musique et musiciens de soissons

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Musique

et musiciens de soissons

grantley McDonald

Après avoir vaincu syagrius en 486 et s’être ainsi rendu maître incontesté du domaine gallo-romain, Clovis ier déplace le siège de son pouvoir de tournai vers soissons, qui devient

alors première capitale du royaume des Francs. si les vents de l’histoire avaient dévié un tout petit peu, elle le serait peut-être encore. en effet, la cité conserve ce statut durant les règnes de Clovis, Clotaire ier et Chilpéric ier ; c’est là aussi que Pépin iii dit le bref est proclamé roi, le premier de la dynastie carolingienne. durant le iXe siècle, soissons connaît aussi un rôle d’importance, puisque c’est avec Metz le seul centre où Charlemagne établit des chantres dans le but de promouvoir un répertoire de plain-chant normalisé. Pour-tant, au Xiie siècle, le pouvoir s’est déjà depuis longtemps déplacé à Paris, et les tendances dominantes sont si différen-tes que l’auteur du traité de plain-chant cistercien Regule de arte musica (probablement Guy d’eu) en arrive à écrire que les livres de chant de soissons, Metz, beauvais, Amiens et reims représentent des aberrations par rapport à la pratique « normale ». Parmi les livres de chant de soissons qui nous sont parvenus, notons le ms. latin 17436 de la bnF, anti-phonaire du iXe siècle comprenant des textes de chants de messes ; le ms. latin 8898 de la bnF, rituel du Xiie ; et le ms. 237 de la bibliothèque municipale de Laon, missel du Xie ou du Xiie siècle partiellement noté en neumes messins.

La construction de la cathédrale saint-Gervais-et-saint-Protais de soissons, chef-d’œuvre de style gothique primitif comparable à celui des édifices de saint-denis et de Laon, a

été initiée par l’évêque Josselin (Goslenus) de soissons (attesté vers 1126-52), ami de l’abbé suger et de saint bernard. deux compositions de Goslenus (Alleluia. Vocavit Jhesus Jacobum et Gratulantes celebremus festum) figurent dans le Codex Calixtinus, manuscrit associé au culte de saint Jacques le Majeur de Compostelle et qui rassemble, entre autres, des polyphonies sacrées. Christopher Page fait remarquer que la façon dont le Codex Calixtinus désigne Goslenus comme magister signifie probablement que les pièces en question datent d’avant l’accession de Josselin à l’épiscopat en 1126, c’est-à-dire de la période de sa vie où il fait carrière de philo-sophe à Paris et s’oppose à Abélard. Les œuvres attribuées à des magistri, évêques et même archevêques (Fulbert de Char-tres, Ato de troyes, Albericus de bourges) abondent dans ce manuscrit, ce qui témoigne du haut niveau d’instruction des compositeurs de polyphonie, et de leur statut au sein de la hiérarchie ecclésiastique.

un certain nombre de trouvères ont été aussi associés à sois-sons. Le plus important d’entre eux est raoul de soissons (vers 1210/15-vers 1270), qui est peut-être la même personne que Thierri de soissons : quatre chansons nous sont parve-nues, chacune attribuée aux deux noms. Theodore Karp a relevé des similarités génériques entre la mélodie de raoul Quant voi la glaie meure et plusieurs autres telles que Merci clamant (le Chastelain de Coucy), Loiaus Amours (renaut de beaujeu), Can par la flors (bernart de Ventadorn), Por que nós ajamos et A Virgen. selon le manuscrit de berne (stadt- und universitätsbibliothek, ms. 389), qui le transmet sans

enlumineur picard, Le roi david jouant de la harpe,in Compendium historiae in genealogia Christi, fin du Xiiie siècle.new York, Pierpont Morgan Library, ms. M 367, fol. 1.

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mélodie, le poème Mere, douce creature de Jaque de Cambrai (actif vers 1260 - 80 ?), prend lui aussi modèle sur Quant voi la glaie meure. une chanson de raoul sert également de base à l’une des cinq chansons conservées d’Œde de la Couroierie. raoul échange un jeu-parti (débat poétique empruntant la forme d’une dispute entre deux person-nages) avec Thibaut iV, avec qui il part en croisade. on le trouve également mentionné en compagnie du Comte Charles d’Anjou comme juge du jeu-parti qui oppose les trouvères Gillebert de berneville et henri iii, duc de bra-bant. Le trouvère Pierrekin de La Coupele dédie sa chanson Je chant en aventure au comte de soissons, probablement Jean de nesle, le frère de raoul.

Gautier de Coincy (1177-8-1236) a été abbé à Vic-sur-Aisne (près de soissons) à partir de 1214 puis à soissons, au cou-vent de saint-Médard, de 1233 à sa mort. L’œuvre de Gautier révèle une érudition et une familiarité avec la chanson pro-fane contemporaine qui laissent penser qu’il a étudié à Paris. À Vic, Gautier écrit les Miracles de Nostre Dame, long poème narratif de plus de trente mille vers. Comme le Roman de la Rose, contemporain, les Miracles comprennent nombre de chansons, dont la plupart sont des poèmes nouvellement écrits sur des mélodies de trouvères (blondel de nesle) ou sur des conduits (pièces simples, accompagnant les déplacements pendant les cérémonies) pré-existants (Pérotin). Les Miracles représentent la première collection importante de chansons mariales dévotionnelles écrites en vernaculaire. Ce poème connaît une popularité extraordinaire : plus de quatre-vingts manuscrits existent encore, dont vingt-deux avec notation musicale. on doit peut-être à l’influence très large de l’œu-vre de Gautier le fait que les histoires des Cantigas de Santa Maria numéro 61, 91, 106 et 298 prennent place à soissons.

Le « motet de musiciens » Musicalis scientia / Scientie lauda-bili mentionne un certain Garinus de soissons (« de soissons Garino ») parmi les meilleurs musiciens de l’époque ; le même Guarinus de soissons est également cité dans le motet Apollinis eclipsatur / Zodiacum signis / [In omnem terram] de bernard de Cluny (« cum Garino | quem cognoscit suessio ») (ivrea, biblioteca Capitolare ms. 115, fol. 12v-13 ; barcelona, biblioteca de Catalunya, bibliothèque municipale 853, fol. 1 ; biblioteca de Catalunya 971 [olim 946], fol. 11v-12). Le célèbre

manuscrit de Chantilly attribue le rondeau isorythmique Loyauté me tient en espoir à un compositeur nommé Garinus, qui est probablement la même personne (Chantilly, biblio-thèque du Musée Condé, ms. 564, fol. 36v ; Paris, bnF, fonds italien ms. 568, fol. 121). Ce rondeau se distingue par un usage important de la syncope et par sa division en deux parties au rythme identique. Le manuscrit d’ivrée (i-iV 115, fol. 46v - 47, no. 59) comprend un Credo à quatre voix avec un ténor qualifié de « tenor Guayrinet », ce qui sug-gère que l’on doit cette composition à Garinus de soissons. Les deux voix inférieures sont isorythmiques, tandis que la voix supérieure, qui paraphrase un plain-chant, présente des similarités rythmiques avec un autre Credo, fragmentaire, à deux voix (strasbourg, bibliothèque nationale, ms. 222, no. 78). Mais Garinus n’est pas le seul musicien compétent à soissons pendant le XiVe siècle. une ordonnance du roi de France Charles V dresse en 1364 une liste de treize ins-trumentistes qui se trouvent à son service, parmi lesquels figure le corniste Gassot de soissons. de même, Philippe de Vitry, l’un des plus grands musiciens de la première moitié du XiVe, devient chanoine de soissons en 1332 (il n’est pas certain qu’il séjourne effectivement à soissons).

Au Moyen Âge, le chanoine responsable de superviser le chant dans une cathédrale ou une église collégiale était appelé cantor (grand-chantre) : il était notamment chargé de diriger les chanoines qui chantaient. Plusieurs chantres de la cathédrale de soissons nous sont connus : Thomas de Cremaille (mort au plus tard en 1238) (Ad de l’Aisne, G 253, fol. 135v, 166v), enjourrand de Moui (attesté en 1262) (Ad de l’Aisne, G 253, fol. 181v-182r), robert huguet (mort en 1601) (Ad de l’Aisne, G 255, p. 13), M. Marquette (attesté en 1716) (Ad de l’Aisne, G 594), et M. henry (attesté en 1733-42 ; Ad de l’Aisne, G 596). il est également fait men-tion d’un certain oudart Marget, chanoine et chantre de saint-Pierre-au-Parvis en 1354 (Ad de l’Aisne, G 674). il est possible que le chantre ait pris part à l’éducation des enfants de chœur, malgré la bulle émise en 1393 par l’antipape Clé-ment Vii, qui assigne douze chapellenies à la cathédrale de soissons pour financer six enfants de chœur et un maître pour leur apprendre le latin, le chant et la liturgie (autels de saints Pierre et Paul, de Marie, à l’entrée du chœur, de saint sébastien avec deux autels distincts, de saint blaise, de

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enlumineur amiénois, david jouant de l’orgue (Psaume 1),in Psautier et livre d’heures de Yolande de Soissons, Xiiie siècle.new York, Pierpont Morgan Library, ms. M 729, fol. 16.

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singe jouant de la vièle ovale,sculpture provenant de l’église abbatiale de braine, Xiie - Xiiie siècle.soissons, Musée de soissons.

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Chien ou loup ithyphallique jouant de la cornemuse avec un seul chalumeau,sculpture provenant de l’église abbatiale de braine, Xiie - Xiiie siècle.soissons, Musée de soissons.

saint Corneille, de saints André et Cyprien, de saint Thomas l’apôtre, de saints rufin et Valère, de sainte Marie-Made-leine, de saint Michel, de saint Louis, de saint Jean-baptiste).

nous avons des informations au sujet de plusieurs chanteurs de soissons dont la carrière se déroule autant dans la région qu’ailleurs. Jean Legier, clerc de soissons, devient petit vicaire à Cambrai en 1455, où il sert comme tenorista (ténor), ce qui signifie qu’il chante la polyphonie. en 1456, il fait sans doute un voyage à rome ; l’année suivante, il est ordonné prêtre, puis, plus tard la même année, est condamné à une peine de prison pour des actes de violence. Legier n’a pas eu beau-coup de temps pour se faire une place à Cambrai, puisqu’il

meurt peu après, en mai 1460. un autre chanteur de sois-sons, robert Presel alias bynet, eut une carrière plus réussie. si son identification avec « l’honnête jeune homme robinet Grisel » mentionné à Cambrai dès 1480 comme chapelain de sainte-Marie de binche est très incertaine, son service à Cambrai (où il est appelé « binet », « robinet » et « robert Presel, clerc du diocèse de soissons ») est bien attesté en 1498-1499, comme petit vicaire ténoriste, puis en 1503, comme grand vicaire. bien que sa carrière se soit ensuite déroulée au service des cours de bourgogne et de France, il revint manifestement à Cambrai pour quelque temps en 1509, où il fut payé pour la copie de neuf messes polyphoniques dans les livres de la cathédrale (houdoy 1880, p.208 : « A robinet Presiau dit binet pour avoir fait escripre es livres ix messes en discant, 16 £ 3 s »). il servit comme basse (« bas-contre ») la chapelle de Philippe le beau de février 1504 jusqu’à la mort du prince en espagne en septembre 1506. suite au déman-tèlement de la chapelle qui s’ensuivit, il trouva à s’employer à la cour de France. Cité comme chapelain ordinaire de la reine (Anne de bretagne) dès juillet 1508 et janvier 1509 (documents découverts à blois par ted dumistrescu, Ad du Loir-et-Cher, e 743, fol. 57 et 67), il est encore cité à ce titre en décembre 1513, dans une supplique adressée au Vatican concernant un bénéfice dans le diocèse de noyon (sherr 1988, p. 74). Avant mars 1520, il était devenu chanoine de la sainte-Chapelle de dijon, où il semble s’être retiré et où il mourut peu avant le 9 juillet 1521, après avoir légué la somme considérable de 400 l.t. au chapitre pour la fonda-tion de quatre services commémoratifs (Ad de la Côte d’or, G 1171, G 1514).

d’après Fétis, les premières traces subsistant d’un autre chan-teur ayant connu le succès, le contreténor henri delacourt, attestent sa présence à la cathédrale de soissons en 1547. il rejoint ensuite la chapelle impériale de Ferdinand ier, Maxi-milien ii et rudolph ii à Vienne et à Prague, servant comme chanteur et enseignant la musique aux enfants de chœur. Le marchand et mélomane Pietro Giovanelli inclut six motets de delacourt (pour quatre, cinq et six voix) dans sa col-lection en cinq volumes Novus thesaurus musicus (Venezia, Antonio Gardano, 1568), véritable portrait de la vie musi-cale à la cour des habsbourg au milieu du siècle. L’une des œuvres du Novus thesaurus, Aurea dum rutilis, a d’ail-

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Chantres au lutrin, in Psautier à l’usage de Soissons,enluminure, avant 1297.Le Mans, bibliothèque municipale, ms. 157, fol. 45v.

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leurs été écrite en l’honneur de Giovanelli. Certaines sources manuscrites renferment des motets de delacourt écrits pour cinq à dix voix, dont deux motets arrangés en tablature pour clavier. Le style de delacourt combine le traitement en imita-tion de motifs aux contours particuliers (comportant souvent des sauts de quarte ou de quinte), une déclamation majoritai-rement syllabique, une écriture fréquemment homophonique, et des passages quasiment polychoraux opposant groupes de voix aiguës et graves. Voici une liste d’œuvres de sa main : Novi atque catholici thesauri musici (Venezia, Antonio Gardano,

1568 : [vol. 1] Judaea et Jerusalem ; Constantes estote ; [vol. 3] Tu es Petrus ; Martinus Abrahae ; Martinus episcopus migravit ; [vol. 4] Sancta Maria succurre ; Domine quinque ; Euge serve bone ; Fun-data est domus domini ; Venientes autem venient).sources manuscrites : dresden, sächsische Landesbibliothek, Gl 5 (1583/1600) : Constantes estote ; Judaea et Jerusalem ; München, bayerische staatsbibliothek, 1536 (3 vol., copiés en 1583) : [vol. 1] Caesaris ad bustum qui dux, [vol. 3] Sancta Maria succurre ; Fundata est domus domini, Venientes autem venient ; regensburg, bischöfliche Zentralbibliothek, 871-74

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(copié entre 1572 et 1579) : Expurgate vetus ; Itaque festum ; regensburg, bischöfliche Zentralbibliothek, 863-70 (copié entre 1572 et 1579) : Circumdederunt me viri ; Quoniam tribu-latio, Domine non secundum, Domine ne memineris, Adjuva nos ; Zwickau, ratsschulbibliothek, 33/34 (copié en 1580) : Judaea et Jerusalem, Constantes estote ; oxford, bodleian Library, t 385-388 (copié en 1575-1600) : Martinus Abrahae ; Wrocław, biblioteka uniwersitecka, 1 : Fundata est domus domini, Venientes autem venient (tous deux en tablature) ; Wrocław, biblioteka uniwersitecka, 7 (copié en 1573) : Fun-data est domus domini, Venientes autem venient ; Wrocław, biblioteka uniwersitecka, 11 (copié en 1583) : Judaea et Jeru-salem, Constantes estote ; Wrocław, biblioteka uniwersitecka, 14 (copié vers 1600) : Judaea et Jerusalem, Constantes estote.

henri delacourt est peut-être un parent d’Antoine dela-court, dont deux œuvres survivent ; il s’agit de motets occasionnels en couplets élégiaques : Carole caesareo princeps, en l’honneur du grand ami des arts Alphonse ii d’este, et de Carole cui caelebrem virtus, pour l’archiduc Charles d’Autri-che. tous deux figurent aussi dans le cinquième volume du Novi atque catholici thesauri musici de Giovanelli. Caesaris ad bustum est composé pour huit voix, le plus souvent réparties en deux chœurs de quatre voix chacun qui se répondent en alternance rapide à la manière de Lassus, avant de se réunir au point culminant de chaque phrase.

Les informations concernant d’autres chanteurs sont encore plus fragmentaires. dans les actes du chapitre de la cathé-drale de Langres en date du 9 septembre 1598 (Ad de la haute-Marne, 2 G 16, fol. 331v), on trouve le nom de Guil-laume richard, chanteur de soissons. en 1640, nicolas eveloy revendique le droit à la chapellenie de saint-Thomas l’apôtre à la cathédrale de soissons en faisant valoir sa parti-cipation antérieure au chœur de la cathédrale (Ad de l’Aisne, G 254, p. 570).

Charles d’helfer est engagé comme « maistre de musique » à soissons en 1648. quatre des huit messes qu’il a compo-sées survivent : Benedicam Dominum, Deliciae regum (1664), In aeternum cantabo (1658), et sa Missa pro defunctis, ou Requiem (1656). en 1725, sébastien de brossard se permet un bon mot en écrivant que la Missa Deliciae regum fait

« encore tous les jours les délices des gens de bon goût », mais c’est le Requiem qui reste la pièce d’helfer la plus appréciée, imprimée et réimprimée jusqu’en 1780. on le joue aux funé-railles du compositeur Michel-richard de Lalande (1726), et sans doute aussi lors de celles de Louis XV à saint-denis (27 juillet 1774). d’helfer combine les écritures harmonique et contrapuntique, en un style que Jean-Charles Léon décrit comme le « style maîtrisien », par opposition à la musique contemporaine pour soliste, plus exigeante au niveau tech-nique. dans les versions imprimées, la musique se présente sous une forme dépouillée ne comprenant que les parties vocales pour faciliter la vente et la diffusion, mais l’exécution suppose la présence d’instruments (selon la disponibilité), au minimum une basse de viole ou un serpent pour dou-bler la basse, l’orgue réalisant le continuo (accompagnement qui soutient l’harmonie de la composition). sébastien de brossard, admirateur du talent d’helfer, compose des par-ties orchestrales (quatre instruments et orgue) pour sa Missa In aeternum cantabo, rendant à la musique le brio qui n’est pas immédiatement visible dans les versions imprimées. il existe des arrangements manuscrits du Requiem qui com-prennent une partie pour soprano supplémentaire, ainsi que des parties pour cordes, pour hautbois, et continuo, conservées à Paris (bnF) : ms. d 2713 (conducteur), sa copie ms. h490, les parties séparées ms. h490 (a-g), ainsi qu’un autre arrangement dans le ms. h494e (a-i). Le successeur d’helfer, Joachim brille, publie une Missa… ad imitationem moduli Nigra sum sed formosa (Paris, ballard, 1668), et il est probable qu’il en a composé d’autres, aujourd’hui perdues. La présentation de la version imprimée de cette messe res-semble aux présentations des messes de son prédécesseur.

Les documents qui relatent les séjours d’helfer et de brille à soissons nous éclairent sur les conditions de vie parfois précaires des musiciens d’église. Pour assurer un revenu à helfer, le chapitre veut lui assigner la chapellenie de saint-Jean-baptiste, l’un des bénéfices réservés aux musiciens de la cathédrale par la bulle papale de 1393. Mais la posi-tion est déjà occupée par le chapelain Adrien des roques. Le cas est présenté au Parlement, qui confirme des roques dans son emploi le 27 juin 1651. d’helfer fait appel, et le Parlement, le 5 septembre 1653, renverse la décision et lui accorde la chapellenie (Ad de l’Aisne, G 254, p. 568). Joachim

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brille, successeur d’helfer, connaît un conflit similaire : un certain Gregoire Pennier ayant été placé comme chapelain de saint-blaise alors qu’il ne faisait pas partie du chœur, brille s’appuie sur la bulle papale et requiert la chapellenie, ce que confirme le Parlement le 2 décembre 1664.

Les registres font état du nom de Charles dupuis, direc-teur musical à partir du 9 juin 1671 (Ad de l’Aisne, G 254, p. 175). C’est peut-être dupuis qui, pour éviter de rencon-trer les mêmes problèmes qu’helfer et brille, renouvelle en 1682 et en 1686 la demande faite en 1622 et visant à obte-nir 12 nouvelles chapellenies à la cathédrale pour entretenir les chanteurs du chœur (Ad de l’Aisne, G254, p. 567, 571). Le prêtre Jean Colin, un des successeurs de dupuis (1642-1722), est aussi compositeur, et publie deux œuvres à Paris chez Christophe ballard : Missa sex vocibus sub modulo : Ego flos campi (1688) et Missa pro defunctis (1688). Colin est sanc-tionné en 1694 pour avoir fait sortir de la musique de l’école du chœur ; le chapitre confisque tous ses biens non seule-ment jusqu’à ce qu’il rende la musique subtilisée mais aussi jusqu’à ce qu’il fournisse des copies de tout ce qu’il avait composé à l’usage de la cathédrale (Ad de l’Aisne, G 254, p. 406). entre 1733 et 1742 (années couvertes par un groupe isolé de livres de comptes), c’est un certain M. Lannois qui est le responsable de l’école des enfants de chœur (dont son fils Aisnel fait partie) ; il tient aussi le rôle de chanteur sur-numéraire au sein du chœur des chanoines (Ad de l’Aisne, G 596/1737, p. 18). on sait que l’orgue accompagnant les chants du chœur a été construit en 1619 par le célèbre facteur d’orgues Crespin Carlier ; il est agrandi et rénové plus tard en 1690 par robert Clicquot et en 1725 par la firme Thierry (voir l’article de M. degrutère).

il est des musiciens qui ne sont connus que du fait de leurs ennuis et de leurs apparitions devant les cours de l’offi-cialité, bras disciplinaire du chapitre. en 1657, un jeune membre du chœur, Michel Laverne, se rend coupable de violence envers l’un de ses aînés : il est contraint d’offrir des excuses formelles et de faire un don à l’hôtel-dieu. en 1658, les deux membres du chœur Pierre hanar et Louis Moron demandent une avance sur les revenus de leur chapellenie avant de quitter la ville, argent en poche (Ad de l’Aisne, G 254, p. 315). en 1684, un certain Pierre Marion, chanteur à

la cathédrale, comparaît deux fois devant l’officialité accusé « de familiarités et de complots de fuite avec une fille hollan-daise » ; il semble qu’il met longtemps à tirer les fruits de la leçon, puisqu’en 1687, il est accusé deux fois encore (Ad de l’Aisne, G 254, p. 177, 369). en 1691, le chapelain de l’autel de saint Corneille, saint Cyprien et saint André, du nom de Guillaume Jongleux, perd son bénéfice parce qu’il a décidé de devenir soldat (Ad de l’Aisne, G 254, p. 348). en 1696, le chapelain M. Falantin comparaît devant l’officialité pour avoir frappé à la tête Jean Colin, le maître de musique, avec sa canne (Ad de l’Aisne, G 254, p. 348). en 1714, nicolas Le Court, trente-deux ans, chapelain à l’autel de saint-Michel, est sanctionné pour ses absences répétées du chœur et son goût pour le jeu, les cabarets et les cafés (Ad de l’Aisne, G 254, p. 327-28).

Les registres de soissons, bien que malheureusement très fragmentaires, nous offrent néanmoins une certaine idée de la liturgie mise en œuvre au quotidien par des hommes dévoués, des hommes de talent et de foi, mais dont le service de l’église et de dieu ne suffisait pas toujours à les protéger contre les tentations de la nature humaine. n

Traduction française de Marie-Alexis Colin et Judith Strauser

* Étude réalisée avec le soutien du studiuM (Cnrs, orléans) et du Centre d’Études supérieures de la renais-sance (tours).

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