le corps féminin et les choses en polécié. un système symbolique à la fin du xxe siècle

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EHESS Le corps féminin et les choses en Polécié. Un système symbolique a la fin du XXe siècle Author(s): Galina Kabakova Source: Annales. Histoire, Sciences Sociales, 47e Année, No. 3 (May - Jun., 1992), pp. 595-612 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/27584181 . Accessed: 01/07/2014 07:01 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Annales. Histoire, Sciences Sociales. http://www.jstor.org This content downloaded from 194.214.29.29 on Tue, 1 Jul 2014 07:01:58 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Le corps féminin et les choses en Polécié. Un système symbolique a la fin du XXe siècleAuthor(s): Galina KabakovaSource: Annales. Histoire, Sciences Sociales, 47e Année, No. 3 (May - Jun., 1992), pp. 595-612Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/27584181 .

Accessed: 01/07/2014 07:01

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LE CORPS F?MININ ET LES CHOSES EN POL?CI?

UN SYST?ME SYMBOLIQUE A LA FIN DU XXe SI?CLE

G ALINA KABAKOVA

L'?tude r?alis?e est fond?e sur les donn?es que nous avions recueillies dans le cadre de recherches effectu?es par une ?quipe de chercheurs de l'Acad?mie

des Sciences et de l'Universit? de Moscou dans les ann?es 1976-1985. Au cours de nombreuses exp?ditions, nous avons examin? plus d'une centaine de vil

lages ; les t?moignages obtenus se trouvent actuellement dans les archives de l'Institut d'?tudes slaves et balkaniques ? Moscou ; seule une infime partie en a ?t? publi?e jusqu'? maintenant. Il importe de pr?ciser que les mat?riaux com

prennent les descriptions des rites et des usages qui, soit sont pratiqu?s de nos

jours, soit ?taient exerc?s dans le pass? mais dont on conserve encore le sou venir.

Le terrain explor? se situe au nord de l'Ukraine et au sud de la Bi?lorussie ainsi qu'? l'extr?mit? occidentale de la Russie. Ce terrain ethnologique porte le nom de Pol?ci? et forme une aire culturelle coh?rente dont l'int?grit? et la stabi lit? ont consid?rablement contribu? ? la conservation des ?l?ments archa?ques tant dans la langue que dans les coutumes, les croyances et la pratique rituelle.

D'ailleurs, un nombre important d'?l?ments offre une analogie directe avec d'autres aires conservatrices dispers?es dans le monde slave.

L'une des raisons qui ont influenc? le choix de la r?gion en tant que terrain d'?tudes est son statut historique : la plupart des sp?cialistes, historiens comme

linguistes, s'accordent ? dire que Pol?ci? fut le berceau de la civilisation slave d'o? partirent dans les premiers si?cles de notre ?re de nombreuses migrations vers l'ouest comme vers le sud.

Notre investigation porte sur les repr?sentations mythologiques de la

femme, ses fonctions procr?atrices ainsi que sur l'ensemble des croyances li?es ? la naissance et ? la premi?re enfance. Nous avons refus? de suivre les ?v?ne

ments essentiels de la vie de la femme dans l'ordre chronologique, comme on l'avait fait traditionnellement, c'est-?-dire les premi?res menstrues, les noces, la

conception, la grossesse, l'accouchement, etc. Car les mat?riaux r?cup?r?s pr? sentent trop de similitude avec ceux obtenus dans d'autres parties du monde. Il

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Annales ESC, mai-juin 1992, n? 3, pp. 595-612.

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LES SYST?MES SYMBOLIQUES

n'est plus question d'accumuler des donn?es brutes m?mes significatives et

archa?ques. A notre avis, le plus important est d'?lucider le fonctionnement d'un syst?me symbolique au centre duquel se trouve la femme. Ce syst?me est constitu? de plusieurs sous-syst?mes th?matiques o? les codes, ? leur mani?re, sont susceptibles d'exprimer le m?me contenu. Les sous-syst?mes ?voqu?s com

prennent l'habit, l'habitat, les mondes animal et v?g?tal, la m?t?orologie, etc. La particularit? des codes se traduit par leur implication dans plusieurs enuncia tions verbales, dans la terminologie r?gionale comme dans les rites. Ainsi, la

m?thode adopt?e int?gre l'analyse ethnolinguistique et s?miotique.

Le code vestimentaire

Le discours proverbial dans toutes ses modalit?s ? de la glorification (rare) au m?pris (plus fr?quent)

? concernant la femme, son corps et son compor tement recourt volontiers ? un nombre limit? d'objets coutumiers et d'?tres anim?s de sa vie quotidienne. La r?p?tition constante des m?mes objets de com

paraison incite ? supposer qu'ils ne sont pas choisis par hasard. Cet univers

pauvre des choses fonctionnelles et sans importance ne para?t pas ?tre tel ? ceux

qui y vivent. Car son indigence visible est compens?e par la pluralit? des signifi cations accord?es aux ?l?ments qui le constituent, par la multitude et la com

plexit? des rapports ?tablis entre ses composants. Il n'est plus ? prouver que le v?tement pr?sente un code social des plus perti

nents dans n'importe quelle soci?t?. De nombreuses ?tudes traitent ce sujet en

proposant des approches diff?rentes : sociologique, s?miotique et psychanaly tique1. Par contre, un aspect important du fonctionnement des v?tements

para?t ?chapper aux chercheurs explorant le domaine ou tout au moins ne fut

jamais ?tudi? dans toute sa complexit?. N?anmoins il reste capital dans la com

pr?hension d'une soci?t? de type archa?que. Il s'agit des connotations mytholo giques de l'habit.

Il est n?cessaire d'en tenir compte en analysant la distribution des r?les sociaux et biologiques dans le cadre d'une soci?t? dont l'objectif primordial est d'assurer l'?quilibre et la stabilit?. La confusion des r?les, la perte de l'identit? sexuelle risquent de mettre en cause non seulement la valeur de l'individu, mais in?vitablement le fonctionnement correct de la communaut? enti?re. Par cons?

quent, les mesures pr?ventives contre les mutations ?ventuelles doivent ?tre

prises d?s le d?but. La r?partition des r?les biologiques s'exprime nettement au travers des v?te

ments masculins et f?minins qu'on utilise la veille de la conception laquelle, dans le sc?nario rituel, co?ncide avec la nuit nuptiale. Pour assurer la prog?ni ture masculine, largement plus valoris?e que la prog?niture f?minine, les

marieuses mettent dans le lit des jeunes mari?s les pi?ces de l'habit de l'homme : le pantalon ou le bonnet. La femme qui d?sire avoir une fille cache sous l'oreiller son fichu. De cette mani?re, on cherche ? influencer le sexe du pre

mier-n?.

Mais le moment crucial de l'identification est indubitablement la naissance. Le choix juste des langes est cens? d?terminer le sort de l'enfant. Si dans cer taines localit?s, on donne la pr?f?rence aux v?tements masculins ind?pendam

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G. KABAKOVA LA SYMBOLIQUE DU CORPS F?MININ

ment du sexe du nouveau-n?, dans la plupart des cas on s?lectionne deux strat?

gies possibles : l'utilisation des v?tements du parent du m?me sexe ou bien ceux du sexe oppos?.

Les raisonnements ?voqu?s varient : souvent on mentionne les raisons senti mentales (par exemple, pour une fille: ?attirer l'amour du p?re sur la fille?, ? l'amour des gar?ons dans l'avenir ?) ou bien on esp?re que l'enfant, avec son

premier habit, obtiendra les qualit?s de son parent. En r?alit?, il s'agit d'un choix d?terminant : soit l'enfant doit h?riter des valeurs de son sexe, soit il se

procurera des ? valences ? suppl?mentaires re?ues du sexe oppos?. La deuxi?me

strat?gie offre ses avantages, car les succ?s aupr?s du sexe oppos? garantissent le mariage, condition ? la fois n?cessaire et suffisante de la r?ussite sociale.

D'autre part, la sexualit? excessive risque d'aboutir ? une grossesse pr?coce, voire ill?gitime, ce qui devient un handicap presque infranchissable pour la con

clusion d'un mariage. Autrement dit, le dilemme entre la sobri?t? et les dons

exceptionnels s'av?re p?nible. On s'abstient d'emmailloter une fille dans la chemise de son p?re ?galement

par crainte qu'elle ne reste ?vide?, st?rile, menace qui p?se ?galement sur la future ?pouse au cas o? quelqu'un par m?garde, ou avec intention, lui mettrait un bonnet. Ceci dit, la virilit? accumul?e dans les v?tements appartenant ? un

homme est per?ue comme susceptible de r?primer la f?condit? qui, dans le sys t?me des valeurs traditionnelles, reste synonyme de f?minin.

Par contre, l'emploi correct des pi?ces de v?tement masculin favorise la con

ception et la fermentation : une vache essuy?e par un pantalon sera efficace ment saillie par un taureau, la p?te mise dans le p?trin entre un pantalon et une

chemise de femme sera vite lev?e. Ces deux exemples t?moignent de l'universa lit? de l'opposition masculin/f?minin qui, dans toutes ses r?alisations, est ? la

base de la cr?ation. Il est ? souligner que dans les coutumes cit?es, il ne s'agit que d'objets

usag?s, car les neufs qui n'ont pas encore ?t? au contact d'un ?tre humain sont

totalement neutres, voire inefficaces. On d?conseille l'utilisation de tissus et des

langes neufs en motivant cette abstention par un jugement pratique : l'enfant usera trop vite son habit dans le futur. Par contre, les chiffons sales, le linge qui garde la sueur des parents prot?gent, croit-on, le nouveau-n? du mauvais il, de la sorcellerie mal?fique.

Mais le contre-emploi des v?tements, c'est-?-dire l'emploi de v?tements du sexe oppos?, est parfois pratiqu? d'une fa?on tout ? fait consciente. Il tend ? influencer l'ordre des choses, ? changer le sexe d'un prochain enfant: on recourt ? ce proc?d? au cas o? la femme n'ait donn? le jour qu'? des enfants du

m?me sexe. C'est l'absence de gar?ons qui contrarie le plus. Dans ce cas, on

pr?f?re enveloppper le placenta d'une fille dans un bonnet d'homme avant de l'enterrer. Dans d'autres zones slaves, on pr?tend obtenir le m?me r?sultat en

changeant les chaussures pendant le bapt?me (on met le soulier gauche au pied droit et inversement), en obligeant la parturiente ? porter sa chemise ? l'envers

pendant les quarante premiers jours apr?s l'accouchement, etc.2. Ainsi, le ren

versement de toutes les oppositions s?mantiques (droit/gauche, endroit/envers, masculin/f?minin) entre en jeu de mani?re ? surmonter l'encha?nement d?favo

rable des naissances.

Par contre, le ? travestisme ? involontaire, effectu? hors du contexte rituel

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LES SYST?MES SYMBOLIQUES

risque d'avoir des cons?quences d?sastreuses. L'enfant qui met par n?gligence des v?tements ou des parures de l'autre sexe sera faible d'esprit ou enfantera avant le mariage. En g?n?ral, dans la mentalit? traditionnelle, le contexte ?

quotidien ou rituel ? d?termine la hi?rarchie de valeurs. Ce qui est envisag? comme une norme dans la vie quotidienne s'av?re le contraire dans une situa tion de rite et, par contre, ce qui est permis pendant la f?te reste inadmissible dans le cadre de chaque jour. Le travestisme carnavalesque comme le prouvent de nombreuses ?tudes consacr?es ? ce sujet contribue ? la stabilit? de l'ordre des choses quoique d'une fa?on n?gative. Mais l'utilisation de v?tements d'un sexe

diff?rent en dehors du carnaval est le signe d'un ch?timent pour transgression aux r?gles morales. On exer?ait cette forme de punition pour le concubinage dans la Russie centrale encore ? la fin du si?cle dernier3.

Donc le v?tement est repr?sent? comme le double de l'?tre humain, portant ses indices classificatoires. Si cette suggestion ne demande plus de preuves au

niveau de la vie sociale gr?ce aux investigations de R. Barthes ou C. L?vi

Strauss, pour ne citer qu'eux, elles sont n?cessaires au niveau bio-mytholo gique. De ce point de vue, le symbolisme des v?tements aux principales ?tapes de la vie de la femme est particuli?rement r?v?lateur.

La robe ou plut?t la chemise de la future mari?e dans le cadre du rite du

mariage est m?taphore directe de sa virginit?. Le lendemain de la premi?re nuit

nuptiale, on la pr?sente aux h?tes pour les assurer de la chastet? de la fille et, en

m?me temps, pour leur faire part de la r?ussite du d?pucelage. D'embl?e, la chemise t?ch?e de sang devient le drapeau qu'on arbore soit sur le toit, soit au bout d'une lance et sous la protection duquel le cort?ge d?file tout au long du

village pour propager la bonne nouvelle dans la communaut?. La chemise est occasionnellement remplac?e par un fichu ou par une serviette qui, eux aussi, doivent ?tre d'un rouge sanglant. Au cas o? la fille n'a pas su garder son ? hon neur ? (sa virginit?) la couleur du drapeau est celui du deuil ? noir ou blanc.

Toujours pour glorifier la puret? de la jeune mari?e, qui est estim?e comme la condition sine qua non de la r?ussite du futur m?nage, on remplit son double rituel ? la chemise ? de grains de bl?4. En outre, ce geste a une autre significa tion. Il importe de signaler que la liste des objets charg?s de valeur symbolique dans le cadre d'un rite (au moins si l'on consid?re ses r?alisations dans le cadre d'une aire g?ographique particuli?re) est assez restreinte. Mais l'?conomie des

moyens est compens?e par leur polyvalence, par la richesse des combinaisons suffisantes pour exprimer le message d?sir?. Le laconisme des moyens choisis voisine avec la synonymie des gestes visant au m?me objectif : doter ? tout prix les jeunes mari?s de f?condit?. C'est pour cela qu'on les couvre de grains, les accueille avec du pain et qu'on les fait asseoir sur une pelisse poil en haut, esp? rant par l? que leur prog?niture soit aussi nombreuse que les grains ou les poils.

La fonction de la chemise de garantir la f?condit? est plus ou moins ?vidente

pour tous ceux qui participent audit syst?me de valeurs, pour ceux qui les accep tent comme pour ceux qui les rejettent. En br?lant, la nuit des noces, la chemise de l'?pouse, le couple se condamne ? la st?rilit?. Evidemment, le renoncement

pr?m?dit? d'enfanter est consid?r? par la soci?t? comme un p?ch? grave et pro voque une vive r?probation.

Le m?me geste de d?truire son v?tement dans d'autres conditions exprime un message contraire. Non loin de Pol?ci?, en Russie, la femme dont les enfants

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G. KABAKOVA LA SYMBOLIQUE DU CORPS F?MININ

meurent en bas ?ge fend avec une hache sa robe pour la br?ler ensuite. De cette

mani?re, elle punit sa chair incapable de mettre au monde une prog?niture saine

et, en se s?parant de son apparence, mat?rielle elle esp?re entamer une nouvelle

vie, mettre fin ? la calamit? pesant sur sa famille5. L'ouverture des v?tements par des agrafes, des boutons ou des n uds cor

respond sur le plan symbolique ? la lib?ration du corps, ? l'ouverture des entrailles. Comme le mariage implique n?cessairement l'?tape suivante dans la vie de la femme ? l'accouchement ?, tout concourt ? faciliter son d?roule

ment. Mais parfois le jeune mari? est forc? de d?chirer l'habit de sa femme lors

qu'il n'arrive pas ? accomplir sa premi?re obligation ? le d?pucelage6. Les

complications s'expliquent traditionnellement par les manigances des forces

mal?fiques qui auraient ensorcel? le couple. En exer?ant son pouvoir sur le sym bole mat?riel de la chastet?, l'homme tend ? d?truire l'int?grit? du corps vir

ginal.

D'ailleurs, les manipulations identiques reprennent au moment m?me des couches. Non seulement la femme doit se d?boutonner ou d?faire ses n uds, d?tresser ses cheveux mais aussi tous ceux qui l'assistent dans son labeur : son

mari, la sage-femme, des parentes, des visiteurs occasionnels. Pour faire ouvrir le corps on recourt ?galement au co?t r?alis? soit physiquement, soit ? et cela se fait plus fr?quemment

? symboliquement toujours ? l'aide des v?tements : la

femme enjambe trois fois le pantalon ou la ceinture du mari mis par terre. L'accouchement ainsi que le mariage prennent facilement dimension univer

selle, cosmique. Tout et tous sont contraints ? y prendre part : les gens, les objets qui les entourent, l'habitat et m?me ? sur le plan imaginaire

? les cieux. Seule leur coop?ration permettra ? la femme en couches de se d?livrer.

Mais les parents se sentent parfois oblig?s de reconstituer, par une mise en

sc?ne, tout le proc?s de la fabrication de la naissance ? partir du d?but ? des

rapports sexuels, de la conception du f tus ? jusqu'? la fin : l'accouchement

r?ussi. La n?cessit? s'impose en cas de grave maladie de l'enfant lorsque tous les autres moyens et les proc?d?s de la m?decine populaire sont ?puis?s et restent inefficaces. Dans ces conditions, les parents s'accouplent ? c?t? de leur b?b?

souffrant, puis la m?re le fait passer trois fois ? travers sa chemise tout en r?p? tant une formule traditionnelle : ? Comme j'ai pu te donner le jour, de m?me je pourrai te gu?rir ?. Ou bien elle ?nonce son intention d'une mani?re encore plus transparente : ? Par o? je t'ai donn? naissance, par l? je te gu?rirai ?. En imitant l'accouchement elle peut enjamber son enfant ou l'essuyer avec sa chemise ou

bien avec le pantalon de son conjoint. Le v?tement, en tant que double parfait de l'?tre humain, est divis? en ? gra

duation ? dont chacune poss?de une signification sp?cifique : le bas se rapporte directement ? la sph?re sexuelle, tandis que le haut ? la coiffure ? d?termine

par excellence le statut social. Cette r?partition a ?t?, ? maintes reprises, l'objet de discussions th?ologiques. Les vieux croyants, par exemple, r?primaient s?v? rement le port d'une croix au-dessous de la ceinture, car le contact avec les

organes g?nitaux leur paraissait une profanation. Dans le contexte de la culture populaire de Pol?ci?, le pan d'une chemise et

le tablier pr?sentent les symboles les plus limpides de ce domaine vil. Aux

noces, le tablier rouge dont on agr?mente la m?re de la jeune mari?e devient une

marque d?signant la virginit? correctement sauvegard?e de sa fille. Dans le cas

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LES SYST?MES SYMBOLIQUES

contraire, on la bl?me impitoyablement en lui reprochant le fait ? que le tablier de sa fille ait ?t? d?chir? ?. C'est pour cette raison que les femmes d?conseillent ? une jeune m?re d'emmailloter le nouveau-n? dans un tablier ou dans le pan de la chemise, sinon la fille risquerait d'engendrer un b?tard. Au niveau de la

langue cet interdit ?voque une expression russe ?rapporter dans le pan? ?

concevoir un enfant naturel.

Les femmes enceintes sont oblig?es de porter un ou, parfois m?me, deux tabliers pour deux raisons essentielles : afin de mettre ? l'abri du mauvais il le f tus ; afin de prot?ger l'entourage de leur influence envisag?e dans certaines circonstances comme extr?mement d?favorable. Il s'agit de situations rituelles

? du mariage ou du bapt?me ?, au cours desquelles la femme (qui, dit-on, porte deux ?mes, la sienne et celle du futur enfant) peut nuire aux personnes qui effectuent leur passage d'un ?tat ? un autre et qui sont, par cons?quent, particu li?rement vuln?rables.

Mais la divergence d'opinions ?nonc?es ? propos de la femme enceinte et de ses substituts mat?riels reste consid?rable parfois au sein d'une m?me localit?. Si elle menace l'?quilibre des jeunes mari?s, ou d'un enfant qu'on baptise, elle s'av?re tr?s efficace pour assurer la f?condit? du b?tail (on essuie de son tablier une vache) et m?me pour prot?ger un enfant des d?mons malfaisants (on l'?ponge toujours avec son tablier).

On cherche ? favoriser la f?condit? des femmes qui tardent ? enfanter en

manipulant leurs tabliers ou le bas de leurs habits. Ainsi, au festin qui suit le

bapt?me, la sage-femme, apr?s avoir distribu? la bouillie traditionnelle, casse le

pot vide et jette ses d?bris sur les genoux des invit?s, visant surtout les femmes st?riles. Les d?bris avec le reste de la bouillie sont cens?s ?veiller la f?condit? endormie. Un autre usage pr?suppose plus d'initiative de la part d'une femme inf?conde. Au moment o? la matrone coupe le cordon ombilical d'un nouveau

n?, elle doit tenir le pan de sa robe entre ses dents pour s'impr?gner de la cr?ati vit? dont elle est t?moin.

Le lien indissoluble qui existe entre le tablier et le f tus port? en-dessous incite ? le repr?senter comme un embl?me obst?trical, le signe distinctif de la

sage-femme qu'on remet apr?s sa mort ? sa rempla?ante pour lui transmettre le savoir-faire de la d?funte. Notons qu'un autre symbole de ce m?tier est une ser

viette, avec laquelle la matrone s'essuie les mains, qu'on d?pose dans son cer cueil pour qu'elle continue ? s'acquitter de son devoir honorable outre-tombe.

?Ma propre chemise est plus pr?s de mon corps?, dit le proverbe. Cette

proximit? presque intime pousse, comme nous l'avons d?montr?, ? identifier les fonctions biologiques et les v?tements. Leur comp?n?tration rend possible l'uti lisation des habits dans des buts magiques. Mais si les contextes pr?sent?s sont fond?s sur des concepts abstraits (f?condit? ou st?rilit?), la chemise portant les traces du sang catam?nial constitue une autre situation. Tout d'abord la langue en porte t?moignage. La p?riode des r?gles dans la r?gion explor?e poss?de des noms r?v?lateurs : ? sur la chemise ?, ? sur le linge ? ou ? sur le v?tement ?. Ou bien les femmes recourent aux expressions p?riphrastiques comme ? c'est arriv? sur la chemise ?, ? on vit sur la chemise ?, ? porter sur la chemise ?, ? avoir pr?s de soi?. L'essentiel de l'?coulement menstruel y est expliqu? par le fait que le

corps f?minin ?se lave?, en expulsant la souillure accumul?e. La l?gende ?co

logique raconte que la curiosit? inopportune d'une femme est ? l'origine de cet

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G. KABAKOVA LA SYMBOLIQUE DU CORPS F?MININ

inconv?nient : elle avait d?pli? le linge ensanglant? des couches de la Sainte

Vierge et, en punition, dut se purifier tous les mois avec le sang rappelant l'h?morragie de la Vierge. En cons?quence toute l'esp?ce f?minine est forc?e

d'expier son d?lit initial en partageant le ch?timent7. Les repr?sentations mythiques des menstrues abondent partout dans le

monde. Plusieurs proc?d?s magiques visant ? la st?rilit? ou ? la f?condit? sont fond?s sur l'utilisation du sang catam?nial. Mais en Pol?ci? les concepts perti nents qui d?terminent cette vision mythologique sont deux ?l?ments primor diaux ? le feu et l'eau. Ce liquide fougueux est susceptible d'? enflammer ? la

peau d'un nouveau-n? si la femme indispos?e s'approche de lui. L'?ruption provoqu?e (qui d'ailleurs au sud de l'Ukraine porte le m?me nom de ?che

mise ?) n'est soign?e que par son aveu sinc?re : en entrant elle doit pr?venir ?je suis venue avec des invit?s ? (une autre p?riphrase d?signant son ?tat). Ou bien on essuie l'enfant avec la chemise ensanglant?e de la femme.

La chaleur des r?gles qui se d?gage du corps f?minin est estim?e plus forte

que celle du feu. Si elle est nuisible aux plantes (la femme en menstrues est inter dite de cueillette), elle est, par contre, opportune pour ?teindre l'incendie.

D'ailleurs, le m?me don est attribu? ? un enfant con?u pendant les menstrues. Dans les Carpathes on demande ? une femme de laver son linge souill? dans l'eau pour mettre fin ? l'inondation.

La fonction sociale des v?tements s'av?re parfaitement explicit?e dans la

r?gion de Pol?ci?. Ainsi, une des s?quences cardinales des noces traditionnelles

pr?sente le changement de la coiffure de l'?pous?e. En lui remettant la coiffure des femmes mari?es, les marieuses l'int?grent dans sa classe. Mais le tout pre

mier geste de la socialisation porte sur l'enfant qui vient de venir au monde. Nous avons d?montr? que le choix des v?tements appropri?s ? certain sexe

d?termine sa destin?e. Mais l'id?ologie vestimentaire a une plus large port?e. Emmailloter un enfant, lui procurer son premier habit, signifie en g?n?ral son adh?sion au monde culturel, car la nature l'expulse tout nu. C'est pour cette raison que les pi?ces des v?tements deviennent des cadeaux obligatoires du par rain et de la marraine. Bien plus. Le tissu, et ce qu'on en fait, apparaissent comme le don que s'?changent tous les participants du bapt?me eccl?siastique et du festin qui le suit. Ces dons doivent t?moigner que le rite d'adh?sion fut correctement effectu?.

On oblige la parturiente ? offrir une toile ? la sage-femme ? pour qu'elle d?roule le chemin de l'enfant?. Ainsi, le tissu se m?tamorphose en une des

m?taphores de la vie humaine, un chemin que le nouveau-n? doit parcourir. En

outre, une toile ou une serviette seront n?cessaires, et plus tard, apr?s la mort, pour acc?der ? l'outre-tombe ; les villageois les suspendent sur les croix mor tuaires aux f?tes comm?moratives.

Le souci presque obsessionnel d'habiller son enfant n'abandonne pas les

parents m?me si le nouveau-n? ne donne aucun signe de vie. Ils pr?f?rent donner une brassi?re qui lui ?tait destin?e ? un autre enfant, celui qui vient au

monde sain et sauf, pour qu'il la porte pour deux ; car le mien, explique la

m?re, est nu dans l'au-del?. La nudit? posthume, par cons?quent, est envisag?e comme un handicap grave des mort-n?s, de tous ceux qui n'ont pas re?u le sacrement du bapt?me. Selon une croyance largement r?pandue en Pol?ci?, ces enfants enterr?s au-dehors des cimeti?res, aux bords des routes, ou dans les

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LES SYST?MES SYMBOLIQUES

champs, hurlent jour et nuit en exigeant le bapt?me. Celui qui per?oit ces cris

peut sauver leurs ?mes p?nitentes en leur jetant un mouchoir ou un bout de tissu

qui suffira pour soulager leurs supplices. Autrement dit, l'initiation quoique tardive au monde social passe par le produit qui cumule les acquisitions techni

ques de l'humanit?. Mais l'opposition cardinale nu/v?tu ne se r?alise pas seulement comme

l'opposition naturel/social. Exceptionnellement, la nature donne le jour ? un

enfant soi-disant ?n? coiff??, c'est-?-dire qui garde les membranes f tales. Dans la terminologie locale les membranes portent les noms de ?chemise?, ? bonnet ?, ? tissu ? ou ? sac ?. Cet enfant, croit-on, est chanceux, dou? en plus de nombreux talents magiques, par exemple, d'?teindre l'incendie. ? Sa che

mise? est utilis?e dans la sorcellerie d'amour, dans la m?decine populaire ou comme un porte-bonheur particuli?rement efficace. De rares jugements oppos?s semblent dissoner avec cette approbation presque unanime. On tient ? ?viter ces ?veinards? que l'on soup?onne d'?tre pourvus du mauvais il et de

porter malheur. Mais dans le contexte plus large de la culture slave tradition

nelle, la contradiction s'explique mieux. Dans les Balkans et chez les Polonais on les consid?re comme des sorciers, vampires, extr?mement dangereux pour

l'entourage8.

La m?fiance exprim?e n'a rien d'?tonnant car les enfants ?habill?s?, comme tous ceux qui viennent au monde marqu?s d'autres signes particuliers (poils, cheveux longs, dents), effraient la soci?t? comme les ?tres pr?coces, par venus ? maturit? avant la naissance. Et toutes les d?viations, toutes les muta

tions, m?me si elles portent bonheur ? l'individu sont suspectes et mena?antes pour la communaut?. Finalement 1'?habillement? pr?natal est aussi ind?si rable que la nudit? posthume. La nature ne doit pas s'approprier des fonctions

que seule la soci?t? est cens?e assumer.

Le symbolisme nuptial: les ustensiles de cuisine

Nous avons montr? que la n?cessit? de recourir au langage des symboles mat?riels surgissait aux moments cruciaux. Les ?v?nements physiologiques sont traduits dans le contexte rituel autant par des gestes que par des ?nonc?s ver baux. En outre, la pluralit? des moyens synonymiques explicitant le m?me contenu ne para?t jamais excessive et cr?e un message suggestif et total. Les v?te

ments dans leur essence m?taphorique tel que nous l'avons expos?, demeurent

quand m?me neutres ; comme des ?tres humains, dont ils deviennent les sosies

parfaits, ils ne sont ni bons ni m?chants, par nature, seul leur emploi ou leur

contre-emploi sont soumis ? l'appr?ciation morale. Par contre, un autre registre m?taphorique, celui des ustensiles de cuisine,

pr?suppose une gradation des significations valorisantes, fond?es sur les conno tations ind?pendantes appropri?es aux objets. Ce syst?me complexe des signi fiants et significations est mis en marche dans le cadre du rite du mariage, qui semble le plus marquant du cycle de la vie, car il conclut l'?tape pr?c?dente des

participants et jette les bases de leur existence ult?rieure. La r?vision des valeurs concerne non seulement les protagonistes qui effectuent leur passage vers un ?tat fonci?rement diff?rent, mais aussi leurs familles et par cons?quent toute la

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G. KABAKOVA LA SYMBOLIQUE DU CORPS F?MININ

soci?t?. Car chaque mariage change la composition de la communaut?, tout en

respectant son ?quilibre. Dans la mentalit? archa?que, dont les indices essentiels ont ?t? dans une

grande mesure conserv?s en Pol?ci?, la chastet? de la future ?pouse reste une valeur primordiale. Elle garantit la prosp?rit? du futur m?nage, la succession correcte des biens, la reproduction assur?e de la vie et la transmission des valeurs morales. Donc, le premier souci de la famille qui l'accueille dans son sein est de se persuader que la bru correspond ? cette exigence initiale. Le pre

mier examen se d?roule rarement dans la maison de ses parents. Beaucoup plus fr?quemment elle est oblig?e de passer son ?preuve ? son arriv?e au domicile de son futur mari. En descendant de la voiture elle doit marcher ou s'asseoir sur le

p?trin parfois couvert d'une pelisse. La fille affirme sa puret? en pr?tant ser ment : ? Si je ne suis pas honn?te (c'est-?-dire vierge) que je laisse ma t?te avant

que l'ann?e s'?coule?.

La demi-vierge s'abstient de son plein gr? de monter sur le p?trin, parce qu'elle se rend parfaitement compte des infortunes que subira la famille en cas de tromperie. Ses futurs enfants mourront l'un apr?s l'autre, le b?tail partagera le m?me sort, les r?coltes seront insuffisantes sept ans de suite. Une fois la cor

ruption de la fille d?nonc?e, on l'oblige ? porter de l'eau dans un p?trin sans fond. Si la mise ? l'essai se passe chez elle, sa m?re initi?e ? son secret inf?me cherche ? substituer le p?trin par un autre objet, moins important pour le

m?nage, par exemple, par une cuve ? lessive, toujours de crainte d'attirer la calamit?.

Pour motiver le choix du p?trin comme sanctuaire, force est de rappeler que toute l'?conomie domestique ?tait fond?e auparavant sur la production du pain qui ?tait et reste toujours la nourriture essentielle de la r?gion, m?me si aujour d'hui on l'ach?te dans les magasins. Le respect du pain qui est ?en t?te de

tout?, comme l'affirme le proverbe, est appris aux enfants d?s le jeune ?ge. Donc, la r?ussite de sa production d?pend non seulement des outils utilis?s mais encore plus de ceux qui le font. Il importe de constater que sa fabrication ?tait le devoir et le privil?ge des femmes. Tout contact avec l'?l?ment m?le est par cons?quent nuisible ? la p?te comme ? l'homme: si l'homme approche du

p?trin, le pain cuit sera compl?tement rat?. Et le m?le, ? son tour, subira des

m?tamorphoses absolument d?sastreuses allant jusqu'? la perte d'identit? sexuelle: il aura des gros seins, les moustaches et la barbe cesseront de lui

pousser.

Le p?trin qui assure la prosp?rit? du m?nage est d?sign? donc comme un

garant de la conformit? de sa future ma?tresse aux exigences de la puret? initiale et de la puret? qui doit ?tre respect?e tout au long de la vie familiale : jamais la femme ne couchera avec son mari, si le lendemain elle se propose de cuire le

pain (l'interdit concerne ?galement d'autres besognes m?nag?res ?

lessive, net

toyage, abattage, semailles, etc.). ?ventuellement le futur ?poux peut ?tre lui aussi mis ? l'essai au travers du p?trin.

La belle-m?re, les marieuses investissent l'?pous?e de leur confiance en

manipulant le p?trin, ce grand f?tiche du foyer: la m?re en accueillant sa bru avec un pain, une ic?ne et le couvercle du p?trin dans les mains, les marieuses en

changeant la coiffure de la fille assise ? cette occasion sur le p?trin. Les m?mes marieuses ou bien leurs homologues masculins frappent vigoureusement le

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LES SYST?MES SYMBOLIQUES

p?trin contre la poutre-ma?tresse, en le brisant parfois. Ce geste destructif sera

expliqu? dans le contexte d'autres gestes analogiques, notre but actuel est de

d?montrer le haut statut du p?trin dans l'imaginaire slave et sa r?f?rence dans le

contexte nuptial ? la virginit?. En outre, ledit p?trin s'identifie avec les entrailles fertiles de l'?pous?e.

L'?quivalence du corps f?minin et du p?trin persiste tant que la femme est apte ? procr?er. Ses entrailles, figure-t-on, contiennent toute la p?te qu'il faut pour ? fabriquer ? la prog?niture. Le fond ?puis?, il ne reste que quelques derni?res

miettes ? gratter. Telle est l'image de l'enfantement que cr?e la langue qui attribue le m?me nom de ?gratt?? au benjamin comme au dernier pain de

cuisson. L'emploi de ce dernier pain est cens? influencer la fertilit? de la femme ; par cons?quent, si son d?sir d'engendrer n'est pas compl?tement satis

fait, elle refuse ce pain ? un enfant de peur qu'il ne soit le dernier. D'ailleurs cet enfant ?gratt?? est dou? de nombreuses qualit?s parmi les

quelles la plus importante est celle de gu?risseur. A la diff?rence d'un enfant ? n? coiff? ?, ses talents sont unanimement estim?s comme b?n?fiques, car son

?sang pur? ne peut nuire ? personne. En outre, il est apte ? d?tourner les

nuages de gr?le, cueillir des plantes m?dicinales, faire le m?nage rituel du Jeudi

Saint, etc.

Si la r?f?rence au pain garantit d'embl?e un haut statut ? un objet ou ? une

personne, les contacts avec d'autres types de nourriture proposent des connota tions plus contradictoires. Effectivement, dans la culture populaire, le pot repr?sente un objet aussi important que le p?trin, qu'on identifie volontiers avec un ?tre anim? pourvu de sa propre biographie aussi tourment?e que celle d'un homme. Une devinette raconte son histoire au croisement des ?l?ments constitutifs de l'univers : ? Il ne fut pas n? mais pris de la terre comme Adam, il fut baptis? par le feu pour qu'il vainquit les eaux ; il nourrissait des affam?s ; il se surmena en travaillant ; dans les mains de la comm?re-matrone vit le nouveau

jour ; vivait ? la retraite jusqu'? l'autre mort ; et ses os, on les jeta au croisement des routes?9.

Si cette devinette assimile le pot et le sort humain en g?n?ral, dans le dis cours par?miologique on le mentionne constamment en d?crivant une femme.

Et la comparaison ne reste jamais neutre, la r?f?rence au pot comporte en soi un jugement humiliant (?la bonne femme est comme un pot: on y verse

n'importe quoi et ?a bout toujours ?). Deux indices pertinents nous semblent ? la base de l'analogie entre r?cipient et corps f?minin : la fermet? et la fragilit?.

Tous deux s'av?rent activ?s et explicit?s dans le contexte nuptial. D'ores et d?j?, le potier dans la mythologie slave r?git le destin du corps vir

ginal aussi fragile que sa marchandise. Son apparition dans le village la veille de No?l augure soit des mariages, soit tout au contraire le c?libat prolong?. La communaut? r?agit selon l'interpr?tation admise : ou bien on le salue chaleu

reusement, ou bien on se rue sur sa charrette pour casser les pots. Casser les pots aux noces devient un geste conscient d?pourvu de la banalit?

quotidienne. Le futur ?poux, le lendemain de la premi?re nuit, brise un vase en ?clats pour prouver tout d'abord que la fille ?tait intacte et qu'il s'est acquitt? de son devoir conjugal. Par contre, si la fille ?tait impure, il d?nonce sa corrup tion en exposant les d?bris d'un pot sur la table ? l'intention de tous, ou bien le

parrain creuse un trou dans un petit pain. Cette opposition gestuelle entre un

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G. KABAKOVA LA SYMBOLIQUE DU CORPS F?MININ

r?cipient correctement bris? et un r?cipient trou? se manifeste nettement. Pour

exprimer son m?pris ? la m?re de l'?pous?e qui avait ?chou? dans sa t?che ?du

cative, les faiseurs du mariage la r?gale de vin ou de vodka vers?s dans un verre

?br?ch?, de pain ou de cr?pes trou?es. La casse du pot symbolise une transition bien r?ussie, la s?paration de l'?tat

virginal, et, en g?n?ral, met en valeur des m?tamorphoses que seul le corps f?minin peut subir. Le rite du mariage ?tant polys?mique de nature pr?voit d?j? la m?tamorphose suivante. On tient ? briser le pot pour apprendre ?galement quelle sera la prog?niture. Le marieur jette un pot plein d'eau et d'avoine :

cass?, il pr?sage la naissance d'un fils; intact, celle d'une fille. Une autre variante du m?me usage interpr?te un r?cipient cass? comme un augure de

f?condit?, un r?cipient intact comme un pr?sage de m?nage st?rile. Pour

r?parer la situation les marieurs l'ach?vent ? coups de b?ton10. La deuxi?me m?tamorphose du corps de la femme co?ncide avec la nais

sance du premier enfant. Car l'?pous?e n'est pas consid?r?e comme une vraie femme tant qu'elle n'accomplit pas son devoir biologique. Elle n'a m?me pas droit au nom de femme, car jusqu'aux premi?res couches on l'appelle ? jeune ?. La deuxi?me, et cette fois d?finitive perte de l'int?grit?, est de nouveau c?l?br?e

par la destruction du pot, plein de la bouillie traditionnelle qui couronne le festin organis? apr?s le bapt?me eccl?siastique. Les d?bris du pot distribu?s aux

invit?s, surtout aux femmes qui n'enfant?rent jamais doivent ?veiller leur

f?condit?, d'autres offerts aux filles approcheront la date de leur mariage. En l'occurrence la vaisselle bris?e est cens?e marquer la derni?re mutation

de la femme. A la diff?rence de deux contextes analys?s, celui-ci n'ayant aucune r?alit? biologique porte un caract?re plut?t sp?culatif. Au mariage on pose un

pot sur le ventre de la m?re du fianc? et on le brise avec un b?ton n. Le message du rituel para?t transparent. Les enfants ?tant mari?s, le devoir terrestre de la femme est rempli, il ne lui reste qu'? passer dans une autre classe d'?ge : celle des femmes ?g?es, la f?condit? ult?rieure serait contraire et adverse aux lois de la nature.

Parmi les ustensiles embrass?s par la pens?e m?taphorique dans le cadre des

noces, le moins valoris? et le plus controvers? est le mortier qui surgit toujours avec son compl?ment ins?parable

? le pilon. Il importe de souligner que dans les dialectes locaux, le mortier, en opposition au pilon, est f?minin. Cette r?alit?

linguistique de m?me que les formes des objets incite ? les interpr?ter comme les

organes sexuels, leur conjonction comme un acte sexuel. La r?f?rence ? ce

couple m?nager introduit un nouveau registre dans la composition du rite nup tial, un registre comique.

La contradiction des valeurs attribu?es coexiste avec l'h?t?rog?n?it? des contextes o? surviennent ces objets. Pilon et mortier peuvent barrer le chemin du fianc? qui vient chercher sa future. Dans ce cas-l? il doit s'acheter l'acc?s au

foyer de ses beaux-parents. Une autre version suppose le transfert du mortier de la bru par les parents du futur qui a lieu le lendemain du mariage. Tant?t le

d?m?nagement du mortier n'est ?voqu? que dans les textes oraux qui commen tent les ?v?nements des noces en se r?f?rant de pr?f?rence aux m?taphores emprunt?es au monde objectif

? les ustensiles du m?nage, les animaux, les

plantes, les corps c?lestes, etc. Le mortier et le pilon sont aussi souvent offerts au jeune couple pour faire

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LES SYST?MES SYMBOLIQUES

allusion aux rapports sexuels qui doivent aboutir ? l'enfantement. En les don nant en cadeau, on leur souhaite de ?labourer jour et nuit pour ?lever les

gosses ?. Ou bien le cort?ge nuptial renverse le mortier, le roule par terre en le

frappant avec le pilon pour montrer au jeune mari? comment il doit agir. Pour lui garantir le succ?s de la premi?re nuit, pour conforter sa virilit?, on glisse le

pilon dans le lit du nouveau couple. Le lendemain des noces, on demande au couple qu'il prouve la complicit?

acquise : ils sont oblig?s de piler dans le mortier ? tour de r?le, pour que le

m?nage prosp?re, ? batte ? bien. Ces objets souvent font leur apparition lors de la derni?re s?quence du mariage, nettement comique. La ?fianc?e?, c'est-?

dire un des invit?s d?guis? en ?pous?e raconte les tracas de la nuit pass?e, lors

qu'?elle? fut forc?e de piler et moudre sans cesse. Ou encore on reproduit, mais d'une fa?on parodique, le sacrement du mariage, o? les parents ayant mari? leur dernier enfant prennent la place des jeunes mari?s, le mortier rem

place l'autel, et le pilon, le fruit de la nuit nuptiale. Les textes eccl?siastiques sont remplac?s par des plaisanteries obsc?nes.

Ce final comique portant le nom de ?queue? n'annule aucunement la solennit? de l'?v?nement accompli, mais, par contre, le couronne par un rite

approbatif. La corr?lation entre diff?rents ?l?ments du mariage, eccl?siastiques comme la?ques, reste un probl?me suffisamment complexe que nous ne cher chons pas ? r?soudre dans notre ?tude. Mais de nombreux t?moignages recueillis affirment que si, aux yeux des autorit?s, le mariage ne fut l?gal qu'apr?s la c?r?monie eccl?siastique (et qui dans les conditions actuelles est substitu?e ou plut?t compl?t?e par les formalit?s civiles dans la mairie), selon

l'opinion communautaire, il n'?tait pas non plus valable au cas o? toutes les festivit?s traditionnelles n'auraient pas ?t? effectu?es. Autrement dit, le rite du

mariage tel qu'il existe de nos jours comprend plusieurs niveaux expressifs ?

du sacramental au parodique ?

qui ne se contestent pas, mais se compl?tent en s'enrichissant r?ciproquement.

La r?f?rence directe ? la sph?re sexuelle se traduit facilement sur le plan s?mantique par la r?probation du comportement amoral. Sa cible reste toujours la fille d?shonor?e trompant les attentes de la famille. On l'oblige ? piler dans le

mortier de la suie coup?e d'eau ou bien des graines de pavot dont on emplit ensuite les g?teaux pour annoncer de cette mani?re que la fille a d?j? ?t?

?pil?e?. Ainsi, l'expression courante ?piler de l'eau dans le mortier? qui est

synonyme de vanit?, encadr?e dans la r?alit? rituelle obtient une multitude des

significations allant de la glorification de la d?marche sexuelle compl?tement honorable si elle est accomplie dans les circonstances propices jusqu'au m?pris si elle a eu lien pr?matur?ment.

Pour en finir avec le pilon qui implique la r?probation, citons un t?moi

gnage rare ?voquant une autre noce parodique, mais ? la diff?rence de celles

d?j? ?voqu?es totalement humiliante, car elle a ?t? extraite du contexte rituel, o? toutes les s?quences sont assorties d'un ?quilibre parfait. Notons que la pro fanation sacril?ge qui en ?mane provient du m?lange des ?l?ments propres aux rites eccl?siastiques et populaires. ?Il ?tait une fois un gentilhomme Mak

myskul mari? ? une Fran?aise. En ces temps-l? la loi voulait qu'une fille ne

puisse se marier sans avoir couch? avec son seigneur. Il tomba alors amoureux d'une fille et se mit ? vivre avec elle, rien qu'avec elle, tout en oubliant sa

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femme. Son ?pouse insista pour qu'on la mari?t ? un pilon de mortier. Et on les

maria, la fille et le pilon. Et la dame accourut ? l'?glise et lui d?chira son bonnet et for?a les gens ? lui mettre une couronne d'orties. Mais malgr? tout, il conti nua ? coucher avec la fille et tua la dame ?.

Le corps et l'espace domestique

Si la premi?re apparence de l'?tre humain est son v?tement qui non seule ment d?guise, dissimule le corps mais mieux ext?riorise le physique, la deuxi?me est son habitat que des g?n?rations ont soigneusement adapt? ? leur esprit. La

comp?n?tration entre la femme et son espace domestique est d'autant plus per tinente que le foyer reste dans la culture slave le lieu o? la femme se r?alise le

plus, tandis que la vie active, la vie professionnelle de l'homme se d?roule

plut?t ? l'ext?rieur ? dans les for?ts, dans les champs ou dans les d?pendances. Le four, initialement centre constitutif et g?om?trique de la demeure, fut

laiss? de c?t? ? l'issu d'une ?volution centenaire ; les changements aboutirent ? la bipolarisation des lieux o? survinrent deux centres s?mantiques : le four ou le

po?le qui forme le pivot de l'espace f?minin et de l'espace rituel (car la fabrica tion du pain, la cuisson rel?vent de la comp?tence exclusive des femmes) et le coin ?rouge? orient? pr?f?rablement ? l'est, en face de l'entr?e, r?serv? au

ma?tre de la maison ou bien aux h?tes d'honneur et o? se trouve le sanctuaire

domestique avec les ic?nes. C'est autour du foyer que se passent les ?v?nements cardinaux de la vie de la

femme. La mythologie du four fut analys?e dans l'?tude ?toff?e de P. Caraman12, ce qui nous dispense d'entrer dans les d?tails. Il prouva que l'action de s'approcher de ce pilier du monde m?nager dans le contexte rituel des noces signifiait non seulement l'int?gration dans la famille mais la conqu?te

m?me du foyer. Car la future mari?e ukrainienne ou roumaine qui, ? peine entr?e dans son nouveau domicile, touche le po?le, ne peut plus ?tre expuls?e de la maison. Elle recourt ? ce proc?d? au cas o? le gar?on qui lui avait fait la cour ne veut pas se marier ou lorsque les parents s'opposent vivement ? la volont?

mutuelle des jeunes gens d'unir leurs destins. En outre, l'apparition de la jeune femme aupr?s du foyer entra?ne in?vita

blement le d?clin de la ma?tresse pr?c?dente, autrement dit, elle signifie la suc cession des pouvoirs. Cette loi fondamentale de la hi?rarchie m?nag?re est relev?e non seulement par les ?tudes judiciaires mais aussi au travers de nom breuses prohibitions. A titre d'exemple, ?voquons l'interdit de regarder dans le

four, dont la transgression, dit-on, pourra provoquer la mort imm?diate de la belle-m?re. En r?alit?, il s'agit plut?t de son ?viction qui ?quivaut ? une mort

symbolique, et du changement des statuts. Les manipulations autour du four concernent non seulement la sph?re du

droit coutumier, mais encore plus la magie vitale, car le four dans la pens?e m?taphorique est un homologue du p?trin mais un homologue omnipr?sent, embrassant le cycle entier de la vie productive de la femme. La fianc?e, qui tient ? rester st?rile, en quittant la maison des parents jette dans le foyer quelques pi?ces de monnaie et paye de cette mani?re sa libert?. Mais ce comportement est

plut?t exceptionnel, car le vrai but du couple est d'enfanter. C'est pourquoi la

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LES SYST?MES SYMBOLIQUES

belle-m?re se presse de lancer le voile de la future mari?e sur le po?le en explici tant son intention : ? Fais-nous un fils et une fille l?, sur le four, dans le coin ?.

Lorsque la menace de la st?rilit? se pr?cise, la femme s'adresse toujours au

four, ? sa chaleur et au pain, son produit essentiel, pour solliciter leurs concours : elle s'assied sur la pelle ? pain encore chaude, mange des cro?tes de

pain, etc. Au moment des couches on y fait appel de nouveau en lui adressant une incantation: ?Four-M?re (le four est f?minin), aide une Telle ? ?tre d?li vr?e ! Et vous, martyrs, venez lui en aide ! Portes du paradis, ouvrez-vous, clefs de fer, ouvrez-vous, aidez la servante de Dieu une Telle! Aidez l'enfant ?

na?tre, laissez-le passer dans ce monde. Comme ma m?re m'a mise au monde sans peine (...). Dor?navant, ? l'avenir et au jugement dernier ?13.

L'aboutissement des couches est r?sum? dans l'entourage par des expres sions standardis?es : ? Le four s'est effondr? ? ou bien ? La femme est tomb?e du four ?. En g?n?ral, la langue appuie l'analogie ? maintes reprises, en d?finis sant un homme chanceux comme celui qui ? est n? dans le four ? ou des enfants

qui se ressemblent comme deux gouttes d'eau qu'ils ?sont de la m?me cuisson ?. L'opposition capitale de cru et de cuit se r?alise constamment au tra vers des pratiques et du langage : on affuble un lourdaud ou un empot? d'un

sobriquet p?joratif de ? mal cuit ? ou de ? p?te ?. A la limite, le pain devient la mesure m?me de la vie humaine et l'on accuse la m?re dont l'enfant est mort en bas ?ge d'avoir mang? sa ration de pain.

La sage-femme ach?ve la fabrication de l'enfant en le d?posant devant le four. Dans d'autres r?gions slaves, le traitement ?culinaire? du nouveau-n?

passe par la salaison (chez les Bulgares) ou par le saupoudrage du sucre (Carpa thes). Ce geste r?v?le encore une autre strat?gie : elle vise ? pr?senter le nouveau

membre de la famille ? l'entourage en choisissant les objets les plus significatifs. La m?diation du four, voire du feu, s'av?re ?galement n?cessaire dans la

p?diatrie populaire. On gu?rit les enfants ?nou?s?, rachitiques, atteints, comme on dit, de la ?s?cheresse? ou de la ?vieillesse canine? en les enfour nant sur la pelle ? pain ? c?t? du bouchoir ou m?me dans le creuset. Ce traite

ment qui envisage l'enfant malade comme une p?te mal cuite porte les noms de ? cuire la vieillesse ? ou ? ?tuver ?.

Le four d?plac? du centre de l'espace vers la cuisine c?de sa position centrale ? un objet beaucoup plus r?cent du point de vue historique, la table. Effective

ment, elle appara?t comme un lieu o? se d?roulent toutes les festivit?s familiales de la naissance jusqu'? la mort, mais de m?me que le four elle est pourvue d'une dimension symbolique qui d?passe largement sa fonctionnalit?. Sous la table, l'on expose le nouveau-n? pour inaugurer sa venue au monde, sur la table on

d?pose le cercueil pour faire un dernier adieu au mort avant la s?paration d?fi nitive. La sacralit? de la table appuy?e par la langue qui la fait rimer avec autel d?termine le comportement quotidien en imposant de nombreuses r?glementa tions ; parmi elles notons l'interdit de se mettre debout sur la table qui concerne aussi bien les adultes que les enfants : un enfant mis par m?garde sur la table ne

grandirait plus ou tarderait ? marcher. Par contre, la m?me action de poser l'enfant debout et de lui faire faire les premiers pas sur ce sanctuaire, mais effectu?e cette fois consciemment, au moment propice qui est P?ques, est cens?e gu?rir un enfant ch?tif, l'aider ? marcher.

L'universalisme de la perception de l'espace domestique et de son centre qui

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G. KABAKOVA LA SYMBOLIQUE DU CORPS F?MININ

co?ncide en l'occurrence avec la table, se manifeste surtout au moment crucial de l'accouchement. Pour apaiser les douleurs de la femme ou pour accentuer les

contractions, la matrone l'oblige ? faire trois tours autour de la table suivant ?le cours du soleil?. Tout en sacralisant la d?marche, elle pose ? ses quatre coins des poign?es de sel et du pain que la femme souffrante doit baiser. Le

mouvement est accompagn? par la pri?re de la sage-femme r?cit?e ? mi-voix :

?Contourne, Seigneur, contourne, Seigneur, contourne, Seigneur; que l'accouchement soit prompt ; aide-l?, ? Seigneur, aide-la, Seigneur ! ?.

Ce caract?re totalisant de la pens?e populaire qui traverse tout l'univers en

passant facilement de l'habitat jusqu'aux cieux, de la vie individuelle aux forces

cosmiques, transf?re ais?ment le paradis au centre de la pi?ce en l'identifiant ? la table. L'accouchement r?ussi est suivi du rite de la purification lorsque la

parturiente et son assistante se lavent r?ciproquement les mains et se demandent

pardon. Le rituel accompli, la matrone, la ?grand-maman? dans le parler local, am?ne la m?re, qui porte son nouveau-n? et le pain, vers la table. A la

question conventionnelle des invit?es : ? O? allez vous, grand-maman ? ? elle

r?pond sans r?ticence: ?Au paradis?, ?Que Dieu vous aide, amenez-nous aussi au paradis?, supplient-elles. ?Soyez les bienvenues avec nous au

paradis?, les invite la sage-femme. Et les femmes s'installent ? la table pour f?ter le retour de la parturiente ? la vie14.

La structure de n'importe quel espace tient compte ? la fois du centre et de la limite le s?parant d'autres structures spatiales. La limite de la demeure, nette

ment trac?e, passe par les murs ext?rieurs de l'habitat, mais ses fonctions magi ques se concentrent ? deux points pertinents

? au seuil et ? la fen?tre. L'oppo sition s?mantique int?rieur/ext?rieur d?termine le choix du destin, par cons?

quent, la localisation centrale ou p?riph?rique d'un symbole mat?riel engage les deux strat?gies essentielles visant le destin de la prog?niture : l'attacher au foyer ou la laisser partir. Cette oscillation se r?alise dans le cadre du rite de la nais sance o? la m?re, ou bien la sage-femme dans une large mesure responsable du sort du nouveau-n?, choisit un endroit pour enterrer le placenta. Car ce d?chet, ? la mani?re du v?tement, est consid?r? comme le double de l'?tre humain.

La diff?rence de traitement tient compte du sexe de l'enfant. Le syst?me patrilin?aire de succession des biens, le mariage patri- et virilocal d?terminent strictement la n?cessit? pour le gar?on de rester chez lui : son d?part ne pouvant ?tre qu'un grand malheur pour la famille. Ainsi, son placenta est enterr? sous le four ou bien sous un banc, pour que son propri?taire soit ? un bon ma?tre ?,

expliquent les gens. En plus, l'emplacement du placenta (qui porte le nom de ? place ?) au centre de la maison attirera dans le futur l'enfant grandi chez lui, l? o? est rest?e ?sa place?. Encore une fois la magie des mots est destin?e ? assurer la magie vitale.

Si ce choix est pr?pond?rant pour le sexe masculin, il est plus ambigu quand il s'agit de la fille. ?videmment, la m?re tient ? ?duquer sa fille comme une

bonne m?nag?re, et ce raisonnement l'incite ? garder la d?livrance de la fille

?galement sous le po?le. Pour expliciter les attentes ? professionnelles ?, la m?re remet des objets-embl?mes dans le placenta : un clou dans celui d'un gar?on, une aiguille dans celui d'une fille.

Mais attacher la fille ? tout jamais au foyer paternel comporte en soi une

contradiction, car cela suppose entre autre le v u du c?libat. Comme le

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LES SYST?MES SYMBOLIQUES

mariage reste toujours une norme sociale et le c?libat n'est qu'une exception ind?sirable, la m?re se d?cide plut?t ? la strat?gie matrimoniale, donc elle pr? f?re enterrer les d?chets de la fille sous le seuil, ce qui indiquera le vecteur du

mouvement de la fille ? vers l'ext?rieur. Dans le cadre du m?me usage concernant la d?livrance, nous retrouvons une

autre signification du seuil, probablement la plus importante, celle de pointer la

transition, le changement, ? la limite la rupture. Pour ralentir le rythme des

naissances, une sage-femme comp?tente jette le placenta par-dessus trois seuils de mani?re ? ce que la femme n'enfante que dans trois ans. En proc?dant de la

m?me fa?on, la femme peut influencer le sexe du futur enfant : il sera autre que celui du nouveau-n?. L'enterrement du placenta sous le seuil peut aussi bien

couper court ? la procr?ation, si le d?sir d'enfantement est satur?. Pour mettre en relief la valeur du seuil mat?riel, il importe d'?voquer sa cor

r?lation avec des seuils temporels. Si la naissance ? midi ou ? minuit est d?j? de mauvais augure, le fait d'?tre n? ? la limite des lunaisons, ?aux lisi?res?, comme on dit, comporte les dangers les plus graves : rester st?rile jusqu'? la fin de ses jours ou devenir un hermaphrodite qui change de sexe chaque mois.

Pour en revenir au seuil, il importe de constater de nombreux interdits adress?s aux femmes enceintes dont l'?tat est a priori instable et particuli?re

ment vuln?rable aux influences mal?fiques. Les motivations donn?es pullulent, mais leur concept s?mantique part de la m?me id?e : l'arr?t sur le seuil se traduit

sur le plan symbolique comme une interruption d'un proc?s, imm?diate ou dans le futur plus lointain. Par contre, on sollicite le concours du seuil dans les rites

de passage quand on ?prouve la n?cessit? d'une rupture brusque (pendant l'accouchement, surtout quand des complications surviennent, aux noces ou aux fun?railles).

Le seuil, en tant que fronti?re, est accentu? par des objets apotropa?ques (des objets en m?tal, des braises) pr?servant ? la fois l'espace domestique de

l'agression ext?rieure et le monde ext?rieur de la souillure occasionnelle qui est, par exemple, la parturiente. D'autre part, le vecteur de la travers?e est souvent

mis en valeur, lorsque des situations extr?mes surgissent. On pr?f?re ramener

par la fen?tre et non par la porte l'enfant ch?tif qui a ?t? conduit au bapt?me pour ? tromper ? les esprits mal?fiques qui le menacent.

En outre, force est de constater que le foyer, en tant qu'espace tridimen

sionnel, implique la dimension verticale qui, dans la r?alit? quotidienne, mesure la croissance de l'enfant. Dans la p?diatrie populaire, comme dans le rite de la

premi?re coupe des cheveux, on veille ? ce que les m?ches coup?es (ou les

ongles) soient soigneusement cach?es dans le jambage de la porte ? la hauteur d'un adulte ; de cette mani?re l'enfant souffrant surmontera sa maladie et sera de la taille souhait?e.

La comp?n?tration de l'habitat et du corps, en l'occurrence du corps f?minin, se manifeste au travers de la langue comme des usages rituels. Ainsi, les entrailles de la femme enceinte se pr?sentent comme un abri provisoire o? l'enfant dort dans son ? berceau ? et sur le ? lit maternel ? ? les deux noms d?si

gnant le placenta. D?tach?e du corps maternel, la d?livrance aussi bien que d'autres d?chets (cordon ombilical) sont enterr?s sous les fondations de la

maison pour la prot?ger des malheurs potentiels. On proc?de de la m?me fa?on avec le corps d'un enfant mort avant le bapt?me qui, lui aussi, est cens? pr?server

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G. KABAKOVA LA SYMBOLIQUE DU CORPS F?MININ

l'int?grit? et la s?curit? du foyer et de la famille. Le dernier usage rel?ve de la tra dition archa?que de l'enterrement de tous les morts sous le foyer qui, par cons?

quent, sont consid?r?s comme des esprits familiers, protecteurs de la lign?e.

*

Nous n'avons choisi que trois syst?mes m?taphoriques au travers desquels la soci?t? traditionnelle, telle qu'elle existe encore dans le milieu rural slave, permet un discours sur la femme, sur ses fonctions biologiques et sociales. Nous avons pr?sent? les structures les plus pertinentes, mais en r?alit? elles sont

plus nombreuses. Celles qui ne sont pas mentionn?es dans l'?tude concernent les champs s?mantiques de l'agriculture, de la flore et de la faune tant domes

tique que sauvage.

La pr?f?rence que la soci?t? donne aux objets du travail f?minin, tels le tissu ou les ustensiles de cuisine, ne peut ?tonner. On pourrait dire que l'identifica tion psychanalytique du corps f?minin avec un r?cipient clos y acquiert une nouvelle preuve analogue. En fait, la perception sexuelle du r?cipient ne repr? sente qu'un aspect

? qui n'est point n?gligeable, bien ?videmment ?, de la

philosophie populaire. Le texte tiss? autour du r?cipient d?passe largement la

description m?taphorique de l'acte sexuel mais embrasse int?gralement toute la vie productive de la femme, voire de l'?tre humain, ce que nous avons d?montr? dans le cas du pot et du p?trin.

Par contre, le foyer se r?v?le un lieu de croisement des diff?rentes logiques existentielles, ce qui se traduit par des interpr?tations contradictoires de

l'espace domestique. En plus la perception de cet espace, toujours en rapport avec l'espace ext?rieur reste dans une large mesure en fonction du temps : la

strat?gie, voire l'id?ologie virilocale (quoique ?branl?e dans les derni?res d?cen

nies) fonctionne jusqu'au moment des noces. A partir de l?, la pr?sence de la femme au foyer devient r?elle, tandis que celle de son mari rev?t une dimension

plut?t symbolique. Les investigations effectu?es poussent ? formuler un certain nombre

d'autres probl?mes. Dans quelle mesure, par exemple, les interpr?tations popu laires des ph?nom?nes culturels sont-elles fiables ou utiles? Si, pendant une

longue p?riode, on leur a refus? toute valeur en les envisageant comme arbi traires et al?atoires, on consid?re aujourd'hui qu'elles constituent une vision du

monde coh?rente et homog?ne (m?me si des r?alit?s semblables engendrent des

explications oppos?es) digne d'?tre analys?e comme telle. La r?vision des m?thodes concerne ?galement la revalorisation de la soi

disant ??tymologie populaire?. Elle cesse d'?tre d?pris?e comme un savoir

erron?, mais, par contre, fournit de nouveaux arguments pour la reconstitution

des structures cognitives traditionnelles. Paradoxalement, la langue r?siste

davantage aux transformations que la vie rituelle. Dans les domaines sp?ci fiques ? savoir les parlers locaux ou la terminologie professionnelle, la langue est propre ? abriter les termes incompr?hensibles, voire risibles, hors du contexte disparu, mais ceux-ci permettent de redonner sens aux bribes conser v?es des syst?mes anciens, le rite servant alors ? renforcer la solennit?.

Galina Kabakova Acad?mie des Sciences de Moscou

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LES SYST?MES SYMBOLIQUES

NOTES

1. R. Barthes, Syst?me de la mode, Paris, ?ditions du Seuil, 1967 ; G. Mara?on, Psychologie du geste, du v?tement et de la parure, Paris, La Pens?e universelle, 1971 ; J. T. Maertens, Dans la

peau des autres: essai d'anthropologie des inscriptions vestimentaires, Paris, Aubier-Montaigne, 1978; J.-C. Fl?gel, Le r?veur nu: de la parure vestimentaire, Paris, Aubier-Montaigne, 1982.

Une vaste bibliographie est pr?sent?e dans les chapitres correspondants de Y Histoire des m urs, vol. 1, Paris, Gallimard, 1990.

2. H. Biegeleisen, Matka i dziecko w obrzedach, wierzeniach i praktykach ludu polskiega, Lvov, 1917, p. 17 ; T. R. Dordevic, De?? u verovanjima i obicajima naseg naroda, Belgrade, 1941, pp. 32-33.

3. D. V. Zelenine, Opisanie rukopisej ucenogo arhiva Imperatorskogo Russkogo Geografi

ceskogo obscestva, Petrograd, 1916, vol. 3, p. 1191.

4. Ibid., Petrograd, 1915, vol. 2, p. 691.

5. Maskin, ?Byt krest'jan Kurskoj gubernii Obojanskogo uezda?, dans Etnograficeskij sbornik, Saint-P?tersbourg, 1862, vol. 5, pp. 92-93.

6. P. P. Cubinsku, Trudy etnograficesko-statisticeskoj ekspedicii v Zapadno-Russkijkraj,

Saint-P?tersbourg, 1877, vol. 4, pp. 443-444.

7. Z. Kuzelia, ?Ditina v zvicajah i viruvannja ukrain'skogo naroda? dans Materijali do

ukrains'ko-rus'koj etnol'ogii, Lvov, 1906, t. 8, pp. 77-78.

8. T. R. Dordevic, op. cit., pp. 89-94; I. Muslea, Ov. Birle a, Tipolog?a folclorului din r?s

punsurile la chestionarele lui B. P. Hasdeu, Bucarest, 1970, pp. 245-246. D'ailleurs, l'id?ologie universelle autour de cet enfant marqu? fut analys?e par N. Belmont, Les signes de la naissance:

?tude des repr?sentations symboliques associ?es aux naissances singuli?res, Brioune, G. Monfort, 1983.

9. V. Dal, Poslovicy russkogo naroda, Moscou, 1904, vol. 1, p. 945.

10. P. P. Cubinsku, op. cit., pp. 358-359.

11. A. D. Toporkov, Domasniaja utvar' v obriadah i poverijah Poles'ja, Leningrad, 1986,

p. 86 (manuscrit).

12. P. Caraman, ? Une ancienne coutume de mariage ?, dans Ludslawianski, Cracovie, 1931, vol. 2, pp. 27-55 ; vol. 3, pp. 80-97, 185-212.

13. D. V. Zelinin, op. cit., p. 299.

14. Etnograficeskoje obozrenije, Moscou, 1899, vols 40-41, pp. 321-322.

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