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0 Un espace poétique Rencontre autour de Camille Aubaude pour la femme Journée d’étude à la Maison Verlaine et à l’Arsenal de Metz le 5 juillet 2014

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Un espace poétique

Rencontre autour de Camille Aubaude

pour la femme

Journée d’étude à la Maison Verlaine et à l’Arsenal de Metz

le 5 juillet 2014

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Un espace poétique

pour la femme

  2  

Rencontre autour de

CAMILLE AUBAUDE

UN ESPACE POÉTIQUE POUR LA FEMME

Table ronde et textes réunis par

Ghislaine Chevalier et Io Cardo

Avec des textes inédits de Camille Aubaude

et de ses traducteurs

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Impression inimaginable et La Malcontente : une alternative poétique aux vies de femmes subissant des violences

Cette journée d’étude porte sur « les violences faites aux femmes », cause nationale depuis 2010. Elle est organisée dans le cadre du programme d’activités littéraires de la Maison de Verlaine, à Metz. Le dernier séminaire sur ce thème s’est tenu à la Mutualité, les 27 et 28 janvier 2014 à Paris, avec pour partenaires Sciences Po et la « Mission Interministérielle pour la Protection des Femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains » (MIPROF).

Matinée : accueil des participants, lecture et visite de la Maison de Verlaine. Après-midi : Table ronde publique, salle Claude Lefèvre à l’Arsenal. Participants : !Camille Aubaude, poétesse, diariste, essayiste, en détachement au CELIS (Centre de Recherche sur les Littératures et la Sociopoétique), Universiré Blaise Pascal, Clermont Ferrand !Marie-Ange Bartholomot-Bessou, ingénieur au Centre de Recherche sur l’Imaginaire LAPRIL, Université Bordeaux 3. !Nouria Yahi-Boggio, Déléguée régionale aux droits des femmes et à l’Égalité de Lorraine !Philippe Cantraine, écrivain et poète belge, conseiller en charge de l’Éducation et de la Jeunesse auprès du Secrétaire général de la Francophonie, le Président Abdou Diouf !Bérangère Thomas, président-fondatrice de la Maison de Verlaine, enseignante, poétesse et musicienne. Modératrice de la table ronde!John Wander, poète américain (New York), Université de Caen.

Bilan critique à l’occasion de la publication d’Impression inimaginable (Paris, 2014)

et de La Malcontente (Paris, 2015)

À l’occasion de la publication d’Impression inimaginable de Camille Aubaude, il paraît important de décrire aussi exactement que possible cette œuvre pour en dégager les grandes lignes, et de dresser un bilan critique de sa réception dans sa diversité générique : critiques, essais, traductions, proses, photographies, édition, et surtout poésie. Aujourd’hui filmée et transposée sur scène, mise en musique1, calligraphiée pour des livres d’artistes, publiée en espagnol et en japonais, traduite en anglais et, de façon plus fragmentaire, en de nombreuses langues étrangères (hébreu, arabe, italien, serbe, hindi…), l’œuvre de Camille Aubaude reste pourtant à relire ou à découvrir, voire à paraître puisqu’au moment où se clôt cette journée d’étude, un des plus importants textes de Camille Aubaude, son journal, Le Livre des Jours — journal d’une jeune fille, n’est pas encore publié en volumes imprimé mais s’échange sous forme de lettres et de chroniques.

                                                                                                                                       1  « Délivrance », « Lorelei », musique de Bérangère Thomas.

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Depuis une dizaine d’années, des recherches universitaires ont été menées permettant de saisir les enjeux de cette œuvre 2 . Elles constituent un considérable travail d’élaboration et d’interprétation de la figure de « la Belle d’Amboise ». Dans la lignée de ces questions, nous proposons de nous pencher sur cette œuvre plurielle qui ne cesse d’entamer les certitudes du lecteur et abolit les frontières entre les genres. Alors que des textes restent encore inédits, les volumes de Lire les femmes de lettres, Le Mythe d’Isis et Voyage en Égypte, parus respectivement en 1993 (éd. Dunod) et en 1997 (éd. Kimé), redeviennent disponibles. L’essai d’histoire littéraire reparaît en 2016 sous le titre Les femmes de lettres dans la littérature française aux éditions de la SIÉFÉGP Pan des muses, et Le Mythe d’Isis est disponible en livre numérique (1 vol., éd. La Maison des Pages). La lecture de l’œuvre poétique reste cependant partielle dans la mesure où les textes, éparpillés sur la toile et repris sous forme de chansons, sont parfois déformés et mal compris.

Cette journée d’étude initiée par un recueil où photographies et poèmes se lisent ensemble, Impression inimaginable, sert à communiquer des réflexions à partir d’approches diverses : traductions, éditions, histoire sociale et littéraire. Seule une réflexion pluridisciplinaire est à même de rendre compte des multiples intérêts de Camille Aubaude. En 2014, il s’agit d’interroger la portée subversive de sa poésie et, au lieu de faire usage à son propos de références galvaudées («ésotérisme», «écriture-femme»), de donner une idée précise de ses livres. Après cette rencontre très particulière, devant un public nombreux, un autre recueil sur la maltraitance de la femme artiste, La Malcontente, est paru, alliant mots et images, et poursuivant la recherche d’une forme d’édition originale.

Il s’agit à proprement parler de nouer un dialogue avec différents interlocuteurs, dont les poètes traducteurs de Camille Aubaude, qui ont développé cette œuvre dans des langues diverses. Ces « dialogues » ou « conversations » de poètes pourront s’ouvrir, dans un second temps, sur des projets d’édition à l’étranger. Une table ronde visant à s’interroger sur la condition actuelle dans laquelle la poétesse est enfermée prolongera, à bien des égards, les questionnements sur une œuvre qui revendique un espace poétique féminin, construit à travers une constante critique du langage.

Axes de recherches

• Réception et altérités : traductions, adaptations, interprétations, mises en scène

• Métamorphoses littéraires : les différents états d’un texte

• Avant-garde féminine, écriture féminine, mythes féminins

• Genres (littéraire et artistiques) et genre (gender)

                                                                                                                                       2 Nous pensons aux travaux de Marie-Ange Bartholomot Bessou (2010) pour la question poétique, à ceux de Patricia Godi (2012) pour la reconstitution bio-bibliographique, ainsi qu’à Rosario Valdivia pour la traduction et la publication en espagnol, et à Giovanni Dotoli et Mario Selvaggio pour la publication en italien.

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En premier, des informations sur la Poétesse

Camille Aubaude est née aux Diaconesses, à Paris en 1959, d’une famille de peintres de châteaux, de troubadours et d’officiers du Roi Louis XV, alliée aux familles de la Mure et de la Plagne, avec une souche en Bretagne ou existent encore, dans la forêt de Brocéliande, les vestiges du château du tertre Aubaud, du XIIè siècle, près de Guer. Spoliée à la Révolution, cette très ancienne famille a donné au XIXè siècle un compagnon de Napoléon à Sainte Hélène, un député à la Chambre des Cinq Cents, Camille Aubaud, qui siégea aux côtés de Lamartine et Victor Hugo, le poète Pierre Reverdy, un autre député au XXè siècle et un imprimeur-libraire à Chinon, puis à Paris, sur la butte Montmartre, Marcel Aubaud, grand père de Camille, décoré de la Croix de Guerre et de la Légion d’honneur. C’est lui qui a mis Camille en contact avec Jean Boissonnat, Rédacteur en chef du journal L’Expansion, dont le père était un des voisins de l’époque de l’imprimerie à Montmartre, place Jules Joffrin. Le parcours atypique de ce grand journaliste ne l’a pas emporté sur les amis que Camille fréquentaient alors, tel Paul Georges Sansonetti, qui vivait à côté de L’Expansion, avenue de Wagram.

La généalogie maternelle fut obscure, avant que Camille soulève la chape de plomb sur les viols et les luttes de classe travaillant les vies de ses aïeules. Son arrière grand-mère, Félicie Hallé, épouse Gambier, était la fille d’un homme abandonné à la naissance. Sa sœur s’est suicidée à quinze ans, enceinte. Félicie a eu Jeanne, adolescente fugueuse, d’une grande intelligence, mais bloquée toute sa vie dans un hameau de Normandie, femme de cultivateur, jalousée pour sa distinction. Le père de Félicie était jardinier, vivant avec sa famille dans une masure située sur la gauche de l’élégant château des comtes du Luart, dans le duché de Longueville, aux Cent Acres. Cette famille protégeant ses prérogatives a intégré une princesse de Caucase, mannequin à Paris (voir La Circassienne, Guillemette de Sairigné, Robert Laffont, 2011), mais pas une fille de jardinier au visage de porcelaine. Félicie Hallé a élevé seule sa fille, avant d’épouser un berger infirme, Gambier, et de servir la famille qui donnait asile à une fille illégitime des comtes de Luart. Félicie a vécu longtemps. La joie de sa vieillesse a été de voir Camille et sa sœur, deux parisiennes venant passer leurs vacances en Normandie. Elles chantaient dans la voiture en montant la côte qui menait à la maison de Jeanne et Félicie.

Camille Aubaude est Parisienne. Elle a reçu une éducation catholique, qu’elle a remise en cause dès le plus jeune âge. Bien qu’elle se soit révélée parmi les plus brillants élèves, ses classes furent difficiles. La notice de l’encyclopédie numérique wikipédia3 rend compte de ce chemin de longue étude, où en lisant et en rêvant, Camille a vécu et enseigné à Ghardaïa (Algérie), une oasis du désert, à dix-neuf ans, où elle voit ses premiers poèmes lus au Centre Culturel Français d’Alger. Elle a connu les villes d’Orient, le Caire, en Égypte, Irbid, en Jordanie, d’où elle rejoignait Damas et Alep, vivant loin des chamailleries de son pays. Elle a aussi migré pour écrire et enseigner à Chicago (USA).                                                                                                                                        3 La partie biographique est publiée dans L’Ambroisie — voir bibliographie en fin de volume.

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Publié en 1998, son doctorat de lettres sur Gérard de Nerval, Le Mythe d’Isis de Gérard de Nerval, a bénéficié du soutien des Ministères de l’Éducation nationale et des Affaires Étrangères. Ce livre a établi sur une solide érudition les bases d’un nouveau mythe littéraire. Ce mythe est décliné sous diverses formes dans l’œuvre poétique et en prose poétique de Camille, Ivresse d’Égypte, L’Égypte céleste et Voyage en Orient. Au-delà du succès d’estime du Mythe d’Isis, signalons que les prix des exemplaires de l’édition originales ont été multipliés par quatre-vingt entre 1998 et 2015, et qu’exemplaire du Voyage en Égypte, acquis par la Bibliothèque Publique d’Information de Beaubourg a été démagnétisé et dérobé par un fan.

En 2002, le récit gothique, La Maison des Pages, rencontre un grand succès populaire. Camille Aubaude fait connaître la Maison des Pages d’Amboise jusqu’en Amérique latine. Cette thébaïde est aussi un musée. En 2007, Camille lui a consacré ses Poèmes d’Amboise, publiés en espagnol en 2011, sous le titre Poemas de la Morada de las Paginas, et en italien en 2015. Ces livres ont fait d’elle une personnalité célèbre d’Amboise, une ville marquée par les présences de Léonard de Vinci et Marguerite de Navarre. On considère que c’est à son retour d’Orient, dans la Maison des Pages de Charles VII, que Camille a conçu son œuvre animée par le souvenir des formes parfaites. En faisant montre de cohérence, il s’agit de dire l’harmonie rompue entre la Nature et les Hommes et de suivre des idées précises pour ne pas tomber dans l’ordre du fantasme.

En parallèle, les Poèmes satiriques témoignent d’une conscience politique de la vie moderne. La tradition littéraire dont ils procèdent, la poésie lyrique désacralisée, travaillant la matière des fables antiques a donné les épyllions, publiés en volumes dans L’Ambroisie et dans L’Égypte céleste. Les livres d’artistes marquent l’apogée de ce lyrisme fascinant et fondamentalement novateur, qui est une marque de courage, voire d’héroïsme, dans le grand n’importe quoi de l’époque. Quand Camille Aubaude est mi-poétesse, mi-narratrice, elle enrichit sa prose d’émotions raffinées. Ces émotions sont mises en pratique, mêlées aux thèmes satiriques. Cela donne Impression inimaginable (2014). Cette fois, le contenu est violent, existentiel, bien qu’il y ait des poèmes en l’honneur d’Isis, la Déesse Trône, la Femme sacrée. Impression inimaginable se constitue comme une alternative poétique aux vies de femmes subissant des violences. Comme dans Lire les femmes de lettres, Le Mythe d’Isis et Poèmes d’Amboise, il s’agit d’affirmer que le pouvoir féminin peut faire éclater les frontières de la littérature.

Dans ses poèmes sur la féminitude, elle explore la notion de genre introduite en France par Julia Kristeva, qui constate : « Stimulée par un intérêt à l’égard du féminin et du féminisme, Camille Aubaude a centré le voyage initiatique de sa réflexion sur la déesse Isis. » En 2013, elle a coordonné le numéro 4 de la revue numérique Le Pan poétique des Muses sur le mythe de Philomèle, Tant de Philomèles en ce monde (février 2016), qui ressortit à son expérience personnelle de femme en lutte contre la censure et le viol. La Chapelle des Ursulines de Quintin, achevée en 1707, en Bretagne est devenu un refuge à l’écart du tohu-bohu de la modernité.

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Impression inimaginable

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Table ronde

Comment dire les violences faites aux femmes ?

Introduction

Pourquoi avoir organisé une Journée d’études à partir d’un livre de poésie consacré aux violences faites aux femmes ?

Ce sujet a été proposé par Camille Aubaude qui, victime elle-même d’une agression, rompt le silence imposé aux victimes d’abus sexuels en publiant Impression inimaginable. Les différentes contributions que nous avons reçues témoignent de ce « fait de société », plus facilement identifiable quand les victimes peuvent le dénoncer. On connaît bien la « loi du silence » qui brime les femmes, nous interdisant principalement le recours à l’écrit. Or, l’écriture est un moyen de transfert. Elle crée une réaction empathique au contact du récit de la victime, et, surtout, elle empêche de répondre à la violence par la violence. « Ainsi la Paria » signifie que la liberté d’expression n’est pas facile, car les souvenirs de la mémoire traumatique sont une torture. Ils ne peuvent être faux, et les dire peut coûter cher. Vu la façon dont les femmes sont traitées dans nos sociétés, les écouter sereinement et les lire est une étape à franchir afin d’avoir le recul nécessaire pour qu’évolue la situation et apporter des solutions.

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Quels sont les moyens pour guérir la société de ce mal ?

Nous n’en voyons pas d’autre que l’Éducation : elle doit donner la capacité de dire la violence. En engageant une réflexion sur ce problème, on peut envisager des actions à long terme et la rédaction de protocoles de traitement des situations individuelles. Faire admettre les actes de violence et en organiser la prise en charge institutionnelle aboutit toujours à un changement de comportement. Il faut s’unir, lutter et avancer.

Lecture d’une étude de Marie-Ange Bartholomot-Bessou sur un sujet demeuré longtemps tabou : les deux millions de femmes victimes de viols de guerre au cours de l’exode de l’hiver 1945 en Europe de l’Est, l’un des plus atroces de l’histoire humaine.

Lectrice : Théodora Pasquier.

Résumé : l’entreprise de destruction physique et psychique par les viols de masse qui lui fut associée est, elle aussi, restée occultée. Un « mur du silence » a perduré autour de la folie sanguinaire qui s’est abattue sur les populations civiles sans défense.

Ce silence équivalait à une négation du martyre des deux millions de femmes et fillettes allemandes violées en séries multiples par les soldats de l’Armée rouge, torturées et mutilées, quand elles n’étaient pas assassinées.

Il révélait aussi l’incapacité à considérer la nature profondément criminelle de cet épisode des derniers mois de la guerre dont la barbarie avait été voulue et programmée.

Elles étaient le résultat d’un puissant travail d’endoctrinement parvenu à faire des soldats soviétiques de monstrueuses mécaniques décérébrées qui allaient pousser à leur paroxysme des plans diaboliques préparés pour les dépouiller de leur humanité et les transformer en tortionnaires fous.

Texte intégral sur demande : [email protected]

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Autoportrait au regard de sombre détresse et de vie anéantie. Irbid, Jordanie, 1993

Porter le deuil de la féminité

Bérangère Thomas : Après cette lecture portant sur des faits historiques de violences faites aux femmes, quelles réactions peut-on avoir ? John Wander, pouvez-vous nous donner votre sentiment, en tant que poète new yorkais ?

John Wander : Je vous réponds par un exemple très intéressant. Je pensais que les femmes militaires aux États Unis étaient plus protégées que les femmes civiles. En fait, non. Je viens de lire dans un journal que soixante pour cent des femmes militaires, plus d’une sur deux, subissent encore plus de violences que dans la vie civile : torture, harcèlement dans les casernes, pression de la police militaire. Le 1er mai 2014, le chef des Armées américaines a promis que des mesures vont être prises afin d’arrêter ces violences. Jusqu’à maintenant, il ne fallait rien dire par solidarité avec les autres. La femme militaire n’était pas considérée comme un « confrère » ou une « consœur ». Elle a longtemps eu un « statut » inférieur. Les viols et autres violences à l’encontre de femmes sont aujourd’hui dénoncés. Si l’on ne le fait pas, on est désormais considéré comme coupable. Il n’est plus question dans l’armée d’étouffer ce genre d’affaires. C’est une révolution qui aura pris du temps. Espérons qu’elle va s’imposer de façon durable.

BT : Camille Aubaude, comment exprimer les violences faites aux femmes ?

Camille Aubaude : Après avoir subi des viols à la caméra en 2011, j’ai décidé d’orienter ouvertement mes écrits pour lutter contre la violence, car le déni fait deux fois plus mal.

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Beaucoup de personnes sont détruites par la violence, mais quand on en sort, on s’en trouve rehaussé. Ces réalités atroces ne sont pas dénuées de jubilation. Comme pour la guerre, il y a une joie de faire la guerre, il y a une joie de s’en prendre aux femmes. C’est à nous de dire que ce sont des actes criminels. Ces actes en 2011, fondés en plus sur le vol et le saccage d’un de mes lieux d’écriture, m’ont fait prendre conscience que j’écris pour lutter contre un système social qui casse les femmes. Avant 2000, j’ai utilisé des formes d’expression universitaires pour exprimer une notion féminine de la divinité, puis, dans un deuxième essai, pour étudier la place des femmes qui écrivent dans notre pays. C’est par mes poèmes, qui facilitent une expression publique différenciée, et par des poèmes mêlés à des photographies, que j’ai pu me libérer de la terrible agression dont j’ai été victime à l’adolescence : un viol collectif avec des objets (c’est la seule scène dont je me souvienne), à la suite d’une arrestation pour kleptomanie au commissariat du 9è arrondissement de Paris.

J’ai choisi l’exil car je ne pouvais comprendre la violence. Je souffrais d’amnésie post traumatique et de dissociation, sans parler d’infections gynécologiques à répétition. Les problèmes de santé récurrents dus une agression sexuelle mettent en question le rôle des médecins, lesquels ne sont absolument pas formés à la prise en charge de ce traumatisme et de ses conséquences. J’ai bon espoir dans les politiques du « care », mais je vois encore des médecins plaisanter sur le viol, et ce jusque dans les colloques de la MIPROF. C’est dire que la révolution n’est pas faite, en France, pour prendre en considération les souffrances des femmes.

À l’époque, j’ai dû m’en sortir seule. J’ai quitté la France pour l’Algérie, puis l’Égypte, la Jordanie et les États-Unis. Je ne pouvais vivre dans ce pays où les policiers violent des jeunes filles sans défense. En étant membre du bureau de l’association de mon amie Françoise d’Eaubonne, « SOS Sexisme », j’ai vu les pratiques de marginalisation des actes de maltraitance envers les femmes. J’étais loin de m’imaginer qu’à cinquante ans, je subirai des viols à la caméra parce que j’écris des poèmes. C’est en tant que créatrice que j’ai été jetée dans une cellule, où, comme je l’évoque dans le poème du même nom, les femmes du commissariat du 4è arrondissement de Paris n’ont été en reste pour se moquer de la femme qui écrit de la poésie. Hommes et femmes policiers soutenaient le violeur. Le procureur a classé mes plaintes. Partout, on me conseillait de me taire. Tandis que l’agresseur continuait ses harcèlements.

Depuis les viols à la caméra, j’essaie d’obtenir réparation. Je suis les actions de l’association « Femmes pour le dire, femmes pour agir ». J’ai témoigné pour des films dans le cadre de diplômes de droit pour que les procureurs ne classent pas systématiquement les plaintes des femmes agressées. Je me rends compte que l’on a tendance à chercher des exemples pour comprendre ce qui est arrivé. Cela explique que depuis quatre ou cinq ans, je m’intéresse à différents cas, tel le viol meurtrier de cette jeune kiné indienne en décembre 2012, qui a fait descendre de milliers de manifestants dans la rue. Ce viol mutilant et meurtrier a été un phénomène médiatique relayé dans tous les pays.

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Il est déplorable que la presse relate avec complaisance des faits de viols comme récemment une Québécoise de 33 ans, violée par des policiers au 36 quai des Orfèvres, à Paris. L’affaire a fait scandale mais la victime a été traitée de façon lamentable. Sur les réseaux sociaux, les commentaires étaient d’un machisme ordinaire, déclarant « qu’elle l’avait bien cherché », « qu’elle n’était pas préparée à ce genre d’actes sexuels » (sic). Au regard de ces réactions imbéciles, je déplore qu’en France la situation soit aussi sordide. L’impunité des agresseurs, la loi du silence, le refus de prise en compte du corps féminin, tout entretient la « société de violeurs ». Il est vraiment temps que les lois changent, que l’on punisse enfin ceux qui maltraitent les femmes, et que l’on trouve les mots et la parole justes pour dire se qui se passe dans le corps d’une femme.

« L’écriture féminine » étant aujourd’hui reconnue comme un genre littéraire à part entière, le moment est venu de définir les moyens dont nous disposons pour nous exprimer en littérature de manière spécifique.

BT : Philippe Cantraine, vous qui travaillez pour l’éducation, une valeur sûre pour l’avenir, comment abordez-vous ce thème de la violence envers les femmes ?

PC : Je vous remercie de m’avoir invité à cette table ronde portant sur un thème aussi délicat à traiter. Un mot d’abord sur votre double injonction : « Ni excuse, ni pardon ». D’emblée, ces termes nous mettent dans une appréciation morale du problème. Je répondrai que des « excuses », il n’y en a pas. Quant au « pardon », j’espère qu’il y en a la possibilité.

Puisque vous me parlez d’éducation, je vous parle d’éducation des filles car c’est fondamental. Parce que je suis un témoin de Camille, que je suis écrivain et poète, j’ai retenu de ce qui vient d’être formulé que nous sommes dans une situation particulière pour traiter un problème qui est réfractaire à la poésie autant qu’à l’esthétique.

Parler de la violence en poésie est une approche possible à condition que cette violence soit maîtrisée, organisée, en étant intransitive, en utilisant les ressources de la littérature, de la métonymie et de la métaphore. Le lyrisme y a sa place mais pas dans l’aspect transitif en rapport direct avec le problème. Je me souviens d’avoir lu des ouvrages de poètes romantiques allemands de l’époque des guerres de Napoléon. C’était illisible à force de ne pas avoir été pensé poétiquement. C’était conçu comme un enchaînement d’insultes, d’injures et d’imprécations. Ceci ne conduit à rien et n’a aucune valeur éducative. Je me permets de vous le préciser derechef parce que ce que je représente la Francophonie dans la lutte contre la violence faite aux femmes.

Notre démarche n’entre pas dans une logique de vengeance, ni d’expéditions punitives ou quoique ce soit d’autre. Elle prend avant tout en compte des faits dans une approche globale. La violence faite aux femmes revêt des aspects particuliers et des situations données, comme nous le verrons. Cette approche tient compte des différentes avancées nécessaires dans un plaidoyer qui considère l’éducation des filles comme fondamentale, ainsi que l’autonomie des femmes.

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Les deux aspects du débat ont des réfractions différentes selon que l’on est en Europe ou dans les pays du Sud. Je représente une organisation qui agit dans soixante-dix-sept pays, pour la plupart dans le Sud.

La diversité culturelle fait que l’appréciation des problèmes peut être très différente. Il ne faut pas sous-estimer l’état d’esprit ni la psychologie dans laquelle on fonctionne dans les pays du Sud. Il y a des archaïsmes à l’œuvre, mais, il y en a chez nous aussi. Il ne faut pas s’y tromper.

À côté des archaïsmes, il y a des réalités qui cassent les structures et font bouger les choses. Il y a aujourd’hui en Afrique et en Asie, une augmentation de l’instruction donnée aux filles, ayant pour conséquence leur participation à la vie publique. Il ne faut pas s’imaginer que l’on vit dans des structures passéistes. Au contraire, en prenant modèle sur les nôtres, ces structures brisent les structures existantes.

Les violences que l’on observe aujourd’hui sont de type atavique, c’est-à-dire inscrites dans la génétique humaine et les coutumes ancestrales. La violence faite aux femmes et la question de leur implication dans la vie sociale, au même titre que les hommes, trouve une origine dans l’histoire et notamment en France.

Voici deux exemples.

Le premier est une phrase célèbre, une réponde de Madame de Staël répond à Napoléon, qui lui dit : « Je n’aime pas que les femmes se mêlent de politique. — Vous avez raison Sire, mais dans un pays où on leur coupe la tête, il est normal qu’elles veuillent savoir pourquoi. »

Puis Olympe de Gouges : « Si une femme peut monter à l’échafaud, elle peut monter à la tribune », a-t-elle déclaré avant d’être guillotinée.

Reprenez cet élément déterminant cent ans plus tard. Pendant la Guerre de 14-18, on bombarde les populations civiles de Paris, au départ de Saint Quentin. Autrement dit, on considère que si une femme peut subir des bombardements, elle a le droit de participer à la vie publique. C’est la conclusion qui va dans le sens de ma démonstration.

BT : Nouria Yahi-Boggio, qu’en pensez-vous en tant que politicienne ?

NYB : Je m’inscris dans tout ce qui a été dit. J’y mets ma sensibilité de femme en premier lieu. La logique et la rationalité de la politique que je représente passent après. L’histoire des violences est une histoire qui nous concerne toutes et tous. Je ne pense pas que ce soit le fait uniquement des femmes. La société toute entière doit être impliquée dans cette prise de conscience.

Je suis d’accord avec vous, Monsieur Philippe Cantraine, lorsque vous parlez d’éducation, donc de ce que l’on va investir en terme éducatif auprès des jeunes filles. Cela ne suffit pas. Il faut éduquer nos garçons, et nos jeunes filles, mais aussi toute la société, pour changer le regard que l’on porte sur l’autre.

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Les schémas politiques sont fondés sur ce constat très simple : la violence est toujours le reflet d’un rapport entre un dominant et un dominé. Ce n’est pas parce qu’il y a un dominant et un dominé qu’il faut pardonner, et que la violence se justifie. Je suis de ceux et celles qui pensent que RIEN ne justifie la violence, RIEN : ni l’instabilité sociale, ni l’instabilité économique, ni les troubles mentaux et comportementaux, ni des souffrances. Lorsqu’il s’agit de violences, je suis très dure. Je n’entre dans aucune effusion d’esprit. Je refuse de considérer l’auteur de violences avec des « problématiques ».

La prise de conscience collective, c’est constater à froid les phénomènes de violence. Je suis d’accord avec vous pour dire qu’en France, on peut évaluer l’ampleur de ce phénomène qui est une honte et une insulte même à notre humanité : on n’a pas de leçon à donner à des pays d’Afrique ou autres, ou pour se donner bonne conscience, on va dire qu’il y a un fait culturel ou des archaïsmes qui font que... C’est absolument faux. On le sait.

J’ai été satisfaite, Monsieur John Wander, que vous parliez, en préliminaire, de ce qui se passait dans l’armée aux États-Unis : savez-vous que nous avons vécu la même chose il y a quelques temps dans l’armée en France à propos d’événements qui se sont déroulés autour du 8 mars 2014 ? La réponse administrative apportée aux corps d’armée a été d’encourager les témoignages sur des violences cachées.

Nous partageons ce sentiment de faits honteux. Nous sommes, d’une certaine manière, complices. La chape de silence ne se justifie pas dans les pays occidentaux, modernes et évolués.

Texte intégral de la table ronde sur demande : [email protected]

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Tant de Philomèles en ce monde !

« J’ai connu pas mal de choses qui en auraient brisé plus d’un,

et qui m’ont brisée. C’est là que l’écriture sauve. »

Muriel Cerf (KTV, Portrait de Muriel Cerf, 2004)

Tout semble célébrer la violence, qui absorbe à l’infini les formes du monde […] y reconnaître une grandiose philosophie des métamorphoses, où la mort

féconde et reproduit continuellement la vie. »

Pietro Citati, La Lumière de la nuit.

APPEL À CONTRIBUTION Information publiée le mardi 4 juin 2013 dans Fabula par Matthieu Vernet (source : Le Pan poétique des muses, revue féministe de poésie entre théories et pratiques ; rédaction Camille Aubaude). Date limite : 20 novembre 2013.

Contribuer au dossier majeur du n° 4 de la revue LPpdm : « Tant de Philomèles en ce monde »

sous la direction de Camille Aubaude Dans le texte des Métamorphoses d’Ovide, Philomèle, la Princesse athénienne, d’une beauté sublime, est violée par son beau-frère, qui lui coupe la langue pour qu’elle cesse de réclamer vengeance. Elle révèle le crime à Procné, sa sœur en tissant une tapisserie. Les deux sœurs se vengent en faisant manger au violeur la chair de son propre fils. Les trois protagonistes sont transformés en oiseaux. Figure complexe, qui représente la femme victime-meurtrière, prisonnière de ses malheurs, Philomèle illustre le thème primitif de la vengeance, la violence qui engendre la violence. Et la vengeance des sœurs exprime pleinement cela. Le châtiment est d'une violence inouïe non seulement à l’égard de l’oppresseur mais aussi envers l’enfant, être subalterne, créature innocente, incapable de se défendre. Cependant, l’essentiel est ailleurs. L’appropriation féministe de la figure des tisseuses prend en compte l’identité sexuelle de la « voix » de la poétesse, et interprète — ce qui est indispensable de nos jours —, l’histoire de l’oppression des femmes dans les sociétés patriarcales. Philomèle, et Arachnê, montrent que le contre point direct de la violence subie par les femmes est leur « voix ». Philomèle devient pour la critique féministe américaine la figure emblématique de la poétesse, dont la voix, qui représente la nudité dans la tradition hébraïque, est censurée. C’est par une expression non

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verbale qu’elle se libère de la violence de l’oppresseur. Procné déchiffre, comprend et traduit la voix de sa sœur. Elle est l’allégorie de la critique féministe. Anne Tomiche4 précise que « Le "nous" à qui Philomèle "parle" est la communauté des femmes, à la fois victimes de la violence masculine, condamnées au silence, et sources d’inspiration pour les poètes masculins. En même temps, elles protestent et cherchent à résister. Dans la même veine que Patricia Joplin, Jane Marcus et Elissa Marder font de Philomèle la figure de la femme violentée et réduite au silence dans une société patriarcale : Philomèle, écrit Jane Marcus, est "an appropriate metaphor for the silencing of the female, for rape and male violence against women" ("Philomèle est une métaphore appropriée de la réduction au silence de la femme, du viol et de la violence masculine contre les femmes") ». Philomèle devient l’incarnation de la poétesse. Elle n’est pas sans évoquer le poète maudit rejeté de la cité par Platon. Le thème central de ce mythe est la violence spécifique envers les femmes qui est à l’origine de leur création verbale. Nous vous proposons donc d’envisager des textes relevant des deux séquences suivantes : • le tissage, dire autrement le vécu du corps, la douleur, la violence, la maladie, etc. • la poésie maudite, l’errance poétique, le poète prisonnier de sa douleur, de son passé et de

ses obsessions jusqu’à la déchéance.

Par extension, tout texte sur le système qui dévalorise la création féminine est également susceptible de s’inscrire dans ce numéro. À cause de l’interruption de LPpdm en janvier 2014, et des violences policières exercées contre Camille Aubaude en décembre 2013-janvier 2014, suite aux monstrueuses dérives dans un arsenal législatif protégeant les squatters, la parution de Tant de Philomèles en ce monde a été retardée de deux ans, un moindre mal quand on considère tout ce que les violences masculines ont fait perdre aux femmes : les « malcontentes ». La poétesse Francesca Yvonne Caroutch, après avoir reçu « la commotion » de la lecture de La Malcontente, s’écrie :

« La Malcontente transmute les flammes de l’enfer. « Le poids en diamants des nébuleuses ne pourrait payer le joyau dans les cuisses des femmes », a écrit Léon Bloy (je cite de mémoire). Le viol, quand c’est très violent, est un électrochoc qui donne le génie » (courriel, 3 janvier 2016).

                                                                                                                                       4  Voir l’article d’Anne Tomiche, « Philomèle dans le discours de la critique littéraire contemporaine », dans Véronique Gély, Jean-Louis Haquette et Anne Tomiche (dir.), Philomèle : figures du rossignol dans la tradition littéraire et artistique, actes du colloque international tenu à l'Université de Reims les 25 et 26 novembre 2004 ; Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, Maison de la recherche, coll. Littératures, 326 p., 2006, p. 314.

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La poésie est connaissance

par Giovanni Dotoli

Lire de la poésie de Camille AUBAUDE, c’est prendre le temps d’écouter ce qui atteint le cœur de chacun.

C’est une poésie à la fois nouvelle et antique. Elle évoque l’invitation au voyage de Guillaume Apollinaire et celle de Jean Cocteau : le vers est la base de la tradition et de l’innovation, et le lien entre les mythes ancestraux et les ruines de notre temps.

Sans doute Camille AUBAUDE a-t-elle rempli la mission énoncée par Gaston Bachelard : «La Poésie nous apporte des documents pour une phénoménologie de l’âme». Toute sa poésie est une phénoménologie de l’âme, au moyen d’un nouveau lyrisme et d’un dialogue secret avec le Temps.

À partir de sa maison mythique d'Amboise, la Maison des Pages où s’entrelacent les voix de Léonard de Vinci, Jeanne d'Arc, Saint François de Paule, et probablement aussi de François Ier, les poèmes traditionels et modernes de Camille AUBAUDE nous mènent au bord de l’eau paisible de la Loire, dissimulant le bleu de la Renaissance française, ainsi que les sons du luth et les soupirs portés par le vent depuis les fenêtres du château.

C’est une poétique du rêve et de la vie, de l’Histoire renouvelée au temps présent. Camille AUBAUDE reçoit la poésie comme dans une extase mystique, avec le sens incantatoire d’une déesse grecque. Ses vers font éprouver la mystique de la Nature, du Ciel, des Arbres et des Nuages. Davantage en relation avec l’Olympe qu’avec le Paradis, sa Création aspire à être le Centre du rêve autant que de la réalité.

Deux leçons essentielles se dégagent. Primo, le poème nous engage à une approche écologique de l’Univers. Nous lisons et relisons les mythes, et avant tout le mythe d’Isis, pour comprendre le Mal qui règne autour de nous, et pour le vaincre sans armes, seulement avec le don de la poésie.

Secondo, le poème n’a nul besoin d’avant-garde ni des cris qui cassent le rythme de la langue. La poésie de Camille AUBAUDE est une chanson qui touche le cœur. C’est l’acte de connaissance suprême. Jamais fanfaronnade ni lamentation, c’est un cri de pure douleur. L’art d’Impression inimaginable et de La Malcontente prône un retour à l’orchestration de la Nature et du Ciel, en se tournant vers l’avenir, l’«après poésie», car tout sera transmis à nos descensdants. Jean Cocteau a bien dit que «le poète se souvient de l’avenir».

Certes Camille AUBAUDE se souvient de l’avenir. Nous serons un jour une des voix se recueillant parmi les ombres de la Maison des Pages, cette maison de pierres et d’histoire,

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vraiment, qu'elle habite, avec un magnifique jardin où les arbres parlent au milieu de plantes aromatiques, où les lignes de l’azur s’effilochent dans le lointain, où enfin nous pouvons parler et rêver, assis au bord d’un fleuve.

L’imaginaire de notre poétesse s’élance des îles mystérieuses de l’histoire de la Méditerranée pour proférer le chant des sirènes. Elle redonne vie aux personnages momifiés par l’école en qui elle a retrouvé la vie. La culture devient poésie véritable. Gustave Flaubert se trompe quand il affirme que la culture doit être bannie de la poésie. Quelle écriture poétique peut surgir sans les pans de rêve de la culture, rêve d’union entre l’Orient et l’Occident, l’orphisme, le chant de la solitude ?

Les poèmes de Camille AUBAUDE se prennent à rêver la résurrection de la poésie française, au temps de la Pléiade qui, autour de Pierre de Ronsard, a construit l’avenir, donnant Jean Racine autant que Victor Hugo. Les formes fixes que Camille utilise vont encore plus loin, retrouvent le Moyen Age, le temps de Dieu et de la prière. Qui pouvait oser écrire encore des rondeaux, des ballades, une Lorelei, rendre fluides les rythmes gréco-latin, et faire appel, en des épyllions, à des personnages de la mythologie grecque ?

Camille AUBAUDE nous met en garde : la poésie n’est pas seulement une combinaison de phrases et de tournures, mais aussi parole de sagesse et de vérité, écrite par la Nature de la Terre, s’approchant des arbres et se dérobant dans le ciel. Je reconnais la pensée de Marcel Proust : «Le style pour l’écrivain, aussi bien que la couleur pour le peintre, est une question non de technique, mais de vision». Camille AUBAUDE voit. Elle suit des visions qui sont des révélations, les tonalités subtiles de l’âme, des mondes qui demeurent en nous.

Tout a lieu à la Lumière de la Nature ! Nous savons que le poète voit la Lumière, et que la nuit même est à ses yeux Lumière. Après, le poème décrypte, scrute et donne une lecture de l’Infini. Jean Cocteau, le maître des mythes grecs, écrit : « [La poésie] dévoile dans toute la force du terme. Elle montre nues, sous une lumière qui secoue la torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent et que nos sens enregistraient machinalement ». Cet acte de divulgation fait vivre le monde poétiquement, dans la lignée de Friedrich Hölderlin, parce que l’homme ne peut pas vivre poétiquement, étant lui-même la poésie de la réalité absolue.

Souvenons-nous de Charles Baudelaire, véritable amoureux des mythes : « La poésie est ce qu’il y a de plus réel. C’est ce qui n’est complètement vrai que dans un autre monde». Camille AUBAUDE le sait bien, croisant dans chacun de ses poèmes un autre monde, qui paraît lointain alors qu’il est caché en nous, nous qui sommes mythes et réalités.

Dans les Poèmes d’Amboise, la poésie s’illumine à cette essence, la réalité substantielle, la mémoire de la beauté. Elle devient « acte de connaissance » (Yves Bonnefoy). Nous sommes aux confins du divin, dans la «permanence» et «l’unité de l’être», comme le dit Saint-John Perse.

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Écoutons Camille AUBAUDE :

«La guérison vient du sang des cœurs» ; «Fantasmagorie mêlant Mort et Vie» ;

«Je pleure pour exister» ; «Illusion et hallucination, / Me poussent Nuit et Jour à voyager !» ; «N’est-il autre espoir que le silence et l’ombre»; «Je m’éveille d’un sommeil d’or».

S’éveiller d’un rêve d’or à la vue d’un «papillon d’or» ! Pour cela, entrons dans la Maison des Pages. Retrouvons les souvenirs, les secrets. Soyons transfigurés par l’âme et les rythmes mystérieux d’une maison qui contient la France en devenir, et qui s’écrie :

Pour que la lumière brille

Sur un monde où tout vacille

Chante la Beauté humaine !

Camille AUBAUDE a accompli sa mission. Devenir «une âme sainte», la quintessence de la pierre, de la terre et de la Création. Charles Baudelaire pouvait le proclamer à son lecteur :

Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or.

L’or du silence, des souvenirs, de l’incendie intime et de l’angoisse, l’or du Salut, en un mot : la poésie.

Université de Bari, le 22 février 2015

Publié en italien dans Poesie per Amboise, Rome, 2015 Traduit par Camille AUBAUDE

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Camille AUBAUDE, Mémoire et terres poétiques

par Marie-Ange Bartholomot Bessou

« Dans les tombeaux d’Égypte, les supports d’écriture, bandelettes de lin, morceaux de

poterie, feuilles de papyrus s’illuminent de l’éclat doré de la vigne, des récoltes, des

breuvages transportés dans l’intimité des sanctuaires pour célébrer les Mystères d’Isis et

d’Osiris5 ». Ainsi, nous dit Camille Aubaude, non seulement les morts ne meurent-ils pas,

mais aussi, minéralité et substance végétale sont-elles terre reliée aux hommes et aux dieux.

Et de cette terre inscriptible, l’écrivain-poète se fait un chemin d’écriture et de vie.

Née à Paris en 1959, universitaire6 spécialiste des études isiaques et de Gérard de

Nerval 7 , chercheur 8 et essayiste, Camille Aubaude exerce avec acuité son activité de

critique9. Elle se rend présente au cœur de certains débats jamais clos, notamment ceux qui

touchent à la représentation des femmes au sein de l’institution littéraire 10 . Elle est

également romancière11, mais se définit d’abord en tant que poétesse12.

                                                                                                                                       5 Camille AUBAUDE, Ivresses d’Égypte, Paris, Aumage éditions, 2003, p. 24. 6 Camille Aubaude a enseigné à l’Université de PARIS III Sorbonne, mais aussi en Égypte, aux USA et en Jordanie. 7 Camille AUBAUDE, Anamorphoses d’Isis dans l’œuvre de Gérard de Nerval, Doctorat de Lettres, Paris VII, 1992. Gérard de Nerval et le mythe d’Isis, préface de Claude Pichois, Paris, Kimé, 1997. Le Voyage en Égypte de Gérard de Nerval, Paris, Kimé, 1997. L’Égypte de Gérard de Nerval, Paris, Publibook, 2004. Camille Aubaude a participé au Premier Colloque International sur les études isiaques organisé à Poitiers en 1999 par Laurent BRICAULT, et dont les Actes ont été publiés en 2000, éditions Brill, sous le titre De Memphis à Rome, 40 ans d’études isiaques. Voir Camille AUBAUDE, Ivresses d’Égypte, Aumage éditions, 2003, mentions bibliographiques, p. 70. 8 Camille AUBAUDE, Poésies d’Amour de Christine de PISAN, choix de textes, traduction et préface, Paris, Aumage éditions, 2003. 9 Tour à tour, ou simultanément, directrice de revue, directrice de collection, chargée de missions pour représenter la poésie française à l’étranger… 10 Camille AUBAUD [sic], Lire les Femmes de Lettres, Paris, Dunod, 1993. 11 Camille AUBAUDE, Gallia ou l’amour véritable, Paris, Aumage éditions, 2004. 12 Camille AUBAUDE, Lacunaire (1986), Isis (1991), Anankê ou la Fatalité (2000), La Maison des Pages, préface de Claude Vigée (2002), Ivresses d’Égypte (2003), Nocturne romain (2005), Poèmes d’Amboise (2007), La Sphynge (2009), Chant d’ivresse en Égypte (2009), Le Messie en liesse (2010).  

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Rêveuse d’infini dont la prose et les vers magnifient l’harmonie de la langue, cette

poète musicienne13 qui n’a pas congédié la rime, se plaît à rappeler que « poétesse » consone

avec « déesse ». Mettre à l’honneur ce suffixe conquis par les écrivains de la Renaissance, et

qui a des affinités avec tant de mots de notre langue, lui est une manière de lutter contre la

nuance dévalorisante que conserve encore cette désinence dès qu’elle sert à nommer une

activité féminine créatrice14. C’est une de ses façons de marquer son engagement dans la

mêlée des idées et des différents courants esthétiques qu’elle enrichit de sa dynamique

réflexion.

Figure majeure de la jeune génération poétique de langue française dont l’œuvre est

déjà traduite et sujet d’étude dans de nombreux pays15, Camille Aubaude se distingue encore

par l’étude et l’accueil dans ses propres ouvrages des voix sœurs qui l’ont précédée ou qui lui

sont contemporaines. Familière de tous les chants poétiques anciens et modernes, elle ne se

contente pas d’être une traductrice, au sens de passeuse culturelle, et une créatrice. Elle

s’applique à témoigner aussi de son inscription dans la longue généalogie de la poésie

féminine qui passe notamment par la poésie médiévale. Son activité de poétesse rejoint

toujours celle de chercheur et d’essayiste. L’exemple de ses travaux critiques portant sur

l’œuvre de Christine de Pisan est une des illustrations de sa double avancée réflexive au sein

des ressorts de la créativité. Avec la Cité des Dames16 du début du XVè siècle, Christine de

Pisan est la première poétesse à établir une réflexion d'intertextualité et à faire appel à la

mémoire des femmes17. Son interprétation du rôle de celles-ci dans la tradition érudite et

artistique fait écho à celle de Dhuoda et des femmes troubadours.

Chercheur et critique, Camille Aubaude appréhende de façon renouvelée la place et la

réception des œuvres de femmes au sein de l’institution littéraire. Son ouvrage Lire les

Femmes de Lettres18 est une entreprise d’exhumation de modèles, de mise en valeur de liens

avec des créatrices du passé que l’idéologie culturelle patriarcale a occultés ou dévalorisés.                                                                                                                                        13  À propos de la féminisation des noms de métier, voir notre position favorable aux mots employés comme épicènes : Marie-Ange BARTHOLOMOT BESSOU, L’Imaginaire du féminin dans l’œuvre de Renée Vivien, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2004. L’emploi épicène, tout en respectant la catégorie grammaticale du féminin, n’altère ni la graphie, ni la prononciation. 14 Camille AUBAUDE, « Nommer un métier, la poétesse », in Voi(es)x de l’autre, Études réunies et présentées par Patricia Godi-Tkatchouk, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2010. 15 Pièces traduites en espagnol, en hébreu et en arabe. Voir, pour l’hébreu et l’arabe, Camille Aubaude, Ivresses d’Égypte, Aumage éditions, 2003, p. 68. 16 Christine de PISAN, La Cité des Dames (1405), texte traduit et présenté par T. Moreau et E. Hick, Stock, 1986. 17 Voir l’édition des Poésies d’amour de Christine de PISAN, traduction, choix des textes, préface de Camille Aubaude, Paris, Aumage éditions, 2003. 18 Camille AUBAUD [sic], Lire les Femmes de Lettres, Paris, Dunod, 1993.

  21  

L’auteur ne manque pas d’y dénoncer certaines expressions employées pour marginaliser,

voire ridiculiser, l’activité et la production artistiques féminines. Loin d’être respectée, la

femme savante est en butte aux attaques misogynes. L’expression de « bas-bleus » atteste de

l’obstination d’une idéologie phallocentrique à dénier au talent sa valeur, et à le constituer en

défaut dès lors qu’il émane d’une femme. Un exemple parmi de nombreux autres, celui des

Précieuses dont se moquent avec lourdeur « les phallocrates pot-au-feu »19, témoigne de cette

pratique du « gros rire masculin » pour étouffer « la volonté des femmes d’accéder à l’écriture

et au savoir20 ». Malgré ces graves entraves relevées qui font un sujet d’étude jamais terminé,

l’artiste qui se sait avant tout poétesse n’abandonne jamais la partie.

C’est à l’occasion d’un approfondissement de la question de la nomination que

Camille Aubaude découvre l’appellation qu’avait élue Renée Vivien au début du XXè siècle :

citharède. La moderne disciple de Sappho, helléniste accomplie et musicienne de talent, voua

sa courte vie21 à l’écriture et surtout au chant poétique, mais aussi à la résurrection de voix

féminines anciennes. Elle fait paraître en 1903 le texte en dialecte éolien, suivi de la

traduction intégrale, des vers sauvés de l’antique lyricine de Mytilène22. L’année suivante,

elle publie le second volet de cette entreprise érudite en rassemblant le texte grec, et la

traduction, des vers de treize autres poétesses de l’Antiquité grecque23. C’est une première

dans l’édition française24. Le titre, Les Kitharèdes, renvoie à une des spécificités de la poésie

antique. En Grèce ancienne, en effet, poésie et art musical sont indissociables25. Les vers sont

non seulement chantés mais aussi soutenus par un accompagnement instrumental. Sappho,

Corinne, Myrtis, Nossis et toutes leurs homologues reconnues et célébrées pendant toute

l’Antiquité, sont donc des poétesses, mais aussi des musiciennes, des joueuses de cithare

(kithara en grec), des citharèdes ; ou, selon le choix de Renée Vivien qui s’appuie sur la

graphie grecque originelle, des kitharèdes.

                                                                                                                                       19 L’expression est d’Emmanuel LE ROY LADURIE, « Le Siècle du Roi Soleil », in Littérature, Nathan, 1987, p. 7. Cité par Camille AUBAUD, Lire les Femmes de Lettres, op. cit., p. 34. 20 Camille AUBAUD, Lire les Femmes de Lettres, op. cit., p. 35. 21  Née  à  Londres  en  1877,  Renée  Vivien  meurt  à  Paris  en  1909  à  l’âge  de  trente-­‐deux  ans.  22 Voir, sur ce sujet précis, « Sappho, figure fondatrice et tutélaire », in Marie-Ange BARTHOLOMOT BESSOU, L’Imaginaire du féminin dans l’œuvre de Renée Vivien, PUBP, op. cit., pp. 307-398. 23 Pour une étude détaillée du travail de réhabilitation de ces poétesses, voir, « Mémoires et miroirs : Vers une poétique existentielle » in Marie-Ange BARTHOLOMOT BESSOU, L’Imaginaire du féminin dans l’œuvre de Renée Vivien, op.cit., pp. 201-305. 24 Ce regroupement avec traduction ne sera réitéré que près d’un siècle plus tard, en 1998, par l’helléniste Yves Battistini. 25 Voir notamment les travaux d’Annie BÉLIS, éminente spécialiste de la musique de l’Antiquité et de papyrologie, directrice de Recherches au C.N.R.S., directrice de l’ensemble vocal et instrumental Kérylos, auteur de Les Musiciens dans l’Antiquité, Paris, Hachette Littérature, 1999.

  22  

Dans le sillage de la disciple de Sappho dont elle lit et admire l’œuvre, Camille

Aubaude adopte à son tour ce terme qui relie explicitement le poème au chant. Moderne

kitharède elle-même par l’attention portée à l’harmonie de ses poèmes, elle entremêle aux

différents savoirs de la théoricienne de l’histoire littéraire, la pratique de l’écriture poétique où

se réfracte l’âme mobile d’une musicale amante des mots. Car, dans une quête perpétuelle de

mots à la mélodie la plus juste, elle travaille la langue en musicienne, accomplissant ainsi sa

propre traversée de la sorcellerie évocatoire.

Par son exigence de porter haut l’idéal de beauté platonicien, elle occupe une place à

part, un espace inattendu et longtemps resté vacant. Il est vrai que pour elle, « l’élan vers la

Beauté, antidote à la sensation de mort, à l’interminable sentiment de laideur et d’anxiété

n’entraîne ni vers un lieu ni vers un corps, mais révèle un espace disponible 26 ». D’un « Éclat

de poésie27 » à des « fragments d’élégance28 » ou au nom d’une cité antique, – Byblos, qui est

aussi un nom de livre –, tout peut rayonner d’un attrait qui accumule l’énergie, absorbe les

sentiments, insuffle une force faite pour durer. Il y a un « culte de la beauté » qui donne la vie

lorsque la beauté est « regardée comme le substitut de la divinité disparue29 ».

Le cheminement intellectuel et esthétique de cette artiste inclassable qui a pu être

qualifiée de « nomade des Lettres », semble donc se constituer originellement autour de cet

exigeant désir de beauté qui apparaît indissociable d’un savoir érudit à retrouver et à parfaire.

Si la prise de parole et l’écriture représentent un des aspects, ou moyens, du

consentement à une telle aspiration, elles s’accompagnent de la recherche passionnée des

secrets d’une forme la plus élevée et la plus vivante possible. C’est poétiquement que la prose

du recueil Ivresses d’Égypte dessine les contours de l’approche herméneutique souhaitée : « le

devoir de haute voltige consiste à retrouver le tracé sublime de la musique et de la danse30 ».

Une mobilisation et une application artistiques et intellectuelles sont constamment sollicitées

pour tenter d’harmoniser les rapports du lyrisme et de la structuration de la langue avec le

plus de justesse possible. Au détour d’une conversation privée ou d’un débat public plus

formel, l’amateur de poésie entendra l’auteur parler de l’art de la taille des mots, des phrases

et des idées pour atteindre la perfection de la forme du sonnet ; et découvrira que ce ne sont

rien moins qu’une quinzaine d’années d’un travail de retranchements ou mises en relief,

                                                                                                                                       26 Camille AUBAUDE, « Byblos », Ivresses d’Égypte, Paris, Aumage éditions, 2003, p. 53. 27 Ibid., p. 52. 28 Ibid. 29 Ibid., p. 45. 30 Ibid., p. 53.

  23  

ciselures et polissages successifs qui sont requis, pour approcher du parachèvement espéré de

ces quatorze vers d’architecture et de musique tirés du langage. La poésie de Camille

Aubaude est en général très structurée, très construite, avec un découpage en strophes, des

assonances, des jeux vocaliques qui se font écho, avec des sortes de partitions typographiques

qui révèlent immédiatement leurs variations cadencées.

Inspirée par la syntaxe et la rythmique médiévale, elle a su admirablement traduire

l’enchantement intemporel que peuvent encore nous faire éprouver les formes fixes de la

poésie courtoise31. Raffinement, fraîcheur et tendre mélancolie sont traversés de temps à autre

par une note décalée qui les ramène dans le giron de notre modernité. En effet, il arrive que

l’assise du décasyllabe ou de l’octosyllabe une fois fermement installée, tandis que la mélodie

semble assurée, surgisse soudain le pas de côté d’un hendécasyllabe ou d’un alexandrin, ou

d’un tout autre compte de syllabes. L’allure de la phrase musicale s’en trouve temporairement

ralentie ou, au contraire, accélérée, créant un effet de surprise avant de retrouver son

battement régulier instauré au début. Ces mesures retranchées ou ajoutées, avec le jeu ajouté

aux variations du tempo, des coupes et des accents toniques concourent, grâce à leur

succession harmonieuse, à un nouvel équilibre de la composition. À la place de la répétition

du mouvement attendu, apparaît un ordre différent qui fait gagner, non seulement en

musicalité, mais aussi en complicité artistique. Au bercement des anciennes retrouvailles se

superposent les accords de notre modernité poétique.

Les émouvants rondeaux et ballades des Poèmes d’Amboise de 2007, repris en 2009

dans La Sphynge32, tout en illustrant ce travail d’assimilation et d’évolution diachronique, tant

linguistique qu’esthétique, témoignent aussi, par les retouches dont ils sont parfois l’objet, du

travail incessant que la poétesse mène sur les mots.

Appel à la récitation, à la modulation et au chant, cette poésie est aussi une invitation

aux mouvements de la danse, de danses multiples et contraires, sauvages ou codifiées, des

danses à venir, en cours d’élaboration, ou des danses aux rythmes anciens qui, en nous,

parfois à notre insu, ont inscrit leurs cadences. Elle semble faite pour le corps et la

sollicitation des sens. Au chatoiement des couleurs sont superposés la palpitation des voix

aimées, amies, qui sont de chair et d’âme, aussi bien que les battements de crécelle du bois

sec dans la cheminée, les vibrations du vent, le souple crissement du sable, les craquètements

des oiseaux et des insectes.                                                                                                                                        31 Voir Poèmes d’Amboise (2007) et les reprises dans La Sphynge (2009). 32 Il s’agit des sept ballades et des douze rondeaux des Poèmes d’Amboise.

  24  

Avec ses derniers recueils, et notamment La Sphynge, Camille Aubaude poursuit et

renouvelle sa longue quête en terre de poésie nimbée de la lumière qui en émane. Les poèmes

jouent le rôle de portiques ouvrant sur les sanctuaires de l’imaginaire et d’une surréalité pleine

de révélations. Leurs différentes modalités discursives font apparaître ce qui reste tapi dans

les coulisses de la scène culturelle traditionnelle. L’expérience subjective de l’art, et d’un art

d’être au monde, permet de porter attention aux résurgences d’héritages occultés. La poésie,

irriguée par un imaginaire conscient de ses spécificités, attentive à sa voix propre,

pourvoyeuse de visions acceptées, élargit l’éventail des représentations. Il y a des filiations,

des transmissions, des infiltrations et filtrations que rendent plus fécondes encore les

évidentes mutations et transmutations que subissent les héritages aimés et caressés.

Embrassant dans leurs métamorphoses successives, passé et avenir, origine mythique et

ancrage dans le présent d’un temps qui se renouvelle, elles nous laissent des empreintes

heureuses ou nostalgiques. L’être humain avec sa temporalité propre découvre le secret de

toute permanence qui dépayse et libère les choses dans leur ampleur, avec le sentiment

d’instants d’illumination, de coïncidence, d’accord entre soi et les sens aux aguets. Par

ailleurs, la tentative d’adéquation entre l’impératif intellectuel, voire spirituel, et son

intermédiaire artistique, passe nécessairement par une démarche heuristique qui s’appuie sur

un travail de mémoire. Il s’agit d’une entreprise de traduction, de restitution et d’amplification

qui vise, par delà l’oubli des siècles, non seulement à reconstituer, mais aussi à prolonger, des

héritages très anciens.

Chemin de vie, le langage et l’écriture ne sauraient donc l’être complètement sans leur

indispensable corollaire qu’est la reconnaissance du passé, des signes gravés et des échos

lointains des âmes anciennes qui peuvent à nouveau devenir verbe vivifiant. Il y faut une

attention au temps, aux solutions de continuité dans les héritages artistiques et spirituels qui

constituent des ruptures tragiques, ainsi qu’aux résurgences ou aux minutieuses

reconstitutions silencieuses.

La formulation poétique, indéfiniment transmise par la mémoire des humains tant que

s’en prolonge la récitation, ou susceptible d’être redécouverte pour peu qu’elle soit inscrite

sur un support matériel durable et interprétable, fait figure de langage par excellence. À la

façon de la danse de Salomé qui « s’étend par-delà les siècles33 », elle remonte le temps et

« avance dans la sage lumière d’anciennes générations34 ». Alors, s’inscrivant contre « un

                                                                                                                                       33 Camille AUBAUDE, « Pétra », Ivresses d’Égypte, Paris, Aumage éditions, 2003, p. 34. 34 Ibid., p. 32.

  25  

passé privé de sens35 », elle révèle combien « la pierre se souvient de tout et mêle tous les

âges36 ». C’est l’enseignement des tombeaux de vie, des pierres gravées, des reliefs sculptés

face à l’éternité, des signes peints transmis sur les parois rocheuses, délivrant leur gage

d’immortalité pour tous et non pas pour un seul.

Camille Aubaude renoue avec la poésie d’un langage fait pour relier le temps humain

au temps supérieur qui persiste à vibrer en nous, avec des mots et des vers recomposés

comme traces ultimes d’une harmonie à reconquérir, avec un chant dévidant l’histoire de legs

oubliés. Intermédiaire qui offre et redistribue ses déchiffrements de sens oubliés, elle se situe

à la croisée de différents courants culturels auxquels elle prête sa voix comme une Pythie

prête la sienne aux divinités.

Très tôt, l’Orient géographique, mais aussi l’Orient du temps traditionnel et très ancien

du mythe, nourrissent sa création. Par les détours de la légende et de l’exhumation de paroles

enfouies, le langage aux multiples généalogies peut s’abreuver aux sources premières de

l’esprit. C’est ainsi que de la quête nostalgique d’un savoir enclos dans le miroitant mythe

d’Isis, ruisselle l’or d’un sistre agité par la déesse tutélaire, la Reine aux mille noms, qui vient

scander le rythme du poème nouveau.

Guidée et instruite par ce qui a été transmis de l’Égypte ancienne, la voix poétique

éprouve à la fois orgueil et déférence de se sentir légataire d’un tel héritage intellectuel et

spirituel :

« Et j’ai pris les meilleurs chemins

Pour accomplir ma révérence37 ».

« L’Égypte est une demeure cinq fois millénaire ensevelie dans sa beauté38 ». Certains

tombeaux sont des palais de vie où « fresques et bas-reliefs »39 conservés sont des paroles

sacrées ou des états d’apprentissage à s’approprier. En effet, dans l’Égypte ancienne, une âme

qui ne se souvient plus de son nom après la mort terrestre, est condamnée à disparaître à

jamais. Aussi les Égyptiens réunissent-ils, écrites sur du papyrus ou de la toile, des séries                                                                                                                                        35 Ibid., p. 39. 36 Ibid., p. 35. 37 Camille AUBAUDE, « Épitaphe », Le Messie en liesse, 2010. 38 Camille AUBAUDE, « Ivresses d’Égypte », Ivresses d’Égypte, Paris, Aumage éditions, 2003, p. 13. 39 Ibid., p. 11.

  26  

d’incantations magiques formant le Livre des Morts, véritable guide de l’Au-delà. Ces

formules aident notamment le défunt à ne pas oublier son nom, l’assurant du viatique

indispensable pour espérer en l’éternité. Et de hiératiques constructions humaines à la

précision millimétrée accompagnent mortels et divinités dans leur éternité grandiose.

De la protection monumentale des édifices à l’ocre sauvage de la poussière transportée

par les vents, du sable, du tuf, ou de l’argile malléables, au calcaire compact ou au granit

inaltérable, des failles mystérieuses aux falaises dressant leurs roches cristallines, tout est terre

reliée aux hommes. Support de signes à déchiffrer dans lesquels retrouver un mouvement de

danse, ou l’écho d’un chant, miroir aux mille couleurs du temps, chargée des traces d’une

existence humaine ou divine, et d’une pensée, cette terre contient et exalte la beauté.

Relevés de l’oubli par la magie de l’entremise du verbe écrit « sur des parois de

pierre40 », les morts de jadis sont vivants parmi nous. Gardés dans une éternité de mots sur

lesquels ont veillé les anciens tombeaux, ils nous accompagnent dans le dévoilement de

l’intime lumière d’une formulation millénaire, « un récit immémorial sculpté et peint41 ».

« Les murs parlent. Longtemps leurs mots sont restés captifs et voilà qu’ils s’épandent, les

voilà advenus ! Message de l’au-delà, la légende hathorique est gravée dans les tombes de

Ramsès II, de Toutankhamon et de Séthi Ier, message d’une conscience humaine où

scintillent des parcelles d’ivresse sacrée. Les dieux murmurent42 ».

Certes, « le sens des mots décroît au fil des siècles » 43, « excepté pour ceux qui

pressentent leur force » 44. Et toujours, « la musique hathorique ondoie dans la torpeur de

l’été » et « le son des sistres uni au chant des oiseaux donne envie de danser45 ». Dans

« Faces du Fayoum », le poème retrace le surgissement, matériel et spirituel, dans les sables

de la Province du Fayoum, de « spectres affleurant en haut des sarcophages46 ». Il parvient à

faire apparaître dans tout leur éclat les visages anciens et le « mouvement de l'humain /

arraché au sommeil47 ». « La haute antiquité d'un millier de visages enfouis deux mille ans au

fond des nécropoles d'Égypte », est un appel à « les incorporer, leur parler, / partager avec eux

                                                                                                                                       40 Ibid., p. 18. 41 Ibid., p. 18. 42 Ibid., p. 14. 43 Ibid., p. 11. 44 Ibid. 45 Ibid., p. 21. 46 Camille AUBAUDE, « Faces du Fayoum », Ivresses d’Égypte, op. cit., p. 59. 47 Camille AUBAUDE, « Faces du Fayoum », La Sphynge, 2009, p. 25. Avec de minimes variantes, ce poème est une reprise de celui du même nom dans Ivresses d’Égypte, 2003, pp. 57-58-59.

  27  

la loi des nombres, / la venue de la nuit et l'élan d’amour48 ». Ces « témoins vigilants49 »

échappés des tombeaux, redécouverts « au temps de Mallarmé », sont parés des atours « de

l'époque d'Apulée », et porteurs de croyances immémoriales :

« L’œil est volé à la terre, flux de pensées magiques. Des voix hantent les bouches baignées d’éther50 ».

Par « leur beauté placée au crépuscule d’un monde51 », et « leur silence immortel sous

les flambeaux d'Isis », ils « lient au ciel l’œuvre de l'esprit ». Ce sont « Des âmes parmi nous,

hors de nous, pleines de nous52 ».

La poésie, opération de décryptage et de cryptage, élabore et diffuse des suites de

métamorphoses. Capable de traduire la violence des séparations et des pertes, elle unifie aussi,

éveille des aspirations enfouies, infléchit l’interprétation des représentations existantes,

ressuscite ce qui était perdu. Elle traverse le langage en quête des mots les plus suggestifs,

réaffirmant la prééminence chant pour nommer, transmettre, transformer aussi. Et le poète,

maillon humble ou orgueilleux d’une inspiration dont il doit répondre, renoue des liens

défaits :

« Magie et deuil, conscience du temps passé, Le Poète parle des temps révolus »53.

Par lui peut se poursuivre la chaîne des palingénésies. « Le Chant des Mers » murmure

qu’Orphée revit dans l’île de Sappho, qu’il « renouvelle Osiris » et que « la Poésie glorifie /

La naissance d’Isis54 ». Même associé au deuil, il restitue du passé sa densité de vibration, sa

puissance de propagation du chant dans le cœur des humains, à la façon du chanteur magicien

démembré par les femmes thraces, morcelé comme Osiris, mais cependant toujours capable

de fertiliser d’autres terres, telle celle de Lesbos poétiquement fécondée par la tête et la lyre

du musicien Enchanteur qui ont dérivé jusqu’à ses rivages :

                                                                                                                                       48 Ibid. 49 Ibid. 50 Camille AUBAUDE, Ivresses d’Égypte, op. cit., 2003, p. 58. 51 Camille AUBAUDE, La Sphynge, op. cit., p. 25. 52 Ibid. 53 Ibid., p. 18. 54 Ibid., p. 17.

  28  

« Orphée revit sur l’île Où les voix, les écrits puis les tombeaux Portent aux nomades le chant lyrique55 ».

Pensée et imaginaire, réel transfiguré et évasion spirituelle vont à la rencontre d’une

source jaillissante d’images qui rapporte au monde ses légendes délaissées.

L’antique terre des hiéroglyphes cristallise l’inspiration autour de voix féminines

puissantes, animales et minérales, ésotériques et religieuses. « En tout lieu, en tout temps »,

tout est renaissance, et « les roses d’Isis », toujours, sont « un bain de jeunesse / Et de

lumière56 ». L’intérêt pour un archétype qui renvoie aux religions de la Déesse Mère

antérieures aux cultes olympiens est bien dans la logique de l’imaginaire aubaldien. La

tradition isiaque, qui commence dans l’Égypte ancienne et se poursuit à l’époque moderne,

suit les développements des différentes formes de piété polythéiste qui s’écrivent au sein du

paganisme à l’époque hellénistique puis dans les premiers siècles de l’ère chrétienne57. C’est

dans un esprit de sédition envers le christianisme, et dans un contexte de syncrétisme

religieux païen, qu’Isis finit par absorber les autres divinités féminines des panthéons antiques

jusqu’à devenir la Souveraine, l’unique Grande Déesse matricielle. Cette sorte de lente

conquête de l’empire romain par une figure primordiale et ancestrale marquée par les

influences orientales, trouve son équivalence littéraire la plus expressive dans Les

Métamorphoses d’Apulée de Madaure58 au IIe siècle ap. J. C. Dans ce conte, à travers les

figurations différentes liées à des localisations précises, à travers la diversité des attributions

et des rites, s’élève l’épiphanie de la Grande Déesse qui vient secourir Lucius. Elle se

présente comme Isis aux noms multiples et explique au monstre ce qu’il pressentait : elle est

vénérée à travers l’univers entier de mille façons, en mille coutumes, sous une infinité

d’appellations, mais elle est toujours la même divinité suprême, Isis la Reine59. Cette vision

est constitutive du syncrétisme religieux qui s’est produit à partir de tous les cultes féminins

anciens.

                                                                                                                                       55 Camille AUBAUDE, « Le Chant des Mers », La Sphynge, op. cit., p. 17. 56 Ibid., p. 18. 57 Voir Ramsay MacMullen, Christianisme et paganisme : IVe - VIIIe siècles, traduit de l’anglais par Franz Regnot, Paris, Belles Lettres, Coll. Histoire, 1998. 58 Apulée, L’Âne d’or ou Les Métamorphoses, traduction et notes de Pierre Grimal, Paris, Gallimard, Coll. Folio, 1975, Livre XI 2, pp. 260-261. 59 Apulée, L’Âne d’or ou Les Métamorphoses, op. cit., Livre XI 5-6, pp. 262-264.

  29  

Cette sorte d’archétype le plus immémorial de la Grande Déesse constitue une

proposition mythologique récurrente dans l’œuvre de la poétesse. Il est une des expressions

de la recherche aubaldienne, ─ qui rappelle celle de Renée Vivien ─, d’un enracinement dans

un terreau féminin le plus originaire possible.

Camille Aubaude est poreuse à la dimension sacrée du monde qui continue d’être à

l’œuvre sous les apparences, et dont elle veut se saisir. Dressée comme une Victoire, sûre de

ses héroïques devoirs, elle fait face au passé, l’ensorcelant ou parfois l’affrontant de façon

inquiète, pour le contraindre à délivrer ses secrets. Dans cette entreprise, elle s’entend à

réveiller les vielles errances des signes et à les déchiffrer. Il n’y a pas de barrière

infranchissable entre l’univers des vivants et le monde des morts. Comprendre les tombes du

passé fait pénétrer au cœur des vivants. Or la poète parle sans peine avec les pierres. Pour elle,

les parois peintes et recouvertes de signes d’un tombeau résonnent de pas disparus, de

sanglots et de rires éteints, et rattachent à des divinités anciennes, des figures héroïques du

mythe ou de la légende, comme à des esprits tutélaires.

Ces supports d’écritures guident l’âme et l’esprit, et les aident à franchir aisément les

lignes de partage entre l’actuel et le révolu, entre l’humain et le divin, entre l’humain et le

monde minéral ou animal. Comme vibre la pierre, vibre la matière des mots qui reconfigure

les choses et le réel. Des silhouettes presque immatérielles des pages de chevaliers baillis, au

sage et puissant silence des signes antiques, le poème est « Sphinx taché de sang60 » qui

rythme dans le secret des pages le cours du temps et des idées. D’Isis (1991) à Anankê ou la

Fatalité (2000), de La Maison des Pages (2002) à Ivresses d’Égypte (2003), de Poèmes

d’Amboise (2007) à La Sphynge (2009) et à Chant d’ivresse en Égypte (2009), son langage

allusif se fait « voilier de l’âme61 ». Tel le « Papillon d’Or » affranchi de « l’âge voué à la

chrysalide62 », sorte de « Quasimodo d’une architecture brimbalée63 » qui voulait « danser

avec le soleil64 », il « danse, danse » ses évocations et incantations.

De l’expérience d’une catabase vers le morcellement initial, dans le chaos d’une âme

première prisonnière de trop étroites limites, a surgi le mouvement salvateur et ordonné d’un

                                                                                                                                       60 Camille AUBAUDE, « Les Papillons », Poèmes d’Amboise, Amboise, Les Amis de la Maison des Pages, 2007, p. 13. 61 Camille AUBAUDE, « Le Papillon d’Or », La Sphynge, Paris, L’Ours Blanc, 2009, p. 19. Le poème « Le Papillon d’Or » du recueil La Sphynge (2009) est une reprise, avec variantes, du poème « Les Papillons » du recueil Poèmes d’Amboise (2007), pp. 12-13. 62 Ibid. 63 Ibid., p. 19 64 Ibid.

  30  

maître de ballet invisible. Le papillon léger, éphémère danseur et coloriste du jaune à l’or, est

l’interprète qui, au-dessus de la terre alourdie, rythme les ondulations de l’air transparent,

voltige et dialogue avec l’esprit des parfums immatériels.

Une nouvelle architecture du monde et de l’âme se déploie à travers les variations de

ses arabesques. Cette chorégraphie, d’abord enfermée dans les puissants filets de soie de la

chrysalide en devenir, est peu à peu libérée dans sa force créatrice. Elle reconstruit alors le

présent tout en s’appuyant sur le socle du souvenir du savoir que possédait, malgré les

contraintes, le « jardin d’enfance » originel.

Cet éventail de connaissances et de réceptivité se déploie dans une active et intense

présence au monde, mais aussi à travers de nécessaires retraites dans un lieu propice à l’étude

et à la création.

Voyageuse traversant tous les continents, Camille Aubaude se sait pourtant rattachée à

ses origines tourangelles, et plus particulièrement à la capitale de la France au temps de

François Ier, Amboise, ville de partage où reposent des pans de son enfance. Fuyant l’austère

forteresse d’Alep où elle vécut longtemps, c’est vers la ville où fut accueilli, où vécut et où

repose le génie universel Léonard de Vinci, qu’elle se tourne. Elle finit par élire – ou se fait

élire par, tant l’attraction joue dans les deux sens65 – un éperon rocheux auquel peut enfin

s’arrêter et s’arrimer sereinement son profond besoin de paix.

Sa tour d’ivoire est un « belvédère sur la Loire66 », un mystérieux et inaltérable balcon

en qui se confondent terre évanescente et pierres dures chargées du récit des siècles. Il s’agit,

à Amboise, de la prestigieuse demeure historique reliée au château royal, la Maison des

Pages, celle des jeunes Pages du roi de France Charles VII, celle aussi des pages qui

désormais sont feuilles de poésie que publie la Maison d’édition du même nom67. Un seul et

même lieu, pour y vivre et créer dans des repères stables. « Un refuge solide et durable68 »

pour y guetter « le retour des anciens jours69 », pour être rattachée à la mémoire d’une riche et

                                                                                                                                       65 Camille Aubaude écrit à propos de sa rencontre avec la Maison des Pages : « Je l’ai vue ! […] je l’ai vue et je m’aperçois en écrivant ce journal qu’elle m’a choisie », La Maison des Pages, p. 21. 66 Camille AUBAUDE, La Maison des Pages, Paris, Aumage, 2002, p. 36 67 Maison d’édition qui accueille et diffuse de très nombreux titres de poésie. 68 Camille AUBAUDE, La Maison des Pages, op. cit., p. 13. 69 Ibid., p. 15.

  31  

longue aventure humaine, et pour être reliée à tout ce qui parle de poésie, pour y accompagner

le talent neuf d’auteurs se faisant artisans de mots d’un terreau renaissant.

Elle ressent et accepte l’aimantation qu’exerce sur elle non seulement le « promontoire

de calcaire amarré dans l’eau du fleuve [où] la ville a établi son assise70 », mais aussi et

surtout la demeure médiévale accrochée au rocher qui ressemble, écrit-elle, « à un grand

papillon de pierre et de bois, un de ces papillons aux couleurs brunes et rouges, si nombreux

l’été dans la région, au temps de mon enfance. Un papillon qui se serait fossilisé pour

protéger la paroi, mais prêt aussi à s’envoler, découvrant la nudité de la pierre, les cavernes,

une présence humaine plus ancienne, plus énigmatique que l’étrange monument71 ».

La poétesse identifie les différentes voies qui l’ont conduite à « cette maison jaillie du

rocher72 ». Elle le sait et le dit : « Ma passion pour Léonard de Vinci [est] venue conforter

mon attirance pour Amboise73 ». Passionnée d’art74 ─ et particulièrement d’art pictural ─,

auteur à vingt ans d’un essai sur Léonard de Vinci, elle note que dans les tableaux du Maître,

« les personnages bibliques se recueillent au bord d’une faille géologique, d’une cassure du

roc, à deux doigts de l’abîme75 ». La rencontre avec cette demeure médiévale, « cet antre

minéral76 », « cet antre abyssal, à demi enterré »77 « où murmurait un oracle relégué dans des

failles78 », signe pour elle une inscription dans un triangle architectural qui lui semble

magique. En effet, ce « triangle en forme de voile étarquée couvrant la ville79 » fut le « lieu de

réflexion du génie humaniste de la Renaissance80 ». Le Clos Lucé où fut accueilli le peintre

toscan choyé par son mécène et ami François Ier, puis le château royal, et enfin le manoir des

Pages qui lui est rattaché, composent un ensemble chargé d’histoire et d’art. Maison, histoire

et architecture révèlent métaphoriquement leurs secrets dans un entrelacs narratif dont Claude

Vigée a relevé le caractère de « passé-présent éternel81 ».

                                                                                                                                       70 Ibid., p. 19. 71 Ibid., p. 26. 72 Ibid., p. 27. 73 Ibid.,, p. 28. 74 Camille AUBAUDE est titulaire d’une Maîtrise d’Histoire de l’art. 75 Camille AUBAUDE, La Maison des Pages, op. cit., p. 73. 76 Ibid., p. 35. 77 Ibid., p. 55. 78 Ibid., p. 63. 79 Ibid.,, p. 37. 80 Ibid.,, p. 37. 81 Claude Vigée, préface à La Maison des Pages, p. 7.

  32  

Par ailleurs, ces constructions ramassées sur leur assise rocheuse face au fleuve, et à

« l’île d’Or au milieu82 » dormant « dans une courbe de la Loire83 », ont été édifiées sur un

emplacement occupé depuis longtemps puisqu’il s’agit du « plus ancien site gaulois de la

région84 » :

« Rites oubliés, terres dévastées85 » « Fantasmagorie mêlant mort et vie ;

Terre druidique aux temples vaincus86 ».

De la survivance de légendes et même de rites, aux différentes stratifications,

rémanences ou recouvrements de l’histoire, du labyrinthe des héritages culturels au

« labyrinthe dans la roche87 », tout concourt à « la rencontre de ce qui allait durer88 ». Contre

la dispersion de sa condition d’exilée, la poétesse s’élance dans un « face à face avec la

maison89 ». « J’y trouverai la paix90 », « j’apprivoiserai l’esprit des lieux91 » car, dit-elle, je

suis mue par « la certitude de retrouver un antre protecteur, une falaise chargée de mémoire,

un endroit propice au recueillement, un microcosme qui m’attend92 ». Elle puise dans cette

assurance la force d’affronter de nouveaux exils puisque, même éloignée géographiquement,

de retour à Alep, elle reste « habitée » et portée par « le souvenir de la maison à dos de

pierre93 ».

Ce faisant, elle cherche à refermer « avec des mots, si possible millénaires94 », la faille

d’une existence que résume la formule d’Isis : « Tout ce qui ne fut pas et ne sera jamais laisse

le goût de ce qui aurait pu être95 ». Tout, dans cet observatoire dressé au-dessus de la Loire

avec sa tour médiévale et le mystère de ses légendes, est pièce majeure d’un puzzle96 qui se

                                                                                                                                       82 Camille AUBAUDE, La Maison des Pages, op. cit., p. 73 83 Ibid., p. 38 84 Ibid., p. 49 85 Camille AUBAUDE, « La Maison des Pages », Poèmes d’Amboise, Éd. Les Amis de la Maison des Pages, 2007, p. 10. 86 Ibid., p. 10. 87 Camille AUBAUDE, La Maison des Pages, op. cit., p. 49. 88 Ibid., p. 55. 89 Ibid., p. 63. 90 Ibid., p. 63. 91 Ibid., p. 54. 92 Ibid., p. 63. 93 Ibid., p. 63. 94 Ibid., p. 13. 95 Ibid., p. 13. 96 Ibid., p. 17.

  33  

reconstitue. Ancrée dans la falaise abrupte, émergence de la roche, la maison troglodytique

échange avec la terre97 et suit ses rythmes, en prolonge les failles, respire selon son souffle

intérieur. La narratrice y « guette les vestiges de ces temps révolus avec [sa] vision humaine

et [son] envie de vivre en regardant la Loire98 ». Mais elle sait que « les faits ont beau être

authentiques, ils doivent faire l’objet d’une purification99 ». Aussi, s’attachant « à décrire des

phénomènes non mesurables à l’aune des perceptions humaines100 », est-elle amenée à

composer avec le langage humain, aux deux sens du terme « composer » : « faire avec » et

« créer à partir de ». Pour elle, le surnaturel est au cœur même de la vie la plus simple101.

Dans sa quête d’une permanence qui soit élévation, elle est souvent habitée de l’idée

heideggérienne que le monde, parfois, parle ; nous parle.

La poésie, avec les sortilèges de sa puissance évocatoire et de sa magie incantatoire,

est une des formes du discours la plus apte à rendre compte « des voix, ou des ondes…102 »

chuchotant « des mots qui resplendiss[ent] dans la pénombre103 », et à redonner vie à ce

« monument sculpté par le temps, un infime morceau d’univers, délaissé et prêt à

disparaître104 ».

Avec son œuvre, Camille Aubaude avance dans un mystérieux univers minéral et

végétal, tout en interrogeant, en herméneute inspirée, le langage à travers lequel il lui semble

que le monde parle. Elle privilégie « les glissements dans les mots et la magie du langage105 »

et « le songe [comme] détour pour apprécier la réalité106 ». Réceptive aux pratiques culturelles

et cultuelles les plus diverses, elle montre le processus de filiation et de transmission qui

nourrit son inspiration, et mène une réflexion sur sa pratique. Nouvelle kitharède d’une

modernité sans rupture, elle accueille voix, visages, danse et musique, couleurs et rythmes de

tous les temps dans une somme d’esthétiques et de poétiques différentes.

Traductrice de son aspiration à l’infini, enracinée dans les temps anciens où règnent le

mythe et l’enchantement qui ordonnent les pouvoirs de l’imagination, elle se tient dans une                                                                                                                                        97 Ibid., p. 31. 98 Ibid., p. 18. 99 Ibid., p. 28. 100 Ibid., p. 29. 101 Voir l’exemplaire récit de La Maison des Pages. 102 Camille AUBAUDE, La Maison des Pages, op. cit., p. 29. 103 Ibid. 104 Ibid., p. 28. 105 Camille AUBAUDE, La Maison des Pages, op. cit., p. 88. 106 Ibid., p. 91.

  34  

relation immédiate au monde, rattachée poétiquement à lui et à sa fécondité. La pierre et les

mots vivent de rythmes et de symétries. La puissance de l’esprit dans sa permanence, et le

fonds linguistique chargé de la mémoire des siècles se confondent dans une même élévation.

La voix poétique se révèle être le médium privilégié qui sait s’approprier les signes perdus et

les amener à reviviscence. Sous la tutelle du mystère elle remonte dans la beauté des mondes

aux insondables arcanes, dans les mémoires gardées par des sables millénaires, dans la

minéralité palimpseste des roches gravées ou peintes, et dans le temps unifié où les mortels

bâtissent pour les dieux et pour eux-mêmes des demeures d’éternité.

Marie-Ange Bartholomot Bessou, Docteur ès Lettres, Centre de Recherches sur l’Imaginaire LAPRIL Clare, Université de Bordeaux 3. Thèmes de recherche faisant l’objet de publications : Poésie. Féminisme. Poétesses de l’Antiquité grecque. Réécritures des mythes. Mémoire et exils.

Autrice de L’Imaginaire du féminin dans l’œuvre de Renée Vivien, Presses Universitaires Blaise Pascal.

  35  

L’AMBROISIE

Dès sa mise en chantier, le récit de La Maison des Pages a inspiré des poèmes (Poèmes d’Amboise), des conférences, des nouvelles poétiques à l’atmosphère insolite.

« Mes textes poétiques revêtent toutes les formes possibles, ce dont témoigne L’Ambroisie. A la façon dont je suis à l’étroit dans la France moderne, et trouve mon inspiration dans d’autres cultures, j’ai besoin d’incursions dans le fantastique, de narrations aux frontières des genres, de poésie sans limites », a déclaré Camille Aubaude à l’Université Ricardo Palma, à Lima (Pérou), lors d’une présentation de L’Ambroisie.

Ce livre illustré de photos contient la réédition d’un texte sur Amboise, qui fut censuré, L’absolue retraite de Léonard de Vinci, et sa traduction anglaise, puis des nouvelles, des poèmes et la conférence sur la Maison des Pages.

Depuis 2005, des étudiants péruviens de la traductrice en espagnol des Poemas de la Morada de las Paginas, Rosario Valdivia, travaillent en ateliers de théâtre et de traduction sur l’œuvre poétique de Camille Aubaude. Une doctorante a réalisé un entretien avec la poétesse. Ces activités universitaires ont abouti au Premier Festival International de Poésie de Lima (FIPLIMA), organisé par le poète, universitaire et éditeur Renato Sandoval, où Camille Aubaude était la première et la seule poétesse française invitée. Deux mois avant à la Feria del libro de La Havane (Cuba), elle fut choisie parmi quatre mille auteurs et primée pour l’ensemble de son œuvre. Camille Aubaude se démarque des auteurs français contemporains par son regard tranchant sur la France moderne et son ancrage dans la tradition littéraire. Le style onirique qui est sa signature, les récits de voyage aux allures de poèmes, la création de la « transpoésie » pour exprimer les souvenirs de la mémoire traumatique marquent un renouveau de la poésie française.

Les Poemas de la Morada de las Paginas, publiés en français et en espagnol dans la prestigieuse collection Letras francesas, ont été présentés en 2012, à Panama, dans un festival consacré aux poétesses, par des lectures incantatoires qui ont captivé le public. Plusieurs interventions de Rosario Valdivia au Colegio Mayor de Guadalupe, à Madrid, une présentation au VIè Congrès international de la Langue espagnole, qui s’est déroulé du 20 au 23 octobre 2013, à Panama, des publications imprimées et numérique ont contribué à la popularité de l’œuvre de Camille Aubaude (voir diaporama sur Facebook).

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Entretien avec Camille Aubaude Mythes et obsessions

avec Paola Gonzales et Rosario Valdivia

Propos recueillis par Paola Gonzales lors d’une rencontre à l’Université Ricardo Palma, à Lima, Pérou, le 18 février 2013, organisée à la Bibliothèque par Rosario Valdivia Camille habite au centre de Paris, entre le Louvre et les Archives, face à l’hôtel de Saint Aignan, elle reçoit avec une exquise humilité ses lecteurs et ses amis poètes dans la Maison des Pages d’Amboise, et se retire pour écrire dans la chapelle des Ursulines de Quintin, une cité d’art et de caractère dans la discrète Bretagne où elle est une légende vivante. Peu de poètes ont une œuvre aussi complète : invention du mythe littéraire d’Isis, qui exprime le désir de connaissance divine, invitation à retrouver les formes médiévales avec ses Poèmes d’Amboise et sa transposition en français moderne des Poèmes d’amour de Christine de Pizan, lyrisme avec ses « Odes saphiques », imagination romanesque avec ses récits La Maison des Pages et Voyage en Orient, poème journalistiques d’une grande loyauté, et ferveur religieuse. Rien ne manque à son épanouissement. Depuis la parution du Messie en liesse, Camille Aubaude, la poétesse française la plus traduite à l’étranger, livre ses réflexions sur les grandes aspirations humaines, plus vivantes que jamais dans un monde qui change. « La poésie de Camille Aubaude appartient à la meilleure littérature française. Elle est arrivée à maturité et traversée par le génie. L’excellent poème, La Cellule, est fondamentalement révolutionnaire — ce qui est naturel, en France ! tant au point de vue de la forme que de la signification, d’une richesse considérable. Cela faisait longtemps que je n’avais pas lu un si bon poème, qui ausculte à fond notre époque. La

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Cellule va ouvrir un nouveau destin au monde. Qu’un poème aussi juste soit écrit par une femme, cela aussi est fondamental » ! Enrique VERÁSTEGUI, poète, Lima, Pérou, critique du 9 mars 2013. « Le génie de Camille Aubaude est de combiner la poésie millénaire au modernisme ». Lédo IVO, poète, Rio de Janeiro, Brésil, mai 2012.

Vous avez voyagé en Grèce à dix-sept ans, avant de vivre dans l’oasis de Ghardaïa, en Algérie, puis vous avez habité un an au Caire, à Garden city. Comment vous appropriez-vous les mythologies égyptienne et grecque dans votre œuvre littéraire ? Les mythes égyptiens et grecs ouvrent grande la porte de l’imagination. Ce sont eux qui m’inspirent, qui me bouleversent. Je serais tentée de dire que c’est la nourriture sacrée. Pourquoi n’ai-je pas pris comme points d’appui des chefs d’œuvre de la littérature universelle, tels L’Énéide, la Divine Comédie, le Satyricon ou les Lais de Marie de France ? Les récits de l’Égypte et de la Grèce antiques exercent une fascination sans limites. C’est un mélange de clarté et de mystère. C’est là que tout se joue. Le recours aux modèles est essentiel pour qu’un écrivain s’enhardisse à produire une œuvre originale. Ma passion pour l’Égypte s’est révélée dès l’école primaire. Les longues années d’études qui se sont achevées avec mon doctorat sur Isis donnent la matière de mes textes littéraires. Le contraste entre les mythes égyptiens et les mythes grecs est frappant, aux plans esthétique et émotionnel. La Grèce mêle la poésie et la réflexion. Elle se tourne vers la consolante pensée qui arrime aux dimensions spatio-temporelles. Ma réécriture des mythes grecs se fonde sur des figures féminines, Io, Ariane, Pasiphaé. Loin d’être artificielles, elles animent la culture artistique européenne de leur force singulière. C’est dans « la Maison des Chants » de l’Égypte que je les convie pour l’écriture des poèmes. Ainsi, il n’y a pas une trop grande distance entre poésie et réflexion critique.

De quelle manière Gérard de Nerval a-t-il influencé votre écriture ? Poète qui aspire à la beauté, il est la source pure de la poésie ! Nerval retrouvait les chants du Valois et la poésie médiévale quand régnaient les Parnassiens. Gautier, Hugo, Baudelaire ont une autre manière de poésie, plus mondaine. La figure d’Isis de Gérard de Nerval est vraie. Dans notre société malade de ses nouvelles technologies, la quête nervalienne d’un sens mystique, de l’Inconnu qu’exprime l’Éternel féminin, dessine et colorie l’univers de la poésie.

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Pourquoi la musicalité ? Elle est essentielle. La poésie vit de musicalité. La vraie poésie existe par les sonorités. C’est sous ces formes multiples qu’on l’adore. C’est l’entendement du sens originel des mots. En France, vous êtes étiqueté « lyrique » si vous vous concentrez en la splendeur absolue des mots et de leurs sonorités, ce que j’ai fait pour les Poèmes d’Amboise. Je déteste être cataloguée, quoi de plus ennuyeux ? Depuis les échanges avec Rosario Valdivia, pour les ateliers de traduction, et sa publication des Poemas de la Morada de las Paginas, par votre grande université, j’use d’une expression plus relâchée, car l’on est malheureux lorsqu’on s’enferre dans les mêmes choses. Mes « poèmes journalistiques », les « Furies » ou « La Cellule », requièrent une attention critique. Ils expriment les ténèbres qui nous enveloppent. Je ne peux les dire accompagnés au luth baroque, comme les odes et les rondeaux. Pour moi, ce sont aussi des merveilles qui m’ont extirpée d’épreuves rudes et désespérantes, comme les voyages m’ont délivrée des rivalités et des lourdeurs de l’université. Les « Furies », « La Cellule » pourraient être de la prose, s’il n’y avait la musique qui emplit mon âme, et le chant qui rend la parole lumineuse, l’extrait du vulgaire et fait ressentir la volupté mystique. Les amours de la Poésie et de l’Esprit humain ne supportent pas la fixité. Impossible de ne pas bouger, de ne pas parcourir l’arc en ciel des passions ! Diversité, clameurs, fracas… la notion de « fragments » était antérieure à ma thèse, quand je « chroniquais » l’« oubli ordinaire » d’Isis (Isis, chronique d’un oubli ordinaire est le titre de mon D.E.A., jugé « poétique » par un égyptologue alors réputé). Les fragments suscitent le rêve d’Unité, le Temple qui figure le Mystère, le Rêve plus vaste que l’univers.

Sous quelles formes sont présents — d’un point de vue personnel et d’un point de vue littéraire — les pays d'Amérique du Sud où vous avez lu en public vos poèmes : Pérou, Argentine, Cuba, Saint Domingue et Mexique ? J’ai la chance que l’on m’invite. Ce sont des événements culturels extrêmement importants. Je fais mon possible pour témoigner ma gratitude, sans toujours être à la hauteur. La publication d’Anankê en 2000, suivi d’Ivresses d’Égypte, et le succès du récit de La Maison des Pages me valent ces expériences fabuleuses, plus gratifiantes pour la création que les manifestations parisiennes. Les premières rencontres internationales de poésie, ce fut à Maghar, près de Tibériade, en Israël, un pays qui organise des événements poétiques et artistiques de grande qualité. C’est une poétesse égyptienne, Safaa Fathi, qui m’a invitée en 2005 au Mexique. À partir de là, des relations sororelles se sont nouées, avec une infinie liberté. Je les évoque dans mon Voyage en Orient, où il y a peu de choses inventées. À la vérité, je pourrais parler d’«alliées» en poésie, et d’«élues», telle Rosario Valdivia qui a été la

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première à traduire mes poèmes en espagnol (voir sur le web un de mes récitals à la Casa de la Literatura de Lima), telle mon amie de Saint Domingue, Shérézada Chiqui Vicioso, que j’ai traduite en français. C’est avec elle que je suis allée à Missiones, pour participer à l’un des plus grands festivals de poésie de l’Amérique du Sud. Au Mexique, j’ai découvert la voix — et la lyre — de Lina Zéron et Satoko Tamura. J’ai eu le privilège de faire des lectures lors de la Fête des Morts, tout en vivant dans la Casa fuerte, chez l’écrivaine Adéla Fernandez. C’est dans ce château de lave que j’ai écrit « Minuit à la Maison des Pages ». Au Mexique, Rosario Valdivia a commencé à traduire mes poèmes d’Anankê, dans le décor somptueux de la cité d’Oaxaca, près de Monte Alban. De ma période d’isolement à Saint Domingue sont nés les ballades et les rondeaux, une plénitude poétique que je n’aurais jamais pensé connaître. L’Amour total ! Ces généreuses invitations exaltent l’écriture. Elles fixent l’errance, empêchent les rêves de rendre fou. Elles exercent sur moi une vive influence. Vous avez écrit et publié Poèmes satiriques en vingt et un jours, à Lima. Quel est le mouvement de ce recueil ? Je distingue des « séries ». Voyez « L’Âge » et « Les Feuilles mortes », des « variations » sur ces grands poèmes que sont « Mignonne allons voir si la rose… » de Ronsard, et « Les Feuilles mortes » de Prévert ! Je les ai écris à Lima, en écoutant sur mon ordinateur des chansons françaises. Ils me semblent réussis, fixant dans une forme parfaite le « rapt » extatique, qu’on ne peut connaître que de façon imparfaite. Les poèmes qui célèbrent la terre péruvienne, « Lima » et « Le Mal de l’Inca » cèdent au désir de connaissance divine, qui est au fond ma façon de voir la poésie. Une autre facette de ce livre est la critique sociale, très poussée dans « La Madriguera », un poème qui fait entrevoir la vérité sur « le monde unique » que le consumérisme matérialiste nous façonne, un monde sans joie ni dieux. « Les Pays de Merveilles » (vers libres) et « Oracle » (rimé), dédiés à Pedro Diaz Ortiz, montrent qu’un traitement différent de thèmes similaires aboutit à deux poèmes très différents. Publier ensemble les deux versions renvoie aux débats de tous temps sur la forme. D’abord l’éblouissement, ensuite la formulation. Tout est dans la manière de traiter les phrases, les rythmes, les sons et les images. En Argentine, je me suis arrêtée, et déployée, en des « Odes saphiques ». Le rythme 11 et 5 incarne ma parole. La poésie lyrique écrite par Sapho véhicule une sagesse humaine d’une intériorité et d’une subtilité inégalées.

Est-il un pays qui vous a spécialement marquée ? Votre exaltant Pérou, relié au grand courant spirituel du monde ! Les poètes qui m’exaltent habitent Lima, Renato Sandoval, Enrique Verástegui, ou bien ils viennent au Festival International de Poésie, Maria Lucia dal Farra, Ledô Ivo, Oscar Hahn, Juan

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Carlos Mestre, entre autres... Au point que je résiste à l’envie de m’installer à Lima. Là, je ne serais pas harcelée, comme en France. Votre pays recèle les secrets divins. Ses monuments, ses églises, sa peinture suscitent un état d’intériorité. J’ai sérieusement pensé à sauver une maison en ruine, avenue Arequipa, près de la pyramide. Émigrer en 2013 n’a pas le même sens qu’en 1980. La ville où je suis née subit de tragiques métamorphoses. La mort y rôde. Sa beauté vole en éclats. J’en fais les frais, et cela me mortifie. Je ne suis pas seule à détester vivre en France en 2013, à cause de gouvernants cyniques et corrompus. Hélas ! « partir » c’est voler en morceaux.

Dédicace durant le FIPLIMA

(Festival international de poésie de Lima)

Paola Gonzales et Rosario Valdivia, « Entretien avec Camille Aubaude : Mythes et obsessions », Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : Lettre n° 3 [En ligne], mis en ligne le 22 septembre 2013.

Url.http://www.pandesmuses.fr/article-entretien-avec-camille-aubaude-mythes-et-obsessions-120205093.html/Url.http://0z.fr/ZD3jI

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Conversation entre Camille Aubaude et Théo Stok

(Salon du Livre de Bruxelles, 6 février 2014)

On connaît trop le silence imposé aux victimes de viol. Comment peuvent-elles parler dans une société qui continue d’ignorer la nature féminine en faisant du viol une norme ?

Ce ne sont pas des histoires que l’on raconte pour se faire reconnaître, ou divertir, ou par revanche. Le pouvoir du père met en avant les plaintes imaginaires, qui ne sont pas notre propos. C’est le fond de vérité dans l’existence des femmes abusées sexuellement qui retient notre attention, à la façon d’une victime d’erreur judiciaire qui clame son innocence, et non la duplicité.

Jyoti Singh Pandey et Darryl Farrow sont devenues emblématiques de cette sexualité noire, celle du fermier qui couche avec sa fille et du soldat qui viole la paysanne. Il y a eu un slogan « ras le viol » dans les années 1970, bien vite enterré. La poésie est le meilleur moyen d’expression pour débâillonner les femmes violées.

Camille Aubaude, la Belle d’Amboise, poétesse à la Maison des Pages, dénonce les aspects absurdes de la violence contre les femmes et nous dit la mission de sa poésie : se défaire de la peur.

Camille Aubaude est l’un des poètes contemporains majeurs. Autant par sa poésie et ses essais sur la déesse Isis et les écrivaines, que par son action en faveur des faibles et des exclus, Camille Aubaude s’est donné la peine d’œuvrer à la désaliénation des femmes dans l’art. La poétesse qu’elle est avant tout, qui fait coexister rêve et réalité, se confie à son ami hollandais Théo Stok pour découvrir sa foi en la «quintessence de la parole».

-­‐ Pourquoi pense-t-on à La Maison des Pages pour vous présenter ? Vous en avez fait un de vos « songes » et un livre plusieurs fois édité. A la fin des années 90, vos essais ont connu un grand succès parmi les lettrés, et vos recueils de poésie sont remarquablement diffusés. On a pu parler de « chef d’œuvre de la littérature féminine » pour vos Poèmes d’Amboise. Il y a aussi vos voyages, d’abord pour votre enseignement, puis pour les mouvements planétaires de poètes qui s’unissent pour la paix. Mais vous, comment vous définissez-vous ? -­‐ En 1993, en Jordanie, à Amman, mon ami Noël Favrelière, dont l’histoire de désertion a donné le film Avoir vingt ans dans les Aurès, m’a demandé de me présenter pour le Centre culturel français qu’il dirigeait alors. Je publiais Lire les femmes de lettres, j’avais

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terminé mon essai sur le Mythe d’Isis, et mes recueils de poèmes intitulés Isis, mais j’ai répondu que ma biographie n’était pas « écrite », que ma vie était devant moi. A partir du moment où l’on écrit, c’est la magie de l’œuvre qui compte, une splendide féérie qui nous libère. Est-ce que les livres nous apprennent qui nous sommes ? Dans la partition des présences qu’une œuvre poétique sait élaborer, on voit bien que cela appartient à tous. L’œuvre circule, se multiplie, c’est une parole qui se métamorphose, en dehors des livres survalorisés de la culture française. La connaissance de soi est aussi malaisée que celle de son pays. Les variations de l’espace, du temps, agissent jusqu’à la fin. Le regard que nous portons sur nous-même est relatif aux circonstances, aussi fluctuant qu’elles peuvent l’être. Considérez les notices auteur de mes premiers essais : la précision des informations finit par paraître absurde. Bien qu’elles situent certaines expériences dans la société, elles ne retracent pas le chemin parcouru. Par exemple, mon expérience de professeur d’université en Jordanie ne peut illustrer l’événement que fut mon renvoi par l’Ambassade de France pour « fragilité psychologique ». La décision fut validée par le ministre des Affaires étrangères de l’époque. J’écrivais des poèmes, donc il était normal que je paye pour mon compagnon, comme les femmes en Inde immolées sur les bûchers près de leur mari. Sauf qu’il n’y avait pas cadavre, seulement des hommes dérangés par une femme libre, et qui en plus écrit. Merci au patriarcat ! Pour réparer cette injustice, le Centre culturel français de Damas m’a organisé une table ronde sur mon premier essai publié, sur les femmes auteurs, arbitrairement rejetées de notre histoire littéraire. Quand je vous raconte cet événement, je ne rends pas compte des faits réels ni des émotions invisibles qui les sous-tendent. Ainsi la Paria, écrit en 2012, révèle ces réalités qui nous coudoient sans arrêt. Au fond, ce qui m’appartient en propre, ce sont les poèmes que je publie, sortes d’épiphanies où il y a autant de bifurcations que de lignes qui convergent. Ils représentent l’altérité. -­‐ Vous avez grandi à Paris, dans les années 1960, en fréquentant un lycée près de la Manufacture des Gobelins. -­‐ J’ai passé mon enfance à Gentilly, un désert où l’on retrouve pourtant les traces de Blanche de Castille, Juliette Drouet et Victor Hugo. Cette expérience fut longue, un vrai tunnel, j’étais quasiment inconsciente et me désintéressais de ce qui se passait autour de moi. Je dessinais beaucoup, et j’écrivais sans cesse. Je lisais la nuit à la lampe de poche. J’avais le sentiment d’appartenir à un autre pays. Ne sachant pas lequel, je me suis immergée dans l’étude de l’Égypte ancienne. J’ai lu tout ce qui me tombait sous la main sur les civilisations disparues. Les vacances à Amboise et à Dieppe, des « terres saines » ont sans doute créé un univers spécifique de ma poésie. Elles m’ont fait voir que les actes de l’enfance avaient toujours quelque chose d’unique. Ce sont eux qui justifient mes décisions d’adulte, et qui adhèrent au système de pensée que j’ai constitué non pas « à la manière de » mais par une mystique qui transgresse les normes. -­‐ Vous avez écrit que « le vrai drame des femmes est d’accumuler affronts et humiliations », et qu’il faut « transmuter l’obscur passé des femmes en un avenir lumineux ». Alors, par quel moyen ?

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-­‐ Par la poésie (rires) ! Ou par une révision complète des concepts qui ont cours dans les sociétés occidentales où il n’est pas permis de rêver. Voyez la dualité « elle fascine/il pense » ! Un avenir lumineux pour les femmes me semble une île perdue dans un océan. Depuis que nous les femmes, nous écrivons, depuis Sapho, nous avons toujours essayé dans nos textes de comprendre les raisons de notre effacement.

Dans l’espèce de guerre sourde qui se multiplie à l’infini avec les hommes, le domaine littéraire leur appartient : Rabelais, Montaigne, Pascal, qui avait une sœur, Jacqueline, excellente poétesse. Qui cite Marie de Gournay ou Madeleine de Scudéry ? Le féminisme tel que je l’ai connu dans les années 1970 a été la doctrine d’interprétation la plus forte de l’effacement des femmes dans la littérature, lié à notre exclusion de l’espace sacré. Les hommes reprennent chaque fois avantage : on le voit de nos jours avec l’Islam, les maîtresse du Président, ou simplement en écoutant des auteurs en place dans le monde des lettres, celui par exemple qui dresse des listes de citations sur « l’écriture », et ne cite qu’avec beaucoup de pincettes Virginia Woolf, car il faut bien une exception. Ils répudient les femmes qui les attirent et leur répugnent. Que deviennent-elles après avoir été violentées, puis répudiées ? J’ai beau chercher, je ne trouve pas de moyen de sortir de la violence du rapport homme-femme de nos sociétés judéo-chrétiennes. La parole n’est pas une arme féminine au pays de Voltaire, où l’esprit des femmes, jadis, a donné la préciosité puis les bas-bleus, sans parler de l’expression péjorative « femmes de lettres », à laquelle j’ai voulu redonner ses lettres de noblesse. Les éditions Gallimard l’ont reprise pour publier des textes de femmes, dont Renée Vivien, sans référence à mes livres, l’ingratitude faisant partie des stratégies pour anéantir les créatrices. En France, tout sacrement féminin est refusé. L’entrée au Panthéon d’Olympe de Gouges est remplacée in extremis par celle de résistants. Quelle femme méritait le plus d’être la première au Panthéon des Grands Hommes de la Nation républicaine que celle qui a écrit « La déclaration des droits de la femme » et fut guillotinée ? Je ne parle pas d’un climat anti-femme, mais de la mise au tombeau de ce qui représente les qualités de la femme. La déesse Isis a fait l’objet d’un culte universel. Qui la garde en mémoire ? La révolution n’est pas un moyen. Je ne connais rien de plus horrifiant que les massacres des révolutions, si vaines, puisque l’oppression change de camp. Je ne prétends pas la poésie est un moyen, alors qu’on sait à quel point ce type d’équation est usuel. Il faudrait y mettre fin. Il n’y a pas de moyen, il y a l’espérance. Une réalité imaginale qui s’étend, inexorable, et peut bouleverser notre vie. -­‐ Au Café de Flore, lors d’un festival de poésie pour la paix, vous avez votre place, par abnégation ou générosité. Vous avez donné la parole aux poètes venus vous écouter, en leur disant : « Ayez du cœur et n’abandonnez jamais ! » Est-ce votre démarche ? -­‐ Il y a un visage qui nous attend. On le voit en songes. Nous sommes enflés par le spectacle de nos songes, toujours imprévisibles. Vous parliez de connaissance de soi. Les autres nous renvoient à notre identité. Épuisés, écorchés vifs, c’est à nous de redresser notre identité vers l’intensité du ciel, sans ironie, sans fausse note. Être une femme ne doit pas signifier un enfermement, tel que cela se passe ces temps-ci dans les débats sur la famille, alors que les énergies, doivent être mobilisées pour ne plus croître et multiplier, et cesser transformer la terre en poubelle. L’Unité, l’absence de division, se laisser aller à la fécondité demandent une « conscience témoin ». Mon « être de femme » s’enracine dans l’histoire des femmes qui m’empêche de me replier en moi-même. Hatchepsout que

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l’on s’est acharné à effacer, Sapho, Pizan, Vivien, il y a tant d’éclats ténus, et tant d’angoisse dans ces vies de femmes abimées, parce qu’elles ont du enterrer leurs désirs. À présent, nous ne sommes pas sourds aux pensées élevées exprimées dans ces œuvres. S’il y avait une identité féminine clairement acceptée, le passage entre les femmes de toutes les cultures n’aurait aucune connivence avec la destruction mais le visage de l’antique déesse Isis, figure du Bien sans cesse renaissant. -­‐ Et la poésie ? Un mot clef, un mot valise, un mot fenêtre ? -­‐ Le livre acquiert de l’importance par des stratégies d’apparition. Qui peut juger sa qualité de chef d’œuvre? Personne ne peut prévoir l’avenir. C’est lorsque jouent des choses animées par le souffle de nos fantômes que la poésie se révèle et que le livre se met à exister. C’est ainsi que je vois ces choses-là.

Dans un de mes « Dialogues de poésie », l’artiste conceptuel Alberto Sorbelli dit que « les gens n’ont que la violence à donner, donc c’est une chance de rencontrer quelqu’un qui la suscite ». La poésie est visuelle. Elle est le souffle qui unit la lumière aux ténèbres. Elle n’exige pas d’explication, ce serait trop long, mais l’acceptation de notre condition. N’est pas poète qui veut ! La poésie du dimanche s’enfle de semaines éreintantes. Celui qui n’a pas conscience de ses limites devient grotesque et promis à l’aigreur. Qui a l’esprit brouillon ne peut percevoir le naturel de la poésie, imprévisible mais pas chaotique. Nous n’en éluciderons pas l’essence. Le paradis n’est pas sur terre, mais c’est déjà utile que savoir que la poésie restaure. Pour moi, elle exorcise les douleurs issues de traumatismes, et je suis dans l’impossibilité radicale de définir son génie. Si on reste dans la peur, on échoue comme un bateau sans mât. Dès que nous levons une armée de fantômes, et lorsque les spectres de nos chers disparus se déchaînent, le poème métamorphose nos ténèbres en lumière.

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ENTRETIEN AVEC CAMILLE AUBAUDE

par PHILIPPE CANTRAINE

dans Chemins de traverse n° 41, décembre 2012

Camille au prénom si romain mais au prénom d’Amazone, Dame d’Amboise, Isis, Fille du Feu, es-tu d’accord avec tout ce qui va suivre et, après tout, ne concerne peut-être que la manière dont je t’ai perçue ? Ta complexité n’est-elle pas là : sinueuse comme la danse de Salomé, ivre de l’ivresse de la Bacchante, mais une ivresse sacrée et érotisée par ce « danseur de ton âme » qui te tue s’il t’abandonne ? Je te remercie de citer ce rondeau de La Sphynge (L’Ours blanc, 2009), le quinzième poème de la série « Ce n’est jamais assez d’aimer. »

« Cruauté et sagesse, c’est pareil », c’est vrai que chaque vers, chaque pensée, saisit une réalité intérieure plutôt déchirée par les passions, mais qui tend à l’harmonie. Il est curieux que tu aies choisi ce rondeau, qui pourrait s’interpréter comme expression du « masochisme féminin » dont il y a tant à dire, à contester, un rondeau que je n’ai jamais interprété, justement, car cela vient tout seul, comme lorsqu’on « plonge dans le ciel », et que l’on doit nager. Il y a aussi dans ce rondeau : « Deviens léger et drôle, toi qui souffres ! »

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Ah ! cette circularité du rondeau. Elle devrait englober la réalité et le sentiment, mais on voit bien que les mots (ou maux) sont rois. C’est ce glissement des mots, avec cet imparable double sens de ce mot en français, qui me plaît. Sinuosité, ivresse, bacchanales dis-tu, ce sont des choses à cacher mais qui si présentes dans mon écriture que je suis touchée que tu les aies perçues et m’en parles d’emblée. La danse de Salomé m’a permis d’exprimer, dans Pétra, la manière dont nous sommes prisonniers des perceptions. Je cherche à m’en libérer en y revenant sans cesse, jusqu’à être figée dans la pierre, la pierre de Pétra, la ville tombeau des Nabatéens, si impressionnante, si belle, aux couleurs de chair.

À propos du « danseur de mon âme », un éveil de l’amour, n’oublie pas « le sourire » qui rachète tout. J’en ai parlé dans mes études sur Nerval : oublier la douleur et saisir l’inconnaissable par un sourire.

« Une pensée de toi me fait sourire Et me tue quand tu t’en vas. » […]

C’est amusant que tu aies compris : « Il te tue s’il t’abandonne », alors que c’est « l’esprit » qui « tue ». L’esprit capte ce qu’il veut, en voilà un parfait exemple. Un seul poème et tout est possible. On peut gloser à l’infini. Il y a « partir » dans ce poème, et il y a « merveille », mot repris par Jean Chalon, le biographe des femmes d’exception qui se compte « parmi les dévots de La Sphynge. « Merveille » aurait dit Louise de Vilmorin. »

Est-ce vraiment complexe ? Je dirais que c’est la force de l’esprit, ses élévations, ses aspirations, ses « danses » pour englober la réalité, qui comptent. Bien entendu, quand l’esprit est pur ! D’où la quête des mythes féminins, très affirmée dans mon œuvre.

Mythes personnels, métaphores obsédantes se recouvrent, s’enlacent. Dans tout cela, je vois ton Daïmon qui te travaille le corps et la conscience. La Fille du feu, elle-même poétesse, a ravi son démon à son poète…

Tu vois clair ! Lou Bruder, un immense poète, un daïmon au sens socratique, à la fin des années 1990, m’a encouragée à continuer l’exploration de cette « forêt obscure », sylva osbcura. « C’est là que ça se passe », m’écrivait-il. C’est là que j’existe, essayant, comme toi, comme William Cliff, de ne pas être dénaturée. Le rôle de L’Ours blanc, en tant qu’association qui publie, est plus essentiel que celui des plateaux télé, que j’ai dû pratiquer pour mes essais et le récit de La Maison des Pages. Il faut aider les poètes qui s’investissent dans leur art, au lieu de s’engraisser à leurs dépends, comme le font malheureusement nombre d’éditions et d’institutions.

Étudier l’œuvre nervalienne n’est pas rien. Je m’en suis rendue compte par les jugements, après coup. « Camille est nervalienne », « J’aime une nervalienne », cela avait du sens. La Poésie est une façon de résister à la pression doctrinaire et à la violence. Comme pour la Maison des Pages, maison hantée, maison de papier, demeure mystique, tout est venu après coup. C’est bizarre de voir comment tout s’enlace, correspond, flamboie, s’unifie, comme un

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feu follet qui court sans connaître la fixité. Une chose est sûre : la fusion est impossible, et le paradis, hors d’atteinte.

J’ai ravi à Gérard de Nerval ses inclinations mystiques à travers les figures féminines, bien que ma mère soit l’inverse de cette mère qui lui a tant manqué, et dont l’absence l’a rendu fou de douleur. Avant Nerval, il y a eu Artaud, Gide, Bataille, Anaïs Nin, Jean Genet, Virginia Woolf, des actions d’âmes aussi travaillées par leur daïmon. Ces auteurs ont créé des mondes complexes et vibrant de sensualité, auxquels je me vouais car je m’y retrouvais. Mon enfance a baigné dans les légendes celtiques, « l’âme poétique la plus pure », comme l’a admirablement démontré le grand Renan. Si l’Égypte a éclairé ma jeunesse, que j’ai consacrée à l’étude approfondie du mythe d’Isis, qui fut ma maïeutique, le catalyseur de ma création poétique à l’âge adulte fut Christine de Pizan. Lorsque je l’ai redécouverte, adaptée et publiée en français de la fin du deuxième millénaire, cela grâce à deux hommes de ma vie, et à une éminente médiéviste qui m’a aidée pour m’assurer de la traduction, j’ai utilisé des formes régulières rimées. J’ai réécris mes poèmes d’adolescence en me rendant compte, bien plus tard, quelle forme fixe les sous-tendait, comme un anagramme.

Ces formes m’ont aidée à sortir des angoisses vampiriques. Je ne suis pas une artiste qui tue ceux qui l’approchent, mais qui les porte au-delà d’eux-mêmes. J’ai horreur des prédateurs, hélas légions dans le monde poético-nombriliste contemporain, et comptant pour rien. Ce recours assez tardif aux formes que l’on dit aujourd’hui « fixes », mais qui ne l’ont jamais vraiment été, comme les lais, les ballades, les sympathiques rondeaux, endigue les énergies les plus aiguës. Ce sont vraiment des digues, qui ne limitent pas la conscience de la réalité mais la guident, la canalisent. Si c’est réussi, ce qui reste rare, fini le tragique de l’indicible ! On peut tout dire. C’est un bouillonnement, mais qui ne déborde pas, car le débordement est un peu obscène : vois ce que cela donne dans une cuisine. L’intelligence de ces formes poétiques de la langue française est telle qu’elles résistent au mieux à l’usure du temps, quand le démon s’est tu et que le souvenir de l’artiste lui-même (elle-même) s’estompe.

Avec ce mythe littéraire d’Isis qui t’appartient, que reconnais-tu comme étant ta dette personnelle à ce Nerval que tu as étudié ?

Son humanité, qui se manifeste par cette formidable initiation aux mystères d’Isis et d’Osiris, cette figure immense de la Mère, de la Femme et de la Vie. Je suis heureuse que Claude Pichois, un autre « supporter » adorable et adoré, m’ait promue « créatrice » de ce mythe littéraire, le mythe d’Isis. Venant d’un des plus grands éditeurs de Nerval, de Baudelaire et de Colette, l’adoubement isiaque était des plus subtils. Il a trait au « secret », titre d’un de mes poèmes au temps de mes recherches sur Nerval et Isis. Il relie tant de choses, la quête, l’initiation, mettre fin au morcellement, à l’errance. C’est un des buts de mon Voyage en Orient, qui est, paradoxalement, un des summums de la déroute, puisqu’une immersion dans la réalité.

Le Mythe d’Isis, l’essai que j’ai publié en 1997, après Lire les Femmes de Lettres, bien qu’il ait été écrit avant, est la quintessence de mon œuvre littéraire. Je ne peux en parler du dedans.

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C’est le TEMPLE. Seule la poésie fait passer au-delà. Elle lève la malédiction qui s’abat sur celui qui prétend savoir, qui pérore alors qu’il ne connaît que des truismes et des fadaises. Plus j’avance dans la Vie et la Connaissance, plus je me sens humble et saisie de la présence divine. C’est une autre façon de sortir de l’impasse névrotique, notamment quand l’écriture a écrasé la vie.

Tu as « enseigné le mystère des fées dans la Maison des Pages », as-tu écrit. Mais, tant pis pour l’étrange maison médiévale d’Amboise, il y a aussi des éclairs dans tes œuvres, qui rappellent la Renaissance, l’aspiration à une lumière épurée. J’aime beaucoup ce beau Poème d’Amboise qui s’intitule L’Être maison. Ta douleur y rappelle celle de Christine de Pizan lorsque ta voix atteint au lamento, ce qui est l’expression la plus juste, je pense, de ton lyrisme. N’ambitionnes-tu pas la beauté avant toute chose ?

Tu me fais sourire. Il faut profiter du fait qu’un poète est encore là pour lui poser des questions qui l’immergent dans le monde qu’il s’est construit, des questions qui font sortir du savoir universitaire devenu si abscons, alors qu’il se pensait universel. Il en est toujours ainsi lorsqu’on oublie la pureté.

J’ai la sensation que l’écriture de la poésie transcende les limites de la connaissance, que constitue, chez moi, l’enseignement universitaire. C’est un savoir de seconde main et tourné vers lui-même, dont j’ai pratiqué toutes les formes, en enseignant de la sixième au doctorat, pas longtemps, je te rassure. Je l’ai ardemment défendu, avant d’être rejetée de l’enseignement et de l’université française, alors que celles du Pérou me font un pont d’or, jusqu’à des thèses sur mes poèmes. Elles sont accueillantes et plus belles qu’à Paris. Le détachement de la Sorbonne fut douloureux. Mon fidèle dévouement et mon profond respect de l’enseignement n’ont jamais été récompensés en France. Notre qualité fait notre fragilité, n’est-ce pas ? Je n’avais pas encore conscience du rôle éphémère de ce qui fait notre être, disons ces « fées » que tu invoques, qui accomplissent le miracle d’accorder le monde à nos désirs.

Voilà, c’est fait. Je rends grâce à des proches tels Roger Knobelspiess, Martin de Laforterie et Marie-Hélène Breillat d’avoir ouvert les brèches de cette nouvelle aurore. Briser la langue de bois n’est pas une mince affaire : le « blabla » dit le philosophe allemand Wilfried Euchner, connu au Caire, avec qui je communique en anglais depuis vingt-cinq ans.

Affiner sa vision du monde, être en action directe avec la réalité sans se brûler, c’est un « sevrage », avec encore un double sens de ce mot. C’est le titre d’un livre que j’écris depuis des années sur la fin d’un « servage » : l’enseignement universitaire. Au lieu de libérer et de rendre vertueux, il abolit l’immense potentiel de perception qu’il y a en tout être humain qui l’élève à la beauté.

Le sevrage s’est aussi fait grâce à l’expérience de profundis de cette merveilleuse Maison des Pages, qui préserve ma santé, car à Amboise, il y a une demeure qui s’appelle « Le Sevrage », ou « Le Servage », « la mise à mort du cerf ». C’est une maison où François 1er enfant a failli

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perdre la vie, ce qui eut changé le destin de la France, bien que sa sœur, son aînée, Marguerite de Navarre, ne pût incarner le pouvoir suprême. Elle avait reçu l’enseignement des fées, l’ambroisie, la quintessence de toute connaissance. Je me dis qu’avec ce « sevrage » dont je finirais par trouver la forme, j’en aurais en même temps fini avec la Maison des Pages, la maison athanor, qui donne son nom à une collection de poésie contemporaine prestigieuse. C’est grâce au succès du récit du même nom, une histoire de fantômes en somme, que j’ai approfondi la poésie de la Renaissance. « L’aspiration à une lumière épurée » est l’aspiration au savoir complet du temps de Marguerite de Navarre, l’identité de la Beauté et de la Bonté.

Poétesse élégiaque ! si ce beau tempérament n’était aussi fort, tu sais combien la redoutable déesse de l’Amour, de la Musique, de la Joie, de l’Ivresse, de l’émerveillement de vivre, peut dépasser toute mesure et se délecter des souffrances humaines. Il me semble qu’il arrive souvent que ce lamento se refuse à lui-même, non ? « Isis flétrit la chair de son chant », as-tu écrit.

Je te lis le début de mon « Ode à Isis » :

Sorcière aux joues grandioses, si belle Isis Fille de Gloire et Gaïa inspirant l’Idéal

Je prie ton Nom aux myriades de louanges Je prie ta Majesté d’un ciel sans nuage

de précipiter les dieux orgueilleux en Enfer.

Analyser mes poèmes m’est d’autant plus difficile que je pourrais dériver dans d’innombrables interprétations. Lamento, louange, certes ! À la question précédente, j’aurais pu reprendre ma conférence sur la Maison des Pages, « poésie et connaissance », publiée dans L’Ambroisie. En France, la sensibilité est frappée d’interdit, tandis que le savoir, détaché de l’humain, fait office de puissance créatrice. Nous excellons dans le commentaire, avec hypertrophie de la glose et du ressassement. C’est cela « flétrir la chair du chant », cela entre autres choses. J’essaie de m’en protéger.

Tu désignes la déesse Hathor, Sekhmet, la Lionne, qui est un aspect d’Isis que je présente dans Chant d’ivresse en Égypte, l’histoire tragique de destruction du monde que nous a léguée l’Égypte ancienne, que j’assimile au bain de sang de l’attentat anti-Blancs au temple de la Pharaonne Hatchepsout, la réalité qu’on ne veut pas voir. Les lamentations isiaques ne se séparent pas de l’appel. C’est une quête de l’union. Quand le « lamento se refuse à lui-même », il est juste assez présent pour dire le tragique de l’incarnation. J’ai conscience d’un monde qui se meurt, d’une terre menacée, des attentats sanglants de plus en plus fréquents, même si la classe politique tente de rassurer les gens. Quand va-t-on prendre des mesures

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pour diminuer la disparition des espèces, menacées par la nôtre ? Quand va-t-on réduire la croissance démographique, et la croissance économique ? « Mais la terre, mais la mort…? » est la question des Faces du Fayoum.

Tu es poétesse du voyage. Quel voyage n’est-il pas aussi exil de quelque chose ? Personnellement, je récuse ici la notion de fuite. Le voyage est, à mes yeux, une retrouvaille, et j’y recouvre de mon côté ma part d’enfance sauvegardée tout en y perdant les êtres et les paysages aimés qui m’ont vu grandir.

Ce sont des retrouvailles, des pans de lumière qui, hors mouvement, seraient figés. Nous ne sommes pas comme Ovide, vu par Verlaine « Couché dans l’herbe pâle et froide de l’exil ». La formule de Victor Hugo, que je cite de mémoire : « N’exilons personne, l’exil est impie », occulte l’aspect « retour aux origines », en ne voyant que « le mal du retour », la nostalgie. Au temps de l’écriture de ma thèse, je ne voulais pas perdre le contact avec la réalité. A contrario du postulat de Colette, « les plus beaux voyages sont imaginaires », j’ai pris Nerval comme modèle. Il fallait connaître l’Orient, l’approcher par tous les moyens pour retrouver les formes premières.

L’Histoire d’Io, une étudiante au Caire, rend compte de ce voyage. Ce n’est pas pour rien que ce texte reprend la forme grecque d’Isis, la déesse Io transformée en génisse, forme primitive de la Déesse Mère et, surtout, description de l’état poétique en tant qu’extase, pour les poètes de la Renaissance. Que l’extase soit un exil, on le comprend !

Après l’âge de quarante ans, mon emploi des formes élaborées de la poésie médiévale est un retour aux origines de la poésie française. Puis, les odes saphiques de mon Voyage en Orient et du Messie en liesse, à Psappha, ou Sapho, la figure originaire et tutélaire de la poésie écrite par des femmes. Lors d’un de nos entretiens, enregistré cette année, Patricia Godi constate : « Ces formes donnent à votre poésie un caractère très littéraire, alors que vous pratiquez une écriture de l’errance et du mélange des genres. » C’est en effet un recours doublement original dans la pratique de la poésie aujourd’hui puisque je suis venue aux formes fixes à travers les figures féminines de la Renaissance et de la fin du Moyen Age, tout en construisant une œuvre résolument transfrontalière, surtout depuis 2005, où les pays du Nouveau Monde m’invitent régulièrement pour présenter mon œuvre littéraire. Après l’Algérie, l’Égypte, la Jordanie, et les États-Unis, ces pays qui réservent un accueil fabuleux à ma poésie me font oublier les embûches du pays d’où je viens.

Le questionnement du voyage et sur le voyage, consiste à donner une issue au Mal et à la nostalgie des formes premières, en les récréant pour les retrouver. L’Égypte, la maison-œuvre et la maison-monde, les Missions éducatives en Argentine, les temples solaires des Incas… Plus il s’agit de « retour », plus la force créatrice est transculturelle, comme le rappellent les Faces du Fayoum :

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[…] à la croisée d’une cérémonie d’embaumement en Égypte, d’une beauté grecque accomplissant les serments du vivant,

de monuments romains frôlant l’éternité.

Dans le Voyage en Orient, l’Argentine sert de chambre d’écho à la France, et, sur un mode mineur, à mon rôle d’enseignante dans le Sud algérien, à vingt ans. Par sa forme de « journal-poème-chant et prière», il est encore plus « out of place », selon l’expression d’Edward Saïd pour l’Orient, que ne l’était, en 2002, mon récit sur La Maison des Pages, qui allie Alep, en Syrie, à Amboise, dans une sorte de chronique, de journal de voyage contenant des références très fortes aux lieux et aux modes de vie.

Tu voyages donc beaucoup. Les voyages te sont nécessaires. Ils sont imprimés dans ta voix. Mais manifestement, la voyageuse ne prend pas pour argent comptant ce que la réalité découverte lui propose. Ce que me paraît résumer sans concession ce « Señor touriste » exclu du parler vrai, « aussi importun que ses ordures » et qui « ne devra rien dire » mais s’enfuir, que révèle la lecture de ton Voyage en Orient, un regard sans concession que l’on retrouve dans tes Poèmes satiriques, sur le Pérou et Miami.

Esprit romantique mais pratique, Camille a montré qu’elle sait prendre du champ, se refuser au chant et s’en remettre à ses observations. Au décor, au cadre observé, les images qui naissent peuvent aller jusqu’à refuser alors la grâce de son lyrisme. Quand je te vois dans cet état d’esprit, le genre poétique que tu affectionnes peut être la satire, genre plus contraint que la polémique. Celui-ci porte la marque de la poésie classique et permet, lorsqu’il s’insurge, de fixer l’esprit indigné d’une femme que tes amis savent chaleureuse, juste et sans faux-semblants…

L’intellectuelle, l’humaniste ont-elles, autant que la poétesse en avant de l’action, quelque chose à dire de cette banalisation du voyage contemporain, ce supermarché du mouvement qui prétend proposer des civilisations à leurs acheteurs et ne sait plus que les piétiner, bafouées, de l’empreinte écologique de ces derniers, et les souiller ?

C’est un des rôles de mon le Voyage en Orient : être au cœur du rapport entre la Nature telle qu’elle est aujourd’hui, menacée, polluée, pillée par l’avidité des pires représentants de notre espèce, et la poétesse que je suis au temps présent, un siècle après Renée Vivien et Lucie Delarue Mardrus, cinq siècles après Christine de Pizan, trois mille cinq cent ans après Sapho. Il faut savoir compter, en poésie. En fait, il faut tout savoir. Les bredouillements de l’émotion n’ont jamais fait atteindre la pureté du poème, tout vrai poète le sait. Rigueur et justesse, solitude et empathie, c’est ce qui donne des poèmes purs, en leurs images, en leur langue. N’importe qui n’y arrive pas !

J’ai pris la peine de définir le « métier » de poétesse, ce qui m’a valu injures et sarcasmes, des attitudes qui viennent, hélas, de gens que l’on a obligés. Les invitations dans des « Rencontres internationales de poésie » sont un des effets bénéfiques des recueils publiés. À La Havane, cette année, j’étais la seule française, choisie parmi plus de quatre mille écrivains. Durant la Fête du Livre, j’ai lu La Sphynge, ma traduction française d’Evasiones de mon amie

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dominicaine Shérézada Vicioso, et les Chemins de traverse sont présents à la Maison des Amériques de La Havane, ainsi qu’à Buenos Aires et à Lima, une ville de poètes.

Dans ces voyages, on change de réalité. Il n’est pas question de passer par le tourisme voyeur et destructeur, comme je le montre dans le Voyage en Orient. Il y a eu Israël où des poètes arabe et juif ayant perdu chacun un fils à la guerre disaient : « Celui qui parle de poésie est mon ami », alors que des Français doctrinaires vous clouent au pilori si vous participez aux festivals de poésie israéliens. Il y a eu le Mexique, Mexico, Oaxaca où j’ai rencontré ma traductrice péruvienne Rosario Valdivia, puis les lectures fantastiques avec cette grande poétesse, journaliste et dramaturge de Saint Domingue, Shérézada Vicioso, dans la Casa Fuerte d’Adéla Fernandez, lors de la Fête des Morts.

Lorsque l’on m’a confié l’invitation des poétesses françaises pour un festival mexicain, ce fut le clash obligé, les rapports entre poètes étant à l’image de la violence du monde, là où l’on s’attendrait au respect de l’autre. L’ami qui a organisé le premier festival international de poésie à Lima (FIPLIMA), d’un très haut niveau, Renato Sandoval, en a aussi fait les frais. C’est une loi du genre, comme de s’en prendre aux femmes d’esprit, que j’aime appeler « femmes de tête ». Au FIPLIMA, j’ai sympathisé avec Javier Campos qui a écrit un poème très fort sur le supermarché américain, dans la lignée de la Beat Generation. Je l’ai dit, je suis opposée « aux sirènes de la consommation », comme l’a écrit dans cette revue Bernard Giusti. Je vis très bien sans électricité dans une chapelle en ruines. J’ai vécu dans un grand dénuement au Sahara et dans le désert entre Tibériade et la Mer Morte, et même à Paris. La démarche de Vivian O’Shaughnessy, qui fabrique à New York des livres de papiers pliés, me convient, parce qu’humaine, de même que la démarche de Pierre Alain Hortal pour le Salon de Poésie de Vendôme, pour qui la poésie doit apporter des instants de bonheur, et celle de Bérangère Thomas autour de la maison de Paul Verlaine, à Metz.

Sans simplification abusive, c’est dans les pays dits « développés » que le manque d’être est pathétique. À l’heure où la crise planétaire fait rage, où l’inquiétude ravage les pays d’Europe, rongés à leur tour par la gangrène de la corruption, les rencontres entre poètes sont vitales. La gangrène, on en meurt, et la classe politique l’ignore. Le poète doit ignorer la classe politique, capable de le broyer.

L’époque nous interpelle. Il y a donc eu l’Égypte, que tu connais fort bien, qui a la vertu de consoler chez toi les maux, et dont tu as fait un royaume personnel et pourtant douloureux…

… l’Égypte désormais enfouie, à laquelle se substitue le Pérou, comme si l’éternité des formes et des récits que nous a transmis l’Égypte ancienne revenait dans la culture Inca, encore réelle au-delà du génocide. Patricia Godi a parlé d’« univers » pour chacun de mes poèmes « satiriques » sur Lima et les Incas, Marie-Ange Bartholomot-Bessou de « Mémoire et terres poétiques », le titre de son étude pour les Regards sur la poésie du XXè siècle sous la direction de Laurent Fels, et Patricia Izquierdo de « Ballades entre Orient et désir ». « Mémoire », « terre », « Orient », « désir » et « univers » de la réalité intérieure, ballades et

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rondeaux de la réalité rêvée, réfléchissent — de temps à autre, par éclats — le royaume céleste.

J’ai évoqué les « embûches » dans le pays où j’aurais désiré m’épanouir, mais où j’ai subi un viol par des flics, où j’ai été arrêtée, molestée et humiliée suite à une fausse accusation de « racisme » portée par un cinéaste d’origine camerounaise qui m’a agressée, volé de l’argent et mon lieu d’écriture, dans une France qui a fait saisir mes poèmes lorsque j’étais lectrice en Jordanie, en mettant mes tapuscrits dans un dossier où était écrit : « fragilité psychologique », puis m’a interdit d’enseigner. Ici, l’on prône « la liberté d’expression », ici les femmes immolées aux instincts brutaux des violeurs sont stigmatisées « fouteuses de merde. » L’inversion ! et mon aversion pour les violences faites aux femmes. Tu vois, l’exil…

Quand la voix s’élève alors que le déluge est passé, elle n’est pas utile, a écrit Céline. C’est bien de lui, et ça invalide la mémoire de la Shoah. Il faut trouver une attitude pour vivre avec la réalité hideuse, contempler le ravage, c’est ainsi, mais quand la voix surgit, pathétique, jaillissante, étrangère aussi, comme après le viol, c’est parce que la vie qui a été détruite est irréductible. Il faut parler et il faut vivre en dépit des viols, des vols, des injustices et des séparations.

C’est encore après coup que j’ai appris qu’il y avait un « romantisme inca », un « calendrier » devenu aussi à la mode que L’Ours blanc, et des séjours « chamaniques » au Pérou. Un de mes traducteurs américains m’a avoué rêver d’aller voir le Machu Pichu. J’ai appris aussi que des gens mourraient dans le train les menant à la cité perdue des Incas. Voilà les liens brutaux, contemporains, avec l’Égypte, une terre maintenant en proie aux révolutions, qui mettent au pouvoir les plus extrémistes.

Ne nous lamentons pas sur notre époque, les barbus, les femmes voilées et violées, l’islamisation forcée, la guerre civile rampante, le double discours de la bien pensance ! Le message vivant, qui m’intéresse pour ne pas stagner dans une France où souffle un vent mauvais, ce sont les rencontres entre poètes de pays autrefois différents, et qui luttent contre l’uniformité du goût « supermarché » et du style « un ordinateur pour tous. »

C’est une poétesse, dramaturge et cinéaste égyptienne, née à Minieh, une femme que j’estime, Safaa Fathy, amie de Jacques Derrida, qui, à la mort de ce dernier, m’a fait découvrir le Nouveau Monde, où elle est partie vivre, tellement lasse de Paris. Les autres poètes de ce beau monde si abimé, et les poètes francophones qui, comme toi, font leur miel de L’Ours blanc, m’ont rappelé que la poésie que l’on écrit n’a de sens qu’en relation avec celle du passé. Il faut du recul pour voir. « Les Dialogues de poésie » que j’ai menés à la radio, puis continués à la librairie Wallonie-Bruxelles à Paris et, d’une autre façon, lorsque je fus la présidente de l’Académie littéraire de France et d’Outre-Mer au Sénat, ont servi à prendre du recul. Cette position, qui peut paraître conservatrice, ouvre en fait à l’Autre, à l’instar de la Maison des Pages, gardienne de la relation avec le monde.

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Les barrières, derrière lesquelles l’homme s’abrite de la présence d’autrui, voire se construit contre l’autre, sont une bien mauvaise chose, une réalité arbitraire sous le couvert de l’identité… Que, outre frontières, ou à sa périphérie, la langue rencontre des variantes de ce qu’elle-même exprime ne déroge pas à ce que j’affirme. Soyons des passeurs de frontières.

La pratique du voyage et des échanges a pour heureuse conséquence de mener sur le chemin où la langue rencontre d’autres langues. Cette richesse-là t’est échue également. Je te souhaite traduite autant que traductrice. Que me réponds-tu ?

J’appelle « les amis du dehors » tous les poètes qui m’ont traduite et que j’ai traduits, en majorité des femmes. Frontières des langues, frontières des genres aussi. L’ailleurs, l’Autre, forgent notre être véritable. En même temps, il faut fixer la langue, c’est la fonction des grammairiens, même si la langue doit se dissiper. Vinca Daadoun, la subtile lectrice de mon Voyage en Orient, l’a constaté : « J’aime dans ce texte sa mouvance ». Cette langue dissipée est celle des créateurs, et les femmes ont leur mot à dire, parce que nous sommes traversées par quelque chose qui nous ancre vraiment dans la réalité. Changer de langue, c’est changer la tonalité de notre existence. C’est un miracle, une illumination, car la distance intime que l’on a tous, change. C’est aussi une sorte de voyage, en d’autres mondes linguistiques.

Grâce à une poétesse japonaise, que j’ai traduite et publiée dans « la Maison des Pages », Satoko Tamura, grande amie de Gabriel Garcia Marquez et spécialiste de Gabriela Mistral, une sorte de généalogie féminine universelle a pu se constituer. Encore une démarche quasiment militante, quand on trouve si peu de figures de référence de la poésie française qui soient des femmes. J’ai montré dans Lire les femmes de lettres que notre histoire littéraire est bien souvent remaniée. J’aimerais écrire sur Jacqueline Pascal, la sœur du philosophe, excellente poétesse qui n’a jamais été encouragée. L’identité féminine devrait devenir le véritable enjeu de ce siècle où s’annonce un désastre écologique qui s’agrège au mépris des femmes inhérent aux monothéismes.

J’ai, sans peine aucune, rendu hommage à la poétesse femme. Mais comment interprètes-tu une écriture qui soit féminine ?

Tu le sais, tout est « en crise » de nos jours. La crise et l’absence de clôture paraissent préférables à l’enfermement dans des définitions, qui ne nous laissent pas plus en paix. Qu’est-ce que l’anima-l’animus, nature et culture ? Il y a deux postulations d’être féminine et masculine que chaque écrivain réinvente selon son style. Il y a l’écriture et des femmes qui écrivent. Les femmes ont toujours écrit, mais on ne les voit pas. À de rares exceptions, nous n’avons pas conscience de jouer là notre éternité. Le « poète » fait partie de « l’universel masculin » et la « muse » est affirmée par cette culture masculine dominante. Les institutions poétiques et d’éducation ne nous donnent pas d’autre visibilité que celles du corps, dont en même temps on nous prive, et, accessoirement, la visibilité des ghettos féministes ou de « littérature féminine. » Plus intéressante est l’invention d’un nouveau genre, « écriture féminine » ou « création au féminin », qui inclut les œuvres de femmes, voire d’hommes à forte part féminine, visant à établir une identité féminine.

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Je suis heureuse que mes amies poétesses d’Égypte, de Jérusalem, de Saint Domingue, de Lima, de New York, de Tokyo et d’autres points du globe considèrent « androgynes » mes poèmes amboisiens, jugés par ma traductrice péruvienne comme un « chef d’œuvre de la poésie féminine ». La Maison des Pages, poèmes et maison, ont cette visée féminine. J’ai créé la notion de « transpoésie ». Mes textes en prose ne se départissent pas de la temporalité du « journal ». Je questionne sans cesse les genres et les catégories du discours dans l’espoir de retrouver une intégrité de femme.

Au Pérou, où le livre en espagnol a beaucoup de succès, un guitariste inspiré et baroque a mis en musique « Lorelei », mes « Poèmes simples » et mes quatrains sur le Monde unique, en penchant vers l’androgyne. J’ai été très sensible à cette expérience, vécue aussi à Paris et Vendôme avec le chanteur Guillaume R. Le chanteur Pierre Meige a enregistré plusieurs poèmes. La harpiste Lucie Morice les a aussi accompagnés plusieurs fois. La comédienne Delphine André les lit avec grâce dans le film de Jérémy Véron, les Poèmes d’Amboise, au Cercle Anna de Noailles, et dans Un soir à la Vénus noire, de Galya Milovskaya, avec la chanteuse Sylvia Cogan. Des expériences aussi riches reconstruisent, et font avancer dans la quête d’identité.

Des universitaires américains, péruviens et français considèrent que cette poésie ouverte sur le monde, due à ma position transculturelle, est peu représentée dans la poésie contemporaine, comme toute « création au féminin ». Patricia Godi, autrice d’un essai magistral sur Sylvia Plath l’a souligné : « Vous faites exister le monde, l’histoire, ce qui est peu répandu dans la poésie française contemporaine, alors que la poésie engagée a disparu du champ poétique en France, de nos jours. J’ai beaucoup d’intérêt à lire ces poèmes, ces odes, à passer dans cette série de sept odes d’une ode à l’une à l’autre. J’ai l’impression que s’ouvre un horizon, l’horizon de vos voyages à travers l’Amérique latine en particulier. »

C’est assez extraordinaire d’avoir la capacité de restituer un rapport féminin avec le monde dans la poésie ! Malgré les tiraillements d’une activité qui ne rapporte pas que des amis, cette sorte de famille féminine, poétique et universelle, imprègne mon écriture. Je l’ai étayée par des généalogies, mais cela s’est fait d’une manière ouverte, intelligente, stimulante et aimante. C’est mon Égypte céleste, la ville et le royaume retrouvé après des années d’exil et de souffrance, de quête d’Isis. Un corps féminin inscrit dans un corpus sans fin est une des caractéristiques de ce genre que l’on appelle à présent « écriture féminine », issue du long combat d’émancipation des femmes. Tout ce qui est passionné est passionnant. Singulier et hors limites !

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Conversation entre

Patricia GODI & Camille AUBAUDE

à l’Université de Clermont-Ferrand

Centre de Recherche sur les Littératures et la Sociopoétique (CELIS) 2012

Ode à Isis

© Camille Aubaude, Le Messie en liesse, L’Ours blanc éd., 2012

Sorcière aux joues grandioses, si belle Isis

Fille de Gaïa inspirant l’Idéal

Je prie ton Nom aux myriades de louanges

Je prie ta Majesté d’un ciel sans nuage

de précipiter les dieux orgueilleux

en Enfer.

Je prie pour ta Maison imprégnée de fleurs

qui résonne de trilles d’oiseaux en parade

quand l’aube l’illumine de présence divine.

Je prie sans rompre ton secret ni régner

sur ton cœur haty dont le sang est versé

en moi-même.

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Écoute ! Égypte le chant de mon âme.

Nourris les peuples infidèles des villes,

les mémoires de nos pays que parcourent

les Adoratrices de leurs voix sonores :

elles dansent le paradis intérieur du lieu

de ta Naissance.

Je prie la Navigatrice aux yeux sombres

la Lorelei née de la double Couronne,

sa chevelure noire, le serpent dressé

sur son front, ô fulgurance de la Croix

ansée ! pour qu’elle accueillir enfin

le flux des corps.

Je prie ton Verbe fécondant les rives du Nil

ouvertes au son lunaire du sistre vert

de venir régner en sa parure de lin et d’or

sur les souffrances aux vaines richesses

des bannies de liesse !

Ô Femme de Feu, réponds, sois avec moi !

Viens au pays où gisent les assoiffées

sous leur armure et sous leur masque,

affronte les vaisseaux hypocrites des hommes

raidis par l’assaut de l’ultime tentation

la Mort.

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Patricia GODI — Dès les premiers essais que vous avez publiés dans les années 1990, Lire les femmes de lettres, Le Mythe d’Isis, et Le Voyage en Égypte de Gérard de Nerval, se dessine une érudition littéraire qui se confirme à la lecture de votre poésie, où l’emploi de formes héritées du Moyen Âge — ballades, lais et rondeaux —, crée une tension avec le contenu ouvert sur le monde contemporain. Ces formes élaborées renvoient aux origines de la poésie française. Elles donnent à votre poésie un caractère très littéraire, alors que vous pratiquez une écriture de l’errance et du mélange des genres. Comme vous le dites, « le partage du sensible » qui est l’objet de votre quête se nomme « poésie ». Au départ, la matrice de votre écriture poétique était l’Égypte. C’est une poésie résolument transculturelle, transfrontalière, que vous avez publiée dans des revues. Après 2005, les références au Nouveau Monde, où vous êtes régulièrement invitée pour présenter votre œuvre, se manifestent. Elles révèlent un regard sans concession sur les enfermements de l’Europe et des États-Unis, notamment dans le recueil intitulé Poèmes satiriques, où vous associez votre poème les « Alexandrins » à des poèmes en strophes carrées sur les Incas et sur Miami. Puis vient votre Voyage en Orient, où l’Argentine sert de chambre d’écho à votre propre pays et, sur un mode mineur, à votre rôle d’enseignante dans le Sud algérien, à vingt ans. Des odes saphiques et des sonnets s’insèrent dans ce « journal-poème-chant et prière», un Voyage en Orientencore plus « out of place », selon l’expression d’Edward Saïd pour l’Orient, que ne l’était déjà votre récit sur La Maison des Pages. Pour commencer, je souhaiterais que vous nous éclairiez sur votre référence très forte à la tradition de la poésie française, à une époque où, depuis Mallarmé, le poète que vous avez choisi pour votre maîtrise de littérature, dominent le rejet des formes fixes et l’usage du vers libre. Camille AUBAUDE – Dans les Poèmes d’Amboise (Maison des Pages, 2007), que l’on retrouve dans La Sphynge (L’Ours blanc, 2009), j’emploie des formes régulières rimées. Au début, j’écrivais en vers libres, comme en témoigne le recueil Lacunaire, antérieur à l’année scolaire 1980-81 que j’ai passée, à vingt ans, dans le sud de l’Algérie, d’où j’ai effectué mon premier séjour au Caire. Ce recueil a été repris pour les sept volumes d’Isis, publiés à Vendôme, après la soutenance de ma thèse sur Isis, puis dans Anankê. Ce sont d’anciennes moutures de textes sans cesse en évolution. Je réécris ces poèmes d’adolescence en me rendant compte, des années plus tard, quelle forme fixe les sous-tend, comme un anagramme. Dans mon premier essai publié, Lire les Femmes de lettres (Dunod, 1993), j’essaie d’établir la généalogie des femmes auteurs, pour mettre en lumière une continuité, plutôt sociologique que thématique, dans le fait d’être femme et d’écrire. Mon travail de thèse, antérieur aux Femmes de lettres, a consisté à recoller les morceaux d’un mythe fondateur, le mythe d’Isis, une figure égyptienne myriomorphe, mot que j’ai créé, à partir de la myrionymie isiaque, pour ma poésie. Isis est un principe unificateur. En poésie, le recours à des formes originelles relève de ce principe unificateur, synonyme de mort, de fixité, s’il ne traverse pas les frontières. Je repense aux travaux de Pascale Auraix Jonchière établissant Isis comme le principe de l’écriture poétique qui ouvre sur la mise en forme, parce qu’il y a une telle

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matière à partager ! Il y a les émotions, la richesse de la sensibilité poétique, qui doit être endiguée par des formes fixes. Si c’est bien fait et réussi, ce qui n’est pas toujours le cas, on peut tout dire. C’est la grande question dans la poésie française d’aujourd’hui, recourir ou non à des formes fixes, dont on annonce le retour. En ce qui me concerne, ce sont des phases d’apprentissage. Certains pensent que la seule poésie qui va rester et être reconnue universellement est celle des formes fixes. On peut le penser. Cela m’a surtout permis de sortir de l’oubli, et de pratiquer, un peu comme un exercice mental, des formes qu’on dit aujourd’hui « fixes », mais qui ne l’ont jamais vraiment été, comme les lais, que j’aimerais mener à bien. Ce recours à des formes presque « cachées » interroge les formes de narration dont nous disposons. Ce sont des livres que l’on a oubliés, où s’exprime une intense poésie, qu’il paraît utile de se réapproprier, bien que je sois convaincue que ce n’est pas possible. Patricia GODI — Ce recours est doublement original puisque vous venez à la forme fixe tout particulièrement à travers les figures féminines de la Renaissance et de la fin du Moyen Âge. Camille AUBAUDE — À travers les arétalogies d’Isis. En écrivant Les Femmes de lettres, j’ai pu approfondir ma connaissance de l’œuvre poétique de Christine de Pizan, dont j’ai donné, en 2003, quelques poèmes, une centaine de pages, adaptés en français du XXè siècle, non pas une « traduction » mais un « guide de lecture », en prenant soin de mettre dans cette petite édition la totalité des formes poétiques médiévales, lais, virelais, ballades et rondeaux, pour montrer la diversité de ces formes antérieures au sonnet. Cela constituait une bonne action, car tout avait fini englouti comme des rêves passés. Christine de Pizan est pour ces formes-là mon principal modèle. Elle s’était distinguée en son temps en ressuscitant l’ensemble des formes poétiques originaires, jugées dès lors obsolètes, et puis rejetées par les poètes de la Pléiade, exclusivement des hommes. De là à affirmer que les femmes sont gardiennes des codes et des valeurs, il n’y a qu’un pas. Il faut dire que la quête de l’origine, pareille en cela à l’écriture, n’a pas de sexe. Une particularité saute aux yeux : ces formes fixes génèrent une liberté, définie par la simplicité des idées, que le schéma rimique sous-tend en les rendant claires mais pas mortes. Cette liberté est d’autant plus grande, me semble-t-il, lorsqu’il s’agit d’une femme. Quand Pizan s’est faite la dépositaire des formes originaires de la poésie française, cela a donné une œuvre gigantesque, dont plusieurs recueils de Cent ballades. Elle reste très contestée comme auteur important, et est plus connue aux États-Unis qu’en France. Patricia GODI — Vous la présentez dans Les Femmes de lettres, où votre contribution est très utile. Camille AUBAUDE — C’est une première approche. Dans cet essai, il s’agissait de sortir de l’oubli les poétesses et les relier entre elles, ce que les femmes négligent souvent de faire. Si elles le font, on les blâme. J’ai ensuite donné une quinzaine de conférences devant de larges publics sur les poétesses, à Damas, à Bruxelles, au Musée des Arts royaux de Bruxelles, au salon du livre de Blois… Je ne voyais pas encore le miracle qui se joue dans cette écriture,

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comme il n’est pas donné de ressentir d’emblée le sublime des vers de Sappho et le génie de Marceline Desbordes Valmore. La notion de « naturel », maintenant tombée en déshérence, est difficile à comprendre avec les outils qui sont ceux de notre époque. Un certain formalisme de la ballade a donné les « jongleries » verbales, les « acrobaties » grammaticales des rhéteurs qui, à l’instar des canulars littéraires modernes, restent, jusqu’à ce jour, un amusement masculin, alors qu’une femme telle Christine de Pizan invente, multiplie les sensations, découvre dans ses hésitations mêmes la grâce d’une poésie où règne une liberté de tous les instants. Cela n’est pas tout de suite perceptible, et les ressources de cette poésie-là restent, à mon sens, inépuisables. On est très loin de la comprendre, c’est comme une langue morte. Chaque essai de codification ne sert pas à nous guider pour connaître cette poésie, mais induit une transgression. Le secret est dans l’acte de réinvestir des formes consacrées, où les idées présentées de façon harmonieuse font éprouver l’enthousiasme et la joie, inséparables de la mélancolie. Patricia GODI — Votre démarche me rappelle une déclaration du poète américain T. S. Eliott dans les années 1920, qui, dans l’un de ses essais, écrit qu’aucun poète, aucun artiste n’a de sens en lui-même et qu’une œuvre n’a de sens que placée dans une relation avec les poètes du temps passé. Malgré tout, cette position peut paraître assez conservatrice. Dans votre cas, il y a aussi une référence très forte à des figures féminines de la tradition littéraire. Votre recours aux figures féminines et aux formes fixes, ou qui semblent telles de nos jours, est, je le répète, un parti-pris inattendu dans le paysage poétique contemporain.

Camille AUBAUDE — Le paradoxe du poète est d’être seul en offrant sa parole aux autres. L’œuvre n’est pas solitaire. Derrière l’œuvre, il ne faut pas oublier l’auteur, qui communique par la déclamation, l’écriture, tous les supports artistiques possibles pour dialoguer avec l’autre. Quant aux recours aux formes fixes, aux poétesses et aux mythes féminins, n’est-ce pas la situation des « discours en crise », caractéristique de notre époque, qui les motivent ? Tout est « en crise » de nos jours. La crise paraît préférable à l’enfermement dans des définitions. C’est une quête des origines extrêmement trouble qui m’a menée face à la réalité de l’Égypte. Grâce à Gérard de Nerval, j’ai passé mes premières années de recherches universitaires à étudier les représentations de la déesse Isis et l’Égypte pharaonique, ce qui a donné Le Mythe d’Isis, publié en 1997, et dédié à mon amie romancière Paula Jacques, qui se consacre à l’Égypte moderne. L’écriture poétique a été éradiquée durant mes études de lettres à la Sorbonne — apprendre, c’est désapprendre ! —, au profit du commentaire et de la compilation. Disons qu’elle fut présente sous d’autres formes, en relation avec Artaud, Breton, Nerval, Anaïs Nin et les auteurs que j’admirais, y compris les philosophes contemporains comme Michel Foucault, Catherine Chalier et Jacques Derrida. L’écriture poétique est revenue occuper le devant de la scène avec la publication d’Anankê ou la Fatalité, en 2000. Là, j’ai compris que même à l’état d’objet fini, de livre, la poésie reste indépendante, ce qui a été magnifiquement illustré par la lecture amicale de Marie Hélène Breillat, que j’ai connue lors d’une expérience très singulière, en Égypte, sur le Nil. Cette présence réelle de l’Égypte et de la Poésie est due au besoin de traces et d’origine, sans

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que cela interdise de découvrir autre chose avec la même intensité. Si l’on faisait des efforts surhumains pour définir la poésie, il est certain qu’on n’aurait rien élucidé. Je l’ai hélas pratiqué pour ma thèse sur Nerval, quand il a fallu écrire cinquante pages sur « Horus », un sonnet des Chimères : cette explication détaillée a été la partie la plus appréciée par le jury. L’artiste sait qu’on ne peut donner d’analyse objective, faire entrer l’expérience dans des cases. Voyez une des théories du chaos : on peut saisir la réalité vivante en tant qu’objet, on peut définir le chaos, mais est-ce utile ? Patricia GODI — Au début des Poèmes d’Amboise, vous citez Christine de Pizan et également Marguerite de Navarre. Vous parlez justement de quête de l’origine mais visiblement cela passe par des figures féminines de la poésie française des origines. Pourquoi avez-vous choisi de faire figurer ces deux figures féminines essentielles de la poésie française? On les connaît assez peu, et vous les mettez en valeur de cette manière. On peut se demander s’il s’agit d’une démarche en quelque sorte « féministe » pour faire redécouvrir les autrices oubliées de la tradition, exclues des programmes scolaires, peu mises à l’honneur par l’institution. Camille AUBAUDE — Ce sont deux modèles véritablement issus de mon expérience de la Maison des Pages, à Amboise. Lors d’un colloque intitulé « Une nouvelle Renaissance ? », où j’ai été aimablement invitée par Gonzague Saint-Bris, j’ai donné une conférence à la Forêt des Livres intitulée « Marguerite de Navarre, la sœur ». Cette étude remaniée a été publiée dans la revue de Bernard Giusti, les Chemins de traverse. L’œuvre de Marguerite de Navarre reste peu connue. Bien qu’elle ait vécu plus longtemps à Amboise que Léonard de Vinci, on ne parle jamais de cette grande écrivaine experte dans l’art de converser. Le fait qu’il y ait nécessairement un auteur derrière une œuvre, et que cet auteur soit une femme, n’appelle pas de reconnaissance sociale. Dans l’ensemble, nous ne sommes absolument pas libres d’écrire comme nous le sentons, et aucunement épaulées pour faire grandir la poésie comme une expérience, une réalité qui sort de nous, empreinte de notre singularité. C’est très confidentiel, dans beaucoup de cas, et c’est provocateur. Il faut s’interroger sur les deux aspects, en pratiquant la critique des genres. Ce questionnement nouveau peut choquer. Patricia GODI — En France, en particulier. Camille AUBAUDE — Oui, il y des ennemis très féroces. Je suis fréquemment leur cible, comme le fut mon amie Françoise d’Eaubonne, quand nous étions au bureau de SOS Sexisme. C’est bien que vous parliez des modèles féminins, car c’est une façon d’élucider la quête de l’origine. Vous m’avez fait connaître la revue numérique « Le Pan poétique des Muses », où j’ai été frappée de lire une femme du XVè siècle, Elise de Romieux, qui écrivait en substance à son frère poète : « Je ne peux pas écrire, comme tu le fais, parce que j’ai les soucis du ménage ». On retrouve toujours les mêmes choses. On encadre, on endigue le côté originaire et féminin par ces problèmes de vie sociale qui font que la création des femmes est très mal jugée, considérée comme « mineure », comme le constatait Christine de Pizan au début de La Cité des Dames : « Suis-je restée inactive pendant que Raison et toi discutiez avec ardeur » ? Et toujours le souci du ménage qui empêche les femmes de sortir et de se consacrer à quelque

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noble art, lesdits arts étant privés de reconnaissance s’ils sont pratiqués par ce sexe à la fois adulé et méprisé. Louise Labé l’a dit : « Consacrez-vous à l’étude, vous en aurez grande joie », et Maria Iñes de la Cruz. Voyez ce qui s’est passé depuis… Patricia GODI — En fait, je parlais de démarche féministe en pensant à ce qu’a écrit Luce Irigaray dans un de ses essais, à savoir qu’il fallait retrouver des généalogies féminines. C’est le fil conducteur de votre essai sur les femmes de lettres, et c’est ce que vous faites en remontant aux origines de la poésie française par la voie des figures féminines de cette tradition. Je voudrais vous poser une question plus précise, vous demander si ces figures féminines vous inspirent autrement que sur le plan formel, vous influencent, influencent vos propres écrits, au niveau thématique, par exemple.

Camille AUBAUDE — Je peux répondre de façon très intimiste, très personnelle, dans un premier temps en tant que lectrice. Il est indéniable que lorsque je lis la poésie des femmes, cela me touche plus profondément. L’exemple de Marceline Desbordes-Valmore est éloquent. Au début, j’étais réfractaire à cette poésie, ayant appris au lycée la grandeur de Baudelaire et de Victor Hugo, mais adorant, heureusement, Antonin Artaud et Renée Vivien. On n’échappe pas à ces poètes « classiques », même si je dévorais les aventures d’Arsène Lupin, lisait Georges Bataille, Jean Genet, Anaïs Nin et Virginia Woolf. Dans la poésie de Baudelaire, il est des thèmes misogynes qui, lorsque j’enseignais dans le secondaire, ne passaient pas auprès des jeunes filles, alors qu’on le présentait comme le grand poète du XIXè siècle. Au lycée Jacques Feyder à Enghien, une élève de parents algérois m’a longuement parlé de son malaise à lire un poète tel que Baudelaire. Une élève belge du Lycée français du Caire me disait ne pas supporter « La Charogne ». Tandis que les enseignantes doivent expliquer cette poésie-là, Christine de Pizan et Renée Vivien ne sont pas citées dans les programmes de l’enseignement public ! C’est bien plus tard que j’ai pu goûter aux « Elégies » de Marceline Desbordes-Valmore, jugées « inférieures » à celles de Lamartine. Il m’a fallu du temps, il a fallu désapprendre, former le goût d’autre chose, tout un « sevrage » qui a mis fin à mon travail universitaire. Depuis que le désapprentissage s’est fait, il est clair que lorsqu’il s’agit d’une voix de femme, il y a quelque chose de l’ordre de l’expérience de la réalité qui me touche essentiellement. Je suis arrivé à une position qui peut paraître extrême, et qui me fait comprendre pleinement la poésie de Sappho, qui nous est parvenue mutilée, mais dont l’« Ode à Aphrodite » montre la perfection. C’est aussi à travers les études de Patricia Izquierdo sur les poétesses de la Belle Epoque, Lucie Delarue-Mardrus, Anna de Noailles, et douze autres, que j’ai été conduite à comprendre très précisément l’influence de la voix féminine originaire de Sappho, sur laquelle j’ai dû renoncer à faire ma thèse avec Julia Kristeva, parce que je ne maîtrisais pas le grec ancien. J’ai vu depuis que bon nombre de femmes enseignantes détournaient les étudiantes de travaux de recherches sur les œuvres des femmes. La lecture des œuvres de femmes a été pour moi un apprentissage, un déshabillage, car il a fallu me libérer d’une formation qui freinait sans arrêt l’intérêt que je portais à ces textes. C’est ce parcours que j’essaie de retracer dans Le Sevrage, un texte que je remanie depuis des années, fondé sur la fonction vitale du Chant, et qui prendra peut-être la forme d’un journal,

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encore, entrecoupé de poèmes, comme le Voyage en Orient. C’est par les rencontres artistiques et amoureuses que j’ai pu m’éloigner du savoir officiel — je répugne à parler de « langue de l’oppresseur ! En discutant avec des gens très conditionnés par leur représentation de la femme, j’ai fini par éviter le discours victimaire, pour penser que les femmes ont toujours été très présentes dans l’écriture, mais que la transmission ne se fait pas. Patricia GODI — Elles sont très présentes, mais elles ne sont pas visibles. C’est justement ce que vous faites lorsque vous écrivez un essai consacré aux femmes de lettres, ou bien lorsque vous traduisez et publiez une poétesse du Moyen-Âge, ou une étude sur Renée Vivien : vous les rendez visibles. Il y a surtout ce problème de visibilité. On trouve très peu de figures majeures de la poésie française qui soient féminine. En fait, il n’y en a pas. Ces trente dernières années, on a redécouvert grâce aux travaux de la critique littéraire féminine, féministe, anglo-américaine, des travaux très contestataires, très volontaires, les œuvres des femmes. C’est une démarche quasiment militante. Camille AUBAUDE — Ni Christine de Pizan, ni Louise Labé ne jouent un rôle majeur dans la poésie française, l’existence de cette dernière étant même remise en cause. Marie de France est une femme que je qualifierais d’« invisible ». La plupart de ces textes sont très mal jugés. Lors de mes années d’écriture des Femmes de Lettres, j’ai eu des réflexions sur « les textes faibles », tels que ceux de Louise Colet. C’est pourquoi j’ai apprécié d’apprendre en lisant Le Pan poétique des Musesque Baudelaire avait « fait son marché » chez Louise Colet, parce que Louise Colet était considérée comme une écrivaine mineure, et ses textes, faibles... Les hommes et les femmes n’ont pas la même réception des œuvres littéraires, éducation oblige ! Il y a beaucoup de choses à redéfinir, car la réception des œuvres est malléable. C’est certain qu’il faut passer par une sorte de militantisme, par une revendication transgressive pour que les textes dus à de femmes soient lus. Patricia GODI – L’institution scolaire ne transmet pas les œuvres de femmes dans le domaine de la poésie. Camille AUBAUDE — Il n’y a pas de parité homme-femme dans les programmes scolaires. Patricia GODI — Autant Marguerite Duras est enseignée par des enseignants éclairés, autant les figures féminines de la poésie contemporaine demeurent réservées à une élite cultivée, ou bien aux gens qui s’intéressent de près à la poésie. Peut-être que ce sont les femmes qui, ayant besoin de repères, à la recherche de leurs origines, ou d’elles-mêmes, d’un écho à leur propre voix, vont découvrir ces figures de la poésie contemporaine. Camille AUBAUDE — C’est un espoir... En France, la poésie n’attire pas le public, alors que c’est l’inverse dans le pays de langue espagnole. De plus, il y a un flux énorme de poésie. On dit que « ça grouille ». On dit aussi que la poésie revient en temps de crise, mais la poésie est alors synonyme de divertissement, invitation à retourner au jardin d’enfant. Il y a beaucoup de poncifs pour contrôler le pouvoir de la parole poétique.

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Patricia GODI — Très récemment, il y a eu plusieurs travaux d’anthologies de poètes femmes. Cela reste une entreprise volontaire, une démarche comme pour répondre à une absence des voix de femmes dans les anthologies élaborées par des poètes masculins dans le milieu de la poésie. Camille AUBAUDE — Le Pan poétique des muses constate une régression, concernant en particulier les manifestations dites « femmes », souvent peu intéressantes. Il est question de « lot de consolation » quand on regroupe des femmes, notamment dans l’anthologie Couleur femme, que la structure du Printemps des Poètes a consacrée aux poétesses contemporaines. Il s’agit de réfléchir à ces effets pervers, de l’édition, des médias, où les femmes sont plus l’échoque le chant. Vous connaissez la théorie américaine du backlash, des phases d’expansion suivies de phases de régression. Nous ne sommes plus à un moment où les choses se libèrent, où les femmes sont sur le devant de la scène, mues par la fureur vengeresse. J’ai retrouvé cet aspect cyclique dans l’étude des Femmes de lettres, où j’observais souvent des positions très fermes, des avancées des femmes qui nous ont précédées, ne serait-ce qu’au temps de Louise Labé, ouvertures suivies de fortes régressions. Si l’on établit le compte des femmes dont l’œuvre littéraire est enseignée à l’université, ou publiée, ou dans des anthologies « neutres », la part est infime, environ cinq pour cent. Patricia GODI — Il y a une évolution qui correspond à des démarches volontaristes de la part de personnes qui font des anthologies. La notion de parité permet de développer la présence de poètes femmes. Camille AUBAUDE — Il y a d’innombrables anthologies. Elles prolifèrent. Pourquoi ? Parce que la poésie n’est pas vénale, les livres de poésie se vendent très peu. Le fait de regrouper une trentaine d’auteurs, comme dans les festivals internationaux qui publient systématiquement leurs anthologies, aide à vendre. Ce que les éditeurs nomment le « relationnel » de chaque auteur permet d’écouler un tirage d’anthologie mieux que certains romans publiés par de grosses maisons d’édition. C’est la réalité commerciale. Il n’y a jamais eu autant d’anthologies qu’aujourd’hui à cause des anthologies numériques. Dernièrement, une anthologie de quatre mille poètes a été constituée en Amérique latine. Il y en a sur la pluie (pourquoi pas sur le givre), il y a « celles où il faut être » et « celles où il ne faut pas être », on pourrait parler du « bavardage » des anthologies. Est-ce que cela va dans le bon sens? Je ne suis pas convaincue. Une des questions cruciales pour les poétesses est l’absence d’images de référence. Le Pan poétique des musespose cette question d’image en montrant que les écrivains masculins (voir Chateaubriand, Balzac, Victor Hugo) se représentent de leur vivant « dans leur immortalité ». Ce que l’on ne retrouve pas chez les femmes. George Sand n’a jamais fait cela, ni Colette, fort intéressée par son image médiatique. Les femmes n’ont pas la conscience de jouer leur immortalité dans les choses littéraires et considèrent la vie plus essentielle. Peut-être sommes-nous davantage protégées des expériences violentes qui sont à l’origine de la création.

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Patricia GODI — Est-ce qu’il n’y aurait pas dans ces œuvres-là une voix différente qui les traverse, tout en considérant que cela ne vient pas de la féminité ou d’un « éternel féminin » ? Cette différence dans la voix, comme aussi un rapport à l’ego différent, serait à mettre sur le plan du conditionnement social dont les êtres font l’objet. Camille AUBAUDE — La seule chose qui me ferait retenir une « voix spécifique » pour les poétesses est « la voix de la navette », le mythe de Philomèle, qui retrouve sa voix dans le tissage. On observe plus de conscience morale chez les femmes. Est-ce qu’il faut interpréter cela en fonction des thèmes ? Patricia GODI — Dans la manière d’aborder les thèmes. Jeanine Moulin, dans Huit siècles de poésie féminine, reprend le thème de la féminitude, sur le modèle de la négritude. Ce terme aurait son origine dans l’analyse beauvoirienne de la condition de la femme. Jeanine Moulin le reprend de manière beaucoup plus positive par rapport à la notion d’altérité, en recherchant les particularités de la poésie féminine à travers les thèmes, ou à travers la manière de traiter certains thèmes communs aux œuvres de femmes et aux œuvres d‘homme. Je voulais vous demander si vous êtres consciente d’être une femme qui écrit, et de quelle manière ? Camille AUBAUDE — Totalement consciente. La manière se définit par les apprentissages. On a la chance d’avoir fait beaucoup d’études, d’être arrivées à de hauts niveaux universitaires, ce qui ne se fait pas tout seul. Ce sont des phases où l’on questionne toujours nos représentations et nos valeurs. Chaque questionnement précise davantage la conscience d’être une femme qui écrit. Il y a aussi l’aspect social. Mes entretiens avec les poétesses qui n’ont pas conscience d’être une femme en écrivant montrent qu’elles avaient connu beaucoup de violence dans leur existence sociale. Dans mon cas, c’est énorme, mais je ne veux pas revenir là-dessus. J’espère mener à bien un colloque sur la question du viol, en particulier quand des hommes saccagent volontairement la maison d’une femme écrivain pour l’empêcher d’écrire — la mienne, puisque le droit français qui favorise le violeur me prive d’une « chambre à moi ». Ce n’est pas le cri, mais le langage symbolique qui fait renaître la femme de sa douleur. C’est le chant qui la maintient debout. Après la dépossession vient la reconquête. La revendication d’un désir fait revivre. Le fait d’être une femme dans la société n’est pas un atout, c’est un embarras. Les poncifs tels que : la beauté interfère, la beauté facilite les choses, le corps fait obstacle à la communication avec une femme, masquent la réalité d’une beauté systématiquement saccagée. Même un beau lieu est saccagé. Il y a une façon de considérer les femmes dans un milieu professionnel (c’est le cas de l’édition, des lectures et des films de poésie) qui est blessante, qui n’est pas favorable au sujet féminin, qui ne peut s’accomplir dans une société dont il subit la violence. Pour l’anthologie de Jeanine Moulin, il faut rappeler que c’est la première anthologie de « poésie féminine » dont l’approche n’est pas « mièvre ». Un livre qui m’a récemment captivée est l’étude littéraire, historique et sociologique de Patricia Izquierdo sur les quatorze poétesses de la Belle Epoque, sur « les conditions et modalités de l’essor de la poésie féminine », qui remet en cause notre perception des poétesses et s’inscrit dans vos recherches

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sur notion d’altérité. Dans Lire les Femmes de lettres, j’avais peu abordé les poétesses de la Belle Epoque, mais en repérant qu’il y avait là un grand sujet à étudier — il y en a d’autres, et il y a ceux qui nous reprochent de nous intéresser à des textes faibles... L’étude de Patricia Izquierdo balaie les représentations que l’on pouvait avoir, telle le « romantisme féminin », une représentation masculine. Ces femmes étaient extrêmement cultivées, hellénistes, elles s’identifiaient à la culture grecque, Renée Vivien voulait retourner à Mytilène. On ne représente pas cela, et encore moins les femmes galantes, telle l’exceptionnelle Valtesse de la Bigne, que Zola a montrée négativement dans Nana. Ce secret, cette méconnaissance de la présence des femmes dans la création poétique est l’antidote de la peur de la féminité, le « continent noir » qui ressurgit toujours, comme la parole tue, la parole volée, la chute physique et mentale, le témoignage après la violence faite à la femme par la société patriarcale. C’est un costume tissé de peurs et de fureurs. Je l’évoque dans un de mes premiers poèmes : « Secret ». On sait mais on se voile la face. Patricia GODI — Pour revenir au travail de Jeanine Moulin, elle a en quelque sorte inventé les études féminines dans le domaine de la poésie, même si son approche a beaucoup dérangé les féministes américaines. Il y a toujours cette tension entre féminin et féministe. C’est une question complexe. Camille AUBAUDE — C’est un excellent instrument, que j’ai utilisé pendant des années. Cette anthologie de poétesses est même fondatrice, et trouve son prolongement dans votre séminaire « Poésie au féminin ». Si c’est très différent des études sur les poétesses de la Belle Epoque, c’est très complémentaire aussi. Cela reste extérieur, puisque c’est une anthologie, dont on doit critiquer les choix, surtout pour le XXè siècle. J’encourage les jeunes chercheurs à continuer un travail sur Christine de Pizan, et sur les femmes troubadours, où l’on peut retrouver des textes totalement oubliés, comme ceux plus proches de nous pourtant, des poétesses de la Belle Epoque, et bien d’autres, de façon à ce qu’on ait une meilleure appréhension de ce qui se joue dans cette poésie-là, ces « Voix de l’Autre ». Tout cela n’est pas figé, et reste sans cesse à reconsidérer. Patricia GODI — Je voulais vous interroger sur le thème de la maison, sans prétendre comme Jeanine Moulin, que les femmes raffolent de la maison. Le thème de la maison m’a particulièrement intéressée dans vos Poèmes d’Amboise. Vous avez un très beau poème intitulé « L’Etre maison ». Comment faites-vous référence à ce thème de la maison ? Camille AUBAUDE — À vingt ans, j’étais opposée à cela, étant fondamentalement nomade, déracinée, finalement, et traitée par les médias de « bourlingueuse » ou d’« aventurière ». La Maison des Pages, où je me suis posée à trente-trois ans, est venue après des années de désert, avec une parenthèse nord-américaine, alors que j’achevais mon étude du mythe d’Isis. La maison était inévitable, c’est bien le tragique de la chose. Je ne m’en suis pas trop mal sortie par le fait que c’est « La Maison des Pages ». Patricia GODI — Reliée à l’écriture.

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Camille AUBAUDE — Elle contient des pages, et non pas les adolescents des temps anciens. On voit cela comme les pages des livres, et ça change tout. Patricia GODI — Bien entendu. Camille AUBAUDE — Cette maison était remplie de fantômes, considérée comme une maison hantée, suite à la mort violente, inexpliquée, d’un poète lyrique. J’y ai vécu des épreuves difficiles, des agressions systématiques, toujours à caractère sexuel, le saccage de mon bureau d’écrivain aussi, avec des obscénités écrites sur des photos de femmes, donc toujours du viol, cela étant cependant moins grave que le réalisateur qui me filme sans arrêt à Paris, me ruine et a la justice dans sa poche. Cette maison m’a ouverte à des états de conscience extrême, à des rêves très éloquents, à une méditation sur le bonheur, quand je la partageais et sur la santé, liée à l’état mental. C’est une association maintenant qui s’occupe à la fois de la Maison des Pages et de mon œuvre, car, depuis 2011, je me consacre à une chapelle désacralisée en Bretagne. Ce qui est curieux, c’est que cette Maison des Pages est comme un ventre maternel. Elle a une capacité d’absorption extraordinaire. Sans faire d’analogies, c’est quand je l’ai cédée que le réalisateur de films s’est mis à simuler des viols et à saccager la chambre où j’écrivais à Paris, dans la rue des Blancs Manteaux. Je pensais que le chapitre serait clos, et il se rouvre toujours. Il me semble qu’il ne faut pas garder une maison tout le temps, parce qu’on se retrouve emmurée. On est coincée dans une maison. La maison, c’est le tombeau, même si celle-ci a été l’asile d’un saint. Vous pouvez comprendre que le saccage de mon lieu d’écriture par un homme puissant, qui s’est acharné à me filmer comme s’il me violait, est une profanation qui m’a menée au suicide. Aucune femme ne peut tenir face au harcèlement que pratiquent encore et toujours certains hommes, en toute impunité puisque pour ces prédateurs, les femmes violées sont les méchantes. La « provocation » maximale est d’écrire de la poésie, de vouloir exister hors de la maison, à l’extérieur, dans la sphère publique et la beauté. Dès que j’ai eu des films et des lectures réussis, avec les Poèmes d’Amboise et La Sphynge, le besoin de me détruire de cet homme, et d’autres, ont atteint un degré de violence démentiel. Une de mes grandes amies poétesses est dans la même situation, et tant d’autres femmes encore. On passe pour des folles, des « méchantes », des SORCIÈRES. La vraie question est comment se protéger de ces hommes qui sèment la mort, le désespoir, la maladie, sans pourtant se marier, devenir servante ou cloîtrée. On sait la difficulté d’édicter des lois en ce domaine, et dans celui du logement, où les femmes se font dépouiller, à Paris, en ce moment, sans que personne ne s’émeuve. Patricia GODI — Le poème d’Apollinaire « La maison des morts » qui renvoie au cimetière. Cela va dans le sens de ce que vous dites. Camille AUBAUDE — Ce qui est frappant dans la Maison des Pages est qu’elle servait à enterrer les morts, sans doute comme toutes les grandes maisons du XIIè siècle. Une amie qui a dormi là sentait les squelettes, et n’a pas pu rester une semaine. Elle disait : « Il y a des squelettes ». Dans le pressoir sculpté, on voit des ouvertures scellées par des briques. C’est

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certainement là que l’on mettait les morts, parce que c’était plus facile que de les transporter au cimetière. Ces maisons qui avaient un puits, l’eau en dessous, qui étaient reliées au ciel, aussi, et dans lesquelles on enterrait les morts, c’est vraiment quelque chose… La Maison des Pages est d’autant plus particulière qu’on sortait par le bas en bateau sur la Loire tandis que la végétation, le jardin, la Nature, se trouve au-dessus. Patricia GODI – Je pensais à la poésie d’Emilie Dickinson comparée à celle de Walt Whitman. Il chante la route. Emilie Dickinson était recluse. Ses poèmes témoignent de cet enfermement, qui est aussi une ouverture sur l’extérieur, un champ de vision, un lieu d’expérience d’états extrêmes de la conscience. On est dans un univers fermé qui s’ouvre par la vision, le rêve ou la méditation. Ce sont deux univers différents, si l’on pense au Chant de la grande route de Walt Whitman. Camille AUBAUDE — Je ressens la « chambre » chez Walt Whitman, l’alcôve même. Il a fait des opérations immobilières pour avoir l’indépendance financière qui lui Emilie Dickinson est typique de ces femmes enfermées, mais il y a aussi les voyageuses, comme lady Nightingale, en Egypte. Patricia GODI — Dans la poésie d’Emilie Dickinson, le thème de la mort est omniprésent. Camille AUBAUDE — C’est ce qu’on a toujours dit de mes textes, que c’est la mort qui est en jeu. De ce point de vue, la Maison est une belle sublimation. Dans l’entretien que j’ai mené avec la poétesse Geneviève Laporte, le premier de cette série des « Voix contemporaines », il ressort qu’elle était totalement nomade, alors qu’on l’a toujours rattachée à une maison. Une amie romancière, qui avait changé trois fois de maison en peu de temps, disait : « Mettez-moi une camisole de force si je déménage encore ». La maison est très liée à l’écriture, et c’est la personne qui fait la maison. Dès qu’il s’agit d’une « femme sous influences », ça se sent. Je le vois avec les viols, les dégradations, les sabotages volontaires que je subis et ai subis. Ce serait intéressant d’étudier très précisément le rapport des femmes écrivains avec la maison au cours de leur vie d’écriture. Patricia GODI — Et la chambre ! L’une des pionnières de la réflexion sur la difficulté d’écrire quand on est une femme, et d’être reconnue, Virginia Woolf a écrit Une chambre à soi. Camille AUBAUDE — Virginia Woolf est quelqu’un de complètement démentiel dans ses rêveries de maisons, toujours prête à acheter une ruine où elle n’aurait pas survécu. Patricia GODI — Je voudrais maintenant m’intéresser à un pan de votre poésie, plus récent, qui s’illustre dans les Poèmes satiriques. C’est un regard sans complaisance, un regard lucide, critique, sur la réalité du monde qui nous entoure, et l’histoire collective, très présentes, à travers vos voyages. Dans la série des Odes que j’aime beaucoup, personnellement, dans le poème « Lima », dans « La Madriguera », un très beau poème consacré à Miami, on lit des sortes de chroniques, de journaux de voyage, contenant des références très fortes aux lieux,

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aux modes de vie. On observe des références à l’histoire dans ce qu’elle a de plus cruel, de plus sauvage, par la référence très forte aux lieux, aux mode de vie en en Amérique latine, vous faites référence au génocide inca par exemple. Vous faites exister le monde, l’histoire, ce qui est peu répandu dans la poésie française contemporaine, alors que la poésie engagée a disparu du champ poétique en France, de nos jours. J’ai beaucoup d’intérêt à lire ces poèmes, ces odes, à passer dans cette série de sept odes d’une ode à l’une à l’autre. J’ai l’impression que s’ouvre un horizon, l’horizon de vos voyages à travers l’Amérique latine en particulier. Chacune ouvre un univers, et il faudrait évoquer les photographies. Pourriez-vous parler du regard que vous portez sur le monde, de la présence du monde dans ces poèmes satiriques de cette démarche qui est la vôtre et que je trouve très originale et intéressante ? Camille AUBAUDE — Merci de ces propos ! C’est merveilleux d’avoir une lecture aussi enrichissante, qui prouve que tout livre a sa vie et qu’il faut continuer à en faire, bien que ce soit l’enfer de publier de la poésie en France, et que je comprends mon ami poète de Salta, qui refuse la publication. Heureusement, il y a cet Ours blanc, un éditeur humble, discret, aux auteurs fascinants, qui pense juste et bien et chez qui je me sens libre. Je suis d’autant plus éblouie par votre lecture que c’est un livre — puisque c’est un livre… — qui a une histoire très curieuse. Entre l’écriture et le livre imprimé, il ne s’est pas écoulé un mois. Merci le Pérou ! Tandis que la France, qui prône une fausse image de liberté, m’interdit d’enseigner, fait saisir mes poèmes, me jette en prison sur les propos d’un homme que j’ai aidé et reconnu, mais qui me stigmatise comme « raciste », ce lointain pays m’offre les conditions pour écrire, et de beaux livres, des chants et des récitals. Le résultat est là, les Poèmes satiriques ont été écrit avec une facilité déconcertante. Patricia GODI — Merci le Nouveau monde ! Camille AUBAUDE — Contrairement aux Poèmes d’Amboise, et au recueil qui sort en septembre chez l’Ours blanc, Le Messie en liesse, je me disais que les Poèmes satiriques est un recueil dont je ne m’occuperai pas. Et vous voilà ! La première lecture de « La Madriguera », qui veut dire « terrier », « maison-refuge », s’est faite à Clermont-Ferrand, grâce à vous. Elle m’a beaucoup marquée, et j’ai peaufiné ce texte sur Miami, par gratitude envers vous. Je ne sais pas dans quelle catégorie enfermer ces longs textes. Pour moi, ce ne sont pas des poèmes. On dit que « le socle de la poésie » était le bayt(encore la maison, en arabe), le distique, qui donnera le rumabayt, et que l’on retrouve dans la poésie nippone sous le nom de tanka. « La Madriguera » est composé de quatrains. Les quatrains, c’est quelque chose de très puissant. Ils ont été retravaillés par un rythme, un rythme poétique, avec identité de sons. Je les appellerais peut-être des micros récits ; c’est peut-être erroné, mais c’est la seule chose que je peux dire à l’heure qu’il est. On a beaucoup parlé du renouvellement de la poésie par le journalisme, ou l’inverse. Le journalisme est très intéressant pour l’aspect « reportage », et il y a la question du témoignage. J’ai toujours été attirée par les chroniques. Il y a tout à inventer en ce moment avec les nouvelles techniques pour happer ou garder trace de notre expérience, reprendre cette riche matière d’émotions avec ce qu’on définit comme écriture poétique. Nous avons évoqué les « discours en crise ». Aujourd’hui, en France, il y a le problème que tout ce

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qui est roman n’est pas au mieux de sa forme. On est très forts pour les discours, les commentaires et les interprétations, la glose, donc, mais on n’est pas au mieux, pour le moment, j’espère, pour écrire de la grande fiction. Ces petits fragments rejoignent des textes qui ont beaucoup plu ces dernières années, des textes très courts, qui ne sont pas poétiques, des récits qui ne sont pas travaillés sur les syllabes avec des rimes, des assonances, etc. Pendant des années, je demandé si je continuerait à écrire avec des formes fixes ou pas. Ces textes péruviens constituent une sorte de mélange. Le passage par la pratique des formes fixes m’a permis de conforter la connaissance qui me paraît nécessaire de la versification pour dire que l’on écrit de la poésie. Ce n’est pas une prétention, bien sûr, c’est vraiment un besoin vital, et, pour se référer à Christine de Pizan, à prendre pour un jeu intéressant et aussi un « je ». Là, le thème de la mort est transcendé par la magie inca. La légitimité fondamentale de ce que je peux écrire est justement l’identité et expression féminine. Patricia GODI — Ces poèmes du regard sur le monde contiennent un sujet, ce « je », qui n’est forcément un sujet sexué, féminin, repérable comme tel, ou bien parfois, mais qui ne s’expose pas, qui ne s’affiche pas comme tel, mais qui est incarné. Est-ce que c’est le bon mot ? Peut-être pas. Camille AUBAUDE — Si, « incarné », c’est le mot juste. Patricia GODI — …un « je » très présent, par le regard qui est porté sur le monde. Cette présence d’une femme dans le monde me parle énormément, et me paraît très riche très originale, à notre époque. Je tiens à dire qu’il s‘agit de quatrains, et cela crée une tension très constructive au niveau formel, au niveau de l’impact de ces textes, le fait que ayez recours à une construction régulière que vous renvoyez à cette construction du quatrain, à ces formes très rigoureuses. cet usage de la rigueur crée finalement une tension entre tradition et modernité, puisque vous abordez le thème des temps présents, des lieux que vous visitez ; vous portez un regard, critique, sans complaisance , vous parlez de la nature bafouée, vous parlez des étudiants hurlant la Révolution, donc le monde contemporain est très présent. Cela a beaucoup de fraicheur. Cette référence à la tradition et cette rigueur dans la forme et donne beaucoup d’impact à votre poésie, à votre regard. Ces poèmes devraient être lus, mis en valeur lors de lectures. Camille AUBAUDE — Après le premier festival de poésie international de Lima, il y a eu un dialogue-conférence suivi d’une lecture à laquelle je ne m’attendais absolument pas, à l’université Ricardo Palma, où ma traductrice en espagnol, Rosario Valdivia, fait des choses magnifiques. Depuis des années, ils prennent mes poèmes pour des ateliers de théâtre et de traduction, ils posent des questions très pertinentes sur mes poèmes, et une étudiante remarquable prépare une thèse. A la fin de notre échange devant une salle comble, Rosario m’a demandé de lire « Le Mal de l’Inca » et « Lima ». Cela a été une lecture mémorable, bien que l’obligation de lire à haute voix n’est pas très utile pour moi qui cherche à inventer et à fignoler un univers par les poèmes.

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Patricia GODI — Les lectures sont importantes, on le voit dans le film où sont lus les Poèmes d’Amboise. Camille AUBAUDE — Dans le fait de faire des lectures publiques, je reconnais qu’il y a eu des moments prodigieux dont justement ce poème intitulé « Lima », ville de l’enfant, ville des Rois, tracée comme un damier. On ne peut même pas en parler tellement c’était puissant. Là encore, « Lima », est-ce vraiment un poème ? Patricia GODI — Bien sûr, j’en suis convaincue. Camille AUBAUDE — Ce qui s’est passé au Pérou, et dans d’autres pays d’Amérique latine est inouï. On a un public, de vraies gens, des oreilles, des voix, des histoires de vies, pas réductibles à l’idiome « public ». L’origine latine, européenne, la souffrance de ces gens déracinés, profondément croyants, adorant la Vierge, y sont pour beaucoup. Une année, il y avait aussi une délégation de chinoises très intéressantes. Ce n’est pas étranger, c’est étrange ! Même en fac, ce n’est pas un public d’étudiants. Il y avait, pour la lecture de « Lima », un homme que je prenais pour un ministre, et qui me filmait sans arrêt dans un état d’émotion pas possible. Je me demandais pourquoi un ministre éprouvait des émotions aussi insensées. Il avait découvert un de mes poèmes, « Lorelei », dans une revue en Indes, puis vu mon site, et le film de la très belle lecture des Poèmes d’Amboise au Cercle Anna de Noailles, à Paris, par des comédiens du cours Cochet, où l’on voit aussi Tachia Quintanar. Ce « ministre » était un chercheur de l’Université libre Indira Gandhi, à New Delhi, « Indira Gandhi Open University », femme chaman et ouverture, rien à voir avec ce qui m’est arrivé en France... Carlos Alberto Yrigoyen. J’ai su son nom après, quand il est venu me voir. Je n’ai toujours pas reçu son film, et ne suis pas en état de le voir vu le traumatisme que m’a infligé la police française. Cet excellent homme était venu exprès pour m’écouter dans une université à Lima. C’était vraiment inouï ! Ce « public » cosmopolite, atypique, je le ressens comme si c’était moi. Evidemment, il y a aussi les gens que je connais. Il y avait, pour « Lima », une femme qui pleurait tout au long de la lecture, car « Lima » est très ancré dans une expérience, puisque cette prof chez qui je logeais avait réellement perdu un enfant. Pour que la vie continue parce que rien ne meurt, et le Mal se tarit, nous dévore et s’auto-dévore, l’enfant de Lima devient l’incarnation du peuple inca sauvagement assassiné par une race alors « supérieure », prédatrice et qui se sentant menacée par l’Autre le ruine, le détruit. Cet enfant devient aussi le condor, l’oiseau qui marque la réincarnation — c’est toujours la lutte contre la mort dont il est question. L’amie dans le public connaissait la réalité concrète, la chose qu’il y avait derrière ce poème, c’est pourquoi cette lecture l’a profondément émue. Elle repensait à cet enfant, et à ses propres enfants, et moi, à mes actes suicidaires, suite aux agressions. Il y a toujours énormément de choses en jeu ! C’est infini. La poésie lue a beaucoup à voir avec le théâtre, mais elle reste plus obscure, plus mystérieuse que le théâtre. La démarche polyvalente et pluridisciplinaire est amusante, mais elle gomme l’épaisseur mystique et onirique, le bizarre de la poésie. De nombreuses « passerelles » relient aujourd’hui poésie-journalisme-photos-musique-films, ce que dit et redit, en France, le « Printemps des Poètes » :

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les passeurs, ou les passerelles, sans jouer avec les genres… Chaque poème peut-être vu avec plein de ponts suspendus qui relient le texte à d’autres arts, la peinture, la photographie, l’architecture, mais le poète doit se tenir à distance de la massification, juste observer, et hurler si on l’enferme. Tous ces liens entre les arts vont-ils aboutir à un changement, à une révélation ? C’est peu probable. Nous sommes un peu dans les limbes avec la révolution du livre numérique, les techniques multimédias. Quant aux quatrains, il s’agit d’œuvrer, de construire. Je parle de mon cas personnel. C’est une architecture onirique, que j’anime d’une force intérieure et que je perfectionne jusqu’à la mort. Patricia GODI — La poésie est de nos jours à tendance à être lue par les poètes, ou par un milieu de gens qui s’intéressent à la poésie, les enseignant, les chercheurs. Finalement, elle a du mal à toucher un large public. Ces poèmes que vous écrivez qui sont des poèmes de l’immersion dans le monde, qui rende présente la vie concrète, de chacun d’entre nous immergé dans le monde, est susceptible d’atteindre un public plus large que cette élite cultivée qui s’intéresse à la poésie de nos jours, en France. C’est en cela que ces poèmes me touchent infiniment. Camille AUBAUDE — Dans les festivals des pays latino-américains, on est très surpris de voir la qualité du public : « une grande oreille ». La sensibilité est hors du commun. Des milliers de personne sont réceptives aux lectures de poésie. Patricia GODI — Vos poèmes « satiriques » m’évoquent la poésie engagée d’Aragon, et le concept de poésie politique apparu dans les année soixante-soixante-dix aux Etats Unis, à l’époque où les poètes étaient engagés activement contre la guerre du Viet Nam. Là était susceptible d’apparaître le rôle politique des poètes. Camille AUBAUDE — En ce moment, il y a toutes sortes d’engagements bateau style « poètes et paix », « poésies pour la paix », sans parler de la « poésie au jardin », etc. J’ai participé à pas mal de manifestations, où j’ai vu qu’il ne s’agissait que de l’amour propre d’auteurs inconsistants, et qui plus est, voulant me nuire. L’engagement urgentissime des poètes, c’est de sauver la Nature ! Nombre de mes proches, comme les poètes Voltuan et Bérangère Thomas, écrivent sur ce thème. Tous les gens qui s’intéressent à la poésie devraient militer pour cela, mais ce n’est pas facile du tout. J’ai eu un projet, Adieu à la terre, que j’ai dû abandonner, car cela pourrait paraître mièvre, si les enjeux ne sont pas étudiés à fond, mais cette connaissance n’est pas véritablement accessible. La gageure est d’écrire de bons textes. Patricia GODI — Exactement ! Ce à quoi vous parvenez. Camille AUBAUDE — Cela se juge difficilement… L’urgence de s’intéresser à la destruction la Nature, aux problèmes de pollution et de surpopulation, à la disparition massive des espèces, n’est pas assez comprise par les poètes. Sans doute parce qu’il faut un messie qui se fasse entendre, l’unique et dernier poète à s’exprimer par des sonnets comme au temps de Louise Labé, des sonnets avec des alexandrins tenant compte de la césure, possédant des mots

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au sens plein, mesurant parfaitement la quantité des syllabes et ciselant des rimes parfaites. Nous l’avons dit au début de l’entretien, le kaléidoscope émotionnel de ces formes poétiques fait qu’elles expriment tous les aspects de l’existence. Patricia GODI — Est-ce que vous seriez d’accord pour lire une des ces odes par laquelle nous allons conclure. « Le Mal de l’Inca » ?

Le jour s’ouvrait au Mystère des Mystères

Quand j’ai marché dans la cité des Incas :

Cuzco, « le Nombril », une Étoile figée

Couvrant la Montagne dont chaque cratère

est un Temple.

Jaillie des voyages anciens, la Tristesse

Tord les lignes des paysages. Des songes

Aux courants rapides m’ont épuisée.

Je m’épanchais en rumeurs impétueuses,

affolée de bruit.

Telle « le Nombril », telle l’oiseau qui vole au ciel

Je suis faite pour écouter le silence

Qui laboure l’éveil admirable des champs

De jade et d’or de l’enfance qui chemine

entre les mots.

Ma traductrice, Rosario, m’a préférée « touriste ».

Mais je n’ai pu photographier des vies brûlées.

Oh ! Salut pauvres édifices démembrés.

Je ne volerai pas de souvenirs estampillés « inca ».

Ô Destin !

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Rosario ! n’oublie pas qu’on donne la vie pour mourir.

Dans la solitude effrayante des montagnes

Aux neiges jadis éternelles, j’ai vu la Mort

Ruiner mon corps ! Sans oxygène, je mourais

dans la Cité de Larmes…

Sans la puissance des livres, sous un ciel inconnu,

Ah ! la folle douleur du peuple exterminé !

Les panneaux « coca », la pharmacie « inca »,

Et les ordinateurs conquérants, les robots

messianiques.

Hélas ! une nuit de marbre m’a séparée

De chapelles dorées bâties sur des tombeaux

Pour que surgisse la vision du martyre

D’une culture éparpillée dans le corps hérétique

du Pacifique.

Pérou, Lima, 19 décembre 2010

Patricia Godi et Camille Aubaude, « Voix contemporaines. Conversation entre Patricia GODI et Camille AUBAUDE à l’Université de Clermont-Ferrand, Centre de Recherche sur les Littératures et la Sociopoétique (CELIS), 2012 ». 1ère partie, in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pr,tiques : Lettre n° 2 [En ligne], mis en ligne le 11 avril 2013.

http://www.pandesmuses.fr/article-conversation-entre-patricia-godi-et-camille-aubaude-voix-contemporaines-universite-de-clermont-ferra-116836884.html/Url.http://0z.fr/bitwo

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Entretien Camille Aubaude et Julien Weiss

une exploratrice de la poésie et un musicien transfuge

« Devant la fenêtre se mit, Car elle y savait son ami.

[…] Tant douce est sa chanson la nuit

Que moult me semble grand déduit.»

Marie de France, Lai du Rossignol107

Aleph

Prisme de l’Aube, hauts dais envahis

De souffles d’Orient, chemins et pluies D’un paysage où le Ciel s’éclaircit

Dans le sacre de la Terre où je vis.

Jour de fièvre et de lumière, puis silence Du pays lointain, potence où s’arrime

Ma barque au nautonier aveugle Dans la beauté de la Terre où je prie.

Ô Monde, mon rêve fuit, ils sont fous

Les rêves ! Force de la pierre noire Qui sait l’éveil d’éclat sauvage et doux,

L’Archange et Aleph muets d’Allégresse.

                                                                                                                                       107  Lai reproduit dans l’anthologie de Lire les Femmes de lettres, par Camille Aubaude, Paris, Dunod, 1993, rééd. Pan poétique, 2016. Adaptation de Philéas Lebesgue, 1913. Déduit : plaisir.

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Prisme de l’Aube ! hauts dais envahis

De souffles d’Orient, chemins et pluies D’un paysage d’où le Ciel affleure

Dans le désert de la Terre où je meurs.

Camille AUBAUDE – Nous nous sommes vus pour la première fois en chair et en os sur le parvis de Beaubourg, après un de tes concerts en compagnie de Sabine Châtel au milieu des années 1990. J’étais avec mon amie Marie-Hélène Breillat, que tu as revue récemment, fin mars 2014, avec des musiciens de luth, dans un café près de l’église Saint Thomas d’Aquin où tu m’as rejointe. Aucun texte ne peut rendre compte des choses que nous avons construites toi et moi durant ces vingt ans, ou vingt un, pas vingt-deux, je l’espère ; nous nous rejoignions il y a vingt ans autour d’une Maison des Pages d’Amboise et un palais mamelouk d’Alep, où tu fais vivre un célèbre salon de musique. Tu avais toujours sur toi une photo usée de ce palais dont tu étais très fier, et j’avais toujours un poème sur ma Maison des Pages dont j’étais amoureuse. Si l’on ne peut relater nos actions, on peut les évoquer. Je souhaite commencer par la lecture d’Alep, l’épyllion, la miniature épique en prose, qui clôt le recueil intitulé L’Égypte céleste. Voici les passages sur les alentours de ton palais d’Alep dont les dimensions insolites donnent une atmosphère propice à la maturation de ton art : « Des hommes se persuadent que la réalité n’existe pas. Pour m’assurer qu’ils ont tort, j’allai passer une semaine dans le tohu-bohu d’Alep, la cité des divinités de Palmyre et d’Égypte où les palais en ruine ont perdu leur mystère. […] Des femmes rêvent au-delà des remparts à l’heure où la perfection voulue par les poètes s’entend avec les gouvernements temporels pour démontrer que la science règne sur la Nature.

Le bazar d’Alep n’a jamais cessé de vivre. Il grouille, il se tortille et s’agite, non par plaisir mais par regret du théâtre. Il ignore le vrai théâtre, drapé dans sa sensibilité consciente, au profit de parodies qui ennuient le public par des pantomimes, des gesticulations et des cris. Les boutiques constituent un vrai capharnaüm. Il en émane une lassitude qui se mêle aux formes des maisons, où les hommes, les animaux et les plantes somnolent à l’abri du soleil, dans l’ombre des patios et des jardins suspendus. À l’extrémité des terrasses de café, au-delà de la procession des voitures, la forteresse édifiée au centre de la ville protège de sa belle robe ocre jaune le labyrinthe des souks et de fragiles toits en saillie. Les gaz polluants et les gloires du passé imprègnent les échoppes actuelles, ouvertes sur les débris d’un vaste empire.

Dès l’aéroport, l’odeur du sable, fine et blonde, l’odeur du désert, dérobe à la puissance divine ses délices. Hélas ! la Nature est tarie. Les contrôles se succèdent dans un périmètre où les ressortissants de divers pays adoptent l’allure qui convient à leur culture. Pour entrer en Syrie, il faut montrer des papiers, des photos, des tampons et des timbres en ayant un air exténué. L’ennui des contrôleurs répond à celui des voyageurs. Les salles de vastes dimensions, mais dénuées de caractère, pourraient avoir meilleur usage. L’aéroport est un espace vide de

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passions où les peuples traînent leur fardeau, où les achats « sans taxes » et sans jubilation servent de parapet entre deux abîmes.

Il est minuit. […] Je cherche Julien, l’ami qui doit m’extirper de ce désordre. Il n’est pas venu. S’est-il endormi ? Je monte dans un taxi crapahutant dans les rues sombres d’une banlieue d’Alep où les décombres succèdent aux décombres, comme les barres de béton dans les banlieues de Paris. Pas d’horloge qui sonne les heures. L’air palpite comme la respiration d’un géant à l’agonie. Il est irrespirable.

Sous un porche de l’ancienne ville se tiennent des créatures indescriptibles. Ces masses humaines sont faites de tissus sombres jetés sur des épaules. Les murailles d’Alep sont l’épiderme d’un monstre préhistorique venu de la vallée de l’Indus et de l’Euphrate pour mourir là, sans avoir vu la mer. L’expérience des bâtisseurs se résume dans les arcs de pierre, comme si l’architecte avait voulu pétrifier le ventre du monstre et l’isoler en des fondations faites pour défier l’avenir. Les venelles se déroulent jusqu’au fond des habitations endormies. Ceux que je viens retrouver exhibent des activités qui les honorent pour quelque temps. Leur jeunesse est loin. Ils n’ont plus d’âge. Leur douleur s’est assagie face aux clartés nocturnes dont la sérénité, enfin, les gagne.

L’entrée du palais mamelouk est une porte basse dans une façade austère. Il faut se retrouver dans le dédale des rues. Un serviteur m’apprend que Julien m’attend à l’aéroport. Je suis partie trop vite, il est arrivé trop tard ! Le patio s’ouvre sur un bassin et une fontaine en pierre blanche protégés par un arbre aux grandes feuilles vertes. Des oiseaux s’y réfugient. Je visite les chambres remplies d’instrument de musique, et ressens le goût du désordre luxuriant, parfois féerique quand le repos s’est installé d’une manière magistrale derrière les portes aux volutes de fer forgé.

Incapable de dormir, je m’étends sur un lit à baldaquin au dais pourpre et aux rideaux d’or. Envoûtée par la magie des lieux, j’examine le décor autour de moi. Des gravures représentent des costumes orientaux, des meubles et des tableaux sont disposés comme des fleurs sous le ciborium d’un autel. D’anciennes cartes, des livres sur l’Orient et des tissus aux couleurs vives, les fantasmagories d’un art expriment la nostalgie d’un sol originaire dont les poètes sont à jamais séparés, mais dont ils portent continûment la trace et le désir. Ici, ni pervenches, ni primevères, ni violettes blanches ou giroflées qui fleurissent près des grands arbres, face au château, de ma Maison des Pages, à Amboise, acquise en même temps que ce palais mamelouk.

Julien est revenu par la porte basse qui donne sur la ruelle. À une heure du matin, il s’étend sur les coussins du patio où sont mes livres. Je le rejoins et nous parlons de la marche que le voyageur accomplit pour son retour aux sources. Une boucle se referme. Fort de ses connaissances, de ses plaies, l’exilé sait mettre les pierres à leur place — comme dans le mythe d’Amphion qu’aimait Apollinaire. Le récit biblique illustrant « l’éternel retour » a la densité d’un roc. Le peuple qui a souffert revient à Jérusalem. Il sanctifie la Terre. Entre-temps, ces hommes, ces femmes et ces enfants ont payé le prix. Ils ont connu l’exil, le souvenir d’antan. Ô miracle, ils sont devenus clairvoyants. Une cité transfigurée, la Jérusalem

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céleste, remplit l’horizon. Ses vapeurs ne sont plus celles de la cité originelle. C’est un haut lieu. Les voyages effrénés s’y achèvent. À l’écoute des chuchotements de la langue maternelle, on peut (se) reconstruire.

Une grande ville est une grande idée. C’est aussi une victoire que célèbrent ses monuments. J’aime m’en imprégner pour me déployer dans un espace hors du temps. Je regagne ma chambre et m’endors. Les livres empilés autour du lit, entassés contre les murs, ne peuvent changer la destinée des dormeurs rêvant jusqu’à la magie de l’aube. Le Fantôme blond du palais d’Alep m’emporte dans ses bras à travers les trames des tentures.

Le patio est un sanctuaire, dont l’arbre aux grandes feuilles vertes est le naos protégeant deux Français exilés. Le Fantôme s’incline sur nous. Il est le monde. La noire mélancolie s’estompe quand s’ouvrent les portes du royaume des Cieux. La musique et l’Écriture sainte, échappées de ce qui nous a précédé, des ancêtres aux vies non écrites mais profanées par les moyens dont dispose la société, sont capables d’en restituer les splendeurs. Leur état transitoire inspire et aspire les époques finissantes, où les hommes s’entredévorent jusqu’à l’étape de la disparition des bêtes. L’esprit de l’exil peut être tranquille. Il concentre les actions dispersées, les doutes et les provocations des peuples qui se châtient les uns les autres. Il se mêle à l’Égypte, il est la Madone, et la robe souveraine d’Isis. Son corps de lumière se répand dans les icônes modernes, animées par la lyre d’Orphée.

La Nuit se referme sur les Français en exil. Leur conscience est friande de jeux d’ombre, ils l’amusent. Elle guette la fin du temps cyclique, quand les tapis ensoleillés des cimes déploient leurs desseins inhumains.

À l’aube, les sensations s’aiguisent. Elles surprennent celle qui danse sur les remparts d’Alep. La Danseuse descend au plus bas de la Citadelle, les rues l’enlacent, les murs l’étreignent, puis s’écartent pour la laisser passer, brillante apparition. Les murailles sont dans l’attente d’un Josué brandissant les trompettes. De ce côté sont passées tant de vagues que l’horizon s’est mué en sanglots.

Au-delà des remparts, le ciel clos comme une vaste maison pose son front sur les avenues de brume et de fumée conduisant à la Citadelle, lorsque les vents du désert font tressaillir les squelettes des arbres. Aucune âme ne sort de la ville, affamée ou en fureur. Les habitants s’y consument, fatigués de la civilisation moderne, fatigués de refermer leurs fenêtres le soir, sachant que le soleil les verra mourir.

Citadelle ou vaisseau ? Les maisons s’enroulent autour de spectacles qui envahissent les écrans, des divertissements dont la confusion nuit aux lueurs de l’aube. Le vide, l’absence de lumière, l’absence de critique, l’absence de poésie autrefois parfaite, justifie le recours à un modèle originaire, la lumière de l’âme qui unissait le peuple avant la dispersion. La tradition parle de Nouvelle Jérusalem. Quand épris de théâtre, le Voyageur en quête de vérité franchit les portes de la ville, il affronte des écrans bleuissant dans une nuit sans étoiles. C’est la mesure inversée du soleil d’Orient, l’inversion qui précède la débâcle.

Le voyage excède l’espérance. La nouveauté remplace ce qui existait si peu avant. Entrant dans la Jérusalem céleste, le Voyageur se détache de ses souffrances. Voilà que brille la tiare qui le couronne ! Son but est simple : s’unir au Ciel. Laisser derrière lui des pensées

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prisonnières de leurs résonances, des reliques dénudées par l’usure du Temps, les méandres de son âme ressemblant aux ligatures de la Loire. Laisser derrière lui les boues sableuses, et ainsi libérer la clarté des paradis perdus. »

Julien WEISS — J’ai vécu de belles années dans cet ancien palais d’Alep. C’était une vie de rêve ! Je pouvais me consacrer entièrement à ma musique et m’imprégner de l’Orient. Camille AUBAUDE — Comme dans un film. Tu vivais hors du temps, intégré aux habitants, à l’écart de l’insignifiance des milieux artistiques parisiens. Tu as pris une vraie physiologie orientale. Souviens-toi que tu m’avais confisqué l’exemplaire de mon Mythe d’Isis réservé au Centre culturel français de Damas, tant la définition du « transfuge » t’avait plu. Julien Weiss — Pas seulement le transfuge… L’initiation isiaque m’a capté. Ton Mythe d’Isis est un monument sur l’Orient. D’autant plus important qu’il y a ta poésie. Pour dire ta vérité intérieure, tu as la volonté de rassembler les morceaux. Cette mission impossible fait que tes livres me troublent, et me comblent d’aise, plus que toute l’œuvre de Rimbaud. D’où ma fidélité jamais démentie à ta poésie emblématique de l’Orient. Un Orient initiatique, qui déborde de sensualité. Camille AUBAUDE — Que j’ai exploré, sans aller aussi loin que toi pour la mise à distance de ma culture d’origine. Cela se voit dans nos maisons, qui sont nos lieux de recueillement. Elles sont petites pour les uns, grandes pour les autres, elles incarnent des rêves dont l’immensité nous submerge mais que la Maison des Pages et ton Palais d’Alep alchimisent. Je résume pour toi le passage du Mythe d’Isis sur la transfiguration de celui qui veut quitter sa propre culture : « L’intégration aux mœurs passe par l’expression codifiée de l’imagination symbolique qu’est le costume. Ses couleurs renvoient à l’illumination. Revêtu de vêtements de lumière, "doublé" d’un corps nouveau, tu célèbres ton incorporation à la cité d’Alep. Tu es devenu un élément vivant de la société orientale. La distinction entre un mental occidental et un mental oriental sert à illustrer l’inversion des valeurs. Saisi par le sentiment que l’Occidental n’est pas à place, tu veux être accueilli par une autre culture, en accord avec toi-même. Pour compléter cette première phase de la transfiguration, il y a les titres orientaux que tes amis d’Alep te décernent. Ces titres renforcent l’image par la fonction sociale, laquelle, bien qu’illusoire, confirme la volonté de dépassement de soi, ce désir de devenir l’autre qui, comme le rappelle l’universitaire Simone Vierne, s’exprime par des rites : « Une autre manière de signifier la nouvelle naissance est le changement de Nom, attesté absolument dans toutes les cultures et initiations. »

dans Rite, Roman et Initiation, P. U. de Grenoble, 1973

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Costume et nom traduisent l’émergence d’un autre être, pour témoigner qu’il existe une identité symbolique entre cet être "transfiguré" et la réalité de l’Orient. Comme l’a montré Jean-Michel Bellanger dans son essai sur les transfuges, La vraie vie est ailleurs (Paris, 1991), la religion et la conjugalité sont les ressorts de l’abandon d’une culture dont on ne reconnaît pas les normes, ou dont les normes vous ont exclu. L’ambiguïté de l’aventure consiste à emprunter des formes reconnues, balisées, par la culture orientale, pour acquérir une fonction que la culture occidentale n’était pas en mesure de lui offrir. Il s’agit de faire son miel d’autres expériences, correspondant à l’être profond que l’on soupçonnait exister depuis longtemps. Si l’initiation et le mariage tournent court, la véritable assimilation à l’Orient n’a pas lieu. Ce n’est qu’un moment, le temps d’une péripétie romanesque, des années d’exil ou de voyage, tandis que le transfuge est celui qui se libère de la contrainte que fait peser sur lui le rythme de l’Occident et de ce regard critique d’occidental l’empêchant de se dissoudre tout à fait dans une culture dont il portait la nostalgie. » Julien Weiss — Cela définit bien mon mysticisme de l’Orient. On retrouve le transfuge dans ton livre La Maison des Pages qui commence par « Je suis née à Alep, mais j’aurais pu naître ailleurs ». Tu es tombée sous le charme des jardins suspendus de la maison Antaky. Camille AUBAUDE — Où je suis allée avec Roger Knobelspiess, lui aussi très marqué par ces instants-là. C’était lors de la table ronde à propos de mon essai sur les femmes de lettres au Centre culturel français, en 1993. Il y avait toutes sortes de personnalités passionnantes. J’habitais chez Colette Khoury, et j’étais invitée par les télévisions et des cercles lettrés francophiles, très admiratifs de notre littérature. L’une des raisons de mon attachement à Alep est le projet d’écriture de l’histoire de la famille Pohré, une grande famille protestante qui a quitté l’Europe au XVIè siècle pour se réfugier en Syrie. Jenny m’avait montré le bureau où son père écrivait, dans le caravansérail de la vieille ville. Isolée de la civilisation de masse, j’ai rêvé d’accomplir ce projet d’écriture pendant des années, toujours à deux doigts de l’accomplir, mais ne l’accomplissant jamais. Il correspondait à mes goûts, à mes fidélités. Julien Weiss — Pour toi, c’est dans cette contrée que commence le « voyage en Orient ». Que signifie le fait de fuir son pays ? Camille AUBAUDE — Tu voyages tant pour tes concerts que tu n’es établi nulle part. Comme moi, tu essaies de te fixer, de rester tranquille, mais le voyage répond à ton besoin de changement. « Movere » a donné « émotion », ce qui fait bouger, ce qui est suscité par un nouvel environnement. Nous vivons pour le changement, puisque le changement est la Vie. Avec nos maisons-athanors, on ne voyage pas légers. La Syrie que nous adorons a tellement changé depuis 1993, année où j’étais la seule femme à conduire une BX d’ambassade dans les ruelles étroites du marché de Damas. Ma grande amie Geneviève Laporte, qui fut une poétesse inspirée, m’avait rejointe. Pour avoir un mode de vie raffiné dont nous avons besoin toi et moi, pour avoir l’indépendance, nous ne nous sommes pas construit une vie monotone, ni une vie sédentaire, sans doute aux dépens de notre santé. Mon texte sur Alep, mon film interactif Rêve nu avec ta musique, Le Sevrage, ou servage, que je suis en train de finir sont la

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meilleure façon d’entretenir vingt ans d’amitié féconde, bien qu’ils n’en rendent pas compte. Je revois le temps où tu te réfugiais rue Beaubourg lors des bouleversements de ta vie amoureuse, et à présent, tu es là pour retrouver la santé. Je suis de plus en plus persuadée que les rencontres sont des rendez-vous. C’est ce que je ressens pour la rencontre d’un livre, à lire ou à écrire. Julien Weiss — La vraie vie se répercute dans les livres, et elle passe aussi dans le monde virtuel. Camille AUBAUDE — Le fait que tu actualises l’expérience que Gérard de Nerval a transcrite dans son Voyage en Orient au milieu du XIXè siècle est exceptionnel. Que tu aies approfondi la connaissance des derviches tourneurs, que te sois approprié les modes musicaux de l’Orient répond à une quête de sérénité à laquelle je suis très sensible ! Tu es devenu l’égal des plus grands joueurs de cithare sur table, tu es un musicien mondialement connu. La dernière phrase du Voyage en Orient de Nerval rend hommage aux derviches : c’est la plus belle façon d’honorer le ciel. Je te suis reconnaissante de m’avoir initiée à ces danses, d’avoir ressenti les émotions de la transe dans cette façon d’honorer le ciel lors des spectacles que tu donnais à Paris. C’est un accomplissement héroïque dans le parcours artistique, et un accomplissement esthétique, sur fond d’esprit critique, qui empêche la radicalisation. Rien n’est plus important pour inverser le processus de déhumanisation totale à l’œuvre en Syrie ! Dans ma chronique sur l’amour et la guerre, Le Sevrage, et mon poème sur le massacre de Charlie Hebdo, je te montre encore, dans les circonstances de la guerre civile :

« Survint l’agression de la Syrie : Alep la Blanche où rayonnait le palais mamelouk de Julien Weiss, que nous avons tous les deux jumelé à la Maison des Pages ; Palmyre, le Krak des Chevaliers ; ma chambre austère des Sœurs de Damas, près des souffleurs de verre et des marchands d’icônes. En Syrie, les maisons où je suis entrée initiaient au respect. »

« Paix aux humoristes de Charlie !

Paix à Julien Weiss, le musicien chassé de sa maison d’Alep ! Dussent-ils vivre sept vies qu’elles soient pareilles à celles qu’ils ont vécues. »

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Extraits d’enregistrements réalisés en 2014, à la maison d’édition au 30 rue Beaubourg, et par Skype lors du séjour de Julien Weiss à la Roche-Posay, pour préparer un « Dialogue de Poésie » qui était prévu à la Maison de la Poésie de Paris (théâtre Molière) en février ou mars 2015.

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Camille Aubaude et la traduction

La traduction de poésie est essentiellement une rencontre. Le poème dans la langue d’arrivée doit être écrit par un poète. C’est un autre poème, une sorte d’écho du poème de départ. Tant de Philomèles en ce monde, le numéro 4 de LPpdm, publie des traductions de Camille Aubaude de poètes d’Amérique latine, d’une poétesse japonaise, de deux poètes américains, et une adaptation en français d’un poète srilankais. L’ode sur la naissance de la femme Evasiones, de Shérézada Chiqui Vicioso, a fait l’objet d’une publication trilingue à New York (USA), et La Lune aux rayons brisés de Satoko Tamura a été publié dans la collection « La maison des pages ». La traduction intégrale en japonais des Poèmes d’Amboise par Kaoru Nakamura, à Tokyo, est encore inédite en recueil. Peut-on légitimement parler de « traduction » quand un-e poète échange ainsi avec un-e autre poète ? Camille Aubaude parle de transfusion, en écho avec sa conception du « transfuge » reprise dans ce livre lors de son entretien avec le musicien Julien Weiss. Sa collaboration avec la poétesse de Saint-Domingue, Shérézada Chiqui Vicioso a été particulièrement fructueuse, aboutissant à des présentations dans des festivals prestigieux, telle la Feria del Libro de La Havane, une des plus grandes fêtes du livre dans le monde hispanique. La translation en langue étrangère s’est faite au moyen de longues conversations entre les deux poétesses, autant dans des villages près de Mexico qu’à la Maison des Pages, à Saint Domingue et Iguazù. De telles conversations servent à affiner la connaissance d’une autre culture à travers les mots spécifiques à la poésie, mots étranges puisqu’étrangers, sources de malentendus et de fascination. Chaque échange de traduction est une régénération du poème. Ce serait être au ras des pâquerettes de le rétribuer vénalement. Le plus beau retour possible est l’amitié qui naît entre les deux poètes : « double change » (Association franco-américaine), « double culture » (nom d’une émission de la radio France-Culture), réciprocité dans la compréhension de deux univers poétiques en germe dans la traduction. « Tu as fait une poésie plus belle et tu as développé une connaissance intime de ma psychologie », a écrit Camille à Chiqui. La compréhension n’est pas possession, ni domination. Il n’existe pas plus bel accès au génie d’une langue que ces « poèmes croisés ».

Nous reproduisons le début de l’avant propos publié dans Poemas de la Morada de las Paginas, suivi de poèmes de Rosario Valdivia traduits par Camille Aubaude, ainsi qu’un poème de son traducteur italien (Poesie per Amboise, 2015), deux poèmes de ses traducteurs américains (Poesie from Amboise, inédit), et d’autres poèmes qu’elle a traduits, en complément des traductions publiées dans Tant de Philomèles en ce monde !

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Propos de la traductrice en espagnol Rosario Valdivia

Bien souvent, les traducteurs littéraires expliquent, justifient, conceptualisent leurs choix, et vont jusqu’à s’excuser des libertés qu’ils ont prises, de ce qu’ils ont fait ou pas. Peu d’entre eux éprouvent le besoin de préparer, de commenter et de partager leur expérience avec l’auteur.

Qui peut se représenter un traducteur de textes administratifs (manuels scolaires, contrats, certificats de décès), éprouvant du plaisir, s’interrogeant pour savoir s’il a fait le bon choix ? Les extrapolations et les effets esthétiques sont le fait du traducteur de poésie. Je fais partie de ceux qui pensent que lorsque le talent se développe, il incombe à l’artiste de choisir la voie qui va ouvrir sa vie. Ainsi devient-il écrivain, peintre, sculpteur, musicien. Il n’est pas rare de trouver des artistes qui s’engagent dans plusieurs formes d’expression : les poètes-musiciens, les romanciers-peintres, les chanteurs-acteurs, les poètes-traducteurs et d’autres encore.

Bien que les traducteurs littéraires soient souvent écrivains, ce n’est que récemment que le travail du traducteur a eu ses lettres de noblesse. D’où la nécessité de débuter ce livre de poésie en rappelant que Paul Valéry, grand défenseur de la recréation dans la traduction poétique a souligné que l’écriture est un travail de traduction.

Bien des choses ont été dites sur le mystère qui recouvre la traduction d’œuvres littéraires, notamment que le traducteur littéraire est en mesure d’assumer un rôle de re-créateur et un rôle de co-créateur. Julia Kristeva, directrice de la thèse de doctorat de Camille Aubaude, Anamorphoses d’Isis dans l’œuvre de Gérard de Nerval (1992), a montré comment l’esprit du traducteur se dédouble, tandis que la traduction aiguise l’esprit critique.

Albert Bensoussan, le traducteur français de Mario Vargas Llosa, a employé les métaphores d’« océan d’obscurité », de « mer d’algues gluantes » pour désigner ce qui entrave le traducteur qui cherche à « atteindre l’autre rivage ».

Traduit par Camille AUBAUDE, 10/3/15

Rosario VALDIVIA est docteur en littérature, traductrice et poétesse. Elle anime des ateliers de traduction de littérature française à l’Université Ricardo Palma de Lima (Pérou) et est professeur-e « visitante » pour le Programme de la Maîtrise universitaire de traduction de l’Université Complutense de Madrid (Espagne). Elle a publié un essai sur la traduction littéraire (La Traduccion Literaria), deux recueils de poésie et ses poèmes sont publiés dans des anthologies péruviennes et étrangères.

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NE JAMAIS OUBLIER

Notre amour

Entre ruines et éclairs

Entre voitures fictives et sables blancs

Entre langues et vents

Entre huiles et saveurs

Entre piscos et martinis

Entre la luxure et la croix

Entre la douceur et le délire

Entre la rancœur et le pardon

Entre le cantique passager et la trêve invraisemblable

Entre le baiser parfait et la traversée ténébreuse

Entre la poitrine vierge et le feu du sexe

Notre amour

ne sera jamais oublié.

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NE M’ABANDONNE PAS

Tu domines ma volonté

Je ne sais rien  !

Je suis absence vive si je ne te vois pas

Mes mains jouent au hasard de l’oubli

Mon corps a appris à jouir entre tes vagues

Tu es la personnification de ma mer d’amour

sa rumeur nocturne

son bleu crépusculaire

m´enveloppent dans ton haleine

Tu domines ma volonté

Aime-moi  !

Soudain tu me cajôles tu me rejettes tu me soumets

à ta volonté

Tu traverses des continents

Tu savoures ma peau à distance

à ton loisir

et à ton loisir

Tu me submerges dans le noir ostracisme

de l’être et du non être

Tu domines ma volonté

Ne m’abandonne pas  !

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Nina ŽIVANČEVIĆ est d’origine yougoslave. Ayant longtemps partagé son existence entre New York et Paris où elle a fini par s’installer, elle a publié une dizaine de recueils de poésie, pour la plupart en langue serbe, mais aussi en anglais. Sa poésie est d’une sensibilité moderne. Défiant les conventions, elle franchit les frontières de l’espace et du temps et offre l’image désintégrée d’un siècle où horreur et splendeur se côtoient.

Poem for Em “Self –control is what you need, and Character,” my Love said while slamming the door behind a small clinic on boulevard Malesherbes in Paris …now it’s raining and it’s cold and I am in pain. --“You have 3 days to check in here and solve this problem” the doctor said “otherwise every-thing is going to burst.” …and it did.. the cysts, the time, the money, the lovers. My lover called me last night to tell me How much he missed me – He sent me a poem he wrote for me In a computer program which I could not open Just at the time I believed I could have A heart-opener for everyone’s heart.

My Love had heard my Lover calling and asked: “Who’s THAT calling you, in the middle of the night?” “It’s a young poet bursting with impatience,” I said, “he did not mean to do you any harm…” -- The doctor’s looked at me and gasped: “All this growth is at the point of necrosis- it’s going to burst soon and then…it won’t be so pretty…” This love story is going to last – forever although it could Burst out any second and burn my soul And then – it won’t be so pretty… -- They injected the scanner liquid into my veins – my blood got warmer, I lifted up my hands….

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His face lit by moonlight, his thick black Hair on my stomach, The blood got warmer and warmer WE kissed and kissed through the moonlight, his Sweet saliva, his ultra-light kisses, his hard hard cock Inside of me “Come my love, he said, - let us come together…”

“The scanner is over”, the doctor said, “and you were lucky- you were not allergic to this product..” HIS face in semi-light over my Sweaty thighs, his fingers on my nipples, My face on his soft abdomen, this love which Last forever… Oh! My wet superb love! We could not stop Touching each other Ever since we met! “THE growth is less significant on The left side of the ovaries than on the right one”, the doc said, “Don’t worry, doc – if you have to cut me up, just go ahead, I AM such an obedient patient, but the idea that my body turns into a salad – just doesn’t make me smile…” “I don’t want to be tender, I don’t want you to caress me – I want you to destroy me”, Trakl’s sister told the poet, and I wanted you to crush me and then lick me away and cover with kisses… “It’s very addictive after a while,” my good friend told me, “once you start with heavy erotica you can never stop – until death do us apart – And now the doc awaits for me there On the other side Of heaven.

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Poème pour Em "Tu manques de maîtrise de toi et de tempérament", m’a dit mon Amour en me claquant la porte C’était dans une petite clinique du boulevard Malesherbes à Paris ... maintenant il pleut, il fait froid et j’ai mal. - "Vous avez 3 jours ici pour tout contrôler et régler votre problème", a dit le médecin "sinon n’importe quelle chose peut exploser." ... et il l’a fait.. les kystes, le temps, l’argent, les amants. Mon amant m'a appelé hier soir pour me dire Combien je lui manquais — Il m'a envoyé un poème qu’il a écrit pour moi avec un programme d'ordinateur que je ne pouvais pas ouvrir Juste au moment où je pensais pouvoir avoir un cœur ouvert pour le cœur de chacun. Mon Amour a entendu mon Amant appeler et demande: "Qui est-ce QUI t’appelle au milieu de la nuit ?" "C’est un jeune poète qui bout d’impatience," ai-je dit, "il ne te veut aucun mal ..." Le docteur m’a regardée en retenant son souffle : "Tout ce bouillonnement va se nécroser — ça va exploser et... ça va pas être beau..." Cette histoire d'amour va durer — pour toujours bien qu’elle puisse Exploser à chaque seconde et me brûler au plus profond Bien que — ça va pas être beau... -- Ils ont injecté le liquide pour le scanner dans mes veines — mon sang s’est réchauffé, J’ai levé les mains... Son visage éclairé par la lune, ses cheveux noirs épais répartis sur mon ventre, Le sang qui devient plus chaud, plus chaud NOUS nous sommes embrassés, embrassés par le clair de lune, Douce salive, ses baisers si légers, sa queue dure qui dure en moi. "Jouis mon amour, jouis avec moi…" disait-il.

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"Le scanner est fini", a dit le médecin, "et vous avez eu de la chance, pas d’allergie au produit.." SON visage en semi-lumière sur mes Cuisses moites, ses doigts sur mes seins, Mon visage sur son ventre mou, cet amour qui Dure à jamais… Oh! Mon superbe amour si liquide! Nous n’avons pas pu arrêter De nous toucher Dès que nous nous sommes rencontrés! "LA grosseur est moins importante sur Le côté gauche de l’ovaire que sur le côté droit", a dit le Doc, "Ne vous inquiétez pas, Doc — si vous devez me couper quelque chose, allez-y, JE SUIS vraiment une patiente obéissante, mais l’idée que mon corps se transforme en salade ne me fait pas rigoler..." "Je ne veux pas être tendre, je ne veux pas que tu me caresses — Je veux que tu me détruises", a dit la sœur de Trakl au poète, et je te voulais toi pour que tu m’éclates et que tu me lèches et que tu me couvres de baisers... "C’est une vraie possession après un certain temps", m’a dit mon bon ami, "quand on commence l’érotisme lourd, on ne peut s’arrêter — jusqu’à la mort qui nous fait une faveur — Et à présent, le Doc m’attend là, Pas du bon côté Du paradis.

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Né à Manhattan, vivant en Normandie, John WANDER est docteur en littérature, traducteur et poète. Il a publié un recueil Sky Self Love Life (SSLL) en 2013, son « paradis personnel », et prépare un second recueil chez le même éditeur, YKB, à New York. Sa traduction d’Ainsi la Paria a été publiée en 2014 sur le blog : http://camilleaubaude.wordpress.com/ Possession LOVE I SAY, I WISH IT, I CALL IT, feeling it hedging through my bones, pushing past discretions of the heart, creating anew some sense of selves, selfed, though nurtured apart. Uncertainties provoke it, sometimes perplex me, while standing in streetcorner rain, confusion's clarion summons me to clear my road: Possession! I reach out to clutch an enrapt body across a once-shared room, to drag two backing feet over rubble left by wrestling pairs, to make a mind survey once wasted time & placidly forget older greener mansions, & boldly pick a way towards me, pitching wrenched stone on building stones.

1/02/16

Possession JE DIS AMOUR, JE VEUX L’AMOUR, JE LE CRIE, je le sens dans mes os, il me couvre happe les pudeurs passées de mon cœur, recrée sa sorte de sens et de conscience, rassasié de sa propre nourriture. Le hasard le provoque, me laissant étonné lorsque j’attends à un coin de rue sous la pluie un clairon sonne dans le chaos pour éclairer ma route Possession! Je tends la main pour retenir un corps possédé dans une chambre qui fut partagée, pour faire glisser deux pieds hors des décombres du combat d’un couple, pour créer la survie de l’esprit quand le temps perdu, tranquillement oublié dans les anciennes demeures verdoyantes convie avec hardiesse au chemin vers soi, et j’arrache les pierres qui branlent d’une construction en pierres.

13/02/16

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David van VACTOR est poète et peintre américain, il partage sa vie entre Boston, Paris et la Normandie. Éditeur, il a connu un grand succès en publiant la version américaine de Les Mots pour le dire de Marie Cardinal. Bonne nuit, chérie Ils sont morts, les servants de la maison ! Il reste des bouts de nourriture dans l’air Le spectre d’une côte de porc tourne dans la salle à manger autour du chandelier. Dessin Voué à dessiner la vie, Je n'ai rien à dessiner, me dis-tu. Eh bien dessine ce que tu vois sur la page l’espace vide sache t’arrêter là où il faut. Chaque millimètre de chaque ligne comporte un risque. Si tu changes une chose, c’est la manière qui change et les motifs les uns avec les autres. Inoublié Vous pensez qu’il fait froid ? Vous ne savez pas à quel point on a froid Quand on est mort. Comment pouvez-vous vous en souvenir ? Vous voulez vraiment savoir ? Je souhaite vous le dire, Il n'est pas un seul de vos actes qui compte pour les autres. Habituez-vous au fait que, Vivant, vous avez été un double pour l’autre. Vous avez inquiété vos parents, Vous avez fait attendre des gens Vos mots cruels ont fait pleurer un enfant.

Traduit au Fresnay, Cambremer, été 2008

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Américain, Stuart KRUSEE a été vacataire dans des universités américaines, notamment à New York. Il vit à Paris où il écrit. Il a traduit Jacques Roubaud, ainsi qu’« Orphée » et « Psappha » dans les Poèmes d’Amboise.

Turn, Turn the face from the couvre-feu from the masters of snow stripped of might to little glowing things : phosphorescent blood, twisting vines, lovers’ prayers, stone aligned electrical and bright. We greet you - Salut ! We bring you presents. We won’t meet again. We descend to earth’s light in the vast arms of night. Toi, détourne ta Face de la ville éteinte par ces maîtres de la neige déchus, sans force mais de petites choses luisent : du sang incandescent des racines comme des sarments les prières des amants sont pierres alignées en lumières électriques. Nous te disons – Salut ! Nous t’apportons des présents. Nous ne nous verrons plus. Nous descendons vers la lumière terrestre dans les vastes bras de la nuit.

13/1/16

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Mario SELVAGGIO enseigne à l’université de Cagliari, en Sardaigne. Poète, traducteur et critique, on lui doit les éditions bilingues « Les Grands Classiques de la Poésie romantique française », des essais sur Gaston Miron et Tahar Ben Jelloun. Il a fondé et dirige avec Giovanni Dotoli la collection « Les poètes intuitistes » (Edizioni Universitarie Romane).

FARFALLE DI LUCE Nell’attesa stellata del tuo sguardo spaurito Serbavo il tuo amore con affetto inaudito Senza sosta agognavo il tuo corpo deciso Alla ricerca vibrante dei miei giorni-sorriso Vagava la mia mente sognando i tuoi sospiri Farfalle di luce d’orizzonti zaffiri

Cagliari, 16 dicembre 2014

PAPILLON DE LUMIÈRE Dans l’attente étoilée de tes yeux éblouis Je gardais ton amour de tendresse inouïe Sans chagrin je marchais à l’abri du malheur À la quête vibrante de mes jours de bonheur Voltige ô mon Esprit qui rêve de tes soupirs Papillon de Lumière au Lointain bleu saphir

Ursulines, 17 février 2016

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Israélienne, vivant à Jérusalem, Hava PINHAS-COHEN a déjà plusieurs thèses consacrées à sa poésie. Elle a écrit des poèmes inspirés des représentations féminines de la Bible. Cinq poèmes en français ont été publiés dans la revue http://temporel.fr. Fin 2015, Hava a publié un nouveau recueil à New York : http://syracuseuniversitypress.syr.edu/fall-2015/bridging-the-divide.html

Je t’invoquais dans ma prière tandis que ma main sur le clavier et du fond de mon corps te reconstituait pièce par pièce pour que tu mettes en ma main la clé pour le puits la clé pour l’abîme la clé pour la forêt la clé pour le canyon la clé pour la désolation la clé pour le battement et le bruissement de l’eau la clé pour le gémissement du cœur et celui des roseaux je t’ai invoqué dans ma prière afin que tu saches qu’à ton retour je ne serai plus abandonnée. Tu as répondu : « je suis loin » tu te penses supérieur toi qui es l’enfant de la femme toi qui te sens coupable de venir de quelque part.

Traduit à Jérusalem, 28/5/10

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Shérézada Chiqui VICIOSO est dramaturge, poète et journaliste à Saint-Domingue. Elle a vécu en Suisse et à New York. Son grand poème sur la naissance de la femme, Evasiones, a été traduit par Camille AUBAUDE et publié en version trilingue espagnol-français-anglais par les éditions Nehesi (New York-Saint Martin), en 2008, entre autres. Des lectures des deux poétesses ont eu lieu à Iguazù, en Argentine, ainsi qu’en témoigne le Voyage en Orient (2013), et dans une dizaine de Feria del Libro (à La Havane, New York…). Doce a été écrit à La Maison des Pages.

DOCE o

A Leonardo

I Ya se Leonardo que un cuerpo en movimiento adquiere en el espacio tanto lugar como el que pierde el problema es que no se ya cuanto queda de mi en el cuerpo que se aleja y si los dos cuerpos ¿este yo? te incorporan. IV Bella cosa mortal que pasa Y no dura nada — la fama — Mientras te leo Hijo del mil cuatrocientos Yo desconocida, ¿hija de cual de las edades?

DOUZE (Extraits)

À Léonardo I Là est Léonardo qui a un corps en mouvement emplissant l’espace semblable au lieu que j’ai perdu sachant que je ne sais pas quelle est la part de moi dans le corps qui s’en va et si les deux corps sont moi ? je t’incorpore. IV "La belle affaire mortelle arrive Et rien ne dure — la gloire — Comme je l’ai lu Fils du quatorzième et moi inconnue Fille de quoi dans tous les siècles ?

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VII "Ningun ser va a la nada" Nada "Cual la cosa indefinible que dejaria de serlo si se pudiera formular" "que seria finito si pudiera definirse" Nada/ndo En la nada Nadie va a ningun lugar Que no sea el insomnio Otra palabra Que no abre. VIII "El que ama recibe sus movimientos del ser amado" dictamen de lo diafano ningun ser va a la nada "porque recibe su movimiento del ser amado" ¿Dónde me estas esperando? IX "La vida nace cuando muere la esperanza" Y otra vez La aparente contradicción de las afirmaciones ¿ "Nace" la vida Cuando "muere" la esperanza"? Y, ¿no espera solo lo que, quien, vive? ¿O arbol, rio, rosa, hombre son porque existen siendo lo que ES La razon de su esperanza?

VII "Tout être va au néant" au Rien "Quelle est la chose secrète qui cessera dans ton être si cela peut se formuler" "qui serait finie si elle pouvait se définir" Nada / ndo vers le Rien Nul ne va quelque part hors l’insomnie l’autre mot qui ne s’ouvre pas. VIII "Celui qui aime reçoit ses mouvements de l’être aimé" énoncés diaphanes aucun de nous ne va au néant "s’il reçoit son mouvement de l’être d’amour" Vous attendez que je sois où ? IX "La vie naît quand meurt l’espoir" et une autre fois encore de l’apparente contradiction de nos affirmations Est-ce que la vie "naît" quand "meurt" l’espérance"? Et, ce qui vit, ceux qui vivent, espèrent-ils ? L’arbre, la rivière, la rose, l’homme sont pour qu’existe ce qui EST La raison de leur espérance.

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X "No hay que llamar riquezas a las cosas que se pueden perder" No a la esperanza Al libro Al amor Los sueños No al verde infierno Que llamamos patria No a la confianza No al optimismo, no a la verdad, al heroísmo Al fuego ¿estas palabras? XI A San Luis Noveno "Como el sentido sirve al alma Y no el alma al sentido" Me constituyo Y pese a los alertas me embarco Octava Cruzada Aigues-Mortes que me traslada a estas paginas donde revivo en la eternidad de lo hecho y dicho Hospital, Santa Capilla. XII MAISON DES PAGES

Circulares son las rutas de la espera el encanto de la piel frente al viñedo la mirada que se asoma a las arcadas del puente que reflejado en el Loira revela las entradas que el atardecer permite entrever con tonos entre naranja y rosa.

X "N’existe pas ce qu’on nomme richesses ni ce que l’on peut perdre" Non à l’espérance Au livre À l’amour Aux rêves Non à l’enfer vert Que nous appelons patrie Non à la confiance Non à l’optimisme, non à la vérité, à l’héroïsme Au feu Ce sont des mots ? XI

À Saint Louis le Neuvième "Comment le sens sert l’âme et l’âme ne sert pas le sens" Je me fais et me constitue à leurs signaux et j’embarque Huitième Croisade Aigues-Mortes qui m’amène à ces pages où je revis dans l’éternité de ce qui est fait et dit Hôpital, Sainte Chapelle. XII MAISON DES PAGES Circulaires sont les voies de l’espérance l’enchantement de la peau devant la vigne le regard qui ressemble aux arcades du pont se reflétant dans la Loire révélant des entrées où s’attarde le crépuscule aux tons rose-orangés.

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XIII Son las puertas columnas ancestrales que detienen arenas blancas, sauces llorones de esta extraña realidad cercana. XIV En la ruta de Santiago Apostol peregrina que arriba al Priorato de los santos Damian y Cosme condenada Catalina de Medicis el infierno de nuestra condenación se revela en la deshojadas rosas. XVII Anuncia el eco de mis pasos En las baldosas de la Maison des Pages La inefable presencia de Da Vinci Y el roce de la espada del guerrero E l r e t o r n o d e J u a n a d e A r c o .

XVIII Es la hora del crepitar del fuego de las notas del Laud que Jean Marie conjura con sus dedos de Arcángel clave sonora para el descenso de sus acompañantes. XIX Detrás de lo que aparenta una mirada Camille razga los velos de las busquedas no hay lejano lugar para las diosas y las montañas de Mexico son apenas otro Byblos.

XIII Voici les portes colonnes ancestrales qui contiennent les arènes blanches et les saules pleureurs encerclent cette étrange réalité. XIV En la route de Santiago le pèlerin atteint le Prieuré de Saint Damien et Saint Cosme qu’a voulu Catherine de Médicis et l’enfer de notre condamnation est révélé par les roses sans feuilles. XVII Annonce l’écho de mes pas Sur les sols de pierre de la Maison des Pages La présence ineffable de Léonard de Vinci Et le coup d’épée du guerrier Le retour de Jeanne d’Arc. XVIII C’est l’heure où crépite le feu des notes du luth de Jean Marie conjurant de ses doigts d’Archange les sonorités : elles descendent vers ses compagnons. XIX De ce qui pourrait être un regard Camille dérange les voiles de toutes les initiations pas d’endroit lointain pour les déesses et les montagnes de Mexico sont une autre Byblos.

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XXI En el jardin de Isis bajo la frondosa sombra de un cedro del Libano los Dioses Celtas de mi olimpo conducen al altar de rocas donde danzaba entre silvestres violetas y la verde vigilancia del verde infierno de otros bordes y confines. XXII ¿En que guerras, que combates perdio el inocente la reencarnación esperada? ¿Qué campesina encinta me condeno a la sangre? ¡Oh Principe de las Cruzadas! Noble señor cuya bondad no borra el grito ni la Orden el incesante murmullo del lamento. XXIII Catalina, Catalina ¿recuerdas cuando te creias mas poderosa que los Dioses? ¿tu, soberbia, poder la seduccion de la inteligencia arma mortal de la belleza Enrique, un pobre Rey aprisionado entre tus piernas?

XXI Dans le jardin d’Isis dans l’ombre de verdure d’un cèdre du Liban les Dieux celtes de mon Olympe mènent à l’autel de roches où dansent entre les violettes sauvages et la verte vigilance de l’enfer vert les autres bords et les limites. XXII En quelles guerres, quels combats ai-je perdu l’innocence et la réincarnation que j’espérais ? Quelle paysanne enceinte m’a condamnée au sang ? Ô Principe de la Croisade ! Noble Prince dont la bonté n’efface pas le cri ni l’Ordre de l’incessant bourdonnement du lamento. XXIII Catalina, Catalina souviens-toi quand tu te croyais plus puissante que les Dieux ? Qu’en est-il de ta fierté, de ta puissance la séduction de ton intelligence l’arme mortelle de la beauté Enrique, un pauvre Roi coincé entre tes jambes ?

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XXIV Catalina ayer fuiste blanca hoy reina de un castillo de zinc y tierra rojiza donde murciélagos y culebras se enseñorean del espacio y el viento mantiene abiertas las puertas para que la tibieza que construyes en oleajes de ternura incesante se estrelle contra el pedernal de todas las Dianas. XXV Nido donde el cascaron advierte ¡Oh Rey Arturo tropical! que no hay mesas redondas ni camas con dosel escudos de Flor de Lis o Salamandra que tu infinito apacigue. XXVI ¡Dioses Celtas! En la luminosa verde oscuridad de la foresta la pregunta -rosa deshojada- retoma su viejo laberinto circular Afina el oido en los linderos En la hornacina donde el cuervo anuncia la matinal sonrisa de la luz en las aguas del Loira : XXVII ¿En que otra Mansión de Paginas Sera el amor Un rio de vino tinto Y miel de rosas? La unica verdad ¿La unica?

XXIV Catalina hier tu étais blanche maintenant reine d’un château de zinc et de terre rouge où les chauves-souris et les serpents sont les seigneurs de l’espace où le vent maintient les portes ouvertes pour que la chaleur que tu portais dans les vagues incessantes de tendresse se brisent contre le silex de toutes les Cibles. XXV Nid dont la coque avertit — Ô le Roi Artur tropical ! qu’il n’y a pas de tables rondes ni de lits à baldaquin blasonnés de Fleur de Lys ni de Salamandre que ton infini apaise. XXVI Dieux des Celtes! En la lumière verte et obscure de la forêt la question - la Rose effeuillée- reprend son vieux labyrinthe circulaire, aiguise l’oreille sur ses bords Dans la niche où le corbeau annonce le sourire matitunal de la lumière dans les eaux de la Loire : XXVII En quelle autre Maison des Pages sera l’Amour un fleuve de vin rouge et le miel des roses ? La seule vérité La seule ?

Ursulines, 18/02/16

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Autoportrait à La Havane

Camille Aubaude et la photographie

Vos photos sont magnifiques ! Et vos textes d’une force qui m’émeut, a écrit Marisol Touraine, Ministre des Affaires sociales et de la Santé, le 13 février 2015, à propos d’Impression inimaginable.

Comportant des photographies d’Éléonore Nitzschke et des photographies de l’enfance et l’adolescence, Impression inimaginable mêle poèmes et images selon une mise en scène décidée par la poétesse.

Il existe un fond important de photographies de Camille Aubaude et par Camille Aubaude conservé à la Maison des Pages. Son père et son grand-père ont été des photographes amateurs primés pour leurs œuvres de qualité. La photogénie de Camille a inspiré de nombreux photographes professionnels et amateurs, et, comme tout artiste en quête d’altérité, elle a effectué des autoportraits.

Le grand photographe viennois, Erwin Huppert, a contribué à de nombreux portraits, infographies, photomontages et autoportraits de Camille, avec qui il a vécu à Montparnasse de 1987 à 1993, entre les séjours de Camille à Chicago (U.S.A.) et à Irbid (Jordanie). Il reste d’intéressantes photos de la période où Camille était mannequin de coiffure. Nous sommes à la recherche des photos faites dans l’atelier Pagès de la rue Rambuteau, qui était si célèbre au milieu des années 1980 pour ses coiffures sculptées* que les journalistes forçaient la porte, caméra au poing pour capter des visages. Il s’agit également de retrouver une émission de télévision de 1985, avec la chanteuse Sapho, où Camille représentait les coiffures de Pagès en sa présence et celle de son épouse, Myriana. Nous recherchons aussi des photos de la chorale de baisers de Nicolas Freeze, qui a eu lieu près des colonnes de Buren, dans les Jardins du Palais-Royal (répétitions dans le cloître du lycée Henri IV).

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Le cinéaste écrivain François Jost a contribué à faire exister le film constitué de photos animées, Rêve nu, le premier CDrom interactif à caractère ludique et poétique*. Camille suivait le cours de Serge Daney à l’université Paris III-Sorbonne, où elle a eu de nombreux échanges avec les réalisatrices expérimentales, grecque et égyptienne, Maria Klonaris et Katarina Thomadiki, invitées par Serge Daney. Camille les a interviewées lors d’une émission pour une radio libre, réalisant son premier « Dialogue de poésie » sur leur film Soma.

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C’est à cette époque qu’elle a accompagné le réalisateur Jean Schmitt (Les Anges déchus de la planète Saint Michel) au festival de films de La Rochelle où un danseur marocain, Nedjar, l’a invitée dans l’abbaye de Beauport, près de Paimpol, en Bretagne, qu’elle a photographiée.

Roger Knobelspiess a fait d’intéressantes photos avec Camille chez Marguerite Duras, aux Roches noires, à Trouville*, et à Amman avec Noël Favrelière (qui a inspiré le film Avoir vingt ans dans les Aurès)* au cours de leur fascinant périple au Proche Orient en 1992-93.

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Le photographe Jean Beauchesne (Paris Match) a fait un portrait de Camille à la FNAC de Tours, lors d’une séance de dédicace de La Maison des Pages au début des années 2000. Martin de la Forterie a photographié Camille avec Annie Leclerc et Forence Delaporte* et a mis en scène des séries de photos à la Maison des Pages, dont celle au bouquet de roses blanches reproduite dans un des articles de presse paru dans La Nouvelle République, où figurent aussi des photographies du journaliste Raphaël Chambriard.

Un des portraits réalisés par Grégori Mouloudji a été redessiné par le peintre et poète Jacques Basse et figure dans une anthologie. Le photographe Thibaut Vergoz a réalisé la célèbre photo dans la cavité du pressoir de la Maison des Pages, acquise par un fond régional de Tours. Le Voyage pittoresque, avec des poésies de Camille (http://vimeo.com/57707083) comprend des photos de la Loire et de la Maison des Pages, cette dernière lui ayant consacré une exposition l’été 2011, avec un vernissage aux flambeaux.

L’inventaire des photographies reste à faire. Camille Aubaude reste l’autrice des portraits qu’elle a mis en scène, tel celui aux pieds nus.

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Camille Aubaude et la peinture

De nouveau, il faut distinguer les œuvres de Camille et les portraits que l’on a fait d’elle. Ayant manifesté un don précoce pour le dessin, elle n’a pu conserver aucun de ses dessins du collège de Gentilly, telle une copie d’une miniature persane, qui furent exposés sans exception sur les murs du collège, voire ailleurs. Sont principalement conservés : un dessin à l’encre de Chine d’une tête du temple d’Angkor, une aquarelle d’une ville fantastique et deux visages de femmes au crayon.

Les premiers portraits de Camille ont été réalisés par Monique Dubois*, peintre du pays basque, d’après une photo de Jacques Aubaud d’une petite fille suçant son pouce. Il existe un dessin au fusain et une huile sur toile, et des tirages argentiques de cette photo qui illustre « Ainsi la Paria ».

Nous avons déjà cité les infographies d’Erwin Huppert* (ci-dessus).

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La peintre montmartroise, Michèle Lemercier, a effectué deux portraits au pastel*, un nu allongé et un portrait à l’huile sur toile de format ovale. Camille Aubaude a organisé une exposition des œuvres de Michèle Lemercier à la Galerie Art et Patrimoine, la galerie du Mont de Piété, rue des Blancs Manteaux, quand elle en a assuré la direction. Elle a aussi exposé Année Djian.

L’écrivaine amboisienne Martine Le Coz a dessiné un portrait d’après photo.

Martin de la Forterie a dessiné le portrait au crayon de « Camille lisant Consuelo » à la Maison des Pages, œuvre numérisée et largement diffusée.

La comédienne Marie-Hélène Breillat* a réalisé plusieurs dessins au trait de Camille, qui ont été numérisés et diffusés, ainsi que de splendides fusains non reproduits.

Le peintre Gaetan Brizzi a dessiné au crayon plusieurs études de Camille, ainsi qu’une représentation imaginaire de la Maison des Pages.

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La nomenclature des œuvres picturales reste à établir, car elles sont tout aussi fragmentées que les occurrences de Camille dans les récits de ceux qu’elle a côtoyés, tels Françoise Chenet, sa grande amie Françoise d’Eaubonne ou au début d’un récit de J.-B. Pontalis.

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Anthologie de poésie

Le Papillon d’Or

Souviens-toi des papillons bleus, jaunes et blancs, Des sphinx aux yeux de pourpre voltigeant Dans le parfum des joncs du jardin d’enfance. Souviens-toi de l’âge voué à la chrysalide Où les filets taraudent les chenilles, Éclats furtifs sur le trèfle d’émeraude. Les astres révulsés bondissent sur ton corps. Sur l’herbe noire, des iris bleus, jaunes ou blancs Défient le ciel pour défendre le roc éventré. Toi qui meurs, vois éclore le Papillon d’Or ! Il est seul ; il cisaille de son vol dégingandé La cime qui voulait danser avec le soleil. Je rêve ses courbes ouvertes pour l’aulnée, Un jour glissant dans l’ondoiement des nymphes. Vois son aile ruisseler des buées de l’arc en ciel ! Je t’aimais papillon fort, tel que moi, morcelé, Quasimodo d’une architecture brimbalée : Tu es le ciboire de la Nature bénie d'amour. Danse, danse, papillon blanc, bleu et or, Danse au seuil du jardin d’enfance, Sphinx à l’œil de sang, voilier de l’âme — aux antennes fossoyeuses de la Terre.

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Rondeaux

Riche est la femme sans passion. Offre-lui un livre de chants Rythmés par la fureur du soir Et la béance du mot tu. À sa parole traquée donne Tout ton saoul d’immortalité ! Riche est la femme sans passion. Les chemins de son visage Relient au fleuve de mes yeux Des feux, des nuits, des hantises, Les plaies des amours indécises. Riche est la femme sans passion. Offre-lui un livre de chants Rythmés par la fureur du soir Et la béance du mot tu. ***

Dans le désert des villes, tu appelles, Désert de gestes et de paroles, vide Des visages disposés dans la vie Comme des cippes ornés de glaïeuls. Les mains se ferment sur des perles Sans écrin à l’Orient de la nuit. Dans le désert des villes, tu appelles. L'œil se dilate mais rien ne bruit. Désert où prêchent tes mains tendues. Ta chevelure reçoit nos plaintes, Les rêves offerts qui pleurent pour rien. Et tes tympans sont grisés de cascades. Dans le désert des villes, tu appelles, Désert de gestes et de paroles, vide Des visages disposés dans la vie Comme des cippes ornés de glaïeuls.

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Ballade

De si loin, tu es revenu. Quelle joie, ton sourire face à moi, Tu sais, je ne l’espérais plus Et je ne croyais pas en toi. — Monde en attente de mémoire, J’aime toujours ton beau visage. Il m’a souvent réjouie le soir Où l’espoir immole la rage. Tant d’êtres sourient à l’amour. Sais-tu qu’avant notre rencontre J’aimais mal, je ne parlais plus. J’aiguisais un sort de vaincue, Je savais débusquer le monstre Qui se plaisait à me meurtrir. Et te voilà pour me ravir À l’ombre des blessures, des larmes, Là, pour sonner le glas des drames. Tant d’êtres sourient à l’amour. Mais l’étreinte enfante des pleurs Honteux d’exister. En vain, fuis Les préjugés, les lois et les nuits, Quand les morts comprennent qu’ils meurent Toute leur vie faute d’aimer ! Transmets avec ferveur les cimes De tes nuits aux ombres damnées, Esprits dont se moquent mes rimes. Tant d’êtres sourient à l’amour. Ô Toi devinant l’harmonie, Fruit du ciel, des pulsations Marche dans mes pas. Bois ton miel, Sauveur des peuples et des passions !

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Ode à Gaïa

Fervente Colombe, porte la Parole qui flamboie dans le Secret du Destin, quand le Papillon d’Or, ton Amoureux ! vole et que plus audacieux que son voisin, il s’immole, cruel. Si loin de mon pays, je vis, je m’envole en une Maison au somptueux dessein où les enfants qui grandissent à l’école parlent des langues dont je ne comprends rien. Mais si l’Essentiel ! Reine de la Paix, tu es ! mais tu t’étioles la tête noircie d’une Mission sans fin, des désirs impurs d’impatientes idoles, de Vénus cruelles au sentiment vain, ô Démons du Ciel. Ce sont des prisons, mais tu caracoles sur l’écorce pleine de vers des biens du Temps, tu te veux éblouie, toi, frivole sur la scène que l’Argent entretient, ô faim démentielle ! Terre de Paradis, tu es mais t’étioles de l’amère volupté dont tu m’étreins, bruissant de fruits, de graines, de fariboles, parfum de genèse émanant de tes seins blancs gorgés de miel. L’Éden est là, en ce Monde. Quelle Folle Envie de croire en l’autre à l’obscur jardin. Ta Face radieuse palpe la Parole de Papillons incandescents, puis s’éteint. Amour éternel !

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Procession de mon âme

Ça crevait les Yeux ça égaillait les Dieux ma chair greffée à la tienne

Ça poussait à crever le Ciel l’Aube illuminait ton Visage. Je suis éprouvée l’écrin des mots s’est retourné je serre dans mes bras leurs diamants. Voyons-nous sans bruit, sans regret sans contrat pour nous éborgner les Bien-Aimés s’accordent le plaisir. Qui es-tu mon Frère ? L’amour hanté en d’autres bouches chant d’Amour sans Adama l’époux qui crève le Rêve en exil dans les chagrins. Le matin fait souffler la tempête le soleil sans la matrice des mots est presque mort dans l’arène où s’acharnent les duels. Procession de mon âme dans tes yeux ! Ta présence est ma sœur exilée dans la douleur aveuglée par les Feux du Ciel. L’amour élargit les Yeux. L’amour est en Toi.

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Annexes

EXTRAIT DE

LA MAITRISE SUR LE STADE DU MIROIR

DANS LA POESIE DE STEPHANE MALLARME

(UNIVERSITE PARIS 7, 1983)  

Ceux qui s’abandonnent à la séduction des miroirs vont de la maîtrise du noir au

combat pour la naissance de la lumière qui balaie le spectre des couleurs ! Portée par son élan, une sorte d’offensive parfois retournée contre elle-même, cette séduction n’est pas une voie qui conduit à l’objet représenté mais un obstacle qui en éloigne. Elle est l’intention qui s’égare dans la sensation elle-même. Séduction, intention, égarement déclinent l’invitation à se perdre dans le vide sidéral de la quête des origines.

La lecture de Mallarmé ouvre l’oreille du cœur. Le poète, le lecteur et le miroir entretiennent des rapports réciproques dont l’enjeu s’éloigne de toute formulation – sans doute des désirs équivoques, des soifs inassouvies. L’esprit du poète, l’esprit du miroir et l’esprit du lecteur, sans cesse portés et distendus par l’autre, se renvoient la jouissance d’une beauté éprouvée originellement – et non pas un face-à-face où les deux termes définis succomberaient à la fusion. Éclat de poésie et fragments d’élégance, l’attrait de la beauté absorbe les sensations avec la force d’une marée d’équinoxe. Impressions égarées, sens aux aguets, mais impuissants à signifier l’objet perdu dans sa présence, invitent à entrer de plain-pied dans la contemplation du Beau.

« Indomptablement a dû Comme mon espoir s’y lance Éclater là-haut perdu Avec furie et silence […]. » Petit air

L’ardeur inconcevable sans la tranquillité, la fureur et la paix, le combat et le calme… Autant de dualités, autant de doubles tenant lieu de véhicule pour accéder à la beauté, « là-haut ». Elle est élévation. À l’abri des interruptions, des béances et des pauses, elle régente toutes choses. Un dispositif catoptrique l’accueille et la désoriente, étant entendu que dans l’errance de reflets et de filtres, l’offensive de séduction réussit si peu à vaincre qu’elle prend le temps de redevenir primitive. L’élan vers la beauté, antidote à la sensation de mort, l’interminable sentiment de laideur et d’anxiété, ne vise ni

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un lieu, ni un corps, mais le goût premier d’un espace disponible. Il tend vers une victoire disposant ses pièges sans jamais se laisser atteindre. Ce n’est pas un hasard si « poésie » et « perfection » sont synonymes de beauté.

« Ce fard noyé dans l’eau perfide des glaciers. »

Le pitre châtié

La beauté est suspendue aux lèvres du miroir, désormais étendue liquide où se dissous le monde des formes. Le monde des modèles, des archétypes est un avatar de la vacuité. Au-delà de ce fatras trompeur, traversé de fausses évidences, le devoir de haute voltige consiste à retrouver le tracé sublime de la musique et de la danse. Puisse-t-il s’exercer sur des gouffres ! L’idéal est une fantasmagorie dont les traits vertigineux s’organisent au fond de la rétine. Un cillement, et le chatoiement se désagrège.

Un baiser donné à la surface limpide de l’eau peut aussi suffire. Narcisse a cherché à périr par un jeu d’illusion. Nul n’a encore enfreint le principe du miroir qui veille sur la beauté… Il renvoie fidèlement l’image du jeune homme à la source. La source se reflète dans les yeux de Narcisse, son corps dans le tableau, et le tableau dans les yeux du spectateur, à l’affût de la perception première de lui-même. La métamorphose d’un corps humain en fleur châtre l’auteur de la transgression.

Après une transmutation parfaitement réussie, le silence s’installe. L’altérité a retrouvé sa place, exigeant un combat entre forces contraires. Pourquoi ce défilé d’antagonismes, pourquoi ces dualités ? Dans l’intention de parer à la crise de la fusion mimétique ? Dans le dessein d’esquiver la noyade où le bouffon se retrouve, lui ? Bouffon à force d’être sûr de renaître dans l’autre - le même - à la recherche de l’harmonie, de l’exquis et du rare ; l’autre qui surprend dans sa nudité première.

« Habillée de satin et parée de diamants, que notre Fantaisie monte donc les marches de l’escalier somptueux ; que les yeux détachés du magnifique portrait de la maîtresse du lieu, exposé à Vienne par Carolus Duran, traversent le salon de musique avec le grand piano Herz, pour reconnaître le salon de réception ouvrant sur un jardin d’hiver tropical, un jet d’eau et des voûtes brillantes de pierreries qui sont la richesse ou le chant de mille oiseaux, puis s’arrêtent autour d’un buste en marbre blanc par Clésinger, représentant la dame peinte à l’entrée. »

La dernière mode, n° 8

La connaissance parfaite du Beau est soumise à la loi du regard. Qu’importe si les fragments sont définitifs, ou bien s’ils s’effilochent ! Les yeux travaillent à les remettre d’aplomb ou à les changer subrepticement pour rétablir la perfection. L’unité de l’art rejoint l’essence la moins élaborée, la plus archaïque de l’autre. L’improbable reconstruction provoquée par les surfaces réfléchissantes crée l’effet esthétique, mais le

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désir d’assister à la vision de son propre corps et l’espoir que l’autre puisse être un vivant reflet de soi se heurtent aux simulacres invisibles dont le monde est rempli. La réalité devient symbole de cette absence.

Projet établi à la demande de Francine Figuière, pour la Bibliothèque Publique d’Information (BPI) du Centre Georges Pompidou-Beaubourg, Paris, à la fin des années 1990.

LE FAIT RELIGIEUX EN QUESTIONS

« Le Monsieur, plutôt commode, que certains observent la coutume d’accueillir par mon nom, à moi esprit,

là-haut, aux espaces miroitants […]. » Stéphane Mallarmé, Bucoliques

En un cycle de neuf conférences et débats, il s’agira de poser les interrogations contemporaines sur le fait religieux. Perdant son sens fondamental de réceptacle de symboles — ces symboles qui captent l'art, la culture, la beauté et la spiritualité —, le fait religieux est l'apanage d'esprits égarés dans des luttes rituelles — cf. la situation en terre sainte —, ce qui oblige à le considérer avec objectivité, pour le décloisonner et le relativiser en introduisant un enseignement des sciences religieuses dans le secondaire.

I - Une première séance s’attachera à définir le fait religieux et les moyens dont on dispose

pour le présenter aux jeunes, à travers les arts, la sociologie et l’histoire. On s'attachera à cerner précisément le besoin vital de croyance.

Participants prévus : Régis Debray, Luc Ferry, Françoise d’Eaubonne. II - Le langage des mythes et des symboles. Leurs spécificités et leur métissage actuel. Les

récits et leur sens universel. Cf. les travaux de Mircéa Éliade (Traité d'Histoire des Religions). Participants prévus : Alain Bauer, Daniel Maximin (poète), Meschonnic. III – « La violence et le sacré » : le sacrifice comme acte fondateur d'une nouvelle religion.

Le problème des martyrs - notamment aujourd’hui - ; les valeurs du Bien et du Mal ; l’angoisse de la mort ; le rôle du prophète, du "prédisant" (Derrida) que l'on n’écoute jamais - cf. les travaux de René Girard.

Participants prévus : René Girard, Jacques Derrida.

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IV - Les cultes à Mystères et l’histoire romaine. Comment comprendre les rites (avec, entre autres, le thème de la maîtrise des ténèbres et du combat pour la naissance de la lumière) et le sentiment religieux ?

Participants prévus : René Grimal, Jean Leclant, Antoine Faivre et des spécialistes de Rome.

V - Le rôle de la Révolution française dans l'instauration de la laïcité. La grande création et

le grand échec révolutionnaires : le culte de l’Être suprême instauré par Robespierre. Le vide laissé par la destruction de l’Église. L'intérêt pour l’Égypte ; la naissance de l’Histoire des Religions - cf. les théories sur les druides, La Religion universelle de Charles Dupuis - ; le discours religieux appliqué aux époques (analogie entre l'époque d'Alexandrie, la Renaissance et le Mal du Siècle).

Participants prévus : Mona Ozouf, et des spécialistes de la Révolution (Claude Rétat, auteur d’une thèse sur Ch. Dupuis).

VI - Égarements et intolérance de la société laïque au XIXè siècle. Cf. les travaux de Renan

(dont La Vie de Jésus) très contestés ; les recherches de Michelet sur la spiritualité (La Sorcière) ; la quête religieuse des auteurs romantiques (L’Âne de Victor Hugo, par ex.) ; le nouveau discours sur l’hypnose et les états de croyance, précurseur de la psychanalyse.

Participants prévus : des spécialistes du XXè siècle, Anthony James, sur l’évolution du discours psychiatrique.

VII - Les interprétations de la psychanalyse et de la biologie, et autres substituts d’un dieu

auquel on ne croit plus. Ces interprétations peuvent être considérées comme autant de miroirs qui semblent briser en mille éclats la splendeur qu’ils réfractent, pour la bonne raison qu’ils ne retiennent que la capacité à montrer des morceaux de réel et à garder l’autre à distance.

Participants prévus : des psychanalystes et des biologistes (cf. Gérard Lopez et sa théorie de la domination à travers le mythe du vampire).

VIII - De nouveaux rites ? De nouvelles croyances ? Où en sont les religions du Livre

aujourd'hui ? Le thème de l’amour et de la tolérance. Participante prévue : Julia Kristeva. IX - La didactique de l’enseignement des religions, enseignement fait pour créer une place

à l’autre, pour éviter qu’il ne se perde dans un jeu de miroir qui traduit à la perfection le caractère d’altérité de l’objet religieux.

Participants prévus : des enseignants formés pour le secondaire, Emmanuel Anati (il a reconstitué le voyage des patriarches pour la télé et créé une université, cf. Les Racines de la culture).

Splendeur (Splendor)

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Projet de préface établi à la demande de l’auteur Enrique Verástegui (Lima, Pérou)

Les 999 pages de Splendeur « et 36 mille vers fabuleusement travaillés », écrit Enrique, sont comparables « au Mahabarata hindou »…

Les textes d’Enrique Verástegui ont tous une manière spéciale de poète.

L’auteur de Taki Onqoy, d’Analecte, d’Alomia Robles est l’un des poètes vivants les plus talentueux du Pérou.

Enivré de ma richesse linguistique, J’ouvre les yeux vers la mer.

(Analecte II, trad. Camille Aubaude, extrait publié dans Le Pan poétique des muses, LPpdm n° 4, France)

Je suis très honorée d’échanger une correspondance avec ce grand poète de Lima, fidèle à la clarté des grandes civilisations disparues. Quand il m’a envoyé à Paris son poème Analecte, j’ai compris la force et l’originalité de ses tournures poétiques, et admiré le génie d’une expression en espagnol poussée au plus haut degré, qui, dans une langue étrangère, ne peut s’accommoder que d’une réécriture par un poète.

Comme tout grand poète, Enrique Verástegui n’est pas revenu indemne de ses échappées dans les régions de la pure poésie. Son chemin de vie, son initiation personnelle au langage montrent qu’il est toujours prêt à se dépasser, à franchir les obstacles, sur la voie de la création littéraire.

Enrique Verástegui était l’ami de Severo Sarduy, poète, dramaturge, peintre et collectionneur cubain, mort à Paris en 1993. Il publie aujourd’hui un livre de philosophie politique, sur l’anarchisme. Toute la solennité de son écriture resplendit dans ce livre. Comme les hautes montagnes de Cuzco, il domine la société moderne, qui avance à toute vitesse, en brisant les vies, en oubliant les hommes.

Enrique Verástegui se considère comme un « produit hippie en poésie ». La «métaphore de la rebellion» (voir http://jcoaguila.blogspot.fr/2012/12/entrevista-enrique-verastegui.html) n’est-elle pas l’œuvre d’Enrique Verástegui toute entière ? Cette âme altière a toujours respecté les sentiments sacrés. Sa « cosmogonie poétique / mathématique » intitulée Splendeur « crée l’univers. Il nous présente une cosmogonie poétique / mathématique, constate Elena Cáceres, qui, comme un fractal1, permet d'innombrables lectures qui se dépassent elles-mêmes. Moitié

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oracle, moitié code secret, règles de vie, philosophie, énoncés mathématiques et de poésie […] le bonheur et la perfection sont atteints par la quête de la connaissance ».

C’est un livre de mathématiques pour le siècle nouveau. Les gigantesques images conviées par ce poète féru de pythagorisme n’ont aucune emphase. Sa poésie est en harmonie avec son esprit, ses connaissances multiples, et la nature qui l’entoure.

Cette publication répond à l’attente qu’a fait naître le poète de Taki Onqoy, littéralement : la «maladie de la danse » (dancing sickness), un renouveau religieux né dans un contexte de crise. La thèse de Sandra Lee Allen Henson

(http://dc.etsu.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1799&context=etd)

théorise le manque d’être qui stigmatise nombre d’œuvres d’art de notre époque :

In 1532, a group of Spanish conquistadores defeated the armies of the Inca Empire and moved from plundering the treasure of the region to establishing an imperial reign based on the encomienda system. The increasing demand for native labor and material goods forced fragmentation and restructuring of indigenous communities. The failure of evangelization efforts by the Spanish, the breakdown of their bureaucratic apparatus, and the threat of the Neo-Inca State in exile generated a crisis among the Spanish in the 1560s. Concomitantly, indigenous Andeans experienced psychological and spiritual pressures that found an outlet in the millenarian movement known as Taki Onqoy. This thesis discusses the Taki Onqoy in the context of the decade of crisis, and its role as a mechanism of archaism by which the Andean people endeavored to restructure their post-conquest world.

Le XXIè siècle cicatriserait ses plaies en rendant justice aux grandes civilisations disparues que Verástegui fait renaître dans sa poésie. Ce sont des spectres immenses qui planent en des rythmes savamment cadencés.

Splendeur a une triple importante : cette publication nous fait estimer le talent d’un poète novateur de notre temps, dans la force de l’âge, en pleine possession de ses facultés créatrices ; elle nous montre l’état de la poésie péruvienne à l’heure de la grande mutation informatique ; enfin, Enrique Verástegui se coule dans les flots de l’expression spécifique d’une poésie lyrique soutenue par la spiritualité.

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Bibliographie sélective

• Isis 1-7, Vendôme, éd. Gabrielle D., 1991, 7 vol. (poèmes).

• Entretien avec Marguerite Duras et Roger Knobelspiess dans L’Imbécile de Paris, mai 1992.

• Lire les Femmes de lettres, Paris, Dunod, 1993.

• Gérard de Nerval et le mythe d’Isis. Préface de Claude Pichois, Paris, Kimé, 1997.

• Le Voyage en Égypte de Gérard de Nerval, Paris, Kimé, 1997.

• La Maison des Pages. Préface de Claude Vigée, éd. La Bartavelle ; Aumage éd., 2002.

• Edition et préface de Poèmes d’Amour, de Christine de Pizan, Aumage éd., 2003.

• Ivresses d’Égypte, Paris, Aumage éd., 2003.

• L’Égypte de Gérard de Nerval, Paris, Publibook, 2004.

• L’absolue retraite de Léonard de Vinci (nouvelle, avec une traduction en anglais de Tony James), Aumage éd., 2004.

• Gallia (récit), Aumage éd., 2005.

• Poèmes d’Amboise, Paris, La maison des pages éd., 2007.

• La Sphynge, Paris, L’Ours blanc éd., 2009.

• Chant d’ivresse en Égypte, avec les lithographies de Danielle Loisel (poème, livre d’artiste), Paris, Signum, 2009.

• La Lune aux rayons brisés de Satoko Tamura, traduction, coll. «La maison des pages», Paris, Publibook, 2009.

• Poèmes satiriques. Poèmes et photographies. Paris, La maison des pages éd., 2010.

• Le Promeneur du Mont aux Vignes, suivi du Tabernacle. Poèmes, livre d’artiste, conçu par Vivian O’Shaughnessy), 2011.

• Io, la Vache sacrée. Épyllion en prose, livre d’artiste, ibid., 2011.

• L’Ambroisie (nouvelles, avec photos). Paris, La maison des pages éd., 2012.

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• Poèmes choisis (mini-livre). Paris, La maison des pages éd., 2012.

• Ballades. Poèmes. Livre d’artiste, conçu par Vivian O’Shaughnessy. Paris-New-York, 2012.

• Alexandrie ou la colère d’Ariane. Épyllion en prose, livre d’artiste, ibid.

• Le Messie en liesse. Poèmes. Paris, L’Ours blanc éd., 2012.

• Voyage en Orient. Récit, poèmes, 2è Prix Marguerite Yourcenar 2013. Paris, La maison des pages éd., 2013.

• Impression inimaginable. Poèmes et photographies. Paris, La maison des pages éd., 2014.

• La Malcontente. Poèmes et photographies. Paris, La maison des pages éd., 2015.

• Le Sevrage (à paraître). Le 1er chapitre est publié dans le numéro 4 du Pan poétique des muses intitulé Tant de Philomèles en ce monde, sous la direction de Camille Aubaude, éd. Pan poétique, février 2016.

ÉTUDES

« Le cinéma algérien autour d’Omar Gatlato », dans Filmographe, n° 9, Paris, F.L.E.C., 1981.

« Horus, le mythe du Rédempteur ». Colloque de l’Agrégation sur Gérard de Nerval, dans Romantisme, SÉDÈS, 1997.

« Isis romantique, la grandeur du mystère », dans Actes du 1er Colloque International sur les études isiaques, Poitiers-Futuroscope, 8-10 avril 1999. Édités par L. Bricault, Brill, Leiden, Boston, Köln, 2000.

« Le rituel isiaque dans « Le temple d’Isis » de Gérard de Nerval », dans Isis, Narcisse, Psyché, entre Lumières et Romantisme. Mythe et écritures, écritures du mythe. Presses Universitaires Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 2001.

« Auguste Poulet-Malassis de Claude Pichois », dans la N. R. F. n° 527, déc. 1996.

« Le complexe de l’homme abandonné », dans Les Dossiers H, Sacha Guitry, L’Âge d’Homme, 2002.

« Hypothèse amour de J.-J. Moscovitz », dans La Quinzaine littéraire, n° 807, 2001.

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« Les Mystères d’Isis, de Böttiger à Nerval », dans Le Livre des Mystères (19/20, CNRS, 2003).

« Poèmes de femmes », dans Lectrices. La littérature au miroir des femmes. Textes rassemblés par Marianne Camus et Françoise Rétif (É.U.D, coll. Écritures, 2004).

« Une porte ouverte sur la mer ». Colloque « Les poètes français d’aujourd’hui et Rimbaud », Sorbonne, 19 mai 2004, dans Chemins de traverse, n° 26, décembre 2004.

« Une correspondance révolutionnaire : Isabelle de Charrière et Benjamin Constant », dans Chemins de traverse, n° 28, 2005.

« Un filon d’or ». Forum international des Poètes (4-5 avril 2005), dans Poésie & Art n° 7, Université de Haïfa, Israël, 2005. Repris et remanié sous le titre «La poésie lyrique. Un filon d’or» dans Actualité Verlaine n° 1, Metz, Société des Amis de Verlaine, juin 2010, pp. 4-6.

« Yvonne Caroutch. Les Soifs, la Licorne et l’inaccessible clarté». Dans Regards sur la poésie du XXè siècle, sous la direction de Laurent Fels, Presses Universitaires de Namur, Belgique, 2009, T. I.

« Nommer un métier, la poétesse ». Avec le poème « La Maison des Pages ». Dans Les Voi(es)x de l’autre, sous la direction de Patricia Godi-Tkatchouk et Caroline Andriot-Saillant, actes du colloque des 7-9 nov. 2007, Presses Universitaires Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 2010.

« Renée Vivien ». Avec un extrait du Voyage en Orient. Dans temporel.fr, n° 11, Paris, 2010.

ANTHOLOGIES, REVUES ET COLLECTIFS (avant 2005)

« Vous avez dit genèse ? » dans L’Imbécile de Paris, mai 1992 (pseud. Io Cardo).

Les Nouveaux poètes français, par Jean-Luc Favre et Matthias Vincenot. Préface de Jean Orizet de l’Académie Mallarmé (J.-P. Huguet éditeur, 2001 ; réédité en 2004).

L’éternel féminin (L’Âge d’Homme, 2001).

Lignes de métro (L’Hexagone, Montréal, 2002).

LITTERAlement (Passage d’encres, 2003).

Poetas en las nubes (Mexico, Mexique, 2004).

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« Horus, l’enfant béni », dans La Salamandre, revue gothique et littéraire, 2004, n° 3.

Nerval à Saint Germain en laye (éd. Hybride, 2005).

« Un filon d’or ». Forum international des Poètes (4-5 avril 2005), dans Poésie & Art, n° 7, Université de Haïfa, Israël, 2005.

« Ballades », dans L’Arbre n°10-11, Paris, 2005.

PUBLICATIONS sur la TOILE

http://www.levurelitteraire.com/0NUMERO2/2_aubaude.htm

http://levurelitteraire.com/camille-aubaude-3

http://temporel.fr/Camille-Aubaude-Poeme

http://temporel.fr/Patricia-Izquierdo-par-Camille n° 6

http://temporel.fr/Camille-Aubaude-prose n° 7

« Hiéronymus». Dans Temporel.fr n°9, 2010

http://temporel.fr/Yvonne-Caroutch-par-Camille n° 10

http://temporel.fr/Camille-Aubaude-prose,653 (Voyage en Orient, « La Forêt tropicale »)

http://temporel.fr/Renee-Vivien-par-Camille-Aubaude

http://temporel.fr/Camille-Aubaude-invite-Anne-Mounic n° 12

http://temporel.fr/Jan-Fabre-par-Camille-Aubaude

http://www.pandesmuses.fr/article-dis-le-diable-a-quelle-date-la-guerre-117626547.html

http://www.pandesmuses.fr/article-poemes-en-papiers-plies-116293860.html

Chroniques littéraires dans LPpdm

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Parmi les coupures de presse, rapports, lettres, méls et sms que l’on ne compte plus, retenons ceux qui éclairent l’œuvre de Camille Aubaude

Sur Le Mythe d’Isis et Le Voyage en Égypte de Gérard de Nerval « Une impressionnante aventure intellectuelle et personnelle […]. L’excellente bibliographie et le matériel iconographique extraordinaire viennent à l’appui de ce constat ». Julia Kristéva, universitaire, essayiste et romancière, dans Rapport de soutenance 1992. « Des mots justes, des chimères et de la simplicité […] une grande idée de la femme ». Marguerite Duras, écrivaine, cinéaste, entretien publié dans L’Imbécile de Paris, 1992, et sur www.camilleaubaude.com « Un imaginaire féminin, secret, fécond, inoubliable. L’union de l’Orient et de l’Occident, de l’amour et de la solitude, de la culture et de la liberté me fait entendre votre chant immense et déchaîné. » Léopold Sédar Senghor, poète, écrit lors de l’hommage pour ses 90 ans à l’UNESCO, 1996. « Deux volumes très documentés, qui sont appelés à figurer en bonne place dans toute bibliothèque romanticiste ». Michel Brix, universitaire, écrivain, dans Romantisme, n° 102, 1998. « La documentation considérable qui a été nécessaire pour réaliser ce projet présente un grand intérêt en elle-même, dans la mesure où elle apporte un éclairage original sur l’histoire des idées au XIXè siècle ». Max Milner, universitaire, essayiste, dans Rapport de soutenance. « Cette thèse reprend à la base les travaux sur le spiritualisme ésotérique de Nerval, en attachant son étude à la figure d’Isis, centrale dans l’œuvre ». Gabrielle Malandain, universitaire, dans Rapport de soutenance. « Une recherche extrêmement riche et un immense effort justement couronné ». R. P. Jean Guillaume, universitaire, poète. Lettre manuscrite. Je dois avouer que j’ai été, étonnement, envoutée par cette démonstration. […] je suis rudement intriguée ! Je pensais avoir bien compris les liens que vous faites entre les mythes profanes, la démence de Nerval et sa conception de la vie. Mais j’étais loin d’imaginer que son regard sur la femme prenait son sens dans ce culte. J’ai une nouvelle vision d’Aurélia, qu’il me manquait assurément pour comprendre la symbolique de l’œuvre. […] votre essai est peut être la clé pour me faire apprécier la littérature à sa juste valeur. Quel travail vous avez

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accompli ! Avez-vous tenu compte des « écrivaines » internationales ? Originaires de pays où les droits des femmes sont bafoués et inexistants ? Je pense par exemple à Taslima Nasreen ou Marjane Satrapi, qui sont pour moi des références en matière d’engagement littéraire du XXè siècle. Éva Poulin, étudiante, courriel du 21 octobre 2014. Sur Lire les Femmes de lettres (sous le nom Camille Aubaud) réédité sous le titre Les femmes de lettres dans la littérature française. « Camille Aubaude réhabilite les écrivaines dont on a injustement effacé les noms, et prouve qu’elles ont, aussi, de la plume ». Charlie-Hebdo, 11 août 1993. « Bilan très sérieux de ce qu’on appelait autrefois la littérature féminine, en France, du Moyen Âge à nos jours ». La Quinzaine littéraire, 1er oct. 1993. « Ce livre […] est cette plate-forme lumineuse où l’esprit féminin, si nié, si réprimé fût-il, œuvrait pour la réconciliation homme-femme… Dans tous les sens et littérairement ». Roger Knobelspiess, L’Événement du Jeudi, 20 janv. 1994. « Le propos de Camille Aubaude nous paraît courageux […]. Elle a, de plus, le mérite d’attirer l’attention sur bien des pages oubliées et elle donne envie de découvrir des livres ». Danièle Gasiglia-Laster, Romantisme, n° 85, 1994. Sur La Maison des Pages « Accrochée comme par magie au coteau surplombant la Loire, la maison des pages est un des hauts lieux immémoriaux de la ville d’Amboise. […] Camille Aubaude a fait tout un roman de son bilan. » Philippe Delalande, La Nouvelle République, 20 octobre 1994. « La nomade des lettres et du savoir s’est finalement posée ici […]. Et son antre est cette « Maison des Pages » si mystérieuse, sujet de son nouvel ouvrage dans lequel elle évoque l’histoire tumultueuse et tourmentée de son « chez soi » vraiment pas ordinaire ». Pascal Landré, La Nouvelle République, 24 octobre 2002. « Je la reconnais derrière les murs et les ombres de la maison secrète où j’ai séjourné, et dont elle évoque le mystère avec une grande subtilité et beaucoup de talent. Un lecteur étranger qui ne connaîtrait ni la ville d’Amboise, ni la Maison des Pages, serait attiré vers elles à travers le brassage des mots et leur musique discrète. Grâce à une écriture

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parfaitement tenue, l’histoire et l’architecture exceptionnelles de la Maison des Pages prennent figure d’allégorie ». Claude Vigée, Préface, 2003. « Il existe à Amboise une maison aussi envoûtante que sa propriétaire, qui vient de lui consacrer un livre. A mille lieues à la ronde, elle est connue pour être « La Maison des Pages » et les Tourangeaux se souviennent que l’on se signait en passant devant elle. […] On disait aussi que Léonard de Vinci y avait séjourné et travaillé ». FR 3 Tours, téléfilm d’Alain-Georges Hémonet, 2003. « Maudite pour les uns, envoûtante pour les autres, cette intrigante bâtisse, au passé aussi légendaire que sulfureux, est depuis dix ans l’antre de Camille Aubaude, elle aussi singulière […] « parce que chaque écrivain doit trouver un jour sa patrie d’élection » ». Jean-Luc Péchinot, Le Magazine de la Touraine, sept. 2004. « Balcon sur la Loire, la Maison des Pages intrigue, fascine. Son architecture, les sculptures de sa façade à colombage, celles de l’intérieur, sa situation à flanc de coteau, son parc d’un hectare au sommet près d’un fanum, centre sacré gallo-romain, font de cette demeure du XVè siècle un lieu unique ». Raphaël Chambriard, La Nouvelle République, « La Maison des Pages d’écritures à livre ouvert », 9 août 2005. « Alors elle est hantée ? Je frétille […] pendant des années, j’ai fait un rêve où je rencontrais trois femmes, toujours dans une maison inconnue où elles m’accueillaient, me posaient des questions, ou au contraire me donnaient une information mystérieuse. Elles étaient toujours bienveillantes. Je t’ai raconté le rêve, mémorable, que j’ai fait dans ta Maison des Pages, après avoir entendu un passage de L’Été de Camus que je n’avais jamais lu — à propos d’une prédiction de la mort de l’auteur (« Quand je mourrai, une étoile…»). Je ne sais pas du tout à quoi tout ça rime, mais ça t’intéressera en tant qu’écrivaine branchée sur les choses supra-naturelles ». Françoise d’Eaubonne, écrivaine, lettre du 4 mars 1997. « Un texte puissant et étrange à l’instar de la maison. On est vite happé et il y a des moments où le livre est, comme disent les anglais "unputdownable". J’ai aimé la variété des registres, la progression de l'attention portée aux "mondes" que recèle la maison, l'allure énigmatique de certains passages, et bien sûr j'ai été sensible à tout ce qui rejoignait rêve ou songe. L’écriture de Camille Aubaude a parfois quelque chose de nervalien […], je songe à la précision des détails visuels d'un côté, et à une certaine forme d'abstraction, de l’autre. » Anthony James, professeur à Manchester, U.K., essayiste, 2003.

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Sur Ivresses d’Égypte « Je trouve ce recueil passionnant pour toute cette fabrication texte-temple-rite ». Claude Retat, CNRS, courriel. « Camille Aubaude est une personnalité dominante de la nouvelle génération poétique ». La Nouvelle République, 15 octobre 2003. « Un recueil qui contient quelques-unes de plus belles pages de Camille Aubaude ». Henri Ménantaud, universitaire, courriel. « Pour dire sa vérité intérieure, Camille a la volonté de rassembler les morceaux, d’employer des styles variés. Cette mission impossible fait que ses livres me troublent, qu’ils m’éblouissent d’émotions et me comblent d’aise, plus que toute l’œuvre de Rimbaud. [...] j’ai ressenti le souffle extraordinaire du Sevrage, sur l’enfer d’être une grande artiste, et j’ai gardé Le Mythe d’Isis à Alep par une fidélité jamais démentie à cette poétesse de l’Orient. Un Orient initiatique, qui déborde de sensualité. » Julien Weiss, musicien, philosophe, entretien avec Camille Aubaude, à paraître dans les Actes de la Journée d’étude sur Impression inimaginable et La Malcontente, Metz, Arsenal et Maison Verlaine, juin 2014. Sur Gallia « Ce roman est avant tout l’histoire d’une rencontre avec un Hollandais […] qui, dans le livre écrit par Camille Aubaude, raconte son histoire passionnée avec Gallia, une femme qui va l’envoûter ». La Nouvelle République, 7 mai 2005. « On est entraîné page après page dans une histoire émouvante et dans la vie bouleversée d’un homme longtemps fermé à tout dialogue […]. L’auteur met en musique une histoire vraie qui, au fil des lignes, prend une telle intensité qu’on ne lâche pas l’ouvrage avant d’en connaître le dénouement. […] Il y a dans ce livre une écriture sensuelle, envoûtante, mystérieuse. Mais Camille Aubaude n’est-elle pas, d’abord, une poétesse » ? L’Humanité, par José Fort, 11 août 2005. Sur Poèmes d’Amboise « Ce que j’ai aimé dans vos poèmes, c'est leur côté chanson, ballade ou ritournelle qui les rattache à la source même du genre, ce rythme que certains aiment à (faire) entendre dans la langue et qui les lie à la plus tendre enfance, voire au pur néant d’avant la naissance. Votre univers est ainsi logiquement scandé, si je puis dire, stances et chambres s'accordent, vers et rimes dévident leur tresse, les images font leur ronde avec pertinence. » Florian Rodari, directeur littéraire des éditions La Dogana.

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« Dans cette belle demeure de la poésie et du mystère à l’état pur, les pierres parlent autant que le grand parc : les fées dialoguent avec Léonard de Vinci et avec les pages des temps anciens. Ce lieu d’accueil a inspiré à Camille Aubaude des poèmes très incarnés, dignes de Marguerite de Navarre ou de Louise Labé ». Francesca Y. Caroutch, poète, courriel. « L’amour transcendé atteint une sorte de mysticisme, en restant sensuel et réel ». Jean Marie Monod, directeur littéraire, critique. « (Camille Aubaude) utilise des formes médiévales, des rondeaux pour parler des charmes de l’Orient, une ballade pour dire son attachement à cette ville (Amboise) ainsi qu’à l’amour ». Raphaël Chambriard, La Nouvelle République, 13 octobre 2007. « Camille Aubaude vient de publier les Poèmes d’Amboise. Elle écrit chez elle, à la Maison des Pages, sur sa demeure, mais aussi des rondeaux et des ballades sur l’amour et la nature, comme au temps jadis ». Raphaël Chambriard, La Nouvelle République, « Des formes littéraires anciennes pour des Poèmes d’Amboise », 27 novembre 2007. « La langue de ces Poèmes d’Amboise est belle, dense et souple ; la vie qui passe par elle n'est pas sans vigueur ni lumière. Je me rappelle certains poèmes, longs poèmes, de Pierre Emmanuel qui atteignaient aussi cette efficace puissance du vers classique pour soutenir la pensée contemporaine ». Yves Bergeret, poète, courriel. Caroline Andriot-Saillant, Maître de Conférences à l’Université de Clermont-Ferrand, co-organisatrice du colloque « Les Voi(es)x de l’Autre », a souligné « l’atmosphère d’étrangeté de (ces) textes liée à l'inspiration orientale ou à ce qu'on pourrait nommer une sorte de danse macabre dans « La maison des pages » ». « Dans Poèmes d’Amboise, Camille Aubaude invite le lecteur à entrer dans la Maison des Pages, sorte de maison refuge chargée de mémoire et de secret, lieu qui se met à respirer au fil des pages comme une personne vivante, sorte de double de la voix. C’est qu’une autre invitation se dessine, à suivre le cheminement intérieur d’un moi féminin à la fois hanté par les traces du passage du temps et le sentiment des ruines et de la mort, et porté vers la reconstruction et la renaissance qui semblent s’accomplir dans la rencontre amoureuse ». Patricia Godi, Maître de Conférences à l’Université de Clermont-Ferrand, co-organisatrice du colloque « Les Voi(es)x de l’Autre ». « Une certitude : le poète est l’ami de la maison. De Damas pour Darwich à Amboise pour vous, je voyage, léger, ému, mais je ressens dans ces deux ouvrages une fêlure, comme si quelque chose était présent et, en même temps, disparaissait. Comme si tout voyage était une

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suite de disparitions irréparables. Votre singularité, très subtile, est celle de l’art, de la pensée, du langage. A priori, elle ne s'échange pas contre une vérité ou une réalité car rêve et imaginaire cohabitent avec désir et curiosité. J’y ressens autant l’esprit aérien, transparent, céleste que le trouble, le tourment, la brisure... l’émotion. Puisque vous évoquez la Touraine, je pense à l’un de vos voisins, Léonard de Vinci qui a dit : « On doit se tourner vers la nature pour comprendre l’être humain. » En définitive, Camille Aubaude et Mahmoud Darwich cessent d'être eux-mêmes quand ils parlent pour eux, mais donnez-leur une arme, celle de la poésie, et ils vous diront la vérité ». Philippe Estivalèzes, musicien, critique. « Camille Aubaude signe là un recueil exigeant. On y retrouve son sens singulier de la mélodie des mots, et ces fameuses théophanies qui attirent l’esprit humain vers d’autres réalités ». Présentation de « La Forêt des Livres », 31 août 2008. « Toute la force de la poésie de Camille Aubaude est dans ces Poèmes d’Amboise, poèmes de la renaissance qui réussissent à faire jaillir l’émotion des mouvements intérieurs et des métaphores ». Présentation du Café littéraire aux « Rendez-vous de l’Histoire », 10 octobre 2008, à Blois. « Un art franchement baroque, des jeux des Grands Rhétoriqueurs, ces flamboyants, sans oublier les Parnassiens, tout à la fois […]. C’est travail d’alchimiste bien plutôt qu'une recherche d’émaux et de camées, malgré quelques effets d'une fascination romantique tardive trouant de chatoiements l’Alexandrie moderne déchue ». Philippe Cantraine, poète, nouvelliste, critique. « La Maison des Pages inquiète et trouble. C’est l’histoire d’une rencontre, au cœur d’une contrée, demeure mouvante, et d’une âme retrouvée, « dans un intervalle du temps ». Danse macabre, ombres vacillantes, tendresse de la pierre, végétale et animale. Offrande aux disparus, au temps dépassé des formes médiévales. […] Ballades entre Orient et désir, absence et renaissance, de l’abîme à l’amour ». Patricia Izquierdo, Présidente de l’Association Lucie Delarue-Mardrus, 2009. « Camille : Paix - Poésie, et amour des belles choses ». Michael Lonsdale, comédien, 21 septembre 2009. « Les beaux textes sont une bénédiction. Ceux de Camille nous prennent à chaque fois, lumière, douceur, vérité, plaisir renouvelé, enchantement d’une langue superbe, puissamment subtile, tissée des pieds à la tête par la beauté ». Marie-Hélène Breillat, comédienne, 4 janvier 2010.

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Table des matières

Impression inimaginable et La Malcontente : une alternative poétique aux vies de femmes subissant des violences …………….……… 3

Bilan critique à l’occasion de la publication

d’Impression inimaginable (Paris, 2014) et de La Malcontente (Paris, 2015) ….………… 3

En premier, des informations sur la poétesse ……………………………….…………….. 5

Table ronde. Comment dire les violences faites aux femmes ? …………………………… 7

La poésie est connaissance, par Giovanni Dotoli ………………………………………… 13

Mémoire et terres poétiques, par M.-A. Bartholomot Bessou …………………………… 17

L’Ambroisie ……………………………………………………………………………… 33

Mythes et obsessions …….……………………………………………………………….. 34

Conversation avec Théo Stok ……………………………………………………….……. 39

Entretien par Philippe Cantraine ………………………………………………………….. 43

Conversation avec Patricia Godi …………………….……..…………………………….. 56 - Ode à Isis (56), Le Mal de l’Inca (73)

Entretien avec Julien Weiss : une exploratrice de la poésie et un musicien transfuge ........ 75 - Aleph (75)

Camille Aubaude et la traduction ………………….……………………………………… 82

- poèmes de Rosario Valdivia (84), Nina Živančević (86), John Wander (90), David van Vactor (91), Stuart Krusee (92), Mario Selvaggio (93), Hava Pinhas-Cohen (94), Shérézada Chiqui Vicioso (95)

Camille Aubaude et la photographie ………………….………………………………….. 101

Camille Aubaude et la peinture …………………………………………………………... 105 Anthologie de poésie …………………………………………………………….……….. 108

Annexes ………………………………………….…………………………………….…. 113 - Extrait de la Maîtrise sur Mallarmé (113), Projet « Le fait religieux

en questions » (115), présentation de Splendeur d’Enrique Verástegui (117)

Bibliographie sélective ………………………………………………………….…….… 119

Coupures de presse, lettres et autres …………………………………………………….. 123

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La Fondation Camille AUBAUDE-Maison des Pages a pour but de lutter contre les discriminations par la promotion du concept de genre et de l’égalité des sexes par le truchement de l’œuvre poétique de Camille Aubaude. Elle a également pour objectif de diffuser et créer des outils pédagogiques de manière à transformer les représentations et pratiques sociales qui font obstacle à l’égalité. Camille AUBAUDE-Maison des Pages met en place des événements à dimension culturelle ou artistique pour des publics élargis et constitue un réseau d’intervenants (doctorant-e-s, chercheur-e-s, étudiant-e-s et autres) impliqué-e-s dans la recherche et la lutte contre les discriminations.

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