le modal may dans les phrases optatives : étude syntaxique, sémantique et pragmatique

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ANGLOPHONIA 18/2005, pp. 103-136 Le modal MAY dans les phrases optatives : étude syntaxique, sémantique et pragmatique 1 Grégory FURMANIAK * ABSTRACT The aim of this paper is to propose a syntactic, semantic and pragmatic analysis of the so-called optative use of may in contemporary English. Our claim is that the untypical word-order is due to the presence in the Foc position of the abstract feature [+SUBJUNCTIVE] which attracts the modal. From a semantic perspective, two elements are therefore considered: the meaning of the subjunctive and the semantic value of may. We argue that may retains its value of material possibility. But unlike can, the possibility signified by may is problematic and the bringing about of the state of affairs is presented as beyond the power of both the speaker and the subject. In independent clauses, the feature [+SUBJUNCTIVE] signifies a general form of wish and gives rise to various illocutionary values (prayer, instruction, curse, etc.). In optative sentences, however, under the influence of the modal which indicates the speaker’s powerlessness, [+SUBJ.] comes to signify a passive kind of wish, namely: hope. Accordingly, the pragmatic function of optative utterances is limited to one type of illocutionary value: prayer. Optative utterances must therefore be interpreted as: I pray that X may remove barriers preventing P. Paradoxically, having the illocutionary value of prayers, optative utterances are both an admission of the speaker’s powerlessness and a last-resort effort to bring about the state of affairs s/he hopes for. Mots-clefs : grammaire anglaise, optatif, subjonctif, souhait, possibilité, modalité Introduction L’emploi optatif de may est souvent relégué en marge des chapitres consacrés aux modaux ou à may. La place qui lui est réservée s’explique à la fois par la faible fréquence de ses occurrences ainsi que par sa position apparemment excentrée à l’intérieur du système en raison de sa singularité syntaxique. Certains (Papafragou 2000, James 1986) vont jusqu’à en faire un emploi à part. Nous verrons que cette mise à l’écart n’est pas justifiée. S’il est indéniable que son usage est aujourd’hui limité à certains types de discours (poésie et discours religieux 1 Nous remercions Gabriel Krom pour ses suggestions. * Université de Reims.

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ANGLOPHONIA 18/2005, pp. 103-136

Le modal MAY dans les phrases optatives : étude syntaxique, sémantique et pragmatique1

Grégory FURMANIAK *

ABSTRACT

The aim of this paper is to propose a syntactic, semantic and pragmatic analysis of the so-called optative use of may in contemporary English. Our claim is that the untypical word-order is due to the presence in the Foc position of the abstract feature [+SUBJUNCTIVE] which attracts the modal. From a semantic perspective, two elements are therefore considered: the meaning of the subjunctive and the semantic value of may.

We argue that may retains its value of material possibility. But unlike can, the possibility signified by may is problematic and the bringing about of the state of affairs is presented as beyond the power of both the speaker and the subject.

In independent clauses, the feature [+SUBJUNCTIVE] signifies a general form of wish and gives rise to various illocutionary values (prayer, instruction, curse, etc.). In optative sentences, however, under the influence of the modal which indicates the speaker’s powerlessness, [+SUBJ.] comes to signify a passive kind of wish, namely: hope. Accordingly, the pragmatic function of optative utterances is limited to one type of illocutionary value: prayer. Optative utterances must therefore be interpreted as: I pray that X may remove barriers preventing P.

Paradoxically, having the illocutionary value of prayers, optative utterances are both an admission of the speaker’s powerlessness and a last-resort effort to bring about the state of affairs s/he hopes for.

Mots-clefs : grammaire anglaise, optatif, subjonctif, souhait, possibilité,

modalité

Introduction L’emploi optatif de may est souvent relégué en marge des chapitres

consacrés aux modaux ou à may. La place qui lui est réservée s’explique à la fois par la faible fréquence de ses occurrences ainsi que par sa position apparemment excentrée à l’intérieur du système en raison de sa singularité syntaxique. Certains (Papafragou 2000, James 1986) vont jusqu’à en faire un emploi à part. Nous verrons que cette mise à l’écart n’est pas justifiée. S’il est indéniable que son usage est aujourd’hui limité à certains types de discours (poésie et discours religieux

1 Nous remercions Gabriel Krom pour ses suggestions.

* Université de Reims.

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essentiellement), notre étude sur corpus électronique (BNC, Web Concordancer et recherches sur Google) montre que cette structure demeure relativement vivace2.

Nous ferons l’hypothèse que la spécificité syntaxique de cette construction peut être attribuée au mode subjonctif, qui apparaît en structure profonde sous la forme d’un trait abstrait, et que son fonctionnement sémantico-pragmatique résulte de la combinaison du subjonctif et du sémantisme du modal may dont nous tenterons de sérier la valeur.

1. Propriétés syntaxiques

La particularité d’un énoncé comme (1) est avant tout syntaxique. [1] You are in my thoughts. May you have the strength and courage to do what is right and necessary. (Web Concordancer; The Times; mars 1995) On constate en effet une inversion de l’ordre canonique des phrases

affirmatives avec AUX-S-V au lieu de S-AUX-V. L’ordre linéaire est de fait le même que dans les phrases interrogatives, ce qui fait dire à E. Gilbert (2001 : 74) que les « occurrences de may à valeur optative [...] font également entrer en jeu un schéma de type interrogatif ». Cette affirmation est toutefois nuancée en raison de l’« absence d’intonation interrogative » (Ibid. : 75). P. Cotte (1988 : 444) a bien vu qu’au delà de l’intonation, certains arguments syntaxiques montrent que la structure se différencie des interrogatives. Soit l’exemple (2) :

[2] May she live long! (Emprunté à Cotte 1988 : 444) P. Cotte (Ibid.) constate fort justement que (2) autorise l’antéposition (ou

focalisation3) de l’adverbe long, comme en (2a), contrairement à une interrogative telle que (3).

[2a] Long may she live! [3] May she stay here long? (Emprunté à Cotte 1988 : 444) [3a] * Long may she stay here? On pourrait objecter que la construction Long may... est figée et que

l’argument ne peut par conséquent s’étendre à l’ensemble des phrases optatives en may. Mais long n’est pas le seul élément susceptible d’être antéposé4. On peut citer, à titre d’exemples, les énoncés ci-après :

2 Visser (1978 : 1785) juge même son emploi contemporain : « common [...] in more formal diction ».

3 Le terme « focalisation » se justifie syntaxiquement, dans la mesure où l’adverbe long, lorsqu’il est

antéposé, donne lieu à une inversion de type AUX-S (Par exemple : Long have I loved you (www.georgetown-edu)), mais aussi sémantiquement parce que, contrairement à la topicalisation, l’élément focalisé ne renvoie pas à une information ancienne. (cf. Haegeman & Guéron 1999 : 527) 4 L’antéposition est d’ailleurs loin d’être marginale. Sur 195 occurrences du may optatif relevées sur le

BNC, 20% contiennent une focalisation. Cependant, dans la majorité des cas (soit 59% des antépositions),

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[2b] Much joy may she have of him! (BNC) [2c] Much good may it do her! (BNC) [2d] and upon his pate may his violence descend. (BNC) [2e] With joy may we burn and cleanse! (BNC) La focalisation du NP objet en (2b-c) et du PP en (2d-e) confirme l’analyse

de P. Cotte. Néanmoins, si (2) n’est pas une interrogative, il est légitime de se pencher sur les raisons de cette « inversion », sur la genèse de la structure et, dans la mesure où nous postulons que la forme fait sens, sur sa signification. Soit l’énoncé (4) :

[4] May your wishes all come true. (Bob Dylan, « Forever Young ») Avant tout, il convient de dire que nous considérons que les modaux anglais

se comportent peu ou prou comme des verbes à montée, ce qui d’ailleurs va de soi si l’on adhère à l’hypothèse du sujet interne5. De la même manière que John seems to be ill a pour structure profonde : seem [John to be ill], un énoncé modalisé comme John may be ill est dérivé de : may [John be ill]

6. La structure de surface d’une phrase avec le may optatif telle que (4) est

donc apparemment proche de sa structure profonde : may [your wishes all come true]. On pourrait alors conjecturer qu’aucun mouvement ne se produit et que l’on s’en tient à la structure profonde. Il faudrait alors motiver cette absence de montée. Mais cette hypothèse ne résiste pas à un examen plus poussé de (4). Nous n’avons jusqu’ici rien dit du quantifieur all mais sa position pose problème. En (4), il suit le NP your wishes et on pourrait en conclure qu’il appartient au V’ come true. Cependant, (4a) montre qu’il n’en est rien, puisque all y précède le NP.

[4a] May all your wishes come true.

c’est l’adverbe long qui est antéposé. (A noter que les pourcentages sont arrondis à l’entier inférieur ou supérieur). 5 La SIH (Subject Internal Hypothesis) suppose que l’argument externe du verbe (le sujet réel) est généré,

en structure profonde, à l’intérieur du VP, plus précisément en [Spec, VP]. Le modal, quel que soit son sens, est donc naturellement extérieur au VP qui correspond à ce qu’on appelle traditionnellement la relation sujet/prédicat. Pour plus de détails sur la SIH, cf. Haegeman et Guéron (1999 : 227-235) et, pour le cas des modaux, cf. Furmaniak (2004 : 213-214). A noter que Pullum et Wilson 1977 défendaient déjà l’analyse des modaux comme des verbes. 6 Alors que seem est généré dans un VP supérieur, le modal est généré en T. Cette différence n’est certes

pas négligeable mais l’important est que dans les deux cas, le NP n’est pas l’argument externe de seem ou de may et qu’il subit une montée en position de sujet grammatical.

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En réalité, all est un quantifieur flottant (cf. Haegeman & Guéron 1999 : 228-229) qui, comme l’argument externe, est généré en [spec, VP]7, mais qui est autorisé à suivre le NP dans son mouvement ou à rester en sa position d’origine alors même que le NP subit une montée. Ainsi, (4a) pourrait laisser croire que le NP all your wishes n’a subi aucun mouvement, mais la place du quantifieur flottant en (4) montre clairement que your wishes a quitté sa position initiale. Dans un souci d’unité, nous concluons qu’il en va de même en (4a) et que all your wishes a été déplacé. Dès lors, notre première hypothèse (absence de mouvement) s’effondre.

Revenons-en donc à la structure profonde, et observons-la de plus près. Comme nous l’avons dit, le NP sujet est généré en [spec, VP], come true en V’ et le modal en T. Sur ce dernier point (comme sur beaucoup d’autres dans cette première partie), nous suivons Haegeman et Guéron (1999 : 315), dans la mesure où les auxiliaires de modalité portent toujours le temps et qu’ils n’ont pas de forme infinitive. On figurera les choses en (a), en signalant par une flèche la montée partielle ou totale de all your wishes en [spec, TP].

– Figure (a) –

7 Nous simplifions volontairement. Mais l’énoncé suivant va sans ce sens, puisque l’adverbe always précède le quantifieur : Stay close with Lucky and Pookie, and may you always all know that we love you, and will see you again some day.... (www.petloss.com/tribut99/ttrib99.htm)

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La montée du NP sujet (avec ou sans all) en [Spec, TP] est motivée à la fois par l’incapacité de la forme non finie du verbe come à assigner le nominatif à son argument externe et par le caractère inaccusatif du modal, incapable d’assigner l’accusatif. On obtient alors, pour (4), la structure « intermédiaire » figurée en (b) :

– Figure (b) – Pour obtenir la structure de surface que nous connaissons, il faut postuler

un mouvement supplémentaire, du modal cette fois, qui monte en AGR. Le modal est attiré en AGR par l’accord. Le NP sujet monte alors en [Spec, AGRP], qui est la position du sujet grammatical. La montée du NP en [spec, AGRP] est confirmée par les énoncés négatifs tels que :

[5] May you not forget the infinite possibilities that are born of faith. (www.babalikkarin.com) En anglais, NegP est en effet directement dominé par AGR’ (Ibid. : 317),

comme on peut le voir en figure (c). De fait, puisqu’en (5), not suit le NP sujet, on en déduit que ce dernier opère effectivement une montée vers [Spec, AGRP].

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– Figure (c) – Mais cette montée du NP implique une nouvelle montée de may, si l’on

veut obtenir l’inversion AUX-S typique des énoncés optatifs en may. C’est bien entendu vers CP que l’auxiliaire se déplace, et, plus précisément, vers la projection fonctionnelle dominée par CP, à savoir : FocP. Son spécifieur accueille les éléments focalisés, c’est-à-dire l’information nouvelle (Ibid. : 527), et sa tête (Foc) reçoit l’auxiliaire en cas d’inversion (due à l’interrogation ou à l’antéposition d’un élément adverbial). Le modal termine donc sa « course » en Foc et le NP sujet en [Spec, AGRP]. Contrairement à nos attentes, la genèse de ces énoncés semble donc

CP

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similaire à celle des interrogatives fermées. Comment rendre compte alors de la différence notée par P. Cotte (Cf. supra) entre les deux types de phrases au regard des groupes adverbiaux antéposés ? Comment également motiver la montée de may dans les optatives, particulièrement en l’absence d’antéposition ?

Rappelons les faits. (3a) et (2f) montrent que toute focalisation est interdite dans les interrogatives, alors qu’elle est permise dans les phrases optatives, comme on le constate en (2e).

[3a] * Long may she stay here? [2f] * With joy may we burn and cleanse? [2e]With joy may we burn and cleanse! (BNC) Dans le cadre du modèle syntaxique utilisé ici, on postulera, pour rendre

compte de ces phénomènes, une différence au niveau de la structure profonde des deux types de phrases. Dans les interrogatives directes (Haegeman & Guéron 1999 : 527), Foc est occupée par le trait [+WH]8 qui spécifie que la phrase est une interrogative. [Spec, FocP] est vide dans les questions fermées, mais si cette place est occupée, elle ne peut l’être que par un élément interrogatif (auquel cas on a une questions en wh-). En effet, un élément (adverbial ou autre) doté d’un contenu informationnel entrerait en conflit avec le trait [+WH] de Foc. On en conclut que (2e) est acceptable parce que Foc ne contient pas le trait [+WH]9. [Spec, FocP] peut alors accueillir une projection focalisée, et on obtient alors, pour (2a), la structure de surface ci-dessous (Fig. (d))10.

[2a] Long may she live!

[FocP long [Foc mayi ] [AGRP shej [AGR ti ] [TP tj ti [VP tj [V live]]]]]

– Figure (d) –

La différence syntaxique entre les interrogatives et les optatives en may trouve donc une explication, au sein de notre modèle, en postulant la présence de [+WH] dans les premières et son absence dans les secondes.

Un problème demeure cependant : comment motiver l’ultime montée de may en Foc? On a vu que dans les interrogatives, la montée de l’auxiliaire est

8 [+WH] est en réalité généré en T. Il monte en Foc pour signaler le mode interrogatif. Si la phrase

contient un auxiliaire, AUX+ [+WH] monte en Foc, sinon, [+WH] monte seul et l’auxiliaire do est inséré en Foc afin de « porter » le trait interrogatif. 9 Haegeman et Guéron (1999 : 104) proposent que les phrases affirmatives contiennent le trait [-WH].

Nous pensons préférable d’en faire l’économie. 10

Long occupe nécessairement la place du spécifieur, puisqu’on peut avoir : All day long may I walk (www.public-domain-content.com). Cela montre que ce n’est pas uniquement Adv qui est focalisé mais AdvP.

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justifiée par le trait [+WH]. Celui-ci étant associé à T et à l’auxiliaire portant l’inflexion temporelle, le mouvement de [+WH] entraîne celui de T et, par conséquent, celui de l’auxiliaire. Dans un souci de cohérence, nous proposons que, dans les énoncés optatifs, le modal est également « entraîné » en Foc par un trait abstrait attaché à T (et donc à l’auxiliaire) et dont la place en S-structure est Foc. Toutefois, contrairement à [+WH], ce trait ne devra pas s’opposer à la focalisation. Nous faisons donc l’hypothèse que ce trait s’apparente à [+WH] dans la mesure où il signale aussi le mode mais qu’il s’agit ici du mode subjonctif, que l’on notera [+SUBJ]. Comme [+WH], [+SUBJ] appartient au domaine de CP, mais contrairement à [+WH], [+SUBJ] n’interdit pas que [Spec, FocP] soit occupé par un élément focalisé non interrogatif. On proposera donc, pour représenter la structure de surface de (2a) l’arbre de la figure (e) ci-après.

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– Figure (e) – Comment étayer cette hypothèse du subjonctif ? D’abord, il convient de

dire qu’elle est en partie dépendante du modèle choisi. Cependant, deux éléments permettent d’argumenter en sa faveur : (i) l’existence avérée du subjonctif en anglais contemporain, et (ii) les similarités syntaxiques entre les subjonctives et les optatives en may. En effet, N. Quayle (1998) a montré de façon convaincante que le subjonctif en anglais contemporain (y compris en anglais britannique) ne pouvait être taxé d’archaïsme. Ce mode, qui se réalise par l’absence de marque formelle, est en effet

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particulièrement productif dans les subordonnées régies par des verbes comme demand ou suggest. Postuler alors un trait [+SUBJ] pour rendre compte de certaines propriétés syntaxiques et morphologiques n’est donc pas une aberration. En outre, même si les occurrences du subjonctif dans les subordonnées sont nettement plus nombreuses et variées que dans les indépendantes, les données montrent qu’il n’est pas justifié d’analyser ces dernières comme des constructions figées sans rapport avec les subordonnées.

Pour ce qui est du second point, les similarités sémantico-syntaxiques entre des paires du type God bless you/May God bless you ou Long live the Queen/Long may live the Queen invitent à un rapprochement des deux structures. Toutefois, cette analyse de surface reste pour le moins intuitive. Si l’on veut soutenir que le même trait abstrait opère dans les deux constructions, il convient de se livrer à un examen rigoureux des propriétés syntaxiques du subjonctif dans les indépendantes et, dans un deuxième temps, de comparer les deux types de phrases. Considérons tout d’abord (6-7).

[6] Long Reign Pope Benedict XVI. (www.penitent.blogmosis.com) [7] Forever last the golden age. (www.litesofavalon.com/poetry.html) On observe une focalisation des adverbes temporels (ou plus exactement

des syntagmes adverbiaux) qui occupent [Spec, FocP], comme l’autorise le trait [+SUBJ] en Foc. On remarquera toutefois l’agrammaticalité des énoncés ci-après.

[6a] * Pope Benedict XVI reign long. [6b] * Long Benedict XVI reign. [7a] * The golden age last forever. [7b] * Forever the golden age last. On constate deux conditions à l’acceptabilité des énoncés tels que (6-7). La

focalisation de l’adverbe est nécessaire ([Spec, FocP] doit être occupée) et l’ordre des mots doit être V-S et non S-V. On en conclura que le verbe, de manière tout à fait exceptionnelle quitte son site d’origine pour monter en Foc, attiré par le trait [+SUBJ]. Cette montée l’entraînant en T et en AGR, le verbe est également porteur du temps (le présent) et de l’accord.

Doit-on généraliser cette montée du verbe à l’ensemble des indépendantes au subjonctif ou est-elle le seul fait de la focalisation de l’adverbe qui exige l’inversion ?

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Le test de la négation pourrait être utile, mais il s’avère que les indépendantes subjonctives ne sont jamais négatives11. En effet, dans un exemple comme (8), il semble que not porte sur circumsizing et non sur bless.

[8] A : I like my country, not all of it, but I’d rather be here working like a Trojan than wearing some god damned burka and being female circumcised so I wouldn’t masturbate. and I like sushi God bless America! B: God bless not circumsizing females! (www.rambozo.com) En revanche, une manipulation simple peut confirmer la généralisation de

la montée du verbe dans les subjonctives indépendantes. En effet, (7c) tend à prouver que bless monte en Foc et God en [Spec, FocP], l’agrammaticalité de la phrase pouvant s’expliquer par le fait que forever et God sont tous deux censés occuper le spécifieur de FocP.

[7c] * Forever God bless men. En fait, il y a montée du verbe dans les cas où, à l’indicatif, apparaîtrait

l’auxiliaire do (pour supporter un trait abstrait ou la négation). Or, on peut supposer que do est trop actualisant pour s’associer au trait [+SUBJ].

Néanmoins, la genèse des indépendantes subjonctives que nous venons d’esquisser n’est pas sans poser de problèmes. D’abord, on peut se demander pourquoi (6-7) sont acceptables alors que (6c) ne l’est pas.

[6c] * Long work the king! Il semblerait qu’une certaine harmonie sémantique soit nécessaire entre le

verbe et l’adverbe pour que cette montée exceptionnelle du verbe puisse avoir lieu. On trouvera donc des verbes tels que live, reign, last, rest ou même exist qui ont tous en commun la notion de durée. Peut-être doit-on leur attribuer un sens existentiel qui leur fait partager certaines propriétés syntaxiques de be, en l’occurrence, la capacité de s’extraire de VP.

En revanche, il est plus difficile de rendre compte de l’agrammaticalité de (6d) qui montre que la focalisation de l’adverbe est obligatoire.

[6d] * Reign Benedict XVI long! Très prudemment, nous avancerons l’explication suivante, qui rejoint

partiellement l’idée d’harmonie sémantique. Il se pourrait que c’est parce qu’il

11

En revanche, on peut avoir des subordonnées au subjonctif négatives. Par exemple : I have instructed my relatives to demand that he not come near them should they be hospitalized. (http://freerepublic.com). La position de not tend à prouver qu’il n’y a pas de montée du verbe dans les subordonnées, mais cela ne permet pas de tirer de conclusions quant aux indépendantes.

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indique la durée de validité de la situation dénotée par le verbe que l’adverbe long ne peut pas être séparé de celui-ci.

Par ailleurs, il convient également d’expliquer l’agrammaticalité de (6a) alors que (9) est acceptable.

[6a] * Pope Benedict XVI reign long. [9] God bless you! Il serait aisé d’écarter (9) en invoquant le figement (n’entend-on pas God

bless! ?). Mais le fait est que la coalescence S-V est rare (cf. Lazard 1994 : 17) et que, surtout, bless n’est pas le seul verbe utilisable dans cette construction. On citera, entre autres :

[10] Next time the co-worker sneezes say "God curse you" instead. (home.sprintmail.com) [11] RESPECT THE CHILDREN! WE’LL CALL THE POLICE! GOD PUNISH YOU! (www.plus613.com) En fait, il s’avère qu’un nombre infime de NP sont susceptibles d’occuper

[spec, FocP]. Ils ont en commun de renvoyer à une divinité ou quasi-divinité. Ainsi, pourra-t-on trouver :

[12] Jesus Christ bless you and give you peace. (www.biblegateway.com/passage) [13] I interpreted it to mean, « The Holy Virgin bless you » (Internet)

mais ni (6a), ni, par exemple : [9a] * The president bless you! Une explication consisterait à considérer ces NP comme des vocatifs, ce qui

justifierait leur antéposition. Mais nous avons à dessein choisi des exemples ou l’objet du verbe est you, ce qui rend cette hypothèse indéfendable. Peut-être faut-il se résoudre à accepter ce phénomène comme une exception due au contenu référentiel particulier de ces NP sujets, autorisés, par l’importance que la culture a donné à ces référents, à monter en [Spec, FocP], même en l’absence d’inversion ou d’interrogation.

Même si, comme on l’a vu, les énoncés au subjonctif posent un certain nombre de problèmes que nous ne pouvons résoudre totalement dans le cadre de cette étude, l’analyse des indépendantes au subjonctif 12 nous autorise à faire l’hypothèse d’un trait [+SUBJ] en Foc qui, dans ces phrases, attire le verbe lexical et permet, contrairement à [+WH], la focalisation d’un AdvP, voire d’un NP sujet sous

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Nous n’avons pas la place ici pour traiter les phrases comme Cursed be the deceiver (Internet) qui, sans remettre en cause notre explication, posent un certains nombre de problèmes sur le plan syntaxique.

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certaines conditions d’ordre référentiel. Il faut donc maintenant, en comparant les subjonctives indépendantes et les optatives en may, déterminer s’il est légitime de postuler le même trait [+SUBJ] dans ces dernières.

À vrai dire, les différences existent et ne doivent pas être dissimulées. Doivent-elle nous conduire à remettre en question notre hypothèse d’un trait [+SUBJ] commun aux deux structures ? Nous ne le pensons pas, car à supposer que les subjonctives et les optatives relèvent bien du subjonctif, ceci ne doit pas nous faire oublier que les secondes ont pour particularité de contenir l’auxiliaire may. Or, il paraît normal que la présence d’un modal dans une structure ait des répercussions sur son fonctionnement syntaxique. Qu’il y ait des différences n’est donc pas surprenant et ne remet pas nécessairement en question notre postulat, à condition, bien entendu, que celles-ci puissent s’expliquer par la présence de may et qu’elles ne contredisent pas le rôle que nous avons attribué à [+SUBJ].

D’abord, il apparaît que, contrairement à ce qui a été observé avec les subjonctives, les optatives en may n’exigent pas l’antéposition d’un adverbe comme long. On se souvient de l’agrammaticalité de (6d), alors qu’on dira plus ou moins indifféremment (6e) ou (6f).

[6d] * Reign Benedict XVI long! [6e] Long may Benedict XVI reign [6f] May Benedict XVI reign long Nous avons rendu compte de (6d) en invoquant la nécessité pour l’adverbe

long d’être en relation locale avec le verbe. Or, il semble que la séparation du verbe et de l’adverbe en (6e) peut s’expliquer par la fait que long, bien qu’éloigné du verbe, est en relation locale avec le temps, porté par le modal. Ce n’est pas le cas en (6d).

La deuxième différence tient au fait que les subjonctives autorisent la montée en [spec, FocP] de certains NP sujets (du type God, Christ), ce qui n’est pas le cas des optatives en may, puisque God may bless you ne saurait être interprété comme une optative. Là encore, on peut rendre compte de cette impossibilité sans remettre en cause l’hypothèse du subjonctif. Il suffit en effet de dire que la montée de God en [spec, FocP] est bloquée pour des raisons de lisibilité évidentes. En effet, si l’antéposition de may est, dans notre structure, la seule indication formelle du subjonctif, on comprend aisément que la structure bloque la montée du sujet qui viendrait opacifier le mode.

Les exemples suivants montrent qu’en cas d’antéposition d’un adverbe, les optatives, contrairement aux subjonctives, n’imposent pas l’inversion V-S. Ainsi, on a V-S en (6g) et S-V en (6e), alors que S-V rend (6b) agrammaticale.

[6g] Long may reign Benedict XVI [6e] Long may Benedict XVI reign

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[6b] * Long Benedict XVI reign. En fait, l’agrammaticalité de (6b) a déjà été expliquée par la nécessité de ne

pas séparer l’adverbe du verbe. Ce qui, en réalité, pose problème pour l’analyse, c’est l’acceptabilité de (6g). Pour rendre compte de l’inversion V-S, deux hypothèses sont envisageables. Soit on dit que le verbe effectue une montée, soit que le sujet descend. La descente étant exceptionnelle, nous privilégierons la première hypothèse en postulant deux FocP. En [Spec, FocP2] (FocP2 étant la projection supérieure), on a le AdvP long, en Foc 2, may et en Foc1, le verbe reign. La montée du verbe se justifie ici par la nécessité déjà mentionnée d’une proximité entre l’adverbe et le verbe. C’est pour cette raison que l’on trouve l’inversion d’autant plus facilement que le NP sujet est long. Ceci est particulièrement évident en (14) et (15) où l’inversion est quasiment obligatoire.

[14] Long may continue this wonderfully filling and Purely Quality filled feeling. (http://electronicholas.com/life) [15] Long, long may flourish the line of Nandi That blessed me with everlasting life.'' (www.mountainman.com.au) En revanche, l’inversion V-S dans les optatives n’est pas permise quand le

sujet est de forme pronominale, alors qu’elle semble mieux tolérée dans les subjonctives, comme le montrent les exemples suivants.

[6h] * Long may reign he. [16] I love them and long live they (www.poemashow.com.br) La différence peut s’expliquer en termes de contraintes propres à chaque

structure. D’abord, la montée du verbe est non seulement normale mais obligatoire dans les subjonctives. (16) se conforme donc au schéma habituel. A l’inverse, l’ordre V-S est exceptionnel dans les optatives, puisque la montée du verbe n’est possible que lorsqu’un élément adverbial est antéposé et obligatoire uniquement quand le sujet est trop long. On peut alors estimer qu’en raison de sa ‘légèreté’, le pronom ne parasite pas le lien sémantique unissant l’adverbe et le verbe via le modal. Du coup, rien ne justifie la complexification de la structure (c’est-à-dire l’ajout d’un second FocP) inhérente à l’inversion V-S dans les phrases optatives.

Il semble donc qu’aucun argument fort ne puisse être opposé à l’hypothèse d’un trait [+SUBJ] commun aux subjonctives et aux optatives en may. Au contraire, celle-ci permet de rendre compte de manière satisfaisante du comportement syntaxique atypique des deux structures. Nous nous proposons donc d’exploiter cette analyse dans l’étude sémantique à suivre. Pour autant, contrairement à James (1986 : 93) nous refusons de considérer may comme un simple substitut du subjonctif, puisque nous montrerons qu’il conserve une valeur à part entière proche du sens qu’il dénote dans d’autres contextes. Deux éléments seront donc pris en compte pour l’analyse sémantique : le trait [+SUBJ] dont il faudra déterminer la

Grégory FURMANIAK : Le modal MAY dans les phrases optatives : étude syntaxique, sémantique et pragmatique

117

réalisation sémantique, et le modal, dont la signification sera rapprochée d’autres valeurs mieux connues.

2. Sémantique et pragmatique 2.1 Modalité, mode et force illocutoire

Avant d’évoquer l’interprétation à donner au mode subjonctif dans les énoncés qui nous intéressent, il convient, pour la clarté du propos, de définir les concepts auxquels nous ferons référence : la modalité, le mode et la force illocutoire.

James (1986 : 13) définit la modalité comme suit : « the relation (of which there are two kinds) between a representation and what is represented », et il opère la distinction entre les modalités relevant de la volition (practical modalities), où l’énonciateur, par son énoncé, souhaite modifier l’environnement (« get the world to match the words » (Ibid. : 12)) et les modalités qui consistent à proposer une description de l’extra-linguistique (« get the words to match the world » (Ibid. : 12)) appelées theoretical modalities. Cette opposition, qui rejoint la distinction classique entre modalités radicales et épistémiques, se fonde en réalité sur la fonction pragmatique des énoncés, c’est-à-dire leur force illocutoire (Austin 1962) 13. De ce point de vue, on opposera les énoncés dont la fonction est descriptive ou constative (theoretical) à ceux, non descriptifs, dont le but est d’amener une modification de l’environnement. Notons en outre que la valeur illocutoire peut être explicite ou implicite. Austin (1962 : 69) illustre le premier cas par l’exemple : I promise that I shall be there, et le second par : I shall be there, en considérant que les deux énoncés remplissent la même fonction de promesse.

Cette définition établit clairement que la modalité est une catégorie sémantico-pragmatique qui transcende les moyens d’expression linguistiques. Les différentes modalités peuvent ainsi être codées par des formes diverses. C’est évidemment aux modaux que l’on pense en premier lieu, puisqu’ils ont la capacité de signifier les deux types de modalité tout en ajoutant un contenu sémantique plus ou moins complexe. Il faut également citer les adverbes modaux, les périphrases modales et, enfin, les modes. En anglais, on distingue trois modes (indicatif, subjonctif et impératif) auxquels on peut éventuellement ajouter l’interrogatif. Mais contrairement aux autres marqueurs de modalité, leur réalisation formelle est relativement discrète étant donné la pauvreté des inflexions verbales en anglais. C’est donc autant, sinon plus, dans la structure de la phrase que dans la morphologie du verbe que s’exprime le mode en anglais. Au sein d’une approche syntaxique comme celle que nous avons adoptée dans la première partie, le mode apparaît sous la forme de traits abstraits qui déterminent les mouvements des constituants et donc la genèse syntaxique de la phrase. À l’inverse de la modalité, le mode est par 13

Selon ces critères, le possible matériel et la capacité, par exemple, appartiennent au second type de modalité, au côté des modalités épistémiques. Cette hypothèse est d’ailleurs tout à fait défendable si, comme P. Cotte (2000 : 203), on postule un « épistémique de connaissance » qui exprime « le degré de conformité de la proposition à un réel indépendant ». Cet épistémique est distinct de l’épistémique de croyance, « synonyme d’hypothèse et de chances d’existences » (Ibid.). Ces deux épistémiques ont en commun la fonction descriptive de l’énoncé auquel ils participent.

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conséquent une catégorie linguistique (syntaxique et/ou morphologique) qui a pour fonction de signifier le type de modalité ou d’illocution. Toutefois, toujours selon James (Ibid. : 15), contrairement aux modaux, « [moods] signify very little beyond a basic modality ».

2.2 Valeur de [+SUBJ]

James (Ibid.) estime que le rôle du subjonctif dans les indépendantes sans may est de signifier le premier type de modalité, sans plus. (17), par exemple, est prononcé afin de provoquer, dans l’extra-linguistique, la situation dénotée par la proposition.

[17] If that was just a harmless little old hallucination, God save me from the real thing! (B. Michaels, Ammie, Come Home) D’après James (Ibid., 27) la valeur de souhait, indéniable en (17), ne

constitue qu’une valeur secondaire ajoutée à la valeur de base du subjonctif. Preuve en est, un exemple tel que (18) signifie l’obligation plutôt que le souhait, tandis que (19), le sémantisme de l’adjectif aidant, doit être interprété comme une malédiction.

[18] Enter Hamlet reading a book. (Cité par James 1986 : 27) [19] Cursed be the deceiver. (www.zwichenzug.blogspot.com) James en tire deux conclusions : « [the subjunctive] does no more than

represent the state of affairs as something to be brought about » (Ibid. : 26) et : « the moods [...] by themselves imply nothing about actuality.” (Ibid.: 27). La proposition au subjonctif est donc présentée comme virtuelle (cf. Quayle 1998) au sens où elle est traitée comme un objet linguistique (une représentation) dont le rapport au monde n’est pas encore résolu (P n’est ni vraie ni fausse).

Cependant, bien que l’interprétation de (17-18) proposée par James soit juste, ce linguiste ne s’intéresse qu’à la fonction pragmatique des énoncés sans tenir compte de la manière dont elle se construit. Or, en amont de leur force illocutoire propre, (17-19) ont en commun une forme de volition générale implicite sur laquelle se construisent les différentes valeurs illocutoires. (18), en tant que didascalie, exprime effectivement une obligation (une instruction, en fait), mais celle-ci est clairement de nature déontique14, c’est-à-dire qu’elle émane d’une source déontique qui veut la réalisation de l’événement. Si (19) exprime évidemment une malédiction, la glose vouloir du mal à quelqu’un fait clairement apparaître la dimension volitive de l’acte de maudire. En (17), l’idée de souhait est patente, mais il faut la considérer comme un substrat sur lequel se construit la valeur illocutoire, en l’occurrence, la prière.

Il en résulte donc que l’énonciateur a recours au mode subjonctif dans les indépendantes pour signifier un souhait assez général (que l’on entendra désormais

14

L’obligation peut en effet avoir une origine physique ne faisant entrer en jeu aucune volition extérieure. Par exemple : In order to walk you must first get up and make your first steps. (http://evispdp.com)

Grégory FURMANIAK : Le modal MAY dans les phrases optatives : étude syntaxique, sémantique et pragmatique

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au sens large de volition), et pour construire, à partir de ce souhait, la valeur illocutoire de l’énoncé.

2.3 La valeur de [+SUBJ] dans les phrases optatives en may

Si, comme nous l’avons postulé, le même trait [+SUBJ] est à l’oeuvre dans les énoncés avec le may optatif, il n’y a aucune raison de penser qu’il y joue un rôle fondamentalement différent. Et en effet, la notion de volition est indéniable dans un exemple comme (1) :

[1] You are in my thoughts. May you have the strength and courage to do what is right and necessary. (Web Concordancer; The Times; mars 1995)

qui peut être paraphrasé par : [1a] I hope that you may have the strength and courage to do what is right and necessary. Comme dans les phrases précédentes, l’attitude du locuteur (exprimée en

(1a) par I hope) est seulement implicite en (1). En cela, on peut dire, à l’instar de P. Cotte (1988 : 446), que les énoncés optatifs sont expressifs. C’est en tous cas de cette façon que C. Bally (1965) définit l’expressivité, puisqu’il estime que le langage est expressif lorsqu’il ne consiste pas à « transformer la pensée affective en jugement logique construit avec des mots purement conceptuels. » (1965 : 76) « […] obéissant à la tendance synthétique de l’affectivité, […] les faits expressifs du langage sont toujours, à quelque degré, implicites et synthétiques.» (1965 : 89). Leur caractère synthétique et implicite (par rapport au contenu explicite et analytique d’énoncés comme (1a)) leur donne donc une expressivité plus grande.

Mais C. Bally insiste sur un autre aspect de l’expressivité linguistique que l’on retrouve également dans nos énoncés optatifs : ils sont insolites sur le plan formel. Selon lui, « l’expressivité, par instinct, recherche l’inédit, l’imprévu ; il va de soi que la régularité des formes, des rapports syntaxiques et de l’ordre des mots amène des répétitions fastidieuses, engendre la monotonie et endort l’attention. »15 (1965 : 98). L’énoncé optatif en may mérite donc d’être qualifié d’expressif parce que : (i) il exprime une émotion du locuteur (son espoir de voir p se réaliser), (ii) il l’exprime de manière implicite (il ne dit pas I wish ou I hope) et (iii) il utilise une structure insolite (l’ordre des mots est inversé).

Toutefois, comme les phrases subjonctives où la valeur de volition n’est qu’une base autorisant des valeurs pragmatiques dérivées plus précises, les énoncés optatifs font plus que décrire implicitement l’attitude de l’énonciateur. Celle-ci est utilisée afin de construire la valeur illocutoire de l’énoncé. En effet, (1) et (1a) expriment tous deux la volonté de l’énonciateur que P se réalise. Mais (1a) ne fait que cela. C’est un énoncé constatif qui décrit l’état d’esprit de l’énonciateur. Si l’on explicite la valeur illocutoire de (1a), on obtient :

15

Nous soulignons.

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[1b] I state that I hope that you may have the strength and courage to do what is right and necessary. En revanche, (1) n’a rien de constatif et il ne saurait être paraphrasé ni par

(1b) ni par (1c) : [1c] I state that you may have the strength and courage to do what is right and necessary. La phrase optative n’a pas seulement pour fonction de faire part au

destinataire de l’espoir de l’énonciateur, mais elle constitue une prière pour la réalisation de P. En effet, il nous semble que (1d) n’ajoute rien à la signification de (1), puisque I pray ne fait qu’expliciter l’acte illocutoire accompli par (1) :

[1d] I pray that you may have the strength and courage to do what is right and necessary. Malgré la présence du trait [+SUBJ] dans les phrases optatives, leur

fonctionnement pragmatique diffère donc quelque peu de celui des subjonctives sans may. La notion de volition attribuée au subjonctif dans les indépendantes sans may est assez générale et susceptible de donner lieu à des valeurs illocutoires différentes. Or, on ne rencontre pas cette même diversité avec les énoncés optatifs, dans la mesure où ceux-ci sont exclusivement utilisés pour accomplir une prière. Cette restriction au niveau de la force illocutoire de l’énoncé peut être attribuée au substrat de volition signifié par le subjonctif et sur lequel est construite la valeur illocutoire. Selon nous, le modal may, d’une façon qu’il faudra déterminer, affecte la nature de cette volition implicite de sorte que la force illocutoire qui en résulte est également affectée. La glose (1a) est d’ailleurs assez révélatrice à cet égard, puisque, intuitivement, on fait appel au verbe hope. La notion d’espoir contient bien sûr une dimension volitive (celui qui espère P souhaite/veut P) mais elle exclut la possibilité que ce souhait s’accompagne d’une quelconque causation fût-elle indirecte. Espérer, c’est en effet « attendre la réalisation d’un désir »16, ce qui implique une attitude entièrement passive de la part du sujet espérant. Ce n’est pas le cas dans les indépendantes au subjonctif où la notion de souhait sous-jacente, dans la mesure où elle est indéterminée, n’interdit pas une valeur illocutoire attribuant à l’énonciateur une influence sur l’issue des événements. On peut alors parler de causation indirecte, comme en (18), par exemple. En revanche, dans les phrases optatives, l’énonciateur ne peut rien (par ses actions en tous cas) à la réalisation de l’événement souhaité. Or, c’est le propre de la prière que d’afficher son impuissance et de s’en remettre à une instance supérieure.

En passant des indépendantes au subjonctif sans may aux phrases optatives avec may, on observe donc une légère modification (une précision, en fait) de la valeur de souhait sous-jacente qui conduit à une restriction des valeurs illocutoires qu’est susceptible de signifier l’énoncé. Cette altération est nécessairement due à la

16

Dictionnaire Flammarion.

Grégory FURMANIAK : Le modal MAY dans les phrases optatives : étude syntaxique, sémantique et pragmatique

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présence du modal et ne pourra être expliquée que par un examen attentif de la valeur de may et de son fonctionnement.

2.4 La valeur sémantique de may

Même si la structure est rarement traitée de manière exhaustive, les théories sur cet emploi du modal ne manquent pas. On distinguera deux grandes tendances : celles qui considèrent plus ou moins ce may comme un homonyme du modal (tout en reconnaissant la parenté diachronique) et celles qui cherchent à relier cet emploi aux autres ou à d’autres valeurs de may.

Dans le premier groupe, A. Papafragou écrit : « I consider may in the following (rare) structures a separate lexical item. » (2000 : 56n). Mais en réalité, elle marginalise cet emploi uniquement parce qu’il s’intègre mal à son explication globale des modaux, sans réellement chercher à comprendre son fonctionnement.

James (1986) rejoint Papafragou, dans la mesure où il ne considère may que comme un substitut du subjonctif qui aurait perdu son sens initial : « In time, may in this use becomes interpreted as a special device for expressing realizable wish and loses its original meaning. In its new, specialized use, it signifies ‘practical modality’ and little else » (Ibid., 94). En cela, sa position est la même que celle défendue par A. Tellier (1962 : 276) qui voit ce may comme le « substitut du subjonctif de souhait (optatif) ». James argue donc que l’appauvrissement des inflexions verbales a conduit à l’utilisation de divers substituts, dont may, pour renforcer le mode subjonctif. Et d’ajouter que : « auxiliary may is appropriate in this use because its early meanings, ‘ability’ or ‘opportunity’, are practical and so capable of reinforcing the subjunctive” (James 1986 : 93). La perte sémantique du modal s’expliquerait par la mince frontière, rapidement franchie, entre le souhait que P soit possible et le souhait que P soit vraie.

On ne peut nier que dans les indépendantes, le recours à may ou à let est devenu quasiment systématique du fait de l’appauvrissement morphologique du verbe. Mais dire que may sert de support au subjonctif ne signifie pas qu’il en est un substitut. Cette hypothèse a en effet deux implications difficilement acceptables. D’abord, elle sous-entend que le subjonctif en tant que tel n’existe plus. On a vu que cette position n’est pas tenable (cf. supra). En outre, elle prive le modal de toute spécificité sémantique. Or, s’il existe une différence, par exemple, entre let et may dans les phrases subjonctives17 (les deux marqueurs ne sont en effet pas toujours substituables), c’est bien qu’ils ont conservé ne serait-ce que des traces de leur sémantisme initial. L’idée de renforcement est plus intéressante, mais il faut expliciter en quoi le modal renforce le subjonctif. Nous y reviendrons. De plus, la thèse de James laisse entendre que les subjonctives sans may et les phrases optatives avec may sont équivalentes. Or, nous avons déjà montré que le modal avait une influence sur la valeur illocutoire signifiée par le subjonctif ; ce qui tend à prouver que le modal n’est pas vide de sens. Mais il y a plus. Dans les phrases subjonctives,

17

James (1986 : 95) le reconnaît d’ailleurs : « While may and mot are perhaps too weak to express resolve, let is available as a substitute for this part of the subjunctive’s range ».

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illustrées par les exemples (12) et (18), le sujet est clairement agent, à condition bien sûr que le verbe soit apte à assigner le rôle thématique d’agent à l’argument externe.

[12] Jesus Christ bless you and give you peace. (www.biblegateway.com/passage) [18] Enter Hamlet reading a book. (Cité par James 1986 : 27) En revanche, avec may, même en présence d’un verbe assignant a priori le

rôle d’agent18, le référent du sujet n’est pas perçu comme directement responsable de l’éventuelle actualisation de l’événement. C’est le cas en (23), par exemple.

[23] Even if we have few possessions or little wealth to give away, may we seek out opportunities to give our time, our skills and our concern to those who need us. (BNC). Bien que le prédicat requière a priori un sujet agent, l’avènement de

l’événement qu’espère l’énonciateur semble ici dépendre d’instances « supérieures » qui dépassent à la fois l’énonciateur (contrairement à certains emplois du subjonctif) et les actants. Certes, l’agentivité du référent du sujet n’est pas totalement effacée (celui-ci reste logiquement l’initiateur potentiel du procès) mais elle est minorée au sens où sa responsabilité dans la réalisation éventuelle de l’événement est fortement minimisée. A ce titre, on est très proche de la notion de « volition directe » utilisée par P. Larreya (1984 : 90) quand « le fait ‘voulu’ ne dépend de la volonté d’aucun des actants de la proposition » (par exemple dans I wish I knew the answer). Selon nous, cette « déresponsabilisation » de l’agent constitue la différence principale entre les deux types de phrases et doit logiquement être attribuée à may, ce qui infirme un peu plus la position de James et de Papafragou.

Les raisons pour attribuer une fonction sémantique à may et pour rattacher cet emploi aux autres valeurs du modal sont donc les suivantes : (i) persistance du subjonctif sans may, (ii) fonctions pragmatiques différentes des subjonctives et des optatives en may, (iii) l’opposition may /let contredit l’hypothèse du vide sémantique et (iv) may semble marquer explicitement la déresponsabilisation de l’agent et du locuteur.

Ainsi, A-M. Santin-Guettier (2001), tout en admettant que la phrase optative ne relève pas directement de l’équipossible19 affirme que May he rest in peace est dérivé de He may rest in peace, considérant que « l’énonciateur ne peut

18

Ce qui, harmonie sémantique oblige, est assez rare. Seulement 23% des prédicats sont non dynamiques, mais 67% renvoient à des procès affectant le référent du sujet. Il s’agit de verbes dénotant une progression (progress, increase, prosper, flourish), une continuité (continue, remain, keep, stay), une expérience (experience, enjoy, feel, delight) ou un changement d’état (turn into, become). Les 10% de verbes d’action dont le sujet est agent occupent un champ sémantique assez restreint : le don non matériel (hallow, bless, bestow, honour, praise, grant) et l’effort (strive, try). 19

Ce terme est emprunté à Gilbert (1987 : 35). Il est discutable dans la mesure où il sous-entend que P et non-P sont mis sur le même plan. Cela est peut être vrai sur le plan des probabilités au sens strict, mais le terme d’équipossible ignore la visée positive de l’énonciateur qui, avec le may d’éventualité, privilégie P. Cela n’a toutefois pas d’incidence sur notre propos.

Grégory FURMANIAK : Le modal MAY dans les phrases optatives : étude syntaxique, sémantique et pragmatique

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souhaiter que ce qu’il a dans un premier temps envisagé sur le mode hypothétique » (Ibid. : 178). La valeur épistémique de may serait donc construite puis dépassée par une opération supplémentaire. En d’autres termes, l’énonciateur construirait P et non-P comme équipossibles avant de juger P souhaitable. Cet argument est intéressant, car il est vrai que souhaiter ou espérer P, c’est se représenter l’objet de son souhait comme réaliste (au sens de réalisable). Cela signifie que souhaiter/espérer P, c’est présupposer la compatibilité entre P et le réel et, par conséquent, le caractère possible de P. Mais nous pensons que ce possible est un possible général ou théorique, au sens où aucun jugement n’est porté quant à l’occurrence particulière de P (celle qui est voulue par l’énonciateur dans la situation précise). Soit : Je souhaite que Pierre vienne. La venue de Pierre est certes envisagée comme possible mais il ne faut pas en conclure que l’énonciateur se prononce sur les chances d’occurrence de l’événement. En effet, l’énoncé n’implique pas : Peut-être que Pierre viendra. Pour preuve, on peut avoir la succession : Je souhaite que Pierre vienne, mais il ne viendra pas. En revanche, *Peut-être que Pierre viendra, mais il ne viendra pas est incohérent. L’énonciateur peut en effet estimer que P est théoriquement possible et souhaiter P tout en croyant que c’est non-P qui se réalisera, mais il ne peut pas faire l’hypothèse que P se réalisera peut-être pour aussitôt affirmer que P n’arrivera pas20.

Ce possible théorique est donc présupposé dès lors qu’est exprimé explicitement ou implicitement le souhait ou l’espoir qu’une proposition se réalise. En faire un possible épistémique reviendrait à ignorer la distinction ci-dessus et nous amènerait surtout à postuler que toute modalité déontique21 est sous-tendue d’une modalité épistémique. En effet, dans You must go to bed, l’événement [you-go to bed] est jugé souhaitable par une source déontique qui exerce une pression sur le référent du sujet pour qu’il réalise l’action dénotée par P. P est donc envisagée comme théoriquement possible. Dirions-nous pour autant que la modalité déontique se construit sur un possible épistémique ? Non, sauf si cet épistémique est un épistémique de connaissance et non de croyance. Or, les termes d’équipossible et d’hypothétique laissent entendre que c’est au second type que fait référence A-M. Santin-Guettier.

Cependant, même si nous n’adhérons pas totalement son analyse, celle-ci a le mérite de mettre en évidence le lien entre le souhait et le possible. Ce possible théorique inhérent à la valeur de souhait du subjonctif explique pourquoi un modal du possible est utilisé dans les phrases optatives. Si, comme le note James (1986 : 93), may est particulièrement apte à renforcer le mode subjonctif en manque de signifiant, c’est parce que le modal exprime un élément sémantique (le possible) déjà présent implicitement dans la valeur de souhait signifiée par le subjonctif dans 20

Cette manipulation vise seulement à montrer que le possible théorique n’implique pas la construction d’une probabilité. Il ne faut tirer aucune conclusion de l’agrammaticalité de * May your wishes all come true, but they won’t. Celle-ci est due au fait que la valeur illocutoire porte sur tout l’énoncé. Or, on ne peut pas prier pour P et pour non-P. 21

La modalité déontique implique en effet une volition externe. La source déontique souhaite qu’un agent fasse en sorte que l’événement se réalise. (cf. Larreya 1984). A noter que ce présupposé de possibilité théorique n’apparaît pas dans la modalité radicale dynamique qui n’implique pas de volition externe.

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les indépendantes. Cependant, il ne faut pas y voir davantage qu’une harmonie sémantique, car nous pensons que la valeur de may est proche mais distincte du possible théorique et que le modal conserve sa valeur propre, avec les répercussions que l’on a vues sur les rapports agent/procès et énonciateur/procès.

Nous nous rangerons donc à l’avis de P. Cotte (1988 : 447) qui estime que l’on a affaire, dans les énoncés optatifs, au may de possibilité matérielle : « ce possible est [...] lui-même visé ». Cette valeur du modal est celle que l’on trouve dans des énoncés tels que (20), qui se distinguent des phrases optatives par le fait que l’espoir est ici exprimé explicitement.

[20] Then she agrees with her decision, and sends for Malvolio, in hope that he may recall Cesario, so that she may talk with him again. (http://www.field-of-themes.com/shakespeare/shakeessays.htm) Le possible matériel peut être défini simplement comme la détermination

d’un procès par les circonstances matérielles : les circonstances permettent la réalisation de l’événement. (20) exprime donc l’espoir du référent de she que soient réunies les conditions qui rendront possible [he-recall Cesario]. Avant de voir comment cette analyse s’applique aux énoncés optatifs, il convient d’ajouter quelques mots sur cette valeur de may qui peut paraître hétérogène. En effet, (20) semble assez éloigné de (21) où le modal signifie aussi le possible matériel.

[21] The child with high anxiety may first direct his (...) energy toward achievement. (Emprunté à Cotte 1988 : 429) On n’y retrouve pas la visée observée en (20) et, de plus, l’énoncé a une

valeur de généralisation qui s’appuie sur la connaissance par l’énonciateur de l’existence d’occurrences préalables de l’événement. La différence est sensible, au point que Palmer (1979 : 107) préfère parler de modalité existentielle pour des phrases comme (21). Tout en le rattachant au possible matériel, P. Cotte choisit d’en faire un épistémique de connaissance (par opposition à l’épistémique de croyance que l’on rencontre avec le may exprimant l’équipossible (par exemple dans : John may be asleep). L’événement dénoté par la relation sujet-prédicat est généralisable et donc connu, il se produit régulièrement, ce qui permet, éventuellement, de prédire des occurrences à-venir.

Notre position est très proche puisque nous y voyons une occurrence du possible matériel accompagnée de ce que P. Larreya appelle une « modalisation a posteriori » (2004)22. Il s’agit en fait de poser l’existence de l’événement puis d’appliquer la modalité (le possible matériel) rétroactivement afin de revenir sur les conditions d’occurrences de l’événement. Pour illustrer ce type de modalisation, on pourra citer (22) où, à partir du constat que le référent du sujet se mêle toujours de tout, l’énonciateur remonte à l’origine (modale) de cette fâcheuse habitude, en l’occurrence, une forme de nécessaire qu’on appelle généralement compulsion.

22

P. Larreya (2000 : 194n) considère en effet que sa « division rejoint en grande partie celle que Cotte (1988) établit entre épistémique de croyance et épistémique de connaissance ».

Grégory FURMANIAK : Le modal MAY dans les phrases optatives : étude syntaxique, sémantique et pragmatique

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[22] You must go poking your nose into everything! (Empunté à Perkins 1983 : 42) (21) peut être considéré comme une occurrence de modalisation a

posteriori parce qu’il répond à tous les critères permettant ce type de modalisation : P est présupposée et cette présupposition est marquée par une opération de pré-construction linguistique, à savoir : le repérage générique (cette opération est également autorisée par un repérage habituel et, dans le cas de must, avec une modalité interrogative).

En fait le rattachement du possible matériel aux modalités radicales ou aux modalités épistémiques dépend de la définition que l’on choisit de donner à ces deux catégories. Et à vrai dire, les deux positions sont respectables. Si l’on considère que la distinction radical/épistémique rejoint la dichotomie practical/theoretical de James (voir plus haut), alors la possibilité matérielle est épistémique (l’épistémique de connaissance de P. Cotte), dans la mesure où l’énoncé a une fonction descriptive et n’est pas destiné à modifier l’extra-linguistique. Dans cette conception, le type de modalité est déterminé par la valeur illocutoire de l’énoncé : en gros, directive ou descriptive. Si, à l’instar de Sweetser (1990), on considère que les modalités épistémiques renvoient aux forces qui déterminent l’attitude (mentale) de l’énonciateur par rapport au contenu de son énoncé et que le radical exprime les forces déterminant les phénomènes du monde socio-physique, alors le possible matériel appartient à la seconde catégorie.

2.5 Le fonctionnement de may : mise en perspective.

Si, dans notre structure, may signifie le possible matériel, il faut bien voir que le possible matériel est une catégorie sémantique de niveau conceptuel susceptible d’être signifiée par des marqueurs linguistiques divers et variés, dont may et can. Or, chacun de ces marqueurs, en fonction de sa valeur linguistique propre, apporte sa contribution sémantique et ses nuances à la notion de possibilité matérielle.

L’opposition can/may a été évoquée à plusieurs reprises. H. Adamczewski (1982 : 147) attribue à can le trait [+inhérent] et à may le trait [– inhérent]. Dans sa lignée, J-R. Lapaire et W. Rotgé (1991 : 483) parlent de « congruence » pour le premier et de « non-congruence » pour le second, tandis que Sweetser (1990 : 52) suggère que may renvoie à l’absence de barrière (ou d’obstacle) alors que can exprime un possible plus positif. Toutes ces analyses vont dans le même sens. Elles considèrent qu’avec may la réalisation de l’événement ne va pas de soi et qu’il y a « achoppement » (Lapaire et Rotgé 1991 : 147). Can, au contraire, permet de référer un événement a priori non problématique, car il constitue une propriété inhérente du référent du sujet. Cette opposition est assez nette en (20) et (24).

[20] Then she agrees with her decision, and sends for Malvolio, in hope that he may recall Cesario, so that she may talk with him again. (http://www.field-of-themes.com/shakespeare/shakeessays.htm) [24] You want to start with simpler material so that he can focus and plan his responses.

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Say something like « Mark, I know you know this ». (www.autism-programs.com/focus.htm) En (20), le départ de Césario rend son rappel difficile. Il y a un obstacle à

l’actualisation de P et celle-ci ne dépend pas de Malvolio. Le possible signifié par may est presque entièrement déterminé par les circonstances extérieures au sujet, il n’émane pas de lui. En revanche, (24) laisse entendre que la concentration du sujet n’est pas problématique. Il suffit de commencer par des choses simples et alors le sujet pourra se concentrer. On devine ici une pondération différente des sources du possible. Certes, il faut créer les conditions matérielles (extérieures au sujet) permettant P, mais cette dimension est minimisée (d’où notre glose : il suffit de). L’énoncé (24) insiste sur le fait que l’aptitude à se concentrer préexiste chez le sujet. Le possible dénoté par can est donc en grande partie déterminé par les propriétés du référent du sujet.

L’origine différente du possible explique que les énoncés en can sont associés à « une orientation typique mieux reconnue vers le sujet thématisé » (Cotte 2000 : 209), tandis que may permet d’insister sur le procès en minimisant le rôle du référent du sujet. En (20), l’important est que Cesario soit rappelé, alors qu’en (24), c’est la capacité du référent du sujet à se concentrer qui compte.

Puisque, avec can, le possible émane du sujet lui-même, l’énoncé est souvent interprété comme exprimant une caractéristique du référent du sujet (qui devient une capacité quand celui-ci est agent). On comprend alors que la réalisation de P ne soit pas ressentie comme problématique. A l’inverse, avec may, le possible a pour origine l’extérieur du sujet, c’est-à-dire les circonstances, ou l’environnement contextuel. Le référent du sujet est donc présenté comme ne pouvant pas grand-chose à la réalisation de P, qui est par conséquent jugée problématique. Comme nous l’avons noté en (20) et dans les phrases optatives, cette « déresponsabilisation » de l’agent s’étend, avec le may de possibilité matériel, au locuteur23 qui est alors également perçu comme impuissant. C’est ainsi que sont obtenues la modification de la valeur de souhait du subjonctif et la valeur illocutoire de l’énoncé. En effet, l’obstacle à la réalisation de P étant à la fois extérieur à l’énonciateur et au référent du sujet, ni l’un ni l’autre n’est ressenti comme capable d’influer sur la réalisation de P. Le référent du sujet est alors condamné à attendre la levée de l’obstacle pour éventuellement (s’il a le rôle d’agent) provoquer P, tandis que l’énonciateur ne peut que prier pour que P se réalise.

Ces propriétés font de can l’instrument privilégié pour exprimer l’existence du possible et de may l’outil permettant de renvoyer au possible visé. En effet, si le possible émane du sujet, il préexiste le plus souvent à l’occurrence particulière de P, alors que s’il a pour origine les circonstances extérieures, il est essentiellement contingent et peut être visé. A. Joly et D. O’Kelly (1990 : 319) signalent cette même opposition dans le domaine de la permission entre may, qui renvoie à l’acquisition

23

L’extérieur se définit en effet prioritairement par rapport au référent du sujet. L’énonciateur n’est donc pas nécessairement intégré à cet extérieur. C’est le cas avec le may déontique (où le locuteur détermine le faire du sujet), mais pas avec le may de possibilité matérielle.

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de la permission, et can, qui dénote la possession de la permission. Néanmoins, aussi bien dans le domaine de la permission que dans celui du possible matériel, il ne faut pas y voir plus qu’une tendance résultant des propriétés respectives des deux modaux décrites plus haut. (24) montre que can peut exprimer un possible visé, tandis qu’en (25), may exprime un possible matériel existant et non pas visé.

[25] They stem from the valley of the Nile where may yet be seen the royal tomb of Zoser. (Lob Corpus) L’association can /« possible existant » et may / « possible visée » n’est

donc qu’une tendance générale résultant de l’opposition plus fondamentale entre la possibilité interne non problématique (can) et la possibilité externe problématique (may). Aussi, tout en contredisant cette tendance, (24-25) illustrent parfaitement la différence essentielle entre les deux modaux : le possible exprimé en (24) est inhérent au référent du sujet et l’actualisation de P ne pose pas de problème ; en (25), la perception du tombeau est permise par l’environnement extérieur, tandis que l’adverbe yet vient renforcer l’idée d’achoppement marquée par may.

Ces propriétés mises bout à bout permettent donc d’expliquer pourquoi may est utilisée dans les optatives et de mieux comprendre son fonctionnement au sein de la structure. En effet, toutes les propriétés du may de possibilité matérielle se retrouvent dans les phrases optatives.

D’abord, nous venons de voir la prédisposition de may à exprimer un possible cible d’une opération de visée. C’est évidemment le cas dans les phrases optatives puisque l’énonciateur prie pour que P soit possible. Mais le plus important est que l’origine extérieure du possible signifié par may rend compte de la « déresponsabilisation » de l’agent constatée dans les énoncés du type de (23) et de l’attitude passive du locuteur. Enfin, la réalisation de l’événement dénotée par P ne va pas de soi. (4) en est le parfait exemple.

[4] May your wishes all come true. (Bob Dylan, « Forever Young») Les obstacles à la réalisation de tous nos rêves sont nombreux et l’énoncé

exprime le souhait que ces obstacles soient levés. Mais même lorsque le prédicat est valué négativement, l’événement correspondant n’est pas a priori dans l’ordre des choses, ce qui peut donner aux énoncés comme (27-28) une résonance humoristique.

[26] May their blood turn to whiskey so one hundred thousand fleas get drunk on it and dance mazurkas in their navels (BNC) [27] May their mouths never close, and their arses never open. (BNC) Par ailleurs, l’existence d’un obstacle, marquée par may, permet également

d’expliquer en partie l’un des effets de sens fort justement souligné par P. Cotte (1988 : 444-445), à savoir que, tout en espérant P, l’énonciateur craint non-P. Cette crainte que P ne se réalise pas s’explique à la fois par le caractère souhaitable de P et par l’existence d’un obstacle qui, s’il n’est pas levé, conduira nécessairement à non-

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P, quel que soit l’effort déployé par l’agent (puisque la réalisation de P dépend presque exclusivement des circonstances extérieures). Toutefois, le caractère problématique de P et l’espoir de l’énonciateur de voir P se réaliser ne sont pas suffisants pour rendre compte de la valeur de crainte de non-P. Considérons les exemples ci-après.

[28] The lettering read: HE ROBBED US, MAY HE BURN IN HELL (BNC) [29] May a beast take you...a goat beast!” (BNC) En (28-29), contrairement à (1), que l’on rappelle, l’énonciateur ne craint

pas non-P. [1] You are in my thoughts. May you have the strength and courage to do what is right and necessary. (Web Concordancer; The Times; mars 1995) En (1), le prédicat est valué positivement, alors qu’en (28-29), on a une

valuation négative. Il est donc patent que l’effet de sens « crainte de non-P » est tributaire de la valuation positive de P, plus encore que du caractère problématique de P. Pour preuve, on retrouve le même phénomène en français dans des énoncés non modalisés.

[30] J’espère qu’il va réussir son examen. [31] J’espère qu’il va échouer à son examen. La norme veut que réussir un examen soit valué positivement ; en (30), on

peut donc estimer que l’énonciateur craint non-P. En revanche, échouer à un examen étant a priori valué négativement, le sens de crainte n’apparaît pas en (31). Ceci s’explique facilement. Dans ces énoncés, le sens « l’énonciateur craint non-P » est une implicature (cf. Sperber & Wilson 1995 : 176). Cette interprétation dérivée de l’énoncé se construit donc à partir d’informations lacunaires, et le minimum exigible pour qu’elle soit retenue est que tous les indicateurs aillent dans le même sens. Or, si P est valuée négativement, cela veut dire que non-P est positive, ce qui entre en conflit avec la notion de crainte, que la doxa associe à un événement valué négativement (on craint généralement ce qui est mauvais et non ce qui est bon). La tendance à généraliser cet effet de sens à l’ensemble des énoncés optatifs s’explique en réalité par l’écrasante majorité des exemples où le prédicat est valué positivement (environ 90% des cas).

On retiendra donc du fonctionnement de may dans les énoncés optatifs qu’il signifie le possible matériel, comme dans les propositions enchâssées cibles d’une opération de visée marquée, par exemple, par hope. Il s’agit cependant d’un possible matériel particulier, puisque l’accent est mis sur l’existence d’obstacles et sur l’impuissance du sujet et de l’énonciateur. On voit donc comment, à partir de la notion de volition amenée par [+SUBJ], may participe à la construction de l’acte illocutoire de prière. En présentant l’événement souhaité par l’énonciateur comme

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problématique et comme n’étant ni de son ressort ni de celui du sujet, le modal donne l’image d’un locuteur et d’un sujet incapables de réaliser ce souhait, si bien que l’espoir de l’énonciateur se porte sur un autre et se fait requête ou prière. On pourrait gloser l’énoncé par : Puisque je veux P et que ni moi ni S ne pouvons P, alors que quelqu’un fasse P. La prière est alors l’ultime possibilité de voir aboutir le souhait.

2.6 Problème de visée

Les composantes sémantiques principales des phrases optatives ayant ainsi été identifiées, il nous reste à voir comment elles s’articulent. Etant donné ce qui a été dit du rôle de may, nous avons considéré que l’énonciateur espère – et prie pour – la levée des obstacles entravant la réalisation de P. Toutefois, au vu des énoncés suivants, il paraît évident que l’espoir de l’énonciateur va au-delà de la simple possibilité matérielle. Il semble viser P et pas seulement les circonstances permettant P.

[1] You are in my thoughts. May you have the strength and courage to do what is right and necessary. (Web Concordancer; The Times; mars 1995) [4] May your wishes all come true. (Bob Dylan, « Forever Young ») En (1), le locuteur n’espère pas uniquement que le référent du sujet aura la

possibilité d’avoir la force et le courage de faire ce qui est nécessaire, mais qu’il aura effectivement cette force et ce courage. Il en va de même en (4) et, à vrai dire, dans tous les énoncés que nous avons rencontrés. Cela pourrait nous amener à considérer que le possible est pour ainsi dire « court-circuité » et qu’on est passé naturellement à l’espoir que P est possible à l’espoir que P sera vraie. Mais si tel était le cas, il n’y aurait aucune différence entre le subjonctif « simple » et les phrases optatives avec may ; ce qui voudrait dire que le modal est vide de sens. Or, nous nous sommes jusqu’ici efforcé de démontrer le contraire.

Mais si nous maintenons que may conserve sa valeur de possible matériel, comment expliquer l’impression que l’énonciateur vise autant sinon plus le procès que le possible ? En fait, il faut revenir à notre propos sur may. Avec ce modal, le possible est presque entièrement déterminé par l’extérieur, d’où le phénomène de déresponsabilisation dans les rares cas (10% du corpus) où le sujet est agent. Seules les circonstances extérieures constituent un obstacle à la réalisation de P. Une fois cet obstacle levé, la réalisation de P ne fait plus aucun doute. Aussi, viser ce possible extérieur, c’est-à-dire la levée de l’obstacle, revient de fait à viser P.

2.7 La combinaison may + marqueur aspectuel

Un type d’énoncés est susceptible cependant de mettre à mal notre explication. Il s’agit de phrases où may est associé aux marqueurs d’aspect be –ing et surtout have –en. (32) n’est bien sûr pas problématique.

[32] Happy Independence to us. (...)

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May you have done a better job after your next 227 years than you have done after your first 227 (http://www.sojoyful.com) Cet énoncé correspond au cas de figure bien connu avec must où la

proposition aspectuelle est repérée par rapport à un moment à-venir (cf. You must have finished by 10

24). L’énonciateur espère que dans 227 ans les circonstances auront permis aux Etats-Unis d’avoir progressé.

En revanche, on se heurte à une difficulté avec (33-34), car contrairement à l’énoncé précédent, la proposition aspectuelle est repérée par rapport au moment présent. Le procès dénoté par P est donc situé dans le passé.

[33] Evening prayer (...) Thank You for walking with us this day, Gracious Father... may You have been pleased with what we said and what we’ve done this day. (www.freerepublic.com) [34] Men are just dead when people forget about them and that would never happen. Rest in peace. May god have blessed you. (www.raycharles.com) Ces énoncés surprennent dans la mesure où la visée que nous avions

associée aux notions d’espoir et de prière étaient jusqu’ici accompagnée d’une proposition située dans l’avenir. Avant de nous pencher sur les raisons de cette apparente anomalie, il convient de préciser qu’elle n’est pas l’apanage du may des phrases optatives. Elle apparaît également dans les phrases que nous avons beaucoup comparées à notre structure, à savoir : les propositions enchâssées en may ciblées par un opérateur de visée. Aussi (35) est-il comparable à (33-34).

[35] We'd rode 2400km (1500miles) on our trike during our holiday. Would we do it again? The simple answer is YES, I hope I haven't bored you with this account of our holiday but I hope it may have inspired you to grasp the nettle and do the same. (www.nabd.org.uk) En revanche, le subjonctif sans may n’autorise pas la localisation de P dans

le passé, comme le prouve l’agrammaticalité de (10a). [10a] * God have blessed you! Mais ce blocage est d’ordre syntaxique. C’est en effet la présence de have

–en qui pose problème, puisque la construction d’une phrase au subjonctif sans may sur le modèle de (32) (c’est-à-dire avec have repéré par rapport à un point à-venir) n’est pas permise.

[10b] * God have blessed you when your time comes!

24

Emprunté à Larreya (1984 : 264).

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Comment rendre compte de (33-34) ? D’abord, on se souviendra que dans les phrases optatives, l’énonciateur signale son impuissance à causer l’événement visé ou même les circonstances autorisant sa réalisation. Aussi n’y a-t-il aucune contradiction entre cet espoir dénué de toute intention causative et la localisation de P dans le passé, dans la mesure où on peut parfaitement espérer qu’un événement a eu lieu. Il en serait autrement si la volition était associée à une forme de causation. En effet, si l’on veut provoquer un événement plus ou moins directement, celui-ci ne peut être qu’à-venir ; d’où l’agrammaticalité de * I want John to have come

25, puisque le verbe want n’indique pas une volition pure mais une volition associée à une causation. Mais la difficulté vient du fait que nous avons attribué aux énoncés optatifs la valeur illocutoire d’une prière. Même si le locuteur s’en remet entièrement à l’instance invoquée pour que celle-ci accomplisse son désir, la prière est par nature une forme de causation seconde. Elle a en effet pour but de déclencher, par le biais de l’instance supérieure, la situation souhaitée. Elle est donc orientée vers l’avenir, dans la mesure où ce geste divin espéré ne peut que suivre la prière dont il est la conséquence. Aussi, prier pour la levée d’un obstacle c’est, logiquement, prier pour que celui-ci soit levé dans l’avenir. De plus, la modalité (ici, le possible) doit précéder l’événement qui, s’il a lieu, se situe donc nécessairement dans l’avenir. Or, ce n’est pas le cas si on paraphrase (34) par (34’) où le conflit temporel est patent.

[34’] * Je prie pour que les circonstances permettent que Dieu t’aies béni. La problématique est sensiblement la même lorsque may est combiné à be

–ing, puisque dans les exemples tels que (37-38), la proposition aspectuelle est repérée par rapport au moment présent et be –ing indique donc que l’événement, s’il est vrai, a déjà commencé. On retrouve le même conflit temporel qu’avec have –en.

[37] We are therefore very well off – at an inn, I should say, with singularly good, kind, and liberal people, so have no cares for the moment. May you be doing as well! (www.worldwideschool.org) [38] Woody, my poor insomniac friend! I hope you were able to crawl back under the toasty covers and get some shut eye (may you be sleeping soundly right now!) (www.ourlaughingplace.com) Notre explication va remettre en cause l’un des principes évoqués ci-dessus.

Nous continuons d’affirmer que l’émergence du possible (ou la levée de l’obstacle) doit obligatoirement être postérieure à l’énonciation, puisqu’elle est censée en résulter. Dans le cas inverse, on ne pourrait prêter à la prière aucune utilité et aucun pouvoir. En revanche, il nous semble que la prière constitue un acte illocutoire susceptible de défier, en apparence, la raison et la logique. En effet, que penser d’un 25 L’exemple suivant contient une proposition implicite : Kit wants this to have been an execution, not a murder. (Badlands). Il faut comprendre en réalité : Kit wants people to think that this has been/was an execution, not a murder. Le verbe want signifie donc bien la volonté du référent du sujet tout en contenant l’idée que ce dernier va faire en sorte que les gens croient que...

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énoncé du type : Mon Dieu, faites/Pourvu qu’il soit bien arrivé ! ? Ici, l’énonciateur sollicite l’intervention divine. S’il est écouté, celle-ci aura effectivement lieu après l’énonciation. Toutefois, dans la logique propre à ce locuteur, Dieu est une instance toute puissante qui a prise sur l’espace mais aussi sur le temps et qui, par conséquent, n’est pas soumise aux contraintes temporelles humaines. Rien ne l’empêche donc d’intervenir, au moment présent ou plus tard, pour influer sur une réalité passée à condition que le locuteur soit dans l’ignorance de ce qui s’est effectivement passé. L’idée est donc que tant que le locuteur n’a pas connaissance de la valeur de vérité de P, celle-ci reste « négociable ». Ainsi, en (33-34) et en (37-38), c’est parce que le locuteur ne sait pas si le procès dénoté par P a (eu) lieu qu’il est à même de prier pour que celui-ci soit rendu possible. Une fois que la valeur de vérité de P est connue du locuteur, la prière n’a plus lieu d’être.

2.8 Quelle instance causatrice ?

Nous en arrivons maintenant à la question de la nature de l’instance censée lever l’obstacle s’opposant à la réalisation de P. A ce propos, Gilbert (2001 : 75) écrit que « la venue à l’existence de la relation [semble] dépendre d’un bon vouloir autre qu’humain, et, disons-le, quasi divin. ». Dans notre modèle, cela signifierait que le possible matériel, c’est-à-dire l’absence ou la levée des obstacles à la réalisation de P, résulte d’une intervention extérieure. Notre étude a montré que l’énonciateur comme le référent du sujet étaient dépourvus de tout pouvoir d’action. Aussi n’est-il pas illogique de vouloir introduire une causation externe à la structure sémantico-pragmatique sous-jacente de ces énoncés, dans la mesure où la représentation « je prie pour que soit levé l’obstacle à la réalisation de P » fait nécessairement entrer en jeu une force extérieure responsable de la levée de l’obstacle. L’hypothèse de Gilbert qui associe cette causation externe à une divinité est donc intéressante, d’autant qu’elle est confortée par la valeur illocutoire de ces énoncés et par leur usage fréquent dans le discours religieux. Elle est pourtant difficile à défendre compte tenu des statistiques témoignant de la fréquence relativement importante d’énoncés tels que :

[39] 'May God give grace to our family' (http://CNN.com) Les phrases avec le NP God comme sujet syntaxique ou réel représentent

en effet 8% de notre corpus. La structure sémantique sous-jacente serait alors redondante, puisqu’on aurait : Je prie pour que Dieu fasse en sorte que rien ne l’empêche de bénir notre famille. En outre, bon nombre d’énoncés optatifs se rencontrent en dehors de tout contexte religieux et ne présupposent nullement que le locuteur soit croyant. Il semble donc que soit invoquée une instance supérieure indéterminée sans qu’on puisse en dire plus.

Toutefois, il ne faudrait pas négliger le rôle de causation que joue l’énoncé lui-même, ou tout au moins, que l’énonciateur lui prête. En effet, dans nos énoncés, l’objectif recherché par la prière est la levée des obstacles empêchant la réalisation de P. Le paradoxe, inhérent à la prière, est que, tout en se déclarant impuissant à agir directement, le locuteur tente d’influer sur le monde par le biais de son énoncé (dont

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il est en fait l’unique instigateur) qui, dès lors, se présente comme l’élément causateur premier censé provoquer, même indirectement par le truchement d’une instance supérieure, la situation espérée par l’énonciateur. Ainsi, en prononçant un tel énoncé, le locuteur semble conférer aux mots un pouvoir quasiment magique, puisqu’ils sont, dans son esprit, capable d’influer sur le monde. Même si l’on postule que l’énonciateur adresse cette prière à une quelconque autorité (ce qui, on l’a vu, pose problème), celle-ci ne fait donc que « relayer son voeu » (Cotte 1988 : 445), et l’énoncé continue de se présenter comme une causation externe que l’énonciateur investit du pouvoir de changer le monde.

4. Conclusion

Nous avons tenté de rendre compte d’une structure mal connue et souvent négligée en multipliant les perspectives. Sur le plan syntaxique, nous avons proposé une hypothèse permettant de rendre compte du fonctionnement de la structure, de ses liens avec d’autres types de phrases (interrogatives et subjonctives) et de l’ordre des mots atypique. Nous avons en particulier montré que les différents mouvements conduisant à la structure de surface que l’on connaît pouvaient être motivés par la présence du trait [+SUBJ].

Nous nous sommes ensuite efforcé de décrire le fonctionnement sémantique et pragmatique des phrases optatives en tenant compte de ses différents constituants, en l’occurrence, le mode subjonctif et le modal, mais également du sens né de leur combinaison. Nous sommes parvenu à la conclusion que cet emploi de may n’a rien d’atypique sur le plan sémantique, dans la mesure où il signifie le possible matériel comme il le fait dans d’autres structures. En revanche, la combinaison subjonctif/may semble affecter la valeur du subjonctif étant donné que le modal introduit l’idée d’un possible extérieur sur lequel le locuteur n’a pas prise. Du coup, d’une forme de volition indéterminée, le subjonctif en vient à signifier un simple espoir, c’est-à-dire une volition passive. Toutefois, les phrases optatives ne sont pas équivalentes aux énoncés constatifs du type I hope S may V. La notion d’espoir n’est en effet qu’une valeur première qui permet de construire la valeur illocutoire de prière propre à ces énoncés. Mais, paradoxalement, alors que la prière est la reconnaissance par l’énonciateur de son impuissance (cf. l’expression Il n’y a plus qu’à prier), elle est l’instrument qu’il utilise pour influer sur le réel, car le but de la prière est bien de déclencher l’événement souhaité par le locuteur, mais par un média particulier, celui de la parole.

Bien que nous ayons multiplié les angles d’approche, nous nous sommes efforcé de montrer qu’il y a communication entre les différents niveaux (syntaxique, sémantique et pragmatique). La syntaxe met ainsi en scène la spécificité sémantique des énoncés, tandis que leur fonction pragmatique se construit à partir des données sémantiques.

Nous conclurons sur un point de terminologie. Tout au long de cet article, nous avons parlé de phrases optatives plutôt que de may optatif sans réellement justifier notre choix. D’abord, le terme optatif est-il justifié ? A vrai dire, on se heurte toujours à la même difficulté lorsque l’on tente d’appliquer un concept descriptif d’une langue donnée à une autre. En grec comme en sanskrit, l’optatif était

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un mode à part entière distinct du subjonctif (cf. Hahn 1953 : 6). Il n’y bien sûr rien de tel en anglais. Toutefois, on parle également d’emploi optatif d’une catégorie linguistique lorsque celle-ci a un fonctionnement sémantique similaire à celui du mode optatif26. Deux questions doivent donc être posées : (i) Est-ce que le sémantisme propre à l’optatif se retrouve dans notre structure ? et (ii) Que doit-on qualifier d’optatif ? Le modal ou la structure ?

La première question est problématique, car il n’y a pas unanimité sur le sémantisme qu’il convient d’attribuer à ce mode. Cela n’a rien de très étonnant, puisqu’il est courant qu’une catégorie linguistique telle qu’un mode transcende les catégories sémantiques. S. Levinson (1983 : 42n) appelle ainsi à la prudence sur le rapport trop souvent admis entre l’optatif et le souhait : « what are traditionally called optatives in Sanskrit and Greek do not necessarily, or perhaps even primarily, express wishes ». Ainsi, Lyons (1977 : 816) fait de l’optatif dans ces langues « the mood of contrafactivity and less remote possibility », alors que Hahn (1953 : 149) insiste sur le rôle de marqueur de futurité de l’optatif qui serait issu d’un temps futur indo-européen (Ibid. : 147). Toutefois, Hahn (Ibid. : 139) reconnaît un lien entre ce futur et l’expression d’une volonté de l’énonciateur. Enfin, la proximité sémantique entre le subjonctif et l’optatif est établie puisque les deux modes occuperaient, aussi bien en indo-européen qu’en grec, un champ conceptuel relativement proche, au point que les deux modes indo-européens auraient fusionné en latin pour donner le seul mode subjonctif (Ibid.).

En l’absence d’une description unitaire du sémantisme de l’optatif, il semble difficile d’évaluer la pertinence du terme optatif pour décrire nos énoncés. Néanmoins, à l’exception du contrefactuel, les notions de futurité, de possibilité, de souhait et le lien avec le subjonctif ne sont pas étrangers à notre structure, de sorte qu’il peut paraître légitime de parler de valeur optative, en gardant à l’esprit que ce terme rend compte du sémantisme de la structure et non de sa fonction pragmatique, pourtant essentielle.

Bien entendu, ces propriétés sémantiques ne sont pas marquées par may et l’essentiel de notre travail a été de montrer que may conservait son sémantisme propre. L’expression may optatif nous paraît donc être un abus de langage. Néanmoins, dans la mesure où d’autres structures (en particulier les indépendantes au subjonctif) partagent certaines de ces caractéristiques sémantiques, voire, dans certains cas, la même fonction pragmatique, nous avons proposé l’étiquette phrases optatives en may, qui a le mérite d’être plus juste que l’appellation courante sans pour autant tourner le dos à la tradition.

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