stratégie d'entreprise et organisation industrielle : pratiques de recherche

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Jean-Pierre Boissin Jean-Claude Castagnos Gilles Guieu Stratégie d'entreprise et organisation industrielle : pratiques de recherche In: Revue d'économie industrielle. Vol. 91. 1er trimestre 2000. pp. 25-54. Abstract Continuing their research program engaged in 1996, the authors now focus on the structuring and the maturing of French- speaking articles on the only theme of strategie manoeuvers. Research practices show a greater scientific maturity than those analyzed on other research themes treated by the French strategic community. The methodology orientations of both research currents (traditional strategic moves versus new growth forms) are different. Five so-called 'inspiring' and 'structuring' co-citation clusters represent amendments to economic theories of the firm, and interdisciplinarity. Eight 'object' co-citation clusters focus on three different research streams : 'traditional strategic moves', 'alliances', 'cooperation'. Résumé Dans la continuité de leurs travaux entamés en 1996, les auteurs focalisent leur recherche sur la structuration et la maturation des travaux francophones sur le seul thème des manœuvres stratégiques. L'analyse des pratiques de recherche met en lumière une plus grande maturité scientifique que sur d'autres thèmes traités par la communauté. La distinction de deux questions de recherche (manœuvres stratégiques classiques et nouvelles formes de croissance) conduit à souligner leur influence respective sur les méthodologies privilégiées. En matière de fondements bibliographiques, cinq réseaux de co-citations inspirateurs et structurants traduisent les amendements aux théories économiques de la firme et l'interdisciplinarité. Huit autres réseaux de co-citations centrés sur l'objet d'étude couvrent trois courants de recherche : les manœuvres stratégiques classiques, les alliances et la coopération. Citer ce document / Cite this document : Boissin Jean-Pierre, Castagnos Jean-Claude, Guieu Gilles. Stratégie d'entreprise et organisation industrielle : pratiques de recherche. In: Revue d'économie industrielle. Vol. 91. 1er trimestre 2000. pp. 25-54. doi : 10.3406/rei.2000.1770 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rei_0154-3229_2000_num_91_1_1770

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Jean-Pierre BoissinJean-Claude CastagnosGilles Guieu

Stratégie d'entreprise et organisation industrielle : pratiques derechercheIn: Revue d'économie industrielle. Vol. 91. 1er trimestre 2000. pp. 25-54.

AbstractContinuing their research program engaged in 1996, the authors now focus on the structuring and the maturing of French-speaking articles on the only theme of strategie manoeuvers.Research practices show a greater scientific maturity than those analyzed on other research themes treated by the Frenchstrategic community. The methodology orientations of both research currents (traditional strategic moves versus new growthforms) are different.Five so-called 'inspiring' and 'structuring' co-citation clusters represent amendments to economic theories of the firm, andinterdisciplinarity. Eight 'object' co-citation clusters focus on three different research streams : 'traditional strategic moves','alliances', 'cooperation'.

RésuméDans la continuité de leurs travaux entamés en 1996, les auteurs focalisent leur recherche sur la structuration et la maturationdes travaux francophones sur le seul thème des manœuvres stratégiques.L'analyse des pratiques de recherche met en lumière une plus grande maturité scientifique que sur d'autres thèmes traités par lacommunauté. La distinction de deux questions de recherche (manœuvres stratégiques classiques et nouvelles formes decroissance) conduit à souligner leur influence respective sur les méthodologies privilégiées.En matière de fondements bibliographiques, cinq réseaux de co-citations inspirateurs et structurants traduisent les amendementsaux théories économiques de la firme et l'interdisciplinarité. Huit autres réseaux de co-citations centrés sur l'objet d'étudecouvrent trois courants de recherche : les manœuvres stratégiques classiques, les alliances et la coopération.

Citer ce document / Cite this document :

Boissin Jean-Pierre, Castagnos Jean-Claude, Guieu Gilles. Stratégie d'entreprise et organisation industrielle : pratiques derecherche. In: Revue d'économie industrielle. Vol. 91. 1er trimestre 2000. pp. 25-54.

doi : 10.3406/rei.2000.1770

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rei_0154-3229_2000_num_91_1_1770

Jean-Pierre BOISSIN Maître de conférences

Jean-Claude CASTAGNOS Chercheur au CNRS

Gilles GUIEU Maître de conférences

CERAG, ÉCOLE SUPÉRIEURE DES AFFAIRES Université Pierre Mendès-France, Grenoble

STRATEGIE D'ENTREPRISE

ET ORGANISATION INDUSTRIELLE

PRATIQUES DE RECHERCHE

Mots-clés : Scientométrie, manœuvres stratégiques, alliances, coopération, pratiques de recherche, fondements de recherche.

Key words : Scientometrics, Strategic manœuvers, Alliances, Cooperation, Bibliographie references, Constitution of the discipline.

Différents travaux ont été développés pour établir un état de la recherche en stratégie, c'est-à-dire pour identifier les grands courants de recherche, évoquer les auteurs principaux et leurs positionnements

épistémologiques (par exemple, Mintzberg, 1991 ; Allouche et Schmidt, 1995 ; Martinet, 1997). Les investigations sur l'ensemble des travaux de stratégie, afférent à une période nécessairement limitée, demeurent rares. En 1996, l'Association Internationale de Management Stratégique (AIMS) nous confiait la charge de situer la contribution de la recherche francophone, à partir des articles publiés au cours de la période 1990-1995. En l'absence de revue francophone spécifique à la stratégie, il s'est avéré nécessaire de constituer une base de données. Dans un premier temps, l'élaboration d'une grille d'analyse (voir annexe I) a permis de retracer les pratiques de recherche, de clarifier la logique méthodique sous-jacente aux 249 articles francophones recensés (Castagnos, Boissin, Guieu, 1996 et 1997). Dans un second temps, la base de

REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 91, 1er trimestre 2000 25

données a été enrichie par la saisie informatique des 7075 références bibliographiques incluses dans les articles considérés. À l'instar de travaux conduits sur des bases de données américaines (Déry, 1996), l'utilisation des outils de la scientométrie débouche sur des représentations de la structuration de la recherche francophone (Boissin, Castagnos, Guieu, 1997, 1998 et 1999a et b).

Au-delà de cette préhension globale de la recherche sur la stratégie des organisations, un thème domine la base de données : les manœuvres stratégiques (28 % ou 70 des 249 articles). Cette situation conduit à proposer une analyse complémentaire centrée sur ce seul thème (1). La première partie de l'article restitue les pratiques de recherche à l'origine des 70 articles francophones émanant des auteurs dits citants. Il s'en dégage quelques traits spécifiques (ex. : concentration élevée de la production scientifique). Les parties suivantes de l'article concernent les références bibliographiques, dits les auteurs cités. Ainsi, un accent est mis (seconde partie de cet article) sur la méthodologie permettant de distinguer les citations (les auteurs les plus cités) et les cocitations (réseaux d'auteurs appartenant aux mêmes fronts de recherches). À travers la lecture des articles citants, le contenu des réseaux de cocitations est ensuite analysé. Cet examen met en lumière l'existence de six réseaux dits inspirateurs et structurants (troisième partie de cet article) et de huit réseaux objets ressortissant aux manœuvres stratégiques (quatrième partie).

Les développements considérés débouchent sur une structuration des fondements de la recherche sur les manœuvres stratégiques. Par delà les clivages disciplinaires, l'étroite imbrication entre la stratégie et l'organisation industrielle apparaît (2).

I. — LES PRATIQUES DE RECHERCHE DE LA COMMUNAUTE FRANCOPHONE SUR LE THÈME DES MANŒUVRES STRATÉGIQUES

La compréhension des pratiques (étude des auteurs citants) passe, en premier lieu, par l'appréciation du degré de dispersion de la production comme indicateur de maturité scientifique. En second lieu, l'analyse des articles comportant un contenu empirique est présentée. Enfin, l'association du choix des méthodes et des sujets de recherche fournit une interprétation du comportement des auteurs francophones.

(1) Les auteurs remercient les rapporteurs pour leurs critiques et suggestions. (2) La taille impartie à cet article ne permet pas de restituer tous les détails de la méthodologie suivie. Pour les aspects relatifs à l'analyse des auteurs citants, prière de se référer à Castagnos J-C, Boissin J-R, Guieu G., 1996 et 1997. Pour la méthode des cocitations appliquée aux auteurs cités, cf. Boissin J-P, Castagnos J-C, Guieu G., 1998. Les traitements scientométriques ont été réalisés par M-A de Looze.

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1.1. UNE PRODUCTION SCIENTIFIQUE CONCENTREE

Une investigation antérieure conduite à l'échelon de la discipline (249 articles) a mis en évidence la dispersion de la production scientifique francophone en stratégie (Castagnos, Boissin, Guieu, 1996, 1997). 20 % des auteurs sont à l'origine de 38 % des articles. Ce résultat ne recoupe pas les grandes lois scientométriques de Bradford, Zipf, Lotka pour lesquelles un petit nombre d'auteurs s'adjuge la plus grande partie du sujet étudié (3). L'émergence de la discipline, l'origine de la base de données (publications issues des seules revues francophones), l'absence de revue francophone spécialisée en stratégie, la constitution tardive d'une communauté francophone dans la discipline, sont autant d'éléments pouvant expliquer cette dispersion.

En revanche, sur le seul thème des manœuvres stratégiques (cf. tableau 1), la concentration de la production scientifique apparaît plus élevée. En effet, 20 % des auteurs produisent 48 % du corpus.

Tableau 1 La répartition des auteurs sur le thème des manœuvres stratégiques

Total

Nombre d'auteurs différents

3 4

6

56 69

4,3% 5,8%

8,7%

81,1 % 100%

Identité des Auteurs

Garrette - Ingham - Paturel Dussauge - Jolly - Liouville -

Noël Aliouat - Batsch - Colombo -

Paché - Quélin - Véry

Nombre d'articles par auteur

4

3

2 1

Nombre de collaborations à travaux

12

12

12 56 92

13%

13%

13% 60,9 % 100%

Source : les auteurs

Compte tenu de l'existence de travaux cosignés et de publications multiples émanant d'une partie des chercheurs, les 70 articles recensés sont le produit de 69 auteurs distincts. L'origine éditoriale des articles figure au tableau 2.

1.2. UNE MAJORITÉ D'ARTICLES EMPIRIQUES

Parmi les 70 articles, 48 comportent un contenu empirique. Le contenu empirique est apprécié dans une acception large : l'auteur s'appuie sur un

(3) Voir Courtial (1990).

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Illustration non autorisée à la diffusion

Tableau 2 Répartition des articles sur le thème des manœuvres stratégiques

selon les supports éditoriaux

Revues

REI RFG Gestion 2000 RIPME Sciences de Gestion Gestion Total des revues Perspectives en Management Stratégique (PMS) Total général

Lieu d'édition

France France

Belgique Québec France Québec

France - Québec

Nombre d'articles

17 15 10 5 4 5

56 14 70

Place occupée dans le

dépouillement 24% 21% 14% 7% 6% 7%

80% 20%

100% Source : les auteurs.

Tableau 3

Caractéristiques des 48 articles à contenu empirique

Rapport chercheur-terrain

Relation terrain-théorie

Temporalité des observations

Mode de collecte des données

Méthode générique (4) Traitement des données quantitatives

Visée empirique

Extériorité : 41 étude clinique : 7 absence de recherche action Relation forte : 26 articles démarche deductive : 13 démarche inductive : 13 coupe instantanée : 29 coupe instantanée statique : 20 coupes instantanées dynamiques : 9

Relation faible : 22 articles démarche illustrative : 11 démarche informative : 11 étude longitudinale : 14

cas : 10 échantillon : 24 données exhaustives : 1 sources documentaires : 13 Quantitative : 28 Statistiques descriptives : 15

Statistiques explicatives : 11 n.d. : 2

qualitative : 22

7 travaux exploratoires ; 28 travaux descriptifs 13 travaux de validation

Source : les auteurs. Les concepts utilisés figurent dans Castagnos, Boissin, Guieu, 1997.

(4) Le total est de 50 articles (28+22) car 4 articles combinent les deux méthodes et 2 articles ne donnent pas de méthode explicite.

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recueil d'informations relevant de situations concrètes de la vie de l'entreprise. Les 22 articles non empiriques (absence de données de terrain) ne font pas l'objet, par essence, d'une étude méthodologique. Les articles considérés s'inscrivent généralement dans une préoccupation paradigmatique, épistémo- logique, conceptuelle, etc.

Les pratiques de recherche sur le thème spécifique des manœuvres stratégiques sont conformes à celles explicitées pour l'ensemble des 249 articles de la discipline (Castagnos, Boissin, Guieu, 1996 et 1997).

Le rapport chercheur-terrain reste très largement marqué par une position extérieure et, de façon liée, par la prédominance des coupes instantanées, de méthodes quantitatives, de collectes de données sur échantillon, de visées empiriques essentiellement descriptives. La relation terrain-théorie révèle une certaine diversité : démarches déductives, inductives, illustratives et informatives sont à peu près également utilisées. Dans près d'un article sur deux, la relation entre les données traitées et les éléments théoriques présentés reste faible.

1.3. LES PRATIQUES ET LE RENOUVELLEMENT DU THÈME DE RECHERCHE

La lecture approfondie des 70 articles permet de distinguer deux familles de questions de recherche :

• les conceptions classiques de la croissance de l'entreprise. Cette terminologie recouvre l'orientation stratégique (spécialisation, diversification, intégration verticale, recentrage) et le mode de croissance du patrimoine juridique de l'entreprise (croissance externe et interne) ;

• les nouvelles formes de croissance autour des relations interentreprises (alliances, partenariat, coopération).

Tableau 4

Conception de la croissance dans les 70 articles

Conceptions classiques de la croissance Nouvelles formes de croissance de l'entreprise Globalisation (5) Total

Total 31 36 3

70

Dont contenu empirique 25 20 3

48 Source : les auteurs.

(5) Les thèmes de recherche constitutifs de la grille d'analyse ont été empruntés à A. C. Martinet (1992) qui intègre les réflexions sur la globalisation au thème des manœuvres stratégiques.

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En termes de pratiques de recherche, cette décomposition du thème permet de constater qu'à propos de la conception classique de la croissance de l'entreprise, le chercheur fonde ses travaux sur des études de terrain (25 des 31 articles, soit 81 %). Dans le cas des nouvelles formes de croissance, source du renouvellement du thème de recherche, la référence aux données empiriques est moins marquée (20 des 36 articles, soit 56 %). Ainsi, il y a plus de 95 % de chances que pratiques et thèmes de recherche ne soient pas indépendants (%2 calculé de 4.8 ; %2 théorique de 3.8). Ce lien révèle donc deux comportements de chercheurs. Le terrain s'avère un appui nécessaire pour traiter de thèmes classiques maîtrisés par la communauté scientifique. En revanche, les propositions couvrant des controverses marquées par des évolutions séquentielles et novatrices des modèles, voire des paradigmes (6), s'accompagnent autant de travaux empiriques que conceptuels.

D'un point de vue méthodologique, la relation terrain- théorie apparaît plus forte (démarche inductive ou deductive) en ce qui concerne la question des nouvelles formes de croissance (14 des 20 articles empiriques, soit 70 %). Autrement dit, la conception classique des manœuvres stratégiques fait montre d'un recours fréquent au terrain, mais surtout pour illustrer ou informer (15 des 25 articles empiriques, c'est-à-dire 60 %). Là aussi, un test de chi 2 permet de dire que la relation terrain-théorie et le sous thème de recherche ne sont pas indépendants (%2 calculé de 4 ; %2 théorique de 3.8 avec un risque de 5 %). Enfin, les rares approches cliniques (7 des 48 articles empiriques, soit 15 %) sont essentiellement pratiquées (6 articles) sur la question des nouvelles formes de croissance de l'entreprise.

En résumé, le comportement du chercheur francophone sur le thème des manœuvres stratégiques révèle une mobilisation fréquente des informations de terrain dans le cas de la conception classique de la croissance. S 'agissant des nouvelles formes de croissance, on note une quasi-égalité entre les travaux d'essence conceptuelle et ceux de nature empirique (16 pour les premiers, 20 pour les seconds). Ces nouvelles voies d'investigation semblent requérir une rigueur méthodologique accrue.

IL — LES FONDEMENTS BIBLIOGRAPHIQUES DE LA RECHERCHE : CITATIONS ET COCITATIONS

Après examen des auteurs les plus cités, une représentation de la structuration de la recherche francophone est proposée. Elle s'articule sur les informations extraites des bibliographies par traitement scientométrique.

(6) Les alliances stratégiques, par exemple, amendent la vision concurrentielle de l'environnement de l'entreprise en illustrant les « stratégies d'affrontement, de coopération ou d'évitement » (Martinet, 1990, pp. 219-221). Ces alliances soulignent également les limites de la théorie économique des coûts de transaction (alliances horizontales).

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2.1. LES AUTEURS LES PLUS CITES : LE PRIMAT DU CONTENU STRATÉGIQUE

II est d'usage en management stratégique d'opposer les travaux ayant trait au contenu à ceux traitant des processus (voir, par exemple, Déry 1996, pour sa structuration des articles du Strategic Management Journal). Les investigations en termes de contenu se préoccupent d'expliciter la stratégie comme le résultat d'une décision. Les auteurs qui alimentent ce courant de recherche sont les plus cités parmi les 70 articles sur les manœuvres stratégiques. La plupart d'entre eux contribuent à l'édification d'une théorie de la firme (O. E. Williamson, T. J. Teece). Les approches sous l'angle des processus s'intéressent à l'élaboration de la décision stratégique. Elles sont moins nombreuses que les précédentes : quasi-absence d'auteurs tels que H. Mintzberg, H. Simon, J. March, M. Crozier.

En reprenant la segmentation dichotomique de Déry (1996) sur la structuration des articles du Strategic Management Journal, les grands auteurs les plus cités dans les articles francophones analysés, relèvent surtout (7) de recherches sur le contenu de la stratégie. Les références aux recherches sur les processus stratégiques s'avèrent faibles par rapport aux résultats obtenus sur la totalité des 249 articles.

Une première investigation émane du tri à plat des auteurs les plus cités (cf. tableau 5). À l'instar de ce qui se passe pour la discipline (tous thèmes de recherche confondus), M.E. Porter est l'auteur le plus fréquemment cité. Sur les seuls articles afférents aux manœuvres, ce positionnement tient, en particulier, à l'intérêt suscité par l'ouvrage collectif (articles cosignés) de 1986 sur les dimensions de la globalisation, de la technologie et des alliances.

Les auteurs francophones les plus cités dans les bibliographies des 70 articles analysés ont un objet de recherche relevant du thème des manœuvres stratégiques. Tel est le cas, par exemple de P. Dussauge et B. Garrette avec leurs travaux sur les alliances. En revanche, des auteurs très présents pour l'ensemble de la discipline, tels que A.-C. Martinet, M. Marchesnay ou encore P. -A. Julien, n'apparaissent pas ou peu sur le thème des manœuvres stratégiques

Le simple examen des auteurs les plus cités, comme première étape d'une représentation des fondements de la recherche francophone sur les manœuvres

(7) Bien que le courant issu des travaux de R.P. Rumelt (1974) soit peu présent en comparaison des résultats de Déry (1996) obtenus sur une base de données établie à partir du Strategic Management Journal.

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Tableau 5

Les 20 auteurs les plus cités (8) sur le thème des manœuvres stratégiques

Auteurs les plus cités Porter M. Dussauge P. Williamson 0. Garrette B. Doz-Y. Jacquemin A. Paturel R. Prahalad C. Teece D. Hamel G.

Nombre de citations 60 42 39 36 32 30 27 27 27 26

Auteurs les plus cités Koenig G. Harrigan K. KogutB. Joffre P. Killing JP. Ohmae K. RamanantsoaB. Hergert M. Lorange P. Morris D.

Nombre de citations 23 21 20 19 17 14 14 13 13 13

Source : les auteurs.

stratégiques, comporte plusieurs limites qualitatives. La référence aux travaux d'un chercheur a-t-elle pour objet de renforcer ceux de l'auteur citant ? S'inscrit-elle plutôt dans une controverse ? Relève-t-elle davantage de la forme que du fond de l'article de l'auteur citant, l'objet des citations renvoyant à des us et coutumes académiques (Callón, Courtial, Penan, 1993) ?

2.2. L'INTÉRÊT DES ÇOCITATIONS POUR UNE VUE SYNOPTIQUE DES RÉSEAUX BIBLIOGRAPHIQUES FONDAMENTAUX DANS LA RECHERCHE FRANCOPHONE

Le mot réseau désigne une cartographie des auteurs (et de leurs publications) les plus fréquemment associés dans le cadre d'un domaine de recherches (une discipline, un thème, etc.). Un réseau restitue la dimension collective du processus de constitution et d'avancée d'une science (Boissin, Castagnos, Guieu, 2000). Le mot cocitation renvoie à une démarche statistique permettant de repérer les publications majeures (ainsi que leurs auteurs) et scientifiquement apparentées en raison de leur présence conjointe dans les bibliographies d'ouvrages ou d'articles publiés. Ainsi peuvent être identifiés les travaux et les spécialistes saillants d'une discipline, l'intensité des associations et les éventuelles ramifications entre fronts de recherche. Les cocitations d'auteurs sont

(8) II s'agit du nombre de citations et non du nombre d'articles citants.

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obtenues par le calcul d'un indice de proximité défini comme le produit au carré des probabilités d'avoir un auteur quand on a l'autre, divisé par la fréquence de chacun des auteurs recensés. Soit à considérer deux auteurs i et j, l'indice de proximité P^ est donc : P^ = (Cj:)2/(cj. C;) ; avec : c^ : co-occurren- ce de i et j ; c¿ : occurrence de i ; Cj : occurrence de j. La méthode des cocita- tions, et son algorithme des co-occurrences (9), atténuent les incertitudes d'interprétation. L'auteur cité n'est plus appréhendé individuellement mais par paire au sein d'un réseau (10). Pour être retenue, la citation d'un auteur doit se retrouver dans plusieurs articles citants (au moins trois fois), par paire avec un autre auteur cité. Par exemple, la récurrence de la cocitation de O.E. Williamson et de R.H. Coase participe à la construction d'un réseau autour de l'économie des coûts de transaction.

Les 7075 références bibliographiques rattachées aux 249 articles ont donc été passées au crible de cette méthode. Le schéma 6 fournit une vue synoptique des résultats.

La stratégie peut être appréhendée comme l'interconnexion de 34 réseaux de trois natures :

• six réseaux « inspirateurs », représentant les fondements « externes » (11) à la stratégie d'entreprise ;

• sept réseaux « structurants », fondements internes à la stratégie, centrés sur de grands auteurs de la discipline (Mintzberg, Rumelt, etc.) ;

• vingt-et-un réseaux de « thématiques propres », objets d'étude de la discipline, recouvrant les quatre principaux thèmes antérieurement identifiés à partir du contenu des 249 articles étudiés (processus managériaux, manœuvres, PME, technologie).

L'analyse qui va suivre se focalise sur les seuls réseaux (14 sur 34) référencés dans les bibliographies d'articles traitant des manœuvres stratégiques. La description des réseaux s'appuie sur les articles citants pour expliciter leur présence dans les bibliographies. Les réseaux inspirateurs et structurants sont dis-

(9) Le mot « co-occurrence » désigne le nombre de fois où des auteurs sont cités ensemble dans un article.

(10) II est nécessaire d'intégrer une dimension collective pour apprécier le processus de collaboration (Stephan, Levin, 1997).

(11) Le qualificatif d'« externe » doit être relativisé. Les recherches sur les manœuvres stratégiques relèvent aussi de l'économie industrielle.

REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 91, 1er trimestre 2000 33

Schéma 6

Représentation des bibliographies de la recherche francophone en stratégie

— Alliances stratégiques

Définition et formes de coopération

Alliances et management |

J Alliances internationales Processus de prise de contrôle

J Technologie et produits Ingénieurs gestionnaires Identité de la PME \

Références au.Japon

Innovations et performance

I c:

Décision stratégique Approche socio-

organisationnelle de la J_ décision

che:

i

A »■'

| |

Concentration et concurrence

Economie des coûts de transaction

Finance organisa tionnelle

Théories delà décision et des organisations

Fondements

Controverses modèle S.C.P.

Précision : les 14 réseaux consignés en caractère gras sont ceux fortement présents dans les bibliographies des articles sur le thème des manœuvres stratégiques et sont analysés dans la suite de cet article.

tingues des réseaux essentiellement centrés sur les manœuvres stratégiques comme objet de recherche.

Le rattachement d'un article citant à un réseau de cocitations bibliographiques ne doit pas être perçu de façon déterministe et cloisonnée. La bibliographie d'un même article citant est en général rattachée à plusieurs réseaux de cocitations.

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III. — LES RESEAUX INSPIRATEURS ET STRUCTURANTS COMME AMENDEMENTS AUX THÉORIES ÉCONOMIQUES DE LA FIRME

Tout réseau comporte deux catégories d'associations d'auteurs. La première (figurant en caractère gras au schéma 7 et suivants) est constituée de paires d'auteurs cocités dans les bibliographies et s'avère représentative du cœur de

i í i — Liaisons internes du réseau ; nombre de coeitations. ■ 3 •.'.■■'...• — Liaisons externes du réseau ; nombre de coeitations.

I Jensen I Auteur appartenant r— — : — i Auteur apartenant I " I au réseau. |Aichian| à un autre réseau.

Schémas 7 Les réseaux inspirateurs et structurants

sur les manœuvres stratégiques Economie des coûts de transaction Finance organisationnçllc

Chîsnais [Arndt | I Porler I I Gaffara I )'-hand]c

Bcrk \—l-\ Means

7^j Meckling

Jensen

Grossman \-l — Hart

Rupture avec l'économie industrielle Conception de la stratégie

Controverses modèle SCP Concentration et concurrence

REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 91, 1er trimestre 2000 35

la recherche (c'est-à-dire du thème ou du sujet spécifique étudié). Les auteurs concernés sont qualifiés d'internes au champ de recherche (ou, plus précisément au thème ou à toute autre subdivision disciplinaire identifiée). La seconde catégorie (auteurs mentionnés en style normal aux schémas 7 et suivants) résulte d'associations d'auteurs issus d'autres réseaux. Ces auteurs à multi-sol- licitations bibliographiques de leurs travaux, sont dits externes à la subdivision disciplinaire analysée (chacun de ces auteurs occupe souvent une place de premier rang au sein d'un autre réseau). Ils constituent des « ponts » inter-réseaux.

Quatre réseaux constitutifs de filiations intellectuelles externes (12) à la stratégie apparaissent dans les articles relevant du thème des manœuvres stratégiques. Fréquemment, ces réseaux externes ressortissent à des paradigmes historiques issus de disciplines connexes (économie, finance, économie industrielle) et parfois amendés dans les articles francophones citants. Le seul réseau relevant de filiation intellectuelle interne à la stratégie est organisé autour des travaux de R.P. Rumelt.

L'analyse des références à ces réseaux par les auteurs citants, s'appuie sur les six représentations du schéma 7. Les paramètres suivants guident la lecture des réseaux présentés.

Chacun de ces réseaux inspirateurs et structurants va être analysé.

3.1. LE DÉPASSEMENT DU PARADIGME DES COÛTS DE TRANSACTION

Le réseau externe le plus souvent rencontré dans les bibliographies concerne le paradigme de l'économie des coûts de transaction. Il s'articule plus particulièrement autour de l'œuvre de O.E. Williamson qui est d'ailleurs l'un des auteurs les plus cités. Trois catégories de recherche francophones sur les manœuvres stratégiques s'appuient sur ce réseau bibliographique : les travaux de stratégie sur les alliances, d'organisation industrielle sur la coopération, et de finance-stratégie sur les acquisitions.

La théorie des coûts de transaction a, dans sa dernière période, mis l'accent sur les nouveaux types d'organisations hybrides, entre le marché et la firme classiques (Coriat et Weinstein, 1995, p. 62). Mais le mobile retenu, spécificité des actifs et fréquence élevée des transactions, s'inscrit toujours dans un processus d'intégration ou de quasi-intégration (travaux cocités de J. Houssiaux, 1957), dans le cas de la sous-traitance. Or, les travaux franco-

(12) Les ouvrages de Coriat et Weinstein ( 1 995) et de Milgrom et Roberts ( 1 997) ont largement guidé l'analyse des fondements externes.

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phones tant sur les alliances stratégiques (par exemple, Garrette et Quélin, Dussauge et Garrette, PMS, 1992 ; Jolly, Gestion 2000, 1993) que sur le thème de la coopération (Rullière et Torre, REI, 1995) se démarquent du paradigme de l'économie des coûts de transaction en évoquant la diversité des mobiles à l'origine de ces mouvements stratégiques (C. Koenig, G. Van Wijk, PMS, 1992), en particulier entre firmes concurrentes. Le contexte n'est donc pas seulement constitué de relations verticales mais aussi horizontales.

3.2. LA FINANCE ORGANISATIONNELLE COMME PONT ENTRE LA STRATÉGIE ET LA FINANCE

Le réseau de la finance organisationnelle offre une représentation de l'articulation stratégie-finance. Les travaux citants (par exemple, Hyafil, RFG, 1991 ; Krifa, REI, 1990) intègrent des concepts de stratégie dans la théorie financière, en particulier pour la construction d'un cadre d'analyse de la valorisation de la firme dans les manœuvres stratégiques classiques (croissance externe notamment). Ces travaux invoquent aussi la littérature sur l'économie des coûts de transaction (Williamson) et sur celle des droits de propriétés (Alchian et Demsetz) comme l'illustrent les liaisons externes (voir schéma 6 précédent).

Le réseau de la finance organisationnelle est centré sur les principaux écrits de la théorie de l'agence. A. Berle et G. Means (1932) confirment les analyses de A. Smith avec leur thèse sur la séparation entre propriété et contrôle des entreprises cotées en Bourse et donc, leur moindre efficacité. Les travaux de M. Jensen, W. Meckling, E. Fama (1976, 1986, 1983) réfutent les analyses précédentes avec la théorie de l'agence constitutive d'un modèle efficient de fonctionnement de la grande entreprise par actions. S. Grossman, O. Hart (1982 et 1989) insistent sur une nécessaire théorie des droits de propriété face au caractère incomplet des contrats et du contrôle résiduel induit. G. Charreaux (1987), G. Charreaux et J-P. Pitol Belin (1989 et 1990) à propos de la théorie de l'agence (1987) et du gouvernement d'entreprise, insistent plus particulièrement sur le rôle actif du conseil d'administration dans la préparation et/ou le contrôle des décisions.

Contrairement à l'approche critique des deux paradigmes précédents (coûts de transaction et SCP), la littérature francophone (1990-1995) sur les manœuvres stratégiques n'intègre pas encore les avancées plus récentes de l'équipe de G. Charreaux (REI, 1995 par exemple) : élargissement du cadre d'analyse du modèle anglo-saxon aux différents cocontractants avec l'entreprise (créanciers, salariés, etc.), et redéfinition de l'approche de la valeur.

3.3. PEU DE RÉFÉRENCES AUX FILIATIONS INTERNES À LA STRATÉGIE

Les filiations internes à la stratégie d'entreprise sont peu présentes dans les bibliographies. Le principal réseau identifiable a pour origine la rupture avec

REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 91, 1er trimestre 2000 37

le paradigme d'économie industrielle (structure de marché, comportement, performance) introduite par la thèse de R.P. Rumelt (1974). Celui-ci substitue la formulation stratégique (orientation stratégique du développement de l'entreprise) à la dimension du pouvoir de marché, après avoir confirmé la domination des organisations multidivisionnelles (Chandler, 1962). Toutefois, les controverses engendrées par cette thèse dans le Strategic Management Journal, n'apparaissent pas dans les réseaux de cocitations : ni les défenseurs du paradigme d'économie industrielle (H.K. Montgomery et C.A. Christensen (13), 1982 ; R.A. Bettis, 1981), ni les réponses de R.P. Rumelt (1982 et 1991) ne sont référencés. Dans son dernier article sur ce thème publié dans le Strategic Management Journal (1991), R.P. Rumelt proposera une synthèse.

Le réseau bibliographique constitué autour des seuls premiers travaux de R.P. Rumelt (1974) est présent dans les recherches francophones traitant des manœuvres stratégiques classiques et, notamment, de l'orientation stratégique de l'entreprise (Robic, RIPME, 1993 et la diversification ; Véry, RFG, 1993 et les logiques industrielles de développement de l'entreprise). En revanche, il est quasiment absent dans l'étude des nouvelles formes de croissance. R.P. Rumelt figure aussi dans les travaux sur le processus d'intégration des acquisitions (Hafsi, Toulouse, Gestion, 1994). Mais, nouvelle rupture paradigma- tique, l'accent est mis sur le nécessaire dépassement de la seule formulation stratégique, de la conception séquentielle formulation - mise en œuvre de la stratégie. Le raisonnement est étayé par les références aux travaux originels sur la conception de la stratégie (H.I. Ansoff, 1965 et K.R. Andrews, 1970, voir schéma 6) ou sur ceux de P.C. Haspeslagh et de D.B. Jemison (1991, réseau analysé dans la suite de l'article). La réflexion dépasse l'analyse des contenus stratégiques pour appréhender les processus stratégiques.

Le réseau sur la conception de la stratégie (voir schéma 6) est présenté pour situer le débat (par exemple Hafsi, Toulouse, Gestion, 1994) entre les recherches sur les contenus et les processus. Toutefois, sa référence est rare dans les 70 articles sur les manœuvres stratégiques.

3.4. UNE CRITIQUE DU CARACTÈRE DÉTERMINISTE DU PARADIGME STRUCTURE/COMPORTEMENT/ PERFORMANCE

Ce réseau traduit deux préoccupations de recherche. La première axée sur les mouvements de coopération (Rullière et Torre, REÍ, 1995) intègre la théorie des droits de propriété (A.A. Alchian et H. Demsetz, 1972) qui participent

(13) À l'origine de cet article, la thèse (1979) de H.K. Montgomery avait un titre explicite : « Diversification, Market Structure and Firm Performance : an Extension of Rumelt's Model » !

38 REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 91, 1er trimestre 2000

aussi à la critique du paradigme de l'économie des coûts de transaction avec la non-distinction de la firme et du marché. La firme est aussi une forme de marché. Finalement, il s'avère nécessaire de changer de référentiel (marché versus firme) au profit de la reconnaissance d'une logique propre, d'un statut théorique autonome pour les nouvelles formes de croissance, plutôt que de borner la problématique à la seule reconnaissance d'une forme organisation- nelle hybride (voir G.B. Richardson, 1972 cité par Rullière et Torre, REÍ, 1995).

La deuxième préoccupation de recherche se ramène à l'examen critique du paradigme Structure/Comportement/Performance (SCP). Les auteurs associés à ce réseau sont principalement francophones. H. Demsetz s'interroge sur l'origine de la relation Structure-Performance : pouvoir de marché ou efficience supérieure de l'entreprise. De même, P. Geroski (1984) est cité pour ses recherches sur l'influence des nouveaux entrants (réels ou potentiels) sur les performances économiques. Les écrits de J. Bernard et de A. Torre (1991) reprennent la critique traditionnelle du paradigme SCP, à savoir la non-prise en considération de la stratégie de la firme. M. Rainelli (1989) et J. Tiróle (1989) remettent en question le déterminisme du paradigme et formulent des propositions visant à expliquer que les agents économiques agissent sur leur environnement plutôt qu'ils ne le subissent.

3.5. LA CONTRIBUTION DE L'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE À L'ANALYSE DE LA CONCENTRATION ET DE LA CONCURRENCE

Le cinquième réseau « externe » à la stratégie d'entreprise procède des apports de l'économie industrielle à l'analyse de la concentration et de la concurrence (A. Jacquemin).

A l'origine, les travaux de A. Jacquemin (1979) entrevoient les fusions et acquisitions comme des mouvements anticoncurrentiels. Par la suite, amendant l'approche hiérarchisée de la firme, cet auteur (1985) montre l'attrait de la substitution d'un système hiérarchisé à un système de membres égaux pour réduire le nombre de canaux de communication et, donc, pour économiser de l'information. En conformité avec les résultats de A.D. Chandler, la configuration multidivisionnelle est plus efficiente que la forme holding. Autour de ces deux catégories de résultats (pouvoir de marché et structure organisation- nelle), la coopération peut être un moyen de fonder un monopole (1986) et un lieu nécessaire à l'innovation. Enfin, les économies d'échelle sont données comme un facteur d'explication de la croissance horizontale par fusions et acquisitions. Celles-ci permettent d'augmenter la taille des séries sans accroître les capacités de production (A. Jacquemin, P. Buigues, F. Ilzkovitz, 1989).

Les auteurs de ce réseau sont cités dans différents travaux sur les alliances : les enjeux et facteurs clés de succès (Ingham, Gestion 2000, 1990), le rôle de

REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 91, 1er trimestre 2000 39

la confiance (C. Koenig et Van Wijk, PMS, 1992). Ce réseau bibliographique figure aussi dans les travaux relevant des manœuvres stratégiques, en particulier leur recensement (Beau et Sananes, REI, 1990 ; Derhy, REI, 1995).

IV. — LES RESEAUX TRAITANT DES MANŒUVRES STRATÉGIQUES

Les deux grandes préoccupations sous-jacentes aux 70 articles analysés (les auteurs citants) se retrouvent dans la structuration des bibliographies (les auteurs cités). L'étude de la croissance de l'entreprise se subdivise en approches patrimoniales et en analyses contractuelles (alliances et coopération).

4.1. LES RÉSEAUX SUR LA CONCEPTION CLASSIQUE DE LA CROISSANCE DE L'ENTREPRISE

Deux réseaux sont identifiés autour des manœuvres stratégiques classiques. Le premier (schéma 8), francophone, agrège différents travaux sur le recensement des manœuvres stratégiques (R. Paturel, REI, F. Bavay et D. Beau, Banque de France, 1989) ainsi que sur la place et l'efficacité de la croissance externe (J. Allouche, thèse de 1981 ; H. Krifa, REI, 1990 et C. Pottier, REI, 1989). Ce réseau produit des travaux de synthèse sur le recensement des manœuvres (Beau et Sananes, REI, 1990 ; Besch et Guieu, PMS, 1992 ; Derhy, REI, 1995).

Schéma 8

Réseau Recensement des manœuvres

Abbou Bavay

Paturel ■— 3—

Beau

Allouche

Jacquemin

Pottier

Krifa

Source : les auteurs.

40 REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 91, 1er trimestre 2000

Le second réseau (schéma 9) concerne les différentes recherches francophones relatives aux processus de prises de contrôle. L'élément majeur ressort de l'accent mis sur le processus d'intégration des acquisitions, idée force que l'on retrouve dans les travaux des auteurs citants : Giroux, PMS, 1992 ; Calori, Véry, Lubatkin, PMS, 1994 ; Moingeon, PMS, 1994 et aussi Hafsi, Toulouse, Gestion, 1994.

Schéma 9

Réseau sur les processus de prise de contrôle

Weinholk Salter

Buono

Bowditch

Walsh Lorange

Haspeslagh

Schweiger Jacquemin

Ivancevich y

Source : les auteurs.

Le processus de prise de contrôle comporte deux grandes phases (P.C. Haspeslagh et D.B. Jemison, 1991). L'intégration serait la phase complexe et cruciale pour le succès de la manœuvre. À l'instar de la vision séquentielle de la formulation et de la mise en œuvre de la stratégie, le processus non intégré des phases de transaction et d'intégration de l'acquisition, engageant des acteurs différents, serait une source d'échec. Cette vision intégrée des processus a constitué un renouvellement de la conception de la stratégie des prises de contrôle. Cocités avec les travaux de P.C. Haspeslagh et D.B. Jemison figurent ceux de M.S. Salter et W.A. Weinhold (1979) sur les processus de diversification par acquisition et sur l'enjeu de la compatibilité des courbes d'expérience des entreprises. Les autres travaux associés renvoient au lien entre les comportements organisationnels et la variable culturelle présente dans les acquisitions (G. A. Walter, 1985), au rôle des leaders dans l'évolution des pouvoirs (J. Walsh, 1988), aux systèmes de valeurs mis en lumière à partir d'études longitudinales sur des fusions et acquisitions (A. Buono, J. Bowditch, 1989).

REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 91, 1er trimestre 2000 41

4.2. LA PREPONDERANCE DES RESEAUX DE COCITATIONS SUR LES NOUVELLES FORMES DE CROISSANCE

Les six réseaux qui vont être examinés concernent les nouvelles formes de croissance de l'entreprise. Ils peuvent être associés aux deux champs disciplinaires œuvrant sur ce sous-thème, la stratégie d'entreprise et l'organisation industrielle.

• Les trois premiers (alliances stratégiques, mobiles des alliances internationales, alliances et changement managerial) traitent du concept d'alliance et relèvent avant tout de la stratégie d'entreprise (sciences de gestion) ;

• Les trois suivants (définitions et formes des accords de coopération, environnement économique de la coopération technologique, nature des liens de la coopération à base technologique) se réfèrent au concept de coopération ; de sa forme « molle », les accords, jusqu'à sa forme la plus achevée, les filiales communes. Ils se rattachent plutôt à des travaux d'organisation industrielle (économie industrielle).

Néanmoins, il faut insister sur le fait que les auteurs citants de ces différents courants de recherche n'appartiennent pas nécessairement à la même discipline. Bien au contraire, l'observation des bibliographies des auteurs citants dévoile l'existence de différents courants d'idées, reflète une certaine interdisciplinarité des repères scientifiques dans le cas des nouvelles formes de croissance de l'entreprise. Le caractère novateur du sujet, la nécessaire définition des concepts, la délimitation du champ étudié expliquent probablement cet éclectisme.

4.2.1. Une lecture à dominante gestionnaire des alliances

Le réseau de cocitations le plus fréquemment rencontré se rapporte aux alliances stratégiques entre concurrents (schéma 10, page suivante).

D'un côté, figurent G. Hamel, Y. Doz et C.K. Prahalad avec exclusivement leur article cosigné (1989) : le jeu de domination entre les partenaires et le succès apprécié à travers l'évolution de la position concurrentielle. Les alliances entre concurrents, apparemment paradoxales (voir les hypothèses économiques néoclassiques), s'expliquent par le fait que les entreprises ne sont pas en concurrence sur toutes les dimensions du marché. D'un autre côté, se trouvent les chercheurs francophones travaillant sur les alliances et figurant souvent parmi les auteurs les plus productifs de la période : l'équipe du département stratégie d'HEC-Paris (P. Dussauge, B. Garrette et B. Ramanantsoa) pour ses travaux sur les alliances technologiques, sur la définition et la typologie des alliances stratégiques ; M. Ingham (1990), pour les enjeux et les facteurs clés de succès ; P. Joffre et G. Koenig (1984 et 1985) pour l'érosion de la sphère concurrentielle liée à la coopération.

42 REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 91, 1er trimestre 2000

Schéma 10

Réseau sur les alliances stratégiques

Chandler

Anastassopoulos Abernathy Gaffard 3 Kogut Itami . Teece

Lyles 14.

Ramanantsoa pM- Dussauge ■ ■• ■ _/ I L— — —

Sehende!

Hamel

Strategor ? 10 A ■14'

Garre tte

Porter 20

20

Th i était Williamson Prahalad

Marchesnay 11 6 N|

Crozier

Koenig 1-15— J [Ingh am

Axelrod

Remiche Ansoff Paraponaris

Buckley

Berg Fuller

Source : les auteurs.

Le second réseau (schéma 11) de cocitations très présent dans les bibliographies (Dussauge, RFG, 1990 ; Dussauge et Garrette, RFG, 1991 ; Colombo, REI, 1994, C. Koenig, et Van Wijk, PMS, 1992 ; Jolly, Gestion 2000, 1993 ; etc.) traite des mobiles des stratégies d'alliances à l'international et de leur place (14) dans les mouvements stratégiques (P. Ghemawat, M.E. Porter, R.A. Rawlinson, 1986 (15) ; D. Morris et M. Hergert, 1987 et 1988 ; K. Harrigan, 1985 et 1988).

D. Morris et M. Hergert (1987) sont cités pour souligner l'importance des alliances entre concurrents. De nombreux travaux cités sont positionnés par rapport au paradigme des coûts de transaction. Par exemple, les contributions autour de M.E. Porter (1986) complètent la perspective des coûts de transaction par la mise en œuvre de l'apprentissage organisationnel. Il en ressort une typologie des alliances qui distingue, d'une part, les motivations (alliances d'économies d'échelle versus de complémentarité, J.F. Hennart, 1988 ; pouvoir de marché ou apprentissage organisationnel, B. Kogut, 1988) et, d'autre part, les structures organisationnelles mises en œuvre (M. Hergert et D. Morris, K. Harrigan, B. Kogut). DJ. Teece, G. Pisano, M.V. Russo (1988) sont cités pour élargir le champ des motivations à l'origine des alliances : les économies d'échelle mais aussi les transferts de savoir-faire, de compétences.

(14) Voir par exemple Dussauge et Garrette, 1991. (15) Ces derniers contesteront le caractère nouveau et croissant des alliances.

REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 91, 1er trimestre 2000 43

Dans le même esprit, le modèle de K. Harrigan (1985) davantage tourné vers l'échange de ressources, participe à cette vision élargie. Enfin, JP. Killing (1982, 1983, 1988, 1989) est référencé pour le management des alliances sur la base de ses approches cliniques de cas.

Schéma 11

Réseau sur les mobiles des alliances à l'international

Geringer Lyles Levinthal

Porter Fuller Stalk

Morris

Anastassopoulos

Koenig-C.

Williamson Teece Pisano

Source : les auteurs.

Un troisième réseau (schéma 12, page suivante) est centré sur les alliances et changement managerial.

L'article de C. Koenig et R.A. Thiétart (1987) et la thèse de J. Verna (1989) font partie des premiers travaux francophones sur les alliances. C. Koenig et R.A. Thiétart (1987) sont cités (par exemple, par Dussauge et Garrette, RFG, 1991 ; Jolly, Gestion 2000, 1993) en matière de définition des concepts et surtout pour leur ancrange dans le paradigme des coûts de transaction. Souvent, ces références ont pour objet d'insister sur le nécessaire dépassement de ce paradigme. Par ailleurs, les travaux de C. Koenig et G. Vanwijk (1992) sont évoqués pour le rôle attribué à la confiance dans la mise en œuvre des alliances. Les travaux de K. Ohmae (1989 et 1990) et de B. Aliouat (1993) renforcent cet intérêt pour les dimensions processuelles de la construction des alliances.

4.2.2. La coopération : une conception proche de l'organisation industrielle

Les trois réseaux qui en appellent au concept de coopération sont surtout inspirés par l'organisation industrielle et par une conception élargie des nouvelles formes de croissance.

44 REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 91, 1er trimestre 2000

Schéma 12

Réseau sur les alliances et le changement managerial

Marchesnay Verna -3- York [ Doorley

Source : les auteurs.

Le premier d'entre eux, définitions et formes des accords de coopération, se préoccupe de redéfinir les différentes formes de croissance hybrides de l'entreprise. Plutôt que la référence aux alliances, le concept privilégié est ici celui de la coopération (Delapierre, REI, 1991 ; Colombo, REI, 1994 ; Rullière et Torre, REI, 1995).

Schéma 13

Réseau sur la définition et les formes de la coopération

Fusfeld I ICainarca

Sabel |

3 iMytelkal

IContractork^

Haspeslagh iMichalet I

Source : les auteurs.

REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 91, 1er trimestre 2000 45

Dans ce contexte, D. Mowery (1988, 1989) est cité pour sa conception des mouvements de coopération. Ils sont considérés comme un moyen d'accès à de nouveaux marchés et surtout comme indispensables à la circulation et au processus d'accumulation de l'information par l'apprentissage. Une typologie est construite autour du lien entre les structures organisationnelles et le contenu des accords de coopération. P.J. Buckley et M. Casson (1988) figurent pour leurs recherches sur les motivations de la coopération. Leurs travaux soulignent que la coopération bénéficie au moins à l'un des partenaires et qu'elle peut faciliter l'accès à des actifs spécifiques (par exemple non disponibles sur le marché, T. Reeve, 1990), ou bien s'inscrire directement dans le processus de production. Les références à l'ouvrage de F.J. Contractor et P. Lorange (1988) sur les stratégies de coopération, s'inscrivent aussi dans ce réseau. Leur typologie des accords de coopération, fonction de la dépendance inter-organisa- tionnelle, des stratégies de diversification et de la pondération du risque, est largement reprise. Pour la partie francophone, M. Delapierre et C. Michalet (1989) sont cités pour leurs travaux sur le fonctionnement des accords de partenariat (coordination des partenaires et règles de fonctionnement). F. Chesnais apparaît pour la spécificité des accords de coopération technique (1988) et par son approche des relations entre les petites entreprises de biotechnologies et les grands groupes pharmaceutiques (1989).

Un deuxième réseau relève essentiellement des recherches sur l'environnement économique de la coopération technologique.

Schéma 14

Réseau sur l 'environnement économique et la coopération technologique

Hagedoorn Camagni

Vanwiik ,3

Smiley

Morris \

Mytelka Lareacerem

Fuller |y ■ : i ' \Z

z. Buckley Cain a rea

Porter Doz Mariti

Williamson Wells

Mariotti

T Colombo

Stopford Berg

Source : les auteurs.

46 REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 91, 1er trimestre 2000

Il s'agit souvent d'études pionnières sur les accords de coopération : le management des multinationales chez J.M. Stopf ord et L. Wells (1972) ; les motivations autres que les coûts de transaction, et les conséquences des accords sur la structure industrielle chez P. Mariti et R. Smiley (1982). Les travaux de G.C. Cainarca, M. Colombo et S. Mariotti (1989) sont signalés pour leur recensement des accords de coopération technique (comme ceux du Larea-Cerem, 1986) mais aussi pour le lien s'établissant entre les phases du cycle de vie des produits et le moment où de tels accords sont conclus. M.B. Fuller et M.E. Porter (1986) figurent à propos de la relation entre la globalisation des industries et les mouvements de coopération. Cet apport illustre l'évolution de M.E. Porter après les critiques de son modèle des forces concurrentielles (1980) inscrit dans un contexte de seule concurrence entre les acteurs sur le marché. Ces manœuvres permettent de profiter d'économies d'échelle à l'international.

Enfin un troisième réseau repose sur la nature des liens de la coopération à base technologique.

Schéma 15

Réseau sur la nature des liens de la coopération à base technologique

Levinthal

Johanson

Hakansson

Porter

Marchesnay

Smiley

Buckley — — i 4 Hagedoorn p

Ohmae

Teece

Prahalad Williamson Aoki

Source : les auteurs.

Les travaux de J. Hagedoorn et de J. Schakenraad (1991) sont d'abord invoqués pour leur identification du développement des recherches soulignant l'essor de la coopération dans les années 1980, tout particulièrement dans les secteurs de haute technologie (technologie de l'information, biotechnologie, nouveaux matériaux et la chimie). Dans ce contexte particulier de la coopération, ces auteurs sont mentionnés pour caractériser la nature des accords (voir par exemple Colombo, PMS, 1992). R. Axelrod (1984) est cité pour le parallèle

REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 91, 1er trimestre 2000 47

réalisé avec la situation du dilemme du prisonnier. La vocation de la coopération est de dissuader le partenaire d'adopter une attitude opportuniste. Dans le même esprit, les travaux de C. Ciborra (1992) situent la coopération dans le contexte d'incertitudes sur les marchés mais surtout vis-à-vis des attitudes opportunistes. Ces résultats confirment les approches de G.B. Richardson, dès 1972, rapportées pour la mise en avant de la durée comme essence des accords de coopération avec les degrés d'obligation et de garantie acceptés par les partenaires par rapport à leur conduite future. H. Hakansson et J. Johanson (1988) sont référencés pour les structures organisationnelles minimales à mettre en œuvre dans le cas d'une coopération en matière de recherche et de développement et ce, afin d'éviter d'émettre des signaux captables par les concurrents. Enfin, les travaux de E. Brousseau (1991, 1993) appuient les références aux théories des contrats. La coopération dans les situations de sous-traitance, reprenant l'approche de J. Houssiaux (1957) avec la quasi-intégration, est associée au travail de K.J. Blois (1972).

CONCLUSION

L'examen de la recherche francophone publiée entre 1990 et 1995 sur le thème des manœuvres stratégiques est surtout l'occasion de mettre en évidence la diversité du champ et son positionnement particulier entre stratégie d'entreprise et organisation industrielle. La technique des cocitations utilisée ici a permis d'identifier 14 réseaux structurant les bibliographies des articles traitant des manœuvres stratégiques.

Six réseaux de recherche dits « inspirateurs et structurants », souvent amendés et non directement associés aux objets de recherche, révèlent essentiellement une conception fondée sur les « contenus stratégiques ». Ainsi trouve-t-on :

• quatre courants de recherche qui contribuent au renouvellement de la théorie de la firme. Il s'agit de l'économie des coûts de transaction, de la finance organisationnelle (surtout la théorie de l'agence), du modèle SCP, de l'organisation industrielle en matière de concurrence et de concentration ;

• un courant de recherche qui se forme autour de la thèse de R.P. Rumelt (1974) liant stratégie de croissance et performance, mais omettant de citer les controverses sur le pouvoir de marché comme facteur explicatif ;

• un courant d'essence stratégique, présentant une conception managériale de la stratégie de la firme.

Les huit réseaux relatifs à des thèmes spécifiques témoignent surtout de l'existence de différentes problématiques autour des nouvelles formes de croissance de l'entreprise. Les concepts d'alliance et de coopération traduisent, apparemment, la coexistence de deux disciplines : la stratégie d'entreprise et l'organisation industrielle. En réalité, les pratiques de recherche francophone s'appuient sur des fondements transdisciplinaires et à forte interpéné-

48 REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 91, 1er trimestre 2000

tration (voir par exemple : Dussauge et Garrette, PMS, 1992 ; Rullière et Torre, REÍ, 1995).

Le schéma 16 fournit une vue synthétique des interconnexions entre les boîtes à outils conceptuelles que sont les six réseaux « inspirateurs et structurants » et les huit réseaux relatifs aux objets de recherche particuliers que sont alliances, coopérations, et autres opérations de manœuvres inter-firmes.

Les travaux sur les nouvelles formes de croissance sont des terrains particulièrement fertiles de croisement entre disciplines. En effet, les bibliographies des articles touchant aux coopérations et aux alliances sont chamarrées, empruntant simultanément aux différentes lectures paradigmatiques économiques et gestionnaires.

Schéma 16

Liens entre réseaux « inspirateurs et structurants

et réseaux « objets d'étude »

Conception classique de la croissance

Economie "

des coûts de transaction

Coopérât! or techno

logique

Definitions formes de la coopération

Recensement des

manoeuvres

Rupture avec l'économie industrielle

Concentration et concurrence

Environ. cco, et

coopération

[Coopération

Nouvelles formes de croissance

Conception de la stratégie

Source : les auteurs.

Dans ces thèmes à forte actualité pour la période considérée, tous les réseaux portant sur les nouvelles formes partenariales de croissance sont interconnectés entre eux, signe de fronts de recherche actifs et disputés, d'une communauté scientifique active et de résultats renouvelés et rapidement intégrés. L'examen de la période actuelle (1996-2000) pourrait montrer l'évolution suivie par les thèmes attachés aux mouvements inter-entreprises. Trois chemins

REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 91, 1er trimestre 2000 49

peuvent être envisagés : la recomposition du champ peut évoluer dans le sens d'une concentration et du rattachement à un paradigme dominant, aller vers un éclatement en de nombreuses spécialités cloisonnées ou encore laisser cohabiter des courants hybrides et complémentaires.

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Française de Gestion, n° 85, 1991, pp. 4-18. LATOUR B. (1989), « La science en action », Paris, La Découverte. LAURIOL J. (1997), « Une analyse des représentations de la stratégie et de son management

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50 REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 91, 1er trimestre 2000

MILGROM P. et ROBERTS J. (1997), « Économie, organisation et management », (traduit de l'américain sous la direction de B. Ruffieux), Grenoble, PUG.

RULLIERE J-L., TORRE A. (1995), « Les formes de la coopération interentreprise », Revue d'Économie Industrielle, numéro spécial, pp. 215-246.

STEPHAN P.E., LEVIN S.G. (1997), « The Critical Importance of Careers in Collaborative Scientific Research », Revue d'Économie Industrielle, n° 79, 1er trimestre, pp. 45-61.

Annexe I : Grille d'analyse

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Indications signalétiques

• Statut (s) auteur(s) « Laboratoire (s) • Institution (s) a Pays

Références de l'article • Nom de la revue t Année de publication » Numéro de la revue » Numéros de pages t Titre de l'article » Nom (s) auteur (s)

■ •• . v 249 articles

Champ d'observation

141 articles

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Présence d'un terrain

• Rapport entre le chercheur et le terrain, observé

• Relation entre la théorie et le terrain observé

^ Temporalité des observations • Origine et nature des données • Méthode générique de collecte

et de traitement des données • Mode de traitement des données

quantitatives • Visée empirique

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Sujet traité

• Thème (s) • Mots-clefs • Résumé

108 articles

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Absence de terrain

• Visée téléologique

i 7075 références bibliographiques ■ . T • ' ■ ' •

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1 Références bibliographiques • Auteurs

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• Thèses , • Cahiers de recherche 1

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Source : les auteurs

REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 91, 1er trimestre 2000 51

Annexe II : Liste des articles francophones publiés entre 1990 et 1995, portant sur le thème des manœuvres stratégiques

Auteurs Batsch, L.

Liouville, J. ; Nanopoulos, C.

Tarondeau, J.-C.

Léger, C.

Noël, A.

Denis, J.-L. ; Séguin, F. Rousseau, N. Hafsi, T. ; Toulouse, J.-M. Jolly, D. Ingham, M.

Paché, G.

Allouât, B.

Liouville, J.

Aliouat, B.

Humbert, M. ; Jolly, D. Jolly, D.

Ledève, D. ; Elis, J.-M. Grelaud, M. ; Gasse, Y. Puthod, D.

Besch, B. ; Guieu, G. Colombo, M.

Dussauge, P. ; Garrette, B. Garrette, B. ; Quélin, B.

Titre de l'article Influence des structures productives et recentrage sur le métier Les déterminants des performances des implantations à l'étranger : premiers résultats d'une recherche empirique Les facteurs d'internationalisation des activités industrielles Le partenariat entre grandes entreprises et PME : expérience ou stratégie ? Les entreprises québécoises face à la mondialisation : la voie des alliances Les alliances stratégiques : quand et comment y recourir Gérer stratégiquement en contexte de déclin Acquisitions et fusions : les choix stratégiques en conflit avec leur mise en œuvre ? Le champ des alliances interentreprises Approche stratégique des alliances internationales Relations non hiérarchiques, réseaux et manœuvres logistiques Comprendre l'Acte unique pour préparer 1993 : l'apprentissage d'une liberté pour les entreprises européennes Manœuvres stratégiques et rentabilité

L'éco-management stratégique des alliances technologiques : analyse empirique d'une situation paradoxale Concurrents d'hier contre concurrents d'aujourd'hui : l'alliance IBM-Apple Alliances technologiques inter-entreprises : champ d'application et explications théoriques Les stratégies d'alliance entre firmes : un essai de typologie Processus de réalisation des alliances stratégiques entre PME occidentales et P.M.E. sénégalaises Entre confiance et défiance : la vigilance au cœur de la gestion des alliances. Restructurations et stratégies des entreprises au cours des années 80 Les accords de coopération entre firmes de haute technologie Alliances industrielles dans les secteurs de l'aérospatiale et de la défense Les stratégies d'alliance des firmes d'équipements de télécommunication

Références complètes Économie et Sociétés - série SG, 1993, 10, 7-34 Économie et Sociétés - série SG, 1993, 10, 35-53

Économie et Sociétés - série SG, 1993, 10,55-71 Économie et Sociétés - série SG, 1995, 21, 7-29 Gestion, 1990, 3, 46-58

Gestion, 1992, 4, 22-28

Gestion, 1992, 28-37 Gestion, 1994, 1,35-48

Gestion, 1995, 4, 40-47 Gestion 2000, 1990, 5, 97-129 Gestion 2000, 1990, 3, 13-25 Gestion 2000, 1991, 3, 15-36

Gestion 2000, 1992, 2, 88-93 Gestion 2000, 1993, 5,95-130

Gestion 2000, 1993, 5, 133-158 Gestion 2000, 1993, 5,71-92 Gestion 2000, 1993, 5, 61-69 Gestion 2000, 1995, 4, 89-107 Gestion 2000, 1995, 2, 111-129 Perspectives en Management Stratégique, 1992, 135-166 Perspectives en Management Stratégique, 1992, 389-420 Perspectives en Management Stratégique, 1992, 363-388 Perspectives en Management Stratégique, 1992,329-362

52 REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 91, 1er trimestre 2000

Giroux, N.

Koenig, C. ; Van Wijk, G. Blanc, G. ; Garrette, B. Calori, R. ; Very, P. ; Lubatkin, M. Capron, L.

Dissake, D.

Ingham, M.

Menguzzato Boulard M. ; Renau Piqueras, J.-J. Moingeon, B.

Zhang, J. ; Noël, A.

Beau, D. ; Sananes, J.-C. Krifa, H.

Brousseau, E. ; Quélin, B. Chevalier, J.-M.

Delapierre, M.

Jacquemin, A.

Muchielli, J.-L.

Paché, G.

Paturel, R.

Paturel, R.

Batsch, L.

Paturel, R.

Colombo, M.

Analyse d'une acquisition : le cas du CDTC

Alliances interentreprises : le rôle de la confiance

Le management des alliances stratégiques

Acquisitions en Europe : typologie et facteurs de centralisation

Les rapprochements des industriels européens de l'aéronautique : fusions ou coopération ? Les stratégies de diversification des entreprises camerounaises L'apprentissage dans les coopérations : le cas IBM

La coopération interentreprise : un phénomène structuré

Approche identitaire des fusions et acquisitions

Alliances stratégiques entre entreprises chinoises et étrangères Les opérations de croissance externe des entreprises françaises : constats et perspectives Caractéristiques et logiques des OPA en France

Stratégie de coopération et les nouveaux services de télécommunication Éléments de réflexion stratégique sur la filière textile Les accords inter-entreprises, partage ou partenariat ? Les stratégies des groupes européens du traitement de l'information Stratégie d'entreprise et politique de la concurrence dans le marché unique européen Alliances stratégiques et firmes multinationales : une nouvelle théorie pour de nouvelles formes de multinationalisation L'impact des stratégies d'entreprise sur l'organisation industrielle : PME et réseaux de compétences Les grandes tendances de la restructuration des entreprises françaises en 1990 Analyse des manœuvres stratégiques des principales entreprises françaises La diversité des activités des groupes industriels : une approche empirique du recentrage 1992 : ralentissement... ?

Les facteurs explicatifs de la coopération entre firmes. Le cas des technologies de l'information

Perspectives en Management Stratégique, 1992, 167-185 Perspectives en Management Stratégique, 1992,305-327 Perspectives en Management Stratégique, 1994, 185-209 Perspectives en Management Stratégique, 1994, 269-290

Perspectives en Management Stratégique, 1994,239-268 Perspectives en Management Stratégique, 1994,291-310 Perspectives en Management Stratégique, 1994, 159-183 Perspectives en Management Stratégique, 1994,95-110

Perspectives en Management Stratégique, 1994, 343-361 Perspectives en Management Stratégique, 1994,211-234 Revue d'Économie Industrielle, 1990,54, 100-112 Revue d'Économie Industrielle. 1990, 53, 37-53 Revue d'Économie Industrielle, 1991,56,71-100 Revue d'Économie Industrielle, 1991, 56, 27-45 Revue d'Économie Industrielle, 1991,55, 135-161

Revue d'Économie Industrielle, 1991,57,7-24 Revue d'Économie Industrielle, 1991,55, 118-134

Revue d'Économie Industrielle, 1991,56,58-70

Revue d'Économie Industrielle, 1991,58, 121-132 Revue d'Économie Industrielle, 1992, 62, 106-117 Revue d'Économie Industrielle, 1993, 66, 33-49 Revue d'Économie Industrielle, 1993,66,82-95 Revue d'Économie Industrielle, 1994, 68, 27-42

REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 91, 1er trimestre 2000 53

Paturel, R.

Cremer, J.

Derhy, A.

Rullière, J.-L. ; Torre, A. Caucal, R.

Dussauge, P.

El Idrissi, A.

Dussauge, P. ; Garrette, B. Hyafil, A.

Archawski, J.L. ; Wolek, F.W. Atamer, T.

Darréon, J.-L. ; Faiçal, S. Miller, R.

Very, P.

Guilloux, V.

Ingham, M.

Liouville, J.

Weiss, D.

Pacitto, J.C.

Fenneteau, H.

Ingham, M.

Fernandez, G. ; Noël, A. Guilhon, B.

Robic, P.

Chronique : fusions - 1993 : une année comme les précédentes Intégration verticale : vers un guide pour le praticien Les fusions et acquisitions en France de 1959 à 1992. Évolution et caractéristiques Les formes de la coopération interentreprises

La mutation des échanges internationaux de services de haute technologie Le cas des industries aérospatiale et de l'armement : les alliances stratégiques entre firmes concurrentes Les joint-ventures avec l'URSS : un bilan contrasté Alliances stratégiques, mode d'emploi

Décisions stratégiques et valeur de la firme

Concurrence par plagiat : l'expérience française aux États-Unis Stratégies d'européanisation dans les industries multidomestiques Les enjeux des partenariats stratégiques entre grandes entreprises et PME Recherche, développement et globalisation : le cas de l'industrie automobile Les logiques industrielles du développement de l'entreprise De l'intégration verticale à la cotraitance électronique L'apprentissage organisationnel dans les coopérations L'Allemagne à l'abri des raiders ?

Les nouvelles frontières de l'entreprise

La stratégie gagnante de l'industrie italienne de la motocyclette Mise en concurrence des fournisseurs ou partenariat ? La perception du succès des alliances stratégiques

PME, mondialisation et stratégies

Les relations entre constructeurs et fournisseurs : l'exemple de l'industrie automobile Une nouvelle mesure de la stratégie de diversification des PME

Revue d'Economie Industrielle, 1994,70,65-116 Revue d'Economie Industrielle, 1995, excep, 193-213 Revue d'Économie Industrielle, 1995, 73, 19-45 Revue d'Économie Industrielle, 1995, excep, 215-246 Revue Française de Gestion, 1990, 77, 74-84 Revue Française de Gestion, 1990, 80, 5-16

Revue Française de Gestion, 1990, 79, 80-89 Revue Française de Gestion, 1991,85,4-18 Revue Française de Gestion, 1991,82,45-56 Revue Française de Gestion, 1992, 87, 18-23 Revue Française de Gestion, 1993, 93, 95-105 Revue Française de Gestion, 1993,95,104-115 Revue Française de Gestion, 1993, 53-63 Revue Française de Gestion, 1993,5-13 Revue Française de Gestion, 1994, 99, 54-62 Revue Française de Gestion, 1994, 97, 105-121 Revue Française de Gestion, 1994, 101, 30-42 Revue Française de Gestion, 1994, 100, 36-49 Revue Française de Gestion, 1995, 102, 31-44 Revue Internationale PME, 1990, 2, 167-192 Revue Internationale PME, 1991, 2, 43-83 Revue Internationale PME, 1993, 3-4, 145-163 Revue Internationale PME, 1993, 1, 87-99 Revue Internationale PME, 1993, 3-4, 9-35

54 REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 91, 1er trimestre 2000