Droit pénal général, op. cit., no 275, p. 253.

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divers »168. Pour en rendre compte, la construction doctrinale a mobilisé un vocabulaire spécifique, toujours usité, rayonnant autour de la notion centrale de dol décliné, de manière schizophrénique, en diverses facettes. Comme le rappelle Bernard Bouloc, « le droit pénal classique distingue, en effet, le dol général et le dol spécial, le dol simple et le dol aggravé, le dol déterminé et le dol indéterminé »169. La terminologie la plus fréquemment rencontrée en doctrine au titre de la constitution des infractions repose sur les concepts de dol général et de dol spécial. Dans la mesure où la théorisation de l’intention n’a pas été poussée plus avant, nous conservons, dans le cadre de cette étude, la référence au dol général et à ses diverses modalités afin de mettre en évidence le caractère objectivé de l’intention. Logiquement, cette étude commence par l’analyse du dol général.

2. Le caractère objectivé ou abstrait du dol général

En application de la théorie classique, l’intention serait caractérisée a minima par l’existence d’un dol général, présenté comme le dénominateur psychologique commun aux infractions intentionnelles. En synthétisant une doctrine élaborée au cours du XIXe siècle, Émile Garçon en conclut que le dol général se compose de deux éléments distincts, la conscience et la volonté infractionnelles. La conscience infractionnelle s’entend de « la conscience chez le coupable d’enfreindre les prohibitions légales », la volonté infractionnelle de la « volonté de commettre le délit tel qu’il est déterminé par la loi »170. Dans le même sens, selon Roger Merle et André Vitu, il ressort de l’étude de la théorie classique qu’est considéré coupable « l’agent qui s’est fidèlement représenté l’élément matériel et l’élément légal de l’infraction commise et qui, connaissant ainsi tous les éléments de l’incrimination pénale, a voulu agir “quand même”, autrement dit l’agent qui a agi dans l’état de “conscience infractionnelle” et de “volonté infractionnelle” »171. Ces choix de définitions de l’intention ont pour but de mettre en évidence que, malgré la diversité des formules doctrinales, ces dernières se recoupent dans leur majorité pour donner la même consistance à la notion de dol général. Il convient donc de retenir que, selon la doctrine classique, il se décompose en deux éléments : la conscience et la volonté. L’acception de la volonté infractionnelle ayant été précisée plus en amont, l’analyse de la notion de « conscience » mobilisée au titre de l’intention s’avère maintenant nécessaire pour confirmer le caractère abstrait de la notion.

2.1 Les éléments de conscience et de volonté (la polysémie de la notion de conscience)

Nous avons déjà vu que le terme de volonté était employé indifféremment pour décrire le contenu de la culpabilité ou de l’imputabilité, mais qu’une approche différente de la notion était néanmoins indispensable selon l’entité juridique considérée172. À l’instar de la notion de

168. B. BOULOC, Droit pénal général, op. cit., no 284, p. 259. 169. Loc. cit. 170. É. GARÇON, art. 1, no 77. 171. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 579. 172. Rappelons que l’un des objectifs de cette recherche est de démontrer que la question de l’intention et celle

de l’imputabilité sont de deux ordres différents, les notions étant tout à la fois dotées d’un contenu spécifique et indépendantes l’une de l’autre.

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volonté, et comme le relève Isabelle Moine-Dupuis, « le terme de conscience ne sera donc pas employé dans le même sens selon qu’il est question de responsabilité173 ou d’intention »174. L’auteur poursuit son analyse en soulignant très justement que « le terme de conscience est d’une approche juridique difficile et semble même relever du non-droit »175. Pour autant, le mot fait l’objet d’une double signification se prêtant à une application distributive entre l’intention et l’imputabilité. On distingue ainsi la conscience psychologique et la conscience morale176. Isabelle Moine-Dupuis rappelle que « pour être responsable, un individu doit avoir un certain degré de conscience psychologique »177. Il s’agit de comprendre que la conscience psychologique procède de l’imputabilité178. La conscience morale désigne donc la volonté mobilisée au titre de l’intention. Cette dernière, étrangère par voie de conséquence à toute investigation concernant la psychologie de l’agent, peut être identifiée comme « la connaissance de la relation existant entre soi et l’acte en accomplissement, auquel s’ajoute la connaissance du sens juridique et moral de l’acte »179. En d’autres termes, l’élément de conscience implique bien, comme le laissaient filtrer les définitions doctrinales de l’intention, outre la conscience de l’illicite, la conscience de la matérialité des faits180. Le dol ne représente qu’une « opération intellectuelle »181 et volitive instantanée, une « tendance active »182, ne nécessitant pas d’investiguer la psychologie de l’agent. Cette conclusion tient au fait qu’il participe d’une acception normative de la culpabilité.

2.2 Le caractère normatif du dol : le dol est une « faute normative »183

Cette acception du dol est la marque d’un système normatif de culpabilité. Dans un article consacré à la comparaison entre les conceptions juridique et criminologique de la culpabilité, Roger Merle démontre la consécration, en droit français, d’un système normativiste de culpabilité. Selon cette théorie, « si le coupable est blâmable, ce n’est pas tellement parce qu’il a voulu son acte, c’est plutôt parce qu’il aurait dû et pu ne pas enfreindre la norme légale »184 car « dès l’instant où il n’y a pas de culpabilité sans réprobation de la faute185, le reproche ne peut s’attacher qu’à la violation de la norme d’incrimination »186. Contrairement à la culpabilité criminologique, qui est « un concept plus complexe, plus riche de contenu

173. Le terme opère ici en tant que synonyme de l’imputabilité. 174. I. MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », op. cit., p. 2144. 175. Loc. cit. 176. Loc. cit. 177. Loc. cit. 178. Cette conscience psychologique trouve un écho dans la notion de discernement. 179. I. MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », op. cit., p. 2144. 180. Comme en atteste l’anéantissement de l’intention par l’erreur de fait (cf. infra). 181. R. MERLE, « La culpabilité devant les sciences humaines et sociales », RSC 1975, p. 29 et 30. 182. Cf. I. MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », op. cit. 183. Dans le cas particulier de la culpabilité intentionnelle, Emmanuel Dreyer qualifie expressément le dol de

« faute normative » – il considère même qu’il procède d’une plus grande intensité normative que la faute (cf. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 884, p. 673).

184. R. MERLE, « La culpabilité devant les sciences humaines et sociales », op.cit., p. 32. 185. Il importe de préciser, au regard de notre étude, que Roger Merle retient une conception large de la

culpabilité, cette dernière s’entendant, selon lui, de la somme de l’imputabilité et de la culpabilité proprement dites, la réunion de ces deux éléments étant structurée par la priorité d’un débat sur l’imputabilité (cf. infra). Ainsi, « le coupable est blâmable aux yeux du juge et aux yeux de la loi parce qu’il a volontairement violé la norme pénale, alors que par hypothèse il pouvait la respecter ».

186. R. MERLE, « La culpabilité devant les sciences humaines et sociales », op. cit., p. 32.

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psychologique »187 renvoyant, selon l’auteur, à « la culpabilité des reins et des cœurs »188, la culpabilité, dans son acception juridique, apparaît donc « comme un révélateur de ce que l’on a appelé en Allemagne notamment “l’anti-juridicité” subjective de l’infraction, beaucoup plus que comme un élément moral de la responsabilité »189. En outre, après examen d’un certain nombre d’indicateurs de normativité, l’auteur conclut même à la grande intensité normative du système français de culpabilité190. Et le fait que le système français soit d’une intensité normative très élevée est générateur d’abstractions conceptuelles. Roger Merle parle même d’« abstractions normativistes »191. Particulièrement, en ne laissant qu’une place très résiduelle à la psychologie, la culpabilité en droit français est devenue un concept très abstrait192. Le fait que le dol soit un concept purement normatif, exclusivement focalisé sur la transgression de l’illicite, est à mettre en relation avec le rôle de la culpabilité193. C’est le point de vue soutenu par Valérie Cantat-Lampin Saint-Gérand dans la thèse qu’elle a consacrée à l’étude de la culpabilité dans la théorie de la responsabilité pénale194. Selon l’auteur, la culpabilité qui doit s’analyser en une notion juridique autonome, distincte de la responsabilité et de l’imputabilité, est un « concept juridique mis au service d’un enjeu de qualification, afin qu’une responsabilité pénale puisse être engagée »195. La donnée culpabilité, « esprit de l’infraction »196, s’entend donc d’un concept normatif et informatif sur la nature et la valeur de la violation des lois pénales. Plus précisément, « elle donne des informations sur le degré de violation intellectuelle des normes pénales »197 en orientant le choix vers la nature intentionnelle ou non intentionnelle des faits de la cause. Au terme de ce développement, il paraît légitime de conclure, dans l’hypothèse où l’intention se réduirait à la notion de dol général, à son caractère objectivé. Cependant, selon une partie de la doctrine, le dol général ne suffirait pas dans tous les cas à caractériser l’intention ; il faudrait en outre que puisse être retenue l’existence d’une volonté criminelle plus précise, que l’on appelle le dol spécial. Or, cette notion, en s’entendant communément de la recherche d’un résultat déterminé par le délinquant, serait de nature à subjectiviser la notion d’intention. Yves Mayaud considère par exemple que le dol spécial peut être « défini comme une donnée psychologique particulière à certaines infractions, venant en compléter la dimension

187. Ibid., p. 30. 188. Loc. cit. 189. Ibid., p. 33. 190. Pour un examen de ces indicateurs, cf ibid., p. 32. 191. Loc. cit. 192. Dans un tel contexte juridique, « la faute contre la norme a forcément un aspect monolithique et ne

comporte pas de degré. Elle existe ou elle n’existe pas. Si elle existe elle n’est pas plus ou moins grave en soi. Elle est constituée, et cela suffit à légitimer une déclaration de culpabilité dans la motivation de laquelle les circonstances aggravantes ou atténuantes n’ont aucun rôle à jouer. Ces circonstances sont liées à une évaluation de la responsabilité du sujet et sont prises en considération pour le dosage de la sanction. Mais elles ne présentent aucun intérêt au moment où il s’agit de décider si la norme a été violée dans l’état intellectuel qu’incrimine la loi » (ibid., p. 32 et 33). La conclusion qui s’impose alors est celle de l’indifférence des circonstances aggravantes, donc des mobiles érigés en circonstances aggravantes sur l’élément psychologique de l’infraction (cf. infra, le rejet de la théorie de l’infraction aggravée).

193. Cf. infra, partie 1, titre 2. 194. V. CANTA-LAMPIN SAINT-GÉRAND, La culpabilité dans la théorie de la responsabilité pénale, op. cit. 195. V. CANTA-LAMPIN SAINT-GÉRAND, op. cit., no 694, p. 782. 196. I. MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », op. cit., p. 2144. 197. V. CANTA-LAMPIN SAINT-GÉRAND, op. cit., no 694, p. 782. Cette acception de la donnée culpabilité sera

mise en relation avec les fonctions de la notion (cf. infra, partie 1, titre 2).

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morale »198. Nous allons voir cependant que le dol spécial ne saurait conférer à l’élément moral de l’infraction une « spécificité marquée »199, faute pour la notion de pouvoir constituer une entité juridique à part entière.

3. L’absence de subjectivisation de l ’intention découlant de l’inclusion du dol spécial dans le dol général

Pour certains auteurs, l’intention n’est constituée que si le dol général est complété d’un dol spécial. Cette affirmation peut prêter à débat. Il nous semble permis de considérer que l’absence d’autonomie du dol spécial découle de la définition du dol général. Ainsi nous pouvons déduire de la définition de l’intention la confusion du dol spécial et du dol général sous l’égide d’une même entité psychologique. Comment considérer que le dol général, se définissant comme la volonté de commettre le délit tel qu’il est déterminé par la loi, n’implique pas la volonté du résultat incriminé par l’infraction ? Plus précisément, comment considérer que la volonté du résultat ne participe pas de l’intention de l’agent dès lors que l’élément de conscience implique – outre la conscience de l’illicite – la conscience de la matérialité des faits et que cet élément de conscience se double de la volonté d’agir malgré tout ? À l’évidence, « ce qui est intentionnel ne peut être « autrement vécu que par une adhésion psychologique au résultat de l’infraction »200. Yves Mayaud conclut logiquement que « la volonté du résultat participe de l’intention, pour en constituer la substance même de toutes les infractions dont la nature est intentionnelle. Il est donc inutile d’en rendre compte autrement, notamment en ayant recours à la notion de dol spécial »201. Dans le même sens, Robert Bernardini202 estime que réduit à la seule volonté du résultat, le dol spécial n’apporte rien de plus à la définition de l’intention qui s’entend déjà d’une volonté du résultat. Tout au plus peut-on considérer que ce que la doctrine majoritaire nomme « le dol spécial » correspond au but implicite de l’infraction. Comme le soulignent Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec, « Le plus souvent, l’exigence d’un dol spécial n’apparaît pas à la lecture de l’incrimination. C’est alors l’interprétation jurisprudentielle des textes qui permet de savoir qu’un tel dol est nécessaire »203. Le caractère abstrait de la définition positive de l’intention résulte aussi de la redondance du dol spécial dans la définition de l’intention, dans la mesure où ce dernier était a priori porteur d’une prise en compte de la psychologie de l’agent. Existe-t-il des obstacles à cette assertion ? L’un des arguments hostiles à l’inclusion du dol spécial dans le dol général réside dans le fait que certaines infractions intentionnelles ne requièrent pas l’existence d’un résultat. C’est le cas des infractions formelles et des infractions obstacles204. En l’absence de résultat exigé par la loi, il semble à première vue impossible de considérer que l’intention s’entende de la volonté du résultat infractionnel. Illustrons ce propos avec la distinction traditionnelle entre les infractions formelles et les infractions

198. Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 255. 199. Loc. cit. 200. Loc. cit. 201. Ibid., note de bas de page no 1, p. 273. 202. R. BERNARDINI, Droit pénal général : introduction au droit criminel, théorie générale de la responsabilité pénale, Gualino,

2003, no 418. 203. F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16e éd., 2009, no 474, p. 438. 204. Dans le domaine non intentionnel, c’est aussi le cas des infractions de mise en danger délibérée.

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matérielles pour démontrer que cette contradiction apparente n’est pas aussi insoluble qu’il y paraît. Alors que les premières sont réalisées indépendamment de la survenance d’un résultat, les secondes ne sont constituées qu’en présence d’un résultat dommageable. On oppose fréquemment l’infraction formelle d’empoisonnement, constituée par la seule administration de la substance mortifère indépendamment du décès de la personne, et l’infraction matérielle de meurtre exigeant un résultat caractérisé par le décès de la victime. Dans le cas du meurtre, non seulement le décès de la victime est exigé au titre de l’élément matériel de l’infraction, mais encore, son élément psychologique suppose de caractériser l’intention homicide ou animus necandi. Dans le cas de l’empoisonnement, alors que le décès de la victime n’est pas exigé au titre de la caractérisation de l’élément matériel de l’infraction, l’intention de tuer doit être rapportée pour établir la réalité de l’élément psychologique205. La question se pose de savoir comment concilier, dans le cadre d’une infraction formelle206, l’absence de nécessité d’un résultat au titre de l’élément matériel de l’infraction avec la recherche d’un résultat au titre de l’élément psychologique. Cette contradiction apparente peut être solutionnée par la distinction, observée par certains auteurs, entre le résultat réel et le résultat juridique ou légal, ou redouté par le législateur207. Le résultat réel s’entend de « la modification du monde extérieur qui résulte de l’acte matériel prohibé »208. Pour éclairer la notion de résultat juridique, il est possible de se tourner vers Yves Mayaud. Selon l’auteur, « chaque infraction représente en effet soit une atteinte, soit une menace à un bien juridique collectif, et c’est précisément cette atteinte ou cette menace qui constitue le préjudice pénal »209. Le résultat juridique s’analyse donc en une atteinte ou en une menace à un bien juridique collectif et chaque infraction possède au moins un résultat juridique. Par exemple, dans le cadre du meurtre, le résultat réel et le résultant juridique ou légal de l’infraction coïncident et consistent dans le décès de la victime, dans l’atteinte à la vie d’autrui. Dans le cadre de l’empoisonnement, peu importe la survenance d’un résultat réel consistant dans le décès de la victime, il est toujours possible de mettre en avant l’existence d’un résultat légal ou juridique consistant dans l’atteinte ou dans la menace à l’intégrité physique d’un être humain210. Au terme de cette démonstration, il apparaît donc que l’absence de résultat réel 205. L’affaire de la contamination par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) en constitue une

illustration pertinente. La Cour de cassation a ainsi décidé que la seule connaissance du pouvoir mortel de la substance administrée, en l’espèce le VIH transmis par rapport sexuel, ne suffit pas à caractériser l’intention homicide (cf. Cass. crim., 2 juill. 1998, no 98-80529 ; Bull. crim., no 211, JCP G 98, II, 10132, note M.-L. RASSAT ; D., 1998, p. 457, note J. PRADEL ; RSC, 1999, p. 98, obs. Y. MAYAUD).

206. Le même questionnement vaut pour les infractions obstacles. 207. Sur les différentes conceptions du résultat de l’acte incriminé. Il nous paraît possible de distinguer trois

types de résultats : le résultat recherché par l’auteur (cf. infra les développements relatifs aux présomptions de culpabilité, le résultat réel et le résultat juridique ou légal ou redouté par le législateur).

208. Philippe Conte et Patrick Maistre du Chambon citant la définition de René Garraud, cf. P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, coll. U., 4e éd., 1999, p. 166, no 317.

209. Y. MAYAUD, Le mensonge en droit pénal, préface de A. DECOCQ, L’Hermès, 1979, no 382 p. 247. 210. On remarque donc que, s’agissant des infractions matérielles, les deux types de résultat, réel et juridique

ou légal, coexistent avec possibilité de coïncidence – dans le cadre du meurtre – ou non – dans le cadre des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. S’agissant des infractions formelles et des infractions obstacles, seul le résultat juridique ou légal peut être pris en compte. Pour conclure sur ce point, il est permis de souligner que ce dédoublement de la notion de résultat se vérifie dans le cadre des infractions non intentionnelles, caractérisées par l’existence d’un résultat dont la survenance n’a pas été recherchée et par les infractions de mise en danger délibérée. Prenons l’exemple des blessures involontaires, si le résultat réel consiste dans l’atteinte à l’intégrité physique de la victime, le résultat juridique consiste quant à lui dans l’absence d’atteinte à l’intégrité physique.

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exigé au titre de l’élément matériel peut cohabiter avec l’exigence d’un résultat juridique au titre de l’élément psychologique. Autrement dit, la nature formelle211 de l’infraction n’est pas un obstacle à l’exigence d’un dol spécial dans la mesure où ce dernier correspond au résultat juridique ou légal de l’infraction. La jurisprudence en matière d’empoisonnement en fournit d’ailleurs une illustration212. En résumé, il est permis de conclure que le dol spécial, en tant qu’il correspond au résultat juridique ou légal de l’infraction, relève d’une acception normative, ce qui est parfaitement cohérent au regard de son inclusion dans la notion de dol général. Et cette prise en compte d’un seul résultat juridique au titre de l’élément psychologique de l’infraction s’accorde parfaitement d’une définition abstraite de l’intention. Un autre argument communément avancé à l’autonomie du dol spécial réside dans la prétendue nécessité du dol spécial pour faire la distinction entre certaines infractions intentionnelles. L’exemple le plus communément avancé réside dans l’importance du dol spécial pour marquer la différence entre l’homicide volontaire et les violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Il s’agit de comprendre qu’en l’absence de dol spécial et à élément matériel unique, il ne serait pas possible de dégager la qualification juridique à retenir. Il est possible de réfuter cet argument en considérant, à l’instar d’Yves Mayaud, que « même pour appuyer cette dualité d’infractions, la référence au dol spécial est superflue »213. En effet, « la spécificité des violences mortelles ne tient pas à leur consommation, qui reste intentionnelle par la volonté d’attenter à l’intégrité physique de la victime, mais à leur qualification, pour ne plus être réprimées comme un homicide »214. En outre, et comme nous l’avons précédemment évoqué, si les deux infractions convergent au niveau de leur résultat réel, elles divergent par leur résultat légal ou juridique. Alors que dans le cadre de l’homicide le résultat juridique correspond à l’atteinte à la vie d’autrui, dans le cadre des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, le résultat légal de l’infraction consiste en l’atteinte à l’intégrité physique de la victime. En d’autres termes, au-delà de la notion de dol spécial, ces deux infractions divergent par leur élément psychologique. Cet argument n’a donc pas plus vocation à prospérer que le précédent. Finalement, il est possible d’invoquer un argument positif pour convaincre de l’inclusion du dol spécial dans le dol général. Il est aussi possible de faire valoir que le dol spécial constitue non pas un critère de distinction entre infractions intentionnelles, mais le critère de distinction entre infractions intentionnelles et infractions non intentionnelles. Il s’agit de comprendre que si l’inclusion du dol spécial dans le dol général s’excipe de la définition de l’intention, elle peut également être établie par la mobilisation de la volonté dans la définition de l’imprudence pénale215. En effet, assimiler l’élément volonté de certaines infractions intentionnelles au seul dol général équivaut à réduire l’élément volonté de ces infractions à la

211. Le raisonnement vaut également pour les infractions obstacles. 212. Cf. par exemple Cass. crim., 18 juin 2003, no 02-85.199, Bull. crim. no 127, JCP 2003, II, 10121, note

M.-L. RASSAT ; D., 2004, p. 1620, note D. REBUT. 213. Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 266. 214. Ibid. Cela depuis que la loi du 28 avril 1832, en révisant l’ancien Code pénal, a érigé les violences volontaires

ayant entraîné la mort sans intention de la donner en crime spécifique. 215. Cf. supra.

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seule volonté du comportement. Or, il n’est pas possible de réduire l’élément de volonté dans l’intention à la seule volonté du comportement puisque la volonté d’agir constitue le dénominateur commun à toutes les infractions216, sans considération de leur nature intentionnelle ou non intentionnelle. La réduction du dol général à la volonté du comportement n’est donc pas possible, au risque de brouiller le critère de distinction jusqu’alors opérationnel entre infractions intentionnelles et non intentionnelles. Pour cette raison, nous devons conclure que l’intention s’entend toujours de la volonté du résultat de l’infraction. Dans sa thèse consacrée à la césure et à la recomposition du procès pénal, Claire Saas démontre notamment comment la distinction entre infractions intentionnelles et infractions non intentionnelles et, au-delà, comment la définition de la culpabilité en général s’articule autour du degré de tension entre la volonté et le résultat de l’infraction217. D’ailleurs, afin de prendre en compte l’éclatement du régime unitaire de l’imprudence pénale218, elle propose de dépasser l’ancien clivage fondé sur la simple opposition entre, d’une part, la tension de la volonté vers le résultat infractionnel pour caractériser les infractions intentionnelles et, d’autre part, l’absence totale de tension entre la volonté et le résultat infractionnel pour caractériser les infractions non intentionnelles. Il s’agit de comprendre que la définition de la culpabilité non intentionnelle comme l’absence totale de volonté du résultat infractionnel n’est pas suffisamment précise pour permettre de distinguer, au sein des infractions non intentionnelles, les divers degrés de faute qui sont maintenant proposés par le législateur. Si l’absence totale de tension entre la volonté et le résultat infractionnel reste propre à refléter la psychologie de l’agent auteur d’une imprudence ou d’une négligence ordinaire, cette définition est inapte à tenir compte de la création des fautes d’imprudence qualifiées. L’auteur propose donc d’enrichir le clivage traditionnel en proposant la définition suivante aux termes de laquelle ces dernières s’entendent de la « tension indirecte entre la volonté et le résultat légal ou, plutôt, comme la tension entre la volonté et le risque de résultat légal »219. Au final, deux arguments majeurs permettent de conclure à l’inclusion du dol spécial dans le dol général, et donc à l’absence subséquente de subjectivisation de l’intension par le dol spécial. Le premier tient au fait qu’il correspond au résultat juridique ou légal de l’infraction et le second au fait qu’il constitue le critère de distinction entre infractions intentionnelles et non intentionnelles. Signalons pour finir que pour certains auteurs, c’est le dol général qui est absorbé dans le dol spécial220. Pour cette raison, la systématisation de l’intention en diverses modalités de dol, exigées de manière alternative ou cumulative, apparaît relativement artificielle. D’ailleurs, il est permis de penser que le dol spécial ne présente pas d’autre intérêt théorique que de constituer un instrument au service de la politique criminelle jurisprudentielle. De la même manière, l’appréhension de l’intention par la négative, par l’exclusion des mobiles du champ de sa définition, révèle aussi son caractère objectivé.

216. Cf. supra. 217. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2002, no 159 et suiv. 218. Pour les différentes fautes pénales, cf. l’article 121-3 du Code pénal. 219. C. SAAS, op. cit., no 161, p. 165. 220. Certains auteurs soutiennent à l’inverse la thèse de l’inutilité du dol général. François Rousseau, par

exemple, semble considérer que c’est plutôt le dol spécial qui implique le dol général : « [...] la volonté du résultat implique, a fortiori, celle du comportement. » (F. ROUSSEAU, L’imputation de la responsabilité pénale, op. cit., no 79).

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B. L’objectivation résultant de la définition négative de l’intention : l’exclusion des mobiles du champ de la définition de l’intention

Pour Bernard Bouloc, les mobiles s’entendent de « la cause impulsive et déterminante de l’acte criminel »221. Pour Roger Merle et André Vitu, le mobile est constitué par « l’intérêt ou le sentiment qui a déterminé le délinquant à agir comme il l’a fait, et qui est seul susceptible de rendre l’infraction intelligible (cupidité, vengeance, jalousie, pauvreté, cruauté, pitié, amour…) »222. Les mobiles sont porteurs d’une subjectivisation de l’intention étant donné qu’ils prennent théoriquement en considération la psychologie de l’agent. Le choix de traiter des mobiles dans ce développement, réservé à l’étude de la culpabilité intentionnelle, est justifié non seulement par le fait que la question de l’interférence des mobiles dans la constitution de la culpabilité n’a pas lieu d’être dans le domaine de la non-intention – où l’absence de recherche de résultat n’est pas compatible avec les raisons profondes ayant inspiré l’action ou l’omission du délinquant –, mais aussi parce que l’exclusion des mobiles de la définition de l’intention est particulièrement significative de son abstraction. Cette exclusion de principe est le fait tant de la jurisprudence (1.) que du législateur (2.) bien que l’on assiste, depuis l’entrée en vigueur du Code pénal de 1994, à une prise en compte législative croissante du mobile.

1. L’exclusion jurisprudentielle de principe des mobiles de la définition de l’intention

Comme le rappelle François Rousseau, « lorsqu’elle aborde la définition de l’élément psychologique de l’infraction, la doctrine insiste sur la distinction entre l’intention et le mobile »223. Pour reprendre une expression commune, « les mobiles sont juridiquement indifférents ». En écho à l’exclusion doctrinale, la jurisprudence, au travers notamment des célèbres arrêts Lahore224 et Petit225, a adopté une conception délibérément abstraite de l’intention en jugeant que les mobiles étaient jugés indifférents. Une précision s’impose. Cette absence d’influence jurisprudentielle du mobile à l’égard de la constitution de l’intention pourrait être le signe d’une indifférence jurisprudentielle de principe à l’égard des mobiles en droit pénal. Ce serait se méprendre sur la portée jurisprudentielle de l’exclusion. En demandant au juge de se prononcer sur la peine en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale

221. B. BOULOC, Droit pénal général, op. cit., no 278, p. 255. 222. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 489, p. 742. 223. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 150. Cf. également R. BERNARDINI, Droit

pénal général : introduction au droit criminel, théorie générale de la responsabilité pénale, op. cit., no 431 ; B. BOULOC, Droit pénal général, op. cit., no 278, p. 255 ; P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 383 ; F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16e éd. 2009, no 477, p. 441; Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit. ; no 223 ;R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 589 ; J. PRADEL, Droit pénal général, op. cit., no 555 ; J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, 6e éd., 2005, p. 321 ; M.-L. RASSAT, Droit pénal général, Ellipses, op. cit., no 314, p. 340.

224. Cass. crim., 8 févr. 1977, no 76-91772, Bull. crim., no 52 ; RSC 1977, p. 590, obs. G. LEVASSEUR. Aux termes de la motivation de la décision, « le délit de vol est constitué quel que soit le mobile qui a inspiré son auteur dès lors que la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui est constatée ».

225. Cass. crim., 18 juill. 1973, no 73-90824, Bull. crim., no 336, Gaz. Pal. 1973. 2. 709, note J. P. D.

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et sociale226, le législateur autorise notamment une certaine considération des mobiles de l’agent par le juge227. L’exclusion des mobiles ne signifie donc pas que les juges ne peuvent investiguer la psychologie de l’agent, ces derniers opérant indirectement par le truchement du principe de personnalisation des peines. En outre, la jurisprudence fait parfois œuvre créatrice en érigeant le mobile légitime en cause d’irresponsabilité pénale. A priori critiquable au regard du principe de la légalité, la création d’un fait justificatif extralégal, fondé sur un mobile légitime, a cependant pu présenter l’avantage d’un retour à l’orthodoxie conceptuelle concernant l’élément psychologique de l’infraction. Expliquons-nous. Cela a été le cas dans le domaine du vol de documents de l’entreprise par le salarié pour se défendre en justice. En application de l’admission par la jurisprudence du vol d’usage, qui permet de sanctionner l’appréhension de documents durant le temps nécessaire à leur reproduction et restitués par la suite, la jurisprudence a pu estimer que l’infraction de vol était caractérisée, dans l’hypothèse d’un salarié qui effectue la photocopie de documents appartenant à son employeur et qu’il détient dans le cadre de l’exercice de ses fonctions de manière à assurer sa défense en justice228. En effet, la chambre criminelle décidait traditionnellement que le salarié ne pouvait alors invoquer le souci d’organiser sa défense en prévision d’une prochaine instance prud’homale pour nier son intention de commettre un vol. L’infraction était effectivement caractérisée dès lors que ses éléments matériel et moral étaient réunis, le mobile n’intervenant qu’au stade de la personnalisation des peines. Cependant, interpellés par le sort du salarié, dont la difficulté à contester l’argumentation de l’employeur en utilisant un autre moyen était évidente, certains juges du fond avaient pris l’habitude de prononcer la relaxe en se fondant soit sur l’erreur de droit229, soit sur le défaut de caractérisation de l’infraction de vol. Dans cette dernière hypothèse, deux alternatives étaient susceptibles de fonder la relaxe, que l’on se place sur le terrain de l’élément matériel de l’infraction ou sur celui de son élément moral. Dans le même sens, Carole Girault relève que « les juges du fond avaient […] pris l’habitude de nier l’existence d’un élément matériel ou moral propre au délit de vol. Le salarié ne commettrait pas de soustraction puisque les documents originaux, qui sont simplement reproduits, demeurent la propriété de l’employeur. De même, le prévenu n’aurait pas l’intention de nuire ou de porter préjudice, ni “la conscience particulière” de porter atteinte à la propriété car il ne pense qu’à sa défense »230. Dans l’hypothèse du vol de document par le salarié, il arrivait donc que les juges du fond concluent à l’absence d’infraction pénale, faute

226. C. pén., art. 132-1. 227. B. BOULOC, Droit pénal général, no 282, p. 257, P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général,

A. Colin, 7e éd., 2004, no 384 ; Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 223 ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 591, J. PRADEL, op. cit., no 557.

228. Cass. crim., 24 oct. 1990, no 02-85.199, Bull. crim. no 355. Cass. crim., 8 déc. 1998, no 97-83318, Bull. crim., no 336 ; D., 2000, p. 87, obs. S. FROSSARD ; D., 2000, p. 120, obs. M. SEGONDS ; RSC, 1999, p. 822, obs. R. OTTENHOF. Cass. crim., 16 mars 1999, no 97-85054, inédit, JCP G 1999, 10166, note S. BOURETZ.

229. C’est le cas dans la première affaire du 11 mai 2004 (cf. Cass. crim., 11 mai 2004, no 03-80.254, Bull. crim., no 113) où la cour d’appel avait retenu l’erreur de droit au profit de la salariée poursuivie pour vol de documents. La juridiction du fond se retranchait derrière les solutions divergentes des chambres criminelle et sociale de la Cour de cassation pour soutenir que l’incertitude juridique entourant cette question était à l’origine d’une erreur sur le droit qu’elle n’était pas en mesure d’éviter (cf. infra, les développements sur l’erreur de droit).

230. C. GIRAULT, « Soustractions de documents d’entreprise par les salariés en vue de se défendre en justice », JCP G 2004, II, 10124.

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d’élément moral, en prenant en considération l’exercice des droits de la défense du salarié. Cette argumentation reposait sur la prise en compte du mobile légitime au titre de l’intention ! Une illustration peut être trouvée dans la deuxième affaire du 11 mai 2004231 où la cour d’appel a décidé la relaxe « aux motifs que […] le vol suppose une soustraction frauduleuse ; que l’élément moral de l’infraction implique que Liliane X ait eu conscience d’utiliser et donc de s’approprier les documents qu’elle savait appartenir à son employeur contre le gré de celui-ci ou à son nom ; qu’en l’espèce, l’intention de porter atteinte à la propriété n’est pas établie dès lors que Liliane X qui avait librement et régulièrement accès aux documents dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, n’a pu avoir cette conscience particulière, laquelle est manifestement incompatible avec la défense de ses droits en justice étant précisé qu’aucune autre intention que celle de se préserver légitimement des preuves et de les faire valoir dans le cadre de l’instance prud’homale l’opposant à son employeur n’est caractérisée, pas plus que l’intention de nuire ou de porter préjudice ». Or, comme le souligne Marie-Paule Lucas de Leyssac :

Le délit pouvait donc être retenu, même si les salariés avaient agi pour les besoins de leur défense, car il ne s’agissait là que d’un mobile, impuissant à supprimer l’atteinte à la propriété qu’ils avaient commise en appréhendant frauduleusement, pendant le temps nécessaire à la reproduction, l’original reproduit.232

Ces solutions, inspirées par la recherche d’une issue équitable au litige, étaient de nature à remettre en cause la règle jurisprudentielle de l’indifférence des mobiles. Le manque d’orthodoxie de ces solutions a certainement incité la chambre criminelle à opérer un revirement de sa jurisprudence par deux arrêts rendus le 11 mai 2004233. Depuis, la juridiction suprême attend des juges du fond qu’ils recherchent si les documents photocopiés par un salarié, qui en a eu connaissance dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, sont strictement nécessaires pour assurer ses droits de la défense dans un litige l’opposant à son employeur234.

231. Cass. crim., 11 mai 2004, no 03-85.521, Bull. crim., no 117. Pour une précédente décision en ce sens, cf. CA

Paris, 12 févr. 1996, RSC, 1996, p. 863, obs. R. OTTENHOF ; CA Grenoble, 3 juin 1998, JCP G 1999, IV, 1818.

232. M.-P. LUCAS DE LEYSSAC, « Vol », in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, no 187. 233. Cass. crim., 11 mai 2004 (deux arrêts op. cit.) : Bull. crim. nos 113 et 117, op. cit. ; D., 2004, Jurisp., p. 2326,

note H. GABA ; D., 2004, somm., p. 2759, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE ; RSC, 2004, p. 635, obs. E. FORTIS ; RSC, 2004, p. 866, obs. G. VERMELLE ; JCP G 2004, II, 10124, note C. GIRAULT ; Dr. pén., 2004, comm. no 122, note M. VÉRON ; LPA 23 sept. 2004, no 191, p. 14, note F. DEBOVE ; LPA 24 nov. 2004, no 235, p. 14, note P. BOUGHANMI-PAPI.

234. Par un arrêt en date du 9 juin 2009, la Cour de cassation est venue préciser sa jurisprudence selon laquelle, en cas de vol d’un document de l’entreprise par un salarié qui en aurait eu connaissance lors de l’exercice de ses fonctions, il incombe aux juges du fond de rechercher si ce document était strictement nécessaire à l’exercice de ses droits de la défense lors d’un litige l’opposant à son employeur. Selon la chambre criminelle, le contentieux opposant l’employeur et le salarié doit relever du domaine prud’homal et non d’une autre matière (cf. Cass. crim., 9 juin 2009, no 08-86.843, Bull. crim., no 118 ; Gaz. Pal. 21-25 août 2009 [nos 233 à 237], p. 10, note S. DETRAZ ; D., 2009, chron. p. 1714, obs. P. CHAUMONT et E. DEGORCE ; Soc., 2009, p. 1182, note F. DESPREZ). Il importe de préciser qu’il existe des décisions plus récentes qui ont étendu le champ d’application de ce « fait justificatif » (cf. Cass. crim., 16 juin 2011, no 10-85.079, Bull. crim., no 134, Dr. pén., 2011, comm. 100, obs. M. VÉRON ; JCP G 2011, note 1020, p. 1701, S. DETRAZ ; D., 2011, p. 2254, note G. BEAUSSONIE) mais qui en ont également posé les limites. Il ne peut être valablement invoqué que dans le cas d’une instance prud’homale (cf. Cass. crim., 21 juin 2011, no 10-87.671, Bull. crim., no 149 ; D., 2011, act. p. 1900 ; Dr. soc., 2011, p. 933, note J.-E. REY ; Dr. pén., 2011, note 121).

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Autrement dit, en présence de tels faits, l’infraction de vol est bien caractérisée dans tous ses éléments constitutifs, notamment moral, mais le délit de vol pourra être justifié par la stricte nécessité de l’exercice des droits de la défense. Le principe reste donc que la prise en compte jurisprudentielle des mobiles ne vient pas interférer dans la définition de l’élément psychologique de l’infraction. Ainsi, bien que certains auteurs soulignent le caractère croissant de cette prise en considération235, cette dernière n’est pas de nature à subjectiviser l’élément moral de l’infraction. Qu’en est-il de la prise en compte législative du mobile ?

2. L’inclusion législative exceptionnelle des mobiles dans la définition de l’intention

Dans leur ouvrage relatif aux grands arrêts du droit pénal général, Jean Pradel et André Varinard rappellent qu’« on ne rencontrait que quelques rares textes prenant en compte un mobile spécifique dans le Code pénal de 1810 »236. À leur tour, Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec relèvent que « l’ancien Code pénal ne comportait que très peu d’infractions pour lesquelles les mobiles étaient véritablement pris en compte »237. La situation est tout à fait différente dans le Code pénal actuel où l’on assiste à une véritable inflation législative dans la prise en considération du mobile. Alors, quelle(s) modalité(s) à la prise en compte législative du mobile ? Au regard de l’adoption, dans le Code de 1994, d’un article consacré à l’élément psychologique de l’infraction238, on pourrait se demander si la prise en compte du mobile par le législateur ne participe pas d’une entreprise de systématisation de la culpabilité ouvrant la voie à la reconnaissance d’une conception subjectivée intégrant la notion de mobile. Une réponse par la négative provient d’abord de l’absence de référence au « mobile » dans le corps de l’article 121-3 du Code pénal consacré à l’élément psychologique de l’infraction. En réalité, il existe deux modalités possibles à l’inclusion législative du « mobile » dans l’élément psychologique de l’infraction, d’une part par le truchement des circonstances aggravantes pour constituer une infraction dite aggravée et, d’autre part, par le truchement d’un mobile particulier autrement dénommé « dol aggravé ». Nous allons établir qu’aucune d’entre elles ne permet de conclure à la subjectivisation de l’intention. La prise en compte législative du mobile affecte par principe sa répression. Ainsi, il n’est pas rare de voir le législateur ériger tel ou tel mobile en circonstance aggravante. En principe, cette prise en compte est sans incidence sur la caractérisation de l’infraction en contribuant simplement à individualiser, à moduler la répression239. En effet, il est communément admis que « la ratio legis des circonstances aggravantes est de permettre au législateur de graduer le

235. En ce sens notamment, M. BENILLOUCHE, « La subjectivisation de l’élément moral de l’infraction :

plaidoyer pour une nouvelle théorie de la culpabilité », RSC, 2005, p. 529 et suiv. 236. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, Dalloz, 10e éd., 2016, no 39, p. 613. 237. F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16e éd. 2009, no 479, p. 442. 238. C. pén., art. 121-3. C’est l’un des apports des rédacteurs du Code pénal de 1994 que d’avoir cherché à

clarifier, sur le sujet de l’élément psychologique de l’infraction, des règles que l’ancien Code pénal ne précisait pas.

239. Pour une liste de mobiles érigés en circonstances aggravantes, cf. par exemple F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 151, p. 172.

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jugement de valeur porté sur une action déjà pénalement répréhensible »240. Ces différents points de vue sont controversés.

2.1. La prise en compte du mobile au titre de l’élément psychologique de l’infraction par le truchement de la théorie de l’infraction aggravée

Afin d’écarter la pertinence de cette théorie, il conviendra préalablement d’en présenter la teneur.

La théorie de l’infraction aggravée ou l’inclusion du mobile érigé en circonstance aggravante dans la constitution de l’élément psychologique de l’infraction Certains auteurs, à l’instar de François Rousseau, s’opposent au fait de considérer les circonstances aggravantes « comme un simple instrument de mesure de la peine » et ne sont pas favorables à leur « réduction à un simple instrument de pénalité »241. Selon l’auteur, la question se pose de savoir si les circonstances aggravantes ne participent pas de la construction de l’infraction. François Rousseau finit par considérer que « la circonstance aggravante n’est pas un simple accessoire à l’infraction simple, mais s’ajoutant à cette dernière, elle constituerait l’élément d’une nouvelle infraction : l’infraction aggravée »242. Il précise qu’« en effet, il est possible de concevoir la réunion d’une infraction simple et de sa circonstance aggravante en une infraction à part entière : l’infraction aggravée »243. S’appuyant alors sur la thèse de Camille de Jacobet de Nombel244, il en conclut qu’il peut être soutenu que, selon l’aggravation considérée, le mobile pourra parfois être intégré dans l’élément psychologique de l’infraction. En résumé, aux termes de cette théorie, ériger un mobile en circonstance aggravante pourrait revenir à en faire un élément constitutif de l’élément psychologique de l’infraction. Plusieurs arguments permettent cependant d’écarter cette thèse. Le rejet de la théorie de l’infraction aggravée ou l’exclusion de l’intégration du mobile érigé en circonstance aggravante dans la constitution de l’élément psychologique de l’infraction La réfutation de la thèse de François Rousseau – Il nous semble en premier lieu que la démonstration de l’auteur peut être doublement attaquée. Tout d’abord, son raisonnement l’amène à opérer une distinction binaire entre, d’un côté, les circonstances aggravantes réelles et mixtes245 et, de l’autre, les circonstances aggravantes personnelles246. Si les premières affectent l’infraction, les secondes affectent la responsabilité. Toutes les circonstances aggravantes ne présentent donc pas une nature infractionnelle. Toutes les circonstances

240. Cf. M. DALLOZ, Rép. pén. Dalloz, Circonstances aggravantes, no 6. 241. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 204, p. 239. 242. Ibid., p. 240. 243. Ibid., no 151, p. 172. 244. C. DE JACOBET DE NOMBEL, Théorie générale des circonstances aggravantes, Dalloz, 2006, no 24 ; sur la

démonstration de cette affirmation, cf. nos 25 et suiv., nos 36 et suiv., nos 75 et suiv. 245. Les circonstances aggravantes réelles sont celles qui résultent de la matérialité de l’infraction, par exemple,

l’escalade ou l’effraction dans le vol. Les circonstances aggravantes mixtes sont celles qui relèvent d’une donnée personnelle tout en retentissant sur la réalisation de l’infraction, par exemple, la préméditation.

246. Celles qui sont propres à la personne comme la récidive.

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aggravantes ne sont donc pas à même de constituer, avec une infraction simple, une infraction aggravée. L’absence de portée générale de l’effet « surqualifiant » d’une circonstance aggravante n’est-elle pas de nature à remettre en cause la théorie de l’intégration, dans l’élément psychologique de l’infraction, du mobile érigé en circonstance aggravante ? Pour faire échec à la théorie de François Rousseau, selon laquelle l’infraction aggravée serait susceptible de constituer une infraction à part entière à l’élément psychologique enrichi, ne peut-on ainsi faire valoir que toutes les circonstances aggravantes ne présentent pas une nature infractionnelle ? Par ailleurs, en regardant de plus près les circonstances aggravantes affectant l’infraction, en l’occurrence les circonstances aggravantes réelles et mixtes, il s’avère que ces dernières viennent plus affecter la consistance antisociale de l’infraction et, plus précisément, l’anti-socialité des faits, que la psychologie – même objectivée – de l’auteur de l’infraction. Plus précisément, l’auteur observe qu’une circonstance aggravante réelle ou mixte peut soit modifier la structure matérielle d’une infraction en transformant un délit formel en infraction matérielle247, soit changer la nature, et partant le régime, de certaines infractions248. Ainsi, il est permis de considérer que les circonstances aggravantes réelles ou mixtes, en imprimant une autre nature aux faits, n’interfèrent pas avec l’élément psychologique de l’infraction. En résumé, il nous semble possible de réfuter l’analyse de François Rousseau, d’une part parce que seules les circonstances aggravantes réelles et mixtes ont une nature infractionnelle et, d’autre part, parce que ces mêmes circonstances, de nature infractionnelle, n’affectent que l’anti-socialité des faits. Nous allons maintenant vérifier que cette règle se trouve confirmée par la distinction des circonstances aggravantes des éléments constitutifs de l’infraction. La consécration de la distinction des circonstances aggravantes des éléments constitutifs de l’infraction – Pour écarter la théorie de l’infraction aggravée, il est possible, plus simplement, de rappeler la distinction de principe entre les éléments constitutifs de l’infraction, notamment son élément psychologique, et les circonstances aggravantes. Cette distinction est consacrée par le législateur en matière criminelle. En effet, il est prévu à l’article 349 du Code de procédure pénale que les circonstances aggravantes devront impérativement faire l’objet d’une question séparée. Cette règle a été généralisée par la doctrine qui « en déduit traditionnellement la nécessité de distinguer les circonstances aggravantes des éléments constitutifs »249. Pour une illustration implicite, Jean Cédras, à propos du dol éventuel, considère qu’il peut être consacré à double titre, de manière « autonome » lorsqu’il est un élément de l’infraction de mise en danger d’autrui, mais qu’« il y a consécration “subordonnée” là où le dol éventuel fonctionne

247. F. ROUSSEAU prend l’exemple de l’infraction de délaissement d’un mineur de moins de 15 ans dans un

lieu quelconque, prévue à l’article 227-1 du Code pénal. Il s’agit d’un délit formel qui est constitué en l’absence de tout dommage pour l’enfant. L’auteur ajoute cependant que « lorsque cette infraction est aggravée par une mutilation ou infirmité permanente, consécutive au délaissement (C. pén., art. 227-2, al. 1), elle devient matérielle, puisque sa consommation dépend, alors, d’un dommage précis : la mutilation ou l’infirmité permanente ». Le même raisonnement vaut lorsque le délaissement a généré la mort du mineur (cf. F. ROUSSEAU, op. cit., no 204, p. 240).

248. F. ROUSSEAU prend cette fois l’exemple de la réunion ou de l’usage d’une arme, pour les circonstances réelles, ainsi que la qualité de conjoint ou d’ascendant, pour les circonstances mixtes, qui peuvent transformer des violences contraventionnelles (C. pén., art. R. 624-1 et R. 625-1) en violences délictuelles (C. pén., art. 222-13) [ibid.].

249. Cf. M. DALLOZ, Rép. pén. Dalloz, Circonstances aggravantes, no 7.

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comme circonstance aggravante des infractions fautives d’homicide et de violences »250. En outre, on ne saurait, à notre sens, valablement exciper une solution contraire de l’absence de critère législatif général permettant de distinguer dans chaque incrimination les éléments constitutifs et les circonstances aggravantes – quand bien même cette distinction ne serait pas toujours aisée à établir251. Cette conclusion se trouve confirmée par l’analyse de la jurisprudence la plus récente rendue en matière d’infractions sexuelles. Pour en prendre la mesure, il importe de rappeler la législation en vigueur. Aux termes de l’article 222-22, alinéa 1er du Code pénal : « Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise. » À l’occasion de la loi no 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le Code pénal ainsi qu’à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux, le législateur a introduit un nouvel article 222-22-1 éclairant la notion de contrainte au sens de l’article 222-22 du Code pénal. L’article 222-22-1 nouveau du Code pénal prévoit que « La contrainte prévue par le premier alinéa de l’article 222-22 peut être physique ou morale. La contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime ». Or, en vertu des articles 222-29-1 et 222-30 (2°) du Code pénal, les agressions sexuelles stricto sensu252 sont punies de 10 ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende lorsqu’elles sont commises sur une victime mineure de 15 ans et également lorsque l’auteur de l’agression sexuelle est un ascendant ou toute autre personne ayant sur elle une autorité de droit ou de fait. Quant à la répression du viol, l’article 222-24 prévoit que les peines sont portées à 20 ans de réclusion criminelle lorsque l’infraction est commise sur un mineur de 15 ans (2°) ou par un ascendant ou toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait (4°). Les circonstances aggravantes relatives à la minorité de la victime et à l’exercice d’une autorité de droit ou de fait sur la victime sont susceptibles, en les confrontant à l’article 222-22-1 du Code pénal, d’entrer dans la constitution des infractions d’agressions sexuelles. Au lendemain de la loi du 8 février 2010, la question se posait donc avec une acuité particulière de savoir si un même fait pouvait constituer à la fois un élément constitutif et une circonstance aggravante d’une infraction. Cette question a été résolue par la négative par une jurisprudence très récente. Nous allons voir que la jurisprudence, tant judiciaire que constitutionnelle, consacre le principe de la distinction entre éléments constitutifs et circonstances aggravantes d’une infraction en lui conférant un fondement constitutionnel. Tout a commencé avec un arrêt rendu par la chambre criminelle le 13 novembre 2014253. Un prévenu condamné pour agression sexuelle en récidive, consultation habituelle d’un site pédophile, importation, détention et diffusion d’images à caractère pédophile en récidive, contestait devant la Cour de cassation, par le biais d’une question prioritaire de

250. J. CEDRAS, « Le dol éventuel : aux limites de l’intention », op. cit., p. 18 et suiv. 251. Notamment parce qu’un même fait est parfois un élément constitutif dans une incrimination et une

circonstance aggravante dans une autre ; pour des exemples, cf. M. DALLOZ, op. cit., no 8, ou encore parce que le législateur incrimine certains comportements à la fois en tant qu’infractions autonomes et en tant que circonstances aggravantes d’autres infractions ; pour des exemples, cf. M. DALLOZ, op. cit., no 9.

252. Les agressions sexuelles autres que le viol, défini quant à lui à l’article 222-23 du Code pénal, et qui constitue une agression sexuelle commise avec un acte de pénétration sexuelle.

253. Cass. crim., 13 nov. 2014, no 14-81.249, inédit, JurisData no 2014-027936.

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constitutionnalité, la possibilité pour une agression sexuelle commise par un ascendant sur un mineur d’être envisagée à la fois comme un élément constitutif de l’infraction et comme une circonstance aggravante. La question prioritaire de constitutionnalité faisait état d’un doublon qui porterait atteinte au principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines, ainsi qu’au principe de la nécessité et de la proportionnalité garantis par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. À son tour, la Cour de cassation considère qu’« en prévoyant que la contrainte morale peut, en matière d’agression sexuelle, résulter de l’autorité de droit ou de fait exercée sur la victime par l’auteur des faits, alors qu’elle constitue aux termes des articles 222-24 (4°) et 222-30 (2°) du Code pénal, une circonstance aggravante des dites infractions, l’article 222-21-1 serait susceptible de porter atteinte aux principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité s ’il était estimé qu’un même fait ne peut être à la fois un élément constitutif et une circonstance aggravante d’une infraction ». Dans ce contexte judiciaire, la décision du Conseil constitutionnel était particulièrement attendue. Nous allons voir que deux enseignements résultent de cette décision254, le premier consistant dans la consécration implicite du principe de la distinction entre éléments constitutifs et circonstances aggravantes et le second dans le caractère opérant de cette distinction dans le domaine particulier des agressions sexuelles. Il est vrai qu’après avoir examiné le contenu de la législation en la matière, cette dernière affirmation peut surprendre. Le Conseil s’attache cependant à démontrer la véracité de son analyse en se fondant sur l’usage du verbe pouvoir au sein de l’article 222-22-1 du Code pénal et force est de constater qu’il emporte la conviction. En effet, et comme le relève Stéphane Detraz dans l’analyse qu’il effectue de cette décision, « si la contrainte morale “peut” résulter de la différence d’âge et de l’autorité que détient l’agent, c’est qu’elle “peut” aussi ne pas en résulter »255. Pour les besoins du raisonnement, qu’il soit permis d’énoncer l’évidence selon laquelle un élément constitutif est par nature indispensable à la constitution de l ’infraction. Par conséquent, l’aléa résultant de l’emploi du verbe pouvoir à l’article 222-22-1 empêche de qualifier la différence d’âge et l’autorité détenue par l’agent d’éléments constitutifs de l’infraction. Pour cette raison, le Conseil considère que « la seconde phrase de l’article 222-22-1 du Code pénal a pour seul objet de désigner certaines circonstances de fait sur lesquelles la juridiction saisie peut se fonder pour apprécier si, en l’espèce, les agissements dénoncés ont été commis avec contrainte » et « n’a en conséquence pas pour objet de définir les éléments constitutifs de l’infraction »256. Ainsi, lorsque, dans un arrêt, la Cour de cassation énonce que « la contrainte résulte de l’autorité de fait exercée sur les victimes par le prévenu »257, elle tient compte en réalité des particularités de l’espèce. C’est en déniant aux circonstances évoquées par l’article 222-22-1 du Code pénal tout rôle dans

254. Cons. const., 6 févr. 2015, no 2014-448 QPC, consid. 6 : JurisData no 2015-001881. 255. S. DETRAZ, « L’article 222-22-1, in fine, du Code pénal à la lumière de la jurisprudence », Dr. pén., 2015,

étude 24. 256. Cons. const., 6 févr. 2015, no 2014-448 QPC, consid. 6 : JurisData no 2015-001881. 257. Cf. Cass. crim., 18 févr. 2015, no 14-80.772, inédit : JurisData no 2015-002875 ; Dr. pén., 2015, comm. 63,

obs. M. VERON.

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la définition légale des infractions que le Conseil a pu juger qu’il « s’ensuit que, dès lors qu’il ne résulte pas de ces dispositions qu’un des éléments constitutifs du viol ou de l’agression sexuelle est, dans le même temps, une circonstance aggravante de ces infractions, ces dispositions ne méconnaissent pas le principe de la légalité des délits ». Comme le relève Stéphane Detraz, « il en ressort vraisemblablement, par une interprétation a contrario, qu’il serait effectivement contraire audit principe que le même fait consomme l’infraction et en aggrave simultanément les peines »258. Ce faisant, c’est tout à la fois la reconnaissance et l’assignation d’un fondement constitutionnel qui est conféré au principe de la distinction entre élément constitutif et circonstance aggravante259. Il est donc permis de dépasser le cadre des infractions sexuelles pour donner à la solution une portée générale, indépendante par ailleurs de la nature criminelle ou correctionnelle de l’infraction. À l’instar de Marc Dalloz, nous retiendrons que « l’existence d’une infraction de base apparaît donc comme un préalable indispensable à la reconnaissance d’une circonstance aggravante »260. Nous pouvons donc souscrire, en particulier, à l’indépendance entre élément psychologique de l’infraction et circonstance aggravante. Cette démonstration faite, il ne faut cependant pas occulter, comme le relève François Rousseau, que « cette considération du mobile dans l’élément psychologique de l’infraction se retrouve plus nettement à l’égard de certaines infractions qui, indépendamment de toute aggravation, exigent pour leur constitution une intention ainsi que la recherche d’un but particulier par l’auteur »261. Cette intention enrichie hérite, en doctrine, de la terminologie de dol aggravé262. Peut-on, dans cette hypothèse, conclure de la même manière à l’indifférence des mobiles sur l’intention et, plus spécifiquement, puisque cette fois l’intégration des mobiles dans le texte de qualification n’est pas contestable, à l’indifférence des mobiles sur la substance objectivée de l’intention ? 2.2 La prise en compte du mobile au titre de l’élément psychologique de l’infraction

indépendamment de toute aggravation ou la prise en compte d’un « dol aggravé » !

Les conséquences à l’égard du caractère objectivé de l’intention Le mobile peut aussi être pris en compte pour caractériser l’existence de l’infraction par le prisme de ce que la doctrine majoritaire nomme le dol aggravé. Ce dernier s’entendant de la recherche d’un but particulier, il implique une action préméditée de l’agent263. L’intention

258. S. DETRAZ, « L’article 222-22-1, in fine, du Code pénal à la lumière de la jurisprudence », op. cit. 259. Une précision relativement à l’étendue du principe : s’il fait obstacle à toute déduction automatique, il ne

s’oppose pas à la déduction d’un élément constitutif à partir d’une circonstance aggravante, cette hypothèse laissant la place, dans le cadre des infractions sexuelles, à une appréciation in concreto de la contrainte morale par les juges du fond. Comme le relève Stéphane Detraz, « il n’est pas irrationnel de déduire de la présence d’une circonstance aggravante (par exemple la préméditation) la preuve de l’existence d’un élément constitutif de l’infraction (tel que l’intention) » (ibid.). Pour des applications ultérieures de cette solution, cf. Cass. crim., 23 sept., 2015, no 13-83.881, inédit : JurisData no 2015-021030, Dr. pén., 2015, comm. 154, obs. P. CONTE et Cass. crim., 18 nov. 2015, no 14-86.100, inédit : JurisData no 2015-029658, Dr. pén., 2015, comm. 24, obs. P. CONTE.

260. Cf. M. DALLOZ, op. cit., no 6. 261. F. ROUSSEAu, op. cit., no 151, p. 172. 262. Qu’il convient donc de distinguer de l’hypothèse précédemment étudiée d’infraction aggravée. 263. Pour la définition de la préméditation, cf. C. pén., art. 132-72.

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est mûrie et réfléchie. En tant que but explicite de l’infraction264, le dol aggravé vient enrichir le dol général pour constituer l’élément psychologique de l’infraction. Pour cette raison, cette notion soulève un questionnement légitime au regard de la subjectivisation de l’intention. Mais, au-delà même de ces hypothèses, nous observerons qu’en définitive, les modalités de captation du mobile importent peu. En effet, il va être démontré que la prise en compte législative du mobile, quel qu’en soit le support, circonstance aggravante ou élément psychologique, n’a pas d’incidence dans la mesure où cette prise en considération s’opère de manière objective. La prise en considération objective du mobile par le législateur Nous allons montrer que la prise en considération du mobile intervient toujours de manière objective, qu’il s’agisse de caractériser une circonstance aggravante de l’infraction ou son élément psychologique. Le caractère objectif du mobile érigé en circonstance aggravante – Parmi les principaux mobiles contemporains érigés en circonstances aggravantes figurent les mobiles racistes et homophobes. Nous démontrerons la prise en compte objective de ces mobiles au travers de la genèse de la généralisation de la circonstance aggravante de racisme. À la fin de l’année 2002, à la suite de la recrudescence d’actes antisémites, le député Pierre Lellouche a déposé une proposition de loi, devenue la loi du 3 février 2003265, tendant à généraliser la circonstance aggravante de racisme pour de nombreuses infractions. Afin d ’éviter les problèmes de preuve de la motivation raciste de l’auteur d’une infraction, il fut décidé « d’objectiviser »266 cette circonstance aggravante en créant, dans la partie générale du Code pénal consacrée à la définition de certaines circonstances aggravantes, un article 132-76 précisant le sens des dispositions de droit pénal spécial aggravant telles ou telles infractions en raison de leur caractère raciste. Aux termes de l’article 132-76 du Code pénal, la circonstance aggravante de racisme « est constituée lorsque l’infraction est précédée, accompagnée ou suivie de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature portant atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Comme le soulignent Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec, « on ne demande donc plus au juge de rechercher les motifs pour lesquels l’auteur des faits a agi, mais de rechercher s’il existe des éléments matériels, objectifs de racisme »267. Le mobile raciste se distingue donc clairement des motifs pour lesquels le délinquant a agi ! Le raisonnement peut être dupliqué au mobile homophobe qui, depuis la loi du 18 mars 2003268, fait l’objet d’un article 132-77 prévoyant des règles similaires. Aux termes de cet article, la circonstance aggravante d’homophobie « est constituée lorsque l’infraction est précédée, accompagnée ou suivie de propos, écrits, utilisation d’images ou d’objets ou actes de toute nature portant atteinte à

264. Par opposition au dol spécial qui en constitue le but implicite. 265. Loi no 2003-88 du 3 février 2003 visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste,

antisémite ou xénophobe. 266. Le terme est emprunté à Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec (cf. F. DESPORTES et F.

LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16e éd., 2009, no 478, p. 444). 267. Loc. cit. 268. Loi no 2003-239 pour la sécurité intérieure.

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l’honneur ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de leur orientation ou identité sexuelle vraie ou supposée ». Il est permis de noter que les éléments constitutifs de la circonstance aggravante d’homophobie, notamment ceux permettant d’établir la matérialité des faits, reposent sur les mêmes supports que la circonstance aggravante de racisme. Le fait que l’ossature des deux circonstances aggravantes soit identique ajoute encore à l’objectivisation. En effet, il est tout de même significatif que les mobiles raciste et homophobe puissent être établis par les mêmes procédés. De manière a priori plus inattendue, nous allons démontrer que le mobile pris en compte au titre d’un dol aggravé procède également d’une acception objective. Le caractère objectif du mobile intégré dans la constitution de l’élément psychologique de l’infraction – Les infractions pour lesquelles un mobile particulier est exceptionnellement exigé par la loi en tant qu’élément constitutif sont parmi les plus graves. On peut citer les violations, destructions ou dégradations volontaires commises sur un témoin pour l ’empêcher de dénoncer les faits ou sur une victime pour l’empêcher de porter plainte269, où à l’intention de blesser une personne ou de dégrader ses biens s’additionne celle de l’intimider. Concernant les actes de terrorisme270, les textes d’incrimination, pour souligner l’existence d’un dol aggravé, en l’espèce le mobile terroriste271, précisent que les actes considérés doivent être intentionnellement en relation avec une entreprise terroriste272. Dans le même registre, on peut citer le génocide273, où à l’intention homicide s’additionne la volonté d’exterminer toute une population. Comme le relèvent Jean Pradel et André Varinard, « Il est certain que pour toutes ces infractions un mobile spécifique est exigé pour leur réalisation mais il s’intègre alors au texte de qualification »274 : comprenons qu’« il n’y aura atteinte à la valeur sociale protégée par le texte de qualification que pour ceux qui auront pour objectif le but précis envisagé par le législateur »275. Il nous semble alors possible de faire le parallèle avec la définition du dol général d’Émile Garçon276 dans le sens où, dans cette hypothèse aussi, l’infraction n’est caractérisée que si l’agent est animé de la volonté de commettre les faits tels qu’ils sont décrits par le législateur. Ce parallèle est intéressant dans la mesure où c’est précisément cette définition qui a conduit à théoriser une conception objectivée du dol spécial. Cette analyse peut donc également contribuer à la démonstration de l’abstraction du dol aggravé. D’ailleurs, les notions de dol spécial et de dol aggravé sont souvent confondues en doctrine277, ce qui contribue à démontrer l’inutilité de cette double distinction. Il s’agit dans les deux cas de

269. C. pén., art. 222-3 (5°) et suiv., art. 322-3 (4°). 270. C. pén., art. 421-1 et 421-2 réprimant pour le dernier le terrorisme écologique. 271. Ce dernier consistant dans la volonté de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. 272. Cette mise en exergue d’un dol aggravé résulte d’une modification rédactionnelle des articles 421-1

et 421-2 du Code pénal opérée par la loi no 96-647 du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire.

273. C. pén., art. 211-1. 274. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 39, p. 614. 275. Loc. cit. 276. Cf. supra, la définition positive de l’intention. 277. Par exemple, pour Philippe Conte et Patrick Maistre du Chambon, le dol spécial équivaut à ce que Frédéric

Desportes et Francis Le Gunehec nomment le dol aggravé. Pour Jacques-Henri Robert, le terme de dol spécial recoupe les notions de dol spécial stricto sensu et de dol aggravé.

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buts prévus par le législateur et il n’y a, en définitive, qu’une différence de degré entre le dol spécial et le dol aggravé en ce sens qu’il s’agit de mobiles plus ou moins proches, mais en aucun cas personnels278. À la différence de degré fait écho une hiérarchie dans la gravité. Tout au plus, après examen des infractions majoritairement concernées par l’existence d’un dol aggravé, peut-on considérer que le dol spécial s’apparente au but/mobile décrit par le législateur dans les infractions de droit commun, tandis que le dol aggravé s’apparente au but/mobile décrit par le législateur dans les infractions d’une particulière gravité. Le fait que les infractions requérant un dol aggravé relèvent d’un régime juridique dérogatoire intervient en faveur de cet argument279. Pour souligner l’absence de référence à la psychologie de l’agent dans le dol aggravé, André Varinard et Jean Pradel précisent que « ceux qui poursuivent ce but – « le but précis envisagé par le législateur » – tomberont sous le coup de la loi pénale alors que les raisons profondes, qui les ont conduits à agir, pourront être très différentes »280. Ainsi, il apparaît qu’« il y a, à côté des mobiles proches, des raisons personnelles plus lointaines que la loi ignora »281. Les auteurs en concluent que « l’intention même complétée par un mobile reste donc abstraite »282. Marie-Laure Rassat partage la même analyse. Selon l’auteur, « but particulier et mobile ne se confondent pas. Le but particulier visé par la loi est quelque chose d’objectif commun à tous les délinquants qui se livrent à l’infraction en cause : tous les dirigeants sociaux qui abusent des biens de leur société cherchent à se procurer un profit personnel. Au contraire le mobile est une notion subjective propre à chacun d’eux : chaque dirigeant commettant un abus de biens sociaux agit comme il le fait avec un mobile qui lui est propre (permettre un développement d’une autre entreprise…) »283. Le but particulier visé par la loi est commun à tous les délinquants. Le dol aggravé n’est donc qu’une variante de dol spécial, étranger à la psychologie de l’agent. Le mobile pris en compte au titre de l’élément moral de l’infraction n’est donc pas de nature à subjectiviser l’intention. En conclusion, la prise en compte croissante du mobile par le législateur, qu’elle s’opère par le prisme des circonstances aggravantes ou du dol aggravé, n’introduit en fait une conception concrète de l’intention que d’une manière assez artificielle puisque cette prise en considération du mobile intervient de manière objective. Ainsi, « l’exceptionnelle prise en considération de ces mobiles par le législateur n’implique pas pour autant une adhésion à une conception concrète ou criminologique de l’intention »284. Nous ne pouvons enfin que constater l’actualité de la conclusion de Jean Lebret sur la substance de l’intention aux termes de laquelle « la notion d’intention criminelle nous apparaît de plus en plus dépouillée de toute base concrète, ayant rompu toutes attaches avec les choses vivantes, avec les

278. En ce sens, cf. Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec : « La distinction entre le dol et le mobile n’est

en définitive qu’une question de degrés. » (F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, op. cit., no 478, p. 442.) 279. Comme le soulignent Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec, le dol aggravé du génocide « justifie,

outre certaines règles de procédure dérogatoires du droit commun, que soient encourues les peines les plus graves » (cf. F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, op. cit., no 478, p. 443).

280. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 39, p. 614. 281. Loc. cit. 282. Loc. cit. 283. M.-L. RASSAT, op. cit., no 317, p. 344. 284. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, Dalloz, 6e éd., 2007, no 39, p. 606.

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réalités. Elle est à la fois peu précise, et purement abstraire »285. Cette conclusion peut être confirmée par l’étude du régime juridique de la culpabilité.

Section 2 – L’objectivation confirmée par l’étude du régime juridique de la culpabilité

L’objectivation de la substance de la culpabilité trouve un écho dans son régime juridique, qu’il s’agisse de l’établissement facilité de son existence par le recours au mécanisme des présomptions de culpabilité (§ 1) ou de l’admission restrictive des causes de non-culpabilité (§ 2).

§ 1 - L’établissement de la culpabilité par le recours au mécanisme des présomptions

En raison de l’inégalité des parties au procès pénal286, c’est au ministère public qu’il incombe en principe d’établir la culpabilité du mis en cause. Cette règle trouve une traduction juridique dans l’existence de la présomption d’innocence. En vertu de ce principe à valeur constitutionnelle, garanti dans le Code de procédure pénale287 et dans toutes les déclarations de droits288, toute personne accusée d’une infraction doit être présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été reconnue par un jugement irrévocable. Il en résulte que la charge de la preuve impartit à la partie poursuivante. On pourrait donc considérer que l’expression « présomption de culpabilité » s’applique à des hypothèses exceptionnelles dans lesquelles il appartiendrait à la personne mise en cause de prouver qu’elle n’a pas commis l’infraction visée aux poursuites. Cependant, « l’expression employée […] volontairement forte »289 dépasse le cadre des conséquences probatoires traditionnelles pour concerner l’intensité de la preuve pesant sur le ministère public. Il s’agit de comprendre que, même dans des hypothèses normalement couvertes par la présomption d’innocence, « les difficultés de la charge de la preuve ont amené le législateur et la jurisprudence à créer, pour défendre les intérêts supérieurs de la société, de véritables présomptions de culpabilité »290. L’emploi de cette terminologie, dans le cadre des développements à suivre, a donc pour objectif de signifier que, même lorsque la preuve de la culpabilité pèse sur la partie poursuivante, il existe des présomptions de culpabilité constituant finalement une modalité probatoire, mise à la disposition du ministère public ou de la juridiction de jugement, pour l’établissement de la culpabilité du mis en cause. En pratique, elles conduisent à dispenser la partie poursuivante de réaliser des investigations concernant la psychologie de l’agent. Le mécanisme des présomptions de culpabilité est donc de nature à conforter le caractère

285. J. LEBRET, op. cit., p. 446. 286. Le ministère public dispose des pouvoirs de la puissance étatique. 287. Article préliminaire. 288. DDH, art. 9 ; DUDH, art. 11 ; Conv. EDH, art. 6 § 2. 289. S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, Lexis Nexis, 9e éd., 2013, no 512, p. 478. 290. Ibid., no 534, p. 564.

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abstrait de la notion en dispensant l’accusation d’établir de manière autonome la réalité de l’existence de l’intention ou de l’imprudence (A.). L’abstraction est renforcée par la légitimité du mécanisme des présomptions de culpabilité (B.).

A. La présentation générale des présomptions de culpabilité

Il existe deux types de présomption de culpabilité : d’une part, les présomptions de droit qui sont l’œuvre du législateur et, d’autre part, les présomptions de fait qui émanent de la jurisprudence. Les présomptions légales sont de deux ordres, de faute ou de responsabilité, selon qu’elles ne concernent respectivement que l’élément moral des infractions ou, tout à la fois, l’élément moral et l’élément matériel291. Il est notable que les présomptions de droit peuvent intervenir en matière intentionnelle comme non intentionnelle292. Les présomptions jurisprudentielles consistent quant à elles à déduire l’intention ou l’imprudence de la matérialité des faits. Pour cette raison, on les désigne souvent sous la dénomination de présomptions de fait. Ces différentes présomptions de culpabilité ont en commun le fait qu’aucune recherche d’ordre psychologique n’est réellement menée pour déterminer l’état d’esprit de l’agent au moment des faits. Si les présomptions de culpabilité trouvent à s’appliquer à la fois en matière intentionnelle et non intentionnelle, l’accent sera mis sur le caractère présumé des éléments constitutifs du dol (1.). En matière non intentionnelle, nous nous attarderons sur le domaine voisin de l’appréciation de la faute, ce dernier contribuant à alimenter le caractère abstrait de la notion (2.).

1. La présomption des éléments constitutifs de l ’intention

Bien qu’il soit inutile de rendre compte de l’intention par le recours aux notions doctrinales de dol général et, particulièrement, de dol spécial (voire de dol aggravé), nous faisons le choix de conserver cette terminologie dans le cadre de ce développement afin de souligner la multitude des présomptions relatives à l’intention. Selon la terminologie fréquemment rencontrée en doctrine, rappelons donc que, pour un certain nombre d’infractions, l’intention se présente comme la réunion du dol général (1.1) et du dol spécial et/ou aggravé (1.2).

291. Certains domaines spécifiques sont concernés par l’existence de présomptions légales de culpabilité et/ou

de responsabilité à l’image du droit de la presse, du droit pénal douanier ou du droit pénal de la circulation routière. Par exemple, l’article 35 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dispose que la diffamation « est réputée faite de mauvais foi, sauf preuve contraire par son auteur ». Autre exemple, l’article 392. (1°) du Code des douanes qui dispose que « Le détenteur de marchandises de fraude est réputé responsable de la fraude ». Pour une application récente de la présomption légale de culpabilité en matière de droit pénal douanier, cf. Cass. crim., 6 mai 2015, no 13-87.428, inédit, Dr. pén., 2015, Chron. 8, S. DETRAZ. Selon la Cour de cassation, l’article 392 (1°) du Code des douanes, réprimant la contrebande de marchandises prohibées, établit une présomption de culpabilité à l’encontre du prévenu détenteur de marchandises de fraude. Ce dernier ne peut donc être relaxé que s’il démontre lui-même sa bonne foi. On rencontre également des présomptions de responsabilité dans le Code pénal. C’est le cas à l’article 225-6 réprimant le proxénétisme. En application de ce dernier, l’élément matériel du délit est caractérisé lorsqu’une personne ne peut « justifier de ressources correspondant à son train de vie tout en vivant avec une personne qui se livre habituellement à la prostitution ou en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes se livrant à la prostitution ».

292. Il peut même alors exister des présomptions « attitrées » à l’instar de celles supportées par le chef d’entreprise concernant les infractions à la règlementation relative à l’hygiène et à la sécurité des travailleurs (cf. C. trav., art. L. 263-2).

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1.1 La présomption de dol général

Ses deux composantes, qu’il s’agisse de la « conscience infractionnelle » ou de la « volonté infractionnelle », sont toujours présumées ; la première en raison de l’adage nemo censetur, la seconde en raison de l’acception de la volonté mobilisée dans la définition de la culpabilité en général293. Concernant la présomption de connaissance de la loi, on peut considérer qu’elle est même doublement abstraite, en ce sens qu’en plus d’être présumée, elle prend également « l’allure d’une fiction, d’un artifice technique sans rapport avec la réalité sociale »294. En effet, « qui peut se vanter d’être au courant de toutes les défenses et prescriptions pénales qui se multiplient, s’“artificialisent” de plus en plus […] et débordent largement le droit pénal ? »295 Cependant, deux justifications majeures peuvent être avancées au soutien de cet excès apparent d’abstraction296. La première réside dans le fait qu’elle est imposée « par les nécessités de la discipline sociale »297. En effet, « si l’on pouvait déroger à la loi sous prétexte qu’on l’ignore, le régime de l’état de droit se dissoudrait dans l’anarchie »298. La seconde puise son fondement dans le caractère contractuel de la répression299. La règle nemo censetur constitue alors la contrepartie la règle nullum crimen sine lege. En contrepartie du principe de la légalité, il pèse sur chaque citoyen l’existence d’un devoir d’information juridique. Selon Emmanuel Dreyer, « L’obligation faite à la loi pénale de prévenir avant de frapper perdrait tout son sens si les destinataires de cette loi n’étaient pas tenus eux-mêmes de la connaître »300. En définitive, ce qui pose difficulté n’est pas tant le principe de la présomption de connaissance de la loi que le caractère quasi irréfragable de cette présomption301. L’abstraction découlant de la présomption de dol général est renforcée par la présomption relative à l’autre élément constitutif de l’intention.

1.2 La présomption de dol spécial et/ou aggravé accentuant le caractère objectivé de l’intention

Il a précédemment été démontré le caractère objectivé du dol spécial par la prise en compte, au titre de la qualification des faits, du résultat juridique de l’infraction. Comme le rappelle Yves Mayaud, « à toute infraction […] correspond un dommage redouté par le législateur, ce que le droit pénal intègre par le résultat »302. Le résultat juridique de l’infraction,

293. Cf. supra. 294. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 582, p. 734. 295. Loc. cit. 296. D’une manière générale, nous vérifierons à plusieurs reprises l’idée selon laquelle les abstractions

conceptuelles du droit pénal sont légitimes et qu’elles ne sont pas de nature à affecter l’essence subjective de la responsabilité dans la mesure où les éléments de la personnalité de l’agent sont alors véhiculés par les composantes subjectives – imputabilité, principe d’individualisation des peines – de la responsabilité pénale.

297. Loc. cit. 298. Loc. cit. 299. Roger Merle et André Vitu soulignent à leur tour que « la répression prend un aspect contractuel, qui est

un héritage de la théorie du contrat social » (cf. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 583, p. 735).

300. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 878, p. 668. 301. Nous verrons cependant qu’il contribue à alimenter le caractère objectivé de la notion de culpabilité.

Cf. infra pour illustrer la rigueur de son maniement, le développement relatif à l’erreur de droit. 302. Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 230, p. 272.

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correspondant à ce résultat redouté par le législateur, coïncide par ailleurs avec le résultat matériellement réalisé. En principe, il correspond aussi au résultat effectivement recherché par l’auteur, mais cela peut ne pas être le cas. Cette exception trouve une traduction dans la sanction de ce que la doctrine majoritaire nomme le dol indéterminé. Contrairement au dol déterminé, le dol est indéterminé « lorsque l’agent n’a pas voulu l’acte délictueux d’une façon précise, ni dans son résultat, ni dans sa gravité, même s’il a pu la prévoir »303. C’est le cas notamment du dol exigé en matière de violences volontaires prévues aux articles 222-7 et suivants du Code pénal. Celui qui donne à autrui des coups peut provoquer chez la victime de simples ecchymoses, une incapacité de travail temporaire, une incapacité permanente, voire même la mort. La question se pose alors de savoir comment doit être sanctionné l’auteur de ces coups. Doit-il l’être d’après la gravité du résultat produit bien qu’il ne l’ait pas voulu ? Une autre façon de présenter le problème consiste à souligner que, dans le cadre des infractions qui ne sont pas en elles-mêmes porteuses de leur résultat, ce dernier est potentiellement double : d’une part le résultat redouté ou juridique, correspondant au dommage effectivement réalisé et, d’autre part, le résultat recherché. Quel est celui qui est retenu au titre de la qualification des faits fondant les poursuites exercées à l’encontre de l’agent ? Comme le précise Cédric Porteron, « Pour le droit criminel français, l’agent auteur d’un dol indéterminé doit être puni en fonction de la gravité du résultat obtenu. Il y a assimilation du dol déterminé et du dol indéterminé »304. Cette assimilation est d’ailleurs expressément consacrée en matière de violences volontaires305, dans le cas des destructions et dégradations volontaires306, ainsi qu’en matière de terrorisme307. C’est donc le résultat juridique ou redouté par le législateur qui est pris en compte. Cela signifie308 que « L’intention n’est autre que la volonté du résultat redouté dans son principe, ce résultat dépasserait-il en manifestation les prévisions ou la détermination de son auteur »309. Yves Mayaud ajoute logiquement que « l’intention ne tient pas à la preuve d’une relation certaine entre le dommage et la perception qu’en avait son auteur, elle est seulement liée à la volonté d’atteindre la valeur protégée, sans égard pour ce qui en révèle concrètement l’effectivité »310. Ainsi, il n’est donc pas nécessaire d’établir la preuve réelle de la conformité entre le dommage et la perception qu’en avait son auteur, « seule est à prouver la volonté d’attenter à l’intégrité de la personne, ce qui est un enjeu de consommation311 »312. En pratique, s’agissant des violences volontaires, cela se traduit par le fait que le dol exigé se résume à l’intention de porter des coups et, aux termes d’une jurisprudence constante, l’infraction de violences est

303. C. PORTERON, Rép. pén. Dalloz, Infraction, nos 102 et 103. 304. C. PORTERON, op. cit., no 103. 305. C. pén., art. 222-7, 222-9, 222-11 et R. 625-1. 306. Ibid., art. 322-9 et 322-10. 307. Ibid., art. 421-4. 308. Et par là même confirme (cf. supra, le développement relatif à l’acception du dol spécial). 309. Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 230, p. 274. 310. Loc. cit. 311. À l’instar des infractions formelles ! 312. Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 230, p. 275.

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constituée dès lors qu’il existe un acte volontaire de violence313. D’une manière générale, cette solution, revenant à présumer que l’intention est conforme au résultat atteint, était inéluctable au regard des difficultés de preuve dans l’établissement du lien psychologique entre l’action et son résultat. Elle est cependant de nature à accroître l’abstraction de la culpabilité en cas de discordance entre le résultat appréhendé par la qualification et le résultat effectivement recherché par l’auteur. Le caractère abstrait de la culpabilité se trouve accentué par le fait que le dol spécial qui est en pris en compte au titre de la qualification peut ne pas refléter l’état d’esprit de l’agent. En conclusion, on peut retenir que le caractère objectivé de la culpabilité est accentué par la sanction du dol indéterminé puisque, dans une telle hypothèse, on retient la « présomption de conformité de l’intention au résultat atteint » alors qu’il existe un risque de discordance entre le résultat recherché par l’auteur et le résultat effectivement réalisé. En matière non intentionnelle, le caractère objectivé de la culpabilité trouve un prolongement dans les modalités d’appréciation de la faute d’imprudence.

2. Les modalités d ’appréciation de la faute confirmant le caractère objectif de la culpabilité

Selon certains auteurs, à l’instar de Mikaël Benillouche, il serait possible d’élaborer une théorie de la culpabilité fondée sur le constat d’une subjectivisation de l’élément moral de l’infraction. S’agissant des infractions intentionnelles, cette systématisation résulterait, selon l’auteur, de la prise en compte croissante des mobiles dans la définition de l’infraction. S’agissant des infractions non intentionnelles, elle serait le fait d’une évolution dans les modalités d’appréciation de la faute pénale. Plus précisément, Mikaël Benillouche considère que la subjectivisation de l’élément psychologique des infractions non intentionnelles est le fait d’une évolution dans l’appréciation de la faute par la substitution d’une appréciation in concreto à une appréciation in abstracto. Il nous importe dans le cadre de cette étude de vérifier la pertinence de cette allégation en raison de ses conséquences potentielles sur la nature objectivée du concept de culpabilité. Il sera établi non seulement que l’évolution dans l’appréciation de la faute ne remet que partiellement en cause le caractère normatif de l’imprudence pénale, mais encore que la permanence d’une approche abstraite de la faute se trouve justifiée par les impératifs de la répression.

2.1 Le maintien partiel du caractère normatif de l’imprudence pénale

La doctrine classique considérait que le juge pénal devait procéder à une appréciation in abstracto de la faute. Pour ce faire, il prenait pour point d’appui une référence humaine idéale, standardisée314. Par conséquent, il « ne devait pas tenir compte de la psychologie ou des aptitudes particulières de la personne poursuivie. Cette dernière ne pouvait donc pas invoquer son inexpérience, son incompétence ou sa maladresse pour échapper à la

313. Pour une illustration en jurisprudence, cf. Cass. crim., 3 oct. 1991, no 90-84747, inédit, RSC, 1992, p. 748,

obs. G. LEVASSEUR ; Dr. pén., 1992, comm. 57, M. VERON. 314. Feu le bon père de famille.

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répression »315. En pratique, et au-delà même d’un excès d’abstraction, cela avait pour effet que des infractions non intentionnelles redevenaient des délits matériels. Et il en découlait logiquement une pénalisation croissante de l’imprudence. Cette dernière étant plutôt mal vécue du côté des prévenus décideurs publics, la loi no 96-393 du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des faits d’imprudence et de négligence a été adoptée. Elle avait pour objectif d’atténuer la répression de l’imprudence pénale en modifiant l’appréciation de la faute pénale. L’appréciation in abstracto de la faute devait disparaître au profit d’une appréciation in concreto. Aux termes de l’article 121-3 du Code pénal dans sa rédaction issue de la loi du 13 mai 1996, la faute d’imprudence ordinaire ne peut désormais être retenue que « si l’auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ». Comme le relève Claire Saas, « l’appréciation in concreto, si elle s’oppose à une appréciation in abstracto, peut être effectuée de manière objective ou subjective »316 et, au regard de la lettre de l’article 121-3 du Code pénal, il semble que le législateur ait opté pour une appréciation in concreto effectuée de manière objective. En effet, il s’excipe de la lettre de cet article que la réalité de la donnée intellectuelle n’est pas analysée au regard de l’état d’esprit de l’agent, mais au travers des circonstances de fait entourant l’action. En atteste l’acception du terme de compétences visé à l’article 121-3, puisqu’il s’évince des travaux parlementaires relatifs à la loi du 13 mai 1996 qu’il doit être pris dans son sens technique ou juridique. La loi de 1996 n’avait consacré qu’une appréciation hybride, une approche in abstracto tempérée par des éléments in concreto, pourrait-on aussi considérer. C’est compte tenu du caractère hybride de cette approche que Jean Pradel et André Varinard précisent, au lendemain de la loi de 1996, qu’« il est possible de contester l’existence de la faute en tenant compte des éléments objectifs de l’espèce »317. Qu’il soit permis alors d’effectuer une parenthèse relativement à la possible remise en cause de l’acception objectivée de la culpabilité par l’évolution des modalités d’appréciation de la faute. Il serait juste de considérer que la loi de 1996 est seulement venue tempérer le caractère normatif de la faute pénale. Cependant, la chambre criminelle de la Cour de cassation a persisté dans son appréciation in abstracto de la faute. Comme le relève Mikaël Benillouche, « la jurisprudence, après avoir quelque peu modifié sa position318, est pratiquement revenue à son interprétation initiale de l’article 121-3319 »320. L’introduction législative d’une dose d’appréciation in concreto de la faute pénale s’est donc avérée infructueuse. Au-delà, alors que l’appréciation in concreto était en elle-même porteuse de cet objectif, la loi de 1996 a donc échoué à atténuer la répression des délits d’imprudence321. La pratique jurisprudentielle de l’article 121-3 a ainsi conduit le

315. M. BENILLOUCHE, op. cit., p. 532. 316. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2004, no 162, p. 165. 317. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, Dalloz, op. cit., no 41, p. 644 et suiv. 318. Cf. par exemple, Cass. crim., 19 nov. 1996, no 95-85.945, Bull. crim., no 413 ; Dr. pén., 1996, comm. 33, obs.

M. VÉRON. 319. Cf. par exemple, Cass. crim., 2 avr. 1997, no 95-85.564, Bull. crim., no 132 ; RSC, 1997, p. 837, obs.

Y. MAYAUD. 320. M. BENILLOUCHE, op. cit., p. 532. 321. L’objectif n’était pas de favoriser la théorisation de la culpabilité intentionnelle par le truchement de la

subjectivisation de son appréciation.

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législateur à adopter la loi no 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels. De plus, ce qui est très significatif, au regard de notre démonstration, est que le législateur, cherchant un levier d’action efficace à la satisfaction de l’objectif d’atténuation de la répression des délits d’imprudence, a choisi de jouer sur d’autres ressorts que l’appréciation de la faute322 – preuve, s’il en était, que cette dernière continue à relever, au moins partiellement, d’une approche objective. L’adoption de la loi du 10 juillet 2000 témoigne donc de l’échec de la subjectivisation de l’appréciation de la faute pénale. Pour autant, le choix en faveur d’une appréciation hybride devait s’avérer pertinent.

2.2 La pertinence d’une appréciation hybride de la faute

Jean Pradel et André Varinard formulent d’ailleurs une critique positive quant au maintien d’une appréciation partiellement objective de la faute d’imprudence. Ils considèrent en effet qu’il n’était pas « nécessaire d’aller au-delà, auquel cas l’appréciation concrète pourrait alors se révéler très contestable »323 car « ainsi tenir compte des aptitudes de l’agent, ce serait accepter de favoriser les maladroits habituels. Poussée à l’extrême, cette théorie conduirait à décider que plus un individu est susceptible de porter atteinte aux valeurs sociales en raison de sa maladresse ou de son étourderie, moins il risque de voir sa responsabilité engagée… »324. Dans le même sens, Valérie Cantat-Lampin Saint-Gérand a considéré que « les juges, en prenant comme référence des données concrètes et objectives, établissent véritablement l’existence ou le défaut du caractère antisocial de l’attitude intellectuelle de l’agent »325. En outre, « le choix judiciaire d’une telle appréciation [in concreto effectuée de manière objective] est […] inspiré par le souci de révéler, à sa juste mesure, la dimension coupable de la situation engendrée »326. Le maintien d’une appréciation partiellement abstraite de la culpabilité, en participant de son caractère objectivé, s’inscrit plus largement dans le cadre de la légitimité du mécanisme des présomptions de culpabilité.

B. La légitimité du mécanisme des présomptions de culpabilité

Nonobstant l’hostilité de certains auteurs (1.), il sera établi que le mécanisme des présomptions de culpabilité est légitime. S’il n’est pas question de s’interroger sur le bien-fondé des présomptions légales, la question de la légitimité des présomptions de fait sera en revanche examinée. Or, en démontrant la légitimité de ces présomptions, on confirmera dans le même temps le caractère objectivé ou abstrait de la substance de la culpabilité (2.).

322. En l’occurrence sur la nature du lien de causalité et la notion de faute d’imprudence qualifiée. 323. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, Dalloz, op. cit., no 41, p. 645. 324. Loc. cit. 325. V. CANTAT-LAMPIN SAINT-GÉRAND, La culpabilité dans la théorie de la responsabilité pénale, op. cit., no 659,

p. 729. 326. Loc. cit.

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1. L’hostilité de la doctrine au mécanisme des présomptions jurisprudentielles de culpabilité

Dans le prolongement des modalités d’appréciation de la faute, les présomptions de culpabilité constituent, en matière intentionnelle, une « technique de preuve inductive ou indiciaire »327 permettant aux magistrats, « sur le fondement de faits constatés ou d’indices objectifs, essentiellement recueillis lors des constatations »328, de conclure à l’existence de la culpabilité de l’agent. Comme le relève à son tour Valérie Cantat-Lampin Saint-Gérand, dans sa thèse consacrée à la théorie de la culpabilité dans la responsabilité pénale, « ce sont donc les indices ou les circonstances de fait accompagnant l’action qui vont servir de moyens de preuve car ce sont les seuls dont les magistrats peuvent avoir une connaissance directe, à la différence de la donnée coupable. Ils vont alors permettre d’établir indirectement la réalité de la donnée intellectuelle »329. Les auteurs partisans de la priorité d’un débat sur l’imputabilité, l’intention et, au-delà, la culpabilité en général, se déduisent directement de l’imputabilité330. Pour autant, la technique des présomptions de culpabilité s’attire les critiques d’une partie de la doctrine. Cette hostilité n’emporte pas l’adhésion. Certains auteurs considèrent que parce que la culpabilité est un phénomène intellectuel, elle devrait être révélée par des considérations subjectives. En ce sens, Valérie Cantat-Lampin Saint-Gérand considère que « la culpabilité étant un phénomène purement intellectuel, il paraît inadmissible de la révéler par des faits objectifs. Seul l’état d’esprit du sujet pénal devrait permettre d’analyser la réalité de la donnée intellectuelle »331. L’une des critiques les plus virulentes provient néanmoins du fait qu’une telle appréhension de la culpabilité aurait pour effet de conduire au retour des délits matériels.

1.1 Le retour des délits matériels

D’autres auteurs, à l’instar de Claire Saas, dénoncent, en matière intentionnelle, une conception par trop (pour ne pas écrire exclusivement) matérialiste de la culpabilité332. Pour appuyer son argumentation, elle rappelle la jurisprudence constante en la matière aux termes de laquelle « la seule constatation de la violation, en connaissance de cause, d’une prescription légale ou règlementaire implique, de la part de son auteur, l’intention coupable exigée par l’article 121-3, alinéa 1er, du Code pénal »333. Il faudrait donc comprendre, en tenant compte des présomptions grevant le dol, que le simple fait de commettre des actes prohibés par la

327. Cf. S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, LexisNexis, 9e éd., 2013, no 523 p. 483. 328. Loc. cit. 329. V. CANTAT-LAMPIN SAINT-GÉRAND, La culpabilité dans la théorie de la responsabilité pénale, op. cit., no 607,

p. 655 et 656. 330. Cf. infra, le titre 2 consacré à la démonstration de la postériorité d’un débat sur l’imputabilité. Parmi les

auteurs contemporains, partisans de l’antériorité d’un débat sur l’imputabilité, on peut citer Emmanuel Dreyer. Il en déduit que les magistrats « tiennent cette intention pour acquise dès lors qu’un individu a agi ou s’est abstenu en comprenant ce qu’il faisait et en étant libre de ne pas le faire. […] Sa capacité volitive implique l’exercice de sa volonté » (E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 882, p. 671).

331. V. CANTAT-LAMPIN SAINT-GÉRAND, op. cit., no 659, p. 729. 332. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2004, no 157 et suiv. 333. Pour des illustrations jurisprudentielles, cf. Cass. crim., 11 mai 1995, no 94-83.515, Bull. crim., no 172 ; Cass.

crim., 23 janv. 1997, no 96-84.822, Bull. crim., no 32.

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loi entraîne l’existence d’une faute. Claire Saas poursuit en dénonçant « la reprise moderne de la théorie de la causalité matérielle, ou plutôt d’imputation matérielle »334. Dans ce cadre conceptuel, « l’intention, la faute, n’est que l’ombre portée des actes matériels »335. Il peut paraître contestable que les magistrats ne cherchent pas à caractériser l’existence de l’intention dans des circonstances extrinsèques à l’acte. En effet, s’il paraît logique que le juge s’appuie sur des éléments de fait pour se prononcer sur la culpabilité, cette dernière constituant une donnée immatérielle, il serait a priori critiquable336, en revanche, que les faits retenus pour établir l’intention restent circonscrits à l’élément matériel de l’infraction. Dans cette hypothèse, l’infraction, en se réduisant à l’addition d’un élément légal et d’un élément matériel, signerait le retour des délits matériels. En plus de déjouer le refus des délits matériels, le mécanisme des présomptions pourrait conduire à transformer des infractions non intentionnelles en infractions intentionnelles.

1.2 La transformation d’infractions non intentionnelles en infractions intentionnelles

À propos du mécanisme des présomptions d’intention, Emmanuel Dreyer doute qu’« une telle extrapolation soit bien légitime »337 dans la mesure où « cet effondrement du niveau d’exigence permet aux magistrats de sanctionner sous couvert de dol général des négligences grossières »338. Autrement dit, il serait contestable que l’affaiblissement de l’intention, pour bénéficier de facilités probatoires et ainsi rendre plus aisé l’établissement d’une infraction, conduise à transformer des infractions non intentionnelles en infractions intentionnelles. Or, cette métamorphose serait le fait du législateur et de la jurisprudence. L’exemple le plus emblématique du côté du législateur réside dans la consécration d’une présomption de culpabilité en matière contraventionnelle, à l’alinéa 5 de l’article 121-3 du Code pénal339. Le fait que la faute contraventionnelle n’ait pas à être constatée dispense de s’interroger sur son intensité. Pour cette raison, la même amende est par exemple encourue lorsqu’un conducteur a irrégulièrement stationné son véhicule après avoir vu le panneau d’interdiction ou sans y avoir prêté attention. La contravention se juge donc sur la seule matérialité du comportement, la responsabilité pénale qui en découle étant indifférente à la culpabilité, intentionnelle ou non intentionnelle de l’agent et, au-delà, à sa psychologie. Un tempérament résulte du fait que la présomption d’intention en matière contraventionnelle est pour l’essentiel limitée aux contraventions situées hors Code pénal340. Dans ce contexte,

334. C. SAAS, Dalloz, 2004, no 158, p. 161. En application de cette théorie, lorsqu’il y a réalisation d’un acte

matériel pénalement réprimé et que le lien de causalité matériel entre l’acte et une personne a été établi, il est possible de conclure à l’existence d’une infraction dans chacun de ses éléments constitutifs.

335. Loc. cit. 336. Cf. infra, le développement relatif à l’imbrication des éléments matériel et psychologique de l’infraction. 337. E. DREYER, op. cit., no 883, p. 673. 338. E. DREYER, ibid., no 884, p. 673. 339. Aux termes de l’article 121-3, alinéa 5 du Code pénal, « il n’y a point de contravention en cas de force

majeure ». 340. Comme le relève Emmanuel Dreyer : « Néanmoins, on observera qu’une telle explication concerne surtout

les innombrables contraventions prévues en dehors du Code pénal. Car la plupart de celles qui figurent dans ce code doivent avoir été commises soit de manière intentionnelle (cf. C. pén., art. R. 624-1, R. 625-1, R. 635-1, etc.) soit de manière non intentionnelle (cf. C. pén., art. R. 622-1, R. 625-2, R. 653-1, etc).

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le régime des contraventions a d’ailleurs été validé par le Conseil constitutionnel dans sa décision DC no 99-411 du 16 juin 1999, à propos de l’examen de la constitutionnalité de la loi no 99-505 du 18 juin 1999 portant diverses mesures relatives à la sécurité routière341. Du côté de la jurisprudence judiciaire, il est possible de prendre l’exemple du délit d’évasion. La Cour de cassation a pu considérer que le condamné, bénéficiaire d’une permission de sortir qui n’avait pu regagner à temps son lieu de détention parce qu’il avait « manqué le train qu’il comptait prendre, dernier train possible à destination de Toul », s’est rendu coupable d’évasion, sans égard pour le défaut d’intention coupable évoqué par l’auteur du pourvoi. En d’autres termes, pour la Cour de cassation, la seule non-réintégration du lieu de détention dans le délai imparti laisse présumer l’intention du délit d’évasion, peu importe qu’elle résulte en réalité d’une imprudence ou d’une négligence de la part de son auteur. Il est possible de tempérer cette jurisprudence par le fait que la juridiction suprême n’hésite pas, au regard de certaines infractions, à condamner toute idée de présomption d’intention coupable. C’est le cas de sa jurisprudence relative au délit d’abandon de famille342. Quoi qu’il en soit, qu’elles fassent l’objet d’une approbation en doctrine ou pas, les présomptions d’intention rejoignent la thèse d’une conception objectivée ou abstraite de la culpabilité dans la mesure où elles dispensent d’investiguer sur l’état d’esprit de l’agent au moment des faits. En outre, les tempéraments apportés tant par le législateur, qui limite par exemple les présomptions d’intention contraventionnelle aux contraventions situées hors Code pénal, que par la Cour de cassation, qui censure, selon les espèces, les présomptions d’intention établies par les juges du fond, constituent un contre-argument à l’excès d’abstraction qui découlerait des présomptions de culpabilité. Au-delà, plusieurs autres éléments convergent en faveur de la cohérence du mécanisme des présomptions de culpabilité.

Autrement dit, le code n’est pas fidèle au principe qu’il ose en matière de contravention : la plupart des infractions de police qui y sont réprimées requièrent un élément moral formellement exprimé » (cf. E. DREYER, op. cit., no 832, p. 638).

341. La Haute Juridiction a reconnu la conformité à la constitution de l’article L. 21-2 du Code de la route venant élargir la responsabilité pécuniaire du propriétaire du véhicule à d’autres contraventions au Code de la route. Jusqu’alors redevable, sauf à faire valoir un événement de force majeure, ou à fournir des renseignements permettant d’identifier l’auteur véritable de l’infraction, des infractions à la règlementation sur le stationnement, le propriétaire du véhicule impliqué devra aussi s’acquitter des amendes consécutives à des infractions à la règlementation sur les vitesses maximales autorisées et sur les signalisations imposant l’arrêt des véhicules.

342. L’article 227-3 prévoit l’infraction d’abandon de famille dans l’hypothèse d’un défaut de paiement d’une pension alimentaire pendant plus de deux mois. Dans une décision du 12 juin 2013 – cf. Cass. crim., 12 juin 2013, no 13-82.622, inédit, Dr. pén., 2013, comm. no 120, obs. M. VÉRON –, la Cour de cassation examine le pourvoi formé contre une condamnation en appel pour abandon de famille (en récidive). Pourvoi accompagné d’une question prioritaire de constitutionnalité formée par le requérant. Il conteste la légalité de l’infraction au motif que l’article 227-3 du Code pénal ne serait pas conforme à l’article 9 de la Déclaration des droits de 1789. Selon la Cour de cassation, il n’y a pas lieu de renvoyer cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel car l’article 227-3 n’instaure aucune présomption de culpabilité, la partie poursuivante ayant la charge de prouver que le prévenu est volontairement demeuré plus de deux mois sans acquitter le montant de la pension alimentaire qu’il a été condamné à payer par décision de justice. Cette décision implique que l’élément intentionnel de l’infraction ne puisse être déduit du seul défaut de paiement. Il faut nécessairement établir que l’intéressé a sciemment décidé de ne pas payer la pension dont il était débiteur.

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2. La cohérence du mécanisme des présomptions de culpabilité

Deux arguments apparaissent décisifs, le premier relatif à la difficulté d’établir la réalité d’une donnée immatérielle et le second relatif à l’imbrication des éléments matériel et moral de l’infraction.

2.1 La validation des présomptions de culpabilité

La légitimité du mécanisme des présomptions de culpabilité découlant de la difficile appréhension des données immatérielles Selon André Giudicelli, « la recherche des dispositions psychologiques individuelles présente des difficultés particulières de preuve, car celles-ci sont moins facilement “appréhendables” que les données matérielles »343. L’auteur ajoute que « La preuve de l’intention est une question essentielle et dont la difficulté explique, en jurisprudence, la persistance d’une tendance à la simplification de son établissement malgré la disparition des délits matériels, et, en législation, l’existence de présomptions, certes simples mais réelles, de culpabilité »344. Dans le même sens, Emmanuel Dreyer concède qu’« une telle solution se défend aisément compte tenu de la difficulté à reconstituer l’état d’esprit de l’auteur d’un acte plusieurs mois, voire plusieurs années, après qu’il l’a accompli »345. Ainsi, « la solution finalement retenue présente l’avantage de limiter l’appréciation des magistrats qui n’ont pas à opérer une recherche divinatoire de l’état d’esprit de l’agent au moment des faits »346. Le mécanisme de la présomption constitue donc une solution pragmatique confortée par l’imbrication des éléments matériel et psychologique de l’infraction. Les présomptions de culpabilité validées par l’imbrication des éléments matériel et psychologique La démonstration de l’interdépendance des éléments matériel et psychologique – Emmanuel Dreyer considère qu’il s’agit « des deux dimensions d’un même acte »347. Si « tout comportement incriminé comprend une dimension objective et une dimension subjective […] ces deux dimensions s’avèrent, le plus souvent, indissociables l’une de l’autre »348, ou encore « indivisibles », comme le considérait Adrien-Charles Dana dans sa thèse relative à la notion d’infraction pénale349. Emmanuel Dreyer relève ainsi que « l’opposition d’un élément moral à l’élément matériel apparaît très schématique »350 ou encore que « leur évocation sous forme d’éléments distincts paraît excessive »351. Cette interdépendance s’explique par le fait que « dès lors qu’il n’est pas réductible à son seul résultat, un comportement ne peut être saisi de façon purement objective. Une dimension psychologique éclaire la dimension matérielle du comportement incriminé »352 : comprenons qu’il existe une « unité profonde du

343. A. GIUDICELLI, « Incertitudes sur les frontières de l’intention », op. cit., p. 37. 344. Loc. cit. 345. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 883, p. 672. 346. Ibid., no 884, p. 675. 347. Ibid., no 834, p. 639. 348. Ibid., nos 221 et suiv. 349. Cf. A.-C. DANA, Essai sur la notion d’infraction pénale, LGDJ, 1982, t. XXIII, no 57, p. 59. 350. Cf. E. DREYER, op. cit., no 221, p. 179. 351. Loc. cit. 352. E. DREYER, Droit pénal général, Litec, 3e éd., 2014, no 215, p. 159.

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comportement érigé en infraction »353. Pour appuyer son raisonnement, il rappelle également, comme cela a déjà été démontré dans le cadre de cette étude, que l’élément moral tel qu’il est – peu – théorisé ne va pas jusqu’à prendre en compte les mobiles, ce qui aurait dû être le cas dans l’hypothèse d’une autonomie entre élément matériel et élément moral354. André Decocq considère dans le même sens que « l’élément matériel n’est ainsi que la manifestation de l’élément moral dans le monde extérieur, il n’en est pas véritablement distinct »355. En conclusion, « on ne saurait dire qu’il y a là […] deux éléments indépendants dont la preuve doit être distinctement rapportée »356. Ainsi, l’élément psychologique de l’infraction « n’a pas à être recherché, en dehors de l’acte, dans la personnalité de son auteur »357 ; la loi pénale « ne peut saisir l’élément moral de l’infraction que dans sa manifestation au monde extérieur à travers l’élément matériel de l’infraction »358. L’élément moral restant dans la dépendance du ou des éléments matériels requis par le texte d’incrimination, il est logique qu’il s’établisse à partir de la matérialité des faits, que l’intention ou la faute s’apprécient à travers l’acte accompli. Finalement, nous pouvons conclure sur ce point que c’est au contraire l’opposition d’un élément moral à un élément matériel qui pécherait par excès d’abstraction359. L’absence d’autonomie de l’élément psychologique et de l’élément matériel légitime donc particulièrement l’existence de présomptions jurisprudentielles de culpabilité qui consistent à déduire l’intention de la matérialité des faits. L’existence de telles présomptions est d’ailleurs admise en jurisprudence.

2.2 L’admission conditionnelle des présomptions de culpabilité par la jurisprudence

Dans le cinquième considérant de sa décision DC no 99-411 du 16 juin 1999360, le Conseil constitutionnel prévoit « qu’aux termes de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : “Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable…” […] il en résulte qu’en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive ; que, toutefois, à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu’elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu’est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l’imputabilité… ». En jugeant conforme le nouvel article L. 21-2 du Code de la route élargissant la responsabilité pénale du titulaire du certificat d’immatriculation par le mécanisme des présomptions de culpabilité361, le Conseil constitutionnel ne valide pas seulement implicitement le régime des présomptions de culpabilité en matière contraventionnelle. Par le recours à l’adverbe notamment, il en valide

353. Ibid., no 215, p. 161. 354. Loc. cit. 355. A. DECOCQ, Droit pénal général, op. cit., p. 152. 356. Ibid., no 215, p. 159. 357. Cf. E. DREYER, Droit pénal général, Litec, 4e éd., 2015, no 221, p. 181. 358. A. TSARPALAS, Le moment et la durée des infractions pénales, LGDJ, 1967, no 33, p. 29. 359. Même si on comprend, et préconise, pour des raisons didactiques ou encore pour le respect du principe

de la légalité, une telle dichotomie, cf. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 221, p. 181). Emmanuel Dreyer rappelle en effet que « le respect du principe de la légalité […] commande au juge de vérifier que sont bien réunies toutes les conditions pour déclarer coupable d’une infraction l’auteur d’un fait déterminé » (loc. cit.).

360. Cf. supra, la transformation d’infractions non intentionnelles en infractions intentionnelles. 361. Devenu depuis l’article L. 121-3 du Code de la route.

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implicitement le principe en matière correctionnelle et criminelle. Une conformité conditionnelle cependant, puisque la présomption d’innocence reste le principe, conformément à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et les présomptions de culpabilité l’exception. Dans le même sens, la Cour de cassation considère que la Convention européenne des droits de l’homme n’interdit pas les présomptions de fait ou de droit instituées en matière pénale dès lors que « les présomptions ne portent pas atteinte aux droits de la défense, ni au principe de la présomption d’innocence »362. La Cour européenne des droits de l’homme devait à son tour admettre, dans l’arrêt Salabiaku du 7 octobre 1998, que tout système juridique connaît des présomptions de fait ou de droit et que la Convention, si elle n’y met pas obstacle en principe, oblige cependant les États contractants, en matière pénale, à ne pas dépasser un certain seuil, afin de « les enserrer dans des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense »363. Autrement dit, elle reconnaît la légitimité de présomptions dans les droits internes, sans distinction quant à la nature de l’infraction. La généralisation du mécanisme des présomptions de culpabilité à l’ensemble des infractions combinée à sa validation, tant par les juridictions de l’ordre interne que par la Cour européenne, participe du caractère abstrait de la culpabilité. La question a pu se poser de la compatibilité des présomptions de culpabilité avec la présomption d’innocence garantie par l’article 9 de la Déclaration des droits de 1789. Elle a cependant été résolue par l’affirmative via l’admission conditionnelle des présomptions de culpabilité. D’une manière générale, les présomptions de faute ou de responsabilité ainsi que les présomptions de fait constituent un contre-argument à la subjectivisation de la culpabilité. Elles mettent en évidence que l’élaboration de la culpabilité d’un individu ne tient compte d’aucune réalité d’ordre subjectif. Alors, certes, la culpabilité est une donnée psychologique, mais elle est appréhendée de manière objective. Ce caractère objectivé de la culpabilité est accru par l’admission très restrictive des causes de non-culpabilité.

§ 2 - L’admission restrictive des causes de non-culpabilité

La culpabilité et l’imputabilité constituent les deux données subjectives de la responsabilité pénale. Elles génèrent logiquement deux catégories distinctes de causes subjectives d’irresponsabilité pénale susceptibles d’affecter leur existence. Or, il n’est pas toujours aisé de faire le départ entre les causes supprimant l’existence de la culpabilité et celles affectant l’existence de l’imputabilité. Par exemple, la contrainte364, majoritairement décrite comme une cause de non-imputabilité, présente en réalité un caractère hybride tenant à son acception duelle. Si la contrainte morale vient bien annihiler la liberté psychologique indispensable à l’imputabilité d’une infraction, la contrainte physique doit s’analyser en une cause de

362. Cass. crim., 26 oct. 1994, no 94-81.526, inédit Couet. Pour un précédent arrêt, cf. Cass. crim., 6 nov. 1991,

no 91-82.211, Bull. crim., no 397. 363. CEDH 7 oct. 1988, Salabiaku c/ France, série A no 141-A, § 28, RSC 1989, p. 167, obs. L.-E. PETTITI et

F. TEITGEN ; JDI 1989. 829, obs. P. ROLLAND et P. TAVERNIER. 364. Cf. C. pén., art. 122-2.

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non-caractérisation de l’infraction, cause de non-matérialité lorsqu’elle affecte l’élément matériel, ou cause de non-culpabilité lorsqu’elle affecte l’élément psychologique365. L’erreur de droit, consacrée par le législateur à l’occasion de la réforme de 1992, à l’article 122-3 du Code pénal, constitue une autre cause d’exonération dont il n’est pas aisé de déterminer la nature juridique. Si la typologie des erreurs susceptibles d’affecter la culpabilité est conséquente, il convient d’écarter d’emblée l’erreur de fait du champ de cette étude. Cela tient au fait qu’elle « constitue une méprise sur la matérialité des faits, empêchant d’avoir une perception exacte de leur réalité »366. Il faut dès lors convenir que l’erreur de fait annihile la conscience infractionnelle et, par ricochet, l’existence de la culpabilité, à tout le moins intentionnelle367. En ce qu’elle constitue en principe une cause de non-culpabilité intentionnelle, elle ne saurait être porteuse en elle-même d’une abstraction de la notion de culpabilité. Les erreurs n’affectant pas ou peu l’existence de la culpabilité de l’agent sont plus significatives de l’abstraction de la notion. C’est notamment le cas de l’erreur sur la personne ou de l’aberratio ictus. En cas d’erreur sur la personne, on voulait par exemple tuer X et on en a, par erreur, tué Y. D’après la jurisprudence, il y a meurtre de la personne qui a été tuée. Comme le relève à cette occasion Jean Lebret, « la notion d’intention est donc envisagée non pas sous son aspect complexe, vivant, réel, mais sous un aspect imprécis et essentiellement abstrait »368. En cas d’aberratio ictus, cette fois, ce n’est plus par erreur, mais par maladresse, ou pour toute autre raison, qu’une autre personne a été atteinte. Pour la jurisprudence, le meurtre résultant de l’aberratio ictus doit être considéré comme intentionnel par rapport à la personne même qui a été atteinte. Jean Lebret de considérer à nouveau que la notion d’intention criminelle est décidément « dégagée de toutes attaches concrètes, essentiellement imprécise et abstraite »369. Cependant, l’absence de conséquence de ces erreurs relativement à l’intention criminelle peut paraître finalement logique. En revanche, il en va différemment de l’erreur de droit. Son analyse fera donc l’objet du développement à suivre dans la mesure où son rattachement aux causes de non-culpabilité (A.) corrélé à son admission restrictive en jurisprudence (B.) en fait un indicateur pertinent de l’intensité normative de notre système de culpabilité, donc de l’abstraction de la notion.

A. La nature juridique de l’erreur de droit

La nature juridique de l’erreur de droit ayant toujours été controversée en doctrine, il importera préalablement de clarifier ce premier point. Le manque d’unanimité sur la question tient à la potentialité d’un double rattachement. La doctrine est divisée sur ce point, certains

365. Cf. infra, partie 1, titre 1, chapitre II. D’ailleurs, l’admission très restrictive de la contrainte physique, cause

de non-culpabilité intentionnelle, participe de l’abstraction de la notion de culpabilité. 366. Cf. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 18. Par exemple, l’individu qui s’empare

de la chose d’autrui croyant à tort en être le propriétaire. 367. Nombre d’auteurs considèrent que l’imprudence ou la négligence de l’auteur sont susceptibles de s’analyser

en une erreur de fait. L’erreur de fait et l’existence d’une culpabilité non intentionnelle peuvent donc coexister.

368. Cf. J. LEBRET, op. cit., p. 445. 369. Loc. cit.

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adhérant à la thèse de la non-imputabilité et d’autres à la thèse de la non-culpabilité370. Il conviendra, dans un premier temps, de se demander si l’erreur de droit constitue « une cause de non-imputabilité d’un nouveau genre »371, avant d’exclure cette éventualité (1.) et de confirmer, dans un second temps, l’assimilation de l’erreur de droit à une cause de non-culpabilité intentionnelle par le recours à la définition de l’intention (2.).

1. L’exclusion du rattachement de l ’erreur de droit aux causes de non-imputabilité

Certains auteurs considèrent que l’erreur de droit constituerait une cause de non-imputabilité. Cela implique que la conscience infractionnelle participerait de la condition intellectuelle de l’imputation à l’agent372. L’imputabilité, comme nous l’établirons, se présente comme la somme de deux conditions, l’une relative à la liberté psychologique, l’autre au discernement de l’agent373. Approchée par la négative, la notion implique que constituent des causes de non-imputabilité la contrainte morale – à laquelle nous démontrerons le rattachement de l’état de nécessité374 –, le trouble psychique ou neuropsychique aliénant et, dans certains cas, la minorité de l’agent. Il faut donc en conclure que l’erreur de droit ne viendra pas grossir cette catégorie, faute de pouvoir constituer une application particulière de la contrainte ou d’abolir le discernement de l’agent.

1.1 L’exclusion de l’assimilation de l’erreur de droit à une application particulière de la contrainte

Certains auteurs, dont Olivier Fardoux se fait l’écho, considèrent que « Si l’erreur invincible écarte la culpabilité, elle ne le fait pas en détruisant l’une de ses composantes mais en interdisant, d’une manière plus radicale, d’en examiner la réalisation »375. Autrement dit, « L’erreur rend certes impossible la constatation d’une faute, mais seulement parce qu’elle écarte l’imputabilité, qui suppose chez l’agent l’intelligence de son comportement et la liberté d’agir comme il l’a fait »376. Plus précisément, « Dans cette acception, l’erreur invincible, qui s’impose à l’agent en le mettant dans l’impossibilité absolue de l’éviter, affecterait sa volonté, en l’obligeant à subir la situation qu’elle engendre. […] L’erreur est ainsi analysée comme une des manifestations de la contrainte »377. Plusieurs arguments permettent d’écarter cette analyse.

370. Pour les auteurs la qualifiant de cause de non-imputabilité, cf. par exemple Y. MAYAUD, Droit pénal général,

op. cit., nos 464 et suiv., p. 553 ; J. PRADEL, Droit pénal général, op. cit., nos 547 et suiv. ; J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, 6e éd., 2005, p. 288 et suiv. Pour les auteurs voyant l’erreur de droit de cause de non-culpabilité et, plus précisément, comme un obstacle à la caractérisation de l’intention, cf. notamment P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 397 ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., nos 582 et suiv.

371. Expression empruntée à E. DREYER, Droit pénal général, Litec, 3e éd., 2014, no 292, p. 218. 372. Selon une terminologie empruntée à François Rousseau. Autrement dit, la conscience infractionnelle

constituerait une condition de l’imputabilité. 373. Cf. infra. 374. Cf. infra, chapitre II. 375. O. FARDOUx, « L’erreur sur le droit du professionnel assisté de juristes qualifiés », JCP G 1998, II, 10095. 376. Ibid. 377. Ibid.

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Le premier réside dans le fait que l’assimilation de l’erreur de droit à une forme particulière de contrainte se fonde sur la priorité d’un débat sur l’imputabilité, dont nous écarterons la pertinence dans le second titre de cette partie378. En outre, cette assimilation n’a pas été consacrée par le législateur en 1992, lorsqu’il a introduit, en droit positif, la notion d’erreur de droit. Tout d’abord, le Code pénal prévoit distinctement l’erreur sur le droit et la contrainte, la première à l’article 122-3 et la seconde à l’article 122-2. Ensuite, les termes qualifiants employés dans les articles 122-2 et 122-3 du Code pénal divergent dans leur signification. L’article 122-2 du Code pénal évoque le caractère « irrésistible » de la contrainte. Emmanuel Dreyer rappelle alors que « formellement, l’article 122-3 du Code pénal exige que l’erreur sur le droit ait été “inévitable” non “invincible”, c’est-à-dire d’une intensité moindre que la contrainte »379. Peu importe dès lors que la plupart des commentateurs de l’article 122-3 du Code pénal tiennent l’expression d’erreur inévitable pour synonyme de celle d’erreur invincible380. L’assimilation de l’erreur de droit à une forme de contrainte s’opère bien contra legem. Le questionnement relatif à la potentialité d’un rattachement de l’erreur de droit à la contrainte n’a donc plus lieu d’être.

1.2 L’exclusion de l’assimilation de l’erreur de droit à une cause d’abolition du discernement

Comme nous l’avons déjà précisé, François Rousseau prône le rattachement de l’erreur de droit aux causes de non-imputabilité. Il considère que ce rattachement résulte de l’assimilation de la conscience infractionnelle au discernement381. Résumons, pour mieux l’exclure, son raisonnement. Il commence par rappeler certaines règles faisant l’unanimité en doctrine. Tout d’abord, le fait qu’il est communément admis que l’erreur de droit affecte la conscience infractionnelle. L’erreur de droit apparaît naturellement comme une possible cause affectant la conscience infractionnelle, l’affirmation ne pose pas de difficultés. Ensuite, le fait que les causes de non-imputation à l’agent, les causes de non-imputabilité, qui ne sont en principe pas contestées résident dans le trouble mental et la minorité382. Or, conformément à la lettre des articles 122-1 et 122-8 du Code pénal, il ne fait pas de doute que ces causes affectent le discernement de l’agent. Il poursuit par l’édification d’un raisonnement conduisant à rattacher l’erreur de droit aux causes de non-imputation à l’agent. La première étape consiste alors, pour François Rousseau, à démontrer l’assimilation du discernement à la conscience infractionnelle. Pour ce faire, il propose une définition juridico-

378. Cf. infra. 379. E. DREYER, Droit pénal général, Litec, 4e éd., 2015, no 296, p. 238. 380. Et ce, même s’il arrive à la Cour de cassation de reprendre la terminologie d’erreur invincible (cf. par

exemple, Cass. crim., 19 mars 1997, no 96-80.853, Bull. crim., no 115, JCP G 1998, II, 10095, comm. O. FARDOUX).

381. L’auteur de titrer, dans sa thèse relative à l’imputation dans la responsabilité pénale, « La conscience infractionnelle équivalant au discernement » (cf. le 2o p. 51).

382. En ce sens, P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, nos 352 et suiv. ; Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., nos 436 et suiv. ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., nos 616 et suiv. ; J. PRADEL, Droit pénal général, op. cit., nos 509 et suiv. ; J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, 6e éd., 2005, p. 288 et suiv. ; à signaler, contra M.-L. RASSAT, Droit pénal général, Ellipses, 2e éd., 2006, no 331, p. 356, qui qualifie le trouble mental de cause de non-culpabilité.

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morale du discernement, inspirée de la notion de « conscience juridique » du Doyen Carbonnier383. La seconde étape de son raisonnement consiste à démontrer l’identité de régime juridique, qui finalisera l’identité de nature juridique entre, d’une part, troubles mentaux et minorité et, d’autre part, erreur de droit. Il raisonne à la fois sur le domaine d’application ainsi que sur les règles régissant la participation en présence d’une cause de non-imputation à l’agent384. Il redémontre que troubles mentaux et minorité, comme causes de non-imputabilité majoritairement reconnues en doctrine en tant que telles, ont un domaine d’application général. Il s’attache alors à démontrer la même généralité du domaine d’application de l’erreur de droit. Il pourrait certes arguer du fait que l’article 122-3 du Code pénal vise l’erreur de droit, sans faire aucune distinction. Ainsi, l’erreur pourrait concerner n’importe quelle règle de droit, que l’infraction ait un caractère intentionnel ou non. François Rousseau considère quant à lui que si une partie de la doctrine limite le domaine d’application de l’erreur de droit aux seules infractions intentionnelles, c’est d’abord parce que, selon l’auteur, elle retient une conception erronée de l’intention. D’après lui, « cette réduction du champ d’application de l’erreur de droit aux seules infractions intentionnelles est contestable »385, notamment au regard de considérations sociales. Après avoir rappelé que l’admission de l’erreur de droit correspondait à un assouplissement de la présomption de connaissance de la loi, il rappelle que cette présomption, en tant que nécessité d’ordre public386, ne saurait être propre à l’intention387. Il fonde donc indirectement la généralité du domaine d’application de l’erreur de droit sur le caractère d’intérêt général de la présomption de connaissance de la loi. Selon lui, aucune distinction ne pourrait non plus être établie selon la nature de l’infraction, crime, délit ou contravention. L’erreur de droit étant susceptible de s’appliquer à l’ensemble des infractions, il en déduit que son domaine « apparaît, donc, aussi étendu que celui des causes abolissant le discernement. Elle peut, dès lors, constituer un obstacle à l’engagement de la responsabilité pénale, et ce quelle que soit l’infraction en cause. Ainsi, l’erreur de droit, par la constance de son effet sur la responsabilité pénale, peut être classée parmi les causes de non-imputation à l’agent »388. Il confirme ensuite son raisonnement par la démonstration de l’indifférence de l’erreur de droit sur la participation. Cela signifie que l’erreur de droit bénéficiant à l’auteur de l’infraction principale ne ferait pas obstacle à la répression d’éventuels complices. Il est logique de considérer que si l’erreur de droit constitue une cause de non-imputabilité, elle n’entrave pas la caractérisation de l’infraction principale, préalable à l’examen des conditions

383. L’auteur se réfère ainsi à la notion de « conscience juridique » du Doyen Carbonnier, « c’est-à-dire un

sentiment de ce que devrait être le droit ; elle est comparable à la conscience morale. En revenant au droit pénal, elle renvoie, en quelque sorte, à la perception de « l’élément légal » de l’infraction » (cf. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 30, p. 42).

384. Autrement dit, sur les modalités de la répression du complice en présence d’une erreur de droit dont aurait été victime l’auteur des faits.

385. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 48, p. 55. 386. Comme le précisent Roger Merle et André Vitu, si tous les citoyens pouvaient arguer de leur ignorance de

la loi pour échapper à son application, le régime de l’état de droit se dissoudrait dans l’anarchie (cf. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel –Droit pénal général, op. cit., no 582.

387. D’ailleurs, elle touche l’ensemble des branches du droit. 388. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 49, p. 56.

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spécifiques à la complicité389. Bien que « la doctrine reste quasiment muette sur la possibilité de greffer une participation sur l’infraction principale réalisée par une personne qui ignore, légitimement, qu’elle a violé la loi », l’auteur invoque au soutien de son argumentation les seuls auteurs qui, dans le même ouvrage, « estiment qu’il serait possible de condamner des auteurs ou complices qui ne parviendraient pas à démontrer qu’ils ont été, légitimement, victimes, eux aussi, d’une erreur sur le droit »390. L’erreur de droit n’empêcherait donc pas la sanction d’un complice ayant, lui, agi en connaissance de cause391. François Rousseau confectionne ensuite un exemple afin de parachever sa démonstration392. Il reste maintenant à écarter les arguments avancés par François Rousseau afin de fonder l’appartenance de l’erreur de droit aux causes de non-culpabilité. Le premier obstacle procède de l’assimilation du discernement à la conscience infractionnelle. Autrement dit, l’exclusion du rattachement de l’erreur de droit à la non-imputabilité résulte de l’inadéquation du trouble mental et de la minorité à l’inconscience infractionnelle. Plus précisément, cet obstacle résulte de l’exclusion d’une conception juridique du discernement au profit d’une acception « scientifique » de ce dernier. Nous verrons que si cette acception résulte d’un phénomène de laïcisation préalable de la responsabilité pénale, elle découle explicitement de la lettre de l’article 122-1 du Code pénal qui établit un lien entre l’abolition du discernement et l’existence de troubles psychiques ou neuropsychiques393. En outre, on peut considérer que François Rousseau, en retenant une acception juridico-morale du discernement394, n’a pas répercuté le mouvement de laïcisation de la responsabilité pénale sur ses composantes. Aux termes d’une définition désormais surannée, il entend, à l’instar d’autres auteurs395, le discernement comme l’aptitude à distinguer le bien du mal. Or, le fondement du droit pénal ne résidant plus dans la religion mais dans la raison396, la dialectique du bien et du mal comme paradigme à la définition des notions est désormais inadaptée. Il convient donc d’exclure toute référence à une quelconque acception morale du discernement. Le second obstacle tient à la limitation du domaine d’application de l’erreur. Comme le relève Naguib Hosni, « le problème de l’erreur de droit se délimite à la responsabilité pénale

389. Sur les conditions de la complicité, cf. infra, partie 1, titre 2. 390. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 52, p. 58. À propos de Frédéric Desportes

et Francis Le Gunehec dans leur ouvrage de droit pénal général. 391. En ce sens F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16e éd., 2009, no 691, p. 666 ;

cf. aussi R. BERNARDINI, L’infraction et la responsabilité, Larcier, coll. « Droit criminel », 2012, no 510, p. 268. 392. Il imagine un maire qui, pour empêcher l’implantation d’une décharge publique sur une partie de sa

commune, délivrerait des permis de construire aux propriétaires des terrains avoisinant le site en violation des règles de l’urbanisme. Il ajoute alors que dans le cas où les propriétaires bénéficieraient d’une irresponsabilité tenant à l’erreur de droit provoquée par le maire, ce dernier, instigateur de la manœuvre, n’en profiterait point. Il conclut donc à l’indifférence de l’erreur de droit sur la répression de la complicité.

393. Cf. intro et infra. 394. Cf. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 41, p. 51. 395. Dans le même sens, P. BONFILS, « Le discernement en droit pénal », in Mélanges R. Gassin, PUAM, 2007,

p. 97, no 1 ; P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 352 ; Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 437 ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 616.

396. Cf. M. MASSE, « La post-modernité en droit : un courant doctrinal », in M. MASSE, J.-P. JEAN et A. GIUDICELLI (dir.), Un droit pénal postmoderne ? Mise en perspective des évolutions et ruptures contemporaines, op. cit.

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intentionnelle »397. Cette dernière « n’est point incompatible avec la responsabilité pénale non intentionnelle »398. Cela est logique dans la mesure où l’erreur de droit, qui consiste en une ignorance ou en une mauvaise interprétation de la loi, procède le plus souvent d’une négligence. Cette dernière réside dans un manquement au devoir juridique d’information, corollaire du caractère contractuel de la répression pénale. D’ailleurs, ce que les détracteurs de la théorie de l’erreur de droit, cause de non-culpabilité, reprochent à cette thèse, est qu’elle reviendrait à considérer comme intentionnelles des infractions qui en réalité ne procèderaient que d’imprudences ou de négligences de la part de citoyens insuffisamment renseignés ! Pour autant, le fait que l’erreur de droit s’analyse le plus souvent en une négligence la rend logiquement inopérante à la neutralisation d’une faute non intentionnelle. Finalement, l’erreur de droit est insusceptible de constituer une cause générale de non-culpabilité puisqu’elle ne peut neutraliser les infractions non intentionnelles. Or, dépourvue de portée générale, elle perd dans le même temps la potentialité de constituer une cause d’exonération de la responsabilité pénale. En ce qui concerne l’argument tiré de l’indifférence de l’erreur sur la répression de la complicité, il n’est pas sûr non plus qu’il puisse prospérer, faute de jurisprudence en ce sens. Il n’existe pas de décisions retenant la responsabilité pénale du provocateur d’une erreur inévitable. Imaginons l’hypothèse d’un individu qui agit illégalement sur les conseils d’une autorité privée ou administrative. Il n’existe pas à notre connaissance de jurisprudence retenant la responsabilité de l’instigateur dans une telle hypothèse, alors même que la responsabilité pénale de l’auteur principal ne serait pas engagée en raison de l’erreur de droit « invincible » dont il aurait été victime. Le fait que la responsabilité de ce conseil ne soit pas même recherchée ne suggère-t-elle pas que l’infraction principale n’ait pu être caractérisée ? Quoi qu’il en soit, la non-répression du complice de mauvaise foi en cas d’erreur de droit de l’auteur principal plaide pour l’intégration de la conscience infractionnelle dans la structure de l’infraction. Donc, non seulement l’erreur de droit est sans incidence sur la répression des infractions non intentionnelles, mais encore, elle semble avoir une incidence sur la participation, la répression de la complicité. En d’autres termes, l’erreur de droit dont a été victime l’auteur bénéficie au complice. Ne procédant pas du même régime que le trouble mental et la minorité, elle n’a donc pas la même nature juridique. L’erreur de droit n’est pas une cause de non-imputabilité. Elle constitue en revanche une cause de non-culpabilité intentionnelle comme en atteste la définition de l’intention

397. N. HOSNI, « L’erreur de droit et son influence sur la responsabilité pénale », RSC, 1999, p. 711. 398. Loc. cit.

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2. La définition classique du dol comme argument en faveur de la thèse erreur de droit, cause de non-culpabilité intentionnelle

Il suffit simplement de rappeler ici que la définition positive de l’intention correspond à l’acception classique du dol. Or, aux termes de cette dernière, la connaissance de la loi, la conscience de l’illicite est une composante de l’intention399. Ainsi, vouloir faire de l’erreur de droit une cause de non-imputabilité implique l’abandon de la notion classique de dol général, celle-là même dont il a été démontré, plus en amont, la pertinence. Au regard des développements qui précèdent, l’erreur de droit s’analyse en une cause de non-culpabilité intentionnelle. Il convient maintenant de mettre en exergue la place résiduelle accordée à l’erreur de droit par la jurisprudence, afin de parachever la démonstration du caractère objectivé de la culpabilité.

B. L’admission restrictive de l’erreur de droit

Elle souligne le caractère quasi irréfragable de la présomption de connaissance de la loi, ce qui conduit à renforcer l’abstraction de la condition liée à la conscience infractionnelle. Le refus jurisprudentiel d’admettre l’erreur de droit ne fait guère de doute en cas d’erreur spontanée de l’intéressé400. Plus significative encore au regard de l’objet de notre recherche, la rigueur dont fait preuve la Cour de cassation lorsque le prévenu a agi sur les conseils d’un tiers, c’est-à-dire en cas d’erreur provoquée. La jurisprudence est relativement rigoureuse dans l’appréciation des efforts déployés, en vain, pour connaître la loi. En effet, l’exclusion jurisprudentielle de l’erreur de droit, en cas d’intervention d’un tiers compétent, est très sévère, particulièrement lorsque ce dernier est un juriste qualifié401 et/ou une personne relevant de l’Administration402.

399. Cf. supra. 400. Cf. par exemple, Cass. crim., 11 juin 1998, no 97-80.905, inédit, D., 1999, somm., p. 159, note M. SEGONDS.

En l’espèce, un fonctionnaire poursuivi du chef de prise illégale d’intérêts invoquait, pour sa défense, l’erreur de droit qu’il aurait commise sur le contenu de ses obligations en sa qualité d’agent détaché de l’Administration. Il soutenait qu’en tant qu’agent du gouvernement non soumis au statut de la fonction publique, il ne savait pas « forcément » qu’il lui était interdit de conserver la qualité d’actionnaire d’une société, alors que ses fonctions l’amenaient à être en relation avec celle-ci, sous peine de se rendre coupable du délit d’ingérence.

401. Alors que les juridictions du fond ont parfois retenu l’application de l’article 122-3 du Code pénal dans le cas d’informations erronées fournies par des avocats (CA Versailles, 27 janv. 1995, Gaz. Pal., 1996, I, somm. 152 ; CA Douai, 26 sept. 1996, Dr. pén., 1997 no 60, obs. M. VÉRON), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a très vite considéré qu’une erreur sur le droit ne saurait être constituée par un simple avis donné par un professionnel du droit. Pour une confirmation relativement récente, cf. Cass. crim., 7 janv. 2004, no 03-82.337, Bull. crim., no 5 ; RSC, 2004, p. 635, note E. FORTIS. D’une manière générale, la Cour de cassation opère un classement au sein des juristes » qualifiés », au sommet duquel elle place le juge. Notons qu’elle écarte aussi l’application de l’article 122-3 du Code pénal à l’erreur provoquée par un avoué sur la portée d’une décision judiciaire – relative à l’attribution de la résidence familiale – au motif qu’elle pouvait être évitée par une demande d’interprétation présentée au juge ayant rendu la décision controversée (cf. Cass. crim., 15 nov. 1995, no 94-85.414, Bull. crim., no 301 ; JCP G 1996, IV, 440 ; Dr. pén., 1996, comm. no 56).

402. Cf. deux exemples de responsabilité pénale engagée nonobstant l’avis erronée fourni par une administration. Pour l’administration des Douanes, cf. par exemple, Cass. crim., 9 juin 1999, no 98-80.052, Bull. crim., no 133 ; JCP G 1999, IV, 2867 ; Dr. pén., 1999, comm. no 138. En l’espèce, un individu était poursuivi pour recel de photographies et de films provenant du délit prévu par l’article 227-23 du Code pénal incriminant la fixation, l’enregistrement ou la transmission d’images de mineurs à caractère pornographique en vue de leur diffusion. Or, ces documents lui étaient parvenus dans un colis en

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On peut remarquer que la rigueur de la jurisprudence va au-delà des préconisations du législateur qui avait pourtant prévu que l’erreur sur le droit ne serait retenue que dans de rares hypothèses. Au cours des débats parlementaires, deux illustrations d’erreurs inévitables avaient été données, puis reprises dans la circulaire d’application du Code pénal du 14 mai 1993 de la direction des Affaires criminelles et des Grâces, au rang desquelles on trouvait le défaut de publication du texte normatif ainsi que le cas d’une information erronée fournie par l’autorité administrative préalablement à l’acte403. L’erreur de droit en cas de tolérance ou d’information erronée fournie par l’Administration constituait donc l’un des exemples d’erreurs envisagées par le législateur. Dès lors que l’erreur de droit n’est pas retenue alors même que l’administration a mal renseigné la personne poursuivie ou accompli un acte qui pouvait être interprété comme une admission ou une autorisation du comportement illicite, quel domaine d’application reste-t-il à cette cause d’impunité ? Son exclusion jurisprudentielle dans de telles hypothèses ne sonne-t-elle pas le glas de l’erreur de droit et, partant, du caractère réfragable de la présomption de connaissance de la loi ? Ne scelle-t-elle pas, dans le même temps, le caractère abstrait de l’exigence de la condition liée à l’existence d’une conscience infractionnelle ? Dans le prolongement de cette idée est également significative de l’abstraction de la condition liée à l’existence d’une conscience infractionnelle, l’exclusion de l’erreur de droit consécutive à une contrariété de jurisprudence entre deux chambres de la Cour de cassation. Il est en effet particulièrement significatif que la chambre criminelle écarte l’application de l’article 122-3 du Code pénal en présence d’interprétations contradictoires de la règle de droit par deux chambres officiant au sein de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire. Elle considère en effet qu’une telle incompatibilité de jurisprudence ne peut laisser croire à la personne poursuivie qu’elle peut légitimement accomplir l’acte pénalement répréhensible. Ne faudrait-il pas admettre, au contraire, que l’existence de solutions divergentes initiées par les professionnels du droit les plus qualifiés est nécessairement créatrice d’insécurité juridique et, donc, potentiellement source d’une erreur sur le droit ? Cette schizophrénie jurisprudentielle a trouvé une illustration en matière de soustraction de documents d’entreprise par des salariés en vue de se défendre en justice404. Nous nous plaçons antérieurement à la résolution de ce conflit interne alors que les chambres criminelle et sociale

provenance de l’étranger, colis qui avait été acheminé jusqu’à son domicile après que l’administration des Douanes ait estimé que « ces objets ne s’avéraient pas illicites par rapport à la législation douanière en vigueur ». Le prévenu invoquait que cette appréciation des Douanes lui avait fait croire, par erreur, à la licéité de la détention des objets litigieux. La Cour de cassation estima au contraire que l’attitude de l’administration des Douanes ne pouvait constituer une erreur au sens de l’article 122-3 du Code pénal. Pour un autre exemple d’erreur sur le droit écartée nonobstant l’avis erroné fourni par l’Administration, cf. Cass. crim., 19 mars 1997, no 96-80.853, Bull. crim., 115, JCP G 1998, II, 10095, note O. FARDOUX. En l’espèce, le prévenu, la société Auchan, avait réalisé des travaux d’agrandissement sans solliciter l’avis de la commission départementale d’équipement commercial. Elle invoquait pour sa défense l’obtention d’un permis de construire pour la réalisation de l’opération consécutivement à l’avis favorable délivré par le ministère des Entreprises. Ce dernier ne considérait pas l’opération réalisée par la société comme une extension de l’hypermarché Auchan. Il en résultait qu’une autorisation de la commission d’équipement commercial n’était pas nécessaire. La société Auchan s’est donc vainement prévalue d’une erreur sur le droit provoquée par l’avis erroné de l’Administration, en l’occurrence la plus haute autorité administrative compétente.

403. Cf. Rapp. MARCHAND, Doc. AN, 1992, no 896, p. 140. 404. Jurisprudence déjà évoquée à l’occasion de la démonstration de l’exclusion des mobiles de la définition de

l’intention.

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retenaient sur la question deux solutions contradictoires405. Plus particulièrement, la chambre criminelle considérait que de tels agissements – quel qu’en soit le mobile – étaient constitutifs de vol, alors que la chambre sociale reconnaissait le droit pour un salarié de produire en justice, en vue d’assurer sa défense dans le procès qui l’oppose à son employeur devant le juge prud’homal, les documents de l’entreprise dont il avait connaissance dans l’exercice de ses fonctions406. Comme le relève Carole Girault, le salarié « se voyait donc autorisé à organiser sa défense devant les instances prud’homales au prix d’une probable condamnation pour vol devant les juridictions pénales »407. Dans ce contexte, si certaines juridictions du fond, contestant la rigueur de la chambre criminelle, écartaient l’infraction de vol en considérant que soit l’élément matériel, soit l’élément psychologique du délit n’étaient pas caractérisés408, d’autres n’hésitaient pas à fonder la relaxe du salarié sur l’erreur de droit, cette dernière résultant de l’opposition qui existait entre la chambre sociale et la chambre criminelle. En ce sens, la cour d’appel de Paris, dans un arrêt en date du 9 novembre 2000, avait justifié sa solution en considérant que la divergence d’interprétation d’une règle de droit entre deux chambres de la Cour de cassation était de nature à créer une erreur sur le droit que le prévenu n’était pas en mesure d’éviter409. Finalement, la chambre criminelle opère un revirement de sa jurisprudence par deux arrêts en date du 11 mai 2004410 en considérant que le délit de vol pouvait être justifié par la stricte nécessité de l’exercice des droits de la défense en cas de production de documents dont le salarié a eu connaissance dans le cadre de l’exercice de ses fonctions pour en faire usage lors d’un litige l’opposant à son employeur. Ainsi, si elle finit par retenir l’impunité de l’auteur, cette dernière n’est prononcée ni sur le fondement de l’absence d’infraction pénale ni sur celui de l’erreur de droit. L’exclusion du fondement de l’article 122-3 du Code pénal ressort d’ailleurs clairement de la première espèce, dans la mesure où la cour d’appel saisie avait eu recours à l’erreur de droit pour relaxer le prévenu et faire jouer à son profit le paradoxe jurisprudentiel411. La Cour de cassation a

405. Il s’agit de comprendre ici que l’erreur de droit n’a pas été admise par la Cour de cassation dans une telle

hypothèse mais que l’apaisement est venu d’un alignement de la position d’une chambre sur celle de l’autre ; en l’espèce c’est la chambre criminelle qui a opéré un revirement de sa jurisprudence.

406. Pour un aperçu des décisions divergentes des chambres criminelle et sociale dans ce type d’affaires, cf. par exemple Cass. crim., 8 déc. 1998, no 97-83.318, Bull. crim., no 336 ; JCP G 1999, IV, 1734 ; Dr. pén., 1999, comm. no 67 ; D., 2000, somm. p. 87, note S. FROSSARD ; RSC 1999, p. 822, obs. R. OTTENHOF ; également Cass. crim., 16 mars 1999, JCP G 1999, II, 10166, note S. BOURETZ. Comp., Cass. soc., 2 déc. 1998, no 96-44.258, Bull. civ., V, no 535 ; D., 1999, Jurisp., p. 431, note GABA ; D., 1999, somm. p. 87, obs. S. FROSSARD ; JCP G 1999, II, 10 166, note S. BOURETZ.

407. C. GIRAULT, « Soustractions de documents d’entreprise par les salariés en vue de se défendre en justice », JCP G 2004, II, 10124.

408. Cf. supra, le développement sur l’exclusion jurisprudentielle des mobiles de la définition de l’intention. 409. Cf. CA Paris, 9 nov. 2000, JCP G 2001, I, 346 ; Dr. pén., 2001, comm. no 57; D. 2001, somm., p. 2345, obs.

B. DE LAMY ; RSC, 2001, p. 829, obs. G. GIUDICELLI-DELAGE. 410. Cf. Cass. crim., 11 mai 2004, (deux arrêts), nos 03-80.254 et 03-85.521, Bull. crim., nos 113 et 117 ; D. 2004,

Jurisp., p. 2326, note H. KOBINA-GABA ; D. 2004, somm., p. 2759, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE ; RSC, 2004, p. 635, E. FORTIS ; RSC, 2004, p. 866, obs. G. VERMELLE ; JCP G 2004, II, 10124, note C. GIRAULT ; Dr. pén., 2004, comm. no 122, obs. M. VÉRON ; LPA, 23 sept. 2004, no 191, p. 14, F. DEBOVE ; LPA, 24 nov. 2004, no 235, p. 14, note P. BOUGHANMI-PAPI.

411. Cf. Cass. crim., 11 mai 2004, no 03-80.254, Bull. crim., no 113 : « Pour relaxer la prévenue, l’arrêt attaqué retient que celle-ci est fondée à invoquer l’erreur sur le droit, au motif que, si la chambre criminelle de cette juridiction considère que de tels agissements, quel qu’en soit le mobile, sont constitutifs de vol, Fabienne X a pu croire à la licéité de son action dès lors que la chambre sociale reconnaît le droit pour un salarié de produire en justice, en vue d’assurer sa défense dans le procès qui l’oppose à son employeur devant le juge prud’homal, les documents de l’entreprise dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions. »

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cependant sanctionné cette approche en considérant que les juges d’appel avaient fait une fausse application de l’article 122-3 du Code pénal et n’avaient pas donné de base légale à leur décision, l’erreur de droit n’étant pas invincible. Au-delà de ce cadre contentieux spécifique, il est possible d’ériger en règle générale qu’une divergence de jurisprudence entre chambres de la Cour de cassation ne constitue pas une erreur de droit invincible permettant la relaxe sur le fondement de l’article 122-3 du Code pénal, et cela, nonobstant la position de la Cour européenne sur ce point412. La jurisprudence interne la plus récente continue à faire preuve d’une stricte appréciation de la notion d’erreur inévitable. Une décision en date du 20 mai 2015413 en témoigne dans le domaine du droit pénal fiscal et, plus particulièrement, concernant les infractions aux contributions indirectes. En l’espèce, deux personnes avaient créé un site de vente aux enchères sur Internet après avoir consulté des avocats et des sites similaires. Elles avaient en outre recueilli quelques mois plus tard l’avis favorable de la direction régionale de la Concurrence, de la Consommation et de Répression des fraudes. Cette dernière s’était toutefois ravisée deux semaines plus tard. Les intéressés étaient alors poursuivis pour ouverture sans déclaration d’une maison de jeux de hasard, défaut de déclaration de recette et défaut de paiement de l’impôt sur les spectacles de quatrième catégorie. Selon la Cour de cassation, ils ne pouvaient se prévaloir de l’erreur de droit inévitable sur la légalité de leur activité. Elle a donc estimé qu’ils étaient redevables, depuis l’ouverture du site, de leurs obligations fiscales en matière de contributions indirectes. Les précautions prises ont ainsi été jugées insuffisantes, y compris pour la période couverte par l’avis favorable de l’administration. Cela est très sévère puisque, dans la dernière hypothèse, l’avis favorable émanait non seulement d’une autorité privée, mais aussi d’une autorité publique, preuve que la présomption de connaissance de la loi s’apparente en matière fiscale à une présomption irréfragable accroissant encore le caractère abstrait de la culpabilité, en particulier eu égard à la complexité de la règlementation en la matière. Le fait que le domaine d’intervention de l’erreur de droit soit quasiment réduit à néant, en raison de l’interprétation jurisprudentielle particulièrement stricte de ses conditions d’application, a conduit certains auteurs à s’interroger sur l’opportunité de son maintien. Le rapprochement de cette cause d’irresponsabilité pénale des autres causes existantes autoriserait même à envisager son remplacement par un nouveau fait justificatif : l’autorisation de l’autorité légitime414.

412. La Cour européenne des droits de l’homme a sanctionné la France sur une question similaire. En effet,

dans la décision Pessino c/ France (CEDH, Pessino c/ France, req. no 40403/02, 10 oct. 2006, D. 2006, jurispr. 124, note D. ROETS), la Cour européenne affirme que « la loi doit définir clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale. La notion de « droit » utilisée à l’article 7 […] englobe le droit d’origine tant législative que jurisprudentielle et implique des conditions qualitatives, entre autres celles de l’accessibilité et de la prévisibilité »412. En application de la jurisprudence de la Cour européenne, il semble donc que la contrariété de jurisprudence au sein de la Cour de cassation soit susceptible de relever de l’application de l’article 122-3 du Code pénal. Mais peut-être se livre-t-elle à une conception moins objectivée de l’intention que les juridictions de l’ordre interne ?

413. Cass. crim., 20 mai 2015, no 13-81.307, inédit, Dr. pén., 2015, Chron. 8, p. 23. Cf. également Cass. crim., 20 janv. 2015, no 14-80.532, Dr. pén. 2015, comm. 32 ; JCP G 2015, act. 120.

414. Cf. J. HERRMANN, « Quel avenir pour l’erreur de droit ? », Dr. pén., 2016, étude 5.

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Chapitre II –

La reconfiguration du champ de la condition de liberté relevant de l’imputabilité

L’exclusion du rattachement de la condition de discernement à la notion de culpabilité entendue comme élément psychologique de l’infraction a permis de déduire l’inclusion du discernement dans la composition de l’imputabilité. Il importe maintenant de s’intéresser à la condition volitive de l’imputabilité. La doctrine a coutume d’associer à la condition tenant à l’existence du discernement de l’agent une autre condition, tenant à l’exercice d’une volonté libre. Le législateur n’a pas appréhendé le contenu de l’imputabilité de manière positive mais de manière implicite et indirecte, par le biais de certaines causes d’exonération de la responsabilité pénale. En l’occurrence, la condition tenant à la liberté de la volonté renvoie à la notion de contrainte, prévue à l’article 122-2 du Code pénal. Au regard de la jurisprudence rendue sur le fondement de cet article, il semble qu’il faille opérer une distinction selon que le fait constitutif de contrainte s’exerce directement sur le corps ou la volonté de l’agent. Il conviendra donc d’adopter la scission de la contrainte en une acception physique et « morale ». De cette manière, nous serons amenée à questionner la pertinence de la composante liberté, dans sa double dimension physique et intellectuelle, dans la constitution de l’imputabilité, d’une part en solutionnant la place de la liberté de mouvement (section 1) et, d’autre part, en confirmant le rattachement de la contrainte morale aux causes de non-imputabilité (section 2).

Section 1 – L’existence d’une condition tenant à la liberté physique de l’agent entrant dans la constitution de l’infraction

L’acception doctrinale de la contrainte physique se fonde sur la définition donnée en son temps par Jean-André Roux, dont il résulte qu’elle s’entend communément de la « mainmise sur le corps d’une personne » par une force de la nature, d’un animal ou d’un tiers, qui lui enlève « l’exercice de son activité »415. La contrainte physique, en ce qu’elle s’analyse en une « mainmise sur le corps de la personne », semble donc de nature à faire obstacle à la constitution de l’élément matériel de l’infraction qui, rappelons-le, se décompose en trois

415. Cf. notamment R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit. ; no 619 ;

M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit., no 440, p. 464 ; J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, 6e éd., 2005, p. 306.

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éléments : un comportement, un résultat416 et un lien de causalité entre les deux. En ce sens,

une partie de la doctrine417 fonde son étude de la contrainte physique sur la définition élaborée par Jean-André Roux. Cependant, en ce qu’elle affecte directement ou par ricochet, la volonté, la contrainte physique, est aussi susceptible d’entraver la réalisation de l’élément psychologique de l’infraction. Le rattachement de la contrainte physique aux causes de non-imputabilité supposerait donc, en présence d’un fait contraignant de cette nature, de pouvoir caractériser l’infraction dans tous ses éléments constitutifs, notamment matériel et psychologique. Il convient donc de vérifier si un événement de contrainte physique est compatible avec la réalisation des éléments matériel (§ I) et psychologique de l’infraction (§ II) avant de conclure par la négative.

§ 1 - L’incompatibilité de la contrainte physique avec la matérialité de l’infraction

Comme nous l’avons rappelé418, l’élément matériel de l’infraction peut être décomposé en trois sous-éléments : le comportement incriminé par le législateur, son résultat et le lien de causalité entre les deux. La contrainte physique n’est pas de nature à empêcher la caractérisation du résultat ; au contraire, elle contribue en principe à sa production. En revanche, elle semble pouvoir faire obstacle à la caractérisation du comportement (A.) et du lien de causalité (B.).

A. La non-caractérisation du comportement répréhensible en présence d’une contrainte physique

Plusieurs catégories d’infractions peuvent être atteintes dans leur matérialité par un événement de contrainte physique419. Il s’agit tout d’abord des infractions d’omission reposant sur un pouvoir d’agir, préalable à l’abstention (1.) et ensuite des délits d’homicide et de blessures non intentionnels (2.).

1. En présence d ’une infraction d ’omission supposant un pouvoir préalable d’agir

Dans cette hypothèse, c’est le pouvoir d’agir de l’agent qui va se trouver anéanti par un événement de contrainte physique. La réalité de ce pouvoir, dans la mesure où il doit préexister à l’abstention constituant la matérialité de l’infraction, est vérifiée dans le cadre de

416. S’il est théoriquement possible de toujours caractériser l’existence d’un résultat en raison de la distinction

opérée entre résultat réel et résultat juridique (cf. supra, chapitre I : « Les conditions de l’imputabilité découlant du caractère objectivé de la culpabilité »), il est vrai que la référence au résultat d’une infraction renvoie, pour la majorité de la doctrine, à la notion de résultat réel et donc aux seules infractions matérielles.

417. Cf. R. BERNARDINI, Droit pénal général : introduction au droit criminel, théorie générale de la responsabilité pénale, op. cit., no 619 ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 619 ; J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, 6e éd. 2005, p. 305 ; F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, no 662, p. 642 ; J. PRADEL, Droit pénal général, op. cit., no 532.

418. Cf. supra. 419. Cf. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., nos 70 et suiv.

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l’étude du comportement répréhensible. Parmi les infractions les plus célèbres, on retrouve le refus d’empêcher un crime ou un délit contre l’intégrité d’une personne et le refus de porter assistance à une personne en péril, délits visés respectivement aux alinéas 1 et 2 de l’article 223-6 du Code pénal. Aux termes de cet article, les deux délits impliquent bien une possibilité préalable d’action420, corrélée à une absence de risque pour l’abstentionniste ou pour les tiers. Aussi, certains arrêts soulignent-ils l’existence de ce pouvoir préalable d’agir dans la décision de condamnation. Par exemple, se rend coupable du délit d’omission d’empêcher une infraction le gendarme qui laisse exercer en sa présence des violences sur un détenu par des gardes placés sous ses ordres421, ou encore le médecin hospitalier sachant que plusieurs membres du personnel avaient un comportement maltraitant envers des pensionnaires âgés et dépendants, qui s’abstient d’intervenir auprès de l’encadrement des infirmiers afin que soient prises des dispositions, telles qu’une meilleure surveillance, et de s’entretenir de la situation avec la direction de l’hôpital422. Deux autres exemples illustrent cette fois des condamnations pour omission de porter secours, justifiées également par le non-usage d’un pouvoir d’agir. Ainsi, le capitaine du cargo qui se contente de signaler le naufrage d’un chalutier qu’il a lui-même provoqué, sans mettre en œuvre l’intervention personnelle efficace qu’il pouvait entreprendre sans risque, se rend coupable de non-assistance à personne en péril423. Il en va de même pour le prévenu qui, étant à l’origine d’un accident, s’arrête, descend de son véhicule, prend le pouls de la victime et, constatant qu’il bat encore, repart sans donner l’alerte pour revenir plus tard alors que les secours, alertés par des tiers, étaient sur place424. En revanche, il faut logiquement admettre que « celui qui par l’effet d’un événement irrésistible et imprévisible425, qui ne lui est pas reprochable, ne peut empêcher la survenance d’un crime ou d’un délit contre l’intégrité corporelle, ou encore porter assistance à une personne en péril, ne peut se voir reprocher une quelconque abstention, et ce, sans même s’interroger sur son état d’esprit »426. Et pour cause, cet événement irrésistible est imprévisible. Il s’agit de comprendre qu’une contrainte physique a supprimé le pouvoir d’agir dont l’agent disposait, enlevant ainsi à l’abstention son caractère répréhensible. Un exemple peut être trouvé en jurisprudence avec le délit d’abandon pécuniaire de famille réprimé par l’article 227-3 du Code pénal. Aux termes de cet article, l’infraction consiste à ne pas exécuter une décision judiciaire imposant de verser au profit d’un enfant mineur, d’un descendant ou du conjoint, une pension ou des prestations de toute nature, découlant d’une obligation familiale. Bien que l’article 227-3 ne prévoie pas, au titre de ses éléments constitutifs, la possibilité préalable d’exécuter la décision de justice, la Cour de cassation a considéré que l’infraction n’était pas constituée si le débiteur rapportait la preuve de son insolvabilité

420. Al. 1 : « Quiconque pouvant… » ; al. 2 : « quiconque… pouvait ». 421. Cass. crim., 23 mars 1950, Bull. crim. no 109. 422. Cass. crim., 23 oct. 2013, no 12-80.793, Bull. crim., no 204; Dr. pén. 2013, comm. 166, obs. M. VERON;

Dr. pén. 2014, comm. 15, obs. A. MARON et M. HAAS. 423. Cass. crim., 13 mars 2007, no 06-86.210, inédit, Dr. pén. 2007, comm. 82, obs. M. VERON. 424. Cass. crim. 15 avr. 2008, no 07-86.336, inédit, RSC, 2008. 910, obs. Y. MAYAUD. 425. Les deux caractères, législatif pour le premier et jurisprudentiel pour le second, que doit réunir la

contrainte, qu’elle soit physique ou morale, pour exonérer l’agent de sa responsabilité pénale. 426. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 70.

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totale427. Précisons que le débiteur doit se trouver dans « l’impossibilité absolue de payer »428, qu’il ne doit pas s’agir d’une simple difficulté429. On voit bien que c’est la matérialité même du délit qui est affectée. Dès lors, en présence d’une infraction d’omission supposant un pouvoir d’agir préalable, dans l’hypothèse de l’anéantissement du pouvoir d’agir par la contrainte physique s’exerçant sur l’agent, « ce n’est pas seulement le défaut d’intention ou de volonté qui explique la non-caractérisation de l’infraction, mais plus radicalement son défaut de matérialité »430. Les délits d’homicide et de blessures involontaires peuvent voir également leur matérialité affectée par un événement de contrainte physique.

2. En présence d ’un homicide ou de blessures involontaires

En application, d’une part de l’article 121-3 du Code pénal et, d’autre part, des articles 221-6 et 222-19 du même code, incriminant respectivement l’homicide et les blessures involontaires, l’élément psychologique de l’infraction peut consister « en une maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ». Cette faute non-intentionnelle est traditionnellement résumée sous le vocable générique d’imprudence ou de négligence ordinaire. On peut présenter cette imprudence comme réunissant un aspect matériel et un aspect psychologique. Si ce dernier consiste dans la volonté du comportement431, le premier peut se définir comme « un écart de conduite apprécié in abstracto432 ». Autrement dit, la caractérisation du comportement de l’élément matériel de ces infractions non intentionnelles suppose de prouver que l’agent s’est écarté de la conduite qu’aurait adoptée le « bon père de famille »433 placé dans les mêmes circonstances. La question se pose donc de savoir si la contrainte physique est de nature à faire obstacle à l’existence d’une imprudence dans son acception matérielle. La survenance d’un fait contraignant de cette nature peut-elle avoir des incidences sur le comportement d’une personne impliquée involontairement dans la production d’un dommage quelconque ? Par exemple, la foudre qui déporterait un véhicule au point d’entrer en collision avec un autre peut-elle exonérer le conducteur du premier véhicule de sa responsabilité pénale en cas de blessures occasionnées aux passagers du second véhicule ? Qu’en est-il du verglas provoquant la sortie de route d’un véhicule ? Les exemples en jurisprudence sont nombreux.

427. En ce sens, Cass. crim., 24 avr. 1937, DH 1937. 429, considérant que ne peut être condamné pour abandon

de famille celui qui, atteint d’une affection cardiaque l’obligeant à un repos complet et dépourvu de toutes ressources personnelles, se trouve à la charge de ses parents, une telle situation constituant un cas de force majeure.

428. En ce sens, Cass. crim., 26 févr. 1992, no 91-83.913, Bull crim., no 88. 429. En ce sens, Cass. crim., 7 janv. 2004, no 03-82.337, Bull. crim., no 5. 430. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 70. 431. Cf. supra, le chapitre relatif à la définition de la culpabilité. 432. Par rapport à l’attitude qu’aurait adopté un homme normalement raisonnable, pourvu des mêmes qualités

et placé dans les mêmes circonstances, cf. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 71, p. 82.

433. L’expression a toutefois été supprimée du droit positif par la loi no 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

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C’est ainsi que la Cour de cassation a considéré que la plaque de verglas provoquant la sortie de route d’un véhicule constituait un cas de force majeure dès lors que cette plaque s’était trouvée, en raison des conditions atmosphériques, subitement localisée sur une surface réduite434. La même solution a été retenue pour le cycliste qui, enfermé et emporté par le peloton, percute un agent du service d’ordre435. Dans ces hypothèses, les prévenus ne s’étaient pas écartés du comportement qu’aurait adopté un homme raisonnable, normalement prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances. Cependant, de par le caractère absolu de la contrainte physique qu’ils avaient subie, l’impossibilité d’éviter le dommage devait être retenue. Ainsi, dans certains cas de délits d’homicide ou de blessures non intentionnels, la contrainte physique est de nature à faire obstacle à la caractérisation du comportement pénalement répréhensible. Elle peut empêcher la caractérisation matérielle de l’imprudence. Une autre composante de l’élément matériel de l’infraction peut se trouver affectée par la contrainte physique : il s’agit du lien de causalité entre le comportement répréhensible et son résultat.

B. La non-réalisation du lien de causalité en présence d’une contrainte physique

Pour certains auteurs, la contrainte physique peut très bien cohabiter avec l’existence d’une imprudence dans son acception matérielle. Plusieurs exemples peuvent en témoigner. Par exemple, un parasol planté dans le sable d’une plage, à la suite d’un coup de vent extrêmement violent, s’envole et vient blesser un vacancier. Il y a incontestablement une négligence à ne pas avoir mieux fixé le parasol, comme l’aurait fait toute personne normalement diligente. Néanmoins, il se peut que, même solidement fixé, le parasol se soit tout de même envolé compte tenu de la force du vent. Ainsi, le coup de vent, étranger au comportement de l’agent, pourrait être déterminant de l’envol du parasol. La force majeure ou contrainte physique pourrait donc venir affecter la causalité. On précisera néanmoins que cela suppose que la jurisprudence pénale ne soit pas insensible à la théorie de la causalité adéquate, afin de pouvoir retenir le coup de vent comme la cause prépondérante du dommage. Or, nonobstant le recours de principe à la théorie de l’équivalence des conditions pour qualifier le lien de causalité436, le recours à la causalité adéquate en matière pénale n’est aujourd’hui plus exceptionnel. Cela laisse donc entrevoir la reconnaissance d’une action de la contrainte physique sur le lien de causalité. Par exemple, la Cour de cassation a relaxé du chef d’homicide non intentionnel un automobiliste qui avait seulement blessé un piéton, ce

434. Cass. crim., 18 déc. 1978, no 78-92.468, Bull. crim., 1978, no 357. 435. Cass. crim., 5 janv. 1957, Bull. crim., 1957, no 17. 436. On sait qu’en matière de causalité, la Cour de cassation recourt, par principe, à la théorie de l’équivalence

des conditions. Avec une telle acception de la causalité, « la force majeure […] ne serait pas à même de rompre le lien de causalité, puisqu’une telle rupture suppose de qualifier la force majeure de cause adéquate, afin de la juger prépondérante au comportement de l’agent dans la production du résultat infractionnel » (F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 73). Pour approfondir la question de la causalité en droit pénal, il est permis de consulter la thèse de Pierre-André Bon (cf. P.-A. BON, La causalité en droit pénal, fac. de droit et des sciences sociales de Poitiers, 2006).

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dernier décédant d’une infection nosocomiale contractée lors de son séjour à l’hôpital437. Le recours à cette théorie dépasse d’ailleurs le seul cadre des infractions non intentionnelles438. On se peut se poser la question de savoir si cette démonstration de la possible affectation du lien de causalité par la contrainte physique ne tire pas la plénitude de son efficience du fait que François Rousseau raisonne directement à partir de la force majeure et non pas de la contrainte physique. Certes, sa démonstration préalable d’une assimilation de la contrainte physique à la force majeure du droit civil autorise cette argumentation. Cependant, ne doit-on pas convenir qu’il aurait été plus délicat de parvenir aux mêmes conclusions en raisonnant directement sur la contrainte physique, notamment en ce que cette dernière suppose une action, d’origine interne ou externe, sur le corps même de l’agent ? Finalement, la réponse à cette question n’est pas déterminante dans le cadre de notre étude, car si nous avons démontré que la contrainte physique est de nature à faire obstacle à la matérialité de l’infraction par le truchement du comportement, elle est aussi de nature à faire obstacle à l’élément psychologique de l’infraction. Il n’est donc pas question de remettre en cause l’anéantissement de l’infraction par la contrainte physique.

§ 2 - L’incompatibilité de la contrainte physique avec l’élément psychologique de l’infraction

Il convient d’opérer une distinction selon que l’on est en présence d’une infraction intentionnelle (A.) ou non intentionnelle (B.).

A. En présence d’une infraction intentionnelle

L’anéantissement de l’élément psychologique des infractions intentionnelles par la contrainte physique suppose d’abord d’avoir préalablement caractérisé l’existence de l’élément matériel. Autrement dit, cela suppose de démontrer la compatibilité de la contrainte physique avec la réalisation matérielle d’une infraction intentionnelle. Cela est possible que l’on soit en présence d’une infraction d’omission ou de commission. À propos des infractions de commission, prenons l’exemple du délit d’exhibition sexuelle, réprimé par l’article 222-32 du Code pénal. Caractérise l’élément matériel du délit d’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public, le fait pour un prévenu d’être déshabillé de force par des tiers puis laissé entièrement nu sur la voie publique. « Sa nudité, résultant d’une contrainte physique exercée par des tiers, est offerte aux yeux des passants et pourrait caractériser matériellement le délit d’exhibition sexuelle. »439 La caractérisation matérielle du délit d’exhibition sexuelle par l’agent peut donc coexister avec la contrainte physique. 437. Cass. crim., 5 oct. 2004, no 03-86.169, Bull. crim. 2004, no 230. 438. Par exemple, pour un meurtre et des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la

donner : Cass. crim. 8 janv. 1991, no 90-80.075, D., 1992, jurispr. p. 115, note R. CROISIER-NERAC. 439. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 76.

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S’agissant des infractions d’abstention. Nous raisonnons maintenant sur des infractions d’omission ne supposant aucunement un pouvoir préalable d’agir. Leur réalisation matérielle dépend seulement du non-respect par l’agent de son devoir légal. François Rousseau prend l’exemple d’un condamné bénéficiant du régime de la semi-liberté qui ne réintègre pas son établissement pénitentiaire. Conformément à l’article 434-29 du Code pénal, est notamment puni des mêmes peines que le délit d’évasion le fait, « par tout condamné, de ne pas réintégrer l’établissement pénitentiaire à l’issue d’une mesure […] de semi-liberté ». Il suffit à la juridiction, pour entrer en voie de condamnation, de constater que le condamné n’a pas réintégré l’établissement pénitentiaire à la date prévue, l’évasion constituant un délit instantané440. On peut également citer le célèbre arrêt Trémintin441 où la Cour de cassation considéra qu’« en admettant que sa détention au poste de police ait mis un marin inculpé de désertion dans l’impossibilité absolue de se rendre à son bord, cette détention, occasionnée par la faute qu’il avait commise en se mettant en état d’ivresse, n’a pas constitué un événement qu’il n’ait pu éviter442 ». Ce marin fut donc condamné pour désertion. La Cour de cassation considéra que son absence constatée à bord du navire caractérisait matériellement le délit de désertion. Si l’infraction de désertion était constituée dans sa matérialité, l’était-elle dans son intentionnalité ? Peut-on réellement considérer dans cette hypothèse que la réalisation de l’élément psychologique de l’infraction était compatible avec la contrainte physique exercée par les policiers sur le corps du marin ? En l’espèce, il apparaît que la Cour de cassation entendait avant tout sanctionner la commission d’une faute antérieure, en l’occurrence le fait pour l’intéressé de s’être enivré. Cependant, pour entrer en voie de condamnation, il faut pouvoir considérer qu’une infraction est caractérisée en tous ses éléments constitutifs. Comment donc la Cour de cassation a-t-elle pu conclure juridiquement à l’existence de l’élément psychologique de l’infraction ? Peut-être a-t-elle considéré que la volonté-désir pouvait être caractérisée nonobstant la volonté du comportement443 ? Dans le premier chapitre de cette étude, nous avons établi que l’élément psychologique d’une infraction intentionnelle s’entendait d’une « volonté-intention » caractérisée par la recherche du résultat de l’infraction444. Il faudrait donc établir que la contrainte physique peut parfaitement « coexister avec la réalisation matérielle de l’infraction ainsi que la volonté de son résultat par l’auteur »445. Or il se trouve que, dans le cadre de cette étude, nous entendons démontrer le contraire, c’est-à-dire qu’en présence d’une infraction intentionnelle, la contrainte physique

440. En ce sens, à propos de la permission de sortir, Cass. crim., 4 mai 2000, bull. crim. no 178. 441. Cass. crim., 29 janv. 1921, Trémintin, S. 1922. 1. 185, note J.-A. ROUX. 442. Cf. supra. 443. Dans sa thèse précitée, François Rousseau développe un raisonnement similaire. Il faut dire que l’auteur

entend démontrer que la contrainte physique peut être sans incidence sur la constitution de l’élément psychologique de l’infraction.

444. Cf. supra, le chapitre traitant de la définition de la culpabilité. 445. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 78.

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peut constituer une cause de non-culpabilité446. François Rousseau reprend l’exemple du détenu bénéficiant du régime de la semi-liberté. Cette fois, il ne réintègre pas son établissement pénitentiaire parce qu’il est victime d’une prise d’otage dans une banque. Malgré ces circonstances constitutives d’une contrainte physique, le délit d’évasion est matériellement constitué. « Mais, ce détenu pouvait très bien avoir décidé, par avance, qu’il ne réintègrerait pas son établissement pénitentiaire ; la preuve d’un tel « désir » pouvant résulter d’un aveu maladroit ou du témoignage d’un codétenu mis dans la confidence. »447 Il serait donc envisageable, selon l’auteur, de caractériser aussi l’élément psychologique de l’infraction. Pour autant, il considère que l’impunité du détenu peut être défendue car « même s’il entendait ne pas réintégrer son établissement pénitentiaire, sa non-réintégration ne résulte pas, au regard des circonstances, de son choix ou de sa libre volonté, mais de l’événement contraignant présentant les caractères de la force majeure ». Selon l’auteur, l’impunité du détenu se justifie par l’absence de volonté libre. Cette argumentation nous paraît devoir être écartée pour deux raisons. Tout d’abord, elle repose sur une assimilation de la volonté-liberté à la volonté du comportement incriminé, par opposition à la volonté-intention qui correspond à la volonté du résultat. S’il est juste que la volonté est susceptible de recouvrir plusieurs acceptions, il ne nous semble pas cohérent d’assimiler volonté du comportement répréhensible et volonté-liberté. Selon nous, la première, en tant qu’elle suppose la liberté de mouvement, participe de la réalisation de la culpabilité448, alors que la seconde, qui vise la liberté psychologique, se rattache à l’imputabilité. On ne saurait confondre l’expression d’une détermination avec la qualité de cette détermination. En ce sens, Yves Mayaud propose de considérer que la volonté est un élément de la culpabilité, en tant qu’elle est l’expression d’une détermination alors qu’elle se rattache à l’imputabilité lorsque l’on considère la liberté de cette détermination449. En tout état de cause, l’argumentation développée par François Rousseau nous apparaît assez illogique, dans la mesure où il ne semble pas cohérent de pouvoir caractériser la volonté du résultat sans retenir celle du comportement, qui nous paraît en être le préalable indispensable. En effet, la volonté du comportement semble nécessaire à la réalisation de l’intention, car la volonté du résultat implique, a fortiori, celle du comportement. François Rousseau concède d’ailleurs que « les auteurs, qui définissent l’intention comme la volonté du résultat incriminé, précisent qu’elle requiert également la volonté du comportement ayant provoqué ce résultat »450. Il ne faut donc pas, selon nous, assimiler la volonté du comportement à la liberté de la volonté – comprenons à la liberté psychologique451. Or, dans l’exemple du détenu

446. Et ce nonobstant le caractère objectivé de la culpabilité, une définition même objectivée de l’intention ne

rendant pas caractérisable l’élément psychologique de l’infraction dans une telle hypothèse (cf. supra). 447. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 78. 448. Cf. supra, le chapitre traitant de la définition de la culpabilité. 449. Y. MAYAUD, « La volonté à la lumière du nouveau Code pénal », in Mélanges en l’honneur du Professeur

J. Larguier, op. cit., p. 203 et suiv. 450. Cf. Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 230 (implicitement), P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON,

Droit pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 381. 451. On peut donc distinguer les acceptions suivantes de la volonté : la volonté du comportement, constituant

le dénominateur psychologique commun à toutes les infractions, la volonté/intention ou volonté du résultat, constituant le critère de distinction entre infractions intentionnelles et infractions non intentionnelles, et la volonté-liberté, dont l’absence constitue une cause d’exonération commune à toutes les infractions.

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bénéficiant du régime de la semi-liberté, peut-on considérer que la contrainte physique exercée par les preneurs d’otage n’ait aucune incidence sur la liberté de mouvement de l’intéressé ? Peut-on réellement considérer dans cette hypothèse que la réalisation de l’élément psychologique de l’infraction était compatible avec la contrainte physique exercée par les preneurs d’otage sur le corps du détenu ? Il ne nous semble pas qu’une réponse par l’affirmative soit possible. Il faut donc considérer que la contrainte physique a une influence directe sur la culpabilité proprement dite – autrement dit, que la volonté ici supprimée par la contrainte physique appartient bien au domaine de la culpabilité. Finalement, un dernier point de désaccord avec l’argumentation développée par François Rousseau peut être soulevé. Il réside dans le fait que son raisonnement implique d’intégrer l’imputabilité dans la constitution de l’infraction452. Il considère en effet que la volonté-liberté assimilée à la volonté du comportement est indispensable à la constitution de l’infraction453. Quoi qu’il en soit, l’impunité de l’agent aurait dû être retenue et bien justifiée par le défaut d’un élément psychologique nécessaire à la responsabilité pénale, en l’occurrence par le défaut de culpabilité. La contrainte physique est donc bien de nature à faire obstacle à la caractérisation de l’élément psychologique d’une infraction intentionnelle. Qu’en est-il en présence d’une infraction non intentionnelle ?

B. En présence d’une infraction non intentionnelle

Comme nous l’avons vu, les infractions d’homicide et de blessures involontaires constituent l’un des domaines de prédilection de la contrainte physique. Il convient de vérifier ici si cette dernière est aussi de nature à faire obstacle à la constitution de l’élément psychologique des infractions non intentionnelles. Si une réponse positive est envisageable (2.), la neutralisation de l’imprudence ne saurait procéder d’une assimilation de la faute antérieure de l’agent à l’élément psychologique de l’infraction (1.).

1. L’exclusion du rattachement de l ’absence de faute antérieure de l ’agent à la non-réalisation de l ’élément psychologique de l ’infraction

On sait que, pour être admissible, le fait contraignant doit être irrésistible. En d’autres termes, il ne doit pas procéder d’une faute antérieure de l’agent. Certains auteurs considèrent que la faute d’imprudence, constituant l’élément psychologique de l’infraction, peut résider dans la faute antérieure de l’agent. Dans la logique de leur raisonnement, on devrait conclure que l’existence d’une contrainte physique, subordonnée à l’absence de faute antérieure de l’agent, peut alors faire obstacle à la caractérisation de l’élément psychologique de l’infraction. Or, ce raisonnement heurte l’un des principes fondamentaux du droit pénal, tout en procédant d’une confusion entre les concepts de culpabilité et d’imputabilité. Prenons l’exemple du commentaire effectué par Jean-Yves Maréchal relativement à l’arrêt rendu par la 6e chambre

452. Cf. infra, partie 1, titre 2, chapitre I : L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’élément psychologique

de l’infraction. 453. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 79.

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correctionnelle de la cour d’appel de Douai le 24 octobre 2000454. Évoquant le caractère contesté de la prise en compte de la faute antérieure au titre des conditions d’admission de la contrainte, il rappelle que « la plupart des auteurs admettent qu’en pareil cas, reprocher à l’agent sa faute préalable pour exclure l’irresponsabilité au titre de la contrainte est totalement justifié, parce que la faute d’imprudence ou de négligence peut avoir été commise avant la réalisation matérielle de l’infraction ». En l’espèce, le prévenu était poursuivi pour blessures involontaires causées par un accident de la circulation dont il était à l’origine. Il invoquait pour sa défense le fait qu’il avait été victime d’un malaise et d’une perte de connaissance imprévisibles et qui s’étaient manifestés pour la première fois lors de l’accident. La cour d’appel de Douai accueille son argumentation et le relaxe, considérant que le prévenu « n’a pas été en mesure de prévoir la défaillance physique dont il a été atteint le jour des faits, celle-ci s’étant manifestée pour la première fois ce jour-là ». Suivant l’argumentation de Jean-Yves Maréchal, on devrait considérer que le prévenu n’a donc pas commis de faute antérieure susceptible de constituer la faute d’imprudence exigée par le texte d’incrimination455 et qu’il est donc relaxé faute de constitution de l’élément psychologique de l’infraction. Or, nous rappellerons le principe selon lequel c’est au moment où l’infraction est commise qu’il convient d’en apprécier les éléments constitutifs456. Il ne faut pas confondre caractérisation de l’infraction et appréciation de la responsabilité pénale, culpabilité et imputabilité – cette dernière pouvant seule et exceptionnellement procéder d’une appréciation rétrospective des agissements de l’agent. C’est ainsi que la détermination d’une faute antérieure de l’agent doit être rattachée à l’étude de sa responsabilité pénale457. En outre, il n’était pas nécessaire, dans une telle hypothèse, de recourir à ce raisonnement pour écarter la responsabilité pénale de l’intéressé dans la mesure où l’existence de la contrainte physique n’était pas compatible avec le versant matériel de l’imprudence, composant le comportement de l’élément matériel de l’infraction. Dans certains cas, toutefois, quand la matérialité de l’infraction d’imprudence n’est pas affectée par la contrainte physique, l’élément psychologique de l’infraction peut se trouver neutralisé sans qu’il ne soit besoin de rattacher l’absence de faute antérieure de l’agent à la non-réalisation de l’élément psychologique de l’infraction.

2. L’imprudence neutralisée par l ’absence de volonté du comportement

L’exemple peut être donné d’un automobiliste poursuivi sur le fondement du délit de risque causé à autrui, prévu par l’article 223-1 du Code pénal, alors qu’il ne pouvait ralentir son véhicule du fait d’un dysfonctionnement du régulateur de vitesse. Le dysfonctionnement du

454. J.-Y. MARÉCHAL, « Irresponsabilité pénale pour cause de contrainte issue d’une défaillance physique »,

JCP G 2002, II, 10012. 455. Laquelle aurait pu consister en l’absence de prise de médicaments de nature à prévenir le malaise à l’origine

de l’accident. 456. Cf. J.-M. AUSSEL, « La contrainte et la nécessité en droit pénal », in Quelques aspects de l’autonomie du droit

pénal. Études de droit criminel, op. cit., 1956, spéc. no 25 ; H. BAUDRY, La force majeure en droit pénal, th., Lyon, 1938, p. 116 ; P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 366 ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 621 ; J. PRADEL, Droit pénal général, op. cit., no 540 ; M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit., no 441, p. 466 et 467.

457. Cf. infra et le décloisonnement de l’imputabilité du moment des faits.

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régulateur de vitesse, fût-il constitutif d’un cas de force majeure, n’empêche pas la caractérisation matérielle du risque causé à autrui. L’impunité de l’agent tient au fait que la contrainte physique s’est réalisée sur sa volonté en l’empêchant d’exercer librement son activité de conducteur automobile. Rappelons que la culpabilité s’analyse a minima en la volonté du comportement. On peut donc établir une corrélation entre la culpabilité non intentionnelle et la contrainte physique, pour conclure que cette dernière peut également constituer une cause de non-culpabilité en matière non intentionnelle. Ainsi, quand la contrainte physique agit sur le corps même de l’agent, elle fait obstacle à la caractérisation de l’élément matériel de l’infraction. Quand elle agit sur la volonté de l’agent, entendue comme la volonté du comportement, c’est l’élément psychologique de l’infraction qui est entravé. D’une manière générale, ne doit-on pas considérer que la contrainte physique constitue une cause de non-caractérisation de l’infraction ? Ne doit-on pas écarter son rattachement aux causes de non-imputabilité ? Nous conclurons quant à nous que la contrainte physique doit s’analyser en une cause de non-caractérisation de l’infraction, cause de non-matérialité lorsqu’elle affecte l’élément matériel, cause de non-culpabilité lorsqu’elle affecte l’élément psychologique. Qu’en est-il de la contrainte morale ? Appartient-elle au domaine de l’imputabilité ou à celui de l’infraction ?

Section 2 – La liberté psychologique, condition de l’imputabilité

Si la liberté psychologique demeure une condition de l’imputabilité, l’effet exonérateur de la contrainte morale, dans son acception classique, peut être élargi par un assouplissement de ses modalités d’appréciation (§ 1). Mais l’extension la plus notable de son champ d’application est le fait du rattachement consécutif de l’état de nécessité, habituellement présenté en tant que fait justificatif autonome (§ 2).

§ 1 - La contrainte morale, cause de non-imputabilité altérant la volonté

L’absence de contestations doctrinale(s) et jurisprudentielle(s) sur la nature subjective de la contrainte (morale), couplée à la démonstration du caractère objectivé de la culpabilité entendue strictement458, facilitent son rattachement aux causes de non-imputabilité (A.). Plus délicate, en revanche, est la démonstration d’une « simple » altération grave de la volonté en cas de contrainte morale (B.).

A. La contrainte morale, cause de non-imputabilité

Il a déjà été évoqué le fait que les causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité étaient listées les unes à la suite des autres par les articles 122-1 à 122-8 du Code pénal, sans qu’une classification particulière ne soit mise en évidence. On sait néanmoins qu’il est de coutume de les diviser en deux catégories, les faits justificatifs ou

458. Cf. infra.

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causes objectives d’irresponsabilité d’une part, et les causes de non-imputabilité ou causes subjectives d’irresponsabilité d’autre part. Nous avons déjà rappelé que la seconde catégorie trouvait son origine, totale ou partielle, dans la personne même de celui qui a commis les actes incriminés. De ce point de vue, le rattachement de la contrainte aux causes subjectives d’irresponsabilité ne soulève traditionnellement pas de difficultés, puisqu’elle est unanimement entendue comme affectant la liberté d’action de l’individu, liberté de mouvement dans le cas de la contrainte physique, et liberté psychologique dans le cas de la contrainte morale459. Le diagnostic de la contrainte morale procède donc d’une analyse in personam ou interne du sujet sans interférences avec des éléments d’appréciation objectifs. En fait, à l’instar de l’erreur de droit460, le débat doctrinal se cristallise sur son rattachement aux causes de non-culpabilité ou aux causes de non-imputabilité. Et comme le rappelle Marie-Laure Rassat dans son ouvrage de droit pénal général461, la doctrine est loin d’être unanime sur ce point462. La classification de la contrainte appelle, selon nous, une distinction entre contrainte physique et contrainte morale463. S’agissant de la contrainte morale, Roger Merle et André Vitu464, se demandant si la contrainte a une influence directe sur la culpabilité proprement dite, ou si elle supprime seulement l’imputabilité, concèdent bien vite que « dans une perspective très puriste, on n’oserait peut-être pas affirmer que la contrainte exclut la culpabilité intellectuelle. Car elle n’est pas incompatible avec la conscience : l’individu soumis à la contrainte se rend parfaitement compte de ce qu’il fait et mesure la portée des actes qu’il est obligé d’accomplir ». Dans le prolongement de cette idée, Bernard Bouloc considère que « dans l’hypothèse de la contrainte, l’agent a conscience, et a même voulu l’acte, mais il n’était pas libre d’agir différemment, de sorte que sa responsabilité pénale sera écartée, bien que l’infraction ait été pleinement constituée ». On le voit, l’étiquetage « final » de la contrainte morale est dépendant, non seulement de la définition retenue pour la culpabilité465, mais aussi de la place respective des composantes de la responsabilité pénale. C’est donc poser autrement la question d’une interversion des concepts de culpabilité et d’imputabilité466. À notre sens, en adéquation avec les travaux réalisés dans le cadre de cette étude, il convient de rattacher la contrainte morale à la non-imputabilité. Reste maintenant à déterminer le degré d’affection de la volonté.

B. La contrainte morale, altération grave de la liberté de la volonté

Plus délicate nous paraît la détermination du degré de privation de liberté susceptible d’exonérer l’agent de sa responsabilité pénale. Celui-ci est à mettre en corrélation avec

459. La doctrine pénale contemporaine présente en majorité la contrainte comme une cause subjective

d’irresponsabilité, sans envisager une hybridation de son régime juridique. 460. Cf. supra. 461. M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit., no 331, p. 356. 462. Elle divise le clan doctrinal en deux avec, par exemple, pour les partisans de la contrainte cause de non-

culpabilité, Jean Pradel, Roger Bernardini, elle-même et, pour les partisans de la contrainte cause de non-imputabilité, Gaston Stéfani, Georges Levasseur, Bernard Bouloc et André Decocq (op. cit.).

463. Cf. supra pour la contrainte physique. 464. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 618. 465. Cf. supra. Le choix en faveur d’une acception objectivée de la culpabilité ouvrant la voie au rattachement

de la contrainte à la non-imputabilité. 466. Cf. infra, le titre 2 relatif à la place de l’imputabilité.

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l’exigence d’irrésistibilité de l’article 122-2 du Code pénal ou, plus précisément, avec son mode d’appréciation. En effet, conformément à la lettre de cet article, le fait contraignant doit être irrésistible. La question s’est donc naturellement posée de savoir si cette condition d’irrésistibilité devait être appréciée in abstracto467 ou in concreto468. Si l’on sait la rigueur excessive dont fait preuve la Cour de cassation dans l’appréciation de ce critère légal (1.), on sait moins qu’elle est susceptible de condamner l’existence juridique de la contrainte morale (2.). Cela étant, il semble que la pureté des principes plaide pour une appréciation in concreto de l’exigence d’irrésistibilité, laquelle permettra de garantir la pérennité de cette cause d’exonération en ne retenant que la « simple » impossibilité relative de se conformer à la loi pénale (3.).

1. La rigueur de la Cour de cassation dans l ’appréciation de la condition d’irrésistibilité

Il est possible d’illustrer cette sévérité jurisprudentielle tant par les formules utilisées par la Cour de cassation pour définir l’irrésistibilité du fait contraignant que par les nombreuses affaires dramatiques dans lesquelles elle a néanmoins écarté l’existence de toute contrainte morale. Dans la célèbre affaire Trémintin469 déjà évoquée, la Cour de cassation se réfère à un événement que « la volonté humaine n’a pu conjurer ». Dans l’affaire Rozoff470, mettant en cause un apatride russe, elle vise « l’impossibilité absolue de se conformer à la loi pénale ». Poursuivi pour violation d’un arrêté d’expulsion, ce Russe invoquait pour sa défense le fait qu’il avait été refoulé par tous les pays limitrophes de la France. Pour rejeter son pourvoi, la Cour de cassation faisait observer, quant à elle, qu’il aurait pu se rendre ou tenter de se rendre dans d’autres pays non limitrophes de la France. Comme le remarquent Roger Merle et André Vitu471, « ce faisant, elle se référa à une appréciation purement abstraite de l’impossibilité invoquée, négligeant de rechercher ou de faire rechercher par les juges du fond si le condamné avait eu effectivement la possibilité (financière notamment) de prendre l’avion ou le bateau pour gagner un pays lointain ». Autre affaire extrême dans laquelle la Cour de cassation écarta l’irresponsabilité, celle de ce Corse, propriétaire d’une forêt, qui avait dû donner asile à des bandits qui le menaçaient472. Comme le fait remarquer Jean Pradel473, il s’agissait pourtant « de bandits redoutables par leurs instincts sanguinaires, plusieurs fois condamnés, inspirant une terreur si grande » que le précédent gérant avait dû partir. Dans la même veine jurisprudentielle, on peut évoquer l’affaire Genty474 où l’intéressé fut condamné pour intelligence avec l’ennemi en temps de guerre, pour avoir fourni à l’occupant des renseignements475 sous la menace de son exécution et de celle d’otages.

467. Par rapport à la capacité de résistance d’un homme normal placé dans les mêmes circonstances. 468. Par rapport au délinquant lui-même. 469. Cass. crim., 29 janv. 1921, Trémintin ; préc. : décision relative à l’affaire du marin déserteur qui n’a pu

regagner son bord à l’heure prévue car il s’était enivré à terre et qu’il avait été arrêté pour ivresse publique. 470. Cass. crim., 28 févr. 1936, D. P., 1936.I.44, note H. DONNEDIEU DE VABRES. 471. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, op. cit., no 620. 472. Cass. crim., 28 déc. 1900, D., 1901.I.81, note G. LE POITTEVIN. 473. J. PRADEL, Droit pénal général, Cujas, 16e éd., 2006, no 539. 474. Cass. crim., 20 avr. 1934, Genty, S., 1935.1.398. 475. En l’occurrence, il s’agissait pour lui d’aller vérifier si le village voisin était occupé par des militaires

français.

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Ces décisions jurisprudentielles sont précieuses d’enseignements en ce sens que c’est le mode d’appréciation de l’irrésistibilité qui détermine le degré de l’impossibilité de se conformer à la loi pénale exigé au titre de la contrainte exonératoire. Le choix constaté de la jurisprudence en faveur d’une appréciation in abstracto radicale implique la nécessité d’une impossibilité absolue de se conformer à la loi pénale, écartant du champ de la contrainte la simple impossibilité, même considérable, de se conformer à la loi pénale476. Autrement dit, la sévérité de la jurisprudence dans l’appréciation de ce caractère conduit à n’écarter la responsabilité pénale de l’agent qu’en cas d’absence théorique d’option comportementale. Au-delà de ce constat, c’est l’existence même de la contrainte qui se trouve en question.

2. L’existence juridique de la contrainte morale en question

Ce questionnement repose sur deux éléments : d’une part le postulat de la permanence d’une faculté d’option comportementale (2.1) et, d’autre part, l’existence d’arguments en faveur d’une appréciation in abstracto de l’exigence d’irrésistibilité (2.2) – la combinaison des deux séries d’arguments étant de nature à conduire au rattachement de la contrainte morale à l’état de nécessité.

2.1 Le postulat de la permanence d’une faculté d’option comportementale

Une difficulté apparaît alors, dans la mesure où l’exigence d’une abolition de la liberté est susceptible de condamner l’existence juridique de la contrainte morale à titre autonome. Plusieurs auteurs soutiennent en effet que le concept de contrainte morale est juridiquement inconcevable car, précisément, la personne qui est placée dans cette situation ne se trouve jamais dans l’impossibilité absolue d’observer la loi477. L’impossibilité absolue de respecter la loi pénale ne peut exister, car l’homme dispose toujours d’une faculté d’option entre plusieurs comportements. Poursuivant le raisonnement d’Henri Baudry, Roger Merle et André Vitu ajoutent478 que, soumise à l’alternative de commettre une infraction ou de subir le danger qu’elle redoute, la personne aura toujours la faculté d’opter et ne sera pas forcée de délinquer avec la même fatalité qu’en cas de contrainte physique479. Jean Pradel, dans son ouvrage de droit pénal général, rappelle en effet qu’il « a parfois été soutenu que la contrainte pénale ne devait pas entrer dans les prévisions du Code pénal, au motif qu’elle n’entraînerait jamais l’impossibilité absolue de respecter la loi ; une certaine liberté de choix subsistant, seul l’état de nécessité pourrait être retenu »480. Dans le même sens, François Rousseau, dans sa thèse481, considère que la contrainte morale n’est pas totalement exclusive d’un choix pour l’agent, aussi difficile soit-il. Mais, rappelons-le, François Rousseau poursuit l’objectif d’une déstructuration des composantes traditionnelles de l’imputabilité482, notamment par le

476. À l’inverse, on peut donc concevoir qu’une appréciation in concreto de l’exigence d’irrésistibilité puisse

ouvrir la voie à l’exigence d’une « simple » impossibilité relative de se conformer à la loi pénale. 477. H. BAUDRY, La force majeure en droit pénal, op. cit., p. 89. 478. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, op. cit., no 623. 479. C’est dire aussi que le régime de la contrainte morale souffre notamment de la dualité de nature de la

contrainte exonératoire de responsabilité pénale. 480. J. PRADEL, Droit pénal général, op. cit., no 535. 481. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la théorie de la responsabilité pénale, op. cit., no 88. 482. Qu’il dénomme « les conditions de l’imputation à l’agent ».

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rattachement de la contrainte morale aux faits justificatifs. Quoi qu’il en soit, ce postulat doctrinal de la permanence d’une liberté de choix de l’agent en présence d’un fait contraignant irait dans le sens d’une assimilation à l’état de nécessité de la contrainte morale. Elle est d’ailleurs soutenue par certains auteurs qui considèrent que la contrainte morale ne serait qu’une forme d’état de nécessité483. En outre, il existe des arguments en faveur d’une appréciation in abstracto de l’irrésistibilité et l’on sait la corrélation qu’il y a entre le choix d’une appréciation in abstracto et l’exigence d’une impossibilité absolue de se conformer à la loi pénale.

2.2 L’existence d’arguments en faveur d’une appréciation in abstracto de l’exigence d’irrésistibilité

En outre, cette difficulté est accrue par le fait qu’indépendamment du choix de la Cour de cassation, il existe des arguments en faveur d’une appréciation in abstracto du caractère d’irrésistibilité. Selon Philippe Conte et Patrick Maistre du Chambon, « le Code pénal l’indique lui-même lorsqu’il considère que la menace exercée par le complice n’exclut en rien la responsabilité de l’auteur principal »484. Au rang de ces arguments donc, la reconnaissance de la complicité par « provocation » par l’article 121-7, alinéa 2 du Code pénal. En vertu de cet article, « Est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre ».

Nous rappellerons que la contrainte morale externe peut être le fait de menaces graves, de suggestions envoûtantes ou de provocations pressantes. Or, les provocations listées par l’article 121-7, alinéa 2 du Code pénal au titre de la complicité par instigation ne font pas obstacle à la caractérisation de l’infraction principale, comme le prévoit l’article précité qui vise la provocation « à une infraction ». Ainsi, pour les partisans d’une inclusion de la liberté de la volonté – donc de l’imputabilité – dans la constitution de l’infraction485, l’acte de provocation susceptible de constituer une contrainte morale devrait revêtir un degré de gravité certain, supérieur à celui habituellement retenu sur le terrain de la complicité par instigation. La même remarque s’impose si l’on considère que l’imputabilité est extérieure à l’infraction486. Il suffit alors de raisonner, non pas directement sur l’infraction principale, mais sur la responsabilité de l’auteur principal, conséquence juridique de l’infraction, et qui subsiste en cas de « menace » exercée sur sa volonté. La Cour de cassation, quant à elle, exige au titre de la contrainte exonératoire que ces menaces aient été « assez pressantes ou assez directes pour enlever au prévenu sa liberté d’esprit »487. La question se pose donc de savoir s’il existe un degré de provocation intermédiaire entre les agissements visés par l’article 121-7, alinéa 2 du Code pénal et la privation absolue de liberté. Dans le cas contraire, ne faudrait-il

483. En ce sens, F. ROUSSEAU (cf. supra) ; H. BAUDRY, La force majeure en droit pénal, op. cit., p. 102 ;

M.-E. CARTIER, « Contrainte et état de nécessité », ann. fac. Toulouse, 1982, p. 27 et suiv. ; P. JOURDAIN, Recherche sur l’imputabilité en matière de responsabilités civile et pénale, th. Paris-II, 1982, no 551.

484. P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd. 2004, no 364. 485. Philippe Conte et Patrick Maistre du Chambon souscrivent à cette analyse. 486. C’est le cas dans le cadre de notre étude. 487. Cass. crim., 29 déc. 1949, D., 1950.I.419 ; Cass. crim., 28 déc. 1900, D. P., 1901.I.81, note

A. LE POITTEVIN.

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pas conclure au caractère nécessairement absolu de l’impossibilité de choix exigée au titre de la contrainte exonératoire ? On pourrait aussi également arguer de la distinction consacrée par le Code pénal entre la contrainte et l’état de nécessité. Ce dernier visant des situations préservant la liberté de choix de l’agent, ne faudrait-il pas en déduire, conformément à la présentation doctrinale, que la liberté de choix doit être annihilée dans le cas de la contrainte ? Mais l’on se méprendrait alors sur les modalités d’appréciation de l’exigence d’irrésistibilité.

3. Une interprétation erronée de la condition d ’irrésistibilité

Cependant, de tels arguments ne sont pas irréfutables car ils reposent sur une interprétation erronée de la condition d’irrésistibilité. Nombreux et divers sont ceux, plus déterminants, qui plaident en faveur d’une appréciation in concreto de cette condition. Ils ont trait, par exemple, à l’interprétation littérale de l’article 122-2 du Code pénal (3.1), à l’autonomie du droit pénal par rapport au droit civil (3.2), ainsi qu’à la relativité de la contrainte du droit pénal spécial (3.3).

3.1 L’interprétation littérale de l’article 122-2 du Code pénal

La doctrine est assez sévère face à la position des juges qu’elle accuse de mal interpréter la condition d’irrésistibilité prévue par l’article 122-2 du Code pénal. Comme nous l’avons vu, la jurisprudence se réfère à une interprétation in abstracto en évoquant les possibilités de la volonté humaine488, tandis que le Code pénal lui-même vise « la personne qui a agi » ainsi qu’une contrainte « à laquelle elle n’a pu résister »489. L’article 122-2 ne vise donc pas un être abstrait systématiquement maître de lui-même et paraît imposer une appréciation in concreto de l’irrésistibilité, en fonction des particularités de l’intéressé. Autrement dit, la jurisprudence devrait logiquement procéder à une interprétation souple de l’irrésistibilité, tenant compte des possibilités individuelles de chacun, révélées au besoin par un examen approfondi de personnalité. Ainsi, il pourrait suffire, pour retenir la contrainte morale, de considérer que la personne s’est trouvée privée de sa liberté dans une très large mesure. Partant de ce constat, l’option comportementale ne serait pas exclusive de la contrainte morale. Au-delà de cette démonstration, la notion de contrainte serait assez souple pour permettre à la justice, dans les cas les plus graves comme les plus bénins, d’accomplir son œuvre humaine et équitable sans qu’il ne soit besoin de se référer à une autre cause d’exonération. Mais il est possible d’invoquer d’autres arguments en faveur d’une interprétation souple de l’irrésistibilité.

3.2 L’autonomie du droit pénal par rapport au droit civil

Par ailleurs, l’autonomie du droit pénal par rapport au droit civil – ou, plus précisément, l’autonomie de la contrainte par rapport à la force majeure du droit civil – peut être invoquée en

488. Par exemple, Cass. crim., 29 janv. 1921, S. 1922.1.85, note J.-A. ROUX ; Cass. crim., 6 janv. 1970,

no 68-92.39, Bull. crim., no 11 ; Cass. crim., 8 mai 1974, no 73-91.025, Bull. crim., no 165. 489. On notera que le Code de 1992 s’inscrit parfaitement dans la lignée de celui de 1810 qui visait, non pas la

personne, mais « le prévenu […] contraint par une force à laquelle il n’a pu résister » (C. pén. anc., art. 64).

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faveur d’une appréciation in concreto. Si le domaine d’application et les éléments constitutifs de ces deux concepts ne sont pas rigoureusement superposables490, c’est notamment, comme l’a souligné Jean-Marie Aussel491 parce que le droit pénal retient une conception « plus relativiste » et « surtout plus personnaliste » de la force majeure qu’en droit civil. Dans le prolongement de cette idée, on peut lire en doctrine que le droit pénal n’exige pas l’héroïsme. Roger Merle et André Vitu de concéder qu’« il faut bien admettre qu’un individu faible et impressionnable peut être complètement privé de son libre arbitre sous l’influence de la contrainte morale »492. Il n’est donc pas inconcevable que, dans certaines hypothèses offrant une alternative à l’agent, ce dernier soit psychologiquement déterminé par un trouble majeur de la volonté assimilable à la contrainte morale. La faculté de choix du comportement n’est donc pas incompatible avec une suppression du libre arbitre. Pour cette raison et afin de préserver la singularité du droit pénal, la doctrine plaide pour des solutions jurisprudentielles plus nuancées493, favorisant une appréciation plus concrète de la contrainte. L’autonomie du droit pénal fournit un deuxième argument en faveur de cette modalité d’appréciation, tiré cette fois du principe de l’individualisation de la sanction pénale494. Selon Roger Merle et André Vitu, c’est « à juste titre que la doctrine soutient qu’en vertu du principe de l’individualisation de la peine, propre au droit pénal, l’appréciation doit être faite in concreto495 ». Il reste à évoquer un dernier argument.

3.3 La relativité de la contrainte du droit pénal spécial

Dans le cadre des infractions à caractère sexuel, agressions sexuelles proprement dites496 et viol497, l’un des éléments constitutifs réside dans l’absence de consentement de la victime. Cette dernière se déduit de la référence commune à la « violence, contrainte, menace ou surprise ». S’agissant de la contrainte, la loi du 8 février 2010498 a ajouté un article 222-22-1 dans le Code pénal précisant que la « contrainte prévue par le 1er alinéa de l’article 222-22 peut être physique ou morale. La contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime »499. Ainsi,

490. Nonobstant la validation de l’exigence d’imprévisibilité de la contrainte (cf. supra) qui a encore rapproché

les deux notions sur le terrain de leurs éléments constitutifs, des divergences persistent. Le droit pénal reconnaît non seulement un effet exonératoire à la contrainte physique d’origine interne mais encore à la contrainte morale, pourvu qu’elle soit d’origine externe.

491. J.-M. AUSSEL, « La contrainte et la nécessité en droit pénal », in Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal. Études de droit criminel, op. cit., no 13.

492. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 623. 493. En ce sens également, H. BAUDRY, La force majeure en droit pénal, op. cit., p. 38 et suiv. 494. Anc. art. 132-24 C. pén., nouvel art. 132-1 C. pén. 495. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 620. 496. C. pén., art. 222-22 et suiv. 497. C. pén., art. 222-23 et suiv. 498. L. no 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le Code pénal et

à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux. Si l’article 222-31-1, inséré dans le Code pénal par cette loi et permettant de qualifier d’incestueuses certaines infractions, a été déclaré contraire à la Constitution (cf. Cons. const., décision no 2011-163 QPC, 16 sept. 2011), les dispositions de l’article 222-22-1 demeurent.

499. Dans une décision de la chambre criminelle en date du 8 janvier 2013 (Cass. crim. 8 janv. 2013, no 12-86715, inédit) la Cour de cassation décidait que la contrainte morale ne saurait résulter de la seule différence d’âge (ou de l’autorité de droit ou de fait que l’auteur des faits sur la victime) mais devait être

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comme le soulignent Stéphane Detraz et Laurent Saenko : « À l’inverse de la contrainte du droit pénal général […], celle du droit pénal spécial n’a pas à être irrésistible : il s’agit d’une force suffisamment puissante pour ôter au comportement consécutif son caractère volontaire mais sans nécessairement anéantir la volonté. »500 Comprenons qu’au sens des articles 222-22 et suivants, la contrainte peut simplement consister en une altération grave de la volonté, et non forcément en une abolition de cette dernière. Ne serait-il pas logique d’uniformiser les régimes de la contrainte du droit pénal général et de la contrainte du droit pénal spécial ? On pourrait arguer de l’introduction récente de l’article 222-22-1 dans le Code pénal ainsi que de l’adage selon lequel le spécial déroge au général (specialia generalibus derogant) pour plaider en faveur d’un alignement sur le régime de la contrainte du droit pénal spécial. On remarquera pour finir que l’admission d’une « simple » impossibilité relative de se conformer à la loi pénale au titre de la contrainte exonératoire devrait logiquement conduire à reconsidérer les solutions actuelles, dans les hypothèses où l’agent aurait obéi à l’ordre illégal d’un supérieur hiérarchique, autorité privée.501 Le rattachement de la contrainte morale aux causes de non-imputabilité est ainsi confirmé et son mode d’appréciation précisé. Si la démonstration d’une appréciation in concreto était de nature à condamner l’autonomie de la notion par son rattachement à l’état de nécessité, il s’avère qu’en réalité, il n’en est rien. Bien au contraire, puisqu’il est possible, à l’inverse, d’envisager un élargissement du champ d’application classique de la contrainte morale par un rattachement à celle-ci de l’état de nécessité.

prouvée en s’appuyant sur des éléments extérieurs. Une évolution de la jurisprudence a logiquement été observée postérieurement à l’adoption de la loi précitée du 8 février 2010. L’analyse selon laquelle la contrainte morale « peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime » a d’abord été approuvée par le Conseil constitutionnel. Selon la juridiction suprême, le fait que la peine encourue par l’auteur de ces infractions soit aggravée lorsqu’il a, sur la victime, une autorité de droit ou de fait, n’a pas pour conséquence que les dispositions contestées instituent une sanction pénale méconnaissant les principes de nécessité et de proportionnalité des peines (cf. Cons. const. no 2014-448 QPC, 6 févr. 2015, JO du 8 févr. 2015 ; JurisData no 002161 sur l’arrêt de la chambre criminelle du 13 novembre 2014 ayant renvoyé la QPC devant le Conseil constitutionnel – Cass. crim., 13 nov. 2014, no 14-81.249, inédit, Dr. pén., 2015, comm. 1, obs. M. VERON). Dans le prolongement de cette décision, cf. Cass. crim., 18 févr. 2015, no 14-80.772, Dr. pén., 2015, comm. 63, obs. M. VÉRON où la Cour de cassation a décidé que la contrainte était caractérisée lorsqu’elle résultait de l’autorité de fait exercée par le prévenu sur les victimes ; également Cass. crim., 15 avr. 2015, no 14-82.172, Bull. crim., no 93 et Cass. crim., 1er sept. 2015, no 15-83.392, inédit, où la chambre criminelle a retenu que les dispositions de l’article 222-22-1 étaient d’application rétroactive en raison de leur caractère interprétatif ; Cass. crim., 23 sept. 2015, no 13-83.881, inédit, Dr. pén., 2015, comm. 154, obs. P. CONTE et Cass. crim., 18 nov. 2015, no 14-86.100, inédit, Dr. pén., 2016, comm. 24, obs. P. CONTE où la Cour de cassation a considéré que les juges pouvaient déduire la contrainte morale subie par la victime de sa différence d’âge avec le prévenu. Cf. supra également sur ce point le chapitre I de cette étude.

500. S. DETRAZ et L. SAENKO, « L’article 222-22-2 du Code pénal, hypothèse d’emprunt de matérialité », Dr.-pén., 2014, étude 1.

501. En l’état actuel du droit positif, la simple crainte révérencielle des parents ou du supérieur hiérarchique n’est pas exonératoire de responsabilité.

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§ 2 - Le rattachement de l’état de nécessité à la contrainte morale

Si l’état de nécessité est aujourd’hui présenté comme une cause d’exonération autonome envisagée à l’article 122-7 du Code pénal, cette consécration législative ne remonte qu’au Code pénal de 1992. C’est la jurisprudence qui s’est d’abord engagée dans la voie de la reconnaissance de l’état de nécessité en tant que fait justificatif502. Quoi qu’il en soit, il est aujourd’hui considéré comme une cause objective d’impunité. Par conséquent, le rattachement de l’état de nécessité à la contrainte morale supposera dans un premier temps d’établir positivement la nature subjective de cette cause d’impunité (A.) avant de démontrer qu’il correspond à des hypothèses d’altération grave du processus volontaire (B.).

A. La nature subjective de l’état de nécessité

Si la principale difficulté consiste à démontrer que l’état de nécessité ne procède pas d’un diagnostic opéré in rem comme dans le cas des faits justificatifs (1.), il faudra encore préciser qu’on ne saurait envisager, en considération de sa dimension subjective subséquente, de le considérer comme une cause de non-culpabilité (2.).

1. La désolidarisation de l ’état de nécessité des autres faits justificatifs

Si l’établissement d’une appréciation partiellement subjective des faits justificatifs503 est un préalable à la reconnaissance d’une conception subjective de l’état de nécessité, son rattachement aux causes de non-imputabilité implique, dans un second temps, de le désolidariser des autres faits justificatifs qui restent des causes objectives d’impunité. Bien qu’aujourd’hui la tendance soit à la réunion des faits justificatifs sous la bannière de leurs conditions de nécessité et de proportionnalité, il importe en effet de démontrer que l’état de nécessité franchit un degré supplémentaire dans la subjectivisation de son diagnostic. Pour ce faire, nous nous fonderons sur l’exigence jurisprudentielle d’imprévisibilité au titre de ses conditions d’admission (1.1). La difficulté résidera alors dans la démonstration de la pertinence de cette exigence d’imprévisibilité, dont l’existence est majoritairement contestée en doctrine (1.2).

1.1 L’exigence d’imprévisibilité témoignant de la prise en compte de la psychologie de l’agent

L’exigence d’imprévisibilité, commune à la contrainte, implique que l’infraction commise n’ait pas été rendue nécessaire par une faute antérieure de l’agent. L’examen de cette condition supposera donc d’analyser l’attitude mentale du délinquant antérieure à la commission de l’infraction, en déterminant s’il est possible de relever à son encontre l’existence d’une faute. Dans l’affirmative, cette faute sera constitutive, le plus souvent, d’une

502. Pour les juridictions du fond, on peut citer les décisions créatrices du tribunal correctionnel de Colmar,

le 27 avril 1956 (trib. corr. Colmar, 27 avr. 1956, D., 1956. 500 ; Gaz. Pal., 1956.2.64 ; obs. A. LEGAL, RSC, 1957, p. 127) et de la Cour d’appel de Colmar le 6 décembre 1957 (CA Colmar, 6 déc. 1957, D., 1958. 357, note P. BOUZAT). Pour la Cour de cassation, nous citerons l’arrêt fondateur du 25 juin 1958 (Cass. crim., 25 juin 1958, D., 1958. 639, note M.R.M.P. ; JCP, 1959, II, 10941, note J. LARGUIER ; obs. A. LÉGAL, RSC, 1959, p. 111).

503. Cf. introduction et la démonstration de l’impossibilité d’une totale mise à l’écart de considérations subjectives dans la caractérisation des faits justificatifs.

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faute d’imprudence ou de négligence. La reconnaissance de l’état de nécessité suppose donc de se plonger dans la psychologie de l’agent en se demandant, par exemple, si son attitude ne témoignait pas d’une certaine indifférence aux valeurs sociales protégées par la loi pénale. Cette prise en compte de l’état d’esprit de l’agent au titre des conditions d’admission de l’état de nécessité conduit à le désolidariser des autres faits justificatifs dont le diagnostic s’opère, à quelques nuances près, in rem. On peut d’ailleurs faire valoir qu’il est le seul dont la caractérisation requiert cette exigence d’imprévisibilité, c’est-à-dire le seul à impliquer un examen de l’attitude mentale du délinquant au titre de ses conditions d’admission. Cependant, la doctrine, dans sa grande majorité504, est hostile à la prise en compte de cette exigence. Dans la mesure où elle sert de support à la démonstration de la subjectivisation de l’état de nécessité, il nous incombe d’en démontrer le bien-fondé. La démonstration de la pertinence de cette condition sera opérée en raisonnant tout à la fois sur la contrainte et sur l’état de nécessité. Cette démarche est rendue possible par le fait que l’exigence d’imprévisibilité est commune aux deux notions et que les raisons avancées pour la critiquer sont purement techniques. Nous allons donc voir que si cette condition d’imprévisibilité est contestée, elle est néanmoins justifiée.

1.2 La pertinence de l’exigence d’imprévisibilité

Outre l’adhésion d’un certain nombre d’auteurs505, la pertinence de cette exigence peut tout d’abord se déduire de sa permanence au niveau jurisprudentiel506, puisqu’elle est affirmée avec force et continuité depuis l’arrêt Trémintin507. D’un point de vue législatif, le Code pénal de 1992 est venu légaliser sans réserve la pratique jurisprudentielle de l’état de nécessité – autrement dit, sans apporter de modifications à ses conditions d’admission. On pourrait donc

504. Par exemple, R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 621 ; J.-M. AUSSEL,

« La contrainte et la nécessité en droit pénal », in Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal. Études de droit criminel, op. cit., p. 267 ; M.-E. CARTIER, « Contrainte et état de nécessité », op. cit., p. 49.

505. J. LEAUTE, « Le rôle de la faute antérieure dans le fondement de la responsabilité pénale », D., 1981, chron., p. 295, M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit., no 441, p. 466 et 467.

506. Cass. crim., 15 nov. 2005, no 04-87.813, Bull. crim. 2005, no 295 : reconnaissance de la contrainte physique au bénéfice d’un automobiliste poursuivi pour homicide non intentionnel qui avait perdu le contrôle de son véhicule à la suite d’un malaise « brutal et imprévisible », la Cour de cassation approuve en cela la cour d’appel de Douai qui avait retenu que l’automobiliste avait été « au moment de l’accident, victime d’un malaise et d’une perte de connaissance imprévisibles car ils se manifestaient pour la première fois » (CA Douai, 24 oct. 2000, JCP 2002, II, 10012, note J.-Y. MARÉCHAL) ; Cass. crim., 15 nov. 2006, no 06-80087, inédit, JCP, 2007, II, 10062, note Y. MARÉCHAL : après avoir énoncé en principe que la contrainte physique ne peut résulter que d’un événement imprévisible et insurmontable qui place l’auteur de l’infraction dans l’impossibilité absolue de se conformer à la loi, elle exclut du bénéfice de la contrainte une automobiliste, prévenue d’avoir effectué un arrêt ou stationnement gênant sur un emplacement réservé aux véhicules des grands invalides, alors qu’elle était enceinte de huit mois et qu’elle avait été prise d’un malaise l’ayant empêché de poursuivre sa route ; Cass. crim. 28 oct. 2009, no 09-84.484, inédit, JurisData no 2009-050392 ; Dr. pén. 2010, comm. 4, M. VÉRON ; RSC 2010, p. 143, obs. C. MASCALA : la contrainte est écartée au bénéfice du prévenu qui invoquait son état de santé antérieur à la commission de l’infraction –plaie importante au niveau de l’épaule gauche survenue la veille et attestée par un certificat médical – pour échapper aux poursuites pour défaut de bouclage de la ceinture de sécurité. Sachant que la blessure survenue la veille l’empêchait de boucler sa ceinture, il aurait dû s’abstenir de prendre le volant. La contrainte physique ne peut résulter d’un état de santé antérieur et parfaitement connu du délinquant.

507. Préc.

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considérer que cette consécration vaut validation implicite de la condition d’imprévisibilité qu’il était loisible au législateur d’écarter expressément s’il l’avait jugée inopportune. Étudions néanmoins la pertinence des arguments qui s’opposent à la consécration de cette exigence. Non seulement le caractère d’imprévisibilité n’est pas expressément visé par le Code pénal, mais encore, il vient questionner les principes fondamentaux de notre droit pénal tels que, par exemple, le moment de l’appréciation des éléments constitutifs de l’infraction et le moment de l’appréciation des « éléments constitutifs » de la responsabilité508. Le principal obstacle qui était invoqué à la prise en compte de la faute antérieure de l’agent se fondait donc sur l’article 64 de l’ancien Code pénal qui aurait commandé de se placer au temps de l’action pour juger de l’irrésistibilité de la situation et de l’irresponsabilité dont l’agent pourrait ou non bénéficier. En d’autres termes, l’article 64 était communément interprété comme exigeant expressément que la responsabilité pénale s’apprécie « au temps de l’action ». Or, comme le note André Vitu dans une chronique de jurisprudence de droit pénal général509, « l’obligation de soupeser cette responsabilité du prévenu au moment où il a commis l’infraction reprochée n’est écrite expressément dans l’article 64 que pour la démence, pas pour la contrainte510 ». En effet, à la lecture de l’article 64, seule la démence était grevée de la condition temporelle du « temps de l’action ». De plus, cette singularité s’est trouvée accrue avec l’entrée en vigueur du Code pénal de 1992, puisque la contrainte et le trouble psychique ou neuropsychique font maintenant l’objet d’articles distincts, la référence temporelle n’opérant que dans l’article 122-1 du Code pénal relatif au trouble psychique ou neuropsychique511. Comment expliquer la scission opérée par le législateur entre la contrainte et le trouble mental autrement que par la volonté de signifier une différence dans leurs conditions d’admission ? Nous allons voir que, contre toute prévision, cette scission n’est pas porteuse d’une différence sur le fond, puisque « les deux situations sont soumises à un même régime dans lequel l’imprévisibilité trouve sa place »512. La contrainte peut, selon les espèces, revêtir la forme d’un « coup du sort » ou au contraire « avoir […] quelque rapport causal avec un comportement antérieur fautif du prévenu »513, d’où la nécessité de ne pas la circonscrire « au moment des faits ». En revanche, selon André Vitu, « la démence est un état mental qui, dans la quasi-totalité des cas, s’empare de l’individu et l’investit sans qu’il puisse s’y opposer ». Elle a « ce caractère d’un événement fatal »514, d’où le principe de l’indifférence formelle au comportement de l’agent antérieurement au temps de l’action. Aussi, quand exceptionnellement, le trouble psychique ou neuropsychique perd son caractère d’imprévisibilité qui est d’ordinaire le sien en cas de faute antérieure de

508. Étant précisé que cette distinction ne présente d’intérêt que si l’on reconnaît l’autonomie de l’imputabilité

par rapport à la culpabilité. 509. A. VITU, « Contrainte ou état de nécessité », RSC, 1986, p. 87 et suiv. 510. C. pén. anc., art. 64 : « Il n’y a ni crime, ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de

l’action ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister. » 511. C. pén. art. 122-1, al. 1er : « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des

faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou entravé le contrôle de ses actes. » ; C. pén. art. 122-2 : « N’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister. »

512. A. VITU, « Contrainte ou état de nécessité », op. cit., p. 90. 513. Loc. cit. 514. Loc. cit.

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l’agent515, la jurisprudence écarte l’irresponsabilité pénale alors même que le discernement au moment des faits pouvait être aboli516. L’association littérale, anciennement de la « démence » au « temps de l’action », aujourd’hui du « trouble psychique ou neuropsychique » au « moment des faits », s’explique par le fait que le caractère d’imprévisibilité est en principe intrinsèque au trouble mental abolissant le discernement. On pourrait considérer qu’il y aurait presque une redondance législative à ces associations littérales. Suivant le raisonnement d’André Vitu, et dans l’optique de l’exclusion de l’exigence d’imprévisibilité, il aurait été plus logique pour le législateur de fixer le cadre temporel du « moment des faits » à la contrainte, dans la mesure où, plus fréquemment que le trouble mental, elle peut présenter un rapport causal avec un comportement antérieur fautif de l’agent. Finalement, il est possible de s’appuyer sur la lettre de l’article 122-2 du Code pénal517 pour argumenter en faveur de l’exigence d’imprévisibilité. Pour terminer sur ce point, il nous est permis de conclure à l’identité des conditions d’admission du trouble psychique exonératoire de responsabilité pénale et de la contrainte : elles sont au nombre de deux et consistent dans les conditions d’abolition-irrésistibilité et d’imprévisibilité. La différence de régime opère sur le terrain de la preuve puisqu’au regard du développement qui précède, il est permis de considérer que l’exigence d’imprévisibilité est présumée dans le cas du trouble psychique518 alors qu’elle doit être établie positivement dans le cadre de la contrainte519. À ce stade, une parenthèse peut être faite sur les perspectives offertes par cette démonstration relativement au rôle de l’imputabilité520. Nous venons de voir que l’appréciation du fait contraignant peut résulter d’un flash-back opéré sur le comportement antérieur de l’agent. En outre, nonobstant les termes de l’article 122-1 du Code pénal, le trouble psychique ou neuropsychique autorise également une appréciation rétrospective du comportement du délinquant. L’appréciation des conditions de l’imputabilité, qu’il s’agisse du discernement ou de la liberté de la volonté, peut donc résulter de l’examen du comportement de l’agent antérieur à la réalisation de l’infraction. C’est donc dire que l’appréciation de l’imputabilité ne s’opère pas nécessairement au moment des faits. Ainsi, et de manière symétrique, il nous paraîtra nécessaire de questionner la pertinence d’une projection de l’ombre de l’imputabilité au-delà du moment des faits521. Dans la même lignée d’arguments hostiles à la prise en compte de la faute antérieure de l’agent, la doctrine avance souvent la règle classique selon laquelle les éléments constitutifs de l’infraction doivent être appréciés au moment de sa réalisation (en ce sens, par exemple, Philippe Conte et Patrick Maistre du Chambon522). Cependant, il convient de préciser que

515. Le plus souvent en cas d’intoxication volontaire. 516. En ce sens par exemple, Cass. crim., 5 févr. 1957, Bull. crim., no 112 ; RSC 1958, p. 93, obs. A. LEGAL. 517. Antérieurement à l’article 64 de l’ancien Code pénal. 518. Il s’agit naturellement d’une présomption simple pouvant être renversée par la preuve d’une faute

antérieure de l’agent. 519. En revanche, l’exigence d’» irrésistibilité/abolition » devra être établie positivement dans le cas des deux

causes d’impunité. 520. Cf. infra, titre 2, chapitre II : La localisation de l’imputabilité et de la culpabilité déterminante de leurs fonctions

respectives. 521. Cf. infra, partie 2, les développements relatifs à l’accroissement du rôle garantiste de l’imputabilité dans

un droit pénal post-moderne. 522. P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 366.

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leur raisonnement se fonde sur le fait qu’ils considèrent que l’imputabilité est une composante de l’élément moral de l’infraction. Dans la mesure où nous démontrerons l’extranéité de l’imputabilité par rapport à l’infraction, on peut supposer que cet argument ne sera plus susceptible d’être opposé à l’exigence d’imprévisibilité523. Un argument majeur fréquemment opposé à la prise en compte de la faute antérieure réside dans le fait qu’elle conduirait à transformer des infractions intentionnelles en infractions non intentionnelles. En premier lieu, il convient de rappeler, comme le souligne François Rousseau dans sa thèse relative à « L’imputation dans la théorie de la responsabilité pénale », que l’hostilité de la doctrine à l’égard de l’exigence d’imprévisibilité n’est pas justifiée en matière non intentionnelle. En effet, en ce domaine, « le manque de prévision, fondant le rejet de la contrainte, sera également constitutif de l’imprudence »524. Le bien-fondé de cette condition semble a priori plus difficile à affirmer en matière intentionnelle525. En rejetant le bénéfice de la contrainte au motif qu’elle était prévisible, la jurisprudence reproche à l’auteur une simple imprudence ou négligence. Or, « un tel état d’esprit ne devrait pas permettre de lui imputer une infraction intentionnelle ». C’est ainsi que Jean Pradel, dans son manuel de droit pénal général526, pour valider partiellement l’exigence d’imprévisibilité, propose de faire une distinction selon la nature intentionnelle ou non intentionnelle de l’infraction. Il conclut que si la faute antérieure doit être prise en considération dans le cas des infractions non intentionnelles, elle doit en revanche être indifférente dans le cas des infractions intentionnelles. Transcendant cette dichotomie, François Rousseau considère que si l’objection est sérieuse à la prise en compte de la faute antérieure en matière intentionnelle, elle n’est pas finale. Tout dépend de la nature et du fondement attribués à la contrainte527. Ainsi, si la contrainte s’analyse en une cause de non-imputabilité, l’exigence est fondée, car la question de l’imprévisibilité est alors distinguée de celle de la caractérisation de l’intention ou de l’imprudence de l’infraction. Il en est ainsi en cas de contrainte morale et dans certaines hypothèses de contrainte physique ne faisant pas obstacle à la caractérisation de l’infraction528. En revanche, lorsque la contrainte physique s’analyse en un obstacle à l’un des éléments constitutifs de l’infraction, il convient, selon François Rousseau, d’opérer une distinction selon que l’événement contraignant affecte l’élément matériel ou l’élément

523. Il sera alors possible de distinguer le moment de l’appréciation des conditions de l’imputabilité de celui de

la réalisation de l’infraction. 524. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la théorie de la responsabilité pénale, op. cit., no 64. 525. Parmi les auteurs hostiles à cette exigence : J.- M. AUSSEL, « La contrainte et la nécessité en droit pénal »,

in Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal. Études de droit criminel, op. cit., no 25 ; H. BAUDRY, La force majeure en droit pénal, op. cit., p. 119 et suiv. ; F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, op. cit., no 667, p. 644 ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 621 ; ; J. PRADEL, Droit pénal général, op. cit., no 540.

526. J. PRADEL, Droit pénal général, op. cit., no 540. 527. En ce sens également, M.-L. Rassat qui, soulignant la diversité des classifications doctrinales des causes

d’impunité, précise alors que l’exigence d’imprévisibilité de la contrainte est critiquable selon la nature et le régime attribués à la contrainte. Poursuivant son raisonnement, elle affirme que « si l’on considère la contrainte comme une cause de disparition de l’élément moral de l’infraction », la jurisprudence est contestable « puisque c’est au moment de la réalisation de l’infraction qu’il faut se placer pour se demander si ses éléments sont réunis ». En revanche, « si l’on considère […] la contrainte comme une cause d’irresponsabilité pénale, rien ne s’oppose à ce que l’on déclare l’agent responsable si son attitude ne paraît pas digne d’indulgence, ce dont sa faute antérieure peut être un indice » (M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit., no 441, p. 466 et 467).

528. Cf. infra.

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psychologique de l’infraction. Il considère que « lorsque la contrainte physique est invoquée pour contester la caractérisation de l’élément matériel, et notamment la causalité entre le comportement et le résultat de l’infraction, son imprévisibilité doit être, par principe, constatée ; car, la prévisibilité de l’événement offrant à l’agent les moyens de l’éviter, son inertie participerait tout autant que ledit événement au résultat de l’infraction ; l’événement irrésistible ne constituerait pas, à lui seul, une rupture dans la chaîne causale »529. Il considère en revanche qu’il est inutile de recourir à la condition d’imprévisibilité de la contrainte physique lorsqu’elle affecte l’intention. Si l’on croise cette conclusion avec les développements relatifs à la contrainte physique qui précèdent530, on constate que l’inutilité de l’exigence d’imprévisibilité en matière intentionnelle ne concerne que l’hypothèse résiduelle des infractions d’omission supposant un pouvoir préalable d’agir. Il nous apparaît alors qu’il serait possible d’aller plus loin encore que les analyses de François Rousseau en considérant que le pouvoir d’agir, ou plus précisément sa permanence, suppose l’absence de faute antérieure de l’agent. Il faudrait alors d’établir que la disparition du pouvoir d’agir n’est pas consécutive à une faute antérieure de l’agent. Dès lors, on peut affirmer que lorsqu’un cas de contrainte physique affecte l’élément psychologique d’une infraction intentionnelle, l’exigence d’imprévisibilité est toujours justifiée. Plus généralement, l’exigence d’imprévisibilité est donc justifiée dans tous les cas de contrainte. En sus de la disqualification des objections doctrinales que nous avons rappelées, il est possible d’établir positivement la pertinence de cette condition. L’argument réside dans le fait que « l’exigence d’imprévisibilité du fait contraignant est indirectement postulée par la condition d’irrésistibilité »531. En effet, peut-on réellement qualifier d’irrésistible une contrainte qui serait prévisible ? Si le délinquant avait prévu la situation dramatique qui s’impose à lui, il aurait pris les précautions nécessaires et l’événement ne se serait pas produit ou, du moins, n’aurait pas revêtu le caractère irrésistible qui a été le sien532. André Vitu poursuit en ajoutant que « par sa faute antérieure […] [l’agent] a enclenché un processus causal dont il serait mal venu, maintenant, de déplorer les conséquences pénales qu’il entraîne pour lui. La faute antérieure et l’événement irrésistible forment un continuum que la logique, comme la justice, interdisent de scinder »533. Le caractère d’imprévisibilité se trouve donc intimement lié à la notion même de contrainte. Comme le soulignent Laurence Leturmy et Patrick Kolb, « il est assez anachronique en effet de nier l’étroite association entre les deux termes »534. D’autres arguments peuvent être avancés, comme celui du droit comparé, puisque beaucoup de législations exigent l’absence de faute antérieure pour déclarer le prévenu irresponsable. On peut également évoquer le fait que l’exigence d’imprévisibilité

529. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la théorie de la responsabilité pénale, op. cit., no 64. 530. Cf. infra. 531. A. VITU, « Contrainte ou état de nécessité », op. cit., p. 90. 532. Contra, Philippe Conte et Patrick Maistre du Chambon qui considèrent qu’un événement prévisible n’est

pas forcément « résistible ». Ils prennent le seul exemple du verglas pour étayer leur raisonnement : « Le verglas, dont la présence est prévisible par temps de froid, n’en rend pas moins l’accident irrésistible, au moment du dérapage qu’il provoque. » (P. CONTE, P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 366.) On pourrait leur objecter que, par temps froid, la prudence devrait, selon les circonstances, conduire à ne pas prendre son véhicule.

533. A. VITU, « Contrainte ou état de nécessité », op. cit., p. 90. 534. L. LETURMY et P. KOLB, Droit pénal général, coll. « Manuels », Gualino Éditeur, 12e éd., 2017, p. 115 et suiv.

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favorise une bonne discipline sociale ou encore que la sévérité de la règle pourra, le cas échéant, être compensée par le principe de l’individualisation de la sanction pénale535. Au-delà de la légitimité de cette exigence d’imprévisibilité en matière de contrainte, on peut même se demander si elle ne constitue pas la condition commune à l’ensemble des causes de non-imputabilité536, puisque « la recherche d’une faute antérieure de l’agent pour lui refuser le bénéfice de l’irresponsabilité pénale est une constante jurisprudentielle et se retrouve notamment en matière de trouble mental et d’état de nécessité537 ». La différence entre le trouble mental d’une part, et la contrainte et l’état de nécessité d’autre part, outre le fait que le premier affecte le discernement et non la volonté, réside dans le fait que la simple altération n’est pas une cause d’exonération comme le législateur a pris soin de le préciser à l’article 122-2, alinéa 2 du Code pénal538. Le diagnostic de l’état de nécessité s’opère donc in personam. Cependant, ce constat n’est pas encore suffisant pour affirmer le rattachement de l’état de nécessité à la contrainte morale, étant donné que les données subjectives de la responsabilité pénale se répartissent – comme nous l’avons déjà vu – en deux réceptacles distincts, la culpabilité d’une part et l’imputabilité d’autre part. Il convient donc d’exclure l’assimilation de l’état de nécessité à une cause de non-culpabilité.

2. L’exclusion du rattachement de l ’état de nécessité aux causes de non-culpabilité

Bien qu’elle corresponde à une brève étape jurisprudentielle539, faisant office de transition entre le rejet de l’assimilation de l’état de nécessité à un cas de contrainte morale et la reconnaissance de l’état de nécessité en tant que fait justificatif autonome, l’assimilation de l’état de nécessité au défaut d’intention délictueuse doit être combattue, car elle procède d’une confusion entre intention et mobile. En effet, l’intention délictueuse peut être présentée comme la conscience et la volonté d’accomplir les faits tels que décrits par la loi pénale540. Or, comme le soulignent Roger Merle et André Vitu, « par hypothèse, celui qui commet une infraction nécessaire agit avec cet état d’esprit. Seuls les mobiles, le but [que l’agent] poursuit sont honorables »541. La Cour de cassation, quant à elle, a rejeté à de multiples occasions l’examen de l’arrière-plan psychologique de l’intention au titre de la culpabilité proprement dite542 – ce qui n’empêche pas, comme cela a déjà été démontré, de prendre en considération les mobiles sur le terrain de la peine, voire des « faits justificatifs »543.

535. Pour ces arguments, voir notamment J. PRADEL, Droit pénal général, op. cit., no 540. 536. Contrainte, trouble mental et état de nécessité. 537. CA Douai, 24 oct. 2000, JCP 2002, II, 10012, note J.-Y. MARÉCHAL, p. 5. 538. Le fait qu’une telle exclusion n’ait pas été opérée dans le cas de la contrainte conforte l’admission de la

simple impossibilité relative de se conformer à la loi pénale au titre de la contrainte exonératoire. 539. Il s’agissait d’ailleurs de la solution retenue par la cour d’appel d’Amiens dans la célèbre affaire

Ménard précitée ; cf. également : Cass. crim., 27 janv. 1933, Gaz. Pal., 15 févr. 1933 ; trib. corr. Cherbourg, 6 févr. 1945, S., 1946.2.81, note P. BOUZAT ; CA Paris, 6 oct. 1945, D. 1945.115.

540. Cf. infra. 541. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 467. 542. Cf. infra. 543. Cf. introduction.

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Un autre rapprochement doit être effectué pour conclure au rattachement de l’état de nécessité à la contrainte. Il s’opère cette fois sur le terrain de la liberté résiduelle effectivement laissée à l’agent dans le cadre de ces deux causes d’impunité. Si, comme nous l’avons vu,544 les cas couverts par la contrainte morale sont présentés de manière excessive comme devant relever d’une impossibilité absolue de se conformer à la loi pénale, ceux couverts par l’état de nécessité sont présentés de manière erronée comme n’entravant pas le processus volontaire.

B. L’état de nécessité, altération grave de la liberté de la volonté

On se souvient de la formule employée par Adrien-Charles Dana545 selon laquelle dans l’état de nécessité, l’agent a l’obligation de choisir, alors que, dans la contrainte, il a l’obligation de subir. Ainsi, alors que la contrainte supprimerait le libre arbitre, l’état de nécessité laisserait une certaine liberté de choix à l’agent. Cette opposition classique a déjà été partiellement remise en cause par la reconnaissance d’une appréciation in concreto de la contrainte. Elle peut être poursuivie par la démonstration, au-delà des apparences jurisprudentielles, d’une volonté viciée dans le cadre de l’état de nécessité (1.) ainsi que par l’étude de l’origine historique de la notion (2.).

1. Une altération grave du processus volontaire masquée par une appréciation objective de la liberté de choix

Si l’altération du processus volontaire découle du caractère urgent inhérent à la situation de nécessité (1.1), cette réalité psychique est masquée par l’appréciation jurisprudentielle de la liberté de choix de l’agent (1.2).

1.1 Les hypothèses couvertes par l’état de nécessité correspondant à des situations d’urgence

Pour Adrien-Charles Dana, l’état de nécessité serait – comme tous les faits justificatifs – une application de la contrainte, car il supprimerait la liberté de vouloir546. À y regarder de plus près, il semblerait que son affirmation puisse être vérifiée dans le cas de l’état de nécessité, dans tous les cas de nécessité même, des plus dramatiques aux moins extrêmes. Évoquant l’état de nécessité, Paul Foriers a écrit :

[…] nous ne nions pas que, dans certaines hypothèses de l’état de nécessité, l’homme agisse in angustia animi, sous l’empire d’un débat de conscience qui l’angoisse et l’impressionne […] D’un point de vue psychologique, cette attitude mentale peut atteindre un véritable paroxysme qui admet la scission entre le physique et le psychique.547

544. Cf. infra. 545. A.-C. DANA, Essai sur la notion d’infraction pénale, op. cit., p. 174 et suiv. 546. A.-C. DANA, Essai sur la notion d’infraction pénale, op. cit., p. 198 et suiv. 547. P. FORIERS, De l’état de nécessité en droit pénal, Sirey, 1951, no 15, p. 11.

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Ainsi, dans certaines situations particulièrement dramatiques, l’altération – pour ne pas dire l’abolition – de la volonté est telle que certains auteurs, favorables à l’autonomie de l’état de nécessité548, concèdent cependant la difficulté de faire nettement la distinction entre un cas de nécessité et un cas de contrainte morale. Cette précision faite, ces auteurs ajoutent néanmoins que, la plupart du temps, la différenciation des deux concepts apparaît très clairement. Pourtant, il n’est pas exclu que la liberté de choix soit discutable dans bien d’autres situations moins extrêmes. Roger Merle et André Vitu, pour illustrer leur propos, prennent le cas d’école, pertinent selon eux, du conducteur automobile qui, ne courant personnellement aucun danger, doit néanmoins choisir entre deux dommages à infliger à des tiers. Par exemple, un bris de clôture pour épargner la vie d’un piéton, diriger sa voiture contre un véhicule en stationnement pour éviter un cycliste. Il s’agit alors pour nous de montrer que ces cas de nécessité, apparemment les moins extrêmes, sont abusivement présentés comme relevant de choix délibérés et procèdent, en réalité, d’un débat interne vicié par la pression des événements ainsi que par le psychisme du sujet. En effet, ne peut-on y voir l’exemple typique de l’acte imposé à la volonté par un réflexe à peu près invincible ? Ces cas correspondent à des situations d’urgence altérant de facto le processus volontaire par l’exclusion d’une véritable réflexion. Deux indicateurs témoignent de l’urgence de la situation. Le premier réside dans le laps de temps « zéro » entre la conception de l’action et son exécution. Comme le souligne Éric Lepointe, l’urgence est « susceptible d’engendrer seulement une action idéo-motrice, différente de l’action volontaire, essentiellement parce que « la conscience ne révèle rien entre la conception et l’exécution »549, alors que « l’analyse de l’acte volontaire conduit à distinguer, entre ces deux phases, l’examen des motifs et des mobiles conçus, et la décision elle-même »550. Il paraît évident que cette catégorie d’actes « idéo-moteurs », entrant dans le champ de l’état de nécessité, est largement empreinte de la notion de contrainte. De tels actes sont déterminés de façon irrésistible par l’instinct de conservation ou, plus généralement, par des automatismes incontrôlables. Le second indicateur, d’origine légale, s’inscrit dans l’exigence d’un danger actuel ou imminent551. L’actualité ou l’imminence du danger ne sont-elles pas génératrices d’une situation d’urgence ? Finalement, les cas de nécessité, des plus dramatiques aux moins extrêmes, procèdent d’une altération, voire d’une abolition du processus volontaire552. Ne devrait-on pas alors considérer, comme le propose Éric Lepointe553, que la notion de contrainte a vocation à s’appliquer toutes les fois où « la volonté de l’agent a été viciée dans sa phase de délibération par une force suffisante à égarer le jugement ou que cette phase a été purement et simplement

548. En ce sens, R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 467. 549. É. LEPOINTE citant D. ROUSTAN, Leçons de philosophie, Delagrave, 1951, p. 491. 550. É. LEPOINTE, « Le diagnostic judiciaire des faits justificatifs », op. cit., no 21. 551. C. pén. art. 122-7. 552. En ce sens par exemple, R. Garraud qui considéra, à propos de l’affaire Ménard, que « l’individu qui est en

danger de mourir de faim ou de périr de froid agit sous l’empire d’une force majeure irrésistible ». (R. GARRAUD, Traité de droit pénal français, op. cit., no 274.)

553. É. LEPOINTE, « Le diagnostic judiciaire des faits justificatifs », op. cit., no 23.

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escamotée » ? Il faut reconnaître que ce ne sont pas les modalités jurisprudentielles d’appréciation de la liberté de choix de l’agent qui aideront à répondre à la question.

1.2 L’appréciation jurisprudentielle de la liberté de choix inappropriée

Par son mode d’appréciation de la liberté de choix, la jurisprudence masque la réalité de l’altération des facultés de l’individu. Aux termes de la majorité des décisions, « c’est parce que, théoriquement, deux ou plusieurs solutions se présentaient que l’agent pouvait et devait choisir »554. Or, le choix reste parfois purement théorique. À l’instar d’Éric Lepointe, on peut donc se demander si cette liberté de choisir, retenue comme le critère de l’état de nécessité, n’est pas considérée de façon trop objective. La liberté de choisir que l’on suppose chez l’agent n’est-elle pas abusivement considérée comme la liberté elle-même ? Pour illustrer ces propos, on peut citer en exemple la célèbre affaire Ménard, où une mère affamée avait dérobé un pain pour sauver sa vie et celle de son enfant. Le tribunal de Château-Thierry considéra que cette mère de famille avait bien été contrainte de commettre ce vol par une force irrésistible qui avait annihilé son pouvoir de décision car « la misère et la faim sont susceptibles d’enlever à tout être humain une part de son libre arbitre »555, procédant ce faisant à une appréciation in concreto de l’option offerte à l’agent. Si ce fondement a été abandonné par la Cour d’appel d’Amiens, une partie de la doctrine approuva la solution du tribunal de première instance, à l’instar de René Garraud qui considéra que « l’individu qui est en danger de mourir de faim ou de périr de froid agit sous l’empire d’une force majeure irrésistible »556. Il paraît donc plus approprié, pour ne pas dire plus équitable, de retenir une appréciation in concreto de la liberté de choisir557. Cependant, sur le plan des principes, une confirmation de la solution de l’affaire Ménard a pu être relevée dans une affaire ultérieure. Le 11 avril 1997, la Cour d’appel de Poitiers a jugé que des difficultés financières étaient insuffisantes pour caractériser un danger actuel ou imminent justifiant différents vols de nourriture par une mère de famille dans des grandes surfaces. Un assouplissement tient au fait que la juridiction du fond a dans le même temps dispensé la voleuse d’aliments de peine558. Il n’y a donc pas de changement de « doctrine » de la jurisprudence relativement aux conditions de l’état de nécessité, ce que l’on peut regretter dans le cadre de cette étude. Finalement, si la rigueur jurisprudentielle dans l’appréciation de la liberté de choix, considérée de façon très objective, plaide a priori en faveur d’une convergence des notions d’état de nécessité et contrainte559, il n’en est rien. En effet, une appréciation objective de la liberté de choix conduit au contraire à autonomiser l’état de nécessité, puisque cela revient à considérer qu’en cas de pluralité de possibilités d’actions, l’agent disposera effectivement du libre choix de son comportement. C’est l’appréciation in concreto de la liberté de choix qui

554. É. LEPOINTE, « Le diagnostic judiciaire des faits justificatifs », op. cit., no 33. 555. Trib. corr. Château-Thierry, 4 mars 1898, S., 1899.2.1, note A. ROUX. 556. R. GARRAUD, Traité théorique et pratique du droit pénal français, op. cit., no 274. 557. Une appréciation in abstracto radicale ne pourrait-elle pas conduire à considérer que l’on a toujours le choix

entre délinquer et ne pas délinquer ? 558. Cf. CA Poitiers, 11 avr. 1997, D., 1997, p. 512, note A. WAXIN ; JCP G 1997, II, 22933, note A. OLIVE ;

RSC, 1998, p. 110, note R. OTTENHOF ; F. DEBOVE, Dr. pén., 1998, chron. 4. 559. Eu égard à la rigueur dont fait preuve la Cour de cassation dans l’appréciation du caractère d’irrésistibilité.

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conduit à une convergence des notions560. Une telle convergence se déduit également de l’étude de l’histoire de l’état de nécessité.

2. L’altération du processus volontaire confirmée par la genèse de l ’état de nécessité

L’altération du processus volontaire se trouve confirmée par l’histoire de la naissance de l’état de nécessité. Et pour cause... les juridictions du fond faisaient à l’origine de l’état de nécessité un cas de contrainte morale. Ainsi, lorsque les tribunaux relaxaient l’auteur d’un délit nécessaire, ils relevaient que celui-ci avait été privé de sa liberté de décision et qu’il avait été contraint par une force irrésistible561. L’heure de vogue de cette jurisprudence remonte au XIXe siècle. Pourquoi, alors, l’évolution ultérieure des juges du fond vers la reconnaissance de l’état de nécessité en tant que fait justificatif autonome ? En raison d’une évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation. Au XIXe siècle, la Cour de cassation admettait que l’appréciation des faits constituant l’irrésistibilité appartenait au pouvoir souverain des juges du fond. Ainsi, ces derniers, disposant en la matière d’une grande marge de manœuvre, pouvaient donner à la contrainte une plus vaste dimension. Cependant, « par un arrêt de 1861562 […] la Cour de cassation s’arrogea le droit de contrôler le caractère d’irrésistibilité, attitude qui n’a point varié depuis, la Cour suprême faisant preuve en l’occurrence d’une rigueur remarquable tout particulièrement dans le domaine de la contrainte morale »563. Au lendemain de cette décision, deux alternatives se dessinaient alors pour les hypothèses correspondant aujourd’hui à l’état de nécessité : soit l’assimilation persistante à la contrainte morale avec le risque d’une déformation des nouveaux contours de la notion de contrainte, soit la condamnation de l’auteur du délit nécessaire lorsque le caractère irrésistible de l’action ne pouvait être affirmé sans abus de langage. À l’extrême, donc, le risque était double, soit d’une extension abusive de la notion de contrainte – avec le risque subséquent d’encourir l’infirmation ou la cassation sur ce fondement –, soit d’une iniquité de la solution. Cette définition rigide des frontières de la contrainte a donc engendré la création jurisprudentielle de l’état de nécessité564 qui est apparue comme « l’aboutissement logique d’une évolution de

560. Ce qui est finalement logique au regard de la démonstration qui précède relativement à l’appréciation du

caractère d’irrésistibilité de la contrainte. 561. Cass. crim., 15 nov. 1856, B., no 358 ; Cass. crim. 14 août 1863, D. P., 64.I.399 ; 2 mai 1878, D. P.,

78.I.336 ; Cass. Req., 8 juill. 1872, S., 72.I.399 ; Cass. crim., 8 août 1874, B., 225 ; Cass. crim., 16 mai 1934, D. H., 1934.367 ; trib. corr. Dijon, 27 févr. 1968, J.C.P., 1968. II. 15501.

562. Cass. crim., 28 févr. 1861, D. P., 1861.1.140. 563. É. LEPOINTE, « Le diagnostic judiciaire des faits justificatifs », op. cit., no 33. 564. On notera, pour l’écarter, l’argumentation de François Rousseau qui, rappelons-le, considère que la

contrainte morale n’est qu’une forme d’état de nécessité. Il se fonde pour ce dire sur la lettre de l’article 64 de l’ancien Code pénal qui ne visait que la « force à laquelle il n’a pu résister », comprenons la contrainte physique. Les nécessités de l’équité auraient conduit selon lui la jurisprudence à dégager la notion de contrainte morale pour, à défaut de texte en ce sens, fonder « l’impunité de celui qui avait commis, face à un danger, une infraction nécessaire » sur l’article 64 de l’ancien Code pénal (F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 88). Ainsi, la contrainte morale serait née à défaut d’état de nécessité. Cependant, et il le concède lui-même, « la reconnaissance de l’état de nécessité par la jurisprudence, puis le législateur à l’article 122-7 du Code pénal, n’a pas entraîné l’abandon de la contrainte morale » (préc.). On pourrait même considérer que son existence s’est trouvée confortée avec le Code pénal de 1992 qui, en son article 122-2, vise dorénavant la force et la « contrainte à laquelle elle n’a pu résister ». Il faudrait comprendre que l’article 122-2 du Code pénal vise désormais distinctement la contrainte physique et la contrainte morale.

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la jurisprudence devenue draconienne dans la définition de la contrainte morale »565 ; « que la Cour de cassation eût consacré une plus grande souplesse en matière de contrainte, et l’état de nécessité serait probablement demeuré une situation de référence, rattachée à l’une ou l’autre des causes d’impunité existantes »566. Certes, il était loisible aux commentateurs de critiquer cette création jurisprudentielle, au motif qu’en application du principe de l’interprétation stricte de la loi pénale567, il appartenait à la jurisprudence non de compléter la loi, mais seulement de veiller à son observation. Ainsi, par le rattachement de l’état de nécessité à la contrainte morale, on redimensionne à sa juste mesure cette notion qui s’était excessivement « rétrécie » au fil des siècles, en donnant de l’homme « une image exigeante, sans concession pour des faiblesses souvent compréhensibles au motif que l’ordre social ne les supporte pas ». D’aucuns pourraient néanmoins considérer que le rattachement de l’état de nécessité à la contrainte morale n’est pas favorable à l’équité en laissant béante une zone d’ombre entre causes objectives et causes subjectives d’impunité. Ce serait déjà oublier que la définition de la contrainte morale s’élargit, regroupant des actes jusqu’alors étrangers à son champ d’application568. Pour cette raison, il pourrait être envisagé d’établir une gradation dans la privation de liberté de l’agent afin de déterminer le seuil d’intervention de la contrainte exonératoire. L’état de nécessité « ancien », correspondant aux hypothèses de privation de liberté de choix les moins graves, déterminerait ainsi le seuil d’intervention de la contrainte exonératoire. Finalement, c’est le champ de l’imputabilité elle-même qui, dans sa composante liberté, se trouve redimensionné à sa juste valeur. Cette démarche n’est pas sans évoquer le phénomène similaire opéré par la loi du 10 juillet 2000 en matière de culpabilité non intentionnelle569 et qui a permis de nuancer la faute non intentionnelle en distinguant deux catégories d’imprudence : l’imprudence ordinaire et l’imprudence qualifiée570. En conclusion de ce chapitre, on peut se demander si l’imputabilité contient ou non une condition quelconque tenant à la volonté. Faut-il sacrifier les acceptions plutôt classiques de l’imputabilité aux termes desquelles elle supposerait la réunion des qualités de discernement et de liberté ? Malgré l’acception classique de l’imputabilité pénale se référant notamment à l’existence d’une volonté libre, une réponse par l’affirmative ne s’imposait pas. Tout d’abord, en considération de la matière civile. L’exclusion d’une condition tenant à la liberté de mouvement ou de comportement pourrait résulter de l’assimilation de la contrainte physique

565. CA Paris, 19 nov. 1952, Gaz. Pal., 1953.1.149. 566. É. LEPOINTE, « Le diagnostic judiciaire des faits justificatifs », op. cit., nos 35 et 36. 567. C. pén., art. 111-4. 568. Outre l’acte irrésistible qui suppose l’anéantissement de la volonté et qui entre dans le champ classique de

la contrainte morale, on compte maintenant l’acte irrésistible qui suppose l’altération de la volonté ainsi que l’acte idéo-moteur supposant une réponse immédiate à une sollicitation, voire même certains actes délibérés.

569. Loi no 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels. 570. À laquelle correspondrait l’état de nécessité, étant donné que l’état de nécessité constituerait une hypothèse

spéciale de contrainte.

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à la force majeure, en rappelant que la force majeure n’est pas traditionnellement analysée comme une cause d’exonération de la responsabilité civile. L’argument selon lequel l’imputabilité civile serait réduite à la seule exigence du discernement est plus pertinent, au regard de la généralité de sa portée. Elle ne correspondrait en cette matière qu’à la conscience de la portée de ses actes par l’auteur d’une faute. Or, l’imputabilité « ne peut changer de nature selon le domaine juridique où elle se produit et son appréciation doit se faire de la même manière »571. Faut-il en déduire l’exclusion de toute condition tenant à la volonté de l’imputabilité ? Une réponse négative s’impose. Premièrement, il est des auteurs pour intégrer dans l’imputabilité civile la capacité de vouloir ou liberté572. Par ailleurs, la liberté, sous ses diverses manifestations, est, comme nous l’avons démontré, une composante subjective de la responsabilité pénale. Il restait à préciser quelle(s) acception(s) de la liberté pouvai(en)t être retenue(s) au titre de l’imputabilité. Pour ce faire, il fallait procéder à une étude de la contrainte présentée comme venant affecter la volonté de l’agent. La contrainte se dédouble en deux versants, physique et moral, qui n’affectent pas la volonté de la même manière. Il n’est donc pas illogique que leurs régimes juridiques soit distincts. La contrainte physique, en tant qu’elle affecte la liberté de mouvement, peut s’analyser en une cause de non-caractérisation de l’infraction. En présence d’une infraction d’omission supposant un pouvoir préalable d’agir et en cas d’homicide ou de blessures non intentionnels, elle peut venir faire obstacle à la matérialité de l’infraction. En présence d’une infraction d’omission ne supposant pas un pouvoir préalable d’agir ou, d’une manière générale, que l’on soit en présence d’une infraction intentionnelle ou non intentionnelle, la contrainte physique peut également venir faire obstacle à la caractérisation de l’élément psychologique de l’infraction. Dans le domaine des infractions intentionnelles, l’argument avancé contre cette thèse reposait sur la possible coexistence entre la volonté-résultat et la contrainte physique. Nous avons vu que cet argument reposait sur une assimilation erronée de la volonté du comportement répréhensible et de la volonté-liberté. Dans le domaine des infractions non intentionnelles, aucun argument contre l’anéantissement de l’élément psychologique par la contrainte physique n’était avancé. Cependant, la neutralisation de l’imprudence ne saurait procéder d’une assimilation de la faute antérieure de l’agent à l’élément psychologique de l’infraction. Cette dernière doit être écartée en application du principe fondamental selon lequel les éléments constitutifs de l’infraction s’apprécient au moment des faits. L’anéantissement de l’imprudence résulte simplement de l’absence de volonté du comportement de l’agent. La contrainte physique, en ce qu’elle entrave la liberté de mouvement permettant l’exercice d’une activité ou de la volonté du comportement, est donc une cause de non-caractérisation de l’infraction. Qu’en est-il de la contrainte morale ? La contrainte morale constitue une cause de non-imputabilité altérant la liberté psychologique.

571. J. PENNEAU, Faute et erreur en matière de responsabilité médicale, LGDJ, bibliothèque de droit privé, t. 133, 1973,

p. 178, no 266. 572. En ce sens P. JOURDAIN dans sa thèse Recherche sur l’imputabilité en matière de responsabilités civile et pénale, op. cit.

Il intègre dans la notion d’imputabilité la capacité de comprendre ou discernement, « l’imputabilité morale » (cf. nos 257 et suiv.) ainsi que la capacité de vouloir ou liberté, « l’imputabilité physique » (cf. nos 526 et suiv.). Sa conclusion peut néanmoins paraître logique au regard de la démarche qu’il a entreprise, consistant à partir de l’acception pénale de l’imputabilité pour revisiter la conception civiliste de l’imputabilité.

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Si la contrainte morale est confirmée en tant que cause de non-imputabilité, son champ d’application se trouve étendu. Cette extension résulte tout d’abord de l’établissement d’une appréciation de la condition d’irrésistibilité plus conforme à la lettre de l’article 122-2 du Code pénal, tandis que la rigueur excessive dont fait preuve la Cour de cassation dans l’appréciation de cette condition est de nature à condamner juridiquement l’existence de la contrainte morale. Elle résulte ensuite du rattachement de l’état de nécessité à la contrainte morale. Ce rattachement est consécutif à la démonstration de la nature essentiellement subjective de l’état de nécessité corrélée à l’exclusion de son rattachement aux causes de non-culpabilité et au fait qu’il procède en réalité d’une altération grave de la liberté de la volonté. Cette analyse s’est trouvée confirmée par l’étude de la genèse de l’état de nécessité. Nous avons démontré l’hybridation du régime de la contrainte. Cette dernière n’est pas sans incidence sur les conditions de l’imputabilité. On peut alors conclure à l’inclusion d’une condition tenant à la volonté découlant de la contrainte morale dans la définition de l’imputabilité. Autrement dit, une condition de l’imputabilité, tenant à la volonté, découle bien de la contrainte. Il s’agit de la liberté psychologique découlant de la contrainte morale. Par ailleurs, il est possible de conclure à l’inclusion d’une condition tenant à la volonté découlant de la contrainte physique dans la définition de l’infraction. Il s’agit de la liberté de mouvement qui, en tant que telle, est susceptible d’affecter l’exercice du comportement, donc l’élément matériel de l’infraction, ou la volonté du comportement, donc l’élément psychologique de l’infraction. Cette conclusion vient conforter la division tripartite de l’infraction ainsi que de la définition proposée de la culpabilité dans le chapitre précédent.

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TITRE 2 LA PLACE DE L’IMPUTABILITÉ DANS LA MISE EN ŒUVRE DE LA RESPONSABILITÉ PÉNALE

La détermination du ou des rôles de l’imputabilité est conditionnée par sa place dans la théorie de la responsabilité pénale. Quelle « place » pour l’imputabilité ? Quel temps judiciaire pour débattre de l’imputabilité ? Si le fait que l’imputabilité constitue une condition de la responsabilité pénale est une constante en doctrine, on ne peut en revanche que relever l’absence de consensus sur la place de l’imputabilité dans la théorie de la responsabilité pénale. Deux conceptions principales continuent de s’affronter : la conception dite « classique », aux termes de laquelle elle constituerait un élément de l’infraction – et plus précisément de son élément dit moral –, et une conception plus moderne, selon laquelle l’imputabilité serait un élément extérieur à l’infraction qu’il conviendrait de rattacher de manière exclusive au concept de responsabilité. Les questions suivantes se posent donc : l’imputabilité se situe-t-elle aux « frontières externes » de l’infraction ? Ou alors, constitue-t-elle une frontière interne à l’infraction, entre élément matériel et élément moral ? Est-elle une composante de la culpabilité entendue largement ? Nonobstant l’adhésion persistante de certains auteurs contemporains à la conception classique573, nous démontrerons la plus grande conformité au droit positif de la conception moderne de l’imputabilité574. En effet, la réunion des deux conditions subjectives de la responsabilité pénale structurée par la primauté d’un débat sur l’imputabilité (qui a longtemps été présentée comme nécessaire à la cohérence de l’élément psychologique de l’infraction), après avoir livré un certain nombre d’inconvénients, a logiquement été délaissée au bénéfice de leur autonomie. Dans un premier temps, il importera, au travers de l’analyse du droit positif tant législatif que jurisprudentiel, de démontrer l’extériorité de l’imputabilité à l’infraction (chapitre I). Après confirmation de l’interversion des composantes de la responsabilité pénale par l’établissement du rattachement exclusif de l’imputabilité au concept de responsabilité, il

573. Cette absence d’harmonie doctrinale n’est pas singulière au droit pénal français. Pour ne citer que lui, elle

se rencontre également en droit pénal allemand où une partie des auteurs rattache les conditions de l’imputabilité à l’élément moral de l’infraction alors qu’une autre opte pour exclure ces exigences du concept d’infraction, limitant son élément psychologique à la seule question de l’intention et de l’imprudence.

574. Cela se vérifie également dans nombre de droits pénaux étrangers où la majorité des législations semblent exclure les conditions de l’imputabilité du concept d’infraction et opter pour une conception plus moderne (cf. J. PRADEL, Droit pénal comparé, Dalloz, 4e éd., 2016, no 177). Pour les exemples les plus significatifs, nous retiendrons l’article 19 du Code pénal suisse aux termes duquel celui qui » ne possédait pas la faculté d’apprécier le caractère illicite de son acte », autrement dit celui qui ne possédait pas la faculté d’apprécier « qu’il commettait une infraction », n’est pas « punissable » ainsi que l’article 38 du Code pénal tunisien selon lequel « l’infraction n’est pas punissable » lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action. Pour d’autres exemples, consulter le site de J.-P Doucet, http//ledroitcriminel.free.fr/index.htm, rubrique « Utilitaires », « Sites intéressant le droit criminel à travers le monde », « Droit criminel de Pays étrangers – Sites en français ».

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pourra être mis en lumière que la localisation des conditions de culpabilité et d’imputabilité est en lien avec leurs fonctions respectives, soulignant ce faisant, avec une acuité particulière, que leur association constitue un rempart essentiel en faveur de la protection des droits fondamentaux dans la théorie de la responsabilité pénale575 (chapitre II).

575. Particulièrement aujourd’hui avec la résurgence du concept de dangerosité (cf. infra, partie 2).

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Chapitre I –

L’extranéité de l’imputabilité à l’infraction

Dans sa thèse relative à l’ajournement du prononcé de la peine576, Claire Saas propose une relecture de cette procédure, présentant notamment l’intérêt de dissocier, tant sur le fond que sur la forme, les concepts de culpabilité et d’imputabilité. Elle commence néanmoins par rappeler les arguments communément avancés en faveur de leur confusion. L’un d’eux a trait au fait qu’elles sont toutes deux sous-tendues par l’idée de volonté. La pertinence de cet argument a été préalablement écartée577 au motif que la volonté mobilisée dans le champ de la définition des deux notions procédait de deux acceptions différentes578. Cependant, tout en étant dotés d’un contenu spécifique, et donc distincts l’un de l’autre, les concepts de culpabilité et d’imputabilité pourraient s’additionner pour constituer l’élément psychologique de l’infraction. Cette remarque nous amènera à considérer un autre argument en faveur de la confusion selon lequel les notions « sont souvent présentées comme les conditions permettant la réalisation d’une infraction »579. Le bien-fondé de cette affirmation sera remis en cause, dans le cadre de cette section, en questionnant la pertinence des arguments communément avancés en faveur de l’intégration de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction. Ainsi, si une partie de la doctrine se prononce classiquement en faveur du rattachement de l’imputabilité au concept d’infraction, nous démontrerons non seulement que les arguments qu’elle propose sont réfutables (section 1), mais aussi qu’il est possible d’établir positivement l’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’infraction (section 2).

Section 1 – L’inclusion de l’imputabilité dans la constitution de l’élément psychologique de l’infraction

Les arguments en faveur de l’inclusion de l’imputabilité dans l’élément psychologique de l’infraction sont de deux ordres. Selon certains auteurs, ils trouveraient d’abord appui sur les solutions du droit positif, tant législatives que jurisprudentielles. De manière symétrique, il sera possible non seulement d’invoquer des textes législatifs susceptibles de fonder, de façon univoque, l’extériorité de l’imputabilité par rapport à l’infraction, mais encore de livrer une interprétation novatrice de la célèbre décision Laboube, traditionnellement invoquée pour

576. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2002. Cf. également

infra, partie 2, chapitre I. 577. Cf. supra, titre 1, chapitre I. 578. Chaque notion est ainsi dotée d’un contenu substantiel spécifique (cf. supra, titre 1). 579. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2002, no 151 p. 152.

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argumenter en faveur de l’inclusion de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction (§ 1). Les partisans de l’inclusion de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction ne se limitent pas à des arguments exclusivement juridiques. Ils invoquent aussi le simple « bon sens notionnel » pour justifier de la priorité d’un débat sur l’imputabilité. Aux termes de cette approche, l’intégration de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction donnerait cohérence à son élément psychologique. Cependant, cette conclusion est induite par une définition « très classique » de l’imputabilité. Ainsi, nous pourrons établir qu’il est permis de parvenir à une conclusion opposée sans altérer la cohérence de l’élément psychologique de l’infraction (§ 2).

§ 1 - L’apparente inclusion par le droit positif de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction

Certains articles, qu’ils appartiennent à l’ancien ou l’actuel Code pénal, impliqueraient l’intégration de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction. Nous démontrerons non seulement que ces affirmations ne sont pas incontestables, mais également qu’il est possible, à l’inverse, de se fonder sur d’autres articles pour exclure l’inclusion de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction (A.). La même confusion règne dans l’interprétation de certaines décisions jurisprudentielles (B.).

A. Les arguments textuels

Singulier, le cas de l’article 122-1 du Code pénal qui présente le paradoxe d’être invoqué au soutien de leur théorie, tout à la fois par les tenants de la conception classique (2.) et par les tenants d’une conception moderne de l’imputabilité (1.). Précisons toutefois que, si lors de l’adoption du Code pénal de 1994, le Parlement s’était rangé à la proposition de rédaction émanant du gouvernement, la lecture de l’article 122-1 serait aujourd’hui univoque, en consacrant clairement la conception moderne de l’imputabilité580. Moins ambiguë, en revanche, la lettre d’autres textes législatifs fondant explicitement l’extranéité de l’imputabilité à l’infraction (3.).

1. La comparaison rédactionnelle de l ’article 64 de l ’ancien Code pénal et de l’article 122-1 du Code pénal

Aux termes de l’article 64 de l’ancien Code pénal : « Il n’y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action, ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister. » Aujourd’hui, les deux causes d’irresponsabilité sont reprises respectivement par les articles 122-1 et 122-2 du Code pénal issu de la réforme de 1992. À

580. L’expression, « N’est pas pénalement responsable la personne qui… », a été préférée par le Parlement à

celle proposée par le Gouvernement qui, dans son projet initial, employait les termes « N’est pas punissable la personne qui… ». Cette formulation laissait entendre qu’une personne pénalement irresponsable ne devait certes faire l’objet d’aucune peine, corollaire de la non-imputabilité, mais qu’elle devait néanmoins être préalablement déclarée coupable. La rédaction du projet de loi initial fondait ainsi l’extériorité de l’imputabilité à l’infraction.

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titre d’exemple, l’article 122-1 du Code pénal, dont la rédaction s’apparente à celle de l’article 122-2, dispose quant à lui :

N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. » Ainsi, selon l’interprétation classique de l’article 64 de l’ancien Code pénal, « faute d’intelligence dans le premier cas, de volonté dans le second, il n’y avait pas d’infraction, parce qu’il n’y a plus d’élément psychologique.581

Il fallait donc comprendre que l’imputabilité était entendue comme une composante de l’infraction et, plus particulièrement, de son élément psychologique. Cependant, il était possible de relever des décisions rendues sous l’empire de l’ancien Code pénal qui étaient contraires à cette interprétation. Par exemple, la Cour de cassation avait déjà considéré que si la démence entraînait l’irresponsabilité pénale de l’intéressé, l’infraction subsistant nonobstant les termes de l’article 64 du Code pénal, le complice du dément restait alors punissable582. Dès lors, que penser de la formulation des articles 122-1 et 122-2 du Code pénal de 1994 qui, en reprenant ces deux causes d’irresponsabilité, ne font plus aucune référence à l’existence de l’infraction mais à celle de la responsabilité pénale ? Selon Clément Margaine :

Le changement de rédaction entre l’ancien article 64 du Code pénal et l’actuel article 122-1 du Code pénal semble […] consacrer le rattachement du discernement et par conséquent de l’imputabilité au concept de responsabilité. En effet, si l’article 64 qui prévoyait expressément qu’il ne pouvait y avoir de crime ou de délit lorsque le prévenu était en état de démence pouvait être interprété comme consacrant la conception classique de l’imputabilité, le changement de rédaction opéré en 1994 est interprété par la majorité de la doctrine comme condamnant cette analyse.583

Nous considèrerons donc que le législateur a opportunément profité de la réforme de 1992 pour mettre en adéquation la lettre des textes avec les solutions du droit positif. Cela ne signifie pas pour autant que toute ambiguïté ait été levée. Une illustration peut en être trouvée avec l’article 122-1 qui n’est pas sans recéler une contradiction apparente. En effet, la référence faite « au moment des faits » pour apprécier l’abolition du discernement permet à certains auteurs d’argumenter en faveur de l’inclusion de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction. Nous démontrerons cependant que cette référence procède surtout d’une indication relativement au moment de l’appréciation des conditions d’imputabilité584, question qui doit être distinguée de celle de la localisation de ses conditions.

581. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, Dalloz, 6e éd., 2007, no 43, p. 690. 582. Cass. crim., 16 juin 1887 : Bull. crim., no 221 ; 13 mars 1991 no 90-83913, Bulll. crim., no 125, JurisData

no 001295 ; cf. aussi infra, les développements relatifs à la complicité. 583. C. MARGAINE, op. cit., no 245. 584. Cette indication est à mettre en corrélation avec l’existence de présomptions en matière d’imputabilité qui

laissaient en suspens la question du moment de l’appréciation de ses conditions (cf. infra).

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2. La détermination temporelle de l ’appréciation des conditions d ’ imputabilité découlant de l ’article 122-1 du Code pénal

La lettre de l’article 122-1 du Code pénal enverrait un double message contradictoire. Tout d’abord, comme nous l’avons vu, il s’agirait de comprendre que l’intéressé « n’est pas pénalement responsable » de l’infraction commise en cas d’abolition du discernement. Cette première affirmation désolidarise la composante discernement de l’imputabilité de la constitution de l’infraction. Dans le même temps, l’article renvoie à l’absence de responsabilité pénale de l’individu qui, « au moment des faits », était privé de discernement. La question se pose alors de savoir si l’on doit déduire de la rédaction de l’article 122-1 du Code pénal un obstacle à la démonstration de l’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’infraction. Une réponse négative peut s’évincer d’une interprétation novatrice de cet article en lien avec la détermination du moment de l’appréciation de la condition discernement (2.1). La question se posera ensuite de la compatibilité de cette analyse avec la prise en compte ponctuelle, par la jurisprudence, de la faute antérieure de l’agent, pour écarter son irresponsabilité pénale (2.2).

2.1. L’interprétation novatrice de la lettre de l’article 122-1 du Code pénal

Philippe Conte et Patrick Maistre du Chambon font remarquer que l’article 122-1 du Code pénal impose au juge d’apprécier l’abolition du discernement « au moment des faits » et non de l’infraction585. Faut-il comprendre que cette référence aux faits et non à l’infraction signifie que le discernement est nécessaire à la constitution de l’infraction ? Si le terme d’infraction avait été employé, le discernement en aurait alors été dissocié ; le discernement constituant l’une des deux conditions de l’imputabilité586, on aurait pu en déduire son autonomie par rapport à l’infraction. Nous rejoindrons cependant l’interrogation de François Rousseau aux termes de laquelle il n’est pas certain qu’il convienne d’accorder à cette précision textuelle une telle portée587. Cet auteur commence par convenir qu’en exigeant une appréciation du discernement au moment des faits, l’article 122-1 semble rattacher les conditions de l’imputabilité au concept d’infraction ; « car, si elles devaient lui être extérieures, ne pourrait-on pas les apprécier à un autre moment – celui du jugement par exemple588 » ? Mais, comme il le relève ensuite, cette interprétation peut être renversée. Il suffit de considérer qu’en exigeant une appréciation du discernement au moment des faits, « le législateur a peut-être voulu prévenir, justement, que cette appréciation ne se déroule à un autre moment, compte tenu du détachement des conditions de l’imputation à l’agent 589 par rapport à l’infraction »590. Imaginons une personne ayant tué un tiers en raison d’un trouble mental qui s’est manifesté concomitamment aux faits, dans une « coïncidence chronologique »591, et qui recouvre sa lucidité au moment du

585. P. CONTE, P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 351. 586. Cf. supra. 587. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 55. 588. P. CONTE, P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 351. 589. Pour nous de l’imputabilité. 590. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 55. 591. J.-C. SOYER, Droit pénal et Procédure pénale, LGDJ, 21e éd., 2012, no 218.

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jugement. Si son discernement était apprécié au moment du jugement, elle pourrait être reconnue pénalement responsable et encourrait trente ans de réclusion criminelle conformément à l’article 221-1 du Code pénal. On le voit, une telle solution n’est pas tenable. Il est donc impératif d’apprécier le discernement de la personne au moment de la réalisation matérielle des faits ; plus précisément, il est impératif, au stade du jugement, de tenir compte de l’ombre projetée de l’imputabilité afin de ne pas trahir les conséquences tirées de l’imputabilité, ou plutôt de la non-imputabilité, au moment des faits592.

2.2 La prise en compte jurisprudentielle de la faute antérieure de l’agent comme obstacle à l’interprétation novatrice de la lettre de l’article 122-1 du Code pénal ?

Rappelons, comme nous l’avons déjà démontré, et nonobstant l’injonction supposée du législateur, que la jurisprudence peut exceptionnellement tenir compte de la faute antérieure593 de l’agent pour écarter l’irresponsabilité pénale fondée sur l’article 122-1 du Code pénal, ce qui suppose une appréciation de l’imputabilité antérieurement au moment des faits. Sur ce point, le cas des intoxications volontaires est particulièrement significatif de la volonté jurisprudentielle de décloisonner l’imputabilité du moment des faits. On connaît la position de la Cour de cassation aux termes de laquelle « l’influence de l’ivresse sur la responsabilité pénale d’un individu est une question de fait qui ne peut être résolue qu’en fonction de chaque espèce, et partant, qui relève du pouvoir d’appréciation des juges du fond »594, ainsi que l’interprétation commune de cette décision selon laquelle la Haute Juridiction reconnaît implicitement la possibilité d’écarter la responsabilité pénale d’un individu dont le discernement au moment des faits était aboli conséquemment à l’absorption d’alcool. Cependant, il nous apparaît qu’il faut surtout considérer l’autre aspect libertaire de la décision selon lequel elle laisse libres les juridictions du fond d’engager la responsabilité pénale d’un individu en cas d’abolition du discernement595. D’ailleurs, la majorité de la jurisprudence considère que l’ivresse laisse subsister la responsabilité pénale malgré l’abolition du discernement qu’elle peut entraîner596. En outre, il y aurait une contradiction évidente, alors que l’ivresse est de plus en plus réprimée en tant que telle par la législation actuelle597, de la retenir comme une cause d’exonération de la responsabilité dans des hypothèses non visées par le législateur. Ainsi, le fait que l’on puisse engager la responsabilité pénale d’un individu privé de discernement démontre avant toute chose que le discernement n’est pas intégré à l’infraction car, dans l’affirmative, il ne serait alors pas possible d’engager

592. Cf. infra, le rôle post-moderne de l’imputabilité. 593. Terminologie trompeuse puisqu’elle semble a priori se rattacher au concept de culpabilité, communément

désigné sous le terme de « faute ». 594. Cass. crim., 5 févr. 1957 : Bull. crim. no 112 ; RSC 1958, p. 93 obs. A. LEGAL. 595. D’ailleurs, dans la décision précitée, la Cour de cassation avait considéré que l’ivrogne qui avait été

condamné plus sévèrement parce qu’il avait causé un accident étant en état d’ivresse ne pouvait se prévaloir de son ivresse pour faire casser le jugement.

596. En ce sens, Cass. crim., 29 janv. 1921 : S. 1922, 1, 185, note J.-A. ROUX ; Cass. crim. 3 déc. 1963, no 62-92.138, Bull crim., no 343 ; CA Bordeaux, 26 avr. 1988 : JurisData no 045645.

597. Non seulement l’ivresse laisse subsister la responsabilité pénale, mais elle est également érigée en circonstance aggravante de nombreuses infractions (cf. notamment C. pén., art. 221-6-1 [2°], 221-6-2 [2°], 222-12 [14°], 222-13 [14°], 222-19-1 [2°], 222-19-2 [2°], 222-20-1 [2°], 222-20-2 [2°], 222-24 [12°], 222-28 [8°], 222-30 [7°], 227-26 [5°]) voire en infraction autonome (cf. notamment l’article L. 234-1 du Code de la route).

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sa responsabilité pénale, dont le préalable repose sur la caractérisation d’une infraction. Comment expliquer autrement que par l’extériorité de l’imputabilité à l’infraction le fait qu’une personne dont le discernement était aboli au moment de la commission des faits, en raison de l’absorption d’alcool ou de la consommation de stupéfiants, puisse voir sa responsabilité pénale engagée ? Ensuite, il faut reconnaître que le fait que l’on puisse engager la responsabilité pénale d’un individu ivre au moment des faits semble signifier que l’appréciation même de la condition de discernement, et plus largement de l’imputabilité, peut être détachée du moment des faits. La question peut alors se poser de savoir si cette position jurisprudentielle est de nature à faire obstacle à la conclusion selon laquelle la référence législative « au moment des faits » est relative au moment de l’appréciation des conditions de l’imputabilité. À ce stade, il convient de rappeler que nous avons déjà démontré que le trouble psychique ou neuropsychique est soumis au même régime que la contrainte, dans lequel l’imprévisibilité trouve sa place. La précision temporelle de l’article 122-1 du Code pénal ne serait donc pas déterminante, même pour circonscrire l’appréciation du discernement au temps de l’action. Dès lors, comment l’interpréter ? Selon nous, elle a surtout pour objectif de prémunir l’agent d’une appréciation de l’imputabilité postérieurement au moment des faits. En effet, autant l’appréciation des conditions de l’imputabilité postérieurement aux faits doit être écartée pour ne pas conduire à l’adoption de solutions inéquitables, autant il peut légitimement être tenu compte du comportement antérieur de l’agent dès lors que sa faute et l’acte commis forment « un continuum que la logique, comme la justice, interdisent de scinder »598. En outre, on pourrait également considérer à titre subsidiaire que la lettre de l’article 122-1 du Code pénal signifie que le trouble psychique ou neuropsychique abolissant le discernement a en principe le caractère d’un événement fatal, qui se manifeste pour la première fois « au moment des faits », d’où son appréciation de principe à ce moment-là. Finalement, il conviendra de considérer que les termes de l’article 122-1 du Code pénal indiquent simplement que la condition d’imputabilité relative au discernement doit en principe s’apprécier au moment des faits, nonobstant son extranéité de l’infraction, et ce, même s’il est possible de s’émanciper de cette temporalité pour tenir compte de la faute antérieure de l’agent. Pour cette raison, peut-être, les articles relatifs à la minorité et à la contrainte599 ne font aucunement référence à une condition de temps dans le corps de leur texte. Pour conclure sur ce point, nous retiendrons donc que les termes « au moment des faits » sont en relation avec la détermination du moment de l’appréciation des conditions de l’imputabilité et non avec leur localisation au sein de l’infraction. Il ne faut pas confondre la place du débat relatif à l’imputabilité avec le moment de l’appréciation de ses conditions. De manière plus radicale, il est possible d’invoquer des textes législatifs susceptibles de fonder, de manière univoque, l’extériorité de l’imputabilité par rapport à l’infraction.

598. A. VITU, « Contrainte ou état de nécessité », op. cit., p. 90. 599. Cf. C. pén. art. 122-2 et 122-8.

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3. Les arguments textuels fondant l ’extranéité de l ’imputabilité par rapport à l’infraction

L’emploi différencié des termes de « coupable » et de « responsable », dans certains articles du Code pénal plaide sans ambiguïté en faveur de l’autonomie des fondements de la responsabilité pénale, le législateur dissociant en creux la culpabilité stricto sensu et l’imputabilité. En premier lieu, il est possible de citer l’article 122-8 du Code pénal, tel qu’il résulte de la réforme du 9 septembre 2002, opérée par la loi no 2002-1138 du 9 septembre 2002, qui, de ce point de vue, est le plus pertinent. Aux termes de cet article, « Les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes, délits et contraventions dont ils ont été reconnus coupables, dans des conditions fixées par une loi particulière… ». En introduisant l’exigence de discernement dans la lettre de l’article 122-8, la loi du 9 septembre 2002 met clairement en évidence la trilogie conceptuelle de la responsabilité pénale. Cependant, au-delà d’une présentation explicite de la responsabilité pénale comme la somme de la culpabilité et de l’imputabilité, cet article nous renseigne utilement sur l’enchaînement des notions. En isolant, dans le corps de son texte, la reconnaissance de culpabilité du mineur d’une association de l’antériorité du diagnostic d’imputabilité sur la déclaration de responsabilité pénale, il résout l’équation trinitaire comme suit : « culpabilité + imputabilité = responsabilité ». Nous pouvons citer également l’article 1 de l’ordonnance du 2 février 1945, relative à l’enfance délinquante, tel que modifié par la loi no 2011-939 du 10 août 2011, qui, dans son alinéa 1 dispose : « Les mineurs auxquels est imputée une infraction qualifiée crime ou délit ne seront pas déférés aux juridictions pénales de droit commun […] » ; et dans son second alinéa : « Ceux auxquels est imputée une contravention de police de cinquième classe sont déférés aux juridictions pour enfants dans les conditions prévues à l’article 20-1. » Cet article opère également une dissociation claire entre infraction et imputabilité. C’est bien d’imputabilité qu’il est question, non d’imputation, dans la mesure où il ne nous paraît pas cohérent d’interpréter les dispositions de l’ordonnance du 2 février 1945 sans les articuler avec celles de l’article 122-8. Il est possible de se fonder sur le renvoi opéré par l’article 122-8 à cette « loi particulière » qu’est l’ordonnance du 2 février 1945 pour expliciter les conditions précises de la responsabilité pénale des mineurs. Toutes ces conditions, à l’instar de celles figurant dans son article 1er, se doivent donc d’être interprétées à l’aune de la règle générale énoncée à l’article 122-8. Or, nous venons de voir qu’aux termes de ce dernier, c’est bien d’imputabilité qu’il est question. Finalement, nous pouvons invoquer l’article 132-60, alinéa 1er du Code pénal aux termes duquel « La juridiction peut ajourner le prononcé de la peine lorsqu’il apparaît que le reclassement du coupable est en voie d’être acquis, que le dommage causé est en voie d’être réparé et que le trouble résultant de l’infraction va cesser ». Nous verrons comment l’emploi du vocable coupable, préféré à celui de responsable, augure d’une distinction entre la culpabilité proprement dite et l’imputabilité, les discussions relatives à l’existence de la seconde succédant au débat sur la caractérisation de la première600.

600. Cf. infra.

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Cette clarification législative faite en faveur de l’autonomie de l’imputabilité par rapport l’infraction, il reste maintenant à préciser la portée de certaines décisions jurisprudentielles susceptibles de semer le doute sur la place de l’imputabilité.

B. Les solutions jurisprudentielles

Si certaines décisions jurisprudentielles retenant l’imputabilité comme condition à la réalisation d’une infraction paraissent devoir être marginalisées et privées de portée générale (1.), le célèbre arrêt Laboube aux termes duquel « toute infraction, même non intentionnelle, suppose que son auteur ait agi avec volonté et intelligence » méritera de plus amples commentaires, afin de renverser l’interprétation communément proposée de cette décision aux termes de laquelle l’imputabilité entrerait dans la constitution de l’infraction (2.).

1. La marginalité des décisions civiles ou pénales

Certains arrêts consacreraient la théorie classique de l’imputabilité. Un exemple peut être donné avec l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 14 décembre 1982 qui approuve une Cour d’appel d’avoir considéré que l’élément moral de l’infraction n’est pas caractérisé en raison de la démence de son auteur : « Les faits matériellement reprochés à l’intéressé ne constituent pas, à raison de l’état de démence de leur auteur au temps de l’action, des crimes punissables, faute d’élément moral. »601 Un arrêt plus récent, rendu cette fois par la première chambre civile602, distille à nouveau le doute. Un homme qui avait mortellement poignardé ses deux parents entendait pourtant venir à leur succession, au motif qu’il avait commis ces crimes sous l’empire d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement – cette circonstance ayant par ailleurs justifié une décision de non-lieu. Pour son frère, il n’avait aucun droit dans les successions et devait être frappé d’indignité successorale sur le fondement de l’article 727, ancien, du Code civil603. L’indignité successorale est une sanction civile qui empêche l’auteur de fautes graves envers le de cujus de lui succéder. La question qui se posait était donc de savoir si l’irresponsabilité fondée sur l’article 122-1 du Code pénal pouvait faire obstacle à la caractérisation d’une faute grave engendrant l’indignité successorale de l’article 727, ancien, du Code civil. En application de cet article, l’indignité successorale suppose que l’intéressé ait été condamné comme auteur ou complice à une peine criminelle ou correctionnelle, notamment pour avoir donné la mort au défunt. En l’espèce, l’homme qui avait tué ses deux parents, ayant fait l’objet d’une décision de non-lieu en raison de l’abolition de son discernement, n’avait donc pas été condamné pénalement. Ainsi, la décision rendue par la cour d’appel de Nîmes le

601. Cass. crim. 14 déc. 1982 (inédit), Gaz. Pal., 1983, 1, pan., p. 178. 602. Cass. civ. 1re, 28 mars 2012, no 11-10.393, inédit, JurisData no 2012-005910 ; Dr. fam. 2012, comm. 113,

P. BONFILS. 603. Devenu depuis la réforme du 3 décembre 2001, opérée par la loi no 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative

aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins, et modernisant diverses dispositions du droit successoral, l’article 726 du Code civil, sans modification substantielle.

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19 octobre 2010, par laquelle elle refusait l’application des articles 727, ancien, 726 et 727, nouveaux, du Code civil est légitime au regard du droit civil. Si le pourvoi formé contre la décision de la cour d’appel est bien rejeté, en revanche, la motivation de l’arrêt rendu par la Cour de cassation pose question au regard du droit pénal et, singulièrement, de la place du discernement dans la responsabilité pénale. Cette dernière rejette le pourvoi au motif « qu’ayant exactement relevé que l’indignité successorale suppose l’intention coupable, que la loi exige en posant comme condition à son prononcé que l’auteur du geste homicide ait été condamné à une peine criminelle ou correctionnelle et constaté qu’un non-lieu à poursuivre M. Richard R. est intervenu sur le fondement de l’article 122-1 du Code pénal en raison de l’abolissement total de son discernement et du contrôle de ses actes », c’est à bon droit que la cour d’appel a refusé d’appliquer à l’intéressé la sanction de l’indignité successorale. Pourquoi avoir précisé que « l’indignité successorale suppose l’intention coupable » ? Si l’on considère que le discernement, en tant que condition de l’imputabilité, est extérieur à l’infraction, il laisse entière la culpabilité, c’est-à-dire notamment « l’intention coupable ». Nonobstant la procédure suivie dans le cadre de cette affaire – non-lieu fondé sur l’article 122-1, alinéa 1er du Code pénal –, la condition relative à l’intention coupable était donc susceptible d’être caractérisée. Philippe Bonfils, dans le commentaire qu’il effectue de la décision604, rappelle d’ailleurs que « si le discernement est bien une condition de la responsabilité pénale, on considère généralement qu’il constitue une cause subjective d’irresponsabilité pénale, laissant entière la culpabilité, c’est-à-dire la faute ». Il ajoute alors que « dans cette perspective, il était donc possible de considérer que malgré l’absence de discernement, l’intention coupable n’avait pas disparu, et que l’auteur du double meurtre aurait dû être jugé indigne de succéder »605. Approfondissant son raisonnement, on devrait logiquement considérer que si la déchéance n’a pas été appliquée, c’est parce que l’intention coupable ne pouvait être retenue, précisément en raison de l’absence de discernement de l’héritier. Il faudrait donc conclure que la Cour de cassation intègre ici le discernement dans la constitution de l’élément psychologique de l’infraction, remettant en cause sa place dans la responsabilité pénale, et partant, l’extériorité de l’imputabilité par rapport à l’infraction. La question se pose néanmoins de savoir si la motivation de la Cour de cassation ne pourrait pas se prêter à une autre interprétation. Ne peut-on pas considérer qu’elle rappelle, et de manière surabondante pour l’une d’entre elles, deux des conditions d’application de la sanction d’indignité successorale ? Si l’héritier potentiel se devait d’avoir été condamné à une peine criminelle ou correctionnelle, c’était en raison de la commission des deux homicides volontaires, autrement dit en raison de la commission d’une infraction intentionnelle d’atteinte à l’intégrité physique du de cujus. La condition de condamnation visée par l’ancien article 727 du Code civil supposait donc forcément d’avoir préalablement caractérisé « l’intention coupable ». On pourrait donc objecter à Philippe Bonfils que son raisonnement n’est pas abouti, dans la mesure où il occulte ce faisant la seule condition légale expresse à la sanction civile, aux termes de laquelle l’indignité successorale suppose en outre que l’auteur

604. Cf. note P. BONFILS, Dr. fam. 2012, comm. 113. 605. Ibid.

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du geste homicide ait été condamné à une peine criminelle ou correctionnelle. L’absence de sanction civile découle simplement de l’absence de condamnation pénale. En d’autres termes, alors que l’indignité successorale est conditionnée par l’existence d’une condamnation pénale et que l’intéressé avait en l’espèce fait l’objet d’un non-lieu, il ne pouvait pas se voir appliquer cette déchéance. Il était donc suffisant de viser la condition tenant à la condamnation de l’indigne pour aboutir à cette solution. Pour cette raison, nous pouvons considérer que la motivation de la Cour de cassation relativement à l’exigence d’intention coupable est surabondante, en ce sens que si, conformément à l’article 727 ancien du Code civil, la sanction d’indignité successorale nécessite bien une condamnation pénale, elle implique nécessairement que l’infraction d’homicide ait été préalablement caractérisée dans tous ses éléments constitutifs, notamment dans son « intention coupable ». On pourrait même tout aussi bien convenir qu’en dissociant ainsi les conditions de mise en œuvre de la sanction civile, la Cour de cassation a entendu montrer que le discernement constituait le trait d’union entre l’intention coupable et la condamnation à une peine criminelle ou correctionnelle. On pourrait donc tirer argument de cette décision en faveur de l’extranéité de l’imputabilité par rapport à l’infraction. À titre subsidiaire, on pourrait relever que la Cour de cassation a peut-être tenu à souligner la gravité des infractions pouvant servir de support à la condamnation pénale justifiant l’indignité successorale en rappelant notamment leur caractère intentionnel, écartant ainsi du champ de son application les infractions non intentionnelles. Ainsi, malgré quelques arrêts sporadiques, pour la plupart rendus en opportunité, on ne peut relever de contestations jurisprudentielles majeures à l’égard de l’extériorité de l’imputabilité par rapport à l’infraction, si ce n’est le célèbre arrêt Laboube dont l’interprétation se prête à des controverses juridiques.

2. L’interprétation novatrice de l ’arrêt Laboube

La jurisprudence Laboube est intervenue dans un contexte législatif ouvrant la voie à des interprétations doctrinales divergentes quant à l’exigence du discernement du mineur à l’engagement de sa responsabilité pénale (2.1). L’arrêt mentionné illustre au travers de son cheminement procédural les différents courants de pensée et juridiques en la matière (2.2). La doctrine est assez unanime quant à l’interprétation à donner à cet arrêt. Selon elle, il signe le retour de l’exigence de discernement en la matière, en procédant à son inclusion dans la constitution de l’infraction. Il reste cependant permis d’en proposer une interprétation novatrice à la croisée des solutions rendues en appel et en cassation (2.3).

2.1 Le contexte législatif

Parce qu’il a toujours été admis que le jeune âge pouvait expliquer un développement insuffisant des facultés intellectuelles606, l’ancien Code pénal imposait au juge de rechercher

606. Comme le rappelle C. Margaine, en se fondant sur l’ouvrage écrit par A. Gesell et F. Ilg relatif à l’enfant

de 5 ans à 10 ans, l’enfant « n’a pas, avant l’âge de 6 ans, de réelle conscience du groupe social. […] L’échelle de valeur de l’enfant est étroitement liée au cercle familial : si l’enfant peut donc comprendre

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si le mineur avait agi avec discernement avant d’entrer en voie de condamnation. Cependant, comme le note François Rousseau, « au fil du temps et des idées, la question du discernement des mineurs a peu à peu été évincée, jusqu’à disparaître avec l’ordonnance du 2 février 1945607 »608. Selon une lecture qui était faite de l’ordonnance de 1945, il était alors possible d’imputer une infraction à un enfant, abstraction faite de toute question de discernement609. Comme le notent Jean Pradel et André Varinard, il était « logique de déduire de cette position législative que la simple commission d’un acte matériel correspondant à une qualification pénale suffisait pour qu’une infraction puisse être imputée au mineur »610. Cette solution trouvait en outre sa légitimité dans les enseignements de la Défense sociale nouvelle selon laquelle « les mesures qui sont prises contre le mineur ne le sont pas à son encontre mais dans son intérêt »611. Dès lors, « on pouvait accepter que l’infraction qui permet le déclenchement de telles mesures soit d’une nature particulière »612, autrement dit « elle peut se limiter au seul acte matériel réalisé par l’enfant et pénalement sanctionné »613. Cependant, certains auteurs ont dénoncé le prononcé de telles mesures sur le fondement d’un comportement ne correspondant que matériellement à une infraction car, fussent-elles éducatives, elles ne possèdent pas moins le caractère d’une sanction. Une affaire, désormais célèbre en jurisprudence, illustre, au travers de son cheminement procédural, les différents courants de pensée et juridiques en la matière. Il s’agit de l’affaire Laboube, du nom du mineur poursuivi614. L’épilogue donné par la Cour de cassation suscite encore des interprétations divergentes615.

2.2 Le cheminement procédural de l’affaire Laboube

Un enfant de 6 ans, Jean Laboube, avait blessé assez grièvement l’un de ses camarades au cours d’un jeu. Concernant l’aspect pénal de la décision, le tribunal pour enfant de Strasbourg reconnut l’enfant coupable du délit de blessures involontaires et ordonna la remise du mineur à sa famille à titre de mesure éducative. Ainsi, le tribunal de Strasbourg adoptait une conception matérielle tout à la fois de l’infraction et de la responsabilité pénale et fondait la mesure éducative (comprenons la mesure de sûreté) sur l’infraction. La Cour d’appel de Colmar, dans son arrêt du 1er décembre 1953616, confirmait partiellement le jugement. Si elle considéra que les faits étaient établis dans leur matérialité et que l’enfant devait être remis à sa famille, elle estima qu’il ne devait pas répondre de l’infraction relevée contre lui. Ainsi, « tout en réintroduisant la question du discernement en cette matière », la Cour d’appel

qu’il ne faut pas frapper autrui par exemple, c’est surtout parce qu’en se comportant ainsi, il sait qu’il risque de mettre en colère ou de décevoir ses parents. Ce n’est qu’à partir de l’âge de 6 ans ou 7 ans que l’enfant est à même de comprendre les impératifs sociaux lui permettant de saisir la portée morale de ses actes ». (C. MARGAINE, op. cit., no 305.)

607. Ordonnance no 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. 608. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 38. 609. En ce sens notamment, R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 631. 610. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, Dalloz, op. cit., no 43, p. 677. 611. Loc. cit. 612. Loc. cit. 613. Loc. cit. 614. Cass. crim., 13 déc. 1956, Laboube, no 55-05.772, Bull. crim. no 840 ; D., 1957, jurispr. p. 349, note M. PATIN. 615. Nous ne nous intéresserons qu’à l’aspect pénal de l’affaire. 616. CA Colmar, ch. spéc. des mineurs, 1er déc. 1953, Gaz. Pal., 1954. II. 149.

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considéra que si l’absence d’une intelligence ou d’une volonté suffisante interdisait de reconnaître le mineur responsable, elle n’empêchait pas, les faits étant établis dans leur matérialité, le prononcé d’une mesure d’assistance ou d’éducation. Autrement dit, « elle séparait implicitement l’imputabilité nécessaire à l’établissement de la responsabilité pénale, de l’infraction qu’elle laissait subsister dans sa dimension matérielle »617. De plus, « elle appelait à distinguer les mesures de sûreté et les peines, les mesures de sûreté trouvant leur fondement dans la commission matérielle des faits infractionnels et les peines dans l’imputabilité de la personne »618. Ainsi, si la cour d’appel se prononce en faveur d’une conception objectivée de l’infraction619, fondant le prononcé de la mesure éducative, la responsabilité est désormais d’essence subjective. La solution rendue par la Cour de cassation est encore sensiblement différente. Si l’exigence du discernement se trouve confirmée, ce dernier, selon une interprétation de l’arrêt communément rencontrée en doctrine, serait directement intégré à l’infraction et, plus précisément, dans son élément psychologique. Cette position se fonde sur la motivation de la Cour de cassation aux termes de laquelle le prononcé d’une mesure appropriée à l’égard du mineur implique, « conformément aux principes généraux du droit, que le mineur, dont la participation à l’acte matériel à lui reproché est établie, ait compris et voulu son acte ; que toute infraction, même non intentionnelle, suppose en effet que son auteur ait agi avec intelligence et volonté ». L’attendu de principe renseignerait en outre sur la place exacte de l’imputabilité au sein de l’élément psychologique, car « dès lors que toute infraction suppose que son auteur ait agi avec intelligence et volonté, il faut nécessairement, avant d’envisager la question de la culpabilité, se demander si l’individu poursuivi peut répondre de ses actes ». Ainsi, non seulement l’imputabilité serait une composante de l’élément psychologique de l’infraction, mais encore, il faudrait procéder à la priorité d’un débat relativement à son existence. Si l’on résume l’interprétation, communément retenue, de la solution de la Cour de cassation : l’infraction présenterait une nature (ultra)subjective car l’élément psychologique, marqué par la priorité d’un débat sur l’imputabilité, réunirait alors toutes les données subjectives conditionnant la responsabilité pénale. Cette dernière serait d’essence subjective et le prononcé de la mesure de sûreté, concernant le mineur, fondé sur l’imputabilité de la personne.

2.3 Une interprétation novatrice de la décision à la croisée des solutions rendues en appel et en cassation

Est-il possible de livrer une interprétation divergente ? Peut-on réellement affirmer que cette décision intègre l’imputabilité dans la constitution de l’infraction ? Considérons tout d’abord la lettre controversée de l’attendu de principe : selon André Decocq, « il faut interpréter la formule de l’arrêt en ce sens que l’infraction implique simplement un degré minimal d’intelligence et de volonté mais non une pleine capacité de

617. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2002, no 167, p. 174. 618. Loc. cit. 619. L’objectivation de l’infraction résultant de l’exclusion de l’imputabilité de ses éléments constitutifs.

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comprendre »620. L’auteur ajoute que cette « cohérence intellectuelle suffisante » pourrait être caractérisée chez certains mineurs. De la même manière, certains aliénés « pourraient avoir ce minimum d’intelligence et de volonté qui permettrait d’affirmer l’existence d’une infraction sans pour autant retenir leur responsabilité pénale ». Emmanuel Dreyer, pour justifier l’exclusion de principe des mobiles du champ de la définition de l’intention, ne se réfère-t-il pas au « mécanisme psychique élémentaire requis par le texte d’incrimination »621 ? Comme nous l’avons déjà démontré, ce minimum d’intelligence et de volonté est déjà vectorisé par le concept de culpabilité. On pourrait donc considérer que la formule controversée de l’attendu de principe vise non pas le concept d’imputabilité, mais celui de culpabilité et, plus précisément, le dénominateur psychologique commun à la culpabilité intentionnelle et à la culpabilité non intentionnelle. D’une manière générale, la formule ne ferait donc que confirmer l’existence d’un élément psychologique au titre des éléments constitutifs de l’infraction, affirmation que l’on peut aujourd’hui fonder sur l’article 121-3 du Code pénal. Rangeons-nous maintenant à l’opinion commune selon laquelle c’est d’imputabilité qu’il est question. Caroline Girault, dans sa thèse relative au droit à l’épreuve des pratiques euthanasiques, considère qu’« en précisant que la volonté libre et consciente est généralement requise, que l’infraction soit ou non intentionnelle, la Cour de cassation indique que l’imputabilité ne saurait se confondre avec l’élément moral et plus particulièrement avec le dol. A priori les notions de faute et d’imputabilité seraient donc dissociables et indépendantes l’une de l’autre »622. Valérie Cantat-Lampin Saint-Gérand, dans sa thèse consacrée quant à elle à la culpabilité dans la théorie de la responsabilité pénale, considère également que « les magistrats entendent bien distinguer entre la donnée intellectuelle et l’imputabilité, lorsqu’ils affirment que “toute infraction même non intentionnelle suppose que son auteur ait agi avec intelligence et volonté” »623. La référence à l’infraction, et non aux faits, ne signifie-t-elle pas que l’imputabilité est dissociée de l’infraction ? Selon nous, il conviendra donc de considérer que la Cour de cassation opère une distinction fondamentale entre culpabilité et imputabilité. Plus précisément, l’imputabilité transcenderait la distinction opérée au sein de la donnée psychologique entre dol et faute, intention et non-intention. Considérons maintenant l’objectif poursuivi la Cour de cassation : on peut penser que celle-ci cherchait avant tout à éviter le prononcé d’une mesure de sûreté à l’encontre du jeune

620. A. DECOCQ, cité par J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 43, p. 690. 621. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 897, p. 683. 622. C. GIRAULT, Le droit à l’épreuve des pratiques euthanasiques, th. Paris-XI, 2000, p. 489, no 1142. 623. V. CANTAT-LAMPIN SAINT-GÉRAND, La culpabilité dans la théorie de la responsabilité pénale, op. cit., no 57, p. 58

et 59. À noter toutefois que, selon l’auteur de la thèse, « c’est là faire la preuve que l’imputabilité est une condition préalable à la reconnaissance d’une attitude coupable ». Valérie Cantat-Lampin Saint-Gérand, tout en reconnaissant l’autonomie des deux notions, analyse l’imputabilité comme une composante de l’infraction préalable à l’examen de la culpabilité. Il est en effet des auteurs pour considérer que la distinction entre culpabilité et imputabilité ne fait pas obstacle à l’intégration de l’imputabilité dans l’infraction. Au regard de l’objet de notre recherche, il ne suffira donc pas de démontrer que culpabilité et imputabilité sont deux notions distinctes. Nous démontrerons en outre que l’imputabilité constitue une donnée extérieure à l’infraction (cf. infra).

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Laboube. La difficulté résidait alors dans la solution traditionnelle de la jurisprudence qui fondait le prononcé d’une mesure de sûreté à l’encontre d’un mineur dans la caractérisation d’une infraction. De ce point de vue, les décisions du tribunal pour enfants de Strasbourg et de la cour d’appel de Colmar en constituent deux illustrations. Selon certains auteurs624, la Cour de cassation aurait donc intégré l’imputabilité dans la constitution de l’infraction, de manière opportune, afin de faire obstacle au prononcé de la remise de l’enfant à sa famille : il fallait intégrer directement dans l’infraction une composante faisant défaut dans l’espèce étudiée, afin de faire obstacle au prononcé d’une telle mesure. Ainsi, la motivation de la Cour de cassation répondrait moins à la théorisation d’une nouvelle conception de l’infraction, à la volonté de poser une règle générale relativement à la constitution de l’infraction – comme cela a pu être soutenu par certains auteurs –, qu’à la volonté de rendre une solution opportune en fondant le prononcé de la mesure éducative à l’encontre du mineur dans l’imputabilité de la personne. Dans ce cas, on ne peut que regretter qu’elle n’ait pas plus explicitement formalisé sa position. En outre, pour éviter la remise de l’enfant à ses parents, « il était possible d’adopter une conception objective de l’infraction, en détachant la question du discernement de la réalisation ou non de l’infraction et en en faisant une composante de la responsabilité pénale »625 et de conditionner la mesure de sûreté éducative à la mise en œuvre de la responsabilité pénale. « En laissant subsister l’infraction mais en retenant la non-imputabilité de l’infraction à une personne dénuée de discernement, les juges auraient pu écarter la responsabilité pénale de cette dernière »626, et partant, le prononcé de toute mesure éducative627. Ainsi, la Cour de cassation aurait pu plus judicieusement choisir de fonder explicitement le prononcé de la mesure de sûreté dans l’imputabilité de la personne628. En ce qui concerne les apports incontestables de cette décision, on peut donc relever la dissociation des concepts de culpabilité et d’imputabilité, et le fondement de la mesure de sûreté à l’encontre d’un mineur dans l’imputabilité de la personne. L’infraction objectivée est désormais une condition nécessaire mais non suffisante au prononcé d’une mesure éducative. Ainsi, au regard de la démarche entreprise dans le cadre de notre recherche, une solution hybride entre la position de la cour d’appel et celle de la Cour de cassation aurait été préférable. En effet, l’une de nos propositions se rapproche des solutions retenues par la cour d’appel relativement à la nature de l’infraction et au rattachement de l’imputabilité à la responsabilité. Elle s’en éloigne, tout en se rapprochant alors de la solution de la Cour de cassation, en ce qui concerne le fondement au prononcé des mesures de sûreté que nous proposerons également de fonder dans l’imputabilité de la personne629.

624. En ce sens par exemple, C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal,

Dalloz, 2002, no 167, p. 175. 625. Loc. cit. 626. Loc. cit. 627. Cette exclusion aurait conduit à écarter le prononcé de toute mesure de sûreté à l’encontre d’un mineur

non imputable, les mesures éducatives s’analysant en des mesures de sûreté. 628. Cette décision est également révélatrice du glissement de l’imputabilité vers le critère d’opportunité de la

sanction pénale (cf. infra). 629. Cf. infra, partie 2, titre 1, le chapitre relatif à la mise en danger de l’imputabilité dans le cadre de la

responsabilité pénale des personnes physiques, où il sera proposé, pour remédier à l’effacement ponctuel de l’imputabilité, d’en faire le fondement au prononcé de toute mesure pénale. En outre, cette fonction post-moderne de l’imputabilité aura pour avantage de remédier à la discordance regrettable entre le droit

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Les partisans de l’inclusion de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction ne se limitent pas à des arguments exclusivement juridiques. Ils invoquent également le simple « bon sens notionnel » pour justifier de la priorité d’un débat sur l’imputabilité. L’intégration de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction donnerait cohérence à son élément psychologique.

§ 2 - La cohérence de l’élément psychologique de l’infraction

Selon Jean Pradel et André Varinard, « l’intégration de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction conduit à mieux assurer la cohésion de ce que la majorité de la doctrine nomme l’élément moral de l’infraction »630. Ainsi, l’imputabilité est souvent présentée comme faisant partie, au côté de la culpabilité, de l’élément moral de l’infraction. Plus précisément, elle constituerait le préalable indispensable à l’examen de la culpabilité. Pour conclure à cet ordre des priorités, les auteurs se fondent traditionnellement sur deux séries de considérations inhérentes à la substance ainsi qu’au rôle des concepts. André Giudicelli, dans son article consacré à l’étude des frontières de l’intention631, considère que « préalablement à l’identification d’une faute intentionnelle chez l’agent, peut se poser la question du discernement et de la liberté d’agir de celui-ci car, sans imputabilité morale, il ne peut y avoir de culpabilité en général et d’intention en particulier632 : en effet, comment admettre une tension de la volonté vers un résultat donné lorsque l’intelligence fait défaut ou que la liberté est contrainte ? » Dans le même sens, Emmanuel Dreyer considère, à propos du dément et de l’infans, que « l’inconscience de l’auteur du fait principal interdit de penser qu’il a pu rechercher le résultat redouté par le législateur lorsqu’il a commis le fait en question. Il ne peut donc avoir agi de manière intentionnelle »633. On le comprend, pour certains auteurs, il se dégage avec une acuité particulière de la définition de l’intention qu’elle implique de caractériser préalablement une certaine conscience du résultat recherché par l’auteur. Yves Mayaud souligne, de manière plus explicite, que l’exigence d’imputabilité dépasse le cadre de la culpabilité intentionnelle en précisant que « la conscience est non seulement indispensable à l’intention, mais aussi à la non-intention, qu’elle se manifeste sous la forme d’une mise en danger, ou d’une imprudence plus classique »634. Il insiste donc sur le fait que l’imputabilité serait un préalable commun à l’examen de toute culpabilité, y compris non intentionnelle. Ainsi, « dans l’ordre rationnel des choses, l’imputabilité précède nécessairement la culpabilité, en ce sens que le débat sur l’intention ou la non-intention est inutile s’il est acquis que l’auteur de l’infraction n’a pas eu la liberté ou la conscience de ses actes. La responsabilité est le résultat de leur conjugaison, avec une référence prioritaire à l’imputabilité, laquelle

pénal des mineurs et le droit pénal de majeurs sur ce point. Rappelons qu’à ce jour, si les mesures de sûreté sont fondées dans l’imputabilité du mineur, elles peuvent l’être dans l’infraction objectivée commise par le majeur.

630. Cf. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 43, p. 690. 631. A. GIUDICELLI, « Incertitudes sur les frontières de l’intention », op. cit., p. 30 et 31. 632. En ce sens également, J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, coll. « Themis », 5e éd., 2001, p. 315 et

P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, op. cit., nos 380 et 381, p. 188. 633. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 1102, p. 802. 634. Y. MAYAUD, « Les malades mentaux entre non-imputabilité et imputation », in Irresponsabilité pénale des

malades mentaux : état des lieux, AJ pén., 2004, p. 306.

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conditionne les investigations sur la culpabilité »635. Emmanuel Dreyer, dans son ouvrage de droit pénal général partage la même vision aux termes de laquelle « un fait ne peut accéder au statut d’infraction que s’il a, entre autres choses, été accompli librement, c’est-à-dire avec intelligence et volonté »636. Selon lui, la Cour de cassation en aurait fait un principe général du droit par sa célèbre formule de l’arrêt Laboube. En résumé, pour une partie de la doctrine, « si l’on n’est pas libre de vouloir, il est nullement nécessaire d’envisager l’expression d’une volonté »637. Cependant, ces affirmations se comprennent si l’on retient une certaine acception, selon nous dépassée, tant de la substance que des rôles de l’imputabilité et de la culpabilité. Tout d’abord, dans le cadre de cette recherche, il a été démontré le caractère objectivé de la culpabilité qui, rappelons-le, implique simplement un degré minimal d’intelligence et de volonté pour caractériser l’élément psychologique de l’infraction, qu’elle soit intentionnelle ou non intentionnelle638. Dans ce contexte conceptuel, le résultat recherché dans le cadre d’une infraction intentionnelle, comme nous l’avons démontré, peut s’entendre d’un simple résultat juridique639, autrement dit d’un résultat « désincarné ». Il est donc possible de dissocier le degré minimal d’intelligence et de volonté du discernement et de la liberté de la volonté. Cette dissociation est incarnée par la dualité des concepts de culpabilité et d’imputabilité. Dès lors que la culpabilité stricto sensu correspond au degré minimal d’intelligence et de volonté, il n’est nullement besoin d’investiguer préalablement sur l’imputabilité. En d’autres termes, la culpabilité ne suppose donc pas d’établir, préalablement à sa caractérisation, que l’auteur était doté, au moment des faits, du discernement et d’une volonté libre. Il n’est pas besoin d’une condition supplémentaire à la culpabilité proprement dite, traduisant une aptitude pénale, pour pouvoir caractériser l’élément moral de l’infraction. La culpabilité, en tant que concept objectivé, ne nécessite donc pas qu’on lui agrège l’imputabilité pour assurer la cohérence de l’élément psychologique de l’infraction. On peut alors considérer que la culpabilité véhicule « la substance éthique de l’infraction » qu’Adrien-Charles Dana attribuait à l’imputabilité640. Cette substance est en réalité vectorisée par le concept de culpabilité. Dès lors, et comme le note Clément Margaine, l’imputabilité « se présente comme une condition supplémentaire, traduisant quant à elle le contenu moral de la responsabilité pénale »641.

635. Loc. cit. 636. E. DREYER, Droit pénal général, 3e éd., 2014, no 776. Ainsi, « saisi d’un fait semblant correspondre à celui

qu’envisage un texte d’incrimination, le juge répressif devrait aussitôt vérifier que ce fait est imputable à son auteur. À ce stade, il ne s’agit pas encore de déterminer si ce fait constitue une infraction. Avant de savoir s’il exprime une culpabilité, c’est-à-dire s’il procède d’un mauvais usage d’une volonté éclairée, il faut s’assurer que l’agent était bien libre de le commettre et a compris ce qu’il faisait » (E. DREYER, Droit pénal général, Litec, 4e éd., 2015, no 782, p. 595).

637. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2002, no 172. 638. Cf. aussi infra, l’analyse de l’arrêt Laboube. 639. Cf. supra. 640. Dans sa thèse relative à la notion d’infraction pénale, A.-C. Dana analyse l’imputabilité en une aptitude

pénale qui conditionne l’existence même de l’infraction [… et] fixe le seuil de pénalité. L’imputabilité contribuerait à « la substance éthique de l’infraction » (op. cit., no 32 et suiv.).

641. C. MARGAINE, op. cit., no 243.

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Une autre justification, avancée par Yves Mayaud, à la priorité d’un débat sur l’imputabilité, est relative aux rôles des concepts. Emmanuel Dreyer partage son analyse en considérant qu’« en matière pénale, imputabilité et culpabilité sont deux notions parfaitement dissociées : la responsabilité pénale repose sur l’imputabilité, la culpabilité sert seulement à mesurer l’étendue de cette responsabilité. Il s’ensuit nécessairement que la question de l’imputabilité se pose avant celle de la culpabilité, c’est-à-dire quand l’existence de l’infraction n’est pas encore établie »642. Comme nous le démontrerons dans le chapitre suivant, il s’agit d’une vision trop « classique », donc minimaliste, des dessins des deux composantes de la responsabilité pénale643. Au contraire, selon nous, il serait même possible d’arguer des fonctions respectives de la culpabilité et de l’imputabilité pour argumenter en faveur d’une interversion des composantes de la responsabilité pénale644. Si cette analyse ne fait pas l’unanimité, il est possible d’invoquer d’autres arguments contre la critique de l’inversion de l’ordre logique des priorités. Claire Saas, dans sa thèse consacrée à l’ajournement du prononcé de la peine, avance deux arguments techniques pour justifier de la priorité d’un débat sur la culpabilité. En premier lieu, il s’agit de convenir qu’en l’absence d’expression d’une volonté, l’intervention du système pénal n’est pas justifiée. En second lieu, elle rappelle qu’il est possible d’exprimer une volonté, sans que celle-ci soit libre. On pourrait ajouter que retenir l’antériorité d’un débat sur l’imputabilité reviendrait à établir l’exercice de la volonté par son existence645. Après avoir écarté la pertinence des arguments communément avancés en faveur de l’inclusion de l’imputabilité dans la structure de l’infraction, il est en outre possible d’établir positivement son exclusion de l’infraction.

Section 2 – L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’élément psychologique de l’infraction

L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’infraction résulte d’abord de la dissociation substantielle des composantes subjectives de la responsabilité pénale. La mise en exergue de conditions spécifiques à l’imputabilité constituait logiquement le préalable nécessaire à la démonstration de son extranéité par rapport à l’infraction. Il a fallu ensuite exclure un certain nombre d’arguments, tant législatifs que jurisprudentiels, avancés au soutien de l’inclusion. Il s’agit maintenant d’établir positivement l’autonomie de l’imputabilité au travers de l’étude de son régime juridique (A.). Cette analyse pénale pourra être confirmée par le recours au droit civil (B.)

642. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 814, p. 622. 643. Cette affirmation procède en quelque sorte d’une méconnaissance de la multiplicité des rôles de la

culpabilité comme elle cantonne l’imputabilité au rôle très classique de fondement de la responsabilité pénale.

644. Cf. infra, partie 1, titre 2, chapitre II, section 2. 645. Cf. R. BERNARDINI, L’intention coupable en droit pénal, th. dactyl., Nice, 1976, t. 1, no 66, p. 116, cité par

V. CANTAT-LAMPIN SAINT-GÉRAND, La culpabilité dans la théorie de la responsabilité pénale, op. cit., no 228, p. 233.

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§ 1 - L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’infraction confirmée par l’étude de son régime juridique

Le régime de l’imputabilité, qu’il s’agisse de l’existence de présomptions en ce domaine (A.) ou des modalités de preuve relativement à l’existence de l’imputabilité (B.), permet de conclure à son extériorité à l’infraction.

A. Les présomptions en matière d’imputabilité

La dissociation du moment de l’appréciation des conditions de l’imputabilité646 de celui de la réalisation de l’infraction peut être corrélée à l’existence de présomptions en matière d’imputabilité. Nous établirons dans un premier temps que l’existence de présomptions relativement aux conditions de l’imputabilité repose sur plusieurs fondements avant de conclure qu’elles permettent de dégager l’imputabilité de la constitution de l’infraction. Les fondements à l’existence de présomptions relativement aux conditions de l’imputabilité ne manquent pas. Comme le démontre François Rousseau, l’existence de présomptions relativement aux conditions d’imputabilité peut se déduire du fait que « les conditions d’imputation à l’agent s’expriment, techniquement, par des causes d’irresponsabilité pénale. Le trouble mental647, par exemple, fait apparaître négativement l’exigence d’un discernement de l’agent nécessaire à la responsabilité pénale ; semblablement, la contrainte648 fait apparaître l’exigence d’une volonté libre. Cette expression négative des exigences tenant au discernement et à la volonté libre de la personne signifie, juridiquement, qu’elles sont présumées »649. Selon Emmanuel Dreyer, les présomptions relatives aux conditions de l’imputabilité s’appuient sur des arguments philosophiques qui postulent un libre arbitre en tout homme : « […] le droit pénal a foi en l’homme qu’il présume intelligent et volontaire dès lors qu’il est majeur. [Cette règle trouve] son origine dans la conception abstraite et impersonnelle de l’individu qu’avaient dégagée les Lumières. »650 Finalement, ces présomptions pourraient aussi s’expliquer, comme le rappelle François Rousseau, par l’effet régressif des conditions de l’imputabilité sur la responsabilité pénale651 : « […] ne pas présumer les conditions d’imputation à l’agent reviendrait, d’une certaine manière, à considérer toute personne comme étant, a priori, irresponsable. L’efficacité sociale de la responsabilité pénale commanderait, donc, leur présomption. »652 Il est à noter que la présomption d’imputabilité est d’ailleurs totale en droit pénal des majeurs alors qu’elle n’est

646. Cf. infra sur les modalités de preuve des conditions de l’imputabilité. 647. C. pén., art. 122-1. 648. C. pén., art. 122-2. 649. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 14. 650. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 820, p. 625. 651. Selon l’analyse sociologique de Paul Fauconnet, les exigences tenant au discernement et à la volonté libre

de la personne ont entraîné une certaine « régression » de la responsabilité pénale, en ce sens qu’elles viennent limiter la catégorie des sujets potentiellement responsables aux seules personnes douées de volonté et de discernement (cf. P. FAUCONNET, La Responsabilité. Étude de sociologie, F. Alcan, 1920, p. 312 et suiv.).

652. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 14.

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que partielle en droit pénal des mineurs653. Seule la liberté de la volonté est présumée en ce domaine, le discernement devant être positivement établi654. Les détracteurs de l’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’infraction reconnaissent l’existence de la présomption d’imputabilité. Ils concluent cependant qu’elle conduit à créer une illusion d’optique relativement à la place de l’imputabilité. Elle entraînerait une confusion, déjà soulevée dans le cadre de cette recherche, entre la place de l’imputabilité et le moment de son débat. Ce dernier, étant ouvert le plus souvent par un moyen de défense du prévenu, laisserait à tort conclure à l’exclusion de l’imputabilité de la constitution de l’infraction. Emmanuel Dreyer considère ainsi que « le libre arbitre étant présumé à l’égard des adultes […], cette exigence préalable à la responsabilité pénale n’apparaît pas d’emblée : les poursuites sont justifiées par un fait pouvant ressembler à une infraction. On ne discute, dans un second temps, de l’intelligence (maladie mentale) ou de la volonté (contrainte) de l’agent que de manière exceptionnelle. Toutefois, c’est une erreur de croire qu’à ce stade l’infraction est déjà établie, de sorte que la non-imputabilité permettrait seulement de couper le lien qui relie cette infraction à l’agent. Jusque-là, l’infraction n’existe qu’en apparence ». Le fait que l’imputabilité soit totalement présumée à l’égard du délinquant majeur et partiellement à l’égard du délinquant mineur révèle qu’à tout le moins, elle ne paraît pas déterminante de la constitution de l’infraction. Pour cette raison, la présomption d’imputabilité peut s’analyser en un préalable à son détachement de l’infraction. Si l’existence de cette présomption n’empêche pas les détracteurs de l’extranéité de défendre l’antériorité d’un débat sur l’imputabilité, nous confirmerons l’analyse développée dans le cadre de cette étude au travers de l’examen des règles de preuve en matière d’imputabilité.

B. La charge de la preuve de l’imputabilité

Plus convaincant, dans l’établissement de l’extériorité de l’imputabilité à l’infraction, que l’existence de présomptions d’imputabilité, est le fait que la charge de la preuve de l’existence d’une cause de non-imputabilité appartienne au prévenu ou à l’accusé majeur (1.) alors que la charge de preuve des éléments constitutifs de l’infraction incombe au parquet (2.). Cette distorsion dans la qualité de la partie chargée de la preuve constitue un argument décisif en faveur de l’extranéité de l’imputabilité à l’infraction.

1. La charge de la preuve de l ’imputabilité ou de l ’absence d ’imputabilité pesant sur le prévenu ou l’accusé

Il importe dans un premier temps d’opérer une distinction entre le droit pénal des majeurs et le droit pénal des mineurs. Comme nous l’avons vu dans le développement précédent

653. La loi no 2002-1138 du 9 sept. 2002, dans le sillage de la jurisprudence Laboube, a clos de manière définitive

les débats doctrinaux relatifs à l’existence d’une présomption d’irresponsabilité pénale concernant les mineurs délinquants.

654. C. pén., art. 122-8. L’évolution tendrait vers un alignement sur le droit pénal des majeurs avec des discussions récurrentes sur la fixation d’un seuil d’âge à partir duquel les mineurs seraient présumés discernants de manière irréfragable.

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relatif à l’étude des présomptions en matière d’imputabilité, « dans un souci de protection, les mineurs sont présumés incapables de discernement, dans un souci de responsabilisation, les majeurs sont censés être intelligents et volontaires »655. La distribution des rôles en droit pénal des majeurs se réalise donc de la manière suivante : alors qu’il appartient au ministère public d’établir que le mineur poursuivi était doué d’intelligence et de volonté au moment des faits, il appartient aux personnes majeures d’alléguer l’existence d’une cause de non-imputabilité, le ministère public n’ayant pas à rapporter la preuve de l’absence de démence ou de pression au moment des faits. Par ailleurs, la juridiction n’a pas davantage à la relever d’office656. Un arrêt relativement récent rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 11 mai 2004657 illustre bien ces dernières considérations relativement à la preuve de la contrainte. Un homme de 68 ans, souffrant d’une grave insuffisance cardiaque, avait perdu le contrôle du camion de location qu’il conduisait pour se rendre de Paris à Perpignan et percuté deux véhicules circulant en sens inverse. Trois personnes furent blessées. Poursuivi devant le tribunal correctionnel pour blessures involontaires, il est condamné tant en première instance que par la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Nîmes, cette dernière, par un arrêt du 11 septembre 2003, prononçant trois amendes de 500, 400 et 150 € et deux mois de suspension du permis de conduire avec sursis pour contraventions de blessures involontaires et conduite d’un véhicule à gauche de la chaussée. Il se pourvoit en cassation sur le fondement de l’article 122-2 du Code pénal et fait alors valoir que sa maladie avait été la cause du malaise lui ayant fait perdre le contrôle du véhicule. « Malheureusement pour lui, il n’avait pas songé à invoquer cette circonstance devant les juges du fond, de sorte que le moyen était irrecevable car nouveau », comme en témoigne la motivation de la Cour de cassation aux termes de laquelle, dès lors « qu’il ne ressort d’aucunes conclusions régulièrement déposées que le demandeur ait invoqué la contrainte résultant de la maladie dite de l’apnée du sommeil » devant les juges du fond, le moyen tiré de la violation de l’article 122-2 du code pénal est nouveau et ne saurait être accueilli. Cette solution est dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le juge n’est pas tenu de constater spécialement l’absence d’un fait justificatif ou d’une cause de non-imputabilité, si des conclusions formelles des parties ne l’invitent pas à le faire658. En revanche, comme le souligne Yves Mayaud dans le commentaire qu’il effectue de cette décision, « à partir du moment où le prévenu allègue un fait venant au soutien d’une “circonstance exclusive de l’incrimination”659, la juridiction pénale a l’obligation de se prononcer, et elle ne saurait se contenter de répondre que les conditions de l’infraction sont positivement réunies660 »661. La charge de la preuve de l’absence d’imputabilité incombe bien au majeur poursuivi. Ce dernier point, après étude des règles

655. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 818, p. 625. 656. Il convient cependant de relativiser la charge de la preuve de la cause de non-imputabilité pesant sur la

personne poursuivie en ce sens qu’il lui suffit d’invoquer une cause de non-imputabilité pour obliger les magistrats à vérifier en diligentant, le plus souvent, une expertise.

657. Cass. crim. 11 mai 2004, no 03-85.925, Bull. crim. no 115, AJ Pénal 2004, p. 285, obs. J. LEBLOIS-HAPPE ; RSC 2004, p. 878, obs. Y. MAYAUD.

658. En ce sens, Cass. crim., 12 nov. 1959, no 66-93.682, Bull. crim. no 488 ; Cass. crim., 1er oct. 1962, Bull. crim. no 271 ; Cass. crim., 7 avr. 1967, Bull. crim. no 106.

659. A. DECOCQ, Droit pénal général, op. cit., p. 293 et suiv. 660. En ce sens, Cass. crim., 9 mai 1962, Bull. crim. no 187. 661. Y. MAYAUD, « Preuve et bien-fondé de la contrainte en matière de violences involontaires », RSC 2004,

p. 878.

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relatives à la charge de la preuve de la culpabilité, et au-delà des éléments constitutifs de l’infraction, permettra de confirmer l’extranéité de l’imputabilité de l’infraction.

2. La charge de la preuve des éléments constitutifs de l ’infraction incombant au ministère public

Il appartient au ministère public principalement – à la partie civile accessoirement – d’établir tous les éléments constitutifs de l’infraction662, tandis que, comme nous venons de le voir, il appartient au prévenu ou à l’accusé de rapporter la preuve des moyens de défense qu’il soulève, telle une cause de non-imputabilité. Comme le remarquent Jacques Buisson et Serge Guinchard dans leur ouvrage de procédure pénale663, les deux principes de la procédure civile régissant la question de la recherche des preuves sont finalement applicables : Actori incumbit probatio (« La preuve incombe au demandeur ») et Reus in excipiendo fit actor (« Le défendeur en excipant devient demandeur »)664. Or, comme le note Clément Margaine, « si l’imputabilité était un élément de l’infraction, la preuve de son existence devrait incomber, comme pour l’élément matériel et l’élément moral de l’infraction, au ministère public »665. Nous préciserons simplement que, même si « les difficultés de la charge de la preuve ont amené le législateur et la jurisprudence à créer, pour défendre les intérêts supérieurs de la société, de véritables “présomptions de culpabilité” »666 conduisant, dans certaines hypothèses, au renversement de la charge de la preuve, ces exceptions, en tant que telles, ne sont pas de nature à remettre en cause le raisonnement permettant de fonder l’exclusion de l’imputabilité de l’infraction sur les régimes respectifs de la culpabilité et de l’imputabilité, pas plus qu’il ne saurait être excipé du droit pénal des mineurs, selon lequel la charge de la preuve du discernement incombe en ce domaine au ministère public, pour faire échec à notre démonstration, étant donné le caractère dérogatoire de ce droit. Nous considèrerons donc, d’une manière générale, que l’existence de présomptions relativement aux conditions de l’imputabilité corrélée à la qualité de la partie chargée de la preuve de l’absence d’imputabilité constitue un argument en faveur de l’extériorité de l’imputabilité à l’infraction. Clément Margaine relève alors pertinemment que « dans le même ordre d’idées, on peut également justifier l’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’infraction en constatant la différence d’appréciation de l’imputabilité et de l’élément moral de l’infraction »667. À l’appui de son raisonnement, il rappelle que « la faute s’apprécie objectivement ou in abstracto », ce mode d’appréciation étant par ailleurs « approuvé par la doctrine qui y voit le moyen, parfois un peu sévère, de rejeter l’irresponsabilité d’un individu pour des motifs qui lui seraient propres tels que son imprudence habituelle ou son étourderie, etc. »668. Il

662. Cf. supra, titre 1, chapitre I. 663. S. GUINCHARD, J. BUISSON, Procédure pénale, op. cit., nos 497 et 525. 664. Même si, comme le rappellent les auteurs, les raisons en sont différentes : « Si dans la procédure pénale

aussi, la preuve doit rapportée par le demandeur au procès, ministère public ou victime » (ibid.), c’est à raison de la présomption d’innocence qui elle-même trouve sa justification dans l’inégalité des parties au procès pénal ou, plus généralement, dans la protection de l’individu contre la puissance publique

665. C. MARGAINE, op. cit., no 252, p. 170 et suiv. 666. S. GUINCHARD, J. BUISSON, Procédure pénale, op. cit., no 511. 667. Loc. cit. 668. Loc. cit.

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poursuit son raisonnement en ajoutant qu’« à l’inverse, le jugement d’imputabilité, puisqu’il évalue les aptitudes personnelles à l’auteur permettant de lui imputer une infraction, apparaît comme un jugement de réalité et doit donc s’apprécier in concreto »669. Par conséquent, « cette différence d’appréciation qui traduit la nature distincte de la culpabilité et de l’imputabilité justifie […] le rattachement de l’imputabilité à la responsabilité et non à l’infraction »670.

§ 2 - L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’infraction confirmée par le recours au droit civil

En procédant à la démarche inverse de celle adoptée par Patrice Jourdain dans sa thèse intitulée Recherche sur l’imputabilité en matière de responsabilités civile et pénale671, il s’agira dans un premier temps d’exploiter la conception civile de la faute afin de conclure à l ’exclusion symétrique de l’imputabilité de la constitution de la faute pénale (A.). Dans un second temps, la convergence des responsabilités civile et pénale, dans l ’hypothèse où la responsabilité civile poursuit une finalité répressive, permettra de finaliser le rattachement de l’imputabilité à la responsabilité pénale (B.).

A. L’extranéité de l’imputabilité à l’infraction découlant de l’exclusion de l’imputabilité dans la constitution de la faute civile

On a vu que l’infraction était imputable à l’homme dès lors qu’il est capable de distinguer « le bien du mal » puis de choisir entre l’un ou l’autre en exerçant sa volonté. Bien que les contenus de l’imputabilité soient superposables d’une discipline à l’autre, l’imputabilité civile semble le plus souvent réduite à une simple exigence de discernement672. Nous raisonnerons donc sur cette seule composante afin d’exclure l’imputabilité de la constitution de la faute civile (1.), avant de conclure que cette exclusion justifie également l’extranéité de l’imputabilité pénale à l’infraction (2.) en se fondant sur le principe de l’identité des fautes civile et pénale. Dans le même temps, nous verrons que cette exclusion commune constitue l’antichambre du rattachement exclusif de l’imputabilité à la responsabilité.

1. L’exclusion de l ’imputabilité de la constitution de la faute civile

Il conviendra d’abord de constater l’abandon de principe de l’exigence d’imputabilité en matière civile (1.1) avant de démontrer qu’elle n’entre pas dans la constitution de la faute. Au-delà de cette exclusion, il sera même possible d’établir qu’elle se rattache au concept de responsabilité (1.2).

669. Loc. cit. 670. Loc. cit. 671. Ce dernier ayant exploité la conception pénale de l’imputabilité pour renouveler son analyse civile. 672. Selon F. ROUSSEAU, « la majorité des civilistes réduisent la question de l’imputation à l’agent à celle du

discernement […] sans égard à un quelconque élément de volonté ».

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1.1 L’abandon de l’exigence d’imputabilité en matière civile

Depuis l’introduction de l’article 489-2 dans le Code civil par la loi du 3 janvier 1968 relative à la réforme du droit des incapables majeurs673 et quatre décisions de l’Assemblée plénière du 5 mai 1984674, le juge civil n’a plus à vérifier que l’auteur du fait anormal dommageable a eu conscience de la portée de ses actes675. Si le législateur a décidé d’obliger à réparation l’auteur d’un dommage atteint par un trouble mental au moment des faits, c’est la jurisprudence qui en a décidé pareillement à l’égard de l’infans. La position de la jurisprudence est d’autant plus notable que les deux décisions rendues sur le fondement de l’ancien article 1382 du Code civil676 concernaient des enfants victimes. Il s’agissait donc de leur opposer leur faute, nonobstant leur défaut d’imputabilité, afin de réduire leur droit à indemnisation. Carole Girault, dans sa thèse677, rappelle ainsi que « la capacité de comprendre et de vouloir n’est plus une qualité nécessaire à l’établissement de la responsabilité civile : son inexistence n’efface plus la faute commise ».

1.2 L’exclusion de l’imputabilité de la constitution de la faute civile fondée sur le principe de l’identité des fautes et son rattachement subséquent à la responsabilité

À ce stade, si l’abandon de principe de l’exigence d’imputabilité est acquis en matière civile, la question de savoir si l’imputabilité civile était rattachée au concept de faute ou de responsabilité reste entière. Ainsi, la question de la place de l’imputabilité s’est aussi posée en matière civile. Envisageons d’abord l’hypothèse d’un rattachement de l’imputabilité à la notion de faute. Nous partons du constat selon lequel l’exigence d’imputabilité a été abandonnée en matière civile alors qu’elle reste maintenue en matière pénale. Si l’on considère que l’imputabilité est une donnée interne à la faute pénale, rejoignant en cela la conception classique de la faute, et que l’imputabilité n’est plus nécessaire par ailleurs à la matière civile et, particulièrement, à la constitution de la faute civile, alors la faute civile et la faute pénale ne sont pas identiques. Comme le relève Clément Margaine dans sa thèse relative à la capacité pénale, « la faute civile, désormais dépourvue de l’exigence d’imputabilité, se serait alors séparée de la faute pénale678,

673. Loi no 68-5 du 3 janvier 1968, ayant introduit dans le Code civil l’article 489-2 devenu, avec la loi

no 2007-308 du 5 mars 2007, l’article 414-3 aux termes duquel : « Celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il était sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à réparation. »

674. Cass. ass. plén. 9 mai 1984, no 79-16.612, Bull. crim., no 4 ; no 80-93.481, Bull. crim., no 3 ; no 80-14994, Bull. crim., no 1 ; no 80-93031, Bull. crim., no 2, D. 1984, jurispr. p. 525, concl. J. CABANNES, note F. CHABAS ; JCP 1984, II, 20255, note P. JOURDAIN.

675. Cf. P. BRUN, La responsabilité civile extracontractuelle, Litec, 2005, nos 346 et suiv. ; M. FABRE-MAGNAN, Les Obligations, PUF, 4e éd., 2016, no 279 ; J. FLOUR, J.-L. AUBERT et É. SAVAUX, Les Obligations – Le fait juridique, t. 2, A. Colin, 14e éd., 2011, nos 99 et suiv. ; P. LETOURNEAU (dir.), Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz, 11e éd., 2017, no 6706 ; F. TERRE, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les Obligations, Dalloz, 11e éd., 2013, nos 731 et suiv. ; G. VINEY, P. JOURDAIN, Traité de droit civil – Les conditions de la responsabilité civile, LGDJ, 4e éd., 2013, nos 444, 578 et suiv.

676. Depuis l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 et la nouvelle numération subséquente des articles du Code civil, l’ancien article 1382, posant le principe général de la responsabilité du fait personnel, est devenu l’article 1240 du Code civil.

677. C. GIRAULT, Le droit à l’épreuve des pratiques euthanasiques, op. cit., p. 492, no 1146. 678. C. MARGAINE, op. cit., no 246.

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toujours conditionnée par celle-ci ». Or, il est un principe classique consacrant l’identité des fautes civile et pénale. C’est le célèbre arrêt Brochet et Deschamps679 rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, et rompant avec la jurisprudence antérieure, qui est venu poser le principe de l’identité absolue des deux types de faute. Afin de manifester l’adhésion des juridictions répressives à cette solution, La chambre criminelle devait par la suite confirmer expressément cette position avec l’arrêt Gouron680 aux termes duquel la faute pénale d’imprudence se confond avec la faute quasi délictuelle civile. Dès lors, afin de concilier le principe classique d’unité des fautes civile et pénale avec l’abandon de l’exigence d’imputabilité en matière civile et son maintien en matière pénale, il faut considérer qu’il ne s’agissait pas d’une dualité de fautes, mais d’une dualité de responsabilités. Dans le prolongement de cette idée, Clément Margaine relève d’ailleurs que « si la faute est identique en droit civil et en droit pénal, c’est donc la responsabilité qui intègre la condition d’imputabilité selon le type de responsabilité ou plus précisément […] selon sa fonction »681. L’imputabilité civile n’entrait pas dans la constitution de la faute mais était donc rattachée au concept de responsabilité. Pour cette raison aussi, la culpabilité civile est communément qualifiée d’objective682. Quelles incidences sur la place de l’imputabilité ?

2. La place de l ’imputabilité pénale

Si l’extranéité de l’imputabilité pénale à l’infraction peut résulter de la règle selon laquelle une notion ne peut changer de nature selon le domaine juridique considéré (2.1), elle reste par ailleurs fondée sur le principe d’unité des fautes civile et pénale dont on démontrera l’effritement seulement relatif (2.2).

2.1 L’exclusion subséquente de l’imputabilité pénale de la constitution de l’infraction

Le rattachement de l’imputabilité à la responsabilité pénale peut découler de la règle en vertu de laquelle un concept ne peut changer de nature selon le domaine juridique considéré. En ce sens Patrice Jourdain qui, dans sa thèse sur l’imputabilité683, écarte l’idée selon laquelle la faute changerait de nature selon le type de responsabilité qu’elle conditionne684. Ainsi, si en droit civil, l’imputabilité est détachée de l’existence d’une faute, l’une et l’autre étant indépendantes, elle ne constituera pas non plus un élément de la définition de la faute en droit pénal. Cette dernière conservera une nature objectivée. Pareillement, mais ciblant directement l’imputabilité pénale, Claire Saas, se livrant à une interprétation circonspecte de l’arrêt Laboube685, argumente en défaveur de l’intégration de l’imputabilité dans l’élément moral de l’infraction en se fondant sur les principes du droit civil686. Pour ce faire, elle cite

679. Cass. civ. 2e, 18 déc. 1912, inédit, S. 1914. 1. 249, note R. MOREL ; D. 1915.1.17 ; Gaz. Pal. 1913.1.107. 680. Cass. crim., 6 juill. 1934, DH 1934. 446. 681. C. MARGAINE, op. cit., no 247. 682. Ce qui n’est pas sans faire écho au caractère objectivé de la culpabilité pénale (cf. supra, chapitre I, titre 1). 683. P. JOURDAIN, Recherche sur l’imputabilité en matière de responsabilités civile et pénale, op. cit. 684. Cette affirmation venant corroborer la démonstration du caractère objectivé de la culpabilité pénale

(cf. supra, chapitre I, titre 1). 685. Cf. supra. 686. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2002, no 168.

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notamment Jean Penneau, qui considère que l’imputabilité « ne peut changer de nature selon le domaine juridique où elle se produit et [que] son appréciation doit se faire de la même manière. Par contre, la différence apparaît clairement en ce qui concerne l’appréciation et l’existence de la responsabilité »687. Avant que son exigence ne soit abandonnée en matière civile, l’imputabilité civile se trouvait, comme nous l’avons vu, rattachée à la responsabilité. La même conclusion s’impose donc en matière pénale.

2.2 Le rattachement de l’imputabilité à la responsabilité remis en cause par l’effritement du principe de l’unité des fautes civile et pénale ?

La genèse d’un effritement Préalablement, il nous apparaît qu’il convient de préciser le sens du principe de l’identité des fautes pénale et civile d’imprudence. En cause, une évolution dans la morphologie de l’imprudence pénale de nature à créer une confusion dans l’interprétation du principe originel et ses conséquences. Le célèbre arrêt Brochet et Deschamps du 18 décembre 1912 a consacré le principe de l’unité, en relevant la proximité existant entre l’article 319 de l’ancien Code pénal et l’ancien article 1383 du Code civil688. Comme l’explique Philippe Bonfils dans son article relatif à la consécration de la dualité des fautes civile et pénale non intentionnelle, « cette unité se traduisait alors par deux règles complémentaires : l’existence d’une imprudence pénale signifiait l’existence d’une imprudence civile, et l’absence d’imprudence pénale signifiait l’absence d’imprudence civile »689. Cette double équation se vérifie si on la replace dans le contexte juridique contemporain à la décision. Le régime de l’imprudence pénale était alors unitaire ; autrement dit, il n’y avait pas de gradation dans la répression de l’imprudence pénale selon la gravité de la faute. Il a fallu attendre la création par le législateur du concept de faute de mise en danger délibérée de la vie d’autrui, entré en vigueur en 1994 lors de la réforme du Code pénal, pour que soit introduite en droit positif une catégorie particulière de faute qui se caractérise par sa gravité690. Il faut donc considérer que l’imprudence pénale visée dans le principe originel de l’unité était l’imprudence ordinaire. Si une telle équation était posée aujourd’hui, elle se résoudrait par l’affirmation de l’identité des fautes de l’article 121-3, alinéa 3 du Code pénal et de l’ancien article 1383 du Code civil691. À l’instar de Christine Desnoyer, nous devons en conclure que « le domaine d’application des théories de l’unité et de la dualité des fautes civile et pénale est nécessairement limité aux fautes d’imprudence ordinaire »692. Si nous avons avancé comme argument le fait qu’il n’existait pas à l’époque de la décision de faute d’imprudence qualifiée, elle postule l’inverse, à savoir que, « dans la théorie de la dualité des fautes, on considère que, dans l’absolu, la faute pénale est intrinsèquement grave »693. Elle poursuit en ajoutant que « néanmoins, lorsque le législateur

687. J. PENNEAU, Faute et erreur en matière de responsabilité médicale, op. cit., p. 178, no 266. 688. Depuis l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, il est devenu l’article 1241 du Code civil. 689. P. BONFILS, « Consécration de la dualité des fautes civile et pénale non intentionnelles », D. 2004, p. 721. 690. À noter que l’éclatement du régime unitaire de l’imprudence pénale a été parachevé en 2000, avec

l’avènement de la faute caractérisée, d’une gravité intermédiaire entre l’imprudence ordinaire et la faute délibérée.

691. Aujourd’hui C. civ., art. 1241. 692. C. DESNOYER, « L’article 4-1 du Code de procédure pénale, la loi du 10 juillet 2000 et les ambitions du

législateur : l’esprit contrarié par la lettre », D. 2002, p. 979. 693. Loc. cit.

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décide de subordonner la répression de telle infraction involontaire à l’existence d’une faute d’imprudence grave, il admet nécessairement sur le plan conceptuel que la faute pénale n’est pas grave en elle-même. Il y a donc une incompatibilité de principe entre la théorie de la dualité des fautes et la technique des fautes qualifiées […]. D’ailleurs, si le domaine d’application des théories en question s’étendait aux fautes qualifiées, le principe de l’unité des faute civile et pénale n’existerait plus depuis l’entrée en vigueur, en 1994, de la réforme du code pénal »694. La formulation du principe de l’unité, sans considération de la gravité de la faute pénale d’imprudence, était cohérente au regard du contexte juridique contemporain à la décision, antérieur à l’éclatement du régime unitaire de l’imprudence pénale. Jusqu’à l’entrée en vigueur du Code pénal en 1994, les domaines des imprudences pénale et civile étaient superposables. Par conséquent, si le principe reste vrai dans son essence originelle, il devrait néanmoins être reformulé pour tenir compte du polymorphisme « positif » de l’imprudence pénale. Il suffirait de préciser que le droit interne consacre le principe de l’identité des fautes pénale et civile d’imprudence ordinaire. Ainsi, et contrairement à ce qu’affirme André Giudicelli, la faute civile n’est pas distincte de la faute pénale quelle que soit sa gravité695. Jean Pradel considère quant à lui que « responsabilités pénale et civile diffèrent non raison de leurs fautes qui sont de même nature696, mais en raison du lien de causalité qui peut être apprécié différemment »697. Cela étant précisé, et comme le relèvent Jean Pradel et André Varinard, « la solution de l’unité des deux fautes avait été admise depuis, sans nuance, à la fois par les juridictions civiles et pénales »698 , ce qui n’était pas sans générer des inconvénients certains. Ces derniers, qui résultaient d’une combinaison du principe de l’unité avec celui de l’autorité sur le civil de la chose jugée au criminel699, pouvaient être diamétralement opposés. Concrètement, la conjugaison de ces deux principes obligeait le juge statuant au civil à rester fidèle à la décision prise par le juge statuant au pénal. Ainsi, une condamnation pénale imposait au juge statuant au civil la mise en œuvre de la responsabilité civile et la relaxe du juge répressif devait inévitablement se traduire par une exclusion de la responsabilité civile. On voit bien se dessiner les effets pervers d’un tel système. D’un côté, le juge pénal pouvait être amené à retenir des « poussières de faute »700 en tant que faute pénale dans le seul but d’assurer l’indemnisation de la victime, ce qui aboutissait non seulement à dénaturer le procès pénal mais encore à étendre de manière démesurée la responsabilité pénale en matière d’infractions non intentionnelles, notamment à l’encontre de l’action des décideurs publics. D’un autre côté, certaines victimes perdaient purement et simplement la possibilité d’être indemnisées.

694. Loc. cit. 695. A. GIUDICELLI : « La déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale non intentionnelle ne

fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute civile d’imprudence ou de négligence » (Cass. 1re civ., 30 janv. 2001), RSC 2001, p. 613.

696. Comprenons qu’il parle des fautes pénale et civile d’imprudence ou de négligence ordinaires. 697. J. PRADEL, « De la véritable portée de la loi du 10 juillet 2000, sur la définition des délits non

intentionnels », D., 2000, no 29, « Point de vue ». 698. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 41, p. 641. 699. Consacrée par l’arrêt Quertier du 7 mars 1855, D. 1855.1.81. 700. Selon l’expression de R. HOUIN, note au JCP 1956. II. 9224.

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Dès lors, malgré des correctifs jurisprudentiels et législatifs701, et afin d’atténuer la pénalisation accrue des délits d’imprudence, le législateur, par la loi du 10 juillet 2000702, introduisit un article 4-1 dans le Code de procédure pénale permettant à la victime, nonobstant l’absence de faute pénale au sens de l’article 121-3 du Code pénal, d’agir devant une juridiction civile sur le fondement de l’ancien article 1383 du Code civil703. Il était logique que la restriction du domaine de la responsabilité pénale, qui plus est en pure opportunité selon certains, ne puisse s’accompagner d’une réduction corrélative du domaine de la responsabilité civile. La question se pose néanmoins de savoir si le principe jurisprudentiel de l’unité des fautes pénale et civile n’a pas été totalement remis en cause par la loi du 10 juillet 2000, plus particulièrement par les articles 4-1 et 470-1 du Code de procédure pénale, d’autant que dans l’affirmative, cela pourrait avoir une incidence sur le raisonnement entrepris dans le cadre de cette étude – comprenons sur l’extériorité de l’imputabilité par rapport à l’infraction. Il importe donc de déterminer si cette loi porte l’estocade au principe d’identité ou si elle réalise « simplement » a minima un effritement de l’unité des fautes. Le maintien du principe Nous allons voir que si la règle de l’unité en sort apparemment affaiblie, le principe originel demeure. Pour ce faire, il nous faudra tout d’abord écarter les arguments tant législatifs que jurisprudentiels communément avancés pour fonder l’abandon de l’unité, avant de conclure à une simple réduction de son domaine, non à une remise en cause totale. La remise en cause des arguments fondant les allégations d’abandon de l’unité des fautes pénale et civile d’imprudence – Positionnement du problème. Les commentateurs de la vie juridique s’accordent pour considérer que la loi no 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels est venue dépénaliser partiellement l’imprudence. Ne serait-il pas logique de considérer, par symétrie, qu’à la dépénalisation partielle de l’imprudence faisait nécessairement écho une rupture seulement partielle du principe de l’identité des fautes ?

701. La Cour de cassation avait admis que les tribunaux civils pouvaient retenir la responsabilité civile d’un

individu relaxé dès lors que la réparation n’était pas fondée sur la faute, comprenons sur l’article 1383 du Code civil. En revanche, l’indemnisation pouvait relever de l’article 1384, al. 1er relatif à la responsabilité du gardien du fait d’une chose ou encore de l’article 1385 relatif à la responsabilité du fait des animaux. Dans le même ordre d’idées, le législateur, par la loi no 83-608 du 8 juillet 1983 renforçant la protection des victimes d’infraction, est venu créer l’article 470-1 du Code de procédure pénale aux termes duquel le tribunal répressif qui prononce une relaxe pour homicide ou blessures involontaires demeure compétent sur la demande de la partie civile ou de son assureur « pour accorder en application des règles de droit civil réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite » (rédaction initiale de l’article 470-1). Cependant, le juge pénal ne pouvait, une fois encore, fonder sa décision sur l’ancien article 1383 du Code civil (art. 1241 nouveau), la Cour de cassation considérant que l’ancien article 1383 (art. 1241 nouveau) ne relevait pas « des règles de droit civil ».

702. Loi no 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels. En créant la faute caractérisée et en modifiant l’article 121-3 du Code pénal, elle vient édicter la règle de fond selon laquelle une personne physique auteur indirect d’un dommage ne pourra plus voir sa responsabilité pénale engagée qu’en cas de faute d’imprudence qualifiée.

703. Cf. C. civ., art. 1241 nouveau. Dans le prolongement de cet article, la loi du 10 juillet 2000 modifiait également l’article 470-1.

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Certains auteurs considèrent que la loi du 10 juillet 2000, en créant l’article 4-1 et en modifiant l’article 470-1 du Code de procédure pénale704, a néanmoins mis un terme à l’identité des fautes pénale et civile d’imprudence705. Dans le même sens, ils invoquent aussi la consécration jurisprudentielle de cet abandon706. Pour en arriver à cette affirmation, ces auteurs ont préalablement invoqué une consécration de la dualité des fautes en cas de causalité directe. Selon eux, il résulterait tant des nouvelles dispositions législatives que de la jurisprudence qu’il serait possible de condamner civilement un individu auteur direct d’un dommage sur le fondement de l’ancien article 1383 du Code civil707, alors même que sa responsabilité pénale n’aurait pu être retenue en l’absence d’une quelconque faute pénale, quelle que soit sa gravité. Au regard de l’essence même du principe de l’unité des fautes pénale et civile d’imprudence que nous avons rappelée plus haut, il est vrai que si cette affirmation se trouvait vérifiée, elle serait significative d’une remise en cause patente du principe de l’identité. La démonstration du maintien de l’unité en cas de causalité directe représente donc un enjeu majeur au regard de la finalité de notre étude et constituera la clef de voûte du raisonnement à suivre. La remise en cause des arguments de texte fondant les allégations d’abandon de l’unité des fautes pénale et civile d’imprudence : retour sur l’interprétation des articles 4-1 et 470-1 du Code de procédure pénale – Retour sur l’argument séparatiste tiré de l’article 4-1 du Code de procédure pénale. Cet article renvoie globalement à l’article 121-3 du Code pénal et non au seul alinéa 4 de celui-ci. Il vise en effet « l’absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l’article 121-3 du Code pénal ». Les détracteurs du maintien de l’unité soulignent alors que l’article 4-1 du Code de procédure pénale en renvoyant à l’article 121-3 du Code pénal ne distingue pas entre l’alinéa 3 et l’alinéa 4708, comprenons qu’il ne fait aucune distinction entre la faute d’imprudence simple et qualifiée, ni entre la causalité directe et indirecte. Le fait que l’absence de faute pénale non intentionnelle qualifiée, nécessaire à l’engagement de la responsabilité pénale de l’agent en cas de causalité indirecte, ne fasse pas obstacle à l’exercice d’une action devant les juridictions civiles ne pose pas de difficultés dans la mesure où cette absence laisse néanmoins la place à l’existence d’une faute simple pouvant fonder la responsabilité civile de l’intéressé en application de l’ancien article 1383 du Code civil. C’était l’objectif de la réforme que de dépénaliser certaines fautes d’imprudence en relation de causalité plus éloignée avec le dommage, sans toutefois altérer le droit à réparation des victimes. Plus délicate est la question de savoir si l’absence d’une faute pénale non intentionnelle simple, suffisante à l’engagement de la responsabilité pénale de l’agent en cas de causalité directe, ne fait pas obstacle à l’exercice d’une action devant les juridictions civiles. Plus précisément, est-il possible de considérer que la relaxe fondée sur l’absence de faute pénale non intentionnelle au sens de

704. Désormais, un tribunal répressif prononçant la relaxe pour une infraction non intentionnelle au sens des

deuxième, troisième et quatrième alinéas demeure compétent en application des règles du droit civil pour accorder réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite. Sur la portée du nouveau texte, cf. infra.

705. Cf. en ce sens A. GIUDICELLI, « Principe de l’autorité de la chose jugée du pénal sur le civil », RSC, 2003, p. 125.

706. Cf. en ce sens A. GIUDICELLI : « La déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale non intentionnelle ne fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute civile d’imprudence ou de négligence » (Cass. 1re civ., 30 janv. 2001), op. cit., p. 613.

707. Depuis l’Ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, il est devenu l’article 1241 du Code civil. 708. En ce sens notamment, G. VINEY, « Conclusions du colloque sur la nouvelle définition des délits non

intentionnels par la loi du 10 juillet 2000 », RSC 2001, p. 764.

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l’article 121-3, alinéa 3 du Code pénal ne fait pas obstacle à l’exercice d’une action en réparation devant les juridictions civiles sur le fondement de l’article 1383 du Code civil ? L’imprécision des termes de l’article 4-1 invite a priori à l’envisager. En outre, selon André Giudicelli, qui partage cette opinion avec Yves Mayaud709 et Geneviève Viney710, « l’intérêt de la modification introduite par le législateur est de permettre une réparation au civil alors même que la relaxe aurait été prononcée sur le fondement de l’absence de la faute non intentionnelle la plus ordinaire »711. Or, n’avons-nous pas démontré qu’au regard du principe de l’unité, les fautes d’imprudence identiques étaient les fautes de l’article 121-3, alinéa 3 du Code pénal et de l’ancien article 1383 du Code civil712 ? Si l’absence d’imprudence pénale ordinaire, en ne faisant pas obstacle à la réparation, valide implicitement l’existence d’une imprudence civile, il faudrait alors logiquement conclure à l’anéantissement du principe de l’unité des fautes pénale et civile d’imprudence. À l’instar d’autres auteurs713, nous ne souscrivons pas à une telle conclusion. Aussi, l’article 4-1 ayant ouvert la voie à une telle analyse, il convient d’en proposer une autre lecture. Les arguments contre la dualité. L’article 4-1 du Code de procédure pénale ne saurait être invoqué au soutien de la dualité de fautes dans la mesure où il est censé constituer la traduction procédurale de l’article 121-3 du Code pénal. Or, comme nous l’avons rappelé, l’article 121-3, alinéa 4, en consacrant tout à la fois la création d’une nouvelle faute qualifiée et la distinction de la causalité directe et indirecte, ne fait qu’ajuster la gravité de la faute exigée au titre de la répression à la proximité de sa relation avec le dommage. On ne peut pas dire qu’il vienne porter atteinte au principe de l’identité dans son essence originelle. Dans le même sens, Christine Desnoyer, dans son article consacré à la disposition de l’article 4-1, rappelle que « sa genèse dans les travaux préparatoires montre cependant qu’elle n’a été conçue, à l’origine, que comme l’accessoire d’un autre texte, lui aussi nouveau : la mission officielle de l’article 4-1 est en effet de tirer les conséquences procédurales de l’article 121-3, alinéa 4 du Code pénal »714. Dès lors, dans la mesure où l’article 4-1 se veut la version procédurale de l’article 121-3, alinéa 4, on peut considérer que l’absence de renvoi au seul quatrième de cet article procède d’un oubli du législateur715. En outre, alors que l’article 4-1 se présente « comme un texte techniquement indispensable à la mise en œuvre de la réforme de 2000, dont la clef de voûte est l’article 121-3, alinéa 4 du Code pénal »716, il s’avère inutile au regard de cet objectif. En effet, « la mise en œuvre de l’article 121-3, alinéa 4 ne nécessite,

709. Y. MAYAUD, Dalloz référence, no 91-183. 710. G. VINEY, op. cit. 711. A. GIUDECELLI, « Principe de l’autorité de la chose jugée du pénal sur le civil », op. cit., p. 125. 712. Cf. C. civ., art. 1241 nouveau. 713. Contra : J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., p. 650 ; J. PRADEL, « De la

véritable portée de la loi du 10 juillet 2000 sur la définition des délits inintentionnels », op. cit. 714. C. DESNOYER, « L’article 4-1 du Code de procédure pénale, la loi du 10 juillet 2000 et les ambitions du

législateur : l’esprit contrarié par la lettre », D., 2002, p. 979. L’auteur précise en outre que « l’article 4-1 était d’ailleurs absent de la proposition de loi initiale et ce n’est qu’à l’initiative de Madame Lazerges que cette disposition fut adoptée : les députés ont estimé qu’il fallait préciser formellement la distinction des fautes civile et pénale que l’article 121-3, alinéa 4 opérait désormais en matière de causalité directe ».

715. Pour ne pas parler, à l’instar de Christine Desnoyer, du « comble de l’inconséquence pour un texte, l’article 4-1, censé traduire les incidences procédurales de cette fameuse disposition de l’article 121-3, alinéa 4 ! » (Ibid.)

716. Ibid.

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sur le plan procédural, la précision d’aucun texte »717. Comme le démontre Christine Desnoyer, « il n’est besoin d’aucune disposition particulière pour autoriser le juge civil à mettre en œuvre l’article 1383718 lorsque l’auteur indirect des faits litigieux a été relaxé par le juge pénal pour non-caractérisation de la faute grave de l’article 121-3, alinéa 4. En effet, une telle relaxe établit seulement l’absence de faute grave à la charge du prévenu, mais n’exclut nullement l’hypothèse de la commission d’une faute simple, suffisante pour justifier l’allocation de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1383 »719. Christine Desnoyer va même jusqu’à considérer que l’article 4-1 peut être dangereux en ce sens que la lettre du texte, en visant l’exercice d’une action en réparation devant les seules juridictions civiles, est de nature à priver certaines victimes du droit à réparation. En effet, la réparation du dommage causé n’étant pas toujours de la compétence de la juridiction civile, notamment lorsque le préjudice résulte de la faute de service d’un agent public, la référence restrictive de l’article 4-1 du Code pénal aux seules juridictions civiles est bien de nature à exclure certains préjudices du champ de la réparation. Si l’on récapitule les attributs de l’article 4-1, il faut considérer que ce texte, en plus d’être incomplet et trop restrictif720, est aussi accessoire, inutile, voire dangereux. Ainsi, il faudrait fonder dans une telle disposition la potentialité d’une remise en cause du principe de l’identité ? Il ne reste selon nous qu’à procéder à une réécriture de la lettre du texte, d’une part en incluant un renvoi au seul alinéa 4 de l’article 121-3 et, d’autre part, en supprimant la référence aux seules juridictions civiles. Retour sur l’argument séparatiste tiré de l’article 470-1 du Code de procédure pénale. Les tenants de la thèse dualiste auraient pu a priori trouver argument dans la lettre de l’article 470-1 dès sa création par la loi no 83-608 du 8 juillet 1983 renforçant la protection des victimes d’infraction, mais c’était sans compter son interprétation restrictive par la Cour de cassation. Nous avons vu que l’article 470-1 prévoyait, dans sa rédaction initiale, que le tribunal répressif qui prononce une relaxe pour homicide ou blessures involontaires demeure compétent sur la demande de la partie civile ou de son assureur « pour accorder en application des règles de droit civil réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite ». Cependant, comme le rappelle Philippe Bonfils, la juridiction suprême devait très vite préciser que « l’expression “en application des règles du droit civil” ne visait que les hypothèses de responsabilité sans faute, comme par exemple la responsabilité du fait des choses721 ou la loi du 5 juillet 1985722, écartant la faute délictuelle des articles 1382 et 1383 du Code civil »723. La Cour de cassation considéra que « les règles de droit civil » visées par l’article excluaient le fondement de l’ancien article 1383 du Code civil724. La

717. Ibid. 718. Cf. C. civ. art. 1241 nouveau. 719. C. DESNOYER, « L’article 4-1 du code de procédure pénale, la loi du 10 juillet 2000 et les ambitions du

législateur : l’esprit contrarié par la lettre », op. cit. ; cf. C. civ. art. 1241 nouveau. 720. Cf. infra et le fait que les juridictions pénales relèvent également de l’article 4-1. 721. Cass. crim., 3 nov. 1986, no 85-93644, Bull. crim . no 313; RSC 1987, p. 426, obs. G. LEVASSEUR. 722. Cass. crim., 13 oct. 1987, no 86-96062, Bull. crim. no 347. 723. P. BONFILS, « Consécration de la dualité des fautes civile et pénale non intentionnelles », op. cit., p. 721.

Cf. C. civ. art. 1240 et 1241 nouveaux. 724. Finalement, peut-être que la dérogation la plus importante au principe de l’unité, sur le fondement de cet

article, vient de l’évolution de la jurisprudence admettant la responsabilité civile pour faute contractuelle consistant en un manquement à une obligation de moyens, malgré une relaxe pour absence de faute non

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question qui se pose aujourd’hui est celle de savoir si l’on peut voir dans la rédaction de l’article 470-1, telle qu’elle résulte de la loi du 10 juillet 2000, une remise en cause du principe de l’unité des fautes pénale et civile d’imprudence. Peut-on y voir la confirmation potentielle de l’interprétation majoritaire en doctrine de l’article 4-1 ? La modification « complémentaire » de l’article 470-1, à la différence de l’article 4-1, ne vise plus la globalité de l’article 121-3, pas plus que le seul alinéa 4, mais « numérotativement » chacun des alinéas de cet article consacré à la définition de l’imprudence pénale. Il semble donc franchir un pas supplémentaire dans la rupture de l’identité des fautes, particulièrement en ce qu’il permet d’envisager plus explicitement la coexistence d’une relaxe sur le fondement de l’article 121-3, alinéa 3 avec une condamnation civile sur le fondement de l’ancien article 1383725. Or, la jurisprudence a maintenu son interprétation restrictive « des règles de droit civil », comprenons que cet article permet toujours au juge pénal, en cas de relaxe, de statuer sur les intérêts civils en application des règles civiles autres que les anciens articles 1382 et 1383 du Code civil726. En outre, il est possible de faire valoir, lors de la réforme législative, le maintien de l’expression litigieuse « en application des règles du droit civil » en connaissance de son interprétation jurisprudentielle. Dès lors, il nous apparaît que l’on ne saurait adopter la même conclusion que Philippe Bonfils relative à « l’abandon de l’interprétation restrictive de l’article 470-1 du Code de procédure pénale »727 ou à « l’orthodoxie de l’article 470-1 du code de procédure pénale retrouvée »728. Finalement, le renvoi opéré aux alinéas 2, 3 et 4 de l’article 121-3 n’a fait qu’obscurcir la lisibilité de l’article 470-1 en le rendant aujourd’hui contradictoire. Dès lors, en s’inscrivant dans le sillage rédactionnel imparfait de l’article 4-1, ce texte est insusceptible de fonder indirectement la dualité des fautes, pas plus, à notre sens que l’arrêt Beauchêne rendu par la première chambre civile, le 30 janvier 2001729. La remise en cause des arguments jurisprudentiels fondant les allégations d’abandon de l’unité des fautes pénale et civile d’imprudence – Retour sur l’interprétation répandue en doctrine de l’arrêt Beauchêne. Les auteurs partisans de la dualité des fautes en cas de causalité directe devaient trouver un appui a priori pertinent en l’arrêt Beauchêne. À l’instar de l’arrêt Laboube730, il s’agira donc de livrer ici une interprétation à contre-courant doctrinal de cette décision. Retour sur les faits et le cheminement procédural de l’affaire. L’organisateur d’une manifestation nautique avait fait appel à une société d’hélicoptères pour couvrir la course sur un plan photographique. À l’issue du reportage, le pilote de l’hélicoptère, lors du retour vers sa base embarqua, outre l’organisateur, deux autres passagers qui entendaient profiter de ce transport pour rentrer plus tôt. Au cours du vol, le pilote, s’approchant beaucoup trop près d’un voilier, heurta un hauban avec les pales, ce qui entraîna l’accident au cours duquel deux

intentionnelle. Car, comme l’explique Patrice Jourdain, « cette faute contractuelle, se distinguant bien mal de la faute quasi délictuelle de l’article 1383, il y avait là une incontestable dérogation au principe d’unité des fautes ». (P. JOURDAIN, « La nouvelle définition des délits non intentionnels par la loi du 10 juillet 2000. Les conséquences de la loi du 10 juillet 2000 en droit civil », RSC 2001, p. 748.)

725. Cf. C. civ. art. 1241 nouveau. 726. Cf. C. civ. art. 1240 et 1241 nouveaux. 727. P. BONFILS, « Consécration de la dualité des fautes civile et pénale non intentionnelles », op. cit. 728. Ibid. 729. Cass. civ. 1re, 30 janv. 2001, no 98-14368, Bull. civ. I, no 19 ; D., 2001, somm. 2232, obs. P. JOURDAIN ; JCP

2001. I. 338, no 4, obs. G. VINEY ; RTD civ., 2001. 376, obs. P. JOURDAIN ; RSC 2001. 613, obs. A. GIUDICELLI.

730. Cf. supra.

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passagers furent tués et le troisième blessé. Poursuivi, le pilote fut relaxé par la cour d’appel de Rennes qui considéra, après examen des faits, qu’aucune faute pénale n’avait été commise. Dès lors que la cour d’appel considéra que les faits n’étaient susceptibles de revêtir aucune qualification pénale, le raisonnement qu’elle construisit était tout à la fois cohérent et respectueux des principes de l’identité des fautes et de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil. En effet, pour écarter la responsabilité du pilote au sens de l’ancien article 1383 du Code civil731, la cour d’appel, constatant que la faute reprochée était identique à celle qui sous-tendait la poursuite pénale pour laquelle le pilote avait été relaxé, estima que l’autorité de la chose jugée au pénal – que le juge civil était tenu de respecter – interdisait toute indemnisation. Saisie d’un pourvoi, la juridiction suprême prononça cependant la cassation de l’arrêt en considérant, alors même que le pilote avait été relaxé en tant qu’auteur direct, que « la déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale ne fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute d’imprudence ou de négligence ». La remise en cause a priori du principe de l’unité des fautes pénale et civile d’imprudence – Il nous faut nous attarder sur cette solution tant il est vrai qu’il serait significatif d’une remise en cause du principe de l’unité que la responsabilité pénale d’un individu auteur direct d’un dommage soit écartée en raison de l’absence de toute faute pénale alors même que sa responsabilité civile pourrait être retenue sur le fondement de l’ancien article 1383 du Code civil. Dans son article relatif au principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, André Giudicelli s’est notamment fondé sur cet arrêt pour considérer que la dualité des fautes était devenue le principe : « À partir du moment où l’une (la faute civile) peut exister en l’absence de l’autre (la faute pénale), on ne peut plus parler d’identité, sauf à méconnaître le sens de ce mot. »732 L’auteur considère par ailleurs que « le retour à la dualité des fautes n’emporte pas renoncement au principe de l’autorité du pénal sur le civil »733. Il nous paraît possible de contester cette analyse. Dans un premier temps, il s’agit de reconnaître que l’arrêt Beauchêne peut effectivement s’analyser en une remise en question du principe de l’unité des fautes pénale et civile d’imprudence734. Pour ce faire, nous pouvons en effet rappeler que, depuis sa formulation en 1912, le principe de l’unité s’applique aux fautes pénale et civile d’imprudence ordinaire, dont une partie de la doctrine se plaît à souligner la similitude. Par exemple, Patrice Jourdain considère, à propos de la faute de mise en danger délibérée et de la faute caractérisée, que « ne correspondant pas exactement à des fautes civiles d’imprudence, au sens de l’ancien article 1383 du Code civil735, qui sont des fautes simples, non qualifiées, ces fautes pénales qualifiées n’entrent plus dans le champ du principe d’unité des fautes civile et pénale »736. C’est dire, a contrario, que la faute pénale d’imprudence simple

731. Cf. C. civ. art. 1241 nouveau. 732. A. GIUDICELLI, « Principe de l’autorité de la chose jugée du pénal sur le civil », op. cit., p. 125. 733. A. GIUDICELLI : « La déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale non intentionnelle ne

fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute civile d’imprudence ou de négligence » (Cass. 1re civ., 30 janv. 2001), op. cit., p. 613.

734. D’ailleurs, non seulement la jurisprudence peut défaire les règles qu’elle a elle-même édifiées, mais encore, c’est à elle qu’il appartient de tirer les conséquences de la loi du 10 juillet 2000 et de rompre éventuellement avec le principe de l’unité.

735. Cf. C. civ. art. 1241 nouveau. 736. P. JOURDAIN, « La nouvelle définition des délits non intentionnels par la loi du 10 juillet 2000. Les

conséquences de la loi du 10 juillet 2000 en droit civil », op. cit., p. 748.

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correspond à la faute civile d’imprudence de l’ancien article 1383 du Code civil737. Le même auteur, plus directement cette fois, ajoute que « le principe d’unité des fautes civile et pénale d’imprudence […] s’expliquait essentiellement par l’identité de contenu des fautes non intentionnelles en droit civil et en droit pénal »738. Logiquement, en cas de causalité directe, la relaxe pénale condamne donc toute réparation civile. Par conséquent, le fait pour la Cour de cassation de considérer qu’en cas de causalité directe l’absence de faute pénale ne fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute d’imprudence ou de négligence signifie a priori l’abandon du principe de l’unité. La solution de la juridiction suprême revient en effet à distinguer la faute pénale de l’article 121-3, alinéa 3 du Code pénal de la faute civile de l’ancien article 1383 du Code civil739. Toutefois, cette analyse vient dans un second temps achopper sur l’atteinte corrélative et patente au principe de l’autorité de la chose jugée. L’atteinte corrélative au principe de l’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil – L’application des théories de l’unité et de la dualité n’a de sens que dans un système consacrant le principe de l’autorité au civil de la chose jugée au pénal740. À notre sens, il n’est donc pas possible de dissocier le sort du principe de l’unité de celui de l’autorité de la chose jugée au pénal. C’est ainsi que Philippe Bonfils va jusqu’à envisager la « disparition de l’autorité du criminel sur le civil »741, car « en dissociant les faute civile et pénale d’imprudence, la jurisprudence réduit bien davantage encore la portée de l’autorité du criminel sur le civil »742, ou encore « l’autorité du criminel sur le civil est ici clairement évincée »743. Cette éclipse est néanmoins critiquable d’un point de vue du droit. Rappelons, pour l’affaire considérée, qu’elle était incontestable dans la mesure où la faute qui sous-tendait la poursuite civile était identique à celle qui avait été reprochée, et écartée, dans le cadre de la poursuite pénale. L’atteinte au principe de l’autorité de la chose jugée au pénal était donc patente. Or, on ne peut contester que le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, qui est l’une des deux émanations du principe de primauté du pénal sur le civil744, était de droit positif, particulièrement à l’époque de la décision745. Les fondements du principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil – Bien que ce principe n’ait pas reçu de consécration législative expresse à la différence du principe selon lequel « le criminel tient le civil en l’état », il a néanmoins été consacré par la jurisprudence et découle implicitement de certaines dispositions législatives.

737. Cf. C. civ. art. 1241 nouveau. 738. Ibid. 739. Cf. C. civ. art. 1241 nouveau. 740. En ce sens également, cf. C. DESNOYER, « L’article 4-1 du code de procédure pénale, la loi du 10 juillet

2000 et les ambitions du législateur : l’esprit contrarié par la lettre », op. cit., p. 979. 741. P. BONFILS, « Consécration de la dualité des fautes civile et pénale non intentionnelles », op. cit., p. 721. 742. Loc. cit. 743. Loc. cit. L’auteur est plus pessimiste encore puisqu’il va jusqu’à envisager, par ricochet, la disparition du

principe selon lequel le criminel tient le civil en l’état : « Si l’autorité du criminel sur le civil disparaît, la règle selon laquelle le criminel tient le civil en l’état […] devrait être appelée à suivre le même sort. » (P. JOURDAIN, « La nouvelle définition des délits non intentionnels par la loi du 10 juillet 2000. Les conséquences de la loi du 10 juillet 2000 en droit civil », op. cit.)

744. L’autre émanation consiste dans le principe selon lequel « le criminel tient le civil en l’état », consacré à l’article 4, alinéa 2 du Code de procédure pénale.

745. Comprenons que la décision étudiée est antérieure à la loi no 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale (cf. infra).

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Plébiscité par la doctrine, ce principe, comme le rappelle André Giudicelli, a d’abord été posé par Merlin et affirmé « sur ses conclusions conformes par la chambre des requêtes de la Cour de cassation dès le 17 mars 1813 »746. Finalement, il sera consacré avec force par l’arrêt Quertier du 7 mars 1855747 et plusieurs arrêts des chambres civiles de la Cour de cassation intervenus depuis en ont fait application748. En ce qui concerne les dispositions législatives susceptibles de fonder implicitement le principe de l’autorité de la chose jugée, il est possible d’invoquer tout d’abord l’article 528-1 du Code de procédure pénale. Le législateur considère, sur le fondement du deuxième alinéa de cet article, que l’ordonnance pénale « n’a pas l’autorité de la chose jugée à l’égard de l’action civile en réparation des dommages causés par l’infraction »749. Ne peut-on exciper de cet alinéa que le législateur reconnaît que, par principe, les décisions pénales ont l’autorité au civil ? Plus généralement, nous considèrerons, à l’instar de Cédric Bouty, qu’« une consécration a contrario du principe de l’autorité au criminel sur le civil peut être déduite des dispositions spécialement édictées pour y faire exception »750. Un autre fondement textuel peut être invoqué au soutien de la consécration législative implicite de l’autorité au civil de la chose jugée au pénal : l’article 4, alinéa 2 du Code de procédure pénale consacrant, comme nous l’avons évoqué précédemment, la règle selon laquelle le criminel tient le civil en l’état751. Selon nous, si le criminel tient le civil en l’état, c’est précisément parce que le juge civil est tenu de prendre en considération le résultat de l’action publique, afin d’éviter les contradictions de choses jugées. Roger Merle et André Vitu voient en outre dans le système des preuves propres à la procédure pénale un autre fondement possible à l’autorité du pénal au civil. Selon ces auteurs, « le juge répressif possède des moyens d’investigation ignorés du juge civil ; l’activité du premier, opposée à la passivité du second, permet de penser que tous les éléments auront été découverts et utilisés, alors que le juge civil ne statue que sur les preuves rapportées par les parties »752. Si les fondements au principe de l’autorité ne manquent pas, son champ d’application est tout aussi pertinent au regard du maintien de l’identité des fautes pénale et civile d’imprudence ordinaires. Le champ d’application du principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil – Une partie de la doctrine considère que la potentialité du fondement au principe de l’autorité tirée de l’article 4-1, alinéa 2 a été affaiblie par l’entrée en vigueur de la loi no 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale753 qui, en créant un troisième alinéa à l’article 4 du Code de procédure pénale, est venue dans le même temps réduire le

746. A. GIUDICELLI, « La déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale non intentionnelle ne

fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute civile d’imprudence ou de négligence. » (Cass. 1re civ., 30 janv. 2001), op. cit.

747. D. 1855.1.81. 748. Par exemple, Cass. 1re civ., 29 oct. 2002, no 99-19411, inédit, rendu sur le visa de « la règle de l’autorité du

pénal sur le civil ». 749. C. pr. pén., art. 528-1, al. 2. 750. C. BOUTY, « Chose jugée », Rép. pr. civ., Dalloz, juin 2012 (act. avr. 2015), no 641. 751. C. pr. pén., art. 4, al. 2 : « Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu’il n’a pas été prononcé

définitivement sur l’action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement. » François Rousseau considère également dans sa thèse que le principe de l’autorité au civil de la chose jugée au pénal résulte de l’article 4, alinéa 2 du Code de procédure pénale (cf. F. ROUSSEAU, L’imputation de la responsabilité pénale, op. cit., note de bas de page no 1275).

752. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 1057. 753. Cf. loi du 5 mars 2007, no 2007-291, art. 20, JO du 6 mars 2007, p. 4206.

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champ d’application du sursis à statuer. Il résulte de la nouvelle rédaction des alinéas 1 et 2 de l’article 4 du Code de procédure pénale que le sursis à statuer concerne les seules actions civiles « en réparation du dommage causé par l’infraction ». En ce sens, cette loi a inséré un alinéa 3 qui dispose que « la mise en mouvement de l’action publique n’impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu’elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d’exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil ». Ainsi, le sursis à statuer n’est maintenant obligatoire que lorsque l’action vise à la réparation du dommage causé par l’infraction, donc pour l’action civile au sens de l’article 2 du Code de procédure pénale. Pour les autres actions, traditionnellement qualifiées d’actions à fins civiles, le sursis devient facultatif. « Chacune de ces actions pourra dès lors avoir un cours autonome, au risque de contrariétés de choses jugées »754. Dans sa chronique relative à la « Chose jugée », Cédric Bouty illustre au travers d’exemples certaines hypothèses sorties du champ d’application traditionnel de la règle de l’autorité au civil de la chose jugée au pénal755. Il évoque par exemple l’action du salarié devant le conseil des prud’hommes qui, destinée à contester son licenciement justifié par le vol qu’il aurait commis au détriment de l’employeur, ne sera plus suspendue au sort de l’action publique concernant ce vol. Il traite aussi de l’action en divorce pour faute qui ne sera plus tenue en haleine par les poursuites pour violences volontaires de l’un des époux contre l’autre. Il est certes incontestable que la loi du 5 mars 2007 a réduit le champ d’application du sursis à statuer. Cependant, cette modification est sans incidence au regard de l’objet de notre démonstration, car si l’autorité de la chose jugée au pénal ne fait pas obstacle à ce que des éléments étrangers à la caractérisation de l’infraction soient soumis à l’appréciation « indépendante » de la juridiction civile, elle continue de s’appliquer à l’égard des éléments constitutifs de l’infraction poursuivie. Déjà, la Cour de cassation considérait que l’autorité de la chose jugée « ne s’attache qu’aux éléments constitutifs de l’infraction poursuivie et ne fait pas obstacle à ce que d’autres éléments étrangers à cette dernière soient soumis à l’appréciation de la juridiction civile »756. Et Gaston Stéfani, Georges Levasseur et Bernard Bouloc de préciser, dans leur ouvrage de procédure pénale, que le juge civil n’est lié que par « les constatations de nature pénale […] et à la condition, encore, qu’elles soient certaines et nécessaires »757, c’est-à-dire qu’elles constituent le « soutien nécessaire » de la décision pénale758. Or, tous les éléments constitutifs de l’infraction, notamment ceux qui ont trait à la faute pénale, constituent des soutiens indispensables de la décision pénale, qu’il s’agisse d’une décision de condamnation, de relaxe ou d’acquittement759. Dès lors, si les juridictions pénales considèrent que l’infraction envisagée n’est pas caractérisée en raison de l’impossibilité de retenir une faute pénale ordinaire, l’octroi d’une indemnisation civile sur le fondement de l’ancien article 1383760 ira à

754. C. BOUTY, « Chose jugée », Rép. pr. civ., Dalloz, juin 2012 (act. avr. 2015), no 640. 755. Ibid. 756. Cf. Cass. 2e civ., 15 nov. 2001, no 99-21636, inédit, JCP 2002.II.10310, obs. D. Guihal. 757. G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, Dalloz, 18e, 2001, no 982. 758. Op. cit., no 985. 759. En ce sens également, P. JOURDAIN, « La nouvelle définition des délits non intentionnels par la loi du 10

juillet 2000. Les conséquences de la loi du 10 juillet 2000 en droit civil », op. cit., p. 748 : « […] le principe d’autorité absolue de la chose jugée au pénal […] impose au juge civil le respect des décisions pénales. Par “décision”, on entend le dispositif mais aussi les motifs qui en sont le “soutien nécessaire”, notamment les énonciations relatives à la faute pénale. »

760. Cf. C. civ. art. 1241 nouveau.

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l’encontre du principe de l’autorité de la chose jugée au pénal761. Par conséquent, le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal – cette dernière s’entendant des éléments constitutifs de l’infraction – sur le civil est toujours de droit positif. Cet état du droit condamne l’interprétation majoritaire de l’arrêt Beauchêne. L’arrêt Beauchêne, en permettant au juge civil d’indemniser la victime sur le fondement de l’ancien article 1383762 malgré la relaxe de l’auteur direct du dommage, porte atteinte au principe de l’identité des fautes pénale et civile tel qu’il découle de l’arrêt Brochet et Deschamps. Cette décision est condamnable dans la mesure où elle conduit, par ricochet, à remettre en question le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, ce principe s’attachant notamment à la notion de faute d’imprudence, en tant qu’elle constitue l’élément psychologique de l’infraction considérée. Rappelons en outre qu’il a été consacré non seulement par la jurisprudence, mais aussi implicitement par certaines dispositions législatives. Il est donc concevable de soutenir que la décision de la première chambre civile est contestable au regard du droit positif et qu’elle a été rendue contra legem. On ne peut donc fonder, sur l’arrêt Beauchêne, la consécration de la dualité des fautes en cas de causalité directe763. Cette conclusion a son importance, car il est vrai qu’il aurait été difficile de parler d’abandon simplement relatif du principe de l’identité des fautes en l’absence de maintien de l’unité en cas de causalité directe. Mais alors, comment expliquer la solution retenue par la juridiction suprême ? La recherche d’une solution équitable au litige – L’examen du visa et de la motivation de la Cour de cassation permet d’orienter la réponse à notre questionnement vers la recherche d’une solution équitable au litige. Tout d’abord, l’examen du visa de la décision permet de souligner que la première chambre civile ne s’appuie pas sur la réforme opérée par la loi du 10 juillet 2000, alors même qu’en tant que loi de procédure cette dernière était immédiatement applicable aux instances en cours, conformément à l’article 112-2 du Code pénal. La Cour de cassation fonde explicitement sa solution sur l’ancien article 1351764, ensemble les anciens articles 1147765 et 1383766 du Code civil. Ensuite, après examen de la motivation de la Cour de cassation, on peut penser qu’elle a été amenée à énoncer la règle selon laquelle « la déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale ne fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute civile d’imprudence ou de négligence », pour pallier une absence de qualification pénale défaillante des faits de l’affaire. Selon nous, le questionnement soulevé par la solution de la première chambre civile a été initié par le choix de la Cour d’appel de ne pas conférer aux agissements du pilote d’hélicoptère une quelconque qualification pénale. Ce déni de qualification pénale, en revanche, est contestable. Non seulement il est peu conforme à la jurisprudence habituelle en ce domaine,

761. En revanche, au regard de la réforme opérée par la loi du 10 juillet 2000, la condamnation au civil ne

contredit pas nécessairement la relaxe au pénal. Il en est ainsi lorsqu’une indemnisation est allouée à la victime sur le fondement de l’article 1383 alors qu’une relaxe a été prononcée en l’absence de faute d’imprudence qualifiée en relation de causalité indirecte avec le dommage. Cette hypothèse n’est pas constitutive en elle-même d’une atteinte au principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil.

762. Cf. C. civ. art. 1241 nouveau. 763. Il faut alors considérer que la personne poursuivie en tant qu’auteur direct d’une infraction non

intentionnelle, et qui se verrait relaxée, ne pourrait voir sa responsabilité civile engagée. 764. Cet article est devenu l’article 1355 du Code civil, créé par l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016. 765. Cet article est devenu l’article 1231-1 du Code civil, créé par l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016. 766. Cf. C. civ. art. 1241 nouveau.

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mais, surtout, comment considérer que « l’approche du voilier en dehors de toute obligation liée au reportage ne constitue […] pas une imprudence en relation de causalité avec l’accident »767 ? Cette solution de relaxe, « pour le moins discutable »768, et rendue après une appréciation souveraine et définitive des faits de l’affaire, explique selon nous la position de la Cour de cassation. Comme le relève André Giudicelli, « il avait été statué définitivement par la juridiction répressive sur la responsabilité pénale du pilote »769. La juridiction suprême n’avait donc pas d’autre alternative que de prendre le contre-pied des solutions jusqu’alors admises afin de remédier à l’iniquité, à tout le moins civile, de la solution. Autrement dit, plus qu’une décision militante en faveur de la disparition de l’unité des fautes, il nous faut considérer que la solution de la première chambre civile, reconnaissant au juge civil la possibilité de retenir une faute civile d’imprudence ou de négligence en présence d’une déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale, bien que formulée sous la forme d’un attendu de principe reprenant la substance de l’article 4-1 du Code de procédure pénale, a été rendue en équité. Avant de conclure à l’extériorité de l’imputabilité de l’infraction sur le fondement du maintien du principe de l’identité des fautes pénale et civile d’imprudence, il nous reste à souligner la portée limitée du domaine de la dualité des fautes. La portée limitée du domaine de la dualité des fautes – Elle tient au fait que l’instauration de la dualité en matière non intentionnelle n’est finalement que partielle. En premier lieu, elle ne concerne que les personnes physiques, à l’exclusion des personnes morales qui ne sont pas affectées par la réforme770. Nous venons de voir qu’elle n’a pas vocation à s’appliquer en cas de causalité directe entre la faute pénale et le dommage. Autrement dit, la dualité des fautes n’a vocation à s’appliquer qu’en cas de causalité indirecte. Par ailleurs, l’article 4-1 du Code de procédure pénale n’envisage la dualité partielle des fautes que dans le cadre d’une action exercée devant les juridictions civiles. Quid dans le cadre d’une action devant les juridictions répressives ? Ainsi, la question se pose de savoir si le juge répressif peut accorder une indemnisation sur le fondement de l’ancien article 1383 du Code civil771, alors qu’il vient de relaxer le prévenu sur le plan pénal. En d’autres termes, « le juge pénal est-il ou non tenu par l’autorité de chose jugée de sa propre décision de relaxe »772 ? L’examen de l’article 470-1 tel qu’il résulte de la réforme opérée par la loi du 10 juillet 2000 ne permet pas de dégager une réponse à cette question. Il semble qu’il faille une fois de plus identifier si la relaxe est obtenue dans le cadre d’une causalité directe ou indirecte. Comme nous l’avons déjà évoqué, dans l’hypothèse d’une causalité indirecte, lorsque la relaxe est obtenue en raison de l’absence d’une faute d’imprudence qualifiée au sens de l’article 121-3, alinéa 4 du Code

767. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 41, p. 649. Nous rejoignons sur

ce point l’interrogation des auteurs. 768. Loc. cit. 769. A. GIUDICELLI : « La déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale non intentionnelle ne

fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute civile d’imprudence ou de négligence. » (Cass. 1re civ., 30 janv. 2001), op. cit.

770. Autrement dit, une personne morale continue à voir sa responsabilité pénale engagée quand son organe ou son représentant (cf. article 121-2 du Code pénal), auteur indirect d’un dommage, aura commis une faute d’imprudence ordinaire.

771. Cf. C. civ. art. 1241 nouveau. 772. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 41, p. 645.

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pénal, ce qui autorise la reconnaissance d’une faute d’imprudence ordinaire au sens de l’article 121-3, alinéa 3 du Code pénal, « il y a incontestablement place pour une responsabilité civile fondée sur l’article 1383 du Code civil sans qu’il y ait atteinte à l’autorité de la chose jugée et sans que le juge ne se mette en contradiction avec lui-même »773. En revanche, la question est plus délicate lorsque la relaxe est obtenue en faveur d’une personne ayant directement causé le dommage. Rejoignant le raisonnement figurant dans le développement précédent, il faut à nouveau douter, les deux fautes étant identiques, de la faculté offerte au juge pénal niant la faute de l’article 121-3, alinéa 3 du Code pénal de retenir la faute de l’ancien article 1383 du Code civil774 pour fonder une condamnation civile. La dualité des fautes paraît donc en outre devoir être écartée devant les juridictions répressives en cas de causalité directe. Finalement, nous conclurons l’argumentation en faveur du maintien du principe de l’identité en relevant « la méthode indirecte, de type procédural »775, employée par le législateur. Ne plaide-t-elle pas en faveur de la volonté finaliste du législateur de préciser la définition des infractions d’imprudence, en réduisant leur champ d’application, conformément à l’intitulé de la loi no 2000-647 du 10 juillet 2000 ? Nous avons vu qu’il était parfaitement possible de ne concevoir l’article 4-1 du Code de procédure pénale que comme une conséquence procédurale de la règle de fond édictée à l’article 121-3 du Code pénal776. Et d’aucuns d’invoquer néanmoins le fait que des modifications majeures du droit pénal ont parfois été distillées par le truchement de la procédure pénale, afin de ne pas heurter directement certaines dispositions de fond. À ce propos, nous verrons que l’exemple souvent cité de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental – qui remettrait insidieusement en cause la philosophie du droit de punir777 – doit selon nous être marginalisé. Par conséquent, si l’intention première du législateur avait consisté en l’abandon du système de l’unité des fautes, il aurait pu « énoncer clairement cette règle dans une disposition de fond »778. Ainsi, la méthode procédurale utilisée pose légitimement question quant à la portée de la modification du principe substantiel d’identité des fautes civile et pénale.

773. Loc. cit. 774. Cf. C. civ. art. 1241 nouveau. 775. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 41, p. 641. 776. Cf. supra. Pour une autre conséquence procédurale, cf. la modification de l’article 470-1 du Code de

procédure pénale. 777. Cf. infra, l’étude des conséquences de l’introduction en droit positif de la procédure de déclaration

d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental par la loi no 2008-174 du 25 février 2008. On peut penser que la modification de la procédure pénale applicable à un aliéné, avec à son terme la possibilité de lui infliger des mesures de sûreté s’apparentant à des peines, vient pallier « l’impossibilité » de lui infliger directement des peines – alternative qui résulte normalement de la mise en œuvre préalable de la responsabilité pénale. Ainsi, la modification d’un principe formel peut-elle venir pallier « l’impossibilité », à tout le moins la difficulté, de modifier directement un principe substantiel – en l’occurrence, dans l’exemple étudié, le fait pour l’imputabilité de constituer le fondement de la responsabilité pénale. En ce sens également, A. Giudicelli qui considère que, par le choix d’une réponse procédurale, le législateur a laissé a priori intactes les dispositions de droit pénal de fond sur la responsabilité pénale, à commencer par celles de l’article 122-1 du Code pénal. Cependant, il remarque qu’il apparaît vite que les dispositions nouvelles aboutissent à saisir l’acte du furiosus et non plus à le sortir du champ pénal (A. GIUDICELLI, « Procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale : le refus problématique d’une application immédiate [Cass. crim. 21 janv. 2009, no 08-83.492] », RSC 2009, p. 136).

778. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 41, p. 648.

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Nous continuerons donc à considérer que le principe de l’identité des fautes demeure dans son principe eu égard à son champ d’application. Selon nous, il serait même plus exact de parler de restriction de son champ d’application, consécutivement à l’éclatement du régime unitaire de l’imprudence pénale, que de remise en question à proprement parler du principe. En conclusion, le rattachement de l’imputabilité à l’infraction ne soulevait donc pas de questions jusqu’à la loi du 10 juillet 2000. En effet, il se déduisait logiquement de la conjugaison de l’abandon de l’exigence d’imputabilité en matière civile (total depuis les arrêts d’Assemblée plénière de 1984) avec le principe de l’identité des fautes civile et pénale779, et du maintien de l’exigence d’imputabilité en matière pénale. Ainsi, de l’année 1984 à l’année 2000, la démonstration de l’extériorité de l’imputabilité à l’infraction ne posait pas de difficultés, en raison notamment du caractère absolu du principe de l’unité des fautes. L’introduction, par la loi du 10 juillet 2000, de l’article 4-1 dans le Code de procédure pénale est venue semer le doute sur la portée actuelle du principe d’identité des fautes et, par ricochet, sur le rattachement de l’imputabilité à la responsabilité. Doute levé, après le constat, certes d’une restriction apportée au principe d’identité des fautes civile et pénale, mais non d’une remise en cause. En outre, il est possible de déduire le rattachement de l’imputabilité à la responsabilité en se fondant sur la règle selon laquelle une notion ne peut changer de nature selon le domaine juridique considéré. Cette affirmation d’une identité de nature des notions d’une discipline à l’autre est par ailleurs totalement cohérente au regard du maintien exceptionnel de l’exigence d’imputabilité pour fonder la responsabilité civile, dans l’hypothèse où celle-ci poursuit une finalité punitive.

B. L’imputabilité, fondement exceptionnel de la responsabilité civile engagée à des fins répressives

L’imputabilité n’est plus, en principe, une condition à l’engagement de la responsabilité civile. Cela tient au fait que l’exigence d’imputabilité varie en fonction de la conséquence juridique de la responsabilité mise en œuvre et, plus particulièrement, de la nature de la mesure prononcée. Finalement, c’est plus la nature de la mesure imposée à l’agent qui déterminera le maintien ou non de l’exigence d’imputabilité. En l’occurrence, c’est la fonction indemnitaire de la responsabilité civile qui a conduit à l’abandon de l’exigence d’imputabilité en la matière (1.). Ce constat permet de confirmer le rattachement de l’imputabilité à la responsabilité en mettant en évidence sa fonction finaliste (2.). En droit positif, la résurgence du caractère punitif de la responsabilité civile a logiquement conduit au retour de l’exigence d’imputabilité. En dehors de cas de résurgence ponctuelle de l’imputabilité, la généralisation, en droit positif, de l’amende civile est appelée à questionner le retour de l’impératif d’imputabilité à l’engagement de la responsabilité civile (3.). Certains auteurs préconisent déjà une telle solution pour satisfaire l’objectif premier de réparation intégrale des dommages subis par la victime (4.).

779. Au terme de cette conjugaison, on ne pouvait que conclure au caractère objectivé des culpabilités civile et

pénale.

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1. L’abandon de l ’exigence d ’imputabilité en matière civile justifiée par la fonction réparatrice de la responsabilité civile

Pourquoi l’imputabilité est-elle toujours une condition de la responsabilité pénale alors qu’elle n’est plus, en principe, une condition de la responsabilité civile ? Cela s’explique par le fait que les responsabilités civile et pénale ne poursuivent pas les mêmes finalités, avec l’assignation d’une finalité réparatrice à la première et d’une finalité punitive à la seconde. Cette divergence a justifié la dissociation des responsabilités civile et pénale. Parce qu’elles ne poursuivent pas la même finalité, les conséquences juridiques des déclarations de responsabilité civile et pénale sont distinctes. Le rattachement de l’imputabilité à la responsabilité implique le rattachement de l’imputabilité à la conséquence naturelle de la responsabilité en question780. Il s’ensuit logiquement que l’imputabilité « dépend très étroitement de la finalité de la responsabilité qu’elle conditionne »781. La genèse d’une dualité de responsabilité permet de l’illustrer. Aujourd’hui, « la communauté d’origine du délit pénal et du délit civil »782 est communément admise. Bien que le droit civil ne se soit dégagé qu’à grand peine du droit pénal, la dissociation des deux formes de responsabilités a été initiée dès la fin de l’ère de la vengeance privée783, pour se poursuivre à l’époque moderne, quand l’autorité étatique s’est affirmée davantage784. C’est la codification napoléonienne qui a consacré la séparation de la responsabilité pénale et de la responsabilité civile. Dès ce moment, la nécessité de réparer intégralement les dommages subis par la victime l’emporte déjà dans l’ordre de la responsabilité civile. Deux éléments, selon nous relativement marquants, permettent d’en attester. Tout d’abord, et contrairement au droit pénal où la sanction, visant essentiellement le coupable, est proportionnée à sa faute, « la sanction de la responsabilité civile néglige ordinairement le degré de gravité de la faute commise par le responsable »785. Ensuite, et dans le prolongement de cette idée, il est possible de relever que, dès 1804 et afin de favoriser les victimes, la faute morale et la faute civile ne coïncident pas. Plus concrètement, un fait illicite dommageable commis volontairement786 et un fait dommageable non intentionnel résultant d’une simple faute d’imprudence ou de négligence, si légère soit-elle, sont sanctionnés à l’identique, par la nécessité pour le responsable de réparer intégralement les dommages causés à la victime. Autrement dit, « malgré la différence des deux comportements dans l’ordre de la morale, le Code civil leur attache les mêmes conséquences »787 et « en attachant les mêmes conséquences à la faute intentionnelle, d’une part, aux fautes d’imprudence et de négligence d’autre part, on faisait déjà prévaloir […] la nécessité impérieuse de la réparation des dommages »788.

780. Raymond Garraud soulignait déjà qu’imputer une infraction à un auteur vise en effet à « mettre ce résultat

à son compte pour lui en faire subir les conséquences » (R. GARRAUD, Traité théorique et pratique du droit pénal français, t. 2, Sirey, 3e éd., 1913, no 268).

781. C. MARGAINE, op. cit., no 260. 782. F. TERRE, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les Obligations – Droit, op. cit., no 652. 783. Qu’il s’agisse du droit romain ou de l’ancien droit. 784. Dans le cadre de la responsabilité pénale, l’État infligeait des peines corporelles ou pécuniaires et, dans le

cadre de la responsabilité civile, la victime pouvait obtenir, en argent ou en nature, la réparation du préjudice subi.

785. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les Obligations – Droit civil, op. cit., no 653. 786. Cf. C. civ. art. 1382 ancien ou 1240 nouveau. 787. F. TERRE, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les Obligations – Droit civil, op. cit., no 654. 788. Ibid., no 655.

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En droit civil, ce qui importe donc, c’est l’indemnisation intégrale de la victime, peu important les aptitudes de l’auteur du dommage. Cet objectif est tellement primordial qu’il conduira, avec le développement du machinisme, multipliant notamment les accidents du travail anonymes789, pour lesquels les victimes, se trouvant dans l’impossibilité de démontrer l’existence d’une faute à l’origine du dommage, étaient privées d’indemnité, à l’émergence de responsabilités sans faute790, achevant de distendre les liens qui avaient précédemment uni la réparation à la culpabilité pénale. Or, le maintien de l’imputabilité, en impliquant la prise en compte de qualités intrinsèques à l’auteur pour engager sa responsabilité, venait entraver cet objectif en restreignant le champ de la responsabilité civile. L’une des techniques juridiques choisies, afin d’atteindre cet objectif de réparation intégrale, a donc consisté à abandonner l’exigence d’imputabilité à l’engagement de la responsabilité civile de l’auteur d’un dommage. Son abandon permettait donc d’étendre le champ de la responsabilité civile en favorisant la désignation d’un débiteur d’indemnisation solvable791. En droit pénal, Éric Lepointe, reprenant à son compte la définition de la responsabilité élaborée par Stéfani et Levasseur, considère que la responsabilité pénale consiste en « l’obligation de répondre de ses actes délictueux et de subir la peine qui leur est attachée par la loi »792. Nonobstant la diversité des fonctions contemporaines assignées à la peine corrélée à l’apparition de nouveaux modèles de justice, la fonction du droit pénal reste singulièrement répressive : « […] l’engagement de la responsabilité pénale se solde, en principe, par l’imposition d’une sanction. »793 Or, l’infliction d’une sanction pénale peut, selon les circonstances, s’avérer inopportune, voire illégitime, comme en atteste l’existence de causes d’irresponsabilité pénale794. Pour cette raison, l’imputabilité continue d’être exigée en matière pénale et son maintien vise à restreindre le champ d’application de la responsabilité pénale aux personnes dotées des qualités de discernement et de volonté libre795, à la différence de la matière civile où la sacralisation de l’objectif indemnitaire légitime, dans tous les cas personnels, la condamnation à réparation. Ainsi, à l’instar de Clément Margaine, nous pouvons donc considérer que « l’exigence d’imputabilité peut alors varier en fonction de la conséquence juridique de la déclaration de responsabilité, ce que l’on peut qualifier de caractère “utilitaire” ou “téléologique” de l’imputabilité »796.

789. Ceux pour lesquels la cause du dommage ne provient pas d’une erreur humaine. 790. Comme le relèvent F. TERRE, P. SIMLER et Y. LEQUETTE : « La justice et l’équité commandèrent d’assurer

aux victimes la réparation de dommages anonymes, mais qui n’étaient tels que parce qu’il était devenu souvent irréaliste d’en imputer la survenance à des erreurs humaines. » (Ibid., no 656.) Il n’était pas possible de leur refuser réparation en l’absence de culpabilité, prouvée ou présumée, d’un responsable. Pour cette raison, le droit positif a évolué vers la reconnaissance de responsabilités sans faute, à l’instar de la responsabilité du fait des choses, prévue à l’ancien article 1384, alinéa 1er du Code civil, soit l’article 1242, alinéa 1er nouveau tel qu’il résulte de l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016.

791. Il faut néanmoins préciser que l’auteur du dommage est très souvent relayé par son assureur. 792. É. LEPOINTE, « Le diagnostic judiciaire des faits justificatifs », op. cit., no 2. 793. C. MARGAINE, op. cit., no 262. 794. Art. 122-1 et suiv. du Code pénal. 795. Cf. supra ce que Paul Fauconnet nomme « l’effet régressif des conditions de l’imputabilité sur la responsabilité

pénale ». (P. FAUCONNET, op. cit., p. 312 et suiv.) 796. C. MARGAINE, op. cit., no 262.

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2. La mise en évidence de la fonction téléologique de l ’ imputabilité 797

Aux termes du développement qui précède, il semblerait que l’imputabilité soit d’abord conditionnée par la nature de la responsabilité envisagée. Mais, en approfondissant l’analyse, on s’aperçoit que le rattachement de l’imputabilité à la responsabilité implique le rattachement de l’imputabilité à la conséquence juridique de cette responsabilité. Par conséquent, c’est plus la nature de la mesure imposée à l’agent qui déterminera le maintien ou non de son exigence. Autrement dit, s’il est tentant de cantonner l’imputabilité au cadre de la matière pénale, pour l’exclure de la matière civile, il est plus juste d’établir un lien entre l’exigence d’imputabilité et la nature répressive de la mesure imposée à l’agent et de pouvoir se soustraire à son exigence dans les autres cas. La nature punitive de la mesure n’est pas exclusive au droit pénal. Pour cette raison, la question du retour de l’exigence d’imputabilité lors du prononcé d’une amende civile ou à l’occasion du spectre de l’introduction, en droit positif, des dommages et intérêts punitifs, méritera d’être soulevée798. L’exigence d’imputabilité transcende donc la distinction des deux ordres de responsabilités pénale et civile pour dépendre de la nature punitive de la mesure susceptible d’être imposée à l’agent. Patrice Jourdain, dans sa thèse relative à l’étude de l’imputabilité en matière de responsabilités civile et pénale, donne une illustration pertinente de la dépendance de l’imputabilité aux conséquences de la responsabilité, en distinguant trois situations799. Il considère que l’imputabilité est indifférente dans les cas de responsabilités « indirectes »800 exclusives de toute finalité répressive en raison de l’absence de lien véritable unissant le responsable et le fait dommageable. Il poursuit en précisant qu’une imputabilité « imparfaite »801 est exigée en matière de responsabilité civile pour faute802 et de responsabilité pénale préventive qui vise à l’application de mesures de sûreté ou de mesures éducatives à l’encontre d’un mineur803. En revanche, une imputabilité « parfaite », comprenons à la fois physique et morale, est exigée quand la responsabilité pénale conduit à prononcer des peines et quand la responsabilité

797. Pour de plus amples développements, cf. infra, le chapitre relatif aux rôles des composantes de la

responsabilité pénale. 798. Cf. infra, « Le retour de l’exigence d’imputabilité en matière civile justifié par la fonction punitive de la

responsabilité civile ». 799. P. JOURDAIN, Recherche sur l’imputabilité en matière de responsabilités civile et pénale, op. cit., nos 239 et suiv. 800. Responsabilité civile du fait des choses (ancien article 1384, alinéa 1er devenu 1242, alinéa 1er nouveau du

Code civil), des animaux (ancien article 1385 devenu 1243 nouveau du Code civil), du fait d’autrui (ancien article 1384 alinéas 4 et 5 devenu article 1242 alinéas 4 et 5 nouveau du Code civil). D’ailleurs, ces responsabilités « indirectes » – quoique l’emploi de ce terme soit devenu maladroit depuis l’entrée en vigueur de la loi no 2000-647 du 10 juillet 2000 –, particulièrement celles du fait d’autrui, ne se rencontrent pas en principe en matière pénale qui a consacré le principe de la responsabilité du fait personnel (cf. l’article 121-1 du Code pénal : « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait »).

801. P. Jourdain utilise ce vocable pour désigner la seule imputabilité matérielle ou physique, « représentant le premier degré et une forme encore imparfaite de l’imputabilité » (P. JOURDAIN, Recherche sur l’imputabilité en matière de responsabilités civile et pénale, op. cit., no 242 et no 246 et suiv.).

802. C. civ., art. 1382 et 1383. 803. Notons, toutefois, qu’il est aujourd’hui établi que l’infliction de mesures éducatives à un mineur suppose

de pouvoir caractériser une imputabilité « parfaite », puisqu’aux termes de l’article 122-8 du Code pénal, il faudra préalablement caractériser l’existence de son discernement. Dans le cadre de cette étude, nous proposerons d’ailleurs d’étendre cette exigence à tous les cas de responsabilité pénale préventive, et notamment de toujours fonder le prononcé de mesures de sûreté à l’encontre d’un majeur sur la caractérisation de son imputabilité. Plus généralement, donc, il sera proposé de réunir formellement les peines et les mesures de sûreté en une seule catégorie de sanctions pénales en consacrant la théorie de la voie unique.

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civile conduit à prononcer des mesures civiles au contenu répressif. Cette illustration souligne bien la dépendance de l’imputabilité à la nature de la mesure susceptible d’être imposée à l’intéressé : En principe, particulièrement en présence d’un majeur, il n’est pas requis de caractériser l’imputabilité du sujet lorsque la finalité est réparatrice ou préventive. En revanche, cette exigence fait son retour lorsque la finalité est répressive. On retrouve l’idée que cette exigence transcende bien la distinction établie entre responsabilité civile et responsabilité pénale. Dans le même sens, et concernant le domaine de la responsabilité pénale préventive, Clément Margaine souligne qu’« en matière pénale, l’exigence d’imputabilité dépend du type de mesures envisagées, véritables peines ou mesures de sûreté, révélant ainsi une différence de régime fondée sur la fonction de la sanction »804. Le droit pénal des majeurs se départit donc de l’exigence d’imputabilité dès que la responsabilité pénale poursuit une finalité prétendument préventive805. Par symétrie inversée, pourrait-on dire, l’exigence d’imputabilité fait son retour en matière civile dès lors que la responsabilité poursuit une finalité punitive.

3. Le retour de l ’exigence d ’imputabilité en matière civile justifié par la fonction punitive de la responsabilité civile

Si l’exigence d’imputabilité a déjà fait son retour dans la jurisprudence civile (3.1), le droit positif, avec la consécration de l’amende civile, ou un peu de droit prospectif, avec la perspective de l’introduction des dommages et intérêts punitifs, invitent aussi à considérer une intervention du législateur en ce sens (3.2).

3.1 Le retour de l’exigence d’imputabilité dans la jurisprudence civile

Ainsi, et pour raisonner sur la seule responsabilité civile, dès lors qu’elle poursuit l’objectif de réparation du dommage causé à la victime, non la sanction de l’auteur du dommage, l’abandon de l’exigence d’imputabilité est justifié. En revanche, « lorsque le droit civil ne vise plus à réparer mais à sanctionner, on remarque que le discernement retrouve à nouveau un rôle »806. On peut citer par exemple la décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 9 novembre 1983807 aux termes de laquelle elle a cassé une décision des juges du fond ayant condamné à la faillite personnelle un dirigeant social placé sous tutelle, sans rechercher si celui-ci avait agi avec discernement. La faillite personnelle s’analysant en une peine privée, elle ne pouvait se concevoir à défaut d’imputabilité de l’agent. Pour une confirmation jurisprudentielle récente, il est possible de consulter la décision rendue par la

804. C. MARGAINE, op. cit., no 266. 805. C’est le cas dans le cadre de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble

mental prévue aux articles 706-119 et suivants du Code de procédure pénale qui consacrent la possibilité de prononcer des mesures de sûreté malgré l’existence d’un trouble mental ayant aboli le discernement de l’auteur des faits ; procédure que nous proposerons de réformer notamment au regard de cette faculté offerte depuis 2008 au juge judiciaire.

806. C. MARGAINE, op. cit., no 294. 807. Civ. 1re, 9 nov. 1983, 1re espèce, no 81-16549, Bull. crim., no 265, D. 1984, p. 139, note F. DERRIDA. Cf.

également infra, la présomption de non-imputabilité à l’égard d’un majeur placé sous un régime de protection juridique.

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première chambre civile de la Cour de cassation le 28 mars 2012808, aux termes de laquelle la sanction civile d’indignité successorale exige, pour sa mise en œuvre, que la responsabilité pénale de l’intéressé ait été engagée, autrement dit, que l’imputabilité ait été caractérisée. Dans le même ordre d’idée, on peut noter que l’exigence d’imputabilité doit être maintenue en cas de faute intentionnelle809 et de faute inexcusable810, ces deux fautes présentant chacune une dimension répressive. L’imputabilité redevient donc une condition de la responsabilité civile lorsqu’elle poursuit une finalité punitive – ce qui, une nouvelle fois, met en évidence le caractère téléologique de sa fonction. Le renforcement du caractère punitif de la responsabilité civile à la faveur de l’évolution du droit positif questionne logiquement le retour de l’impératif d’imputabilité à l’engagement de la responsabilité civile.

3.2 Le retour de l’exigence d’imputabilité à l’engagement de la responsabilité civile questionnée à l’aune de la généralisation de l’amende civile

Comme les développements précédents l’ont mis au jour, le droit civil est aussi depuis plusieurs années en profonde mutation. Nous avons déjà rappelé que le droit commun de la responsabilité civile était régi par le principe de réparation intégrale du préjudice en vertu duquel les dommages-intérêts doivent strictement correspondre au préjudice subi, sans qu’il ne puisse en résulter pour la victime « ni perte ni profit ». Ce principe, qui vise le retour au statu quo ante, en prohibant tout enrichissement injustifié pour la victime, est logiquement indifférent à la nature ou la gravité de la faute commise. L’articulation entre le principe de la réparation intégrale du préjudice et le prononcé de dommages et intérêts punitifs paraît donc difficile. Cette institution, en provenance des pays de Common Law, fait aussi polémique en ce sens qu’elle serait de nature à confondre les responsabilités civile et pénale en assignant à la responsabilité civile une dimension assumée tout à la fois préventive et punitive. Pour autant, de nombreux auteurs militent en faveur de l’introduction en droit positif des dommages et intérêts punitifs, afin de sanctionner les comportements déloyaux. Si d’aventure elle venait à se produire, il nous semble qu’il faudrait reconsidérer la question de l’exclusion de l’exigence d’imputabilité à l’engagement de la responsabilité civile. Dans le cadre de ce développement, il importe simplement de signaler que plusieurs éléments rendent cette perspective vraisemblable, voire même que le rubicond est en passe d’être franchi par la généralisation d’un substitut incarné par l’amende civile. En premier lieu, le principe de la réparation intégrale du préjudice n’est pas, en pratique, aussi intangible qu’il y paraît. On pense d’abord au fait qu’il n’est pas d’ordre public et à l’existence de nombreuses dérogations législatives, à l’instar de la reconnaissance de la clause

808. Cf. supra. 809. Selon P. Jacques : « Cette faute a pour but moins la réparation que la sanction. Ce rôle, essentiellement

répressif, assure la répression de certains comportements, ce qui nécessite le maintien du discernement. » (P. JACQUES, note sous Civ. 2e, 28 févr. 1996, no 94-13084, Bull. crim., no 54, Gaz. Pal. 1997, 1, p. 86, spéc. p. 91.

810. Toujours selon P. Jacques, « […] la fonction de la faute inexcusable est répressive ». Donc l’exigence du discernement doit encore s’imposer puisque « si l’on synthétise les effets de cette faute, on s’aperçoit qu’ils tendent à priver une personne, une victime le plus souvent […] d’un régime de faveur. » (Ibid.)

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pénale ou des clauses limitatives de réparation. Ensuite, au-delà du mythe du retour au statu quo ante, la Cour de cassation, en laissant aux juges du fond le pouvoir d’apprécier souverainement l’étendue du dommage subi par la victime, autorise implicitement le « gonflement » du préjudice réellement subi par la prise en compte sous-jacente de la faute commise811. La Haute Juridiction s’est même expressément positionnée en faveur de la consécration des dommages et intérêts punitifs. Par un arrêt remarqué rendu le 1er décembre 2010, la Cour de cassation a admis la compatibilité, de principe, d’une telle sanction à l’ordre public – à condition toutefois qu’un principe de proportionnalité soit respecté812. On pense aussi à certaines disciplines, à l’instar du droit des affaires qui est fortement marqué par cette finalité punitive alors même qu’il reste régi par le droit commun de la responsabilité civile. Selon Aurélie Ballot-Léna, « ce qui frappe c’est la fonction punitive poursuivie par la responsabilité civile en droit des affaires. Certains régimes spéciaux de responsabilité civile propres au droit des affaires en sont autant d’illustrations »813. Dans le prolongement de ces propos, on peut citer l’action en concurrence déloyale. Elle n’est pas consacrée par un texte spécial. Ce sont les anciens articles 1382 et 1383 qui servent de fondement à l’action. Bien qu’elle repose sur les dispositions du droit commun, il est souvent dit que la sanction prononcée a un caractère punitif. C’est autrement considérer que cette discipline consacrerait, sans le dire, le concept de dommages et intérêts punitifs. Ces solutions particulières conduisent inévitablement à une déformation des notions classiques de la responsabilité civile, à commencer par celle de préjudice. C’est donc sans surprise que plusieurs projets ont proposé une réforme de la responsabilité civile, inspirée pour partie du droit des affaires. Le rapport Béteille814 et le projet Catala815 ont ainsi proposé l’instauration, en droit français, de dommages-intérêts punitifs. Si la dernière réforme du droit de la responsabilité civile ne va pas jusque-là, le droit interne s’en rapproche à grands pas. La généralisation de l’amende civile en est le symptôme. Cette dernière peut s’analyser en un véritable substitut aux dommages et intérêts punitifs. Elle présente l’avantage fallacieux de ne pas toucher au dogme de la réparation intégrale du préjudice.

811. On peut d’ailleurs se demander si l’admission de la réparation du préjudice moral ne poursuit pas un

objectif punitif. Ce dernier, qui ne saurait par hypothèse se mesurer à l’aune de la perte patrimoniale subie par la victime, ne réfère-t-il pas en pratique à la gravité de la faute commise ?

812. Cass. civ. 1re, 1er déc. 2010, no 09-13.303, Bull. 2010, I, no 248, D., 2011, actu. 24, obs. I. GALLMEISTER ; D., 2011, p. 423, note F.-X. LICARI ; RTD civ. 2011, p. 122, obs. B. FAGEs ; RTD civ. 2011, p. 317, obs. P. REMY-CORLAY.

813. A. BALLOT-LENA, « Les pratiques des affaires saisies par le droit commun de la responsabilité civile français », actes du colloque de Sarrebruck, 26 juin 2015 – Pratique des affaires et règles juridiques : influences, limites.

814. A. ANZIANI et L. BETEILLE, « Responsabilité civile : des évolutions nécessaires » ; Rapport d’information no 558 (2008-2009) fait au nom de la commission des lois du Sénat, déposé le 15 juillet 2009, disponible sur le site Internet du Sénat.

815. P. CATALA (sous la dir. de), Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, 2006, La documentation française, rapport au ministère de la Justice. Par exemple, l’avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, présenté par le professeur Catala, proposait un nouvel article 1371 du Code civil, lequel disposait que : « L’auteur d’une faute manifestement délibérée, et notamment d’une faute lucrative, peut être condamné, outre les dommages et intérêts compensatoires, à des dommages-intérêts punitifs dont le juge a la faculté de faire bénéficier pour une part le Trésor public. La décision du juge d’octroyer de tels dommages-intérêts doit être spécialement motivée et leur montant distingué de celui des autres dommages-intérêts accordés à la victime. Les dommages-intérêts punitifs ne sont pas assurables. »

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L’enrichissement injustifié de la victime est évité puisqu’elle sera versée au Trésor public ou à un fonds de garantie. Jusqu’à la réforme de la responsabilité civile, l’amende civile était prévue par des dispositions spécifiques destinées à régir des situations ponctuelles816. La réforme s’est orientée vers la généralisation du recours à l’amende civile. Dévoilant l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile, Jean-Jacques Urvoas a précisé que « lorsque le responsable d’un dommage, sans pour autant chercher à le causer, aura commis volontairement une faute pour rechercher un gain ou une économie, il pourra se voir infliger une amende civile, dont le montant sera versé à l’État ou à un fonds d’indemnisation »817. L’ancien garde des Sceaux a tenu à préciser que « cette amende civile est différente de la notion de “dommages et intérêts punitifs”, versés à la victime de la faute que nombre de juristes craignaient de voir introduite en droit français »818. Bien qu’il ait tenu à souligner que « l’amende civile à la française sera respectueuse de notre tradition juridique »819, l’appréhension globale des comportements fautifs par le recours à l’amende civile nous paraît à elle seule susceptible d’affecter les principes fondamentaux de la responsabilité civile. En effet, elle a pour conséquence évidente de renforcer plus encore la dimension préventive et punitive de la responsabilité civile. Cette problématique dévoile la « face cachée de notre droit de la responsabilité civile abordé dans sa fonction de peine privée »820 au point de pouvoir considérer que la responsabilité civile constitue aujourd’hui une responsabilité « parapénale »821. L’amende civile est « du droit pénal sans le droit pénal »822. Ainsi, l’un des effets pervers peut consister à priver l’agent de certains mécanismes protecteurs du droit pénal. Pour cette raison, nous ne souscrivons pas à l’analyse d’une partie de la doctrine considérant que son introduction en droit positif ne bouleverse pas les principes fondamentaux de la responsabilité civile. Le rapprochement décisif ainsi opéré entre responsabilité civile et responsabilité pénale invite à questionner le retour de l’exigence d’imputabilité à l’engagement de la responsabilité civile, sans qu’il ne soit nécessaire d’attendre l’éventuelle consécration, en droit interne, des dommages et intérêts punitifs. De manière plus surprenante, le retour de l’exigence d’imputabilité en droit de la responsabilité civile pourrait aussi être plébiscité pour renforcer l’objectif indemnitaire de cette responsabilité. À l’occasion d’une réflexion menée sur l’amélioration de l’indemnisation des victimes, certains auteurs regrettent que l’abandon de principe de l’imputabilité en matière civile ait contribué à amoindrir, voire à exclure, la réparation de la victime ayant contribué à la réalisation de son dommage.

816. Elle devait être prévue par un texte spécifique et prononcée par une juridiction de l’ordre judiciaire pour

des faits qui ne sont pas constitutifs d’une infraction pénale. Pour une étude de ces hypothèses spécifiques, cf. A. BALLOT-LENA, op. cit.

817. Dalloz act., 14 mars 2017, « Jean-Jacques Urvoas dévoile l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile ».

818. Ibid. 819. Ibid. 820. S. CARVAL, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, LGDJ, t. 250, 1995. 821. R. MESA, « La consécration d’une responsabilité civile punitive : une solution au problème des fautes

lucratives », Gaz. Pal., 21 nov. 2009, no 235, p. 15. 822. M. BEHAR-TOUCHAIS, « L’amende civile est-elle un substitut à l’absence de dommages et intérêts

punitifs ? », Petites Affiches, 20 nov. 2002, no 232, p. 36.

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4. Le retour de l ’exigence d ’imputabilité afin de garantir l ’intégralité de la réparation des dommages subis par la victime

Ce questionnement vise l’hypothèse où la faute de la victime peut lui être opposée pour venir réduire son droit à indemnisation nonobstant son défaut d’imputabilité, et alors même qu’elle aurait concouru à la réalisation du dommage en raison précisément de son défaut de discernement. D’ailleurs, il est notable qu’aucun des arrêts d’Assemblée plénière du 5 mai 1984, ayant définitivement condamné l’exigence d’imputabilité, ne concernait un dommage causé à autrui par la faute d’un enfant823. Il faudra attendre un arrêt du 12 décembre 1984 pour qu’un mineur auteur d’un dommage se voie appliquer l’ancien article 1383 du Code civil824. L’abandon de l’exigence d’imputabilité paraît contestable dans cette hypothèse. Ainsi, nombre d’auteurs plaident-ils pour le maintien de l’imputabilité en cas de faute de la victime.

Plusieurs arguments en ce sens peuvent être invoqués. En premier lieu, on peut relever l’absence de fondement juridique à la prise en compte de la faute de la victime. En effet, aucun texte ne prévoit de rôle partiellement exonératoire à la faute de la victime. Particulièrement, l’ancien article 1382 du Code civil825, en visant le dommage causé à « autrui », non à soi-même, ne peut non plus expliquer pourquoi la victime doit supporter les conséquences de sa propre faute. En second lieu, le caractère punitif de la limitation du droit à réparation, constituant une véritable peine privée, devrait logiquement conduire au rétablissement de l’exigence d’imputabilité. En outre, la prise en compte de la faute de la victime vient entraver la volonté contemporaine, exacerbée même, d’améliorer l’indemnisation des victimes. Il serait donc, a minima, souhaitable de maintenir l’exigence d’imputabilité en droit de la responsabilité civile, non seulement lorsque cette dernière poursuit une finalité punitive, mais encore lorsque la faute commise par la victime lui est opposée pour venir restreindre son droit à indemnisation : la réduction du droit à réparation de la victime serait conditionnée par la preuve de son discernement au moment du dommage.

Le maintien de l’exigence d’imputabilité chaque fois que la responsabilité possède une dimension répressive, au-delà du lien entre imputabilité et responsabilité, met en évidence le lien entre l’exigence d’imputabilité et le caractère répressif des mesures sanctionnant la responsabilité d’un individu. Ce lien, en transcendant même la distinction entre les responsabilités pénale et civile, comme en témoigne le brouillage sporadique des finalités de chacune de ces responsabilités826, ne fait que conforter l’extranéité de l’imputabilité à l’infraction.

823. Les arrêts Lemaire et Derguini concernaient en effet des enfants victimes à qui l’on opposait leur propre faute. 824. C. civ., art. 1241 nouveau. 825. C. civ., art. 1240 nouveau. 826. Cf. supra l’évocation de cas de « responsabilité pénale préventive » et de responsabilité civile conduisant à

l’application de mesures au contenu répressif.

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Chapitre II –

La localisation de l’imputabilité et de la culpabilité déterminante de leurs fonctions respectives

La démonstration de l’extériorité de l’imputabilité par rapport à l’infraction est une condition nécessaire, mais non suffisante, à la démonstration du rattachement de l’imputabilité à la responsabilité. En effet, la non-intégration de l’imputabilité à l’élément psychologique de l’infraction ne postule pas pour autant la postériorité de son débat sur celui relatif à la culpabilité, comme nous l’avons vu lors de l’étude de l’existence de présomptions en matière d’imputabilité. Or, il importe au regard de l’objectif de cette recherche, particulièrement au regard du constat de l’évolution du rôle de l’imputabilité827, de pouvoir exclure la primauté d’un débat sur l’imputabilité. Nous venons de voir qu’en matière civile la notion se rattache à celle de responsabilité, comme le démontre la prise en compte exceptionnelle de l’imputabilité pour fonder la responsabilité civile. Si le maintien exceptionnel de l’imputabilité en tant que fondement de la responsabilité civile constitue l’antichambre du rattachement de l’imputabilité à la responsabilité pénale, il importera d’établir positivement, par le recours à des règles de droit pénal, le rattachement exclusif de l’imputabilité à la responsabilité pénale828. Ce dernier peut être établi par le recours à des règles de droit pénal de fond ou de forme. Les règles de forme, consistant en l’existence de cas spéciaux de césure du procès pénal en droit positif, ne seront pas étudiées dans le cadre de ce chapitre829. La démonstration se fondera sur le droit pénal de fond et, plus particulièrement, sur les règles législatives et jurisprudentielles gouvernant le régime de la complicité. D’une manière générale, on peut dire que le rattachement exclusif de l’imputabilité à la responsabilité résulte de l’actualité, en droit positif, du système de l’emprunt de criminalité (section 1). Une fois le rattachement de l’imputabilité à la responsabilité démontré, il sera permis de relever la cohérence entre la localisation et les fonctions des deux composantes de la responsabilité pénale et, au-delà, leur complémentarité fonctionnelle dans la protection des droits fondamentaux (section 2).

827. Cf. infra, partie 2. 828. Cette formulation ne signifie pas que la culpabilité soit extérieure à la responsabilité, elle a pour but de

souligner la différence entre la culpabilité et l’imputabilité. Alors que la première se rattache à la fois à l’infraction et à la responsabilité, la seconde ne se rattache qu’à la responsabilité.

829. Cf. infra, partie 2. Au rang des procédures étudiées, la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Il sera notamment rappelé que, concernant par exemple la phase de l’instruction, l’agent peut d’abord faire l’objet d’une déclaration de culpabilité avant de voir son imputabilité débattue devant la chambre de l’instruction. Comment expliquer cet ordre des priorités autrement que par une extériorité de l’imputabilité à l’infraction et un rattachement de la notion au concept de responsabilité pénale ?

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Section 1 – Le rattachement exclusif de l’imputabilité à la responsabilité découlant du système de l’emprunt de criminalité.

D’une manière générale, on présente le complice comme celui qui, sans accomplir lui-même les éléments constitutifs de l’infraction, s’associe à la commission de l’infraction imputable à l’auteur principal par aide, assistance ou provocation. La complicité étant une criminalité accessoire, la question s’est posée de savoir si la responsabilité pénale du complice devait être étroitement commandée, tant au plan de l’incrimination que de la sanction légalement applicable, par l’acte accompli par l’auteur. Plusieurs représentations conceptuelles de la complicité ont donc été, et sont encore, débattues en doctrine. Cependant, nous démontrerons que, malgré la fluctuation opportuniste de quelques décisions jurisprudentielles, le droit positif consacre la théorie de l’emprunt de criminalité (§ 1). Or, la combinaison du système de l’emprunt de criminalité avec l’indifférence des causes de non-imputabilité bénéficiant à l’auteur sur la répression du complice (§ 2) permettent de conclure non seulement à l’extériorité de l’imputabilité à l’infraction, mais encore au rattachement de l’imputabilité à la responsabilité.

§ 1 - La concordance du droit positif avec le système de l’emprunt de criminalité

Parmi les différentes théories de la complicité, le législateur a donc fait le choix du principe de l’emprunt de criminalité (A.). D’aucuns se fondent néanmoins sur la jurisprudence pour arguer d’un renouvellement de la question du maintien de ce principe. Il ne perdurait que dans une dimension relative, la perte de son caractère absolu résultant d’un glissement de l’emprunt de criminalité vers l’emprunt de matérialité. Nous démontrerons cependant, à travers l’analyse d’une décision largement commentée, que la tendance à l’autonomisation de principe de la complicité n’est juridiquement pas fondée (B.).

A. Le système théorique de droit positif en matière de complicité : l’emprunt de criminalité

Si plusieurs représentations conceptuelles de la complicité ont été élaborées en doctrine (1.), le droit positif, particulièrement depuis l’entrée en vigueur du Code pénal de 1994, retient la théorie de l’emprunt de criminalité (2.).

1. Les principales représentations conceptuelles de la complicité

Les théories de la complicité sont conçues à l’intérieur de deux systèmes antagonistes : le système de l’unité d’infraction et le système de la pluralité d’infractions. Dans le cadre de ce développement, seules deux représentations toujours en concurrence au regard de la jurisprudence seront ici présentées.

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1.1 La complicité, délit-accessoire à l’infraction principale

La théorie de l’emprunt de criminalité retiendra d’abord notre attention. Elle relève d’un système unitaire d’infraction. Cela signifie que le complice n’est pas l’auteur d’une infraction autonome. Il se rend « complice » de l’infraction commise par l’auteur principal. Autrement dit, lorsque l’acte principal tombe sous le coup de la loi pénale, il communique à l’acte de complicité sa qualification. Par exemple, lorsque l’auteur principal commet un meurtre, le complice est condamné pour complicité de meurtre. Comme le résume Jean Carbonnier, « c’est la criminalité de l’action principale qui donne ouverture à la criminalité de l’action accessoire »830. Comme l’expriment à leur tour Roger Merle et André Vitu, l’unité d’infraction est justifiée par le fait que « les actes accomplis par le complice “empruntent” la criminalité de l’acte réalisé par l’auteur ou le coauteur. En effet, les opérations matérielles qui caractérisent la complicité sont généralement dépourvues de criminalité propre. La fourniture de l’arme qui va servir au crime, la surveillance des alentours du théâtre de l’infraction, la conduite du véhicule qui amènera à pied d’œuvre les auteurs principaux, voire les ordres ou les instructions donnés à un agent d’exécution, ne prennent en principe une coloration pénale que par contagion avec l’infraction commise par l’auteur ou le coauteur. […] Le complice n’a pas personnellement commis une infraction autonome qui serait juxtaposée à celle de l’auteur : il a favorisé l’entreprise délictueuse de l’auteur »831. Il importe de préciser que l’étendue de cet emprunt de criminalité est absolue, en ce sens que le complice n’emprunte pas seulement la matérialité de l’acte répréhensible mais son intentionnalité. En d’autres termes, l’acte principal doit consister en une infraction caractérisée en tous ses éléments constitutifs. Il convient néanmoins de préciser qu’aux termes de cette théorie, si l’infraction principale commise par l’auteur doit être punissable, il est de jurisprudence constante qu’il n’est pas nécessaire qu’elle soit effectivement punie. Peu importe, donc, que l’auteur soit impuni pour une raison de droit832 ou de fait, en fuite833, resté inconnu834 ou non encore poursuivi835. Cependant, la criminalité d’emprunt est décriée par une partie de la doctrine. Si elle a d’abord été critiquée pour l’expression même « emprunt de criminalité »836, elle est surtout remise en

830. J. CARBONNIER, « Du sens de la répression applicable aux complices selon l’article 59 du Code pénal »,

JCP, 1952.I.1034. 831. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 537. 832. Par exemple, une cause de droit tenant à l’existence d’une cause de non-imputabilité (cf. infra, immunité,

prescription, amnistie). 833. Cass. crim., 1er mars 1886, Bull. crim., no 50. 834. Cass ; crim., 24 mai 1945, Bull. crim., no 57 ; 19 mai 1953 (ibid.), no 177 ; 17 mai 1970, D. 1970, p. 515 ;

18 nov. 1976, no 75-92805, Bull. crim., n o 332. 835. Cass. crim.,28 mai 1990, Bull. crim., no 214 ; D. 1990, no 89-83826, IR p. 217 ; Cass. crim., 28 nov. 2006,

no 06-81060, Bull. crim., no 294 ; Dr. pén., 2007. 31, obs. M. VERON ; RSC 2007. 79, obs. Y. MAYAUD. 836. Cf. J.-H. ROBERT, « Imputation et complicité », JCP, 1975, I, p. 2720, no 7 : l’expression est critiquable en

ce qu’» elle implique un transfert, une communication, d’un caractère qui est la criminalité, depuis l’action de l’auteur vers celle du complice ». Or, selon l’auteur, nos 8 et 9 : « […] cette opposition entre l’innocence intrinsèque des actes du complice et la criminalité certaine des agissements de l’auteur principal n’est pas convaincante. […] L’acte du complice et celui de l’auteur principal, considérés en eux-mêmes, ne sont pas plus “criminels” l’un que l’autre […]. S’il y avait vraiment une différence intrinsèque de criminalité entre l’action des deux agents, la jurisprudence et la loi ne pourraient pas, aussi facilement qu’elles le font, mêler complicité et coaction. » Peut-être aurait-il été alors plus judicieux d’employer l’expression préférée des auteurs classiques d’» unité de délit » ou « assimilation de qualification » ?

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question au regard de deux séries de conséquences qu’elle produit. On a d’abord stigmatisé ses solutions trop sévères au regard de l’équité car elle conduit à une égalité de traitement du complice et de l’auteur, le complice tombant sous le coup de la même qualification pénale et des mêmes pénalités légales que l’auteur837, alors même que l’acte principal est plus grave qu’il ne l’avait prévu838. À l’opposé, cette théorie est ensuite décriée pour ses solutions trop laxistes lorsqu’elle conduit à l’impunité de l’instigateur faute d’infraction principale punissable bien que cette dernière ne soit pas caractérisée parce que l’auteur principal s’est désisté ou que l’un des éléments constitutifs de l’infraction fait défaut839. Ces hypothèses d’impunité sont contestables avant tout car elles laissent hors du champ de la répression un nombre important de comportements dangereux. Cette défaillance répressive a été mise en évidence à l’occasion de deux affaires célèbres rendues par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 25 octobre 1962. Dans la première affaire, un certain Lacour entendait faire tuer le fils d’une amie et avait recruté à cette fin, contre rémunération, un individu. Dans la seconde, un dénommé Schieb, souhaitant faire disparaître sa femme qui ne consentait pas à divorcer, demandait à un individu de s’en charger et, pour ce faire, lui remettait de l’argent et lui procurait une arme. Dans les deux cas, l’auteur matériel se désiste, entraînant avec lui l’impunité du donneur d’ordre. Nombre de détracteurs de la criminalité d’emprunt se sont d’abord étonnés du manque de logique de la solution conduisant à ce qu’« un événement extérieur, sur lequel le complice n’a aucune emprise, en l’occurrence la renonciation de l’auteur matériel à l’exécution du projet convenu, puisse […] préjuger de l’absence de répression du comportement d’un tierce personne, le provocateur »840. Raffaele Garofalo exprimait déjà cette critique par la formule suivante :

Comment ! L’action ou l’omission d’un autre homme peut me rendre coupable ou innocent ! Comment ! Lorsque je n’ai plus rien à ajouter pour qu’un crime s’accomplisse, ce que je fais peut être tout ou peut être rien, selon ce qu’un autre en aura décidé sans le porter à ma connaissance !841

Les détracteurs de la criminalité d’emprunt se sont ensuite émus, pour ne pas dire indignés, de l’impunité du donneur d’ordre à laquelle mène inéluctablement l’emprunt de criminalité au regard de la moralité, mais, plus encore, de la protection de la société. En effet, comme le note Anne Ponseille, « la culpabilité et la dangerosité du “pousse-au-crime”, du “cerveau”, du “moteur de l’infraction”, existent indépendamment de l’intervention d’un tiers, l’acte de

837. Quoique cette dernière affirmation ait pu être tempérée avec l’entrée en vigueur du Code pénal de 1992,

qui, en son article 121-6, punit le complice « comme auteur » et non plus « de la même peine que les auteurs » de l’infraction (cf. C. pén. anc., art. 59). Il est vrai que cette modification terminologique procède avant tout de la nécessité de tenir compte de la responsabilité nouvelle des personnes morales – celles-ci encourant des peines particulières, une personne morale complice d’une infraction commise par une personne physique ne peut subir la même peine que l’auteur. D’autre part, le principe de personnalisation des peines consacré à l’article 132-24, devenu l’article 130-1, offre au juge la possibilité de rétablir l’équité. L’égalité de traitement n’existe donc qu’au plan législatif. On pourrait même parler de la possibilité d’un emprunt seulement relatif de pénalité.

838. Par exemple, un vol simple qui se transforme en vol qualifié en raison de la réunion de circonstances aggravantes réelles.

839. Particulièrement son élément intentionnel. 840. A. PONSEILLE, « L’incrimination du mandat criminel ou l’article 221-5-1 du Code pénal issu de la

loi no 2004-204 du 9 mars 2004 », Dr. pén. 2004, étude 10. 841. R. GAROFALO, La Criminologie, Félix Alcan, 1895, 4e éd., p. 354.

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l’auteur matériel n’y change rien. Ce système ne tient pas compte de la personnalité éminemment dangereuse du complice… »842. Évelyne Garçon considère également que « la dangerosité et la moralité déplorable de celui qui a fourni les instructions à l’auteur des faits » peuvent se manifester « par des actes dépourvus d’équivoque, de telle sorte que sa relaxe pourrait paraître choquante »843. La Cour de cassation rejeta d’ailleurs les pourvois en considérant que de tels comportements, bien que particulièrement dangereux, ne pouvaient être réprimés ni au titre de la tentative, en l’absence de commencement d’exécution, ni au titre de la complicité en l’absence de fait principal punissable. Pour pallier les inconvénients allégués de la criminalité d’emprunt, la doctrine a proposé d’abandonner purement et simplement la théorie de l’emprunt de criminalité au profit du système de la complicité comprise comme délit-distinct. Elle a ainsi imaginé une représentation conceptuelle de la complicité fondée sur une pluralité d’infractions844. Nous choisissons ici de rappeler la thèse particulière du Doyen Jean Carbonnier, pour qui la complicité constitue un délit distinct mais dépendant de l’infraction principale.

1.2 La complicité, délit distinct mais dépendant de l’infraction principale

Nous ne traiterons pas ici de la théorie, défendue un temps par une partie de la doctrine et considérant la complicité comme une infraction juridiquement distincte de celle de l’auteur principal, car il nous paraît peu cohérent au regard de l’essence même de la complicité de rompre tout lien qui rattache la répression de l’acte de complicité à celle de l’acte principal845. Le choix d’envisager la complicité en tant que délit distinct mais néanmoins dépendant de l’infraction principale est justifié par le fait que cette théorie concurrence la criminalité d’emprunt, tant dans la doctrine majoritaire qu’en jurisprudence, au point même de la remettre en question dans certaines décisions contemporaines. Cette théorie, reposant sur une pluralité d’infractions, se présente a priori comme la meilleure alternative à la criminalité d’emprunt car, tout en conservant le caractère accessoire de la complicité, elle vient remédier, d’une manière générale, à la conséquence « laxiste » du défaut d’infraction principale punissable sur la répression de la complicité. Il nous appartiendra donc dans un second temps de questionner la pertinence de cette remise en cause. Selon Jean Carbonnier, l’illustre artisan de cette théorie, la complicité pourrait donc être considérée comme un délit distinct mais néanmoins « conditionné » par l’infraction principale. Ainsi, nous pouvons vérifier qu’en tant que délit distinct, l’analyse n’a pas de mal

842. Loc. cit. 843. É. GARÇON, « Complicité du délit d’exportation illicite de stupéfiants et fait principal punissable », D.

2003, p. 2661. 844. Nous verrons ultérieurement qu’il était possible de remédier à ces inconvénients simplement en apportant

des tempéraments à la criminalité d’emprunt, sans remettre en cause toute la théorie. 845. En ce sens également, J. Carbonnier qui considère que « si la théorie de la complicité délit distinct devait

signifier que le délit accessoire peut être poursuivi et puni en dehors de toute criminalité du fait principal, elle serait à rejeter sans plus ample examen, car la notion d’une complicité entièrement détachée de l’action de l’auteur aurait quelque chose de contradictoire en soi. On n’est pas complice de façon absolue ; on est complice de quelqu’un ou de quelque chose. Une complicité sans relation avec un acte principal est un non-sens » (J. CARBONNIER, op. cit.).

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à discerner, dans la structure de la complicité, tous les éléments constitutifs d’un délit spécial du type le plus courant846. Au rang des éléments constitutifs de la complicité, on retrouve donc un élément légal, figurant en l’espèce aux articles 121-6, 121-7 et R. 610-2 du Code pénal, un élément matériel caractérisé par les diverses opérations – aide, assistance ou instigation – favorisant l’action délictueuse de l’auteur principal et un élément psychologique se traduisant par la connaissance du caractère délictueux des agissements de l’auteur principal et la volonté de s’y associer. En tant que délit conditionné par l’infraction principale, ce délit autonome comporte un quatrième élément, « une sorte d’élément juridique : le caractère délictueux de l’action d’autrui avec laquelle les agissements du prévenu ont été en relation »847. Comme le relève judicieusement Jean Carbonnier, « le délit d’autrui s’incorpore à la définition du délit de complicité, comme le contrat violé entre dans la formule de l’abus de confiance »848. L’une des conséquences majeures découlant de cette théorie est relative à cet élément surnuméraire. Si la complicité est « dépendante du délit concret qu’elle enveloppe, parce que l’existence de ce délit concret est nécessaire à sa propre essence »849, est-il pour autant nécessaire que l’action délictueuse de l’auteur principal réunisse en elle-même tous les éléments constitutifs d’un délit légalement punissable ? « Là, court la frontière qui, de la criminalité d’emprunt, sépare le délit distinct, quoique dépendant. »850 Comme le relèvent Roger Merle et André Vitu, s’il faut bien comprendre qu’en l’absence d’acte principal délictueux il ne saurait y avoir de complicité, « cette condition est généralement mal comprise »851. Contrairement à la théorie de la criminalité d’emprunt, ce qui importe, c’est que l’acte soit qualifié crime ou délit par la loi. Les faits accomplis par l’auteur doivent présenter « la figure d’une infraction à la loi pénale »852, avoir « matériellement et moralement, figure déjà reconnaissable de délit »853. Il n’est pas « besoin que cette action délictueuse externe à quoi se relie l’infraction réunisse en elle-même tous les éléments constitutifs d’un délit légalement punissable »854. Autrement dit, « du moment que l’activité déployée par l’auteur s’apparente intrinsèquement à l’une des infractions punies par les lois pénales, le complice demeure isolément répréhensible »855. Ainsi, l’inconvénient majeur de l’emprunt de criminalité se trouve écarté. La différence entre les deux théories se cristallise autour de la nécessité de caractériser l’existence d’une infraction principale punissable en tous ses éléments constitutifs. Si cette exigence, propre à la criminalité d’emprunt, génère les conséquences décriées que nous avons

846. J. Carbonnier précise cependant que le délit de complicité n’est pas semblable en tout point à un délit

spécial quelconque : « Il offre indéniablement un caractère de généralité, d’abstraction, que l’on ne rencontre pas dans la plupart des délits spéciaux. C’est, si l’on nous passe l’expression, une sorte de délit-cadre, apte à encadrer tous les autres délits. » (Ibid.)

847. J. CARBONNIER, op. cit., JCP, 1952. I.1034. 848. Ibid. 849. Ibid. 850. Ibid. 851. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 540. 852. Ibid. 853. J. CARBONNIER, op. cit.,. I.1034. 854. Ibid. 855. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 540.

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évoquées, nous verrons qu’elle ne constitue pas un obstacle à l’adoption de cette théorie en droit positif. En effet, non seulement il est possible d’en atténuer les effets pervers, mais il est également possible de se fonder sur une série d’arguments techniques permettant de démontrer la consécration de l’emprunt de criminalité en droit interne.

2. L’adoption du principe de l’emprunt de criminalité

L’adoption de la théorie de la criminalité d’emprunt est patente depuis l’entrée en vigueur du Code pénal de 1994. Il y a tout d’abord le changement de rédaction opéré entre les articles 60 et 121-7, puis la consécration générale de la complicité par instigation en matière contraventionnelle et, finalement, l’accroissement de la dépendance de la répression de la complicité à la qualification de l’infraction principale par la création des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Une autre série d’arguments, permettant de combler le vide répressif de la criminalité d’emprunt, et donc de remédier aux critiques virulentes faites à l’encontre de cette théorie, résulte essentiellement de l’adoption de lois postérieures.

2.1 Les arguments résultant de l’adoption du Code pénal de 1994

La lettre des articles 121-6 et 121-7 Contrairement à l’article 60 de l’ancien Code pénal qui était susceptible de fonder la conception de la complicité « délit distinct mais conditionné », nous allons voir que les articles 121-6 et 121-7 du Code pénal de 1994 consacrent bien le système de la criminalité d’emprunt. Il convient donc, dans un premier temps, d’écarter la permanence des arguments contre la criminalité d’emprunt dégagés par Jacques-Henri Robert et reposant tant sur l’exégèse que sur l’interprétation rationnelle et équitable de l’article 60 de l’ancien Code pénal. L’exclusion de l’argument fondé sur l’exégèse de l’article 60 de l’ancien Code pénal – Il importe premièrement d’analyser ce que disait l’article 60 de l’ancien Code pénal. Jacques-Henri Robert considère que la théorie de l’emprunt de criminalité, qu’il préfère appeler « l’unité de qualification », est incapable de justifier toutes les règles de la complicité, notamment si on l’applique à l’élément moral reproché à l’auteur principal. Or, dès lors que la criminalité d’emprunt ne peut justifier toutes les solutions du droit positif, c’est qu’elle n’est pas la bonne représentation conceptuelle de la complicité. L’auteur rappelle ainsi qu’en présence d’une infraction intentionnelle, « l’unité de qualification implique deux solutions : c’est l’intention de l’auteur principal qu’il faut rechercher pour qualifier l’acte qui sera reproché à lui-même et à son complice ; et si l’auteur principal a agi sans intention délictueuse, son acte ne peut recevoir aucune qualification, ni non plus celui de son complice »856. Or, selon lui, la loi prévoit la punition de l’instigateur alors même que l’auteur serait relaxé pour défaut d’infraction principale faute d’intention coupable, condamnant par là même la criminalité d’emprunt. Il se fonde pour ce dire sur l’article 60, alinéa 1er de l’ancien Code pénal qui disposait : « Seront punis comme complices d’une action qualifiée crime ou délit ceux qui, par […] machinations ou artifices coupables, auront provoqué à cette action. »

856. J.-H. ROBERT, « Imputation et complicité », JCP, 1975. I. 2720.

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Selon Jacques-Henri Robert, « le propre des machinations et artifices coupables, c’est d’engendrer l’erreur chez l’auteur principal, et l’erreur empêche l’intention coupable de se former dans son esprit857. En pareil cas, l’article 60 punit pourtant le complice »858. L’article 60 de l’ancien Code pénal, en prévoyant au titre de l’élément matériel de la complicité des agissements susceptibles d’induire une erreur chez l’auteur, alors même que ce dernier est censé commettre un crime ou un délit, ne contient-il pas une incohérence évidente ? Poursuivant cette idée, Jacques-Henri Robert ajoute quant à lui qu’« en soutenant que l’action doit être “qualifiée” crime ou délit en la personne de l’auteur principal, on introduit, dans l’article 60, une contradiction : ce texte, d’une part, punirait l’auteur des machinations et, d’autre part, le relaxerait parce que ces mêmes machinations empêcheraient la qualification »859. Selon l’auteur, cette objection peut être écartée sur le fondement même de l’exégèse de l’article 60 du Code pénal. Cette dernière permettrait d’« expliquer la présence des mots “qualifiés crime ou délit” sans pour autant consacrer l’unité de qualification »860. La préposition « comme » employée dans la formule « Seront punis comme complices d’un acte qualifié crime ou délit » […] autorise [simplement] une assimilation, elle permet de réunir dans le même sort pénal (“seront punis”) ceux qui sont les complices d’un acte effectivement qualifié crime ou délit et certains de ceux qui se sont associés à une action non qualifiée et dont ils ne peuvent pas, par conséquent, être les complices ». La préposition « comme » utilisée à dessein par le législateur permet donc de réprimer ces derniers comme s’ils étaient réellement complices. Ainsi, il aurait résulté de cet article la possibilité de réprimer le complice en cas de relaxe ou d’acquittement de l’auteur principal faute d’intention, solution opportunément répressive, que ne permet pas de justifier la théorie de l’emprunt de criminalité. Il pouvait donc être excipé de l’article 60 de l’ancien Code pénal, la possibilité de réduire le fait principal punissable à un simple fait matériel répréhensible. Autrement dit, pour résoudre la contradiction évidente de l’article 60, il convenait d’écarter la théorie de la criminalité d’emprunt. Il importe maintenant de relever ce que ne dit plus l’article 121-7 du Code pénal. Ce dernier ne vise plus au titre des éléments matériels de la complicité les « machinations ou artifices coupables » qui auront provoqué à l’action, ceux-là mêmes qui étaient susceptibles, en induisant une erreur, de supprimer l’intention coupable chez l’auteur principal. Or, il se réfère néanmoins, alinéa 1er, à la complicité « d’un crime ou d’un délit » et, alinéa 2, à la provocation à « une infraction ». On rappellera que, depuis l’entrée en vigueur du Code pénal de 1994 accompagné par la loi d’adaptation du 16 décembre 1992861, et en application du « nouvel » article 121-3 du Code pénal, l’intention est une composante nécessaire des crimes et, en

857. Cf. supra, titre 1, chapitre I. 858. J.-H. ROBERT, « Imputation et complicité », op. cit. 859. Ibid. 860. Ibid. 861. Loi no 92-1336 relative à l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal et à la modification de certaines

dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur.

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principe, des délits862. Concernant ce dernier article, il paraît important par ailleurs de souligner qu’il a fait l’objet de critiques positives en ce qu’il « a mis de l’ordre »863 dans le domaine de l’élément psychologique de l’infraction, particulièrement en matière délictuelle. Comme le relève André Giudicelli, « tout d’abord, nombre d’auteurs mesurent que le principe posé à l’aliéna 1er du texte marque la disparition des délits matériels, la faute de l’agent ne pouvant plus être présumée comme elle l’avait été par le passé par nos tribunaux dans certains secteurs correctionnels. Ensuite, il est encore relevé que cette même formule doit conduire à considérer qu’à chaque fois que le législateur incrimine un comportement nouveau et qu’il reste silencieux quant à la nature de l’élément moral de celui-ci, l’infraction considérée est intentionnelle »864. Cette analyse a été confirmée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 16 juin 1999865. Ces précisions soulignent l’impossibilité juridique de se soustraire à la caractérisation d’une faute intentionnelle pour caractériser l’existence d’un crime et en principe d’un délit. Si l’intention n’est pas établie en matière intentionnelle, il n’y a point de délit au sens large, sans quoi il n’existe pas de fait principal punissable. Plus généralement, « une infraction sans élément moral n’est pas plus punissable qu’une infraction justifiée par la légitime défense ou l’ordre de la loi : elle n’est pas juridiquement constituée »866. Il ressort donc de la lettre de l’article 121-7 du Code pénal867 qu’avant d’étudier les conditions spécifiques à la complicité, il importe de caractériser la commission d’une infraction principale en tous ses éléments constitutifs. Il est ainsi possible de voir dans le changement de rédaction opéré en 1992, plus précisément dans la suppression de certains agissements constituant la matérialité de la complicité, une modification terminologique peut-être animée par un souci de cohérence législative et, au-delà, une condamnation de l’interprétation qu’avait livrée Jacques-Henri Robert de l’ancien article 60. Soulignons ici qu’il ne saurait être tiré argument de la lettre de l’article 60 de l’ancien Code pénal pour écarter la théorie de l’emprunt de criminalité. Comme le note Jacques-Henri Robert, ce texte énumère dans la même phrase, pour les soumettre au même sort, « ceux qui, par […] menaces, abus d’autorité ou de pouvoir » et « ceux qui […] par machinations ou artifices coupables auront provoqué » à l’action. « Les premiers ont usé de la contrainte qui n’empêche pas l’intention de se former dans l’esprit de l’auteur matériel et donc permet la qualification de son acte ; les seconds, en induisant l’auteur matériel en erreur, ont empêché l’intention de naître. »868 Ainsi, pour les premiers, l’infraction principale peut être constituée, alors que, pour les seconds, l’acte principal n’est pas susceptible de revêtir une qualification pénale. En d’autres termes, en application de la théorie de l’emprunt de criminalité, les premiers pourront être réprimés tandis que les seconds pourront rester impunis. Comment

862. C. pén. art. 121-3 : « Il n’y a point de crime ou délit sans intention de le commettre. Toutefois, lorsque la

loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui. Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement… ».

863. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 578. 864. A. GIUDICELLI, « Incertitudes sur les frontières de l’intention », op. cit. 865. Décision DC no 99-411 du 16 juin 1999, D. 1999, p. 589, note Y. MAYAUD. 866. W. JEANDIDIER, « De la répression du complice en cas de bonne foi de l’auteur principal », JCP, 2003. II.

10159. 867. Pareillement de l’article 121-6 du Code pénal qui prévoit que « Sera puni comme auteur, le complice de

l’infraction… » 868. J.-H. ROBERT, « Imputation et complicité », op. cit.

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interpréter cette distinction opérée entre le sort du « complice » qui use de la contrainte morale et celui qui induit en erreur ? Selon Jacques-Henri Robert, il faut considérer que cela condamne l’unité de qualification, puisque « les deux situations ont, d’après la loi [L’article 60 de l’ancien Code pénal], le même effet sur le sort du complice ». En outre, « leur similitude est […] flagrante et l’application de solutions différentes, qu’imposerait la théorie de l’emprunt de criminalité, serait non seulement contraire à la loi mais aussi parfaitement inopportune »869. En résumé, la dissociation qu’opèrerait la théorie de la criminalité d’emprunt entre le sort du complice qui use de la contrainte morale et celui qui induit en erreur serait tout à la fois contraire à la loi et inopportune. Il convient ici de rappeler que le Code pénal de 1994 a supprimé la seconde hypothèse visant « ceux qui […] par machinations ou artifices coupables ». Sont aujourd’hui visés ceux qui « par aide ou assistance » ainsi que ceux qui « par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir » ; en résumé, aucun agissement de nature à faire obstacle à la formation de l’intention coupable chez l’auteur principal. Comment interpréter, dans ce développement, la modification de la lettre de l’article 121-7 du Code pénal ? Il nous paraît, une fois encore, que l’exclusion des « machinations » et « artifices coupables » repose sur l’impossibilité de caractériser l’existence d’une infraction principale punissable en pareilles hypothèses. D’une manière générale, on peut voir dans la suppression de l’expression « machinations ou artifices coupables » la consécration de la criminalité d’emprunt. La dépendance de la répression de la complicité à la nature de l’infraction commise au regard de la classification tripartite des infractions Sous l’empire de l’ancien Code pénal, la complicité de contravention ne pouvait être réprimée que dans les cas exceptionnels où le texte édictant une contravention incriminait la complicité870. Le Code pénal de 1992 a mis fin à l’impunité de principe de la complicité, en ce domaine, quand elle prend la forme de l’instigation. Il résulte de la lecture combinée des deux alinéas de l’article 121-7 et de l’article R. 610-2 du Code pénal que la complicité de contravention n’est en principe réprimée que lorsque l’acte matériel de complicité consiste en une provocation ou une fourniture d’instructions. La complicité par aide ou assistance d’une contravention reste quant à elle réprimée de manière exceptionnelle871. En effet, comme le relève Stéphanie Fournier, « alors que l’alinéa premier de l’article 121-7 du Code pénal qui traite de la complicité par aide ou assistance vise expressément le complice “d’un crime ou d’un délit”, à l’exclusion donc du complice d’une contravention, l’alinéa second du même article dispose d’une manière générale qu’est “également complice la personne qui, par don… aura provoqué à une infraction ou donné des instructions

869. Ibid. 870. On pourrait y voir un mécanisme analogue à l’ancien principe de spécialité régissant la responsabilité pénale

des personnes morales, en application duquel la responsabilité pénale de ces dernières ne pouvait être engagée que sur prévision de la loi.

871. Par exemple, la contravention de bruits et tapages injurieux ou nocturnes (C. pén. art. R. 623-2) ; les contraventions de quatrième et cinquième classe pour les violences (C. pén., art. R. 624-1 et R. 625-1) ; la contravention de diffusion, sur la voie publique ou dans les lieux publics, de messages contraires à la décence (C. pén., art. R. 624-2) et la contravention de destruction, dégradation ou détérioration d’un bien appartenant à autrui (C. pén. R. 635-1).

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pour la commettre”. Dès lors, en cas de complicité par provocation ou instruction, c’est la complicité de toute “infraction” quelle qu’elle soit qui est réprimée, et non pas seulement la complicité de crime ou délit »872. Et l’auteur d’ajouter que « cette affirmation n’est pas démentie par l’article 121-6 du Code pénal qui, pour déterminer la peine applicable au complice, s’abstient de traiter seulement du complice d’un crime ou d’un délit et vise, d’une manière générale, le complice “de l’infraction” »873. Stéphanie Fournier complète cette argumentation en invoquant l’article R. 610-2 du Code pénal « qui, en réservant une disposition particulière à la complicité de contravention par provocation ou instruction, « et en indiquant que celle-ci sera réprimée conformément à l’article 121-6, démontre qu’elle n’est pas soumise au même régime que la complicité de contravention par aide ou assistance pour laquelle c’est le texte qui, par exception, la réprimera qui déterminera la peine applicable au complice ». On doit donc conclure que le caractère infractionnel de l’acte commis par l’auteur principal est essentiel pour la répression de la complicité puisqu’une distinction est opérée selon la nature de l’infraction principale. Une attention particulière doit en effet être portée aux agissements constituant l’élément matériel de la complicité dès lors que l’infraction principale est constitutive d’une contravention. Comment alors considérer que le fait principal punissable puisse ne consister qu’en un acte objectivement illicite au risque de faire entrer dans le champ de la répression des actes qui en sont légalement exclus ? L’acte principal doit nécessairement consister en une infraction. Le changement opéré entre l’ancien Code pénal et le Code pénal de 1992, en dissociant au sein de la complicité contraventionnelle le sort de l’instigateur de celui qui aide ou assiste l’auteur, ne fait que conforter cette conclusion. La dépendance de la répression de la complicité à la qualification de l’infraction principale au regard de la pénalité encourue ou, plus radicalement, de son existence pure et simple Si la psychologie coupable du complice est distincte de celle de l’auteur principal, il n’en demeure pas moins que, dans un certain nombre de cas, la détermination de la psychologie de l’auteur matériel est indispensable pour fixer la qualification exacte de l’infraction principale. Et de cette qualification peut dépendre la peine encourue par le complice ou, plus radicalement, la répression pure et simple de la complicité. Un exemple bien connu permet d’illustrer les ramifications possibles d’un même fait matériel illicite ainsi que les différentes hypothèses répressives qui en résultent. Lorsqu’il est constaté qu’une personne a été tuée, la question peut se poser de savoir si elle a été victime d’un homicide volontaire, de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ou d’un homicide involontaire. S’il est établi, au regard des circonstances de l’espèce, que l’auteur était animé de la volonté de porter atteinte à l’intégrité physique de la victime, la détermination de l’existence de l’intention homicide sera essentielle au regard du quantum de la peine encourue par le complice874. En revanche, s’il ressort des circonstances qu’il s’agit

872. S. FOURNIER, « Le nouveau Code pénal et le droit de la complicité », RSC, 1995. 475, no 31. 873. Loc. cit. 874. 30 ans pour un meurtre simple (C. pén. art. 221-1) et 15 ans pour des violences sans circonstances

aggravantes (C. pén. art. 222-7), étant précisé que cette dernière infraction est une création du Code pénal

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d’un homicide involontaire, que l’auteur principal a commis une faute d’imprudence, la complicité ne saurait même pas être envisagée. En effet, bien que la possibilité de la complicité d’une infraction non intentionnelle ait été discutée en doctrine, il faut se résoudre à considérer que l’imprudence de l’auteur principal correspond à une attitude psychologique inconciliable avec l’intention qui anime le complice875, et plus encore, même, avec l’idée d’entente qu’impliquerait la complicité876. Nous devons donc considérer qu’il est un principe selon lequel il n’est pas de complicité d’une infraction non intentionnelle, et ce même si la jurisprudence ne s’est pas toujours opposée à la répression de la complicité en ce domaine877. Un arrêt récent en constitue d’ailleurs une autre illustration878. Bien que la répression jurisprudentielle de la complicité d’une infraction non intentionnelle reste marginale, elle ne paraît justifiée qu’au cas où l’élément psychologique de l’infraction principale consiste en une faute de mise en danger délibérée879. Pour atténuer cette conclusion, il est permis de relever que l’impossibilité de réprimer, de manière générale, la complicité d’une infraction non intentionnelle est aujourd’hui partiellement compensée par la possible répression du « complice » en tant qu’auteur indirect de l’infraction commise880. En conclusion, la psychologie de l’auteur est susceptible de conditionner tant la peine encourue par le complice que la répression proprement dite de la complicité. C’est dire que le fait principal nécessite bien d’être caractérisé dans tous ses éléments constitutifs, notamment psychologique. Il doit consister en une infraction.

2.2 Les alternatives au vide répressif de la criminalité d’emprunt

Afin de pallier les lacunes dans la répression générées par la criminalité d’emprunt, il est possible, dans certaines circonstances, d’octroyer au complice le statut d’auteur. Deux

de 1994, ce qui accroît la force de l’argument selon lequel la consécration de l’emprunt de criminalité est patente avec le Code pénal de 1992.

875. En ce sens, A. DECOCQ, Droit pénal général, op. cit., p. 241 ; J.-A. ROUX, Cours de droit criminel français, t. 1, 2e éd., 1927, p. 340 ; J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, 6e éd., 2005, p. 349.

876. En ce sens, F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 2005, 12e éd., no 549 ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 559.

877. Pour un exemple, Cass. crim., 6 juin 2000, no 99-85937, Bull. crim., no 213 ; Dr. pén. 2000, comm. 124, obs. M. VERON ; RSC, 2000. 829, obs. Y. MAYAUD. Il s’agissait en l’espèce de retenir la complicité du délit de mise en danger délibérée de la vie d’autrui du passager d’un véhicule qui avait donné au chauffeur l’injonction de franchir un feu rouge.

878. Cass. crim., 13 sept. 2016, no 15-85.046, publiée au bulletin, JurisData no 2016-018495 ; Dr. pén., 2016, comm. 153 obs. P. CONTE ; JCP G 2016, 1039, act. 1039, obs. J.-Y. MARÉCHAL et 1067, note F. ROUSSEAU. En l’espèce, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre un arrêt de condamnation du chef de complicité de blessures par imprudence prononcé à l’encontre d’un médecin, responsable médical au sein d’un établissement pratiquant l’épilation au laser. Il lui était reproché de ne pas être intervenu pendant des séances d’épilation pratiquées par une salariée, dépourvue de compétence et de formation, et alors que ce type d’acte ne peut être réalisé que par un médecin. Pour une réflexion générale sur la question de la complicité des délits non intentionnels, cf. J.-Y. MARÉCHAL, « Réflexions sur la complicité des délits non intentionnels », Dr. pén., 2016, étude 27.

879. Cela peut être discuté au regard de la nature particulière de cette faute d’imprudence. En effet, cette dernière, dont on sait que le caractère intentionnel ou non intentionnel a été débattu en doctrine nonobstant sa qualification implicite par le législateur – pour le rappel des arguments législatifs en faveur du caractère non intentionnel de cette faute, cf. A. GIUDICELLI, « Incertitudes sur les frontières de l’intention », op. cit., p. 33 et suiv. –, se situe aux frontières de l’intention.

880. Cf. infra, « Les alternatives au vide répressif de la criminalité d’emprunt » (2.2).

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hypothèses se présentent alors : soit le complice sera considéré comme auteur d’un délit distinct, comprenons que les actes de complicité peuvent être érigés par le législateur en infraction autonome, soit le complice sera considéré comme auteur indirect de l’infraction commise par l’auteur principal. La partie spéciale du Code pénal ainsi que les lois pénales annexes contiennent un nombre important d’incriminations d’actes de provocation ou d’aide non suivis d’effet. Comme le note Anne Ponseille, « certaines de ces infractions constituent une incrimination spécifique d’une participation individuelle »881. Ces dernières recouvrent particulièrement des hypothèses de provocations circonstanciées. On peut citer la provocation au suicide882, la provocation à l’usage illicite de produits stupéfiants883 ou encore la provocation à s’armer contre l’autorité de l’État884. L’une de ces infractions les plus emblématiques réside dans le mandat criminel, infraction créée par la loi no 2004-204 du 9 mars 2004 à l’article 221-5-1 du Code pénal885 et réprimant à titre autonome l’instigateur d’un d’assassinat ou d’un empoisonnement qui ne sera ni commis ni même tenté. Ainsi, la tentative de complicité d’assassinat ou d’empoisonnement est désormais réprimée. Plus récemment, le législateur est venu créer, sur le schéma de l’article 221-5-1 du Code pénal, de nouvelles infractions en matière de lutte contre le terrorisme. Elles figurent aux article 421-2-4886 et 421-2-5887 du Code pénal. Comme le poursuit Anne Ponseille, « d’autres infractions relèvent de l’incrimination autonome d’une participation collective »888. Il s’agit cette fois d’incriminer une participation collective indépendamment de la réalisation de l’infraction projetée. Autrement dit, il ne sera pas nécessaire de recourir à la théorie de la coaction ou de la complicité pour assurer la répression/entrer en voie de condamnation. L’exemple type est évidemment le délit d’association de malfaiteurs réprimé à l’article 450-1 du Code pénal, souvent utilisé comme une « incrimination de substitution »889 jusqu’à ce que soit adopté le mandat criminel. Il est d’ailleurs significatif de noter qu’au fil des évolutions législatives, le

881. A. PONSEILLE, « L’incrimination du mandat criminel ou l’article 221-5-1 du Code pénal issu de la loi

no 2004-204 du 9 mars 2004 », op. cit. 882. C. pén., art. 223-13, 223-14. 883. CSP, art L. 3421-4 884. C. pén., art. 412-8. 885. » Le fait de faire à une personne des offres ou des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou

avantages quelconques afin qu’elle commette un assassinat ou un empoisonnement est puni, lorsque ce crime n’a été ni commis ni tenté, de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende. »

886. En vertu de l’article 421-2-4 du Code pénal, tel qu’il résulte de la loi no 2012-1432 du 21 décembre 2012 : « Le fait d’adresser à une personne des offres ou des promesses, de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques, de la menacer ou d’exercer sur elle des pressions afin qu’elle participe à un groupement ou une entente prévus à l’article 421-2-1 ou qu’elle commette un des actes de terrorisme mentionnés aux articles 421-1 et 421-2 est puni, même lorsqu’il n’a pas été suivi d’effet, de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende. »

887. En vertu de l’article 421-2-5 du Code pénal, tel qu’il résulte de la loi no 2014-1353 du 13 novembre 2014 : « Le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne. Lorsque les faits sont commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle ou de la communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables. »

888. A. PONSEILLE, « L’incrimination du mandat criminel ou l’article 221-5-1 du Code pénal issu de la loi no 2004-204 du 9 mars 2004 », op. cit.

889. Selon une expression employée à A. PONSEILLE, ibid.

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champ d’application de ce délit n’a cessé de s’élargir890. Finalement, on peut aussi relever qu’il en existe une déclinaison spécifique en matière de terrorisme à l’article 421-2-1 du Code pénal. Ainsi, la répression de la participation individuelle et collective à des actes de provocation non suivis d’effet permet de sanctionner des comportements dangereux situés en principe dans l’angle mort de la criminalité d’emprunt. Cependant, comme le relèvent Roger Merle et André Vitu, « il s’agit là de solutions fragmentaires et localisées, qui ne sauraient faire oublier la grande règle générale posée par le Code pénal, qui est une application de la criminalité d’emprunt »891. Ainsi, on peut considérer que la création de ces délits spéciaux démontre bien que la volonté du législateur est de faire dépendre la complicité de l’infraction principale caractérisée en tous ses éléments constitutifs. Un autre palliatif aux lacunes répressives de l’emprunt de criminalité consiste à assimiler le complice par instigation d’une infraction non intentionnelle à un auteur indirect. Comme le démontre François Rousseau dans une étude consacrée à cette thématique892, la conception large de la causalité par la jurisprudence, en matière d’homicide ou de blessures non intentionnels, lui permet de poursuivre l’éventuel complice d’une infraction d’imprudence en tant qu’auteur de cette même infraction. En effet, « cet auteur indirect est présenté par l’article 121-3 comme celui qui n’a pas causé directement le dommage, mais qui a “créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage” ou encore celui qui n’a pas “pris les mesures permettant de l’éviter”. […] l’auteur indirect n’apparaît-il pas, également, comme le complice d’une infraction d’imprudence commise par l’auteur direct ? En effet, celui qui facilite ou provoque l’imprudence d’autrui contribue, à sa manière, à créer une situation permettant la réalisation du dommage. C’est dire qu’un tel individu pourrait être réprimé à titre de complice ou d’auteur indirect de l’infraction non intentionnelle ainsi réalisée »893. La jurisprudence se fait l’écho de cette assimilation. Ainsi, il est possible d’invoquer deux affaires aux faits similaires, dans lesquelles le protagoniste principal a été condamné sur le fondement de deux qualités distinctes. Dans ces deux espèces, un débitant de boisson avait continué à 890. Avant la loi no 81-82 du 2 février 1981, la caractérisation de l’infraction de participation à une association

de malfaiteurs supposait la réunion d’un nombre important de malfaiteurs ainsi que le projet arrêté de commettre plusieurs crimes. Pour cette raison, cette incrimination n’avait pu être utilisée dans les affaires Schieb et Lacour. Depuis, l’association suppose la participation minimale de deux individus et l’entente peut ne porter que sur un seul crime ou un seul délit. Le Code pénal de 1994 contribuera à élargir un peu plus le champ d’application de cette infraction en supprimant la liste exhaustive concernant le ou les délits projetés et en précisant seulement que la peine encourue pour ces délits devait être de 10 ans d’emprisonnement. Condition encore assouplie par la loi no 2001-420 du 15 mai 2001 puisqu’elle abaisse le seuil de la peine d’emprisonnement encourue à au moins 5 ans d’emprisonnement. Au final, si messieurs Schieb et Lacour étaient jugés aujourd’hui, alors même que le mandat criminel n’aurait pas été adopté, ils auraient pu être condamnés sur le fondement de l’article 450-1 du Code pénal. Un arrêt du 30 avril 1996 en est une illustration (Cass. crim., 30 avr. 1996, no 94-86107, Bull. crim., 1996, no 176 ; RSC, 1997, p. 113, obs. J.-P. DELMAS SAINT-HILAIRE). Au regard du champ d’application de l’infraction tel qu’il résulte des différentes évolutions législatives, A. Ponseille considère que « compte tenu des possibilités offertes par la définition légale de la participation à une association de malfaiteurs, il n’était donc pas besoin de procéder à l’incrimination spécifique de la provocation, non suivie d’effet, à un assassinat et à un empoisonnement ».

891. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 541. 892. F. ROUSSEAU, « Complice ou auteur indirect d’une infraction non intentionnelle ? », Dr. pén., 2007, étude

11. 893. F. ROUSSEAU, op. cit., Dr. pén., 2007, étude 11 ; cf. également P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit

pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 420.

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servir de l’alcool à un client manifestement ivre tout en sachant qu’il allait reprendre la route. Dans l’une des affaires, le débitant de boisson a été condamné en tant que complice de l’homicide non intentionnel commis par son client894 alors que, dans l’autre, il a été condamné en tant qu’auteur indirect du même délit895. Il faut donc se résoudre à considérer qu’au regard de la loi, on ne peut être complice que d’une infraction punissable. Cependant, si, comme le relève André Giudicelli en conclusion de son article relatif à la détermination des frontières de l’intention, le nouveau Code pénal a écarté la séparation de principe de l’auteur et du complice, il peut arriver que la jurisprudence autonomise opportunément la répression de la complicité en dehors de toute prévision légale.

B. La tendance opportuniste à l’autonomisation de la complicité en dehors de toute prévision légale

L’emploi, récurrent en doctrine comme en jurisprudence, de la formule « fait principal punissable » est ambigu en raison de l’imprécision juridique de la notion de « fait principal ». Comme nous l’avons vu, ce dernier est susceptible de recouvrer deux réalités sensiblement différentes : soit il consistera en une infraction au sens juridique du terme, c’est-à-dire qu’il supposera la réunion de l’élément matériel et de l’élément psychologique de l’infraction, soit il sera constitué par le seul élément matériel de l’infraction, se réduisant alors à un simple acte objectivement répréhensible. On le comprend, la formule est de nature à dédouaner opportunément les juridictions de l’exigence législative d’une infraction principale constituée en tous ses éléments constitutifs pour entrer en voie de condamnation du complice. Notamment, il leur est ainsi possible de condamner le complice pour défaut d’intention coupable de l’auteur principal. Dans cette dernière hypothèse, la jurisprudence est d’ailleurs incertaine896. L’arrêt rendu par la chambre criminelle le 8 janvier 2003, relativement à une affaire d’exportation de stupéfiants, en est une illustration largement commentée. Il importera donc de s’y attarder, car de telles décisions – surtout l’écho qui leur en est donné – sont susceptibles de remettre en cause le principe de l’emprunt de criminalité (1.). Nonobstant l’existence d’un certain nombre d’arguments en faveur d’un revirement de jurisprudence (2.), nous verrons cependant qu’avant de consacrer l’autonomie relative de la complicité par un glissement de l’emprunt de criminalité vers l’emprunt de matérialité, cette décision est d’abord rendue en pure opportunité. D’ailleurs, l’affaire du sang contaminé devait, quelques mois plus tard, marquer le retour à une solution juridiquement plus orthodoxe (3.). Finalement, le principe de l’emprunt de criminalité peut être confirmé par l’étude des solutions rendues dans le domaine des infractions voisines de recel et de blanchiment (4.).

894. Trib. corr. Dijon, 2 avr. 2003, cité par I. MOINE-DUPUIS, « Complicité et contribution à une infraction :

un choix trop libre », Rev. pénit., 2005, p. 277. 895. Trib. corr. Draguignan, 23 févr. 2006, inédit. 896. Tantôt elle exige que le « fait principal » soit caractérisé en tous ses éléments constitutifs, tantôt elle

considère que la punissabilité du complice demeure nonobstant la relaxe de l’auteur pour défaut d’intention coupable.

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1. La répression du complice d ’un acte matériel répréhensible

À l’issue de l’arrêt rendu par la chambre criminelle le 8 janvier 2003897, il semble que la condition préalable à la répression de la complicité puisse dorénavant consister en un simple fait matériel délictueux. Alors, abandon du principe de l’emprunt de criminalité ou simple décision rendue en équité ? Dans cette affaire, M. X transporte à son insu à destination de la Grande-Bretagne de la cocaïne dissimulée dans la roue de secours de son véhicule. Y, chargé par son cousin Z de trouver des « pigeons », avait précédemment mis X en relation avec Z et lui avait donné des instructions sur les modalités de la livraison. X est poursuivi du chef d’exportation, détention et transport de stupéfiants, tandis qu’Y est poursuivi pour complicité de ce délit pour avoir mis en rapport l’auteur présumé de l’infraction avec le fournisseur de stupéfiants et lui avoir indiqué les modalités de la livraison. La chambre de l’instruction conclut à la relaxe de l’auteur pour défaut d’intention coupable. En revanche, elle retient la culpabilité du complice estimant qu’il avait une parfaite connaissance de la nature des substances transportées. Le complice forme alors un pourvoi contre l’arrêt rendu en se fondant notamment sur le fait « qu’il n’existe pas de complicité sans infraction principale »898. Le pourvoi est rejeté par un arrêt de la chambre criminelle rendu le 8 janvier 2003 au motif que « dès lors que l’existence d’un fait principal punissable, soit l’exportation illicite de stupéfiants, a été souverainement constatée par la cour d’appel, la relaxe en faveur de X n’exclut pas la culpabilité d’un complice ». Cependant, nonobstant le fait que l’intéressé ait accompli tous les éléments constitutifs exigés au titre de la complicité899, son impunité aurait dû être retenue en raison de l’absence de tout « fait principal punissable » tel que communément entendu par la jurisprudence. Comme nous l’avons vu, en application du système de l’emprunt de criminalité et d’une jurisprudence relativement constante, le fait principal punissable s’entend d’abord d’une infraction au sens juridique du terme, c’est-à-dire caractérisée en tous ses éléments constitutifs. Or, depuis l’entrée en vigueur du Code pénal de 1992, comme nous l’avons également rappelé, il est incontestable qu’une infraction suppose, outre la caractérisation d’un élément matériel, l’existence d’un élément psychologique. En vertu de l’article 121-3 du Code pénal relatif à cet élément constitutif de l’infraction, les délits, sauf prévision contraire de la loi, sont des infractions intentionnelles. Dans le silence de l’article 222-36

897. Cass. crim., 8 janv. 2003, no 01-88065, Bull. crim., no 5 ; JCP 2003, II, 10159, note W. JEANDIDIER; D., 2003,

jurispr. p. 2261, note É. GARÇON. 898. Le principal argument invoqué au soutien du pourvoi consistait en effet à faire valoir qu’» il n’existe pas

de complicité sans infraction principale. Et comme l’auteur principal avait été relaxé faute d’intention coupable, aucune infraction principale ne pouvait être caractérisée, cette absence faisant obstacle à la répression de toute complicité.

899. Au titre de l’élément matériel, rappelons qu’est exigé un acte positif de complicité, consommé et antérieur à la commission de l’infraction. Cet acte pouvant consister en une aide ou une assistance (art. 121-7, al. 1er) ou en une provocation ou une fourniture d’instructions (art. 121-7, al. 2). En l’espèce, l’intéressé a commis des actes d’instigation par fourniture d’instructions. Au titre de l’élément moral : la complicité est nécessairement intentionnelle – cette dernière ne pouvant, sauf exception, être envisagée en présence d’une infraction non intentionnelle. Cette intention consiste en la connaissance des agissements de l’auteur principal et en la volonté de s’y associer. Les conditions spécifiques à la complicité sont donc réunies dans le cas d’espèce.

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réprimant l’exportation illicite de stupéfiants, ce délit, pour être constitué, suppose donc la commission d’une faute intentionnelle. Le questionnement tient ici au fait que l’arrêt retient la culpabilité du complice malgré l’absence d’infraction principale faute d’élément intentionnel. Faut-il en conclure qu’il ne serait plus nécessaire en jurisprudence de caractériser l’infraction principale dans tous ses éléments constitutifs pour que l’on puisse rechercher la responsabilité pénale du complice ? La seule existence d’un fait matériel délictueux suffirait-elle à engager la responsabilité pénale au titre de la complicité de celui qui s’y est associé ? La Cour de cassation fait-elle le choix d’une rupture avec la théorie de la criminalité d’emprunt ? La difficulté d’une telle solution, par rapport au raisonnement entrepris dans le cadre de cette recherche, est qu’en bafouant les règles classiques relatives à la répression de la complicité, elle ne permet plus de fonder le rattachement de l’imputabilité à la responsabilité sur le principe de la criminalité d’emprunt. La question se posera donc de savoir pourquoi cette décision n’est pas rendue dans la continuité des solutions du droit positif. Pour y répondre, nous nous intéresserons à sa portée exacte.

2. L’opportunité d ’un revirement de jurisprudence

Il répondrait tout d’abord au souhait d’une partie de la doctrine rejoignant en cela la théorie élaborée par Jean Carbonnier. Rappelons qu’aux termes de cette conception de la complicité, il suffit que les faits accomplis par l’auteur aient « la figure d’une infraction à la loi pénale » ou que les faits évoquent, « au premier coup d’œil, des agissements interdits »900. Selon certains commentateurs, un glissement de l’emprunt de criminalité vers l’emprunt de matérialité serait perceptible d’une manière générale en jurisprudence, voire même, la tendance serait avérée à l’autonomie de la culpabilité du complice. Une partie d’entre eux s’appuient par exemple sur le fait que le caractère relatif de l’emprunt de criminalité dans la répression de la complicité ressort aussi de la solution retenue en matière de complicité d’infraction d’habitude. En effet, elle n’exige pas, pour être punissable, l’aide du prévenu à au moins deux actes de l’infraction principale901. Un autre argument réside dans le fait que la jurisprudence constante de la Cour de cassation occulte les principes classiques de distinction de l’auteur et du complice pour entrer en voie de condamnation. D’ailleurs, cette tendance prétorienne est même fréquente lorsqu’il s’agit pour les juges de condamner l’auteur moral de l’infraction, l’instigateur, dans la mesure où cette notion n’a pas été consacrée de manière générale par le législateur, lors de l’adoption du Code pénal de 1992902. Concrètement, après avoir démontré le rôle d’instigateur de

900. É. GARÇON, « Complicité du délit d’exportation illicite de stupéfiants et fait principal punissable », op. cit.,

no 11, p. 2663. 901. Cf. par exemple la complicité de l’exercice illégal de la profession de banquier, Cass. crim., 19 mars 2008,

no 07-85054, Bull. crim., no 70, Dr. pén., 2008, comm. 79, M. VERON. 902. Cf. infra. De la même manière, faute de consécration générale de la complicité en ce domaine, il arrive à la

Cour de cassation de faire du complice de contravention par aide ou assistance un coauteur de manière à étendre la répression à tous les protagonistes. Cf. par exemple : Cass. crim., 24 juin 1922, S. 1923. 1. 41, note A. ROUX ; 10 juill. 1969, RSC, 1970, p. 384, note A. VITU.

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l’agent903, la jurisprudence fait traditionnellement de l’instigateur un auteur et non pas un complice904. On perçoit l’intérêt de la démarche permettant, à défaut d’acte principal punissable, d’atteindre le complice qui, en cette qualité, n’aurait pu être condamné. Il était donc possible à la Cour de cassation, dans la présente affaire, d’entrer en voie de condamnation en ne dénaturant pas les règles relatives à la complicité, simplement en suivant sa jurisprudence classique. Cependant, dans le cas d’espèce, comme le note Évelyne Garçon, « cette démonstration du rôle d’instigateur de l’agent ne sert pas à fonder sa condamnation en tant qu’auteur mais en tant que complice. […] ce qui rompt avec les tendances dans la jurisprudence de la chambre criminelle »905. Tandis que traditionnellement elle fait de l’instigateur un coauteur, elle en fait ici un complice, alors même qu’il n’est pas possible de retenir l’existence d’une infraction principale punissable. Est-ce à dire que la juridiction suprême entende revenir sur sa jurisprudence traditionnelle afin d’induire une modification de la représentation conceptuelle de la complicité ? Un autre argument en ce sens peut être tiré du fait que la Cour de cassation disposait d’une autre alternative consistant en une poursuite sur le fondement de l’article L. 3421-4 du Code de la santé publique réprimant l’auteur du délit de provocation à l’infraction d’exportation illicite de stupéfiants906. Les juges avaient donc les moyens de réprimer les agissements de l’auteur moral de l’infraction, le législateur ayant, dans l’hypothèse des faits de l’espèce, fait de celui qui fait exécuter une infraction l’auteur juridique d’une infraction à part entière. Ainsi, la Cour de cassation aurait pu censurer la décision des juges du fond en rappelant le devoir de requalification des juges répressifs qui leur permet de restituer aux poursuites leur véritable qualification907. Nous allons voir cependant que les arguments évoqués ne sont pas décisifs : En ce qui concerne les précédents jurisprudentiels, il convient de noter que, s’ils peuvent se révéler nombreux, ils sont aussi relativement anciens908, comprenons même, pour la majorité, rendus sous l’empire de l’ancien Code pénal. Or, comme nous l’avons vu en étudiant la critique formulée par Jacques-Henri Robert à l’encontre du choix de la théorie de la criminalité d’emprunt, l’emprunt de matérialité comme représentation conceptuelle de la

903. Celui dont l’intervention a été déterminante du comportement de l’auteur matériel des faits. 904. En ce sens également, Bertrand de Lamy qui, dans son article relatif au commentaire de cette décision,

relève à son tour que « la jurisprudence punit parfois comme auteur celui qui fait commettre matériellement l’infraction par autrui » (B. DE LAMY, « La culpabilité du complice est autonome ou les méandres de la criminalité d’emprunt », D., 2004, p. 310 ; également P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 2002, 6e éd., no 404).

905. É. GARÇON, « Complicité du délit d’exportation illicite de stupéfiants et fait principal punissable », op. cit., no 11, p. 2663.

906. Ce texte punit d’une peine de 5 ans d’emprisonnement et d’une amende de 75 000 € la provocation, même non suivie d’effet, à l’usage illicite de stupéfiants défini par l’article L. 3421-1 du Code de la santé publique, ainsi que la provocation, même non suivie d’effet, à l’une des infractions prévues par les articles 222-34 à 222-39 du Code pénal.

907. Une telle opération de requalification aurait néanmoins supposé que le prévenu ait été mis en mesure de présenter sa défense sur la nouvelle qualification envisagée.

908. Cass. crim., 9 mars 1876, S., 1876. I. 188 ; Cass. crim., 3 juill. 1886, DP, 1886. I. 473 ; Cass. crim., 18 sept. 1890, Bull. crim., no 194 ; Cass. crim, 3 juill. 1909, DP, 1911. I. 290 ; Cass. crim., 2 févr. 1916, Bull. crim., no 130 ; Cass. crim., 13 juin 1918, Bull. Crim., no 329 ; Cass. Crim., 28 juill. 1921, Bull. crim., no 312.

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complicité était plus acceptable sous l’empire de l’ancien Code pénal. L’argument excipé de la jurisprudence antérieure n’est donc pas déterminant. Au-delà de cette précision, il est possible d’invoquer directement des arguments en faveur de la portée limitée de la décision étudiée, arguments auxquels souscrivent d’ailleurs certains auteurs désireux de voir consacrer la théorie complicité, délit distinct mais conditionné. Par exemple, si Wilfrid Jeandidier regrette que le Code pénal de 1992 n’ait pas vraiment abandonné la criminalité d’emprunt, il considère qu’avec de telles décisions, « la dénaturation du droit de la complicité est patente ». Tout d’abord, il est également possible de se fonder sur la jurisprudence antérieure pour trouver des arrêts écartant la répression du complice en cas de bonne foi de l’auteur principal909. En second, on peut relever que cette décision est contraire au principe de la légalité et de son corollaire de l’interprétation stricte de la loi pénale. Comme nous l’avons déjà évoqué, il résulte de la combinaison des articles 121-6, 121-7 et 121-3 du Code pénal que, d’une part, il n’y a pas de complicité sans infraction principale punissable, cette dernière devant être caractérisée dans tous ses éléments constitutifs et, d’autre part, que l’intention est en principe une composante nécessaire des délits. Si elle n’est pas établie, il n’y a pas de délit. Peu importe, donc, que le complice ait réalisé des actes en vue de la commission d’une infraction. Or, dans le cas d’espèce, la Cour de cassation occulte totalement la composante morale de l’infraction pénale, alors que l’infraction d’exportation illicite de stupéfiants est pourtant un délit qui, comme tous les délits sauf précision formelle de la loi, nécessite la commission d’une faute intentionnelle. Un autre argument permet de relativiser l’importance de la décision précitée. Il tient cette fois à la structure même de la décision. Selon Évelyne Garçon, « il ne s’agit que d’un arrêt de rejet auquel la chambre criminelle de la Cour de cassation n’a pas entendu donner une portée au-delà de l’affaire qui lui était soumise, comme en témoigne la référence aux seules parties en cause dans son motif910. Finalement, il semble que cette décision s’explique avant tout par la satisfaction de l’objectif poursuivi par la Cour de cassation. Les auteurs s’accordent pour considérer que la condamnation se justifie au regard de considérations de pure opportunité et d’équité plus que par un souci de cohérence juridique. Par exemple, Bertrand de Lamy de considérer que

909. Cass. crim., 30 oct. 1914, DP 1919.1.67 : « Lorsque le prétendu auteur principal d’un vol est acquitté pour

défaut d’intention délictueuse, il n’existe pas de fait principal délictueux. […] Par suite, il ne peut y avoir complicité par recel. » ; Cass. crim. 20 juin 1994, Bull. crim., no 246 : « La Cour de révision juge qu’est un fait nouveau, de nature à exclure la culpabilité du complice, la relaxe de l’auteur principal au motif que l’intention frauduleuse n’est pas caractérisée » ; Cass. crim., 4 mars 1998, no 97-82360, Bull. crim., no 83 : « Lorsqu’aucune question n’a été posée sur le point de savoir si les violences volontaires dont il est résulté la mort de la victime ont été commise avec l’intention de la donner, l’infraction principale de meurtre n’est pas établie en tous ses éléments constitutifs ; en conséquence la complicité n’a pas été caractérisée. »

910. É. GARÇON, « Complicité du délit d’exportation illicite de stupéfiants et fait principal punissable », op. cit., p. 2661.

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« d’un point de vue de la politique criminelle, la solution est […] bien venue »911 ou encore, Wilfried Jeandidier, selon lequel « il est certain […] que de puissantes considérations d’opportunité et d’équité jouent en faveur de la thèse répressive. Il est choquant qu’un complice manipulant un auteur principal soit protégé par l’innocence de celui-ci »912. Au-delà, « la dangerosité et la moralité déplorable de celui qui a fourni les instructions à l’auteur des faits se sont manifestées par des actes dépourvus d’équivoque, de telle sorte que sa relaxe aurait pu paraître choquante »913 au regard de la protection même de la société914. Emmanuel Dreyer considère aussi que « la défense de l’ordre public justifierait la sanction de ceux qui prêtent ainsi leur concours à un fait susceptible en toute hypothèse d’affecter l’opinion. Il serait excessif d’assurer l’impunité d’individus assez habiles pour manipuler un faible d’esprit, ou tirer profit de son action, sans avoir eux-mêmes été privés d’intelligence et de volonté »915. La solution retenue au cas d’espèce par la Cour de cassation a d’ailleurs été abandonnée quelques mois plus tard dans l’affaire dite du sang contaminé.

3. Le retour à une solution juridiquement plus orthodoxe

Dans l’affaire dite du sang contaminé, la chambre de l’instruction, pour motiver son non-lieu, avait retenu que « seuls les médecins qui ont prescrit l’administration de produits sanguins auraient pu être les auteurs principaux de ce crime, mais que la preuve n’est pas rapportée qu’ils aient eu connaissance du caractère nécessairement mortifère des lots du CNTS (Centre national de transfusion sanguine). […] la complicité d’empoisonnement ne peut être retenue contre quiconque »916. Saisie d’un pourvoi contre cet arrêt, la chambre criminelle décide que « la chambre de l’instruction a justifié la décision de non-lieu des chefs d’empoisonnement et de complicité d’empoisonnement »917. La juridiction suprême revient de manière explicite à la position traditionnelle exigeant que l’infraction principale soit constituée dans tous ses éléments pour que l’on puisse rechercher la responsabilité du complice918. Cette décision est d’autant plus pertinente que le cadre juridique est absolument identique à celui de l’arrêt du 8 janvier 2003. Si l’auteur ignorait que les substances qu’il transportait étaient des stupéfiants, les médecins prescripteurs des lots de sang contaminé ignoraient tout autant le caractère nécessairement mortifère des lots. Dans les deux cas, l’élément psychologique du fait principal faisait défaut. La légalité a repris le pas sur l’opportunité, l’équité ou la moralité919.

911. B. DE LAMY, « La culpabilité du complice est autonome ou les méandres de la criminalité d’emprunt »,

op. cit., p. 311. 912. W. JEANDIDIER, « De la répression du complice en cas de bonne foi de l’auteur principal », op. cit., no 5. 913. É. GARÇON, « Complicité du délit d’exportation illicite de stupéfiants et fait principal punissable », op. cit.,

p. 2662. 914. Notons déjà que la notion de dangerosité est de nature à remettre en cause des principes pourtant

classiques de notre droit, en l’occurrence celui de l’emprunt de criminalité dans le cas de la répression de la complicité.

915. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 809. 916. Cass. crim., 18 juin 2003, no 02-85199, Bull. crim., no 127 ; D., 2004. 1620, note D. REBUT ; D., 2005. 195,

note A. PROTHAIS ; JCP 2003, II, 10121, note M.-L. RASSAT ; RSC 2003. 781, note Y. MAYAUD. 917. Ibid. 918. Le laps de temps – seulement quelques mois – écoulé avant le retour à une plus grande orthodoxie juridique

souligne le caractère opportuniste de la décision du mois du 8 janv. (2003). 919. Notons la décision rendue par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 15 décembre 2004 (Dr. pén.,

2005, comm. 79, obs. J.-H. ROBERT), résumée en ces termes par J.-H. Robert : « Conformément au droit commun, l’instigateur d’une infraction fiscale doit être condamné en dépit de la relaxe, pour défaut

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Finalement, nous conclurons ce développement en confortant l’argumentation développée par l’examen des solutions retenues dans le domaine d’infractions apparentées à la complicité.

4. Les solutions dans le domaine d ’infractions apparentées à la complicité : le recel et le blanchiment

Avant d’observer que les solutions retenues pour les infractions de recel et de blanchiment sont semblables à celles retenues en matière de complicité, il importe de démontrer la parenté du recel et du blanchiment avec la complicité. Le recel920 et le blanchiment921 sont considérés comme des infractions apparentées à la complicité car ils peuvent s’analyser en des actes de complicité accomplis postérieurement à la réalisation de l’infraction principale, plus souvent dénommée « infraction d’origine » dans ces deux hypothèses. S’agissant du recel, l’ancien Code pénal, à l’instar du droit romain et de l’ancien droit, avait maintenu l’assimilation du receleur au complice922. Cependant, des conséquences négatives en termes de répression découlant de cette assimilation ont conduit le législateur à transformer le recel en infraction autonome par la loi du 22 mai 1915. Pour cette raison, l’infraction figure aujourd’hui à l’article 321-1 du Code pénal de 1994923. La distinction principale réside donc bien dans la temporalité du fait délictueux. Si l’acte de complicité doit être antérieur ou concomitant à la réalisation de l’infraction principale, le recel est un fait postérieur à l’infraction. En résumé, la complicité comme le recel supposent qu’un tiers se soit associé à la commission d’une infraction : a priori ou a posteriori. La question qui se pose maintenant est celle de savoir si, dans la cadre du recel comme du blanchiment, l’infraction d’origine doit être caractérisée en tous ses éléments constitutifs. La nécessité de caractériser l’infraction d’origine en tous ses éléments constitutifs avant d’entrer en voie de condamnation du chef de recel ou de blanchiment En faveur de cette nécessité, la lettre des articles 321-1 et 321-4 du Code pénal qui visent tous deux des infractions qualifiées crime ou délit. Or, rappelons-le, ces dernières supposent en principe, conformément à l’article 121-3 du Code pénal, de caractériser l’existence d’une intention. Cette interprétation stricte des articles 321-1 et 321-4 du Code pénal va à l’encontre de l’interprétation jurisprudentielle de l’article 121-7 du Code pénal dans le cadre de la décision du 8 janvier 2003.

d’intention, de l’auteur principal. » Peut-être aurait-il pu ajouter conformément au droit commun pénal fiscal et arguer de son caractère « obscur et prétendument autonome » pour marginaliser à nouveau la portée d’une telle décision.

920. C. pén., art. 321-1 : « Le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d’intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d’un crime ou d’un délit. Constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d’un crime ou d’un délit. […] »

921. C. pén., art. 324-1 : « Le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect. Constitue également un blanchiment le fait d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit. […] »

922. C. pén. anc., art. 62 : « Ceux qui sciemment auront recelé, en tout ou partie, des choses enlevées, détournées ou obtenues à l’aide d’un crime ou d’un délit, seront punis comme complices de ce crime ou de ce délit. »

923. « Le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose […] en sachant que cette chose provient d’un crime ou d’un délit. »

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L’examen de la jurisprudence récente en matière de recel et de blanchiment confirme cette exigence de devoir caractériser le crime ou délit d’origine en tous ses éléments constitutifs. En atteste, s’agissant du recel, la décision rendue le 6 mars 2012924 : un journaliste de L’Équipe était poursuivi pour recel de violation du secret professionnel, en l’espèce une violation du secret médical. Il lui était reproché d’avoir publié dans le quotidien un article faisant état des résultats « suspects » du bilan sanguin d’un athlète international. Pour être constituée, la violation du secret professionnel suppose notamment une condition préalable consistant en une information à caractère secret, recueillie à titre professionnel. La condamnation du journaliste est confirmée en appel, la cour d’appel de Versailles considérant, sans le dire expressément et clairement, que l’infraction d’origine était établie parce que la violation du secret médical ne pouvait être imputée qu’à une personne tenue au secret médical. La chambre criminelle casse et annule l’arrêt rendu en considérant que la cour d’appel n’avait pas caractérisé « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en aurait été dépositaire ». Si l’information révélée était bien couverte par le secret médical, on ne saurait considérer que sa divulgation/révélation constitue l’infraction de violation du secret professionnel dans la mesure où cette dernière ne peut être commise que par une personne spécifiée, autrement dit appartenant à une liste limitative légalement énoncée. Dans le même sens, Michel Véron, dans le commentaire qu’il effectue de la décision, estime que « la détermination de la nature et le contenu du secret révélé, donc recélé, ne saurait suffire à créer une présomption irréfragable concernant l’auteur de la révélation. L’identification de cette personne constitue un élément incontournable du recel de violation de secret professionnel »925. C’est donc logiquement que la Cour suprême a cassé l’arrêt et renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Paris, à charge pour le parquet d’établir que le journaliste tenait les informations litigieuses d’un professionnel de santé soumis au secret professionnel. En d’autres termes, le recel, qui est une infraction de conséquence, suppose, pour être consommé, l’existence d’une infraction d’origine caractérisée en tous ses éléments constitutifs, les juges du fond ne pouvant se contenter de relever l’origine nécessairement frauduleuse des choses recélées. La Cour de cassation, par un arrêt du 25 juin 2003926, adapte au blanchiment cette jurisprudence établie depuis longtemps à propos du recel. La démarche est logique puisque les deux infractions sont très voisines. Il s’agit de deux infractions de conséquence portant l’une et l’autre sur le produit d’un crime ou d’un délit927. Rappelons que dans le cas du blanchiment, il s’agit de « blanchir » des biens ou des revenus provenant d’un crime ou d’un délit, soit par la justification mensongère de leur origine, soit par une opération de placement ou de dissimulation. Il s’agit donc aussi, en quelque sorte, d’apporter une aide postérieure à l’auteur d’une infraction. Dans l’affaire jugée, la cour d’appel de Lyon avait relaxé des fins de la poursuite les auteurs poursuivis du chef de blanchiment de fonds provenant de délits de

924. Cass. crim., 6 mars 2012, no 11-80.801, Bull. crim., no 61, D. 2012. 816, obs. S. LAVRIC ; Dr. pén., 2012,

comm. 68, obs. M. VERON. 925. M. VERON, « La nécessaire identification de la “personne” auteur de la violation du secret », Dr. pén., 2012,

comm. 68. 926. Cass. crim., 25 juin 2003, no 02-86182, inédit, Dr. pén. 2003, comm. 142, obs. M. VERON ; RSC, 2004. 350,

obs. R. OTTENHOF. 927. Cette proximité, souvent mise en avant entre les infractions de recel et de blanchiment, rejaillit

nécessairement sur la relation de la complicité au blanchiment.

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fraude fiscale, d’escroquerie et de faux, au motif principal que le ministère public n’avait pas établi de manière précise l’existence des délits supposés avoir procuré les fonds prétendument blanchis par les prévenus. La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le procureur général en énonçant que « le délit de blanchiment nécessite que soient relevés précisément les éléments constitutifs d’un crime ou d’un délit principal ayant procuré à son auteur un profit direct ou indirect ». L’arrêt du 25 juin 2003 étend donc au blanchiment, et dans les mêmes termes que la solution retenue en cas de recel, la nécessité d’établir l’existence de l’infraction d’origine en tous ses éléments constitutifs. Si l’on peut se féliciter de ces solutions, au regard du respect du principe de la légalité ainsi que de son corollaire, le principe d’interprétation stricte de la loi pénale928, nous rappellerons, en considération de l’objectif de cette recherche, qu’elles concernent aussi des infractions très voisines de la complicité, corroborant implicitement les règles retenues en ce domaine. Finalement, nous pourrions alors énoncer une règle générale selon laquelle la répression d’un acte de complicité accompli a priori – nous visons la complicité au sens strict – ou a posteriori – nous faisons cette fois allusion au recel et au blanchiment – exige qu’une infraction préalable soit caractérisée en tous ses éléments constitutifs, et cela qu’il s’agisse de prouver l’existence de ses éléments préalable929 ou psychologique930. Ce faisant, nous venons confirmer indirectement la théorie de l’emprunt de criminalité et condamner celle du seul emprunt de matérialité retenue dans l’arrêt du 8 janvier 2003931. Pour conclure ce développement relatif à la complicité, nous pouvons affirmer que non seulement la criminalité d’emprunt correspond à la représentation conceptuelle de la complicité consacrée par le législateur, mais encore que les inconvénients souvent invoqués pour glisser vers le seul emprunt de matérialité sont largement atténués par d’autres alternatives répressives offertes par le droit positif. En outre, les quelques solutions jurisprudentielles dissidentes procèdent avant tout de la recherche d’un résultat opportun au regard des circonstances des espèces considérées. Il n’est donc pas incohérent, selon nous, de puiser dans les règles relatives à la répression de la complicité quelques arguments en faveur de l’exclusion de l’imputabilité de la constitution de l’infraction. Cette conclusion, initiée par la démonstration qui précède, va être parachevée par l’analyse des solutions jurisprudentielles relatives à la répression du complice, lorsque l’auteur principal bénéficie d’une cause subjective d’irresponsabilité pénale. Il est communément admis que les causes subjectives d’exonération de la responsabilité pénale bénéficiant à l’auteur principal sont sans répercussion sur la responsabilité du complice. Comprenons que l’exclusion de la responsabilité pénale de l’auteur mineur, malade mental ou privé de la liberté de sa volonté

928. On peut également s’en féliciter au regard de la portée très large des incriminations de recel et de

blanchiment. En application des articles 321-1 et 324-1 du Code pénal, les deux infractions doivent porter l’une et l’autre sur le produit d’un crime ou d’un délit. La Cour de cassation considérant à juste titre qu’elles peuvent viser n’importe quel crime ou délit, elle ne permet pas aux juges du fond de se dispenser de caractériser en tous ses éléments constitutifs l’infraction principale et de se contenter de faire référence à l’origine frauduleuse des biens ensuite recelés ou blanchis.

929. Comme pour le cas du recel dans l’exemple jurisprudentiel étudié. 930. Comme pour les cas de la complicité et du blanchiment dans les exemples jurisprudentiels étudiés. 931. Cf. supra.

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n’a pas d’incidence sur celle du complice. Une partie de la doctrine se plaît à écrire que l’explication au maintien de la responsabilité du complice réside dans la nature subjective des causes d’exonération bénéficiant à l’auteur ou encore que l’irresponsabilité de l’auteur procède d’une circonstance qui lui est personnelle. Autant de tournures imprécises qui, selon nous, permettent d’éluder soigneusement les problèmes soulevés par la non-imputabilité et, plus spécifiquement, par les incidences du défaut d’imputabilité de l’auteur sur la répression du complice. Il faut préciser que les usagers de la terminologie causes subjectives d’irresponsabilité pénale932 se prononcent généralement en faveur de l’intégration de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction. Cette terminologie leur permet alors d’autonomiser habilement la répression de la complicité en la détachant de la question de la constitution ou non de l’infraction principale. Nous maintenons donc le choix de l’exclusion du recours à cette terminologie, et ce d’autant que le maintien de la responsabilité du complice s’explique, selon nous, par l’extériorité des conditions de l’imputabilité à l’infraction, les causes de non-imputabilité bénéficiant à l’auteur n’affectant plus la responsabilité pénale du complice.

§ 2 - L’indifférence des causes de non-imputabilité sur la répression de la complicité

Dans le cadre d’un système conceptuel d’emprunt de criminalité, comme le relève François Rousseau, il y a bien un lien entre « indifférence à la participation et non-appartenance à l’infraction »933. Autrement dit, si les causes abolissant le discernement ou la liberté de la volonté de l’auteur ne semblent pas poser de difficulté particulière à l’égard de la répression d’éventuels participants, c’est que les conditions de l’imputabilité se localisent en dehors de l’infraction. L’objectif de ce chapitre consistant à démontrer l’extériorité des conditions de l’imputabilité par rapport à l’infraction, il s’agit maintenant, dans ce développement, de démontrer l’indifférence des causes de non-imputabilité sur l’infraction principale. Comme le précise Bernard Bouloc, « lorsqu’il existe une cause subjective de non-responsabilité […] c’est la responsabilité – et seule la responsabilité de celui chez qui la cause se rencontre – qui est directement effacée, mais l’infraction elle-même subsiste ; ainsi les coauteurs et les complices peuvent-ils être poursuivis et punis »934. Il conviendra donc de démontrer que la répression du complice est indépendante de l’absence de volonté libre (A.) ou de l’absence

932. Et de son pendant, causes objectives… 933. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 50. Précisons toutefois que, si nous

parvenons aux mêmes résultats juridiques que l’auteur, ce dernier ne part pas du même postulat. Il s’agit en effet, pour lui, de partir de l’extériorité des « conditions de l’imputation à l’agent » par rapport à l’infraction, et plus précisément de leur rattachement à la responsabilité de l’auteur, afin de conclure à la répression du complice nonobstant l’absence de l’une ou l’autre de ces conditions chez l’agent. Il commence en effet son raisonnement par rappeler que l’emprunt de criminalité « doit être circonscrit à la seule infraction principale et ne s’étend pas aux données relatives à la responsabilité pénale de l’auteur principal », no 198. Dans le cadre de cette recherche, il s’agit de conclure à l’extranéité des conditions de l’imputabilité de l’infraction. Pour ce faire, nous démontrons tout d’abord que le droit positif consacre la criminalité d’emprunt en tant que représentation conceptuelle de la complicité, laquelle implique de caractériser l’existence d’une infraction, constituée d’un élément matériel et d’un élément psychologique prenant la forme d’une intention ou d’une imprudence. Il nous importera ensuite de démontrer, au travers de l’analyse des dispositions légales et jurisprudentielles ainsi que de l’étude de la doctrine, l’indifférence du défaut d’imputabilité de l’auteur sur la répression du complice.

934. V. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, op cit., no 372.

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de discernement (B.) de l’auteur principal. Finalement, il sera permis de confirmer l’indifférence du défaut d’imputabilité de l’auteur par le recours au droit civil des contrats (C.)

A. L’indifférence (relative) de l’absence de volonté libre

Une partie de la doctrine plaide contre l’indifférence de l’absence de volonté libre sur la constitution de l’infraction, avec les conséquences qui en résultent sur la répression de la complicité. Selon André Decocq, cela tient au fait qu’« une conduite imposée ne peut être tenue pour antisociale ; elle ne peut donc être infractionnelle »935. Emmanuel Dreyer en tire la conséquence logique selon laquelle « l’individu qui s’associe à des faits que leur auteur n’a pas voulu commettre ne peut être poursuivi comme complice »936. Cependant, il nous apparaît qu’il est possible d’aller à l’encontre de cette conclusion en nous fondant tant sur des dispositions législatives que sur des solutions jurisprudentielles. Dans un premier temps, il est possible de déduire l’indifférence de l’absence de volonté libre sur la constitution de l’infraction des dispositions législatives, pour ne pas parler de consécration législative implicite de l’indifférence de l’absence de volonté libre sur la caractérisation d’une infraction. Nous allons voir que l’on peut en effet considérer qu’en envisageant la complicité par provocation à l’alinéa 2 de l’article 121-7, le législateur a d’une certaine manière consacré l’extériorité de la liberté psychologique à l’infraction. L’article 121-7, alinéa 2 du Code pénal, en disposant qu’« est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction… », couvre l’hypothèse dans laquelle l’auteur principal qui accomplit l’infraction nécessaire à la répression de la complicité peut néanmoins agir sous l’empire d’une contrainte morale. Le propre de certains agissements visés au titre de la complicité par provocation, « menaces », « ordre », « abus d’autorité ou de pouvoir », est d’engendrer des pressions de nature à constituer une contrainte morale chez la personne qui en est victime. Il leur suffit pour ce faire de satisfaire aux exigences d’imprévisibilité et d’irrésistibilité937 . L’exégèse de l’article 121-7, alinéa 2 démontre donc que le législateur n’est pas hostile à la coexistence de deux qualités opposées, auteur d’une infraction et victime d’une contrainte, en la même personne. Ainsi, le fait que, dans certaines conditions, des actes de complicité par provocation soient susceptibles d’être assimilés à une contrainte exonératoire de responsabilité pour l’auteur principal, sans pour autant faire obstacle à la répression du complice, démontre, au regard de l’exigence de caractérisation d’une infraction principale en tous ses éléments constitutifs, l’extériorité de de la liberté psychologique de l’infraction. Jacques-Henri Robert, dans son article évoqué plus en amont et intitulé « Imputation et complicité », visait déjà938 en tant que complices « ceux qui, par […] menaces, abus d’autorité ou de pouvoir [...] ont usé de la contrainte qui n’empêche pas l’intention de se former dans l’esprit de l’agent de l’auteur matériel et donc permet la qualification de son acte »939. En

935. A. DECOCQ, Droit pénal général, op. cit., p. 203. 936. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 1102, p. 802. 937. Cf. supra, titre 1, chapitre I. 938. Comme nous l’avons vu, cet article a été écrit sous l’empire de l’ancien Code pénal, cf. supra. 939. J.-H. ROBERT, « Imputation et complicité », op. cit., no 13.

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dehors même de toute considération juridique, n’est-il pas logique d’admettre que l’on peut contraindre quelqu’un à commettre une infraction ? En résumé, on peut déduire l’extranéité de la composante liberté de l’imputabilité de l’infraction en se fondant sur un double choix du législatif, celui de la criminalité d’emprunt en tant que représentation conceptuelle de la complicité, d’une part, et celui de la répression de la complicité par provocation, qui peut conduire à réprimer le complice de l’auteur victime d’une contrainte morale, d’autre part. Dans le prolongement de cette analyse, la doctrine majoritaire prône la même solution en estimant que l’irresponsabilité pénale de l’auteur en raison d’un événement contraignant n’interdit pas de condamner le complice. Cependant, elle n’opère pas de distinction au sein de la contrainte et semble adopter la même solution, qu’il s’agisse de la contrainte physique ou morale. Or, il convient de souligner que le raisonnement précédent ne s’applique qu’à la liberté psychologique appréhendée dans son versant négatif, soit la contrainte morale. À l’inverse, il n’est pas possible d’adopter les mêmes solutions à propos de la contrainte physique. La « provocation » à l’infraction, par définition, n’est susceptible d’agir que sur le psychisme de l’individu. L’article 121-7 du Code pénal ne réprime par ailleurs que des actes de complicité par aide, assistance ou fourniture d’instructions, autrement dit aucun agissement de nature à venir entraver la liberté de mouvement de l’agent. Cette restriction à l’indifférence de l’absence de liberté de l’auteur sur la répression du complice rejoint la conclusion du titre 1er aux termes de laquelle il convient de voir dans la contrainte physique, non pas une cause de non-imputabilité, mais une cause hybride de non-caractérisation de l’infraction. L’examen de la jurisprudence révèle la confirmation de l’indifférence relative de l’absence de liberté de l’auteur sur la répression du complice. Comme nous l’avons vu, si la solution doit être approuvée concernant la contrainte morale, elle doit être écartée s’agissant de la contrainte physique. Ainsi, la jurisprudence, dans le sillage de notre argumentation, n’a jusqu’à présent autorisé la poursuite d’un complice ayant participé à un fait principal commis sous l’empire d’une contrainte que dans les cas d’affaires où la contrainte était d’ordre moral940. Au regard des décisions rendues, l’absence de la seule liberté psychologique de l’auteur est indifférente à la répression du complice. Bien que la jurisprudence sur le sujet ne soit pas abondante, cela confirme implicitement notre solution selon laquelle la contrainte physique doit interdire toute répression au titre de la complicité et donc l’indifférence relative de l’absence de liberté psychologique sur la complicité. Ainsi, il convient d’envisager les conséquences de l’absence de discernement de l’auteur sur la complicité.

940. Cass. crim., 20 oct. 1949, Bull. crim., 1949, no 291; trib. corr. Bobigny, 22 nov. 1972, Gaz. Pal., 1972, 2,

p. 890.

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B. L’indifférence de l’absence de discernement

L’indifférence de l’absence de discernement de l’auteur principal se vérifie tant à propos de la répression de la complicité proprement dite (1.) qu’à propos de la répression des infractions voisines de recel et de blanchiment (2.).

1. La répression du complice d ’une infraction commise sans discernement

Peut-on aider ou inciter une personne dépourvue de discernement (jeune enfant) ou dont le discernement était aboli au moment des faits (aliéné) à commettre une infraction ? Si la possibilité de caractériser l’existence d’une infraction nonobstant le défaut de discernement de son auteur a été résolue par l’affirmative dans le titre 1er de cette recherche, lors de l’étude de « la condition de discernement », il importe maintenant de vérifier cette conclusion par l’étude du régime de la complicité en l’absence de discernement de l’auteur principal, que cette absence de discernement procède du jeune âge ou de l’existence d’un trouble mental aliénant chez l’auteur. Selon Emmanuel Dreyer, l’absence de discernement de l’auteur est déterminante de l’impunité du complice. Il invoque deux arguments au soutien de son raisonnement. Le premier réside dans le fait que « les exemples donnés évoquent trop souvent une simple altération du discernement, non une abolition totale »941, ce qui, on le comprend, a pour effet de rendre plus vraisemblable la commission d’une infraction par l’auteur principal. Il est possible d’opposer à cet argument le fait que, tout au moins dans le cadre de cette étude, nous distinguons avec application les hypothèses d’altération et d’abolition du discernement942. En outre, si confusion il y a, c’est le plus souvent au détriment de l’abolition, les experts psychiatres préférant se placer sur le terrain de l’altération du discernement afin que les juges puissent plus facilement entrer en voie de condamnation943. Le second argument consiste à considérer que « l’irrationalité du comportement d’un dément ou d’un infans exclut que l’on puisse établir à l’égard du prétendu complice soit la volonté de s’associer à un projet infractionnel préexistant (comment le dément ou l’infans pourrait-il le concevoir ?), soit la volonté de pousser cet être ingérable à commettre un acte déterminé »944. Il nous apparaît possible de remettre en cause la pertinence de cet argument en ce qu’il met surtout en évidence l’impossibilité de caractériser l’existence d’une « entente », élément qui procède plus de la caractérisation de la complicité stricto sensu que de la constitution d’une infraction principale. En outre, comme le démontre Carole Girault dans son article consacré à l’étude du lien de concertation entre l’auteur principal et le complice, pour satisfaire les besoins de la répression, les règles relatives à la complicité ont progressivement été assouplies, de telle sorte que le lien de concertation exigé entre l’auteur principal et le complice en vient à être négligé. Elle démontre ainsi que, « définie comme le fait de s’entendre pour agir ensemble ou pour préparer une action en commun, la concertation est effectivement présumée en l’absence d’accord direct entre les principaux protagonistes avant l’action et même ignorée

941. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 1102, p. 802. 942. Cf. notamment supra, titre 1, chapitre I, pour des développements consacrés à l’abolition du discernement

et infra, partie 2, titre 1, chapitre I, pour des développements consacrés cette fois à l’altération. 943. Cf. infra partie 2. 944. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 1102, p. 802.

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lorsque l’auteur et le complice n’ont matériellement pas eu la possibilité ou la volonté de s’entendre et de s’associer »945. Aussi, si l’on considère malgré tout que cette absence de discernement est susceptible de venir entraver la répression du complice, son impunité procèderait davantage du défaut de l’un de ses éléments spécifiques caractérisé par le lien de concertation – l’infraction préalable restant, quant à elle, caractérisée en tous ses éléments constitutifs. Quoi qu’il en soit, la doctrine retient majoritairement l’indifférence de l’absence de discernement, qu’elle procède du jeune âge de l’auteur ou de l’existence d’un trouble mental aliénant, sur la répression de la complicité. Dans le cas de la maladie mentale, elle enseigne spécifiquement que l’existence d’un trouble mental, exonérant l’auteur principal, ne fait pas obstacle à la répression du complice946. Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec précisent clairement cette idée dans les termes suivants :

L’irresponsabilité pénale pour trouble mental ne supprime pas l’existence de l’infraction. Demeurent ainsi punissables les éventuels complices de l’irresponsable, et notamment les personnes qui ont pu profiter de son absence de discernement pour lui faire commettre, à leur profit, les actes incriminés.947

S’agissant de la minorité, la doctrine fait le plus souvent le détour par « l’étude du délinquant » ou des « circonstances personnelles à l’auteur »948. Yves Mayaud illustre clairement ce courant dans son ouvrage de droit pénal général en considérant que « les causes dites “subjectives” sont toutes les circonstances se soldant par une impunité personnelle à l’auteur d’une infraction. […] Elles se caractérisent par une portée in personam, et il est normal que le complice ne puisse en avoir les effets, sauf à y prétendre individuellement »949. Marie-Laure Rassat, après avoir évoqué une classification des causes d’irresponsabilité pénale motivée par des impératifs pédagogiques, et aux termes de laquelle elle rattachait notamment la minorité

945. C. GIRAULT, « Le relâchement du lien de concertation entre l’auteur principal et le complice », D., 2008,

p. 1714. 946. R. BERNARDINI, Droit pénal général : introduction au droit criminel, théorie générale de la responsabilité pénale, op. cit.,

no 485 ; B. BOULOC, Droit pénal général, op. cit., no 350, p. 311 et 312 ; P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 412 ; Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 385, p. 450 ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 546 ; J. PRADEL, Droit pénal général, op. cit., no 507 ; M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit., no 405, p. 425 ; J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, 6e éd., 2005, p. 356 et 357.

947. F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, op. cit., no 394. 948. Rappelons que, dans le cadre de cette étude, cette désignation de certaines causes d’exonération de la

responsabilité pénale n’est pas adoptée, car nous considérons qu’elle a notamment pour effet d’éluder la question épineuse de la place de l’imputabilité au sein de la théorie de la responsabilité pénale tout en permettant de se soustraire aux conséquences juridiques qui en découlent. Plus généralement, cette terminologie présente un caractère inapproprié à la localisation des différents éléments de la responsabilité pénale. Prenons l’exemple des mobiles qui constituent par excellence des « circonstances personnelles à l’auteur ». Pour autant, nous avons démontré dans le premier titre (cf. supra, titre 1, chapitre I) qu’ils pouvaient, dans certaines hypothèses, entrer dans la constitution de l’élément psychologique de l’infraction et qu’ils ne se rattachaient donc pas systématiquement à « l’étude du délinquant » – comprenons à celle de la mise en œuvre de sa responsabilité pénale.

949. Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 385, p. 449. Est-il besoin de rappeler que l’auteur souscrit à l’antériorité d’un débat sur l’imputabilité, et qu’en se plaçant sur le terrain des « circonstances personnelles », il peut ainsi se soustraire aux conséquences juridiques de son choix conceptuel sur la répression de la personne du complice.

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à des « personnes à l’évidence particulières », concède néanmoins que « cette présentation […] dans une analyse juridique plus fine, [semble] devoir être écartée »950. Dans une seconde approche, elle considère alors que dans l’hypothèse de la minorité de l’auteur, « nous sommes en présence d’une infraction entièrement constituée mais dont l’auteur ne répondra pas […] parce que le législateur en a décidé ainsi »951. De la sorte, la répression du complice est juridiquement justifiée nonobstant la minorité de l’auteur. L’indifférence jurisprudentielle aux causes abolissant le discernement sur la complicité, qu’il s’agisse de réprimer le complice d’un auteur majeur atteint d’un trouble mental aliénant ou d’un mineur non encore pourvu de discernement, vient faire écho à la position de la doctrine majoritaire. Ainsi, la jurisprudence admet la répression du complice d’une infraction commise sans discernement. Par exemple, la chambre criminelle de la Cour de cassation a-t-elle considéré que le non-lieu accordé à l’auteur d’un viol, en raison de son état mental, n’interdisait pas de condamner l’instigateur de ce crime sur le fondement de la complicité952. Semblablement, lorsque l’absence de discernement de l’auteur principal résulte de sa minorité, des juges du fond ont estimé que les actes délictueux commis par des mineurs, quel que soit leur âge, ne perdent pas leur caractère de crime, de délit ou de contravention953. Plus généralement, on peut donc être complice d’une infraction commise par un dément, un mineur dépourvu de discernement ou une personne victime d’une contrainte morale. Dans ces diverses hypothèses, l’existence de l’infraction n’est majoritairement pas niée. Si cette conclusion peut encourir le reproche d’une objectivation du comportement du dément ou de l’infans, est-elle vraiment condamnable alors que la responsabilité pénale des intéressés ne pourra être engagée ? Quoi qu’on en pense, elle est, une fois encore, confirmée par l’étude des solutions retenues dans le domaine des infractions voisines de recel et de blanchiment.

2. La confirmation des solutions par les infractions de recel et de blanchiment

Il conviendra de poursuivre ce développement par un détour par les solutions retenues en matière de recel et de blanchiment. Après examen de la jurisprudence, il suffit d’une manière générale que l’infraction d’origine soit simplement punissable pour entrer en voie de condamnation pour recel ou blanchiment. Ce postulat laisse augurer de solutions identiques à celles retenues en matière de complicité en cas d’absence du discernement ou de contrainte irrésistible affectant l’auteur principal. D’une manière plus particulière, la jurisprudence considère en effet, à l’instar des solutions retenues en matière de complicité, que le fait que l’auteur de l’infraction d’origine soit impuni pour une raison de fait ou de droit ne fait pas obstacle à la répression du recel ou du blanchiment. Par exemple, concernant le recel, la

950. M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit., no 331, p. 356. 951. Loc. cit. 952. Cass. crim., 13 mars 1991, no 90-83913, Bull. crim., 1991, no 125. Il s’agissait plus précisément d’admettre

la complicité par instructions données d’un individu qui avait poussé un frère handicapé mental, bénéficiant à ce titre d’un non-lieu, à violer sa sœur. La juridiction suprême considéra que nonobstant le handicap mental de l’agent, l’infraction de viol aggravé était bien caractérisée – le viol était aggravé par caractère particulièrement vulnérable de la victime en raison d’une déficience physique ou mentale. Dans le même sens Cass. crim., 16 juin 1887, Bull. crim.,1887, no 221.

953. Aix-en-Provence, 11 juillet 1968, Gaz. pal., 1968, 2, p. 316. Également, Cass. crim., 27 nov. 1847, DP 1846, 4, no 94 ; 12 oct. 1882, Bull. crim., 1882, no 233.

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chambre criminelle de la Cour de cassation considère que la punition effective de l ’auteur principal importe peu, du moment que l’existence du crime ou du délit fondamental est constatée954. Ainsi, le recel est constitué même si l’auteur de l’infraction d’origine est décédé, en fuite ou inconnu955. Peu importe également que l’infraction principale soit couverte par la prescription956 ou que l’auteur de l’infraction originaire soit couvert par l’immunité familiale957. L’indifférence d’une répression effective de l’infraction principale plaide, dans le prolongement de ces solutions, pour la répression du recel en l ’absence d’imputabilité de l’auteur de l’infraction d’origine. C’est ainsi qu’il est possible de faire état de décisions retenant le recel, nonobstant le défaut d’imputabilité de l’auteur de l’infraction d’origine, la chambre criminelle ayant déjà jugé qu’il importait peu, au regard de la répression du recel, que le prévenu ait bénéficié d’une décision de relaxe en raison de troubles psychologiques ou de son jeune âge958. Finalement, « la seule limite au pouvoir des juges tient à l’obligation qui leur est faite de caractériser l’infraction et d’en relever les éléments constitutifs. Ils ne peuvent se contenter de mentionner que les objets recelés ont une origine suspecte sans encourir la censure de la Cour de cassation »959. La chambre criminelle a notamment fait application de cette jurisprudence en matière de blanchiment à l’occasion d’un arrêt rendu le 25 juin 2003, aux termes duquel elle considère que « le délit nécessite que soient relevés précisément les éléments constitutifs d’un crime ou d’un délit principal ayant procuré à son auteur un profit direct ou indirect, et que l’élément intentionnel de l’infraction, caractérisé par la connaissance de l’origine délictueuse des fonds, soit établi960. S’il n’existe pas, à notre connaissance, de décisions plus spécifiques réprimant le blanchiment d’une infraction commise par une personne non imputable, le fait est que la doctrine semble unanime à considérer que « comme pour le recel, il importe peu que l’auteur de l’infraction originaire soit poursuivi ou sanctionné. Il est donc indifférent qu’il soit en fuite, ou bénéficie d’une immunité personnelle ou d’une cause de non-imputabilité »961. L’identité des solutions, notamment jurisprudentielles, concernant les infractions de recel et de blanchiment, deux infractions voisines de la complicité, vient conforter les solutions rendues en matière de complicité et donc l’extériorité des conditions de l’imputabilité à l’infraction. Prolongeant plus loin encore le raisonnement, même hors de la sphère pénale, nous clôturerons ce développement par une brève incursion dans le droit civil des contrats.

954. Cass. crim., 9 nov. 1965, no 65-90659, Bull. crim., no 227. 955. Cass. crim., 7 mai 1942, Bull. crim., no 56. 956. Cass. crim., 16 juill. 1964, Bull. crim., no 241. 957. Cass. crim., 7 mai 1942, préc. Si cette solution est similaire à certaines rendues en matière de complicité,

nous rappellerons simplement que dans le cas particulier de l’immunité familiale, nous trouvons l’impunité du complice ou du receleur contestable, puisque cette immunité devrait s’analyser en une immunité procédurale.

958. Cass. crim., 26 déc. 1924, Bull. crim. 1924, no 426. Cf. également Cass. crim., 9 févr. 1956, Bull. crim. 1956, no 148 ; JCP G 1956, II, 9574, note J. LARGUIER ; D. 1956, 501, note M.R.M.P. (cf. Cass. crim., 4 janv. 1963, no 62-91.693, Bull. crim. 1963, no 5).

959. A. LEPAGE, P. MAISTRE DU CHAMBON et R. SALOMON, Droit pénal des affaires, 4e éd., Litec, 2015, no 377. 960. Cass. crim., 25 juin 2003, no 02-86.182, inédit, Dr. pén., 2003, comm. 142, obs. M. VERON ; RSC, 2004,

p. 350, obs. R. OTTENHOF. 961. A. LEPAGE, P. MAISTRE DU CHAMBON et R. SALOMON, Droit pénal des affaires, op. cit., no 417.

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C. La confirmation de l’indifférence du défaut d’imputabilité de l’auteur par le recours au droit civil des contrats

Il nous apparaît possible de justifier « l’indifférence sur la participation », autrement dit la répression du complice malgré le fait que l’infraction principale ait été commise par une personne dépourvue d’imputabilité, en faisant le parallèle avec le droit civil des contrats, plus particulièrement avec les règles concernant l’effet relatif du contrat prévu par l’ancien article 1165 du Code civil962. Le raisonnement à suivre est construit en application de cet ancien article. Aux termes de celui-ci, « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans les cas prévus par l’article 1121 ». Cependant, comme le précise Luc Grynbaum, il existe des interactions entre le contrat et les tiers, de sorte que « le contrat existe bel et bien à l’égard des tiers, c’est une situation juridique qui est opposable aux tiers comme un fait juridique. Les tiers doivent donc s’abstenir d’aider à la violation du contrat »963, encore moins « provoquer » à cette violation pourrions-nous ajouter. Il est possible de distinguer deux types de tiers au contrat : les tiers absolus et les tiers relatifs. Comme le rappelle Luc Grynbaum, « le tiers absolu est le tiers qui n’est tenu par aucun lien avec les contractants »964 et « on entend par tiers relatifs les ayants cause à titre particulier et les créanciers chirographaires de l’une des parties au contrat »965. Il semble possible d’adapter à la matière pénale et au cas particulier qui nous intéresse une théorie de l’effet relatif du contrat social. Les parties mises en présence seraient l’auteur de l’infraction et le ministère public, alors que le complice pourrait être rangé dans la catégorie des tiers absolus. La problématique de l’effet relatif du contrat social pourrait se résumer en ces termes : il s’agirait pour le parquet, en tant que représentant de la société, d’opposer au complice le contrat social liant l’auteur principal à la société. Par conséquent, l’infraction commise et provoquée, caractérisant une violation du contrat social, serait également opposable au complice de mauvaise foi et produirait des effets répressifs à son égard. Autrement dit, il serait possible d’opposer au complice (tiers absolu au contrat social conclu entre l’auteur principal et la société) la violation de ce contrat, afin d’engager sa responsabilité pénale. À l’objection éventuelle tirée de l’annulation rétroactive du contrat social pour défaut d’imputabilité de l’une des parties, on pourrait opposer une solution inspirée de la théorie du mariage putatif, qui permet entre époux de bonne foi ou à l’égard des enfants issus de l’union de faire produire les effets du mariage quand bien même celui-ci aurait été annulé966, et considérer que le contrat conclu entre l’auteur et la société constitue une sorte de contrat social putatif967 à l’égard du complice de mauvaise foi968.

962. Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, l’ancien article 1256 est devenu

l’article 1199 nouveau et l’ancien article 1121 n’existe plus. Aux termes de l’article 1199 nouveau du Code civil : « Le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties. Les tiers ne peuvent ni demander l’exécution du contrat ni se voir contraints de l’exécuter, sous réserve des dispositions de la présente section et de celles du chapitre III du titre IV. »

963. L. GRYNBAUM, Les Obligations – Droit civil, Hachette Éducation, 2e éd., 2007, no 277. 964. Ibid., no 278. 965. Ibid., no 281. 966. C. civ., art. 201 et 202. 967. On répute en quelque sorte le contrat social valablement formé. 968. Ou encore, on pourrait imaginer opposer l’existence virtuelle de l’infraction à son auteur pour lui faire

produire des effets formels, symboliques (sorte de force obligatoire [art. 1134, al. 1er du Code civil] du

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L’examen de la jurisprudence civile vient confirmer l’applicabilité d’une théorie de l’effet relatif du contrat social à la justification de la sanction du complice. Par exemple, il a été décidé très tôt, s’agissant des contrats faisant naître des droits de créance – droits de créance que l’on peut qualifier de réciproques dans le cadre du contrat social –, « que les tiers avaient un devoir d’abstention. Ils ne doivent pas se rendre complices de la violation du contrat. Cette complicité est par ailleurs sanctionnée par une responsabilité délictuelle et non contractuelle »969. Cette solution est cohérente au regard de notre argumentation et vient par ailleurs corroborer le fait que l’acte de complicité ne saurait consister en une abstention970 à moins que cette dernière ait été convenue à l’avance971. En conclusion, la théorie de l’emprunt de criminalité, représentation conceptuelle de droit positif en matière de complicité, combinée à la jurisprudence établie relativement à la répression du complice d’un acte commis par une personne non-imputable – qu’il s’agisse d’un aliéné, d’un mineur ou d’une personne contrainte psychologiquement – conduit à conclure à l’extériorité des conditions de l’imputabilité à l’infraction ainsi qu’à leur rattachement subséquent exclusif à la responsabilité.

Section 2 – La complémentarité fonctionnelle des composantes de la responsabilité pénale

Si les rapports étroits entretenus entre la culpabilité et l’imputabilité contribuent à une bonne administration de la justice, c’est que la complémentarité substantielle des deux composantes de la responsabilité pénale trouve un écho tout aussi essentiel sur le plan fonctionnel. Précisément, les fonctions des données subjectives de la responsabilité pénale sont conditionnées par leur place respective dans la théorie de la responsabilité pénale. Cette cohérence se trouve d’abord vérifiée au regard du rôle de l’imputabilité. Le fait que l’imputabilité soit extérieure à la constitution de l’infraction la prive de toute fonction directement découlant directement de cette dernière ; son rôle est exclusivement en lien avec la responsabilité pénale (§ 1). On retrouve la même cohérence s’agissant des fonctions de la culpabilité dont certaines sont en lien direct avec l’infraction et d’autres avec la responsabilité pénale (§ 2).

contrat putatif conclu entre l’État et le non-imputable) et l’existence réelle de l’infraction à d’éventuels complices pour sanctionner leur participation à l’infraction.

969. L. GRYNBAUM, op. cit., no 279 ; Cass. com., 11 oct. 1971, no 70-11892, Bull. com., no 237, D. 1972, p. 120 ; cass. civ. 1re, 26 janv. 1999, no 96-20782, Bull. civ. I, no 32 ; RTDciv. 1999, p. 405.

970. » Les actes de complicité prévus par la loi sont tous des actes positifs, si bien que la complicité par abstention est à titre impunissable. » (Cass. crim., 26 oct. 1912, S. 1914, I, 225, note ROUX ; 15 janv. 1948, S. 1949, I, 81, note A. LÉGAL.

971. La jurisprudence n’hésite pas à réprimer la passivité, lorsqu’elle procède de la collusion. Par exemple : Cass. crim., 10 nov. 1971, no 69-92.308, Bull. crim., no 307 : « Est considéré comme complice l’expert-comptable qui tient irrégulièrement la comptabilité d’un commerçant déclarée ultérieurement en état de cessation des paiements. » (Cass. crim., 15 janv. 1979, no 77-90.394, Bull. crim., no 21 ; Cass. crim., 19 déc. 1989, no 89-82.550, inédit, D. 1990. 198, note D. MAYER ; RSC, 1990. 775, obs. A. VITU.)

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§ 1 - Le rôle de l’imputabilité en lien avec son rattachement exclusif à la responsabilité pénale

En raison de l’extériorité de l’imputabilité par rapport à l’infraction, les informations relatives à l’imputabilité ne sont pas utiles à sa caractérisation. Cependant, en agissant sur l’imputation de l’infraction, ces dernières conditionnent la mise en œuvre de la responsabilité pénale. L’infliction d’une sanction constitue en principe la conséquence naturelle de l’engagement de la responsabilité pénale. En ce que le contenu de l’imputabilité renvoie à l’existence d’un discernement et d’une liberté psychologique suffisants du sujet, la notion peut donc s’analyser en une capacité-condition à la mise en œuvre de la sanction pénale et, plus particulièrement, en une aptitude psychologique du délinquant à la sanction. Il nous importera de déterminer ce que recouvre exactement cette expression. Nous allons établir qu’elle inclut dans son champ d’application « l’aptitude à mériter la sanction »972 – en d’autres termes, une aptitude psychologique autorisant le prononcé d’une sanction, renvoyant à la fonction traditionnelle de fondement de la responsabilité pénale (A.). En revanche, elle ne saurait englober « l’aptitude à profiter de la sanction pénale »973, autrement désignée en doctrine sous l’expression de « capacité pénale » (B.).

A. La fonction traditionnelle de fondement de la responsabilité pénale

L’imputabilité s’analyse donc en une capacité-condition à la mise en œuvre de la responsabilité pénale renvoyant plus précisément à une aptitude psychologique autorisant le prononcé d’une sanction pénale. Pour cette raison, il est souvent écrit, en doctrine, qu’elle confère une valeur éthique à la responsabilité pénale (1.). Dans le même temps, elle participe de cette mécanique implacable voulant qu’un individu imputable voit aussitôt sa responsabilité engagée avec, à la clef, la forte probabilité de se voir infliger une sanction pénale. L’émergence de mouvements d’individualisation subjective de la sanction pénale est venue opportunément enrichir cette fonction traditionnelle de l’imputabilité (2.).

1. L’imputabilité en tant qu ’aptitude psychologique autorisant le prononcé d ’une sanction pénale

La fonction traditionnelle de l’imputabilité, toujours d’actualité, consiste à fonder la responsabilité pénale. Il suffit pour s’en convaincre de consulter les articles 122-1, 122-2 et 122-7 du Code pénal qui commence l’énumération des conditions propres à chaque cause de non-imputabilité par l’expression « N’est pas pénalement responsable la personne qui… »974. Roger Merle et André Vitu rappellent que « la doctrine professe habituellement que l’existence d’une infraction objectivement punissable et la constatation de la culpabilité du délinquant ne suffisent pas à entraîner la responsabilité pénale de l’agent. Il faut encore que cet agent soit “imputable”, autrement dit qu’il possède l’aptitude à “répondre”

972. Selon l’expression empruntée à Roger Merle et André Vitu. 973. Idem. 974. Rappelons, conformément aux développements qui précèdent, que l’imputabilité n’entre pas dans la

constitution de l’infraction – son absence fait donc entrave, non pas à la caractérisation de l’infraction, mais directement à l’existence de la responsabilité pénale.

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pénalement des conséquences de son comportement délictueux : l’aptitude à la sanction »975. La conséquence naturelle de la mise en œuvre de la responsabilité pénale réside donc dans l’infliction d’une sanction. Comme nous l’avons précédemment rappelé, en tant qu’elle suppose la réunion de deux qualités subjectives relatives à l’existence d’un discernement et d’une liberté psychologique suffisants de l’agent, l’imputabilité peut s’analyser en l’exigence d’une aptitude psychologique à la sanction pénale. Ce qui pose question, c’est la consistance de ce lien. Dans son acception classique, inscrite dans le cadre d’une conception quasi exclusivement rétributive de la responsabilité pénale, retenant l’automaticité du lien entre responsabilité et peine, l’aptitude psychologique à la sanction se limite à « l’aptitude à mériter la sanction »976. Elle peut donc s’analyser en une capacité-condition à la mise en œuvre de la conséquence naturelle de l’engagement de la responsabilité pénale. Ainsi, en considération de la finalité essentiellement punitive du droit pénal classique, il est compréhensible que les qualités composant l’imputabilité soient exigées pour que tout individu puisse voir sa responsabilité pénale engagée977 – particulièrement lorsque l’on considère le fait que l’acception objectivée de la culpabilité ne fait techniquement pas obstacle à la caractérisation d’une infraction à l’encontre d’un jeune mineur ou d’un majeur aliéné. Selon Claire Saas, « l’imputabilité permettrait de reconnaître la légitimité de l’intervention du système et de la sanction pénaux »978. Dans le même sens, Patrice Jourdain considère que « l’imputabilité n’est autre que la traduction juridique des sentiments de commisération et de la mansuétude qu’inspire à la collectivité la personnalité du responsable. Reflet de la sensibilité sociale, la fonction de l ’imputabilité consiste à limiter la responsabilité en faisant obstacle, en son absence, à l’application de la sanction prévue au responsable désigné par son action »979. En résumé, l’imputabilité constitue « le degré liminaire au-dessous duquel le comportement délictueux ne saurait relever du droit pénal »980. En l’absence d’imputabilité, la sanction est inconcevable. La responsabilité pénale se voit donc conférer, par le truchement du concept d’imputabilité, une dimension humaniste. Cependant, dans le même temps, l’imputabilité participe de cette mécanique implacable voulant qu’un individu imputable voit aussitôt sa responsabilité pénale reconnue avec, à la clef, la forte probabilité de se voir infliger une sanction pénale. L’émergence de mouvements subjectifs d’individualisation de la sanction pénale a permis de tempérer la fonction traditionnellement rétributive de la responsabilité pénale.

975. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 616, p. 772. 976. Selon l’expression de Roger Merle et André Vitu. 977. Si le droit pénal classique a notamment pour mission de sanctionner les abus de la liberté, il est juste

d’exiger que cet abus soit reprochable. 978. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2002, no 173-1,

p. 183. 979. P. JOURDAIN, « Retour sur l’imputabilité », in Les droits et le droit, mélanges dédiés à Bernard Bouloc, Dalloz,

2006, p. 517. 980. G. LEVASSEUR, « L’élément moral de la responsabilité pénale », in Travaux du Colloque de science criminelle de

Toulouse sur « La confrontation de la théorie générale de la responsabilité pénale avec des données de la criminologie », Dalloz, 1969, p. 994.

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2. La fonction traditionnelle de l ’imputabilité enrichie à la faveur de l ’émergence de mouvements d ’individualisation subjective de la sanction pénale

La dimension éthique de l’imputabilité se comprend donc aisément dans la logique d’un système de responsabilité orienté exclusivement vers la sanction de l’acte délictueux. Mais, précisément, à la faveur de critiques dirigées contre « la rigueur logique d’une telle construction de la responsabilité »981, qui veut que « l’adulte imputable est inéluctablement justiciable d’une peine attachée par la loi à l’infraction qu’il a commise »982, des mouvements d’individualisation subjective de la sanction pénale ont vu le jour en doctrine983. Il est permis de mettre en exergue la tentative infructueuse des néoclassiques de la Restauration. Tout en souscrivant au postulat de la relativité de la liberté humaine, ils devaient néanmoins maintenir l’automaticité du lien entre responsabilité et peine. Cela les conduisit à ne développer qu’une sorte d’« arithmétique répressive »984, « en restant aveugles à l’importance de la personnalité du délinquant et en favorisant, à l’inverse, la prise en considération d’éléments strictement objectifs comme les circonstances aggravantes ou atténuantes ou le passé pénal du délinquant »985. Suivra, à la faveur de l’apparition de nouvelles sciences humaines à la fin du XIXe siècle – à l’instar de la psychiatrie, de la psychologie et de la sociologie – une individualisation subjective de la sanction répressive, cette fois par le prisme d’une approche scientifique de la personne du délinquant. Cette dernière, impulsée par les positivistes986, a notamment abouti à l’émergence du concept doctrinal de capacité pénale. Comme le précise André Giudicelli dans l’article précité, plusieurs auteurs s’en sont emparés « sur un ton très différent », à l’instar de Raymond Saleilles dans son ouvrage consacré à l’individualisation de la sanction pénale. Si, comme le relève Clément Margaine, « l’expression même de « capacité pénale » […] apparaît pour la première fois à la fin du XIXe siècle, sous la plume de Saleilles »987, le concept a suscité un engouement très important en doctrine dans la seconde

981. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 616, p. 774. 982. Ibid., no 617, p. 776. 983. Déjà, en réaction au système des peines fixes du Code pénal de 1790, le Code de 1810 avait opté pour une

individualisation objective et judiciaire strictement encadrée par le législateur. L’individualisation consacrée par le Code napoléonien demeurant encore très limitée – le législateur avait conservé en matière criminelle le système des peines fixes sans prévoir une quelconque possibilité d’atténuation –, la loi du 28 avril 1832 est venue généraliser le bénéfice des circonstances atténuantes à toutes les infractions pénales. Suivront, avec des retombées en législation, deux mouvements humanistes d’individualisation de la sanction, le mouvement néoclassique – représenté par Louis-Philippe Guizot, Pellegrino Rossi ou Joseph-Louis Ortolan – qui chercha à concilier la fonction rétributive classique et l’utilitarisme en matière pénale et l’École pénitentiaire qui, dans le but de favoriser l’amendement du condamné, tendra à développer une individualisation subjective de la sanction en cours d’exécution, et particulièrement en matière carcérale, où elle préconisera la mise en place d’un régime pénitentiaire individualisé et progressif.

984. Selon l’expression critique empruntée à Marc Ancel. 985. Cf. A. GIUDICELLI, « Évolutions, mutations, nouveaux horizons du droit pénal : un guide de lecture », in

M. MASSE, J.-P. JEAN et A. GIUDICELLI (dir.), Un droit pénal postmoderne ? Mise en perspective des évolutions et ruptures contemporaines, op. cit. Les néoclassiques, mettant en application la célèbre formule de Pellegrino Rossi aux termes de laquelle il faut punir « pas plus qu’il n’est juste pas plus qu’il n’est utile », ne parvinrent pas à corriger la mécanique par trop abstraite du droit pénal classique en développant « une sorte de mécanique rétributive propice au juridisme et très éloignée des réalités criminologiques » (ibid).

986. L’individualisation des positivistes italiens est fondée sur le concept de dangerosité sociale, la défense de la société étant alors placée au cœur des préoccupations du droit pénal.

987. Pour de plus amples développements sur la question de la genèse du concept théorique de capacité pénale, cf. C. MARGAINE, 2011, no 342 et suiv. La définition de la capacité pénale par Raymond Saleilles : l’aptitude psychologique d’un délinquant à la sanction.

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moitié du XXe siècle, en grande partie grâce à la définition qu’en ont donné Roger Merle et André Vitu. Selon les auteurs :

Tandis que l’imputabilité est un concept juridique qui traduit la recherche de la sanction méritée par le délinquant au jour où il a commis l’infraction, la capacité pénale est un concept criminologique qui résume l’aptitude d’un délinquant à profiter de la sanction après son jugement.988

Les « néoclassiques nouveaux », en prônant ainsi un modèle réhabilitatif, resocialisant de responsabilité pénale, impliquant la coupure du lien entre responsabilité et sanction, n’ont-ils pas induit une mutation du concept d’imputabilité ? Un glissement vers « une perspective très moderniste et nullement métaphysique »989 de l’imputabilité ?

B. L’imputabilité à l’épreuve de la capacité pénale

L’appréhension de la capacité pénale en tant qu’aptitude psychologique à profiter de la sanction pénale soulève la question d’une mutation du concept d’imputabilité à la faveur des rapports entretenus entre les deux notions. Trois cas de figure sont envisageables. La capacité pénale vient-elle, a maxima, éclipser l’imputabilité ? Est-elle susceptible, a minima, de venir complémenter l’imputabilité ? Ou, à l’inverse, l’imputabilité a-t-elle absorbé le concept de capacité pénale ? Chacun de ces courants a trouvé un écho en doctrine (1.). L’exclusion d’une substitution de la capacité pénale à l’imputabilité peut cependant se déduire de l’incompatibilité entre le concept de capacité pénale et la permanence du caractère rétributif de la responsabilité pénale (2.). L’exclusion d’une absorption de la capacité pénale par l’imputabilité devra tout autant être écartée en raison de la consécration du principe de l’individualisation de la sanction pénale, ce dernier venant concurrencer la capacité pénale en présence d’un délinquant « sain d’esprit » (3.).

1. L’hétérogénéité doctrinale

La Défense sociale nouvelle « peut […] être considérée comme la première véritable tentative de la doctrine française d’intégrer en droit criminel le concept de capacité pénale à la sanction »990. La place particulière accordée au délinquant, et plus précisément à sa personnalité, peut en effet s’analyser en une consécration implicite de la notion de capacité pénale. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter les écrits de Marc Ancel, dont un de ses article paru en 1964. Aux termes de cet article, « la responsabilité n’est pas autre chose qu’une prise de conscience par l’individu de sa personnalité » et « la personnalité de l’individu est la mesure de ce que l’on appelle parfois aujourd’hui souvent sa capacité pénale »991. De manière peut-être plus explicite encore, on retrouve la même idée dans son ouvrage intitulé La Défense sociale nouvelle. Selon l’auteur, « Si la responsabilité ainsi envisagée est l’expression de la

988. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 617, p. 774. 989. R. MERLE, « Confrontation du droit pénal classique et de la défense sociale », RSC, 1964, p. 731. 990. C. MARGAINE, 2011, no 416. 991. M. ANCEL, « La responsabilité pénale : le point de vue juridique », RICPT, 1964, p. 268.

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personnalité, elle est aussi la mesure de sa capacité pénale »992. Il résulte de ces quelques lignes que la capacité pénale peut être envisagée comme un outil conceptuel permettant au juge de déterminer la mesure la plus adaptée à la personnalité du délinquant ; elle participe d’une individualisation subjective de la sanction pénale. Dans un article consacré à la place de l’imputabilité dans les doctrines de Défense sociale, Christine Lazerges conclut cependant que le discours implicite de la Défense sociale nouvelle implique la volonté de remplacer le concept d’imputabilité par celui de capacité pénale993. Un argument au soutien de cette conclusion pourrait résider dans le concept de la justice pénale, et plus particulièrement de la responsabilité pénale, développé par les promoteurs de ce mouvement doctrinal. La justice pénale n’étant plus justicière mais conçue avant tout comme une action sociale, il s’agit d’« introduire dans l’action sociale de la justice criminelle une véritable “pédagogie de la responsabilité”, entreprise dès le premier jour du procès, poursuivie tout au long de la procédure, et qui, au terme du traitement pénitentiaire, développera chez le délinquant la notion d’un devoir de l’homme envers ses semblables, et d’une conduite en rapport avec le sentiment intime et collectif de sa responsabilité »994. Comme le synthétise Roger Merle, « en somme le concept de responsabilité morale n’est ni le postulat ni le point de départ de la construction du droit criminel, il est envisagé comme le point d’arrivée, le but terminal de l’action sociale anticriminelle »995. À notre sens, et comme certains ont pu le prétendre, il est légitime de considérer que « la Défense sociale nouvelle entend éliminer les notions de responsabilité, de faute, ou de libre arbitre »996. Notamment, si la responsabilité constitue le point final de l’action sociale de la justice criminelle, c’est que, par voie de conséquence, l’imputabilité ne détermine plus le seuil d’intervention du droit pénal et, ce faisant, elle ne remplit plus la fonction garantiste qui est la sienne. Contrairement au courant doctrinal de la Défense sociale nouvelle qui était donc favorable au remplacement pur et simple du concept d’imputabilité par celui de capacité pénale, Roger Merle et André Vitu, après avoir vraisemblablement dans un premier temps confondu imputabilité et capacité pénale, ont opté pour la cohabitation des notions, avant même, pour finir, de se prononcer en faveur de l’absorption de la capacité pénale par l’imputabilité. En témoigne l’évolution, au fil des éditions, du plan adopté dans leur traité de droit criminel et de droit pénal général. Ainsi, alors que dans la première édition de leur traité, ils abordaient les questions relatives à l’imputabilité dans deux chapitres distincts intitulés « La capacité pénale des personnes physiques »997 et « La capacité pénale des personnes morales »998, ils vont choisir par la suite de faire de l’aptitude à la sanction une notion autonome composée de deux éléments : l’imputabilité et la capacité pénale. Ils distinguent alors cette fois « l’aptitude à la sanction chez les personnes physiques »999 et « l’aptitude à la sanction chez

992. Cf. M. ANCEL, La Défense sociale nouvelle, Cujas, 1954, p. 250. 993. C. LAZERGES, « Le concept d’imputabilité dans les doctrines de la Défense sociale », RSC, 1983, p. 315

et suiv., spéc. p. 325. 994. R. MERLE, « Confrontation du droit pénal classique et de la défense sociale », op. cit., p. 730. Cf. également

M. ANCEL, La Défense sociale nouvelle, op. cit., p. 101 et suiv. 995. R. MERLE, « Confrontation du droit pénal classique et de la défense sociale », op. cit., p. 730. 996. Loc. cit. 997. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., p. 473 et suiv. Les notions

d’imputabilité et de capacité pénale étaient alors superposables. 998. Ibid., p. 489 et suiv. 999. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, 3e éd., 1978, p. 721 et suiv.

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les personnes morales »1000. Ce faisant, les auteurs optaient alors pour une conciliation des concepts d’imputabilité et de capacité pénale. Cependant, à partir de la quatrième édition de leur ouvrage, parue en 1981, les auteurs substituent purement et simplement le concept d’imputabilité à celui de capacité pénale1001. Ils présentent alors l’imputabilité comme une aptitude à la sanction dont ils distinguent deux acceptions : une première acception classique qui vise « l’aptitude à mériter la sanction »1002, qui peut s’analyser en une aptitude à l’engagement de la responsabilité pénale, et une seconde, plus novatrice, qu’ils définissent comme « l’aptitude d’un délinquant à bénéficier de la sanction après son jugement », qui peut cette fois s’analyser en une aptitude à la conséquence de l’engagement de la responsabilité pénale. Nonobstant l’absence de référence dans le Code pénal à la notion de capacité pénale, la confrontation des deux concepts était inéluctable. Il s’avère que si la substitution du concept de capacité pénale à celui d’imputabilité ne saurait être envisagée en droit positif, un argument pourrait être soulevé en faveur d’une conciliation, à tout le moins implicite, des concepts.

2. L’exclusion d ’une substitution de la capacité pénale à l ’imputabilité en raison de l’incompatibilité entre le concept de capacité pénale et le caractère rétributif de la responsabilité pénale

La capacité pénale « dépouillerait le jugement criminel de son caractère spécifiquement répressif et rétributif »1003. La pertinence de cette affirmation se trouve vérifiée à la lecture des idées-forces du mouvement de la Défense sociale nouvelle. Comme cela a été rappelé, les promoteurs de la Défense sociale nouvelle concevaient la justice pénale comme une action sociale reposant sur une véritable « pédagogie de la responsabilité »1004. Comme le résume Roger Merle, cela signifie qu’« avec chaque délinquant le juge doit partir de zéro, découvrir sa personnalité réelle, mettre en évidence l’étiologie de sa criminalité propre, et choisir en fonction de ce diagnostic la mesure la plus apte à provoquer la resocialisation de ce délinquant précis. Cette mesure de défense sociale ressemblera selon les cas à ce que les positivistes appelaient une mesure de sûreté, ou à ce que les classiques appelaient une peine »1005. En outre, ajoute-t-il, « si elle s’apparente à une peine, elle sera détachée de toute idée de blâme ou de rétribution pour n’obéir qu’à des préoccupations curatives »1006. Si la Défense sociale nouvelle prend en compte l’aptitude du délinquant à bénéficier de la réponse pénale, le refus concomitant de blâmer sa conduite prive la condamnation pénale de tout caractère rétributif. L’ordonnance du 2 février 1945 sur la justice pénale des mineurs se pose en parfaite illustration de cette idée en tenant compte de la capacité du mineur à « profiter » de la mesure ou de la sanction. Alors certes, l’infliction d’une peine a, conformément à l’article 130-1 (2°) du Code pénal, pour fonction de favoriser l’amendement, l’insertion ou la réinsertion de l’auteur de l’infraction. Cependant, ce serait oublier que la responsabilité pénale présente

1000. Ibid., p. 741. 1001. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, Cujas, 4e éd., 1981, no 562 et suiv. 1002. Cf. supra le développement relatif à la fonction traditionnelle de la responsabilité pénale. 1003. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, Cujas, 4e éd., 1981, no 617, p. 777. 1004. Cf. supra. 1005. R. MERLE, « Confrontation du droit pénal classique et de la défense sociale », op. cit., p. 729. 1006. Ibid., p. 729 et 730.

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aussi une fonction cathartique, qui appelle une sanction de l’acte commis1007, et rétributive. Ces caractères résultent également expressément de l’article 130-1 du Code pénal qui prévoit que la peine a notamment pour but « de restaurer l’équilibre social » et pour fonction « de sanctionner l’auteur de l’infraction »1008. La rétribution reste un élément indispensable de la condamnation pénale. Le concept de capacité pénale ne saurait donc se substituer à celui d’imputabilité, cette dernière permettant, en bout de chaîne, la mise en œuvre de la solution rétributive. Il sera établi qu’à l’inverse, il ne saurait pas plus être question d’une absorption de la capacité pénale dans le concept d’imputabilité.

3. L’exclusion de l ’absorption de la capacité pénale dans le concept d’imputabilité

Si l’évolution des fonctions assignées à la peine, en induisant un tempérament à la mécanique rétributive de la responsabilité pénale, est susceptible de constituer un fondement à l’absorption du concept de capacité pénale par celui d’’imputabilité (3.1), il se révèle vite que les « nouvelles » fonctions resocialisantes de la peine sont véhiculées par le principe consacré d’individualisation de la sanction pénale. En d’autres termes, la capacité pénale a plus vraisemblablement trouvé une traduction juridique concrète dans le principe d’une individualisation subjective de la peine fondée sur la personnalité du délinquant (3.2). Pour cette raison, en présence d’un délinquant « sain d’esprit »1009, l’abandon de l’autonomisation du concept de capacité pénale pourrait paraître opportun (3.3). Cette proposition se trouve confortée par l’équité de notre système de responsabilité pénale de droit positif (3.4).

3.1 La possible absorption de la capacité pénale dans le concept d’imputabilité en raison de l’évolution des fonctions assignées à la peine

Aux termes de la doctrine néoclassique nouvelle prônée par Roger Merle, « la responsabilité pénale […] apparaît de plus en plus comme l’aptitude à ressentir la nécessité du châtiment, à le supporter et à en bénéficier »1010. Bien que préconisant le maintien du caractère rétributif de la responsabilité pénale, le modèle réhabilitatif, resocialisant des néoclassiques nouveaux, devait néanmoins les conduire à retenir la rupture de l’automaticité du lien entre responsabilité et peine. La question pouvait se poser de savoir si cette rupture n’était pas de 1007. Cf. Paul Fauconnet, qui a démontré dans sa thèse que la responsabilité pénale obéissait à des mécanismes

sociaux complexes (P. FAUCONNET, op. cit.) ; également Raymond Saleilles, ce dernier considérant que la responsabilité pénale doit prendre en compte le sentiment populaire de la responsabilité, c’est-à-dire l’opinion que le peuple se fait de la responsabilité (R. SALEILLES, L’individualisation de la peine, de Saleilles à aujourd’hui [réédition de la troisième édition de l’ouvrage de Raymond Saleilles, et L’individualisation de la peine, cent ans après Saleilles], Erès, 2001, p. 106 et suiv).

1008. Pour une conformation de ces éléments, il est permis de consulter l’étude d’impact qui était annexée au projet de loi ayant conduit à l’adoption de la loi Taubira no 2014-896 du 15 août 2014. Aux termes de cette dernière, « la peine a pour principale finalité de restaurer durablement l’équilibre social mis à mal par la commission de l’infraction, c’est-à-dire non seulement de réparer le préjudice causé à la société, mais d’éviter que la réponse pénale ne l’aggrave. De cette finalité de cohésion sociale découle les deux fonctions de la peine :

– la fonction rétributive de sanction, liée essentiellement à la gravité de l’infraction commise ; – la fonction réhabilitante, qui vise à réduire le risque de récidive. » 1009. Il sera établi, dans la seconde partie de cette étude, que l’imputabilité partielle de l’agent est susceptible de

ménager une place inédite à la capacité pénale de nature à guider le choix de la sanction pénale (cf. infra, partie 2, titre 2).

1010. R. MERLE, « Confrontation du droit pénal classique et de la défense sociale », op. cit., p. 731.

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nature à impacter le rôle de l’imputabilité… Ce modèle de responsabilité pénale n’impliquait-il pas de gommer le lien entretenu par l’imputabilité avec l’engagement de la responsabilité pénale pour déplacer le centre de gravité fonctionnel de la notion vers les conséquences de l’engagement de la responsabilité pénale ? Dans l’affirmative, quelle aurait été la consistance du lien entre imputabilité et sanction ? L’imputabilité était-elle susceptible d’englober l’aptitude à profiter de la sanction et partant la notion de capacité pénale ? Existait-il un fondement juridique possible à une telle affirmation ? En l’occurrence, l’évolution des fonctions assignées à la peine était susceptible de constituer un fondement à l’absorption du concept de capacité pénale par l’imputabilité. En effet, lorsque la finalité de la peine était exclusivement rétributive, il était logique, pour reprendre l ’expression de Roger Merle et d’André Vitu, de cantonner l’imputabilité à l’aptitude à mériter la sanction. Cependant, dès lors que la peine s’est vu assigner d’autres fonctions, dont celle de resocialisation du délinquant, n’était-il pas logique que cette évolution ait des retombées sur le spectre fonctionnel de l’imputabilité ? Au final, il pourrait paraître cohérent qu’en rompant l’automaticité du lien entre libre arbitre et châtiment, l’imputabilité ait été affectée dans sa fonction, dans sa relation à la sanction pénale. Cependant, nous allons établir qu’une réponse par l’affirmative n’est pas concevable, précisément en raison de la consécration en droit positif du principe de personnalisation des peines à l ’article 132-24 du Code pénal1011.

3.2 L’exclusion de l’absorption de la capacité pénale par l’imputabilité fondée sur la consécration du principe de personnalisation des peines

Eu égard à la consécration du principe de personnalisation des peines par le Code pénal de 1994, ne doit-on pas considérer que la capacité pénale n’est pas de nature à enrichir le dispositif existant ? Lorsque Roger Merle et André Vitu affirment que « la notion de capacité pénale ne doit pas moins jouer un certain rôle dans la mesure où, sans méconnaître les principes fondamentaux du droit pénal classique et tout en conservant au jugement de condamnation sa portée réprobatrice, il paraît possible et nécessaire d’autoriser le juge à choisir et à doser la sanction en fonction des nécessités de chaque cas particulier »1012, n’est-il pas question ici d’imputabilité en tant que fondement de la responsabilité pénale, de culpabilité en tant que mesure de la responsabilité et d’individualisation de la sanction pénale ? Autrement dit, la capacité pénale n’a-t-elle pas été consacrée de manière implicite par le développement d’une individualisation subjective de la peine fondée sur la personnalité du délinquant ? À notre sens, la capacité pénale a bien été appréhendée par le

1011. Le principe de personnalisation des peines a été consacré par le Code pénal de 1994 à l’article 132-24.

Depuis la loi no 2014-896 du 15 août 2014, le législateur, afin de tenir compte de la possible mise en œuvre de la responsabilité pénale des personnes morales, parle aujourd’hui de principe d’individualisation des peines. Ce dernier est désormais prévu à l’article 132-1 du Code pénal. Précisons également que le principe d’individualisation des peines a valeur constitutionnelle. Pour le Conseil constitutionnel, il découle de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, aux termes duquel « la Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » (décision no 2005-520 DC du 22 juillet 2005). Pour voir retracée la longue affirmation de ce principe, il est permis de consulter l’étude d’impact concernant le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines en date du 7 octobre 2013 et consultable sur le site de l’Assemblée nationale (cf. notamment p. 7 et suiv.).

1012. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, Cujas, 4e éd., 1981, no 617, p. 777.

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biais du principe de personnalisation des peines, comme en témoigne la référence opérée, par l’alinéa 2 de l’article 132-1 du Code pénal, à la « personnalité » de l’auteur de l’infraction. Si la responsabilité pénale, constituée par la somme de la culpabilité et de l’imputabilité, permet le prononcé d’une peine, elle ne commande pas le choix de la peine. Comme le relève Marie Pariguet, « la responsabilité impose le principe d’une peine, mais ne commande pas le substrat de la peine »1013. Nous considérons donc que le concept doctrinal de capacité pénale a trouvé une traduction juridique concrète dans le principe d’individualisation des peines, lequel ne saurait être confondu avec celui d ’imputabilité.

3.3 L’abandon opportun d’une autonomisation doctrinale du concept de capacité pénale en présence d’un délinquant « sain d’esprit »

La capacité pénale ayant donc été consacrée comme « un concept fonctionnel fondamental du droit pénal moderne »1014 par le truchement du principe d’individualisation des peines, il nous paraît souhaitable de plaider en faveur de l’abandon de toute autonomisation doctrinale de la notion dans la mesure où, par ailleurs, elle est de nature à brouiller la distinction nécessaire entre fondement de la responsabilité pénale et individualisation de la sanction. Raymond Saleilles invitait déjà à ne pas confondre ces deux questions en écrivant que « c’est le crime que l’on punit, mais c’est la considération de l’individu qui détermine le genre de mesure qui lui convient. La responsabilité, fondement de la peine, et l’individualisation, criterium de son application : telle est la formule du droit pénal moderne »1015. Formulant de manière plus explicite encore la distinction entre imputabilité et capacité pénale, Gian Domenico Romagnosi considérait quant à lui qu’« à elle seule l’imputabilité morale sert à indiquer quand on peut et doit punir, et non comment et dans quelle mesure on peut et doit punir »1016. Ces deux questions sont aujourd’hui clairement distinguées par le droit positif. Il importe cependant de préciser, pour conclure sur ce point, que les solutions ainsi dégagées sont applicables en présence d ’un délinquant « sain d’esprit ». En d’autres termes, elles visent le délinquant dont l’imputabilité était « totale » au moment des faits. Il sera établi, à l’inverse, dans la seconde partie de cette étude, que le concept de capacité pénale retrouve une pertinence en présence d’un délinquant à l’imputabilité partielle. Une manifestation contemporaine de la capacité pénale à la sanction peut en effet être identifiée dans la consécration législative de l’atténuation de la peine privative de liberté en cas d’altération du discernement du délinquant majeur au moment des faits, la fameuse « aptitude pénitentiaire » décrite par Roger Merle et André Vitu à propos du mineur délinquant1017. Les solutions dégagées dans le cadre de ce développement sont confortées par le fait qu’elles s’inscrivent dans un système équitable de responsabilité.

1013. M. PARIGUET, « Les raisons de la peine – À propos de l’arrêt CEDH, 10 janvier 2013, no 60995/09, V.

c/France », op. cit. 1014. C. MARGAINE, op. cit., no 387. 1015. R. SALEILLES, L’individualisation de la peine, de Saleilles à aujourd’hui (réédition de la 3e édition de l’ouvrage de

Raymond Saleilles, et L’individualisation de la peine, cent ans après Saleilles), op. cit., p. 121. 1016. G. D. ROMAGNOSI, Genesi del diritto penale (« Genèse du droit pénal »), 1re éd., 1791, rééd. par Sanvito en 1857,

§ 1333, cité par C. MARGAINE, in La Capacité pénale, op. cit., no 430. 1017. Cf. infra, partie 2, titre 2, chapitre II : « L’usage recentré de la dangerosité ».

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3.4 L’équité du système de responsabilité pénale de droit positif

Le système de responsabilité de droit positif nous paraît relativement juste en ce sens que la sanction prononcée par la juridiction de jugement n’est pas immuable. Venant tempérer la rigueur apparente du maintien du caractère rétributif de la condamnation pénale, le juge est tenu d’individualiser la sanction pénale, non seulement lors de son prononcé, mais aussi lors de son exécution, conformément à l’article 707 nouveau du Code de procédure pénale1018. En d’autres termes, l’évolution possible de la sanction prononcée par la juridiction de jugement ajoute au caractère équitable de notre système de responsabilité pénale. Le nouveau paradigme processuel servant de cadre à l’évolution de la sanction est particulièrement significatif de la légitimité du système de responsabilité pénale de droit positif. Il repose sur une évolution « équitable »1019 de la sanction prononcée par la juridiction de jugement dans le cadre d’un procès pénal élargi. Deux arguments en témoignent, inhérents tant à la juridictionnalisation de l’application des peines qu’à l’alignement croissant des procédures en application des peines sur les garanties conventionnelles1020. Il nous apparaît en outre que cette acception revisitée de la structure monolithique du procès pénal est véritablement susceptible de faire perdurer – au-delà du jugement – la conciliation entre rétribution, humanisme – par l’individualisation de la sanction rétributive en cours d’exécution – et protection de la société ; autrement dit, les objectifs assignés tant au prononcé qu’à l’exécution de la sanction. Ainsi, il est permis de considérer que le droit pénal « post-moderne »1021 va dans le sens de l’apport d’une alluvion supplémentaire à la théorie des néoclassiques nouveaux, une alluvion d’ordre procédural consistant dans la concrétisation de l’individualisation de la sanction pénale en cours d’exécution sous le contrôle des juridictions de l’application des peines et en application d’une procédure respectueuse des droits et libertés fondamentaux. Ce faisant, il transcende les vœux des néoclassiques nouveaux et de la Défense sociale nouvelle qui se rejoignaient sur la nécessité pour le délinquant de « subir un traitement adapté à sa personnalité et à sa criminalité propre : un traitement scientifique et évolutif sous le contrôle et la direction du juge de l’application des peines »1022. Si la démonstration vient d’être faite d’une cohérence entre la place et la fonction de l’imputabilité dans la théorie de la responsabilité pénale, nous allons établir qu’il en est de même relativement au concept de culpabilité.

1018. Ce dernier a été consacré par l’article 1er de la loi pénitentiaire no 2009-1436 du 24 novembre 2011, et

modifié depuis par la loi Taubira du 15 août 2014 (cf. infra). 1019. L’emploi de cet adjectif fait référence à l’alignement des procédures en application des peines sur le droit

commun (cf. infra, partie 2). 1020. Cf. infra, conclusion. 1021. Cf. infra, partie 2. 1022. R. MERLE, « Confrontation du droit pénal classique et de la défense sociale », op. cit., p. 733. On pourrait

aussi considérer que l’évolution de la procédure en application des peines constitue une alluvion « néoclassique nouvelle nouvelle » à l’édification d’un droit d’essence classique.

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§ 2 - Le rôle de la culpabilité en lien avec son double rattachement, infraction/responsabilité

Non seulement les fonctions de la culpabilité découlent du caractère objectivé de la notion, mais elles sont également cohérentes avec la place de la notion dans la théorie de la responsabilité pénale. C’est ainsi que, localisée au sein de l’infraction, elle peut présenter des fonctions en lien avec cette dernière (A.) tout en ayant des incidences lors de la mise en œuvre de la responsabilité pénale (B.).

A. La diversité des fonctions en lien avec la construction de l’infraction

Les fonctions de la culpabilité en lien avec l’infraction stricto sensu permettent d’identifier juridiquement le délinquant (1.) avant de pouvoir, sur le plan de la qualification pénale des faits, tirer les conséquences de son état d’esprit au temps de l’action (2.).

1. La fonction informative ou l’identification juridique du délinquant

La culpabilité juridique, qu’une partie de la doctrine oppose à la culpabilité criminologique1023, s’entend d’une « opération juridique d’identification du délinquant »1024. Selon Roger Merle, « la culpabilité juridique […] apparaît comme un simple concept opérationnel du droit. C’est un instrument de technique judiciaire qui permet au juge d’identifier l’agent en tant que délinquant conforme au type légal »1025. En pratique, le juge vérifie que l’intéressé correspond intellectuellement à celui que la loi décrit comme un délinquant. La culpabilité permet donc l’identification juridique d’un délinquant. L’auteur se pose néanmoins la question de savoir si cette opération juridique est complètement privée de résonance éthique. Une réponse par la négative s’impose. Selon Roger Merle, « la déclaration de culpabilité a une certaine signification au plan de la morale sociale. […] Ce jugement est un jugement d’antisocialité ou de subsocialité : en violant la norme pénale le délinquant s’est montré selon les cas hostile, indifférent, ou inattentif aux valeurs socio-culturelles protégées par la loi. […] L’antisocialité est impliquée par la violation de la norme et elle est définie comme un refus ou une incapacité, de respecter à un moment donné une conception de la vie dictée par la loi et les mœurs de l’époque »1026. Le système normativiste de culpabilité de droit positif est donc compatible avec une dimension éthique de la notion1027. Au-delà, l’éthique sociale de la culpabilité est en lien avec l’opération juridique de qualification. Plus particulièrement, nous allons établir qu’elle trouve un écho dans un critère de distinction entre infractions intentionnelles et infractions non intentionnelles.

1023. Cette dernière, qui constitue une acception subjectivée de la culpabilité, consiste en « la culpabilité des

reins et des cœurs […] ressentie comme telle, intériorisée par le coupable, et qui contient toute une psyché » (cf. R. MERLE, « La culpabilité devant les sciences humaines et sociales », op. cit., p. 30).

1024. Ibid., p. 34. 1025. Loc. cit. 1026. Loc. cit. 1027. Dans ce contexte, il serait cohérent de considérer que, la culpabilité constituant un indicateur de non

socialité, l’imputabilité constitue un indicateur de potentialité sociale et la non-imputabilité un indicateur d’incapacité sociale, la potentialité sociale se trouvant alors vérifiée par la négative. On pourrait donc présenter l’imputabilité comme la capacité de se conformer à la norme légale et la non-imputabilité comme l’incapacité de se conformer à la norme légale.

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2. La fonction juridique de qualification ou la détermination de l ’état d ’esprit juridique de l ’agent au moment des faits

L’étude de la culpabilité a pour objet de déterminer l’état d’esprit de l’agent au temps de l’action afin de parachever la qualification juridique des faits. L’opération de qualification consiste en principe à identifier le caractère intentionnel ou non intentionnel des faits. Cet étiquetage ne constitue par exception qu’une initiation de l’opération de juridique de qualification des faits (2.1) qu’il importe alors de finaliser par une étude plus circonstanciée de la culpabilité (2.2).

2.1 L’initiation de l’opération juridique de qualification

Selon Valérie Cantat-Lampin Saint-Gérand, « la donnée coupable est un concept juridique mis au service d’un enjeu de qualification, afin qu’une responsabilité pénale puisse être engagée »1028. Ainsi, « selon l’état d’esprit de la personne, la qualification juridique des faits ne sera pas la même »1029. C’est d’une sorte d’état d’esprit juridique dont il est question. Emmanuel Dreyer enseigne que l’état d’esprit de l’auteur d’un acte « n’est pas envisagé pour lui-même, indépendamment du fait reproché. Il ne s’agit pas encore d’évaluer sa perversité ; il s’agit seulement d’établir, à ce stade, une infraction. L’opération reste purement juridique. Elle doit être menée de la façon la plus objective possible. Une recherche d’ordre psychologique plus approfondie ne sera légitime qu’à partir du moment où l’existence de l’infraction aura été démontrée »1030. Ce disant, l’auteur met en évidence l’interdépendance de la fonction qualificative de la culpabilité et du caractère objectivé de la notion. Dans un esprit de synthèse, Jean Walther affirme que « c’est un critère de construction de l’infraction et non pas d’individualisation de la sanction. Un pur outil de la qualification »1031. Ainsi, la détermination de la culpabilité s’intéresse seulement à l’état d’esprit de l’auteur permettant de qualifier juridiquement un acte. À l’intérieur de ce cadre intellectuel, il s’agira de déterminer si l’agent a fait preuve d’hostilité ou d’indifférence aux valeurs sociales protégées par la loi pénale1032. Dans le prolongement de cette affirmation, Valérie Cantat-Lampin Saint-Gérand présente ainsi la culpabilité comme un concept « normatif et informatif sur la nature et la valeur de la violation des lois pénales »1033. Plus précisément, la culpabilité « donne des informations sur le degré de violation intellectuelle des normes pénales »1034. En cela, elle

1028. V. CANTA-LAMPIN SAINT-GÉRAND, La culpabilité dans la théorie de la responsabilité pénale, op. cit., no 694,

p. 782. 1029. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2002, no 173-1,

p. 182. 1030. E. DREYER Droit pénal général, op. cit., no 834, p. 638 et 639. Et l’auteur d’ajouter que « seul ce constat

autorise le juge à pousser plus avant ses investigations en envisageant la personnalité du coupable afin de dégager la sanction la plus adéquate » (loc. cit) ; précisons qu’à la différence d’Emmanuel Dreyer, nous considérons que l’état d’esprit de l’auteur de l’acte, dans ses composantes liberté et discernement, ne sera envisagé qu’après la caractérisation de l’infraction, au stade de la détermination de l’imputabilité. Les autres composantes du spectre de l’état d’esprit seront quant à elles mobilisées au stade de l’individualisation de la sanction. Notons finalement que la prise en compte fragmentaire de l’état d’esprit de l’agent ne nous paraît pas contestable dès lors qu’il est étudié (opportunément) dans sa globalité sur l’ensemble du procès pénal.

1031. J. WALTHER, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. Nancy, 2003, p. 169. 1032. Afin de déterminer la nature intentionnelle ou non intentionnelle de l’infraction. 1033. V. CANTA-LAMPIN SAINT-GÉRAND, la culpabilité dans la théorie de la responsabilité pénale, op. cit., no 694, p. 782. 1034. Loc. cit.

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« n’est qu’un instrument de mesure de la contrariété de l’action à la norme »1035. Ainsi, l’auteur rejoint la doctrine définissant l’intention comme une hostilité à la norme pénale et l’imprudence ou la négligence comme une indifférence ou une inattention à la norme pénale. De manière rationnelle, l’initiation de l’opération technique de qualification doit donc commencer par déterminer le caractère intentionnel ou non intentionnel des faits. Il est permis de parler d’initiation, en ce sens que cet étiquetage ne constitue parfois qu’une étape dans l’opération de qualification des faits qu’il importe alors de finaliser.

2.2 La finalisation de l’opération technique de qualification

La culpabilité peut aussi avoir « vocation à finaliser l’opération technique de qualification »1036. Cela peut être le cas au sein de la catégorie des infractions intentionnelles quand il est nécessaire de passer par le relais d’une culpabilité plus circonstanciée pour déterminer la qualification pénale des faits. Il s’agit d’hypothèses où la matérialité des faits n’est pas en elle-même significative d’une qualification pénale. À l’instar des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner1037, il est des infractions qui ne livrent leur identité que par l’élément psychologique. Dans une telle hypothèse, le relais de la culpabilité est alors indispensable à l’établissement de la qualification pénale. Dépassant le cadre de l’infraction, la notion de culpabilité présente également des fonctions lors de la mise en œuvre de la responsabilité pénale.

B. La diversité des fonctions en lien avec la mise en œuvre de la responsabilité pénale

Si les fonctions de la culpabilité en relation avec l’infraction sont essentielles, celles relatives à la mise en œuvre de la responsabilité pénale le sont tout autant. La culpabilité présente en effet une diversité de fonctions relativement à la responsabilité pénale : une fonction sociale ou pédagogique (1.), une fonction de mesure de la responsabilité pénale (2.), ainsi qu’une fonction doublement garantiste (3.).

1. La fonction sociale ou la fonction pédagogique de la culpabilité

Selon Jacques Verhaegen, le prononcé d’une culpabilité résultant d’une évaluation positive de la criminalité objective du fait « sauvegarde la fonction capitale revenant au juge pénal de “dire le droit” à propos d’un fait humain »1038. La fonction pédagogique de la culpabilité provient notamment de la distinction établie entre la peine légalement encourue et la peine prononcée. La « peine légalement encourue » renvoie à une approche objective de sa mesure et, en tant qu’elle correspond à la réponse de l’État de droit à la transgression par un individu

1035. Loc. cit. 1036. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 55. 1037. Précisons que si les violences attentatoires aux personnes supposent de passer par le relai d’une culpabilité

circonstanciée, il n’en demeure pas moins que cette dernière sera établie de manière objective (cf. supra, le développement relatif aux présomptions de culpabilité).

1038. Cf. J. VERHAEGEN, « La 2e Césure – À propos de la déclaration de culpabilité, notion complexe du jugement pénal », in Droit et Intérêt, sous la direction de M. VAN DE KERCHOVE, p. 172 à 179.

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d’une norme de vie en communauté, elle remplit également une fonction pédagogique1039. Il importe cependant de préciser que pour une partie de la doctrine comme de l’opinion publique, cette dernière a été émoussée (pour ne pas écrire décrédibilisée) en raison de l’importance des écarts constatés avec les peines prononcées par les juridictions de jugement. Une illustration contemporaine de l’importance de cette fonction sociale ou pédagogique de la culpabilité réside dans la création de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale. Pour s’en convaincre, il est permis de consulter un article écrit par André Giudicelli à l’occasion duquel l’auteur développe notamment les vertus alléguées d’un procès à l’encontre des aliénés1040. L’une d’entre elles consisterait dans le procès « responsabilisation »1041. Le procès permettrait de responsabiliser les personnes atteintes de certaines formes de pathologie et constituerait ainsi un élément de thérapie1042. André Giudicelli reproduit dans son article les propos d’un expert psychiatre considérant que « la responsabilité pénale est la marque la plus signifiante de la responsabilité du sujet. Elle est la responsabilité d’un homme qui vole ou tue un autre homme. Le dégager totalement de cette responsabilité-là, c’est le rendre totalement irresponsable et prendre le risque de le conforter dans sa folie »1043. Une autre vertu du procès de l’aliéné développée par André Giudicelli consisterait dans le procès « restauration ». Il s’agirait cette fois, par le procès, de rétablir le lien social rompu par le crime entre l’auteur de l’acte et la victime. Dans le cadre de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale précitée, même dans le cas où l’audience d’imputabilité débouche sur le prononcé d’un arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, l’aliéné n’en fait pas moins l’objet d’une déclaration de culpabilité1044. Dans le même sens, Roger Merle considère qu’« il est important de ne pas sous-estimer la valeur enseignante et moralisatrice de la condamnation pénale rétributive »1045. Le caractère rétributif de la responsabilité pénale évoque quant à lui la fonction traditionnelle de mesure de la responsabilité pénale.

2. La fonction traditionnelle rétributive ou de mesure object ive de la responsabilité pénale

Il est possible de faire valoir plusieurs fondements législatifs au soutien du rôle de la culpabilité dans la mesure de la responsabilité pénale (2.1). Si certains obstacles, tenant au principe de l’identité des fautes civile ou pénale ou au régime unitaire de l ’imprudence pénale, étaient de nature à faire de la culpabilité un instrument de dérèglement de la répression, ils ont été surmontés, accroissant plus encore la pertinence du recours à la culpabilité dans la mesure de la responsabilité pénale (2.2).

1039. La peine prononcée, en renvoyant à une approche hybride de sa mesure, s’apparente quant à elle à la

réponse de l’État social. 1040. Cf. A. GIUDICELLI, « Le fait de la personne atteinte d’un trouble mental », in M. MASSE M., J.-P. JEAN et

A. GIUDICELLI (dir.), op. cit. 1041. Ibid. 1042. Cf. Rapport Goujon et Gautier, p. 22. 1043. M. DUBEC, « Le fou en justice, débats Code pénal », Le Monde du 2 mars 1994. 1044. Cf. infra, partie 2. 1045. R. MERLE, « Confrontation du droit pénal classique et de la défense sociale », op. cit., p. 725.

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2.1 Les fondements au rôle de mesure de la responsabilité pénale

La culpabilité sert aussi à doser la responsabilité en fonction de l’état d’esprit juridique de l’agent. Selon Yves Mayaud, « la culpabilité pénale est la mesure de la gravité subjective des infractions »1046. Et l’auteur d’ajouter qu’« à la culpabilité s’attache seulement une différence de réaction en fonction de la psychologie de l’auteur de l’infraction selon qu’il a agi intentionnellement ou non »1047. Il existe plusieurs fondements au rôle de mesure de la responsabilité pénale. Le premier découle du principe de l’automaticité du lien entre la décision portant sur la culpabilité et la décision portant sur la peine ou, plus généralement, du principe de la légalité. Dans le prolongement, on peut faire valoir que le caractère rétributif de la responsabilité pénale émane de l’article 130-1 nouveau du Code pénal. Ce dernier, qui fait office d’article préliminaire du titre III, intitulé « Des peines », du livre premier du Code pénal, met en exergue les fonctions de la peine fixée par la juridiction de jugement en reprenant l’ancien article 132-24, alinéa 2 et en procédant à quelques modifications structurelles de ce dernier. Jacques-Henri Robert considère que « le nouvel article 130-1 du Code pénal […] constitue un déménagement et un aménagement grammatical de son ancien article 132-24, alinéa 2 »1048. De fait, l’aménagement grammatical repose sur une dissociation, nouvellement établie, entre les buts et les fonctions de la peine1049. Ainsi, aux termes d’un agencement inédit des anciennes dispositions de l’alinéa 2 de l’article 132-24 du Code pénal, le nouvel article 130-1 prévoit qu’« afin d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonction : (1°) de sanctionner l’auteur de l’infraction ; (2°) de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion »1050. La nouvelle formulation laisse apparaître d’emblée la fonction rétributive de la responsabilité pénale visée au 1° de l’article 130-1. Elle apparaît avec plus de clarté que sous l’empire de l’ancien article 132-24 du Code pénal. Elle est même mise en exergue, preuve s’il en était de la permanence de son actualité. Si des obstacles de nature à entraver le rôle de la culpabilité dans la mesure de la responsabilité pénale sont apparus, ils ont pu être surmontés.

2.2 Les obstacles surmontés au rôle de mesure de la responsabilité pénale

Dans l’exercice de cette fonction de mesure de la responsabilité pénale, la culpabilité a subi deux atteintes notables, au point de devenir un instrument de dérèglement de la répression, jusqu’à leur neutralisation par le législateur. L’une d’entre elles découlait du principe de 1046. Y. MAYAUD, « De l’article 121-3 du Code pénal à théorie de la culpabilité en matière criminelle et

délictuelle », D., 1997, p. 37. 1047. Y. MAUYAUD, « Les malades mentaux entre non-imputabilité et imputation », op. cit., p. 303. 1048. J.-H. ROBERT, « Réforme pénale. Punir dehors. Commentaire de la loi no 2014-896 du 15 août 2014 »,

Dr. pén., 2014, étude 16. 1049. C’est l’occasion de clarifier deux notions qu’il n’est pas toujours aisé de distinguer. Les fonctions de la

peine concernent « l’effet du châtiment sur chaque condamné en particulier » (cf. J.-H. ROBERT, « Réforme pénale. Punir dehors. Commentaire de la loi no 2014-896 du 15 août 2014 », op. cit., étude 16). Les buts de la peine « sont les conséquences de la réalisation de ses fonctions et […] bénéficient au corps social tout entier » (ibid).

1050. Par exemple, la prévention de la commission de nouvelles infractions peut être comprise comme le fruit de l’amendement du condamné.

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l’identité des fautes civile et pénale. Ce principe générait deux conséquences néfastes diamétralement opposées, dont la prise en compte de la culpa levissima afin de ne pas priver les victimes de réparation. Or, « la faute pénale est l’expression d’une culpabilité, et non point l’instrument d’une indemnisation »1051. En abandonnant le principe de l’unité par la loi du 10 juillet 20001052, avec pour conséquence la dépénalisation des fautes les moins graves en relation de causalité indirecte avec le dommage, le législateur est venu pallier ce dérèglement débridé de la culpabilité. Le fait que le juge pénal n’ait plus à se préoccuper des conséquences civiles de ses décisions contribue à préserver l’intégrité de la fonction de la culpabilité dans sa mesure objective de la responsabilité pénale. Le principe de la dualité des fautes civile et pénale, consacré à l’article 4-1 du Code de procédure pénale, a donc constitué un remède à l’hyperculpabilisation jurisprudentielle destinée à préserver le droit à réparation des victimes. La seconde atteinte à la fonction de mesure découlait du régime unitaire de l’imprudence pénale. D’une manière générale, c’est parce qu’elle est diversifiée dans ses manifestations que la culpabilité peut assurer son rôle de juste mesure de la responsabilité pénale. Pour cette raison, une autre atteinte à cette fonction découlait de l’uniformité de la faute pénale. Comme le relève Yves Mayaud, « cette conception s’est révélée inadaptée, pour être à l’origine d’excès et d’insuffisance à la fois. D’excès par le fait que des fautes minimes subissaient le même sort que les fautes les plus graves1053, et d’insuffisance par un défaut de différenciation regrettable concernant ces dernières »1054. Pour s’en convaincre, il suffit de se remémorer qu’avant l’entrée en vigueur du Code pénal de 1994, et la création par ce dernier de la faute de mise en danger délibérée, le droit pénal ne connaissait que la faute d’imprudence ou de négligence ordinaire. Comme le relève justement Yves Mayaud, « les maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements, auxquelles renvoyaient les anciens articles 319 et 320 du Code pénal, étaient autant d’expressions synonymes de la même réalité fautive, dont la portée couvrait indifféremment, pour être soumise au même régime répressif, toutes les défaillances, depuis les moins graves, à la mesure de la culpa levissima, jusqu’aux plus conséquentes sur le modèles des fautes lourdes ou inexcusables, telles qu’elles étaient comprises ailleurs qu’en droit pénal. […] La construction juridique relevait ainsi de la plus grande simplicité, étrangère qu’elle était à la diversité des situations, pour ce qu’elles traduisaient de psychologies variées, et donc de culpabilités sensiblement différentes »1055. Quelle que fût la gravité du comportement fautif de l’agent, la peine encourue restait la même. Pour cette raison, et afin de signifier la gravité de certains comportements d’imprudence, les juges n’avaient trouvé d’autre alternative que d’assimiler la faute d’imprudence grave à l’intention1056 . Jean Cédras,

1051. Y. MAYAUD, « Retour sur la culpabilité non intentionnelle en droit pénal », D., 2000, p. 603. 1052. Cf. cependant supra, le chapitre I du titre 2 de cette partie où il a été démontré que l’abandon du principe

de l’unité n’était que relatif. 1053. Cf. supra. 1054. Y. MAYAUD, « La loi Fauchon du 10 juillet 2000 après plus de cinq ans d’application », AJ pén., 2006,

p. 146. 1055. Y. MAYAUD, « De l’article 121-3 du Code pénal à théorie de la culpabilité en matière criminelle et

délictuelle », op. cit., p. 37. 1056. Par exemple, dans le cadre de la répression des chefs d’entreprise au regard des fraudes de la loi du

1er août 1905 où « le juge assimilait en effet à l’intention exigée par le texte le dol éventuel consistant à ne pas avoir vérifié la qualité des produits », cf. J. CEDRAS, « Le dol éventuel : aux limites de l’intention », op. cit., p. 18.

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dans l’article qu’il a consacré à la notion de dol éventuel1057, approuve la création de la faute de mise en danger délibérée pour pallier l’assimilation prétorienne exceptionnelle du dol éventuel à l’intention1058. L’auteur relève que le droit pénal opérait jusqu’alors comme le droit civil où culpa lata dolo aequiparetur. Le caractère contestable de cette démarche, de nature à fausser la mesure objective de la responsabilité pénale, permettait néanmoins de pallier l’absence de nuance dans la répression de l’imprudence pénale et, peut-être, le risque d’une extension de son domaine lié à la faiblesse de la répression de « cette délinquance de désinvolture, non intentionnelle sans doute mais socialement très grave »1059. En outre, la faute de mise en danger délibérée a été doublement intégrée à notre législation. Non seulement en tant que faute d’imprudence qualifiée, mais encore en tant que circonstance aggravante. Cette dernière acception met en évidence que la hiérarchie dans la gravité des fautes d’imprudence a bien des retombées quantitatives sur les solutions répressives et, partant, qu’elle est de nature à favoriser une plus juste mesure de la responsabilité pénale. L’éclatement du régime unitaire de l’imprudence pénale, initié par la création de la faute de mise en danger délibérée, peut donc s’analyser en un remède à démesure de la répression en matière d’imprudence. En effet, par la création de la faute de mise en danger délibérée, le nouveau Code pénal est venu remédier partiellement au dérèglement constaté « en concédant aux faits la part qui leur revient en droit : une part de nuances et de plus mesure dans l’approche de la faute pénalement répréhensible »1060. Au lendemain de l’adoption du Code pénal de 1994, deux catégories de fautes coexistaient. L’imprudence pénale devait, avec la loi no 2000-647 du 10 juillet 2000, être enrichie d’une troisième faute pénale. L’intitulé même de la loi du 10 juillet, venue parachever la gradation de l’imprudence pénale, nous renseigne implicitement sur le lien existant entre l’éclatement du régime unitaire de l’imprudence pénale et la recherche d’une plus juste mesure de la responsabilité pénale. Les modifications introduites en droit positif par la loi précitée répondent à l’objectif de « préciser la définition des délits non intentionnels » en offrant au juge la possibilité d’atténuer la répression des délits d’imprudence par l’exigence d’une faute qualifiée en cas de causalité indirecte avec le dommage. Ainsi, la loi du 10 juillet 2000 est venue « amplifier ce mouvement de qualification, en intégrant une troisième catégorie de faute, située entre la faute simple et la faute délibérée. Il s’agit de la faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité. La notion est utile, pour procéder d’une nuance qui a sa place dans la hiérarchie des fautes constitutives de la non-intention »1061. La loi de 2000 a donc contribué à mieux maîtriser les données relatives à la responsabilité pour faute. Si Yves Mayaud était partisan d’une « simple » redéfinition du domaine de l’imprudence pénale, en avançant l’argument selon lequel « la finalité de la répression […] est moins de sanctionner toute faute, surtout parmi les plus légères, que de réprimer celles qui traduisent une réelle indifférence aux valeurs sociales

1057. Loc. cit. 1058. Ce qui n’empêche pas l’auteur de conclure néanmoins au caractère intentionnel de la faute de mise en

danger délibérée. 1059. Parmi les domaines d’élection concernés par le dol éventuel : la circulation routière, la sécurité du travail

et le sport (ibid). Implicitement, cela montre aussi que la culpabilité, dans sa fonction de mesure de la responsabilité pénale, est susceptible de subir la concurrence du dommage.

1060. Y. MAYAUD, « De l’article 121-3 du Code pénal à théorie de la culpabilité en matière criminelle et délictuelle », op. cit., p. 37.

1061. Y. MAYAUD, « Retour sur la culpabilité non intentionnelle en droit pénal », op. cit., p. 603.

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protégées »1062, un mouvement doctrinal s’est dessiné pour rejeter dans son principe même la responsabilité non intentionnelle. La question pourrait donc se poser, toujours dans un objectif de plus juste mesure de la responsabilité pénale, de dépénaliser les fautes d’imprudence les moins graves, voire l’imprudence dans son ensemble. Quoi qu’il en soit, l’intégration de cette troisième catégorie de faute contribue à la justesse de la mesure de la responsabilité non intentionnelle1063. En résumé, la hiérarchie des fautes pénales est venue satisfaire un double objectif consistant à « dépénaliser les fautes se situant au bas de l’échelle des comportements défaillants, et, au contraire, accentuer la responsabilité pour les manquements les plus prononcés »1064. Or, « plus la culpabilité est le reflet de la psychologie du délinquant, mieux elle répond à l’impératif de justice qui sert de fondement à la répression »1065. Et en affrontant la complexité des situations, l’article 121-3 du Code pénal, relatif à l’élément psychologique de l’infraction, confère à la culpabilité un rôle garantiste accru.

3. La double fonction garantiste de la culpabilité

Cette fonction garantiste s’applique tant à l’égard du délinquant (3.1) qu’à l’égard de la société (3.2).

3.1 La fonction garantiste de la culpabilité appliquée au délinquant

À l’égard du délinquant, la culpabilité est essentielle dans la détermination de la peine, car sa conception objectivée couplée à son mode d’appréciation in concreto et objectif concourent à révéler à sa juste mesure la dimension coupable de l’attitude intellectuelle de l’agent. Le rôle garantiste est accru par le lien étroit tissé entre la culpabilité et la peine. La Cour européenne des droits de l’homme, dans un arrêt relativement récent1066, a même retenu une dépendance exclusive entre la responsabilité et le quantum de la peine. Certes, cette conception de la peine peut paraître réductrice au regard des articles 130-1 et 132-1 du Code pénal. Cependant, le fait que « les raisons de la peine sont à rechercher dans la responsabilité du condamné donc dans un critère exclusivement juridique »1067 est rassurant. Comme le relève Roger Merle, « la distribution des sanctions pénales, étroitement conditionnée par la mécanique rétributive, ne peut guère s’égarer dans l’arbitraire »1068. Marc Ancel, à l’occasion notamment de

1062. Loc. cit. 1063. Comme le relève Emmanuel Dreyer, « paradoxalement, c’est […] la culpabilité la moins grave qui paraît

aujourd’hui la plus distinctive. […] la faute s’avère mieux définie que l’intention » (cf. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 833, p. 638).

1064. Y. MAYAUD, « La loi Fauchon du 10 juillet 2000 après plus de cinq ans d’application », op. cit., p. 146. 1065. Y. MAYAUD, « Retour sur la culpabilité non intentionnelle en droit pénal », op. cit., p. 603. 1066. CEDH, 10 janv. 2013, no 60995/09, Voica c/ France, N. HERVIEU, « La motivation des arrêts d’assises en

France sous les fourches caudines européennes », lettre « Actualités droit-libertés du CREDOF, 11 janv. 2013 ; F. LAFAILLE, « La CEDH et la (non-)motivation des verdicts de cour d’assises, JCP G no 9, 247 ; L. MILANO, « De la nécessité de reconsidérer la place du principe de motivation », RDLF, 2013, chron. no 7 ; J.-F. RENUCCI, « Mise au point européenne sur la motivation des arrêts d’assises », D, 2013, p. 615 ; M. PARIGUET, « Les raisons de la peine – à propos de l’arrêt CEDH, 10 janv. 2013, no 60995/09, v. c/ france », op. cit.

1067. M. PARIGUET, « Les raisons de la peine – À propos de l’arrêt CEDH, 10 janvier 2013, no 60995/09, V. c/ France », op. cit.

1068. R. MERLE, « Confrontation du droit pénal classique et de la défense sociale », op. cit., p. 732.

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l’introduction en droit positif de l’examen de personnalité obligatoire, mettait déjà en garde contre une approche exclusivement subjective de la sanction pénale. Il est vrai que, dans une telle hypothèse, le risque de jugement de la personne à raison de sa seule personnalité, de ce qu’elle est, est très grand1069. En outre, comme le note Marie Pariguet, la « mise entre parenthèses de la personnalité du condamné dans la détermination du quantum de la peine »1070 peut constituer une garantie pour ce dernier au regard des incertitudes quant à la connaissance de la personnalité des individus, des incertitudes liées à la notion de dangerosité, notion qui permet aujourd’hui l’enfermement ou la surveillance perpétuelle des individus considérés dangereux. Selon l’auteur, ces incertitudes « invitent à une conception moins proactive de la peine dont l’ancrage dans l’infraction commise doit être rappelé »1071. Ainsi, à juste titre, le concept de culpabilité, ce « corset juridique »1072, constitue « aux yeux de beaucoup de juristes le meilleur garant de la liberté individuelle »1073. Il en découle l’importance de conforter la culpabilité dans son rôle de mesure de la responsabilité pénale.

3.2 La fonction garantiste de la culpabilité à l’égard de la société

La fonction garantiste de la culpabilité consiste aussi à protéger la société en assurant la répression effective des infractions. Si, dans sa décision DC no 05-520 du 22 juillet 2005, le Conseil constitutionnel a conféré au principe d’individualisation le caractère d’un principe à valeur constitutionnelle, la juridiction suprême a néanmoins précisé dans une décision ultérieure que le législateur « doit fixer des règles assurant une répression effective des infractions »1074. Autrement dit, et de façon moins classique, la culpabilité établie du délinquant peut être regardée comme une notion permettant d’équilibrer la potentialité d’une individualisation débridée de la peine en garantissant la répression effective de l’infraction. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs confirmé sa position dans deux décisions du 29 septembre 2010, rendues sur QPC1075. Ces deux décisions vont dans le sens de celle rendue le 9 août 2007 s’attachant à circonscrire le principe de l’individualisation des peines. Il en résulte que le principe d’individualisation des peines ne saurait entraver l’effectivité de la répression voulue par la loi et qu’il n’implique pas davantage que la peine soit exclusivement déterminée en fonction de la personnalité de l’auteur de l’infraction ».

1069. De là à ce qu’elle soit réduite à sa seule dangerosité, il n’y a qu’un pas… 1070. M. PARIGUET, op. cit. 1071. Ibid. 1072. Selon l’expression empruntée à Marc Ancel. 1073. R. MERLE, « Confrontation du droit pénal classique et de la défense sociale », op. cit., p. 732. 1074. Décision no 2007-554, DC du 9 août 2007, JO du 11 août ; AJDA 2008, p. 594, note A. JENNEQUIN ; D.,

2008, p. 2025, obs. V. BERNAUD et L. GAY ; RSC, 2008, p. 133, obs. B. DE LAMY ; ibid. p. 136, obs. B. DE LAMY.

1075. Cons. const., 29 sept. 2010, no 2010-40 QPC, D., 2010, p. 2732, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE, T. GARE et S. MIRABAIL ; AJ pén., 2010, p. 501, obs. J.-B. PERRIER et Cons. const., 29 sept. 2010, no 2010-41 QPC, consid. 4, D., 2011, p. 54, note B. BOULOC.

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PARTIE 2

L’imputabilité à l’épreuve

d’un droit pénal post-moderne

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Le concept de post-modernité, apparu sur la scène intellectuelle à la fin des années 1970, paraît adapté pour servir de grille de lecture au droit positif, en ce sens qu’il permet de signifier qu’une mutation affecte la matière pénale1076. La question se pose alors de savoir si les évolutions contemporaines sont de nature à induire une rupture épistémologique ou si elles procèdent d’une « adaptation dans la continuité »1077. Si l’« on peut considérer que le droit pénal moderne1078 s’est construit progressivement, en intégrant dans le modèle initial, après les avoir refaçonnés, certains des bouleversements provoqués par la pensée positiviste, qui avaient remis en cause des postulats jusque-là jugés inébranlables »1079, on doit ajouter aussitôt que « l’influence du mouvement positiviste sur la législation […] n’a pas entraîné une transformation radicale du droit pénal »1080. Il en a été de même par la suite pour les différents mouvements de défense sociale qui se sont développés et, en particulier, du courant français de la Défense sociale nouvelle animé par Marc Ancel. Comme pour signifier cette dernière hybridation, la doctrine a pu parler de « néoclassicisme contemporain ». Dans la mesure où ces évolutions passées n’ont pas induit de ruptures franches avec les systèmes antérieurs, les termes de « droit pénal d’essence classique » nous apparaissent adaptés à en constituer la synthèse. Plus récemment, ce droit pénal d’essence classique s’est trouvé confronté à la montée d’un droit pénal néopositiviste, notamment au travers des notions de risque, de dangerosité et de mesure de sûreté. De la même manière, la question d’une rupture épistémologique se pose à nouveau. Certaines des évolutions contemporaines ont d’abord pu le laisser penser, cela que l’on considère la responsabilité pénale des personnes morales ou des personnes physiques. S’agissant des personnes morales, l’évolution de la responsabilité pénale, en s’orientant vers la reconnaissance d’une responsabilité directe de l’entité abstraite, a dévoilé le fondement du risque social à cette responsabilité. Elle a dans le même temps induit une rupture de l’homogénéité du concept d’imputabilité selon l’entité juridique considérée. S’agissant des personnes physiques, la montée contemporaine de la dangerosité a provoqué l’effacement ciblé de l’imputabilité selon le type de délinquance considéré (titre 1). A priori, aucun des dispositifs existants, à l’instar du mécanisme de la césure du procès pénal autorisé par la démonstration de l’interversion des composantes de la responsabilité pénale, n’est susceptible de pouvoir conjurer cette résurgence positiviste. Cependant, nous établirons dans un second temps que, si le mouvement néopositiviste contemporain a une nouvelle fois

1076. Cf. not. M. MASSE M., J.-P. JEAN et A. GIUDICELLI (dir.), Un droit pénal postmoderne ? Mise en perspective des

évolutions et ruptures contemporaines, op. cit. 1077. Ibid., in « Prologue », p. 25. 1078. Ce dernier aurait débuté au XVIIIe siècle, les historiens s’accordant pour situer la modernité avec les

Lumières, à partir du milieu du XIXe siècle. 1079. Notamment ceux du libre arbitre et de la peine auxquels ils opposaient respectivement le déterminisme

et la mesure de sûreté (cf. M. MASSE, J.-P. JEAN et A. GIUDICELLI [dir.], op. cit., p. 23). 1080. Cf. M. MASSE, J.-P. JEAN et A. GIUDICELLI [dir.], op. cit., in « Prologue », p. 23 et 24.

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influencé la législation, ce phénomène doit être relativisé, voire approuvé pour partie. En effet, si l’on met en perspective les dernières évolutions du droit pénal, on s’aperçoit, d’une part, qu’elles n’impliquent pas nécessairement un décrochage des principes qui avaient fait l’essence de ce droit pénal « classique-moderne »1081, et, d’autre part, qu’elles se confrontent avec une part de réalisme aux difficultés affectant la société contemporaine. L’économie du système pénal ne s’en trouve donc pas bouleversée. Au-delà, nous établirons que le paradigme de la post-modernité appliqué au droit pénal repose plus particulièrement sur une hybridation des systèmes1082. Il consiste à faire cohabiter de manière raisonnée les concepts de culpabilité, d’imputabilité et de dangerosité. Cette perspective de cohabitation doit néanmoins conduire à s’interroger sur la nécessité d’un aménagement des concepts. Faut-il, pour l’organiser, revisiter les composantes classiques de la responsabilité pénale afin d’en proposer une lecture post-moderne ? À l’issue de ce questionnement, il s’avérera que s’il n’est pas nécessaire d’opérer un rafraîchissement du concept de culpabilité, il importe en revanche de redimensionner celui d’imputabilité. Après avoir établi, dans le titre 1 de cette seconde partie, que la montée d’un néopositivisme contemporain a sonné le glas d’une conception unitaire de l’imputabilité, il sera démontré l’existence d’implications procédurales du concept d’imputabilité en droit positif lorsque le discernement de l’agent, au moment des faits, était aboli ou seulement altéré. Les modifications de la procédure pénale ont longtemps été fluides sans impliquer de profonds bouleversements de la discipline1083. Les mouvements qui l’ont affectée ne se sont accélérés qu’à partir des années 1970, sous l’influence combinée du doit constitutionnel et du droit européen des droits de l’homme, au point que « le modèle du procès équitable, en dépassant l’opposition accusatoire/inquisitoire, constitue certainement l’aboutissement de la procédure pénale moderne »1084. Ce modèle du procès équitable subit maintenant, parallèlement au droit pénal de fond, les assauts d’un néopositivisme contemporain couplé à une certaine idéologie du pragmatisme. Une réaction à ce phénomène se devait d’intervenir ; elle est rendue possible par le truchement de l’imputabilité. Il sera alors permis de qualifier de post-moderne la procédure pénale résultant d’une résistance à ces évolutions contemporaines par la projection de l’imputabilité au-delà du moment des faits. Au regard du droit pénal de fond, une lecture post-moderne de l’imputabilité pourra amener à questionner, une nouvelle fois, la consécration de l’imputabilité comprise comme la capacité pénale. En ce qui concerne la dangerosité, il sera établi que le droit pénal post-moderne, en assumant la nécessité d’un usage de la notion dans la mise en œuvre de la

1081. Expression empruntée à l’ouvrage précité sur la post-modernité, dont les principes directeurs ont été

étudiés dans la première partie de cette étude. 1082. Cf. A. GIUDICELLI, « Le fait de la personne atteinte d’un trouble mental », in M. MASSE M., J.-P. JEAN et

A. GIUDICELLI (dir.), Un droit pénal postmoderne ? Mise en perspective des évolutions et ruptures contemporaines, op. cit., p. 170.

1083. Le Code de procédure pénale de 1959 ne constitue pas une rupture par rapport au Code d’instruction criminelle de 1808.

1084. Cf. A. GIUDICELLI, « Modernité, postmodernité et doctrines pénales : une grille de lecture », in M. MASSE, J.-P. JEAN et A. GIUDICELLI (dir.), op. cit., p. 51 et suiv.

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responsabilité pénale, a aussi pour mérite d’organiser un usage recentré de la dangerosité. C’est donc d’une application raisonnée qu’il sera question, la montée de la dangerosité n’impliquant pas nécessairement d’atteindre la théorie de la responsabilité pénale au cœur de ses composantes essentielles : la culpabilité et l’imputabilité. Au final, l’hypothèse d’un droit pénal post-moderne consécutive à la montée d’un droit pénal néopositiviste constitue la synthèse d’un droit pénal d’essence classique adapté aux évolutions contemporaines. Il ne procède pas d’une rupture avec le droit pénal « classique-moderne » mais d’une « adaptation dans la continuité »1085 (titre 2).

1085. « Prologue », in M. Masse M., J.-P. Jean et A. Giudicelli (dir.), op. cit., p. 25.

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TITRE 1 –

LA MONTÉE D’UN DROIT PÉNAL NÉOPOSITIVISTE SONNANT LE GLAS D’UNE

CONCEPTION UNITAIRE DE L’IMPUTABILITÉ

La délinquance des personnes morales étant une réalité criminologique incontestable que le législateur ne pouvait plus ignorer, la création de la responsabilité pénale des personnes morales à l’article 121-2 du Code pénal a constitué l’une des innovations majeures du Code pénal de 19941086. Elle était cependant de nature à bouleverser la théorie classique de la responsabilité pénale. Comment, en effet, traduire à l’égard de cette entité juridique singulière ce qui est l’essence même de la responsabilité pénale, et notamment la culpabilité et l’imputabilité ? Le caractère abstrait, désincarné, immatériel – les vocables ne manquent pas en doctrine – des personnes morales a même conduit certains auteurs à douter du caractère pénal de cette responsabilité1087. La question se pose donc de savoir si le législateur a institué une responsabilité pénale qui reste ou non analogue à celle des personnes physiques. Nous allons établir, contrairement à une idée répandue en doctrine, que le mécanisme de responsabilité indirecte imaginé par le législateur à l’occasion du « nouveau » Code pénal devait permettre de concilier les concepts traditionnels de culpabilité et d’imputabilité avec les particularités du nouveau sujet de droit pénal incarné par la personne morale. En revanche, l’évolution du droit positif vers l’autonomisation de la responsabilité pénale des personnes morales doit conduire à repenser les conditions d’engagement de cette responsabilité, dans le sens, cette fois, d’une mutation des conditions classiques de la responsabilité pénale. Si l’évolution de la responsabilité pénale des personnes morales a permis de mettre en exergue, avec une acuité particulière, le fondement du risque social combiné à l’existence d’une faute personnelle imputable à la personne morale, elle devait dans le même temps inviter à une réflexion renouvelée sur la question de l’imputabilité. Autant le Code pénal de 1992 était parvenu à préserver, par le système de responsabilité mis en place, une acception au moins partiellement subjective de l’imputabilité, autant l’évolution du droit positif induit-elle, en la matière, un glissement vers une conception objectivée de l’imputabilité. Il sera permis d’en conclure que la mutation vers l’autonomisation de la responsabilité pénale des personnes morales a sonné le glas d’une conception homogène de l’imputabilité en droit pénal de la responsabilité. Il semble inévitable qu’une acception duelle de l’imputabilité devrait être appliquée selon l’entité juridique considérée, personne physique ou morale. Dépassant la simple dichotomie, la notion d’imputabilité serait alors vouée à

1086. Citer Roujou de Boubée. 1087. Cf. not. P. CONTE, « La responsabilité des personnes morales au regard de la philosophie du droit pénal »,

in La personne juridique dans la philosophie du droit pénal, sous la direction de J.-H. ROBERT et S. TZITZIS, éd. Panthéon-Assas, 2003, p. 109 et suiv. L’auteur évoque « une “fausse” responsabilité pénale ».

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disparaître dans le cas de la responsabilité pénale des personnes morales au profit de la notion d’imputation1088. Chez les personnes physiques, une évolution parallèle s’est fait jour dans les conditions d’engagement de la responsabilité qui, sans dénaturer le concept d’imputabilité, devait néanmoins conduire à son effacement ciblé selon les hypothèses de délinquance envisagées1089. La montée d’une notion voisine du risque social et consistant dans la dangerosité de l’individu considéré en est la cause. Si les notions de dangerosité et de risque ont tendance à se confondre, l’une impliquant nécessairement l’autre, Christophe Adam, psychologue clinicien belge, a insisté sur la nécessité de distinguer les deux termes à l’occasion d’une recherche menée sur la prévention de la récidive en Charente-Maritime1090. La dangerosité renverrait à du concret, alors que le risque renverrait à un individu abstrait1091. Pour cette raison, le terme de risque sera préféré à l’endroit des personnes morales, tandis que celui de dangerosité sera utilisé en présence d’une personne physique. Ainsi, dans le cadre de certaines hypothèses ciblées de délinquance des personnes physiques, la responsabilité pénale du délinquant (de morale qu’elle était) devient sociale. En d’autres termes, « l’homme n’est responsable pénalement que parce qu’il vit en société »1092 ; la responsabilité pénale est détachée de toute idée « éthico-religieuse »1093, elle est fondée sur l’état dangereux de l’individu. Pour cette raison, les peines sont remplacées par des mesures de défense sociale ou mesures de sûreté, celles-là mêmes par lesquelles s’est opérée la montée contemporaine de la dangerosité et qui ont permis de livrer ce diagnostic. On retrouve incontestablement à cet endroit les marqueurs d’un néopositivisme contemporain. Au-delà, le lien entre les missions de la responsabilité pénale des personnes morales, (parer au risque social généré et/ou avéré par l’activité de l’entité abstraite) et de la responsabilité pénale des personnes physiques explique le phénomène de convergence dans l’évolution des responsabilités pénales des deux sujets juridiques. La poussée de l’un des traits forts du positivisme tenant aux concepts de risque, de prévention, voire de précaution, innerve pour partie les évolutions du droit positif, tant à l’égard des personnes physiques que des personnes morales, avec des retombées sur les conceptualisations pénales classiques.

1088. Cf. Y. MAYAUD, « Non à l’imputabilité des personnes morales », in Mélanges en l’honneur de Christine Lazerges,

Dalloz, 2014. 1089. Qu’il s’agisse par exemple de la minorité, voire de la maladie mentale. 1090. Atelier sur la dangerosité, journées sur la prévention de la récidive dans sa dimension partenariale, 6-7 juin 2013,

faculté de droit de La Rochelle. Citer ouvrage 1091. Il est vrai que d’aucuns n’établissent pas de distinction entre les deux, certains préférant par exemple

parler de « risque de récidive » plutôt que de « dangerosité », en l’occurrence criminologique, à l’endroit des personnes physiques. En ce sens également, l’une des propositions du rapport de la commission présidée par Bruno Cotte, Pour refonte du droit des peines, remis le 18 décembre 2015, p. 59 (cf. infra).

1092. Cf. J. PRADEL, Histoire des doctrines pénales, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1991, p. 78. 1093. Loc. cit.

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Chapitre I –

L’objectivation de l’imputabilité en lien avec l’évolution de la responsabilité pénale des personnes morales

Lors de la création par le législateur de la responsabilité pénale des personnes morales, on pouvait se demander si cette responsabilité était analogue à celle des personnes physiques. Pouvait-on considérer qu’il s’agissait d’une responsabilité pénale de droit commun obéissant aux principes généraux de la responsabilité pénale ? En raison de son contenu axiologique, la question se posait avec une acuité particulière relativement à l’exigence d’imputabilité. L’acception subjective de l’imputabilité était-elle compatible avec le caractère immatériel de l’entité morale ? Une réponse affirmative à ce questionnement a découlé de la théorie retenue relativement à la responsabilité pénale des personnes morales. Si deux thèses étaient théoriquement envisageables, la thèse du substratum (ou thèse de la responsabilité indirecte) et celle de la responsabilité directe1094, nous allons établir que le choix initial de la jurisprudence en faveur de la première1095 allait permettre de préserver l’acception traditionnelle de l’imputabilité. Cependant, les inconvénients découlant de la pratique de la thèse de la responsabilité indirecte, inhérents au caractère subséquent de la responsabilité de la personne morale, devaient par la suite induire son abandon progressif. Le droit positif a alors évolué vers l’autonomisation de la responsabilité pénale des personnes morales

1094. Cette dualité n’est pas sans évoquer les deux thèses qui ont été en présence pour justifier l’attribution de

la personnalité juridique à l’entité abstraite qu’est la personne morale. La théorie du substratum ou thèse de la responsabilité indirecte pourrait s’apparenter à la thèse de la fiction, et la thèse de la responsabilité directe à la thèse de la réalité. Après que les groupements de personnes physiques se sont vu accorder la personnalité juridique, le débat s’était focalisé sur le point de savoir si la personnalité morale était une fiction ou une réalité. Selon la thèse de la fiction, elle ne dispose de la personnalité juridique qu’en raison d’un choix du législateur. Il faut alors comprendre qu’il ne s’agit que d’être fictifs car créés par la loi. Selon la thèse de la réalité, les personnes morales disposent de la personnalité juridique uniquement si existent des intérêts collectifs distincts de ceux de ses membres, ainsi qu’une organisation collective agissant afin de défendre ses intérêts. Nonobstant l’absence de réalité physique des personnes morales, la thèse de la réalité a été consacrée en jurisprudence, d’abord à l’égard des sociétés civiles, par un arrêt de la chambre des Requêtes en 1891 (Req., 23 févr. 1891, D., 1891, 1, 337 ; S., 1892, 1, 73) puis à l’égard des comités d’établissement par un arrêt de la deuxième chambre civile rendu lui en 1954 (Civ. 2e, 28 janv. 1954 no 54-07.081, Bull. II, no 32, JCP 1954, II, 7958, concl. LEMOINE ; D., 1954, p. 217, note G. LEVASSEUR). L’étude de l’évolution contemporaine de la responsabilité pénale des personnes morales laissera apparaître qu’il existe une convergence entre la thèse retenue au fondement de la personnalité morale et la conception « positive » de la responsabilité pénale des personnes morales, la thèse civiliste de la réalité trouvant un écho dans la responsabilité directe de la personne morale. Au-delà, il sera donc permis de constater au travers de l’étude du droit positif un rapprochement des approches pénale et civile de la problématique des personnes morales. Il ne sera alors pas étonnant de relever une objectivation des composantes traditionnelles de la responsabilité pénale et, en particulier, du concept d’imputabilité.

1095. La théorie du substratum avait été proposée par Henri Donnedieu de Vabres (cf. H. DONNEDIEU DE VABRES, « Les limites de la responsabilité pénale des personnes morales », RIDP, 1950, p. 339).

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dévoilant le rôle prépondérant du risque social dans le fondement de cette responsabilité. Concrètement, cette nouvelle approche systémique dans l’établissement de la responsabilité pénale de la personne morale a été révélée par l’éclipse de l’exigence d’une infraction parfaite commise par la personne physique. Cette dernière, en impliquant la reconnaissance d’une responsabilité directe de la personne morale, ne pouvait rester sans incidence sur les conditions traditionnelles gouvernant l’engagement de la responsabilité pénale.

L’autonomisation de la responsabilité pénale des personnes morales, si elle repose par ailleurs sur les données classiques de la responsabilité pénale, en supposant la caractérisation d’une faute personnelle imputable à la personne morale, est néanmoins de nature à induire une objectivation de ces conditions. Il importera dans un premier temps d’établir la véracité d’une évolution du droit positif vers l’abandon de la théorie de la réalité au bénéfice de la théorie de la fiction – autrement dit, il importera d’établir le glissement en droit positif d’une responsabilité indirecte de la personne morale vers une responsabilité directe de l’entité abstraite (section 1) – avant de s’attacher à déterminer le contour des conditions nouvelles d’engagement de la responsabilité pénale des personnes morales, en soulignant avec une acuité particulière la mutation du concept d’imputabilité (section 2).

Section 1 - Le glissement vers l’abandon de la responsabilité indirecte des personnes morales condamnant la conception subjective de l’imputabilité

Dans le troisième chapitre de sa thèse relative à une étude comparée de la responsabilité pénale des personnes morales en Europe, Antonio Amalfitano oppose les systèmes sensibles à une conceptualisation doctrinaire et les systèmes juridiques positivistes1096. Le système français est présenté comme reposant sur une conception anthropomorphique de la responsabilité pénale des personnes morales, l’imputation de l’infraction s’opérant par une sorte d’assimilation de la personne morale à la personne physique qui en est l’auteur. Cette approche systémique s’apparente à la conception doctrinaire dite du substratum ou de la responsabilité pénale indirecte de la personne morale. Elle a pour mérite de concilier les principes classiques du droit pénal avec le caractère immatériel de la personne morale. L’équation au terme de laquelle la somme de la culpabilité et de l’imputabilité conduit à l’existence de la responsabilité pénale se trouve ainsi vérifiée (§ 1). Cependant, le développement de la société du risque, combiné à la volonté de laisser à la marge des poursuites pénales les dirigeants sociaux, a contribué à la mutation de la responsabilité pénale des personnes morales. Le droit positif s’est orienté vers la consécration de la responsabilité directe des personnes morales. De quelle manière cette mutation s’est-elle opérée ? Le décrochage avec le système de responsabilité indirecte a d’abord été initié par un élargissement du champ d’application de la responsabilité pénale des personnes morales, avant que les solutions ne s’orientent vers l’autonomisation pure et simple de la responsabilité pénale de l’être moral (§ 2).

1096. Cf. A. AMALFITANO, La responsabilité pénale des personnes morales – Une recherche pour la construction d’un modèle

commun, L’Harmattan, 2016.

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§ 1 - La reconnaissance initiale d’une responsabilité indirecte de la personne morale

L’intermédiaire d’un substratum humain à l’engagement de la responsabilité pénale des personnes morales, en impliquant la caractérisation de l’infraction à l’égard d’une personne physique, permet de préserver les acceptions classiques des composantes de la responsabilité, dont l’acception subjective de l’imputabilité (A.). Sans remettre en cause le principe d’une responsabilité indirecte des personnes morales, l’extension de son domaine d’application, en impulsant néanmoins l’autonomisation de la responsabilité pénale des personnes morales, a été initiée dès le lendemain de la réforme de 1994 (B.).

A. Le choix jurisprudentiel de la théorie du substratum préservant l’acception subjective de l’imputabilité

Deux systèmes sont envisageables dans l’élaboration du mécanisme de responsabilité des personnes morales : la thèse de la responsabilité indirecte et la thèse de la responsabilité directe. Seule la thèse de la responsabilité indirecte, autrement dénommée « mécanisme du substratum humain », est de nature à préserver le caractère subjectif de l’imputabilité en raison de la projection de cette composante caractérisée en la personne physique sur la personne morale. Cette affirmation se trouve vérifiée, qu’il s’agisse d’appréhender l’imputabilité dans son versant positif de fondement à la responsabilité pénale (1.) ou dans son versant négatif de cause d’exonération de la responsabilité pénale (2.).

1. La préservation de l ’acception subjective de l ’imputabilité découlant de la projection automatique de l ’imputabilité caractérisée en la personne physique sur la personne morale

Comment une personne morale, dépourvue de corps et d’esprit, pourrait-elle vouloir exécuter une infraction ? Comme le souligne Jean-Yves Maréchal, « les personnes morales, ayant une existence essentiellement juridique, sont désincarnées et ne peuvent donc elles-mêmes accomplir des faits constitutifs d’infractions pénales »1097. Une certaine unanimité se dégage en effet en doctrine pour considérer que les personnes morales ne peuvent réaliser elles-mêmes les éléments constitutifs d’une infraction pénale. En ce qui concerne l’élément matériel, une personne morale étant un être sans corps, « elle n’a donc pas de prise directe sur les choses, et doit agir en tandem avec un être humain pour atteindre le résultat infractionnel désiré »1098. En ce qui concerne l’élément psychologique, il n’est pas plus concevable, pour une partie de la doctrine, que « l’intention ou le mobile, élément moral de l’infraction, aient leur siège ailleurs que dans le cerveau d’un homme »1099. L’incapacité tout à la fois matérielle et psychologique de la personne morale a conduit le législateur à opter pour la nécessité d’un substratum humain. Aux termes du premier alinéa de l’article 121-2 du

1097. Cf. J.-Y. MARÉCHAL, « Un pas de plus vers la responsabilité directe des personnes morales », D. 2010,

p. 2135. 1098. C. MOULOUNGUI, « L’élément moral dans la responsabilité pénale des personnes morales », RTD com.,

1994, p. 441. 1099. H. DONNEDIEU DE VABRES, note sous Paris, 21 déc. 1949, Soc. Baschet, D. 1950, p. 438, col. 1.

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Code pénal, il est prévu que « les personnes morales […] sont responsables pénalement […] des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ». Pour autant, dès l’entrée en vigueur du Code pénal de 1994, la majeure partie des juridictions du fond avaient exprimé leur préférence pour une conception « classique » de la nouvelle responsabilité pénale, autrement dit pour une responsabilité pénale directe de la personne morale. La condamnation de la personne morale supposait donc que l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction soient réunis sur la tête de l’entité morale, sans qu’il soit besoin de s’intéresser à la situation individuelle de l’organe ou du représentant1100. La chambre criminelle mit un coup d’arrêt à ce courant jurisprudentiel dès qu’un pourvoi en donnant l’occasion lui fut présenté, en retenant la thèse de la responsabilité indirecte1101. En application de cette thèse, il est légitime de considérer, à l’instar de Daniel Ohl, que « [le dirigeant], doté d’une conscience et d’une volonté propres, […] est aussi l’agent au service d’une organisation, à qui il prête ses conscience et volonté. Sa personnalité n’en pas une, elle subit une sorte de dédoublement. Lorsqu’il agit pour le compte du groupement, il n’est plus lui-même, il devient la personne morale »1102 : le dirigeant incarne véritablement la personne morale. Ainsi, pour pouvoir imputer une infraction à la personne morale, il est nécessaire que les juges établissent en quoi les organes ou représentants ont commis une faute. Concrètement, il faut apprécier l’intention ou les négligences et manquements aux obligations de sécurité en la personne des organes ou représentants de la personne morale. La chambre criminelle a eu l’occasion, par ailleurs, de préciser que l’établissement d’une faute distincte de la personne morale n’était pas une condition pour engager sa responsabilité pénale1103. À l’origine, la Cour de cassation interprétait donc l’exigence légale de la

1100. Pour un exemple, cf. tr. corr. de Paris, 3 nov. 1995, Dr. soc., 1996, p. 157, note A. COEURET. Le jugement

attribue, d’emblée, la responsabilité pénale d’un accident du travail dû à la rupture d’un échafaudage à deux sociétés sans évoquer les personnes physiques susceptibles d’être mises en cause. Le tribunal explicite les fautes des deux sociétés condamnées : celle de la société employeur qui « a laissé travailler son salarié sans prendre les précautions les plus élémentaires pour vérifier la solidité de l’échafaudage, une négligence grave susceptible d’engager sa responsabilité pénale » et celle de la société ayant sous-traité l’installation de l’échafaudage qui n’était pas « spécialisée dans l’activité à laquelle elle s’est livrée et a donc commis des négligences et des manquements aux obligations du droit du travail ». Il nous apparaît, à l’instar d’Alain Coeuret, que l’on peut voir dans ce jugement une sorte de « responsabilité directe ou automatique » de la personne morale. Cette projection de l’infraction sans intermédiaire sur la personne morale est d’autant plus notable que, dans cette affaire, il était loisible au tribunal de relever les fautes des personnes physiques.

1101. Cass. crim., 2 déc. 1997, no 96-85.484, Bull. crim., no 408 ; Rev. sociétés 1998, p. 148, obs. B. BOULOC ; RSC, 1998, p. 536, obs. B. BOULOC ; JCP E 1998, 148, note P. SALVAGE ; D., 1999, Somm. p. 152, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE ; JCP 1998, II, no 10023, rapp. F. DESPORTES ; J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 38, p. 570 et suiv.; JCP 1999, I, 112, no 1, M. VERON ; Bull. Joly 1998, p. 512, § 166, note J.-F. BARBIERI ; Droit et Patrimoine 1998, 2011, note J.-F. RENUCCI.

1102. D. OHL, « Recherche sur un dédoublement de la personnalité en droit pénal (à propos d’une responsabilité pénale de la personne morale qui n’exclut pas celle du dirigeant personne physique) », in Études offertes à Barthélemy Mercadal, éd. F. Lefebvre, 2002, no 5, p. 375.

1103. Cass. crim., 26 juin 2001, no 00-83.466, Bull. crim., no 161 ; D. 2002, p. 1802, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE ; RSC, 2002, p. 99, obs. B. BOULOC ; JCP E 2002. 371, note D. OHL ; Dr. pén., 2002, comm. 8, note J.-H. ROBERT. Par cette décision, la Cour de cassation énonce clairement que la faute pénale de l’organe ou du représentant suffit à engager la responsabilité pénale de la personne morale, lorsqu’elle est commise pour le compte de celle-ci, sans que doive être établie une faute distincte à la charge de l’être moral. Avant que la Cour de cassation n’indique qu’il n’était pas nécessaire d’établir l’existence d’une faute distincte de la personne morale pour la rendre responsable, les juges du fond étaient partagés. Certains, partisans de la théorie de la faute distincte, n’hésitaient pas à considérer que l’imputation de l’infraction à la personne morale supposait d’établir la preuve d’une faute, intentionnelle ou non, de cette dernière, la responsabilité de l’être moral ne devant pas être la simple conséquence de celle de la personne physique organe ou représentant (cf. par exemple en ce sens trib. corr. Versailles, 18 déc. 1995 : JurisData no 1995-049320 ;

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commission de l’infraction par un organe ou un représentant comme signifiant que la faute, intentionnelle ou non, nécessaire à la constitution de l’infraction, devait être relevée chez la seule personne physique, organe ou représentant de la personne morale, à l’exclusion de la personne morale elle-même. La responsabilité pénale de la personne morale ne pouvait être engagée que dans la mesure où il était établi qu’une infraction avait été matériellement et intellectuellement commise par un de ses dirigeants sociaux. La responsabilité pénale des personnes morales est une responsabilité du fait personnel par représentation1104. La responsabilité de l’entité abstraite est donc une responsabilité subséquente à celle de la personne physique1105. Cela signifie par ailleurs qu’à l’instar des éléments constitutifs de l’infraction, l’imputabilité de la personne morale doit s’apprécier au regard de l’imputabilité de la personne physique, organe ou représentant. Dans le même sens, Roger Merle et André Vitu considèrent que « l’imputabilité de la personne physique est […] le support indispensable à l’imputabilité de la personne morale »1106. En écho à la projection sur la personne morale de l’infraction commise par son organe ou son représentant, l’imputabilité de la personne physique se projette sur la personne morale. Parce qu’elle emprunte les conditions de l’imputabilité à un organe ou un représentant, la recherche de l’imputabilité de la personne morale ne pose guère de problème particulier et doit être menée auprès de la seule personne physique. En induisant la recherche des composantes de la responsabilité pénale de la personne morale dans la personne physique, dirigeant social, la théorie du substratum permet de concilier les exigences classiques du droit pénal, dont l’acception subjective de l’imputabilité, avec le caractère immatériel et désincarné de la personne morale. De manière symétrique, les causes de non-imputabilité reconnues au bénéfice des personnes physiques doivent logiquement pouvoir exonérer la personne morale de sa responsabilité pénale, confortant, ce faisant, le maintien d’une acception subjective de l’imputabilité.

2. La confirmation de l ’acception subjective de l ’imputabilité par la projection des causes de non-imputabilité de la personne physique sur la personne morale

La question se pose maintenant de l’impact que peut avoir sur la personne morale l’existence d’une cause de non-imputabilité établie au bénéfice de la personne physique. Autrement dit, la responsabilité pénale de la personne morale peut-elle être engagée par l’acte de son organe ou représentant si celui-ci bénéficie, au moment de l’infraction, d’une cause de

Dr. pén., 1996, comm. 71, note J.-H. ROBERT ; JCP G 1996, II, 22640, note J.-H. ROBERT ; trib. corr. Strasbourg, 9 févr. 1996, Bull. Joly, 1996, p. 297, note J.-F. BARBIÈRI ; trib. corr. Lyon, 9 oct. 1997 : JurisData no 1997-044728 ; Dr. pén., 1997, comm. 154, note J.-H. ROBERT ; JCP G 1998, I, 105, note J.-H. ROBERT). D’autres juridictions retenant une conception divergente considéraient à l’inverse que la recherche d’une culpabilité propre de la personne morale était inutile, celle de l’organe ou du représentant suffisant à lui imputer l’infraction (cf. par exemple CA Lyon, 3 juin 1998 : JurisData no 1998-041510 ; Dr.-pén., 1998, comm. 118, note J.-H. ROBERT).

1104. Cf. C. MARIE, Droit pénal général, Hachette, 2005, no 314 ; cf. également, C. MARIE, « La responsabilité pénale des personnes morales », in La personnalité morale, Journées nationales, t. XII, La Rochelle, Dalloz, 2010, p. 73-92.

1105. Pour cette raison, la responsabilité pénale de la personne morale est aussi désignée sous les expressions de « responsabilité indirecte » ou « par ricochet » (cf. F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16e éd., 2009, nos 600 à 603) de l’être moral.

1106. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, t. 1, Cujas, 1997, 7e éd., no 649 in fine.

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non-imputabilité ? Deux hypothèses sont à envisager selon la théorie que l’on adopte à propos de la notion d’infraction, c’est-à-dire selon que l’on considère que l’imputabilité entre ou non dans la constitution de son élément psychologique. Dans la première hypothèse, soutenue par une grande majorité de la doctrine, on ne peut pas dire, en présence d’une cause de non-imputabilité bénéficiant à la personne physique, que l’infraction a été, selon les termes de l’article 121-2 du Code pénal, « commise » par la personne physique – la non-imputabilité de la personne physique faisant alors obstacle à la caractérisation même de l’infraction. L’irresponsabilité conjointe de la personne physique et de la personne morale découle automatiquement de l’inclusion de l’imputabilité dans l’infraction. Jean Pradel et André Varinard considèrent dans le même sens que « dès lors que la commission de l’infraction par une personne physique est en quelque sorte le préalable à la responsabilité de la personne morale, toute cause de non responsabilité du substratum humain entraîne l’irresponsabilité de l’être moral »1107. Dans le cadre de cette étude, nous avons cependant démontré l’extériorité de l’imputabilité par rapport à l’infraction. Il importe donc d’établir l’irresponsabilité conjointe dans cette hypothèse, ce qui, a priori, peut paraître moins évident. En effet, dans la mesure où le trouble mental ou la contrainte morale ne font pas disparaître l’infraction mais seulement la responsabilité pénale de l’agent, il ne semble pas incohérent de soutenir que la responsabilité pénale de la personne morale pourra toujours être engagée. La question se pose donc de savoir, à partir du moment où l’imputabilité est une donnée extérieure à l’infraction, si une infraction commise par la personne physique, organe ou représentant, bénéficiant d’une cause de non-imputabilité, pourrait néanmoins être imputée à la personne morale. À ce jour, il n’existe qu’une seule décision rendue en cette matière, et elle est ancienne. Il s’agit d’un arrêt de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris en date du 21 décembre 19491108. En l’espèce, des poursuites avaient été exercées contre le journal L’Illustration, accusé de collaboration avec l’occupant. Le directeur du journal avait bénéficié d’un non-lieu en raison de la situation de contrainte dans laquelle il se trouvait1109, puisque la publication des articles reprochés lui avait été imposée par l’autorité occupante. En revanche, la personne morale avait vu sa responsabilité pénale engagée par application des dispositions de l’ordonnance du 5 mai 1945, réprimant les faits de collaboration commis par les entreprises de presse1110. La cour de cassation semble donc se prononcer en faveur du caractère alternatif des responsabilités pénales de la personne physique, organe ou représentant, et de la personne morale. Cet arrêt fut vivement critiqué par Henri Donnedieu de Vabres qui dénonça « la contradiction fondamentale qui entacherait une condamnation frappant la personne morale, qui ferait suite à la mise hors de cause, pour défaut d’intention coupable ou pour une cause

1107. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 38, p. 584. 1108. Cf. D., 1950, p. 434, note H. DONNEDIEU DE VABRES. 1109. Cause de non-imputabilité prévue à l’article 64 de l’ancien Code pénal. 1110. Avant même l’innovation majeure du Code pénal de 1994, la responsabilité pénale de personnes morales

spécifiques avait été consacrée par des lois spéciales, à l’instar de l’ordonnance du 5 mai 1945 sanctionnant les entreprises de presse ayant collaboré avec l’ennemi.

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de non-imputabilité, de toutes les personnes qualifiées pour agir en son nom et poursuivre les fins communes »1111. La doctrine contemporaine apporte pour sa part des réponses divergentes sur cette question. Il est vrai que d’aucuns sont favorables à la responsabilité pénale de la personne morale alors même que la personne physique, par l’intermédiaire de laquelle la faute a été commise, serait irresponsable pénalement en raison d’un trouble psychique1112. D’autres s’opposent à la responsabilité pénale de la personne morale. Marie-Élisabeth Cartier considère en ce sens que « si la faute de la personne physique est bien la faute de la personne morale1113, alors, en l’absence de l’élément moral requis ou dans le cas où la personne physique bénéficie d’une cause d’irresponsabilité pénale, la personne morale ne peut être responsable »1114. Nous souscrivons à cette analyse en considérant que la solution de l’irresponsabilité conjointe est la conséquence logique de la théorie du substratum. En application de cette dernière, l’organe ou le représentant de la personne morale n’est pas un « autrui », mais la personne morale elle-même. La faute de la personne physique est la faute de la personne morale et l’imputabilité de la personne physique est l’imputabilité de la personne morale. Si l’on raisonne sur la seule donnée imputabilité, cette dernière supposant la réunion de deux éléments de personnalité1115, il est alors logique de considérer que le trouble mental ou la contrainte morale qui vient affecter la personne physique empêche pareillement l’imputation de l’infraction à la personne morale. Nonobstant le caractère subjectif de l’imputabilité, le mécanisme particulier de la responsabilité des personnes morales impose que l’irresponsabilité du dirigeant social, qu’elle soit due à son absence de discernement1116 ou de liberté, entraîne l’irresponsabilité de la personne morale. L’irresponsabilité conjointe tient au fait que l’imputabilité de la personne morale se confond alors avec l’imputabilité de la personne physique. Il était donc logique que l’acception subjective de l’imputabilité soit préservée dans le cadre d’une responsabilité indirecte de la personne morale.

1111. H. DONNEDIEU DE VABRES, « Les limites de la responsabilité pénale des personnes morales », op. cit.,

p. 342. 1112. Cf. par exemple, F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, op. cit., no 641 ; M.-L. RASSAT, Droit

pénal général, op. cit., no 342, p. 368 – Jacques-Henri Robert considère par exemple que l’irresponsabilité du dirigeant social fondée sur une cause de non-imputabilité n’impose pas l’irresponsabilité de la personne morale à qui l’on pourrait reprocher d’avoir porté à sa tête un individu incapable d’exercer sa mission (cf. J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, 6e éd., 2005, p. 383). L’auteur reconnaît cependant que la jurisprudence n’a pas consacré cette thèse, parfois désignée par certains sous l’expression de « faute distincte » de la personne morale. Il aurait été permis de soumettre une autre explication à l’auteur. Cette dernière aurait consisté dans le fait que son argumentation s’inscrivait en réalité dans le cadre de la théorie d’une responsabilité directe de la personne morale. Jacques-Henri Robert se réfère en réalité à une faute propre de la personne morale, que d’aucuns désignent sous les termes de « faute distincte ». La solution de la dissociation du sort de la personne physique et de la personne morale prônée par l’auteur aurait alors été logique, puisqu’elle ne s’inscrivait plus dans le cadre de la théorie du substratum (cf. infra, la section 2 consacrée à l’étude d’une responsabilité directe des personnes morales). Cependant, pas plus qu’elle n’a consacré la théorie de la faute distincte de la personne morale, la jurisprudence n’a, à ce jour, opéré de revirement consacrant explicitement la théorie de la responsabilité directe.

1113. Ce qui résulte de la théorie du substratum. 1114. M.-É. CARTIER, « Nature et fondement de la responsabilité pénale des personnes morales dans le nouveau

Code pénal français », LPA, 1996, p.18. 1115. Le discernement et la liberté psychologique de l’agent. 1116. La seule restriction envisageable résidant dans la possibilité pour la personne morale de se prévaloir de la

minorité de l’agent, dans le mesure où l’on verrait mal comment un mineur pourrait engager la responsabilité pénale d’une personne morale.

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Par conséquent, il est permis d’affirmer que l’irresponsabilité conjointe de la personne physique, organe ou représentant, et de la personne morale disposait d’une assise juridique dans la consécration jurisprudentielle initiale de la thèse de la responsabilité reflet. Cependant, ce sont précisément les solutions de l’irresponsabilité conjointe et, à l’inverse, de la responsabilité conjointe des personnes physique et morale qui ont conduit progressivement à l’abandon tant législatif que jurisprudentiel du principe de la responsabilité indirecte – cet abandon devant, quant à lui, être à l’origine d’une objectivation de la notion d’imputabilité appliquée aux personnes morales.

B. Les inconvénients de la théorie du substratum augurant d’un abandon de la responsabilité indirecte des personnes morales

L’essence même de la théorie du substratum, en reposant sur une infraction commise en tous ses éléments constitutifs par une personne physique imputable, est de lier indissolublement le sort de l’organe ou du représentant à celui de la personne morale. Faute d’infraction imputable à la personne physique, il ne peut y avoir de responsabilité de l’être moral. Cependant, la dépendance ainsi établie entre la responsabilité pénale des personnes physiques et morales aboutit de manière regrettable à une solution du tout ou rien. On se retrouve soit dans des situations de blocage de la répression, soit, à l’inverse, dans des situations de pénalisation totale découlant du cumul des responsabilités inhérent à cette théorie. Hormis le cas des infractions commises par la personne morale sans intervention d’une quelconque personne physique, une situation de blocage de la répression correspond à l’hypothèse où la reconnaissance d’une cause de non-imputabilité au bénéfice de la personne physique paralyse toute condamnation pénale à l’encontre de la personne morale. Or, à l’examen de l’exposé des motifs de la loi ayant présidé à la création de la responsabilité pénale des personnes morales, cette solution contrevient au souhait de l’Assemblée nationale qui préconisait l’extension du droit pénal aux personnes morales en raison de leur (seule) puissance économique1117. Dans le même sens, Marie-Laure Rassat considère qu’« un problème particulier est susceptible de se poser dans le cadre de la responsabilité pénale des personnes morales lorsque le dirigeant ayant matériellement accompli les faits pour la personne morale est atteint d’un trouble mental. Il est certain, dès lors qu’on a une saine notion de ce qu’est la responsabilité pénale des personnes morales, qu’il ne saurait y avoir de liaison absolue entre l’état mental du dirigeant et la responsabilité de la personne morale les deux choses devant être distinctement appréciées »1118. En sens contraire, les débats parlementaires ont aussi fait apparaître que le Sénat souhaitait, en créant cette nouvelle forme de responsabilité, diminuer – voire supprimer – la responsabilité pénale des dirigeants sociaux jugée excessive. Il y avait la volonté de la Chambre haute de laisser à la marge des poursuites pénales les dirigeants parfois poursuivis simplement parce qu’ils sont les responsables de l’entreprise, en créant une véritable responsabilité de substitution de la

1117. Cf. C. LOMBOIS, Droit pénal général, Hachette, 1994, p. 73. 1118. M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit., no 342, p. 468 in fine et nos 478 et suiv., p. 502 et suiv. Pour autant,

l’auteur ne précise pas comment il serait possible d’apprécier distinctement ces deux questions. Selon nous, cette carence s’explique par le fait que l’irresponsabilité conjointe est l’une des conséquences inéluctables de la théorie de la responsabilité indirecte.

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personne morale. Ainsi, il y avait d’un côté ceux qui souhaitaient que la responsabilité de la personne morale entraîne automatiquement l’irresponsabilité des dirigeants sociaux, autrement dit ceux qui estimaient qu’il fallait instaurer une responsabilité alternative au sein des entreprises sociales, et, d’un autre côté, ceux qui considéraient qu’il fallait dans tous les cas pouvoir engager la responsabilité de l’être moral, peu important de manière subséquente le sort de la personne physique, dirigeant social. Il est certain que la solution du substratum humain pour fonder l’engagement de la responsabilité pénale des personnes morales implique un cumul des responsabilités1119. Pour cette raison, elle est contraire à au moins l’un des arguments mis en avant pour justifier la création de la responsabilité pénale de l’être moral. Or, il est permis de relever que le choix explicite en faveur du cumul des responsabilités découlant la théorie du substratum n’est le fait que de la jurisprudence. À bien y regarder, la lettre de l’article 121-2 du Code pénal est ambigüe. Elle ne permet pas de déterminer avec certitude le choix de la solution retenue par le législateur. Si la solution du cumul des responsabilités s’extrait a priori de l’alinéa 1er, celle du caractère alternatif peut être déduite a contrario de son alinéa 3, cela même avant l’adoption de la loi du 10 juillet 2000 qui est venue sceller l’autonomie de la responsabilité pénale des personnes morales1120. Si le cumul est possible en vertu de cet alinéa, il n’est nullement obligatoire. Jean Pradel et André Varinard parlent de « principe du cumul facultatif »1121. Ainsi, au-delà même du manque de clarté, qui pouvait néanmoins être attendue du législateur, il existe une forme de contradiction entre ces deux alinéas de l’article 121-2 du Code pénal. D’ailleurs, une des premières décisions de la Cour de cassation sur le sujet avait semblé retenir la thèse du non-cumul des responsabilités1122. Par la suite, elle devait, il est vrai, à l’occasion de son célèbre arrêt du 2 décembre 1997, se prononcer pour le caractère subséquent, et donc cumulatif, de la responsabilité de la personne morale1123. Sa position était d’autant plus nette que l’arrêt cassé de la cour d’appel de Limoges avait retenu la thèse de la responsabilité directe de la personne morale. Comment interpréter la position de la Cour de cassation alors que la Haute Juridiction avait l’opportunité, sur le fondement même de l’article 121-2 du Code pénal, d’un choix entre les deux thèses pouvant être soutenues en matière de responsabilité pénale des personnes morales ? Dans la mesure où il lui était possible de consacrer la thèse de la responsabilité directe, pour quelle(s) raison(s) a-t-elle clairement opté pour l’autre thèse ? Par souci de vraisemblance ? Simplement parce que la personne morale est une abstraction et non un être réel ? Par crainte de trop objectiver cette responsabilité pénale en considération des principes directeurs gouvernant l’admission de la responsabilité pénale des personnes

1119. Contrairement à la thèse de la responsabilité directe qui ouvre la voie au caractère alternatif des

responsabilités. 1120. Cf. infra. En vertu de l’alinéa 3 de l’article 121-2 du Code pénal dans sa version en vigueur du 1er mars 1994

au 11 juillet 2000 : « La responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits. »

1121. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 38, p. 584. 1122. Cf. Cass. crim., 30 oct. 1995, no 95-80.361, Bull. crim., no 336, p. 980. 1123. Cf. supra. La Cour a estimé que les juges n’avaient pas caractérisé à l’encontre d’un organe de la société

l’élément intentionnel du délit.

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physiques1124 ? Dans le prolongement de ces questionnements, on pourrait même envisager de dénoncer le caractère contra legem de la décision de 1997. Au soutien de cette tentation, la remise en cause par certains auteurs, en considération de ce mécanisme d’imputation de la responsabilité pénale des personnes morales qui maintient les dirigeants publics ou privés dans le champ de la répression, de l’utilité réelle de cette responsabilité nouvelle. Plus encore, il sera permis d’invoquer plusieurs tentatives parlementaires postérieures visant plus ouvertement à dépénaliser les dirigeants sociaux en cas d’engagement de la responsabilité pénale de l’être moral. La plus aboutie d’entre elles, et qui servira de fondement légal à l’autonomisation de la responsabilité pénale de l’entité morale, réside dans l’adoption de la loi du 10 juillet 2000 no 2000-647 visant à préciser la définition des délits non intentionnels1125. Quoi qu’il en soit, le choix de la théorie du substratum humain, en conduisant au cumul des responsabilités des personnes physiques et morales, contenait en germe deux types d’inconvénients diamétralement opposés de nature à précipiter l’évolution du droit positif vers une véritable responsabilité directe de l’être moral. Nous verrons comment, après avoir retenu la responsabilité indirecte de la personne morale, l’évolution s’est peu à peu orientée vers la reconnaissance de la thèse de la responsabilité directe.

§ 2 - L’autonomisation de la responsabilité pénale des personnes morales

L’évolution systémique a d’abord été initiée par l’élargissement du champ de la responsabilité pénale des personnes morales. Ainsi, sans générer une dénaturation par objectivation des composantes classiques de la responsabilité pénale, l’évolution vers l’autonomie de la responsabilité pénale des personnes morales a été initiée par les extensions incessantes du domaine de la responsabilité. Ces dernières, qui correspondent à autant de levées d’obstacles à la reconnaissance d’une responsabilité directe des personnes morales, sont le fait tant de la jurisprudence (A.) que du législateur (B.).

A. L’autonomisation jurisprudentielle

L’autonomisation jurisprudentielle s’est opérée par le truchement de la condition relative au substratum humain. Après avoir assoupli la qualité juridique de la personne physique pouvant engager la responsabilité pénale de la personne morale (1.) tout en posant des conditions strictes à ces élargissements, la jurisprudence s’est orientée vers l’abandon de la condition relative à l’identification de la personne physique substratum humain (2.). Malgré le paradoxe apparent de ces deux mouvements jurisprudentiels, ils ont concouru de manière convergente à l’autonomisation de la responsabilité pénale des personnes morales.

1124. Cf. infra et les conséquences d’une évolution vers la reconnaissance d’une responsabilité directe de la

personne morale sur les composantes classiques de la responsabilité et, notamment, le concept d’imputabilité.

1125. Cf. infra.

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1. L’élargissement ratione personae

La pénalisation jurisprudentielle des personnes morales procède notamment d’une extension du champ des personnes physiques susceptibles d’engager la responsabilité pénale de l’être moral. Conformément à l’article 121-2 du Code pénal, les personnes physiques dont l’action ou l’omission sera constitutive de l’infraction imputée à la personne morale consistent en un « organe » ou en un « représentant » de cette dernière. Avant de montrer comment la jurisprudence interprète largement ces termes, il convient de rappeler l’acception qui en est communément retenue. Haritini Matsopoulou souligne que « le terme organe convient parfaitement aux personnes morales, pour lesquelles la loi, sans être totalement contraignante, a fixé le cadre de leur organisation »1126. C’est le cas de la commune qui est dotée à la fois d’un organe exécutif (le maire) et d’un organe délibérant (le conseil municipal). À l’inverse, l’auteur précise plus loin, s’agissant du terme de représentant, qu’« il convient notamment aux personnes morales, pour lesquelles la loi n’a pas fixé d’une façon précise le cadre de leur organisation, laissant aux fondateurs ou organisateurs le soin d’établir les règles de fonctionnement de ces groupements »1127. Il suffira alors de se référer aux statuts pour déterminer qui peut engager la personne morale à l’égard des tiers. La question s’est posée en jurisprudence de savoir si un salarié délégué par le chef d’entreprise pouvait valablement engager la responsabilité pénale de la personne morale en cas d’infraction commise dans le domaine visé par la délégation. Autrement dit, le salarié titulaire d’une délégation de pouvoirs peut-il être assimilé à un représentant de la personne morale (1.1) ? La question s’est également posée de savoir si un dirigeant de fait pouvait être assimilé à un organe de la personne morale (1.2).

1.1 L’assimilation du salarié titulaire d’une délégation de pouvoirs à un représentant de la personne morale

Le chef d’entreprise, se trouvant dans l’impossibilité matérielle de tout contrôler ou surveiller, est souvent dans la nécessité de déléguer à un ou plusieurs de ses subordonnés tout ou partie de ses pouvoirs, en vue de faire respecter la règlementation dans tel ou tel secteur déterminé. La Cour de cassation a depuis longtemps admis qu’une délégation de pouvoirs entraîne le transfert de la responsabilité pénale du chef d’entreprise sur le salarié ou préposé, si bien que ce dernier peut être poursuivi pour une infraction commise dans un domaine visé par ladite délégation1128. Dans un second temps, consécutivement à la création de la responsabilité pénale des personnes morales, la Cour de cassation a décidé que le titulaire d’une délégation

1126. H. MATSOPOULOU, « La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales », Rev. sociétés,

2004, p. 283. 1127. Loc. cit. 1128. En ce sens, Cass. crim., 28 juin 1902, Bull. crim., 1902, no 237 ; Cass. crim., 7 déc. 1981, no 78-91.633, Bull.

crim., 1981, no 325 ; Cass. crim., 19 janv. 1988, no 87-83.315, Bull. crim., 1988, no 29. Cf. également H. MATSOPOULOU, « L’effectivité d’une délégation de pouvoirs et la non-caractérisation d’un délit de mise en danger d’autrui », JCP G 2015, I, 1284. L’auteur rappelle, à propos du commentaire d’un arrêt rendu par la chambre criminelle le 22 septembre 2015 questionnant notamment l’effectivité d’une délégation de pouvoirs, les conditions de validité de ladite délégation déjà dégagées par les arrêts du 11 mars 1993 (Cass. crim., 11 mars 1993, no 91-83-655 : JurisData no 1993-000886 – no 92-80-773 : JurisData no 1993-704844 – no 90-84.931 : JurisData no 1993-000778 – no 91-80-958 : JurisData no 1993-003140 – no 91-80-598 : JurisData no 1993-704846 ; Bull. crim., 1993, no 112 ; Bull. Joly Sociétés 1993, p. 666, note M.-E. CARTIER ; RSC, 1994, p. 101, obs. B. BOULOC).

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de pouvoirs pouvait, dans le prolongement de la solution qui précède, valablement engager la responsabilité pénale de la personne morale. Si la Haute Juridiction a d’abord implicitement répondu par l’affirmative dans un arrêt du 1er décembre 19981129, elle a ensuite expressément consacré cette solution par les arrêts du 9 novembre1130 et du 14 décembre 19991131. La délégation de pouvoirs entraîne donc un transfert de pouvoirs et un transfert de représentation. Il s’ensuit que si la lourde responsabilité pesant sur le chef d’entreprise peut se trouver allégée par le jeu d’une délégation de pouvoirs, l’entité qu’il incarne est invariablement condamnée. La jurisprudence récente valide toujours explicitement l’assimilation de la qualité de salarié délégataire à la qualité de représentant de la personne morale au sens de l’article 121-2 du Code pénal1132. Elle considère aussi que le dirigeant de fait peut engager la responsabilité pénale de la personne morale.

1.2 L’assimilation du dirigeant de fait à un organe de la personne morale

Un dirigeant de fait s’entend de celui qui exerce les pouvoirs d’un dirigeant sans assumer officiellement cette qualité. Si le législateur est resté muet sur la question de l ’assimilation du dirigeant de fait à un organe de la personne morale, la jurisprudence, quant à elle, a répondu par l’affirmative. Par exemple, le tribunal correctionnel de Strasbourg, par une décision en date du 9 février 1996, a condamné une société pour le délit de travail clandestin commis par l’ancien président de ladite société qui continuait, de fait, à gérer cette dernière1133. Cette solution a été validée par un arrêt de la Cour de cassation en date du 6 avril 20041134. Elle justifie notamment l’assimilation des dirigeants de fait à des organes de la personne morale par le fait qu’ils tirent leurs pouvoirs d’une organisation occulte de la personne morale1135. Comme le relève Emmanuel Dreyer, « toute solution contraire offrirait un moyen de défense trop facile aux personnes morales qui pourraient se cacher derrière une structure de façade afin de dénier les infractions commises pour leur compte

1129. Cass. crim., 1er déc. 1998, no 97-80.560, Bull. crim., no 325 ; RSC, 1999, p. 336, obs. G. GIUDICELLI-

DELAGE, et p. 579, obs. B. BOULOC. 1130. Cass. crim., 9 nov. 1999, no 98-81746, Bull. crim., no 252 ; RSC, 2000, p. 389, obs. Y. MAYAUD, p. 600, obs.

B. BOULOC, et p. 851, obs. G. GIUDICELLI-DELAGE ; Dr. pén., 2000, comm. no 56, 1er arrêt, obs. M. VÉRON ; Bull. Joly, 2000, § 85, obs. J.-F. BARBIÈRI.

1131. Cass. crim., 14 déc. 1999, no 99-80104, Bull crim., no 306 ; Bull. Joly, 2000, § 145, obs. J.-F. BARBIERI ; Dr. pén., 2000, comm. no 56, 2e arrêt, obs. M. VERON ; RSC, 2000, p. 600, obs. B. BOULOC, et p. 851, obs. G. GIUDICELLI-DELAGE.

1132. Cf. Cass. crim., 25 mars 2014, no 13-80.376 : JurisData no 2014-005997 ; Bull. crim., 2014, no 94; Dr. pén., 2014, chron. 10, no 1, obs. M. SEGONDS. La chambre criminelle a réaffirmé la solution quelques mois plus tard (cf. Cass. crim., 16 déc. 2014, no 13-87.342, inédit : JurisData no 2014-031281. Aux termes de cette décision : « Les salariés d’une société titulaires d’une délégation de pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité, et comme tel investis dans ce domaine de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires à l’exercice de leur mission, sont des représentants de la personne morale au sens de l’article 121-2 du Code pénal et engagent la responsabilité de celle-ci en cas d’atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité physique trouvant sa cause dans un manquement aux règles qu’ils étaient de faire respecter en vertu de leur délégation. » Cf. également Cass. crim., 9 juin 2015, no 14-86-469, inédit : JurisData no 2015-013827. Pour la jurisprudence récente sur les personnes morales, cf. également Dr. pén., nov. 2015, chron. 9, no 1, obs. M. SEGONDS.

1133. Cf. Les Annonces de la Seine, 1996, no 24, p. 10. 1134. Cass. 1re civ., 6 avr. 2004, no 01-03.494, Bull. I, no 108. 1135. En ce sens, Cass. crim., 10 avr. 2013, no 12-82282, inédit, Gaz. Pal., 21-23 juill. 2013, p. 30, obs.

E. DREYER.

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par un dirigeant de fait »1136. La jurisprudence, en faisant entrer dans la notion d’« organe » ou de « représentant », les titulaires d’une délégation de pouvoirs et les dirigeants de fait, conduit à un élargir le spectre des personnes susceptibles d ’engager la responsabilité pénale de la personne morale. Au-delà, on peut se demander si l’assouplissement de la qualité juridique requise de la personne physique pour engager la responsabilité pénale de la personne morale n’est pas le signe d’un affaiblissement de l’exigence d’incarnation de la personne morale par la personne physique. Il est permis de vérifier la pertinence de ce questionnement par le fait que, concomitamment à l’interprétation extensive des conditions de l’article 121-2 du Code pénal, la jurisprudence a marginalisé l’exigence d’identification de la personne physique organe ou représentant.

2. La marginalisation de la jurisprudence exigeant l ’identification de la personne physique organe ou représentant

La reconnaissance d’une responsabilité directe de la personne morale suppose en premier lieu l’abandon de l’exigence du substratum humain symbolisé, en jurisprudence, par l’absence de nécessité d’identifier l’organe ou le représentant de la personne morale, auteur matériel de l’infraction. Si cette conception renouvelée en jurisprudence de la responsabilité pénale des personnes morales (2.1) ne fait pas l’unanimité en doctrine, il est néanmoins possible de réfuter les différentes critiques, le respect de l’article 121-2 du Code pénal n’imposant pas la nécessité d’identifier la personne physique, organe ou représentant (2.2.).

2.1 La conception renouvelée en jurisprudence de la responsabilité pénale des personnes morales

Comme le relève Jacques-Henri Robert, « on est stupéfié par l’indifférence massive et comme concertée des tribunaux à l’égard de la condition contenue dans les mots “commises par leurs organes ou représentants” »1137. L’exigence légale d’un substratum humain a été relativisée – pour ne pas dire neutralisée – par la pratique judiciaire. L’évolution de la jurisprudence a été progressive. La Cour de cassation a d ’abord approuvé des condamnations de personnes morales dans des affaires où les juges du fond n ’avaient pas établi que l’infraction avait été commise par un organe ou un représentant. Puis, par un arrêt remarqué en date du 20 juin 20061138, la chambre criminelle, pour rejeter le moyen fondé sur l’absence de constat par les juges du fond de la réalisation d’un homicide involontaire par un organe ou un représentant, a énoncé que « l’infraction n’a pu être commise, pour le compte de la société, que par ses organes ou représentants ». Et pour mieux protéger cette affirmation, la Haute Juridiction a refusé, quelques années plus tard,

1136. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 1146, 835. 1137. J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, 6e éd., 2005, p. 385. 1138. Cass. crim., 20 juin 2006, no 05-85.255: JurisData no 2006-034397 ; Bull. crim., 2006, no 188; JCP G 2006, II,

10199, note E. DREYER ; D. 2007, p. 617, note J.-C. SAINT-PAU. Deux autres décisions de la chambre criminelle peuvent être signalées qui, dans le domaine particulier du non-respect par une personne morale d’une injonction d’un préfet, s’étaient affranchies de toute désignation de l’organe ou du représentant auteur physique de l’infraction en visant directement la personne morale (cf. Cass. crim., 31 mai 2005, no 04-85219, inédit, Dr. pén., 2005, comm. 193, obs. J.-H. ROBERT ; Cass. crim., 21 févr. 2006, no 05-82.140, inédit, Dr. pén., 2006, comm. 71, obs. J.-H. ROBERT).

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de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité qui la contestait1139. Cette position de la Cour de cassation conduit à créer une présomption de commission de l’infraction par un organe ou un représentant1140. Une telle présomption a d’abord été utilisée s’agissant d’infractions non intentionnelles. Cela n’est pas surprenant, dans la mesure où cet arrêt peut être considéré comme un prélude à un revirement de jurisprudence rendu nécessaire par la loi du 10 juillet 20001141. Au final, la présomption ainsi dégagée conduit en pratique à la mise en œuvre automatique de la responsabilité pénale des personnes morales du fait de tout homicide ou blessures involontaires commis à l’occasion de leurs activités1142. La question de l’extension du domaine d’application de cette jurisprudence s’est alors posée. Devait-elle rester circonscrite aux infractions non-intentionnelles ? La solution est-elle la même lorsque l’infraction reprochée est intentionnelle ? La réserve éventuelle liée à la nature de l’infraction a été remise en cause par un arrêt en date du 25 juin 20081143, où la Haute Juridiction a notamment étendu la présomption de commission de l’infraction par un organe ou un représentant à des infractions intentionnelles1144. Certes, la chambre criminelle de la Cour de cassation reste

1139. Cf. Cass. crim., 11 juin 2010, no 09-87.884, inédit : JurisData no 2010-008735 ; JCP G 2010, I, notes 1030

et 1031, J.-H. ROBERT et H. MATSOPOULOU ; RSC 2010, p. 177, obs. B. DE LAMY . 1140. En ce sens notamment J.-H. ROBERT, « Resserrement des conditions de la responsabilité pénale des

personnes morales », JCP G 2011, I, 240. 1141. Cf. infra, le développement consacré à l’autonomisation législative de la responsabilité pénale des

personnes morales où nous établirons que la loi du 10 juillet 2000, en autonomisant la responsabilité pénale des personnes morales, ne rend plus nécessaire l’identification de la personne physique organe ou représentant. Deux autres textes antérieurs auraient également pu être invoqués au soutien de cette interprétation. Le premier réside dans la circulaire d’application du Code pénal du 14 mai 1993 qui considère que s’agissant « d’infractions d’omission, de négligence ou matérielles, qui sont constituées en l’absence soit d’intention délictueuse, soit d’un acte matériel de commission, la responsabilité pénale pourra être engagée alors même que n’aura pas été établie la responsabilité pénale d’une personne physique ». Il résulte expressément de ce texte que l’identification d’une personne physique n’est pas toujours nécessaire. Il demeure cependant qu’il faut avoir la certitude que l’infraction a bien été commise en tous ses éléments constitutifs par un organe ou un représentant. Le second texte qu’il est permis de signaler au soutien de notre argumentation réside dans une recommandation du Conseil de l’Europe du 20 octobre 1998 (R-88-18) qui va dans le même sens en admettant la responsabilité même si la personne physique, auteur des faits, n’est pas identifiée. Dans l’alinéa 3 de la Recommandation, le comité des ministres du Conseil de l’Europe considère en effet « la difficulté que pose l’identification des personnes physiques responsables d’une infraction, compte tenu de la structure souvent complexe des entreprises ». Pour cette raison, il suggère aux États membres de retenir la responsabilité pénale de l’entreprise « qu’il y ait ou non identification d’une personne physique ayant commis les faits ou omissions constitutifs de l’infraction ».

1142. Pour des illustrations, cf. Cass. crim., 15 janv. 2008, no 07-80.800, Bull. crim., 2008, no 6 ; JCP G 2008, II, 10082, note J.-Y. MARÉCHAL ; également Cass. crim., 15 févr. 2011, no 07-83.640, Bull. crim. no 23, Dr. pén., 2011, comm. 62, obs. M. VÉRON.

1143. Cass. crim., 25 juin 2008, no 07-80.261: JurisData no 2008-044943 ; Bull. crim., 2008, no 167 ; Dr. pén., 2008, comm. 140, note M. VÉRON ; JCP E 2008, 2361, note C. DUCOULOUX-FAVARD ; RD. pén. crim., 2008, p. 858, note P. BONFILS. Pour des décisions antérieures contraires, cf. par exemple Cass. crim., 1er avr. 2008, no 07-84.839, inédit, Dr. pén., 2008, comm. 140, obs. M. VÉRON et Cass. crim., 2 déc. 1997, no 96-85.484, Bull. crim., no 408.

1144. Pour d’autres exemples de jurisprudences relatives à l’extension de la présomption d’intervention à des infractions intentionnelles, cf. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 1155, p. 842. L’auteur évoque notamment un arrêt en date du 1er janvier 2009 où la Cour de cassation reconnaît légitime une condamnation prononcée en matière de tromperie « dès lors que, si l’arrêt ne précise pas son identité, l’auteur du manquement à l’obligation de vérifier la conformité du produit mis en vente ne peut être qu’un organe ou un représentant de la société (cf. Cass. crim., 1er déc. 2009, no 09-82.140, inédit, Dr. pén., 2010, comm. 74, obs. M. VÉRON ; cf. également Cass. crim., 28 janv. 2009, no 08-85.426, inédit, Dr. pén., 2009, comm. 48, obs. J.-H. ROBERT).

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encore divisée sur cette question de la reconnaissance d’une présomption de commission de l’infraction pesant sur les organes ou représentants, que l’infraction soit intentionnelle ou même non intentionnelle. Il est en effet possible d’invoquer alternativement des décisions dans les deux sens. Si certaines, présentées comme marquant un retour à l’orthodoxie dans les conditions d’engagement de la responsabilité pénale des personnes morales, suppriment la présomption d’intervention de l’organe ou du représentant1145, d’autres la rétablissent aussitôt1146. La jurisprudence contemporaine à cette étude s’inscrit dans le cadre de cette dysharmonie1147. Par exemple, si la Cour de cassation a récemment rendu une décision marquant une interprétation qui serait plus « classique » et plus proche de la lettre de l’article 121-2 du Code pénal en exigeant l’identification précise par les juges du fond de la personne physique organe ou représentant de la personne morale1148, il est toujours possible de relever des décisions en sens contraire, à l’instar de l’arrêt rendu par la chambre criminelle le 12 avril 2016. Dans cette affaire, la Cour de cassation considère que justifie sa décision, au regard des articles 121-2 du Code pénal et 80-1 du Code de procédure pénale, la chambre de l’instruction qui refuse d’annuler la mise en examen d’une personne morale, motif pris de ce que le juge d’instruction n’avait pas déterminé, préalablement au prononcé de la mise en examen, par quel organe ou représentant le délit reproché à la personne morale avait été commis pour son compte. La justification tient au fait que l’information a notamment pour objet l’identification de la personne physique ayant engagé la responsabilité pénale de la personne morale1149. En d’autres termes, l’obligation d’identification de la personne physique organe ou représentant ne s’impose pas préalablement au prononcé de la mise en examen de la personne morale, laquelle résulte de la seule existence d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable sa participation à la commission de l’infraction. Cette décision peut s’analyser comme se prononçant en faveur du caractère direct de la responsabilité pénale des personnes morales. L’absence d’uniformité jurisprudentielle trouve un écho en doctrine.

1145. Cf. Cass. crim., 11 oct. 2011, no 10-87.212, Bull. crim. no 202 : JurisData no 2011-021620, JCP G 2011, I,

1385, note J.-H. ROBERT ; Cass. crim., 11 avr. 2012, no 10-86.974, Bull. crim. no 94 : JurisData no 2012-007035, JCP G 2012, I, 740, note J.-H. ROBERT ; AJ pén., 2012, p. 415, note B. BOULOC ; Gaz. Pal., 27-28 juill. 2012, p. 19, obs. E. DREYER. Cf. également, s’agissant d’une infraction intentionnelle, Cass. crim., 19 juin 2013, no 12-82.827, Bull. crim., 2013, no 148 ; JCP G 2013, 1049, note A. GALLOIS ; Gaz. Pal. 21-23 juill. 2013, p. 3, obs. E. DREYER.

1146. Cf. par exemple, Cass. crim., 15 janv. 2013, no 1-80.862, inédit, Gaz. Pal. 8-11 mai 2013, p. 26, obs. E. DREYER ; Cass. crim., 12 juin 2012, no 11-83.657, inédit, JCP G 2012, 1172, note J.-H. ROBERT ; Gaz. Pal., 26-27 oct. 2012, p. 30, obs. E. DREYER.

1147. Des arrêts récents ont aussi retenu un infléchissement de la tendance à la non-identification. Cf. par exemple Cass. crim., 2 sept. 2014, no 13-83.956 ; Bull. crim., 2014, no 178 ; JCP S, 2014, 1402, note F. DUQUESNE. Cf. également Cass. crim., 27 mai 2015, no 14-82.432, inédit. Dans cette décision, la Cour de cassation exige, dans le sillage de la précédente, que les juges du fond recherchent si l’infraction considérée a été commise pour le compte de la personne morale, par l’un de ses organes ou représentants au sens de l’article 121-2 du Code pénal. Ce n’est pas le cas de la dernière jurisprudence. En sens contraire, cf. Cass. crim., 22 sept. 2015, no 14-83.202, inédit : JurisData no 2015-021027, Dr. pén., 2015, comm. 167, note J.-H. ROBERT. En l’espèce, la Cour de cassation ne censure pas les juges du fond qui, pourtant, avait reproché à la société prévenue la commission d’une faute, sans référence aucune au comportement de l’un de ses organes ou représentants. Cf. également Cass. crim., 17 nov. 2015, no 14-83.647, inédit, Dr. pén., 2016, comm. 22, obs. P. CONTE et Cass. crim., 22 mars 2016, no 15-81.484, Bull. crim., no 100.

1148. Cass. crim., 27 sept. 2016, no 15-85.248, à paraître au bulletin : JurisData no 2016-019637 ; Dr. pén., 2017, étude 11, note P. CONTE.

1149. Cass. crim., 12 avr. 2016 no 15-86.169, Bull. crim. no 130 : JurisData no 2016-006964 ; Dall. act., 18 mai 2016, obs. S. FUCINI.

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2.2 Le bien-fondé de la non-identification de la personne physique

Si la non-identification de la personne physique, dirigeant social, fait l’objet de critiques en doctrine, ces dernières peuvent en majorité être réfutées. Les critiques doctrinales Une partie de la doctrine est hostile à cette conception renouvelée en jurisprudence de la responsabilité pénale des personnes morales. Plusieurs arguments peuvent a priori être invoqués contre l’inutilité d’identifier la personne physique organe ou représentant. En premier lieu, il peut être reproché à cette jurisprudence de ne pas respecter l’exigence textuelle de l’article 121-2 du Code pénal, c’est-à-dire d’être contraire au principe de la légalité. Mais, plus encore que le principe de la légalité, c’est le respect de la présomption d’innocence qui se trouverait atteint. Emmanuel Dreyer de relever que « si on pouvait admettre sans trop de difficultés […] que le fait avait bien été matériellement accompli par une personne physique agissant ès qualités pour le compte de la personne morale qui en a profité […], on pouvait trouver excessive la présomption de faute ou d’intention qui suivait. […] cette jurisprudence finissait par dispenser les juges du fond d’avoir à établir l’un des deux éléments constitutifs de l’infraction »1150. Une partie de la doctrine reproche aussi à cette jurisprudence de permettre de retenir la responsabilité pénale d’une personne morale en présence d’une faute qui pourrait avoir été commise par une personne physique n’ayant pas le pouvoir d’engager juridiquement l’être moral pour n’être pas un organe ou un représentant. La réfutation des critiques doctrinales Nous allons voir que tous ces arguments peuvent être réfutés et, au-delà, qu’il y a quelque pertinence à la remise en cause de l’exigence d’identification de la personne physique, organe ou représentant.

L’absence d’atteinte à la présomption d’innocence – L’argument de l’atteinte à la présomption d’innocence ne nous paraît pas pouvoir être à lui seul décisif. Cela tient notamment au fait que la légitimité du mécanisme des présomptions, utilisé pour établir la culpabilité des personnes physiques, a été démontrée dans la première partie de cette étude1151. Dès lors, il est permis de considérer, à l’instar d’Emmanuel Dreyer, que, « s’agissant de la preuve du prétendu élément moral d’une infraction, il ne s’agit pas de se montrer plus exigeant à l’égard des personnes morales qu’à l’égard des personnes physiques »1152. On ne peut donc être surpris de retrouver le mécanisme des présomptions de culpabilité employé également à l’encontre des personnes morales. L’absence de risque d’engager la responsabilité d’une personne morale pour une infraction qui n’aurait été commise ni par un organe ni par un représentant – Plusieurs arguments permettent d’écarter l’existence de ce risque.

1150. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 1156, p. 842 et 843. 1151. Cf. supra, partie 1, où nous avons établi que le mécanisme des présomptions de culpabilité à l’endroit des

personnes physiques puisait sa légitimité tant dans la difficile appréhension des données immatérielles que dans l’imbrication des éléments matériel et psychologique.

1152. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 1156, p. 843.

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De l’absence de nécessité d’identifier nommément l’organe ou le représentant à la nécessité de son identification abstraite Selon Emmanuel Dreyer, l’identification de l’auteur des manquements constitutifs du délit n’est pas un préalable nécessaire à l’imputation de l’infraction à la personne morale. Selon l’auteur, cela vient du fait que l’article 121-2 du Code pénal n’impose pas d’identifier nommément l’auteur des manquements, mais simplement de procéder à une identification abstraite de cet individu. Il s’agit simplement de déterminer qu’il disposait de l’exercice d’un pouvoir de direction. L’auteur considère en effet qu’« il importe peu de connaître l’identité de la personne physique qui a commis l’infraction. L’article 121-2 ne formule pas une telle exigence. Il réclame tout au plus l’identification abstraite de l’organe ou du représentant auquel la commission de l’infraction peut être reprochée »1153. En revanche, ce qu’il faut se demander c’est bien « si l’infraction a été commise dans l’exercice d’un pouvoir de direction. Lorsque l’infraction suppose l’exercice d’un tel pouvoir, elle ne peut avoir été commise que par un organe ou un représentant ; la présomption – pour ne pas écrire, en application de la distinction établie par Yves Mayaud, l’implication1154 – paraît alors légitime »1155. En matière non intentionnelle, le respect des règles concernant la sécurité du travail relève exclusivement de l’exercice d’un pouvoir de direction. Il est donc logique que l’être moral voie sa responsabilité pénale engagée en présence d’une infraction d’imprudence ayant généré la mort ou des blessures involontaires nonobstant l’absence d’identification expresse de l’auteur des manquements. Cette conclusion se trouve confirmée par le recours à un raisonnement de « logique déductive »1156 qui repose sur un subtil distinguo entre présomption et implication. C’est Yves Mayaud qui, à l’occasion du commentaire qu’il effectue à propos d’un arrêt de la chambre criminelle en date du 28 juin 20131157, (re)théorise, en quelque sorte, cette distinction1158. Dans cette affaire, la prévenue était une association organisatrice d’une compétition de ski, laquelle s’était soldée par un grave accident ayant causé la mort de la victime. Le pourvoi développa un argument classique aux termes duquel, contrairement aux dispositions de l’article 121-2 du Code pénal, la cour d’appel s’était contentée d’énoncer que l’association avait commis une imprudence et une négligence, mais sans rechercher si sa faute résultait de manquements imputables à l’un de ses organes ou représentants. La Cour de cassation rejette le pourvoi « dès lors que l’infraction n’a pu être commise, pour le compte de l’association, que par son président, responsable de la sécurité, en l’absence de délégation interne non invoquée devant la cour d’appel ». Yves Mayaud approuve la solution de la Cour de cassation en développant l’idée d’une différence probatoire entre présomption et implication. Selon lui, lorsqu’une association organise une compétition de ski engendrant un accident mortel, « sa responsabilité se déduit nécessairement de la réalité de l’infraction commise par son président. Il n’est aucune présomption à cette déduction, mais de l’implication

1153. E. DREYER, op. cit., no 1158, p. 845. 1154. Cf. infra. 1155. E. DREYER, op. cit., no 1158, p. 845. 1156. Cf. P. MISTRETTA, « Responsabilité pénale des établissements de santé : exit les présomptions (Cass. crim.,

16 déc. 2014, no 13-87.330, inédit, RSC, 2015, p. 411). 1157. Cass. crim., 28 juin 2013, no 12-85.917. 1158. Cf. Y. MAYAUD, « De la commission de l’infraction par les organes ou représentants des personnes

morales : la thèse de “l’implication” confirmée… », RSC, 2013, p. 807.

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seulement »1159. Le point de départ du raisonnement réside dans les circonstances de l’espèce et, plus particulièrement, dans la réalité de l’infraction commise. Cette dernière consiste en une infraction d’imprudence, laquelle procède de manquements à la sécurité1160. Or, conformément à la législation en vigueur, et en dehors de toute délégation, c’est le président de l’association qui est personnellement tenu des obligations sécuritaires liées aux activités déployées. Il est donc nécessairement impliqué dans la commission de l’infraction consécutive au non-respect des obligations liées à la sécurité. Nous voyons bien que son intervention n’est pas présumée mais qu’elle se déduit logiquement des circonstances de l’espèce – pour ne pas dire de la nature de l’infraction commise. Cette conclusion ouvre la voie de manière rationnelle à la mise en œuvre de la responsabilité pénale de l’association sans qu’il ne soit donc nécessaire, à peine de redondance, de démontrer effectivement l’intervention du président de l’association. Yves Mayaud souligne la légitimité de ce raisonnement en précisant qu’à la différence de la présomption qui « relève d’une démarche abstraite, destinée à compenser ce qu’un constat direct ne saurait révéler », l’implication, « au contraire, est rivée à la réalité, dont elle rend compte par une déduction rigoureuse : elle n’est pas une économie de preuve, elle est une preuve à part entière, mais dont l’expression n’a pas à être formelle, pour être déjà contenue dans la solution consacrée au fond »1161. Le raisonnement est valable, au-delà d’une association, pour toute entreprise. Par exemple, en droit pénal du travail, l’infraction d’imprudence procédant de l’inobservation d’un règlement de sécurité du travail1162 ne peut, en application de l’article L. 4741-1 du Code du travail, être imputée qu’à l’employeur ou à son préposé, comprenons son délégataire. Comme le relève Jacques-Henri Robert, « cette solution combinée avec la règle selon laquelle le délégué est un “représentant” au sens de l’article 121-2 du Code pénal fait que, avec ou sans, les personnes morales sont inévitablement responsables des infractions réprimées par l’article L. 4741-1 du Code du travail et des dommages corporels qui en sont éventuellement la conséquence »1163. Il est donc permis d’approuver la solution de la chambre criminelle qui considère, dans des circonstances similaires, qu’il était inutile d’identifier l’agent humain coupable de l’infraction. Si « les juges du fond avaient voulu identifier les agents humains qui avaient commis la faute génératrice du dommage, ils n’auraient pas pu désigner d’autres personnes que les dirigeants ou leurs délégataires, puisque c’est la solution imposée par l’article L. 4741-1 du Code du travail. Ils auraient nécessairement conclu que l’inexécution des obligations établies par les articles R. 4141-13 et R. 4141-14 du même code constituait un manquement par omission dans l’organisation,

1159. Loc. cit. 1160. Plus précisément, l’article 221-6 du Code pénal réprimant l’homicide involontaire, à l’instar de

l’article 222-19 du même code réprimant quant à lui les blessures involontaires, distingue deux sortes de fautes d’imprudence : d’une part, celles qui consistent en une « maladresse, imprudence, inattention, négligence » d’autre part, celles qui constitue un « manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ».

1161. Y. MAYAUD, « De la commission de l’infraction par les organes ou représentants des personnes morales : la thèse de “l’implication” confirmée… », op. cit., p. 807.

1162. Cf. les art. R. 4141-13 et R. 4141-14 du Code du travail. 1163. J.-H. ROBERT, « Vers une refondation de la responsabilité pénale des personnes morales », JCP G, I, 740.

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qui ne pouvait être imputé qu’à des personnes pourvues d’un pouvoir hiérarchique, à savoir les dirigeants de la personne morale ou leurs délégués »1164.

La pertinence du raisonnement de logique inductive limitée à la matière non intentionnelle Il convient de rappeler la réticence de certains auteurs à étendre une telle solution aux infractions intentionnelles. C’est le cas notamment de Jacques-Henri Robert qui considère que l’imputation des infractions intentionnelles aux personnes morales doit obéir à des conditions qui ne peuvent être identiques à celles précédemment décrites à propos des infractions non intentionnelles1165. Est-ce à dire que la présomption de commission de l’infraction par un organe ou un représentant ne serait légitime qu’à l’égard des infractions non intentionnelles ? Il est possible d’invoquer au soutien de cette argumentation que la présomption d’intervention de l’organe ou du représentant bénéficie en matière non intentionnelle d’une assise législative. Or, il n’existe pas d’équivalent, en matière intentionnelle, à l’article L. 4741-1 du Code du travail. Au-delà, il ne s’agirait donc pas seulement, pour valider la non-identification de la personne physique en matière intentionnelle, de présumer l’intention mais également l’accomplissement matériel des faits répréhensibles. Autrement dit, cela conduirait à présumer tous les éléments constitutifs de l’infraction. Il ne paraît donc pas possible d’admettre la présomption d’intervention de l’organe ou du représentant en matière intentionnelle. L’argumentation relative à la légitime non-identification de la personne physique semble donc devoir être limitée aux infractions non intentionnelles. Par conséquent, et bien que de nombreux arrêts aient retenu la non-identification en présence d’une infraction intentionnelle, il convient, afin d’asseoir la légitimité de la non-identification, de proposer une argumentation plus décisive susceptible de s’appliquer indépendamment de la nature, intentionnelle ou non, de l’infraction poursuivie.

L’absorption de la question de l’identification dans l’exigence légale de commission du fait incriminé pour le compte de la personne morale Cet argument décisif a été explicité par Jean-Yves Maréchal et repose sur l’idée que la question de l’identification de la personne physique est absorbée dans l’exigence légale de commission du fait incriminé pour le compte de la personne morale. Aux termes de l’article 121-2 du Code pénal, le fait incriminé doit également être commis pour le compte de la personne morale. A priori, « une interprétation littérale du texte conduit naturellement

1164. Ibid. La seule objection à ce raisonnement pourrait consister dans le fait que, comme nous l’avons rappelé

précédemment, les articles du Code pénal réprimant l’homicide et les blessures involontaires distinguent deux sortes d’imprudence. Or, seule celle consistant dans un « manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement », punissable à la fois en vertu de l’article L. 4741-1 du Code du travail et de l’article 221-6 du Code pénal, est exclusivement imputable à l’employeur ou à ses délégués. Il s’agit donc de comprendre que lorsque l’infraction procède d’une « maladresse, imprudence, inattention, négligence », elle peut théoriquement être imputée à une personne physique quelconque, employeur, salarié ou même tiers à l’entreprise. Cependant, la Cour de cassation se garde bien d’opérer une telle distinction en précisant par exemple que l’imprudence considérée résulte de la violation d’une loi ou d’un règlement (cf. par exemple en ce sens, Cass. crim., 11 oct. 2011, no 10-87.212 précité). Pour cette raison, les employeurs et leurs délégués continuent dans tous les cas d’être déclarés responsables des homicides et blessures involontaires en vertu de l’article L. 4741-1 du Code du travail.

1165. Cf. J.-H. ROBERT, « Resserrement des conditions de la responsabilité pénale des personnes morales », JCP G 2011, p. 1385.

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à considérer qu’il s’agit bien de deux conditions différentes et complémentaires »1166. L’auteur concède d’ailleurs que « telle est la position de l’ensemble de la doctrine »1167. Mais, bien vite, il ajoute qu’« au regard de l’évolution de la jurisprudence, l’on peut se demander si, en définitive, ces deux conditions sont réellement dissociables et si elles n’en forment pas plutôt une seule »1168. Elles ne constitueraient en définitive que « les deux aspects d’une condition unique »1169. Il va même jusqu’à suggérer la disparition de la condition d’une infraction commise par un organe ou un représentant au bénéfice de la seule exigence de commission du fait incriminé pour le compte de la personne morale. Deux séries d’arguments développés par l’auteur lui permettent de conclure que la seule condition que l’infraction soit commise pour le compte de l’être moral suffit à le rendre responsable. Le premier tient au fait que lorsque l’infraction est réalisée pour le compte de la personne morale, elle ne peut avoir été commise que par une personne qui dispose du pouvoir de l’engager juridiquement1170. Jean-Yves Maréchal considère que, « s’il est concevable qu’une infraction soit commise par un organe ou un représentant mais pas pour le compte de la personne morale, en revanche, la commission d’une infraction pour le compte de celle-ci implique sa réalisation matérielle par une personne physique susceptible de l’engager juridiquement et cela suffit largement à justifier la condamnation de l’être moral »1171. En effet, il est permis de remarquer que la qualité juridique requise par l’article 121-2 du Code pénal ne constitue pas un gage pertinent pour établir que l’infraction a bien été commise dans l’intérêt de la personne morale. Dans le même sens, Marie-Élisabeth Cartier considère que « la qualité d’organe ou de représentant ne garantit pas nécessairement la traduction fidèle de la volonté de la personne morale et des finalités qu’elle a choisies de poursuivre »1172. Comme le relève l’auteur, « des difficultés peuvent se présenter sachant que l’organe ou le représentant est un individu responsable »1173, « un être qui veut et qui agit qui est lui-même une personne »1174. Ainsi, « il peut donc trahir la personne morale, agir contre ses intérêts ou dans son intérêt personnel, dépasser les pouvoirs qui lui ont été confiés ou simplement mal agir par incompétence ou inadvertance »1175. Autrement dit, les qualités juridiques alternativement exigées par la lettre de l’article 121-2 du Code pénal ne permettent de garantir, au travers des actes, la traduction fidèle de la volonté de l’entité morale. Autant passer outre l’identification de la personne physique, dirigeant social, pour se focaliser sur

1166. J.-Y. MARÉCHAL, « Plaidoyer pour une responsabilité pénale directe des personnes morales », JCP G 2009,

p. 249. 1167. Loc. cit. 1168. Loc. cit. 1169. J.-Y. MARÉCHAL, « Un pas de plus vers la responsabilité pénale directe des personnes morales », D., 2010,

p. 2135. 1170. Cf. J.-Y. MARÉCHAL, « Plaidoyer pour une responsabilité pénale directe des personnes morales », JCP G

2009, p. 249. 1171. Loc. cit. 1172. M.-É. CARTIER, « Nature et fondement de la responsabilité pénale des personnes morales dans le nouveau

Code pénal français », op. cit., p. 18. 1173. Loc. cit. 1174. M. MICHOUD, La théorie de la personnalité morale et son application en droit français, 3e éd., par Trotabas, L.G.D.G.,

1932, p. 416. 1175. M.-É. CARTIER, « Nature et fondement de la responsabilité pénale des personnes morales dans le nouveau

Code pénal français », op. cit., p. 18.

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l’entité pour le compte de laquelle l’infraction a réellement été commise. Cette phrase conclusive, en appelant une précision sur l’acception de l’expression « pour le compte », renvoie au second argument développé par Jean-Yves Maréchal pour démontrer que la question de l’identification de la personne physique est absorbée dans l’exigence légale de commission du fait incriminé pour le compte de la personne morale. Le second argument tient donc à l’interprétation large de l’expression « infraction commise pour le compte » par la jurisprudence. Il est possible d’établir qu’il existe une corrélation essentielle entre l’interprétation large de cette expression et le passage au premier plan de l’exigence légale de commission du fait incriminé pour le compte de la personne morale. Pour s’en convaincre, il convient de se pencher sur les conséquences qu’engendreraient les différentes conceptions de l’expression « infraction commise pour le compte ». Dans le cadre d’une signification étroite, cette expression pourrait correspondre à l’idée d’« un intérêt que retire la personne morale de l’infraction »1176. Une telle conception ne serait alors susceptible de s’appliquer qu’aux infractions intentionnelles pouvant être reprochées aux personnes morales. Ce n’est pas le cas de l’acception large, dans la mesure où elle s’entend « des infractions qui sont accomplies dans le cadre des structures juridiques de la personne morale ou encore des infractions qui apparaissent comme la conséquence de l’organisation de la personne morale »1177. Ainsi, si l’adoption d’une conception étroite de l’expression aurait eu pour conséquence de n’englober que les infractions intentionnelles en laissant hors du champ de la démonstration les infractions non intentionnelles, l’intérêt de l’acception large adoptée par la jurisprudence a permis, à l’inverse, d’englober la totalité des infractions, sans considération de leur nature intentionnelle ou non-intentionnelle. Dès lors, eu égard à la généralité du domaine d’application de l’expression « infraction commise pour le compte » et en considération du fait que lorsque l’infraction est réalisée pour le compte de la personne morale, elle ne peut avoir été commise que par une personne ayant la capacité de l’engager juridiquement, on peut considérer, à l’instar de Jean-Yves Maréchal, que cette seule exigence justifie pleinement que l’infraction, quelle qu’elle soit, est imputée à la personne morale. Dans le même sens, Emmanuel Dreyer considère que « l’élément principal à prendre en compte est moins le fait de l’organe ou du représentant que la signification de ce fait pour la personne morale. Admettre, sur la base d’une présomption, l’intervention d’un organe ou représentant paraît d’autant plus facile que la personne morale a tiré profit de l’infraction parce que celle-ci a été commise pour son compte »1178. Il faut donc reconsidérer l’importance prêtée à l’exigence de la commission de l’infraction par un organe ou un représentant. À la réflexion, la véritable condition fondamentale d’imputation d’une infraction à un être moral réside dans la commission du fait incriminé pour le compte de la personne morale. Des arguments subsidiaires – Plusieurs arguments subsidiaires peuvent en outre être avancés au soutien de ce raisonnement. Tout d’abord, il est permis de noter que les décisions présentées comme marquant un retour à l’orthodoxie dans les conditions de mise en œuvre de la responsabilité pénale des personnes morales ont été rendues au visa de l’article 593 du Code

1176. Ibid. 1177. Ibid. 1178. Cf. E. DREYER, op. cit., no 1159, p. 846.

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de procédure pénale ouvrant la voie à cassation pour insuffisance ou contradiction de motifs. Dans le commentaire qu’il effectue de la décision rendue par la chambre criminelle le 11 octobre 2011 sanctionnant la non-identification de la personne physique, Jacques-Henri Robert commence par souligner que l’arrêt « porte les marques extérieures d’une décision importante : rendu par une formation nombreuse de la chambre criminelle (treize magistrats dont le président de cette chambre) et destiné à la publication »1179. Il relève ensuite que l’arrêt d’appel est cassé sur le fondement de l’article 593 du Code de procédure pénale. Aussi, lorsque l’auteur s’interroge sur la portée réelle de la décision en se demandant s’il « faut […] conclure que désormais il n’y aura plus jamais de condamnation de personnes morales sans identification expresse de l’organe ou du représentant qui aura commis l’infraction pour son compte »1180, il s’empresse de souligner que « la chambre criminelle a été prudente car, en choisissant l’article 593 du Code de procédure pénale pour base de sa cassation, elle se réserve toute liberté de développer à sa guise la portée future de sa nouvelle jurisprudence »1181. Une année plus tard, dans l’arrêt rendu par la chambre criminelle le 11 avril 2012, la cassation est une nouvelle fois prononcée « au visa passe-partout de l’article 593 du Code de procédure pénale »1182. Nous pensons, à l’instar de l’auteur, que « si elle avait voulu modifier le droit positif par un revirement spectaculaire, la chambre criminelle aurait visé les articles 121-1 […] et 121-2 du Code pénal, ensemble l’article L. 4741-1 du Code du travail et elle aurait fait raisonner la puissante cymbale d’un “Qu’en effet”. Elle préfère reprocher aux juges du fond de n’avoir pas mieux recherché si les manquements relevés résultaient de l’abstention d’un des organes ou représentants de la société G., et s’ils avaient été commis pour le compte de cette société »1183. On peut ainsi interpréter le choix de l’article 593 du Code de procédure pénale au visa des décisions rédemptrices comme un indicateur de la liberté que souhaite se laisser la Cour de cassation. On sait qu’une telle latitude ouvre la voie à des décisions rendues en pure opportunité. Jacques-Henri Robert observe d’ailleurs que, conjointement à un retour à l’orthodoxie, les décisions évoquées peuvent s’analyser comme poursuivant un objectif de politique criminelle. Il rappelle que la France est devenue le pays d’Europe le plus répressif à l’égard des personnes morales en raison de l’assouplissement jurisprudentiel des conditions de leur responsabilité. Cependant, « leur passé pénal peut compromettre leurs affaires futures, en particulier aux États-Unis dont les juristes d’entreprise exigent des candidats à des marchés qu’ils révèlent les condamnations dont ils ont été frappés. On devine aisément le parti que leurs concurrents peuvent tirer de ces fâcheux antécédents judiciaires »1184. En résumé, on peut penser que la Cour de cassation censure opportunément certaines décisions n’identifiant pas expressément la personne physique pour remédier à une

1179. J.-H. ROBERT, « Resserrement des conditions de la responsabilité pénale des personnes morales », JCP G

2011, p. 1385. 1180. Loc. cit. 1181. Loc. cit. 1182. J.-H. ROBERT, « Vers une refondation de la responsabilité pénale des personnes morales », JCP G 2012,

740. 1183. Loc. cit. 1184. Loc. cit. Dans le même sens, Emmanuel Dreyer considère que « l’inscription d’une condamnation au casier

judiciaire d’une personne morale peut l’handicaper sérieusement dans l’accès à certains marchés en France comme à l’étranger (cf. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit.., no 1156, p. 843 et 844). L’auteur ajoute qu’une condamnation pénale entraîne en outre « la disparition de la certification “qualité” de l’entreprise et surenchérit en toute hypothèse le coût des assurances qui peuvent lui être proposées » (loc. cit.).

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conception large de la responsabilité pénale des personnes morales de nature à handicaper les entreprises françaises dans la compétition économique internationale. La jurisprudence présentée comme marquant un retour à l’orthodoxie peut seulement avoir pour objectif de limiter les incidences économiques d’une conception trop extensive de la responsabilité pénale des personnes morales. L’abandon de l’exigence d’identification – même abstraite – de la personne physique incarnant l’entité juridique immatérielle qu’est la personne morale est donc légitime. Il constituait l’un des préalables à la reconnaissance d’une responsabilité directe de la personne morale. De l’abandon de la condition relative à l’identification de la personne physique organe ou représentant à l’abandon de la condition de la commission de l’infraction par un organe ou un représentant, il n’y avait qu’un pas. Ainsi, « d’une responsabilité indirecte, faisant découler la culpabilité de la personne morale de celle d’une personne physique, l’on en arrive donc désormais à une responsabilité directe »1185. Ce processus a trouvé un écho à travers plusieurs réformes législatives.

B. L’autonomisation législative

Le législateur a commencé, à l’occasion de la réforme du 10 juillet 2000, par donner un fondement légal à l’établissement d’une faute propre de la personne morale, remettant ce faisant en question la règle législative selon laquelle societas delinquere non potest (1.). Il a poursuivi le mouvement entrepris par la suppression du principe de spécialité qui faisait obstacle à la reconnaissance d’un principe général de responsabilité pénale des personnes morales identique à celui gouvernant la responsabilité des personnes physiques (2.).

1. La remise en cause législative de la règle societas delinquere non potest

La remise en cause législative de la règle selon laquelle les sociétés ne pouvaient pas commettre d’infractions, societas delinquere non potest, résulte principalement de l’inégalité instituée par la loi no 2000-647 du 10 juillet 2000 entre personne physique et personne morale. Cette loi est venue limiter la responsabilité pénale des personnes physiques, auteurs indirects d’infractions d’imprudence, dans la mesure où celle-ci ne peut plus être engagée qu’en cas de faute d’imprudence qualifiée1186. Les personnes morales, quant à elles, n’ont pas bénéficié de ces dispositions et continuent de voir leur responsabilité pénale mise en jeu pour une faute simple en relation de causalité indirecte avec le dommage. Comme le relève Haritini Matsopoulou, « on assiste donc à une situation étonnante, où la personne morale

1185. J.-Y. MARÉCHAL, « Un pas de plus vers la responsabilité pénale directe des personnes morales », D., 2010,

p. 2135. 1186. Aux termes de l’alinéa 4 de l’article 121-3 tel qu’il a été créé par la loi du 10 juillet 2000 : « Les personnes

physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. »

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va devoir répondre d’un agissement accompli par un organe ou un représentant, considéré comme non fautif »1187. La doctrine s’est interrogée sur les raisons techniques pouvant expliquer cette différence de traitement. François Rousseau, pour sa part, a d’abord envisagé que les dispositions de l’alinéa 4 de l’article 121-3 contenaient une nouvelle cause d’irresponsabilité au profit des seuls auteurs indirects, personnes physiques, avant de rappeler que certains auteurs avaient proposé, à défaut, d’y voir une nouvelle forme d’immunité au profit des seules personnes physiques1188. Il finit par écarter la pertinence de la logique d’irresponsabilité ou d’immunité1189 pour considérer qu’il convient « de raisonner sur une différenciation des éléments constitutifs des infractions non intentionnelles dommageables »1190. Ainsi, « il existerait en la matière deux catégories d’infractions : celles applicables aux personnes morales, caractérisées invariablement par une faute simple, et celles applicables aux personnes physiques, caractérisées par une faute simple ou qualifiées selon le caractère direct ou indirect du lien de causalité »1191. L’auteur se pose alors les questions suivantes :

Comment justifier qu’en présence d’une imprudence simple causant indirectement un dommage, une infraction pourra être reprochée à une personne morale et non à une personne physique ? Faut-il comprendre que l’on attend davantage de prudence de la part des personnes morales et que la moindre défaillance, fût-elle éloignée du dommage, mérite sanction ?1192

Si cette tentative nouvelle d’explication ne paraît pas plus convaincante que la thèse d’une immunité spécifique aux personnes physiques, organes ou représentants, c’est parce qu’elle est restée inscrite dans le cadre d’une conception subséquente de la responsabilité des personnes morales, sans se projeter dans celui d’une conception devenue autonomiste de la responsabilité pénale de l’entité abstraite. En effet, si les éléments constitutifs des infractions non-intentionnelles dommageables sont bien différenciés, il s’agit toujours d’imputer à la personne morale une faute commise par la personne physique, fût-elle simple. Or, l’alinéa 3 de l’article 121-2 du Code pénal invite précisément à une différenciation de la culpabilité de la personne physique et de la personne morale. Au soutien de cette argumentation, la lettre même de l’alinéa 3 de l’article 121-2 du Code pénal qui utilise l’expression « les mêmes

1187. H. MATSOPOULOU, « La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales », op. cit., p. 283. 1188. Cf. F. ROUSSEAU, « Observations sur la répression inégalitaire de l’imprudence », in La réforme du Code pénal

et du Code de procédure pénale, Opinio doctorum, sous la directon de V. MALABAT, B. DE LAMY et M. GIACOPELLI, Dalloz, coll. « Thèmes et Commentaires », 2009, p. 43 et suiv. Céline Ruet, par exemple, a proposé de voir dans l’alinéa 4 de l’article 121-3 une immunité de procédure bénéficiant à la personne physique en cas de faute d’imprudence simple (cf. C. RUET, « La responsabilité pénale pour faute d’imprudence après la loi no 2000-647 du 10 juillet 2000, Dr. pén., 2001, chron. no 1).

1189. Cette explication se doit bien d’être écartée car une immunité est personnelle et doit être accordée de manière permanente, à raison d’une qualité ou d’une fonction, ce qui n’est pas le cas de l’alinéa 4 de l’article 121-3. En ce sens, cf. J.-C. SAINT-PAU, « La responsabilité des personnes morales : réalité et fiction », in Le risque pénal dans l’entreprise, ouvrage collectif, Litec, coll. « Carré Droit », 2003, p. 112 et 113.

1190. F. ROUSSEAU, « Observations sur la répression inégalitaire de l’imprudence », in La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, Opinio doctorum, op. cit., p. 43 et suiv.

1191. Loc. cit. 1192. Loc. cit. Dans le même sens, Emmanuel Dreyer souligne qu’à la différence des personnes physiques, « en

matière non intentionnelle, l’appréciation de la faute ne dépend d’aucun seuil de gravité à l’égard des personnes morales » (cf. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 1156, p. 843).

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faits » pour préciser que la responsabilité de l’être moral n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits. La formule utilisée peut effectivement laisser penser qu’il existe deux infractions. Dans la mesure où la personne morale est une entité abstraite, l’exécution matérielle de l’infraction sera nécessairement le fait des organes sociaux représentant l’être moral. C’est donc l’élément psychologique retenu contre la personne morale qui pourra être distinct de celui (ceux) envisagé(s) à l’encontre de la personne physique, en relevant d’une culpabilité qui lui sera propre1193. Nous pensons donc qu’il s’excipe tout particulièrement du mécanisme mis en place par la loi du 10 juillet 2000 la nécessité de dissocier la responsabilité pénale des personnes morales de celle des personnes physiques auteurs des mêmes faits. Dans le même sens, Jean-Yves Maréchal a construit le raisonnement suivant, aux termes duquel « si l’organe ou le représentant n’a pas commis de faute qualifiée, il ne peut être condamné parce que l’article 121-3, alinéa 4 du Code pénal exige cet élément moral particulier […] pour constituer l’infraction. Cette dernière n’est donc pas réalisée dans son élément moral et, par conséquent, il n’y a aucune infraction commise par la personne physique »1194. On ne peut « alors affirmer, comme le fait la Cour de cassation, que la personne morale doit être condamnée dans ce cas »1195. Ainsi, et à l’instar de l’auteur, nous pensons que « la seule solution permettant de redonner une cohérence au dispositif consiste à supprimer l’exigence que l’infraction soit commise par la personne physique et à considérer que c’est la culpabilité propre de la personne morale qu’il faut établir, indépendamment de celle de la personne physique »1196. En conclusion, et en considération des arguments développés par la doctrine, il nous semble possible d’expliquer la différence de traitement entre personne physique et personne morale telle qu’elle résulte de la loi du 10 juillet 2000 par la reconnaissance d’une forme de culpabilité non intentionnelle propre à la personne morale. Au-delà, l’explication de la différence de traitement entre personne physique et morale est à rechercher dans la volonté politique de substituer la responsabilité pénale des personnes morales à celle des personnes physiques en matière non-intentionnelle. Au soutien de cette conclusion, on peut invoquer la circulaire du 13 février 20061197 invitant les magistrats du ministère public à poursuivre en priorité la personne morale en matière de faute d’imprudence1198. Pour s’assurer d’avoir ainsi créé une véritable responsabilité pénale de substitution de la personne morale en matière non intentionnelle1199, le législateur est venu, à l’occasion de la réforme du 10 juillet 2000, modifier l’alinéa 3 de l’article 121-2. Il en résulte que « la responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’article 121-3 ». La formulation négative de

1193. Cf. infra, le développement consacré à la caractérisation d’une faute propre à la personne morale. 1194. Cf. J.-Y. MARÉCHAL, « Plaidoyer pour une responsabilité pénale directe des personnes morales », JCP G

2009, p. 249. 1195. Loc. cit. 1196. Loc. cit. 1197. Circulaire CRIM 06-3/E8 du 13 février 2006 relative à l’entrée en vigueur au 31 décembre 2005 des

dispositions de la loi no 2004-204 du 9 mars 2004 généralisant la responsabilité pénale des personnes morales.

1198. « En cas d’infraction non intentionnelle […] les poursuites contre la seule personne morale devront être privilégiées, et la mise en cause de la personne physique ne devra intervenir que si une faute personnelle est suffisamment établie à son encontre pour justifier une condamnation pénale. » (Ibid.)

1199. Plus précisément dans l’hypothèse d’une faute légère.

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l’alinéa 3 semble même affirmer l’indépendance de la responsabilité pénale de la personne morale à l’égard de celle des personnes physiques comme le principe, et le cumul comme l’exception. Cette modification, en renforçant la contradiction originelle des alinéas premier et troisième de l’article 121-2 du Code pénal, vient condamner la thèse de la fiction ou de la responsabilité indirecte de la personne morale. À l’issue de cette démonstration, il ne fait donc aucun doute que la responsabilité pénale des personnes morales peut être considérée comme indépendante de celle des organes ou représentants, personnes physiques, en matière non intentionnelle. Certains préconisant de maintenir la répression des infractions intentionnelles dans le système de représentation, il reste, afin de pouvoir reconnaître une responsabilité pleinement autonome des personnes morales, à trouver une assise législative à l’imputation directe d’une infraction intentionnelle à la personne morale. Précisément, une extension de la solution retenue en matière non-intentionnelle aux infractions intentionnelles devait résulter de la suppression du principe de spécialité par la loi no 2004-204 du 9 mars 2004. Par cette réforme, appelée de ses vœux par la majorité de la doctrine, le législateur s’est orienté vers la reconnaissance d’un principe général de responsabilité pénale des personnes morales, indépendant de la nature de l’infraction commise.

2. L’élargissement par le fait du législateur ou l ’élargissement ratione materiae

La pénalisation législative des personnes morales résulte essentiellement de l’adoption de la loi du 9 mars 2004 sur l’adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité qui, en supprimant le principe de spécialité, a généralisé la responsabilité pénale des personnes morales1200. Sous l’empire du principe de spécialité, une personne morale ne pouvait être pénalement responsable que « dans les cas prévus par la loi ou le règlement »1201. Ainsi, il fallait qu’un texte spécifique précise explicitement, d’une part, que la personne morale était pénalement responsable pour telle infraction déterminée, et qu’il indique, d’autre part, les peines auxquelles elle était exposée. Il ne suffisait donc pas qu’un texte d’incrimination décrive un fait commis par « toute personne » pour que l’infraction puisse être reprochée à une personne morale1202. Le principe de spécialité trouvait sa raison d’être dans la nécessité de rester dans les limites de la vraisemblance. Pourtant, on s’est acheminé progressivement vers une responsabilité équivalente à celle des personnes physiques. Avant même la loi de 2004, la tendance législative était déjà à la généralisation par la multiplication des textes consacrant expressément la responsabilité pénale des personnes morales1203. La loi no 2001-504 du 12 juin 2001 relative à la lutte contre les mouvements sectaires, en permettant d’imputer aux personnes morales des infractions telles que le viol, les agressions sexuelles et l’abandon de famille, « pour lesquelles on l’estimait invraisemblable à

1200. Seule exception à la généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales, les délits de presse

et de communication audiovisuelle, matière où il existe des règles spéciales de responsabilité en cascade des personnes physiques (cf. la loi du 9 mars 2004, art. 55 ; la loi sur la liberté de la presse de 1881, art. 43-1 ; la loi du 29 juill. 1982, art. 93-4).

1201. C. pén., anc. art. 121-2, alinéa 1er. 1202. Cf. Cass. crim., 18 avr. 2000, Bull. crim., 2000, no 153. 1203. Pour une liste des extensions législatives successives au domaine initial de la responsabilité pénale des

personnes morales, cf. H. MATSOPOULOU, « La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales », op. cit., p. 283.

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l’origine »1204, en constitue une bonne illustration. Comme le concède Haritini Matsopoulou, « à vrai dire, indépendamment de la nécessité ayant amené le législateur à sanctionner certains agissements de groupes sectaires, tels que des viols commis sur les adeptes au nom de prétendues croyances, il semble difficile d’imputer un acte de nature sexuelle à une personne morale, asexuée par principe »1205. Si certains auteurs regrettaient que la responsabilité pénale des personnes morales n’ait pas été admise par principe1206, d’autres s’interrogeraient sur la pertinence d’un tel anthropomorphisme législatif1207. La jurisprudence était elle aussi transgressive. Anticipant ou provoquant la modification législative, elle avait déjà retenu la responsabilité pénale d’une personne morale malgré l’absence d’un texte spécifique l’y autorisant. Dans un arrêt rendu en 2003, elle avait affirmé contra legem que l’article 399 du Code des douanes, qui énonce que « ceux qui ont participé d’une manière quelconque » à un délit de contrebande sont passibles des mêmes peines que les auteurs de l’infraction, est applicable aux personnes morales1208. L’abandon du principe de spécialité est venu parachever cette évolution commentée de manière contrastée en doctrine. Aujourd’hui, toutes les infractions peuvent être reprochées à une personne morale. Nonobstant les extensions législatives déjà réalisées, la réforme n’est si pas anodine qu’il y paraît car de nombreux domaines échappaient encore à la responsabilité pénale des personnes morales et, en particulier, des disciplines constituant un terrain infractiogène par excellence pour les personnes morales1209. Nous considérons, pour notre part, que la généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales constitue le pas décisif vers la reconnaissance d’un principe général de responsabilité pénale des personnes morales analogue à celui gouvernant la responsabilité pénale des personnes physiques. Il est notable que la paternité de la réforme revienne au sénateur Pierre Fauchon, celui-là même qui était à l’origine de la loi du 10 juillet 20001210. L’abandon du principe de spécialité traduit donc la volonté d’aligner la situation de la personne morale sur celle de la personne physique en lui reconnaissant implicitement la

1204. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 1137, p. 829. 1205. H. MATSOPOULOU, « La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales », op. cit., p. 283. 1206. En ce sens, F. DESPORTES, « Article 121-2 du Code pénal », J.-Cl. pénal 2001, no 92 et suiv. 1207. En ce sens, B. BOULOC, « Le domaine de la responsabilité pénale des personnes morales », Rev. sociétés,

1993, p. 291. 1208. Cf. Cass. crim., 5 févr. 2003, no 02-82.187, Bull. crim. no 24, RSC, 2003, p. 554, obs. B. BOULOC; D., 2003,

p. 2855, note J.-C. PLANQUE. Pour un arrêt précédent dans le même sens, cf. Cass. crim., 26 sept. 2001, Bull. crim., no 191 ; RTD Com. 2002, p. 382, obs. B. BOULOC. Cette décision de la chambre criminelle est aussi de nature à condamner la théorie de la responsabilité pénale indirecte des personnes morales. En posant le principe selon lequel les textes visant « celui qui… » sont applicables aux personnes morales nonobstant le fait qu’ils ne le prévoient pas expressément, la Cour de cassation signifie que l’on condamnera « l’être moral qui… », toute référence aux organes ou représentants devenant par là même inutile. Dans le même sens, Jean-Claude Planque considère que « par la position adoptée dans son arrêt du 5 février 2003, la chambre criminelle a, elle-même, posé les charges susceptibles de faire exploser la théorie de la responsabilité par ricochet » (cf. J.-C. PLANQUE, « Élargissement jurisprudentiel du domaine d’application de la responsabilité pénale des personnes morales », D., 2003, p. 2855.

1209. Le droit des sociétés commerciales, le droit fiscal et douanier, le droit du travail, le droit de l’urbanisme… 1210. Cf. supra, les incidences de la loi du 10 juillet 2000 sur la responsabilité pénale des personnes morales.

Jacques-Henri Robert souligne « l’impact considérable sur notre droit pénal » de ce parlementaire suivant « un dessein très cohérent qui tend à aggraver la responsabilité des personnes morales dans l’espoir d’alléger celle de leurs dirigeants » (J.-H ROBERT, « Le coup d’accordéon ou le volume de la responsabilité pénale des personnes morales », in Les Droits et le Droit, mélanges dédiés à Bernard Bouloc, Dalloz, 2007, p. 976).

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capacité de commettre tout type d’infraction1211. Dans le même sens, il est permis de faire valoir le fait que la personne morale tend à devenir un sujet de droit à part entière au même titre que la personne physique1212. Au final, la mise en évidence des inconvénients liés à la théorie du substratum, combinée à l’évolution, tant jurisprudentielle1213 que législative1214, vers l’extension du domaine de la responsabilité pénale des personnes morales, ne pouvait rester sans répercussions sur le devenir de la théorie relative à la responsabilité indirecte des personnes morales. Tout cela devait conduire à envisager une réforme du système de responsabilité initialement retenu à l’encontre des personnes morales dans le sens de son autonomisation.

Section 2 – La reconnaissance d’une responsabilité directe des personnes morales à l’origine d’une conception objectivée de l’imputabilité

La reconnaissance d’une responsabilité directe des personnes morales suppose la possibilité pour la personne morale d’engager seule sa responsabilité sans l’intervention d’un de ses organes ou représentants. Le droit positif offrant une assise législative à la reconnaissance d’une responsabilité directe de la personne morale1215, il reste à déterminer les conditions nouvelles de la responsabilité des personnes morales. S’agit-il d’une responsabilité analogue à celle des personnes physiques ? Une réponse par l’affirmative implique que l’on puisse caractériser à l’encontre de la personne morale une faute particulière, distincte de celle de la personne physique, susceptible de lui être imputée. Au final, il sera permis de considérer que cette responsabilité nouvelle reste bien d’essence classique, avec pour particularité principale l’objectivation de la composante imputabilité (§ 1). Cet infléchissement du caractère subjectif de l’imputabilité se trouvera confirmé par l’analyse des peines applicables aux personnes morales (§ 2).

§ 1 - Les conditions de la responsabilité pénale des personnes morales repensées dans le sens de l’autonomie

Afin de vérifier l’hypothèse d’une autonomisation, il faut maintenant pouvoir caractériser des conditions spécifiques à l’engagement d’une responsabilité pénale directe de la personne morale. Si l’évolution de la responsabilité pénale des personnes morales constitue un

1211. Dans le même sens, Marie-Élisabeth Cartier a considéré que « la suppression du principe de spécialité met

donc à égalité les personnes morales avec les personnes physiques […] sachant que désormais elles sont reconnues aptes à commettre toutes les infractions prévues et punies par la loi » (M.-É. CARTIER, « De la suppression du principe de spécialité de la responsabilité pénale des personnes morales. Libres propos », in Les droits et le droit, mélanges dédiés à Bernard Bouloc, Dalloz, 2007, p. 97).

1212. Il est notable en effet que l’entité morale puisse par exemple demander réparation de son préjudice moral, agir en diffamation pour protéger sa réputation ou son honneur.

1213. Nonobstant l’hétérogénéité des décisions quant à l’exigence d’identification de la personne physique organe ou représentant.

1214. Caractère alternatif des responsabilités en matière non intentionnelle et généralisation de la responsabilité pénale.

1215. Cf. supra, section 1.

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marqueur du néopositivisme contemporain en révélant le fondement du risque social à cette responsabilité1216, le schéma classique des conditions de mise en œuvre de la responsabilité pénale est néanmoins reconduit à l’endroit de cette entité juridique. Aussi inattendu que cela puisse paraître, il reste possible de caractériser en premier lieu l’existence d’une culpabilité spécifique à la personne morale, puis de lui imputer l’infraction commise. Cependant, en considération de la spécificité de l’être moral, les conditions traditionnelles d’engagement de la responsabilité pénale sont susceptibles de subir une mutation. Il importera donc de mesurer l’étendue de la concordance des conditions de cette responsabilité nouvelle avec les conceptions classiques des composantes de la responsabilité pénale. Nous établirons qu’il est possible de caractériser l’existence d’une culpabilité d’essence « classique » à l’endroit de la personne morale (A.). En revanche, dans le cadre d’une conception renouvelée de cette responsabilité pénale, l’exigence d’imputabilité n’est plus transposable à l’identique à cet être immatériel, du moins dans une acception subjective. La réception du concept d’imputabilité tel qu’on l’a présenté chez les personnes physiques n’a pas sa place, ce dernier ayant opéré un glissement vers une acception plus objective de la notion (B.).

A. Le maintien d’une acception abstraite de la culpabilité

Un obstacle pourrait a priori être avancé contre la thèse de la réalité. Il tient à l’incapacité de la personne morale à réaliser tous les éléments constitutifs d’une infraction. Il ne saurait cependant prospérer, car il ne pourrait raisonnablement être exigé d’une abstraction qu’elle réalise l’élément matériel d’une infraction. En outre, l’emprunt de la matérialité de l’acte répréhensible accompli par la personne physique peut être fondé sur l’alinéa 3 de l’article 121-2 du Code pénal1217. L’incapacité matérielle de la personne morale n’est donc pas déterminante de l’exclusion de la théorie de la responsabilité directe. Tout l’enjeu de la démonstration concerne en revanche la possibilité de caractériser une faute particulière de la personne morale, distincte de celle de la personne physique. Après avoir étayé la nécessité d’établir l’existence d’une faute personnelle de la personne morale (1.), nous verrons qu’il résulte bien du droit positif la possibilité de caractériser l’existence d’une faute propre de la personne morale (2.).

1. La nécessité d ’établir l ’existence d ’une faute personnelle de la personne morale

Dès lors que l’organe ou le représentant, auteur matériel de l’infraction, n’est pas déterminé, par voie de conséquence, la faute de ce dernier ne l’est pas non plus. Comme le relève Jean-Yves Maréchal, « l’indétermination de l’organe ou du représentant pose une sérieuse difficulté lorsqu’il s’agit d’établir la faute qu’il a commise »1218. Il reste toutefois nécessaire de caractériser l’existence d’une composante psychologique pour pouvoir engager la responsabilité pénale de l’être moral. Deux principes concourent à cette conclusion.

1216. Cf. infra. 1217. Cf. supra, la démonstration de François Rousseau pour tenter d’expliquer la dissociation du sort pénal,

opérée par la loi du 10 juillet 2000, entre les personnes physiques auteurs indirects et les personnes morales.

1218. Ibid.

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Aux termes du premier, une infraction suppose une activité matérielle associée à une certaine attitude psychologique1219. Si la réalité matérielle de l’infraction ne fait pas de doute, il reste à établir sa composante intellectuelle pour qu’elle soit pleinement constituée. L’absence d’identification de la faute commise par l’organe ou le représentant n’offre pas d’autre alternative que l’étude de l’attitude psychologique de l’entité abstraite. Si d’aucuns considèrent que la fiction est encore plus grande dans cette hypothèse, il est néanmoins nécessaire que les juges précisent en quoi la faute exigée par le texte d’incrimination est caractérisée à l’encontre de l’être moral, sous peine de ne pouvoir retenir l’existence d’aucune infraction. Le second principe découle de l’article 121-1 du Code pénal qui pose le principe de base de la responsabilité personnelle. En vertu de cet article, on ne peut engager la responsabilité pénale d’un être juridique qu’en raison de la commission d’un « fait personnel ». Cet article n’opérant pas de distinction selon la nature physique ou morale de la personne évoquée, l’exigence de commission d’un fait personnel s’applique également à la personne morale. Le principe fondamental de la responsabilité du fait personnel concerne donc aussi bien les personnes physiques que les personnes morales. Le « fait personnel » visé par l’article 121-1 du Code pénal peut consister en une faute propre de la personne morale. La chambre criminelle a clairement rappelé cette règle en refusant qu’une société absorbante puisse se voir imputer les infractions commises par les sociétés absorbées ou fusionnées1220. Cependant, une fois encore, la position de la jurisprudence n’est pas uniforme. Il faut cette fois relativiser la solution dégagée par la chambre criminelle au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Cette dernière s’est récemment prononcée sur la question épineuse de savoir si, lors d’une fusion par absorption, la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante devait inclure la responsabilité du paiement d’une amende infligée par décision définitive après cette fusion, pour des infractions au droit travail commises par la société avant ladite fusion. Dans un arrêt rendu le 5 mars 2015, la Cour de justice a répondu par l’affirmative en imputant l’amende à la société absorbante1221. La Cour de justice de l’Union européenne se prononce ainsi en faveur de la transmission du passif issu d’une dette de nature pénale de la société absorbée à l’absorbante. Le passif doit comprendre les amendes nées de fautes antérieures à la fusion mais notifiées postérieurement à celles-ci1222. Ce raisonnement empreint de sensibilité civiliste a été censuré par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 25 octobre 2016. La chambre criminelle a maintenu sa jurisprudence antérieure au motif que l’article 121-1 du Code pénal ne peut s’interpréter que comme interdisant que des poursuites pénales soient engagées envers la société absorbante pour les faits commis par la société absorbée avant la fusion1223.

1219. Cf. C. pén., art. 121-3. 1220. Cass. crim., 20 juin 2000, no 99-86.742, Bull. crim., no 237; D., affaires 2001, no 10, p. 893, note

H. MATSOPOULOU ; Bull. Joly, 2000, p. 201, § 12, obs. C. MASCALA. Cf. également Cass. crim., 14 oct. 2003, no 02-86.376, Bull. crim., no 189 ; Dr. pén., 2004, comm. no 20, obs., J.-H. ROBERT.

1221. CJUE, 5 mars 2015, aff. C-343/13, Modelo Continente Hipermercados SA c/Autoridade para as Condições de Trabalho : JurisData no 2015-006137.

1222. Même si cette solution semble aller à l’encontre du principe de personnalité des peines, elle présente l’intérêt d’éviter d’instrumentaliser l’opération de fusion pour faire échapper une société à toute condamnation pénale.

1223. La chambre criminelle a considéré que « d’une part, la troisième directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 concernant les fusions des sociétés anonymes, qui a été codifiée par la directive 2011/35/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011, telle qu’interprétée en son article 19

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Ainsi, si la Cour de cassation a pu considérer qu’il n’était pas nécessaire d’établir une faute distincte de la personne morale quand les juges du fond procédaient à l’identification de la personne physique, organe ou représentant de la personne morale, auteur matériel de l’infraction1224, l’établissement d’une faute personnelle de la personne morale s’avère maintenant nécessaire, en vue tout à la fois de parachever l’opération juridique de qualification et d’assurer le respect de l’article 121-1 du Code pénal. La reconnaissance d’une responsabilité pénale autonome de la personne morale suppose donc que l’on recherche l’existence d’une faute personnelle de la personne morale.

2. La caractérisation d ’une faute personnelle de la personne morale

La caractérisation d’une culpabilité propre à la personne morale a fait l’objet de multiples applications en jurisprudence. Toutefois, avant de retenir formellement l’existence d’une faute personnelle à l’encontre de la personne morale (2.2), la jurisprudence a mis en évidence l’existence d’une aptitude fautive, d’une forme de « capacité délictuelle » spécifique à la personne morale et susceptible de constituer le support d’une faute intentionnelle ou non-intentionnelle de l’entité abstraite (2.1).

2.1 La reconnaissance d’une capacité délictuelle de l’être moral

Cette capacité délictuelle résulte de la reconnaissance préalable d’une volonté propre de la personne morale. Cette dernière prend corps dans les différentes politiques menées par la société. Le premier arrêt suggérant que les personnes morales sont dotées d’une telle volonté est l’arrêt précédemment évoqué et rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 25 juin 20081225. Dans le même sens que Jean-Yves Maréchal, nous considérons que « cet arrêt paraît décisif […] surtout, par l’allusion faite à la « politique commerciale » des sociétés, ce qui revient à admettre sans réserve que ces dernières sont dotées d’une volonté propre susceptible d’être le support d’une faute pénale »1226. Ce constat rejoint l’opinion émise par d’éminents auteurs qui considéraient que « la personne morale est parfaitement capable de volonté […] cette volonté collective est capable de commettre des fautes, tout autant que la volonté individuelle. Le droit civil le reconnaît depuis longtemps sur le terrain de l’article 1382 du Code civil »1227. À l’appui de cette affirmation, ils précisent que cette « volonté collective […] est concrétisée à chaque étape importante de sa vie par la réunion,

paragraphe 1 par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’arrêt du 5 mars 2015 précité, est dépourvue d’effet direct à l’encontre des particuliers ; d’autre part, l’article 121-1 du Code pénal ne peut s’interpréter que comme interdisant que des poursuites pénales soient engagées à l’encontre de la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant que cette dernière perde son existence juridique » (cf. Cass. crim., 25 oct. 2016, no 16-80.366, à paraître au bulletin ; JCP E 2016, p. 1652 ; Dr. sociétés 2017, comm. 34, R. SALOMON ; Dr. soc. 2017, chron. 1, E. SCHLUMBERGER). Pour la recherche de solutions susceptibles d’assurer l’articulation et la cohérence des décisions rendues par la CJUE et la Cour de cassation, cf. R. HERVET et A. SALON, « Fusion par absorption et transfert de la responsabilité pénale : comment désamorcer le conflit jurisprudentiel naissant ? », Dr. pén., 2017, étude 9.

1224. Cf. supra, Cass. crim., 26 juin 2001, no 00-83.466, Bull. crim., no 161. 1225. Cf. supra, l’évocation de cet arrêt à propos de l’extension de la présomption de commission de l’infraction

par un organe ou un représentant en matière intentionnelle. 1226. J.-Y. MARÉCHAL, « Plaidoyer pour une responsabilité pénale directe des personnes morales », op. cit.,

p. 249. 1227. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, t. 1, Cujas, 1997, 7e éd., no 638.

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la délibération et le vote de l’assemblée générale de ses membres, ou de ses conseils d’administration, de gérance ou de direction »1228. Il est donc permis de considérer qu’il existe des hypothèses où l’infraction est due à la mauvaise politique commerciale ou sociale de la personne morale, ou à son organisation et fonctionnement défectueux. Au soutien de la reconnaissance d’une forme de capacité délictuelle de la personne morale, il est aussi permis de rappeler le choix de la jurisprudence civile de considérer que la personnalité morale est une « réalité »1229. La Cour de cassation, dans l’arrêt célèbre du 28 janvier 1954, a adopté la théorie de la réalité au motif que, dans le cadre d’une entité abstraite, il existe des intérêts collectifs distincts de ceux de ses membres ainsi qu’une organisation collective agissant dans le but de défendre ses intérêts. Cette position a été, depuis lors, maintes fois réitérée. Dans le même sens qu’André Decocq, nous considérons donc qu’« en ce qui concerne l’élément psychologique, la théorie de la réalité, qui est de droit positif, interdit de soutenir que la personne morale n’aurait pas de volonté propre »1230. La généralisation, en jurisprudence, de l’imputation directe d’une faute aux personnes morales, indépendamment de sa nature intentionnelle ou non intentionnelle, en est une confirmation.

2.2 La mise en œuvre de la capacité délictuelle de l’être moral

La mise en œuvre de cette capacité délictuelle suppose que l’infraction est accomplie par la société elle-même. Cette exigence se traduit avec une acuité particulière par la caractérisation d’une faute concrète à l’encontre de la personne morale. Il est notable que « les juges du fond ont pris l’habitude de raisonner comme si c’était la personne morale elle-même qui commettait l’infraction, y compris et surtout dans son élément intellectuel, ce qui n’est pas censuré par la Cour de cassation »1231. D’ailleurs, dans les premières décisions rendues par les juridictions du fond, la personne morale était directement mise en cause, sans allusion, même indirecte, à l’auteur matériel de l’infraction. Plusieurs arrêts récents ont statué dans le même sens1232. Il paraît judicieux de prendre l’exemple de la décision du 9 mars 20101233 où la Cour de cassation rejette le pourvoi dirigé contre la condamnation d’un centre hospitalier universitaire pour homicide involontaire en raison du décès d’une patiente admise en urgence. La chambre criminelle approuve la cour d’appel d’avoir relevé à l’encontre de l’hôpital l’existence d’une « défaillance manifeste du service d’accueil de l’hôpital », consistant dans l’absence de médecin senior dans ce service1234 alors même que le règlement intérieur de l’établissement imposait l’accueil de chaque patient par un médecin senior. La cour d’appel en déduit que cette « faute patente » est la cause indirecte et certaine du décès et engage la responsabilité pénale de l’hôpital. Si une faute non intentionnelle est bien relevée par les juges

1228. Loc. cit. 1229. Cf. supra, dans l’introduction, le choix de la Cour de cassation, dans le célèbre arrêt du 28 janvier 1954, de

la théorie de la réalité pour fonder la reconnaissance de la personnalité juridique en faveur des entités abstraites.

1230. A. DECOCQ, Droit pénal général, op. cit., p. 256. 1231. J.-Y. MARÉCHAL, « Un pas de plus vers la responsabilité pénale directe des personnes morales », op. cit.,

p. 2135. 1232. Cf. par exemple Cass. crim., 1er déc. 2009, no 09-83.374, Bull. crim. no 199, D., 2010, p. 1663, obs.

C. MASCALA ; Cass. crim., 16 déc. 2009, no 07-86-584, inédit ; Cass. crim., 9 févr. 2010, no 09-81.574, inédit.

1233. Bull. crim., no 49. 1234. Le titulaire ayant été autorisé à s’absenter par son supérieur hiérarchique, chef de service des urgences.

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du fond, cette dernière n’est pas imputée à une personne déterminée puisqu’elle est désignée comme « une défaillance manifeste du service d’accueil des urgences, en infraction au règlement intérieur de l’hôpital ». La Cour de cassation adhère au raisonnement de la cour d’appel sans prendre « la peine de compléter la motivation des juges du fond par l’idée selon laquelle l’homicide involontaire a nécessairement été commis par un organe ou un représentant de l’hôpital »1235. Il apparaît donc que la responsabilité de l’établissement de santé est fondée sur sa propre faute, consistant en l’espèce en un dysfonctionnement du service des accueils des urgences. Ce qui très significatif de la volonté de la Cour de cassation de reconnaître l’existence d’une faute personnelle à l’être moral est que, dans l’affaire évoquée, il était possible de caractériser l’existence d’une faute de la personne physique, organe ou représentant de l’établissement. En effet, il est logique de penser que la faute retenue contre l’établissement remonte effectivement jusqu’à la direction de celui-ci. Comme le relève Jean-Yves Maréchal, « à l’image de la jurisprudence relative à la responsabilité pénale du chef d’entreprise, il semble que le reproche fait aux dirigeants de l’établissement, en qualité d’organes de la personne morale, soit celui de ne pas avoir surveillé efficacement le bon respect du règlement intérieur qui interdisait l’absence du médecin senior »1236. Cependant, cette explication n’étant pas fournie par la Cour de cassation qui adhère in extenso au raisonnement de la cour d’appel, il est possible d’en déduire que la caractérisation des éléments constitutifs de l’infraction à l’encontre de la personne morale n’est pas un choix par défaut et qu’elle procède bien de la volonté de la Haute Juridiction de mettre en exergue l’existence d’une faute propre de la personne morale1237. Par ailleurs, en matière intentionnelle, il existe des hypothèses où la responsabilité pénale de la seule personne morale est envisagée. Il s’agit notamment du cas où la décision litigieuse, émanant de la personne morale, est prise par un organe collégial, comme le conseil d’administration d’une société anonyme. Haritini Matsopoulou rappelle que « dans une telle situation, la jurisprudence n’hésite pas […] à retenir seule la responsabilité pénale de la personne morale, puisqu’il n’est pas possible de découvrir le rôle de chacun des membres composant l’organe collectif et d’imputer la responsabilité personnelle de l’infraction à un ou plusieurs individus déterminés »1238. Par exemple, il a été jugé qu’un refus discriminatoire de service décidé par une délibération du conseil municipal ne pouvait être retenu à l’encontre de ceux des conseillers municipaux ayant exprimé un vote favorable1239. Ainsi, il est même des hypothèses où la responsabilité pénale de la personne morale se substitue purement et simplement à celle de la personne physique. Poussant plus avant la démonstration d’un anthropomorphisme judiciaire avancé, Jacques-Henri Robert souligne que les tribunaux

1235. J.-Y. MARÉCHAL, « Un pas de plus vers la responsabilité pénale directe des personnes morales », op. cit.,

p. 2135. 1236. Loc. cit. 1237. Pour des exemples de motivations de juridictions du fond en ce sens, cf. par exemple un arrêt de la Cour

d’appel de Paris en date du 7 mars 2008 (JurisData no 2008-360860) où la cour retient la responsabilité d’une société du chef d’homicide involontaire aux motifs qu’» en n’accomplissant pas les diligences normales qui lui incombaient […], la société […] a violé une obligation de sécurité imposée par la loi dont est résultée la chute mortelle de la victime ».

1238. H. MATSOPOULOU, « La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales », op. cit., p. 283. 1239. Cass. crim., 11 mai 1999 ; no 97-81653, no 93, Dr. pén., 1999, comm. 140, obs. M. VÉRON ; RSC, 2000,

p. 197, obs. Y. MAYAUD.

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assimilent si bien la personne morale à un entrepreneur « qu’ils parlent d’elle avec les mots qu’ils auraient employés à l’égard d’une personne physique : par exemple, la prévenue a « externalisé sa production »1240 ou « elle n’a pas justifié » telle ou telle pratique commerciale1241. Ainsi, si dans la perspective d’une responsabilité directe des personnes morales, il est permis de caractériser une culpabilité spécifique à la personne morale. Nous allons établir que l’exigence d’imputabilité est quant à elle abandonnée ou, à tout le moins, objectivée.

B. L’application directe de l’exigence d’imputabilité à la personne morale impliquant son caractère objectivé

La détermination des contours d’une acception classique de la responsabilité pénale des personnes morales suppose maintenant de caractériser une forme d’imputabilité de l’infraction à la personne morale. Quelle incidence la reconnaissance d’une responsabilité directe de la personne morale peut-elle avoir sur le concept d’imputabilité ? Le caractère objectivé de l’imputabilité est la conséquence, d’une part, du rattachement direct de l’infraction à l’entité abstraite qu’est la personne morale (1.) et, d’autre part, du caractère partiel des causes traditionnelles de non-imputabilité pouvant être invoquées en propre par la personne morale (2.).

1. L’imputation directe de l ’infraction à la personne morale

Les personnes morales sont des abstractions et non des êtres réels. Elles sont donc dépourvues de psychisme propre. Cette absence empêche la transposition de l’acception subjective de l’imputabilité aux personnes morales (elle prive l’imputabilité à l’endroit de la personne morale de tout contenu axiologique). Dès lors, l’opération consistant à mettre une infraction sur le compte de la personne morale procède davantage d’une simple imputation matérielle dénuée de tout contenu subjectif. Cette distinction terminologique entre imputabilité et imputation pour rattacher une infraction à la personne morale n’est pas nouvelle. Elle est apparue dès la création de cette responsabilité pénale, certains auteurs considérant d’emblée qu’il ne pouvait être question d’imputabilité à l’endroit de l’entité abstraite1242. À l’inverse, d’autres n’hésitait pas à parler d’imputabilité à propos des personnes morales1243. Selon nous, dans la mesure où la responsabilité pénale de la personne morale s’est émancipée de celle de la personne physique, il ne saurait plus être question d’imputabilité subjective mais d’imputation1244. Au-delà, l’évolution du droit positif vers une responsabilité

1240. Cass. crim., 22 nov. 2006, no 06-83.008, Bull. crim. no 293 : JurisData no 2006-036598 ; Dr. pén., 2007,

comm. 25, note J.-H. ROBERT. 1241. Cass. crim., 24 mars 2009, no 08-86.530, inédit : JurisData no 2009-047943 ; Dr. pén., 2009, comm. 84, note

J.-H. ROBERT. 1242. Cf. notamment en ce sens, P. CONTE et P. MAISTRE du CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd.,

2004, nos 350 et 367 et suiv. Cf. également, pour une position similaire, R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, t. 1, Cujas, 1997, 7e éd., no 616 : « Il est préférable de parler à ce sujet d’imputation de la responsabilité, plutôt que d’imputabilité. »

1243. Cf. par exemple C. MARIE, Droit pénal général, Hachette, 2005, p. 150 où l’auteur n’hésite pas à parler d’imputabilité à l’égard des personnes morales en visant expressément dans un titre : « Les infractions imputables aux personnes morales ».

1244. Cf. Y. MAYAUD, « Non à l’imputabilité des personnes morales », op. cit., p. 719.

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directe des personnes morales est en train de sceller la dichotomie du concept d’imputabilité, la fin de l’homogénéité d’une conception unitaire de l’imputabilité selon l’entité juridique considérée. L’acception subjective de l’imputabilité ne saurait être transposée aux personnes morales. Ce constat trouve une confirmation dans l’impossibilité pour une personne morale de se prévaloir de l’ensemble des causes de non-imputabilité. Cependant, en raison de la réception partielle de ces causes subjectives d’exonération de la responsabilité pénale, il est permis de considérer que l’imputabilité n’est que partiellement objectivée.

2. L’acception objectivée de l ’imputabilité confirmée par le caractère partiel des causes de non-imputabilité pouvant être invoquées en propre par la personne morale

L’application directe de l’imputabilité dans son versant négatif à la personne morale revient, cette fois, à se poser la question de la possibilité d’admettre l’existence d’une cause de non-imputabilité à l’égard de la personne morale elle-même. La personne morale peut-elle bénéficier d’une cause d’irresponsabilité qui lui serait personnelle ? La transposition seulement partielle des causes de non-imputabilité pouvant être invoquées par les personnes physiques permettra de conclure au caractère objectivé de l’imputabilité des personnes morales. Parmi ces dernières, il convient logiquement de distinguer, d’une part, les causes affectant le discernement de l’agent et qui ne sauraient être compatibles avec le caractère abstrait de la personne morale (2.1) et, d’autre part, les causes de non-imputabilité affectant la volonté dont le sort ne saurait, quant à lui, être aussi tranché (2.2).

2.1 L’impossible transposition à la personne morale des causes de non-imputabilité affectant le discernement de l’agent

La question est de savoir si une personne morale auteur d’une infraction peut s’exonérer en invoquant la minorité ou l’existence d’un trouble mental abolissant le discernement. La généralité des termes de l’article 122-1 du Code pénal qui vise « la personne » sans autre précision n’exclut pas expressément de son champ d’application les personnes morales. D’ailleurs, un auteur, en se fondant précisément sur l’article 122-1 du Code pénal, considère – non sans humour – qu’en n’excluant pas la possibilité pour une personne morale d’être atteinte d’un trouble psychique ou neuropsychique, le législateur admettrait a contrario que la personne morale possèderait un psychisme propre distinct de celui de ses membres1245. Cela étant, comme il n’est pas raisonnable de considérer que la personne morale soit dotée d’une intelligence propre, distincte de celle de ses membres, elle ne dispose d’aucun discernement et, par voie de conséquence, elle ne saurait être victime de troubles psychiques à même d’abolir ou d’altérer ce dernier. Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec considèrent dans le même sens que bien qu’« aucune raison de principe ne s’oppose à ce que la personne morale, responsable par elle-même, puisse bénéficier des causes d’irresponsabilité pénale

1245. P. CONTE, « La responsabilité des personnes morales au regard de la philosophie du droit pénal », op. cit.,

p. 112.

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prévues par le Code », force est de constater qu’en fait « certaines causes d’irresponsabilité sont inconcevables au profit des personnes morales. Le délabrement mental, par exemple »1246. Dans le même sens, Jean-Claude Planque démontre que l’exigence de discernement, « créée, à l’évidence, pour s’appliquer à des êtres humains »1247, n’est pas adaptée au caractère abstrait des personnes morales qui restent dépourvues d’une véritable personnalité ou, tout au moins, d’un psychisme propre. La même solution doit être retenue relativement à la minorité pénale, impossible à transposer à la personne morale, à moins d’admettre qu’elle correspondrait à la période de formation de la personne morale – ce qui conduirait à pousser trop loin le raisonnement anthropomorphique. Qu’en est-il des causes de non-imputabilité affectant la volonté de l’agent ?

2.2 La transposition possible à la personne morale des causes de non-imputabilité affectant la volonté de l’agent

Au regard de la première partie de cette étude, seule la contrainte morale constitue une cause non-imputabilité susceptible de venir affecter la volonté de l’agent. Il importe de rappeler que cette dernière a vu son champ d’application élargi à l’état de nécessité, cette extension ayant été rendu possible par la démonstration d’une convergence de deux notions déjà voisines1248. Par conséquent, les solutions que nous allons exposer s’appliquent indifféremment à la contrainte morale et à l’état de nécessité, peu important la terminologie employée1249. Nous choisirons cependant de distinguer, selon la présentation communément répandue en doctrine, la contrainte morale et la contrainte physique. L’application directe de la contrainte morale à la personne morale Comme nous l’avons rappelé dans la première partie de cette étude, la contrainte morale peut avoir une origine externe ou interne, seule la première étant en principe source d’exonération de la responsabilité pénale. Nous allons établir que ce constat dressé à l’égard des personnes physiques se vérifie à l’endroit des personnes morales. Tout d’abord, il importe de préciser que l’invocation de la contrainte morale au bénéfice direct de la personne morale est juridiquement possible, pour la même raison, d’ailleurs, qui fait que l’on ne peut exclure a priori l’application de l’article 122-1 à l’égard des personnes morales1250. Ensuite, l’admission d’une contrainte morale à l’égard d’une personne morale paraît plus vraisemblable que la reconnaissance à son profit d’une abolition d’un discernement. Cela

1246. F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16e éd., 2009, no 641. 1247. J.-C. PLANQUE, La détermination de la personne morale pénalement responsable, L’Harmattan, 2003, no 651 et suiv. 1248. À l’issue du titre 1er de cette étude, il s’avère que la contrainte morale est une cause de non-imputabilité

altérant gravement la volonté de l’agent. Cette conclusion s’excipe de la démonstration de la nécessité d’une approche plus nuancée de la notion, par le biais notamment d’une appréciation in concreto de la contrainte. Il a également été établi que la volonté appréhendée par le biais de l’état de nécessité n’était pas intègre mais viciée, ce dernier correspondant également à une altération grave de la liberté de la volonté. La convergence de ces causes d’exonération établie, il ne restait plus qu’à déterminer la donnée de rattachement. Le rattachement de l’état de nécessité à la contrainte morale, et non l’inverse, a été rendu possible par l’étude des origines historiques de l’état de nécessité.

1249. Le terme de « contrainte » sera le plus souvent préféré à ceux d’« état de nécessité » dans la mesure où il se réfère à la terminologie communément employée en matière de causes de non-imputabilité.

1250. De la même manière, l’article 122-2 du Code pénal vise « la personne qui a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte… », non la seule personne physique.

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tient au fait qu’en pratique, il est parfaitement concevable qu’une contrainte économique puisse pousser une entreprise à commettre une infraction. Nombre d’auteurs développent des analyses en ce sens1251. Pour autant, la majorité d’entre eux considèrent que la sévérité de la jurisprudence en la matière doit amener à penser que la contrainte ne sera probablement jamais retenue au bénéfice de l’entité abstraite. Nous ne pouvons souscrire à cette prévision, notamment en considération de la démonstration d’une appréciation erronée des conditions d’admission de la contrainte par la Cour de cassation1252. La Haute Juridiction, en faisant preuve d’une rigueur excessive, procède à une application par trop restrictive de la cause d’exonération prévue à l’article 122-2 du Code pénal. Ainsi, si elle constitue bien une cause de non-imputabilité, la contrainte morale procède plus d’une simple altération grave de la volonté que de l’abolition de cette dernière. Cette particularité est de nature à ouvrir la voie à un assouplissement de la jurisprudence relativement à la condition d’irrésistibilité de l’événement contraignant1253. Une évolution de la jurisprudence est d’autant plus souhaitable qu’il est aisément possible de concevoir des circonstances de fait susceptibles de revêtir la qualification de contrainte à l’égard de la personne morale. Pour illustrer cette affirmation, il est possible de prendre plusieurs exemples. En premier lieu, celui du cadre d’un groupe de sociétés avec une société mère qui impose un acte délictueux à sa filiale. On peut parfaitement imaginer que la filiale, personne morale, soit contrainte de commettre une infraction alors que son dirigeant, quant à lui, aurait agi sciemment et librement dans le seul intérêt de la société mère. Dans l’affaire précitée du journal L’Illustration1254, on aurait pu, à l’inverse de ce qui s’est produit, imaginer la personne morale contrainte par l’occupant alors que son dirigeant, mis en place par celui-ci, aurait choisi librement la voie de la collaboration. Une personne morale peut donc avoir été contrainte par un tiers de commettre une infraction. On peut à présent se demander si la contrainte morale interne a, dans ce domaine, plus de chance de prospérer qu’à l’égard des personnes physiques1255. Cette question renvoie à celle subséquente de la prise en compte de la pression exercée par les organes ou représentants, sans l’intervention d’un tiers à la personne morale1256. Les agissements des seuls dirigeants poussant la personne morale à commettre une infraction sont-ils susceptibles de venir exonérer l’entité abstraite sur le fondement de l’article 122-2 du Code pénal ? On peut

1251. En ce sens, J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, 6e éd., 2005, p. 383 ; J.-C. SAINT-PAU, « La

responsabilité des personnes morales : réalité et fiction », op. cit., p. 107. 1252. Cf. supra, partie 1, titre 1, chap. II : La reconfiguration du champ de la condition de liberté relevant de

l’imputabilité ». 1253. Loc. cit. 1254. Cf. supra, section 1 : « Le glissement vers l’abandon de la responsabilité indirecte des personnes morales

condamnant la conception subjective de l’imputabilité ». 1255. Nous avons déjà rappelé que la contrainte morale interne n’était pas retenue par le droit pénal à l’égard

des personnes physiques (cf. supra, partie 1). 1256. Ce qui n’est pas le cas dans l’hypothèse d’une contrainte morale externe invoquée directement par la

personne morale. La « pression » exercée sur la personne résulte dans tous les cas de celle effectuée par ses organes ou représentants en raison de son caractère immatériel. Il importe en revanche de distinguer le cas où la pression n’est exercée que par les dirigeants sociaux de celui où ces derniers seront eux-mêmes les instruments, pour ne pas écrire le substratum, d’une entité tierce à la personne morale. Dans le premier cas, il peut être question de contrainte morale interne, alors que dans le second il sera question de contrainte morale externe. On devine déjà que le premier ne peut conduire à l’exonération de la personne morale, contrairement au second.

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prendre l’exemple de dirigeants sociaux qui refusent de mettre aux normes ou de moderniser les équipements de la personne morale. Si leur responsabilité pénale peut être engagée, la personne morale peut-elle invoquer la contrainte pour échapper à une condamnation pour une infraction due à la vétusté des équipements d’une entreprise1257 ? Une réponse par l’affirmative conduirait à l’irresponsabilité systématique de la personne morale, anéantissant ainsi l’intérêt de la réforme de 1994. Agissant toujours par le biais de ses organes ou représentants, l’entité abstraite pourrait toujours invoquer la contrainte. Une réponse négative s’impose donc assez vite. Par conséquent, la contrainte morale interne n’a pas plus de chance de prospérer à l’égard des personnes morales que des personnes physiques. Pour certains auteurs1258, les agissements des organes ou représentants renverraient plutôt à un cas de contrainte physique interne, cette dernière ayant pour avantage de faire l’objet d’applications ponctuelles à l’égard des personnes physiques. À notre sens, la personne morale étant dépourvue d’existence physique, la pression qu’elle subirait du fait de ses organes doit être analysée comme une contrainte morale interne. Quoi qu’il en soit, peu importe la qualification juridique de tels agissements puisque, pour les mêmes raisons que celles précédemment évoquées, ils ne sauraient être source d’irresponsabilité pénale. Cela étant, cette dualité de qualification nous invite à nous interroger sur l’application directe de la contrainte physique à l’égard de la personne morale. L’application directe de la contrainte physique à la personne morale Dans la première partie de cette étude, le rattachement de la contrainte physique aux causes de non-caractérisation de l’infraction a été établi1259. La doctrine dominante considère cependant que la contrainte physique se rattache à la donnée imputabilité. Pour cette raison, il importe aussi d’étudier ici l’impact de son application directe au bénéfice de la personne morale, dans la mesure où, le sort de la contrainte physique interne venant d’être résolu, il reste à se pencher sur celui de la contrainte physique externe. En raison de l’absence d’existence physique de la personne morale, la contrainte physique externe ne peut s’exercer que sur les biens de celle-ci. Un exemple peut être trouvé dans l’effondrement d’un bâtiment propriété d’une personne morale qui blesse un passant. À l’instar de Clément Margaine, nous considérons que la personne morale propriétaire de l’immeuble devrait pouvoir s’exonérer de sa responsabilité pénale en prouvant que cet événement trouve sa source dans un tremblement de terre ou un incendie1260, non dans une négligence extrême qui pourrait lui être imputable. Pour les auteurs partisans de la thèse de la contrainte physique externe, cause de non-imputabilité, cette dernière devrait donc pouvoir être invoquée avec succès par une personne morale pour échapper à sa responsabilité pénale. Il importe cependant de rappeler que, dans le cadre de cette étude, la contrainte physique externe constituant une

1257. Une application concrète de cette hypothèse pourrait intervenir dans les cas où les organes ou

représentants d’un établissement ouvert public – magasin, hôtel, salle de remise en forme… –, refuseraient d’engager des travaux nécessaires pour rendre leurs locaux conformes aux règles d’accessibilité aux personnes handicapées.

1258. En ce sens par exemple, J.-C. PLANQUE, La détermination de la personne morale pénalement responsable, op. cit., no 630.

1259. Soit qu’elle fasse obstacle à la caractérisation de l’élément matériel de l’infraction, soit de son élément psychologique, cf. supra, partie 1, titre 1, chapitre II.

1260. Cf. C. MARGAINE, op. cit., no 329. En ce sens également, J.-C. PLANQUE, La détermination de la personne morale pénalement responsable, op. cit., no 630, in fine.

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cause de non-caractérisation de l’infraction, il convient plutôt de l’invoquer pour faire obstacle à la constitution de l’infraction. L’application directe du concept d’imputabilité à l’endroit de la personne morale afin de la soustraire à la mise en œuvre de sa responsabilité pénale confirme une objectivation de la notion d’imputabilité appliquée à l’entité abstraite. Elle tient à l’impossible transposition à la personne morale des causes de non-imputabilité affectant le discernement de l’agent. Nous avons établi que seule la personne physique pouvait bénéficier d’une irresponsabilité fondée sur l’article 122-1 du Code pénal. En revanche, la permanence d’une acception subjective de l’imputabilité tient à la possibilité pour la personne morale d’invoquer en propre la contrainte visée à l’article 122-2 du Code pénal. L’invocation de cette cause de non-imputabilité aura une chance de prospérer dans les cas de la contrainte morale externe et de la contrainte physique externe. Quoi qu’il en soit, la composante imputabilité est plus impactée par l’évolution de la responsabilité pénale des personnes morales que la culpabilité entendue strictement. Cette analyse se trouve confirmée à l’étude des peines applicables aux personnes morales.

§ 2 - La confirmation d’une acception objectivée de l’imputabilité par l’étude des peines applicables aux personnes morales

Le caractère objectif des peines applicables aux personnes morales conduit à exclure, sans débat possible, l’absorption du concept doctrinal de capacité pénale par celui d’imputabilité1261. À la suite de l’impossible transposition au bénéfice de la personne morale des causes de non-imputabilité affectant le discernement de l’agent, l’exclusion de l’imputabilité comprise comme capacité pénale – cette notion étant de nature à préserver partiellement le caractère subjectif de l’imputabilité – vient sceller l’objectivation de l’imputabilité à l’égard de l’entité abstraite (A.). Par ailleurs, l’étude des peines applicables aux personnes morales, en mettant en évidence leur similitude avec la catégorie des mesures de sûreté, permettra de dévoiler le fondement de la responsabilité des personnes morales et, plus particulièrement, son caractère hybride (B.).

A. L’exclusion de l’imputabilité comme capacité pénale scellant le caractère objectivé de l’imputabilité

Dans la première partie de cette étude1262, il a été établi que le concept de capacité pénale, défini par Roger Merle et André Vitu comme « l’aptitude d’un délinquant à bénéficier de la sanction après son jugement »1263, avait trouvé une traduction juridique dans le principe de

1261. Contrairement aux cas des personnes physiques où, dans la première partie de cette étude, l’absorption du

concept de capacité pénale par celui d’imputabilité a été envisagée avant de conclure à l’indépendance des notions.

1262. Cf. supra, partie 1, titre 2, chapitre II, section 2 : « La complémentarité fonctionnelle des composantes de la responsabilité pénale ».

1263. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, 4e éd., 1981, nos 562 et suiv.

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personnalisation des peines1264. Cela étant, d’aucuns continuent de considérer qu’il a été absorbé dans celui d’imputabilité, l’argumentation résidant d’une part dans le lien existant entre imputabilité et peine1265 et, d’autre part, dans l’évolution des fonctions assignées à la peine et, particulièrement, dans l’émergence de la fonction resocialisante. Si nous adhérons à ce point de vue le temps d’une démonstration, c’est pour établir qu’il contribue à étayer la thèse d’une imputabilité objectivée à l’endroit des personnes morales. Le paradigme de l’absorption de la capacité pénale par l’imputabilité momentanément admis, il faut admettre que la question de la caractérisation de l’imputabilité comprise comme capacité pénale à l’égard des personnes morales ne se posait pas dans le cadre de la théorie du substratum puisque l’imputabilité, caractérisée dans l’ensemble de ses acceptions à l’endroit de la personne physique, se trouvait projetée automatiquement et « intégralement » sur la personne morale. En revanche, dans l’hypothèse d’une responsabilité directe de l’entité morale, la question peut se poser de l’existence d’une capacité pénale, dans son acception néoclassique, au bénéfice de la personne morale. C’est cette hypothèse que nous allons maintenant étudier pour finir par établir l’impossibilité de principe de transposer le concept d’imputabilité comprise comme capacité pénale aux personnes morales. Si l’absence de psychisme propre de la personne morale impulse d’emblée une réponse négative (1.), cette dernière se trouve vérifiée à l’analyse des peines applicables aux personnes morales (2.).

1. L’impossible transposition de l ’imputabilité comprise comme capacité pénale découlant de l ’absence de psychisme propre à la personne morale

En raison de son absence de psychisme propre, on peut difficilement concevoir qu ’une personne morale puisse être dotée d’une quelconque aptitude à profiter d’une peine. Dans le même sens, Clément Margaine considère que « la capacité pénale apparaît comme un concept ontologique qui s’accorde mal avec le caractère abstrait des personnes morales »1266. Elle suppose « la faculté pour l’individu condamné à une peine d’en apprécier la signification, c’est-à-dire de prendre conscience du trouble social provoqué par l’infraction et d’accepter la ou les mesures qui auront été prises afin de sanctionner, au sens premier du terme, sa responsabilité pénale »1267. La peine doit être porteuse de sens chez le délinquant, exigence incompatible avec le caractère immatériel de la personne morale. Dans le prolongement, Isabelle Drean-Rivette considère que « la personnalisation de la peine dans sa dimension qualitative, intelligible, c’est-à-dire porteuse de sens pour l’auteur de l’infraction, n’est pas applicable aux personnes morales. Ce type particulier de sujet de droit par essence abstrait n’est pas en mesure de porter un regard réflexif et introspectif sur son parcours délinquantiel »1268. Il faut donc penser que « les ambitions du droit pénal

1264. D’abord consacré à l’article 132-24 du Code pénal de 1992 devenu, notamment, l’article 132-1 du Code

pénal à la faveur de la loi Taubira no 2014-896 du 15 août 2014. 1265. Cf. supra, partie 1, titre 2, chapitre II, section 2 : « La complémentarité fonctionnelle des composantes de

la responsabilité pénale » et le lien établi entre l’imputabilité et la peine. S’il ne fait aucun doute en doctrine que l’imputabilité constitue le fondement de la responsabilité pénale, il en résulte nécessairement un lien entre imputabilité et peine, puisque la conséquence naturelle de la mise en œuvre de la responsabilité pénale réside dans l’infliction d’une sanction.

1266. C. MARGAINE, op. cit., no 449. 1267. Ibid., no 450. 1268. I. DREAN-RIVETTE, La personnalisation de la peine dans le Code pénal, L’Harmattan, 2005, p. 43.

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perfectionnel ne sauraient être réalisées que vis-à-vis des individus »1269. Assez logiquement, les peines applicables aux personnes morales ne sont pas fondées sur l’aptitude à profiter d’une sanction en procédant, pour la majorité, d’un caractère objectif.

2. Le caractère objectif des peines spécifiques aux personnes morales

En dehors de leur faible diversité, l’amende est la peine principale systématiquement encourue par les personnes morales, même lorsque le législateur ne l ’a pas expressément prévue dans le texte qui incrimine l’infraction1270. L’article 131-39 énumère des peines plus spécifiques qui doivent être prévues par le texte d’incrimination pour être applicables aux personnes morales. Au rang de celles-ci, la dissolution, l’interdiction d’exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales, la fermeture d’établissement, l’exclusion des marchés publics… À la lecture de ces peines, on remarque que la majorité d’entre elles remplissent une fonction d’élimination ou d’intimidation. Ces fonctions classiquement reconnues à la peine sont compatibles avec l’absence de matérialité des personnes morales. En revanche, force est de constater l’absence de peines destinées à assurer le reclassement social de la délinquante personne morale. En réalité, l’une d’entre elles fait figure d’exception en ce qu’elle privilégie une finalité préventive – autrement dit, en ce qu’elle est tournée vers l’avenir et non seulement vers le passé de l’entité abstraite. Roger Merle et André Vitu doutaient déjà en leur temps qu ’il soit « impossible de découvrir des mesures susceptibles de provoquer une sorte d’amendement de la personne morale »1271. Il s’agit du placement sous surveillance judiciaire1272. Cette peine, qui a été codifiée dès la création de la responsabilité pénale des personnes morales1273, consiste à désigner un mandataire de justice qui devra contrôler l ’activité de la personne morale afin de prévenir la commission de nouvelles infractions. À l ’issue de cette mesure, le juge de l’application des peines, à qui le mandataire doit rendre compte au moins tous les six mois1274, saisit la juridiction ayant prononcé la surveillance judiciaire, cette dernière pouvant soit décider de prononcer une nouvelle peine, soit décider de relever la personne morale de la mesure de placement1275. À l’évidence, il existe des similitudes entre la

1269. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, Cujas, 7e éd., 1997, no 638. 1270. En vertu de l’article 131-38, alinéa 1er du Code pénal, lorsqu’une amende est prévue, « le taux maximum

de l’amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l’infraction ». En revanche, en vertu de l’article 131-38, alinéa 2, « lorsqu’il s’agit d’un crime pour lequel aucune peine d’amende n’est prévue à l’encontre des personnes physiques, l’amende encourue par les personnes morales est de 1 000 000 d’euros ».

1271. Cf. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, Cujas, 7e éd., 1997, no 638 : « Qui sait si l’observation de la personnalité, préconisée par les écoles contemporaines de défense sociale ne pourrait être adaptée aux cas des groupements ? Une étude approfondie de la comptabilité, de la gestion, ou de l’activité d’une société […] ne serait probablement pas inutile à l’occasion de certaines infractions pénales. »

1272. Cf. C. pén., art. 131-39 (3°). La dénomination de cette peine est cependant de nature à prêter confusion depuis la création, par la loi no 2000-1549 du 12 décembre 2005, d’une nouvelle mesure de sûreté applicable aux personnes physiques et dénommée « surveillance judiciaire ». Les termes « placement sous surveillance judiciaire » peuvent désigner aussi bien la mesure de sûreté applicable aux personnes physiques (cf. C. pr. pén., art. 723-29 et suiv.) que la peine applicable aux personnes morales (cf. C. pén., art. 131-6).

1273. Par la loi no 92-683 du 22 juillet 1992. 1274. C. pén., art. 131-46, al. 1er. 1275. C. pén., art. 131-46, al. 2.

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surveillance judiciaire applicable aux personnes morales et le sursis avec mise à l’épreuve des personnes physiques. Dans les deux cas, il s’agit de contrôler l’activité d’un délinquant afin d’éviter une éventuelle récidive tout en lui permettant, en cas de bonne conduite, d’éviter une peine plus lourde. L’existence d’une peine visant la « resocialisation » de la personne morale n’invite cependant pas à reconsidérer par l’affirmative la question de la transposition de l’imputabilité comprise comme capacité pénale1276 aux personnes morales. Il paraît en effet plus raisonnable, au regard notamment du caractère majoritairement rétributif des peines applicables à l’entité abstraite, de conclure au rejet de cette acception de l’imputabilité à l’endroit des personnes morales. Dès lors, pour les partisans d’une absorption de la capacité pénale par l’imputabilité, le caractère objectif des peines applicables aux personnes morales pourrait être analysé comme découlant de l ’amputation de l’acception néoclassique de l’imputabilité. L’étude des peines applicables aux personnes morales révèle donc une objectivation supplémentaire de la notion d’imputabilité appliquée directement à l’entité abstraite par l’impossible transposition aux personnes morales l’imputabilité comprise comme capacité pénale1277. Si toutes les finalités contemporaines de la peine ne peuvent être poursuivies à l’égard d’une personne morale, c’est, comme nous venons de l’établir, en raison du caractère abstrait et désincarné de cette entité juridique. Pour cette raison, les peines applicables présentent pour l’essentiel un caractère répressif, objectif qui les rapproche des mesures de sûreté avec qui elles partagent le même but, à savoir empêcher la commission de nouvelles infractions. Dans le même temps, cette convergence est aussi révélatrice du caractère « positiviste » de la responsabilité de l’entité immatérielle. Ce caractère va se vérifier au travers du fondement de la responsabilité pénale des personnes morales, ce dernier reposant, comme nous l’avons établi, non seulement sur une faute propre de la personne morale, mais également sur le risque social généré par leur activité.

1276. Il importe à ce stade du raisonnement de rappeler que, dans le cadre de cette étude, nous ne souscrivons

pas à l’hypothèse d’une absorption du concept de capacité pénale par celui d’imputabilité. 1277. Si nous retournons maintenant à la conclusion de la première partie de notre étude selon laquelle le concept

de capacité pénale ne se fond pas dans celui d’imputabilité mais dans le principe de personnalisation de la peine, l’exclusion de la capacité pénale à l’endroit des personnes morales se trouve également confirmée. Bien que dotée d’une véritable personnalité juridique, la personne morale n’en reste pas moins désincarnée, dépourvue de personnalité, au sens psychologique du terme. Autrement dit, il n’est pas possible de personnaliser la sanction applicable à une personne morale. Il ne saurait donc être question d’une adaptation de la peine à la personnalité de la personne morale dans l’optique de favoriser sa resocialisation. L’imputabilité, comme le principe d’individualisation des peines, sont fondés sur des éléments de personnalité. Ils sont donc, partiellement cependant pour le concept d’imputabilité, exclusif d’une application à l’égard d’une entité abstraite. Pour cette raison, la loi Taubira du 15 août 2014 a modifié la lettre de l’article 132-1 du Code pénal en substituant la notion d’individualisation à celle de personnalisation, afin d’adapter les modalités de la répression à cette entité abstraite qu’est la personne morale. Il ne faut donc pas se méprendre sur l’emploi du terme « individualisation » à l’endroit des personnes morales. Il signifie « une adaptation des sanctions à la spécificité des personnes morales […] permettant de prendre en compte, non les caractéristiques propres à chaque personne morale, mais le simple caractère immatériel de la personne morale » (cf. C. MARGAINE, op. cit., no 459). L’adaptation de la sanction à la personne morale procède donc d’une simple individualisation objective de la sanction. Au contraire, la personnalisation de la peine applicable aux personnes physiques, en renvoyant aux concepts de personne et de personnalité, vise une adaptation subjective, c’est-à-dire fondée sur les spécificités de chaque délinquant.

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B. L’hybridation du fondement de la responsabilité pénale des personnes morales

L’hybridation du fondement de la responsabilité pénale des personnes morales signifie que le fondement traditionnel de la faute n’est pas éclipsé (1.) au bénéfice de la prise en compte d’un fondement inédit et consistant dans le risque social généré par l’activité de la personne morale (2.)

1. La permanence du fondement de la faute

En abandonnant la théorie du substratum pour celle de la responsabilité directe des personnes morales, le droit positif va mettre au jour un fondement hybride à la responsabilité de l’entité abstraite. Il a déjà été établi que l’abandon de la faute de la personne physique n’impliquait pas pour autant l’abandon du fondement de la faute. Si la faute de la personne physique a pu être la faute même de la personne morale, c’est de la faute propre de la personne morale dont il sera maintenant question1278. La faute personnelle de la personne morale va venir remplacer la faute de la personne physique. Cependant, au fondement de la faute propre de la personne morale vient s’ajouter celui du risque social généré par la puissance économique de l’entreprise. On pourrait même suggérer que c’est la volonté de prendre en compte ce risque spécifique qui a provoqué l’évolution de la responsabilité de l’entité abstraite1279. Si le droit français a conceptualisé la responsabilité pénale des personnes morales au moyen de la théorie du substratum, c’est avant tout pour permettre l’engagement de la responsabilité pénale de cet être immatériel dans le respect des principes directeurs du droit pénal. Autrement dit, l’institution de cette responsabilité n’a pas été discutée dans ses fondements en droit interne. Il s’agissait « d’adapter les dogmes du droit pénal des personnes physiques à la responsabilité des personnes morales, en oubliant la particularité de la personnalité des entités collectives »1280. Cependant, c’était méconnaître le fait que l’admission d’une responsabilité directe de la personne morale n’était pas incompatible avec la reconnaissance d’une responsabilité pénale analogue à celle des personnes physiques et que l’un des seuls aménagements nécessités par cette évolution tenait, comme nous l’avons vu, à l’objectivation de la notion d’imputabilité.

2. Le fondement inédit du risque social généré par l ’activité de la personne morale

Nous avons aussi souligné que la mise en œuvre directe de la responsabilité pénale de l’entité abstraite permettait de transcender les limites de la théorie du substratum. Ces dernières ont été mises au jour avec l’avènement d’une société du risque, et même d’une société de

1278. Cf. supra, les développements consacrés à la démonstration d’une culpabilité spécifique à la personne morale.

1279. Comme le relève Marie-Élisabeth Cartier : « La lecture attentive des longs travaux préparatoires du nouveau Code pénal indique clairement que la punition de la personne morale n’a pas été envisagée pour des raisons strictement juridiques comme l’égalité des personnes devant la loi pénale […] mais beaucoup plus pour des raisons essentiellement pratiques, sinon même politiques, liées à la puissance économique des personnes morales. » (M.-É. CARTIER, « Nature et fondement de la responsabilité pénale des personnes morales dans le nouveau Code pénal français », op. cit., p. 18.)

1280. Cf. la quatrième de couverture de la thèse d’Antonio Amalfitano (A. AMALFITANO, La responsabilité pénale des personnes morales – Une recherche pour la construction d’un modèle commun, L’Harmattan, 2016).

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réalisation du risque1281, dans la mesure où la responsabilité indirecte ne permettait pas de répondre pénalement à toutes les atteintes à la vie et à l’intégrité physique, notamment celles imputables à l’activité lucrative d’entités collectives. Comme le relève justement Antonio Amalfitano, le remède à cette carence d’absence de réponse pénale résidait d’abord dans l’abandon de « la question lancinante de l’identification des organes ou représentants qui empêche de penser une véritable responsabilité pénale des personnes morales du fait des choses, ou des produits défectueux »1282. Dès lors, on peut se demander si ce n’est pas la volonté de prendre en compte le risque social généré par l’activité de la personne morale qui explique l’évolution de la responsabilité pénale des personnes morales : il faut pouvoir engager la responsabilité pénale de la personne morale dans tous les cas de figure ; or, ce n’est pas toujours le cas dans l’hypothèse d’une responsabilité indissolublement liée à la commission d’une infraction imputable à la personne physique. D’ailleurs, à l’examen des débats parlementaires relatifs à la création du Code pénal de 1994, il s’avère que l’Assemblée nationale préconisait l’extension du droit pénal aux personnes morales en raison de leur (seule) puissance économique1283. Une appréhension plus positiviste de la responsabilité pénale des personnes morales vient donc pallier cette lacune tout en proposant un fondement inédit, en matière pénale, à la responsabilité pénale des personnes morales1284. Dans la logique de cette approche systémique, les notions de « risque, précaution, prévention, garantie », déjà mobilisées par les doctrines civiliste et publiciste entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, sous-tendent désormais la responsabilité pénale des personnes morales. Antonio Amalfitano considère que la responsabilité pénale des personnes morales apparaît plus particulièrement fondée « sur la position de garantie, et sur l’intérêt ou l’avantage que trouve la personne morale dans l’activité source d’infraction pénale »1285. Selon l’auteur, « cette répression est alors comparable […] à celle pesant sur les professionnels ou dirigeants investis, en raison de leurs pouvoirs de

1281. Pour ce qui est du droit anglais, Comme le relève Marie-Élisabeth Cartier : « Un certain nombre

d’événements dramatiques , dont la presse internationale s’est fait l’écho (le naufrage du Zeebrugge, l’incendie du métro à King’s Cross ou le déraillement de Clapham junction) a conduit le monde juridique anglais à réfléchir aux conditions d’admission de la responsabilité pénale des personnes morales et en particulier, aux liens (par trop) indissolubles de cette responsabilité avec une infraction parfaitement commise par une personne physique. » (M.-É. CARTIER, « Nature et fondement de la responsabilité pénale des personnes morales dans le nouveau Code pénal français », op. cit., p. 18.)

1282. Cf. la préface de J.-C. SAINT-PAU, in la thèse d’Antonio Amalfitano préc., p. 10. 1283. Cf. supra. Le constat est tout aussi implacable à l’examen de l’exposé des motifs du projet de Code pénal

déposé en février 1986 aux termes desquels on pouvait lire : » L’immunité actuelle des personnes morales est d’autant plus choquante qu’elles sont souvent, par l’ampleur des moyens dont elles disposent, à l’origine d’atteintes graves à la santé publique, à l’ordre économique, à l’environnement ou à la législation. » Dans le même ordre d’idée, la Recommandation précédemment évoquée du Conseil de l’Europe du 20 octobre 1998 (R-88-18) visait, pour sa part, dans son premier alinéa « le préjudice considérable causé aux particuliers par le nombre croissant d’infractions pénales, commises dans l’exercice des activités des entreprises ».

1284. Le risque est aujourd’hui un fondement assumé de la responsabilité civile des personnes morales. Nombre d’auteurs, à l’instar de Marie-Élisabeth Cartier, s’opposent farouchement à une transposition de la solution civiliste à la matière pénale. Parmi les arguments avancés contre le risque comme fondement de la responsabilité pénale des personnes morales, il est possible d’invoquer le fait que le risque pénal n’est pas couvert par l’assurance – ce qui est inconcevable au regard des finalités assignées à la responsabilité pénale – et que l’idée de risque-profit est inadaptée pour de nombreuses personnes morales qui ne poursuivent pas un but lucratif mais qui peuvent néanmoins commettre des infractions.

1285. Cf. la préface de J.-C. SAINT-PAU in la thèse d’Antonio Amalfitano préc., p. 9.

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direction, d’un devoir de garantie en matière de prévention des risques liés aux activités qu’ils dirigent »1286. On retrouve ici l’idée de risque-profit, fréquemment invoquée pour justifier les condamnations civiles des entités abstraites. Cependant, cette prise en compte de « l’état dangereux » de l’entité abstraite ne suppose pas, au regard des développements qui précèdent, l’abandon du terrain de la faute. Pour notre part, nous considérons en effet que, sans constituer un fondement alternatif à la faute, le risque social généré par l’activité de l’entreprise peut aider à la caractérisation de la faute propre de la personne morale1287. Contrairement à l’évolution de la responsabilité civile qui s’est caractérisée par un glissement de la responsabilité pour faute à la responsabilité pour risque, c’est donc vers un fondement hybride, que l’on pourrait qualifier de post-moderne1288, que s’est orientée l’évolution de la responsabilité pénale des personnes morales. D’ailleurs, il est assez logique que la responsabilité des personnes morales évoque, en raison de sa spécificité même, l’idée de risque autant que celle de faute1289. En conclusion, la responsabilité pénale des personnes morales résultant de l’évolution contemporaine est d’abord une responsabilité personnelle d’essence classique. L’affirmation de Roger Merle et André Vitu selon laquelle « ce n’est pas […] faire preuve d’un anthropomorphisme puéril que de prétendre intégrer la personne morale dans la théorie générale de la responsabilité pénale »1290 se trouve vérifiée1291. Ainsi, une personne, fût-elle morale, ne peut être sanctionnée pénalement si elle n’a pas commis la faute exigée par le texte d’incrimination, cette dernière devant par ailleurs lui être imputable. La question s’est posée de savoir dans quelle mesure la théorie positive de la responsabilité pénale des personnes morales impactait l’acception classique des composantes traditionnelles de la responsabilité pénale, leur application directe à l’entité abstraite étant de nature à induire leur objectivation. Le caractère abstrait de la culpabilité, démontré dans la première partie de cette étude1292, préserve la notion d’une dénaturation par objectivation. La culpabilité de l’entité abstraite consiste d’ailleurs le plus souvent dans une faute organisationnelle de l’entité morale en considération, par exemple, du risque généré par son activité. L’acception subjective du concept d’imputabilité connaît quant à elle une inflexion. Dans le cadre d’une responsabilité indirecte de la personne morale, l’imputabilité de la personne morale se confondant avec celle de la personne physique, l’acception subjective de la notion est nécessairement

1286. Ibid., p. 8. 1287. Contrairement à la prise en compte de la dangerosité sociale dans le cadre de la responsabilité pénale des

personnes physiques, où ce fondement semble exclusif des composantes traditionnelles de la responsabilité pénale.

1288 Dans le cadre de cette étude, cet adjectif renvoie d’abord à une cohabitation « dédramatisée » des concepts du droit pénal, notamment ceux de culpabilité, d’imputabilité et de dangerosité (cf. infra, titre 2 : « Pour une cohabitation dédramatisée de l’imputabilité et de la dangerosité dans un droit pénal post-moderne »).

1289. Dans le prolongement, le fondement hybride de la « nouvelle » responsabilité des personnes morales invite à s’interroger « sur la fonction du droit pénal qui, de manière plus moderne – post-moderne préfèrerions-nous donc écrire dans le cadre de cette recherche –, peut participer à la régulation d’activités économiques en raisonnant alors moins sur la faute que sur le risque » (cf. préface de J.-C. SAINT-PAU in la thèse d’Antonio Amalfitano préc., p. 9).

1290. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel –Droit pénal général, Cujas, 7e éd., 1997, no 638. 1291. On pourrait considérer qu’en l’absence, dans le Code pénal de 1994, de solutions claires et univoques sur

les conditions de la responsabilité de la personne morale, l’évolution a été guidée par la recherche de solutions conformes aux principes fondamentaux régissant la responsabilité pénale.

1292. Cf. supra.

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préservée. En revanche, avec l’évolution du droit positif vers la reconnaissance d’une responsabilité pénale directe de la personne morale, l’entité abstraite se trouve dotée d’une imputabilité propre. Cela implique une mutation par objectivation du concept d’imputabilité. Ce caractère s’explique par l’absence de psychisme propre de la personne morale ainsi que de l’étude des causes de non-imputabilité pouvant être invoquées en propre par la personne morale et, plus particulièrement, de la transposition seulement partielle à son bénéfice des causes de non-imputabilité applicables aux personnes physiques. En l’espèce, seules les causes de non-imputabilité affectant la volonté pourront être invoquées par l’entité abstraite. Pour les partisans d’une absorption du concept de capacité pénale par celui d’imputabilité, l’objectivation pourrait également être le résultat de l’amputation de l’imputabilité comprise comme capacité pénale. Au final, l’imputabilité des personnes morales n’est plus que l’ombre objectivée de l’imputabilité déclinée à l’égard des personnes physiques. L’emploi du terme imputation paraît maintenant pleinement adapté à l’opération visant à mettre directement une infraction sur le compte de la personne morale. Pour cette raison, il est permis de conclure que l’évolution de la responsabilité pénale des personnes morales est bien de nature à induire une rupture de l’homogénéité du concept d’imputabilité selon l’entité juridique considérée. Il reste à la Cour de cassation à remettre en cause sa célèbre jurisprudence de 19971293 en consacrant expressément la thèse de la responsabilité directe de la personne morale, et la fin d’une conception unitaire de l’imputabilité sera scellée1294. L’évolution du droit pénal ne pouvait rester sans incidence sur les règles inhérentes à la responsabilité pénale des personnes physiques. Il importe alors d’en mesurer l’importance au regard de l’imputabilité. Si le caractère subjectif de l’imputabilité n’est pas altéré, le néopositivisme contemporain est plus abouti encore qu’à l’égard des personnes morales. Sans procéder à une dénaturation du concept d’imputabilité, il peut conduire à l’éclipse totale des composantes traditionnelles de la responsabilité pénale à l’égard de certaines catégories de délinquants (chapitre II).

1293. Cf. supra, section 1 : « Le glissement vers l’abandon de la responsabilité indirecte des personnes morales

condamnant la conception subjective de l’imputabilité ». 1294. La consécration de la responsabilité directe pourrait s’opérer sur le fondement de l’article 121-2 du Code

pénal, notamment sur son alinéa 3. Cependant, une refonte de l’article par le législateur serait souhaitable afin de clarifier l’indépendance de la responsabilité pénale des personnes morales. Il ne resterait alors plus, comme cela existe dans certains droits étrangers à l’instar du droit anglais, qu’à créer des infractions spécifiques à la personne morale afin de conforter l’autonomie de la personne morale à l’égard des personnes physiques qui la composent.

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Chapitre II –

L’imputabilité en danger au regard de la responsabilité pénale des personnes physiques

On considère traditionnellement que les peines, qui sont prononcées en rétribution de l’infraction commise, sont tournées vers le passé, tandis que les mesures de sûreté qui sont prononcées en considération de la dangerosité présente de la personne sont tournées vers l’avenir, car elles ont vocation à la faire disparaître1295. La distinction des peines et des mesures de sûreté est essentiellement doctrinale, le législateur ne qualifiant jusqu’alors que rarement les mesures pénales de peines ou de mesures de sûreté. Les éléments de définition de la mesure de sûreté ont donc été apportés par la doctrine, le législateur s’illustrant, encore aujourd’hui, par l’absence de définition précise de la notion. D’ailleurs, comme le relève un auteur, « chacun sait que la catégorie des mesures de sûreté a été refusée expressément par le législateur en 1992 »1296. Aussi, la position initiée avec la loi no 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales qui, en créant la surveillance judiciaire, qualifiait expressément la mesure de « mesure de sûreté » (position poursuivie avec la loi du 25 février 2008 permettant à une juridiction pénale de prononcer des « mesures de sûreté » à l’encontre d’un délinquant aliéné), est apparue singulière1297. L’explication est vraisemblablement à rechercher dans les enjeux de la qualification, non dans la volonté de théoriser la notion. Ces derniers sont doubles. Le premier a trait au régime juridique et, plus particulièrement, aux modalités d’application de la « mesure répressive » dans le temps. En considération de la finalité des mesures de sûreté, elles sont d’application immédiate, alors que les peines sont soumises au principe de la non-rétroactivité de la loi pénale, plus sévère. La tentation législative d’instrumentaliser la qualification juridique peut donc exister, soit pour faire bénéficier la mesure étudiée des garanties dont bénéficient les peines, soit, à l’inverse, afin d’affranchir la mesure concernée du régime juridique plus contraignant des peines. Cela peut dépendre du contexte sociétal. Dans un contexte sécuritaire, sous-tendu par la recherche d’une efficacité répressive, la dénomination formelle de mesures de sûreté risque de l’emporter. A contrario, lors de l’élaboration du Code pénal de 1992, en choisissant la qualification de peine, et plus particulièrement celle de peine complémentaire, le législateur n’a pas rejeté l’idée que

1295. » Les mesures de sûreté sont entrées dans le droit pénal comme conséquence de l’état dangereux »

(J. DE ASUA, « La mesure de sûreté – sa nature et ses rapports avec la peine », RSC, 1954, p. 21). 1296. C. LAZERGES, « La rétention de sûreté : le malaise du Conseil constitutionnel », RSC, 2008, p. 731. 1297. Ce mouvement s’est encore prolongé avec la loi no 2010-242 du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque

de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédures pénales qui, tout en introduisant de nouvelles mesures de sûreté, ne contenait aucune précision quant à leur définition.

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certaines sanctions aient pour objet d’être des mesures de sûreté, mais il a entendu, dès lors que les mesures de sûreté sont les plus souvent ressenties comme des peines, les faire bénéficier du régime plus protecteur pour les libertés individuelles des peines1298. Le second enjeu de la qualification tient à la possibilité de contourner les exigences liées à l’imputabilité. En effet, une méprise sur la qualification des mesures pourrait mettre à mal le principe essentiel posé par l’article 122-1, alinéa 1er du Code pénal, puisque le prononcé d’une mesure qualifiée de « mesure de sûreté », mais qui serait en réalité une peine à l’égard d’une personne pourtant déclarée irresponsable, bafouerait ce texte. Autrement dit, l’instrumentalisation de la catégorie formelle des mesures de sûreté peut aussi permettre de contourner les exigences liées à l’imputabilité, ou plutôt à la non-imputabilité de la personne. La qualification de la mesure pénale, peine ou mesure de sûreté, combinée au renouveau des mesures de sûreté est donc susceptible de devenir problématique. Précisément, la création de mesures de sûreté à la nature équivoque, potentiellement applicable à des personnes dont le discernement était aboli au moment des faits, est susceptible de remettre en question le fondement de la responsabilité pénale. La délinquance des mineurs constitue l’autre illustration des difficultés qu’éprouve le législateur contemporain à adapter le droit pénal aux personnes dont le discernement est inexistant ou incomplet. Ainsi, les vives critiques formulées à l’encontre du dispositif éducatif mis en place par l’ordonnance du 2 février 1945, dénoncé comme inadapté aux nouvelles formes de délinquance des mineurs, ont conduit à l’adoption de nombreuses lois tendant à rapprocher le droit pénal des mineurs du droit pénal des majeurs et remettant en cause, par touches successives, le statut autonome protecteur du mineur délinquant. Le renforcement de la répression qui en a découlé, pour peu que l’on adhère aussi à cette acception de l’imputabilité, est de nature à fragiliser l’imputabilité comme capacité pénale. Il importe cependant de préciser que des dispositions récentes en matière de justice pénale des mineurs ont tendance à en réaffirmer la spécificité1299. Au-delà, l’infliction d’une mesure de nature pénale à une personne au discernement inexistant ou incomplet est de nature à fragiliser l’exigence d’imputabilité, que l’on considère son acception traditionnelle de fondement de la responsabilité pénale ou son acception discutée d’aptitude à profiter de la sanction pénale1300 (section 1). Ces événements, combinés au phénomène contemporain de convergence des peines et des mesures de sûreté, accentuent le risque d’un effacement plus global de l’imputabilité (section 2).

Section 1 – L’éviction ciblée de l’imputabilité par l’infliction de mesures répressives à des personnes au discernement inexistant ou incomplet

Le renouveau des mesures de sûreté a été opéré par la loi du 12 décembre 20051301. Cependant, bien vite, cette « variance sémantique [est devenue] une technique législative de

1298. On pourrait considérer que la dualité de réponses répressives illustre la dualité d’intérêts en présence : les

intérêts individuels, d’une part, et l’intérêt général, d’autre part. 1299. En l’espèce, la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle

(cf. infra). 1300. Autrement dénommée en doctrine sous l’expression de capacité pénale. 1301. Cf. supra, introduction.

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contournement de l’impératif d’imputabilité morale »1302. En effet, la montée contemporaine expresse de mesures de sûreté, s’apparentant en réalité à des peines, concerne notamment des domaines, à l’instar de celui de la maladie mentale, dans lesquels il n’était pas possible d’entrer en voie de condamnation faute d’imputabilité de la personne (§ 1). Dans le domaine voisin1303 de la délinquance des mineurs, il est permis d’observer un mouvement parallèle se traduisant par un renforcement du caractère répressif des mesures de sûreté et du régime des peines qui leur sont applicables. Au-delà, le durcissement des sanctions en cette matière est de nature à affaiblir l’exigence d’imputabilité dans sa double acception de fondement et d’aptitude à profiter de la sanction pénale (§ 2).

§ 1 - L’infliction de peines à des délinquants aliénés ou la concession de l’imputabilité en tant que fondement de la responsabilité pénale

Alors que, longtemps, la non-imputabilité a permis d’exclure la répression sous toutes ses formes1304 à l’égard des délinquants aliénés, la loi du 9 mars 2004 a insidieusement ouvert la voie à la pénalisation des personnes déclarées pénalement irresponsables sur le fondement de l’article 122-1, alinéa 1er en permettant l’infliction à leur encontre de mesures de sûreté1305. Dans le prolongement de cette solution, nous allons établir que le législateur, par la loi du 25 février 2008, est venu permettre l’application d’authentiques peines à l’aliéné. Elle a permis à des juridictions pénales qui déclarent des personnes souffrant de troubles mentaux pénalement irresponsables de prononcer à leur encontre des mesures de sûreté qui peuvent consister soit en une hospitalisation d’office1306 soit en des interdictions1307. Si les diverses mesures instituées par le législateur sont expressément qualifiées par lui de « mesures de sûreté », seule la qualification de la mesure d’hospitalisation d’office n’est pas contestable1308.

1302. P.-J. DELAGE, « Vérité et ambiguïté autour de l’imputabilité morale – à propos de Cass. crim. 21 janv.

2009 », RSC, 2009, p. 69. 1303. La proximité des domaines de la maladie mentale et de la minorité pénale tenant au fait que le discernement

est en principe incomplet ou inexistant dans ces hypothèses. 1304. Peine ou mesure de sûreté. 1305. La loi du 9 mars 2004 avait prévu la soumission des personnes déclarées pénalement irresponsables en

application de l’article 122-1, alinéa 1er du Code pénal, aux obligations – expressément qualifiées de mesures de sûreté – de l’article 706-53-5 du Code de procédure pénale et découlant de leur inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles.

1306. C. pr. pén., art. 706-135. 1307. C. pr. pén., art. 706-136 et suiv. 1308. La Cour de cassation a eu l’occasion de le préciser dans une décision rendue le 14 avril 2010. Dans cette

affaire, aux termes de l’information suivie contre le mis en examen des chefs d’assassinat et de violences volontaires, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Dijon, dans un arrêt en date du 18 février 2009, l’avait déclaré irresponsable pénalement pour cause de trouble mental, et ordonné son placement d’office à l’hôpital psychiatrique ainsi que des mesures de sûreté prévues par l’article 706-136 du Code de procédure pénale. Pour faire obstacle au prononcé de l’hospitalisation d’office par la juridiction du second degré, l’intéressé avait soulevé l’exception de nullité tirée de la non-rétroactivité de la loi du 25 février 2008 au motif que la mesure d’hospitalisation d’office ne constituait pas une mesure de sûreté, mais une peine soumise aux dispositions de l’article 112-1 du Code pénal. La cour d’appel devait considérer à juste titre que « contrairement à ce que soutient le mémoire et contrairement au régime de la rétention de sûreté, la chambre de l’instruction ne prononce pas un internement judiciaire sans limitation de durée mais ordonne l’hospitalisation d’office de la personne dans un établissement mentionné à l’article L. 3222-1 du Code de la santé publique, le régime de cette hospitalisation étant celui prévu pour les hospitalisations d’office, le préfet étant avisé immédiatement de cette décision ; qu’ainsi l’intéressé sera soumis au régime de l’hospitalisation d’office ne relevant que de l’autorité médicale et administrative selon l’évolution de son

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La nature juridique des diverses interdictions énoncées à l’article 706-136 est quant à elle équivoque. En témoigne la division de la doctrine sur ce point1309. Cependant, les enjeux de la qualification de ces mesures sont majeurs car, si c’est bien de peines qu’il s’agit, c’est l’impératif d’imputabilité qui se trouve sacrifié. Pour cette raison, après avoir établi la nature punitive de ces mesures (A.), nous ne pourrons que déplorer l’occasion manquée par la jurisprudence de leur restituer leur exacte qualification (B.).

A. La concession par le législateur de l’impératif d’imputabilité

Les principaux arguments avancés au soutien du caractère de mesure de sûreté consistent dans le fait que les mesures de l’article 706-136 ne peuvent être prononcées qu’après une expertise psychiatrique destinée à établir l’existence de troubles mentaux et qu’elles sont susceptibles d’être modifiées ou levées par le juge des libertés et de la détention au vu d’une telle expertise. Ces arguments ne sauraient occulter le fait qu’elles présentent incontestablement un caractère punitif1310. Si le Conseil constitutionnel n’a pas été amené à prendre parti sur la nature des mesures prévues aux articles 706-135 et 706-136 du Code de procédure pénale, plusieurs arguments permettent de conclure que les mesures de sûreté prévues par la loi du 5 février 2008

état de santé ; que dès lors, cette mesure s’analyse non pas en une peine mais une mesure de sûreté » (cf. Cass. crim., 14 avr. 2010, no 09-82.291, inédit). Pour une confirmation implicite de la solution, cf. Cass. crim., 28 oct. 2014, no 13-82.787, inédit. Dans cette dernière affaire, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Riom, après avoir déclaré la mise en examen irresponsable en raison d’un trouble psychique ou neuro-psychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits, avait ordonné son admission en soins psychiatriques, sous la forme de l’hospitalisation complète, sans son consentement, dans un établissement mentionné à l’article L. 3222-1 du Code de la santé publique. Pour priver l’arrêt attaqué de tout fondement juridique, le moyen unique de cassation était pris notamment de la violation des articles 706-135 du Code de procédure pénale, 3213-1 du Code de la santé publique. Il s’excipe de cette argumentation que « les articles 706-135 du Code de procédure pénale et L. 3213-1 du Code de la santé publique, qui prévoient la possibilité que soit ordonnée l’hospitalisation de la personne qui a notamment fait l’objet d’une déclaration d’irresponsabilité pénale pour trouble mental, sont contraires au principe d’égalité devant la loi en ce qu’ils n’accordent pas à la victime, dans l’hypothèse d’un aménagement ou d’une mainlevée de cette mesure, les mêmes garanties que celles dont elle bénéfice dans le cadre de l’aménagement d’une peine d’emprisonnement ». La Cour de cassation devait rejeter le pourvoi en se contentant de rappeler que, dans un arrêt en date du 14 janvier 2014, elle avait décidé « n’y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question relative à la constitutionnalité des dispositions de l’article 706-135 du Code de procédure pénale et de l’article L. 3213-1 du Code de la santé publique ». Implicitement, il faut aussi comprendre que s’il est légitime que les victimes ne disposent pas des mêmes droits en matière d’hospitalisation d’office qu’en matière d’aménagement d’une peine d’emprisonnement, c’est précisément parce que l’hospitalisation d’office ne constitue pas une peine mais une mesure de sûreté.

1309. Si une partie de la doctrine considère que la qualification de peine serait plus adaptée (en ce sens : H. MATSOPOULOU, « L’application des « peines », puis des “mesures de sûreté” aux personnes atteintes de troubles mentaux : l’incohérence jurisprudentielle et ses conséquences », Dr. pén., 2011, étude 4 ; F. ROUSSEAU, « L’application dans le temps des nouvelles dispositions du 25 février 2008 relatives à l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental », Dr. pén., 2009, étude 9), une autre considère qu’elles constituent des mesures de sûreté visant « à réduire la dangerosité qui découle elle-même ou peut découler du trouble mental qui a été reconnu » (J. PRADEL, « Une double révolution en droit pénal français avec la loi du 25 février 2008 sur les criminels dangereux », D., 2008, p. 1000).

1310. Haritini Matsopoulou considère que « ces mesures s’apparentent plus à des peines qu’à des mesures de sûreté. Elles présentent un caractère punitif accentué » (H. MATSOPOULOU, « Le développement des mesures de sûreté justifiées par la “dangerosité” et l’inutile dispositif applicable aux malades mentaux – commentaire de la loi no 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental », Dr. pén., 2008, étude 5).

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s’apparentent en réalité à des « peines déguisées »1311. Les mesures de l’article 706-136 du Code de procédure pénale visent des interdictions telles que celle d’entrer en relation avec la victime ou d’autres personnes – et notamment avec les mineurs – spécialement désignées, l’interdiction de paraître dans tout lieu spécialement désigné, l’interdiction de détenir ou de porter une arme, l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole spécialement désignée. La loi y ajoute la suspension du permis de conduire ou son annulation avec l’interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis. Ainsi, les mesures de l’article 706-136 sont pour la plupart identiques à des mesures prévues à titre de peines alternatives à l’emprisonnement en matière correctionnelle1312. Il suffit pour s’en assurer de comparer l’énumération de l’article 706-36 avec celle des articles 131-6 ou 131-17 du Code pénal, comportant des « peines » restrictives ou privatives de droit, pour s’apercevoir que le recoupement est total. En outre, certaines de ces interdictions sont qualifiées de « peines » au regard du sursis avec mise à l’épreuve, tandis qu’elles peuvent être retenues dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire, qui est quant à lui une peine complémentaire1313. Dans un souci de cohérence nous considérons donc, à l’instar de Xavier Pin, qu’il serait « artificiel de considérer que les mêmes sanctions sont des peines lorsqu’elles sont prononcées à la suite d’une déclaration de culpabilité, alors qu’elles seraient des “mesures de sûreté ”, lorsqu’elles font suite à une déclaration d’irresponsabilité pénale »1314. Il est en outre paradoxal que l’application des mesures de l’article 706-136 conduise à traiter plus sévèrement celui à qui l’on ne peut reprocher la commission d’une infraction que celui qui a été pénalement condamné. En effet, lorsque les « interdictions » sont prévues par l’article 131-6 du Code pénal, texte à visée punitive, elles ne peuvent être prononcées que pour une durée de 5 ans, tandis que lorsqu’elles sont utilisées à titre de mesures de sûreté sur le fondement de l’article 706-136 du Code de procédure pénale, elles peuvent être prononcées pour 10 ans en matière correctionnelle et 20 ans en matière criminelle. Comment ne pas voir dans ces dispositions un argument subsidiaire en soutien à la nature de peine des mesures de l’article 706-136 du Code de procédure pénale ? Un autre argument en faveur de la qualification de peine découle du fait, comme nous venons de le voir, que les sanctions considérées consistent essentiellement en des interdictions. Par conséquent, « elles s’adressent à la volonté du condamné, en l’invitant à se prendre en main, et participent donc de la logique des peines. Les véritables mesures de sûreté postulent au contraire le déterminisme et impliquent une prise en main de l’intéressé par la justice »1315. De la même manière, on voit mal comment des interdictions pourraient être compatibles avec l’état mental ayant justifié le prononcé d’une déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. En effet, comment considérer qu’un trouble mental ayant aboli le

1311. Cf. H. MATSOPOULOU, « L’application des “peines”, puis des “mesures de sûreté” aux personnes atteintes

de troubles mentaux : l’incohérence jurisprudentielle et ses conséquences », Dr. pén., 2011, étude 4. 1312. Certaines juridictions du fond ont relevé cette similitude, à l’instar de la cour d’appel de Colmar notant,

dans un arrêt en date du 25 juin 2009, « une étroite similitude existant entre la liste que forment les mesures énoncées à l’article 706-136 du Code de procédure pénale et la nomenclature des peines figurant à l’article 131-6 du Code pénal » (cf. CA Colmar, 25 juin 2009, arrêt censuré par Cass. crim., 16 déc. 2009, no 09-85.153, Bull. crim., no 216).

1313. Cf. C. pén., art. 131-36-1. 1314. X. PIN, « L’irresponsabilité pénale (réflexion sur le sens des articles 122-1, 122-2, 122-3 et 122-8 du Code

pénal) », in La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, Opinio doctorum, op. cit., p. 51 et suiv. 1315. Loc. cit.

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discernement de l’agent puisse rester circonscrit au moment des faits1316, sauf à imaginer qu’il soit consécutif à une intoxication volontaire ? Par exemple, dans une affaire en date du 12 octobre 2011, les mesures prononcées par la chambre de l’instruction à l’encontre d’un individu ayant fait l’objet d’une déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, consécutivement à un assassinat, à des tentatives et des violences avec armes, trouvent notamment leur fondement dans le fait que l’intéressé « revendique toujours une position de victime et demeure convaincu qu’un complot a été organisé contre lui, qu’il ne parvient toujours pas à élaborer la moindre critique des actes criminels qu’il a commis, campant toujours dans une position délirante »1317. Dans le prolongement de ce développement il est permis de rester perplexe devant la prévision par le législateur d’une sanction, à la qualification de peine assumée, dans l’hypothèse où l’aliéné ne respecterait pas l’une des mesures de l’article 706-136 du Code de procédure pénale qui serait prononcées à son encontre1318.

B. L’occasion doublement manquée par la jurisprudence de restaurer l’impératif d’imputabilité

L’occasion a été doublement manquée par la jurisprudence de restaurer l’exigence d’imputabilité en ce sens que ni les juridictions internes (1.), ni la Cour européenne des droits de l’homme (2.) ne se sont venues restituer aux mesures de l’article 706-136 du Code de procédure pénale leur exacte qualification.

1. L’occasion manquée de la jurisprudence interne

Si une première décision de la Cour de cassation a pu laisser penser que la jurisprudence viendrait au secours de l’exigence d’imputabilité, l’évolution ultérieure a démontré qu’il n’en serait rien. Cela étant, on peut considérer que l’incertitude initiale (l’ambivalence) de la Cour de cassation concernant la qualification des mesures de l’article 706-136 du Code de procédure pénale est symptomatique d’un malaise quant à la nature réelle des mesures pouvant être infligées à la suite d’une déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Pour l’illustrer, il est permis d’étudier deux décisions contradictoires rendues à moins d’un an d’intervalle. Le législateur étant resté silencieux sur les modalités d’application dans le temps de la loi du 25 février 2008 et, en particulier, sur les dispositions relatives aux personnes déclarées pénalement irresponsables, la jurisprudence a donc été appelée à se prononcer sur ce point. Si, à l’occasion de la première décision rendue sur le fondement de la loi précitée, elle a d’abord expressément restitué aux mesures de l’article 706-136 du Code de procédure pénale leur exacte qualification (1.1), la Cour de cassation devait, dans la même affaire, implicitement concéder pour l’avenir l’exigence d’imputabilité (1.2). Une décision ultérieure devait confirmer cette analyse (1.3).

1316. Cf. infra, partie 2, titre 2, chapitre I, où il sera étudié les implications de la projection de l’ombre de

l’imputabilité, ou plutôt de la non-imputabilité et de l’imputabilité partielle, au-delà du moment des faits. 1317. Cf. Cass. crim., 12 oct. 2011, no 10-88.126, inédit. 1318. C. pr. pén., art. 706-139 : « La méconnaissance par la personne qui en a fait l’objet des interdictions prévues

à l’article 706-136 […] est punie, sous réserve des dispositions du premier alinéa de l’article 122-1 du Code pénal, de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. »

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1.1 La restitution initiale de leur exacte qualification aux mesures de l’article 706-136 du Code de procédure pénale

Par un premier arrêt rendu le 21 janvier 2009, La chambre criminelle de la Cour de cassation décide que le principe de la légalité des peines consacré par l’article 112-1, alinéa 2, fait « obstacle à l’application immédiate d’une procédure qui a pour effet de faire encourir à une personne des peines prévues par l’article 706-136 du Code de procédure pénale que son état mental ne lui faisait pas encourir sous l’empire de la loi ancienne applicable à la date à laquelle les faits ont été commis »1319. A priori, la Cour de cassation fait preuve d’une double audace : d’abord en se plaçant sur le terrain des lois de fond, alors même que la loi du 25 février 2008, ayant créé l’article 706-136 du Code de procédure pénale, est venue instaurer une nouvelle procédure en cas d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental1320. À première vue, l’argument choisi par la Cour de cassation pour écarter l’application des dispositions de la loi du 25 février 2008 ne paraît donc pas le plus approprié. En réalité, il est cohérent au regard de la qualification employée contra legem par la Haute Juridiction considérant que les mesures ainsi créées s’apparentent à des peines. Pour audacieuse qu’apparaisse cette deuxième transgression, elle trouve néanmoins une assise dans le fait que certaines interdictions mentionnées dans l’article 706-136 du Code de procédure pénale sont qualifiées de peines dans le Code pénal1321. Il n’est donc guère étonnant, finalement, que la Cour de cassation ait retenu cette qualification1322. Le reste de son raisonnement a alors été construit en cohérence avec ce diagnostic. Si l’on peut approuver cette position en ce sens qu’elle restitue aux mesures ainsi créées leur exacte qualification, on peut néanmoins s’inquiéter, dans le même temps, de la concession opérée implicitement pour l’avenir sur le terrain de l’imputabilité.

1.2 La concession implicite pour l’avenir de l’exigence d’imputabilité

La solution retenue par la Cour de cassation devrait normalement conduire à paralyser l’application des mesures énoncées à l’article 706-136 du Code de procédure pénale aux délinquants aliénés, indépendamment de la date à laquelle ceux-ci auraient commis les faits – autrement dit, même si les faits étaient commis par l’aliéné postérieurement à l’entrée en vigueur du nouveau dispositif. L’impératif d’imputabilité commande qu’une personne privée de discernement ne se voit pas infliger de peines au risque de remettre en cause le fondement même de la responsabilité pénale. Cependant, la Juridiction suprême laisse entendre dans cette décision qu’à supposer le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère respecté, des peines pourront désormais être légalement infligées à des individus incapables

1319. Cass. crim., 21 janv. 2009, no 08-83.492, Bull. crim., no 24 ; D., 2009, p. 1111, note H. MATSOPOULOU ; AJ pén., 2009, p. 178, obs. J. LASSERRE-CAPDEVILLE ; RSC 2009, p. 69, note P.-J. DELAGE ; ibid., p. 136, obs. A. GIUDICELLI ; Dr. pén., 2009, étude 9 ; F. ROUSSEAU ; JCP 2009, II, 10043, note S. DETRAZ.

1320. Cf. infra, les développements relatifs à cette procédure stricto sensu. 1321. Cf. supra. 1322. Certains auteurs s’en félicitent, à l’instar de Xavier Pin : « Certes, il s’agissait officiellement de mesures de

sûreté, non de peines, mais l’illusion n’a pas duré bien longtemps, puisque par un arrêt du 21 janvier 2009, la chambre criminelle a considéré que les soi-disant “mesures de sûreté” qui peuvent être prononcées par la chambre de l’instruction à l’encontre de la personne déclarée pénalement irresponsable sont en réalité des peines. » (X. PIN, « L’irresponsabilité pénale [réflexion sur le sens des articles 122-1, 122-2, 122-3 et 122-8 du Code pénal] », in La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, Opinio doctorum, op. cit., p. 51 et suiv.)

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de discernement1323. En effet, il s’excipe seulement de la décision qu’on ne peut infliger au délinquant aliéné des peines qui n’étaient pas applicables à la date où les faits ont été commis. Il faudrait donc comprendre que l’on pourra désormais leur infliger des peines contemporaines de la date des faits. L’absence d’imputabilité de la personne ne ferait plus obstacle à l’application de peines à l’aliéné. On peut donc considérer que la décision concède pour l’avenir l’exigence d’imputabilité. Dans le même sens, Pierre-Jérôme Delage dénonce l’ambiguïté de cette décision « tant elle laisse se dessiner une incertitude sur le destin de l’imputabilité morale »1324. L’auteur relève également que « la décision […] n’exclut nullement l’application des peines prévues par l’article 706-136 du Code de procédure pénale aux majeurs déclarés, faute de discernement, pénalement irresponsables, dès lors que les faits à eux reprochés auront été commis postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 25 février 2008 »1325. C’est autoriser pour l’avenir l’éclipse de l’imputabilité en tant que fondement de la responsabilité pénale. À moins que les magistrats de la juridiction suprême ne soient simplement fatalistes1326. Dans un arrêt quasi contemporain de la décision de janvier, rendu le 16 décembre 20091327, la chambre criminelle de la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence. Elle casse avec renvoi l’arrêt de la chambre de l’instruction qui, pour constater que la procédure prévue par les articles 706-119 et suivants du Code de procédure pénale n’était pas applicable à la procédure en cours, énonce que les mesures individuelles prévues par les articles 706-135 et 706-136 du même code constituent des peines, et qu’une procédure ayant pour effet de faire encourir de semblables mesures, non applicables à la date de la commission des faits, ne saurait être appliquée immédiatement. La Cour de cassation revient sur sa jurisprudence antérieure en considérant que le nouveau dispositif institué par la loi du 25 février 2008 est immédiatement applicable. Pour rendre cette solution, la Cour de cassation opte cette fois pour le fondement de l’article 112-2 du Code pénal relatif à l’application dans le temps des lois pénales de forme. Nous considérons pourtant, à l’instar de Patrick Mistretta, qu’« il semble difficile de voir dans une loi qui institue une procédure aboutissant in fine au prononcé

1323. En effet, à la lecture des motifs de la décision, seule est rejetée « l’application immédiate d’une procédure »

faisant encourir à une personne pénalement irresponsable « des peines » non existantes « sous l’empire de la loi ancienne applicable au moment où les faits ont été commis ». La possibilité n’est donc aucunement fermée à « l’application » à un être humain incapable de discernement de « peines que son état mental lui ferait encourir sous l’empire de la loi applicable » au jour de la commission des faits qui lui sont reprochés.

1324. P.-J. DELAGE, « Vérité et ambiguïté autour de l’imputabilité morale – à propos de Cass. crim. 21 janvier 2009 », op. cit., p. 69.

1325. Loc. cit. 1326. Il est aussi permis de considérer, à l’instar de Pierre-Jérôme Delage (ibid), que cette décision est l’aveu d’une

« impuissance », la seule possibilité finalement offerte à la Cour de cassation, pour faire obstacle à la transgression de l’exigence d’imputabilité, consistant à retarder l’application dans le temps de la loi. L’article 706-136 du Code de procédure pénale est de droit positif et il trouvera tôt ou tard à s’appliquer sans contrevenir au principe de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. Il restera alors au justiciable à invoquer l’inconventionnalité de l’article 706-136 du Code de procédure pénale au regard de l’article 3 de la Convention européenne. Une solution en sa faveur consisterait pour la Cour européenne à voir dans l’infliction d’une mesure pénale à l’encontre d’un délinquant aliéné un traitement inhumain et dégradant.

1327. Cf. Cass. crim., 16 déc. 2009, no 09-85153, Bull. crim., no 216. Sur cet arrêt, Cf. not. H. MATSOPOULOU, « L’application des “peines”, puis des “mesures de sûreté”, aux personnes atteintes de troubles mentaux : l’incohérence jurisprudentielle et ses conséquences (à propos de l’arrêt de la chambre criminelle du 16 décembre 2009) », op. cit. ; D., 2010, p. 471, note J. PRADEL ; ibid., p. 144, obs. M. LENA ; AJ pén., 2010, p. 136, obs. C. DUPARC ; Constitutions, 2010, p. 235, obs. M. DISANT ; RSC, 2010, p. 129, obs. É. FORTIS ; JCP G 2010. 117, note P. MISTRETTA.

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de mesures pénales, fussent-elles de sûreté, une simple loi de procédure »1328. La loi du 25 février 2008 ne devrait donc pouvoir faire l’objet d’une application immédiate, à tout le moins dans son intégralité. Il était possible à la Cour de cassation, afin de préserver l’acquis substantiel dégagé dans le précédent arrêt, de faire une application distributive des dispositions de la loi du 25 février 20081329. Cette dernière contenant des dispositions d’ordre procédural et des dispositions de fond, il était envisageable en effet de les dissocier pour faire une application immédiate aux procès en cours des nouvelles dispositions de procédure et écarter l’application immédiate des dispositions de fond plus sévères relatives à la possibilité d’infliger d’authentiques peines à des aliénés1330. Par le revirement de jurisprudence ainsi opéré, la Cour de cassation remet implicitement en cause la qualification de « peines » pour dénommer les mesures créées par la loi du 25 février 2008. Certains auteurs considèrent en conséquence que cet arrêt scelle « définitivement la qualification de mesures de sûreté donnée aux nouvelles mesures pénales instituées par la loi du 25 février 2008 »1331. Pour autant, nous avons établi qu’il s’agissait en réalité de « peines ». Aussi, s’il reste permis d’interpréter cette inconstance jurisprudentielle comme un reflet de l’ambiguïté entourant la qualification des mesures nouvelles, il faut se résoudre à admettre que cette décision sonne le glas de l’exigence d’imputabilité en tant que fondement de la responsabilité pénale. Cette éviction semble devoir constituer la nouvelle règle en la matière, comme en témoigne la pérennisation de la solution par la jurisprudence ultérieure.

1.3 La concession de l’impératif d’imputabilité confirmée par la jurisprudence postérieure

L’ampleur de la concession est d’autant plus importante qu’elle s’opère tant en droit interne qu’en droit européen. Dans une affaire en date du 12 octobre 20111332, le demandeur au pourvoi s’est vu infliger, à la suite d’une déclaration d’irresponsabilité pénale prononcée par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Metz, plusieurs mesures figurant à l’article 706-136 du Code de procédure pénale. Il souhaite faire obstacle à l’application rétroactive de deux d’entre elles : celle correspondant à l’interdiction de paraître dans tout lieu spécialement désigné1333 et celle relative à la suspension du permis de conduire1334. Même si le demandeur semble nourrir des doutes sur la nature juridique réelle de ces mesures, comme en témoigne l’emploi de guillemets dans le mémoire produit par la défense pour désigner les mesures de l’article 706-136 du Code de procédure pénale, il préfère mettre en avant la gravité des mesures prononcées pour échec à leur application immédiate1335. Ainsi,

1328. P. MISTRETTA, « Les mesures de sûreté, tu ne dénigreras pas », JCP G 2010, p. 117. 1329. À supposer que les dispositions de la loi du 25 février 2008 soient divisibles, Pour une opinion finalement

contraire, cf. F. ROUSSEAU, « L’application dans le temps des nouvelles dispositions du 25 février 2008 relatives à l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. – (À propos de l’arrêt de la chambre criminelle du 21 janvier 2009) », Dr. pén., 2009, étude 9.

1330. Un précédent jurisprudentiel : un arrêt du tribunal militaire de cassation permanent de Paris rendu le 1er février 1940 a pu décider que, lorsqu’une loi nouvelle criminalise un ancien délit par l’aggravation de ses peines, il fallait appliquer immédiatement la nouvelle procédure criminelle tout en maintenant les anciennes peines correctionnelles plus douces (cf. RSC, 1940, p. 285).

1331. P. MISTRETTA, « Les mesures de sûreté tu ne dénigreras pas », op. cit., p. 220. 1332. Cf. Cass. crim., 12 oct. 2011, no 10-88.126, inédit. 1333. C. pr. pén., art. 706-136 (2°). 1334. C. pr. pén., art. 706-136 (5°). 1335. Cette démarche n’est pas sans rappeler celle adoptée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du

21 février 2008 où, pour écarter l’application immédiate de la rétention de sûreté, la Haute Juridiction

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dans l’affaire étudiée, la défense faisait valoir, d’une part, que « l’interdiction faite à l’irresponsable pénalement pour cause de trouble mental de paraître pendant vingt ans dans l’entier département où sont domiciliées les victimes des faits et leurs familles, bien qu’y réside sa propre famille, présente une gravité suffisante pour que soit refusée l’application rétroactive de cette “mesure de sûreté” […] » et, d’autre part, que « compte tenu de sa durée, la suspension du permis de conduire de l’irresponsable pénalement pour cause de trouble mental pendant vingt ans fondée sur la seule incompatibilité potentielle d’un traitement psychotrope avec la conduite, à défaut d’être subordonnée au recours effectif à un traitement dont l’incompatibilité serait avérée et limitée à sa durée, présente une gravité suffisante pour que soit refusée l’application rétroactive de cette “mesure de sûreté” ». La Cour de cassation rejette le pourvoi en considérant que la nature juridique des mesures édictées à l’article 706-136 autorise leur application immédiate. Selon la juridiction suprême, « l’arrêt n’encourt pas le grief allégué dès lors […] que les dispositions de l’article 112-1 du Code pénal prescrivant que seules peuvent être prononcées les peines légalement applicables à la date de l’infraction, ne s’appliquent pas aux mesures de sûreté prévues, en cas de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, par les articles 706-135 et 706-136 du Code de procédure pénale ». La nature juridique des mesures instaurées par la loi du 25 février 2008 est expressément confirmée par la Haute Juridiction, cela dans les mêmes termes que dans un précédent arrêt du 14 avril 20101336. L’espoir de voir restituer aux mesures de l’article 706-136 du Code de procédure pénale leur exacte qualification s’est définitivement évanoui avec la position adoptée récemment par la Cour européenne des droits de l’homme.

2. L’occasion manquée de la jurisprudence européenne

Par un arrêt en date du 3 septembre 2015, la Cour européenne a refusé d’appliquer l’article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales aux mesures de sûreté de l’article 706-136 du Code de procédure pénale1337. Selon la juridiction européenne, les mesures susceptibles d’être prononcées à l’encontre d’une personne ayant fait l’objet d’une déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ne sont pas des peines au sens de l’article 7 de la Convention, car elles ne sont pas prononcées à la suite d’une condamnation pour « infraction ». La Cour européenne rappelle que, pour la chambre de l’instruction, s’il existe contre le prévenu des charges suffisantes d’avoir commis les faits, il doit cependant être reconnu pénalement irresponsable en raison d’un trouble mental ayant aboli son discernement, cette déclaration ne constituant « nullement une condamnation mais la constatation d’un état susceptible d’avoir des conséquences juridiques ». Dans le commentaire qu’elle effectue de cette décision, Virginie Peltier relève que « la Cour européenne adopte la conception de droit pénal classique selon laquelle, en l’absence d’élément moral imputable au prévenu, il ne saurait être question de lui reprocher la commission d’une infraction ; tout au plus peut-on constater qu’il a

avait notamment retenu le critère de la gravité de la mesure (cf. Cons. const., DC no 2008-562 et infra, le développement sur la rétention de sûreté).

1336. Cf. Cass. crim., 14 avr. 2010, no 09-82.291, inédit. 1337. Cf. CEDH, 3 sept. 2015, no 42875/10, Berland c/ France : JurisData no 2015-019339 ; RSC, 2016, p. 129

note D. ROETS ; D., 2015, p. 2465, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE, T. GARE, C. GINESTET, M.-H. GOZZI et S. MIRABAIL ; AJ pén., 2015, p. 599, obs. C. MARGAINE ; Dr. pén., 2015, comm. 134, note V. PELTIER.

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matériellement commis les faits objet de la procédure »1338. Autrement dit, il ne pourrait s’agir d’une décision de condamnation, faute pour le prévenu d’avoir pu commettre une infraction en raison de son état mental au moment des faits. Or, l’extériorité de l’imputabilité à l’infraction a été démontrée dans la première partie de cette étude. Il est donc en réalité possible de caractériser l’existence d’une infraction au sens pénal du terme à l’encontre d’une personne non imputable. La question se pose donc de savoir si cette possibilité est de nature à remettre en cause la solution adoptée par la Cour européenne. Pour y répondre, il faut préciser la signification du terme « condamnation » dans la jurisprudence européenne. Celui-ci se confond-il avec la notion d’infraction au sens pénal du terme ? Le terme de condamnation est défini très précisément en droit européen. Au sens de l’article 5, § 1 de la Convention, ce mot s’entend à la fois d’une déclaration de culpabilité à la suite de l’établissement d’une infraction1339 et de « l’infliction d’une peine ou autre mesure privative de liberté »1340. Il ressort de cette définition que les critères européens de la « condamnation » semblent en contradiction avec la jurisprudence Berland c/ France du 3 septembre 2015. En d’autres termes, en application de ces derniers, il semblait permis de conclure, relativement aux mesures de l’article 706-136 du Code de procédure, à la nature juridique de peine. En effet, l’hypothèse d’une confusion infraction/condamnation résulte de l’assimilation de la déclaration d’irresponsabilité pénale à une déclaration de culpabilité1341. Cependant, il sera établi que, nonobstant le constat d’une pénalisation de la maladie mentale, la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale ne peut se solder, tout au plus, que par une déclaration de culpabilité objective. La décision de la chambre de l’instruction1342 ne constitue pas une décision de condamnation, faute pour le prévenu de pouvoir se voir imputer l’infraction commise. Si le défaut d’imputabilité du sujet ne fait pas obstacle à la caractérisation d’une infraction, il fait en revanche obstacle à toute décision de condamnation reposant quant à elle sur la responsabilité du sujet1343. Il faut donc se résoudre à considérer qu’en application du critère de distinction retenu par la Cour européenne entre les peines et les mesures de sûreté, les mesures prononcées par la chambre de l’instruction ne sauraient être assimilées à des peines. Il était pourtant permis de nourrir quelques espoirs du côté de cette juridiction, dans la mesure où, en droit européen, la notion de peine a un sens autonome, c’est-à-dire distinct de celui qu’elle peut avoir dans les droits internes1344. La Cour européenne a coutume d’aller au-delà des apparences et d’apprécier elle-même si une mesure particulière s’analyse au fond en une « peine » au sens de l’article 7 de la Convention1345. D’ailleurs, à l’examen de certains

1338. Ibid., Dr. pén., 2015, comm. 134, note V. PELTIER. 1339. Cf. CEDH 6 nov. 1980, Guzzardi c/ Italie, § 100, Série A, no 39. 1340. Cf. CEDH 24 juin 1982, Van Droogenbroeck c/ Belgique, § 35, Série A, no 50. 1341. Cf. infra, partie 2, le développement consacré au dévoiement de la césure du procès pénal. 1342. Nous ciblons cette juridiction dans la mesure où la question de l’irresponsabilité pénale de la personne

poursuivie se pose le plus souvent à ce stade du procès pénal. 1343. Nous allons établir que la décision de la chambre de l’instruction s’apparente en réalité à une déclaration

de culpabilité objective (cf. infra, partie 2). 1344. Tout comme la « matière pénale » de l’article 6 de la Convention. 1345. Cf. CEDH 9 févr. 1995, Welch c/ Royaume-Uni, § 27, Série A, no 307-A ; RSC, 1996, p. 470, obs.

R. KOERING-JOULIN, où, à propos d’une confiscation de bénéfices retirés d’un trafic de stupéfiants, les juges européens ont considéré cette mesure comme une peine. Cf. également CEDH 8 juin 1995, Jamil c/ France, § 30, Série A, no 317-B ; D., 1996, p. 197, obs. J.-F. RENUCCI ; RSC, 1995, p. 855, obs. L.-E. PETTITI, 1996, p. 471, obs. R. KOERING-JOULIN et p. 662, obs. J.-P. DELMAS SAINT-HILAIRE où

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des critères utilisés par la Cour européenne pour décider que la mesure considérée est une « peine », il est permis de considérer que ceux-ci se trouvent réalisés dans le cas des mesures de l’article 706-136 du Code de procédure pénale. La Cour s’attache ainsi à la nature profonde de la sanction ainsi qu’au cadre procédural dans lequel elle s’insère. Or, si l’équivalence des mesures de l’article 706-136 avec certaines peines du Code pénal a déjà été établie1346, le caractère pénalisant pour la maladie mentale de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale découlera de manière univoque de son étude ultérieure1347. De plus, si l’on contextualise cette décision dans la jurisprudence de la Cour, elle perd en partie sa cohérence. En effet, la mise en parallèle de cette décision avec les autres décisions de la Cour européenne suscite l’interrogation. Elle révèle d’abord que la juridiction européenne ne s’est pas toujours illustrée par le respect intangible de la légalité formelle. Autrement dit, il lui est déjà arrivé d’aller à l’encontre des qualifications employées dans les législations internes. L’exemple le plus significatif est représenté par la détention de sûreté du droit allemand1348. La Cour n’avait pas hésité à passer outre la qualification formelle de mesure de sûreté pour conclure à l’existence d’une peine au sens de l’article 7 de la Convention1349. Elle a d’ailleurs réitéré cette transgression à l’occasion de deux arrêts rendus en 20111350. Eu égard aux enjeux en cause dans la décision du 3 septembre 2015, il n’aurait donc pas été surprenant que la juridiction censée protéger les droits de l’homme à l’échelle européenne aille à l’encontre de la qualification formelle choisie par le législateur pour les mesures de l’article 706-136 du Code pénal. Nous considérerons donc, à l’instar de Virginie Peltier, que, dans le cas d’espèce, la position de la Cour est « plus qu’artificiellement formaliste »1351. Pour relativiser plus encore la dernière jurisprudence de la Cour, on peut aussi mettre en avant l’évolution de sa position sur la nature juridique des réductions de peine. Alors qu’elle avait toujours exclu les réductions de peine de la notion de peine, la juridiction européenne a récemment changé de position au prix de multiples « circonvolutions »1352. Il y a là un élément supplémentaire à la relativisation de la qualification choisie par la Cour européenne pour les mesures de l’article 706-136 du Code de procédure pénale.

les juges ont décidé que la contrainte par corps, liée en l’espèce à une condamnation pour amende douanière consécutive, là encore, à un trafic de stupéfiants, était une peine au sens du dudit article 7.

1346. Cf. supra. 1347. Cf. infra, partie 2. 1348. Cette mesure est l’équivalent de la rétention de sûreté dans le système judiciaire français. 1349. La détention de sûreté doit « être qualifiée de peine aux fins de l’article 7 § 1 de la Convention EDH »

(cf. CEDH, 17 déc. 2009, no 19359/04, M. c/ Allemagne, JurisData no 2009-021374, part. § 133. Selon certains auteurs, « il conviendrait que le législateur français tire les conséquences de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme quant à la nature de la rétention de sûreté en considérant, dans la logique de la décision M. c/ Allemagne […] que la rétention de sûreté est une peine et non une mesure de sûreté tant au sens du droit français que du droit européen » (V. BIANCHI, « Quels droits de la défense pour la personne placée sous surveillance de sûreté ou en rétention de sûreté ? », AJ pén., 2014, p. 106). La Cour européenne a confirmé cette analyse par deux décisions du 24 novembre 2011 (CEDH, 24 nov. 2011, no 4646/08, O. H. c/ Allemagne ; CEDH 24 nov. 2011, no 48038/06, Schönbrod c/ Allemagne).

1350. Cf. CEDH, 24 nov. 2011, no 4646/08, O. H. c/ Allemagne ; CEDH 24 nov. 2011, no 48038/06, Schönbrod c/ Allemagne.

1351. Cf. Dr. pén., 2015, comm. 134, V. PELTIER. 1352. Loc. cit. ; cf. également CEDH, gr. ch., 21 oct. 2013, no 42750/09, Del Rio Prada/c Espagne, Dr. pén., 2013,

comm. 179, note V. PELTIER ; cf. également infra.

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En s’alignant sur la position du législateur, la jurisprudence contribue donc au sacrifice de l’imputabilité à l’endroit des majeurs aliénés. Si l’éclipse de l’imputabilité en tant que fondement de la responsabilité pénale semble autorisée en droit pénal des majeurs, c’est l’imputabilité comme « aptitude à profiter de la sanction »1353 qui semble remise en question en droit pénal des mineurs par le durcissement des sanctions applicables. Un peu de droit prospectif en la matière amènera à la même conclusion relativement à l’acception classique de l’imputabilité.

§ 2 - L’imputabilité ébranlée par le glissement du droit pénal des mineurs vers le droit pénal des majeurs, ou la concession de l’imputabilité dans sa

double acception de fondement et d’aptitude à profiter de la sanction pénale

Dans le sillage de Roger Merle et d’André Vitu, d’aucuns considèrent d’actualité la pertinence de l’imputabilité dans son acception de capacité pénale en droit pénal des mineurs1354. Cette dernière, qui s’entend de « l’aptitude à profiter de la sanction pénale », pourrait trouver une assise juridique dans les principes de primauté de l’action éducative et d’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de leur âge qui constituent le socle du droit pénal de fond des mineurs. Dans sa décision du 29 août 2002, rendue à propos de la loi no 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice et réformant la justice pénale des mineurs1355, le Conseil constitutionnel a profité de sa saisine pour ériger en principes fondamentaux reconnus par les lois de la République – ayant à ce titre valeur constitutionnelle en vertu du préambule de la Constitution de 1946 – les principes posés par l’ordonnance de 1945 au rang desquels les principes d’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs, de la primauté de l’action éducative et de la spécialisation des juridictions et de la procédure. La juridiction suprême a notamment souligné la « nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité »1356. La capacité pénale, en supposant une gradation dans la responsabilité pénale du mineur en lien avec la mesure de son discernement, trouve une traduction concrète dans la fixation de seuils d’âges de responsabilité combinée au principe de l’option entre les différentes sanctions pénales susceptibles d’être prononcées à l’encontre d’un mineur délinquant. Il ne paraît donc pas totalement inapproprié de considérer que l’imputabilité comme capacité pénale découle in fine des principes directeurs de la justice pénale des mineurs, cela d’autant plus que c’est la mise en place d’un statut autonome protecteur du mineur délinquant qui a généré en doctrine l’éclosion du concept de capacité pénale. Au-delà, on pourrait donc même appréhender l’imputabilité comme l’un des vecteurs du modèle protectionniste de la justice pénale des mineurs.

1353. Nous considérons l’hypothèse où l’imputabilité s’entend également de l’aptitude à profiter de la sanction

pénale. 1354. Cf. supra, introduction. 1355. Cons. Const., no 2002-461 DC du 29 août 2002, JO 10 sept. 2002, p. 14953 ; RDP 2002, p. 1731, note

J. ROUX. 1356. Loc. cit.

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L’adhésion à ce paradigme invite d’abord à considérer avec attention les rénovations récentes ayant affecté le droit pénal de fond des mineurs1357. Le droit pénal des mineurs a été marqué au cours des dernières décennies par une tendance législative à sanctionner le mineur plus fermement et plus précocement, avec des discussions intéressant au premier chef la recherche d’une réponse pénale adaptée à la réalité sociologique de la délinquance juvénile actuelle. En 2014, la délinquance des mineurs traitée par les parquets a concerné 225 800 mineurs, soit 3,4 % de la population âgée de 10 à 17 ans1358. Si les dispositions les plus récentes en matière de justice pénale des mineurs ont eu tendance à en réaffirmer la spécificité1359, il importe néanmoins de s’attarder sur les conséquences conceptuelles d’une pénalisation de la minorité pénale, tant cette dernière a marqué la décennie précédente et pourrait parfaitement resurgir à l’occasion d’une nouvelle politique pénale. Le glissement subséquent du droit pénal des mineurs vers le droit pénal des majeurs ne vient-il pas questionner l’intégrité de l’imputabilité dans son acception de capacité pénale ? Le législateur n’a-t-il pas reconsidéré, implicitement, la capacité pénale en abaissant le seuil de celle-ci ? Les diverses réformes opérées de l’ordonnance de 1945 invitent donc à questionner leur impact sur le concept d’imputabilité comme capacité pénale1360. Il en ressort que l’aptitude du mineur à profiter de la sanction pénale semble occuper une place plus résiduelle dans les prévisions du législateur, au bénéfice de la répression (A.). Un détour par l’exigence d’imputabilité à l’engagement de la responsabilité pénale du mineur montrera que l’acception traditionnelle de l’imputabilité ressort quant à elle confortée des dernières évolutions législatives. Pour autant, si nous faisons œuvre de prospection, comme nous y invitent les réformes à ce jour avortées de la discipline, il nous faudra alors nuancer notre propos (B.).

A. L’imputabilité comme capacité pénale ébranlée par l’aggravation des sanctions encourues par le mineur délinquant

Les réformes qui ont amoindri la spécificité du droit pénal de fond applicable au mineur délinquant sont venues durcir les peines applicables, qu’il s’agisse de leur nature ou de leur quantum. Avec la création des sanctions éducatives s’apparentant pour la majorité à des peines (1.), le cumul possible d’une mesure éducative et d’une peine (2.), la multiplication des dérogations au principe d’atténuation légale de peine (3.) ou la création des peines

1357. Nous nous intéresserons dans le titre 2 de cette partie aux conséquences des rénovations ayant affecté le

droit pénal de forme. En effet, quand la tendance législative est à la répression, la procédure pénale est également remise en cause.

1358 . Ces mineurs sont plutôt âgés : près de la moitié (48 %) ont 16 ou 17 ans, 42 % ont entre 13 et 15 ans, 9 % entre 10 et 12 ans, et 1 % moins de 10 ans. Par ailleurs, les garçons représentent 83 % des mineurs traités par les parquets (cf. ministère de la Justice, www.ministere.gouv.fr/SG/SDSE, « Système d’information décisionnel pénal, exploitation statistique du casier judiciaire national »).

1359. Cf. la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, dite Justice 21. Cf. également infra, partie 2, le fait que cette loi ait renoué avec le primat de l’éducatif et supprimé les tribunaux correctionnels pour mineurs.

1360. De la même manière, nous avions dans le chapitre précédent, le temps d’une démonstration, adhéré au postulat selon lequel le concept de capacité pénale était absorbé par celui d’imputabilité. Il s’agissait alors de conforter le caractère objectivé de l’imputabilité à l’endroit des personnes morales par la démonstration de l’impossibilité de transposer cette acception de l’imputabilité dans l’hypothèse d’une responsabilité directe de l’entité abstraire.

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planchers (4.), l’imputabilité comme capacité pénale ne pouvait en effet en ressortir qu’affaiblie.

1. La parenté des sanctions éducatives avec les peines fragilisant l ’imputabilité comme capacité pénale

La loi no 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice, tout en consacrant expressément à l’alinéa 1er de l’article 122-8 du Code pénal l’exigence du discernement à l’engagement de la responsabilité pénale des mineurs1361, devait dans le même temps créer une nouvelle catégorie de sanctions applicables aux mineurs âgés de 10 ans au moins. Ces dernières sont énumérées à l’article 15-1 de l’ordonnance du 2 février 1945 sous la qualification de « sanctions éducatives »1362. Si l’on peut se féliciter de la consécration de l’exigence d’imputabilité à l’engagement de la responsabilité pénale des mineurs1363, on ne peut qu’être « ennuyé »1364 de cette nouvelle alternative répressive ouverte par le législateur à l’encontre de très jeunes mineurs. Le législateur lui-même a semblé être embarrassé quant à la qualification à retenir, comme en témoigne la terminologie antinomique retenue dans la loi du 9 septembre 2002. Dans le même sens, Carmen Montoir considère que « l’expression même de sanctions éducatives associant des termes jugés contradictoires »1365, la doctrine dans son ensemble s’est interrogée sur leur nature profonde. En effet, la majorité des sanctions éducatives créées par la loi du 9 septembre 2002 s’apparentent en réalité à des peines. Par exemple, sur les six sanctions éducatives initialement créées, cinq d’entre elles ressemblaient à s’y méprendre à des peines : la confiscation, l’interdiction de séjour, l’interdiction de rencontrer la victime, l’interdiction de rencontrer les coauteurs ou complices, ainsi que le stage de formation civique, qui se révélait très proche de la peine de stage de citoyenneté créée par la suite par la loi du 9 mars 2004. Aussi, bien qu’avec la loi no 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, le législateur ait semblé vouloir rétablir l’équilibre en ajoutant quatre sanctions éducatives, plus proches dans leur esprit des mesures éducatives que des peines1366, il semble permis de considérer que les sanctions éducatives s’apparentent plus à des peines qu’à des mesures éducatives, même renforcées. La loi du 5 mars 2007 n’est pas parvenue à lever « l’incertitude rivée »1367 à la nature des sanctions éducatives. Au-delà d’une énumération de mesures avec des correspondances peu ou prou équivalentes, le régime des sanctions éducatives s’apparente à celui des peines. En premier lieu, il résulte de l’article 2, alinéa 2 de l’ordonnance du 2 février 1945 qu’elles sont assujetties aux critères

1361. Cf. infra, « L’exigence de l’imputabilité à l’engagement de la responsabilité pénale fragilisée dans les projets

de réforme du droit pénal des mineurs ». 1362. Cf. également C. pén., art. 122-8, al. 2. 1363. Cf. infra. 1364. À propos de la loi du 9 septembre 2002, Xavier Pin relève dans le même sens que « l’ennui est que cette

loi a également créé, à destination des mineurs d’au moins 10 ans, des « sanctions éducatives » (X. PIN, « L’irresponsabilité pénale (réflexion sur le sens des articles 122-1, 122-2, 122-3 et 122-8 du Code pénal) », op. cit., p. 58 et 59.

1365. C. MONTOIR, Les principes supérieurs du droit pénal des mineurs délinquants, thèse Paris-2, 2014, no 403, p. 229. 1366. En l’espèce : le placement dans un établissement d’éducation, l’exécution de travaux scolaires,

l’avertissement solennel et le placement dans un établissement doté d’un internat. Pour une étude détaillée de l’ensemble des sanctions éducatives applicables à un mineur délinquant, cf. ibid., nos 376 à 397.

1367. Ibid., no 403, p. 229.

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de prononcé de la peine, à savoir les circonstances et la personnalité1368. N’est-il pas significatif que le législateur ait opéré une distinction entre les mesures éducatives, d’une part, visées au premier alinéa de cet article et qui constituent la réponse pénale applicable par principe aux mineurs délinquants, et, d’autre part, les sanctions éducatives et les peines, réunies au sein du deuxième alinéa, et qui constituent la réponse pénale subsidiaire ? Par ailleurs, si le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 29 août 20021369, a validé la création des sanctions éducatives en reconnaissant leur caractère éducatif, il a aussi affirmé qu’elles étaient soumises à la proportionnalité des peines1370. De là à considérer que les sanctions éducatives participent d’une évolution dans la conception du droit pénal des mineurs en lien avec la réalité de la délinquance juvénile et supposant dorénavant que la peine devienne un « instrument possible d’éducation », il n’y a qu’un pas que certains auteurs ont franchi1371. Dans le même sens, Carmen Montoir considère qu’« en indiquant que l’aménagement des sanctions éducatives doit respecter le principe de proportionnalité des peines, le Conseil semble assimiler, par leur caractère, les sanctions éducatives aux peines… »1372. Ainsi, bien que dans l’esprit des prometteurs des sanctions éducatives il s’agissait de créer des sanctions médianes, intermédiaires entre les mesures éducatives et les peines, et bien que l’on puisse noter un infléchissement du caractère répressif des sanctions éducatives créées par la loi du 5 mars 2007, il reste permis de considérer que ces « nouvelles » sanctions pénales applicables aux mineurs délinquants s’apparentent plus à des peines. Cette similitude induit d’abord une pénalisation insidieuse de la minorité puisqu’en principe, en application de l’article 122-8, alinéa 2 du Code pénal, seuls les mineurs âgés d’au moins 13 ans peuvent se voir infliger des peines. L’alinéa 2 de cet article dispose en effet que l’ordonnance de 1945 « détermine également les sanctions éducatives qui peuvent être prononcées à l’encontre des mineurs de dix à dix-huit ans ainsi que les peines auxquelles peuvent être condamnés les mineurs de treize à dix-huit ans… ». Au-delà de la contradiction intrinsèque de la loi du 9 septembre 2002, la pénalisation de la minorité n’est-elle pas de nature à induire une transgression de l’exigence d’imputabilité comme capacité pénale ? Bien que le Conseil constitutionnel ait érigé chacun des principes directeurs de la justice pénale des mineurs au

1368. En application de cet article, les juridictions pour mineurs « pourront cependant, lorsque les circonstances et la

personnalité du mineur l’exigent, soit prononcer une sanction éducative à l’encontre des mineurs de dix à dix-huit ans […], soit prononcer une peine à l’encontre des mineurs de treize à dix-huit ans en tenant compte de l’atténuation de responsabilité pénale ».

1369. Cons. Const. décision no 2002-461, DC du 29 août 2002, préc. 1370. Les députés auteurs de l’une des saisines dénonçaient le fait que certaines des sanctions éducatives étaient

contraires au principe de nécessité et de proportionnalité des peines garanti par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 – par exemple, tel était le cas de l’interdiction faite à un mineur de rencontrer ou d’entrer en contact avec la victime de son infraction lorsque l’infraction avait été commise « dans l’enceinte de son école ou dans le cadre de son club de football ou d’échec, voire à l’occasion d’un cours de catéchisme », en sachant qu’une telle interdiction était susceptible d’aboutir à priver l’enfant de scolarisation ou d’une partie de sa vie sociale. Le Conseil constitutionnel a considéré que « les principes constitutionnels propres à la justice des mineurs ne s’opposent pas à ce que leur soient infligées des sanctions telles que celles énumérées ci-dessus, lesquelles ont toutes, au demeurant, une finalité éducative ; qu’en particulier, en application du principe de proportionnalité des peines, ces sanctions prendront naturellement en compte les obligations familiales et scolaires des intéressés ».

1371. Cf. Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 331, p. 380. Selon l’auteur, cette évolution est la marque que le droit pénal des mineurs n’est plus fondé sur l’incompatibilité jusqu’ici dominante entre peine et éducation, mais sur leur complémentarité.

1372. C. MONTOIR, op. cit., no 410, p. 233.

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rang de principes fondamentaux reconnus par les lois de la République dans sa décision du 29 août 20021373, à l’occasion précisément de l’examen de la loi du 9 septembre 2002, on peut se demander si la validation des sanctions éducatives ne vient pas, dans le même temps, réduire partiellement, voire anéantir cette consécration constitutionnelle1374. Ce nouveau paradoxe ne peine-t-il pas à masquer que l’accroissement de la sévérité du droit pénal de fond applicable aux mineurs s’effectue assez logiquement au détriment du principe de primauté de l’action éducative ? Une réponse par l’affirmative semble devoir s’esquisser, surtout si l’on rapproche la création des sanctions éducatives de la volonté législative d’instrumentalisation d’une qualification juridique observée depuis à l’occasion de la création des « pseudo-mesures de sûreté » de l’article 706-136 du Code de procédure pénale, applicables quant à elles aux délinquants aliénés. N’y a-t-il pas, dans les deux cas, contournement de l’exigence d’imputabilité ?

2. Le cumul possible d ’une mesure éducative et d ’une peine fragilisant l’imputabilité comme capacité pénale

Il a déjà été établi que l’imputabilité comme capacité pénale constituait une manifestation de la primauté de l’action éducative. Or, l’ordonnance de 1945, pour consacrer le principe de la primauté de l’action éducative sur l’action répressive, avait retenu un système d’option entre la mesure éducative et la peine, avec une priorité accordée à la mesure éducative. L’imputabilité comprise comme capacité pénale, autrement désignée sous l’expression d’« aptitude à profiter de la sanction pénale », a logiquement pour corollaire le principe de l’option possible entre les différentes sanctions pénales pouvant être prononcées à l’encontre d’un mineur délinquant. Un autre renforcement de la répression, découlant de la loi du 9 septembre 2002, consiste précisément dans la mise à mort du principe de l’option entre mesure éducative et peine. Plus concrètement, le tribunal pour enfants peut prononcer dans une même décision une peine d’emprisonnement assortie du sursis avec mise à l’épreuve avec une mesure de liberté surveillée ou un placement, la mesure éducative devenant alors une obligation particulière de la mise à l’épreuve1375. Le législateur a donc mis un terme à l’impossibilité traditionnelle de cumuler peine et mesure éducative ; cette exception au principe de l’option, en noyant la mesure dans la peine, entraîne une perte de lisibilité de la réponse pénale à l’infraction commise par un mineur. La lecture globalement répressive qui en résulte, contrairement à la position adoptée par le Conseil constitutionnel, vient contrarier le primat de l’éducatif. Au-delà, c’est l’imputabilité dans son acception de capacité pénale qui est atteinte.

1373. Ils ont donc valeur constitutionnelle en vertu du préambule de la Constitution de 1946 (cf. Cons. Const.,

no 2002-461, DC du 29 août 2002, JO 10 sept. 2002, p. 14953. 1374. Cela d’autant que la volonté du législateur de privilégier le recours à ces sanctions plutôt qu’aux

traditionnelles mesures éducatives de l’ordonnance de 1945 se devine à l’enrichissement de leur liste par les lois ultérieures, à l’instar de la loi no 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance qui, comme nous l’avons précédemment évoqué, est venue allonger la liste initiale de quatre nouvelles sanctions éducatives ou de la loi no 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure qui est venue créer l’interdiction pour le mineur d’aller et venir sur la voie publique entre vingt-trois heures et six heures sans être accompagné de l’un de ses parents ou du titulaire de l’autorité parentale.

1375. Cela permet ainsi de sanctionner ultérieurement l’absence d’adhésion du mineur à la mesure éducative prononcée (ord. 1945, art. 20-10, al. 3 ; C. pr. pén., art. D. 49-52).

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En outre, la possibilité d’associer peine et mesure éducative est susceptible de faire naître des doutes sur la nature juridique des mesures éducatives et, par voie de conséquence, d’altérer ab initio l’existence d’une réelle faculté d’option. On aurait pu penser que le non-cumul d’une peine et d’une mesure éducative tenait à l’étanchéité de la frontière entre les deux catégories de réponses pénales, et donc à l’existence d’une réelle alternative éducative en la matière. Le cumul possible ne pouvait que distiller le doute sur la nature juridique des mesures éducatives1376. Ces doutes sont confirmés par la lecture du rapport Varinard1377, dont il est permis de penser qu’il pourrait être un jour ressuscité à la faveur d’une alternance politique1378. Tout d’abord, l’une des propositions consistait à unifier les mesures éducatives et les sanctions éducatives sous la dénomination de « sanctions éducatives ». Il en serait donc résulté une distinction binaire entre les sanctions éducatives et les peines, les premières intégrant toutes les mesures éducatives jusqu’alors appliquées ainsi que les sanctions éducatives au sens strict. À l’instar de Christine Lazerges, nous considérons qu’il y aurait eu là « une modification d’ordre terminologique […] porteuse de sens »1379. Si d’aucuns ont vu dans la proposition de supprimer la catégorie des mesures éducatives un argument en faveur de l’aggravation de la répression des mineurs1380, nous considérons, pour notre part, qu’on peut y voir la reconnaissance de la véritable nature juridique des mesures éducatives. A minima, on pourrait ainsi considérer, à l’instar de Philippe Bonfils, que la commission Varinard avait décidé « d’appeler l’ensemble des actuelles sanctions éducatives et mesures éducatives « sanctions éducatives », pour indiquer que l’on se situe dans la sphère pénale, même s’il s’agit d’éducation, et pour les différencier des mesures éducatives relevant de l’assistance éducative relative aux mineurs en danger »1381. Afin d’éviter toute confusion, il s’agirait donc d’être « raisonnable »1382 en préconisant « de réserver l’expression de “mesures éducatives” aux mesures de protection prises au titre de l’assistance éducative et au pénal de ne distinguer les sanctions éducatives que des peines proprement dites »1383. Au-delà, la proposition de réunion des mesures éducatives et des sanctions éducatives en une seule catégorie de sanctions pénales souligne la coloration répressive des actuelles mesures éducatives. En outre, n’est-il pas significatif que la dénomination de la catégorie réunissant les mesures éducatives et les sanctions éducatives corresponde à celle de « sanctions éducatives », celles-là mêmes dont la véritable nature répressive a été précédemment

1376. Ces dernières s’apparentant à des mesures de sûreté, il pourrait aussi être tiré argument de l’hybridation

possible entre peine et mesure éducative en faveur de la convergence des peines et mesures de sûreté. 1377. Un groupe de travail avait été chargé par la garde des Sceaux, en avril 2008, de réfléchir à un remaniement

de l’ordonnance de 1945. La lettre de mission de la ministre invitait la commission à engager une refondation complète de la justice pénale des mineurs « pour une justice plus réactive et plus adaptée ». La commission était présidée par le Recteur André Varinard et composée de parlementaires, de praticiens et d’universitaires. La réflexion devait déboucher, six mois plus tard, sur soixante-dix propositions destinées à prendre forme dans un code de la justice pénale des mineurs.

1378. Quoi qu’il en soit, le manque de lisibilité des dispositions de l’ordonnance de 1945, majoritairement dénoncé par la doctrine, aboutira tôt ou tard à une réforme d’ampleur du droit pénal des mineurs. Mme Taubira, alors qu’elle était garde des Sceaux, avait elle aussi projeté d’engager une réforme de la discipline.

1379. C. LAZERGES, « Lectures du rapport “Varinard” », RSC, 2009, p. 226. 1380. Dans la mesure où la suppression pure et simple de la catégorie des mesures éducatives ne laissait subsister

dans l’arsenal répressif applicable au mineur que les sanctions éducatives et les peines. 1381. P. BONFILS, « Présentation des préconisations de la commission Varinard », AJ pén., 2009, p. 9. 1382. C. LAZERGES, « Lectures du rapport “Varinard”, op. cit., p. 226. 1383. Loc. cit.

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établie1384 ? La commission Varinard justifiait d’ailleurs le choix de cette dernière expression, par préférence à celle de « mesure éducative », par la volonté « d’afficher clairement que la réponse à apporter à un acte transgressif doit être une sanction, même si elle poursuit un objectif d’éducation »1385. La coloration punitive des mesures éducatives, en réduisant le champ de l’alternative initialement offerte au juge entre éducation et répression, est de nature à altérer « l’aptitude à profiter de la sanction ». L’aspiration des mesures éducatives actuellement applicables aux mineurs par la catégorie des sanctions éducatives, en disant la vérité sur leur nature juridique, révèlerait donc l’atteinte portée ab initio à l’imputabilité comme capacité. Allant encore au-delà, le rapport Varinard préconisait ensuite, dans une proposition 34, de généraliser la faculté ouverte par la loi du 9 septembre 2002 en consacrant le principe du cumul possible des sanctions éducatives et des peines1386. Commentant cette proposition, Christine Lazerges souligne que « le principe du cumul possible sanction éducative-peine modifie le sens donné au primat de l’éducatif car il efface le caractère subsidiaire de la peine »1387. Considérant que le principe de primauté de l’éducation sur la répression signifie en principe l’incompatibilité entre la voie éducative et la voie répressive, et la préférence accordée normalement à la première sur la seconde, il nous paraît légitime de considérer que la généralisation du cumul sanction éducative-peine remettrait une nouvelle fois en question l’imputabilité comme capacité pénale. Au regard du développement qui précède, il est permis d’ajouter que, si la loi dite Justice 21 du 18 novembre 2016 a maintenu la catégorie autonome des mesures éducatives, entretenant ce faisant l’artificialité d’une réelle alternative éducative en droit pénal des mineurs, elle a dans le même temps, et dans le sillage de la loi du 9 septembre 2002, élargi les possibilités de cumul des peines et des mesures éducatives. Le 1° de l’article 30 de la loi complète ainsi l’article 2 de l’ordonnance du 2 février 1945 par un alinéa disposant que « lorsqu’il prononce une condamnation pénale, le tribunal pour enfants peut, en outre, si la personnalité du mineur le justifie, prononcer l’une des mesures éducatives mentionnées aux articles 12-1, 16, 16 bis et 16 ter et au chapitre IV ». Il dispose également que, « dans les mêmes conditions, la cour d’assises des mineurs peut prononcer une condamnation pénale et des mesures éducatives selon les modalités prévues au dernier alinéa de l’article 201 ». Selon la circulaire du 13 décembre 2016 présentant les dispositions de la loi dite Justice 21 du 18 novembre 2016 relatives à la justice pénale des mineurs1388, cette réforme serait de nature à garantir « la possibilité d’une action éducative quelle que soit la sanction prononcée, sans remettre en cause la primauté des mesures éducatives ». Au-delà, elle permettrait « une approche plus complète qui ne se limite pas à l’aspect rétributif de la sanction mais renforce sa dimension restaurative : cette approche autorise une réelle prise de conscience, par le mineur, du préjudice causé à la victime, ce qui favorise sa responsabilisation et la prévention

1384. Cf. supra. 1385. Cf. rapport Varinard, proposition no 3. 1386. Cf. rapport Varinard, p. 154 et suiv. 1387. C. LAZERGES, « Lectures du rapport “Varinard” », op. cit., p. 226. 1388. Circulaire 13 décembre 2016, BOMJ no 2016-12 du 30 décembre 2016 – JUSD 1636978C.

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de la récidive »1389. Une lecture progressiste de la possibilité de cumuler peines et mesures éducatives tiendrait donc au fait que le prononcé conjoint d’une mesure éducative et d’une peine viendrait tempérer l’effet rétributif de la peine en ouvrant la voie à la mise en œuvre d’une justice restaurative. Outre le caractère contestable de cette approche1390, on peut trouver, dans la lettre même de la circulaire du 13 décembre 2016, un argument en faveur du caractère répressif du cumul possible des peines et mesures éducatives. Il tient à la non-rétroactivité de ce nouveau dispositif. En effet, les « nouvelles dispositions, parce qu’elles permettent de prononcer une peine en plus d’une mesure éducative, doivent être considérées comme plus sévères et ne peuvent donc s’appliquer que pour les infractions commises après l’entrée en vigueur de la loi »1391. On peut aussi trouver une confirmation de cette analyse dans la jurisprudence récente de la Cour de cassation. Dans un arrêt en date du 10 février 2016, la Cour de cassation a décelé, dans la mesure que la cour d’appel avait qualifiée de « mesure éducative », une mesure de sûreté privative de liberté1392. En l’espèce, un mineur roumain avait fait l’objet dans son pays d’une mesure d’internement suite à la commission de plusieurs délits. Elle fut ensuite aménagée en une mesure éducative non privative de liberté que le mineur n’a pas respectée, en s’enfuyant en France. Il fut alors décidé de mettre à exécution les jours qu’il lui restait à exécuter du fait de l’internement. Un mandat d’arrêt européen a alors été décerné par les autorités roumaines à l’encontre du jeune garçon. Selon l’article 695 du Code de procédure pénale, un mandat d’arrêt européen peut être émis en vue de l’arrestation et de la remise d’une personne recherchée pour, notamment, l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privative de liberté. Pour le remettre en liberté, la chambre de l’instruction précise que la sanction prononcée à son encontre « n’est pas une peine d’emprisonnement et ne peut être qualifiée de peine ni de mesure de sûreté privative de liberté, s’agissant d’une simple mesure éducative, seule applicable à l’intéressé compte tenu de son âge ». La chambre criminelle casse l’arrêt de la cour d’appel au visa de l’article 695 du Code de procédure pénale en considérant que constitue une mesure de sûreté privative de liberté, une mesure éducative prononcée à l’encontre d’un mineur qui s’exerce dans le cadre d’un enfermement destiné à s’assurer de la personne de l’intéressé pour éviter qu’il ne prenne la fuite. Au-delà d’un argument supplémentaire en faveur de l’instrumentalisation de la catégorie des mesures de sûreté1393, cette décision met en exergue le caractère répressif de certaines mesures éducatives. Par ailleurs, l’imputabilité comme capacité pénale a aussi été fragilisée par la multiplication des dérogations au principe d’atténuation légale de peine.

1389. Ibid. 1390. Cf. supra, le raisonnement élaboré. 1391. Circulaire du 13 décembre 2016, op. cit. 1392. Cass. crim., 10 févr. 2016, no 16-80.510 : JurisData no 2016-002530 ; Bull. crim., no 45. Pour un

commentaire, Cf. Dr. pén., 2017, chron. 3 « Un an de droit de la peine », comm. É. GARÇON et V. PELTIER.

1393. Dans le commentaire qu’elle effectue de cette décision, Virginie Peltier relève qu’« il est, une fois de plus, recouru à la notion bien pratique – à tout faire – de mesure de sûreté » (Dr. pén., op. cit., 2017, chron. 3).

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3. La multiplication des dérogations au principe d ’atténuation légale de peine 1394 fragilisant l ’imputabilité comme capacité pénale

Un mineur ne peut être déclaré pénalement responsable qu’à compter du moment où il est doté de discernement. Concrètement, cela situe l’âge à compter duquel un mineur peut relever du système pénal autour de 7 ou 8 ans. En droit positif, il existe une discordance entre le seuil de la minorité pénale et l’âge auquel une peine proprement dite peut être appliquée à un mineur1395. Plus précisément, jusqu’à 10 ans, il ne peut faire l’objet que de mesures éducatives ; dès 10 ans, le prononcé de sanctions éducatives devient possible et, à 13 ans, une peine privative de liberté peut être prononcée. Traditionnellement, si, de 13 à 16 ans, la diminution de peine est de droit1396, au-delà de 16 ans, elle était par principe appliquée : le mineur de 16 à 18 ans ne pouvait être soustrait du bénéfice de la diminution de peine qu’« à titre exceptionnel », en considération des circonstances de l’espèce et de sa personnalité et par décision spécialement motivée ; les peines étaient alors du même quantum que pour les majeurs1397. D’aucuns considèrent que le mécanisme de l’atténuation légale de peine constitue une illustration concrète de la prise en compte par le droit positif du concept de capacité pénale1398. Les lois no 2007-297 du 5 mars 2007 – relative à la prévention de la délinquance – et no 2007-1198 du 10 août 2007 – renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs – sont venues restreindre le domaine et les modalités de la diminution légale facultative de peine pour les mineurs de 16 à 18 ans1399. La loi du 5 mars 2007 a d’abord supprimé la référence au caractère exceptionnel de la levée de l’atténuation de peine. Elle a ensuite induit un recul de l’exigence de motivation, puisque la diminution de peine peut être écartée uniquement en considération de l’infraction commise et de la circonstance de récidive. Plus précisément, en cas de commission de « faits qui constituent une atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique de la personne » et qui « ont été commis en état de récidive légale », le tribunal pour enfants peut décider d’écarter l’application de l’excuse de minorité, sans avoir à motiver sa décision par les circonstances de l’espèce et la personnalité du mineur. Il est permis de relever que cette seconde hypothèse de dérogation pouvait être comprise dans la première, à savoir les « circonstances de l’espèce ». Ne faut-il pas considérer que « cet ajout est destiné à “contraindre” les juges à faire un tel choix, compte tenu de la gravité de l’infraction et de la circonstance de récidive »1400 ?

1394. Il est permis de noter que, s’agissant des peines d’emprisonnement, la loi no 92-1336 du 16 décembre 1992

portant réforme du Code pénal a supprimé les termes d’« excuse atténuante de minorité » pour les remplacer par ceux de « diminution de peine ».

1395. Cette dissociation entre l’âge de la responsabilité pénale et l’âge de l’aptitude pénitentiaire renvoie à l’acception duelle de l’imputabilité, conception classique pour la première hypothèse et capacité pénale pour la seconde (cf. infra).

1396. La peine d’emprisonnement ne peut être supérieure à la moitié de la peine encourue et la peine de réclusion criminelle de 20 ans si la peine encourue est la perpétuité.

1397. La majorité pénale pouvait donc, dans certaines hypothèses, être abaissée à 16 ans. 1398. Carmen Montoir, par exemple, considère que l’un des corollaires du mécanisme de l’atténuation légale de

peine consiste dans la prise en compte du concept de capacité pénale (cf. C. MONTOIR, op. cit., no 458, p. 259).

1399. JO 11 août 2007 – P. BONFILS, « La réforme de l’ordonnance de 1945 par la loi du 10 août 2007 », AJ pén., 2007, p. 363.

1400. C. MONTOIR, op. cit., no 476, p. 268.

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La prévision de cette seconde exception souligne l’atteinte très nette portée par le législateur au principe de la diminution de peine. Il devait poursuivre le même objectif avec la loi du 10 août 2007. Cette dernière a élargi le champ d’application de la seconde hypothèse de dérogation au principe de l’atténuation de peine en allongeant la liste des infractions commises en état de récidive légale. En plus des circonstances de l’espèce et de la personnalité du mineur, du crime d’atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique de la personne commis en état de récidive légale, le tribunal pour enfants ou la cour d’assises des mineurs pouvaient dorénavant déroger à la diminution de peine dans l’hypothèse de « délit de violences volontaires », de « délit d’agression sexuelle » ou plus largement de « délit commis avec la circonstance aggravante de violences », lorsqu’ils étaient commis en état de récidive légale1401. Le législateur ajoutait la précision suivante : « Lorsqu’elle est prise par le tribunal pour enfants, la décision de ne pas faire bénéficier le mineur de l’atténuation de la peine doit être spécialement motivée, sauf pour les infractions mentionnées au 3° commises en état de récidive légale », étant précisé que les infractions visées au « 3° » renvoient à celles ajoutées par le législateur du mois d’août1402. Deux séries de remarques aux conséquences opposées peuvent être formulées relativement à l’exigence de motivation de l’exclusion de l’atténuation de pénalité. Autrement dit, si la loi d’août 2007 s’inscrit dans la lignée de la précédente, elle initie dans le même temps un retour en arrière. En premier lieu, il résulte, d’une part, de l’article 20-2, alinéa 3 de l’ordonnance de 1945 que lorsque c’est la cour d’assises qui applique cette exception, elle n’a pas, en toute hypothèse, à motiver sa décision et, d’autre part, que pour les trois types d’infractions visées au 3°, les magistrats du tribunal pour enfants n’ont pas plus à justifier leur décision d’exclure la diminution de peine. Jusque-là, la loi d’août 2007 poursuit l’œuvre entreprise par celle du mois de mars en faisant reculer l’exigence de motivation à l’exclusion de l’atténuation de peine, ce qui est de nature à faciliter le recours à une telle option. En second lieu, et de manière plus paradoxale, cette loi renoue avec l’exigence de motivation s’agissant de la décision du tribunal pour enfants en cas d’atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique de la personne commise en état de récidive légale. Un retour en arrière est donc opéré par rapport à la précédente loi du 5 mars 2007. Allant plus loin dans le sens de l’atteinte portée au principe de l’atténuation de peine, le législateur avait prévu, en outre, une exclusion pure et simple de l’application de l’atténuation légale de peine en cas de « nouvelle récidive légale ». Elle figurait à l’alinéa 4 de l’article 20-2 de l’ordonnance du 2 février 1945 et concernait les infractions visées aux 2° et 3° de l’alinéa 2 de l’article 20-2 de l’ordonnance de 1945. Une limite était cependant prévue, puisque les juridictions pouvaient toutefois « en décider autrement ». Ainsi, dans ces hypothèses, l’atténuation de peine se trouvait évincée, sauf décision contraire de la juridiction de jugement. L’on assistait pour la première fois « à une véritable inversion entre le principe et l’exception »1403. De surcroît, comme le relève Carmen Montoir, « c’est – et ce encore de façon inédite – la mise en œuvre de l’atténuation

1401. Ord. 2 févr. 1945, art. 20-2, alinéa 2 (3°) dans sa rédaction issue de la loi du 10 août 2007. 1402. Ord. 2 févr. 1945, art. 20-2, alinéa 3, dans sa rédaction issue de la loi du 10 août 2007. 1403. A. PONSEILLE, « De l’évolution de l’atténuation légale de la peine applicable aux mineurs », in Justice des

mineurs, arch. pol. crim., no 30, Pédone, 2008.

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de peine qui devra là être motivée, tout au moins, par le tribunal pour enfants, si les juges entendent en faire malgré tout bénéficier le mineur »1404. Comme le souligne Laurence Leturmy, « de principe, la minoration devient exception. Une exception dont le recours requiert explication »1405. Au final, il semblait permis de considérer que le législateur s’était insidieusement engagé dans la voie de l’abaissement de la majorité pénale à 16 ans. Cependant, à la faveur d’un changement de majorité politique, la nouvelle assemblée parlementaire, par la loi no 2014-896 du 15 août 2014 dite « loi Taubira », est venue rétablir le principe de l’atténuation de la pénalité pour les mineurs récidivistes âgés de 16 à 18 ans. Depuis, comme c’était le cas avant 2007, l’article 20-2 de l’ordonnance du 2 février 1945 prévoit dans tous les cas que ce n’est qu’« à titre exceptionnel et compte tenu des circonstances de l’espèce et de la personnalité du mineur ainsi que de sa situation » que le tribunal pour enfants ou la cour d’assises des mineurs pourront décider qu’il n’y a pas lieu d’appliquer au condamné mineur âgé de 16 à 18 ans la réduction de moitié de la peine encourue. Comme le relève Guillaume Beaussonie, « les multirécidivistes, pour lesquels le principe avait été inversement posé d’une absence de diminution de peine sauf motivation spéciale, ne sortent plus du rang »1406. Il est permis de pondérer la portée de ce retour au statu quo ante. Cela tient au fait que les atteintes portées au principe de l’atténuation de peine ont été jugées conformes à la Constitution1407. Ainsi, rien n’empêchera le législateur de demain, en cas de deuxième récidive de certaines infractions, d’exclure la réduction de moitié de la peine encourue pour les mineurs âgés de 16 à 18 ans1408.

4. L’imputabilité comme capacité pénale un temps fragilisée par l ’instauration de peines planchers

La loi no 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs avait rendu applicable la mécanique des peines planchers aux mineurs récidivistes âgés d’au moins 13 ans au moment des faits1409. Ce texte avait inséré une phrase, à l’alinéa 1er in fine de l’article 20-2 de l’ordonnance de 1945, précisant que « la diminution de moitié de la peine encourue s’applique également aux peines minimales […] ». Ce dispositif, qui était particulièrement attentatoire au principe du primat de l’éducatif et, au-delà, au modèle protectionniste de la justice pénale des mineurs, avait été validé par le Conseil constitutionnel1410. Il n’existait qu’une seule possibilité pour une juridiction pour mineurs de contourner une peine plancher, et elle consistait à opter pour une mesure éducative ou une sanction éducative. Cependant, comme le relevait Christine Lazerges, cette « solution […] peut s’avérer peu adaptée pour un mineur récidiviste comme peut l’être une peine trop lourde

1404. C. MONTOIR, op. cit., no 479, p. 270. 1405. L. LETURMY, « L’effritement des principes directeurs énoncés par l’article 2 de l’ordonnance du 2 février

1945 », in Justice des mineurs, arch. pol. crim. no 30, Pédone, 2008. 1406. G. BEAUSSONIE, « Loi no 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant

l’efficacité des sanctions pénales », RSC, 2014, p. 809. 1407. Pour un rappel des décisions du Conseil constitutionnel ayant validé les « aménagements » apportés à

l’atténuation légale de pénalité, cf. Cons. const., no 2007-553, DC du 3 mars 2007 et Cons. const., no 2007-554, DC du 9 août 2007.

1408. Surtout si l’on en croit certaines promesses électorales d’abaissement de la majorité pénale à 16 ans. 1409. JO 11 août 2007 – P. BONFILS, « La réforme de l’ordonnance de 1945 par la loi du 10 août 2007 », op. cit.,

p. 363. 1410. Cf. Cons. const., 9 août 2007, DC no 2007-554, JO 11 août 2007, p. 13478.

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du fait du mécanisme des peines planchers »1411. Il est notable que la commission Varinard, dans sa proposition 48, avait prévu le maintien des peines planchers1412. Quelques années plus tard, le législateur a même tenté, par le biais de la loi dite LOPPSI 2, en date du 14 mars 20111413, d’étendre le champ d’application des peines planchers, résultant de la loi no 2007-1198 du 10 août 2007, à des primo-délinquants majeurs (art. 37-I) et mineurs (art. 37-II). La gravité particulière des délits concernés était avancée pour justifier l’application de ces peines minimales pour réprimer des actes accomplis par des personnes qui n’étaient pas en état de récidive légale. L’article 37-II prévoyait plus particulièrement l’application de peines planchers aux mineurs non récidivistes auteurs de violences aggravées1414. La LOPPSI 2 a été déférée le 15 février 2011 au Conseil constitutionnel par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs qui contestaient notamment son article 37. Dans sa décision du 10 mars 2011, le Conseil constitutionnel, sur le fondement des principes de primauté de l’action éducative et d’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de leur âge, a censuré l’article 37-II de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure1415. Les Sages ont considéré « qu’en instituant le principe de peines minimales applicables à des mineurs qui n’ont jamais été condamnés pour crime ou délit, la disposition contestée méconnaît les exigences constitutionnelles en matière de justice pénale des mineurs ». De ce point de vue, l’imputabilité comme capacité pénale est opportunément confortée à l’égard des mineurs primo-délinquants. En effet, bien que les tribunaux pour enfants n’appliquassent pas en pratique les peines planchers, on ne peut qu’approuver la suppression de cette alternative répressive un temps offerte par le législateur. Dans la continuité, la loi Taubira du 15 août 2014 est venue abroger les peines minimales applicables aux mineurs récidivistes. Plus particulièrement, « l’article 7 de la loi a abrogé les articles 132-18-1 et 132-19-1 du Code pénal relatifs aux peines minimales d’emprisonnement applicables en cas de récidive, qui résultaient de la loi no 2007-1198 du 10 août 2007 ainsi que l’article 132-19-2 relatif aux peines minimales d’emprisonnement applicables en cas de délits de violences volontaires aggravées, qui résultait de la loi no 2011-267 du 14 mars 2011 »1416. L’article 20-2 de l’ordonnance du

1411 C. LAZERGES, « Lectures du rapport “Varinard” », op. cit., p. 226. 1412. Elle se fondait pour ce faire sur la décision du Conseil constitutionnel qui avait validé cette disposition et

elle relevait que cette solution correspondait à « une illustration du principe de progressivité de la réponse pénale pour un mineur récidiviste » (cf. rapport Varinard, p. 192). Elle s’était aussi prononcée, dans la même proposition 48, en faveur du maintien des dispositions relatives à l’atténuation de la peine pour les mineurs récidivistes.

1413. Loi no 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, JO du 15 mars 2011, p. 4582.

1414. Il s’agissait de violences volontaires ayant entrainé une mutilation ou une infirmité permanente et de violences aggravées passibles d’au moins sept années d’emprisonnement (cf. décision no 2011-625, DC du 10 mars 2011).

1415. Il a en revanche considéré que l’article 37-I était conforme à la Constitution validant le principe de l’application de peines planchers à des majeurs primo-délinquants. La solution n’est pas surprenante étant donné que le dispositif ne trouve à s’appliquer que pour des infractions relativement graves et que le principe de l’individualisation des peines reste garanti. L’article 132-19-2 intégrant ce mécanisme en droit positif prévoit expressément que la juridiction peut prononcer « une peine inférieure à ces seuils ou une peine autre que l’emprisonnement », en fonction des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d’insertion et de réinsertion présentées par l’intéressé.

1416. Circulaire du 26 septembre 2014 de présentation des dispositions applicables le 1er octobre 2014 de la loi no 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales (NOR : JUSD1422849C). Les peines minimales encourues en cas de récidive sont également supprimées en ce qui concerne les majeurs.

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2 février 1945 relative à l’enfance délinquante a été réécrit en conséquence. Dans le sens de la prise en considération de l’imputabilité comme capacité pénale, on pourrait imaginer que soit un jour ressuscitée la proposition inédite du rapport Varinard en faveur de la création de peines spécifiques aux mineurs délinquants1417. Au final, l’atteinte portée à l’imputabilité comprise comme capacité pénale résulte de l’aggravation des sanctions encourues par le mineur délinquant, qu’elle résulte de la création de sanctions s’apparentant en réalité à des peines, du caractère globalement répressif de la réponse pénale aux infractions commises par un mineur délinquant, ou du renforcement du régime des peines. Si l’acception classique de l’imputabilité ressort quant à elle confortée du droit positif, des infléchissements s’évincent des différents projets de réforme en la matière.

B. L’exigence de l’imputabilité à l’engagement de la responsabilité pénale fragilisée dans les projets de réforme du droit pénal des mineurs

Le droit positif s’articule autour de la reconnaissance de la responsabilité pénale de principe des mineurs délinquants indépendamment de la fixation d’un seuil de minorité pénale, cette dernière correspondant à l’âge à partir duquel le droit pénal des mineurs peut s’appliquer. Ce système de responsabilité pénale, qui est de nature à donner force au concept d’imputabilité dans son acception classique (1.), est néanmoins susceptible d’évoluer, comme en témoigne, dans les différents projets de réforme de la justice pénale des mineurs, la question récurrente de la fixation d’un seuil d’âge de responsabilité pénale. Ce phénomène, qui renvoie (ni plus ni moins) à la fixation d’un âge légal d’imputabilité, invite à en considérer les conséquences sur la notion même d’imputabilité (2.).

1. L’absence de seuil de minorité pénale donnant force au concept d ’ imputabilité dans son acception classique

Si la loi du 9 septembre 2002 a mené une réforme d’ampleur du droit pénal des mineurs en renforçant notamment la sévérité du droit pénal de fond applicable en la matière1418, elle a aussi consacré le principe de la responsabilité pénale des mineurs. A priori, cette consécration participe à l’accroissement de la sévérité du droit pénal de fond applicable au mineur délinquant. La réalité est autre. La réforme de 2002 présente avant tout l’intérêt de mettre un terme légal à l’analyse erronée de l’ordonnance du 2 février 1945 portée par une partie de la doctrine et qui tirait argument du silence de l’ordonnance sur la question du discernement pour échafauder une véritable théorie de l’irresponsabilité pénale du mineur. Cette position reposait aussi sur le fait que, inspiré par les doctrines de défense sociale, le système mis en place en 1945 visait essentiellement à rééduquer le mineur délinquant, non à le réprimer. Marc Ancel, en évoquant la « pédagogie de la responsabilité », signifiait que « la responsabilité

1417. Le rapport préconise l’instauration d’une peine principale de placement sous surveillance électronique, la

création d’une peine de confiscation d’un objet sans lien avec l’infraction et appartenant au mineur, et elle imagine aussi, sur le modèle d’autres législations européennes, une peine d’emprisonnement de fin de semaine.

1418. Cf. supra. Elle a aussi introduit en droit positif des dispositions de nature à remettre en cause le statut protecteur du mineur en droit pénal de forme en donnant naissance à une procédure placée sous le signe de l’efficacité plutôt que sous celui de la protection.

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personnelle […] est moins le fondement que le but de la sanction »1419. Autrement dit, le procès en resocialisation a pour objet d’investir le mineur auteur d’une infraction pénale de sa responsabilité sociale. Dans ce système de responsabilité, la sanction pénale est conçue comme un moyen permettant de responsabiliser le mineur, étant précisé qu’elle « ne peut être prononcée que si le mineur est “capable pénalement” »1420. Les auteurs partisans de la théorie de l’irresponsabilité pénale trouvaient une confirmation de leur analyse à l’examen du régime des sanctions applicables au mineur délinquant. Allant plus avant, ils considéraient même que les mineurs de moins de 13 ans bénéficiaient d’une présomption irréfragable d’irresponsabilité pénale dans la mesure où ils ne pouvaient faire l’objet que de mesures éducatives, tandis que, pour les mineurs de 13 à 18 ans, la présomption était simple puisque des peines étaient applicables à compter du seuil de 13 ans. On comprend qu’une telle représentation de la responsabilité pénale ne laisse aucune place au concept d’imputabilité dans son acception classique, au bénéfice exclusif de l’imputabilité comprise comme capacité pénale. Cette analyse procédait néanmoins d’une appréhension erronée de la responsabilité pénale des mineurs délinquants. La théorie de l’irresponsabilité pénale se devait en effet d’être condamnée sur le fondement même de la rédaction primitive de l’ordonnance de 1945. La confusion a été induite par la lettre de l’ancien article 2, alinéa 2 de l’ordonnance, aux termes duquel :

[Le tribunal pour enfants] pourra cependant, lorsque les circonstances et la personnalité du délinquant lui paraîtront l’exiger, prononcer à l’égard du mineur âgé de plus de treize ans une condamnation pénale par application des articles 67 et 69 du Code pénal.

D’aucuns en ont déduit que parce que les mineurs de moins de 13 ans n’étaient pas visés par le texte, ils étaient irresponsables pénalement. Cette analyse procédait d’une confusion entre les termes de « condamnation pénale » et de « responsabilité pénale ». Il découlait en réalité du texte une invitation à prononcer une peine plutôt qu’une mesure éducative dans certains cas. Le texte originel de l’article 2, alinéa 2 ne se situait pas sur la logique de la responsabilité pénale mais plutôt sur celle de la pénalité. On en trouve la confirmation dans la rédaction de cet article telle qu’elle résulte de la réforme de 2002 qui opère une distinction entre les sanctions éducatives et les peines applicables aux mineurs en fonction de leur âge1421. Cependant, c’est d’abord la jurisprudence qui est venue donner une lecture de l’ordonnance de 1945 conforme aux prévisions du législateur en estimant qu’elle n’avait pu exclure la condition de discernement, laquelle fait toujours partie des principes généraux du droit. Ainsi, dans l’attendu de principe du célèbre arrêt Laboube1422, la Cour de cassation a considéré que « si les articles 1er et 2 de l’ordonnance du 2 février 1945 […] posent le principe de

1419. M. ANCEL, « Responsabilité et défense sociale », RSC, 1959, p. 183. 1420. C. LAZERGES, « Seuils d’âge et responsabilité pénale en Europe », RSC, 1991, p. 414. 1421. L’article 2, alinéa 2 tel qu’il résulte de la loi du 9 septembre 2002 dispose : « [Le tribunal pour enfants et la

cour d’assises des mineurs] pourront cependant, lorsque les circonstances et la personnalité des mineurs l’exigent, soit prononcer une sanction éducative à l’encontre des mineurs de dix à dix-huit ans, conformément aux dispositions de l’article 15-1, soit prononcer une peine à l’encontre des mineurs de treize à dix-huit ans en tenant compte de l’atténuation de leur responsabilité pénale, conformément aux dispositions des articles 20-2 à 20-9. »

1422. Cass. crim., 13 déc. 1956, D., 1957, p. 349, note PATIN. Pour une analyse de cette décision, cf. Supra, partie 1.

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l’irresponsabilité pénale du mineur, abstraction faite du discernement de l’intéressé […], encore faut-il, conformément aux principes généraux du droit, que le mineur dont la participation à l’acte matériel à lui reproché est établie, ait compris et voulu cet acte […] ». Deux enseignements en résultent. Le premier est relatif au fait que les articles 1 et 2 de l’ordonnance de 1945 exposent qu’un mineur, dès lors qu’il est discernant, peut être déclaré pénalement responsable ; le second, à la portée plus générale, permet de conclure que le discernement est une condition de la responsabilité pénale des mineurs. Au-delà, cet arrêt est essentiel, en ce sens qu’il permet de conclure à l’unité de notre système de responsabilité puisque le discernement est une condition à l’engagement de la responsabilité des majeurs comme des mineurs1423. Pour autant, cette condition de discernement n’a pas été consacrée pour les mineurs par les lois du 22 juillet 1992 portant nouveau Code pénal1424. On pourrait même considérer qu’il a continué à entretenir le dogme de l’irresponsabilité pénale des mineurs délinquants en rangeant la minorité au sein des causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité. Or, ce n’est pas la minorité qui est une cause d’irresponsabilité pénale, c’est l’absence de discernement liée à la minorité. Il a donc fallu attendre la loi du 9 septembre 2002 pour affirmer le principe de la responsabilité pénale des mineurs délinquants conditionnée par le discernement. Cette dernière a réécrit l’article 122-8 du Code pénal qui dispose aujourd’hui : « Les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils ont été reconnus coupables ». En même temps qu’elle proclame la responsabilité pénale de principe pour les mineurs délinquants, la loi de 2002 fait explicitement du discernement une condition de la mise en œuvre de cette responsabilité pénale : cet événement est de nature à restaurer, tout en la confortant, l’exigence de l’imputabilité dans son acception classique1425. Le renforcement de l’imputabilité dans son acception classique tient au fait que le législateur n’a pas opté pour la fixation d’un seuil de minorité pénale. En d’autres termes, la responsabilité pénale de principe qui pèse sur les mineurs n’a pas pour corollaire une présomption de discernement1426. Au contraire, le système actuel consacre une présomption simple d’absence de discernement à l’égard des mineurs de 18 ans. Ainsi, dans la mesure où aucun âge légal d’imputabilité pénale n’a été fixé, le discernement doit être établi judiciairement. Il en résulte qu’en matière de minorité pénale, le discernement est une notion dynamique dont il incombe au juge de vérifier l’existence quel que soit l’âge du mineur mis en cause1427. Il est permis de noter que c’est la situation inverse qui prévaut pour les majeurs. En cette matière, le discernement est une notion statique caractérisant a priori l’individu

1423. Cf. infra pour le parachèvement de l’unité de notre système de responsabilité pénale avec la proposition de

retenir l’imputabilité de l’agent préalablement au prononcé de toute sanction pénale, peine comme mesure de sûreté.

1424. L’article 122-8 du Code pénal disposait alors : « Les mineurs reconnus coupables d’infractions pénales font l’objet de mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation dans les conditions fixées par la loi pénale particulière. »

1425. Le contraste avec la responsabilité civile du mineur est ici saisissant dans la mesure où, depuis les arrêts de l’Assemblée plénière de 1984, elle s’est complètement délestée de la notion d’imputabilité morale pour ne garder que celle d’imputabilité matérielle (cf. supra, partie 1, titre 2, chapitre I, section 2, § 2) : « L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’infraction confirmée par le recours au droit civil ».

1426. Au contraire même, puisque le droit positif est régi par une présomption simple de non-discernement. 1427. À l’instar de la volonté, autre composante de l’imputabilité.

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pendant toute la durée de sa vie d’adulte1428. Le discernement procède alors plutôt d’une capacité générale inhérente à l’acquisition de la majorité civile. Dans le prolongement de cette idée, la fixation d’un seuil de minorité pénale équivaudrait à reconnaître, d’une part, une incapacité générale, cette dernière consistant en une présomption irréfragable d’absence de discernement en deçà de ce seuil, et, d’autre part, une capacité générale du mineur, consistant cette fois à présumer son discernement au-delà du seuil ainsi retenu1429. Au final, le mineur pourrait être écarté de toute poursuite pénale ou, à l’inverse, être déclaré pénalement responsable indépendamment de la réalité de sa maturité psychique. Cette dernière ne s’accommode pas nécessairement du mécanisme des présomptions qui consiste à poser des règles générales qui seront nécessairement fausses dans certains cas. Dans le cas d’espèce, l’âge de minorité pénale serait déterminé en fonction d’un développement moyen ou habituel de l’individu1430. Au choix du critère abstrait de l’âge et donc d’un système de responsabilité reposant sur une présomption de discernement, le législateur a préféré une appréciation effectuée par le juge au cas par cas. Cette option donne force au concept d’imputabilité en faisant du discernement une notion dynamique dont on vérifie l’existence dans chaque cas d’espèce. Cela étant, si l’on consulte les prescriptions supranationales en la matière comme les divers projets de réforme à ce jour avortés en droit interne, on s’aperçoit assez vite que la probabilité d’une évolution vers la fixation d’un âge légal d’imputabilité existe, cette dernière étant de nature à affaiblir la condition de discernement.

2. Le risque de la fixation d’un seuil de minorité pénale comme facteur d’affaiblissement du concept d ’imputabilité

La question de la fixation d’un seuil de minorité pénale – d’un âge légal d’imputabilité pénale, pourrait-on écrire – est récurrente lorsqu’il est question de réformer l’ordonnance du

1428. Cette dernière étant censée débuter à l’âge de la majorité. L’imputabilité est donc une notion plus forte en

droit pénal des mineurs qu’en droit pénal des majeurs. 1429. Pour une interprétation concordante des conséquences de la fixation d’un âge minimal de responsabilité

pénale, cf. les préconisations du Comité des droits de l’enfant lors de sa session de février de 2007 (Comité des droits de l’enfant, 44e session, Genève, 15 janv.-2 févr. 2007, observation générale no 10, 2007 ; « Les droits de l’enfant dans le système de justice pour mineurs », CRC/C/GC/10, 25 avr. 2007, http://www2.ohchr.org). Il en résulte que « les enfants qui commettent une infraction à un âge inférieur au minimum ne peuvent être tenus pénalement responsables. Même de (très) jeunes enfants ayant toutefois la capacité d’enfreindre la loi pénale, s’ils commettent une infraction alors qu’ils ont moins que l’âge minimum de la responsabilité pénale il existe la présomption irréfragable selon laquelle ils ne peuvent faire l’objet de poursuites et être tenus pénalement responsables dans le cadre d’une procédure. Des mesures spéciales de protection peuvent au besoin être prises en faveur de ces enfants dans le souci de leur intérêt supérieur ; les enfants qui ont l’âge minimum de la responsabilité pénale ou l’ont dépassé quand ils commettent une infraction (ou un manquement à la loi pénale), mais ont moins de 18 ans […] peuvent être officiellement inculpés et faire l’objet de poursuites pénales, mais ces poursuites, y compris leur aboutissement, doivent être pleinement conformes aux principes et dispositions de la Convention tels que précisés dans la présente observation générale » (ibid.).

1430. En ce sens, R. GARRAUD, Précis de droit criminel, Paris, Larose et Forcel, 5e éd., 1895, no 115. L’auteur distinguait « trois périodes de la vie humaine » : « Pendant la première, il est certain que l’enfant n’est que l’agent inconscient des actes qu’il accomplit : ces actes ne lui sont donc pas imputables. Pendant la seconde, le discernement de l’enfant ou de l’adolescent est douteux ; le délit qu’il commet lui est-il imputable ? C’est une question à examiner et à résoudre dans chaque espèce. Pendant la troisième, on sait que l’homme a acquis un discernement suffisant pour se rendre compte de la portée de ses actes ; le délit qu’il commet lui est donc imputable, à moins qu’il ne prouve l’existence, au moment où il l’accomplissait, d’une circonstance accidentelle qui lui ôtait le discernement. Mais il est difficile, impossible même de fixer d’une manière absolue, la limite précise qui sépare ces périodes. » (Ibid.)

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2 février 1945. Si l’on observe que la majorité des pays européens ont déjà fixé un tel « plancher » de responsabilité pénale, la probabilité est grande que le législateur français y succombe aussi (2.1). L’ampleur de l’atteinte portée à l’imputabilité qui pourrait en résulter sera fonction du seuil de minorité pénale retenu (2.2).

2.1 La probabilité de la fixation d’un seuil de minorité pénale

Les prescriptions supranationales comme les droits étrangers convergent vers la fixation d’un âge minimal de responsabilité pénale. On pense immédiatement à deux recommandations internationales régulièrement mises en avant qui, respectivement, de manière très claire ou plus indirecte, supposent d’opter pour un âge de minorité pénale. En premier lieu, on peut citer la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 entrée en vigueur le 2 septembre 1990. Dans son article 40-3-a, elle stipule que « les États parties s’efforcent […] d’établir un âge minimal au-dessous duquel les enfants seront présumés n’avoir pas la capacité d’enfreindre la loi pénale ». Viennent ensuite les règles de Beijing concernant l’administration de la justice pour mineurs1431 adoptées le 29 novembre 1985 qui, dans leur article 4-1, indiquent que le seuil de minorité pénale « ne doit pas être fixé trop bas eu égard aux problèmes de maturité affective, psychologique et intellectuelle du mineur ». La plupart des pays européens ont déjà fixé un seuil de minorité pénale. La fixation d’un âge de responsabilité pénale répond aussi au souhait d’une partie de la doctrine en droit interne. L’un des arguments juridiques pourrait résider dans la lettre même de l’article 122-8 du Code pénal qui, en ne faisant pas référence à l’état psychique du mineur « au moment des faits », pourrait laissait penser que la question du discernement du mineur procède, à l’instar des majeurs, de l’ordre d’une capacité générale. Autrement dit, l’article 122-8 du Code pénal ouvrirait la voie à l’établissement d’une présomption de discernement du mineur à compter de l’obtention d’un âge spécifique. En outre, différents projets de réforme du droit pénal des mineurs s’étaient prononcés en faveur de la fixation d’un âge légal d’imputabilité pénale1432. Dans l’hypothèse où l’un de ces projets reviendrait d’actualité, la question majeure qui animerait les débats serait celle du choix du seuil à retenir.

2.2 La question du choix du seuil de minorité pénale

Le choix du seuil de minorité pénale et conception unitaire ou duelle de l’imputabilité Plusieurs options sont possibles : une option basse que l’on pourrait situer en dessous de l’âge de 12 ans, une option médiane autour de 12-13-14 ans et une option haute qui serait supérieure à 14 ans. Il ne paraît pas permis de pouvoir se tourner vers les solutions des droits étrangers pour trouver quelque éclairage pertinent, dans la mesure où l’harmonie est loin de

1431. Intitulées précisément « Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la

justice pour mineurs ». 1432. La commission Varinard, cf. supra ; cf. également l’avant-projet de loi daté du 30 mars 2009 dénommé

« Code de la justice pénale des mineurs ».

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régner1433. Les solutions déjà très disparates sont en outre « trop imprégnées de cultures juridiques nationales pour pouvoir être importées »1434. Si le seuil de minorité pénale est très variable1435, c’est aussi que la fixation d’un âge légal d’imputabilité renvoie à un dilemme en raison de la marge d’incertitude relative à l’épanouissement du discernement. Comme le relève Christine Lazerges, « on se trompe toujours en fixant un seuil d’âge »1436. Mais avant d’aller plus avant, ne faut-il pas se demander si les distorsions entre les législations des pays d’Europe ne renvoient pas aussi à la question de l’acception unitaire ou duelle de l’imputabilité ? De quel discernement est-il question pour fixer un seuil de minorité pénale ? Doit-on se référer à l’âge réel du discernement ? Celui que l’on nomme « l’âge de raison » et qui se situerait autour de la date anniversaire des fameux 7 ans ? La psychologie enfantine enseigne en effet qu’avant l’âge de 7 ans, l’enfant, d’une manière générale, ne réalise pas la signification et la portée de ses actes. Doit-on se référer à l’âge de l’aptitude à profiter de la sanction ? Il résulte aussi des enseignements de la psychologie enfantine que ce n’est guère qu’entre 11 et 12 ans que l’enfant acquiert un système de pensée comparable à celui de l’adulte. Au final, le discernement s’épanouit donc entre 7 et 12 ans. Cette fourchette de cinq années laisse une place à l’émergence du concept de capacité pénale. En d’autres termes, il est permis de penser que la grandeur de la marge d’incertitude, à l’instar des solutions disparates des droits étrangers, renvoie in fine à la problématique de la conception unitaire ou duelle de l’imputabilité. En ce sens, il a déjà été établi que l’existence de seuils de responsabilité constituait une manifestation concrète de l’imputabilité comprise comme capacité pénale. Au vu du développement qui précède, on peut donc avancer que l’âge retenu pour fixer la minorité pénale est de nature à conditionner l’appréhension du concept l’imputabilité. Ainsi, alors que la fixation d’un seuil bas de minorité pénale ouvrirait la voie à une acception duelle de l’imputabilité, il faudrait considérer que le choix d’un seuil tardif serait significatif d’une conception unitaire, d’une confusion des notions d’imputabilité et capacité pénale en une entité notionnelle unique. En droit positif, la responsabilité pénale d’un mineur délinquant peut être engagée autour de l’âge réel du discernement et une peine ne peut être prononcée qu’à compter de l’âge de 13 ans. Cette dissociation entre l’âge de l’aptitude à la responsabilité pénale et celui de l’aptitude pénitentiaire permet de souligner l’acception duelle de l’imputabilité en droit interne1437. La question peut se poser de savoir si, dans l’hypothèse où le législateur fixerait un âge de minorité pénale, cette appréhension de l’imputabilité serait maintenue. Tout dépend de la hauteur du seuil retenu, étant précisé qu’il se dégage en doctrine un consensus autour d’un âge d’imputabilité médian.

1433. Pour une illustration de la diversité des solutions dans les droits européens : l’Italie et l’Allemagne ont fixé

la minorité pénale à 14 ans tandis que la Pologne a opté pour l’âge de 17 ans, les Pays-Bas pour l’âge de 12 ans, la Grande-Bretagne, 10 ans, le Portugal et la Lituanie, 16 ans et enfin la Grèce et la Suisse, 7 ans.

1434. X. PIN, « Les âges du mineur : réflexions sur l’imputabilité et la capacité pénale du mineur », Gaz. Pal., 2012, no 194, p. 5.

1435. Il est notable qu’en Europe, les distorsions entre les différentes législations concernent essentiellement l’entrée dans le droit pénal des mineurs. L’âge de la majorité pénale, ce dernier déclenchant l’application du droit commun, est majoritairement établi à 18 ans, par un alignement sur l’âge de la majorité civile.

1436. C. LAZERGES, « Seuils d’âge et responsabilité pénale en Europe », op. cit., p. 420. 1437. Il aurait aussi été permis, afin d’illustrer cette dissociation, de prendre pour exemple l’âge de 10 ans, ce

dernier correspondant au seuil à compter duquel des sanctions éducatives peuvent être prononcées à l’encontre d’un mineur délinquant.

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Le seuil de minorité pénale « souhaitable » – l’absence de seuil ou le statu quo En faveur de l’option basse, on peut avancer la réalité sociologique de la délinquance juvénile couplée à un certain populisme1438. Le rajeunissement de la délinquance des mineurs est en effet indéniable1439. Un argument plus juridique réside dans la possibilité, retenue par la loi du 9 septembre 2002, de prononcer des sanctions éducatives à l’encontre d’un mineur âgé de plus de 10 ans. Il est donc déjà permis de sanctionner pénalement un mineur à compter de cet âge. En outre, il a été préalablement démontré que, par certains aspects, ces sanctions pénales s’apparentaient en réalité à des peines. Le seuil des sanctions éducatives trouve aussi un écho dans les seuils bas fixés dans certains pays européens ainsi qu’une légitimation dans leur validation par la Cour européenne des droits de l’homme. Si la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne contient aucune disposition spécifique au droit pénal de l’enfance, la juridiction européenne a néanmoins validé le seuil de 10 ans à l’occasion du célèbre arrêt T. et V. c/ Royaume-Uni1440. Cette affaire médiatisée mettait en cause deux enfants de 10 ans pour l’enlèvement et le meurtre d’un enfant de 2 ans. La question se posait de savoir si une procédure pénale subie par deux enfants de cet âge pouvait constituer un traitement inhumain et dégradant au regard de l’article 3 de la Convention. La Cour européenne répond par la négative en considérant que « même si l’Angleterre et le pays de Galles figurent parmi les quelques ordres juridiques européens où l’âge de la responsabilité pénale demeure bas, on ne saurait considérer que le seuil adopté, dix ans, est bas au point d’être disproportionné par rapport à celui retenu par d’autres états européens »1441. Cette position combinée à l’état du droit positif n’est pas de nature à laisser augurer la fixation d’un seuil relevé de minorité pénale1442. Comme cela a été évoqué plus haut, le choix en faveur d’une option haute procèderait d’une confusion des deux acceptions de l’imputabilité en une seule entité1443. Or, notre droit pénal n’ignore pas le concept de capacité pénale, comme en atteste l’existence de seuils de responsabilité en droit interne. En outre, en considération du contexte ambiant de stigmatisation de la délinquance juvénile, érigée par ailleurs en enjeu récurrent des campagnes électorales, la probabilité est plus grande de voir le législateur de demain s’orienter vers la fixation d’un âge légal d’imputabilité pénale relativement bas.

1438. Ce dernier étant particulièrement prégnant en périodes électorales. En général, il se double de la promesse

d’un abaissement de l’âge de la majorité pénale. Cette proposition à visée populiste, puisqu’il est déjà permis en application du droit positif de punir un mineur de plus de 16 ans comme un majeur, paraît en outre inadaptée « à la puérilité grandissante de certains jeunes » (X. PIN, « Les âges du mineur : réflexions sur l’imputabilité et la capacité pénale du mineur », op. cit., no 194, p. 5).

1439. Xavier Pin relève « qu’on observe un bon quantitatif important au-delà de 12 ans c’est-à-dire l’âge d’entrée au collège » (loc. cit.).

1440. CEDH, Gr. Ch., 16 déc. 1999, T. et V. c/ Royaume Uni, req. nos 24724/94 et 24888/94. 1441. Il est logique que l’entrée dans le droit pénal des mineurs corresponde à l’âge à compter duquel les mineurs

peuvent être poursuivis pénalement. 1442. Il importe cependant de relever un arrêt rendu par la chambre criminelle le 8 juin 2017, à l’occasion duquel

elle a implicitement approuvé la cour d’appel de ne pas avoir engagé la responsabilité pénale d’un mineur âgé de 10 ans, faut pour celui-ci d’avoir été doté de discernement au moment des faits (cf. cass. crim., 8 juin 2017, no 16-83.345, à paraître au bulletin). En l’espèce, le mineur avait été relaxé du chef d’agression sexuelle aggravée sur le fondement de l’article 122-8 du Code pénal pour des faits au moment desquels il était âgé de 10 ans.

1443. Cf. supra.

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Cependant, plusieurs arguments permettent de plaider en faveur d’une option médiane. L’âge de 12 ans pourrait-il s’entendre d’une telle option ? Cette proposition ne semble pas particulièrement répressive dans la mesure où, d’une part, elle permettrait de sortir du champ pénal les mineurs de 12 ans1444 et, d’autre part, elle laisserait la voie ouverte au dédoublement de l’imputabilité. Le rapport Varinard, par exemple, proposait de fixer à 12 ans l’âge de la responsabilité pénale et à 14 ans celui de l’aptitude pénitentiaire. Cette proposition était même susceptible de présenter un deuxième progrès par rapport au droit positif, puisque le seuil de 14 ans permettait de reculer l’incarcération des jeunes enfants en décalant d’une année le seuil de la peine privative de liberté. En réalité, si le dispositif prévu était plus doux, il était aussi plus sévère, le rapport prévoyant l’existence d’une exception de nature à atténuer cette dernière avancée. En l’occurrence, si les mineurs de 13 ou 14 ans devaient échapper totalement à l’emprisonnement en matière correctionnelle, le rapport se révélait plus sévère en matière criminelle, en prévoyant l’incarcération à partir de 12 ans, et non plus 13, dans les cas où elle paraîtrait indispensable. Le défaut de coïncidence entre le seuil de l’imputabilité et celui de l’aptitude pénitentiaire peut donc n’être généreux qu’en apparence même si, en l’espèce, il importe de préciser « que les mineurs auteurs de délits sont incomparablement plus nombreux que les mineurs auteurs de crimes »1445. Ce constat conduit à donc relativiser la portée de l’exception qu’il était prévu d’apporter en matière criminelle. Quid du seuil de 13 ans ? En faveur d’un tel seuil, on peut faire valoir qu’il serait logique et cohérent au regard de certaines dispositions civiles. En effet, c’est l’âge de 13 ans qui est retenu pour l’autorisation du mineur en droit civil, qu’il s’agisse par exemple d’opérer un changement de son prénom1446 ou de son nom1447 ou de consentir à sa propre adoption1448. Cependant, en matière pénale, en signifiant l’absence de réponse pénale jusque-là, le seuil de 13 ans entraînerait concrètement, par rapport au droit positif, un recul de la réponse pénale de cinq à six ans. C’est précisément la raison pour laquelle la commission Varinard a exclu de retenir un tel seuil. Selon les termes mêmes du rapport, elle « a fortement débattu de l’hypothèse de fixer l’âge de la responsabilité pénale à 13 ans. Pour autant la majorité de ses membres a estimé ce choix peu opportun puisqu’il constituerait un recul de la réponse pénale alors même qu’il est communément admis que la délinquance des plus jeunes augmente et qu’une réponse pénale précoce et adaptée est un gage de prévention de la réitération ». C’est que, comme le relève Carmen Montoir, « la fixation d’un âge de minorité pénale pose un autre problème : très prosaïquement, quelle prise en charge prévoit-on pour les mineurs qui enfreignent la loi pénale mais qui n’ont pas encore atteint cet âge minimal ? De quelles procédures relèvent-ils ? »1449 Dans le prolongement, la commission Varinard, en préconisant de fixer l’âge de minorité pénale à 12 ans, excluait donc « qu’aucune solution ne soit envisagée pour les hypothèses

1444. Concrètement, cela permettrait de reculer l’âge actuel de la responsabilité pénale d’environ 7 ans à l’âge de

12 ans. 1445. Cf. P. BONFILS, « Présentation des préconisations de la commission Varinard », op. cit., p. 9. Pour

information, la délinquance criminelle des mineurs « représente moins d’une dizaine de cas par an » (loc. cit.).

1446. C. civ. art. 60, al. 2. 1447. On distingue alors deux hypothèses, selon que le changement de nom est consécutif (C. civ., art. 311-23,

al. 4 et art. 363, al. 2) ou non (C. civ., art. 61-3, al. 1er) à l’établissement ou à la modification d’un lien de filiation.

1448. Cf. C. civ. art. 345, al. 3 en cas d’adoption plénière et C. civ., art. 360, al. 4 en cas d’adoption simple. 1449. Cf. C. MONTOIR, op. cit., no 196, p. 121.

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dans lesquelles les faits d’une certaine gravité peuvent être attribués à ces enfants »1450. L’entrée tardive dans la sphère pénale, en renvoyant à la question de la prise en charge des mineurs qui enfreignent la loi pénale sans avoir atteint l’âge de la minorité pénale, questionne logiquement l’adaptation des procédures applicables et, en l’occurrence, la pertinence de l’assistance éducative de l’article 375 du Code civil, à ces jeunes mineurs délinquants1451. Comme le note Carmen Montoir, « cette question est d’autant plus importante que l’âge minimal ne devant pas être fixé trop bas, le nombre de mineurs concernés par cette prise en charge subsidiaire ne sera pas négligeable »1452. Cela étant, bien que l’état des connaissances psychologiques, éducatives et sociales sur les aptitudes des enfants à comprendre le sens et la portée de leurs actes invite à retenir un âge de minorité pénale fixé à 13 ou 14 ans, il est peu vraisemblable, au regard du contexte ambiant, qu’un tel seuil soit retenu. En outre, il serait de nature à générer une confusion entre les deux facettes de l’imputabilité, contrairement à la fixation d’un âge légal de minorité pénale relativement bas. Or, l’intérêt d’un dédoublement de l’imputabilité permet d’éviter l’écueil de l’absence de réponse pénale, « le risque de vide »1453, tout en choisissant un âge adapté à la sanction pénale. La coïncidence de l’imputabilité dans son acception classique et de l’imputabilité comme capacité pénale pourrait conduire à des solutions trop laxistes ou trop répressives selon l’âge de l’imputabilité retenu. Particulièrement, l’acception duelle de l’imputabilité préserve d’une répression disproportionnée nonobstant la fixation d’un seuil bas de minorité pénale1454. Finalement, la question peut se poser de savoir s’il est vraiment nécessaire et opportun de fixer un âge de responsabilité pénale. Non seulement le droit pénal des mineurs consacre une acception duelle de l’imputabilité, mais encore, la fixation d’un seuil emporterait « trop de rigidité, lorsque l’enjeu est l’accession à la responsabilité pénale »1455. En attestent les conséquences de la fixation d’un seuil de responsabilité pénale sur le concept l’imputabilité. Il importe cependant de préciser que les conséquences ne sont pas loin d’être opposées selon que l’on considère l’imputabilité dans son acception classique et l’imputabilité comprise comme capacité pénale. Les conséquences opposées de la fixation d’un seuil de responsabilité pénale sur les acceptions duelles de l’imputabilité Elles sont négatives si l’on considère l’imputabilité dans son acception traditionnelle, puisqu’elle serait alors présumée au-delà de l’âge retenu pour la minorité pénale, à l’instar du

1450. Cf. rapport Varinard, proposition no 8 et suiv. 1451. La commission Varinard avait préconisé que soient mis en place des placements spécifiques et contenants

pour les mineurs de moins de 12 ans impliqués dans les faits les plus graves (loc. cit.). 1452. Cf. C. MONTOIR, op. cit., no 199, p. 122. L’auteur vise une prise en charge « au titre d’une procédure civile

ou administrative particulière, ad hoc » (loc. cit.). 1453. Ibid., p. 196, p. 121. Surtout si l’on considère l’inadaptation du droit civil, plus particulièrement du droit de

l’assistance éducative, à la réalité de la délinquance juvénile. 1454. Dans le même sens, et afin de protéger les majeurs au discernement altéré d’une répression trop sévère, la

loi Taubira du 15 août 2014 est venue consacrer le dédoublement de l’imputabilité en droit pénal des majeurs en décidant de la réduction de la peine privative de liberté encourue en cas d’altération du discernement au moment des faits (cf. infra).

1455. Cf. C. MONTOIR, op. cit., no 199, p. 122. L’auteur vise une prise en charge « au titre d’une procédure civile ou administrative particulière, ad hoc » (ibid., no 201, p. 124). Avec le risque d’engager la responsabilité pénale d’un mineur non discernant.

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droit pénal des majeurs, alors même qu’elle doit être aujourd’hui positivement établie quel que soit l’âge du mineur. Autrement dit, non seulement, comme le note Philippe Bonfils, « la visibilité du discernement serait réduite »1456, mais le risque d’erreur dans l’appréhension de la réalité du discernement du mineur serait également inhérent au mécanisme de la présomption de discernement. Les répercussions de la fixation d’un âge légal d’imputabilité seraient plus positives si l’on considère l’imputabilité comme capacité, dans la mesure où les mineurs situés en-deçà de ce seuil sortent de la sphère pénale, alors qu’en droit positif, un mineur doté de discernement, dont on situe l’acquisition autour de l’âge de 7 ans, est responsable pénalement et peut donc se voir infliger des mesures éducatives dès cet âge charnière, ainsi que des sanctions éducatives dès l’âge de 10 ans et des peines à partir de l’âge de 13 ans. Les autres conséquences sur l’imputabilité comprise comme capacité pénale dépendront des seuils de responsabilité pénale retenus en pratique. Ainsi, que l’on considère le droit pénal des majeurs ou le droit pénal des mineurs, l’imputabilité est en danger. En droit pénal des majeurs, les aliénés peuvent se voir infliger des mesures de sûreté limitativement énumérées s’apparentant à des peines. Dans ces hypothèses, c’est l’imputabilité en tant que fondement de la répression qui est sacrifiée. En droit pénal des mineurs, si les deux acceptions de l’imputabilité sortent globalement assez préservées du droit positif applicable à la minorité pénale, un peu de droit prospectif laisse présager une évolution en sens contraire. Un signe annonciateur réside dans l’accentuation du caractère répressif des mesures éducatives pouvant être imposées au mineur délinquant, cette dernière résultant du cumul possible d’une mesure éducative et d’une peine, ou de la proposition de réunir les mesures et sanctions éducatives sous le terme de « sanction éducative ». Or, les mesures éducatives s’apparentent à des mesures de sûreté. Nous allons établir que la pénalisation des mesures éducatives s’inscrit dans le cadre d’un phénomène plus général de convergence des peines et mesures de sûreté. Il se trouve que la convergence contemporaine des peines et des mesures de sûreté, en dépassant les seuls cadres de la maladie mentale et de la minorité, et au-delà du seul droit interne, vient attiser la mise en danger de l’imputabilité.

Section 2 – Le risque d’une éviction de l’imputabilité attisé par le phénomène contemporain de convergence des peines et mesures de sûreté

On pourrait penser que le phénomène général de convergence des peines et des mesures de sûreté, dont la réalité peut être établie, est a priori de nature à exacerber le risque d’une éviction de l’imputabilité (§ 1). Celui-ci pourrait cependant être exploité, à l’opposé, de manière à conforter les droits et garanties des justiciables. Il suffirait de l’analyser comme catalysant la réunion des peines et mesures de sûreté en une catégorie unique de sanctions pénales, avec l’imputabilité pour fondement (§ 2).

1456. P. BONFILS, « Présentation des préconisations de la commission Varinard », op. cit., p. 9.

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§ 1 - L’artifice de la dualité de qualifications formelles

Le caractère artificiel de la dualité des qualifications formelles de « peines » et de « mesures de sûreté » résulte de la convergence de ces réponses pénales tant en droit interne (A.) qu’en droit européen (B.).

A. Les interactions du droit interne

En droit interne, les interactions s’opèrent d’un point de vue subjectif et objectif. La convergence subjective signifie que les peines et les mesures de sûreté sont ressenties de la même manière par le délinquant : psychologiquement, les délinquants ne font guère la différence. En ce sens, il a été dit lors des travaux préparatoires du Code pénal que, « désormais, toutes les sanctions pénales seront sans distinction des peines ; elles sont d’ailleurs ressenties comme telles par le condamné »1457. Par exemple, les peines complémentaires, en raison de leur finalité essentiellement préventive, s’apparentent majoritairement à des mesures de sûreté, alors que nombre de mesures de sûreté – dont la rétention de sûreté constitue l’exemple le plus pertinent – relèvent du domaine des peines. Des éléments de convergence objective peuvent également être observés concernant les traits essentiels des peines et mesures de sûreté ainsi que leur régime juridique.

1. La convergence des traits essentiels des peines et mesures de sûreté

Les interactions réciproques s’opèrent tout à la fois sur le terrain de la nature intrinsèque de la mesure (1.1) que de leurs objectifs (1.2).

1.1 La convergence de la nature intrinsèque

Le brouillage des frontières entre peines et mesures de sûreté procède tout d’abord d’un rapprochement dans leur nature intrinsèque. D’un côté, il est permis de relever la particulière gravité de certaines mesures de sûreté qui, à l’instar de la rétention de sûreté, offrent la possibilité d’un enfermement perpétuel. Pour cette raison, le Conseil constitutionnel, saisi de la constitutionnalité de la mesure, a qualifié cette nouvelle institution de « peine-mesure »1458,

1457. JO Sénat, doc. parl. 1985-1986, no 300, p. 7. Alors même que, nonobstant le choix d’une qualification

unique, le Code pénal de 1994 connaissait à la fois des peines et des mesures de sûreté (cf. infra, le développement consacré « L’exclusion d’une triple voie confirmant la voie d’une catégorie unique de sanctions pénales »).

1458. Cf. Cons. const., 21 févr. 2008, no 2008-562 DC, AJDA 2008, p. 714 ; D., 2008, p. 1359, chron. Y. MAYAUD ; ibid., p. 2025, obs. V. BERNAUD et L. GAY ; ibid., 2009, p. 123, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE, T. GARE et S. MIRABAIL ; Constitutions 2010, p. 235, obs. M. DISANT ; RSC 2008, p. 731, note C. LAZERGES ; ibid., 2009, p. 166, obs. B. DE LAMY. Il est permis de noter que si le Conseil constitutionnel n’a pas formellement qualifié la rétention de sûreté de peine ce n’est pas en considération de la gravité de la mesure, qui en l’occurrence aurait été insuffisante, mais en application d’un critère formel. La Haute Juridiction fait valoir que « la décision de la cour [d’assises] ne consiste pas à prononcer cette mesure, mais à la rendre possible dans le cas où, à l’issue de la peine, les autres conditions seraient réunies ». En effet, seule la juridiction régionale de la rétention de sûreté est compétente pour prononcer la rétention de sûreté, en se fondant non pas sur la culpabilité de la personne mais sur sa dangerosité. La cohérence de la décision du Conseil peut cependant être éprouvée lorsque la Haute Juridiction n’hésite pas à se fonder sur la gravité de mesure, consistant en l’espèce en « la nature privative

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et certains auteurs de s’aligner sur cette analyse en considérant que « la rétention de sûreté est hybride et ambiguë »1459. Si la nature juridique de la rétention de sûreté reste incertaine en droit interne, la Cour européenne a jugé que l’institution allemande jumelle de la détention de sûreté était une peine1460. D’un autre côté, et à l’opposé, le législateur a développé des peines de substitution à l’emprisonnement dont la contrainte pénale pourrait, aux yeux d’une partie de l’opinion, constituer l’égérie du laxisme contemporain en la matière1461.

1.2 La convergence des objectifs

Si l’on se réfère à la décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 19941462, la peine est « conçue non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l’amendement de celui-ci et permettre son éventuelle réinsertion ». Quant aux mesures de sûreté, elles tendent en principe à faire cesser une situation dangereuse indépendamment de toute idée de faute ; elles consistent en une mesure de protection sociale destinée à prévenir la récidive ou à neutraliser un état dangereux et dépourvue de tout objectif rétributif ou expiatoire1463. Les lignes ont quelque peu bougé. Qu’il s’agisse des peines ou des mesures de sûreté, nous allons d’abord établir que la réflexion selon laquelle, « toutes deux se réclament désormais de la même pensée directrice : éviter la récidive et, pour y parvenir, donnent la prépondérance aux mêmes moyens »1464, se trouve plus que jamais vérifiée. En opérant un subtil distinguo entre les objectifs et les fonctions de la peine, le nouvel article 130-1 du Code pénal, tel que créé par la loi no 2014-896 du 15 août 2014, souligne avec une acuité particulière l’importance, pour ne pas écrire la prépondérance, contemporaine de l’assignation de cet objectif de prévention de la récidive aux peines. L’article 130-1 du Code pénal, qui fait office d’article préliminaire du titre III, intitulé « Des peines », du livre premier du Code pénal, dissocie les objectifs des fonctions de la peine fixée par la juridiction de jugement en reprenant l’ancien article 132-24, alinéa 2 et en procédant à quelques modifications structurelles de ce dernier. Comme nous l’avons vu précédemment, Jacques-Henri Robert considère que « le nouvel article 130-1 du Code pénal […] constitue un déménagement et un aménagement grammatical de son ancien article 132-24,

de liberté, la durée de cette privation, son caractère renouvelable sans limite », pour faire échec à son application rétroactive. La gravité de la mesure étant établie, pourquoi occulter cette dernière au moment de se prononcer sur la nature juridique de la rétention de sûreté ? Il semble que ce paradoxe puisse être reproché au Conseil constitutionnel. Cette critique se confirme lorsque l’on considère la motivation de l’arrêt M. c/ Allemagne du 17 décembre 2009 dans lequel la Cour européenne souligne que la mesure de détention de sûreté avait été ordonnée après une condamnation et qu’elle visait davantage un but punitif que préventif. Elle relève par ailleurs sa durée illimitée et l’absence de soins spécialisés pour réduire la dangerosité de la personne concernée (cf. infra pour le défaut de soins dans le centre socio-médico-judiciaire de sûreté).

1459. Cf. M. HERZOG-EVANS, « La loi no 2008-174 du 25 février 2008 ou la mise à mort des “principes cardinaux” de notre droit », AJ pén., 2008, p. 161.

1460. Cf. supra. 1461. Elle constitue la mesure phare de la loi no 2014-896 du 14 août 2014 relative à l’individualisation des peines

et renforçant l’efficacité des sanctions pénales. 1462. Cf. Cons. const., DC no 93-334, 20 janv. 1994. 1463. Cf. rapport sur la refonte du droit des peines, 18 décembre 2015, http://www.justice.gouv.fr. 1464. R. SCHMELK, « La distinction de la peine et de la mesure de sûreté », in Mélanges Patin, Cujas, 1965, p. 181

et suiv., spéc. p. 189.

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alinéa 2 »1465. De fait, l’aménagement grammatical repose sur une dissociation, nouvellement établie, entre les buts et les fonctions de la peine. Qu’il nous soit donné l’occasion de clarifier deux notions qu’il n’est pas toujours aisé de distinguer. Les fonctions de la peine concernent « l’effet du châtiment sur chaque condamné en particulier »1466 ; les buts de la peine « sont les conséquences de la réalisation de ses fonctions et […] bénéficient au corps social tout entier »1467. Or, ces derniers consistent à « assurer la protection de la société, […] prévenir la commission de nouvelles infractions et […] restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime ». En isolant les buts des fonctions de la peine, les premiers constituant l’aboutissement des secondes, le législateur souligne la finalité des peines en termes de prévention de la récidive. D’un autre côté, si l’on considère les mesures de sûreté et, en particulier, le placement sous surveillance électronique mobile, créé par la loi no 2005-1549 du 12 décembre 2005 « à titre de mesure de sûreté », on s’aperçoit qu’il ne peut être prononcé que s’il « apparaît indispensable pour prévenir la récidive à compter du jour où la privation de liberté prend fin »1468. La loi du 12 décembre 2005 a également institué la surveillance judiciaire, technique ordonnée « à titre de mesure de sûreté et aux seules fins de prévenir une récidive dont le risque paraît avéré »1469. La mesure de sûreté est donc clairement définie comme le moyen d’enrayer la récidive d’une personne dangereuse. Le caractère apparemment contradictoire des impératifs assignés aux fonctions de la peine, particulièrement dans l’ancien article 132-24 du Code pénal, pouvait s’analyser comme « la consécration de la peine et de la mesure de sûreté tout à la fois »1470. Cela étant, et afin de satisfaire l’objectif commun de prévention de la récidive, la « religion du soin »1471 irradie tant les peines que les mesures de sûreté1472. Force est donc de conclure que les peines et mesures de sûreté poursuivent le même objectif principal de prévention de la récidive. Ce dernier est sous-tendu par une convergence des régimes juridiques.

2. La convergence des régimes juridiques

La dualité de qualification formelle a induit une différence de régime juridique entre les peines et les mesures de sûreté qui a été entérinée par les juridictions suprêmes de l’ordre interne. La dualité de régime juridique est légitime dès lors que les frontières entre les deux catégories de mesures sont étanches. Il résulte de la logique pure des mesures de sûreté que leur régime juridique doit être plus souple que celui des peines. Cette souplesse concerne tant les conditions présidant au prononcé de la mesure (2.1) que les modalités de son application dans le temps (2.2).

1465. J.-H. ROBERT, « Réforme pénale. Punir dehors. Commentaire de la loi no 2014-896 du 15 août 2014 »,

op. cit. 1466. Ibid. 1467. Ibid. 1468. Cf. C. pén., art. 131-36-9 et suiv. ; C. pr. pén., art. 763-10 et suiv. 1469. Cf. C. pr. pén., art. 723-29. 1470. En ce sens également, J. PRADEL, « Nature et application dans le temps des mesures créées par la loi du

25 février 2008 à l’égard des criminels atteints d’un trouble mental », D., 2010, p. 471. 1471. M. HERZOG-EVANS, « La loi no 2008-174 du 25 février 2008 ou la mise à mort des “principes cardinaux”

de notre droit », op. cit., p. 161. 1472. La rétention a pour but de proposer « une prise en charge médicale, sociale et psychologique » (sic).

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2.1 Les distorsions initiales dans les conditions présidant au prononcé de la mesure

Au rang des conditions présidant au prononcé de la mesure considérée, deux d’entre elles retiendront notre attention, celles relatives au fondement de la mesure et à la place de la volonté du délinquant. La première particularité des mesures de sûreté était inhérente à leur fondement. On a déjà précisé qu’elles étaient traditionnellement fondées sur le concept autonome de dangerosité. Une évolution peut être mise en évidence par le prisme de la rétention de sûreté. En effet, si le placement en rétention de sûreté peut être prononcé, c’est parce que des personnes ont été antérieurement condamnées pour des infractions. Bien qu’elle soit prononcée par la juridiction régionale de la rétention de sûreté1473, qui se fonde pour ce faire sur la dangerosité de la personne, c’est la cour d’assises qui conditionne son prononcé ultérieur. Conformément à l’article 706-53-13, alinéa 3 du Code de procédure pénale, il faut que la cour d’assises ait expressément prévu dans sa décision que la personne pourra faire l’objet de la rétention de sûreté en fin d’exécution de la peine qu’elle prononce. Même si le Conseil constitutionnel, pour écarter formellement la qualification de peine, retient que la cour d’assises ne prononce pas véritablement cette mesure, mais se borne « à la rendre possible dans le cas où », il n’en demeure pas moins que si l’intéressé n’avait pas commis d’infraction, il ne pourrait faire l’objet d’une telle mesure. Autrement dit, la rétention de sûreté puise aussi son fondement dans la culpabilité de la personne. Au-delà, le fait que la dangerosité, qui plus est particulière, ne constitue plus le fondement exclusif au prononcé de certaines mesures de sûreté est très significatif du phénomène de convergence des peines et mesures de sûreté. Par l’hybridation de leur fondement, les mesures de sûreté empruntent au régime traditionnel des peines. De la même manière, la détermination de la peine, tant dans sa nature que dans son quantum, peut être fondée sur la dangerosité du délinquant. En application du principe d’individualisation des peines, prévu par l’article 132-1 du Code pénal, la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction notamment de la personnalité de son auteur. Or, au rang des éléments de personnalité figure potentiellement l’existence d’une dangerosité, d’ordre psychiatrique et/ou criminologique1474, qui est traditionnellement prise en compte par le biais du prononcé d’une mesure de sûreté. Il est donc vraisemblable d’envisager le prononcé d’une « mesure de sûreté » dans le cadre de la réponse judiciaire à la commission d’une infraction. De manière plus particulière, la prise en compte de la dangerosité dans le choix de la peine, sans apparaître une fois de plus expressément au sein des textes, peut se déduire de l’institution de la « période de sûreté » en 19781475. Comme le relève François Rousseau, même « si la loi ne le dit pas clairement, le choix de la période de sûreté est principalement motivé par la dangerosité du condamné, dont on veut s’assurer qu’il sera libéré le plus tardivement possible »1476. Cette

1473. C. pr. pén., art. 706-53-13, al. 1er. 1474. Cf. infra, titre 2, chapitre II. 1475. Cette dernière consistant à empêcher pendant une certaine durée tout aménagement de peine. 1476. F. ROUSSEAU, « Dangerosité et sanctions pénales », in Peine, Dangerosité – quelles certitudes ?, Dalloz, 2010,

p. 265 et suiv.

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hypothèse se trouve vérifiée lorsqu’il est envisagé de mettre fin à une période de sûreté dite incompressible, car la référence à la dangerosité apparaît alors clairement1477. Qu’il soit permis de souligner que le principe d’individualisation des peines pourrait ainsi être invoqué pour justifier la réunion des peines et mesures de sûreté en une seule catégorie de sanctions pénales1478. De manière générale, dans la jurisprudence constitutionnelle, il « implique que la peine […] ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce »1479. Ces circonstances sont aujourd’hui énumérées par l’article 132-1 du Code pénal1480. Devant l’importance de ce principe en droit positif, on peut s’étonner que le Conseil constitutionnel ne lui ait conféré valeur constitutionnelle que récemment, dans une décision du 22 juillet 2005, en considérant qu’il découlait du principe de nécessité des peines inscrit à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen1481. L’explication semble à rechercher dans la crainte éprouvée par le Conseil que « le principe de l’individualisation des peines soit un outil trop destructeur »1482. Elle se trouve vérifiée par le fait que le Conseil constitutionnel est venu le circonscrire. Le potentiel destructeur tient au fait que dans un contexte où l’idéologie de la réinsertion prédomine, il pourrait, à l’extrême, conduire à ne déterminer la peine qu’en fonction de la personnalité de l’auteur de l’infraction en occultant le caractère rétributif de la responsabilité pénale, faisant, par ricochet, entrave à l’effectivité de la répression. Le Conseil constitutionnel a alors précisé, d’une part, que le principe d’individualisation des peines ne suppose pas que « la peine soit exclusivement déterminée en fonction de la personnalité de l’auteur de l’infraction »1483 et, d’autre part, qu’« il ne saurait toutefois faire obstacle à ce que le législateur fixe des règles assurant une répression effective des infractions »1484. Les réserves apportées par le Conseil constitutionnel au principe de l’individualisation des peines permettent de mesurer l’importance accordée à l’individualisation de la sanction. Précisément, cette dernière est à l’origine d’un recours indifférencié à la peine ou à la mesure de sûreté afin de satisfaire cet objectif. Pour cette raison, des auteurs considèrent que « la réponse judiciaire à la commission d’une infraction est la traduction d’une individualisation de la peine poussée à l’extrême, tant et si bien que la peine n’est plus la seule sanction

1477. Cf. C. pr. pén., art. 720-4, alinéa 4. Ce dernier prévoit expressément la réalisation d’une expertise de dangerosité du condamné comme préalable à la levée de la période de sûreté.

1478. Cf. infra pour un développement spécifique sur cette thématique. 1479. Cf., par exemple, Cons. const., 29 sept. 2010, no 2010-40 QPC, JCP 2010, p. 1149, obs. A. LEPAGE et

H. MATSOPOULOU ; Dr. pén., 2010, comm. 122, obs. J.-H. ROBERT ; Gaz. Pal., 2010, p. 19, obs. M.-C. SORDINO ; Cons. const., 17 mars 2011, no 2011-103 QPC, Constitutions 2011, p. 377, obs. A. BARILARI ; LPA, 2011, p. 3, obs. N. PERROTIN ; RFDC, 2011, p. 627, obs. É. OLIVA.

1480. Ce qui suppose de tenir compte de la situation matérielle, sociale et familiale, de la personnalité de l’intéressé ainsi que des circonstances dans lesquelles il a commis l’infraction.

1481. Cons. const., 22 juill. 2005, no 2005-520 DC, RFDC, 2006, p. 165, obs. S. NICOT; Gaz. Pal., 2005, no 215, p. 6, obs. J.-É SCHOETTL. Pour le Conseil constitutionnel, trois grands principes s’excipent de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en vertu duquel « la Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires », le principe de nécessité des peines, le principe de proportionnalité des peines et le principe d’individualisation des peines.

1482. B. DE LAMY, « Les peines obligatoires et le principe de l’individualisation des peines », RSC, 2011, p. 182. 1483. Cons. const., 9 août 2007, no 2007-554 DC, AJDA 2008, p. 594, note A. JENNEQUIN ; D., 2008, p. 2025,

obs. V. BERNAUD et L. GAY ; RSC, 2008, p. 133 et 136, obs. B. DE LAMY. 1484. Cf., par exemple, Cons. const., 29 sept. 2010, no 2010-40 QPC, JCP 2010, p. 1149, obs. A. LEPAGE et

H. MATSOPOULOU ; Dr. pén., 2010, comm. 122, obs. J.-H. ROBERT ; Gaz. Pal., 2010, p. 19, obs. M.-C. SORDINO ; Cons. const., 17 mars 2011, no 2011-103 QPC, Constitutions 2011, p. 377, obs. A. BARILARI ; LPA, 2011, p. 3, obs. N. PERROTIN ; RFDC, 2011, p. 627, obs. É. OLIVA.

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applicable »1485, avant d’ajouter que « ce dépassement atteint son paroxysme dans la relativisation de la distinction entre peines et mesures de sûreté »1486. Il faut donc considérer qu’en droit positif, « la peine et la mesure de sûreté ne sont que des modalités différentes de la réponse judiciaire à la commission d’une infraction ou aux risques de commission d’une infraction. Les mesures de sûreté, tout comme les peines principales, accessoires, complémentaires, ne sont qu’une manière d’individualiser la réponse judiciaire à la commission d’une infraction »1487. Ainsi, si les mesures de sûreté peuvent emprunter le fondement des peines, ces dernières peuvent à l’inverse emprunter le fondement des mesures de sûreté. Il n’y a rien d’étonnant, dès lors, quant à l’hybridation de certaines peines et mesures de sûreté entre elles. En prenant l’exemple du placement sous surveillance électronique mobile qui peut être rattaché à une peine, telle qu’un suivi socio-judiciaire1488 ou une libération conditionnelle1489, Martine Herzog-Evans dénonce d’ailleurs le « goût immodéré du législateur pour de telles “hybridations” »1490. Cependant, le fait que le législateur n’hésite pas à recourir à ces hybridations plaide en faveur de la porosité de la frontière entre peines et mesures de sûreté. La seconde caractéristique inhérente au prononcé des mesures de sûreté réside dans le fait que leur application n’est pas soumise à l’accord du délinquant. Traditionnellement, la place réservée à la volonté du délinquant dans l’octroi d’une mesure, peine ou mesure de sûreté, n’est pas la même. Par exemple, si l’on raisonne sur les mesures pouvant être prononcées pendant l’exécution d’une peine privative de liberté, alors que les mesures de sûreté post-sentencielles s’imposent au condamné, les mesures d’aménagement de peine sont quant à elles soumises à son accord. L’octroi de ces dernières, à l’instar de la libération conditionnelle, est même le plus souvent subordonné à la demande du condamné1491. Or, le terrain des conditions d’octroi de la mesure illustre là encore la confusion contemporaine entre les deux catégories formelles. Par exemple, l’examen de la pratique judiciaire1492 révèle que la surveillance judiciaire, formellement qualifiée par le législateur de mesure de sûreté1493, peut être soumise à l’accord du détenu pour pallier l’impossibilité de prononcer une libération conditionnelle et ainsi éviter une sortie sèche, source de récidive. Ainsi, alors que la surveillance judiciaire en tant que mesure de sûreté devrait s’imposer au condamné, elle recueille souvent en pratique son adhésion1494. D’ailleurs, les contraintes légales entourant le

1485. É. DERLON, F. FOURMENT, C. MENABE et J.-B. THIERRY, « De la peine à la réponse judiciaire à la

commission d’une infraction », in La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, Opinio doctorum, op. cit., p. 286.

1486. Loc. cit. 1487. Ibid., p. 287. 1488. Cf. C. pén., art. 131-36-10. 1489. Cf. C. pr. pén., art. 731-1. 1490. Cf. M. HERZOG-EVANS, « La loi no 2008-174 du 25 février 2008 ou la mise à mort des “principes

cardinaux” de notre droit », op. cit., p. 161. 1491. Cf. C. pr. pén., art. 729 in fine. Cet article se réfère à plusieurs reprises au fait que « la libération

conditionnelle peut être accordée » (cf. not. les al. 3 et 6) alors que certains condamnés « ne peuvent bénéficier d’une mesure de libération conditionnelle » (cf. not. les al. 3 et 5).

1492. En l’occurrence du tribunal de l’application des peines de La Rochelle. 1493. Cf. infra. 1494. Sur la pratiques des surveillances judiciaires « concertées », cf. C. É. GOMEZ et C. MARIE, « L’évaluation

pluridisciplinaire de la dangerosité », in A. GIUDICELLI (dir.), Le champ de la prévention de la récidive dans sa dimension multi-partenariale, PUR, Rennes, 2017, p. 85.

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prononcé d’une mesure d’aménagement de peine étant souvent devenues insurmontables, la tendance est à l’inversion de la hiérarchie des mesures prononcées à la sortie de prison. Les mesures de sûreté passent maintenant devant les mesures d’aménagement de peine. À l’aune de ce constat, nous considérons, à l’instar de Pascale Bruston, que « les catégories juridiques […] de la peine, par opposition à la mesure de sûreté, doivent être réévaluées et revisitées au regard des changements pouvant désormais intervenir après le stade de la condamnation »1495. Certaines mesures de sûreté post-carcérales s’apparentent donc en réalité à des aménagements de peine. Si l’on raisonne maintenant sur les réductions de peine et, plus particulièrement, sur les réductions supplémentaires de peine, il est permis de relever une décision récente de la Cour de cassation qui, à l’inverse, a décidé que leur octroi n’est pas subordonné « à la demande du condamné ni même à son acceptation »1496, alors même que les réductions de peine s’apparentent en substance à une peine1497. En effet, dans sa décision du 8 juin 2016, la Cour de cassation considère que le consentement du condamné n’a pas sa place en matière de réduction de peine : pas plus qu’il n’a à en demander l’octroi, il n’a pas le pouvoir de refuser le bénéfice de réductions1498.

2.2 La convergence des modalités d’application dans le temps

Le principe gouvernant l’application dans le temps des mesures de sûreté Le principe de leur application immédiate, en procédant de l’essence même de ce type de mesure, a été logiquement préféré aux principes gouvernant l’application dans le temps des peines nouvelles. La qualification de « mesure de sûreté » semble en effet imposer une application rétroactive. Au plan interne, les jurisprudences de la Cour de cassation ou du Conseil constitutionnel vont en principe en ce sens. C’est ainsi que la Cour de cassation refusait d’appliquer aux mesures de sûreté le principe de la non-rétroactivité1499 ou de proportionnalité1500. Le Conseil constitutionnel, pour sa part, a validé la loi du 12 décembre 2005 prévoyant l’application de la surveillance judiciaire à des personnes condamnées pour des faits commis antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi1501. Si cette jurisprudence n’était pas contestable lorsque la mesure considérée procédait de la logique intrinsèque originelle des mesures de sûreté, il peut en aller différemment aujourd’hui en raison du rapprochement substantiel des peines et des mesures de sûreté. En écho au fait que certaines mesures de sûreté peuvent être ressenties par celui qui les subit comme d’authentiques peines, leur régime juridique peut aujourd’hui s’avérer plus contraignant que

1495. P. BRUSTON, « La rétention de sûreté est-elle une modalité d’application des peines ? », AJ pén., 2008,

p. 403. 1496. Cf. Cass. crim., 8 juin 2016, no 15-84.205, Bull. crim. no 176, Dr. pén., 2016, comm. 149, obs. É. BONIS-

GARÇON. 1497. Cf. infra, « L’application par la Cour européenne de l’article 7 de la Convention aux mesures affectant la

portée de la peine ». 1498. La solution peut surprendre dans la mesure où, si les réductions de peine constituent en principe un

avantage en ce sens qu’elles viennent écourter la durée de la peine à exécuter, elles peuvent néanmoins être perçues comme un inconvénient pour les condamnés sous le coup d’une mesure d’éloignement, cette dernière prenant effet à la fin de la peine.

1499. Cf. Cass. crim., 26 nov. 1997, no 96-83.792 ; Bull. crim., 1997, no 404 ; D., 1998, p. 495. 1500. Cf. Cass. crim., 3 sept. 2008, no 07-88.501, inédit ; Dr. pén., 2009, comm. no 11. 1501. Cf. infra et Cons. const., DC 8 déc. 2005, no 2005-527.

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celui des peines. En témoigne le fait que la persistance d’une différence de régime juridique entre les peines et les mesures de sûreté peut conduire à accorder moins de protection à des individus reconnus pénalement irresponsables qu’à des individus pénalement condamnables. Comme nous l’avons vu, il a été jugé que les mesures de l’article 706-136 du Code de procédure pénale étaient d’application immédiate aux procédures en cours. Le bénéfice du principe de la non-rétroactivité in pejus leur est refusé, alors même qu’elles s’apparentent en réalité à des peines. Ainsi, on peut se demander si la reconnaissance expresse tardive de la théorie de la double voie ne procède pas de la volonté d’instrumentaliser la catégorie formelle des mesures de sûreté et si les délinquants aliénés ne constituent pas les victimes collatérales de la volonté législative de contourner les principes directeurs de la responsabilité pénale à des fins tout à la fois populistes et répressives1502. Vraisemblablement alerté par cette dérive, le Conseil constitutionnel est venu, sans véritablement prendre parti, encadrer cette tendance en s’opposant au caractère rétroactif de la rétention de sûreté, « eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu’elle est prononcée après une condamnation par une juridiction »1503. La convergence des régimes juridiques invite donc également à relativiser la distinction entre peines et mesures de sûreté, qu’il s’agisse du stade du prononcé de la sanction ou de celui de son exécution. En outre, ce phénomène d’interactions réciproques dépasse le seul cadre du droit interne pour s’inscrire également dans l’évolution de la jurisprudence de la Cour européenne sur la nature des mesures adoptées pendant l’exécution de la peine.

B. Le phénomène de convergence découlant du droit européen

Il est possible de procéder à l’assimilation des mesures de sûreté affectant la durée de la peine privative à des peines sur le fondement de l’arrêt Del Rio Prada rendu le 21 octobre 20131504. Le raisonnement sera établi en deux temps. En premier lieu, il consistera à relever qu’au regard de la jurisprudence de la Cour européenne, les mesures affectant la portée de la peine relèvent désormais du domaine de l’article 7 de la Convention constituant le fondement européen du principe de la légalité des peines (1.). Dans un second temps, il s’agira d’établir que des mesures relevant formellement de la qualification de mesure de sûreté, celles-là mêmes dont l’existence prête aujourd’hui à débat, affectent la portée de la

1502. Cf. infra, le développement sur l’ancrage sociologique de l’imputabilité. 1503. Décision no 2008-562 DC du 21 février 2008, considérant no 10. En vertu de l’article 706-53-13 du Code

de procédure pénale, des personnes ne peuvent faire l’objet d’une rétention de sûreté qu’« à la condition qu’elles aient été condamnées à une peine de réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à quinze ans pour les crimes, commis sur une victime mineure, d’assassinat ou de meurtre, de torture ou actes de barbarie, de viol, d’enlèvement ou de séquestration. Il en est de même pour les crimes, commis sur une victime majeure, d’assassinat ou de meurtre aggravé, de torture ou actes de barbarie aggravés, de viol aggravé, d’enlèvement ou de séquestration aggravé, prévus par les articles 221-2, 221-3, 221-4, 222-2, 222-3, 222-4, 222-5, 222-6, 222-24, 222-25, 222-26, 224-2, 224-3 et 224-5-2 du Code pénal ou, lorsqu’ils sont commis en récidive, de meurtre, de torture ou d’actes de barbarie, de viol, d’enlèvement ou de séquestration… ». En application de ces dispositions, les premiers placements en rétention de sûreté n’auraient dû intervenir qu’en 2023, soit quinze années suivant la promulgation de la loi. Or, de 2011 à 2013, déjà quatre personnes avaient fait l’objet d’un tel placement. Cela tient au fait qu’il peut aussi être consécutif à la violation des obligations imposées dans le cadre d’une surveillance de sûreté (cf. infra).

1504. Cf. CEDH, 21 oct. 2013, no 42750/09, Del Rio Prada c/ Espagne : JurisData no 2013-026185 ; D., 2013, p. 2775, obs. J. FALXA ; RSC, 2014, p. 174, note D. ROETS.

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peine. En tant que telles, elles seraient donc susceptibles de relever de l’article 7 de la Convention et, au-delà, de la qualification de peine (2.).

1. L’application par la Cour européenne de l ’article 7 de la Convention aux mesures affectant la portée de la peine

En vertu de l’arrêt Del Rio Prada, « les mesures ayant une incidence sur la portée de la peine » relèvent du domaine de l’article 7 de la Convention. Que faut-il entendre par « mesure affectant la portée de la peine » ? Il s’agit d’abord logiquement de mesures postérieures au prononcé de la peine initiale. Or, traditionnellement, les mesures prises après le prononcé de la peine, c’est-à-dire pendant son exécution, étaient analysées par la Cour européenne comme des mesures se rattachant exclusivement à l’exécution de la peine et, en tant que telles, elles échappaient au domaine de l’article 7 de la Convention. La Cour opérait donc une distinction entre, d’une part, les mesures constituant en substance une peine et, d’autre part, les mesures relatives à l’exécution ou à l’application de la peine. Ainsi, seules les premières relevaient de l’article 7 de la Convention. En l’espèce, la mesure litigieuse, issue de la doctrine Parot1505, instituait un nouveau mode de calcul des remises de peines conduisant à exclure l’imputation de remises de peines accordées à la suite du travail effectué en détention1506. La décision de l’Audiencia Nacional d’appliquer cette doctrine à Mme Inès Del Rio Prada, militante de L’ETA, condamnée notamment du chef de plusieurs attentats, assassinats, tentatives d’assassinats, avait pour effet de prolonger sa détention de presque neuf années. Après l’échec d’une multitude de recours, la requérante se tourna vers la Cour européenne en soutenant que l’application du revirement jurisprudentiel issu de la doctrine Parot équivalait à l’application rétroactive et non raisonnablement prévisible d’une peine supplémentaire, contraire à l’article 7 de la Convention. De la même manière qu’elle juge encore qu’un changement dans le système de libération conditionnelle ne constitue pas une peine, la Cour européenne considérait traditionnellement que « lorsque la nature et le but d’une mesure concernent la remise d’une peine […], cette mesure ne fait pas partie intégrante de la “peine” au sens de l’article 7 »1507. Elle a cependant initié un revirement de jurisprudence à l’occasion du premier arrêt Del Rio Prada1508. Toutefois, il était reproché à cette décision d’avoir conclu à l’application de

1505. Jurisprudence du nom d’un autre etarra du Tribunal suprême espagnol du 28 février 2006. 1506. La doctrine Parot indiquait qu’il fallait que les remises soient imputées sur chaque peine prise isolément, le

condamné commençant par exécuter, par ordre décroissant d’importance, la plus longue, remises de peine déduites, puis il exécutait la deuxième peine de privation de liberté, calculée là aussi en tenant compte des remises de peine qui y étaient attachées, et ainsi de suite. Il résulte de cette doctrine qu’une personne condamnée, comme Inès Del Rio Prada, du chef de plusieurs infractions à de très longues peines, ne tirent plus aucun bénéfice des remises obtenues.

1507. Cf. CEDH, 12 févr. 2008, Gr. Ch., no 21906/04, Kafkaris c/ Chypre : JurisData no 2008/010468. En l’espèce, une modification législative avait privé le requérant des remises de peine auxquelles il pensait avoir droit, faisant passer sa détention d’une durée de vingt ans à un emprisonnement à vie. La cour releva que si « le requérant, condamné à la réclusion à perpétuité, ne peut plus prétendre à une remise de peine […] cette question se rapporte à l’exécution de la peine non à la « peine » imposée à l’intéressé, laquelle demeure celle de l’emprisonnement à vie ».

1508. Cf. CEDH, 3e sect., 10 juill. 2012, Del Rio Prada c/ Espagne, no 42750/09 : JurisData no 2012-033725, AJ pén., 2012, p. 494, obs. M.-H. EVANS ; RSC, 2012, p. 698, obs. D. ROETS.

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l’article 7 sans avoir au préalable réglé la question de son applicabilité1509. Ce grief tombe à la lecture du deuxième arrêt Del Rio Prada rendu le 21 octobre 2013. Cette fois, la juridiction européenne indique les raisons pour lesquelles l’article 7 de la Convention a vocation à s’appliquer aux mesures modifiant les modalités d’imputation des remises de peine. Elle considère que certaines mesures prises après le prononcé de la peine peuvent en modifier la portée et qu’à ce titre elles doivent relever de l’article 7 de la Convention. La Cour européenne a jugé que tel était le cas des nouvelles modalités d’imputation des remises de peine issues de la doctrine Parot puisqu’elles conduisaient à exclure une personne condamnée du chef de plusieurs infractions à de très longues peines du bénéfice des remises obtenues. L’application de la doctrine Parot au cas d’espèce avait donc pour effet de rallonger la durée de la peine privative devant être effectivement subie. Un changement dans les modalités d’imputation des remises de peine ne saurait plus passer pour une mesure se rattachant exclusivement à l’exécution de la peine et doit en conséquence relever de l’article 7 de la Convention. Il semble donc que la Cour opère désormais, au sein de la catégorie juridique des mesures d’exécution, une subdivision séparant celles qui affectent la portée de la peine et celles qui ne l’affectent pas. Afin d’évaluer la portée de cette décision, la question se pose alors de savoir dans quelles conditions une mesure affecte la portée de la peine. En l’absence de critères clairement dégagés par la juridiction européenne, il reste à se tourner vers la logique. Il devrait d’abord en aller ainsi d’une mesure affectant directement la durée de la peine prononcée par la juridiction de jugement. Ensuite, et en application de la jurisprudence qui précède, il en va nécessairement d’une mesure qui affecte la durée de la peine privative de liberté devant être effectivement subie/la durée de la peine à exécuter. La réduction de peine s’entend en effet de toute mesure qui dispense la personne condamnée à une peine privative de liberté de l’exécution d’une partie de sa peine, soit en considération de sa bonne conduite, soit en considération de ses efforts de réinsertion. En outre, depuis la loi no 2004-204 du 9 mars 2004, elles sont accordées par voie de crédit dès la condamnation définitive, de sorte qu’elles s’imputent automatiquement sur la peine prononcée1510. Au regard de ces éléments, nous allons tenter d’établir que la jurisprudence Del Rio Prada a vocation à s’appliquer à d’autres mesures prises pendant l’exécution de la peine et, en l’occurrence, à des mesures de sûreté ayant une influence sur la portée de la peine.

2. Les mesures relevant formellement de la qualification de mesure de sûreté et affectant la portée de la peine

Quand on pense aux mesures parées par le législateur de la qualification formelle de mesures de sûreté et susceptibles d’affecter la portée de la peine, il vient immédiatement à l’esprit, d’une part la surveillance judiciaire1511, créée par la loi du 12 décembre 2005, qui symbolise le renouveau des mesures de sûreté et, d’autre part, deux des mesures phares instaurées par la loi du 25 février 2008 : la rétention de sûreté et la surveillance de sûreté. Formellement

1509. Cf. Dr. pén., 2013, comm. no 179, obs. V. PELTIER. 1510. Elles ne font donc plus l’objet d’une décision du juge de l’application des peines, sauf en cas de retrait. 1511. Cf. C. pr. pén., art. 723-29.

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qualifiées par le législateur de « mesures de sûreté », elles sont, au côté de la surveillance judiciaire, emblématiques du renouveau contemporain des mesures de sûreté. S’agissant en premier lieu de la surveillance judiciaire1512, elle permet au juge de l’application des peines de contrôler une personne une fois sa peine purgée pendant une durée correspondant aux réductions de peine dont elle a bénéficié, en lui imposant un certain nombre d’obligations, dont celles prévues pour le sursis avec mise à l’épreuve. Si la surveillance judiciaire ne peut en tout état de cause excéder la durée des réductions de peine dont le condamné a bénéficié, et donc dépasser la durée de la peine prononcée par la juridiction de jugement1513, elle peut néanmoins impacter la portée de la peine sur le terrain de la durée de la peine privative de liberté devant être exécutée en milieu fermé. En effet, en cas de non-respect de ses obligations par le condamné, sa réincarcération peut être décidée pour la durée des réductions de peine accordées et non déjà révoquées. Autrement dit, la surveillance judiciaire contient en germe une atteinte à la portée de la peine, en ce sens qu’elle peut venir augmenter la durée de la peine privative à exécuter. S’agissant de la rétention de sûreté, elle prévoit, pour l’essentiel, la possibilité, sous certaines conditions, de maintenir dans des centres fermés et pour une durée indéfiniment renouvelable, au terme de l’exécution de leur peine, des personnes présentant « une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu’elle souffre d’un trouble grave de la personnalité »1514. Aucune limite maximale n’ayant été prévue aux renouvellements des placements en rétention de sûreté, elle peut donc être perpétuelle. En ce qu’elle contient en germe la potentialité d’un enfermement perpétuel, la rétention de sûreté constitue à l’évidence une mesure de nature à influer sur « la portée de la peine », qu’il s’agisse de la peine privative de liberté devant être effectivement exécutée en milieu fermé ou, au-delà, de la durée de la peine privative de liberté prononcée par la juridiction de jugement1515. En application des critères de la jurisprudence Del Rio Prada, la rétention de sûreté devrait donc relever de l’article 7 de la Convention. Au soutien de cette conclusion, on peut citer le fait que la juridiction européenne en a décidé ainsi à propos d’une institution voisine : la détention de sûreté du droit allemand1516. Elle a décidé que la mesure de la détention de sûreté s’apparentait à une peine au sens de l’article 7 de la Convention. Cependant, ajoutant encore à la confusion en la matière, la Cour européenne, tout en maintenant la qualification de peine, a récemment décidé de l’application rétroactive de la prolongation de la détention de sûreté en cas de trouble mental. La légitimité de la solution tiendrait au caractère curatif de la mesure, donc de la peine1517. Or, sa qualification de peine

1512. Dont la qualification de mesure de sûreté a été confirmée par le Conseil constitutionnel dans sa décision

du 8 décembre 2005 rendue à propos de la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales (cf. Cons. const., 8 déc. 2005, DC no 2005-527).

1513. D’ailleurs, dans sa décision relative à la loi du 12 décembre 2005, le Conseil avait validé la surveillance judiciaire des personnes dangereuses, précisément parce qu’elle ne durait pas au-delà de la peine prononcée.

1514. Cf. C. pr. pén., art. 706-53-13. 1515. Il est notable que ce caractère la tire paradoxalement vers la qualification de mesure de sûreté. 1516. Cf. supra. 1517. Cf. CEDH, 7 janv. 2016, no 23279/14, Bergmann c/ Allemagne ; JurisData no 2016-000130 ; Dr. pén., 2016,

comm. 70, V. PELTIER ; AJ pén., 2017, p. 48, obs. C. SAAS, Dr. pén., 2017, chron. « Un an de droit de la peine », no 33, obs. V. PELTIER. En l’espèce, le requérant avait vu sa détention prolongée au-delà des dix ans normalement autorisés à l’époque des faits. Il saisit la Cour européenne au motif qu’on lui avait infligé une peine plus forte. La Cour conclut à l’absence de violation de l’article 7 de la Convention tout en

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aurait logiquement dû, en application de l’article 7 de la Convention, exclure sa prolongation rétroactive. Quoi qu’il en soit, plusieurs arguments en faveur de la qualification de « peine » de la rétention de sûreté peuvent être avancés. Au-delà de la position ambiguë du Conseil constitutionnel1518, il peut être soulevé que, contrairement aux mesures de sûreté, elle n’est pas uniquement fonction de la dangerosité de la personne mais également de sa culpabilité1519. Quant à la surveillance de sûreté, dont les modalités sont décrites à l’article 706-53-19 du Code de procédure pénale, elle consiste en une mesure de surveillance en milieu ouvert susceptible de s’appliquer à une personne présentant une dangerosité persistante avec un risque élevé de commettre à nouveau l’une des infractions mentionnées à l’article 706-53-13 du code précité. Si l’on adopte comme postulat le fait que le terme « portée » de la peine se réfère nécessairement à du temps passé en milieu fermé, la surveillance de sûreté n’aurait, a priori, pas d’influence sur la portée de la peine. Cependant, on pourrait aussi considérer que l’infliction de mesures de surveillance et de contrôle, quoiqu’exécutées en milieu ouvert, mais dépassant le seuil temporel de la peine privative de liberté prononcée par la juridiction de jugement, est de nature à avoir une influence sur la portée de la peine. Si l’on retient ces deux hypothèses, la surveillance de sûreté est susceptible d’impacter la portée de la peine de manière directe et indirecte. Ce constat tient aux circonstances présidant à son prononcé. En premier lieu, en prévoyant qu’elle puisse être prononcée à la suite d’une rétention de sûreté1520, d’une surveillance judiciaire1521 ou d’une mesure de suivi socio-judiciaire1522, le législateur en fait une mesure qui influe directement sur la portée de la peine. Nous avons déjà positivement établi l’incidence de la rétention de sûreté sur la portée de la peine. On ne peut que souscrire à la même conclusion s’agissant d’une mesure susceptible de prolonger une mesure de rétention de sûreté. Il peut en être de même pour une mesure prolongeant une surveillance judiciaire si cette dernière est prononcée « pendant une durée qui ne peut excéder celle correspondant au crédit de réduction de peine et aux réductions de peine supplémentaires dont elle a bénéficié et qui n’ont pas fait l’objet d’une décision de retrait »1523. Dans l’hypothèse où la surveillance judiciaire aurait été prononcée pour une durée correspondant à la totalité des crédits de réduction de peine et des réductions de peines supplémentaires accordés, la surveillance de sûreté, exécutée dans la continuité, viendrait nécessairement modifier la portée de la peine prononcée par la juridiction de jugement. La même conclusion s’impose décidément en présence d’une surveillance de sûreté prolongeant

continuant à qualifier la détention de sûreté de peine au sens de ce texte. La légitimité de la solution tiendrait au fait qu’en l’espèce, la prolongation de la détention du requérant avait été motivée par l’existence de troubles mentaux auxquels il était indispensable de remédier en le faisant bénéficier d’un traitement approprié. La Cour a ainsi considéré que dans le cas où la détention de sûreté a pour but de traiter le trouble mental de celui qui en fait l’objet, sa nature et son but changent au point de faire disparaître son aspect punitif et même son rattachement à une condamnation pénale.

1518. Cf. supra. 1519. Puisqu’elle trouve sa justification dans l’infraction à l’origine de la peine exécutée (cf. supra, le

développement consacré à la convergence des régimes juridiques des peines et mesures de sûreté). 1520. C. pr. pén., art. 706-53-19. 1521. C. pr. pén., art. 723-37. 1522. C. pr. pén., art. 763-8. 1523. C. pr. pén., art. 723-29

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un suivi socio-judiciaire, dans la mesure où, conformément à l’article 763-8 du Code de procédure pénale :

Lorsqu’un suivi socio-judiciaire a été prononcé à l’encontre d’une personne condamnée à une réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à quinze ans pour l’une des infractions visées à l’article 706-53-13, la juridiction régionale de la rétention de sûreté peut […] décider de prolonger tout ou partie des obligations auxquelles est astreinte la personne, au-delà de la durée prononcée par la juridiction de jugement et des limites prévues à l’article 131-36-1 du Code pénal, en la plaçant sous surveillance de sûreté pour une durée de deux ans.

Le placement sous surveillance de sûreté consécutivement à un suivi socio-judiciaire permet donc de sortir d’une double limite temporelle et, notamment, de celle de la peine prononcée par la juridiction de jugement. Dans tous les cas, la durée de la surveillance de sûreté est alors perpétuelle. En effet, si elle est initialement prononcée pour une année, elle peut cependant être renouvelée dans les mêmes conditions et selon la même durée sans limitation1524. La surveillance de sûreté peut aussi affecter indirectement la portée de la peine privative de liberté prononcée par la juridiction de jugement. Cela tient au fait qu’elle comporte des obligations identiques à celles de la surveillance judiciaire ou du suivi socio-judiciaire et que la violation de ces obligations peut entraîner un placement en rétention de sûreté1525. Souvent présentée comme moins attentatoire à la liberté que la rétention de sûreté, la surveillance de sûreté n’en est pas moins une mesure grave pour les personnes concernées1526, susceptible d’influer de différentes façons sur la portée de la peine. Au final, il est permis d’affirmer qu’il existe des mesures de sûreté susceptibles de relever de l’article 7 de la Convention, qui, en tant que telles, peuvent être analysées comme des mesures constituant en substance des peines. Au-delà de la rigueur de l’analyse juridique, un rapprochement peut également être observé, par le truchement d’une approche subjective, en tenant compte du ressenti des délinquants. En conclusion, la distinction entre peines et mesures de sûreté présente aujourd’hui un intérêt résiduel. Les deux différences jusqu’alors majeures entre les deux catégories de sanctions pénales résidant dans l’application de la loi dans le temps et dans la détermination de l’autorité compétente pour le prononcé de la sanction ont été mises à mal par la loi du 25 février 2008 et la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 21 février 2008. La logique commande que leur régime soit pleinement uniformisé. Pour ce faire, il reste à condamner l’autonomisation du concept de dangerosité pour fonder la mesure de sûreté. Le prononcé

1524. Cf. C. pr. pén., art. 706-53-19. 1525. Dans un avis du 31 janvier 2014 (JO 25 févr.), le contrôleur général des lieux de privation de liberté relève

que trois des quatre personnes placées en rétention de sûreté depuis 2011 l’ont été à la suite d’une méconnaissance d’une des obligations de la surveillance de sûreté.

1526. Il est tout de même éloquent de constater qu’elle peut déboucher sur le prononcé d’une rétention de sûreté alors même qu’aucune nouvelle infraction n’aurait été commise par l’intéressé. Ce constat est d’autant plus questionnant que l’on se penche sur les obligations qui, dans les quatre cas évoqués, avaient été violées : méconnaissance de l’obligation de soins psychiatriques et de l’obligation d’établir sa résidence dans un lieu déterminé, avoir fréquenté des débits de boissons et paru dans des lieux accueillant des mineurs, les uns et les autres lui étant interdits, des manquements répétés à l’obligation de soins.

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de toute sanction pénale serait alors préalablement subordonné à l’établissement de l’imputabilité de l’intéressé.

§ 2 - La réunion des peines et des mesures de sûreté en une catégorie unique de sanctions pénales avec l’imputabilité pour fondement

Le phénomène de convergence des peines et des mesures de sûreté contient en germe la réunion de l’ensemble des réponses pénales au sein d’une catégorie unique. Il est permis d’aller plus loin en donnant une nouvelle assise juridique à cette hypothèse à travers l’analyse de la jurisprudence Laboube confirmée par la suite par le législateur (A.), avant d’évoquer les conséquences générées par l’émergence d’une catégorie unitaire de sanctions pénales, tant sur les plans substantiel que formel (B.).

A. La jurisprudence Laboube, assise juridique de la réunion des peines et des mesures de sûreté en une seule catégorie de sanctions pénales

La jurisprudence Laboube, en retenant in fine le fondement de l’imputabilité au prononcé d’une mesure de sûreté à l’encontre d’un mineur délinquant, avait esquissé l’alternative d’une catégorie unique de sanctions pénales avec l’imputabilité pour fondement (1.). Cette perspective, confortée par le phénomène de convergence des peines et des mesures de sûreté précédemment étudié, permet d’écarter définitivement la possibilité d’octroyer aux mesures de sûreté un statut cadre afin d’assurer leur stabilité et de garantir leur avenir1527 et, à plus forte raison, de remettre en question le souhait d’une partie de la doctrine de voir émerger une troisième catégorie de sanctions pénales, intermédiaire entre les mesures de sûreté « traditionnelles » et les peines proprement dites (2.)

1. L’imputabilité, fondement du prononcé d ’une mesure de sûreté en droit pénal des mineurs

La jurisprudence Laboube est un arrêt fondamental à double titre. Tout d’abord en ce qui concerne la détermination de la place de l’imputabilité par rapport à l’infraction1528 et, en second lieu, en ce qui concerne le fondement au prononcé d’une mesure de sûreté à l’encontre d’un mineur délinquant. Tout en réintroduisant la question du discernement en cette matière, la cour d’appel de Colmar considéra que si l’absence d’une intelligence ou d’une volonté suffisante interdisait de reconnaître le mineur responsable, elle n’empêchait pas, les faits étant établis dans leur matérialité, le prononcé d’une mesure d’assistance ou d’éducation. Autrement dit, non seulement « elle séparait implicitement l’imputabilité, nécessaire à l’établissement de la responsabilité pénale, de l’infraction qu’elle laisser subsister dans sa

1527. Contra, cf. L. GRÉGOIRE, Les mesures de sûreté : essai sur l’autonomie d’une notion, coll. des Thèses, Institut

universitaire Varenne, 2015. L’auteur démontre à l’inverse la légitimité de l’existence de la catégorie formelle des mesures de sûreté.

1528. Cf. supra, partie 1, titre 2, chapitre I et le développement relatif à l’interprétation à contre-courant doctrinal de l’arrêt Laboube.

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dimension matérielle »1529, mais encore, « elle appelait à distinguer les mesures de sûreté et les peines, les mesures de sûreté trouvant leur fondement dans la commission matérielle des faits infractionnels et les peines dans l’imputabilité à une personne »1530. Incidemment, la question se posait donc de savoir si l’on pouvait arguer de la caractérisation d’une infraction objectivée pour fonder le prononcé d’une mesure de sûreté à l’encontre d’un mineur ou s’il fallait, en outre et à l’instar des peines, exiger que soit caractérisée l’imputabilité du sujet. En d’autres termes, l’infraction est-elle une condition nécessaire et suffisante au prononcé d’une mesure de sûreté ? À l’inverse de la solution retenue par la Cour de cassation, le tribunal pour enfants de Strasbourg1531 et la cour d’appel de Colmar ont considéré que l’infraction commise pouvait à elle seule justifier le prononcé d’une mesure de sûreté. La juridiction suprême, quant à elle, casse l’arrêt de la cour d’appel de Colmar car elle considère que la conclusion à laquelle elle aboutit est contradictoire. Selon la Haute Juridiction, « après avoir décidé que le mineur Jean Laboube, qui n’était âgé que de six ans au moment des faits délictueux, ne pouvait répondre devant la juridiction répressive de l’infraction relevée contre lui, l’arrêt ne pouvait que prononcer sa relaxe et ne pouvait sans contradiction prendre à son égard une mesure de redressement ». La Cour de cassation semble considérer que la juridiction du second degré « ne pouvait […] retenir l’absence de responsabilité du jeune Laboube et, dans le même temps, confirmer la remise à la famille »1532, comme si le prononcé de la mesure éducative ne pouvait être consécutif qu’à l’engagement de la responsabilité pénale du mineur. La juridiction suprême semble donc conditionner le prononcé d’une mesure de sûreté à l’imputabilité du mineur. Or, la jurisprudence fondait traditionnellement le prononcé d’une mesure de sûreté à l’encontre d’un mineur délinquant dans la caractérisation d’une infraction. De ce point de vue, les décisions du tribunal pour enfants de Strasbourg et de la cour d’appel de Colmar en constituent deux illustrations. Qu’il soit permis de rappeler la formule venant clore la motivation de la Cour de cassation aux termes de laquelle « toute infraction, même non intentionnelle, suppose que son auteur ait agi avec volonté et intelligence ». On comprend dès lors qu’elle soit majoritairement interprétée par la doctrine comme intégrant directement l’imputabilité dans la constitution de l’infraction1533. Cette interprétation permet de satisfaire l’objectif poursuivi par la Cour de cassation qui cherchait avant tout à éviter le prononcé d’une mesure de sûreté à l’encontre du jeune Laboube1534. D’aucuns de considérer que la Cour de cassation aurait donc intégré l’imputabilité dans la constitution de l’infraction afin de faire obstacle au prononcé de la remise de l’enfant à sa famille : il s’agissait d’intégrer directement dans l’infraction une composante faisant défaut dans l’espèce étudiée afin d’écarter le prononcé d’une mesure de sûreté à l’encontre du mineur. Ainsi, la motivation de la Cour de cassation répondrait moins à la théorisation d’une nouvelle conception de l’infraction, comme cela a pu être soutenu par certains auteurs, qu’à la volonté de rendre une

1529. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2002, no 167, p. 174. 1530. Loc. cit. 1531. Juridiction du premier degré dans l’affaire étudiée. 1532. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2002, no 167, p. 174. 1533. C’est précisément le contraire qui a été démontré dans la première partie de cette étude (cf. le

développement relatif à l’interprétation à contre-courant doctrinal de l’arrêt Laboube). 1534. C’est également la conclusion à laquelle parvient Claire Saas dans l’analyse qu’elle effectue de la

jurisprudence Laboube (cf. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2002, no 167, p. 175).

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solution opportune en fondant le prononcé de la mesure éducative à l’encontre du mineur dans l’imputabilité de la personne. Or, pour éviter la remise de l’enfant à ses parents, « il était possible d’adopter une conception objective de l’infraction, en détachant la question du discernement de la réalisation ou non de l’infraction et en en faisant une composante de la responsabilité pénale et de conditionner la mesure de sûreté à la mise en œuvre de la responsabilité. En laissant subsister l’infraction mais en retenant la non-imputabilité de l’infraction à une personne dénuée de discernement, les juges auraient pu écarter la responsabilité de cette dernière »1535 et, partant, le prononcé d’une mesure de sûreté. Cependant, il a précisément été démontré, dans la première partie de cette étude, que la motivation de la Cour de cassation pouvait être interprétée comme excluant l’imputabilité de la constitution de l’infraction. Ainsi, si l’on recoupe les observations qui précèdent avec la démonstration effectuée en première partie de l’extériorité de l’imputabilité par rapport à l’infraction, on peut en déduire que le prononcé d’une mesure de sûreté à l’encontre d’un mineur délinquant est conditionné non seulement par la caractérisation d’une infraction dans tous ses éléments constitutifs, mais également par la mise en œuvre de la responsabilité pénale. On peut seulement regretter que la Cour de cassation n’ait pas choisi de fonder explicitement le prononcé de la mesure de sûreté sur l’imputabilité du mineur. Cette interprétation de l’arrêt Laboube a été indirectement consacrée par la loi du 9 septembre 2002. Les termes prohibitifs de l’article 122-8 du Code pénal interdisent que les mineurs incapables de discernement se voient appliquer des mesures de sûreté. Il résulte en effet de cet article que seuls les « mineurs capables de discernement » peuvent se voir appliquer mesures et sanctions éducatives. Qu’il soit permis de relever en forme de remarque conclusive que cette consécration nourrit aujourd’hui une contradiction, qui s’est mue depuis en une « sérénité dérangeante »1536, régissant la situation des personnes dépourvues de discernement. Alors que les majeurs irresponsables pénaux peuvent aujourd’hui se voir appliquer des mesures de sûreté1537, les mineurs incapables de discernement, eux, ne le peuvent pas. Or, comme le note Pierre-Jérôme Delage, « si mineurs et majeurs jugés pénalement irresponsables peuvent se voir appliquer des régimes différents, c’est donc que le discernement (plus vastement, le libre arbitre) n’est plus en cet endroit référence première »1538. Afin de restaurer l’exigence d’imputabilité, il serait souhaitable qu’à l’instar des mineurs, les majeurs ne puissent se voir infliger des mesures de sûreté qu’à condition d’être discernants au moment des faits1539. La position du droit pénal quant aux conditions d’engagement de la responsabilité pénale étant uniforme s’agissant des mineurs et des majeurs, il reste à préconiser la même uniformité s’agissant des conditions présidant au prononcé d’une sanction pénale. Au-delà, il s’agit de considérer que l’imputabilité version post-moderne doive constituer le fondement au

1535. Loc. cit. 1536. P.-J. DELAGE, « Vérité et ambiguïté autour de l’imputabilité morale - À propos de Crim. 21 janvier 2009 »,

op. cit., p. 69. 1537. Quand il ne s’agit pas purement et simplement de « peines » ? (cf. supra, « L’infliction de peines à des

délinquants aliénés »). 1538. Ibid. 1539. Par cette proposition, il s’agit simplement d’écarter la possibilité, rendue vraisemblable par le phénomène

de convergence des peines et des mesures de sûreté, que les délinquants aliénés se voient infliger d’authentiques sanctions pénales.

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prononcé tant de peines stricto sensu que de mesures de sûreté, peu important la qualité de la personne du délinquant. Dans le cas des majeurs aliénés, et comme en écho aux mesures pouvant être infligées à des mineurs non discernants1540, il serait logique qu’ils ne puissent faire l’objet que de mesures d’assistance sanitaire ou médico-sociales.

Quoi qu’il en soit, la consécration de l’imputabilité en tant que fondement au prononcé d’une mesure de sûreté à l’encontre d’un mineur délinquant vient conforter la convergence établie du régime juridique des peines et mesures de sûreté, et renforcer la préconisation d’un simple retour au statu quo ante, un retour à la théorie de la voie unique au détriment de la consécration d’une triple voie.

2. L’exclusion d ’une « triple voie » au profit d ’une catégorie unique de sanctions pénales

La potentialité d’une triple alternative répressive est consécutive à la décision du Conseil constitutionnel en date du 21 février 2008. Au lendemain de cette décision, certains auteurs ont préconisé de subdiviser les mesures de sûreté en deux catégories. Cette proposition tenait au fait que le Conseil constitutionnel, embarrassé par la rigueur extrême de la rétention de sûreté1541, n’avait pas apporté de réponse claire relativement à la nature juridique de la mesure1542. Si le Conseil a dit ce que la rétention de sûreté n’était pas, « ni une peine, ni une sanction ayant le caractère de punition », il n’a pas dit ce qu’elle était. Par ailleurs, tout en ne niant pas l’appartenance de la rétention de sûreté aux mesures de sûreté, il décide de rejeter la rétroactivité du dispositif qu’il censure. Plusieurs auteurs ont alors considéré que puisque la rétention n’était ni une peine, ni une sanction, il fallait la qualifier de « mesure de sûreté » et que l’absence de rétroactivité de la mesure en faisait une mesure de sûreté soumise à un régime d’exception, du moins quant à son application dans le temps. Il se dessinerait donc deux catégories de mesures de sûreté avec, d’un côté, les mesures de sûreté restrictives de liberté et, de l’autre, les mesures de sûreté s’en prenant à la liberté elle-même, en la soumettant à une privation de principe à l’instar de la rétention de sûreté1543. Alors que la première catégorie de mesures serait compatible avec la rétroactivité, la seconde ne pourrait s’accommoder d’une telle solution. Cependant, comme le relevait un parlementaire lors du vote de la loi sur la rétention de sûreté en se fondant sur la position des juges constitutionnels, « l’application du principe de non-rétroactivité est fonction de la gravité de l’atteinte portée à la liberté plutôt que de la qualification formelle de la mesure »1544. Cette remarque, qui

1540. On pense aux mesures d’assistance éducative prévues aux articles 375 et suiv. du Code civil. 1541. Comme le relève Yves Mayaud, avec la rétention de sûreté, « la mesure de sûreté vient de franchir un cap

qu’elle n’avait jamais atteint. Elle est désormais compatible avec une privation de liberté, ce qui en fait une forme de relégation » (Y. MAYAUD, « La mesure de sûreté après la décision du Conseil constitutionnel no 2008-562 DC du 21 février 2008 », D., 2008, p. 1359). Cf. également B. DE LAMY, « La rétention de sûreté : pénal or not pénal », RSC, 2009, p. 166.

1542. La même ambiguïté entoure la nature juridique de la surveillance de sûreté. 1543. Jean Pradel, partisan d’un dédoublement de la mesure de sûreté, affine la distinction en proposant un

double critère d’identification de la mesure, reposant d’une part sur la gravité de l’atteinte portée à la liberté individuelle et, d’autre part, sur la mise en cause de l’intérêt général. Pour une classification des différentes sanctions pénales en application de ces critères, cf. J. PRADEL, « Mesures de sûreté privatives de liberté et Convention européenne des droits de l’homme », D., 2010, p. 737.

1544. J.-R. LECERF, rapport sénatorial, commissions des lois, no 174, 2007-2008, p. 43.

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suggère que « le vrai fondement de la non-rétroactivité est […] la sécurité juridique »1545, invite logiquement à s’interroger sur la pertinence de maintenir une dualité de qualifications formelles qui serait susceptible de conduire, en pratique, à l’existence de trois types de sanctions pénales1546. Pour notre part, nous pensons que c’est à dessein que le Conseil n’a pas utilisé l’expression de « mesure de sûreté ». À l’instar de Christine Lazerges, il est permis de considérer que le droit français ne peut « s’accommoder de mesures de sûreté privatives de liberté potentiellement perpétuelles »1547. Ainsi, le rapprochement de la peine et de la mesure de sûreté – observé tant en ce qui concerne leur nature ou leur caractère, que leur régime juridique – combiné à l’incertitude entourant la qualification de certaines mesures, commande d’intégrer les peines et des mesures de sûreté dans un système unique de sanctions pénales. Marc Ancel préconisait déjà « une intégration de la peine et de la mesure de sûreté dans un régime unitaire de sanctions pénales fondé sur des critères à la fois physiques, sociaux et moraux »1548. Dans le même sens, nous considérons donc qu’il serait cohérent de préconiser, dans un droit pénal post-moderne, la réunion des peines et mesures de sûreté en une seule catégorie de sanctions pénales. Il ne s’agit donc pas de prôner la disparition des mesures de sûreté au profit de la seule catégorie des peines, « système irréaliste qui ferait revenir à la législation de l’ancien droit français »1549, mais de militer en faveur de « l’adoption tempérée du système dualiste »1550, celui-là même qu’avait implicitement consacré le Code pénal de 1994 en retenant l’unicité de vocabulaire pour englober les deux catégories1551, dans un souci de réalisme1552 et d’efficacité1553. Le régime juridique de ces mesures pénales n’aurait pas besoin d’être en tout point identique, notamment au regard de leurs modalités d’application dans le temps. On peut déjà observer que parmi les lois pénales relatives à la pénalité, certaines rétroagissent, d’autres pas1554. En outre, un élément supplémentaire condamne l’autonomie de la catégorie des mesures de sûreté. Il réside dans le fait que leur prononcé est uniquement conditionné par le constat de la dangerosité du sujet. Or, comme le relève Virginie Bianchi, « la notion de dangerosité qui est pourtant l’élément central du prononcé des mesures de sûreté n’est

1545. J. PRADEL, « Mesures de sûreté privatives de liberté et Convention européenne des droits de l’homme », op. cit., p. 737.

1546. Peines, mesures de sûreté et mesures de sûreté renforcées ou « lourdes » (loc. cit.). 1547. C. LAZERGES, « La rétention de sûreté : le malaise du Conseil constitutionnel », op. cit., p. 731. 1548. M. ANCEL, La Défense sociale nouvelle, Cujas, 1981 (3e éd.), p. 232. 1549. C. MARIE, Droit pénal général, Hachette, 2005, no 337, p. 166. 1550. Loc. cit. 1551. De ce point, il peut sembler logique qu’en considération de la dimension sanctionnatrice des mesures, la

dénomination de « peine » l’emporte – comme l’emporterait vraisemblablement, en droit pénal des mineurs, celle de « sanction éducative » en cas de réunion des mesures éducatives et des sanctions éducatives actuelles en une catégorie unique (cf. supra, à propos de l’une des propositions de la commission Varinard).

1552. Afin d’acter l’effacement progressif de la frontière entre peines et mesures de sûreté. 1553. Afin de surmonter les difficultés liées au prononcé simultané d’une peine et d’une mesure de sûreté – par

exemple, lorsque la suspension du permis de conduire accompagne une condamnation à une peine d’emprisonnement ou d’amende.

1554. Par exemple, une loi venant instaurer une nouvelle peine, par hypothèse plus sévère, ne peut rétroagir conformément à l’article 112-1, alinéa 2 du Code pénal, alors qu’une loi venant abroger une incrimination s’applique de manière rétroactive conformément à l’article 112-1, alinéa 1er du même Code. De la même manière, les lois relatives à l’exécution des peines sont d’application immédiate en application de l’article 112-2 (3°) du Code pénal.

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toujours pas une notion univoque »1555. Au-delà, c’est le caractère flou de la notion qui est très majoritairement dénoncé en doctrine, tandis que les experts soulignent les difficultés qu’ils éprouvent et même l’incapacité dans laquelle ils se trouvent de définir la notion de dangerosité1556. Au final, la convergence des peines et des mesures de sûreté, au niveau de leur nature et de leur régime juridique, associée à la consécration de l’imputabilité en tant que fondement au prononcé d’une mesure de sûreté à l’encontre d’un mineur délinquant ainsi qu’à l’exclusion de l’émergence d’une troisième catégorie de sanctions pénales, conduit à sceller la réunion des peines et mesures de sûreté en une seule catégorie de réponses pénales. Cette conclusion invite à envisager certaines des conséquences qui en résultent.

B. Les conséquences de la réunion des peines et mesures de sûreté en une seule catégorie de sanctions pénales

Deux types de conséquences sont envisageables selon que l’on s’intéresse au droit pénal de fond ou au droit pénal de forme. Dans le cadre de ce développement, il ne sera question que de conséquences formelles, dans la mesure où les conséquences relatives au fond rejoignent « les éléments de convergence objective » entre peines et mesures de sûreté1557. Autrement dit, les conséquences sur le fond procèdent pour l’essentiel d’un alignement du régime juridique des peines et des mesures de sûreté. On peut simplement préciser qu’au regard des droits et libertés fondamentaux, les mesures de sûreté ressortiraient largement bénéficiaires de l’unification. Il suffit, pour s’en convaincre, de souligner que la réunion des peines et mesures de sûreté en une catégorie unique de sanctions pénales conduiraient à la généralisation de la judiciarisation du prononcé des mesures de sûreté1558, à la non-rétroactivité d’une mesure de sûreté « plus sévère », ainsi qu’à l’application du principe de la nécessité et de la proportionnalité, garanti, s’agissant des peines, par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 17891559. De la même manière, la réunion des peines et mesures de sûreté en une seule catégorie de sanctions pénales conduirait à soumettre les mesures de sûreté à une procédure plus équitable, comme en attesterait la disparition logique des juridictions de la rétention de sûreté1560. Une conséquence organique : la disparition des juridictions de la rétention de sûreté La suppression de la catégorie formelle des mesures de sûreté emporterait aussi des conséquences organiques. L’un d’entre elles résiderait logiquement dans la disparition des juridictions décidant de l’application de mesures de sûreté. En l’occurrence, il s’agit de

1555. V. BIANCHI, « Quels droits de la défense pour la personne placée sous surveillance de sûreté ou en

rétention de sûreté ? », op. cit., p. 106. 1556. Cf. infra. 1557. Cf. supra. 1558. Il est particulièrement souhaitable que les mesures de sûreté soient placées sous l’égide du juge judiciaire

(cf. Constitution, art. 66) car nombre d’entre elles s’apparentent à des mesures coercitives portant atteinte à des libertés individuelles.

1559. C’est le Conseil constitutionnel qui a rappelé, à propos des sanctions éducatives créées par la loi du 9 septembre 2002 (cf. supra), que l’article 8 de la Déclaration de 1789, aux termes duquel « les lois ne doivent établir que des peines strictement et évidemment nécessaires », était applicable aussi bien aux peines qu’aux mesures de sûreté.

1560. La disparition des juridictions de la rétention de sûreté a d’ailleurs été annoncée à plusieurs reprises par le gouvernement précédent, sans toutefois être jamais réalisée.

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souligner que la réunion des peines et mesures de sûreté en une catégorie unique de sanctions pénales conduirait à la suppression des juridictions régionales et nationale de la rétention de sûreté introduites en droit positif par la loi du 7 mars 2008 à l’article 706-53-15 du Code de procédure pénale. En réalité, seul le prononcé de la rétention de sûreté relevant de la compétence de ces juridictions, il conviendrait de s’intéresser à la disparition des « juridictions de l’application d’une mesure de sûreté »1561. Cette précision nous amène à remarquer que d’autres raisons, étrangères à l’unification des peines et mesures de sûreté, militaient déjà en faveur de la suppression de ces juridictions spécifiques. L’une d’entre elles consistait ainsi à s’étonner du sort procédural particulier réservé à la rétention de sûreté comparativement aux autres mesures de sûreté. Si la création des juridictions régionales et nationale de la rétention de sûreté a pu laisser penser qu’il y avait là une traduction formelle de la distinction de fond entre peines et mesures de sûreté, cette analyse a pu rapidement être écartée. Bien qu’il puisse paraître légitime de considérer que la création de ces nouvelles juridictions s’explique par la volonté de ne pas confondre l’exécution de la peine proprement dite et l’exécution de la rétention de sûreté, laquelle n’est pas une peine mais une mesure de sûreté, rien ne permet en revanche d’expliquer pourquoi le prononcé des autres mesures de sûreté post-carcérales relève des juridictions de l’application des peines, soit de juridictions compétentes pour statuer sur des peines au sens large. Comment justifier la marginalisation procédurale de la rétention de sûreté par rapport aux autres mesures de sûreté ? Dans le prolongement, pourquoi le régime juridique de la rétention de sûreté diffèrerait-il de celui des autres mesures de sûreté ? Le fait que les juridictions de la rétention de sûreté ne se prononcent que sur l’existence de la rétention de sûreté, alors même que les juridictions d’application des peines sont appelées à statuer sur l’existence d’autres mesures de sûreté telle la surveillance judiciaire, condamne la pertinence de cette dualité procédurale. À notre sens, l’incohérence du partage de compétence entre juridictions d’application des peines et juridictions de la rétention de sûreté constituait déjà un argument en faveur de la réunion des peines et mesures en une catégorie unique de sanctions pénales. Dans l’hypothèse avérée d’une étanchéité des catégories, un partage des compétences aurait dû être opéré en considération de la nature de la mesure considérée : il aurait consisté à distinguer entre juridictions d’application des peines et juridictions d’application des mesures de sûreté1562. À cette incohérence s’ajoutait un certain nombre de défaillances plaidant pour la disparition des juridictions de la rétention de sûreté1563. Le contentieux de la rétention de

1561. Selon l’expression empruntée à Évelyne Garçon (cf. É. GARÇON, « Les incohérences dans la

juridictionnalisation au stade de l’exécution des sanctions pénales », in La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, Opinio doctorum, op. cit., p. 318 et suiv.).

1562. Dans l’optique d’une réunion des peines et des mesures de sûreté en une seule catégorie de mesures pénales, le prononcé post-sentenciel des anciennes mesures de sûreté relèvera logiquement de la compétence des juridictions d’application des peines.

1563. En premier lieu, il y a le fait qu’elles partagent un certain nombre de défauts avec feu les juridictions régionales et nationales de la libération conditionnelle créées par la loi no 2000-516 du 15 juin 2000. Or, ce sont précisément ces derniers qui ont conduit à leur suppression à l’occasion de la loi no 2004-204 du 9 mars 2004. Certains des reproches adressés aux juridictions de la libération conditionnelle peuvent être repris à propos des juridictions de la rétention de sûreté. En l’espèce était critiqué le choix d’une formation particulière de la Cour de cassation comme juridiction de recours (d’appel). Il était craint que cette formation ne statue qu’en droit, privant de facto l’appel de son effet dévolutif. Le point apparemment bénéfique concernant les juridictions de la rétention de sûreté réside dans le fait que les décisions émanant de la juridiction nationale de la rétention de sûreté sont susceptibles de faire l’objet d’un pourvoi en cassation, contrairement à ce qui avait été (n’avait pas été) prévu pour la juridiction nationale de la

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sûreté pourrait alors, à l’instar des mesures relatives à l’exécution de la peine ou à l’après-peine privative de liberté, relever de la compétence des juridictions de l’application des peines et, plus particulièrement, du tribunal de l’application des peines.

libération conditionnelle. Cela étant, comme le remarque Évelyne Garçon, « il n’est pas certain que l’ouverture d’une voie de recours extraordinaire soit très pertinente si, au stade de “l’appel”, la juridiction a déjà raisonné comme le fera la Cour de cassation » (cf. É. GARÇON, « Les incohérences dans la juridictionnalisation au stade de l’exécution des sanctions pénales », op. cit.). En outre, la procédure mise en œuvre devant les juridictions régionales de la rétention de sûreté n’est pas toujours très respectueuse des droits de la défense. Par exemple, en ce qui concerne l’assistance d’un avocat, Virginie Bianchi relève que « la première audience d’une juridiction régionale de rétention de sûreté s’est tenue à Paris le 6 avril 2009, soit plus d’un an après l’entrée en vigueur de la loi […]. J’y ai été commise d’office par la grâce d’un bâtonnier, se faisant l’écho du parquet général de la cour d’appel, qui n’imaginait pas qu’un justiciable hospitalisé d’office et placé sous tutelle puisse être confronté à une procédure aussi potentiellement attentatoire aux libertés sans qu’il soit assisté d’un défenseur […] Aujourd’hui, aucune audience ne se tient, en première instance ou en appel, sans qu’un avocat ne soit présent » (cf. V. BIANCHI, « Quels droits de la défense pour la personne placée sous surveillance de sûreté ou en rétention de sûreté ? », op. cit., p. 106). Au-delà de la réunion des peines et mesures de sûreté en une catégorie unique de sanctions pénales, la question du maintien des juridictions de la rétention de sûreté ne se poserait évidemment plus en cas de suppression de la mesure de rétention de sûreté, cette dernière faisant office de débats récurrents.

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TITRE 2 POUR UNE COHABITATION DÉDRAMATISÉE

DE L’IMPUTABILITÉ ET DE LA DANGEROSITÉ DANS UN DROIT PÉNAL POST-MODERNE

L’effacement de l’imputabilité morale comme conséquence de la montée d’un droit pénal néopositiviste Le droit pénal d’essence classique se trouve confronté à la montée d’un droit pénal néopositiviste, que l’on considère les domaines respectifs de la responsabilité pénale des personnes morales ou des personnes physiques. Comme nous avons tenté de l’établir, les évolutions étudiées dans ces différentes matières témoignent d’un retour au premier plan des marqueurs clefs du positivisme pénal. C’est la volonté d’appréhender pénalement le risque généré par l’activité de la personne morale qui est à l’origine de la mutation de la responsabilité pénale des personnes morales, en orientant la discipline vers la reconnaissance d’une responsabilité directe de l’entité abstraite. Les notions de « risque, précaution, prévention, garantie » sous-tendent donc la responsabilité pénale des personnes morales1564. S’agissant des personnes physiques, le facteur déterminant du néopositivisme contemporain réside dans la résurgence des mesures de sûreté dont on sait qu’elles sont exclusivement fondées sur la notion de dangerosité1565. Le risque social et la dangerosité sociale, qui ne sont en réalité que les deux facettes d’une même notion1566, s’affrontent au concept d’imputabilité. Plus qu’un effacement de l’imputabilité, ce qui est révélé par l’évolution de la responsabilité pénale des personnes morales est l’impossibilité, dans un droit pénal post-moderne, d’appliquer une conception homogène de l’imputabilité selon l’entité juridique considérée. À l’égard des personnes morales, l’imputabilité n’est appréhendée que par le biais de son versant objectif que d’aucuns désignent sous le vocable d’« imputation ». Si l’évolution de la responsabilité pénale de l’entité abstraite participe du même mouvement que l’évolution de la responsabilité pénale des personnes physiques, ce n’est pas tant dans les modalités de captation de la notion d’imputabilité1567 que dans l’émergence de la « mission » de la responsabilité pénale des personnes morales, cette dernière permettant de répondre pénalement à toutes les atteintes à la vie et à l’intégrité physique, notamment celles imputables à l’activité lucrative des entités collectives. La « néopositivisation » de la responsabilité pénale des personnes physiques est plus problématique, puisqu’elle de nature à éclipser l’impératif d’imputabilité. Particulièrement significatif est l’abandon de la question du discernement des

1564. Sans que, faut-il le rappeler, ce fondement ne soit exclusif d’une faute directement imputable à la personne

morale (cf. supra, partie 2, titre 1, chapitre I). 1565. Du moins dans leur appréhension traditionnelle. 1566. Le rattachement du « risque » aux personnes morales et de la « dangerosité » aux personnes physiques

s’appuie sur la distinction opérée par Christophe Adam, psychologue clinicien belge. Aux termes de cette distinction, le risque renvoie à une personne abstraite, donc à la personne morale, alors que la dangerosité renvoie à du concret, c’est-à-dire à la personne physique (cf. atelier sur la dangerosité, Journées sur la prévention de la récidive dans sa dimension partenariale, 6-7 juin 2013, faculté de droit de La Rochelle).

1567. Ces dernières étant, en l’espèce, en adéquation avec la spécificité, abstraite, de l’entité juridique considérée.

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délinquants « malades mentaux » au profit de leur dangerosité pour leur infliger des pseudo-mesures de sûreté dont il a été établi qu’elles s’apparentaient en réalité à des peines. À l’endroit des personnes physiques, la tendance est donc à la substitution pure et simple de la dangerosité à l’imputabilité pour fonder la responsabilité pénale. Ce dernier élément devait conduire à s’interroger sur les causes d’un abandon de l’exigence d’imputabilité afin de tenter d’y apporter un remède adapté. Les facteurs d’un effacement ciblé de l’imputabilité dans le cadre de la responsabilité pénale des personnes physiques Cet effacement est à rechercher dans le fondement même de la notion, conjugué à un autre phénomène : celui de la montée en puissance du rôle des victimes dans le procès pénal. L’ancrage sociologique de l’imputabilité à l’origine de l’effacement de la notion – Dans son rapport de synthèse présenté au IVe Congrès de l’Association française de droit pénal, tenu à Nantes du 21 au 23 octobre 1982, Georges Levasseur rappelle que c’est Reynald Ottenhof qui, dans le cadre de son intervention, a donné au problème de l’imputabilité « un éclairage sociologique qui lui avait fait défaut presque totalement jusque-là »1568, l’ancrage sociologique de l’imputabilité étant la « conséquence elle-même de l’ancrage sociologique du problème de la responsabilité, et spécialement de la responsabilité pénale »1569. En s’appuyant sur les approches durkheimiennes du crime et de la fonction sociale de la peine, Paul Fauconnet développe une analyse éclairante de la responsabilité pénale sous un angle social1570. Pour ce faire, l’auteur distingue deux étapes successives dans l’imputation de la responsabilité pénale. La première, qui se singularise par l’émergence d’une responsabilité collective et flottante, « voit la conscience collective, ébranlée par un acte considéré comme haïssable, concevoir une forme de responsabilité qui reste, pour un temps, comme flottante »1571. Autrement dit, c’est « la contrainte sociale [qui] induit, construit, ce concept de responsabilité, qui s’impose à l’ensemble des agents sociaux, dans un objectif de maintien, ou, plus exactement, de retour à l’ordre »1572. Dans ce contexte, la peine remplit également une fonction sociale consistant à restaurer l’ordre social troublé par cette infraction. Comme le souligne Paul Fauconnet :

L’utilité de la peine n’est pas essentiellement dans l’action qu’elle exerce sur les criminels, mais dans l’action qu’elle exerce sur la société elle-même. […]. Par la peine rituelle ou juridique, le mal moral du crime est compensé, l’ordre moral est rétabli […]. Entendez par là que la société reprend sa confiance en elle-même et réaffirme l’intangibilité de la règle ébranlée par le crime.1573

1568. G. LEVASSEUR, « L’imputabilité en droit pénal », op. cit., p. 1. 1569. Loc. cit. 1570. Cf. P. FAUCONNET, op. cit. 1571. P. COMBESSIE, « Paul Fauconnet et l’imputation pénale de la responsabilité : une analyse méconnue mais

aujourd’hui pertinente pour peu qu’on la situe dans le contexte adéquat », in Anamnèse, no 3, Trois figures de l’école durkheimienne : Célestin Bouglé, Georges Davy, Paul Fauconnet, C. RAVELET (dir.), Paris, L’Harmattan, 2008, p. 221-246.

1572. Ibid., p. 226. 1573. P. FAUCONNET, op. cit., p. 227.

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Dans la logique de son argumentation, Paul Fauconnet considère que « c’est [donc] au crime même que s’appliquerait la peine, si elle pouvait le saisir pour l’annihiler »1574. Précisément, afin de pouvoir réparer le mal créé par le crime, représentation qui appartient au passé, les sociétés « sont acculées à la nécessité de détruire quelque chose. […] Pour se donner satisfaction, il suffit que la société soit capable de susciter un symbole, c’est-à-dire un être dont elle puisse faire, de bonne foi, le substitut du crime passé. La destruction d’un symbole remplacera la destruction du crime qui, en lui-même, ne peut pas être détruit »1575. La seconde étape de l’imputation de la responsabilité pénale va donc résider dans l’individualisation de la responsabilité. Il s’agit alors d’attribuer la responsabilité à un justiciable particulier afin d’offrir à la peine un point d’application pour exercer son action1576. Au terme de ce raisonnement, la fonction sociale originelle de la responsabilité pénale se trouve donc confirmée et pourrait être résumée comme suit : « Rendre possible la réalisation de la peine en lui fournissant un point d’application et, par suite, permettre à la peine de jouer son rôle utile. »1577 Le point d’application de la peine est logiquement fourni par le vecteur de l’imputabilité1578. Initialement, l’individualisation de la responsabilité pénale ne répondait qu’à l’objectif de réaliser la fonction sociale de cette responsabilité. D’ailleurs, cette fonction était tellement prégnante qu’elle a fait émerger le concept de « bouc-émissaire »1579. Cette analyse amène logiquement à conclure au fondement social de l’imputabilité. L’ancrage sociologique de l’imputabilité peut être résumé par la phrase suivante empruntée à Georges Levasseur, qui, en exposant le régime de la démence, de la vieillesse, de l’ivresse et des mineurs délinquants lors du congrès susmentionné, considéra qu’« en cas de crimes atroces l’imputabilité ne pouvait être mise en question »1580. L’auteur prend l’exemple de Gorguloff qui, ayant assassiné le président Doumer, a été guillotiné en 1932 alors que les experts, qui l’avaient estimé sain d’esprit, n’avaient pas convaincu grand monde. Pour Georges Levasseur, il n’est pas possible de « douter de la nécessité de cet ancrage sociologique »1581. L’auteur s’interroge : « Pouvons-nous oublier la stupeur des masses populaires lors des grandes catastrophes où l’opinion unanime cherche le ou les coupables et ne s’apaisera guère avant qu’on les ait désignés à sa vindicte ? »1582 Il ne faut donc pas oublier les « pesanteurs sociologiques ; elles s’imposent à la politique criminelle »1583. Ces « pesanteurs sociologiques » trouvent aujourd’hui un écho paroxystique dans la pénalisation d’individus dont le discernement était aboli au moment des faits. Elle procède de l’institution, par la loi du 25

1574. Ibid., p. 233. 1575. P. FAUCONNET, op. cit., p. 233-234. 1576. Selon Paul Fauconnet, les responsables s’entendent donc des « êtres jugés aptes à servir de substituts d’un

crime et à supporter comme tels la peine de ce crime » (loc. cit., p. 233-234). 1577. Loc. cit. 1578. Pour achever de s’en convaincre, il suffit d’avoir à l’esprit l’origine latine du mot imputare signifiant « porter

au compte de ». 1579. Paul Fauconnet mobilise la notion de bouc-émissaire au soutien de son analyse en considérant que « la

peine est utile, il faut pour la peine un patient ; le jugement de responsabilité fournit ce patient, sorte de bouc-émissaire sacrifié à l’égoïsme collectif » (P. FAUCONNET, op. cit., p. 300).

1580. G. LEVASSEUR, « L’imputabilité en droit pénal », op. cit., p. 1. Dans le même sens, Emmanuel Dreyer considère que « l’opinion publique comprend mal que des faits dont les conséquences la choquent puissent laisser le juge répressif sans réaction » (E. DREYER, Droit pénal général, LGDJ, 4e éd., 2016, no 782, p. 595).

1581. G. LEVASSEUR, « L’imputabilité en droit pénal », op. cit., p. 9. 1582. Loc. cit. 1583. Loc. cit.

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février 2008, de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Selon Jean de Maillard1584, « juger les fous [implique] donc de renoncer au principe d’une justice moderne, centrée sur l’individu et sa responsabilité personnelle, en renouant avec la fonction purement magique des justices barbares et sauvages, qui cherchaient non pas tant à juger un homme qu’à refonder l’unité menacée de la communauté ». Ainsi, si cette procédure, qui a été créée en réaction à un fait divers très médiatisé, l’affaire Romain Dupuis, est symptomatique de la mise en œuvre d’une politique pénale compassionnelle à l’égard des victimes, elle est dans le même temps la traduction juridique de la monté en puissance du rôle des victimes dans le procès pénal1585. C’est aborder différemment l’autre événement majeur ayant concouru à l’éclipse de l’imputabilité. L’intrusion de la victime de l’infraction dans le paradigme punitif de la sanction pénale comme facteur déterminant de l’effacement de l’imputabilité – L’histoire du droit pénal depuis les temps barbares est celle de la lente conquête du monopole du droit de punir par l’État, en même temps que la dissociation progressive entre la réparation civile, compensant l’atteinte portée par l’infraction aux intérêts privés, et l’application de la peine sanctionnant le tort causé par elle à la société. On sait qu’en droit français, lorsqu’une infraction est commise, c’est le procureur de la République, représentant de la société, qui exerce les poursuites. Ainsi, même si la victime dispose du droit de déclencher elle-même l’action publique1586, le procès pénal oppose l’auteur de l’infraction à la société. La peine, enjeu du procès pénal, est prononcée pour le compte de la société et non pour le compte de la victime. Pour autant, dans le système français, la victime a, de longue date, le droit d’être partie au procès pénal1587. Ses droits se sont d’ailleurs accrus parallèlement à ceux de la personne poursuivie. Par exemple, si depuis l’ancien droit la victime a la possibilité d’obtenir réparation du dommage résultant directement de l’infraction devant les tribunaux répressifs1588, cette faculté s’est ensuite doublée du droit à une indemnisation effective, grâce aux différents systèmes de fonds de garantie mis en place dans les années 1980. L’acquisition de ces différents droits n’a pas écarté les victimes des prétoires pénaux. À l’examen de la procédure pénale contemporaine, on s’aperçoit vite que la victime a connu un regain de considération à tous les stades du processus pénal, au point même que l’on puisse considérer qu’elle est entrée dans le paradigme punitif de la sanction pénale. Cela révèle que, pour elles, la reconnaissance d’une culpabilité est un élément fondamental de la justice qu’elles réclament, cela indépendamment de la psychologie de l’agent au moment des faits. Sur ce point, le législateur a répondu aux attentes exacerbées des victimes en cas de crime commis par un délinquant aliéné en instituant la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Cette procédure, en conduisant d’abord au prononcé d’une déclaration de culpabilité, voire, dans un second temps et comme nous avons tenté de l’établir, au prononcé d’authentiques peines à l’encontre de délinquants aliénés, participe de l’entrée de la victime dans le paradigme punitif de la sanction pénale. Si l’on peut relever dans la législation récente une influence

1584. Magistrat, vice-président au tribunal de grande instance de Paris depuis janvier 2011. 1585. Cette dernière se traduisant par l’obtention de nouveaux droits dans le cadre d’un procès pénal élargi. 1586. Par la voie de la citation directe ou de la plainte avec constitution de partie civile. 1587. Tous les systèmes ne lui reconnaissent pas ce droit. 1588. Le droit, pour les victimes, de demander réparation devant les tribunaux répressifs a ensuite été repris

dans le Code d’instruction criminelle puis dans le Code de procédure pénale (cf. C. pr. pén., art. 2).

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décroissante de la victime sur la mise en œuvre de l’action publique, son influence croissante sur l’issue de l’action publique, voire son intrusion dans le paradigme punitif de la sanction pénale, doit être contestée au regard du respect de l’impératif d’imputabilité. Pour autant, il ne doit pas s’agir de passer outre leurs intérêts comme il ne saurait être question d’occulter la dangerosité de certains délinquants nonobstant leur non-imputabilité. C’est sur le terrain de la procédure pénale que nous tenterons de rechercher une solution de compromis. La recherche d’une solution de compromis sur le terrain procédural Afin de ne pas sacrifier les principes directeurs du droit pénal et de la procédure pénale, la recherche d’une conciliation entre l’exigence d’imputabilité et la prise en compte légitime de la dangerosité de certains délinquants comme des attentes des victimes peut être recherchée sur le terrain de la procédure pénale. Il s’agira notamment de s’interroger sur les implications procédurales de l’imputabilité dans un droit pénal post-moderne. Le questionnement a peut-être de quoi surprendre, l’imputabilité n’étant pas traditionnellement appréhendée par le biais de la procédure pénale. Cependant, ce serait aussi oublier que procédure pénale et droit pénal de fond sont imbriqués. En outre, deux types d’arguments peuvent être avancés au soutien de cette proposition. L’existence de procédures pensées en considération de l’absence d’imputabilité ou de l’imputabilité partielle du sujet – Le premier argument incitant à rechercher une solution de compromis sur le terrain procédural tient au fait que certaines procédures ont été pensées en considération de l’absence d’imputabilité ou de l’imputabilité partielle du sujet. Cette affirmation revient à admettre que la psychologie de l’agent est susceptible d’avoir des implications procédurales. La question se pose donc de savoir si l’on peut réellement considérer que la psychologie de l’individu peut avoir un impact sur la procédure pénale : une réponse affirmative s’induit une nouvelle fois de l’examen de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, cette procédure ayant été pensée pour les personnes dont le discernement était aboli au moment des faits. En outre, cette influence dépasse la seule hypothèse de l’absence de discernement pour embrasser également celle du discernement partiel, comme en atteste l’existence de procédures spécifiques applicables aux mineurs délinquants. Pour cette raison, il importera de s’interroger aussi sur les possibles implications procédurales de l’imputabilité en cas de discernement partiel du délinquant majeur – autrement dit, lorsque son discernement était seulement altéré au moment des faits. Cette interrogation conduira logiquement à examiner la procédurale pénale applicable à un majeur protégé au prisme de l’imputabilité. Au final, l’examen de ces différentes procédures appellera un certain nombre de propositions en vue de leur mise en conformité avec l’exigence d’imputabilité. En dehors d’implications procédurales ponctuelles de l’imputabilité en lien avec la psychologie de l’agent, il existe un mécanisme procédural susceptible d’offrir, par principe, une place dédiée au concept d’imputabilité. L’existence d’une place dédiée au concept d’imputabilité dans le cadre de la césure du procès pénal – Le second argument visant à rechercher une solution à l’éclipse de l’imputabilité sur le terrain de la procédure tient aussi à l’existence d’un mécanisme procédural spécifique dont nous tenterons d’établir qu’il ménage une place inédite à l’imputabilité, indépendamment même de la psychologie de l’agent. Il s’agit de la césure du procès pénal, dispositif consistant en la

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scission du procès pénal en deux phases et dont Marc Ancel avait fait la promotion dans son ouvrage La Défense sociale nouvelle1589. Dans une approche traditionnelle, l’ossature de la césure consiste à dissocier les questions de la culpabilité et de la peine. On peut en trouver une première traduction législative par le truchement de l’ajournement du prononcé de la peine défini à l’article 132-60 du Code pénal1590. Dans sa thèse consacrée à l’étude de cette institution procédurale, Claire Saas démontre comment il est permis de transcender la scission suggérée implicitement par l’intitulé de cette procédure pour l’enrichir d’une distinction substantielle supplémentaire entre culpabilité et imputabilité, tout en trouvant à chacun des éléments du jugement pénal une place spécifique dans le procès pénal initié par la primauté d’un débat sur la culpabilité. Cette transgression est cependant tributaire de l’acception du terme de culpabilité. La lecture « maximaliste » de l’ajournement du prononcé de la peine proposée par Claire Saas suppose de retenir une conception stricte de la notion de culpabilité. L’auteur considère logiquement que si « le terme de culpabilité n’est employé que comme synonyme de responsabilité pénale, l’intérêt de l’ajournement du prononcé de la peine semble partiellement gommé »1591. En effet, « au lieu de dissocier culpabilité, imputabilité et peine, on dissocie uniquement responsabilité et peine »1592. Au lieu de limiter l’ajournement à constituer l’antichambre de la dispense de peine1593, une certaine lecture de la procédure permettrait en outre de distinguer tant sur le fond que sur la forme les notions de culpabilité et d’imputabilité. Or, il a été démontré dans la première partie de cette étude que, loin de se confondre, les notions étaient indépendantes l’une de l’autre et que seule la culpabilité entrait dans la constitution de l’élément psychologique de l’infraction, l’imputabilité étant une donnée extérieure à l’infraction. Nous avions donc conclu qu’il doit être débattu de son existence au moment des faits postérieurement à la caractérisation de l’infraction1594. Au-delà, pourquoi ne pas envisager que l’indépendance des composantes de la responsabilité pénale trouve une manifestation concrète dans une division du procès pénal ? L’adoption de la césure comme modèle unique du procès pénal permettrait de reconnaître un temps spécifique à l’imputabilité au cœur du jugement pénal intermédiaire, entre la déclaration de culpabilité et le choix de la peine1595. En outre, la consommation procédurale de la dichotomie conceptuelle entre culpabilité et imputabilité pourrait se révéler pertinente afin d’encadrer le caractère néopositiviste de certaines évolutions contemporaines. Cette affirmation trouve une pertinence particulière à l’endroit des aliénés. Il paraît incontestable que leur place dans le système pénal a augmenté sous l’impulsion combinée des victimes et des experts-psychiatres. Il faut comprendre l’inconvénient que représente pour les victimes l’appréhension large de la culpabilité et le

1589. M. ANCEL, La Défense sociale nouvelle, Cujas, 1954. 1590. Créé par la loi no 75-624 du 11 juillet 1975, JO du 13 juillet 1975, p. 7219. 1591. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2004, no 151, p. 151. 1592. Loc. cit. 1593. Définie quant à elle à l’article 132-59 du Code pénal et dont on pourrait considérer qu’elle ne se différencie

de l’ajournement du prononcé de la peine que dans le degré de réalisation de ses conditions qui sont identiques à celles requises en matière d’ajournement – en l’occurrence, ces dernières consistent dans le reclassement du coupable, la réparation du dommage causé par l’infraction et l’apaisement du trouble à l’ordre public. On comprendra que, dans le cadre de la dispense, elles doivent être réalisées alors qu’en matière d’ajournement il suffit qu’elles soient en voie de réalisation.

1594. Cf. supra, partie 1. 1595. Ou de l’absence de peine.

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traitement procédural simultané des questions de la culpabilité et de l’imputabilité. Dans le respect de l’exigence d’imputabilité, ils conduisent à ne pas reconnaître la culpabilité d’une personne qui a commis des faits pénalement réprimés, alors qu’une loi a bel et bien été transgressée. Dans le même temps, une conception large de la culpabilité, au sens de responsabilité pénale, est de nature à sortir l’intéressé du champ pénal en dépit de sa dangerosité. Pour cette raison, les experts-psychiatres ont souvent préféré se placer sur le terrain de l’alinéa 2 de l’article 122-1 du Code pénal, nonobstant la réalité de la psychologie de l’agent, afin que sa responsabilité pénale puisse être engagée, une peine prononcée, et la société, au moins un temps, protégée. La procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental1596, dont nous établirons qu’elle repose sur une division entre la décision sur la culpabilité et la décision sur l’imputabilité, était destinée à satisfaire les attentes des victimes et l’objectif de protection de la société dans le respect des principes directeurs du procès pénal. Il nous appartiendra cependant de vérifier dans quelle mesure cette procédure a répondu aux attentes qui pouvaient être placées en elle. De la même manière, nous interrogerons la pertinence de la césure du procès pénal, telle qu’officiellement adoptée par la loi no 2011-939 du 10 août 2011 et modifiée par la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle1597, au regard de l’économie originelle de l’ordonnance du 2 février 1945. Enfin, et de manière inattendue, il conviendra de conclure au dévoiement de cette institution procédurale, l’application de la césure du procès pénal à des aliénés ou à des mineurs délinquants conduisant in fine à la pénalisation de ces deux catégories de délinquants. De manière plus subsidiaire, les développements à venir laisseront donc apparaître que le droit pénal post-moderne questionne incidemment l’économie du procès pénal autour de la problématique de l’adoption du modèle de la césure ou du maintien du principe de la structure monolithique. Peut-on concevoir que le droit pénal contemporain se soit orienté vers la reconnaissance du principe d’une phase dédiée à l’imputabilité dans le jugement pénal ? Si la conception monolithique du procès pénal entendu largement s’évince des évolutions jurisprudentielle et législative, l’exclusion du principe de la césure résulte aussi de la pénalisation des délinquants aliénés à l’issue de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour trouble mental. Par voie de conséquence, nous conclurons donc, à l’issue de ce premier chapitre, à l’exclusion du principe d’une phase dédiée à l’imputabilité dans le procès pénal (chapitre I). Toutefois, comme cela a été évoqué plus haut, cette exclusion ne sera pas incompatible avec la démonstration d’implications procédurales ponctuelles de l’imputabilité. L’accroissement de la fonction garantiste qui en découle permettra de donner une vision progressiste de l’imputabilité dans « la justice pénale du XXIe siècle »1598. Les implications procédurales ponctuelles de l’imputabilité participeront au recentrage de l’usage de la notion de dangerosité par une délimitation de son champ d’action. En effet, la post-modernité ne suppose pas une exclusion pure et simple du recours au concept de dangerosité – ni, d’ailleurs, une exclusion

1596. Cf. supra. 1597. Cette loi contient en effet des dispositions relatives à la justice des mineurs. 1598. Cf. J.-B. PERRIER, « La justice pénale du XXIe siècle – À propos de la loi no 2016-1547 du 18 novembre

2016 », Dr. pén., 2017, étude 2.

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des victimes des prétoires pénaux. À l’inverse, la recherche d’une restauration de l’impératif d’imputabilité et, dans le prolongement, d’une certaine efficience de la justice pénale, passe par l’aménagement d’une cohabitation rationnelle des concepts. Le traitement lucide de la délinquance contemporaine implique en effet une approche pluriconceptuelle de la discipline. Il importera alors d’établir les modalités positives d’un recours raisonné à la dangerosité tout en donnant un cadre aux prérogatives des victimes au sein d’un procès pénal élargi (chapitre II).

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Chapitre I –

La recherche d’une cohabitation dédramatisée de l’imputabilité et de la dangerosité dans le cadre

de la césure du procès pénal

Des procédures spécifiques ont été pensées en considération de la psychologie de l’agent, ce qui suppose l’existence d’implications procédurales de l’imputabilité. Dans le prolongement de ce constat, un questionnement va apparaître. Il réside dans le fait de savoir s’il est souhaitable qu’une place soit par principe dédiée à l’étude de l’imputabilité dans le procès pénal. Cette perspective, en traduisant procéduralement la dichotomie conceptuelle des composantes de la responsabilité pénale, reposerait, comme nous tenterons de l’établir, sur le dispositif de la césure du procès pénal. Dans ce contexte, la place de l’imputabilité dans le procès pénal pourrait consister dans le délai d’ajournement, phase intermédiaire entre la décision sur la culpabilité et la décision sur la peine, ou, plus généralement, dans l’existence d’un temps spécifique du procès pénal dédié à l’examen de l’imputabilité (section 1). La question se posera alors de la généralisation de ce mécanisme procédural à l’ensemble du contentieux pénal, indépendamment de l’état d’esprit de l’agent au moment des faits. C’est autrement questionner l’actualité de la structure monolithique du procès pénal dans un droit pénal post-moderne. Cependant, le dévoiement de certains cas de césure existant en droit positif à des fins répressives combiné au renforcement de la structure monolithique d’un procès pénal entendu largement conduira à exclure le principe d’une phase dédiée à l’imputabilité dans le procès pénal (section 2).

Section 1 – La potentialité d’une place spécifique pour l’imputabilité dans le cadre de la césure du procès pénal

L’un des enseignements précédents réside dans la démonstration de l’autonomie des composantes de la responsabilité pénale et de la priorité d’un débat sur la culpabilité relativement à l’imputabilité1599. La postériorité d’un débat de fond sur l’imputabilité ouvre la voie à la césure du procès pénal avec une place dédiée à la notion, comme nous tenterons de le confirmer à travers l’étude du mécanisme intrinsèque de ce dispositif procédural. Le fil rouge de cette démonstration repose sur l’idée que la libération d’un temps du procès pénal à l’examen de l’imputabilité du sujet est de nature à satisfaire les attentes des victimes et de

1599. Cf. supra, partie 1.

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la société dans le respect des principes directeurs du droit pénal. Il importe de distinguer deux modalités de césure. Nous étudierons dans un premier temps la césure dissociant le prononcé de la culpabilité de celui de la peine. Ce modèle de césure attribue implicitement une place spécifique à l’imputabilité au sein du procès pénal. Il renvoie à des hypothèses selon lesquelles l’imputabilité de l’agent ne paraît pas poser de problème (§ 1). Il est aussi possible de mettre en exergue l’existence d’une autre alternative de césure dont la scission s’organise, explicitement cette fois, autour la distinction entre la décision sur la culpabilité et la décision sur l’imputabilité. Cette dernière est destinée à couvrir des hypothèses où l’imputabilité du sujet pose problème (§ 2).

§ 1 - La césure du procès pénal attribuant implicitement une place spécifique à l’imputabilité au sein du jugement pénal

Le rattachement du débat sur l’imputabilité à une phase spécifique du procès pénal renvoie à la césure du procès pénal. Pour appréhender la potentialité de la césure à encadrer le néopositivisme contemporain, il faut préalablement rappeler la genèse de cette institution procédurale (A.), avant de proposer une analyse de son mécanisme intrinsèque au travers de l’ajournement du prononcé de la peine. Cette étude mettra en exergue l’existence d’une place implicitement dédiée à l’imputabilité dans le cadre d’une appréhension traditionnelle de la césure du procès pénal (B.).

A. La genèse de la césure du procès pénal

Ce mécanisme procédural, promu en droit interne par le mouvement de la Défense sociale nouvelle, a pour origine la prise en compte de la personnalité du délinquant dans le cadre du procès pénal, que l’on peut considérer comme unique mais élargi1600. En d’autres termes, la césure s’est imposée en rapport avec la question de l’individualisation de la peine1601. Dans la doctrine de la Défense sociale nouvelle, la prise en compte de la personnalité est sous-tendue par l’impératif d’individualisation de la sanction aux fins de protection de la société en amendant le délinquant par un traitement social adéquat. Pour améliorer la connaissance de la personnalité du délinquant, et c’est même selon Marc Ancel « une de ses innovations majeures dans le domaine de la défense sociale »1602 – voire une « innovation [qui] dérive directement des positions du mouvement de défense sociale »1603 –, le Code de procédure pénale de 1958 a institué, au stade de l’instruction, facultativement en matière délictuelle et

1600. On peut considérer que le procès pénal ne consiste pas seulement dans le jugement, en correctionnelle ou

aux assises, mais part de la commission ou de la découverte du délit et comprend successivement la phase policière de l’enquête préliminaire, la phase judiciaire de l’instruction, de la condamnation puis de l’application des peines, voire, selon la définition de Marc Ancel, « la phase postpénitentiaire où intervient sous ses différentes formes l’assistance postpénale » (M. ANCEL, La Défense sociale, Que-sais-je, PUF, 1985, p. 68).

1601. D’ailleurs, depuis l’entrée en vigueur du Code pénal le 1er mars 1994, les dispositions relatives à l’ajournement du prononcé de la peine figurent à la section relative aux modes de personnalisation des peines.

1602. M. ANCEL, La Défense sociale, op. cit., p. 69. 1603. Loc. cit.

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obligatoirement en matière criminelle, un examen de personnalité qualifié d’« examen médico-psychologique et social ». Le problème s’est alors posé de savoir à quel stade du processus juridictionnel cet examen devait intervenir, étant donné que la procédure traditionnelle a été conçue pour le jugement du seul fait délictueux. Ce qui est sujet à questionnement est l’impartialité du jugement dès lors que l’examen de personnalité est porté à la connaissance du juge, ou du jury, avant la décision sur la culpabilité et sur la peine. Marc Ancel exprime d’ailleurs la « crainte que soit faussée l’appréciation (qui doit être objective et impartiale) de la culpabilité »1604. En réaction à ces craintes, les premières réflexions ont abouti à proposer de réserver cet examen de personnalité à la phase post-sentencielle pour servir de fondement à « l’individualisation pénitentiaire »1605. Mais faut-il vraiment attendre ce stade pénitentiaire pour apprécier judiciairement la personnalité du délinquant ? Une orientation en forme de compromis suggère de tenir compte de l’examen de personnalité pendant la phase présentielle, mais en le réservant à la seule décision sur le choix de la sanction afin de ne pas influer sur la question de la détermination de la culpabilité. Cependant, pour la mettre en œuvre procéduralement, il est nécessaire de scinder le procès pénal entre deux phases, l’une relative à la détermination de la culpabilité et l’autre relative au choix de la peine – autrement dit, d’opter pour la césure « défensionniste » du procès pénal1606. Comme le résume Marc Ancel, « dans un premier stade, le juge selon les formes traditionnelles se prononcerait sur la matérialité et l’imputabilité1607 (le rattachement à son auteur) du fait incriminé ; ce premier point étant tranché, le juge déterminerait la sanction applicable ou les suites à donner à l’affaire, après examen (contradictoire) de la personnalité de l’individu reconnu “coupable” »1608. L’étude des cas « positifs » de césure du procès pénal montre que ces mécanismes vont au-delà, en singularisant les trois protagonistes conceptuels du procès pénal : la culpabilité entendue strictement (et non en tant que terme générique désignant la responsabilité pénale1609), la peine, mais aussi l’imputabilité. Il en est ainsi, par exemple, de l’ajournement du prononcé de la peine.

1604. Ibid., p. 71. En ce sens, Claire Saas considère également que « le droit à un procès équitable qui est reconnu

aux termes de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, ne semble pas être véritablement consacré dans le cadre d’une audience unique, puisqu’il s’agit du droit, pour l’accusé, à être entendu par un tribunal indépendant et surtout impartial. Donner à une juridiction des éléments concernant le prononcé de la peine au stade de la culpabilité revient à amoindrir ce droit à être entendu par un tribunal indépendant et impartial. Scinder en deux parties le déroulement du procès pénal permet donc également de garantir ce droit à l’impartialité… » (C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2004, no 15, p. 15).

1605. L’une des premières manifestations de cette individualisation pénitentiaire a consisté dans la création, par la loi du 24 mai 1951, du Centre national d’orientation, installé à la prison de Fresnes, pour procéder à l’examen de personnalité des condamnés à de longues peines afin de mieux les orienter vers des établissements diversifiés. Par la suite, les missions du centre ont été redéfinies, d’abord avec la loi no 2008-174 du 25 février 2008, puis la loi no 2010-242 du 10 mars 2010, laquelle a abouti à la mise en œuvre d’une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité confiée à cette institution qu’on nomme aujourd’hui Centre national d’évaluation (CNE). Précisons qu’il existe aujourd’hui trois CNE (à la maison d’arrêt de Fresnes, au centre pénitentiaire du Sud-Francilien à Réau et à la maison d’arrêt de Sequedin).

1606. Césure qui n’est pas sans évoquer la séparation du fait et du droit gouvernant l’économie de la procédure criminelle.

1607. Il conviendrait, dans le cadre de cette étude et des distinctions opérées, de parler d’imputation. 1608. M. ANCEL, La Défense sociale, op. cit., p. 71. 1609. Le terme de culpabilité entendu largement, en tant que synonyme de la responsabilité pénale, englobe

alors aussi l’imputabilité.

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B. L’ajournement du prononcé de la peine, une summa divisio du procès pénal consommant implicitement l’autonomie des concepts de culpabilité et d’imputabilité

Comme le démontre Claire Saas, il est possible d’analyser l’ajournement du prononcé de la peine comme une hypothèse de césure du procès pénal à part entière pouvant servir de fondement à une recomposition du procès pénal. En poussant plus avant le décryptage de l’ajournement, il est permis de dépasser la division suggérée explicitement par l’intitulé de cette institution procédurale pour l’enrichir d’une distinction substantielle supplémentaire entre culpabilité et imputabilité, tout en reconnaissant, dans le procès pénal, un temps précis pour chaque composante de la responsabilité pénale. Dans le cadre de cette recomposition du procès pénal, l’étude de l’imputabilité s’opère pendant le délai d’ajournement (1.). Le fait que la phase intermédiaire de l’ajournement soit traditionnellement affectée à la réflexion sur le choix de la peine, en se fondant notamment sur des éléments de la personnalité de l’agent, milite en ce sens (2.). Au-delà de la simple manifestation procédurale de la dichotomie des composantes de la responsabilité pénale, la dissociation des concepts de culpabilité et d’imputabilité dans le cadre du jugement pénal est de nature à œuvrer pour la dépénalisation de la maladie mentale (3.).

1. Le rattachement de l ’imputabilité à la phase intermédiaire de l ’ajournement du prononcé de la peine

L’ajournement du prononcé de la peine est défini par l’article 132-60, alinéa 1er du Code pénal, aux termes duquel : « La juridiction peut ajourner le prononcé de la peine lorsqu’il apparaît que le reclassement du coupable est en voie d’être acquis, que le dommage causé est en voie d’être réparé et que le trouble résultant de l’infraction va cesser ». L’ajournement permet au juge, après avoir retenu la culpabilité du prévenu, de se prononcer ultérieurement sur la peine, à l’issue d’une période d’épreuve1610. En instituant l’ajournement du prononcé de la peine1611 par la loi du 11 juillet 1975, le législateur est donc venu révolutionner l’économie du procès pénal en offrant au juge la possibilité de scinder le déroulement du procès en deux phases1612. Claire Saas démontre alors dans sa thèse comment « l’ajournement, en interrompant le procès pénal, en propose une relecture »1613. Elle considère ainsi que « bien que le législateur n’ait certainement pas envisagé cette question en 1975 […] en préférant le vocable de “coupable” à celui de “responsable” », il aurait introduit, outre la distinction entre la décision sur la culpabilité et la décision sur la peine, « une seconde distinction entre la phase de détermination de la culpabilité et la phase de détermination de l’imputabilité »1614. Autrement dit, « l’ajournement permettrait une distinction formelle entre deux phases et une

1610. Si, à l’issue de cette période, le prévenu satisfait cumulativement aux conditions énumérées par l’article 132-60, alinéa 1er, il pourra bénéficier d’une dispense de peine.

1611. Ainsi que la dispense de peine (cf. art. 132-59, C. pén.). 1612. Révolution, car cette institution procédurale est une exception au principe de la structure monolithique

du procès pénal en venant faire obstacle à deux de ses principes directeurs. Le premier, substantiel, est relatif à l’automaticité du lien entre la décision de culpabilité et la décision sur la peine. Il trouve son fondement dans le principe fondamental de la légalité des délits et des peines (cf. not. C. pén., art. 111-2). Le second, formel, est relatif à l’indivisibilité de la sentence pénale et trouve son fondement, en matière correctionnelle, dans l’article 464, alinéa 1er du Code de procédure pénale et, en matière contraventionnelle, dans l’article 539 du même code.

1613. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine – Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2004, no 1. 1614. Ibid., no 21.

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distinction substantielle ente trois éléments, la culpabilité, l’imputabilité et la peine »1615. Plus encore, « la technique de l’ajournement permettrait de consommer, en quelque sorte, la dissociation théorique qui existe entre la culpabilité et l’imputabilité, en consentant à cette dernière une place spécifique au sein du procès pénal »1616. Ainsi, selon Jacques Verhaegen, la distinction de l’imputabilité et de la culpabilité constitue la « deuxième césure »1617 du procès pénal. Un argument au soutien de cette théorie pourrait résider dans le fait que, dans le cadre de l’ajournement du prononcé de la peine, la phase intermédiaire du procès pénal est consacrée à l’étude des éléments de la personnalité de l’agent. Si le terme de personnalité renvoie sans aucun doute à l’histoire de la personne, à son vécu, à des considérations sociales ou familiales la concernant, il semble suffisamment large pour intégrer le concept d’imputabilité.

2. La personnalité de l ’agent, un argument au soutien du rattachement de l’imputabilité à la phase intermédiaire de l ’ajournement du prononcé de la peine

Les conditions de l’imputabilité constituant des éléments de la personnalité, il est logique d’en débattre dans une phase du procès pénal consacrée à la réflexion sur le choix de la peine, ou de l’absence de peine, étant donné que ce dernier est gouverné par le principe d’individualisation de la sanction pénale, conformément à l’article 132-1 du Code pénal. L’alinéa 3 de cet article vise expressément « la personnalité l’auteur » au rang des critères d’individualisation. Pour corroborer cet argument, on peut se prévaloir de la création d’un nouveau cas de césure par l’article 5 de la loi no 2014-896 du 15 août 20141618. Elle a répondu à l’objectif d’une meilleure individualisation de la peine en instaurant « une nouvelle institution procédurale dénommée “ajournement aux fins d’investigation sur la personnalité ou la situation matérielle, familiale et sociale” »1619. En l’occurrence, l’emploi du temps intermédiaire entre la reconnaissance de culpabilité et le choix de la peine à la réalisation d’investigations sur la personnalité de l’intéressé ne fait que conforter le rattachement de l’imputabilité à ce temps spécifique du jugement pénal1620. Dans le même sens, il est permis de se prévaloir des hypothèses d’ajournement spécifiques à la minorité pénale. La loi no 2011-239 du 10 août 2011 relative à la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et au jugement des mineurs a prévu la césure du procès pénal des mineurs.

1615. Loc. cit. 1616. Ibid., no 206. 1617. J. VERHAEGEN, « La 2e césure – À propos de la déclaration de culpabilité, notion complexe du jugement

pénal », in Droit et intérêt, volume 3 : droit positif, droit comparé et histoire du droit, P. GERARD (dir.), F. OST, M. VAN DE KERCHOVE, publications des facultés universitaires Saint-Louis, 1990.

1618. Pour des commentaires relatifs aux dispositions de cette loi, cf. notamment J.-H. ROBERT, « Réforme pénale – Punir dehors. Commentaire de la loi no 2014-896 du 15 août 2014 », op. cit.

1619. C. pén., art. 132-70-1 et 132-70-2. 1620. Il serait même possible d’affirmer la durée maximale du délai imparti à la réflexion sur l’imputabilité

puisque la loi d’août 2014 est venue préciser à l’article 130-70-1 nouveau du Code pénal que « la décision sur la peine intervient au plus tard dans un délai de quatre mois après la décision d’ajournement, sous réserve des délais plus courts prévus par le Code de procédure pénale quand la personne est placée en détention provisoire ». Le délai dédié à l’examen de l’imputabilité est donc, dans cette hypothèse, de quatre mois. L’article précise en outre qu’il peut être renouvelé une fois. Par ailleurs, conformément aux prévisions du législateur, ce temps intermédiaire pouvant aussi être exploité pour réaliser des investigations sur la situation matérielle, familiale et sociale du « coupable », il pourrait être concurremment mis à profit pour évaluer la dangerosité du délinquant (cf. infra, partie 2, pour les critères d’évaluation de la dangerosité).

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Antérieurement à l’adoption de cette loi, l’article 20-7 de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante prévoyait expressément que les dispositions du Code pénal relatives à la dispense de peine et à l’ajournement du prononcé de la peine étaient applicables aux mineurs de 13 à 18 ans. Il prévoyait en outre une hypothèse spécifique à la minorité résultant de la loi du 1er juillet 1996. En application de cette dernière, toujours de droit positif, « l’ajournement du prononcé de la mesure éducative ou de la peine pourra également être ordonné lorsque le tribunal pour enfants considérera que les perspectives d’évolution de la personnalité du mineur le justifient »1621. Cette hypothèse d’ajournement a donc été reprise par la loi de 2011 et insérée dans le nouvel article 24-5 (1°) de l’ordonnance de 1945. Cette même loi a ajouté une nouvelle hypothèse spécifique à la minorité à l’article 24-5 (2°) de ladite ordonnance, qui consiste dans la nécessité de réaliser « des investigations supplémentaires sur la personnalité mineur ». Le nouvel article 24-51622 de l’ordonnance de 1945 prévoit donc deux cas spécifiques de césure en lien avec la personnalité du mineur. Il apparaît plus nettement encore que, dans le cadre de l’ajournement applicable en droit pénal des majeurs1623, le délai entre l’audience sur la culpabilité du mineur et le prononcé de la mesure appropriée s’avère être un temps précieux à l’étude de la personnalité de l’intéressé. Ce constat a été accru avec l’adoption de la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. Il ressort de plusieurs dispositions de la loi nouvelle. Par exemple, le fait que le délai d’ajournement soit mis à profit pour étudier la personnalité du mineur ressort clairement de l’article 24-7 de l’ordonnance du 2 février 1945, aux termes duquel :

Par dérogation au troisième alinéa de l’article 8-3 et au II de l’article 14-2, le procureur de la République peut faire application des procédures prévues aux mêmes articles à l’encontre d’un mineur pour lequel aucune investigation n’a été ordonnée en application de l’article 8 et alors qu’il n’existe pas dans le dossier d’éléments suffisants sur sa personnalité pour permettre au tribunal de se prononcer, dès lors qu’il requiert dans la saisine du tribunal qu’il soit fait application [de la césure du procès pénal].

L’article 32 de la loi du 18 novembre 2016 a aussi prévu de prolonger le délai de la césure. Le but était de dépasser le délai contraignant de six mois afin, notamment, de permettre d’achever l’évaluation de la personnalité avant de prononcer le jugement final1624. Aussi, le fait que la phase intermédiaire entre l’audience de culpabilité et l’audience relative à la détermination de la peine, sanction ou mesure éducative soit pour l’essentiel consacrée à l’étude de la personnalité du mineur – qu’il s’agisse d’en approfondir sa connaissance ou de pronostiquer son évolution dans l’avenir – vient corroborer l’analyse de l’ajournement délivrée par Claire Saas, selon laquelle ce temps intermédiaire peut être dédié à l’imputabilité1625. Pour conclure sur ce point, il est permis d’évoquer un argument d’une autre

1621. Ord. 2 févr. 1945, anc. art. 20-7. 1622. Tel qu’issu de la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. 1623. Du moins avant la loi Taubira d’août 2014 qui a créé un nouveau cas d’ajournement aux fins de réaliser

notamment des investigations sur la personnalité du majeur (cf. supra). 1624. Cf. la circulaire du 13 décembre 2016 présentant les dispositions de la loi du 18 novembre 2016 de

modernisation de la justice du XXIe siècle, relatives à la justice pénale des mineurs (NOR : JUSD1636964C).

1625. Dans la mesure où, comme nous l’avons vu, les conditions de l’imputabilité participent de la personnalité de l’intéressé.

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nature qui découle de l’appréhension purement juridique du concept de culpabilité1626. Le caractère objectivé de la culpabilité implique que les éléments constitutifs de l’imputabilité ne soient pas utiles à la détermination de l’existence de l’élément psychologique de l’infraction, donc de l’infraction elle-même. Ils peuvent effectivement n’être recueillis qu’après la reconnaissance de la culpabilité de l’intéressé, autrement dit pendant la phase intermédiaire du procès pénal (entre la décision sur la culpabilité et la décision sur la peine) ou pendant le délai d’ajournement1627. Au final, il semble permis de conclure que les mécanismes de césure du procès pénal reposant sur une dissociation formelle de la détermination de culpabilité et de la détermination de la peine sont de nature à opérer « une double distinction de fond, entre la peine et la responsabilité pénale, d’une part, et entre la culpabilité et l’imputabilité, d’autre part. Cette double distinction substantielle offre à chaque question, de la culpabilité, de l’imputabilité et de la peine, un temps précis dans le procès pénal »1628. L’affectation d’un temps spécifique du procès pénal à chaque élément du jugement pénal est de nature à œuvrer pour la dépénalisation de l’aliénation mentale.

3. La manifestation procédurale de la dichotomie conceptuelle entre culpabilité et imputabilité, facteur théorique de dépénal isation de l ’aliénation mentale

Quel intérêt y aurait-il d’accorder à chaque composante de la responsabilité pénale un temps précis dans le procès pénal ? A priori, il pourrait paraître pertinent d’utiliser la césure du procès pénal pour des personnes dont l’imputabilité pose problème : les mineurs, certes, mais aussi les « déments ». Comme le relevait Claire Saas antérieurement à la réforme opérée par la loi du 25 février 2008, « si l’on écarte l’absence d’imputabilité, sans considération autonome de la question par rapport à la culpabilité, il n’y a aucun doute que le répressif prenne le pas sur l’éducatif ou le soin »1629. Il s’agit de comprendre que « la difficulté de juger les personnes marginales, telles les mineurs ou les déments, du fait de l’imbrication de la culpabilité et de l’imputabilité au sein de la responsabilité pénale, pourrait trouver un apaisement dans l’ajournement, si ce dernier permettait de distinguer la culpabilité et l’imputabilité »1630. Cela tient au fait qu’en dissociant au sein de la responsabilité pénale la culpabilité et l’imputabilité, il serait alors permis « de considérer un individu coupable d’une infraction, sans pour autant sanctionner pénalement celui-ci »1631. Pour signifier cette idée, Claire Saas oppose les notions de résultat juridique et de résultat symbolique. Dans le cadre d’une procédure pénale impliquant un aliéné, les résultats juridiques d’une audience unique ou d’un procès divisé en deux phases

1626. Cf. supra, partie 1, pour une étude approfondie de la notion. 1627. Pour cette raison, Claire Saas propose notamment que l’expert psychiatre n’intervienne que plus

tardivement dans le déroulement du processus pénal – son étude débouchait notamment sur la proposition d’une redéfinition du travail de l’expert (cf. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2004). On serait tenté de l’approuver quand on pense à la multiplication des expertises psychiatriques ordonnées dans le cadre d’un procès d’assisses et au fait que les contradictions qui en résultent concourent inéluctablement à troubler l’appréhension de la culpabilité de l’agent. On pourrait avancer que la multiplication des demandes d’expertises procède d’une instrumentalisation de ce droit, le plus souvent par les avocats de la défense.

1628. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2004, no 173-2. 1629. Ibid., no 20, p. 22. 1630. Ibid., no 12, p. 12. 1631. Ibid., no 24, p. 25.

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seraient sensiblement identiques puisque, dans les deux hypothèses, si l’acte délictueux n’était imputable à un individu, ce dernier ne pourrait être déclaré responsable pénalement. En revanche, les résultats symboliques seraient différents. Dans le cas de la césure du procès pénal impliquant un aliéné, « une infraction est imputée matériellement à un individu, mais qui ne devra pas en répondre, puisqu’il ne disposait pas de la capacité de discernement nécessaire au moment de la commission des faits »1632. Le résultat symbolique réside dans la signification d’une déclaration de culpabilité. L’idée est qu’une fois le débat sur la culpabilité de l’intéressé purgé, et les attentes des victimes ainsi satisfaites, un autre peut en effet s’ouvrir, de manière plus apaisée, relativement à l’imputabilité de la personne. À partir du moment où l’on considère que la déclaration de culpabilité n’inclut pas la question de la responsabilité pénale, donc de l’imputabilité, il est possible de « reconnaitre des individus déments coupables d’avoir commis une infraction, mais sans qu’ils aient à en répondre pénalement par l’exécution d’une sanction pénale »1633. Des réticences pourraient s’élever en doctrine sur la possibilité de reconnaître un individu coupable mais pas responsable. Le fait est qu’elle n’est que la traduction procédurale de la dichotomie conceptuelle au sein de la responsabilité pénale. Ainsi, le renouvellement procédural de la question de la responsabilité pénale des délinquants aliénés serait de nature à satisfaire les demandes des victimes dans le respect des principes directeurs du droit pénal. Nous allons établir qu’avec la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, le législateur s’était apparemment engagé dans cette voie1634. L’hypothèse selon laquelle l’ajournement du prononcé de la peine constituerait la manifestation concrète d’une dichotomie entre les concepts de culpabilité et d’imputabilité se trouve donc confirmée par l’existence de cas de procédures distinguant expressément une phase dédiée à la décision sur la culpabilité et une autre à la décision sur l’imputabilité.

§ 2 - La césure du procès pénal consacrant expressément une phase du procès pénal portant sur l’imputabilité

Cette phase revêt une importance plus ou moins grande selon que l’on se place dans le cadre de la procédure suivie devant la cour d’assises ou dans le cadre de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, le temps du jugement pénal consacré à l’imputabilité allant respectivement de la simple question posée relativement à son existence jusqu’à la tenue d’une audience spécifique. Dans le cadre de ce développement, il conviendra de ne s’attarder que sur la procédure criminelle, afin de mettre en lumière le fait que la césure du procès pénal peut aussi conduire à consacrer expressément une phase du procès pénal au débat sur l’imputabilité1635.

1632. Ibid., no 151, p. 152. 1633. Loc. cit. 1634. Nous nous interrogerons dans un développement suivant sur le point de savoir si la réforme opérée a

satisfait les attentes qui pouvaient être placées en elle. 1635. La procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental sera étudiée dans la

section suivante afin de révéler que la césure du procès ainsi structurée peut cependant être dévoyée.

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L’hypothèse d’une césure du procès pénal consacrant expressément une phase du jugement au débat sur l’imputabilité n’est pas nouvelle. Elle est susceptible de se rencontrer dans le cadre de la procédure criminelle. On pense à la mini-césure de la procédure suivie devant la cour d’assises1636. Cette dernière a été mise en place par l’article 349-1 du Code de procédure pénale tel qu’issu de la loi du 15 juin 20001637. Depuis l’entrée en vigueur de cet article, l’ensemble des causes générales d’irresponsabilité prévues par le Code pénal1638 procèdent d’un régime procédural identique en cas de poursuites devant la cour d’assises1639. Plus précisément, elles font désormais l’objet d’une question spéciale posée à la cour et au jury si l’accusé invoque l’une d’entre elles comme moyen de défense. En pratique, la question relative à la culpabilité de l’intéressé, pour chaque fait spécifié dans le dispositif de la décision de mise en accusation, doit donc désormais être suivie d’une question concernant l’imputabilité ou l’existence d’une justification, à moins que, avec l’accord des parties, une seule question relative à l’irresponsabilité soit posée pour l’ensemble des faits reprochés à l’accusé. Ainsi, on peut considérer qu’une mini-césure résulte implicitement de l’article 349-1 du Code de procédure pénale, la cour d’assises devant répondre à deux questions distinctes qui se succèdent : la première sur la culpabilité de l’accusé, la seconde sur son éventuel défaut d’imputabilité. Elle formalise la dissociation substantielle des composantes de la responsabilité pénale par le biais des questions spécifiques relatives à la culpabilité et à l’existence d’une cause de non-imputabilité invoquée par l’accusé.

1636. Le terme n’est pas sans évoquer la demi-césure préconisée par André Vitu (cf. A. VITU, « La division du

procès pénal en deux phases », rapport au Xe congrès de l’association internationale de droit pénal à Rome en 1969, R.I.D. pén., 1969, p. 494). Cependant, il n’y aura pas lieu de s’y attarder dans la mesure où elle ne renvoie pas à la même division du procès pénal. Si l’auteur faisait la promotion d’une césure consistant à « scinder formellement en deux étapes l’audience même devant la juridiction de jugement » (ibid.), il ne s’agissait alors que de dissocier formellement la question de la culpabilité entendue largement de la question de la détermination de la peine.

1637. Elle se distingue de la scission originelle de la procédure criminelle mise en place avec l’adoption du Code d’instruction criminelle en 1808. Cette dernière résultait de l’introduction du jury dans la composition de la juridiction de jugement et reposait sur la séparation du fait et du droit, consommée et incarnée par la dualité des compétences du jury et des magistrats professionnels. Ainsi, alors que le jury était chargé de prendre la décision sur la culpabilité entendue largement – ils se prononçaient donc sur la culpabilité et sur le degré de responsabilité de l’accusé –, la décision sur la peine incombait aux magistrats professionnels. La césure originelle de la procédure criminelle était donc double, à la fois substantielle (dissociation du prononcé de la culpabilité au sens large et de la détermination de la peine) et organique (dualité de compétences entre le jury et les magistrats professionnels). Cependant, les modifications ultérieures du jury ont entraîné un affaiblissement de la césure originelle du procès pénal – pour ne citer que les réformes majeures, nous mentionnerons les lois du 10 décembre 1908, du 5 mars 1932 et du 25 novembre 1941 –, au point même de la rendre caduque puisqu’à l’issue de ces lois, Cour et jury se trouvent associés pour la délibération sur la culpabilité et sur la peine. Elle a cependant été relayée par la mise en place de la césure résultant du nouvel article 349-1 du Code de procédure pénale tel qu’issu de la loi du 15 juin 2000. Qu’il soit permis de préciser que, dans le cadre de cette étude, nous ne souscrivons pas à la présentation de la scission originelle dissociant la question du fait et du droit comme consommant la dichotomie des composantes de la responsabilité pénale. Cela tient au fait que l’établissement de la culpabilité, qui s’entend d’une notion juridique, n’est pas compatible avec la séparation radicale du fait et du droit. Certains auteurs ont d’ailleurs dénoncé la séparation « chimérique » du fait et du droit (le terme est emprunté à L. HUGUENEY, « La loi du 25 novembre 1941 sur le jury », RSC, 1945, p. 15) en se fondant notamment sur le fait qu’en droit interne, l’opération de qualification des faits est une opération mêlant règles de droit et faits de l’espèce. Autrement dit, « la question de la culpabilité ne saurait être assimilée à une question purement factuelle, dans la mesure où elle repose sur une qualification juridique des faits » (C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2004, no 43).

1638. Celles prévues aux articles 122-1, alinéa 1er, 122-2, 122-3, 122-4, 122-5, 122-7 du Code pénal. 1639. Cf. C. pr. pén., art. 349-1.

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Plus récemment, le droit positif s’est doté d’une procédure plus explicite encore reposant expressément sur une division entre une audience sur la culpabilité et une audience sur l’imputabilité du sujet. S’inscrivant dans la droite ligne de rapports précédents, au rang desquels le rapport rendu par la commission Santé-Justice présidée par Jean-François Burgelin1640 – qui prévoyait notamment la création d’une audience ad hoc chargée de statuer sur la seule imputabilité des faits–, la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, telle que créée par la loi du 25 février 20081641, est particulièrement significative de la dissociation des composantes de la responsabilité pénale. De ce point de vue, l’étude de la procédure applicable devant la chambre de l’instruction représente le cas le plus abouti de dissociation des composantes de la responsabilité pénale. Cela tient au fait que le débat sur l’imputabilité morale fait l’objet d’une audience spécifique, « l’audience d’imputabilité », pour reprendre les termes de Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec à propos de l’audience devant la chambre de l’instruction1642. Cependant, malgré le constat de l’évolution du droit positif vers la multiplication des cas de césure du procès pénal, cette dernière ne saurait constituer l’économie du procès pénal de demain. L’exclusion du modèle principal de la césure tient notamment au fait qu’elle est dévoyée de sa finalité première, en participant de la pénalisation des délinquants au discernement partiel.

Section 2 – Le dévoiement de la césure excluant l’existence processuelle de l’imputabilité

Malgré la diversité des cas de césure du procès pénal, on observe, dans le même temps, l’évolution du droit positif vers la reconnaissance d’une conception élargie du procès pénal. En d’autres termes, le paradigme du procès pénal du XXIe siècle pourrait déborder largement le prononcé de la sanction pénale, notamment jusqu’à couvrir la phase de l’application des peines.1643 Si l’on combine cet élément au fait que le mécanisme de la césure du procès pénal est finalement utilisé à des fins répressives, la structure monolithique du procès pénal semble pérenne. Le législateur a notamment prévu la césure du procès pénal à l’intention des délinquants au discernement défaillant, qu’il s’agisse de délinquants majeurs aliénés ou mineurs. Dans les deux hypothèses, nous allons tenter d’établir que la césure a été déroutée de sa finalité initiale. En droit pénal des majeurs, la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental conduit à la pénalisation de la maladie mentale (§ 1). En droit pénal des mineurs, quand la césure du procès pénal vient à être appliquée, elle est sans incidence pratique sur la pénalisation des mineurs délinquants (§ 2).

1640. J.-F. BURGELIN, Santé, justice et dangerosités : pour une meilleure prévention de la récidive, 6 juillet 2005. 1641. Cette procédure fait l’objet d’un titre spécifique dans le Code de procédure pénale intitulé « De la

procédure et des décisions d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental » comportant les articles 706-119 à 706-140 du même code.

1642. F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, op. cit.., no 638-5, p. 612. 1643. Deux éléments de forme concourent à ce constat, le premier tenant à la juridictionnalisation de

l’application des peines et le second à l’augmentation des garanties processuelles du condamné au stade de l’application des peines.

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§ 1 - La pénalisation des délinquants souffrant de troubles psychiques ou neuropsychiques

La procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental peut s’analyser comme un véritable procès ouvrant la voie à l’infliction d’authentiques peines à des aliénés délinquants. Il a déjà été établi que les mesures pouvant être infligées à l’aliéné s’apparentaient majoritairement à des peines. Pour prendre l’entière mesure de la pénalisation de la maladie mentale, il convient maintenant d’analyser le déroulement de la procédure pénale applicable à l’aliéné, particulièrement lorsqu’elle est suivie devant la chambre de l’instruction. Si on résume cette procédure, le délinquant souffrant de troubles psychiques ou neuropsychiques est d’abord reconnu coupable d’avoir commis une infraction (A.), avant de se voir infliger une sanction pénale, voire une authentique peine, nonobstant une audience décidant de sa « non-imputabilité » au moment des faits (B.). La césure du procès pénal organisée autour de la dissociation des composantes de la responsabilité pénale est inefficace pour endiguer la pénalisation de la maladie mentale1644. Au contraire, même, la césure de la procédure applicable à l’aliéné au stade de l’instruction renforce la pénalisation de la maladie mentale.

A. La reconnaissance d’une culpabilité pénale comme préalable à l’audience sur l’imputabilité

La doctrine s’accorde presque unanimement pour reconnaître à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental un caractère hybride, à mi-chemin entre une déclaration d’innocence et de culpabilité. Selon Laurence Leturmy et Patrick Kolb, le législateur « tente le grand écart entre la classique ordonnance de non-lieu et la condamnation de la personne poursuivie »1645. Quant à Jacques-Henri Robert, il annonçait, consécutivement à l’adoption de la loi du 25 février 2008, l’entrée en scène d’un nouveau personnage « ni relaxé ni condamné »1646. André Giudicelli considère pour sa part que « la déclaration d’irresponsabilité pénale n’est en rien l’équivalent d’un non-lieu »1647. L’enjeu premier de ce développement consistera à démontrer que l’aliéné fait bien l’objet d’une déclaration de culpabilité pénale. L’établissement d’une authentique déclaration de culpabilité à l’encontre de l’aliéné résulte de la conjonction de plusieurs éléments : d’une part l’obligation générale de mentionner l’existence de charges suffisantes d’avoir commis les faits reprochés (1.) et, d’autre part, l’assimilation législative de l’acte commis par un individu non discernant à une véritable infraction (2.).

1644. Qu’il soit permis de souligner que si Claire Saas défend la césure du procès pénal du délinquant aliéné

comme facteur de dépénalisation de la marginalité, la thèse de l’auteur a été écrite avant l’adoption de la loi du 25 février 2008. Il n’est pas certain que la procédure mise en place par le législateur à cette occasion ait correspondu à ses attentes.

1645. L. LETURMY, P. KOLB, Droit pénal général, op. cit., p. 112 et suiv. 1646. J.-H. ROBERT, Dr. pén., 2008, repère 2. 1647. A. GIUDICELLI, « Procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale : le refus problématique d’une

application immédiate », op. cit., p. 136.

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1. L’obligation générale de mentionner l ’existence de charges suffisantes d ’avoir commis les faits reprochés

La déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ne peut être prononcée que lorsqu’il est mentionné, dans la décision d’irresponsabilité, qu’il existe, à l’égard d’une personne atteinte d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement au moment des faits, des charges suffisantes établissant qu’elle a commis les faits reprochés1648. L’examen des dix articles du Code de procédure pénale régissant la procédure applicable devant le juge d’instruction et la chambre de l’instruction laisse apparaître que six dispositions se réfèrent à l’existence de « charges suffisantes contre la personne d’avoir commis les faits qui lui sont reprochés »1649. C’est autrement souligner, dans le cadre de cette procédure d’instruction, l’importance de la reconnaissance de la culpabilité pénale de l’agent, nonobstant son état psychique au moment des faits. Pour autant, la motivation d’une décision d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental n’est pas une innovation de la loi du 25 février 2008, mais de la loi du 9 mars 20041650. L’article 122 de ladite loi avait inséré un deuxième alinéa à l’ancien article 177 du Code de procédure pénale relatif aux ordonnances de non-lieu, pour préciser les conditions dans lesquelles elles devaient être motivées lorsque le non-lieu était justifié soit par l’existence d’une cause d’irresponsabilité, soit par le décès de la personne mise en examen. Ce dernier prévoyait que :

Lorsque l’ordonnance de non-lieu est motivée par l’existence de l’une des causes d’irresponsabilité pénale prévues par le premier alinéa de l’article 122-1, les articles 122-2, 122-3, 122-4, 122-5 et 122-7 du Code pénal ou par le décès de la personne mise en examen, elle précise s’il existe des charges suffisantes établissant que l’intéressé a commis les faits qui lui sont reprochés.

Même si l’ensemble des causes d’irresponsabilité pénale prévues par le Code pénal étaient mentionnées, la circulaire d’application de la loi du 9 mars 2004 a mis au jour qu’« en pratique toutefois, c’est principalement en considération des décisions de non-lieu résultant du trouble mental de la personne qu’a été adoptée cette disposition »1651. Si l’on raisonne sur ce seul cas de figure, et comme cela est précisé dans la circulaire de la direction des Affaires criminelles et des Grâces, « ce n’est que parce que le juge estime que la personne a commis les faits dont il était saisi que la constatation de son irresponsabilité mentale – qui empêche qu’elle soit déclarée coupable par une juridiction de jugement – […] justifie un non-lieu »1652. Si cette affirmation vient conforter l’idée de la reconnaissance préalable de la culpabilité pénale de l’aliéné, il importe aussi de préciser que la personne ne peut être déclarée coupable par une juridiction de jugement dans le sens où sa responsabilité pénale ne peut être retenue. Cela revient à préciser que le terme de coupable est employé dans son acception large dans la lettre

1648. En ce qui concerne l’ordonnance rendue par le juge d’instruction, cette obligation résulte de

l’article 706-120 (2°) – du moins quand il a été investi du pouvoir de clore son information – alors que, s’agissant de l’arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale rendu par la chambre de l’instruction, elle s’excipe de l’article 706-125 (1°).

1649. Cf. C. pr. pén., art. 706-120 (1°) et (2°), 706-122 (5°), 706-123, 706-124 et 706-125 (1°). 1650. Cf. loi no 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, déjà

évoquée. 1651. Circulaire de la DACG no 2004-16 du 21 septembre 2004 (JUSD0430184C). 1652. Ibid.

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de la circulaire. En revanche, le fait d’estimer que la personne a commis les faits s’entend, d’un point de vue juridique, d’une reconnaissance de sa culpabilité au sens strict. La circulaire d’application de la loi du 9 mars 2004 soulignait aussi les « vertus » d’une reconnaissance de culpabilité :

En cas de non-lieu pour trouble mental, ces précisions permettront ainsi à la victime, et également, le cas échéant, à la personne poursuivie, de mieux comprendre le sens et la portée de la décision judiciaire, en évitant qu’elle ne soit interprétée comme une forme de déni de justice niant l’existence même du crime ou du délit qui a été commis.1653

La loi du 25 février 2008 a quant à elle prévu des dispositions particulières généralisant cette obligation de motivation à l’ensemble des juridictions d’instruction1654 ou de jugement s’apprêtant à rendre une décision portant « déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ». Ainsi, le tribunal correctionnel doit-il, en application de l’article 470-2 du Code de procédure pénale tel que créé par la loi de 2008, lorsqu’il estime que le premier alinéa de l’article 122-1 du Code pénal est applicable, statuer conformément à l’article 706-133 relatif à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Il doit notamment « déclarer » dans son jugement « que la personne a commis les faits qui lui étaient reprochés »1655. S’agissant de la cour d’assises, l’existence d’une réponse explicite à la commission des faits par l’accusé existe, comme nous l’avons déjà étudié, depuis la loi du 15 juin 2000. Cette dernière avait introduit dans le Code de procédure pénale un nouvel article 349-1 en vertu duquel lorsqu’est invoquée comme moyen de défense l’existence notamment de la cause d’irresponsabilité pénale prévue par l’article 122-1, alinéa 1er du Code pénal, « chaque fait spécifié dans le dispositif de la décision de mise en accusation fait l’objet de deux questions posées ainsi qu’il suit : “1° L’accusé a-t-il commis tel fait ? ; 2° L’accusé bénéficie-t-il pour ce fait de la cause d’irresponsabilité pénale prévue par l’article [122-1, alinéa 1er] du Code pénal […] ?” » La loi du 25 février 2008 est venue compléter ce dispositif spécifique en l’intégrant à la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental1656. Si la démarche du législateur a d’abord eu pour objectif de remédier aux vives critiques victimaires concernant les modalités procédurales dans lesquelles les juridictions répressives

1653. Ibid. 1654. Excepté le cas où le juge d’instruction n’a pas été investi de la compétence de clore sa procédure. Il s’agit

des cas où le procureur de la République ou une partie lui demandent de saisir la chambre de l’instruction. En revanche, en l’absence de demande de saisine de la chambre de l’instruction ou s’il n’ordonne pas d’office la transmission du dossier de la procédure, le juge d’instruction relève de l’obligation de motivation et « il rend une ordonnance d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental qui précise qu’il existe des charges suffisantes établissant que l’intéressé a commis les faits qui lui sont reprochés » (C. pr. pén., art. 706-120, al. 2). Qu’il soit permis de préciser que l’article 177, alinéa 2 du Code de procédure pénale précité et relatif notamment à l’obligation de motivation d’une ordonnance de non-lieu liée à l’existence de l’une des causes d’irresponsabilité pénale prévues par le Code pénal, n’a pas été abrogé avec l’entrée en vigueur de la loi du 25 février 2008. Seule a été logiquement supprimée la disposition relative à l’obligation de motivation liée à l’application de l’article 122-1 du Code pénal.

1655. C. pr. pén., art. 706-133 (1°). 1656. Elle a notamment enrichi l’article 361-1 d’un deuxième alinéa en vertu duquel : « Si elle a répondu

positivement à la première question et positivement à la seconde question portant sur l’application des dispositions du premier alinéa de l’article 122-1 du Code pénal, il est fait application des articles 706-129 et suivants relatifs à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ».

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décidaient de l’irresponsabilité, il faut aussi considérer qu’elle n’est pas dépourvue d’incidences juridiques. En l’occurrence, il nous apparaît clairement, au regard notamment de l’acception de la notion de culpabilité développée dans la première partie de cette étude, que l’obligation de motivation incombant dorénavant à l’ensemble des juridictions a pour conséquence de consacrer judiciairement mais aussi juridiquement la culpabilité des faits reprochés à l’aliéné délinquant. Les opinions convergentes de certains auteurs appuient notre raisonnement, à l’instar de Clément Margaine qui considère, à propos de la mention de « charges suffisantes d’avoir commis les faits reprochés », que « cette périphrase euphémistique ne désigne rien d’autre que des charges de culpabilité (et ce, en violation de la présomption d’innocence) »1657. Cette analyse rencontre des détracteurs, comme André Giudicelli qui, tout en relevant que « pour satisfaire certaines attentes des victimes, il y a eu la volonté que soit prononcée par une juridiction répressive la participation de l’individu poursuivi aux faits reprochés »1658, préfère voir dans la substance de la motivation « l’affirmation d’une imputabilité matérielle, d’une forme de culpabilité objective, à défaut d’une culpabilité subjective quant à elle impossible »1659. Cette critique rejoint notre analyse puisque, comme nous venons de l’évoquer, nous avons déjà démontré l’existence d’une conception objectivée de la culpabilité. Finalement, les opposants à la reconnaissance d’une culpabilité juridique de l’aliéné ne s’opposent-ils pas avant tout à l’existence d’une conception objectivée de cette dernière ? Il est permis de rappeler qu’il a été démontré qu’il y avait une étroite imbrication entre l’exploitation des faits dans leur matérialité et la détermination de la culpabilité de l’intéressé, élément moral de l’infraction. (Autrement dit, la reconnaissance de la réalité des faits qui ont été matériellement commis par l’aliéné est indissociable de la reconnaissance de culpabilité-élément moral, notamment au regard des mécanismes de présomption étudiés dans la première partie de cette recherche.) Au final, l’obligation générale pour les juridictions – d’instruction comme de jugement – de mentionner l’existence de charges suffisantes à l’encontre de l’intéressé d’avoir commis les faits reprochés correspondrait bien à la reconnaissance d’une culpabilité pénale. Il est possible de confirmer cette analyse en démontrant que le législateur procède à l’assimilation de l’acte commis par un individu non discernant à une véritable infraction.

2. L’assimilation législative de l ’acte commis par un individu non discernant à une véritable infraction

Selon Clément Margaine, la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale « reflète mieux la possibilité de retenir une infraction en l’absence de discernement de l’auteur »1660 . C’est dire que cette dernière peut être caractérisée en tous ses éléments constitutifs, notamment psychologique, nonobstant le défaut d’imputabilité de l’aliéné. Plusieurs arguments permettent de confirmer cette affirmation. Ils tiennent à l’abandon de l’ancienne terminologie de non-lieu, relaxe et acquittement (2.1), dans l’emploi législatif du terme d’infraction

1657. C. MARGAINE, op. cit., p. 172. Pour une opinion similaire, cf. S. DETRAZ, « La création d’une nouvelle

décision de règlement de l’instruction : la décision d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental », RSC, 2008, p. 877, no 13.

1658. A. GIUDICELLI, « Procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale : le refus problématique d’une application immédiate », op. cit., p. 137.

1659. Loc. cit. 1660. C. MARGAINE, op. cit., no 255.

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pour se référer à l’acte commis par l’aliéné (2.2) et dans l’assimilation jurisprudentielle de l’acte commis par l’aliéné à une véritable infraction au regard des procédures de révision et de réexamen d’une condamnation pénale définitive (2.3).

2.1 L’abandon de l’ancienne terminologie de non-lieu, relaxe et acquittement

Cette suppression, au-delà des considérations victimaires, est justifiée, comme le relèvent Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec, par le fait objectif que les anciennes terminologies « s’appliquaient indifféremment à des personnes dont il n’était pas établi qu’elles avaient commis une infraction, et dont l’innocence avait donc été reconnue, et à des personnes qui, bien qu’ayant commis des faits constituant une infraction, n’en étaient pas jugées responsables pénalement en raison d’un trouble mental aliénant »1661. Or, « il faut bien reconnaître qu’il existe une différence de nature entre les deux hypothèses »1662. Stéphane Detraz considère lui aussi qu’on ne saurait assimiler « le cas de la personne “entièrement” innocente (qui n’est pas l’auteur des faits poursuivis, qui n’a pas réalisé un acte délictueux, ou dont l’état d’esprit au moment des faits n’était pas l’intention exigée par le texte d’incrimination) à celle à l’encontre de laquelle peuvent être relevés les éléments légal, matériel et moral (sauf l’imputabilité) de l’infraction, mais qui est atteinte d’un trouble mental ayant aboli son libre arbitre au moment des faits »1663. Nous ne pouvons que souscrire à cette analyse1664 et considérer que, à tout le moins sur le plan formel, il importe « de distinguer la situation de l’individu non discernant de celle de l’individu qui n’a pas commis d’acte délictueux »1665. La coexistence des deux terminologies est logique puisqu’elle retraduit la réalité de deux situations opposées : une situation « délictuelle », celle dans laquelle une infraction a été commise, et, à l’inverse, une situation inqualifiable pénalement et dans laquelle aucune infraction n’a été commise. Pour cette raison, nous nous prononcerons en faveur du maintien de la terminologie nouvelle d’ordonnance, de jugement ou d’arrêt « d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental »1666. Si la modification terminologique est révélatrice de la reconnaissance d’une culpabilité pénale, elle est aussitôt relayée par différentes dispositions législatives assimilant explicitement l’acte commis par un aliéné à une infraction.

2.2 L’emploi législatif du terme d’infraction pour se référer à l’acte commis par l’aliéné

Si le législateur évoque des formules neutres, telles que les « faits commis » ou les « faits reprochés », pour désigner l’acte perpétré par l’individu non discernant1667, il emploie aussi expressément le terme d’infraction. Dans l’hypothèse où la personne poursuivie fait l’objet d’une déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, la chambre de

1661. F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, op. cit., no 638-4. 1662. Loc. cit. 1663. S. DETRAZ, « La création d’une nouvelle décision de règlement de l’instruction : la décision

d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental », op. cit., p. 875, no 7. 1664. Surtout en l’absence d’une catégorie juridique autonome relative à un statut intermédiaire mi-innocent/mi-

coupable. 1665. C. MARGAINE, op. cit., no 255. 1666. Cf. infra, les propositions en vue de la « refonte » de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale

pour cause de trouble mental. 1667. Cf. les articles 706-120, 706-122 à 706-125, 706-129 et 706-133 du Code de procédure pénale.

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l’instruction comme les juridictions de jugement sont investies de la compétence d’ordonner des mesures de sûreté à l’encontre de l’aliéné. L’article 706-136 du Code de procédure pénale liste les différentes mesures de sûreté pouvant être prises et fixe leur durée maximale en fonction de la gravité de l’acte commis. Or, pour évaluer cette gravité, le législateur fait référence à la nature de l’infraction commise, ces mesures ne pouvant « excéder dix ans en matière correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un délit puni de dix ans d’emprisonnement ». Comment expliquer cette référence explicite à « un crime ou un délit » en l’absence de discernement de l’auteur ? Selon Clément Margaine :

On peut considérer que le législateur, à travers cette formulation maladroite, fait en réalité référence à l’infraction abstraitement réalisée par l’individu non discernant, c’est-à-dire à l’infraction qu’aurait commise l’individu s’il avait été discernant. Ainsi compris, l’alinéa premier [de l’article 706-136] fixerait la durée maximale des mesures qu’il prévoit en fonction de la nature et de la gravité de l’infraction « objectivement » commise.1668

Cependant, à la lecture des mesures de sûreté pouvant être infligées à l’aliéné par la chambre de l’instruction ou la juridiction de jugement, l’assimilation de l’acte commis par un individu privé de discernement à une véritable infraction semble totale. Parmi ces mesures, on trouve ainsi l’« interdiction d’entrer en relation avec la victime de l’infraction »1669 ou l’interdiction d’exercer une activité professionnelle « dans l’exercice de laquelle ou à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise »1670. D’aucuns invoquent que ces références procèdent (une fois de plus) d’un raccourci, voire d’un oubli, du législateur. Pour se convaincre de la volonté délibérée du législateur de revêtir les actes délictueux commis par l’aliéné de la qualification d’infraction, il est permis de se référer aux champs d’application des procédures de révision et de réexamen d’une condamnation pénale définitive.

2.3 L’assimilation de l’acte commis par l’aliéné à une véritable infraction au regard des procédures de révision et de réexamen d’une condamnation pénale définitive

Une décision, rendue le 8 février 2010, par la commission de révision est révélatrice de l’assimilation de l’acte commis par un aliéné à une authentique infraction1671. En l’espèce, une instruction judiciaire contre M. X a été ouverte le 12 mars 2002 au tribunal de grande instance de Paris pour viol et meurtre sur la personne de M. Y. Entendu à plusieurs reprises, M. X a varié dans ses déclarations. Les investigations ordonnées par le juge d’instruction n’ont pas permis de préciser le déroulement de la dernière nuit de M. Y. Consécutivement, M. X, placé en détention provisoire et hospitalisé d’office à l’unité des malades difficiles pendant sa détention, a fait l’objet de plusieurs expertises psychologiques et psychiatriques posant pour deux d’entre elles un diagnostic de schizophrénie. Après avoir rappelé les étapes de l’enquête et détaillé les versions contradictoires de M. X, le juge d’instruction rend le 1er octobre 2003 une ordonnance constatant qu’il se trouvait atteint au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement et le contrôle de ses actes au sens

1668. C. MARGAINE, op.cit., no 256. 1669. C. pr. pén., art. 706-136 (1°). 1670. C. pr. pén., art. 706-136 (4°). 1671. Cf. Comm. révision, 8 févr. 2010, no 09 rév. 039, Bull. crim., 2008, Comm. révision no 2.

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de l’article 122-1 du Code pénal puis déclare n’y avoir lieu à suivre en l’état. L’ordonnance, en récapitulant les charges pesant contre M. X, lui impute cependant la commission du meurtre et du viol de M. Y. M. X saisit alors la cour de révision aux fins de révision de l’ordonnance de non-lieu rendue le 1er octobre 2003. Comme nous allons l’établir, il s’agit de comprendre que M. X, qui ne s’est vu infliger aucune peine au sens des articles 131-1 et suivants du Code pénal puisque son irresponsabilité pénale a été reconnue, entend néanmoins contester la seule reconnaissance de sa culpabilité. La question se pose donc de l’applicabilité de la procédure de révision à une ordonnance de non-lieu fondée sur l’article 122-1, alinéa 1er du Code pénal. La question mérite d’être posée dans la mesure où l’issue d’une telle procédure ne débouche sur le prononcé d’aucune sanction pénale. Qu’est-ce qui pourrait justifier la recevabilité de la demande dans une telle hypothèse ? La commission de révision statue au visa de l’article 622 du Code de procédure pénale, aux termes duquel « la révision d’une décision pénale définitive peut être demandée au bénéfice de toute personne reconnue coupable d’un crime ou d’un délit ». Elle en déduit « qu’est ainsi ouverte une voie de recours extraordinaire contre toute décision déclarative de culpabilité, sans qu’il soit nécessaire qu’une des peines visées aux articles 131-1 et suivants du Code pénal soit prononcée ». Or, dans la mesure où l’ordonnance récapitule les charges pesant contre le mis en examen et impute à M. X la commission des infractions réalisées à l’encontre de M. Y, la commission de révision considère qu’« elle doit donc être assimilée à une décision déclarative de culpabilité, et comme telle, susceptible de révision ». Le fait que M. X ne se voit infliger aucune peine ne constitue pas un obstacle à la révision, dans la mesure où il a été reconnu coupable du meurtre ainsi que du viol commis sur la personne de M. Y. La révision qui, en application de l’article 622 du Code de procédure pénale n’est possible qu’en ce qui concerne une condamnation criminelle ou correctionnelle, peut donc inclure la révision d’une ordonnance de non-lieu prononcée sur le fondement de l’article 122-1 du Code pénal. A fortiori, elle peut s’appliquer à la déclaration d’irresponsabilité pour cause de trouble mental telle qu’elle résulte de la loi du 25 février 2008. C’est autrement considérer que cette déclaration s’apparente à une authentique déclaration de culpabilité. Afin d’appuyer cette analyse, il est permis de relever que, dans l’affaire étudiée, la commission de révision, après avoir relevé que l’ordonnance de non-lieu fondée sur l’article 122-1, alinéa 1er relevait du domaine d’application de l’article 622 du Code de procédure pénale, a aussi considéré qu’il existait des éléments nouveaux de nature à faire naître un doute sur la culpabilité de M. X. Elle a donc décidé « qu’en l’état des éléments produits par M. X […] au soutien de sa requête, il convient d’ordonner un complément d’information et de désigner un membre de la Commission pour y procéder ». Si la loi no 2014-640 du 20 juin 2014 est venue réformer les procédures de révision et de réexamen d’une condamnation pénale définitive1672, elle n’est pas venue modifier le champ d’application de la procédure de révision de ce point de vue. Autrement dit, la révision d’une ordonnance de non-lieu prononcée sur le fondement de l’article 122-1 du Code pénal peut toujours être demandée dans le cadre de la nouvelle

1672. Pour un commentaire de cette loi, cf. C. RIBEYRE, « La réforme des procédures de révision et de réexamen

ou comment mieux corriger l’erreur judiciaire », Dr. pén., 2014, étude 17. Si cette loi est venue réformer les conditions des procédures de révision et de réexamen, c’est dans l’optique d’augmenter les chances d’obtenir une révision ou un réexamen du procès pénal. Au rang des critiques, d’aucuns regrettent que les deux procédures n’aient pas été fusionnées pour ne plus les distinguer, d’autres que la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme n’ait pas été incluse dans les cas de révision.

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procédure. Or, il aurait été loisible au législateur d’exclure la déclaration d’irresponsabilité pénale des décisions susceptibles d’être révisées s’il avait souhaité mettre un terme à cette jurisprudence. Par conséquent, l’obligation générale pour les juridictions, d’instruction comme de jugement, de mentionner l’existence de charges suffisantes à l’encontre de l’intéressé d’avoir commis les faits reprochés, combinée à l’assimilation législative de l’acte commis par un individu non discernant à une véritable infraction, concourt à voir dans la déclaration d’irresponsabilité pénale une authentique déclaration de culpabilité pénale, non simplement l’affirmation d’une « pseudo-culpabilité »1673. Il n’est pas plus contestable que la seconde phase de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental suivie devant la chambre de l’instruction soit dédiée à un débat sur l’imputabilité.

B. Le paradoxe d’une audience d’imputabilité comme préalable au prononcé d’authentiques sanctions

En vertu de l’article 706-120 du Code de procédure pénale, le juge d’instruction, « après avoir constaté qu’il existe contre la personne mise en examen des charges suffisantes d’avoir commis les faits reprochés », et s’il estime « qu’il y a des raisons plausibles d’appliquer le premier alinéa de l’article 122-1 du Code pénal », ordonne, « si le procureur de la République ou une partie en a formulé la demande », que le dossier de la procédure soit transmis à la chambre de l’instruction afin qu’elle débatte sur l’imputabilité du sujet. Il s’agit donc de comprendre que si le juge d’instruction statue sur la culpabilité de l’intéressé1674, il ne se prononce pas sur l’imputabilité morale du mis en examen. Cette dichotomie met en évidence l’existence d’une césure substantielle entre les composantes de la responsabilité pénale. En outre, c’est parce que le juge d’instruction n’a pas été investi dans tous les cas1675 du pouvoir de clôturer lui-même sa procédure par une ordonnance d’irresponsabilité pénale qu’il ordonne « la saisine de la chambre d’instruction afin que celle-ci statue sur l’application du premier alinéa de l’article 122-1 du Code pénal […] »1676. Ce faisant, la loi de 2008 organise, dans le sillage du rapport Burgelin, la tenue d’une audience sur l’imputabilité morale devant la chambre de l’instruction1677, laquelle doit conduire à retenir1678 ou écarter1679 la responsabilité pénale du mis en examen. Il résulte donc de cette dualité de compétence une nouvelle césure de la procédure, cette fois de nature organique1680. Finalement, le délai de

1673. Cette expression est empruntée à Frédéric DESPORTES et Francis LE GUNEHEC, Droit pénal général, op. cit.,

no 638-4. 1674. Cf. supra, la démonstration relative à l’existence d’une déclaration de culpabilité à l’encontre de l’aliéné. 1675. Notamment, donc, quand les parties civiles ou le procureur de la République font la demande d’une saisine

de la chambre d’instruction. 1676. C. pr. pén., art. 706-119. 1677. La procédure suivie devant la chambre de l’instruction est celle qui s’apparente le plus à celle qui était

préconisée par le rapport Burgelin précédemment évoqué. 1678. Dans cette hypothèse, elle renvoie l’intéressé devant la juridiction de jugement compétente (cf. C. pr. pén.,

art. 706-124). 1679. Dans cette hypothèse, elle rend un arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble

mental (cf. C. pr. pén., art. 706-125). 1680. Précisons qu’à ce stade de la procédure, la dissociation formelle des composantes de la responsabilité

pénale est soulignée par le fait qu’en l’absence « de charges suffisantes contre la personne mise en examen

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transmission du dossier implique nécessairement une dissociation dans le temps entre la déclaration de culpabilité et la décision sur l’imputabilité de la personne mise en examen. L’existence d’un temps intermédiaire entre les deux décisions découle par ailleurs de l’article 706-121, alinéa 2, aux termes duquel : « L’ordonnance de transmission de pièces […] ne met pas fin à la détention provisoire ou au contrôle judiciaire, qui se poursuit jusqu’à l’audience de la chambre de l’instruction […]. » Ce temps intermédiaire témoigne d’une césure temporelle de cette procédure. On peut donc conclure que la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale applicable devant les juridictions d’instruction, tout en consacrant la primauté d’un débat sur la culpabilité, consomme triplement la dissociation des composantes de la responsabilité pénale, d’un point de vue substantiel, organique et temporel. La summa divisio de la procédure d’instruction souligne avec une acuité particulière tant la dissociation des deux composantes de la responsabilité pénale que leur chronologie dans le débat judiciaire. Pour conclure sur la procédure mise en place par la loi du 25 février 2008, nous emprunterons à Jacques Buisson et Serge Guinchard certains de leurs commentaires, décisifs au regard de notre étude, et aux termes desquels « l’irresponsabilité pénale ne peut donc occulter la culpabilité du prévenu »1681 ou encore « c’est la reprise de la distinction pénaliste entre culpabilité et responsabilité »1682. Cela étant, si les espérances qui pouvaient être légitimement placées dans la césure du procès pénal se trouvent déçues à l’étude de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale suivie devant la chambre de l’instruction, cette conclusion va se trouver confirmée en droit pénal des mineurs.

§ 2 - La césure du procès pénal sans incidence pratique sur la pénalisation des mineurs délinquants

Pour comprendre comment la césure du procès pénal peut constituer une alternative à la pénalisation de la minorité pénale, cette dernière procédant d’un alignement du droit pénal des mineurs sur le droit pénal des majeurs, il faut se pencher sur les évolutions de la procédure pénale applicable aux mineurs délinquants. Il faut aussi garder à l’esprit que la césure du procès pénal est susceptible d’offrir un temps de respiration dans le procès pénal de nature à réfléchir avec une acuité particulière sur l’imputabilité comprise comme capacité pénale, en approfondissant la connaissance de la personnalité du mineur. Si l’ordonnance du 2 février 1945 structure le statut autonome protecteur des mineurs délinquants sur quatre grands principes, deux d’entre eux irriguent le droit pénal de forme. Formellement consacrés à l’occasion de la décision du Conseil constitutionnel du 29 août 20021683, ils consistent dans les principes de compétence de juridictions pénales spécialisées dans la protection de l’enfance et dans la mise en œuvre de procédures appropriées à la personnalité du mineur. À

d’avoir commis les faits qui lui sont reprochés », en l’absence d’établissement notamment de la culpabilité de l’aliéné, la chambre de l’instruction peut déclarer qu’il n’y a pas lieu à suivre. Autrement dit, elle ne procèdera pas même à l’examen de l’imputabilité morale du mis en examen dès lors que sa culpabilité n’aura pas été établie (cf. C. pr. pén., art. 705-123).

1681. J. BUISSON, S. GUINCHARD, Procédure pénale, op. cit., no 2484, p. 1349 et 1350. 1682. Loc. cit. 1683. Cons. const., décision no 2002-461, DC du 29 août 2002, consid. 26.

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l’instar des deux principes gouvernant le droit pénal de fond1684, ils ont été érigés par le Conseil constitutionnel au rang de principes fondamentaux reconnus par les lois de la République1685. Les évolutions législatives passées ont témoigné d’un alignement du droit pénal des mineurs sur le droit pénal des majeurs, tant d’un point de vue substantiel1686 que formel. Bien que le législateur ait récemment édicté des règles signifiant le retour de la spécificité du droit pénal des mineurs1687, et bien que la jurisprudence la plus récente s’inscrive aussi dans cette tendance1688, il importe de s’attarder sur les réformes antérieures. En effet, l’alignement des procédures applicables aux mineurs sur celles des majeurs est de nature à affaiblir la spécificité du traitement procédural des mineurs délinquants, qu’il s’agisse de l’application de procédures appropriées ou de la compétence de juridictions spécialisées. Pour autant, dans le cadre de ce développement nous ne traiterons que de l’amoindrissement du caractère approprié des procédures à la personnalité du mineur délinquant (A.) dans la mesure où, si la césure du procès pénal est susceptible de tempérer cette évolution, elle reste sans incidence sur le mouvement initié de déspécialisation des juridictions pénales appelées à connaître des mineurs délinquants1689. Il conviendra donc de s’interroger sur l’efficacité de

1684. Les principes de primauté de l’action éducative et d’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en

fonction de leur âge (cf. supra). 1685. Cf. la décision précitée du 29 août 2002. 1686. Cf. supra, partie 2, titre 1, chapitre II. 1687. Cf. supra. 1688. Cf. Cass. crim. 8 juin 2017, no 16-83.345, à paraître au bulletin. La Cour de cassation a considéré qu’en

l’absence de disposition spécifique le prévoyant, la juridiction pénale qui déclare un mineur pénalement irresponsable au motif qu’il était privé de discernement au moment de la commission des faits n’a pas compétence pour statuer sur sa responsabilité civile ni celle de ses ayants droit. L’examen des conséquences civiles relève alors de la seule compétence des juridictions civiles. Aucune disposition spécifique n’est en effet prévue dans l’ordonnance du 2 février 1945 qui organise exclusivement les règles de procédure pénale applicables au jugement des mineurs auxquels est reprochée une infraction pénale. Il est donc permis de considérer que, par cet arrêt du 8 juin 2017, la chambre criminelle confirme la spécificité du régime de la procédure pénale des mineurs, rappelant que les exceptions prévues par le législateur en droit commun doivent être également prévues par ce régime particulier, sous peine d’inapplicabilité.

1689. Cela même alors que le recours à des magistrats non spécialisés est de nature à fausser l’appréhension de la personnalité du mineur. En effet, le principe de la compétence de juridictions pénales spécialisées trouve notamment sa justification dans le souci de confier le sort du mineur à des magistrats dotés de qualités particulières de compréhension et de prise en charge des enfants. Parmi les évolutions notables dans le sens de la déspécialisation de la justice pénale des mineurs, on pense immédiatement à la remise en cause jurisprudentielle et législative du cumul des fonctions d’instruction et de jugement par le juge des enfants. Ce magistrat spécialisé du tribunal de grande instance est, d’une part, la juridiction d’instruction en matière délictuelle, et, d’autre part, la juridiction de jugement pour les délits et les contraventions de 5e classe. L’une des conséquences essentielles de sa spécialisation consistait dans le fait que, par dérogation au principe de séparation de l’instruction et du jugement, il pouvait juger une affaire qu’il avait lui-même instruite, cette possibilité étant jugée conforme à l’exigence d’un tribunal impartial posé par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme du fait que le juge des enfants était celui qui connaissait le mieux la personnalité du mineur (en ce sens, Cass. crim., 7 avr. 1993, no 92-84.725, Bull. crim,. no 152 ; D., 1993. Jur. 553, note J. PRADEL ; COJ, anc. art. L. 251-3). Cette situation a d’abord été remise en cause par la jurisprudence avant d’être définitivement condamnée par le législateur à l’occasion de la loi no 2011-1940 du 26 décembre 2011. La remise en cause jurisprudentielle a été initiée par la Cour européenne des droits de l’homme à l’occasion de l’arrêt Adamkiewicz c/ Pologne (CEDH, 2 mars 2010, no 54729/00, Adamkiewicz c/ Pologne, D., 2010, p. 1324, note P. BONFILS ; ibid., p. 1904, obs. A. GOUTTENOIRE et P. BONFILS ; ibid., 2011, p. 1107, obs. M. DOUCHY-OUDOT ; RSC, 2010, p. 687, obs. D. ROETS). Selon la Cour européenne, le particularisme de la justice pénale des mineurs ne justifie pas de façon générale le cumul des fonctions. Il faut s’attacher in concreto à ce que l’article 6 de la Convention ne soit pas violé. Autrement dit, le caractère dérogatoire de la justice des mineurs relève de

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la césure du procès pénal à enrayer l’amoindrissement du caractère approprié des procédures applicables aux mineurs délinquants (B.).

A. L’affaiblissement du caractère approprié des procédures applicables au mineur délinquant de nature à affecter l’imputabilité comme capacité pénale

Nous allons tenter d’établir que le mouvement contemporain d’application de procédures rapides aux mineurs délinquants, dans la mesure où il affecte le temps d’étude de la

considérations abstraites qui n’entrent pas en ligne de compte dès lors qu’il s’agit d’apprécier l’impartialité concrète de la juridiction – dans l’affaire considérée, le cumul concernait un juge aux affaires familiales qui avait occupé des fonctions d’instruction et de jugement au sein d’une juridiction pour mineurs ; dans la mesure où il avait conduit la recherche des preuves et fait usage des larges pouvoirs d’instruction qui lui étaient confiés, la Cour a considéré qu’en l’espèce l’article 6 de la Convention avait été violé. Dans le sillage de cette décision, le Conseil constitutionnel est venu à son tour remettre en cause la possibilité d’un cumul de fonctions dans les mains du juge des enfants. Il s’est prononcé à deux reprises sur cette question en 2011. Dans une QPC du 8 juillet 2011 (Cons. const., 8 juill. 2011, no 2011-147, QPC, AJ fam., 2011, p. 435, obs. V. A.-R. ; ibid., 391, point de vue L. GEBLER ; AJ pén., 2011, p. 596, obs. J.-B. PERRIER ; RSC 2011, p. 728, chron. C. LAZERGES ; RTD civ., 2011, p. 756, obs. J. HAUSER), ce dernier était saisi d’une question relative à la présence de juges non professionnels au sein du tribunal pour enfants. Le Conseil a soulevé d’office le problème de la compatibilité du cumul de fonctions du juge des enfants avec le principe d’impartialité des juridictions. Selon la Haute Juridiction, si le principe d’impartialité des juridictions ne s’oppose pas à ce que le juge des enfants qui a instruit la procédure puisse, à l’issue de cette instruction, prononcer des mesures d’assistance, de surveillance ou d’éducation, il ne saurait être question pour le juge des enfants, qui a été chargé d’accomplir les diligences utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et qui a renvoyé le mineur devant le tribunal pour enfants, de présider cette juridiction de jugement habilitée à prononcer des peines. Cette position avait été renforcée à propos du tribunal correctionnel pour mineurs dans sa décision no 2011-635 DC du 04 août 2011. Le Conseil devait alors apprécier la constitutionnalité de la composition de cette nouvelle juridiction créée par la loi no 2011-939 du 10 août 2011. En se référant expressément à sa décision du 8 juillet 2011, le Conseil constitutionnel a considéré que la composition du tribunal correctionnel pour mineurs portait au principe d’impartialité une atteinte contraire à la Constitution, cela car la loi permettait au juge des enfants qui avait instruit l’affaire de présider ensuite le tribunal correctionnel pour mineurs. Le législateur est venu consacrer cette évolution à l’occasion de la loi du no 2011-1940 du 26 décembre 2011. Elle a modifié la composition des juridictions pour mineurs en prohibant deux cumuls. Le premier concerne le tribunal pour enfants. L’article L. 251-3, alinéa 2 du Code de l’organisation judiciaire dispose désormais que « le juge des enfants qui a renvoyé l’affaire devant le tribunal pour enfants ne peut présider cette juridiction ». Le second cumul concernait le tribunal correctionnel pour mineurs qui a été abrogé par la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle et dont la suppression a été effective au 1er janvier 2017. Dès avant la prohibition du cumul des fonctions d’instruction et de jugement par le juge des enfants, une autre atteinte au principe de la compétence de juridictions pénales spécialisées résidait dans l’introduction, par la loi du 15 juin 2000, du juge des libertés et de la détention pour la gestion des détentions provisoires classiques. Ce magistrat participe de la déspécialisation de la justice des mineurs puisqu’il n’a pas de formation spécifique en la matière et que cette fonction est souvent prise en charge par de multiples magistrats au sein du tribunal afin d’assurer une permanence. Si, conformément à l’article 137-1 du Code de procédure pénale, le juge des enfants reste, dans la plupart des cas, maître de la saisine du juge des libertés et de la détention pour l’éventuelle détention provisoire d’un mineur, la déspécialisation de la détention provisoire des mineurs est renforcée par l’article 137-4, alinéa 2 du Code de procédure pénale qui permet au procureur de la République, pour les délits punis de dix ans d’emprisonnement, de saisir directement le juge des libertés et de la détention et de lui déférer la personne mise en examen. Concernant les délits punis de dix ans d’emprisonnement, le procureur de la République peut donc se dispenser de faire appel de la décision du juge des enfants refusant le placement en détention provisoire et saisir directement le juge des libertés et de la détention, non spécialisé. La création du tribunal correctionnel pour mineurs par la loi no 2011-939 du 10 août 2011, juridiction non spécialisée, participait de cette déspécialisation de la justice des mineurs. Pour autant, il est notable que, dans le même temps, des réformes aient été adoptées en sens contraire. En dehors de la suppression du tribunal correctionnel pour mineurs (cf. supra), le législateur, par la loi du 9 mars 2004, avait préalablement attribué au juge des enfants des fonctions de juge d’application des peines pour le milieu fermé.

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personnalité du mineur (donc de son discernement), est de nature à fausser l’appréhension de l’imputabilité, particulièrement dans son acception d’aptitude à profiter de la sanction pénale. La tendance actuelle est non seulement à faciliter la mise en état des affaires pénales, mais aussi à accélérer le jugement des mineurs1690. Toutefois, si le traitement procédural spécifique du mineur délinquant a été infléchi tant au stade de l’enquête de police1691 qu’à celui de l’instruction préparatoire1692, c’est la recherche par le législateur contemporain de la célérité de la procédure du jugement qui explique, dans le cadre de cette étude, la réflexion en faveur de la césure comme modèle unique du procès pénal des mineurs délinquants. Les impératifs de management contemporains, que Jean-Paul Jean désigne sous les termes de « nouvel utilitarisme pénal »1693, appliqués à la justice pénale des mineurs ont conduit à infliger au mineur délinquant des procédés de tractation ou de négociation tels que la procédure de composition pénale1694. Pour l’année 2014, les compositions pénales progressent (+ 9,4 % en un an)1695. Dans l’hypothèse où des poursuites sont engagées, la recherche de rentabilité conduit cette fois à soumettre le mineur à des procédures rapides de jugement. Ces procédures se trouvent accélérées, notamment grâce à la suppression de la phase préalable de l’information. Certes, le principe posé dans l’ordonnance du 2 février 1945 reste celui d’une instruction préparatoire au procès pénal pour les affaires qui impliquent des mineurs1696. Si le principe d’une information préalable est sous-tendu par la recherche de la

1690. En 2014, les parquets ont traité 179 100 mineurs délinquants dont l’affaire était poursuivable. Six mineurs

sur dix ont fait l’objet d’une mesure alternative (58 %) ou d’une composition pénale (2 %), 34 % ont été poursuivis devant une juridiction de mineurs ; enfin, pour 6 %, le ministrère public a estimé qu’il n’était opportun ni de poursuivre, ni d’engager une procédure alternative ou une composition pénale, et a classé l’affaire pour inopportunité des poursuites (cf. ministère de la Justice, www.ministere.gouv.fr/SG/SDSE, « Système d’information décisionnel pénal, exploitation statistique du casier judiciaire national »).

1691. Par exemple, au stade de l’enquête, la loi précitée du 9 septembre 2002 a élargi le domaine et renforcé le régime de la retenue des mineurs de 10 à 13 ans. Le législateur a substitué aux « indices graves et concordants » jusqu’alors requis pour que la retenue puisse être mise en œuvre, les indices « graves ou concordants », et abaissé de 7 à 5 ans le seuil de la peine d’emprisonnement encourue pour recourir à une telle mesure. En outre, la loi du 9 septembre 2002 a porté sa durée de 10 à 12 heures, de sorte que la retenue des mineurs de 10 à 13 ans peut durer 24 heures, à l’instar de celle de la garde à vue des majeurs (cf. ord. 2 févr. 1945, art. 4, I).

1692. Au stade de l’instruction préparatoire, c’est l’institution du contrôle judiciaire qui a tout particulièrement retenu l’attention du législateur contemporain. Alors que la loi du 5 mars 2007 a étendu son domaine en matière correctionnelle à l’égard des mineurs âgés de 13 à 16 ans, son régime a été renforcé par l’action combinée des lois du 9 septembre 2002 et 5 mars 2007. Depuis la loi du 9 mars 2002, la loi prévoit que le contrôle judiciaire peut être effectué dans un centre éducatif fermé, institution créée par cette même loi. Or, en vertu de l’article 10-2 (III) de l’ordonnance du 2 février 1945, « Si le contrôle judiciaire comporte l’obligation de respecter les conditions d’un placement conformément au 2° du II, dans un centre éducatif fermé prévu à l’article 33, le non-respect de cette obligation pourra entraîner le placement du mineur en détention provisoire conformément à l’article 11-2 ». Le législateur a donc établi par ce biais la détention provisoire pour les mineurs de moins de 16 ans en matière correctionnelle. Quant à la loi du 5 mars 2007, elle a créé de nouvelles obligations pouvant être imposées dans le cadre du contrôle judiciaire des mineurs et dont le non-respect est sanctionné par le placement dans un centre éducatif fermé.

1693. J.-P. JEAN, « Le système de justice pénale à l’aune de ses résultats », in M. MASSE M., J.-P. JEAN et A. GIUDICELLI (dir.), Un droit pénal postmoderne ? Mise en perspective des évolutions et ruptures contemporaines, op. cit., p. 247.

1694. Cette dernière, qui constitue une alternative aux poursuites à caractère punitif, a été introduite en droit positif par la loi du 5 mars 2007.

1695. Cf. ministère de la Justice, www.ministere.gouv.fr/SG/SDSE, « Système d’information décisionnel pénal, exploitation statistique du casier judiciaire national ».

1696. Conformément à l’article 5 de l’ordonnance du 2 février 1945, l’instruction est obligatoire en matière de crime (alinéa 1er) et facultative en matière de délit et de contravention de 5e classe (alinéa 2). Elle est facultative dans ces deux hypothèses, dans la mesure où le procureur de la République pourra toujours décider de recourir à l’un des procédures décrites aux articles 8-1, 8-3 et 14-2 de ladite ordonnance. En

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manifestation de la vérité, il signifie aussi l’importance attachée à la connaissance de la personnalité du mineur. « Généralement mise à profit pour recueillir des éléments d’information sur le mineur et observer son évolution »1697, l’instruction préparatoire est une phase décisive dans l’acquisition de connaissances approfondies relativement à la personnalité du mineur – notamment parce qu’elle permet de mesurer le chemin parcouru par le mineur depuis le début de la procédure. C’est donc une phase extrêmement précieuse. Par ricochet, elle est essentielle à la recherche de solutions adaptées au relèvement éducatif et moral du mineur, autrement dit à la satisfaction de l’imputabilité comme capacité pénale. En dérogeant à l’obligation d’une instruction préalable, les procédures accélérées ne sont-elles pas de nature à entraver cet objectif ? Selon Carmen Montoir, « se passer du juge des enfants dans la phase pré-sentencielle est, en soi, une dénaturation de la justice des mineurs et une entrave à la mise en œuvre de la priorité éducative et morale »1698. Pour autant, le Conseil constitutionnel a considéré à plusieurs reprises que les procédures en quête d’une plus grande célérité n’étaient pas en elles-mêmes contraires au principe fondamental reconnu par les lois de la République dès lors que la décision de poursuivre selon ce mode de poursuite appartenait in fine au juge des enfants ou qu’elles étaient grevées d’un certain nombre de garanties1699. Logiquement, l’une d’entre elles est liée à la réalisation d’investigations suffisantes relativement à la personnalité du mineur (1.). Le nombre et les conditions des procédures de comparution rapide ont connu un élargissement frappant ces dernières années, précisément en raison de leur prétendue contribution à l’efficacité de la procédure pénale. Dès lors, en ce qu’elles sont susceptibles d’empêcher que le mineur soit jugé selon une procédure appropriée à la recherche de son relèvement éducatif, il importe de vérifier la réalité de l’exigence de connaissance du mineur à travers l’examen des principales procédures de comparution rapide appliquées aux mineurs délinquants (2.).

1. La condition liée à la connaissance de la personnalité du mineur dans les procédures rapides de jugement

Parmi les dispositifs visant à accélérer la procédure pénale applicable aux mineurs délinquants, il conviendra de s’attarder sur la procédure de comparution à délai rapproché (1.1), la convocation par OPJ aux fins de jugement (1.2) et la présentation immédiate (1.3). La mise en œuvre de ces trois procédures suppose notamment que des investigations suffisantes sur la personnalité du mineur aient été diligentées, sans qu’elles ne relèvent toutes pour autant du même degré d’exigence.

application de l’article 5, alinéa 2, et selon le choix d’orientation de la procédure par le parquet, l’information peut être effectuée par le juge d’instruction chargé des mineurs ou par le juge des enfants. La différence majeure réside dans le fait que le juge des enfants peut, en application de l’article 8, alinéa 2 de l’ordonnance du 2 février 1945, et afin de procéder à toute investigation utile, procéder à une enquête dite officieuse, ce qui lui permet de ne pas toujours suivre à la lettre le formalisme du Code de procédure pénale pourvu qu’aucune atteinte ne soit portée à la liberté individuelle. Conformément à l’article 9 de ladite ordonnance, le juge d’instruction est, quant à lui, tenu de respecter les formes du Code de procédure pénale.

1697. J.-F. DE MONTGOLFIER., « Le Conseil Constitutionnel et la justice pénale des mineurs », Les Nouveaux Cahiers du Conseil Constitutionnel, 2011/4, no 29.

1698. C. MONTOIR, op. cit., no 1236, p. 666. 1699. Cf. infra.

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1.1 Dans la procédure de comparution à délai rapproché

La procédure de comparution à délai rapproché, créée par la loi du 1er juillet 1996, modifiée par la loi du 9 septembre 2002, permet, en matière correctionnelle, une certaine accélération de la procédure afin d’éviter l’enlisement de certains dossiers dans les cabinets des juges des enfants1700. Il s’agit d’une procédure de comparution en cours de procédure. Ainsi, en application de l’article 8-2 de l’ordonnance du 2 février 1945, en matière correctionnelle et à quelque moment de la procédure, le procureur de la République peut requérir le juge des enfants pour que le mineur, quel que soit son âge, comparaisse dans un délai de un à trois mois, soit devant le tribunal pour enfants, soit en chambre du conseil, dès lors qu’« il estime que des investigations suffisantes sur la personnalité du mineur ont été effectuées, le cas échéant à l’occasion d’une précédente procédure […] »1701. Autrement dit, cela implique que des investigations concernant la personnalité du mineur ne soient plus nécessaires. Même dans le cas où le mineur n’aurait pas fait l’objet d’une procédure précédente, une instruction étant en cours au moment de la requête du parquet, on peut en déduire que les renseignements suffisants sur la personne du mineur auront été recueillis sur le fondement de l’article 8 de l’ordonnance du 2 février 19451702. En outre, le juge d’instruction n’est pas tenu de faire droit à la requête du parquet et peut décider de la nécessité de poursuivre son instruction notamment en vue de la réalisation d’investigations supplémentaires concernant la personnalité du mineur. Sur l’année 2014, la comparution à délai rapproché était en forte progression (+ 13,1 % par rapport en 2013)1703.

1.2 Dans la procédure de comparution par officier de police judiciaire (COPJ-jugement)

Le parquet peut également saisir directement la juridiction de jugement par le biais de la convocation par officier de police judiciaire. Cette procédure de convocation par officier de police judiciaire aux fins de jugement (COPJ-jugement) se dédouble à nouveau en deux procédures distinctes. Par son article 31, la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle est venue rétablir l’article 8-1 de l’ordonnance du

1700. Comme le relève François Touret de Coucy, juge des enfants au tribunal de Chambéry, « la comparution

à délai rapproché marque une certaine défiance du législateur à l’encontre du juge des enfants, soupçonné de faire traîner les dossiers, ce qui justifierait la surveillance du parquet en lui accordant des moyens d’accélérer la procédure » (Rép. dr. pén. et proc. pén., « Enfance délinquante », no 163).

1701. À la différence de la convocation par officier de police judiciaire aux fins de jugement et de la présentation immédiate, il n’est pas nécessaire que le mineur ait déjà fait l’objet d’une procédure pénale. Son champ d’application avait été étendu à la comparution devant le tribunal correctionnel pour mineurs par la loi du 10 août 2011. Cette extension, qui témoignait d’un rapprochement croissant de la procédure applicable aux mineurs délinquants sur celle prévue pour les majeurs, un mineur pouvant alors potentiellement être jugé devant une juridiction non spécialisée (cf. Cons. const., 4 août 2011, no 2011-635 DC, consid. 51), selon une procédure accélérée, n’est cependant plus d’actualité en raison de la suppression du tribunal correctionnel pour mineurs par la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. La loi du 26 décembre 2011 avait même encore durci cette procédure, puisqu’un mineur de plus de 16 ans pouvait être renvoyé devant le tribunal correctionnel pour mineurs, dans un délai compris entre dix jours et un mois, ce dernier correspondant à celui applicable aux majeurs dans le cadre d’une COPJ.

1702. Cf. infra. 1703. Cela même alors que les procédures accélérées permettant de juger rapidement un mineur déjà connu de

la justice reste marginal (6 % [cf. ministère de la Justice, www.ministere.gouv.fr/SG/SDSE, « Système d’information décisionnel pénal, exploitation statistique du casier judiciaire national »]).

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2 février 1945 en vertu duquel la convocation peut être délivrée aux fins de jugement en audience de cabinet, par le juge des enfants1704. Cette procédure permet d’accélérer le jugement d’affaires simples et sans gravité par la saisine directe du juge des enfants statuant en chambre du conseil. En application de cette dernière loi, le juge des enfants peut donc à nouveau être saisi sans information préalable. Lorsqu’il estime à l’audience que l’infraction est établie, deux cas de figure peuvent se présenter. Si les investigations déjà effectuées sur la personnalité du mineur sont suffisantes, le juge des enfants peut prononcer un certain nombre de mesures énumérées à l’article 8-11705. Ainsi, si les investigations sur la personnalité et la connaissance des moyens appropriés à la rééducation sont suffisantes, qu’il y ait ou non une partie civile, le juge statue immédiatement sur le tout. Si les investigations sur la personnalité du mineur ne sont pas suffisantes, le juge des enfants peut « renvoyer l’affaire à une prochaine audience de la chambre du conseil et faire application du 2° de l’article 24-5 et de l’article 24-6 »1706. Ainsi, lorsqu’il estime que l’infraction est établie à l’encontre du mineur mais que les informations relatives à la connaissance de sa personnalité sont insuffisantes, le juge des enfants doit décider l’ajournement du prononcé de la mesure éducative, de la sanction éducative ou de la peine. En d’autres termes, lorsque les renseignements recueillis sur le mineur ne sont pas assez approfondis, la césure du procès pénal est obligatoire. Depuis la loi du 10 août 2011, la convocation par officier de police judiciaire peut aussi être délivrée aux fins de jugement devant le tribunal pour enfants dans les formes de la procédure de convocation de droit commun de l’article 390-1 du Code de procédure pénale1707. Ainsi, la saisine directe du tribunal pour enfants, prévue par l’article 8-3 de l’ordonnance du 2 février 1945, permet au procureur de la République de poursuivre directement le mineur devant le tribunal pour enfants, sans passer par la phase d’instruction préparatoire devant le juge des enfants1708. Il est permis de noter que si la procédure de comparution à délai rapproché de l’article 8-2 de l’ordonnance de 1945 a pour objectif d’accélérer l’instruction préparatoire, les COPJ-jugement des articles 8-1 et 8-3 de la même ordonnance ont pour effet de supprimer purement et simplement cette phase préalable. Au rang des conditions exigées pour la mise en œuvre de la COPJ-jugement devant le tribunal pour enfants figure toujours à l’article 8-3, alinéa 3 celle liée à la connaissance de la personnalité du mineur. Le texte vise, expressément cette fois, des investigations sur la personnalité du mineur accomplies « au cours des douze mois précédents sur le fondement de l’article 8 » de l’ordonnance de 1945. Une dérogation au sein du même article est néanmoins prévue « lorsqu’en raison de l’absence du mineur au cours des mesures d’investigation précédentes, des éléments plus approfondis n’ont pu être recueillis sur sa personnalité à l’occasion d’une procédure antérieure en application du même

1704. C’est la loi du 10 août 2011 qui avait supprimé cette procédure qui avait été créée par la loi du 1er juillet

1996 aux articles 5 et 8-1 de l’ordonnance du 2 février 1945. 1705. Ord. 2 févr. 1945, art. 8-1 (II, 1o). 1706. Ibid., cf. infra, le développement relatif à la césure du procès pénal en tant qu’alternative procédurale

permettant de pallier les carences relatives à la connaissance de la personnalité du mineur. 1707. Les mineurs concernés par cette procédure doivent avoir entre 13 et 16 ans. Pour les 13-16 ans, l’infraction

reprochée doit être punie d’au moins cinq ans d’emprisonnement. Pour les mineurs âgés de 16 ans, la peine encourue doit être de trois ans.

1708. Conformément à l’alinéa 6 de l’article 8-3 de l’ordonnance du 2 février 1945, « L’audience doit se tenir dans un délai qui ne peut être inférieur à dix jours et supérieur à deux mois ».

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article 8, peuvent être prises en compte des investigations réalisées en application de l’article 12 »1709. Autrement dit, lorsqu’il n’existe pas dans le dossier, en raison de l’absence du mineur, de rapport d’investigation établi sur le fondement de l’article 8 et datant de moins d’un an, le mineur pourra quand même faire l’objet d’une citation directe devant le tribunal pour enfants, mais on se contentera alors du rapport établi par le service éducatif de la Protection judiciaire de la jeunesse à la demande du parquet. Une seconde exception résulte de l’article 24-7, alinéa 1er de l’ordonnance du 2 février 1945 qui organise, par dérogation à l’article 8-3, la mise en œuvre de la césure du procès pénal1710.

1.3 Dans la procédure de présentation immédiate

Dans ses mécanismes généraux, la présentation immédiate se rapproche fortement de la comparution immédiate pour les majeurs1711 ; elle se distingue notamment de la convocation par OPJ aux fins de jugement par une plus grande célérité1712 et par le fait que sont abaissés les seuils des peines encourues pour les mineurs de 16 à 18 ans1713. Dans le sillage de la COPJ-jugement, la loi du 9 septembre 2002 avait d’abord créé « le jugement à délai rapproché », régi par l’article 14-2 de l’ordonnance du 2 février 1945 et applicable aux mineurs de 13 à 18 ans, pour des faits délictuels d’une certaine gravité. L’article 14-2 (II) disposait alors que le jugement à délai rapproché ne pouvait être engagé « que si des investigations sur la personnalité du mineur ont été accomplies, le cas échéant, à l’occasion d’une procédure antérieure de moins d’un an » : l’absence du rapport d’investigation sur la personnalité du mineur interdisait le recours à cette procédure. Il fallait nécessairement, dans cette hypothèse, repasser par la phase de l’instruction préparatoire du dossier par le juge des enfants. Si la loi du 5 mars 2007 est venue opérer un changement de dénomination de la procédure devenue « présentation immédiate devant la juridiction pour mineurs » et élargir son champ d’application, elle n’a pas modifié les « exigences quant à la teneur des investigations sur la personnalité du mineur en cause »1714. Il a fallu attendre la loi du 10 août 2011 pour observer une évolution sur ce point. Désormais, les exigences relatives à la connaissance de la personnalité du mineur sont communes aux procédures des articles 8-3 et 14-2 de l’ordonnance du 2 février 1945. Particulièrement, la loi du 10 août 2011 a prévu les mêmes dispositions que celles applicables dans le cadre de la COPJ-jugement, pour remédier à

1709. Ord. 2 févr. 1945, art. 8-3, al. 3. 1710. Aux termes de ce dernier : « Par dérogation au troisième alinéa de l’article 8-3 et au II de l’article 14-2, le

procureur de la République peut faire application des procédures prévues aux mêmes articles à l’encontre d’un mineur pour lequel aucune investigation n’a été ordonnée en application de l’article 8 et alors qu’il n’existe pas dans le dossier d’éléments suffisants sur sa personnalité pour permettre au tribunal de se prononcer, dès lors qu’il requiert dans la saisine du tribunal qu’il soit fait application [de la césure du procès pénal]. »

1711. Cela alors même que celle-ci est officiellement proscrite par l’article 5, alinéa 7 de l’ordonnance de 1945. 1712. L’audience doit avoir lieu dans un délai qui ne peut en principe être inférieur à dix jours ni supérieur à un

mois (cf. ord. 2 févr. 1945, art. 14-2 [III], al. 2). En outre, le délai de dix jours peut être raccourci si le mineur, ses représentants légaux et son avocat acceptent que le mineur soit jugé à la plus proche audience du tribunal pour enfants (cf. ord. 2 févr. 1945, art. 14-2 [III], al. 3).

1713. Ainsi, la présentation immédiate est applicable aux mineurs âgés d’au moins 16 ans encourant une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à un an en cas de flagrance, ou supérieure ou égale à trois ans dans les autres cas (cf. ord. 2 févr. 1945, art. 14-2 [II]). En revanche, s’agissant des mineurs âgés d’au moins 13 ans, le seuil reste de cinq ans d’emprisonnement (cf. ord. 2 févr. 1945, art. 8-3, al. 1er et art. 14-2 [VI]).

1714. C. MONTOIR, op. cit., no 1218, p. 658.

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l’hypothèse où il n’existe pas, dans le dossier du mineur, de rapport d’investigation datant de moins d’un an et élaboré sur le fondement de l’article 8 de l’ordonnance du 2 février 1945. Ainsi, si la présentation immédiate ne peut en principe être mise en œuvre « que si des investigations sur la personnalité du mineur ont été accomplies au cours des douze mois précédents sur le fondement de l’article 8 ; toutefois, lorsqu’en raison de l’absence du mineur au cours des mesures d’investigation précédentes, des éléments plus approfondis n’ont pu être recueillis sur sa personnalité à l’occasion d’une procédure antérieure en application du même article 8, peuvent être prises en compte des investigations réalisées en application de l’article 12 ». Il conviendra d’établir que, ce faisant, c’est un amoindrissement des exigences relatives à la connaissance de la personnalité du mineur qui est consacré. Dans la continuité des dérogations de l’article 8-3 de l’ordonnance de 1945, le recours exceptionnel à la césure du procès pénal pour pallier l’insuffisance des informations sur la personnalité du mineur au jour de l’audience est prévu à l’article 24-7 de l’ordonnance du 2 février 1945. Cette évolution pose question quant du degré des exigences relatives à la connaissance de la personnalité du mineur. Au-delà, c’est plus largement le caractère suffisant des informations relatives à la connaissance du mineur qui pose question dans le cadre de procédures rapides de jugement.

2. L’examen qualitatif des investigations sur la personnalité du mineur

La qualité des investigations réalisées sur la personnalité du mineur peut poser question d’un double point de vue. Or, il est permis de rappeler que cette dernière est essentielle à la bonne appréhension de l’imputabilité, particulièrement dans son acception de capacité pénale. Le premier questionnement a trait à la période pendant laquelle les informations servant de support à la mise œuvre de la procédure rapide de jugement peuvent avoir été collectées (2.1) ; le second tient directement à leur qualité intrinsèque (2.2).

2.1 La temporalité des informations

Si, dans le cadre de la COPJ aux fins de jugement par le juge des enfants, aucune indication n’est apportée relativement aux modalités ou à la temporalité des renseignements recueillis, dans la procédure de comparution à délai rapproché, il est simplement précisé qu’ils peuvent avoir été réunis « le cas échéant à l’occasion d’une précédente procédure » sans aucune indication relativement à son antériorité. Accentuant le flou, la formule « le cas échéant » paraît signifier qu’une procédure antérieure n’est pas même nécessaire. En revanche, dans le cadre de la COPJ aux fins de jugement par le tribunal pour enfants comme de la présentation immédiate, le mineur n’est assurément pas inconnu de la juridiction puisqu’elles ne peuvent être mises en œuvre « que si le mineur fait l’objet ou a déjà fait l’objet d’une ou plusieurs procédures »1715 en application de l’ordonnance du 2 février 1945. En outre, le mineur doit avoir été mis en cause dans le cadre de procédures menées dans les douze derniers mois. Il est alors permis de s’interroger sur la pertinence d’un laps de temps de douze mois, eu égard au caractère polymorphe de la personnalité du mineur. Des investigations accomplies jusque dans les douze mois précédents sont-elles toujours en adéquation avec la personnalité du mineur au jour de l’audience ? Des éléments de réponse peuvent notamment ressortir de la

1715. Ord. 2 févr. 1945, art. 8-3, al. 2 et 14-2 (II).

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législation. Conformément à l’article 24-5 de l’ordonnance du 2 février 1945, ce dernier figurant au nombre des quatre articles de cette ordonnance régissant « la césure du procès pénal des mineurs »1716, la période de l’ajournement du prononcé de la peine ne peut en principe dépasser six mois1717. Ce délai, plus court par rapport à la durée spécifique d’un an prévue par le droit pénal des majeurs, « se justifie par le fait que la personnalité du mineur évolue rapidement, et qu’il ne semble pas opportun de différer trop longtemps le prononcé de la mesure ou de la peine à la suite d’une déclaration de culpabilité »1718. D’ailleurs, l’article 24-5, alinéa 2 (1°) prévoit de manière spécifique l’ajournement du prononcé de la peine au regard des perspectives d’évolution de la personnalité du mineur1719. Le délai d’ajournement correspondant à une période de probation, simple ou encadrée, à l’issue de laquelle le mineur délinquant peut être dispensé de sanction, on peut en déduire que, pour le législateur, cette période de six mois d’observation peut être suffisante pour voir la personnalité du mineur changer. Une évolution suffisamment notable peut donc s’opérer dans la personnalité du mineur dans un délai de six mois au point de justifier l’exclusion de toute sanction pénale à son encontre. En outre, le législateur n’ayant pas prévu de durée minimale au délai d’ajournement, le juge a la faculté de statuer sur la sanction, ou l’absence de sanction, au moment qu’il estimera opportun dans l’intervalle des six mois – soit avant même ce terme. Cette prérogative offerte au juge revient à admettre que la personnalité du mineur est susceptible d’une évolution déterminante dans un laps de temps très court ! Nombre de professionnels et d’auteurs partagent cette opinion. Catherine Daoud et Béatrice de Vareilles-Sommières, par exemple, considèrent que « la personnalité et le comportement d’un mineur peuvent changer de façon significative en l’espace de quelques mois »1720. Quant à Claire Saas, elle se réfère à « l’évolution potentiellement très rapide d’un mineur »1721. On peut donc légitimement considérer que des informations recueillies douze mois avant la procédure rapide de jugement peuvent ne plus être appropriées, voire être erronées1722. À l’évidence, il faudrait renoncer à exploiter des renseignements obtenus à l’occasion de procédures dont l’antériorité excéderait une année. La qualité intrinsèque des investigations sur la personnalité des mineurs suscite également des interrogations.

2.2 La qualité intrinsèque des informations

Les interrogations tiennent au fait qu’elles peuvent être menées soit par le juge des enfants en application de l’article 8 de l’ordonnance du 2 février 1945, soit par le service de la

1716. Cf. ord. 2 févr. 1945, chap. III ter, De la césure du procès pénal des mineurs, art. 24-5 à 24-8. 1717. Ord. 2 févr. 1945, art. 24-5, al. 2 (2°) : « L’affaire est alors renvoyée à une audience qui doit avoir lieu au

plus tard dans les six mois. » Il convient de mentionner que « des renvois ultérieurs sont possibles mais, dans tous les cas, la décision sur la mesure éducative, la sanction éducative ou la peine intervient au plus tard un an après la première décision d’ajournement » (ibid).

1718. F. LE GUNEHEC, « Aperçu rapide sur la loi no 96-585 du 1er juillet 1996 relative à l’enfance délinquante », JCP 1996, act. 24.

1719. La césure peut être ordonnée quand « les perspectives d’évolution de la personnalité du mineur le justifient » (ord. 2 févr. 1945, art. 24-5, al. 2 (1°).

1720. C. DAOUD et B. DE VAREILLES-SOMMIERES, « Droit pénal des mineurs : saisine directe, nouvelle “PIM” et césure du procès pénal », AJ pén., 2012, p. 320.

1721. C. SAAS, « La césure du procès pénal pour les mineurs : une chance à saisir », Gaz. Pal., 13 janv. 2009, no 13.

1722. A fortiori dans une période antérieure.

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Protection judiciaire de la jeunesse compétent en application de l’article 12 de la même ordonnance. Si le juge des enfants peut effectuer « toutes diligences et investigations utiles pour parvenir […] à la connaissance de la personnalité du mineur ainsi que des moyens appropriés à sa rééducation »1723, le rapport établi par le service éducatif de la Protection judiciaire de la jeunesse est un « document parfois manuscrit, établi souvent en urgence à l’occasion de la comparution du mineur devant le juge des enfants pour une mise en examen »1724. En plus d’être particulièrement succinct, certains considèrent qu’il serait « non conforme aux exigences posées par le Conseil constitutionnel »1725. L’alternative de ce rapport résulte néanmoins de l’article 12, alinéa 3 de l’ordonnance du 2 février 1945 en vertu duquel le service de la Protection judiciaire de la jeunesse « doit être consulté avant toute décision du juge des enfants au titre de l’article 8-1 ou du tribunal pour enfants au titre de l’article 8-3 et toute réquisition ou proposition du procureur de la République au titre des articles 7-2, 8-2 et 14-2 ». Comme nous l’avons évoqué, la procédure de comparution aux fins de jugement par le juge des enfants a rétabli la saisine du juge des enfants sans information préalable, alors même que le mineur en cause peut être inconnu de la juridiction. Dans cette hypothèse, les renseignements relatifs à sa personnalité, requis par l’article 8-1 de l’ordonnance du 2 février 1945, vont alors résulter de l’enquête rapide de personnalité effectuée par les services de la Protection judiciaire de la jeunesse, conformément aux dispositions de l’article 12 de l’ordonnance du 2 février 1945. S’agissant de la procédure de comparution à délai rapproché de l’article 8-2, il est logique, dans le silence du texte, que les renseignements sur le mineur soient recueillis sur le fondement de l’article 8 de l’ordonnance de 19451726. Toutefois, le recours à l’article 12 ne saurait également être exclu, particulièrement dans le cas où les renseignements exploités auraient été recueillis à l’occasion d’une précédente procédure. Conformément à l’article 8-2 de l’ordonnance du 2 février 1945, il suffit en effet que « des investigations suffisantes sur la personnalité du mineur [aient] été effectuées, le cas échéant à l’occasion d’une précédente procédure ». Dans le cadre de la COPJ-jugement par le tribunal pour enfants ou de la présentation immédiate, les articles 8-3, alinéa 3, et 14-2 (II) de l’ordonnance du 2 février 1945, tels qu’ils résultent de la loi du 10 août 2011, prévoient qu’en principe, les investigations sur la personnalité du mineur accomplies au cours des douze mois précédents doivent avoir été réalisées sur le fondement de l’article 8. Par exception, « lorsqu’en raison de l’absence du mineur au cours des mesures d’investigation précédentes, des éléments plus approfondis n’ont pu être recueillis sur sa personnalité à l’occasion d’une procédure antérieure en application du même article 8, peuvent être prises en compte des investigations réalisées en application de l’article 12 »1727. Il s’agit donc de comprendre que, si le principe est celui du recours à des investigations approfondies menées par le juge des enfants, le législateur prévoit, par exception et à titre de sanction, que lorsque le défaut

1723. Ord. 2 févr. 1945, art. 8, al. 1er. Au rang de celles-ci, l’article 8 de l’ordonnance du 2 février 1945 prévoit

notamment dans son alinéa 3 que le juge des enfants « recueillera, par toute mesure d’investigation, des renseignements relatifs à la personnalité et à l’environnement social et familial du mineur. Le juge des enfants ordonnera un examen médical et, s’il y a lieu, un examen médico-psychologique. Il décidera, le cas échéant, le placement du mineur dans un centre d’accueil ou dans un centre d’observation ou prescrira une mesure d’activité de jour dans les conditions définies à l’article 16 ter ».

1724. Selon les termes du rapporteur de la loi du 10 août 2011 devant le Sénat. 1725. C. DAOUD et B. DE VAREILLES-SOMMIERES, « Droit pénal des mineurs : saisine directe, nouvelle “PIM”

et césure du procès pénal », op. cit., p. 320. 1726. Puisqu’il s’agit d’accélérer le cours d’une instruction menée par le juge des enfants. 1727. Cf. ord. 2 févr. 1945, art. 8-3, al. 3 et art. 14-2 (II).

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d’investigations approfondies est imputable au mineur, les procédures pourront être mises en œuvre sur le fondement des informations recueillies par les services de la Protection judiciaire de la jeunesse à la demande du parquet. Dans le même sens, Carmen Montoir relève que « cela signifie que lorsque le juge des enfants n’a pu être en mesure de recueillir des informations sur la personnalité du mineur lors d’une instruction antérieure, suffira le rapport éducatif de la Protection judiciaire de la jeunesse »1728. Autrement dit, dans la mesure où le service de la Protection judiciaire de la jeunesse est impérativement consulté dans la mise en œuvre des procédures de comparution rapide, le rapport écrit qu’il remet, « contenant [en théorie] tous renseignements utiles sur la situation du mineur ainsi qu’une proposition éducative »1729, a vocation à suppléer les informations qui n’ont pu être rassemblées sur le fondement de l’article 8 en raison d’un comportement défaillant du mineur en cause. En revanche, il résulte in fine des articles 8-1, 8-3 et 14-2 (II) que, dans l’hypothèse où des investigations sur la personnalité du mineur n’auraient pas été accomplies au cours des douze mois précédents sur le fondement de l’article 8, sans que cette carence ne soit imputable au mineur, les procédures en question ne pourraient être mises en œuvre – impliquant ce faisant le déclenchement de la procédure de droit commun et l’ouverture d’une instruction préalable. Il est significatif qu’antérieurement à la loi de 2011, l’absence de rapport sur la personnalité du mineur établi sur le fondement de l’article 8 de l’ordonnance de 1945 interdisait le recours à la présentation immédiate, sans distinction selon l’origine de cette carence. Il était alors nécessaire de repasser par la phase de l’instruction préparatoire du dossier par le juge des enfants1730. Le rapport élaboré par les services de Protection judiciaire de la jeunesse peut donc être utilisé dans chacune des procédures de comparution rapide. Certes, l’adoption de procédures accélérées court-circuitant la phase de l’instruction préparatoire pour la procédure en cours pouvait augurer d’une telle évolution. Cependant, l’alternative commune du recours à l’article 12 pour fonder le recueil de renseignements sur le mineur entérine une diminution de l’exigence du législateur quant à la teneur des informations concernant sa personnalité. Plus concrètement, les procédures accélérées pourront être mises en œuvre sans une connaissance approfondie de la personnalité du mineur. Ce phénomène est d’autant plus préoccupant que le champ de ces procédures est très large. Les procédures de

1728. C. MONTOIR, op. cit., no 1212, p. 656. 1729. Cf. ord. 2 févr. 1945, art. 12, al. 1. 1730. Contrairement à la procédure de convocation par OPJ aux fins de jugement dans sa version antérieure à

la loi du 10 août 2011, issue de la loi précitée du 9 septembre 2002, cette dernière prévoyant qu’« en matière correctionnelle, le procureur de la République pourra, à tout moment de la procédure, faire application des dispositions de l’article 8-2, sous réserve que les conditions prévues au premier alinéa de cet article soient remplies ». Avant l’adoption de la loi du 10 août 2011, la procédure de l’article 8-3 pouvait être mise en œuvre sur le fondement de l’article 12 de l’ordonnance du 2 février 1945, alors même que l’absence de renseignements sur la personnalité du mineur ne lui était pas imputable. Une différence demeure entre les deux procédures dans la mesure où, si la loi du 10 août 2011 a formellement prévu les mêmes dispositions dérogatoires dans le cadre de la COPJ-jugement par le tribunal pour enfants et de la présentation immédiate, un tempérament réside dans la faculté ouverte à l’article 14-2 (V), alinéa 2 de l’ordonnance du 2 février 1945 de « repêcher » les carences de la PIM dans la connaissance de la personnalité du mineur. En application de ce dernier, le tribunal pour enfants « peut toutefois, d’office ou à la demande des parties, s’il estime que l’affaire n’est pas en état d’être jugée, renvoyer à une prochaine audience dans un délai qui ne peut être supérieur à un mois, en décidant, le cas échéant, de commettre le juge des enfants pour procéder à un supplément d’information ou d’ordonner une des mesures prévues aux articles 8 et 10 ».

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COPJ-jugement par le tribunal pour enfants et de présentation immédiate concernent potentiellement presque tous les mineurs poursuivis en justice. Pour les mineurs âgés de 13 ans, le seuil de la peine encourue est de dix ans, tandis qu’il est de trois ans pour les mineurs âgés de 16 ans. Or, la grande majorité des mineurs poursuivis encourt au moins trois ans – pour ne pas écrire cinq ans – d’emprisonnement, non seulement parce que la majorité des délits commis par les mineurs sont punis d’au moins trois ans d’emprisonnement1731, mais encore parce que les mineurs se trouvent très fréquemment dans des situations que la loi qualifie de « circonstances aggravantes »1732, ce qui augmente automatiquement d’au moins deux ans le quantum de la peine encourue. La condition la plus contraignante pour qu’un mineur fasse l’objet d’une COPJ-jugement ou d’une présentation immédiate réside donc dans l’existence d’une procédure antérieure à son encontre. Si le champ d’application des procédures accélérées est large, deux autres éléments sont de nature à favoriser le recours à ces procédures de jugement. Le premier tient à la montée des pouvoirs du parquet des mineurs qui, dans le cadre des COPJ-jugement comme dans le cadre de la présentation immédiate, a la mainmise sur l’audiencement au point de considérer que l’affirmation d’André Giudicelli, au lendemain de l’adoption de la loi du 1er juillet 1996 selon laquelle le juge des enfants constitue « le point de passage obligé qui dispose même quand le procureur propose », a fait long feu1733. Le second résulte de la création par la loi du 10 août 2011 du dossier unique de personnalité qui accroît le nombre de cas où le tribunal disposera d’un rapport datant de moins douze mois, lui permettant de juger le mineur sous une telle procédure1734. Il est donc à craindre que le dossier unique de personnalité ne soit utilisé à bon escient (c’est-à-dire afin de parfaire la connaissance du mineur), mais pour permettre l’accélération des procédures pénales. Or, comme le relèvent Catherine Daoud et Béatrice de Vareilles-Sommières, les procédures accélérées entraînent nécessairement une décision plus sévère, puisque « le jugement sera pris sur un acte, sans que l’on ait pu prendre le temps d’éclairer ledit acte par la personnalité et le parcours du jeune »1735. Ainsi, « se priver de la phase préalable de l’instruction par le juge des enfants, c’est clairement faire primer le répressif sur l’éducatif »1736 : « sévérité et célérité sont

1731. A minima, vol simple, recel de vol, détention de stupéfiants. 1732. Le fait d’être interpellé avec au moins un coauteur présumé ; la commission des faits dans un établissement

scolaire ou aux abords de celui-ci ; la commission des faits dans les transports communs ou dans un lieu destiné à l’accès auxdits transports ; la dissimulation volontaire de tout ou partie du visage (capuche, casque).

1733. A. GIUDICELLI, « Présentation des dispositions procédurales de la loi du 1er juillet 1996 modifiant l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante », RSC, 1997, p. 29. Cf. également ord. 2 févr. 1945, art. 8-1, 8-3 et 14-1. Il n’y a que dans le cadre de la procédure de comparution à délai rapproché que le juge des enfants conserve in fine la décision de poursuivre (cf. ord. 2 févr. 1945, art. 8-2).

1734. Ce dossier comprend les investigations relatives à la personnalité du mineur et à son environnement social et familial accomplies lors des procédures d’assistance éducative dont il a pu faire l’objet. Il est ouvert notamment dès qu’une mesure d’investigation sur la personnalité est ordonnée et est actualisé par les investigations menées dans la procédure pénale en cours et les éléments de procédures postérieures. Versé au dossier de chaque procédure, ce dossier est accessible aux avocats du mineur, de ses père et mère, tuteur ou représentant légal, et de la partie civile, aux professionnels de la Protection judiciaire de la jeunesse et aux magistrats saisis.

1735. C. DAOUD et B. DE VAREILLES-SOMMIEREs, « Droit pénal des mineurs : saisine directe, nouvelle “PIM” et césure du procès pénal », op. cit., p. 320.

1736. Loc. cit.

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souvent largement associées »1737. D’aucuns, à l’instar de Dominique Attias, membre du Conseil national des barreaux et responsable en son sein du groupe de réflexion « Droit des mineurs », considèrent que les règles applicables devraient « être beaucoup plus axées sur la personnalité et beaucoup moins sur la rapidité ». L’accélération des procédures s’effectuant au détriment de l’intérêt de l’enfant, il peut paraître logique de se tourner vers la césure du procès pénal, cette institution offrant un temps de respiration dans le procès du mineur possiblement dédié à l’étude de sa personnalité afin d’éclairer le choix en faveur d’une mesure appropriée à son relèvement éducatif et moral. D’ailleurs, parmi les souhaits formulés alors que le projet d’une réforme d’ampleur de la justice des mineurs était annoncé sous l’empire du précédent quinquennat, figuraient notamment ceux de voir le principe de la généralisation de la césure du procès pénal adopté1738 ou la procédure de présentation immédiate supprimée. Si la réforme prévue n’a pas été entreprise, Il est permis de faire œuvre de prospection en s’interrogeant sur le potentiel réel de la césure à restaurer la spécificité du traitement procédural du mineur délinquant.

B. L’inefficacité de la césure du procès pénal à préserver l’imputabilité comme capacité pénale

Loin de constituer un garde-fou à la recherche contemporaine de l’efficacité processuelle et à la pénalisation qui en découle, cette institution procédurale légitimerait l’évolution actuelle en permettant de combler les lacunes laissées par une instruction vacante (1.). En outre, il ne peut être établi qu’elle constitue en toute hypothèse la modalité procédurale la plus adaptée au relèvement éducatif du mineur (2.). Finalement, l’évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel entérine l’abandon de la césure comme modèle unique du procès pénal du mineur délinquant (3.).

1. La césure du procès pénal des mineurs, une alternative aux procédures accélérées potentiellement dévoyée

Comme nous avons déjà pu le souligner, la césure présente en théorie de réels avantages. D’un côté, elle permet une réponse de principe rapide, cela que l’on considère l’acte commis par le mineur ou la victime dont l’action civile est examinée lors de la première audience sur la culpabilité. D’un autre côté, elle laisse aux magistrats le temps d’apporter une réponse pénale adaptée au mineur, après avoir réalisé les investigations supplémentaires nécessaires sur sa personnalité et examiné ses perspectives d’évolution. Forts de ce dernier rappel, on peut se demander si la généralisation de la césure du procès pénal des mineurs n’aurait pas vocation à relayer une instruction court-circuitée. Nous avons déjà vu que, dans les cas de la saisine directe et de la présentation immédiate, la césure permettait au procureur de lancer la procédure alors même que le dossier du mineur poursuivi ne contenait pas d’éléments de personnalité récents, lesdits éléments pouvant être collectés et intégrés dans le dossier par la suite, pendant le délai d’ajournement. En effet, en application de l’article 24-7 de l’ordonnance du 2 février 1945, « par dérogation au troisième alinéa de l’article 8-3 et au II

1737. C. MONTOIR, op. cit., no 1234, p. 664. 1738. Cf. C. FLEURIOT, « Réforme de la justice des mineurs : le texte de la consultation », Dalloz act., 8 janv.,

2015.

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de l’article 14-2, le procureur de la République peut requérir dans la saisine du tribunal qu’il soit fait application de la procédure de la césure du procès pénal à l’encontre d’un mineur pour lequel aucune investigation n’a été ordonnée en application de l’article 8 et alors qu’il n’existe pas dans le dossier d’éléments suffisants sur sa personnalité pour permettre au tribunal de se prononcer ». On sait par ailleurs que le dossier unique de personnalité a « du mal à exister, faute de temps pour le greffe de pouvoir constituer le dossier de manière matérielle »1739. Le délai d’ajournement peut donc être mis à profit pour réaliser des actes qui sont traditionnellement du ressort de l’instruction préparatoire. Au-delà de cette substitution, il ressort de l’article 24-7 que la césure peut être envisagée par le parquet à titre de sanction. Il en est ainsi lorsqu’une présentation immédiate ou une convocation par officier de police judiciaire a été décidée, et que pour des raisons imputées au mineur, des investigations approfondies n’ont pu être faites. Le caractère répressif de la césure est renforcé par le fait qu’elle peut être accompagnée, à titre provisoire (le temps pour la juridiction de choisir la mesure appropriée), d’un placement, d’une liberté surveillée et d’une activité de réparation ou de jour1740. Dans ce contexte, cette institution procédurale peut même s’avérer contraire aux intérêts du mineur, dans la mesure où « lorsque le jeune nie avoir participé à une infraction, il se voit par cette nouvelle procédure de la césure “enfermé” dans cette culpabilité prononcée ab initio par le tribunal et ne pourra plus ni faire la preuve de son innocence (sauf procédure d’appel), ni librement reconnaître sa participation à l’infraction en mûrissant sa position »1741. En outre, il n’est pas évident que la césure constitue en toute hypothèse l’offre procédurale la plus adaptée au mineur considéré.

2. La césure du procès pénal des mineurs, une alternative aux procédures accélérées potentiellement inadaptée

Selon Catherine Daoud et Béatrice de Vareilles-Sommières, « plutôt que de réagir, par la voie d’une procédure accélérée sur le même mode de l’immédiateté que le jeune, les adultes doivent l’aider à prendre du recul, à prendre conscience de ses actes, à leur donner un sens par rapport à son parcours personnel, à sortir de la spirale des passages à l’acte »1742. Si cette affirmation se trouve vérifiée à l’égard de certains mineurs, il n’est pas pertinent d’en étendre le bien-fondé à l’ensemble des délinquants mineurs. Il est vrai que pour tel mineur, il faudra « attendre, savoir patienter et saisir le juste temps, pour le faire comparaître ou le faire juger »1743 – a fortiori, il faudra prendre le temps de déterminer la mesure appropriée à sa personnalité. Pour tel autre, en revanche, « il faudra faire preuve de vélocité dans la réaction pour tenter de stopper une escalade dans le comportement délinquantiel »1744. Comme le relève Carmen Montoir, « une procédure accélérée peut, par hypothèse, participer du relèvement éducatif d’un mineur et même être commandée par sa singulière personnalité »1745. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 29 août 2002, avait

1739. Selon Véronique Léger, secrétaire nationale de l’Union syndicale des magistrats. 1740. Cf. ord. 2 févr. 1945, art. 24-6, al. 1er. 1741. C. DAOUD et B. DE VAREILLES-SOMMIERES, « Droit pénal des mineurs : saisine directe, nouvelle “PIM”

et césure du procès pénal », op. cit., p. 320. 1742. Loc. cit. 1743. C. MONTOIR, op. cit., no 1203, p. 651. 1744. Loc. cit. 1745. Ibid., no 1201, p. 650.

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d’ailleurs précisé que dans certaines hypothèses, les procédures accélérées appliquées à des mineurs délinquants pouvaient apparaître nécessaires pour répondre « à la situation particulière des mineurs en raison de l’évolution rapide de leur personnalité ». Ainsi, il n’est pas nécessairement opportun de préconiser la généralisation de la césure du procès pénal. Si on rappelle qu’elle apparaît en pratique comme une procédure subsidiaire pouvant se révéler punitive, il semble bien préférable qu’elle ne constitue qu’une offre procédurale parmi d’autres en permettant d’enrichir la palette des procédures applicables au mineur considéré. Ainsi, « la réaction processuelle pourrait, comme la réponse substantielle, être dictée par les faits, l’âge et la personnalité du mineur »1746. Dans le souci de favoriser le relèvement éducatif du mineur délinquant, il est logique que le principe d’individualisation de la sanction pénale soit initié par « l’individualisation de la procédure pénale ». Il ne s’agit donc pas d’écarter l’option en faveur de toute procédure rapide, ces dernières pouvant constituer selon les cas la réponse procédurale adaptée. Au final, loin d’apporter une plus-value au droit positif, la généralisation de la césure combinée à l’accroissement des prérogatives du parquet pourrait aussi être instrumentalisée à des fins utilitaristes pour satisfaire un objectif de rentabilité, voire de répression. La restauration de la spécificité du traitement procédural du mineur délinquant par le truchement de la césure pourrait donc s’avérer n’être qu’un leurre. De ce point de vue, le recours à une autre procédure prévue au dernier alinéa de l’article 5 de l’ordonnance du 2 février 1945 mériterait d’être encouragé. Celle-ci consiste en la convocation aux fins de mise en examen. Comme le note François Touret de Coucy, « ce texte, qui préserve les droits des parents et ceux de la défense, a le mérite de prendre en compte l’urgence à examiner la situation du mineur sans la confondre avec l’urgence à juger, car la phase d’instruction préparatoire est respectée »1747. Enfin, il est permis de condamner définitivement le choix de la césure comme modèle unique du procès pénal des mineurs en relevant une évolution dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel de nature à assurer l’effectivité de l’application d’une procédure appropriée aux mineurs délinquants.

3. L’évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel entérinant l’abandon de la césure comme modèle unique du procès pénal du mineur délinquant

La jurisprudence du Conseil constitutionnel a d’abord fait l’objet de nombreuses critiques en raison des décisions de conformité successives des procédures de comparution rapide à la Constitution. D’une manière générale, c’est la constitutionnalité de ces procédures au regard des principes fondamentaux de la justice pénale des mineurs qui pose question, à l’instar de la recherche du relèvement éducatif et moral1748, alors même qu’elles conduisent à court-circuiter la phase de l’instruction préparatoire et que cette dernière constitue traditionnellement une phase décisive dans l’acquisition de connaissances relatives à la personnalité du mineur. Comme nous l’avons déjà évoqué, pour la juridiction suprême, le principe même des procédures de comparution rapide n’est pas en lui-même contraire à la

1746. Ibid., no 1203, p. 651. 1747. F. TOURET DE COUCY, op. cit., no 149. 1748. Cf. supra, partie 2, titre 1, chapitre II.

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Constitution. Dans sa décision du 29 août 2002, le Conseil constitutionnel a validé le principe de la constitutionnalité conditionnelle de ce mode de poursuites en considérant que, dès lors qu’un certain nombre de garanties était assurées, ces procédures de comparution rapide trouvaient leur justification dans « la situation particulière des mineurs en raison (sic) de l’évolution rapide de leur personnalité »1749. Au rang des garanties exigées par le Conseil figurent notamment l’âge, les antécédents judiciaires du mineur et la gravité des faits reprochés. Toutefois, lorsque la procédure envisagée ne comporte aucune des garanties exigées par le Conseil constitutionnel, elle peut encore être purgée de son inconstitutionnalité dès lors que la décision de poursuivre selon ce mode appartient in fine au juge des enfants : l’intervention du juge protecteur peut à elle seule être déterminante de la constitutionnalité d’une procédure de comparution rapide1750. Dans ce contexte jurisprudentiel, il est permis de s’interroger sur la réalité du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel quant à l’acquisition de connaissances approfondies sur la personnalité du mineur. Nous avons déjà remis en cause le fait que la juridiction saisie puisse fonder sa décision sur des informations obtenues jusqu’à un an avant la poursuite1751. De ce point de vue, la Haute Juridiction n’a dans un premier temps pas fait preuve de la sévérité attendue, puisqu’elle a accepté que les renseignements soient recueillis jusqu’à un an avant la mise en examen1752. Elle a ensuite censuré l’article 41 du projet de loi du 8 février 2011 – devenu la loi du 14 mars 20111753 – qui prévoyait la possibilité pour le parquet de citer directement un mineur devant le tribunal pour enfants, si des investigations supplémentaires sur les faits n’étaient pas nécessaires et que des investigations sur la personnalité avaient été accomplies à l’occasion d’une procédure engagée ou ayant donné lieu à une condamnation dans les six mois précédents. Le Conseil constitutionnel a considéré qu’en prévoyant l’application de ces dispositions au mineur quel que soit son âge, l’état de son casier judiciaire et la gravité des infractions poursuivies, le législateur ne pouvait garantir que le tribunal dispose d’informations récentes sur la

1749. Cons. const., DC. no 2002-461 du 29 août 2002, consid. 47 (cf. supra). Dans cette décision, la juridiction

suprême avait validé la constitutionnalité de la procédure de jugement à délai rapproché, ancêtre de l’actuelle présentation immédiate, alors que, selon les griefs des requérants, elle dérogeait à l’obligation d’une instruction préalable par le juge des enfants ou le juge d’instruction. Pour un autre exemple de jurisprudence du Conseil constitutionnel validant une procédure de comparution rapide après avoir identifié un certain nombre de garanties, cf. Cons. const., DC no 2007-553 du 3 mars 2007. En l’espèce, il s’agissait du remplacement de la procédure de jugement à délai rapproché, après durcissement de son régime, par celle de la présentation immédiate.

1750. En ce sens, Cons. const., QPC no 2012-272 du 21 septembre 2012, JO du 22 septembre 2012, p. 15024. Dans cette affaire, le Conseil constitutionnel avait été saisi, par une décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation, en date du 20 juin 2012 (cf. Cass. crim., 20 juin 2012, no 12-90.019, inédit), de la question de la conformité à la constitution de la procédure de comparution à délai rapproché de l’article 8-2 de l’ordonnance du 2 février 1945, telle que modifiée par la loi du 10 août 2011, au motif qu’elle permettait la convocation d’un mineur devant la juridiction de jugement sans instruction préalable et sans aucune des garanties exigées par le Conseil constitutionnel. Selon la juridiction suprême, dans la mesure où la décision de saisir la juridiction de jugement appartient au juge des enfants, lequel ne fait droit à la requête du Ministère public que s’il estime qu’il a à sa disposition des éléments d’investigation suffisants et qu’à défaut, il peut parfaitement poursuivre l’instruction préparatoire après avoir rejeté la requête du procureur de la République, « les dispositions contestées n’empêchent pas que les mineurs soient jugés selon une procédure appropriée à la recherche de leur relèvement éducatif » (consid. 4).

1751. Cf. supra. 1752. À propos de la procédure de jugement à délai rapproché, cf. Cons. const., no 2002-461 DC du 29 août

2002, consid. 47 ; à propos de la présentation immédiate : Cons. const., no 2007-553 DC du 3 mars 2007 ; à propos de la saisine directe du tribunal, Cons. const., no 2011-625 DC du 10 mars 2011, consid. 32.

1753. Loi no 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, JO du 15 mars 2011, p. 4582.

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personnalité du mineur, lui permettant de rechercher son relèvement éducatif et moral. Le Conseil constitutionnel a donc conclu que ces dispositions « méconnaissent les exigences constitutionnelles en matière de justice pénale des mineurs [et] que l’article 41 doit être déclaré contraire à la Constitution »1754. Le législateur a revu sa copie dans le projet de loi du 6 juillet 2011 et mis en place une procédure de convocation directe des mineurs devant le tribunal pour enfants assortie d’un certain nombre de garanties tenant à l’âge, à la gravité de l’infraction reprochée et aux antécédents du mineur. Si le Conseil a validé cette procédure revisitée à l’occasion de sa décision du 4 août 20111755, il a dans le même temps écarté la constitutionnalité du projet de saisine de feu le tribunal correctionnel pour mineurs selon les modalités prévues aux articles 8-3 et 14-2 de l’ordonnance du 2 février 1945, au motif que ces dernières, en permettant « de faire convoquer ou comparaître directement le mineur devant la juridiction de jugement sans instruction préparatoire […] conduisent, en méconnaissance des exigences du principe fondamental en matière de justice pénale des mineurs, à ce que les mineurs ne soient jugés ni par une juridiction spécialisée ni selon des procédures appropriées »1756. Cela revient à affirmer que « la rapidité de la comparution doit nécessairement être compensée par la spécialité de la juridiction »1757. Ces décisions de censure inédites ont été saluées par tous les spécialistes de la justice des mineurs. Il existe une contradiction évidente entre le fait de prendre le temps d’observer la personnalité et le comportement du mineur et celui de donner une réponse rapide à certains actes. Si la première exigence participe directement du principe du relèvement éducatif et moral du mineur délinquant, la seconde répond à celle d’empêcher l’éclosion d’un sentiment d’impunité très préjudiciable lorsqu’il concerne un mineur. Les déclarations de conformité successives à la Constitution des différentes procédures de comparution rapide avaient créé un déséquilibre au bénéfice du second objectif. Les dernières décisions de censure, en fondant l’inconstitutionnalité des procédures envisagées sur le principe fondamental du primat de l’éducatif, contribue à restaurer son respect et, par ricochet, celui de l’imputabilité comme capacité pénale. Nous avons tenté d’établir que les garanties entourant les procédures accélérées, en favorisant l’approfondissement de la connaissance du mineur, étaient nécessaires à l’objectif de relèvement éducatif. Aussi, il semble qu’il ne faille pas, à l’instar de Christine Lazerges, considérer que « l’ensemble des conditions restrictives et des garanties rivées à ces dispositifs ne changent rien ». Le Conseil constitutionnel fait respecter la nécessité de rechercher le relèvement éducatif. D’ailleurs, d’aucuns voient au contraire dans la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel le désir de tempérer la volonté croissante du législateur d’accélérer la procédure pénale des mineurs1758. Ainsi, un équilibre semble être en voie d’être trouvé. Il est souhaitable que le Conseil constitutionnel pérennise l’effectivité du contrôle du respect du principe fondamental gouvernant la justice pénale des mineurs. En effet, le juge protecteur, après s’être vu privé de la phase de jugement au nom du principe d’impartialité1759, se trouve

1754. Cons. const., no 2011-625 DC du 10 mars 2011, consid. 34. 1755. Cette procédure a été validée à l’occasion de la décision du Conseil constitutionnel du 4 août 2011

(cf. Cons. const., no 2011-635 DC du 4 août 2011, consid. 41). 1756. Ibid., consid. 52. 1757. C. MONTOIR, op. cit., no 1239, p. 669 et 670. 1758. Cf. P. BONFILS, « La loi LOPSSI 2 et le droit pénal des mineurs », D., 2011, p. 1162. 1759. Cf. supra.

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aussi privé de la phase pré-sentencielle par la validation constitutionnelle des procédures accélérées, ce qui doit appeler la juridiction suprême à maintenir, voire accroître, la réalité de son contrôle. Si le choix ponctuel du mécanisme de la césure peut donc s’avérer adapté, il n’est pas souhaitable que cette dernière constitue le modèle unique dans le domaine de la délinquance juvénile, particulièrement si elle devait être envisagée à titre de sanction. De ce point de vue, le principe d’une instruction préalable apparaît préférable. Le caractère approprié de la procédure pénale applicable à un mineur délinquant ne suppose pas nécessairement l’aménagement d’un temps du procès pénal dédié à l’étude de l’imputabilité dans sa double acception de fondement de la responsabilité pénale et d’aptitude à profiter de la sanction pénale. De la même manière, s’agissant de la procédure pénale de droit commun applicable en présence d’un délinquant majeur, le principe d’une phase du procès pénal consacré au débat sur l’imputabilité semble condamné. Si cette exclusion tient d’abord au fait que le modèle de la césure viendrait heurter le caractère rétributif de la responsabilité pénale, dont l’actualité a été établie dans la première partie de cette étude, elle résulte aussi d’une évolution récente vers la consécration d’une conception élargie du procès pénal.

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Chapitre II –

L’usage recentré de la dangerosité

En faisant un bon usage de la dangerosité, on préserve l’exigence d’imputabilité en protégeant plus efficacement la société. Nous allons donc tenter d’établir qu’il importe de dédramatiser leur concurrence. Un bon usage de la dangerosité témoigne d’une approche réaliste de la délinquance et semble voué à une certaine efficience de la justice pénale. Pour autant, il importe au préalable de remettre la notion de dangerosité dans l’axe d’une justice respectueuse des principes directeurs du droit pénal. Un usage recentré de la dangerosité suppose de repenser de manière négative et positive le champ d’application de la notion. Plus précisément, un tel usage suppose non seulement que soit réduit le champ d’application de la dangerosité, mais encore, de définir l’usage proprement dit de la dangerosité (section 2). La régression du champ d’application de la dangerosité s’effectue au bénéfice de l’extension du rôle garantiste de l’imputabilité (section 1).

Section 1 – L’usage de la dangerosité borné par l’extension du rôle garantiste de l’imputabilité

Si les développements précédents ont été l’occasion d’écarter le principe d’une phase du procès pénal dédiée à l’étude de l’imputabilité dans sa double acception de fondement et d’aptitude à profiter de la sanction pénale, cela ne signifie pas pour autant que le concept soit dépourvu d’implications procédurales ponctuelles. Cette alternative a été révélée par le fait qu’un individu dont les facultés mentales n’étaient pas intègres au moment des faits peut néanmoins faire l’objet d’une procédure pénale spécifique. Il importe logiquement que des garanties particulières entourent alors le déroulement de ces procédures, sous peine de voir la dangerosité révélée par la commission de l’infraction prendre le pas sur les conséquences découlant de la non-imputabilité ou de l’imputabilité partielle de l’agent au moment des faits. Dans le prolongement, nous tenterons d’établir qu’un encadrement efficace de la dangerosité suppose également de nouvelles implications de l’imputabilité en droit pénal substantiel. L’extension du rôle garantiste de l’imputabilité concerne donc tant le droit pénal de forme (§ 1) que le droit pénal de fond (§ 2).

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§ 1 - Les implications de l’imputabilité en droit pénal de forme

Hormis les procédures spécifiques relevant de la justice pénale des mineurs1760, deux procédures de droit positif, applicables en droit pénal des majeurs, trouvent leur raison d’être dans la psychologie défaillante de l’agent. On pense d’abord à la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental spécialement créée en regard des personnes dont le discernement était aboli au moment des faits. Vient ensuite la procédure pénale applicable à un majeur placé sous un régime de protection civile, étant donné qu’il est vraisemblable qu’un tel majeur fasse l’objet, à tout le moins, d’une altération de ses facultés mentales1761. Le choix de la procédure pénale applicable est donc lié à la psychologie de l’agent. Ce constat invite à analyser les procédures existantes concernant les majeurs en difficulté psychologique par le prisme de l’imputabilité. Il a déjà été établi que la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental avait été déroutée du respect de cette exigence1762. Il importera donc, afin de restaurer l’impératif d’imputabilité, de repenser la procédure applicable à un délinquant au discernement aboli au moment des faits (A.). De la même manière, il apparaîtra logique de questionner la conformité de la procédure pénale applicable à un majeur protégé au regard de l’exigence d’imputabilité. Au-delà, il conviendra plus généralement de s’interroger sur les modalités de la procédure pénale applicable à un majeur au discernement altéré, qu’il fasse ou non l’objet d’une mesure de protection civile (B).

A. Les implications procédurales de l’imputabilité en cas d’abolition du discernement ou le respect de l’exigence d’imputabilité impliquant une refonte de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental

La procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental nous semble devoir faire l’objet d’aménagements afin de ne pas trahir les conséquences tirées de l’absence d’imputabilité au moment des faits. En effet, à l’inverse d’une opinion répandue en doctrine1763, nous avons tenté d’établir que ce dispositif remettait insidieusement en cause les concepts fondamentaux du droit pénal, au rang desquels l’exigence d’imputabilité comme condition à l’engagement de la responsabilité pénale1764. Au-delà même, la question du maintien de cette procédure mérite d’être posée et, partant, celle de la pertinence d’un authentique procès de l’aliéné. Formulée ainsi, la réponse apparaît plus évidente. Pour cette raison, et après avoir souligné l’assimilation de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale à un authentique procès de l’aliéné conduisant au prononcé d’authentiques peines1765,

1760. Cf. supra, partie 2, titre 2, chapitre I. 1761. Cf. infra. 1762. Cela dans la mesure où elle consiste finalement à faire subir à l’aliéné un authentique procès avec, à son

issue, le prononcé de peines fondées en réalité sur sa dangerosité. 1763. Cf. par exemple P. BONFILS, « Loi no 2008-174 relative à la rétention de sûreté et à déclaration

d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental », RSC, 2008, p. 392. 1764. Cf. supra, partie 2, titre 1, chapitre II, section 1, § 1 (« L’infliction de peines à des délinquants aliénés ou la

concession de l’imputabilité en tant que fondement de la responsabilité pénale ») et titre 2, chapitre I, section 2, § 1 (« La pénalisation des délinquants souffrant de troubles psychiques ou neuropsychiques »).

1765. Cf. supra, partie 2, titre 1, chapitre II, section 1, § 1 (« L’infliction de peines à des délinquants aliénés ou la concession de l’imputabilité en tant que fondement de la responsabilité pénale »).

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nous serons conduite à préconiser l’abandon de l’audience d’imputabilité dans le cadre de l’instruction préparatoire (1). Pour autant, cette exclusion ne doit pas interdire le prononcé judiciaire de mesures à l’encontre de l’aliéné. Il ne s’agit pas d’occulter la dangerosité révélée par la commission d’une infraction. Il s’agit simplement de lui donner un écho sanitaire et social en adéquation avec l’état mental de l’intéressé au moment des faits (2.).

1. L’abandon de l ’audience d ’imputabilité

L’audience d’imputabilité entendue strictement ne présente pas de réelles avancées rapport au dispositif en vigueur antérieurement à la loi du 25 février 2008 (1.1). Pour cette raison, il pourra être préconisé de revenir au système antérieur d’une audience devant la chambre de l’instruction en cas d’appel interjeté contre une ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction sur le fondement de l’article 122-1, alinéa 1er du Code pénal (1.2).

1.1 L’inutile création du dispositif existant

Jusqu’à l’adoption de la loi no 96-125 du 8 février 1995, les conditions procédurales dans lesquelles l’irresponsabilité pénale d’une personne poursuivie pour cause de trouble mental était prononcée n’était pas satisfaisante, notamment au regard des attentes légitimes victimes. En effet, « il n’était pas normal qu’un non-lieu motivé par l’application de l’article 122-1 du Code pénal puisse être rendu en “catimini”, et dans des conditions ne permettant pas aux victimes de contester utilement cette décision »1766. Pour cette raison, à l’intérieur d’un nouvel article 167-1 du Code de procédure pénale, le législateur avait prévu que, lorsque les conclusions d’une expertise étaient de nature à entraîner l’application de l’article 122-1, alinéa 1er du Code pénal, la notification ne s’effectuait plus par simple lettre, mais oralement, dans le cabinet du magistrat, la victime étant alors convoquée avec son avocat. Cette dernière est expressément avisée de sa possibilité de demander une contre-expertise psychiatrique. En cas de demande de contre-expertise, celle-ci est alors de droit et devra être réalisée par deux experts. Le législateur a également prévu, dans un nouvel article 199-1 du Code de procédure pénale1767, que la partie civile qui conteste un non-lieu motivé par une irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental puisse obtenir que son appel devant la chambre d’accusation1768 fasse l’objet d’une audience publique. Il était prévu, au cours de cette audience, que la personne mise en examen comparaisse, si son état le permettait, et que les experts psychiatres qui l’avaient examinée soient entendus1769. Comme le relevait Francis Le Gunehec, le nouveau dispositif était de nature à permettre à la victime « de contester utilement, et de

1766. F. LE GUNEHEC, « Commentaires des dispositions pénales de la loi du 8 février 1995 : réformettes,

réformes d’ampleur et occasions manquées. – Première partie : la procédure préparatoire », JCP G, 1995, I, 3862.

1767. Supprimé à l’adoption de la loi du 25 février 2008 précitée. 1768. Devenue, avec la loi du 15 juin 2000… la chambre de l’instruction. 1769. Un nouvel article 167-1 a également été créé lorsque les conclusions d’une expertise sont de nature à

entraîner l’application de l’article 122-1, alinéa 1er du Code pénal. Au regard de l’importance d’une telle expertise, le législateur est venu imposer que sa notification ne s’effectue plus par simple lettre, mais oralement, dans le cabinet du magistrat, la victime étant alors convoquée avec son avocat. La victime sera expressément avisée de sa possibilité de demander une contre-expertise psychiatrique. En cas de demande de contre-expertise, celle-ci est de droit et devra être réalisée par deux experts.

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façon contradictoire, l’irresponsabilité pénale de l’intéressé »1770. Dans la continuité, la loi du 9 mars 2004 était venue parfaire le dispositif en complétant l’article 177 du Code de procédure pénale par un alinéa 2 prévoyant que, lorsque l’ordonnance de non-lieu rendue par le magistrat instructeur est motivée par l’existence d’une cause d’irresponsabilité pénale prévue par la loi – et donc notamment par l’alinéa 1er de l’article 122-1 –, elle doit préciser « s’il existe des charges suffisantes établissant que l’intéressé a commis les faits qui lui sont reprochés ». Une réforme orientée vers la satisfaction des besoins de justice et de reconnaissance des souffrances des victimes avait donc déjà été entreprise, au point de considérer qu’un effort suffisant d’explication des faits était déjà institutionnalisé. Dès lors, on peut se demander s’il était vraiment nécessaire pour répondre davantage aux intérêts légitimes des victimes de créer un nouveau dispositif spécifique s’inscrivant dans la continuité de celui prévu à l’ancien article 199-1 du Code de procédure pénale. Quelle est la plus-value réelle de la nouvelle procédure ? Incontestablement, elle tient à la judiciarisation du prononcé des mesures pouvant être infligées au délinquant souffrant de troubles psychiques ou neuropsychiques1771. Cependant, les inconvénients découlant de la nouvelle procédure entendue strictement plaident pour une hybridation de la procédure existante avec celle introduite par la loi du 8 février 1995 précitée. La première préconisation pourrait consister dans l’abandon de l’audience d’imputabilité. L’abandon de l’audience d’imputabilité peut être soutenu, que l’on regarde du côté des victimes ou du délinquant souffrant de troubles psychiques. Le risque de décevoir les attentes des victimes Du point de vue des victimes, l’explication est à rechercher dans les motifs de la création de cette procédure qui était destinée à satisfaire le besoin de reconnaissance des victimes ainsi que leurs aspirations vindicatives. Il s’agit de comprendre que les attentes des victimes pourraient s’en trouver déçues. Le rapport dit « Burgelin » du 6 juillet 20051772 précisait déjà que « la société contemporaine, aidée en cela par la vulgarisation du discours psychiatrique, tend à penser que l’audience pourrait constituer une étape nécessaire au travail de deuil du plaignant en ce qu’elle permettrait à ce dernier d’obtenir une explication plus détaillée sur les faits et d’être publiquement reconnu en sa qualité de victime »1773. La majorité des psychiatres n’adhèrent pas à l’idée de vertus cathartiques du procès pénal. Particulièrement, la déconvenue pourrait tenir au fait que « le trouble mental est une circonstance à la fois grave et évolutive »1774. Il en découle deux conséquences potentielles, diamétralement opposées. La première tient au fait que la présence de l’auteur de l’infraction à l’audience, au stade de l’instruction, ne sera pas toujours possible. À l’opposé, dans certains cas, sa présence pourra aggraver le sentiment d’injustice ou d’incompréhension des victimes, lorsque, pleinement dément au moment des faits, l’auteur de l’infraction aura recouvré la raison lors de l’instruction. Entre les deux cas de figure, on peut facilement imaginer que le délinquant, sans

1770. F. LE GUNEHEC, « Commentaires des dispositions pénales de la loi du 8 février 1995 : réformettes,

réformes d’ampleur et occasions manquées. – Première partie : la procédure préparatoire », op. cit. 1771. Cf. infra. 1772. La doc. fr., 2005. 1773. Le rapport de la commission Santé-Justice, intitulé Santé, justice et dangerosités : pour une meilleure prévention de

la récidive, La doc. fr., 2005. 1774. P. BONFILS, « Loi no 2008-174 relative à la rétention de sûreté et à déclaration d’irresponsabilité pénale

pour cause de trouble mental », RSC, 2008, p. 392.

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être empêché de comparaître, ne soit pas en état, en raison de son trouble psychique, de fournir les explications attendues par la victime. L’audience d’imputabilité s’apparentant à un authentique procès de l’aliéné Du côté du délinquant souffrant de troubles psychiques ou neuropsychiques, l’audience d’imputabilité s’apparente à un authentique procès, comme en attestent les formalités de publicité de l’audience d’imputabilité. Dans le cadre de l’audience d’appel prévue par la loi du 8 février 1995, à partir du moment où la comparution personnelle était ordonnée, il incombait alors à la victime ou à son avocat de demander que les débats se déroulent et que l’arrêt soit rendu en séance publique. Contrairement aux prescriptions de l’ancien article 199-1 du Code de procédure pénale, le législateur a posé le principe de publicité de l’audience, « en paraissant vouloir assimiler une telle audience à celle d’une juridiction de jugement »1775. Il insère en effet l’exception du huis clos prévue à l’article 306 du Code de procédure pénale à l’article 706-122, alinéa 2 du Code de procédure pénale. Ainsi, même si l’irresponsabilité pénale peut toujours être constatée par la juridiction d’instruction, les nouveautés grevant la procédure décrite aux articles 706-119 et suivants du Code de procédure pénale donnent à penser que la question de l’irresponsabilité pénale est toujours tranchée par une véritable juridiction de jugement, générant ce faisant une pénalisation de la maladie mentale. En outre, « faire subir à des personnes qui souffrent de graves troubles mentaux les conséquences fâcheuses d’une lourde et longue procédure judiciaire n’apparaît pas compatible avec la dignité de la personne humaine »1776. La Cour européenne des droits de l’homme semble cependant valider cette procédure sous réserve que préalablement à chaque audience, le requérant fasse l’objet d’une expertise concluant à la compatibilité de son état de santé avec une comparution1777. On pourrait cependant s’interroger sur la conventionnalité de la procédure au regard de l’article 3 de la Convention prohibant les traitements inhumains ou dégradants dans la mesure où la mise en examen de l’agent pourrait alors conduire à une aggravation de son état de santé. Elle pourrait résulter du fait qu’en cas de saisine de la chambre de l’instruction, les mesures attentatoires à la liberté, telles que la détention provisoire ou le contrôle judiciaire, demeurent1778. Si l’on rappelle qu’à l’issue de cette procédure le malade mental peut se voir infliger d’authentiques peines, on préconisera le retour au quasi statuquo ante.

1.2 Le retour à une audience devant la chambre de l’instruction en cas d’appel d’une ordonnance rendu sur le fondement l’article 122-1, alinéa 1er du Code pénal

L’audience d’imputabilité pourrait être remplacée par une nouvelle audience suivie devant la chambre de l’instruction dans le cadre d’un appel formé contre une ordonnance rendue sur le fondement de l’article 122-1, alinéa 1er du Code pénal. Elle consisterait dans le déroulé de

1775. J. BUISSON, « La déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental : loi du 25 février

2008 », Proc., 2008, étude 4. 1776. H. MATSOPOULOU, « Le développement des mesures de sûreté justifié par la “dangerosité” et l’inutile

dispositif applicable aux malades mentaux », Dr. pén., 2008, étude 5. 1777. Cf. CEDH, 23 févr. 2012, no 27244/09, G c/France ; D., 2012, p. 742, obs. O. BACHELET ; AJ pén., 2012,

p. 357, obs. J.-P. CERE. 1778. Cf. C. pr. pén., art. 706-121, alinéa 2.

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l’audience imaginée par la loi du 8 février 1995. Ainsi, le principe redeviendrait celui du huis clos. Si le principe d’un débat public peut être intéressant, pourquoi ne pas en laisser l’initiative à la victime ? Il pourrait aussi être prévu, conformément à l’actuel l’article 706-122, alinéa 5 du Code de procédure pénale, d’entendre des témoins, dès lors que leur audition serait nécessaire pour établir s’il existe des charges suffisantes contre la personne d’avoir commis les faits qui lui sont reprochés, et de déterminer si l’article 122-1 du Code pénal est applicable. En outre, lorsque le majeur commettant une infraction pénale est protégé, et bien que la loi du 25 février 2008 ne le précise pas, il convient d’appliquer corrélativement la loi du 5 mars 2007 de sorte que l’organe de protection sera dans ce cas susceptible d’être présent à l’audience et d’être entendu1779. Cet état du droit génère donc une inégalité entre auteurs vulnérables, ceux dont le discernement était aboli et qui sont protégés, d’un côté, et ceux dont le discernement était aboli mais qui n’étaient pas protégés, d’un autre côté. Pour cette raison, il pourrait aussi apparaître opportun de prévoir, lors de cette nouvelle audience « l’accompagnement systématique du majeur atteint de troubles mentaux, soit par son organe de protection s’il s’agit d’un majeur protégé, soit par un organe protecteur ad hoc dans le cas contraire »1780. Si la culpabilité de l’intéressé venait à être établie nonobstant l’application de l’alinéa 1er de l’article 122-1 du Code pénal, il pourrait néanmoins faire l’objet d’une déclaration de culpabilité entendue strictement en raison la caractérisation, en tous ses éléments constitutifs, d’une infraction. Sur le fondement de cette dernière, la compétence du juge judiciaire devrait être maintenue pour prononcer des mesures d’assistance sanitaire et sociale.

2. Le maintien de la compétence judiciaire dans le prononcé de mesures d’assistance sanitaire et sociale

Un des apports de la réforme de 2008, méritant d’être conservé, réside dans la compétence du juge judiciaire dans le prononcé de mesures destinées à traiter la dangerosité de l’intéressé. Ces mesures par essence attentatoire aux droits fondamentaux de l’intéressé nécessitent l’intervention de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle. Une illustration de la pertinence de cette intervention judiciaire peut être mise en évidence, avec une acuité particulière, dans le cadre de la procédure d’hospitalisation sans consentement (2.1). Dans le prolongement, une préconisation pourra être faite en vue du choix du juge des libertés et de la détention pour prononcer toute mesure d’assistance sanitaire et sociale à l’encontre du délinquant souffrant de troubles psychiques (2.2).

2.1 La nécessité de la compétence du juge judiciaire illustrée dans le cadre de la procédure d’hospitalisation sans consentement

Aux termes de l’article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu – L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. » La pertinence de la compétence du juge judiciaire s’illustre particulièrement dans le cadre de la mesure d’hospitalisation sans consentement. Cette

1779. Cf. infra, B. : « Les implications procédurales de l’imputabilité en cas d’altération du discernement ». 1780. A. BOURRAT-GUEGUEN, « L’aménagement de la procédure pénale à l’égard de l’auteur d’une infraction

atteint de troubles mentaux », Dr. pén., 2015, étude 4.

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dernière a fait l’objet d’une évolution législative récente. Trois lois ont été déterminantes dans l’édification du nouveau régime garantiste de l’hospitalisation sans consentement. En premier lieu, la loi du 25 février 2008 est venue transférer la compétence dans le prononcé et la mainlevée de la mesure, jusqu’alors préfectorale, à l’autorité judiciaire. Un des avantages subséquents de la compétence judiciaire tient au fait qu’elle réduit les délais d’exécution de la mesure liés à la difficile coordination entre autorités, judiciaire et administrative. La loi no 2011-803 du 5 juillet 2011 relatives aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge1781 est venue prévoir un régime d’hospitalisation plus contraignant pour la personne ayant fait l’objet d’une déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Autrement dit, elle entraîne une dualité de régime selon que le malade mental a commis ou non une infraction pénale. Le malade mental n’ayant pas commis d’infraction pénale continue à relever d’une procédure administrative. Dans le cas qui nous intéresse, le juge des libertés et de la détention est investi de la compétence de prononcer le placement et la mainlevée de l’hospitalisation sans consentement1782. Au rang des contraintes figure la nécessité de recueillir l’avis d’un collège, prévu par l’article L. 3211-9 du Code de la santé publique, préalablement à la décision du juge des libertés et de la détention. Cette condition n’est pas sans rappeler la nécessité de l’avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté préalablement à certaines décisions des juridictions de l’application des peines. Avant toute mainlevée de la mesure, la loi du 5 juillet 2011 exigeait l’expertise concordante de deux psychiatres. Cette dernière contrainte a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité au motif que la procédure ainsi prévue ne tenait pas compte de la gravité de l’infraction commise. Le Conseil constitutionnel a censuré cette dernière contrainte dans sa décision du 20 avril 20121783. La loi no 2013-869 du 27 septembre 20131784 a alors mis en conformité les textes avec la Constitution. Désormais, le juge des libertés et de la détention intervient de deux manières. D’une part, il contrôle obligatoirement la mesure d’hospitalisation dans les douze jours de l’admission – et non plus quinze comme auparavant – ; d’autre part, il peut être saisi d’une demande de mainlevée de la mesure. Dans ce cas, le recueil préalable de l’expertise de deux psychiatres n’est plus obligatoire que pour « des faits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement en cas d’atteinte aux personnes ou d’au moins dix ans d’emprisonnement en cas d’atteinte aux biens »1785. Cette juridictionnalisation renforcée de l’hospitalisation sans consentement illustre le rôle garantiste du juge judiciaire en matière de droits et libertés fondamentaux, et permet d’argumenter en faveur du maintien de la compétence de l’autorité judiciaire. Cependant, le corollaire inéluctable à la judiciarisation de la procédure, en particulier de l’hospitalisation sans consentement, est la pénalisation des malades mentaux. Au-delà, un questionnement pourrait voir le jour quant au juge le plus approprié au prononcé de mesures à l’endroit des délinquants souffrant de troubles psychiques.

1781. JO, 6 juill. 2011. 1782. Anciennement dénommée « hospitalisation d’office ». 1783. Cons. const., décision no 2012-235 QPC, 20 avr. 2012, CRPA, Rec., p. 202 ; AJDA 2012, p. 855. 1784. JO, 29 sept. 2013. 1785. Cf. art. L. 3211-12 du Code de la santé publique.

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2.2 La compétence du juge des libertés et de la détention dans le prononcé de mesures d’assistance sanitaire et sociale

Selon Xavier Pin, l’irresponsabilité pénale « ne saurait admettre la demi-mesure »1786. Ainsi, « celui qui a commis une infraction parce qu’il n’avait pas la faculté d’y résister, en raison d’une contrainte ou d’une erreur invincible, ou parce qu’il n’avait pas la faculté de se maîtriser, en raison de son jeune âge ou de son état mental, ne relève pas de la justice pénale »1787. Il convient d’écarter la perspective ouverte par Xavier Pin d’un juge non doté de compétences pénales dans la mesure, précisément, où une infraction pénale est bien constituée malgré la caractérisation d’une cause de non-imputabilité au bénéfice de l’agent. Par exemple, la piste du juge des tutelles, envisageable dans l’hypothèse d’un délinquant placé sous un régime de protection civile, mérite d’être écartée. La compétence d’un juge doté d’attributions pénales semble donc s’imposer. La commission d’une infraction justifie la coloration pénale de la décision. La question qui mérite d’être posée est celle de l’exclusivité de compétences pénales. Comme le relève Anne Bourrat-Gueguen, à propos de l’hospitalisation sans consentement, « il convient de rester vigilant de façon à ce qu’elle n’entraîne pas une assimilation abusive des malades mentaux et des criminels »1788. Pour cette raison, l’auteur se félicite que le double régime de l’hospitalisation d’office ait été maintenu. Le maintien de l’hospitalisation sans consentement sur décision administrative permet d’éviter, à tout le moins, la pénalisation des malades mentaux en dehors de la commission de toute infraction pénale. La compétence d’un juge non doté de compétences exclusivement pénales pour décider du prononcé de mesures à l’encontre de l’auteur d’une infraction souffrant de troubles psychiques apparaît alors comme une solution de compromis satisfaisante. On pourrait d’abord penser au juge délégué aux victimes1789 créé par le décret no 2007-1605 du 13 novembre 2007, dans la mesure où ce dernier est aussi doté de compétences civiles. En vertu de l’article D. 47-6-1 du Code de procédure pénale, il « veille, dans le respect de l’équilibre des droits des parties, à la prise en compte des droits reconnus par la loi aux victimes. À cette fin, il exerce les fonctions juridictionnelles et, sans préjudice du rôle de l’avocat constitué ou à venir de la victime, les fonctions d’administration judiciaire et les fonctions administratives prévues par le présent titre ». En ce qui concerne ses fonctions juridictionnelles, elles sont doubles. En vertu de l’article D. 47-6-2, alinéa 1er du Code de procédure pénale, il préside la commission d’indemnisation des infractions. Par ailleurs, il peut être désigné par le président du tribunal de grande instance pour présider les audiences du tribunal correctionnel statuant après renvoi sur les seuls intérêts civils, audiences prévues par le quatrième alinéa de l’article 646 du Code de procédure pénale. Rapidement, la question de l’impartialité du Judevi s’est alors posée en jurisprudence. Le problème découle directement de la compatibilité des fonctions de juge correctionnel appelé à statuer sur les intérêts civils et de juge délégué aux victimes au regard des dispositions de l’article

1786. X. PIN, « L’irresponsabilité pénale (réflexion sur le sens des articles 122-1, 122-2, 122-3 et 122-8 du Code

pénal », in La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, Opinio doctorum, op. cit., p. 51 et suiv. 1787. Loc. cit. 1788. A. BOURRAT-GUEGUEN, op. cit. 1789. Autrement dénommé Judevi.

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préliminaire du Code de procédure pénale. Selon la Cour de cassation, tout serait affaire d’espèce. En d’autres termes, pour se prononcer sur la compatibilité entre la fonction de Judevi et celle de juge correctionnel, il faudra examiner au cas par cas « la nature et l’étendue des mesures prises » par le magistrat concerné avant qu’il ne statue sur les intérêts civils1790. Ainsi, le fait qu’un magistrat qui participe à l’examen final de la cause soit intervenu à un stade antérieur ne saurait justifier dans tous les cas les doutes de la personne poursuivie quant à l’impartialité de celui-ci1791. Comme le relève André Giudicelli, la Cour de cassation retient là une « conception concrète et restrictive de l’impartialité »1792. Ce qui est susceptible de poser problème n’est pas tant que le Judevi préside la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions que le fait que ce magistrat préside le tribunal correctionnel dans les cas où celui-ci statue sur les seuls intérêts civils. Dans cette dernière hypothèse, les deux parties à l’instance sont la personne qui se prétend victime et celle dont la responsabilité est recherchée. Il est permis de rester dubitatif devant le fait qu’un magistrat qui s’implique aux côtés des victimes, qui peut les accompagner aux différentes étapes de la procédure, puisse se voir aussi confier la fonction de statuer sur la responsabilité civile. Dans le prolongement de ce raisonnement, il ne paraît pas plus souhaitable d’étendre la compétence du Judevi au prononcé de mesures d’assistance sanitaire et sociale à l’égard d’un délinquant souffrant de troubles psychiques. Au-delà, cette conclusion rejoint le questionnement de certains auteurs quant à l’utilité de ce juge chargé « de guider la victime dans les méandres de l’institution judiciaire »1793. Pour Jacques Buisson et Serge Guinchard, le Judevi, « dans l’essentiel de ses fonctions d’administration judiciaire, n’est qu’un intermédiaire, un passeur, un petit télégraphiste entre les victimes et d’autres juges, essentiellement le juge de l’application des peines. La compassion envers les victimes ne peut pas passer uniquement par la création d’un juge dédié, comme il y a des lignes téléphoniques dédiées à certaines catégories d’usagers »1794. Ces critiques contrastent avec l’évolution du rôle confié au juge des libertés et de la détention. Ainsi, et toujours dans l’optique d’éviter une pénalisation de la maladie mentale, la compétence du juge des libertés et de la détention en matière d’hospitalisation sans consentement invite à considérer aussi sa compétence dans le prononcé d’autres mesures à l’encontre du délinquant souffrant de troubles psychiques. Comme en atteste sa compétence précitée, il est doté d’attributions non exclusivement pénales. En matière pénale, il est reconnu pour sa compétence exclusive, sur saisine du juge d’instruction, pour placer en détention provisoire une personne mise en examen ou pour prolonger cette détention1795. Un autre argument en faveur du juge des libertés et de la détention résulte de son ancrage en droit positif provenant du nouveau statut qui lui a été octroyé par la loi de modernisation du 18 novembre 2016. Depuis le 1er septembre 2017, le juge des libertés et de la détention

1790. Cf. Cass. crim., 20 juin 2008, Avis no 0080005P ; D., 2008, p. 1902, obs. M. LENA ; Procédures 2008,

no 325, obs. R. PERROT. 1791. La jurisprudence de la Cour européenne est également en ce sens (cf. CEDH Hauschildt c/ Autriche, 24 mai

1989 ; J.-F. RENUCCI, Traité de droit européen des droits de l’homme, LGDJ, 2007, no 327, p. 418 ; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, op. cit., no 315, p. 281 et suiv.

1792. A. GIUDICELLI, « Le Judevi ou l’oubli de la symbolique de l’impartialité », RSC, 2008, p. 633. 1793. Proclamation du garde des Sceaux lors de la création du Judevi. 1794. S. GUINCHARD et J. BUISSON, op. cit., no 320, p. 329. 1795. C. pr. pén., art. 137-1.

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est un « vrai » juge, nommé dans cette fonction – comme le juge d’instruction, le juge des enfants ou le juge de l’application des peines – par décret du président de la République après avis de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature parmi les magistrats du premier grade ou hors hiérarchie1796. Comme le relève cependant Jocelyne Leblois-Happe, « on peut néanmoins s’étonner que, dans une loi destinée à poser les jalons de la justice du siècle, l’occasion n’ait pas été saisie de clarifier les missions du juge des libertés et de la détention »1797. Il est alors permis de suggérer de profiter de ce silence pour lui attribuer ultérieurement, mais de manière expresse, le pouvoir de statuer sur les dommages et intérêts alloués à la victime de l’infraction. En effet, la compétence du juge pénal pour indemniser les victimes d’infractions n’est pas naturelle. Pour cette raison, l’article 3 du Code de procédure pénale prévoit à titre exceptionnel que « l’action civile peut être exercée en même temps que l’action publique et devant la même juridiction ». C’est également ce qui explique que des dispositions spécifiques soient prévues par le Code de procédure pénale pour maintenir cette compétence du juge pénal dans l’hypothèse où l’action publique ne peut être engagée en raison du constat de l’absence de discernement de l’auteur de l’infraction. Dans le cas de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, les articles 706-133, 706-131 et 706-125 du Code de procédure pénale, respectivement applicables devant le tribunal correctionnel, la cour d’assises et la chambre de l’instruction, permettent aujourd’hui à ces juridictions de rendre un jugement ou un arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental en se prononçant à cette occasion « sur la responsabilité civile de la personne auteur des faits, conformément à l’article 414-3 du Code civil » et en statuant, s’il y a lieu, sur les demandes de dommages et intérêts formées par la partie civile. Dans la mesure où il paraît souhaitable de maintenir cette prérogative à l’égard des victimes, les dispositions dérogatoires précitées devraient être transposées au bénéfice du juge des libertés et de la détention, les exceptions à la compétence civile du juge pénal devant être expressément prévues par le législateur1798. Le fait de confier le pouvoir de statuer sur les dommages et intérêts à un juge qui ne soit pas doté de compétences exclusivement pénales rend cette compétence plus naturelle. Le juge des libertés et de la détention apparaît donc le plus approprié au prononcé de mesures à l’encontre du délinquant au discernement aboli. Le respect des conséquences tirées de la non-imputabilité au moment des faits a imposé de proposer des réformes concernant la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Dans le prolongement, il est apparu nécessaire de s’interroger sur la prise en compte procédurale de l’altération du discernement au moment des faits ou, plus précisément, sur l’étendue de ses conséquences.

1796. Art. 28-3, ord. no 58-1270, 22 déc. 1958 relative au statut de la magistrature. 1797. J. LEBLOIS-HAPPE, « La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle et la mise en état des affaires

pénales – quo vadis », D., 2017, p. 873. 1798. Cf. Cass. crim., 8 juin 2017, no 16-83.345, préc. Aucune disposition dérogatoire de l’ordonnance du

2 février 1945 n’attribuant compétence aux juridictions pénales des mineurs pour statuer sur les intérêts civils, la Cour de cassation a considéré qu’en l’absence de disposition spécifique réglant une telle situation, la juridiction pénale qui déclare un mineur pénalement irresponsable au motif tiré de l’absence de discernement n’a pas compétence pour statuer sur la responsabilité civile.

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B. Les implications procédurales de l’imputabilité en cas d’altération du discernement

L’altération du discernement d’un majeur est susceptible d’avoir des conséquences en droit civil par le truchement de la mise en place d’une mesure de protection civile1799. Depuis la loi du 5 mars 2007, le majeur protégé fait aussi l’objet d’une procédure pénale spécifique. Si, à l’instar de l’abolition du discernement, la psychologie d’un individu responsable partiel est susceptible d’avoir des conséquences sur le terrain de la procédure, nous tenterons d’établir que l’impératif d’imputabilité commande de pousser plus avant les implications spécifiques de la notion sur le terrain procédural, que l’altération des facultés mentales de l’agent ait donné lieu à l’ouverture d’un régime de protection civile (1.) ou non (2.). Il importera donc dans les deux cas de figure de mettre en exergue des défaillances dans les procédures applicables au regard de l’impératif d’imputabilité et d’effectuer des préconisations en vue de son respect.

1. Le cas du majeur au discernement altéré bénéficiant d ’un régime civil de protection (ou le respect de l ’exigence d ’ imputabilité impliquant des correctifs dans la procédure pénale applicable à un majeur protégé)

Il s’agira ici de vérifier la régularité de la procédure pénale applicable à un majeur protégé. La genèse de la procédure pénale applicable à un majeur protégé En vertu de l’article 425 du Code civil, « toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique ». Ainsi, un majeur peut bénéficier d’un régime civil de protection en raison d’une altération, plus ou moins grave, de ses facultés mentales. Jusqu’à la loi no 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, ce majeur protégé, s’il commettait une infraction pénale, relevait de la procédure pénale de droit commun. Cet état du droit a été modifié grâce à la Cour européenne des droits de l’homme. Dans l’arrêt Vaudelle, la France a été condamnée pour non-respect du droit à un procès équitable à l’égard d’un majeur en curatelle poursuivi et condamné pour atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans sans être assisté d’un avocat1800. La Cour a estimé qu’une telle personne, considérée comme incapable d’agir seule pour son propre compte dans les actes de la vie civile, devait l’être également dans le cadre d’une procédure pénale conduite contre elle. Le majeur protégé poursuivi doit donc également bénéficier d’une assistance pour se défendre contre une accusation pénale dirigée contre lui. À la suite de cette décision, la loi du 5 mars 2007 est venue créer une procédure pénale spécifique aux majeurs protégés en introduisant un nouveau titre dans le Code de procédure pénale, intitulé « De la poursuite, de l’instruction et du jugement des infractions commises par des majeurs protégés »1801.

1799. Tutelle, curatelle, sauvegarde de justice et mandat de protection future. 1800. CEDH, 30 janv. 2001, no 35683/97, Vaudelle c/ France : Dr. fam. 2001, comm. 66, obs. T. FOSSIER ;

RTDciv. 2001, p. 330, obs. J. HAUSER ; D. 2002, p. 354, note A. GOUTTENOIRE et E. RUBI-CAVAGNA ; JCP G 2001, I, 342, no 14, obs. F. SUDRE.

1801. C. pr. pén., art. 706-112 à 706-118.

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L’existence d’une présomption de non-imputabilité, ou à tout le moins d’imputabilité partielle, attachée à l’existence d’un régime civil de protection ? À la lecture des articles régissant la procédure pénale applicable à un majeur protégé, le législateur semble établir une présomption, si ce n’est de non-imputabilité, à tout le moins d’imputabilité partielle, à l’égard du majeur protégé auteur d’une infraction pénale. Cette déduction résulte de la combinaison des articles 706-115 et D. 47-21 du Code de procédure pénale. En vertu de l’article 706-115, « la personne poursuivie doit être soumise avant tout jugement au fond à une expertise médicale afin d’évaluer sa responsabilité pénale au moment des faits ». Il résulte par ailleurs de l’article D. 47-21 que « l’expertise médicale prévue par l’article 706-115 a pour objet de déterminer si l’intéressé était ou non atteint au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli ou altéré son discernement ou ayant aboli ou entravé le contrôle de ses actes, afin de permettre à la juridiction saisie d’appliquer les dispositions de l’article 122-1 du Code pénal ». Il découle bien de la combinaison de ces deux articles l’existence d’une présomption d’application de l’article 122-1 du Code pénal en présence d’un majeur placé sous un régime de protection civile1802. Il serait donc logique que la réalisation d’une expertise psychiatrique soit prévue en toute hypothèse dès lors qu’une poursuite pénale est engagée à l’encontre d’un majeur protégé, afin de vérifier la réalité de son discernement au moment des faits. Il est paradoxal de relever que ce n’est pas le cas. Cette carence législative est de nature à remettre en cause l’impératif d’imputabilité. La transgression potentielle de l’exigence d’imputabilité tient au fait que la responsabilité pénale du majeur protégé peut être engagée alors même que son discernement au moment des faits était aboli. Le caractère facultatif de l’expertise de nature à attenter à l’impératif d’imputabilité Il importe préalablement de circonscrire le champ de cette atteinte potentielle. Il ne concerne que la matière correctionnelle dans la mesure où, en application de l’article 706-115 du Code de procédure pénale, une expertise sera nécessairement réalisée en matière criminelle, un jugement sur le fond intervenant toujours en cette matière1803. En outre, conformément à l’article D. 47-21, alinéa 2, il s’agira alors d’une expertise psychiatrique au sens de l’article 81, alinéa 8 du Code de procédure pénale1804. Il en va différemment dans le cadre de la procédure correctionnelle, qu’il s’agisse de la procédure correctionnelle de droit commun ou d’une procédure simplifiée.

1802. Un autre argument pourrait être invoqué en faveur de l’existence d’une présomption d’application de

l’article 122-1 à l’encontre d’un majeur protégé. Il réside dans la présomption d’irresponsabilité pénale établie par le législateur en droit pénal des mineurs. En effet, après la clarification opérée par la loi du 9 septembre 2002, ne peut-on pas parler de présomption simple de non-imputabilité des mineurs, quel que soit leur âge, dans la mesure où il incombe d’établir positivement l’existence de leur discernement ? On pourrait aussi considérer que la situation des majeurs protégés et des mineurs est « psychiquement » comparable dans la mesure où ils sont tous deux des incapables civils. Le droit positif connaît donc bien des présomptions découlant du discernement insuffisant de l’agent.

1803. Le fait qu’un jugement sur le fond intervienne implique que la juridiction de jugement, en l’espèce, la cour d’assises, se soit prononcée sur la culpabilité au sens large de l’intéressé, autrement dit, sur sa culpabilité stricto sensu et sur son imputabilité. Cela explique qu’en l’absence d’expertise au sens de l’article 81, alinéa 8 du Code de procédure pénale, il est légitime de s’interroger sur la potentialité d’une atteinte à l’imputabilité.

1804 En vertu de l’article D. 47-21, alinéa 2 : « Lorsqu’une information est ouverte, et notamment en matière criminelle, il s’agit de l’expertise psychiatrique ordonnée en application du huitième alinéa de l’article 81. »

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Le caractère facultatif du recours à une expertise psychiatrique dans le cadre de la procédure correctionnelle de droit commun – Dans le cadre de la procédure correctionnelle de droit commun, un jugement sur le fond a bien lieu, conduisant selon les cas à une décision de relaxe ou de condamnation. Le tribunal correctionnel se prononce donc sur la culpabilité au sens large de l’intéressé. Conformément à l’article 706-115 du Code de procédure pénale, une expertise médicale doit en principe être réalisée. Cependant, en application de l’article 47-23 du Code de procédure pénale, le juge peut, sauf opposition de la personne mise en examen ou du prévenu ou de son avocat, ne pas ordonner une telle expertise. Cela suppose que « des éléments issus de la procédure civile ayant conduit à la mise en œuvre de la mesure de protection juridique, et notamment des certificats médicaux ou des expertises »1805, contiennent des indications suffisantes pour apprécier si l’intéressé était atteint, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli ou altéré son discernement1806. Il résulte donc de la combinaison des deux articles précités que le caractère facultatif de l’expertise de l’article 81, alinéa 8 suppose la réalisation d’une expertise antérieure ; autrement dit, une expertise doit figurer parmi les éléments issus de la procédure civile ayant conduit à la mesure de protection juridique. Dans le cas contraire, l’article D. 47-23 ne serait pas légal1807. Ainsi, dans le cadre de la procédure correctionnelle de droit commun applicable à un majeur protégé, il est donc possible, pour apprécier la réalité du discernement de l’agent au moment des faits, de se fonder sur une expertise civile réalisée antérieurement à la commission de l’infraction. Cela signifie que l’on pourrait décider de l’abolition du discernement de l’agent au temps de l’action, donc de l’irresponsabilité pénale, ou, à l’inverse, décider de l’existence, même partielle, du discernement de l’agent et donc engager sa responsabilité pénale, sur le fondement d’une telle expertise. La question de la pertinence du recours possible, en lieu et place d’une expertise psychiatrique, à des éléments issus de la procédure civile ayant conduit au placement du majeur sous un régime de protection mérite cependant d’être posée. Certes, ce mécanisme n’est pas étranger à celui inhérent à l’annulation des actes passés par un majeur protégé avant sa mise sous tutelle1808. Il ressort même conforté du projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs et prévoyant de rendre applicable l’action en nullité aux curatelles1809. Il n’en demeure pas moins que l’on peut rester perplexe devant le

1805. C. pr. pén., art. D. 47-23. 1806. Il est permis de souligner le peu de probabilité d’une opposition à l’absence de recours à l’expertise de

l’article 81, alinéa 8 du Code de procédure pénale. En effet, on ne voit pas pourquoi la personne mise en examen ou le prévenu ou son avocat s’y opposerait, dans la mesure où les éléments issus de la procédure civile, certificats médicaux et expertises civiles ont conduit au placement du majeur sous un régime de protection. Ainsi, ces derniers sont de nature à conduire à l’application de l’article 122-1 du Code pénal, soit dans le sens de la décision vraisemblablement recherchée par les intéressés.

1807. Dans le même sens, Serge Guinchard et Jacques Buisson soulignent que la légalité des dispositions règlementaires de l’article D. 47-23 devra être questionnée si le dossier de la procédure ne présente pas d’expertise, même civile, de l’intéressé (cf. S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, Litec, 9e éd., 2013, no 1284, p. 874).

1808. L’article 503 actuel du Code civil prévoit la possibilité d’annuler les actes faits par la personne protégée antérieurement à l’ouverture de la tutelle si la cause qui a déterminé cette ouverture existait notoirement à l’époque des faits (cf. C. civ., art. 503 et suiv).

1809. Afin de moderniser l’action en nullité contre les actes passés avant l’ouverture de la tutelle et de la rendre applicable aux curatelles, le futur nouvel article 464 du Code civil instaure une « période suspecte » au cours de laquelle l’annulation ou la réduction des actes faits par le majeur pourront être facilement prononcées. Cette période est limitée aux deux années qui précèdent l’ouverture de la curatelle ou de la tutelle (cf. www.senat.fr).

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caractère approprié de l’expertise civile au « procès pénal » comme devant le recours à une expertise réalisée antérieurement au moment des faits. En ce qui concerne la possibilité de recourir à une expertise civile pour fonder l’irresponsabilité pénale, on peut s’en étonner dans la mesure où elle n’a pas à proprement parler pour objet de mesurer le discernement de l’agent. Comme le relève Anne Bourrat-Gueguen :

Ce possible recours à l’expertise civile, dans le contexte pénal, peut paraître étonnant dans la mesure où cette dernière vise surtout à apprécier la capacité du sujet alors que l’expertise pénale s’attache plus au discernement et comporte donc un aspect médical, psychologique et criminologique.1810

Autrement dit, le risque pourrait être de voir engager la responsabilité pénale d’un individu capable civilement mais dont le discernement au temps de l’infraction aurait été aboli par l’existence d’un trouble mental. Il pourrait donc sembler légitime de préconiser, d’une part, l’exclusion de la subsidiarité du recours à une expertise civile en matière correctionnelle en raison de son caractère inadapté au procès pénal et, d’autre part, à l’instar de la matière criminelle, le recours systématique à l’expertise psychiatrique de l’article 81, alinéa 8 du Code de procédure pénale. Pour appuyer cette proposition, il serait aussi envisageable de faire valoir que la possibilité de recourir à une expertise civile antérieure est de nature à favoriser le majeur protégé en vue de l’obtention d’une décision d’irresponsabilité pénale1811. Cela étant, on peut aussi penser que, par la subsidiarité du recours à une expertise civile, le législateur invite à considérer que l’existence d’un consentement libre et éclairé constitue le pendant civil du discernement pénal. En ce qui concerne la possibilité de fonder l’irresponsabilité pénale sur une expertise antérieure, fût-elle civile, elle permet de confirmer l’analyse selon laquelle il est permis de décloisonner l’imputabilité du moment des faits. Ainsi, après un fondement jurisprudentiel au décloisonnement de l’imputabilité du moment des faits, et consistant dans la prise en compte jurisprudentielle de l’absence de faute antérieure de l’agent pour admettre l’existence d’une contrainte exonératoire ou d’un état de nécessité1812, il est permis d’avancer un fondement législatif consistant dans l’article 47-23 du Code de procédure pénale. Si le bilan du recours possible à une expertise civile peut apparaître contrasté, le caractère facultatif pur et simple du recours à toute expertise en cas d’ordonnance pénale et de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité est invariablement condamnable en raison du risque d’une éclipse de l’exigence d’imputabilité. Le caractère facultatif pur et simple du recours à une expertise en cas d’ordonnance pénale et de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité – Le décret no 2007-1658 du 23 novembre 2007

1810. A. BOURRAT-GUEGUEN, op. cit. 1811. Comme cela a déjà été évoqué, on peut en effet considérer que l’expertise civile ayant fondé le placement

sous un régime civil de protection contient en germe la potentialité d’une décision d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

1812. Cf. partie 1.

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modifiant le Code de procédure pénale et relatif à la poursuite, à l’instruction et au jugement des infractions commises par des majeurs protégés1813 comporte d’autres dispositions destinées à aménager l’expertise médicale légalement prévue par l’article 706-115 du Code de procédure pénale. Allant plus loin que l’article D. 47-23 du Code de procédure pénale, l’article D. 47-22 du même code prévoit le caractère facultatif pur et simple de l’expertise psychiatrique dans le cas de certaines alternatives aux poursuites et procédures de jugement simplifiées1814. Cela signifie qu’à la différence de la procédure correctionnelle de droit commun, il n’est même pas nécessaire de disposer ici d’un élément subsidiaire issu de la procédure civile ayant conduit à la mise en place d’un régime de protection. Si d’aucuns considèrent qu’« on comprend effectivement que dans le cadre de ces procédures caractérisées pour la plupart par la célérité, l’expertise soit peu adaptée »1815, il nous semble à l’inverse que cette carence mérite d’être condamnée au regard du risque d’une éclipse de l’imputabilité de l’agent. Du moins faut-il distinguer les conséquences de cette dispense en présence d’une alternative aux poursuites ou d’une procédure de jugement simplifiée. Les procédures de jugement simplifiées visées dans cet article correspondent aux procédures de l’ordonnance pénale et de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. La dispense d’expertise est alors problématique puisque, dans ces deux hypothèses, un jugement sur le fond intervient, consistant plus particulièrement en une décision de condamnation. Le risque entourant l’impératif d’imputabilité consiste alors dans le fait que la responsabilité pénale de l’agent sera engagée à l’issue des procédures simplifiées d’ordonnance pénale et de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, alors même que son discernement pourrait être aboli au moment des faits. Un levier d’action réside cependant dans la remise en question de la légalité des dispositions règlementaires de l’article D. 47-22 du Code de procédure pénale. En premier lieu, qu’il soit permis de préciser qu’à défaut d’énumération textuelle, la réforme opérée par la loi du 5 mars 2007 vise non seulement toutes les phases de la procédure – y compris les alternatives aux poursuites –, mais également tous les types de procédure, à l’instar des procédures simplifiés. Conformément à l’article 706-115, une expertise est nécessaire dès que la procédure appliquée implique un jugement sur le fond de l’affaire. L’expertise médicale n’apparaît donc pas nécessaire en cas de procédure alternative de réparation, de médiation ou de composition pénale puisque, dans ces trois hypothèses1816, un jugement sur le fond n’intervient pas. Comme le relève Muriel Giacopelli dans son essai de théorisation des procédures alternatives aux poursuites, l’une des caractéristiques communes à l’ensemble de ces procédures consiste dans leur nature juridique qui s’apparente à « une sorte de convention

1813. JO, 25 nov. 2007, p. 19251. 1814. En vertu de l’article D. 47-22 du Code de procédure pénale, « Cette expertise est facultative :

1° En cas de procédure d’alternative aux poursuites consistant en la réparation du dommage ou en une médiation ;

2° En cas de composition pénale ; 3° Lorsque la personne est entendue comme témoin assisté ; 4° Lorsqu’il est fait application de la procédure d’ordonnance pénale ; 5° En cas de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ».

1815. A. BOURRAT, op. cit. 1816. Celles visées par l’article D. 47-22 du Code de procédure pénale.

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passée entre le procureur de la République et la personne concernée »1817. Ce phénomène de contractualisation de la répression pénale s’inscrit d’ailleurs dans le cadre contemporain plus large de la justice restaurative. L’une des caractéristiques de cette procédure consiste d’ailleurs dans le fait que « quelle que soit l’issue du processus, la mesure de justice restaurative n’a pas d’incidence sur la décision d’engager des poursuites ou de classer, ni sur la détermination de la culpabilité, le choix de la peine ou de ses modalités d’exécution »1818. Il ne sera donc pas possible d’invoquer l’illégalité de l’article D. 47-22 pour dénoncer l’absence d’expertise lors de la mise en œuvre d’une alternative aux poursuites. En revanche, à l’instar de Serge Guinchard et de Jacques Buisson1819, il est permis de questionner la légalité de l’article 47-22 au regard de l’ordonnance pénale et de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. En effet, dans les deux cas, il s’agit de condamnation, alors que les termes de l’article 706-115 édictent que la personne poursuivie « doit être soumise avant tout jugement au fond à une expertise médicale ». En outre, et contrairement à l’article D. 47-23, l’article D. 47-22 ne prévoit pas la subsidiarité du recours à un élément issu de la procédure civile de placement sous une mesure de protection pour pallier l’absence d’expertise au sens de l’article 81, alinéa 8, cela même alors que l’expertise civile aurait pu paraître plus adaptée que dans le cadre de la procédure correctionnelle de droit commun. Comme nous l’avons déjà évoqué, les procédures de l’article D. 47-22 participent en effet du phénomène la contractualisation de la justice pénale et il s’excipe de l’article 47-23 que le consentement libre et éclairé du droit civil s’apparente au discernement du droit pénal. Pour sanctionner le défaut d’expertise, même civile, au dossier de la procédure, il serait possible de se prévaloir de l’illégalité partielle de l’article D. 47-22. Au final, qu’il soit permis de souligner le paradoxe de la procédure correctionnelle applicable à un majeur protégé. D’un côté, elle établit une présomption d’imputabilité défaillante1820, liée à l’existence d’un régime civil de protection, et, de l’autre, le caractère facultatif de l’expertise psychiatrique. En dehors d’un objectif utilitariste, il est difficile de comprendre pourquoi on ne vérifie pas systématiquement le discernement de l’agent. En l’état actuel du droit positif, il est possible, pour assurer indirectement le respect de l’exigence d’imputabilité, d’invoquer l’illégalité de l’article D. 47-23 en l’absence d’expertise, même civile, figurant au dossier de la procédure, ainsi que l’illégalité de l’article D. 47-22 du Code de procédure pénale en cas d’ordonnance pénale ou de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité en

1817. M. GIACOPELLI, « Les procédures alternatives aux poursuites – Essai d’une théorie générale », RSC, 2012,

p. 505. 1818. Comme le rappelle la circulaire relative à la mise en œuvre de la justice restaurative, rendue publique le

17 mars 2017, « la justice restaurative, dans son acception pleine et entière, a été consacrée par la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales ». Dans un communiqué, le garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, définit la justice restaurative comme « une pratique complémentaire au traitement pénal de l’infraction, qui vise à restaurer le lien social endommagé ». […] Elle s’appuie sur le dialogue entre personnes se reconnaissant victimes et auteurs d’infractions, qu’il s’agisse des parties concernées par la même affaire ou non ». Ainsi, pour qu’une mesure de justice restaurative puisse être mise en œuvre, « l’auteur doit reconnaître les faits, c’est-à-dire à la fois son implication et sa responsabilité », lit-on dans la circulaire. C’est une « voie offerte aux parties, facultative, et sans conséquence sur le déroulement de la procédure judiciaire qui s’exerce en parallèle » (cf. C. FLEURIOT, « Justice restaurative : “Il fallait informer et rassurer les magistrats”, circulaire relative à la mise en œuvre de la justice restaurative », Dalloz act., 21 mars 2017).

1819. S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, Litec, 9e éd., 2013 no 1284, p. 874. 1820. Cette dernière pouvant être abolie ou simplement altérée.

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l’absence de toute expertise. En conséquence, il apparaît souhaitable que l’une des implications procédurales de l’imputabilité dans un droit pénal post-moderne consiste dans l’exigence systématique d’une expertise, de préférence médicale, en présence d’un majeur protégé impliqué dans une procédure correctionnelle. Au-delà d’implications dans la procédure pénale applicable à un majeur protégé, nous allons maintenant tenter d’établir que les garanties procédurales découlant de l’exigence d’imputabilité peuvent également concerner le majeur non protégé mais dont le discernement au moment des faits était altéré.

2. Le cas du majeur au discernement altéré ne bénéficiant pas d ’un régime civil de protection ou l ’imputabilité, rempart contre le développement débridé d ’un néo-utilitarisme pénal

Une procédure pénale spécifique existe pour les majeurs dont le discernement était aboli au moment des faits, une autre pour les majeurs protégés pour lesquels le législateur semble présumer une imputabilité défaillante justifiant l’existence d’un certain nombre de garanties procédurales. Rien n’est prévu pour les majeurs dont on établit à un moment de la procédure que leur discernement au moment des faits était altéré1821. S’ils ne sauraient relever de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, il pourrait paraître logique de les faire bénéficier des droits des majeurs protégés impliqués dans une procédure pénale. On pense principalement à l’assistance obligatoire par un avocat, voire à la désignation d’un protecteur ad hoc. La nécessité d’entourer le majeur non protégé dont le discernement était altéré au moment des faits des mêmes garanties procédurales que le majeur protégé auteur d’une infraction tient à la vraisemblance d’un état psychique comparable au temps de l’action1822, sauf à considérer que la protection ne bénéficie qu’à un statut et non à la réalité du discernement de l’agent au moment des faits. La gravité de l’altération des facultés mentales peut être similaire. Hormis le cas des intoxications volontaires, de la même manière qu’un régime de protection civile suppose une altération durable des facultés mentales, il est vraisemblable que le trouble mental ayant conduit à la commission d’une infraction perdure au-delà du temps de l’action. Comment penser en effet, en dehors évidemment des cas d’intoxications volontaires, qu’un trouble affectant le psychisme d’une personne reste circonscrit au temps de l’action ? La persistance du trouble mental du délinquant justifie la nécessité d’implications procédurales de l’imputabilité. Cette nécessité est exacerbée dans le cadre de la mise en œuvre de procédures contractualisées. La similitude induite par le législateur entre le discernement du droit pénal et le consentement libre et éclairé du droit civil1823 invite aussi à plébisciter des implications procédurales de l’imputabilité dans le cadre de procédures participant de la justice « négociée ». Cela

1821. Cela même alors que la procédure pénale concernant le majeur protégé s’applique également en cas de

contravention. Si d’aucuns ont pu trouver ce droit « quelque peu exorbitant » (cf. A. BOURRAT, op. cit., dr. pén., 2015, étude 4), la jurisprudence a confirmé que les contraventions étaient bien dans le champ d’application du texte (cf. CA Angers, 8 oct. 2013, no 13/00231 : JurisData no 2013-026024 ; Dr. fam., 2014, comm. 28, obs. I. MARIA).

1822. Du moins pour les régimes de protection civile les plus forts à l’instar de la tutelle et de la curatelle. Non seulement il y a la présomption d’imputabilité défaillante établie par le législateur à l’égard du majeur protégé (cf. supra), mais encore, n’est-il pas significatif que les termes mêmes de l’article 425 du Code civil se réfèrent à « une altération, médicalement constatée, […] de ses facultés mentales » ?

1823. Il est permis de rappeler qu’elle tient à la possibilité, dans le cadre de la procédure correctionnelle de droit commun, de mettre en œuvre la procédure sur le fondement d’une expertise civile.

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permettrait d’inclure dans le champ de la protection de l’imputabilité non seulement les procédures simplifiées, mais aussi certaines alternatives aux poursuites. En effet, il importe peu, en présence d’un majeur non protégé, qu’un jugement sur le fond intervienne puisqu’il n’existe pas de pendant à l’article 706-115 du Code de procédure pénale. Le fait que les procédures alternatives aux poursuites présentent le caractère d’une sorte de convention passée entre le procureur de la République et la personne concernée n’a donc pas d’incidence sur l’extension des garanties liées à l’imputabilité au majeur non protégé au discernement altéré. Par exemple, peu importe « le caractère contractuel […] indiscutable dans la procédure de l’article 41-2 du Code de procédure pénale, qui soumet expressément la proposition de composition pénale faite par le ministère public à l’accord de l’intéressé »1824. Cependant, il nous semble que l’extension des garanties de la procédure applicable au majeur protégé au majeur non protégé dont le discernement était altéré au moment des faits ne peut s’opérer par le truchement de l’imputabilité qu’en cas d’établissement préalable de la culpabilité de l’agent1825. L’imputabilité de l’agent étant débattue postérieurement à sa culpabilité, il est logique que le champ de la protection ne puisse concerner que les procédures questionnant l’imputabilité d’une infraction1826. Ainsi, l’imputabilité ne saurait par exemple générer de conséquences dans le cadre de la médiation assimilable à une transaction au sens du droit civil1827, pas plus que dans celui de la transaction pénale car elle ne repose pas sur la reconnaissance de culpabilité de l’agent. Comme le relève Jocelyne Leblois-Happe, « l’acceptation de la transaction ne vaut pas aveu de culpabilité. Si le transigeant revient sur son accord ou s’il n’exécute pas la prestation convenue, le tribunal saisi des poursuites par le parquet devra établir sa participation aux faits »1828. Cela signifie que l’imputabilité ne peut avoir d’implications procédurales qu’en cas de reconnaissance de sa culpabilité par l’agent. Ce qui importe, c’est que l’agent procède à une reconnaissance de culpabilité entendue largement, laquelle, à supposer que le trouble persiste, pourrait être viciée en l’absence de représentant ad hoc ou d’avocat. Or, la tendance actuelle, procédant d’un nouvel utilitarisme pénal, est à la multiplication de ce type de procédure mobilisant le consentement libre et éclairé du délinquant. On remarque la volonté législative de systématiser et de diversifier la réponse pénale à la commission d’une infraction en remédiant au choix traditionnellement binaire du procureur de la République entre poursuivre et classer sans suite. Ce développement a permis de mettre au jour le caractère inapproprié de l’application de certains modes alternatifs de poursuite et de procédures simplifiées de jugement au délinquant au discernement partiel, ainsi que la nécessité d’accroître le rôle garantiste de l’imputabilité pour encadrer ce néo-utilitarisme pénal. Cette tendance est confirmée par la

1824. M. GIACOPELLI, « Les procédures alternatives aux poursuites – Essai de théorie générale », op. cit., p. 505. 1825. Qu’il soit permis de rappeler que le débat relatif à l’existence de l’imputabilité de l’agent est consécutif à

la caractérisation de sa culpabilité (cf. supra, partie 1). 1826. On peut ici remarquer que l’on aboutit à la même conclusion si l’on est partisan de l’inclusion de

l’imputabilité dans la constitution de l’élément psychologique de l’infraction. Que l’on dissocie ou pas l’étude des deux composantes de la responsabilité pénale, l’étude de la culpabilité appelle aussi celle de l’imputabilité, concomitamment ou corrélativement.

1827. Cf. Cass. civ. 1er, 10 avr. 2013, no 12-13.672, Bull. 1013, I, no 80. 1828. J. LEBLOIS-HAPPE, « De la transaction pénale à la composition. – Loi no 99-515 du 23 juin 1999 », JCP G

2000, I 198.

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loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle qui comprend un titre II relatif aux modes alternatifs de règlement des différends. En cas d’altération du discernement de l’agent au moment des faits, les implications procédurales de l’imputabilité devraient se traduire par la vérification du discernement de l’agent au moment de la mise en œuvre de la procédure contractualisée. La vérification de l’intégrité du discernement de l’agent à la reconnaissance de sa culpabilité et/ou à la formalisation de son accord à la proposition du parquet pourrait se faire le cas échéant par le biais d’une expertise civile. Dans l’affirmative de la persistance du trouble mental, la désignation d’un représentant ad hoc et/ou l’assistance obligatoire d’un avocat devraient être envisagées. En droit positif, l’altération du discernement relève pour l’instant des seules implications de l’imputabilité en droit pénal de fond.

§ 2 - Les implications de l’imputabilité en droit pénal de fond

Jusqu’à la loi no 2014-896 du 15 août 2014, l’imputabilité comprise comme capacité pénale n’était implicitement consacrée qu’en droit pénal des mineurs1829. Depuis, le champ d’application de cette acception duelle de l’imputabilité a été étendue aux délinquants au discernement altéré au moment des faits. À l’image de l’acception de la notion en droit pénal des mineurs, le discernement partiel constitue maintenant, sur le fondement de l’article 122-1, alinéa 2 du Code pénal, une cause légale de diminution de peine (B.). La consécration de l’aptitude pénitentiaire réduite du délinquant au discernement altéré est consécutive à la sévérité de la jurisprudence rendue sur le fondement de l’article 122-1, alinéa 2. L’extension du champ de l’imputabilité comme capacité pénale peut s’analyser en une implication garantiste de l’imputabilité dans un droit pénal post-moderne. Elle permet de refouler la prise en compte de la dangerosité des délinquants au discernement altéré dans la détermination du quantum de la peine. L’une des illustrations de la sévérité antérieure de la jurisprudence résidait dans l’application des peines planchers à l’encontre des délinquants au discernement altéré (A.).

A. L’application des peines planchers aux délinquants au discernement altéré

Dans son ancienne version, l’article 122-1, alinéa 2 du Code pénal prévoyait que la juridiction tienne compte de la circonstance d’altération du discernement de l’auteur au moment des faits lorsqu’elle déterminait la peine et en fixait le régime. Le législateur se contentait donc de demander au juge de « tenir compte » d’une telle situation. L’ancien article 132-19-1 prévoyait, quant à lui, à l’égard de certains multirécidivistes une peine d’emprisonnement ne pouvant être inférieure à un seuil variant en fonction de la peine encourue. À la lettre du texte, le juge ne pouvait y déroger que s’il motivait spécialement sa décision au regard « des garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion » présentées par le prévenu.

1829. Cf. supra, partie 2, titre 1, chapitre II : « L’imputabilité en danger au regard de la responsabilité pénale des

personnes physiques ».

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Dans un arrêt rendu le 6 novembre 20121830, la Cour de cassation a tranché pour la première fois le problème de la combinaison des articles 122-1, alinéa 2 et 132-19-1 ancien du Code pénal. Dans cette affaire, la juridiction de premier degré avait infligé au prévenu la peine minimale légale de deux ans d’emprisonnement. La cour d’appel en réduisit la durée à quatre mois au seul motif qu’il résultait de l’altération importante de son discernement une responsabilité très atténuée au sens de l’article 122-1, alinéa 2 du Code pénal. Le parquet devait former un pourvoi sur le fondement de l’article 132-19-1 du Code pénal. Il est rejeté par la Cour de cassation au motif que « les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 122-1 du Code pénal permettent au juge de prononcer, s’il l’estime nécessaire, une peine autre que l’emprisonnement ou une peine inférieure à la peine minimale même lorsque les faits ont été commis une nouvelle fois en état de récidive légale ». En statuant de la sorte, la Cour de cassation a suivi une réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel1831. Elle a aussi rappelé in fine aux magistrats leur pouvoir d’individualisation de la sanction. En d’autres termes, il est donc possible, sur le fondement de l’article 132-19-1 du Code pénal, de voir les délinquants multirécidivistes échapper au prononcé d’une peine plancher. En outre, en cas d’altération du discernement, les tribunaux correctionnels peuvent échapper à l’application d’une peine plancher d’emprisonnement en choisissant une autre peine sans même être tenus de motiver spécialement leur décision. Il sera établi, plus en aval de cette étude1832, que la dangerosité d’un individu, pour avoir une quelconque valeur pénale, devrait être objectivable. Or, l’un des critères objectifs d’évaluation de la dangerosité peut consister dans le passé pénal de l’individu. En l’espèce, la solution de l’arrêt est notable en ce sens qu’elle fait prévaloir le caractère partiel du discernement de l’agent sur sa dangerosité. Elle a aussi pour mérite « de rappeler qu’en dépit de certaines lois récentes, la sanction pénale reste fondée sur la faute commise et non sur la dangerosité »1833. La Cour de cassation devait cependant opérer un revirement dans un arrêt rendu le 29 janvier 20141834. Dans cette affaire, la cour d’appel a affirmé, pour déterminer la peine applicable, avoir pris en compte non seulement la particulière gravité des faits et les antécédents judiciaires du prévenu, mais aussi l’existence d’un trouble psychopathologique sévère et non traité de nature à altérer son discernement ou le contrôle de ses actes. Ce n’était pas l’avis du condamné qui, au soutien de son pourvoi, a argué de l’absence de prise en compte réelle du trouble psychopathologique dans le prononcé de la peine d’emprisonnement ferme. Le pourvoi est rejeté par la Cour de cassation qui a considéré qu’aux termes de l’article 132-19, alinéa 2, les juges n’ étaient pas tenus, en matière correctionnelle, de motiver spécialement le choix d’une peine d’emprisonnement sans sursis, si la personne en cause était en état de récidive légale et, d’autre part, que ceux-ci disposaient du pouvoir d’apprécier souverainement les conséquences devant être tirées, quant à la durée et au régime de la peine, de l’existence de troubles psychiques ou

1830. Cass. crim., 6 nov. 2012, no 12-82.190, Bull. crim., no 240 ; Gaz. Pal., 19-20 déc. 2012, jur., p. 10, note

R. MESA ; Gaz. Pal., 8-9 févr. 2013, p. 32, note E. DREYER et S. DETRAZ ; Dr. pén., 2013, comm. 33, obs. É. BONIS-GARÇON.

1831. Cons. const. 9 août 207, no 2007-554 DC ; à propos de la loi no 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, § 18.

1832. Cf. infra, section 2, § 2 : « La nécessité d’une évolution vers l’optimisation de l’évaluation de la dangerosité ».

1833. A. CERF-HOLLENDER, « Atténuation de la responsabilité pénale pour cause de trouble mental et peine “plancher” », L’Essentiel droit de la famille et des personnes, 15 févr. 2013, no 2, p. 7.

1834. Cass. crim., 29 janv. 2014, no 12-85.603, Bull. crim., no 34 ; D., 2014, p. 372 ; M. BOMBLED, Dalloz. act., 14 févr. 2014 ; Dr. pén., 2014, comm. 50, obs. É. BONIS-GARÇON.

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neuropsychiques ayant, sans l’abolir, altéré le discernement de l’auteur de l’infraction ou entravé le contrôle de ses actes. Ce faisant, cette décision s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence traditionnelle qui venait avant tout sanctionner la dangerosité de l’intéressé. Fort opportunément, la loi dite Taubira no 2014-896 du 15 août 2014 est venue abroger le dispositif des peines planchers. En outre, l’emprisonnement étant une peine, cette disposition de la loi du 15 août 2014 devait obéir au principe de la rétroactivité in mitius conformément à l’article 112-1 du Code pénal1835. Allant encore au-delà de la seule suppression des peines planchers, la loi Taubira du 15 août 2014 est venue consacrer l’aptitude pénitentiaire réduite des délinquants au discernement altéré au moment des faits.

B. La consécration de l’imputabilité comprise comme capacité pénale à l’égard du délinquant majeur au discernement altéré

Aux termes de la circulaire Chaumier du 12 décembre 1905 – aujourd’hui abrogée –, « à côté des aliénés proprement dits, on rencontre des dégénérés, des individus sujets à des impulsions morbides momentanées, ou atteints d’anomalies mentales assez marquées pour justifier à l’égard une certaine modération dans l’application des peines édictées par la loi ». Elle invitait en conséquence à demander aux experts « si l’examen psychiatrique et biologique ne révèle pas chez [l’accusé] des anomalies mentales ou psychiques de nature à atténuer dans une certaine mesure sa responsabilité ». En d’autres termes, il s’agissait pour les juges de demander aux psychiatres d’affecter la responsabilité qui subsiste d’un pourcentage servant ensuite au calcul de la peine1836. L’ambition de la circulaire était de sortir du système binaire de l’ancien article 64 du Code pénal1837. L’ancien article 122-1, alinéa 2, héritier de la circulaire de 1905, en demandant simplement aux juges de « tenir compte » de la circonstance d’altération du discernement, n’instaurait pas une cause légale de diminution de peine1838. Au lendemain de l’entrée en vigueur du Code pénal de 1994, il a pu être observé que la mise en œuvre de la responsabilité pénale d’un individu au discernement altéré conduisait même, au contraire, à une aggravation de la peine, du moins pour les faits les plus graves. Cela tenait au fait que, pour les jurys d’assises en particulier, la maladie mentale joue comme un indice de dangerosité supplémentaire1839. Une aggravation de la peine par rapport aux délinquants ordinaires était donc fréquente en raison de la dangerosité d’un individu perturbé qui paraissait constituer une menace1840. Selon Emmanuel Dreyer1841, il fallait y voir la conséquence de la critique positiviste selon laquelle « les plus défectueux étant au sens

1835. Cf. Cass. crim., 14 oct. 2014, no 13-85.779, Bull. crim., no 205 ; JurisData no 2014-024158 ; Dr. pén., 2014,

comm. 153, obs. É. BONIS-GARÇON. 1836. Cf. J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, 6e éd., 2005, p. 295. 1837. L’ancien Code pénal n’avait prévu que l’hypothèse de la démence supprimant tout discernement et restait

silencieux pour les atteintes simplement partielles à la capacité de comprendre et de vouloir. Les juges avaient cependant la possibilité de modérer la peine par le jeu des circonstances atténuantes.

1838. La jurisprudence de la Cour de cassation allait également dans ce sens (cf. notamment Cass. crim., no 03-82.789, Bull. crim., no 46).

1839. Cf. notamment www.senat.fr, « Proposition de loi relative à l’atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits – Exposé général ».

1840. Cf. V. CATOIRE, « À propos de l’altération des facultés mentales », in Réflexions sur le nouveau Code pénal, Pedone, 1995, p. 62.

1841. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 796, p. 606 et 607.

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classique les moins coupables, la défense sociale est d’autant plus négligée que les principes relatifs à la responsabilité du coupable sont mieux respectés »1842. Deux inconvénients majeurs découlaient cependant d’une telle solution jurisprudentielle. Le premier tenait au lien ainsi établi entre maladie mentale et dangerosité, et le second au fait que les établissements pénitentiaires regorgeaient d’individus présentant des troubles psychiatriques1843. Or, la présence d’une forte proportion de personnes souffrant de troubles mentaux en prison est contraire aux valeurs humanistes, à l’exigence d’éthique médicale ou à la sécurité. L’ensemble de ces raisons ont conduit à la réforme du 15 août 2014.

Depuis, l’article 122-1, alinéa 2 nouveau du Code pénal dispose :

Toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. Si est encourue une peine privative de liberté, celle-ci est réduite du tiers ou, en cas de crime puni de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à perpétuité, est ramenée à trente ans. La juridiction peut toutefois, par une décision spécialement motivée en matière correctionnelle, décider de ne pas appliquer cette diminution de peine.

Cette fois, un lien est établi a priori1844 par le législateur entre la mesure du discernement de l’agent et le quantum de la peine privative de liberté. Cette liaison signe la consécration du concept d’imputabilité comprise comme capacité pénale. La diminution de la peine privative de liberté en cas d’altération du discernement a aussi pour mérite de traduire la rupture du lien entre maladie mentale et dangerosité. Si l’on peut déplorer le retour de la mathématique déplorable dans le calcul de la sanction pénale, le législateur a cependant pris soin de préciser que « lorsque, après avis médical, la juridiction considère que la nature du trouble le justifie, elle s’assure que la peine prononcée permette que le condamné fasse l’objet de soins adaptés à son état »1845. Certes, il est permis de rester dubitatif devant l’effectivité du soin en prison. En outre, l’apparente clémence manifestée par le nouveau texte est aussitôt contredite par l’instauration d’une nouvelle mesure de sûreté susceptible d’être appliquée après l’exécution de la peine prononcée et prévue à l’article 706-136-1 du Code de procédure pénale. Il découle en effet de cet article que :

Lorsqu’une personne condamnée dans les circonstances mentionnées au second alinéa de l’article 122-1 du Code pénal n’a pas été condamnée à un suivi socio-judiciaire, le juge de l’application des peines peut ordonner, à la libération de cette personne, si son état le justifie et après avis médical, une obligation de soins pendant une durée qu’il fixe et qui ne peut excéder cinq ans en matière correctionnelle ou dix ans si les faits commis constituent un crime ou un délit puni de dix ans d’emprisonnement.

1842. A. PRINS, La défense sociale et les transformations du droit pénal, Misch et Thron, Bruxelles, 1910, p. 71. 1843. 10 % des détenus souffriraient de troubles psychiques très graves (cf. www.senat.fr, ibid.). 1844. Cela permet d’exclure le fait que la prise en compte de l’altération du discernement intervienne a posteriori,

par le prisme du principe d’individualisation de la sanction pénale. 1845. C. pén., art. 122-1, alin. 2, dernière phrase.

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Selon Emmanuel Dreyer, « il est donc préférable d’analyser ces dispositions comme autant de témoignages d’une philosophie pénale humaniste pour laquelle le délinquant malade mental mérite un traitement autant qu’une peine : il n’y a alors d’inflexion que dans une logique rétributive d’inspiration néoclassique »1846. Ce faisant, il y aussi reconnaissance du concept de capacité pénale. Au-delà, l’extension du champ de l’imputabilité comprise comme capacité pénale participe de l’organisation de la cohabitation raisonnée avec la notion de dangerosité. La consécration de l’aptitude pénitentiaire réduite des délinquants majeurs au discernement altéré constitue une manifestation post-moderne du rôle garantiste de l’imputabilité sur le terrain substantiel, en venant éclipser la prise en compte sentencielle de la dangerosité. Il ne faut pas en déduire toute exclusion de la dangerosité d’un droit pénal post-moderne. Il importe alors de préciser les modalités de son application directe.

Section 2 – Les modalités d’une appréhension directe de la dangerosité dans un droit pénal post-moderne

Si dans un droit pénal post-moderne il est concevable que la fonction du droit pénal puisse participer à la régulation d’activités économiques en raisonnant alors moins sur la faute que sur le risque, comme en témoigne l’évolution de la responsabilité pénale des personnes morales1847, il n’en demeure pas moins qu’une vigilance doit être de mise face à la multiplication d’infractions ou de mesures pénales liées au risque et à la prévention. Des limites doivent pouvoir être fixées face au risque d’essor d’un droit pénal préventif attentatoire aux libertés individuelles. En d’autres termes, il importe de donner un cadre à l’appréhension pénale de la dangerosité en dehors de la réalisation de tout dommage (§ 1). Une fois ces limites établies, il importera de faire des propositions en vue d’une optimisation de son évaluation (§ 2).

§ 1 - L’appréhension de la dangerosité praeterdelictum

Dans le cadre de ce développement, seules seront étudiées les hypothèses dans lesquelles la prise en compte de la dangerosité est susceptible de s’effectuer au détriment de l’exigence d’imputabilité. Pour cette raison, la prise en compte de la dangerosité de l’agent lors de l’individualisation de sa sanction pénale, qu’il s’agisse de son prononcé ou, a fortiori, de son exécution, ne sera pas ici évoquée. Dans ce cas, une infraction, qui a été caractérisée dans tous ses éléments constitutifs, a été déjà imputée à l’agent. La question de l’imputabilité de l’agent a donc déjà été résolue par l’affirmative et sa responsabilité engagée. La prise en compte de la dangerosité du délinquant à ce stade du processus pénal est implicitement

1846. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 796, p. 607. 1847. Cf. supra, partie 2, titre 1, chapitre I : « L’objectivation de l’imputabilité dans le cadre de la responsabilité

des personnes morales ».

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admise par le législateur1848. Elle entre donc dans les cas d’une bonne complémentarité de la dangerosité avec la responsabilité pénale. Seules doivent être détaillées les hypothèses susceptibles de poser problème au regard de l’exigence d’imputabilité, celles-là même où la dangerosité serait susceptible de se substituer purement et simplement à la responsabilité pénale. On comprendra alors aisément que l’étude s’oriente dans deux directions diamétralement opposées et relatives, d’une part, à l’appréhension de la dangerosité en amont de la réalisation de tout dommage (A.) et, d’autre part, au bien-fondé d’une prise en compte de la dangerosité après l’exécution de la sanction prononcée en rétribution de l’infraction commise (B.).

A. L’appréhension de la dangerosité en amont de la réalisation de tout dommage

Les infractions liées au risque et à la prévention sont caractéristiques de notre époque. Les infractions constituant le support d’un droit pénal d’anticipation consistent le plus souvent en des infractions obstacles. Leur multiplication, combinée à leur potentiel attentatoire aux principes directeurs du droit pénal, justifient que leur légitimité soit questionnée (1.). La question de la pénalisation contemporaine du risque invitera, au-delà, à questionner la possible réception du principe de précaution en droit de la responsabilité pénale. Le fait qu’il repose sur la pénalisation du risque seulement hypothétique conduira à exclure qu’il puisse être appelé à constituer un fondement post-moderne d’essence positiviste à la responsabilité pénale (2).

1. L’appréhension transgressive de la dangerosité par le truchement des infractions obstacles

La logique intrinsèque des infractions obstacles explique le retour en force de cette catégorie d’infractions dans un contexte sécuritaire (1.1). Leur diffusion, inspirée par la résurgence de la notion de dangerosité, est symptomatique de la nouvelle législation antiterroriste. Dans ce domaine spécifique, la réalité de la dangerosité pénalement appréhendée pose cependant question à l’égard de certaines infractions (1.2).

1.1 Le retour en force des infractions obstacles dans un contexte sécuritaire

Comme le relève Catherine Marie, « la sécurité des personnes est mieux assurée »1849 par les infractions obstacles. Elles constituent un mode traditionnel et légitime d’appréhension de la dangerosité dans la mesure où elles reposent en principe sur des actes univoques de « dangerosité ». Afin de percevoir le potentiel hyperpréventif des infractions obstacles, il est pertinent de les définir en les opposant aux infractions formelles. En dehors de la tentative d’infraction, il existe donc deux réceptacles infractionnels préventifs constitués par les infractions formelles et les infractions obstacles. La distinction entre ces deux catégories d’infractions à risque tient notamment au lien et à la proximité entre le comportement

1848. Le fait que la dangerosité constitue un élément possible de la personnalité justifie sa prise en compte sur le fondement du principe de l’individualisation de la sanction pénale (cf. C. pén., art. 132-1 et C. pr. pén., art 707).

1849. C. MARIE, Droit pénal général, op. cit., p. 91.

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incriminé et le résultat redouté par l’incrimination. Comme le relève Alexandre Gallois, « ce lien est beaucoup plus proche, car plus précis et qualifié, dans l’infraction formelle que dans l’infraction obstacle. Il y aurait aussi une causalité directe et/ou immédiate dans l’infraction formelle alors que ce rapport de causalité ferait défaut dans l’infraction obstacle »1850. Une autre présentation de cette dualité d’infractions à risque, soulignant cette proximité différenciée entre le comportement répréhensible et le résultat redouté, consiste à dire que les infractions formelles reviennent à ériger en infractions autonomes des actes qui seraient normalement constitutifs d’un commencement d’exécution alors que les infractions obstacles permettent d’incriminer à titre autonome des agissements qui ne constituent que des actes préparatoires1851. L’intérêt des infractions obstacles est donc de placer le curseur de la répression plus en amont dans l’iter criminis. Selon Yves Mayaud, les infractions obstacles, comme les infractions formelles, « poussent le droit pénal dans ses derniers retranchements, prenant ainsi le risque d’ériger en conduite répréhensible ce qui ne s’affirme pas comme tel ou d’évidence »1852. L’auteur considère par ailleurs que le principe même des infractions obstacles est dangereux, « celui-ci pouvant s’extraire d’une juste conception du droit par une distance trop prononcée entre les actions ou les omissions qui en relèvent et le résultat redouté à l’origine de leur incrimination »1853. D’ailleurs, traditionnellement, les actes préparatoires n’étaient pas réprimés en droit commun en raison même du risque d’atteinte aux fondements de la responsabilité pénale, une intervention de la répression à un stade trop avancé ne permettant pas d’établir la réalité des éléments constitutifs d’une infraction. Pour illustrer le propos, il est permis d’évoquer la distinction opérée au sein des infractions obstacles par Emmanuel Dreyer entre infractions obstacles « indéterminées » et infractions obstacles « déterminées »1854. Cette opposition repose sur le caractère plus ou moins1855 précis du risque qu’il s’agit de prévenir. Autrement dit, il existerait une catégorie d’infractions obstacles pour laquelle la probabilité du risque serait plus grande, ce qui les rendrait plus légitimes au regard des principes fondamentaux du droit pénal. Plus précisément, dans le cadre des infractions obstacles dite « déterminées », le risque est – comme leur nom l’indique – déterminé, ce qui signifie qu’elles ont pour but de prévenir la commission d’une infraction précise. Il est permis de prendre l’exemple de l’infraction collective de l’association de malfaiteurs prévue à l’article 450-1 du Code pénal. Au regard de la lettre du texte, il s’agit de prévenir la commission « d’un ou plusieurs crimes ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement ». Dans le même sens, conformément à l’article 223-1 du Code pénal, l’infraction individuelle du délit de risques causés à autrui a pour objet de prévenir un

1850. A. GALLOIS, « Quelle place pour le principe de précaution dans le droit de la responsabilité pénale ? »,

RDSS, 2013, p. 801. Dans les développements à suivre (cf. infra, la sous-partie consacrée au principe de précaution), les propos de l’auteur seront nuancés dans la mesure où il sera établi que, quoique moins direct et/ou immédiat, le lien de causalité dans le cadre des infractions-obstacles n’en est pas moins certain.

1851. Ainsi, l’ensemble des actes matériels d’exécution ayant été réalisés dans le cadre d’une infraction formelle, il sera même possible de présumer l’obtention du résultat redouté par le législateur. En revanche, dans le cadre d’une infraction-obstacle, l’insuffisante matérialité de l’acte rend la production du dommage beaucoup plus aléatoire. Pour cette raison, aucune présomption relative au résultat redouté n’est possible dans cette hypothèse.

1852. Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., ., no 198, p. 247. 1853. Ibid. 1854. E. DREYER, Droit pénal général, LexisNexis, 2014, nos 726 et suiv, p. 562 et suiv. 1855. Moins ou « moins moins », pourrait-on écrire.

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homicide ou des blessures involontaires. On le comprend, la précision du risque tient à la nature de l’infraction prévenue que l’on peut identifier. Il en va différemment dans le cadre des infractions obstacle dites « indéterminées ». Les comportements appréhendés par le biais de ces infractions « sont considérés comme intrinsèquement dangereux parce qu’ils peuvent conduire à la commission d’autres infractions »1856 sans pour autant que ces dernières ne soient identifiées. On peut prendre l’exemple de l’article L. 234-1 du Code de la route réprimant la conduite en état d’ivresse qui ne vise la prévention d’aucune infraction particulière. Au-delà de cet exemple, Emmanuel Dreyer relève, relativement à cette catégorie d’infractions, qu’« à ce stade, l’indétermination est telle que l’on peut même imaginer que le risque auquel expose un tel comportement ne relève pas d’une qualification pénale »1857. Cependant, « le seul fait qu’un risque existe rend le comportement qui l’a généré inacceptable pour la société »1858. C’est l’existence de ce risque dans la survenance de faits pouvant éventuellement constituer une ou plusieurs infractions qui légitime la répression. C’est dire le potentiel transgressif des infractions obstacles indéterminées. La catégorie des infractions obstacles « indéterminées » se situe alors à la frontière du droit pénal, en ce sens qu’elle contient en germe la potentialité d’une transgression des principes directeurs de la responsabilité pénale. Précisément, la question sera posée de savoir si le Rubicon n’a pas été franchi dans la législation antiterroriste contemporaine.

1.2 La législation antiterroriste

Comme le relève Julie Alix, « largement dépassée en droit pénal commun, la traditionnelle absence de répression des actes préparatoires est complètement obsolète en droit pénal antiterroriste, où elle est au contraire complètement assumée, comme l’outil de l’efficacité de la prévention pénale du terrorisme »1859. L’appréhension assumée des actes préparatoires par la politique antiterroriste contemporaine constitue une illustration pertinente des dérives possibles de notre droit positif. Le cadre juridique des infractions obstacles ne peut pas être extensible à tous les ressorts de la psychologie criminelle. Autrement dit, cette catégorie d’infractions n’est pas toujours appropriée, au regard des principes directeurs de la responsabilité pénale, à la réception d’un droit pénal préventif ou d’anticipation. La jurisprudence récente du Conseil constitutionnel relativement aux délits d’entreprise terroriste individuelle et de consultation habituelle de sites djihadistes témoigne du malaise en la matière1860. On pense en premier lieu à la censure par le Conseil constitutionnel du délit de consultation habituelle de sites djihadistes créé par la loi du 3 juin 2016 à l’article 421-2-5-2 du Code pénal1861. La Juridiction suprême a considéré que le délit n’était ni nécessaire, ni

1856. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 727, p. 562. 1857. Ibid. no 727, p. 562 et 563. 1858. Ibid., no 727, p. 563. 1859. J. ALIX, « Réprimer la participation au terrorisme », RSC, 2014, p. 849. 1860. Pour une critique des infractions terroristes, et notamment du délit d’entreprise terroriste individuelle,

cf. C. LAZERGES et H. HENRION-STOFFEL, « Le déclin du droit pénal : l’émergence d’une politique criminelle de l’ennemi », RSC, 2016, p. 649.

1861. Cons. const., 10 févr. 2017, no 2016-611 QPC. L’avocat d’une personne condamnée à deux ans de prison ferme notamment sur le fondement de ce délit avait déposé une question prioritaire de constitutionnalité à ce sujet. Il estimait notamment que l’infraction introduisait une présomption de mauvaise foi déduite de la seule consultation (cf. F. FOURMENT, « La loi no 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique dans ses aspects de droit pénal », Dr. pén., 2017, étude 12).

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adapté, ni proportionné à son objet : « prévenir l’endoctrinement d’individus susceptibles de commettre [des] actes [terroristes] ». On pense aussi à la décision rendue le 7 avril 2017 à propos de l’infraction d’entreprise individuelle terroriste et excluant que l’intention de l’auteur ne puisse résulter que des seuls faits matériels retenus comme actes préparatoires1862. Le législateur ayant promptement rétabli le délit de consultation habituelle de sites djihadistes par la loi no 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, il est permis d’envisager une autre solution pour se soustraire à l’application de la nouvelle législation. Elle réside dans l’invocation d’une cause de non-imputabilité ou d’atténuation de l’imputabilité liée à l’existence de troubles psychiques. Le garde-fou de l’invocation d’une cause de non-imputabilité L’un des garde-fous en la matière consiste en la possibilité de faire valoir l’existence d’une cause de non-imputabilité : la question de l’assimilation de la « radicalisation » à une forme d’abolition, ou à tout le moins, d’altération du discernement. Est-il possible de « taxer de démence les auteurs des massacres insensés d’aujourd’hui » ? Selon Éric Fassin, on peut certes y voir des troubles psychiques préexistants, mais le trouble identitaire révélé par l’acte est aussi l’effet du « conflit des civilisations ». Pour cette raison, « il est difficile de taxer de démence les auteurs de ces massacres insensés. Leur logique folle est celle de notre époque »1863. Daniel Zagury, dans Libération (22 juillet 2016), considère que :

Ce qui se passe dans le monde n’est pas réductible à un regard psychiatrique. […] Ce que l’on sait à peu près, c’est que dans le paysage des terroristes islamistes aujourd’hui, il y a très peu de malades mentaux avérés, de délirants qui ont commis des actes en rapport déterminant avec leur maladie. Pour autant, à l’autre bout de la chaine, il y a très peu de sujets bien équilibrés, solidement structurés, […] des déséquilibrés psychopathes, des toxicos, des alcooliques, des impulsifs, mais aussi des instables en rupture, ayant commis des actes de délinquance ou qui sont dans une errance existentielle, […] une sorte de marais de sujets qui ont effectué, dans la première partie de leur existence, des actes transgressifs et mené une vie délinquante pas particulièrement marquée du sceau de la religion. C’est là qu’interviennent les processus transformatifs […] [en d’autres termes,] des processus de radicalisation renvoyant à un circuit long ou à un circuit court.

La radicalisation ne pouvant se limiter à une explication psychopathologique ou psychiatrique, il semble d’ores et déjà permis d’exclure que les troubles psychiques invoqués par les terroristes djihadistes constituent par principe une cause d’atténuation ou d’exonération de la responsabilité pénale1864.

1862. Cons. const., 7 avr. 2017, no 2017-625 QPC ; F. FOURMENT, op. cit. 1863. Cf. É. FASSIN, « Terrorisme : la zone grise de la sexualité », Mediapart, 26 juillet 2016. 1864. Pour des analyses complémentaires, il est permis de consulter l’article intitulé « Regard d’un psychiatre sur

le processus psychique de radicalisation » (www.ch-le-vinatier.fr). Les informations suivantes ont pu être relevées : « La radicalisation ne peut pas se limiter à une explication psychopathologique ou psychiatrique. C’est un phénomène qui interroge notre société sur ses choix politiques, idéologiques… ». Ainsi, « les facteurs à l’origine de ce processus reposent sur les fragilités du fonctionnement psychique humain, qui existent depuis toujours mais qui s’expriment sous cette forme en raison des supports culturels, sociologiques, religieux disponibles aujourd’hui ». À propos des « jeunes » et, plus particulièrement des dispositions psychiques dans lesquelles ils se trouvent quand ils se tournent soudainement vers le fanatisme religieux, il apparaît que « les adolescents ou jeunes adultes, qui n’ont pas réussi à construire une bonne image d’eux-mêmes face aux idéaux proposés par la société dans laquelle ils vivent (idéaux de

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Si l’appréhension de la dangerosité par le biais des infractions obstacles est susceptible d’entrer en contradiction avec les principes fondamentaux du droit pénal, il n’y a pas à douter de l’incompatibilité du principe de précaution avec la théorie d’essence classique de la responsabilité pénale.

2. L’exclusion d ’une prise en compte de la dangerosité par le truchement du principe de précaution

Pour pouvoir justifier l’exclusion de la réception du principe de précaution, il faut préalablement en connaître la substance. Ce principe peut recevoir, en doctrine et dans les textes, plusieurs définitions1865. D’une manière générale, il tend à l’adoption de certaines mesures afin de prévenir la survenue d’un risque incertain de dommage grave et/ou irréversible. Les valeurs que le principe de précaution a vocation à défendre concernent l’environnement et la santé1866. Il se dégage cependant deux constantes dans ses composantes. La composante essentielle réside dans l’existence d’un risque scientifiquement incertain de dommage. La seconde composante, plus discutée, est relative à la nécessité d’agir malgré la situation d’incertitude scientifique1867. En l’état actuel du droit positif, aucun texte pénal ne sanctionne le non-respect du principe de précaution. Ainsi, il n’y a pas faute à s’abstenir d’un comportement précautionneux en l’absence de certitude quant au risque auquel les personnes ou les biens peuvent se trouver exposés. La question se pose cependant de savoir si le droit pénal pourrait être mobilisé, à l’avenir, pour garantir le respect du principe de précaution. En effet, le principe de précaution tend à éviter la réalisation d’un dommage. Or, le droit pénal positif connait déjà cette orientation vers la pénalisation du risque d’un dommage1868. Comme le relève Alexandre Gallois, « à s’en tenir au risque d’un dommage, la logique préventive du principe de précaution apparaît soluble dans le droit pénal »1869. Il ne serait donc pas logique d’écarter a priori la réception du principe de précaution en droit de la responsabilité pénale. En outre, le droit positif dispose

performance, de consommation dans le société occidentale), peuvent parfois soulager leur souffrance par l’investissement d’autres idéaux pour lesquels il leur semble possible de s’en rapprocher, ce qui leur permet de restaurer l’image d’eux-mêmes qui était, jusque-là, défaillante. Ces jeunes sont le terreau propice de tous les phénomènes de fanatisme ». Ainsi, « la radicalisation interroge les choix de société : y a-t-il d’autres idéaux possibles que l’idéal de consommation et de performance ? »

1865. Pour les définitions textuelles, cf. notamment l’article 7 du règlement no 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires, l’article L. 110-1 du Code de l’environnement et l’article 5 de la Charte de l’environnement. Ces trois textes serviront de référence dans le cadre de cette étude dans la mesure où, en plus d’apporter une définition du principe de précaution, ils ont aussi une valeur juridique. À titre d’exemple, l’article L. 110 du Code de l’environnement dispose : « Le principe de précaution est le principe selon lequel l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable. »

1866. Il a donc été originellement pensé pour éviter des dommages à l’environnement et/ou à la santé des personnes.

1867. Par exemple, le Code et la Charte de l’environnement, en employant le présent de l’indicatif, érigent l’adoption de mesures en une nécessité, alors que le Règlement européen, qui utilise le conditionnel, n’en fait qu’une possibilité.

1868. La tendance contemporaine étant d’ailleurs à un accroissement de cette orientation. 1869. A. GALLOIS, « Quelle place pour le principe de précaution dans le droit de la responsabilité pénale ? »,

RDSS, 2013, p. 801.

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de réceptacles appropriés au défaut de précaution, à l’instar des infractions dites à risque ou sans résultat. Au regard des développements qui précèdent1870, celui des infractions obstacles retient particulièrement l’attention. En ce sens, Alexandre Gallois considère que ces dernières visent « un résultat juridique tellement lointain, si peu qualifié, qu’aucun rapport de causalité n’est requis entre l’acte incriminé et le résultat visé […]. [Par conséquent] Ce type d’infractions apparait alors comme le cadre juridique “adapté” pour l’épanouissement du principe de précaution »1871. Suivant cette logique, il semblerait alors judicieux de cibler, au sein de cette catégorie, les infractions obstacles indéterminées mises en exergue par Emmanuel Dreyer1872. Nonobstant ces considérations, le principe de précaution ou, plus exactement, le défaut de précaution, ne saurait constituer une condition nouvelle à l’engagement de la responsabilité pénale, pas plus qu’il ne saurait être appréhendé par le prisme des causes d’exonération de la responsabilité pénale. Cette exclusion tient à l’incompatibilité entre la réception du principe de précaution et le respect des principes fondamentaux du droit pénal. Selon Emmanuel Dreyer, « si le droit pénal devait être utilisé pour garantir directement le principe de précaution, il subirait des changements tels qu’il ne serait plus fidèle à lui-même »1873. Tout d’abord, le caractère scientifiquement incertain du risque ciblé par le principe de précaution génère l’incertitude du lien de causalité empêchant la caractérisation de toute infraction. Dans le cadre de ce développement, il conviendra cependant d’établir en priorité que l’incertitude du risque n’est pas plus compatible avec l’imputabilité du sujet et, particulièrement, avec sa composante liberté (2.1). Au-delà, il importera de vérifier l’absence corrélative de justification de la « précaution » par l’état de nécessité (2.2).

2.1 L’incompatibilité entre l’incertitude du risque ciblée par le principe de précaution et la liberté de choix de l’agent, composante de l’imputabilité

En raison de la postériorité d’un débat sur l’imputabilité1874, l’incompatibilité du principe de précaution avec l’exigence d’imputabilité est d’abord subséquente à l’impossibilité de caractériser l’existence d’une infraction. Cela étant, dans l’hypothèse même où le défaut de précaution pourrait être sanctionné sur le fondement d’une ou plusieurs infractions spécifiques, sa réception en droit commun de la responsabilité pénale ne saurait pas plus prospérer en raison d’une incompatibilité de principe entre imputabilité et défaut de

1870. Cf. supra, 1. : « L’appréhension transgressive de la dangerosité par le truchement des infractions

obstacles ». 1871. A. GALLOIS, op. cit., p. 801. Il sera cependant démontré plus en aval que cette affirmation est erronée dans

la mesure où elle se fonde sur une méprise consistant à considérer que les infractions-obstacles ne supposent pas dans leur constitution l’existence d’un lien de causalité entre le comportement incriminé et le résultat redouté.

1872. Cf. supra 1. « L’appréhension transgressive de la dangerosité par le truchement des infractions obstacles ». 1873. E. DREYER, « Droit pénal et principe de précaution », D., 2015, p. 1912. Pour une opinion contraire,

cf. D. ROETS, « Réflexions sur les possibles implications du principe de précaution en droit pénal de l’imprudence », RSC, 2007, p. 251. L’auteur est perplexe devant « la péremptoire mise hors-jeu du droit pénal par la doctrine précautionniste ». Il représente d’ailleurs un courant minoritaire en doctrine militant en faveur de la prise en considération du défaut de précaution par le droit pénal. Dans cette optique, la solubilité du principe de précaution dans le droit positif pourrait s’opérer par le prisme des infractions d’homicide et de blessures involontaires en cas de dommage ou par celui du délit de risques causés à autrui dans le cas contraire.

1874. Cf. partie 1, titre 2 et la démonstration de l’interversion des composantes de la responsabilité pénale.

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précaution. Celle-ci tient au caractère inconciliable de l’incertitude du risque avec la liberté de choix de l’agent, composante de l’imputabilité1875. Dans tous les cas, l’imputabilité serait impossible à caractériser, faute pour l’agent de disposer d’une liberté de choix, en cas d’incertitude du risque. Comme le relève Emmanuel Dreyer, « lorsque l’existence d’un risque est certaine, en cas de persistance de l’action dangereuse, l’agent a le choix entre s’abstenir de toute action, agir en faisant attention et agir sans faire attention »1876. Pour cette raison, en cas de survenance d’un dommage, on ne lui reproche pas de ne pas s’être abstenu, mais d’avoir agi de manière inconséquente. Un tel raisonnement, en préservant la liberté de choix de l’agent tout en rappelant que le mauvais usage de cette liberté implique une responsabilité, est compatible avec l’exigence d’imputabilité. En revanche, « lorsque l’existence même du risque est incertaine, en cas de persistance de l’action prétendument dangereuse, l’agent n’a le choix que d’agir en causant potentiellement un dommage ou de ne pas agir »1877. Dans ces conditions, « il ne peut agir en prenant les précautions qui élimineraient tout risque puisque le principe même de ce risque n’est pas établi ». On voit mal comment on pourrait sanctionner la liberté dans ces conditions, au motif qu’elle pourrait ou aurait pu dégénérer en abus sans que ce dernier ne soit démontré, sauf à considérer que la liberté de choix n’est plus une condition de la responsabilité pénale, autrement dit, sauf à nier l’exigence d’imputabilité1878. Ce serait ainsi ouvrir grand la voie à la réception d’un néopositivisme par trop transgressif des droits fondamentaux. Le principe de précaution ne saurait donc être appréhendé par le prisme des composantes traditionnelles de la responsabilité pénale. Si les conditions traditionnelles d’engagement de la responsabilité font obstacle à la sanction du défaut de précaution, il importe de vérifier, en vertu d’une sorte de parallélisme des formes, que le principe de précaution ne saurait pas plus être appréhendé par le biais des causes d’exonération de la responsabilité pénale. Deux causes d’exonération de la responsabilité paraitraient a priori susceptibles de réceptionner le principe de précaution. Il s’agit, d’une part, de l’état de nécessité et, d’autre part, de l’ordre ou de l’autorisation de la loi ou du règlement. Dans le cadre de cette étude, en considération des composantes de l’imputabilité, il conviendra seulement de vérifier que l’état de nécessité ne pourrait légitimer la précaution prise par l’agent.

2.2 L’absence de justification de la « précaution » par l’état de nécessité en écho à l’incompatibilité entre défaut de précaution et imputabilité du sujet

La question de la justification de la précaution par l’état de nécessité est majeure au regard de la thématique de notre recherche. Si l’exception de nécessité définie à l’article 122-7 du Code pénal était susceptible de légitimer certains actes de destruction volontaire du bien d’autrui, voire certaines atteintes à la vie ou à l’intégrité de la personne résultant de la « précaution » prise par le ou les agents, cela reviendrait à considérer que la notion de

1875. Or, l’imputabilité repose notamment sur la liberté de choix de l’agent (cf. supra, partie 1, titre 1, chapitre II :

« La reconfiguration du champ de la condition de liberté relevant de l’imputabilité ». 1876. E. DREYER, « Droit pénal et principe de précaution », D., 2015, p. 1912. 1877. Loc. cit. 1878. À tout le moins sa composante liberté.

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précaution pourrait constituer une cause de non-imputabilité1879. Or, il vient d’être établi l’impossible réception du défaut de précaution par le truchement de l’imputabilité du sujet. Le principe de précaution a déjà été invoqué en vain devant la Cour de cassation, par des faucheurs de plants OGM1880, pour justifier l’existence d’un état de nécessité1881. En l’espèce, un champ, planté pour neuf dixièmes de maïs classique et pour un dixième de maïs génétiquement modifié, avait été totalement détruit par plusieurs centaines de faucheurs volontaires. La cour d’appel de Toulouse avait condamné les huit prévenus pour délit de destruction ou dégradation volontaire du bien d’autrui commis en réunion à des peines d’emprisonnement avec sursis, sauf pour l’un d’entre eux qui agissait en état de récidive. L’état de nécessité, dont souhaitaient bénéficier les prévenus, avait donc été écarté. Il est vrai qu’une réponse par la négative s’impose assez vite à la lecture de l’article 122-7 du Code pénal. D’ailleurs, dans la dernière affaire de « faucheurs d’OGM », la cour d’appel de Toulouse a considéré qu’aucune des conditions de cet article n’était remplie1882. Au rang de ces conditions, figure l’existence d’« un danger actuel ou imminent ». Pour contourner la difficulté liée à cette exigence, les prévenus invoquaient notamment le fait que même si le « péril » était « uniquement possible ou futur », le principe de précaution consacré en droit européen et en droit interne, respectivement par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et par la Charte de l’environnement, « n’en commandait pas moins la destruction de cette culture risquant de causer des atteintes graves à l’environnement et à la santé publique ». Autrement dit, le principe de précaution serait susceptible de venir au secours de l’état de nécessité en en assouplissant les conditions légales et jurisprudentielles. Cependant, après que la cour d’appel a estimé qu’un danger actuel ou imminent ne saurait être constitué par la crainte que soulèvent des plantations de maïs génétiquement modifié, la Cour de cassation, faisant sienne la motivation des juges du fond, considère qu’ils « ont justifié leur décision dès lors qu’au surplus la Charte de l’environnement, ne saurait être invoquée en l’espèce pour fonder l’état de nécessité ». La « précaution » ne saurait donc constituer une variante d’état de nécessité. La perspective d’une évolution de la jurisprudence est par ailleurs peu probable compte tenu du fait qu’elle devrait alors retenir une conception particulièrement lâche de l’exigence d’actualité ou d’imminence du danger, susceptible, quant à elle, de porter atteinte au principe de l’interprétation stricte de la loi pénale1883. Au surplus, il est permis de conclure que l’état de nécessité constituant aux termes de la première partie de cette étude une cause de non-imputabilité1884, il est cohérent que la justification de la précaution par le biais de l’état de nécessité soit écartée. Si la précaution était une variante

1879. Dans la première partie de cette étude, il a été démontré, contrairement aux classifications doctrinales de

droit positif – le Code pénal ne dit rien puisqu’il traite pêle-mêle, dans un même chapitre, des différentes causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité –, que l’état de nécessité ne constituait pas un fait justificatif mais une cause de non-imputabilité (cf. supra, partie 1, titre 1, chapitre II : « La reconfiguration du champ de la condition de liberté relevant de l’imputabilité »).

1880. Organismes génétiquement modifiés. 1881. Cf. Cass. crim., 19 nov. 2002, no 02-80.788, inédit, D., 2003, p. 1315, note D. MAYER ; Cass. crim., 7 févr.

2007, no 06-80.108, inédit, D., 2007, p. 1310, note J.-P. FELDMAN ; ibid., p. 573, obs. A. DARSONVILLE ; AJ pén., 2007, p. 133, obs. C. SAAS ; JCP G 2007, II, 10059, note F.-G. TREBULLE.

1882. Pour une étude de la motivation fortement détaillée de la cour d’appel, cf. les notes de J.-P. FELDMAN et C. SAAS précitées.

1883. C. pén., art. 111-4. 1884. Cf. supra, partie 1, titre 1, chapitre II : « La reconfiguration du champ de la condition de liberté relevant de

l’imputabilité ».

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d’état de nécessité, il aurait été logique de valider la réception du principe de précaution en droit pénal par le truchement du concept d’imputabilité. En conclusion, force est de constater l’absence d’appréhension du principe de précaution dans ses versants positif – précaution – et négatif – défaut de précaution – par le droit pénal général. Le couple dangerosité/principe de précaution n’est pas appelé à constituer un marqueur du droit pénal post-moderne. On ne peut qu’approuver cette solution. Bien que d’aucuns pensent que le droit pénal pourrait se révéler être un précieux instrument de prévention des risques, la solubilité de la précaution en droit pénal entraînerait l’abandon des bastions d’essence classique. La prise en compte de la dangerosité potentielle reviendrait à la transformation sécuritaire de la société tout entière. À l’extrême, le principe de précaution pourrait alors devenir un instrument d’oppression multidimensionnel, autorisant des discriminations par « groupes à risque » de sinistre mémoire. En effet, dans le cadre d’un système pénal fondé sur un modèle de précaution, « l’identité criminelle n’est plus vue du côté des individus mais dans la catégorie des risques qu’ils incarnent. […] Il n’y a plus d’infractions mais des menaces, plus de délinquant mais des groupes cibles et des territoires à risques »1885. Or, le droit doit se prémunir de la fabrication multiséculaire des « boucs émissaires », à la suite des pharmacons1886 de la Grèce antique. Si le droit pénal français ne sanctionne pas directement les violations du principe de précaution, cela tient notamment au fait que l’exigence d’imputabilité a constitué un rempart efficace à son intégration. Au regard du développement de mesures post-carcérales, l’impératif d’imputabilité semble appelé à étendre son rôle garantiste après l’exécution de la sanction prononcée en rétribution de l’infraction commise, afin d’encadrer la prise en compte de la dangerosité de l’agent à ce stade du parcours pénal de l’agent.

B. L’appréhension de la dangerosité après l’exécution de la sanction prononcée en rétribution de l’infraction commise

La question se pose de la légitimité de la prise en compte de la dangerosité une fois la peine prononcée en rétribution de l’infraction commise exécutée en totalité. Il n’est donc pas question du cas d’un individu libéré avant le terme de sa peine de réclusion à temps et qui ferait l’objet d’une mesure de sûreté en milieu ouvert. Dans le présent cas de figure, la difficulté tient à la prise en compte de la dangerosité une fois la durée totale de la peine prononcée par la juridiction de jugement écoulée. Le dispositif de la rétention de sûreté, permettant la retenue post-carcérale du condamné en milieu fermé, illustre, avec une acuité particulière, cette hypothèse. Ce développement nous conduit donc à analyser l’institution de la rétention de sûreté, toujours de droit positif nonobstant les « promesses » répétées de sa suppression1887, sous l’angle de sa conformité aux droits interne (1.) et conventionnel (2.).

1885. D. SALAS, La Volonté de punir. Essai sur le populisme pénal, Hachette littérature, 2005, p. 196-197. 1886. Le pharmacon s’entend de celui qu’on immole en expiation de la faute d’un autre, victime expiatoire d’un

rite de purification. 1887. Le Rapport sur la refonte du droit de peines élaboré par la commission présidée par Bruno Cotte et remis le 18

décembre 2015 au garde des Sceaux en constitue une dernière illustration (cf. www.justice.gouv.fr, rubriques « Publications », « Rapports thématiques », « Remise du rapport sur la refonte du droit des peines »).

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1. La conformité de la rétention de sûreté au droit interne

La rétention de sûreté peut être prononcée dans deux cas. Le premier, prévu à l’article 706-53-13 du Code de procédure pénale, concerne les personnes condamnées à une peine supérieure ou égale à 15 ans de réclusion criminelle pour des crimes graves et dont il est établi, à la suite du réexamen de leur situation à la fin de l’exécution de leur peine, qu’elles présentent une particulière dangerosité du fait d’un trouble grave de la personnalité conduisant à un risque de récidive. Pour être mise en œuvre, cette mesure doit avoir été expressément prévue par la cour d’assises dans la décision de condamnation. La situation est alors examinée par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté un an avant la date de libération et la décision de placement en centre socio-médico-judicaire de sûreté (CSMJS) est prise par la juridiction régionale de la rétention de sûreté. La durée initiale du placement est d’une année, renouvelable. Ce premier cas de figure sera qualifié de placement ab initio, en ce sens qu’il peut intervenir directement après la fin de l’exécution de la peine privative de liberté. Le second cas de placement en rétention de sûreté, prévu par l’article 706-53-19 du Code de procédure pénale, concerne les personnes condamnées à une peine égale ou supérieure à quinze années de réclusion criminelle pour l’une des infractions visées à l’article 706-53-13 du Code de procédure pénale, qui ont été soumises successivement aux régimes de la surveillance judiciaire des personnes dangereuses puis de la surveillance de sûreté. La rétention de sûreté peut alors s’appliquer si ces personnes n’ont pas respecté les obligations légales imposées dans le cadre de la surveillance de sûreté et si le renforcement de ces obligations s’avère insuffisant pour prévenir la commission des infractions mentionnées à l’article 706-53-13 du Code de procédure pénale. Comment une privation de liberté totale et potentiellement illimitée, s’appliquant après la durée de la peine privative de liberté prononcée par la juridiction de jugement, n’irait-elle pas à l’encontre des principes fondamentaux du droit pénal ? Le principe même du placement des personnes en rétention de sûreté pose question, en droit interne, tant au regard de son fondement (1.1) et de son caractère potentiellement perpétuel (1.2) que des modalités de prise en charge au sein du centre socio-médico-judiciaire de sûreté (1.3).

1.1 La conformité du fondement de la mesure

Il convient de distinguer selon que la mesure est prononcée ab initio ou comme sanction du non-respect des obligations imposées dans le cadre de la surveillance de sûreté. Lorsque la rétention de sûreté est prononcée ab initio, le choix du fondement autonome et exclusif de la dangerosité au prononcé de la mesure entre en contradiction avec plusieurs principes fondamentaux du droit pénal français, à l’instar du principe de la présomption d’innocence, l’atteinte découlant alors de l’absence de nouvelle infraction pénale pour fonder le placement en rétention1888. Le fait que le placement ne soit pas consécutif à la commission d’une infraction pénale porte aussi atteinte au principe de la personnalité de la responsabilité

1888. Dans un entretien accordé au journal Le Monde du 26 février 2008, Rober Badinter s’interroge : « Que

devient la présomption d’innocence, quand on est le présumé coupable potentiel d’un crime virtuel ? »

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pénale1889. Le principe de la légalité des délits et des peines ne saurait pas plus être respecté en raison de l’imprécision de la notion de dangerosité1890. Pour sa part, le contrôleur général des lieux de privation de liberté considère, dans son avis du 5 octobre 2015 relatif à la rétention de sûreté1891, que « le concept de dangerosité potentielle doit être considéré comme contraire aux principes fondamentaux du droit pénal français, en particulier ceux de légalité des délits et des peines et de proportionnalité de la réponse pénale ». En outre, la « particulière dangerosité » exigée par l’article 706-53-13 semble présumée à partir du seul prononcé d’une peine, supérieure ou égale à 15 ans, pour un crime répertorié dans une liste d’infractions énumérées à l’article 706-53-13 du Code de procédure pénale. Le placement en rétention de sûreté serait tout aussi critiquable lorsqu’il est prononcé à la suite d’une surveillance de sûreté1892. Il résulte de l’article 706-53-19 du Code de procédure pénale que le fait de ne pas avoir respecté les obligations de la surveillance judiciaire puis de la surveillance de sûreté peut justifier le placement en rétention de sûreté, si cette méconnaissance fait apparaître une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive. En principe, et conformément à la circulaire de la direction des Affaires criminelles et des Grâces du ministère de la Justice du 17 décembre 2008 :

La violation par la personne de ses obligations ne peut constituer à elle seule un motif de placement en rétention de sûreté, si cette violation ne fait pas apparaître une particulière dangerosité. D’une manière générale, la rétention de sûreté doit constituer l’ultime recours, et ce n’est que si un renforcement des obligations de la surveillance de sûreté est insuffisant pour prévenir la récidive qu’elle pourra être ordonnée.1893

En pratique, l’examen de la situation individuelle des personnes ayant fait l’objet d’un placement en rétention de sûreté invite à conclure qu’il a été utilisé comme sanction du non-respect des obligations imposées au condamné dans le cadre de sa surveillance de sûreté. Comme le relève le contrôleur général des lieux de privation de liberté, « dans ces situations, le seul non-respect des obligations imposées à une personne a suffi pour caractériser sa dangerosité »1894. Il ressort donc de la pratique que l’appréciation de la dangerosité présumée des personnes retenues s’effectue à partir de la seule inobservation des obligations imposées dans le cadre d’une surveillance de sûreté1895. D’aucuns de considérer qu’on ne saurait y trouver un critère pertinent à l’établissement de la supposée dangerosité de l’agent.

1889. V. Bianchi de s’étonner que la rétention de sûreté « puisse s’appliquer à quelqu’un n’ayant pas commis d’infraction, à un “récidiviste virtuel” » (cf. V. BIANCHI, « Quels droits de la défense pour la personne placée sous surveillance de sûreté ou en rétention de sûreté ? », AJ pén., 2014, p. 106).

1890. Cf. infra pour une tentative de définition de la notion. 1891. Cf. www.cglpl.fr/2015/avis-relatif-a-la-retention-de-surete. 1892. Le Conseil constitutionnel s’étant opposé, dans sa décision du 21 février 2008, à tout caractère rétroactif

de la rétention de sûreté prononcée ab initio, les personnes placées l’ont été, pour l’heure, à la suite d’une surveillance de sûreté. Lorsque le contrôleur général des lieux de privation de liberté effectua une deuxième visite au centre socio-médico-judiciaire de Fresnes, à l’origine de l’avis précité du 5 octobre 2015, cinq personnes avaient alors fait l’objet d’un placement, soit seulement une de plus que lors de sa précédente visite.

1893. Circulaire de la DACG no CRIM 08-17/E8 du 17 décembre 2008 sur la présentation générale des dispositions relatives à la surveillance de sûreté et à la rétention de sûreté, NOR : JUSD0830031C.

1894. Cf. www.cglpl.fr/2015/avis-relatif-a-la-retention-de-surete. 1895. Ce phénomène est identique à celui observé dans le cadre de la recherche menée sur la prévention de la

récidive en Charente-Maritime dans la mesure où il avait été observé que le non-respect des obligations

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Le fondement de la rétention de sûreté serait donc contestable parce qu’il consiste en une présomption de dangerosité découlant soit du seul prononcé d’une peine pour un crime figurant dans une liste énumérative d’infractions visées à l’article 706-53-13 du Code pénal, soit du seul non-respect des obligations imposées à l’intéressé dans la cadre d’une surveillance de sûreté. On pourrait aussi se demander si ces différents éléments – la particulière gravité d’une ou des infractions commises ou le non-respect d’obligations imposées après l’exécution d’une condamnation –, en tant qu’ils permettent d’objectiver la dangerosité du délinquant par le recours à des critères empiriques d’évaluation, ne constituent pas en réalité des facteurs légitimes d’appréhension de sa dangerosité1896. Ainsi, non seulement les modalités d’appréhension de la dangerosité préalablement au prononcé d’une rétention de sûreté sont susceptibles d’apparaître légitimes, mais le concept de dangerosité ne constitue pas, en réalité, le seul fondement à la mesure, qu’il est permis de rattacher à la commission d’une infraction. Ce dernier élément est de nature à surmonter une autre critique formulée à l’encontre de la mesure de la rétention de sûreté tenant cette fois au caractère potentiellement perpétuel de la rétention de sûreté.

1.2 La conformité du caractère potentiellement perpétuel de la mesure

Le caractère potentiellement perpétuel de la rétention de sûreté porterait également atteinte à différents principes fondamentaux du droit pénal, au rang desquels on retrouve les principes de la légalité des délits et des peines, ainsi que le principe de proportionnalité de la réponse pénale. Virginie Bianchi relève par exemple que « le caractère indéterminé de cette rétention de sûreté viole le principe de légalité des délits et des peines, le principe de personnalité de la responsabilité pénale mais aussi la présomption d’innocence »1897. Selon Yves Mayaud, « autant la privation de liberté justifie que la rétroactivité ne joue pas, autant elle eût pu justifier que la proportionnalité ne fût pas reconnue […] »1898. À l’instar de l’auteur, il paraissait légitime de s’interroger sur la conformité de la rétention de sûreté au principe de proportionnalité. Le Conseil constitutionnel a écarté la pertinence de cette approche. Les prémices de cette solution étaient en germe dans sa décision du 8 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales1899. La Juridiction suprême avait validé la surveillance judiciaire des personnes dangereuses parce qu’elle ne durait pas au-delà de la peine prononcée par la juridiction de jugement. A priori, cette décision ne saurait constituer un précédent pouvant valablement être invoqué. S’appliquant dans la limite de la peine

imposées dans le cadre d’un aménagement de peine, telle une libération conditionnelle, justifiait la réincarcération du condamné en considération de la dangerosité révélée par cette violation. Il en allait de même en cas de non-respect des obligations imposées dans le cadre d’une surveillance judiciaire. On retrouve ici l’idée que le non-respect des obligations imposées dans le cadre d’une mesure de sûreté est susceptible d’être sanctionné par la privation de liberté. Au-delà, apparaît l’idée d’une objectivation de la dangerosité par le choix d’un critère empirique d’évaluation (cf. A. GIUDICELLI (dir.), Le champ de la prévention de la récidive dans sa dimension multi-partenariale, op. cit., p. 85).

1896. Cf. infra, § 2 : « La nécessité d’une évolution vers une optimisation de la dangerosité ». 1897. V. BIANCHI, « Quels droits de la défense pour la personne placée sous surveillance de sûreté ou en

rétention de sûreté ? », op. cit., p. 106. 1898. Y. MAYAUD, « La mesure de sûreté après la décision du Conseil constitutionnel no 2008-562 du 21 février

2008 », op. cit., p. 1359. 1899. Cf. Cons. const., 8 déc. 2005, no 2005-527 DC ; D., 2006, Pan. p. 000 [telle qu’apparaît la reference], obs.

V. OGIER-BERNAUD et C. SEVERINO.

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principale prononcée en rétribution de l’infraction commise, la surveillance judiciaire n’est pas contraire aux principes directeurs de la responsabilité pénale. Le principe même de cette institution, en principe imposée au condamné et consistant en un suivi post-carcéral, est aussi légitimé par l’objectif d’assurer sa réinsertion, particulièrement lorsque son parcours d’exécution de peine aura été chaotique. Elle ne permet rien de plus que d’imposer un certain nombre d’obligations pendant la durée des réductions de peine obtenues qui, est-il besoin de le rappeler, opèrent de manière quasi automatique à raison de trois mois de réduction par année d’emprisonnement pour un délinquant primaire1900. On pourrait donc également considérer que la surveillance judiciaire n’est rien d’autre qu’une mesure de personnalisation de la peine en cours d’exécution conformément à l’article 707 du Code de procédure pénale qui, est-il permis de le rappeler, commande de prendre en compte la personnalité de l’intéressé, dont la dangerosité peut constituer l’un des traits. Par ailleurs, la violation des obligations imposées dans le cadre d’une surveillance judiciaire justifiant la réincarcération du délinquant, le Conseil constitutionnel reconnaît ce faisant la validité des mécanismes consistant en un enfermement post-carcéral. À l’aune de cette réflexion, la transposition de la solution de 2005 à la rétention de sûreté pourrait être envisagée. Elle se heurte cependant à une difficulté qui réside dans le fait que la durée de l’enfermement dépasse le cadre temporel de la peine prononcée par la juridiction de jugement. Martine Herzog-Evans relève en ce sens :

Alors que le Conseil constitutionnel avait, en 2005, validé la surveillance judicaire des personnes dangereuses précisément parce que sa durée était limitée à celle des réductions de peine obtenues, en sorte que la durée maximale de l’enfermement ne dépassait pas celle de la peine, il n’a cette fois pas été choqué par des incarcérations à vie post-sentencielles.1901

Le législateur aurait ainsi réussi, par la loi du 25 février 2008 et l’instauration de la rétention de sûreté et de la surveillance de sûreté, à arracher ce qu’il n’avait pu obtenir en 2005 : l’enfermement à vie des sortants de prison. Un argument fondamental au soutien de la solution du Conseil constitutionnel réside dans le fait que la rétention de sûreté doit avoir été prévue par la cour d’assises dans la décision de condamnation. Cette condition au prononcé d’une rétention de sûreté ab initio établit un lien avec la commission d’une infraction imputable. En outre, les infractions susceptibles de donner lieu au prononcé d’une rétention de sûreté sont passibles de la réclusion criminelle à perpétuité. Ainsi, en considération de l’objectif, assigné aux peines, de protection de la société, il ne paraîtrait pas nécessairement incohérent d’envisager une prolongation de la peine prononcée par la juridiction de jugement pendant la durée de la peine légalement encourue dès lors que la particulière dangerosité du condamné persisterait. Cette faculté offerte au juge reviendrait à admettre la potentialité d’un enferment perpétuel1902 dans le respect des principes directeurs du droit pénal. Les

1900. Au surplus, la pratique a déjà montré que, pour pallier les difficultés inhérentes au prononcé d’une

libération conditionnelle, les juridictions de l’application des peines pouvaient, avec l’accord du condamné, prononcer à la place une surveillance judiciaire.

1901. M. HERZOG-EVANS, « La loi no 2008-174 du 25 février 2008 ou la mise à mort des “principes cardinaux” de notre droit », AP pén., 2008, p. 161.

1902. Le caractère perpétuel de l’enfermement devant alors s’apprécier à l’aune de la jurisprudence européenne (cf. infra, 2.2 : « La rétention de sûreté à l’épreuve de l’article 3 de la Convention européenne »).

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détracteurs de la rétention de sûreté pourraient toutefois vraisemblablement empêcher son prononcé, en dehors de la violation des conditions à l’engagement de la responsabilité pénale, sur le fondement de la réserve d’interprétation formulée par le Conseil constitutionnel.

1.3 La réserve tenant à l’effectivité de la prise en charge médicale

La Haute Juridiction n’a pas estimé que les garanties prévues par le législateur fussent suffisantes à s’assurer de la nécessité de la rétention de sûreté. Pour cette raison, le Conseil a émis une réserve d’interprétation dans laquelle il est venu compléter l’encadrement législatif de la rétention de sûreté, rendant son prononcé plus difficile. Dans le prolongement des garanties législatives, il considère que le placement en rétention de sûreté ne peut être reconnu nécessaire qu’à la condition que le condamné ait, pendant sa détention, bénéficié de soins et d’une prise en charge adéquats en vue d’atténuer sa dangerosité. Ainsi, le Conseil relève « qu’il appartiendra, dès lors, à la juridiction régionale de la rétention de sûreté de vérifier que la personne condamnée a effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l’exécution de sa peine, de la prise en charge et des soins adaptés au trouble de la personnalité dont elle souffre ; que, sous cette réserve, la rétention de sûreté […] est nécessaire au but poursuivi »1903 ; « qu’il en est ainsi lorsque ce condamné a pu, pendant l’exécution de sa peine, bénéficier de soins ou d’une prise en charge destinés à atténuer sa dangerosité mais que ceux-ci n’ont pu produire des résultats suffisants, en raison soit de l’état de l’intéressé, soit de son refus de se soigner »1904. Cette garantie supplémentaire est de nature à constituer un obstacle sérieux au prononcé d’une rétention de sûreté. Christine Lazerges relève dans le même sens que, « quand on sait la misère de la psychiatrie en prison et les difficultés auxquelles se heurte l’administration pénitentiaire pour faire dispenser les soins qu’elle souhaiterait pouvoir faire dispenser, on mesure la portée du frein au prononcé de la rétention de sûreté qu’imposent les sages de la rue Montpensier »1905. La réserve d’interprétation offre donc au condamné justiciable, en se fondant sur l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen1906, la possibilité d’invoquer que la rétention de sûreté est d’une rigueur non nécessaire par l’importance des restrictions apportées à la liberté individuelle et ainsi faire obstacle à son prononcé, voire, le cas échéant, obtenir la levée de son placement1907. En outre, le problème de l’effectivité du soin en prison est relayé par la défaillance de la prise en charge médicale en rétention de sûreté. Le régime applicable en pratique au sein du centre socio-médico-judicaire de sûreté ne répond pas aux

1903. Cf. décision précitée du Cons. const., 21 févr. 2008 – décision no 2008-562 DC, cons. 21. 1904. Ibid., cons. 19. 1905. C. LAZERGES, « La rétention de sûreté : le malaise du Conseil constitutionnel », op. cit., p. 731. 1906. DDHC, art. 9 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé

indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »

1907. Une fois étudiée la réserve d’interprétation formulée par le Conseil constitutionnel, on ne peut que rester perplexe devant le fait qu’il ait dans le même temps validé l’application immédiate de la surveillance de sûreté, quand on sait par ailleurs que la rétention de sûreté peut sanctionner une surveillance de sûreté dont les obligations n’ont pas été respectées. Parallèlement aux garanties renforcées entourant le prononcé d’une rétention de sûreté ab initio, le placement en rétention peut tout aussi bien résulter de la sanction d’une surveillance de sûreté dont l’application immédiate n’a pas été censurée. Comme le relève Christine Lazerges, « ce n’est pas le moindre des paradoxes de la décision du Conseil constitutionnel […], sa cohérence interne en pâtit » (C. LAZERGES, « La rétention de sûreté : le malaise du Conseil constitutionnel », op. cit., p. 731).

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objectifs assignés par la loi. Cette double carence dans la prise en charge médicale vient renforcer les obstacles à la rétention de sûreté, qu’il s’agisse de son prononcé ou de son exécution1908. Dans l’attente de cette hypothétique prise de conscience par les juridictions régionales de la rétention de sûreté, il est permis de se tourner vers la Cour européenne des droits de l’homme. Plus généralement, c’est la conventionnalité de la rétention de sûreté qui sera questionnée1909.

2. La conventionnalité de la rétention de sûreté

La rétention de sûreté est susceptible de poser problème au regard de deux garanties de la Convention européenne, le droit à la sûreté prévu par l’article 5, §1 de la Convention (2.1) et la prohibition des traitements inhumains et dégradants découlant de son article 3 (2.2)1910.

2.1 La rétention de sûreté à l’épreuve de l’article 5, §1 de la Convention européenne

La privation de liberté d’une personne considérée comme dangereuse alors qu’elle a purgé sa peine peut rentrer dans l’un des cas prévus à l’article 5, §1. Il s’agit du e), prévoyant la détention de personnes présentant des risques pour elle-même et pour autrui, notamment celle des aliénés. Certes, la Cour européenne a déjà jugé que la détention de sûreté allemande ne pouvait être fondée sur l’article 5-1 e)1911. Cependant, récemment, elle a décidé que lorsque la prolongation de la détention du requérant avait été motivée par l’existence de troubles mentaux auxquels il était indispensable de remédier en le faisant bénéficier d’un traitement approprié, elle pouvait, nonobstant la qualification de peine, rétroagir1912. Cette solution trouverait sa justification dans le caractère curatif de la détention de sûreté. Sans vouloir établir un pont entre troubles mentaux et dangerosité, il semble cependant que cet assouplissement dans la jurisprudence de la Cour soit de nature à légitimer la rétention de sûreté sur le fondement de l’article 5-1 e), cette dernière ayant pour vocation de traiter la

1908. La rétention de sûreté prend la forme d’un placement dans un centre socio-médico-judiciaire – à ce jour,

on n’en compte qu’un seul, situé au sein de l’établissement pénitentiaire de Fresnes. Cependant, les modalités de prise en charge au sein du CSMJS ne satisfont pas les missions assignées par la loi, notamment celles ayant trait à la prise en charge pluridisciplinaire des personnes retenues. Conformément aux articles 706-53-13 et R. 53-8-55 du Code de procédure pénale, l’objectif assigné par la loi au CSMJS est de proposer aux personnes retenues, « de façon permanente, une prise en charge médicale, psychologique et sociale destinée à réduire leur dangerosité et à permettre la fin de la mesure de rétention ». Les carences constatées par le contrôleur général des lieux de privation de liberté à l’occasion de la première visite du centre de Fresnes, et relatées dans l’avis du 6 février 2014, devaient se trouver confirmées lors d’une deuxième visite réalisée à une année d’intervalle, en octobre 2014, et donnant lieu à l’avis du 5 octobre 2015. Le contrôleur rappelle que, dans sa conception, « loin d’être une fin en soi et, par conséquent une privation de liberté perpétuelle », la rétention de sûreté devrait être « un instrument d’évolution destiné à mettre fin au caractère “dangereux” de la personne ». Le centre socio-médico-judiciaire ne doit pas être « un mouroir, mais un outil de guérison, donc de réinsertion ». Il en découle assez logiquement un alignement du régime des personnes retenues sur celui des personnes détenues. D’ailleurs, si l’on s’intéresse à la durée des placements opérés entre 2011 et 2013, quatre au total sur cette période, force est de souligner leur brièveté – 41 jours deux fois, 86 jours et 88 jours.

1909. Cf. infra, 2. : « La conventionnalité de la rétention de sûreté ». 1910. Cf. J. PRADEL, « Mesures de sûreté privatives de liberté et Convention européenne des droits de

l’homme », op. cit., p. 737. 1911. Cf. CEDH Haidn c./ Allemagne, 13 janv. 2011, rep. no 6587/04. 1912. Cf. CEDH, 7 janv. 2016, no 23279/14, Bergmann c/ Allemagne, JurisData no 2016-000130 ; Dr. pén., 2016,

comm. 70, V. PELTIER, JCP G 2016, 94.

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particulière dangerosité du condamné. En outre, la particulière dangerosité est corrélée à l’existence de troubles graves de la personnalité dont la distinction avec les troubles psychiques ou neuropsychiques, exigés au titre de l’article 122-1 du Code pénal, n’est pas toujours aisée à établir1913. La rétention de sûreté ne semble pas plus attaquable au regard de l’article 3 de la Convention.

2.2 La rétention de sûreté à l’épreuve de l’article 3 de la Convention européenne

La potentialité d’une privation de liberté perpétuelle découlant de la rétention de sûreté est-elle compatible avec l’article 3 de la Convention prohibant les traitements inhumains et dégradants ? La « peine » de rétention de sûreté n’est-elle pas susceptible de constituer un traitement inhumain et dégradant ? Il est aujourd’hui acquis qu’une peine perpétuelle n’est pas incompatible avec l’article 3 de la Convention, à condition que le condamné puisse, dès le jour du prononcé de sa peine, avoir une possibilité de réexamen de sa condamnation – peine compressible de jure – et une perspective d’élargissement – peine compressible de facto1914. Dans une affaire récente1915, les juges européens ont considéré qu’une période d’attente de quarante ans pour que les personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle puissent espérer un réexamen de leur peine était une période nettement plus longue que le cadre maximal recommandé de vingt-cinq années, établi à partir de considérations tirées du droit comparé et du droit international. La Cour rappelle que s’il appartient aux États de définir le délai de réexamen, ils ne sauraient disposer d’une marge d’appréciation illimitée. Le délai de vingt-cinq ans mentionné par la Cour dans l’arrêt Vinter correspond à celui généralement retenu dans les droits nationaux et internationaux. En vertu de la jurisprudence européenne, si ce délai n’est pas impératif, les États ne sauraient retenir des durées excessivement plus longues. En tout état de cause, ils ne peuvent échapper à cette durée maximale sans démontrer que le réexamen intervient in concreto plus précocement1916. Une telle hypothèse se trouve vérifiée lorsque la peine peut faire l’objet de réexamens périodiques afin de s’assurer que le détenu n’a pas évolué sur le chemin de l’amendement de telle sorte que plus aucun motif légitime « d’ordre pénologique »1917 ne justifie son maintien en détention. Il convient, à la lumière de ces éléments, de (re)considérer la conventionnalité de la rétention de sûreté au regard de l’article 3 de la Convention. En effet, aux termes des dispositions législatives régissant cette mesure1918, il résulte que la situation de l’individu placé en rétention de sûreté est examinée d’office à l’issue d’un délai d’un an puisque « la décision de rétention de sûreté est valable

1913. Cf. infra, § 2 : « La nécessité d’une évolution vers l’optimisation de l’évaluation de la dangerosité ». 1914. Cf. CEDH, 12 févr. 2008, no 21906/04 Kafkaris c/ Chypre : JurisData no 2008-010468 ; CEDH, Gr. Ch.,

9 juill. 2013, nos 66069/09, 00130/10 et 03896/10, Vinter et A. c/ Royaume-Uni : JurisData no 2013-022188 ; CEDH, 26 avr. 2016, no 10511/10 Murray c/ Pays-Bas : JurisData no 2016-007793.

1915. CEDH, 4 oct. 2016, nos 37871/14 et 73986/14, T.P. et A.T. c/ Hongrie, Dr. pén., 2016, comm. 182, obs. É. BONIS-GARÇON.

1916. Ainsi, le délai de 30 ans prévu par le droit français a été jugé conforme par la Cour européenne à la norme européenne/l’article 3 de la Convention, dans la mesure où était comptabilisé dans cette durée, le temps d’exécution de la peine mais aussi la durée de la détention provisoire subie durant la procédure (cf. CEDH, 13 nov. 2014, no 40014/10, Bodein c/ France, § 61 : JurisData no 2014-026649 ; Dr. pén., 2015, comm. 15, É. BONIS-GARÇON).

1917. Cf. CEDH, 4 oct. 2016, préc., Dr. pén., 2016, comm. 182, obs. É. BONIS-GARÇON. 1918. C. pr. pén., 706-53-13 et suiv. du Code de procédure pénale.

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pour une durée d’un an »1919. À cette occasion, il est prévu que « la rétention de sûreté peut être renouvelée, après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, selon les modalités prévues par l’article 706-53-15 et pour la même durée, dès lors que les conditions prévues par l’article 706-53-14 sont toujours remplies »1920. L’article 706-53-15 du Code de procédure pénale prévoit notamment que, pour décider du renouvellement de la rétention de sûreté, la juridiction régionale de la rétention de sûreté « statue après un débat contradictoire et, si le condamné le demande, public, au cours duquel le condamné est assisté par un avocat choisi ou commis d’office ». En outre, « la contre-expertise sollicitée par le condamné est de droit ». Aux termes de ces dispositions, le bien-fondé de la « peine » exécutée par le détenu fait l’objet d’un réexamen selon la périodicité d’une année. De plus, et cela constitue le second critère utilisé par la Cour européenne pour se prononcer sur la conventionnalité de la mesure au regard de l’article 3 de la Convention, la procédure de réexamen est entourée de garanties procédurales. Il est permis d’ajouter que le condamné peut aussi, conformément aux dispositions de l’article 706-53-17 du Code de procédure pénale, demander sa mise en liberté en cours d’exécution, en saisissant à cette fin la juridiction régionale de la rétention de sûreté. Le législateur impose seulement « un délai de trois mois à compter de la décision définitive de rétention de sûreté ». Il est même « mis fin d’office à la rétention si cette juridiction n’a pas statué dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande »1921. La législation ajoute qu’« en cas de rejet de la demande, aucune autre demande ne peut être déposée avant l’expiration d’un délai de trois mois ». C’est autrement dire qu’une nouvelle demande de mise en liberté peut être formulée trois mois seulement après le rejet de la précédente. Finalement, il importe de relever que la juridiction régionale de la rétention de sûreté devrait par ailleurs mettre fin d’office à la rétention de sûreté si les conditions n’étaient plus réunies1922. La situation de la personne placée en rétention de sûreté est donc potentiellement évolutive à très court terme à l’initiative du détenu ou à court terme de la juridiction régionale de la rétention de sûreté. Ainsi, non seulement le réexamen de la rétention de sûreté est donc possible in jure et de facto, mais encore, cette procédure est entourée de garanties processuelles. Si l’on combine la possibilité de réexamens périodiques de la peine afin de s’assurer que la personne placée en rétention de sûreté n’a pas évolué sur le chemin de la guérison aux garanties procédurales entourant le réexamen, il y a donc peu de chances, si la Cour européenne était saisie de la conventionnalité de la rétention de sûreté sur le fondement de l’article 3 de la Convention, qu’elle conclue à la violation de ce dernier. L’étude de la conformité de la rétention de sûreté aux droits interne et européen avait pour ambition de montrer que la prise en compte de la particulière dangerosité d’un individu qui a purgé sa peine n’entre en contradiction ni avec les principes directeurs de la responsable pénale, ni avec les objectifs assignés à la répression. Sa légitimité se trouverait cependant encore accrue par une meilleure évaluation de la dangerosité des délinquants.

1919. C. pr. pén., art. 706-53-16, al. 1er. 1920. C. pr. pén., art. 706-53-16, al. 2. 1921. C. pr. pén., 706-53-17. 1922. C. pr. pén., art. 706-53-18.

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§ 2 - La nécessité d’une évolution vers l’optimisation de l’appréhension de la dangerosité

Signe de l’enjeu de la question, l’évaluation de la dangerosité est devenue une notion centrale dans le cadre de la prévention de la récidive, conduisant même à la généralisation des évaluations des délinquants lors de leur parcours pénal. Des préconisations pourront être faites en vue de son amélioration (A.). Cependant, les conséquences découlant d’un diagnostic positif de dangerosité combinées à l’impossibilité d’établir avec certitude l’existence de ce trait de personnalité pourraient conduire à préconiser l’abandon de toute référence formelle à la dangerosité. Autrement dit, la perspective d’un droit pénal épuré de la notion expresse de dangerosité pourrait voir le jour (B.).

A. Pour une meilleure évaluation de la dangerosité

Des progrès dans l’évaluation de la dangerosité supposent au préalable de cerner précisément l’objet de l’évaluation. Il s’agira donc dans un premier temps d’apporter une définition de la dangerosité (1.). L’objet de l’évaluation identifié, il sera permis de mettre en exergue des failles dans les méthodes communément utilisées (2.) avant de promouvoir la pluridisciplinarité de l’analyse (4.) fondée sur des critères empiriques (3.).

1. Le préalable d ’une définition de la notion

Jusqu’à une loi relativement récente, la dangerosité ne faisait l’objet d’aucune tentative de définition. Depuis, la loi no 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l’exécution des peines, la notion de dangerosité y recouvre deux acceptions : l’une psychiatrique, se définissant comme un risque de passage à l’acte principalement lié à un trouble mental, l’autre criminologique, ayant trait à la forte probabilité que présente un individu de commettre une nouvelle infraction empreinte d’une certaine gravité. La recherche menée en Charente-Maritime sur la prévention de la récidive1923 a eu notamment pour mérite d’apporter un éclairage sur l’acception « judiciaire » du concept de dangerosité. Il semble que l’on puisse d’emblée écarter la notion de « dangerosité psychiatrique ». Il a en effet été observé que la dangerosité telle qu’elle est évaluée par les différentes instances appelées à statuer au long du parcours pénal d’un individu (qu’il s’agisse, par exemple, pour la phase post-sentencielle, des juridictions de l’application des peines ou des instances particulières d’évaluation à dimension pluridisciplinaire1924) est détachée de l’existence d’une pathologie mentale structurée ou évolutive. On ne peut qu’approuver l’exclusion de la dangerosité psychiatrique dans l’appréhension de la dangerosité, dans la mesure où cette acception n’était pas exempte de critiques. Au-delà du « mélange des genres entre les troubles psychiatriques et le crime »1925, « la distinction entre le normal et le pathologique est très artificielle et, pour

1923. Cf. A. GIUDICELLI (dir.), Le champ de la prévention de la récidive dans sa dimension multi-partenariale, op. cit. 1924. Centre national d’évaluation, Commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, des juridictions de

l’application des peines… 1925. V. BIANCHI, « Quels droits de la défense pour la personne placée sous surveillance de sûreté ou en

rétention de sûreté ? », op. cit., p. 106.

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avoir une quelconque valeur pénale, devrait être objectivable et reposer sur des faits »1926. De nombreux auteurs, après Jean Bergeret1927, en France, ont démontré que la distinction entre le normal et le pathologique était excessivement arbitraire. En outre, « il ne faut pas confondre la pathologie mentale et les troubles de la personnalité »1928 qui se rapprocheraient davantage des causes économiques et sociales. De plus, ce sont plutôt les troubles de la personnalité qui génèrent la commission d’infractions. Or, il est notoire que les profils de personnalité ont profondément évolué en raison des changements opérés dans nos sociétés. La plupart des cliniciens s’accordent pour constater une évolution des psychismes rencontrés depuis quelques décennies. Les structurations dites névrotiques, données comme plus stables et plus compatibles avec la vie en société, sont en forte régression numérique au profit de formations psychiques intermédiaires à plus forte impulsivité, à moindre contrôle émotionnel. Dans la population, la composante psychotique est beaucoup plus perceptible. En outre, les addictions prennent plus aisément de la force sur de telles structures. Au final, les organisations limites de la personnalité – borderline –1929, les pathologies du narcissisme1930, les perversions, à l’instar du « pervers quelconque » d’Eugène Enriquez1931, la banalité extrême des conduites addictives, avec et sans produits, et leurs retentissements cognitifs s’ajoutent à d’autres facteurs psychosociaux1932 pour accroître considérablement le nombre d’individus souffrant de troubles de la personnalité dans la société et susceptibles de passer à l’acte. L’exclusion de la dangerosité psychiatrique a aussi pour mérite de clore la discussion sur la probabilité du retour du fait biologique dans l’explication de la délinquance1933. La théorie du criminel-né défendue en son temps par Cesare Lombroso a fait long feu, même si l’on ne peut contester que le matériel génétique joue un rôle. Il existe par exemple des familles où l’on retrouve un ou plusieurs cas de psychoses maniaco-dépressives, sous une forme typique ou atténuée, mais sans qu’il ne soit possible d’individualiser des gènes ou un ensemble de gènes1934. Finalement, la seule explication que l’on pourrait avancer à l’appréhension pénale de la dangerosité psychiatrique tient au fait que la seule évaluation qui sera faite d’une éventuelle dangerosité, quelle que soit sa nature, sera faite par des experts psychiatres. On devrait donc conclure que c’est plutôt la notion de dangerosité criminologique qui anime le système pénal. Ainsi, « l’individu va apparaître ou non dangereux pour la société eu égard au risque de commission d’une nouvelle infraction »1935.

1926. Cf. A. GIUDICELLI (dir.), Le champ de la prévention de la récidive dans sa dimension multi-partenariale, op. cit., p.

127. 1927. J. BERGERET, « La personnalité normale et pathologique », Dunod, 1974. 1928. Ibid. 1929. J. BERGERET, plusieurs ouvrages, dont La Dépression et les États-limites, Dunod, 1975, et J. BERGERET,

W. REID et al. : Narcissismes et États-limites, Dunod, 1985. 1930. O. KERNBERG, La Personnalité narcissique, Éditions Privat, 1991. 1931. E. ENRIQUEZ, « L’idéal type de l’individu hypermoderne : l’individu pervers ? », in N. AUBERT (dir.) et al.,

L’individu hypermoderne, Érès, 2017, p. 51. 1932. Famille, métier, territorialisation, croyances diverses. 1933. Comme cela a été établi dans le cadre de la recherche menée sur la prévention de la récidive en Charente-

Maritime, la possibilité d’une cause médicale à la délinquance reste envisagée en présence d’infractions à caractère sexuel (cf. Le champ de la prévention de la récidive dans sa dimension multi-partenariale, op. cit., p. 127).

1934. Qu’importe, d’ailleurs, car s’il est une réalité sur laquelle personne ne peut avoir de prise, c’est bien celle du capital génétique d’un individu. Nous ne sommes pas des roses de jardin botanique (HERGE, Les Bijoux de la Castafiore, éditions Casterman), même si certains personnages de fiction se sont essayés à produire un homme nouveau (Mary SHELLEY, Frankenstein, 1816).

1935. É. GOMEZ et C. MARIE, « L’évaluation pluridisciplinaire de la dangerosité », in Le champ de la prévention de la récidive dans sa dimension multi-partenariale, op. cit., p. 127.

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Cela étant, la notion de dangerosité criminologique ne trouve pas plus les faveurs de la doctrine. Mireille Delmas-Marty, à l’occasion d’un colloque organisé par la Fédération protestante de France le 22 juin 2011, considérait qu’« une dangerosité dite criminologique […] est un terme encore plus vague que la dangerosité psychiatrique qui est liée à la maladie mentale ». Il nous apparaît plus judicieux, dans le cadre de cette étude, de dénommer la dangerosité innervant le système pénal par l’expression de « dangerosité sociale » pour signifier qu’elle prend en compte les risques générés pour la société. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle est parvenue la recherche menée sur la prévention de la récidive : Si l’approche de la notion de dangerosité rejoint celle de dangerosité criminologique, selon la dichotomie opérée par le législateur entre dangerosité psychiatrique et dangerosité criminologique, il est apparu que ce clivage artificiellement polysémique de la notion invitait en pratique à considérer la dangerosité dans une dimension sociale. La préoccupation de la société ressort avec une acuité particulière de l’importance de la projection de la dangerosité des détenus à l’extérieur dans la décision d’octroi d’un aménagement de peine. Quant à l’origine de cette dangerosité sociale, elle serait donc plus vraisemblablement à rechercher dans l ’existence, chez les personnes, de troubles de la personnalité. Ces considérations trouvent un écho dans le caractère multifactoriel des critères d’évaluation de la dangerosité consistant alors en l’analyse de contingences matérielles, sociales et familiales structurantes1936. C’est d’ailleurs sur la base d’un inventaire de critères empiriques qu’il sera proposé de se fonder afin d’améliorer l’évaluation de la dangerosité.

2. La critique des outils traditionnels d ’évaluation

Il importe de préciser que les propositions en vue d’une meilleure évaluation de la dangerosité vont concerner un individu ayant déjà fait l’objet d’une condamnation pénale. Une double justification à ce postulat de départ peut être avancée. La première tient à l’acception retenue de la dangerosité qui s’apparente à celle de dangerosité criminologique – risque de commission d’une nouvelle infraction. La seconde tient au fait que la dangerosité suppose une approche pragmatique : elle doit être objectivable pour éviter l’écueil de l’arbitraire. En d’autres termes, elle repose notamment sur la prise en compte de la gravité et/ou de la multiplication des infractions antérieurement commises. De ce point de vue, les outils traditionnels d’évaluation de la dangerosité, qu’il s’agisse de la méthode clinique (2.1) ou actuarielle (2.2), peuvent faire l’objet de critiques.

2.1 La critique de la méthode clinique

En réalité, plus que la méthode clinique elle-même, c’est l’exclusivité du recours à la méthode clinique qui poserait problème. La méthode clinique « repose pour l’essentiel sur les entretiens avec la personne, la réalisation d’expertises psychiatriques et/ou psychologiques,

1936. Loc. cit.

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l’observation de l’intéressé placé dans le Centre national d’évaluation ou le passage devant la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté »1937. Figure de proue de la méthode clinique, l’expertise psychiatrique soulève plusieurs difficultés. La première tient au fait que l’on a assisté au dévoiement de la fonction première des experts psychiatres. En effet, « l’expertise psychiatrique a été déroutée de sa fonction initiale. La focalisation législative sur la dangerosité criminologique a détourné les experts de leurs missions premières d’évaluation de la dangerosité psychiatrique en leur conférant une omnipotence prédictive de récidive, attente totalement fantasmagorique »1938. L’examen psychiatrique à visée diagnostique et thérapeutique « s’est mué en une expertise de dangerosité criminologique imposant à l’homme de l’art, au-delà de ses compétences et de son savoir, de faire œuvre de prédiction. L’expert n’énonce plus seulement la responsabilité du condamné, pas plus qu’il n’est sollicité pour ses fonctions premières de soignant, pour lesquelles il est compétent. Il doit définir son degré de dangerosité et, partant, son risque de récidive »1939. On fait donc appel à lui « afin de sonder l’impossible, de cerner le divinatoire qu’est la dangerosité du délinquant »1940. Or, aucune expertise psychiatrique ne peut garantir, sauf à la marge, l’absence de dangerosité d’un prévenu qui a commis une infraction d’une particulière gravité, pas plus qu’il n’est possible d’affirmer qu’un alcoolique averti ne boira plus jamais1941. En soi, l’acte est le signe manifeste d’un dérèglement du rapport à la réalité, un effacement des considérations éthiques et du respect d’autrui1942. La question est donc de s’interroger sur la portée réelle de l’acte. Le contexte est aussi à prendre en compte. Or, le propre d’un contexte étant de pouvoir se renouveler, aucune expertise ne peut garantir que celui qui a manqué de discernement à un moment donné, au point de commettre un acte pénalement punissable, ne sera pas amené à le renouveler, quand l’histoire se répètera. Dans le même sens, Arnaud Coche, dénonçant le manque de fiabilité présent et à venir des expertises de dangerosité criminologique, considère qu’« elles créent donc l’illusion, sans cesse déçue, d’une appréciation qui serait scientifique de la dangerosité »1943. En outre, le spectre de la sanction pénale pesant désormais sur les psychiatres est de nature à fausser leur diagnostic de dangerosité sociale, en les incitant à répondre le plus souvent par la négative1944. D’autres paramètres que l’expertise sont de nature à fausser l’évaluation de la dangerosité. L’un d’entre eux, majeur, concerne l’évaluation de la dangerosité en prison. Il tient à la corrélation établie entre le suivi de soins par le détenu et l’obtention de certains avantages, notamment en termes d’aménagement de peine. Le risque d’une évaluation biaisée de la dangerosité des détenus est accru par le refus de certains psychiatres intervenant en prison de communiquer à l’autorité judiciaire un minimum d’informations concernant l’évolution de leur patient. Devant la difficulté à mettre en place un secret partagé – l’étude réalisée

1937. É. GOMEZ et C. MARIE, op. cit., p. 89. 1938. Ibid., p. 128. 1939. P. Mistretta, « Le schizophrène, le psychiatre et les démences du droit pénal (à propos de CA Aix-en-

Provence, 31 mars 2014, no 150-2014) », Dr. pén., 2014, étude 14. 1940. Ibid. 1941. Cf. H. GOMEZ, « La violence dans la problématique alcoolique », in Violences aux personnes,

R. COUTANCEAU (dir.) et J. SMITH, Dunod, 2014, p. 92. 1942. Loc. cit. 1943. A. COCHE, « Faut-il supprimer les expertises de dangerosité ? », RSC, 2011, p. 21. 1944. Cf. infra, B. : « Le questionnement sur la suppression pure et simple de toute référence à la notion de

dangerosité ».

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en Charente-Maritime a témoigné de certains heurts dans le fonctionnement du partenariat médical/justice 1945 –, une réflexion devrait être menée pour créer les conditions légales d’une meilleure complémentarité1946. Pour autant, il ne s’agit pas de condamner tout recours à la méthode clinique. S’il peut paraître souhaitable d’écarter le recours à l’expertise de dangerosité1947, en revanche, le recours aux expertises médicales ne doit pas être totalement écarté dans la mesure où on peut considérer « tout coupable » comme « plus ou moins perturbé, plus ou moins responsable ». Nous parviendrons à la même conclusion d’un usage parcimonieux de la méthode actuarielle.

2.2 La critique de la méthode actuarielle

A priori, cette approche statistique de la dangerosité, d’essence nord-américaine/anglo-saxonne, ne saurait être privilégiée en droit interne. Pour le comprendre, il est permis de rappeler en quoi elle consiste. Elle repose sur « la construction statistique de “groupes à risque” identifiés comme ayant une plus forte probabilité de récidiver, l ’appartenance à un de ces groupes permettant alors d’affecter à chaque individu des scores de probabilité »1948. Le droit interne ne peut s’accommoder de l’affectation à un individu de score de probabilité de récidive. En outre, lorsque l’on consulte les premières échelles d’évaluation, on peut observer qu’elles ne contenaient que des facteurs statiques ou immuables insusceptibles de tenir compte de l’évolution des détenus tout au long de leur parcours judiciaire1949. Des progrès ont cependant accompagné les nouvelles générations d’instruments statistiques, à l’instar de l’adjonction, au côté des facteurs statiques ou immuables, d’items cliniques ou dynamiques. Pourraient-ils aider à reconsidérer la question de l’intégration, en droit positif, de la méthode actuarielle ? S’ils sont de nature à influer sur leur prise en compte dans l’évaluation des risques de récidive, leur manque de performance plaide en faveur d’une mixité de la méthode d’évaluation1950. La recherche, précédemment évoquée, menée en Charente-Maritime a surtout permis de mettre en exergue la pertinence d’outils empiriques.

3. La pertinence d ’outils empiriques

La recherche a mis en évidence la priorisation d’une pluralité de critères fondés sur « une connaissance approfondie et continue des détenus »1951 et, au-delà, le fait que la mutualisation

1945. Cf. A. GIUDICELLI (dir.), Le champ de la prévention de la récidive dans sa dimension multi-partenariale, op. cit. 1946. Cf. infra, 4. : « La pluridisciplinarité supposant le multipartenariat, à l’origine d’une évaluation plus de la

dangerosité ». 1947. Cf. infra, B. : « Le questionnement sur la suppression pure et simple de toute référence à la notion de

dangerosité ». 1948. É. GOMEZ et C. MARIE, op. cit., p. 89. 1949. Dans le cadre des instruments de première ou deuxième génération, la prédiction reposait sur une

combinaison de critères préétablis au moyen de calculs statistiques liés à l’âge et au passé criminel. 1950. Ils ont d’ailleurs aujourd’hui laissé place aux outils actuariels des cinquième ou sixième génération. Ce qui

paraît envisageable est l’utilisation des outils de dernière génération reposant sur des facteurs statiques et dynamiques, sous réserve que ces derniers soient adaptés aux spécificités de la population française.

1951. É. GOMEZ et C. MARIE, op. cit., p. 124.

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des « savoirs acquis sur les personnes détenues » conditionne une évaluation qualitative de la dangerosité du sujet1952. Bien que relativement empiriques, « ces derniers ont vu leur légitimité résulter de leur utilisation répétée par les différentes instances appelées à statuer au long du parcours pénal de l’intéressé, qu’il s’agisse notamment des juridictions de l’application des peines ou des instances particulières d’évaluation à dimension pluridisciplinaire »1953. Il a été possible de scinder ces critères empiriques en deux catégories en distinguant, d’une part, les facteurs internes d’évaluation de la dangerosité1954 et, d’autre part, les facteurs externes d’évaluation de la dangerosité. À leur tour, ces derniers ont été subdivisés en deux catégories antagonistes : les facteurs externes négatifs de dangerosité1955 et les facteurs externes positifs de dangerosité1956. L’analyse de l’ensemble de ces critères a révélé l’importance des facteurs matériels et structurants dans l’évaluation de la dangerosité. Elle a aussi permis de livrer l’enseignement selon lequel la dangerosité présentait un caractère multifactoriel et que son évaluation supposait, de manière corrélative, une approche pluridisciplinaire mêlant pénal, sanitaire et social. En écho, le droit positif s’est orienté vers la mise en place d’organes pluridisciplinaires.

4. La pluridisciplinarité supposant le multipartenariat, à l ’origine d ’une évaluation plus qualitative de la dangerosité

Une évaluation plus qualitative de la dangerosité réside donc dans la pluridisciplinarité. On compte un certain nombre d’instances à dimension pluridisciplinaire dont certaines sont locales, c’est-à-dire constituées dans des établissements pénitentiaires, à l’instar de la Commission pluridisciplinaire unique du centre de détention de Bedenac, alors que d’autres existent au niveau national ou régional, tels les centres nationaux d’évaluation1957 et les

1952. Le meilleur exemple consiste dans le rôle joué par les CPIP qui constituent des acteurs majeurs dans la

prévention de la récidive (loc. cit.). 1953. Cf. É. GOMEZ et C. MARIE, op. cit. À l’inverse, pour une proposition de critères juridiques de dangerosité,

il est permis de consulter la thèse d’Arnaud Coche (A. COCHE, La détermination de la dangerosité des délinquants en droit pénal, PU Aix-Marseille, 2005). Selon Gilda Roussel, « l’intérêt de cette thèse réside dans l’analyse par son auteur des critères de dangerosité. Il estime pertinents ceux qui tiennent à la nature de l’acte, au mobile, au mode opératoire, à la qualité de la victime, à l’existence d’autres infractions, au passé pénal du délinquant. À l’inverse, il rejette les critères liés à la préméditation, à la circonstance de nuit, à la gravité du dommage, au caractère odieux de l’infraction car ils ne permettent pas de considérer la probabilité d’une nouvelle infraction » (G. ROUSSEL, RSC, 2006, p. 216).

1954. Au rang desquels on trouve par exemple la capacité d’introspection et de remise en cause, la propension à l’impulsivité ou à la violence, la capacité d’adaptation à la vie carcérale, l’âge (cf. É. GOMEZ et C. MARIE, op. cit., p. 89 et suiv.).

1955. Au rang desquels on trouve l’exemplarité du parcours d’exécution de peine ou l’existence d’un projet professionnel cadrant et structurant (ibid., p. 100 et suiv.).

1956. Comme l’absence de stratégie d’évitement du contexte infractionnel (ibid., p. 101 et suiv.). 1957. Créé le 15 août 1950, le Centre de triage de Fresnes, devenu dès 1951 le Centre national d’orientation

(CNO), avait vocation à observer la personnalité de la personne détenue afin que soit proposée l’orientation en établissement pour peines la plus adaptée. Cette fonction première n’a cessé de croître. Dans le prolongement de sa mission première, le décret du 6 août 1985 a assigné au centre, devenu Centre national d’observation, la tâche de proposer des modalités de prise en charge des personnes détenues, préalablement à leur affectation en établissement pour peines mais également au cours de l’exécution de leur peine. L’entrée en vigueur de la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental a été décisive de l’extension de son champ d’action en introduisant une nouvelle mission d’évaluation de la dangerosité des condamnés. Cette nouvelle fonction a imposé un changement d’appellation en Centre national d’évaluation (CNE) acté par le décret du 31 mars 2010. Cette dernière mission a été étendue par la loi du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale et par la loi du 10 août

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commissions pluridisciplinaires des mesures de sûreté1958. Bien que leur composition comme leur organisation ou leur fonctionnement appellent un certain nombre d’améliorations1959, la pluridisciplinarité dans l’évaluation de la dangerosité présente l’avantage de supposer le multipartenariat. La recherche menée sur la prévention de la récidive a permis de constater la plus-value apportée par le multipartenariat dans l’évaluation du condamné1960. Cette conclusion n’exclut pas que le fonctionnement partenarial soit susceptible de générer des difficultés, dans la mesure où les professionnels amenés à évaluer obéissent à des valeurs, des normes et des analyses différentes selon leur appartenance institutionnelle et/ou professionnelle1961. Dans le cas de la Charente-Maritime, le partenariat Service pénitentiaire d’insertion et de probation/autorité judiciaire s’est révélé harmonieux, contrairement au partenariat médical/justice pâtissant de heurts stériles. Précisément, une réflexion devrait être menée pour créer les conditions légales d’une meilleure complémentarité. En effet, le principe du secret médical peut enlever toute portée évaluative à la prescription d’une obligation de soins. L’obligation de soins suppose que le dit soin soit adapté et efficace. Une attestation formelle ne peut aider un juge à se faire une opinion concernant l’évolution souhaitable d’un délinquant. De ce point de vue, une attestation explicite pourrait être validée en son principe. Il pourrait aussi être pertinent, afin de rechercher la réalité d’un investissement dans les soins de privilégier le partenariat médical/patient-détenu. Autrement dit, il s’agirait, pour l’avenir, de tenir les experts psychiatres et psychologues à l’écart des enjeux institutionnels en relativisant la portée du partenariat médical-justice en termes d’évaluation de la dangerosité1962. Il apparaît aussi important de préciser que la pluridisciplinarité comme le multipartenariat ne supposent pas la multiplication des avis de dangerosité. La technique du mille-feuilles ne présente pas des garanties supplémentaires d’une meilleure évaluation, notamment, car les différentes institutions appelées à statuer risqueraient alors de ne constituer que des chambres d’enregistrement. Malgré les progrès susceptibles de résulter d’une approche pluridisciplinaire de la dangerosité organisée autour

2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, dans le but de limiter le risque de récidive des délinquants considérés comme dangereux. À ce jour, le CNE offre trois sites d’évaluation, répartis sur le territoire et intégrés au sein d’établissements pénitentiaires : le site du centre pénitentiaire de Fresnes (94), le site du centre pénitentiaire Sud-Francilien (77) et le site du centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin (59).

1958. Elles ont été instaurées par la loi no 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, afin de donner un avis sur la dangerosité et le risque de récidive des personnes condamnées avant la mise en place de certaines mesures de sûreté ou le prononcé d’une libération conditionnelle. Les CPMS sont au nombre de huit et sont situées à Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nancy, Paris, Rennes et Fort-de-France (articles R. 61-7 et A. 37-34 du Code de procédure pénale).

1959. Plusieurs critiques en témoignent. Par exemple, s’il l’on se penche sur la composition de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, il apparaît que « la composition peut interroger quant au sérieux des avis émis » (V. BIANCHI, « Quels droits de la défense pour la personne placée sous surveillance de sûreté ou en rétention de sûreté ? », op. cit., p. 106). En outre, « un avocat doit y être nommé qui représente le barreau au sein de chaque commission, dont l’unique qualité exigée est d’être un membre du Conseil de l’Ordre, qualité éminente s’il en est, mais aucune nécessité de pratiquer le droit pénal et celui, si spécifique, touchant aux aménagements de peine et à la détention. Quant à la pluridisciplinarité, pour ce que j’en sais par les confidences de quelques présidents de CPMS, on se rend compte que le poids du psychiatre qui intervient est bien lourd » (loc. cit.).

1960. Cf. A. GIUDICELLI (dir.), Le champ de la prévention de la récidive dans sa dimension multi-partenariale, op. cit. 1961. Cf. supra, 2.1 : « La critique de la méthode clinique ». 1962. Le contexte terroriste ne semble cependant pas propice à une telle évolution, comme en attestent les

déclarations du Premier ministre d’impliquer les psychiatres dans la lutte contre le terrorisme en participant à la détection des individus dangereux (cf. notamment, lefigaro.fr, 18 août 2017).

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du multipartenariat, les défaillances récurrentes dans l’évaluation de la dangerosité combinée à la volonté de préserver la qualité des expertises médicales, conduisent aussi à s’interroger sur la pertinence d’une suppression pure et simple de toute référence expresse à la notion de dangerosité.

B. Le questionnement sur la suppression de toute référence expresse à la notion de dangerosité

Il ne s’agit pas de préconiser la suppression pure et simple de toute prise en compte de la dangerosité mais d’écarter la référence expresse à la notion pour guider le choix de la sanction dans son quantum ou ses modalités, ou décider d’une mesure post-sentencielle. La notion de prévention de la récidive pourrait alors lui être substituée (1.). Au soutien de cette argumentation, il est possible de se prévaloir de l’existence en droit positif d’une mesure post-sentencielle excluant le fondement de la dangerosité formelle du condamné (2.)

1. La substitution de la notion de prévention de la récidive

Cette proposition trouve un écho dans le Rapport sur le projet de refonte du droit des peines remis au ministre de la Justice le 18 décembre 20151963. Aux termes du rapport, « la commission entend prendre ses distances avec le concept de « dangerosité » qui ne ressortit d’aucune notion juridique et qui, pour le plus grand nombre des personnes consultées et, en particulier, pour les experts psychiatres, ne peut être défini avec précision. Les incertitudes qui entourent une notion qui, en application de certains textes, est pourtant susceptible d’affecter notablement les possibilités d’aménagement de peines, ne peuvent se prolonger et doivent donc être levées »1964. Pour cette raison, l’une des propositions formulées a consisté à substituer l’exigence de prévention de la récidive à la notion de dangerosité. Un autre argument en faveur de cet abandon tient au fait qu’il entraînerait dans son sillage la suppression de l’expertise de dangerosité1965. Par voie de conséquence, il permettrait aussi de remédier au phénomène contemporain de pénalisation des médecins psychiatres. Comme le relève Patrick Mistretta, la transformation du psychiatre en un « prédicteur de dangerosité »1966 s’est accompagnée d’une volonté nouvelle en jurisprudence de vouloir engager sa responsabilité pénale en cas de défaillance. L’exemple d’un médecin psychiatre au sein d’un centre hospitalier est éloquent. Il suivait en 2014 Joël G., admis sous le régime de l’hospitalisation d’office. Alors qu’il venait d’annoncer qu’il allait mettre fin à ses sorties à l’essai, l’intéressé s’est enfui et a assassiné le compagnon de sa grand-mère. Le tribunal correctionnel de Marseille, le 18 décembre 2012, a condamné le médecin à une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis sur le fondement de l’article 221-6 du Code pénal réprimant

1963. Cf. Rapport sur la refonte du droit des peines, op. cit. 1964. Ibid., p. 59. 1965. En faveur de cet abandon également, A. COCHE, « Faut-il supprimer les expertises de dangerosité ? », op.

cit. 1966. P. MISTRETTA, « Le schizophrène, le psychiatre et les démences du droit pénal (à propos de CA Aix-en-

Provence, 31 mars 2014, no 150-2014) », op. cit.

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les atteintes involontaires à la vie1967. La cour d’appel d’Aix-en-Provence, quant à elle, a relaxé le psychiatre le 31 mars 2014, en se fondant sur la prescription de l’action publique. La justice pénale, qui a éloigné le psychiatre de ses fonctions naturelles, s’est donc abstenue de se prononcer sur le fond du droit, en laissant en suspens la question de l’opportunité d’une responsabilité en la matière. Cette question rejaillit avec une acuité particulière à l’aune des déclarations du Premier ministre envisageant, afin de renforcer la lutte contre le terrorisme, d’impliquer les psychiatres dans la détection des individus dangereux1968. En considération de ces éléments, il peut donc apparaître judicieux de préconiser la suppression de toute référence expresse à la dangerosité. Ce n’est pas dire que la notion serait ignorée du droit positif. Elle retrouverait en fait la place qui était la sienne avant la remontée en puissance des mesures de sûreté au travers de l’examen de la « personnalité », dont la dangerosité peut constituer un trait, et « derrière nombre d’expressions telles que “réinsertion”, “reclassement”, “réadaptation”, “amendement”, “période de sûreté”, ou, plus largement, pour “prévenir le renouvellement de l’infraction” »1969. De ce point de vue, une institution récemment créée par le législateur pourrait servir de précédent. Elle consiste en la mini-surveillance judiciaire créée par la loi déjà évoquée du 15 août 2014.

2. L’exemple de la mini-surveillance judiciaire

En application du nouvel article 721-2 du Code de procédure pénale :

Une personne condamnée n’ayant pu bénéficier d’une libération sous contrainte ou d’une libération conditionnelle peut être soumise par le juge d’application des peines, dans le cadre des crédits de réduction de peine et des réductions supplémentaires de la peine et aux seules fins de favoriser son insertion ou sa réinsertion et de prévenir la commission de nouvelles infractions, au respect de certaines mesures de surveillance prévues par l’article 132-44 du Code pénal, de certaines obligations et interdictions prévues à l’article 132-45 de ce même code, celles des 2° et 7° à 14° de ce texte, et bénéficier des mesures d’aide prévues à l’article 132-46.

En complétant l’article 721-2 du Code de procédure pénale relatif aux réductions de peines conditionnelles, la loi du 15 août 2014 a transcendé une pratique judiciaire qui consistait à soumettre un condamné, ne pouvant bénéficier d’une libération conditionnelle ou ne remplissant pas les conditions au prononcé d’une surveillance judiciaire, à un certain nombre d’obligations pendant la durée des réductions de peine obtenues. L’objectif était de lui éviter une « sortie sèche ». Cette technique d’origine prétorienne, conformément à la lettre de l’ancien article 721-2 du Code de procédure pénale, présentait cependant l’inconvénient de ne pouvoir soumettre le condamné qu’à des obligations en lien exclusif avec les victimes. L’apport principal de la réforme tient donc à la mise en place, sur le fondement des

1967. Cf. M. COUTURIER, « La responsabilité pénale du psychiatre dans la prise en charge du malade

dangereux », RDSS, 2013, p. 283 ; A. PONSEILLE, « Autopsie de la responsabilité pénale d’un psychiatre pour homicide involontaire à la suite de l’homicide volontaire commis par l’un de ses patients », Droit et santé, 2013, no 53, p. 327.

1968. Cf. notamment, lefigaro.fr, 18 août 2017. 1969. Cf. A. COCHE, La détermination de la dangerosité des délinquants en droit pénal. Étude de droit français, PU Aix-

Marseille, 2005, no 10, p. 27 et suiv.

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réductions de peines conditionnelles, d’un véritable suivi judiciaire. Le spectre des obligations pouvant être imposées au condamné est élargi avec la possibilité de le soumettre à des mesures de surveillance de l’article 132-44 du Code pénal, à certaines obligations et interdictions de l’article 132-45 ainsi qu’aux mesures d’aide de l’article 132-46 du même code1970. Ainsi, la loi du 15 août 2014 institutionnalise « une sorte de session de rattrapage si une libération sous contrainte ou une libération conditionnelle (CPP, art. 730-3) n’a pas été accordée, en fait, une surveillance judiciaire qui ne dit pas son nom »1971. Cependant, à la différence de la surveillance judiciaire, il est particulièrement notable que « cette mini-surveillance judiciaire peut être prononcée sans que soit exigés un risque avéré de récidive ni une dangerosité du condamné »1972. En revanche, l’objectif d’insertion/réinsertion assigné aux peines est réaffirmé par le nouveau texte au côté de celui de prévention de la commission de nouvelles infractions. Il a ainsi été consacré « l’idée qu’une personne condamnée à une peine d’emprisonnement peut être suivie par l’autorité judiciaire pendant tout cette période, aux fins de favoriser son insertion ou sa réinsertion et de prévenir la commission de nouvelles infractions »1973. Finalement, si le droit pénal du XXIe siècle en venait à « bannir toute recherche d’état dangereux comme une utopie néfaste »1974 au bénéficie de l’objectif de resocialisation des condamnés, sans occulter la protection de la société, on ne pourrait que souscrire à l’entrée du droit pénal dans l’ère post-moderne.

1970. En application du nouvel article 721-2 du Code de procédure pénale, « une personne condamnée n’ayant

pu bénéficier d’une libération sous contrainte ou d’une libération conditionnelle peut être soumise par le JAP, dans le cadre des crédits de réduction de peine et des réductions supplémentaires de la peine et aux seules fins de favoriser son insertion ou sa réinsertion et de prévenir la commission de nouvelles infractions, au respect de certaines mesures de surveillance prévues par l’article 132-44 du Code pénal, de certaines obligations et interdictions prévues à l’article 132-45 de ce même code, celles des 2o et 7o à 14o de ce texte, et bénéficier des mesures d’aide prévues à l’article 132-46 ».

1971. Cf. L. GRIFFON-YARZA, « Nouveau régime des réductions de peine : une grâce législative accordée aux seuls récidivistes », Dr. pén. 2015, étude 6.

1972. Ibid. 1973. Ibid. 1974. R. GASSIN, « La criminologie clinique de Jean Pinatel et la criminologie actuelle », ann. intern. crim., 1999,

p. 27.

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Conclusion –

L’imputabilité n’est définie ni par le législateur ni par la jurisprudence. Il a été rappelé qu’elle était, tout au plus, appréhendée par la négative, par le biais de trois causes d’exonération ou d’atténuation de la responsabilité pénale, que la doctrine a identifiées en tant que causes de non-imputabilité. Cette carence rejoint le silence assourdissant du législateur concernant d’autres notions clefs du droit pénal, à l’instar de l’infraction. La culpabilité, entendue strictement, en tant qu’élément psychologique de l’infraction, est sensiblement mieux lotie. Bien qu’elle ne soit pas formellement définie par le législateur, particulièrement en ce qui concerne la culpabilité intentionnelle, elle fait l’objet d’un article dédié. La jurisprudence apporte aussi ponctuellement une pierre à l’édifice d’une construction d’une théorie de la culpabilité. Il apparaît que cette absence de définition des concepts mobilisés dans la mise en œuvre de la responsabilité pénale s’explique pour partie par les interactions réciproques entre chacune des données précitées. Ainsi, cette étude du concept d’imputabilité dans la théorie de la responsabilité pénale a notamment eu pour objet de tenter de dénouer les rapports entretenus entre les composantes subjectives de la responsabilité pénale. Elle ne pouvait s’effectuer en isolant la notion d’imputabilité, en raison des imbrications possibles avec les autres conditions à l’engagement de la responsabilité pénale. Il est apparu que deux périodes pouvaient être distinguées. Tout d’abord, celle d’essence classique, qui englobe les périodes dites classique et moderne du droit pénal. Il est permis de considérer qu’elle débute avec l’adoption du Code pénal de 1810. Elle est marquée par une conceptualisation balbutiante des notions de culpabilité entendue strictement et d’imputabilité. Malgré la confusion en la matière, il ressort de l’étude menée qu’il était possible d’attribuer un contenu spécifique à chacune d’elles soulignant leur complémentarité fonctionnelle dans la mise en œuvre de la responsabilité pénale. Cependant, l’échec du droit pénal moderne à juguler une criminalité toujours plus violente et en augmentation croissante a favorisé le retour en force d’un néopositivisme pénal au début du XXIe siècle. L’intrusion expresse en droit positif de la dangerosité, marqueur clef de ce courant doctrinal, était de nature à bouleverser l’équilibre établi. Il a importé de déterminer la mesure des conséquences de la remontée de la dangerosité sur la théorie de la responsabilité pénale, en particulier sur l’imputabilité. La démonstration de risques avérés pour la notion a pu être effectuée et, avec elle, la mise au jour de conséquences sur la philosophie du droit de punir. Il ressort cependant de cette étude, particulièrement si l’on fait œuvre de prospection, qu’il ne convient pas d’exclure le recours à la dangerosité mais simplement d’en recentrer l’usage. La promotion d’un droit pénal syncrétique, issu d’une hybridation des systèmes d’essence classique et néopositiviste, pourrait recevoir la qualification de post-moderne, l’épithète signifiant la cohabitation

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pacifiée de la trilogie culpabilité, imputabilité et dangerosité. En d’autres termes, un droit pénal au service des enjeux de la société contemporaine, dans le respect des principes directeurs de la responsabilité pénale.

Le bilan d’une double confrontation

Le bilan de la confrontation culpabilité/imputabilité

La confrontation des deux conditions subjectives de la responsabilité pénale a permis de résoudre les questions de leurs composantes respectives et de leur localisation au sein de la responsabilité pénale, en apportant un éclairage sur leurs fonctions respectives. Les conditions de l’imputabilité. L’extension du champ de la contrainte morale par le rattachement de l’état de nécessité – Il est communément admis qu’il est possible de déterminer la consistance de l’imputabilité par la négative à partir des articles 122-1,122-2 et 122-8 du Code pénal, présentés, par la doctrine majoritaire, comme définissant les causes de non-imputabilité. La difficulté dans la détermination des composantes de l’imputabilité est inhérente à l’imbrication supposée de toutes les données psychologiques de la responsabilité pénale. La question se posait de savoir si elles étaient réunies sous l’égide d’une entité entendue largement, à l’instar de la culpabilité, ou si elles étaient susceptibles d’être distribuées en deux réceptacles distincts, à l’instar de la culpabilité comprise comme élément psychologique de l’infraction et de l’imputabilité. Il a été démontré qu’il était possible de dissocier la culpabilité stricto sensu de l’imputabilité, en dégageant un contenu spécifique à chacune des notions. La culpabilité circonscrite à l’élément psychologique de l’infraction s’apparente à un concept objectivé, correspondant à un degré minimal d’intelligence et de volonté. Par voie de conséquence, l’imputabilité est un concept subjectivé qui se trouve confirmé dans ses conditions traditionnelles relatives à l’existence du discernement de l’agent et d’une volonté libre. La condition relative à l’existence d’une liberté psychologique de l’agent a été déduite de la contrainte prévue par l’article 122-2 du Code pénal. Il a été mis en lumière la rigueur excessive de l’appréciation de la condition d’irrésistibilité par la Cour de cassation. Or, l’assouplissement dans l’appréciation de cette condition devrait logiquement conduire à l’extension du champ d’application de la contrainte morale, au point de pouvoir conclure au rattachement de l’état de nécessité à la contrainte morale. D’un autre côté, l’exclusion de la liberté de mouvement de la composition de l’imputabilité a conféré à la notion de contrainte physique la nature de cause de non-caractérisation de l’infraction. Ainsi, cette étude, de manière opposée, a eu pour ambition, d’une part, d’enrichir la catégorie des causes de non-imputabilité en lui annexant l’état de nécessité traditionnellement présenté comme un fait justificatif et, d’autre part, de réduire cette même catégorie en érigeant la contrainte physique en cause de non-caractérisation de l’infraction. L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’infraction. La fonction téléologique de l’imputabilité – La question s’est alors posée de l’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’infraction, l’autonomie établie de l’imputabilité par rapport à la culpabilité entendue strictement n’impliquant pas son autonomie par rapport à l’infraction. Les solutions du droit positif, tant

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pénales que civiles, ont permis d’établir qu’elle n’était pas une donnée déterminante de la constitution de l’infraction. Dans le domaine du droit pénal, il a été possible de l’établir en étudiant le régime juridique de l’imputabilité, en se prévalant particulièrement du fait que la charge de la preuve de l’existence d’une cause de non-imputabilité appartient au prévenu ou accusé majeur, alors que la charge de la preuve des éléments constitutifs de l’infraction incombe au parquet. Dans le domaine du droit civil, l’exclusion de l’imputabilité de la constitution de la faute civile, particulièrement dans sa composante discernement, a conduit, sur le fondement du principe de l’identité des fautes civile et pénale, à retenir la même solution au regard de la faute pénale. De ce point de vue, la difficulté a consisté à vérifier que l’éclatement du régime unitaire de l’imprudence pénale n’avait pas remis en cause le principe de l’unité des fautes civile et pénale. Afin de conforter la démonstration de l’extranéité de l’imputabilité à l’infraction, il a alors importé de démontrer le rattachement exclusif de l’imputabilité à la responsabilité pénale. La théorie de l’emprunt de criminalité, représentation conceptuelle de droit positif en matière de complicité, combinée à la jurisprudence établie relativement à la répression du complice d’un acte commis par une personne non imputable – qu’il s’agisse d’un aliéné, d’un mineur ou d’une personne contrainte psychologiquement – a permis de conclure à l’extériorité des conditions de l’imputabilité à l’infraction ainsi qu’à leur rattachement subséquent exclusif à la responsabilité. Dans le prolongement, il a alors été possible de mettre en exergue la fonction téléologique de l’imputabilité. L’exigence d’imputabilité dépend en réalité de la conséquence juridique de la responsabilité mise en œuvre. Ainsi, il a été vérifié qu’elle transcendait la distinction des deux ordres de responsabilités pénale et civile pour dépendre de la nature punitive de la mesure susceptible d’être imposée à l’agent. Pour cette raison, il est apparu que la question d’un renouveau de l’exigence d’imputabilité en matière civile mériterait d’être considérée en raison de la consécration récente, en droit positif, de la notion d’amende civile et peut-être, demain, de celle de dommages et intérêts punitifs. L’infraction, une notion autonome objectivée – En creux, la première partie de cette étude a permis de préciser le concept d’infraction. La pierre angulaire du droit pénal n’absorbe pas toutes les données subjectives conditionnant la responsabilité pénale en procédant d’une essence finalement assez objectivée. Il en résulte qu’il est possible de scinder l’étude de l’infraction et l’étude de la responsabilité. Cette perspective, en ouvrant la voie d’une qualification pénale à des faits indépendamment de l’engagement de la responsabilité pénale de l’auteur, est de nature à satisfaire les attentes des victimes dans le respect des principes fondamentaux du droit pénal. Le principe d’une appréciation des conditions de l’imputabilité au moment des faits. La possibilité d’un décloisonnement de l’imputabilité du moment des faits – Un autre enseignement précieux concernant l’imputabilité est ressorti de la confrontation de la notion à celle de culpabilité. Il est inhérent au moment de l’appréciation des composantes de l’imputabilité. Le principe d’une appréciation des conditions de l’imputabilité au temps de l’action découle de la référence législative « au moment des faits » au sein de l’article 122-1 du Code pénal. Cependant, contrairement à l’appréciation des conditions de l’infraction, on peut déroger à ce principe, comme en atteste la démonstration du rattachement de la faute antérieure de l’agent à la caractérisation de l’imputabilité. En d’autres termes, l’existence d’une faute antérieure de

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l’agent ne peut être utilisée pour caractériser l’élément psychologique de l’infraction. L’exigence d’une absence de faute antérieure de l’agent préside en effet, au regard de la jurisprudence, à l’admission de chacune des causes de non-imputabilité, qu’il s’agisse de l’abolition du discernement, de la contrainte ou de l’état de nécessité. Finalement, on peut en déduire que la précision temporelle de l’article 122-1 du Code pénal a pour objet principal de prémunir l’agent d’une appréciation de l’imputabilité postérieurement au moment des faits dans l’hypothèse, par exemple, où la perte de lucidité de l’agent serait restée circonscrite au temps de l’action – autrement dit, si l’agent venait à retrouver une « entière » lucidité postérieurement aux faits. Le lien entre la place des composantes subjectives de la responsabilité pénale et leurs fonctions respectives. L’imputabilité entendue strictement en présence d’un délinquant « sain d’esprit » – Un lien a pu être établi entre la localisation de l’imputabilité et de la culpabilité et leurs fonctions respectives. Les informations relatives à l’imputabilité sont logiquement apparues utiles à la mise en œuvre de la responsabilité pénale, en questionnant l’aptitude psychologique du délinquant à la sanction. En renvoyant d’abord à une aptitude psychologique autorisant le prononcé d’une sanction, l’imputabilité, dans son acception traditionnelle de fondement de la responsabilité pénale, a été confirmée. Dans un système de responsabilité fondé sur une conception rétributive de la responsabilité pénale, l’imputabilité véhicule une valeur éthique. L’évolution vers un système réhabilitatif, resocialisant de responsabilité pénale, nous a amenée à confronter l’imputabilité à la notion doctrinale de capacité pénale, cette dernière s’entendant majoritairement d’une aptitude psychologique à profiter de la sanction pénale. Il a été permis de conclure à l’exclusion d’une substitution de la capacité pénale à l’imputabilité en raison de l’incompatibilité entre le concept de capacité pénale et le caractère rétributif de la responsabilité pénale récemment réaffirmé par le législateur. Il n’a pas plus été question de retenir l’absorption de la capacité pénale dans le concept d’imputabilité en raison de la consécration du principe d’individualisation de la sanction pénale. Il est en effet apparu qu’en présence d’un délinquant « sain d’esprit », la capacité pénale avait vraisemblablement trouvé une traduction juridique concrète dans le principe d’une individualisation subjective de la peine fondée sur la personnalité du délinquant. Pour cette raison, et dans l’hypothèse d’une imputabilité « totale » de l’agent, l’abandon du questionnement relatif à l’autonomisation de la capacité pénale apparaît opportun. La première partie de cette étude a permis de mettre au jour que le droit pénal classique était finalement marqué par une complémentarité à la fois substantielle et fonctionnelle des notions de culpabilité, comprise comme élément psychologique de l’infraction, et d’imputabilité, permettant la mise en œuvre de la responsabilité pénale dans le respect des droits et libertés fondamentaux du délinquant.

Le bilan de la confrontation imputabilité/dangerosité

Un premier bilan victorieux pour la dangerosité De l’objectivation de l’imputabilité dans le cadre de la responsabilité pénale des personnes morales à la substitution de la dangerosité dans le cadre de la responsabilité pénale des personnes physiques – La résurgence de la dangerosité et, dans sa version dépersonnalisée, du risque social, marqueurs

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du néopositivisme contemporain, est à l’origine de deux conséquences marquantes concernant l’imputabilité. La première a consisté dans la rupture de l’homogénéité du concept selon l’entité juridique considérée, personne physique ou personne morale. L’homogénéité de la notion d’imputabilité tenait notamment à la reconnaissance initiale d’une responsabilité indirecte de la personne morale. Cependant, cette théorie dite du substratum, en liant indissolublement le sort de l’organe ou du représentant à celui de la personne morale, aboutissait à une solution du tout ou rien. Particulièrement, la responsabilité indirecte ne permettait pas de répondre pénalement à toutes les atteintes à la vie et à l’intégrité physique. Cette lacune était peu compatible avec l’avènement d’une société qui ne supporte plus la réalisation des risques, notamment le risque social généré par la puissance économique de la personne morale. Pour cette raison, on assiste à une évolution, tant législative que jurisprudentielle, vers l’autonomisation de la responsabilité pénale des personnes morales. Certes, cette évolution n’est pas encore pleinement aboutie, comme en attestent les circonvolutions de la jurisprudence autour de l’exigence d’identification de l’organe ou du représentant de la personne morale. Le phénomène est néanmoins présent. Il nous a conduit à nous interroger sur ses répercussions relativement à la nature de la responsabilité pénale des personnes morales. Cette dernière demeure une responsabilité personnelle d’essence classique. Cependant, l’application directe des composantes traditionnelles de la responsabilité pénale à l’entité abstraite est de nature à induire leur objectivation. Pour éviter l’écueil d’un anthropomorphisme excessif, il incombe en effet de repenser les conditions de la responsabilité pénale. La culpabilité, dont le caractère abstrait a été établi, est préservée d’une dénaturation par objectivation. En revanche, la reconnaissance d’une imputabilité propre à la personne morale ne pouvait qu’induire une mutation par objectivation du concept d’imputabilité. La perte de l’acception subjective de l’imputabilité résulte de l’absence de psychisme propre de la personne morale et, de manière symétrique, du champ restreint des causes de non-imputabilité pouvant être invoquées en propre par la personne morale. Seules les causes de non-imputabilité affectant la volonté peuvent être invoquées par l’entité abstraite. Pour les partisans d’une absorption du concept de capacité pénale par celui d’imputabilité, l’objectivation pourrait également être le résultat de l’amputation de l’imputabilité comprise comme capacité pénale. En d’autres termes, le concept de capacité pénale ne saurait trouver à s’appliquer directement à l’endroit de l’entité abstraite. Au final, l’imputabilité des personnes morales est apparue comme l’ombre objectivée de l’imputabilité déclinée à l’égard des personnes physiques. L’emploi du terme imputation paraîtrait d’ailleurs plus adapté à l’opération visant à mettre directement une infraction sur le compte de la personne morale. Pour cette raison, il a été permis de considérer que l’évolution de la responsabilité pénale des personnes morales avait induit une rupture de l’homogénéité du concept d’imputabilité selon l’entité juridique considérée. Cette dichotomie s’est accompagnée d’un recul de l’exigence d’imputabilité dans le cadre de la responsabilité pénale des personnes physiques, au point même de considérer que la notion pouvait être en danger. La mise en danger de l’imputabilité résulte dans un premier temps de l’éviction ciblée de l’imputabilité par l’infliction de mesures répressives à des personnes au discernement inexistant ou incomplet. Il s’agit d’une éviction sournoise reposant sur l’instrumentalisation de la distinction formelle opérée entre deux catégories de sanctions pénales : les peines et les mesures de sûreté, ces dernières trouvant leur fondement dans la

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dangerosité du sujet. L’abandon de la question du discernement des délinquants « malades mentaux » au profit de leur dangerosité pour leur infliger des pseudo-mesures de sûreté, dont il a été établi qu’elles s’apparentaient en réalité à des peines, en est l’un des stigmates. On assiste là à une substitution pure et simple de la dangerosité à l’imputabilité pour fonder la responsabilité pénale. Si cette concession de l’impératif d’imputabilité est le fait du législateur, par le biais de la loi du 25 février 2008, la jurisprudence, tant interne qu’européenne, ne saisit pas les occasions qui s’offrent à elle de restaurer cette exigence. Afin de rétablir la condition d’imputabilité, tout en prenant en compte les intérêts des victimes sans occulter la dangerosité de certains délinquants nonobstant leur non-imputabilité, une solution de compromis a été recherchée sur le terrain de la procédure pénale. L’approche a pu surprendre, l’imputabilité n’étant traditionnellement pas appréhendée par le biais de la procédurale pénale. C’était autrement questionner la possibilité d’une place spécifique à l’imputabilité dans le procès pénal post-moderne. L’institution procédurale de nature à concilier ces exigences apparemment contradictoires, en ménageant une place spécifique à l’imputabilité, est la césure du procès pénal. La procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental en constitue un exemple en reposant, au stade de l’instruction, sur une division formelle et temporelle entre la décision sur la culpabilité et la décision sur la peine. Théoriquement, cette procédure présentait l’avantage de pouvoir donner une réponse positive sur la culpabilité sans fausser la question de l’imputabilité de l’agent. L’idée était qu’une fois le débat sur la culpabilité de l’intéressé purgé, et les attentes des victimes ainsi satisfaites, un autre pouvait s’ouvrir, de manière plus apaisée, relativement à l’imputabilité de la personne. La dangerosité révélée par la commission de l’infraction pouvait alors justifier le prononcé d’authentiques mesures de sûreté afin de protéger la société. Cependant, en pratique, cette césure du procès pénal déçoit les attentes placées dans cette institution. Elle ne représente donc pas la solution au problème de la pénalisation de la maladie mentale qui pourra être résolu par l’abandon de l’infliction de peines à des aliénés et par l’application d’une procédure moins pénalisante. Quoi qu’il en soit, la tendance à l’évolution vers une conception élargie du procès pénal condamne la perspective d’une place par principe dédiée à l’imputabilité dans le procès pénal post-moderne. D’une manière générale, le risque contemporain d’une éviction de l’imputabilité est aussi attisé par le phénomène contemporain de convergence des peines et des mesures de sûreté. Ce phénomène de convergence établi, il a été proposé, pour préserver l’impératif d’imputabilité, de réunir les peines et les mesures de sûreté en une catégorie unique de sanctions pénales avec l’imputabilité pour fondement, à l’image finalement de ce qui existait sous l’empire de l’ancien Code pénal, quand le législateur ne distinguait pas expressément les peines et les mesures de sûreté. La préservation de l’acception duelle de l’imputabilité en droit pénal des mineurs – L’imputabilité a aussi été ébranlée en droit pénal des mineurs par un glissement de ce droit dérogatoire vers le droit pénal des majeurs. Celui-ci est de nature à attenter à l’imputabilité dans sa double acception de fondement et d’aptitude à profiter de la sanction pénale. L’imputabilité comprise comme capacité pénale est en effet implicitement consacrée en droit pénal des mineurs par le prisme des principes directeurs de la justice pénale des mineurs. Jusqu’à une évolution récente, cette conception de l’imputabilité était remise en question par l’aggravation des sanctions encourues par le mineur délinquant, qu’il s’agisse de regretter la parenté des sanctions

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éducatives avec les peines, le cumul possible d’une mesure éducative et d’une peine, la multiplication des dérogations au principe d’atténuation légale de peine ou l’instauration de peines planchers. À la faveur de dispositions récentes issues de la loi du 18 novembre 2016 réaffirmant la spécificité de la justice pénale des mineurs, on assiste au rétablissement de l’imputabilité comme capacité pénale. Afin de préserver l’acception traditionnelle de l’imputabilité à l’engagement de la responsabilité pénale, il paraît opportun que le législateur ne fixe pas de seuil de minorité pénale, ce dernier étant de nature à induire une présomption de discernement du mineur à compter de l’obtention d’un âge spécifique. En outre, la fixation d’un âge de responsabilité pourrait compromettre l’acception duelle de l’imputabilité. Or, celle-ci permet d’éviter l’écueil de l’absence de réponse pénale, « le risque de vide », tout en choisissant un âge adapté à la sanction pénale. Un second bilan en faveur de l’imputabilité L’extension du champ de l’imputabilité comprise comme capacité pénale – Dans un second temps, il a été établi que l’imputabilité pouvait ressortir confortée de sa confrontation avec la dangerosité, de son entrée dans l’ère de la post-modernité. On a vu l’avènement de l’imputabilité comprise comme capacité pénale à l’endroit des délinquants majeurs au discernement altéré, afin de refouler la prise en compte de la dangerosité dans le quantum de la peine. Cette consécration signe l’actualité du concept d’imputabilité dans sa double acception de fondement et d’aptitude à profiter de la sanction pénale. L’étude menée a donc permis d’avancer sur la question de l’absorption par l’imputabilité de la notion de capacité pénale. Au final, la réponse doit être nuancée. L’imputabilité comprise comme capacité pénale trouve bien à s’appliquer, mais uniquement au bénéfice d’un délinquant personne physique au discernement partiel, qu’il s’agisse d’un mineur au discernement en formation ou d’un majeur au discernement altéré. En présence d’un délinquant personne physique au discernement « intègre », l’imputabilité est entendue strictement, dans sa seule acception de fondement de la responsabilité pénale. Elle est ensuite directement relayée par le principe d’individualisation des peines. En présence d’un délinquant personne morale, l’imputabilité étant un concept objectivé, la capacité pénale ne peut trouver à s’exprimer. Au final, la question de savoir si l’imputabilité doit être entendue strictement ou largement dépend donc du délinquant considéré. Si le concept d’imputabilité comme capacité pénale a gagné du terrain, il est permis de rester dubitatif devant les conséquences qui en découlent. La pertinence de la reconnaissance de cette capacité pénale réduite, en renouant avec l’écueil de la « mathématique déplorable » dans le calcul de la peine privative de liberté, mérite en effet d’être questionnée. Les perspectives liées à l’accroissement de la fonction garantiste de l’imputabilité. L’extension des garanties substantielles – La fonction garantiste de l’imputabilité version post-moderne gagnerait à être redimensionnée afin d’encadrer plus efficacement la prise en compte de la dangerosité praeter delictum. Cela permettrait d’exclure la prise en compte d’une dangerosité seulement potentielle ou hypothétique en amont de la réalisation de tout dommage. De ce point de vue, la légitimité de certaines des infractions obstacles de la nouvelle législation antiterroriste pourrait être remise en question. Dans le prolongement, l’imputabilité pourrait constituer un rempart efficace à la réception du principe de précaution en droit de la responsabilité pénale, notamment en raison de l’incompatibilité entre l’incertitude du risque ciblée par le principe

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de précaution et la liberté de choix de l’agent, composante de l’imputabilité. Le caractère inconciliable entre le défaut de précaution et l’imputabilité du sujet trouve d’ailleurs un écho dans l’absence de légitimation de la « précaution » par l’état de nécessité, confirmant dans le même temps le rattachement de l’état de nécessité aux causes de non-imputabilité. En revanche, le respect de l’exigence d’imputabilité n’est pas nécessairement inconciliable avec la prise en compte de la dangerosité après l’exécution de la sanction prononcée en rétribution de l’infraction commise. Cette conclusion s’est imposée à la suite de l’examen de l’institution de la rétention de sûreté, sous l’angle de sa conformité aux droits interne et conventionnel. Il importe que la mesure post-carcérale d’enfermement ait été expressément prévue par la cour d’assises, dans la décision de condamnation, afin de présenter un lien avec la commission d’une infraction. Au-delà même de l’exigence d’imputabilité, si l’on considère les fonctions assignées à la peine, notamment celle de prévention de la récidive, il est légitime de prendre en compte la dangerosité de l’agent révélée – voire confirmée – par la commission d’une ou plusieurs infractions. Il reste alors à œuvrer pour améliorer l’évaluation de la dangerosité. Une autre alternative réside dans la possibilité d’écarter toute référence expresse à la notion de dangerosité. L’extension des garanties processuelles – L’absence de visibilité processuelle de l’imputabilité ne nous paraît pas incompatible avec un certain nombre d’implications procédurales ponctuelles. Il importerait de tirer toutes les conséquences procédurales de l’absence d’imputabilité ou de l’imputabilité partielle de l’agent au moment des faits en l’entourant des garanties procédurales adaptées. Le potentiel garantiste de la notion d’imputabilité n’est pas encore épuisé. Il impliquerait dans un premier temps de repenser la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Un des apports de la réforme de 2008, méritant d’être conservé, concerne la compétence du juge judiciaire dans le prononcé de mesures destinées à traiter la dangerosité de l’intéressé. Une préconisation peut cependant être faite, en vue de tempérer le caractère pénal de la procédure, en faveur du choix d’un nouveau juge, doté de compétences non exclusivement pénales. Le juge des libertés et de la détention paraît le plus approprié. Afin de s’assurer du respect de l’exigence d’imputabilité dans le cadre de la procédure applicable à un majeur protégé – dont il a été établi qu’il souffrait, à tout le moins, d’une altération de ses facultés mentales au moment des faits – il apparaît nécessaire de préconiser le recours systématique à l’expertise, au moins civile, pour vérifier son état mental au moment des faits. Au-delà de la situation du majeur protégé, il paraît nécessaire d’entourer le majeur non protégé, mais dont le discernement au moment des faits était altéré, des mêmes garanties procédurales que le premier. Ces dernières pourraient consister dans l’assistance obligatoire d’un avocat et/ou la désignation d’un représentant ad hoc. Finalement, cette étude sur la notion d’imputabilité a cherché à mettre en lumière le caractère essentiel de la notion dans la mise en œuvre d’une répression juste et adaptée. Elle a aussi révélé, d’une part, que l’imputabilité peut se trouver menacée d’un effacement pur et simple par la montée en puissance de notions concurrentes et, d’autre part, que son potentiel garantiste pour les droits et libertés fondamentaux est encore loin d’être tari, tant sur les plans substantiel que formel. Ainsi, la conjugaison du rôle de l’imputabilité, appréhendé à la fois

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dans son actualité et dans sa potentialité, avec les atteintes subies par la notion, serait susceptible de justifier une consécration de la notion par le législateur. En tentant d’apporter la démonstration de l’extériorité de l’imputabilité à l’infraction, cette recherche a aussi permis de mettre en évidence le lien entre l’imputabilité et la sanction infligée en rétribution de l’infraction commise. Ainsi, la notion peut-elle être entendue plus largement que dans son acception d’essence classique. En particulier, il apparaît que l’imputabilité est susceptible d’implications procédurales. Finalement, cette caractéristique processuelle est assez logique puisqu’elle vient s’inscrire dans le cadre de la conception contemporaine du procès pénal. En effet, il est permis de souscrire à l’économie d’un procès pénal élargi avec, pour objectif, l’évolution périodique de la sanction prononcée par la juridiction de jugement sous l’égide du juge de l’application des peines. Il est légitime que des conditions posées à la mutation de la peine soient inhérentes au condamné en s’analysant en autant de garanties de sa (ré)insertion sociale et/ou de prévention de sa récidive. La juridictionnalisation du droit de l’application des peines a constitué incontestablement un grand progrès en ce qu’elle a permis de faire du condamné un sujet de droit et un acteur de sa peine. Des évolutions sont encore souhaitables en faveur d’un plus grand respect des droits et libertés fondamentaux du condamné. Non seulement il importe que la mise en conventionnalité des droits processuels du justiciable-condamné au procès en application des peines soit parachevée, mais encore, que les droits substantiels du citoyen-condamné, particulièrement s’il fait l’objet d’une peine privative de liberté, soient accrus. En attendant une probable condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme, qui pourrait intervenir sur le fondement de l’article 6 de la Convention, on peut se féliciter que la conception élargie de l’imputabilité soit de nature à accroître les garanties procédurales des justiciables.

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Bibliographie –

I. Dictionnaires et lexiques II. Ouvrages anthropologiques, philosophiques, sociologiques, économiques et essais III. Ouvrages généraux du droit

A. Ouvrages anciens (antérieurs au Code de procédure pénale) B. Ouvrages récents (postérieurs au Code de procédure pénale)

IV. Monographies, thèses V. Articles VI. Rapports, commissions et travaux parlementaires VII. Articles de presse, entretiens, colloques, conférences, interviews et déclarations VIII. Juris-Classeur et encyclopédie Dalloz IX. Sites Internet

I. Dictionnaires et lexiques REY A. (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 2004.

II. Ouvrages anthropologiques, philosophiques, sociologiques, économiques et essais

AUBERT N. (dir.) et al., L’Individu hypermoderne, Érès, 2017 BERGERET J., La Dépression et les États-limites, Dunod, 1975 BERGERET J., REID W. et al., Narcissismes et États-limites, Dunod, 1985 FAUCONNET P., La Responsabilité. Étude de sociologie, Paris, Alcan, 1920

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FOUCAULT M., – Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, 1972 – Surveiller et Punir, Gallimard, 1975 – Les Anormaux, cours au Collège de France, 1974-1975, Gallimard, 1999 KERNBERG O., La Personnalité narcissique, Éditions Privat, 1991 ROUSTAN D., Leçons de philosophie, Delagrave, 1951 SALAS D., La volonté de punir. Essai sur le populisme pénal, Hachette Littérature, 2005

III. Ouvrages généraux du droit

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IV. Monographies, thèses AMALFITANO A., La responsabilité pénale des personnes morales – Une recherche pour la construction d’un modèle commun,

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– « L’application des « peines », puis des “mesures de sûreté” aux personnes atteintes de troubles mentaux : l’incohérence jurisprudentielle et ses conséquences », Dr. pén., 2011, étude 4

– « L’effectivité d’une délégation de pouvoirs et la non-caractérisation d’un délit de mise en danger d’autrui », JCP G 2015, I, 1284

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délictuelle », D., 1997, p. 37 – « Entre le dit et le non-dit, ou les leçons de droit pénal du Conseil constitutionnel », D.,

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Dr. pén., 2017, étude 2

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Code pénal) », in V. MALABAT, B. DE LAMY, M. GIACOPELLI, La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, Opinio doctorum, éd. Dalloz, 2009, p. 51

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PLANQUE J.-C., « Élargissement jurisprudentiel du domaine d’application de la responsabilité pénale des

personnes morales », D., 2003, p. 2855 PONSEILLE A., – « L’incrimination du mandat criminel ou l’article 221-5-1 du Code pénal issu de la

loi no 2004-204 du 9 mars 2004 », Dr. pén. 2004, étude 10 – « De l’évolution de l’atténuation légale de la peine applicable aux mineurs », in Justice des

mineurs, arch. pol. crim., no 30, Pédone, 2008 – « Autopsie de la responsabilité pénale d’un psychiatre pour homicide involontaire à la suite

de l’homicide volontaire commis par l’un de ses patients », Droit et Santé, 2013 PRADEL J., – « De la véritable portée de la loi du 10 juillet 2000 sur la définition des délits

inintentionnels », D. 2000, chron. 29 – « Une double révolution en droit pénal français avec la loi du 25 février 2008 sur les

criminels dangereux », D., 2008 – « Nature et application dans le temps des mesures créées par la loi du 25 février 2008 à

l’égard des criminels atteints d’un trouble mental », D., 2010, p. 471 – « Mesures de sûreté privatives de liberté et Convention européenne des droits de

l’homme », D., 2010 RIBEYRE C., « La réforme des procédures de révision et de réexamen ou comment mieux corriger l’erreur

judiciaire », Dr. pén., 2014, étude 17 ROBERT J.-H., – JCP, 1975, I, p. 2720 – « L’histoire des éléments de l’infraction », RSC, 1977, p. 280 – « Le coup d’accordéon ou le volume de la responsabilité pénale des personnes morales »,

in Les droits et le droit, mélanges dédiés à Bernard Bouloc, Dalloz, 2007 – « Resserrement des conditions de la responsabilité pénale des personnes morales », JCP G

2011, I, 240 – « Vers une refondation de la responsabilité pénale des personnes morales », JCP G

2012, 740 – « Réforme pénale. Punir dehors. Commentaire de la loi no 2014-896 du 15 août 2014 »,

Dr. pén., 2014, étude 16 ROETS D., « Réflexions sur les possibles implications du principe de précaution en droit pénal de

l’imprudence », RSC, 2007, p. 251

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ROUSSEAU F., – « Complice ou auteur indirect d’une infraction non intentionnelle ? », Dr. pén., 2007,

étude 11 – « Observations sur la répression inégalitaire de l’imprudence », in V. MALABAT,

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– « L’application dans le temps des nouvelles dispositions du 25 février 2008 relatives à l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. – (À propos de l’arrêt de la chambre criminelle du 21 janvier 2009) »

– « Dangerosité et sanctions pénales », in Peine, Dangerosité - quelles certitudes ?, Dalloz, 2010 ROUSSEL G., Sur la thèse d’Arnaud Coche, RSC, 2006, p. 216 RUET C., « La responsabilité pénale pour faute d’imprudence après la loi no 2000-647 du 10 juillet 2000,

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no 13. SAINT-PAU J.-C., « La responsabilité des personnes morales : réalité et fiction », in Le risque pénal dans l’entreprise,

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VILLEY M., « Esquisse historique sur le mot responsable », Arch. phil. dr., 1977, t. 22, p. 45 VINEY G., « Conclusions du colloque sur la nouvelle définition des délits non intentionnels par la loi du

10 juillet 2000 », RSC 2001, p. 764 VITU A., – « La division du procès pénal en deux phases », rapport au Xe congrès de l’association

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456

VI. Rapports, commissions et travaux parlementaires

Rapport Anziani et Beteille, « Responsabilité civile : des évolutions nécessaires, rapport d’information no 558 (2008-2009) » fait au nom de la commission des lois du Sénat, déposé le 15 juillet 2009, disponible sur le site Internet du Sénat

Atelier sur la dangerosité, Journées sur la prévention de la récidive dans sa dimension

partenariale, 6-7 juin 2013, faculté de droit de La Rochelle Comité des droits de l’enfant, 44e session, Genève, 15 janv.-2 févr. 2007, observation générale

no 10, 2007 ; « Les droits de l’enfant dans le système de justice pour mineurs », CRC/C/GC/10, 25 avr. 2007, http://www2.ohchr.org

Observations du gouvernement, JO 19 juin 1999, p. 9024 Rapport Burgelin, « Santé, justice et dangerosités : pour une meilleure prévention de la

récidive », 6 juillet 2005 Rapport Catala (sous la dir. de), « Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la

prescription », 2006 Rapport sur la refonte du droit des peines, 18 décembre 2015, http://www.justice.gouv.fr

Rapport sénatorial Lecerf, commissions des lois, no 174, 2007-2008, site Internet du Sénat

Travaux préparatoires du Code pénal, JO Sénat, doc. parl. 1985-1986, no 300 Rapport Goujon et Gautier, « Rapport sur les mesures de sûreté pour les personnes

dangereuses », juin 2006, site Internet du Sénat Rapport Varinard, « Adapter la justice pénale des mineurs : entre modifications raisonnables

et innovations fondamentales – 70 propositions », décembre 2008, La Documentation française

VII. Articles de presse, entretiens, colloques, conférences, interviews et déclarations

BADINTER R., « Que devient la présomption d’innocence, quand on est le présumé coupable potentiel d’un

crime virtuel ? », Le Monde du 26 février 2008

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BALLOT-LENA A., « Les pratiques des affaires saisies par le droit commun de la responsabilité civile français », actes du colloque de Sarrebruck, 26 juin 2015 – Pratique des affaires et règles juridiques : influences, limites BOUINEAU J., Cours Fondements romano-canoniques de la responsabilité, master 2 recherche « Droit de la responsabilité », faculté de droit de La Rochelle, année 2005-2006 DUBEC M., « Le fou en justice, débats Code pénal », Le Monde du 2 mars 1994 FASSIN É., « Terrorisme : la zone grise de la sexualité », Mediapart, 26 juillet 2016

VIII. Juris-Classeur et encyclopédie Dalloz BOUTY C., « Chose jugée », in Répertoire de procédure civile, Dalloz DALLOZ V. M., « Circonstances aggravantes », in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, DESPORTES F., « Article 121-2 du Code pénal », J.-Cl. pénal, 2001 GOUTTENOIRE A., « Mineurs », in Répertoire de procédure civile, Dalloz, nos 34 et suiv. LUCAS DE LEYSSAC M.-P., « Vol », in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz PORTERON C., « Infraction », in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz

IX. Sites Internet

http.//ledroitcriminel.free.fr/index.htm, par J.-P. DOUCET www.cglpl.fr/2015/avis-relatif-a-la-retention-de-surete

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Pour une déclaration du Premier ministre d’impliquer les psychiatres dans la lutte contre le terrorisme en participant à la détection des individus dangereux, lefigaro.fr, 18 août 2017

« Proposition de loi relative à l’atténuation de responsabilité pénale applicable aux

personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits – Exposé général », www.senat.fr

« Regard d’un psychiatre sur le processus psychique de radicalisation », www.ch-le-

vinatier.fr

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459

Plan de jurisprudence –

Introduction Conseil constitutionnel Cons. const., 16 juin 1999, no 03-80524, D., 1999, p. 589, note Y. MAYAUD. Cour de cassation-chambre criminelle Cass. crim., 14 nov. 1924, Bull. crim., no 381. Cass. crim., 11 mars 1958, Bull. crim., no 238. Cass. crim., 5 févr. 1957, Bull. crim., no 112, RSC, 1958, p. 93, obs. A. LEGAL. Cass. crim. 22 sept. 1999, Bull. crim., no 197, RSC, 2000, p. 386, obs. B. BOULOC. Cass. crim., 8 juin 2017, no 16-83.345, à paraître au bulletin. Cass. crim., 8 juill. 2015, no 15-81.916, inédit. Cass. crim., 7 août 1873, D., 1873, 1, p. 385. Cass. crim., 23 juin 1887, Bull. crim., 1887, no 237. Cass. crim., 24 sept. 2008, no 08-80856, inédit, Dr. pén. 2008, comm. 139, obs. M. VÉRON. Cass. crim., 17 sept. 2003, no 03-80524, Bull. crim., 2003, n° 165 ; Dr. pén. 2004, comm. 5, obs.

M. VERON. Cour de cassation-chambres civiles Cass. civ. 1re, 18 mars 2015, no 14-11.392, Bull. I 2015, no 58 ; Dalloz act., 8 avr. 2015, obs.

M. KEBIR.

Partie 1. L’imputabilité dans la théorie classique de la responsabilité pénale Titre 1. L’autonomie de l’imputabilité et de la culpabilité entendue strictement

Chapitre I. Les conditions de l’imputabilité découlant du caractère objectivé de la culpabilité Section 1. L’objectivation de la culpabilité s’excipant de la substance même de la culpabilité § 1. L’objectivation résultant de la volonté du comportement, dénominateur psychologique

commun à la culpabilité intentionnelle et non intentionnelle

Cour de cassation-chambre criminelle Cass. crim., 12 mars 1997, no 96-83.205, Bull. crim., no 102 ; JurisData, no 002241 Cass. crim., 12 nov. 1997, no 96-85.756, Bull. crim., no 384.

§ 2. L’objectivation résultant de la substance spécifique à la culpabilité intentionnelle

Conseil constitutionnel Cons. const., 6 févr. 2015, no 2014-448 QPC, consid. 6 : JurisData no 2015-001881.

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460

Cour de cassation-Chambre criminelle Cass. crim., 2 juill. 1998, no 98-80529, Bull. crim., no 211 ; JCP G 98, II, 10132, note

M.-L. RASSAT ; D., 1998, p. 457, note J. PRADEL ; RSC, 1999, p. 98, obs. Y. MAYAUD. Cass. crim., 18 juin 2003, no 02-85.199, Bull. crim., no 127, JCP 2003, II, 10121, note

M.-L. RASSAT ; D., 2004, p. 1620, note D. REBUT. Cass. crim., 18 juill. 1973, Gaz. Pal. 1973. 2. 709, note J. P. D. Cass. crim., 8 févr. 1977, Bull. crim., n° 52 ; RSC 1977, p. 590, obs. G. LEVASSEUR. Aux termes

de la motivation de la décision, « le délit de vol est constitué quel que soit le mobile qui a inspiré son auteur dès lors que la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui est constatée ».

Cass. crim., 24 oct. 1990, no 89-84.485, Bull. crim. n° 355. Cass. crim., 8 déc. 1998, no 97-83318, Bull. crim. n° 336; D., 2000, p. 87, obs. S. FROSSARD ;

D., 2000, p. 120, obs. M. SEGONDS ; RSC, 1999, p. 822, obs. R. OTTENHOF. Cass. crim., 16 mars 1999, no 97-85054, Inédit, JCP G 1999, 10166, note S. BOURETZ. Cass. crim., 11 mai 2004, n° 03-80.254, Bull. crim. n°s 113 et 117. Cass. crim., 9 juin 2009, no 08-86.843, Bull. crim., no 118 ; Gaz. Pal. 21-25 août 2009 (nos 233

à 237), p. 10, note S. DETRAZ ; D., 2009, chron., p. 1714, obs. P. CHAUMONT et E. DEGORCE ; Soc., 2009, p. 1182, note F. DESPREZ.

Cass. crim., 16 juin 2011, no 10-85.079, Bull. crim., no 134, Dr. pén., 2011, comm. 100, obs. M. VÉRON ; JCP G, 2011, note 1020, p. 1701, S. DETRAZ ; D., 2011, p. 2254, note G. BEAUSSONIE.

Cass. crim., 21 juin 2011, no 10-87.671, Bull. crim., no 149 ; D., 2011, act. p. 1900 ; Dr. soc., 2011, p. 933, note J.-E. REY ; Dr. pén., 2011, note 121.

Cass. crim., 13 nov. 2014, n° 14-81.249, JurisData n° 2014-027936. Cass. crim., 18 févr. 2015, n° 14-80.772: JurisData n° 2015-002875 ; Dr. pén., 2015, comm. 63,

obs. M. VÉRON. Cass. crim., 23 sept. 2015, no 13-83.881, inédit, JurisData no 2015-021030, Dr. pén., 2015,

comm. 154, obs. P. CONTE. Cass. crim., 18 nov. 2015, no 14-86.100, inédit, JurisData no 2015-029658, Dr. pén., 2015,

comm. 24, obs. P. CONTE. Juridictions du fond CA Paris, 12 févr. 1996, RSC, 1996, p. 863, obs. R. OTTENHOF. CA Grenoble, 3 juin 1998, JCP G 1999, IV, 1818.

Section 2. Le caractère objectivé de la culpabilité des personnes physiques confirmé par l’étude du régime juridique de la culpabilité

§ 1. L’établissement de la culpabilité par le recours au mécanisme des présomptions Cour européenne des droits de l’homme CEDH 7 oct. 1988, Salabiaku c/ France, Série A no 141-A, § 28, RSC 1989, p. 167, obs.

L.-E. PETTITI et F. TEITGEN ; JDI 1989. 829, obs. P. ROLLAND et P. TAVERNIER. Cour de cassation-chambre criminelle Cass. crim., 6 mai 2015, no 13-87.428, inédit, Dr. pén., 2015, Chron. 8, S. DETRAZ. Cass. crim., 3 oct. 1991, no 90-84747, inédit, RSC, 1992, p. 748, obs. G. LEVASSEUR ; Dr. pén.,

1992, comm. 57, M. VÉRON. Cass. crim., 19 nov. 1996, no 95-85.945, Bull. crim., no 413 ; Dr. pén., 1996, comm. 33, obs. M. VÉRON. Cass. crim., 2 avr. 1997, no 95-85.564, Bull. crim., no 132 ; RSC, 1997, p. 837, obs. Y. MAYAUD. Cass. crim., 11 mai 1995, no 94-83.515, Bull. crim., no 172. Cass. crim., 23 janv. 1997, no 96-84.822, Bull. crim., no 32.

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461

Cass. crim., 12 juin 2013, no 13-82.622, inédit, Dr. pén., 2013, comm. no 120, obs. M. VÉRON. Cass. crim., 26 oct. 1994, no 94-81.526, inédit, Couet. Cass. crim., 6 nov. 1991, no 91-82.211, Bull. crim., no 397.

§ 2. L’admission restrictive des causes de non-culpabilité

Cour européenne des droits de l’homme CEDH, 10 oct. 2006, Pessino c/ France, req. no 40403/02, D. 2006, Jur. 124, note D. ROETS. Cour de cassation-chambre criminelle Cass. crim., 19 mars 1997, no 96-80.853, Bull. crim., no 115, JCP G 1998, II, 10095, comm.

O. FARDOUX. Cass. crim., 11 mai 2004, (deux arrêts), nos 03-80.254 et 03-85.521, Bull. crim., nos 113 et 117 ;

D. 2004, jurispr., p. 2326, note H. KOBINA-GABA ; D. 2004, somm., p. 2759, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE ; RSC, 2004, p. 635, E. FORTIS ; RSC, 2004, p. 866, obs. G. VERMELLE ; JCP G 2004, II, 10124, note C. GIRAULT ; Dr. pén., 2004, comm. no 122, obs. M. VÉRON ; LPA, 23 sept. 2004, no 191, p. 14, F. DEBOVE ; LPA, 24 nov. 2004, no 235, p. 14, note P. BOUGHANMI PAPI.

Cass. crim., 11 juin 1998, no 97-80.905, inédit, D., 1999, somm., p. 159, note M. SEGONDS. Cass. crim., 7 janv. 2004, no 03-82.337, Bull. crim., no 5 ; RSC, 2004, p. 635, note E. FORTIS. Cass. crim., 15 nov. 1995, no 94-85.414, Bull. crim., no 301 ; JCP G 1996, IV, 440 ; Dr. pén.,

1996, comm. no 56. Cass. crim., 9 juin 1999, no 98-80.052, Bull. crim., no 133 ; JCP G 1999, IV, 2867 ; Dr. pén.,

1999, comm. no 138. Cass. crim., 8 déc. 1998, no 97-83.318, Bull. crim., no 336 ; JCP G 1999, IV, 1734 ; Dr. pén.,

1999, comm. no 67 ; D., 2000, somm. p. 87, note S. FROSSARD ; RSC 1999, p. 822, obs. R. OTTENHOF.

Cass. crim., 16 mars 1999, no 97-85.054, Inédit, JCP G 1999, II, 10166, note S. BOURETZ. Cass. crim., 20 mai 2015, no 13-81.307, Inédit, Dr. pén., 2015, Chron. 8, p. 23. Cass. crim., 20 janv. 2015, no 14-80.532, Bull. crim., no 19, Dr. pén., 2015, comm. 32 ; JCP G

2015, act. 120. Cour de cassation-chambre sociale Cass. soc., 2 déc. 1998, no 96-44.258, Bull. civ., V, no 535 ; D., 1999, Jurisp., p. 431, note GABA ;

D., 1999, somm. p. 87, obs. S. FROSSARD ; JCP G 1999, II, 10 166, note S. BOURETZ.

Juridictions du fond CA Versailles, 27 janv. 1995, Gaz. Pal., 1996, I, somm. 152. CA Douai, 26 sept. 1996, Dr. pén., 1997 no 60, obs. M. VÉRON. CA Paris, 9 nov. 2000, JCP G 2001, I, 346 ; Dr. pén., 2001, comm. no 57; D. 2001, somm.,

p. 2345, obs. B. DE LAMY ; RSC, 2001, p. 829, obs. G. GIUDICELLI-DELAGE.

Chapitre II : La reconfiguration du champ de la condition de liberté relevant de l’imputabilité Section 1. La liberté de mouvement de l’agent, condition de l’infraction

§ 1. L’incompatibilité de la contrainte physique avec la matérialité de l’infraction

Cour de cassation-chambre criminelle Cass. crim., 23 mars 1950, Bull. crim., no 109.

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462

Cass. crim., 23 oct. 2013, no 12-80.793, Bull. crim., no 204; Dr. pén. 2013, comm. 166, obs. M. VERON; Dr. pén. 2014, comm. 15, obs. A. MARON et M. HAAS.

Cass. crim., 13 mars 2007, no 06-86.210, Inédit, Dr. pén. 2007, comm. 82, obs. M. VERON. Cass. crim. 15 avr. 2008, no 07-86.336, Inédit, RSC, 2008, p. 910, obs. Y. MAYAUD. Cass. crim., 24 avr. 1937, DH 1937.429. Cass. crim., 26 févr. 1992, no 91-83.913, Bull crim., 1992, no 88. Cass. crim., 7 janv. 2004, no 03-82.337, Bull. crim., 2004, no 5. Cass. crim., 18 déc. 1978, no 78-92.468, Bull. crim., no 357. Cass. crim., 5 janv. 1957, Bull. crim., 1957, no 17. Cass. crim., 5 oct. 2004, no 03-86.169, Bull. crim. 2004, no 230. Cass. crim. 8 janv. 1991, no 90-80.075, Bull. crim., no 14, D., 1992, jurispr. p. 115, note

R. CROISIER-NÉRAC.

§ 2. L’incompatibilité de la contrainte physique avec l’élément psychologique de l’infraction Cour de cassation-chambre criminelle Cass. crim., 4 mai 2000, bull. crim. no 178. Cass. crim., 29 janv. 1921, Trémintin, S. 1922. 1. 185, note J.-A. ROUX.

Section 2. La liberté psychologique de l’agent, condition de l’imputabilité § 1. La contrainte morale, cause de non imputabilité altérant la volonté

Conseil constitutionnel Cons. const., déc. no 2011-163 QPC, 16 sept. 2011. Cons. const. no 2014-448 QPC, 6 févr. 2015, JO du 8 févr. 2015 ; JurisData no 002161. Cour de cassation-chambre criminelle Cass. crim., 29 janv. 1921, Trémintin. Cass. crim., 28 févr. 1936, D. P., 1936.I.44, note H. DONNEDIEU DE VABRES. Cass. crim., 28 déc. 1900, D., 1901.I.81, note G. LE POITTEVIN. Cass. crim., 20 avr. 1934, Genty, S., 1935.1.398. Cass. crim., 29 déc. 1949, D., 1950.I.419. Cass. crim., 28 déc. 1900, D. P., 1901.I.81, note A. LE POITTEVIN. Cass. crim., 29 janv. 1921, S. 1922.1.85, note J.-A. ROUX. Cass. crim., 6 janv. 1970, no 68-92.39, Bull. crim., no 11. Cass. crim., 8 mai 1974, no 73-91.025, Bull. crim., no 165. Cass. crim., 8 janv. 2013, no 12-86715, inédit. Cass. crim., 13 nov. 2014, no 14-81.249, inédit, Dr. pén., 2015, comm. 1, obs. M. VÉRON. Cass. crim., 18 févr. 2015, no 14-80.772, inédit, Dr. pén., 2015, comm. 63, obs. M. VÉRON. Cass. crim., 15 avr. 2015, no 14-82.172, Bull. crim., no 93. Cass. crim., 1er sept. 2015, no 15-83.392, inédit. Cass. crim., 23 sept. 2015, no 13-83.881, inédit, Dr. pén., 2015, comm. 154, obs. P. CONTE. Cass. crim., 18 nov. 2015, no 14-86.100, inédit, Dr. pén., 2016, comm. 24, obs. P. CONTE.

§ 2. Le rattachement de l’état de nécessité à la contrainte morale

Cour de cassation-chambre des requêtes Cass. Req., 8 juill. 1872, S., 72.I.399.

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463

Cour de cassation-chambre criminelle Cass. crim., 25 juin 1958, D., 1958. 639, note M.R.M.P. ; JCP, 1959. Cass. crim., 15 nov. 2005, no 04-87.813, Bull. crim., no 295. Cass. crim., 15 nov. 2006, no 06-80087, Inédit, JCP, 2007, II, 10062, note Y. MARÉCHAL. Cass. crim., 28 oct. 2009, no 09-84.484, inédit, no 2009-050392 ; Dr. pén. 2010, comm. 4,

M. VÉRON ; RSC 2010, p. 143, obs. C. MASCALA. Cass. crim., 5 févr. 1957, Bull. crim., no 112 ; RSC 1958, p. 93, obs. A. LÉGAL. Cass. crim., 27 janv. 1933, Gaz. Pal., 15 févr. 1933 ; Cass. crim., 15 nov. 1856, B., no 358. Cass. crim., 14 août 1863, D. P., 64.I.399. Cass. crim., 2 mai 1878, D. P., 78.I.336. Cass. crim., 8 août 1874, B., 225. Cass. crim., 16 mai 1934, D. H., 1934.367. Cass. crim., 28 févr. 1861, D. P., 1861.1.140. Juridictions du fond Trib. corr. Colmar, 27 avr. 1956, D., 1956. 500 ; Gaz. Pal., 1956.2.64 ; obs. A. LÉGAL, RSC,

1957. CA Colmar, 6 déc. 1957, D., 1958. 357, note P. BOUZAT. CA Douai, 24 oct. 2000, JCP 2002, II, 10012, note J.-Y. MARÉCHAL. Trib. corr. Cherbourg, 6 févr. 1945, S., 1946.2.81, note P. BOUZAT. CA Paris, 6 oct. 1945, D. 1945.115. Trib. corr. Château-Thierry, 4 mars 1898, S., 1899.2.1, note A. ROUX. CA Poitiers, 11 avr. 1997, D., 1997, p. 512, note A. WAXIN ; JCP G 1997, II, 22933, note

A. OLIVE ; RSC, 1998, p. 110, note R. OTTENHOF ; F. DEBOVE, Dr. pén., 1998, chron. 4. Trib. corr. Dijon, 27 févr. 1968, J.C.P., 1968. II. 15501. CA Paris, 19 nov. 1952, Gaz. Pal., 1953.1.149.

Titre 2. La place de l’imputabilité dans la mise en œuvre de la responsabilité pénale Chapitre I. L’extranéité de l’imputabilité à l’infraction

Section 1. L’inclusion de l’imputabilité dans la constitution de l’élément psychologique de l’infraction

§ 1. L’apparente inclusion par le droit positif de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction

Cour de cassation-chambre criminelle Cass. crim., 16 juin 1887, Bull. crim., no 221. Cass crim., 13 mars 1991, no 90-83913, Bull. crim., no 125. Cass. crim., 5 févr. 1957, Bull. crim. no 112 ; RSC 1958, p. 93 obs. A. LEGAL. Cass. crim., 29 janv. 1921, S. 1922, 1, 185, note J.-A. ROUX. Cass. crim. 3 déc. 1963, no 62-92.138, Bull crim., no 343. Cass. crim. 14 déc. 1982, inédit, Gaz. Pal., 1983, 1, pan., p. 178. Cass. crim., 13 déc. 1956, Laboube, no 55-05.772, Bull. crim. no 840 ; D., 1957, jurispr. p. 349,

note M. PATIN. Cour de cassation-chambres civiles Cass. civ. 1re, 28 mars 2012, no 11-10.393, inédit, JurisData no 2012-005910 ; Dr. fam. 2012,

comm. 113, P. BONFILS.

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464

Juridictions du fond CA Bordeaux, 26 avr. 1988 : JurisData no 045645. CA Colmar, ch. spéc. des mineurs, 1er déc. 1953, Gaz. Pal., 1954. II. 149.

§ 2. L’inclusion de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction induisant la cohérence de son élément psychologique

Section 2 : L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’élément psychologique de l’infraction § 1. L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’élément psychologique de l’infraction

confirmé par l’étude du régime juridique de l’imputabilité

Cour de cassation-chambre criminelle Cass. crim. 11 mai 2004, no 03-85.925, Bull. crim. no 115, AJ Pénal 2004, p. 285, obs.

J. LEBLOIS-HAPPE ; RSC 2004, p. 878, obs. Y. MAYAUD. Cass. crim., 12 nov. 1959, no 66-93.682, Bull. crim. no 488. Cass. crim., 1er oct. 1962, Bull. crim. no 271. Cass. crim., 7 avr. 1967, Bull. crim. no 106. Cass. crim., 9 mai 1962, Bull. crim. no 187.

§ 2. L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’élément psychologique de l’infraction confirmé par le recours au droit civil

Cour de cassation-Assemblée plénière Cass. ass. plén. 9 mai 1984, no 79-16.612, Bull. crim., no 4 ; no 80-93.481, Bull. crim., no 3 ;

no 80-14994, Bull. crim., no 1 ; no 80-93031, Bull. crim., no 2, D. 1984, jurispr. p. 525, concl. J. CABANNES, note F. CHABAS ; JCP 1984, II, 20255, note P. JOURDAIN.

Cour de cassation-chambre criminelle Cass. crim., 6 juill. 1934, DH 1934. 446. Cass. crim., 3 nov. 1986, no 85-93644, Bull. crim. no 313; RSC 1987, p. 426, obs.

G. LEVASSEUR. Cass. crim., 13 oct. 1987, no 86-96062, Bull. crim. no 347. Cour de cassation-chambres civiles Cass. civ. 2e, 18 déc. 1912, inédit, S. 1914. 1. 249, note R. MOREL ; D. 1915.1.17 ; Gaz. Pal.

1913.1.107. Cass. civ., arrêt Quertier, 7 mars 1855, D., 1855.1.81 ; note R. HOUIN, JCP 1956.II.9224. Cass. civ. 1re, 30 janv. 2001, no 98-14368, Bull. civ. I, no 19 ; D., 2001, somm. 2232, obs.

P. JOURDAIN ; JCP 2001. I. 338, no 4, obs. G. VINEY ; RTD civ., 2001. 376, obs. P. JOURDAIN ; RSC 2001. 613, A. GIUDICELLI.

Cass. civ. 1re, 29 oct. 2002, no 99-19411, inédit titré, rendu sur le visa de « la règle de l’autorité du pénal sur le civil ».

Cass. civ. 2e, 15 nov. 2001, no 99-21636, inédit, JCP 2002.II.10310, obs. D. GUIHAL. Cass. civ. 1re, 9 nov. 1983, 1re espèce, no 81-16549, Bull. crim., no 265, D. 1984, p. 139, note

F. DERRIDA. Cass. civ. 2e, 28 févr. 1996, no 94-13084, Bull. crim., no 54, Gaz. Pal. 1997, 1, p. 86. Note

P. Jacques.

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465

Cass. civ. 1re, 1er déc. 2010, no 09-13.303, Bull. 2010, I, n° 248, D., 2011, actu. 24, obs. I. GALLMEISTER ; D., 2011, p. 423, note F.-X. LICARI ; RTD civ. 2011, p. 122, obs. B. FAGEs ; RTD civ. 2011, p. 317, obs. P. REMY-CORLAY.

Chapitre II. La localisation de l’imputabilité et de la culpabilité déterminante de leurs fonctions respectives

Section1. Le rattachement exclusif de l’imputabilité à la responsabilité découlant du système de l’emprunt de criminalité

§ 1. La concordance du droit positif avec le système de l’emprunt de criminalité

Cour de cassation-chambre criminelle Cass. crim., 1er mars 1886, Bull. crim., no 50. Cass. crim., 24 mai 1945, Bull. crim., no 57. Cass. crim., 19 mai 1953, no 177. Cass. crim., 17 mai 1970, D. 1970, p. 515. Cass. crim., 18 nov. 1976, no 75-92805, Bull. crim., n o 332. Cass. crim., 28 mai 1990, Bull. crim., no 214 ; D. 1990, no 89-83826, IR p. 217. Cass. crim., 28 nov. 2006, no 06-81060, Bull. crim., no 294 ; Dr. pén., 2007. 31, obs. M. VÉRON ;

RSC 2007. 79, obs. Y. MAYAUD. Cass. crim., 6 juin 2000, no 99-85937, Bull. crim., no 213 ; Dr. pén. 2000, comm. 124, obs.

M. VÉRON ; RSC, 2000. 829, obs. Y. MAYAUD. Cass. crim., 13 sept. 2016, no 15-85.046, publiée au bulletin, JurisData no 2016-018495;

Dr. pén., 2016, comm. 153 obs. P. CONTE ; JCP G 2016, 1039, act. 1039, obs. J.-Y. MARÉCHAL et 1067, note F. ROUSSEAU.

Cass. crim., 30 avr. 1996, no 94-86107, Bull. crim., 1996, no 176 ; RSC, 1997, p. 113, obs. J.-P. DELMAS SAINT-HILAIRE.

Cass. crim., 8 janv. 2003, no 01-88065, Bull. crim., no 5 ; JCP 2003, II, 10159, note W. JEANDIDIER; D., 2003, jurispr. p. 2261, note É. GARÇON.

Cass. crim., 19 mars 2008, no 07-85054, Bull. crim., no 70, Dr. pén., 2008, comm. 79, M. VERON.

Cass. crim., 24 juin 1922, S. 1923. 1. 41, note A. ROUX ; 10 juill. 1969, RSC, 1970, p. 384, note A. VITU.

Cass. crim., 9 mars 1876, S., 1876. I. 188. Cass. crim., 3 juill. 1886, DP, 1886. I. 473. Cass. crim., 18 sept. 1890, Bull. crim., no 194. Cass. crim, 3 juill. 1909, DP, 1911. I. 290. Cass. crim., 2 févr. 1916, Bull. crim., no 130. Cass. crim., 13 juin 1918, Bull. Crim., no 329. Cass. Crim., 28 juill. 1921, Bull. crim., no 312. Cass. crim., 30 oct. 1914, DP 1919.1.67. Cass. crim. 20 juin 1994, Bull. crim., no 246. Cass. crim., 4 mars 1998, no 97-82360, Bull. crim., no 83. Cass. crim., 18 juin 2003, no 02-85199, Bull. crim., no 127 ; D., 2004. 1620, note D. REBUT ;

D., 2005 ; 195, note A. PROTHAIS ; JCP 2003, II, 10121, note M.-L. RASSAT ; RSC 2003. 781, note Y. MAYAUD.

Cass. Crim., 15 déc. 2004, Dr. pén., 2005, comm. 79, obs. J.-H. ROBERT. Cass. crim., 6 mars 2012, no 11-80.801, Bull. crim., no 61, D. 2012.816, obs. S. LAVRIC ;

Dr. pén., 2012, comm. 68, obs. M. VÉRON. Cass. crim., 25 juin 2003, no 02-86182, inédit, Dr. pén. 2003, comm. 142, obs. M. VÉRON ;

RSC, 2004. 350, obs. R. OTTENHOF.

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466

Juridictions du fond Trib. corr. Dijon, 2 avr. 2003. Trib. corr. Draguignan, 23 févr. 2006, inédit.

§ 2. L’indifférence des causes de non-imputabilité sur la répression de la complicité

Cour de cassation-chambre criminelle Cass. crim., 20 oct. 1949, Bull. crim., 1949, no 291. Cass. crim., 13 mars 1991, no 90-83913, Bull. crim., 1991, no 125. Cass. crim., 16 juin 1887, Bull. crim.,1887, no 221. Cass. crim., 27 nov. 1847, DP 1846, 4, no 94. Cass. crim., 12 oct. 1882, Bull. crim., 1882, no 233. Cass. crim., 9 nov. 1965, no 65-90659, Bull. crim., no 227. Cass. crim., 16 juill. 1964, Bull. crim., no 241. Cass. crim., 7 mai 1942. Cass. crim., 26 déc. 1924, Bull. crim. 1924, no 426. Cass. crim., 9 févr. 1956, Bull. crim. 1956, no 148 ; JCP G 1956, II, 9574, note J. LARGUIER ;

D. 1956, 501, note M.R.M.P. Cass. crim., 4 janv. 1963, no 62-91.693, Bull. crim. 1963, no 5. Cass. crim., 25 juin 2003, no 02-86.182, inédit, Dr. pén., 2003, comm. 142, obs. M. VÉRON ;

RSC, 2004, p. 350, obs. R. OTTENHOF. Cass. crim., 26 oct. 1912, S. 1914, I, 225, note ROUX ; 15 janv. 1948, S. 1949, I, 81, note

A. LÉGAL. Cass. crim., 10 nov. 1971, no 69-92.308, Bull. crim., no 307. Cass. crim., 15 janv. 1979, no 77-90.394, Bull. crim., no 21. Cass. crim., 19 déc. 1989, no 89-82.550, inédit, D. 1990. 198, note D. MAYER ; RSC,

1990. 775, obs. A. VITU. Cour de cassation-chambres civiles Cass. civ. 1re, 26 janv. 1999, no 96-20782, Bull. civ. I, no 32 ; RTD civ. 1999, p. 405. Cour de cassation-chambre commerciale Cass. com., 11 oct. 1971, no 70-11892, Bull. com., no 237, D. 1972, p. 120. Juridictions du fond Trib. corr. Bobigny, 22 nov. 1972, Gaz. Pal., 1972, 2, p. 890. CA. Aix-en-Provence, 11 juillet 1968, Gaz. pal., 1968, 2, p. 316.

Section 2. La complémentarité fonctionnelle des composantes de la responsabilité pénale. § 1. Le rôle de l’imputabilité en lien avec son rattachement exclusif à la responsabilité pénale

§ 2. Le rôle de la culpabilité en lien avec son double rattachement, infraction/responsabilité pénale

Cour européenne des droits de l’homme CEDH, 10 janv. 2013, no 60995/09, Voica c/ France, N. Hervieu, « La motivation des arrêts

d’assises en France sous les fourches caudines européennes », lettre « Actualités droit-libertés du CREDOF, 11 janv. 2013 ; F. LAFAILLE, « La CEDH et la (non-)motivation

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467

des verdicts de cour d’assises, JCP G n° 9, 247 ; L. Milano, « De la nécessité de reconsidérer la place du principe de motivation », RDLF, 2013, chron. n° 7 ; J.-F. RENUCCI, « Mise au point européenne sur la motivation des arrêts d’assises », D, 2013, p. 615 ; M. PARIGUET, « Les raisons de la peine – à propos de l’arrêt CEDH, 10 janv. 2013, no 60995/09, v. c/ france », Dr. pén., 2013, étude 6.

Conseil constitutionnel Cons. const., 9 août 2007, no 2007-554, DC, JO du 11 août ; AJDA 2008, p. 594, note

A. JENNEQUIN ; D., 2008, p. 2025, obs. V. BERNAUD et L. GAY ; RSC, 2008, p. 133, obs. B. DE LAMY ; ibid., p. 136, obs. B. DE LAMY.

Cons. const., 29 sept. 2010, no 2010-40 QPC, D., 2010, p. 2732, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE, T. GARE et S. MIRABAIL ; AJ pén., 2010, p. 501, obs. J.-B. PERRIER ; D., 2011, p. 54, note B. BOULOC.

Partie 2. L’imputabilité à l’épreuve d’un droit pénal post-moderne Titre 1. La montée d’un droit pénal néopositiviste sonnant le glas d’une conception unitaire

de l’imputabilité Chapitre I. L’objectivation de l’imputabilité en lien avec l’évolution de la personnalité pénale

des personnes morales

Cour de cassation-chambre des requêtes Cass. Req., 23 févr. 1891, D., 1891, 1, 337 ; S., 1892, 1, 73. Cour de cassation-chambre civile Civ. 2e, 28 janv. 1954 no 54-07.081, Bull. II, no 32, JCP 1954, II, 7958, concl. LEMOINE ;

D., 1954, p. 217, note G. LEVASSEUR.

Section 1. Le glissement vers l’abandon de la responsabilité indirecte des personnes morales condamnant la conception subjective de l’imputabilité

§ 1. La reconnaissance initiale d’une responsabilité indirecte de la personne morale Cour de cassation-chambre criminelle Cass. crim., 2 déc. 1997, no 96-85.484, Bull. crim., no 408 ; Rev. sociétés 1998, p. 148, obs. B.

Bouloc ; RSC, 1998, p. 536, obs. B. BOULOC ; JCP E 1998, 148, note P. SALVAGE ; D., 1999, Somm. p. 152, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE ; JCP 1998, II, no 10023, rapp. F. DESPORTES ; J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, 3e éd., 2001, p. 457 ; JCP 1999, I, 112, no 1, M. VERON ; Bull. Joly 1998, p. 512, § 166, note J.-F. BARBIERI ; Droit et patrimoine 1998, 2011, note J.-F. RENUCCI.

Cass. crim., 26 juin 2001, no 00-83.466, Bull. crim., no 161 ; D. 2002, p. 1802, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE ; RSC, 2002, p. 99, obs. B. BOULOC ; JCP E 2002. 371, note D. OHL ; Dr. pén., 2002, comm. 8, note J.-H. ROBERT.

Cass. crim., 30 oct. 1995, no 95-80.361, Bull. crim., no 336. Juridictions du fond CA Paris, 21 déc. 1949, Soc. Baschet, D. 1950, p. 438, col. 1, note H. DONNEDIEU DE VABRES. Tr. corr. de Paris, 3 nov. 1995, Dr. soc., 1996, p. 157, note A. COEURET. Tr. corr. Versailles, 18 déc. 1995 : JurisData no 1995-049320 ; Dr. pén., 1996, comm. 71, note

J.-H. ROBERT ; JCP G 1996, II, 22640, note J.-H. ROBERT. Tr. corr. Strasbourg, 9 févr. 1996, Bull. Joly, 1996, p. 297, note J.-F. BARBIÈRI.

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468

Tr. corr. Lyon, 9 oct. 1997 : JurisData no 1997-044728 ; Dr. pén., 1997, comm. 154, note J.-H. ROBERT ; JCP G 1998, I, 105, note J.-H. ROBERT.

CA Lyon, 3 juin 1998 : JurisData no 1998-041510 ; Dr. pén., 1998, comm. 118, note J.-H. ROBERT.

CA Paris, 21 déc. 1949, D., 1950, p. 434, note H. DONNEDIEU DE VABRES.

§ 2. L’autonomisation de la responsabilité pénale des personnes morales Cour de cassation-chambre criminelle Cass. crim., 28 juin 1902, Bull. crim., 1902, no 237. Cass. crim., 7 déc. 1981, no 78-91.633, Bull. crim., 1981, no 325. Cass. crim., 19 janv. 1988, no 87-83.315, Bull. crim., 1988, no 29. Cass. crim., 11 mars 1993, no 91-83.655 : JurisData no 1993-000886 – no 92-80.773 : JurisData

no 1993-704844 – no 90-84.931 : JurisData no 1993-000778 – no 91-80.958 : JurisData no 1993-003140 – no 91-80.598 : JurisData no 1993-704846 ; Bull. crim., 1993, no 112 ; Bull. Joly Sociétés 1993, p. 666, note M.-E. CARTIER ; RSC, 1994, p. 101, obs. B. BOULOC.

Cass. crim., 1er déc. 1998, no 97-80.560, Bull. crim. no 325 ; RSC, 1999, p. 336, obs. G. GIUDICELLI-DELAGE, et p. 579, obs. B. BOULOC.

Cass. crim., 9 nov. 1999, no 98-81746, Bull. crim., no 252 ; RSC, 2000, p. 389, obs. Y. MAYAUD, p. 600, obs. B. BOULOC, et p. 851, obs. G. GIUDICELLI-DELAGE ; Dr. pén., 2000, comm. no 56, 1er arrêt, obs. M. VÉRON ; Bull. Joly, 2000, § 85, obs. J.-F. BARBIÈRI.

Cass. crim., 14 déc. 1999, no 99-80104, Bull crim., no 306 ; Bull. Joly, 2000, § 145, obs. J.-F. BARBIERI ; Dr. pén., 2000, comm. no 56, 2e arrêt, obs. M. VERON ; RSC, 2000, p. 600, obs. B. BOULOC, et p. 851, obs. G. GIUDICELLI-DELAGE.

Cass. crim., 25 mars 2014, no 13-80.376 : JurisData no 2014-005997 ; Bull. crim., 2014, no 94; Dr. pén., 2014, chron. 10, no 1, obs. M. SEGONDS.

Cass. crim., 16 déc. 2014, no 13-87.342, inédit : JurisData no 2014-031281. Cass. crim., 9 juin 2015, no 14-86-469, inédit : JurisData no 2015-013827. Cass. crim., 10 avr. 2013, no 12-82282, inédit, Gaz. Pal., 21-23 juill. 2013, p. 30, obs.

E. DREYER. Cass. crim., 20 juin 2006, no 05-85.255: JurisData no 2006-034397 ; Bull. crim., 2006, no 188;

JCP G 2006, II, 10199, note E. DREYER ; D. 2007, p. 617, note J.-C. SAINT-PAU. Cass. crim., 31 mai 2005, Dr. pén., 2005, comm. 193, obs. J.-H. ROBERT Cass. crim., 21 févr. 2006, no 05-82140, inédit, Dr. pén., 2006, comm. 71, obs. J.-H. ROBERT. Cass. crim., 11 juin 2010, no 09-87.884, inédit : JurisData no 2010-008735 ; JCP G 2010, I,

notes 1030 et 1031, J.-H. ROBERT et H. MATSOPOULOU ; RSC 2010, p. 177, obs. B. DE LAMY.

Cass. crim., 15 janv. 2008, no 07-80.800, Bull. crim., 2008, no 6 ; JCP G 2008, II, 10082, note J.-Y. MARÉCHAL.

Cass. crim., 15 févr. 2011, no 07-83.640, Bull. crim. no 23, Dr. pén., 2011, comm. 62, obs. M. VÉRON.

Cass. crim., 25 juin 2008, no 07-80.261: JurisData no 2008-044943 ; Bull. crim., 2008, no 167 ; Dr. pén., 2008, comm. 140, note M. VERON ; JCP E 2008, 2361, note C. DUCOULOUX-FAVARD ; RD. pén. crim., 2008, p. 858, note P. BONFILS.

Cass. crim., 1er avr. 2008, no 07-84.839, inédit, Dr. pén., 2008, comm. 140, obs. M. VÉRON. Cass. crim., 2 déc. 1997, no 96-85.484, Bull. crim. no 408. Cass. crim., 1er déc. 2009, no 09-82.140, inédit, Dr. pén., 2010, comm. 74, obs. M. VÉRON. Cass. crim., 28 janv. 2009, no 08-85.426, inédit, Dr. pén., 2009, comm. 48, obs. J.-H. ROBERT. Cass. crim., 11 oct. 2011, no 10-87.212, Bull. crim. no 202 : JurisData no 2011-021620, JCP G

2011, I, 1385, note J.-H. ROBERT.

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469

Cass. crim., 11 avr. 2012, no 10-86.974, Bull. crim. no 94 : JurisData no 2012-007035, JCP G 2012, I, 740, note J.-H. ROBERT ; AJ pén., 2012, p. 415, note B. Bouloc ; Gaz. Pal., 27-28 juill. 2012, p. 19, obs. E. DREYER Cass. crim., 19 juin 2013, no 12-82.827, Bull. crim., 2013, no 148 ; JCP G 2013, 1049, note A. GALLOIS ; Gaz. Pal. 21-23 juill. 2013, p. 3, obs. E. DREYER.

Cass. crim., 15 janv. 2013, no 1-80.862, inédit, Gaz. Pal. 8-11 mai 2013, p. 26, obs. E. DREYER. Cass. crim., 12 juin 2012, no 11-83.657, inédit, JCP G 2012, 1172, note J.-H. ROBERT ; Gaz.

Pal., 26-27 oct. 2012, p. 30, obs. E. DREYER. Cass. crim., 2 sept. 2014, no 13-83.956 ; Bull. crim., 2014, no 178; JCP S, 2014, 1402, note

F. DUQUESNE. Cass. crim., 27 mai 2015, no 14-82.432, inédit. Cass. crim., 22 sept. 2015, no 14-83.202, inédit : JurisData no 2015-021027, Dr. pén., 2015,

comm. 167, note J.-H. ROBERT. Cass. crim., 17 nov. 2015, no 14-83.647, inédit, Dr. pén., 2016, comm. 22, obs. P. CONTE. Cass. crim., 22 mars 2016, no 15-81.484, Bull. crim., no 100. Cass. crim., 27 sept. 2016, no 15-85.248, à paraître au bulletin : JurisData no 2016-019637 ;

Dr. pén., 2017, étude 11, note P. CONTE. Cass. crim., 12 avr. 2016 no 15-86.169, Bull. crim. no 130 : JurisData no 2016-006964 ; Dall. act.,

18 mai 2016, obs. S. FUCINI. Cass. crim., 28 juin 2013, no 12-85.917. Cass. crim., 18 avr. 2000, Bull. crim., 2000, no 153. Cass. crim., 5 févr. 2003, no 02-82.187, Bull. crim. no 24, RSC, 2003, p. 554, obs. B. BOULOC;

D., 2003, p. 2855, note J.-C. PLANQUE. Cass. crim., 26 sept. 2001, Bull. crim., no 191 ; RTD Com. 2002, p. 382, obs. B. BOULOC. Cour de cassation-chambres civiles

Cass. 1re civ., 6 avr. 2004, no 01-03.494, Bull. I, no 108.

Section 2. La reconnaissance d’une responsabilité directe des personnes morales à l’origine d’une conception objectivée de l’imputabilité

§ 1. Les conditions de la responsabilité pénale des personnes morales repensées dans le sens de l’autonomie

Cour de justice de l’Union européenne CJUE, 5 mars 2015, aff. C-343/13, Modelo Continente Hipermercados SA c/Autoridade para as

Condições de Trabalho : JurisData no 2015-006137. Cour de cassation-chambre criminelle Cass. crim., 20 juin 2000, no 99-86.742, Bull. crim., no 237; D., affaires 2001, no 10, p. 893, note

H. MATSOPOULOU ; Bull. Joly, 2000, p. 201, § 12, obs. C. MASCALA. Cass. crim., 14 oct. 2003, no 02-86.376, Bull. crim., no 189 ; Dr. pén., 2004, comm. no 20, obs.,

J.-H. ROBERT. Cass. crim., 25 oct. 2016, no 16-80.366, à paraître au bulletin ; JCP E 2016, p. 1652 ; Dr. soc.

2017, comm. 34, R. SALOMON ; Dr. soc. 2017, chron. 1, E. SCHLUMBERGER. Cass. crim., 26 juin 2001, no 00-83.466, Bull. crim., no 161. Cass. crim., 1er déc. 2009, no 09-83.374, Bull. crim. no 199, D., 2010, p. 1663, obs.

C. MASCALA. Cass. crim., 16 déc. 2009, no 07-86-584, inédit. Cass. crim., 9 févr. 2010, no 09-81.574, inédit. Cass. crim., 9 mars 2010, Bull. crim., no 49.

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470

Cass. crim., 11 mai 1999 ; Dr. pén., 1999, comm. 140, obs. M. VÉRON ; RSC, 2000, p. 197, obs. Y. MAYAUD.

Cass. crim., 22 nov. 2006, no 06-83.008, Bull. crim. no 293 : JurisData no 2006-036598 ; Dr. pén., 2007, comm. 25, note J.-H. ROBERT.

Cass. crim., 24 mars 2009, no 08-86.530, inédit : JurisData no 2009-047943 ; Dr. pén., 2009, comm. 84, note J.-H. ROBERT.

Juridictions du fond CA Paris, 7 mars 2008, JurisData no 2008-360860.

§ 2. La confirmation d’une acception objectivée de l’imputabilité par l’étude des peines applicables aux personnes morales

Chapitre II. L’imputabilité en danger au regard de la responsabilité pénale des personnes physiques

Section 1. L’éviction ciblée de l’imputabilité par l’infliction de mesures répressives à des personnes au discernement inexistant ou incomplet

§ 1. L’infliction de peines à des délinquants aliénés ou la concession de l’imputabilité en tant que fondement de la responsabilité pénale

Cour européenne des droits de l’homme CEDH, 3 sept. 2015, no 42875/10, Berland c/ France : JurisData no 2015-019339 ; RSC, 2016,

p. 129 note D. ROETS ; D., 2015, p. 2465, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE, T. GARE, C. GINESTET, M.-H. GOZZI et S. MIRABAIL ; AJ pén., 2015, p. 599, obs. C. MARGAINE ; Dr. pén., 2015, comm. 134, note V. PELTIER.

CEDH, 6 nov. 1980, Guzzardi c/ Italie, § 100, Série A, no 39. CEDH 24 juin 1982, Van Droogenbroeck c/ Belgique, § 35, Série A, no 50. CEDH 9 févr. 1995, Welch c/ Royaume-Uni, § 27, Série A, no 307-A ; RSC, 1996, p. 470, obs.

R. KOERING-JOULIN. CEDH 8 juin 1995, Jamil c/ France, § 30, Série A, no 317-B ; D., 1996, p. 197, obs.

J.-F. RENUCCI ; RSC, 1995, p. 855, obs. L.-E. PETTITI, 1996, p. 471, obs. R. KOERING-JOULIN et p. 662, obs. J.-P. DELMAS SAINT-HILAIRE.

CEDH, 17 déc. 2009, no 19359/04, M. c/ Allemagne, JurisData no 2009-021374, part. § 133. CEDH, 24 nov. 2011, no 4646/08, O. H. c/ Allemagne. CEDH 24 nov. 2011, no 48038/06, Schönbrod c/ Allemagne. CEDH, gr. ch., 21 oct. 2013, no 42750/09, Del Rio Prada/c Espagne, Dr. pén., 2013, comm. 179,

note V. PELTIER. Conseil constitutionnel Cons. const., DC 21 févr. 2008, no 2008-562 Cour de cassation-chambre criminelle Cass. crim., 14 avr. 2010, no 09-82.291, inédit. Cass. crim., 28 oct. 2014, no 13-82.787, inédit. Cass. crim., 28 oct. 2014, no 13-82.787, inédit. Cass. crim., 16 déc. 2009, no 09-85.153, Bull. crim., no 216 ; Dr. pén., 2011, étude 4 H.

MATSOPOULOU ; D., 2010, p. 471, note J. PRADEL ; ibid., p. 144, obs. M. Léna ; AJ pén.,

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471

2010, p. 136, obs. C. DUPARC ; Constitutions, 2010, p. 235, obs. M. DISANT ; RSC, 2010, p. 129, obs. É. FORTIS ; JCP G 2010. 117, note P. MISTRETTA.

Cass. crim., 12 oct. 2011, no 10-88.126, inédit. Cass. crim., 21 janv. 2009, no 08-83.492, Bull. crim., no 24 ; D., 2009, p. 1111, note

H. MATSOPOULOU ; AJ pén., 2009, p. 178, obs. J. LASSERRE-CAPDEVILLE ; RSC 2009, p. 69, note P.-J. DELAGE ; p. 136, obs. A. GIUDICELLI ; Dr. pén., 2009, étude 9, F. ROUSSEAU ; JCP 2009, II, 10043, note S. DETRAZ.

§ 2. L’imputabilité ébranlée par le glissement du droit pénal des mineurs vers le droit pénal des majeurs, ou la concession de l’imputabilité dans sa double acception de fondement

et d’aptitude à profiter de la sanction pénale Cour européenne des droits de l’homme CEDH, Gr. Ch., 16 déc. 1999, T. et V. c/ Royaume Uni, req. nos 24724/94 et 24888/94. Conseil constitutionnel Cons. Const., no 2002-461 DC du 29 août 2002, JO 10 sept. 2002, p. 14953 ; RDP 2002,

p. 1731, note J. Roux. Cons. const., no 2007-553, DC du 3 mars 2007. Cons. const., no 2007-554, DC du 9 août 2007. Cons const., no 2011-625, DC du 10 mars 2011. Cour de cassation-chambre criminelle Cass. crim., 10 févr. 2016, no 16-80.510 : JurisData no 2016-002530 ; Bull. crim., no 45 ; Dr. pén.,

2017, chron. 3 « Un an de droit de la peine », comm. É. GARÇON et V. PELTIER (affiner la référence).

Cass. crim., 13 déc. 1956, D., 1957, p. 349, note PATIN. Cass. crim., 8 juin 2017, no 16-83.345, à paraître au bulletin.

Section 2. Le risque d’une éviction de l’imputabilité attisée par le phénomène contemporain de convergence des peines et mesures de sûreté

§ 1. L’artifice de la dualité de qualifications formelles Cour européenne des droits de l’homme CEDH, 21 oct. 2013, no 42750/09, Del Rio Prada c/ Espagne : JurisData no 2013-026185 ; D.,

2013, p. 2775, obs. J. FALXA ; RSC, 2014, p. 174, note D. ROETS. CEDH, 12 févr. 2008, Gr. Ch., no 21906/04, Kafkaris c/ Chypre : JurisData no 2008/010468. CEDH, 3e sect., 10 juill. 2012, Del Rio Prada c/ Espagne, no 42750/09 : JurisData

no 2012-033725, AJ pén., 2012, p. 494, obs. M.-H. EVANS ; RSC, 2012, p. 698, obs. D. ROETS.

CEDH, 7 janv. 2016, no 23279/14, Bergmann c/ Allemagne ; JurisData no 2016-000130 ; Dr. pén., 2016, comm. 70, V. PELTIER ; AJ pén., 2017, p. 48, obs. C. SAAS, Dr. pén., 2017, chron. « Un an de droit de la peine », no 33, obs. V. PELTIER.

Conseil constitutionnel Cons. const., 21 févr. 2008, no 2008-562 DC, AJDA 2008, p. 714 ; D., 2008, p. 1359, chron.

Y. MAYAUD ; ibid., p. 2025, obs. V. BERNAUD et L. GAY ; ibid., 2009, p. 123, obs.

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472

G. ROUJOU DE BOUBEE, T. GARE et S. MIRABAIL ; Constitutions 2010, p. 235, obs. M. DISANT ; RSC 2008, p. 731, note C. LAZERGES ; ibid., 2009, p. 166, obs. B. DE LAMY.

Cons const., DC NO 93-334, 20 JANV. 1994. Cons. const., 29 sept. 2010, no 2010-40 QPC, JCP 2010, p. 1149, obs. A. LEPAGE et

H. MATSOPOULOU ; Dr. pén., 2010, comm. 122, obs. J.-H. ROBERT ; Gaz. Pal., 2010, p. 19, obs. M.-C. SORDINO.

Cons. const., 17 mars 2011, no 2011-103 QPC, Constitutions 2011, p. 377, obs. A. BARILARI ; LPA, 2011, p. 3, obs. N. PERROTIN ; RFDC, 2011, p. 627, obs. É. OLIVA.

Cons. const., 22 juill. 2005, no 2005-520 DC, RFDC, 2006, p. 165, obs. S. NICOT; Gaz. Pal., 2005, no 215, p. 6, obs. J.-É SCHOETTL.

Cons. const., 9 août 2007, no 2007-554 DC, AJDA 2008, p. 594, note A. JENNEQUIN ; D., 2008, p. 2025, obs. V. BERNAUD et L. GAY ; RSC, 2008, p. 133 et 136, obs. B. DE LAMY.

Cons. const., DC 8 déc. 2005, no 2005-527. Cons. const., 21 févr. 2008, no 2008-562 DC. Cour de cassation-chambre criminelle Cass. crim., 8 juin 2016, no 15-84.205, Bull. crim. no 176, Dr. pén., 2016, comm. 149, obs.

É. BONIS-GARÇON. Cass. crim., 26 nov. 1997, no 96-83.792 ; Bull. crim., 1997, no 404 ; D., 1998, p. 495. Cass. crim., 3 sept. 2008, no 07-88.501, inédit ; Dr. pén., 2009, comm. no 11.

§ 2. La réunion des peines et des mesures de sûreté en une catégorie unique de sanctions pénale avec l’imputabilité pour fondement

Titre 2. Pour une cohabitation dédramatisée de l’imputabilité et de la dangerosité dans un droit pénal post-moderne

Chapitre I. La recherche d’une cohabitation dédramatisée de l’imputabilité et de la dangerosité dans le cadre de la césure du procès pénal

Section 1. La potentialité d’une place spécifique à l’imputabilité dans le cadre de la césure du procès pénal

§ 1. La césure du procès pénal induisant implicitement une place spécifique à l’imputabilité au sein du jugement pénal

§ 2. La césure du procès pénal consacrant expressément une phase du procès pénal portant sur l’imputabilité

Section 2. Le dévoiement de la césure excluant l’existence processuelle de l’imputabilité § 1. La pénalisation des délinquants aliénés

Cour de cassation-commission de révision Comm. révision, 8 févr. 2010, no 09 rév. 039, Bull. crim., 2008, Comm. révision no 2.

§ 2. La césure du procès pénal sans incidence pratique sur la pénalisation des mineurs délinquants

Cour européenne des droits de l’homme

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473

CEDH, 2 mars 2010, no 54729/00, Adamkiewicz c/ Pologne, D., 2010, p. 1324, note P. BONFILS ; ibid., p. 1904, obs. A. GOUTTENOIRE et P. BONFILS ; ibid., 2011, p. 1107, obs. M. DOUCHY-OUDOT ; RSC, 2010, p. 687, obs. D. ROETS.

Conseil constitutionnel Cons. const., 29 août 2002, no 2002-461, DC. Cons. const., 8 juill. 2011, no 2011-147, QPC, AJ fam., 2011, p. 435, obs. V. A.-R. ; 391, point

de vue L. Gebler ; AJ pén., 2011, p. 596, obs. J.-B. Perrier ; RSC 2011, p. 728, chron. C. LAZERGES ; RTD civ., 2011, p. 756, obs. J. HAUSER.

Cons. const., 4 août 2011, no 2011-635 DC. Cons. const., 3 mars 2007, no 2007-553, DC. Cons. const., QPC no 2012-272 du 21 septembre 2012, JO du 22 septembre 2012, p. 15024. Cons. const., no 2011-625 DC du 10 mars 2011. Cour de cassation-chambre criminelle Cass. crim. 8 juin 2017, no 16-83.345, à paraître au bulletin. Cass. crim., 7 avr. 1993, no 92-84.725, Bull. crim,. no 152 ; D., 1993. Jur. 553, note J. PRADEL. Cass. crim., 20 juin 2012, no 12-90.019, inédit.

Chapitre II. L’usage recentré de la dangerosité Section 1. L’usage de la dangerosité bornée par le l’extension

du rôle garantiste de l’imputabilité § 1. Les implications de l’imputabilité en droit pénal de forme

Cour européenne des droits de l’homme CEDH, 23 févr. 2012, no 27244/09, G c/France ; D., 2012, p. 742, obs. O. BACHELET ;

AJ pén., 2012, p. 357, obs. J.-P. CERE. CEDH Hauschildt c/ Autriche, 24 mai 1989. CEDH, 30 janv. 2001, no 35683/97, Vaudelle c/ France : Dr. fam. 2001, comm. 66, obs.

T. Fossier ; RTDciv. 2001, p. 330, obs. J. Hauser ; D. 2002, p. 354, note A. Gouttenoire et E. Rubi-Cavagna ; JCP G 2001, I, 342, no 14, obs. F. Sudre.

Conseil constitutionnel Cons. const., décision no 2012-235 QPC, 20 avr. 2012, CRPA, Rec., p. 202 ; AJDA 2012, p. 855. Cons. const. 9 août 2007, no 2007-554 DC. Cour de cassation-chambre criminelle Cass. crim., 20 juin 2008, Avis no 0080005P ; D., 2008, p. 1902, obs. M. LÉNA ; Procédures

2008, no 325, obs. R. PERROT. Cass. crim., 8 juin 2017, no 16-83.345, inédit. Cass. crim., 6 nov. 2012, no 12-82.190, Bull. crim., no 240 ; Gaz. Pal., 19-20 déc. 2012, jur.,

p. 10, note R. MESA ; Gaz. Pal., 8-9 févr. 2013, p. 32, note E. DREYER ET S. DETRAZ ; Dr. pén., 2013, comm. 33, obs. É. BONIS-GARÇON.

Cass. crim., 29 janv. 2014, no 12-85.603, Bull. crim., no 34 ; D., 2014, p. 372 ; M. BOMBLED, Dalloz. act., 14 févr. 2014 ; Dr. pén., 2014, comm. 50, obs. É. BONIS-GARÇON.

Cass. crim., 14 oct. 2014, no 13-85.779, Bull. crim., no 205 ; JurisData no 2014-024158 ; Dr. pén., 2014, comm. 153, obs. É. BONIS-GARÇON.

Cour de cassation-chambres civiles Cass. civ. 1er, 10 avr. 2013, no 12-13.672, Bull. 1013, I, no 80.

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474

Juridictions du fond CA Angers, 8 oct. 2013, no 13/00231 : JurisData no 2013-026024 ; Dr. fam., 2014, comm. 28,

obs. I. MARIA. § 2. Les implications de l’imputabilité en droit pénal de fond

Section 2. Les modalités d’une appréhension directe de la dangerosité dans un droit pénal post-moderne

§ 1. L’appréhension de la dangerosité praeterdelictum

Cour européenne des droits de l’homme CEDH Haidn c./ Allemagne, 13 janv. 2011, rep. no 6587/04. CEDH, 7 janv. 2016, no 23279/14, Bergmann c/ Allemagne, JurisData no 2016-000130 ;

Dr. pén., 2016, comm. 70, V. PELTIER, JCP G 2016, 94. CEDH, 12 févr. 2008, no 21906/04 Kafkaris c/ Chypre : JurisData no 2008-010468. CEDH, Gr. Ch., 9 juill. 2013, nos 66069/09, 00130/10 et 03896/10, Vinter et A. c/ Royaume-

Uni : JurisData no 2013-022188. CEDH, 26 avr. 2016, no 10511/10 Murray c/ Pays-Bas : JurisData no 2016-007793. CEDH, 4 oct. 2016, nos 37871/14 et 73986/14, T.P. et A.T. c/ Hongrie, Dr. pén., 2016, comm.

182, obs. É. BONIS-GARÇON. CEDH, 13 nov. 2014, no 40014/10, Bodein c/ France, § 61 : JurisData no 2014-026649 ;

Dr. pén., 2015, comm. 15, É. BONIS-GARÇON. Conseil constitutionnel Cons. const., 10 févr. 2017, no 2016-611 QPC. Cons. const., 7 avr. 2017, no 2017-625 QPC. Cons. const., 8 déc. 2005, no 2005-527 DC ; D., 2006, Pan. p. 000 [telle qu’apparaît la

reference], obs. V. OGIER-BERNAUD et C. SEVERINO. Cons. const., 21 févr. 2008 – décision no 2008-562 DC. Cour de cassation-chambre criminelle Cass. crim., 19 nov. 2002, no 02-80.788, inédit, D., 2003, p. 1315, note D. MAYER. Cass. crim., 7 févr. 2007, no 06-80.108, inédit, D., 2007, p. 1310, note J.-P. FELDMAN ; p. 573,

obs. A. Darsonville ; AJ pén., 2007, p. 133, obs. C. Saas ; JCP G 2007, II, 10059, note F.-G. TREBULLE.

§ 2. La nécessité d’une évolution vers l’optimisation de l’évaluation de la dangerosité

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475

Index –

A

Actuarielle : méthode actuarielle : 421 et suiv.

Agression sexuelle : 60, 61, 298, 307 Amende civile : 161 et suiv., 431, 446 Appréciation hybride : 71, 72 Appréciation in abstracto : 70 et 71, 102, 103,

116 Appréciation in concreto : 62, 70 et suiv., 101

et suiv., 114, 116, 144, 220, 266, 360, 417, 445 Aptitude et sanction pénale :

aptitude à mériter la sanction : 203, 204, 208, 210

aptitude à profiter de la sanction pénale : 27, 203, 210, 270, 271, 278, 279, 289, 293, 362, 377, 379, 434, 435, 471

B

Blanchiment : 191 et suiv.

C

Capacité pénale : imputabilité comprise comme – : 27, 28, 228,

269, 270, 272, 276, 289, 290 et suiv., 359 et suiv., 397 et suiv., 433 et suiv.

Causes d’irresponsabilité pénale : 44, 55, 88, 111, 140, 163, 198, 265, 352

Causes de non-imputabilité : 16, 21, 28, 45, 80, 107 faits justificatifs (distinction) : 21, 28, 107

Césure du procès pénal : l'existence processuelle de l'imputabilité : 350

Circulaire Chaumié : 399 Complicité :

l'emprunt de criminalité (principe) : 172 autonomisation : 185

et défaut d'imputabilité de l'auteur : 194 et suiv.

Conscience : infractionnelle : 47, 68, 79 et suiv. morale : 48 polysémie de la notion de – : 47 psychologique : 48

Contrainte : altération grave du processus volontaire : 114 et état de nécessité : 20, 104 et suiv. et personnes morales : 265 imprévisibilité : 107 et suiv. irrésistibilité : 101 et suiv. morale : 99 et suiv. physique : 90 et suiv.

Contravention : complicité : 180 et suiv. présomption de culpabilité : 67 et suiv.

Culpabilité : caractère objectivé : 35 et suiv., 70 et suiv. élément psychologique : 15, 23 et 24 fonctions : 212 et suiv. intentionnelle : 36 et suiv., 46 et suiv. non intentionnelle : 36 et suiv. non- culpabilité intentionnelle : 85 présomption : 67 et suiv., 74 et suiv.

D

Dangerosité : criminologique : 421 et suiv. évaluation : 419 et suiv., 436 hypothétique : 402 et suiv. psychiatrique : 419 et suiv. sociale : 333 et suiv., 421 et suiv.

Déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental : pénalisation de la maladie mentale : 351 et

suiv.

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476

Défense sociale : – nouvelle : 133, 206 et suiv., 212, 225, 342

Délit d'excès de très grande vitesse : 38 et suiv. Délégation de pouvoirs : 241 Délit d’excès de très grande vitesse : 40 Démence : Voir Trouble psychique ou

neuropsychique Derguini (arrêt) : 169 Discernement :

abolition du – : 81, 125, 197, 211, 380, 391 altération du – : 197, 389, 397 définition du – : 12

Dol aggravé : 47, 57, 62 et suiv. Dol général : 46 et suiv., 74, 85 Dol spécial : 46 et suiv. Dommages et intérêts punitifs : 164 et suiv.,

431, 446

E

École néoclassique : – de la Restauration : 205 – nouvelle : 209, 212

Élément : – injuste : 23 – légal : 16 et suiv., 47, 74, 176 – matériel : 23 et suiv., 40, 47, 67, 74, 90, 111,

120, 176, 233 – moral : 40, 55, 65, 76, 111, 130, 137, 177,

233, 354 Empoisonnement : 51, 183, 184, 190 État de nécessité :

altération grave du processus volontaire : 114 genèse de l'– : 117

Expertise : – civile : 391 – de dangerosité : 422 – psychiatrique : 280, 390, 422

F

Faits justificatifs : putatif : 15, 16 subjectivisation jurisprudentielle : 15 conception objective : 16 conception subjective : 15 effet in rem : 18 et mobile légitime : 17, 55 extranéité des causes de non-imputabilité : 13

Faute – antérieure : 21, 107, 127, 392, 431 – caractérisée : 42, 154, 219 – civile : 144, 431

– de mise en danger délibérée : 37, 147, 154, 219

– intentionnelle : 23, 137, 166, 179, 261 – normative : 48 – qualifiée : 151, 219, 255

I

Imprudence : – ordinaire : 42, 71, 147 et suiv. – qualifiée : 42, 53, 118, 147, 159, 219, 253

Imputabilité : acception subjective : 12, 15, 28, 231, 233, 235,

237, 264, 265, 269, 433 ancrage sociologique : 318, 334, 335 audience d'– : 216, 350, 358, 381 et suiv. concession de l'exigence d'– : 144, 162 et imputation : 264 et responsabilité civile : 161 extériorité à l'infraction : 140 fonction téléologique : 164, 430 fondement de la responsabilité pénale : 203,

279 reconfiguration du champ de la condition de

liberté de l'– : 89 restauration (proposition en vue de la) : 165 rupture conception unitaire de l'– : 229

Imputation : et imputabilité : 9 personnes morales : 258

Incrimination : 21, 22, 23, 46, 47, 48, 50, 60, 64, 77, 98, 135, 138, 142, 172, 174, 183, 184, 256, 260, 271, 275, 328, 355, 403, 454

Individualisation de la sanction : et capacité pénale : 209 principe d'– : 27, 105, 113, 345, 374

Infans : absence de discernement : 197

Infraction : aggravée : 58 d'omission : 90 éléments constitutifs : 16, 22, 23, 40, 59, 61,

109 et suiv., 135, 141 et suiv., 172, 174, 234 et suiv., 431

formelle : 51, 403 obstacle : 50, 51, 52, 402, 403, 404, 406, 407,

435 structure de l'– : 22

Instigation : 103, 176 et suiv.

L

Laboube (arrêt) : 123 et suiv., 302, 324 et suiv., 463

Légitime défense : 10 et suiv., 179

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477

Lemaire (arrêt) : 169 Liberté physique :Voir Contrainte physique Liberté psychologique :Voir Contrainte

morale Libre arbitre : 11, 12, 22, 26, 44, 45, 105, 114,

116, 140, 141, 207, 210, 225, 326, 355 Lien de causalité : 93

M

Mesures applicables aux mineurs : aggravation : 290 mesures éducatives : 164, 291 sanctions éducatives : 291

Mesures de sûreté : et peines (interactions) : 310

Mesûres de sûreté : et déclaration d'irresponsabilité pénale pour

cause de trouble mental : 278 Mobile :

caractère objectif : 63 et circonstances aggravantes : 58 indifférence du – : 54 légitime : 17

N

Négligence : Voir Imprudence Néopositivisme pénal : 26, 429

O

Organe ou représentant de la personne morale : – identification de l'– : 433 légitimité de l'identification abstraite de l'– :

247

P

Peine : peines planchers : 299, 397

Peines et mesures de sûreté : – et mesures de sûreté : 294, 310 et suiv., 471

Personnalité du délinquant : césure du procès pénal : 341 examen de la – :345

Personne morale : anthropomorphisme : 257 autonomie de la responsabilité pénale de la – :

239 capacité délictuelle de la – : 261 causes de non-imputabilité : 265 cumul des responsabilités de la personne

physique et de la – : 238

organe ou représentant de la – : 26, 235, 245, 261, 433

théorie du substratum : 238 Pluridisciplinarité :

évaluation de la dangerosité : 424 et suiv. Positivisme pénal : 27, 29, 333 Post-modernité : 83, 225, 226, 339, 435, 452 Précaution :

et état de nécessité : 408 et imputabilité : 406, 407 principe de – : 406

Présomption de culpabilité : dol général : 68 dol spécial : 69 jurisprudentielle : 73 légitimité de la – : 73

Procédures pénales applicables aux mineurs : affaiblissement du caractère approprié des – :

361 comparution à délai rapproché :364 COPJ-jugement : 364 présentation immédiate : 366 procédures accélérées : 363 et suiv.

R

Recel : 191 responsabilité civile : 161 Responsabilité pénale :

caractère rétributif de la – : 208 notion de – : 9

Rétention de sûreté : conformité au droit interne de la – : 411 conventionnalité de la – : 416

Risque social : 225

S

Seuil de minorité pénale : âge de raison : 14, 305 et suiv. fixation : 85, 141, 289, 301 et suiv., 435

structure de l’infraction : 29, 84, 139 Surveillance de sûreté : 288, 318 et suiv., 411 et

suiv., 446 Surveillance judiciaire : 271, 277, 313 et suiv.,

411 et suiv., 427, 428

T

Terrorisme : et cause de non-imputabilité : 402

Trouble de la personnalité : dangerosité : 419

Trouble mental ou psychique ou neuropsychique : Voir Discernement

Troubles de la personnalité : 12, 420, 421

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478

U

Unité des fautes civile et pénale : effritement du principe d'– : 147 maintien du principe d'– : 149

Utilitarisme : 205, 362, 395, 396

V

Victimes : 148 et suiv., 217, 336 et suiv., 354, 381 et suiv., 386 et suiv., 428, 431, 434

Violences volontaires : 18, 51, 52, 69, 70, 94, 157, 177, 181, 189, 215, 279, 298, 300

Volonté : – du comportement : 36, 98 altération de la liberté de la – : 100, 114 liberté de la – : 44, 45, 89, 96, 103, 110, 120,

138, 141, 194, 266 notion de – : 15, 42, 45, 48

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479

Table des matières

Sommaire .................................................................................................................................................................... 5

Principales abréviations ............................................................................................................................................ 7

Introduction ................................................................................................................................................................ 9

PARTIE 1 – L’IMPUTABILITÉ DANS LA THÉORIE CLASSIQUE DE LA RESPONSABILITÉ PÉNALE ............................................................................................................................................. 31

TITRE 1 : L’AUTONOMIE DE L’IMPUTABILITÉ ET DE LA CULPABILITÉ ENTENDUE STRICTEMENT .. 33 Chapitre I – Les conditions de l’imputabilité découlant du caractère objectivé de la culpabilité ....................................... 35

Section 1 – Le caractère objectivé de la culpabilité des personnes physiques résultant de la substance même de la culpabilité ......................................................................................................................................................................... 36

§ 1 - L’objectivation résultant de la volonté du comportement, dénominateur psychologique commun à la culpabilité intentionnelle et non intentionnelle ....................................................................................................... 36

A. La « volonté » du comportement constituant le dénominateur psychologique commun à la culpabilité intentionnelle et non intentionnelle ..................................................................................................... 36

1. L’intrusion de la volonté dans le domaine de l’imprudence pénale par le truchement de la faute de mise en danger délibérée ................................................................................................................................ 37 2. La généralisation de la composante volitive à l’ensemble de l’imprudence pénale (faute caractérisée + imprudence ordinaire) ................................................................................................................ 42

B. L’identification de la volonté mobilisée dans le champ de la culpabilité .................................................... 42 1. La notion de volonté mobilisée dans la définition des concepts de culpabilité et d’imputabilité ..... 42 2. La volonté constituant le socle de toute culpabilité exclusive d’une subjectivation excessive de la notion ............................................................................................................................................................. 43

§ 2 - L’objectivation résultant de la substance spécifique à la culpabilité intentionnelle ..................................... 46 A. L’objectivation résultant de la définition positive de l’intention .................................................................. 46

1. La définition positive d’essence classique de l’intention ........................................................................... 46 2. Le caractère objectivé ou abstrait du dol général ....................................................................................... 47 3. L’absence de subjectivisation de l’intention découlant de l’inclusion du dol spécial dans le dol général .......................................................................................................................................................... 50

B. L’objectivation résultant de la définition négative de l’intention : l’exclusion des mobiles du champ de la définition de l’intention .................................................................................................................................... 54

1. L’exclusion jurisprudentielle de principe des mobiles de la définition de l’intention ......................... 54 2. L’inclusion législative exceptionnelle des mobiles dans la définition de l’intention ............................ 57

Section 2 – L’objectivation confirmée par l’étude du régime juridique de la culpabilité ........................................... 66 § 1 - L’établissement de la culpabilité par le recours au mécanisme des présomptions ...................................... 66

A. La présentation générale des présomptions de culpabilité ............................................................................ 67 1. La présomption des éléments constitutifs de l’intention .......................................................................... 67 2. Les modalités d’appréciation de la faute confirmant le caractère objectif de la culpabilité ............... 70

B. La légitimité du mécanisme des présomptions de culpabilité ....................................................................... 72 1. L’hostilité de la doctrine au mécanisme des présomptions jurisprudentielles de culpabilité ............. 73 2. La cohérence du mécanisme des présomptions de culpabilité ................................................................ 76

§ 2 - L’admission restrictive des causes de non-culpabilité ....................................................................................... 78 A. La nature juridique de l’erreur de droit .............................................................................................................. 79

1. L’exclusion du rattachement de l’erreur de droit aux causes de non-imputabilité .............................. 80 2. La définition classique du dol comme argument en faveur de la thèse erreur de droit, cause de non-culpabilité intentionnelle ........................................................................................................................ 85

B. L’admission restrictive de l’erreur de droit ........................................................................................................ 85

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480

Chapitre II – La reconfiguration du champ de la condition de liberté relevant de l’imputabilité ...................................... 89 Section 1 – L’existence d’une condition tenant à la liberté physique de l’agent entrant dans la constitution de l’infraction ............................................................................................................................................................................ 89

§ 1 - L’incompatibilité de la contrainte physique avec la matérialité de l’infraction ............................................ 90 A. La non-caractérisation du comportement répréhensible en présence d’une contrainte physique......... 90

1. En présence d’une infraction d’omission supposant un pouvoir préalable d’agir ............................... 90 2. En présence d’un homicide ou de blessures involontaires ...................................................................... 92

B. La non-réalisation du lien de causalité en présence d’une contrainte physique ......................................... 93 § 2 - L’incompatibilité de la contrainte physique avec l’élément psychologique de l’infraction ........................ 94

A. En présence d’une infraction intentionnelle .................................................................................................... 94 B. En présence d’une infraction non intentionnelle ............................................................................................ 97

1. L’exclusion du rattachement de l’absence de faute antérieure de l’agent à la non-réalisation de l’élément psychologique de l’infraction ....................................................................................................... 97 2. L’imprudence neutralisée par l’absence de volonté du comportement ................................................. 98

Section 2 – La liberté psychologique, condition de l’imputabilité ................................................................................. 99 § 1 - La contrainte morale, cause de non-imputabilité altérant la volonté ............................................................. 99

A. La contrainte morale, cause de non-imputabilité ............................................................................................ 99 B. La contrainte morale, altération grave de la liberté de la volonté ............................................................... 100

1. La rigueur de la Cour de cassation dans l’appréciation de la condition d’irrésistibilité .................... 101 2. L’existence juridique de la contrainte morale en question ..................................................................... 102 3. Une interprétation erronée de la condition d’irrésistibilité .................................................................... 104

§ 2 - Le rattachement de l’état de nécessité à la contrainte morale ....................................................................... 107 A. La nature subjective de l’état de nécessité ....................................................................................................... 107

1. La désolidarisation de l’état de nécessité des autres faits justificatifs ................................................... 107 2. L’exclusion du rattachement de l’état de nécessité aux causes de non-culpabilité ............................ 113

B. L’état de nécessité, altération grave de la liberté de la volonté ................................................................... 114 1. Une altération grave du processus volontaire masquée par une appréciation objective de la liberté de choix........................................................................................................................................... 114 2. L’altération du processus volontaire confirmée par la genèse de l’état de nécessité ......................... 117

TITRE 2 : LA PLACE DE L’IMPUTABILITÉ DANS LA MISE EN ŒUVRE DE LA RESPONSABILITÉ PÉNALE ... 121 Chapitre I – L’extranéité de l’imputabilité à l’infraction............................................................................................ 123

Section 1 – L’inclusion de l’imputabilité dans la constitution de l’élément psychologique de l’infraction .......... 123 § 1 - L’apparente inclusion par le droit positif de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction ............. 124

A. Les arguments textuels........................................................................................................................................ 124 1. La comparaison rédactionnelle de l’article 64 de l’ancien Code pénal et de l’article 122-1 du Code pénal ...................................................................................................................................................... 124 2. La détermination temporelle de l’appréciation des conditions d’imputabilité découlant de l’article 122-1 du Code pénal ............................................................................................................................ 126 3. Les arguments textuels fondant l’extranéité de l’imputabilité par rapport à l’infraction .................. 129

B. Les solutions jurisprudentielles ......................................................................................................................... 130 1. La marginalité des décisions civiles ou pénales ........................................................................................ 130 2. L’interprétation novatrice de l’arrêt Laboube ........................................................................................... 132

§ 2 - La cohérence de l’élément psychologique de l’infraction ............................................................................... 137 Section 2 – L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’élément psychologique de l’infraction ........................ 139

§ 1 - L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’infraction confirmée par l’étude de son régime juridique .. 140 A. Les présomptions en matière d’imputabilité .................................................................................................. 140 B. La charge de la preuve de l’imputabilité .......................................................................................................... 141

1. La charge de la preuve de l’imputabilité ou de l’absence d’imputabilité pesant sur le prévenu ou l’accusé ............................................................................................................................................................ 141 2. La charge de la preuve des éléments constitutifs de l’infraction incombant au ministère public ... 143

§ 2 - L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’infraction confirmée par le recours au droit civil ........... 144 A. L’extranéité de l’imputabilité à l’infraction découlant de l’exclusion de l’imputabilité dans la constitution de la faute civile ......................................................................................................................................................... 144

1. L’exclusion de l’imputabilité de la constitution de la faute civile .......................................................... 144 2. La place de l’imputabilité pénale.................................................................................................................. 146

B. L’imputabilité, fondement exceptionnel de la responsabilité civile engagée à des fins répressives ..... 161 1. L’abandon de l’exigence d’imputabilité en matière civile justif iée par la fonction réparatrice de la responsabilité civile ................................................................................................................................... 162

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2. La mise en évidence de la fonction téléologique de l’imputabilité ........................................................ 164 3. Le retour de l’exigence d’imputabilité en matière civile justifié par la fonction punitive de la responsabilité civile ................................................................................................................................... 165 4. Le retour de l’exigence d’imputabilité afin de garantir l’intégralité de la réparation des dommages subis par la victime .............................................................................................................................................. 169

Chapitre II – La localisation de l’imputabilité et de la culpabilité déterminante de leurs fonctions respectives ............... 171 Section 1 – Le rattachement exclusif de l’imputabilité à la responsabilité découlant du système de l’emprunt de criminalité........................................................................................................................................................................... 172

§ 1 - La concordance du droit positif avec le système de l’emprunt de criminalité ........................................... 172 A. Le système théorique de droit positif en matière de complicité : l’emprunt de criminalité .................. 172

1. Les principales représentations conceptuelles de la complicité ............................................................. 172 2. L’adoption du principe de l’emprunt de criminalité ................................................................................ 177

B. La tendance opportuniste à l’autonomisation de la complicité en dehors de toute prévision légale ... 185 1. La répression du complice d’un acte matériel répréhensible ................................................................. 186 2. L’opportunité d’un revirement de jurisprudence ..................................................................................... 187 3. Le retour à une solution juridiquement plus orthodoxe ......................................................................... 190 4. Les solutions dans le domaine d’infractions apparentées à la complicité : le recel et le blanchiment ... 191

§ 2 - L’indifférence des causes de non-imputabilité sur la répression de la complicité ..................................... 194 A. L’indifférence (relative) de l’absence de volonté libre .................................................................................. 195 B. L’indifférence de l’absence de discernement .................................................................................................. 197

1. La répression du complice d’une infraction commise sans discernement .......................................... 197 2. La confirmation des solutions par les infractions de recel et de blanchiment.................................... 199

C. La confirmation de l’indifférence du défaut d’imputabilité de l’auteur par le recours au droit civil des contrats ................................................................................................................................................................. 201

Section 2 – La complémentarité fonctionnelle des composantes de la responsabilité pénale................................ 202 § 1 - Le rôle de l’imputabilité en lien avec son rattachement exclusif à la responsabilité pénale ..................... 203

A. La fonction traditionnelle de fondement de la responsabilité pénale ........................................................ 203 1. L’imputabilité en tant qu’aptitude psychologique autorisant le prononcé d’une sanction pénale .... 203 2. La fonction traditionnelle de l’imputabilité enrichie à la faveur de l’émergence de mouvements d’individualisation subjective de la sanction pénale ..................................................................................... 205

B. L’imputabilité à l’épreuve de la capacité pénale ............................................................................................. 206 1. L’hétérogénéité doctrinale ............................................................................................................................. 206 2. L’exclusion d’une substitution de la capacité pénale à l’imputabilité en raison de l’incompatibilité entre le concept de capacité pénale et le caractère rétributif de la responsabilité pénale ..................... 208 3. L’exclusion de l’absorption de la capacité pénale dans le concept d’imputabilité ............................. 209

§ 2 - Le rôle de la culpabilité en lien avec son double rattachement, infraction/responsabilité ...................... 213 A. La diversité des fonctions en lien avec la construction de l’infraction ...................................................... 213

1. La fonction informative ou l’identification juridique du délinquant .................................................... 213 2. La fonction juridique de qualification ou la détermination de l’état d’esprit juridique de l’agent au moment des faits ............................................................................................................................................ 214

B. La diversité des fonctions en lien avec la mise en œuvre de la responsabilité pénale ............................ 215 1. La fonction sociale ou la fonction pédagogique de la culpabilité.......................................................... 215 2. La fonction traditionnelle rétributive ou de mesure objective de la responsabilité pénale .............. 216 3. La double fonction garantiste de la culpabilité ......................................................................................... 220

PARTIE 2 – L’IMPUTABILITÉ À L’ÉPREUVE D’UN DROIT PENAL POST-MODERNE ..... 223

TITRE 1 – LA MONTÉE D’UN DROIT PÉNAL NÉOPOSITIVISTE SONNANT LE GLAS D’UNE CONCEPTION

UNITAIRE DE L’IMPUTABILITÉ ....................................................................................................... 229 Chapitre I – L’objectivation de l’imputabilité en lien avec l’évolution de la responsabilité pénale des personnes morales ... 231

Section 1 - Le glissement vers l’abandon de la responsabilité indirecte des personnes morales condamnant la conception subjective de l’imputabilité ......................................................................................................................... 232

§ 1 - La reconnaissance initiale d’une responsabilité indirecte de la personne morale ...................................... 233 A. Le choix jurisprudentiel de la théorie du substratum préservant l’acception subjectivede l’imputabilité ..... 233

1. La préservation de l’acception subjective de l’imputabilité découlant de la projection automatique de l’imputabilité caractérisée en la personne physique sur la personne morale ...................................... 233 2. La confirmation de l’acception subjective de l’imputabilité par la projection des causes de non-imputabilité de la personne physique sur la personne morale ........................................................... 235

B. Les inconvénients de la théorie du substratum augurant d’un abandon de la responsabilité indirecte des personnes morales .............................................................................................................................................. 238

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§ 2 - L’autonomisation de la responsabilité pénale des personnes morales ......................................................... 240 A. L’autonomisation jurisprudentielle ................................................................................................................... 240

1. L’élargissement ratione personae ................................................................................................................ 241 2. La marginalisation de la jurisprudence exigeant l’identification de la personne physique organe ou représentant .................................................................................................................................................... 243

B. L’autonomisation législative ............................................................................................................................... 253 1. La remise en cause législative de la règle societas delinquere non potest............................................ 253 2. L’élargissement par le fait du législateur ou l’élargissement ratione materiae..................................... 256

Section 2 – La reconnaissance d’une responsabilité directe des personnes morales à l’origine d’une conception objectivée de l’imputabilité .................................................................................................................................................. 258

§ 1 - Les conditions de la responsabilité pénale des personnes morales repensées dans le sens de l’autonomie 258 A. Le maintien d’une acception abstraite de la culpabilité ................................................................................ 259

1. La nécessité d’établir l’existence d’une faute personnelle de la personne morale .............................. 259 2. La caractérisation d’une faute personnelle de la personne morale ....................................................... 261

B. L’application directe de l’exigence d’imputabilité à la personne morale impliquant son caractère objectivé ...................................................................................................................................................................... 264

1. L’imputation directe de l’infraction à la personne morale...................................................................... 264 2. L’acception objectivée de l’imputabilité confirmée par le caractère partiel des causes de non-imputabilité pouvant être invoquées en propre par la personne morale ................................................. 265

§ 2 - La confirmation d’une acception objectivée de l’imputabilité par l’étude des peines applicables aux personnes morales ........................................................................................................................................................... 269

A. L’exclusion de l’imputabilité comme capacité pénale scellant le caractère objectivé de l’imputabilité ....... 269 1. L’impossible transposition de l’imputabilité comprise comme capacité pénale découlant de l’absence de psychisme propre à la personne morale .................................................................................................... 270 2. Le caractère objectif des peines spécifiques aux personnes morales ................................................... 271

B. L’hybridation du fondement de la responsabilité pénale des personnes morales ................................... 273 1. La permanence du fondement de la faute ................................................................................................. 273 2. Le fondement inédit du risque social généré par l’activité de la personne morale ............................ 273

Chapitre II – L’imputabilité en danger au regard de la responsabilité pénale des personnes physiques ......................... 277 Section 1 – L’éviction ciblée de l’imputabilité par l’infliction de mesures répressives à des personnes au discernement inexistant ou incomplet ............................................................................................................................... 278

§ 1 - L’infliction de peines à des délinquants aliénés ou la concession de l’imputabilité en tant que fondement de la responsabilité pénale ........................................................................................................................ 279

A. La concession par le législateur de l’impératif d’imputabilité...................................................................... 280 B. L’occasion doublement manquée par la jurisprudence de restaurer l’impératif d’imputabilité ............ 282

1. L’occasion manquée de la jurisprudence interne ..................................................................................... 282 2. L’occasion manquée de la jurisprudence européenne ............................................................................. 286

§ 2 - L’imputabilité ébranlée par le glissement du droit pénal des mineurs vers le droit pénal des majeurs, ou la concession de l’imputabilité dans sa double acception de fondement et d’aptitude à profiter de la sanction pénale ................................................................................................................................................................................. 289

A. L’imputabilité comme capacité pénale ébranlée par l’aggravation des sanctions encourues par le mineur délinquant ..................................................................................................................................................... 290

1. La parenté des sanctions éducatives avec les peines fragilisant l’imputabilité comme capacité pénale 291 2. Le cumul possible d’une mesure éducative et d’une peine fragilisant l’imputabilité comme capacité pénale ..................................................................................................................................................... 293 3. La multiplication des dérogations au principe d’atténuation légale de peine fragilisant l’imputabilité comme capacité pénale ...................................................................................................................................... 297 4. L’imputabilité comme capacité pénale un temps fragilisée par l’instauration de peines planchers 299

B. L’exigence de l’imputabilité à l’engagement de la responsabilité pénale fragilisée dans les projets de réforme du droit pénal des mineurs ...................................................................................................................... 301

1. L’absence de seuil de minorité pénale donnant force au concept d’imputabilité dans son acception classique ................................................................................................................................................................ 301 2. Le risque de la fixation d’un seuil de minorité pénale comme facteur d’affaiblissement du concept d’imputabilité .................................................................................................................................. 304

Section 2 – Le risque d’une éviction de l’imputabilité attisé par le phénomène contemporain de convergence des peines et mesures de sûreté .......................................................................................................................................... 310

§ 1 - L’artifice de la dualité de qualifications formelles ............................................................................................ 311 A. Les interactions du droit interne ....................................................................................................................... 311

1. La convergence des traits essentiels des peines et mesures de sûreté .................................................. 311 2. La convergence des régimes juridiques ...................................................................................................... 313

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B. Le phénomène de convergence découlant du droit européen .................................................................... 318 1. L’application par la Cour européenne de l’article 7 de la Convention aux mesures affectant la portée de la peine ................................................................................................................................................ 319 2. Les mesures relevant formellement de la qualification de mesure de sûreté et affectant la portée de la peine ............................................................................................................................................................. 320

§ 2 - La réunion des peines et des mesures de sûreté en une catégorie unique de sanctions pénales avec l’imputabilité pour fondement ...................................................................................................................................... 324

A. La jurisprudence Laboube, assise juridique de la réunion des peines et des mesures de sûreté en une seule catégorie de sanctions pénales .............................................................................................................. 324

1. L’imputabilité, fondement du prononcé d’une mesure de sûreté en droit pénal des mineurs ........ 324 2. L’exclusion d’une « triple voie » au profit d’une catégorie unique de sanctions pénales .................. 327

B. Les conséquences de la réunion des peines et mesures de sûreté en une seule catégorie de sanctions pénales ......................................................................................................................................................................... 329

TITRE 2 : POUR UNE COHABITATION DÉDRAMATISÉE DE L’IMPUTABILITÉ ET DE LA DANGEROSITÉ

DANS UN DROIT PÉNAL POST-MODERNE ........................................................................................ 333 Chapitre I – La recherche d’une cohabitation dédramatisée de l’imputabilité et de la dangerosité dans le cadre de la césure du procès pénal ............................................................................................................................................ 341

Section 1 – La potentialité d’une place spécifique pour l’imputabilité dans le cadre de la césure du procès pénal. 341 § 1 - La césure du procès pénal attribuant implicitement une place spécifique à l’imputabilité au sein du jugement pénal ................................................................................................................................................................. 342

A. La genèse de la césure du procès pénal ........................................................................................................... 342 B. L’ajournement du prononcé de la peine, une summa divisio du procès pénal consommant implicitement l’autonomie des concepts de culpabilité et d’imputabilité ....................................................... 344

1. Le rattachement de l’imputabilité à la phase intermédiaire de l’ajournement du prononcé de la peine ............................................................................................................................................................. 344 2. La personnalité de l’agent, un argument au soutien du rattachement de l’imputabilité à la phase intermédiaire de l’ajournement du prononcé de la peine ............................................................................ 345 3. La manifestation procédurale de la dichotomie conceptuelle entre culpabilité et imputabilité, facteur théorique de dépénalisation de l’aliénation mentale ....................................................................... 347

§ 2 - La césure du procès pénal consacrant expressément une phase du procès pénal portant sur l’imputabilité .................................................................................................................................................................... 348

Section 2 – Le dévoiement de la césure excluant l’existence processuelle de l’imputabilité ................................... 350 § 1 - La pénalisation des délinquants souffrant de troubles psychiques ou neuropsychiques .......................... 351

A. La reconnaissance d’une culpabilité pénale comme préalable à l’audience sur l’imputabilité ............... 351 1. L’obligation générale de mentionner l’existence de charges suffisantes d’avoir commis les faits reprochés .............................................................................................................................................................. 352 2. L’assimilation législative de l’acte commis par un individu non discernant à une véritable infraction . 354

B. Le paradoxe d’une audience d’imputabilité comme préalable au prononcé d’authentiques sanctions ....... 358 § 2 - La césure du procès pénal sans incidence pratique sur la pénalisation des mineurs délinquants ........... 359

A. L’affaiblissement du caractère approprié des procédures applicables au mineur délinquant de nature à affecter l’imputabilité comme capacité pénale .................................................................................................. 361

1. La condition liée à la connaissance de la personnalité du mineur dans les procédures rapides de jugement ................................................................................................................................................................ 363 2. L’examen qualitatif des investigations sur la personnalité du mineur .................................................. 367

B. L’inefficacité de la césure du procès pénal à préserver l’imputabilité comme capacité pénale ............. 372 1. La césure du procès pénal des mineurs, une alternative aux procédures accélérées potentiellement dévoyée .................................................................................................................................................................. 372 2. La césure du procès pénal des mineurs, une alternative aux procédures accélérées potentiellement inadaptée ............................................................................................................................................................... 373 3. L’évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel entérinant l’abandon de la césure comme modèle unique du procès pénal du mineur délinquant ................................................................. 374

Chapitre II – L’usage recentré de la dangerosité .......................................................................................................... 379 Section 1 – L’usage de la dangerosité borné par l’extension du rôle garantiste de l’imputabilité .......................... 379

§ 1 - Les implications de l’imputabilité en droit pénal de forme ............................................................................ 380 A. Les implications procédurales de l’imputabilité en cas d’abolition du discernement ou le respect de l’exigence d’imputabilité impliquant une refonte de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ..................................................................................................................... 380

1. L’abandon de l’audience d’imputabilité ...................................................................................................... 381

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2. Le maintien de la compétence judiciaire dans le prononcé de mesures d’assistance sanitaire et sociale ............................................................................................................................................................... 384

B. Les implications procédurales de l’imputabilité en cas d’altération du discernement ............................ 389 1. Le cas du majeur au discernement altéré bénéficiant d’un régime civil de protection (ou le respect de l’exigence d’imputabilité impliquant des correctifs dans la procédure pénale applicable à un majeur protégé) ................................................................................................................................................................. 389 2. Le cas du majeur au discernement altéré ne bénéficiant pas d’un régime civil de protection ou l’imputabilité, rempart contre le développement débridé d’un néo-utilitarisme pénal ......................... 395

§ 2 - Les implications de l’imputabilité en droit pénal de fond .............................................................................. 397 A. L’application des peines planchers aux délinquants au discernement altéré ............................................ 397 B. La consécration de l’imputabilité comprise comme capacité pénale à l’égard du délinquant majeur au discernement altéré .............................................................................................................................................. 399

Section 2 – Les modalités d’une appréhension directe de la dangerosité dans un droit pénal post-moderne .... 401 § 1 - L’appréhension de la dangerosité praeterdelictum .......................................................................................... 401

A. L’appréhension de la dangerosité en amont de la réalisation de tout dommage..................................... 402 1. L’appréhension transgressive de la dangerosité par le truchement des infractions obstacles ......... 402 2. L’exclusion d’une prise en compte de la dangerosité par le truchement du principe de précaution..... 406

B. L’appréhension de la dangerosité après l’exécution de la sanction prononcée en rétribution de l’infraction commise ................................................................................................................................................. 410

1. La conformité de la rétention de sûreté au droit interne ........................................................................ 411 2. La conventionnalité de la rétention de sûreté ........................................................................................... 416

§ 2 - La nécessité d’une évolution vers l’optimisation de l’appréhension de la dangerosité ............................. 419 A. Pour une meilleure évaluation de la dangerosité ........................................................................................... 419

1. Le préalable d’une définition de la notion ................................................................................................. 419 2. La critique des outils traditionnels d’évaluation ....................................................................................... 421 3. La pertinence d’outils empiriques ............................................................................................................... 423 4. La pluridisciplinarité supposant le multipartenariat, à l’origine d’une évaluation plus qualitative de la dangerosité .................................................................................................................................................. 424

B. Le questionnement sur la suppression de toute référence expresse à la notion de dangerosité .......... 426 1. La substitution de la notion de prévention de la récidive ...................................................................... 426 2. L’exemple de la mini-surveillance judiciaire .............................................................................................. 427

Conclusion ............................................................................................................................................................. 429

Bibliographie .......................................................................................................................................................... 439

Plan de jurisprudence ........................................................................................................................................... 459

Index ....................................................................................................................................................................... 475

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Résumé

Après une intrusion chaotique dans la théorie de la responsabilité pénale, l’imputabilité peut aujourd’hui apparaître comme une donnée d’essence classique. Elle répond à une définition subjective faisant consensus en doctrine et supposant l’addition du discernement et d’une volonté libre de l’agent. Dans le prolongement, elle est unanimement entendue comme constituant le fondement de la responsabilité pénale. Cependant, la cohabitation entre les différentes conditions de la responsabilité pénale, en particulier entre les concepts de culpabilité et d’imputabilité, n’est peut-être pas aussi pacifiée qu’il n’y paraît. En réalité, la question de l’indépendance des notions n’a jamais été clairement résolue, car leurs composantes respectives participent des conditions subjectives à l’engagement de la responsabilité pénale. Pourtant, la question est loin d’être anecdotique, en particulier si l’on considère certaines institutions fondamentales du droit pénal, au rang desquelles figurent les notions d’infraction et de complicité. Il apparaît ainsi, à l’analyse, que la définition traditionnelle de l’imputabilité mérite quelques ajustements, conduisant à une reconfiguration du champ de la condition de liberté relevant de l’imputabilité. Cette recherche vise aussi à établir que l’imputabilité est une donnée étrangère à l’infraction concrètement commise. Cette place spécifique au sein de la responsabilité pénale, mettant en évidence le lien entre l’imputabilité et la sanction infligée en rétribution de l’infraction commise, permet d’adopter une vision plus large du concept, susceptible d’affronter le bouleversement consécutif à l’entrée du droit pénal dans l’ère de la post-modernité. Cette dernière, que l’on pourrait associer au néopositivisme pénal du début du siècle, s’est accompagnée d’une résurgence des concepts de risque et de dangerosité. L’impact de cette évolution sur l’imputabilité peut apparaître radical : rupture du caractère unitaire de la notion, émergence du concept d’imputation à l’égard des personnes morales, voire même effacement pur et simple de l’imputabilité à l’égard des personnes physiques. Pourtant, des modalités de restauration de l’exigence d’imputabilité seront envisagées sur les terrains substantiel, par le truchement de l’imputabilité comprise comme capacité pénale, et processuel – par des propositions concernant les procédures pensées en considération de la psychologie de l’agent. Au bout du compte, il apparaît que l’imputabilité est de nature à jouer un rôle décisif dans l’organisation d’une cohabitation raisonnée avec le concept de dangerosité, en condamnant la prise en compte de la dangerosité seulement hypothétique sans exclure la possibilité d’une rétention après la peine. IMPUTABILITÉ – CULPABILITÉ – LIBERTÉ PSYCHOLOGIQUE – DISCERNEMENT – EXTÉRIORITÉ À L’INFRACTION – POST-MODERNITÉ – NÉOPOSITIVISME PÉNAL – RISQUE – DANGEROSITÉ – RUPTURE DU CARACTÈRE UNITAIRE DE L’IMPUTABILITÉ – PERSONNES MORALES – EFFACEMENT DE L’IMPUTABILITÉ – PERSONNES PHYSIQUES – IMPUTABILITÉ COMME CAPACITÉ PÉNALE – COHABITATION RAISONNÉE IMPUTABILITÉ/DANGEROSITÉ

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Summary

After a chaotic intrusion in the theory of penal liability, imputability can today appear as a classical notion. The general doctrinal consensus is that it depends on a subjective definition, implying the offender’s discernment and free will. Moreover, the notion of imputability is unanimously considered as the basis of penal liability. However, cohabitation between the various conditions of penal liability, particularly between the concepts of guilt and imputability, may not be as steady as it seems. Indeed, the independence of these notions has actually never been clearly demonstrated, for their respective components represent the subjective conditions creating penal liability. Nevertheless, this topic is far from being anecdotal, specifically among several fundamental institutions of criminal Law, in which the notions of infraction and complicity are involved. Thus, the definition of imputability may deserve some adjustments, and imply, consequently, a reworking of the release condition coming under imputability. This study also aims at proving that imputability is an irrelevant element to the concretely committed offence. This specific part in penal liability, highlighting the link between imputability and the penalty imposed in response to the committed offence, enables a wider vision of the concept that could help facing the upheaval resulting from the entry of criminal Law in the post-modernity era. The latter, that one could associate with the beginning of the century’s penal neopositivism, also implied the resurgence of the concepts of risk and dangerousness. The impact of this evolution about imputability may seem radical: end of the unitary aspect of the notion, emergence of the concept of imputation towards legal entities, and even total erasure of imputability towards natural persons. And yet, some solutions to the reconstitution of the exigence of imputability will be developed, not only in a substantial approach, where imputability will be understood as penal capacity, but also in a procedural approach – thanks to suggestions of procedures taking the offender’s psyche into account. In the end, imputability seems to play a major part in the organization of a balanced cohabitation with the concept of dangerousness, by condemning a strictly hypothetical consideration of dangerousness, without excluding a potential reservation after the penalty.

IMPUTABILITY – GUILT – PSYCHOLOGICAL FREEDOM – DISCERNMENT – EXTERIOTY TO THE OFFENCE – POST-MODERNITY – PENAL NÉOPOSITIVISM – RISK – DANGEROUSNESS – END OF THE UNITARY ASPECT OF IMPUTABILITY – MORAL ENTITIES – ERASURE OF IMPUTABILITY – NATURAL PERSONS – IMPUTABILITY AS PENAL CAPACITY – BALANCED COHABITATION IMPUTABILITY/DANGEROUSNESS

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