partie2-chap.2-c/ l’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image

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Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image -------------------------------------------------------------------- ------------------------------------------------------- - le texte dessiné écrit d’une façon ornementale, comme dans les figures 61 et 62, est lisible en français et en arabe. - le texte à regarder, conçu pour être plutôt vu que lu, serait plus difficile à lire en arabe qu’en français. Voir figures 48 et 55. - l’image à regarder, dont l’écriture n’est pas du tout lisible est un cas particulier en arabe, comme dans les figures 50, 51, 52, 53. 4.1.2- La neutralisation dans la calligraphie Après avoir donné cet aperçu sur la fonction de la calligraphie et la manière dont elle peut être lue et vue en même temps, et comment le degré de lisibilité diffère entre la calligraphie française et arabe, nous allons passer à la linéarité de l’écriture calligraphique et au rapport non arbitraire entre le signifié et le signifiant dans la calligraphie. Nous allons donc poser la question suivante : dans quelle mesure la calligraphie neutralise- elle la convention de la linéarité de l’écriture et l’arbitraire du signe ? 132

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Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- le texte dessiné écrit d’une façon ornementale,

comme dans les figures 61 et 62, est lisible en français

et en arabe.

- le texte à regarder, conçu pour être plutôt vu que

lu, serait plus difficile à lire en arabe qu’en français.

Voir figures 48 et 55.

- l’image à regarder, dont l’écriture n’est pas du

tout lisible est un cas particulier en arabe, comme dans

les figures 50, 51, 52, 53.

4.1.2- La neutralisation dans la calligraphie

Après avoir donné cet aperçu sur la fonction de la

calligraphie et la manière dont elle peut être lue et vue

en même temps, et comment le degré de lisibilité diffère

entre la calligraphie française et arabe, nous allons

passer à la linéarité de l’écriture calligraphique et au

rapport non arbitraire entre le signifié et le signifiant

dans la calligraphie. Nous allons donc poser la question

suivante : dans quelle mesure la calligraphie neutralise-

elle la convention de la linéarité de l’écriture et

l’arbitraire du signe ?

132

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

4.1.2.1- La neutralisation de la linéarité de

l’écriture

Comme nous l’avons déjà signalé, la linéarité de

l’écriture arabe, qui va de droite à gauche, est

différente de celle des langues occidentales qui est de

gauche à droite. En fait, quand il s’agit d’une écriture

calligraphique, cette linéarité conventionnelle ne

devient plus pertinente dans la distinction de l’écriture

de différentes langues. Il arrive que les calligraphes ne

respectent pas la linéarité canonique de la langue en vue

de donner une certaine originalité au texte écrit et pour

qu’il soit plus attractif.

Prenons, par exemple, la calligraphie utilisée dans

la publicité qui ne respecte pas toujours la linéarité

conventionnelle de l’écriture. Cette calligraphie

publicitaire qui a pour but la persuasion utilise le

langage symbolique, pictographique, idéographique voire

des symboles de qualité de vie, de richesse, de culture

et d’appartenance à une certaine catégorie sociale. La

publicité exerce son extraordinaire pouvoir d’aliénation

133

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------à travers le langage autonome des formes scripturales

libérées des contraintes étroites de la lisibilité.

Nos yeux étant accoutumés à une lecture linéaire,

monotone, fonctionnelle et sans accident, peuvent avoir

du mal à lire une typographie qui ne respecte pas la

linéarité canonique de l’écriture. Prenons, par exemple,

un texte coranique, figure 56, écrit sous forme de cercle

dont ni le début ni la fin sont déterminés. Le lecteur

arabe n’arrive pas facilement à lire ce texte non pas

seulement à cause de l’entrecroisement des lettres, mais

aussi de la non-linéarité (linéarité circulaire) du

texte. Dans la figure 57 nous voyons la même forme

qu’avant, un cercle ou une bulle avec des lettres

entrecroisées, mais cette fois-ci la linéarité n’est pas

du tout évidente car le but d’inscrire le texte dans un

cercle a tué la linéarité droite.

134

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Figure 56

Figure 57

La non-linéarité dans l’écriture calligraphique est

moins évidente avec les alphabets latins. Nous pouvons

trouver par exemple des textes écrits de haut en bas mais

qui restent lisibles malgré la linéarité anormale du

texte. Voir figure 58. Contrairement à la calligraphie

arabe qui joue avec l’allongement et l’entrecroisement

des lettres, la calligraphie française utilisant les

lettres latines consiste à jouer avec la forme de la

lettre. Nous trouvons, par exemple, des lettres décalées

et dessinées avec de petits cubes « alphabet building »

figure 59, ou bien des mots écrits avec des lettres sous

forme de cube, figure 60. Il existe également l’écriture

avec «l'alphabet Carnaval» figure 61. Nous remarquons que

ces textes ne changent pas de linéarité, et que le trait

calligraphique n’est impliqué que par le changement de la

forme de lettre.

135

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Figure 58 Figure

59

Figure 60

Figure 61

Figure 624.1.2.2- La neutralisation de l’arbitraire du signe

136

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Il est évident que tout signe linguistique est doué

d’un signifié et d’un signifiant dont le rapport serait

toujours arbitraire. Il n’y a aucun rapport logique, par

exemple, entre la chaîne sonore du mot chaise [ ]

et l’objet que l’on utilise pour s’asseoir. Par contre,

la calligraphie a dépassé ces frontières en neutralisant

l’arbitraire du signe pour établir un rapport logique

entre le signifié et le signifiant. Ce rapport sera

cristallisé au niveau du texte, du mot et du graphème.

Au niveau du texte, nous trouvons quelquefois que le

texte calligraphique illustre l’objet dont il parle sous

forme du dessin. Regardons, par exemple, la figure 49

dans laquelle le texte « un cigare allumé qui fume »

représente un cigare et une fumée. La signification du

texte est représentée ici par la forme que lui a donnée

l’écriture calligraphique.

Si nous regardons la façon dont le mot bateau est

écrit en français (figure 63) et en arabe (figure 64),

nous pouvons comprendre à quel point l'arbitraire du

signe peut être neutralisé lorsque la calligraphie du mot

prend une forme qui fait penser à son signifié.

137

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Figure 63

Figure 64

Au niveau du graphème, les calligraphes n’ont

épargné aucun effort pour se servir de cette technique,

surtout dans les titres des livres, les noms de magasins

et de différents produits.

Le fait de remplacer une ou plusieurs lettres d'un

mot par un dessin ferait partie de la calligraphie. Ce

procédé se trouve souvent dans les publicités. Nous

trouvons, par exemple, le « l » dans le mot « stylo »

remplacé par le dessin d'un stylo, et la silhouette d'une

bougie à la place de la lettre « i » dans le mot

« bougie » etc. Dans ce type de calligraphie, le

concepteur illustre le signifié du mot par la

138

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------substitution de l'un de ses graphèmes ou l’une de ses

lettres par un dessin représentatif de ce signifié. Ce

procédé existe aussi bien dans la calligraphie française

qu'arabe.

Quand le signifié du mot n'est pas un objet concret,

comme « panorama », dont le signifié est abstrait, le

concepteur recourt à un dessin qui évoque le sens du

mot. Le vocable « panorama » signifie un « spectacle constitué

par un vaste tableau circulaire peint en trompe-l'oeil et destiné à être

regardé du centre ». Défini aussi comme un «Vaste paysage que

l'on peut contempler de tous côtés; vue circulaire.» Petit Robert, 1987,

p.1349, le concepteur du titre du magazine italien

« Panorama », a représenté le «O» du mot « panorama » par

un dessin de la terre qui évoque un paysage vaste ou un

spectacle circulaire. Voir figure 65.

Figure 65

139

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le concepteur a choisi ici les éléments principaux

qui constituent le signifié du mot « panorama » : un

paysage, un spectacle et l'aspect circulaire et vaste,

pour les représenter par le dessin de la terre qui évoque

les éléments précédents.

Dans la couverture de la bande dessinée de Tintin

« Les bijoux de la Castafiore », le dessinateur a

remplacé les «O» dans « Bijoux » et « Castafiore » par un

saphir et une émeraude pour avoir une redondance dans le

signifié du mot « Bijoux » qui constitue l'intrigue de

l'histoire. Voir figure 66.

En fin de compte, on ne peut pas dissocier dans la

calligraphie le texte et l’image qui sont liés par une

certaine motivation. Mais la question que l’on se pose et

dont la réponse reste ouverte est la suivante : les deux

neutralisations de la calligraphie, dont on a parlé plus

haut, favorisent-elles la lecture ou la compréhension du

message ?

140

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Figure 66

4.1.3- Comparaison entre la calligraphie arabe et

française

Prenons la calligraphie française comme

exemple, dans les langues qui utilisent les alphabets

latins, pour étudier les différences et les ressemblances

entre celle-ci et la calligraphie arabe. Les aspects où

ces deux calligraphies se rencontrent sont la linéarité

dans le temps, l'utilisation des formes géométriques,

l'illustration des objets et l'ornement pour la

persuasion dans les affiches publicitaires.

En ce qui concerne la linéarité, même si le sens de

l'écriture est autre que de gauche à droite ou

inversement, c'est-à-dire de haut en bas, circulaire ou

avec l'effet miroir, la lecture reste linéaire dans la

trame du temps tant que les graphèmes se succèdent

logiquement dans le temps pour donner du sens.

Concernant la lecture dans la trame de l'espace et

du temps, elle est possible dans les deux calligraphies,

comme les figures 46 et 48 et 49 le montrent bien. Les

formes géométriques occupent une place importante aussi141

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------bien dans la calligraphie arabe que française. Nous

trouvons des écritures sous formes de cube, de triangle,

de carré, d’hexagone... etc. Etant donné que la

calligraphie en arabe et en français peut être lue dans

l'espace, elle est donc susceptible d'illustrer des

objets. D’ailleurs, c'est ici que la linéarité dans le

temps et dans l'espace se rencontrent.

Concernant les différences entre ces deux

calligraphies, celles-ci sont limitées à deux aspects :

le degré de lisibilité d’une part, et la rationalité

d’autre part. En ce qui concerne le degré de lisibilité,

nous avons remarqué à travers les exemples précédents que

la calligraphie française était plus lisible, en général,

que la calligraphie arabe. Le fait que les lettres soient

allongées et entrecroisées dans la calligraphie arabe

rend sa lecture difficile, parfois même illisible ;

tandis qu'en français ce phénomène n'est pas très

fréquent, si bien que la lecture de la calligraphie

française reste souvent lisible, même si nous rencontrons

quelquefois certaines difficultés de déchiffrage.

Le deuxième point de différence est la rationalité :

le motif de l'utilisation de la calligraphie. En fait,

142

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------comme les nombreux exemples le montrent, la calligraphie

arabe prend les textes coraniques comme sujet et

l'ornement des lieux de culte comme but, car dans la

civilisation musulmane cet art était destiné à orner les

mosquées et à embellir les couvertures du livre saint (le

Coran). Ce qui est amusant c'est que, à force de voir la

calligraphie limitée aux textes coraniques, tout texte

écrit avec une calligraphie arabe évoque aux illettrés un

texte coranique, même si ce n’est pas le cas. Dans la

calligraphie française au contraire, l'objectif est

souvent publicitaire ou ornemental pour persuader et

attirer des lecteurs. Il convient de noter, cependant,

que rien n'empêche d’utiliser la calligraphie arabe pour

des motifs publicitaires, surtout quand l'objectif est de

montrer l’aspect antique de l’objet. Si la calligraphie

arabe n'évoque pas un texte sacré, on peut la prendre

pour un texte qui vient des temps anciens. Donc l'idée de

la calligraphie arabe est souvent liée à la civilisation

et à la culture musulmanes.

Nous pouvons schématiser ainsi la comparaison entre

la calligraphie arabe et française :

Calligraphie Calligraphie

143

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

française arabe Linéarité

+

Formes

géométriques

+

+

Lisibilité

+

Motif publicitaire

+

Motif religieux

-

+Lecture dans

l’espace

+

+

Lecture dans le

temps

+

+

144

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

4.2- Texte illustré et Bande dessinée

Toutes les définitions qui ont été faites de la

bande dessinée s'accordent sur le même fait : elle réunit

du texte et de l'image: « La BD est un récit traduit en dessins, et

imprimé»11. « La BD est une suite formant un récit original par

l'association du texte et du graphisme»12. « La bande dessinée, art

populaire par excellence, est une histoire en images séquentielles relayées ou

ancrées par un texte sous forme de dialogues, d'onomatopées, de

commentaires, de bruitages... paraissant sous forme de feuilletons ou

d'histoires complètes dans la presse»13. La bande dessinée « c'est la

mise en forme, au moyen, d'un ensemble de relation image/texte

caractérisées par l'utilisation originale de ballons, d'une histoire dont on a

retenu les éléments les plus spectaculaires ».14

A la différence de la bande dessinée où le texte est

intégré dans l’image, dans le texte illustré l’image et11 RENARD, Jean-Bruno : La bande dessinée, Paris, Seghers, 1977, p.10.12 CONVARD, Didier ; SERGE, Saint-Michel ; GOSCINNY, René. : Lefrançais et la bande dessinée, Paris, Nathan, 1972, p.4.

13 MARTIN, Michel : Sémiologie de l’image et pédagogie, Paris, PressesUniversitaires de France, 1982, p.127.14 FRESNAULT-DERUELLE, Pierre : Dessins et bulles :  la bande dessinée commemoyen d'expression, Paris, Bordas, 1972, p.10.

145

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------le texte sont séparés. Ce qui caractérise les bandes

dessinées c’est l’intégration des textes dans les bulles

où l’image joue un rôle de complémentarité : le relais ou

l’ancrage. Or, l’absence de l’image dans le texte

illustré n’influencera pas la compréhension de

l’histoire, car tout est raconté par le texte.

Regardons, par exemple, la figure 67 où le texte est

complètement indépendant de l'image. Le lecteur n'a pas

besoin de l'image pour comprendre le texte, car celui-ci

explique tout. L'image a donc ici une fonction de

redondance : elle redit ce que le texte raconte. Nous

allons revenir à ce propos pour parler des types de

langage utilisés dans la bande dessinée et dans les

textes illustrés : histoire / discours.

146

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Figure 67

147

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

4.2.1- Type de rapport texte / image

Il existe toujours un rapport entre le texte et

l’image qui l’accompagne. Ce rapport qui peut être un

rapport d’ancrage, de relais et de complémentarité dépend

du type de l’image et du contenu du texte. Avant

d’aborder ces types de rapport, nous allons essayer de

répondre a la question suivante : qui domine sur l’autre,

l’image ou le texte ?

4.2.1.1- Code dominant : image ou texte ?

De même que le texte joue un rôle narratif dans la

bande dessinée, le dessin joue le rôle figuratif. Peut-on

comprendre le récit de la bande dessinée en lisant le

texte sans l'image, ou en regardant l'image sans le texte

? En fait, il est difficile de comprendre le récit de la

bande dessinée en se limitant à un seul élément de ses

deux composants principaux : l'image et le texte. Nous

avons fait le test suivant pour montrer le lien fort

entre le texte et l'image dans la bande dessinée :

148

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Nous avons demandé à cinq personnes françaises de

reconstituer l’histoire de la bande dessinée de Tintin

(L’île Noire) à partir de l’image après avoir séparé

celle-ci du texte. Nous avons demandé également à un

autre groupe de cinq personnes d'essayer de comprendre

l'histoire en lisant les textes séparés de l’image. Il

faut noter que ces personnes n’ont jamais lu cette bande

dessinée dont on n’a choisi que les quinze premières

pages. Nous avons fait la même expérience avec dix sujets

arabes, mais en utilisant une bande dessinée arabe. Les

résultats ont été les suivantes : parmi les personnes qui

ont lu la bande dessinée sans image, soit en arabe soit

en français, certains ont compris l'histoire avec

quelques difficultés, et d'autres ne l'ont pas comprise

de façon satisfaisante. Ceux qui l'ont comprise ont avoué

qu'elles avaient dû faire des retours en arrière vers

certains passages pour corriger des suppositions fautives

construites au départ. Les personnes à qui nous avons

demandé de comprendre l'histoire par l'image, sont

arrivées à la comprendre pour l’essentiel, mais elles

n'ont pas compris quelques détails qui sont expliqués par

le texte. Il est donc difficile de déterminer les

frontières entre l’image et le texte quand ils se

149

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------trouvent ensemble pour véhiculer un message. Chacun de

ces deux éléments participe à la transmission du message

voulu.

« Le message verbal peut aussi apporter ce qu'à

elle seule l'image ne dit pas, ajouter une voix,

un bruit, un commentaire extérieur aux signes

iconiques. Il a une fonction de relais; dans la

bande dessinée par exemple, il prend en charge

les éléments de narration absents de l'image :

deux jours plus tard …»15

Ce test montre qu'il existe une relation forte entre

le texte et l'image de la bande dessinée, qui peut ne

pas exister dans d'autres textes accompagnés de l'image,

comme par exemple les photos dans les journaux qui ne

sont pas indispensables pour la compréhension du texte.

Un article sur le Président J. Chirac peut être tout à

fait compris sans la photo de la personne en question.

Par contre, le fait que les images dans la bande dessinée

soient séquentielles et complémentaires du texte explique

l'importance de leur existence pour la compréhension des

événements.

15 FOZZA, Jean-Claude ; GERAT, Anne-Marie ; PARFAIT, Françoise : Petitefabrique de l'image, Bruxelles, Magnard, 1992, p.119.

150

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Malgré la difficulté de tracer les frontières entre

l’image et le texte et le fait que ces deux derniers

soient complémentaires, il convient de noter qu'en

général «c'est l'image qui sert le texte, et non plus l'inverse.»16 Une des

différences que l'on fait entre le langage et l'image se

situe au niveau de la façon dont le langage et l'image

véhiculent les informations, et dont ils sont

respectivement compris. Sol Worth (1975) montre que

l'interprétation des images est différente de

l'interprétation des mots parce que les aspects

syntaxiques, prescriptifs et véridiques de la grammaire

verbale ne s'appliquent pas : les images, entre autres,

ne peuvent être ni vraies ni fausses, du moins, au sens

qu'ont ces termes à propos de langages verbaux; elles ne

peuvent exprimer certains énoncés, notamment un énoncé

négatif « pictures can't say ain't » comme le dit le titre de

l'article de Sol Worth. p.193. A.K. Varaga ajoute à ce

propos que :

« La langue a certaines particularités qu'elle

ne partage pas avec l'image, par exemple, la

négation. Comment exprimer visuellement des

16 FRESNAULTE-DERUELLE, Pierre : « Le verbal dans les bandesdessinées », dans Communications, No15, Paris, Seuil, 1970, p.153.

151

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

phrases telles que (A n'a pas tué B) ou (C n'a

pas mangé) . »17

Pour résumer, alors qu'il existe dans la bande

dessinée une certaine complicité entre le texte et

l'image, dans les textes illustrés (figure 67), c’est le

texte qui domine sur l’image et cette dernière n’a qu’un

rôle d’illustration de ce que le texte raconte. Autrement

dit, le texte sera tout à fait compris sans l’image.

4.2.1.2- Le rapport d’ancrage et de relais

Le texte compléterait l'image (prenant le relais à

l'endroit où s'arrête sa capacité à signifier) et

l'ancrerait dans un sens précis en réduisant sa polysémie

constitutive. Ces deux fonctions sont bel et bien

agissantes dans la bande dessinée, sans toutefois

qu'elles épuisent les différents apports possibles de la

composante verbale. Mais on aurait tort d'en déduire que

les images d'une bande dessinée ont nécessairement besoin

du texte pour accéder à l'intelligibilité. C'est d'abord

17 KIBEDI VARAGA, Aron : Discours, récit, image, Bruxelles, Mardaga, 1989,

p.99.

152

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------leur inscription dans une séquence iconique qui ancre la

signification de chacune d'entre elles. C'est dans les

articulations internes à la chaîne des images que

s'arrime le sens, le texte ne jouant souvent à cet égard

qu'un rôle complémentaire.

Le rapport de complémentarité entre l'image et le

texte est un rapport qui peut être, comme R. Barthes l'a

appelé dans « Rhétorique de l'image », un rapport d'ancrage ou

de relais.

Etant donné que l'image a souvent des signifiants

pour une chaîne flottante de signifiés, dont le lecteur

peut choisir certains et ignorer d’autres, le message

linguistique intervient pour jouer un rôle d'ancrage du

sens dans la mesure où il « aide à identifier purement et

simplement les éléments de la scène et la scène elle-même. »18

La fonction d'ancrage du texte accompagnant l'image

peut se trouver au niveau de l'identification et/ou de

l'interprétation de celle-ci. L. Porcher appelle ces

deux niveaux « dénotation » et « connotation ».

18 BARTHES, Roland : « Rhétorique de l'image », dans Communications,No 4, Paris, Seuil, p.44.

153

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

« ...le langage exerce sa fonction d'ancrage à

propos de la dénotation iconique : il évite les

erreurs d'identification. […] mais le rôle

d'ancrage du message linguistique se joue

également au niveau de la connotation... »19

L'ambiguïté que le texte enlève peut être aussi bien

au niveau dénonatif, quand il aide le lecteur à

comprendre le message sans danger d'égarement, qu'au

niveau connonatif quand « il dirige le lecteur entre les signifiés de

l'image, lui en fait éviter certains et recevoir d'autres ; à travers un

(dispatching) souvent subtil, il le téléguide vers un sens choisi à l'avance. »20

Il faut noter que le rapport d'ancrage se trouve, le

plus souvent, dans les images publicitaires qui ne sont

pas seulement des images rhétoriques, mais qui portent

souvent des éléments culturels qui rendent leur

interprétation difficile. Le texte intervient ici pour

faciliter la compréhension du message voulu par l'image.

Examinons, par exemple, la publicité dans la figure

68. Si nous privons l'image du texte, celle-ci aura19 PORCHER, Louis: Introduction à une sémiotique des images, Paris, Crédif-Didier, 1987, p.193.

20 BARTHES, Roland : « Rhétorique de l'image », dans Communications,No 4, Paris, Seuil, p.44.

154

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------beaucoup d'interprétations selon chaque lecteur. Mais

c'est le texte qui rend l'identification et

l'interprétation limitées à une seule. En ce qui concerne

l'aspect dénotatif, les textes (Four Roses), (Le

Whisky), (Servi aux "Bains") aident le lecteur à

identifier les deux éléments principaux de cette

publicité qui sont : Whisky et la boîte « Bains ». Cette

publicité porte une connotation qui exige d'appartenir à

la culture française et à une société qui consomme des

boissons alcoolisées pour la comprendre. Le texte (Four

roses) et l'image de quatre roses avec un arrosoir

n'évoquent pas simplement le nom du whisky en question,

mais également la comparaison entre le fait d'arroser les

fleurs et de s'arroser quand on boit du whisky. Il faut

être familier de la culture française, pour comprendre

l’expression s’arroser et savoir que « Bains » réfère à un

bar connu à Paris.

155

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Figure 68

Passons maintenant au rapport de relais qui est

moins fréquent dans l'image fixe. Il est surtout présent

dans les bandes dessinées où l'image séquentielle existe.

Il existe donc une relation de complémentarité entre le

texte et l'image : les éléments manquant dans l'image

peuvent être complétés par le texte et inversement.

Regardons, par exemple la figure 69, où on lit le texte

(un soir...). Ces trois points de suspension sont

156

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------expliqués par l'image. Autrement dit, c'est l'image qui

complète la suite de la phrase. Si nous regardons

maintenant la figure 70 nous voyons le contraire. Comment

peut-on savoir exactement ce qui s'est passé pour la

fille tombée par terre sans l'explication de Tintin ? : «

Mon Dieu ! elle a trébuché dans les ronces et elle s’est cogné la tête contre

cette racine !» Dans ce cas là c'est le texte qui complète

l'image. Il faut noter que dans les deux cas précédents

ni le texte ni l'image peuvent être compris tout seuls.

Figure 69

157

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Figure 70

4.2.1.3- Quel type de langage ?

« Reprenant la distinction opérée par Benveniste

nous dirons que les BD classiques (récits

d’aventures) supportent des histoires tandis que

les comic-strips nous livrent des discours. »21

21 FRESNAULT-DERUELLE, Pierre : « Le personnage de bande dessinée etses langages », dans Français langue étrangère, No. 28, Paris, Larousse,décembre 1975, p.102.

158

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

a) Textes illustrés : lecture d'une histoire

Comme nous l’avons déjà signalé, il s’agit dans les

textes illustrés d’une histoire racontée par des textes

au style indirect avec des images illustrant les actions

et les événements importants. Il n’existe aucun rapport

de complémentarité (rapport d’ancrage ou de relais) entre

le texte et l’image dans les textes illustrés. Par

contre, quand il s’agit d’un lecteur enfant ou étranger,

l’illustration par image peut aider le lecteur à bien

saisir l’idée principale du texte.

La bande dessinée est apparue pour la première fois

sans bulle (voir figure 67). Les vignettes étaient

accompagnées d'un texte descriptif qui disait tout.

L'image n'avait qu'un rôle d'illustration, et on pouvait

comprendre l'histoire sans les images. Mais quand on a

déplacé le texte pour l'intégrer au sein de la vignette,

et l'entourer, plus tard, par une bulle, le texte a

commencé à perdre quelques éléments qui sont présents

dans l'image. Donc, le rapport de complémentarité entre

le texte et l'image serait faible, voire inexistant dans

l'ancienne bande dessinée (les textes illustrés).

159

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Il convient de signaler que la narration en

séquences d'images devient beaucoup plus souple lorsque

le texte qui se trouve sous l'image passe dans le corps

même de la vignette sous la forme d'un court message

entouré d'un ballon.

Si raconter une histoire (des souvenirs, conte,

film, fait divers, …) oralement ou écrit signifie

« narrer », qu’entendons-nous alors par « acte

narratif » ?

« L’acte narratif – dont l’art narratif n’est

qu’une forme plus élaborée- est une médiation

symbolique de l’action à laquelle l’humain apprend

à recourir dans des champs fort divers : histoire

drôle, narration orale ou écrite de souvenirs

personnels, fait divers, conte, fable ou parabole,

film de fiction ou reportage, message publicitaire

ou politique. […] L’exploration résolument plus

éclectique que je propose s’explique, d’une part le

fait que les formes élaborées opèrent à partir

d’une compétence « ordinaire » et, d’autre part,

par le fait qu’une conceptualisation de l’objet

« récit » doit absolument être formulée en tenant

160

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

compte de l’extrême richesse de la diversité

empirique des pratiques discursives narratives. »22

Raconter quelque chose (un événement réel ou irréel)

n’est pas vraiment facile comme on peut l’imaginer. Dans

la narration il faut prendre en compte plusieurs facteurs

dont la dimension référentielle. Cette dimension ne pose

pas vraiment de problème de compréhension lorsqu’il

s’agit d’une histoire irréelle, alors qu’elle est

indispensable si le propos est réel dans la mesure où le

lecteur / interlocuteur doit repérer l’origine ou la

référence de l’histoire.

Il y a également le rapport d’ordre chronologique et

causal que l’on doit prendre en considération lorsqu’on

raconte un événement ou une histoire. Adam note à propos

de la narration :

« Raconter, c’est établir des rapport d’ordre

chronologiques et causal, transformer la réalité

sur la base d’une théorie – consciente /

inconsciente, individuelle / collective – de la

causalité. Dès lors, l’énonciation narrative induit

des rapports entre des objets – événements et,

22 ADAM, Jean-Michel : Le texte narratif, Paris, Nathan, 1994, pp.4-5.161

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

surtout, utilise la capacité de la langue à

transformer la réalité dans l’intérêt de

l’énonciateur. Dans la machine narrative comme dans

toute opération discursive, le sujet, son dire et

le monde se trouvent pris, déplacés. »23

b) Bande dessinée : lecture d'un discours

Peut-on dire que la structure du discours est plus

complexe que celle de l’histoire / narration ? Si la

réponse est « oui », quels sont les facteurs qui rendent

l’organisation du discours complexe ?

«  Quand on travaille sur la continuité de discours

authentiques, […] qu’il s’agisse de dialogues de la

vie quotidienne ou du discours romanesque, on ne

peut manquer d’être frappé par l’extrême complexité

de leur organisation à différents niveaux :

interactionnel, polyphonique, topical, infernetiel,

etc. »24

23 ADAM, Jean-Michel : Le texte narratif, Paris, Nathan, 1994, p.272.24 ROULET, Eddy : « Une approche modulaire de la complexité del’organisation du discours », dans Approches modulaires : de la langue audiscours, Collection Sciences des discours dirigée par Jean-MichelADAM, Lausanne (Switzerland) - Paris, Delachaux et Niestlé, 1999, p.187.

162

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Dans « Approches modulaires : de la langue au discours » (1999)

Eddy Roulet part de l’hypothèse « qu’un modèle de l’organisation

du discours doit satisfaire au moins aux dix exigences suivantes :

1- rendre compte des structures linguistiques, textuelles et référentielle

de tous les discours dialogiques et monologiques possibles, ce qui

implique l’existence de mécanisme récursif ;

2- définir avec précision les constituants de ces structures et les

relations établies par ceux-ci ;

3- rendre compte de l’enchaînement et de la hiérarchie des

informations dans le discours ;

4- rendre compte des discours de voix différentes que le discours peut

représenter à différents niveaux d’emboîtement, ainsi que de leur

intégration dans celui-ci ;

5- rendre compte des différents types de séquences (narrative,

descriptive, …) qui peuvent constituer le discours à différents niveaux

d’emboîtement, et de leurs agencement ;

6- rendre compte de la ponctuation du discours, tant oral qu’écrit ;

7- rendre compte de la situation d’interaction du discours, ainsi que de

celles qu’il peut représenter, à différents niveaux d’emboîtement ;

8- rendre compte du ou des univers du discours, c’est-à-dire des

représentations des mondes dont le discours parle et dans lesquels il

s’inscrit ;

9- rendre compte des inférences régissant l’organisation du discours ;

163

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

10- rendre compte de la gestion des relations de faces et de places

dans le discours. »25

L’organisation complexe du discours nous montre les

éventuelles difficultés dans la réalisation d’une bande

dessinée par rapport à la bande illustrée. 

Alors que le type de langage dans les textes

illustrés prend la forme d'une histoire, il est dans la

bande dessinée sous forme de discours. Il existe une

interaction et un échange direct entre les personnages.

L'image et le texte sont beaucoup plus complices dans la

bande dessinée que dans les textes illustrés. Pour

préciser encore la relation complémentaire entre le texte

et l'image dans la bande dessinée, P. Fresnault-Deruelle

parle de la relation verticale et horizontale dans la

bande dessinée. Dans la relation verticale, qui s'établit

entre le texte et l'image, le texte peut compléter des

informations manquant dans l'image pauvre, fonction de

relais, ou être un simple supplément pour redire ce que

l'image riche illustre, fonction d'itération. Le ballon et

le texte, éléments de cohésion syntagmatique dans la25 ROULET, Eddy : « Une approche modulaire de la complexité de l’organisation du discours », dans Approches modulaires : de la langue au discours, Collection Sciences des discours dirigée par Jean-Michel ADAM, Lausanne (Switzerland) - Paris, Delachaux et Niestlé, 1999, pp. 189-190.

164

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------bande dessinée, constituent la relation horizontale. Ces

deux relations (verticale et horizontale) n'existent pas

dans les textes illustrés pour deux raisons : d'abord, le

texte est complètement indépendant de l'image, ensuite il

constitue une histoire et non pas un discours dans une

bulle.

Les images de la bande dessinée qui sont

inscrites en séquence sont souvent reliées par deux types

de textes :

- soit par le texte en style direct existant dans la

bulle, si bien que les phrases s'enchaînent d'image à

image,

- soit par le texte qui précise les modalités

spatiales et temporelles de l'action, comme : Et cette nuit

là…(figure 74), deux jours plus tard, le lendemain matin...

Dans les textes illustrés, les textes précisant les

modalités spatiales et temporelles existent souvent dans

le même texte de l'histoire; alors que dans la bande

dessinée ils se trouvent en dehors de la bulle.

Exemple (figure 67)

165

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

« Totor […] partit un jour en Amerique […] Pendant la traversée, la

pêche à la ligne était devenue le sport favori de Totor […] un matin un gros

requin […] le fit passer par-dessus bord …»

Ce qu’il faut retenir c’est que dans la bande

dessinée il s’agit d’un acte de communication, sous forme

de discours, qui rassemble l’aspect linguistique et

paralinguistique : le verbal (les textes dans les

bulles), et le gestuel illustré par l’image.

« La bande dessinée (BD) fait partie d’un ensemble

qu’on pourrait appeler « Art narratifs ». Comme

telle, elle est le lieu d’une mise en abyme du

procès de la communication, si tant est que l’on

s’accorde à voir dans les comics (qui sont aussi

des messages du cartooniste au lecteur) les faits

et gestes de personnages subordonnés à l’échange

verbal et/ou gestuel. »26

Pour résumer, alors que le texte dans la bande

dessinée, qui est sous forme de discours, constitue un

rapport de complémentarité avec l'image et sert, entre

26 FRESNAULT-DERUELLE, Pierre : « Le personnage de bande dessinée et ses langages », dans Français langue étrangère, No. 28, Paris, Larousse, décembre 1975, p.101.

166

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------autres, à relier les différentes images, le texte, dans

la bande illustrée, raconte et décrit l’image.

« ...le texte dans sa fonction de liaison entre

les images, joue un rôle inverse de celui qu'il

jouait dans l'image seule. Alors qu'il

découpait et fragmentait le contenu de l'image

isolée (axe vertical de représentation, le

texte, quand il existe, sert de liaison entre

les différentes images (axe horizontal de la

diégèse) et œuvre dans le sens d'une certaine

fluidité dans le déroulement de l'action et de

la lecture. »27

Il convient de noter que l’opposition

discours/histoire est un sujet vaste qui mérite plus

d’explication. Nous nous contentons par l’aperçu donné

supra pour comprendre la différence entre la bande

dessinée et la bande illustrée. Pour mieux comprendre

l'opposition discours / histoire, il est indispensable de

parler de la «bulle», qui est l'un des éléments

caractérisant la bande dessinée.

27 PORCHER, Louis : Introduction à une sémiotique des images, Paris, Crédif-

Didier 1987, p.159.

167

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

4.2.2- La lecture des bulles

Nous allons voir comment la bulle peut être

signifiante en fonction de sa forme et de la typographie

qu’elle contient. Quand nous parlons de la bulle, nous ne

pouvons pas nous empêcher de parler de son ordre et de sa

disposition dans les vignettes, qui n’est pas un acte

gratuit non plus.

4.2.2.1- La forme des bulles discrimine du sens dans

la bande dessinée

A côté de son rôle d'encadrer le discours, la bulle

dans la bande dessinée peut être un élément du «langage»

non verbal qui peut véhiculer du sens.

W. Eisner (1985) nous explique dans « La bande dessinée,

art séquentiel», la fonction de la bulle en tant que moyen

pour exprimer le temps. Par exemple, des cases

168

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------rectangulaires avec des contours droits, à moins que le

narratif ne l'infirme, expriment normalement une action

qui se déroule dans le temps présent (figure 71). Le

changement de temps est souvent exprimé en modifiant le

trait qui délimite la case. Les lignes ondulantes (figure

72), ou cannelées (figure 73), sont les indicateurs les

plus communs des temps du passé. Il faut noter que les

conclusions faites par W. Eisner sur la bulle ne sont pas

conventionnelles pour toutes les bandes dessinées. Nous

ne trouvons pas, par exemple, cet aspect dans les bandes

dessinées de Hergé (Tintin).28 Les exemples ci-dessous ne

peuvent être que pour règle générale.

Figure 71 Figure 72

Figure 73

Par contre, l'expression des sons ou des réactions

et des sentiments des personnages, peut être visualisée

28 Il convient de noter que l’argument de W. Eisner sur la bullecomme moyen pour exprimer le temps reste ouvert à toute critique,car il ne présente pas d’exemples qui peuvent illustrer cet aspect.

169

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------par le changement de la forme de la bulle. Par exemple,

les bulles ondulantes expriment la pensée ou le rêve,

voir figure 74, et les bulles cannelées expriment la

peur, la douleur, l'étonnement et tout son aigu et fort.

Voir figures 75, 76, 77. Malgré le fait que l’art de la

bande dessinée ne soit pas très connu en Jordanie, nous

avons trouvé dans certaines bandes dessinées des

changements dans la forme des bulles pour exprimer des

sons ou des réactions : bulles ondulantes pour exprimer

la pensée ou le rêve, figure 78 et des bulles cannelées

pour exprimer le cri ou la peur, figure 79.

Nous constatons donc que la bulle est une image en

elle-même qui peut transmettre un message non verbal. La

couleur qui l'entoure ou la remplit peut être pertinente

et faire partie du code prosodique : le rouge symbolisant

la colère, le vert la peur, le rose les sentiments

amoureux, etc. Par contre, cet aspect ne se trouve pas

dans la plupart des bandes dessinées arabes, car cet art

n’est pas assez pratiqué par les artistes ou les

écrivains arabes.

« La forme du ballon est déjà un indicateur

prosodique. Robert Benayoun dans l'ouvrage qu'il

a consacré au ballon dans la bande dessinée,170

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

distingue entre : le ballon murmure- le ballon

suraigu- le ballon somnolent, muet, bruité,

sifflé, glacial, aphone, roté, agressif, le

ballon-soupir, de mépris, interrogatif,

snob...»29

Figure 74

Figure 75

29 CARE, Jean-Marc : « Bande dessinée et pédagogie », dans Le françaisdans le monde, No 151, Paris, Hachette-Larousse, Février-Mars 1980,p.19.

171

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Figure 76

Figure 77

Figure 78

Figure 79

Tandis que dans la bande dessinée les expressions

des sons, des réactions et des sentiments des personnages

se traduisent par les différentes formes des bulles; dans

les textes illustrés, c'est l'histoire qui prend en

172

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------charge de raconter explicitement toutes ces expressions.

4.2.2.2- La typographie dans les bulles

Comme l'image et la bulle jouent un rôle expressif

dans la transmission du message, la typographie et la

calligraphie portent dans leur forme un ajout illustratif

au message originel. Par exemple sur les figures 80 et

81, le texte écrit en gras et majuscule exprime le fait

que le personnage crie très fort. Le message linguistique

peut être illustré aussi par le lettrage qui permet de

jouer sur le type de caractères typographiques utilisés

(script, cursive, majuscule, minuscule...), leur

stylisation ou leur déformation (lettres explosives,

173

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------frissonnantes, tremblantes, fluides...). Cet aspect est

très limité en arabe, car il n’existe pas dans cette

langue de caractères majuscules, minuscules, script ou

cursifs. On n’utilise que les caractères écrits en gras

pour exprimer le cri. Voir figure 82.

Figure 80 Figure 81Figure 82

Il convient de noter que la bulle véhicule, en gros,

des messages linguistiques et extralinguistiques sous

trois formes :

A- Le langage normal du dialogue entre les

personnages (le discours).

B- L'onomatopée: « c'est une traduction des bruits rencontrés

dans la nature, bruits dans lesquels d'hypothétiques phonèmes ne seraient

pas perceptibles ».30 Alors que la bande dessinée préfère

exprimer les bruits par un système d'économie (les

onomatopées), les textes illustrés recourent au langage

normal pour les expliquer. Par exemple, dans la figure

30 FRESNAULTE-DERUELLE, Pierre : Récit et Discours par la Bande, Paris,Hachette, 1977, p.186.

174

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------67, le texte «…un gros requin, pris à l'hameçon, le fit passer par-dessus

bord. Notre C.P. fit un plongeon dans l'onde amère et …» sera traduit

par l'onomatopée « Splaaaache ».

Il faut noter que l'onomatopée fait partie aussi

bien de la connaissance linguistique que culturelle. On

dit, par exemple, en français «Boum » pour exprimer le

bruit d'une explosion, alors qu'en dialecte jordanien on

dirait plutôt « Bauf ». En fait, le système phonétique de

la langue joue un rôle assez important de filtre dans la

création des onomatopées. On dit en arabe, par exemple,

«Kwa kwa » pour imiter le cri du canard, et non pas

«Couin Couin » comme en français, car la nasale n'existe

pas dans le système phonétique arabe. Sur la figure 83

nous voyons que l’onomatopée utilisée en arabe pour

exprimer le son du choc du pot de couleurs contre le

tableau est [tRah], alors que l’on utilise normalement en

français l’onomatopée « Splache » pour exprimer ce bruit. Figure 83 Figure 84

175

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

C- Les signes de ponctuation peuvent signifier une

modalisation et une émotion. Ils se trouvent soit

accompagnés d'un texte soit seuls (voir figures 80 et

81). Nous avons trouvé également cet aspect en arabe.

Mais ce qui a attiré notre attention c’est que, dans une

certaine bande dessinée arabe, les points d’interrogation

et d’exclamation utilisés tout seuls dans une bulle le

sont dans le sens de l’écriture latine : (!?), (voirfigure 84). Après en avoir cherché la raison, nous avons

trouvé que le dessinateur était un Libanais qui parle

bien français. Cela veut dire que le français

influencerait sa production, il ne faisait donc pas

attention à ce petit détail. Ce qu'il faut souligner

c'est que les signes de ponctuation peuvent signifier une

émotion dans la bande dessinée, alors qu'ils ne marquent

que la modalité de l'énoncé dans les textes illustrés.

4.2.2.3- La disposition des bulles dans les

vignettes

Comme le déplacement du personnage et la disposition

de tout élément dans l'image de la bande dessinée sont

176

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------pertinents, l'ordre des bulles dans les vignettes joue un

rôle dans la lecture et la compréhension de la narration.

Comme nous l'avons déjà signalé, le déplacement du

dessin dans la vignette doit être cohérent avec la

linéarité de la langue support, gauche/droite ou droite/

gauche, sauf au cas où ce déplacement doit discriminer un

autre sens. Il en est de même pour les bulles qui doivent

se suivre dans un ordre qui correspond à la langue

support du texte : droite/gauche si la bande dessinée est

en arabe, et gauche/droite si elle est occidentale (voir

figure 85).

Comme la disposition linéaire des vignettes

(droite/gauche ou gauche/droite) est pertinente dans la

lecture de la bande dessinée, l'ordre haut/bas est

important aussi pour faciliter la lecture et par

conséquent la compréhension de la narration. Normalement,

la bulle haute porte la parole de la première personne,

et celle qui est en-dessous contient la parole de la

deuxième personne. La lecture normale, donc, d'une bande

dessinée française se fait en commençant dans chaque

vignette par la bulle haute placée à gauche, pour passer

après à celle qui est en-dessous. Il existe alors dans la

177

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------lecture de la bande dessinée deux axes : un axe vertical

(bulle haut / bas) dans la vignette, et un axe horizontal

(droite/gauche - gauche/droite) entre les bulles de la

même vignette et entre celles d'une vignettes à une

autre.

Figure 85

On remarque qu'il y a parfois une bulle sans

locuteur. La flèche indiquant le locuteur est orientée,

dans ce cas là, vers l’extérieur de la vignette. Le

locuteur peut aussi être absent au cas où il est présent

dans la vignette précédente. Il continue à parler dans

celle qui suit, comme dans la figure 86.

178

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Figure 86

Nous avons fait l'expérimentation suivante pour

prouver ce que nous venons de dire à propos de la

disposition des bulles dans les vignettes. Le résultat de

cette expérimentation ne représente qu'une théorie

générale de la disposition des bulles dans les vignettes.

Expérimentation

- Public testé

Vingt étudiants dont dix étudient l'anglais, et dix

autres de différentes spécialités. Ils ont entre 19 et 23

ans.

- Hypothèse

179

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La lecture des bulles dans la bande dessinée est

contrainte par la linéarité de la langue support. En

plus, l'ordre des bulles dans les vignettes doit être

haut/bas quand il y en a plusieurs dans la même vignette.

- Outils

Deux vignettes dont une contient deux bulles et

l'autre trois. Voir figure 87.

Figure 87

- Passation du test

On a demandé à chaque groupe d'étudiants de

numéroter les bulles dans les deux vignettes en fonction

de l'ordre de l'attribution de la parole. Cela veut dire

qu’il faut mettre (1) dans la bulle du personnage qui

prend la parole le premier, et (2) dans celle du deuxième

personnage, et ainsi de suite. Les étudiants qui étudient

l'anglais devaient faire la numérotation comme c'était

180

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------une bande dessinée anglaise, alors que les autres

devaient la faire comme c'était une bande dessinée

arabe.

- Conclusion

- Résultats

Les étudiants du premier groupe, qui étudient

l'anglais, ont évidemment commencé par la vignette de

gauche en mettant (1) dans la bulle en haut, et (2) dans

celle d'en bas. Dans la deuxième vignette, ils ont fait

de même en commençant par la bulle de gauche qui a eu le

numéro (1), la bulle placée en haut a eu le numéro (2)

correspondant au personnage de droite. Enfin, la bulle de

celui de milieu a eu le numéro (3). Voir figure 88.

(1) (2)

Figure 88

181

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

En ce qui concerne le deuxième groupe, nous avons

remarqué qu'ils avaient fait le contraire, en commençant,

bien sûr, par la vignette de droite pour numéroter la

bulle du haut par (1), ensuite celle qui est en-dessous

(2), et enfin la bulle de gauche a eu le numéro (3). Les

bulles dans la deuxième vignette ont été numérotées de

haut en bas. Voir figure 89.

(2) (1)

- Analyse des résultats

On en déduit, en règle générale, que la lecture

verticale des bulles dans une même vignette est la même

quelle que soit la langue support : haut / bas. Cette

lecture indique aussi que la disposition des personnages

dans la vignette est neutralisée au niveau de

182

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------l'attribution de la parole. Celui qui parle d'abord est

la personne dont la bulle est au-dessus. Par exemple, les

étudiants du premier groupe ont commencé la numérotation

dans la deuxième vignette par la bulle du personnage de

gauche, pour lui attribuer la parole, ensuite la bulle

du personnage de droite, dont la bulle est en haut, en

non pas celui du milieu dont la bulle est en-dessous. Si

les étudiants avaient suivi l’ordre de disposition des

personnages dans la vignette, ils auraient numéroté la

bulle du deuxième personnage par (2) et celle du

troisième par (3). Mais la logique de l’ordre haut/bas

des bulles neutralise la disposition des personnages.

Pour résumer, nous pouvons dire, en générale, que la

lecture des bulles de la bande dessinée se fait

horizontalement de droite à gauche ou en sens inverse en

fonction de la langue support, mais en tenant compte de

ce que la première bulle doit être placée en haut. Dans

ce cas là, la disposition des locuteurs sera neutralisée

dans la lecture des bulles. La question dont la réponse

reste ouverte est la suivante : est-ce que le fait que la

bulle soit en premier ou en deuxième plan influence-t-il

l’ordre de la lecture des bulles dans la même vignette ?

183

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

CONCLUSION

L'hypothèse sur laquelle on s'est basé pour ces

études, qui stipule que l'image serait idiomatique au

même titre que la langue pour l'écriture et la lecture,

reste relative, car l'image ne peut pas être tout à fait

parallèle à la langue : que ce soit au niveau de la

structure syntaxique ou de la transmission des messages,

la linéarité dans la lecture et l'écriture de l'image

n'est pas toujours évidente. Mais en général, la lecture,

l'écriture et la compréhension de l'image seraient

déterminées par la linéarité de l’écriture de la langue

support. Certaines actions comme : rentrer, retourner, sortir, …

qui expriment un centripète, exigent en général que la

direction du personnage soit autre que celle de la langue

support.

En règle générale, l’image a la même linéarité que

le texte qui l'accompagne. Autrement dit, le fait que

l'image contienne un texte arabe ou français, exige

qu’elle soit cohérente, au niveau de la linéarité, avec

la langue support.

184

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

L'orientation du dessin, qui est un élément

important dans la construction du sens dans l'image,

n'aurait pas toujours la même direction que l'écriture de

la langue support. Cette orientation change en fonction

du sens que le dessin est censé discriminer.

L'interprétation du dessin serait beaucoup plus facile

quand il est inscrit dans une séquence graphique que

quand il est seul, car le lecteur dispose dans une

séquence de dessins de deux types d'orientations qui lui

facilitent la compréhension : l'orientation du dessin

dans chaque vignette et l'ordre des vignettes.

A côté de l'orientation du dessin il existe

aussi d'autres outils qui participent à la construction

du sens dans l'image. Nos avons pris comme exemple la

position face/dos et le décor (porte, fenêtre,

escalier ... ) qui peuvent discriminer des actions

comme : entrer, arriver, s'en aller ... Il faut signaler que

l'orientation devient un trait accumulatif quand c'est le

décor et la position face/dos du dessin qui prennent en

charge l'illustration de certaines actions.

En ce qui concerne les dessins accompagnés par des

textes nous avons trouvé que la langue support n'est

pertinente que quand il s'agit d'une séquence de dessins

185

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------dans laquelle la comparaison de l'orientation du dessin

est possible et claire entre les vignettes. Autrement

dit, le lecteur n'est pas capable de trouver la cohérence

ou l'incohérence entre la linéarité du texte et

l'orientation du dessin avec le sens qu'il doit

discriminer sauf au cas où le dessin en question est

inscrit dans une séquence graphique.

Quant au rapport texte/image, nous avons remarqué

qu'au niveau de la calligraphie, ce rapport se

cristallise dans la façon dont les lettres sont dessinées

pour illustrer le sens du texte. C'est pourquoi,

d’ailleurs, nous disons que la calligraphie neutralise

l'arbitraire du signe, car il existe souvent un rapport

motivé entre la forme et le fond du texte. Cet art

neutralise également la linéarité canonique de

l’écriture, qu’elle soit droite/gauche ou gauche/droite,

si bien que l'on trouve des textes calligraphiques écrits

de haut en bas ou dans un cercle.

Le rapport texte/image est clair également dans les

bandes dessinées où le texte et l'image s'entraident pour

véhiculer un message. Nous avons cependant conclu que le

texte serait pratiquement supérieur à l’image. Alors que,

186

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------dans la bande dessinée, l'image et le texte constituent

une vraie complicité dans laquelle l'image est dépendante

du texte et inversement; dans les textes illustrés le

texte est complètement indépendant de l'image. Le discours

est le type de langage utilisé dans la bande dessinée :

il y a une certaine interaction entre les personnages

montrée par l'échange des répliques dans les bulles. Dans

les textes illustrés, c'est le langage narratif

(l'histoire) qui prend en charge de raconter les

événements. Les onomatopées et les effets calligraphiques

exprimant des émotions et des réactions dans la bande

dessinée, doivent être exprimés explicitement en langage

narratif dans les textes illustrés.

La lecture des bulles, dont la forme n'est pas

neutralisée dans la discrimination du sens dans les

bandes dessinées, respecte aussi la linéarité de la

langue support et l'ordre haut / bas dans l'attribution

de la parole.

Il convient de noter, en fin de compte, que la

lecture de l'image et, par conséquent, son interprétation

n'est pas seulement contrainte par la linéarité de la

langue support mais aussi par la structure linéaire de

187

Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------l'image dans le temps et dans l'espace. Cette structure

linéaire dans le temps est toujours présente dans le

texte, qui représente une transcription de l'oral; alors

qu'elle n’est pas évidente dans l'image. Par contre, la

notion de l'espace est toujours présente dans l'image, si

bien que celle-ci se lit toujours dans la trame de

l'espace. Cette particularité, à savoir la linéarité dans

le temps, qui caractérise le texte, est l’une des

différences fondamentales entre l’image et le système

général de fonctionnement des langues naturelles. G.

Mounin note à ce propos que :

« …les langues naturelles ont primordialement un

caractère vocal, qui condamne les messages

qu’elles produisent à se dérouler dans le temps,

ce qui fait que […] deux unités du message ne

peuvent figurer au même point du temps, de la

chaîne parlée. C’est ce qu’on appelle le

caractère linéaire du message linguistique. Or,

en ce qui concerne l’image, la situation est

totalement différente : les messages sont

produits sur la trame de l’espace, et il en

découle une structure de l’image irréductible au

fonctionnement linguistique »31

31 MOUNIN, Georges : « Pour une sémiologie de l’image », dansCommunication et langages, No 22, Paris, RETZ, 1974, p.51.

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Deuxième partie L’impact de l’écriture sur la compréhension de l’image---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Quant à la calligraphie, elle dispose d’une certaine

particularité, à savoir représenter un objet ou une

forme par les lettres qui lui permet d'être lue aussi

bien dans la trame du temps en tant qu'écriture

transcrivant l'oral, que dans la trame de l'espace en

tant qu'icône.

La question qu'il faut poser et dont la réponse

reste ouverte est la suivante : étant donnée que la

lecture d'une séquence graphique se fait par le passage

d'une vignette à une autre inscrites dans un ordre et

dans une linéarité précis, il y donc un déroulement du

temps, peut-on dire que les images séquentielles se

lisent dans la trame du temps ?

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