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LES ADJECTIFS FRANÇAIS ET L'OPPOSITION ASPECTUELLE STATIF VS DYNAMIQUE Pauline Haas et Fayssal Tayalati De Boeck Supérieur | Travaux de linguistique 2008/1 - n° 56 pages 47 à 67 ISSN 0082-6049 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-travaux-de-linguistique-2008-1-page-47.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Haas Pauline et Tayalati Fayssal,« Les adjectifs français et l'opposition aspectuelle statif vs dynamique », Travaux de linguistique, 2008/1 n° 56, p. 47-67. DOI : 10.3917/tl.056.0047 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 82.227.188.49 - 01/04/2015 20h19. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 82.227.188.49 - 01/04/2015 20h19. © De Boeck Supérieur

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LES ADJECTIFS FRANÇAIS ET L'OPPOSITION ASPECTUELLE STATIFVS DYNAMIQUE Pauline Haas et Fayssal Tayalati De Boeck Supérieur | Travaux de linguistique 2008/1 - n° 56pages 47 à 67

ISSN 0082-6049

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-travaux-de-linguistique-2008-1-page-47.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Haas Pauline et Tayalati Fayssal,« Les adjectifs français et l'opposition aspectuelle statif vs dynamique »,

Travaux de linguistique, 2008/1 n° 56, p. 47-67. DOI : 10.3917/tl.056.0047

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LES ADJECTIFS FRANÇAIS ET L’OPPOSITION ASPECTUELLE STATIF VS DYNAMIQUE *

Pauline HAAS** Fayssal TAYALATI**

Introduction

D’un survol rapide de la littérature sur la notion d’aspect en français sedégage le constat suivant : la distinction aspectuelle majeure statif vs dy-namique, opérant dans les domaines verbal et nominal, ne semble pas seretrouver dans le domaine adjectival. Cependant, de nombreux faits lin-guistiques que nous exposons dans cet article montrent que la classe desadjectifs en français n’est pas homogène du point de vue du trait [statif /dynamique] et tendent vers la conclusion que les adjectifs sont au moinsde deux types : d’une part, les adjectifs qui dénotent des situations stativescomme inquiet, petit, beau, manchot, etc., appelés « adjectifs statifs » et,d’autre part, les adjectifs qui dénotent des situations dynamiques, c’est-à-diredes comportements impliquant un agent, comme gentil, méchant, infidèle,malhonnête, etc., appelés désormais « adjectifs dynamiques » 1. Cette dis-tinction est corrélée à une autre, largement reconnue dans le domaine adjec-tival, qui est l’opposition entre les adjectifs qui ont un sujet agentif et ceuxdont le sujet est non agentif.

Après un bref rappel des grandes distinctions aspectuelles relevéesdans le domaine verbal, nous donnerons dans la première partie de cet ar-ticle un ensemble de tests linguistiques, initialement proposés pour les ver-bes, qui mettent en évidence la dynamicité de certains adjectifs du français.La deuxième partie de l’article rassemble d’autres arguments qui montrentque l’opposition statif vs dynamique est corrélée à celle de l’agentivité (ounon) du sujet des adjectifs : le sujet des adjectifs statifs est non agentif con-trairement à celui des adjectifs dynamiques. La troisième partie de l’article

* Nous tenons à remercier les relecteurs de Travaux de linguistique pour leurs remar-ques et conseils qui ont contribué à l’amélioration de cet article.

** UMR 8163 « STL » & Université de Lille 3.

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montre que les adjectifs dynamiques peuvent perdre leur dynamicité et dé-noter alors des qualités ou des propriétés. Nous montrerons comment cechangement aspectuel s’effectue et expliquerons pourquoi nous pensonsque ce changement va de la dynamicité à la stativité et non l’inverse.

1. La dynamicité dans le domaine adjectival

1.1. Etat des lieux

L’aspect en français a surtout été étudié pour les verbes et la plupart desauteurs adoptent une classification quadripartite ou tripartite des types deverbes. La classification quadripartite la plus connue est celle de Vendler(1967) :

Les verbes d’état : aimer, craindre, détester, plaire, posséder, vouloir ;

Les verbes d’activité : caresser, chercher, conduire, frapper, pousser, sepromener ;

Les verbes d’accomplissement : arranger, accoucher, traverser ;

Les verbes d’achèvement : arriver, attraper, découvrir, exploser, trouver,se réveiller.

Les verbes d’état, contrairement aux trois autres types de verbes signalés parVendler, n’impliquent pas de changement, c’est-à-dire que leurs différentesphases sont identiques entre elles (cf. Comrie, 1976 : 49), alors que les verbesd’activité, d’accomplissement et d’achèvement impliquent un changementqui peut s’étendre dans le temps (cas des verbes d’activité et d’accomplisse-ment) ou être momentané (cas des verbes d’achèvement).

Les classifications tripartites (Mourelatos, 1978, entre autres), quantà elles, opposent les états, les événements et les procès. Là encore, les états,d’une part, et les procès et événements, d’autre part, s’opposent en ce que lespremiers sont statifs (absence de changement), alors que les seconds sont dy-namiques (changement). On voit donc que, quelle que soit la classificationchoisie, l’opposition aspectuelle statif vs dynamique occupe le premier plandes analyses portant sur les verbes 2. Cependant, lorsqu’on passe au domaineadjectival, cette distinction est laissée de côté au profit d’autres, notam-ment l’opposition entre permanent vs transitoire 3 (cf. Olsson, 1976 ; Riegel,1985 ; Borillo, 1998, entre autres). L’opposition statif vs dynamique est, soitpassée sous silence comme si elle n’était pas pertinente dans le domaine ad-jectival, soit évoquée pour être niée, comme le fait Riegel (1985 : 65-68), quisoutient que tous les adjectifs sont statifs. Pourtant, l’application aux adjec-tifs de plusieurs tests empruntés au domaine verbal montre que les adjectifssont concernés par la notion de dynamicité.

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1.2. Tests de la dynamicité

1.2.1. Se passer

On considère habituellement qu’une expression qui ne se combine pas avecse passer est stative (cf. De Miguel, 1999). L’intuition sémantique qui sous-tend ce test est que seules les situations qui sont en rapport avec une progres-sion peuvent « se passer ». Les expressions statives, parce que leurs différen-tes phases sont identiques entre elles (Comrie, 1976 : 49), ne se combinentpas avec se passer, comme le montrent les exemples de [1], contrairementaux expressions dynamiques [2], qui l’acceptent parce qu’elles sont liées àl’idée de changement ou de progression :

[1] * Ce qui s’est passé, c’est qu’il a détesté sa femme / il n’a pas su saleçon.

[2] Ce qui s’est passé, c’est qu’il a frappé sa sœur / il n’a pas sorti lapoubelle / il a désobéi.

Or, s’il existe bien des adjectifs qui renvoient à des situations qui ne « sepassent » pas, suggérant qu’ils sont statifs [3], on trouve aussi des adjectifs quise combinent avec se passer, ce qui suggère leur caractère dynamique [4] :

[3] * Ce qui s’est passé, c’est qu’il a été triste / inquiet / petit / manchot /borgne / amoureux de sa femme.

[4] Ce qui s’est passé, c’est qu’il a été méchant / malhonnête / impru-dent / odieux avec sa sœur.

Il est à noter que ce test est connoté négativement. En effet, les adjectifs àsens mélioratifs donnent des énoncés moins naturels [5], mais le recours àla négation permet de les rendre parfaitement acceptables [6] :

[5] ? Ce qui s’est passé, c’est qu’il a été aimable / gentil / sage / fidèleà sa femme.

[6] Ce qui s’est passé, c’est qu’il n’a pas été aimable / gentil / sage / fi-dèle à sa femme.

Cela prouve que les adjectifs présentés sous [6] sont eux aussi porteurs dedynamicité. Les adjectifs sont donc, comme les verbes, concernés par l’oppo-sition aspectuelle statif vs dynamique. Les adjectifs dynamiques sont ceuxqui dénotent des comportements ou des actions catégorisées par l’adjectifcomme étant des actions gentilles, méchantes, etc. Par conséquent, il est toutà fait normal que ces prédicats qui, de par leur sens comportemental, appar-tiennent au domaine de l’agir 4, présentent des propriétés communes avecles verbes dynamiques. Les tests suivants rapprochent davantage les adjec-tifs exprimant des comportements des verbes dynamiques et les séparentdes adjectifs de [3] qui se rapprochent des verbes statifs [1].

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1.2.2. Être sur le point de, venir de

Les constructions en être sur le point de / venir de sont citées par Riegel(1985 : 66) pour déterminer le caractère statif ou dynamique d’une expres-sion. En effet, ces deux expressions expriment un changement qui est ab-sent des situations statives et qui, par conséquent, ne leur sied pas. Lesprédicats statifs [7], contrairement aux prédicats dynamiques [8], n’accep-tent pas ces deux constructions réservées à l’expression de l’imminence oudu caractère récemment révolu d’un procès :

[7] * Paul (était sur le point de / venait de) savoir sa leçon / détester sasœur.

[8] Paul (était sur le point de / venait de) sauter par la fenêtre / sortirse promener / faire la vaisselle.

L’application de ce test aux adjectifs montre que ces derniers ne sont pastous statifs. Contrairement aux adjectifs de [9] qui ne se combinent pasavec ces constructions, ceux de [10], que le test précédent présentait com-me dynamiques, les acceptent :

[9] * Paul (était sur le point d’être / venait d’être) blond / idiot /# malade 5.

[10] Paul (était sur le point d’être / venait d’être) infidèle à sa femme/méchant / imprudent 6.

Les deux tests cités ci-dessus montrent donc que certains adjectifs, ceux quiexpriment des comportements, présentent des propriétés comparables àcelles des verbes dynamiques et doivent être considérés comme des adjec-tifs dynamiques.

1.2.3. Être en train de

Le test de la forme progressive est le plus fréquemment employé pour distin-guer les verbes dénotant une situation stative de ceux dénotant une situationdynamique (cf. Vendler, 1967 ; Comrie, 1976 ; Wilmet, 1980 ; Marque-Pucheu, 1998 ; Robberecht, 1998 entre autres). La forme progressive n’estcompatible qu’avec des expressions dénotant des situations en cours de dé-roulement, c’est-à-dire, en rapport avec une progression. Par conséquent, lesprédicats statifs sont incompatibles avec la forme progressive [11], contrai-rement aux expressions qui dénotent des situations dynamiques [12] :

[11] * Paul est en train d’aimer ses proches / de plaire à ses enfants / desavoir sa leçon.

[12] Paul est en train de lire / de travailler / de chercher son livre / dedessiner un cercle.

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Cependant, ce test n’est pas discriminant dans le domaine adjectival puis-qu’il est refusé tant par les adjectifs statifs [13] que par ceux que les testsprécédents classaient parmi les prédicats dynamiques [14] :

[13] * Paul est en train d’être triste / inquiet / petit / borgne / antipathi-que à Marie.

[14] * Paul est en train d’être gentil / méchant / loyal / injuste. 7

L’impossibilité d’employer être en train de avec les adjectifs de [14] n’estpas synonyme d’absence de dynamicité puisqu’en français la structure pro-gressive ne semble compatible qu’avec les verbes. Dans le domaine nomi-nal, l’existence de noms prédicatifs dynamiques est largement admise etpourtant ces noms ne peuvent pas se combiner avec être en train de :

[15] * La ville est en train de bombardement.

La structure être en train de sélectionne exclusivement un verbe dynami-que à sa droite. Les prédicats nominaux ou adjectivaux, même dynamiques,ne sont pas admis dans cette structure.

2. Tests de l’agentivité : l’agentivité comme preuve de la dynamicité

Aux tests de la dynamicité rassemblés dans la première partie s’ajoute unesérie de tests qui met en lumière l’agentivité du sujet des prédicats de com-portement, et qui confirme indirectement qu’ils sont dynamiques. Il estconnu que les verbes dynamiques sont de deux types : ceux dont le sujet estinterprété comme un agent (parler, marcher), et ceux dont le sujet est nonagentif (l’herbe dans l’herbe est en train de pousser). Autrement dit, on ad-met que tous les verbes dynamiques ne sont pas agentifs, mais que tousceux dont le sujet est interprété comme un agent sont dynamiques : l’agen-tivité du sujet est garante de la dynamicité du prédicat verbal. Les argu-ments qui suivent montrent que l’agentivité du sujet des adjectifs estcorrélée à la dynamicité du prédicat si bien qu’il paraît clairement que, dansle domaine adjectival, toute preuve directe de l’agentivité du sujet d’un pré-dicat devient une preuve indirecte de sa dynamicité.

2.1. Qu’est ce que tu as fait ?

L’un des arguments traditionnellement invoqués pour distinguer les verbesnon agentifs des verbes agentifs est la réponse à la question avec faire quiprésuppose, comme le souligne Riegel (1985 : 65), que le sujet est l’agentd’une action. Le contraste présenté sous [16] montre que les verbes de [16b]sont non agentifs parce qu’ils échouent à constituer des réponses à la question

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de [16a] (ce sont par ailleurs des verbes statifs selon les tests rassemblés dansla première partie), alors que ceux de [16c] sont agentifs car ils répondent àcette question (et ils sont dynamiques selon les tests précédents) :

[16] a. Qu’est-ce que tu as fait ?

b. *J’ai possédé une maison / j’ai détesté ma femme / j’ai su ma leçon.

c. J’ai couru / j’ai parlé en classe / j’ai dessiné un mouton.

L’application de ce test aux adjectifs montre que le sujet des adjectifs dontla stativité a été démontrée dans la première partie est non agentif [17b],alors que le sujet de ceux de [17c] est interprété comme un agent. Cela ap-puie l’idée que, d’une part, les adjectifs de [17c] dénotent des situations re-levant du domaine de l’agir, plus précisément des comportements, etd’autre part, qu’ils sont dynamiques :

[17] a. Qu’est-ce que Paul a fait (pour que Marie lui en veuille autant) ?

b. * Il a été triste / obèse / antipathique à ses amies.

c. Il lui a été infidèle / il a été méchant avec ses amis / il n’a pas étégentil avec ses enfants 8.

Les notions d’« agentivité » et de « dynamicité » semblent donc étroitementliées dans le domaine adjectival, comme le prouvent les tests suivants.

2.2. La structure SN être ADJ de Vinf

Le deuxième argument appuyant directement l’opposition adjectifs non agen-tifs vs adjectifs agentifs, et indirectement celle entre adjectifs statifs vs adjectifsdynamiques, est tiré des contraintes qui pèsent sur la construction suivante :

[18] Paul est gentil de reconduire Marie en voiture.

Il est connu depuis les travaux de Picabia (1978), Riegel (1985, 1997), Vande Velde (1997) entres autres, que les adjectifs qui entrent dans cette struc-ture imposent une double contrainte :

a) l’identité des sujets respectifs de l’adjectif et du prédicat de la com-plétive, ce qui explique l’agrammaticalité de [19] :

[19] * Paul est gentil que Marie reconduise Jean.

b) le prédicat de la complétive doit être de ceux qui attribuent un rôleagentif à son sujet, d’où le contraste entre [20] et [21] :

[20] * Paul est gentil d’être battu par Marie.

[21] Paul est gentil de s’être laissé battre par Marie.

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Le fait que les verbes de [22] ne puissent pas figurer comme prédicats prin-cipaux de la complétive montre qu’ils sont non agentifs, contrairement àceux de [23] :

[22] a. * Paul est intelligent de savoir sa leçon.

b. * Paul est gentil de posséder une maison.

[23] a. Paul est (méchant / cruel) de dire ce genre de choses devant Jean.

b. Paul est déraisonnable de sortir par ce temps.

On trouve le même contraste du côté des adjectifs : ceux qui sont non agen-tifs selon le test précédent ne peuvent constituer les prédicats principaux dela complétive [24], alors que les adjectifs qui répondent à la question avecfaire — prouvant que leur sujet est un agent — le peuvent [25] :

[24] a. * Paul est gentil d’être sympathique à Marie.

b. * Paul est méchant d’être triste / d’être inquiet / d’être anxieux.

c. * Paul est courageux d’être obèse / d’être manchot / d’être grand /d’être borgne.

[25] a. Paul est méchant d’être infidèle à sa femme.

b. Paul est sage de ne pas être malhonnête comme son frère.

c. Paul est déraisonnable d’être aimable envers tout le monde : il seraun jour déçu par ceux qu’il croyait être ses amis.

On note que les adjectifs non agentifs sont ceux que les tests de la premièrepartie catégorisent comme des prédicats statifs, et inversement, ceux quisont agentifs sont catégorisés selon les mêmes tests comme dynamiques.

2.3. Combinaison avec les adverbes délibérément / volontairement

Il est connu que les verbes dits non agentifs [26], contrairement à ceux quisont agentifs [27], ne se combinent pas avec les adverbes délibérément 9 etvolontairement. Ces adverbes s’interprètent forcément en rapport avec unsujet agentif (qui plus est, intentionnel) lexicalisé, et sont, par conséquent,incompatibles avec les verbes non agentifs. Le contraste suivant appuiecette idée :

[26] * Paul a (délibérément / volontairement) aimé sa femme / su sa leçon.

[27] Paul a (délibérément / volontairement) dessiné un cercle sur le mur /franchi la frontière.

Là encore, les données sont claires : les adjectifs non agentifs sont statifs[28] et les adjectifs agentifs sont dynamiques [29] :

[28] a. * Paul a été (volontairement / délibérément) fier de son fils /amoureux de sa femme.

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b. * Paul a été (volontairement / délibérément) content / heureux /anxieux / inquiet.

c. * Paul a été (volontairement / délibérément) obèse / manchot /borgne.

[29] Paul a été (volontairement / délibérément) infidèle à sa femme / mé-chant avec ses amis / malhonnête 10.

2.4. Etre accusé de

Un autre test qui appuie les conclusions précédentes est celui proposé parVendler (1967) pour distinguer les verbes dynamiques des verbes statifs,alors qu’il nous semble qu’il faut plutôt le prendre comme un diagnostic del’agentivité. La construction être accusé de 11 refuse les verbes non agen-tifs [30] et accepte ceux qui sont agentifs [31] :

[30] * Paul est accusé d’avoir détesté sa femme / de ne pas savoir sa leçon /d’avoir agonisé.

[31] Paul est accusé d’avoir couru sans permission / de dessiner des obs-cénités / d’avoir franchi la frontière.

Appliquée aux adjectifs, la construction en question exclut ceux qui répon-dent négativement aux tests de l’agentivité [32] et accepte ceux qui sontagentifs [33] :

[32] a. * Paul est accusé d’avoir été antipathique à Marie / de n’avoir pasété amoureux de sa femme.

b. * Paul est accusé d’avoir été triste / anxieux / furieux.

c. * Paul est accusé d’avoir été obèse / manchot / borgne.

[33] Paul est accusé d’avoir été méchant / malhonnête / lâche / infidèleà sa femme.

2.5. Arrêter de

Le dernier test que nous citons, qui se trouve à la croisée entre dynamicité etagentivité, est celui de la construction arrêter de 12. Celle-ci ne se combinequ’avec les expressions qui sont en rapport avec une progression (donc dessituations dynamiques) et qui peuvent être interrompues de l’intérieur, no-tamment par la volonté de celui qui les accomplit (le sujet doit donc êtreagentif). Par conséquent, les expressions statives exprimant des états (au senslarge) qui ne sous-entendent pas de progression puisqu’ils sont continus, etqui ne peuvent être interrompus que de l’extérieur par un événement 13 n’ac-ceptent pas arrêter de, comme le montrent les exemples de [34], contrastésà ceux de [35] qui rassemblent des prédicats dynamiques-agentifs :

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[34] * Paul a arrêté de savoir sa leçon / d’aimer sa femme / de plaire àses enfants / de comprendre son fils.

[35] Paul a arrêté de manger / d’écrire / de lire.

Le comportement des adjectifs vis-à-vis de ce test confirme que les adjec-tifs ne sont pas homogènes du point de vue de l’opposition sémantico-aspectuelle statif vs dynamique. Le contraste signalé ci-dessous suggère doncque les adjectifs de [36] sont non agentifs et dénotent des situations statives,alors que ceux de [37] sont agentifs et dénotent des situations dynamiques :

[36] * Paul a arrêté d’être inquiet / malade / ivre / blond / grand / manchot.

[37] Paul a arrêté d’être infidèle à sa femme / d’être méchant avec sa petitesœur / d’être gentil avec son oncle.

Les faits rassemblés dans cet article convergent vers plusieurs conclusions.La première, classique, est que les adjectifs ne sont pas tous des prédicats nonagentifs puisque plusieurs tests montrent que certains d’entre eux, ceux quiexpriment des comportements, sont agentifs. La deuxième, qui va contrel’hypothèse que la stativité est un trait inhérent à tous les adjectifs, est que cesderniers sont concernés par l’opposition aspectuelle statif vs dynamique 14.La troisième est qu’il y a une corrélation parfaite dans le domaine adjectivalentre, d’une part, la stativité et la non agentivité et, d’autre part, entre la dy-namicité et l’agentivité : les faits montrent qu’il n’y a pas d’adjectifs quisoient dynamiques non agentifs, ou inversement, statifs agentifs. Particuliè-rement, la dynamicité semble garante de l’agentivité, à moins que ce ne soitle contraire.

3. De la dynamicité à la stativité

Nous avons établi l’existence d’adjectifs dynamiques 15. Comme tous lesprédicats dynamiques ils peuvent recevoir dans certains contextes une in-terprétation ponctuelle 16. Les contextes permettant cette lecture sont :

a) emploi de la copule être à un temps passé ponctuel (passé composéou passé simple) :

[38] Paul (a été / fut) méchant / gentil / imprudent (hier).

b) emploi de la copule être au présent de l’indicatif avec ajout d’une ex-pansion propositionnelle 17 dénotant une occurrence particulière ducomportement dénoté par l’adjectif :

[39] Paul est gentil de nous avoir aidés à porter cette commode : elleétait vraiment très lourde.

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Cette interprétation dynamique ponctuelle ne semble pas disponible lors-que la copule est au présent et qu’il n’y a pas d’expansion propositionnellepermettant de délimiter une (ou plusieurs) occurrence(s) du comportementdénoté par l’adjectif :

[40] Paul est gentil / malhonnête.

Nous admettons donc, en accord avec Van de Velde (1997 : 159), que lesadjectifs dynamiques reçoivent automatiquement dans [40] une interpréta-tion temporelle générale. Avec cette interprétation, les adjectifs dynami-ques expriment une disposition générale à agir de telle ou telle manière. End’autres termes, dans les énoncés de [40], les adjectifs étudiés peuvent re-cevoir une interprétation habituelle confirmée par les nombreuses proprié-tés que les phrases de [40] partagent avec les phrases habituelles types 18.Il est connu (cf. Kleiber, 1987 ; Carlson, 1982 entre autres) que l’interpré-tation habituelle est fondée sur l’itération fréquentative d’une action, ce quiimplique que seuls les prédicats dynamiques permettent la constructiond’un sens habituel en l’absence d’un « marqueur de rupture » 19 explicite.Cette contrainte exclut la lecture habituelle, d’une part, avec les prédicatsstatifs stables [41], et d’autre part, avec les prédicats statifs épisodiques[42], à moins que la phrase ne comporte un marqueur de rupture explicite,qui, le plus souvent, prend la forme d’un adverbe de fréquence 20 [43]. Sansce marqueur adverbial, la phrase de [42] ne peut avoir qu’une lecture ac-tuelle représentée sous [42’] :

[41] * Paul est souvent grand / manchot.

[42] Paul est ivre.

[42’] = En ce moment, Paul est ivre.

[43] Paul est souvent ivre.

Or, les adjectifs dynamiques, quand ils sont employés dans des phrasesavec un temps passé ponctuel (passé simple ou passé composé) dénotentdes comportements épisodiques, et par conséquent, peuvent servir à cons-truire les phrases à interprétation habituelle [40] 21.

3.1. Propriétés aspectuelles des phrases habituelles

Le sens habituel des phrases de [40] est confirmé par deux propriétés qu’ellespartagent avec les phrases habituelles construites sur la base de prédicatsverbaux. Premièrement, les phrases habituelles types [45-46] et les phrasesde [44] ont en commun d’être non disjointes spatialement 22 :

[44] Paul est gentil à la maison.

Paul est méchant à l’école 23.

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[45] Paul fume le cigare en Asie.

Paul fume la pipe en Australie.

[46] Paul va à l’école à pied en Asie.

Paul va à l’école à pied en Australie.

Deuxièmement, ces phrases ont en commun d’être neutres du point de vuede la monotonicité 24 puisque [47], [48] et [49] n’impliquent pas respecti-vement [47’], [48’] et [49’] (cf. Kleiber, 1987) :

[47] Paul est gentil / malhonnête en classe.

[47’] Paul est gentil / malhonnête à l’école.

[48] Paul fume le cigare à Calcutta.

[48’] Paul fume le cigare en Asie.

[49] Paul va à l’école à pied à Calcutta.

[49’] Paul va à l’école à pied en Asie.

Toutes les conditions semblent donc remplies pour admettre que les phrasesdu type [40], reprises sous [50], sont synonymes de celles présentées en [51] :

[50] Paul est gentil / malhonnête.

[51] a. Pierre est (habituellement / généralement / le plus souvent) gentil.

b. Pierre est (habituellement / généralement / le plus souvent) mal-honnête.

3.2. Construction du sens habituel

3.2.1. Avec les prédicats verbaux

Reste à savoir comment se construit le sens habituel. Parmi les phrases ha-bituelles verbales, Kleiber en distingue deux types :

[52] Paul va à l’école à pied.

[53] Paul fume.

[52] ne peut pas signifier qu’à chaque instant de l’intervalle de référence 25

Paul soit en train d’aller à l’école à pied puisqu’une telle interprétation seraitparfaitement incongrue. Le sens habituel de [52] se base sur la notion« d’occasions restreintes » (Kleiber, 1987 : 34). Toutes les occasions qu’aPaul d’aller à l’école forment l’ensemble des occasions restreintes sur lequelse fait une quantification quasi-universelle. Paul va à l’école à pied signifiedonc « lorsque Paul va à l’école, il y va (habituellement / presque toujours)à pied ». Le sens habituel de [52] se manifeste par une quantification quasi-universelle : on prend comme ensemble d’occasions toutes les fois où Paul

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est allé, va, ira ou pourrait aller à l’école, et pour que [52] soit vraie, il fautque dans la majorité des cas Paul accomplisse cette action à pied.

En revanche, rien de tel en [53] car il est impossible de construire unensemble d’occasions restreintes à partir du prédicat fumer. En effet, quel-les seraient les occasions pertinentes de fumer ? Kleiber (1987 : 128) expli-que alors le sens habituel grâce au sémantisme même du prédicat : l’actionde fumer étant, a priori, perçue comme une action habituelle, fumer est ceque Kleiber appelle « une habitude déjà constituée ».

3.2.2. Avec les prédicats adjectivaux

Qu’en est-il des énoncés proposés en [50] ? Nous avons mis en évidenceque ces énoncés ont une lecture habituelle, et cela a été confirmé par lespropriétés que ces phrases partagent avec les phrases habituelles verbales(cf. section 3.1.) Reste à savoir si cette interprétation habituelle est obtenuesur le modèle de Paul va à l’école à pied ou sur celui de Paul fume.

3.2.2.1. Le prédicat est « une habitude déjà constituée »

Si Paul est gentil est une phrase habituelle sur le modèle de Paul fume,alors il faut que le prédicat gentil, comme le prédicat fumer, soit une habi-tude préétablie, c’est-à-dire, qu’il renferme intrinsèquement une régularitéqui permettra la lecture fréquentielle nécessaire pour avoir une phrase ha-bituelle. Lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il fume, on perçoit d’emblée unerégularité : on ne dira pas cela si la personne ne fume, par exemple, qu’unefois par mois. Avec un prédicat comme fumer la norme semble être de pen-ser que l’action de fumer se répète quotidiennement ou presque.

Aucune régularité de cette sorte n’apparaît avec être gentil : faut-ilfaire des gentillesses chaque jour, chaque semaine ou chaque mois pourêtre considéré comme un être gentil ? La question posée en ces termes estétrange et reste sans réponse.

Qu’en est-il de la construction de l’habitualité via un ensemble d’oc-casions restreintes ?

3.2.2.2. Le recours à la notion « d’occasions restreintes »

Il semble que être gentil et être malhonnête n’impliquent pas d’occasionsrestreintes. En effet, contrairement à ce qui se passe dans [52] où aller àl’école à pied représente un prototype de l’action sur laquelle s’opère laquantification quasi-universelle source de l’habitualité, on ne disposed’aucune action spécifique pour les prédicats être gentil et être malhonnêtequi constituerait une occasion restreinte à partir de laquelle on pourrait opé-rer une quantification. Une solution pour résoudre le problème de la sourcede l’habitualité dans les phrases de [50] est de considérer qu’une quantifi-

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cation quasi-universelle s’opère, non pas sur des actions déterminées, maissur des actions indéterminées ayant en commun d’être de même nature, i.e.des actions qui sont des gentillesses, des méchancetés, des infidélités,etc. 26. En effet, être gentil et être malhonnête signifient « accomplir sou-vent des actions (gentilles / malhonnêtes) », et donc, ce qui est réitéré, cene sont pas des actions déterminées, mais plutôt des actions dont on ne saitrien hormis leur nature qui est spécifiée par l’adjectif. Autrement dit, êtregentil c’est avoir pour habitude d’agir de manière gentille, où « manière »n’est pas l’équivalent d’un adverbe mais plutôt l’équivalent d’un prédicatqualifiant. On peut donc proposer pour les phrases de [50] les paraphrases[54] et [55]. Celles-ci sont une façon informelle de montrer que la consti-tution d’un ensemble d’occasions temporelles restreintes dans les phrasesde [50] est possible :

[54] « Lorsque / quand Paul agit, il accomplit une (ou des) action(s) X(le plus souvent / habituellement / généralement) gentille(s) »

[55] « Lorsque / quand Paul agit, il accomplit une (ou des) action(s) X(le plus souvent / habituellement / généralement) malhonnête(s) »

Nous pensons donc que le sens habituel des phrases ayant pour prédicat unadjectif dynamique provient d’une quantification quasi-universelle sur unensemble d’occasions restreintes. L’originalité de ces prédicats adjectivauxpar rapport aux prédicats verbaux est que l’ensemble des occasions res-treintes, au lieu d’être l’itération d’une action spécifique, est une itérationd’actions quelconques dont le point commun est leur nature (actions gen-tilles, méchantes, malhonnêtes, etc.).

3.3. De l’interprétation habituelle à une interprétation stative

3.3.1. Mise en évidence d’une interprétation stative

A partir de l’interprétation habituelle des adjectifs dynamiques, il est pos-sible d’en construire une autre : celle de la dénotation d’une qualité oud’une propriété, sens que nous représentons sous [56’] et [57’] :

[56] Paul est gentil.

[56’] Paul a la (propriété, qualité) d’être gentil / Paul est un homme gentil.

[57] Paul est malhonnête.

[57’] Paul a la (propriété, qualité) d’être malhonnête / Paul est un hommemalhonnête.

Cette troisième interprétation est celle qui est généralement reconnue auxadjectifs par les locuteurs et les linguistes, ce qui laisse penser que l’interpré-tation habituelle n’est pas directement accessible en surface malgré les nom-

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breuses propriétés que partagent les énoncés de [56-57] avec ceux àinterprétation habituelle contenant des prédicats verbaux. D’ailleurs, l’inter-prétation en tant que prédicat de qualité explique pourquoi les adjectifs étu-diés sont souvent catégorisés, à juste titre d’ailleurs, comme des prédicatsstatifs. Que les adjectifs de [56-57] expriment des qualités, on en a la preuve,d’une part, dans leur compatibilité avec le verbe devenir [58], et d’autre part,dans le fait qu’ils permettent de former des noms entrant dans la constructiondu génitif de qualité [60]. Les deux constructions excluent les prédicats quiexpriment autre chose qu’une qualité [59] / [61] (cf. Van de Velde, 1997) :

[58] Paul est devenu gentil / méchant.

[59] * Paul est devenu ivre 27 / amoureux de sa femme.

[60] Paul est d’une grande gentillesse / d’une grande malhonnêteté.

[61] * Paul est d’une grande haine pour sa femme / d’une grande ivresse.

Nous pensons que le passage de la dénotation d’une occurrence d’un com-portement (quand le temps de la copule est le passé composé ou le passésimple) à celle d’une propriété s’effectue par l’itération, source de la déno-tation d’une habitude (quand le temps de la copule est le présent ou l’im-parfait). S’il faut ordonner les différents sens des adjectifs étudiés, lepremier serait l’expression d’une occurrence d’un comportement qui per-met l’itération nécessaire à la construction du sens habituel. Cette habitudeest alors perçue comme faisant partie de la définition même du sujet, deve-nant une propriété, une qualité de celui-ci.

En d’autres termes, et pour reprendre les termes d’Aristote, pour cesprédicats, c’est l’acte qui précède la puissance et non l’inverse : la spécifici-té de ces adjectifs est qu’ils sont prioritairement rattachés à un sujet par l’in-termédiaire d’une action. Une personne qui n’a jamais accompli une actiongentille ou malhonnête ne sera jamais qualifiée de gentille ou de malhonnê-te. Pour attribuer ces adjectifs à un sujet, et seulement de façon ponctuelle,il faut au moins que le sujet ait accompli une fois dans sa vie une action gen-tille ou malhonnête. Pour pouvoir les lui attribuer à la manière d’une dispo-sition générale à agir de telle ou telle façon, il faut absolument qu’il y ait uneconstance dans la manière d’agir, c’est-à-dire, une régularité dans le com-portement. C’est à partir de cette régularité que l’on peut construire des pré-dicats qualifiants qui cessent d’être dynamiques pour devenir statifs.

3.3.2. Construction du sens statif

Nous pensons que la lecture stative des adjectifs de comportement prend sasource dans l’interprétation habituelle qui n’est qu’une étape conceptuelleintermédiaire entre l’agir (interprétation ponctuelle, dynamique) et l’être

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(interprétation qualitative, stative) 28. En effet, dans l’interprétation habi-tuelle, les différentes actions gentilles ou malhonnêtes sont qualitativementidentiques : les actions peuvent être différentes mais leur nature (objet del’habitude) est stable. Par conséquent, étant de même nature, les actions s’ad-ditionnent pour former l’habitude dont les différentes phases sont identiques.C’est alors que le glissement s’effectue : le comportement de quelqu’un lors-qu’il est régulier, c’est-à-dire lorsqu’il est une habitude, s’intègre dans la dé-finition de la personnalité de cette personne, une habitude comportementaleest donc une qualité. On voit alors que l’interprétation habituelle d’un com-portement et la dénotation d’une qualité se confondent. Autrement dit, pourpasser du sens dynamique de gentil / malhonnête au sens statif on passe parl’itération qui fonde le sens habituel, mais ce sens habituel n’est qu’une étapedans la construction du sens. Paul est gentil dénote toujours une qualité 29.Pour ces adjectifs, la stativité est dérivée, elle provient de l’itération, proces-sus qui n’est possible que pour les prédicats dynamiques. C’est en vertu dece cheminement du sens (sens dynamique permettant une itération qui fondeconceptuellement une habitude qui devient aussitôt une qualité) que nousconsidérons que ces adjectifs sont fondamentalement dynamiques, que leurinterprétation stative, certes existante, n’est que secondaire et qu’elle est tou-jours dépendante des actes accomplis par le sujet.

4. Conclusion

Dans cet article, nous avons essayé de montrer, à l’aide de tests portant surl’agentivité ou directement sur la dynamicité, qu’il existe des adjectifs dy-namiques. Ce sont des adjectifs dénotant des comportements. Au tempspassés ponctuels (passé simple et passé composé) ces adjectifs peuvent re-cevoir une interprétation ponctuelle : on évoque alors une occasion où lesujet a adopté tel ou tel comportement. A l’imparfait ou au présent, qui sontdes temps duratifs, l’adjectif dénote une qualité du sujet. Cette interpréta-tion stative repose sur l’itération d’actions indéterminées de même nature.C’est précisément la raison qui motive le choix de ranger ces adjectifs par-mi les prédicats dynamiques puisque c’est là leur sens premier.

Cette étude pose les jalons de futurs travaux portant sur l’aspect desadjectifs. Certaines questions n’ont été qu’effleurées. Par exemple, par soucide clarté, notre propos prioritaire étant de prouver l’existence des adjectifsdynamiques, nous n’avons pas été au bout du rapport entre temps gramma-ticaux et interprétation aspectuelle de ces adjectifs. Comme nous l’avonsdéjà signalé, une autre question mériterait une analyse à part entière : l’in-terprétation des correspondants nominaux de ces adjectifs en rapport à l’op-position statif vs dynamique. L’existence d’adjectifs dynamiques pose eneffet la question de l’héritage aspectuel des noms qui en dérivent tels quegentillesse, méchanceté, infidélité.

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NOTES

1. La classe des adjectifs dynamiques regroupe au moins deux classes majeu-res de prédicats. Dans la première on trouve les adjectifs du type infidèle (fidèle,déloyal, loyal, etc.), dans la seconde les adjectifs du type gentil appelés « adjectifsde qualité morale » et identifiés par la construction de [i] et sa variante [ii] (cf. Vande Velde 1997 : 156), qui ne conviennent pas aux adjectifs du type infidèle [iii] :

[i] Paul est gentil d’avoir fait la vaisselle.[ii] C’est gentil (à / de la part de) Paul d’avoir fait la vaisselle.[iii] * Paul est infidèle de sortir avec Marie. / * C’est infidèle (à / de la part

de) Paul de sortir avec Marie.

Le point commun à ces deux groupes d’adjectifs est qu’ils expriment des com-portements impliquant un agent, ce qui fait d’eux des prédicats dynamiques. Le sensdynamique des adjectifs de qualité morale apparaît nettement dans des énoncés dutype de [i] qui ne signifie pas « Pierre a fait la vaisselle de manière gentille » maisbien que « Pierre a accompli une action gentille ou une gentillesse », en l’occurrence‘faire la vaisselle’. Autrement dit, l’action de faire la vaisselle est une gentillesse faitepar Pierre. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre que ces adjectifs sont dynami-ques, indépendamment de leur classe d’appartenance. Ils dénotent des actions d’unecertaine nature et ne sont pas équivalents à des modifieurs adverbiaux (cf. Meunier,1999 ; Riegel, 1985 ; Anscombre, 1995 ; 1996 ; et particulièrement Van de Velde1995 ; 1997 sur les adjectifs de qualité morale).

2. La distinction statif vs dynamique occupe cette place importante depuis lestravaux pionniers de Lakoff (1970) et de Bolinger (1967).

3. Cette opposition est parfois exprimée en d’autres termes : prédicats indivi-duels vs épisodiques.

4. Le sens comportemental constitue une des acceptions des adjectifs dynami-ques gentil, méchant, infidèle, etc. Nous reviendrons sur les autres acceptions desadjectifs dynamiques dans la troisième partie de l’article.

5. L’adjectif malade dénote un état, donc une situation stative, mais acceptepourtant de se combiner avec être sur le point de et venir de :

[i] Pierre est sur le point d’être malade.[ii] Pierre vient d’être malade.

Cependant, ce n’est pas l’adjectif malade qui est porteur de la dynamicité re-quise pour que [i] et [ii] soient des énoncés grammaticaux. En effet, le sens de [i]est que Pierre est « en train de tomber malade », celui de [ii] est que Pierre « vientde sortir de la maladie ». Ce sont donc l’entrée ou la sortie de l’état induite parl’emploi de être sur le point de et de venir de qui sont dynamiques, pas l’état lui-même. Notons que dans ces exemples, malade peut également avoir un sens spé-cialisé et signifier ‘vomir’ par euphémisme. Dans ce cas, c’est le sens dynamiquede vomir qui autorise les constructions illustrées dans [i] et [ii].

6. Comme pour le test précédent, les énoncés contenant un adjectif de comporte-ment connoté négativement sont plus naturels que ceux avec des adjectifs mélioratifs

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(sage, fidèle, gentil), mais il suffit une fois encore d’adjoindre la négation ne…pas àla copule être pour que les énoncés deviennent pleinement acceptables.

7. Certains locuteurs français natifs, qui refusent les énoncés de [14], acceptentl’énoncé suivant :

[i] Marie était nerveuse, un pincement au cœur lui fit craindre que Pierrefût en train de lui être infidèle.

Il nous semble que leur acceptation s’explique par le fait que l’adjectif infidèle,lorsqu’il s’applique aux relations amoureuses, entretient un rapport sémantiqueprivilégié avec le verbe dynamique tromper. Malgré des différences catégorielles,syntaxiques et morphologiques, l’équivalence sémantique entre les énoncés [i] et[ii] est fortement établie au point qu’on peut considérer l’adjectif infidèle commel’expression adjectivale du prédicat verbal tromper :

[ii] Marie était nerveuse, un pincement au cœur lui fit craindre quePierre fût en train de la tromper.

8. Cf. note 6 à propos de la préférence de certains tests pour les adjectifs con-notés péjorativement.

9. Dans Vendler (1967 : 106), la possibilité qu’offre un verbe de se combineravec un adverbe tel que deliberately est analysée comme une preuve de dynamici-té. Nous suivons Verkuyl (1989 : 47) qui montre que ce test est plutôt une preuved’agentivité.

10. Le contraste entre [28] et [29] confirme non seulement que le sujet des ad-jectifs de comportement est un agent mais aussi qu’il s’agit d’un agent intentionnel.

11. La construction être accusé de est sémantiquement marquée puisqu’ellen’est compatible qu’avec les prédicats à sens négatif, excluant ceux à sens positif.Cependant, il est intéressant de noter que seuls les prédicats agentifs (dynamiques)à sens négatifs sont acceptés. La construction en question peut donc servir à repé-rer parmi les verbes et les adjectifs à connotation négative ceux qui sont agentifset dynamiques.

12. Arrêter de a deux acceptions : la première est l’interruption d’une action(Pierre a arrêté de pleurer) et la seconde est l’interruption d’une habitude (Pierrea arrêté de fumer). C’est cette seconde acception qui concerne vraisemblablementles adjectifs de comportement puisque — nous le verrons dans la troisième partiede l’article — ces adjectifs peuvent construire un sens habituel.

13. Comme l’expliquent Battistelli & Desclés (2002 : 27), le début ou la find’un état (au sens large de « valeur aspectuelle d’état ») ne peuvent venir que d’évé-nements extérieurs qui constituent les bornes de cet état mais restent à l’extérieur del’intervalle topologique ainsi formé. Au contraire, les situations dynamiques peu-vent être interrompues, soit de l’intérieur, notamment par la volonté de l’agent si ce-lui-ci est animé et doué de conscience, soit par l’aboutissement naturel de l’actionelle-même puisque certaines actions, à savoir les accomplissements dans la termi-nologie vendlerienne, ont un terme intrinsèque contenu dans leur sens.

14. Parmi les tests présentés dans cet article, le nombre de tests de dynamicitéet d’agentivité validés par les adjectifs de comportement est variable, ce qui laisse

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penser qu’il y a une gradation de la dynamicité de ces adjectifs, le pôle le plus for-tement dynamique serait incarné par infidèle alors que le pôle le moins dynamiquepourrait être représenté par sage.

15. Cette conclusion met la dynamicité sur le compte des adjectifs de compor-tement et non sur celui d’actions avec lesquelles ces adjectifs entretiendraient unlien privilégié. Les faits rassemblés dans cet article montrent que l’agentivité et ladynamicité sont étroitement liées dans le domaine adjectival. Si la dynamicité ve-nait des actes et non des adjectifs, on conclurait que l’agentivité le serait aussi. Or,dans l’énoncé [i] par exemple, le rôle sémantique « agent » est attribué par l’adjectifet non par le verbe du complément propositionnel qui attribue le rôle d’agent à l’élé-ment Pro contrôlant l’infinitif (et ne peut attribuer plus d’une fois le même rôlesémantique) :

[i] Pauli est gentil d’[Proi] aider ses voisins.

Cela confirme que ce n’est pas la structure dans laquelle entre l’adjectif decomportement qui lui confère sa dynamicité mais que ces adjectifs sont réellementintrinsèquement dynamiques. Cela est très clair dans le cas des adjectifs de compor-tement du type infidèle. Dans Paul a été infidèle à sa femme, ce qui est prédiqué parle locuteur, à savoir Paul a trompé sa femme, est seulement inféré par l’adjectif.

16. On trouve aussi dans la littérature les appellations : « lecture actuelle »(Kleiber, 1987 : 20), « lecture épisodique » (Carlson, 1977 ; 1982 ; Kleiber, 1987;Kratzer, 1995) ou encore « lecture événementielle » (Kleiber, 1987 : 19).

17. Nous réservons le terme d’« expansion propositionnelle » pour le complé-ment des adjectifs de qualité morale [i] qui ne présente aucune des propriétés syn-taxiques des véritables compléments [ii] :

[i] Paul est gentil de nous aider./ * Paul en est gentil./ * De quoi Paulest-il gentil ?

[ii] Paul est ravi de pouvoir enfin partir./ Paul en est ravi./ De quoi Paulest-il ravi ?

18. Nous entendons par « phrases habituelles types » les phrases qui sont re-connues comme exprimant des habitudes dans la littérature. Ce sont des phrasesfondées sur des prédicats verbaux dynamiques telles que : Paul va à l’école à piedet Paul fume (exemples cités dans Kleiber, 1987 : 11-13).

19. Cette appellation est de Kleiber (1987 : 154) et recouvre aussi bien les ad-verbes de fréquence que les compléments explicitant le moment pour lequel l’ité-ration est valable.

20. Kleiber (1987 : 114) fait justement remarquer qu’« avec les statifs, le senshabituel n’est possible que s’il s’agit d’un prédicat reconnu comme transitoire (épi-sodique) et que si la phrase comporte un adverbe de fréquence explicite ».

21. L’interprétation habituelle est possible si le temps de la copule est le pré-sent de l’indicatif ou l’imparfait :

[i] Paul est gentil.[ii] Paul était gentil.

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En [ii], l’habitude est présentée comme révolue au moment de l’énonciation,soit parce que le sujet a changé et perdu l’habitude d’être gentil, soit qu’il est mort.Cela n’a rien de surprenant puisque l’imparfait et le présent sont deux temps pré-sentant de fortes ressemblances aspectuelles (ce sont des temps duratifs) mais quis’opposent du point de vue de l’époque.

22. Deux phrases sont non disjointes spatialement si elles peuvent être vraiesau même moment en deux lieux différents (cf. Carlson, 1982).

23. Un de nos relecteurs nous signale que malade peut dénoter des situations dis-jointes spatialement et pourtant valides au même moment sur le modèle de [46-48] :

[i] A Paris, je suis malade.A la mer, je suis bien portant.

Le sens de [i] est qu’à Paris le sujet tombe malade (et le reste) alors qu’à la mernon. Là encore, c’est l’entrée dans l’état qui induit la dynamicité nécessaire à labonne formation de [i] (cf. note 5). Il serait intéressant de mener une enquête ap-profondie sur ce phénomène en partant d’un corpus plus fourni. Faute d’espace,nous dirons simplement que les adjectifs d’état dénotent des situations stativesmais que l’entrée et la sortie d’un état, elles, sont dynamiques.

24. Règle de monotonicité croissante : SN SV1 alors SN SV2 où SV1 dénoteun sous-ensemble SV2.

25. Au présent, l’intervalle de référence est un intervalle duratif englobant lemoment de l’énonciation que Kleiber appelle « actuellement étendu » (1987 : 112).

26. Tous les adjectifs dynamiques n’ont pas de correspondant nominal ayantun sens actionnel. Ainsi on fait des gentillesses, des méchancetés ou des infidélitésà quelqu’un ou encore on peut commettre des imprudences. Mais, on ne fait pasdes fidélités, des malhonnêtetés ni des sagesses. Une étude approfondie sur les no-minalisations d’adjectifs dynamiques serait nécessaire mais nous emmènerait au-delà du cadre de cette étude.

27. Un de nos relecteurs nous signale la possibilité d’énoncés comme :

[i] Il est devenu (très) vite ivre.

Il semble cependant que ce soit la présence de l’adverbe vite (qu’il soit ou nonmodifié par très) qui permet à ivre d’être sélectionné par devenir. Tout se passecomme si vite, en spécifiant la manière dont l’ivresse s’insinue, autorise l’emploidu verbe devenir. Notons que le cas de ivre n’est pas isolé. En effet, plusieurs nomsdésignant des états [ii] dénotent, dans leur forme adjectivale, une qualité [iii] :

[ii] Paul est en état d’ivresse.Paul est en pleine dépression.Paul est en colère.

[iii] Paul est devenu vite ivre.Paul est devenu dépressif après la mort de sa femme.Paul est devenu colérique en vieillissant.

28. Bien qu’il laisse cette hypothèse ouverte dans la conclusion de son ouvra-ge, Kleiber (1987 : 223, 217) émet l’hypothèse que l’interprétation habituelle aquelque chose à voir avec la stativité.

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29. Pour maintenir la lecture habituelle qui, rappelons-le, ne sert que d’étapeconceptuelle dans le passage de la dynamicité à la stativité, il faut réintroduire unmarqueur de rupture explicite :

[i] Paul est gentil le matin.[ii] Paul est toujours/ souvent gentil.[iii] Paul est gentil à l’école (= quand il est à l’école).

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