les contes du club de l'in-folio

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1 SANDY PECASTAING Les Contes du Club de l’In-Folio Le principe des Tales of the Folio Club est simple : il s’agit d’un recueil de nouvelles, de contes, à tendance parodique, satirique, dont chaque auteur est membre du Club de l’In-Folio, et dont l’organisation est la suivante : « j’imagine – écrit Poe un groupe de dix-sept per- sonnes qui se sont donné le nom du Club de l’In-Folio. Elles se réunissent une fois par se- maine pour un dîner nocturne où chaque membre lit à haute voix un conte de sa composition. Au terme de la soirée, on vote sur les mérites de chaque conte : le gagnant présidera la séance suivante, le perdant devra offrir le repas et les vins de cette même session 1 . » The Tales of the Folio Club est un livre fantôme : un projet d’écriture et d’édition de Poe formé en 1831, abandonné en 1836. C’est également un livre de fantômes : une œuvre hantée par des réminiscences littéraires. Le livre est d’abord intitulé Eleven Tales of the Ara- besque dans une lettre aux propriétaires du New England Magazine, Joseph T. et Edwin Buckingham, datée du 4 mai 1833 : I send you an original tale in hope of your accepting it for the N. E. Magazine. It is one of a number of similar pieces which I have contemplated publishing under the title of “Eleven Tales of the Arabesque”. They are supposed to be read at table by the eleven members of a literary club, and are followed by the remarks of the company upon each. These remarks are intended as a burlesque upon criticism. In the whole, originality more than any thing else has been attempted. I have said this much with a view of of- fering you the entire M.S. If you like the specimen which I have sent I will forward the rest at your sug- gestion but if you decide upon publishing all the tales, it would not be proper to print the one I now send until it can be printed in its place with the others. It is however optional with you either to accept them all, or publish “Epimanes” and reject the rest – if indeed you do not reject them altogether 2 . À travers la genèse du Club de l’In-Folio genèse pure, suspendue au temps de la genèse , nous assistons à la naissance de l’œuvre future, déjà – dès les premières années vertigineuse. Poe « [a] toujours gardé à l’esprit – selon ses propres termes l’unité qui fait le livre 3 », en répondant aux exigences d’architecture du texte, parmi lesquelles « la perfection de l’intrigue qu’il définit ainsi : quelque chose où l’on ne peut rien déplacer ni supprimer sans détruire l’ensemble – quelque chose où l’on est incapable de déterminer en aucun point si un élément de détail est déterminant ou déterminé par rapport à tout autre élément de détail 4 . » *** Très concrètement, historiquement, la genèse du recueil est difficile à établir. Combien de contes étaient écrits ou en préparation lorsque Poe adressa « Epimanes » au New England Magazine ; et lesquels ? Nous ne le savons pas avec certitude. Parallèlement à la publication des histoires soumises au concours du Philadelphia Saturday Courier, égrenée tout au long de l’année 1832, Poe envoie plusieurs manuscrits au Baltimore Saturday Visiter 5 . Pendant trois ans trois ans d’échecs résumés en quelques lignes par Claude Richard –, Poe tente de faire éditer le livre : […] en octobre 1833, la publication du volume est annoncée dans le Baltimore Saturday Visiter ; en no- vembre 1834, le manuscrit est entre les mains des grands éditeurs de Philadelphie, Carey and Lea ( Let-

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1

SANDY PECASTAING

Les Contes du Club de l’In-Folio

Le principe des Tales of the Folio Club est simple : il s’agit d’un recueil de nouvelles, de

contes, à tendance parodique, satirique, dont chaque auteur est membre du Club de l’In-Folio,

et dont l’organisation est la suivante : « j’imagine – écrit Poe – un groupe de dix-sept per-

sonnes qui se sont donné le nom du Club de l’In-Folio. Elles se réunissent une fois par se-

maine pour un dîner nocturne où chaque membre lit à haute voix un conte de sa composition.

Au terme de la soirée, on vote sur les mérites de chaque conte : le gagnant présidera la séance

suivante, le perdant devra offrir le repas et les vins de cette même session1. »

The Tales of the Folio Club est un livre fantôme : un projet d’écriture et d’édition de

Poe formé en 1831, abandonné en 1836. C’est également un livre de fantômes : une œuvre

hantée par des réminiscences littéraires. Le livre est d’abord intitulé Eleven Tales of the Ara-

besque dans une lettre aux propriétaires du New England Magazine, Joseph T. et Edwin

Buckingham, datée du 4 mai 1833 :

I send you an original tale in hope of your accepting it for the N. E. Magazine. It is one of a number of

similar pieces which I have contemplated publishing under the title of “Eleven Tales of the Arabesque”.

They are supposed to be read at table by the eleven members of a literary club, and are followed by the

remarks of the company upon each. These remarks are intended as a burlesque upon criticism. In the

whole, originality more than any thing else has been attempted. I have said this much with a view of of-

fering you the entire M.S. If you like the specimen which I have sent I will forward the rest at your sug-

gestion – but if you decide upon publishing all the tales, it would not be proper to print the one I now

send until it can be printed in its place with the others. It is however optional with you either to accept

them all, or publish “Epimanes” and reject the rest – if indeed you do not reject them altogether2.

À travers la genèse du Club de l’In-Folio – genèse pure, suspendue au temps de la genèse –,

nous assistons à la naissance de l’œuvre future, déjà – dès les premières années – vertigineuse.

Poe « [a] toujours gardé à l’esprit – selon ses propres termes – l’unité qui fait le livre3 », en

répondant aux exigences d’architecture du texte, parmi lesquelles « la perfection de l’intrigue

qu’il définit ainsi : quelque chose où l’on ne peut rien déplacer ni supprimer sans détruire

l’ensemble – quelque chose où l’on est incapable de déterminer en aucun point si un élément

de détail est déterminant ou déterminé par rapport à tout autre élément de détail4. »

***

Très concrètement, historiquement, la genèse du recueil est difficile à établir. Combien

de contes étaient écrits ou en préparation lorsque Poe adressa « Epimanes » au New England

Magazine ; et lesquels ? Nous ne le savons pas avec certitude. Parallèlement à la publication

des histoires soumises au concours du Philadelphia Saturday Courier, égrenée tout au long de

l’année 1832, Poe envoie plusieurs manuscrits au Baltimore Saturday Visiter5. Pendant trois

ans – trois ans d’échecs résumés en quelques lignes par Claude Richard –, Poe tente de faire

éditer le livre :

[…] en octobre 1833, la publication du volume est annoncée dans le Baltimore Saturday Visiter ; en no-

vembre 1834, le manuscrit est entre les mains des grands éditeurs de Philadelphie, Carey and Lea (Let-

2

ters, t. I, p. 54) ; White le propriétaire duSouthern Literary Messenger, envisage de les publier en sep-

tembre 1835 (Letters, t. I, p. 74) ; enfin après tous ces échecs, Poe offre son manuscrit à l’éditeur Harri-

son Hall, le 2 septembre 1836 : « À différentes époques, un certain nombre de contes – dix-sept en tout

[en réalité, quatorze seulement avaient été publiés à cette date]6 – tous de ma main, ont paru dans

le Messenger. Leur ton est celui de la bizarrerie et ils présentent dans l’ensemble, quelque fantaisie : à

l’origine, ils furent écrits pour illustrer un ouvrage d’importance « Sur les facultés imaginatives ». (Let-

ters, t. I, p. 103-104)7.

Au fil du temps, Poe augmente le corpus du recueil (onze nouvelles en 1833, seize en 1835,

dix-sept en 1836). Il modifie en 1833 le nom de l’ouvrage proposé plus tôt à Thomas T. et

Edwin Buckingham en adressant six contes au Baltimore Saturday Visiter,sous le titre géné-

ral :The Tales of The Folio Club. Le projet de livre « Sur les facultés imaginatives » est –

« presque certainement », écrit Alexander Hammond – une « création du moment ». Laquelle

place les contes dans « une perspective particulièrement féconde » – note le critique –, en in-

vitant le lecteur à découvrir dans l’œuvre en attente de publication « une anatomie satirique de

la fiction contemporaine8 ». Toujours dans la lettre à Harrison Hall, Poe fixe l’étendue des

comptes rendus inédits à un quart de l’ouvrage, et établit le volume à trois cents pages envi-

ron. Là encore, il s’agit vraisemblablement d’une improvisation, suggère Thomas

O. Mabbott9. Le plan de la « réédition nouvelle » renvoie au prologue du recueil, dont la date

de composition – estime Claude Richard – est antérieure à la lettre adressée au New England

Magazine : « [le manuscrit] est en effet lié aux cinq contes publiés en 1832 dans The Phila-

delphia Saturday Courier, auxquels ils devaient servir de préface10. » À l’intention d’Harrison

Hall, Poe ajoute :

The author of the tale adjudged to be the worst demurs from the general judgment, seizes the seventeen

M.S.S. upon the table, and, rushing from the house, determines to appeal, by printing the whole, from

the decision of the Club, to that of the public11

.

Retenons bien le procédé auquel Poe a recours, le rôle attribué au narrateur du prologue ; car

la mise en librairie des contes du Club annonce The Narrative of Arthur Gordon Pym. À peine

revenu aux États-Unis, Pym entreprend la rédaction de ses aventures maritimes avec la colla-

boration d’un écrivain, dont « plusieurs gentlemen de Richmond (Virginie)12 » lui ont soufflé

le nom : « Mr. Poe ». Dès 1832, donc, en produisant un effet de réel historique, Poe brouille

les limites entre la réalité et la fiction, exploite les zones de l’intertextualité en faisant du livre

un lieu de références multiples, innombrables, parmi lesquelles le livre lui-même, devenu là,

entre les mains du lecteur, le point d’ancrage et de fuite du réel. Le narrateur du prologue –

comme Arthur Gordon Pym en 1838 – invente un lecteur habitant le monde fictif des

membres du Folio Club, dont voici les portraits :

There was, first of all, Mr. Snap, the President, who is a very lank man with a hawk nose, and was for-

merly in the service of the Down-East Review.

Then there was Mr. Convolvulus Gondola, a young gentleman who had travelled a good deal.

Then there was De Rerum Natura, Esqr., who wore a very singular pair of green spectacles.

Then there was a very little man in a black coat with very black eyes.

Then there was Mr. Solomon Seadrift who had every appearance of a fish.

Then there was Mr. Horribile Dictu, with white eyelashes, who had graduated at Gottingen.

3

Then there was Mr. Blackwood Blackwood who had written certain articles for foreign Magazines.

Then there was the host, Mr. Rouge-et-Noir, who admired Lady Morgan.

Then there was a stout gentleman who admired Sir Walter Scott.

Then there was Chronologos Chronology who admired Horace Smith, and had a very big nose which

had been in Asia Minor13

.

À une exception : De Rerum Natura, le Diable, tous représentent l’équivalent parodique d’un

ou plusieurs écrivains.

Dans « A Reconstruction of Poe’s 1833 Tales of the Folio Club, Preliminary Notes »

(1972), Alexander Hammond identifie les auteurs dont les membres de l’association sont cha-

cun la caricature :

1. Mr. Snap [John Neal], “Raising the Wind”

2. Mr. Convolvulus Gondola [Thomas Moore], “The Visionary”

3. De Rerum Natura [Le Diable], « Bon-Bon »

4. « A very little man in a black coat with very black eyes » [Edgar Poe], « Siope »

5. Mr. Solomon Seadrift [Adam Seaborn / John Cleves Symmes (?)], « MS. Found in a Bottle »

6. Mr. Horribile Dictu [les auteurs de la littérature gothique germanique], « Metzengerstein ».

7. Mr. Blackwood Blackwood [William Maginn], « A Decided Loss (1832) » / « Loss of Breath »

(1835) / (1845)

8. Mr. Rouge-et-Noir [Nathaniel Parker Willis], « The Duc de l’Omelette »

9. « A stout gentleman who admired Sir Walter Scott » [Washington Irving], « King Pest the First ».

10. Chronologos Chronology [Mordecai M. Noah], « Epimanes »

11. « The newest Folio Club member who narrates the prologue » [Benjamin Disraeli], « Lionizing »14

.

Poe figure parmi les membres du club. Le Club de l’In-Folio fait donc signe encore une fois

vers The Narrative of Arthur Gordon Pym. Là aussi, nous rencontrons un « être de papier »

représentant trait pour trait l’écrivain américain : « Mr. Poe ». Même – encore et toujours – à

l’état d’ébauche, le livre fantôme de Poe contient un ordre de lecture applicable à l’œuvre à

venir : aux contes, poèmes, essais, articles, qui forment l’intégralité de la production littéraire

du Bostonien15. Il donne forme au « paradigme “auteur-texte-critique” » – souligne Alexander

Hammond –, « central »16 dans les grandes fictions de l’écrivain. The Narrative of Arthur

Gordon Pym est donc un exemple parmi d’autres des textes de Poe dont les contes du Club de

l’In-Folio annonce l’écriture. De même, nombreuses sont les références et allusions littéraires

égrenées tout au long des contes.

Dans « A Reconstruction of Poe’s 1833 Tales of the Folio Club, Preliminary Notes »

(1972), « Further Notes on Poe’s Folio Club Tales » (1975) et « Edgar Allan Poe’s Tales of

the Folio Club : The Evolution of a Lost Book » (1977), Alexander Hammond met en lumière

la complexité narrative du projet du « jeune gentleman de Richmond », dont il fixe le temps

de la genèse à 1831. Il montre le phénomène de confluence des sources, la superposition des

modèles du Club – dont beaucoup sont encore des objets d’hypothèse – parmi lesquels Le

Banquet de Platon, le Décaméron de Boccace, Tales of a Traveller de Washington Irving

(Contes d’un voyageur), On Murder Considered as One of the Fine Arts de Thomas De

Quincey (De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts) ; et ajoute aux références litté-

raires l’exemple des clubs américains en exploitant l’une des découvertes de John C. French :

4

John C. French [« Poe’s Literary Baltimore », Maryland Historical Magazine, 32 (1937), 101-112]

notes the striking similarities between this club [the Folio Club] and the Delphian Club, a Baltimore lit-

erary group founded in 1816 and probably still meeting at the home of William Gwynn during Poe’s

years in that city. An examination of the Delphian Club minutes in the Maryland Historical Society

convinces me that Poe had access to them, probably through his acquaintance with Gwynn, a Baltimore

editor and lawyer who knew Poe’s father, employed one of his cousins, and aided the young author dur-

ing his efforts to publish “Al Aaraaf” [see Floyd Stovall, Edgar Poe the Poet (Charlottesville : Univ.

Press of Virginia, 1969), pp. 3334]. The Delphians were, I think, an immediate but ultimately minor

target for Poe’s satire in this collection17

.

L’édition critique des contes de Poe établie par Thomas O. Mabbott renvoie également à

l’article de John C. French :

The imaginary club was modeled, as Dr. John C. French pointed out (Maryland Historical Magazine,

June 1937), on two actual organizations of which Poe must have known. There had been a literary

group in Annapolis in the eighteenth century called The Tuesday Club – and Poe’s club met on Tues-

day. There was from 1816 to 1825 (and perhaps later) a Delphian Club, to which John Neal and Poe’s

acquaintance William Gwynn belonged. Its members adopted odd pseudonyms; Neal used his when he

published his poem The Battle of Niagara in 1818 as by Jehu O’Cataract18

.

La présence de John Neal parmi les membres du Delphian Club est un élément supplémen-

taire en faveur des conclusions de John C. French, Mr. Snap étant la caricature de l’écrivain

(conformément à la démonstration de Claude Richard, à laquelle Alexander Hammond sous-

crit sans réserve). Mentionnons également Die Serapionsbrüder (Les Frères de Saint-

Sérapion) (1819-1821), à l’origine – écrit Palmer Cobb – de « l’idée du Folio

Club ».19 Affirmation encore prématurée. Voire tout à fait erronée20. Mais la référence fait au

moins acte de comparaison. Elle place Hoffmann et Poe sur la scène intertextuelle, où l’œuvre

de l’écrivain germanique nourrit à distance la confusion entre la réalité et la fiction des contes

du Club de l’In-Folio.

Intitulé du nom du cercle formé par Hoffmann et plusieurs de ses amis en 181821, Die

Serapionsbrüder adapte en mode de narration les rencontres du groupe. À la manière des

premiers frères Sérapion, les seconds – note Champfleury – sont

une association de poètes, de musiciens et de peintres qui passent leurs soirées à des causeries artis-

tiques […]. Les conversations, entre lesquelles sont intercalés les contes, a dit un des derniers traduc-

teurs, ne sont point dépourvues de traits spirituels et d’aperçus ingénieux ; mais on y trouve d’insipides

longueurs, capables de rebuter même les flegmatiques compatriotes de l’auteur, et, à plus forte raison,

un lecteur français. C’est ce qui les a fait avec raison supprimer par les traducteurs de toutes les nations.

Les traducteurs de toutes les nations rendraient plus de services en dormant tout le jour qu’en

traduisant de la sorte22

.

L’organisation du recueil (alternance de contes et de commentaires critiques), déter-

minée chez Hoffmann et Poe par une même situation narrative (la réunion d’un groupe d’amis

au cours de laquelle chacun raconte une histoire, qui fait ensuite l’objet d’un débat) n’est donc

pas le seul point commun aux deux livres. L’un et l’autre représentent au XIXe siècle un défi

5

au monde de l’édition. En mars 1836, les éditeurs Harper & Brothers refusent de publier le

manuscrit de Poe, non conforme au standard des livres à succès.

Le choix des « traducteurs de toutes les nations » consistant à élaguer le recueil

d’Hoffmann des « conversations » autour des contes, les conseils de Paulding à l’intention de

Poe, appelant à séduire un large lectorat en évitant toute forme d’élitisme, l’objection à la pu-

blication des frères Harper guidée par l’impératif de vendre à un large public, non à quelques

Américains à peine, disent les difficultés d’existence d’une œuvre littéraire exigeante dans

l’espace public. En composant les contes du Club de l’In-Folio, Poe étend l’exercice littéraire

au-delà des limites de la caricature. Il saisit la possibilité de produire à l’endroit de la fiction

une critique du langage, de la littérature, de la poésie. Il pose la question de l’être. S’il y a du

langage, il y a de l’être, l’être du langage d’abord, un ou plusieurs êtres de langage.

Le langage comme chose et être, nous le trouvons presque partout chez Poe : dans le

mot, image ou son vide, qui se remplit de sens, progressivement, à force de rêverie prolon-

gée : c’est le cri du corbeau – les cinq lettres rouges dans le billet d’Auguste à Arthur Gordon

Pym, blood, à l’origine de terreurs dans l’esprit du héros et qui, pourtant, fonctionne à la ma-

nière d’une tautologie : Auguste a écrit la lettre avec son sang, voilà tout le sens du mot, le

mot se désigne lui-même, il dit la matière de la lettre, l’encre du corps – le nom de Morella,

murmuré par « les vents du firmament » et « le clapotement de la mer »23, mêlé à la musique

du monde, « the music of things »24, trois syllabes devenues le refrain de la nature, soufflé en-

core et encore aux oreilles du narrateur après la mort de l’héroïne – le mot mort, sans l’idée,

litanie d’Egaeus longtemps, longtemps répétée dans la bibliothèque – le paragraphe en x où la

consonne en forme de croix est substituée à la voyelle o, courbe fermée sur elle-même. Pour-

quoi tant de x d’ailleurs ? La réponse est simple. En réaction à un billet de Mr. Touch-and-go

Bullet-head, John Smith, éditeur depuis longtemps de la gazette locale, lance un défi entre les

lignes : publier un article sans o25 – proposition dont l’intéressé comprend très vite qu’il ne

peut pas l’accepter sans déshonneur :

He, Bullet-head, would make no alteration in his style, to suit the caprices of any Mr. Smith in Chris-

tendom. Perish so vile a thought ! The O forever ! He would persist in the O. He would be as O-wy as

O-wy could be26.

Voilà la raison pour laquelle il compose un paragraphe en o, malheureusement converti en pa-

ragraphe en x par Bob, l’apprenti du magazine, obligé d’employer un substitut à la lettre man-

quante, mystérieusement disparue des cases de l’imprimerie :

Sx hx, Jxhn! hxw nxw? Txld yxu sx, yxu knxw. Dxn’t crxw, anxther time, befxre yxu’re xut xf the

wxxds! Dxes yxur mxther knxw yxu’re xut? Xh, nx, nx! sx gx hxme at xnce, nxw, Jxhn, tx yxur xdixus

xld wxxds xf Cxncxrd! Gx hxme tx yxur wxxds, xld xwl, – gx! Yxu wxnt? Xh, pxh, pxh, Jxhn, dxn’t dx

sx! Yxu’ve gxt tx gx, yxu knxw! sx gx at xnce and dxn’t gx slxw; fxr nxbxdy xwns yxu here, yxu knxw.

Xh, Jxhn, Jxhn, if yxu dxn’tgx yxu’re nx hxmx – nx! Yxu’re xnly a fxwl, an xwl; a cxw, a sxw; a dxll, a

Pxll; a pxxr xld gxxd-fxr-nxthing-tx-nxbxdy lxg, dxg, hxg, xr frxg, cxme xut xf a Cxncxrd bxg. Cxxl,

nxw – cxxl! Dx be cxxl, yxu fxxl! Nxne xf yxur crxwing, xld cxck! Dxn’t frxwn sx – dxn’t! Dxn’t

hxllx, nxr hxwl, nxr grxwl, nxr bxw-wxw-wxw! Gxxd Lxrd, Jxhn, hxw yxu dx lxxk! Txld yxu sx, yxu

knxw, but stxp rxlling yxur gxxse xf an xld pxll abxut sx, and gx and drxwn yxur sxrrxws in a bxwl27

!

6

Tel quel, le paragraphe est un exemple d’écriture figée en écriture, opposée au passage

du texte encré à l’oralité. De quoi la lettre x est ici le symbole, nous le savons ; n’importe quel

lecteur – hormis le mathématicien de la ville – est capable de résoudre l’énigme en une se-

conde, dès les premiers mots. Mais de quoi la voyelle o est-elle l’image ? Cela, nous

l’ignorons. Face à quelle image sommes-nous ? Une forme pleine et liée ou vide ? Dans « X-

ing a Paragrab », « l’accumulation de jeux de mots – écrit Claude Richard –, de sous-

entendus, le mélange d’argot et de style héroï-comique traduisent l’envie de détruire le lan-

gage, de le torturer, le déformer, comme pour le punir, lorsqu’il échappe à la sublimation poé-

tique, de ses mensonges, de ses prétentions et de l’accuser, en le clouant au pilori, d’être creux

comme un O »28. Ne sachant pas si la lettre o représente une forme pleine ou vide, nous

sommes dès lors dans l’impossibilité de dire si la substitution opérée par Bob a lieu entre des

contraires seulement et/ou des mêmes, autrement dit : si – au milieu des dichotomies voyelle /

consonne, courbe / ligne, etc. – il n’existe pas également un rapport d’identité entre les deux

lettres. Voici au moins une évidence : l’une et l’autre trouent le texte, l’une : visuellement (o),

l’autre : sémantiquement (x).

***

Ainsi, le projet de volume des Tales of the Folio Club annonce plusieurs des grandes

obsessions de Poe : le souci d’organiser les contes en recueil d’une manière intelligente et co-

hérente, de créer « l’unité du livre » en exploitant au fil des textes différents tons et genres,

autrement dit : la volonté de produire une homogénéité hétérogène, de composer une œuvre

kaléidoscopique ; il souligne également en caractères gras la mise en pointillés des limites

entre la réalité et la fiction grâce à un jeu d’allusions et de références subtiles ; la plasticité de

la langue, matière spirituelle, vivante, corps d’encre noire. Dès 1832, Poe est un génie – un

génie en devenir, un génie tout de même – dont le fantôme de l’œuvre future, interrompue à la

mort de l’auteur, plane au-dessus des contes du Club de l’In-Folio.

NOTES

1 Edgar Allan Poe, Contes, essais, poèmes, édition établie par Claude Richard, Paris, Robert

Laffont, « Bouquins », 1995, p. 1286. Tr. de Claude Richard. Désormais, nous utiliserons

l’abréviation CEP suivie du numéro de la page.

2 Id., Lettre à Joseph T & Edwin Buckingham, Baltimore, 4 mai [1832],

URL :http://www.eapoe.org/works/letters/p3305040.htm, consulté le 21 octobre 2013. Tr. :

« Je vous envoie un conte original dans l’espoir que vous l’acceptiez au N.E. Magazine. Il fait

partie d’un certain nombre de pièces similaires que j’ai envisagé de publier sous le titre :

“Onze contes arabesques”. Ils sont censés être lus à table par les onze membres d’un club lit-

téraire, et sont suivis par les remarques du groupe sur chacun d’eux. Celles-ci se veulent être

une parodie sur la critique. Dans l’ensemble, l’originalité plus que toute autre chose a été re-

cherchée. Je dis cela en vue de vous proposer le manuscrit dans son intégralité. Si vous aimez

l’échantillon que je vous ai envoyé, je vous transmettrai le reste selon votre souhait – mais si

vous décidez de publier tous les contes, il ne serait pas bon d’imprimer celui que je vous

adresse maintenant autrement qu’à sa place, avec les autres. Il vous revient toutefois, soit de

les accepter tous, soit de publier « Epimanes » et de rejeter le reste – si tant est que vous ne les

rejetiez pas tous. » Tr. de Sandy Pecastaing, revue et corrigée par Vivien Cosculluela.

7

3 Id., Lettre à Philip P. Cooke, New York, 9 août 1846, « Trois lettres inédites », traduit de

l’anglais par Henri Justin, EUROPE, revue littéraire mensuelle, « Edgar Poe », n° 868-869,

août 2001, p. 15.

4 Citation extraite d’un compte-rendu anonyme des contes de Poe, attribué à l’auteur lui-

même. CEP, p. 1395.

5 Manuscrits auxquels une note éditoriale – dont Lambert A. Wilmer est peut-être l’auteur,

selon Mabbott – fait allusion : « Mr. Edgar A. Poe has favoured us with the perusal of some

manuscripts tales written by him. If we were merely to say that we have read them, it would

be a compliment, for manuscript of this kind are very seldom read by anyone but the author.

But we may further say that we have read these tales every syllable, with the greatest pleas-

ure, and for originality, richness of imagery and purity of the style, few American authors in

our opinion have produced anything superior. With Mr. Poe’s permission we may hereafter

lay one or two of the tales before the readers. » Tales & Sketches, volume 1 : 1831-1842,

Thomas Olive Mabbott (éd.), Urbana & Chicago, University of Illinois Press, 2000, p. 13-14.

Désormais, nous utiliserons l’abréviation Mabbott suivie du numéro de la page. Tr :

« M. Edgar A. Poe nous a fait la faveur de nous donner à lire le manuscrit de plusieurs de ses

contes. Si nous avions simplement à dire que nous les avons lus, ce serait un compliment, car

des manuscrits de ce genre sont très rarement lus par quiconque, sinon l’auteur. Mais nous

pouvons dire davantage : nous avons lu ces contes, syllabe après syllabe, avec le plus grand

plaisir, en raison de leur originalité, de la richesse des images et de la pureté du style, peu

d’auteurs américains ont produit à notre avis quelque chose de supérieur. Avec la permission

de M. Poe, nous pouvons offrir un ou deux de ces contes aux lecteurs. » Tr. de Sandy Pecas-

taing, revue et corrigée par Vivien Cosculluela.

6 Remarque de Claude Richard.

7 CEP, p. 1285-1286.

8 Alexander Hammond, « Further Notes on Poe’s Folio Club Tales », Poe Studies, December

1975, vol. VIII, no. 2, p. 41.

9 Cf. Mabbott, p. 202.

10 CEP, p. 1285.

11 Edgar Allan Poe, Lettre à Harrison Hall, Richmond, 2 septembre 1836,

URL :http://www.eapoe.org/works/letters/p3609021.htm, consulté le 21 octobre 2013. Tr. :

« L’auteur du conte jugé le pire de tous fait objection au jugement général, saisit les dix-sept

manuscrits sur la table, et, se précipitant hors de la maison, décide de faire appel, en impri-

mant la totalité, de la décision du Club, à celle du public. » Nous traduisons.

12 Id., Les Aventures d’Arthur Gordon Pym, CEP, p. 205. Tr. de Baudelaire.

13 « The Folio Club », Mabbott, p. 205. Tr. : « Tout d’abord, il y avait M. Vadelavant, le pré-

sident, un homme efflanqué avec un nez d’oiseau de proie. Il avait travaillé, jadis, pour la Re-

vue du Maine. / Ensuite, il y avait M. Convolvulus Gondola, jeune homme de bonne famille

qui avait beaucoup voyagé. / Ensuite il y avait M. De Rerum Natura ; il portait une paire de

lunettes vertes très singulières. / Ensuite il y avait un tout petit homme aux yeux très noirs qui

8

portait une redingote noire. / Ensuite il y avait M. Salomon Aladérive qui ressemblait trait

pour trait à un poisson. / Ensuite il y avait M. Horribile Dictu. Ses cils étaient blancs et il était

diplômé de l’université de Göttingen. / Ensuite il y avait M. Blackwood Blackwood qui avait

écrit quelques articles pour des magazines étrangers. / Ensuite il y avait l’hôte, M. Rouge-et-

Noir qui admirait Lady Morgan. / Ensuite il y avait un gros monsieur qui admirait Walter

Scott. / Ensuite il y avait Chronologos Chronologie qui admirait Horace Smith, et dont le très

gros nez s’était rendu en Asie Mineure ». CEP, p. 74-75. Tr. de Claude Richard et Jean-Marie

Maguin.

14 Alexander Hammond, « A Reconstruction of Poe’s 1833 Tales of the Folio Club, Prelimi-

nary Notes », Poe Studies, vol. V, no. 2, December 1972.

15 Pseudonyme sous lequel Poe a publié son premier recueil de poèmes, en 1827.

16 Alexander Hammond , « Further Notes on Poe’s Folio Club Tales », art. cit., p. 42

17Id., « A Reconstruction of Poe’s 1833 Tales of the Folio Club, Preliminary Notes », art. cit.,

p. 25. Tr. : « John C. French [« Poe’s Literary Baltimore », Maryland Historical Magazine, 32

(1937), 101-112] note des similitudes frappantes entre ce club [Le Folio Club] et le Club de

Delphes, un groupe littéraire de Baltimore fondé en 1816, qui se réunissait probablement à la

résidence de William Gwynn au cours des années de Poe dans cette ville. Un examen des

comptes-rendus du Club de Delphes dans le Maryland Historical Society m’a convaincu que

Poe y avait eu accès, sans doute grâce ses relations avec Gwynn, un éditeur et avocat de Bal-

timore qui connaissait le père de Poe. Il employa un de ses cousins, et aida le jeune auteur

alors qu’il tentait de faire publier « Al Aaraaf » [voir Floyd Stovall, Edgar Poe the Poet (Char-

lottesville, Univ. Press of Virginia, 1969), pp. 3334]. Les Delphiens étaient, je crois, une cible

directe mais en fin de compte mineure pour la satire de Poe dans ce recueil. » Nous tradui-

sons.

18 Mabbott, p. 201. Tr. : « Le club imaginaire a été conçu, comme l’a remarqué Dr. John C.

French (Maryland Historical Magazine, Juin 1937), à partir des modèles de deux associations

réelles dont Poe devait avoir connaissance. Il y avait un groupe littéraire à Annapolis au xviiie

siècle appelé le Club du mardi – et le club de Poe se réunit le mardi. De 1816 à 1825 (et peut-

être plus tard), existait un Club de Delphes dont faisait partie une connaissance de John Neal

et de Poe, William Gwynn. Ses membres adoptaient des pseudonymes bizarres. Neal eut re-

cours au sien lorsqu’il publia son poème “La Bataille de Niagara” sous le nom de Jéhu

O’Cataracte. » Nous traduisons.

19 Palmer Cobb, The Influence of E. T. A. Hoffmann on the Tales of Edgar Allan Poe, Ayer

Publishing, 1908, p. 50.

20 C’est notamment la conclusion de Roger Forclaz. Cf. Le Monde d’Edgar Poe, thèse pré-

sentée à la Faculté des lettres de l’Université de Lausanne pour obtenir le grade de docteur ès

lettres, Berne, Herbert Lang, Francfort/M, Peter Lang, 1974, p. 93.

21 Et ce, après un premier groupe formé quatre ans plus tôt, et baptisé les Frères Séraphin.

22 Contes posthumes d’Hoffmann, traduits par Champfleury, Paris, Michel Lévy, Frères édi-

teurs, 1856, p. 19.

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23 CEP, p. 145. Tr. de Baudelaire.

24 « Al Aaraaf », CTP, p. 1001. Tr. de Claude Richard et Jean-Marie Maguin : « la musique

des choses ». CEP, p. 1227.

25 « We quote from “The Tea-Pot” of yesterday the subjoined paragraph : – “Oh, yes! Oh, we

perceive! Oh, no doubt! Oh, my! Oh, goodness! Oh, tempora! Oh, Moses!” Why, the fellow is

all O! That accounts for his reasoning in a circle, and explains why there is neither beginning

nor end to him, nor to anything that he says. We really do not believe the vagabond can write

a word that hasn’t an O in it. Wonder if this O-ing is a habit of his? By-the-by, he came away

from Down-East in a great hurry. Wonder if he O’s as much there as he does here? ‘O! it is

pitiful.’ » CTP, p. 362. Tr. de Claude Richard et Jean-Marie Maguin : « Nous citons le para-

graphe, ci-dessous, de la Théière d’hier : “Oh ! oui ! oh ! nous voyons bien ! oh ! nul doute !

oh ! bonté divine ! oh ! Tempora ! Oh Moses !” Mais l’homme n’est qu’O ! Ceci explique

qu’il raisonne en rond et fait comprendre qu’il n’a ni queue ni tête, ni lui, ni ses discours. En

vérité nous ne croyons pas que le vaurien puisse écrire un mot qui ne contienne pas un O.

Tous ces O lui seraient-ils habituels ? À propos, il est venu des contrées du Maine en grande

hâte. Aurait-il fait O là-bas autant qu’ici ? “Oh ! quelle tristesse !” ». CEP, p. 943.

26 CTP, p. 362. Tr. de Claude Richard et Jean-Marie Maguin : « Lui, Bullet-Head, ne change-

rait son style en rien pour flatter les caprices de n’importe quel Smith de la chrétienté. Fi de

pensées aussi basses ! Longue vie au O ! Il persévérerait dans le O. Il serait aussi plein d’O

qu’il est concevable de l’être. » CEP, p. 944.

27 CTP, p. 365. Tr. de Claude Richard et Jean-Marie Maguin : « Hx ! Hx ! Jxhn ! alxrs ! alxrs

? Pas ballxt mxn grxs. Pas de cxcxricx la prxchaine fwis, avant l’xrée de la fxrêt. Vxtre

nxunxo est au cxurant de ce cxngé ? xh !nxn ! nxn ! –alxrs, vxlez au fxyer, prestx, Jxhn, à vxs

xdieuses fxrêts mxisies de Cxncxord ! Vxlez au fxyer, chxouette xbsxlète, vxlez ! Nxn ? Xh!

Hxnte à txi, hxlà, hx! Allxns, au trxt, mxn grxs! Allxns, xbéissez, illicx, allxns, filxchez;xn ne

vxus accrxche pxint ici, mxn grxs. Xh! Jxhn! Jxhn, si vxus flanxchez, pxint n’êtes hxmx nxn!

Allxns dxnc, vxlaille,, hbxu, bxvin, pxrc; pxupée, cabxche, p^xvre zérx hxrs de mxde, sxli-

veau, chixt, cxchxn xu grxnxuille sxrti du marigxt de cxncxrd. Txut dxux, txut dxux! Txut

dxux, sxt, txut dxux. Fxin de vxs cxcxricxs, cxq rxcxcx! Fxin de renfrxgne! Ni rxgne, ni

grxgne xu bsugsnne! Miséricxrds! Jxhn quelle hxrrible trxgne! Pax ballxt mxn grxs, ne hxche

plus ta cabxche d’xie démxdée, nxn, ne la hxche plus, allxns, filxche, et nxie tes sanglxts da,s

un bxl d’alcxxl. » CEP, p. 946.

28 CEP, p. 1444.

RÉSUMÉ

The Tales of the Folio Club est un livre fantôme : un projet d’écriture et d’édition de Poe for-

mé en 1831, abandonné en 1836. C’est également un livre de fantômes : une œuvre hantée par

des réminiscences littéraires. Dans « A Reconstruction of Poe’s 1833Tales of the Folio Club,

Preliminary Notes » (1972), « Further Notes on Poe’s Folio Club Tales » (1975) et « Edgar

Allan Poe’s Tales of the Folio Club : The Evolution of a Lost Book » (1977), Alexander

Hammond montre le phénomène de confluence des sources, la superposition des modèles du

Club – dont beaucoup sont encore des objets d’hypothèse : Le Banquet de Platon,

le Décaméron de Boccace, Tales of a Traveller de Washington Irving (Contes d’un voya-

geur), On Murder Considered as One of the Fine Arts de Thomas De Quincey (De

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l’assassinat considéré comme un des beaux-arts) ; et ajoute aux références littéraires

l’exemple des clubs américains. À l’exception de De Rerum Natura, incarnation du Diable,

chacun des membres du Club est la caricature d’un ou plusieurs écrivains, parmi lesquels Poe

lui-même... Le livre – encore et toujours à l’état d’ébauche donc – donne forme au « para-

digme “auteur-texte-critique” » – souligne Alexander Hammond –, « central » dans les

grandes fictions de l’écrivain. Toute l’œuvre de Poe est incomplète, si on ne lit pas l’ensemble

des contes de l’auteur américain à la lumière des Tales of the Folio Club. À travers la genèse

du Folio Club – genèse pure, suspendue au temps de la genèse –, nous assistons à la naissance

de l’œuvre future, déjà, dès les premières années, vertigineuse.