le parlement côté coulisses : figures et grammaires de l'assistant parlementaire en Égypte

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LE PARLEMENT CÔTÉ COULISSES : FIGURES ET GRAMMAIRES DE L'ASSISTANT PARLEMENTAIRE EN ÉGYPTE Assia Boutaleb De Boeck Supérieur | « Revue internationale de politique comparée » 2008/2 Vol. 15 | pages 221 à 236 ISSN 1370-0731 ISBN 9782804157562 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique- comparee-2008-2-page-221.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Assia Boutaleb, « Le Parlement côté coulisses : figures et grammaires de l'assistant parlementaire en Égypte », Revue internationale de politique comparée 2008/2 (Vol. 15), p. 221-236. DOI 10.3917/ripc.152.0221 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 81.57.9.228 - 30/06/2016 19h56. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 81.57.9.228 - 30/06/2016 19h56. © De Boeck Supérieur

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LE PARLEMENT CÔTÉ COULISSES : FIGURES ET GRAMMAIRES DEL'ASSISTANT PARLEMENTAIRE EN ÉGYPTEAssia Boutaleb

De Boeck Supérieur | « Revue internationale de politique comparée »

2008/2 Vol. 15 | pages 221 à 236 ISSN 1370-0731ISBN 9782804157562

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2008-2-page-221.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Assia Boutaleb, « Le Parlement côté coulisses : figures et grammaires de l'assistantparlementaire en Égypte », Revue internationale de politique comparée 2008/2 (Vol.15), p. 221-236.DOI 10.3917/ripc.152.0221--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 15, n° 2, 2008 221

LE PARLEMENT CÔTÉ COULISSES : FIGURES ET GRAMMAIRES DE L’ASSISTANT PARLEMENTAIRE EN ÉGYPTE

Assia BOUTALEB

Dans cet article, l’accent est mis sur ces acteurs de la coulisse parlementaire quesont les assistants des députés. Suivre leurs activités et comprendre leur rôle per-met de mettre en évidence deux grammaires de l’agir parlementaire. La première,la grammaire de la professionnalisation postule un député soucieux de participerà la délibération parlementaire. La seconde, la grammaire de service suppose undéputé engagé vis-à-vis de ses électeurs et prestataire de services. Le travail desassistants permet également de penser le désenclavement paradoxal de l’enceinteparlementaire : ouverte sur l’extérieur mais hermétique aux doléances recueilliesdans les permanences.

Prendre le parti de regarder et d’étudier le parlement par et à partir de la cou-lisse n’est pas seulement un choix par défaut, qui aurait été imposé par lecontexte 1, c’est surtout l’expression d’une curiosité envers des formes del’agir parlementaire qui ne se résume pas au travail des députés et aux ryth-miques codifiées de la discussion parlementaire. Pour impertinente qu’ellesoit, cette curiosité est moins saugrenue qu’il n’y paraît : en effet, en con-clusion de son ouvrage sur l’espace parlementaire, J.-P. Heurtin n’invitait-il pas à rechercher et à investiguer d’autres lieux de l’action au sein desquel-les d’autres grammaires, d’autres pragmatiques de l’activité parlementaires’élaborent ? 2 Aborder le parlement autrement amène à rencontrer d’autres

1. On s’en doute, le contexte autoritaire rend malaisé, sinon improbable, une investigation poussée ausein de l’enceinte parlementaire. Pour autant, il serait faux, voire naïf de penser que dans les régimesdémocratiques, l’accès au législatif n’est pas sans poser quelques problèmes aux chercheurs.2. HEURTIN J.-P., L’espace public parlementaire. Essai sur les raisons du législateur, Paris, PUF,1999, 281p. Dans cette analyse des ressorts de l’ordre parlementaire à partir de description de la séancepublique à l’assemblée nationale française, l’auteur met en exergue deux grammaires spécifiques qui ontdiachroniquement caractérisé les débats : celle de la discussion et la grammaire critique. La première gram-maire « se caractérise par une signification de la publicité au terme de laquelle l’activité parlementaire estdéfinie comme la représentation, ou, encore, l’apparition des besoins et des intérêts ». Pour la secondegrammaire « la définition de la publicité repose sur la préexistence d’une communauté », ce qui impliqueque l’espace parlementaire va s’instituer à partir d’un bien commun toujours déjà-là, extérieur. En somme,si la première est commandée par une « politique de la justice », la seconde recouvre une « politique de lapitié », cherchant le concernement des parlementaires pour des malheureux.

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acteurs que les députés, leurs assistants par exemple. Acteurs par excellencede la coulisse du législatif, ils sont ces individus de l’entre-deux, entre l’ins-titution per se et la circonscription, ni tout à fait dans le public ni complète-ment dans l’enceinte parlementaire, ils assurent la liaison entre les deux etsont, comme nous le verrons, les porteurs des doléances du premier à l’inté-rieur de la seconde.

C’est précisément ce double positionnement qui fait tout l’intérêt d’uneanalyse attentive de ces acteurs : les suivre et les observer en contexteamène aussi bien à parcourir les abords du parlement qu’à fréquenter la per-manence d’un député. Plus encore, s’intéresser à leurs activités et à leurstâches conduit à mettre en évidence un aspect de l’agir parlementaire qui atout à voir avec les relations sociales et politiques du député et avec les pri-vilèges attachés à son statut.

Afin de mettre à jour les différentes activités et leurs spécificités desassistants, nous avons choisi de suivre de manière privilégiée, sur unepériode de deux mois, deux d’entre eux, Amr et Nevine 3. Contrairement àce que la drasticité du nombre d’interviewés pourrait laisser croire, cetteextrême sélectivité s’explique moins par des raisons de commodité que parl’adoption d’un parti pris méthodologique. En effet, choisir de se concentrersur un nombre réduit d’enquêtés n’augure pas d’une démarche de raisonne-ment par cas mais bien plus d’une réflexion à partir de prototypes. Pour ledire autrement, ni Amr ni Névine ne sont des cas : s’il est vrai qu’ils ne sontpas substituables et qu’ils sont le produit d’un contexte particulier, ils neconstituent pas pour autant des exemples singuliers « au point de casser lefil de la déduction ou la généralisation » 4. Bien au contraire, Amr et Névinesont des prototypes d’assistants parlementaires, certes contrastés, commenous allons le développer dans ce qui suit, mais néanmoins suffisamment

3. D’avril à juin 2004, les rencontres ont été fréquentes et ont eu pour cadre autant la permanence élec-torale que les abords du parlement égyptien, rue Majliss al-Shâab au centre-ville. Pour des raisons de com-modité, Amr et Névine sont les assistants des députés de la circonscription de Qasr al-Nil, pour le premier,et de la circonscription de Baltîn, dans le gouvernorat de Kafr al Sheikh au nord du pays, pour la seconde,dont le bureau cairote est à Abdeen : les deux permanences sont donc situées dans des quartiers limitro-phes de l’Assemblée du Peuple. L’objectif a été de suivre, dans tous les sens du terme, les deux assistants :dans leur travail mais aussi dans leurs déplacements, de sorte que la méthode s’est pour ainsi dire imposéed’elle-même : l’entretien ethnographique présente, en effet, cet avantage de s’inscrire dans le déroulementréel du terrain et de pouvoir « être utilisé dans le cadre d’une enquête ethnographique dont la méthode pri-vilégiée est l’observation participante », cf. BEAUD S., « L’usage de l’entretien en sciences sociales. Plai-doyer pour l’entretien ethnographique », Politix, n° 35, 996, p. 226-257. Dernière précision, autant parceque mes deux « guides » étaient au courant de ma recherche que parce que, dans ce qui va suivre, les indicessont trop évidents pour un lecteur averti et qu’il a semblé inutile d’entretenir un faux mystère, les prénomsn’ont pas été changés.4. PASSERON J.-C., REVEL J., (eds.), Penser par cas, Paris, Éditions de l’École des Hautes Étudesen Sciences Sociales, 2005. Constitué comme une énigme à résoudre, le cas, tel que décrit par les auteurs,est le point de départ d’une réflexion qui doit mener à une révision de la règle mais également à l’élabo-ration d’une « configuration problématique dont la solution appelle la prise en compte des circonstanceset des topiques qui en font la singularité », p. 16.

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concrets pour être le support indispensable à la découverte de nouvelles pro-priétés. En effet, le propre d’un prototype est bien d’autoriser des inférenceset d’être « utilisé relativement à l’ensemble rayonnant de cas qu’il permet derassembler par similarités partielles » 5. Ainsi, les deux profils ont été retenusparce qu’il nous ont paru paradigmatiques : d’autres assistants parlementai-res, rencontrés au cours de cette étude, partagent, avec l’un ou l’autre, suffi-samment de caractéristiques communes et de manières similaires de pratiquerleurs activités qu’il nous est apparu plus légitime d’opérer une subsomptionque d’insister sur une quelconque distinction relativement à nos deux proto-types. C’est également cette caractéristique prototypique qui nous autoriseà suivre pleinement le fil de la déduction et à poser, à partir de l’étude denos deux profils, des hypothèses et considérations relatives à l’agir parle-mentaire des coulisses.

Cette précision étant faite, il s’agit, à présent, d’entrer de plein pied dansla coulisse de l’Assemblée du Peuple (Majliss al-sha’ab), chambre basse duparlement égyptien, en suivant nos deux assistants parlementaires. Ainsi,nous verrons, dans un premier temps, que le rôle existe sans qu’il y ait offi-cialisation du titre et de la fonction 6 et qu’au-delà de leurs spécificités, lesdeux exemples retenus invitent à étudier de plus près les grammaires quis’élaborent à l’ombre du parlement. Nous montrerons, ensuite, que ces gram-maires se déclinent en autant d’activités et de pratiques différentes, ce quinous amènera à nous intéresser aux aspects de l’agir parlementaire mais aussiaux figures de parlementaires que postulent ces grammaires et à envisager lamanière dont l’espace parlementaire se désenclave en contexte autoritaire 7.

L’assistant parlementaire : un rôle non formalisé et une fonction aux contours variables

La première difficulté que rencontre l’observateur face à ces acteurs estd’emblée terminologique tant il est vrai que les termes pour les désignersont nombreux : attachés, assistants ou, encore, auxiliaires. Las, ni les uns

5. LIVET P., « Les diverses formes de raisonnement par cas », in PASSERON J.-C., REVEL J., (ed.),op. cit., p. 238.6. Ce qui, loin d’être une anomalie, constitue sans doute une des caractéristiques de cette fonction qui aconnu, dans les contextes occidentaux et notamment en France, une lente et progressive officialisation, cf.PHÉLIPPEAU E., « La formalisation du rôle d’assistant parlementaire (1953-1995) », in COURTY G.,(dir.), Le travail de collaboration avec les élus, Paris, M. Houdiard, 2005, p. 63-79.7. Sachant que la question du désenclavement renvoie à celle de « l’ouverture » du parlement sur l’exté-rieur : voir en quoi et comment l’extérieur transpire à l’intérieur du parlement. Toujours selon J.-P. Heurtin,c’est la grammaire critique qui engendre un tel désenclavement : « (…) dans sa visée de présentation de souf-frances extérieures à l’Assemblée et par la référence qu’elle suscite à un bien commun toujours déjà-là, donctoujours tiers par rapport au débat, (cette grammaire) organise un désenclavement structurel de la séancepublique », cf. HEURTIN J.-P., op. cit., p. 267-268.

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ni les autres ne suffisent ou ne permettent de véritablement dissiper le flousémantique. Bien moins qu’un handicap et bien plus qu’une indication, ceflou doit justement être intégré à l’analyse. En effet, ce dernier, « plus oumoins dense selon les espaces concernés ne doit pas être dissipé par l’obser-vateur car il participe au quotidien de ceux qui les occupent » 8. Ainsi, plutôtque de rechercher la justesse terminologique, il est important de relever lestermes utilisés par les acteurs eux-mêmes et de faire ressortir les élémentsd’auto-définition dans leur manière de se présenter. Ainsi, si Amr utilisesans hésiter le terme d’assistant parlementaire (musâ’id parlamânî), Névinese retranche, plus discrètement, derrière la dénomination de secrétaire dudéputé (sikritayrat al-nâib).

Cette différence est moins anecdotique qu’il n’y paraît : elle renvoie àdes parcours et des modalités de recrutement différents ; elle est égalementl’expression la plus immédiate et spontanée de la conception qu’ont lesacteurs de leur propre rôle et de leurs fonctions.

Comment devient-on assistant parlementaire : histoires de rencontres

Suivant l’adage qui veut que l’on ne soit jamais mieux servi que par soi-même, certains députés forment leurs propres équipes, et ce faisant, accom-plissent un véritable travail de formation à la politique, de manière effectiveet réelle. Ces députés sont, majoritairement, ceux qui, entrés au Parlementpour la première fois lors des élections législatives de 2000, correspondent aunouveau profil d’élites politiques, hommes d’affaires prospères, profession-nels reconnus et quarantenaires dynamiques. Ils se constituent une équipe dejeunes diplômés et imposent au sein de l’enceinte parlementaire, une nouvellecatégorie : les assistants parlementaires. Ce profil non institutionnalisé dansla pratique parlementaire égyptienne est l’une des nouveautés dont ils sont lespromoteurs.

Amr est l’assistant parlementaire d’un de ces quadragénaires du parti aupouvoir, Hosâm Badrawi, député de la circonscription du centre du Caire,Qasr al-Nil 9. Diplômé de l’American University of Cairo, située dans cette

8. COURTY G., op. cit., 2005, p. 9.9. Hossâm Badrâwi est devenu, en quelques années, une des étoiles montantes du Parti National Démo-cratique (PND). Membre du Haut comité des politiques (organe du parti dirigé par Gamâl Moubârak) etprésident de la commission d’éducation et de la recherche scientifique, son équipe s’est illustrée lors desdébats sur la réforme du système scolaire et universitaire. Gynécologue de formation, il est nommé pro-fesseur à la Faculté de médecine de l’Université du Caire dès son retour des États-Unis. Il entre en politiqueen 1995, en se présentant comme candidat indépendant lors des législatives. À l’époque proche du Néo-Wafd, il rejoint le PND dès son élection et ne cesse, depuis, de marquer des points. Une semi défaite,toutefois, pour cet ambitieux politicien : bien qu’il se murmure qu’il ne soit pas pour rien dans l’évictionde Hussein Kamâl Bahaeddine de son poste de ministre de l’Éducation, il n’en a pas directement bénéficiépour faire son entrée au gouvernement, lors du remaniement de 2004.

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circonscription, il rencontre l’homme politique par des connaissances com-munes, à sa sortie de l’université et quelques mois avant l’élection législa-tive de 2000. Il assiste à sa campagne électorale, sans y participer vraiment 10

mais les discussions avec celui qui n’était à l’époque qu’un candidat ambi-tieux, le convainquent « que le travail politique, du moins la manière dontil est fait en Égypte, doit changer […] et qu’il faut plus de professionnalisme[…] En somme, il faut rompre avec les logiques anciennes qui ne font pashonneur au pays ». C’est dans cette optique que le député nouvellement éluse dote, en 2001, d’une équipe d’assistants, chargée de préparer les dossiers,dont il confie la direction et la supervision à Amr.

Depuis, ce dernier cumule son travail de consultant au sein de l’Amideast 11

et ses activités d’attaché parlementaire. Supervisant une équipe de bénévo-les, lui-même ne percevant aucun salaire du député, il est également encharge du recrutement : « Nous sommes 20, tous bénévoles, c’est une équipequi tourne, comme nous sommes bénévoles, certains d’entre nous peuventêtre amenés à aller ailleurs pour travailler et à quitter l’équipe. Mais mêmequand ils quittent physiquement l’équipe, on reste en contact, ma philoso-phie à moi c’est de ne jamais perdre un membre. Les gens peuvent toujoursêtre utiles. […] L’équipe est très diversifiée, hier je faisais passer des inter-views à des gens des facultés des beaux-arts, de commerce, d’ingénierie. Iln’y a pas vraiment de spécialisation requise. L’important est que chacunapporte quelque chose quand on prépare ou qu’on discute des dossiers et desprojets de lois. Il y a une période d’essai pour chaque membre qui entre dansl’équipe, on lui donne des tâches, on voit comment il se débrouille, après ily a une période de formation et ensuite on peu dire que le membre fait partirde l’équipe. C’est moi qui les recrute et les forme ».

Si le propos insiste tant sur l’originalité d’une telle équipe, il serait faux decroire que l’assistant parlementaire est une invention des nouveaux députésdu parti au pouvoir. En effet, la figure n’est pas nouvelle mais c’est l’ambitionprofessionnelle de Amr et de ses collègues qui constitue une nouveauté. Eneffet, les assistants parlementaires, au premier sens du terme, existent depuislongtemps mais sous les traits de secrétaires et non d’experts ou de collabo-rateurs au sens fort. C’est d’ailleurs le profil de Névine et de la majorité desactuels assistants de députés.

10. Amr tient à s’expliquer : « D’abord je n’avais pas le temps, je commençais à travailler, et surtoutl’équipe de campagne était déjà constitué (…) Je me suis contenté d’observer et de venir de temps entemps aux meetings ». Tous les extraits de propos de Amr sont issus d’entretiens effectués en mai 2004.11. America-mideast Educational and Training Services (Amideast), une ONG américaine qui a pourobjectif de renforcer la coopération institutionnelle entre les États-Unis et les pays de la région arabe parle biais de rapports d’expertise mais aussi de programmes d’échanges universitaires. Dans ce cadre, Amrtravaille au sein de l’équipe chargée de la réforme des institutions judiciaires.

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Névine est donc la « secrétaire » de Hamdeen al-Sabâhî 12, ancien mem-bre du parti nassérien, fondateur du mouvement Al Karâma (la Dignité) qu’ils’efforce de transformer en parti politique 13. Journaliste reconnu, membredu comité parlementaire des affaires culturelles, de l’information et du tou-risme, le député est aussi producteur et rédacteur en chef du journal quiporte le nom de son mouvement. Sa maison de production, situé au centre-ville du Caire, lui sert également de permanence quand il est dans la capitale.Ainsi, au sein de son bureau professionnel cairote se côtoient les collabora-teurs du journaliste-producteur et les assistants du député. Bien souvent, lescasquettes sont doubles : il n’est pas rare que tel journaliste en vienne àaccomplir des tâches plus politiques et à réceptionner les doléances des élec-teurs ou habitants de la circonscription du député venus au Caire. Dans cetorganigramme plus ou moins informel et franchement flou, Névine est la seuleà ne s’occuper que de l’aspect politique et à être exclusivement affectée auxtâches liées au statut de député d’El-Sabâhî.

C’est d’abord le journaliste que Névine rencontre lorsqu’elle démarche,après ses études de journalisme, les agences de presse pour décrocher unemploi. Elle découvre son activité politique en travaillant avec lui au seinde la maison de production. Impressionnée par la personnalité d’Al-Sabâhîet de plus en plus convaincue par ses opinions politiques, c’est tout naturel-lement qu’elle prend en charge la permanence, dès la première élection dudéputé en 1995. Tenir la permanence, cela consiste à « recueillir les deman-des et les doléances des gens, à essayer de leur faciliter les démarches admi-nistratives, à recevoir les gens et à savoir comment les aider » 14. Interfaceentre le député et le public, Névine a une définition pragmatique, plus socialque politique, du travail d’un député : c’est avant tout fournir un service auxgens et cela peut aller de l’intercession pour un emploi à la scolarisationd’un enfant, en passant par la constitution de dossiers pour l’assurancemédicale. Comme nous le verrons plus loin dans cet article, les demandespeuvent être plus originales ou amusantes mais l’essentiel relève de la viequotidienne et de l’accès à l’administration.

Dans tous ces domaines et pour la majorité des demandes, l’intercessiond’Al-Sabâhî se révèle décisive, Névine en est témoin et c’est ce qui justifie

12. Député depuis 1995, Al-Sabâhî est une figure bien connu et populaire de la scène politique : ancienleader étudiant, il devient un journaliste virulent au sein de l’organe de presse du parti nassérien et unmembre actif du syndicat des journalistes. Opposé aux leaders historiques du nassérisme, il rompt avec leparti et poursuit une carrière politique indépendante. Connu pour son nationalisme, il s’est illustré par sesprises de position en faveur de la cause arabe, palestinienne ou irakienne, et par sa campagne de boycottdes produits américains.13. La commission des partis politiques, instance qui délivre les reconnaissances officielles, a, par deuxfois, refusé à Al Karama ce statut. D'inspiration fortement nassériste dans ses positions nationalistes, cequi peut expliquer le refus des autorités, le programme de cette potentielle formation politique reste rela-tivement convenu si ce n'est qu'il met l'accent sur la nécessité d'apporter à la vie politique de nouveauxéléments, autrement dit, de jeunes éléments.14. Tous les extraits de propos de Névine sont issus d’entretiens effectués en juin 2004.

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son engagement et son travail auprès du député dont elle est la partenaireenthousiaste. Son travail ne se comprend et ne se justifie, selon elle, querelativement à sa proximité « idéologique » avec le député et à son « enthou-siasme » vis-à-vis de la manière dont ce dernier conçoit sa fonction et sacharge parlementaire.

On le voit, dans les deux exemples, la teneur du lien entre élus et assis-tants est un facteur explicatif essentiel dans le choix et l’engagement desseconds : ils choisissent une personnalité, un individu plus qu’une fonction.Pour le dire autrement, ce qui fait la fonction c’est la relation particulière audéputé. C’est aussi le contenu de leur rôle et la manière dont ils le définis-sent eux-mêmes

Parler de soi : jeu de catégorisation

On l’a dit, la figure de l’assistant n’est pas nouvelle, par contre, ce qui l’estc’est celle, moderne et professionnelle, que veut promouvoir Amr. L’appré-hension qu’il a de son rôle tranche avec celle de l’assistant habituel, discrettravailleur des coulisses et dont l’espace de prédilection est celui de la per-manence. Pour Amr, il s’agit véritablement « d’entrer au parlement », sou-vent au sens le plus concret du terme, d’y avoir une place et une positionreconnue. Car c’est bien de reconnaissance qu’il s’agit lorsque Amr en vientà parler des autres députés et de la manière dont ils perçoivent le nouveauvenu qu’il est : « Quasiment aucun député n’a d’équipe comme la nôtre.Enfin, les nouveaux députés, si… Ceux comme Badrâwî… Nous sommestrès peu d’assistants parlementaires et puis d’ailleurs c’est tellement nouveauau Parlement que rien n’a été pensé ou rien n’est fait pour nous : ni bureau nimême un endroit pour nous. De toute façon les députés ne pensent pas en cestermes-là, ils ne sont au parlement que pour voir, écouter et transmettre lesdoléances des gens. Ils n’ont pas l’habitude voir des gens comme nous dansles couloirs et personne ne nous parle vraiment. Moi, personnellement, jeconnais 4 ou 5 députés avec lesquels je peux parler, qui ont l’esprit ouvert,qui comprennent ce que l’on fait, sinon, je ne parle à personne […] Des genscomme nous, les députés ça ne les intéresse pas. Eux, ils sont là pour leurs peti-tes affaires, la notion de travail public (al-shoughl al-‘âm), la notion d’intérêtgénéral (al-manfa’â al-‘âmâ), ça ils ne l’ont pas. Ils sont et se voient commedes intermédiaires et seulement comme ça ».

Ainsi, si le déficit de crédibilité et de notoriété a bien été souligné dansd’autres contextes, et notamment en France 15, force est de constater qu’il estencore plus fort en Égypte lorsqu’il s’agit d’aller plus loin dans la profes-

15. COURTY G., op. cit., 2005

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sionnalisation et la rationalisation de l’agir parlementaire. En effet, la pré-sence même des assistants peut sembler incongrue à l’intérieur de l’Assembléedu Peuple, tant il est vrai qu’ils sont habituellement consignés aux coulisses etaux abords de l’enceinte parlementaire. Pour preuve, Névine, qui correspondbien au profil classique de l’assistant au sens de secrétaire, reconnaît ne passillonner les couloirs de l’Assemblée : si elle s’y rend régulièrement, c’estavant tout, comme nous le verrons, pour aller dans les bureaux annexes et àl’administration. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre que la demandede reconnaissance formulée par Amr est d’autant plus affirmée, voire véhé-mente, qu’il s’agit, pour lui, non seulement de se voir reconnaître une placemais aussi de se démarquer des assistants qui sont plus dans une optique deservices que dans une logique de professionnalisation.

Névine, quant à elle, ne formule pas les choses de la même manière : plusimpliquée dans le travail au sein de la permanence, elle n’a pas le même rap-port aux autres au sein de l’Assemblée du Peuple : « L’Assemblée c’est pourles députés et les discours, nous [les assistants] on s’occupe d’autre chose.[…] Entre nous, on sait qui est l’assistant de qui (mîn tâbi’ mîn) 16, on se con-naît tous, plus ou moins […] On se connaît parce qu’on va dans les mêmesbureaux pour demander des papiers pour les gens […] Il n’y a pas de pro-blème, les gens des administrations nous connaissent et savent qu’on vientpour aider les gens […] Notre rôle à nous est un rôle social, d’aide sociale,et ça, tout le monde le sait ».

Ainsi, l’image qui se dégage de ces propos est tout autre que celle dépeintepar Amr. Il ne s’agit pas de conquérir un statut mais d’accomplir un travailbanalisé, voire banal, de prestation de services.

Il est amusant de relever que dans le jeu de catégorisation de Amr, Névinefait typiquement partie des assistants des députés traditionnels, à savoir, deceux qui, selon ses termes, ne font pas un vrai travail parlementaire, qui ren-dent des services et ne sont pas aptes à discuter de l’intérêt commun.

On est bien là, avec les exemples de Amr et de Névine, face à deux maniè-res d’énoncer la fonction et la définition d’assistant parlementaire. En d’autrestermes, on est en présence de deux grammaires distinctes qui, au moins pourl’un des deux assistants, sont inconciliables. Nous nommerons la première,grammaire de professionnalisation et la seconde grammaire de services. Eneffet, à la volonté de professionnaliser le travail d’assistant s’oppose une pra-tique d’aide sociale. De manière presque schématique, alors que l’un met enavant l’aspect technocratique et l’expertise, l’autre insiste sur le travailsocial, la réception et l’écoute du public. En entrant plus dans les détails, onpeut relever quelques premières caractéristiques saillantes de ces différen-tes grammaires.

16. Littéralement : « qui suit qui ».

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Ainsi, la grammaire de la professionnalisation qu’utilise Amr pour sedécrire et parler de son rôle recouvre une demande de reconnaissanced’autant plus grande qu’elle est inédite. De même, cette grammaire véhiculeune forte critique de la grammaire de services jugée contraire à l’intérêt géné-ral, voire pervertissant même l’idéal de la représentation. Elle déploie ses élé-ments grammaticaux dans les formes d’une ambition professionnalisante etdétachés des aspects relationnels et clientélistes. Pour sa part, la secondegrammaire est commandée par ce que l’on pourrait appeler une politique del’intermédiation, ou pour le dire autrement, de prestation. Elle se caractérisepar une signification du travail qui repose sur le service rendu au public de lacirconscription et sur la résolution des problèmes qui relèvent de la vie quo-tidienne.

L’opposition de ses deux conceptions est encore plus flagrante quand onobserve les pratiques et les activités des deux assistants.

D’agent d’accueil à conseiller : une palette de rôles et de pratiques

Pour Amr, le travail d’assistant parlementaire est avant tout un travailtechnique : préparer les dossiers, faire des recherches et des commentairessur les projets de lois, étoffer l’argumentaire du député. De son propre aveu,le travail au sein de la permanence ne le passionne guère : il y délègue sescollaborateurs et estime qu’en tant que responsable de l’équipe il n’a pas à yaller. Parce que la permanence c’est « tout entier du social et des relations »,elle lui apparaît comme « réservée au député et à ceux que ça intéresse ». Onl’aura compris, Amr n’est définitivement pas la bonne personne à connaîtrepour fréquenter la permanence ou avoir accès aux dimensions sociale etrelationnelle du travail d’un assistant parlementaire. Par contre, Névine estle pilier de la permanence d’Al-Sabâhî, la première personne que l’on y ren-contre en poussant la porte. C’est d’ailleurs elle qui accueille les habitantsde la circonscription du député, de passage au Caire, mais aussi les gens duquartier où se situe la permanence.

De là, découle le découpage quasi caricatural du développement qui vasuivre : à chaque assistant correspond un lieu mais aussi des activités spéci-fiques. Ceci est dicté par les positions, à tous les sens du terme, prises parnos deux acteurs. C’est également un effet de ce qu’ils ont voulu nous mon-trer d’eux et de leur travail. Aucun député ne peut se permettre de négligersa permanence, et il y a fort à parier, qu’au-delà de ce que nous dit Amr, desmembres de son équipe accomplissent le même type de travail que Névine.Las, notre propos n’est pas de mettre en doute ou d’extrapoler à partir desentretiens mais l’on se contentera juste de relever le caractère, sans douteexcessivement tranché, du matériau recueilli qui nous conduit à opposer sifranchement et si parfaitement les activités.

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À l’ombre du parlement : les dossiers techniques

Quoi qu’il en soit, lorsque Amr est amené à parler de son travail, il évoqueavant tout son rôle de conseil et d’expertise technique : « Concrètement, legouvernement dépose une proposition de loi, elle est mise à l’ordre du jourd’une séance de l’Assemblée du Peuple qui doit la discuter. Tous les députésreçoivent le projet de loi et, parfois […] 17 les commentaires du majliss.Nous on en reçoit une copie et on commence à travailler, à l’étudier et à fairedes commentaires que l’on transmet à Badrawi pour qu’il s’en serve lors desdiscussions. Bien évidemment, il a son avis, nous on lui apporte un avis spé-cialisé (ra’y moutakhassiss), en faisant des fiches, en éclaircissant despoints, en soulignant des aspects qui nous semblent importants. Quand onreçoit le projet de loi, on le fait circuler entre nous, et il est aussi arrivé qu’onle fasse circuler en dehors, de demander l’avis d’experts. Par exemple, ladernière loi qui a été discutée, celle sur les investissements, on a demandédes éclaircissements à des économistes et des financiers que l’on connaissait[…] oui, c’est un peu informel, on est pas encore d’accord sur le fait de fairecirculer les projets de lois à l’extérieur vraiment. On demande un avis sansforcément entrer dans les détails, sans dire vraiment tout ».

Ainsi, son rôle consiste à étayer les arguments du député et à préparerses interventions éventuelles lors de la discussion d’un projet de loi enséance. Il est donc tout entier lié à la fonction du député, au sens noble duterme, pourrait-on dire, c’est-à-dire en tant qu’acteur de la discussion parle-mentaire. Le fait que le député de Amr soit membre du parti au pouvoir etmembre particulièrement actif n’est pas étranger à cela : Badrâwî est connupour ses interventions en séance ; de plus, il est souvent sollicité par lesmédias pour expliquer ou réagir à telle ou telle loi. Mais le haut fait d’armedu député a été la présidence de la commission parlementaire sur l’éduca-tion et la recherche scientifique chargée d’un rapport sur la réforme du sys-tème éducatif en 2002. A ce moment-là, le rôle technique et de conseil a ététrès important : « Quand il était président de la commission éducation, on abeaucoup travaillé, c’est nous qui préparions les dossiers, qui interviewonsles gens, qui faisions des rapports et tout cela… ». Ainsi, ce rôle, son inten-sité et sa pertinence, dépend de la charge du député mais aussi de l’agendaet des responsabilités de ce dernier. Autrement dit, être conseiller techniqueet collaborateur spécialisé n’est pas donné à tous les assistants tant cela restesubordonné à la personnalité et aux prérogatives du député.

17. La parenthèse renvoie, ici, à une digression durant l’entretien portant sur le parcours institutionnel d’unprojet de loi. Selon la Constitution, le Parlement a l’initiative des lois et tout projet est soumis à l’Assembléepuis à la Haute chambre (le Majliss al-Shoura) qui fait des commentaires et revient pour discussion finaleà l’Assemblée. Visiblement, pour Amr, le parcours d’un projet de loi est relativement flou, mais puisqueson travail commence à la réception de ce projet, il ne nous a pas semblé important de corriger ou encored’entrer, avec notre interlocuteur, dans une discussion constitutionnelle. On s’est contenté, ici, de retranscrirele propos tel quel.

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Nonobstant, cette dimension du travail de Amr nous permet d’entrevoirune autre caractéristique de la grammaire de professionnalisation, à savoirle fait que cette dernière postule un député-délibérant ou encore débatteur :discutant des projets de lois, attentif à apporter à la discussion parlementaireéléments critiques et compléments. Conséquemment, elle postule égalementun assistant-conseiller, généraliste et rédacteur de fiches et autres topostechniques. Jouant pleinement un rôle d’expertise, l’assistant est le collabo-rateur qui met en forme les idées du député et celui qui « élabore les produitspolitiques sur lesquels (ce dernier) imprime sa marque de fabrique » 18.

Cette marque peut d’ailleurs se faire censure, ou à tout le moins, signifierles limites du travail d’expertise détaché des considérations politiques. Eneffet, la grammaire de professionnalisation reste partielle tant elle est bor-née et subordonnée aux tactiques et aux rapports de forces politiques dontle député est connaisseur. Comme le reconnaît, un peu amèrement Amr :« Après c’est Badrawi qui voit et qui juge ce qu’il peut présenter, ce qu’ilpeut défendre ou pas. Lui connaît plus les jeux politiques. Évidemment, il ya une différence entre le travail technique, la pertinence de la loi et son adop-tion ou pas […] ça tient aussi à des considérations politiques : il y a tout lejeu politique, les compromis… Nous, on n’a pas à tenir compte de ça, et puistout ça on ne le voit pas, nous ». Bien sûr, il y a des fois où l’on est déçu, maisbon, on apprend de nos erreurs aussi. Des fois, des lois nous semblent devoirvraiment être amendées et elles passent sans problèmes (…) Finalement tune peux jamais savoir… ».

Au-delà de la naïveté ou de la formulation du propos, retenons simple-ment qu’il exprime clairement les limites de cette grammaire qui s’arrête làoù commence la politique. En cela, la grammaire de professionnalisation estincomplète et ne peut rendre compte, au mieux, que d’une partie de l’agirdes assistants parlementaires.

À la permanence : doléances et problèmes à résoudre

Si Amr parle de préparation de dossiers et de fiches techniques, Névine,quant à elle, parle de services rendus et de relations entre le député et lesgens, ce qui l’amène à parler de celles entre le député et les responsablespolitiques : « Mon travail c’est de faire en sorte qu’Al-Sabâhî trouve unesolution aux problèmes des gens qui viennent à la permanence. Il peut lesaider parce qu’il est député et qu’il a accès aux administrations et même auxministres […] Bien sûr, les ministres sont ses collègues, alors quand il y aun problème, par exemple un tel veut que son fils aille dans telle école, eh

18. COURTY G., op.cit., 2005, p. 23.

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bien, s’il le peut, Al-Sabâhî, va parler pour lui au ministre de l’Éducation,qui est assis cinq rangs plus bas […] ».

En somme, le statut du député est plus qu’une ressource, c’est, si l’onpeut dire, la raison sociale de la permanence. En ce sens où, d’une part, tousles services demandés ne sont susceptibles d’être fournis que par le biais desréseaux et/ou des privilèges dont jouissent les parlementaires, et, où d’autrepart, les doléances n’ont de chances d’être transmises aux personnes concer-nées qu’en raison de l’accès à l’enceinte parlementaire. Dans ce contexte,l’assistant est la personne qui, concrètement, met en relation les doléancesdu public, des habitants de la circonscription du député, avec les ressourcesde ce dernier, personnelles ou institutionnelles. En cela, il est un rouage dudispositif d’extraversion du député.

Pour s’en rendre compte, il suffit de côtoyer l’assistant et d’observer letravail qu’il accomplit au quotidien. Dans le cas de Névine, l’essentiel desdemandes qu’elles recueillent et qu’elles traitent 19 se rapporte à l’assurancemédicale et à la prise en charge de soins. En effet, le remboursement dessoins médicaux est une procédure longue et compliquée en Égypte. Les cir-cuits habituels étant particulièrement encombrés ou enrayés pour cause demauvaise gestion, la plupart des gens ont recours à des procédures parallè-les. L’une d’entre elles est de solliciter son député : chaque parlementaire a,via le bureau parlementaire de la santé, qui fait partie de l’administration del’Assemblée du peuple, droit à des autorisations de prise en charge médical.Grâce à ces dernières, la prise en charge des soins généraux et le rembour-sement de soins spécialisés se fait plus rapidement et plus sûrement. N’étantni nominatives, ni limitées pour le député, celui-ci peut en faire bénéficierqui il veut.

Ce sont ces autorisations que les gens viennent solliciter à la permanenceet ce sont elles que Névine se charge d’aller demander et retirer chaquematin à l’Assemblée du peuple. Cette demande est si commune que son trai-tement en est routinisé : une personne vient, expose son cas à Névine et fournitle dossier médical et des papiers d’identité ; elle les réceptionne, en demanded’autres le cas échéant, assure qu’elle transmettra et en parlera au député 20,donne les numéros de téléphone pour que la personne reste en contact, etenfin, conseille d’appeler dans quelques jours pour savoir ce qu’il en est.Les formules « ihna taht al-‘amr » (« nous sommes aux ordres »), « ta’ab’ma’ana » (« suis avec nous » ou « reste en contact »), « rabina essahil » (Dieuy pourvoira ») émaillent l’échange. Chaque demande s’accompagne d’un

19. Du moins, c’est ce qui nous a été donné de voir, sur une dizaine jours, lors de notre terrain au seinde la permanence.20. Ce qui, dans la pratique, est rarement le cas. Par commodité ou pour d’autres raisons aisément com-préhensibles, le député n’est pas tenu informé des détails : ayant totalement délégué cette mission auxassistants, il se contente, parfois, de demander le nombre d’autorisations délivrées.

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exposé détaillé du cas : c’est l’occasion pour le demandeur de longuements’épancher, de parler de ses problèmes, professionnels et/ou familiaux et,parfois, d’en arriver à formuler d’autres demandes 21. Lorsqu’elle seretrouve seule, Névine se charge de mettre en forme les dossiers et, de lessoumettre au bureau de l’Assemblée du Peuple. Ainsi, chacune de ses jour-nées de travail commence par une visite à ce service administratif du parle-ment. De dispensateur, l’assistant se fait solliciteur avec les administrations.Dans le processus de traitement de la requête le rôle et l’identité de l’assis-tant sont amenés à évoluer.

Des demandes plus originales et des cas moins habituels peuvent appa-raître au sein de la permanence. Parfois anecdotiques mais souvent révéla-trices, ces demandes reflètent l’étendue des besoins à propos desquels ledéputé peut être sollicité. En filigrane, cela témoigne de l’importance et ducaractère nécessaire qu’il peut avoir pour ses administrés dans leurs pro-blèmes quotidiens. A cet égard, le cas de cet homme, venu de Baltîn, la cir-conscription d’Al-Sabâhî, est intéressant, non seulement pour l’exemplequelque peu comique qu’il donne à voir mais surtout parce qu’il illustre bienun aspect du travail de l’assistant parlementaire : « L’homme demande àvoir Al-Sabâhî. Contrarié lorsqu’il apprend que ce dernier est en voyage, ilfinit, au bout d’un certain temps et face à l’insistance diligente de Névine,par exposer son cas. Il y a un an, il a demandé au député de lui trouver untravail à la direction départementale dont il dépend du ministère de la Jeu-nesse et des Sports. L’homme est, en effet, diplômé d’éducation physique.Il n’obtient pas de réponse et une année se passe. En ce moment, il travaillepour un programme d’alphabétisation du ministère des affaires sociales, cequi explique sa présence au Caire. Il vient pour relancer le député mais aussipour lui exposer un autre de ses problèmes. Il y a quelques mois, il reçoitune convocation du ministère de la Jeunesse, il s’y rend et s’aperçoit, surplace, que ce n’est nullement pour le travail demandé mais pour recevoir,dans le cadre de la célébration du 1er mai, un ventilateur et un fer à repasser.Déçu il tente de comprendre le pourquoi de ce cadeau. Suite à une erreurd’acheminement de son courrier, son nom s’est retrouvé sur la liste de béné-ficiaires de prix et non sur celle du bureau du recrutement. Ainsi, s’il a, cer-tes, un ventilateur et un fer à repasser, il n’est pas sur les listes d’embauche.Cette erreur lui coûte cher et il aimerait que le député fasse quelque chosepour lui. »

Tout l’enjeu pour Névine, est, ici, de trouver la prise adéquate pour trai-ter ce cas. Le fait que sa première question soit : « que veux-tu que l’onfasse ? » (Na’mal eh tayyib ?) traduit bien l’originalité de la demande.

21. C’est par exemple le cas de cette mère de famille venu pour une prise en charge de sa fille maladeet qui repartira avec la promesse d’une intervention du député pour que son fils change d’école.

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« L’homme ne sait pas quoi faire et se met même en colère face à l’inter-rogation de Névine : après tout, c’est à eux [les gens d’Al-Sabâhî] de savoirquoi faire ! Calmement, elle lui propose la chose suivante : elle en parle audéputé pour que ce dernier en parle à ses connaissances au sein du ministère,mais en attendant il doit apporter une lettre exposant sa situation et restituerle ventilateur et le fer à repasser afin que son dossier retrouve le cours nor-mal de son parcours administratif. Elle lui conseille de réécrire égalementune lettre au député pour un travail et une lettre au ministère dans le mêmesens avec la copie de ses diplômes. L’homme se laisse peu à peu convaincreque c’est la seule manière de procéder, la discussion se poursuit, encore plusd’une demi-heure, sur la pertinence et la nécessité de rendre ses cadeaux :faut-il vraiment les restituer tous les deux ? le ventilateur, tout de même, estbien utile…Peut-il au moins rapporter son ancien ventilateur à lui ? Finale-ment, après s’être rendu aux arguments de Névine, l’homme repart avec lapromesse que le député le contactera bientôt. »

Restons un moment sur le travail et le savoir-faire de Névine. En luidemandant de constituer un dossier, elle anticipe les démarches qui vont sui-vre, en se fondant sur son expérience et sur sa connaissance des logiques admi-nistratives. Elle élabore une stratégie en retraduisant le cas exposé dans un sensplus familier et en le remettant sur les rails du déroulement normal et routiniséd’une demande de travail. N’en déplaise à Amr, le travail de Névine, profild’assistant parlementaire dont il tient à se démarquer, comporte bel et bien desaspects techniques et relève également de l’expertise : expertise à décrypter lescas exposés et à leur trouver un traitement et une solution appropriés.

Plus généralement, c’est donc bien uniquement et entièrement grâce à sonstatut que le député (ou plus concrètement, ses assistants) est en mesure defournir des services et de répondre aux demandes des habitants de sa circons-cription. Dans tous les cas, relevons que le tiers s’adresse au député, avanttout, pour résoudre un problème privé. Dans cette configuration, l’assistantmet en œuvre une grammaire spécifique, que nous avons appelé de services,qui a, au moins, deux caractéristiques majeures. D’une part, elle est experte,en ce sens où se déploie selon un dispositif visant à fournir des prises commu-nes, à pouvoir subsumer le cas soumis à des catégories habituelles et routiniè-res. D’autre part, elle est fortement dépendante des ressources du député, deses réseaux sociaux et de ses relations politiques. De fait, l’assistant ne peutrendre des services que grâce à l’entregent et aux privilèges statutaires dudéputé qu’il seconde. Au-delà de l’assistant parlementaire en tant que tel, lagrammaire de services, outre le fait qu’elle implique un député-intermédaire,énonce une définition précise de la députation, entendue comme une manièrepermettant institutionnellement de fournir des services.

Dans ce contexte, l’assistant assure l’articulation entre le dedans et ledehors de l’enceinte parlementaire. Il faut bien voir que cette jonction est

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spécifique, en ce sens, où elle n’est absolument pas destinée à susciter undébat ou une action parlementaire. Les doléances recueillies sont traitées demanière privative et elles sont destinées à rouler d’administrations en admi-nistrations pour venir mourir aux marches du parlement. C’est en ce sens quenous parlerons de désenclavement paradoxal pour qualifier le parlementégyptien : connecté à l’extérieur via les permanences des députés et extra-verti du fait de l’activité des assistants parlementaires qui traitent des doléan-ces, il n’est pas, dans ses activités et son ordre du jour, soumis aux forcesextérieures « qui font vibrer ses portes et pénètrent jusque dans l’enceinte »,pour reprendre la formule de Jaurès 22. Les problèmes soumis aux assistantsau sein des permanences ne se transforment pas en questions posées par lesdéputés lors des séances parlementaires. Et finalement, ce qui émerge au seinde l’arène parlementaire ce sont moins les « récoltes » des permanences queles dossiers ou les points spécifiques préparés par les attachés au sens tech-niciste du terme, comme en témoigne ce propos de Amr : « Notre grandefierté c’est l’année dernière. Lors de l’allocution du Premier ministre sur lapolitique générale […] nous avions préparé des commentaires et transmisquatre pages de commentaires à Badrawi qui les a lu et ces quatre pages ontensuite été intégrées à la réponse officielle du gouvernement. Là oui c’estgratifiant, on a l’impression de vraiment participer, d’être partie prenanted’une décision ».

Nous avons vu à quel point ce profil d’assistants parlementaires estencore peu répandu. Plus largement, il est à relever que le fait que ce soit cetaspect du travail parlementaire qui émerge en séance publique est un indicede l’endodéterminisme du parlement égyptien.

Avant de conclure, nous aimerions insister sur un point et mettre engarde contre le fait de se laisser prendre au jeu d’une conception essentia-liste, ou plus exactement, d’une lecture exclusivement en termes de genredes grammaires relevées. De fait, c’est ce que pourrait laisser suggérer cer-tains des aspects associés à nos deux assistants parlementaires, et qui pour-raient, à tort, nous conduire à cette trop facile déduction qui voudrait queNévine, parce que femme, est forcément « secrétaire » et préoccupée desocial, alors que, Amr, parce que homme, est résolument « assistant » et inté-ressé par la politique. Pareille déduction relève, selon nous, de la sur-inter-prétation tant elle fait fi du statut de prototype que nous avons pris soind’attribuer aux deux profils. Ce statut implique bien et renvoie fortement aufait, qu’au-delà de leurs particularités, Amr et Névine partagent avec d’autresassistants les traits et caractéristiques qui nous ont permis de dégager les deuxgrammaires de notre étude. Disons-le clairement : d’autres assistants mascu-lins accomplissent les mêmes tâches que Névine, et le contraste existant

22. Cité par HEURTIN J.-P., op. cit., p. 179.

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entre les deux assistants est loin de renvoyer à la dimension du genre. End’autres termes, le travail social et le rôle de secrétaire sont moins des carac-téristiques féminines qu’ils ne sont le produit de la relation au député, de lamarge de manœuvre et de la manière dont ce dernier conçoit sa fonction.

Par contre, le statut de prototype nous permet de remonter le fil de ladéduction vers la question du fonctionnement du parlement égyptien. En sui-vant les assistants parlementaires, c’est bien deux conceptions possibles dece fonctionnement qui ressortent. La première, que nous pourrions présentercomme politique est soutenue par une grammaire de la professionnalisationet suppose un fort endodéterminisme de l’enceinte parlementaire dédiée auxdébats et aux discussions de projets de lois. Dans cette conception, le députéest un acteur délibérant, dont les activités s’orientent vers la discussion par-lementaire. La seconde, appuyée sur la grammaire de services, renvoie à unparlement ouvert sur l’extérieur mais de manière paradoxale en ce sens oùcette ouverture débouche plus sûrement sur une gestion privée des pro-blèmes sociaux que sur une attention collective portée à ces problèmes. Ledéputé est, ici, prestataire de services d’autant plus efficace qu’il s’appuie surles ressources personnelles, politiques et autres privilèges qui vont de pairavec le statut. Les exemples sur lesquels nous avons travaillé sont riches d’unautre enseignement : ils montrent, en effet, que la version politique est portéepar un membre du parti au pouvoir alors que celle de service l’est par unreprésentant de l’opposition. Sans prétendre donner l’entière explication oula complète analyse de ce paradoxe, on peut, néanmoins, faire l’hypothèsequ’il n’est pas sans lien avec la position hégémonique du parti au pouvoirpour ce qui est de l’accès aux ressources étatiques. Laquelle position consti-tue, indéniablement, une contrainte et oblige en Égypte, sans doute plusqu’ailleurs, un député de l’opposition à faire la preuve de sa capacité à four-nir des services. Dans cette logique, l’accès au Parlement avec ce qu’il impli-que d’acquisition de ressources convertissables en services est primordial.

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