macounaÏma: dialogues multiples au croisement des cultures

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1 MACOUNAÏMA: DIALOGUES MULTIPLES AU CROISEMENT DES CULTURES Maria Inês Batista CAMPOS Chercheur et Professeure à l’Université de São Paulo-USP, Brésil e-mail: [email protected] Dans le domaine de la culture, l’exotopie est le moteur le plus puissant de la compréhension. Une culture étrangère ne se révèle dans sa complétude et dans sa profondeur qu’au regard d’une autre culture (et elle ne se livre pas dans toute sa plénitude car d’autres cultures viendront qui verront et comprendront davantage encore). Un sens se révèle dans sa profondeur pour avoir rencontré et s’être frotté à un autre sens, à un sens étranger: entre les deux s’instaure comme un dialogue qui a raison du caractère clos et univoque, inhérent au sens et à la culture pris isolément. À une culture étrangère, nous posons des questions nouvelles telles qu’elle-même ne se les posait pas. M. BAKHTINE INTRODUCTION Le principal objectif de cet article est de aborder les notions de proximité et distanciation dans le roman brésilien Macounaïma. Publié en 1928, cette oeuvre a été transformée en film quarante ans plus tard, en 1969, par le cinéaste Joaquim Pedro de Andrade. C’est moi qui analyse le livre, la professeure Beth Brait aborde le film. Nous avons choisi le thème de la vie et de la mort dans la dimension verbo-visuelle et nous allons l’observer dans les traditions indigène/ européenne /brésilienne présentes dans ce roman, en vue de le comprendre aussi bien dans le récit

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MACOUNAÏMA: DIALOGUES MULTIPLES AU CROISEMENT DES CULTURES

Maria Inês Batista CAMPOS Chercheur et Professeure à l’Université de São Paulo-USP, Brésil

e-mail: [email protected]

Dans le domaine de la culture, l’exotopie estle moteur le plus puissant de la compréhension.Une culture étrangère ne se révèle dans sacomplétude et dans sa profondeur qu’au regardd’une autre culture (et elle ne se livre pasdans toute sa plénitude car d’autres culturesviendront qui verront et comprendront davantageencore). Un sens se révèle dans sa profondeurpour avoir rencontré et s’être frotté à unautre sens, à un sens étranger: entre les deuxs’instaure comme un dialogue qui a raison ducaractère clos et univoque, inhérent au sens età la culture pris isolément. À une cultureétrangère, nous posons des questions nouvellestelles qu’elle-même ne se les posait pas.

M. BAKHTINE

INTRODUCTION

Le principal objectif de cet article est de aborder

les notions de proximité et distanciation dans le roman

brésilien Macounaïma. Publié en 1928, cette oeuvre a été

transformée en film quarante ans plus tard, en 1969, par le

cinéaste Joaquim Pedro de Andrade. C’est moi qui analyse le

livre, la professeure Beth Brait aborde le film. Nous avons

choisi le thème de la vie et de la mort dans la dimension

verbo-visuelle et nous allons l’observer dans les

traditions indigène/ européenne /brésilienne présentes dans

ce roman, en vue de le comprendre aussi bien dans le récit

2

que dans le film qui l’actualise par les couleurs, la

musique, le mouvement.

Considéré comme l’un des romans les plus

représentatifs du modernisme non seulement brésilien mais

aussi latino-américain, Macounaïma comporte un sous-titre

intrigant: “héros sans aucun caractère” qui se termine par

une épithète très particulière: “héros de notre peuple”.

L’utilisation du mot “héros” signale deux motivations de

Mário de Andrade: a) conter des épisodes autour d’une

figure tribale, aussi bien brésilienne que vénézuélienne1,

appelée Macounaïma, qui possède un caractère ambigu,

pluriel, tricheur, ingénu, primitif et civilisé; b) penser

le peuple brésilien, en parcourant les sentiers suivis par

les sauvages en quête d’une identité qui, de si plurielle,

touche à l’indétermination, ce qui finit par créer un héros

sans aucun caractère.

Nous allons contextualiser le modernisme brésilien de

manière très résumée: c’est une modalité des avant-gardes

européennes du vingtième siècle, qui a déclenché une

révolution esthétique au Brésil. L’écrivain Mário de

Andrade (1893-1945), né et mort à São Paulo, est devenu

l’un des grands critiques de la culture de son temps et il

est considéré jusqu’à aujourd’hui comme une référence

culturelle et idéologique. Il a créé une oeuvre

révolutionnaire qui rompt avec le langage romantique et

idéalisé du dix-neuvième siècle et propose la démolition

des règles passéistes, dans la mesure où il récupère dans

1 Région localisée sur la triple frontière des territoires du Brésil, du Vénézuéla et de la Guyane Anglaise.

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la narration un temps et un espace mythiques et, en même

temps, le sous-sol des racines culturelles fournies par de

nombreuses lectures, parmi lesquelles se distingue

l’ouvrage Von Roraima zum Orinoco [De Roraima à l’Orénoque], de

l’ethnologue Theodor Koch-Grünberg. L’explorateur allemand

est venu au Brésil entre 1911 et 1913 et a recueilli,

classifié et analysé les coutumes des indiens de Roraima, à

l’extrême nord du Brésil, ainsi que des peuples qui

vivaient sur les rives du fleuve Orénoque au Vénézuéla. Le

tome 2 Mythes et légendes des indiens Taoulipang et Arecuná a inspiré

Mário de Andrade qui a changé le nom du héros et celui de

ses frères afin de créer, non pas un personnage singulier,

mais un type imaginaire possédant des caractéristiques

présentes dans toute l’espèce humaine. Le nom Macounaïma

est formé par le mot «maku » qui veut dire « méchant » dans

la langue taoulipangue et le suffixe -ima signifiant

« grand ». Ainsi Macounaïma voudrait dire « le grand

méchant », nom qui correspond exactement au caractère

intrigant et funeste de ce héros. (ANDRADE, 1996, P.232)

L’écrivain a dialogué non seulement avec ce voyageur

allemand, mais aussi avec des chanteurs, folkloristes,

philologues, écrivains brésiliens et portugais, avec

« l’idée de satiriser le Brésil au moyen de lui-même »

(ANDRADE, 1978, p.322).

Macounaïma a paru en cinq langues (français, anglais,

espagnol, italien, allemand). Il a été traduit en français

par Jacques Thiériot en 1979; dix-sept ans plus tard il a

reçu une édition critique coordonnée par Pierre Rivas en

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1996 avec révision de la traduction antérieure; le livre a

été publié aux éditions Stock, avec l’appui de l’Unesco et

du CNRS. Sur la couverture de cette édition, en haut, le

nom de l’auteur. Au-dessous, une aquarelle représentant une

barque vide avec une rame, ancrée au bord d’une rivière aux

eaux bleues et calmes. Sous l’aquarelle, se détache le

titre du livre en noir puis, tout en bas, en lettres plus

petites, le nom du coordinateur de l’édition et celui du

traducteur.

Organisé en dix-sept chapitres et un épilogue,

l’ouvrage a comme fil directeur la trajectoire de

Macounaïma dès sa naissance en pleine forêt vierge. Comme

un véritable héros, il n’a pas de père, il naît d’une mère

vierge, il est noir « comme du charbon », il appartient à

la tribu des Tapanhumas, mot signifiant « noirs » en tupi,

qui vivent sur les rives du fleuve Uraricoera. C’est le

récit de son long voyage en compagnie de ses deux frères,

Maanape e Jiguê, de l’Amazonie à leur arrivée dans la ville

moderne de São Paulo, en quête d’un talisman qu’il a perdu

et qui est tombé entre les mains d’un géant étranger. Après

bien des combats pour vaincre le géant Venceslau Pietro

Pietra et récupérer l’amulette, Macounaïma revient tout

seul à son Uraricoera natal. À la fin, il ne trouve que

faim, misère et désolation. Il ne lui reste qu’un perroquet

au bec doré qui survivra pour raconter à l’auteur du livre

l’histoire du héros.

Nous allons récupérer les deux épitaphes présentes au

début et à la fin de l’ou vrage, espaces stratégiques

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qui jalonnent la trajectoire du roman dans lequel la mort

est considérée comme un changement, une transformation, un

devenir continu. Une différence significative entre ces

moments extrêmes est que la première épitaphe est visuelle,

et cherche à présentifier la mère qui n’existe plus alors

que la seconde est écrite, indiquant la représentation de

la mort au moyen de mots.

1 EPITAPHE DE LA MÈRE

La première épitaphe est décrite au chapitre II,

intitulé “Majorité”. Nous allons observer les passages qui

font partie du final de cette narration: les antécédents;

l’épitaphe; le départ.

a) Les antécédents: Dans la scène de la mort de sa mère,

Macounaïma croit qu’il a tué une biche qui vient de mettre

bas mais, après être sorti de sa transe, il s’approche de

l’animal mort et voit qu’il vient de tuer sa propre mère.

Selon les indiens tupis, c’est Anhangá, protecteur des

animaux, qui lui a joué ce mauvais tour mais pour les

catéchiseurs c’est le diable déguisé. À la mort de

l’indienne tapanhuma, le héros quitte le village et part

pour São Paulo.

Quand notre héros émergea de sa pâmoison, il alla appeler sesfrères. Tous trois versèrent des torrents de larmes et passèrentla nuit à veiller la défunte en buvant du vin de palme et enmangeant des boulettes de manioc et du poisson. De très bonmatin, ils enveloppèrent le corps de la vieille dans un hamac ets’en furent l’enterrer sous une pierre au lieudit Père-de-la-Fourmi-Tocandeira. Maanape qui était un sorcier-catimbaou depremière catégorie, grava l’épitaphe que voici: (ANDRADE,1996, p.36)

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b) L’épitaphe:

c) Le départ: Le narrateur synthétise, en un seul

paragraphe, diverses actions de cérémonies funèbres

s’étendant sur plusieurs jours, afin de bien marquer le

changement dans la vie du héros.

Ils jeûnèrent le temps que prescrivait la loi et Macounaïmapassa son jeûne à se lamenter héroïquement. Le ventre de lamorte enfla enfla tant qu’à la fin des pluies il s’était changé encolline douce. Alors Macounaïma donna la main à Iriqui, Iriquidonna la main à Maanape, Maanape donna la main à Jigué ettous quatre s’en furent par le monde. (ANDRADE, 1996,p.36-37)

Nous allons maintenant analyser la production de

l’épitaphe, et nous intéresser de plus près au matériel

dont Mário de Andrade s’est servi pour l’élaboration de

cette inscription funéraire, car il présente une grande

variété d’éléments provenant de sources diverses: les

traits indigènes sont empruntés à Debret, Koch-Grünberg,

Couto de Magalhães et beaucoup d’autres folkloristes

brésiliens. À ce matériel hybride, l’écrivain a juxtaposé

le discours de l’autre, au moyen de formules syntaxiques et

d’énumérations en vue d’une production poétique et comique.

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Sur la tombe de la mère enterrée sous une pierre,

Maanape, frère de Macounaïma, a gravé l’épitaphe dans la

pierre. C’était un sorcier qui incorporait des entités

spirituelles, et il a dessiné les éléments symboliques de

la mort. À première vue, on dirait qu’elle a été récupérée

d’une peinture rupestre ; en effet, elle exhibe des dessins

communs chez les indigènes brésiliens, connus sous la

désignation Itacoatiara, terme d’origine tupi (ita, pierre;

cuatiara, peinte).

Cependant, dans l’édition critique brésilienne

(ANDRADE : 1996, p.21), nous trouvons des notes indiquant

que l’inscription a été retirée de “Sculpture en creux”, du

peintre Jean-Baptiste Debret, qui a participé de la mission

artistique française du dix-neuvième siècle et a publié

Voyage pittoresque et historique au Brésil. Mário de Andrade a repris

une partie des inscriptions en creux du centre de cette

planche 30 gravée sur les rives du fleuve Japurá, dans

l’état brésilien du Pará.

À cette inscription centrale de l’artiste français,

Mário de Andrade ajoute deux éléments récupérés d’autres

sources: à gauche, l’image représente la mère, telle

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qu’elle était lorsque Macounaïma l’a tuée, métamorphosée

en“biche venant de mettre bas”; à droite quatre bâtonnets :

l’un est hâchuré, signalant la mort de la mère et le groupe

de trois représente les frères.

Les sources de l’épisode de la biche se trouvent dans

deux ouvrages: une version tirée du livre Le Sauvage (1876)

du grand chercheur brésilien Couto de Magalhães (1837-1898)

et le chapitre “Exploits de Macounaïma” du livre de Koch-

Grünberg d’où ont été tirés le nom du lieu où la mère du

héros a été enterrée, « Pai da Tocandeira », et l’histoire

de la transformation du lieu en colline.

Cette épitaphe montre que le héros doit d’abord tuer

sa vieille mère, puis l’enterrer selon les cérémonies

funèbres de la tribu pour alors pouvoir parcourir le monde,

ouvrir de nouveaux horizons et atteindre sa majorité, comme

l’annonce le titre du chapitre. De cette manière nous

pouvons considérer cette épitaphe comme une situation

limite dans la vie du héros qui part pour dialoguer avec

d’autres espaces géographiques et culturels. Les

transformations s’opèrent également dans l’espace où la

mère a été enterrée: la morte « enfle, enfle » et se

transforme en une colline douce, comme si le sens de la

mort est une transformation constante. Non seulement

Macounaïma se transforme-t-il en adulte immature, sans

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projet, sans raison, mais la réalité autour de lui change

elle aussi, et nous trouvons au début du roman l’image

constante de la métamorphose. C’est justement dans le thème

de la mort qui devrait être le symbole de la permanence, de

l’immobilité, que se produit le contraire: un cadavre se

transforme en colline.

Mario de Andrade a travaillé avec le recroisement de

nombreuses lectures sur les indiens d’Amazonie et, sur

l’épitaphe de la mère, nous notons la présence des

voyageurs étrangers - Debret e Koch-Grünberg, qui ont

exploré le Brésil à des siècles différents, rapprochant les

brésiliens de leurs traditions ethniques, lingüistiques,

sociales et culturelles. Dans cette tension, entre la

distanciation des textes produits par les voyageurs

européens et les rapprochements possibles avec la culture

brésilienne, l’épitaphe de la mère, gravée par le frère,

grand sorcier-catimbaou, reflète et réfracte un croisement

entre les diverses cultures qui circulent de par le Brésil.

2 ÉPITAPHE DE MACOUNAÏMA

La seconde épitaphe est décrite dans le dernier

chapitre intitulé “Grande Ourse” et a été gravée dans la

pierre-tortue par Macounaïma lui-même avant de quitter la

terre. Son texte est le suivant:

JE NE SUIS PAS VENU SUR CETTE TERREPOUR ÊTRE UNE PIERRE (ANDRADE:1996, p. 220)

Pour que cette inscription ait un sens à nos yeux,

nous devons la situer brièvement par rapport à quelques

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épisodes antérieurs et ultérieurs à sa création. Le retour

de Macounaïma à son lieu de naissance commence de manière

triomphale mais se transforme lentement en une retraite,

celle d’un héros fatigué et malade. Il continue dans le

doute, indécis, sans réussir à harmoniser les deux

cultures: celle de l’Uraricoera et celle de São Paulo.

Sans ses frères qui sont morts de la malaria, il ne lui

reste que le perroquet qui répète ses paroles.

a) Les antécédents: Uiara et la pierre tombale

Voyons la situation du héros un jour de grande

chaleur: à midi, sous un soleil de plomb, si brûlant qu’il

en a un mirage. C’est ainsi que Macounaïma est ensorcelé

par la vision d’Uiara, « magicienne qui habite au fond des

rivières dans la mythologie amérindienne » (ANDRADE: 1978,

p.318). En raison de la chaleur sexuelle et de la

luminosité des rayons du soleil, il entre dans le lac sans

se rendre compte qui est cette jeune femme, tant il est

dominé par son élan amoureux. Mário de Andrade, une fois

de plus, dialogue avec diverses sources provenant de

légendes indigènes, celle-ci ayant été recueillie par le

folkloriste brésilien Barbosa Rodrigues.

Quand le héros sort de l’eau, il s’aperçoit que,

pendant la lutte contre Uiara, il a perdu non seulement le

talisman, mais aussi quelques parties de son corps. Il se

révolte et prend appui sur la pierre de la tortue-jabouti

afin de supporter la douleur du corps partiellement mutilé

par les piranhas.

Macounaïma s’assit sur un rocher qui avait été du tempsd’autrefois une tortue-jabouti et se mit à faire l’inventaire des

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trésors qu’il avait perdus dans l’eau: au total une jambe, lesorteils, les noix de coco, les oreilles avec leurs pendentifs:machine-pathek et machine-smith-wesson, le nez, bref tous cestrésors ... [...] Il devint fou furieux. (ANDRADE: 1996:p.218)

Dans la scène du sacrifice, c’est grâce au support

donné par la pierre du jabouti que le héros arrive à se

détacher de la terre et monter au ciel, après avoir laissé

une inscription funéraire sur la pierre de l’animal. Il est

important de rappeler la signification du jabouti dans la

tradition latino-américaine: c’est un animal qui apparaît

dans de nombreuses légendes indigènes, symbole cosmogonique

car sa carapace a la forme d’une coupole, comme le ciel, et

son abdomen est plat, comme la terre (CHEVALIER e

GHEERBRANT, 1994, p.868-869).

b) L’épitaphe:

Il planta une graine de liane-matamata, fille-de-la-lune, ettandis que croissait la plante, il prit un caillou pointu et sur lapierre tombale qui avait été une tortue-jabouti du tempsd’autrefois, il écrivit (ANDRADE: 1996: p.220)

JE NE SUIS PAS VENU SUR CETTE TERREPOUR ÊTRE UNE PIERRE

Dans cette épitaphe de Macounaïma, Mário de Andrade

utilise un procédé narratif populaire appelé variation, qui

répète la même phrase, en changeant son sens à chaque

répétition. Il cherche de cette façon à élaborer quelques

procédés de composition brésilienne.

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Première variation: Les mots attribués à la tortue-jabouti.

Voyant qu’il a perdu une partie substantielle de son corps,

Macounaïma sent qu’il va mourir et écrit sur une pierre, en

lettres majuscules, l’épitaphe ci-dessus mentionnée. Il

répète les mots de l’autre, s’unissant ainsi à un animal

auquel beaucoup de cultures attribuent des caractéristiques

de longévité, donc une voix millénaire, et Macounaïma se

l’approprie dans son inscription mortuaire;

Deuxième variation: Lorsqu’il cite le mot de l’autre, il en

modifie le sens, car la maxime marque l’idée de mort non

pas comme permanence, mais comme changement. Le sens

devient ambivalent, ambigu, car le mot écrit restera à

jamais gravé dans la pierre en même temps qu’il se trouvera

dans le ciel, dans la constellation de la Grande Ourse,

brillant pour l’éternité et pourra être vu dans la région

amazonienne et également dans l’hémisphère nord;

Troisième variation: “Je ne suis pas venu au monde pour

être une pierre” est un proverbe indigène que Mário de

Andrade a retiré du livre Le sauvage de Couto de Magalhães.

c) Le départ

Alors Paouí-Pódole eut pitié de Macounaïma et usa de sespouvoirs de sorcier: il prit trois bâtonnets, les jeta en l’air, croisadeux doigts et changea Macounaïma et ses derniers atouts, coqcocotte cage revolver oignon, en une nouvelle constellation.C’est la Grande Ourse. [...] La Grande Ourse, c’est Macounaïma.(ANDRADE, 1996, p.222)

Mutilé par les poissons et sautant comme un « saci »

(petit elfe noir de la mythologie brésilienne qui se

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déplace en sautant sur son unique jambe)2, le héros plante

une liane grimpante pour monter jusqu’au ciel en fredonnant

une chanson indigène triste, Mandu Sarará. Pauí-Pódole, le

Dieu de la Forêt, a pitié de lui et le transforme en

constellation, celle de la Grande Ourse, l’inscrivant ainsi

dans l’espace céleste. Après avoir marqué d’une épitaphe sa

position terrestre, il devient étoile.

Il existe un rapport de contiguïté entre les deux espaces:

terre et ciel, tortue-jabouti et étoile, qui perpétue la

liaison présence-absence de la vie. Dans l’épitaphe écrite,

Macounaïma préserve la précarité de son image tandis qu’au

même moment il ressurgit solitaire dans le « vaste champ du

ciel », transformé en « astre ».

CONSIDERATIONS FINALES

Si on pose côte à côte les deux épitaphes, on note

qu’elles commencent et terminent la trajectoire du roman:

au début, c’est la mère qui meurt et reste sur terre; à la

fin, le héros meurt et va au ciel. Mais pour accéder à la

permanence de l’étoile, il doit d’abord arriver à proximité

de la distance. Le rapprochement des différents textes avec

le roman permet de reprendre la variété fragmentée des

narrations, un vrai bricolage, qui est la logique du mythe.

Mário de Andrade a classifié son oeuvre comme étant une

rhapsodie, car il a en effet dialogué avec différents

2 Petit elfe noir de la mythologie brésilienne qui se déplace en sautant sur son unique jambe.

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parlers, afin de refléter les tensions qui interviennent

dans ce jeu ironique-tragi-comique. Macounaïma vit dans la

précarité de ses limites, mais tient à se transformer en

étoile de la Grande Ourse (mythe indigène), même s’il doit

emporter avec lui quelques objets importés, brillances

inutiles, comme une montre et un revolver.

Dialogues possibles:

ÉPITAPHE DE LA MÈRE(DÉBUT)

ÉPITAPHE DE MACOUNAÏMA(FIN)

MATÉRIEL gravée dans la pierre gravée dans la pierreFORME dessinée dans la pierre

par la frere socier/guérisseur (Maanape)

écrite sur la pierre parlui-même (Macounaïma)

CONTENU

Discours de l’autre:XIX, sculpture en creux recueillies par Debret;Légendes recueillies parCouto de Magalhães;XX, Légendes recueilliespar Koch-Grünberg

Discours de l’autreLes mots de l’animal-jaboutiLe proverbe indigène

SENS figuratif tranfiguratifCONSÉQUENCE transformation en

collinetransformation en GrandeOurse

RELATIONS mère – fils – départ Adulte immature/ frères/femmes/départ

MÉTAMORPHOSE Destruction/rénovationMort et renaissance

Vaincu/vainqueurFaiblesse/forceHéros de notre peuple

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REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUESANDRADE, M. Macunaíma: o herói sem nenhum caráter. SãoPaulo: Martins, 1970._______. Macunaíma: o herói sem nenhum caráter. São Paulo: LivrosTécnicos e Científicos, 1978.______. Macounaíma: o herói sem nenhum caráter. 2.ed.Edição crítica. Madrid: ALLCA, XX, 1996.______. Macounaïma. Trad. Jacques Thiériot. Ed.critiqueCoord. Pierre Rivas. Paris: Stock, Unesco, CNRS, ALLCA XX,1996.BAKHTINE, M. Les études littéraires aujourd'hui. Esthétique dela création verbale. Trad. Alfreda Aucouturier. Paris:Gallimard, 1984. BAKHTIN, M. M. O problema do conteúdo, do material e daforma na criação literária. In: Questões de literatura e de estética:a teoria do romance. São Paulo: Hucitec, 1988.CHEVALIER, J. & GHEERRBRANT, A. Dicionário de símbolos: mitos,sonhos, costumes, gestos, formas, figuras, cores, números.Rio de Janeiro: José Olympio, 1994.LÉVI-STRAUSS, C. O pensamento selvagem. São Paulo: Papirus,2009.LOPES, Telê Porto Ancona. Mário de Andrade: ramais ecaminhos. São Paulo: Duas Cidades, 1972.______. Macunaíma: a margem e o texto. São Paulo: HUCITEC,Secretaria de Cultura, Esportes e Turismo, 1974.MELO E SOUZA, Gilda de. O tupi e o alaúde. In: ANDRADE,Mário de. Macunaíma: o herói sem nenhum caráter. Edição crítica.Madri; Paris, México, Buenos Aires; São Paulo; Rio deJaneiro, 1996.PROENÇA, M. C. Roteiro de Macunaíma. Rio de Janeiro:Civilização Brasileira, 1978.SOUZA, Eneida Maria de. A pedra mágica do discurso. Jogo elinguagem em Macunaíma. Belo Horizonte: Editora UFMG, 1988.