l'offre d'informations est-elle plus diversifiée sur le web qu'à la télévision ?

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L'OFFRE D'INFORMATIONS EST-ELLE PLUS DIVERSIFIÉE SUR LE WEB QU'À LA TÉLÉVISION ? Une comparaison exploratoire entre sites d'actualité et journaux télévisés Franck Rebillard, Dominique Fackler, Emmanuel Marty La Découverte | « Réseaux » 2012/6 n° 176 | pages 141 à 172 ISSN 0751-7971 ISBN 9782707175014 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-reseaux-2012-6-page-141.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Franck Rebillard et al., « L'offre d'informations est-elle plus diversifiée sur le web qu'à la télévision ? Une comparaison exploratoire entre sites d'actualité et journaux télévisés », Réseaux 2012/6 (n° 176), p. 141-172. DOI 10.3917/res.176.0141 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte. © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Grenoble-Alpes - - 130.190.247.205 - 08/02/2018 08h55. © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Grenoble-Alpes - - 130.190.247.205 - 08/02/2018 08h55. © La Découverte

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L'OFFRE D'INFORMATIONS EST-ELLE PLUS DIVERSIFIÉE SUR LEWEB QU'À LA TÉLÉVISION ?Une comparaison exploratoire entre sites d'actualité et journaux télévisésFranck Rebillard, Dominique Fackler, Emmanuel Marty

La Découverte | « Réseaux »

2012/6 n° 176 | pages 141 à 172 ISSN 0751-7971ISBN 9782707175014

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-reseaux-2012-6-page-141.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Franck Rebillard et al., « L'offre d'informations est-elle plus diversifiée sur le webqu'à la télévision ? Une comparaison exploratoire entre sites d'actualité et journauxtélévisés », Réseaux 2012/6 (n° 176), p. 141-172.DOI 10.3917/res.176.0141--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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DOI: 10.3917/res.176.0141

L’OFFRE D’INFORMATIONS EST-ELLE PLUS DIVERSIFIÉE SUR LE WEB

QU’À LA TÉLÉVISION ?

Une comparaison exploratoire entre sites d’actualité et journaux télévisés

Franck REBILLARDDominique FACKLER

Emmanuel MARTY

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A u milieu des années 2000, juste avant la campagne présidentielle française de 2007, un essai annonce la fin de la télévision (Missika, 2006), notamment au profit de l’internet, et rencontre un grand écho.

Un quinquennat plus tard, la place de la télévision se trouve rehaussée par les observateurs et les journalistes couvrant la campagne présidentielle de 2012. La retransmission en direct des meetings des candidats, par les chaînes d’information en continu, est alors présentée comme la principale originalité en matière de médiatisation du politique 1. Comme si, en quelques années, l’internet avait perdu l’attrait de sa nouveauté aux yeux des observateurs. La vigueur de telles affirmations témoigne en tout cas d’un sentiment fort de recomposition du système médiatique, entre « anciens » et « nouveaux » médias. Ces soubresauts dans les prises de position marquent aussi la néces-sité de s’extraire de l’immédiateté, pour aller observer plus sereinement les éventuelles mutations du système médiatique.

Nous avons précisément eu la possibilité de tester empiriquement un de ces aspects, dans la lignée de notre interrogation sur le pluralisme, au sein du pro-gramme Ipri 2 : l’information en ligne est-elle plus diversifiée ou à l’inverse plus concentrée que dans les médias traditionnels ? Plus précisément, les sujets abordés dans les sites web d’actualité sont-ils plus nombreux et plus diverse-ment traités que dans les journaux imprimés, radiophoniques ou télévisés ?

Bref, il s’agit donc ici de prolonger notre questionnement sur le pluralisme, sous-tendu par l’hypothèse que l’internet renferme des facteurs favorables

1. En réalité, dès la campagne de 2007, les chaînes d’information en continu s’étaient illustrées par cette pratique. Elles l’ont reproduite de manière plus systématique en 2012, en couvrant davantage de meetings et davantage de candidats, lesquels avaient entre-temps anticipé et pro-fessionnalisé la livraison des images aux chaînes.2. Programme de recherche Ipri - Internet, pluralisme et redondance de l’information (anr-09-jcjc-0125-01b), soutenu par l’Agence nationale de la recherche et regroupant des laboratoires en information-communication (cim, université Paris 3 ; elico, université de Lyon ; lerass, université Toulouse 3 ; crape, université Rennes 1 ; gricis, uqam Montréal) et en informatique (liris, insa Lyon). Ce programme ANR (2009-2012) avait été précédé par la constitution d’une équipe-projet soutenue en 2008 par la MSH Paris-Nord.

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(intervention des non-professionnels, notamment dans des dispositifs parti-cipatifs ou d’autopublication) autant que défavorables (retraitement accéléré de l’information par les infomédiaires). Nous avons déjà procédé à une éva-luation quantitative du pluralisme de l’information sur le web dans un autre article de ce dossier (Marty et al., 2012), montrant que la variété des sujets d’actualité était élevée tout en étant inégalement répartie entre les différents articles et les différentes catégories de sites. Une telle évaluation du plura-lisme sur le web était en quelque sorte une évaluation dans l’absolu. L’appré-ciation de sa valeur relative peut être obtenue par une comparaison avec le niveau de pluralisme existant dans les médias de masse, à commencer par le premier d’entre eux, la télévision.

La télévision reste en effet le média le plus regardé en matière d’information en France, malgré une prépondérance moindre au fil des ans. À la suite de l’enquête du Cevipof de septembre 2006 indiquant que 58 % des Français privilégiaient la télévision, l’enquête par questionnaire menée dans le cadre du programme Mediapolis fin 2009 a révélé que la première source d’infor-mation politique demeurait la télévision (49 %), loin devant la radio (20 %), l’internet (12 %), et la presse écrite (8 %) (Jouët et al., 2011, pp. 365-366). Dans le détail, cette même recherche met en avant quatre grands types de pra-tiques en matière d’information politique : la télévision est partout présente, même si c’est de façon plus ou moins exclusive, tandis que l’internet ne s’ins-crit pas dans les pratiques d’information habituelles de plusieurs millions de personnes (Le Hay et al., 2011). La place toujours centrale de la télévision au sein de la population française en fait le premier des médias de masse, et donc le meilleur étalon pour juger les plus-values éventuelles de l’internet.

Au-delà de cette raison de fond, notre choix de travailler prioritairement sur la télévision s’explique par des considérations plus pratiques. Nous ne dis-posions pas dans ce programme de recherche des moyens suffisants pour entreprendre une comparaison avec plusieurs autres médias (presse, radio, télévision), et avons donc cherché à nous appuyer sur des travaux déjà exis-tants. De ce point de vue, le travail effectué à l’Institut National de l’Audiovi-suel, concernant l’offre d’informations d’actualité dans les journaux télévisés (Baromètre Ina’stat), s’est avéré compatible avec la recherche engagée au sein du programme Ipri à propos de l’information en ligne. Une collaboration est ainsi née en vue d’une telle comparaison entre télévision et internet, au prix d’une harmonisation méthodologique dont cet article rend compte plus loin.

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Nous avons ainsi initié, pour le cas de la France, une démarche assez proche de celle réalisée en permanence par la Fondation Pew aux États-Unis. Celle-ci réalise une veille sur l’information produite par un échantillon de journaux, stations de radio, chaînes de télévision, et sites web. Elle en tire un News Coverage Index qui, hebdomadairement, liste les topics abordés dans chacun des médias, et permet ainsi d’établir des comparaisons. Cette base de données sur l’agenda médiatique états-unien est également exploitée pour analyser la médiatisation d’un sujet d’actualité en particulier, afin de notamment cerner la façon dont les différents médias s’en saisissent au cours du temps (comme cela a été le cas lors de la crise financière, cf. Pew, 2009).

C’est dans une même double direction que nous présentons les résultats de notre comparaison entre internet et télévision. Plus exactement, notre propre recherche a porté sur une comparaison entre les sites d’actualité et les jour-naux télévisés, et il faut en signaler dès maintenant les limites. Tout d’abord, elle n’embrasse pas l’ensemble de l’internet mais le seul web, qui constitue cependant le lieu majeur de l’offre d’informations d’actualité en ligne. De la même façon, elle ne couvre pas l’ensemble de la télévision mais les seuls journaux télévisés des chaînes généralistes « historiques » (ex-chaînes hert-ziennes), qui restent toutefois les programmes d’information les plus regardés. Ainsi, à défaut de circonscrire la totalité de l’offre d’information sur l’internet et à la télévision, notre corpus en cerne tout de même les principaux segments. Il est toutefois assez hétérogène du côté du web, renvoyant à des catégories de sites très différentes (sites de médias existants, sites natifs de l’internet, blogs, portails et agrégateurs), tandis que les JT, eux, constituent un objet médiati-que plus unifié. Conscients de cette autre limite, nous avons mené certaines analyses à un niveau plus fin pour distinguer quelles catégories de sites (par exemple les blogs) pouvaient proposer une médiatisation véritablement alter-native aux journaux télévisés.

Néanmoins, l’hypothèse d’une offre d’information plus diversifiée sur le web – le web étant communément considéré comme foisonnant et surabondant en informations – nous a amenés à privilégier en premier lieu une comparaison de l’offre des journaux télévisés avec la globalité des sites web, toutes catégories confondues. Au final, malgré les limites certaines de ce travail exploratoire, nous avons pu, sur la base d’un corpus consistant (plusieurs milliers d’articles web et reportages télévisuels), dégager de premières indications intéressantes, présentées dans la suite de cet article.

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Dans un premier temps, l’agenda médiatique tel qu’il apparaît sur le web est regardé au miroir de celui fixé par les journaux télévisés. Après avoir identifié les sujets d’actualité abordés par les sites web sans l’être dans les JT, et vice versa, nous estimerons plus globalement les écarts dans la variété et l’équili-bre de ces deux offres d’informations. Dans un second temps, la focale portera sur la médiatisation du méga-événement ayant dominé l’agenda médiatique durant notre période d’observation, au mois de mars 2011 : le tsunami au Japon et ses incidences nucléaires. Une perspective diachronique, via la décli-naison de ce méga-événement médiatique en sujets d’actualité plus resserrés au cours du temps, nous aidera alors à retracer le rythme de médiatisation des JT et celui des sites web, pour éventuellement y repérer des complémentarités transmédias.

COMPARAISON DES AGENDAS MÉDIATIQUES

Dans le cadre du programme Ipri, nous avons opéré une classification des articles web en fonction des sujets d’actualité abordés.

Cette conception du sujet d’actualité 3 recouvre en très grande partie la caté-gorisation événement dans la classification des contenus télévisuels réalisée à l’Institut National de l’Audiovisuel. Plus précisément, l’Ina publie de façon trimestrielle, dans la revue Ina’stat, un Baromètre thématique des journaux télévisés. Celui-ci répertorie les événements abordés dans les journaux télé-visés d’access prime time des six chaînes historiques : 20 heures de TF1, 20 heures de France 2, 19 h 30 de France 3, JT de Canal Plus de 19 heures, Arte Journal de 19 h 30, Le 19/45 de M6. Chaque item analysé correspond soit à un reportage ou une brève en images, soit à une interview en plateau studio ou en duplex 4. Les items sont à la fois rangés en différentes rubriques (catastrophes, culture-loisirs, économie, éducation… 14 rubriques au total), et classés de façon plus individuelle en événements qui correspondent de facto au niveau analytique des sujets d’actualité.

3. La définition du sujet d’actualité a déjà été livrée dans un autre article de ce dossier, sous la forme d’un encadré (Marty et al., 2012). Elle est également reprise dans les pages qui suivent, au moment cette fois de préciser le passage au concept de méta-sujet.4. Dans la terminologie choisie par Ina’stat, qui reprend le vocable professionnel, ces items sont dénommés sujets. Afin de ne pas générer d’ambiguïté dans le présent article avec la notion de sujet d’actualité, nous emploierons ici le terme item plutôt que celui de sujet pour désigner les unités d’information composant un journal télévisé.

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Cette homologie dans le niveau de catégorisation des contenus médiatiques a rendu possible une comparaison entre les sites d’actualité et les journaux télévisés. Dans la pratique, elle a porté sur une période d’observation d’une dizaine de jours, entre le 7 et le 17 mars 2011. Les deux responsables de la classification ont mis en commun leurs résultats et harmonisé la liste des sujets d’actualité établie pour les sites d’actualité avec celle identifiée pour les JT.

Au final, journée par journée, l’agenda médiatique tel qu’il apparaît sur le web a pu être comparé avec l’agenda médiatique télévisuel, ou en tout cas une partie majeure de ce dernier. Car il s’agit plus exactement de l’agenda média-tique des principaux journaux télévisés, de début de soirée. Notre échantillon de chaînes de télévision – les chaînes historiques – ne comprend en effet pas les chaînes issues des développements de la télévision par câble et satellite, ou encore plus récemment de la télévision numérique terrestre. Les chaînes d’in-formation en continu échappent en particulier à notre viseur, pourtant pointé sur l’information générale et politique. Il s’agit là d’une limite à notre compa-raison puisque l’échantillon des sites web est lui quasi-exhaustif. Cependant, nous devons noter que les chaînes d’information en continu proposent en réa-lité un agenda médiatique très proche de celui des JT des chaînes historiques de début de soirée, ainsi que l’a mis en évidence, précisément, une comparai-son des thématiques abordées durant la totalité de l’année 2010 (INA, 2011, p. 2). Par ailleurs, au niveau des pratiques des téléspectateurs cette fois-ci, le programme ANR Mediapolis nous apprend que la consultation des chaî-nes d’information en continu restait minoritaire fin 2009 : seuls 5,6 % des Français en faisaient leur JT le plus régulièrement regardé (Le Hay et al., pp. 68-69). À l’inverse, 29,3 % privilégiaient le 20 h de TF1, 19,3 % le 20 h de France 2 et 7,3 % le 19/20 de France 3, alors qu’un seul JT de mi-journée s’intercalait dans ces premières places (le 13 h de TF1 avec 12,5 %).

Ainsi, à défaut d’être complet ou représentatif, l’échantillon Ina’stat rassem-ble des JT aux agendas médiatiques concordant avec ceux des chaînes d’in-formation en continu, et surtout parmi les plus regardés. Dans ces conditions, il peut être considéré comme emblématique de la télévision en tant que média de masse. La comparaison de son offre d’information avec celle des sites d’actualités, sites aussi bien issus de ces mêmes médias de masse qu’exclusifs à l’internet (sites participatifs, blogs, portails et agrégateurs), peut ainsi nous renseigner sur l’existence d’un agenda médiatique alternatif sur le web.

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Davantage de sujets abordés sur le web

Notre premier critère quantitatif d’évaluation du pluralisme de l’information est celui de la variété éditoriale. Il est mesurable à l’aune du nombre de sujets d’actualité abordés. De ce point de vue, le niveau de variété éditoriale s’avère beaucoup moins élevé dans les JT que sur le web. La différence est même radicale : de quelques dizaines de sujets abordés chaque jour dans les JT, on passe à plusieurs centaines par la multitude de sites que compte le web.

Ces chiffres sont toutefois à relativiser. Le nombre de sujets est lui-même dépendant du nombre de sources présentes dans chacun de nos échantillons (6 chaînes dans l’échantillon télévision contre 199 sites dans l’échantillon web) ainsi que du volume d’items des JT ou d’articles produits par les sites (cf. tableau 1).

Tableau 1. Variété des sujets abordés dans les JT et sur le web, entre le 7 et le 17 mars 2011

Journée JT :Nb items

JT :Nb sujets

Sites web :Nb articles

Sites web :Nb sujets

Lundi 7 mars 102 44 3418 593Mardi 8 mars 95 44 3496 625Mercredi 9 mars 101 49 3552 670Jeudi 10 mars 94 41 3369 678Vendredi 11 mars 114 19 4068 573Samedi 12 mars 85 19 2415 342Dimanche 13 mars 87 17 2417 306Lundi 14 mars 120 16 3527 534Mardi 15 mars 111 21 3757 562Mercredi 16 mars 129 25 3723 556Jeudi 17 mars 116 24 3827 613

Ce tableau rappelle aussi le découpage chronologique de notre période d’ob-servation. À une phase d’actualité ordinaire (du lundi 7 au jeudi 10 mars), succède une phase exceptionnellement chargée sur le plan de l’actualité (à partir du vendredi 11 mars, jour du tsunami au Japon), entrecoupée du week-end traditionnellement plus calme que les jours ouvrés de la semaine. En la matière, les journaux télévisés suivent la même tendance que les sites d’ac-tualité, tendance que nous avons détaillée dans un autre article de ce dossier

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(Marty et al., 2012) : lorsqu’une actualité exceptionnelle survient, l’agenda médiatique se resserre dans un double mouvement de réduction du nombre de sujets d’une part et d’augmentation du nombre d’items TV comme d’ar-ticles web d’autre part. On notera tout de même une singularité dans l’évo-lution de l’agenda médiatique télévisuel par rapport à celui du web durant cette période : un pic d’items TV est atteint le lundi 14 mars, alors que ce jour-là était simplement un moment de redémarrage dans la production d’ar-ticles web. Car au sortir du week-end, les chaînes de télévision ont allongé la durée de leurs JT en même temps qu’elles mettaient en images une nouvelle secousse sismique, un premier débat sur le nucléaire, et un ultime incident survenu dans la centrale.

Au-delà du nombre de sujets abordés, qui nous a permis de comparer le niveau de variété éditoriale entre JT et sites d’actualité, on peut s’intéresser à leur nature. Sur la totalité de la période, 73 sujets abordés dans les journaux télévisés ne l’ont pas été par les sites d’actualité.

Ces sujets exclusifs à la télévision se distinguent souvent par leur caractère très visuel et/ou sonore. Par exemple, des images spectaculaires sont diffusées dans les sujets Antarctique fonte des glaciers, Neige à Athènes (sujets présents dans les JT le 8 mars 2011 sans être abordés par les sites d’actualité), Zones Seveso à risques (10 mars 2011)… Et des extraits d’albums ou de concerts sont diffusés dans les sujets Sortie Disque de Jazz et Sortie Disque Enrico Macias (7 mars 2011), Lucchini joue La Fontaine (9 mars 2011), Sortie Dis-que Nolwenn Leroy (12 mars 2011), Céline Dion à Vegas et Gala contre le cancer à l’Olympia (17 mars 2011).

La télévision privilégie de tels sujets car, naturellement, ils présentent une forte dimension audiovisuelle. On peut aussi penser à des facteurs de nature plus sociologique ou économique pour expliquer la présence exclusive, dans les journaux télévisés, de certaines sorties de disques ou annonces de spectacles : celles-ci concernent des artistes qui, d’une part, s’accordent peut-être davan-tage avec les préférences culturelles des publics de certains JT d’audience de masse au contraire de sites d’actualité plus élitaires et, d’autre part, peuvent être liés à des partenariats avec les chaînes de télévision.

De façon plus générale, plusieurs des sujets exclusifs aux journaux télévisés portent sur l’expression culturelle. Les JT de prime time réservent systéma-tiquement une page culturelle (ou sportive) à la fin de leurs éditions. Et c’est

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plus encore le cas d’Arte, qui consacre un quart de son JT à la culture, et ce de manière transnationale. Enfin, nous avons également remarqué la présence d’un sujet très particulier, récurrent dans certains JT durant cette période. Il concerne les journalistes retenus comme otages en Afghanistan. Ces otages travaillaient pour France Télévisions, et on comprend par conséquent le tro-pisme des chaînes correspondantes pour un tel sujet.

Au total, les 73 sujets exclusifs aux journaux télévisés ont été diffusés dans 88 des 1154 items que compte la période. C’est donc 7 % de la production des JT qui touche à des sujets non abordés par les sites d’actualité.

Réciproquement, l’élément le plus notable reste qu’un nombre bien supérieur de sujets ont été traités par les sites d’actualité sans avoir été abordés par les journaux télévisés. Chaque jour, on dénombre ainsi environ 500 sujets d’actualité exclusifs au web (cf. tableau 1). Il s’agit principalement de sujets mineurs dans l’agenda médiatique du web, mais aussi de sujets traités de façon plus massive par les sites d’actualité et qui n’ont pourtant pas trouvé place dans les JT.

Les sujets non abordés dans les JT se trouvent donc en premier lieu parmi les sujets eux-mêmes peu traités sur le web. Ces sujets regroupent chacun peu d’articles mais sont très nombreux : ainsi, les sujets traités dans moins de cinq articles constituent environ 90 % du total des sujets abordés par les sites d’ac-tualité. Ces sujets-là n’ont pour la plupart pas d’existence médiatique dans les JT, et s’avèrent très hétérogènes dans leurs contenus. Ils témoignent du décen-trage éditorial de certains sites, essentiellement des blogs et des médias natifs de l’internet, par rapport à l’agenda médiatique dominant. À titre illustratif, et sans que ces exemples aient valeur représentative de ces centaines de sujets, on peut citer des titres d’articles orientés vers l’actualité de l’internet et de la technologie comme « YouTube présente un long-métrage calibré pour Inter-net » (Minutebuzz), d’autres au contenu plus politique comme « Serbie : vers une reconnaissance du Kosovo ? » (Agoravox) ou encore plutôt anecdotiques ou humoristiques comme « Avis de recherche : vous aussi, vous avez aperçu un tigre ? [dans l’Ain] » (Agoravox). Ces quelques exemples, s’ils mettent en relief l’originalité éditoriale de certains sites, n’ont toutefois pas vocation à synthétiser la grande hétérogénéité des sujets peu traités et exclusifs au web, synthèse quasi impossible à réaliser.

D’autres sujets exclusifs au web présentent la particularité d’être en revanche ins-crits dans le mainstream médiatique des sites d’actualité. Ils ont chacun généré

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une production d’articles quantitativement importante, sans pour autant avoir été médiatisés dans les journaux télévisés. Sur les 100 premiers sujets les plus traités entre le 7 et le 17 mars 2011 (sujets rassemblant au moins 30 articles chacun sur la période), 24 sont des sujets exclusifs au web. Ainsi, près d’un quart des principaux sujets ayant focalisé l’attention des sites d’actualité, n’a pas du tout été relayé par les journaux télévisés.

Parmi ces sujets, plusieurs concernent des « affaires », lesquelles mettent directement en cause des personnalités politiques (Affaire Guérini, 84 arti-cles ; Affaire Woerth, 46 articles), ou des questions de santé publique impli-quant un groupe industriel (Procès du cancer du bitume, impliquant une filiale de la société Vinci, 96 articles). Figure également une affaire mettant en cause l’usage abusif de voitures de fonction par Christian Estrosi, publiée par Le Canard Enchainé et ayant suscité un volume conséquent d’articles (51). La présence de tels sujets accrédite l’idée d’une appétence particulière pour les questions de politique nationale sur le web, en particulier lorsqu’elles mettent en cause des personnalités politiques. Les JT apparaissent plus réticents à trai-ter de tels sujets, en tout cas lors de notre période d’observation de 11 jours car ils ont pu les aborder à un moment où cette actualité était plus « chaude ». Une recherche dans la base de données Ina’Stat pour l’ensemble de l’année 2011 nous apprend en effet que l’affaire Woerth, révélée au printemps-été 2010 avant d’entraîner la démission du Ministre, a connu des suites judiciai-res médiatisées dans les JT en janvier, mai, septembre, et octobre 2011, mais rien en mars 2011 contrairement au web. L’affaire Guérini, couvant depuis 2009, a fait l’objet de passages dans les JT au début du mois de mars 2011 (3 et 5 mars), avant de revenir en septembre 2011 au moment de la mise en examen du président du Conseil Général des Bouches du Rhône. En revan-che, aucune trace dans les JT, en 2011, du procès du « cancer du bitume » impliquant Vinci, pas plus que de l’usage abusif de voitures de fonction par le député-maire de Nice et ex-ministre Christian Estrosi. Il apparaît ainsi que des affaires liées à des personnalités politiques ou des entreprises d’envergure nationale peuvent mobiliser les sites d’actualité de façon assez conséquente, et surtout dans la durée, là où elles peuvent être ignorées des JT, totalement ou pendant plusieurs mois. Notre analyse de discours permet ainsi de discer-ner une élasticité temporelle plus grande des sites vis-à-vis de l’actualité, au regard de celle des journaux télévisés : il serait intéressant de la compléter par des enquêtes sociologiques afin de mieux comprendre les motivations et pratiques à l’origine de telles différences dans les choix éditoriaux.

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Au sein des sujets exclusifs au web, on note également une forte présence de la politique internationale, avec par exemple les protestations en Algérie (60 articles), la présence d’un nouveau gouvernement provisoire en Tunisie (58 articles), le conflit entre Nord et Sud au Soudan (34 articles), ou encore les élections présidentielles au Bénin (54 articles) et en Haïti (37 articles). Si les journaux télévisés n’ont pas ignoré les sujets de politique internationale, ils ont en tout cas écarté ceux-ci au profit d’autres, tels que le conflit libyen ou les événements au Japon. Pour l’expliquer, on peut ici émettre l’hypothèse d’un format des JT imposant une sélection de l’agenda plus rigide que celle effectuée sur le web. Mais, là encore, il faudrait disposer d’approfondisse-ments sociologiques pour ne pas tout mettre sur le compte des « matérialités éditoriales » propres à chaque support médiatique.

D’autres sujets, enfin, ont une orientation plus « people », avec notamment la liberté conditionnelle du chanteur Cheb Mami (93 articles). De façon peut-être encore plus surprenante, on notera également que le départ d’Harry Roselmack du JT de TF1 a été couvert par 35 articles de sites d’actualité, sans être évoqué à la télévision.

On peut ainsi repérer quantité de sujets qui échappent aux JT, en raison notam-ment de leur format limité au regard de la surface éditoriale représentée par la myriade de sites d’actualité. Cela étant, on peut tout de même considérer aussi que, dans l’ensemble, l’agenda médiatique télévisuel déroge peu à celui du web, puisque 93 % des items composant les JT abordent des sujets aussi traités par les sites d’actualité. L’explication principale tient à ce que, sur ces deux supports médiatiques, l’information reste extrêmement concentrée sur une minorité de sujets, eux-mêmes rattachés à des méta-sujets (voir définition ci-après) qui occupent la Une de l’actualité pendant plusieurs jours. Cette ten-dance commune comporte toutefois une intensité différente : la concentration de l’information s’avère plus prononcée dans les journaux télévisés que dans les sites d’actualité, comme nous allons le voir en analysant l’équilibre édito-rial de chacun des deux agendas médiatiques.

Des méta-sujets dominant diversement chaque agenda médiatique

L’équilibre constitue un second critère, après celui de la variété, pour évaluer le niveau de diversité éditoriale. Lors de notre analyse quantitative du plura-lisme de l’information sur le web (Marty et al., 2012), l’équilibre éditorial

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a été rapporté à l’importance prise par chaque sujet d’actualité au sein de l’agenda médiatique. Afin de rendre opératoire la comparaison avec les jour-naux télévisés, nous sommes passés à un stade supérieur dans l’analyse de l’équilibre éditorial. La structure de l’agenda médiatique a été étudiée à partir des méta-sujets, nouvelle unité d’analyse, qui le composent. Ces méta-sujets correspondent aux méga-événements qui occupent la Une des médias sur plu-sieurs jours, en fédérant ou générant plusieurs sujets d’actualité connexes.

Rappelons qu’un sujet d’actualité est ici entendu comme un fait, une expérience passée au prisme d’un cadrage médiatique primaire, en amont du cadrage médiatique secondaire (angle, ligne éditoriale, point de vue) choisi pour le traiter (pour plus de détails, cf. Marty, 2012). Sur la base de cette première classification des articles en sujets d’actualité, une deuxième classification a donc été effectuée par les chercheurs. Elle a consisté à regrouper les sujets d’actualité en méta-sujets. Ces regroupements ont reposé sur l’existence de liens (associations, analogies, liens causaux, confrontations, continuités, etc.) entre des faits distincts ayant été l’objet d’un traitement médiatique. Cette identification des liens entre sujets d’actualité, aboutissant à considérer leur congruence autour d’un phénomène médiatisé sous la forme d’un méta-sujet, a été effectuée a posteriori par les chercheurs. Elle peut néanmoins recouper en grande partie des liens établis sur le moment par les producteurs d’infor-mation dans leur cadrage des différents sujets.

Une telle opération de regroupement des sujets d’actualité en méta-sujets pré-sente plusieurs avantages. D’abord, en visant la structure globale des agendas médiatiques, elle offre une possibilité de comparaison entre journaux télévi-sés et sites d’actualité, au-delà de leurs différences de variété éditoriale (sujets beaucoup plus nombreux sur le web, et rarement exclusifs aux JT). Ensuite, elle permet de faire ressortir des méga-événements s’étalant sur une période de plusieurs jours, offrant une profondeur chronologique plus grande dans l’analyse de l’agenda médiatique, comme ici entre le 7 et le 17 mars 2011.

Concrètement, dans notre corpus, la multiplication des soulèvements popu-laires en Tunisie, puis en Égypte, plus tard en Libye et en Syrie, a attiré l’at-tention des médias autour d’un phénomène large appelé « printemps arabe ». Ces mouvements se sont déroulés de manière concomitante au nom des liber-tés publiques, contre des dictatures en place depuis plusieurs décennies, au sein d’une région géographique allant du Maghreb à la péninsule arabique. L’attention focalisée sur cette région pour ces phénomènes a alors amené les

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médias à s’intéresser à d’autres pays dans lesquels des mouvements, même d’une ampleur moindre, se faisaient jour, tels que le Yémen, Oman, Bahreïn ou encore l’Arabie saoudite, etc. Tous les sujets d’actualité correspondant ont été regroupés dans un méta-sujet pour lequel nous avons conservé la labellisa-tion médiatique de Printemps arabe (PA).

De la même façon, la catastrophe nucléaire puis environnementale au Japon a réactivé la saillance du discours anti-nucléaire dans différents pays. Les médias ont prêté une grande attention aux débats nationaux et internationaux à cet égard, parfois dans un changement substantiel de mode de cadrage, comme cela a déjà été observé par Gamson et Modigliani (1989) suite aux accidents de Three Mile Island puis de Tchernobyl. Des propos jusque-là minorés voire ignorés par les médias, portés par des définisseurs secondaires (par opposition aux définisseurs primaires ayant un accès permanent à la tribune médiatique, cf. Neveu, 2009) peuvent, suite à un événement particulier, acquérir une cer-taine visibilité médiatique car leur discours cadre avec l’événement d’origine. La continuité entre ces sujets d’actualité nous a amenés à les rassembler dans un méta-sujet dénommé Japon - Fukushima (JF).

Enfin, un événement politique majeur tel qu’une élection présidentielle constitue bien évidemment une préoccupation médiatique de premier plan. Toutefois, un an avant le scrutin comme ici au printemps 2011, l’élection en elle-même peut difficilement constituer un sujet d’actualité tel que défini précédemment, en ce sens que l’élection comme élément factuel n’est pas présente. Cela étant, la période de pré-campagne suscite, dans la constitution journalistique de l’agenda, un certain nombre de sujets d’actualité qui lui sont directement liés, autour des sondages et des stratégies des partis et personnali-tés politiques, conduisant à un cadrage de type « horse race » (Iyengar, 1991). Les sujets mis en avant par certaines personnalités en tête des sondages peu-vent alors, par ricochet, être mises au-devant de l’agenda, devenant dès lors des critères majeurs d’évaluation du personnel politique (Iyengar & Kinder, 1987). À cet égard, les thématiques développées alors par Marine Le Pen, en tête de nombreux sondages en mars 2011, ont fait l’objet d’une attention par-ticulière des médias et ont été intégrées au méta-sujet Présidentielle - Le Pen (PL), de même que la réponse apportée par la majorité gouvernementale, pour laquelle elles constituent clairement un enjeu électoral.

Sur un plan pratique, l’identification de ces méta-sujets s’est appuyée sur la classification préalable en sujets d’actualité, et une étape intermédiaire de nor-

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malisation des intitulés des sujets. En effet, la classification des articles web et items TV s’était faite jusqu’ici sur une base quotidienne, et de ce fait cer-tains sujets se retrouvaient d’une journée à l’autre sans apparaître forcément sous une étiquette complètement identique (p. ex., Séisme et tsunami au lieu de Violent séisme au Japon et tsunami). Afin de rendre possible une analyse diachronique de l’agenda médiatique sur la durée des 11 jours d’observation, il a ainsi été nécessaire de normaliser les « étiquettes » des principaux sujets d’actualité.

Nous avons donc procédé à un travail de repérage des sujets identiques, puis d’harmonisation de l’étiquetage pour les sujets concernés. Ce travail de nor-malisation a porté sur les principaux sujets et non sur la totalité des sujets, parce que notre objectif de recherche visait la prégnance des méta-sujets, et aussi parce que l’harmonisation de la totalité des milliers de sujets apparus entre le 7 et le 17 mars 2011 aurait demandé un temps dont nous ne dis-posions pas. Les « micro-sujets » représentant chacun moins de 0,6 % des articles n’ont pas été normalisés, et peuvent donc parfois apparaître sous des intitulés légèrement différents à l’intérieur du corpus, augmentant ainsi de manière artificielle le nombre global de sujets. Cependant, après supervision destinée à évaluer leur nombre, il apparaît que les quelques « micro-sujets » ainsi dupliqués artificiellement représentent moins de 2 % des sujets (et une part encore moindre des articles, bien inférieure à 1 %) de notre corpus. Cette marge d’erreur est statistiquement acceptable dans les traitements quantitatifs effectués (le seuil étant généralement fixé à 5 %) et ne modifie pas les ordres de grandeur 5.

Après ce travail de normalisation, les sujets principaux possédaient ainsi des étiquettes actualisées sur toute la longueur des 11 journées. Les deux respon-sables de la classification préalable en sujets d’actualité, pour les sites web et les journaux télévisés, ont alors procédé conjointement aux regroupements dans les méta-sujets Présidentielle - Le Pen (PL), Printemps arabe (PA), Japon - Fukushima (JF), dont les schémas suivants (figures 1 et 2) rendent compte.

5. Nous remercions notre collègue Stéphanie Pouchot pour sa contribution à la réalisation de ces contrôles statistiques et du graphique qui suit.

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Figure 1. Part des méta-sujets et des autres sujets d’actualité dans les sites d’actualité, entre le 7 et le 17 mars 2011.

Les articles web sont pour moitié dévolus à ces méta-sujets (47 %), et pour l’autre moitié consacrés à des sujets de moindre ampleur sur la période d’obser-vation (53 %). Par ailleurs, la hiérarchie de l’information entre les trois méta-sujets est étonnamment linéaire : les articles web relatifs à Japon - Fukushima sont trois fois plus nombreux que ceux consacrés à Présidentielle - Le Pen, eux-mêmes deux fois moins nombreux que ceux sur le Printemps arabe.

Figure 2. Part des méta-sujets et des autres sujets d’actualité dans les journaux télévisés, entre le 7 et le 17 mars 2011.

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En comparaison, l’offre d’informations apparaît beaucoup moins équilibrée dans les journaux télévisés. D’une part, les méta-sujets (61 % à eux trois) laissent beaucoup moins de place aux autres sujets d’actualité (39 %) dans les JT. Une telle différence pourrait provenir, comme nous en avons déjà fait l’hypothèse auparavant, d’un format éditorial plus contraignant et d’une pro-fondeur temporelle moindre des JT, en comparaison de la myriade d’espa-ces de publication offerte par les sites d’actualité. D’autre part, le méta-sujet Japon - Fukushima s’impose très largement dans les journaux télévisés, vis-à-vis du Printemps arabe et encore plus par rapport à Présidentielle - Le Pen. La place plus réduite du Printemps arabe et de Présidentielle - Le Pen dans les JT confirmerait alors à un niveau macro (celui des méta-sujets) ce que nous avons mis en évidence à un niveau micro, à savoir une prédilection plus grande des sites d’actualité pour la politique, nationale comme internatio-nale. Ceci expliquerait symétriquement la prédominance du méta-sujet Japon - Fukushima dans les journaux télévisés.

Cette prédominance du méta-sujet Japon - Fukushima démarre dans la deuxième partie de la période d’observation, à partir du moment où survient le tsunami. Entre le vendredi 11 et le jeudi 17 mars 2011, ce méta-sujet Japon - Fukushima occupe entre 70 et 85 % de l’agenda médiatique des JT, contre 46 à 60 % de l’agenda médiatique sur le web. Spontanément, on pourrait en conclure que la dimension spectaculaire de cet événement a favorisé son pas-sage à la télévision, davantage que sur l’internet. La déclinaison médiatique de ce méta-sujet au fil des jours repose en fait sur un déroulement plus contrasté : son analyse détaillée, qui revient à une comparaison des calendriers plus exac-tement que des agendas médiatiques, est l’objet de la partie suivante.

LA DOUBLE MÉDIATISATION D’UN MEGA-ÉVÉNEMENT : LE CAS FUKUSHIMA

On attribue souvent à Hubert Beuve-Méry, fondateur du quotidien Le Monde en 1944 et dont il restera le directeur jusqu’en 1969, l’adage suivant : « La radio annonce l’événement, la télévision le montre, la presse l’explique ». Longtemps considérée par certains professionnels des médias comme une loi d’airain, cette maxime pourrait connaître une suite – « l’internet en débat » – avec le développement des réseaux socionumériques et des forums mais aussi des sites participatifs et des blogs.

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Curieusement, les recherches font défaut sur ce point pourtant crucial de la chronologie des médias, ou plus exactement du cycle des nouvelles entre les différents supports (presse, radio, télévision, internet) 6. Une étude a été récemment réalisée en ce sens par la fondation Pew (2010), concluant à une part toujours très grande des quotidiens imprimés en tant que sources d’in-formation vis-à-vis des autres médias, et en particulier de l’internet plutôt assimilable à une chambre d’écho. Mais le terrain limité de cette étude, mono-graphie d’un système médiatique local (agglomération de Baltimore), en rend les résultats difficilement extrapolables.

Les travaux scientifiques proposant une plus grande montée en généralité concernent en fait moins la circulation des nouvelles entre supports que les media hypes, autrement dit les focalisations temporaires des médias sur un méga-événement. Ce phénomène, illustré dans notre cas par l’omniprésence du méta-sujet Japon - Fukushima en mars 2011, a été l’objet d’une synthèse bibliographique (Wien, Elmelund-Praestekaer, 2009) qui fait ressortir le che-minement suivant : la médiatisation débute par une monstration en raison qui a défrayé la chronique, avant de s’étirer en longueur en passant progressive-ment à une phase de commentaire et d’expertise.

Dans le cas du méta-sujet Japon - Fukushima, les trois principaux sujets d’actualité qui lui sont rattachés se succéderaient alors dans l’ordre suivant : Violent séisme au Japon et tsunami, puis Accidents de centrales au Japon et risque nucléaire, et enfin Le débat sur le nucléaire relancé en France et dans le monde. Une telle succession correspondrait en cela à des cadrages média-tiques relativement fréquents des catastrophes naturelles et des problèmes environnementaux, comme nous le verrons dans un premier temps. Dans un second temps, nous mettrons cette hypothèse à l’épreuve et essaierons surtout de voir si les journaux télévisés privilégient les premiers cadrages, plus pro-ches de la monstration visuelle de l’événement d’origine, plutôt que le débat supposément réservé au web.

La médiatisation des catastrophes naturelles et des problèmes environnementaux

Les questions environnementales ont longtemps souffert d’un important déficit de médiatisation, du fait du manque d’attractivité de sujets pouvant

6. Un projet d’Observatoire Transmedia (OT-Media - ANR 2010 CORD 015 06), en cours d’élaboration, est toutefois spécifiquement dédié à cet objectif.

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bien souvent apparaître aux rédactions comme extrêmement techniques et peu « vendeurs ». Neveu (1999) rappelle d’ailleurs que, jusqu’au début des années 1980, il n’existe que peu de journalistes spécialisés dans le domaine, les collec-tifs constitués autour des enjeux environnementaux sont eux-mêmes peu orga-nisés dans leur rapport aux médias. Dans ce contexte, la mise en visibilité des questions environnementales ne s’est réellement développée que sous l’impact d’événements majeurs, souvent dramatiques, ayant attiré l’attention des médias par leur caractère spectaculaire ou inattendu. Depuis une trentaine d’années, en effet, la survenance de catastrophes industrielles (Three Mile Island, Bhopal, Tchernobyl, AZF, etc.), de pollutions à grande échelle telles que les marées noires (suite aux naufrages de pétroliers comme l’Exxon-Valdez, l’Erika, le Prestige, ou encore à cause de fuites sur une plate-forme pétrolière dans le Golfe du Mexique) et l’enregistrement de nombreux phénomènes naturels et climatiques extrêmes sur le globe (fonte de glaciers polaires, canicules, inon-dations, tempêtes, etc.) ont de manière croissante attiré l’attention de l’ensem-ble des médias, poussant pendant un temps la thématique environnementale sur le devant de la scène. La question qui anime certains universitaires depuis ces premiers épisodes porte sur la manière dont les médias se saisissent de ces événements, pour livrer à leurs publics respectifs comptes rendus et éclairages sur ceux-ci.

Plusieurs travaux se sont penchés sur cette question, parmi lesquels un ouvrage d’Eliseo Veron (1981), qui constitue une des premières références importan-tes en la matière. Centrée sur la médiatisation de l’accident nucléaire survenu en 1979 sur l’île de Three Mile Island, dans l’État américain de Pennsylvanie, l’étude menée par Veron repose sur des analyses comparatives du traitement médiatique de l’événement opéré par l’Agence France Presse, la presse écrite, les journaux radios et télévisés. L’auteur y pointe les procédés discursifs par lesquels les médias entendent construire leur légitimité auprès des collectifs de lecteurs, auditeurs, téléspectateurs. Cette légitimation passe notamment par la restitution d’éléments de réalité et de vraisemblance, à l’intérieur d’un récit médiatique se voulant objectif. Le propos de Veron est en fait de montrer en quoi la vraisemblance se construit dans chaque média en fonction de ses atouts et de ses contraintes matérielles, et comment ces éléments deviennent déterminants dans les procédés de sélection et de reconstruction, inévitable-ment biaisée, d’une réalité partiellement appréhendée. À cet égard, les travaux de Veron peuvent utilement être rapprochés des travaux sur le framing, dont il sera question plus bas. Veron s’est attaché tout particulièrement aux journaux télévisés, qu’il considère comme constitutifs d’un genre discursif particulier,

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dont le format et la structure seraient quasi universellement normalisés. Pour lui, dans le journal télévisé plus encore que dans les autres formats média-tiques, cette normalisation des modes de reconstruction de la réalité, asso-ciée au caractère routinisé et récurrent du journal, « finit par produire une unification imaginaire » de ce qui s’impose alors comme un événement. Le public aurait alors le sentiment, par la force d’imposition de l’image mais aussi par la mise en scène de témoins et d’experts, d’assister à une captation fidèle et en quelque sorte totale de la réalité, tandis qu’il n’en découvre en fait qu’une reconstruction méthodique. Plus récemment, l’ouvrage d’Arquem-bourg (2011) s’attache précisément aux récits médiatiques des tsunamis et des débats qui s’ensuivent, en prenant appui sur l’une des toutes premières média-tisations de catastrophes naturelles (le tremblement de terre de Lisbonne en 1755) puis sur le tsunami asiatique de 2004. Mais loin de n’imputer la respon-sabilité du récit médiatique qu’aux seuls journalistes, l’analyse tend plutôt à démontrer comment des éléments disparates de l’événement sont réagencés et mis en cohérence pour former au fil du temps une histoire cohérente de l’événement, dans un va-et-vient constant entre médias, témoins et publics, dans des espaces et des temporalités différenciés qui ne constitueront qu’a posteriori l’événement considéré comme un tout. Cela étant, l’auteure y évo-que une certaine prédominance de modes narratifs et de formats médiatiques stabilisés dans la restitution de faits et de commentaires disparates, dont la fonction est de rendre intelligible l’événement.

C’est également un des éléments pointés par Gamson et Modigliani (1989) puis par Entman (1996), auteurs qui se situent dans le sillage des recher-ches sur les media frames et dont les travaux interrogent le traitement par les médias états-uniens des questions énergétiques. Gamson et Modigliani se sont concentrés sur la mise en œuvre de ce qu’ils appellent des panoplies interprétatives (« interpretative packages »), faites de métaphores, de slogans, de descriptions et d’images stabilisés, cherchant à mobiliser des résonan-ces culturelles chez les publics et prenant appui sur des paroles légitimantes (scientifiques, politiques, etc.). Les événements de Three Mile Island mais aussi ceux de Tchernobyl occupent dans leurs travaux une place centrale. Ent-man s’est quant à lui focalisé sur le traitement médiatique du débat opposant démocrates et républicains, à propos des politiques énergétiques à mener aux États-Unis, dès 1995. Il s’attache à démontrer en quoi les cadres d’interpréta-tion fournis par les médias (en l’occurrence la presse écrite), sont sources de biais dans l’appréhension de la réalité par les publics. Plus précisément, les médias privilégieraient la simplicité, préférant se centrer sur des personnages

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clés plutôt que sur les processus institutionnels, sur le jeu politique plutôt que sur le contenu du débat.

De manière générale, pour l’ensemble de ces auteurs, les routines journalisti-ques quotidiennement mises en œuvre ont eu pour effet de produire des modes de représentation du réel se cantonnant au compte rendu factuel et narratif des faits, au détriment du débat sur les questions environnementales. Gamson et Modigliani ont ainsi identifié des panoplies interprétatives relativement sta-bles : progress, energy independence, devil’s bargain, public accountability et runaway. Cela étant, leurs travaux ont montré comment les accidents de Three Mile Island et de Tchernobyl avaient bousculé les routines interprétati-ves des médias, lesquels avaient jusque-là tendance à cadrer de manière ultra-majoritaire le nucléaire en termes de progrès. Les catastrophes nucléaires successives les ont en quelque sorte forcés à sortir de ces routines, permettant l’émergence de cadres médiatiques alternatifs, auparavant minorés. C’est ici que la question des sources convoquées dans le récit médiatique prend toute son importance. Les modes de traitement des problèmes environnementaux sont en effet adossés à des types particuliers de sources, choisis pour leur légitimité et leur adéquation au discours produit par le cadre choisi. Or, lors d’une catastrophe naturelle et/ou industrielle, les cadres jusqu’alors domi-nants se trouvent en concurrence avec d’autres cadres, potentiellement plus conformes aux événements survenus. D’autres sources, auparavant délaissées par les médias, peuvent alors acquérir une visibilité médiatique (collectifs de sinistrés, militants écologistes, etc.). Car, comme le rappelle Gamson (1992), la nature du discours médiatique résulte d’une compétition des cadrages dans laquelle sont engagés des acteurs aux positions et aux discours très différents, voire antagonistes, et le cadrage dominant dans le discours d’un média est lar-gement tributaire du crédit attribué à une source par le journaliste au moment du recueil des informations. Pour les auteurs en effet, dans la compétition des cadrages, la prééminence de l’un ou l’autre est constamment révisée et mise à jour pour s’adapter aux nouveaux événements.

En France, Comby (2009) s’est récemment penché sur l’effet d’une certaine institutionnalisation de la thématique environnementale dans le secteur jour-nalistique. Ses conclusions font écho à celles des recherches américaines pré-cédemment citées. En effet, pour Comby, les logiques de fonctionnement du champ journalistique, au premier rang desquelles figure l’institutionnalisation d’un « journalisme environnemental », sont un facteur essentiel d’une dépoliti-sation croissante de cette thématique. L’auteur souligne un double phénomène : l’autonomisation des journalistes spécialisés d’avec les mouvements associatifs,

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desquels la plupart d’entre eux est issue, et l’objectivation croissante du pro-pos, qui en est le corollaire discursif. Une déconflictualisation des problèmes environnementaux s’opérerait alors, au profit de standards journalistiques plus policés, par exemple en privilégiant largement le traitement des conséquen-ces d’un phénomène, au détriment d’un questionnement plus problématique de ses causes et des responsabilités afférentes, individuelles ou collectives. L’auteur rapproche cette forme de traitement de ce qu’Iyengar (1991), théo-ricien majeur des media frames, a appelé un cadrage « épisodique ». Ce der-nier, qui a centré ses recherches sur l’information télévisée, se situe dans une approche plus dichotomique des media frames. L’auteur distingue en effet deux types de cadrages, qu’il nomme respectivement « thématique » et « épi-sodique ». Là où le cadrage épisodique se concentrerait plutôt sur des faits ou événements particuliers venant illustrer un problème, le cadrage thématique replacerait ces événements dans un contexte spatio-temporel et conceptuel plus large afin de les interroger. Ce cadrage épisodique, nous dit Iyengar (1991), serait alors le cadrage majoritaire à la télévision. Si les modes de traitement opérés par la télévision ont donné lieu à une abondante littérature scientifique dans la lignée des media frames, l’impact de l’internet en la matière reste aujourd’hui relativement peu traité. On peut cependant mentionner les récents travaux d’Entman (2010) centrés sur le traitement médiatique du réchauffe-ment climatique. Pour l’auteur, la multiplication des espaces de diffusion d’in-formation, particulièrement ceux portés par les médias participatifs en ligne, aurait un effet rééquilibrant sur les cadres d’interprétation offerts aux publics pour appréhender les questions environnementales. Entman établit de la sorte un lien entre cette diversification des approches permise par l’internet et la possibilité d’attirer l’attention des médias sur des aspects susceptibles d’être dans un second temps mis en agenda, par une sorte d’aller-retour entre les différents médias. Ces conclusions iraient dans le sens de précédentes études sur le rôle démocratique de l’internet dans l’espace public, développé dans un autre article de ce dossier (Marty et al., 2012). Notre démarche d’analyse comparée du traitement du méta-sujet Japon - Fukushima par les journaux télévisés et par les sites d’actualité va précisément consister à interroger leurs modes respectifs de restitution d’un tel méga-événement, afin de confirmer ou au contraire infirmer les tendances de précédentes recherches sur le sujet.

Un méga-événement décliné en plusieurs temps et modalités

Nous proposons d’abord de déterminer si les sites d’actualité et les journaux télévisés se sont placés dans des temporalités différenciées, au cours de leur

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appréhension médiatique de l’événement. Rappelons-en avant toute chose le déroulement chronologique. Le 11 mars 2011, vers 15 heures, heure locale, un tremblement de terre de magnitude 9 est enregistré au large de la côte Est du Japon. Une heure après, un tsunami engendré par le séisme touche les côtes, avec des vagues atteignant jusqu’à 30 mètres par endroits et ayant parcouru jusqu’à 10 km à l’intérieur des terres. Le lendemain, 12 mars, le réacteur n° 1 de la centrale de Fukushima - Daiichi, touchée également par le tsunami, explose et détruit le toit du bâtiment, suivi le 14 mars du réacteur n° 3 puis le 15 mars du réacteur n° 2. Ces éléments successifs ont alimenté de manière régulière les comptes rendus médiatiques de ce que l’on a nommé a posteriori « la catas-trophe de Fukushima ». Ici apparait déjà une première distinction, pointée par Arquembourg (2011), entre des faits spatialement et temporellement distincts et l’événement globalisant tel qu’il sera par la suite désigné par les médias (« catas-trophe de Fukushima ») et que l’on peut rapprocher des « mots-événements » de Moirand (2007). Le séisme et le tsunami du 11 mars puis l’explosion dans la centrale de Fukushima le lendemain constituent en effet des faits distincts bien que liés. Nous les avons d’ailleurs distingués lors de notre classification en sujets d’actualité : Violent séisme au Japon et tsunami d’une part, Accidents de centrales au Japon et risque nucléaire d’autre part. Dans un troisième temps, la contamination progressive des sols, sous-sols et milieux marins environnants, ainsi que les rejets radioactifs dans l’atmosphère terrestre, ont provoqué divers débats et protestations vis-à-vis de l’énergie nucléaire, relayés par les médias. Il s’agit là d’un troisième sujet identifié dans le cadre de notre recherche, intitulé Le débat sur le nucléaire relancé en France et dans le monde. Ces trois sujets d’ac-tualité sont alors les éléments constitutifs du méta-sujet Japon - Fukushima.

Sur le plan des temporalités, nos résultats synthétisés avec une échelle de mesure d’une journée (cf. figures 3 et 4) indiquent une certaine simultanéité de traitement de l’événement entre les journaux télévisés et les sites d’actua-lité. Les deux traitent abondamment du séisme et du tsunami dans la journée du 11 mars, lors de laquelle les faits se sont produits. Sur une échelle de temps plus précise, toutefois, il est évident que les sites web ont pu faire preuve d’une plus grande réactivité dès le début des événements. Nos résultats chro-nologiquement détaillés montrent qu’une dépêche AFP publiée à 7 h 05 heure française 7, soit un quart d’heure après le premier séisme violent (15 h 05 heure japonaise) sera immédiatement rediffusée à l’identique (sous le titre « Très violent séisme au nord-est du Japon ressenti à Tokyo, alerte au tsunami ») par les sites de notre échantillon abonnés au flux AFP, au premier rang desquels

7. Cette donnée concernant l’agence est issue de la base de données Factiva.

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figurent de nombreux infomédiaires (MSN Actualités, Wikio Actualités, Voilà Actualités, etc.). Si les chaines d’information continue ont pu faire preuve d’une réactivité similaire, la majorité des chaînes « historiques » de notre échantillon étaient contraintes par les plages horaires dédiées aux journaux télévisés. Seule exception notable à cette tendance, France 2 a diffusé deux flashs spéciaux consacrés au séisme japonais dans la matinée du 11 mars, l’un à 10 h 43 et l’autre à 11 h 52.

Figure 3. Déclinaison temporelle du méta-sujet Japon - Fukushima par les sites d’actualité, nombre d’articles publiés entre le 11 et le 17 mars 2011

Figure 4. Déclinaison temporelle du méta-sujet Japon - Fukushima dans les journaux télévisés, nombre d’items diffusés entre le 11 et le 17 mars 2011

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Le jour suivant, lors duquel s’est produite la première explosion dans la centrale nucléaire de Fukushima, journaux télévisés et sites d’actualité ont abondamment traité de cette nouvelle information, venant se superposer à la précédente, qui perd de ce fait du terrain en termes quantitatifs. Toutefois, ce second sujet semble avoir supplanté le premier dans des proportions inégales entre JT et web. Là où les journaux télévisés consacrent encore plus de la moi-tié de leur médiatisation du méta-sujet au séisme en lui-même (29 items sur 55 dédiés au méta-sujet), les sites d’actualité n’y consacrent plus qu’un tiers (344 articles sur un total de 980 pour le méta-sujet) réservant les deux autres tiers (soit 636 articles) à l’explosion dans la centrale nucléaire de Fukushima. Il est difficile de donner avec certitude des explications à un tel résultat, mais on peut toutefois avancer quelques suppositions sur la base de la littérature existante. On peut ainsi penser que la logique de renouvellement perma-nent de l’information présidant à la production de certains sites d’actualité (Boczkowski, 2010) rendrait cette dernière plus périssable ou éphémère 8. À l’inverse, la dimension visuelle et spectaculaire d’un phénomène tel qu’un tsunami, ainsi que la nécessité pour la télévision de s’appuyer sur une répé-tition ritualisée d’éléments de vraisemblance, comme précédemment évoqué (Veron, 1981), lui aurait fait privilégier un compte rendu rétrospectif de la journée de la veille, tout en lui en adjoignant, mais dans un degré moindre, l’accident de centrale nouvellement survenu.

Dès le 13 mars 2011, troisième jour suivant le séisme, nos résultats font écho aux conclusions avancées par Wien et Elmelund-Praestekaer (2009) sur la transformation dans le temps des media hypes. Le sujet relatant le débat sur le nucléaire en France et dans le monde fait en effet son apparition, dans des pro-portions encore faibles dans les journaux télévisés comme sur les sites d’actua-lité (autour de 10 % de la production consacrée par chacun au méta-sujet). Sa proportion augmentera significativement dès le lendemain, lundi 14 mars, mais restera toutefois minoritaire tout au long de la période étudiée. Une première distinction, surprenante de prime abord, apparait entre les journaux télévisés et les sites d’actualité à cet égard. Il semblerait en effet que, à partir du lundi 15, les JT aient de manière générale accordé plus d’importance à ce troisième sujet, sujet de débat, que ne l’ont fait les sites web d’information. C’est parti-culièrement vrai lors de la journée du 16 mars au cours de laquelle les JT ont consacré plus du tiers de leur production sur le méta-sujet Japon - Fukushima au débat sur le nucléaire (29 items sur 82), là où les sites d’actualité ne lui ont consacré qu’environ 12 % de leur production (165 articles sur 1304).

8. D’autant plus lorsqu’il s’agit de flux RSS.

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Un tel résultat laisserait entendre, contrairement à ce qui pouvait être attendu, que les journaux télévisés auraient offert plus d’espace aux aspects de débat que les sites d’actualité. Cette donnée, avérée sur un plan quantitatif, doit cependant être nuancée sur au moins deux autres plans. Le premier tient à la différence des cadres d’interprétation, précédemment évoqués, à l’intérieur desquels le sujet Le débat sur le nucléaire relancé en France et dans le monde a pu être développé entre JT et sites d’actualité. Lorsque l’on prête attention au détail des reportages développés par les journaux télévisés à l’intérieur de ce sujet, on s’aperçoit qu’une part importante d’entre eux relève plus d’un compte rendu des débats ayant lieu dans la sphère politique que d’une prise en charge du débat en lui-même par les rédactions. Certains titres en témoi-gnent nettement : « Accident nucléaire au Japon : ce qu’en pensent NKM et Noël Mamère » (JT de TF1 le 13 mars à 20h), « Réunion des 27 ministres de l’environnement à Bruxelles pour faire le point sur le nucléaire européen » (JT de France 2 le 14 mars à 20h). Les reportages sont complétés par la parole donnée aux experts et aux politiques invités à s’exprimer en direct sur les plateaux des JT, pour par exemple commenter l’annonce par A. Merkel de l’arrêt de 7 centrales en Allemagne. Côté web, certains sites ont à l’inverse contribué à alimenter le débat sur le nucléaire, plus qu’ils ne l’ont relaté. C’est le cas notamment du blog Ruminances qui titre dès le 13 mars « Besson : le fêlé du noyau » pour un article à charge contre le nucléaire et le gouverne-ment français, du blog Variae titrant le 15 mars « Enola pas très gai » pour un billet dans la même veine, ou encore du site IndyMedia qui titre très explicite-ment le même jour « Insoutenable nucléaire ».Ces exemples nous amènent au deuxième plan sur lequel ces résultats globaux doivent être nuancés : l’aspect fortement contrasté du web en tant qu’espace d’information d’actualité.

Il y a en effet lieu d’établir une distinction entre les différentes catégories de sites, par ailleurs développée dans un autre article de ce dossier (Marty et al., 2012). Rassembler les déclinaisons numériques de médias pré-existant à l’in-ternet, les infomédiaires qui republient l’information professionnelle dans une logique de forte productivité, les médias natifs de l’internet et les blogs qui souvent sont animés par des amateurs, masque en effet de profonds contras-tes caractérisant l’information sur le web. Bien que notre propos ait jusqu’ici été de rendre compte d’une comparaison quantitative et globale des agendas médiatiques, il nous semble important de nous arrêter sur cette diversité du paysage de l’information sur le web. Une attention particulière à la manière dont les médias natifs de l’internet et les blogs se sont saisis du débat sur le nucléaire pourrait nous apporter un nécessaire complément d’analyse à cet

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égard. Lorsqu’on se penche de manière plus attentive sur cet aspect, il res-sort en effet qu’en dépit d’une production quantitativement moindre (à la fois sur ce sujet précis, mais également dans l’ensemble de la production web de notre période), blogs et sites natifs de l’internet sont les catégories de sites ayant réellement pris en charge le débat en cours, là où les médias en ligne et les infomédiaires l’ont quant à eux plutôt relaté, sans y prendre part. Notre échantillon de sites web a en effet produit 1021 articles avec pour sujet Le débat sur le nucléaire relancé en France et dans le monde, entre le 11 et le 17 mars 2011. Sur ces 1021 articles, seuls 77 ont été produits par des blogs et 154 par des sites natifs de l’internet. Du côté des blogs, les billets sont quasiment tous de nature argumentative et contribuent au débat, avec des titres tels que ceux cités plus haut. Chez les sites natifs de l’internet, on note également une propension au débat, mais plus disparate, allant de titres polémiques tels que « L’indécence nucléaire » (Le Grand Soir, 15 mars 2011) à des titres plus factuels comme « Nucléaire : la France persiste, l’Allemagne tempère » pour Mediapart (16 mars 2011). Du côté des médias en ligne et des infomédiaires, à l’inverse, les titres sont très majoritairement factuels et relatent les débats institutionnels sur le plan intérieur, européen, et mondial, comme l’ont fait les journaux télévisés. Certains titres sont ainsi récurrents, tels que « Quels sont les risques encourus par le parc nucléaire français ? » (publié par France Soir, MSN Actualités, Orange Actualités, TV5 Monde et Voila Actualités le 14 mars 2011) ou encore « Les écologistes pour un référendum sur le nucléaire fran-çais », titre de TF1/LCI repris notamment par Alice Actualités (14 mars 2011) donnant suite au journal télévisé diffusé la veille à 20h sur TF1 et dont un item opposait Nathalie Kosciusko-Morizet et Noël Mamère.

En d’autres termes, les cadrages dominants dans les sites issus de médias tra-ditionnels sont très proches de ceux employés dans les journaux télévisés, là où blogs et sites natifs de l’internet interrogent de manière argumentée et critique l’énergie nucléaire, dans un parti pris souvent explicite. Si le sujet du débat est bien proportionnellement plus présent dans les journaux télévisés que sur l’internet, on voit comment les logiques professionnelles présidant au choix des cadrages dessinent une ligne de fracture entre les journaux télé-visés et les déclinaisons web de médias existants d’un côté, les blogs et les sites natifs de l’internet de l’autre. Cette ligne de fracture se situe bien dans la distance que l’on souhaite établir ou non vis-à-vis de son sujet, et des normes professionnelles d’objectivité qui imposent aux journalistes ce qu’Entman (1996) a désigné sous le nom de biais « non idéologique et non partisan ».

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CONCLUSION

La perspective retenue dans cet article a été de comparer le niveau du plu-ralisme de l’information sur le web avec celui existant sur un autre support médiatique. La télévision a été choisie parce qu’elle représente le média de masse par excellence, auquel on a coutume d’opposer un internet présenté comme décentralisé et ouvert à des modalités d’expression beaucoup plus diverses (Benkler, 2006). Et de fait, notre échantillon de près de 200 sites d’information générale et politique, composé autant de déclinaisons web de médias professionnels que de sites natifs de l’internet, blogs, portails ou agré-gateurs, a livré une information beaucoup plus variée sur le plan éditorial. Plusieurs centaines de sujets d’actualité sont abordés chaque jour sur le web, de ses parties les plus exposées (portails et agrégateurs) à celles plus confi-dentielles (blogs), tandis que seule une centaine apparaît sur les écrans des journaux télévisés de début de soirée, à l’heure de ce qui reste la grand-messe médiatique malgré une fragmentation continue de l’audience. Certes, pour une comparaison totalement équitable, il aurait été plus satisfaisant d’aller au-delà des seules chaînes historiques (en intégrant les chaînes d’information en continu notamment) et de prendre en compte l’ensemble des éditions du jour (JT de 20h comme de 13h par exemple). Dans le même esprit, afin de comparer des objets médiatiques aux formats éditoriaux proches, il aurait été instructif de mettre en regard la production des JT avec celle des sites web de chaînes de télévision, et plus généralement de systématiser l’analyse différen-ciée par catégories de sites d’actualité alors que nous ne l’avons ici qu’expé-rimentée. Ce travail pourra être réalisé dans une recherche actuellement en cours 9, et il faut donc rappeler la nature exploratoire des résultats présentés dans cet article. D’ores et déjà, ceux-ci nous fournissent une indication d’im-portance : le web et ses multiples espaces de publication semblent laisser le champ libre à une diversité d’informations sans commune mesure avec celle observable dans les journaux télévisés.

Pour autant, si l’agenda médiatique étalé sur le web est beaucoup plus large que celui condensé dans les journaux télévisés, les deux se rejoignent dans

9. Nous faisons ici allusion au projet d’Observatoire Transmedia, déjà mentionné précédem-ment. Ce nouveau projet sera beaucoup plus exhaustif dans le corpus rassemblé (davantage de chaînes de télévision, et également des stations de radio et des publications de presse impri-mée). Mais, pour traiter de si vastes jeux de données, il devra recourir à des méthodes d’indexa-tion automatisée, différentes de la classification « humaine » en sujets d’actualité opérée par les chercheurs de Ipri et les documentalistes d’Ina’stat dans le cadre du présent article.

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une focalisation conjointe sur quelques événements de grande ampleur, appré-hendés ici en tant que méta-sujets d’actualité. L’attention portée au méta-sujet Japon - Fukushima en aura fourni un bon exemple au cours de notre période d’observation, en mars 2011.Toutefois, l’étude détaillée de ce cas aura aussi montré des modalités de médiatisation assez disparates entre les journaux télévisés et les différentes catégories de sites d’actualité. Nous en avons tiré des enseignements pour une part attendus, et pour une autre part contre-intui-tifs. Premier enseignement, le plus surprenant au regard d’une idée préconçue de la répartition des rôles entre supports médiatiques, les journaux télévisés auront – proportionnellement – accordé au débat sur le nucléaire une place plus importante que celle occupée sur le web. Toutefois, ce dernier constat tend à être nuancé car les formes du débat ont été différentes. Les journaux télévisés ont principalement constitué un support de mise en scène des pri-ses de position d’acteurs (responsables politiques, associations de défense de l’environnement, industriels) qui lui sont extérieurs. À l’inverse, et il s’agit là d’un second enseignement qui corrobore davantage les thèses présentant l’internet comme un lieu favorable à la prise de parole « citoyenne » et à l’échange d’opinions en général, les sites web auront exprimé beaucoup plus directement les avis de leurs auteurs-éditeurs sur la question du nucléaire. Plus précisément, les blogs, et les sites natifs de l’internet dans une moindre mesure, seront apparus comme ces espaces où ont été publicisés des juge-ments tranchés et pleinement assumés par leurs énonciateurs. Par contraste, les infomédiaires (notamment les grands sites portails en quête de larges audiences) et les médias en ligne se seront eux déchargés du débat, se conten-tant de reprendre les propos des protagonistes et imitant en cela le mode de médiatisation des journaux télévisés 10.

Ces résultats exploratoires nous confortent dans l’idée que la comparaison des modalités de médiatisation entre télévision et internet ne peut se résumer à une conception simpliste et dichotomique, du type « Vu à la télé / débattu sur le

10. Une telle proximité dans le traitement journalistique entre JT et médias en ligne, notam-ment lorsqu’elle relie les chaînes de télévision et leurs déclinaisons sur le web, pourrait être opportunément éclairée par une prise en compte des modalités socioéconomiques de produc-tion de l’information dans les rédactions multisupports, sommées de « converger » (Gimbert, 2010 ; Goyette-Côté et al., 2012). En explorant ainsi de plus près les liens entre la polyvalence demandée aux journalistes (Bernier, 2008), les stratégies des groupes industriels de commu-nication visant à couvrir tous les supports de diffusion de l’information (George, 2007), et les conséquences attendues en termes de diversité des contenus, nul doute que l’on donnerait alors un niveau d’intelligibilité supplémentaire à l’étude du pluralisme de l’information, dans un contexte transmédiatique.

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Net ». Chacun des deux supports médiatiques ne se réduit pas à un mode de traitement de l’information. La réalité semble autrement plus complexe, ainsi qu’en témoigne l’exemple présenté dans cet article : les journaux télévisés ne se limitent pas à la mise en scène d’images spectaculaires, se faisant également supports pour le débat d’actualité, qui lui-même n’est pas l’apanage du web.

Est-ce à dire que l’internet ne présente aucune spécificité de ce point de vue ? Que, par exemple, depuis les études ayant pointé le rôle de la blogosphère en tant que lieu de discussion alternatif aux médias de masse, notamment lors du référendum sur le traité de constitution européenne en 2005 (Fouettillou, 2008), « nouveaux » et « anciens » médias se seraient désormais complète-ment rejoints ? Nous ne pensons pas non plus qu’une telle vision soit juste. Comme cela a été mis en évidence dans cet article, en observant de plus près chacun des sites d’actualité, on s’aperçoit que certains d’entre eux, et notam-ment les blogs, s’impliquent directement dans le débat là où les journaux télé-visés ne font que le mettre en scène médiatiquement.

Ceci invite à faire preuve de nuance lorsque l’on compare la télévision et le web, à appréhender les modalités de médiatisation des différents types d’acteurs éditoriaux en termes de complémentarités inclusives plutôt que de rivalités exclusives. Voilà peut-être une piste d’investigation pour de néces-saires travaux prolongeant la présente étude, pour une compréhension pleine et entière de la configuration transmédiatique contemporaine.

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