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  • 8/6/2019 Vie de Khalil Gibran

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    E!EE@ Parce qu'il vcut toute sa vie en exil, l'criyain a su cultiver sesHommage Khalil Gibran t'lnstitut du monde araberacines et clbrer le Levant ternel, fruit du mlange des civilisations.

    I I faut desceDdre dans les enrrailles de laI montagne libanaise pour trouver la rombe dulini,.'J,iJ: j'J;bi,*""i*ji,,':en prose aux accents vangliques, a souhaitreposer : au ccew de ses paysages d,enfance, danscette crypte du couvent Mar Sarkis, accroch lamontagne et entou de cdres millnaires. AuXn" sicle. uo ermite y creusa de ses mains pourse rapprocher de Dieu. La cellule est devenueermitage, puis couvent. k corps de Khalil GibraD

    la mre de Gibran embarque avec ses quatre en-fants pow Boston. Le jeune Khalil, t&aud par lemal du pays, obtiendra d'tre renvoy au iibanpour finir ses tudes, entre 1898 et 1902.Ces annes-l mises part, Gibran ne vivrajrnais au pys du cdre. C'est de loin - de Boston,de Paris, de New York - qu'il cultivera ses raci-nes ; I'exil est outil de pote, et rend intacte l,en_fasce et plus forts les mythes, Emportant dansses mots et ses images ce lvnt lemel jusqu'auxrives occidentales de i'Atlatrtque. Khalit Gibranincame une pan du desrin libanais qui se joue.depuis la nuit des temps, dans le mlangi surplace des civilisations et des religions (mmemeurtrier) et daas l'airance vers l,ailleurs, vers,toujours, < I'autre rive > (c,est le tre, bien trouv.de la grande exposition archologique de l.Insci-tut du mode abe, lire l'encadr page 62).e potedu Liban r

    Khalll clbran,artiste et vlslonnalre, I'lnstitut du mondearabe Paris,salles d'expositionstemporaires, jusqu'au17 janvier. Tlj sauflundi de 10h 18h,le samedijusqu'20h. Entre libre.

    y fut transport quatre mois aprs sa mort, le10 avril 1931 New York.L Eglise maronite, qui condamna nagure I'autodaf nombre des ouwages de cet anarchistede I'institution, a recueilli son fils prodigue. De-puis, Bechar, son village natal non loin du cou-vent, et la btisse elle-mme bruissent doucementde dvotion. Le monastre, grce aux droits d,au-te]ur du Prophte reverss au Comit nationalGibran. est devenu muse; il abrite l'essentiel del'uwe picturale de Gibran. Dans le village, onreplante son jardin et restaure sa maison natale,petite bicoque de deux pices qu,il quittera eu1895. Khaiil Gibran a alors 12 ans. Le Liban, de-mantibul (dj !) par la guerre civile de 1860 en-tre les Druzes et les maronites, ofte un tenain dechoix ujoug ottoman, qui, comme tout empire,fait son miel des divisiors. Fuyant le climt dl-re de la rgion, et un mari lcoolique et dshono-r par une histoire de malverstions financires,

    -.Les phniciennes Byblos, Tripoli, Beyrouth,Sidon, Tyr, cits du pays de Canaan (aujourd'huile Libn, la Syrie et Isrl), absorbrcft les influ-ences gyptiennes, assjrriennes, babyloniennes,puis grecques, romaines, byzantines, omeyyades,mamelouks, au gr des relations commerciales etdes cnvoitises que tous ces pons mdierrarenssuscirent. Et, inversement, la phnicie essai_ma dans toute la Mditerrane, jusqu' Cadix.Didon. qui fonda Carthage. tiir fille du roi deyr ; avant elle, le Phnicien Cadmos partit deSidon pour tablir Thbes.C'est lui, dit la lgende, qui apporta aux Grecsun outl de comrnunication qui allait rvolution_ner le monde : l'alphabet. Vngtdeux signes, inven-ts Byblos la bien nomme (du grec by1os. livtvers le XI. sicle avant J.-C., qui permirent rousd'ecrire toues les langues. De l'alphaber phniciendrivent direcrement Ie grec puis le latin, le cyril_lique, le copte et, par une autre branche, l,ra-mn, puis I'hbreq le syriaque et I'arabe. Cadmos,dit-on, embarqua de Phnicie vers l,Occident surles traces de sa sur, enleve par Zeus mtamor-phos etr taureau blanc. L histoire ne dit pas I'il la

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    >- I'Europe et des lettres pour l'crire.Depuis, le Liban n'a cess de mler les fils deI'Orient et de I'Occident. Il existe un Liban I'ex-trieur de ses propres fiontires, qui ne cesse delui renvoyer les images multiples de son identit :la diaspora libanaise s'tend sur tous les conti-nents, en Europe et aux Etats-Unis, bien str, maisussi en Afrique de I'Ouest et, de longue date, auBrsil. Rendre hommage. dans le cadre de la sai-sort libanaise Paris, au plus international desecrivains libanais n est donc pas un non-sens ni seu-lement une concession la togique marketing quiconsiste prsenter au visiteur ce qu'il connatdj plutt que ce qu'il doit dcouvrir< Khalil Gibrqn, c'est un peu le Ibsen libanais,s'exclame le romancier Ghassan Fwaz [lire lacbronique de Michle Gazier page 581, lui aussiun Libanais (chiite) expahi, qui vit en Francedepuis trente ajrs. Ibsen n'est pas frcment lemeilleur crivain nongien, ni Ie plus nongien,mais c'est celL que tout le mendc cite qlland onne sait rien de la littrqture norvgienne. Gibran,'Vous avez votre Libanavec son ambiglrit, j'aimon Liban avscsa beaute.Vous avez votre Liban avectous ses conflib, j'ai monLiban avec l rves."c'est pareil... satf que la culnue libanaise, moLje ne sais pas cc quc c'cst. Etre lihanais aujour-d'hui, c'est tre la recherche de ce que le Liba-nair est d.evenu. Un exercice que l'on elTectueplutt mieux en exil. Il v a au Liban, depuis lafi.nde la guerre, une culture d'oubli qui consiste se passionner pour la ,econstruction tout en rcryi-1)ant lo vision mythique du Liban d'avant. MoLje nc scns en exil darts non propre pays. mais ce-la me rentl furieux de rcssentir de la nostalgie,Purce que le Liban d'..tvant n'rait pas que posi-tiJ, la coexistence entre les commwnuts n'taitvidemment pas idale ! >Khalil Gibran a eu une faon trs libanaise,c'est--dire trs personnelle, de s'inspirer du Li-ban , < Uous tez votre Liban avec son ambiguit,j'ai mon Liban avec sa beaut. Vous avez votreLiban avec tous les conflits qui t'y tlchazent.J'ai mon Liban avec les rves quiy prosprent >,criviil dans un rticle clbre, publi en l92Odans tous les journaux arabes de New York et auProche-Orient, au moment de l'instaurtion dumandat franais au Liban et en Syde. Gibran seralliera par la suire aux positiotrs du trait de Ver-sailles, mais pour ['heure, sur les cendres de I'Em-pe ottomart tant homi, il rve d'un Liban rendu lui-mme, voire d'ua Grand Liban fond sur larunification de cette civilisation qui lie si natu-rellement le Libn,la Syrie,la Palestine et I'hak.Ce fut une des ses rares interventions politiquesdirectes. Ce long texte superbe et mitremmentprophtique (par exemple .. < Uotre Liban se dtacltantt de la Slrie et tantt s'y raftqche : il rurc (les

    3Le carrefour des dieuxlexposition-phare de l saison libanaise de I'lnstitut du monde afabe re.trace I'histoire du Liban, du nolithique au XlX" sicle, partir de ses plusbelles pices archologlques. En particulier, le fameux sarcophage d,Ahi"ram, roi de Byblos (Xlll" sicle avant J.4.), sur lequel on retfouve l premire vritable inscription phnicienne, qui utilise dix-neuf lttres desvingtdeux que compte l'alphabet phnicien.La multiplicit ds influences artistiques tonnera le visiteur : les figu-rines divines du ll. millnaire ressemblent des pharaons, la Vnus deBeyrouth du l"'sifle avant J.C. est hellne, les mosaiiues de I'enlvementd'Europe et de Ia naissance d'Alexndre sont romaines... A voir aussi, trmouvante, la plus ancienne presse imprimerie, modle Gutenberg,rtrouve au couvent el{houeir, et le premieJ livre imprim u Liban, en1610 r un livr des Psaumes n arabe, crlt en criture syriaque. Onregretter tout de mme I'insuffisance d'explications historiques ; lamusographie reste dsesprment incapable de construire un rcit,et se contente de pices dans des vitrines.Exposldon jusqu'au 30 avril. A I'lnstitutdu monde arabe, 1, rue des Fosss.Saint-Bernard 75005 Paris. Tt sauf lundi de 1Oh 18h, te samedijusqu'20h. Entre : 45 F. Catlogue : Liban, I'aute rive, d. lNilA/Flammarion,34O p., 275 F. Et aussl : expos, cinma, thtre, danse, concerts, dbats.Rens. : O1-4G51-3&38. lnternet : httprlwww.imarabe.org

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    cts pour se nutintenir dans I'entre-deux >)la protestation d'une identit libanaisetestment potique. Toute I'ceuvre de Gibranvouloir devenir cette < prire ale > oill' me levantine.Il prendra des positions fermes contre le npo-politique au Liban, contrc les intgrismestout poil, et, ds son prentet hvre, Les Antesdarc lzs Ailes brises, il citiqtelefait aux femmes ell Orient. En 19i2, il creNew York La Chane d'or, qui deviendra ledes hommes de lettres (al-Rabitah al-Kala-point de ralliement des crivains syroJiba-migrs. Mais il cherche d'autres combts.Il lit Shakespearc inlassablement, apprend unlimpide dans Walt Whitman, trouve unede la puret dans Nietzsche, une thologiedans Le Trsor des humbles, de M^e-A Paris au dbut du sicle, il rencontreRodin, se nouffit de symbolisme,le cubisme naissant, et rserve sa fas- Loaard de Vinci et Puvis de Chavan-

    La peinture de Gibran reste symbolique1'sotrisme. Le penseur de Rodin, sonest noeux de solitude ? Le sien est pen-devant le mystre prfait d'une sphre trans-Is corps chez Gibmtr sont ceux d'AdmEve avaDt la Chute. Pas une once de sesua-chez cet Orieatal. La waie vie est ailleurs.la rconciliation du terestre et du divin,I'homme avec la naturc, du corps et de I'es-du multiple et de l'Un.

    Dch par les divisions de son pays, KhalitGibran porte un message d'unit. Un monismevanglique et coranique, bouddhiste et panthis-te. A New York, il renconbs Tagore, le sage indien,et Krishamufi. Un des ses demiers crits, "/Jr,s,jils de I'homme, prsente un Cbdst exclusivementhumain, une figure de la perfection humaine.Le Prophte, publi en anglais en 1923, estaujourd'hui traduit dans quarante langues. Unetraduction qui sans fin est remise sw le mtier >

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    Statuette e ivolreleprse[tant unPapposllne, poqueromlne, Sldon(aurourd'hui Saida).

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    E Clichs d'avant4luerre* Venez, Mesdames, Messieurs, iesuis le photo8iiaphe sorai,re , ' : ainsis'annonait le photographe am-bulant, dans les rues des villageslibanais, avant que la guere civilen'nantisse la langueut de la viequotidienne. On allait alors se pla.tr devant l'appareil pour des pho-tographies d'identit, des portraitsen famille, sur le pas de la porteou l'omble des vrandas.lntroduite la fin du sicle dernierpar les voyageuE trangers, la pho-toglaphle connat un essor rapid ; ct des oprateurs ambulants,des studios s'ouvrent Beyrouth etdans les rgions les plus recules.Parmi ces photographes, Camilleel-Kareh, n en 1897, ouvre dansles annes 20 un siudio Zghorta,dans le nord du pa). Ut, en pleinait, sur la place du village, tous leshabitants de la rgion viennent sefaire photographier. Par exemple,les * braves r, ces fiers Elueniersdescendant des tribus de Bdouinsinstalles dans la montagne ; bot-tes lustres, la poittine couverte decartouches, les armes la ceinture,ils posent poul l'tetnit.

    J Mais sa rputation, el-t(areh la doitsurtout ses photoElraphies dedfunts, qui sont d'incroyables etsomptueux portraits de la socitlibanaise. Parfois, c'est le villageentier qui entoure le patriarche,Ies gosses s'oublient et laissenttraner les malns dans le cetcuell.D'autres fois, seules les femmes,vtues de noit, chevelure lche,entourent avec dvotion la dpoui!le du pre dced. Des fleuls, bea$coup de fleurs, et des photos deceux qui sont paftis avant nca-drent partols le corps. RalissJuste avant I'enterement et la prire des morts, ces images d'adieusont partois les seules qui rassem-blent I'ensemble de la famille.Dans I'exposition * Histoires inti-mes, Liban 190G196O ", I'lnstitutdu monde arabe, on dcouvre toutI'univers nostalgique de la photode famille, qu'elle soit faite pardes photographes de studio, desambulants et mme par des ama-teuts, Parmi ces derniels, une fem-me, Marie el-Khazen, fille d'ungrand propritaire terrien du Nord-Liban, passionne de photo, a ra-lis, travers des cadrages d'unmodelnisme tonnant, une chroni-que de I'aristocratie libanaise. Elleretranscrit joliment I'aisance et lafantaisie d'une vie faclle, commesur cette imaie o elle disposeen arrire-plan la famille sur lesmarches du perron de la proprit,alols qu'appatalt au premier planun cheval tronqu, dont on ne voitni la tte ni la croupe.Modestes ou sophistiqus, beau-coup de ces clichs, qui remplis-saient les albums familiaux ouornient les murs des salons desErndes demeules comme deshumbles maisons, ont malheureu-sement disparu, engloutis sous lesruines, Quelques-uns ont survcu,,Exposs I'IMA, ils nous permet-tent de rettouver la vie quotidien-ne libanaise, pendant trente ansinvisible, refoule par les imagesdramatiques de la guerre.Frdrique Chapuls

    lenlvement d'Eulope, poque romaine, Byblo6.> (c'est, avec celle, rcente, du pote SalahStti. la cinquime en franais), comme si cetexte simple recelait encore et toujours des mys-tres cachs, Ecrit comme une parabole, le pomedtaille les secrets d'un savoir-vivre : le travail,l'amour, la joie et la tristesse, le crime et lechtiment, la libert... Celui qui ne s'estjamais m-ri est lu dans au moins un mariage sur trois par-tout sur la plante ! " Lo plus haute ambitiond'un Russe est d'tre un saint, celle d'utt Alle-mand d'tre un conqurant, celle t|'un Franaisd'tre un grqnd artiste, celle d'un Anglais d'treun grand pote, cel.le d'an homme du Levantd'fte un prophte 2 ) disaitil son amie MaryHaskell. Ce petit li\,re aura occu toue sa vie. Sonprophte s'appelle al-Mustafa, pourrait tle Ma-homet, l'lu d'Allah, ou Jsus-Christ, ou bien unpote libanais < aftendan, son navire qui devaitrevettir afn de le ramener son le natale ,r.I -la plus haute ambitionI d'un Russe est d'tre unI saint celle d'un AllemandI O'Ctre un GonquEnt [...],I celle d'un homme duI levant d'tre un pn phte."

    Khalil Gibran est mort 48 ans. Il a op fum,aop bu, presque rien mang, beaucoup aim, peutreint. C'est dans l'ternit qu'il a retrouv laterle du Libar, celle dont venait la Fiance duCantique des caatiques, belle comme un cdre.I-luvre de Gibran aura peut-tle t tout entireinspire par cet arbre de Phricie. Comme si, touten explomnt, la tte trs prs du ciel, les ramureslarges, multiples, dcoupes, tour ce qui fait lacomplexit de la vie, le < prophte > n'avait eu decesse d'embrasser le tronc qui les unit au fond dela terre. Dans la tombe de Kbalil Gibran. au creuxde la montagne libanaise, une racine a pouss, Une

    lrlade eKhazen : Femmedgurse en h&/ouhe, t9'3L

    g Llban lntlme, photographies 190G! tlt60, jusqu'au 10 janvier I'lnsti-! tut du monde arabe. Tous les jours sauf lundi de 1Oh 18h, le samediE jusqu' 20h. A lire : fH,stoi/es intirnes], d. Ac-tes Sud, coll. " Fondation arabe pourI'image ', 110 p., 118 F.

    racin de cdre a Catherlne PortevlnA ll? i Le Prophte, dans la nouvelle traductionde Salah Stti, existe dans deux ditions (d. LaRenaissance du livre) : I'une avec une simple in-troduction au texte (128 p.,50 R, l,autre avec uneprsentation trs complte de la vie et de I'ceuvrede Gibran et Ia rproduction de l'dition orignaleavec ses illustrations en couleurs (142 p., 245 F).


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