manipulations après la fonte / gabillot / colloque antibes

9
LES MANIPULATIONS APRÈS LA FONTE DES OBJETS EN ALLIAGE CUIVREUX 287 Les manipulations après la fonte des objets en alliage cuivreux : caractéristique sociale, économique, culturelle ? L’exemple des haches à talon du Bronze moyen du Nord-Ouest français Maréva Gabillot* NORMES TECHNIQUES ET PRATIQUES SOCIALES. DE LA SIMPLICITÉ DES OUTILLAGES PRÉ- ET PROTOHISTORIQUES XXVI e rencontres internationales d’archéologie et d’histoire d’Antibes Sous la direction de L. Astruc, F. Bon, V. Léa, P.-Y. Milcent, S. Philibert Éditions APDCA, Antibes, 2006 * CNRS, UMR 5594 « Archéologie, Cultures, Sociétés », Université de Bourgogne, 2, boulevard Gabriel, F-21000 Dijon <[email protected]> Résumé Les objets en alliage cuivreux obtenus à la fonte en moules multipartites ne sont pas immédiatement utilisables après la coulée et doivent donc subir des opérations de préparation. Ils portent les traces de ces opérations, qui correspondent à la dernière étape de la chaîne opératoire avant l’utilisation proprement dite : la préparation. La présente étude propose une analyse détaillée de cette étape sur la base d’un corpus composé de plusieurs centaines de haches à talon des XV e -XIV e siècles avant notre ère. Première étude détaillée sur cette étape particulière de la chaîne opératoire, elle en offre une interprétation culturelle, sociale et économique. Abstract The copper allied objects cast with multi-part moulds are not immediately usable after the casting and have to undergo some operations of preparation. They carry the traces of these operations, which correspond with the last stages of the operation chain : the preparation. The present study suggest a detailed analysis of this stage based on a corpus composed by several hundred palstaves dated to the 15 th -14 th centuries before Christ. The first detailed study about this particular stage of the operation chain, it offers a cultural, social and economical interpretation of it. *** Introduction et objectifs Les objets en bronze issus de la fonte en moule en plusieurs parties ne sont pas immédiatement utilisables après la coulée car ils comportent des stigmates correspondant au métal liquide répandu dans le moule. Les objets doivent donc subir des opérations pour être utilisables et ils portent les traces de ces gestes.

Upload: u-bourgogne

Post on 08-Jan-2023

1 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Les manipuLations après La fonte des objets en aLLiage cuivreux

 287

Les manipulations après la fonte des objets en alliage cuivreux : caractéristique sociale, économique, culturelle ?L’exemple des haches à talon du Bronze moyen du Nord-Ouest français

Maréva Gabillot*

NORMES TECHNIQUES ET PRATIQUES SOCIALES. DE LA SIMPLICITÉ DES OUTILLAGES PRÉ- ET PROTOHISTORIQUESXXVIe rencontres internationales d’archéologie et d’histoire d’AntibesSous la direction de L. Astruc, F. Bon, V. Léa, P.-Y. Milcent, S. PhilibertÉditions APDCA, Antibes, 2006

* CNRS, UMR 5594 « Archéologie, Cultures, Sociétés », Université de Bourgogne, 2, boulevard Gabriel, F-21000 Dijon <[email protected]>

RésuméLes objets en alliage cuivreux obtenus à la fonte en moules multipartites ne sont pas immédiatement utilisables après la coulée et doivent donc subir des opérations de préparation. Ils portent les traces de ces opérations, qui correspondent à la dernière étape de la chaîne opératoire avant l’utilisation proprement dite : la préparation. La présente étude propose une analyse détaillée de cette étape sur la base d’un corpus composé de plusieurs centaines de haches à talon des xve-xive siècles avant notre ère. Première étude détaillée sur cette étape particulière de la chaîne opératoire, elle en offre une interprétation culturelle, sociale et économique.

AbstractThe copper allied objects cast with multi-part moulds are not immediately usable after the casting and have to undergo some operations of preparation. They carry the traces of these operations, which correspond with the last stages of the operation chain : the preparation. The present study suggest a detailed analysis of this stage based on a corpus composed by several hundred palstaves dated to the 15th-14th centuries before Christ. The first detailed study about this particular stage of the operation chain, it offers a cultural, social and economical interpretation of it.

***

Introduction et objectifs

Les objets en bronze issus de la fonte en moule en plusieurs parties ne sont pas immédiatement utilisables après la coulée car ils comportent des stigmates correspondant au métal liquide répandu dans le moule. Les objets doivent donc subir des opérations pour être utilisables et ils portent les traces de ces gestes.

   288

m. gabiLLot

Elles sont de deux sortes, martelage et frottement, et sont visibles sur toute la surface des objets. Le corpus analysé ici est extrait d’un travail de thèse (Gabillot 2003) et concerne 500 lames de haches à talon du Bronze moyen découvertes de façon isolée ou en dépôt en Bretagne et Normandie. Toutes les traces de prépa-ration après la fonte ainsi que leur intensité ont été répertoriées. L’objectif est de comprendre comment est organisée cette étape finale de la chaîne opératoire et de la comparer dans deux régions proches géographiquement, mais aussi typolo-giquement.

Résultats

Nombre moyen de traces de préparation

Tout d’abord, selon leur provenance géographique, les haches ne présentent pas le même nombre de traces de préparation (fig. 1). En effet, les haches prove-nant du Massif armoricain portent un nombre nettement inférieur de traces de préparation par rapport à celles provenant du bassin de la Seine. Ces résultats ne permettent pas d’affirmer que, globalement, les haches provenant du bassin de la Seine sont « plus préparées » que les haches provenant du bassin armoricain. Cependant, il est intéressant de noter que ce chiffre moyen est très différent d’un groupe d’objets à l’autre. Une interprétation d’après ce seul chiffre serait dange-reuse et conduirait à un raisonnement faux ; de plus ce chiffre ne permet pas d’aller très loin dans la réflexion. Pourtant, ce résultat interpelle et il convient donc de trouver une solution afin de pouvoir l’interpréter. Les données relatives à chacun de ces 500 objets sont consignées et c’est un retour à une analyse plus détaillée de chaque objet, à partir de ce résultat, qui offre une possibilité de compréhension. Une nouvelle lecture des résultats du recensement au sein de la base de données permet une analyse plus approfondie.

Massif armoricain Vallée de la Seine

Nombre total d’objets étudiés 230 250

Nombre moyen de traces de préparation 5 (écart type ± 1) 11 (écart type ± 2)

Quantité d’objets utilisés 93 % du total 52 % du total

Quantité d’objets portant un défaut 38 % du total 41 % du total

Nombre moyen de traces sur objets avec défauts 5 2

Fig. 1. Récapitulatif des décomptes.

Utilisation et préparation

Une première interprétation de ce résultat pourrait être en relation avec l’utilisation elle-même des haches. On pourrait penser que les haches du bassin de la Seine sont plus nombreuses à avoir été utilisées, et donc elles seraient plus nombreuses à avoir été préparées pour l’utilisation ; on mettrait ainsi en relation directe la préparation et l’utilisation.

Les manipuLations après La fonte des objets en aLLiage cuivreux

 289

L’utilisation des objets peut s’observer en macroscopie, de la même façon que la préparation. Il est difficile de dire si une hache a été utilisée si elle l’a très peu été. En revanche, dès que l’objet a subi des ré-aiguisages, des ajus-tements de forme, cela a provoqué une perte de matière et une modification morphologique par rapport à son état de départ. Ces manipulations s’observent aisément (fig. 2) : la longueur de la lame est réduite par rapport à celle de la partie proximale. Cette modification morphologique se remarque à la fois sur la face et sur le profil de la lame. Dans l’état actuel de nos recherches, on peut établir trois degrés dans l’état d’utilisation des haches d’après les caractéristi-ques des objets du corpus analysé. Un degré d’utilisation 1 correspondrait à un objet pas ou peu utilisé et dont l’état général autorise à penser que sa destination immédiate pouvait être celle d’une utilisation « normale ». Un état 2 correspondrait à un objet dont l’usage a laissé des traces nettes, la lame est raccourcie, mais l’état général de l’objet permet de penser qu’il est encore tout à fait fonctionnel et possède une durée de vie encore longue. Un état 3 d’usage correspondrait à un objet qui a été très utilisé, la lame est nettement raccourcie et son usage, même s’il est encore possible, devient difficile. La durée de vie de l’objet dans le cadre de son usage normal est nettement réduite.

Or, si l’on ajoute à l’étude cet autre paramètre relatif à l’état d’usage de ces haches, on s’aperçoit que la tendance entre les deux régions s’inverse : en prenant les trois états d’utilisation confondus, un nombre plus élevé de haches du Massif armoricain que de haches du bassin de la Seine est utilisé (fig. 1). En d’autres termes, sur la totalité des exemplaires de haches recensés, un nombre élevé est utilisé dans le Massif armoricain, par rapport au nombre relevé dans la vallée de la Seine. Or, les résultats précédents montrent que les haches sont en moyenne moins préparées dans le Massif armoricain que dans la vallée de la Seine. En réalité, cela signifie que, dans le Massif armoricain, les haches, globalement, sont en majorité utilisées et en moyenne peu préparées ; dans le bassin de la Seine, seulement la moitié des haches sont utilisées mais en moyenne elles sont très préparées.

La corrélation systématique entre le fait qu’une hache utilisée porte plus de traces de préparation qu’une hache non utilisée n’existe donc pas. Il est ainsi impossible d’affirmer qu’une hache utilisée est mieux, ou plus préparée, qu’une hache non utilisée. Statistiquement, la relation directe entre prépara-tion et utilisation n’existe pas. À son tour, ce résultat interpelle, car le décompte des haches utilisées ne permet pas d’expliquer la très nette différence entre le nombre moyen de traces de préparation entre les deux régions. Il convient alors de prendre d’autres paramètres en compte en retournant à l’analyse détaillée du corpus constitué.

Fig. 2. Deux haches du même type, l’une, peu préparée après la fonderie (à gauche), et l’autre, peu préparée après la fonderie mais utilisée (à droite), dépôt de Saint-Thois, Finistère (photo M. Gabillot).

   290

m. gabiLLot

Défauts de fonte et préparation

Ajoutons encore un paramètre à la grille de lecture ; celui de la présence d’un défaut de fonderie. Certains objets présentent une anomalie survenue lors de la fonte, due à des phénomènes physiques intervenant lors du délicat processus de la fonte. Ces défauts sont désignés comme tels car les objets qui en portent présentent cette caractéristique rare par rapport aux autres exemplaires. Par ailleurs, les expérimentations montrent aisément que de tels stigmates sont dus à des erreurs ou des défauts de manipulations lors du versement du métal liquide dans le moule.

Ces défauts de fonte peuvent prendre différentes formes (fig. 3). Parfois on remarque un décalage des valves du moule lors de la coulée qui a provoqué une asymétrie faciale et latérale des objets. Ce défaut, s’il est très prononcé, peut gêner l’emmanchement et même l’utilisation, mais il peut être « gommé ». Plusieurs opérations de martelage et de frottement peuvent réduire le décalage et « lisser » le côté, parfois presque totalement. Souvent, un décalage de valves et le rattrapage de ce décalage s’observent aisément. Un autre défaut fréquem-ment constaté est la présence d’une cavité due à une mauvaise évacuation de l’air, lors du versement du métal liquide dans le moule. Ce phénomène est l’une des grandes difficultés de la fonte dans de tels moules ; elle laisse sur les objets des cavités plus ou moins grandes et profondes. Ces cavités, qui peuvent être présentes partout, peuvent fragiliser la solidité de l’objet dans son ensemble et peuvent difficilement être rattrapées. Comme cela a été évoqué plus haut, les objets peuvent aussi présenter une imperfection due à une cassure du moule. Le métal liquide a pris la place de l’interstice formé par la cassure ; une irrégu-larité, de taille plus ou moins importante, est donc présente sur le plat de lame, sur un côté.

1 2 3

Fig. 3. Détail d’objets présentant des défauts survenus lors de la coulée dans le moule ; 1, détail d’une hache présen-tant une cavité correspondant à une mauvaise évacuation de l’air ; 2, détail d’une hache présentant un décalage latéral des valves du moule ; 3, détail d’une hache présentant une « bulle d’air » et une marque laissée par une fissure du moule (photos M. Gabillot).

Les manipuLations après La fonte des objets en aLLiage cuivreux

 291

Le recensement des haches portant au moins l’un de ces défauts donne le résultat suivant : un nombre presque équivalent de haches provenant de la vallée de la Seine que de haches provenant du Massif armoricain porte au mois un défaut de fonte (fig. 1). Sur ces haches à défauts, le nombre moyen de traces de préparation a été comptabilisé : on obtient alors un chiffre de 5, en moyenne, pour les traces de préparation sur les haches du Massif armoricain et 2 pour celles de la vallée de la Seine. Pour l’Armorique, ce chiffre correspond à la moyenne de tous les objets confondus, portant ou non des défauts (fig. 1). Pour la vallée de la Seine, le chiffre est très différent, car il est très faible par rapport à la moyenne de toutes les haches. Ces résultats signifient que les haches armo-ricaines avec défauts sont autant préparées que toutes les autres. Au contraire, dans la vallée de la Seine, les haches avec des défauts ne sont presque pas prépa-rées. Par ailleurs, le nombre de haches portant un défaut et ayant été utilisées a été comptabilisé. Ce résultat est sans équivoque : la grande majorité des haches armoricaines portant un défaut est utilisée, tandis que presque aucune hache normande avec un défaut ne l’est.

On peut ainsi en déduire que, dans le Massif armoricain, la présence d’un défaut n’intervient pas dans l’exécution de l’étape de la préparation, ni dans celui de l’utilisation. En revanche, dans la vallée de la Seine, les haches sont certes très préparées, sauf celles présentant un défaut de fonte, qui sont comme « laissées de côté ». En effet, rappelons qu’un chiffre de 2 dans l’évaluation des traces de préparation équivaut à un objet auquel presque rien n’a été fait après la sortie du moule, si ce n’est l’ablation de la masselotte et un ou deux coups de marteau latéraux. La présence d’un défaut de coulée est, dans la vallée de la Seine, un obstacle à la préparation et à l’utilisation des haches.

Conclusion sur les résultats relatifs aux traces de préparation

En résumé, il semble qu’on ait deux cas de figure différents (fig. 4). Dans le Massif armoricain, les haches, dans leur très grande majorité, sont utilisées même si elles portent des défauts de fonte. En revanche, si la majorité de la production est utilisée, elle est dans l’ensemble très sommairement préparée. Il reste de nombreuses irrégularités. Dans la vallée de la Seine au contraire, toutes les haches ne sont pas préparées ni utilisées. Dès qu’elles présentent un défaut de coulée, elles sont laissées de côté, ne subissent que de rares opérations sommaires comme l’ablation de la masselotte et ne sont jamais utilisées. Les rattrapages de décalage des valves sont rares. En revanche, les autres haches sont très soigneu-sement préparées, les barbes latérales sont presque invisibles, les sommets sont très réguliers, l’aspect général est régulier et lisse. Ces haches sont celles qui sont utilisées.

Dans cet exemple, la dernière étape de la chaîne opératoire de fabrication des objets est donc menée différemment selon les régions. Dans le domaine de la production des haches à talon de la fin du Bronze moyen, la préparation des objets est donc spécifique à une région et la caractérise.

   292

m. gabiLLot

Interprétation

Essayons à présent de comprendre pour quelles raisons et dans quelle mesure l’étape de la préparation est différente d’une région à l’autre. Outre ces diffé-rences dans le traitement de cette étape de la chaîne opératoire, ces deux terri-toires bretons et normands présentent également d’autres spécificités, notam-ment dans le domaine de la production métallique.

Deux exemples peuvent être proposés : le premier concerne le domaine de l’acquisition des matériaux, et le second l’organisation de la production. Le massif armoricain est doté de minéralisations nombreuses et variées, et contient notamment du minerai de cuivre et du minerai d’étain (Sagon, 1976 ; Briard, 1965). La vallée de la Seine en revanche en est presque totalement dépourvue (Chauris, 1961 ; Verron, 1985). Les deux territoires ne possèdent donc en aucun cas les mêmes ressources de matière première.

Par ailleurs, à l’autre bout de la chaîne opératoire, la production elle-même est gérée différemment dans les deux régions (fig. 5) :

Les objets sans défaut de fonte,

sont soigneusement préparéset sont utilisés.

Les objets présentant un défaut de fonte

ne sont pas préparéset ne sont pas utilisés.

Les objets sont préparés, toujours de manière sommaire....

...mais ils sont préparésmême s'ils présentent des défauts de fonte.

> 200 m < 200 m

Massif armoricain

Moyenne etbasse valléede la Seine

DA

O C

. Per

rot

Fig. 4. Résumé montrant les différences entre les deux régions dans le domaine de la préparation des objets en bronze.

Les manipuLations après La fonte des objets en aLLiage cuivreux

 293

– dans le Massif armoricain, les haches ont des formes variées, qu’on peut classer dans un certain nombre de formes types, standards, mais en revanche les décors sont très peu variables ;

– dans le bassin de la Seine, il semble exister une seule forme standard de haches et en revanche plus d’une vingtaine de décors différents.

L’organisation de la fabrication des haches semble donc répondre à des critères différents selon qu’elle est faite dans le Massif armoricain ou dans la vallée de la Seine. Dans un cas, il existe plusieurs formes différentes mais très peu de décors différents ; dans l’autre, il existe une seule forme mais de nombreux décors variés. On pourrait interpréter cela de la manière suivante : la gestion de la production métallique n’est pas la même dans les deux régions : dans la vallée de la Seine, tous les ateliers de haches fabriquent selon le même standard morpho-logique ; il y a donc un contrôle très fort, qui gère l’ensemble de la production ; dans le Massif armoricain, ce contrôle unique ne semble pas s’exercer de la même manière ; les ateliers ne sont pas gérés par un seul et unique pouvoir.

On pourrait donc proposer le modèle suivant (fig. 6) :– dans le Massif armoricain, les ressources sont riches et abondantes, la

production est gérée par des entités diverses, les ateliers sont autonomes, la préparation des objets est sommaire, toutes les haches produites sont utilisées.

Massif armoricain Vallée de la Seine

Standardsmorphologiques

Types de décor

Fig. 5. Schéma montrant les différences d’organisation de la production ; dans le Massif armoricain, plusieurs formes différentes mais des décors sommaires, dans la vallée de la Seine, une seule forme mais des décors variés.

   294

m. gabiLLot

– au contraire, dans le bassin de la Seine, les matières premières sont rares, la production est gérée par une entité forte qui contrôle tous les ateliers, les haches sont très soigneusement préparées, mais toutes ne sont pas utilisées.

Limites de l’étude

Les résultats de cette première étude sur la préparation des objets en alliage base cuivre montrent sans aucun doute des perspectives intéressantes dans le domaine plus large de la gestion et l’organisation générale de la production métallique à l’âge du Bronze. Cependant, il convient de citer les très nettes limites de cette étude dans l’état actuel des recherches. En premier lieu, il convient bien évidemment de tester cette analyse sur d’autres corpus, composés d’objets provenant d’autres horizons culturels. En second lieu, il faudrait affiner les analyses sur l’utilisation et les techniques de préparation des objets. En effet, si certains phénomènes laissent des traces visibles en macroscopie, d’autres en revanche sont plus difficilement décelables avec cette technique. Les connais-sances sur l’utilisation des objets seront fortement élargies par de nouvelles expé-rimentations, qui permettront de reconnaître des états d’usage d’objets après telle ou telle durée d’utilisation ou telle ou telle activité. Par ailleurs, les traces de préparation effectuées par frottement seront plus finement analysées avec la collaboration de spécialistes de la tribologie. En effet, il est encore actuelle-ment difficile d’attribuer certaines fines traces de frottement à la préparation, à l’utilisation, à l’usure normale, etc. Enfin, en parallèle avec l’expérimentation, la tribologie viendra également analyser précisément les traces d’utilisation propre-ment dites, c’est-à-dire qu’elle permettra de caractériser les stigmates laissés par le travail du bois sur un tranchant de hache par exemple. Ainsi, la technique de l’observation macroscopique, qui a permis de mettre en évidence ce phénomène particulier de la gestion différentielle selon les régions de la préparation, étape finale de la chaîne opératoire, doit à présent collaborer avec d’autres techniques d’analyse afin de pallier les limites que sa pratique renferme.

Conclusion

À travers l’analyse des caractéristiques de l’étape de la préparation des haches à talon en bronze, on peut proposer l’hypothèse selon laquelle la façon

Préparation sommairedes objets

Société pourvue de ressources métalliques, métal disponible et abondant

Préparation soignéedes objets

Société dépourvue de ressources métalliques,métal rare et précieux

Production des objetsgérée par des

entités diverses

Production des objets gérée par une seule

entité contrôlant les ateliers

Fig. 6. Proposition de modèle interprétatif sur la relation entre modes de préparation des objets et type de société.

Les manipuLations après La fonte des objets en aLLiage cuivreux

 295

de préparer les haches est un révélateur du type d’organisation de la production métallique de la région concernée. La question qui se pose alors est de savoir si on peut construire un modèle théorique selon lequel tel type de préparation des objets en bronze serait un indicateur d’un type d’organisation de produc-tion métallique, et donc de société… Par exemple une préparation sommaire des objets refléterait une société richement pourvue en ressources métalliques, où le métal serait abondant, et au contraire une préparation soignée des objets témoignerait d’une société pauvre en ressources, où le métal serait donc rare et précieux ; alors on lui conférerait une place particulière et on contrôlerait très fortement sa production.

D’autres questions sont soulevées ou restent posées :– Les caractéristiques différentielles de la préparation des objets sont-elles

liées à la typologie des objets ou davantage aux territoires : c’est-à-dire toutes les haches dites bretonnes provenant d’ailleurs portent-elles les traces des mêmes caractéristiques de préparation que les haches « bretonnes » c’est-à-dire trouvées en Bretagne ?

– Sinon, cela signifierait-il que l’étape de la préparation des objets est réalisée dans l’endroit où les objets sont utilisés, et donc que les objets circuleraient sans avoir été préparés ?

– Toutes les catégories d’objets présentent-elles les mêmes caractéristiques de préparation ?

– Quel rôle joue la présence des minerais dans l’organisation de la produc-tion métallique et dans la société ?

BibliographieBriard J., 1965.– Les Dépôts bretons et l’Âge du Bronze atlantique, Faculté des sciences de

l’Université de Rennes, Becdelièvre, Rennes.

chauris L., 1961.– Vue d’ensemble préliminaire sur la métallogénie de la Basse-Normandie, Bulletin de la Société linnéenne de Normandie, 10e série, 1er vol., p. 95-104.

gabiLLot M., 2001.– Le dépôt de haches à talon de la fin du Bronze moyen découvert à Saint-Thois (Finistère), Revue archéologique de l’Ouest, 18, p. 27-44.

gabiLLot M., 2003.– Dépôts et production métallique du Bronze moyen en France nord-occiden-tale, Oxford, Archaeopress, BAR International Series, 1174.

Sagon J.-P., 1976 – Carte géologique de la France à 1/50 000e, no 278, Quintin, VIII-17, minis-tère de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat, Bureau de recherches géologiques et minières, Service géologique national.

Verron G., 1985.– Les activités métallurgiques en Normandie durant l’Âge du Bronze, Paléométallurgie de la France atlantique, Âge du Bronze (2), Travaux du Laboratoire « Anthropologie, Préhistoire, Protohistoire, Quaternaire armoricains », Rennes, p. 137-164.