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Laventure ibite dans le Sud tunisien

suomalaisen tiedeakatemian toimituksiahumaniora 350

annales academiæ scientiarum fennicæ

VIRGINIE PREVOST

Laventure ibite dans le Sud tunisien (VIIIe-XIIIe siècle)

Effervescence dune région méconnue

Les Annales Academiae Scientiarum Fennicae émanent de la coopération éditoriale entre l'Académie Finlandaise des Sciences et des Lettres et la Société Finlandaise des Sciences et des Lettres

La série Humaniora est la continuation de l'ancienne série B

Éditeur: Éditeur associé: Professeur Heikki Palva Kaj Öhrnberg Viheriötie 5 Merikasarminkatu 10 B 43 04310 Tuusula 00160 Helsinki Finlande Finlande

Copyright:2008 Academia Scientiarum Fennica

Couverture:Juha Markula

Photographies de la couverture: Virginie PrevostAl-mi al-kabr à Djerba

Au dos: décor de façade à Tozeur

DistributionTiedekirja

Kirkkokatu 14, 00170 HelsinkiFinland

Tel. +358-9-635 177Fax + 358-9-635 017

Email: [email protected]

ISSN: 1239-6982ISBN: 978-951-41-1019-1

Imprimé par Gummerus Kirjapaino Oy, Vaajakoski, Finlande 2008

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INTRODUCTION

Lhistoire de lIfrqiya médiévale est aujourdhui bien connue grâce aux études fouillées consacrées aux dynasties qui sy sont succédé. Toutefois le Sud tunisien napparaît quà loccasion dévénements marquants dans ces ouvrages qui se sont concentrés sur lhistoire de villes phares de lislam, telles Kairouan ou Mahdiyya. Les nombreux renseignements fournis par les géographes arabes y sont souvent mentionnés, certes, mais aucune recherche approfondie navait encore tenté de retracer lévolution de cette région, si distincte du reste de lIfrqiya par son attachement à libisme. Deux historiens se sont longuement penchés sur son passé: Tadeusz Lewicki, dune part, grand spécialiste des ibites, a consacré de nombreuses pages au Sud tunisien médiéval. Ses remarquables travaux nont abordé cependant que certains aspects de son histoire. Dautre part, Pol Trousset a fortement enrichi les connaissances sur la région à lépoque romaine. En langue arabe, plusieurs études ont vu le jour dans les années 1970 sur les ibites du Sud tunisien: li Biya a consacré une monographie au Djérid et Fart al-abr a publié un important volume sur les ibites de Djerba.

Le Sud tunisien est vaste. Il est bien évidemment impossible de traiter, sur le même pied dégalité, chacune des régions qui le composent: si la documentation médiévale est riche pour les grands centres comme Tozeur ou Gabès, elle est quasiment inexistante pour les montagnes du abal Dammar ou les petites oasis de la côte. La région qui occupera la plus grande place dans les chapitres qui suivent est sans conteste celle des oasis du Djérid, que de nombreux géographes et historiens médiévaux appellent « le pays de Qasliya » ou « la Qasliya ». Ce toponyme désigne également la seule ville de Tozeur et il est alors employé sans article.

Le fil conducteur de cette étude est lévolution du mouvement ibite, qui saffirme dans le Sud tunisien dès la fin de la première moitié du VIIIe siècle. Si la lutte armée contre loccupant arabe est la principale raison des premiers regroupements sous la bannière ibite, cette foi dirige plus tard la vie de leurs descendants de la naissance à la mort, créant une communauté forte et fraternelle. Grâce à leur solidarité, qui leur assure des contacts dans de nombreuses régions du Maghreb et du Sn, les ibites vont monopoliser les voies transsahariennes. Les relations ininterrompues entre les différentes communautés vont leur permettre de maintenir un haut niveau de culture. On sait comment le mouvement ibite, profondément égalitaire, a enflammé le Maghreb au VIIIe siècle et comment il a failli, par la révolte dune

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de ses branches les plus extrémistes, chasser les Fimides hors de lIfrqiya. On sait moins comment, une fois définitivement vaincues, les communautés ibites se sont organisées pour survivre dans « la voie du secret » pendant de longs siècles. Aujourdhui encore, une partie de lîle de Djerba adhère à cette branche de lislam, sous sa forme wahbite, la plus modérée des différentes subdivisions de libisme. En labsence de chiffres récents, il est difficile d’évaluer quel pourcentage de Djerbiens reste fidèle à cette doctrine; en 1936, une bonne moitié de la population de lîle était encore wahbite1.

Ce livre est divisé en deux parties: la première couvre chronologiquement tous les faits historiques, la seconde est consacrée au commerce. Dans la première partie, nous avons étudié séparément les descriptions quont laissées les géographes ou historiens arabes pour permettre au lecteur den avoir une vision densemble, plutôt que de les distiller tout au long de létude. Ces descriptions sont placées dans leur contexte, à la suite des chapitres historiques. Le lecteur pourra ainsi apprécier, selon les époques, limportance que les auteurs ont accordée au Sud tunisien, quelles sont les villes quils ont longuement décrites ou quils ont ignorées. Par ailleurs, pour favoriser toujours une vision densemble, tous les renseignements que donnent les géographes sur les productions agricoles ou artisanales du Sud tunisien sont repris dans un chapitre séparé, dans la partie consacrée au commerce, afin d’exposer la diversité des richesses du Sud tunisien.

Notre point de départ est bien évidemment larrivée des Arabes en Ifrqiya à la fin de la première moitié du VIIe siècle. Néanmoins, un court chapitre est consacré aux occupations romaine et byzantine du Sud tunisien, qui ont vu se mettre en place les confédérations de tribus qui affronteront le conquérant arabe. Cette étude prend fin à lavènement de la dynastie afide, en 1228, mais ce nest pas tant cet événement qui importe. La première moitié du XIIIe siècle constitue un tournant important dans lhistoire de la région: elle voit la fin de la révolte des Ban Ġniya, épisode particulièrement marquant, et le déclin final des communautés religieuses ibites et chrétiennes qui caractérisaient les oasis du Djérid. Elle est également marquée par linstallation de nombreuses tribus arabes dans les oasis, qui en modifient fortement la population.

La plupart des sources arabes médiévales utilisées ici sont bien connues des spécialistes de lAfrique du Nord2. Certaines le sont sans doute moins, comme le Abr al-a’imma l-rustumiyyn dIbn alaġr. Cet ouvrage du tout début du Xe siècle, qui est l’un des plus anciens documents conservés sur les ibites maghrébins, a été

1 Stablo, Les Djerbiens, p. 131.2 La chronologie de lensemble des sources utilisées, tant sunnites quibites, est reprise en

annexe.

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écrit par un Arabe sunnite vivant à Thart à lépoque de la splendeur de limmat rustumide, dont il brosse une vaste fresque. Il est très riche en renseignements, principalement relatifs au développement du commerce transsaharien sous limpulsion des Rustumides. Nous avons mis à profit deux historiens tunisiens tardifs et moins connus. Louvrage dal-Wazr al-Sarr, Al-ulal al-sundusiyya l-abr al-tnisiyya, daté de 1137/1724-1725, présente un vaste ensemble de textes médiévaux relatifs à la Tunisie. Il reproduit entre autres de nombreux passages du ilat al-sim dIbn alabb (m. 1282), un savant natif du Djérid. Létude historique dIbn Ab Dnr al-Qayrawn, Al-Munis abr Ifrqiya wa-Tnis, datant de la fin du XVIIe siècle, ne sera utilisée que dans les rares cas où elle fournit un renseignement complémentaire à ceux donnés par les historiens arabes, ou lorsquelle confirme une information donnée par une seule source.

L’objet de cette étude est de confronter ces sources arabes, majoritairement sunnites, avec les sources ibites. Notre source principale est le Kitb al-Siyar dAb l-Abbs Amad alamm (m. 1522), que Tadeusz Lewicki estime être « la plus importante source ibite de lhistoire de lAfrique du Nord »3. Alamm, auteur de plusieurs ouvrages, appartient à une vieille famille berbère du abal Nafsa, qui compte de nombreux savants ibites. Il voyage beaucoup et visite notamment ses coreligionnaires des montagnes du Sud-Est tunisien. Son Kitb al-Siyar est une volumineuse histoire des ibites, qui commence par la biographie du Prophète et court jusquà lépoque de lauteur. La partie étudiée ici groupe, dans un ordre vaguement chronologique, deux cent cinquante biographies de prestigieux savants maghrébins, qui ont vécu pendant les cinq premiers siècles de lhégire (du VIIe au XIe siècle)4. Ces biographies ne mentionnent malheureusement que de très rares dates et un grand nombre dentre elles, il faut lavouer, nont quun intérêt limité, se contentant dénumérer avec force synonymes les pieuses qualités de tel ou tel savant. Certaines, par contre, permettent de remettre totalement en question linterprétation de nombreux événements historiques. Dautres encore apportent des témoignages capitaux sur le développement du commerce transsaharien. À de nombreuses occasions, elles offrent des détails surprenants sur la vie des ibites médiévaux, sur leurs coutumes et la rigoureuse organisation de leurs communautés.

Louvrage dalamm, datant du début du XVIe siècle, peut paraître tardif par rapport aux événements retracés ici mais ce décalage na que peu dimportance.

3 Lewicki, Les sources ibites de lhistoire médiévale de lAfrique du Nord, p. 39.4 Le Kitb al-Siyar a été édité partiellement par Muammad asan à Tunis en 1995. Cette édition

ne concerne que la partie centrale de louvrage dalamm: elle ne reprend ni le début du texte, consacré à la naissance de libisme en Orient, ni la fin, relative aux biographies des savants qui ont vécu pendant les XIIe-XVe siècles. Muammad asan promet un second volume dans son introduction.

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Les ibites ont en effet scrupuleusement veillé, dès la naissance de limmat rustumide, à écrire les moindres faits de leur histoire. Le Kitb al-Siyar offre ainsi de nombreux extraits des trois grands historiens qui ont précédé son auteur. Tout d’abord Ab Zakariyy Ya ibn Ab Bakr al-Waraln, originaire de Ouargla, qui a rédigé à la fin du XIe ou du début du XIIe siècle le Kitb al-Sra wa-abr al-aimma. Ensuite, au XIIe siècle, Ab l-Rab Sulaymn ibn Abd al-Salm al-Wisyn, auteur du Kitb al-Siyar, qui appartenait à la tribu des Ban Wisyn, une branche des Zanta qui vivait dans le Djérid. Enfin, Ab l-Abbs Amad ibn Sad al-Darn, natif de Darn près de Nefta, qui a écrit après 1253 le fameux Kitb abaqt al-mayi5. Alamm prend soin de citer ses sources et semble fort soucieux de répéter fidèlement les dires de ces savants, pour lesquels il a le plus grand respect. Outre ces trois historiens, il cite dautres ouvrages ibites ainsi que des sources sunnites et ajoute quantité de précisions, surtout topographiques, qui résultent de son excellente connaissance des régions ibites. En somme, le Kitb al-Siyar donne accès à la somme des connaissances quavaient les ibites du XVIe siècle sur la naissance et lévolution de leur communauté.

À l’époque de la rédaction de la thèse de doctorat qui constitue le présent volume, nous n’avions à notre disposition que l’ouvrage dalamm, complété par la foule de renseignements quavait tirés Tadeusz Lewicki des autres historiens ibites. Depuis lors, nous avons pu acquérir le texte dAb Zakariyy et plus récemment, ceux dal-Wisyn et dal-Darn. Les recherches que nous menons actuellement à partir de ces trois textes confirment que les faits exposés par alamm trouvent bien leur origine dans les récits de ses prédécesseurs, qu’il retranscrit soigneusement. Il s’inspire surtout dAb Zakariyy, le plus ancien, dont les propos ont été largement repris par al-Wisyn et plus tard par al-Darn, qui reproduit dans la première partie du Kitb abaqt al-mayi des chapitres entiers du savant de Ouargla. Ainsi, les conclusions présentées dans les pages qui suivent, basées sur le seul alamm, ne sont en aucun cas démenties par la consultation des sources plus anciennes. En mettant la thèse à jour dans le but de cette publication, nous avons constaté que quasiment rien ne devait être modifié. Bien évidemment, Ab Zakariyy, al-Wisyn et al-Darn apportent à l’occasion des détails supplémentaires sur tel ou tel événement, ou sur la toponymie. Nous avons publié plusieurs articles qui mettent à profit ces informations, en développant certains chapitres présentés ici. Ils sont signalés en note chaque fois que c’est nécessaire. Lorsque dans la thèse, nous faisions allusion à ces trois auteurs en les citant d’après des traductions, nous

5 Sur ces historiens, voir Lewicki, Les historiens, biographes et traditionnistes, pp. 23-27; Les sources ibites de lhistoire médiévale de lAfrique du Nord, pp. 33-38.

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avons systématiquement recherché ces propos dans les éditions, afin de vérifier leur véracité. Mis à part ça, nous avons conservé les seules références à alamm dont de nombreux récits, d’ailleurs, ne figurent pas chez ses prédécesseurs. Dans un complément de bibliographie, nous avons signalé certains ouvrages incontournables dont nous n’avions pu disposer à l’époque de la rédaction de ce texte et d’autres études parues depuis lors qui complètent avantageusement notre propos.

* * *Cest un plaisir d’exprimer ma reconnaissance à toutes les personnes qui ont contribué à l’élaboration de ce volume. Mathieu Favresse m’a accompagnée tout au long de cette aventure commencée en 1996. Il a partagé les séjours de recherche dans le Djérid et à Tunis, les moments magiques de découverte des mosquées ibites, mais également les interminables relectures ou les calculs d’itinéraires transsahariens. Ce livre lui est dédié. Aubert Martin et Alain Dierkens, par leurs précieuses remarques lors de ma soutenance de thèse, m’ont permis d’améliorer ce texte. Mohamed Meouak m’a encouragée à le publier et Jean-Charles Ducène, depuis plusieurs années, ne ménage pas ses excellents conseils. Je les remercie tous chaleureusement. Enfin et surtout, je voudrais dire toute ma gratitude et mon amitié à Jacques Thiry qui m’a donné le goût de ces recherches et qui les a dirigées avec tant d’enthousiasme.

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REMARQUES SUR LA TRANSCRIPTION DE LARABE

Voyelles: a i u Diphtongues: aw ayConsonnes: b t h w y Et, en arabe dialectal, le g de Gabès. Le t marba est indiqué en état construit. Afin déviter au lecteur non-arabisant la difficulté des pluriels arabes, les noms communs sont toujours au singulier (les mil-s et non les umml, les faqh-s et non les fuqah, les q-s, etc.). La seule exception à cette règle concerne le qar et les qur, puisque ces deux termes ont été popularisés en français sous les formes le ksar et les ksour. Les termes désignant des groupes de population sont donnés à la forme plurielle, plus fréquemment utilisée (les arn, les Afriqa, les muwalladn, etc.). am, collectif désignant les peuples non-arabes, reste invariable. La forme plurielle a également été choisie pour des groupes de religieux tels que les amalat al-ilm ou les tbin. Lorthographe française consacrée par lusage a été privilégiée pour les noms de lieu (Ghadamès au lieu de Ġadmis, Ouargla au lieu de Waraln, etc.). Les toponymes du Sud tunisien sont écrits « à la française », mais nous avons noté pour chacun deux lorthographe arabe fournie par la carte officielle de Tunisie (Carte au 1/750000, Tunis, Dn qays al-ar wa-rasm al-ari, 1998). Lorsque lorthographe française des toponymes nest pas clairement définie, comme pour Dg ou Talmn, la transcription arabe a été préférée. Le terme Sn correspond ici au bild al-Sn des Arabes médiévaux, le « pays des Noirs », cest-à-dire lAfrique sub-saharienne.

REMARQUES SUR LES NOTES

– La référence au texte arabe est suivie par la référence à la traduction, si elle existe. – Les citations reprennent la transcription de lauteur.– Lhistorien nommé Ubayd Allh désigne Ubayd Allh ibn li ibn Abd al-alm. Al-Marrku correspond à Abd al-Wid ibn Al al-Tamm al-Marrku, auteur du Kitb al-Muib f tal abr al-Marib, et non à Ibn Ir.– Toutes les références à al-Bakr sont à léd. trad. de Slane.

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– « Ibn aldn, Aghlabites » renvoie à léd. trad. A. Noël des Vergers.– Les références à Ibn Abd al-akam sont à léd. Charles C. Torrey; celles à al-Balur sont à léd. M.J. de Goeje.– Dans le chapitre sur les Ban niya, les références à Ibn Ir renvoient à la trad. Huici-Miranda, Los Almohades; celles à al-Maqrz renvoient à la trad. Blochet, Histoire de lÉgypte.

PREMIÈRE PARTIE: L’HISTOIRE

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I. ÉLÉMENTS DE GÉOGRAPHIE ET D’HISTOIRE

1. GÉOGRAPHIE DU SUD TUNISIEN

Les chotts s’étendent sur plus de 200 km du al-Malġr algérien jusqu’à la limite du al-Fi, à environ 25 km du golfe de Gabès. Le terme , que lon emploie souvent à mauvais escient, est à distinguer nettement de celui de saba. Le chott ne désigne en fait que le pourtour de la sebkha et se définit par la prolifération de plantes halophiles, une végétation formant un excellent pâturage pour les dromadaires. La sebkha est la cuvette elle-même, reconnaissable des autres sortes de dépressions par sa grande teneur en sel. Toutefois, cette distinction établie, nous continuerons à utiliser les expressions consacrées par l’usage et parlerons ainsi, par exemple, de al-Fi au lieu de saba al-Fi, qui n’est que très rarement utilisé.

Ce système hydrographique tout particulier naît dans les hautes plaines isolées des mers, qui forment le point de rencontre d’un grand réseau fluvial souterrain. La sebkha est caractérisée par sa croûte saline très hygrométrique; celle-ci réagit fortement aux orages, même éloignés, et devient alors étincelante. La cuvette accumule les pluies et pendant les périodes de sécheresse, ces eaux chargées de substances minérales sévaporent en déposant sur le sol des résidus de cristaux. Selon l’intensité de la sécheresse et des évaporations, la sebkha a tantôt l’apparence unie d’une plaine argileuse couverte defflorescences salines, tantôt celle d’une plaine desséchée, craquelée de crevasses remplies de cristaux. Durant la saison froide, certaines parties de la croûte sont submergées par les eaux et en cas de pluies torrentielles, la cuvette peut se transformer en une véritable mer intérieure agitée de vagues. Sous la surface plane se cachent crevasses et sables mouvants. L’épaisseur de la croûte saline varie fortement et, à certains endroits, peut céder sous le moindre poids. La sebkha présente un véritable danger pour l’homme; le fait que les populations se soient concentrées sur son pourtour sexplique uniquement par la présence de cette nappe d’eau souterraine, qui irrigue l’ensemble des oasis1.

La légende et les théories de certains historiens2 maintenaient jusquà peu que les cuvettes auraient pu avoir été occupées par la Méditerranée à une époque assez récente. Roger Coque a pu démontrer, en constatant que leur altitude était

1 Yver, E.I., s.v. Sabkha; Callot, E.I., s.v. Sha; Gautier, Oasis sahariennes, pp. 327-328; Coque, Géomorphologie, pp. 204-208.

2 Entre autres Tissot, Géographie comparée, I, pp. 130-142. À ce sujet, voir Trousset, Du lac Triton des Anciens au projet de mer saharienne: histoire dune utopie.

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dune vingtaine de mètres, que les al-d et al-Fi navaient été tout au plus qu’en relation momentanée avec la mer pendant le Quaternaire ancien et moyen3. Des trois grands chotts que compte la Tunisie, seul le al-Ġarsa, situé à la frontière algérienne, se trouve sous le niveau de la mer. Le al-Fi4 est la dépression la plus orientale, longue de 90 km. Son nom, chott des passages, des cols ou des défilés, vient du fait que cest lendroit le plus facile pour traverser la sebkha, car il comporte de nombreux gués. Il est bordé au sud par le abal abga. Le al-d est une dépression stérile creusée dans l’argile de 110 sur 70 km, qui couvre 5 000 km2. Il accueille les oasis dites du Djérid sur l’isthme qui le sépare du al-Ġarsa, et les oasis du Nafzwa sur sa rive orientale. Le terme d, qui désigne des palmes, fait allusion au nombre impressionnant de palmiers dattiers qui sépanouissent au bord de la sebkha. À lexception dal-mma, toutes ces oasis sont situées au pied de la dernière ride anticlinale de l’Atlas, le dr al-d, qui forme la plus belle unité hydrologique tunisienne5. L’eau est emmagasinée sous pression dans différentes couches d’argile. Au pied du dr al-d naissent de nombreuses sources alimentées par une grosse nappe artésienne, le flanc sud irrigue Tozeur, Nefta et al-Udyn, le flanc nord arrose al-mma. Le Djérid supporte des températures parmi les plus chaudes du Sahara. Les pluies y sont rares, irrégulières et parfois torrentielles; lair y est très sec. Cest le climat idéal pour lépanouissement des palmiers dattiers, principale richesse des oasis.

Les oasis de la région comptent parmi les plus luxuriantes du Sahara: ainsi Tozeur / Tawzar, chef-lieu du Djérid, bénéficie de la palmeraie la plus fertile. Les quartiers sont organisés autour des différentes sources qui arrosent la palmeraie. Cest la plus grande place commerciale du Sahara tunisien. Nefta / Nafa, située à 24 km de Tozeur, est la plus grosse localité du Djérid. Célèbre pour sa corbeille de palmiers, cette oasis a été victime durant l’hiver 1989-1990 de cruelles inondations qui ont ravagé la beauté de la palmeraie. Connue pour ses nombreuses mosquées, elle est également la deuxième ville sainte de Tunisie, qui a accordé tout au long de son histoire un accueil privilégié aux sectes et aux marabouts. Al-mma, à ne pas confondre avec al-mma de Gabès, est réputée pour ses fameuses sources thermales. Si Nefta est isolée, la région de Tozeur et dal-mma, voisinant lentrée de la route qui traverse la sebkha, est constellée doasis dont Saddda, Dg et le groupe dal-Udyn.

3 Despois, La Tunisie, p. 54.4 La carte officielle de Tunisie donne al-F.. Ben Jaafar, Les noms de lieux de Tunisie, p. 178,

donne al-F..5 Despois, La Tunisie, p. 54; E.I., s.v. Djard.

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Le Nafzwa est la région comprise entre les chotts, le Grand Erg oriental et le abal abga. Le paysage y est totalement différent: les oasis sont beaucoup plus petites et dispersées que dans le Djérid, les sources étant moins importantes mais beaucoup plus nombreuses. Le climat est très rude car le Nafzwa est particulièrement exposé aux vents. Le vent de la mer rafraîchit l’air en été mais dès le printemps, il transporte du sable et rend la vie pénible aux habitants. Ceux-ci subissent également environ trente jours par an le sirocco, vent du sud-est particulièrement étouffant. Le sirocco peut provoquer une déshydratation fatale des végétaux, mais aussi assoiffer les troupeaux. Face à ces conditions climatiques difficiles, seule la nappe d’eau souterraine rend cette région viable pour l’homme6. Les deux plus grands marchés du Nafzwa sont actuellement Kébili / Gbl au nord et Dz au sud. La presqu’île de Kébili, qui s’avance entre le al-d et le al-Fi, compte de nombreuses oasis, dont Ba et Fansa. Le sud du Nafzwa, par contre, est traditionnellement voué au nomadisme. Sous la présidence de abb Bourguiba, la Tunisie a procédé à une politique de sédentarisation des nomades de cette région; l’élevage, qui constituait leur principale ressource, a diminué au profit du développement de la culture des dattes daglat al-nr, en vue d’une exportation massive7. De nombreux puits artésiens ont été forés pour favoriser les palmeraies, mais cette région connaît actuellement de gros problèmes de sécheresse et les oasiens doivent livrer un combat incessant contre l’avancée du désert. De nombreux villages ont déjà été engloutis par les sables et dans certains cas, comme à Zaafrn, seules quelques palmes émergeant des dunes témoignent encore de la présence récente d’une oasis.

Au nord du Djérid, la région de Gafsa marque une transition entre les steppes et le Sahara; les reliefs y côtoient de petits chotts. Gafsa est située sur une hauteur, dans les derniers reliefs atlasiques qui s’étendent de la frontière algérienne jusqu’aux abords du golfe de Gabès. La végétation y est pauvre et l’on n’y compte que de rares palmeraies. Les unes se trouvent dans les montagnes de la frontière algérienne, comme Chébika / al-abka, Tamerza / Tamaġza et Midès / Mds; les autres avoisinent Gafsa, lunique ville importante. L’oasis de Gafsa présente un système oasien particulier, qui s’apparente plutôt à une oliveraie irriguée. Elle diffère en cela de Gabès, oasis littorale, et des palmeraies du Djérid, qui sont continentales8. Au sud de Gafsa se trouve une vaste zone d’irrigation, bordée du côté sud par une longue escarpe montagneuse qui l’isole du pays des chotts. L’eau de ruissellement des oueds et certaines fortes pluies inondent les champs, favorisant les moissons9. À

6 Baduel, Société et émigration, p. 7.7 Baduel, Une oasis continentale, p. 153.8 Ibid., p. 153.9 Trousset, Les bornes du Bled Segui, p. 125.

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lépoque médiévale, cette région comptait de très nombreux villages et les cultures y étaient florissantes.

Le Sud-Est tunisien est une région plus tempérée, aux paysages et aux ressources plus variés. La côte, riche par la culture et la pêche, compte plusieurs oasis dont la principale est Gabès / Gbis. Cette oasis est arrosée par le puissant w Gbis, dont les crues ont ruiné une partie de la ville et dévasté la palmeraie dans les années cinquante et soixante. Ces inondations étaient dues à la situation même de l’oasis, dans une cuvette délimitée par une boucle de l’oued. Un canal permet aujourd’hui de les éviter en dérivant les eaux excédentaires vers la mer. Les oasis du golfe de Gabès, ancienne petite Syrte, et l’oasis d’al-mma de Gabès sont moins luxuriantes quau Djérid: la culture du palmier y est bien plus difficile, à cause du manque de chaleur. À l’ouest, l’île de Djerba n’est séparée du continent que par un bras de mer de 3 km de largeur et un bac mène de Djorf à Am. Plus à l’est, la presquîle de Akra est reliée à Djerba par deux passages, d’une part le arq lamal qui permettait jadis aux chameaux de gagner lîle à marée basse, d’autre part la chaussée romaine qui a été asphaltée vers 195010.

Entre le abal et le littoral, au sud de Mareth / Mri, la vaste plaine de la affra constitue le seul couloir permettant de communiquer avec lest de lAfrique; elle s’élargit progressivement vers le sud et connaît son extension la plus forte en Tripolitaine. Bordée de lagunes, elle est principalement constituée de steppes arides, de petites dépressions et de sebkhas; elle ne compte que de très rares oasis.

Le Sud-Est tunisien correspond aux actuels gouvernorats de Médenine / Madnn et de Tataouine / Tan. Le abal Dahar en Tunisie et le abal Nafsa en Libye forment une vaste cuesta qui se déploie en croissant jusquau sud de Tripoli et borde la plaine de la affra. Cette cuesta est la délimitation orientale de la plateforme saharienne et un de ses flancs plonge sous la Méditerranée. Son front de côte a une altitude d’environ 600-700 mètres. Le Dahar comprend entre autres le abal Dammar, le plus important, bordé au nord par le abal Maa. C’est du abal Dammar et de sa capitale, alors nommée Tiwn, qu’il est surtout question au moyen âge. Les vallées y offrent une riche végétation et les montagnards sédentaires y pratiquent la culture en terrasses, profitant des gorges nées du ruissellement, tandis que les plateaux sont couverts d’une pauvre végétation steppique. Par son relief particulièrement sculpté et souvent inaccessible, le abal a donné naissance à la civilisation des qur / ksour, greniers fortifiés juchés sur les sommets11. Le revers occidental du abal s’incline en pente douce vers la cuvette du Grand Erg oriental,

10 Voir Prevost, La chaussée d’al-Qanara, pont entre Djerba et le continent, pp. 166-168 et p. 187.11 Zaïed, Le monde des ksours, pp. 13-18; Louis, Tunisie du Sud.

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qui couvre 25 000 km2 dans le gouvernorat de Tataouine et une surface bien plus vaste en Algérie. Il est constitué par des alignements de dunes de forme allongée, qu’on appelle sif. À certains endroits se trouvent les gour, qui sont des buttes de 200 à 250 mètres d’altitude, provoquées par des affleurements calcaires. Le paysage varie en fonction des vents mais ne connaît que très peu d’érosion hydrique puisque la pluie s’y fait très rare12.

2. LA DOMINATION ROMAINE (146 AVANT J.-C. - 429)

Lorsquà l’issue des guerres puniques, lEmpire carthaginois est définitivement conquis par les Romains, ces nouveaux venus, bien conscients des richesses de lAfrique du Nord, mettent tout en œuvre pour accroître son rayonnement. Les Romains favorisent la culture de l’olivier en construisant des citernes et des puits en suffisance. Ils déploient une étonnante énergie à irriguer la province et de grands chantiers sont entamés, dont témoignent encore les piscines romaines de Gafsa. Ils s’intéressent en effet particulièrement au Sud tunisien, dont le commerce est florissant depuis l’époque carthaginoise. Le site de Gafsa, riche en sources, est bien connu des préhistoriens13; la ville fait partie du royaume numide de Jugurtha et devient ensuite la riche Capsa romaine. Les Romains saisissent la valeur stratégique de la ville, capable de parer aux attaques des nomades, à la fois proche du Djérid et de la fertile oasis de Gabès, dont le port suscite rapidement leur attention. Ils stimulent le développement de Gabès, ancienne Tacape, en l’incluant dans un vaste réseau routier qui la lie notamment à Carthage. Ils réalisent des travaux portuaires qui permettent une exportation maximale de grain et d’huile vers Ostie.

Les populations du Sud tunisien se partagent entre nomades, semi-nomades et sédentaires. Le Djérid, profitant d’une multitude de sources pérennes, constitue une étape appréciée des nomades de la région, comme les Nybgenii du Nafzwa ou les Arzosei qui nomadisent dans la région située entre le Nafzwa et la limite de lErg14. Chaque tribu se déplace entre l’oasis à laquelle elle est attachée, ses terres de labour

12 Mzabi, La Tunisie du Sud-Est, p. 23.13 Du VIIIe au Ve millénaire, la civilisation capsienne se distingue par son développement; outre

l’extrême finesse de ses outils, elle se caractérise par la beauté de ses œuvres d’art, qui comptent parmi les plus anciens témoignages artistiques africains. On en garde de splendides visages en ronde-bosse, ainsi que de nombreuses gravures à motifs géométriques, annonciatrices de l’art berbère, réalisées sur calcaire ou coquilles d’œufs d’autruche. Gsell, Histoire ancienne, I, pp. 186-188; Bertholon et Chantre, Recherches anthropologiques, pp. 388-394; Camps, Les Berbères, pp. 28-33; Brett et Fentress, The Berbers, pp. 10-13.

14 Trousset, Les bornes du Bled Segui, pp. 164-165, qui ajoute qu’on peut peut-être rapprocher les Arzosei des Arzuges du Bas-Empire et des actuels Marg de Dz, qui nomadisent comme les Arzosei entre le Nafzwa et Ghadamès.

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au nord du chott et les pâturages sahariens. Le partage des terres s’opère en fonction des saisons; il relève de la tradition ou de rapports de force provisoires, mais chaque tribu bénéficie de ses terres de parcours dans le Tell en été et dans les steppes en hiver. Les semi-nomades de la Tunisie méridionale vivent une partie de lannée dans des gourbis faits de brique cuite ou crue; ils utilisent la tente pour leur périple dété, durant lequel ils achètent les céréales nécessaires pour lhiver15.

Les choses changent à larrivée des Romains: ces derniers considèrent que les terres du Djérid sont sous-exploitées, négligeant le rôle primordial qu’elles tiennent dans les transhumances. Ils entendent bien chasser les tribus parasites, coloniser militairement les fertiles oasis et y étendre massivement l’agriculture. Dès lépoque dAuguste (27 avant J.-C. - 14 après J.-C.), leur principal souci est dintensifier la culture des céréales, afin daugmenter les exportations. Pour cela, il leur faut éradiquer le semi-nomadisme et sédentariser les tribus: ils sappliquent donc à compromettre la survie des nomades en rompant leurs habitudes. Les Romains coupent les routes quempruntent les tribus pour gagner leurs pâturages dété; dans le même temps, ils font venir de lEmpire de nombreux colons qui sinstallent sur les terrains de parcours habituels des Berbères. Ces colons, en faisant sans cesse progresser la civilisation urbaine, obligent une partie des nomades à se sédentariser, de façon souvent servile. Leurs déplacements sont désormais entravés, qui leur permettaient de nourrir leurs troupeaux tout en assurant le trait d’union commercial entre les oasis et les villages du nord.

Plutôt que de se replier vers les côtes comme le feront leurs successeurs vandales et byzantins, les Romains renforcent la surveillance dans les terres occupées et organisent plusieurs opérations militaires vers le désert pour faire reculer les tribus gênantes16. Au début du Ier siècle, la troisième légion Auguste installe son camp permanent à Ammaedara, lactuelle aydra, de façon à se rapprocher des tribus du Sud tunisien. En 14 après J.-C., ils créent une voie importante et très surveillée qui relie Ammaedara à Gabès; elle traverse Gafsa, lextrémité orientale du al-Fi et Aquae Tacapitanae / al-mma de Gabès. Elle est censée interdire définitivement aux grands nomades laccès à la Proconsulaire17. La création de la route Ammaedara - Gabès est à lorigine de lune des plus violentes révoltes berbères contre lEmpire romain: elle empêche en effet la tribu semi-nomade des Musulames daccéder à

15 Trousset, Les bornes du Bled Segui, pp. 137-138; Rachet, Rome et les Berbères, p. 27.16 Sur ces expéditions, Desanges, Recherches sur l’activité des Méditerranéens; Rachet, Rome et les

Berbères, pp. 70-74.17 Rachet, Rome et les Berbères, pp. 78-79; Trousset, Les bornes du Bled Segui, p. 155. La

Proconsulaire désigne ici la province septentrionale de Tunisie, comportant Ammaedara et le Cap Bon. À lorigine, la Proconsulaire couvrait un territoire beaucoup plus vaste, mais elle a été scindée au IVe siècle et a donné naissance à la Byzacène, qui correspond à la Tunisie centrale et méridionale.

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ses terrains de parcours habituels. Leur chef, Tacfarinas, sallie entre autres aux Garamantes et aux tribus de la petite Syrte. Exigeant des Romains quils accordent aux nomades des terrains suffisamment vastes en Proconsulaire pour assurer leur survie, il leur mène de 17 à 24 une guerre acharnée18.

Le Nafzwa est incorporé à lEmpire dès le début du IIe siècle. Plusieurs décennies auparavant, les Nybgenii du Nafzwa ont déjà dû renoncer à leurs terres de parcours au nord du chott: les Romains leur ont laissé tout dabord une certaine liberté de mouvement, dans un territoire que Marcel Bénabou compare à une « réserve »19, avant de les circonscrire par la force dans le Nafzwa et aux abords du al-Fi. Cette sédentarisation forcée provoque une forte extension des cultures et notamment des cultures céréalières. Appliquant le processus du cantonnement, qui consiste à exproprier une tribu de ses terres en lui assignant un territoire restreint et bien défini, Trajan (98-117) ordonne de délimiter par des bornes la région désormais impartie à la tribu des Nybgenii. Il fait baliser en 105 une route qui relie Gafsa au nouveau chef-lieu du Nafzwa, Civitas Nybgeniorum20. Cette route traverse le chott par le passage dit al-Farn. Après avoir coupé la sebkha à lendroit le plus resserré qui sépare le al-Fi du al-ard, la route traverse la presqu’île du Nafzwa appelée anciennement bild al-Farn, le pays des pharaons, puis traverse la seconde partie du chott. Le bild al-Farn désigne la presquîle orientale du Nafzwa, qui savance dans le chott et ne comporte aujourdhui plus aucun village, alors que la presquîle occidentale est fort peuplée. Lappellation Farn aurait pu être donnée par les nombreux Berbères judaïsés qui vivaient dans le Djérid à lépoque romaine, par analogie entre le dangereux passage du chott et celui de la mer Rouge21.

Sous Hadrien (117-138), Civitas Nybgeniorum devient le municipe de Turris Tamalleni, l’actuelle Talmn / Telmin(e)22. Cette oasis profite d’une situation excellente, sur une avancée de terre ferme qui la tient à lécart des eaux malsaines caractéristiques des rives du chott. Les découvertes archéologiques prouvent que Turris Tamalleni n’est pas simplement un centre fortifié destiné à rallier la tribu des Nybgenii: la ville est en effet fortement développée par les Romains23. Hadrien

18 Rachet, Rome et les Berbères, pp. 82-122; Trousset, Les bornes du Bled Segui, pp. 154-157; Bénabou, La résistance africaine, pp. 75-84; Baradez, Fossatum Africae, pp. 151-152.

19 Bénabou, La résistance africaine, pp. 432-434.20 Trousset, Les bornes du Bled Segui, p. 172; Bénabou, La résistance africaine, pp. 431-432.21 Peyras et Trousset, Le lac Tritonis, p. 174; Trousset, E.B., s.v. Djérid; Trousset, Le franchissement

des chotts, pp. 48-57. Voir carte 2.22 Rachet, Rome et les Berbères, pp. 163-164. Ce toponyme a une formation lybico-berbère, basée

sur le mot amlâl, amellâl, umlil qui signifie « blanc » et désigne par extension un endroit aride et sablonneux. Pellegrin, Essai sur les noms de lieux, p. 83. Turris désigne une demeure rurale fortifiée et pourrait signifier ici « la tour blanche ». Trousset, Les bornes du Bled Segui, pp. 173-174.

23 Ferchiou, L’occupation du Sud, p. 90.

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poursuit le grand chantier des fortifications du limes et fait particulièrement surveiller la plaine de la affra, afin dinterdire définitivement aux nomades laccès à ces zones rendues désormais si productives par les travaux hydrauliques24. Le réseau routier du Sud tunisien devient très dense à cette époque. Une route traverse les quatre oasis principales du Djérid, Nepte / Nefta, Thusuros / Tozeur, Aquae / al-mma et Thiges25. La route Gafsa - Aquae Tacapitanae - Gabès est doublée par la route Gafsa - Turris Tamalleni - Gabès, qui coupe le chott. Les Romains balisent les passages qui traversent la sebkha et leur font gagner un temps précieux, dont le passage le plus sûr, le arq al-maalla, entre Thiges et Turris Tamalleni26. Trois routes coupent le al-Fi: le al-Farn, reliant Gafsa à Turris Tamalleni, est entouré par deux autres passages. Le premier mène de Turris Tamalleni à lactuelle Bur Umm Al, lautre longe la presquîle occidentale du Nafzwa. Une voie contourne également le chott par le sud. Ce trajet, beaucoup plus long, semble être très ancien: en dehors de la saison sèche, il est parfois la seule voie praticable pour joindre l’autre rive27. Une voie mène dAquae aux oasis de montagne Ad Turres / Tamerza et Speculum28 / Chébika. Elle traverse le al-Ġarsa, et l’on y voit encore les ruines dun relais optique élevé par les Romains sur une butte artificielle. Nepte, Thusuros, Aquae et Thiges ont le statut de castellum. Ce terme désigne habituellement une ville secondaire dépendant d’une cité plus importante mais il évoquerait plus particulièrement ici une agglomération typiquement saharienne, fortifiée à laide dargile ou de palmes. La vulnérabilité des oasiens face aux incursions nomades les ont toujours poussés à bâtir des remparts et ces rudimentaires fortifications ont dû frapper l’esprit des Romains, qui attribuent aux oasis vaincues le nom de castellum. Cette appellation perdure à l’époque arabe, qui fait de cet ensemble de castella la « Qasliya »29. Nepte constitue l’un des principaux postes militaires du limes, les Castra Neptinana, mais il faut se garder d’imaginer que le limes du Sud tunisien est

24 Rachet, Rome et les Berbères, p. 191.25 Le castellum Thigensium est à situer près de Dg dans le groupe d’oasis dal-Udyn et non pas

à mi-chemin entre Gafsa et le Djérid, comme sur les cartes de Charles Tissot et de Pierre Salama. Cette affirmation se base sur les vestiges archéologiques et sur la filiation entre le nom romano-berbère Thiges et le nom moderne de Dg, par analogie avec l’évolution de Thugga en Dougga. Cette filiation est renforcée par la ressemblance avec la prononciation locale « Tagious » du toponyme arabe Taqys. Trousset, Thiges, p. 149.

26 Le arq al-maalla doit son nom à la maalla de lépoque afide, une expédition militaire chargée chaque année de parcourir le pays pour y lever limpôt, pour consolider lautorité du souverain et pour réprimer les rébellions des chefs locaux. Pellat, E.I., s.v. Maalla. Cette route est aujourd’hui asphaltée mais une certaine superstition plane encore sur la traversée du chott par mauvais temps. Voir Prevost, La traversée du chott el-Djérid, pp. 127-138.

27 Trousset, Le franchissement des chotts, p. 54. Voir carte 2.28 Pour Duvignaud, Chebika, p. 81, le nom romain speculum rappelle un miroir en métal que les

légionnaires manipulaient pour informer par signaux les postes éloignés.29 Asn, En torno a las orgenes de Castilla, p. 357; Trousset, Thiges, pp. 162-163; Trousset, E.B., s.v.

Djérid; Rebuffat, E.B., s.v. Castellum.

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réduit à une frontière unique et bien circonscrite; c’est toute cette région, criblée de routes, qui forme en fait la frontière30.

Au début du IIIe siècle, le limes passe au sud de Gafsa, traverse le chott, approche le golfe de Gabès et passe au sud de Gightis, en englobant Sabratha, Oea et Leptis Magna. Le commerce s’intensifie, bénéficiant de la sécurité des routes. Loccupation romaine entraîne la multiplication de villages destinés à une agriculture massive. Les tribus nomades apportent à Tacape par la voie qui lie le port à Cydamus / Ghadamès les richesses du Sahara. Elles regagnent ensuite le désert chargées de productions romaines, terres cuites, objets métalliques ou en verre. Il semble que la seule marchandise saharienne convoitée par les Romains soit lescarboucle31, une variété de grenat au vif éclat, provenant des régions désertiques de Tripolitaine situées au sud du limes32.

Il existe une autre voie commerciale très empruntée, qui lie les Syrtes à la Maurétanie. L’importance de cet axe est attestée en 202 par le tarif de Zaraï. La Zaraï romaine, située au nord-est du al-una, était un lieu de péage pour les marchandises qui franchissaient le limes. Le document énumère les produits qui y transitent: on y trouve des produits de luxe venant de différentes villes de lEmpire - d’Égypte ou d’Arménie entre autres - et beaucoup de marchandises du Sud tunisien. Djerba et le littoral de Gabès vendent du garum, de la pourpre et des éponges; le Djérid commercialise déjà ses dattes. Si le tarif permet d’affirmer que le Sud tunisien participe à un florissant commerce au tout début du IIIe siècle, il atteste surtout des échanges commerciaux intensifs entre les régions de lEmpire et les régions d’économie pastorale extérieures au limes. Les nomades transhumants fournissent leurs cuirs, laines, troupeaux ou esclaves et repartent avec des tissus, du fer, de l’alun, du vin ou autres produits luxueux. Il s’agit donc d’un texte primordial, qui prouve que les deux mondes romain et berbère ont pu s’accommoder et même

30 Sur le réseau routier du Sud tunisien, Baradez, Fossatum Africae, pp. 143-147; Trousset, Le franchissement des chotts, pp. 48-57; Djelloul, Les fortifications en Tunisie, pp. 15-24.

31 Lexpédition de Cornélius Balbus, dont le triomphal retour a lieu en 19 avant J.-C., conquiert brièvement Cydamus et arma, la capitale des Garamantes, située dans le Fazzn. Vers lan 70 de notre ère, la route Praeter Caput Saxi relie la Tripolitaine au Fazzn, où les fouilles archéologiques ont décelé une influence romaine à partir du IIe siècle. Ce nest que dans la seconde moitié de ce siècle que les Romains placent une garnison à Cydamus, ce quils ne feront jamais au Fazzn. Aux IIIe et IVe siècles, une communauté urbaine inspirée par Rome sy développe et sadonne au commerce de lescarboucle, qui semble toutefois dun intérêt relatif pour lEmpire. Swanson, The Not-Yet-Golden Trade, pp. 151-153.

32 Ibid., p. 117. Létude de Swanson démontre que pendant la période romaine, un commerce organisé et régulier de lor entre les zones aurifères de lAfrique occidentale et le Maghreb relève de la fiction. Voir aussi les conclusions de Salama dans Histoire générale de lAfrique, II, p. 383; Devisse dans Histoire générale de lAfrique, III, p. 288; Cahen, Lor du Soudan avant les Almoravides, pp. 539-540. À contre-courant, Garrard, Myth and Metrology: the Early Trans-Saharan Gold Trade, p. 459, estime que le commerce transsaharien de lor est né peu avant 300 et sest développé durant le IVe siècle; selon lui, la Tunisie aurait été le plus important terminus maghrébin de ce trafic pendant les VIe et VIIe siècles.

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profiter l’un de l’autre dans une relative sérénité33. Le limes, destiné à la base à former une rigoureuse limite entre lEmpire civilisé et le sud laissé aux mains des nomades berbères, devient donc avec le temps une zone de contacts. Le commerce des Berbères dans les oasis frontalières explique que la romanité et le christianisme ont pu gagner des régions désertiques qui n’avaient jamais été administrées par Rome. Mais l’équilibre fondé sur ces intérêts réciproques ne dure pas: dès 238, une révolte secoue la Byzacène, la guerre civile déchire les provinces et le commerce diminue fortement34. Les chefs nomades ne trouvent plus aucun profit à supporter l’occupation romaine et les autorités de lEmpire, confrontées à une crise qui touche l’ensemble de leurs territoires, ont de plus en plus de peine à s’affirmer. La crise aboutit à la dissolution de la troisième légion Auguste qui, depuis le règne de son créateur, avait agrandi et consolidé les possessions romaines dAfrique. Les conditions militaires ont évolué et les autorités romaines, redoutant dengager de trop vastes moyens pour sécuriser leurs possessions, décident de confier aux colons vivant dans les oasis la pleine défense de celles-ci. Dès le règne dAlexandre Sévère (222-235), les empereurs offrent des terres fertiles à certains colons, qui, en contrepartie, sengagent à les défendre eux-mêmes contre les éventuelles incursions. Ces limitanei, vivant dans des fermes fortifiées, sont donc des soldats-agriculteurs chargés d’une double tâche, cultiver les oasis et surveiller la frontière. Au IVe siècle, le dispositif des limitanei devient le principal atout de la défense romaine dans les régions à sécurité précaire35. À cette époque en effet, le territoire romain d’Afrique se réduit à l’est, sous les attaques répétées des nomades. Émile-Félix Gautier, suivi par d’autres, leur a accordé une importance capitale, puisqu’ils illustrent parfaitement le conflit entre nomades et sédentaires qui sous-tend pour ces auteurs toute l’histoire du Maghreb36. On imagine à les lire que ces tribus pillardes ont pour seul but de saccager les travaux des sédentaires. La réalité est tout autre: la zone de contact du limes a évolué au détriment des Romains. La généralisation progressive de l’usage du dromadaire dans la première moitié du Ier millénaire a renforcé le nomadisme37. Les tribus maghrébines ont adopté cet animal providentiel et se sont opposées au pouvoir romain affaibli en multipliant les razzias sur les pistes commerciales et dans les nouveaux centres agricoles.

33 Darmon, Note sur le tarif de Zaraï. 34 Ibid., p. 21; Bénabou, La résistance africaine, pp. 201-211.35 Mahjoubi et Salama dans Histoire générale de l’Afrique, II, p. 348; Baradez, Fossatum Africae, pp.

156-159; Bénabou, La résistance africaine, p. 198 et p. 210.36 « Politiquement (le grand nomade) est un anarchiste, un nihiliste, il a une préférence profonde

pour le désordre, qui lui ouvre des perspectives. C’est le destructeur, le négateur. Sa victoire même n’est pas une réalisation, parce qu’il s’y anéantit lui-même dans une flambée de jouissances inaccoutumées. » Gautier, Le cadre géographique de l’histoire en Algérie, p. 31.

37 Sur la généralisation du dromadaire, Swanson, The Not-Yet-Golden Trade, pp. 164-174; von Wissmann, E.I., s.v. Badw; Demougeot, Le chameau.

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3. L’INTERMÈDE VANDALE (429-533)

Dix ans après avoir franchi le détroit de Gibraltar, les Vandales prennent Carthage en 439 et règnent sur une grande partie de l’Afrique romaine. Ils ne tardent pas cependant à négliger l’exercice de leur pouvoir, laissant les tribus se constituer en pouvoirs indépendants. Si Gafsa, Gabès et lîle de Djerba sont soumises aux Vandales, il est probable que les oasis du Djérid n’ont pas subi leur domination et que le territoire vandale n’englobait que le al-Fi38. Tozeur, Nefta et leurs voisines ont sans doute vécu un siècle de totale indépendance.

4. LA DOMINATION BYZANTINE (533 - FIN DU VIIe S.)

C’est Bélisaire, général de Justinien (527-565), qui reprend l’Afrique aux Vandales en 533. La province africaine devient un prétoire de lEmpire byzantin. C’est une période pénible pour les populations locales, qui pâtissent cruellement des razzias répétées des tribus berbères hostiles aux Byzantins / Rm. De lourds impôts les accablent qui ont pour but d’éponger les frais énormes engendrés par la conquête et l’organisation de la nouvelle administration byzantine. Ces taxes pourvoient également à la politique de grands travaux chère à l’empereur: Justinien entreprend de fortifier et de reconstruire l’Afrique. Il entame de grands chantiers hydrauliques et rebâtit les villes, qui se voient dotées de fontaines, de thermes, de nombreux monuments civils et religieux. Il accorde une attention toute particulière à l’évêché de Gafsa, rebaptisé pour la circonstance Justiniana Capsa.

La présence militaire en Afrique du Nord est bien moindre sous les Byzantins que sous les Romains. En effet, les Rm négligent d’occuper les oasis pour se concentrer sur les côtes. Ils contrôlent particulièrement la seule voie pouvant permettre une invasion venue de l’est, l’isthme qui sépare le plateau des Maa de la côte. Ils surveillent également la voie romaine, jalonnée de places fortifiées, qui lie Gabès à Gafsa puis Thélepte; un second limes est créé plus au nord comme ligne de défense supplémentaire. Gafsa étant la place-forte la plus méridionale, il semble que la région du Djérid n’a été que fort peu fréquentée par les soldats sous Justinien. Elle a dû par contre être touchée par la grande campagne de christianisation ordonnée par l’empereur, visant les anciens évêchés romains dont la foi s’était étiolée pendant le siècle vandale. Justinien envoie de nombreux missionnaires dans les oasis et y fait bâtir des églises, profitant si possible de l’emplacement d’un lieu de culte

38 Courtois, Les Vandales, carte p. 172.

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encore fréquenté. Ce prosélytisme semble être efficace puisque les Nasamons, alliés des Garamantes, se convertissent au christianisme et que Ghadamès devient un évêché. En 569, les Garamantes du Fazzn demandent également à l’empereur leur rattachement à l’Église39.

L’historiographe de Justinien, Procope de Césarée, raconte en détail l’expédition de Bélisaire, chargé de délivrer l’Afrique du joug vandale. Datant de 551, sa Guerre contre les Vandales est un témoignage inespéré sur les Berbères que doit affronter l’armée byzantine. En effet, les tribus décrites par Procope sont celles dont on suivra l’évolution au cours des siècles: les techniques de combat ou de résistance qu’elles opposent aux Rm sont certainement proches de celles qu’elles utiliseront pour contrer l’envahisseur arabe. Selon Procope, les Lawta, dont les chefs ont été massacrés par les Rm à Leptis Magna en 543, se répandent en Tripolitaine puis en Byzacène. Cinq ans plus tard, ils sont dans le Sud tunisien où ils s’allient au roi berbère Antalas40. Les oasis du Djérid participent donc sans doute à la lutte contre les Rm. Procope décrit les préparatifs de combat de ceux qu’il appelle les Maures41. La scène se passe à l’est de l’actuelle Kairouan, dans une plaine entourée de montagnes: « Avec leurs chameaux ils avaient formé un cercle (…) qui constituait un front d’une profondeur de douze bêtes environ. À l’intérieur de ce cercle ils avaient placé leurs femmes et leurs enfants (habituellement les Maures introduisent aussi un petit nombre de femmes, avec leurs enfants, dans le dispositif de la bataille; leur fonction précise est d’élever des palissades et des tentes, de soigner, d’une main experte, les chevaux et de s’occuper des chameaux et de la nourriture; elles aiguisent en outre les pointes en fer des armes et assument nombre des tâches que requiert la mise en place du dispositif de combat); quant aux hommes eux-mêmes, ils s’étaient logés debout, en fantassins, entre les pattes de leurs chameaux, avec pour arme un bouclier, une épée et une pique, que, d’ordinaire, ils lancent comme un javelot. Par ailleurs, certains d’entre eux se tenaient tranquillement à l’affût, avec leurs chevaux, dans la montagne42. » Cet extrait témoigne de l’importance qu’a acquise au VIe siècle le dromadaire comme élément guerrier. On peut imaginer avec quelle hésitation les Byzantins durent se lancer à l’assaut de cette surprenante forteresse animale!

39 Cuoq, L’Église d’Afrique du Nord, p. 93 et p. 103.40 Lewicki, E.I., s.v. Lawta. Selon Camps, la tribu des Lawta est païenne, elle adore le dieu guerrier

Sinifere et un dieu-taureau, Gurzil. Camps, Comment la Berbérie, p. 9. 41 « Maures » est un terme générique qui englobe « tous les Africains qui avaient gardé leurs traditions

et leur genre de vie, en dehors de la culture citadine développée par Rome ». Camps, Les Berbères, p. 16.

42 Procope, La guerre contre les Vandales, p. 149.

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Procope décrit sommairement l’armement des Berbères sans paraître le juger ridicule ou insuffisant. Dans un autre passage cependant, le général Solomon, exhortant ses troupes à marcher contre l’ennemi, les rassure: « Les Maures passent pour être à la guerre les combattants les plus médiocres. La plupart d’entre eux sont, en effet, dépourvus d’armes, et si le reste a des boucliers pour se protéger, ceux-ci sont toujours petits, mal fabriqués et inaptes à repousser les agressions. En outre, une fois que les Maures ont lancé les deux javelines dont ils disposent, ils n’ont plus, s’ils n’ont pas atteint leur but, qu’à prendre spontanément la fuite43. » Si Solomon exagère certainement la piètre qualité de l’armement berbère, il laisse entendre que les Berbères sont plus à l’aise lors du premier assaut ou dans toute opération guerrière de type court que dans des combats longs ou des sièges. Cette pratique de « la guerre éclair » caractérisera également l’envahisseur arabe.

Le prétoire d’Afrique évolue fortement sous le règne de l’empereur Maurice (582-602), qui déploie de nombreux efforts pour redresser la piètre situation de la province. Il réforme l’ancienne administration de Justinien et crée une nouvelle fonction, celle d’exarque ou patrice, qui est le plus haut représentant de l’empereur, à la tête de tous les fonctionnaires, civils ou militaires. Ce dernier, installé à Carthage, est chargé de régler les affaires indigènes, d’assigner aux tribus soumises les cantonnements qu’elles devront cultiver et de faire pénétrer la propagande chrétienne parmi les peuplades vaincues44. Maurice remporte plusieurs victoires sur les tribus maures qui assaillent régulièrement lEmpire et vient à bout de leur dernière grande rébellion en 595. Il semble que les possessions byzantines s’étendent à cette époque et que les Rm occupent cette fois les castella du Djérid. On a d’ailleurs trouvé à Tozeur, lors de la restauration de la mosquée Bild al-ar, un ostracon à inscription byzantine45.

Au début du VIIe siècle, l’exarque Héraclius noue une alliance avec une majorité de tribus berbères pour lutter contre Phocas, tyran de Constantinople. Le fils de cet exarque apprécié par le peuple, nommé lui aussi Héraclius, est sacré empereur à Constantinople en 610. Cet événement inaugure une période faste pour l’Afrique du Nord: d’une part, le jeune empereur a sûrement à cœur de favoriser la province qui l’a mené au succès et, d’autre part, il a emmené en Orient l’essentiel de ses troupes, laissant sur place des soldats pour la plupart indigènes. Les tribus se trouvent momentanément fidélisées et le commerce est prospère, surtout avec l’Égypte et la Sicile. La région n’a plus été dévastée depuis longtemps et l’agriculture a repris sa vitalité. Ce début de siècle est propice au rayonnement du christianisme: les

43 Ibid., p. 150.44 Diehl, L’Afrique byzantine, II, p. 485.45 Trousset, Les milliaires de Chebika, p. 153.

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missionnaires peuvent sillonner tranquillement le sud de la province. Les conciles de Carthage réunissent des évêques venus de régions parfois très lointaines, ce qui témoigne de la sécurité des routes.

Mais cette période de calme et de prospérité ne dure pas longtemps. En 634, Héraclius ordonne aux armées de lEmpire de se rassembler en Égypte pour marcher contre les Arabes; elles ne se mettront pas en route. L’empereur, malade, se désintéresse de sa charge. Le Trésor n’est plus approvisionné et les tribus, ne percevant plus leurs subsides, s’affranchissent de l’impôt et se reconstituent en pouvoir parallèle. Les Rm, inquiets du développement de ces nouvelles forces, rappellent leurs garnisons dans les villes fortifiées et se passionnent désormais pour les querelles religieuses. À la veille de la conquête arabe, en effet, les chrétiens d’Afrique du Nord se désolidarisent de leur clergé corrompu. L’empereur Héraclius s’est rallié à la doctrine du monothélisme et entend bien l’imposer à son peuple. À de nombreuses reprises, les chrétiens africains, très orthodoxes et plus proches de la foi incarnée par le pape, ont vu leur histoire entachée de longues querelles religieuses. Trahis par l’empereur, les fidèles craignent d’être contraints d’adhérer par la force au monothélisme. À la même époque, un grand nombre de chrétiens affluent vers l’Afrique, fuyant leurs terres occupées par les garnisons arabes. Ces réfugiés, souvent monophysites, font du prosélytisme et se mettent à dos la population. Des conciles se tiennent dans plusieurs provinces; celui de Byzacène réunit quarante-trois évêques, qui confirment que le monothélisme est une hérésie. La déception que ressentent les chrétiens vis-à-vis de lEmpire facilitera sans doute la conquête arabe. En Égypte par exemple, les chrétiens orthodoxes ou melkites persécutaient les Coptes monophysites qui vivaient dans la vallée du Nil. Par leur passivité face à l’invasion, les Coptes ont facilité la victoire des musulmans46.

Lorsque les premières razzias arabes surviennent, il semble que seules Gabès et Gafsa sont encore occupées militairement par les Byzantins. Pour de nombreux historiens, le Sud tunisien, lAurès et l’ouest de la Tripolitaine sont déjà peuplés de Lawta. Ceux-ci forment une grande confédération de tribus qui comprend notamment les Hawwra et les Nafzwa. Ces derniers occupent particulièrement le Djérid47. Les montagnes au sud-ouest de Gabès sont déjà habitées par les Maa, qui ont laissé leur nom au abal48. Toutes ces tribus appartiennent à la branche des

46 Les populations conquises semblent frappées par la justesse de la taxation arabe opposée au système d’imposition arbitraire et excessif mené par Constantinople. Andreas Stratos démontre qu’à Damas notamment, les Arabes, forcés d’évacuer la ville devant l’avancée des Rm, restituèrent aux habitants les impôts que ceux-ci venaient de leur verser, puisqu’ils n’étaient plus en mesure de garantir la protection que ces impôts supposaient. Stratos, Byzantium, II, p. 129.

47 Zaïed, Le monde des ksours, p. 22; Yver, E.I., s.v. Berbères; Lewicki, E.I., s.v. Lawta.48 Lewicki, E.I., s.v. Maa.

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Butr. Elles partagent les oasis avec une population sédentaire romanisée, les Afriqa, dont les géographes noteront la permanence des siècles plus tard.

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II. LA CONQUÊTE DU SUD TUNISIEN

Les historiens rapportent que le Prophète a promis une compensation à un groupe de soldats qui revenaient d’Ifrqiya, leur assurant que puisque le froid était si rude dans cette province, ils auraient droit à une plus forte récompense1. Les ad-s tels que celui-ci abondent, qui attribuent vices ou vertus à l’Ifrqiya et à sa population berbère. Ils sont évidemment faux mais sont cependant dignes d’intérêt car l’exagération et les contradictions dont ils font montre indiquent bien la confusion qui a marqué la conquête de l’Afrique du Nord. Certains d’entre eux, à l’instar de celui présenté plus haut, ont pour but d’assurer, de la bouche même du Prophète, un avenir eschatologique brillant aux troupes envoyées en Ifrqiya. Les traditions louent le caractère paradisiaque de la province et assurent la meilleure issue pour les soldats qui y combattent. On note par exemple que « celui qui tient garnison à al-Munastr trois jours durant aura droit au paradis »2. Des traditions vantant le séjour en Ifrqiya se multiplient au VIIIe siècle pour encourager l’émigration arabe vers la province3, qui prétendent notamment que l’on y trouve une des portes du paradis4. D’autres ad-s vont dans un sens diamétralement opposé et accusent les Berbères des pires maux; le Prophète les aurait considérés comme les créatures les plus méchantes et aurait dit: « L’agressivité et l’inconstance sont divisées en dix parties, les Berbères en ont neuf et le reste du monde (se partage) la dernière5. » Le dénigrement systématique des Berbères sexplique entre autres par leur acharnement, qui a particulièrement ralenti et compliqué la conquête. En effet, les campagnes d’Ifrqiya ne devaient pas avoir bonne réputation, malgré le butin amassé, et l’on sait les nombreux revers quont connus les Arabes face aux Berbères de Kusayla ou de la Khina. Ils ont été plusieurs fois littéralement boutés hors d’Ifrqiya, certains corps de troupes ont été décimés et la conquête a pâti de longues interruptions.

Outre les traditions nées de la difficulté de cette entreprise, il faut rappeler les propos attribués à Umar ibn al-ab, qui interdit la conquête de l’Ifrqiya, pays perfide et trompeur6, et défend même à Amr ibn al-, un des plus grands généraux de la conquête, de poursuivre sa marche vers la province. Umar redoute

1 Al-Bakr, pp. 21-22/50; Kitb al-Istibr, p. 112/6; Ibn I, I, p. 7. 2 Al-Mk, I, p. 7; al-Ti, p. 31/56. 3 W. Marçais, Comment lAfrique du Nord a été arabisée, p. 11.4 Al-Mk, I, pp. 7-8; Ibn I, I, p. 7; al-Ti, p. 31/56.5 Ibn al-Faqh, éd. de Goeje, p. 84; Yt, s.v. Barbar.6 Ibn Abd al-akam, p. 173; al-Balur, p. 226; Yt, s.v. Ifrqiya. Sur les traditions relatives à la

conquête, Siraj, L’image de la Tingitane, pp. 173-178 et pp. 184-190.

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certainement l’affrontement avec un pays totalement inconnu, sans doute veut-il d’abord consolider les nouveaux pouvoirs des musulmans en Égypte. Son refus d’aller plus avant, à une époque où l’islam s’étend si rapidement, marque pourtant l’esprit de la conquête puisque son successeur, mn, se montre lui aussi réticent et accorde une grande importance à l’avis de Umar. Les textes donnent l’impression que le second calife craint que ne pèse sur l’Ifrqiya une sorte de malédiction; ce pressentiment se justifierait, puisque la conquête du pays se révèle être pour les Arabes une des plus difficiles de leur histoire.

L’avancée en Égypte s’opère assez facilement: Babylone est prise en 641, Alexandrie l’année suivante. Voyant la menace musulmane se rapprocher de l’Ifrqiya, le patrice Grégoire entreprend de rallier à lui les populations africaines, berbères et romanisées. En 646, il quitte Carthage pour la ville fortifiée de Sufetula / Sbeitla et s’y proclame empereur, espérant défendre lui-même la province d’Afrique. Pendant ce temps, les armées arabes progressent vers l’Ifrqiya, sous la conduite de Amr ibn al-. Celui-ci prend Tripoli: les Rm parviennent à fuir par la mer et les Arabes y font un énorme butin. Ils semparent ensuite de abra et pénètrent dans le abal Nafsa. Amr soumet les Nafsa chrétiens et ne quitte le abal qu’après avoir reçu une lettre de Umar ibn al-ab, le rappelant à Mir7. En 25/645-646, le nouveau calife mn destitue Amr ibn al- de son poste de gouverneur d’Égypte au profit de Abd Allh ibn ibn r. Ce dernier, qui a connaissance de la faiblesse des Byzantins, compte bien conquérir l’Ifrqiya et s’y enrichir.

1. LES PREMIERS RAIDS

Dès sa nomination en Égypte, Abd Allh ibn dépêche les musulmans en corps de cavalerie, comme sous la wilya de Amr. Les musulmans frappent les confins de l’Ifrqiya et y font du butin8. Le gouverneur informe le calife de la proximité de la riche province et de l’importance du butin qu’ils ont arraché. mn consulte alors les anciens compagnons du Prophète, puis décide de réunir une armée. La plupart des historiens arabes présentent de cette façon les événements qui poussent le calife à conquérir l’Ifrqiya; sa décision est donc liée aux promesses de multiplier un butin si alléchant. Selon Ibn al-Ar, c’est sur l’ordre même du calife que Amr

7 Al-Bakr, pp. 9-10/26; Kitb al-Istibr, p. 144/58; Yt, s.v. Nafsa. Ce sont manifestement les trois seuls auteurs qui évoquent la conquête du abal Nafsa. Ibn I, I, p. 8, dit seulement que Amr conquiert Tripoli et soumet sa population, qui a appelé à l’aide les Nafsa chrétiens.

8 Ibn Abd al-akam, p. 183, chez lequel il s’agit bien de Amr et non de Umar comme le traduit de Slane dans Ibn aldūn, Histoire des Berbères, I, p. 304; al-Balur, p. 226; al-Mk (d’après al-W), I, p. 14; Ibn I, p. 9; al-Nuwayr, p. 314.

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aurait envoyé Abd Allh piller les abords de l’Ifrqiya en 25/645-646. À son retour, mn aurait ordonné dentamer une véritable conquête9. Il existe dautres versions du déroulement de ces événements: chez Ibn Aam al-K, par exemple, on voit Abd Allh ibn transgresser la volonté du calife. Il écrit à mn, qui lui refuse l’autorisation de conquérir l’Ifrqiya en rappelant la répugnance manifestée par Umar. Abd Allh remet à plus tard son expédition mais il envoie une troupe de soldats razzier le sawd d’Ifrqiya et y faire un gros butin. Pendant ce temps, le calife réfléchit et décide de soutenir le projet de conquête du gouverneur10.

Visiblement poussé par l’assurance d’un extraordinaire butin, mn finit donc par réunir une armée, qu’il envoie en Égypte avec l’autorisation de conquérir le Maghreb. « L’armée des Abd Allh » part en 27/647-648 sous le commandement de Abd Allh ibn . Elle passe devant les murs de Tripoli qui a été reprise par les Rm, mais le chef arabe renonce à assiéger la ville, afin datteindre plus rapidement les richesses convoitées. Passé Tripoli, les musulmans attaquent des vaisseaux en train d’accoster et font un considérable butin; c’est leur première prise11. Sur la route, Abd Allh envoie de divers côtés des bandes de soldats, chargés de piller les campagnes d’Ifrqiya et dy enlever chevaux, chameaux, bœufs et moutons12. Arrivé sous les murs de Gabès, Abd Allh en fait le siège, mais les anciens compagnons du Prophète lui conseillent d’y renoncer, pour ne pas être détourné de son projet contre l’Ifrqiya. Il se remet en marche et envoie partout des détachements qui lui ramènent bœufs, moutons et fourrage13.

L’armée arabe gagne le nord de la Tunisie et rencontre les Rm dans la plaine de Sbeitla en 647. On connaît les légendes qui relatent la bataille où les vingt mille Arabes auraient écrasé cent vingt mille Byzantins14. Le patrice Grégoire est tué et Sbeitla est prise. Le butin, composé essentiellement d’or et de captifs, est partagé entre les soldats après qu’on en eut prélevé le quint. Ensuite, Abd Allh ibn envoie des colonnes pour suivre les Byzantins; ses cavaliers atteignent les qu de Gafsa, où ils font des captifs et du butin15. Ibn al-Ar raconte que Abd Allh envoie un corps de troupes assiéger la place forte16 de Gafsa; les habitants de la région se

9 Ibn al-Ar, III, p. 86. 10 Ibn Aam, p. 86. Sawd désigne la région cultivée à l’intérieur d’une contrée, par exemple sawd

al-Irq; quand il précède un nom de ville, il désigne la plaine irriguée et cultivée régulièrement qui l’entoure, par exemple sawd Bara. Schaeder, E.I., s.v. Sawd.

11 Ubayd Allh, p. 36; al-Mk, I, p. 17; al-Nuwayr, p. 316.12 Ibn Aam, p. 88.13 Al-Nuwayr, pp. 316-317. Ibn Ab Dnr, p. 26, confirme que Gabès nest pas prise.14 Ibn Abd al-akam, pp. 183-184; al-Mk, I, pp. 18-23; Ibn al-Ar, III, pp. 90-91; Ibn I, I, p.

10; al-Nuwayr pp. 317-322; Ubayd Allh, pp. 36-37; Ibn aldn, VI, p. 126/I, p. 209.15 Ibn I, I, p. 12; al-Nuwayr p. 322. Al-Mk, I, p. 21 et al-imyar, s.v. Ifrqiya, précisent que

les chevaux atteignent Marmanna. Sur les qu de Gafsa, voir infra.16 Il n al-aam; une note indique aussi al-aim. On trouve aam / bois, broussailles; colline.

Aim est le pluriel de aam / étranger, non-arabe. Kazimirski, s.vv. Dans les deux cas, Ibn al-

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mettent sous sa protection, il leur accorde l’amn et les Ifrqiyens font la paix avec lui17. Ibn Ab Dnr al-Qayraw ajoute que lorsque les troupes arabes atteignent les qu de Gafsa, les Rm, pris de panique, se barricadent dans leurs places fortes; ils sont contraints de verser trois cents quintaux dor à Abd Allh en échange de son départ18. Finalement, le chef arabe accepte donc de quitter la province contre une forte somme d’argent. Selon al-Nuwayr, après le départ de Abd Allh ibn pour l’Égypte, un gouverneur est nommé à Sbeitla pour remplacer Grégoire; l’armée reste alors en Ifrqiya pendant quinze mois et ne perd que quelques hommes. Al-Balur prétend au contraire que Abd Allh rentre en Égypte sans avoir désigné de gouverneur19.

L’expédition des Abd Allh est triomphale pour l’armée arabe. Elle a permis de confirmer l’étonnante richesse de la province. Qu’ils laissent ou non un gouverneur sur place, le but est atteint: ils ramènent en Égypte un butin considérable, tant en or qu’en esclaves. Dès cette époque et jusqu’à la wilya de Abd al-Ramn ibn abb vers 750, l’Ifrqiya constitue pour les Arabes un gigantesque réservoir d’esclaves. Sbeitla et la région de Gafsa sont les premières à en faire les frais. Parmi les nombreux captifs figurent certainement un grand nombre de femmes, puisque les Arabes appréciaient particulièrement la beauté des Berbères, qui étaient vendues à très haut prix sur les marchés orientaux. Au XIIe siècle, le Kitb al-Istibr vante encore la splendeur des femmes de Gafsa, les plus belles d’Ifrqiya20.

Bien que pour Ubayd Allh, mn s’abstienne de toute entreprise contre l’Ifrqiya jusqu’en 27/647-64821, il paraît plus que probable que la Qasliya, région riche s’il en est, a été touchée par des razzias avant l’expédition « autorisée » des Abd Allh. Nous y voyons deux raisons principales: dune part, les Rm ayant abandonné le sud, les oasis sont probablement mal défendues. Gafsa, qui devait pourtant être l’une des villes les mieux fortifiées d’Afrique22, a dailleurs été dévastée. Dautre part, la localisation des oasis du Djérid est malheureusement propice aux invasions. Les armées empruntent la plaine de la affra; la route la plus simple pour gagner le Djérid est de bifurquer vers l’ouest avant Gabès et de suivre une des routes menant au Nafzwa. Les récents travaux de Pol Trousset ont montré la densité du réseau routier romain qui caractérise le Sud tunisien. Ces routes, désormais désertées par les Rm, sont toujours utilisées à l’arrivée des Arabes, et ceux-ci, après avoir

Ar évoque certainement la citadelle principale de Gafsa, qui était habitée par un reste de Rm.17 Ibn al-Ar, III, p. 91.18 Ibn Ab Dnr, p. 27.19 Al-Balur, p. 227; al-Nuwayr, p. 323.20 Kitb al-Istibr, p. 153/73.21 Ubayd Allh, p. 35.22 Saumagne, Capsa. Les vestiges de la cité latine de Gafsa, p. 530.

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traversé le Nafzwa, peuvent franchir le chott par un des passages qui avaient été balisés par les Romains, ou le contourner. Les oasis de la Qasliya ne sont séparées que par de petites étapes; les Arabes peuvent à loisir puiser dans les troupeaux et les diverses récoltes.

On ne peut évidemment affirmer que les oasis du Djérid ont dû affronter des contingents issus des troupes de Abd Allh, envoyés sur son ordre sans l’accord du calife, comme le prétend par exemple Ibn Aam al-K lorsqu’il évoque la razzia du sawd d’Ifrqiya. Mais il est probable que ces pillages ont eu lieu effectivement, perpétrés par une avant-garde organisée ou même par des soldats indisciplinés agissant pour leur propre compte. En effet, la conquête du Maghreb est remarquable par sa lenteur et ses fréquentes interruptions, qui se prolongent parfois durant plusieurs années. Dès lors, on imagine aisément comme il doit être difficile de contenir si longtemps une armée nombreuse, de lentretenir et de maintenir son moral tout en la privant de faire du butin, surtout quand on sait les rivalités internes qui laffaiblissent.

On pourrait même envisager que la région a déjà été touchée par des raids à lépoque de Amr ibn al-. On sait qu’il voulait semparer de l’Ifrqiya et qu’il a écrit à Umar: « Grâce à Dieu nous avons conquis Tripoli. Seuls neuf jours de marche nous séparent de l’Ifrqiya; si le commandeur des croyants juge bon d’y faire incursion et de la conquérir, ce sera avec l’aide de Dieu23. » S’il est exact que Amr soumet le abal Nafsa et ses populations chrétiennes, il y demeure sans doute jusqu’à ce qu’il reçoive la lettre le rappelant à Mir. Une route appartenant à lancien limes tripolitanus conduit directement du abal Nafsa au Nafzwa24. Al-Mlik précise que Abd Allh ibn d envoie comme au temps de Amr des détachements de cavalerie qui pillent les confins de l’Ifrqiya25. On ignore ce que désignent exactement « les confins de l’Ifrqiya » pour les auteurs médiévaux, mais il nous semble que le Djérid fait sans doute partie de cette zone géographique.

Par la suite, lors du séjour de l’armée de Abd Allh ibn dans le sud de lIfrqiya, il est presque certain cette fois que les oasis de la Qasliya sont touchées par les raids arabes. À l’aller, alors qu’il se trouve à proximité de Gabès, le chef arabe envoie de tous côtés des détachements qui lui ramènent chameaux, moutons, bêtes de somme et fourrage. Au retour, des troupes arabes ruinent les qu de Gafsa, très proches des oasis, et il semble plus que probable qu’ils passent par le Djérid pour regagner la Libye. Si comme laffirme al-Nuwayr, une armée arabe reste en

23 Ibn Abd al-akam, p. 173. La trad. de Slane, Berbères, I, p. 303, évoque sept journées de marche.

24 Trousset, Le franchissement des chotts, p. 46, fig. 1.25 Al-Mk, I, p. 14.

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Ifrqiya pendant quinze mois, elle a certainement procédé à des razzias dans les régions les plus riches.

2. LES EXPÉDITIONS DE MUWIYA IBN UDAY

Les raids suivants sont l’œuvre de Mu in , qui conduit trois importantes razzias en Ifrqiya, en 34/654-655, en 40/660-661 et en 45/665-66626. C’est visiblement lors de sa première expédition que le général choisit d’établir son camp à al-Qarn, à 12 km de l’emplacement actuel de Kairouan. Ce site lui sert de base militaire pour ses autres razzias. Aucune source n’évoque manifestement le sort du Sud tunisien pendant cette période. Il est probable, pour les raisons abordées plus haut, que la Qasliya est souvent touchée par des pillages et qu’elle constitue une réserve d’approvisionnement qui nest pas trop éloignée du campement choisi par le chef arabe.

Cest à lépoque des campagnes de Mu in que Djerba est occupée par les Arabes. Dès 47/667-668, Ruwayfa ibn bit al-An qui vient dêtre nommé w / gouverneur de Tripoli par le calife Mu, attaque l’Ifrqiya. Il prend Djerba, où il fait de nombreux prisonniers et du butin27. Al-Bakr ne date pas la prise de lîle mais fait état dune tradition sy rapportant: ana ibn Abd Allh28, natif de an a dit: « nous étions en train de conquérir le Maghreb lorsque Ruwayfa ibn bit al-Anr s’empara d’une des régions / qarya du Maghreb, que lon appelle arba. Il prit alors la parole et sadressa à nous: « je ne vous dirai que ce que jai entendu dire par lEnvoyé de Dieu - que la bénédiction et le salut de Dieu soient sur Lui. Le jour de la bataille de aybar29, il sest adressé à nous et a dit: « celui qui croit en Dieu et à lau-delà ne doit pas arroser ce quun autre a ensemencé. » Cela signifie quil est interdit davoir des relations sexuelles avec les prisonnières enceintes30. » Cette mise en garde est prononcée par Ruwayfa devant les captifs rassemblés et la population31.

26 Les dates des expéditions varient selon les auteurs; celles-ci sont données par Ibn I, I, pp. 14-19.

27 Al-Ti, p. 124/118; Ibn aldn, VI, p. 475/III, pp. 63-64; Ibn Ab Dnr, pp. 28-29. Al-Z, Wult arbulus, p. 23, date la prise de lîle en 48/668-669.

28 ana ibn Abd Allh est un compagnon de Ruwayfa, qui va conquérir lEspagne avec M ibn Nuayr. Il se fixe ensuite à Kairouan où il fait bâtir une mosquée qui porte toujours son nom. Il meurt en 100/718. Bourouiba, Lîle de Jerba, p. 57.

29 aybar est une oasis située à environ 150 km de Médine, qui comptait à lépoque du Prophète de nombreuses populations juives. Le Prophète attaqua aybar vers 628 et conclut finalement un traité avec les juifs après un mois et demi dhostilités. Veccia Vaglieri, E.I., s.v. Khaybar.

30 Al-Bakr, pp. 19/44-45; Yqt s.v. arba. Cette tradition est également rapportée par al-Ti, pp. 124-125/118-119 et par al-imyar, s.v. arba, qui y apportent des précisions.

31 Al-Ti, p. 124/118.

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3. LA CONQUÊTE DE UQBA IBN NFI

Uqba ibn N al-Fihr, de la tribu des Quray, est nommé mil / gouverneur32 d’Ifrqiya en 41 ou en 42/661-663. Il est chargé de soumettre les Mazta et les Lawta révoltés à l’est de Tripoli. Son expédition le mène dans le Fazzn et dans le Kawr, où il prend de nombreuses forteresses. Ensuite, il se dirige vers la Tunisie par la plaine de la affra, d’où il envoie des cavaliers prendre Ghadamès33. Lorsque ces derniers l’ont rejoint, Uqba avance vers Gafsa34, il prend la ville puis conquiert Qasliya / Tozeur35. À son arrivée en Ifrqiya, il pourchasse les chrétiens puis décide de bâtir une ville qui célébrera à jamais l’islam. Il fonde Kairouan vers 50/670, non loin dal-Qarn, où Mu in avait établi le premier camp des musulmans.

Vers 54/673-674, le nouveau gouverneur d’Égypte, dont dépend toujours l’Ifrqiya, rappelle Uqba pour installer à sa place son affranchi, le mawl Ab -Muhir Dr. Certains textes affirment que Uqba est maltraité par son successeur. En tout cas, il gagne rapidement Damas pour se plaindre au calife de sa destitution et des mauvais traitements qu’il a subis36. Resté seul maître de l’Ifrqiya, Ab -Muhir fonde une nouvelle ville, Tkirwn, aux abords de la Kairouan fondée par Uqba, qu’il fait détruire. Le nouveau gouverneur poursuit les conquêtes entreprises par Uqba. Son principal adversaire est Kusayla, le chef de la tribu berbère des Awraba, qui a rassemblé autour de Tlemcen une confédération de tribus appartenant aux Bars. Ab -Muhir et Kusayla se rencontrent à Tlemcen et le chef arabe parvient à convertir à l’islam son adversaire chrétien. Cette entente dure plusieurs années au sein de la nouvelle Tkirwn, dont le nom même37, doté dun préfixe berbère, préfigure cette alliance. La tactique dAb -Muhir va clairement dans le

32 Voir Duri, E.I., s.v. mil, sur les nombreuses fonctions que désigne ce terme.33 Sur l’expédition de Uqba, voir Thiry, Le Sahara libyen, pp. 76-109.34 Pour al-Mk, I, p. 32, Uqba conquiert Gafsa en 57/676-677, lorsqu’il arrive comme w en

Ifrqiya avec une armée de dix mille hommes. Il prend Gafsa et Qasliya / Tozeur, puis conquiert tout ce qui se trouve sur sa route jusquà Kairouan. Un peu plus haut, il dit aussi qu’en 54/673-674, lid ibn bit al-Fahm fait une razzia en Ifrqiya et y amasse un grand butin.

35 Ibn Abd al-akam, p. 196; al-Bakr, p. 14/35. Le Kitb al-Istibr, p. 147/63, repris par al-imyar, s.v. Zawla, dit que Uqba entre sur le territoire des Mazta, sempare de leurs qur il Qafa, puis prend Gafsa et le bild Qasliya. Pour Ibn Ab Dnr, p. 30, après avoir conquis le Fazzn, Uqba prend Gafsa et Qasliya; selon lui, ces villes avaient déjà été conquises par les Arabes mais sétaient révoltées. Uqba les replace sous le joug arabe et sempare également de Nefta, Taqys, Gabès et al-mma. Ces informations particulièrement tardives doivent être considérées avec la plus grande prudence.

36 Al-Mk, I, p. 33, dit que Uqba est emprisonné et harcelé par Ab -Muhir jusquà ce que le calife ordonne à ce dernier de le relâcher. Ab -Muhir doit alors faire raccompagner Uqba jusquà la sortie de Gabès.

37 Al-Nuwayr, p. 330, affirme que ce sont les Berbères qui ont donné ce nom à cette ville.

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sens d’une pacification et d’une islamisation des Berbères par la conviction, et non par la force comme le voulait Uqba.

En 62/681-682, Uqba récupère son pouvoir en Ifrqiya. Vouant une haine féroce à Ab -Muhir qui l’a évincé, il fait détruire Tkirwn et réinstalle ses populations à Kairouan, quil fait reconstruire. L’ancien gouverneur et Kusayla se voient forcés d’accompagner en otages le général dans ses nouvelles expéditions. Celui-ci ne manque aucune occasion d’humilier le roi berbère. Uqba conquiert le Zb puis le Ss; arrivé au bord de l’Atlantique, il prend Allh à témoin qu’il ne peut mener plus loin sa conquête38. Lorsqu’il veut reprendre la route de Kairouan, Kusayla lui a faussé compagnie et Uqba se fait massacrer avec trois cents de ses compagnons, dont Ab -Muhir, près de Biskra. Tous les musulmans sont tués, à l’exception d’un petit groupe de notables arabes qui tentent de fuir. Le ib de Gafsa rachète les prisonniers et les renvoie à Kairouan39. Le terme ib pouvant être pris dans le sens de « possesseur, propriétaire, seigneur, chef »40, il impliquerait que lors de sa première conquête de la ville, Uqba y aurait laissé un gouverneur, qui aurait conservé son pouvoir pendant la wilya dAb -Muhir.

L’armée arabe privée de son général fuit vers l’est tandis que Kusayla, triomphant, rejoint Kairouan. D’après Ubayd Allh, il se rend à Kairouan pour attaquer ceux de ses adversaires qui s’y trouvent encore; inquiet, le chef arabe Zuhayr ibn Qays al-Balaw quitte la ville avec les musulmans qui le peuvent41. Kusayla y règne tranquillement pendant cinq ans, de 64/683-684 à 69/688-689. La ville est alors peuplée à la fois de Berbères, de Rm et d’Arabes, auxquels il laisse le droit de pratiquer leur religion. Aucun texte ne fait mention dapostasie et il est donc probable qu’il reste musulman. Son pouvoir s’étend alors jusqu’à la porte de Gabès42. À l’issue de ces cinq années, Zuhayr ibn Qays al-Balaw revient venger la mort de Uqba. Il massacre l’armée de Kusayla à l’ouest de Kairouan. Le chef berbère meurt au combat. Zuhayr quitte alors l’Ifrqiya et perd la vie dans un combat contre les Rm, à son retour en Cyrénaïque.

38 Il y a dans le Sud marocain, à lendroit où le w Msa se jette dans lAtlantique, un petit marabout qui commémore larrivée de Uqba devant locéan; chaque année, les habitants de la région viennent y rendre hommage au général arabe, pour le remercier davoir fait fuir... les Français et les Espagnols! Ils semblent avoir oublié le rôle de Uqba dans la conquête de lAfrique du Nord.

39 Ibn al-Ar, IV, p. 108; Ibn I, I, p. 29; Ibn aldn, VI, p. 173/I, p. 288. Ibn I précise que le ib de Gafsa paye la rançon de quelques notables qui sont faits prisonniers. Parmi ceux-ci se trouve Muammad ibn Aws al-An, qui sera choisi pour exercer provisoirement le pouvoir à Kairouan après l’assassinat de Yazd ibn Ab Muslim en 720. Voir à ce sujet Ibn Abd al-akam, p. 215; al-Raqq, p. 65; Ibn I, I, p. 49.

40 Shaban, E.I., s.v. ib.41 Ubayd Allh, p. 39.42 Ibn Abd al-akam, p. 198.

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4. ASSN IBN AL-NUMN ET LA KHINA

Comme toujours, la poursuite de la conquête dépend étroitement de la situation politique que connaît Damas. Vers 683, Abd Allh ibn al-Zubayr, fils d’un compagnon du Prophète, se fait proclamer commandeur des croyants en Arabie et est sur le point de se faire reconnaître par les autres provinces de l’Empire musulman. Le calife Abd al-Malik vient à bout de son rival après un long siège de La Mecque en 692. C’est suite à cette victoire qu’il envoie n ibn al-Nun al-Ġass conquérir, définitivement cette fois, l’Ifrqiya. n prend Carthage, qu’il fait détruire, puis combat les Rm dans le nord de l’Ifrqiya. Il ordonne la construction du dr alina, l’arsenal de Tunis43 destiné à doter l’Ifrqiya d’une flotte importante, et fait creuser le chenal reliant le port à la mer, pour protéger la ville d’attaques inattendues.

À la mort de Kusayla, les Berbères se sont rassemblés autour de la reine des Aurès, al-Khina, « la devineresse ». Celle-ci dirige la tribu des wa, qui appartient à la branche des Butr, principalement constituée de nomades pasteurs. Les wa, que l’on a longtemps crus juifs en se fondant sur Ibn aldn, semblent en fait sêtre convertis au christianisme. Leur religion correspond sans doute à un subtil mélange de traditions païennes berbères, de christianisme et de judaïsme. Il est probable que leur reine fait partie des muwalladn, Berbères au sang mêlé de sang romain ou byzantin44; elle a d’ailleurs un fils dont le père est byzantin. Al-Khina, qui aurait été âgée d’environ cent vingt ans (!) au moment des faits45, assied son pouvoir sur son long passé de reine des Aurès, mais surtout sur ses dons divinatoires, rassemblant les foules par ses transes extatiques. Elle réunit autour d’elle des Byzantins et des Berbères, nomades ou montagnards de l’Aurès.

La rencontre qui oppose les Arabes à la Khina a lieu sur les bords d’une rivière qu’on baptise alors nahr al-Bal, la rivière des épreuves, tant la défaite est grande pour l’armée de n ibn al-Nun, qui est contraint de fuir vers l’est. Ubayd Allh prétend que l’armée arabe est mise en déroute et poursuivie par la Khina à travers le Djérid jusqu’à Gabès46. On ignore si l’armée de n est battue une

43 Sur les arsenaux maghrébins, voir Picard, Locéan Atlantique, pp. 266-267.44 Talbi, Un nouveau fragment, p. 41; Lewicki, Al-Khina, p. 21; Camps, LAfrique du Nord au

féminin, pp. 136-137. Sur sa religion, Déjeux, La Kahina: de lhistoire à la fiction littéraire, pp. 7-8; Hirschberg, A History of the Jews, pp. 88-95.

45 Ibn aldn, VII, p. 11/III, p. 193.46 Ubayd Allh, p. 32. Sur la wilya de n et sur la Khina, Ibn Abd al-akam, pp. 200-202;

al-Mk, I, pp. 48-57; al-Raqq, pp. 23-34; Ibn al-Ar, IV, pp. 369-372; Ibn I, I, pp. 34-39; al-Nuwayr, pp. 338-342; Ubayd Allh, pp. 32-41; Ibn aldn, VI, pp. 128-129/I, pp. 213-215 et VII, p. 11/III, pp. 193-194; al-imyar, s.v. Awrs.

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seconde fois à Gabès47 mais on sait que les Arabes sont poursuivis par les Berbères jusqu’à leur sortie du territoire / amal de Gabès. n, forcé d’abandonner l’Ifrqiya, écrit au calife pour l’informer de la défaite infligée aux musulmans par la Khina. La réponse du calife lui notifiant de s’immobiliser là où le trouverait la lettre, n s’établit à quatre étapes à l’est de Tripoli et y fait bâtir son camp, Qu n. Profitant de la trêve imposée aux troupes arabes, une flotte byzantine reprend Carthage. Quand elle apprend que n s’est installé dans son nouveau camp, la Khina s’organise. Selon les auteurs médiévaux, dont on soulignera plus loin lévidente exagération, elle dit aux Berbères et aux Rm que n n’est intéressé que par les villes, l’or et l’argent. Elle leur intime l’ordre de dévaster l’Ifrqiya s’ils veulent conserver leurs pâturages et leurs champs; elle envoie les Berbères couper les arbres et démolir les forteresses, de façon à désespérer les Arabes et à leur ôter toute convoitise. Les historiens disent qu’avant ces dévastations, l’Ifrqiya était ombragée de Tripoli à Tanger tant les nombreux villages étaient proches les uns des autres, et que tout a été détruit48.

En 78/697-698, n reçoit enfin une armée et quitte Qu n en direction de la plaine de la affra. Les faits qui suivent sont particulièrement intéressants puisqu’ils expliquent la soumission de tout le Sud tunisien: « Lorsque n approcha de l’Ifrqiya, un groupe de Rm vint à sa rencontre. Ils implorèrent son aide contre al-Khina et se plaignirent d’elle. Il s’en réjouit et marcha vers Gabès où les habitants, désireux de se soumettre, l’accueillirent avec des richesses. Auparavant, ils sétaient fortifiés contre les émirs (arabes). Il plaça un mil à Gabès et se mit en route vers Gafsa. Les gens qui s’y trouvaient obtempérèrent et il se rendit maître de la ville, ainsi que de la Qasliya et du Nafzwa49. » Ibn al-Ar offre ici un résumé très complet de la situation et il est frappant de constater avec quelle facilité n soumet ces oasis, à la demande de leurs populations. Plusieurs historiens donnent des détails sur les différents rebondissements de l’histoire. Al-Raqq précise que lorsque n se met en route pour l’Ifrqiya, ce sont trois cents chrétiens qui arrivent à sa rencontre pour implorer son aide contre la Khina, à cause des saccages dont ils ont été les victimes. n marche alors en direction de Gabès et lorsqu’il approche de la ville, les habitants viennent au devant de lui. Ils implorent sa protection et acceptent un mil. Il leur accorde l’amn « contre

47 Al-Bakr, pp. 7-8/22-23, prétend que n livre un combat acharné à la Khina sur le territoire de Gabès, mais qu’il est obligé de fuir.

48 Al-Mk, I, p. 53; al-Raqq, pp. 30-31; Ibn al-Ar, IV, p. 371; Ibn I, I, p. 36; al-Nuwayr, p. 341; Ubayd Allh, p. 40; al-Ti, p. 58/65; Ibn aldn, VI, p. 128/I, p. 214; al-imyar, s.v. Awrs.

49 Ibn al-Ar, IV, p. 371.

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une somme convenue entre eux »50. Al-Nuwayr ajoute que n leur donne pour gouverneur un jeune esclave51. Une autre précision est donnée par al-Mk, qui évoque une bataille entre Berbères et Arabes après que n eut accepté la soumission des premiers émissaires venus à sa rencontre: la Khina affronte avec des armées berbères considérables les troupes du calife qui viennent darriver à Gabès, mais elle est battue52. Si c’est exact, les Arabes ont dès le début un avantage sur les troupes berbères. Al-Wazr al-Sarr prétend quaprès avoir soumis Gabès, n atteint les qur de Gafsa, dont les rois / mulk, ainsi que ceux de la Qasliya et du Nafzwa, lui offrent des présents / ahd ilayhi53.

La Khina s’enfuit alors vers l’Aurès, son refuge. Se sachant perdue, elle conseille à ses deux fils de se rendre à n. Celui-ci accepte de les recevoir et les incorpore à son armée. Selon Tadeusz Lewicki, n veut alors reprendre Kairouan et c’est sur la route qu’a lieu le siège de Thysdrus / El-Djem avant que les Arabes ne rattrapent les Berbères dans l’Aurès54. Mais ce siège paraît trop improbable: al-Bakr raconte que la Khina, assiégée dans l’amphithéâtre, a fait creuser dans la roche un passage souterrain long de dix-huit milles55, assez large pour accueillir plusieurs cavaliers de front. Ce couloir, débouchant à Salaqa56, lui aurait permis de soutenir le siège grâce aux vivres acheminés57. Il est bien plus probable quau lieu de tenter de reprendre la capitale, n décide de se lancer à la poursuite de la Khina, que les troupes berbères aient été décimées ou non dans une bataille à Gabès. La route la plus directe pour elle est de passer par le Nafzwa, par la Qasliya et de remonter alors vers Biskra58. Le texte le plus précis sur la région qui nous occupe provient d’un manuscrit tunisien conservé au Maroc, publié sous le titre Ta’r Ifrqiya wa-

50 Al-Raqq, pp. 31-32.51 Al-Nuwayr, p. 341. Le mot que de Slane traduit par jeune esclave est ġulm, qui peut désigner

un esclave mâle de n’importe quel âge, mais également un jeune adulte ou un adolescent libres. Kazimirski, s.v. Les Berbères fournissent, dans le cadre du tribut au califat, un nombre précis de jeunes esclaves, qui abondent à Damas. Ce tribut cesse d’être exigé par Umar II, qui affranchit les Berbères musulmans. Une grande partie d’entre eux continue néanmoins à servir dans l’armée califale. Lewicki, Un témoignage arabe inconnu sur les Slaves de l’an 720, p. 325.

52 Al-Mk, I, p. 54. 53 Al-Wazr al-Sarr, I, p. 515.54 Lewicki, Al-Khina, p. 36. Plus haut, p. 33, Lewicki met pourtant en doute la véracité ce siège,

estimant qu’il pourrait sagir d’une légende du XIe siècle, témoignant de la popularité de la Khina à cette époque.

55 Selon Idris, La Berbérie orientale, p. 651, et Brunschvig, La Berbérie orientale, II, p. 253, le ml correspond en Ifrqiya à 1453 mètres. Pour Mauny, Tableau géographique, p. 411, le mille romain vaut environ 1480 mètres, tandis que le mille arabe vaut entre 1920 et 2000 mètres.

56 Il sagit de lactuelle Salakta, à 20 km au sud de Mahdiyya, qui fut lantique Sullectum, siège dun évêché à lépoque byzantine. Lewicki, Une langue romane oubliée, p. 454.

57 Al-Bakr, p. 31/69; Kitb al-Istibr, p. 118/15; al-Ti, pp. 57/62-63. Ce dernier, qui appelle la reine Khina des Lawta, reparle du souterrain qui mène à Salaqa lors de l’attaque dEl-Djem par Ya ibn Isq ibn Ġniya al-Mayrq, qui doit renoncer à semparer de l’amphithéâtre car les assiégés lui lancent des poissons vivants pour lui montrer leur bonne santé. Al-Ti, p. 59/67.

58 C’est la route de Kairouan à Oran décrite par al-Bakr, pp. 71-75/146-154, qui passe par Tozeur, Nefta, Taha puis Biskra.

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l-Maġrib li-l-Raqq al-Qayraw59. Mohamed Talbi démontre que ce texte, qui ne comporte ni nom d’auteur ni sources et dont la provenance est mystérieuse, a été attribué à tort à al-Raqq (m. vers 1030) et ne peut lui être que postérieur60. Ce manuscrit précise clairement le trajet suivi par n après avoir quitté Gabès: « Il prit ensuite le chemin de Kairouan, et obliqua vers Gafsa, la Qasliya et le Nafzwa; les habitants lui envoyèrent également (des émissaires) qui implorèrent l’aide de n pour les soustraire à la Khina, ce qui le réjouit61. » C’est le seul texte qui suggère que le chef arabe est passé par le Nafzwa, car le récit dIbn al-Ar vu plus haut peut signifier simplement que des émissaires du sud-est du chott sont eux-mêmes venus à sa rencontre. L’hypothèse selon laquelle n aurait décidé lui-même de passer par le Nafzwa est peu crédible, car ce trajet présente un détour inutile et surtout un assez gros risque, puisqu’il oblige à traverser la sebkha. Il est exclu que larmée ait contourné le chott par le sud en traversant Nefta, ce qui aurait pris au moins deux jours de marche. Le choix de couper vers le Nafzwa est sûrement dû à la précipitation avec laquelle doit agir n s’il ne veut pas perdre la trace de son adversaire. Nous croyons donc avec Mohamed Talbi62, dans l’hypothèse où n a véritablement passé le chott avec son armée, qu’il a cédé à une manœuvre de la reine pour l’égarer.

Les historiens ont longuement débattu de la ruine éventuelle de la province sur les ordres de la reine et nous ne reviendrons pas sur ce débat. Les sources ont sans doute attribué à la Khina lensemble des dommages causés aux différentes régions dIfrqiya par les successives expéditions arabes. Il est évidemment improbable que les wa se soient livrés à des destructions massives car les cultures des sédentaires sont indispensables à leur survie. On ne peut accorder de véracité à la description apocalyptique que laissent certains historiens médiévaux, surtout lorsque les dommages s’étendent de Tripoli à Tanger! Il est probable par contre que la reine a ordonné à ses troupes de saccager les seuls abords de l’Ifrqiya, les terres qu’allaient traverser en premier lieu n et ses hommes. On voit mal en effet ces Berbères, principalement natifs de l’Aurès, dévaster leurs propres terrains de parcours et il aurait été stupide de ruiner dautres régions que nauraient pas foulées les Arabes. Les oasis du Djérid et Gabès ont certainement été touchées pour impressionner les musulmans au sortir de leur retraite. Cette hypothèse est renforcée par la soumission volontaire de Gabès, de la Qasliya et du Nafzwa, qui se plaignent des destructions subies. Dans le cas où, comme nous le croyons, seul

59 Ta’r Ifrqiya wa-l-Maġrib li-l-Raqq al-Qayraw, publié par Mun al-Ka, Tunis, 1968. Ce passage ne figure pas dans la nouvelle édition dal-Raqq que nous utilisons.

60 Talbi, Un nouveau fragment, pp. 19-21 (texte français).61 Ibid., pp. 30-31 (texte arabe).62 Ibid., pp. 45-46 (texte français).

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le Sud tunisien a souffert d’importants saccages, on peut imaginer que la reine avait prévu d’entraîner les armées arabes sur ce terrain dangereux.

Pour Tadeusz Lewicki, la soumission des habitants de la Qasliya et du Nafzwa indique que ces oasis sont demeurées pendant cinq ans sous la domination de la devineresse63; il se base sur les textes qui disent que la Khina malakat / a gouverné l’Ifrqiya pendant cinq ans à partir du moment où elle a défait n64. Al-Nuwayr et Ibn I affirment qu’elle a étendu sa domination au Maghreb tout entier65. Le Kitb al-Istibr prétend que des souterrains et des cavernes de Ghadamès servaient de prison à la reine66. Les historiens arabes sont évidemment tentés de surestimer la puissance de la reine, qui est parvenue à vaincre le général arabe. Il semble fort exagéré de conclure qu’un grand royaume berbère a été instauré dès le départ de n et que la Khina a pu régner pendant cinq ans sur les oasis du Sud tunisien. Il savère pourtant que les habitants vont eux-mêmes proposer leur soumission et il semble certain que n leur accorde l’amn contre un tribut. Al-Raqq le spécifie clairement pour Gabès. Les destructions dont ils ont été les victimes ont dû être bien pénibles pour quils aillent ainsi négocier laide des Arabes. On a là un exemple des conflits qui opposent à certaines occasions les Berbères sédentaires habitant les oasis aux Berbères qui nomadisent dans la région et dont les oasis forment le point de ralliement. Ces derniers ont certainement rallié le combat de la Khina, tandis que les premiers ont préféré subir le joug arabe plutôt que de perdre définitivement leurs cultures. Quelle qu’ait été l’ampleur réelle de ces dévastations, il est certain que le peuple sédentaire des Rm et des Afriqa67 en a été très affecté et qu’il y a eu de nombreux départs vers l’Espagne et les îles méditerranéennes. Jocelyne Dakhlia a constaté la forte empreinte qua laissée la Khina dans le Djérid: ce personnage, presque entièrement détaché de son contexte historique, symbolise aujourdhui encore les forces du mal combattant lislam. Les habitants de la région racontent que cette sorcière a pu, grâce à ses maléfices, couper les eaux qui irriguaient les oasis et ravager totalement celles-ci avant de sen aller. Ils disent dailleurs de quelquun qui leur fait peur quil est méchant comme la Khina. Ils ne peuvent situer la reine dans le temps et ne lassocient pas à la conquête arabe. Pour eux, elle symbolise le passé barbare, la hiliyya; elle incarne ces « créatures anté-islamiques qui ne laissent que des ruines »68.

63 Lewicki, Al-Khina, p. 33. Talbi, La conversion des Berbères, pp. 14-15, évoque un « royaume national berbère » dirigé par la Khina de 69 à 78 H/689-697, avec Bġya comme capitale.

64 Al-Raqq, p. 30; Ibn I, I, p. 36; Ibn Ab Dnr, p. 21.65 Ibn I, I, p. 36; al-Nuwayr, p. 340.66 Kitb al-Istibr, p. 145/61.67 Sur les Afriqa, voir infra.68 Dakhlia, Loubli de la cité, pp. 63-64.

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En contournant le chott par le sud à partir du Nafzwa, les Arabes rattrapent finalement la reine dans la région de ubna et lui donnent la mort à l’endroit nommé Bi’r al-Khina. Les Byzantins et les Berbères, dépourvus de chef, s’unissent en un dernier assaut mais capitulent devant l’armée de n et lui demandent pardon. Le chef arabe exige un contingent de douze mille de leurs hommes et la conversion de ces nouvelles recrues: chacun des fils de la Khina reçoit le commandement de six mille cavaliers berbères. Ils se joignent aux Arabes pour soumettre l’Ifrqiya et en finir avec les Rm et les Berbères infidèles. n organise l’administration et renforce le système du fay’, le partage des terres conquises qui assure la coopération des tribus. Pour la première fois, les contingents berbères profitent directement de ce qu’ils ont conquis, tant en richesses qu’en territoires. n impose le paiement du ar et de la izya à tous les chrétiens refusant de se convertir et crée des bureaux / dawwn pour contrôler ces paiements. Il reprend Carthage et fait détruire son port, pour ne pas risquer de nouvelles attaques byzantines alors que les Arabes n’ont encore aucune flotte. Il fait également reconstruire la Grande Mosquée de Kairouan.

5. SYNTHÈSE

La Qasliya et le Nafzwa constituent sans aucun doute une proie de choix attaquée par les Arabes dès leurs premières incursions en Ifrqiya. Il paraît probable que des razzias s’y produisent avant l’arrivée de l’armée des Abd Allh et peut-être même, comme cela a été proposé plus haut, suite à la prise du abal Nafsa sous le commandement de Amr. Ces premiers raids interviendraient donc entre 644 et 647. Les oasis qui bordent le chott sont sans doute pillées à l’arrivée de Abd Allh ibn Sad, lors des nombreuses incursions que fait l’armée sur la route, mais Gabès est épargnée. Après la bataille de Sbeitla, les musulmans pillent les qu de Gafsa et y font des captifs. Nul doute que sur la route du retour, ils attaquent les riches oasis du Djérid. Au cours des campagnes de Mu in , Djerba est prise mais nous navons aucune indication sur le sort de la Qasliya et du Nafzwa.

Vers 49/669, Uqba ibn N soumet Gafsa et la Qasliya avant de fonder Kairouan. La région vit sous domination arabe jusque vers 683 et Gafsa est dirigée par un ib. Les oasis passent vraisemblablement aux mains de Kusayla puis demeurent indépendantes à sa mort. On ne sait si elles sont touchées par la première expédition de n ibn al-Nun. Il s’avère en tout cas que les habitants de

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Gafsa, de la Qasliya et du Nafzwa se soumettent à lui vers 698, après avoir été victimes des détériorations ordonnées par la Khina. Pour cette région les choses sont claires: Gafsa, la Qasliya et le Nafzwa sont conquis an, ce qui permet à leurs nombreux chrétiens d’accéder au statut de imm. Al-Ti explique que Tozeur a été conquise an par n en 79/698-699, lorsquil revient de Barqa avec des renforts pour conquérir l’Ifrqiya. Il précise pourtant que selon l’imm Ab l-hir al-Salf, la conquête de Tozeur est l’œuvre de Uqba ibn N. Le voyageur trouve cela bizarre puisque la wilya de Uqba sur l’Ifrqiya a commencé en 46/666-667 et que la conquête de Tozeur aurait alors eu lieu sous le califat de Muwiya ibn Ab Sufyn et non sous celui de Abd al-Malik comme il le rapporte plus haut69. Al-Ti suppose alors que la ville a été prise une première fois par Uqba, quelle sest libérée du joug arabe en même temps que le reste de l’Ifrqiya et quelle a été conquise une seconde fois par n.

Gabès est également conquise an par n, mais les événements antérieurs sont plus flous. n semble être le premier à confier la ville à un mil puisqu’avant cela, les gens de Gabès n’avaient jamais admis d’émir arabe. Abd Allh ibn ibn r a renoncé à assiéger Gabès. La ville n’est plus mentionnée jusqu’à la victoire de Kusayla vers 684, qui règne jusqu’à la porte de Gabès70. Mohamed Talbi pense que la ville a été prise par Mu in ou par Uqba ibn N71. Le fait que Kusayla ait étendu son pouvoir jusqu’à Gabès ne nous paraît pas induire que l’oasis avait connu précédemment la domination arabe. Il semble que si Gabès avait été prise par les premiers généraux arabes, son importance économique et stratégique aurait justifié que ce fait soit notifié par les historiens.

La conquête du Sud tunisien n’apporte pas pour autant la paix aux oasiens. On ignore dans quelle mesure la région a été touchée par les exactions et les nombreuses captures d’esclaves de M ibn Nuayr, mais sa wilya semble avoir correspondu à une période des plus pénibles pour l’Ifrqiya. Face à ces injustices, une partie de la population va trouver refuge dans le combat riite.

69 Al-Ti, pp. 161-162/146-147. Trousset, E.B., s.v. Djérid et Despois, E.I., s.v. Djard disent tous deux que la région a été conquise une première fois en 26/647 par Ibn Zuhayr. Sils font allusion à Zuhayr ibn Qays al-Balaw, les sources consultées nindiquent à aucun moment que ce général arabe a soumis le Djéri. Saada, Études sur le parler arabe de Tozeur, p. 13, date cette conquête de la même année et lattribue, sans citer ses sources, à Ibn Zubayr, un des principaux généraux de larmée de Abd Allh.

70 Pour Yt, s.v. Qbis, sa conquête a eu lieu en même temps que celle de Kairouan en 27/647-648.

71 Talbi, E.I., s.v. bis.

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III. LES EMPOIGNADES DU VIIIe SIÈCLE

n ibn al-Nun perd sa fonction de gouverneur d’Ifrqiya au profit de M ibn Nuayr (698-714). Ce dernier a obtenu ce poste grâce à son protecteur, le gouverneur d’Égypte Abd al-Azz ibn Marwn. Plusieurs sources affirment qu’à son arrivée, M a trouvé les villes presque dépeuplées1. Ibn aldn explique que n a accordé l’amn aux Berbères soumis qui acceptaient de payer le ar, mais que ceux-ci n’ont pas tardé à s’entretuer de nouveau pour posséder la région; par la suite, M a rétabli la paix chez les Berbères par la force des armes. La réalité semble tout autre: pour montrer sa gratitude à Abd al-Azz ibn Marwn, M s’en prend violemment aux Berbères qui choisissent d’abandonner leurs villes pour se réfugier dans la montagne. Le récit de l’attaque de Zaġwn, où M aurait fait dix mille prisonniers, montre bien que c’est la terreur qu’il inspire qui incite les Berbères à abandonner leurs villes2. De nombreuses sources énumèrent les razzias menées par les fils de Uqba ibn Nfi et de M, qui réduisent en captivité des milliers de Berbères. M soumet les Hawwra, les Zanta et les Kutma; il réduit Tanger et le Ss puis rentre à Kairouan. Son affranchi, riq ibn Ziyd3, envahit l’Espagne en 711. M l’y rejoint en 712 et soumet tout le nord du pays, se rendant maître d’un territoire qui court des Pyrénées à la Tripolitaine! M est resté tristement célèbre pour sa dureté vis-à-vis des Berbères et notamment pour le nombre incalculable d’esclaves qu’il envoie en Orient.

Le mandat de M ibn Nuayr est marqué par le changement de statut de l’Ifrqiya: en 86/705, à la mort de son protecteur Abd al-Azz ibn Marwn, M sadresse directement au calife de Damas. La wilya d’Ifrqiya devient définitivement une province de l’Empire musulman, indépendante de l’Égypte, et fait désormais parvenir à Damas un tribut ainsi quun quota de soldats et d’esclaves. L’Ifrqiya est divisée en quatre régions militaires: Kairouan, Tunis, la Tripolitaine et le Zb, dont la capitale est ubna. La région militaire de Kairouan compte plusieurs circonscriptions, dont les chefs-lieux abritent un mil délégué par le w et une

1 Ce sont des sources tardives: al-Raqq, p. 38; Ibn allikn, V, p. 319/III, pp. 475-476; Ibn I, I, p. 41; Ibn aldn, VI, p. 129/I, p. 215.

2 Al-Raqq, p. 39; Ibn r, I, p. 40 et p. 42. Tous deux confirment que les Berbères fuient par crainte des Arabes.

3 Selon Ibn I, I, p. 43, riq ibn Ziyd est un prisonnier affranchi dorigine nafzw, de la tribu des Warfama / Warfama. Pour dautres, il est originaire de la ville persane de Hamadn ou fait partie de la tribu des Zanta. Lévi-Provençal, E.I.1, s.v. ri ibn Ziyd. Molina, E.I., s.v., retient que c’est un client berbère de M ibn Nuayr.

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garnison. Ainsi Gafsa et Gabès sont les chefs-lieux de leurs régions; Ba est le chef-lieu du Nafzwa et Tozeur celui de la Qasliya4.

1. LA CONVERSION DES BERBÈRES IFRQIYENS

Si la conquête des provinces africaines sest révélée particulièrement longue et pénible pour les Arabes, la conversion des populations vaincues semble sêtre accomplie plus facilement. La résistance armée que manifestent les Berbères se serait exprimée de la même façon face à nimporte quel envahisseur et le fait que celui-ci soit arabe et musulman nentre pas en ligne de compte. La conversion des Berbères à l’islam a été maintes fois abordée par les historiens et nous n’en rappellerons ici que quelques éléments indispensables. Une fois les Berbères vaincus, la raison la plus immédiate de leur islamisation est sans aucun doute lintérêt pécuniaire quils trouvent à se plier aux lois de lislam, qui les dispensent de payer le ar et la izya. De nombreux chefs de tribus se convertissent dans un but politique, afin de pouvoir compter parmi les contingents enrôlés pour la conquête de lEspagne wisigothe, qui promet un butin considérable. Le fait de confier des commandements très importants aux Berbères qui rallient larmée arabe accélère également l’expansion de lislam. Al-Raqq estime que l’octroi de hauts commandements aux fils de la Khina propage dès cette époque l’islam parmi les Berbères5. Selon Ubayd Allh, ils sont alors décidés à embrasser cette religion avec sincérité; ils édifient des mosquées et orientent leurs anciens temples dans la direction de la qibla6.

Outre l’armée, la ville est lautre grande voie de propagation de lislam, quelle soit créée ou colonisée par les Arabes. Comme dans toutes les cités musulmanes, les diverses races ou tribus sont cantonnées dans des quartiers qui leur sont propres. Les descendants des conquérants arabes prennent en grande majorité pour épouses des femmes berbères, dont les enfants sont élevés dans la foi musulmane. Les prisonniers convertis sont affranchis et les esclaves berbères sont islamisés. La population urbaine devient donc progressivement berbéro-arabe. Les Arabes cherchent également à créer un maximum de liens de clientèle / wal’ avec les Berbères. Pour sintégrer à l’aristocratie arabe, les chefs berbères affranchis deviennent les mawl-s / clients des grandes familles arabes, dont ils portent fièrement le nom; les généalogistes

4 Sur les pouvoirs du w et l’organisation de l’administration, Djaït, L’Afrique arabe au VIIIe siècle et La wilya d’Ifrqiya au IIe/VIIIe siècle: étude institutionnelle.

5 Al-Raqq, p. 34; Ibn I, I, p. 38; al-Nuwayr, p. 342.6 Ubayd Allh, p. 41.

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rattachent les tribus berbères aux ethniques des conquérants7. En plus de l’intérêt lié à la conversion, il semble y avoir chez les Berbères chrétiens une affinité pour lislam. Peut-être sont-ils séduits par la clarté et la fermeté du message coranique, qui les changent des incessantes querelles dogmatiques des Byzantins. Les chrétiens d’Afrique du Nord n’ont plus qu’un faible encadrement clérical et le christianisme qui malgré tout subsiste doit plutôt sapparenter, comme le dit justement Abdallah Laroui, à « un monothéisme abstrait pouvant se satisfaire de nimporte quel dogme »8. Malgré les différentes raisons qui ont favorisé lislamisation des Berbères, il ne faut pas oublier que les Arabes ont contraint par la force certaines populations à prononcer la profession de foi. Les conquérants opposent la conquête faite par la force / anwa à la conquête obtenue par capitulation / ul. La conquête aboutie par les armes entraîne le massacre ou la réduction en esclavage du peuple vaincu, dont on pille les biens. Cela expliquerait les fameuses douze apostasies9 des Berbères qui, plutôt que dêtre emmenés en captivité, auraient préféré feindre la conversion, dautant plus que le rituel en est très aisé.

Il semble quil ny a pas eu de conversions forcées des populations chrétiennes dans le Djérid. Dune part, plusieurs sources affirment quà l’arrivée des Arabes, les Rm de la Qasliya se sont convertis à l’islam, de sorte quils ont pu demeurer chez eux et conserver leurs biens10. Dautre part, al-Ti remarque que tous les Ifrqiyens ont dû fuir, sauf ceux qui se sont acquittés de la izya comme les habitants du Djérid11. Les habitants chrétiens de la Qasliya ont donc apparemment pu, selon leur choix, devenir musulmans ou conserver leur religion sous le statut de imm. Si lon en croit Ibn al (m. 1282), le fait qu’il reste à son époque des églises chrétiennes en ruine dans le Djérid prouve que la région a été conquise ulan; les églises n’ont pas été démolies puisque les musulmans ont construit une mosquée en face de chaque église12. Il faut noter que les importantes communautés de imm-s, chrétiens et juifs, qui subsistent dans le Sud tunisien plusieurs siècles après la conquête, ne doivent en rien gêner les dirigeants arabes, qui trouvent là des rentrées dargent supplémentaires et profitent à loccasion du rôle particulier quassument souvent les imm-s dans le commerce, la fonction publique, les banques ou encore la médecine13.

7 Idris, Des prémices de la symbiose arabo-berbère, pp. 387-389; W. Marçais, Comment l’Afrique du Nord a été arabisée, pp. 16-17.

8 Laroui, L’histoire du Maghreb, p. 73.9 Ibn aldn, VI, p. 129/I, p. 215.10 Kitb al-Istibr, p. 156/78 et p. 157/80; al-Ti, p. 159/144; Mawl Amad, pp. 289-290.11 Al-Ti, p. 160/145.12 Ibn al, trad. Idris dans La vie intellectuelle en Ifrqiya méridionale, p. 105; al-Ti, p.

162/147.13 Les chrétiens étaient spécialisés dans la maçonnerie et les techniques dirrigation, arts que les

musulmans maîtrisaient peu; les dirigeants avaient donc intérêt à leur faire certaines concessions.

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On attribue lislamisation définitive de lIfrqiya au règne du pieux calife Umar II (717-720), marqué par la volonté darabiser définitivement lEmpire musulman et notamment dislamiser la province africaine. Les chrétiens irréductibles émigrent, comme beaucoup lavaient déjà fait à lépoque de la conquête. Certains autochtones avides de culture musulmane vont eux-mêmes la quérir dans les grands centres intellectuels orientaux. Umar II nomme au poste de gouverneur dIfrqiya Isml ibn Ubayd Allh ibn Ab l-Muhir. Cet irréprochable gouverneur est accompagné d’une mission de dix tbin, célèbres savants qui descendent des compagnons du Prophète. Ces Orientaux enseignent la langue du Coran dans les grandes villes et multiplient la création d’écoles coraniques. Leur action encourage le reste des Berbères à adopter lislam, vers 101/719-720. Ibn I raconte que c’est à cette époque qu’on enseigne aux Berbères la différence entre ce qui est r / illicite et ce qui est / licite; on leur explique également l’interdiction portant sur le vin14. Par la suite, dautres tbin viennent en renfort et lun deux au moins s’installe à Qasliya / Tozeur. Al-Mlik fournit en effet la biographie dAb Muammar Abd ibn Abd al-amad, qui rejoint les premiers tbin qui accompagnaient Isml ibn Ubayd Allh ibn Ab l-Muhir. Originaire de Bara, Ab Muammar Abd ibn Abd al-amad séjourne dabord à Kairouan puis se fixe à Qasliya où il finit sa vie15.

2. LAPPARITION DU RIISME EN IFRQIYA

La fidélité des nouveaux convertis à lislam quils viennent dadopter ne dure pas bien longtemps. Très vite, de nombreux Berbères réalisent quils ne sont en fait, bien que musulmans au même titre que les vainqueurs, que des quantités négligeables que lon regarde avec condescendance. Depuis que la conquête du Maghreb est achevée, les Berbères fraîchement convertis nont plus la possibilité de senrôler dans larmée arabe pour y acquérir leurs lettres de noblesse. Très vite réapparaît au sein des Umayyades « le vieil orgueil de caste des Arabes »16. Bien que musulmans, les Berbères ressentent le mépris des autorités et sont relégués dans un rôle subalterne. Les Arabes voient avant tout en leur nouvelle province dAfrique une source inespérée de profits, sa conquête a entraîné des dépenses énormes quils

Lagardère, Droit des eaux et des installations hydrauliques, p. 105.14 Sur Isml ibn Ubayd (ou Abd) Allh ibn Ab l-Muhir, Ibn Abd al-akam, p. 213; al-Raqq,

p. 62; Ibn I, I, p. 48; al-Nuwayr, p. 356; Ibn aldn, VI, p. 129/I, p. 215.15 Al-Mlik, I, p. 138. Ab Muammar Abd ibn Abd al-amad est le dernier dune liste de dix-huit

tbin.16 Laroui, L’histoire du Maghreb, p. 89.

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comptent bien combler. Le fait que quelques gouverneurs peu scrupuleux aient tenté dimposer aux Berbères récemment islamisés des impôts non-coraniques a attisé la hargne des populations indigènes, qui se sentent de plus en plus exploitées. Lidéal musulman qui place tous les croyants sur un pied dégalité nest pas respecté. Pour lutter contre cet islam perverti incarné par les w-s, les Berbères se réfugient dans une autre forme de lislam, bien plus rigoureuse et intransigeante, mais beaucoup plus égalitaire: le riisme. Leur révolte prend un caractère politico-religieux et ils affirment leur opposition à lorthodoxie des califes en adhérant massivement à cette doctrine qui a déjà ensanglanté lOrient musulman. En 720, le gouverneur d’Ifrqiya Yazd ibn Ab Muslim tente détendre le paiement de la izya et du ar aux nouveaux musulmans. Il veut également imposer une nouvelle mesure aux Berbères appartenant à sa garde personnelle: il entend faire tatouer leur nom sur leur main droite et lindication « garde de Yazd » sur leur main gauche17. Il est assassiné à la mosquée. Ibn aldn établit clairement que la mise à mort du gouverneur constitue le premier acte terroriste des Berbères riites18.

L’idée principale du riisme concerne les modalités d’accession au pouvoir suprême: le chef de lumma doit être choisi uniquement en fonction de ses mérites, de sa compétence et de sa piété, sans aucun privilège familial ou racial. La doctrine insiste également sur une rigoureuse observance des prescriptions coraniques, tant dans les actes que dans les pensées. Tout en conservant ces préceptes communs, le mouvement riite va rapidement se diviser, en fonction de son radicalisme. Selon alahrast, il compte six sectes prédominantes et un certain nombre dautres qui en dérivent19. Nous aborderons ici les deux tendances principales qui s’illustrent au Maghreb, les ibites et les ufrites. Ces deux branches modérées naissent vers 684 à Bara dans un groupe de qaada / quiétistes, en réaction aux thèses fanatiques des Azriqa et des Naadt. Les quiétistes admettent d’interrompre temporairement la guerre contre les autres musulmans; ils renoncent donc au ur si celui-ci est dangereux. Ces modérés refusent totalement listi, lassassinat pour raison religieuse des non-riites, de leurs femmes et enfants, suivi du pillage de leurs biens20.

17 Ibn Abd al-akam, pp. 213-214; al-Raqq, p. 64; Ibn al-Ar, V, p. 101; Ibn I, I, p. 48; al-Nuwayr, pp. 356-357. Voir l’analyse de Speight, Témoignage des sources musulmanes, pp. 86-91.

18 Ibn aldn, VI, p. 129/I, p. 216.19 Alahrast, I, p. 366.20 Lewicki, E.I., s.v. Ibiyya; Pellat, E.I., s.v. Isti.

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a. Les ibitesLa doctrine de libiyya se développe autour de son chef éponyme, Abd Allh ibn Ib21. Les ibites se caractérisent par leur modération et leur volonté de conciliation. Ainsi, Abd Allh ibn Ib entre en contact avec le calife Abd al-Malik ibn Marwn (685-705) pour lui faire entrevoir ses principes religieux. Mais le gouverneur d’Irak al- persécute les ibites et emprisonne ou exile leurs dirigeants. En 714, à la mort dal-, Ab Ubayda Muslim al-Tam prend la direction de la communauté ibite de Bara. Son but est de convaincre le pouvoir califal de se rallier à sa doctrine. Sa bonne volonté est arrêtée par lopposition que lui marque le calife Yazd II dès 720. La majorité de ses adeptes souhaite alors passer de la voie du secret / kitmn à la voie de la manifestation / uhr et il craint une scission au sein de sa communauté. Refusant de quitter Bara pour aller fonder un immat en terre inconnue, Ab Ubayda se montre particulièrement ingénieux: il fait de Bara un centre de propagande ibite qui a pour but de progressivement noyauter le califat umayyade. Il constitue un trésor sur base des donations de ses riches fidèles et crée un centre de formation qui accueille des adeptes venus de toutes les provinces de lEmpire. À lissue de leurs études, ceux-ci deviennent de parfaits missionnaires, constitués en équipes de amalat al-ilm / porteurs de science, qui sont envoyées aux quatre coins du Dr al-Islm. Cest une de ces équipes qui parvient au Maghreb avant 757.

La doctrine ibite envisage différents types dimm-s qui concrétisent les quatre voies selon lesquelles la communauté peut s’affirmer au regard des autres musulmans. Libiyya conçoit quil nest pas toujours possible de fonder un immat; si le pouvoir adverse est trop puissant, ses adeptes sont contraints d’adopter la voie de la dissimulation ou du secret / kitmn. Cette voie de clandestinité est liée au concept de la taqiyya, la dissimulation de la foi dans les paroles et dans les actes, pour échapper à d’éventuelles persécutions. Lorsqu’ils ont les moyens d’assurer la défense / dif de leur communauté contre l’ennemi, les ibites élisent secrètement un imm temporaire / imm al-dif. Si un groupe de croyants se voit contraint de risquer le martyre pour sauver ses coreligionnaires de lassaut ennemi, cest la voie du sacrifice / ; ces fidèles sont les ut, qui achètent le paradis à Dieu en échange de leur vie. Lorsquil est possible de créer limmat, on passe à la voie de la manifestation / uhr et limm est proclamé publiquement; il est alors imm al-baya. La désignation de limm se fait au sein du conseil des ay-s, grands électeurs qui choisissent la personne la plus apte à diriger la communauté.

21 Sur libiyya, alahrast, I, pp. 407-412; Lewicki, E.I., s.v. Ibiyya; Talbi, La conversion des Berbères, pp. 17-25; Bekri, Le kharijisme berbère, pp. 59-63; Cuperly, Introduction à l’étude de l’ibisme, pp. 23-28, pp. 59-60 et pp. 289-309.

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Lheureux élu ne peut contester la décision et se voit forcé dhonorer cette lourde charge. Limm détient tous les pouvoirs mais, conformément au dogme riite, il peut être déposé au moindre de ses manquements. La conception du ihd est assez proche de celle du sunnisme: toute intervention guerrière doit être précédée dun appel / dawa qui prévient ladversaire et lui donne une dernière chance de se rallier sans effusion de sang. Les ibites jugent lappropriation du butin selon des facteurs moraux: ainsi, sils estiment licite de sapproprier armes et chevaux, ils refusent par contre de senrichir au détriment des vaincus et préconisent de leur restituer leur argent et leurs autres biens matériels. Du point de vue strictement religieux, libisme présente quelques particularités: le Coran nest pas comme pour les autres musulmans le Verbe incréé de Dieu, mais bien un texte créé. Les ibites considèrent, contrairement aux autres riites, que les non-riites ne sont pas des murik-s / polythéistes mais bien des kfir-s / mécréants; il leur est permis de se marier avec des non-ibites. Les ibites possèdent leur propre école juridique / mahab qui se rapproche fortement du mlikisme. Leur doctrine est résumée dans des aqda-s, synthèses de leur foi et bases de leur enseignement. La aqda est apprise par cœur à lécole, puis commentée par les érudits suivant le degré dinstruction de leur assistance22. La aqda du Mzab impose aux ibites de respecter impérativement trois règles, de façon à préserver leur foi: l’obligation d’exercer la wal envers celui dont on sait qu’il fait le bien, celle d’appliquer la bara envers celui dont on sait qu’il commet de mauvaises actions, et l’interdiction expresse de commettre des péchés23. Les ibites se doivent mutuellement secours: c’est la wal, la solidarité extrême envers leurs coreligionnaires. La bara, lexclusion de la communauté, doit être appliquée à l’encontre de ceux qui commettent des péchés; elle peut cependant être momentanée. La solidarité des ibites, couplée à l’interdiction formelle de commettre des péchés, leur a permis de faire de leurs villes de grands centres commerciaux. Leur réussite provient également de l’application de nombreuses règles pratiques et théoriques codifiant la vie sociale, basées essentiellement sur légalitarisme. Ainsi, ils réprouvent totalement des sentiments tels que l’orgueil ou l’envie, et considèrent que le fait de se faire valoir par sa richesse et de lexhiber publiquement est une faute grave, qui peut être sanctionnée par la bara.

22 La aqda suivie aujourdhui au Mzab et à Djerba a été conservée. Ce texte a été rédigé en berbère au XIe ou au XIIe siècle puis traduit en arabe vers la fin du XIVe ou le début du XVe siècle. Motylinski, L’Aquida des Abadhites, pp. 505-547; Cuperly, Introduction à l’étude de l’ibisme, pp. 47-71. Sur lapplication des principes de cette aqda dans le Mzab au XXe siècle, voir Goichon, La vie féminine au Mzab, pp. 228-234.

23 Motylinski, L’Aquida des Abadhites, p. 523. Sur ces notions, Talbi, La conversion des Berbères, pp. 18-21; Cuperly, Introduction à l’étude de l’ibisme, pp. 54-57; Rubinacci, E.I., s.v. Bara.

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b. Les ufritesLa doctrine de la ufriyya24 diffère peu de celle des ibites. Chez eux, les musulmans non-riites sont bien, comme pour les autres riites, considérés comme des murik-s / polythéistes. Ils acceptent la taqiyya, mais seulement dans les paroles. Il faut noter que les Berbères qui rejoignent l’une ou l’autre tendance riite ne font sans doute aucun cas des quelques différences dogmatiques qui les séparent, ne retenant que le message égalitaire et révolutionnaire qu’elles partagent. Les ufrites connaissent rapidement un franc succès au Maghreb; fomentant dabord seuls leurs révoltes, puis salliant aux ibites, ils vont finir par être confondus avec ceux-ci. Seule subsiste jusqu’au Xe siècle la communauté ufrite de Siilmsa. En Orient au contraire, leur école religieuse perdure longtemps parallèlement à celle des ibites. Leur doctrine s’oppose au terrorisme mais leur action au Maghreb se caractérise par la cruauté, spécialement dans le cas de la tribu des Warfama.

Dès le début du VIIIe siècle, de nombreux riites viennent répandre leur parole en Afrique du Nord. Persécutés par al-a dès 695, ils cherchent refuge au Maghreb. Kairouan accueille un ay ibite de Bara, Salma ibn Sad, et un missionnaire ufrite, Ikrima Ab Abd Allh al-Barbar, qui seraient venus dOrient sur le même chameau25. Sachant que la propagande ibite a commencé dès la sortie de prison dAb Ubayda en 95/714 et que Ikrima serait mort en 105/723-72426, on peut situer les premières conversions ifrqiyennes à la fin du premier quart du VIIIe siècle. Ces missionnaires, particulièrement pieux et droits, font une grande impression sur les Berbères mécontents du pouvoir en place et ne tardent pas à recruter un grand nombre de fidèles. Ils dispensent leur enseignement par le biais de l’école et de la mosquée, mais tout porte à croire que leur message est basé, davantage que sur la religion, sur le constat des injustices dont sont victimes les Berbères et sur les moyens d’y remédier par la révolution qui portera au pouvoir le meilleur d’entre eux.

24 Alahrast, I, pp. 413-418; Madelung et Lewinstein, E.I., s.v. ufriyya. Une des étymologies les plus crédibles du mot ufrite est celle qui se rattache au terme ufr / couleur jaune: la rigueur de leurs dévotions aurait en effet provoqué le jaunissement de leurs visages.

25 Ab Zakariyy, p. 42 (l’éd. ne mentionne pas le chameau); al-Darğīnī, p. 11. Sur Ikrima, al-Bakr, p. 149/284; Ibn aldn, VI, p. 123/I, p. 203. Savage, A Gateway to Hell, pp. 43-44, estime que ces deux personnages sont semi-légendaires.

26 Al-Mlik, I, p. 146; Ibn allikn, III, pp. 265-266/II, pp. 207-208.

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3. LES PREMIÈRES VICTOIRES RIITES DANS LE MAGHREB OCCIDENTAL

La première véritable révolte riite se déroule dans le Maghreb extrême: le gouverneur Ubayd Allh ibn al-abb fait de nombreux prisonniers et un énorme butin chez les Berbères du Ss et chez les Massfa. Son mil à Tanger, Umar ibn Abd Allh al-Murd, entend prélever le tams / quint sur ces populations: ainsi les Berbères, même islamisés, ne représentent pour les dirigeants arabes quune simple réserve desclaves27. On leur enlève leurs femmes destinées aux harems orientaux, on les dépouille de leurs troupeaux. Ces exactions multiples aboutissent au meurtre du mil de Tanger, tué en 740 par les tribus berbères unies autour dun ancien porteur deau de Kairouan, le ufrite Maysara. Larmée impériale, formée d’Arabes de pure race, est écrasée à la ġazwat al-af / bataille des nobles.

L’année suivante, le calife envoie une armée dirigée par le nouveau wl d’Ifrqiya, Kulm ibn . Celui-ci confie Kairouan au q Abd al-Ramān ibn Uqba al-Ġifr et larmée casernée dans la ville à Maslama ibn Sawda. Puis il part affronter les Berbères près du wd Sab en 123/740-741. Pour une fois, nous disposons de quelques renseignements concernant l’apparence de ces riites, commandés par le successeur de Maysara. Ibn Abd al-akam les dépeint torse nu, vêtus simplement de pantalons et se défendant contre la cavalerie arabe à l’aide de frondes28. Ibn aldn ajoute qu’ils ont le crâne rasé et qu’ils poussent un cri de guerre commun aux riites. Il donne également une description épique de la bataille du Sab: les Berbères auraient remporté le combat en semant la panique parmi la cavalerie adverse, en lançant sur celle-ci leurs propres chevaux, traînant à leurs queues de petites outres remplies de pierres29. La bataille du Sab entraîne le massacre de nombreux chefs arabes dont Kulm ibn . Les soldats qui échappent au massacre sont contraints de se réfugier en al-Andalus ou de regagner l’Ifrqiya.

27 Sur le tams et la révolte de Maysara, Ibn Abd al-akam, pp. 217-218; al-Raqq, pp. 73-75; Ibn al-Ar, V, pp. 191-192; Ibn I, I, pp. 51-54; al-Nuwayr, pp. 359-361; Ibn aldn, VI, pp. 129-130/I, pp. 216-217 et VI, pp. 140-141/I, pp. 237-239.

28 Ibn Abd al-akam, pp. 219-220. Selon Ibn I, I, p. 55, ils étaient nus. Le sirwl désigne un pantalon ample. Dozy, Dictionnaire détaillé des noms de vêtements, pp. 203-209.

29 Ibn aldn, VI, p. 141/I, p. 238.

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4. LA RÉVOLTE DU UFRITE

a. Ses défaites militairesÀ la nouvelle de la mort du wl Kulm ibn , lIfrqiya connaît un véritable chaos / har30. Cest le moment que choisit le chef ufrite Ukka ibn Ayyb al-Faz31, de la tribu arabe des Fazra, pour prendre Gabès et provoquer le soulèvement de sa population. La révolte de Ukka est particulièrement détaillée par Ibn Abd al-akam, dont nous suivrons principalement le récit. Il est le seul à évoquer une première révolte ufrite conduite sur ordre de Ukka par un de ses frères. Ce dernier sallie les Zanta et dautres tribus et sattaque à la population de abra. Le gouverneur de Tripoli vient combattre les Berbères et met en fuite le rebelle, qui rejoint Ukka à Gabès. Maslama ibn Sawda, responsable de l’armée kairouanaise, conduit alors ses troupes contre Ukka, mais elles se font battre et souffrent de nombreuses pertes. Maslama se réfugie dans Kairouan.

Selon Ibn Abd al-akam, il en sort bientôt pour aller à la rencontre de l’armée tripolitaine venue à son secours. Lorsqu’ils apprennent le désastre du wd Sab, les Tripolitains préfèrent rentrer dans leur région, mais ces troubles obligent Ukka, pour parer à toute éventualité, à quitter son refuge de Gabès et à gagner « une rivière que l’on nomme al-amma à douze milles de Gabès »32, rivière qui évoque évidemment loasis d’al-mma de Gabès33. Ukka est vaincu entre Gabès et Kairouan par le q de la capitale, Abd al-Ramān ibn Uqba al-Ġifr, qui décime les ufrites avec laide des Kairouanais.

Al-Raqq donne une version différente: après la première défaite des Kairouanais à Gabès, Ukka part à al-Maknasa34, où le poursuit Abd al-Ramān ibn Uqba al-Ġifr. Ukka est contraint de fuir et de nombreux partisans abandonnent sa

30 Al-Raqq, p. 77.31 Sur les rébellions de Ukka, Ibn Abd al-akam, pp. 219-223; al-Raqq, pp. 77-85; al-Mlik, I,

p. 216; Ibn al-Ar, V, pp. 193-194; Ibn I, I, pp. 58-59; al-Nuwayr, pp. 362-364; Ibn aldn, VI, p. 130/I, pp. 217-218 et VI, p. 166/I, p. 276; Ibn aldn, Aghlabites, pp. 13-14/38-41. Al-Ya, Ta’r, II, p. 382, dit simplement qu’à l’arrivée de anqala ibn afwn, Ukka dominait une partie de la province et que anqala en triompha.

32 Ibn Abd al-akam, p. 221. Le manuscrit utilisé par Torrey donne al-amma; voir trad. Gateau, p. 173, note 156 bis. En Tunisie, ce toponyme est toujours prononcé avec une voyelle longue, ce qui établit la légitimité de la graphie al-mma, utilisée par la plupart des géographes arabes. Ils avancent quil sagit là de la forme primitive du mot. La graphie al-amma, que lon trouve parfois, se justifierait selon eux par labrègement des voyelles longues devant un complexe consonantique, abrègement rare au Maghreb mais fréquent dans de nombreux parlers arabes orientaux. Farès et W. Marçais, Trois textes arabes del-âmma de Gabès, J.A., 218, 1931, p. 194. À linverse, Ben Jaafar, Les noms de lieux de Tunisie, p. 73, pense que cest le terme classique al-amma qui sest modifié avec lusage en al-mma, peut-être à cause dun changement daccent.

33 Guérin, Voyage archéologique, I, p. 236, mentionne que loued al-mma se trouve à vingt minutes de marche de loasis du même nom.

34 Al-M.k.n.sa, sans voyelle longue, qu’al-Raqq, p. 78, situe du côté de Taha et de Sbba, semble inconnue des autres sources.

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cause. Dans les deux versions, le rebelle parvient à s’échapper et finit par rallier de nouvelles troupes. Dans une troisième version, Ibn al-Ar dit que suite à la perte de nombreux partisans face à Maslama, Ukka rejoint le désert / bild al-raml.

À cette époque arrive le nouveau w d’Ifrqiya, anqala ibn afwn, dépêché après les deux défaites arabes dans le Nord marocain. Selon Ibn Abd al-akam, celui-ci ordonne à Abd al-Ramān ibn Uqba de se porter à nouveau contre les ufrites. Ukka est mis en déroute et la plupart de ses partisans meurent sur le champ de bataille. Il parvient pourtant à enrôler de nouveaux combattants mais échoue à nouveau face à Abd al-Ramān ibn Uqba. Malgré ses défaites successives, il recrute encore d’autres hommes. C’est avec cette ultime armée qu’il parvient aux abords de Kairouan et menace la capitale. La suite des événements est relatée par la plupart des auteurs: son armée - on n’aurait jamais vu un tel rassemblement de Berbères en Ifrqiya - est cruellement battue à al-Qarn par larmée de anqala ibn afwn en 124/742. Mais une autre armée ufrite, conduite par Abd al-Wid ibn Yazd de la tribu des Hawwra, menace dans le même temps Kairouan depuis al-Anm; elle aurait compté trois cent mille soldats. La capitale se prépare au combat. Le lendemain à laube, les Arabes marchent vers al-Anm et la bataille est fatale aux Berbères. On porte la tête de Abd al-Wid ibn Yazd à anqala, qui remercie Dieu de cette victoire. Si lon en croit les historiens, ce combat a été le plus sanglant que le monde ait connu, cent quatre-vingt mille Berbères y ont perdu la vie. Ukka est fait prisonnier et est amené à anqala, qui le tue de ses propres mains. Pour célébrer cette belle victoire, à laquelle tant de musulmans auraient voulu participer, les historiens rappellent que les adversaires étaient ufrites et que, de ce fait, ils mettaient les femmes en esclavage et répandaient le sang35.

b. Ses succès populaires La première révolte riite d’Ifrqiya débute donc vers 741 dans la ville de Gabès. On peut supposer, à la vue des armées successives que Ukka parvient à réunir, que son influence est grande dans le Sud tunisien. Cette supposition se base entièrement sur le récit dIbn Abd al-akam. Ibn aldn, al-Mlik et Ibn I parlent uniquement des batailles dal-Qarn et dal-Anm sans évoquer de rébellions antérieures. Al-Nuwayr, Ibn al-Ar et al-Raqq mentionnent une brève défaite des Kairouanais face aux troupes ufrites, qui sont ensuite battues. Ibn al-Ar précise que Ukka va se réfugier dans le désert et al-Raqq dit quil part à al-Maknasa. Dans ces trois récits, Ukka réapparaît entouré dune grosse armée dans la région dal-Qarn. Aucun de ces historiens ne fait allusion à la multitude de troupes

35 Al-Raqq, p. 85; Ibn I, I, p. 59; al-Nuwayr, p. 364 .

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que le chef ufrite parvient à recruter au fur et à mesure de ses révoltes. On serait pourtant tenté de faire confiance à Ibn Abd al-akam, dont le récit de la conquête, antérieur à 871, est le plus ancien conservé. Nous pouvons croire que sil est le seul à donner un récit si détaillé de la révolte des riites, cest quil avait à ce sujet des informations précises. Il navait de plus aucun intérêt à insister sur lextraordinaire résistance de Ukka, que les Arabes ont eu tant de mal à maîtriser.

Un autre élément confirme lexistence de nombreux riites parmi les oasiens: après la défaite des deux armées ufrites, Ibn Abd al-akam rapporte que anqala écrit à son mil de Tripoli d’aller au devant de Berbères ufrites qui se sont insurgés dans le Nafzwa et qui ont mis en captivité les imm-s de la région. Les troupes tripolitaines se rendent dans le Nafzwa et leur livrent bataille. Les ufrites sont massacrés et tous les imm-s auxquels on a porté atteinte sont libérés36. Or, il faut noter que les riites ont généralement tenu à préserver de bonnes relations avec les chrétiens et les juifs. On connaît le rôle des chrétiens dans l’immat rustumide: Ibn al-aġr mentionne de nombreux notables chrétiens qui font partie de l’entourage de l’imm. Sous le règne dAfla (823-871), ces chrétiens s’enrichissent grâce au commerce et construisent des demeures fortifiées et un sq37. Ils ne sont pas considérés comme des imm-s et font partie intégrante de la population. À la chute de Thart, certains chrétiens accompagnent l’imm à Ouargla, où leur communauté est importante au Xe siècle. Cette attaque contre les tributaires est donc bien étonnante et l’on peut lattribuer peut-être à la ferveur acharnée des nouveaux convertis. Il est possible également que les ufrites cherchent à punir les imm-s dune éventuelle collaboration avec les Arabes38. Nous pensons en tout cas que l’intervention des troupes tripolitaines mettant fin à la captivité des imm-s a contribué à attiser la hargne des tribus ufrites du Nafzwa. Cet épisode, qui à nouveau figure malheureusement chez le seul Ibn Abd al-akam, confirme en tout cas que vers 743, les Berbères nomadisant dans le Nafzwa et éventuellement une partie des cultivateurs sédentaires sont conquis par le ufrisme.

Le soutien marqué des Berbères à Ukka est révélateur dun autre aspect de la propagande riite. Elle parvient à unir dans le même combat les Berbères et une partie des Arabes. Dès le début du règne du calife Him ibn Abd al-Malik (724-743), un grand nombre dArabes riites hostiles aux Umayyades quittent lIrak pour propager leur doctrine dans toutes les provinces du Dr al-Islm et sallier aux populations conquises. Al-Nuwayr confirme que ce sont les Arabes

36 Ibn Abd al-akam, p. 223.37 Ibn alaġr, p. 27/86. 38 Chouraqui, Histoire des Juifs en Afrique du Nord, p. 111.

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venant se réfugier en Ifrqiya qui y introduisent la nouvelle doctrine39. Dans ce pays où la conquête a été tellement pénible, il ne leur est pas difficile de dresser les Berbères contre leurs gouverneurs en insistant dans leur enseignement religieux sur les exactions commises par le pouvoir umayyade. Ainsi, les deux missionnaires Salma ibn Sad et Ikrima Ab Abd Allh al-Barbar évoqués plus haut ont certainement été envoyés dOrient en Ifrqiya afin dy semer le désordre par leur prosélytisme40. Ukka est arrivé en Ifrqiya en 734 avec Ubayd Allh ibn al-abb comme commandant dans l’avant-garde des troupes du m41. En six ou sept ans seulement, il a pu rassembler un nombre suffisant de partisans pour prendre Gabès. Cest le premier Arabe qui parvient à gagner totalement la confiance des Berbères et il nhésite pas à semparer tout de suite dune grosse ville, qui compte une garnison. Ces Arabes riites sétablissent pour la plupart dans les métropoles et surtout à Kairouan, où lenseignement de leur doctrine est permis jusquà linterdiction quen fera le savant mlikite Sann42. Nous ne pensons pas quils se sont installés dans le Sud tunisien. On peut supposer quils y ont envoyé périodiquement des missionnaires ou que les oasiens ont été gagnés à leur cause lors de leurs voyages commerciaux dans les villes où les riites exerçaient leur propagande. Leur prosélytisme a apparemment particulièrement bien fonctionné chez les Berbères de la Qasliya et du Nafzwa.

5. LA WILYA DE ABD AL-RAMN IBN ABB

En 744, Abd al-Ramn ibn abb, un descendant de Uqba ibn Nfi, débarque à Tunis, force anqala à abandonner le pouvoir et à quitter lIfrqiya, puis sempare de Kairouan43. La volonté d’indépendance de Abd al-Ramn et le concours que lui prêtent la population et l’armée s’expliquent par l’émergence d’une « conscience arabo-ifrqiyenne »44. Un fossé s’est effectivement creusé entre les Arabes orientaux et les Arabes installés au Maghreb qui éprouvent, mais pour d’autres raisons que les Berbères, le sentiment d’être des citoyens de seconde zone. Dune part, larmée arabe dIfrqiya a essuyé deux défaites très humiliantes, à la bataille des nobles puis à celle du Sab; dautre part, des problèmes tribaux les opposent aux Arabes orientaux, qui

39 Al-Nuwayr, p. 360; Ibn aldn, VI, p. 129/I, p. 216.40 El-Ghali, Le rôle des Arabes, p. 73.41 Al-Raqq, p. 78; al-Nuwayr, p. 362.42 Sur cette interdiction, voir infra. Au IXe siècle, on trouve encore un Arabe parmi les principaux

savants ibites dIfrqiya. Al-amm, p. 197.43 Sur cet épisode, Idris, L’Occident musulman; Talbi, La conversion des Berbères, pp. 67-69. 44 Talbi, La conversion des Berbères, pp. 62-65.

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les considèrent avec mépris. Certains Arabes maghrébins se convertissent alors au riisme, dans lequel ils se sentent réellement ifrqiyens, sans distinction tribale. Abd al-Ramn, qui incarne également cette conscience arabo-ifrqiyenne, cherche pour sa part à fonder un État ifrqiyen indépendant de l’Orient, mais tente aussi de mettre fin aux rébellions riites.

Lors de la prise de pouvoir de Abd al-Ramn ibn abb, c’est un Arabe, Abd Allh ibn Masd al-T45, qui dirige les ibites à Tripoli. Il s’appuie sur les Hawwra qui occupent la région comprise entre Tripoli et la sebkha de Twarġ46. Il est décapité sur ordre de Abd al-Ramn ibn abb, ce qui entraîne un premier ur. En 131/748, deux chefs arabes ibites, Abd al-abbr ibn Qays al-Mur et al-ri ibn Tald al-aram s’emparent de la province de Tripoli. Ils commandent aux Hawwra, leur tribu dadoption47, puis en conquérant toute la région, ils se rallient également les Nafsa48 ainsi que les Zanta de la Tripolitaine occidentale et de la plaine de la affra. Ces Berbères affrontent à plusieurs reprises les assauts de Abd al-Ramn ibn abb et gagnent encore du terrain. Ces succès ne leur portent pourtant pas chance puisque les deux chefs finissent par se donner mutuellement la mort49. Al-amm précise que ces deux personnages, qui étaient frères ou dont les mères étaient sœurs, ont été retrouvés morts: chacun avait larme de son adversaire plantée dans le corps. Selon cet historien, lun deux était limm, lautre étant son vizir ou son q. Leur wilya a provoqué de nombreuses querelles chez les ibites maghrébins, qui ne savaient pas dans quelle mesure ce double pouvoir était légitime. Ils ont pris conseil chez les savants du Mariq, mais ces derniers nont pas pu davantage se mettre daccord. Ab Ubayda Muslim al-Tam a alors écrit aux savants maghrébins et leur a demandé de cesser dévoquer les deux chefs50.

Après la mort de Abd al-abbr et dal-ri, c’est un autre dissident ibite, Isml ibn Ziyd al-Nafs, qui est élu imm al-dif par les ibites de Tripolitaine. Il s’empare de Gabès avec l’aide de sa tribu, en 132/749-750 selon Ibn aldn51.

45 Sur les différents chefs ibites que doit affronter Abd al-Ramn, Ibn Abd al-akam, pp. 224-225; Ibn al-Ar, V, p. 313; al-Nuwayr, p. 366; Ibn aldn, VI, p. 131/I, pp. 218-219 et VI, pp. 134-135/I, p. 227; Ibn aldn, Aghlabites, p. 15/44. Al-Raqq, pp. 91-92 et al-amm, pp. 25-26 évoquent seulement Abd al-abbr et al-ri.

46 Al-Ya, Ta’r, I, p. 215 et Kitb al-Buldn, p. 346/207.47 El-Ghali, Le rôle des Arabes, p. 76.48 Le terme Nafsa englobe différents groupes berbères, les Nafsa eux-mêmes, mais aussi

lensemble des habitants du abal et les riites portant la nisba al-Nafs parce quils ont rallié la confédération créée par les Nafsa; dans la seconde moitié du VIIIe siècle, ce terme désignerait également la communauté ibite tout entière. Savage, A Gateway to Hell, pp. 117-118.

49 Selon al-Raqq, p. 92, ils se font tuer à Tripoli.50 Al-amm, pp. 25-26. On voit pourtant quau XIe siècle, cette double wilya fait encore lobjet

de discussions. Al-amm, p. 328.51 Il est possible que Djerba soit occupée à la même époque, en raison des liens étroits qui lunissent

à Gabès. Bourouiba, Lîle de Djerba, p. 58; Cuperly, Muammad Afayya, p. 287, note 57. Aucun texte ne confirme manifestement cette hypothèse.

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Peu après, Abd al-Ramn récupère les territoires de Gabès et de Tripoli et fait un grand massacre d’ibites. Les nombreux prisonniers berbères sont emmenés à Tripoli, où ils sont décapités et crucifiés. Larmée dIfrqiya est donc parvenue une nouvelle fois à simposer.

À la fondation de la dynastie abbside, Abd al-Ramn ibn abb reste fidèle aux Umayyades, dont il accueille les réfugiés. Pressentant un complot de ceux-ci, il décide de faire tardivement allégeance au nouveau calife abbside Ab afar al-Manr, qui vient de lui envoyer la ila / robe d’investiture52. Il lui écrit pour célébrer son avènement et lui offre un présent bien modeste, composé de faucons et de chiens de chasse, précisant que comme toute lIfrqiya était musulmane, on ne pouvait plus y faire de captifs et quil ne fallait lui demander ni esclaves ni argent53! Le calife lui retourne une lettre de menaces et Abd al-Ramn, frappé par tant dinjustice, prend le peuple à témoin. Il fait brûler à la mosquée la ila noire, couleur des Abbsides, et lit du haut de la chaire une lettre qui rompt ses liens de soumission envers Bagdad. La sécession de lIfrqiya déplaît à certains membres de la famille de Abd al-Ramn qui, soutenus par une partie des notables kairouanais, en profitent pour rétablir leur allégeance aux Abbsides. En 137/754, Abd al-Ramn ibn abb est assassiné par ses deux frères, al-Ys et Abd al-Wri, après avoir désigné comme successeur son fils abb, au désavantage dal-Ys. Ayant tenté de combattre ses oncles assassins, abb accepte finalement un compromis qui lui assure le commandement de Gafsa, de la Qasliya et du Nafzwa54. Après ce partage du territoire ifrqiyen, abb part pour le bild al-ard, où se trouve son gouvernement. Par la suite, il assassine son oncle al-Ys pour venger la mort de son père. Son autre oncle, Abd al-Wri, trouve refuge au sein de la tribu ufrite des Warfama.

6. LA PRISE DE POUVOIR DES WARFAMA

Les Warfama représentent la tribu la plus nombreuse et la plus puissante des Nafzwa; cette tribu est elle-même divisée en un grand nombre de familles55. Le chef

52 Sur la ila, voir Dozy, Dictionnaire détaillé des noms de vêtements, pp. 14-16.53 Al-Raqq, p. 96; Ibn al-Ar, V, p. 314; Ibn I, I, p. 67; Ibn aldn, Aghlabites, pp. 16/45-47

(donne également la version d’al-Nuwayr). 54 Al-Raqq, p. 99; Ibn al-Ar, V, p. 314; al-Nuwayr, pp. 369-370; Ibn aldn, Aghlabites, pp.

17/48-50. Ibn I, I, p. 68, cite seulement Gafsa et la Qasliya.55 Les Nafzwa, tout comme les Lawta, sont les descendants de Law l’aîné; ils appartiennent aux

Butr. Ibn aldn, VI, pp. 106-107/I, pp. 171-172 et VI, pp. 135-137/I, pp. 227-231. Par contre, Ibn I, I, p. 66, dit que les Nafzwa sont les descendants de Law le jeune. Il précise, I, p. 70, confirmé par al-Raqq, p. 102, qu’on appelle les Warfama les Warfama de Nafza. Sur le mythe des Nafzwa, voir Amri, Pour une sociologie des ruptures, pp. 82-86.

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des Warfama, im ibn aml, s’attribue des dons divinatoires et prétend être un prophète56. Ibn al-Ar précise qu’il a modifié les croyances et augmenté / zda f la prière, sans que l’on sache si c’est en fréquence ou en longueur. Il a également fait retirer linvocation du Prophète de lappel à la prière57.

Abd al-Wri, accompagné du reste de l’armée dal-Ys, est chaleureusement accueilli par ces Berbères ufrites. abb tente par courrier de convaincre le chef des Warfama, im ibn aml, de lui livrer ses protégés. Suite à son refus, il se dirige vers le sud après avoir confié Kairouan au q Ab Kurayb aml ibn Kurayb. Les coalisés ufrites et arabes parviennent à repousser l’attaque de abb et à le faire reculer jusqu’à Gabès. Cette victoire contre le w les persuade de leur puissance et les Warfama se décident à prendre Kairouan. Les habitants négocient par écrit avec les Warfama, qui promettent de se soumettre au calife Ab far al-Manr. Certains notables kairouanais, inquiets de la puissance des Berbères, tentent même de se rallier à eux. Les Warfama et leurs alliés se dirigent vers Gabès, où se cache abb. Dans le même temps, l’armée d’Ab Kurayb quitte Kairouan pour affronter celle des ufrites, mais les Kairouanais qui ont rejoint les rangs des insurgés tentent de convaincre d’autres Kairouanais de rallier également im ibn aml. Cette propagande fait son effet et Ab Kurayb, privé de l’essentiel de ses soldats, n’a d’autre solution que de retourner s’enfermer dans la capitale avec ses derniers partisans.

En 139/757, les Warfama prennent Kairouan, massacrent Ab Kurayb et les derniers résistants, puis mettent la ville à sac. Cette victoire berbère donne lieu à un grand massacre de Quray. Les Warfama font pénétrer leur chevaux dans la Grande Mosquée et malmènent la population. Ils commettent tant d’exactions que les Kairouanais qui ont favorisé leur prise de pouvoir le regrettent amèrement. im confie le gouvernement de la capitale à Abd al-Malik ibn Ab l-a‘d de la tribu des Nafzwa58 et se lance à la poursuite de abb, qui se trouve à Gabès. Il le pourchasse jusque dans l’Aurès, mais s’y fait tuer par abb, avec ses partisans. Le vainqueur gagne alors Kairouan, mais des Nafza se ruent vers lui venant de toutes les directions59 et il périt à son tour dans le combat qui l’oppose à Abd al-Malik ibn Ab l-a‘d.

56 Sur la révolte des Warfama, al-Ya, Ta’r, II, p. 464; al-Raqq, pp. 101-104; al-Mlik, I, pp. 171-172; Ibn al-Ar, V, pp. 315-317; Ibn I, I, pp. 70-71; al-Nuwayr, pp. 368-373; Ibn aldn, VI, p. 131/I, pp. 219-220 et VI, pp. 135-136/I, pp. 228-229; Ibn aldn, Aghlabites, pp. 18-20/52-55; al-amm, pp. 27-31.

57 Ibn al-Ar, V, p. 315.58 Al-Raqq, p. 103, dit Abd al-Malik al-Nafz; Ibn I, I, p. 70, dit Abd al-Malik al-Īfraniyya.59 Al-Raqq, p. 103.

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Ibn I signale que ce nest quaprès la prise de Kairouan et la mort de im et de abb que les tribus berbères décident de gagner la capitale et de sallier aux Warfama60. Ce choix tardif paraît être davantage motivé par un intérêt politique et matériel immédiat que par des raisons religieuses: ils ne viennent pas se soumettre au « prophète » ufrite puisque celui-ci vient de mourir. Ces tribus sassocient à une victoire pour laquelle elles nont pas combattu et comptent sans doute profiter du statut de « maîtres » de Kairouan. Il est néanmoins probable quelles adoptent la doctrine ufrite.

7. LES IBITES REPRENNENT KAIROUAN

Vers 757, une équipe de cinq amalat al-ilm parvient en Ifrqiya; parmi les volontaires qui ont choisi daller suivre la formation dispensée à Bara figurent deux personnalités parmi les plus importantes du siècle. Il sagit dune part de Abd al-Ramn ibn Rustum, un Persan dorigine qui a entrevu la doctrine ibite à Kairouan où il a été élevé, et dautre part de lArabe Ab l-ab al-Mafir, qui sera le premier imm ibite du Maghreb. Les trois autres missionnaires sont des Berbères: Ab D’d al-Qibill du Nafzwa, Isml ibn Darrr de Ghadamès et im al-Sadr de la région de Ouargla61. Ab Ubayda Muslim al-Tam les a chargés de fonder un immat en Tripolitaine et de nommer Ab l-ab imm. Ab D’d al-Qibill témoigne à nouveau de ce que le Nafzwa était touché vers 750 par le riisme, puisque ce personnage juge nécessaire d’aller trouver un complément d’enseignement en Orient.

Ab l-ab rassemble les Hawwra, les Zanta et les Nafsa. Il est élu imm en 140/757-8 par les notables ibites de Tripolitaine. Le nouvel imm entre à Tripoli à linsu de ses habitants, démet son gouverneur et fait de cette ville sa résidence principale62. Malgré la sécheresse et la disette qui frappent la région, il se dirige vers Kairouan avec six mille partisans; passant par Gabès, il assiège la ville jusquà ce que les habitants, affaiblis, lui obéissent, et y laisse un mil63. Il gagne alors Kairouan, quil jure de soustraire aux Warfama après avoir entendu un ibite lui relater quil avait vu des membres de cette tribu sattaquer publiquement à une femme64. Limm Ab l-ab les fait massacrer aux abords de Kairouan en afar 141/juin-juillet 758. Abd al-Malik ibn Ab l-a‘d, venu à sa rencontre avec les rebelles, se fait

60 Ibn I, I, p. 70.61 Sur les amalat al-ilm, al-amm, p. 24, pp. 46-47 et pp. 50-51.62 Al-amm, p. 26.63 Al-amm, p. 29.64 Al-Raqq, p. 104; Ibn al-Ar, V, p. 316; al-Nuwayr, p. 373.

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également tuer65. Les Warfama sont restés maîtres de Kairouan pendant quatorze mois66. Selon al-Bakr, le combat a lieu à l’emplacement de la future Raqqda, où se trouve alors un jardin: après le combat, il y a tant de cadavres couchés sur le sol qu’on appelle cet endroit Raqqda / la dormeuse67. Après sa victoire, Ab l-ab nomme Abd al-Ramn ibn Rustum gouverneur de l’Ifrqiya: en effet, la prise de Kairouan permet à limm d’annexer toute cette région et de former le premier grand État ibite, qui court de la Kabylie à la sebkha de Twarġ. Abd al-Ramn ibn Rustum désigne des mil-s pour les villes de l’Ifrqiya et les régions voisines / wa-naw68. Il est plus que probable quà cette époque, Djerba fait partie de cet État ibite.

Le Nafzwa constitue apparemment un terrain particulièrement fertile pour le riisme, plus spécialement pour le ufrisme. La violence particulière des Warfama à Kairouan suggère que cest peut-être cette même tribu qui s’est attaquée aux imm-s du Nafzwa vers 743. On lit fréquemment que ce sont « les Warfama du Sud tunisien »69 qui ont pris Kairouan et y ont commis tant dexactions. On considère généralement que cette tribu, liée au Nafzwa, y vivait et que cest donc dans le Sud tunisien que sest réfugié Abd al-Wri, loncle de abb. En fait, aucun des historiens arabes ne le dit explicitement et Ibn aldn, qui est le seul à donner une indication géographique, dit que Abd al-Wri sest réfugié « dans lAurès chez im ibn aml »70. Il est probablement mal renseigné sur cet épisode, dautant quil précise que les Warfama sont ibites, alors quil est bien établi que ce sont des ufrites qui investissent Kairouan.

La date de l’élection dAb l-ab, en 140/757-758, est admise par tous les historiens. Mais Jean Lethielleux estime que le retour d’Orient des amalat al-ilm est bien antérieur à cette élection: il soutient en effet que les cinq amalat al-ilm terminent leur enseignement à Bara en 720. Il affirme même que dès 658, un petit royaume ibite existe à Sadrta, une oasis proche de Ouargla, peuplé par des ibites du abal Nafsa qui fuient les persécutions sunnites, mais aussi par des émigrés du aramawt. C’est de cette ville que im al-Sadrt part chercher

65 Al-amm, p. 30.66 Ibn I, I, p. 71; al-amm, p. 30. Al-Nuwayr, p. 373, dit quatre mois.67 Al-Bakr, p. 28/63. Suivant al-amm, p. 31, cest une femme qui baptisa cet endroit de cette

façon, car les cadavres accumulés sur le champ de bataille ressemblaient à des dormeurs / ruqd. Suivant Yt et al-imyar, s.vv. Raqqda, un des souverains aġlabides, qui était insomniaque, trouva le sommeil alors quil se promenait à cet endroit; il le nomma Raqqda et en fit un lieu de réjouissance pour les souverains.

68 Al-amm, p. 31.69 Entre autres Julien, Histoire de lAfrique du Nord, II, p. 31; Talbi dans Histoire générale de

lAfrique, III, p. 208. 70 Ibn aldn, VI, p. 135/I, p. 228.

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la science chez Ab Ubayda71. Cette hypothèse, défendue par lui seul, peut difficilement être étudiée sans avoir en main les éléments auxquels il se réfère. Si toutefois elle s’avérait exacte, cela signifierait que le Nafzwa tout au moins a été marqué par l’ibisme plus tôt que nous ne le pensons, puisqu’un de ses habitants, Ab D’d al-Qibill, aurait jugé utile avant 720 d’aller quérir davantage de science en Orient. En effet, si de nombreux Nafsa gagnent Sadrta, il est très probable quils passent par le Djérid. La voie qui mène du Djérid à Ouargla puis au Sdn est fort fréquentée par les commerçants et missionnaires ibites, tout au moins dès le IXe siècle.

L’hypothèse de Jean Lethielleux ne peut être vérifiée et on ne peut donc pas considérer que le Sud tunisien s’est converti au riisme avant l’affaire de la mise en captivité des imm-s du Nafzwa. De plus, c’est sous la bannière du ufrisme et non sous celle de l’ibisme que le Djérid s’affirme d’abord. La première guerre menée par les ibites s’oppose aux ufrites et non aux sunnites. Ce massacre d’une communauté riite par une autre paraît, par sa violence, unique dans l’histoire du Maghreb. Il est provoqué par l’atroce conduite des Warfama et il est probable que s’ils n’avaient pas outrepassé leur pouvoir, les différentes communautés riites de la région se seraient placées sous leur égide. Ainsi, à la fondation de Thart, toutes les tribus se soumettent spontanément à l’imm et les ufrites de Siilmsa paient l’impôt à Thart. Ce n’est qu’à l’époque où des contestations naissent du caractère héréditaire qu’adopte l’immat que les tribus mécontentes se désolidarisent des Rustumides. La doctrine ufrite est plus radicale que celle des ibites mais cela ne justifie pas le comportement des Warfama. Les outrages commis à Kairouan ne devaient en aucun cas être tolérés par cette religion égalitaire, surtout dans le cas des atteintes portées directement à l’islam, comme l’utilisation de la Grande Mosquée en guise décurie. Le fait d’avoir prétendu enlever la ville au profit des Abbsides est également contraire à l’idéal du r; on n’a d’ailleurs pas connaissance que les Warfama aient fait quoi que ce soit pour profiter de leur victoire en jetant les bases d’un État ufrite. Les sources ibites sont éloquentes: elles présentent les Warfama comme une horde blasphématoire et violente72.

Tadeusz Lewicki pense que les méfaits commis par ces Berbères indiquent bien qu’ils étaient dans le fond de leur âme restés païens73. Cela semble exagéré puisque le chef des Warfama, im ibn aml, prétendait être un prophète et qu’il avait jugé bon de transformer la prière. Le fait qu’il ait supprimé l’invocation

71 Lethielleux, Ouargla, pp. 25-27. Ses sources ne sont pas claires: il se base sur une série de textes inédits concernant l’histoire de Ouargla, dont le principal serait un texte de « Ba Setchry », auteur du XIIIe siècle (pp. 24-25).

72 Ab Zakariyy’, pp. 65-66; al-Darn, pp. 26-27; al-amm, p. 28.73 Lewicki, Prophètes, devins et magiciens, p. 7.

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à Muammad dans l’appel à la prière indique peut-être qu’il y avait substitué son nom à lui, ce qui expliquerait le peu de considération porté à la Grande Mosquée, symbole du sunnisme triomphant. Sil paraît certain que le but premier de la prise de Kairouan par les ufrites était dacquérir pouvoir et argent, la religion était sans doute un moyen indispensable pour rassembler les foules en vue du combat. On ignore tout des antécédents de im ibn aml, mais il est probable, sil nétait pas trop jeune à cette époque, quil a participé aux premières révoltes riites de la région, que ce soit aux côtés de Ukka ou dans le Nafzwa, lors de laffaire des imm-s. Peut-être ce chef charismatique était-il réellement persuadé davoir été désigné par Dieu pour imposer la domination ufrite en Ifrqiya. Nous pensons en tout cas quil devait, de même que ses partisans de la première heure, être animé par la foi, même si les actes commis à Kairouan paraissent difficilement conciliables avec la doctrine riite.

La victoire des ibites sur les ufrites marque en Ifrqiya le déclin de ces derniers, qui seront rapidement absorbés dans les rangs ibites. Pourtant, malgré la défaite cruelle des Warfama, ils ne semblent pas calmés: d’après Ibn aldn, lorsque Kairouan est confiée à Abd al-Ramn ibn Rustum, ils propagent la guerre dans tout le Maghreb et poursuivent leurs dévastations74. Soucieuse de reprendre le pays, une armée abbside conduite par Ab l-A se dirige vers l’Ifrqiya. Les ibites, désormais maîtres de Kairouan, parviennent à la repousser dans les environs de Surt75. L’imm Ab l-ab est alors informé de l’arrivée dune seconde et forte armée conduite par le gouverneur dÉgypte, Muammad ibn al-Aa al-uz76. Ab l-ab rassemble à Surt les nombreux contingents dont il dispose tant en Ifrqiya qu’en Tripolitaine. Mais les rivalités entre Zanta et Hawwra, lesquels seraient avantagés par l’imm, entraînent la désertion de nombreux soldats. Muammad ibn al-Aa profite de ces troubles pour feindre un retour de ses troupes en Orient et finalement surprendre les ibites de nuit. Ces derniers sont défaits à Twarġ en 761, dans un massacre où Ab l-ab et des milliers de ses fidèles trouvent la mort. Bien que larmée arabe poursuive les survivants dans les montagnes, Ibn Rustum parvient à joindre Gabès avec ses coreligionnaires rescapés. Il gagne ensuite Kairouan, où les habitants, à lannonce du décès dAb l-ab, se sont révoltés contre son mil et ont nommé un nouveau gouverneur en attendant larrivée de Muammad ibn al-Aa77. Ce dernier parvient à reconquérir

74 Ibn aldn, VI, pp. 135-136/I, pp. 228-229. 75 Al-Bakr, p. 7/22; al-amm, pp. 31-32.76 Sur la wilya dIbn al-Aa et la fin dAb l-ab, Ibn al-Ar, V, pp. 317-319; Ibn I, I,

pp. 72-73; al-Nuwayr, pp. 374-376; Ibn aldn, VI, p. 132/I, p. 220; Ibn aldn, Aghlabites, pp. 20-21/55-59; al-amm, pp. 32-35.

77 Al-amm, p. 35.

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Gabès et Kairouan et à rétablir la domination abbside sur l’Ifrqiya, en réprimant impitoyablement les dernières résistances berbères; il affronte également les ibites de Zawla et de Waddn78. Il est confronté par la suite aux révoltes du und, de même que son successeur, al-Aġlab ibn Slim al-Tam, qui doit également réprimer le soulèvement dAb Qurra79.

8. LA FONDATION DE LIMMAT DE THART

Pendant la reconquête de Kairouan en 144/761, Muammad ibn al-Aa laisse échapper Abd al-Ramn ibn Rustum; selon Ibn aldn, ce dernier fuit directement vers Thart et rallie les Lamya, les Lawta et un nombre considérable de guerriers nafzw ibites80. Al-amm donne de nombreux détails sur le périple qui conduit Abd al-Ramn jusquà Thart: le futur imm quitte Kairouan accompagné par son fils Abd al-Wahhb et un esclave / ġulm. En chemin, son cheval meurt et les trois hommes lenterrent, afin de ne pas laisser de traces à déventuels poursuivants. Abd al-Ramn, bientôt vaincu par la fatigue et les malaises, doit poursuivre sa route en se faisant porter tantôt par son fils, tantôt par son esclave. Ils atteignent Sf.., une montagne inaccessible / man du Maghreb. Abd al-Ramn, provisoirement hors de portée de Muammad ibn al-Aa « lennemi de Dieu », y est rejoint par des ay-s ibites arrivant de Tripoli et dautres régions. Mais larmée de Muammad ibn al-Aa gagne Sf.., et encercle les ibites pendant un temps. Une épidémie dindigestion se déclare dans le abal, entraînant la mort de nombreux compagnons de Abd al-Ramn; le gouverneur abbside, dont larmée semble également touchée par lépidémie, renonce alors à maintenir son siège et retourne prendre le contrôle de Kairouan, dans laquelle il sacharne à massacrer les ibites81.

Lépisode du siège de Sf.. est totalement ignoré par les historiens arabes médiévaux, qui affirment quIbn Rustum va directement de Kairouan à Thart. On a plusieurs fois tenté de localiser Sf.., que lon croyait située dans la région de Thart. Ainsi, Tadeusz Lewicki avance que ce camp fortifié aurait été fondé au sud-est de Thart, non loin de montagnes difficilement accessibles. Cest là quIbn Rustum aurait repéré la fertile plaine du Sersou, où il décide de bâtir sa capitale;

78 Ibn al-Ar, V, p. 318 (l’éd. donne Warn); Ibn I, I, p. 73.79 Ibn I, I, p. 74; Ibn aldn, VI, p. 132/I, p. 221. Ab Qurra est le fondateur du royaume ufrite

de Tlemcen. Voir Talbi, La conversion des Berbères, pp. 55-58. 80 Ibn aldn, VI, p. 132/I, p. 220 et VI, p. 143/I, pp. 242-243. Voir Zerouki, L’imamat de Tahart, pp.

21-24, sur la personnalité de Abd al-Ramn ibn Rustum, qui rassemble sans doute sous le même nom deux personnes différentes, le père et le fils.

81 Al-amm, pp. 35-36. Plus loin, p. 43, al-amm rapporte quIbn al-Aa aurait dit quon ne pénètre à Sf.. que muni dune armure ou armé jusquaux dents.

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cest ce camp du Maghreb central quIbn al-Aa serait venu assiéger82. Ulrich Rebstock souligne avec raison quil est presque inconcevable quIbn al-Aa ait envoyé une armée tellement loin après la fuite dIbn Rustum. Se fondant sur une série darguments, il avance, mais sans certitude, que Sf.. pourrait être assimilée au al-Fi. Cette explication conviendrait parfaitement sur les plans géographique et phonétique. Il pense donc quavant de gagner Thart, les ibites se réfugient dans le bild al-ard, ce qui ralentit fortement leur migration vers louest83. Il semble que Lewicki sest rallié ensuite à la même opinion: Sf.. se situerait à louest du bild al-ard84. On pourrait également situer Sf.. plus au sud dans la région du Sf, futur bastion de libisme, mais cela ne saccorde pas avec la montagne inaccessible mentionnée par al-amm85. De même, hypothèse du al-Fi est compromise par le fait quil ny a aucun sommet difficile à atteindre dans les environs. En tout cas, même sans pouvoir déterminer où se trouvait réellement le camp de Abd al-Ramn, il apparaît quil ny a pas eu de migration immédiate et organisée vers Thart, mais bien un recul progressif des ibites, dû à la résistance du pouvoir abbside, et une migration échelonnée des ibites de la Tripolitaine et peut-être du Djérid vers Thart, avant même la création de cette ville. Il faut certainement placer la fondation de Thart après 144/761, date que lon donne habituellement86, puisque les ibites nont pas gagné directement la ville après avoir fui Kairouan. Lorsque Abd al-Ramn arrive à Thart, citadelle inutilisable pour accueillir la capitale d’un État, il fonde une nouvelle ville, sur le site actuel de Tagdempt87. Il semble qu’il fait également rebâtir l’ancienne Thart, qui a gardé ce nom jusqu’à aujourd’hui.

9. LA RÉVOLTE DAB TIM

Les révoltes suivantes éclatent sous la wilya de Umar ibn af (768-771). Alors qu’il se trouve dans le Zb pour reconstruire lancienne citadelle byzantine de ubna, une grosse révolte rassemble à Tripoli ufrites et ibites. Ab tim al-Malzz est élu imm al-dif88. Le gouverneur de Tripoli obtient des renforts venus

82 Lewicki, The Ibdites in Arabia and Africa, p. 90. 83 Rebstock, Die Ibiten, pp. 104-108. 84 Lewicki, E.I., s.v. Ibiyya, pp. 675-676, qui écrit Sf A. 85 Al, p. 365, parle aussi des cavernes / ġrn Ban A, vraisemblablement situées à

Ouargla.86 Ibn aldn, VI, p. 132/I, p. 220.87 Yt, s.v. Thart, évoque deux villes qui se font face, lancienne et la nouvelle Thart. Lewicki,

The Ibdites in Arabia and Africa, p. 90; G. Marçais, Tihert - Tagdempt.88 Sur la révolte dAb tim, al-Ya, Ta’r, II, pp. 464-465; al-Raqq, pp. 106-110; Ibn al-Ar,

V, pp. 598-602; Ibn I, I, pp. 75-79; al-Nuwayr, pp. 379-385; Ibn aldn, VI, pp. 132-133/I,

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du Zb mais il est contraint de se réfugier dans Gabès après la bataille. Une autre armée venue du Zb affronte Ab tim à Gabès mais il parvient à la repousser et à assiéger Kairouan. La guerre embrase toute lIfrqiya. En 151/768, une douzaine d’armées ibites et ufrites encerclent ubna où se tient Umar. Parmi elles se trouve larmée dAb Qurra, celle de Abd al-Ramn ibn Rustum et celle de im al-Sadrt. On trouve également une fraction des Warfama mais contrairement à ce que lon pourrait penser, ils ne se trouvent pas du côté de lagresseur. Ils ont rejoint le parti des Abbsides et se battent aux côtés de Umar ibn af. Ibn aldn explique en effet que lorsque Umar a fondé la nouvelle ville de ubna, il y a établi les Warfama qui étaient ses partisans; ceux-ci lui ont été très utiles pendant tout le siège89. C’est en corrompant un parent dAb Qurra que Umar parvient à fuir hors de ubna, après avoir battu l’armée dIbn Rustum à Taha. En apprenant la fuite de Umar, les armées ibites qui assiégeaient Kairouan se mettent à sa poursuite et Umar réussit à gagner la capitale et à la faire réapprovisionner. Le siège de Kairouan, mené par un détachement de l’armée dAb tim, dure depuis huit mois déjà et est si dur que la garnison se trouve réduite à manger montures, bêtes de somme, chiens et chats. Un nouveau siège de la capitale commence, entrecoupé de batailles; Ab tim y aurait commandé trois cent cinquante mille ibites! Umar meurt au combat en novembre 771 et Ab tim parvient à négocier lentrée dans la ville. Les riites tiennent donc à nouveau lIfrqiya et en 154/770-771, Ab tim se voit confier le commandement de la wilya ibite90.

10. LES MUHALLABIDES

En 772 arrive une armée de soixante mille hommes dirigée par le prestigieux Yazd ibn tim al-Azd l-Muhallab. Celle-ci met en déroute les troupes dAb tim qui s’étaient retranchées dans le abal Nafsa et leur livre bataille à Maġmads91. Limm al-dif meurt au combat, ainsi quun nombre considérable de Berbères; si les sources mentionnent généralement trente mille décès parmi les ibites, al-amm est plus modéré et évoque seize mille morts, quon décapite et dont on répartit les têtes par quatre mille en quatre gigantesques amoncellements92. Yazd

pp. 221-223; Ibn aldn, Aghlabites, pp. 23-26/62-68; al-amm, pp. 36-42.89 Ibn aldn, VI, p. 136/I, p. 229. 90 Al-amm, p. 37.91 Sur la wilya de Yazd, al-Raqq, pp. 123-126; Ibn al-Ar, V, pp. 600-602; Ibn allikn, VI, p. 322/

IV, p. 213; Ibn I, I, pp. 78-79; al-Nuwayr, pp. 384-386; Ibn aldn, VI, p. 133/I, p. 223; Ibn aldn, Aghlabites, pp. 66-68/25-27; al-amm, pp. 39-42.

92 Al-amm, p. 40.

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ibn tim reste un mois sur place pour exterminer les derniers riites qui ont réussi à fuir. Puis il gagne Gabès et reprend Kairouan. Il gouverne de 772 à 788 et inaugure la petite dynastie des Muhallabides, qui tient lIfrqiya jusquen 794. Son but est de mater définitivement les révoltes riites mais la chronologie de celles-ci est fort embrouillée93. Il envoie comme gouverneur à ubna al-Muriq ibn Ġafr qui, jusqu’à la mort de Yazd, combat les Warfama et d’autres tribus riites. En 156/772-773, Ab Yay ibn Fns al-Hawwr se révolte dans les environs de Tripoli contre Yazd. Il est soutenu par de nombreux Berbères mais est mis en fuite lors d’un combat sur la côte et perd de nombreux compagnons94.

En 157/773-774 selon Ibn aldn, les Warfama se révoltent sous la conduite dAb Zarna. Cette rébellion intervient après la mort de Umar ibn af, alors que Yazd ibn tim vient d’établir son pouvoir en Ifrqiya. Les Warfama sont écrasés par le fils de Yazd qui en fait un épouvantable massacre95. Al-Raqq explique que dans un premier temps, Yazd leur envoie Ibn Maza’a al-Muhallab, qui perd une partie du und dans la bataille. Ensuite le fils de Yazd, que ce dernier vient de nommer à ubna à la place dal-Muriq ibn Ġafr, lui écrit pour lui demander l’autorisation de mener le ur contre les Warfama. Al-Muhallab ibn Yazd s’allie alors à al- ibn Sad ibn Marwn. Les Warfama comprennent que leur victoire contre Ibn Maza’a n’était qu’un faux espoir. Ils sont mis en fuite par l’armée muhallabide qui les recherche jusqu’au dernier dans les plaines et les montagnes, jusqu’à ce qu’ils soient tous éliminés. Le und ne déplore par contre, comme laffirment souvent les historiens arabes, aucun décès!

Ibn al-Ar mentionne une rébellion dans le Zb en 164/780-781, où les Warfama dirigés par Ayyb al-Haww96 affrontent une forte armée conduite par Yazd ibn Maz’ al-Muhallab. Ils combattent les Muhallabides qui sont mis en fuite et le maître du Zb al-Muriq est tué. On nomme à sa place al-Muhallab ibn Yazd auquel le w procure des troupes dirigées par al- ibn Sad al-Muhallab. Ayyb al-Haww et les Warfama sont mis en fuite et sont tués jusqu’au dernier, sans que le und ne déplore de perte. Il paraît certain qual-Raqq, Ibn aldn et Ibn al-Ar décrivent ici la même rébellion des Warfama. Le lien entre les textes dIbn aldn et dal-Raqq est facile à faire, puisque tous deux évoquent la personnalité dAb Zarna. Al-Raqq et Ibn al-Ar racontent les mêmes événements; seuls

93 Savage, A Gateway to Hell, pp. 32-42, sétend sur les bonnes relations quentretenaient Muhallabides et ibites à Bara au début du VIIIe siècle et estime que cette entente a perduré sous la wilya de Yazd, qui apporte paix et stabilité à lIfrqiya.

94 Ibn al-Ar, VI, pp. 10-11. Ibn I, I, p. 79, parle dAb Yay ibn Qarys al-Huwwr. Ibn aldn, VI, p. 166/I, p. 276, dit Yay ibn Fns.

95 Sur la révolte dAb Zarna, al-Raqq, pp.125-126; Ibn aldn, VI, p. 133/I, p. 223 et VI, p. 136/I, p. 229, dit Ibn M..h al-Muhallab.

96 Ibn al-Ar, V, p. 602.

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diffèrent le nom du chef des Warfama et l’orthographe Ibn Maza’a / Ibn Maz’. Les versions présentées par Ibn aldn et Ibn al-Ar sont datées de 157/773-774 et de 164/780-781, soit sept années dintervalle. Si les textes ne saccordent pas sur la date de cette révolte, ils donnent tous trois limpression quil ne peut sagir pour les Warfama que dune ultime rébellion, puisquils insistent sur le caractère définitif de leur anéantissement.

Sous le gouvernement de D’d, le fils de Yazd ibn tim, une première révolte naît chez les Berbères des montagnes de Ba. En 171/788 une insurrection éclate chez les ibites de la tribu des Nafzwa, commandés par li ibn Nuayr97. li bat dans un premier temps les troupes muhallabides à Ba, mais D’d leur envoie son cousin Sulaymn ibn al-amma avec dix mille cavaliers. Cette armée tue plus de dix mille Berbères sans éprouver elle-même la moindre perte. li fuit alors vers iqqa Banriya / Le Kef98, en appelant à l’aide les chefs berbères qui n’avaient pas pris part au premier combat. De nombreux chefs ibites se réunissent au Kef mais Sulaymn les affronte et tue tous les meneurs. Selon Ibn aldn, l’esprit d’hérésie et de révolte des ibites se calme alors définitivement. Évoquant une seconde fois la défaite de iqqa Banriya, Ibn aldn précise que les derniers membres de la tribu des Warfama séparpillent alors, perdent toute importance et sont forcés, vu leur faiblesse, de rallier dautres tribus99. Il semble donc que les compagnons rescapés dAb Zarna ont participé à une dernière attaque sous la bannière de li ibn Nuayr. Il faut noter que les Warfama qui se retrouvent dans le Zb et au Kef proviennent sans doute de fractions qui ont migré vers l’ouest après la mort dAb tim. Ibn al-Ar dit en effet que des fractions riites de l’Ifrqiya ont gagné le pays des Kutma en 156/772-773100. La tribu des Warfama est très morcelée et adopte diverses tendances de l’islam: la fraction qui prend Kairouan est ufrite, les Warfama des Aurès seraient ibites et une partie des Warfama a rejoint le combat sunnite de Umar ibn af à ubna. Nous supposons que cest lensemble des Warfama, ibites ou ufrites, qui se réunissent vers 155/771-772 pour aider Ab tim, puis se battent encore ensemble sous la conduite dAb Zarna. Il faut noter que depuis la victoire dAb l-ab sur les ufrites en 758, ces derniers ont

97 Il est appelé Nuayr ibn li al-Ib chez Ibn I, I, p. 82. Sur la révolte de li, voir aussi al-Nuwayr, pp. 386-387; Ibn aldn, VI, p. 133/I, p. 224. Al-Raqq, p. 132, dit li ibn Nuayr al-Nafz.

98 iqqa Banriya est le toponyme utilisé par les auteurs médiévaux pour désigner l’actuel al-Kf / Le Kef. Il provient de la déformation du latin Sicca-Veneria. Yt, s.v., donne aqbnriya. Le nom al-Kf apparaît à la fin du XVIIe siècle chez Ibn Ab Dnr. Talbi, E.I., s.v. Al-Kf.

99 Ibn aldn, VI, p. 136/I, p. 229. Al-Idr, p. 57/66, cite encore les Warfama dans sa liste de tribus berbères.

100 Ibn al-Ar, éd. trad. dans Ibn aldn, Aghlabites, p. 69. Lewicki, La répartition géographique, p. 309, attribue à tort ce passage à Ibn aldn.

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certainement adopté libisme; on na en tout cas plus de trace de conflit entre ces deux doctrines.

Dès la mort dAb tim et la fin de limmat de Tripoli, de nombreux ibites ifrqiyens migrent vers louest pour gagner Thart; Abd al-Ramn ibn Rustum est nommé imm des ibites vers 161/777-778, inaugurant ainsi la dynastie des imm-s rustumides101. Quelques années plus tard, il cède le pouvoir à son fils Abd al-Wahhb (168-208/784-823)102. Très rapidement, en 171/787-788 selon Ibn aldn, le nouvel imm signe un accord de paix avec Raw ibn tim, le successeur de D’d, pour calmer les Berbères de la région103. Selon Tadeusz Lewicki, ce traité pourrait être la conséquence de la révolte de li ibn Nuayr. Il se fonde pour cela sur Ibn aldn qui, situant à tort ces événements en 161/777-778, explique que les Nafzwa ont porté au pouvoir l’un des leurs et ont contraint leurs voisins à adopter l’ibisme. Lewicki en conclut que le soulèvement de li, inspiré par l’imm Abd al-Wahhb, avait pour but l’annexion de l’Ifrqiya au royaume de Thart, de façon à reconstituer le grand État ibite sur lequel régnait l’imm Ab l-ab; il pense aussi que Abd al-Wahhb fut sur le point de conquérir l’Ifrqiya proprement dite104. Il est en effet possible que li ait tenté, sur le conseil ou lordre de l’imm, de soumettre une autre région d’Ifrqiya à lautorité de Thart. Nous pensons pourtant quil sagit davantage dun acte politique isolé que dun mouvement soutenu par Abd al-Wahhb105; li sempare du Kef et entraîne les chefs de tribus berbères à se battre à ses côtés. Sa révolte, qui bloque les voies de communication entre Kairouan et le Zb, semble plutôt viser à lui constituer une « principauté » indépendante, où il régnerait seul. En ce sens, ce personnage rappelle im ibn aml: ces deux chefs, bien quanimés par la foi ite et souhaitant étendre le territoire où elle domine, partagent la volonté de se créer un fief quils puissent diriger à leur propre avantage. Lewicki voit un lien très net entre lanéantissement des ibites dirigés par li et la signature du traité de paix entre Raw ibn tim et les Rustumides: pour lui, cest léchec de cette révolte qui mène Abd al-Wahhb à se résoudre à conclure cette paix106. Cest une possibilité, mais il semble plus probable que ce soit la pénible

101 Al-amm, p. 43, dit quil devient imm en 160/776-777 ou en 162/778-779. Ibn alaġr, p. 9/63, et al-amm, p. 44, remarquent que linvestiture dIbn Rustum est facilitée par le fait quétant persan, il navait pas, en cas de déviation, de fraction qui le soutienne ou de tribu qui se batte pour le maintenir au pouvoir.

102 Les dates des règnes des différents imm-s rustumides sont fortement sujettes à caution; la chronologie adoptée ici est celle proposée par Lewicki dans ses articles et dans E.I., s.v. Ibiyya. Talbi, E.I., s.v. Rustumides, fait débuter le règne de Abd al-Wahhb en 171/788.

103 Al-Nuwayr, p. 387; Ibn al-ab, p. 6; Ibn aldn, VI, p. 133/ I, p. 224; Ibn aldn, Aghlabites, p. 27/71.

104 Lewicki, La répartition géographique, pp. 309-310; The Ibdites in Arabia and Africa, p. 103.105 Cest aussi lavis de Rebstock, Die Ibiten, pp. 212-213.106 Lewicki, The Ibdites in Arabia and Africa, p. 103.

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succession des révoltes des dernières années qui incite le gouverneur dIfrqiya à y mettre fin par un traité.

Les premiers gouverneurs muhallabides parviennent donc à pacifier leur province, en utilisant notamment la diplomatie. Le dernier des Muhallabides, al-Fal ibn Raw ibn tim, intrigue pour devenir w dIfrqiya. Il irrite le und et ruine l’œuvre de ses prédécesseurs puisqu’il est obligé de fuir vers l’Orient en 794 avec le reste des Muhallabides. Il s’ensuit une compétition entre les différentes fractions du und, puis la nomination de Harama ibn Ayan au poste de w en 795. Celui-ci démissionne peu après, conscient que lIfrqiya, agitée de diverses révoltes, est devenue ingouvernable. Son successeur, Muammad ibn Muqtil al-Akk, doit affronter la révolte de Tammm107, qui s’est emparé de Kairouan. Cette rébellion va être matée par Ibrhm ibn al-Aġlab, le sous-gouverneur du Zb108. En février 800, Ibrhm arrive du Zb en Ifrqiya pour mater la révolte de Tammm. Il capture l’insurgé et libère Kairouan. Cette victoire inattendue retient l’attention du calife Hārn al-Rad, qui le nomme émir dIfrqiya à titre héréditaire.

11. SYNTHÈSE

Les habitants du Djérid ont vraisemblablement accepté de se convertir à lislam à la fin du VIIe siècle, lorsque les Arabes ont conquis la région ulan. Certains chrétiens ont néanmoins préféré conserver leur religion. Vers 720, un des tbin envoyés en Ifrqiya par Umar II sinstalle à Tozeur et y prêche lislam sunnite. Dans le même temps, le ay ibite Salma ibn Sad et le missionnaire ufrite Ikrima propagent la foi riite en Ifrqiya109. En 720, les Berbères riites assassinent le gouverneur d’Ifrqiya, Yazd ibn Ab Muslim. La rébellion se déplace alors à louest du Maghreb: vers 741, les Berbères ufrites défont à deux reprises les armées arabes à la bataille des nobles et à celle du w Sab. Le gouverneur d’Ifrqiya meurt au cours de ce dernier combat et profitant du chaos, le ufrite Ukka sempare de Gabès et rallie de nombreux partisans dans le Sud tunisien, qui constitue lun de ses refuges. Malgré de cruels revers face aux troupes kairouanaises, assortis de nombreuses pertes, Ukka recrute sans relâche de nouveaux militants. Alors quil

107 l-ahm Tamm ibn Tamm al-Tamm, mil de Tunis pour Ibn Muqtil, était le grand-père dAb l-Arab. Talbi, L’Émirat aghlabide, p. 86. Pendant la révolte de Tammm, c’est mir ibn al-Muammir ibn Sinn al-Taym qui est gouverneur de Qasliya. Ibid., p. 149.

108 Ce dernier, grand officier tammite, y était parvenu en exil d’Égypte quelques années auparavant, dans des circonstances plutôt obscures. Talbi, L’Émirat aghlabide, pp. 94-104.

109 Lewicki, The Ibdites in Arabia and Africa, pp. 86-87, estime que les deux missionnaires ont pu faire partie des dix premiers tbin envoyés en Ifrqiya par Umar II, puisque le calife était bien disposé envers les riites modérés.

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menace Kairouan avec une immense armée, il est définitivement vaincu à al-Qarn en 742. Une autre armée ufrite, plus considérable encore, connaît le même sort lannée suivante. Malgré lanéantissement apparent de la rébellion riite, des ufrites demeurent dans le Nafzwa; ils sont massacrés par les troupes tripolitaines après avoir mis en captivité les imm-s de leur région.

Il est difficile de tirer quelque conclusion de cette série dévénements, si ce nest que la région des chotts semble fortement marquée par le riisme avant larrivée des amalat al-ilm. On ignore si les oasiens se sont convertis à cette doctrine vers 720 déjà, à lépoque des deux missionnaires, ou si cest Ukka, arrivé en Ifrqiya en 734, qui a répandu le ufrisme dans le Sud tunisien. Il est probable que les deux campagnes de propagande ont bien fonctionné, surtout à Gabès qui, comme première ville ifrqiyenne gouvernée par un riite, joue un rôle déterminant dans le développement du riisme nord-africain. Elle est pourtant, tout comme Gafsa, un chef-lieu de garnison et compte sans aucun doute une population sunnite. Les deux chefs-lieux des circonscriptions du Sud tunisien, Bar et Tozeur, sont surveillés par un mil délégué par Kairouan, mais nont certainement accueilli quune faible population dArabes sunnites. Il apparaît en tout cas que lislamisation tentée par Ab Muammar Abd ibn Abd al-amad à Tozeur na pas tant porté ses fruits que la propagande riite: une grande partie des oasiens ne sont pas demeurés longtemps sunnites. La situation est différente chez les Nafsa: après la conquête, ceux-ci sont restés chrétiens, par opposition aux Arabes. Vers 740, ils ont abandonné le christianisme pour le riisme, sans passer par létape sunnite, dans le but daffirmer leur particularisme berbère vis-à-vis des Arabes110.

Alors que Abd al-Ramn ibn abb gouverne lIfrqiya, plusieurs chefs ibites se succèdent à Tripoli. Bien que sévèrement combattus par Abd al-Ramn, ils conquièrent de vastes territoires, soutenus principalement par les Hawwra, les Nafsa et les Zanta vivant dans ces régions. Vers 750, Isml ibn Ziyd al-Nafs s’empare de Gabès. Peu après, Abd al-Ramn reprend Gabès et Tripoli; il fait massacrer les ibites. Vers 137/754, Abd al-Wri, assassin de Abd al-Ramn ibn abb, se réfugie avec son armée chez les Warfama ufrites dont le chef, im ibn aml, se dit prophète. En 139/757, les Warfama prennent Kairouan et mettent la ville à sac. Ils commettent de nombreuses exactions, font pénétrer leur chevaux dans la Grande Mosquée et violentent la population. Nous avons noté quaprès s’être emparés de la ville, ils ne manifestent aucune intention de jeter les bases dun État riite; ils semblent faire aveuglément confiance à leur chef, personnage charismatique qui modifie les préceptes religieux à sa guise. Les

110 Lewicki, Études ibites nord-africaines, pp. 54-55.

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habitants du Sud tunisien ne semblent pas avoir adopté le riisme pour affirmer leur particularisme berbère, comme lavaient fait les Nafsa. Leur premier véritable combat est dailleurs mené sous la bannière dun chef arabe. Toutes les alliances semblent bonnes pour contrer loccupant et leur révolte semble surtout motivée par leur envie dacquérir pouvoir, indépendance et richesses.

À cette époque, une équipe de cinq amalat al-ilm parvient en Ifrqiya, comptant Abd al-Ramn ibn Rustum, Ab l-ab al-Mafir et Ab D’d al-Qibill du Nafzwa. Ab l-ab est élu imm par les ibites de Tripolitaine. Il reprend Tripoli et Gabès, puis fait massacrer les Warfama près de Kairouan en 758, créant ainsi le premier grand État ibite, qui comprend certainement Djerba. Sil nest pas prouvé que les Warfama en question soient originaires du Nafzwa, limportance qua acquise le ufrisme dans le Sud tunisien laisse penser que les oasiens ont joué un rôle dans cette révolte. La défaite des Warfama marque pourtant la fin du ufrisme dans le sud de l’Ifrqiya. On ne connaît pas les raisons qui ont poussé les Berbères ufrites à devenir ibites. Cest certainement le rapport de force qui les a poussés à adopter la religion du vainqueur: il est difficile de croire que les épineuses questions théologiques qui séparaient les deux tendances riites ont été à lorigine de ce revirement massif. Il nous semble que le combat de ces Berbères était surtout politique et quils se sont naturellement portés du côté du plus fort, sans se soucier des divergences dogmatiques qui opposaient les deux tendances.

Muammad ibn al-Aa défait les ibites à Twarġ en 761, puis rétablit la domination abbside sur l’Ifrqiya, mettant fin au bref État dAb l-ab. Abd al-Ramn ibn Rustum réussit à fuir de Kairouan et se réfugie à Sf.., où il est rejoint par de nombreux coreligionnaires. Ibn al-Aa les y assiège sans succès. Ibn Rustum gagne alors la future Thart, accompagné par de nombreux Nafzwa; ils seront suivis par des groupes dexilés ibites ifrqiyens et tripolitains.

En 771, à lissue des sièges de ubna et de Kairouan, les riites commandés par Ab tim semparent à nouveau de lIfrqiya. Lannée suivante pourtant, Yazd ibn tim al-Azd l-Muhallab défait cruellement les rebelles et extermine leurs partisans. Il inaugure la petite dynastie des Muhallabides, qui devra combattre plusieurs révoltes riites. Vers 157/773-774 déjà, Yazd affronte avec succès les Warfama conduits par Ab Zarna; larmée muhallabide veille à ce qu’ils soient tous éliminés. En 171/788, les ibites nafzw, commandés par li ibn Nuayr, sont cruellement battus par les Muhallabides dans la région du Kef. Ibn aldn souligne lanéantissement définitif des Warfama, dont les survivants sont forcés de séparpiller.

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À la fin du VIIIe siècle, il paraît certain quun lien fort est déjà établi entre le Sud tunisien et Thart: le Djérid, qui a peut-être été létape principale lors de la migration des ibites, participe à la construction de lÉtat rustumide puisque de très nombreux Nafzwa vont fonder Thart. Laccord de paix conclu entre les Muhallabides et Ibn Rustum pour pacifier la région permet aux oasis de la Qasliya et du Nafzwa de saffirmer comme lun des pôles principaux de libisme maghrébin.

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IV. LE IXe SIÈCLE AĠLABIDE

1. REMARQUES SUR L’ÉMIRAT AĠLABIDE

En 184/800, Hrn al-Rad accorde lautonomie à lancien gouverneur du Zb, Ibrhm ibn al-Aġlab1. La dynastie des Aġlabides, qui compte onze émirs, se maintient jusquen 909 et représente l’autorité la plus forte dans ce Maghreb du IXe siècle. Elle connaît peu dennemis et procure à lIfrqiya un siècle de stabilité politique. Lémirat est divisé en provinces, dont les chefs-lieux accueillent un gouverneur nommé par lémir; cest le cas de Qasliya / Tozeur. La province aside de Barqa dépend désormais de lÉgypte. La seule attaque venue des dehors de lémirat est celle tentée par le fils dAb l-Abbs Amad ibn n, souverain dÉgypte, qui profite de ce que son père conquiert la Syrie pour tenter dannexer lIfrqiya à son seul profit; sa tentative est réprimée avec laide des Nafsa en 267/880-881. Ladversaire principal des émirs, nourri en leur sein, est le und arabe caserné dans les grandes villes. Le reste du und umayyade, submergé par l’arrivée de gros contingents asides, nourrit une animosité certaine vis-à-vis de ces émirs représentant Bagdad. Les nouveaux venus se perdent en querelles internes, reproduisant les luttes orientales qui se jouent entre les différentes factions. De plus en plus exigeant face au pouvoir aġlabide, le und se révolte à plusieurs reprises, ce qui amène les émirs à se constituer une garde personnelle entièrement composée de Noirs. Cest suite à lune de ces rébellions que les Aġlabides entament la conquête de la Sicile, entreprise de longue haleine qui allie lavantage doccuper le und à celui de satisfaire les religieux par un ihd. Le milieu du siècle est prospère et plus calme, notamment grâce au départ de nombreux soldats vers la Sicile; cette période pendant laquelle la sécurité des routes est garantie est particulièrement propice au développement du commerce. Avant d’aborder lévolution du Sud tunisien à cette époque, il convient de souligner que lIfrqiya aġlabide devient lun des principaux centres culturels du monde musulman. Kairouan accueille lélite des personnalités religieuses et face à linfluence anafite, le célèbre Sann parvient à imposer définitivement le mlikisme, qui demeure aujourdhui le principal mahab suivi en Tunisie. Les Aġlabides sont des souverains bâtisseurs: ils renforcent la chaîne de rib-s qui protègent la côte des attaques chrétiennes et multiplient les

1 Sur la dynastie des Aġlabides, voir les deux études très complètes de Talbi, L’Émirat aghlabide, 184-296/800-909. Histoire politique, et de Vonderheyden, La Berbérie orientale sous la dynastie des Benoû l-Alab (800-909).

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constructions prestigieuses comme la mosquée Zaytna de Tunis ou les grands bassins de Kairouan. Dès son avènement, Ibrhm Ier (800-812) fait bâtir non loin de la capitale une ville fortifiée, al-Qar al-qadm, nommée aussi al-siyya, qui abrite sa garde personnelle de cinq mille esclaves noirs. Cette ville princière qui abrite le pouvoir soppose immédiatement à Kairouan et ses masses populaires. Dès 876, Ibrhm II fera construire une autre ville, Raqqda, et remplacera la garde de mawl-s qu’il a fait massacrer par des achats massifs desclaves noirs.

2. LES LIENS ENTRE LE SUD TUNISIEN, THART ET LÉMIRAT2

La paix qui a été conclue vers 788 entre les régions ralliées à Thart et Raw ibn tim permet aux ibites ifrqiyens de pratiquer librement leur religion sous lautorité spirituelle de limm. Pendant une cinquantaine dannées, jusquau massacre des rebelles entre Gafsa et Qasliya en 224/839, ils ne seront pas inquiétés par les autorités de Kairouan. Bien quils acceptent le lien tacite entre Thart et les oasis du Djérid, les Aġlabides ne remettront jamais en cause leur pouvoir sur la Qasliya. Al-Mlik rapporte une affaire qua traitée le q Abd Allh ibn Ġnim (m. 190/805-806), prouvant que la Qasliya payait bien l’impôt à Ibrhm, le premier émir. On y voit un groupe de plaignants demander justice contre un ministre et mawl dIbrhm, le dénommé Ab Hrn Ms. Celui-ci leur a acheté des mulets pour un montant de cinq cents dnr-s et ne les a pas payés. Le q porte l’affaire à Ibrhm, qui interroge son ministre; ce dernier se justifie en expliquant qu’il attend pour régler les plaignants que lui soit parvenu le ar de Qasliya3.

Si les Aġlabides nomment pour la Qasliya un représentant de lémirat, la région accueille également un mil délégué par les Rustumides. Pour rappeler aux populations leur lien avec Thart, l’imm envoie en effet dans les principales villes ibites un mil chargé de percevoir les impôts coraniques des habitants de la région et de les faire parvenir à la capitale rustumide; il doit également, si nécessaire, lever des contingents pour larmée de limm. Le territoire soumis à lautorité de Thart est très étendu4: il englobe les groupes doasis du wd Rġ et de Ouargla au sud, une partie du una et du Zb à lest. Il sétire vers le nord jusquaux abords de la Méditerranée et al-Ya affirme que Mars Far est le

2 Voir Prevost, L’influence de l’État rustumide dans le Sud tunisien.3 Al-Mlik, I, pp. 222-223. Iy, Madrik, p. 13, et al-Wazr al-Sarr, I, pp. 717-718, racontent la

même histoire mais ne précisent pas quil sagit de limpôt de Qasliya.4 Sous le règne dAb l-Yaqqn (m. vers 894), les ibites de Siilmsa envoient la zakt à Thart.

Ibn alaġr, p. 46/111.

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port des Rustumides5. Le bild al-ard, appelé al-Qur6 par les ibites, compte quatre cantons: la Qasliya, le Nafzwa, Qanrra et ar Nafa. ar Nafa est la plus occidentale des deux presqu’îles du nord du Nafzwa. Quant à Qanrra, cest une ville peuplée de colons ibites venus du abal Nafsa, située non loin de Nefta sur la route qui mène au Sdn. Gafsa et le Djérid constituent une région stratégique, qui est liée tant à la partie occidentale de limmat par lAurès quà sa partie orientale, les centres ibites de Tripolitaine, par le abal Dammar. La tribu des Nafsa occupe le couloir tripolitain et en défend laccès. Ainsi, au début du IXe siècle, lÉtat aġlabide se voit complètement encerclé par limmat rustumide et l’émir ne règne réellement que sur le nord de la Tunisie et de lAlgérie orientale7.

3. LA RÉVOLTE DES HAWWRA ET LE COMPROMIS QUI SENSUIT

Dès la fondation de limmat rustumide, les grandes confédérations de tribus, comme les Lawta dans le Sud tunisien, ont tendance à disparaître. Une nouvelle grande confédération se forme, groupant toutes les fractions qui reconnaissent lautorité de Thart. De nombreuses tribus ibites migrent vers leur nouvelle capitale religieuse et grâce au commerce florissant, limmat rustumide simpose rapidement comme la nouvelle puissance du Maghreb central. Cela explique sans doute que les révoltes ibites contre le pouvoir sunnite sont, malgré leur nombre, moins fréquentes quau siècle précédent8. Après plusieurs rébellions d’origines diverses, Ibrhm Ier doit juguler une révolte ibite ourdie en Tripolitaine par la tribu des Hawwra9. Ceux-ci sen prennent au gouverneur de Tripoli et déferlent des montagnes vers la ville, où les membres de leur tribu se soulèvent également, entraînant la fuite du und. Les Hawwra réunis démolissent les remparts de Tripoli et mettent la ville à sac. Ibrhm envoie alors son fils Abd Allh reprendre la ville en 196/811 et rebâtir ses murailles.

5 Al-Ya, Kitb al-Buldn, p. 353/217. On trouve aussi Mars Farr. 6 Voir carte 4. Le fait que les ibites appellent la Qasliya al-Qur, cest-à-dire les châteaux,

montre bien qu’ils comprennent le sens premier du mot latin. Lewicki, Une langue romane oubliée, p. 464. Sur ar Nafa / art Nafta, voir Prevost, Les itinéraires d’al-Idrīsī dans le Sud tunisien, p. 362.

7 Sur le territoire rustumide, Lewicki, E.I., s.v. Ibiyya; Les ibites en Tunisie, p. 11.8 Outre les rébellions qui impliquent le Sud tunisien, les Aġlabides doivent faire face à plusieurs

autres révoltes, provoquées principalement par la tribu des Hawwra, que ce soit dans le Zb ou en Tripolitaine.

9 Sur la révolte ibite de 811, Ibn al-Ar, VI, pp. 269-270; Ibn I, I, p. 95; Ibn aldn, VI, p. 144/I, p. 243 et VI, p. 166/I, p. 277; Ibn aldn, Aghlabites, pp. 35-36/93-94; al-amm, pp. 67-69.

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Les Hawwra bénéficient à cette époque du soutien de limm de Thart, Abd al-Wahhb ibn Rustum. Ce dernier se trouve en effet dans le abal Nafsa, où il sest arrêté en se rendant à La Mecque. Limm passe plusieurs années parmi les Hawwra, les instruit et rassemble autour de sa personne tous les Berbères de la région. Forts de la présence de Abd al-Wahhb ibn Rustum parmi eux, les Hawwra entament un long siège de Tripoli, dans laquelle Abd Allh se trouve bloqué. Il est contraint de sortir de son refuge à lannonce de la mort de son père, lémir Ibrhm, et doit conclure avec les ibites un traité de paix dans lequel il reconnaît lautorité de limm de Thart sur tout larrière-pays tripolitain, alors que les émirs gardent le pouvoir sur Tripoli et la côte méditerranéenne. Le abal Nafsa est donc à présent « officiellement » lié à la capitale des Rustumides, ce qui consolide certainement le lien entre les ibites du Djérid et Thart.

4. LES GOUVERNEURS RUSTUMIDES À LÉPOQUE DE ABD AL-WAHHB (784-823)

Sous le second imm, Abd al-Wahhb ibn Rustum, le Nafzwa a pour mil rustumide Muammad ibn Isq al-azar10, qui fait partie des Maġrwa, une branche des Zanta. Tadeusz Lewicki estime que le Nafzwa a fait entièrement partie de lÉtat rustumide et na été soumis aux Aġlabides quaprès la bataille de M; cette déduction est simplement basée sur le fait que lhistoire n’a transmis aucun nom de gouverneur aġlabide pour le Nafzwa, contrairement aux autres régions11. Il semble curieux que ce territoire, si proche de la Qasliya et qui forme avec elle une unité géographique, ait totalement échappé au contrôle des émirs. Nous montrerons plus loin, à la lumière des événements historiques, que plusieurs éléments pourraient suggérer quil y a bien eu au Nafzwa une représentation aġlabide, même si elle était moins pesante que dans dautres régions.

La présence simultanée de deux mil-s dans une même ville, lun étant rustumide et lautre aġlabide, est a priori difficilement concevable. Les trois cas les plus marquants sont ceux de la Qasliya, de Gafsa et de Gabès. La cohabitation ne fait aucun doute dans le Djérid: dune part, on a vu que les habitants payaient limpôt aux émirs et dautre part, on connaît le mil rustumide de la Qasliya, Zaqqn ibn Umayr. Il en est sans doute le premier puisquil a été nommé par Abd al-Wahhb peu après le traité de paix conclu avec lémir Abd Allh en 196/81212. Gafsa a

10 Al-amm, p. 120.11 Lewicki, Un document ibite inédit, p. 185; Les ibites en Tunisie, p. 11.12 Al-amm, p. 69.

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pour mil Wakl ibn Darr al-Nafs, de la fraction des Ban Yalaf, qui est sans doute nommé à la même époque13. Analysant la situation de Gafsa, Mohamed Talbi explique que par mil, « il faut comprendre un percepteur qui prélevait sur les Ibites les impôts qurniques et les dirigeait plus ou moins clandestinement sur Thart, car la ville navait jamais appartenu politiquement au royaume rustamide »14. Il semble pourtant plus que probable que Gafsa et la Qasliya ont revendiqué dès la création de limmat rustumide leur appartenance à cet État, et lui sont restées fidèles jusqu’au grand coup qui leur est porté par les Aġlabides en 224/839.

Nous pensons que dans un premier temps, les Aġlabides ont préféré ne pas jouir de tous les droits que leur conférait leur autorité sur le Sud tunisien, de façon à maintenir la paix quils avaient établie avec Thart, dont la puissance croissante aurait pu menacer leur État. Les premiers Aġlabides ont dû sans doute considérablement réduire la pression fiscale sur la région. On peut imaginer que le mil aġlabide sest uniquement rendu dans le Sud tunisien à lépoque de la levée des impôts, regagnant ensuite la capitale; peut-être même sest-il manifesté seulement lorsque le Trésor devait être impérativement renfloué. Cest lexplication qui paraît la plus probable, compte tenu des minces renseignements dont on dispose. Elle cadre en tout cas parfaitement avec le traité de paix conclu entre Rustumides et Aġlabides en 196/812.

Il paraît évident que les Aġlabides ont nommé dès leur avènement un mil à Gabès, port important15. Quant au mil rustumide, al-amm donne deux informations différentes: dune part, il signale que Qan ibn Salma al-Zawwġ est envoyé par Abd al-Wahhb pour assiéger Gabès au lendemain de la mort dIbrhm Ier. Ce personnage administrerait ensuite Gabès, mais également lîle de Djerba, ainsi que plusieurs tribus du Sud-Est tunisien dont les Maa, les Zanzafa, les Dammar et les Zawwġa16. Dautre part, al-amm dit que Salma ibn Qaafa est le mil nommé par Abd al-Wahhb pour Qbis wa-nawh / Gabès et ses environs17; cest-à-dire les mêmes territoires qui sont soumis à lautorité de Qan ibn Salma. Sil est plus que probable que 811 marque le rattachement de Gabès à l’immat, on ignore sil faut considérer Salma ibn Qaafa et Qan ibn Salma al-

13 Al-amm, p. 119.14 Talbi, E.I., s.v. afa.15 Al-Ya, Kitb al-Buldn, p. 347/208, confirme quà la fin du IXe siècle, un mil représente à

Gabès lautorité dIbn al-Aġlab.16 Al-amm, p. 69. Les Zanzafa, branche des Hawwra, vivent au sud de Gabès et dans une partie

du abal. Les Maa habitent dans le abal qui porte leur nom et à mmat Maa, l’actuelle al-mma de Gabès. Les Zawwġa / Zawġa occupent principalement la plaine de la affra. Les Ban Dammar sont des Zawwġa, proches parents des Zanta; ils vivent dans les montagnes auxquelles ils ont donné leur nom.

17 Al-amm, p. 120. On peut également traduire par Gabès et ses cantons, comme dans Waraln wa-nawh / Ouargla et ses cantons. Lewicki, Études maghrébines, II, p. 87.

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Zawwġ comme deux personnages distincts. La ressemblance relative de ces deux noms pourrait suggérer quil sagit dune seule et même personne, mais on peut envisager que, dans la période qui a suivi la prise de Gabès, Salma ibn Qaafa a succédé à Qan au poste de mil de Gabès.

Comme dans le cas de Gafsa, Mohamed Talbi met en doute que Gabès appartenait aux Rustumides et estime que son mil rustumide nest quun percepteur chargé denvoyer « plutôt clandestinement » les impôts des ibites à Thart, puisque la ville dépend tout au long du IXe siècle de lautorité politique de Kairouan18. À deux reprises, Talbi souligne donc le caractère clandestin des activités du mil rustumide. Sil est exact que Gabès dépend de Kairouan, il faut pourtant admettre quelle est reliée à l’immat par Salma ibn Qaafa. Son lien avec Thart est dautant plus crédible que la ville a été le berceau de la première révolte ite en Ifrqiya. Il faut donc accepter que le Djérid, Gabès et Gafsa, au début du siècle tout au moins, ont vécu sous une double souveraineté, lune imposée par les circonstances politiques, lautre revendiquée par choix religieux19. En laissant les ibites payer la adaqa20 à leur imm, les Aġlabides respectent sans doute laccord quils ont signé avec Abd al-Wahhb et se prémunissent contre déventuelles insurrections; dautre part, on verra que cette collaboration leur permet de sattirer les bonnes grâces des ibites, qui développent déjà le commerce transsaharien.

Abd al-Wahhb, dont le règne représente l’apogée de l’immat rustumide, étend son autorité à la région du Sil, voisine de ses deux provinces de Gabès et de Gafsa, qu’il octroie à une communauté d’émigrés nafs. Lîle de Djerba, dont Ibn aldn dit que les habitants sont convertis au isme depuis son apparition en Ifrqiya21, dépend selon al-amm du mil de Gabès. Cest le cas également dune bonne partie du abal Dammar. Une autre partie plus méridionale de ce abal, cependant, semble être gouvernée par un mil différent de celui de Gabès, appelé Midrr. Midrr a été nommé par Abd al-Wahhb alors que limm séjournait dans cette région22. Al-amm indique en effet quavant son séjour prolongé dans le abal Nafsa, pendant lequel il a soutenu la révolte des Hawwra, l’imm est passé par le abal Dammar, où lon voit encore à lépoque de cet historien une mosquée

18 Talbi, E.I., s.v. bis.19 Cest également lopinion de Rebstock, Die Ibiten, pp. 216-218, qui nhésite pas à parler du

statut « quasi autonome » des communautés ibites du Sud tunisien.20 La adaqa désigne entre autres laumône volontaire. Laumône obligatoire est également souvent

appelée adaqa, mais est plus communément connue sous le nom de zakt; sa nature et sa valeur sont fixées par la loi. Dans lusage populaire, la adaqa désigne les dons pour les pauvres. Weir et Zysow, E.I., s.v. adaa; Schacht, E.I.1, s.v. Zakt.

21 Ibn aldn, VI, p. 475/III, p. 64.22 Abū Zakariyyā’, p. 115; al-Dar, pp. 65-66 (qui dit Fazr). Selon Lewicki, Les ibites en

Tunisie, pp. 6-7, Midrr réside dans la capitale du abal Dammar, Tin, qui correspond à lactuelle Tataouine.

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portant son nom, masid Abd al-Wahhb. Pendant son propre voyage dans le abal Dammar, al-amm va se recueillir à Tin dans un mul dédié à cet imm; à sa demande, les habitants ajoutent un toit à cet édifice. Il remarque que selon Ab Zakariyy, un autre mul est dédié à Abd al-Wahhb dans la ville de Tallat, non loin de là23.

5. LES DISSIDENCES RELIGIEUSES SOUS ABD AL-WAHHB

Dès le tout début de son histoire, l’État ibite connaît plusieurs scissions. Le premier schisme est celui des nukkrites ou « mistwa », qui intervient en 168/784-785 lorsque des opposants refusent de reconnaître la nomination de Abd al-Wahhb24. Sept différences séparent la doctrine nukkrite de celle des wahbites, partisans de Abd al-Wahhb: les nukkrites pensent notamment que les noms de Dieu sont créés. Mais la raison principale de la sécession des nukkrites est la question des conditions / ar-s. Les nukkrites tentent en vain de faire accepter à Abd al-Wahhb deux conditions quils jugent indispensables pour exercer le pouvoir: dune part, ils exigent que l’imm gouverne sous le contrôle dune ama / assemblée régulière et dautre part, quil sengage à démissionner sil se trouve quelquun de plus capable que lui / afal. Voyant quils ne renoncent pas à imposer ces conditions, l’imm réunit les notables de la ville et tous décident daffronter les nukkrites après les avoir menacés du châtiment qui les attendait. Les rebelles sont terrassés et les survivants, frappés de bara, doivent senfuir. Ils se retirent vers lest et gagnent principalement le Sud tunisien et la Tripolitaine. Les ibites demeurant fidèles à Abd al-Wahhb seront désormais désignés par le terme « wahbites », pour les distinguer des ibites nukkrites.

Vers 195/811, l’imm doit affronter la rébellion de ses voisins les Zanta mutazilites wilites25, qui vivaient auparavant en harmonie avec les ibites. La bataille est remportée par Thart grâce au soutien intellectuel et militaire des Nafsa

23 Al-amm, pp. 66-67. Sur ce muall, Abū Zakariyyā’, p. 115. Le muall est un vaste lieu où on accomplit la prière en certaines circonstances; il est généralement ouvert et situé à lextérieur de la ville. Wensinck, E.I., s.v. Muall.

24 Sur le schisme des nukkrites, Ibn alaġr, pp. 17-20/72-77; al-amm, pp. 53-61. Voir aussi Lewicki, E.I., s.v. Nukkr; Savage, A Gateway to Hell, pp. 52-55; asan, awla l-ur al-itimiyya, pp. 4-7.

25 Wil ibn A’ fonde le mutazilisme à Bara dans la première moitié du VIIIe siècle. Ce mouvement religieux se caractérise principalement par le refus de la doctrine de la prédestination et par laffirmation de la responsabilité de lhomme face à ses fautes, qui ne peuvent être imputées à Dieu. Le mutazilisme, doctrine officielle sous le calife abbside al-Mamn, connaît de nombreux adeptes, tant en Orient quau Maghreb. Gimaret, E.I., s.v. Mutazila.

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tripolitains26. Ces Zanta mutazilites habitent sans doute les plateaux situés au sud de Thart et dans le Mzab, où les wilites se convertissent plus tard à libisme27. Yt signale que l’imm Afla est à la fois le chef des ibites, des ufrites et des wilites, qui sont nombreux dans la région de Thart28. Dans la seconde moitié du Xe siècle, Ibn awqal note encore que les tribus voisines de la Qasliya, de Gafsa et du abal Nafsa sont des Zanta et des Mazta chez lesquels l’itizl de Wil ibn A’ prédomine29.

Lors dune troisième crise, plus politique, un territoire très voisin de Thart se désolidarise du royaume. Les Aws, puissante branche des Hawwra vivant à lest d’Oran, se révoltent contre Abd al-Wahhb qui prend en mariage une jeune fille déjà promise à leur chef: l’imm veut en effet contrer l’union de deux clans riches et puissants qui auraient pu se tourner contre lui. Les choses s’enveniment et une gigantesque bataille oppose l’armée rustumide aux partisans des Aws. Ceux-ci subissent de grandes pertes, mais créent vers 820 un petit État indépendant, connu sous le nom d’État des Ban Masla. Pendant quelques années, les deux États s’affrontent mais les Ban Masla se maintiennent, au moins jusqu’au passage dal-Ya à la fin du IXe siècle30.

6. ZIYDAT ALLH ET LE NAFZWA

Le Sud tunisien joue un rôle marquant dans la destinée des Aġlabides sous le règne de Ziydat Allh Ier (817-838), puisque ce sont les Berbères du Nafzwa qui aident le troisième émir à recouvrer son pouvoir. Comme cela se passe fréquemment dans lhistoire des Aġlabides, lémir est victime dune insurrection du und. Les chefs arabes dirigés par Manr ibn Nar al-unbu occupent le nord et le centre de lIfrqiya31. Après sa défaite à Sbba en 210/825, Ziydat Allh ne règne plus que sur le Sil, Gabès, le Nafzwa et Tripoli. Il est sur le point daccepter de quitter lIfrqiya lorsque lun de ses parents, Sufyn ibn Sawda, lui propose de faire appel aux Berbères du Nafzwa32. Lémir lui confie cent ou deux cents de ses meilleurs

26 Ibn alaġr, p. 27/86; al-amm, pp. 61-66.27 Talbi, E.I., s.v. Rustamides; Lewicki, Études maghrébines, II, p. 47.28 Yt, s.v. Thart.29 Ibn awqal, p. 96/94.30 Al-Ya, Kitb al-Buldn, pp. 355-356/221; Ibn alaġr, pp. 20-23/78-81. Voir aussi Lewicki,

Un royaume ibite peu connu: l’État des Ban Masla; Savage, A Gateway to Hell, pp. 55-56.31 Sur la révolte du und, que nous ne détaillerons pas, Talbi, L’Émirat aghlabide, pp. 164-200 et

son article Deux passages peu connus de la Hulla dIbn al-Abbâr; Vonderheyden, La Berbérie orientale, pp. 92-97; Abd al-Wahhb, Un tournant de lhistoire aghlabite.

32 Sur l’aide des Nafzwa à Ziydat Allh, Ibn al-Ar, VI, pp. 332-333; Ibn I, I, p. 101; al-Nuwayr, pp. 409-410; Ibn aldn, Aghlabites, pp. 39-40/101. Ibn al-b, p. 13, dit que lémir

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cavaliers et avec eux, Sufyn gagne le Nafzwa où il incite les Berbères à lui venir en aide. Pendant ce temps, mir ibn N, lun des chefs des insurgés, se dirige avec une partie du und vers le Nafzwa dans le but de vaincre définitivement les derniers partisans de Ziydat Allh. Selon Ibn I, arrivé à Qasliya, mir y rassemble mille Noirs armés de pelles en fer et de haches. Avec ces nouvelles recrues, il reprend sa marche vers Taqys33, où il s’installe. Il se trouve donc face au passage qui permet de traverser le chott en direction du Nafzwa. Mais Sufyn ibn Sawda le prend de vitesse: guidé par les Berbères qui connaissent bien les dangers de la sebkha, il la traverse et combat mir devant Taqys. Il parvient à le mettre en fuite et cause de fortes pertes dans le und. mir recule alors vers Qasliya / Tozeur où il fait le plus gros butin possible. Il y collecte l’impôt / ab amwlah nuit et jour pendant trois jours. L’expression arabe est curieuse car il s’agit clairement ici de rapines. Ibn I dit d’ailleurs qu’il se sert jusqu’à ce qu’il ait tout ce qu’il voulait / kamula lahu min alika m arda. Les habitants de Qasliya appellent Sufyn à leur secours et celui-ci peut occuper la ville alors que mir fuit à Kairouan avec les richesses du bild al-ard, destinées sans doute à payer la solde de son armée. Ibn al-Ar, quant à lui, affirme que mir fuit Qasliya par crainte de ses habitants: ceux-ci appellent au secours Sufyn, qui se rend maître de la ville et en conserve le contrôle.

Ibn aldn donne une autre version de lhistoire, où Sufyn répond à lappel des Berbères: en 209/824, Ziydat Allh apprend que les Berbères l’appellent au secours en voyant mir ibn N se rapprocher du Nafzwa. Il leur envoie Sufyn accompagné de deux cents soldats, qui parviennent à faire reculer mir vers Qasliya. Ce dernier réussit à quitter la ville et Sufyn peut la reprendre définitivement. Selon une troisième version, celle dal-Nuwayr, le Nafzwa est à ce moment déjà occupé par un autre chef de la milice. Sufyn rassemble les Zanta et d’autres tribus et occupe successivement toutes les villes de la région. Puis il quitte Qasliya et rejoint Ziydat Allh en 218/83334. La version dal-Nuwayr pourrait étayer celle dIbn aldn: si le Nafzwa était réellement déjà occupé par un des chefs du und, il semble normal que ses habitants aient appelé l’émir à leur secours.

ne conserve plus que la côte et Gabès.33 La Taqys médiévale, ancienne Thiges, doit être située non loin de lentrée de la route qui rejoint

le Nafzwa, dans les proches environs de Dg. En 1860, Guérin, Voyage, I, p. 262, trouve encore un village qui porte ce nom. Selon Pellissier, Description de la Régence de Tunis, p. 144, on le nomme également Oudiane / al-Udyn. Talbi, L’Émirat aghlabide, p. 193, affirme quun lieu-dit est toujours nommé Tagys: il est situé là où débute la route qui traverse le chott.

34 Al-Nuwayr, p. 410.

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Après l’échec de Taqys, mir se révolte contre Manr ibn Nar al-unbu, qui a fait battre monnaie à son nom, puis le fait mettre à mort, ce qui divise le und. Ziydat Allh parvient alors à récupérer les autres villes dIfrqiya et lance le und à la conquête de la Sicile. La mort de mir et la reddition de ses fils rétablissent fermement le pouvoir de lémir. Grâce au soutien berbère, la victoire de Ziydat Allh sur les militaires marque le terme des révoltes du und. Elle inaugure la période la plus faste de l’émirat.

Cet épisode présente un certain nombre déléments intéressants à développer. Après sa défaite à Sbba en 210/825, Ziydat Allh a perdu presque toutes ses possessions, tombées aux mains de Manr ibn Nar al-unbu et des chefs du und. Les seules régions qui soutiennent encore les Aġlabides sont Gabès, la Tripolitaine, le Sil et le Nafzwa. Mohamed Talbi explique quil sagit là de « régions qui, naturellement déshéritées, navaient jamais tenté le und et les Arabes en général. La ligne de démarcation était donc militaire, ethnique et économique. Les gens des plaines côtières, par nature paisibles et industrieux, demeurèrent en dehors de la tourmente et restèrent du côté du trône35. » Sil est exact que Gabès et Tripoli ne se mêlent pas du conflit, Mohamed Talbi occulte un élément déterminant: les régions demeurées fidèles aux Aġlabides sont toutes proches de Thart. À lépoque de la défaite de Sbba, linfluence aġlabide est restreinte dans les oasis du Sud tunisien. Cest pourtant le soutien du Nafzwa qui permet aux émirs aġlabides de conserver leur royaume. Lalliance des Berbères avec Ziydat Allh est sans doute dabord motivée par le besoin de défendre leur territoire: la population sédentaire des oasis craint certainement lavidité des miliciens. Les habitants choisissent de concourir avec lAġlabide déchu plutôt que de supporter une éventuelle occupation de leurs terres par les hommes du und. Pour les oasiens, qui nont presque pas de contacts avec eux, les Aġlabides ne représentent sans doute pas une menace. Cela est valable à la fois pour les habitants du Djérid et ceux du Nafzwa, mais leur situation est différente. La population de Qasliya, officiellement soumise aux émirs, a de très bonnes raisons pour appeler à l’aide les Aġlabides si la ville a été dévalisée par mir. La situation du Nafzwa est plus complexe, sauf s’il est déjà investi par le und, comme le prétend al-Nuwayr. Dans le cas où le Nafzwa est occupé ou redoute dêtre pris par les troupes rebelles, on peut se demander pourquoi les habitants se tournent vers les Aġlabides plutôt que vers les Rustumides. Les sources ne mentionnent pas que le Nafzwa a fait appel au nouvel imm de Thart, Afla; la distance qui les sépare ne doit sans doute pas être prise en compte puisquen 811, limm Abd

35 Talbi, L’Émirat aghlabide, p. 189.

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al-Wahhb navait pas hésité à demeurer dans le abal Nafsa, loin de sa capitale, pour soutenir ses fidèles. Tadeusz Lewicki croit pourtant quil y a eu à lorigine du développement de cette affaire un arrangement entre Afla et Ziydat Allh ou entre les mil-s ibites de ces régions et Ziydat Allh36. Il nous semble que sil y a eu un accord entre Rustumides et Aġlabides, celui-ci aurait été mentionné par les historiens, qui ont souligné les traités de paix de 788 et de 812. Lewicki a tendance à voir une influence rustumide chaque fois quune région peuplée dibites est le théâtre dévénements politiques; cétait le cas lors de la révolte de Sli ibn Nuayr à la fin du VIIIe siècle, où il avait vu la forte influence de Abd al-Wahhb. Dans le cas présent, lexplication du comportement des oasiens est sans doute plus simple: les habitants du Nafzwa, chrétiens, ibites et tribus avoisinantes, pressés par la rapide succession des événements, ont décidé de soutenir la cause de Ziydat Allh pour ne pas risquer dêtre envahis par les miliciens. Si cétait déjà chose faite, il semble logique que les tribus se soient alliées aux cavaliers dirigés par Sufyn pour se débarrasser le plus rapidement possible du und installé sur leurs terres. Nous ne pensons donc pas quil y a eu un accord préalable entre Afla et Ziydat Allh. Plus loin, lorsque la question de lindépendance du Nafzwa sera évoquée, nous verrons quun accord a peut-être pu être signé entre le mil ibite de cette région et les Aġlabides, mais après leur victoire commune contre le und.

Ce ne sont apparemment pas les ibites sédentaires du Nafzwa qui secourent Sufyn, mais les tribus voisines. Al-Nuwayr précise que Sufyn rassemble les Zanta et dautres tribus: les Zanta sont partiellement nomades et Sufyn a probablement fait appel à des tribus pour lesquelles le Djérid ne constitue quun terrain de parcours parmi dautres. Le Sud tunisien est effectivement fortement peuplé de Zanta: le Nafzwa en compte un grand nombre et il y a beaucoup de Zanta ibites dans le Djérid, dont les Ban Darn, les Ban fran et les Ban Wisyn. Une fraction des Zanta vit dans le abal Dammar et al-Ya les signale dans la région comprise entre Gabès et Tripoli37.

Ibn I apporte une précision intéressante: lorsquil arrive à Qasliya, mir y rassemble mille Noirs. Il s’agit là manifestement de la première mention de cette population dans les oasis depuis la conquête, puisque les géographes omettent de la signaler. Si le chiffre de mille est évidemment fictif, il semble bien établi que le Sud tunisien compte depuis lépoque romaine une population noire cultivant les palmeraies: les textes des Anciens évoquent des « Aethiopes », cest-à-dire des hommes à la peau tannée par le soleil, mélanodermes plutôt que vraiment négroïdes,

36 Lewicki, Un document ibite inédit, p. 186.37 Al-Ya, Kitb al-Buldn, p. 347/208.

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qui nomadisaient au nord du Sahara et avoisinaient les Gétules de race blanche38. Pol Trousset avance quà cette époque, les Gétules avaient sans doute déjà mis sous tutelle ces cultivateurs « éthiopiens » fixés auprès des sources39. Lorigine de cette population, présente dans lensemble des régions pré-sahariennes du Maghreb, a toujours suscité de nombreux questionnements40: certains historiens pensent que ces Noirs descendent desclaves qui ont été ramenés du Sn et fixés dans les palmeraies. Dautres chercheurs, comme Gsell, estiment quils auraient constitué le fonds ancien de la population des oasis, qui se serait enrichie progressivement au contact des Berbères et des Arabes. Ces Noirs supportent bien la vie dans le Sud tunisien grâce à leur forte résistance aux fièvres et au paludisme, particulièrement répandu dans le Djérid à cause des eaux malsaines utilisées pour lirrigation et des rideaux de palmiers empêchant leau de circuler41. La plupart des Noirs vivant dans le Djérid au début du moyen âge sont des arn (sing. arn) chargés de cultiver les palmeraies42. Certains Noirs venus directement du Sn y ont peut-être également fait souche, comme agriculteurs. Tant les arn que les esclaves noirs du Sn sengagent également dans les armées. Il est dailleurs probable que les Aġlabides ont recruté dans les oasis une partie de leur garde personnelle entièrement noire43. Aujourdhui encore, une importante population noire vit toujours dans le Nafzwa et plus spécialement dans les environs de Kébili.

7. LÉVOLUTION DES IBITES SOUS AFLA (823-871)

Le nouvel imm trouve l’État rustumide bien amputé. Cest d’ailleurs sur le champ même de la bataille qui a opposé les Ban Masla aux Rustumides quil a été désigné comme futur imm, tant était grande sa bravoure44. L’État des Ban Masla est toujours indépendant et d’autres tribus, qui se sont enrichies, menacent de se liguer contre lui. Afla joue sur les rivalités entre Lawta et Zanta, entre Lawta et Mama, et dresse les tribus les unes contre les autres afin qu’elles aient

38 Desanges dans Histoire générale de lAfrique, II, p. 315; Rachet, Rome et les Berbères, pp. 42-43; Trousset, Les oasis présahariennes, p. 164; Les bornes du Bled Segui, p. 138; Colin, E.I., s.v. ar. Sur les témoignages des Anciens, Gsell, Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, I, pp. 293-304.

39 Trousset, Les oasis présahariennes, p. 164.40 Pour un état de la question, Camps, Recherches sur les origines des cultivateurs noirs du Sahara.41 Gsell, Histoire ancienne de lAfrique du Nord, I, p. 175 et p. 299; Moreau, Des lacs de sel, p. 31.42 Colin, E.I., s.v. ar, souligne que ces gens sont perçus par les autres oasiens comme une sorte

de caste, composée dhommes théoriquement libres mais de condition inférieure; ils ne sont pas considérés comme appartenant à une race distincte.

43 Talbi, Droit et économie, p. 212. 44 Ibn alaġr, p. 22/80.

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individuellement besoin de l’appui de l’immat45. Les rivalités entre les tribus voisines de Thart vont détacher lattention de l’imm de la partie orientale de son royaume.

Pendant le règne dAfla, al-amm dit que les ibites du Nafzwa - qui appartiennent souvent aux Lawta - ont pour mil Miyyl ibn Ysuf al-Lawt46; on lui confierait aussi ar Nafa47. Ce nouveau mil semble être un autochtone et al-amm ajoute que son père joue auprès de lui le rôle de wazr / ministre48. Il sagirait donc peut-être ici dune petite dynastie locale.

Djerba, la région de Gabès et larrière-pays tripolitain sont toujours gouvernés par l’imm mais une partie de leurs habitants obéissent au chef schismatique alaf ibn al-Sam. La alafiyya est une secte créée à la fin du VIIIe siècle par alaf ibn al-Sam, descendant de l’imm Ab l-ab al-Mafir, qui soppose à l’imm

Abd al-Wahhb à cause dun différend politique. Les partisans de alaf, qui sont principalement des Zawwġa de la côte tripolitaine, le proclament alors imm

indépendant. La sécession des régions ralliées à l’imm schismatique dure jusquen 221/835-836, lorsque alaf est battu par Afla. Ces sécessionnistes défendent néanmoins leurs convictions jusquà la chute de Thart et on trouve encore certains groupes alafites au XIe siècle49.

8. LA RÉBELLION DE LA QASLIYA CONTRE LÉMIRAT

En 224/838-839, les habitants de Qasliya se révoltent contre les Aġlabides et assassinent le gouverneur de Tozeur50. Seuls de rares renseignements subsistent sur cette rébellion, qui marque pourtant une étape importante dans les rapports entre les ibites et le pouvoir central. Ibn al-Ar dit simplement dans le résumé des événements de l’année 224/838-839 qu’une révolte éclate en Ifrqiya, suivie d’une guerre opposant s ibn Rayn al-Azd aux Lawta, aux Zawwġa et aux Miknsa, qui se déroule entre Gafsa et Qasliya. Le général aġlabide s ibn Rayn les tue jusqu’au dernier, ce qui est confirmé par Ibn Ir. Ibn aldn explique brièvement

45 Ibn alaġr, pp. 27/86-87.46 Al-amm, p. 120.47 Lewicki, Les ibites en Tunisie, p. 11.48 Al-amm, p. 120.49 Al-amm, pp. 91-93 et pp. 95-101. Sur la alafiyya, voir aussi Talbi, E.I., s.v. Rustamides;

Lewicki, Les subdivisions de l’Ibiyya, pp. 79-80; Études ibites nord-africaines, pp. 114-115; asan, awla l-ur al-itimiyya, pp. 7-10, qui souligne quaucune particularité doctrinaire ne différencie le alafisme du wahbisme; cest un mouvement dordre politique et social.

50 Sur la révolte de Qasliya, Ibn al-Ar, VI, p. 508; Ibn I, I, p. 107; Ibn aldn, Aghlabites, p. 46/111.

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que les riites lawt, mikns et zawwġ se sont révoltés contre l’émir Ab Iql à Qasliya et ont assassiné le gouverneur de cette ville.

Visiblement, les historiens médiévaux n’accordent qu’une importance très limitée à cet événement, qual-amm dailleurs ignore. Il s’agit pourtant là d’un grand coup frappé par les émirs aġlabides, qui mettent fin à une cinquantaine dannées de relations pacifistes avec les Rustumides. La répression de cette rébellion leur donne loccasion de rompre lencerclement que leur imposent les ibites et de pouvoir contrôler une des grandes places du commerce transsaharien, qui est alors en plein développement. Qasliya est confiée à un nouveau gouverneur aġlabide et lÉtat rustumide est privé dun de ses chefs-lieux les plus importants. Le motif de la révolte, assez grave pour que les rebelles tuent le gouverneur de Qasliya, est inconnu. Il faut noter que cet événement prouve quil y a bien en 839 un gouverneur aġlabide à Tozeur, dont la présence est si pesante quil se fait assassiner. Nous pensons quà cette époque, lattitude des Aġlabides change vis-à-vis du Sud tunisien et quils veulent affirmer leur autorité sur la région. Ils se sentent sans doute assez puissants pour affronter les Rustumides et accaparer une de leurs « possessions », dont le florissant commerce promet de grandes richesses pour lémirat. Sans doute ont-ils tenté dimposer un gouverneur bien plus gênant que ceux que les ibites côtoyaient à loccasion. La présence permanente dun gouverneur va de pair avec une pression fiscale constante, ce qui ne doit pas plaire aux oasiens qui versent déjà limpôt à Thart. Il nest évidemment pas dans lintérêt des Rustumides que les ibites payent limpôt aux Aġlabides et leurs mil-s ont dû résister contre cette nouvelle imposition.

Il est possible, selon Madeleine Vonderheyden, que les habitants du Djérid aient été plus ou moins persécutés pour leurs croyances hérétiques. C’est ainsi qu’elle interprète un passage dAb l-Arab où l’on voit arriver chez l’émir des sacs remplis de richesses de Qasliya. Ziydat Allh Ier plaisante en disant que les habitants n’ont pas donné ces richesses de leur plein gré, puis les distribue entre ses proches. On admettra avec Madeleine Vonderheyden qu’il semble davantage s’agir du produit d’une razzia répressive que d’un impôt prélevé normalement51. Nous ne croyons pas que cette saisie doit être mise en rapport avec des persécutions à motifs religieux; en effet, à cette époque, la doctrine ibite est toujours tolérée en Ifrqiya et ses savants peuvent la défendre à la Grande Mosquée de Kairouan. Cette anecdote prouve en tout cas quavant 223/838, année de la mort de Ziydat Allh, lémir a fait pression sur les habitants de Qasliya pour accaparer leurs richesses. Nous estimons dès lors que les Aġlabides ont tenté de lever limpôt de Tozeur et que face à la résistance des

51 Vonderheyden, La Berbérie orientale, p. 52.

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habitants, ils se sont livrés à des représailles, emportant davantage que ce qui était légalement prévu. Cet épisode ayant lieu avant la révolte de 839 pourrait être une des causes du meurtre du gouverneur.

Cette révolte permet de distinguer clairement la population sédentaire des oasis et les nomades qui s’opposent au pouvoir aġlabide. Les Lawta sont depuis le VIe siècle la principale confédération de tribus qui occupe le Sud tunisien; elle comporte essentiellement des Hawwra et des Nafzwa convertis à l’ibisme. Les Zawwġa, qui habitent pour beaucoup la région de Constantine, vivent aussi dans le Sud-Est tunisien et la plaine de la affra. Ils sont ibites, ils ont lutté contre les atrocités commises par les Warfama ufrites à Kairouan et sont généralement restés fidèles aux Rustumides; certains Zawwġa ont cependant rejoint le camp des alafites. Quant aux Miknsa, on s’étonne plutôt de les trouver là. Cette tribu est très puissante dans l’ouest du Maghreb central mais à l’est, où sa fraction ibite vit dans l’Aurès et au nord de ces massifs, elle n’a que peu d’influence52. On peut supposer que ces trois tribus ibites se sont unies pour mener une sorte dexpédition punitive contre le gouverneur aġlabide, peut-être sur le conseil du mil représentant Thart. Il semble en tout cas que suite à ce massacre, des groupes de Lawta ont décidé de quitter le Sud tunisien pour trouver refuge dans lAurès53.

9. LINTERDICTION DE LIBISME PAR SANN

Cest également pendant le règne dAfla quintervient linterdiction faite aux ibites denseigner leurs préceptes à la Grande Mosquée de Kairouan54. Cest le fameux docteur mlikite Sann, élevé au poste de q de Kairouan en 234/84955, qui est à lorigine de cette interdiction. Le q raconte que Sann disperse les cercles dinnovateurs qui se trouvent dans la Grande Mosquée et en chasse les déviationnistes / ahl al-ahw. Auparavant sy tenaient en effet des cercles de ufrites, dibites et de mutazilites qui passaient leur temps à controverser et à afficher leurs déviations / zayġahum. Sann leur interdit les postes denseignants et de précepteurs et leur défend de se rassembler. Il doit faire châtier certains dentre eux qui enfreignent ses ordres; dautres choisissent de se repentir de leurs péchés56. Cet événement, auquel les historiens actuels font curieusement peu

52 Al-Bakr, pp. 144/276-277; Zerouki, L’imamat de Tahart, pp. 62-69. Yt, s.v. Thart, signale ces trois tribus dans les environs de la capitale rustumide.

53 Lewicki, E.I., s.v. Lawta.54 Al-amm, pp. 195-196 et p. 198, évoque plusieurs savants ibites vivant à Kairouan.55 Talbi, LÉmirat aghlabide, p. 234.56 , p. 104; al-Wazr al-Sarr, I, p. 762.

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allusion57, revêt pourtant une grande importance et constitue, après la victoire aġlabide de 224/838-839, le second coup porté aux ibites. Ces derniers, privés du garant intellectuel que constitue la Grande Mosquée de Kairouan, sont désormais réellement catalogués comme des hérétiques.

10. LE DÉVELOPPEMENT DE QANRA

Une localité du Djérid va prendre de l’importance et devenir le chef-lieu de la Qasliya rustumide: il s’agit de Qanrra, connue dès le règne de limm Abd al-Wahhb. Ce toponyme, que les auteurs sunnites ignorent, tient une place importante dans les écrits ibites. On le trouve sous diverses formes, Qanrr, Qanrrt, Qannr ou encore Qannra. Nous adopterons toujours la forme Qanrra, qui semble la plus fréquente. Cette ville, juchée sur une colline, se trouve dans les faubourgs de Nefta, sur la route du Sf58. Cest visiblement lactivité commerciale croissante de Nefta qui provoque sa naissance, de même que celle de Qalat Ban Darn et de Farna, deux autres localités ibites de la région59. Qanrra possède sans doute plusieurs quartiers puisqu’al-Darğīnī évoque Qanarr al-fawqiyya / la haute60. Son emplacement pourrait être celui du lieu-dit Ayn Qaara dans l’oasis de Nefta61.

a. La colonisation de la ville par les NafsaCest semble-t-il sous l’imm Afla que Qanrra devient la capitale d’une des provinces de l’immat de Thart. Cependant, selon Tadeusz Lewicki notamment, l’imm Abd al-Wahhb y avait déjà nommé comme mil, peut-être à lextrême fin de son règne, A Ynus Wasm al-Nafs62. Si lépoque à laquelle la ville accède

57 Ce nest pas le cas des historiens suivants: Rebstock, Die Ibiten, p. 218, situe cette interdiction en 226/840; Cuperly, Introduction à l’étude de l’ibisme, p. 217, la place directement après la nomination de Sa en 234/849; Talbi, De litizl en Ifrqiya au IIIe/IXe siècle, p. 381, la situe entre 234/849 et la mort de Sa en 240/854.

58 asan, Al-Madna wa-l-bdiya, p. 294. Sur la localisation de Qanrra, voir aussi Idris, La Berbérie orientale, p. 467, note 558, et p. 469, note 568; Lewicki, 1. Tasmiya uy Nafsa, pp. 104-105; Les noms propres berbères, F.O., XIV, p. 8. La transcription Qannr se rattache au latin centenarium, qui apparaît à plusieurs reprises dans les toponymes nord-africains (ex. Centenarium Tibubuci, lactuelle Qar Tarsn, à 75 km au sud-est de Dz). Lewicki, Une langue romane oubliée, p. 466.

59 asan, Al-Madna wa-l-bdiya, pp. 294-295. Qalat Ban Darn, à ne pas confondre avec Darn al-sufl l-adda qui lui succède après sa destruction en 440/1048-1049, était peut-être plus proche dal-mma.

60 Al-Darn, p. 500. Voir aussi Lewicki, Ibitica, 1. Tasmiya uy Nafsa, pp. 104-105.61 Gouja, Le Kitb al-Siyar, p. 110. Selon Magnin, Les Banou Al-Khalaf de Nefta, p. 348, Nefta aurait

compris au IXe siècle Darn, Farna, Qanrra et Zaafrna. 62 Rebstock, Die Ibiten, p. 215; Lewicki, Études ibites nord-africaines, pp. 79-80; Ibitica, 1.

Tasmiya uy Nafsa, pp. 103-104. Al-amm, p.109, ne précise pas quel imm nomme A

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au statut de chef-lieu rustumide reste incertaine63, les raisons de sa rapide expansion sont faciles à comprendre. Depuis le VIIIe siècle, elle accueille de nombreux émigrés wahbites venant du abal Nafsa. Cette immigration importante sexplique par la surpopulation du abal, qui force les Nafsa à gagner les terres plus fertiles de Tunisie. La région de Kairouan et le Sil64 sont également touchés par ce phénomène. Louvrage dal-Wisy reproduit une lettre de l’imm Abd al-Wahhb adressée au mil des Nafsa, dans laquelle l’imm promet daccorder à une partie de son peuple un grand territoire qui correspondrait au Sil tout entier. Un millier dhommes viennent en effet de séloigner du abal et Abd al-Wahhb craint quils ne renient leur soumission à Thart. Les Nafsa acceptent la proposition et viennent se fixer en Ifrqiya pour cultiver la terre offerte par l’imm. Al-Wisy se félicite de leur obéissance, de leur piété et de leur culture65. Cette colonisation programmée du Sil semble se dérouler pour le mieux et contenter tant les immigrés que l’imm, qui trouve en eux un profond soutien. Il semble évident que la plupart des immigrés nont pas bénéficié de terre promise et ont eu plus de peine à sintégrer, surtout lorsquils choisissaient des régions moins favorables à l’ibisme. Ainsi, al-Bakr évoque le village de Fillamana dans le abal Zaġwn, fondé par le calife fimide al-Q’im (934-946) pour y loger des étrangers réduits à la mendicité venus de chez les Hawwra et les Nafsa66. On peut supposer quaprès la chute des Rustumides, les conditions dimmigration ont été plus difficiles. Pendant le IXe siècle en tout cas, le Djérid semble être une terre daccueil privilégiée pour les Nafsa. Les écrits ibites nomment les colons de Qanrra « les Nafsat Qanrr »67. Nous pensons quil faut rapprocher la colonisation massive de Qanrra par les Nafsa de la création dune nouvelle province de l’immat. C’est d’ailleurs un de ces immigrés, A Ynus Wasm ibn Sad al-Nafs al-Tamz, qui est le mil de Qanrra.

Al-amm donne plusieurs détails sur la vie dA Ynus, qui administre Qanrra mais également ses environs. La raison de son arrivée à Qanrra est très confuse: il semblerait que lorsquil vivait dans le abal Nafsa, ses servantes, chargées de ramasser du bois dans la palmeraie, y ont laissé des creux quelles nont pas comblés. Lorsque la pluie sest mise à tomber, ces fosses se sont remplies deau

Ynus Wasm, tandis qu’Abū Zakariyyā’, p. 136 et al-Darn, p. 77, laissent penser qu’il a été nommé au début du règne d’Afla.

63 Lewicki, Ibitica, 1. Tasmiya uy Nafsa, p. 104, affirme quelle serait déjà le centre dune province rustumide dès la seconde moitié du VIIIe siècle.

64 Sur les limites géographiques du Sil, Lewicki, Un document ibite inédit, pp. 183-184; Mahfoudh, Le nord de la petite Syrte au moyen âge, pp. 193-201.

65 Al-Wisy, éd. trad. Lewicki dans Un document ibite inédit, pp. 178-179; Rebstock, Die Ibiten, pp. 217-218.

66 Al-Bakr, p. 98/46. Sur Fillamana, lancienne Villa Magna, Lewicki, Un document ibite inédit, pp. 175-176; Une langue romane oubliée, pp. 458-459.

67 Abū Zakariyyā’, p. 207; al-Darn, p. 131 qui dit « Nafsat Qannr ».

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et A Ynus, craignant les conséquences, a gagné Qanrra. Arrivé dans cette ville, il y a mené une vie méritante, a jugé tous les litiges avec équité et est parvenu à gouverner ses sujets de la meilleure façon. Al-amm ajoute quil se tenait souvent dans un endroit surélevé, où chacun pouvait lécouter, quil soit proche ou éloigné de ce lieu. Il criait et répétait: « on néchappe pas à la adaqa; celui qui y échappe est sanctionné68. » Sa wilya a duré longtemps, jusquau moment où il sest éteint, satisfait et digne déloges69.

Al-amm détaille davantage la vie de Sad ibn Ab Ynus, son fils. Ce dernier, qui habite pendant sa jeunesse à T dans le abal Nafsa, part sur ordre de son père étudier à Thart; il est accompagné de Naff ibn Nar. Après sêtre instruits auprès de l’imm Afla et avoir acquis toute la science que pouvait souhaiter Dieu, tous deux désirent rentrer dans leur pays. Cest à cette époque que décède A Ynus, laissant à Afla lobligation de désigner un nouveau mil pour Qanrra. L’imm choisit Sad pour gouverner la région à la place de son père; il inscrit sa décision dans une lettre et interdit aux deux jeunes savants de la lire avant quils narrivent dans leur pays. Naff décachette cependant la lettre à linsu de Sad et se met en colère. Furieux de voir le pouvoir lui échapper, il calomnie l’imm et lui fait savoir quil se vengera70.

Pendant toute sa vie, Sad demeure un prince / amr juste et qui craint Dieu71. Sa science est renommée: on voit ainsi un habitant du abal Nafsa venir spécialement à Qanrra pour suivre son enseignement72. Cest à Qanrra que naît le projet de rédiger une grande histoire des ibites: un Arabe wahbite, client des Lawta de Qanrra, va interroger Ab Sahl al-Fris, un célèbre poète qui est également linterprète dAfla en langue berbère, sur lhistoire des ibites. Ab Sahl compose alors, en berbère, douze livres narrant lévolution de la communauté. Une partie de ces vers sera soustraite aux wahbites par les nukkrites; le reste brûlera lors de la prise de Qalat Ban Darn en 440/1048-1049. Les wahbites ne parviendront à conserver que vingt-quatre chapitres de cette œuvre magistrale, que leurs fidèles ont heureusement pu mémoriser73.

La colonisation massive de Qanrra par les immigrés nafs explique certainement que la ville ait acquis le statut de chef-lieu rustumide. Nous proposons une hypothèse complémentaire à la compréhension de lexpansion rapide de cette

68 Ou suivant un autre manuscrit: « on néchappe pas à la adaqa; celui qui y échappe périt. » Al-amm, p. 110, note 1.

69 Al-amm, pp. 109-110.70 Al-amm, pp. 133-134.71 Al-amm, p. 135.72 Al-amm, p. 170.73 Al-amm, pp. 234-235.

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ville, en la rapprochant de la défaite ibite de 224/838-839. Qasliya / Tozeur était jusqualors le chef-lieu de la province rustumide du Djérid. Après leur victoire, les Aġlabides y nomment un nouveau gouverneur pour remplacer celui qui a été assassiné. Nul doute quils aient ordonné à ce dernier de se montrer très ferme et de contrôler soigneusement toute activité ibite. Les sources ibites ne font en tout cas plus mention dun mil rustumide à Qasliya. Il est probable que cest Qanrra qui a été alors choisie par Thart pour reprendre le flambeau et devenir le chef-lieu rustumide de la région, puisque cette ville na pas été soumise par larmée aġlabide. Cette hypothèse confirmerait que ce changement a bien eu lieu pendant le règne de l’imm Afla.

b. La naissance du schisme naffiteQanrra est le lieu d’origine d’un nouveau schisme de l’ibisme, la Naffiyya74. Le fondateur de ce mouvement est Naff ibn Nar qui, prétendant gouverner Qanrra à la mort du mil A Ynus, est furieux du choix de l’imm Afla en faveur de Sad. Il lutte sans relâche contre l’imm, qui selon lui vit dans le luxe et omet de mener la guerre aux Aġlabides75. Afla, inquiet du nombre de partisans quacquiert Naff, va tenter de faire taire le rebelle par lintermédiaire des mil-s. Il contacte dabord Miyyl ibn Ysuf, le mil du Nafzwa, puis sadresse directement à Naff dans une lettre qui na pas été conservée. Il pense même à le frapper de bara. Il considère que les innovations apportées par Naff font de ses partisans des kfir-s / mécréants, qui iront en enfer76.

Naff a rassemblé dans un livre, aujourdhui perdu, lensemble de ses idées; les sept points principaux de sa doctrine ont été mentionnés par dautres auteurs ibites, mais ces éléments ne permettent pas davoir une vision globale de son enseignement. Un des points forts de sa doctrine est le fait quil considère que la uba, qui est pour lui une innovation, doit être rejetée77. Naff ne doit pas être vu comme le chef dune communauté homogène du point de vue ethnique et territorial; il sagit davantage dun intellectuel développant une réflexion critique face aux

74 Sur Naff, asan, awla l-ur al-itimiyya, pp. 10-12; Rebstock, Die Ibiten, pp. 249-256. Voir aussi Basset, Les sanctuaires, p. 381; Lewicki, La répartition géographique, p. 312; Mélanges berbères-ibites, pp. 270-271. Dans Les historiens, biographes et traditionnistes ibites-wahbites, p. 118, Lewicki établit clairement que Naff et Sad ne sont pas frères, ce qui nest pas le cas dans la plupart des autres articles.

75 Al-amm, p. 107, insiste sur le fait que cest à cause du manque de combativité de limm face aux Abbsides que Naff sen prend à lui.

76 Sur lintimidation pratiquée par les Rustumides, asan, awla l-ur al-itimiyya, pp. 11-12; Rebstock, Die Ibiten, pp. 254-255.

77 Sur linfluence de Naff dans le abal Nafsa et la suppression du minbar, voir infra.

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agissements de l’imm78. Son discours visant à lutter contre loppression des Abbsides est particulièrement apprécié dans le Djérid, où lemprise aġlabide est très forte. Naff parvient manifestement à convaincre les habitants que linactivité des Rustumides face à lexpansion des émirs est particulièrement choquante. Les gens de Qanrra, qui sont à cette époque toujours rattachés aux Rustumides, sont frappés par lexemple de leurs voisins de Qasliya, que Thart naide en aucune façon à se débarrasser du joug aġlabide. Insistant sur loppression que les Aġlabides imposent aux ibites, Naff se rallie une bonne partie des oasiens.

On ignore quels sont les rapports entre Sad ibn Ab Ynus et Naff, dont la propagande anti-rustumide sème sans doute le trouble dans toute la Qasliya. Al-amm raconte à ce sujet une seule anecdote, qui comme souvent est très énigmatique: Sad fait bâtir une grande maison dont larchitecte est Naff. Comme il est le gouverneur de la ville, des gens viennent fréquemment le consulter et il craint que ses administrés ne pensent quil est satisfait de Naff. Ainsi, lorsque des notables se présentent chez lui, il demande en public à son architecte à quel moment il compte abandonner son égarement et son athéisme / kufr. « Dieu me préserve de répudier ma foi », lui répond Naff. Lorsque Sad se retire, il fait remarquer aux gens qui ont assisté à la scène que ce nest pas comme cela que lon remercie quelquun qui a exécuté un travail, la juste récompense étant du pain et de la viande79.

Il est probable quà cette époque, Qanrra est un grand centre de controverse et que les ibites se pressent pour assister aux affrontements théologiques entre les deux camps. La cohabitation des deux savants ne dure pas éternellement: par crainte des Rustumides, Naff va propager son enseignement dans le abal Nafsa, où Sad le fait surveiller80. Son mouvement a beaucoup de succès dans cette région, mais les wahbites font limpossible pour tenter de limiter son influence. Le savant ibite Mahd al-Nafs, notamment, est resté célèbre pour avoir mis en échec les manigances de Naff et pour avoir empêché la diffusion de son hérésie81. On voit également un pieux savant parcourir le abal à quarante reprises pour mettre la population en garde contre la sédition de Naff82. Après son séjour dans le abal Nafsa, Naff part au Mariq et à Bagdad83. Sad ibn Ab Ynus, quant à lui, demeure à Qanrra, quil gouverne toujours en 896 à l’époque de Mn84.

78 Rebstock, Die Ibiten, p. 252. Pour lui, p. 254, la révolte de Naff, par sa critique de limm, est une sorte de variante du alafisme.

79 Al-amm, p. 135.80 Basset, Les sanctuaires, p. 381. Pour Ab Zakariyy’, p. 139, Sad suit Naff dans le abal Nafsa

où se déroule, un peu différemment, l’anecdote relative à la construction de la maison.81 Al-amm, pp. 79-80.82 Al-amm, p. 118.83 Al-amm, p. 134.84 Al-amm, p. 135.

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Les naffites se multiplient à Qanrra à côté des wahbites, mais le mouvement sessouffle rapidement dans cette région. Ce nest pas le cas partout: au XIe siècle, des fidèles de Naff vivent encore dans le abal Nafsa et en face de Djerba, dans la presquîle de Akra85. Al-Tin les signale encore au début du XIVe siècle dans le Sud-Est tunisien86. Outre les naffites et les wahbites, Qanrra compte également des sakkkites. Ces derniers appartiennent à une autre fraction de l’ibisme, créée par Sakkk à Qanrra, à une époque inconnue. Sakkk rejette la sunna et considère que l’appel à la prière et la prière en commun sont des innovations; sa seule source est le Coran. Son mouvement connaît peu de succès et paraît se limiter à Qanrra. Les wahbites s’opposent aux sakkkites en les traitant de murik-s. Ces derniers disparaissent au XIe siècle87.

Les sources ibites ne mentionnent pas que la cohabitation des wahbites, des sakkkites et des naffites à Qanrra a dégénéré en lutte sanglante. Ce nest pas le cas plus à lest: à Djerba, une partie de la population renie lautorité de l’imm Ab l-Yaqqn88, à linstigation du fils de alaf ibn al-Sam. Pour réprimer cette rébellion alafite, le gouverneur rustumide du abal Nafsa, Ab Manr Ilys al-Nafs, va affronter son meneur. Al-amm raconte que le fils de alaf ibn al-Sam se réfugie chez les Zawwġa. Les alafites attaquent Ab Manr Ilys al-Nafs à R89, sur la côte qui fait face à Djerba, mais leur armée est défaite et nombre dentre eux sont tués. Le fils de alaf gagne alors Djerba et se retranche dans certains des qur de lîle. Il est cependant livré par les habitants de Djerba à Ab Manr Ilys, qui le met en prison90.

11. LE DÉSASTRE DE M

a. Le massacre des savants nafsDepuis laccord de paix conclu en 812 entre limm Abd al-Wahhb et l’émir Abd Allh, les ibites du abal Nafsa nont jamais dû affronter les Aġlabides. Cest en 283/896 que cette alliance est définitivement rompue en Tripolitaine. Les Nafsa barrent la route menant vers lÉgypte à larmée aġlabide, qui dit vouloir

85 Lewicki, La répartition géographique, p. 312. Al-amm, p. 225, les signale dans la première moitié du XIe siècle dans cette presquîle.

86 Al-Tin, p. 188/165.87 Ab Zakariyy’, pp. 192-193, consacre un chapitre à la Sakkkiyya qui est pour lui la cinquième

scission au sein de l’ibisme. Voir Cuperly, Introduction à l’étude de l’ibisme, pp. 57-58 et p. 117; Lewicki, La répartition géographique, p. 314; Les subdivisions de l’Ibiyya, p. 81.

88 Il règne jusquen 281/894-895.89 Sur R et la presquîle de Akra, voir infra.90 Al-amm, p. 147. Sur cet épisode, Prevost, L’influence de l’État rustumide dans le Sud

tunisien.

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aller attaquer les nides. Selon Mohamed Talbi, Ibrhm II a pour but premier d’aller assassiner son cousin, le gouverneur aġlabide de Tripoli, qui constitue un rival sérieux appuyé par le calife. Talbi pense que son intention n’est pas d’aller attaquer les ibites nafs et que la bataille sest déclenchée « accidentellement peut-on dire »91.

Selon al-amm, à cette époque, les ibites nafs ont atteint un niveau inégalé de science, de piété, de justice et de ferveur; ils sont respectés du Maghreb au Mariq92. La plupart des Nafsa se mettent daccord pour aller au devant dIbrhm II, qui est arrivé à Tripoli. Cependant, leur amr / gouverneur rustumide Afla ibn al-Abbs sy oppose fermement, de même que Sad ibn Ab Ynus, le gouverneur de Qanrra93. Malgré leurs avertissements, les Nafsa se mettent en marche vers l’armée ennemie et la rencontrent vers le milieu de rab I 283/début mai 896, à Mn, au sud de Gabès. Ils luttent jusqu’au dernier mais leur défaite est terrible. De nombreux ibites doivent se jeter dans la mer pour échapper au massacre: les soldats les y poursuivent et continuent le carnage à un point tel que la mer se teint de sang! Au plus fort de la bataille, constatant la déroute de son peuple, le gouverneur rustumide des Nafsa Afla ibn al-Abbs ordonne au porte-drapeau de ficher létendard fermement dans le sol. Ce dernier refuse à deux reprises de le faire mais est finalement obligé de sexécuter. Lorsque létendard est planté, Afla ibn al-Abbs séloigne, abandonnant les Nafsa à leur sort en leur interdisant de séloigner du drapeau94.

Toute l’élite intellectuelle du abal périt ce jour-là; al-amm déplore la mort de douze mille soldats ibites et de quatre cents de leurs savants; quatre-vingts savants sont également faits prisonniers et emmenés à Kairouan où Ibrhm II les fait assassiner95. Parmi ces prisonniers se trouve un savant réputé, Amrs ibn Fat, qui refuse de renier sa foi. Les bourreaux aġlabides déchiquettent son corps avec des cisailles en fer, en commençant par les mains; quand ils atteignent les coudes, Amrs ibn Fat meurt en martyr96. De nombreuses femmes nafs combattent vaillamment et certaines sont faites prisonnières; craignant quelles ne soient livrées à la perversité de leurs geôliers, une des captives ordonne à chacune de

91 Talbi, L’Émirat aghlabide, p. 297. Sur la bataille de Mn, Kitb al-Uyn, 1972, pp. 67-69; Ibn I, I, p. 119 et pp. 129-130; al-Nuwayr, pp. 429-431; Ibn aldn, Aghlabites, pp. 56-57/130-132; al-amm, p. 153 et pp. 206-210. Talbi, LÉmirat aghlabide, p. 301, identifie Mn à l’actuelle Mareth. Lewicki, E.I., s.v. Mn, pense quil sagit de lancienne (Ad) Ammonem, à une trentaine de kilomètres à louest de abra.

92 Al-amm, p. 206.93 Al-amm, p. 206.94 Al-amm, p. 208.95 Al-amm, p. 208.96 Al-amm, p. 153 et p. 208.

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ses compagnes dinfortune dépouser celui qui aurait abusé delle97. On raconte quà lissue de la bataille, Ibrhm II regrette de navoir pas remporté une telle victoire sur des ennemis de Dieu. Un officier lui amène alors un ay nafs qui lui affirme que Al est un infidèle et que quiconque ne partage pas cette opinion le rejoindra dans les feux de lenfer. Réalisant que cette croyance est répandue chez tous les Nafsa, Ibrhm II se réjouit de sa victoire et arrache les cœurs de cinq cents prisonniers98.

Al-amm raconte plusieurs anecdotes invraisemblables sur la bataille de Mn. Lhistorien rapporte par exemple quaprès la fin du combat, un homme appartenant à larmée de la crapule / fsiq, cest-à-dire à larmée dIbrhm II, vient à la nuit tombée sur le champ de bataille, afin demporter le corps de son frère et de lenterrer ailleurs. Après avoir hissé le cadavre sur la selle de son mulet, il aperçoit une sorte de lévrier arabe / sal, qui déambule parmi les cadavres en disant: « Glorifiez Dieu, gens du paradis »! Les Nafsa défunts et leurs partisans se mettent alors à glorifier Dieu. Lapparition dit ensuite: « Aboyez, chiens de lenfer / »! Les cadavres aġlabides aboient alors. Soudain, lhomme terrorisé saperçoit que son frère aboie lui aussi sur la selle de son mulet; il le désarçonne et senfuit99.

b. La soumission des oasis au pouvoir aġlabideAprès avoir quitté Mn, les troupes aġlabides enhardies viennent soumettre définitivement la Qasliya et le Nafzwa. Ibrhm II sattaque à Qanrra et y fait exterminer le plus grand nombre possible dibites100. Il semble quil ne rencontre que peu de résistance chez les ibites de cette localité. Selon Ab Zakariyy’, il ny a plus à Qanrra que « le reste des ahl al-dawa », cest-à-dire les derniers ibites, cela désignant manifestement ceux qui ne sont pas partis se battre à Mn101. Cette résignation des habitants paraît curieuse; sans doute les auteurs ibites ont-ils tenté de justifier de cette façon la cruelle défaite subie par cette communauté. On se souvient que Sad, son gouverneur, a refusé de sopposer à larmée dIbrhm II. Al-amm affirme, dans son langage imagé, quune partie de la population lui reproche sa lâcheté et laccuse de navoir pas voulu mourir dans la voie de Dieu, bien que les dattes de Qanrra lui manquent102. Sad se défend en invoquant quil

97 Al-amm, p. 153.98 Ibn I, I, p. 130; al-Nuwayr, p. 430.99 Al-amm, p. 209.100 Al-amm, p. 209.101 Ab Zakariyy’, p. 155, qui situe à Qanrra la capture des quatre-vingts savants.102 Al-amm semble vouloir dire que malgré son amour de Qanrra, le gouverneur na pas voulu

combattre pour défendre sa ville. Les dattes auxquelles il fait allusion sont de la variété al-add. Ab l-Arab signale que cest la meilleure variété de dattes produite dans la Qasliya. aya, Malmi an al-ni al-fil, p. 43. Voir Dozy, Supplément, s.v. add.

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craignait que la vache ne soit égorgée et que son petit ne la suive, faisant allusion au abal Nafsa et à Qanrra103. Ailleurs, Sad répète quil a eu peur pour la vache et que son veau la suivie, la vache étant le abal Nafsa et le veau étant Qanrra104. Al-amm est indulgent par rapport à la conduite de Sad: il vante sa justice et sa piété et souligne que son mauvais pressentiment sest réalisé105. Sil excuse le comportement timoré de Sad, il reproche à Afla ibn al-Abbs, le gouverneur rustumide des Nafsa, davoir cherché à nuire aux ay-s nafs parce que ces derniers lavaient contraint au ur106.

Après avoir soumis Qanrra, larmée aġlabide gagne le Nafzwa, où elle extermine à nouveau les ibites. Apprenant que le faqh Ab Bakr ibn Ysuf al-Nafs et son fils sont encore en vie, Ibrhm II envoie quelquun pour les capturer. Le faqh prie Dieu et invoque le fait quil est victime dune injustice. Dieu fait alors souffler le vent et répand lobscurité, immobilisant ainsi les soldats aġlabides. Malgré sa cécité, le faqh empoigne son fils par la main et se sauve avec lui: al-amm le nomme mustab al-du / celui dont les prières ont été exaucées107.

L’année suivante, le fils dIbrhm II va poursuivre les dévastations dans le abal. Il y fait assassiner tous les ibites qui tombent à la merci de ses troupes et sapproprie leurs femmes; il ramène environ trois cents captifs à Kairouan, dont les cœurs sont exposés enfilés sur une corde à la Porte de Tunis108. Lacharnement des Aġlabides à lencontre des ibites montre bien que l’affaire nest pas « accidentelle », contrairement à ce que dit Mohamed Talbi, même si les Aġlabides ont peut-être été réellement surpris de trouver les Nafsa sur leur route. Puisque les Nafsa étaient si puissants à cette époque, on peut imaginer quIbrhm II a voulu provoquer un conflit en se rendant sur leurs terres.

Les Aġlabides viennent donc à bout de ces ibites qui sont depuis 224/838-839 coupés de Thart, mais qui prêchent toujours leur doctrine. Il est probable quun des lieux privilégiés de leur prosélytisme se trouve être précisément le Djérid, dont la reconquête pourrait marquer un renouveau de limmat de Thart. Les relations sont fort étroites entre les colons nafs et le abal quils ont quitté: Sad ibn Ab Ynus compare le abal Nafsa à une vache dont le veau est Qanrra. Les liens entre les colons et leur pays natal pourraient expliquer que les Aġlabides s’en prennent automatiquement à Qanrra à l’issue de la bataille de Mn: ils verraient là le

103 Al-amm, p. 135.104 Al-amm, p. 207.105 Al-amm, p. 135 et p. 209.106 Al-amm, p. 208.107 Al-amm, p. 213. Cest Ab Zakariyy, pp. 155-156, qui fait le lien entre le Nafzwa et le

faqh Ab Bakr ibn Ysuf al-Nafs. 108 Ibn I, I, p. 130. Al-amm, pp. 208-209, évoque trente prisonniers.

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prolongement direct du abal et massacreraient de ce fait toute la population. Outre cela, ils attaquent Qanrra parce quil sagit dun district rustumide du Djérid. Quant aux Nafsa, la défaite quils subissent ruine la prépondérance intellectuelle qu’ils incarnaient jusqu’alors chez les ibites.

Les conséquences de la défaite de Mn semblent indiquer quil existait en fait deux Qanrra: l’une d’elles se situait dans la Qasliya tandis qu’une autre ville du même nom aurait existé dans le abal Nafsa. Mohamed Gouja établit lexistence de cette Qanrra du abal Nafsa: il s’agirait de l’actuelle T au nord de Kabw. Cette ville aurait été détruite à la bataille de Mn, ce qui expliquerait qual-Wisyn n’en parle pas puisqu’elle était en ruine109. Ulrich Rebstock confond apparemment les deux villes: il place Qanrra dans la province de Qasliya mais dans le même temps, il dit quelle correspond à lactuelle T110. Il nest pas surprenant que deux villages portent exactement le même nom, surtout si ce nom provient du latin; il existe par ailleurs une autre localité présente à la fois dans le abal Nafsa et dans le Nafzwa: cest le village de T(i)nz(a) / Tn Z111.

12. SYNTHÈSE DE LÉVOLUTION DES COMMUNAUTÉS IBITES

Si lon peut affirmer que les populations ibites du Sud tunisien se sentent dès sa fondation proches de limmat de Thart, il faut apparemment attendre le début du IXe siècle pour que ce lien sofficialise. Limm Abd al-Wahhb profite des quelques années quil passe aux côtés des Nafsa pour mobiliser les ibites du Sud tunisien et étendre linfluence de Thart à toute la région. Cest certainement suite au traité de paix conclu avec lémir Abd Allh en 196/812, qui lui assure la suprématie sur larrière-pays de Tripoli, que Abd al-Wahhb décide de nommer un mil dans chacune des communautés ibites. Zaqqn ibn Umayr est alors le premier mil rustumide de la Qasliya. Le mil de Gabès est désigné à la même époque et on peut supposer quil en va de même pour les mil-s de la partie méridionale du

109 Gouja, Le Kitb al-Siyar, p. 109. Sa démonstration est la suivante: chez al-Wisy (mais pas chez al-amm!), les défaites du abal Nafsa et de Qanrra ont lieu la même nuit; comme le gouverneur assiste aux deux affrontements, cela indiquerait qu’ils ont lieu au même endroit. Hormis cela, un autre élément pourrait suggérer quil a bien existé deux Qanrra: al-amm, pp. 189-190, donne la biographie dAb Muammad al-Qan, qui semble avoir vécu toute sa vie dans le abal Nafsa et qui nest pas classé parmi les savants de lIfrqiya.

110 Rebstock, Die Ibiten, p. 215. 111 Lewicki, Ibitica, 1. Tasmiya uy Nafsa, pp. 106-107. Tn est un mot berbère qui signifie

« datte »; il entre dans la composition de nombreux toponymes, particulièrement dans le wd Rġ. Lewicki, Mélanges berbères-ibites, pp. 282-283 et p. 277. Dans Un document ibite inédit, pp. 182-183, Lewicki pense au contraire que Tn vient du berbère ti n qui signifie « celle de », fréquent dans lancienne toponymie africaine.

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abal Dammar, du Nafzwa et de Gafsa. Lenvoi dun mil na de sens que si limm peut lui déléguer des compétences: à partir de cette date, il collecte limpôt des ibites et gère leur communauté. Au début du siècle tout au moins, le Djérid, Gabès et Gafsa vivent sous une double souveraineté: le rattachement à lémirat leur est imposé, la soumission aux Rustumides relève de leur propre choix. Nous pensons que les Aġlabides ont à cette époque fortement réduit leur autorité sur la Qasliya, de façon à maintenir la paix avec Thart: ils se seraient contentés dune souveraineté de principe sur cette région et nauraient quexceptionnellement levé limpôt. Il est probable quils ont adopté une attitude similaire vis-à-vis des autres communautés ibites ifrqiyennes.

Au début du siècle, les ibites de la Qasliya sont tous wahbites, mais ils accueillent progressivement de nombreux réfugiés nukkrites, chassés de Thart par Abd al-Wahhb. Les communautés de Gabès et de Djerba, par contre, sont déjà divisées: une partie de leurs membres se réclament du chef schismatique alaf ibn al-Sam, qui sera définitivement battu par Afla en 221/835-836. En 823, la nomination dAfla entraîne de nouvelles dissidences parmi les ibites et renforce les convictions des nukkrites. Le début de son règne coïncide avec la prise de pouvoir du und en Ifrqiya: les ibites du Nafzwa prennent le parti de lémir Ziydat Allh et laident à retrouver son trône. Cest pourtant à la fin du règne dAfla que lattitude des Aġlabides se resserre vis-à-vis de la Qasliya; ils veulent dorénavant jouir des pleins pouvoirs sur la région et tentent alors dy lever régulièrement limpôt. Cela aboutit au meurtre du gouverneur de Tozeur. En 224/838-839, les troupes aġlabides mettent fin à la relative autonomie que connaissent les ibites et compromettent dans le même temps les liens qui unissaient Thart et ses provinces orientales. Ils imposent de force un gouverneur aġlabide à Tozeur et une bonne partie de la Qasliya est dorénavant soumise à leur autorité. On peut supposer quils renforcent également leur contrôle sur Gafsa et Gabès, mais les sources sont muettes, tout comme pour Djerba, qui a pourtant certainement joui, grâce à sa situation insulaire, dune plus grande indépendance. Peu après avoir mis fin à la révolte des ibites, les Aġlabides cessent définitivement toute tolérance religieuse en chassant les ibites de la Grande Mosquée de Kairouan.

À partir de la révolte de 839, les sources ne mentionnent plus de gouverneur rustumide à Qasliya. Désormais, il est basé à Qanrra. Cette ville, située dans la Qasliya, est principalement peuplée par une colonie de Nafsa wahbites fidèles aux successifs imm-s de Thart. Elle est pourtant le lieu dorigine de deux nouvelles sécessions: si celle de Sakkk est de moindre importance, celle de Naff prend une certaine ampleur. Une partie non négligeable des ibites du Sud tunisien

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prennent parti pour Naff et sopposent de ce fait à limm. Un second groupe de mécontents vient donc sajouter aux nukkrites, dont linfluence ne cesse de croître dans la région. Il semble que dans la période qui suit la soumission de Tozeur aux Aġlabides, les ibites du Sud tunisien se désolidarisent progressivement de Thart. Dans la seconde moitié du IXe siècle, la puissance des Rustumides décline à cause de ces multiples sécessions, qui creusent un fossé de plus en plus profond entre Thart et les communautés qui en sont éloignées. La bataille de Mn et les massacres de savants ibites qui en sont la conséquence ruinent définitivement linfluence rustumide dans le Sud tunisien, qui est totalement et définitivement rattaché à lémirat aġlabide.

Cette synthèse, qui relève évidemment de lhypothèse, retrace lévolution la plus logique des communautés ibites du Sud tunisien, compte tenu des rares renseignements historiques dont nous disposons. Il semblerait donc que Tozeur a réellement appartenu à limmat de Thart pendant environ un quart de siècle, puisquun mil rustumide y est présent entre 812 environ et 224/838-839. La ville de Qanrra, par contre, semble rester soumise à Thart jusquà lextrême fin du siècle, bien quune partie de ses habitants adoptent des doctrines schismatiques. La situation de Gabès et de Gafsa doit certainement être rapprochée de celle de Tozeur. Quant à Djerba, qui est également fortement marquée par laffluence de nukkrites, elle paraît suivre son propre destin, revendiquant, mais de loin, la souveraineté rustumide.

Après la défaite de Mn, avec laide des deux savants qui ont échappé à la mort, Ab Bakr ibn Ysuf al-Nafs et son fils, les communautés ibites du Sud tunisien vont rapidement se reconstituer, mais dans le kitmn le plus absolu. Ce sont alors les tendances sécessionnistes, naffite mais surtout nukkrite, qui prennent le dessus sur les wahbites dans la Qasliya.

13. LE MLIKISME DANS LE SUD TUNISIEN

Les Madrik du q Iy (m. 544/1149) donnent de nombreux noms de faqh-s qui enseignent dans le Sud tunisien ou en sont originaires. Ces notices fournissent pour la plupart le nom des prestigieux savants dont le faqh a entendu les leçons, le nom de ses étudiants devenus célèbres et la date de sa mort. Malheureusement, ces biographies sont rarement plus détaillées. Les personnages présentés ci-dessous prouvent quil y a bien dans le Sud tunisien aġlabide, à côté des docteurs ibites, dactifs représentants du sunnisme:

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– Abd Allh ibn Sahl al-Qibriyn, vertueux compagnon de Sann, est kairouanais mais, selon Iy, cest à lorigine un A / non-Arabe. Sann nomme al-Qibriyn au poste de q de la Qasliya, de Gafsa, du Nafzwa et de toute la circonscription / wa-amalih. Il meurt en 248/862-863112. – Muammad ibn Tamm al-Qaal al-Anbar est originaire de Qafat Qaliya, dont on notera la curieuse formulation. Ce personnage, qui est une source dal-Mlik, est mort en 260/873-874113. – Amad ibn Yall, natif de Tozeur, est également lélève de Sann. Iy dit quil est obéi dans son pays mais quil refuse le poste de q de Qasliya; de nombreuses personnes de Kairouan et dailleurs viennent y suivre ses cours. Plus loin, Iy précise quAmad ibn Yall fait partie des trois savants les plus dévoués qui soient. Il meurt à Tozeur en 262/875-876114. – lid ibn Nar, élève de Sann, est originaire de Qasliya et meurt en 270/883-884115. – Le Kitb al-Uyn wa-l-ad’iq f abr al-aq’iq mentionne en 263/876-877 la mort dAb l-asan ibn Isml al-Farn, personnage mlikite natif de Farna près de Nefta, qui a suivi entre autres l’enseignement de Sann116.– Ab Zayd al-Kinn, élève de Sann, est originaire de Tozeur; il fait le voyage en Orient pour étudier les ad-s et meurt en 280/893-894117. – Yazd ibn lid, autre docteur mlikite, est natif dal-mma / mmat Qasliya; il meurt vers 286/899-900118.

Un récit plus détaillé concerne les mésaventures dun des q-s officiant dans le Djérid: Ibrhm II nomme au poste de q mlikite de Qasliya asan ibn al-Bann, dont le peuple se plaint. Lémir fait porter une lettre destinée au gouverneur de Qasliya, mais elle arrive en labsence de ce dernier. La population sempare de la lettre, y trouve lordre demprisonner asan ibn al-Bann et se rend au tribunal pour insulter le q quelle a pris en grippe. asan fait battre ses accusateurs mais sur ces entrefaites, le gouverneur sannonce; il emprisonne asan et le fait conduire à Kairouan, pour quil soit jugé par le grand q. Par la suite, asan peut prouver son innocence et est nommé secrétaire du q s ibn Miskn; il meurt au début

112 Iy, pp. 157-158.113 Al-Mlik, I, pp. 290-291; Iy, p. 157.114 Iy, pp. 202-203 et p. 310.115 Ab l-Arab, dans al-Wazr al-Sarr, I, p. 405; Iy, p. 335.116 Ab l-Arab, dans al-Wazr al-Sarr, I, pp. 415-416; Kitb al-Uyn, 1972, p. 55, qui dit al-

Fars; Iy, p. 203, qui dit al-Qar.117 Iy, p. 335.118 Iy, p. 332.

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du règne du Mahd Ubayd Allh119. Ibn I raconte exactement la même histoire sous le règne de Ziydat Allh III120. Cette anecdote prouve quun des émirs au moins, Ibrhm II, a le souci de ce qui se passe à Qasliya: sur simple dénonciation des habitants, il ordonne en effet que leur q soit publiquement destitué. Il apparaît donc que dans la seconde moitié du IXe siècle, les Aġlabides dotent le Sud tunisien de q-s successifs et que par ailleurs, cette région voit naître un certain nombre de faqh-s mlikites, qui défendent leurs idées tant dans leurs terres natales quà Kairouan, aux côtés dune personnalité telle que Sann.

14. LE STATUT DU NAFZWA

Si lon en croit les travaux de Tadeusz Lewicki121, le Nafzwa na été rattaché à lémirat aġlabide quaprès la bataille de M: avant 896, il aurait donc fait entièrement partie du royaume rustumide. Sil est vrai que nous ne connaissons aucun nom de gouverneur aġlabide pour le Nafzwa, cet argument paraît bien faible pour affirmer que cette région est restée si longtemps indépendante du reste de lIfrqiya. Il semble difficilement concevable que le Nafzwa, qui forme une unité géographique avec la Qasliya, ait totalement échappé au contrôle des émirs, surtout après lexpédition militaire qui vient réduire les rebelles dans le Sud tunisien en 224/838-839. Plusieurs éléments suggèrent d’ailleurs quil y avait bien dans cette région une représentation aġlabide, même si elle était moins pesante quailleurs.

Le premier élément est évident et il est étonnant que Tadeusz Lewicki, qui affirme que le Nafzwa na fait partie de lémirat quaprès la défaite de M, ne lait pas souligné: lors de la révolte du und, les historiens arabes disent explicitement que le Nafzwa est une des quatre régions qui demeurent aux mains de Ziydat Allh. Ils entendent donc clairement que la région fait partie des territoires de lémirat en 825122. Il semble que lémir a profité de laide de cette région pour recouvrer son pouvoir et la laissée ensuite, tout comme Tozeur, poursuivre sa vie ibite. On peut également envisager quaprès la victoire, un accord a été signé entre le mil ibite du Nafzwa et Ziydat Allh, qui aurait reconduit la quasi-autonomie de la région.

119 Al-Mlik, II, pp. 156-159; Iy, pp. 371-373. 120 Ibn I, I, pp. 142-143, raconte comment le q de Qasliya, Abd Allh ibn Muammad ibn

Mufarri, connu sous le nom dIbn al-i, est démis dans dépouvantables circonstances en 294/906. Arib ibn Sad, éd. trad. dans Kmal, Monumenta, III, fasc. 2, p. 644, le nomme Abd Allh ibn Muammad ibn Mufra, connu sous le nom dIbn al-i, et situe sa démission la même année.

121 Lewicki, Un document ibite inédit, p. 185; Les ibites en Tunisie, p. 11.122 Si toutefois le Nafzwa est toujours indépendant après la révolte du und, on peut imaginer que

la permanence de cette indépendance a été la condition du soutien ibite à la cause de Ziydat Allh.

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En second lieu, il est difficilement concevable que le Nafzwa continue à demeurer totalement indépendant après la révolte des tribus du Sud tunisien. En 224/838-839, suite à leur éclatante victoire, il aurait été facile pour les Aġlabides dimposer un gouverneur au Nafzwa, si cette région nen avait pas. Les forces ibites étaient provisoirement anéanties et le Nafzwa rustumide représentait alors, avec Qanra, le dernier bastion important des hérétiques dans la région. Le fait que les Aġlabides ne sen prennent pas à ces deux places indique sans doute quils ny trouvent aucun intérêt, puisque lensemble de la région leur est officiellement soumis; cest de leur plein gré quils leur laissent une certaine autonomie.

Le troisième élément est fourni par une notice de Iy, disant que Sann nomme Abd Allh ibn Sahl al-Qibriyn au poste de q de la Qasliya, de Gafsa, du Nafzwa et de toute la circonscription / wa-amalih123. Il apparaît donc quavant 248/862-863, date de la mort du q, les Aġlabides, à une occasion au moins, ont considéré que la Qasliya, Gafsa et le Nafzwa ne formaient quune seule entité, puisquils y nomment un seul q. Iy est à notre connaissance le seul à donner cette information, mais il ny a pas de raison de la mettre en doute. Il serait curieux que les Aġlabides éprouvent le besoin de désigner un q chargé du Nafzwa si cette région ne fait pas partie de leurs possessions: al-Qibriyn constitue dès lors un argument supplémentaire pour penser que le Nafzwa était bien « soumis » aux émirs. Al-Ya affirme en outre, avant la bataille de Mn, que la principale ville du Nafzwa, nommée Biaa / Bar, est la résidence des mil-s, qui sont certainement aġlabides124.

Il semble évident quil y a toujours eu une représentation aġlabide au Nafzwa, même si elle était indirecte. À la fin du VIIIe siècle, la région était dirigée par les Muhallabides et son chef-lieu, Ba, accueillait certainement un représentant du pouvoir central. On ne voit pas pourquoi les Aġlabides auraient pris le contrôle de lensemble des territoires administrés par les Muhallabides, à lexception du Nafzwa. Nous pensons que la situation du Nafzwa au début du siècle était similaire à celle que connaissait Tozeur: en vertu de laccord conclu avec les Rustumides en 196/812, les émirs navaient quune souveraineté officielle sur le Sud tunisien et acceptaient que ses habitants vivent sous tutelle rustumide. Le gouverneur aġlabide basé à Tozeur avait sans doute en charge lensemble des oasis du Djérid et du Nafzwa. Au début du siècle, son rôle était pratiquement nul. Après 224/838-839, contrairement à Tozeur, le Nafzwa a pu continuer à bénéficier dune relative autonomie, tout comme Qanra. Outre de probables accords avec les Rustumides,

123 Iy, p. 158.124 Al-Ya, Kitb al-Buldn, p. 350/213.

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dont on ne sait malheureusement rien, deux éléments ont peut-être concouru à son autonomie, sa bonne conduite vis-à-vis des Aġlabides et son relatif éloignement géographique. Il est certain quaprès la bataille de M, lintervention aġlabide au Nafzwa entraîne, si ce nest déjà fait, son annexion à lémirat et la nomination dun gouverneur chargé de surveiller étroitement la région.

Après des décennies de prospérité, la fin du siècle est beaucoup moins favorable aux Aġlabides. Les émirs deviennent très impopulaires, à cause de la fiscalité outrancière quils imposent aux populations. Le règne d’Ibrhm II (875-902), peu à peu gagné par la folie, marque déjà la décadence des Aġlabides. Son successeur tente de réhabiliter moralement la dynastie mais il est rapidement assassiné sur ordre de son fils, le dernier émir Ziydat Allh III. Tout en se proclamant champion du sunnisme, ce dernier mène une vie de débauche ostentatoire et ruine la fortune accumulée par ses prédécesseurs. Ses excès et sa cruauté font le jeu de la propagande ite, qui prône l’austérité. Son seul appui demeure la garde noire; celle-ci se révélera bien insuffisante face aux attaques des armées de Kutma dirigées par le d.

15. LE SUD TUNISIEN AĠLABIDE VU PAR LES GÉOGRAPHES ORIENTAUX

a. Al-Ya Historien et géographe irakien ite, al-Ya est l’auteur d’une histoire universelle, qui court jusquen 872. Son Ta’r donne un aperçu des royaumes du bild al-Sn, riches en or, à la fin du IXe siècle. Son second ouvrage est le Kitb al-Buldn, rédigé en 891, pour le besoin duquel il effectue de nombreux voyages et se renseigne sur les différentes parties du Dr al-Islm auprès des commerçants et des voyageurs. Sil semble peu probable qual-Ya se soit rendu dans le Maghreb extrême, il visite par contre la Berbérie après 873/4 sous le règne dIbrhm II125. Le chapitre consacré au Maghreb débute par la route qui mène dÉgypte à Barqa et la description des principales villes libyennes. Il évoque la région des Nafsa, qui sétend de la frontière de Tripoli jusquaux abords de Kairouan. Les Nafsa sont ibites, ils ne parlent pas larabe et obéissent à leur chef, Ilys126. Ils ne paient le ar à personne mais sont soumis à Abd al-Wahhb, limm de Thart127.

Al-Ya décrit Gabès comme une grosse ville florissante, située au bord de la mer, qui regorge d’arbres, de fruits et de sources intarissables. Sa population est

125 Lewicki, L’État nord-africain de Thert, p. 518. La première référence est à léd. de Goeje, la seconde à la trad. Wiet.

126 Il sagit dAb Manr Ilys, le mil rustumide des Nafsa, qui a affronté le fils de alaf ibn al-Sam dans la presquîle de Akra. Voir supra.

127 Al-Ya, Kitb al-Buldn, p. 346/207.

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un mélange dArabes, de Aam et de Berbères. Un mil y représente l’autorité dIbn al-Aġlab, le maître de l’Ifrqiya. Cinq étapes séparent Tripoli de Gabès; cette région prospère est habitée par des Berbères zant et lawt et par des Afriqa128. Si ces renseignements sont maigres, les indications concernant la population sont très intéressantes. Pour distinguer les différents groupes qui composent la population des villes, al-Ya se base essentiellement sur la langue utilisée et oppose donc les Arabes aux Aam / non-Arabes, qui sexpriment dune façon incompréhensible et ne comprennent pas la langue coranique129. Les Aam sont eux-mêmes divisés en plusieurs groupes selon la langue quils emploient. Dans la description de Kairouan, al-Ya distingue les Aam al-balad / non-Arabes du pays, des Aam réels, qui sont les étrangers venus dOrient principalement avec larmée. Ces étrangers, provenant majoritairement de Perse ou du urn, vivent à Kairouan et dans les villes de garnison. Quant aux Aam al-balad, ils comprennent plusieurs catégories de population, les Berbères bien sûr, mais également les descendants des anciens maîtres de la province, romains ou byzantins. Les Afriqa130 forment la population christianisée la plus ancienne de lIfrqiya; ils sont le plus souvent sédentaires, citadins ou ruraux. Ils se distinguent des Rm arrivés plus récemment et sont une fusion des Latins et des Berbères, qui ont conservé « une empreinte des Phéniciens »131. Si les Rm perpétuent lusage du grec, les Afriqa parlent un latin typiquement africain, lié au culte chrétien, qual-Idr signale encore à Gafsa au XIIe siècle132.

Après avoir évoqué Gabès, al-Ya sétend sur Kairouan, caractérisée par la diversité de son peuplement. La capitale est au centre de sa description de lIfrqiya; toutes les distances sont calculées par rapport à cette ville. Au sud de Kairouan se trouve le pays de Qammda133 dont lancienne capitale Sbeitla a été remplacée par Makra134. Al-Ya donne ensuite quelques indications sur les oasis du Djérid et du Nafzwa: du pays de Qammda, on gagne Gafsa, une ville fortifiée entourée

128 Al-Ya, Kitb al-Buldn, pp. 346-347/208. Létape / maralla correspond dans lusage médiéval à la distance quun voyageur peut parcourir en une journée; elle varie donc fortement selon la difficulté du parcours. E.I., s.v. Maralla.

129 Gabrieli, E.I., s.v. Adjam.130 Afriqa / Afriq est le pluriel arabe dAfrq ou Ifrq, qui se rattachent à Afri, terme qui désignait

dans lAntiquité les indigènes romanisés de la Proconsulaire. Lewicki, Une langue romane oubliée, p. 417. Sur les étymologies dAfri, Talbi, E.I., s.v. Ifriya.

131 Speight, Témoignage des sources musulmanes sur la présence chrétienne, p. 77.132 Al-Idr, pp. 104-105/122. Saada, Éléments de description du parler arabe de Tozeur, p. 104,

signale que le terme Afriqa est toujours utilisé dans la région de Tozeur pour désigner « les éléments de la population ancienne de Qasliya qui sexprimaient en latin ».

133 On trouve également Qamda. Sur les limites de la province médiévale de Qammda, Abd al-Wahhb, Les steppes tunisiennes pendant le Moyen Âge, p. 8. Lewicki, Une langue romane oubliée, pp. 464-465, signale que les ruines de Tagamuta se trouvent à environ 85 km au sud-ouest de Kairouan; loued Guemouda est à lest de Sbeitla.

134 Al-Ya, Kitb al-Buldn, pp. 349/211-212.

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dun rempart en pierre. Des sources jaillissent à lintérieur de la ville, qui est pavée. Les alentours de Gafsa sont très prospères et les fruits y sont renommés. De Gafsa, on rejoint les quatre villes de la Qasliya, une vaste région de palmiers et d’oliviers. La plus grande des villes de la Qasliya se nomme Tozeur; cest là que résident les mil-s. Les trois autres villes sont al-mma, Taqys et Nefta. Toutes sont entourées de sebkha. Il y a trois étapes entre les villes de la Qasliya et celles du Nafzwa. Le Nafzwa compte plusieurs villes dont la principale, Biaa, est la résidence des mil-s; au sud, ces cités sont entourées de sable135.

Al-Ya ajoute quon trouve dans les cités de la Qasliya des Afriqa, des Berbères et des Aam descendants des anciens Rm / min al-Rm al-qudum. À Biaa, les habitants sont des Berbères et des descendants des anciens Afriqa / al-Afriqa l-qudum136. Il apparaît que Aam aurait ici le même sens quAfriqa: dans les ouvrages qui traitent de la partie occidentale du monde musulman, Aam désigne toujours la population romane et chrétienne, à lexception des rares cas où il désigne « de véritables Berbères »137. Al-Ya distingue clairement les descendants des Rm et les Afriqa. Il sait parfaitement qui sont les Rm puisquil a écrit une histoire de lEmpire Byzantin: ce sont dans son esprit les sujets de Constantinople. Les baq l-Rm ou al-Rm al-qudum sont les Byzantins qui ont manqué lexode provoqué par larrivée des Arabes et sont restés de pure race; ils disparaîtront rapidement138. Il signale des Rm dans les anciennes villes de garnison byzantines comme ubna, à Kairouan et dans les quatre localités du Djérid. Il mentionne des Rm en Qasliya mais pas au Nafzwa. Les Afriqa sont présents à ubna et dans le Djérid, dans des régions éloignées des centres darabisation où ils ont pu conserver leur langue et leur foi139. Dès 717, Umar II prive les chrétiens de leurs privilèges140 et on peut expliquer le nombre de chrétiens dans le Sud tunisien par le fait que ceux-ci nont pu se joindre aux exodes du VIIe et du début du VIIIe siècle; ces simples agriculteurs nont pu rallier les ports. En outre, comme la Qasliya et le Nafzwa sont conquis an, les Rm et les Afriqa qui se trouvaient sur place ont pu facilement s’accommoder de ce nouveau pouvoir arabe. Pour cette raison, les oasis ont peut-être représenté une terre d’accueil pour les chrétiens qui n’ont pu prendre le large. À la fin du IXe siècle, la situation des imm-s devient sans doute plus précaire. Al-Mlik rapporte les mesures contraignantes imposées aux gens du Livre

135 Al-Ya, Kitb al-Buldn, pp. 349-350/212-213. Biara est évidemment la ville de Bar.136 Al-Ya, Kitb al-Buldn, pp. 350/212-213.137 Lewicki, Une langue romane oubliée, pp. 418-419.138 G. Marçais, La Berbérie au IXe siècle d’après al-Ya, p. 40.139 Ibid., p. 42.140 Voir Bat Yeor, Le dhimmi: Profil de lopprimé en Orient et en Afrique du Nord, pp. 146-147 et p.

149.

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par le q Abd Allh ibn Amad ibn lib: il impose aux juifs et aux chrétiens de porter sur leurs épaules des morceaux de tissu blanc, sur lesquels figurent un singe et un cochon. On cloue également sur les portes de leurs maisons des panneaux représentant des singes141. Les singes font allusion à des juifs métamorphosés à lépoque de David pour avoir pêché et fait cuire du poisson un samedi; les porcs seraient des contemporains du Christ qui ne croyaient pas en lui142. Cette image est reprise dans le Coran (V, 60) qui évoque « ceux que Dieu, dans son courroux, maudit et transforma en singes et en porcs »143. On ne sait pas dans quelle mesure ces règles ont été appliquées; peut-être a-t-on tenté de les imposer à Kairouan mais visiblement sans succès. Il n’y a aucune trace de leur exécution dans le Sud tunisien. Ces humiliations soudaines infligées aux imm-s ont certainement été dictées par lexemple des mesures adoptées en Orient par le calife al-Mutawakkil vers le milieu du siècle144.

Al-Ya insiste sur limportance de lélément chrétien dans la population du Djérid, mais ne fait aucune allusion à la communauté ibite, qui constitue lautre particularité de la région. Il évoque pourtant le fait que les Nafsa sont ibites. Al-Ya visite lIfrqiya avant la bataille de M: à cette époque, les ibites de la Qasliya, qui ont été matés par les troupes aġlabides en 839, vivent en état de kitmn, ce qui peut expliquer que lauteur ne les mentionne pas. Les habitants du Nafzwa, par contre, devaient pouvoir afficher plus librement leurs convictions. Al-Ya ne signale pas non plus de population arabe dans le Djérid; cela n’est pas étonnant puisque la présence des Arabes devait lui paraître évidente. Les historiens plus tardifs évoquent ces grandes familles arabes déjà bien implantées dans la région au IXe siècle: ainsi les Ban Yamll, futurs seigneurs de Tozeur, descendraient dArabes qui se sont établis dans le Djérid pendant la conquête145. Al-Ti confirme quau début du XIVe siècle les descendants des Arabes qui sy sont installés après la conquête vivent encore à Tozeur146. Dans le premier siècle de lhégire, les Ban Mudfi, arrivés sans doute dans larmée des conquérants, sinstallent dans le Nafzwa147.

141 Abd Allh ibn Amad ibn lib est q de Kairouan de 871 à 873, puis de 880 à 888. Al-Mlik, I, pp. 476-477. Sur les autres contraintes imposées par ce q, Idris, Les tributaires en Occident musulman médiéval, p. 172.

142 Pellat, E.I., s.v. ayawn.143 Trad. Berque, p. 130.144 Speight, The Place of the Christians, pp. 64-65; Fattal, Le statut légal des non-musulmans en pays

dIslam, pp. 101-102. 145 Ibn aldn, VI, p. 519/ III, p. 141.146 Al-Ti, pp. 159/144-145.147 Magnin, Les Banou Al-Khalaf de Nefta, pp. 347-348.

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b. Ibn urradābihCet auteur dorigine persane suit une excellente formation intellectuelle à Bagdad. Il devient ib al-bard wa-l-abar / haut fonctionnaire à la poste et aux renseignements, puis est nommé à la tête de ce service à Bagdad puis à Smarr’. Cette fonction le mène à approcher le calife al-Mutamid, dont il devient lami. Ibn urradbih serait lauteur dune dizaine douvrages, se rapportant à la cuisine, la boisson, la musique, mais également à lhistoire. Son ouvrage le plus célèbre est le Kitb al-Maslik wa-l-mamlik / Livre des itinéraires et des royaumes, premier ouvrage du genre, inaugurant une longue série de livres de ce type. Malheureusement la partie relative au Maghreb est très sommaire et ne fournit pas de description des régions évoquées. La date de rédaction de cet ouvrage est inconnue et celle de la mort de son auteur prête à controverse148.

Exposant litinéraire qui mène de Barqa au Maghreb, lauteur qualifie Gabès de « ville des Afriqa non-Arabes » / madnat al-Afriqa l-aim149. Pour Lewicki, cette expression confirme lidentité du sens des termes Afriqa et am150. Ibn urradbih ne fait pas la distinction entre les Afriqa et les descendants des Rm. Afriqa désigne donc ici les autochtones touchés par la civilisation gréco-romaine et le christianisme151. Kairouan, « la ville des citernes », est dirigée par les Aġlabides ainsi que Gafsa, Qasliya, Gabès et Ghadamès. Plus loin, il cite les villes qui appartiennent à limm rustumide, Maymn ibn Abd al-Wahhb ibn Abd al-Ramn ibn Rustum152: ce sont Salama, Salamiyya, Thart et un lieu dont le nom ne compte pas de points diacritiques, que de Goeje interprète comme étant le Nafzwa153. Plus loin, Ibn urradbih énumère les tribus berbères qui peuplent le Maghreb et dit que les Warfama sont une branche des Nafza154.

Si les renseignements fournis par Ibn urradbih sont bien maigres, ils sont plus rares encore chez les autres auteurs de la fin du IXe et du début du Xe siècle. Le Kitb al-Buldn dIbn al-Faqh al-Haman n’apporte rien de neuf. La version raccourcie / mutaar qui est conservée serait celle dal-, rédigée vers 1022. La partie consacrée au Sn, au Maghreb et à lAndalousie est très réduite, ce qui

148 On présume que lœuvre composée en 846 a reçu des compléments de la main de lauteur vers 885. Cuoq, Recueil, p. 47; Levtzion et Hopkins, Corpus, p. 16. Les références sont à léd. trad. de Goeje.

149 Ibn urradbih, p. 86/62.150 Lewicki, Une langue romane oubliée, p. 419.151 Ibn urradbih, trad. Hadj-Sadok in Description du Maghreb, pp. 91-92, note 58.152 Il sagit du troisième imm Afla (823-871).153 Il précise que ce terme a été établi par conjecture; Ibn urradbih, pp. 87-88/63. La trad. Hadj-

Sadok in Description du Maghreb, p. 7 et pp. 30-31, propose de lire Qayrawa, que lon retrouve dans le texte dIbn al-Faqh. Kmal, Monumenta, III, fasc. 1, p. 539, propose de lire Nafzda.

154 Ibn urradbih, p. 90/65.

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est sans doute le fait dal-155. Elle n’est daucun secours puisque le texte semble emprunté totalement à l’œuvre dIbn urradbih, mis à part quelques petits ajouts ou développements historiques qui ne concernent pas le Sud tunisien. Ibn al-Faqh répète simplement que Gafsa, Qailiya et Gabès sont aux mains dIbn al-Aġlab156. Le Kitb al-ar de Qudibnfar et le Kitb al-Aq al-nafsa dIbn Rusta ne donnent aucune information nouvelle.

155 Massé, E.I., s.v. Ibn al-Fah. 156 Ibn al-Faqh, éd. de Goeje, p. 79.

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V. LE Xe SIÈCLE FIMIDE

1. LES DÉBUTS DE LA PRÉDICATION ISMLIENNE

Dès 260/873-874 environ, Salamiya, ville syrienne où se cache le Mahd Ubayd Allh, devient un centre de propagande ismlienne1. C’est de Salamiya que partent les d-s / propagandistes mais, dans un premier temps, leur prosélytisme ne vise pas le Maghreb. On constate pourtant qu’au moment du récit dal-Yaq, une bonne partie du Maroc actuel obéit aux Idrsides et que le Maghreb central compte une série de principautés alides. Certains religieux ifrqiyens se sont également convertis au isme; les recueils de biographies mlikites accordaient à lorigine une place à ces faqh-s, mais les notices consacrées à des religieux non-mlikites ont été expurgées par la suite. Ainsi, les abaqt rédigées par Ab l-Arab (m. 333/944-945) nous sont parvenues incomplètes. Une chape de silence a donc été jetée sur les balbutiements ites en Ifrqiya. Toutefois, de nombreux éléments rassemblés ci-dessous permettent de montrer le rôle marquant qua joué la Qasliya dans lémergence de lismlisme en Ifrqiya.

En 145/762-763, deux missionnaires ismliens viennent s’installer au Maghreb2. Le premier, Ab Sufyn, épouse une femme de la région de Marmanna3 et y commence son œuvre de prédication. Il attire la population de la région par sa piété, sa science et les miracles quon lui attribue. Le isme gagne Laribus puis Nefta, qui se trouve sur la même route commerciale que Marmanna. Ce sont des commerçants en grains et en dattes qui répandent l’enseignement dAb Sufyn dans le Sud tunisien. L’autre missionnaire, al-ulwn, s’installe à Sur4 dans le pays des Sumta5; il fonde une mosquée dans cette région et y convertit entre autres des

1 Sur cette propagande, Talbi, LÉmirat aghlabide, pp. 564-579; Dachraoui, Les commencements de la prédication ismlienne. Tous deux utilisent lIftit al-daa, ouvrage achevé en 346/957 par al-Numn, q du quatrième calife fimide al-Muizz et théologien de lismlisme. LIftit raconte lhistoire de la prédication ismlienne, de ses débuts au Yémen à son succès final en Ifrqiya. Sur le califat fimide dIfrqiya, voir Dachraoui, Le califat fatimide au Maghreb (296-362/909-973). Histoire politique et institutions, et Halm, The Empire of the Mahdi, the Rise of the Fatimids.

2 Sur Ab Sufyn et al-ulwn, Iftit, trad. Talbi dans L’Émirat aghlabide, pp. 574-578; Dachraoui, Le califat fatimide, pp. 57-58; Ibn aldn, IV, p. 38/II, p. 508.

3 Marmanna est située à une étape de Laribus / al-Urbus; elle appartient aux Hawwra. Yt, s.v. Sur sa localisation précise, voir Cambuzat, Lévolution des cités du Tell en Ifrîkiya, II, pp. 149-151.

4 Sur se trouvait sans doute à une vingtaine de kilomètres de Guelma, à la lisière du pays des Kutma. Talbi, L’Émirat aghlabide, p. 576. Ibn aldn, IV, p. 38/II, p. 508, dit Sf .mr.

5 Ibn aldn, VI, p. 106/I, p. 171, dit que la tribu des Smta / Sumta est une branche des Nafzwa. Elle est également évoquée par al-Zuhr, § 307.

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Kutma et des Sumta. Des clans kutm vivaient au Nafzwa et dans la Qasliya6; sans doute ont-ils été les premiers adeptes de la nouvelle doctrine, convertis à la suite des clans kutm du nord, qui deviendront le fer de lance des Fimides. Outre laction de ces deux missionnaires, le isme a été également ramené d’Orient au Djérid par les étudiants qui accomplissaient la rila.

Le isme s’implante donc dans la Qasliya, qui devient dans la seconde moitié du IXe siècle une étape importante dans la diffusion de cette doctrine. Une famille de missionnaires natifs de Nefta est restée célèbre pour avoir répandu le isme dans le Sud marocain. Ces personnages sont évoqués par de nombreuses sources mais les renseignements sont confus et leur généalogie reste difficile à établir. On connaît le nom de cette secte ite, appelée al-baaliyya daprès la nisba de son fondateur, Ibn Warand al-Baal7. Ibn awqal et al-Bakr font tous deux allusion à Ibn Warand8, qui quitte Nefta pour aller convertir les populations du sud du Maroc. Al-Bakr dit que les membres de la tribu des Ban Lams9 sont tous rfiites10 / rawfi et sont connus sous le nom de Baaliyyn. Selon lui, un Baal natif de Nefta est venu s’installer parmi eux avant quAb Abd Allh al- n’arrive en Ifrqiya. Cet homme, quon appelait Muammad ibn Warsatt.d / Warand, a incité les Ban Lams à blasphémer contre les compagnons du Prophète et les a obligés à allonger l’appel à la prière. Il a déclaré licites des choses prohibées par l’islam et a prétendu que l’usure était une vente parmi d’autres. Al-Bakr ajoute que les Ban Lams suivent encore cette doctrine à son époque. Ibn awqal, quant à lui, signale que les habitants du Ss sont divisés en deux groupes, les mlikites et les ites, qui se mènent une guerre ininterrompue; les ites suivent la doctrine de Al ibn Warand.

Selon Ibn , Muammad ibn al-asan, connu sous le nom dIbn Ward de Qasliya, serait mort en 296/908-909; il aurait accompli la rila et entendu les leçons des faqh-s, mais l’historien ne donne pas d’autres détails sur sa vie et ne précise pas

6 Zerouki, L’imamat de Tahert, p. 53.7 On trouve également Bal. Selon Lagardère, Les Almoravides, pp. 35-36, le nom Warand montre

bien que ce personnage était un Berbère; la nisba al-Baal provient peut-être dune tribu arabe dont il était le client. Selon Talbi, L’Émirat aghlabide, p. 572, note 1, l’ethnique arabe Bal provient de la tribu arabe des Bala, une fraction des Baha qui se rattachent aux Sulaym.

8 Sur Ibn Warand, Ibn awqal, pp. 91-92/90; al-Bakr, pp. 161/304-305; al-Idr, p. 62/72; Yqt, s.v. Aġmt. Sur al-baaliyya, Lagardère, Les Almoravides, pp. 34-41; Talbi, L’Émirat aghlabide, pp. 570-573; Madelung, E.I., s.vv. Ibn Warsand (écrit avec sn) et al-Badjal; Some Notes on Non-Ism Shiism in the Maghrib; Levtzion, Abd Allh b. Ysn and the Almoravids, pp. 81-82. Monteil, Al-Bakrî (Cordoue 1068), Routier de lAfrique blanche et noire du Nord-Ouest, p. 96, signale que son manuscrit dal-Bakr donne Warsannad, et non pas Warsattad comme celui utilisé par de Slane.

9 Ibn Ab Zar, p. 120/105, affirme que les Ban Lams sont des anha.10 Le terme rawfi désigne au moyen âge les ites proto-immites ou duodécimains (ou

éventuellement dautres sectes ites). Il sagit dun terme péjoratif, dont les duodécimains feront pourtant une appellation honorifique. Kohlberg, E.I., s.v. Al-rfia / Al-rawfi.

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quil est ite11. Une notice qui a été censurée dans l’œuvre dAb l-Arab figure dans louvrage dal-Wazr al-Sarr (m. après 1137/1724); elle évoque, parmi les gloires de Nefta où il naquit et mourut, la personnalité dAb Abd Allh Muammad ibn al-asan (m. 294/906-907)12. Ab l-Arab dit quil est de tendance ite mais quil ne la jamais entendu dire du mal des compagnons du Prophète; il considère sans doute que malgré le fait quil soit ite, ce personnage mérite de figurer dans ses abaqt. Muammad ibn al-asan, évoqué par Ibn et al-Wazr al-Sarr, semble avoir été le petit-fils du créateur de la secte ite appelée al-baaliyya.

Le fondateur de cette secte, Al ibn al-usayn ibn Warand, mentionné par Ibn awqal, est lauteur de livres de traditions juridiques ites. Il a vécu et enseigné à Nefta, dans la première moitié du IXe siècle; il na apparemment jamais été au Maroc13. Cest son fils al-asan qui a sans doute propagé sa doctrine à Dara vers le milieu du IXe siècle14. Le fils présumé de ce dernier, Muammad ibn Warand, a poursuivi lœuvre de conversion de son père dans le Ss al-Aq, où la moitié de la population de Tdant rejoint les Baaliyyn et soppose dès lors à ceux qui sont restés mlikites. Cette propagande a eu lieu, si lon en croit al-Bakr, avant quAb Abd Allh al- n’arrive en Ifrqiya, cest-à-dire avant 280/893. Les émirs idrsides, auxquels les Baaliyyn sont soumis, se convertissent alors à cette secte.

Il est donc probable quil y a eu trois personnages natifs de Nefta qui ont contribué fortement à la propagation de la secte fondée par le premier dentre eux:

– Al ibn al-usayn ibn Warand al-Baal, alias Ibn Warand, le fondateur de la secte, qui vit et meurt à Nefta.

– Al-asan ibn Al ibn Warand al-Baal, son fils, qui quitte Nefta pour aller propager sa doctrine à Dara.

– Le fils de ce dernier, Muammad ibn Warand al-Baal, qui poursuit les conversions dans le Ss al-Aq avant 280/893.

Tout porte à croire quà lissue de son œuvre de conversion, le présumé petit-fils de Al, Muammad ibn Warand, retourne à Nefta, où il meurt au début du Xe siècle. Il laisse dans le Ss al-Aq des populations bien endoctrinées, qui ne renieront leur foi que pour sauver leur vie. Lorsque les Almoravides conquièrent

11 Ibn , I, p. 154.12 Al-Wazr al-Sarr, I, p. 415. Voir les remarques de Madelung, Some Notes on Non-Ism Shiism,

p. 95, note 3, qui pourraient démontrer que le personnage évoqué par al-Wazr al-Sarr nest pas le même que celui présenté chez Ibn et chez al-Bakr.

13 Madelung, Some Notes on Non-Ism Shiism, p. 91, pense quil est probable que Al ibn al-usayn a voyagé en Irak pour collecter les traditions reprises dans ses livres. La nisba al-Baal aurait été fréquente à cette époque chez les lettrés ites de Kfa.

14 Ibid., p. 93, daprès Ibn azm.

116

Tdant en 1066, les ites doivent fuir, mais certains de leurs adeptes subsistent dans le Ss al-Aq jusquà la domination des Almohades15.

Cette famille de propagandistes a si bien mené sa mission dans le Sud marocain quil semble certain quelle a veillé à obtenir les mêmes succès à Nefta. Al-Bakr lui-même dit que tous les habitants de Nefta sont ites et qu’on appelle la ville al-Kfa l-uġr, la petite Kfa16; cette précision est reprise au XIVe siècle par al-Dima et al-Wa17. On sait également quà la fin de lépoque aġlabide, le Sud tunisien est pourvu dun gouverneur ite: Ibrhm II, qui affichait une certaine sympathie pour cette branche de lislam, nomme un ite convaincu, son parent Al ibn aar, au poste de gouverneur de Gafsa et de la Qasliya. À lémir qui lui conseille dadopter vis-à-vis de ses administrés la conduite dAb Bakr et de Umar, Al ibn aar répond quil suivra la conduite de Al ibn Ab lib ou quil renoncera à son poste18.

En 311/923, cest un faqh originaire de Nefta, Muammad ibn Imrn al-Naf19, qui est nommé au poste de q à Kairouan après avoir exercé cette fonction à Tripoli. Il s’attaque aux mlikites et s’en prend entre autres à un faqh qui a émis une fatw hostile aux Fimides: selon al-Mlik, le q ordonne qu’on frappe le faqh mlikite, nu et le crâne rasé, jusqu’à ce que le sang lui coule de la tête. On le fait ensuite monter nu sur un âne et on le promène dans tout le sq de Kairouan, puis on l’emprisonne. On peut supposer que les persécutions présentées ici contre les mlikites sont exagérées puisque les auteurs sunnites tentent de discréditer les ites. Ibn , qui n’a aucune sympathie pour le cruel Muammad ibn Imrn al-Naf, précise que ce q sest laissé corrompre au point quil a amassé à Tripoli une fortune considérable. Il a alors fait miroiter ses biens auprès de Ubayd Allh et acquis auprès de ce prince un certain crédit. Il est mort quelques mois après sa nomination à Kairouan et Ibn , évoquant son décès, répète encore la corruption

15 Madelung, E.I., s.vv. Ibn Warsand et Al-Badjal. Selon Ibn Ab Zar, p. 129/113, cest en 448/1056-1057 que les Almoravides attaquent Tdant, où vivent des rawfi; ils sappellent Baaliyya, du nom du fondateur de leur secte, Al ibn Abd Allh al-Baal. Ce dernier a endoctriné les populations du Ss à lépoque où le Mahd gouvernait lIfrqiya. Les Almoravides prennent Tdant dassaut, massacrent une partie des Baaliyya et se partagent leurs biens; les survivants doivent se convertir au sunnisme.

16 Kfa, ville dIrak fondée par les musulmans en 17/638, est de 865 à 960 environ « le point focal du isme doctrinal » et le creuset de la grande révolution ismlienne de la fin du IIIe/IXe siècle. Djaït, E.I., s.v. Al-Kfa.

17 Al-Bakr, pp. 75/152-153; al-Wa, trad. Fagnan dans Extraits inédits, p. 53; al-Dima, p. 238/337; al-imyar, s.v. Nafa. Dakhlia, Loubli de la cité, p. 86, signale que les habitants de Nefta senorgueillissent toujours du surnom de leur ville, mais ont oublié quil est lié au isme. « On shonore simplement de ce que, par la ressemblance de leurs cultures et de leurs modes de vie, Nefta soit comparée à « lune des grandes oasis de lOrient », référence darabité et par conséquent dislamité. »

18 Iftit, dans Dachraoui, Le califat fatimide, pp. 68-69.19 Al-Mlik, II, p. 265; Ibn ammd, p. 17/32; Ibn , I, pp. 188-189. Le Kitb al-Uyn, 1972,

p. 100, place sa nomination en 310/922-923.

117

qui le caractérisait. Il se pourrait quavant davoir rejoint le isme ismlien des Fimides, le futur q ait suivi la doctrine dIbn Warand20.

On peut affirmer que la Qasliya et plus particulièrement Nefta, la petite Kfa, ont constitué lun des principaux lieux de propagande du isme en Ifrqiya. Le Djérid semble propice à la religiosité: outre le maintien prolongé de communautés chrétiennes, cette région participe directement au développement de libisme maghrébin et à celui du isme. Nefta, qui est encore actuellement la deuxième ville sainte de Tunisie, sera le refuge dun grand nombre de marabouts, dont certains sont toujours vénérés par les habitants. Il semble que dans le cas de la propagation du isme, cest la situation géographique qui joue le plus grand rôle: la Qasliya est un des grands pôles commerciaux de lIfrqiya et cest par le biais des échanges avec Marmanna que la doctrine gagne dabord le Sud tunisien. De plus, le Djérid est un lieu de passage obligé pour les prédicateurs cherchant à gagner louest du Maghreb en échappant aux contrôles aġlabides: les oasiens verront passer le d puis son maître le Mahd. Cette région, pourvue dun gouverneur aġlabide ite à la fin du IXe siècle, a certainement constitué un refuge pour les ismliens de la première heure.

2. LA PRÉDICATION DU D AB ABD ALLH

La seconde offensive ismlienne, qui fait suite à la mission dAb Sufyn et dal-ulwn, est conduite par le d Ab Abd Allh al-21. Il rencontre à La Mecque un groupe de pèlerins de la tribu des Kutma22. Les Kutma font partie des anha qui sont les rivaux de la confédération des Zanta à l’ouest. Le d et les Kutma passent par Tripoli puis traversent la Qasliya pour rejoindre Sur dans le pays des Sumta23. Ce trajet leur permet de ne pas pénétrer plus avant en Ifrqiya et, surtout, de gagner un pays où ils ont de fidèles alliés.

Selon Ibn aldn, lorsque la caravane du d arrive au Maghreb, elle évite de passer par Kairouan et prend le chemin du désert vers le balad Sa, où se trouve Muammad ibn amdn, un Andalou qui s’y est installé sur les instructions

20 Madelung, Some Notes on Non-Ism Shiism, pp. 95-96.21 Sur le d, Kitb al-Istibr, pp. 202-206/167-172; Ibn al-Ar, VIII, pp. 31-35 et pp. 40-53; Ibn

, I, pp. 124-129 et pp. 137-145; Ibn aldn, IV, pp. 38-45/II, pp. 509-523. Voir aussi Stern, E.I., s.v. Ab Abd Allh.

22 Parmi eux se trouve Ab l-Qsim al-Warfam, un allié des Kutma, selon Ibn aldn, IV, p. 38/II, p. 510. Dachraoui, Le califat fatimide, p. 61, dit quil sagit dun ite de Sur, où le d le rencontre et en fait un de ses premiers fidèles. Sur le territoire des Kutma, Basset, E.I., s.v. Kutma.

23 Iftit, dans Dachraoui, Le califat fatimide, p. 61.

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dal-ulwn24. Ce dernier reçoit le d chez lui et comprend que son invité est le missionnaire tant attendu. Il décide alors de l’accompagner vers le pays des Kutma, quils atteignent en 280/893. Dès son arrivée, le d met à exécution le plan qui lui a été défini en Orient: il se fait guider jusqu’à Ikn25, dans la région de Mla. Il s’y installe et commence son travail de prédicateur. Les conversions se multiplient et le phénomène commence à inquiéter le pouvoir aġlabide. Ibrhm II écrit à Ab Abd Allh pour le convaincre d’abjurer et de cesser son prosélytisme. L’intéressé lui répond de se dépêcher de se convertir, ce qui plonge l’émir dans une profonde panique. Cet épisode entraîne un nouvel élan de conversions aux doctrines du d, qui proclame enfin publiquement sa mission. Le prédicateur organise les clans de Kutma en groupes militaires; il forme des ay-s et des missionnaires. Certains chefs de tribus voient d’un mauvais œil l’ascendant que prend le d, qui commence à menacer sérieusement l’équilibre tribal de la région. Un complot se dessine pour tenter de l’assassiner, mais Ab Abd Allh est mis au courant. Suivi de ses partisans, il gagne la ville de Tzrt26. Il dispose alors d’un pouvoir indépendant et renforce chaque jour son prestige, tout en menant une vie exemplaire de piété et de renoncement. Le d rassemble de plus en plus de clans, en jouant sur leurs rivalités internes et en proposant de hauts commandements à leurs chefs. En 289/902, les armées ismliennes prennent la citadelle arabe de Mla. Les Aġlabides reprennent la ville et ruinent Tzrt, mais le d ne se décourage pas. Il attend l’arrivée de son maître, dont il a sollicité la venue par courrier. Il prépare cet événement en formant ses partisans à un enseignement religieux rigoureux. La propagande messianique se fait dans les mosquées mais également par le biais de la littérature. On conserve ainsi les vers édifiants d’un poète ite de Nefta, Muammad ibn Raman27. Ce poète sétend sur le massacre du und de Balazma organisé par Ibrhm II, massacre qui remet en question la défense de lIfrqiya. Ses vers ridiculisent le souverain aġlabide et annoncent la parousie du Mahd, qui détruira les dynasties aġlabide, umayyade et abbside. Pour fuir la colère dIbrhm II, Muammad ibn Raman se retire à Balazma, bien que lémir lui propose l’amn. Le Mahd le nomme plus tard q à Mla, où il meurt.

Lorsqu’il a pleinement confiance en la foi de ses troupes, Ab Abd Allh reprend tranquillement son parcours vers Raqqda. En 293/906, il prend Sétif et conquiert le

24 Ibn aldn, IV, p. 39/II, pp. 510-511 (la trad. de Slane donne Sumna). Sur le balad Sa / Suma, voir infra. Muammad ibn amdn est un des premiers disciples dal-ulwn; cest sans doute le frère de ibn amdn, qui sera chargé par les Fimides en 315/927-928 de construire puis dadministrer al-Masla. Canard, Une famille de partisans, pp. 34-35.

25 Sur la localisation dIkn, Cambuzat, Lévolution des cités du Tell en Ifrîkiya, II, pp. 110-111; Bourouiba, Larchitecture militaire, pp. 53-54.

26 Sur la localisation de Tzrt, Cambuzat, Lévolution des cités du Tell en Ifrîkiya, II, pp. 214-215.27 Iftit, trad. Talbi dans L’Émirat aghlabide, p. 640; Dachraoui, Le califat fatimide, p. 70.

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Zb. Lors de chaque conquête, il gagne la sympathie des habitants en leur accordant lamn et en se comportant généreusement; à ubna par exemple, il restitue à la population conquise - dans les deux sens du terme - le montant des impôts non-coraniques.

3. LE SÉJOUR DU MAHD À QASLIYA

Vers 905, à lépoque des premières victoires du d, Ubayd Allh al-Mahd décide de quitter Salamiya28, dans laquelle il se sent menacé par les armées du calife; il se dirige vers le Maghreb, dont il reçoit régulièrement d’encourageantes nouvelles. Arrivé à Tripoli, il envoie le propre frère du d porter aux Kutma la nouvelle de son arrivée parmi eux; cet émissaire, Ab l-Abbs, se fait arrêter à Kairouan sur ordre de Ziydat Allh III, qui intime au gouverneur de Tripoli de capturer le Mahd. Celui-ci est déjà parti pour Qasliya / Tozeur, où il demeure deux jours. Le passage du Mahd à Tozeur ne fait aucun doute, mais il ne figure pas chez Ibn aldn, qui raconte que le Mahd passe par Constantine dans laquelle il n’ose pas entrer, puis rejoint Siilmsa29. Le fait que Ubayd Allh passe par Qasliya sexplique bien entendu par sa certitude dy trouver le soutien de la communauté ite. Outre cela, cet itinéraire lui permet d’éviter Kairouan; le d la dailleurs emprunté avant lui. Il fait le bon choix puisquà aucun moment il ne sy voit inquiété; la population ibite na sans doute aucune envie de le livrer aux Aġlabides, gardant en mémoire les récentes exactions commises par les émirs après le désastre de M. Il est probable que le Mahd jouit de protections au sein même de la famille dirigeante: malgré les nombreux espions placés sur sa route30, il parvient à traverser le Maghreb de bout en bout. Le prestige intellectuel et religieux que lui confère lascendance quil revendique doit également lui ouvrir bien des portes.

On ne sait si c’est à Tripoli ou à Qasliya que le Mahd renonce à rejoindre Ab Abd Allh chez les Kutma pour gagner plutôt Siilmsa. Ibn al-Ar attribue ce changement de programme au danger que constitue l’arrestation dAb l-Abbs par les autorités kairouanaises. Le choix du Mahd est certainement guidé par la prudence: à cette époque, les Aġlabides tentent de renverser la situation et il craint de se présenter à Ikn dans des circonstances défavorables. Selon lhistorien ibite Ab Zakariyy, le Mahd gagne directement Tozeur depuis lOrient, car il a

28 Sur le voyage du Mahd et son arrivée en Égypte, voir Gateau, La srat Jafar al-ib.29 Sur le passage du Mahd à Qasliya, Canard, L’autobiographie d’un chambellan, pp. 296-302;

Ibn al-Ar, VIII, p. 39 (qui dit Qasla); Ibn aldn, IV, p. 42/II, p. 516, chez lequel Q.s.nna est certainement une erreur de copiste.

30 Ibn al-Ar, VIII, p. 39.

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la prémonition quil établira son pouvoir dans cette ville. Une fois arrivé à Tozeur, il considère que les habitants nont pas les qualités nécessaires à la fondation dune dynastie brillante et que ce ne sont que des boutiquiers. Déçu, il gagne Ouargla, où les gens se moquent de lui et l’agressent. Il se dirige alors vers Siilmsa31.

On connaît les aventures de Ubayd Allh à Tozeur grâce au récit qu’en a fait son ib / chambellan, afar. Celui-ci prétend que le Mahd décide à Tripoli de prendre une caravane qui se rend à Siilmsa en traversant la Qasliya. Ils gagnent Tozeur par la route de Suma32; ils y séjournent jusqu’à ce qu’ils aient célébré la fête33 puis ils partent pour Siilmsa. C’est au cours de ce séjour à Tozeur qu’intervient un épisode célèbre, qui offre le premier témoignage sur la cynophagie pratiquée dans la Qasliya: le Mahd commande à afar de lui faire rôtir un petit agneau pour son repas. afar suit jusqu’à sa demeure un habitant qui promet de lui fournir ce qu’il cherche et se trouve face à un chien à poils longs, aux yeux rouges, attaché à une grosse chaîne. L’habitant vante la graisse de son chien et explique au ib que depuis deux mois, le chien est immobilisé et gavé de dattes. afar comprend alors que ce chien est engraissé en guise d’agneau et s’enfuit en voyant lanimal se jeter sur lui du bout de sa chaîne. Il arrive mort de peur et haletant chez le Mahd, qui craint d’abord que son chambellan ne soit poursuivi par des gens envoyés à sa recherche. Lorsque afar, implorant que la malédiction divine s’abatte sur cette région et sur ses habitants, lui explique les causes de sa frayeur, le Mahd et son fils en rient si fort qu’ils parviennent à calmer le chambellan.

Le séjour à Tozeur est le cadre d’un autre événement, les démêlés de afar avec un marchand d’aubergines34. Ce dernier cherche visiblement à le contrarier en refusant systématiquement daccepter les pièces dargent que lui propose afar, prétendant quelles sont mauvaises ou fausses. Puis il l’attaque carrément, l’empoigne, le griffe et le traite en public de rfiite35. afar parvient à se débarrasser du marchand mais cette dispute n’augure rien de bon. Le chambellan demande pourtant à son maître de pouvoir rester à Tozeur jusqu’au lendemain mais celui-ci ne se laisse pas convaincre et leur caravane quitte Qasliya juste après la prière de la fête. Malgré la fatigue de ses compagnons sur la route du désert, le Mahd n’autorise aucun arrêt jusqu’à la tombée de la nuit. Lorsque la caravane finalement s’immobilise, il révèle à ses

31 Ab Zakariyy, pp. 158-160.32 Sur Suma, voir infra.33 Selon Canard, L’autobiographie d’un chambellan, p. 297, note 3, il s’agit sans doute de la fête de

la rupture du jeûne de raman, le 1er awwl 292 H. Ils quitteraient donc Tozeur le 6 août 905 (et non le 7 juillet comme Canard l’indique). Ibn awqal, p. 93/91, compte deux mois de marche entre Kairouan et Siilmsa, en passant par la Qasliya.

34 Selon Mazahéri, La vie quotidienne des musulmans au Moyen Âge, p. 89 et p. 233, laubergine était un des légumes les plus consommés dans le monde musulman médiéval; elle était surtout appréciée conservée dans du vinaigre.

35 C’est-à-dire ici dismlien, contrairement au sens commun du terme.

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compagnons que quelquun est arrivé le jour même à Tozeur pour le rechercher. Ziydat Allh III a effectivement envoyé à Qasliya des émissaires chargés de le faire arrêter; une fois de plus, ceux-ci ne semblent pas acharnés à la tâche puisque le Mahd parvient à fuir vers l’ouest36. Siilmsa, qui compte sans doute de nombreux ismliens37, constitue pour lui un refuge idéal. Il y vit tranquillement jusqu’à ce que le souverain midrride le fasse enfermer, à la demande de Ziydat Allh III. Ab Abd Allh viendra ly délivrer plus tard, après avoir mis fin à la dynastie des Rustumides de Thart.

4. LA DÉVASTATION DE LA QASLIYA ET LA VICTOIRE DU D

À la fin de l’année 908, Ab Abd Allh quitte Ikn pour Bġya et vient attaquer la Qasliya par les contreforts de lAurès38. La région est gouvernée par le général aġlabide Ab Muslim Manr ibn Isml et par abb ibn Ab l-rim39. Les habitants nopposent que peu de résistance et les deux chefs se réfugient dans Tozeur, laissant les ites dévaster les alentours. Selon Ibn , les cavaliers se déploient vers la ville, incendient les villages et détruisent les troupeaux qui se trouvent aux environs. Ibn al-Ar dit que le d assiège Qasliya / Tozeur; les habitants le combattent puis demandent l’amn, qu’il leur accorde. Ensuite il s’empare de toutes les richesses et du matériel de guerre que Ziydat Allh III y avait entreposés. Qasliya constituait en effet un dépôt de munitions, de provisions et d’argent pour Ziydat Allh III, biens qui tombent aux mains des ites40. Ensuite Ab Abd Allh mène ses armées à Gafsa, où la population demande l’amn. Il semble que Gafsa livre tous les biens de l’émirat aux ites, préférant payer le prix fort plutôt que d’être détruite à l’instar de la Qasliya41. Ibn aldn précise que lorsquils reçoivent l’amn, les habitants de

36 O’Leary, A Short History of the Fatimid Khalifate, p. 62, dit d’après al-Maqr que le Mahd part pour Siilmsa une fois certain quAb l-Abbs, prisonnier, ne pourrait pas le rejoindre. Il est possible que le Mahd ait choisi Siilmsa pour juger de la grande quantité d’or qui y transite. Voir infra.

37 Sur la communauté ismlienne de Siilmsa, voir Canard, L’autobiographie d’un chambellan, p. 296, note 3.

38 Sur la prise de la Qasliya et de Gafsa, Arib ibn Sad, éd. trad. Kmal dans Monumenta, III, fasc. 2, p. 644; Kitb al-Uyn, 1972, p. 79; Ibn al-Ar, VIII, p. 44; Ibn , I, pp. 145-146; Ibn al-ab, p. 24; Ibn aldn, Aghlabites, p. 65/152.

39 Selon Vonderheyden, La Berbérie orientale, p. 302, lorsque les armées atteignent les abords de la Qasliya, les généraux aġlabides abb ibn Ab addd al-Qammd, qui est cité par Ibn , I, p. 140, et Ab Muslim Manr ibn Isml sont battus et se replient vers Tozeur. Dachraoui, Le califat fatimide, p. 93 et p. 105, dit que ayb ibn Ab l-addd est chef de la garnison de ubna en 905, puis quil devient chef de la garnison de Tozeur.

40 O’Leary, A Short History of the Fatimid Khalifate, p. 65.41 Talbi, L’Émirat aghlabide, p. 676.

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Qasliya et de Gafsa acceptent en même temps la foi ite / wa-daal f dawatihi. Ensuite Ab Abd Allh regagne Bġya puis Ikn.

La conquête du Sud tunisien intervient après une assez longue période dinactivité des troupes de Kutma. On savait à Kairouan que le d était malade; comme il se tenait caché et quil avait cessé toute attaque, les habitants en avaient presque conclu quil était mort! La subite prise de la Qasliya les convainc malheureusement du contraire. Lorsque Ziydat Allh III apprend les succès des armées ites, il s’affole et la capitale entière est prise de panique, craignant la mise en esclavage de la population. C’est alors que le ministre Abd Allh ibn al-’iġ suggère au souverain que tous leurs maux sont dus à l’incapacité dAb Muslim. Ibn explique qu’à l’époque dIbrhm II, Ibn al-’iġ était le secrétaire dAb Muslim. Ces deux personnages avaient trempé dans la conjuration qui mena Ziydat Allh III sur le trône aġlabide. À son avènement, tous deux furent nommés au poste de ministre: Ibn al-’iġ devint ministre de la poste et Ab Muslim reçut la direction du dn al-ar42. Leurs relations se détériorèrent et Ibn al-’iġ n’eut de cesse que de faire révoquer son ancien complice. Il profita de la désastreuse prise de la Qasliya, qui ouvrait la route de Raqqda, pour faire disparaître son ennemi en l’accusant d’avoir précipité la catastrophe par sa médiocrité. abb ibn Ab l-rim fut chargé, à son grand regret, de l’assassiner au milieu de afar 296/novembre 908 sur ordre de Ziydat Allh III, de le décapiter, de le crucifier un jour et une nuit durant puis de l’enterrer. Dachraoui émet lhypothèse que le ministre Ibn al-’iġ était un espion du d et quil le renseignait sur la défense aġlabide: en effet, à la prise de Bġya, Ibn al-’iġ soppose à ce que larmée aġlabide tente de récupérer la place forte dont les habitants sétaient soumis de leur plein gré au d43.

La victoire du d dans le Sud tunisien révélerait donc, outre les querelles des ministres aġlabides, déventuelles complicités ites au plus haut niveau de lÉtat. La prise de Qasliya préfigure la victoire finale des ismliens. Le d a conquis une région riche et a évité une opposition de la part des ibites. Il est cependant curieux que lattaque du Djérid ait été si violente, alors que cette région était en partie conquise au isme. Ces déprédations sexpliquent sans doute par le désir puissant quavaient les soldats kutm de faire du butin: jusquà la conquête du Djérid, le d était plus ou moins parvenu à contenir la fièvre dévastatrice de ses armées.

En 296/mars 909, Ab Abd Allh défait définitivement les Aġlabides à Laribus, où il laisse ses troupes se livrer au pillage et au massacre. Il se place ensuite à

42 Ibn , I, pp. 135-136; al-Nuwayr, pp. 442-445. 43 Dachraoui, Le califat fatimide, pp. 100-101.

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proximité de Kairouan entre les deux places qu’il a fait occuper, Qasliya et Laribus. Ses armées pénètrent alors Raqqda, que Ziydat Allh III vient de précipitamment quitter. La ville princière est livrée au pillage durant cinq jours, jusqu’à ce quAb Abd Allh y entre à la fin de mars 909. Il y organise le fonctionnement du nouvel État fimide et envoie des gouverneurs dans les différentes provinces qui désormais lui sont soumises. Nul doute que la Qasliya, qui était occupée depuis plusieurs mois, ait été parmi les premières pourvues. Puis le d victorieux se hâte d’aller chercher son maître al-Mahd, emprisonné à Siilmsa.

5. LAVÈNEMENT DU MAHD UBAYD ALLH

En janvier 910, Ubayd Allh al-Mahd entre à Raqqda en grande pompe. Pendant que le Mahd triomphant s’installe dans sa nouvelle capitale, on lui rapporte qu’un homme s’est soulevé à Qasliya avec l’accord des habitants et a pris la ville après la fuite de Ziydat Allh III. Ubayd Allh al-Mahd envoie alors un émissaire à Qasliya et celui-ci lui ramène le rebelle, qui se trouve être justement le marchand d’aubergines qui sen était pris à afar. Le chambellan est chargé de le décapiter puis de le crucifier à la porte de Kairouan44.

La révolte du commerçant indique quune partie de la population de Qasliya était farouchement opposée aux ites. Ce marchand a pris un prétexte futile pour attaquer afar et a ameuté les passants contre lui en invoquant sa religion. Talbi déduit de cette affaire que les ites devaient être traqués par la ura / police du royaume aġlabide45. Cela étant dit, cette anecdote montre surtout combien les relations entre les différentes communautés religieuses de Qasliya ont dû être difficiles. Lattitude du marchand semble davantage relever dun accès de colère personnel contre les ites que dune volonté de faire arriver la police. On peut supposer que sil avait voulu faire arrêter afar, il serait allé le dénoncer discrètement, de façon à ne pas lalerter, plutôt que de le harceler en public, ce qui aurait pu provoquer sa fuite. Nous pensons que le marchand était sans doute un ibite: quelle autre communauté vivant à Qasliya aurait-elle pu, après lentrée du Mahd à Raqqda, se révolter et prendre la ville? Aucun auteur na jamais rapporté de révolte des chrétiens, qui devaient encore être nombreux à habiter la région. La communauté mlikite devait être réduite: si elle sétait rebellée contre les Fimides, les historiens sunnites nauraient sûrement pas manqué den faire état. Les ites sont évidemment hors de

44 Canard, L’autobiographie d’un chambellan, p. 301.45 Talbi, L’Émirat aghlabide, p. 643, note 1.

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cause. Il semble donc que seuls les ibites ont pu commettre ce coup déclat, qui malheureusement ne semble être repris dans aucune autre source.

Les Fimides ou Ubaydides règnent en Afrique du Nord puis en Égypte de 297/909 à 567/1171. Quatre souverains se succèdent en Ifrqiya, Ubayd Allh al-Mahd (909-934), al-Q’im (934-946), al-Manr (946-953) et al-Muizz (953-975). Cest Ubayd Allh qui ordonne la construction de Mahdiyya; la tradition veut quil ait fondé la ville après avoir eu la prémonition du siège dAb Yazd, pour se protéger contre le danger qu’incarnent les ibites46. Dès son avènement, la dynastie se tourne vers l’Égypte, multipliant les expéditions militaires ratées et accablant la population de l’Ifrqiya d’impôts destinés à payer l’effort militaire intense. Cette fiscalité outrancière cadre mal avec les promesses certainement sincères dAb Abd Allh, qui est, ainsi que son frère, exécuté dans les plus brefs délais sur ordre du Mahd. Outre l’aumône et la dîme coraniques, les Fimides imposent une série de nouveaux impôts. Les imm-s payent la izya et le ar, mais le ar est également imposé à toutes les terres déjà soumises à la dîme. On perçoit un droit de pâturage, mar, sur les troupeaux des nomades. Les contributions les plus importantes sont les octrois levés sur les marchandises et les péages exigés des voyageurs qui transitent par des régions très commerciales comme Siilmsa, certaines villes de Tripolitaine et certainement le Djérid. En 921, Ubayd Allh oblige les pèlerins en partance pour La Mecque à passer par Mahdiyya de façon à les forcer à traverser chaque province et à y laisser chaque fois un péage47. Pour célébrer sa victoire sur Ab Yazd, al-Manr fera élever à côté de Kairouan une nouvelle capitale, abra-Manriyya / al-Manriyya, où il fera déménager tous les marchés et les manufactures, de façon à saper la prospérité de Kairouan, bastion de lorthodoxie sunnite.

Le premier calife est très soucieux de la division de son territoire en provinces; il tient à attribuer les régions les plus difficiles à des officiers en qui il a toute confiance. Il confie la Sicile, la région de Thart et la Qasliya à ses proches. La province de Qasliya est assimilée à une marche militaire, où le gouverneur cumule les pouvoirs civil et militaire48. Cest ubsa ibn Ysuf49 qui reçoit la charge de surveiller le sud de lÉtat fimide, zone stratégique par excellence. Il est basé à Tozeur et doit

46 Ibn ammd, pp. 10-11/22-23; Ibn al-ab, p. 30; Ibn aldn, IV, p. 46/II, p. 525.47 Sur la fiscalité, G. Marçais, La Berbérie orientale, pp. 142-145; Halm, The Empire of the Mahdi,

pp. 355-365. 48 Selon Ab Zakariyy, pp. 164-165, le Mahd envoie dès son avènement une armée pour tenter

de conquérir Ouargla. Sur cette expédition, Prevost, Une version ibāite de la ruine du miroir d’Alexandrie, p. 228.

49 Arib ibn Sad, éd. trad. Kmal dans Monumenta, III, fasc. 2, p. 645; Ibn al-Ar, VIII, p. 89; Ibn , I, pp. 170-172. Ibn aldn, IV, p. 46/II, pp. 523-524, dit que ubsa commande une flotte de deux cents navires et prend Alexandrie; il perd ensuite de nombreux soldats et repart au Maghreb, où il est tué sur ordre du Mahd. Voir Dachraoui, Le califat fatimide, pp. 140-146.

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contrôler le vaste territoire qui sétend jusquà Barqa, de façon à préparer le terrain pour lavancée de Ubayd Allh en Égypte. De Tozeur, le général gagne le désert libyen. Il prend Surt puis Adbiya, dont il chasse le und abbside; il y fait du butin. Il sempare ensuite de Barqa et sy conduit si mal que les habitants écrivent à Ubayd Allh pour se plaindre des massacres, des mises en esclavage et du vol de leurs biens. En 914, le futur al-Qim se hâte à la conquête de lÉgypte par Gabès, Tripoli et Surt, comptant rejoindre ubsa à Barqa. Mais le général a devancé son chef et prend Alexandrie, où le retrouve al-Qim. Ce dernier nomme alors un autre chef à la tête des troupes; ubsa, furieux, fait demi-tour et décide de rentrer au Maghreb. Cest le moment que choisissent les Abbsides pour riposter et al-Qim se voit contraint de reprendre la route de lIfrqiya. Dès son retour en mai 915, al-Qim se venge de la conduite de ubsa, le fait chercher dans le Nafzwa et le fait tuer.

6. LA RÉORGANISATION DES COMMUNAUTÉS IBITES

Lorsque le d Ab Abd Allh précipite la chute des Rustumides de Thart, en évitant tout combat et en offrant lamn à la population, toute lorganisation ibite qui avait été mise au point par les premiers imm-s est anéantie. Les ibites de Thart sont forcés démigrer: beaucoup rejoignent la région de Ouargla, nombre d’entre eux gagnent sans doute le Djérid. Alamm raconte la fuite d’un ancien imm rustumide, accompagné par ses partisans et leurs familles. Ils sont poursuivis par lennemi, qui ne tarde pas à se décourager. Arrivés à Ouargla, ils sont chaleureusement accueillis par Ab li annn ibn mriyn et par les habitants de loasis, qui rendent hommage à lancien imm. Ce dernier rassemble les notables de la région et choisit parmi eux un mari pour chacune de ses deux filles50. Dans un premier temps, il semble que les réfugiés pensent à restaurer limmat rustumide, puisque leur nouveau territoire nest pas soumis à lautorité des Fimides, mais ils abandonnent cette idée51.

On ignore le sort réservé aux différents mil-s qui gouvernaient les centres ibites pour le compte de Thart; la majorité des anciens territoires rustumides se retrouvent en effet aux mains des Fimides, dont Gafsa, la Qasliya et le Nafzwa. D’autres régions ibites restent indépendantes et s’organisent en de microscopiques états dirigés par des kim-s, gouverneurs qui combinent les pouvoirs politique et

50 Alamm, p. 334. Cet imām ne régnait plus au moment de la prise de la capitale rustumide.51 Lewicki, The Ibites in Arabia and Africa, p. 110.

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judiciaire. C’est le cas des oasis du w Rġ, du Sf et de Ouargla, de Djerba, des montagnes du Sud-Est tunisien et du abal Nafsa, gouverné par le prestigieux kim Ab Yay Zakariyy’ al-Ir. Le Sud tunisien compte des populations wahbites, alafites ou nukkrites; il y subsiste de faibles noyaux sakkkites et naffites. Voici comment se répartissent ces différentes communautés ibites pendant le Xe siècle et la première moitié du XIe siècle52:

a. Gabès, Gafsa et le abal DammarGabès est dirigée par une petite dynastie de mil-s issus des Kutma, les Ban Luqmn; le premier dentre eux, nommé à lépoque de Ubayd Allh, est Al ibn Luqmn al-Kutm, qui transmettra le poste à ses descendants. Les Ban Luqmn sont connus pour leur générosité et al-Bakr affirme qu’un poète a dit: « Si le fils de Luqmn ne s’était pas comporté avec magnanimité, l’épée de la destruction se serait abattue sur Gabès53. » Les Fimides ont manifestement tenu à confier le port à une famille qui leur était fidèle, de façon à éviter de perdre le contrôle de la ville. On ignore le sort des nombreux ibites de Gabès; il est probable qu’ils ont dû vivre dans le kitmn le plus absolu puisque cette ville était particulièrement surveillée par le pouvoir central. Non loin de là, au nord du abal, vit la tribu wahbite des Maztat Qbis. Gafsa est habitée par les Ban Sins; ce sont des ibites, de même que les populations de la plaine de la affra. Dans la presquîle de Akra, face à Djerba, vivent des Zawwġa partagés entre les quatre tendances de libisme: ils sont wahbites, alafites, naffites ou nukkrites54.

La partie occidentale du abal Dammar, habitée par le clan du même nom, est wahbite au début du Xe siècle et voit naître un grand nombre de savants. Par la suite, le peuple du abal se convertit en masse au nukkrisme, mais les chefs demeurent wahbites. Depuis lépoque de limm Abd al-Wahhb, la capitale occidentale du abal est Tin. Cette ville a progressivement supplanté Tallat55, où se trouvait un muall attribué à Abd al-Wahhb56. On signale également, au XIe siècle, la ville de Tn57. Le abal est toujours occupé par des Lamya dont les Ban Madnn,

52 Voir carte 4 et, en général, Lewicki, Les ibites en Tunisie, pp. 4-13; The Ibites in Arabia and Africa, pp. 96-97; E.I., s.v. Mazta.

53 Al-Bakr, p. 18/42; al-Ti, p. 96/90.54 Alamm, p. 225.55 À environ 10 km au nord-ouest de Tataouine se trouvent les ruines dun important centre romain,

Talalati, lactuelle Ras al-Ayn, qui correspond sans doute à la ville ibite. Lewicki, Une chronique ibite, p. 65, note 6; Études maghrébines et soudanaises, I, p. 30. Sur la Talalati romaine, Djelloul, Les fortifications en Tunisie, p. 22. Non loin de là se trouve Qar Tlalet, de fondation plus récente. Zaïed, Le monde des ksours, pp. 87-89. Le toponyme Tallat est fort répandu dans la région: on trouve ainsi un abal Tallat et un village portant ce nom au nord-est de Tin.

56 Alamm, p. 67.57 À une grosse vingtaine de kilomètres à lest de Maa existe une petite ville nommée Ayn

Tnn, mais on ne sait sil faut la rapprocher de la Tnn médiévale.

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des Zanzafa, des Lawta et des Mazta, qui se rassemblent autour de la ville de Tamlast, chef-lieu du district nommé ibl Tamlast58.

b. Le Nafzwa et la QasliyaLe Nafzwa est peuplé entre autres par des tribus ibites, fractions des Lawta, des Nafzwa et des Zanta. Deux tribus wahbites apparaissent souvent dans les sources, les Ban zamratan qui sont des Zanta59 et les Ban Tinwata. Outre Kébili, deux villes ibites sont mentionnées, urra et Fansa60, qui doit son nom aux Fansa, une des branches des Mazta61.

Après la bataille de M, les nukkrites semblent prépondérants dans la Qasliya. Dès le moment où Abd al-Wahhb les a frappés de bara, beaucoup sont venus sinstaller dans le Sud tunisien. La défaite de M y entraîne certainement larrivée dun grand nombre de nukkrites du abal Nafsa, où cette doctrine était également répandue. Les nukkrites du Sud tunisien mènent une active propagande de leur doctrine et tentent de sallier les wahbites. À la fin du IXe siècle, ils créent un immat dissident de celui de Thart, dont le centre est sans doute lAurès; leur imm est Ab Ammr al-Am62, le maître du célèbre Ab Yazd, lhomme à lâne. La chute de Thart et linstallation au pouvoir des Fimides vont leur allier une bonne partie des wahbites, désormais dépourvus dimm63. On peut imaginer que lattitude intransigeante des premiers Fimides à légard des ibites va contribuer à ce que les modérés se laissent séduire par cette doctrine extrémiste. Dans le Djérid, les nukkrites sont représentés par les Ban fran de Saddda, la tribu zant dont est sans doute issu l’homme à l’âne. Les wahbites sont entre autres les Ban Darn64 qui sont très puissants au début du Xe siècle; ils auraient compté dix-huit mille cavaliers. Ces Zanta nomades occupent la plaine qui se trouve entre Tozeur et Nefta et y ont fondé leur ville, Qalat Ban Darn.

58 Tamlast, dont la localisation précise est inconnue, est la ville dAb l-Rab Sulaymn ibn Yalaf al-Mazt. Lewicki, Les ibites en Tunisie, pp. 7-8; E.I., s.vv. Mazta et Al-Mazt. On trouve aujourdhui le Qar T.m.l.st à environ 15 km au sud de Tataouine.

59 Ibn aldn, VII, p. 6/III, p. 186. Les sources ibites disent au contraire que ce sont des Mazta. Lewicki, E.I., s.v. Mazta. On peut également lire Ban Tanwuta.

60 Cette oasis existe toujours; elle est située à environ 6 km au nord-ouest de Ba. Il y a également un abal Fansa au nord de Gabès.

61 Ab Zakariyy’, pp. 328-329. Sur cette tribu, Lewicki, Du nouveau sur la liste, p. 188.62 asan, awla l-ur al-itimiyya, p. 7; Lewicki, The Ibites in Arabia and Africa, pp. 110-111.

Ibn ammd, p. 35/19, dit que cest un des muqaddam-s / chefs des ibites. Ce personnage nest pas cité par alamm.

63 Lewicki, Les subdivisions de l’Ibiyya, p. 78; E.I., s.v. Nukk. 64 Lewicki, Les historiens, biographes et traditionnistes, pp. 126-127, signale la tribu ibite des

Ban Yadarn / darn; elle vit dans la première moitié du Xe siècle dans la région désertique nommée Raml Asma, qui pourrait évoquer la région de Suma. Il est fort probable que les Ban Yadarn et les Ban Darn étaient identiques et quils nomadisaient dans une vaste région autour de Darn.

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Une fraction des Ban Darn vit également à Qanrra où elle se mêle aux Lawta et aux immigrés nafs; ces clans sont wahbites, sakkkites ou naffites65. Il existe une seconde colonie de Nafsa à Amisnn / Ams(a)nnn / M(a)s(a)nnn, située dans la Qasliya, en un lieu difficile à localiser66; ses habitants sont nommés par les ibites « Nafsat Amisnn », du nom de leur localité67. Les Kazna, branche des Mazta, vivent entre Tozeur et al-mma et sont wahbites. Dans Tozeur, al-mma et Kanma68 sont les Ban Wisyn69, un clan des Zanta, qui est wahbite. On les voit pourtant faire le siège de Tozeur en 333/944-945 sur ordre dAb Yazd70.

c. Ab Miswar à DjerbaLa population de Djerba est constituée à lorigine par des arba qui appartiennent à la tribu des Lamya71. Il semble quà larrivée au pouvoir des Fimides, deux fractions des Kutma, les Ban Sadwka et les Ban adġiyn sinstallent sur lîle72; elles sont certainement ibites. Dans la seconde moitié du IXe siècle, des Zawwġa alafites, venus sans doute de la presquîle de Akra arrivent sur lîle; les Ban Tmestwut en font partie. Dautres populations nukkrites, wahbites et alafites se réfugient à Djerba pour fuir les persécutions fimides. Une des principales tribus djerbiennes est celle des Ban rsan73, qui sont wahbites; au début du Xe siècle, leur centre religieux est le masid Ban rsan au nord-ouest de lîle.

La chute des Rustumides de Thart correspond à lémergence dun pouvoir religieux fort dans lîle, sous lautorité du ay wahbite Ab Miswar ibn Yn

65 Lewicki, Ibitica, 1. Tasmiya uy Nafsa, p. 105.66 Lewicki la situe soit près de Qanrra, soit près de Taqys ou dans son groupe doasis. Ibitica, 1.

Tasmiya uy Nafsa, p. 112; Les noms propres berbères, F.O., XXVII, p. 126. Dans Du nouveau sur la liste, p. 185, il fait le rapprochement avec la tribu des Maannn, fraction de la tribu des Nafsa, évoquée par Ibn awqal, p. 106/104. Savage, A Gateway to Hell, p. 155, situe Masannn non loin de Taqys.

67 Ab Zakariyy’, p. 336.68 Lewicki, Ibitica, 1. Tasmiya uy Nafsa, p. 112, dit quil sagit dune des oasis de Taqys

tandis quIdris, La Berbérie orientale, pp. 467-468, note 560, pense que Kannma / Kanma serait Kannna, un des villages de Nefta, ou Kannfa, au nord de Nefta, à lextérieur du cimetière. Al-Dima, p. 238/337, cite la ville de Katma Makna, qui appartient au district de Ss dans la Qasliya. Selon asan, Al-Madna wa-l-bdiya, p. 295, Kanma est un des quatre qur de Taqys que cite le Kitb al-Istibr, p. 156/80. Al-Wa, trad. Fagnan dans Extraits inédits, p. 53, évoque en effet « Kansa » au nombre des villages de Taqys. Il apparaît chez alamm, p. 377, que Kanma est bien un des villages de Taqys. Voir infra.

69 On trouve également Ban Wsyn, Ban Wasn et Ban Wsn.70 Ibn aldn, IV, p. 49/II, p. 530; VII, p. 17/III, p. 205 et VII, p. 69/III, p. 301.71 Ibn aldn, VI, p. 145 /I, p. 245.72 Ibn aldn, VI, p. 475/III, p. 63. Lewicki, Les ibites en Tunisie, p. 10.73 Les Ban rsan / Yarsan / hrsan sont une fraction des Zanta. Lewicki, Les historiens, biographes

et traditionnistes, p. 103; Les noms propres berbères, F.O., XXVI, p. 80. Selon Bourouiba, Lîle de Djerba, p. 70, le masid Ban rsan est peut-être identique à al-mi al-kabr dAb Miswar.

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PLANCHE I: AL-MI AL-KABR À DJERBA

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al-rsan74. Ab Miswar fait ses études dans le abal Nafsa avant la bataille de M et y fréquente assidûment les savants les plus célèbres de lépoque. Cest à loccasion dune disette qui sévit dans le abal quil se rend à Djerba. Alamm donne quelques renseignements sur cet épisode: la famine est si terrible que certains ibites sont forcés daller se placer sous la protection dAb Ayyb, un riche savant du abal Nafsa. Ab Ayyb subvient à leur besoins et pendant tout un mois, il égorge pour eux un bélier le midi et un bélier le soir. Il partage avec eux tout ce quil a. Un jour, ces ibites entendent dire que la nourriture est bon marché à Djerba et souhaitent sy rendre pour y faire des achats. Ab Ayyb refuse quils aillent sur lîle, pour des raisons qualamm ne donne malheureusement pas, et les ibites

envoient alors Ab Miswar à leur place75.Après la défaite de M, le savant transporte à Djerba lessentiel des livres des

savants du abal; cette riche bibliothèque sert de base au mouvement intellectuel de lîle. Il sy installe définitivement et y devient un riche copiste. Laction dAb Miswar dans lîle doit être située dans la première moitié du IVe siècle de lhégire76, soit entre 913 et 962 de notre ère. Dès son arrivée, le savant rencontre des problèmes avec les nukkrites: alamm raconte en effet que les nukkrites djerbiens souhaitent nuire à Ab Miswar, quils considèrent comme un étranger. À cette époque, les ibites djerbiens décident de se rencontrer en une grande assemblée, et annoncent cette réunion exceptionnelle aux autres régions ibites. Le chef des nukkrites, alaf ibn Amad, qui est également loncle maternel dAb Miswar, assiste à la réunion. Alors que les wahbites et les nukkrites sont réunis, une lettre leur parvient de la part des Zawwġa: ceux-ci sindignent dapprendre que les nukkrites sont aux côtés dAb Miswar, alors quils le blessent par leurs insultes, et ils proposent de venir le secourir par les armes, bien décidés à vaincre les calomniateurs. Une seconde lettre arrive de la part des Ban Dammar, qui soffusquent des humiliations que les nukkrites infligent à Ab Miswar: ils lui proposent de mettre à sa disposition leur armée, dont les premiers soldats sont déjà sur lîle. Enfin, les Nafsa envoient une missive similaire, ajoutant quils arrivent et que leurs épées sont déjà tirées de leurs fourreaux. Bien quAb Miswar se refuse à résoudre ce conflit par la force, les nukkrites prennent ces menaces de guerre au sérieux et sont gagnés par la peur devant la détermination des wahbites continentaux. Ils se mettent alors à respecter et à honorer Ab Miswar. Dès ce moment, alaf ibn Amad déclare lors des réunions quil préside devant les nukkrites quAb Miswar

74 Sur le rôle dAb Miswar, Prevost, La renaissance des ibites wahbites à Djerba au Xe siècle, pp. 172-179; al-ab, Malmi an al-araka l-ilmiyya, pp. 26-27; Bourouiba, Lîle de Djerba, pp. 67-68.

75 Alamm, p. 227. Sur la solidarité ibite lors des famines, voir infra.76 Al-ab, Malmi an al-araka l-ilmiyya, p. 25; asan, awla l-ur al-itimiyya, p. 10.

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est le fils de sa sœur, quil est limm des nukkrites, que sa chair est sa chair et son sang, son sang. À une occasion, par la suite, les nukkrites se querellent avec Ab Miswar alors que alaf ibn Amad est absent; lorsquil revient et que ses compagnons linterrogent, il abonde dans le sens dAb Miswar77.

Après avoir soumis les nukkrites grâce au soutien des Zawwġa, des Dammar et des Nafsa, Ab Miswar parcourt lîle entière pour y propager son enseignement. De tous côtés, des délégations ibites viennent lui témoigner de lintérêt; il est bienfaisant vis-à-vis de tous et pourvoit à la subsistance des plus pauvres. Lorsquil estime que ses élèves sont en nombre suffisant, Ab Miswar décide de fonder une école religieuse destinée à les accueillir. Il se met à bâtir al-mi al-kabr, mosquée qui deviendra un centre détudes ibites dune importance capitale. En effet, si le savant nécrit pas douvrages, il forme quantité de savants qui répandront son enseignement bien après sa mort. Il fonde sans doute également la ville de Houmt-Souk / awmat al-Sq78. Ab Miswar meurt à une date inconnue. Sa tombe se trouverait près de la masid al-Fhimn79, au sud de l’île. Al-mi al-kabr, fondée par le savant, se trouve non loin de Mallta, au nord-ouest de lîle, et est entourée par plusieurs bâtiments annexes80.

Le rôle dAb Miswar est primordial dans lavenir de Djerba: il parvient en effet à faire respecter son parti par les nukkrites et à pacifier lîle. Il est à lorigine de la fondation dun des plus grands centres détudes ibites maghrébins. Selon alamm, en outre, la plupart des wahbites de Djerba ont été convertis par ses soins: ils étaient auparavant majoritairement alafites81. Ab Miswar est également un maillon primordial dans la transmission des connaissances pour les historiens ibites: garant des témoignages qui remontent au Prophète en passant entre autres par Umar, par Ab Ubayda, et par les amalat al-ilm, Ab Miswar transmet lui-même ces informations à son fils Ab Zakariyy Fal, qui les livrera ensuite à Ab Abd Allh Muammad ibn Bakr82.

77 Alamm, p. 309.78 Al-ab, Malmi an al-araka l-ilmiyya, p. 26. 79 Al-, p. 73 (l’éd. donne Fhmn). 80 Voir planche I. Les auteurs qui l’évoquent confondent souvent cette mosquée avec d’autres. Ainsi

pour ally, Al-alqa bayna sukkn arba wa-Mizb, p. 16, la mi dAb Miswar se trouve à Am. Berrebi, Les Mosquées de Djerba, p. 27, attribue à Ab Miswar la construction de la mi Tat, qui se trouve non loin de Houmt-Souk. Son ouvrage présente pourtant, pp. 104-107, de nombreuses photos d’al-mi al-kabr! Tmarzizet, Djerba, lîle des rêves, p. 175, localise correctement la mosquée mais selon lui, elle daterait du début du IXe siècle et comporterait un mib offert au début du Xe siècle par le fils dAb Miswar. Il paraît certain que Tmarzizet se trompe ici dun siècle, puisquAb Miswar narrive à Djerba quaprès la bataille de M, qui a lieu en 896.

81 Alamm, p. 309.82 Alamm, p. 131.

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7. LES PREMIERS AFFRONTEMENTS AVEC LES FIMIDES

En 298/910-911, les Hawwra dirigés par Ab Hrn al-Hawwr se révoltent contre les Fimides en Tripolitaine; il semble qu’ils sont alliés aux Lamya wahbites et aux Zanta et que cette rébellion a un caractère ibite. Les insurgés font le siège de Tripoli mais les troupes fimides matent les tribus révoltées. Lannée suivante, après avoir enduré les exactions commises par les Kutma, les habitants chassent le gouverneur de Tripoli, massacrent les Kutma et nomment de nouveaux chefs. Au bout de six mois de siège, al-Qim parvient à reprendre la ville aux Hawwra83. Certaines tribus localisées dans le Sud tunisien pourraient avoir participé à la révolte de Tripoli: les oasis sont peuplées dun bon nombre de fractions de Mazta, dont les sources ibites vantent lexceptionnelle richesse, le nombre important de chevaux et le caractère guerrier84.

Les premières persécutions fimides contre les ibites commencent en 310/922-923 lorsque les troupes commandées par Al ibn Salmn al-D se portent contre le abal Nafsa, dirigé alors par le kim Ab Yay Zakariyy’ al-Ir, quIbn nomme Ab Baa85. Le kim dirige le abal depuis une quinzaine d’années indépendamment des Fimides et est le seul chef wahbite à porter le titre d’imm depuis la chute de Thart86. Ibn explique que ce sont les Nafsa qui s’opposent à Ubayd Allh; ce dernier leur envoie, sous-entendu en guise de représailles, une grosse armée dirigée par Al ibn Salmn. Les troupes de Kutma viennent assiéger la citadelle du abal Nafsa, al-azra, mais se font battre par les ibites. Les survivants sont mis en fuite et abandonnent Al. Le général se rend alors à Tripoli et écrit à Ubayd Allh. Le souverain commande à Al ibn Luqmn, son mil à Gabès, de tuer tous les fuyards qui passent par Gabès; le gouverneur lui obéit. En 311/923, l’armée des Fimides revient affronter les Nafsa et ruine leur place forte, les massacre et capture leurs enfants. Alamm place ce dernier combat non loin de Tirakt et mentionne la mort dAb Yay Zakariyy’ al-Ir, tué, sans doute par vengeance, par un de ses compagnons natif de Tn Bakr87. La même année, Al ibn Salmn sempare peut-être également de Djerba88.

83 Sur la révolte des Hawwra, Ibn , I, p. 163 et p. 169; al-Ti, p. 240/194; Ibn aldn, VI, p. 46/II, p. 524.

84 Ab Zakariyy’, p. 199; al-Darn, p. 124; alamm, p. 313.85 Ibn , I, pp. 187-188; alamm, pp. 172-173, qui ne parle pas de Al ibn Salmn mais bien

des Kutma, qui sont « le und des Ban Ubayd Allh ». 86 Il est imm al-dif et succède à limm Ab tim après 294/906-907. Lewicki, E.I., s.v. Al-

Irdjn. Selon alamm, p. 171, il était dans le même temps kim et q.87 Alamm, pp. 172-173. Sur Tirakt, nom de deux localités dans le abal Nafsa, voir Lewicki,

Ibitica, 2, Les kims du abal Nafsa, p. 101, note 25. 88 Bourouiba, Lîle de Djerba, p. 60.

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À la même époque, les Fimides doivent affronter un autre adversaire, la puissante tribu des Maġrwa. Les Maġrwa forment avec les Ban fran les deux principales branches des Zanta; cette confédération de tribus nomadise dans le Maghreb central, jusqu’à louest de Tlemcen. Pendant tout le IXe siècle, ils sont vassaux des Idrsides. Lorsque Ubayd Allh met la main sur les propriétés idrsides en 298/910-911, il y nomme un gouverneur, Mala ibn abs, et impose le isme aux habitants. Les Maġrwa se regroupent alors autour de Muammad ibn azar89 pour s’opposer aux Fimides. Ce dernier rallie des clans de Zanta nomades, qui refusent de voir leurs terres confisquées par les Fimides. Ces tribus sont soutenues par les Umayyades de Cordoue, qui ont tout intérêt à se battre contre la progression inquiétante du pouvoir ite. Tous les acteurs du long conflit pour la possession du Maghreb central sont dès lors en place: dun côté, les souverains fimides puis zdes, alliés aux Kutma et aux anha; de lautre côté, une grande confédération de Zanta, dans laquelle se distinguent particulièrement les Maġrwa, encouragés vivement par les Umayyades de Cordoue. Il semble que les Maġrwa et les Ban fran sont principalement dobédience sunnite, contrairement à dautres Zanta comme les Ban Wisyn ou les Ban Birzl, qui sont ibites90. Il faut cependant noter quune partie des Maġrwa soutiendra Ab Yazd et que Mabad, le frère de Muammad ibn azar, combattra avec le chef nukkrite. La lutte entre le pouvoir central et les Zanta, qui débute dans la région de Thart, se poursuivra notamment dans le Sud tunisien, lorsque les Ban azrn, une des branches des Ban azar, loccuperont au début du XIe siècle.

Sous la conduite de Muammad ibn azar, les Maġrwa tuent le gouverneur fimide de la région de Thart, Mala ibn abs. Ils semparent dimportantes villes du Maghreb central et placent leurs conquêtes sous lautorité des Umayyades. En 315/927-928, le futur al-Q’im part avec une grande armée de Kutma pacifier le Maghreb central91. Il parvient à refouler les Maġrwa jusqu’au désert, à occuper Thart et à soumettre de nombreuses tribus ibites. Au cours de cette expédition, il fonde al-Masla, future capitale du Zb, pour lutter contre le danger constant que représentent les Zanta.

Loin des conflits pour la possession du Maghreb central, la Qasliya est le berceau des deux plus grosses révoltes qui ont ébranlé le pouvoir ite en Ifrqiya:

89 Sur les Ban azar, Ibn aldn, VII, pp. 30-33/III, pp. 229-234. Voir aussi Lewicki, E.I., s.v. Maghrwa; Guichard, Omeyyades et Fatimides, pp. 58-63; Golvin, Le Marib central à l’époque des Zirides, pp. 68-73, qui dit Ban azir. Sur le soutien umayyade aux Zanta, Lévi-Provençal, Histoire de lEspagne, II, pp. 185-189.

90 Ibn aldn, VII, p. 7/III, p. 187.91 Kitb al-Uyn, 1973, pp. 76-77; al-Bakr, pp. 59/123-124; Ibn ammd, p. 12/25; Ibn al-Ar,

VIII, p. 179; Ibn , I, p. 191; Ibn aldn, IV, pp. 47-48/II, p. 527.

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la première a été très étudiée puisquil sagit de la révolte de lhomme à lâne, la seconde, laffaire de Bġya, est moins connue, mais nous verrons toute son importance.

8. AB YAZD

Ab Yazd Malad ibn Kaydd92 naît vers 270/883 dans le Sn. Son père Kaydd est un commerçant qui voyage entre le Djérid et le Sn. Sa mère Sabka est une esclave de la tribu des Hawwra, achetée à Tdimakka; il est probable que cest dans cette ville, rendez-vous des commerçants ibites du Djérid, quelle a donné le jour au jeune Ab Yazd93. L’enfant naît boîteux, portant un point noir sur la langue. Les débuts de sa vie sont très confus. Ibn ammd raconte que son père l’emmène d’abord à Kawkaw / Gao, où un devin lui prédit un avenir de roi. Kaydd le conduit ensuite à Taqys, la ville dont il est originaire, et y meurt. Son fils passe alors son enfance à Tozeur, dans le quartier des Ġ.lm.s.siyyn94. Ibn al-Ar raconte que lenfant vient sinstaller à Tozeur avec sa mère. Selon Ibn aldn par contre, le jeune Ab Yazd est ramené par son père à Qayn-Zanta dans le bild Qasliya95 et séjourne tantôt à Tozeur, tantôt à Taqys. Selon Ab Zakariyy, il vit à Qalat addd et appartient aux Ban fran96.

Si lon en croit les sources sunnites, Ab Yazd enseigne pendant sa jeunesse le Coran à Tozeur, en s’adonnant à l’étude approfondie de la doctrine des nukkrites.

92 Sur Ab Yazd, Ibn awqal, pp. 71-72/68-69 et p. 96/94; Kitb al-Uyn, 1973, pp. 80-90; al-Zuhr, § 289; Kitb al-Istibr, pp. 205-206/174-175; Ibn ammd, pp. 18-39/33-60; Ibn al-Ar, VIII, pp. 422-441; al-Ti, pp. 324-328/231-237; Ibn , I, pp. 193-194 et pp. 216-220; Ibn al-ab, pp. 30-33; Ibn aldn, VI, p. 124/I, pp. 203-204; IV, pp. 49-54/II, pp. 530-539 et VII, pp. 16-20/III, pp. 201-212; al-imyar, svv. Kiyna et Awrs; alamm, pp. 221-223; Ibn Ab Dnr, pp. 57-61; al-Wazr al-Sarr, II, pp. 26-30. Voir aussi Le Tourneau, La révolte dAbû Yazîd au Xe siècle.

93 Cest lavis dIbn ammd, p. 18/33; Ibn aldn, VII, p. 16/III, p. 201, dit quil est né à Kawkaw / Gao (l’éd. donne Kar Kaw). Al-Wazr al-Sarr, II, p. 27, prétend quil est né à Tozeur, mais lon ne peut prendre en compte une information si tardive.

94 Le texte dIbn ammd donne bi-Tawzar bi-darb al-Ġ.lm.s.siyyn bi-qurb Tawzar. Si darb peut signifier route ou chemin, il désigne aussi selon Kazimirski l’endroit où l’on sèche et étend les dattes et il pourrait ainsi s’agir d’un lieu réservé au clan nomade des Ġ.lm.s.siyyn pour la saison de la récolte.

95 Au Maghreb, le terme qayn désigne une tente, mais lorsquil entre dans la composition dun nom propre, il signifie « camp ». Dozy, Supplément, s.v. Il sert ainsi à former des toponymes désignant de très petits villages ou campements. Qayn-Zanta est inconnu des géographes; al-Bakr, pp. 47-48/102, parle de Qayn-Baya, que Yaqt, s.v., appelle simplement Qayn.

96 Ab Zakariyy’, p. 168. Qalat addd correspond à Saddda, une localité proche de Tozeur où vivent de nombreux Ban fran. Ab Yazd est issu des Ban fran selon Ibn , I, p. 216 et Ibn aldn, VII, p. 16/III, p. 201, qui ajoute quIbn al-Raqq / al-Raqq prétend quil est issu des Ban Wn / Wisyn. Al-Bakr, p. 144/277, dit Ab Yazd al-Nafz al-Zant. Ibn ammd, p. 18/33, dit qu’il vient des Bn afar, une fraction des Zanta. Ibn awqal, p. 96/94, dit quil fait partie des habitants de Suma.

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Selon Ibn aldn et Ibn al-Ar, il se rend ensuite à Thart où il continue ses leçons. Quand Thart tombe aux mains des ites, il vient à Taqys où il reprend son enseignement. Ibn aldn ajoute que cest à son retour que son père meurt et quAb Yazd doit accepter la charité des habitants de Qayn; en contrepartie, il instruit leurs enfants. Pour Ibn al-Ar, tout au contraire, il achète une propriété / à Taqys.

a. Les relations dAb Yazd avec Sulaymn ibn ZarqnLes sources ibites donnent des renseignements opposés: alamm, citant Ab Zakariyy’, affirme que le futur rebelle va étudier à Siilmsa aux côtés de Sulaymn ibn Zarqn. Alamm naccorde pas de notice biographique à Ab Yazd, car il considère que ce personnage est un ennemi des ibites97. Néanmoins, il lévoque dans le cadre de la notice consacrée à Sulaymn ibn Zarqn. Ce savant est issu dune communauté de Nafsa établie à Tadyt, dans la Qasliya. Dans sa jeunesse, il est lami dAb Yazd; tous deux sont alors wahbites. À cette époque arrive à Tozeur Ibn al-ama, un savant venu du Mariq pour faire du commerce dans cette ville. Il devient le professeur des deux compagnons. Tout en demeurant son élève, Sulaymn ibn Zarqn se met au service dIbn al-ama et le séduit par son intelligence. LorsquIbn al-ama décide de gagner Siilmsa, il emmène avec lui Sulaymn ibn Zarqn et Ab Yazd, afin dy parfaire leur éducation. Pendant deux ans, ils vivent à Siilmsa, jusquau décès dIbn al-ama. Avant de mourir, ce dernier lègue tous ses livres à Sulaymn ibn Zarqn, qui rentre alors à Tozeur où sa science lui attire rapidement une excellente réputation98.

Alamm raconte plusieurs anecdotes relatives à Sulaymn ibn Zarqn et à Ab Yazd, mais il est extrêmement difficile de les situer chronologiquement. On voit les deux compagnons passer une nuit chez des wahbites, chez lesquels ils sont mal reçus. Ils se rendent ensuite chez des nukkrites et y sont très bien accueillis. Alamm attribue ce bon accueil à la perdition / halk dAb Yazd. Ce dernier demande à Sulaymn ibn Zarqn sil ne veut pas adopter la doctrine nukkrite, après avoir constaté la différence daccueil entre les deux groupes religieux, mais le savant refuse dabandonner la doctrine wahbite pour cette broutille. Ab Yazd, pour sa part, revient au nukkrisme99. Il semble que cet épisode intervient après leur retour de Siilmsa et quAb Yazd est encore wahbite à cette époque, puisqualamm dit quil revient au nukkrisme. Avant le départ pour Siilmsa,

97 Contrairement à alamm, Ab Zakariyy’, pp. 168-177, consacre un long chapitre à Ab Yazd, qui est repris par al-Darn, pp. 96-104.

98 Alamm, pp. 221-222.99 Alamm, p. 222.

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si l’on en croit l’historien, il était également wahbite. Il apparaîtrait donc quAb Yazd, au cours de sa jeunesse, a oscillé entre les deux doctrines mais est revenu wahbite de Siilmsa, peut-être grâce à lenseignement dIbn al-ama. Néanmoins, il aurait gardé des sympathies vis-à-vis des nukkrites, ce qui expliquerait que ces derniers laccueillent particulièrement bien: alamm justifie en effet ce bon accueil par sa « perdition ». À lissue de cette anecdote, il paraît en tout cas que le futur rebelle choisit définitivement le camp des nukkrites.

Sulaymn ibn Zarqn est présenté par alamm comme le défenseur du wahbisme. On le voit par exemple, à une époque indéterminée, se rendre en Ifrqiya (sans plus de précisions!), où les ay-s nukkrites ont pris le pouvoir. Il parvient à arranger la situation, à imposer la domination wahbite et à remettre la région dans le droit chemin100. Dans une autre anecdote, un ay nukkrite le presse dentrer dans un cabaret / a, dans lequel se trouvent sept lits sur lesquels sont assis sept ay-s mistwa / nukkrites. Lorsque Sulaymn ibn Zarqn est en état de se tenir debout - alamm omet de signaler quil boit du vin - il trébuche, tombe sur le nukkrite qui la fait entrer et manque de le blesser. Sans doute furieux dêtre étourdi par le vin, il attaque alors les nukkrites. Il les poursuit dans toutes les régions de lIfrqiya, jusquà ce quil parvienne à en expulser tous ses adversaires et à assainir le pays101. Sulaymn ibn Zarqn sen prend également aux naffites: il va dans un village du abal Nafsa dont le chef suit la doctrine de Naff, et traite toute la population de naffites102. Selon Ab Zakariyy, il aurait ramené les Mazta au wahbisme et débarrassé lIfrqiya des nukkrites103.

Les sources ibites accordent donc un rôle primordial à Sulaymn ibn Zarqn, qui serait lartisan de lextinction des nukkrites, mais qui nest jamais évoqué dans les sources sunnites. Il y a bien eu, dans le courant du Xe siècle, une véritable diminution du nombre de nukkrites, qui sexplique par léchec de la révolte dAb Yazd et par la conduite scandaleuse de ses troupes, qui a dégoûté les ibites de cette doctrine. Il faut peut-être croire de ce fait qualamm, qui névoque pas la révolte, a attribué aux pieux efforts de Sulaymn ibn Zarqn le recul de ce mouvement, alors quil était provoqué, tout au moins en partie, par les nukkrites eux-mêmes.

100 Alamm, p. 223.101 Alamm, p. 223.102 Alamm, p. 223.103 Ab Zakariyy’, p. 184.

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b. La couvaison de la révolteUne fois définitivement installé dans la Qasliya, selon les sources sunnites, Ab Yazd se dresse contre la fiscalité injuste et prône la révolte contre le calife. Suivant Ibn aldn, le bruit court quil insulte la mémoire de Al pendant les leçons quil donne, et il doit se réfugier à Taqys. Dès qu’il se rend à Tozeur, il tente de monter les habitants contre leurs dirigeants. Il proclame que la révolte contre le pouvoir injustement détenu est licite et les magistrats de Qasliya le mettent hors la loi. En 310/922, il part pour La Mecque mais étant poursuivi, il revient à Taqys104.

Dès 316/928-929, il commence à contrôler le comportement religieux de la population105. Il surveille les faits et gestes des habitants de la Qasliya et collecte des fonds. Ibn raconte que cette année-là, Ab Yazd ordonne aux habitants de Taqys de tuer le mil de la ville. Il doit alors fuir en pèlerinage et arrive à Tripoli en même temps que la lettre du calife fimide qui ordonne darrêter un groupe de Berbères. Il fuit avec Ab Ammr al-Am, son vieux maître nukkrite aveugle, et ils reviennent à Taqys où le rebelle vit caché.

Menacé, il se calme jusqu’à la mort de Ubayd Allh en 934. Le nouveau calife al-Q’im ordonne aux habitants de Qasliya de le faire arrêter mais Ab Yazd part pour La Mecque où il accomplit le pèlerinage. En 325/936-937, il revient à Tozeur sous un déguisement. Ibn Farqn, le chef du conseil de ay-s qui administre Tozeur, le dénonce au représentant du calife: il craint quAb Yazd ne supplante l’autorité incarnée par son conseil et veut rester dans les bonnes grâces des Fimides. Le dissident est mis en prison106. Ab Ammar arrive à Tozeur avec un groupe de Zanta et ils tentent de convaincre le gouverneur de relâcher le prisonnier. Le gouverneur exige qu’ils paient d’abord leurs impôts. Les deux fils dAb Yazd, Yazd et Fal, attaquent la prison avec les Zanta, ils tuent les gardes puis délivrent leur père. Ab Yazd gagne les oasis de Ouargla et recrute des partisans parmi les Hawwra de l’Aurès, les Ban Birzl du na107 et les Ban Zandk, une fraction des Maġrwa. Il séjourne pendant un an dans la ville des Ban Wrkl, qui est sans doute Sadrta108.

104 Ibn aldn, VII, p. 16/III, p. 202.105 Ibn al-Ar, VIII, p. 422; Ibn , I, pp. 193-194; Ibn aldn, IV, p. 49/II, p. 530.106 Ibn aldn, III, p. 141/VI, p. 519 et III, p. 202/VII, p. 16.107 Les Ban Birzl sont des Zanta qui habitent à cette époque les montagnes au sud dal-Masla.

En 315/927-928, Ubayd Allh crée al-Masla pour les surveiller mais ils rejoignent néanmoins le combat dAb Yazd et lui offrent un refuge. Ils obtiendront le pardon dal-Manr mais face à la répression des Fimides, ils fuiront pour aller sinstaller en Espagne. Ibn aldn, VII, p. 16/III, pp. 202-203. Le Tourneau, E.I., s.v. Birzl.

108 Ibn aldn, VII, p. 16/III, p. 203 et VII, p. 62/III, p. 286. Lewicki, Études maghrébines, II, pp. 84-85 (qui écrit Ban Warql). Selon Ab Zakariyy’, p. 170, Ab Yazd se serait momentanément réfugié dans le désert de Suma, chez les Ban Darn, avant de gagner lAurès. Le Tourneau, La révolte dAbû Yazîd, p. 107, note 26.

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Ibn ammd raconte les choses différemment: les accusations lancées par Ab Yazd contre al-Q’im finissent par lui allier trois cents fidèles. Ibn Farqn, le muqaddam / chef de Tozeur, convoque Ab Yazd et le menace, mais le rebelle nie les faits. Ses compagnons prennent peur et se dispersent, ils désertent ses réunions puis labandonnent complètement. Il quitte alors le bild Qasliya et marche vers lAurès où il est accueilli par les Ban Kamln, un clan des Hawwra qui partage sa doctrine109.

Une chose est certaine, Ab Yazd a bien compris que son séjour dans la Qasliya nest plus assuré. LAurès par contre est nettement moins surveillé par les Fimides; seules les places fortes du Zb comme al-Masla sont bien gardées. En 331/942-943, selon Ibn aldn, il gagne l’Aurès avec Ab Ammr et douze fidèles; il rassemble chez les nukkrites dal-Nawlt (?) une foule de riites110. Il leur fait jurer de renverser le calife et d’instaurer un conseil de ay-s. Il ne revendique pour lui-même que le simple titre de ay des croyants et prend la place dAb Ammr à la tête de l’immat nukkrite, puisqu’il en est le plus capable / afal. Il gouverne l’immat avec un conseil de douze azzba / reclus ou clercs111. Ce n’est que plus tard qu’il autorise l’istir, permettant ainsi à ses partisans dexécuter leurs adversaires, si ces derniers refusent dadopter la foi des nukkrites112.

c. La révolte dAb YazdLa révolte dAb Yazd commence en 332/943-944 sous le règne dal-Q’im. Il rassemble autour de lui une masse de guerriers essentiellement zant, ennemis jurés des Kutma. Il sallie également une partie des Maġrwa de Muammad ibn azar, bien quils soient, semble-t-il, généralement sunnites. Leur chef profite de la révolte pour reprendre aux Fimides une partie du Maghreb central. Le frère de lémir, Mabad ibn azar, rejoint également la cause dAb Yazd. Leur première action est de ravager plusieurs villages de la plaine de Bġya. Les pillards dévalisent les habitants et les Fimides envoient des troupes à la rencontre dAb Yazd. Les rebelles résistent à larmée du calife, mais ne parviennent pas à semparer de la citadelle de Bġya. Ils décident alors daller prendre la Qasliya. En 333/944-945, selon Ibn aldn, les Ban Wasn / Wisyn et d’autres tribus berbères de la province de Qasliya assiègent et investissent Tozeur, répondant à un ordre écrit dAb

109 Ibn ammd, p. 19/34. À lépoque de la fondation dal-Masla, certains Ban Kamln avaient été transférés du Zb aux abords de Mahdiyya et intégrés à larmée du calife. Lors du siège de cette ville, ils trahissent le calife et rejoignent les rangs dAb Yazd. Dachraoui, Le califat fatimide, p. 173.

110 Ibn aldn, VII, p. 17/III, pp. 203-205.111 Lewicki, E.I., s.v. ala. Ibn ammd, p. 20/36, dit quil a nommé azzba ceux qui lont reconnu

comme souverain. Sur les azzba, voir infra.112 Lewicki, Les subdivisions de l’Ibiyya, p. 78; E.I., s.v. Nukk.

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Yazd113. La Qasliya est désormais aux mains des nukkrites mais ne constitue pas pour autant une base pour leurs armées: la suite des campagnes dAb Yazd aura lieu plus au nord et les textes ne mentionnent pas que le chef soit venu dans le Djérid après sen être emparé.

Après avoir fait main basse sur la Qasliya, Ab Yazd sempare de Tébessa, Laribus et Marmanna, où il acquiert le fameux âne qui lui vaut son surnom, lhomme à lâne / ib al-imr114. Puis il ravage Ba et reçoit la soumission des habitants de Tunis. Il entame des relations amicales et suivies avec les Umayyades d’Espagne115. Son désir d’évincer les Fimides conquiert rapidement une bonne partie de la population et des docteurs mlikites de Kairouan. Il prend Kairouan en octobre 944 et en autorise le pillage. Il lance ses troupes dans les campagnes d’Ifrqiya où les dévastations et les massacres senchaînent. Il s’empare de Raqqda, puis de Sousse, où les bandes de nukkrites assassinent et mutilent une grande partie de la population. L’Ifrqiya est alors mise à feu et à sang, les villages sont désertés et les rescapés des massacres meurent de faim. Les Hawwra et les Ban Kamln commettent des forfaits épouvantables116. À cette époque, assuré de sa victoire, Ab Yazd se laisse tenter par le luxe; il monte un cheval fringant et porte un habit de soie, ce qui fâche ses partisans. Il entame le siège de Mahdiyya et rassemble devant la ville les Berbères des régions de Gabès, de Tripoli et du abal Nafsa117. Plusieurs combats ont lieu entre les rebelles et les assiégés qui tentent de sortir de la ville. Ibn ammd raconte les atrocités commises par les combattants dAb Yazd, qui massacrent les vaincus, mettent leurs femmes en captivité et éventrent les assiégés qui quittent Mahdiyya pour récupérer lor quils auraient éventuellement pu avaler118. Ces combats tournent rapidement au désavantage des nukkrites, mais la famine commence à ravager cruellement la capitale. Une armée de Kutma destinée à secourir al-Q’im part de Constantine; Ab Yazd envoie à sa rencontre les Warfama dirigés par Yak.ms al-Maz, qui dispersent ces renforts119. Les Warfama dévastent le pays, ils exterminent et pillent pour leur propre compte, puis décident de ne plus soutenir Ab Yazd. Le siège se prolonge; de nombreux partisans du rebelle trouvent le temps long et désertent; dautres soldats sont partis ravager les campagnes des environs et faire du butin à leur seul profit. Le

113 Ibn al-Ar, VIII, p. 422; Ibn aldn, IV, p. 49/II, pp. 530-531, VII, p. 17/III, p. 205 et VII, p. 69/III, p. 301; Ibn Ab Dnr, p. 58; al-Wazr al-Sarr, II, p. 27.

114 Sur ce surnom, Lanfry, E.B., s.v. Ab Yazd.115 Ces derniers font passer leurs intérêts politiques et économiques avant toute considération religieuse:

ils veulent à tout prix pouvoir contrer les Fimides et simposer sur les voies transsahariennes.116 Ibn aldn, VI, p. 167/I, p. 277 (l’éd. donne Ban Kahln).117 Ibn aldn, VII, p. 18/III, p. 208; Ibn Ab Dnr, p. 59.118 Ibn ammd, p. 20 /36.119 Ibn al-Ar, VIII, pp. 428-429; Ibn aldn, IV, p. 51/II, p. 534 et VII, p. 18/III, p. 208.

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rebelle reste seul avec des Hawwra de lAurès, dont les fidèles Ban Kamln; ces derniers finissent pourtant par labandonner également. Des troupes dirigées par Zr ibn Mand al-anh, chef berbère au service des Fimides, parviennent à réapprovisionner la capitale et attaquent les nukkrites par larrière. Ab Yazd, dépourvu de troupes, est forcé dabandonner le siège de Mahdiyya. Il gagne Kairouan où les habitants se sont soumis à al-Q’im. Il cède alors à Ab Ammr et retrouve l’ascétisme qui le caractérisait autrefois. Mais la levée du siège et les atrocités commises par les nukkrites ont entraîné de vives attaques à leur égard et les régions qui sétaient auparavant soumises se révoltent. L’homme à l’âne tente de sauver la mise et entreprend d’assiéger Sousse, qui sest replacée sous lautorité des Fimides. C’est au cours du siège de Sousse, en 334/946, qual-Q’im décède, laissant le pouvoir à son fils, qui cachera la mort de son père jusqu’au décès du rebelle. Le siège est terrible mais Ab Yazd se fait battre et ne peut se réfugier dans Kairouan, dont les habitants ont fermé les portes. Le vent tourne et les nukkrites subissent de plus en plus de pertes. Ils essuient une terrible défaite sous les murs de Kairouan face au nouveau calife al-Manr. Ab Yazd va se réfugier chez les Ban Birzl. À cette époque, Muammad ibn azar offre sa soumission au calife et lui promet d’arrêter le rebelle120. Les Fimides battent cruellement larmée dAb Yazd dans la région dal-Masla, avec laide des anha de Zr ibn Mand. Al-Manr sait quil a remporté la victoire. Il lui reste à mettre la main sur le chef des rebelles, mais en attendant de larrêter, il promet à la population une exonération des impôts de lannée, de façon à relancer léconomie très appauvrie du pays. Il accorde également son pardon aux Ban Kamln, qui ont abandonné le chef des nukkrites121. Le calife poursuit Ab Yazd avec obstination et le coince finalement sur le abal Kiyna122, dont il assiège la forteresse. Après une résistance acharnée, le vieil Ab Ammr est tué123 et l’homme à l’âne, grièvement blessé, est transporté à Mahdiyya où il meurt en août 947. Al-Manr demeure quelque temps sur place pour pacifier le Maghreb central puis, à son retour dans la nouvelle capitale quil a

120 Ibn al-Ar, VIII, p. 438; Ibn aldn, IV, p. 53/II, p. 537 et VII, p. 19/III, p. 210. Dès le début de la révolte dAb Yazd, le chef des Maġrwa était pourtant parvenu à réaffirmer son autorité dans le Maghreb central. Avec le soutien des Umayyades, il avait repris Thart et Biskra. Sur la conduite équivoque de ce chef, Lewicki, E.I., s.v. Maghrwa; Golvin, Le Marib central, pp. 40-41.

121 Ibn aldn, VII, p. 20/III, p. 211.122 Golvin, Le Marib central, p. 53, identifie le Kiyna au mont Takarbst, au pied duquel sera bâtie

al-Qala. Al-imyar, s.v., dit que ce sont de hautes montagnes difficiles daccès, proches dal-Masla. Alors quil est bloqué dans le Kiyna, Ab Yazd est ravitaillé par certains de ses fidèles venant de Sadrta et de la région de Biskra. Sur ordre du calife, les Zanta vont ruiner Sadrta, tuer les hommes, semparer des femmes et dun immense butin. Ibn ammd, p. 30/50.

123 Yak.ms al-Maz, le chef des Warfama, connaît le même sort. Il semble donc que contrairement au reste de sa tribu, il est resté fidèle à Ab Yazd. Ibn aldn, VII, p. 20/III, p. 211.

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fait construire, al-Manriyya, il jouit du spectacle de son ennemi juré, empaillé et soumis aux caprices de deux singes124.

À la mort dAb Yazd, ses derniers partisans se groupent dans l’Aurès autour de son fils Fal et de Mabad ibn azar, le frère de lémir Muammad. Fal obtient lappui de la Qasliya et du sud de lAurès et du Zb, puis réunit de fortes troupes à Fa al-imr et dans la région des qur de Gafsa, menaçant fortement la ville. Al-Manr se porte le plus rapidement possible contre Fal, craignant un nouvel embrasement du Sud tunisien. En 948, il traverse avec son armée la province de Qammda et punit sévèrement deux villages favorables à la révolte, dont amnis aln. Lorsquil atteint enfin Gafsa, les rebelles ont fui pour se terrer dans lAurès. Al-Manr gagne le nord-est de la Qasliya et défait une partie des insurgés dans le désert. Selon Ibn aldn, le calife prend la forteresse de Ms / Midès. Cest son jeune fils, le futur al-Mu‘izz, qui vainc définitivement la forteresse des partisans de Fal dans le Zb. Al-Manr regagne alors triomphalement al-Manriyya en passant par la Qasliya, bien que Fal soit toujours en fuite. Finalement, le rebelle est tué dans un guet-apens alors quil sapprête à assiéger Bġya125.

d. Les conséquences de la révolte La révolte dAb Yazd est fréquemment associée au Sud tunisien, puisque son auteur en est originaire. Il apparaît cependant que cette région a finalement peu participé à la révolte, dès le moment où celle-ci a pris toute son ampleur. La majorité des partisans du rebelle ont été recrutés dans lAurès, qui est le cadre dune bonne partie du conflit. Le Sud tunisien semble également avoir échappé à des ravages tels quont connus les villes martyres de Sousse, Mahdiyya ou Kairouan. Nous allons tenter de voir dans quelle mesure Gabès, Gafsa, Djerba et les oasis du Djérid ont été touchées par la révolte et lont encouragée ou réprouvée.

Les renseignements concernant Gabès sont rares: Ibn Ab Dnr est seul à dire quavant dattaquer Sousse pour la première fois en 333/944-945, Ab Yazd envoie des détachements dans les forteresses qui se trouvent sur la côte; ils semparent de tout ce qui sy trouve, armes et vivres126. Ibn Ab Dnr ne précise pas quelles sont ces forteresses mais il paraît peu probable que Gabès en fasse partie. On sait d’autre part que pendant le siège de Mahdiyya, des Berbères de Gabès viennent soutenir le rebelle. Nous supposons que dans les premiers temps de la révolte, les habitants de Gabès, souvent ibites, ont soutenu lhomme à lâne, et quils se sont détournés

124 Sur les derniers moments dAb Yazd, voir le récit très détaillé de Dachraoui, Le califat fatimide, pp. 194-206.

125 Sur la rébellion de Fal, Ibn aldn, IV, pp. 54-55/II, pp. 539-541 et VII, p. 20/III, pp. 211-212. Voir surtout Dachraoui, Le califat fatimide, pp. 208-210, daprès Idrs Imd al-Dn.

126 Ibn Ab Dnr, p. 59.

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de lui à la fin du siège, comme la plupart des tribus. Il n’y a aucune information sur Gafsa avant ou pendant la révolte. Certains habitants ont sans doute rejoint les nukkrites. À la mort dAb Yazd, son fils Fal obtient lappui de tribus de la Qasliya, de lAurès et du Zb, et menace Gafsa: on pourrait en déduire que les Gafsiens ont alors, dans leur majorité, renoncé à soutenir la cause nukkrite.

Ibn aldn mentionne un épisode relatif à Djerba: selon lui, en 331/942-943, pendant la révolte dAb Yazd, les nukkrites pénètrent de force à Djerba et imposent leurs croyances aux insulaires après avoir tué et crucifié leur chef Ibn Kaldn. Al-Manr reprend l’île et y fait mourir les partisans dAb Yazd127. Cette révolte des nukkrites est tout à fait crédible, à lexception du fait qual-Manr ne règne pas encore en 331/942-943. Elle se rapproche fortement dun épisode de lhistoire zrde détaillé par al-Ti, qui se déroule un siècle plus tard, en 431/1039-1040: le révolté al-Nukk se soulève contre le souverain zrde al-Muizz ibn Bds. Il sempare de Djerba et fait crucifier son chef Ibn Kaldn. Al-Muizz envoie alors sa flotte contre le rebelle, dont les partisans sont supprimés; toute lîle se soumet au Zrde128. On voit quil sagit évidemment du même épisode que chez Ibn aldn. Ibn et al-Nuwayr confirment quil a lieu sous le règne dal-Muizz ibn Bds et non sous celui du fimide al-Manr. Il semble quIbn aldn a confondu les époques et placé cent ans trop tôt la crucifixion dIbn Kaldn. Cependant, il y a sans doute eu une prise de pouvoir des nukkrites à Djerba pendant la révolte dAb Yazd. À cette époque, lîle comptait de nombreux nukkrites, que les wahbites tentaient de tenir en respect. Ces nukkrites se sont peut-être révoltés contre les Fimides: Ibn al-Ar affirme quavant sa mort, al-Manr a forcé les habitants de Djerba à se soumettre et a emmené avec lui certains habitants129.

Les nukkrites jouent également un grand rôle dans les oasis du Djérid. Après la bataille de M, ils y sont déjà fortement représentés: certains y sont installés depuis que Abd al-Wahhb les a frappés de bara, dautres sont arrivés du abal Nafsa après la défaite. À la fin du IXe siècle, ils créent dans lAurès un immat dissident de Thart; Ab Ammr al-Am est un de leurs imm-s. Leur active propagande leur allie une partie des wahbites; à la chute de Thart, de nombreux ibites gagnent la Qasliya pour joindre le combat anti-Fimides de lhomme à l’âne. Ils sajoutent à la population ibite qui se compose comme suit: les nukkrites sont représentés par les Ban fran de Saddda, les wahbites sont entre autres les Ban Darn, les Lawta et les immigrés nafs de la première heure. Dautres groupes sont sakkkites ou naffites. La longue prédication dAb Yazd

127 Ibn aldn, VI, p. 475/III, p. 64. 128 Ibn , I, p. 275; al-Ti, p. 125/119; Ibn Ab Dnr, p. 82.129 Ibn al-Ar, VIII, p. 497.

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dans la région de Tozeur, de 310/922 à 331/942-943, laisse penser quau début de la révolte, il a rallié à lui la plupart des habitants. Ainsi les Ban Wisyn, wahbites, font le siège de Tozeur en 333/944-945 sur son ordre.

Au début de son combat, en effet, le chef a rassemblé une masse considérable de partisans, venus à lui pour des raisons diverses; il sest même allié les docteurs mlikites de Kairouan. Si toutes ces nouvelles recrues ont certainement en commun la haine des Fimides, certains de ces ralliements ont dû sans doute se faire par intimidation. Beaucoup de prétendus partisans ont également profité du chaos pour senrichir. Nous supposons que la suite d’atrocités décrite dans les textes est souvent commise par les bandes de pillards qui suivent les nukkrites. Certaines tribus, dabord fidèles à lhomme à lâne, le quittent au cours du siège de Mahdiyya pour aller piller lIfrqiya à leur propre compte. Il semble que les wahbites, associés dans un premier temps au chef rebelle, ont rapidement été indignés par les dégâts et les massacres que ne justifiait pas leur doctrine beaucoup plus clémente. Il est certain que les wahbites ont vu dun très mauvais œil les nukkrites pratiquer listi. Le chef des rebelles a sans doute perdu nombre de partisans chez ces ibites particulièrement modérés; il est probable que leur défection a été lune des causes de son échec. Ab Zakariyy’ raconte les horreurs commises par « l’ennemi d’Allh » ce qui montre bien ce que cet ibite modéré pense des extrémistes130. Il semble chez les auteurs ibites que les dégâts sont considérables: ils attribuent à Ab Yazd la destruction de trente mille villages en Ifrqiya131. Il faut souligner que ces sources ibites sont tardives et ont été écrites à une époque où leurs auteurs étaient habitués à vivre dans le kitmn le plus complet: ils nont aucune indulgence vis-à-vis de cette tentative de restauration de limmat et alamm, pour sa part, ne prend même plus la peine dévoquer la révolte.

On peut comprendre que, poussés par lenvie de restaurer limmat et de bouter dehors les Fimides qui leur ont ravi leur capitale intellectuelle, les wahbites ont embrassé la dernière chance qui soffrait à eux, incarnée par Ab Yazd. Nous pensons que cest lespoir de recréer un immat englobant lensemble des communautés ibites qui, dans un premier temps, les a conduits à suivre les nukkrites. Si la révolte avait effectivement abouti à la création dun immat nukkrite, lentente des diverses communautés ibites en son sein aurait peut-être pu être possible. Il arrive en effet que différentes branches de libisme vivent en de bons termes: alamm raconte que Sulaymn ibn Zarqn, lancien compagnon dAb Yazd, se rend dans la presquîle de Akra / R, face à Djerba, et y trouve des Zawwġa partagés

130 Ab Zakariyy’, p. 173, par exemple.131 Ab Zakariyy’, p. 173; al-Darn, p. 101.

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entre les quatre tendances de libisme. Cest un wahbite qui rend les jugements, les nukkrites édictent les fatw-s, les prières du mois de raman sont confiées aux alafites et les naffites soccupent de lappel à la prière132. Cette cohabitation ne semble pas leur poser de problèmes. Il faut toutefois noter que dans cet exemple, la justice est assumée par un wahbite, donc par un religieux très modéré, et que les fonctions assumées par les autres groupes, à lexception peut-être des nukkrites, sont de moindre importance. Les nukkrites ne se seraient peut-être pas comportés de façon si magnanime: ils auraient très bien pu confier lensemble des pouvoirs aux seuls membres de leur groupe. De toute façon, les wahbites ralliés à Ab Yazd ont sans doute rapidement réalisé que la révolte, tournant au massacre et au pillage systématiques, ne pourrait aboutir à la restauration de cet immat tant espéré.

Il est difficile dévaluer les dommages réels qua subis le Sud tunisien. À linverse de la Khina, Ab Yazd na laissé aucune trace dans limaginaire des habitants actuels du Djérid133. La région a pourtant certainement souffert à plusieurs reprises. Ladhésion à ces thèses extrémistes a dû, bien avant le début de la révolte, être difficile à supporter pour la population de la Qasliya. On ne peut sempêcher de voir en Ab Yazd une sorte de dictateur, lorsque, dès 316/928-929, il surveille les agissements des habitants. Si lon en croit Ibn , cette année-là, les gens de Taqys assassinent le mil de leur ville sur ordre du chef nukkrite, qui fuit alors que le calife fimide tente de le faire arrêter. On peut envisager que les habitants de Taqys ont eu à subir une répression de la part des troupes fimides. Plus tard, al-Q’im ordonne aux habitants de Qasliya de capturer son ennemi, alors quil est parti à La Mecque; à nouveau, on ignore les conséquences du manque de coopération des oasiens avec le calife. En 325/936-937, Ibn Farqn sen prend à Ab Yazd. On ne sait si le rebelle est mis en prison puis délivré par ses partisans, ou bien si ses compagnons prennent peur et labandonnent complètement, comme lavance Ibn ammd. Toujours est-il quil quitte alors la Qasliya; il se réfugie à Ouargla et recrute des partisans dans l’Aurès. Nous supposons que la volonté de se débarrasser de cet encombrant personnage, exprimée par le chef du conseil de Tozeur, est déjà représentative dune partie de la population. En 333/944-945, les Ban Wisyn et d’autres tribus berbères de la province de Qasliya assiègent Tozeur sur ordre dAb Yazd; cette attaque a certainement dû déplaire aux habitants. Le Djérid est désormais dirigé par les nukkrites mais est complètement délaissé par leur chef. Lannonce des atrocités commises dans le reste de lIfrqiya et la probabilité de plus

132 Alamm, p. 225.133 Dakhlia, Loubli de la cité, p. 86, dit que lhomme à lâne « na pas été récupéré comme lun

des héros de la région ». Les habitants font généralement un amalgame entre le riisme et le paganisme et rejettent de ce fait libisme dans les siècles anté-islamiques. Sur le souvenir de ce personnage chez les habitants de Chébika, Duvignaud, Chebika, pp. 83-85.

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en plus faible de voir à lissue de ces crimes une restauration de limmat ont sans doute fini de dégoûter la plupart des wahbites. À la mort dAb Yazd cependant, son fils Fal réunit entre autres des tribus de la Qasliya et menace Gafsa, ce qui prouve que lhomme à lâne compte, jusquaprès sa disparition, des partisans dans les oasis. Ces ultimes combattants sont sans doute de vrais nukkrites, issus par exemple de la tribu dAb Yazd.

Il apparaît donc, après lexamen de ces informations, que cest surtout la longue couvaison de la révolte dAb Yazd qui a été éprouvante pour la Qasliya. La région a peut-être subi des persécutions fimides à cette époque mais, dès le départ du rebelle vers lAurès, excepté durant le siège de Tozeur, la population semble avoir été moins inquiétée. On ne sait rien de limpact qua eu la révolte sur les minorités chrétiennes et juives, importantes dans le Sud tunisien. Selon Lewicki, c’est la révolte de l’homme à l’âne qui ruine définitivement la population chrétienne des Afriqa et des Aam, en les faisant fuir de leurs villages134; cette constatation ne se vérifie pas dans le Djérid. Une autre minorité fortement exposée aux déchaînements des nukkrites est la communauté ite. La petite population dobédience ite que la Qasliya abritait dès la fin du IXe siècle a dû rapidement disparaître, dès quAb Yazd a commencé à prêcher la révolte contre les Fimides. Une partie de ces ites sest peut-être réfugiée à Nefta, qui comptait une communauté plus importante. Le sort de Nefta pendant la révolte est difficile à établir. Il paraît logique quelle ait été lune des cibles privilégiées dAb Yazd, mais aucun indice ne permet détablir quelle a souffert dattaques particulières. Il est donc probable quelle sest tenue à lécart de la révolte. Les sources ibites évoquent dailleurs généralement très peu Nefta, alors quelles donnent de nombreuses informations sur les autres villes du Djérid.

Roger Le Tourneau estime que la révolte na pas été lexpression dun véritable réveil des riites et que la défaite finale des nukkrites marque le signal de la mort rapide de la presque totalité du riisme maghrébin. Il croit que la proportion de véritables riites devait être très faible dans les armées dAb Yazd. Il affirme, comme dautres, quà la mort dAb Yazd, les communautés riites se restreignent fortement et se limitent à Djerba, au abal Nafsa et à quelques oasis algériennes135. Cette vision des choses est évidemment fausse et libisme ne disparaîtra que bien plus tard dans le Djérid. Le Tourneau se trompe lorsquil affirme quaprès la mort du rebelle, plus aucun acte riite nest digne dêtre mentionné, puisquune vingtaine dannées plus tard se déclenche la révolte de Bġya. Nous pensons, contrairement

134 Lewicki, Une langue romane oubliée, p. 421, note 3; Cuoq, L’Église d’Afrique du Nord, p. 142. 135 Le Tourneau, La révolte dAbû Yazîd, pp. 124-125; Julien, Histoire de lAfrique du Nord, p. 64;

Halm, The Empire of the Mahdi, p. 322.

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à cet historien, que les combattants sont bien pour la plupart des riites, quelle que soit leur tendance, et que leur objectif est réellement de fonder un immat aussi prestigieux que celui de Thart.

Certains historiens voient dans le personnage dAb Yazd la dernière incarnation de la résistance berbère au pouvoir central, le libérateur du peuple berbère, digne successeur de Jugurtha ou de la Khina136. Plus que le libérateur des Berbères, Ab Yazd nous apparaît comme le défenseur - souvent maladroit - des Ifrqiyens contre les Fimides. Il est évident que ces souverains incarnent, à la suite des wl-s et des Aġlabides, les occupants de fait, mal acceptés par les Berbères. Nous pensons pourtant que les motivations dAb Yazd se rattachent davantage à laspect religieux quà laspect politique: pour recruter des partisans parmi la population, il sappuie sur le refus du peuple de se voir imposer le isme. Pour rassembler lensemble des riites, il promet de leur rendre la liberté quils avaient pu acquérir sous les Aġlabides grâce à la puissance de Thart.

À la mort dAb Yazd, les nukkrites deviennent minoritaires parmi les ibites et la plupart se réfugient dans le Sud tunisien. Al-Ti dit quaprès la défaite de lhomme à lâne, une partie de ses partisans sétablissent dans le Djérid et dans le Nafzwa, se fixant à Nefta et dautres villes de cette région137. On les trouve également à Djerba, où ils fomenteront une insurrection un siècle plus tard. Nous navons aucune mention dun éventuel soulèvement des nukkrites dans le Sud tunisien avant la révolte de Bġya, qui éclate en 358/968-969. Les Fimides doivent par contre mater définitivement les Hawwra de lAurès, anciens partisans dAb Yazd138.

9. LA RÉVOLTE DE BĠYA

La révolte de Bġya se déroule pendant le règne dal-Muizz (953-975), qui représente l’apogée de la domination fimide. Ce dernier grand soulèvement de lhistoire des ibites ifrqiyens, particulièrement détaillé par alamm, nest

136 Le Tourneau, La révolte dAbû Yazîd, pp. 124-125; Golvin, E.B., s.v. Ab Yazd.137 Al-Ti, pp. 119-120/111; Mawl Amad, p. 263.138 Ibn ammd, p. 40/62; Ibn aldn, IV, p. 55/II, pp. 541-542. En 350/961-962, Muammad ibn

azar meurt au cours d’une visite à al-Muizz. Les Zanta passent alors à son petit-fils Muammad ibn al-ayr ibn Muammad ibn azar qui, sous l’impulsion dal-akam II, attaque le territoire fimide et sème le désordre dans la région de Thart. En 360/971, Buluggn ibn Zr viendra attaquer Muammad ibn al-ayr sur ses terres. Les anha massacreront les agitateurs et tueront nombre de leurs émirs. Muammad ibn al-ayr se suicidera. Ibn awqal, p. 107/104; Ibn al-Ar, VIII, p. 616; Ibn aldn, IV, p. 59/II, p. 549.

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que très brièvement évoqué dans les sources sunnites139. Ibn al-Ar et Ibn aldn mentionnent tous deux, sans en expliquer les causes, quAb azar al-Zant140, soutenu par une foule de Berbères et de nukkrites, fomente une révolte en Ifrqiya en 358/968-969. Selon Ibn al-Ar, Ab azar affronte le représentant du calife à Bġya; al-Muizz se déplace en personne vers cette ville, près de laquelle le rebelle a rassemblé ses partisans. Lorsquils apprennent larrivée de larmée califale, les Berbères se dispersent et Ab azar, abandonné par ses troupes, doit trouver refuge dans la montagne. Le calife envoie alors Buluggn, le fils de Zr ibn Mand, à sa poursuite mais il ne parvient pas à rattraper le fugitif141. L’année suivante, Ab azar vient demander sa grâce à al-Muizz et obtient de lui une pension / rizq. À la même époque, le calife apprend, fou de joie, que awhar al-R est entré à al-Fus et linvite à gagner lÉgypte.

La version dalamm met en scène, non pas un, mais deux protagonistes: Ab azar Yaġlā ibn Zaltf, également mentionné dans la version sunnite, et Ab l-Qsim Yazd ibn Malad. Tous deux appartiennent aux Ba Wisyn et sont originaires dal-mma, où ils demeurent. Ces deux ay-s ont reçu la plus grande partie de leur enseignement de Sulaymn ibn Zarqn, lancien compagnon dAb Yazd. Ils ont pour coutume de lire un seul Coran: lorsque lun deux vaque à ses occupations, lautre poursuit la lecture et lorsque le premier revient, il reprend la lecture là où il lavait arrêtée. Ils sont extrêmement savants et jouissent dune grande renommée. De nombreux étudiants viennent suivre leurs leçons, dont Ab N Sad ibn Zanġl. Si Ab azar travaille pour gagner sa vie, Ab l-Qsim est extrêmement riche. Il pourvoit aux dépenses de ses étudiants et est dune telle générosité quon le prend à loccasion pour un fou142. Cependant, certains Nafsa reprochent à Ab l-Qsim dafficher sa richesse, notamment parce quil monte une mule dont la selle est décorée dor. Ils estiment que cette ostentation ne sied pas aux ibites. Ces remontrances font pleurer le ay, mais ne semblent pas linfluencer pour autant. Il possède en effet vingt chameaux parés de bracelets de cheville, avec lesquels il se rend à Kairouan. Il est très connu dans cette ville, tant pour sa science que pour sa piété. Lorsquil sy rend, les Kairouanais se pressent de venir laccoster pour lui demander de résoudre des problèmes et de délivrer des fatw-s143.

139 Sur la révolte de Bġya, Ibn al-Ar, VIII, pp. 598-599; Ibn aldn, IV, pp. 58-59/II, pp. 548-549. Voir aussi Prevost, La révolte de Bġya, pp. 197-206.

140 Il est nommé Ab afar chez Ibn aldn. 141 Il se trouve chez le kim des Nafsa. Alamm, p. 271 et p. 316.142 Alamm, pp. 310-311.143 Alamm, p. 312. Cest sans doute à cette époque quont lieu des affrontements entre Ban

Wisyn / Wsn et Ban fran, sans doute à al-mma. À lissue dune bataille, les Ban Wisyn sont vaincus et les Ban fran se mettent à piller leur quartier. Un des Ban fran sen prend à lépouse dAb l-Qsim. Ab azar met alors les Ban fran en fuite et vient le lendemain leur

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La renommée dAb l-Qsim finit par parvenir aux oreilles dal-Muizz. Le quatrième calife fimide avait pour habitude denvoyer dans certaines régions difficiles une armée brandissant un étendard rouge, qui marquait son mécontentement. Irrité sans doute par le prestige du savant, al-Muizz décide denvoyer cette armée dintimidation à al-mma. Apprenant cela, Ab l-Qsim se rend à Kairouan et intercède auprès du calife en faveur des habitants de sa ville natale. Le calife lui remet alors un étendard blanc, signe de sa bonne grâce. Le savant rattrape les soldats qui sont en route vers al-mma et leur présente le nouvel étendard; larmée rentre alors à Kairouan144. Il est probable qualamm décrit ici la première rencontre entre le calife et Ab l-Qsim. Visiblement, les deux hommes sentendent puisque le calife renonce à menacer al-mma. Ils multiplient alors leurs entrevues. Un jour, alors quil se trouve chez al-Muizz, Ab l-Qsim lui demande de lui faire voir « l-Faqr », le sabre du Prophète Muammad145. Le savant tire doucement larme de son fourreau, la brandit puis la rend au calife. Dès ce moment, al-Muizz commence à craindre Ab l-Qsim et les accusations que profèrent ses ministres à légard du savant ne font quajouter à son trouble146.

On voit ensuite Ab l-Qsim aller trouver les Mazta, qui ont atteint une grande puissance, tant par le nombre de leurs guerriers que par limportance de leur équipement militaire: ils compteraient douze mille cavaliers et un nombre incalculable de fantassins. Al-Muizz apprend à ce moment quAb l-Qsim veut tenter le ur contre lui. Il écrit alors à son mil dal-mma pour lui ordonner de supprimer le savant. Ne voulant pas le tuer, le mil lui conseille de partir en pèlerinage, mais Ab l-Qsim lui rétorque quil la déjà accompli. Bien que le mil insiste, en lui faisant valoir lintérêt dun second pèlerinage, le savant sobstine dans son refus de retourner à La Mecque. Le mil lui suggère alors de se rendre à Ouargla, mais sans succès. Cest tout aussi vainement quil lui propose de partir dans le abal Nafsa. Trouvant le temps long, al-Muizz écrit une seconde lettre à son mil, puis une troisième, dans laquelle il lui demande de choisir quelle est la tête qui tombera, celle dAb l-Qsim ou la sienne. Le mil va alors trouver Ab l-Qsim et lui montre les trois lettres, lassurant de sa mort prochaine. Le savant lui demande de lui laisser le temps de prier. Lorsquil a terminé, des hommes armés se précipitent vers lui. Le mil sécarte, ne voulant pas voir le savant dans cette piteuse

proposer la paix et réconcilier les deux tribus, qui ne se soucient plus de ce qui sest passé la veille. Alamm, p. 322.

144 Alamm, p. 312.145 Ce sabre, provenant du butin pris à Badr, est nommé ainsi à cause des trous ou des cannelures quil

porte. Doté dun pouvoir magique, il appartient au Prophète, puis à Al et aux califes abbsides. Il devient ensuite un attribut de Al et un symbole ite. Mittwoch, E.I., s.v. Dh l-Far.

146 Alamm, pp. 312-313.

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situation, car des liens damitié les unissent. Muni dun couteau, Ab l-Qsim se défend vaillamment mais finit par être tué147. Cet épisode montre que le savant avait réellement lintention de sattaquer à lÉtat fimide et que le calife a pu larrêter à temps: on peut supposer que si le savant refuse de partir se mettre en sécurité, cest bien parce que le ur est imminent. On voit également que de bonnes relations sont possibles entre les ibites et le mil qui leur est imposé; le mil fait vraiment tout ce quil peut pour faire fuir Ab l-Qsim.

Lannonce de lassassinat dAb l-Qsim bouleverse les ibites dal-mma, qui se jurent de le venger. Cependant, ils ne veulent pas provoquer la révolte sans laccord des principales communautés ibites. Ab N Sad ibn Zanġl, lancien élève dAb l-Qsim, se rend donc à Tripoli, où il rencontre Ab N Sad ibn Yalaf al-Maz, qui le reçoit avec un plat dorge et de lait. Les Maza décident de rejoindre les rangs des révoltés148. Ab N va ensuite solliciter Ab Abd Allh ibn Ab Amr ibn Ab Manr Ilys, le chef ibite du abal Nafsa qui, après avoir consulté lensemble des ay-s, lui répond quils sont malheureusement très affaiblis depuis leur défaite à M, mais que si les ibites du Sud tunisien se sentent en mesure de venger Ab l-Qsim, ils les aideront comme ils pourront. Ab N gagne alors Djerba où le chef refuse de lui assurer son soutien, car il estime que ladversaire fimide est beaucoup trop puissant. Ab N rejoint al-mma et informe Ab azar Yaġlā ibn Zaltf du concours de la région de Tripoli et du abal Nafsa. Les deux ay-s décident alors de se mettre en rapport avec les Umayyades dal-Andalus: Ab N leur écrit une lettre, qui est interceptée et parvient à al-Muizz, augmentant sa colère. Le calife, qui est à ce moment assuré de limminence du ur et dune éventuelle aide des Umayyades, envoie une délégation à al-mma, pour enjoindre les ibites à demeurer dans leur pays, « cest-à-dire le Djérid et Thart », auquel cas il resterait également dans son pays149. On ne peut que sétonner de lattitude du calife, qui tente ainsi déviter la révolte. Al-Muizz est certainement capable daffronter les ibites et on ne comprend pas, sil craint tant leur alliance avec les Umayyades, pourquoi il nenvoie pas directement son armée à al-mma, afin dempêcher que la révolte néclate. Outre cela, lévocation dun bild des ibites, distinct de son propre pays - cest-à-dire lÉtat fimide - et qui plus est sétend également à Thart, ne manque pas de surprendre. Nous pensons qualamm, qui accorde une importance considérable à toute cette affaire,

147 Alamm, p. 313. On lit, p. 405, quà Ouargla, lorsquun éminent ay décède, les ibites ont pour coutume de faire passer le convoi funéraire dans tous les autres villages.

148 Alamm, pp. 346-347.149 Alamm, p. 314.

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exagère ici fortement la crainte du calife, voulant sans doute signifier limmense puissance quont acquise les ibites à cette époque.

Loin de renoncer à attaquer les Fimides, Ab azar Yaġlā ibn Zaltf envoie un de ses compagnons, Ab Muammad aml, pour mobiliser les ibites du Zb, dArġ et de Ouargla. Pendant son absence, des troupes de Mazta viennent rallier la cause dAb azar: ces nouvelles recrues sengagent à laider à venger le meurtre dAb l-Qsim et le nomment imm al-dif, puis imm al-uhr. Sans attendre larrivée des renforts quAb Muammad aml est censé ramener, ces ibites se rendent à Bġya150 et se mettent à assiéger cruellement la ville, tout en tentant de corrompre les soldats fimides. Malgré leurs efforts, ils sont mis en fuite et leur défaite est terrible: des dizaines dibites perdent la vie. Cest à ce moment quarrive Ab Muammad aml, accompagné des troupes de azrn ibn Fulful151 et des ibites quil a pu rassembler dans le Zb et à Ouargla; alors quelle est à proximité de Bġya, cette immense armée décide de faire demi-tour après avoir appris la défaite. Alamm nomme cette bataille « la rencontre des martyrs » / waqat al-uhad152.

Il est particulièrement intéressant de confronter la version sunnite et la version ibite de la révolte de Bġya. Tel quil est présenté par Ibn al-Ar et Ibn aldn, cet épisode semble être lun des derniers sursauts de lagitation nukkrite, qui se solde par la soumission de linsurgé. Le cadre est lAurès et on ne trouve aucune allusion au Sud tunisien, où a pourtant éclaté la révolte. Le nom du meneur, Ab azar al-Zant, incite à penser quil appartient à la grande famille des Ban azar, alliée des Umayyades. De ce fait, les historiens arabes et certains historiens contemporains comprennent cette révolte dans le cadre général des insurrections du Maghreb central, liées de près ou de loin aux visées dimplantation des Umayyades153. Pour eux, elle na aucun rapport avec la révolte dAb Yazd, puisque ce dernier, cest un fait, nagissait pas pour le compte des Umayyades. Nous pensons cependant quelle sen rapproche précisément, puisquil sagit à nouveau dune tentative de restaurer limmat, menée cette fois par les wahbites. La révolte est longuement mûrie: elle est dabord ourdie par les ibites wahbites du Djérid sous la direction du prestigieux

150 Al-Bakr, p. 145/277, signale que la population de Bġya est ibite.151 Sur ce personnage, voir infra.152 Alamm, pp. 315-316.153 Dachraoui, Le califat fatimide, pp. 236-237, explique que cette rébellion a eu lieu à une époque où

al-Muizz était contraint de se désintéresser du Maghreb central, tant il était occupé à préparer son expédition vers lÉgypte et à sinquiéter des succès des Qarmaes en Syrie: « Cest précisément le moment que choisirent les Zanta pour relever la tête et favoriser la progression de lexpansion umaiyade au Maghreb extrême. La lutte dinfluence que, depuis quelques décades, se livraient les empires umaiyade et fimide dans ce pays, connut alors sa phase ultime, avant le départ définitif dal-Muizz pour lÉgypte. » Lethielleux, Ouargla, p. 73, note 1, prétend que le chef de la révolte est Muammad ibn al-ayr, surnommé Ab azar!

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savant Ab l-Qsim Yazd ibn Malad. Après lassassinat dAb l-Qsim, ce sont deux autres savants, son ami Ab azar Yaġlā ibn Zaltf (m. 380/990-991) et son élève Ab N Sad ibn Zanġl, qui reprennent le flambeau154. Les auteurs ibites appellent cet épisode « la guerre entre les anha et les Zanta » car Zr ibn Mand, qui les a vaincus, appartient à la tribu des anha155. Malgré la mention des nukkrites parmi les Berbères révoltés, il sagit clairement dune insurrection wahbite. On peut donc supposer que les nukkrites se sont joints à eux en pensant que cétait leur dernière chance de restaurer limmat, tout comme les wahbites avaient dabord rejoint le combat dAb Yazd.

Laspect le plus surprenant de cette affaire est bien entendu les relations équivoques qui unissent les protagonistes de la révolte avec le calife. Al-Muizz tient Ab l-Qsim en haute estime et le reçoit à sa cour; on ne sait sil en fait autant à cette époque avec Ab azar et Ab N. Hady Roger Idris pense que les ibites menaient une secrète propagande dans les hautes sphères du pouvoir et allaient peut-être même jusquà dissimuler leurs croyances156. Sil semble possible quAb l-Qsim profitait de sa présence à la cour pour tenter de recruter des partisans, nous ne pensons pas quil cachait le fait quil était ibite: cest précisément son habileté dans les controverses théologiques qui plaisait au calife. Il paraît évident quil a dissimulé au calife son intention de mener le ur contre les Fimides, mais sest sans doute trahi lorsquil a brandi le sabre du Prophète en sa direction. Alamm indique clairement que cet épisode provoque linquiétude du calife, qui navait auparavant quà se louer des bonnes relations quil entretenait avec le savant.

Si alamm détaille longuement la jeunesse des acteurs de la révolte, laffrontement à Bġya ne tient quen quelques lignes et ne semble avoir pour conséquence, outre les pertes humaines, que linstauration de lamn ordonné par le calife pour lensemble des régions tenues par les wahbites. On ne sait pas quelle était exactement lambition dAb azar et dAb N, si ce n’est de venger la mort dAb l-Qsim. Comptaient-ils supprimer lÉtat fimide ou lamputer des régions wahbites? On sait seulement quils voulaient réunir les régions ibites en un immat et que cest dans ce but quils tentent dentrer en contact avec les Umayyades dEspagne, comme lavaient fait les Rustumides et Ab Yazd. Alamm dit bien quAb azar est nommé imm al-dif, puis imm al-uhr, mais névoque plus ces titres après la défaite. Selon dautres sources ibites, pendant la révolte, les

154 Sur leur rôle de théologiens, Cuperly, Introduction à l’étude de l’ibisme, p. 36. Voir aussi Crupi La Rosa, I trasmettitori della dottrina ibita, pp. 134-135.

155 Lewicki, Les historiens, biographes et traditionnistes, pp. 62-63. Alamm, p. 346, utilise également cette expression mais ne cite pas Zr ibn Mand; pour lui, le seul adversaire des wahbites est al-Muizz.

156 Idris, La Berbérie orientale, pp. 746-747.

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ibites auraient momentanément régné sur le Sud tunisien, la Tripolitaine, Djerba, le Zb, les oasis du w Rġ et Ouargla. Ils auraient nommé des mil-s dans toutes les provinces157. Ces informations napparaissent pas chez alamm, mais il est probable effectivement que tous les wahbites se sont réclamés, pendant la brève période de la révolte, de limmat dAb azar. Après la déroute de Bġya, cependant, ils sont forcés de retourner, et définitivement cette fois, à létat de kitmn.

Cest à propos dAb l-Qsim et dAb azar quAb Zakariyy’ évoque pour la première fois la constitution dune alqa wahbite. On ignore lorganisation de ce qui semble être au départ un simple cercle détudiants venus se former gratuitement auprès des deux savants. Il est probable que les deux chefs ont été influencés dans la formation de la alqa par lenseignement dAb Ammr dans le Djérid et son conseil de douze nukkrites. Dans la première moitié du XIe siècle, Ab Abd Allh Muammad ibn Bakr fixera la première règle de la constitution de la alqa wahbite158.

10. LES RELATIONS DES DEUX REBELLES AVEC AL-MUIZZ

Après la bataille, Ab azar Yaġlā ibn Zaltf se cache pendant quarante jours et, avec un seul compagnon, se rend ensuite dans le abal Nafsa, où il trouve refuge auprès du nouveau kim Ab Zakariyy, le fils dAb Abd Allh ibn Ab Amr ibn Ab Manr Ilys159. Pendant ce temps, al-Muizz lance ses soldats à la poursuite des deux ay-s. Ils retrouvent finalement Ab N, alors quil est en train de faire paître des chameaux. Les soldats le ligotent, le hissent sur un chameau et le font circuler dans les sq-s. Le calife fait ensuite comparaître Ab N et laccuse dêtre lauteur de la lettre destinée aux Umayyades. Les calligraphes ne parviennent pas à prouver sa culpabilité et, séduit par la diplomatie du prisonnier, al-Muizz finit par lui accorder son pardon160. La clémence du calife semble être dictée par son envie de profiter de la présence dun prestigieux savant comme Ab N à la cour, tout comme il jouissait des relations quil avait nouées avec Ab l-Qsim avant dordonner son assassinat.

Une fois réconcilié avec Ab N, al-Muizz tente de savoir où se cache Ab azar. Il fait annoncer lamn pour toutes les régions occupées par les wahbites,

157 Lewicki, The Ibites in Arabia and Africa, p. 111.158 Lewicki, E.I., s.v. ala. Sur la alqa, voir infra.159 Alamm, p. 271 et p. 316.160 Alamm, pp. 316-318.

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de façon à prouver ses intentions pacifiques vis-à-vis du fugitif. Cet amn serait toujours en vigueur à lépoque de linformateur dalamm, Ab Yaqb Ysuf ibn Naff161. Ce personnage, originaire dune communauté de Nafsa, vit à Qanrra et est tué lors de la prise de Qalat Ban Darn par les Zrdes en 440/1048-1049. Il faudrait donc croire que dans la première moitié du XIe siècle, Qanrra et sa région tout au moins bénéficient encore de lamn promulgué par al-Muizz vers 969.

Alamm détaille longuement les relations amicales qui lient Ab N et al-Muizz. Ab N, par sa science, son éloquence et son art de la réplique, devient rapidement lun des savants préférés du calife. Lors des fréquentes joutes verbales quil organise en son palais, Ab N est toujours un des premiers savants invités à controverser. On voit cependant que le calife le fait surveiller, craignant sans doute, dautant quAb azar est toujours introuvable, que cet ancien rebelle ne fomente en secret une nouvelle révolution. Le calife ordonne à son trésorier de remplir la bourse dAb N de dirham-s et de dr-s, puis le fait suivre par un espion pour savoir comment il utilise cet argent. Lorsque lespion lui rend son rapport, il lui jure quAb N est complètement fou: il la vu se poster devant le palais et distribuer la totalité de la somme aux passants. Rassuré sur ses bonnes intentions, le calife jure alors de retrouver Ab azar162.

Lorsquil apprend quAb azar se trouve dans le abal Nafsa, le calife lui fait parvenir lamn. Lancien rebelle vit toujours chez le kim du abal, Ab Zakariyy ibn Ab Abd Allh. Il se décide à rencontrer le calife et gagne Gabès. Al-Muizz informe Ab N de ce quAb azar est à Gabès et linvite à aller retrouver son maître. À la demande du savant, il lui accorde une escorte de quatre-vingts Mazta ibites. Lorsque les deux hommes se retrouvent à Gabès, ils sétreignent et pleurent. Ab N sinquiète de ce qui va arriver à Ab azar, mais ce dernier le rassure: il a confiance en la parole du calife. Effectivement, lorsquil arrive au palais, al-Muizz le traite comme un personnage de haut rang et lui accorde même une place à ses côtés sur son trône / sarr163.

Lorsquen 362/973, al-Muizz se prépare à définitivement quitter lIfrqiya, il décide demmener les deux ay-s avec lui, de peur quils ne se révoltent après son départ. Ab azar est tout de suite daccord mais Ab N exclut de se rendre en Égypte. Ne voulant pas avouer son refus au calife, il senduit dun liquide teinté et apparaît, le visage tout jaune, devant le calife, lui prétendant quil est malade. Le calife part donc en Égypte avec le seul Ab azar, qui rapidement acquiert en

161 Alamm, p. 318. Sur ce personnage, voir Lewicki, Ibitica, 1. Tasmiya uy Nafsa, p. 108.

162 Alamm, pp. 318-319.163 Alamm, pp. 319-320.

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ce pays une renommée considérable. De ce fait, il suscite la jalousie des gens bien placés, qui le calomnient. À la longue, il parvient cependant à se faire respecter et on lappelle « le lim / savant du Maghreb »164.

Quant à Ab N, après avoir simulé sa maladie, il se réfugie à Ouargla, de peur dêtre forcé de rejoindre le calife en Égypte. Il sétablit dans cette oasis, où la population laccueille avec égards. Le chef des ibites de la ville, Ab li annn ibn mriyn165, le comble de présents et lui offre notamment soixante-dix dr-s et une pièce / bayt remplie de dattes jusquau plafond. Malgré la chaleureuse hospitalité dAb li, Ab N souhaite rentrer chez lui. Bien quAb li lui propose, sil reste, de lui faire don dune partie de sa grande fortune, le savant rejoint lIfrqiya, où il se partage entre la Qasliya et dautres régions166. On le retrouvera plus tard à la cour du second souverain zrde, al-Man.

164 Alamm, pp. 320-321.165 Sur Ab li annn ibn mriyn, voir supra. Tout comme Ab N, ce savant est un grand

défenseur du wahbisme: alamm raconte plusieurs anecdotes dans lesquelles il est victime des attaques des nukkrites. On le voit se faire insulter tant dans sa ville de Ouargla quà Tdimakka, où il voyage. Dans la plupart des cas, Dieu vient à son secours: ainsi, alors quAb li se fait injurier, Dieu envoie un éclair qui frappe à lendroit où se tient son agresseur et déclenche un feu. Alamm, p. 332.

166 Alamm, p. 324.

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VI. LES GÉOGRAPHES DES Xe ET XIe SIÈCLES

Le Xe siècle est riche en historiens et en géographes mais malheureusement, la plupart dentre eux ne donnent aucune information sur le Sud tunisien. Ainsi, lun des plus célèbres géographes, al-Ir, ne fournit pas le moindre renseignement sur la région. Dans ses Mur al-ahab, al-Mas ne donne quune description sommaire du Maghreb, concentrée sur le Maroc actuel et sur le royaume rustumide, dont il vante la prospérité acquise sous le règne dAfla1. Il névoque que très brièvement les Berbères; il cite les Hawwra, les Warfama, les Lawta, les Nafsa et une tribu inconnue nommée « Lafa », que le traducteur propose de lire « Nafa »2. udd al-lam, le fameux ouvrage anonyme rédigé en persan en 372/982-983, évoque seulement les métropoles maghrébines et lauteur ne cite même pas Gabès3. La première véritable description du Sud tunisien est celle dIbn awqal.

1. IBN AWQAL

Ibn awqal se trouve à Mahdiyya en 336/947, peu après le siège dAb Yazd et la défaite que lui inflige le calife al-Manr, dont lauteur glorifie les exploits4. Il termine son Kitb rat al-ar en 988, mais lœuvre a connu des versions successives, la première datant apparemment de 9525. Avant dentamer sa description des villes maghrébines, Ibn awqal commente sa carte du Maghreb, divisée en trois sections. La deuxième section couvre la région comprise entre Tripoli et Ténès6. Lauteur y indique le Fazzn et le abal Nafsa, habité par les urt / hérétiques, encadré par d et ars. Au nord-ouest de Gabès, il cite Funduq Ibn Luqman (sic) et Ayn al-Zaytna, qui était déjà mentionnée par al-Ya. Ibn awqal note au sud de Kairouan les villes de Qalna, Mana / Mana, Qira, al-Qur, Qafa, « al-amma » (sic), Nafzwa, Suma, Qasliya, Nafa; il figure à louest de ces villes le abal Awrs, bordé à louest par Biskra, Tah / Taha et Bdis.

1 Al-Mas, I, pp. 368-371.2 Al-Mas, III, pp. 240-241.3 udd al-lam, pp. 153-154. 4 Ibn awqal, pp. 71-72/68-69. La première référence est à léd. de Goeje et Kramers, B.G.A. II; la

seconde est à la trad. Kramers et Wiet, Le livre de la configuration de la terre.5 Hopkins, Sousse et la Tunisie orientale médiévales, p. 88.6 Ibn awqal, pp. 63-64/60. Voir carte 3.

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Ibn awqal fournit de nombreux renseignements sur Gabès7: cette ville, située à six étapes sur la grand-route qui mène à Kairouan, est riche en eaux courantes et en arbres dont les branches pendent tant elles sont chargées de fruits. Elle est prolongée par un faubourg, dans lequel se tiennent les marchés. Un rempart lentoure, doublé par un fossé. Cette dernière précision est intéressante puisquil semble quau moyen âge, il est rare que les villes maghrébines soient protégées de la sorte. Il est plus rare encore que ces fossés soient inondés: ils servaient surtout à arrêter la cavalerie et à rendre plus difficiles les travaux de sape8. Les habitants de Gabès ont un mil indépendant9. On y prélève la adaqa et la zakt, des tributs et des impôts de capitation / awl sur les juifs. Les sources juives confirment quà cette époque, les juifs représentent un élément important de la population de Gabès10. Les habitants les plus nombreux sont bien évidemment les Berbères qui, aux dires dIbn awqal, possèdent des champs cultivés et des propriétés dont léquivalent ne se voit pas chez leurs voisins. Le géographe attaque la population de Gabès, qui n’est pas aimable, n’est pas gâtée physiquement et n’est pas propre. Il inaugure ainsi une longue série dattaques portées contre les Gabésiens dans les écrits postérieurs. Il reconnaît cependant que les habitants de la ville sont intègres, mais vilipende les agriculteurs / bdiya11 des alentours, qui sont terriblement méchants. Leur religion est qair / impure; ce sont des hérétiques / l yalna min al-arya12 qui appliquent la doctrine de la promesse et de la menace13. Ils rusent avec les voyageurs et interceptent leurs biens, quel que soit leur nombre. Celui qui dort parmi eux s’attire des ennuis. Ils déclarent la guerre à leurs voisins et à ceux qui cherchent asile auprès d’eux. La plupart du temps, ils s’opposent au pouvoir central en cherchant systématiquement à le tromper14. Le géographe oppose donc les Berbères hérétiques et dangereux peuplant les alentours de Gabès aux Berbères pacifiques qui habitent la ville. Les agriculteurs hérétiques présentés ici sont certainement, selon Tadeusz Lewicki, les

7 Sur Gabès, Ibn awqal, pp. 70/66-67.8 Brunschvig, La Berbérie orientale, II, p. 87; Terrasse, E.I., s.v. n. Dans les villes ibites

médiévales de lEst algérien, le fossé na pas le caractère permanent du rempart et peut éventuellement être comblé. Cuperly, La cité ibadite, 1987, p. 112.

9 Ce mil appartient à la famille des Ban Luqmn al-Kutm.10 Ben-Sasson, The Jewish Community of Gabes in the 11th Century, p. 267.11 Voir Lewicki, E.I., s.v. Mazta, et Dozy, Supplément, s.v.; Kazimirski, s.v., donne « nomades,

bédouins ».12 Voir Ibn awqal, Index geographicus, p. 274.13 Al-wad wa-l-wad: « la promesse et la menace »: la promesse est celle de la récompense qui

attend les musulmans pieux, la menace correspond au fait quun pécheur qui ne sest pas repenti subira obligatoirement et à perpétuité les tourments de lenfer. Cette doctrine eschatologique constitue lun des piliers cardinaux du mutazilisme et de libisme. Gimaret, E.I., s.v. Mutazila; Allouche, Deux épîtres de théologie abaite, pp. 75-88.

14 Ils cherchent à le tromper f l-uqq alayhim, cest-à-dire dans les devoirs ou les obligations qui leur incombent. Ibn awqal, Index geographicus, p. 374.

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Maztat Qbis évoqués dans les sources ibites, qui sont wahbites15. Ibn awqal ajoute que leurs méfaits ont cessé le jour où ils se sont portés en nombre contre Gabès et ont incendié son faubourg. Ils ont assiégé la ville et se sont appropriés les biens des commerçants et des imm-s, mais tous ceux qui ont participé à cette attaque / raadah ont été exterminés. Le chef des anha a marché contre eux et dès lors, on a échangé dix de ces rebelles contre un kis / vêtement16. Cette insurrection, manifestement rapportée par le seul Ibn awqal, suscite bien des questions qui restent sans réponse. Elle paraît être provoquée par les ibites, qui sattaquent au faubourg de la ville, lieu des marchés, et sen prennent aux commerçants et aux imm-s, chrétiens et juifs. Nous ne trouvons pas dexplication à cette agression qui ne peut malheureusement être datée. Hady Roger Idris, pour sa part, pense quelle a eu lieu juste après le départ dal-Muizz pour le Caire; il estime que cest Buluggn qui a maté les riites17.

La description des oasis du Sud tunisien est sommaire, si lon exclut les renseignements dordre économique que le géographe fournit pour Tozeur18. Ibn awqal note que Qasliya est une grande ville protégée par un rempart fortifié; leau, qui n’y est pas bonne, coule dans les seguias au milieu des jardins. Nefta est également pourvue dun rempart et dune vaste palmeraie. « Al-amma », qui possède quelques palmeraies, a de mauvaises eaux, tout comme Qasliya. Entre « al-amma » et Gafsa se trouve al-Q al-ala. Ce nouveau toponyme désigne trois châteaux ou villages fortifiés. Selon Maurice Gaudefroy-Demombynes, il correspond à la ville de Taqys19, ce qui semble très improbable puisquIbn awqal situe ce lieu entre « al-amma » et Gafsa20. Nous pensons quil désigne plutôt certains des de Gafsa, dont les géographes suivants feront état. Cette hypothèse est renforcée par la position sur la carte, où est indiqué simplement al-Q à lest de Gafsa21.

Dans le Nafzwa, Ibn awqal ne cite que la ville de Biar, qui est entourée par un mur. Biar semble toujours être le chef-lieu du Nafzwa et elle le restera jusquà

15 Lewicki, s.v. Mazta; Les ibites en Tunisie, p. 8, note 21. 16 Ibn awqal, Index geographicus, p. 341, compare cela à la façon dont étaient vendus les juifs à

lépoque dHadrien. 17 Idris, La Berbérie orientale, pp. 46-47. Cette révolte riite est signalée par Talbi, E.I., s.v. bis,

pour lannée 361/972, et par Garcin, Ibn Hawqal, pp. 83-84, qui établit quIbn awqal a des informations sur le Maghreb jusquen 975.

18 Sur les oasis, Ibn awqal, pp. 93-94/92.19 Al-a, trad. Gaudefroy-Demombynes, LAfrique moins lÉgypte, p. 106, note 2. 20 Al-Muqaddas (éd. trad. Pellat, pp. 4-5) cite Taqys et Madnat al-Qur comme étant deux villes

distinctes. Dans les cités ibites du XIe siècle, le qar semble désigner un îlot compact de maisons, plutôt quune petite cité entourée de remparts; ces qur pouvaient être très proches les uns des autres. Cuperly, La cité ibadite, 1987, p. 103.

21 Les ibites nomment al-Qur les quatre cantons rustumides du bild al-ard, Qasliya, Nafzwa, Qanrra et ar Nafa.

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lépoque dal-Ti, qui dit que cette région a deux capitales, urra et Biar22. Le Nafzwa est peuplé de riites23. Ibn awqal évoque également Suma, une ville considérable24 qui fait partie du Nafzwa, située sur la route qui mène de l’Ifrqiya à Siilmsa, à proximité de Biar et de Nefta. C’est manifestement le seul géographe qui cite cette ville, déjà évoquée dans la Srat afar al-ib: de Tripoli, le Mahd avait gagné Tozeur par la route de Suma25. Sur la carte dressée par le géographe, Suma est placée à lest de Qasliya et de Nefta, bien au nord du Nafzwa; cela impliquerait donc que le Mahd sest rendu à Tozeur en contournant la sebkha par le nord, en passant sans doute non loin de Gabès. Curieusement, Ibn awqal dit pourtant que Suma appartient au Nafzwa; dans ce cas, le Mahd aurait emprunté le chemin le plus court et traversé la sebkha. Les indications fournies par la Srat afar et par Ibn awqal ne permettent malheureusement pas de localiser précisément cette ville26. Le géographe ajoute quAb Yazd Malad ibn Kaydd était lun des habitants de Suma et se réjouit de ce que Dieu a puni la tyrannie et la haine dont avait fait preuve cet « ibite »27. Étant donné que toutes les autres sources saccordent sur le fait quAb Yazd vivait dans une des villes de la Qasliya, nous penchons plutôt pour lhypothèse que Suma était située au nord de la sebkha, sans doute à lest de Tozeur.

Gafsa28 est dotée d’un rempart et de palmeraies. L’eau de la rivière qui y coule est meilleure que celle de Qasliya. Elle est proche du district de Qammda et des villes de Qira, Makd, Nafya et K.mn.s aln29. Ces petites villes ont vécu dans une grande prospérité jusquen 330/941-942, lorsquAb Yazd Malad ibn Kaydd al-Ib s’est attaqué à elles. Ibn awqal déplore clairement ici les dommages causés par la révolte de lhomme à lâne dans la région de Gafsa. Talbi prétend que cest Gafsa qui a été dévastée par Ab Yazd30 mais le texte arabe semble plutôt indiquer que ce sont les petites villes dont il vient dêtre question qui ont été

22 Al-Ti, pp. 142/134-135. La prononciation Biar est établie par analogie avec al-Ti et le nom actuel de la localité, mais on peut également lire Biar. Yqt, s.v., donne « Bur ».

23 Ibn awqal, p. 95/93.24 signifie ici « grand, considérable ». Ibn awqal, Index geographicus, p. 282.25 Canard, L’autobiographie d’un chambellan, pp. 296-297.26 Yqt, s.v., connaît Sima mais nen dit pas le moindre mot. Al-Bakr et le Kitb al-Istibr

évoquent tous deux le balad Suma, mais pas la ville. Sur le balad Suma et la ville décrite par Ibn awqal, voir de nouvelles conclusions dans Prevost, La Qasliya médiévale et la toponymie du Djérid tunisien.

27 Ibn awqal, p. 96/94. 28 Sur Gafsa, Ibn awqal, pp. 94/92-93.29 K.mn.s aln est à corriger en amnas aln selon Lewicki, Une langue romane oubliée,

p. 450, mais on lit en général amnis aln. Makd, habituellement nommée Makr(a), est le chef-lieu de Qammda; elle sera remplacée sous les Zdes par amnis aln. Cambuzat, Lévolution des cités du Tell, II, p. 88 et p. 136. Sur lemplacement probable de ces villes, voir Abd al-Wahhb, Les steppes, pp. 9-11.

30 Talbi, E.I., s.v. afsa.

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détruites. Nous navons dailleurs trouvé aucun texte établissant que Gafsa avait été livrée aux hordes dAb Yazd. Les seuls événements militaires mentionnés dans la région de Gafsa ont lieu après la mort dAb Yazd, lorsque son fils Fal et Mabad ibn azar réunissent une forte armée à Fa al-imr et dans la région des qur de Gafsa, menaçant fortement la ville.

Pour Ibn awqal, la population de Qasliya, de Gafsa, de Nefta, dal-mma31, de Suma, de Biar et du abal Nafsa est une population dhérétiques / urt; ce sont soit des ibites compagnons de Abd Allh ibn Ib32, soit des wahbites compagnons de Abd Allh ibn Wahb33. Les Berbères qui les avoisinent appartiennent à deux grandes tribus, les Zanta et les Mazta. Chez eux, c’est l’itizl de Wil ibn A’ qui prédomine34. Ibn awqal connaît bien le mutazilisme, dont il souligne limportance dans cette région: il a suivi une formation intellectuelle mutazilite35. Wil ibn A’ (m. 131/748-749) a envoyé depuis Bara nombre démissaires au Maghreb, en reprenant la méthode quavait employée Ab Ubayda, cest-à-dire en formant des amalat al-ilm. Sa doctrine a surtout du succès dans louest du Maghreb, mais elle compte également des adeptes dans le Sud tunisien, chez les Zanta et les Mazta. Les Mazta mutazilites évoqués ici ont peut-être un rapport avec les Maztat Qbis wahbites36. Les deux courants ibite et mutazilite présentent en effet de grandes similitudes. Une des différences réside dans le fait que si, tout comme les ites, les mutazilites revendiquent pour les musulmans pécheurs lenfer à perpétuité, ils ne les assimilent pas à des mécréants, comme le font les ites37. Les controverses religieuses entre mutazilites et ibites sont fréquentes en Ifrqiya, tant avant quaprès linterdiction de leurs doctrines par San. Ab

31 Exceptionnellement ici, Ibn awqal donne al-mma au lieu dal-amma.32 Abd Allh ibn Ib al-Murr al-Tamm est lun des fondateurs de la doctrine modérée de

libiyya; il se caractérise par sa volonté de conciliation, notamment vis-à-vis du calife Abd al-Malik ibn Marwn. Lewicki, E.I., s.v. Ibiyya; Cuperly, Introduction à l’étude de l’ibisme, pp. 23-26.

33 Abd Allh ibn Wahb al-Rsib est un chef ite connu pour sa piété. Il combat à iffn à lépoque de Al mais se joint aux dissidents après larbitrage. Les ites lélisent pour chef peu avant leur départ de Kfa et il est tué la même année à la bataille de Nahrawn en juillet 658. Gibb, E.I., s.v. Abd Allh ibn Wahb al-Rsib.

34 Ibn awqal, p. 96/94. 35 Garcin, Ibn Hawqal, p. 79. Sur le mutazilisme au Maghreb et ses similitudes avec libisme,

van Ess, Une lecture à rebours de lhistoire du mutazilisme, pp. 104-112; Bekri, Le kharijisme berbère, pp. 91-93; Lewicki, Les subdivisions de l’Ibiyya, p. 76; Talbi, LÉmirat aghlabide, p. 364; De litizl en Ifrqiya au IIIe/IXe siècle; Cuperly, Introduction à l’étude de l’ibisme, pp. 312-321.

36 Al-Bakr, pp. 72/147-148, décrivant la route qui mène dOran à Kairouan en passant par la Qasliya, évoque Baniys, composée de trois villes très proches lune de lautre, pourvue chacune dune mosquée mi: deux de ces mosquées appartiennent à des sunnites, mais la troisième appartient à des riites quon appelle les wilites-ibites.

37 À cause de cela, al-A les traitait de « ites efféminés ». Gimaret, E.I., s.v. Mutazila. Sur les rapport entre Wil ibn A’ et libisme, van Ess, Une lecture à rebours de lhistoire du mutazilisme, pp. 106-112.

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azar Yaġlā ibn Zaltf, initiateur de la révolte de Bġya, est dailleurs lauteur dun ouvrage dans lequel il combat certaines positions mutazilites38. Josef van Ess pense quil est à peu près certain quune certaine symbiose sest produite entre ces doctrines39.

2. AL-MUQADDAS

Dans le Kitb Asan al-taqsm f marifat al-aqlm40, rédigé entre 375/985 et 380/990, al-Muqaddas énumère les principales villes de l’Ifrqiya: il cite Nefta, Gafsa, Nafzwa41, Taqys et Madnat al-Qur. Nous pensons que Madnat al-Qur doit être rapprochée dal-Q al-ala dIbn awqal, et quelle désigne lune des villes de la région des qur de Gafsa. Qasliya apparaît à deux reprises dans la liste dal-Muqaddas42. Il mentionne également la ville de .r.s, qui pourrait être urra, dont les ruines se trouvent sur le site de lancienne Turris Tamalleni, non loin de lactuelle Talmn43. Le géographe se serait inspiré dans sa transcription arabe de la forme latine classique « Turris », qui devait rester en usage parmi les classes cultivées de la société, telles le clergé et une partie des Afriqa demeurés fidèles au christianisme44. Al-Muqaddas cite également le Nafzwa et la Qasliya comme faisant partie du Ss al-Adn, qui comporte une ville appelée Mama45. Sa description du Sud tunisien est peu fournie. Évoquant Gabès, qui appartient pour lui au district de Barqa, al-Muqaddas décrit une ville plus petite que Tripoli, ceinte d’une muraille à trois portes, avec une rivière arrr / rapide46. Les habitations sont faites de pierres et de briques cuites / rr. Les agriculteurs sont des Berbères47.

38 Cuperly, Introduction à l’étude de l’ibisme, p. 261.39 Van Ess, Une lecture à rebours de lhistoire du mutazilisme, p. 108.40 La première référence est à léd. trad. Pellat, Description de l’Occident musulman au IVe = Xe

siècle; la seconde est à léd. de Goeje, B.G.A., III.41 Cest-à-dire sans doute Bar.42 Al-Muqaddas, pp. 4-5/216-218. Lauteur présente Taqys et Madnat al-Qur comme étant deux

villes bien distinctes alors que les traducteurs considèrent quelles nen faisaient quune. Collins, The Best Divisions, p. 56, traduit “Taqys known as Madnat al-Qur”. Gaudefroy-Demombynes, dans sa trad. dal-a, p. 106, note 2, dit aussi « Taqys, la cité des qr ». Pour Idris, la Berbérie orientale, II, p. 470, note 580, Madnat al-Qur, à deux étapes de Kairouan, désigne sans doute Gafsa, ce qui paraît très improbable.

43 Bédoucha, La mémoire et loubli, p. 730; « Leau, lamie du puissant », pp. 165-169.44 Al-Muqaddas, pp. 4-5/217. Lewicki, Une langue romane oubliée, pp. 456-457.45 Dans lévocation du Ss al-Adn, le Nafzwa est précédé du toponyme « Qasna » que lon corrige

évidemment en « Qasliya », puisque cette dernière sera décrite dans le cadre du Ss al-Adn. 46 Dans le cas dune rivière, arrr signifie « rapide »; dans le cas dune source, il signifie « abondant ».

Dozy, Supplément, s.v.; al-Muqaddas, Index geographicus, p. 204.47 Al-Muqaddas, pp. 12-13/224.

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C’est en décrivant le Ss al-Adn, dont la capitale est Fès, que le géographe évoque Qasliya48, qui pour lui représente l’équivalent dal-Bara dans le monde. Les habitants ont une rivière importante qui s’évanouit dans la palmeraie, dont on devine le nombre de jardins. C’est la même chose au Nafzwa, ces deux contrées se situant loin de la mer. Plus loin, al-Muqaddas reprend l’essentiel des renseignements qu’il a déjà donnés. Il dit que Qasliya produit de nombreuses dattes, « comme nous l’avons dit pour Gabès » / al m akarn min Qbis49. Al-Muqaddas répète ensuite que le Nafzwa et Biskra sont des pays de palmiers et de rivières. Il évoque les distances qui séparent les différentes villes et compte cinq étapes de Tripoli à Gabès puis quatre jours de marche de Gabès à Kairouan. De la capitale, on joint Gafsa en sept jours puis on va à Qasliya en trois étapes. Plus loin, il s’embrouille en disant que les distances Kairouan - Gabès, Kairouan - Nefta ou Kairouan - Madnat al-Qur ne représentent que deux étapes. Il rectifie peu après en déclarant que le voyage de Kairouan à Gabès requiert cinq jours de marche50. La confusion des renseignements et la pauvreté des descriptions du Sud tunisien laissent penser que cette région était totalement étrangère au géographe51.

Al-Muqaddas est le premier des géographes à évoquer la cynophagie pratiquée par les populations du Sud tunisien, coutume déjà notée au début du Xe siècle dans la Srat afar52. Son observation dégoûtée intervient dans un paragraphe où il décrit les vices des Berbères: dans deux villes de l’Ifrqiya, de la viande de chien est vendue aux crochets53 des bouchers. À Qasliya et à Nefta en effet, les habitants, qui sont ignorants, méchants et grossiers, sont accusés d’introduire cette viande dans la harsa. Il arrive que l’un d’eux fasse chauffer son chaudron pour vendre la viande ou la urda54.

Les ragoûts de viande canine se préparent toujours dans un récipient réservé à cet usage, qui est de préférence une marmite en terre; la viande est mijotée dans

48 Al-Muqaddas, pp. 26-27/230.49 Pellat traduit « d’après ce qu’on nous a dit à Gabès », ce qui suggère que le géographe n’aurait pas

visité Qasliya, mais bien Gabès.50 Al-Muqaddas, pp. 64-67/245-247.51 Miquel, La géographie humaine, IV, p. 51, estime qual-Muqaddas na pas visité le Maghreb « qui

apparaît bien, une fois de plus, comme un pays marginal pour cette géographie de naissance et dexpression foncièrement orientales ».

52 Les juristes ismliens étaient particulièrement rigoureux vis-à-vis des interdits alimentaires et proscrivaient absolument la consommation de chair de carnassiers. Rodinson, E.I., s.v. Ghidh. Pour plus de détails sur la cynophagie, voir Prevost, Les ragoûts de chien, pp. 88-96.

53 Qinnra désigne un piquet de bois ou de fer fixé au mur et muni de plusieurs clous auxquels on suspend la viande. Al-Muqaddas, Index geographicus, p. 334.

54 Al-Muqaddas, pp. 60-61/243. ard ou urda est un bouillon de viande et de légumes dans lequel on émiette du pain. Rodinson, E.I., s.v. Ghidh; Recherches sur les documents arabes, p. 133; Bolens, Létonnante apparition du couscous, pp. 63-65. Le Prophète considérait que ia était aussi supérieure aux autres femmes que la urda était supérieure aux autres mets. Al-Suy, p. 54.

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une sauce très relevée et accompagnée de semoule55. La harsa est lun des plats les plus fréquents au moyen âge, consistant en un mélange de viandes broyées et de blé cuits ensemble avec de la graisse ou du beurre56. Ce plat, qui dissimule lapparence des morceaux de chien, est fort apprécié du peuple qui peut adapter la recette aux maigres ingrédients dont il dispose. Il est fréquemment servi dans les restaurants populaires et au XIIIe siècle, un service de répression des fraudes doit être créé en Orient pour lutter contre lhabitude quont prise les gargotiers de mêler à ce plat toutes sortes de déchets57. La harsa est également servie aux plus belles tables de lEmpire musulman58.

On sait que le fait de manger de la viande de chien est mal vu par l’islam. Le chien a le mauvais œil; cest un animal naas / impur à cause de la nourriture qu’il trouve dans les tas d’ordures et certains juristes proscrivent complètement sa consommation59. Une tradition prophétique interdit de consommer des carnivores et parmi eux les mammifères pourvus de crocs / nb; tous les jurisconsultes regardent comme m chien, chat, loup ou encore crocodile60. Pour certains musulmans superstitieux, le chien serait une émanation démoniaque des génies malfaisants, ce qui explique quil constitue une des injures par excellence. Les chiens sauvages représentent un certain danger pour les populations: certaines bandes errantes sont particulièrement agressives et cest dailleurs toujours le cas dans la palmeraie de Tozeur. Ils transmettent également la rage / d al-kalab, et on estime que les personnes enragées sont possédées par les djinns61.

55 E.B., s.v. Cynophagie. 56 Rodinson, E.I., s.v. Ghidh; Recherches sur les documents arabes, p. 103. Une tradition rapporte

que le Prophète sest plaint un jour auprès de Gabriel de trop peu copuler. Lange lui a alors conseillé de manger de la harsa, parce quelle contient de la vigueur pour quarante hommes. Al-Suy, p. 48. Ibn Buln, pp. 92-93/188-189, confirme lutilité de ce plat pour la vigueur sexuelle et le sperme.

57 Mazahéri, La vie quotidienne des musulmans, pp. 209-210. Goitein, The Main Industries of the Mediterranean Area, p. 195, nomme ce plat “the mediaeval hamburger”.

58 Al-Mas, VIII, pp. 402-403, raconte une des soirées du calife al-Mustakf, qui réunit ses courtisans afin quils le distraient par lévocation de différentes sortes de mets cuisinés et leurs recettes en vers. Lun des poètes récite des vers sur la harsa: il vante les délices de ce plat préparé par les femmes, adoré par tous et quil décrit surmonté par une voûte faite de bambous. Il se compose de beurre, de viandes, de graisse de queue et de rognons, doie, de froment, de pois chiches et damandes.

59 Pellat, E.I., s.v. ayawn; Canard, La cynophagie au Sahara, p. 5.60 Pellat, E.I., s.v. ayawn. Le chien rend impur ce quil touche et ce quil lèche, et il faut purifier

à leau la place où il sest installé, à lexemple de ce que fit un jour le Prophète; la prière est considérée comme nulle si un chien vient à ce moment rôder autour du croyant. Viré, E.I., s.v. Kalb.

61 Viré, E.I., s.v. Kalb. Il existe dailleurs de nombreuses recettes magiques destinées à se prémunir contre les morsures: pour les habitants du Sahara algérien par exemple, le chien représente lantidote du mal quil a causé et la personne mordue par un chien lattrape, coupe son poil et lapplique sur la plaie. Si le chien est enragé, elle le tue et arrache son cœur, quelle mange grillé. Doutté, Magie et religion, p. 145 et pp. 236-237.

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À lépoque d’al-Muqaddas, al-Qayraw (m. 386/996) fournit dans sa Risla une série de renseignements sur lattitude à adopter vis-à-vis des chiens, ce qui montre bien lintérêt de la question pour ce juriste, originaire du Nafzwa62: « Tout gibier tué par ton chien ou ton faucon dressés à la chasse est de consommation licite, à condition que tu aies lancé dessus (à dessein) les dits animaux. » Il sagit ici de deux sortes de carnivores interdits par lislam, ceux qui ont des serres ou des crocs. Al-Qayraw répète dailleurs que le Prophète a réprouvé « de manger de la chair des bêtes de proie ayant des canines »63. Malgré la condamnation musulmane, lassociation aux djinns et le danger de contamination, le chien jouit dune certaine considération grâce à lépisode des sept dormants du Coran (XVIII, 17) et de plusieurs -s64. On reconnaît lutilité du chien sil a un rôle défini dans la société et quil possède un maître; cest le cas entre autres du chien de garde, de chasse ou du gardien de troupeaux. Les textes arabes de Takrna donnent également une série de renseignements sur la façon dont les habitants de la Régence de Tunis considéraient les chiens: il apparaît quon leur trouvait notamment des qualités divinatoires; cest dailleurs le seul animal auquel on attribue un nom en fonction de sa personnalité et non de son aspect extérieur. Le chien couché face à une demeure et qui étend ses pattes vers lintérieur annonce à ses propriétaires un prochaine multiplication de leur fortune; de même, le chien dormant sur un tas de céréales battues lui apporte la bénédiction. Malgré ces augures positives, le chien est en relation avec les djinns et lorsquil hurle la nuit, cest pour annoncer aux humains que les armées de djinns sont en marche65.

La cynophagie appartient sans doute aux plus vieilles traditions religieuses de lAfrique du Nord. Au Ve siècle avant notre ère, le roi perse Darius aurait interdit aux populations carthaginoises de consommer de la viande de chien. Les Romains ont certainement à leur tour emprunté aux vieilles populations locales lhabitude doffrir des chiens en sacrifice à leurs dieux (« canarium sacrificium »). Les prêtres mangeaient sans doute la viande après le sacrifice, comme ils lauraient fait pour dautres animaux66. Il apparaît également que lon sacrifiait des victimes humaines

62 Idris, La Berbérie orientale, II, p. 718; Bouyahia, La vie littéraire, p. 27.63 Il ajoute: « La vente des chiens est interdite, mais il y a divergence dopinions touchant ceux que

lon est autorisé à avoir à son service. Mais quand on tue un chien, on est tenu den rembourser la valeur destimation. » « On ne devra pas avoir de chiens dans les habitations urbaines, ni dans les habitations rurales, sauf pour la garde des cultures ou des bestiaux que le chien accompagnera dans les lieux déserts et ramènera le soir au bercail, ou encore pour aller à la chasse. Mais il faut que cette chasse soit destinée à pourvoir à la subsistance du chasseur et non à son simple amusement. » Al-Qayraw, pp. 158-161, pp. 208-209, pp. 298-299 et pp. 322-323.

64 Canard, La cynophagie au Sahara, p. 6; Bousquet, Des animaux et de leur traitement, pp. 40-41.65 W. Marçais et Guîga, Textes arabes de Takroûna, I, pp. 285-287.66 Lewicki, West African Food, pp. 195-196, note 115. Sur la cynophagie chez les Carthaginois, voir

Gsell, Histoire ancienne, I, p. 418.

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et dans ce cas, on consommait au repas rituel qui suivait le sacrifice la viande des chiens que lon avait sacrifiés en même temps à cet usage; on a retrouvé une fosse qui contenait ainsi des squelettes denfants immolés mêlés à des restes de chiens67.

Les Français ont particulièrement étudié la cynophagie au XIXe et au début du XXe siècle. On sait quun marché aux chiens se tenait chaque vendredi à Tunis, où sapprovisionnaient les cynophages68. Le docteur Louis Frank, médecin du Bey de Tunis, constate dès le début du XIXe siècle quil « se trouve encore dans les dépendances de la Régence de Tunis une peuplade qui semble avoir hérité des goûts canivores des anciens maîtres de Carthage, et sêtre transmis ce caprice dune gastronomie bizarre, de génération en génération jusquà nos jours: il est, en effet, certain que les habitants de lîle de Djerby, située à lextrémité orientale de la Régence, dans le voisinage des côtes de Tripoli, sont également de nos jours canivores, et manifestent généralement pour la viande de lespèce canine un goût non moins prononcé que celui des anciens gourmets puniques »69. Il observe donc que la cynophagie semble essentiellement liée à la saveur de cette viande et à la pérennité des traditions culturelles païennes du pays70. Le Kitb al-Istibr dit également que les habitants du Djérid prétendent que le chien gavé de dattes est la plus délicieuse des viandes71. Il est évident que ces arguments ne sont pas les seuls. Dans lenquête menée par linterprète militaire Goguyer en 1882 auprès de Tripolitains, de Djerbiens et de Gabésiens, il apparaît que la consommation de chien entraînerait la guérison dun certain nombre de maladies et servirait surtout à soigner la syphilis; elle permettrait également de se préserver de la fièvre paludéenne72. Al-Idr fournit une autre explication à cet engouement: les femmes de Siilmsa

67 Bertholon et Chantre, Recherches anthropologiques, pp. 627-629.68 Bodereau, La Capsa ancienne, la Gafsa moderne, p. 168. 69 Frank et Marcel, Histoire de Tunis, p. 113.70 Les Almoravides, défenseurs de lislam le plus orthodoxe, sen prennent à cette pratique quils

jugent certainement païenne: dans la tribu des Lama, conquise à leur doctrine, on ne possède pas de chiens et on abat ceux quon rencontre. Al-Bakr, pp. 166/314-315. Pour Levtzion, The Sahara and the Sudan, II, p. 659, le fait que les Almoravides sen prennent ainsi aux chiens est sans doute à mettre en relation avec leur haine des ibites, connus pour leur cynophagie.

71 Kitb al-Istibr, p. 160/86.72 Daprès un marabout, « quand on veut tuer un chien, on lattache, on le couche, puis on légorge.

Aussitôt, comme il souillerait de son sang les sacrificateurs, en se débattant, parce que le chien a le corps plus souple que les animaux de boucherie et ne peut être immobilisé, on le lâche. Il part comme une flèche. Après un parcours de deux à trois cents mètres, la bête tombe morte. Alors on allume un grand feu. Ce feu est désigné sous le nom spécial de kebbara, mot qui a également le sens de sacrifice; puis on le flambe. Ensuite on le lave soigneusement, puis on le blanchit tout à fait. Cette opération accomplie, on le vide, on jette les intestins et la tête, puis on prépare le reste comme une viande quelconque. » Pour Bertholon, cette préparation est contraire au Coran, qui prescrit décorcher les animaux. Le fait de flamber et de laver lanimal avant de le cuire serait une preuve de lorigine anté-islamique de cette coutume. Bertholon, Exploration anthropologique de lîle de Gerba, p. 562.

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mangent du chien pour engraisser rapidement73. À Djerba, région dans laquelle ne sévit pas le paludisme, la viande de chien sert également à engraisser les jeunes filles; on la prépare avec des pois chiches ou avec des raisins secs et beaucoup de beurre fondu74.

La cynophagie est restée fort pratiquée dans lensemble du Sud tunisien jusquau début de ce siècle. Les chiens sont engraissés dans les jardins ou sur les terrasses, peut-être dans le but déliminer toute trace daliments impurs que lanimal aurait pu absorber avant sa capture; ainsi, les ismliens pensent que les animaux qui se nourrissent habituellement de fiente sont arm, sauf si on les a « mis au vert » pendant un certain temps75. Cette pratique explique quà Tozeur, on surnomme les chiens les « gazelles des terrasses »76. Outre les deux principaux avantages de cette viande, le fait quelle fasse fortement grossir et la protection quelle offre contre le paludisme, il semble que le « caractère magico-religieux »77 quelle présente incite également à sa consommation. Aujourdhui, cette coutume est en voie de disparition; il arrive néanmoins de temps en temps à Tozeur que certains oasiens tuent un chien et le fassent rôtir pour le manger78. La cynophagie est relevée dans le Sud tunisien par de nombreux auteurs, ainsi quà Siilmsa79. Ibn Baa et René Caillié la mentionnent au Ml80. Dans la Tufat al-albb, Ab mid al-Ġarn évoque le peuple noir de Zayla, dans lactuelle Somalie; ils mangent de la viande de chien, quils préfèrent à la viande dagneau; ils mangent aussi des rats81. En fait la cynophagie est pratiquée dans un large territoire qui, outre Siilmsa, couvre les

73 Al-Idr, p. 61/70. Notons quune des raisons évidentes de la consommation de chien est la famine; les historiens donnent de nombreux exemples de sièges où la population se résigne à cuisiner ses animaux. Voir par exemple al-Nuwayr, p. 381.

74 Bertholon, Exploration anthropologique de lîle de Gerba, pp. 561-562. Actuellement, certaines jeunes filles de Djerba sont encore enfermées chez elles pendant une période pouvant atteindre quatre mois, de façon à les préparer au mariage. Durant cette hajba, on leur fait subir une cure de beauté pour rendre leur peau la plus blanche possible et on leur fait subir un gavage systématique qui peut atteindre des repas presque toutes les demi-heures. Laplantine, La hajba de la fiancée à Djerba, pp. 106-107.

75 Pellat, E.I., s.v. ayawn.76 E.B., s.v. Cynophagie. 77 Lewicki, Le monde berbère vu par les écrivains arabes du Moyen-Âge, p. 35.78 Saada, Études sur le parler arabe de Tozeur, p. 27, qui ajoute que les oasiens en question sont

« pris de boisson ».79 Sur la cynophagie dans le Sud tunisien, outre la Srat afar al-ib et al-Muqaddas, voir Isq

ibn al-asan, pp. 230-231; al-Bakr, p. 49/104 et p. 148/284; Kitb al-Istibr, p. 160/86; Yt, s.v. Tawzar; al-Ti, pp. 160/145-146; al-imyar, s.v. Qasliya; Mawl Amad, pp. 290-291; al-Wazr al-Sarr, I, pp. 378-379. Sur la cynophagie à Siilmsa, al-Bakr, p. 148/284; Ab l-Fid, p. 137/189; Kitb al-Istibr, p. 202/164; al-Idr, p. 61/70, qui précise que les habitants de Siilmsa mangent du chien et du lézard / irawn, que les femmes consomment pour grossir; al-imyar, s.v. Siilmsa. Sur la cynophagie dans le Sahara, Briggs, Tribes of the Sahara, pp. 24-25; sur lAfrique noire, Mauny, Tableau géographique, pp. 291-292; sur lOrient, al-Ti, p. 160/146.

80 Ibn Baa, III, p. 428; Caillié, Journal, II, p. 79 et p. 150, dit que les Bambara élèvent de petits chiens quils engraissent; cette viande rougeâtre, à lavis de Caillié, vaut mieux que le chameau.

81 Ab mid al-Ġarn, Tufat al-albb, p. 27.

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oasis de Ouargla, du wd Rġ et du Sf, le Mzab, le Djérid, la région de Gabès et des Mama, lîle de Djerba, la Tripolitaine et Ghadamès. Cette région correspond de façon étonnante au territoire des ibites. On ne peut malheureusement que constater cela, sans pouvoir apporter de preuve dun lien entre la doctrine ibite et la cynophagie. Il semble en tout cas certain que la coutume ibite ne condamnait pas cette pratique82. Les géographes qui dénoncent ces coutumes ont toujours un a priori général vis-à-vis de ces populations, du fait quelles sont ibites. On constate pourtant que Mawl Amad, qui note cette pratique bien après la disparition des dernières communautés ibites du Sud tunisien, est tout aussi virulent83.

3. ISQ IBN AL-ASAN IBN AB L-USAYN AL-ZAYYT

Le ikr al-aqm dIsq ibn al-asan ibn Ab l-usayn al-Zayyt84 répète certains renseignements apportés par Ibn awqal et al-Muqaddas. Lauteur de ce traité géographique est un Andalou, probablement issu de la région de Saragosse, écrivant vers la fin du Xe ou le début du XIe siècle. Le ikr al-aqm se compose de deux parties; il présente dabord les sept climats, leur latitude et les villes principales, puis il décrit les pays ou les villes les plus importantes. Dans la mention de Biya / Bougie, on lit que Qasliya compte parmi ses villes85. Cest une belle cité, qui a une mosquée et de nombreux palmiers. Les habitants y mangent les chiens, dont les bouchers vendent la viande86.

82 Dakhlia, Loubli de la cité, pp. 65-66, présente une légende bien connue à Tozeur: dans lancien temps, certaines femmes de la ville étaient mariées à des chiens. Leurs descendants vivent toujours à Tozeur; lorsquil pleut, ces gens sentent le chien et lorsque leurs femmes accouchent, une odeur de chien se répand. Cette légende pourrait être liée au souvenir « infamant » de la communauté ibite: les mangeurs de chiens seraient devenus eux-mêmes des chiens.

83 Mawl Amad, pp. 290-291. 84 Sur cet ouvrage et son auteur, voir lintroduction de Castell dans Isq ibn al-asan, pp. 18-21

et pp. 30-34. Isq ibn al-usayn, auteur du Kitb km al-marn, est certainement le même quIsq ibn al-asan, mais Castell utilise ici un nouveau manuscrit, qui présente de nombreuses différences avec le Kitb km al-marn; la partie relative au Sn est cependant rigoureusement identique. Lévocation de la Qasliya ne figure pas dans le Kitb km al-marn, qui offre par contre dautres descriptions absentes dans le ikr al-aqm. Voir Cuoq, Recueil des sources arabes, pp. 62-64, qui situe le texte dIsq ibn al-usayn vers 950, et Lewicki, Arabic External Sources, pp. 33-34, qui le nomme Isq ibn al-usayn al-Munaim et situe son ouvrage entre 951 et 1062.

85 Isq ibn al-asan, pp. 228-229.86 Isq ibn al-asan, pp. 230-231.

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4. AL-BAKR

Louvrage dal-Bakr est terminé vers 1068. Une des principales sources de lauteur est Muammad ibn Ysuf al-Warrq (m. 363/973-974), qui a fui Kairouan occupée par les ites pour se réfugier en al-Andalus, où il a composé un Kitb al-maslik pour le souverain umayyade al-akam II. Les descriptions du Sud tunisien que donne al-Bakr ne font presque aucune allusion à la période zde ni aux changements occasionnés par larrivée des Ban Hill. Elles sont fortement inspirées dal-Warrq et sont donc pour leur plus grande part valables pour la seconde moitié du Xe siècle87. Seule la description de Gabès se rapporte à lépoque zde: la ville est alors gouvernée par al-Muizz ibn Muammad ibn Walmiya, le dernier gouverneur zde nommé dans cette ville par al-Muizz ibn Bs. Après leur défaite face aux Arabes à aydarn en 1052, certains Zdes vont se réfugier à Gabès sous la protection de Munis ibn Ya, le chef des Ban Mirds, une tribu des Riy. Vers 445/1053-1054, Ibn Walmiya et ses deux frères reconnaissent la souveraineté de Munis ibn Ya et suppriment le nom dal-Muizz ibn Bs de la uba88. Cest après cet événement que se place le témoignage dal-Bakr: il narre en effet une anecdote concernant un incroyable oiseau, qui est rapportée par Ab l-Fal afar ibn Ysuf al-Kalb, le secrétaire du « maître de lIfrqiya Munis ». Cette histoire extraordinaire se déroule à lépoque dal-Muizz ibn Muammad ibn Walmiya, qual-Bakr nomme Ibn Wnamm al-anh; elle permet dès lors de situer dans le temps la description de Gabès89.

Al-Bakr brosse un tableau très détaillé de la ville90, qui est ceinte d’un rempart bâti en grosses pierres provenant de constructions antiques. Elle possède une citadelle fortifiée, des faubourgs, des sq-s, des funduq-s91, une mosquée sariyy / superbe et de nombreux ammm-s. Un grand fossé l’entoure complètement, que l’on remplit d’eau si nécessaire, rendant alors toute attaque impossible. La muraille est percée de trois portes. Les faubourgs de Gabès se situent à l’est et au sud de la

87 Ferré, Les sources du Kitb al-maslik, pp. 199-200. Les références sont à léd. trad. de Slane.88 Voir infra.89 Al-Bakr, pp. 18-19/43-44. Des campagnards apportent à Ibn Wnamm un magnifique oiseau

de la taille dun pigeon, aux couleurs et à la forme étranges, que personne na jamais vu et dont personne ne connaît le nom. Ibn Wnamm ordonne quon lui coupe les ailes et quon le lâche dans le palais. À la nuit tombée, loiseau est irrésistiblement attiré par le maal qui, selon Kazimirski, est une torche consistant en une espèce de cage en fer où lon place des chiffons roulés et imbibés de graisse. À la surprise générale, loiseau se tient longuement au milieu du brasier, puis sen va, sans être brûlé. Cette anecdote est reprise par Yt, s.v. Qbis.

90 Sur Gabès, al-Bakr, pp. 17-18/41-43.91 Souvent situés près des portes des villes, les funduq-s sont des hôtelleries analogues aux

caravansérails orientaux. Quatre bâtiments entourent une cour; les animaux sont placés au rez-de-chaussée, avec les éventuelles marchandises, tandis que les gens sont logés au premier étage, bordé dune longue galerie qui fait tout le tour de la cour et ouvre sur de nombreuses petites chambres. Le Tourneau, E.I., s.v. Fundu.

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ville. Un phare92 surplombe Gabès, qui stimule les chameliers venant d’Égypte à leur approche de l’Ifrqiya; ils disent alors: « Il ne faut ni dormir ni s’arrêter avant de voir Gabès et son phare! ». Lemplacement de la tour à fanal tant chantée de Gabès est encore connu, sur une hauteur à lest de la ville, où se situe une petite oasis qui porte toujours le nom dal-Manra93. Mawl Amad affirme au début du XVIIIe siècle quil ny plus trace du phare, mais quil sy trouvait jadis un feu très élevé et quon le voyait de très loin94. Le port paraît très important: le rivage de Gabès accueille des bateaux venant de toutes les directions. Al-Bakr ajoute quil y a trois milles entre Gabès et la mer95. Les cultures de Gabès sont arrosées par de leau provenant d’une source96 qui naît dans la montagne au sud-ouest de la ville et qui se jette ensuite dans la mer. La ville est habitée par des Arabes et des Afriqa. Les alentours sont peuplés par les tribus berbères des Lawta, Lamya, Nafsa, Mazta, Zawġa et Zawra. Certaines tribus habitent par petits groupes dans des huttes de roseaux / a. La population de Gabès na pas évolué depuis les témoignages des géographes précédents: on retrouve les Arabes, les Afriqa et les tribus berbères qui, contrairement au témoignage dIbn awqal, sont simplement énumérées sans être critiquées.

Mais la critique nest pas loin: évoquant les vices des habitants de Gabès, al-Bakr raconte que la plupart de leurs logis ne possèdent pas de latrines, de sorte qu’ils vont satisfaire leurs besoins dans les cours qui sont devant les maisons. À peine l’un d’entre eux a-t-il terminé de se soulager que l’on se précipite vers lui pour prendre ce qu’il a laissé, afin de fertiliser les jardins. Il arrive qu’un petit groupe se forme où chacun cherche à obtenir en premier lieu cet engrais; le « producteur » l’attribue dans ce cas à la personne de son choix. Les femmes de Gabès ne voient aucun mal à cette pratique, si tant est qu’elles se voilent le visage et qu’on ne connaît pas leur identité97. Al-Bakr se moque ici ouvertement et assez méchamment des habitants de Gabès98. Il est particulièrement injurieux en décrivant la conduite des Gabésiennes, dont on ne peut imaginer quelles se soulageaient en public. Sa malveillance est certainement liée au fait quil décrit des populations pour la plupart ibites. Cette pratique a effectivement lair dêtre courante chez ces derniers: les témoignages

92 Manr désigne un phare ou une tour à fanal, un lieu élevé doù lon éclaire. Sur tout le pourtour méditerranéen, dAlexandrie à lAfrique du Nord, un système de signaux lumineux ou de feux permettait de signaler les ennemis et de diriger les navires. Sadan et Fraenkel, E.I., s.v. Manr.

93 Brunschvig, La Berbérie orientale, I, p. 314. 94 Mawl Amad, p. 272. Le phare est déjà détruit à lépoque dal-Ti, p. 94/88. 95 Al-Bakr, p. 18/42. 96 Littéralement: « Lorigine de cette eau est à ayn arrra. » Cette « source murmurante » est

devenue un nom propre chez Mawl Amad, pp. 268-269. 97 Al-Bakr, pp. 18/42-43. 98 Sur les critiques formulées par les géographes à l’encontre des ibites, voir Prevost, Une minorité

religieuse vue par les géographes arabes, pp. 193-198.

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relatifs à lusage dengrais humain en Ifrqiya ne concernent que des régions peuplées dibites. Cependant, lutilisation dengrais humain est une pratique commune à lensemble de lAfrique du Nord, à lépoque dal-Bakr comme à la nôtre. Jean-Léon lAfricain remarque que dans les oasis du Gourara, le sol doit être engraissé avec du fumier; à cet effet, les habitants prêtent gratuitement leurs logements aux étrangers, afin de récolter le fumier des chevaux et les excréments des hommes99. Au début du XXe siècle, les juifs de Tozeur ont pour lieu daisance de grandes fosses creusées dans le sol et recouvertes de bois de palmiers. Les musulmans les vident moyennant paiement et gardent le contenu qui, séché, sert dengrais aux cultures100. Un autre procédé est utilisé à Tamegrout, dans le sud du Maroc: dans cette ville souterraine, les habitants ont construit une pièce en pisé, entièrement fermée. Seul le plafond est percé dun trou au-dessus duquel les gens se soulagent puis jettent du sable. Une fois par an, ils creusent un trou dans le plancher, cette fois, de la pièce et recueillent le tout par en dessous pour fertiliser leur palmeraie. Ils rebouchent alors le trou et attendent un an avant de vider à nouveau cette pièce commune. Cette pratique semble tellement répandue quon ne comprend pas lindignation dal-Bakr. À Ouargla au XIe siècle, les cabinets sont un simple trou que lon vide régulièrement afin dutiliser lengrais dans les jardins101. Lusage dengrais humain avait cours également en al-Andalus: les paysans utilisaient de la fumure humaine pour suppléer au manque de fumure animale, fréquent au moyen âge102. Il est difficile de croire qual-Bakr ignorait ce fait, et dautres auteurs médiévaux le signalent sans sen étonner; al-Tin note dailleurs que cest grâce à cet engrais que les palmiers de Gabès donnent de si belles récoltes. La vente des excréments est beaucoup moins bien considérée que leur simple utilisation: au début du XVIIIe siècle, Mawl Amad dit quon vilipende les gens de Gabès et ceux du Djérid parce quils vendent leurs excréments; il trouve que cette pratique est singulière103. Al-Bakr ne mentionne pas cette vente à Gabès et son indignation est donc tout à fait mal venue. Lusage de lengrais humain est certainement toujours de mise dans loasis de Gabès, mais sa distribution doit être plus discrète quà lépoque dal-Bakr104.

99 Jean-Léon lAfricain, p. 436.100 Saada, Études sur le parler arabe de Tozeur, p. 108. Lethielleux, Le Fezzan, ses jardins, ses

palmiers, p. 129, constate en 1948 que dans le Fazzn, on utilise encore les excréments humains pour fertiliser les terres.

101 Lethielleux, Ouargla, p. 93.102 Ibn al-Awwm, p. 10; Bolens et Cahen, E.I., s.v. Karm. Sur lengrais humain, voir Bolens,

Agronomes andalous, pp. 198-200.103 Sur cette coutume à Gabès, voir aussi Yqt, s.v. Qbis; al-Tin, p. 90/86; Mawl Amad, p. 290.

Pour Tozeur, Kitb al-Istibr, pp. 56/78-79; al-Tin, p. 160/145; al-imyar, s.v. Tawzar.104 En 1968, on utilise toujours à Gabès du fumier organique, parfois dorigine animale mais surtout

dorigine humaine. Ce fumier nest pas très riche car il est mélangé à du sable provenant du rivage ou du lit de loued. Orgels, Loasis de Gabès, p. 14 et p. 22. Chapelle, Nomades noirs du Sahara, pp. 198-199, raconte que dans les palmeraies des Toubous, les gens satisfont leurs besoins

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Le géographe rapporte une autre anecdote déplaisante: selon lui, les gens de Gabès racontent que la ville était dotée de l’air le plus sain du pays, jusqu’au jour où ils y trouvèrent un talisman. Ils pensèrent que celui-ci dissimulait un trésor et ils creusèrent à cet endroit. Ils n’en sortirent qu’une terre poussiéreuse et à leurs dires, c’est à ce moment que la peste s’abattit sur la ville105. Dans un chapitre de sa Muqaddima consacré à la fondation des villes, Ibn aldn insiste sur la nécessité de choisir un lieu bénéficiant dun air pur car, si lair est malsain, à cause de marais par exemple, les habitants souffriront de ce mauvais emplacement. Il condamne les villes dans lesquelles lair insalubre entraîne de nombreuses maladies et prend Gabès en exemple, expliquant que les habitants et les voyageurs qui sy rendent ont beaucoup de mal à échapper à la fièvre infectieuse. Il note quon raconte que ce problème est récent et que jadis, il en était autrement. Il rappelle qual-Bakr a expliqué lapparition de ce phénomène par la découverte dun vase qui renfermait des talismans contre la peste, dont le pouvoir magique sest envolé avec la fumée: linfection et la peste seraient alors revenues. Cependant, il ne peut accepter cette fable, tirée de croyances populaires, et ajoute qual-Bakr navait ni le discernement scientifique ni la clairvoyance suffisante pour repousser une telle histoire ou se rendre compte de sa stupidité: il la rapportée telle quil la entendue106. Ibn aldn, qui nest pas tendre avec al-Bakr, propose alors sa propre interprétation de la présence de ces fièvres: cest la stagnation de lair qui les provoque et cela se passe dans les villes trop peu peuplées, où lair corrompu reste immobile et entraîne des épidémies. Lorsque lair circule, dans des villes qui connaissent un grand mouvement grâce à la prospérité et au nombre important dhabitants, ces fièvres disparaissent. Ainsi, Gabès jouissait dune atmosphère pure mais, en se dépeuplant, son air devint vicié107.

Al-Ti raconte une autre légende concernant la naissance de la peste à Gabès: citant Ab Muarrif ibn Amra, le q de la ville à lépoque dal-Mustanir (1249-1277), il associe la rigueur de la peste à Gabès à labondance de scorpions qui y vivent108. Dans le Kitb al-Istibr, une légende similaire concerne Tébessa:

naturels dans les jardins: les femmes respectent consciencieusement cette règle mais les hommes se montrent parfois négligents en faisant leurs besoins ailleurs.

105 Al-Bakr, p. 18/43; Mawl Amad, pp. 270-271.106 Ibn aldn, éd. I, p. 370; Al-Muqaddima, pp. 550-551. Sur la critique que fait Ibn aldn de

linvraisemblance et de laffabulation romanesque chez les historiens qui le précèdent, voir Berque, Ibn Khaldoun et les bédouins, pp. 59-61.

107 Dans Ibn aldn, Al-Muqaddima, p. 551, la trad. Monteil conclut: « Aujourdhui, lair de Gabès est redevenu salubre et latmosphère ny a plus rien de malsain. Quand le sultan de Tunis assiégea la ville (en 1387), il fit couper sa palmeraie. Ainsi, une brèche fut ouverte par où sengouffrèrent les vents, ce qui balaya les miasmes. » Ce passage napparaît pas dans notre édition. Arnoulet, Note sur lhistoire de lagriculture en Tunisie, p. 415, affirme quà lépoque ide, Gabès demeure toujours insalubre à cause de son sol marécageux.

108 Al-Ti, p. 90/87. Sur ce q, voir Brunschvig, La Berbérie orientale, II, pp. 400-401. Pour al-Ti, p. 89/85, la peste y est due à labondance des lauriers-roses / dufl, qui rendent leau toxique et amère. Sijelmassi, Les plantes médicinales du Maroc, p. 143, confirme les dangers que

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autrefois la ville ne comptait aucun scorpion, car cet animal y mourait tout de suite. Un jour, quelquun déterra dans les fondations dune maison un vase de cuivre contenant des scorpions du même métal. Il fit fondre vase et scorpions pour les monnayer et depuis lors, les scorpions sont revenus gêner les habitants de la ville109.

Mohamed Talbi suggère que la légende du talisman fait allusion à la démolition dédifices antiques qui se trouvaient sur les hauteurs de S Blbba, à lintérieur de lenceinte de la ville. Dès le milieu du Xe siècle, les habitants auraient abandonné ce lieu agréable pour bâtir des faubourgs dans la cuvette insalubre entourée par loued. Il paraît en effet que depuis la description dIbn awqal, la ville sest fortement agrandie et quun faubourg supplémentaire sest développé à lest ou au sud de la ville. Pendant la période zde, selon Mohamed Talbi, la ville antique se vide totalement et les faubourgs surbanisent progressivement en récupérant les pierres de lancienne cité. Cette urbanisation massive serait à lorigine de linsalubrité de la ville, qual-Bakr est le premier à dénoncer110.

Le géographe décrit ensuite l’île connue sous le nom de Rz, qui est proche du rivage de Gabès, à plus d’une journée de marche. Cette île est prospère et peuplée et il arrive fréquemment que les habitants s’opposent à ceux qui sont censés les gouverner111. Le baron de Slane dit en note que le toponyme Razou / Zarou / Zazou lui est inconnu et qual-Bakr a probablement voulu désigner lîle de Djerba ; il nen est évidemment rien puisqu’il la décrit plus loin. Al-Idr l’appelle « Zz » et affirme quune partie de cette petite île est immergée et que sa partie cultivée est peuplée de riites112.

À proximité de Gabès se trouve l’île de Djerba, couverte de jardins et d’oliviers, séparée du continent par un détroit113. Ses habitants sont des ites qui commettent des brigandages, tant sur la terre ferme que sur la mer114. Plus loin, al-Bakr met ses lecteurs en garde contre les habitants de Djerba, qui sont perfides et mauvais. Lîle se trouve à lextrémité orientale des bas-fonds, qui sétendent sur environ cinquante milles. Dans la mer, sur ces bas-fonds, est bâtie une très ancienne construction qui

présente cette plante, qui rend toxique leau des oueds dans laquelle baignent ses racines. Il précise quune simple sieste à lombre de ces arbustes peut entraîner des malaises tels que des vertiges, des courbatures ou des sueurs froides. On utilise dailleurs la poudre des feuilles séchées comme raticide.

109 Kitb al-Istibr, pp. 162/90-91. 110 Talbi, E.I., s.v. bis. 111 Al-Bakr, p. 18/42.112 Al-Idr, pp. 128-129/152. Sur Zz, voir infra et Prevost, Zz, l’île mystérieuse d’al- Idr.113 À certaines époques, Djerba était reliée au continent par l’ancienne chaussée romaine. Voir Prevost,

La chaussée d’al-Qanara, pp. 165-183.114 Al-Bakr, pp. 19/44-45.

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sappelle qar al-bayt115. Al-qar désigne les bas-fonds ou les bancs de sable et dès lAntiquité, dans le périple du Pseudo-Scylax, Djerba est nommée « lîle des bas-fonds »116. Al-Bakr évoque également cette mer en parlant de lîle Qarqana, située au centre du qar, une mer morte de faible profondeur dont la surface nest jamais agitée. Al-qar évoquerait ici les larges bancs de sable, qui ne permettent de gagner les îles quen empruntant des dépressions qui se creusent entre ces bancs117. Al-Wa dit aussi quon arrive à Djerba par la mer de Qar118. Quant à qar al-bayt, il sagit dune tour bâtie sur les bas-fonds à lest des îles Qarqana, destinée à guider les marins et à leur indiquer lentrée des eaux-mortes119; elle est notée « Elbeit » sur latlas catalan de 1375.

Située à trois jours de Kairouan120, Gafsa est entièrement bâtie sur des colonnes et des arcades en marbre. Les brèches ont été solidement comblées au moyen de grosses pierres121. On prétend que c’est antiyn, lesclave de Namrd122, qui a élevé ce rempart; il a gravé son nom dessus, ce qui est encore visible à lépoque du témoignage dal-Bakr, qui ajoute que cette muraille semble avoir été terminée hier. À l’intérieur de la ville, deux sources jaillissent et forment deux cours deau qui irriguent les jardins et les champs ensemencés de Gafsa. À l’intérieur de la mosquée mi se trouve une grosse source; son bassin de pierre de quarante brasses de côté a été construit dans l’ancien temps. Gafsa semble donc encore à cette époque déborder de vestiges romains et byzantins: la muraille de la ville aurait été construite sous Justinien123. De ces splendeurs, seules les piscines romaines sont encore visibles aujourdhui. Al-Bakr laisse penser que la mosquée mi contenait aussi une piscine antique, de quarante b / brasses de côté, cest-à-dire environ quatre-vingts mètres; elle aurait été plus grande encore que le bassin dont parle le Kitb al-Istibr, un bassin situé à la porte de la mosquée mi, dont chaque côté mesurait quarante coudées, soit un peu moins de vingt mètres. Charles Tissot

115 Al-Bakr, p. 85/172. 116 Despois, E.I., s.v. Djarba; Dozy, Supplément, s.v. qar.117 Al-Bakr, p. 20/47. Louis, E.I., s.v. arana. Pour de Slane, p. 47, note 1, qar désigne ici la petite

Syrte et ses bas-fonds.118 Al-Wa, trad. Fagnan dans Extraits inédits, p. 44.119 De Slane, p. 47, note 2; Idris, La Berbérie orientale, p. 456.120 Ces trois journées de route sont certainement insuffisantes puisque près de 200 km séparent

Kairouan de Gafsa. Sur Gafsa, al-Bakr, pp. 47/100-101.121 Au début du XIXe siècle, les murailles de Gafsa comportent de très nombreux débris antiques

brisés, provenant de colonnes, dautels ou dentablements. Frank et Marcel, Histoire de Tunis, p. 44.

122 Namrd est le Nemrod de la Bible, vivant à lépoque de son rival Abraham. Sa légende est bien connue des musulmans mais ne figure pas dans le Coran. Il aurait été lun des maîtres du monde et aurait joué un grand rôle dans la fondation de la tour de Babel. Heller, E.I., s.v. Namrd. Pour le Kitb al-Istibr, pp. 150-151/69, lesclave du tyran Nemrod est aybn. Ibn Sad, trad. Fagnan dans Extraits inédits, p. 9, dit que cest atyn qui a bâti Gafsa. On peut encore lire cette inscription à lœil nu au XIIIe siècle, à lépoque dIbn al. Al-Wazr al-Sarr, I, p. 506.

123 Cambuzat, Lévolution des cités du Tell, II, p. 117.

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raconte que bien quil nait pas pu examiner par lui-même le bassin évoqué par al-Bakr parce quétant chrétien, il navait pu pénétrer dans la mosquée, les habitants de Gafsa lui en ont confirmé lexistence124, ce qui est invraisemblable. Ibn al (m. 1282) confirme en effet quà son époque, on ne voit pas trace dans la mosquée mi de la source dal-Bakr125.

Dans les environs de Gafsa, on compte plus de deux cents villages fortifiés prospères et peuplés, dans une région où l’eau abonde, tant à lintérieur qu’à lextérieur de ces villages; on les appelle « Qur Qafa ». Parmi ces qur se trouve la ville de irq, qui est à mi-chemin entre Gafsa et Fa al-imr, sur la route de Kairouan. irq est grande et peuplée, avec une mosquée mi et un sq bien achalandé126. Alors quIbn awqal déplorait létat misérable des petites villes proches de Gafsa, la région qui lentoure directement est riche chez al-Bakr. Pour Pierre Bodereau, les qur de Gafsa sont la preuve que les procédés agricoles romains ont été conservés dans cette région. En se basant sur les nombreuses ruines qui la constellent, il estime que sous les Romains, les oasis actuelles de Gafsa, Lla, al-Qar et al-Gar ne devaient nen faire quune127. La localité de irq128 apparaît pour la première fois chez al-Bakr, qui vante sa production de vêtements. asan usn Abd al-Wahhb identifie irq à lactuelle awnt al-awka, « les boutiques des tisserands », dont le nom marquerait le souvenir du tissage. Ce village est situé non loin de B Alam, à mi-chemin entre Gafsa et Fa al-imr, lactuelle Man al-Fa, qui est la première étape sur la route qui mène de Gafsa à Kairouan129. À lépoque dal-Bakr, Fa al-imr compte un funduq et une citerne130.

Al-Bakr passe ensuite à la description du Nafzwa. De Kairouan, on atteint Madnat Nafzwa en marchant six jours vers l’ouest131. Madnat Nafzwa possède une grande source appelée Twarġ132 en langue berbère, dont on ne peut atteindre le fond133.

124 Kitb al-Istibr, p. 152/71; Tissot, Géographie comparée, II, pp. 667-668; Bodereau, La Capsa ancienne, la Gafsa moderne, p. 59.

125 Ibn al dans al-Wazr al-Sarr, I, p. 420.126 Al-Bakr, pp. 47/100-101.127 Bodereau, La Capsa ancienne, la Gafsa moderne, pp. 60-61.128 Yt, s.v. Qafa donne « arrq », mais il accorde une notice à cette ville sous la forme « irq ».

Un juriste kairouanais de lépoque zde, Ab Muammad ibn al-arrq, est originaire de cette localité. Idris, Contribution à lhistoire de la vie religieuse en Ifrqiya zrde, pp. 331-332.

129 Abd al-Wahhb, Les steppes, p. 9.130 Al-Bakr, p. 75/153.131 Sur le Nafzwa, al-Bakr, pp. 47-48/101-102.132 Aujourdhui, cest ayn Twrġa, la racine √WRĠ signifiant « jaune » en berbère. Pellat, E.I., s.v.

Nafzwa. 133 Al-Wazr al-Sarr, I, p. 371, dit quon y jette une lance / rum, qui en se fichant dans le fond

indique la profondeur de la source. Tissot, Géographie comparée, I, pp. 116-117, note 1, décrit ayn Twarġ: cest un gouffre circulaire, de 50 à 60 pieds de diamètre, dont on a vainement tenté de mesurer la profondeur. Leau y est de 26 à 28 degrés et on y voit des poissons semblables à ceux des piscines de Gafsa. Selon la tradition locale, ce gouffre sest déplacé il y a quelques siècles suite à un tremblement de terre. Il se trouve près de Ba al-qadm.

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Cette ville est ceinte d’un rempart en pierres et en briques crues / 134, percé de six portes, qui renferme une mosquée mi et des sq-s bien achalandés. Elle est située au bord d’une rivière dont les rives sont couvertes de palmiers et d’arbres fruitiers. Aux environs sourdent de nombreuses sources. Plus au sud se trouve une ville antique connue sous le nom dal-Madna, munie d’un rempart, d’une mosquée mi, d’un m et d’un sq, entourée de sources et de jardins. De Madnat Nafzwa, on marche trois jours pour gagner Gabès et deux jours pour joindre Gafsa. De Nefta à Tozeur et de Tozeur au Nafzwa, il y a chaque fois une étape.

Madnat Nafzwa correspond certainement à Ba. Al-Tin situe en effet la source ayn Twarġ à lextérieur de la ville de Bar. Ibn awqal confirme quelle est entourée par un rempart. Yt cite simplement « Bu », un village / qarya135. Charles Pellat suggère que le toponyme Ba a succédé à celui de Nafzwa136, mais il apparaît que cette ville porte ce nom depuis au moins un siècle, puisquelle est déjà mentionnée chez al-Yaqūb sous la forme Biara. Dautres géographes ignorent le nom de Ba pour la nommer Madnat Nafzwa - où madna a sans doute le sens de chef-lieu - ou simplement Nafzwa, comme al-Muqaddas. Quant à al-Madna, qui est placée par al-Bakr au sud de Madnat Nafzwa, il sagit sûrement de urra, dont les ruines sont visibles à côté de lactuelle Talmn. On voyait encore à Talmn, à la fin du XIXe siècle, de nombreux vestiges de lépoque où elle était Turris Tamalleni137; il y reste encore aujourdhui un bassin romain. Turris Tamalleni était très vaste et sa superficie englobait plusieurs des villages actuels. Al-Madna dal-Bakr survit toujours dans les ruines nommées Henr Madna, qui étaient rattachées à Turris Tamalleni138.

Al-Bakr est le premier à raconter la difficulté que pose le passage de la sebkha: du Nafzwa, on se dirige vers le bild Qasliya à travers une étendue de terre marécageuse que l’on ne parvient à franchir que grâce au jalonnement de bâtons fixés dans le sol. Les guides de cette route sont les Ban Mlt car c’est là qu’ils nomadisent / hunka nuhum. Si quelqu’un s’écarte à droite ou à gauche du chemin indiqué par les piquets, il s’enfonce dans un terrain obscur / days

134 La brique crue est constituée de terre dans laquelle a été incorporée de la paille hachée, comprimée dans un calibre et séchée au soleil. La brique crue est souvent utilisée en combinaison avec le pisé / tbiyya, qui est un mélange de terre et de chaux pilonné entre deux panneaux de bois, que lon emploie fréquemment dans les constructions civiles et militaires. Chaque fois que les musulmans nont pas trouvé de fortifications adaptées aux besoins de leur stratégie, ils ont bâti les remparts des villes en pisé et en brique crue et cela jusquaux Xe et XIe siècles. G. Marçais, Manuel dart musulman, I, p. 56. Kazimirski, s.v. , donne « brique cuite » mais il est certain que désigne bien dans lOccident musulman des briques crues. Ce terme a dailleurs été conservé en espagnol sous la forme « adobe ». Pellat, E.I., s.v. Labin.

135 Ibn awqal, pp. 93-94/92; Yt, s.v. Bu; al-Tin, pp. 153-154/138.136 Pellat, E.I., s.v. Nafzwa.137 Guérin, Voyage archéologique, I, p. 243; Tissot, Géographie comparée, II, p. 702.138 Djelloul, Les fortifications en Tunisie, p. 20.

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qui, par sa moiteur, évoque le savon. Des armées et des groupes de gens sétant aventurés dans la sebkha y ont sombré et on n’a plus entendu parler d’eux. Cette terre marécageuse s’étend jusqu’à la ville de Ghadamès139.

Le système bien connu et maintes fois décrit des poteaux fichés dans le sol a été utilisé pendant des siècles; on conserve de nombreux témoignages sur la forte impression qua laissée cette traversée à leurs auteurs140. Al-Bakr est le seul géographe qui établit le rôle important que jouent les Ban Mlt. Ibn awqal donne dans sa liste de tribus berbères le nom de Blt, qu’il faut corriger en Mlt; cette tribu, qui selon lui appartient aux Zanta, avait donc des terrains de parcours dans la Qasliya et le Nafzwa. Le nom de cette tribu provient du nom propre masculin berbère Mlt, dérivé de larabe maghrébin ml, qui désigne un maître ou un seigneur. Ibn aldn indique quune autre tribu porte le même nom: cest une branche des Sadwka, une fraction des Kutma, qui demeure dans les plaines situées entre Constantine et Bougie141. Al-amm cite un personnage ibite, Yay ibn Mlt al-Darf, originaire du abal Nafsa142.

Al-Bakr cite dans le bild Qasliya les villes de Tozeur, dal-amma et de Nefta, mais il ne mentionne pas Taqys. Tozeur, la ville la plus importante, est grande et munie d’un rempart élevé en pierres et en briques crues. Elle possède une mosquée mi solidement bâtie et de nombreux marchés. Ses faubourgs sont vastes et peuplés. Cette ville fortifiée compte quatre portes et abonde en palmiers, en jardins et en arbres fruitiers. Si la présence dune mosquée mi est également attestée par Isq ibn al-asan, al-Bakr ajoute que la ville est ceinte par un mur percé de quatre portes. Selon Lucienne Saada, cette muraille a sans doute été bâtie à la même époque que la mosquée de tradition kairouanaise, en 1027143, mais si la description de Tozeur est effectivement entièrement empruntée à al-Warrq, elle devait être bien antérieure à la mosquée.

Le géographe donne une longue description du système dirrigation de Tozeur: « la plus grande partie de son irrigation provient de trois rivières qui émergent de sables si fins et si blancs quon dirait de la farine144. Dans la langue des habitants, cet endroit sappelle S.r.. Ces trois rivières se séparent après que lensemble des eaux issues des sables sest réuni dans une cuvette quon appelle wd al-aml145, dont

139 Al-Bakr, p. 48/102.140 Voir infra et Prevost, La traversée du chott el-Djérid au Moyen Âge, pp. 125-138. 141 Sur les Ban Mlt, Ibn awqal, p. 106/103; Ibn aldn, VI, p. 176/I, p. 293. Lewicki, Études

ibites nord-africaines, p. 99.142 Al-amm, p. 118.143 Saada, Études sur le parler arabe de Tozeur, p. 13. 144 Yt, s.v. Tawzar, qui reprend presque mot pour mot le texte dal-Bakr, dit que ces trois rivières

sortent dun zuqq / goulet, à un endroit qui se nomme « T.b.r.s ».145 Selon de Slane, p. 103, note 1, d’après Berbrugger, l’oasis de Tozeur est arrosée par le wd

Barqq / rivière aux prunes. Arrivée à un barrage romain en grosses pierres, la rivière se sépare

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la profondeur atteint environ deux cents coudées146. Ensuite, chacune de ces trois rivières se divise en six ruisseaux147 qui se ramifient en d’innombrables seguias. Leau coule dans des canaux en pierre bâtis à lidentique. Aucune seguia n’est plus grande qu’une autre: chacune delles a deux empans148 de largeur et un fitr de profondeur149. Quiconque utilise quotidiennement leau de la seguia à raison de quatre qadas-s150 doit payer un miql151 par an; on réajuste le prix s’il veut prendre plus ou moins deau. La personne qui bénéficie du tour d’arrosage prend un qadas dont le fond est percé d’un trou que l’on peut boucher avec une corde darc à carder. Elle remplit le qadas d’eau et le suspend, de sorte que son enclos ou son jardin152 est arrosé par ces ruisseaux jusqu’à ce que l’eau du qadas soit épuisée. Elle le remplit alors à nouveau. Les habitants savent qu’en un jour complet d’arrosage, cent quatre-vingt-douze qadas-s sont vidés à la suite lun de lautre153. »

Le système de répartition des eaux de Tozeur est attribué à Ibn al154 (m. 1282), poète et savant dont le tombeau est encore vénéré à Bild al-aar, non loin du centre de la ville155. Les habitants de Tozeur affirment aujourdhui que cest lui qui a partagé les eaux de la grande source, ce que confirment les habitants de Nefta156. La description dal-Bakr prouve évidemment que ce système est plus ancien; on peut

en trois, sqiyat al-andaq, sqiyat al-was et sqiyat al-rib. Tissot, Géographie comparée, II, p. 685, constate que cest à Bild al-aar que subsistent les seules ruines antiques de Tozeur; on y voit encore à son époque le « barrage de loued Berbouk » qui correspondrait au wd al-aml dal-Bakr.

146 ir est une coudée, cest-à-dire environ 50 cm. Hinz, E.I., s.v. Dhir. La cuvette aurait donc environ cent mètres de profondeur, ce qui est invraisemblable: selon Trousset, Les oasis présahariennes, p. 190, note 103, loued natteint pas deux mètres de profondeur à cet endroit.

147 adwal signifie anciennement « ruisseau, cours deau ». Sur les autres sens de ce terme, voir Graefe-Macdonald-Plessner, E.I., s.v. Djadwal.

148 ibr pl. abr désigne un empan, cest-à-dire une demi-coudée, soit environ 25 cm. Idris, La Berbérie orientale, p. 651; Brunschvig, La Berbérie orientale, II, p. 252; Bosworth, E.I., s.v. Misa.

149 Fitr est l’espace compris entre lextrémité du pouce et celle de l’index dans leur plus grand écartement. Kazimirski, s.v.

150 Pour Dozy, Supplément, s.v., qadas pl. aqds désigne soit la clepsydre, soit le godet d’une roue hydraulique, soit un tuyau ou un conduit d’eau. Pour Kazimirski, s.v., qadas désigne un vase muni dune anse avec lequel on puise de leau pour en inonder le corps dun baigneur au bain. Qs pl. qaw est le seau dune machine à irrigation pour Kazimirski, s.v. Cest aussi un conduit deau pour Dozy, Supplément, s.v. Saada, Éléments de description du parler arabe de Tozeur, p. 112, signale que le gadus est aujourdhui lunité de temps découlement de leau dans un jardin; il ne serait plus connu en tant quinstrument quà Nefta.

151 Miql est une mesure de poids dor qui pèse 4,25 grammes et est souvent employé comme synonyme de dr. Allan, E.I., s.v. Mithl.

152 Bustn semploie communément dans le sens de jardin potager, de verger ou de jardin en général. Naficy, E.I., s.v. Bustn.

153 Al-Bakr, pp. 48-49/103-104.154 Ibn al est un transmetteur de fatw-s zrdes. Il a consulté ces jugements zrdes dans le

dwn akm al-qut, situé dans la plus ancienne mosquée de Tozeur. Il est lauteur du ilat al-sim, un commentaire de la aqrisiyya; voir infra. Idris, La vie intellectuelle en Ifrqiya méridionale, p. 96. Sur la légende du partage des eaux de loasis, Dakhlia, Loubli de la cité, pp. 74-75.

155 Brunhes, Lirrigation, p. 489.156 Saada, Études sur le parler arabe de Tozeur, p. 76.

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le faire remonter à lAntiquité par comparaison avec la description que donne Pline lAncien pour Tacape: selon lui, à Gabès, une source fournit une eau abondante que lon ne distribue aux habitants que pendant un nombre fixe dheures157. Le système romain a été repris par les ibites, qui semblent sêtre toujours distingués par leur ingéniosité dans les travaux dirrigation158.

Le fractionnement du débit se faisait grâce à un système de barrages et de partiteurs en troncs de palmiers, placés perpendiculairement au courant et munis dautant dencoches que lon voulait obtenir de divisions. À lextrémité de la seguia, on divisait le temps darrosage prévu pour chaque agriculteur grâce à la clepsydre / qadas159. Cette unité de temps correspondait au temps que ce récipient mettait à se vider; la clepsydre fonctionnait sans interruption de jour comme de nuit. Selon un rapport effectué par les Français sur le règlement des eaux à Tozeur en 1901, lunité de temps de la clepsydre était de cinq minutes. Ceci ne correspond pas au récit dal-Bakr, selon lequel cent quatre-vingt-douze clepsydres correspondraient de fait à seize et non à vingt-quatre heures: le temps découlement devait donc être à lépoque médiévale de sept minutes et demi et la clepsydre se vidait huit fois par heure160.

Lorsquun changement de propriétaire intervenait, on tassait de la terre de façon à boucher les rigoles qui irriguaient le jardin du précédent propriétaire. Chaque fois que lon remplissait la clepsydre, on faisait un nœud autour de son col: lorsque le nombre de nœuds impartis au propriétaire de la parcelle était atteint, on modifiait les murettes de canalisations pour diriger leau vers une autre parcelle161. Cétaient les amms-s qui, leur moment darrosage venu, surveillaient eux-mêmes la déviation. Ils avaient en charge lentretien des andaq-s, drains ou rigoles, qui étaient sur leurs terres. Avant loccupation française, un immense fossé entourant loasis, al-andaq al-kabr, accueillait toutes les eaux de drainage et lexcédent des eaux dirrigation; il était constamment rempli deau de façon à éviter par la même occasion les incursions des nomades162.

Al-Bakr insiste lui aussi sur le fait que les habitants de Tozeur apprécient la viande de chien. Ils engraissent les chiens dans leurs jardins en les gavant de dattes, puis ils les mangent. Un homme qui avait été accueilli parmi les habitants de Tozeur a informé le géographe qu’on lui a fait manger une viande qu’il a trouvée très

157 Pline lAncien, trad. dans Trousset, Les oasis présahariennes, pp. 173-174.158 Cuperly, Introduction à l’étude de l’ibisme, p. 94.159 Trousset, E.B., s.v. Djérid. Sur la clepsydre, Duvignaud, Chebika, pp. 163-164.160 Trousset, Les oasis présahariennes, p. 190, note 104; Brunschvig, La Berbérie orientale, II, p.

211.161 Trousset, Les oasis présahariennes, pp. 185-187.162 Brunhes, Lirrigation, p. 490.

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savoureuse. Il a demandé ce que c’était et on lui a répondu que c’était de la viande de chiot engraissé. Curieusement ici, al-Bakr, qui a pourtant la moquerie facile, évoque la cynophagie des habitants de Tozeur - et plus loin celle des Gafsiens163 - sans ajouter de commentaire ironique. Il termine sa description de Tozeur par quelques mots sur le désert qui borde sa région: excepté le fennec, on ne sait pas si des êtres humains ou des animaux vivent au-delà de la Qasliya; ce ne sont que sables et terrains marécageux. Les habitants racontent qu’un groupe de gens a voulu savoir ce qu’il y avait au-delà de leur pays et ils ont préparé leurs provisions de route. Ils sont partis des jours durant dans les sables et n’ont vu aucune trace de vie. La plupart d’entre eux sont morts dans ces sables164.

Plus loin, al-Bakr décrit la route qui mène en quarante-trois jours dOran à Kairouan en passant par la Qasliya: de Bs165, on gagne Qayn-Baya, où commence le balad Suma; c’est là que la route se scinde en trois, vers le bild al-Sdn, Tripoli ou Kairouan. La localisation du balad Suma est difficile. Al-Bakr dit que, depuis Bdis, on gagne Qayn-Baya qui marque le début du canton de Suma, puis Nefta et finalement Tozeur166. Il apparaît donc ici que Qayn-Baya et le balad Suma sont bien situés à louest du chott. Nous avions pourtant émis lhypothèse, daprès Ibn awqal, que la ville de Suma, elle, se trouvait au nord-est du chott167. Il faut sans doute différencier totalement la ville de Suma du balad Suma. Ce genre dappellation, composée du terme balad suivi par un nom de tribu, correspond chez al-Bakr à un territoire dont la taille nest pas exactement déterminée, servant de terrains de parcours à ladite tribu nomade ou semi-nomade, ici les Suma168. Il utilise cette expression avec la plus grande précision: elle ne désigne jamais ni une population sédentaire ni un village169. Notre hypothèse est donc celle-ci: il existait une ville nommée Suma au nord-est du chott, ainsi quun balad Suma, qui se situait, lui, bien à louest170.

Aux dires dal-Bakr, on marche deux jours depuis Qayn-Baya pour atteindre Nefta, une ville bâtie en pierre, prospère et peuplée, qui possède une mosquée mi,

163 Al-Bakr, p. 148/284.164 Al-Bakr, pp. 49/104-105.165 On trouve le plus souvent « Bdis », cf. Yt, s.v. 166 Al-Bakr, pp. 47-48/102 et p. 74/152. Le Kitb al-Istibr, p. 175/114, confirme que le canton

de Suma est du côté de Bds. Sur la localisation de Qayn-Baya, voir infra et Prevost, La Qasliya médiévale et la toponymie du Djérid tunisien.

167 Voir supra. Idris, La Berbérie orientale, p. 469, prétend que Qayn-Baya est elle aussi située à lest du Djérid, ce qui est inconciliable avec le texte dal-Bakr.

168 Lewicki, Le monde berbère vu par les écrivains arabes du Moyen-Âge, p. 36, signale au XXe siècle dans le nord du Maroc la tribu des Suma, qui mangent de la chair de sanglier; ils vivaient au Xe siècle dans le Sud tunisien.

169 De Felipe, Berbers in the Maghreb and al-Andalus: Settlements and Toponymy, p. 59. Voir également par exemple le balad Maġla, al-Bakr, p. 114/224.

170 Il est possible qu’Ibn awqal ait confondu avec le balad Suma et que la ville qu’il décrit n’ait jamais existé. Voir Prevost, La Qasliya médiévale et la toponymie du Djérid tunisien.

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d’autres mosquées et de nombreux ammm-s. Elle est très riche en eau: dans tout le bild Qasliya, l’eau est distribuée au volume, sauf à Nefta où lon ne pèse ni ne mesure171! Tous les habitants sont ites de sorte qu’on appelle la ville al-Kfa l-uġr / la petite Kfa172. Il est certain quen présentant Nefta comme une ville ite, al-Bakr fait allusion au début de la période fimide; il nest pas envisageable quà la fin du Xe siècle, la majorité des habitants soit encore ite. Ibn awqal indique dailleurs que cette région compte surtout des ibites.

Outre les riches descriptions du Sud tunisien, le texte dal-Bakr pose, dans son commentaire sur le abal Nafsa, un problème à soulever: il sagit de la présence ou non de mosquée mi chez les ibites. La mosquée mi est une grande mosquée possédant un minbar / chaire, où l’on dit la uba. La uba ou sermon, qui se fait au nom du souverain au pouvoir, est prononcée le vendredi, lors des fêtes importantes ou doccasions très particulières telles que la sécheresse; elle se fait en deux parties, dans lintervalle desquelles le prédicateur sassied sur le minbar. La présence à loffice du vendredi est obligatoire pour tout musulman mâle, adulte et libre; il doit se rendre à la mosquée mi de la localité dans laquelle il réside173. Al-Bakr dit, daprès al-Warrq, que les habitants ibites de as n’ont pas de mi, de même que les trois cents villages bien peuplés qui lentourent. Ces gens ne se sont pas mis daccord sur le choix dun homme qui dirigerait la prière174. Le Kitb al-Istibr confirme que ars na pas de mi175. La présence dune mosquée mi dans cette ville est pourtant attestée, à tort sans doute, par Ibn awqal et al-Idrs176.

Labsence de mosquée mi au abal Nafsa pourrait être mise en rapport avec linfluence de Naff ibn Nar: ce dernier considérait la uba comme une innovation et la rejetait totalement. Si son mouvement séteint rapidement à Qanra, la ville où il la créé, des fidèles naffites demeurent dans le abal Nafsa jusquau XIe siècle. Ladhésion dune partie des ibites à cette secte a certainement dû créer des remous dans la région: le abal Nafsa est toujours resté dans sa majorité fidèle au wahbisme, tant aux beaux jours de limmat rustumide, dont il était le plus fervent soutien, quaprès sa chute. Au IXe siècle, Mahd al-Nafs écrit en berbère un livre dans lequel il réfute les innovations apportées par Naff177. Cela montre bien que

171 correspond à un « achat ou vente en bloc, sans sassurer de la quantité, sans vérifier la mesure ou le poids ». Kazimirski, s.v.

172 Al-Bakr, pp. 74-75/152-153. 173 Goitein, E.I., s.v. Djuma; Wensinck, E.I., s.v. Khuba; Pedersen, E.I., s.vv. Minbar et Masdjid. Il

ajoute, s.v. Minbar, que dans le Maghreb, les minbar-s étaient généralement transportables.174 Al-Bakr, pp. 9/25-26.175 Kitb al-Istibr, p. 144/59. Cette information est reprise par al-Wa, trad. Fagnan dans Extraits

inédits, p. 55. 176 Ibn awqal, p. 94/93; al-Idrs, p. 105/123. Voir aussi al-Dima, p. 239/339.177 Alamm, pp. 79-80. Voir Ould-Braham, Sur une chronique arabo-berbère des ibites

médiévaux, p. 13.

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le schisme naffite cause à cette époque un réel souci aux savants wahbites. Mais un siècle plus tard, à lépoque où écrit al-Warrq, les naffites sont sans doute très peu nombreux dans le abal. Nous doutons quils aient pu influencer lensemble de la communauté ibite.

Lexplication de labsence de mi se trouve ailleurs: chez les ibites, la uba se faisait à l’origine au nom de l’imm de Thart. On considère généralement quà partir de la chute des Rustumides en 909, les ibites entrent dans létat de kitmn car il n’y a plus d’imm indépendant à la tête de leur communauté. Ils ne font donc plus la uba et, de ce fait, le minbar est supprimé dans les mosquées ibites occidentales178. Cette affirmation est à nuancer dans le cas du abal Nafsa précisément: en effet, Ab Yay Zakariyy’ al-Ir a porté le titre d’imm après la prise de pouvoir des Fimides et a régné à pendant une quinzaine dannées. Les ibites du abal Nafsa ont probablement fait la uba à son nom jusquà sa mort, survenue lors du combat qui lopposa aux Fimides. Dans la voie du kitmn quils adoptent ensuite, un homme est malgré tout choisi par la communauté, pour la diriger en accord avec un conseil, malis ou alqa. Il na pas le titre d’imm et ne gouverne pas seul, comme le ferait l’imm dans la voie du r. Il existe une prière en communauté, mais la prière du vendredi ne se fait pas, puisquil ny a pas de uba179. Il est très probable qual-Bakr savait que les ibites ne faisaient plus la uba car ils navaient plus d’imm. Il sagirait donc ici dune nouvelle expression de sa malveillance vis-à-vis des ibites, lorsquil affirme que les habitants ne parviennent pas à sentendre pour désigner un imm qui dirigerait la prière.

Dans les mosquées ibites du abal Nafsa et du Mzab, il n’y a manifestement jamais de minbar-s. À Djerba par contre, certaines mosquées en sont désormais pouvues, depuis que le gouvernement tunisien a obligé les imm-s de lîle à faire la uba au nom du Bey. Les ibites de Djerba considèrent cette prière du vendredi comme une obligation constitutionnelle et non comme leur devoir religieux; ils la font donc suivre dune prière rituelle ordinaire. Leurs minbar-s sont mobiles mais il ny a habituellement pas de niches prévues pour les ranger pendant la semaine; sitôt utilisés, ils sont donc repoussés dans un coin de la mosquée180.

178 Schacht, Sur la diffusion des formes darchitecture, p. 16.179 Cuperly, Introduction à l’étude de l’ibisme, p. 118 et p. 301, note 84.180 Schacht, Sur la diffusion des formes darchitecture, pp. 16-17. On trouve notamment un minbar

dans al-mi al-kabr, fondée par Ab Miswar. Une niche a été récemment aménagée pour l’accueillir.

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PLANCHE II: LES MOSQUÉES FORTIFIÉES DE DJERBA1 et 2: mosquée T près de Houmt-Souk3: mosquée Maġzāl près d’Aġīr 4: mosquée Fan près de Midoun

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VII. LIFRQIYA ZRDE

Les souverains de la dynastie zde1, première véritable dynastie berbère, sont des anha, sédentaires comme les Kutma. Les anha ont acquis une grande importance pendant le règne des Fimides et ont bâti leur capitale à Ar. Leur pouvoir sest alors étendu et Buluggn ibn Z dirige également Alger, Milyna et Médéa / al-Madya. À lépoque de sa nomination en Ifrqiya en 361/972, il confie Ar à son fils ammd et vient sinstaller à al-Manriyya. Buluggn reçoit en lieutenance toute lIfrqiya, à lexception de la Sicile, qui demeure possession fimide, et des provinces de Tripoli et de Barqa, censées former un état-tampon. Il devient alfa de lémir des croyants. Al-Muizz lui aurait prescrit entre autres recommandations de toujours brandir son épée sur la tête des Berbères2, faisant sans doute allusion aux Zanta et aux riites. Cinq ans seulement après sa nomination, le calife fimide lui cède Tripoli, Surt et Adbiya; cette région est confiée à Tamlat ibn Bakkr, qui gouverne pendant une vingtaine dannées à Tripoli3. LIfrqiya vit apparemment à cette époque une période de prospérité commerciale et agricole4. Les premiers Zdes se caractérisent par le luxe de leurs réceptions et la magnificence de leur cour, qui accueille artistes et écrivains; les démonstrations de richesse atteindront leur apogée sous le règne du quatrième souverain al-Muizz. Le fait marquant des règnes de ses trois prédécesseurs, Buluggn (972-984), al-Manr (984-996), puis Bds (996-1016), est leur lutte contre les Zanta du Maghreb central. Ils combattent principalement les Ban azar, une branche des Maġrwa. Comme ce sont les Ban azrn, une fraction de ces Ban azar, qui simposeront dans le Sud tunisien grâce à Warr ibn Sad ibn azrn al-Zant, nous dirons quelques mots des événements qui ont précédé linstallation des Ban azrn dans la Qasliya et le Nafzwa5.

1 Voir létude très complète dIdris, La Berbérie orientale sous les Zrdes. 2 Ibn al-ab, p. 48; Ibn aldn, VI, pp. 183-184/II, p. 10. 3 Ibn aldn, VII, p. 49/III, p. 262.4 Dès le début du règne de Buluggn pourtant, la fiscalité est outrancière et des taxes considérables

sont levées dans toutes les provinces, sous forme de sachets / urra-s portant le nom du contribuable. Devant le mécontentement du calife fimide, une partie des fonds est rendue à leurs propriétaires et ces prélèvements satténuent. Ibn , I, p. 230.

5 Voir annexe I sur la généalogie des Ban azrn.

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1. LES RÈGNES DE BULUGGN ET DAL-MANR

Vers 976, lémir des Maġrwa, vassal des Umayyades, azrn ibn Fulful ibn azar al-Zant, sempare de Siilmsa et y est officiellement investi par Cordoue. Buluggn va lui reprendre la ville et le met à mort en 369/979-9806. Le second souverain, al-Manr, renonce dans un premier temps à combattre les Zanta dans le Maghreb occidental, après que larmée zde a essuyé une lourde défaite dans la région de Fès7. Plus tard, il fait alliance avec les Ban azrn: en 379/989-990, le fils de lémir des Maġrwa, Sad ibn azrn, se sentant trahi par les Umayyades, abandonne leur cause pour joindre le parti dal-Manr. Le souverain offre à son nouvel allié le commandement de ubna et accorde la main de sa fille à Warr, le fils de Sad. À la mort de Sad vers 992, son autre fils, Fulful, reprend cette charge et est nommé émir de ubna8.

Les historiens arabes fournissent très peu de renseignements sur le Sud tunisien pendant les règnes des deux premiers Zdes. Dès son avènement, Buluggn a sans doute dû mater une insurrection riite dans la région de Gabès9. Ibn awqal rapporte que les rebelles ont incendié le faubourg de Gabès et assiégé la ville; ils se sont appropriés les biens des commerçants et des imm-s. On ne sait rien de plus sur cette révolte, dont la date est sujette à caution. Les gouverneurs de Gabès, à lépoque zde, sont les Ban mir. Sous le règne dal-Manr, le mil de Gafsa est promu au poste de gouverneur dIfrqiya10.

Alamm, par contre, donne de nombreux renseignements sur la situation du Sud tunisien pendant le règne dal-Manr. On voit entre autres quà cette époque, les oppositions entre wahbites et nukkrites déchirent la Qasliya. Ainsi, alors quil se trouve sans doute à Tozeur, Ab N Sad ibn Zanġl attend la visite du muqaddam de Darn, Wn ibn W.rġl, qui a une certaine influence sur al-Manr. Déminents notables nukkrites sont également venus pour accueillir le muqaddam, et se dirigent vers lui à son approche. Ab N dit alors à ses compagnons que si le muqaddam salue dabord les nukkrites, il nacceptera pas de lui parler. Mais Wn ibn W.rġl détourne son cheval des nukkrites et vient saluer Ab N en premier lieu11. On voit également Ab N polémiquer avec Yay al-Ara al-

6 Ibn al-Ar, IX, p. 34; Ibn , I, pp. 230-231 et p. 239; Ibn aldn, VI, p. 184/II, p. 11. azrn ibn Fulful était venu, mais trop tard, combattre les Fimides à Bġya. Alamm, p. 315.

7 Ibn , I, p. 241; Ibn aldn, VI, p. 185/II, p. 13.8 Sur Sad ibn azrn, Ibn , I, p. 244 et p. 246; Ibn aldn, VI, p. 185/II, p. 15 et VII, pp.

47-48/III, pp. 258-259. 9 Voir supra la rébellion rapportée par Ibn awqal, p. 70/67. 10 Ibn al-Ar, IX, p. 51; Ibn , I, p. 243 et p. 245.11 Alamm, pp. 324-325.

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Nukkr, qui est le amd, cest-à-dire le chef ou le doyen de Tozeur en matière de sciences12.

Un jour, une controverse entre un wahbite et un nukkrite se transforme en querelle, puis en guerre. Les deux groupes saffrontent dans la plaine de Tozeur. Après avoir perdu de nombreux compagnons, les mistwa / nukkrites sont contraints de fuir vers Taqys. Les wahbites décident daller assiéger les nukkrites à Taqys, mais Ab N soppose à cette idée. Néanmoins, ses compagnons lui désobéissent; ils se font alors attaquer par les nukkrites et sont forcés de reculer vers Tozeur. Ab N tente de les protéger dans leur retraite et manque de se faire assassiner par les nukkrites. Après la défaite, il se tient à Qanra et simule une maladie13. Ab Yaqb Ysuf ibn Naff vient senquérir de sa santé et sétonne de son état: le savant lui répond que vu la façon dont les nukkrites les ont mis en fuite, son cœur ne peut quêtre malade. Peu après, Ab N se fait emprisonner par le mil zde de Tozeur qui, conscient de la réputation du savant chez les wahbites, espère ainsi nuire à lensemble de leur communauté. Le mil finit par le relâcher14. Ab N se rend alors au Sf, où les habitants laccueillent chaleureusement et lui offrent des dr-s, des bijoux et des chameaux. Parmi la foule des habitants, un nukkrite se présente à Ab N et lui offre un dr: une fois informé de sa doctrine, le savant lui rend son argent. Ab N et quelques compagnons se dirigent alors vers Arġ et viennent à manquer deau. Ils parviennent à un village, dans lequel les compagnons du savant souhaitent se désaltérer mais, apprenant que ce village se nomme Nukkra, Ab N ordonne à ses compagnons de partir immédiatement, sans même boire. Lorsquils arrivent à Arġ, des Maġrwa se pressent pour donner des cadeaux à Ab N, comme cela sétait produit au Sf15.

À lépoque pendant laquelle Ab N Sad ibn Zanġl vit en Ifrqiya, al-Manr manifeste le désir de recevoir le savant à la cour. Après avoir pris conseil auprès du muqaddam de Darn, Wn ibn W.rġl, qui connaît al-Manr, Ab N décide daccepter linvitation. Le souverain lui témoigne du respect et le fait assister à son conseil. Si lon en croit alamm, al-Manr aurait été favorable aux wahbites et aurait dit: « mon épée et ma lance sont au service des wahbites. »16

12 Alamm, p. 326.13 Il avait déjà simulé une maladie pour ne pas suivre al-Muizz en Égypte; voir supra. Ab Yaqb

Ysuf ibn Naff est mort en 440/1048-1049; voir supra.14 Alamm, pp. 326-327.15 Alamm, pp. 327-328.16 Inna sayf li-l-wahbiyya wa-rum. Alamm, p. 325.

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2. LA PREMIÈRE VICTOIRE DE FULFUL À TRIPOLI

Cest sous le règne de Bds quéclatent les événements qui mettront les Zanta à la tête du Sud tunisien. En 389/999, Fulful ibn Sad ibn azrn al-Zant, qui est toujours gouverneur de ubna, profite des guerres menées par Bds dans le Maghreb central pour piller la région de ubna et assiéger Bġya avec une immense armée de Zanta17. Le souverain zde parvient à le battre cruellement, mais Fulful conduit inlassablement la poussée des Zanta vers lest, malgré les nombreux revers quil connaît face aux anha et notamment face à ammd ibn Buluggn18. Finalement, Fulful profitera de la confusion qui règne dans le sud de lIfrqiya pour y soulever les Zanta et prendre Tripoli. Pour décrire la prise de pouvoir des Ban azrn, on suivra principalement le texte dIbn aldn qui est particulièrement renseigné sur cette famille grâce à Ibn al-Raqq19.

Depuis 367/977-978, Tamlat ibn Bakkr gouverne Tripoli au nom des souverains zdes, tout en senrichissant considérablement20. Voyant que Bds compte mettre un terme à sa confortable situation, il sarrange avec le calife fimide al-kim: Tamlat lui livre Tripoli en échange de quoi le calife promet de laccueillir au Caire. En 390/999-1000, le nouveau gouverneur désigné par al-kim, Ynis, arrive à Tripoli avec quinze mille cavaliers, alors que Tamlat gagne lÉgypte. Bds accepte très mal de se voir imposer un gouverneur à Tripoli et envoie une armée dirigée par afar ibn abb, qui tue Ynis et assiège Tripoli. Un des officiers du défunt Ynis, Fat ibn Al, sest enfermé dans Tripoli, que afar encercle. En raab 391/juin 1001, le gouverneur de Gabès, Ysuf ibn mir, écrit à afar pour linformer que Fulful, lémir des Zanta, a quitté son campement proche de Gabès en direction de Tripoli. Fulful a réuni dans la région de Gabès et de Tripoli tous les Zanta qui y vivaient21. Redoutant larrivée de cette armée, afar part se mettre en sécurité chez lémir des Nafsa, mais les souffrances des anha dans le abal Nafsa sont si grandes que afar décide de rentrer à Kairouan. Fulful entre alors dans Tripoli avec laccord de Fat ibn Al et des habitants. Il se soumet à al-kim, qui envoie Yay ibn Al ibn amdn al-Andalus comme gouverneur

17 Ibn al-Ar, IX, pp. 152-153; Ibn , I, pp. 250-251; Ibn aldn, VII, pp. 48-49/III, pp. 260-262, qui dit Fulfl.

18 Sur limportance croissante de ammd ibn Buluggn pendant le règne de Bds, voir Bourouiba, Les Hammadites, pp. 22-32.

19 Ibn aldn, VII, p. 51/III, p. 266. Sur les événements de Tripoli et la prise de cette ville par Fulful, Ibn al-Ar, IX, p. 154; Ibn , I, pp. 251-252 et p. 256; al-Ti, pp. 181-183/157-159; Ibn aldn, VI, pp. 535-536/III, pp. 169-170 et VII, pp. 49-50/III, pp. 262-263. Voir également al-Z, Wult arbulus, pp. 77-83.

20 Alamm, p. 297, qualifie ce personnage de tyran obstiné, de violent despote, et raconte quil a voulu forcer un ay wahbite à lui donner cent dnr-s.

21 Ibn aldn, VII, p. 49/III, p. 262.

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« de Tripoli et de Gabès »22. En 393/juin 1003, allié aux troupes de Zanta dirigées par Fat et Fulful, Yay tente sans succès dassiéger Gabès, tenue par Aiyya ibn afar23. La seule victoire des assiégeants est la capture et la mise à mort de vingt archers qui tentent de rallier la ville. Déçu de son peu dinfluence face à Fulful, seul chef obéi des Zanta, Yay rentre en Égypte avec ses derniers soldats. Fulful reste alors lunique maître de Tripoli. En 400/1009-1010, il meurt après avoir envoyé des émissaires chercher laide des Umayyades de Cordoue, éternels alliés des Zanta.

Il apparaît que le rôle de Gabès est prépondérant dans la prise de pouvoir des Ban azrn. La ville est fortement convoitée par le calife fimide, qui tente de la récupérer pour le compte de lÉgypte et nhésite pas, si lon en croit Ibn aldn, à y nommer Yay ibn Al ibn amdn al-Andalus comme gouverneur. Gabès reste pourtant fidèle aux Zdes, malgré le siège qui lui est imposé. Dans le même temps, cest dans sa région que Fulful parvient à réunir une partie de son armée de Zanta hostiles aux Zdes. Cela na rien détonnant: jusquà la migration des Ban Hill, des fractions de Zanta nomadisent dans la plaine de la affra; dautres fractions de cette tribu, déjà mentionnées par al-Ya, vivent sans doute encore sur le littoral entre Gabès et Tripoli24. Les historiens ne mentionnent pas la doctrine religieuse à laquelle se rattachent ces Zanta partisans des Ban azrn; leur silence laisse penser quils sont sunnites. De même, il nous semble que le fait que le chef des Nafsa accueille larmée de afar ibn abb indique également que les Zanta assiégeant Tripoli ne sont pas ibites: les Nafsa, bien que vivant dans le kitmn, auraient certainement favorisé une éventuelle prise de pouvoir de leurs coreligionnaires.

3. LES ZANTA DANS LE SUD TUNISIEN

Pendant les deux règnes de Bds et dal-Muizz, les oasis du Sud tunisien connaissent une des périodes les plus mouvementées de leur histoire médiévale. Passant de main en main, plusieurs fois ravagées par les troupes de Zanta ou par les Zdes, attaquées par les ites, elles vivent douloureusement la première moitié du XIe siècle. Il s’agit d’une des époques les plus difficiles à étudier, tant les informations sont à la fois touffues, confuses et souvent contradictoires. Il est important cependant

22 Ibn aldn, VII, p. 50/III, p. 263.23 Sur le siège de Gabès, Ibn al-Ar, IX, p. 177; Ibn , I, p. 256; Ibn aldn, VI, p. 536/III, p. 170

et VII, p. 50/III, p. 263.24 Al-Ya, Kitb al-Buldn, p. 347/208; Lewicki, La répartition géographique, p. 328.

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de présenter les renseignements rassemblés pour cette période, car ils montrent bien la situation pénible des oasiens pendant ces deux règnes. Les historiens arabes médiévaux, de même que la plupart des historiens contemporains, ont eu tendance à présenter larrivée des Ban Hill comme le déclencheur dune période de misère et de destruction qui aurait frappé lensemble de lIfrqiya. Nous verrons ici que la situation du Sud tunisien était déjà bien mauvaise avant leur apparition.

À la mort de Fulful, son frère Warr ibn Sad25 lui succède à la tête des Zanta. Il est obligé de quitter Tripoli avec ses troupes berbères, pour fuir une énorme armée dirigée par Bds. Ce dernier prend la ville où la population laccueille chaleureusement. Ibn aldn rapporte que Warr ibn Sad sollicite le pardon de Bds, qui lui confie le gouvernement du Nafzwa et qui confie à al-Nuaym ibn Kannn, un autre émir zant, celui de la Qasliya26, à condition que les deux chefs et leurs troupes quittent définitivement la province de Tripoli. Bds nomme alors un nouveau gouverneur à Tripoli et les deux chefs zant gagnent leur nouveau fief. Ibn al-Ar confirme quaprès leur avoir pardonné, Bds offre aux chefs des Zanta le Nafzwa et la Qasliya à condition quils évacuent la région de Tripoli. Ibn présente les choses différemment: selon lui, Bds pardonne à Warr puis il comble de présents al-Nuaym ibn Kannn et ses Zanta, qui viennent le rejoindre à al-Manriyya. Al-Nuaym reçoit des étendards et des tambours, des chevaux de trait27 et des selles, puis est renvoyé vers la région qui lui a été confiée. Il sinstalle alors à Qasliya / Tozeur où il vit tel un roi, entouré détendards, de tambours et de troupes / . Ibn ne mentionne pas que Warr a reçu le gouvernement du Nafzwa. Ce qui diffère le plus entre ces deux versions, cest quIbn insiste fort sur les richesses que Bds offre à al-Nuaym, comme si le fait de lui confier la Qasliya était une façon supplémentaire de lhonorer, alors quIbn aldn et Ibn al-Ar laissent surtout entendre que le souverain ne cherche quà se débarrasser une bonne fois pour toutes du problème posé par les Zanta. Ibn dit tout de même que Bds renvoya / arafa le chef zant vers la Qasliya. Al-Ti ajoute quà cette époque, un changement de pouvoir survient à Gabès. Jusque-là, la ville était gouvernée par les Ban mir. Après Ysuf ibn mir, elle est confiée à Ibrhm, le frère de Bds, puis à Manr ibn Mws28.

25 Sur lattribution du Sud tunisien aux Zanta, Ibn al-Ar, IX, p. 177; Ibn , I, pp. 258-259; Ibn aldn, VII, p. 50/III, pp. 263-264. Voir aussi al-Z, Wult arbulus, p. 85.

26 Le Nafzwa et la Qasliya comptent de nombreuses fractions de Zanta, dont les Ban Darn et les Ban Wisyn, qui toutes semblent être ibites.

27 Birawn désigne un « cheval ou mulet de bât » pour Dozy, Supplément, s.v.; « une bête de somme au corps lourd et au pas lent, un cheval qui nest pas de race » pour Kazimirski, s.v.

28 Al-Ti, p. 96/90.

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Il apparaît en tout cas que la cession des principales oasis du Sud tunisien nembarrasse que peu Bds, qui semble surtout vouloir conserver Tripoli, convoitée par les Fimides, lesquels soutiennent les Zanta. Il tente donc de se concilier les Zanta en leur offrant le Sud tunisien. On peut en déduire que les Zdes navaient sans doute que peu dinfluence dans le Djérid ou quils considéraient que cette région ne constituait pas pour eux une priorité, préférant labandonner pour se concentrer sur la défense des autres parties de leur État. La curieuse attitude politique des souverains à légard des chefs des Zanta, tantôt comblés de richesses et dhonneurs, tantôt sévèrement réprimés, semble indiquer quils ne savaient pas bien quelle était la meilleure façon dagir. Il est dailleurs curieux que Bds accepte la soumission de Warr et lui cède les oasis méridionales au moment même où il vient de se rendre maître de Tripoli avec lapprobation des habitants. Le geste important de Bds en faveur des Zanta est peu récompensé puisque, presque immédiatement après avoir obtenu le Nafzwa, Warr se révolte; il semble bien que son but principal est, tout comme celui du souverain zde, de régner sur Tripoli.

Très rapidement en effet, Warr ibn Sad rejette lautorité de Bds29 et gagne le abal Dammar, où il soulève la population contre le souverain. Ibn aldn affirme qual-Nuaym ibn Kannn en profite alors pour annexer le Nafzwa, mais cest une prise de pouvoir éphémère. En effet, en 402/1011-1012, azrn ibn Sad, hostile à son frère Warr, vient se soumettre à Bds, accompagné par soixante-dix cavaliers zant environ. Bds le reçoit chaleureusement et lui accorde le gouvernement du Nafzwa, qui appartenait auparavant à son frère. Ibn dit que azrn vient se plaindre du désaccord qui loppose à Warr chez Bds; le souverain laccueille de la meilleure façon et lui donne une région ou une ville / madna, quil gagne avec étendards et tambours; il sagit certainement du Nafzwa. Les Ban Maliya, fidèles de azrn ibn Sad, reçoivent le gouvernement de Gafsa. Ibn aldn affirme quà ce moment-là, les Zanta possèdent toutes les oasis / mudun al-m.

Warr part ensuite à la conquête de Tripoli30, gouvernée par Muammad ibn al-asan, mais il est obligé de fuir en laissant de nombreux partisans sur le champ de bataille. Il revient cependant assiéger la ville en 403/1012-1013. Bds ordonne aux deux émirs zant du Djérid, azrn et al-Nuaym, daller laffronter. Les deux armées se rencontrent à abra mais pactisent. Les troupes de azrn labandonnent pour rallier Warr et le chef rentre dans le Nafzwa. Bds, croyant à un arrangement entre les deux frères, envoie une armée contre le chef maġrw et celui-ci est forcé de fuir le Nafzwa en 404/1013-1014, accompagné du reste des Zanta et dal-

29 Sur la révolte de Warr, Ibn al-Ar, IX, p. 177; Ibn , I, p. 259; Ibn aldn, VII, p. 50/III, p. 264.

30 Les événements qui suivent sont relatés par le seul Ibn aldn, VII, pp. 50-51/III, pp. 264-265.

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Nuaym, pour rallier la cause de Warr. Les deux frères décident alors dassiéger ensemble Tripoli. Ibn aldn mentionne que les Zanta causent à ce moment des déprédations / fas31. Il est possible que les chefs zant, furieux de devoir abandonner leurs possessions alors quils étaient de bonne foi en allant attaquer Warr, aient pillé et saccagé les oasis, de façon à priver Bds de la joie de les récupérer. Ils ont également intérêt à accumuler provisions et montures, puisquils partent faire la guerre en Tripolitaine. Cest ainsi que nous comprenons les dommages quévoque Ibn aldn. Les destructions commises par les Zanta irritent tellement Bds quil fait mettre à mort les Zanta quil tient en otages, puis il se désintéresse de Warr pour tenter de freiner la progression de son oncle ammd ibn Buluggn. Les Ban Maliya conservent apparemment Gafsa jusquà lavènement dal-Muizz32. Il est possible quils étendent leur autorité aux anciennes possessions des chefs zant, si tant est que Bds ny a pas nommé de gouverneur.

Il est certain que Warr ne parvient pas à reprendre Tripoli. Ibn aldn est le seul auteur à dire, à tort certainement, quau retour de sa lutte contre ammd, Bds reçoit la soumission de Warr33. À la mort de ce dernier, vers 1015, les Zanta se divisent en deux clans, lun pour alfa ibn Warr son fils et lautre pour azrn ibn Sad son frère34. Cette division est entretenue par le gouverneur de Tripoli, Muammad ibn al-asan, qui y trouve bien sûr un grand intérêt. Effectivement, après sêtre allié une bonne partie des Zanta, alfa se jette sur les partisans de azrn et prend leur camp, al-Qayn, cest-à-dire certainement Qayn-Zanta, une des résidences des Ban azrn35. Il devient le maître des Zanta tripolitains à la place de son père. Il fait alors acte de soumission auprès de Bds et azrn part en Égypte.

Il faut attirer lattention sur le fait que deux des historiens contemporains qui ont étudié la prise de pouvoir des Zanta dans les oasis du Djérid, Jean Poncet et Hady Roger Idris, laissent entendre - à tort selon nous - que les principautés indépendantes nées dans cette région résultent de la volonté des habitants eux-mêmes. Ainsi, Poncet parle des « rébellions des populations méridionales, semi-nomades, et hérétiques », donnant à croire que ce sont les ibites qui ont décidé de se désolidariser des Zdes. Pour lui, les oasis du Djérid veulent rompre avec Kairouan et la prospérité du trafic méridional renforce leur dissidence36. Mais ces nouvelles

31 Ibn aldn, VII, p. 51/III, p. 265.32 Cambuzat, Lévolution des cités du Tell en Ifrîkiya, II, p. 116. 33 Ibn aldn, VII, p. 51/III, p. 265.34 Sur la division des Zanta, Ibn al-Ar, IX, p. 255; Ibn , I, p. 266; Ibn aldn, VII, p. 51/III,

p. 265.35 Ibn aldn, VII, p. 51/III, p. 267. Sur Qayn-Zanta, Lewicki, Ibitica, 2. Les kims du abal

Nafsa, p. 105.36 Poncet, Le mythe de la catastrophe hilalienne, pp. 1105-1106.

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principautés ne sont pas créées par les autochtones! À notre avis, les ibites qui y habitaient souhaitaient simplement continuer à vivre dans le kitmn, à lécart des guerres menées par les Zdes. Poncet parle de « rébellions », mais les sources ne mentionnent pas, pendant cette première moitié du XIe siècle, la moindre révolte dans le Djérid, alors quelles énumèrent tant dagressions venues de lextérieur. Idris, lui aussi, assimile les riites de Darn aux Zanta rivaux dal-Muizz et dit: « À lheure de aydarn, les anha seront bien naïfs de compter sur lennemi héréditaire. »37 Il semble pourtant que les Zanta régnant momentanément sur le Sud tunisien parviennent à sy imposer grâce à leur propre volonté et à la faiblesse des souverains zrdes, sans aucun arrangement avec les populations locales. Ils sapproprient purement et simplement la région. Les nombreux Zanta ibites de la Qasliya et du Nafzwa ne se sentent certainement pas proches de ces Zanta sunnites, originaires du Maghreb central, qui débarquent chez eux à grand fracas. La pompeuse installation dal-Nuaym ibn Kannn à Qasliya, et le fait quil y vive « tel un roi », si lon en croit Ibn , ont sans aucun doute attisé leur colère.

Dans la seconde moitié du règne de Bds, la prospérité de lIfrqiya chancelle. En 395/1004-1005, une épouvantable famine, accompagnée de cruelles épidémies et de peste, endeuille fortement le pays. Ibn laisse daprès Ibn al-Raqq une description terrible de ces fléaux et prétend que dans les campagnes, les gens poussés par la faim sentredévorent38. LIfrqiya doit dorénavant importer du grain, ses cultures ne suffisant plus à nourrir la population. Cette famine est révélatrice de leffondrement économique du pays, qui jusque-là était passé plus ou moins inaperçu, et qui est aggravé par la guerre civile qui oppose Bds à ammd39. ammd ibn Buluggn, qui a fondé al-Qala en 398/1007-1008, supporte mal que Bds ait nommé son fils al-Manr comme héritier et lui ait offert le fief dide de Constantine. Il décide alors de reconnaître les Abbsides, de rétablir le sunnisme et de rompre définitivement avec les Fimides d’Égypte.

4. LES AFFRONTEMENTS AVEC LES ZANTA ET LES ITES SOUS AL-MUIZZ (1016-1062)

En 407/1016, al-Muizz ibn Bds prend le pouvoir alors quil a apparemment seulement huit ans. La même année a lieu le massacre des ites de Kairouan et de

37 Idris, La Berbérie orientale, pp. 166-167.38 Ibn al-Ar, IX, p. 185; Ibn , I, pp. 256-257.39 Talbi, Droit et économie, pp. 205-206.

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sa région par les mlikites40. En 408/1017-1018, les anha se divisent en deux dynasties indépendantes, zde et dide: après la guerre entre les factions ennemies, à la mort de Bds, son tout jeune fils al-Muizz se voit en effet forcé de signer la paix avec les ammdides41. La nouvelle dynastie règne désormais sur le Maghreb central, ce qui permet à lÉtat zde de ne plus se soucier des rébellions des Zanta de louest maghrébin pour se concentrer sur la lutte contre les Zanta du sud-est de lIfrqiya et de la Tripolitaine. Dès lavènement dal-Muizz, Muammad ibn al-asan, ancien gouverneur de Tripoli, se voit confier la direction de larmée et de ladministration de lIfrqiya. Il désigne des gouverneurs pour Gafsa, Gabès, la Qasliya et le Nafzwa42. Ces nouveaux gouverneurs anh sinstallent sans doute tranquillement dans le Sud tunisien, puisque les Zanta se cantonnent à cette époque dans la Tripolitaine.

alfa ibn Warr, qui sétait pourtant soumis à Bds, reprend le combat contre le nouveau souverain zde. Ibn aldn affirme que jusquen 413/1022-1023, alfa permet à son frère ammd ibn Warr dattaquer les régions de Tripoli et de Gabès43. Selon Ibn al-Ar, en 411/1020-1021, les Zanta tentent de semparer des bêtes de somme dal-Muizz mais se font mettre en fuite par le mil de Gabès44. En 1022, al-Muizz fait assassiner Muammad ibn al-asan45, qui se comporte comme un véritable monarque et accumule les richesses, tout en laissant lIfrqiya en butte aux incursions des Zanta, quil protège. Cet assassinat, qui vise à ramener le calme dans le sud-est, a des conséquences malheureuses: le frère de la victime, qui est gouverneur de Tripoli, offre la ville aux Zanta pour venger cet assassinat. alfa ibn Warr y massacre le reste de larmée et tous les anha qui sy trouvent. Il sinstalle dans le palais du gouverneur et lexpulse, après sêtre emparé de ses biens et de son harem. Ibn prétend quaprès avoir rétabli le calme et châtié son gouverneur indigne, al-Muizz apprend la soumission de alfa et lui offre la ville de Nefta. Cela paraît peu probable et aucune source névoque à notre connaissance linstallation de alfa à Nefta. En outre, Ibn ajoute que le souverain apprend en 414/1023-1024 que ce chef berbère a équipé de nombreux bateaux au départ de Tripoli, à la recherche dal-Fat ibn al-Qid, que nous ne pouvons identifier. Al-Muizz commence à préparer sa propre flotte pour aller attaquer Tripoli, puis semble

40 Sur le massacre des ites, Ibn al-Ar, IX, pp. 294-295; Ibn , I, pp. 268-269 et pp. 273-274; Ibn aldn, VI, pp. 187-188/II, p. 20.

41 Sur la scission des anha, Ibn al-Ar, IX, pp. 258-259; Ibn aldn, VI, p. 187/II, pp. 18-19 et VI, p. 203/II, p. 45.

42 Al-Nuwayr, trad. Idris dans La Berbérie orientale, p. 133. 43 Ibn aldn, VII, p. 51/III, p. 265.44 Ibn al-Ar, IX, p. 322.45 Sur le meurtre de Muammad ibn al-asan et la mainmise des Ban azrn sur Tripoli, Ibn al-

Ar, IX, pp. 327-328; Ibn aldn, VII, p. 51/III, pp. 265-266.

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renoncer46. Il paraît donc bien que alfa est demeuré sans cesse dans la région de Tripoli.

Selon Ibn al-Ar47, en 415/1024-1025, de nombreux Zanta se mettent à couper les routes et ravagent la Qasliya et le Nafzwa; ils y prennent un lourd butin. À cette époque, leur puissance ne cesse daugmenter et leur nombre de croître, si bien qu’ils menacent sérieusement les Zdes. Larmée envoyée en hâte par al-Muizz massacre les Berbères dont plus de cinq cents têtes sont ramenées à Kairouan. Ibn al-Ar ne fait pas mention dun rôle éventuel joué par alfa ibn Warr.

En 417/1026-1027, cette situation explosive connaît une brève accalmie48. Après avoir rétabli la domination des Ban azrn sur Tripoli, alfa reçoit lapprobation du calife dÉgypte et sengage auprès de lui à maintenir la sécurité des routes. Dautre part, les Zanta viennent se soumettre au souverain zde. Ils lui promettent également dassurer la sécurité des routes, signent des traités de paix et sont couverts de richesses par al-Muizz. Les années suivantes se caractérisent pourtant par de nombreuses révoltes des Zanta49, citées par les différents auteurs. Suivant Ibn et Ibn al-Ar, en 420/1029-1030, les Zanta se dirigent vers la capitale. Ils se font arrêter sur la route de Kairouan à amnis al-abn par les troupes zdes qui tuent nombre dentre eux. Ibn raconte quen 427/1035-1036, une forte armée de Zanta vient attaquer al-Manriyya. Les rebelles affrontent les troupes dal-Muizz et les deux camps tiennent bon. Lannée suivante, le souverain les met en déroute et de nombreux Zanta sont tués. Selon Ibn aldn, vers 430/1038-1039, al-Muizz affronte par trois fois les Zanta de la région de Tripoli. À la troisième attaque, les Berbères doivent signer un accord de paix avec les Zdes. Alamm, quant à lui, mentionne des tensions entre les ibites du abal Nafsa et les Zanta: on voit le kim du abal aller les attaquer à al-Abr, où ils se tiennent, et les disperser50. Il faut noter que les deux clans de Zanta, principaux adversaires des quatre premiers souverains zrdes, Ban azar et Ban azrn, vont prochainement perdre toute puissance: les Ban azar seront vaincus par les Almoravides qui leur prendront Fès en 1067; les Ban azrn seront également vaincus définitivement par les Almoravides entre 1063 et 107151.

Selon Ibn al-Ar, en 423/1031-1032, un grand nombre de ites se rassemblent en Ifrqiya et gagnent la région de Nefta. Ils se rendent maîtres dun des villages de

46 Ibn , I, p. 270.47 Ibn al-Ar, IX, p. 340.48 Ibn al-Ar, IX, p. 355; Ibn aldn, VII, p. 51/III, p. 266.49 Sur ces révoltes, Ibn al-Ar, IX, p. 377; Ibn , I, pp. 274-275; Ibn aldn, II, p. 20/VI, p. 187

et III, p. 266/VII, pp. 51-52.50 Alamm, p. 216. Pour Lewicki, Ibitica, 2. Les kims du abal Nafsa, p. 105, al-Abr

est sans doute identique à Qayn-Zanta.51 Golvin, Le Marib central à l’époque des Zirides, p. 40.

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la région et sy installent; larmée dal-Muizz arrive alors et les massacre tous52. Cette affaire doit être mise en rapport avec les persécutions anti-ites survenues en Ifrqiya une quinzaine dannées auparavant. Hady Roger Idris établit sur base des Manqib de Muriz ibn alaf que des troubles anti-ites se sont déroulés dès 406/1015 à Tunis et à Ba. À cette époque, pour rompre définitivement avec Bds, ammd a rétabli le sunnisme, reconnu la souveraineté abbside et poussé la population de Tunis à sen prendre aux ites53. Lors du grand massacre de Kairouan, peu après lavènement dal-Muizz, il semble, si lon en croit les historiens, que les atteintes portées contre les ites se sont étendues dans toute lIfrqiya et même jusquà Tripoli, pour al-Ti54. Dautres témoignages portent sur des incidents postérieurs mais il semble que les persécutions sanglantes cessent après 408/1017-101855. Les faits présentés par Ibn al-Ar suggèrent pourtant que vers 1030, les ites ont jugé nécessaire de se regrouper pour se protéger. Le fait quils gagnent Nefta, qui abritait le reste dune de leurs communautés, paraît assez logique, mais il est par contre bien étrange quils semparent dun de ses villages par la force. Peut-être ont-ils dû affronter une sévère opposition à leur installation, de la part des ibites par exemple. Les ites sont apparemment complètement anéantis par les troupes zrdes et il est probable que la communauté ite de Nefta se réduise fortement à dater de ce jour, puisque les soldats ont dû sen prendre aux ites dans leur ensemble et non simplement aux nouveaux venus. Notons quil est fort étonnant que la répression féroce exercée par al-Muizz, dont dautres exemples seront donnés, soit rapportée par le seul Ibn al-Ar.

5. LATTAQUE DE DJERBA

En 431/1039-1040 a lieu un important massacre à Djerba56. Al-Ti raconte que le révolté al-Nukk se soulève contre le Zrde al-Muizz ibn Bds. Il sempare de Djerba, massacre ses habitants et capture leurs enfants. Il fait prisonnier leur

52 Ibn al-Ar, IX, p. 427.53 Ibn aldn, VI, p. 202/II, p. 44. Idris, Contribution à l’histoire de la vie religieuse en Ifrqiya

zrde, p. 328; Sur le retour des Zrdes à lobédience fimide, p. 27.54 Ibn al-Ar, IX, p. 295; Ibn , I, p. 268; al-Ti, éd. p. 265 (pas de trad.).55 Idris, La Berbérie orientale, p. 151.56 Sur laffaire de Djerba, Ibn , I, p. 275; al-Ti, p. 125/119; al-Nuwayr, trad. Idris dans

La Berbérie orientale, p. 166, note 208; Ibn Ab Dnr, p. 83. Cent ans auparavant sest déroulée une affaire similaire: voir supra, la version dIbn aldn, corroborée par Ibn al-Ar, qui place cet épisode en 331/942-943, pendant la révolte dAb Yazd. Voir aussi Prevost, La renaissance des ibites wahbites, pp. 186-187.

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muqaddam, Ibn Kaldn57, le tue et le crucifie. Al-Muizz envoie alors sa flotte contre le rebelle, dont les partisans sont atrocement mis à mort; toute lîle se soumet au Zrde. Al-Nuwayr donne une autre version de laffaire: pour lui, cest un qid dal-Muizz qui aurait conquis lîle, massacré les habitants et supplicié « Ibn Kalda », car les Djerbiens coupaient les routes et professaient de mauvaises croyances. Ibn dit simplement quen 431/1039-1040, les armées de Ma58 ont pris lîle de Djerba et tué nombre de ses habitants. Quant à Ibn Ab Dnr, il se contente de mentionner qual-Muizz a pris Djerba.

Alamm apporte plusieurs précisions à cette affaire. Tout dabord, il affirme quen 430/1038-1039, une grande sécheresse frappe Tripoli; la population doit se disperser59. Il raconte aussi, dans la notice consacrée à Ab Zakariyy Fal al-rsan, un épisode qui doit très certainement être rapproché de cette attaque. Ab Zakariyy Fal, fils dAb Miswar, est le personnage le plus important de Djerba au début du XIe siècle. Ce célèbre savant a poursuivi lœuvre de son père et terminé la construction d’al-am al-kabr de Djerba60. Alamm établit quIbn Waym, qid du sultan al-Muizz, vient attaquer Djerba: il sagit dun Kairouanais de la tribu des Mazta, qui est ibite mais injuste et dépravé. Avant de commettre ses forfaits, il écrit à Ab Zakariyy Fal pour lui conseiller de se mettre en sécurité avec sa famille dans la mosquée, afin quils ne souffrent daucun dégât et daucune humiliation. Le savant sexécute et le qid Ibn Waym prend lîle de force et la livre au pillage. Cependant il épargne les Ban rsan, le clan dAb Zakariyy Fal, dont les membres se sont réfugiés aux côtés du savant et sont protégés par sa baraka. Lorsquil a terminé ses déprédations, il va trouver Ab Zakariyy Fal pour tenter dextorquer de largent aux Ban rsan. Le savant lui fait valoir quils sont dans une situation délicate et le brigand se contente de deux dr-s61. Il apparaît manifestement qu’ici, alamm confond Ab Zakariyy Fal avec son fils, Zakariyy ibn Ab Zakariyy, qui a dirigé la communauté wahbite de l’île après la mort de son père. À l’époque de l’attaque de Djerba, Ab Zakariyy Fal était certainement mort depuis longtemps62.

57 Il sagit ici du chef des wahbites, qui porte le même titre quà Darn. Alamm, p. 324. Il est peut-être le même quIbn Maldn, cité par alamm, p. 341.

58 Idris, La Berbérie orientale, p. 166, note 208, propose de lire mriqa / hérétiques à la place de Mlia.

59 Alamm, p. 379.60 Ab Zakariyy Fal est présenté comme un savant particulièrement attachant. Il avait pour

habitude de conserver les dirhams provenant de la adaqa dans des cornets de papier ou dans des bourses, quil dissimulait dans les livres de ses étudiants, dans leurs sacs et parfois même sur eux, entre leur corps et leurs habits. À sa mort, ses étudiants regrettent cette pratique, qui avait pour but de garder secret le montant de laumône. Alamm, p. 341.

61 Alamm, pp. 340-341.62 Sur Ab Zakariyy Fal, voir Prevost, La renaissance des ibites wahbites, pp. 180-187.

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Alamm fait également directement allusion à la prise de lîle par les Zrdes: il confirme que de nombreux ay-s périssent sous les coups de larmée dal-Muizz. Il déplore la mort dAb Amr al-Numayl, une des sommités de Djerba: lorsque ce savant se fait égorger, une sorte de lait coule de son corps à la place du sang! Après le massacre, un homme se rend sur les lieux pour vérifier quil ne sy trouve plus personne en vie. Il entend alors une voix qui implore Dieu de punir le meurtrier dAb Amr al-Numayl63.

Il est bien difficile, face à ces différentes versions, de se faire une idée de ce qui sest réellement passé à Djerba en 431/1039-1040. Hady Roger Idris se fie au témoignage dal-Ti et estime que ce sont des Zanta nukkrites venus du abal Nafsa et de la Tripolitaine, dirigés par al-Nukk, qui sont allés conquérir Djerba et qui sont la cause de la répression menée par al-Muizz64. La version dal-Ti, historien au service des afides, paraît pourtant destinée à justifier la cruelle persécution dal-Muizz. Sil est probable que des nukkrites tentent de sinstaller sur lîle et se heurtent à lopposition des wahbites, il est par contre difficile de croire qual-Muizz débarque à Djerba dans le seul but de faire régner lordre entre les riites, et de punir un clan par rapport à un autre, comme semble le suggérer al-Ti. Al-Muizz a évidemment intérêt à ce que ces différentes communautés saffrontent et si certains chefs nukkrites tentent à cette époque de simposer sur lîle, fuyant peut-être la sécheresse signalée par alamm, ils nont sans doute rien à voir avec lexpédition zde.

Al-Nuwayr donne à notre avis la version la plus plausible de cette affaire, qui est corroborée par celle dalamm: chez ces deux auteurs, cest un qid dal-Muizz qui vient attaquer Djerba. Al-Nuwayr explique les raisons de lanimosité dal-Muizz envers les Djerbiens: le calife a doublement intérêt à soumettre cette population, pour la forcer à adopter le mlikisme et faire cesser les brigandages. Lexpédition zde paraît donc entièrement motivée par la volonté de mater les Djerbiens et est indépendante dune éventuelle conquête nukkrite de lîle. La crucifixion dIbn Kaldn / Ibn Kalda, que nous ne pouvons identifier, demeure mystérieuse.

63 Alamm, pp. 342-343. Il ajoute quAb Amr al-Numayl est mort en martyr à 120 ans, tué par les Ban Wt.rt.n de Zawla.

64 Idris, La Berbérie orientale, p. 166.

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6. LE MASSACRE DE QALAT BAN DARN

En 440/1048-1049 a lieu la prise de Qalat Ban Darn. Cette ville a été créée dans la région de Nefta, au début du IXe siècle sans doute, par les Zanta Ban Darn. Selon alamm, al-Muizz ibn Bds y envoie une armée commandée par Qir, qui lassiège. Larmée encercle longuement la ville avant de la prendre et a pour but darrêter ou de tuer deux célèbres savants, Abd Allh ibn Umm Abn et Ab Yaqb. Ils se voient proposer lamn sils acceptent de sortir de la ville. Les habitants font descendre Abd Allh par dessus la muraille dans un grand seau en cuir, mais avant même quil narrive à terre, les soldats zdes lui arrachent ses vêtements, ne lui laissant quun « caleçon ». Ses coreligionnaires le remontent alors précipitamment et il est tué lorsque les soldats pénètrent dans la ville. Mille cinq cents ay-s riites seraient massacrés en même temps que lui65. Alamm ajoute que les soldats sapproprient tout ce quil y a dans la ville66. Les habitants fuient alors la ville et partent sinstaller dans le wd Rġ et dans le Sf67.

Les deux principaux savants impliqués dans cette affaire sont originaires de Qanra et issus de la colonie de Nafsa établie dans cette localité. Ils représentent apparemment lélite religieuse, mais on ne sait presque rien de leur vie68. Un tel rassemblement de ay-s à Darn est bien étonnant: le chiffre de mille cinq cents savants morts est incroyable69. Comme ce fut le cas à M, les massacres portés contre les ibites visent essentiellement les savants, de façon à briser lassise culturelle et intellectuelle qui permet aux communautés ibites de rester vivaces, malgré leur état de kitmn. Lors de la prise de Qalat Ban Darn, il semble quune grande bibliothèque ibite a été incendiée, entraînant la perte douvrages importants: alamm mentionne en tout cas que cest à ce moment que brûle une partie des douze volumes de lhistoire des ibites dAb Sahl al-Fris70. Il se pourrait quà linstar de Djerba, Darn ait été à cette époque un des grands centres intellectuels

65 Alamm, trad. Idris dans La Berbérie orientale, p. 166, note 211. Idris, pp. 166-167, fait le parallèle entre la prise de Darn et une expédition victorieuse remportée par les Zdes; en effet, selon Ibn , I, p. 276, en 433/1041-1042, Nizr ibn al-Muizz revient à la capitale après un voyage pendant lequel il a vaincu les Zanta. Idris identifie le mystérieux Qir des sources ibites au prince zde Nizr, fils dal-Muizz. Son interprétation paraît fausse, puisquil ne tient pas compte de la date de 440/1048-1049.

66 Alamm, p. 379. 67 Lewicki, Une croyance des ibites nord-africains sur la fin du monde, p. 323. Ab Zakariyy’,

p. 305; al-Wisyn, p. 26 et al-Darn, p. 407, évoquent la destruction de la ville par les anha, donnent la date de 440/1048-1049 et évoquent le départ vers le Sf. Les éd. utilisées ne mentionnent pas Qir.

68 Sur ces personnages, Lewicki, Les historiens, biographes et traditionnistes, pp. 91-92; Ibitica, 1. Tasmiya uy Nafsa, p. 108.

69 Dautres sources ibites, plus raisonnables, parlent de cinq cents morts. Lewicki, Ibitica, 1. Tasmiya uy Nafsa, p. 108.

70 Aamm, p. 234. Voir supra.

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de libisme maghrébin, ce qui expliquerait le rassemblement de si nombreux savants. Les ay-s ibites voyageaient énormément et se déplaçaient entre les différentes régions conquises à leur doctrine, de façon à enseigner ou à parfaire leurs connaissances. Étant donné limportance que les sources ibites accordent à Ab Yaqb et à Ibn Umm Abn, qui sont particulièrement visés par larmée zde, il se pourrait que Darn ait été cette année-là le lieu de réunion de représentants des diverses communautés maghrébines, venus écouter ces deux prestigieux savants. Cette hypothèse expliquerait qual-Muizz ait eu vent de ce rassemblement et en ait profité pour attaquer tous ses ennemis en même temps.

La fuite des habitants de Darn vers le wd Rġ et le Sf est liée à une croyance des ibites concernant le pays de uġrf. Cest Ab Zakariyy’ al-Waraln qui offre la première évocation de cette croyance ibite71: à la veille de la fin du monde, la population ne compterait plus que des apostats à lexception de quelques rares croyants; elle serait dépravée et corrompue, soumise à de multiples guerres et calamités. Les derniers croyants pourraient alors sauver leur vie en allant se réfugier dans le pays de uġrf, un endroit perdu dans le désert mais riche en eau, où ils séjourneraient jusquà lapocalypse. Diverses prédictions annonçaient au XIe siècle limminence de la fin du monde, signalée par la migration de divers groupes ibites. Une tradition voulait que les gens de Darn partiraient au wd Sf, que ceux du Sf gagneraient le wd Rġ, et que ces derniers iraient à Ouargla; tous les ibites rassemblés à Ouargla se rendraient alors ensemble au pays de uġrf. Cette tradition, sans doute liée à de vieilles traditions « judéo-chrétiennes et vernaculaires »72, semble sêtre fortement développée dans le Sud tunisien. Alamm, se basant sur des sources remontant au XIe siècle, prouve la corrélation entre le mythe de la migration vers uġrf et la fuite réelle des gens de Darn vers le sud après la destruction de leur ville par les Zdes. Tadeusz Lewicki pense être parvenu à situer lemplacement réel de uġrf: il sagirait dune oasis de la chaîne montagneuse du Mouydir, à louest du massif du Hoggar, par laquelle passait la piste caravanière qui menait de Ouargla à Tdimakka. Lorsque les marchands ibites ont abandonné cette piste et ont perdu le chemin qui menait à uġrf, ils lont identifiée avec le wd Rġ, qui a représenté au XIe siècle un refuge pour de nombreuses communautés ibites, dont les rescapés de Darn.

Si la plupart des survivants gagnent le wd Rġ, le Sf et Ouargla, certains choisissent de rester dans le Djérid; ils fondent une nouvelle ville, Darn al-sufl

71 Lewicki, Une croyance des ibites nord-africains, pp. 321-327. 72 Ibid., p. 325.

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l-adda, à côté de Nefta, sur la route du Sf, qui est décrite dans le Kitb al-Istibr73.

7. SYNTHÈSE ET NOTES SUR LINTOLÉRANCE DAL-MUIZZ

Avant larrivée des Ban Hill, le pouvoir politique est déjà totalement fractionné dans le Sud tunisien. Si Gabès reste fidèle aux anha - son mil sert avec empressement la cause zde - les oasis du Djérid connaissent de multiples rebondissements. Sous les deux premiers souverains, elles vivent sous la tutelle, assez éloignée semble-t-il, des Zdes. Bien que les querelles entre wahbites et nukkrites semblent fréquentes, cette période permet sans doute aux ibites de vivre le kitmn de la meilleure façon possible, et de conquérir pacifiquement et discrètement une petite autonomie. Vers 1010, Bds confie à Warr ibn Sad le gouvernement du Nafzwa et à al-Nuaym ibn Kannn celui de la Qasliya, à condition que leurs troupes évacuent définitivement la Tripolitaine. Warr quitte rapidement son nouveau fief pour aller soulever le abal Dammar et al-Nuaym sempare sans doute du Nafzwa. En 402/1011-1012, cest azrn ibn Sad qui reçoit de Bds le gouvernement du Nafzwa. Les Ban Maliya, ses fidèles, dirigent Gafsa. Les Zanta possèdent à cette époque toutes les oasis. En 404/1013-1014 pourtant, face à larrivée de larmée de Bds, azrn est forcé de fuir le Nafzwa avec al-Nuaym et le reste des Zanta; tous vont rejoindre Warr près de Tripoli. Le Djérid est sans doute alors pillé par les Zanta.

Pendant le règne dal-Muizz, la situation politique du Djérid, soumis aux Zrdes, devient plus claire. Dans le même temps, les habitants sont victimes de multiples persécutions. Dès son avènement, des gouverneurs anh sont nommés à Gafsa, à Gabès, dans la Qasliya et le Nafzwa. alfa ibn Warr reprend le combat contre al-Muizz et, jusquen 413/1022-1023, autorise les attaques contre la région de Gabès. Les Zanta sen prennent ensuite aux oasis. En 415/1024-1025, la Qasliya et le Nafzwa sont cruellement pillés, puis sont le théâtre dune importante victoire de larmée dal-Muizz. Huit ans plus tard, cette armée revient affronter les ites dans le Djérid. Huit ans plus tard à nouveau, cest Djerba qui souffre des massacres commis par les troupes dal-Muizz. Si Bds avait déjà plongé le Djérid dans une situation embarrassante en loffrant aux chefs zant, al-Muizz finit en somme par épuiser la région.

Il semble qual-Muizz se montre particulièrement acharné contre le Sud tunisien. Al-Wisy insiste dailleurs sur lomniprésence des gouverneurs zrdes dans le

73 Kitb al-Istibr, p. 159/85.

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Djérid, chargés de mater les clans en révolte et de protéger la communauté mlikite74. Cependant, son combat contre les non-mlikites, quils soient ites ou ibites, sillustre également dans dautres régions. Sous son règne, le abal Nafsa est forcé de se soumettre après un siège qui, si lon en croit les sources ibites, a duré douze ans (!)75. Selon le Mir dal-Wanar, au XIe siècle, les ibites wahbites sont déclarés « plus roués que les chrétiens et les juifs »76. On voit cependant que dans certains cas, al-Muizz est prêt à tolérer les ibites77. Alamm raconte quun ibite zant lui offre deux poulains de grande valeur, quil a lui-même élevés. Le souverain, ravi, les accepte et rend hommage à libite. Ses ministres lui reprochent son attitude et lui conseillent de le tuer: vu la valeur de son cadeau, ils estiment quil jouit certainement dune grande puissance et quil pourrait lutiliser contre le souverain. Al-Muizz est convaincu par ces arguments, mais ennuyé car chacun sait quil a accepté le présent. Sur le conseil de ses ministres, il ordonne à libite de venir affronter avec un des poulains un lion particulièrement redoutable. Al-Muizz plaisante devant libite horrifié, en faisant valoir que les Zanta sont connus pour être dexcellents cavaliers. Il ne croit pas si bien dire puisque libite, usant de ruse, parvient à vaincre le fauve78.

Face aux multiples coups qui leur sont portés par al-Muizz, il est probable que de nombreux ibites ifrqiyens se convertissent au mlikisme ou choisissent de sexiler. On voit ainsi un ay, vivant dans le sil de Mahdiyya de la production dhuile dolive, être criblé de dettes à lépoque dal-Muizz. Il décide de quitter lIfrqiya, qui est mise à feu et à sang et où très peu de choses sont licites, pour le abal Nafsa79.

8. LE RÔLE DU SUD TUNISIEN DANS LA PROPAGATION DU MLIKISME

Lécole mlikite kairouanaise sest organisée pendant le Xe siècle, sous limpulsion dIbn Ab Zayd al-Qayraw, originaire du Nafzwa. Ce célèbre juriste (m. 386/996) est lauteur de la Risla, un ouvrage de vulgarisation et de propagande du mlikisme,

74 Gouja, Le Kitb al-Siyar, pp. 189-191.75 Lewicki, Ibitica, 2. Les kims du abal Nafsa, p. 103.76 Idris, Les tributaires en Occident musulman, p. 179.77 La mère dal-Muizz, en tout cas, na pas de préjugés envers les ibites: on la voit conseiller à

une maman ibite, dont le fils est aveugle, de lui faire faire des études. Le jeune homme devient extrêmement savant. Alamm, p. 398.

78 Libite reçoit alors mille dr-s pour le poulain victorieux et cinq cents dr-s pour lautre. Alamm, pp. 357-358.

79 Alamm, p. 305.

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rédigé avant la révolte dAb Yazd80. Avant larrivée des Ban Hill, deux savants mlikites originaires de lIfrqiya méridionale se distinguent particulièrement. Le premier est Ab Zakariyy al-aqris, qui incarne les belles lettres à Tozeur. Il est originaire de la bourgade de aqris, proche de Gafsa, que lon peut certainement identifier à lun des « deux cents » qur décrits par al-Bakr. Né et élevé à Tozeur, il part faire le pèlerinage et, de retour dOrient, sinstalle à Tozeur où il enseigne le droit et rend des fatw-s. Il est fortement influencé par le chef de lécole mlikite kairouanaise, Ibn Ab Zayd al-Qayraw. Al-aqris assiste à lérection du minaret de la Grande Mosquée de Tozeur, entre 418/1027 et 422/1031. En vieillissant, son autorité est de plus en plus contestée par les habitants de Tozeur: on nen connaît pas la cause exacte mais il semble que lon cherche à empêcher les étudiants de suivre ses leçons. Cette attitude est peut-être imputable aux ibites, inquiets face à linfluence croissante de cette personnalité mlikite. Ibn Ab Zayd al-Qayraw adresse alors une lettre aux habitants, leur demandant de reconsidérer leur position envers « son compagnon ». Lassemblée des juristes de Kairouan écrit elle aussi au gouverneur de Tozeur et le remercie de protéger al-aqris, ainsi quil avait promis de le faire en sinstallant dans cette ville. Ab Zakariyy al-aqris meurt à Tozeur en 429/103781. Le second juriste particulièrement important est al-Qbis (935-1012), dont la famille est originaire dune petite localité proche de Gabès. Ce compagnon ou peut-être même cousin dIbn Ab Zayd al-Qayraw devient après la mort de ce dernier le chef de lécole mlikite de Kairouan82.

9. QUELQUES MOTS SUR LES DISETTES

Il faut ajouter aux attaques qui ruinent le Sud tunisien les dégâts causés par la mauvaise conjoncture. La population a fortement diminué suite aux disettes et aux pestes récurrentes qui endeuillent le pays; depuis la grande famine de 395/1004-1005, les catastrophes se suivent de façon rapprochée, notamment en 413/1022-1023 et en 425/1033-103483.

80 Bouyahia, La vie littéraire en Ifriqiya sous les Zirides, pp. 27-29; Idris, E.I., s.v. Ibn Ab Zayd al-ayraw; Une des phases de la lutte du mlikisme, p. 509.

81 Idris, La vie intellectuelle en Ifrqiya méridionale, pp. 95-97; Bouyahia, La vie littéraire en Ifriqiya, pp. 145-146.

82 Bouyahia, La vie littéraire en Ifriqiya, pp. 54-57; Idris, E.I., s.v. Al-bis; Deux juristes kairouanais de lépoque zrde, pp. 173-198. À une occasion au moins, al-Qbis a déclaré être un Kairouanais et non un Gabésien (p. 174).

83 Ibn al-Ar, IX, p. 329 et p. 438; Ibn , I, p. 275, qui signale cependant un accroissement des richesses de lIfrqiya en 422/1030-1031 et en 430/1038-1039.

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Malgré lapparente prospérité des ibites, alamm évoque fréquemment des sécheresses et des disettes, entre autres à Djerba, qui forcent les populations à migrer et à trouver dautres activités que lagriculture pour survivre. La solidarité des ibites et la générosité de leurs ay-s leur permettent de faire face à ces calamités de la meilleure façon possible. Alamm donne de nombreux exemples de cette générosité, qui sont malheureusement très difficiles à situer dans le temps. Ainsi, Ab li annn ibn mriyn pourvoit à la subsistance des pauvres et des mendiants alors que la disette ravage Ouargla, dans la seconde moitié du Xe siècle sans doute84. Lors dune grave sécheresse dans le abal Nafsa, un ay nourrit les gens de son village: chacun peut choisir un demi dorge, de dattes ou de figues pour son déjeuner, ainsi quun demi de ces mêmes aliments pour son souper85. On voit également, lors dune cruelle famine dans le abal Nafsa, un ibite forcé de cuisiner un cadavre pour survivre; heureusement, grâce à la générosité dun de ses coreligionnaires, il peut jeter le contenu de la marmite et lenterrer86. Dans le abal Nafsa toujours, un ay accueille quatre-vingts cavaliers et les nourrit; il fournit de lorge à chaque cheval. Une nuit, revenant de la mosquée, il trouve devant sa porte dix-sept membres de la tribu des Ban Dammar. Il mélange à leur intention de la farine avec de leau, et en offre une poignée à chacun deux. Plus tard, un de ces hommes est chargé dun poste important à Gabès; lorsquil évoque le souvenir du ay, il jure quil na jamais rien mangé de plus délicieux que cette poignée de farine et que si le ay acceptait de largent, il lenrichirait, lui et ses enfants87. Alamm raconte aussi qualors quune terrible sécheresse ravage lIfrqiya, un groupe de Mazta se rend à Gabès pour y acheter des dattes à crédit. Ils vont trouver un célèbre ay de la ville, lui font part de la situation pénible dans laquelle ils se trouvent, et souhaitent que le ay les sauve de la famine en sendettant à leur place pour leur acheter des dattes. Perplexe, ce savant va trouver son père et linforme de la demande de ces Mazta, qui sont inconnus de tous les habitants de Gabès. Réalisant, grâce à sa conversation avec son père, quil est suffisant que lui-même les connaisse, le ay décide par dignité de les tirer de ce mauvais pas88. Mais la solidarité ne sexerce pas seulement entre les ibites: alamm indique que

84 Alamm, pp. 332-333. Il est aidé par Dieu dans sa générosité: alors que sa réserve de dattes est épuisée et quun mendiant affamé sen remet à lui, Ab li annn ibn mriyn prie puis constate que la pièce où il conserve ses dattes est à nouveau remplie.

85 Alamm, p. 249. est une mesure de capacité destinée aux grains, répandue en Arabie à lépoque du Prophète, reprise en Tunisie et en Algérie avec des valeurs variables. Sa capacité officielle serait de trois litres. Ashtor, E.I., s.v. Makyil; Bel, E.I., s.v. .

86 Alamm, pp. 157-158.87 Alamm, p. 288.88 Alamm, pp. 391-392. Al-Dar, p. 421, classe le père du ay dans la huitième abaqa

(400-450 de lhégire), soit dans la première moitié du XIe siècle.

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lannée de la peste, Umm Ysuf, lépouse dal-Muizz, a fait laumône de soixante mille linceuls, vraisemblablement destinés aux ibites89.

La combinaison de ces facteurs, famines, guerres, pestes, affrontements religieux, rappelle singulièrement la légende entourant le massacre de Darn: les habitants du Djérid se sont peut-être effectivement identifiés à ces derniers croyants, appelés à migrer dans le pays de uġrf. Cette première moitié du XIe siècle a également une grande importance sur le plan religieux: outre le sérieux coup porté à la communauté ite de Nefta, deux courants importants saffrontent dans le Djérid. Dune part, lessor dune riche vie intellectuelle mlikite, qui prendra de plus en plus dimportance après larrivée des Arabes, dautre part, les premiers signes de laffaiblissement des ibites, dont une partie se voit contrainte à quitter la région pour se réfugier plus au sud.

10. LA CRÉATION DE LA ALQA IBITE

Depuis leur cruelle défaite à Mn et la chute de lÉtat rustumide, les ibites du Sud tunisien et de Djerba ont subi plusieurs graves répressions. À deux reprises, avec Ab Yazd puis avec les instigateurs de la révolte de Bġya, ils ont tenté de recréer un immat, mais leur lutte a été vaine. Sil est vrai quà lissue de la révolte de Bġya, les ibites perdent tout espoir de restaurer un jour limmat, ils singénient à conserver au moins une relative autonomie. Pour garantir la survie de leur doctrine, les savants tentent de mettre au point un système qui fasse régner la concorde et la justice entre les diverses tendances ibites et qui permette dorganiser la vie interne de leur communauté, soumise à un régime avec lequel elle est en profonde contradiction. Dès le XIe siècle, à côté des muqaddam-s et des kim-s ibites, se met en place une nouvelle forme de gouvernement théocratique, le conseil des azzba / reclus ou clercs90. Dirigée par un ay, cette assemblée nommée alqa va prendre de plus en plus dimportance et diriger finalement tout à fait la vie de nombreux groupements ibites à Djerba, à Ouargla, dans le wd Rġ et dans le

89 Alamm, p. 399. Idris, La Berbérie orientale, p. 136, estime quil sagit de la peste de 425/1033-1034. Le Miyr dal-Wanar rapporte qualors quune famine frappe le Maroc au XIIe ou au XIIIe siècle, un dévot sunnite loue un grand funduq dans lequel il rassemble les pauvres, les habille et les nourrit. Idris, Contribution à létude de la vie économique, p. 82.

90 Lewicki, E.I., s.v. Ibiyya. Le azzab est un « personnage qui sest mis à part du monde pour faire profession de vie recluse en pratiquant lascèse et la contemplation dans un cadre communautaire (alqa), régi par une règle, pour recevoir une juste rétribution de ses actes dans lAu-delà ». Cuperly, Introduction à l’étude de l’ibisme, p. 327. Le singulier azzab utilisé par Cuperly ne figure pas chez Dozy, Supplément, s.v. azzba. Kazimirski ne reprend ni azzab ni azzba.

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Mzab91. Cette assemblée a des racines anciennes: la alqa primitive, née avec lÉtat rustumide, était lorganisation de base qui permettait aux ibites de transmettre leur savoir et de répandre leur foi. Ces cercles dintellectuels et détudiants se rendaient visite lun à lautre, et il était fréquent que leurs membres adhèrent successivement à plusieurs groupes afin de suivre des enseignements divers. Ils assuraient le trait dunion entre les différentes communautés ibites dispersées dans le Maghreb. À lépoque de limmat rustumide, les alqa-s étaient le premier mécanisme de transmission du savoir et de lautorité de Thart92. Le terme azzba existait déjà et désignait alors les étudiants attachés à un ay ibite dans le cadre de cette alqa

primitive93. La première alqa wahbite formée dans le Sud tunisien est celle des deux ay-s

Ab l-Qsim Yazd ibn Malad et Ab azar Yaġl ibn Zaltf. Ab l-Qsim est sans doute le personnage principal de cette alqa; grâce à sa richesse, il pourvoit à son financement. La alqa dAb l-Qsim est toujours un simple cercle détudiants venus se former gratuitement auprès des deux savants; ce nest pas encore le conseil religieux qui règle la vie des communautés ibites. Certaines règles qui survivront dans les futures alqa-s sont pourtant déjà appliquées. Ainsi, le célibat est déjà exigé de ces azzba: selon al, Ab l-Qsim, qui était pourtant marié, préférait apprendre la mort dun de ses étudiants plutôt que son mariage94. Cette alqa wahbite naît vraisemblablement à une époque qui suit de très près la mort dAb Yazd. Les deux ay-s sont certainement influencés par lenseignement qua donné dans le Djérid Ab Ammr, le maître de lhomme à lâne, et par le conseil de douze nukkrites que présidait Ab Yazd. Après le meurtre dAb l-Qsim, qui entraîne la révolte de Bġya en 358/968-969, Ab azar se soumet au calife fimide et on ignore si la alqa lui survit, dirigée par dautres ay-s, ou si elle disparaît. Il faut noter que cette première tentative de réelle organisation se distingue des futures alqa-s par un point fondamental: elle intègre la volonté dun ur alors que les organisations suivantes se développeront dans la voie du kitmn, sans espoir dévoluer vers une restauration de limmat.

À la même époque, cette forme primitive de alqa naît à Djerba. Le rôle de Djerba est particulièrement important dans lévolution de libisme: ses mosquées

91 Sur la alqa, voir Prevost, Genèse et développement de la alqa chez les ibites maghrébins, pp. 109-124.

92 Savage, A Gateway to Hell, a Gateway to Paradise, pp. 140-142.93 Selon Fekkhar, Les institutions ibadites, pp. 121-122, plus tard, azzba sappliquera seulement

aux personnes qui dirigent la alqa, alors que les étudiants placés sous leur tutelle seront nommés iwn / frères.

94 Al, p. 311. Le verbe azaba signifie entre autres « être célibataire ». Kazimirski, s.v.

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fortifiées95 sont équipées pour accueillir de nombreux visiteurs, venus de contrées lointaines. On trouve des chambres dans leur cour, des écuries et des magasins pour abriter les vivres; il y a parfois aussi des cimetières destinés à accueillir les corps de donateurs ou dibites étrangers96. La prépondérance de Djerba remonte à lépoque dAb Miswar, qui a réussi à convertir les alafites au wahbisme et à faire la paix avec les nukkrites. À sa mort, le personnage le plus important de lîle est Ab Zakariyy Fal, son fils. Cet érudit achève la construction d’al-am al-kabr de Djerba, qui a été commencée par Ab Miswar. À lépoque de la révolte de Bġya, il souhaite vraisemblablement coopérer avec Ab azar Yaġl ibn Zaltf, mais intervient trop tard: les ibites sont déjà vaincus97. Après léchec de cette insurrection, il décide de changer de méthode: privilégiant une lutte pacifique contre les Fimides et leurs successeurs, il imagine les principes de lorganisation des azzba98. Il confiera la lourde tâche de cette organisation à son disciple Ab Abd Allh Muammad ibn Bakr.

Vers la fin du Xe siècle ou le début du XIe siècle, un des élèves dAb Zakariyy Fal, dAb azar et dAb l-Qsim, crée une alqa dans lîle de Djerba. Ce savant, Ab Muammad Wsln99 est le premier ay ibite qui dirige des azzba à Djerba100. Peu après la création de la alqa dAb Muammad Wsln, une autre alqa se développe à Djerba autour dAb l-Rab Sulaymn ibn Yalaf al-Mazt, son élève101.

Cest pendant la première moitié du XIe siècle que la alqa trouve sa forme définitive grâce à un savant ibite natif de la Qasliya, Ab Abd Allh Muammad ibn Bakr102. Dans la seconde moitié du Xe siècle, il étudie dans le Djérid sous la direction dAb N Sad ibn Zanġl et dAb Zakariyy Fal ibn Ab Miswar.

95 On qualifie généralement les mosquées de Djerba, tant wahbites que mlikites, de « fortifiées » à cause des nombreux imposants contreforts quelles présentent et de lenceinte qui regroupe leurs différents bâtiments. Certaines de ces mosquées sont également équipées de meurtrières. Sur les mosquées fortifiées, voir planche II et Prevost, L’urbanisme des ibites maghrébins médiévaux, pp. 10-11.

96 Stablo, Les Djerbiens, pp. 49-50.97 Dans un premier temps, selon al, p. 314, Djerba avait pourtant refusé de participer à cette

révolte, estimant ladversaire trop puissant. 98 Al-abr, Malmi an al-araka l-ilmiyya inda l-ibiyya bi-arba, p. 27.99 Il sagit dAb Muammad Wsln ibn Ab Bakr ibn Qsim al-rsan, qui fait partie des Ban

rsan, tout comme Ab Miswar.100 Al, p. 398. Selon al-abr, Malmi, p. 27, Ab Muammad Wsln est mort

dans la seconde moitié du Ve siècle de lhégire/1059-1107. Lewicki, Historiens, biographes et traditionnistes, pp. 56-57, affirme que cest une célébrité de la première moitié du XIe siècle, alors que dans E.I., s.v. ala, il dit quil vit dans la seconde moitié du Xe siècle.

101 Al-abr, Malmi, p. 27.102 Sur ce personnage, Crupi La Rosa, I trasmettitori della dottrina ibita, p. 134; Cuperly,

Introduction à l’étude de l’ibisme, pp. 36-37; Lewicki, E.I., s.v. ala; Historiens, biographes et traditionnistes, pp. 29-31; Ibitica, 1. Tasmiya uy Nafsa, pp. 107-108; al-abr, Malmi, p. 27; Bourouiba, Lîle de Djerba, pp. 68-69; Idris, La Berbérie orientale, p. 750; ally, Al-alqa bayna sukkn arba wa-Mizb, p. 15.

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Cest Ab N Sad ibn Zanġl qui lui enseigne la théologie103. Il suit également des études de grammaire et de langue arabe à Kairouan, dans les environs de laquelle vivent encore de nombreux ibites104. Il sinstalle ensuite à Taqys. Cest dans cette ville que plusieurs étudiants wahbites originaires de Djerba viennent le prier de fixer les règles de cette institution, qui existe déjà dans lîle. Ab Zakariyy Fal, qui se sent trop âgé pour assumer cette charge, lui envoie en effet ses deux fils, Ynus et Zakariyy, pour former le noyau de la première véritable alqa105. Ab Abd Allh est chargé de rassembler toutes les communautés ibites qui étaient unies à lépoque de limmat rustumide et de reconstituer un État wahbite clandestin, sans ur, ni capitale, ni imm. Chaque centre doit élire un conseil de azzba parmi ses membres les plus honnêtes et les plus pieux; ces conseils doivent communiquer106. De Taqys107, Ab Abd Allh Muammad ibn Bakr gagne le wd Rġ, où il crée en 409/1018-1019 sa alqa, donnant à cette institution un statut officiel pour tous les ibites. Cest dans une caverne / ġr108 du wd Rġ quil en rédige les règles, srat al-alqa. On la nomme al-sra l-miswariyya l-bakriyya, en se référant à ses deux fondateurs, le fils dAb Miswar qui a donné limpulsion à la alqa et Muammad ibn Bakr qui en a fixé le règlement109. Selon al-amm, les ibites accordent à Ab Abd Allh Muammad ibn Bakr limportance dun imm pour toutes les affaires et pour toutes les décisions110. Ce savant vit longtemps dans le wd Rġ, où il est très apprécié par les habitants parce quil résout de nombreux conflits: il calme notamment la tribu des Ban W.r.mz, dont les membres coupent fréquemment les routes et causent des destructions. Plus tard, Ab Abd Allh Muammad ibn Bakr va vivre pendant une année dans un des villages de Ouargla et des azzba ly rejoignent depuis toutes les régions, Tripoli, lIfrqiya, le Zb ou la Qasliya. Répondant aux incessantes supplications des gens du wd Rġ, qui le pressent de revenir car ils sont à nouveau inquiétés par les Ban W.r.mz, le savant finit par regagner cette région111. Il est également lartisan de la conversion au wahbisme des Ban Muab, une tribu vivant dans le Mzab dont les membres

103 Al, p. 368; on voit, p. 328, Ab Abd Allh Muammad ibn Bakr évoquer avec Ab N Sad ibn Zanġl le problème de la wilya dal-ri et de Abd al-abbr.

104 Al, p. 368.105 ally, Al-alqa bayna sukkn arba wa-Mizb, p. 15.106 Gouja, Le Kitb al-Siyar, p. 142.107 Al, p. 377, affirme que cest de Kanma quAb Abd Allh Muammad ibn Bakr part

pour le wd Rġ, alors que les autres sources ibites citent Taqys. Cela confirme que Kanma est bien un village de Taqys.

108 Sur limportance des grottes dans les anciens cultes berbères, voir Lewicki, Survivances chez les Berbères médiévaux, pp. 15-17.

109 Al-abr, Malmi, p. 27. Les règles de la alqa ont été reproduites et traduites par Rubinacci, Un antico documento di vita cenobitica musulmana, trad. pp. 59-78 et texte arabe pl. I-IX.

110 Al, p. 359.111 Al, pp. 364-365.

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sont des mutazilites wilites: il envoie dans le Mzab de nombreux ay-s ibites, venant principalement de Djerba, pour éduquer les Ban Muab au wahbisme et leur enseigner les règles des azzba. Il sagit là des premières relations entre Djerba et le Mzab112. Il meurt en 440/1048-1049113, aveugle et très célèbre.

Dès linstauration de la alqa, de multiples œuvres théologiques sont rédigées tant dans le abal Nafsa quà Djerba et à Ouargla; ce sont des professions de foi / da-s, des traités de théologie ou de polémique114. Il semble que grâce à lautorité que leur confère leur science, les ay-s de la alqa parviennent à combler le vide créé lors de la disparition des imm-s115. Ce serait dailleurs grâce au système des azzba que libisme a pu se maintenir jusquà nous116.

À Djerba, la alqa primitive se développe rapidement. Grâce aux azzba et au fait quelle constitue un refuge pour les ibites, Djerba demeure un grand centre de production intellectuelle. Les azzba prennent en charge la défense militaire et le coût des étudiants; ils assurent des relations cordiales entre les wahbites et les nukkrites et permettent aux régions les plus démunies de recevoir un secours matériel et intellectuel. Depuis la révolte dAb Yazd, les nukkrites, qui avaient été momentanément prépondérants sur lîle, sont en perte de vitesse. Ils occupent la partie orientale de Djerba, alors que les wahbites vivent à louest de lîle. À la mort dAb Zakariyy Fal, ses deux fils, qui ont participé à lélaboration des règles de la alqa, succèdent à Ab Muammad Wsln à la tête des azzba de Djerba117. Lîle est le lieu de la création dun prestigieux ouvrage en douze volumes, le dwn al-azzba, aujourdhui perdu. Sept savants wahbites, les ay-s de la grotte118, sunissent dans la caverne / ġr de M, à awmat M, près de la mosquée « masid al-ġr », pour rédiger cette œuvre119. Cest Ab Imrn Ms ibn Zakariyy qui transcrit ces livres, parce quil a une belle écriture; on le voit chez alamm aller visiter les ibites de Qasliya120.

Cette floraison intellectuelle ne tarde malheureusement pas à décliner: dès lattaque dal-Muizz ibn Bds en 431/1039-1040, le mouvement savant djerbien connaît une nette régression. Les ibites déplorent la mort de nombre de leurs

112 ally, Al-alqa bayna sukkn arba wa-Mizb, p. 15.113 Al, p. 368.114 Cuperly, Introduction à l’étude de l’ibisme, p. 37.115 Savage, Ib-Jewish Parallels in Early Medieval North Africa, p. 4.116 Al-abr, Malmi, p. 27.117 Bourouiba, Lîle de Djerba, pp. 68-69; al-abr, Malmi, p. 27; ally, Al-alqa bayna sukkn

arba wa-Mizb, p. 15.118 Sur les sept savants, al, p. 380, qui dit ġr Ama. Sur M, voir Prevost, Genèse

et développement de la alqa, p. 110.119 Al-abr, Malmi, p. 27; Lewicki, Ibitica, 1. Tasmiya uy Nafsa, p. 111; Bourouiba, Lîle

de Djerba, p. 69; Idris, La Berbérie orientale, p. 753. 120 Al, p. 381.

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ay-s prestigieux, et la création intellectuelle ibite se déplace dans le wd Rġ et à Ouargla. Dans la première moitié du XIIe siècle, deux ay-s perfectionnent le fonctionnement de la alqa: dans le wd Rġ, Ab Zayd Abd al-Ramn ibn al-Mal fonde sa alqa dans une mosquée, principe qui sera repris par la suite; à Ouargla, Ab Ammr Abd al-Kf fixe le règlement définitif de la vie des azzba121.

Alamm donne, au hasard des biographies, plusieurs détails sur les alqa-s, qui se rapportent généralement au XIe siècle. Ces alqa-s, qui ont sans aucun doute besoin de beaucoup dargent pour fonctionner, sont lobjet de la générosité des ibites: ainsi, un ay visite des azzba et leur donne trois cents vaches en âge dêtre fécondées122. Il apparaît également que lorganisation des ibites en alqa peut leur éviter de sérieux désagréments pendant leurs fréquents voyages, parce que leur science force le respect. Alamm raconte qualors que des azzba traversent la sebkha du Djérid en compagnie dAb Abd Allh Muammad ibn Bakr, ils sont arrêtés par des cavaliers menaçants et craignent le pire. Mais le chef des cavaliers, apprenant que ce sont des azzba, les laisse passer. Un des ibites, soulagé, attribue la bonne volonté du chef des cavaliers à la baraka dAb Abd Allh Muammad ibn Bakr, qui la sauvé ainsi que ses compagnons123.

Il est frappant de constater la mobilité de ces groupes détudiants, qui nhésitent pas à parcourir des centaines de kilomètres en compagnie de leur maître. Ainsi, Ab li al-Yrn sen va vivre à Dar à cause dune révolte qui a lieu à Ouargla. Il y demeure pendant sept ans puis souhaite rentrer dans son pays, alors que sa alqa de Dar comptait environ trois cents étudiants124. La biographie dAb l-ab Abd al-Sallm al-Mazt donne un autre exemple de ces nombreux voyages: ce savant de noble ascendance, élève dAb N Sad ibn Zanġl, devient très connu et fait partie des étudiants qui fondent la alqa sous légide dAb Abd Allh Muammad ibn Bakr. Cest avec ce savant quil quitte Kanma, un des villages de Taqys, pour le wd Rġ. Plus tard, il accompagne les Mazta à Tripoli puis va dans le abal Nafsa, doù il part pour La Mecque. Il se fixe ensuite à Qalat Ban Darn, où il vit dans lopulence jusquà larrivée de larmée dal-Muizz125.

121 Ce savant porte la nisba al-Tinwat, du nom de la tribu berbère qui habitait dans le Nafzwa et à Ouargla. Sur ce personnage, Cuperly, Introduction à l’étude de l’ibisme, pp. 38-39; Lewicki, E.I., s.v. ala; De quelques textes inédits, p. 278; Ibitica, 1. Tasmiya uy Nafsa, pp. 89-91; Historiens, biographes et traditionnistes, pp. 33-37; Le manuscrit n° 277, pp. 140-141.

122 Al, p. 357.123 Alamm, pp. 361-362.124 Al, p. 352. Ce savant de la seconde moitié du Xe siècle a fait un voyage à Tdimakka;

voir infra. Selon al, p. 352, Ab li al-Yrn a un mu dans une caverne; alors quil vient y adorer Dieu, pendant la nuit, il y trouve deux lampes, mais ne sait pas qui les a allumées.

125 Al, pp. 377-378.

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Les savants qui dirigent les alqa-s ne semblent pas placés sur un piédestal: on voit ainsi Ab Abd Allh Muammad ibn Bakr balayer une caverne en même temps que les azzba126. Le lien qui existe entre les étudiants et le ay qui les dirige semble indéfectible et alamm raconte à ce sujet une étrange anecdote. Selon Ab N Sad ibn Zanġl, il y a dans la campagne dIfrqiya trente-deux ay-s ibites, qui se chargent des corvées de la alqa et des besoins des étudiants. Lorsque lun deux décède, les autres le remplacent. Un jour, le ay Ab Ubayda Waaq reste seul. Il soccupe dès lors de nourrir, vêtir et instruire les étudiants. Pendant une année de sécheresse et de famine, les étudiants souhaitent partir vers des terres fertiles, mais Ab Ubayda Waaq les en empêche, car il juge visiblement que lépreuve est profitable. Il subvient à leurs besoins jusquà ce que ses silos à grains soient épuisés. Les élèves viennent alors lui dire adieu mais il refuse à nouveau leur départ. Il négocie ses bijoux et tout ce qui lui reste comme dr-s et comme dirhams. Ensuite, il vend ses animaux pour procurer des vivres aux étudiants. Il ne lui reste finalement plus quun bœuf que monte sa mère et un bœuf que monte son épouse. Les disciples le prient de pouvoir partir pour ne pas mourir de faim mais il leur ordonne de rester encore une nuit. Il égorge pour eux le bœuf de sa femme. Le lendemain matin, les étudiants saperçoivent quAb Ubayda Waaq est mort; ils lenterrent et se préparent à partir. Mais la mère du défunt les retient et sacrifie son bœuf à leur intention. Ils partent finalement127.

126 Al, pp. 369-370.127 Al, pp. 355-356.

210

211

VIII. DE LARRIVÉE DES BAN HILL À CELLE DES ALMOHADES

Parmi les grands événements qui ont marqué lhistoire de lAfrique du Nord, rares sont ceux qui ont fait couler autant dencre que la migration des Ban Hill. La thèse de Georges Marçais, première véritable étude sur le sujet, a développé une vision catastrophique de linstallation de ces tribus, qui a longtemps été reprise par ses confrères et successeurs1. À la fin des années 1960, une polémique a vu le jour autour de la thèse de Hady Roger Idris, qui accordait aux Arabes un rôle démesuré dans la chute, brusque daprès lui, des Zdes et de la brillante civilisation ifrqiyenne. Jean Poncet lui opposa une conception tout à fait différente de lévolution de lIfrqiya zde et minimisa fortement le rôle des Arabes dans le déclin du pays2; il fut ensuite suivi par la majorité des historiens. Depuis les dernières recherches effectuées sur ce sujet, aucun document nouveau ne semble avoir été découvert; nous nous limiterons donc à traiter strictement de lhistoire du Sud tunisien, afin déviter de répéter des choses maintes fois analysées. Nous rappellerons brièvement lorigine de ces tribus et les faits marquants de leur arrivée en Ifrqiya; nous renvoyons le lecteur aux études qui rétablissent une vision raisonnable des dommages causés par les Arabes3. Louvrage dal-Idrs contribue à évaluer quel a pu être limpact réel de la venue des nomades dans le Sud tunisien; puisque ce témoignage intervient en pleine « époque normande », nous avons choisi de présenter en un seul chapitre les événements historiques que connaît le sud de lIfrqiya depuis linstallation des Arabes jusquà la prise de pouvoir des Almohades, vers 1160. La paix instaurée par les Almohades met un terme aux troubles qua subis le Sud tunisien pendant les XIe et XIIe siècles, causés par les Zanta, les Ban Hill et les Normands. Nous aborderons donc ici successivement les premiers affrontements avec les Ban Hill, la fondation des dynasties indépendantes de Gabès et de Gafsa, les règnes des premiers Zdes de Mahdiyya et la domination des Normands de Sicile sur Gabès et Djerba. Enfin, après avoir analysé le texte dal-Idrs, nous tenterons dévaluer dans quelle mesure

1 Voir notamment G. Marçais, Les Arabes en Berbérie et La Berbérie musulmane; Gautier, Les siècles obscurs du Maghreb; Julien, Histoire de lAfrique du Nord; De Planhol, Les fondements géographiques de lhistoire de lIslam; Idris, La Berbérie orientale.

2 Poncet, Le mythe de la catastrophe hilalienne; Encore à propos des Hilaliens: la « mise au point » de R. Idris; Idris, De la réalité de la catastrophe hillienne; Linvasion hillienne et ses conséquences.

3 Voir les articles de Poncet et de Brett, ainsi que Berque, Du nouveau sur les Ban Hill?; Lacoste, Ibn Khaldoun, pp. 87-105; Thiry, Le Sahara libyen, pp. 205-217 et pp. 223-247; Fisher, The Eastern Maghrib and the Central Sudan, pp. 243-245.

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les Arabes ont pu, contrairement à de nombreuses idées reçues, se révéler plutôt profitables à lensemble de la région qui nous occupe.

Différents travaux établissent le texte de la geste des Ban Hill4. La tradition orale concernant ces tribus, bien que généralement menacée de disparition, est toujours vivace à la fois dans le ad égyptien et dans le Sud tunisien. Les récits tunisiens ne présentent que lun des trois cycles d’al-Sra l-hilliyya - la taġrba / marche vers louest - alors que les deux autres cycles rapportent les aventures de ces tribus dans les pays dOrient. La taġrba raconte la migration des nomades poussés par la faim vers lIfrqiya et plus spécialement vers Tunis, qui apparaît comme étant le but suprême et paradisiaque à atteindre, se substituant donc à Kairouan5. Lun des sujets principaux de la geste est le combat des Ban Hill contre les Zanta et leur chef alfa al-Zant. Les versions du Sud tunisien ne rendent absolument pas compte de la complexité politique des différentes tribus arabes: elles mettent en scène une seule et même tribu, unie sous la tutelle de son chef iyb / ib, qui est chargé de combattre alfa al-Zant6. Il ny a malheureusement presque rien à en tirer pour lhistorien, puisque ces récits présentent des personnages fictifs et ne livrent que de maigres renseignements géographiques. Outre cela, ils regorgent dinvraisemblances: on y lit par exemple que le chameau a été introduit en Afrique du Nord par les Ban Hill7. Le but de ces histoires est de décrire la vie quotidienne des Arabes, afin de laisser un modèle aux générations futures; ils insistent donc sur la vie pastorale et la quête perpétuelle de nouveaux pâturages8. Leur lecture permet malgré tout de saisir les préoccupations essentielles de cette population. On observe ainsi quelle a développé un certain raffinement: ces nomades apprécient les étoffes précieuses ainsi que la compagnie des poètes et des savants, ils sont experts dans lentretien des puits des régions désertiques et possèdent un riche vocabulaire se rapportant à leau. On note également le rôle très important joué par la sécheresse dans les versions tunisiennes de la taġrba; elle constitue dailleurs le seul facteur déterminant de la migration des Ban Hill9.

Nous avons examiné sans résultat deux récits du Sud tunisien, provenant lun du Nafzwa, lautre de la région de Mama10. Par contre, la geste hillienne recueillie par Lucienne Saada, de la bouche dun orateur originaire de la région de Sfax,

4 Norris, The Rediscovery of the Ancient Sagas of the Ban Hill, fait une mise au point sur ces travaux.

5 Schleifer, E.I., s.v. Hill; Galley et Ayoub, Histoire des Beni Hilal, pp. 23-25; Galley, Histoire et épopée, pp. 160-161.

6 Dakhlia, Loubli de la cité, p. 160.7 Saada, La geste hilalienne, version de Bou Thadi, pp. 130-131 et p. 324.8 Camps, E.B., s.v. Djaziya.9 Breteau et Galley, Réflexions, pp. 359-362; Galley, Histoire et épopée, p. 159; Saada, La geste

hilalienne, p. 34 et p. 44.10 Galley et Ayoub, Histoire des Beni Hilal, pp. 35-83 et pp. 86-159.

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comporte plusieurs épisodes ayant trait au Sud tunisien, reproduits ci-après à simple titre indicatif. Gabès est fréquemment évoquée, mais le seul renseignement fourni sur la ville est quon y cultive le raisin; Djerba est « la contrée de la pêche et de la grenade »11. Les oasis de la Qasliya apparaissent comme riches et prospères et Tozeur est mentionnée plusieurs fois. À leur arrivée en Ifrqiya, les Ban Hill gagnent la Qasliya où ils affrontent les Hraba (?), la population locale: « Ils arrivèrent au Pays dOccident, but de leur voyage. Là ils trouvèrent toutes sortes de biens, Tozeur et Nefta et leur terre et le torrent. » « Ils arrivèrent dans Tozeur même et ses environs, là, au Jarid, lieu dombre propice au déploiement des tentes, ils firent halte à Tozeur et Nefta, superbes régions dirrigation. »12 Apprenant larrivée des Ban Hill, les Hraba, qui habitaient autour de la source de Tozeur, bouchèrent la source pour priver deau les nouveaux venus. Certaines femmes arabes, qui approchèrent de la source, furent attaquées par les Hraba, qui les tuèrent ou firent delles des prisonnières. Manquant cruellement deau, les Ban Hill se virent contraints de monnayer lune de leurs plus belles jeunes filles contre laccès à la source13. Il faut noter que dans la geste de Bou Thadi, les nomades sont présentés comme des destructeurs, des prédateurs ruinant le pays, qui « transformaient la plante verte en objet dur »14.

1. LARRIVÉE DES ARABES

Si lon en croit Ibn , cest en 433/1041-1042 qual-Muizz reconnaît la souveraineté abbside; le calife lui envoie alors la ila15. Dès cette époque, les relations diplomatiques entre lIfrqiya et Le Caire se dégradent et deviennent réellement conflictuelles vers 439/1047-104816. Cest en tout cas cette année-là, selon Ibn , que le w anh de Nefta, abs ibn umayd, est forcé de démissionner et de verser au Trésor une fortune; on lui fait subir des humiliations et des désagréments. Le q de Gafsa, Amad ibn a, est également disgracié et doit payer dix mille dnr-s17. On ignore pourquoi al-Muizz sen prend à ces hauts fonctionnaires de lÉtat. Si seule Nefta avait été évoquée, on aurait pu imaginer que

11 Saada, La geste hilalienne, p. 126 et p. 298.12 Ibid., p. 33, p. 123 et p. 219.13 Ibid., pp. 219-221.14 Ibid., p. 174.15 Ibn , I, pp. 275-276; al-Ti, p. 17/32.16 Voir Brett, Fatimid Historiography: a Case Study - the Quarrel with the Zirids, 1048-58. Sur la

rupture avec Le Caire, le passage du Nil par les Arabes et leur arrivée à Barqa, al-Zuhr, § 291; Ibn al-Ar, IX, pp. 566-567; Ibn , I, pp. 277-278 et p. 288; al-Ti, pp. 17-22/32-40; Ibn al-ab, p. 53; Ibn aldn, VI, pp. 17-18/I, pp. 31-34 et VI, p. 188/II, pp. 20-21; Jean-Léon lAfricain, pp. 21-22.

17 Ibn , I, pp. 276-277.

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la communauté ite quelle abritait avait une responsabilité dans les humiliations endurées par son w, à une époque où les ites se trouvaient dans une mauvaise posture, suite à la rupture avec Le Caire. Étant donné que le q de Gafsa subit le même sort, il semble que ces disgrâces ont surtout visé à renflouer les caisses de lÉtat, ceci nexpliquant pas les humiliations infligées au w anh de Nefta18. Nous avons souligné plus haut qual-Muizz, notamment lors du massacre de Darn, a montré un acharnement particulier contre le Sud tunisien. Cest peut-être dans cet esprit quil a disgracié soudainement - et violemment - deux personnages importants de cette région.

Les tribus arabes Ban Hill et Ban Sulaym sont originaires du Nad et se sont déplacées dans divers pays dOrient. Après leur alliance avec les Qarmaes et la défaite de ces derniers en 368/978, le calife fimide cantonne ces turbulentes tribus en Haute-Égypte, dans la province du ad, leur interdisant désormais de franchir le Nil19. Les historiens arabes affirment généralement que larrivée de ces tribus nomades en Ifrqiya a été pensée et organisée par le vizir fimide al-Yzr20. Daprès eux, lorsqual-Muizz prononce la prière au nom des Abbsides, al-Yzr conseille au calife al-Mustanir de concilier ces tribus insoumises entre elles et de leur offrir des terres ifrqiyennes. Il arrange le passage des Arabes du Nil vers le Maghreb. Les volontaires gagnent la région de Barqa, quils pillent et dévastent puis, pour leur plus grande part, se dirigent vers lIfrqiya21, quils atteignent vraisemblablement en 443/1051-1052. Les nouveaux arrivants sont des Aba, des Zuġba ou des Riy, dont les Ban Mirds forment la branche principale. Ces Mirds, et spécialement la famille des innabar, commandent à cette époque lensemble des Riy22. Les Riy forment lavant-garde des Ban Hill et leur chef, Munis ibn Ya al-innabar al-Mird, est le premier chef riy à pénétrer le pays. Al-Muizz fait venir Munis à sa cour, le comble de faveurs et tente de le convaincre dengager les troupes arabes sous la bannière zde. Munis met sincèrement en garde le souverain, lui conseillant de se méfier de lindiscipline des Arabes, mais al-Muizz comprend mal les hésitations de son nouvel allié: il pense que Munis rechigne à faire venir à Kairouan les Arabes placés sous son commandement, afin de conserver pour lui seul les bénéfices de son entente avec le souverain. Apprenant ensuite que

18 Sur ces disgrâces, Idris, De la réalité de la catastrophe, p. 394; Poncet, Le mythe de la catastrophe hilalienne, pp. 1111-1112.

19 Sur les circonstances de leur arrivée en Égypte, Daghfous, De lorigine des Bani Hilal, pp. 56-68. 20 Sur la décision dal-Yzr, Ibn al-Ar, IX, p. 566; Ibn , I, p. 297; al-Ti, pp. 17-22/32-40;

Ibn aldn, VI, pp. 17-18/I, pp. 32-34. Ibn et al-Ti évoquent à tort al-arar (m. 436/1044-1045).

21 Sur lentrée des Arabes en Ifrqiya, Ibn al-Ar, IX, p. 567; Ibn , I, pp. 288-289; al-Ti, p. 18/33; Ibn aldn, VI, p. 18/I, pp. 34-35 et VI, p. 188/II, p. 21.

22 Ibn aldn, VI, p. 39/I, p. 71.

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ces Arabes se livrent à de nombreux pillages, alors que Munis était censé leur faire embrasser le parti zde, al-Muizz fait confisquer les biens quil avait offerts au chef arabe et fait emprisonner sa famille, qui était demeurée à Kairouan. Furieux, Munis na alors plus de scrupules à profiter avec ses compagnons des richesses du sud de lIfrqiya. Pendant ce temps, les Zuġba, qui sont nombreux et puissants en entrant dans lIfrqiya, se rendent maîtres de la région située au sud de Gabès23. Si lon en croit Ibn aldn, al-Mustanir aurait attribué à lavance aux Zuġba la région de Gabès et de Tripoli24. Cette affirmation va bien évidemment de pair avec la thèse de linvasion programmée par les Fimides et est donc peu crédible.

Les travaux de Michael Brett ont prouvé que de nombreuses infiltrations avaient déjà eu lieu dans le Maghreb avant le prétendu signal du départ donné par les Fimides. Lhistorien anglais remet sérieusement en cause dans la plupart de ses articles la version qui attribue à al-Yzr lenvoi des tribus dans le Maghreb. Il affirme quon peut la considérer comme une légende25. Selon lui, cette version des faits a été élaborée a posteriori par les Fimides, afin daccabler al-Yzr, qui subissait une grave disgrâce. On lui a donc fait porter la responsabilité de la ruine de lIfrqiya, à une époque où les Zdes sétaient repentis et soumis au calife26. Le vizir a été exécuté en 1058. La migration des Ban Hill ne résulte donc pas dune quelconque initiative fimide: elle nest autre que la lente progression des tribus nomades du Nil vers lIfrqiya. Les textes indiquent en effet à plusieurs reprises que des fractions arabes vivent à louest du Nil à la fin du Xe siècle déjà27. Les Ban Hill se répandent dans la Tripolitaine pendant le demi-siècle qui précède la bataille de aydarn28. En 429/1037-1038, les Zuġba prennent Tripoli et assassinent son gouverneur29. Il est fort probable quà lépoque de la prétendue invasion, des clans arabes nomadisent depuis longtemps déjà aux frontières de lIfrqiya méridionale30. Il semble que dans un premier temps, confronté à ces infiltrations, al-Muizz tente de confiner les Riy et les Zuġba dans la plaine de la affra entre Tripoli et Gabès, afin quils protègent la route caravanière qui longe la côte contre les attaques des ibites de Djerba et du abal Nafsa. Dans les années 1030-1040, les guerres successives qui ont opposé le sud de lIfrqiya et la Tripolitaine à al-Muizz,

23 Ibn aldn, VI, p. 48/I, p. 86. 24 Ibn aldn, VI, p. 23/I, p. 44. Idris, La Berbérie orientale, p. 210, qui cautionne la thèse de

linvasion organisée, remarque quil sagit peut-être dune légitimation a posteriori de leur prise de pouvoir. Jean-Léon lAfricain, pp. 22-23, affirme tardivement que les Arabes détruisent Gabès avant daller assiéger Kairouan.

25 Brett, Ibn Khaldun and the Arabisation of North Africa, pp. 12-13.26 Brett, Ibn Khaldun, pp. 12-13; Sijill al Mustansir, p. 109; Fatimid Historiography, pp. 56-57.27 Brett, The Zughba at Tripoli, p. 42; Ibn Khaldun, p. 13.28 Brett, Arabs, Berbers and Holy Men, p. 533.29 Al-Ti, éd. p. 267 (pas de trad.); Ibn aldn, VI, p. 48/I, p. 86, qui ne date pas cet événement.30 Brett, The Way of the Nomad, p. 258.

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pourfendeur des ibites, ont en effet provoqué linsécurité de la route côtière31. Les Arabes nentendent bien évidemment pas se contenter de cette plaine peu fertile, et entreprennent auprès du souverain zde des négociations qui échouent. Ils se dirigent alors de leur propre fait vers le nord32.

2. LA DÉFAITE DES ZRDES À AYDARN

La défaite totale des Zdes se produit à aydarn33, dans les environs de Gabès, en l-a 443/avril 1052. Larmée dal-Muizz est cruellement battue par les Arabes, pourtant beaucoup moins nombreux34. Seuls les esclaves noirs continuent à défendre le souverain zde et se font massacrer. Après la défaite, al-Muizz est forcé de se réfugier dans Kairouan et incite les habitants à fortifier hâtivement la ville. Les Arabes pillent le camp des Zdes et amassent un immense butin dor et dargent, de meubles, de tentes et danimaux. Ils prennent alors la route de la capitale: ils tiennent un long siège de Kairouan tout en dévastant les alentours, mais la délaissent progressivement pour aller senrichir dans les régions voisines. Les nomades prennent possession des campagnes et le peuple sédentaire dIfrqiya cherche à se protéger dans les villes, Kairouan, Tunis, Gabès ou Sousse, ainsi que dans les villes tenues par les ammdides qui, à lannonce de la sécession zrde, se sont soumis aux Fimides. Al-Muizz nomme son fils Tamm au poste de gouverneur de Mahdiyya, dans laquelle il envisage de déménager ses biens. En 446/1054-1055, les Arabes se partagent les villes de lIfrqiya: Munis reçoit Ba dont la population se soumet, les Zuġba conservent la région de Tripoli35. Pour tenter de se concilier ses adversaires, al-Muizz marie trois de ses filles à des chefs arabes et revient à lobédience fimide la même année 446/105436. Ces mesures sont vaines: Zuġba, Riy et autres tribus sarrangent entre eux pour sattribuer les différentes régions dIfrqiya, si bien que lEmpire zde se morcelle et échappe définitivement à al-

31 Voir supra, les attaques menées par al-Muizz contre les Zanta de la région de Tripoli et contre Djerba. Brett, The Zughba at Tripoli, pp. 44-45.

32 Brett, Arabs, Berbers and Holy Men, p. 533; The Fatimid Revolution, p. 634; The Zughba at Tripoli, p. 45.

33 Sur la bataille de aydarn, Ibn al-Ar, IX, pp. 567-568; Ibn , I, pp. 289-290 et pp. 292-293; al-Ti, p. 18/34 et pp. 20/37-38; Ibn aldn, VI, pp. 18-19/I, pp. 35-36; Ibn Ab Dnr, p. 84, suggère que cest à cause de la trahison des Zanta qui abandonnent le combat que la bataille est perdue. Idris, E.I., s.v. aydarn, situe ce lieu dans les parages de Gabès, sur la route Gabès - Kairouan, tandis que Brett, The Fatimid Revolution, p. 635, pense que la bataille aurait eu lieu à une cinquantaine de kilomètres de Kairouan.

34 Selon Jean-Léon lAfricain, p. 22, ce sont environ 50.000 hommes en état de combattre qui arrivent au Maghreb avec leurs familles.

35 Ibn al-Ar, IX, p. 569; Ibn , I, p. 294; Ibn aldn, VI, p. 19/I, p. 36.36 Idris, Sur le retour des Zrdes à lobédience fimide, pp. 30-39.

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Muizz37. En 449/1057, il quitte al-Manriyya sous la protection de Munis pour joindre Mahdiyya, qui est alors dirigée par son héritier présomptif Tamm. Kairouan est alors investie par les Arabes: la population est mise en esclavage, la ville est évacuée et seuls les habitants les plus faibles y demeurent38. Les Arabes semparent de tout ce quils trouvent dans la ville; ils sapproprient les richesses des palais zdes, détruisent les édifices et ruinent la beauté de la capitale39. Les autres villes du pays, Mahdiyya exceptée, tombent de gré ou de force sous la coupe de nouveaux maîtres, qui sont souvent des chefs arabes ravis de sarroger une petite principauté. Certaines villes conservent leur gouverneur anh, dautres tombent aux mains darrivistes non-arabes; elles doivent dans ces deux cas payer un tribut aux Arabes.

3. LES CONFRONTATIONS ENTRE BAN HILL ET BERBÈRES DANS LE DJÉRID

Dès 445/1053-1054, la Qasliya est pillée par les Riy et contrôlée par les Arabes. Un de leurs chefs, Ibn Ab l-Ġay, va attaquer les Zanta et les Maġrwa qui dominent la région; il sy livre au pillage puis sen va40. Si la date de larrivée des Arabes dans les oasis - deux ans après leur victoire à aydarn - paraît bien tardive, il s’agit de la seule mention dune réelle agression menée par les nomades à lencontre des populations du Sud tunisien. Cet épisode inaugure le long combat qui opposera les Ban Hill aux Zanta: dans le Maghreb central, des Arabes et principalement des Aba et des Ad, sen prendront aux Zanta et leur mèneront une longue guerre, au cours de laquelle ils sempareront de leurs terrains de parcours et du Zb41.

À lépoque du départ dal-Muizz pour Mahdiyya, cest Abd Allh ibn Muammad ibn al-Rand42 qui est mil à Gafsa pour le compte des Zdes. Daprès Ibn aldn, seule source concernant ce personnage, il est originaire de Djerba et appartient à la tribu des Ban adġiyn43. Selon Ibn Nal, repris par Ibn aldn, il appartient aux Ban zamratan, une branche des Maġrwa44. Ces Ban zamratan

37 Ibn aldn, VI, p. 19/I, p. 36.38 Al-Bakr, p. 26/61. 39 Ibn aldn, VI, p. 19/I, pp. 36-37. Voir aussi Ibn al-Ar, IX, p. 569; Ibn , I, p. 294. 40 Ou Ibn Ab l-Ray. Ibn aldn, VI, p. 19/I, p. 36, dont le texte donne - comme souvent - Constantine

à la place de Qasliya.41 Ibn al-Ar, IX, p. 569; Ibn , I, p. 294; Ibn aldn, VI, pp. 19-20/I, p. 37 et VI, p. 23/I, p. 45.42 Sur Ibn al-Rand, Ibn aldn, VI, pp. 195-196/II, p. 33; Ibn Ab Dnr, p. 84, dit simplement que

Gafsa se soustrait à lautorité dal-Muizz. Voir annexe II sur la généalogie des Ban l-Rand.43 Ibn aldn, VI, p. 195/II, p. 33 (l’éd. donne .riya). Les Ban adġiyn, qui sont des Kutma, se

sont installés à Djerba après lavènement des Fimides.44 Ibn aldn, VI, p. 195/II, p. 33 (l’éd. donne les Ban Marn issus des Maġrwa). La trad. de Slane,

vraisemblablement fautive, dit quIbn al-Rand faisait partie des anha.

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forment lune des deux principales tribus wahbites du Nafzwa. Al-Zarka confirme que les Ban l-Rand sont des Maġrwa du Nafzwa45. Abd Allh ibn Muammad ibn al-Rand habite à al-sn (?) dans le Nafzwa. Choisissant de rompre avec son souverain, ce personnage parvient à assurer la tranquillité de la région et la sécurité des routes en salliant aux Arabes, surtout aux Riy, et en leur payant un tribut. En 445/1053-1054, il se déclare indépendant et fonde la dynastie des Ban l-Rand, qui perdure jusquà sa défaite face aux Almohades en 554/1159-1160. Abd Allh ibn Muammad ibn al-Rand acquiert rapidement une grande puissance: Tozeur, Nefta, Taqys46, al-mma, le Nafzwa et les autres localités de la province de Qasliya / sir aml Qasliya se soumettent à lui. Il tient une cour où se pressent poètes et hommes de lettres. Il meurt en 465/1072-107347. Il apparaît à la lecture dIbn aldn que la Qasliya est incorporée à la principauté des Ban l-Rand peu après lavènement de son fondateur. Outre ses évidentes qualités de gouverneur, il est probable que le fait que Abd Allh ibn Muammad ibn al-Rand soit originaire du Sud tunisien - quil appartienne aux Ban adġiyn ou aux Ban zamratan - a dû contribuer à ce quil soit si rapidement soutenu par la population de la région.

En 453/1061, les Arabes viennent à Taqys48, qui se réclame déjà certainement de Abd Allh ibn Muammad ibn al-Rand. Un des muqaddam-s de la ville, excédé peut-être par la présence des nomades, fait devant eux léloge dal-Muizz et se fait tuer par un Arabe. La population de la ville se dresse alors contre les indésirables et en tue deux cent cinquante. Il paraît probable que les Arabes se sont comportés dune façon déplaisante pour provoquer cette attaque. Ibn al-Ar dit quils sont venus à Taqys pour y faire des transactions au marché / mutasawwiqatan, tandis quIbn dit quils sont venus mutaawwifatan, cest-à-dire soit en observateurs, soit dans le but de samuser49. Le terme employé par Ibn al-Ar est le plus vraisemblable, puisque les nomades profitaient régulièrement des marchés des villes pour y échanger des marchandises. Peut-être ont-ils voulu cette fois-ci se servir à leur gré dans le sq de Taqys, ce qui aurait entraîné la colère des habitants. Une autre explication est envisageable, si lon adopte la version dIbn : les Arabes seraient venus narguer les oasiens, provoquant le conflit. Excepté la razzia des Riy dans la Qasliya en 445/1053-1054, lépisode du massacre des Arabes à

45 Al-Zarka, p. 12.46 Ibn aldn, VI, p. 196/II, p. 33 (l’éd. donne Gafsa et Ss au lieu de Nefta et Taqys).47 Ibn aldn, VI, pp. 195-196/II, p. 33.48 Ibn al-Ar, IX, pp. 569-570; Ibn , I, p. 295.49 Idris, La Berbérie orientale, p. 232, note 126, traduit par « en curieux », quil fait suivre dun

point dinterrogation. Kazimirski donne pour taawwafa « faire attention à, écouter attentivement; redresser la tête et fixer ses regards sur quelque point »; Dozy, Supplément, donne « observer, considérer », mais aussi « samuser, se divertir ». Idris, Linvasion hillienne, p. 369, traduit « pour y faire des emplettes », substituant donc le terme employé par Ibn al-Ar à celui que donne Ibn .

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Taqys est le seul affrontement entre nomades et population locale mentionné dans les sources.

4. LA SOUMISSION DE GABÈS AUX ARABES

À Gabès, dès lavènement des Zdes, la dynastie de gouverneurs issus des Kutma Ban Luqmn a été remplacée par des gouverneurs anh. À larrivée des Ban Hill, cest al-Muizz ibn Muammad ibn Walmiya50 al-anh qui assure le commandement de Gabès au nom des Zdes. La ville est peuplée de nombreux Zdes qui y ont trouvé refuge, grâce à laide dun chef arabe51. Tout comme Gafsa, Gabès verse certainement un tribut aux Arabes pour assurer sa sécurité; elle est sans doute défendue par une solide garnison et constitue donc un lieu sûr pour la famille régnante aux abois. À cette époque, deux des frères dal-Muizz ibn Muammad ibn Walmiya occupent des postes de id-s dans larmée dal-Muizz52, qui ordonne de les destituer. Al-Ti explique que, furieux, les deux frères se rendent auprès de Munis ibn Ya al-innabar, qui les traite avec beaucoup dégards, se réjouit de leur venue et leur offre des vêtements qui lui sont parvenus dÉgypte53. Les deux frères rejoignent alors al-Muizz ibn Muammad ibn Walmiya à Gabès et ensemble, ils se mettent daccord pour supprimer le nom dal-Muizz de la uba. Al-Muizz ibn Muammad ibn Walmiya renie lautorité des Zdes et se proclame indépendant, reconnaissant la souveraineté du chef des Mirds54. Ibn aldn dit quil sagit là de la première véritable conquête des Arabes en Ifrqiya. Si, dans un premier temps, cest la destitution des deux officiers anh qui provoque la soumission de cette famille aux Arabes, il est certain quelle voit rapidement les nombreux avantages dont elle profiterait en se liant aux Arabes plutôt quen demeurant sous la coupe des Zdes affaiblis. Pour plaire à Munis, al-Muizz ibn Muammad ibn Walmiya abandonne ses fonctions au profit de son frère Ibrhm; il va vivre auprès du chef arabe, qui est devenu son ami. À la mort dIbrhm, le pouvoir revient au troisième

50 Les orthographes de ce nom sont très diverses: Ibn Yalm, Ibn Wnamm, Ibn L.mya, Ibn B.l.mnah, etc.

51 Ibn aldn, VI, p. 19/I, p. 36. Le texte dit quen 445/1053-1054, alors que les Arabes assiègent Kairouan dans laquelle se trouve al-Muizz, un chef arabe du nom de Ms investit des membres de la cour zrde du commandement de Gabès et dautres lieux.

52 Selon al-Ti, p. 96/90, il sagit du poste de qid al-ainna / général de cavalerie. Voir à ce sujet Idris, La Berbérie orientale, pp. 529-530.

53 G. Marçais, Les Arabes en Berbérie, p. 125, et Idris, La Berbérie orientale, p. 237, disent quils reçoivent des robes dhonneurs, mais le terme iyb employé par al-Ti na apparemment jamais cette signification. Dozy, Dictionnaire détaillé des noms de vêtements, pp. 105-107.

54 Al-Ti, pp. 96-97/90-91; Ibn aldn, VI, p. 188/II, p. 22; VI, pp. 196-197/II, pp. 34-35; VI, p. 529/III, p. 157.

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des frères, Q, qui se distinguera par sa tyrannie sous le règne de Tamm. Les historiens ne donnent que peu de renseignements sur la façon dont ces gouverneurs administrent Gabès. Cette époque correspond à la description de la ville par al-Bakr, qui évoque un oiseau offert à al-Muizz ibn Muammad ibn Walmiya; lanecdote sy rapportant a été racontée par le ktib de Munis55. On peut donc se représenter Gabès comme une grande ville très urbanisée, avec une citadelle fortifiée, des sq-s, des funduq-s et un phare important. Elle est protégée à la fois par un rempart percé de trois portes et par un large fossé. Elle jouit de nombreuses sources de revenus, dont la soie, la canne à sucre ou encore la grande activité de son port. Malgré ces atouts, suite à lurbanisation importante des faubourgs, la ville est devenue insalubre et les épidémies sy développent facilement.

Les historiens médiévaux ne datent pas la soumission de Gabès aux Arabes, mais la copie dun siill56 envoyé par al-Mustanir à lémir yéménite, qui annonce cet événement, a été conservée57. Le calife, qui a précédemment informé lémir de la victoire de aydarn, se réjouit cette fois des succès remportés par une mission fimide à Gabès. Il apparaît en effet quà lissue de la bataille de aydarn, les Zuġba et les Riy ne parviennent pas à se mettre daccord sur le partage du fantastique butin quils ont acquis. Ces deux tribus réclament alors à al-Yāz quune délégation vienne du Caire pour recevoir lhommage des Ifrqiyens. À lannonce des succès arabes, les Fimides jugent que le moment est venu pour eux dintervenir et de tirer profit de la défaite zrde pour réparer loutrage que leur a fait subir al-Muizz58. Le général Amn al-Dawla asan ibn Al ibn Mulhim est alors envoyé en Ifrqiya: il a pour but de faire cesser les querelles entre les Arabes et de les inciter à sunir pour ruiner définitivement la puissance dal-Muizz. LorsquAmn al-Dawla arrive à Gabès, plusieurs personnalités zrdes, dont al-Muizz ibn Muammad ibn Walmiya, viennent se soumettre à lui. Le général fimide conquiert Gabès et fait dal-Muizz ibn Muammad ibn Walmiya son gouverneur dans cette ville. Il rétablit la uba au nom des Fimides ainsi que la monnaie frappée au nom dal-Mustanir. Il parvient à réunir les différentes tribus autour de Munis et à les renvoyer faire ensemble le siège de Kairouan. Il rentre ensuite en Égypte, emportant une partie du butin amassé à aydarn, ravi davoir pu retourner la situation en faveur du calife.

55 Al-Bakr, pp. 18-19/43-44, qui nécrit pas al-Muizz ibn Muammad ibn Walmiya mais bien Ibn Wnamm al-anh. Voir supra.

56 Le terme siill sapplique à différents documents, le plus souvent de nature officielle ou juridique. Les siillt mustaniriyya regroupent la correspondance officielle envoyée par la cour fimide dal-Mustanir aux souverains vassaux du Yémen. De Blois, E.I., s.v. Sidjill.

57 Sur cette lettre, Brett, Sijill al Mustansir. Dans Fatimid Historiography, pp. 51-52, il en donne la traduction.

58 Brett, Fatimid Historiography, p. 55.

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Michael Brett établit de façon convaincante que la date écrite sur le siill (455/1063) résulte dune erreur de copiste et que ce document a été rédigé en 445/1053-105459. Cette date correspond à un passage dIbn aldn, qui dit que cette année-là, pendant le siège de Kairouan par les Zuġba et les Riy, certains membres de la cour zrde ont été nommés gouverneurs de Gabès et dautres lieux60. Outre le rapport avec Ibn aldn, Michael Brett développe une série darguments prouvant que le siill date bien de 445/1053-1054. Nous pensons pouvoir y ajouter une hypothèse supplémentaire: en effet, il y a probablement un lien entre la destitution des frères dal-Muizz ibn Muammad ibn Walmiya et linsupportable défaite dal-Muizz à aydarn. Le souverain a très bien pu sanctionner la débâcle de son armée en révoquant certains de ses qid-s. Ibn aldn suggère dailleurs que ces destitutions interviennent pendant le siège de Kairouan61. À notre avis, à lissue de la bataille de aydarn, les deux frères limogés ont décidé de se soumettre aux Arabes, qui se disputaient à ce moment le butin de aydarn. Ces derniers ont alors fait appel aux Fimides et ont attendu la légitimation du calife pour mettre la main sur Gabès, par le biais dal-Muizz ibn Muammad ibn Walmiya, et se faire réellement introniser « souverains » dIfrqiya. Il paraît très peu probable que les deux frères, après avoir été révoqués, soient restés dix ans sous la tutelle zrde, comme le propose Hady Roger Idris, et ne se soient tournés vers les Arabes quaprès la mort dal-Muizz. Cest donc certainement en 445/1053-1054 que Gabès se soumet aux Arabes et que Munis est établi comme ib Ifrqiya, suite au succès remporté par la mission fimide à Gabès62.

5. LA SOUMISSION DE TOZEUR AUX AMMDIDES

À la mort dal-Muizz règne Tamm (454-501/1062-1108), le premier des Zdes de Mahdiyya. Son avènement a lieu la même année que celui du souverain ammdide al-Nir ibn Alanns, qui règne de 1062 à 1088-1089. Cest à ce souverain du Maghreb central, fondateur de Bougie, que va se soumettre Tozeur. Depuis lavènement des Zdes, Tozeur est gouvernée par la famille la plus influente de la

59 Sur cette lettre, Brett, Sijill al Mustansir; The Way of the Nomad, pp. 257-258; Fatimid Historiography, pp. 50-53; The Fatimid Revolution, p. 635; Idris, La Berbérie orientale, pp. 238-239.

60 Ibn aldn, VI, p. 19/I, p. 36. 61 Ibn aldn, VI, p. 196/II, pp. 34-35.62 Brett, The Way of the Nomad, p. 261. Idris, La Berbérie orientale, p. 239, accepte la date de

455/1063 et estime donc que la ville na cédé aux Arabes quà cette époque, de même que Talbi, E.I., s.v. bis.

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ville, les Ban Yamll. Cette famille dorigine tanide63 était établie dans la région depuis lépoque de la conquête. Elle avait créé de nombreuses branches et sétait imposée au conseil de la ville grâce à sa prestigieuse origine dune part, mais aussi grâce aux précieuses alliances matrimoniales quelle avait nouées. Elle regroupait les Ban Ws, les Ban Farqn, les Ban Mrida et les Ban Aw64. Les Ban Farqn dirigeaient la ville à lépoque dAb Yazd: on a vu comment le gouverneur Ibn Farqn poussa le rebelle à quitter définitivement le Djérid pour lAurès, en le dénonçant au représentant du calife, en lemprisonnant ou en provoquant la défection de ses partisans. Plus tard, le pouvoir passa aux mains dune autre branche de la famille, les Ban Ws. Ibn aldn explique que lors du démembrement de lEmpire zde, le muqaddam de Qasliya, Ya ibn Ws, incita les habitants à se défaire de la souveraineté zde et à reconnaître les ammdides à la place de la famille de Buluggn, puisque les Zdes ne leur assuraient plus la moindre défense65. Après la soumission de Sfax à al-Nir ibn Alanns, Ya ibn Ws, accompagné dune délégation, va donc également lui proposer son hommage; al-Nir comble les émissaires de cadeaux et confère le poste de gouverneur de Tozeur à Ysuf ibn alf, de la tribu des anha66.

Hady Roger Idris suppose que la reconnaissance des ammdides par la Qasliya est antérieure à la soumission de la région aux Ban l-Rand de Gafsa67. Cela est évidemment impossible, puisque lensemble de ces oasis se soumet peu après lavènement dal-Nir, qui règne à partir de 1062. À cette époque, le Djérid a sans doute rejoint la cause de Abd Allh ibn Muammad ibn al-Rand depuis presque dix ans. On peut envisager quune partie des oasis a choisi de se désolidariser de la jeune dynastie gafsienne pour lui préférer un pouvoir plus fort. La crainte de représailles suite au massacre des Arabes à Taqys, intervenu en 453/1061 peu avant lavènement dal-Nir, a peut-être également joué un rôle dans la décision des oasiens de faire allégeance aux ammdides. Leur résolution sinscrit dailleurs dans un vaste élan qui a poussé les villes tunisiennes importantes à se soumettre au souverain du Maghreb central. Ibn aldn, lorsquil évoque la soumission de Tunis à ce dernier, affirme que les peuples de lIfrqiya avaient un grand penchant pour les ammdides68.

63 Les Tan forment une célèbre confédération préislamique de tribus arabes ayant adopté une généalogie commune. Shahîd, E.I., s.v. Tankh.

64 Ibn aldn, VI, p. 519/III, p. 141. On trouve également lorthographe Ban Was.65 Ibn aldn, VI, pp. 519-520/III, pp. 141-142. 66 Ibn aldn, VI, p. 204/II, p. 47. 67 Idris, La Berbérie orientale, pp. 222-223, qui reconnaît pourtant que la soumission à Abd Allh

ibn Muammad ibn al-Rand a lieu peu après lindépendance de ce dernier en 445/1053-1054.68 Ibn aldn, VI, p. 193/II, p. 29.

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Fort de ces nombreuses adhésions, puisque Tunis et Kairouan se soumettent également à al-Nir, le souverain ammdide projette de semparer de Mahdiyya. En 457/1064-1065, il réunit sous sa bannière des anha, des Zanta ainsi que des troupes arabes de et dAba. Ceux-ci sopposent à dautres Arabes, les Zuġba et les Riy, alliés à Tamm et aidés par les Maġrwa69. À la bataille de Sbba, la coalition au service des ammdides est cruellement défaite, prouvant que les souverains dal-Qala ne sont plus que des jouets entre les mains des Arabes. Dans ce contexte, Ibn al-Ar évoque en 458/1065-1066 le siège de Gabès par Tamm, mais il confond avec le siège de Tunis, qui a lieu cette année-là; la méprise est dautant plus évidente que lhistorien précise que cest Ibn urn, le gouverneur de Tunis, qui se trouvait dans la ville assiégée70.

6. LEXTENSION DE LA PRINCIPAUTÉ DES BAN L-RAND

Durant le règne de Tamm, Abd Allh ibn Muammad ibn al-Rand reste indépendant et continue à diriger une bonne partie de la Qasliya. À sa mort en 465/1072-1073, la population sen remet à son fils Ab Umar al-Mutazz, qui prend le contrôle de la principauté et y lève les impôts. Il semble navoir dautre souci que le bien de ses administrés, quil traite généreusement. Cest sans doute en partie grâce à sa popularité quil parvient à sallier la province de Qammda, le abal Hawwra ainsi que le restant de la Qasliya et la région qui en dépend / wa-sir bild Qasliya wa-m ilayh71. On ne sait pas bien de quelles régions de la Qasliya il est question. On pourrait supposer que Tozeur et les oasis qui avaient choisi de se soumettre aux ammdides ont préféré finalement se placer dans lorbite des Ban l-Rand, peut-être à cause de la défaite dal-Nir à Sbba. Gafsa devient en tout cas le centre dune grande principauté, limitée au nord par Kairouan, Sbba et Sfax. Elle senrichit fortement grâce aux impôts élevés de cette région préservée de toute attaque hillienne. Elle résiste manifestement bien aux catastrophes qui frappent régulièrement le reste de lIfrqiya: en 469/1076-1077 par exemple, a lieu une famine épouvantable, ainsi quune terrible peste72.

69 Selon Lewicki, E.I., s.v. Maghrwa, ce sont sans doute les Maġrwa qui ont été attaqués par les Ban Hill dans la Qasliya qui vont attaquer al-Nir en 457/1064-1065. Sur la bataille de Sbba, Ibn al-Ar, X, pp. 44-46, qui parle de Sabta / Ceuta; Ibn , I, p. 299; Ibn aldn, VI, p. 205/II, pp. 48-49.

70 Ibn al-Ar, X, pp. 50-51. Sur le siège de Tunis, Ibn , I, p. 299. G. Marçais, Les Arabes en Berbérie, p. 126, affirme quun siège de Gabès a réellement eu lieu cette année-là.

71 Ibn aldn, VI, p. 196/II, p. 33.72 Ibn , I, p. 300.

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7. LE DÉCLIN DE GABÈS SOUS TAMM

Cest en 474/1081-1082 que commencent les ennuis pour Gabès. Cette année-là, Tamm assiège cruellement la ville sans parvenir à la prendre. Ses soldats ravagent les jardins73 nommés « al-ġba »74. Ibn dit curieusement que cest la ville de Sfax dont les jardins « al-ġba » sont dévastés par les troupes de Tamm. Ibn aldn ne parle pas des dévastations causées dans la palmeraie et dit que Tamm finit par débloquer la ville. Pour lui, le gouverneur de Gabès est déjà Q ibn Muammad ibn Walmiya al-anh, qui a pris le pouvoir après la mort de son frère Ibrhm. Ce dernier réapparaît pourtant deux ans plus tard, aux dires dal-Ti: en 476/1083-1084, le gouverneur de Gabès, Ibrhm ibn Muammad ibn Walmiya al-anh, sallie aux Aba pour lutter contre Tamm, qui se repose quant à lui sur les Riy, frères ennemis des Aba. En compagnie du chef arabe Mlik ibn Al.wn / Alaw alar, Ibrhm va mettre le siège devant Mahdiyya; il est attaqué à la fois par les Arabes et par larmée zde et, sestimant vaincu, il rentre à Gabès. Pendant ce temps, Mlik sempare de Kairouan, mais se voit vite obligé dabandonner la ville face à larmée de Tamm75. Al-Ti est le seul historien qui affirme quIbrhm joue un rôle dans le siège de Kairouan, puisque pour Ibn aldn, il est déjà mort. Al-Ti mentionne sans aucune précision quIbrhm est mort après lavènement de Tamm76.

En 479/1086-1087, Tamm revient sen prendre à Gabès, peut-être pour châtier son gouverneur après la tentative avortée contre Kairouan. Ibn et Ibn al-Ar

disent tous deux que Tamm assiège dans le même temps Gabès et Sfax77. Ibn al-Ar précise que les soldats sont partagés entre les deux villes, Ibn affirme quon na jamais entendu parler dun tel double siège. Le souverain est pourtant forcé de retourner à Mahdiyya. En 486/1093-1094, sept ans plus tard, Tamm revient faire le siège de Gabès: cette fois, il conquiert son faubourg / raba78.

73 Bustn (pl. basn) est employé communément dans le sens de jardin potager et quelquefois de verger, ou de jardin en général. Naficy, E.I., s.v. Bustn.

74 Ibn al-Ar, X, p. 121; Ibn , I, p. 300; Ibn aldn, II, p. 24/VI, p. 189. La ġba désigne habituellement une forêt; voir Brice, E.I., s.v. Ghba. Il sagit évidemment ici de la palmeraie de Gabès. Brunschvig, La Berbérie orientale, II, p. 210, signale que les sédentaires qualifiaient les groupements darbres naturels ou cultivés, de quelque essence fussent-ils, de ġba. Selon Bédoucha, « Leau, lamie du puissant », p. 103, lusage désigne par ġba dans le Nafzwa une vaste et dense palmeraie. Duveyrier, Les Touareg du Nord, p. XXXI, donne à ce terme les sens de « verger de dattiers, forêt, oasis ».

75 Ibn al-Ar, X, p. 132; Ibn , I, p. 300; Ibn aldn, VI, p. 189/II, p. 24. Aucun de ces trois historiens névoque le rôle joué par Ibrhm. Al-Ti, pp. 330-331/241-242, est la seule source complète à ce sujet.

76 Al-Ti, p. 97/91.77 Ibn al-Ar, X, p. 159; Ibn , I, p. 300, repris par Ibn Ab Dnr, p. 85. 78 Ibn , I, p. 302.

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En 489/1095-1096, quinze ans après son premier échec face à Gabès, Tamm prend la ville de force: les habitants de Gabès ont assassiné leur tyrannique gouverneur Q et ont mis à leur tête Umar ibn al-Muizz ibn Bds, le frère rival de Tamm79. Les Gabésiens ont donc apparemment choisi de se replacer sous la tutelle des Zdes. Tamm ne supporte pas que deux fils dal-Muizz règnent au même moment, lun à Mahdiyya et lautre à Gabès. Il parvient à reprendre la ville et Ibn précise quil chasse Umar ibn al-Muizz hors de Gabès. Nous savons également, par le début dune qada reproduite par Ibn allik, que Tamm, en conquérant la ville, sapproprie des lances, des épées et des cavaliers. Mais très vite, le souverain est confronté à une révolte du peuple, qui se soumet aux Arabes. Ibn aldn explique que Tamm doit alors abandonner la région aux Zuġba; elle est ensuite occupée par leurs rivaux, les Riy. Cette prise de pouvoir consacre une des victoires décisives des Riy sur les Zuġba80. À lissue de ces multiples passations de pouvoir, Gabès est gouvernée - malgré lopposition zde - par lémir des Munqaa, Maggan81 ibn Kmil ibn mi82. Cest le chef dune des tribus des Dahmn, une fraction des Riy. Il fonde à Gabès la dynastie des Ban mi, qui se maintiendra jusquà la conquête almohade. La succession dévénements qui se déroulent entre la mort de Q et la victoire de Maggan laisse penser que la dynastie est fondée vers 491/1097-1098.

8. LA LUTTE DE CONTRE LES PIRATES DJERBIENS

Nous navons pas encore évoqué la situation de Djerba, car les sources ne donnent que très peu dinformations concernant lîle. Les textes ne disent pas si les Arabes ont menacé ou même occupé Djerba. À larrivée des Ban Hill, il semble que lîle se replie sur elle-même et développe la piraterie. Selon Ibn aldn, dès lépoque où les Arabes se sont emparés des plaines de lIfrqiya, les Djerbiens ont construit des navires et pillé les côtes. À la mort dal-Muizz en 1062, les Djerbiens se révoltent: ils commettent des actes de piraterie tant sur la mer que sur le littoral83. Ils coupent

79 Ibn al-Ar, X, pp. 257-258; Ibn allik, III, p. 322/II, p. 264; Ibn , I, p. 302; al-Ti, pp. 97/91-92; Ibn aldn, VI, p. 189/II, p. 24; VI, p. 197/II, p. 35; VI, p. 529/III, p. 157. Al-Wazr al-Sarr, I, p. 339, insiste sur la détestable attitude de Q.

80 Vers 466-467/1073-1075, les Zuġba avaient déjà été expulsés dIfrqiya par les Riy et sétaient mis alors au service du souverain ammdide. Idris, E.I., s.v. Hill.

81 Nous adoptons lorthographe Maggan mais on trouve également Makkan, Maqqan ou Maan. Ces différentes graphies tentent de rendre le g dur berbère. Idris, La Berbérie orientale, p. 297, note 234. Talbi, E.I., s.v. bis, donne Makk, qui figure chez al-Ti.

82 Sur la prise de pouvoir de Maggan, al-Ti, p. 97/92; Ibn aldn, VI, p. 197/II, p. 35; VI, p. 529/III, pp. 157-158. Voir annexe III sur la généalogie des Ban mi.

83 Al-Ti, pp. 125/119-120; Ibn aldn, VI, p. 475/III, p. 64.

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les routes, dévalisent les commerçants et attaquent les côtes, semant la terreur chez les habitants. En 491/1097-1098, Tamm sempare de lîle alors que sévit une terrible famine84. Il prend également les îles Qarqana et Tunis. En 499/1105-1106, il envoie une flotte et une armée imposantes pour reprendre Djerba qui sest révoltée, mais le général Ab l-asan al-Fihr doit revenir sur ses pas, car les Djerbiens, qui ont pris les armes, sont trop bien préparés à cette attaque. Il apparaît même quils auraient demandé des renforts / wa-stamadd85. Nous pensons quils se sont peut-être adressés aux ibites du abal Nafsa. Suite à la tentative avortée dAb l-asan al-Fihr, ils reprennent leurs actes de piraterie. Il ny a pas quà Djerba que se développent les repaires de pirates: après larrivée des Ban Hill, la piraterie sintensifie dans la Méditerranée, particulièrement à Bougie et à Bône86. Les Zrdes et les ammdides, privés des ressources de larrière-pays et acculés au littoral, trouvent une compensation financière dans la course. Dès la fin du XIe siècle, le développement de cette « véritable industrie dÉtat »87 apparaît comme lune des conséquences de linstallation des nomades dans le Maghreb central.

À la mort de Tamm se succèdent deux règnes très courts, celui de Ya ibn Tamm (501-509/1108-1116) qui na pas dinfluence sur le Sud tunisien, suivi par celui de Al ibn Ya (509-515/1116-1121). Dès son avènement, en 510/1116-1117, Al décide de soumettre les dangereux corsaires djerbiens et fait investir lîle par une armée conduite par Ibrhm ibn Abd Allh. Le blocus est si dur que les habitants ne tardent pas à se soumettre au souverain zde. Les muqaddam-s de lîle sont contraints de promettre de cesser leurs rapines sur les côtes de lIfrqiya et de ne plus dépasser Mahdiyya; désormais la sécurité est rétablie tant sur la mer que sur le continent88. Al-Ti insiste sur la grande victoire que représente la prise de pouvoir de Al sur les Djerbiens, qui de tout temps ont été tellement difficiles à réduire. La reconquête de Djerba par les Zdes semble pourtant bien éphémère: si lon en croit Ibn aldn, sous le règne du souverain ammdide al-Azz (1105-1124), Djerba entre dans la sphère dinfluence des ammdides89. Al-Azz envoie sa flotte bloquer lîle et la contraint à se soumettre; il se porte ensuite contre Tunis, qui a rejeté lautorité des ammdides après leur défaite à Sbba. Ibn aldn dit ailleurs que la soumission de Tunis à al-Azz date de 514/1120-1121 et on peut

84 Ibn al-Ar, X, p. 279. Ibn , I, p. 302, mentionne seulement les conquêtes de Tunis et de Qarqana.

85 Ibn , I, p. 303.86 Sur la piraterie, Pellat, E.I., s.v. urn, et Talbi, LÉmirat aghlabide, pp. 534-536, sur les débuts

de la piraterie en Ifrqiya.87 Golvin, Le Marib central à l’époque des Zirides, pp. 147-148. 88 Ibn al-Ar, X, pp. 513-514; Ibn , I, p. 306; al-Ti, pp. 125-126/120-121; Ibn aldn, VI,

p. 475/III, p. 64 (qui situe le blocus en 509/1115-1116); Ibn Ab Dnr, p. 91.89 Ibn aldn, VI, p. 209/II, p. 56.

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donc estimer que le blocus ammdide de Djerba a eu lieu la même année ou peu de temps auparavant90.

9. LATTAQUE DE GAFSA PAR LES BAN SINS

En 514/1120-1121, la région de Gafsa est dévastée par les Ban Sins91. Cette branche des Maġrwa, dont une partie vivait au Xe siècle à Gafsa et y professait libisme, a été évoquée plus haut. Ibn aldn les décrit comme des guerriers qui ont pris part à toutes les guerres entre tribus anh et zant, comme des bandits de grand chemin spécialisés dans les pillages. Cette année-là, ils ruinent les environs du château / qar de Gafsa, bloquent la ville et battent les troupes de la garnison anh, qui est sortie pour se porter à leur rencontre. Ils sen prennent sans doute également au Djérid. Le souverain zde Al envoie contre eux son général Muammad ibn Ab l-Arab et ce dernier parvient à mettre en fuite les Ban Sins hors du Djérid et à rétablir la sécurité des routes. Lannée suivante, devant de nouveaux soulèvements des Ban Sins, le général doit revenir et les mate cette fois définitivement. Selon Ibn aldn, les Ban Sins étaient tous riites; il ajoute que ceux dentre eux qui vivent à son époque dans le Zb le sont toujours92. Il est donc fort probable que les fractions qui sen prennent aux oasis sont également ibites.

Cet épisode de lhistoire de Gafsa soulève de nombreuses questions. Les maigres renseignements fournis par Ibn aldn permettent de formuler quelques hypothèses sur les raisons de ces attaques, mais nous ne pouvons que les mentionner, nosant pas, faute de sources, nous prononcer en faveur de lune ou lautre de ces explications. Tout dabord, rien ne prouve que les Ban Sins sont réellement des ibites. On peut supposer quil sagit de simples pillards, qui attaquent Gafsa sans aucune motivation religieuse ou politique. Dans le cas où ils adhèrent bien à cette doctrine, il est curieux quils sen prennent au Djérid, qui est un important centre intellectuel ibite. Suivant cette idée, on peut imaginer quils appartiennent à une branche dissidente, telle celle des nukkrites, qui prendrait soudain les armes. Les Ban Sins pourraient tout aussi bien être danciens habitants ibites de Gafsa qui, pour une raison inconnue, auraient quitté la ville sous la dynastie sunnite des Ban l-Rand et qui reviendraient se venger. Lhypothèse selon laquelle les nouveaux maîtres de la ville auraient chassé cette communauté est peu crédible, puisque lensemble du

90 Ibn aldn, VI, p. 193/II, p. 30.91 Ibn aldn, VII, p. 56/III, p. 274. Sur les Ban Sins, Lewicki, Du nouveau sur la liste, pp.

197-198.92 Ibn aldn, VI, p. 57/III, pp. 274-275.

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Djérid, sans doute encore majoritairement ibite, se soumet à eux de son plein gré. De plus, les Ban l-Rand apparaissent comme des gouverneurs éclairés, aimés de leur population grâce au petit État prospère et équilibré quils ont su bâtir. Peut-être y a-t-il eu un conflit dintérêt entre les Ban l-Rand et les ibites au sujet des bénéfices du commerce transsaharien? Dautre part, il est également probable quil ny a aucun rapport entre la présence des Ban l-Rand et le fait que ces bandits sattaquent à Gafsa. De toutes les oasis du sud de lIfrqiya, Gafsa est apparemment la ville où la communauté ibite disparaît le plus rapidement; au début du XIIe siècle, la majorité des ibites a sans doute déjà rejoint dautres communautés plus importantes, dans le Djérid par exemple. Cette migration a certainement démarré bien avant la prise de pouvoir des Ban l-Rand, à lépoque des Ban Maliya ou plus tôt encore. Il est regrettable de navoir pas plus dindications sur cet épisode, qui révèle des tensions qui nous échappent totalement.

Malgré les attaques des Ban Sins et le fait quelle a dû accepter laide des Zdes pour sen débarrasser, la dynastie des Ban l-Rand a toujours beaucoup dautorité. Après être devenu aveugle, Ab Umar al-Mutazz confie le pouvoir à son petit-fils Ya ibn Tamm. Hady Roger Idris souligne avec raison lanalogie qui existe entre le nom de Ya ibn Tamm ibn al-Mutazz et celui du souverain zde Ya ibn Tamm ibn al-Muizz. La ressemblance est si forte quil est difficile dy voir une coïncidence: les Ban l-Rand ont certainement voulu copier les Zdes93.

10. LAFFIRMATION DES BAN MI

À lépoque où les Ban l-Rand sont aux prises avec les Ban Sins, les Ban mi affrontent les Zdes. Rfi ibn Maggan ibn Kmil ibn mi al-Dahm dirige alors Gabès, qui jouit à cette époque dune réputation prestigieuse: on attribue aux Ban mi la fondation du célèbre « qar al-Arsayni », le palais des mariés, qui semble être une réplique de celui des ammdides à Bougie94. Au début du XIVe siècle, ce palais est déjà détruit, ainsi que la qaba95 dont il faisait partie; al-Ti lit au-dessus de lune des portes, gravée dans la pierre, une inscription datée de

93 Idris, La Berbérie orientale, p. 257.94 Sur ce palais, al-Ti, p. 97/92 et pp. 94-95/89; Ibn aldn, VI, p. 197/II, pp. 35-36; al-imyar,

s.vv. Al-Arsn et Qbis; Mawl Amad, pp. 273-274. Apparemment, il a dû être commencé sous les Zrdes, continué par Rfi, puis terminé par Ruayd. Idris, La Berbérie orientale, p. 352.

95 Nous noterons toujours qaba, qui fait partie du français courant, au lieu de qaaba, qui est le terme exact. La qaba ne désigne pas ici une simple citadelle, mais bien une véritable petite ville fortifiée, comprenant entre autres le palais de la famille du souverain, les demeures de sa clientèle, des bains, des mosquées, des casernes, les services fiscaux ainsi que les commerces. Deverdun, E.I., s.v. aaba.

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raab 500/mars 1107, attestant que Rfi ibn Maggan en est le fondateur. Comme les Gabésiens lui ont dit que cétait Ruayd ibn Kmil ibn mi, le successeur de Rfi, qui avait bâti le palais ainsi que la qaba, le voyageur en déduit que Rfi a seulement fait construire cette porte. Les savants de Gabès lui ont précisé que les Zdes ont commencé la construction et que les Ban mi se sont contentés de la terminer. Cet édifice paraît avoir bénéficié dune incroyable renommée: al-imyar, qui ladmire à deux reprises, décrit une citadelle réputée et prestigieuse, bâtie par les Ban Ruayd ibn mi. Selon lui, les anha avaient de la considération pour cette dynastie, bien quelle appartienne aux Ban Hill. Un autre élément fait état de la grande puissance de la dynastie arabe: Ibn aldn, reprenant Ibn Nal, dit que Ruayd a fait battre sa propre monnaie / al-sikka l-ruaydiyya96. Il n’y a malheureusement plus aucune trace des monuments édifiés par les Ban mi97.

Conscients de leur force, les Ban mi convoitent les grosses villes du littoral ifrqiyen et nhésitent pas à protéger les ennemis des Zdes. Du temps de Maggan, Gabès avait servi de refuge pour de nombreux opposants à Tamm: on y trouvait ibn Malll de Sfax, ou encore les Turcs chassés de Sfax et leur chef h Mlik. Elle abritait également Muann, le fils insoumis de Tamm. Allié à ces rebelles, Maggan avait tenté de prendre Sfax et Mahdiyya, mais sans succès98. Cette fois, cest avec laide des Normands de Sicile que le fils de Maggan compte affronter les Zdes. Définitivement conquise par Roger Ier en 1091, la Sicile est ensuite gouvernée par Roger II (m. 1154). Les Normands reprennent à leur compte le système de la imma, et appliquent aux musulmans de Sicile le traitement réservé aux juifs et aux chrétiens dans le Dr al-Islm.

En 511/1117-1118, Rfi ibn Maggan propose une alliance au roi normand pour contrer le souverain zde Al99. Précédemment, pendant le règne de Ya avec lequel il sest allié, Rfi a construit un navire destiné au commerce, en y investissant entre autres des fonds zdes. Or, bien que le pouvoir des Zdes de Mahdiyya soit considérablement réduit, Al entend contrôler à tout prix le monopole du commerce maritime et naccepte pas que le navire des Ban mi sorte en mer. Jugeant être seul à avoir le droit daffréter des navires, il envoie une flotte à Gabès afin dempêcher le navire de quitter le port. Rfi fait dès lors savoir à Roger II que le navire immobilisé contient des présents qui lui sont destinés: croyant à cette

96 Ibn aldn, VI, p. 197/II, p. 36. Idris, La Berbérie orientale, p. 541, indique que lun des fils de Ruayd a peut-être également fait frapper monnaie.

97 Il paraît quà lépoque afide, la dynastie locale des Ban Makk a laissé la qaba se délabrer au profit de son propre palais. Brunschvig, La Berbérie orientale, I, p. 313.

98 Ibn al-Ar, X, p. 242; Ibn , I, p. 302; al-Ti, p. 97/92; Ibn aldn, VI, p. 189/II, p. 24; VI, p. 197/II, p. 35.

99 Sur laffaire de Gabès, Ibn al-Ar, X, pp. 529-530; Ibn , I, p. 307; al-Ti, pp. 97-100/92-94; Ibn aldn, VI, p. 190/II, pp. 25-26 et VI, p. 197/II, pp. 35-36; Ibn Ab Dnr, p. 91.

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ruse habile, le Normand envoie à Gabès sa propre flotte pour vaincre le blocus imposé par les Zdes! Selon Ibn Ab Dnr, Rfi fait à cette occasion allégeance à Roger II / wa-daala tata atihi. Les événements qui suivent sont plus flous: al-Ti prétend que la flotte de Al attaque les chrétiens débarqués à Gabès et que ceux-ci sont forcés de regagner au plus vite leur bateau, abandonnant sur place les cadavres de leurs compagnons. Ibn aldn dit que les chrétiens sont battus en mer. Pour Ibn al-Ar, une fois les deux flottes à Gabès, Roger sen va et Al fait un dur siège de la ville. On ne sait en fait si les deux flottes saffrontent mais cet épisode compromet les relations sicilo-zdes, qui étaient pourtant amicales. Il est certain que, malgré le blocus, Al ne parvient pas à reprendre Gabès. Plus tard, Al et Rfi recrutent chacun des alliés arabes. Rfi vient devant Mahdiyya et est battu cruellement par les Zdes; il prend Kairouan qui lui est attribuée par le conseil de son clan, les Ban Dahmn, mais sen fait déloger et doit rejoindre Gabès, ayant fait la paix avec le pouvoir zde. Al-Ti prétend que lorsque Rfi accepte de gouverner Kairouan, Muammad ibn Ruayd est nommé w de Gabès: lhistorien se trompe puisque le successeur de Rfi est Ruayd, qui passe le pouvoir à son fils Muammad ibn Ruayd. Les Ban mi parviennent donc à conserver Gabès. Par contre, pendant ce temps, les relations sicilo-zdes senveniment: pour punir Roger II davoir envoyé sa flotte devant Gabès, Al fait emprisonner les agents commerciaux normands qui résident en Ifrqiya et fait confisquer tous les biens normands. Il sallie même aux Almoravides pour sattaquer à la Sicile, mais sa mort intervient en 1121 avant que les deux puissances ne saffrontent.

11. LA CONQUÊTE NORMANDE

Le règne dal-asan ibn Al (515-543/1121-1148) est marqué par limplantation chrétienne sur le littoral ifrqiyen. En 517/1123 déjà, les navires siciliens attaquent Mahdiyya, mais sans succès. La prise de Djerba constitue la première victoire de la lutte offensive des Normands en Afrique. On se souvient que l’île avait été reprise en 510/1116-1117 par Al, puis sétait soumise momentanément aux ammdides. Elle est rapidement redevenue une base de pirates indépendante. Ayant cessé de reconnaître la souveraineté zde, elle ne peut compter sur aucune aide de Mahdiyya pour lutter contre les chrétiens. Al-asan, même sil veut défendre Djerba, na plus les moyens de le faire: il dépend cruellement du blé de Sicile et de nombreux

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traités le lient au roi normand100. Ce dernier a pris pour premier ministre Georges dAntioche, lancien ministre de Tamm101; cet amiral le sert de façon remarquable grâce à sa connaissance des côtes ifrqiyennes. La conquête de Djerba constitue une entreprise particulière, puisquau lieu dassiéger une grande ville comme ils en ont lhabitude, les Normands sont confrontés à une population éparpillée sur lîle, ce qui rend les attaques plus difficiles. En 529/1135, Djerba est occupée par Georges dAntioche, au nom de Roger II102. Lîle est mise à sac par les Normands: nombre dhommes sont tués, la population est faite prisonnière, femmes et enfants sont vendus en Sicile. Une fois lamn prononcé, la plupart des captifs sont rachetés par ceux qui ont pu échapper aux troupes normandes103. Ibn Ab Dnr ajoute que Roger nomme un mil et fait des habitants ses serviteurs / wa-alahum awal lahu.

Dans une lettre adressée au calife fimide al-fiq, Roger II justifie son attaque de Djerba par les rébellions et les actes de piraterie que commettent les habitants de lîle. Ces derniers, en effet, quasi indépendants du souverain zde, passent outre aux accords qui lient les deux souverains. Il est probable que cest à la suite dune attaque djerbienne contre ses vaisseaux que Roger décide de semparer de lîle. Marius Canard souligne à juste titre que son acte vise surtout à sapproprier une base stratégique dans le golfe de Gabès, qui pourrait laider à conquérir lIfrqiya, alors quil a échoué devant Mahdiyya en 1123. Loccupation de lîle lui permet également de contrôler, si ce nest de bloquer, le trafic entre lÉgypte et lIfrqiya104. Sous la domination chrétienne, Djerba demeure un centre de piraterie, mais au profit cette fois de la flotte sicilienne, qui sattaque même aux vaisseaux dal-asan. Ainsi, un bateau venu dÉgypte à Mahdiyya est capturé, de même quun navire envoyé par al-asan au calife égyptien105. À cause du besoin pressant du blé de Sicile, al-asan doit pourtant renouveler ses traités avec Roger II. Ibn al-Ar et Ibn insistent sur les fléaux qui accablent lIfrqiya à lépoque de la conquête normande:

100 Peu avant la prise de Djerba, Roger la secouru en envoyant ses navires faire fuir la flotte du souverain ammdide Yay, qui assiégeait Mahdiyya. Ibn al-Ar, XI, pp. 31-32; Ibn , I, p. 312; al-Ti, pp. 339-340/252; Ibn aldn, VI, p. 191/II, p. 27; Ibn Ab Dnr, pp. 92-93. Voir Chalandon, Histoire de la domination normande, II, p. 158.

101 En 1130, après avoir unifié les possessions normandes dItalie, Roger II se fait couronner par le pape roi de Sicile, de Calabre et des Pouilles. Sur lIfrqiya normande, Brett, Muslim Justice under Infidel Rule: the Normans in Ifriqiya; Ahmad, La Sicile islamique, pp. 53-67; Idris, La Berbérie orientale, pp. 303-400.

102 Sur la prise de Djerba, al-Idr, p. 127/151; Ibn al-Ar, XI, p. 32; al-Ti, p. 126/121; Ibn aldn, VI, p. 475/III, p. 64; al-imyar, s.v. arba; Ibn Ab Dnr, p. 93. Ibn , I, p. 312 est le seul à dater la prise de lîle en 530/1136.

103 Seul Ibn Ab Dnr mentionne la vente des habitants en Sicile; seul Ibn al-Ar évoque le rachat des captifs.

104 Pour tout cela, Canard, Une lettre du calife fâimite, pp. 129-131. Le texte de la lettre est reproduit dans Pays dIslam et monde latin, pp. 28-30.

105 Al-Ti, p. 340/253. Voir Chalandon, Histoire de la domination normande, II, p. 159.

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depuis 537/1142-1143 en effet, la famine et la peste ruinent le Maghreb; lhiver de 542/1147-1148 est si dur que les gens se mangent entre eux106.

En 540/1145-1146, Roger sempare des îles Qarqana et de Tripoli. Quelque temps plus tard, des événements graves se déroulent à Gabès, qui est alors gouvernée par Muammad, fils de Ruayd ibn Kmil107. Selon Ibn al-Ar, les choses se passent ainsi: Ysuf, le mawl / affranchi de Ruayd, prend parti à la mort de son maître pour son jeune fils Muammad. Il chasse de Gabès Muammar, le fils aîné de Ruayd, qui était censé gouverner la ville. Ysuf en profite pour violer les femmes du harem de Ruayd, dont une jeune femme de la tribu des Ban Qurra. Muammar sallie alors les Arabes Ban Qurra et demande laide du souverain zde al-asan pour lutter contre Ysuf. Cet usurpateur, qui naccorde aucun pouvoir à son soi-disant protégé Muammad ibn Ruayd, prie Roger II de linvestir du gouvernement de Gabès: il reçoit la ila et devient le nib / représentant de Roger dans la wilya de Gabès. Ibn Ab Dnr dit que, ravi, Roger envoie à Ysuf un siill et des décorations chrétiennes / taf al-na; il ajoute que Roger fait lever par Ysuf, à son propre profit, limpôt de Gabès. En 542/1147-1148, une armée zde vient à Gabès et la population, outrée davoir été livrée aux chrétiens, lui offre la ville. Al-asan met au pouvoir Muammar ibn Ruayd, légitime gouverneur de Gabès. Ysuf connaît une fin peu enviable: il est chassé de Gabès par les habitants et atrocement torturé. Al-Ti prétend que les Gabésiens envoient le rebelle aux Arabes, qui lui coupent les parties génitales pour le châtier davoir violé les femmes du gouverneur. Ibn Ab Dnr affirme que les Arabes le tuent.

, le frère de Ysuf, va alors trouver Roger II et se plaint auprès de lui de lintervention dal-asan, qui a rétabli le pouvoir de Muammar ibn Ruayd 108. Selon al-Ti, se soumet au roi normand et lui assure que le coup dÉtat fomenté par son frère Ysuf avait pour seul but de lui livrer la ville! À cette annonce, Roger aurait entrepris un long siège de Gabès, avant de rentrer en Sicile109. Si lon en croit al-Ti, les maîtres successifs de Gabès font vraiment preuve de beaucoup dastuce: dans cet épisode tout comme dans celui de 511/1117-1118, ils parviennent à obtenir laide du roi sicilien en lui faisant miroiter de fortes compensations. Si cette expédition contre Gabès a réellement lieu, elle est un second fiasco pour Roger. Nul doute que ce nouvel échec, entraînant de fortes dépenses, ne renforce le roi dans sa

106 Ibn al-Ar, XI, p. 124; Ibn , I, p. 313. 107 Ibn al-Ar, XI, pp. 120-121; al-Ti, pp. 100/94-95; Ibn aldn, VI, p. 197/II, pp. 36-37; Ibn Ab

Dnr, p. 94. Dans certaines versions, Ysuf est le mawl de Muammad, gouverneur de Gabès. Dans tous les cas, il sempare brusquement du pouvoir et se conduit honteusement. Craignant des représailles, il se fait investir mil du roi de Sicile à Gabès par Roger II.

108 Ibn al-Ar, XI, pp. 120-121; al-Ti, p. 100/95; Ibn aldn, VI, p. 197/II, p. 37; Ibn Ab Dnr, p. 94.

109 Ce siège de Gabès est évoqué par al-Ti et par Ibn aldn.

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préparation de la prise de Mahdiyya. Il paraît en effet certain que Roger estime que la victoire dal-asan à Gabès constitue un bon prétexte pour attaquer Mahdiyya110. Ibn al-Ar raconte quil fait équiper sa flotte et prétend que le but de lexpédition est de remettre au pouvoir Muammad ibn Ruayd, qui a sans doute accompagné en Sicile. Arrivé à Mahdiyya, Georges dAntioche force le souverain zde al-asan à fournir des renforts pour aller rétablir Muammad à Gabès. Résolu à ne pas aider les chrétiens au détriment des musulmans, al-asan quitte la capitale avec ses proches et Roger sempare facilement de la ville.

En 543/1148, Georges dAntioche sempare donc de Mahdiyya, puis de Sousse et de Sfax. Il prend également Gabès dans des circonstances obscures. Les sources arabes mentionnent la révolte de Gabès contre les Normands mais nindiquent pas à quel moment la ville leur ouvre ses portes; la prise de Gabès nest attestée que par les sources chrétiennes111. Il paraît logique que Gabès se soumette automatiquement aux Normands en 543/1148 lorsque ceux-ci semparent de Mahdiyya, puisque Georges dAntioche, si lon en croit Ibn al-Ar, a entre autres buts de restaurer le pouvoir de Muammad ibn Ruayd. Gabès peut en tout cas éviter toute violence et est la seule ville à ne pas être prise par la force112. Elle vit sous la domination normande comme le reste du littoral ifrqiyen mais est toujours dirigée par les Ban mi; elle ne subit pas la présence dune garnison normande, comme cest le cas à Tripoli, qui a pourtant pu également conserver à sa tête la famille qui la dirigeait avant la conquête chrétienne. Gabès, tout comme le reste du littoral ifrqiyen, paie dorénavant un tribut à Roger II, roi de Sicile, dIfrqiya et dItalie. Selon Ibn Ab Dnr, les tribus arabes de toute lIfrqiya envoient des délégations au roi normand, chargées de reconnaître sa souveraineté à la place de celle dal-asan113. Tant à Djerba que dans les villes côtières de Sousse à Tripoli, Roger II instaure un protectorat dont le but est essentiellement commercial. Les chrétiens se conduisent avec tolérance vis-à-vis des musulmans, qui bénéficient de la prospérité que leur assure la domination normande: les échanges entre la Sicile et lIfrqiya sont très productifs, le commerce entre Gabès et le Sn est sans doute stimulé.

En 548/1153, dix-neuf ans après larrivée des chrétiens, les Djerbiens tentent de se libérer du joug normand et assassinent un grand nombre de chrétiens. Les Normands prennent lîle une seconde fois et y massacrent les habitants; une grande partie de

110 Sur la prise de Mahdiyya, Ibn al-Ar, XI, pp. 125-127; Ibn , I, p. 313; al-Ti, pp. 340-342/253-255; Ibn aldn, VI, p. 191/II, pp. 27-28.

111 Idris, La Berbérie orientale, p. 360.112 Brett, Muslim Justice under Infidel Rule, p. 15.113 Ibn Ab Dnr, p. 95.

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la population est réduite en esclavage et emmenée en terre chrétienne114. Al-Ti dit que les seuls habitants qui demeurent à Djerba sont ceux qui ne présentent aucun intérêt aux yeux des chrétiens. Ibn aldn prétend que des chrétiens sinstallent sur lîle, pour administrer les gens du peuple et les cultivateurs. Il est certain que Djerba est la contrée qui subit le plus cruellement les attaques normandes. Avec Mahdiyya, elle est la seule région dIfrqiya directement administrée par les chrétiens. La izya est perçue à Mahdiyya et il est probable que les Normands ont également tenté dimposer le paiement de cet impôt aux Djerbiens. Sils y sont parvenus, on peut imaginer la tâche colossale qua dû représenter le recensement des musulmans de lîle115.

Le soulèvement contre les Normands sorganise dès lavènement du fils de Roger II, Guillaume Ier surnommé « le Mauvais » (1154-1166), qui est visiblement beaucoup moins tolérant que son père. De nombreux facteurs contribuent à créer un climat propice à la rébellion de lAfrique normande. Lenvie de révolte ne se limite dailleurs pas aux régions peuplées de musulmans: dès 1155, lItalie du sud connaît de sérieux troubles, qui profitent aux Ifrqiyens. Dans le même temps, les Almohades accumulent les victoires, ce qui stimule les populations musulmanes vivant sous le joug chrétien. Al-Ti raconte que les Normands incitent les imm-s de Tripoli à maudire les Almohades dans les mosquées, sans aucun résultat116. Il semble que le souverain almohade Abd al-Mumin, chez lequel se sont réfugiés plusieurs princes ifrqiyens déchus, intrigue en faveur des révoltes du littoral ifrqiyen117. Ibn aldn, pour sa part, pense que ces révoltes résultent du fait que les gouverneurs normands oppriment les musulmans, mais on ne sait si cette oppression est économique ou fiscale; on peut envisager que les Normands ont voulu sarroger une trop belle part des bénéfices commerciaux118. Sfax est la première ville à se défaire du joug normand, en 551/1156-1157; les chrétiens sy font massacrer. Sa rébellion est suivie par celles de Djerba et des îles Qarqana, puis par celle de Tripoli. Selon Ibn al-Ar, après les révoltes de Sfax et de Tripoli, Gabès se révolte contre les Normands sous la conduite de Muammad ibn Ruayd, qui a donc pu recouvrer son pouvoir sous la tutelle du roi de Sicile; la libération de la ville intervient sans doute en 553/1158-1159, lannée de la révolte de Tripoli119. Seule Mahdiyya doit attendre les

114 Al-Idr, p. 127/151; al-Ti, p. 126/121; Ibn aldn, VI, p. 475/III, p. 64; al-imyar, s.v. arba.

115 Brett, Muslim Justice under Infidel Rule, p. 16.116 Al-Ti, p. 242/196.117 Chalandon, Histoire de la domination normande, II, p. 237.118 Ibn aldn, VI, p. 199/II, p. 39. Brett, Muslim Justice under Infidel Rule, p. 21.119 Ibn al-Ar, XI, p. 204.

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Almohades pour être délivrée de la domination normande; la ville accueille à cette époque de très nombreux chrétiens, qui fuient les villes revenues à lislam120.

Tant Gabès que Djerba ont donc pu se libérer seules de la présence chrétienne; si Djerba est demeurée normande pendant environ vingt-deux ans, Gabès ne lest restée que pendant approximativement dix ans. Pendant loccupation normande, la situation du reste du Sud tunisien est très confuse: il semble que Nefta demeure sous la domination de la dynastie ammdide de Bougie121. Le dernier souverain ammdide, Yay ibn al-Azz, tente effectivement de profiter de la déchéance des Zrdes pour conquérir lIfrqiya et organise plusieurs expéditions militaires122. À une date inconnue123, Yay ibn al-Azz envoie une armée à Tozeur où sest révolté Ibn Farqn. Larmée, menée par le faqh Muarrif ibn Al ibn amdn, prend la ville de force et sempare dIbn Farqn. On ne sait si ce dernier est assassiné ou sil vit emprisonné à Alger jusquà sa mort124. Il apparaît donc que les oasis du Djérid sont dans leur ensemble à nouveau soumises aux ammdides plutôt quaux Ban l-Rand de Gafsa. Depuis lavènement de cette dynastie, les oasis nont cessé dhésiter entre ces deux puissances pour des raisons qui nous échappent, en fonction sans doute de leur intérêt du moment; la brève occupation normande semble avoir fait pencher définitivement la balance en faveur des ammdides.

12. LÉVOLUTION DES COMMUNAUTÉS IBITES

La prépondérance intellectuelle de Djerba a décliné dès lattaque dal-Muizz ibn Bds en 431/1039-1040, et la situation saggrave lorsque lîle tombe aux mains des chrétiens en 529/1135. La fuite des étudiants vers Ouargla et le wd Rġ, commencée bien plus tôt, saccélère et ce sont alors ces régions qui deviennent les grands centres de la production intellectuelle ibite. Sous le gouvernement des Ban l-Rand, la communauté ibite de Gafsa semble avoir disparu ou sêtre considérablement réduite. Il y a encore des wahbites à Gabès sous les Zdes125 mais, à lépoque des Ban Walmiya et de la dynastie arabe des Ban mi, leur sort y est sans doute peu enviable. Un ay ibite se fait dailleurs exiler par ses pairs

120 Chalandon, Histoire de la domination normande, II, p. 239. 121 Magnin, Les Banou Al-Khalaf de Nefta, p. 348.122 Sur ces expéditions, Bourouiba, Les Hammadites, pp. 81-85.123 Yay ibn al-Azz règne de 515/1121-1122 ou 518/1124-1125 à 547/1152.124 Ibn aldn, VI, p. 209/II, p. 57. L’éd. donne Marwn à la place de Farqn, qui apparaît dans la

trad. de Slane; il paraît certain quil sagit ici dun membre de la célèbre famille des Ban Farqn de Tozeur, famille qui a visiblement repris la direction de la ville aux Ban Ws. Les Ban Farqn gouvernent toujours Tozeur à lépoque de la conquête almohade. Ibn aldn, VI, p. 520/III, p. 142.

125 Lewicki, Les ibites en Tunisie, p. 8, note 21.

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parce quil est coupable de sêtre rendu chez les émirs de Gabès, qual considère comme des tyrans126. On ignore sil fait allusion aux gouverneurs zdes de Gabès, aux Ban Walmiya ou aux Ban mi. La presquîle de Akra, par contre, est toujours fortement peuplée dibites: au XIe siècle, outre des wahbites, des fidèles de Naff y vivent encore, sans doute en compagnie de quelques alafites et nukkrites127. Le abal Dammar, laissé à labri des tempêtes, compte toujours deux centres intellectuels renommés, Tnn et Tamlast. Tamlast semble être la ville principale de cette région, peuplée de Zanzafa, de Lamya et de Mazta. La personnalité marquante de Tamlast est Ab l-Rab Sulaymn ibn Yalaf al-Mazt128. Il fait ses études chez Ab Abd Allh Muammad ibn Bakr, devient un savant de haut niveau et crée une alqa à Djerba, à côté de la première alqa dirigée par Ab Muammad Wn. En 471/1078-1079, il gagne sans doute avec sa alqa un mu qui se trouve fawqa / au-dessus des sources de Tnn. Il souhaite ensuite emmener ses étudiants dans le abal Dammar afin dy étudier « les livres de Tamlast » mais il meurt cette année-là129.

À lépoque dAb Yazd, le abal a massivement adopté la doctrine nukkrite, mais après larrivée des Arabes, il est probable que les wahbites y sont redevenus majoritaires. Au XIVe siècle cependant, al-Ti trouve encore des nukkrites et des naffites à Ġumrsin, dans les montagnes du sud-est de la Tunisie130. Le Nafzwa est toujours fortement marqué par libisme et au début du XIe siècle, Fasa compte encore douze mosquées ibites131. Si urra est également ibite, son muqaddam périt vers le milieu du XIe siècle parce quil a maltraité des azzba wahbites: on voit chez al un groupe de azzba passer par urra et le muqaddam de cette ville, Ab , leur causer du tort. Les azzba le mettent en garde contre la réaction des wahbites, mais il se moque deux en les incitant à le maudire. Lorsquils arrivent à Djerba, les azzba rencontrent des ay-s et leurs élèves, dont Ab l-Rab Sulaymn ibn Yalaf al-Mazt. Après avoir salué les ay-s, les azzba leur racontent ce qua fait Ab , et ajoutent quil sest moqué deux. Ab l-Rab fait alors des invocations avec ses compagnons. Au moment où sa malédiction prend fin, le muqaddam est frappé par une douleur si forte quil se met à crier. Il na que le temps, avant de mourir, de comprendre que cest Ab

126 Al, pp. 358-359. 127 Lewicki, Les ibites en Tunisie, pp. 8-9.128 Al, p. 403. Voir Prevost, Genèse et développement de la alqa, pp. 114-116.129 Al, pp. 395-397. Voir carte 4.130 Al-Ti, pp. 187-188/164-165.131 En 467/1074-1075, un ibite originaire de Fansa affirme avoir connu dans sa ville natale

douze mosquées fréquentées, dont une seule subsiste désormais. Ab Zakariyy’, pp. 328-329; al-Wisyn, p. 44.

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l-Rab Sulaymn ibn Yalaf al-Mazt qui la tué132. On ne sait rien de plus sur Ab , si ce nest quen tant que muqaddam de urra, il dirigeait les ibites de cette ville. Son animosité envers les azzba wahbites laisse penser quil était nukkrite.

Les pages précédentes ont montré que les oasis du Djérid se sont illustrées à deux reprises dans lévolution de lorganisation des ibites. Dune part, cest dans loasis dal-mma, où vivent les deux ay-s Ab l-Qsim et Ab azar, que sest développée une première tentative de alqa importante et qu’a été fomentée la révolte de Bġya. Dautre part, cest à Taqys que les wahbites se sont rassemblés autour de Ab Abd Allh Muammad ibn Bakr et ont décidé de gagner le wd Rġ pour y rédiger le règlement de la alqa. Il semble quau XIIe siècle, les oasis ne comptent plus que des wahbites et des nukkrites: les sakkkites qui vivent à Qanrra disparaissent vers la fin du XIe siècle133. À Tozeur, les Ban Wsn ibites possèdent encore un quartier au XIe siècle, le quartier / darb des Ban Mabdl134. Si certaines villes, telles Qanrra, Taqys et Darn, demeurent des hauts lieux du wahbisme, dautres subissent déjà la reconquête du sunnisme. À al-mma, après léchec de la révolte de Bġya, le mlikisme ne cesse de gagner du terrain. Malgré les efforts des ay-s qui tentent dy ranimer libisme, les derniers wahbites dal-mma doivent abandonner leur foi vers la fin du XIIe siècle: les mlikites semparent de leur grande mosquée et la lavent à grande eau pour la purifier135. Il est probable que les ibites vivant dans des cités du Djérid progressivement gagnées au mlikisme choisissent dimmigrer dans les villes voisines restées majoritairement ibites. Cest peut-être également le cas de certains habitants de Gabès et de Gafsa. Après larrivée des Ban Hill, les ibites du Djérid accueillent nombre de leurs coreligionnaires: de petites communautés telles que celles du Sil, dont une partie des plantations ont été détruites par les nomades, ont certainement rejoint des centres plus importants136. Les nukkrites sont difficiles à localiser: la localité de Saddda, peuplée majoritairement de Ban fran, est sans doute restée nukkrite après la mort dAb Yazd. Il n’y a manifestement pas de trace de la création dune véritable alqa dans le Djérid, mais les alqa-s créées dans dautres centres ibites se rendent fréquemment dans la région: ainsi, en 449/1057-1058, Ab l-Rab Sulaymn ibn Yalaf al-Mazt et ses élèves viennent rendre visite aux

132 Al, pp. 395-396.133 Brunschvig, La Berbérie orientale, I, p. 321; Lewicki, E.I., s.v. Nukkr; Les subdivisions de

l’Ibiyya, p. 81; Historiens, biographes et traditionnistes, p. 67.134 Un savant ibite fait ses études dans ce quartier de Tozeur: il raconte quil y a étudié cinq cents

livres, quil y a rassemblé cinq cents dr-s et quil y a mangé cinq cents têtes de brebis noires. Al, p. 383.

135 Al-Dar, p. 484.136 Lewicki, Un document ibite inédit, p. 191.

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deux communautés wahbites de la Qasliya et du Nafzwa137. Il est probable que les ibites de ces régions dépendent dune autre alqa ou, tout au moins, se réfèrent à son jugement en cas de litige.

Nous avons quelques renseignements sur la façon dont les ibites ont géré leurs relations avec les Ban Hill. Les chroniques ibites insistent sur les butins illicites que font régulièrement ces tribus nomades en attaquant les villes ou les caravanes. Al-Wisy raconte que les ibites sopposent aux Arabes avec un certain défaitisme et le moins dagressivité possible, sachant bien quun combat armé tournerait à leur désavantage. Leur opposition aux Arabes sexprime alors par un blocus économique: ils excluent automatiquement largent et les marchandises des Ban Hill. On voit ainsi un ay refuser de prendre en location un dromadaire appartenant aux Arabes, alors quil doit amener le bois de chauffage à la mosquée en prévision de lhiver. Il y a un véritable boycott de tout ce qui est arabe, les ibites préférant mourir de soif plutôt que de boire une eau appartenant aux nomades138. Ab Ammr Abd al-Kf lui-même prend part à la grande polémique concernant la présence néfaste des Ban Hill: il décrète que puisque les biens de ces nomades ont été acquis par le vol, toute relation commerciale entre les ibites et les Ban Hill est prohibée139. Cette attitude est adoptée également par certains mlikites: le grand juriste kairouanais al-Suyr (m. vers 1068), par exemple, boycotte lui aussi les marchandises passées entre les mains des Arabes. Vu le nombre de troupeaux dérobés par les nomades, il sabstient de manger la viande et dutiliser le cuir provenant de bêtes qui pourraient avoir été acquises par le vol140. Certains lettrés sont forcés de quitter la ville dans laquelle ils enseignent, à cause du fréquent passage des nomades: cest le cas dAb l-Rab Sulaymn ibn Yalaf al-Mazt (m. 471/1078-1079), le fameux savant de Tamlast. Avant 449/1057-1058, il gagne une ville plus sûre, Qalat Al / Qalat Ban Al dans le abal Zanzafa141, non loin de Tamlast, où il demeure avec ses élèves jusquen 462/1069-1070142. À Tamlast passe en effet la route quempruntent les Ban Hill pour circuler entre la Tripolitaine et lIfrqiya; cest donc pour se mettre en sécurité quil déménage. Il rejoint ensuite Tamlast puis Tn, où il préside une alqa composée détudiants venus du Sf, du Zb, du wd Rġ, de Ouargla et de la Qasliya143.

137 Ab Zakariyy’, p. 272.138 Gouja, Le Kitb al-Siyar, pp. 194-197. 139 Strothmann, E.I., s.v. Al-Tanwut. 140 Idris, Le crépuscule de lécole mlikite kairouanaise, pp. 496-497.141 La tribu ibite des Zanzafa fait partie des Hawwra. Lewicki, Mélanges berbères-ibites, pp.

271-272.142 Al, p. 403.143 Ab Zakariyy’, pp. 276-277. Voir aussi Lewicki, E.I., s.v. Al-Mazt.

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Il semble que même lorsque les choses senveniment entre Arabes et ibites, ces derniers parviennent à sarranger et à récupérer leur dû. Alamm raconte ainsi que des Arabes sattaquent à Ouargla et semparent dun groupe de servantes. Un célèbre ay ibite va trouver les ravisseurs et les supplie de restituer ces femmes; après force palabres, les Arabes sexécutent144.

13. LE TÉMOIGNAGE DAL-IDRS

Son Kitb Rur ou Nuzhat al-mutq f tirq al-fq, « Divertissement pour celui qui désire parcourir le monde », destiné au roi normand Roger II, est achevé en 548/1154145. Cet ouvrage est particulièrement important, puisqu’il offre la seule description détaillée du sud de lIfrqiya pendant lépoque comprise entre larrivée des Ban Hill et celle des Ban Ġniya et de Qarq.

Al-Idr commence son commentaire de la deuxième section du troisième iqlm / climat par la liste des villes quil contient et cite plusieurs localités du Djérid146. À quatre étapes de Bġya se trouve Tozeur, chef-lieu de la Qasliya, qui possède un rempart fortifié et de très nombreux palmiers. On y trouve des dattes en abondance, des cédrats, des fruits et des légumes dexcellente qualité. Les eaux ny sont pas bonnes, elles ne désaltèrent pas147. De Tozeur, en marchant vers le nord-est148 pendant une petite étape, on atteint la ville dal-amma, où abondent les palmiers. Leau ny est pas bonne mais elle est potable et la population sen contente. À environ vingt milles se trouve Taqys, une jolie ville prospère située entre al-amma et Gafsa, qui produit des dattes et des légumes, du henné, du cumin et du carvi. Les indications géographiques fournies ici sont inexactes: Taqys, qui se trouvait à proximité de lactuelle Dg, nétait certainement pas située à vingt milles dal-mma, mais en était bien plus proche; elle était par contre fort éloignée de Gafsa149.

144 Alamm, pp. 399-400.145 Dozy et de Goeje, Description de lAfrique et de lEspagne, p. IV, signalent quil fait des additions

plus tardives. Nous nous basons ici sur leur éd. trad. et les notes qui laccompagnent. Nous avons également consulté léd. trad. Hadj-Sadok, Le Marib au 12e siècle de lhégire (sic); nous relèverons les variantes entre les deux éditions dans les notes.

146 Sur le Djérid, al-Idr, pp. 104/121-122. 147 L murwin, qui vient de arw √RWY; Kazimirski, s.v. raw.148 Léd. Dozy et de Goeje, p. 104/122, donne bayna anb minh wa-arq. Il sagit bien entendu

dune erreur, puisque la ville se trouve au nord-est. Léd. Hadj-Sadok, p. 138/126, rectifie lerreur et donne bayna aml minh wa-arq, mais la trad. reste néanmoins « sud-est ».

149 Sur les indications géographiques que fournit al-Idr sur le Sud tunisien, tant dans le Kitb Rur que dans le Uns al-muha wa-raw al-fura qui lui est attribué, voir Prevost, Les itinéraires d’al-Idrs dans le Sud tunisien: deux versions bien différentes.

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Une autre description des oasis du Djérid à cette époque figure chez le géographe al-Zuhr, mort entre 1154 et 1161. Son Kitb al-arfiyya doit être situé peu après 1150150. Il cite Gafsa puis évoque les villes qui sont dans la dépression / awf de lIfrqiya, Gabès, Nefta, Tozeur-la-verte / Tawzar al-ar et Banara151. Il dit quon nomme cette région azir al-tamr, les îles des dattes, c’est-à-dire les oasis, parce quelle regorge de palmiers152. Al-Zuhr insiste sur la luxuriance de Tozeur: al-ar qualifie une cité qui se distingue par sa végétation abondante; ainsi, le Kitb al-Istibr décrit une ville proche de Milyna, nommée al-ar à cause de ses nombreux jardins153. Tawzar al-ar est aujourdhui encore le nom poétique de la ville154.

Al-Idr fait une description élogieuse de Gafsa, qui correspond à lépoque pendant laquelle la dynastie des Ban l-Rand règne sur la ville155. Gafsa est une belle ville, protégée par un mur, située à une étape de Taqys. Leau de sa rivière est meilleure que celle de la Qasliya. On y voit des sq-s et des fabriques, des villages fortifiés considérables et bien peuplés; cest un centre important dans la région. On cultive à Gafsa du henné, du coton et du cumin, ainsi que dexcellentes variétés de dattes.

Selon le géographe, la plupart des habitants de Gafsa sexpriment en langue latine ifrqiyenne / bi-l-lisn al-lan al-ifrq. Ce passage relatif à la population de langue latine ne peut être mis en doute. Al-Idr est savant et connaît le latin; le parler qui subsiste à Gafsa nest pas moins éloigné du latin que les dialectes romans de lItalie ou de lEspagne, et le géographe peut facilement le qualifier de « langue latino-africaine », selon lexpression de Tadeusz Lewicki156. Ce dernier souligne que lan possède une double signification en arabe médiéval, désignant dune part la langue latine et dautre part les dialectes romans; grâce à sa familiarité avec le français et le dialecte roman sicilien, al-Idr peut classifier la langue entendue à Gafsa et reconnaître quil sagit bien dun dialecte roman, mais qui est caractérisé par des formules différentes de ce quil a connu en Sicile, ce qui lamène à le définir

150 Lewicki, Arabic External Sources, p. 58; Cuoq, Recueil des sources arabes, p. 115.151 Banara correspond peut-être à la ville de Bans, située à plus dune journée de marche au sud-

ouest de Biskra. Al-Bakr, pp. 72/147-148, donne la description de cette ville riche en dattiers, étape sur la route qui mène dOran à Kairouan en passant par la Qasliya. Sur Bans, voir Cambuzat, Lévolution des cités du Tell, II, pp. 51-52.

152 Al-Zuhr, § 275.153 Kitb al-Istibr, p. 171/106. Voir aussi al-Bakr, p. 61/127. Al-Idr signale que le prix des grains

est généralement très élevé à Tozeur, car il faut les importer, et al-Zuhr estime que lagriculture restreinte de la ville est le fait des Arabes. À ce sujet, voir infra.

154 Saada, Études sur le parler arabe de Tozeur, p. 90.155 Sur Gafsa, al-Idr, pp. 104-105/122-124.156 Lewicki, Une langue romane oubliée, p. 417 et pp. 430-431; W. Marçais, Comment lAfrique du

Nord sest arabisée, I, pp. 8-9. Al-Muqaddas, pp. 58-59/243, remarquait déjà quoutre larabe, les habitants du Maghreb parlaient une autre langue, proche du roman / bi-qarb al-rm.

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comme africain. Il y a évidemment un lien entre la survivance de cette langue et la persistance du christianisme157. Outre la particularité que constitue lusage de cette langue, al-Idr indique que les habitants de Gafsa se sont berbérisés. À une autre reprise, il évoque un peuple qui a vécu cette transformation: il sagit des Zanta, Arabes purs qui se seraient berbérisés au fur et à mesure de leur voisinage et de leurs pactes avec les Mamda158. Cest bien sûr invraisemblable puisque les Zanta sont des Berbères. Une éventuelle berbérisation des Arabes nest pas envisageable, car elle serait à contre-courant de lévolution générale que connaît le Maghreb médiéval159: bien au contraire, ce sont les tribus berbères qui se sont partiellement et progressivement arabisées. On ignore donc quel groupe de population berbérisée mentionne al-Idr; il fait peut-être allusion aux nombreux Afriqa que compte encore la ville, ou à un caractère particulièrement berbère de Gafsa, qui a pu le frapper.

Al-Idr est le premier géographe qui cite la source nommée al-arm160, située au centre de la ville. Pour Tadeusz Lewicki, ce mot latin-africain est formé à partir de lablatif pluriel du latin « thermis »161. Pour Arthur Pellegrin par contre, sil évoque le « thermae » latin, il vient en fait du grec « thermos » et adopte une vocalisation byzantine162. Aujourdhui encore, ce terme est employé par les habitants de Gafsa pour désigner les deux piscines de la source thermale, sous la forme « termid » ou « termil ». Charles Tissot affirme que la véritable prononciation locale est « termil » et que cest dailleurs lorthographe que lon trouve chez al-Idr, ce qui est erroné163. À Gafsa, le plus grand des bassins porte le nom de Termid / Termil al-ril; il est destiné au bain des hommes. Pierre Bodereau et Charles Tissot estiment que le bassin des hommes mesure environ vingt-cinq mètres sur vingt164. Lautre bassin, plus petit, est appelé Termid / Termil al-nis, le bassin des femmes; on le

157 Sur la persistance du christianisme, voir infra et Prevost, Les dernières communautés chrétiennes autochtones d’Afrique du Nord.

158 Al-Idr, p. 88/102. 159 W. Marçais, Comment lAfrique du Nord sest arabisée, II, p. 191.160 Le Kitb al-Istibr, p. 152/71, ainsi quun des manuscrits dal-Idr, donne al-armd, qui est

repris dans léd. Hadj-Sadok, p. 139/127. 161 Lewicki, Une langue romane oubliée, pp. 455-456.162 θερµος donne au datif pluriel (locatif) θερµοις, et θερµις en byzantin. Le θ devenant t et le ς

devenant , la forme arabe sécrit T.rm. Dans le dialecte tunisien, le t est sonorisé en d et le s étranger transformé en , ces deux transformations étant fréquentes: T.rm devient donc D.rme. Actuellement, les Tunisiens nomment encore « Dermech » le quartier de Carthage où se trouvent les thermes dAntonin. Pellegrin, Essai sur les noms de lieux, p. 139.

163 Tissot, Géographie comparée, II, p. 666, note 1.164 Bodereau, La Capsa ancienne, la Gafsa moderne, p. 58; Tissot, Géographie comparée, II, pp.

666-667. Ces mesures sont fortement sujettes à caution: Saumagne, Capsa, p. 522, prétend quil fait dix-neuf mètres sur seize. Mayet, Voyage dans le sud de la Tunisie, p. 182, décrit un bassin de dix à douze mètres de côté.

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nomme également ayn al-Nar ou ayn al-Rm, la source des chrétiens165. Ces deux bassins sont les seuls monuments anciens qui demeurent à Gafsa.

Al-Idr décrit ensuite Nefta, une ville urbanisée et bien peuplée qui compte des sq-s, des palmeraies et qui produit de bonnes récoltes166. Il évoque longuement Gabès, grande ville peuplée, dont les environs sont couverts de jardins luxuriants et touffus167. La ville est protégée par un rempart bien fortifié entouré dun fossé. Elle renferme des sq-s, des édifices, des commerces riches en marchandises. On y produit quantité de fruits, des dattes, des olives et de lhuile. Les habitants prennent leur eau dans le wd Qbis: cette eau nest pas bonne, mais elle est au moins potable et ils lapprécient. Gabès est située à six milles de la mer, du côté nord, et une étendue longue dun mille, couverte de sable, sépare lorée du bois de la mer. Cette forêt est composée darbres, de jardins, de vignes et de nombreux oliviers. Le port de Gabès est de moindre importance car il nest pas protégé du vent; seuls les bateaux dun gabarit réduit peuvent mouiller dans la petite rivière soumise aux marées, que lon ressent à une distance denviron un jet de flèche. La population nest pas aimable mais elle est propre et bien mise. Dans la steppe qui entoure Gabès, par contre, on ne voit que violence, destruction et routes coupées. Cette affirmation dal-Idr ne surprend pas, puisque les dangers que présentent les environs de Gabès et la route qui mène vers Tripoli sont bien connus; Ibn awqal dénonçait déjà les brigands qui infestent cette région168. À lépoque de la description dal-Idr, Gabès est sous domination normande, puisque cest sans doute en 543/1148, suite à la prise de Mahdiyya, quelle se soumet à Roger II. Un représentant des Ban mi, Muammad ibn Ruayd, y demeure cependant et la libère du joug chrétien vers 553/1158-1159.

Al-Idr ajoute que le fleuve qui arrose Gabès prend sa source dans un grand étang, sur la berge duquel se trouve Qar Saa, à trois milles de Gabès. Il sagit dune petite ville urbanisée qui, du côté de la mer, possède un sq. Nous navons pas trouvé dautres références à Qar Saa, qui nest vraisemblablement mentionnée quune seule fois. Al-Idr revient plus tard à Gabès, « la ville des Afriqa »169, reprenant lexpression qui avait déjà été utilisée par Ibn urradbih. Il poursuit sa description des villes côtières et explique quaprès avoir terminé lévocation du bild Ifrqiya, il passe au bild Nafzwa, quil confond certainement avec le

165 Guérin, Voyage archéologique, I, p. 277; Saumagne, Capsa, pp. 519-520 et p. 522; Bodereau, La Capsa ancienne, la Gafsa moderne, p. 58.

166 Al-Idr, p. 105/123.167 Sur Gabès, al-Idr, pp. 106-107/124-125.168 Ibn awqal, pp. 70/66-67. Sur les dangers de cette région, voir infra.169 Al-Idr, p. 121/141.

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bild Qammda170: il évoque Sbeitla et Kairouan, déplorant létat misérable que connaît lancienne capitale depuis la domination des Arabes, puis Tunis et dautres villes. Il mentionne également le abal Dammar mais ne traite que de sa partie orientale, où vivent les Berbères Rahna, qui capturent les dromadaires des Arabes nomadisant jusquà Waddn171. Il décrit ensuite les ports, puis Djerba qui est séparée dal-urf / Djorf par quatre milles172.

Al-Idr est le premier géographe qui sintéresse de près à Djerba et aux îles voisines, pour des raisons évidentes: Djerba appartient à lEmpire que sest constitué Roger II et le roi normand souhaite certainement voir figurer ses possessions en bonne place dans son livre de géographie. Al-Idr insiste sur la nature rebelle des habitants, justifiant ainsi le mal que sest donné Roger II pour conserver lîle. Selon le géographe, lîle est peuplée de tribus berbères au teint généralement brun, de nature méchante et fourbe. Quil sagisse des notables ou du peuple, ils ne parlent que la langue berbère. Ils ne pensent quà se soulever contre lautorité à laquelle ils sont soumis. Al-Idr rappelle que la flotte de Roger II, le roi glorieux, a pris lîle à la fin de lannée 529/1135. Il précise que les habitants sont restés calmes jusquen 548/1153, date à laquelle ils se sont soustraits à la domination du valeureux roi. Ce dernier leur a envoyé une flotte et sest emparé de lîle une seconde fois; il a fait conduire tous les prisonniers à la ville173.

Curieusement, al-Idr ne donne aucune description de villes pour Djerba. Lucien Golvin attribue cette lacune au fait que comme la plupart des géographes qui abordaient lîle étaient sunnites, ils appréhendaient difficilement les ites et étaient dautant plus mal à laise que la population ne parlait pas larabe174. Les Normands devaient pourtant être particulièrement renseignés sur Djerba. À cette époque, Houmt-Souk et al-mi al-kabr fondée par Ab Miswar existaient depuis longtemps. Le silence dal-Idr laisse penser que Houmt-Souk ne représentait au milieu du XIIe siècle quun tout petit centre. Il faut dire que le géographe paraît particulièrement mal informé, puisquil attribue à lîle des dimensions très fantaisistes. Selon lui, Djerba sétend sur soixante milles douest en est. La largeur de sa pointe orientale est de quinze milles et à cet endroit, lîle est séparée du continent par vingt milles. Il dit quon nomme ce côté étroit de lîle « Ras Karn »

170 Al-Idr, p. 110/128, note 1.171 Al-Idr, pp. 123/144-145.172 Sur Djerba, al-Idr, pp. 127-128/151-152. 173 Dozy et de Goeje, p. 151, note 2, pensent que madna désigne certainement Mahdiyya, de même

que Golvin, Djerba à la période des Zirides, p. 35. Hadj-Sadok, p. 156, estime au contraire que lauteur veut désigner Palerme, ce qui semble plus probable. Al-Ti, p. 126/121, confirme en effet quils sont emmenés dans le pays des chrétiens.

174 Golvin, Djerba à la période des Zirides, p. 41. Alamm, p. 384, mentionne à Djerba la ville de Sq al-ams, dans laquelle se rend Ab Miswar.

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et que le côté opposé, qui est plus large, sappelle « Antn ». Ces deux toponymes sont complètement oubliés aujourdhui et al-Idr est le seul géographe qui les mentionne175.

Il décrit ensuite lîle de Z176, située à lest de Djerba: elle est très petite mais possède des palmeraies et des vignes. Elle est séparée du continent par environ un mille et fait face à Qar Ban ab. Plus loin, il explique que Qar Ban ab se trouve à lextrémité occidentale de la saba al-Kilb et que de lautre côté de la mer, lisqla de lîle de Z fait face. La longueur de cette île est de quarante milles et sa largeur denviron un demi-mille. Selon lui, une partie de lîle est habitée, couverte de châteaux, de palmeraies et de vignes. Lautre partie est sous leau et la profondeur de leau qui couvre la surface égale la taille humaine, parfois plus parfois moins. Il ajoute que de Qar Ban ab à Qar amm, on parcourt vingt-cinq milles; ces deux lieux sont séparés par une petite baie quon appelle ulb al-imr / léchine de lâne.

Lîle de Z était déjà brièvement évoquée par al-Bakr, qui indiquait quelle était prospère et peuplée, mais que ses habitants étaient toujours prompts à se révolter contre le pouvoir central177. Al-Bakr la nommait R, mais plusieurs autres toponymes, proches lun de lautre, sont utilisés pour la dénommer. Nous adopterons dorénavant pour la désigner le terme Z, utilisé par al-Idr et par al-imyar178, qui dit simplement quil sagit dune île de la mer dIfrqiya, toute proche de Djerba par un de ses côtés. La description dal-Idr permet de localiser plus précisément cette île: il dit quelle se trouve face à Qar Ban ab. Ce lieu est situé à vingt-cinq milles de Zarzis dans la direction de Tripoli179, aux confins de la saba al-Kilb, qui serait notre saba al-M180. Qar Ban ab est séparée de Qar amm181 par la baie de ulb al-imr, qui serait lactuelle buayrat al-Bbn182. Lîle se trouvait donc sans doute au large de la buayrat al-Bbn, au sud-est de Zarzis183.

175 Antn est également évoquée par Ab Zakariyy’, p. 270 et al-Darn, p. 193. Voir Prevost, Antn, un toponyme ibadite chez al-Idrs, pp. 139-147.

176 Sur Z et les coutumes des habitants des îles ifrqiyennes, al-Idr, pp. 128-129/152-153. Voir carte 5.

177 Al-Bakr, p. 18/42.178 Al-imyar, s.v. arba. Cependant, il décrit lîle sous la notice Rz! Selon Brunschvig, Deux

récits de voyage inédits, p. 236, note 2, la variante Z est adoptée à tort dans léd. Dozy et de Goeje, au lieu de Zr qui est la bonne leçon.

179 Al-Idr, p. 128/153.180 Dozy et de Goeje, Description de lAfrique, p. 153, note 1.181 Qar amm est vraisemblablement la ville dont est originaire al-amm; elle doit être placée

près de Ras al-Mabaz, une presquîle de Tripolitaine, située à une vingtaine de kilomètres à lest de lactuelle frontière tunisienne. Lewicki, Une chronique ibite, p. 61.

182 Brunschvig, La Berbérie orientale, I, p. 320. Voir carte 1.183 Il nous est apparu plus tard que Zz devait être identique à la Sèche de Palo, située entre Djerba et

Tripoli, où se rassembla en 1560 la flotte chrétienne pour prendre Tripoli aux Turcs. Voir Prevost,

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À lépoque dal-Idr, Z était déjà partiellement submergée, mais sa pointe offrait encore un mouillage aux embarcations; cest dans ce sens quil faut entendre le terme isqla, transcrit des termes scala ou escala184. Au milieu du XIXe siècle, Heinrich Barth ne trouve plus à cet endroit, au sud-est de Zarzis et au large de la buayrat al-Bbn, quun vaste banc sous-marin, « presque à fleur deau, qui sétend jusquà dix milles du rivage, mais dont la pointe nord-est, appelée Ras Zira par les Arabes (?), est très accore »185. Lîle a aujourdhui complètement disparu des cartes, et ses différentes dénominations sont tombées dans loubli186. À Djerba, cependant, se trouve le « lac de Zizou », un lac mesurant environ 1200 mètres de long sur 350 mètres de large, qui se situe à lest de lîle, au sud du phare; ce lac est séparé de la mer par une langue de terre qui est occupée aujourdhui par un club de vacances187.

Il sagit de faire la distinction entre lîle de Z et la presquîle de Akra, dont la ville principale est Zarzis. La presquîle formait en effet un canton ou district peuplé de diverses tribus ibites, dont de nombreux Zawwġa188. Les sources ibites donnent différents noms à la presquîle de Akra: Ra / Ra / Rza / Ra / R / Za / Z / Zz189. Ces noms sont très proches de ceux donnés à lîle de Z, ou même identiques, ce qui entraîne une énorme confusion, car on ne sait pas si les ibites parlent de lîle ou de la presquîle. Tadeusz Lewicki, par exemple, ne semble pas avoir saisi que cette masse de toponymes ne désignait pas une seule région - la presquîle de Akra - mais bien deux endroits distincts, une région du continent face à Djerba et une île à part entière190. Nous avons également longuement hésité sur ce point, car les géographes pouvaient très bien donner le nom de « azra » à une presquîle. Les sources ibites, dailleurs, parlent de « azra » pour la presquîle de Akra. Mais il semble certain quen évoquant Z, les géographes ont bien décrit une île: si la description dal-Bakr était équivoque, al-imyar dit quil sagit dune île située dans la mer et al-Idr est très clair en spécifiant quelle est séparée du continent par environ un mille. Sur la carte dal-

Z, l’île mystérieuse d’al-Idrs, pp. 332-335.184 Dozy et de Goeje, Description de lAfrique, pp. 269-270.185 Barth, trad. Brunschvig dans Deux récits de voyage, p. 236, note 2.186 Seule Savage, A Gateway to Hell, p. 62, la localise sur une carte, à lest de Djerba.187 Tmarzizet, Djerba, lîle des rêves, p. 102.188 Al-amm, p. 225. Sur ce canton, Lewicki, Une chronique ibite, p. 61; La répartition

géographique, p. 312; Les ibites en Tunisie, pp. 8-9; Les subdivisions de l’Ibiyya, p. 79. La tribu des Ban Akra est citée par Ibn awqal; leurs descendants habitent toujours près de Zarzis. Lewicki, Du nouveau sur la liste, pp. 187-188.

189 Al-amm, p. 287, cite deux célèbres savants qui vivent à R.190 Ainsi, Lewicki, Études ibites nord-africaines, pp. 48-49, note 10, dit que la presquîle de Akra

est nommée azra Za ou azra Zz et pense que le témoignage dal-Idr sy rapporte. Chelli, La Tunisie au rythme des cartes géographiques, p. 99, identifie Scale de Risy / Scale de Risso / Scalla de Risso à Zarzis. asan, awla l-ur al-itimiyya, p. 9, note 48, identifie également Zz à la presquîle de Akra et estime, très curieusement, que le terme R est la forme arabe du terme berbère T.rtn, qui correspondrait au lac Tritonis.

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Idr, Z est représentée comme une île très longue et étroite, située à lest de Djerba non loin des côtes tripolitaines; cette localisation ne peut cependant pas être prise en compte, puisque la disposition des îles est plus que fantaisiste sur cette carte: Qarqana y est figurée au sud de Djerba191.

Revenons à la presquîle de Akra: parmi les dénominations utilisées par les ibites, nous retiendrons surtout la forme « Za ». Il nous semble en effet que ce terme pourrait dériver dun ancien nom de la presquîle: à lépoque romaine, Zarzis était un grand centre urbain, idéalement situé puisquil contrôlait la route qui menait à Leptis Magna et bénéficiait de la riche agriculture de la région. Zarzis sétendait jusquaux deux villes de Zitha et de Pons Zitha192. Nous pensons que les ibites ont repris le nom romain de Zitha pour désigner lensemble de la presquîle. Outre Za, ils emploient fréquemment le toponyme Ra. Ce terme apparaît dans la chronique de Ramon Muntaner (1265-1336), laventurier catalan envoyé au début du XIVe siècle par le roi Frédéric II de Sicile pour réoccuper Djerba193. Muntaner raconte comment lamiral Roger de Lauria reprit Djerba: « Quand il fut arrivé à Gerbes, il mit toute lîle en bon état, et puis il courut tout le port de Ris qui est en terre ferme, et les gens de Ris se soumirent à lui. »194 Il paraît probable que Ris désigne ici le port de Zarzis. La forme « Ris » est reprise dans latlas catalan de 1375, qui indique, à côté de Djerba, la « Scala de Ris »195.

Selon al-Idr, lîle de Z est peuplée de riites196, qui appartiennent à la secte des wahbites, de même que tous les habitants des citadelles et des châteaux qui avoisinent cette île et Djerba197. Ils ne portent pas les vêtements des étrangers, ne leur donnent pas la main, ne les reçoivent pas à manger. Létranger ne mange

191 Miller, Mappae Arabicae, I, première section de la carte dal-Idr; Kmal, Monumenta cartographica, III, fasc. 4, p. 856, climat III, section 2. Voir carte 5.

192 Zitha est lactuelle Henchir Ziane, tandis que Pons Zitha est lactuelle S amm, toutes deux proches de Zarzis. Zaïed, Le monde des ksours, p. 103. Voir cartes 1 et 2.

193 En 1295, le Pape Boniface VIII concède Qarqana et Djerba à leur conquérant Roger de Lauria. À la mort de Roger en 1305, les Djerbiens se révoltent contre son fils; après le décès de ce dernier, lîle revient à Frédéric II de Sicile. En 1309, il décide Ramon Muntaner à pacifier Djerba; Muntaner écrase les rebelles nukkrites en 1311 et les wahbites peuvent alors remettre lîle en valeur. Cuperly, Introduction à l’étude de l’ibisme, p. 123; Brunschvig, La Berbérie orientale, I, pp. 123-124 et pp. 141-142.

194 Muntaner, Chronique, p. 9. 195 Muntaner, Chronique, p. 11, note 1; Lewicki, Études ibites nord-africaines, pp. 48-49, note 10.

Brunschvig, Deux récits de voyage inédits, p. 236, note 2, identifie la Scala de Ris de latlas catalan à liscla de lîle de Z, ce qui semble incorrect.

196 Al-Idr, p. 128/152, dit textuellement des « riites nukkrites »: il est évident quil ne fait pas allusion ici à la sous-secte ibite, puisquil signifie clairement que les insulaires sont wahbites. Le terme nukkrite est sans doute ici un appellatif injurieux attribué aux riites en général. Lewicki, E.I., s.v. Nukkr, daprès Levi Della Vida. Cela nempêche pas quil y avait de nombreux nukkrites à Djerba au XIIe siècle. Sur la confusion entre les différentes branches des ibites djerbiens, voir Bousquet, Les deux Sectes Kharédjites de Djerba, pp. 156-160.

197 Sur la description que fait al-Idr des coutumes djerbiennes, voir Prevost, Une minorité religieuse vue par les géographes arabes, pp. 198-203.

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pas dans leur vaisselle sauf si celle-ci lui est réservée et que personne ny a accès sauf lui. Chaque matin, les hommes et les femmes de cette secte se purifient. Au moment de chaque prière, ils procèdent à leurs ablutions puis font le tayammum198. Si un étranger passant chez eux savise de se désaltérer à lun de leurs puits et quils le surprennent, ils le chassent et assèchent le puits. Les vêtements des étrangers ne doivent pas toucher les habits de ceux qui sont purs, et inversement. Malgré tout, ces gens sont très accueillants, ils convient les étrangers à partager leurs repas et respectent leurs biens. Ils se comportent avec équité vis-à-vis de ceux qui viennent sinstaller chez eux.

Il apparaît dans le témoignage dal-Idr que les ites des îles du Sud tunisien sont obnubilés par la pureté. Au XIIe siècle, lintellectuel juif Maïmonide décrit certaines communautés juives du Maghreb, quil juge stupides bien quelles soient particulièrement pieuses. Ces juifs refusent dêtre mis en présence des femmes rituellement impures, ils sinterdisent de regarder leurs vêtements, de leur parler ou de marcher sur le sol quelles ont foulé. Ils ne mangent pas larrière-train des animaux. Il y a donc une ressemblance entre les coutumes de certaines communautés juives et ibites, inquiètes de préserver une absolue pureté sexuelle et alimentaire. Certains historiens voient ici une influence de la communauté juive, importante à Djerba, sur la communauté ite199. Bien que généralement bonnes, les relations entre juifs et ites sont parfois difficiles: ainsi, le savant ibite al- (m. 1350), qui a vécu dans le abal Nafsa et à Djerba, indique la conduite que les ibites doivent tenir vis-à-vis des imm-s: il conseille de ne pas les saluer, de ne pas leur serrer la main et déviter de partager leurs repas200.

Les extrêmes précautions que prennent les ites vis-à-vis des étrangers survivent bien longtemps: dans la première moitié du XXe siècle, René Stablo enquête à Djerba sur la population wahbite. Il note la sévérité avec laquelle ils accomplissent leurs devoirs201; les wahbites ne boivent pas dalcool, ne jouent pas et ne fument pas! Il observe également des coutumes similaires à celles décrites par al-Idr: ainsi, ils laissent leur sarouel à la porte de la mosquée sils ne sont pas persuadés de la rigoureuse propreté de ce vêtement, ils recommencent leurs ablutions sils touchent une chose impure dans linstant qui précède la prière. Certaines coutumes sont alors

198 Ils accomplissent dans ce cas lablution rituelle avec du sable à la place de leau. Voir Ibn Ab Zayd al-Qayrawn, pp. 44-49, qui précise que les sols de sebkha conviennent pour le tayammum, et Wensinck, E.I., s.v. Tayammum.

199 Hirschberg, A History of the Jews, I, pp. 165-166; Savage, Ib-Jewish Parallels, pp. 4-5. Sur Maïmonide, Vajda, E.I., s.v. Ibn Maymn.

200 Cuperly, Introduction à l’étude de l’ibisme, p. 144. Sur al-, Cuperly, Muammad Afayya et sa Risla, pp. 300-301, note 177; Lewicki, E.I., s.v. Al-Djay.

201 Il note que ces principes stricts sont respectés en compagnie des gens de la secte, mais quils sont parfois abandonnés en dehors de lîle. Stablo, Les Djerbiens, p. 20.

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déjà en voie de disparition: jadis, les wahbites verrouillaient leurs mosquées afin de ne pas laisser les mlikites y pénétrer. Si malgré tout lun dentre eux entrait dans la mosquée pendant la prière, ils lexpulsaient puis recommençaient leur prière. Stablo cite une autre coutume révolue: les wahbites brisaient la vaisselle dont sétaient servis les mlikites présents à leur table, ainsi que le faisaient les juifs vis-à-vis de la vaisselle utilisée par les chrétiens ou les musulmans202. Il y aurait donc ici un nouveau rapprochement à faire entre les coutumes juives et ites, sans pouvoir affirmer sil sagit dune simple ressemblance ou de linfluence exercée par lune de ces communautés sur lautre.

14. POUR RELATIVISER LA CATASTROPHE

Avant danalyser linfluence qua pu avoir la migration des Arabes sur le Sud tunisien, nous voudrions attirer lattention sur trois facteurs qui ont fortement contribué à laffaiblissement général de lIfrqiya. Tout dabord, la terrible famine de 395/1004-1005 a été suivie dune longue période de disettes et dépidémies endémiques. Cest le cas en 447/1055-1056, ainsi quen 469/1076-1077, lorsque le pays est dévasté par une terrible peste. Dès 482/1089-1090, la famine ravage à nouveau lIfrqiya et ne cesse que deux ans plus tard grâce à une bonne récolte203. En 491/1097-1098, la famine sévit à Djerba lorsque Tamm sempare de lîle. En second lieu, il faut noter que certaines destructions attribuées aux Ban Hill ne leur sont pas imputables: comme à lépoque dAb Yazd en effet, de nombreux brigands de grand chemin ont certainement suivi lavancée des tribus nomades pour tirer leur part du butin. Enfin, dautres ravages sont à imputer directement aux Zdes, qui nont pas hésité à ruiner certaines villes pour contraindre leur population rebelle à se soumettre; ainsi, Tamm a fait ravager la palmeraie de Gabès en 474/1081-1082.

Al-Idr dresse un portrait élogieux du sud de l’Ifrqiya, dont l’économie ne semble pas avoir souffert204. Dans le cas de Gabès, on pourrait penser que le géographe est tenté de louer exagérément la prospérité dune cité conquise par Roger II, commanditaire de son ouvrage, mais cela nest pas valable pour Tozeur ou Gafsa. Al-Idr insiste dailleurs sur la ruine de régions proches de ces oasis. Si Gabès est prospère, la steppe qui lentoure est dangereuse. La ville dal-Fawwra, située à trente milles de Gabès, jadis importante, est désormais complètement détruite205.

202 Ibid., pp. 22-23.203 Ibn al-Ar, X, p. 179; Ibn , I, p. 294, p. 300 et p. 302; Ibn Ab Dnr, p. 86.204 Voir le chapitre consacré aux richesses du Sud tunisien.205 Al-Idr, p. 121/141.

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Al-Idr énumère les six étapes qui conduisent de Gabès à Tripoli et dit que toutes ces stations sont aux mains des Arabes Mirds et Riy, qui ont sinistré la région et chassé les habitants; elles sont depuis lors complètement incultes et inhabitées206. Il évoque aussi la région de Bġya, où commence le pays des dattes: les faubourgs ont été totalement ruinés par les Arabes et, de ce fait, le sq se tient à lintérieur de la ville207. Al-Bakr décrivait pourtant Bġya comme une ancienne et grande ville, riche en rivières, en fruits, en cultures et en pâturages208. La ruine de cette cité jadis importante sexplique facilement: les ammdides ont concentré leurs forces armées au nord-ouest de leur État et ont laissé la région de Bġya sans aucune défense, en proie aux Aba et aux Ad qui nomadisaient dans le Zb; la ville nest devenue le fief daucun chef indépendant209.

À linverse de Bġya, les oasis du Djérid, Gafsa et Gabès se sont rapidement organisées après la bataille de aydarn; elles ont accepté de verser le tribut exigé par les Arabes et se sont dégagées de lemprise zrde pour confier leur sort à de nouveaux maîtres, bien décidés à défendre leur jeune principauté. Cest là, à notre avis, la principale raison du maintien - si ce nest de laccroissement - de leur prospérité dans la seconde moitié du XIe siècle. De plus, outre leur rôle détapes caravanières, ces localités vivent essentiellement du produit de leurs palmeraies, auxquelles les Arabes nont pas porté atteinte. Les régions qui ont été progressivement ruinées sont en grande majorité celles qui tiraient leurs richesses de vastes étendues de champs cultivés; les nomades ont provoqué à long terme une sous-exploitation de ces cultures et ont contribué à y créer une économie principalement pastorale210.

Le sort des oasis du Djérid est fortement lié à celui de Gafsa. En 445/1053-1054, la Qasliya est pillée par les Riy et contrôlée par les Arabes, qui y prennent un butin considérable. Il est probable quelle se place très rapidement sous la protection de Abd Allh ibn Muammad ibn al-Rand, qui fonde à cette époque sa dynastie à Gafsa. Elle verse certainement, tout comme Gafsa, un tribut aux Arabes et assure ainsi, presque immédiatement, sa sécurité. Il est probable que dautres confrontations entre les Arabes et les oasiens ont eu lieu avant linstauration du modus vivendi que permet le paiement du tribut. Ainsi, il paraît curieux que les Arabes fassent leur

206 Al-Idr, p. 121/142. Cette voie, mise à mal par la guerre qui a opposé les Zanta aux Zrdes, est celle qual-Muizz souhaitait faire garder par les premiers Ban Hill arrivés dans la région. Brett, Ifrqiya as a Market for Saharan Trade, pp. 363-364, estime quune partie au moins des dévastations qual-Idr attribue aux Arabes sur cette route côtière doivent être en fait imputées aux Normands, qui nont cessé denvoyer leurs navires y faire des raids entre la prise de Djerba en 1135 et la conquête de Tripoli onze ans plus tard.

207 Al-Idr, p. 103/121.208 Al-Bakr, p. 50/106.209 Cambuzat, Lévolution des cités du Tell, II, p. 41.210 À ce sujet, voir Talbi, Droit et économie, pp. 206-211 et pp. 228-229; L’effondrement démographique

au Maghreb, pp. 54-57.

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première apparition dans les oasis du Djérid en 445/1053-1054 seulement, alors quà lépoque de la bataille de aydarn, ils nomadisaient depuis un certain temps déjà au sud de Gabès. Il est probable quils ont dû se porter plus tôt vers les fertiles oasis, mais aucune source ne le mentionne. Dès lavènement des Ban l-Rand, la situation de Gafsa et de la Qasliya paraît stabilisée. Seuls le massacre des Arabes à Taqys et les déprédations causées par les Ban Sins viennent troubler cette belle accalmie. Gafsa est assurément, si lon considère lensemble du Sud tunisien, la ville qui vit le mieux cette époque. Larrivée des Arabes, grâce à laquelle elle peut saffranchir de la domination zde, lui permet également de saffirmer comme la capitale dun petit État indépendant. Elle verse, il est vrai, un tribut aux Arabes, mais ce désagrément financier ne semble pas porter atteinte à sa prospérité croissante; de plus, elle ne paie plus limpôt quexigeaient delle les Zdes. Dès lavènement dAb Umar al-Mutazz en 465/1072-1073, lÉtat des Ban l-Rand sagrandit, englobant la province de Qammda, le abal Hawwra et le reste de la Qasliya. La situation des oasis du Djérid est plus difficile à cerner puisquelles se soumettent tantôt aux Ban l-Rand, tantôt aux ammdides. Il est probable quune partie des oasis reste toujours fidèle aux Ban l-Rand. Nous pensons que si certaines oasis ont choisi parfois de rallier la dynastie du Maghreb central, les ammdides ont dû, de leur côté, exercer une très forte pression pour gagner ou conserver des territoires dans le Sud tunisien. Larrestation dIbn Farqn à Tozeur pendant la période normande montre bien que Tozeur na pas toujours été liée de son plein gré aux maîtres de Bougie. De même, le siège de Djerba par les ammdides indique que ces souverains étaient prêts à fournir de gros efforts pour étendre leurs possessions.

Lhistoire de Gabès, depuis la bataille de aydarn jusquà larrivée des Almohades, est fort complexe; elle se divise en deux périodes distinctes, le gouvernement des Ban Walmiya puis celui des Ban mi. De 445/1053-1054 à 489/1095-1096, la petite « dynastie » berbère des Ban Walmiya - al-Muizz, Ibrhm et Q - règne à Gabès sous la tutelle des Riy; cette première phase est marquée par les incessantes attaques de Tamm qui, dès 474/1081-1082, assiège à plusieurs reprises la ville, ruine sa palmeraie / ġba et son faubourg, avant de semparer de Gabès, chassant ces gouverneurs. La région est ensuite occupée par les Zuġba puis par les Riy qui, vers 491/1097-1098, mettent au pouvoir un des leurs,

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Maggan ibn Kmil, qui fonde la dynastie des Ban mi. Son successeur, Rfi ibn Maggan, prend le parti de Roger II pour contrer les Zdes. Cest un traître, Ysuf, qui livre Gabès aux Normands vers 541/1146-1147. Al-asan reprend la cité et met au pouvoir Muammar ibn Ruayd, provoquant peut-être un siège de la ville par Roger II. En 543/1148-1149, Roger prend Gabès et y nomme Muammad ibn Ruayd. Visiblement, celui-ci gouverne la ville en son nom, jusquà ce quil se libère du joug normand vers 553/1158-1159. Si la période des Ban Walmiya est difficile pour les Gabésiens, la faute en revient aux Zdes et non aux Arabes, qui tentent de conserver lindépendance de la ville. Il faut attendre la domination des Ban mi pour que Gabès devienne une ville phare de lIfrqiya du début du XIIe siècle, tant culturellement que politiquement, puisquelle joue un rôle important dans le conflit qui oppose les Zdes aux Normands.

Nous navons aucune information sur lhistoire des montagnes du Sud tunisien. À long terme, linstallation des nomades dans la plaine va provoquer le déplacement dune partie de ces populations vers les sommets les plus inaccessibles; cette évolution est postérieure à lépoque à laquelle témoigne al-Idr et sera évoquée plus loin. Quant à Djerba, sa situation est peu brillante, à cause de linsoumission dont elle fait preuve depuis le règne dal-Muizz. On ne peut imputer aux Ban Hill davoir joué un rôle dans le déclin de lîle si ce nest davoir, par les troubles quils ont créés sur le continent, favorisé limplantation normande en Ifrqiya. Après la révolte dal-Nukkr et la soumission de lîle à al-Muizz, Djerba est régulièrement attaquée et cruellement réduite, dabord par les Zdes de Mahdiyya, puis à deux reprises par Roger II; elle est également brièvement conquise par les ammdides.

Après larrivée des Ban Hill, le Sud tunisien est toujours aussi riche en poètes. Ibn al-Na al-Tawzar, né à Tozeur en 434/1042, compte parmi les plus importants. Ce brillant savant étudie sous la direction dAb Zakariyy al-aqris et devient un grand poète; il meurt en 513/1119211. Abd Allh al-aqris, fils dAb Zakariyy al-aqris, naît également à Tozeur. À la mort de son père, il va faire ses études à Kairouan puis accomplit le pèlerinage. Il sinstalle alors dans sa ville natale, où tout comme son père, il enseigne et rend des fatw-s. Il est resté célèbre pour son panégyrique du Prophète, la aqrisiyya, une qada de cent trente-cinq vers qui a connu une gloire incontestée et a été maintes fois adaptée et commentée, notamment par Ibn al-abb de Tozeur (m. 1282)212. Abd Allh al-aqris a de nombreux disciples, originaires entre autres de Nefta et

211 Sur Ibn al-Na, Idris, Le crépuscule de lécole mlikite kairouanaise, pp. 501-502; Bouyahia, La vie littéraire en Ifriqiya, pp. 197-199; Golvin, Le Marib central à l’époque des Zirides, p. 162; Bourouiba, Les Hammadites, pp. 145-146.

212 Sur cette qada, voir al-Umar, trad. Gaudefroy-Demombynes, pp. 134-136.

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de Tozeur. Il meurt en 466/1073213. Tozeur apparaît donc comme un grand centre denseignement; sa population a la réputation de se distinguer par le bon usage de la langue, léloquence et une « intelligence un peu frondeuse »214. Gafsa fournit un nombre impressionnant de poètes et semble être la ville du Sud tunisien la plus intellectuellement productive. Ceci est certainement dû à la cour brillante des Ban l-Rand. De nombreux poètes sont natifs des qur qui environnent la ville, comme la famille des aqris. Un savant originaire de Gafsa est resté célèbre: il sagit dAb Isq Ibrhm al-Qaf215, qui va se fixer à Tripoli. Après le sac de Kairouan par les Ban Hill, ce juriste permet dentretenir la culture mlikite kairouanaise à Tripoli. À Gabès par contre, il faut attendre lavènement des Ban mi pour que la ville saffirme comme un grand centre intellectuel. Ces souverains mécènes, qui sont souvent eux-mêmes poètes, sont férus de panégyriques et encouragent les lettrés de Gabès et dailleurs à venir chanter leurs louanges. Deux poètes natifs de Gafsa deviennent ainsi les panégyristes de Mudfi ibn Ruayd ibn mi, qui succédera à Muammad ibn Ruayd216. Cest depuis Gabès que se répand le goût de la poésie bédouinisante217. Après sa chute face aux Almohades, plusieurs poètes exilés chanteront encore la gloire perdue de la ville218.

Il apparaît donc quun siècle après larrivée des Ban Hill, les localités importantes du Sud tunisien nont pas vu diminuer leur prospérité. Léconomie de la région semble en bonne santé et la production intellectuelle y est fertile. Deux dynasties particulièrement remarquables, les Ban l-Rand et les Ban mi, créent des États stables et prospères. Les communautés riites parviennent à saccommoder de la présence arabe, en évitant de nouer des relations commerciales avec eux et, au besoin, en fuyant provisoirement les endroits que fréquentent les nomades. Il est intéressant de comparer cette situation avec celle que connaissait le Sud tunisien dans la période précédant larrivée des Ban Hill: les Zanta avaient ravagé à plusieurs reprises Gabès, la Qasliya et le Nafzwa, al-Muizz avait fait massacrer les ites dans la région de Nefta puis les habitants de Darn en 440/1048-1049, quelques années seulement avant larrivée des nomades. Suite à ce demi-siècle très pénible, on ne peut que constater que les oasis ont particulièrement bien résisté à larrivée des Ban Hill en Ifrqiya. Cette prospérité ne durera malheureusement plus

213 Idris, La vie intellectuelle en Ifrqiya méridionale, pp. 97-100; Bouyahia, La vie littéraire en Ifriqiya, pp. 146-148.

214 Bouyahia, La vie littéraire en Ifriqiya, p. 241. Aujourdhui, lidentité collective du Djérid sexprime essentiellement dans lévocation de la tradition lettrée de la région et de la production de poètes, de juristes et aussi de saints. Dakhlia, Loubli de la cité, p. 23.

215 Idris, La vie intellectuelle en Ifrqiya méridionale, p. 100. 216 Bouyahia, La vie littéraire en Ifriqiya, p. 205 et pp. 211-212.217 Ibid., p. 179 et p. 242.218 Ibid., p. 164 et pp. 189-190.

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très longtemps, puisque la région va bientôt vivre un épisode historique bien plus pénible que celui des Ban Hill, auquel il ne sera pas exagéré cette fois dappliquer les mots « ravages », « destructions » ou même « invasion ». Les Ban Ġniya et Qarq seront les « véritables Ban Hill » du Sud tunisien.

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IX. LES ALMOHADES ET LES BAN ĠNIYA

Le mouvement réformiste almohade, opposé au mlikisme, est fondé par Ibn Tmart autour du tawd / unicité divine, sur base dune extrême rigueur morale et de l’étude exclusive du Coran et de la Sunna. En 517/1123, de retour dOrient, Ibn Tmart rassemble les Berbères mad et sinstalle à Tnmallal / Tnml dans lAtlas, où il se proclame Mahd. Il y instruit la population et écrit une da qui résume sa doctrine. Ce texte est rédigé dabord en langue berbère, Ibn Tmart tenant à valoriser la culture de son peuple et à affirmer son identité par rapport aux Arabes. Les idées riites répandues chez les habitants de cette région y sont reprises1. Son action, visant dabord une réforme des mœurs, se transforme en un combat politique destiné à anéantir la dynastie almoravide2. Avant de mourir en 524/1130, Ibn Tmart désigne son successeur, le chef militaire dorigine zant Abd al-Mumin, qui est rapidement proclamé calife. Abd al-Mumin met fin à la dynastie almoravide en 542/1147 à Marrakech. Ensuite, parallèlement à la conquête de lEspagne, il attaque le Maghreb central ammdide. Depuis son installation à Bougie, la dynastie ammdide a trouvé un équilibre avec les Arabes, et senrichit grâce au commerce et à la course. Abd al-Mumin conquiert pourtant facilement les villes principales du Maghreb central. Il inflige une sévère défaite à la coalition de tribus arabes quil affronte à Sétif en 548/1153. Plus tard, avec lassentiment dal-asan, le souverain zde déchu, il sattaque tant par mer que par terre à lIfrqiya, harcelée tantôt par les Normands, tantôt par les Arabes, prête à accueillir en libérateurs ces Berbères musulmans. En 554/1159, Abd al-Mumin prend Tunis et conquiert les villes de Sfax, Tripoli puis Mahdiyya, dans laquelle il entre triomphalement en janvier 1160, rendant la ville à lislam après douze années doccupation chrétienne. Pendant la campagne de Mahdiyya qui a duré six mois, ses armées ont dominé presque

1 Sur lutilisation, consciente ou non, par Ibn Tmart daspects doctrinaux et sociologiques propres au riisme, voir Urvoy, La pensée dIbn Tmart, pp. 22-39 et surtout p. 32. Les ressemblances les plus frappantes entre les deux doctrines sont dune part le refus absolu de supporter une autorité indigne et, dautre part, le fait que les musulmans non-almohades sont considérés par les Almohades comme des polythéistes / mu-s, contre lesquels ils peuvent engager la guerre sainte. Cette idée rapproche la doctrine almohade de celle, extrémiste, des Azriqa; cela explique quils aient maintenu la délimitation de leur communauté par des moyens sanguinaires.

2 Sur les premières victoires des Almohades et leurs combats contre les Almoravides, Lagardère, Les Almoravides. Le djihâd andalou, pp. 90-98 et pp. 299-307; Bourouiba, Abd al-Mumin, flambeau des Almohades, pp. 22-40. Il y a une profonde divergence religieuse entre les Almohades et les Almoravides, ces derniers étant mlikites convaincus et adeptes du tasm / anthropomorphisme divin. Le ihd apparaît donc comme inévitable pour les Almohades, qui considèrent que lanthropomorphisme de leurs adversaires relève de linfidélité / kufr. Bel, Les Benou Ghnya, pp. 32-35.

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toute lIfrqiya. Les Berbères almohades sont alors, pour la première fois dans lhistoire, maîtres dun État qui couvre lensemble du Maghreb, ainsi quune partie de lEspagne.

1. LA CONQUÊTE ALMOHADE DU SUD TUNISIEN

Cest Abd Allh, fils du calife Abd al-Mumin, qui met fin à la domination des Ban mi à Gabès en 554/11593. Le dernier émir de cette dynastie est Mud ibn Ruayd, frère de Muammad; cest un poète et un lettré. Al-Ti et al-imyar donnent de nombreux détails sur la prise de Gabès: dans un premier temps, le calife tente de se concilier Mud en le flattant et en lui faisant parvenir des vers pour linviter auprès de lui. Voyant que Mud ne compte pas le rejoindre, Abd al-Mumin lui envoie une armée conduite par son fils Abd Allh, car il est lui-même en train dassiéger Mahdiyya. Lorsque Abd Allh arrive à Gabès, Mudfi rassemble sa famille et tous ses partisans, puis senfuit en leur compagnie. Une escouade de soldats le poursuit et les deux groupes saffrontent pendant une heure. Lémir est mis en déroute et certains de ses compagnons se font tuer. Après avoir couvert la fuite de Mudfi, son ministre Sallm ibn Farn tente de défendre la ville mais il y laisse la vie4. Les Almohades semparent de Gabès alors que Mudfi, fuyant toujours, pénètre profondément dans le désert. La cavalerie le poursuit et fait main basse sur ses biens. Il part alors rejoindre les Arabes Awf de la région de Tripoli, chez lesquels il séjourne pendant deux ans environ. Ensuite, sur le conseil de ses proches, il se rend chez Abd al-Mumin, qui le traite avec égards. Le calife linstalle à Gabès, où il demeure jusquà sa mort, à près de quatre-vingt-dix ans5. À la chute de leur capitale, certains Ban mi, rescapés du massacre de la famille par les troupes almohades, trouvent refuge à Damas, où ils continuent avec nostalgie à écrire la poésie bédouinisante qui avait contribué à léclat de leur cour de Gabès. Lun dentre eux, mir ibn mi, en exil à Damas, affirme dans un poème que sa

3 Sur la prise de Gabès, al-Marrku, p. 163; Ibn al-Ar, XI, p. 243; al-Ti, pp. 100-101/95-96; Ibn aldn, VI, pp. 197-198/II, p. 37; VI, p. 280/II, p. 193; al-imyar, s.v. Qbis. Ibn al-Ar dit seulement que le calife sempare de la ville par les armes.

4 Al-Ti, p. 101/96. Ce personnage meurt fin n 554 / début septembre 1159. Idris, La Berbérie orientale, p. 395.

5 Les trad. dal-Ti et dIbn aldn disent Fès, mais les éd. indiquent bien Gabès; al-imyar dit quils se rejoignent à Fès mais que cest à Gabès que Mudfi sinstalle.

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tribu a régné pendant quatre-vingt-dix ans sur la ville6. Cela placerait lémergence des Ban mi en 464/1071-1072, alors que nous avons établi quils gouvernaient la ville depuis 491/1097-1098 environ. Il sagit sans doute dune exagération de ce poète7.

À ce récit détaillé, al-Marrku ajoute une précision: après avoir pris Mahdiyya, Abd al-Mumin envoie quelquun semparer de Gabès, « dans laquelle se trouvent également des Rm »8. Il paraît surprenant quaprès la révolte de Gabès contre les Normands, qui ny avaient dailleurs pas imposé de garnison, des Rm demeurent dans la ville. Si lon en croit al-Marrku, il faut admettre que des chrétiens ont choisi de vivre sous la tutelle des Ban mi, soit des Siciliens restés en ville après la révolte, soit des marchands chrétiens qui sy sont installés, peut-être des Génois9. Si les détails ne manquent pas sur la façon dont Gabès a été soumise aux Almohades, aucune source névoque manifestement la prise de Djerba. Nous pensons, avec Rachid Bourouiba, quil est probable que la conquête de lîle a suivi de près celle de Gabès10.

Abd Allh conquiert Gafsa et les villes du Djérid en 554/115911. Gafsa est alors gouvernée par Yay ibn Tamm ibn al-Mutazz12, le dernier représentant des Ban l-Rand. Al-Zarka précise quil est célèbre pour son courage sur les champs de bataille. Les Almohades commencent à assiéger Gafsa. Ibn al-Ar raconte quà la vue de la puissance almohade, les Gafsiens se mettent daccord pour se soumettre et livrer leur ville. Ils envoient au calife une délégation de notables conduite par Yay ibn Tamm. Abd al-Mumin se trouve vraisemblablement à Mahdiyya. Le calife sétonne de leur venue, car le Mahd Ibn Tmart avait prédit que les Almohades couperaient tous les arbres et démoliraient le rempart de la ville; il accepte néanmoins la soumission des Gafsiens, pensant que ce présage se réaliserait plus tard. Muammad al-Tf, un poète membre de la délégation, commence alors

6 Al-Ti, éd. p. 102 et al-imyar, s.v. Qbis, reproduisent ces vers. Sur ce poète, voir Bouyahia, La vie littéraire en Ifriqiya, pp. 189-190.

7 Idris, La Berbérie orientale, p. 396, évoque ce règne de quatre-vingt-dix ans sans sembler sen étonner. Bourouiba, Abd al-Mumin, pp. 50-51, considère que les Ban Walmiya appartenaient déjà à la dynastie des Ban mi. Ces derniers auraient dans ce cas contrôlé Gabès depuis 445/1053-1054 et auraient eu un règne long de plus dun siècle. Cest tout à fait inexact puisque les Ban Walmiya sont des anha, tandis que les Ban mi sont des Arabes.

8 Al-Marrku, p. 163.9 Brett, Muslim Justice under Infidel Rule, p. 20.10 Bourouiba, Lîle de Djerba, p. 64.11 Sur la prise de Gafsa, al-Marrku, p. 163; Ibn al-Ar, XI, pp. 243-244; Ibn aldn, VI, p. 196/II,

p. 34; al-Zarka, p. 12. Ibn aldn, VI, p. 280/II, p. 193, dit à tort que Abd Allh reprend la ville aux Ban l-Ward, qui sont les gouverneurs de Bizerte. Le Kitb al-Istibr, p. 151/69, dit que cest en 555/1160 que les Gafsiens font semblant dadopter la doctrine des Almohades. Ibn Ab Zar, p. 264/220, situe en 553/1158-1159 la prise de Gafsa par Abd al-Mumin (la trad. donne erronément Gabès).

12 Ibn al-Ar écrit à tort Yay ibn Tamm ibn al-Muizz.

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à déclamer le panégyrique quil a composé pour Abd al-Mumin, qui, dès la fin du premier vers13, charmé par cet hommage, lui fait remettre la somme de mille dr-s14. Abd al-Mumin désigne un gouverneur almohade, Numn ibn Abd al-aqq al-Hintt15, chargé dadministrer la ville. Le calife ordonne également le départ des Ban l-Rand pour Bougie. Al-Zarka précise que Yay ibn Tamm gagne cette ville avec les siens et que son grand-père al-Mutazz, qui est aveugle et très âgé, y meurt. Ibn aldn place son décès en 557/1161-116216; peu après, cest Yay qui meurt.

Outre ces informations données par les historiens, nous conservons une lettre officielle relatant la prise de Gafsa, envoyée au nom de Abd al-Mumin à l’ensemble des Almohades et à la population de Cordoue17. Cette lettre aurait été écrite à l’intérieur de la ville, après la victoire, par un secrétaire de Abd al-Mumin qui avait lui-même observé le déroulement des opérations. Selon ce texte, Gafsa abritait avant sa conquête un rebelle qui s’était allié le concours d’aventuriers arabes et kurdes; ces derniers nuisaient à la sécurité de la région, coupant les routes, semant la terreur et la destruction dans les villages. Certains ay-s arabes de Gafsa sétaient alors réfugiés à Gabès et avaient demandé lamn au calife18. Les rebelles qui tenaient Gafsa se croyaient invulnérables grâce aux importantes fortifications qui les protégeaient et au manque de vivres et d’eau dont souffrait la région, ce qui compromettait un siège éventuel. En effet, la récolte avait été très mauvaise cette année-là et les silos étaient vides. Abd al-Mumin rassembla tous les contingents almohades présents en Ifrqiya et entreprit le siège de la ville. Il fit construire des magasins à grains et installer des campements. Après avoir repoussé une sortie des assiégés et les avoir contraints à s’enfermer dans leur place forte, l’armée almohade détruisit toutes les cultures et les bâtiments qui entouraient la ville, resserrant fortement son emprise. Elle se mit à construire des mangonneaux19, en acheminant vers Gafsa de grandes quantités du bois que les chrétiens avaient abandonné sur

13 « Au milieu des casques et des lances, nul naffiche plus grand air / m hazza ifay-hi que le calife Abd al-Mumin ibn Al. » Ce vers est reproduit chez Ibn al-Ar, XI, p. 244; Ibn allikn, III, p. 239/II, p. 183; al-Zarka, p. 12.

14 Ibn Ab Dnr, pp. 117-118, enjolive cette anecdote: selon lui, le poète vient déclamer le premier vers de son panégyrique, après quoi le calife le prie de se taire et lui offre mille dr-s. Ce scénario se reproduit à lidentique pendant quarante jours. Finalement, le poète choisit de rentrer chez lui, de peur que lhumeur du calife ne varie; ce dernier regrette son départ. Sur Muammad al-Tf, voir Bouyahia, La vie littéraire en Ifriqiya, pp. 210-211.

15 Ibn aldn, VI, p. 196/II, p. 34. L’éd. donne al-Hint, au lieu dal-Hintt. Les Hintta, fidèles soutiens des Almohades, sont une confédération de tribus ma originaires du Haut-Atlas marocain. Un des leurs fondera la dynastie afide. Deverdun, E.I., s.v. Hintta.

16 Ibn aldn, VI, p. 196/II, p. 34; al-Zarka, p. 12. 17 Lévi-Provençal, Un recueil de lettres officielles almohades, lettre XX, pp. 45-47.18 Cette précision figure dans Lévi-Provençal, Un recueil, lettre XIX, p. 44.19 Le mangonneau / mananq est un engin de siège qui lance des pierres. Voir Hill, E.I., s.v.

Mandjan.

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les côtes de l’Ifrqiya. Lorsque tout l’appareil de guerre fut prêt, le calife tenta sans succès d’obtenir la soumission des rebelles. L’armée almohade lança alors des assauts répétés contre Gafsa. Tandis qu’elle comblait le fossé qui entourait la ville, l’armée envoyait des projectiles contre les remparts. Elle put détruire une tour / bur et une partie de l’avant-mur / sitra20, causant de lourdes pertes parmi les assiégés. Les rebelles envoyèrent alors une délégation au calife pour lui demander lamn, qui fut accordé aux Gafsiens à cause de la tyrannie que leur imposait ces aventuriers. Les Almohades prirent possession de la ville, alors que le chef des rebelles la fuyait avec les siens. À la fin de cette lettre officielle, le calife fait savoir à son peuple que malgré la mauvaise récolte, les assiégeants ont toujours bénéficié d’un abondant ravitaillement. Il vante la valeur stratégique de Gafsa et sa campagne fertile. Il ajoute enfin qu’il projette toujours d’envoyer les Arabes d’Ifrqiya combattre en Espagne, une idée qui sera mise en pratique par ses successeurs.

Il existe donc deux relations tout à fait différentes de la prise de Gafsa. La version que rapportent les historiens paraît plus crédible: on y retrouve les Ban l-Rand et la ville semble se soumettre rapidement aux Almohades, comme la plupart des autres villes maghrébines. Si les conquérants commencent à lassiéger, il ny a, si lon en croit Ibn al-Ar, aucune destruction grave, ce dont sétonne dailleurs le calife à cause de la prédiction dIbn Tmart. La version donnée par la lettre officielle, qui devrait être digne de foi puisque rédigée par un témoin oculaire, est tout autre: les Almohades se lancent dans une considérable opération militaire, nhésitant pas à faire venir du bois en abondance depuis le littoral. Les assiégés refusent plusieurs fois de se livrer, malgré les massives destructions de cultures et de bâtiments. Il faut attendre la démolition dune tour et de lavant-mur, ainsi que de nombreuses pertes humaines, pour quils se résignent à se soumettre au calife. À quelle source faut-il donc se fier? La lettre donne dintéressants renseignements sur les fortifications de Gafsa, remarquables par la présence dun avant-mur et dun fossé, deux protections rares ajoutées sans doute par les Ban l-Rand; elle mentionne pour la première fois lutilisation de mangonneaux dans le Sud tunisien. Les nombreux détails relatifs au siège semblent indiquer quon peut faire confiance à ce récit. Cependant, plusieurs points suscitent des interrogations: dabord, la lettre suggère que Abd al-Mumin assiste à lensemble du siège. Or, le calife ne se rend sans doute jamais à Gafsa, puisquil termine à cette époque dassiéger Mahdiyya; cest très vraisemblablement son fils Abd Allh qui sempare de la ville, comme le précise Ibn aldn. En

20 Fréquemment utilisé dans les forteresses byzantines, lavant-mur apparaît rarement dans les forteresses musulmanes médiévales. Il se répand rapidement dès le XIe siècle en al-Andalus, mais excepté à Mahdiyya, il reste rare au Maghreb. Terrasse, E.I., s.v. n. Voir aussi Pavn Maldonado, Espaa y Tnez: arte y archeologa islmica, pp. 159-160.

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deuxième lieu, le texte ne fait aucune allusion à Yay ibn Tamm ibn al-Mutazz; il faut sans doute considérer que « le rebelle » et Yay ne sont quun seul et même personnage. La mention des bandes dArabes et de Kurdes, qui sèment la terreur dans la région, est encore plus étonnante: on voit mal le descendant de la prospère dynastie des Ban l-Rand sallier subitement à des pillards pour saccager sa propre province. Il est établi que depuis leur avènement, les Ban l-Rand se sont attachés à maintenir la paix sur leur territoire en versant un tribut aux Arabes. Plus tard, se souvenant du juste gouvernement des Ban l-Rand, les Gafsiens feront dailleurs appel à lun des leurs pour diriger la ville reprise aux Almohades. Même si le gouverneur de Gafsa sest résolu à enrôler des mercenaires pour défendre sa ville contre larmée califale, les dévastations dont le texte fait état ne se justifient pas. Dautre part, la présence de Kurdes dans le Sud tunisien est difficile à concevoir, du moins avant larrivée des troupes menées par Qarq. Tout le passage concernant la terreur imposée aux Gafsiens est donc fortement sujet à caution. Lauteur de la lettre semble avoir noirci la situation de Gafsa afin de légitimer la conquête acharnée de la ville par les Almohades. Il semble que les destructions attribuées aux pillards ont été fortement accentuées, voire inventées, pour justifier un tel déploiement de forces. Dans cette version, Abd al-Mumin a le beau rôle, puisquil délivre la ville du régime doppression et de tyrannie sous lequel elle vivait. Cette lettre paraît donc avoir été rédigée dans un souci de propagande et de glorification du calife. Néanmoins, elle permet de supposer que le siège de la ville a pu être bien plus dur que ce que prétendent les historiens.

On ne sait que peu de choses sur la prise de Tozeur21. Al-Marrku raconte quaprès avoir pris Gabès et Tripoli, Abd al-Mumin envoie des troupes vers le bild al-ard, « cest-à-dire Tozeur, Gafsa, Nefta, al-mma et leurs environs », qui semparent de la région tout entière. Selon Ibn aldn, à larrivée des Almohades, la présidence de Tozeur est assurée par les Ban Farqn; cest un membre de cette famille qui va présenter lhommage des habitants à Abd al-Mumin. Le calife accepte leur soumission et se montre généreux avec leur chef.

Le Sud tunisien devient dès lors une des provinces de lEmpire almohade22. En un an seulement, toutes les principautés qui avaient été créées sur les ruines de lÉtat zde sont unifiées. Dès 554/1159, Abd al-Mumin entreprend une grande réforme

21 Sur la prise de Tozeur, al-Marrku, p. 163; Ibn aldn, VI, p. 520/III, p. 142. Ibn Ab Zar, p. 264/219, dit à tort que Abd al-Mumin prend le Djérid en 547/1152-1153. Ibn al-Ar, XI, p. 243, signale que les Almohades semparent facilement des qur Ifrqiya, qui correspondent sans doute aux villes de lIfrqiya méridionale. Bourouiba, Abd al-Mumin, p. 54.

22 Sur lÉtat fondé par les Almohades en Ifrqiya, Shatzmiller, E.I., s.v. Al-Muwan; Laroui, Lhistoire du Maghreb, pp. 167-179; Bourouiba, Abd al-Mumin, pp. 41-84; Julien, Histoire de l’Afrique du Nord, pp. 108-120; Merad, Contribution à lhistoire de la dynastie Muminide (1163-1223).

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foncière: il soumet toutes les terres cultivables au ar, ce qui sexplique par le fait que les habitants, qui nont pas adopté la doctrine almohade, sont assimilés à des non-musulmans. Cet impôt dont la collecte, confiée aux tribus arabes, est facilitée, procure dimmenses richesses à la nouvelle dynastie. Les Almohades ont chassé les Normands et réduit toute lIfrqiya; la seule menace qui pèse encore sur eux est celle des Riy. Abd al-Mumin décide de sen débarrasser en les envoyant accomplir le ihd en al-Andalus. Le calife passe un accord avec les émirs arabes mais ces derniers rompent leur serment. En 1160, les Riy sont cruellement battus au abal al-Qarn par les troupes almohades et perdent tout espoir de dominer à nouveau lIfrqiya. À la mort de Abd al-Mumin en 558/1163, trois grands califes lui succèdent, dont les règnes constituent lépoque de gloire du califat almohade: Ysuf (1163-1184), Yaqb al-Manr (1184-1199) et Muammad al-Nir (1199-1213).

Sous le règne de Ysuf, lIfrqiya est délaissée par les Almohades, qui combattent au Maroc et finissent par conquérir lal-Andalus; de ce fait, les turbulences reprennent en Ifrqiya, et surtout à Gafsa. Le gouvernement de Ysuf correspond également à lascension de Qar et à celle de ses futurs alliés, les Ban Ġniya23. Dans lexposé de l’insurrection de Qarq et des Ban Ġniya, nous nous concentrerons sur les événements qui ont marqué le Sud tunisien, en faisant de simples allusions à ceux qui se déroulent dans les autres provinces du Maghreb. Le Djérid est au cœur même de la révolte, puisquil devient lune des bases de la reconquête almoravide menée par Al puis Yay ibn Ġniya. La chronologie des soulèvements successifs des Ban Ġniya est très confuse, leurs alliances sont complexes et difficiles à établir; nous avons tenté de présenter ici le déroulement le plus vraisemblable des faits. Nos hypothèses sont à plusieurs reprises en contradiction avec celle émises par Alfred Bel au sujet du Sud tunisien. Nous nous lexpliquons par le fait que nous avons eu lavantage de nous intéresser exclusivement à cette région, alors quAlfred Bel a dû démêler un écheveau bien plus considérable. Les pages qui suivent vont montrer les bouleversements énormes que le Sud tunisien a subis pendant cette période, qui seront ensuite comparés avec les dommages causés par les Ban Hill.

23 Voir à ce sujet létude de Bel, Les Benou Ghnya, derniers représentants de lempire almoravide, et leur lutte contre lempire almohade. Voir aussi G. Marçais, E.I., s.v. Ghniya; Thiry, Le Sahara libyen, pp. 252-277, et en général Ibn aldn, VI, pp. 224-235/II, pp. 86-105. Les références à Ibn Ir renvoient à la trad. Huici-Miranda, Los Almohades; celles à al-Maqrz renvoient à la trad. Blochet, Histoire de lÉgypte.

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2. LINSTALLATION DES BAN ĠNIYA ET DE QARQ DANS LE SUD TUNISIEN

LArménien Qarq, « loiseau noir », est le mamlk du neveu de Saladin, Taq al-Dn, dans larmée duquel il commande une légion turque. Cet aventurier décide de conquérir lIfrqiya, avec un probable assentiment de Saladin24. Dès 568/1172-1173, partant du Caire, il mène des raids contre la Libye avec ses Ġuzz. Dans le contexte maghrébin, les Ġuzz désignent les mercenaires turcomans ou turcs qui pénètrent en Ifrqiya avec larmée de Abd al-Mumin et un peu plus tard avec celle de Qarq25. Aidé par les Ban Dabbb26 et par les Riy, Qarq prend le abal Nafsa, où il sempare de nombreuses richesses, puis Tripoli27.

Les Ban Ġniya, Berbères anh, sont les descendants de Yay ibn Ġniya, gouverneur almoravide des villes espagnoles de Murcie et de Valence, qui meurt peu après 1146, date de larrivée des Almohades en al-Andalus. Son frère Muammad gouverne depuis 1126 les îles Baléares au nom des Almoravides. Il y accueille de nombreux réfugiés fuyant les Almohades et se déclare indépendant, fondant la petite dynastie des Ban Ġniya; il fait alors comme tous les Almoravides la prière au nom des Abbsides. Plus tard, le pouvoir échoit à Isq ibn Ġniya, son fils. Les îles abritent à cette époque de nombreux prisonniers chrétiens, employés pour les travaux les plus rudes et lagriculture. Majorque, Minorque et Ibiza vivent en effet, comme Djerba à cette époque, de la piraterie contre les navires chrétiens et du pillage des côtes méditerranéennes. À la mort dIsq ibn Ġniya, les Almohades imposent par la force un de leurs gouverneurs à Majorque. Les habitants de lîle se révoltent et nomment comme souverain Al, le fils dIsq. Ce dernier, soutenu par les Almoravides exilés qui peuplent ses îles, décide de sattaquer aux Almohades du Maghreb. En 1184, profitant de la mort du calife Ysuf, Al ibn Ġniya sempare

24 Après avoir renversé les Fimides dÉgypte et être devenu gouverneur de ce pays en 1171, le souverain ayybide Saladin autorise son neveu Taq al-Dn à aller fonder un établissement en Ifrqiya, qui pourrait le cas échéant lui servir de refuge. Il craint en effet que Nr al-Dn, au nom duquel il a conquis lÉgypte et dont il vient de rejeter lautorité, ne parvienne à lui reprendre le pouvoir. Taq al-Dn renonce à cette conquête et Qarq décide alors de la mener seul. À ce sujet, voir Pellat, E.I., s.v. arsh; Bel, Les Benou Ghnya, pp. 58-61; Brunschvig, Un aspect de la littérature historico-géographique de l’Islm, p. 57. Sur les circonstances de larrivée de Qarq en Ifrqiya, voir al-Ti, pp. 111-115/102-107, repris par Ibn aldn, VI, p. 227/II, pp. 91-92.

25 Les Ġuzz désignent chez les auteurs arabes le peuple turc oriental des Oġuz, dont la tribu principale fonde au VIIe siècle, en opposition à lEmpire des Turcs occidentaux, lEmpire des Uyġurs; au IXe siècle, cet Empire sétend fortement et les Ġuzz sont les éléments de ces populations qui avancent vers louest. Voir Deverdun et Cahen, E.I., s.v. Ghuzz.

26 Cette tribu, qui fait partie des Ban Sulaym, a encore des descendants, les Awld Dabbb, qui vivent dans la plaine de la affra. Louis, Tunisie du Sud, p. 30 et p. 34. Cest avec Qarq que les Ban Sulaym pénètrent pour la première fois en Ifrqiya.

27 Ibn al-Ar, XI, p. 389; al-Ti, pp. 113/105-106 et 243/199; Ibn aldn, VI, p. 227/II, p. 92. Bel, Les Benou Ghnya, pp. 64-65, note 3, suppose que Qarq prend Tripoli vers 580/1184-1185.

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facilement du port de Bougie et défait les troupes almohades28. De nombreux Riy, Aba et uam viennent se rallier à lui, prenant comme souvent le parti des adversaires des Almohades29. Al laisse Bougie sous la surveillance de son frère Yay et entreprend de conquérir les villes du Maghreb central. Il sempare entre autres dAlger et dal-Qala. Il fait le siège de Constantine lorsque le nouveau calife al-Manr envoie une armée récupérer les villes occupées et chasser Yay hors de Bougie. Al, obligé de fuir, semparera alors de Gafsa.

Dès sa conquête, Gafsa pose de gros problèmes aux Almohades, qui ont du mal à y maintenir un gouverneur30. Numn ibn Abd al-aqq al-Hintt a été remplacé, trois ans après sa nomination, par Maymn ibn An al-anfs, qui a lui-même été démis au profit de Imrn ibn Ms al-anh31. Ibn aldn prétend que le nouveau gouverneur almohade de Gafsa se conduit si mal que les habitants font appel à Al, un descendant des Ban l-Rand, qui est sans doute un des petits-fils dAb Umar al-Mutazz32. Ce personnage, ruiné, vit à Bougie où il exerce le métier de tailleur. Les habitants de Gafsa mettent à mort le mil almohade Imrn ibn Ms et installent Al à sa place. En 563/1167-1168, le calife Ysuf, fils de Abd al-Mumin, envoie son frère assiéger la ville. Ce dernier fait détruire les dattiers qui lentourent mais bat en retraite sans avoir pris la place forte33. Il est donc probable que les Almohades, après avoir détruit une partie de la muraille de la ville lors de sa conquête en 1159, ont rapidement réparé les dégâts quils avaient eux-mêmes provoqués.

En 1177, Al ibn al-Rand, qui a peut-être gagné le soutien de tout le Djérid, proclame lindépendance de Gafsa34. Il est possible que le nouveau régime fiscal mis au point par Abd al-Mumin soit une des causes de cette révolte: les habitants étant considérés comme des murik-s / polythéistes par les Almohades, la ville a

28 Cest à Bougie que vivent en exil les Ban l-Rand de Gafsa, qui y ont été déportés par Abd al-Mumin; ils y ont peut-être intrigué pour favoriser la prise de la ville par les Almoravides. Merad, Contribution à lhistoire de la dynastie Muminide, p. 423. Sur la prise de Bougie, voir entre autres al-Marrku, p. 193; Ibn Ab Zar, pp. 269/222-223; Ibn aldn, VI, p. 25/I, pp. 47-48, et VI, p. 226/II, pp. 88-89.

29 Seuls parmi les Arabes, les Zuġba se rallient aux Almohades; Ibn aldn, VI, p. 48/I, pp. 86-87. 30 Kitb al-Istibr, p. 151/69; Ibn aldn, VI, p. 196/II, p. 34. 31 Ibn aldn, VI, p. 196/II, p. 34. L’éd. donne Maymn ibn An al-Kansf, à corriger en al-

anfs, les anfsa étant une tribu ma.32 Ibn al-Ar, XI, p. 467, le nomme Al ibn al-Muizz ibn al-Mutazz; Ibn aldn, VI, p. 196/II, p.

34, dit Al ibn al-Azz ibn al-Mutazz; al-Marrku, p. 182, dit quil est surnommé al-Nir li-Dn al-Nab; Ibn Ir, I, p. 36; Ibn aldn, VI, p. 285/II, p. 203 et al-Zarka, p. 14, lappellent al-awl. Al-Bayaq, p. 125/212, évoque Al ibn al-Rand, qui est pour lui le trente-troisième et le dernier de ceux qui se sont rebellés dans le Maghreb contre l’autorité almohade.

33 L’éd. dIbn aldn ne mentionne pas la ruine de la palmeraie et passe directement au départ de Al pour Salé.

34 Sur la révolte de Gafsa, al-Marrku, p. 182; Ibn al-Ar, XI, pp. 467-468; Ibn allikn, VII, p. 131/IV, p. 472; Ibn Ir, I, pp. 35-36; Ibn aldn, VI, p. 196/II, p. 34; al-imyar, s.v. Qafa; al-Zarka, p. 14.

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peut-être dû supporter de trop grands abus fiscaux35. Dautre part, cette volonté dindépendance semble due à la menace de plus en plus pesante que constitue la progression du pouvoir de Qar; à cette époque, laventurier connaît de grands succès en Tripolitaine et commence à attaquer lIfrqiya. Ibn al-Ar le dit précisément: pour lui, Al décide de se libérer définitivement du joug almohade à cause des succès des Turcs en Ifrqiya, qui sallient de nombreuses tribus arabes. Avec laccord des habitants, la ville se déclare indépendante et tous les Almohades qui y demeurent sont massacrés, en awwl 572/avril 1177. Malgré la violence de la révolte, la riposte almohade tarde à se manifester et il faut attendre trois ans pour quune armée se rende dans le Sud tunisien. En 575/1179-1180, le calife Ysuf quitte Marrakech et gagne Bougie, dans laquelle il fait arrêter un personnage énigmatique: il sagit du q’id Al ibn al-Muntair, dont on sait simplement quil était le complice de Al ibn al-Rand et quil incitait les Arabes à la révolte. Il est mis à mort, larmée almohade ayant trouvé chez lui des lettres qui prouvaient ses malversations et sa complicité avec les Arabes; les troupes semparent de toutes ses richesses36. Lorsque larmée califale arrive à Gafsa, les chefs des Riy se hâtent de venir se soumettre au calife et de lui demander lamn37; il les enrôle pour le ihd en al-Andalus, prouvant ainsi sa volonté de vider lIfrqiya de ses populations arabes nomades. Une lettre officielle rédigée au nom de Ysuf en 1181 décrit lempressement dont font preuve les Riy pour se rendre en al-Andalus et les circonstances de leur départ. Elle signale quil ne subsiste plus en fait dArabes dIfrqiya que les Sulaym qui vivent dans la région de Tripoli; le calife les incite à se préparer à partir pour le ihd en al-Andalus, sils ne veulent pas affronter les troupes almohades38.

À la fin de lannée 575/1179-1180, le calife Ysuf assiège la ville pendant trois mois et abat tous les palmiers qui lentourent. Al-imyar précise que pendant le siège, Ysuf fait ajouter des voiles à ses machines de guerre montées sur roues39. Le

35 Chiauzzi et al., Maghreb médiéval, p. 190.36 Al-Bayaq, p. 125/212; Ibn Ir, I, p. 35; Ibn aldn, VI, p. 285/II, p. 203. Huici-Miranda,

Historia poltica, pp. 281-282, estime, sans doute daprès le texte dIbn aldn, que Al ibn al-Muntair était un parent de Al ibn al-Rand. Ibn aldn précise que Al ibn al-Muntair avait été chassé de Gafsa par Abd al-Mumin (selon la trad. de Slane, Al ibn al-Muntair est une erreur de copiste).

37 Ibn Ir, I, p. 36; Ibn aldn, VI, p. 285/II, p. 203, et al-Zarka, p. 14. L’éd. dIbn aldn donne 595/1198-1199 au lieu de 575/1179-1180, tandis que de Slane donne 557/1161-1162.

38 Lévi-Provençal, Un recueil, lettre XXVI, pp. 54-55. Lenvoi des Arabes en al-Andalus était déjà prévu par Abd al-Mu’min. Ibid., lettre XX, p. 47.

39 Ces machines peuvent être de deux sortes. Ce sont soit des tours de bois à étages / bur ou dabbba, que lon faisait rouler jusquau pied du rempart pour tenter de faire pénétrer les assaillants dans la ville, soit des mangonneaux / mananq-s. Toutes ces machines étaient généralement montées à lendroit du siège et véhiculées sur des chariots jusquà lemplacement le plus judicieux. Cahen, E.I., s.v. . Il est probable quil sagit ici des mangonneaux, signalés parmi dautres machines de guerre par Ibn Ir, I, p. 36. À lépoque almohade, on mit au point de véritables chars à voiles qui utilisaient la force du vent pour transporter le lourd matériel de siège. Itinéraire culturel des Almoravides et des Almohades, p. 36.

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vent sy engouffre et fait avancer ces machines, provoquant la panique des habitants, qui implorent la protection du calife. Il leur accorde lamn puis détruit la palmeraie et les oliviers de Gafsa. Dans une autre version, cest Al qui sort discrètement de Gafsa et implore auprès du calife le pardon de la ville40. Ainsi, au début de lannée 576/1180, Ysuf est maître de la place forte et y installe une garnison. Al est envoyé au Maroc et devient gouverneur de Salé / Sal, dans laquelle il meurt41. Cette seconde conquête almohade aboutit à la chute définitive de la dynastie des Ban l-Rand.

Quelques années plus tard, la ville se soumet à Al ibn Ġniya42. Cest à Gafsa que cet aventurier trouve refuge, alors qual-Manr, ayant chassé son frère Yay hors de Bougie, reprend les villes occupées par les Almoravides. Abandonné par ses alliés arabes et berbères, Al décide de gagner le sud, où il est assuré de trouver la protection du désert et de pouvoir rallier facilement des tribus arabes à sa cause. Il sait que les Gafsiens sont violemment opposés aux Almohades, dont ils ont massacré une garnison quelques années auparavant. La position stratégique et les nombreuses ressources de la ville le convainquent de la choisir comme capitale. Le Kitb al-Istibr est très précis: cest en 581/1185-1186 que les habitants de Gafsa accueillent Al et lui confient le pouvoir; le chef almoravide laisse une troupe de Ġuzz dans la ville. Selon Ibn al-Ar, les nouveaux occupants commencent à fortifier Gafsa; il faut sans doute comprendre quils renforcent les remparts, puisque la garnison almohade placée dans la ville par Ysuf quelque cinq ans plus tôt avait certainement rapidement réparé les dommages causés dans la muraille par les mangonneaux, ainsi que les destructions commises dans la palmeraie. Il est certain que le caractère défensif de la place forte justifie en partie lintérêt que lui porte Al. Après sêtre emparé de Gafsa, Al fait le siège de Tozeur mais, selon Ibn aldn, découragé par la résistance des habitants, il décide de gagner Tripoli43. Cest au cours de ce voyage à Tripoli quil sassocie avec laventurier Qarq pour arracher le Maghreb aux Almohades.

Al ibn Ġniya et Qarq se mettent daccord à Tripoli en 581/1185-1186; ils parviennent à réunir de fortes troupes, comptant des Almoravides, des Ġuzz, des Ban Hill et des Ban Sulaym. Ils savancent en Ifrqiya en y semant la terreur, voulant

40 Ibn al-Ar, XI, pp. 467-468.41 Ibn Ab Dnr, p. 118, dit quen 575/1179-1180, Ysuf sattaque à Gafsa; il fait crucifier son

gouverneur Ibn Z (?), prend la ville et retourne à Marrakech. Pour Ibn Ab Zar, p. 212/177, après avoir assiégé la ville, le calife sen empare et fait tuer Ibn al-Rand. Yqt, s.v. Qafa, affirme que Ysuf a démoli le mur de Gafsa jusquà le faire toucher terre, car les habitants de la ville sétaient maintes fois soulevés contre lui; il confond avec un épisode ultérieur de lhistoire de la ville, sous le règne dal-Manr.

42 Sur le premier raid de Al dans le Sud tunisien, Kitb al-Istibr, pp. 131/37-38; al-Marrk, p. 197; Ibn al-Ar, XI, p. 521; Ibn aldn, VI, pp. 226-227/II, pp. 90-91.

43 Ibn aldn, VI, p. 227/II, p. 91, et VI, p. 288/II, p. 209.

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atteindre Tunis et Mahdiyya. Al et son frère Yay semparent du Djérid, où leurs soldats commettent les pires méfaits44. Le Kitb al-Istibr suggère que Al veut se venger des habitants de Tozeur, qui ne lui ont pas cédé la ville lannée précédente. Al-Ti donne de nombreux détails sur la prise de Tozeur: en 582/1186-1187, les deux Almoravides bloquent la ville et détruisent sa palmeraie / ġba. Lorsque Tozeur est conquise, ils laissent la vie sauve à ceux des habitants qui ont favorisé leur entreprise mais confisquent les richesses du reste de la population, forçant ces gens à racheter leurs propres biens. Ensuite, Al et Yay mettent en vente les hommes de Tozeur. Sil ne se présente personne pour les acheter, ils sont tués puis jetés dans un puits nommé depuis lors bir al-uhad / le puits des martyrs. Il ne reste aujourd’hui rien de ce puits, qui existait vraisemblablement encore à lépoque dal-Ti. De même, le châtiment infligé par les Almohades aux habitants de Tozeur était toujours présent dans les mémoires au début du XIVe siècle45.

À cette époque, Al se place sous la protection du calife abbside, qui lui octroie les privilèges dont avaient bénéficié les précédents souverains almoravides; dans le même temps, Saladin engage Qarq à sunir aux Ban Ġniya pour rétablir lautorité abbside sur la région46. Qarq fait le siège de Gabès, dont il sempare; il y fait transporter ses richesses et confie la place à un de ses mawl-s47. Ibn aldn insiste sur le fait que la ville appartient à Qarq seul, et non aux Ban Ġniya48. Gabès devient donc le quartier général de lArménien, qui en fait sa capitale et y entrepose certainement le butin de ses pillages. Selon Ibn aldn, peu après la prise de Gabès par Qarq, Gafsa se révolte contre loccupation almoravide. Qarq et Al doivent aller prendre ensemble la ville dassaut. Ils semparent ensuite de Tozeur et des autres cités du Djérid49. Cette nouvelle conquête des oasis par les Ban Ġniya nest pas du tout certaine et figure chez le seul Ibn aldn. Il est possible, vu lenchevêtrement et la dispersion des indications données à ce sujet par lhistorien, quil a peut-être répété ici des renseignements quil avait détaillés ailleurs, et quil présente cette fois en rapport avec le siège de Gabès par Qarq. Il est étonnant que les habitants de Tozeur aient le courage de se soulever contre

44 Kitb al-Istibr, p. 155/76; al-Ti, pp. 162/147-148; Ibn aldn, VI, p. 288/II, p. 210. Selon Bel, Les Benou Ghnya, pp. 55-57, le siège de Tozeur intervient juste après la fuite de Al hors de Bougie, donc avant lalliance de Tripoli. Pour Bel, dès son premier raid dans le Sud tunisien, Al sempare de Tozeur dans les circonstances atroces décrites ici; il ne prend Gafsa que dans un second temps.

45 Dakhlia, Loubli de la cité, p. 88, remarque que cette histoire nest pas passée dans le souvenir collectif, si ce nest chez les lettrés, et quon ne connaît plus à Tozeur de puits des martyrs.

46 Ibn al-Ar, XI, p. 521; Ibn aldn, VI, p. 25/I, p. 48, et VI, p. 228/II, pp. 93-94. La date de la reconnaissance des Abbsides est difficile à établir: tantôt elle précède la conquête du Djérid par les Ban Ġniya, tantôt elle la suit.

47 Ibn al-Ar, XI, p. 389; Ibn aldn, VI, p. 228/II, p. 94. 48 Ibn aldn, VI, p. 228/II, p. 94.49 Ibn aldn, VI, p. 25/I, p. 48, et VI, p. 228/II, p. 94.

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ceux qui leur ont fait subir une si cruelle répression peu de temps auparavant. Depuis le débarquement des rebelles dans la région, ils se sont vraisemblablement toujours opposés à leur présence; seuls les Gafsiens ont été brièvement les alliés des Almoravides. Selon nous, les épouvantables pillages décrits par les sources incitent à croire que le Djérid a pu oser tenter de se dégager du joug almoravide. Lenvie de richesses et de conquêtes des Ban Ġniya paraît insatiable: pour conserver la confiance et le soutien des tribus arabes, ces malfaiteurs sont forcés de leur accorder de fortes compensations financières, quils ne peuvent se procurer quà loccasion de razzias toujours plus nombreuses. Les historiens attirent lattention sur la situation désastreuse que connaît lIfrqiya à cette époque; Ibn al-Ar, par exemple, évoque la destruction et le pillage des villes de lIfrqiya, le saccage de ses jardins et de ses vergers50. Il nous semble donc que le soulèvement des habitants de Gafsa et des cités du Djérid contre ces tyrans est tout à fait plausible.

Inquiété par les conquêtes successives des Ban Ġniya, al-Manr envoie une armée comptant six mille cavaliers au Djérid. Elle gagne Gafsa où se sont réfugiés les Almoravides. Al ibn Ġniya et Qarq sortent de la ville et battent cruellement leurs ennemis en rab I 583/juin 1187 dans la plaine dal-Umra, non loin de Gafsa51. Dimportants généraux almohades y laissent la vie, ainsi quun grand nombre de soldats. Les vainqueurs font un énorme butin, qui est distribué entre leurs partisans. Après la bataille, les tribus arabes et berbères soutenant les Almoravides poursuivent les soldats almohades dans toutes directions pour les abattre. Al-Marrku affirme que nombre dentre eux meurent de soif. Ibn Ir raconte que les soldats blessés ou assoiffés, incapables de fuir, se réfugient dans Gafsa, en tellement grand nombre que les rues de la ville sont engorgées. Les partisans de Qarq font semblant de les ignorer et leur laissent la voie libre. Al ibn Ġniya les fait alors se rassembler et leur offre à boire; quand ils sont tous réunis, ils se font impitoyablement massacrer52.

3. LES ALMOHADES REPRENNENT LE SUD TUNISIEN

Outré, al-Manr décide alors de conduire lui-même son armée contre les rebelles. Après leur avoir une dernière fois proposé de se rendre, ne recevant pas de réponse,

50 Ibn al-Ar, XI, p. 389 et p. 520.51 Sur la bataille dal-Umra, al-Marrku, p. 198; Ibn al-Ar, XI, p. 521; Ibn Ir, I, pp. 127-130;

al-Ti, pp. 136/130-131; Ibn aldn, VI, p. 25/I, p. 48; VI, p. 228/II, p. 94; VI, p. 289/II, pp. 210-211; al-imyar, s.vv. al-Umra et Mayrqa; al-Zarka, p. 16. À deux reprises, Ibn aldn donne Ġumra au lieu de Umra, que de Slane interprète comme étant « Ghomert ». Pour Brunschvig, La Berbérie orientale, I, p. 305, note 1, la plaine dal-Umra correspond sans doute au Bled Hamra actuel, qui est une petite région située au nord-est de Gafsa.

52 Ibn Ir, I, p. 129.

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il fait installer son camp à deux parasanges53 dal-mma de Gabès / mmat Mama. Il défait cruellement les Almoravides non loin de cette ville en 583/octobre 118754. Les rebelles se sont pourtant assuré le concours de Ban Sulaym qui vivent dans cette région, mais ces auxiliaires sont obligés de fuir, poursuivis par les Almohades qui leur causent dénormes pertes. Vu lampleur de leur défaite, Al et Qarq doivent courir se réfugier dans le désert / de Tozeur, selon lexpression dal-Ti.

Al-Manr se rend précipitamment à Gabès55, que Qarq a fortifiée. Laventurier a abandonné sa capitale à lannonce de la défaite dal-mma. Gabès est cernée par larmée et la flotte califales56. Les habitants se soumettent aussitôt aux Almohades, leur ouvrent les portes et leur livrent les partisans de Qarq. Ces derniers résistent cependant pendant deux jours dans le qar al-Arsayni, lancien palais des Ban mi, puis se soumettent aux Almohades, qui semparent des biens du rebelle. Les femmes et les enfants de Qarq sont réduits en esclavage. Une partie de son harem et certains de ses proches sont envoyés par mer à Tunis puis à Marrakech. Les Ġuzz sont exilés à Marrakech et dans dautres villes du Maghreb. Qarq est donc à présent dépourvu tant de richesses que de troupes. Dans la lettre officielle qui annonce la prise de Gabès, le calife se réjouit de posséder cette cité, belle et fertile, qui est « la clé de ces régions ifrqiyennes ». Cette lettre a été rédigée dans le camp des Almohades, à lextérieur de Gabès, et envoyée depuis le Nafzwa à la fin doctobre 1187.

En l-qada 583/janvier 1188, le calife gagne le Djérid57. Une lettre officielle fait état de cette expédition, durant laquelle les troupes almohades traversent la sebkha « par une route jamais frayée jusque là par une armée, dans une contrée vide dhabitants et dépourvue deau », précision reprise par le Kitb al-Istibr58. Malgré

53 Cest-à-dire un peu moins de 12 km. Voir Hinz, E.I., s.v. Farsakh. 54 Sur la bataille dal-mma, Lévi-Provençal, Un recueil, lettre XXX, pp. 59-61; Kitb al-Istibr,

p. 150/68; Ibn al-Ar, XI, p. 521; Ibn Ir, I, pp. 132-134; al-Ti, pp. 103-104/97 et pp. 136-139/131-133; Ibn aldn, VI, p. 228/II, p. 94 et VI, p. 289/II, p. 211; al-Maqr, p. 185; al-imyar, s.vv. ammat (sic) Mama et Umra; al-Zarka, p. 16. Al-Marrku, p. 198, dit qual-Manr va lui-même affronter Al à un endroit nommé mmat Duqys (pour mmat Taqys): il confond donc avec la ville du même nom située dans le Djérid.

55 Sur la prise de Gabès, Lévi-Provençal, Un recueil, lettre XXX, p. 60; Ibn al-Ar, XI, p. 521; al-Ti, pp. 103-104/97 et p. 138/132; Ibn aldn, VI, p. 228/II, p. 94 et VI, p. 289/II, p. 211; al-imyar, s.v. ammat Mama; al-Zarka, p. 16.

56 À lépoque dal-Manr, Ab Muammad ibn A et Amad le Sicilien sont commandants dans la flotte almohade. Ibn aldn, VI, p. 288/II, p. 209. Selon Picard, Locéan Atlantique, p. 501, ce sont deux chrétiens. Selon Ibn Ysuf, ilat arba bi-wdī Mizb, pp. 20-21, il sagit de deux ibites djerbiens de la tribu des adġiyn; Amad doit son surnom au fait quil a été élevé comme captif chez les chrétiens de Sicile.

57 Sur la prise de la Qasliya, Lévi-Provençal, Un recueil, lettre XXXI, pp. 61-62; Ibn Ir, I, p. 135; Ibn aldn, VI, p. 228/II, p. 94 et VI, p. 289/II, p. 211; al-Zarka, p. 16.

58 Le Kitb al-Istibr, pp. 159/84-85, donne une description fournie de la façon dont « al-Mayrq », certainement suivi par Qarq, parvient à échapper au calife: après la défaite dal-mma, Al ruse et sengage dans la sebkha. Il est poursuivi par les Almohades jusquà Tozeur mais à leur

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la difficulté du passage du chott, le rédacteur de la lettre vante la fertilité et laspect verdoyant du Djérid. Selon lui, tous les habitants se rallient immédiatement aux Almohades, tant dans le Nafzwa que dans la Qasliya, à Tozeur, Taqys, al-mma et Nefta. Ils livrent à larmée les chefs que les rebelles leur avaient imposés et qui navaient pas encore été exécutés. Le calife parcourt tout le Djérid; les Ġuzz qui se trouvaient dans la région sont pardonnés et incorporés à larmée almohade. Les biens des rebelles, toujours en fuite, tombent aux mains des Almohades lorsquils entrent à Tozeur. Les autres sources établissent également que les habitants de Tozeur se soumettent rapidement, voyant la défaite des partisans des Ban Ġniya. Ibn aldn est seul à dire que le calife fait mettre à mort tous les habitants qui se trouvent dans lenceinte de la ville59.

Al-Manr sen prend ensuite à la ville de Gafsa, qui est défendue par une troupe de Ġuzz60. Une lettre officielle relate ainsi la prise de la place forte: « les mangonneaux se mirent à déverser chaque jour sur la ville des boulets et des projectiles incendiaires. De leur côté, les remparts furent sapés, et plusieurs portions sen écroulèrent. Bientôt, grâce aux appareils de siège, on put combler une partie du fossé de lenceinte, et lon approcha la tour mobile (burj), qui avait été construite sur place. Les Almohades purent ensuite accéder à lavant-mur (sitra) et mettre le feu au sommet de la tour dite Burj ibn Zawj. Voyant les Almohades maîtres du rempart et du fossé, la garnison assiégée demanda à se rendre, et lamn lui fut accordé61. » Ibn Ir ajoute plusieurs détails à la description de linvestissement de la ville: celui-ci nécessite un grand nombre de machines de siège de différentes sortes. Dès linstallation du campement, le calife fait également construire un mirador en bois / daydabn, du haut duquel il peut surveiller les travaux puis dominer le champ de bataille. La tour évoquée dans la lettre compte sept étages, elle est remplie

arrivée, il a déjà pénétré profondément dans le désert. Le calife ordonne alors à ses partisans restés à Gabès de se lancer sur ses traces; ces soldats gagnent le Djérid en empruntant des routes inconnues, totalement désertes et dépourvues deau, ce qui donne un caractère extraordinaire à cette équipée. Plus loin, pp. 159-160/85-86, le Kitb al-Istibr rapproche la tactique de Al dans ses actes de piraterie à Majorque de celle quil utilise pour semer al-Manr; dès que celui-ci a le dos tourné, il regagne Tozeur.

59 Ibn aldn, VI, p. 289/II, p. 211.60 Sur la destruction de Gafsa, Lévi-Provençal, Un recueil, lettre XXXI, p. 62 et lettre XXXII, pp.

62-63; Kitb al-Istibr, pp. 151-152/69-70; al-Marrku, pp. 198-199; Ibn Ab Zar, p. 218/181; Ibn al-Ar, XI, pp. 521-522; Ibn Ir, I, pp. 135-140; al-Ti, pp. 138-139/132-133; Ibn aldn, VI, pp. 228-229/II, pp. 94-95 et VI, p. 289/II, p. 211; al-imyar, s.vv. Qafa et Mayrqa; al-Zarka, p. 16; Jean-Léon lAfricain, pp. 443-444. Ibn Ab Dnr, p. 119, dit simplement que Yaqb al-Manr, après avoir battu les Arabes dIfrqiya et confisqué leurs biens, les envoie au Maroc.

61 Lévi-Provençal, Un recueil, lettre XXXII, p. 63.

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darchers et de machines de siège; cest au son des tambours et des trompettes que les soldats la font glisser jusquà lenceinte fortifiée de la ville, quelle domine62.

Menant impitoyablement le siège de la ville pendant au moins deux mois63, al-Manr fait ravager sa palmeraie, ordonnant que chaque jour du siège soient détruits mille palmiers64. Il fait raser les remparts de la ville, événement important qui est commenté par la plupart des historiens. La muraille est divisée en portions, qui sont réparties entre toutes les troupes qui ont contribué à la victoire almohade; elles la réduisent en poussière en lespace de deux jours. Elles brûlent tous les mangonneaux et autres machines de guerre. Al-imyar précise que la muraille est incendiée et Yt, qui situe mal cet épisode dans le temps, affirme que le calife détruit ce mur jusquà le faire toucher terre65. Ibn al-Ar dit quil laisse cette ville sans défense / taraka l-madna mila qarya. Le Kitb al-Istibr se réjouit de la catastrophe qui frappe les habitants de Gafsa, qui nont cessé de se rebeller et de changer davis depuis quils ont adopté la doctrine almohade; son auteur estime que le seul moyen de venir à bout de larrogance et de la fourberie des habitants de cette ville était de détruire leurs fortifications. Il confirme que seules demeurent alors les fondations de ce rempart et un bastion situé près de Bur ibn Zaw, témoins de lancienne splendeur de la ville66. Ibn al-Ar, quant à lui, constate que la prédiction du Mahd Ibn Tmart, suivant laquelle les murailles et la palmeraie de Gafsa seraient détruites par les Almohades, se trouve ainsi réalisée. Al-Marrku, pour sa part, reproduit le texte dune qada qui évoque Gafsa, assaillie par les pierres des mangonneaux. Le poète y compare la ville à une femme adultère qui a été lapidée, comme le veut la loi, pour punir sa trahison; cette comparaison fait beaucoup rire al-Marrku67.

Les circonstances de la soumission des Gafsiens, intervenue vraisemblablement avant la destruction du rempart, sont difficiles à établir. Selon Ibn al-Ar, ce sont les Turcs qui prient le calife de les laisser en vie, ainsi que les Gafsiens. Le Kitb al-Istibr dit que lors du siège, certains des Ġuzz que Al a installés à Gafsa, désireux de devenir des mamlk-s du calife, livrent leurs compagnons et sont pardonnés par al-Manr, qui les affranchit. Il fait assassiner les autres Ġuzz, pour les punir

62 Sur les miradors et les tours de bois à étages, bur ou dabbba, Cahen et Colin, E.I., s.v. ir, et supra.

63 Ibn al-Ar, XI, p. 521, dit que le siège dure trois mois tandis quIbn aldn, VI, p. 289/II, p. 211, affirme quil ne dure que quelques jours. Les différentes lettres officielles suggèrent quil sest prolongé du début de novembre 1187 au début de janvier 1188. Huici-Miranda, Historia poltica, p. 338, calcule que le siège a duré un mois et demi.

64 Cette précision est donnée par al-Ti, p. 139/133.65 Yqt, s.v. Qafa, affirme à tort que cest le calife Ysuf qui a démoli cette muraille.66 Kitb al-Istibr, p. 151/70. Sur les tours des enceintes tunisiennes, voir Northedge, E.I., s.v. Sr;

Terrasse, E.I., s.v. Burdj.67 Al-Marrku, pp. 198-199.

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de leurs péchés68. Tous les soldats almoravides se font systématiquement mettre à mort: Ibn Ir raconte que le calife les fait enfermer dans la fameuse tour de sept étages pendant quil fait la prière de la mi-journée. Ensuite, il sinstalle sur son observatoire et assiste à leur égorgement; les cadavres sont entassés dans le fossé, rendant rapidement latmosphère irrespirable69. Le sort des Ġuzz est variable. Dune part, le calife fait de nombreux prisonniers parmi eux, dont Ibrhm ibn Qartakn, et assiste à leur égorgement. Dautre part, certains des Ġuzz de Gafsa sont déportés à Marrakech, où ils constituent plus tard un corps délite70. Après la prise de Gafsa, les Almohades pillent les camps des tribus arabes et les forcent à se soumettre. Al-Manr déporte alors vers le Maroc les tribus qui avaient soutenu les Almoravides: les Riy et les um sont envoyés dans le Maġrib al-Aq. Quant aux Gafsiens, le calife leur laisse la vie sauve; il entreprend lorganisation administrative de la région et ordonne que les terres cultivées soient moissonnées puis ensemencées71. Néanmoins, les Gafsiens ne peuvent conserver leurs biens quà titre de musqt / colonat partiaire72. LÉtat almohade, nouveau propriétaire des terrains cultivés, laisse donc les terres aux bons soins des agriculteurs, mais prélève une part de leur récolte. On ne peut évaluer cette part, qui était sans doute importante73. Hady Roger Idris cite un exemple de musqt, portant sur des cultures irriguées, dans lequel le colon ne conserve quun dixième ou un huitième de sa récolte74!

Nous avons évoqué le meurtre dIbrhm ibn Qartakn, égorgé parmi les Ġuzz sur ordre dal-Manr. Al-Ti, repris par Ibn aldn, affirme que ce personnage a conquis Gafsa. Ouvrons une parenthèse pour étudier cette mystérieuse conquête, à présent que tous les éléments de lhistoire de la ville sont en place. Ibrhm ibn Qartakn, silr / porteur darmes de Taq al-Dn75, quitte lÉgypte à la même époque que son compagnon Qarq; il est à la tête dun contingent ayybide. Selon

68 Kitb al-Istibr, p. 151/69. 69 Ibn Ir, I, pp. 139-140.70 Lévi-Provençal, Un recueil, lettre XXXIII, p. 63.71 Ibid., pp. 63-64.72 Al-Ti, p. 138/132; Ibn aldn, VI, p. 229/II, p. 95; al-Zarka, p. 16. Voir à ce sujet Ibn Ab

Zayd al-Qayrawn, pp. 216-219; Young, E.I., s.v. Must. 73 Selon Talbi, Droit et économie, p. 223, le métayage / must est un contrat conclu entre

le propriétaire dun terrain et un métayer, qui se charge dexploiter ce terrain en laissant au propriétaire, en général, la moitié de la récolte.

74 Idris, La Berbérie orientale, pp. 623-624. À Taqys à la même époque, les riites sont soumis à la munafa, contrat agricole suivant lequel la récolte de loasis est partagée de moitié entre lÉtat et les habitants, ces derniers devant ensuite payer la dîme sur leur part de la récolte. Brunschvig, La Berbérie orientale, II, p. 199. Voir Köhler, E.I., s.v. Munafa.

75 Pellat, E.I., s.v. arsh, signale que tant le nom que le rôle du silr de Taq al-Dn demeurent obscurs. Sur cette fonction, voir Har-El, E.I., s.v. Silr. De Slane traduit que jusquà sa mort, Ibrhm ibn Qartakn maintient le pouvoir des Ban l-Rand à Gafsa. Cette précision ne figure pas dans l’éd. dIbn aldn et semble être une déduction du traducteur.

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les deux historiens, qui ne donnent aucune date, il marche sur Gafsa et sempare de tous ses villages / manzil76. Les Ban l-Rand lui remettent la région, car ils napprécient pas les Almohades, auxquels ils préfèrent les Abbsides. Ibrhm ibn Qartakn sinstalle alors à Gafsa avec ses partisans et conserve la ville jusquà ce quil y soit tué par al-Manr en 583/118877. Si le meurtre de ce personnage est daté par les textes, sa conquête de Gafsa est très difficile à situer dans la masse de renseignements qui concernent cette ville. Si Ibrhm ibn Qartakn a eu des contacts avec les Ban l-Rand, cet épisode doit être placé avant 1180, date à laquelle les derniers membres de cette dynastie sont exilés à Salé. Les événements précédant la chute des Ban l-Rand sont assez clairs et aucune allusion nest faite à la conquête de la ville par ce personnage. Il faut peut-être la rapprocher de lindépendance de Gafsa, proclamée en 572/1177 par Al ibn al-Rand, qui sinquiétait des succès des Turcs en Ifrqiya. On a du mal à imaginer que la pression turque évoquée par Ibn al-Ar était telle quen fait, Al ibn al-Rand proclama lindépendance de la ville mais que ce fut Ibrhm ibn Qartakn qui y régna. Pourquoi les historiens ny auraient-ils pas fait allusion? Il est vrai qual-Ti névoque pas lindépendance de Gafsa et quIbn aldn en parle à peine. Cependant, cette hypothèse ne nous paraît pas plausible. En effet, une éventuelle prise de Gafsa antérieure à 1180 est en contradiction avec les renseignements que fournit al-Maqr dans son histoire des souverains égyptiens: selon lui, Ibrhm ibn Qartakn a dans un premier temps pris Ghadamès avec Qarq en 573/1177-117878. Toutes les conquêtes effectuées par le silr paraissent donc postérieures à cette date. Al-Maqr raconte quen 577/1181-1182, Ibrhm fait savoir au souverain dÉgypte que depuis Ghadamès, il a conquis toute la région environnante, au nord comme au sud, sur une distance de vingt-cinq jours de marche; il a vaincu les Lawta et les Hawwra79. Il semblerait donc que la prise de Gafsa, si elle a eu lieu, date approximativement de lannée 577/1181-1182 ou lui est postérieure. Si cest exact, il est hors de question quIbrhm ait pu rencontrer Al ibn al-Rand à Gafsa. Alfred Bel suppose que cest Ibrhm ibn Qartakn qui livre Gafsa aux Almoravides en 581/1185-118680. Si cette hypothèse est crédible chronologiquement, elle ne cadre pas avec le récit du Kitb al-Istibr, qui affirme que ce sont les Gafsiens qui ont livré leur ville aux Ban Ġniya, et il est suspect que les historiens nen parlent pas. Il se pourrait quIbrhm ait pris Gafsa en

76 Selon le Kitb al-Istibr, p. 153/73, la palmeraie de Gafsa comprend dix-huit manzil qui sont autant de villages, et qui sont entourés par le mur de la palmeraie. Ces manzil pourraient également désigner de gros châteaux, peut-être fortifiés.

77 Al-Ti, pp. 114/106-107; Ibn aldn, VI, p. 27/II, pp. 92-93, qui dit Ibrhm ibn Qarq.78 Al-Maqr, p. 132.79 Al-Maqr, p. 145.80 Bel, Les Benou Ghnya, p. 57, note 2.

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même temps que Al ibn Ġniya en 581/1185-1186 mais, à nouveau, cela ne paraît pas convaincant puisque le chef almoravide navait pas encore établi dalliance avec Qarq. Or, le sort dIbrhm semble lié à celui de lArménien. Lhypothèse qui nous paraît la plus plausible est la suivante: on sait quaprès la conquête de Gabès par Qarq, Al et son allié arménien vont certainement reprendre Gafsa et le Djérid, qui sétaient soustraits à la domination almoravide; il nous semble que Qarq, qui était alors extrêmement puissant, a pu soffrir le concours dIbrhm ibn Qartakn et de ses troupes, de façon à assurer sa mainmise sur la région. Il aurait dans ce cas laissé Ibrhm sur place pour administrer la ville à son compte. Cette version des choses, qui exclut bien entendu toute entente entre Ibrhm et les Ban l-Rand, paraît être la plus vraisemblable, si lon fait confiance à laffirmation dal-Ti. Lallusion à lalliance avec les Ban l-Rand provient à notre avis dune confusion faite par cet auteur et reproduite par Ibn aldn.

Revenons à Gafsa qui, après la victoire du calife, se retrouve détruite et sans défense. Sa palmeraie est ruinée et les habitants vivent lun des épisodes les plus pénibles de leur histoire. Al-imyar dit qual-Manr enlève à Gafsa tous ses charmes et sa beauté81. Cette catastrophe marque également un tournant dans la destinée des Ban Ġniya et de Qarq. La ruine de Gafsa, qui constituait le repaire préféré des Almoravides, déstabilise leur entreprise. Al ibn Ġniya et Qarq reprennent pourtant leurs pillages dans le Djérid dès que le calife a le dos tourné82. Al ibn Ġniya meurt en 584/1188, laissant le pouvoir à son frère Yay. De nombreux détails sont donnés sur la mort de Al qui, dans la plupart des sources, intervient dans les environs de Tozeur83: al-Ti dit que Al sy éteint après quune flèche la atteint à la clavicule. Le Kitb al-Istibr détaille aussi la mort dal-May près de Tozeur, se réjouissant que Dieu lait puni de ses horribles péchés et du sang versé dans toute lIfrqiya. Al-Marrku prétend que, souffrant encore des blessures quon lui avait infligées à la bataille dal-mma, il meurt dans la tente dune vieille nomade. Selon Ibn aldn, il succombe à une blessure dans un combat contre les Nafzwa. Si lon en croit cet historien, seul à mentionner que les Almoravides continuent à faire des profits dans le Djérid à cette époque, la présence des Ban Ġniya semble de moins en moins bien acceptée par les populations locales. Si la mort de Al est due à une rébellion des Nafzwa, nous supposons que cette tribu a dû subir de lourdes représailles.

81 Al-imyar, s.v. Qafa. 82 Ibn aldn, VI, p. 229/II, p. 95.83 Al-Marrku, p. 198; Kitb al-Istibr, pp. 155/76-77 et p. 160/86; al-Ti, p. 162/148; Ibn

aldn, VI, p. 229/II, p. 95; al-imyar, s.vv. Biya et Tawzar.

274

4. LES NOUVEAUX SUCCÈS DES ALMORAVIDES ET DE QAR

En 586/1190, Qarq parvient à reprendre Gabès avec le soutien des Arabes. Il semble que dans ce but, il a offert sa soumission aux Almohades, sans doute par ruse; en effet, Saladin, qui avait pourtant approuvé les victoires du mamlk, a besoin à présent du soutien des Almohades contre les attaques franques84. Une lettre officielle signale que le jour de larrivée de larmée almohade devant Gafsa, le calife reçoit un message dans lequel Qarq offre sa soumission et propose de venir rejoindre les troupes almohades85. LArménien passe quelque temps à la cour almohade de Tunis, puis se rend à Gabès. Mystifiant les habitants, il se fait ouvrir les portes de la ville et nhésite pas à faire massacrer une partie de la population. Il invite ensuite à Gabès les ay-s des Ban Dabbb et des Kub, tribus issues des Ban Sulaym; il fait mettre à mort plus de soixante-dix de ces notables86! Cette tuerie a lieu dans le qar al-Arsayni, à un endroit que lon pouvait encore voir à lépoque dal-Ti. Après avoir fait main basse sur toutes les richesses des ay-s assassinés, Qarq sempare de Tripoli et semble alors le maître incontesté de la région. Il est probable que, fort de ces victoires, il conquiert également une grande partie du Djérid87, ce qui ne peut quirriter Yay.

Cest à cette époque quintervient la rupture définitive entre Yay et Qarq. Grâce à leurs alliances, les deux chefs ont pu reconquérir le Djérid et la Tripolitaine, mais Yay, qui a longtemps profité de la puissance de Qarq, semble désormais vouloir supprimer ce dangereux allié. Il se méfie sans doute de lui à cause de son attitude équivoque à légard des Almohades et trop dure à légard des Arabes. Il sait bien que lArménien, qui a perdu la confiance des Arabes après avoir massacré leurs principaux chefs à Gabès, est mal placé pour enrôler de nouvelles troupes. Dautre part, il y a certainement un conflit entre ces deux rebelles, qui doivent se disputer lautorité sur des régions quils ont conquises ensemble. Dans le cas du Djérid, lAlmoravide estime sans doute quil a des droits sur la région, qui avait tout dabord été soumise par son frère . Yay décide donc den finir avec celui quil considère désormais comme son rival. Suivant le récit dal-Ti88, la même année 586/1190 durant laquelle Qarq sempare de Gabès, Yay marche contre urra, qui est gouvernée par Yqt, nib / lieutenant de Qarq. Il sempare de la ville

84 À ce sujet, voir Pellat, E.I., s.v. arsh, et Bel, Les Benou Ghnya, p. 93, note 2.85 Lévi-Provençal, Un recueil, lettre XXXI, p. 62.86 Al-Ti, pp. 104/98-99 et p. 244/199; Ibn aldn, VI, p. 85/I, p. 138; VI, p. 229/II, p. 95. Le

Kitb al-Istibr, pp. 110-111/4-5, mentionne la soumission de Qarq aux Almohades et la prise de Tripoli.

87 Ibn aldn, VI, p. 229/II, p. 95.88 Al-Ti, p. 147/137; Ibn aldn, VI, p. 229/II, p. 96.

275

ainsi que de cent cavaliers ġuzz quil ajoute à son armée. Les Arabes se soumettent à lui et il conquiert le bild al-ard. Il poursuit alors Yqt en direction de Tripoli.

En 591/1195, Yay, qui a établi son camp dans le Djérid, vient affronter Qarq dans les environs de Tripoli, mettant lArménien en fuite. Il sempare de Tripoli avec laide dune flotte majorquine89. Yqt, lancien lieutenant de Qarq à urra, tente de sauver la ville, mais il est fait prisonnier et envoyé à Majorque. Nous supposons que Qarq se réfugie alors à Waddn, où on le retrouve quelques années plus tard. Fort de sa victoire à Tripoli, Yay marche sur Gabès, qui est revenue sous domination almohade. En effet, le représentant de Qarq a fui la ville à lannonce de la prise de Tripoli et, à la demande des habitants, les Almohades y ont nommé un gouverneur, Ibn T90. Yay sarrête à Zarq et envoie une lettre aux habitants, leur laissant un délai de trois jours pour se soumettre. Nobtenant pas de réponse, il commence le siège de la ville avec ses mangonneaux et fait détruire tous les dattiers de la ġba de Gabès. Il ordonne quon y laisse un seul arbre, en guise dexemple pour les habitants. Ces derniers sont finalement obligés de se soumettre, faisant promettre à Yay de laisser partir Ibn T avec sa famille et ses biens. En guise de châtiment pour avoir résisté aux Almoravides, les Gabésiens sont forcés de payer un tribut sélevant à soixante mille dr-s. Yay sinstalle à Gabès, dont il fait sa capitale et quil fortifie. Il est désormais maître de la région comprise entre la Tripolitaine et le Djérid; il a définitivement vaincu Qarq et récupéré à son compte tous les territoires de lArménien. Évoquant lannée 591/1194-1195, Ibn al-Ar déplore de nombreuses destructions en Ifrqiya, causées par les armées des Ban Ġniya, qui laissent la province vide, désertée par ses habitants91.

Ibn Abd al-Karm92, gouverneur almohade de Mahdiyya, tente alors de conquérir Gabès, tenue par son ennemi Yay93. Il se rend vite compte quil n’a pas la capacité de prendre la ville puis se reporte sur Gafsa, dont les remparts rasés en 1188 nont pas été relevés. Il sempare très facilement de la ville mais, à lapproche de Yay, il doit se réfugier avec ses troupes à Qur Lla94. Cest là quil subit une défaite; il doit regagner Mahdiyya avec les soldats survivants. Après avoir fait main basse sur

89 Sur la prise de Tripoli par Yay, al-Ti, p. 105/99 et pp. 244-245/199-200; Ibn aldn, VI, p. 229/II, p. 96.

90 Sur la prise de Gabès par Yay, al-Ti, pp. 104-106/99-100 (la trad. névoque pas les mangonneaux); Ibn aldn, VI, p. 230/II, p. 97.

91 Ibn al-Ar, XII, p. 116, qui attribue à tort ces ravages à Al, mort depuis plusieurs années, et non à Yay.

92 Sur Ibn Abd al-Karm, al-Ti, pp. 350-353/270-275; Bel, Les Benou Ghnya, pp. 101-108.93 Al-Ti, pp. 353-354/275-277; Ibn aldn, VI, pp. 230-231/II, p. 98 et VI, p. 293/II, p. 219. Ibn

aldn ne parle pas de la bataille de Qur Lla; pour lui, Ibn Abd al-Karm fait dabord sans succès le siège de Gabès, puis est poursuivi par Yay jusquà Gafsa puis Mahdiyya. Contrairement à al-Ti, Ibn aldn ne mentionne pas la prise de Gafsa.

94 Qur Lla est une petite oasis située à quelques kilomètres au sud-est de Gafsa, connue aujourdhui sous le simple nom de Lla.

276

le campement abandonné, Yay vient lassiéger dans Mahdiyya et prend la ville en 597/1200-1201.

En 599/1202-1203, Yay conquiert Tunis, dans laquelle il fait preuve dune épouvantable cruauté95. Il est à cette époque le maître incontesté de lIfrqiya, dont il a pu sapproprier les principales villes depuis 586/1190. Toute lIfrqiya fait la uba au nom des Abbsides et chaque ville est pourvue dun gouverneur almoravide. Depuis Tunis, sa capitale, il lève impitoyablement limpôt: on le voit par exemple envoyer une armée pour châtier les populations du abal Nafsa, qui refusent de lui payer ce quil réclame, et leur prendre un énorme tribut, qui aurait atteint deux millions de dr-s96. Les abus de pouvoir et les rapines de Yay ne vont pourtant pas tarder à anéantir sa puissance. Le nouveau calife al-Nir, qui a conquis les Baléares, marche vers Tunis et le rebelle doit trouver refuge dans le sud. Il gagne Gafsa, où il rassemble de nouveaux contingents; cette tâche lui est désormais beaucoup plus difficile, puisquil nhésite pas à prendre des otages parmi les Arabes pour forcer les tribus à senrôler97. En 601/1204-1205, selon al-Ti, alors quil se presse de Gafsa vers le abal Dammar, Yay apprend que les habitants de urra entendent rejeter lautorité almoravide, ce quils navaient osé faire depuis la fuite de Yqt, le lieutenant de Qarq. Yay fait le siège de la ville et la livre à ses soldats. Les troupes almoravides tuent les hommes, semparent des richesses, violent les vierges et détruisent les habitations. Ils commettent tant de massacres et de pillages que la ville est bientôt désertée par ses habitants, qui séparpillent dans le Nafzwa98. Yay fuit à mmat Mama puis dans le abal Dammar, tandis qual-Nir reprend Gafsa, puis Gabès dans laquelle il installe un gouverneur almohade99.

Lannée suivante, en 602/1205-1206, Yay subit une lourde défaite dans le abal Tr, non loin de Gabès100. Apprenant que Yay se dirige vers le Djérid pour y enrôler des troupes, le calife confie son armée à Ab Muammad Abd al-Wid ibn Ab af al-Hintt101; larmée poursuit le rebelle, qui sest allié deux tribus de

95 Al-Ti, pp. 354-356/277-279; Ibn aldn, VI, p. 231/II, pp. 98-99 et VI, p. 293/II, p. 220. 96 Al-Ti, p. 356/279; Ibn aldn, VI, p. 231/II, p. 99 et VI, p. 293/II, p. 220.97 Al-Ti, p. 356/280; Ibn aldn, VI, p. 231/II, p. 99; al-Zarka, p. 17.98 Al-Ti, pp. 147/137-138 et p. 356/280; Ibn aldn, VI, p. 231/II, p. 99; al-Zarka, p. 17.

Al-Ti, p. 142/135, signale quà lépoque de son séjour dans la région, la qaba de urra était complètement ruinée et seul son rempart était encore debout.

99 Lévi-Provençal, Un recueil, lettre XXXVII, p. 69; al-Ti, pp. 110/100-101 et pp. 357/280-281. 100 Sur la bataille de Tr, Lévi-Provençal, Un recueil, lettre XXXVII, p. 69; Ibn Ir, I, p. 324;

al-Ti, p. 120/112 et pp. 357-358/281-282; Ibn aldn, VI, p. 232/II, pp. 99-100; VI, p. 294/II, p. 221 et VI, p. 329/II, pp. 286-287; al-Zarka, p. 17. Al-Ti dit que la bataille a lieu près du abal Ras Tr, que Gragueb, Tidjani dans le Sud tunisien, p. 28, identifie au Tr al-kabr, une colline de 270 mètres située à 10 km au nord-ouest de Médenine sur la route de Gabès.

101 Cest le fils dAb af Umar al-Hintt, compagnon du Mahd Ibn Tmart. Il gouvernera lIfrqiya de 1207 jusquà sa mort en 1221. Voir Lévi-Provençal, E.I., s.v. Ab af Umar al-Hintt.

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Ban Sulaym, et qui tente de gagner mmat Mama. Laffrontement a lieu dans les environs de Gabès et une bonne partie des troupes almoravides est massacrée. Yay parvient néanmoins à fuir, mais les Almohades font main basse sur toutes les richesses du camp quil a abandonné, dont de très nombreux chameaux. Ibn Ir signale que cette victoire dAb Muammad marque le début de la bonne fortune des Ban Ab af dans ce pays. Al-Nir reprend alors le reste de lIfrqiya et, en 603/1207, il offre le poste de gouverneur à Ab Muammad Abd al-Wid, auquel il confie la pacification du pays102. Le calife ordonne de mener des expéditions punitives contre les populations qui ont soutenu le rebelle almoravide, dont les Ban Dammar, les Mama et les habitants du abal Nafsa103. Désormais, Yay naura plus loccasion de reprendre les villes du Sud tunisien, qui connaissent enfin la paix. Sil se présente encore à loccasion dans le Djérid pour y recruter des troupes, il ne porte manifestement aucune nouvelle atteinte aux oasis. De ce fait, les trente dernières années de la vie de lAlmoravide seront simplement esquissées dans les pages suivantes.

5. LES DERNIÈRES VICTOIRES ET LA MORT DE YA

Bien que très affaibli, inlassablement poursuivi, Yay décide de concentrer ses efforts sur le Maghreb central. Allié aux Zanta et à quelques tribus arabes, il sème la dévastation jusquà Siilmsa. Il remporte une importante bataille contre les Almohades non loin de Thart, qui est totalement pillée. Alors quil revient vers lIfrqiya, il se fait battre par Ab Muammad Abd al-Wid. En 606/1209-1210, une nouvelle défaite dans le abal Nafsa face à Ab Muammad sonne le glas de sa puissance104. Yay est obligé daller se réfugier plus au sud et va attaquer Qarq, qui est installé à Waddn. Il lassiège avec les Ban Dabbb et lArménien doit capituler, faute de provisions. Yay le fait tuer et prend sa place en 609/1212105. La fin de Qarq est décrite de façon pathétique par al-Ti: son dernier souhait est dêtre tué avant son fils, car il sait bien que ceux qui vont lassassiner ont perdu leurs pères à cause de lui. Qarq est crucifié. Yay se tient relativement calme à

102 Ibn Ir, I, pp. 324-325; al-Ti, pp. 360-363/284-289; Ibn aldn, VI, p. 232/II, p. 100; VI, p. 294/II, p. 222 et VI, pp. 329-330/II, pp. 287-288; al-Zarka, p. 18.

103 Ibn aldn, VI, p. 294/II, p. 222 et VI, p. 329/II, p. 287. 104 Sur le périple de Yay jusquà sa défaite au abal Nafsa, al-Marrku, p. 234; Ibn Ir, I,

pp. 229-238; Ibn aldn, VI, pp. 232-233/II, pp. 100-101; VI, pp. 330-331/II, pp. 288-291; VII, p. 87/III, p. 330; VII, p. 92/III, p. 339; al-imyar, s.v. Thart. Ibn Ir, I, pp. 257-258, signale qu’en 607/1210-1211, Ab Muammad nomme Ab Sulaymn D’d ibn Ab D’d au poste de gouverneur de Tozeur et du bild al-ard; son frère Ibn Ab D’d reçoit le gouvernement de Gabès et de sa région.

105 Al-Ti, pp. 110-111/101.

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Waddn jusquà la mort dAb Muammad en 618/1221. À lannonce du décès de son ennemi, il recommence ses pillages. Le nouveau gouverneur almohade prend ses quartiers dans le qar al-Arsayni de Gabès, de façon à sassurer du contrôle de cette ville, proie supposée de Yay. Il envoie des colonnes vers Ghadamès et vers Waddn, mais cette dernière armée est contrainte de se replier vers Gabès106. Yay continue alors ses dévastations dans le Zb, malgré les revers que lui infligent les Almohades107.

En 623/1226, à la grande joie des habitants, le calife almohade nomme comme gouverneur dIfrqiya le propre fils dAb Muammad Abd al-Wid, Ab Muammad Abd Allh. Ce dernier confie les différentes provinces dIfrqiya à des membres de sa famille: la Qasliya revient à son frère Ab Ibrhm, la région de Gabès et celle dal-mma sont octroyées à son frère Ab Zakariyy Yay108. Deux ans plus tard, le gouverneur de Gabès prend la place de son frère et devient gouverneur dIfrqiya. En 1228, Ab Zakariyy Yay proclame lindépendance de sa province, fondant la grande dynastie des ides. Ce premier émir, au nom duquel lIfrqiya tout entière prononce la uba dès 1236, règne jusquen 1249109. La situation se calme alors dans toute la région, mais jusquà sa mort en 633/1235-1236, Yay poursuivra ses dévastations dans le Maghreb central110. Avant de mourir, il confiera ses filles à la générosité de lémir Ab Zakariyy Yay, qui les installera à Tunis dans un palais bâti à leur intention, le qar al-Bant / château des filles, et leur accordera une généreuse pension111.

6. LINFLUENCE CULTURELLE DES BAN ĠNIYA

Cest à lépoque où le Djérid est tiraillé entre les Ban Ġniya et les Almohades quest créé le décor du mib de la mosquée de Bild al-aar, située dans la palmeraie de Tozeur112. Son commanditaire est dorigine maghrébine ou andalouse,

106 Ibn aldn, VI, p. 233/II, p. 102; VI, p. 333/II, p. 294. Le même, VII, p. 77/III, p. 313, prétend à tort quen 618/621, Yay conserve encore Gabès et ses environs.

107 Ibn aldn, VI, p. 333/II, p. 294; VII, p. 77/III, pp. 313-314; al-Zarka, p. 20. 108 Ibn aldn, VI, p. 334/II, p. 297; al-Zarka, p. 21.109 Sur lavènement de la nouvelle dynastie, Brunschvig, La Berbérie orientale, I, pp. 18-23. 110 Ibn aldn, VI, pp. 334-335/II, p. 297; VI, p. 337/II, p. 301, date sa mort en 631/1233-1234. Ibn

allikn, VII, p. 18/IV, p. 349, dit quil meurt en 633/1235-1236 près de Tlemcen.111 Ibn aldn, VI, p. 234/II, p. 103.112 Voir planche III. Sur la mosquée de Bild al-aar, voir G. Marçais, Manuel dart musulman, I,

pp. 385-392, et son article Le mib maghrébin de Tozeur. Voir avec prudence Ifriqiya. Treize siècles dart et darchitecture en Tunisie, pp. 242-243, qui prétend quune inscription indique que la mosquée a été fondée en 595/1199 par Al ibn Ġniya. Cela paraît relever de linvention, dune part car il semble inconcevable que cette inscription ait échappé à G. Marçais qui a fait des croquis très précis de la mosquée, dautre part parce quen 595/1199, Al était mort depuis des années.

279

PLANCHE III: BILD AL-AAR (TOZEUR)

MOSQUÉE, MINARET ET DÉCOR DU MIRB

Dessins de Georges Marçais dans Le mib maghrébin de Tozeur, fig. 6, 13,

18 et 19.

280

car le décor de stuc relève du style hispano-maghrébin le plus authentique113. Il sagit dailleurs du premier décor de ce style, qui marque la transition entre lart almoravide et lart almohade, réalisé en Ifrqiya114. Une inscription gravée dans le plâtre indique que le mib a été sculpté en 590/1193-1194. Il paraît certain que Yay ibn Ġniya est le commanditaire de ce somptueux décor. Apparemment, Yay reprend le Djérid à lépoque de la mort de son frère en 584/1188. On sait que Qarq revendique également lautorité sur tout ou partie de la région, puisquon voit Yay chasser en 586/1191 hors de urra le lieutenant que lArménien y avait installé. Cinq ans plus tard, Yay a toujours son camp dans le Djérid, lorsquil va affronter Qarq à Tripoli. Pour Georges Marçais, cest en relevant les ruines de son ancien fief dévasté par al-Manr que Yay a conçu lidée de doter la mosquée dun nouveau mib115. Sil y a certainement dans sa décision de magnifier la mosquée de Bild al-aar la volonté daffirmer sa victoire face aux Almohades, il nous semble également que Yay a voulu établir définitivement son autorité sur Tozeur vis-à-vis de Qarq. Le fait de la doter dun tel ornement aurait ainsi prouvé à tous que la ville était bien la nouvelle capitale almoravide.

À une quarantaine de mètres de la mosquée se trouvent les ruines dun minaret, bâti sur une base romaine. Cet endroit correspond au centre primitif de Tozeur. Les habitants de Tozeur pensent que le soubassement antique, qui a été complété de briques au XIe siècle pour servir de minaret, date en fait dune époque beaucoup plus lointaine et que la tour de Bild al-aar aurait été construite au temps des géants / amlq116. Cette mosquée est pour eux dune importance capitale, et remonte à lapparition de lislam. Les habitants vantent le fait quelle aurait été la première mosquée dAfrique ou, plus simplement, la première mosquée de Tunisie. Au tout début de lère musulmane, selon la légende, la mosquée de Bild al-aar renfermait cinq cents colonnes et était fréquentée par cinq cents savants117. La mosquée dAwld Mid, lun des villages de Dg, conserve la forme du minaret de la mosquée de Bild al-aar qui a aujourdhui disparu, mais qui est décrit par Ibn al-abb: ce minaret se caractérisait par son lanternon à quatre coupoles, que lon ne trouve que dans le Djérid118. Ibn al-abb, lui-même enterré à Bild al-aar, évoque cette mosquée dans son commentaire sur al-qada l-aqrisiyya. Il décrit un édifice construit sur le modèle de la Grande Mosquée de Kairouan, en proportions

113 Zbiss, Considérations sur la tentative de restauration du pouvoir almoravide, pp. 38-39.114 Pavn Maldonado, Espaa y Tnez: arte y archeologa islmica, p. 174.115 G. Marçais, Le mib maghrébin de Tozeur, p. 46; Manuel dart musulman, I, p. 386. 116 Dakhlia, Loubli de la cité, p. 47. Le mythe des géants est très répandu dans le Maghreb et

notamment dans le Fazzn et le Kawr; voir Thiry, Le Sahara libyen, pp. 99-100. Sur les géants / amlq, qui sont en fait les Amalécites de la Bible, voir Vajda, E.I., s.v. Aml.

117 Dakhlia, Loubli de la cité, p. 83.118 Ifriqiya. Treize siècles dart et darchitecture en Tunisie, pp. 245-246. Voir planche VI.

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moindres, entre 418/1027 et 422/1031, cest-à-dire à une époque prospère pour la région119. La mosquée actuelle ne correspond plus à la description dIbn al-abb et un seul élément ressort dans sa pauvre décoration, le somptueux mib qui a été greffé sur cet édifice purement ifrqien. Le mib a donc été complètement transformé plus de cent soixante ans après la construction de la mosquée. Son style purement maghrébin se perpétuera en Ifrqiya sous les afides de Tunis, qui sont de souche almohade120.

À la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle, des immigrants almoravides sinstallent dans le Sud tunisien pour se battre aux côtés des Ban Ġniya. Ces nouveaux arrivants, dont le nombre est impossible à évaluer, viennent soit des Baléares, soit du nord-est de lEspagne. On connaît précisément le berceau des Ban Ġniya: ils sont originaires de la vallée de la Cinca, un affluent de lÈbre, à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de la ville de Lérida121. Les nouveaux arrivants sinstallent tant à Gafsa que dans les principales oasis du Djérid, Tozeur, Nefta ou al-mma; ils influencent les techniques dirrigation, lart et larchitecture, mais également lonomastique122. Ainsi, on trouve aujourdhui encore des familles dorigine andalouse dans le Sud tunisien, comme les Sancho à al-mma, les Longou et les Kerrou à Gafsa123.

Outre le mib de la mosquée de Bild al-aar, la particularité architecturale des oasis du Djérid est la décoration des maisons en briques réticulées124. Leur décor a un but tout à fait pratique: dabord, il ne fait appel quaux matériaux produits en abondance dans la palmeraie, le pisé, le bois de palmier et largile dont on fait des briques qui sont cuites dans des fours chauffés par ce même bois. Ensuite, la décoration subtile des façades des maisons est destinée, par lagencement des briques en saillie ou en retrait, à créer des zones dombres; les fenêtres semblables à des meurtrières sont conçues pour tamiser lair torride. À lintérieur, le patio à hauts murs permet aux habitants de se protéger du soleil; de hautes poutres y sont prévues pour accrocher les régimes de dattes à lombre. Cette décoration particulière des maisons anciennes du Djérid, aujourdhui abondamment exploitée dans les complexes touristiques, serait

119 Ibid., p. 243. Al-Wazr al-Sarr, I, p. 417, reproduit certains passages dIbn al-abb, relatifs à la construction de cette mosquée. Ces extraits ne reprennent pas la comparaison avec la Grande Mosquée de Kairouan mais rapportent des anecdotes sur la construction du minaret; ils font allusion à ses quatre coupoles, que tous les voyageurs admirent, assurant navoir jamais vu semblable minaret. Voir planche IV le tombeau dIbn al-abb.

120 G. Marçais, Manuel dart musulman, I, p. 304.121 Asn, En torno a las orgenes de Castilla, p. 363.122 Kress, Éléments structuraux « andalous », p. 130.123 Zbiss, Considérations sur la tentative de restauration, p. 39.124 Voir planches IV et V. Sur ces maisons, G. Marçais, Manuel dart musulman, II, pp. 908-909;

Ifriqiya. Treize siècles dart et darchitecture en Tunisie, p. 228; Pavn Maldonado, Espaa y Tnez, p. 159; Penet, Kairouan, Sbeïtla, le Djérid, p. 75.

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également dorigine andalouse125. Ces motifs géométriques en briques saillantes se retrouvent dans le style mudéjar aragonais et ont été certainement importés par les Ban Ġniya126. La cathédrale Seo de Saragosse est lexemple le plus célèbre de ce style mudéjar aragonais et selon Georges Marçais, on ne peut douter que les Morisques immigrés ont introduit ce décor géométrique avec eux; les reliefs en briques de Tozeur seraient une survivance de cet apport127.

On peut également faire un rapprochement entre les techniques dirrigation de la région natale des Ban Ġniya et celles de Tozeur. Dans loasis, un conseil de notables, le mid, est chargé de veiller à la juste répartition de leau entre les jardins et à lentretien des canalisations. Ce conseil rappelle fortement le « tribunal de agua » qui aujourdhui encore fonctionne à Valence. Selon Hans-Joachim Kress, ce tribunal de leau est attesté à Valence depuis 960128, il a été repris à Murcie et à lembouchure de lÈbre, dont sont originaires les Ban Ġniya. Pour lui, les Ban Ġniya ont peut-être laissé une empreinte dans la façon dont est géré le système dirrigation de Tozeur129. Pour Oliver Asn par contre, il est probable que cest le système en vigueur à Tozeur qui a influencé celui de Valence130. Hans-Joachim Kress prétend également avoir découvert un autre recoupement intéressant: à cinq kilomètres au nord-ouest de Tozeur se trouve un puits nommé Bir Qasliya; il voit dans ce toponyme une allusion à la Castille des Ban Ġniya131. Il s’agit évidemment là d’un souvenir du nom ancien des oasis.

7. LIMPLICATION DE LA RÉVOLTE DES BANŪ ĠĀNIYA

Dès lalliance conclue entre Al ibn Ġniya et Qarq, le Sud tunisien est partagé en deux parties: la région littorale comprise entre Tripoli et Gabès devient le fief de Qarq, tandis que Gafsa, la Qasliya et le Nafzwa sont la chasse gardée des Ban Ġniya. Gabès, curieusement, paraît mal protégée: les géographes vantent son fossé que les habitants remplissent deau en cas de danger132, mais les historiens ne

125 Latham, Towns and Cities of Barbary: the Andalusian Influence, p. 200. 126 Kress, Éléments structuraux « andalous », p. 149.127 G. Marçais, Testour et sa grande mosquée, p. 281.128 Lagardère, Droit des eaux, p. 92, confirme quil est attesté au Xe siècle. Le tribunal des eaux

rassemble chaque jeudi les représentants des irrigateurs des grands canaux valenciens; il se tenait jadis devant la mosquée principale de la ville et a conservé cet emplacement après sa transformation en cathédrale. Le fonctionnement de ce tribunal, dont toute la procédure est orale, est un des arguments qui confortent lhypothèse selon laquelle le réseau dirrigation valencien est dorigine arabe. Bazzana et Guichard, Irrigation et société dans lEspagne orientale au moyen âge, p. 118.

129 Kress, Éléments structuraux « andalous », pp. 143-144. 130 Asn, En torno a las orgenes de Castilla, p. 380.131 Kress, Éléments structuraux « andalous », p. 144.132 Al-Bakr, p. 17/41; Kitb al-Istibr, p. 112/7.

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mentionnent pas la mise en pratique de cette défense. Lors de la conquête almohade, par exemple, le dernier émir des Ban mi senfuit sans opposer la moindre résistance et les efforts de son ministre pour défendre la ville restent sans résultat. Cest sans doute en 582/1186-1187 que Qarq fonde sa capitale à Gabès, qui se rend à nouveau rapidement; il conserve la ville très peu de temps puisquelle est reprise par al-Manr en octobre 1187. En 586/1190, lArménien récupère Gabès après avoir feint de se soumettre aux Almohades. Cinq ans plus tard, elle passe aux mains de Yay, qui y installe provisoirement sa capitale. Il fait détruire la palmeraie et lève un tribut de soixante mille r-s. En 601/1204-1205, al-Nir reprend la ville à Yay. Lensemble de cette période est néfaste pour Gabès, qui passe de main en main. Les dix années passées sous le gouvernement de Yay sont sans doute les plus pénibles pour les habitants, le rebelle adoptant une conduite impitoyable envers lancien fief de Qarq. La ville na certainement pas échappé aux fréquents pillages perpétrés par les Arabes. De plus, le massacre de nombre de leurs chefs ordonné par Qarq dans lenceinte de Gabès a peut-être eu des conséquences pour la population. Il est probable que les gouvernements de Qarq et de Yay ont dû nuire à lentente et à la confiance qui avaient dû se créer entre habitants et Arabes, lorsque la ville sétait épanouie sous la dynastie des Ban mi.

Dès quils ont été forcés dabandonner Bougie, les Ban Ġniya se sont rabattus sur Gafsa et le Djérid: la proximité extrême du désert leur assure de pouvoir fuir et se cacher, la situation excentrée des oasis décourage sans doute les Almohades dy envoyer fréquemment des armées. Le principal intérêt de la région est dassurer aux rebelles une fameuse réserve de troupes. Certains historiens expliquent la longue résistance de Yay par un soutien actif de la population urbaine mlikite, qui aurait préféré soutenir les nomades de larmée des Ban Ġniya plutôt que les Almohades, de même quelle avait dans un premier temps soutenu les nukkrites dAb Yazd plutôt que les Fimides. Pour eux, les Almoravides ont gagné à leur cause tous ceux qui détestent le pouvoir almohade: ils recueillent donc la sympathie des mlikites et de ceux qui restent fidèles à Bagdad133. Si ces arguments sont sans doute valables pour le début du combat mené par les Ban Ġniya, ils semblent très aléatoires pour les événements qui suivent, tous marqués par dincessantes razzias. Nous ne pouvons concevoir que la population sédentaire ait pu applaudir les succès de ces brigands, même lorsque Yay contrôle la totalité de lIfrqiya au tout début du XIIIe siècle. On ne peut supposer que Tozeur ou urra, deux villes martyres parmi dautres, aient pu soutenir le combat de ces tyrans. Qui sont alors les réels soutiens

133 Merad, Contribution à lhistoire de la dynastie Muminide, p. 458; Laroui, Lhistoire du Maghreb, pp. 176-177.

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des Ban Ġniya? À vrai dire, à lexception de la masse de pillards, nous nen voyons pas beaucoup. Seuls le clan même des Ban Ġniya et les contingents almoravides venus des Baléares pour soutenir leffort de guerre contre les Almohades devaient être animés dune réelle ambition politique. Dans la seconde partie de la révolte, un autre groupe se montre particulièrement fidèle à Yay, mais pour dautres raisons: ce sont les Dabbb, une tribu des Ban Sulaym qui a trouvé dans son alliance avec le rebelle le moyen le plus sûr de se venger de Qarq. Lorsque Yay combat dans le Maghreb central, il reçoit également lappui des Zanta de louest dAlger, nomades hostiles aux Almohades134. Au hasard des conquêtes des Ban Ġniya, certaines villes, comme Gafsa, ont pu dans un premier temps se montrer favorables aux nouveaux maîtres, mais leur soutien a dû être bref. Les seuls indéfectibles auxiliaires des Almoravides sont les mercenaires, issus en grande partie des tribus arabes nomades. Leur seule motivation est lappât du gain. Ils se font le plus souvent recruter dans le Sud tunisien et plus particulièrement dans le Djérid. À cette époque, la région paraît fort fréquentée par des Arabes nomades, qui convoient les diverses marchandises entre le nord et le sud; ce sont les alliés favoris des Almoravides. On voit pourtant que lors de ses dernières attaques, Yay est obligé de prendre des otages parmi les Arabes, devant leur manque dempressement à soutenir son combat. Il y a sans doute également dans la région de nombreux nomades anh, que les Ban Ġniya peuvent facilement convaincre135. Sans cette masse de recrues, Yay naurait jamais pu se jouer si longtemps des Almohades. À cet égard, on peut dailleurs rapprocher Yay ibn Ġniya de Ukka ibn Ayyb al-Faz: on se rappelle que, malgré ses échecs, le chef ufrite avait également pu, mais dans une période beaucoup plus courte, rallier à lui des troupes considérables et cela jusquà son ultime défaite.

Gafsa est la seule ville qui paraît, de prime abord, favorable aux Almoravides: les habitants de Gafsa auraient tout dabord ouvert leurs portes aux rebelles, perçus comme des libérateurs. En effet, la ville avait été fortement éprouvée par la conquête almohade: une partie du rempart avait été détruite, ainsi que nombre de cultures et de bâtiments, et on avait déploré de grandes pertes humaines. Par la suite, les Gafsiens ont assassiné leur gouverneur Imrn ibn Ms al-anh, puis massacré la garnison almohade en avril 1177. En 1180, ils ont dû capituler devant Ysuf, qui a ravagé leur palmeraie. Leur haine des Almohades justifie donc quils accueillent favorablement les Ban Ġniya. Tozeur, par contre, résiste courageusement au premier siège de Al et paye en 582/1186-1187, par la mise en vente de sa population masculine et

134 Zbiss, Considérations sur la tentative de restauration, p. 36.135 G. Marçais, Les Arabes en Berbérie, p. 196.

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la destruction de sa palmeraie, son refus de soutenir les Almoravides. Peu de temps après, tant Gafsa que Tozeur se révoltent contre lautorité almoravide, obligeant Al et Qarq à venir les reprendre, ainsi que le reste du Djérid. Cest donc par la force que les Ban Ġniya maintiennent leur pouvoir dans le Djérid, jusquà ce qual-Manr reprenne toute la région au début de 1188, avec les conséquences désastreuses que le siège entraîne pour Gafsa, dont le rempart est totalement détruit de même que la palmeraie. Les Ban Ġniya ont donc conservé la région environ deux ans. Si Tozeur se livre facilement, Gafsa résiste longuement au calife, ce qui sexplique par sa haine des Almohades.

À la mort de Al ibn Ġniya en 584/1188, son frère peut visiblement récupérer lensemble des oasis, sans doute contre la volonté des habitants ou tout au moins, si lon en croit Ibn aldn, contre celle des Nafzwa qui tentent de combattre les Almoravides. Il semble que Qarq sarroge également une partie du Djérid; reconquiert alors les territoires qui sont aux mains de lArménien, dont urra en 586/1190. Il est probable, bien quil choisisse comme capitale Gabès puis Tunis, quil règne sur la région jusquen 601/1204-1205, date à laquelle il détruit totalement urra. Al-Nir reprend alors lIfrqiya tout entière. Le bilan de cette période est désastreux, tant pour Gafsa que pour le Djérid. Si l’on ne peut évaluer les dommages causés par les troupes des Ban Ġniya, on connaît lampleur des déprédations commises par les Almohades, qui sont les conséquences directes de la révolte almoravide. Dautre part, de nombreuses tribus nomades en quête de profits faciles ont afflué vers la région, attendant de se faire enrôler pour lune ou lautre campagne. On peut imaginer le bouleversement qua causé pour les sédentaires ce surcroît de population vivant de rapines. Il est probable que les successives alliances des Ban Ġniya avec des tribus arabes nomades ont détruit progressivement le modus vivendi que les Ban l-Rand étaient parvenus à instaurer avec les Arabes par le biais du tribut.

La guerre violente qui a opposé les Almohades aux Ban Ġniya a eu pour conséquence la destruction ou labandon de plusieurs villages, tant dans le Djérid que dans le Nafzwa. Lexemple le plus remarquable en est urra, ruinée en 601/1204-1205. Alors que le Kitb al-Istibr décrit une ville au rempart fortifié, entourée dune vaste palmeraie riche en oliviers, qui donne toutes les sortes de fruits, al-Ti constate que la qaba de urra est en ruine, et que seul demeure le rempart qui entourait la ville136. Dans le Djérid, il semble que plusieurs villages des environs de Nefta nont pas survécu à cette période: Ibn alabb déplore quà son époque, avant 1282, Qanrra et Farna sont détruites et que seule demeure

136 Kitb al-Istibr, p. 157/82; al-Ti, p. 142/135.

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Darn137. Selon Muammad asan, cependant, Darn (al-sufl l-adda) a été elle aussi la victime de ces guerres et est tombée dans loubli peu après le retour de la paix138. Tant Qanrra que Farna, Darn et urra étaient, avant leur abandon, sans doute encore majoritairement peuplées dibites.

La dernière région marquée par la révolte des Ban Ġniya est le abal Dammar, plusieurs fois mentionné lors des déplacements de . À partir de 601/1204-1205, cette région est lun de ses refuges et il est probable quil peut encore y recruter nombre de volontaires. Al-Nir ordonne dailleurs une expédition punitive contre les populations du abal Dammar qui ont soutenu le rebelle. Pour André Louis, il est possible que les Berbères de lextrême Sud tunisien ont quitté la montagne pour venir combattre Qarq sur le littoral. On a retrouvé dans des habitations troglodytiques des gravures pariétales figurant des démonstrations navales, que les habitants ont pu observer sur la côte entre 1160 et 1209139. Depuis leur arrivée en Ifrqiya, les Arabes sont nombreux à nomadiser dans la plaine de la affra et cette situation aboutira à long terme à forcer les sédentaires du Sud-Est tunisien à abandonner la plaine à ces tribus et à se réfugier dans la montagne, où ils édifient différentes sortes de qur. Nous naborderons pas ce problème, en grande majorité postérieur à la période qui nous intéresse, et qui a été abondamment étudié par André Louis140. Il faut toutefois signaler que certains de ces qur existent déjà à lépoque de la révolte almoravide. Qar Zanta, abandonné aujourdhui, aurait plus de neuf cents ans: des inscriptions datent certaines parties du qar de 485/1092-1093 et de 490/1096-1097141. En bas du qar de Wu, situé au sud-ouest de Déhibat / ahba, une mosquée souterraine porte la date de 549/1154142. À Chenini / annin, à louest de Tataouine, on lit dans une ġurfa / cellule une inscription datant de 590/1193-1194 la construction de ce village fortifié143.

Si leur volonté de restaurer le pouvoir almoravide a complètement échoué, les Ban Ġniya ont joué un grand rôle dans lhistoire de lIfrqiya. Ils y ont provoqué larrivée massive des Ban Sulaym qui, dès la fin du XIIe siècle, sapproprient la

137 Ibn alabb, dans al-Wazr al-Sarr, I, p. 416, évoque la destruction de Farna et dautres villes de la région de Nefta. asan, Al-Madna wa-l-bdiya, p. 294, cite le même extrait dIbn alabb et le manuscrit quil utilise mentionne Qanrra et Farna.

138 asan, Al-Madna wa-l-bdiya, pp. 294-295.139 Louis, Tunisie du Sud, p. 27. 140 Voir lensemble des livres et articles de Louis, ainsi que Zaïed, Le monde des ksours, qui a souvent

des opinions opposées. Voir aussi Djelloul, Les fortifications en Tunisie, p. 110.141 Le système de datation débute à la mort du Prophète et non à lhégire: les inscriptions donnent 475

et 485 après la mort du Prophète, soit 485 et 490 de lhégire. Louis, Tunisie du Sud, pp. 98-101. Cet historien se demande si cette datation peu commune ne pourrait pas être le fait des Berbères ibites; dautres signes pourraient laisser entendre que le qar a été à cette époque construit ou habité par des juifs.

142 Louis, Tunisie du Sud, p. 68; Zaïed, Le monde des ksours, pp. 76-77; Djelloul, Les fortifications en Tunisie, p. 111.

143 Louis, Tunisie du Sud, p. 50; Zaïed, Le monde des ksours, p. 58.

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région comprise entre la Tripolitaine et le Djérid144. En poussant les tribus arabes au pillage, ils ont renforcé les premiers ravages des Ban Hill et ont étendu ces destructions dans le Maghreb central. Ils ont contribué à la ruine de la dynastie almohade, qui affrontait dans le même temps les chrétiens en Espagne. Ils ont également provoqué à leur insu laccès de Tunis au rôle de capitale définitive de lIfrqiya: cest en effet grâce à cette ville que le pays a pu vaincre le danger almoravide. Lavènement des ides peut être également considéré comme une conséquence de la révolte des Ban Ġniya145.

144 G. Marçais, Les Arabes en Berbérie, p. 266. Le Kitb al-Istibr, p. 150/67, dit qu’ils se réfugient dans le désert de Tripoli.

145 G. Marçais, E.I., s.v. Ghniya.

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PLANCHE IV: ARCHITECTURE DE TOZEUREn haut à gauche, le tombeau d’Ibn al-b à Bild al-ar

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PLANCHE V: ARCHITECTURE DE NEFTAEn haut à gauche, la zwiya de S B Al al-Naf

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X. LES DERNIÈRES DESCRIPTIONS GÉOGRAPHIQUES

1. LE KITB AL-ISTIBR

Cet ouvrage, portant la date de 587/1191, a été achevé par un anonyme, dont on sait simplement quil était contemporain dal-Manr et certainement dorigine marocaine; cétait sans doute un membre du dn almohade. Nehemia Levtzion a étudié le Kitb al-Istibr et a contesté les conclusions faites par Sad Zaġll Abd al-amd en 1958, qui ont été adoptées par Charles Pellat dans lEncyclopédie de lIslam1. Pour Abd al-amd, celui qui se nomme nir / réviseur dans louvrage et qui le date de 1191, a utilisé un texte plus ancien et la refondu, de sorte quil le considère comme le véritable créateur du texte. Pour Nehemia Levtzion par contre, lauteur réel du Kitb al-Istibr a composé son texte original au moins un demi-siècle avant que le réviseur napporte ses modifications. Nehemia Levtzion démontre de façon convaincante que le livre a été écrit aux alentours de 1135, en pleine période almoravide. Si la base du Kitb al-Istibr est largement empruntée à al-Bakr, lauteur fait de nombreux ajouts par rapport à ce géographe, qui émanent de son propre voyage en Ifrqiya, vers 1135, à loccasion de son pèlerinage à La Mecque. Il a traversé le Djérid et est donc le premier témoin des changements qui y seraient survenus après larrivée des Ban Hill. Si lauteur du Kitb al-Istibr a seulement pour but de donner une description du Maghreb, le réviseur fait part de ses sentiments politiques: il a certainement voulu transformer cet ouvrage écrit à lépoque almoravide en une louange des Almohades. Les additions au texte clairement annoncées par les mots « le réviseur a dit » concernent effectivement presque toutes les Almohades. Il faut donc considérer que lessentiel de ce texte date des environs de 1135 et non pas de la fin du XIIe siècle; à cette époque, le Sud tunisien est prospère, Gabès est aux mains des Ban mi, Gafsa et la majorité des oasis sont soumises aux Ban l-Rand. En 1135, Georges dAntioche sempare de Djerba, mais le Kitb al-Istibr ne fait même pas mention de lîle. Nous ne reprendrons pas ici les événements historiques décrits dans louvrage, qui ont été utilisés dans le chapitre sur la période almohade.

La description de Gabès ne fait aucune allusion à la prise de la ville par Qar et na certainement pas été modifiée par le réviseur. Elle ne diffère presque pas de celle dal-Bakr: lauteur ne donne aucune indication sur les bouleversements

1 Pellat, E.I., s.v. Istibr; Levtzion, The Twelfth-Century Anonymous Kitb al-Istibr.

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survenus depuis le témoignage de ce géographe, alors que Gabès a subi les sièges de Tamm et la destruction de sa ġba dans les vingt dernières années du XIe siècle. Il semble donc que lauteur na pas dû sy rendre ou ne sy est pas intéressé. Il indique que Gabès est une grande ville extrêmement ancienne, ceinte par un rempart fait de pierres de taille provenant de constructions antiques; elle possède une citadelle fortifiée et de vastes faubourgs. On y trouve des funduq-s et des bains. Un large fossé entoure complètement la ville: lorsque des ennemis la menacent, les habitants le remplissent deau, rendant impossible toute attaque adverse. Une rivière irrigue ses jardins, ses faubourgs et ses cultures; elle prend sa source dans une montagne située au sud-ouest puis se jette dans la mer. Gabès est à environ trois milles de la mer. La plupart des jardins se situent entre la mer et la ville. Gabès est la capitale de cette région / iqlm, son pôle, son âme et son cœur. Elle est le centre principal de toute la région et permet à celle-ci de bien fonctionner2.

Pour la première fois à notre connaissance, le Kitb al-Istibr emploie le terme « bild al-ard », mais ce toponyme comprend également Gabès et Gafsa3. En effet ici, le bild al-ard dIfrqiya, qui porte ce nom à cause du grand nombre de palmiers quon y trouve, englobe de nombreuses villes, de vastes cantons / aqr et des cultures ininterrompues. Cette contrée très fertile, qui jouit deaux courantes, de rivières et de nombreuses sources, se trouve à lextrémité de lIfrqiya, aux confins du désert; du côté du littoral, le Djérid commence à Gabès.

Le Kitb al-Istibr évoque mmat Maa, une ville ancienne entourée de murailles, dont les habitants sont des Berbères nommés Maa. Les dattes, les olives et les fruits y viennent en abondance. La ville renferme une source importante; leau est très chaude mais se refroidit aussitôt quon la puise. Cest leau de cette source que les habitants boivent et quils utilisent pour irriguer leurs palmeraies et leurs récoltes4. Le Kitb al-Istibr est le premier texte qui rapproche al-mma de sa population, les Maa. Il est probable que lensemble de cette description date de la fin du XIIe siècle et que cette ville aurait été passée sous silence si elle navait pas été le théâtre de la célèbre victoire almohade. En effet, aucun des géographes précédents ne la évoquée, ce qui est curieux puisque la très ancienne Aquae Tacapitanae, à la position stratégique, était connue pour ses sources chaudes, qui auraient pu attirer leur attention.

Après al-mma, le Kitb al-Istibr passe à Gafsa et répète les informations données par al-Bakr sur la solidité de la muraille, qui semblait alors avoir été tout

2 Sur Gabès, Kitb al-Istibr, pp. 112-113/7. 3 Kitb al-Istibr, p. 150/68. Contrairement à ce quaffirme Talbi, E.I., s.v. asliya, ce nest donc

pas Ibn aldn qui emploie pour la première fois le nom bild al-ard.4 Kitb al-Istibr, p. 150/68.

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juste achevée. La longue description de Gafsa doit certainement être le fait de lauteur et dater de la première moitié du XIIe siècle. Elle est cependant complétée par le réviseur: évoquant les révoltes successives des habitants de Gafsa contre les Almohades, sous la conduite de Al ibn al-Rand ou celle des Ban Ġniya, il dénonce leur permanente inconstance et leur manque de docilité. Il présente comme une inéluctable conclusion la démolition du rempart de la ville dont ne subsistent à son époque que les fondations, ainsi quun fort situé près de Bur ibn Zaw, témoins de lancienne splendeur de la ville5.

Selon le Kitb al-Istibr, le nom de Gafsa était « ville de larc »6 parce quil sy trouvait des constructions anciennes, dont un arc qui lui donnait son nom. La traduction dEdmond Fagnan a popularisé le fait que Gafsa était surnommée « ville de laqueduc », traduisant de cette façon le terme aniyya7. Nous avons préféré « ville de larc », en nous basant sur le témoignage de Charles Tissot. À son époque, on pouvait encore voir un arc de triomphe au nord-ouest de la ville, en face de lentrée de la qaba. Lhistorien pense quil pourrait remonter au règne de Trajan, dont on lisait encore le nom gravé sur la muraille à quelques mètres de larc8.

La description que fournit le Kitb al-Istibr de Gafsa a une longueur peu commune: « la ville renferme de nombreuses sources, dont deux grandes sources qui produisent des eaux si douces, si pures et si abondantes quelles nont pas déquivalent. Lune delles, située à la porte de la mosquée , sappelle « la grande rivière »; cette source importante est entourée dun bassin construit en pierres de taille provenant de constructions antiques, dont chacun des côtés mesure environ quarante coudées. Au-dessus delle se trouve Ras al-ayn, une source plus petite. Elles sont reliées par un pont très ancien. Il ne fait aucun doute que les eaux de ces deux sources nont quune seule provenance. Leau de cette première source est bleue; elle est dune limpidité telle que, depuis la terre ferme, on en voit le fond; sa profondeur est denviron sept fois la taille humaine. Lautre source se trouve sous le château / qar de Gafsa; elle sappelle alarmd. Elle est surmontée par une remarquable construction ancienne et se trouve en face de la mosquée des apôtres / masid al-awriyyn9. Cette source jaillit dune cavité en pierre résistante, qui a la

5 Kitb al-Istibr, pp. 150-152/68-70.6 Kitb al-Istibr, p. 152/71.7 Seul Cambuzat, Lévolution des cités du Tell, II, p. 118, évoque un aqueduc mais sans citer ses

sources: pour lui, ayn al-Munastr, située à lest de la ville, est reliée à un aqueduc romano-byzantin.

8 Tissot, Géographie comparée, II, p. 666. 9 Idris, La Berbérie orientale, p. 471, et Cambuzat, Lévolution des cités du Tell, II, p. 119, parlent

de mosquée « des Hawwra », ce qui est erroné puisque le texte donne awriyyn et non pas hawwriyyn. Selon Kazimirski, s.v., le terme awriyyn peut désigner soit des blanchisseurs, soit des missionnaires (et plus spécialement des disciples de Jésus-Christ). Ifriqiya. Treize siècles dart et darchitecture en Tunisie, p. 231, lappelle « mosquée des apôtres » et indique qu’elle

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largeur du corps humain. Leau en jaillit avec une puissance énorme et arrive dans un bassin construit à cet effet, surmonté par des boutiques en pierres, reposant sur des voûtes. Au-dessus, on a bâti une mosquée considérable. Lorsque leau de cette source se confond avec leau de la grande source de la mosquée, elles forment une grande rivière au bord de laquelle de nombreux moulins10 broient le grain. Cette rivière irrigue la moitié de la palmeraie, de la terre et des champs ensemencés de Gafsa. Lautre moitié de la palmeraie est arrosée par une source considérable située à lextérieur de la ville, appelée ayn al-Munastr11; il sagit dune grande source deau douce qui donne naissance à une grande rivière; elle fait partie des plus belles sources que lon puisse voir. Cette rivière coule à côté dune grande rivière nommée w Bya12, qui traverse la palmeraie de Gafsa et irrigue une partie de ses vergers. Cette rivière réputée prend sa source dans les montagnes situées à lest de Gafsa. Pendant lété, son débit saffaiblit, mais elle ne tarit pas13. Leau coule dans lensemble de cette vallée. Les Arabes y font sabreuver leurs chameaux; ils y creusent des puits qui donnent de leau douce en permanence. Les habitants de Gafsa font preuve dune grande technique dans lirrigation de leurs jardins, dune extrême attention et dun subtil calcul. Les Gafsiens racontent que lorsquon voit dans leur ville des gens qui se querellent et haussent le ton, on sait quil sagit dune affaire deau. Sur lune des portes de la ville se trouvait une inscription gravée dans une pierre antique; elle a été traduite et disait: « Ce pays est celui de la précision et de la subtilité. » Il nexiste pas en Ifrqiya de femmes plus belles que les femmes de Gafsa, remarquables par leur grâce naturelle et leur doux parler. Les habitants nomment leau qui sort de la ville et irrigue la moitié de leurs jardins « leau intérieure »; leau qui coule à lextérieur de la ville, cest-à-dire les eaux de ayn al-Munastr et du w Bya, est appelée « eau extérieure ». Ils possèdent également dautres eaux, appelées « petite eau »: ces nombreuses sources sont situées près de la ville et arrosent une partie des jardins. On procède à lirrigation heure par heure. Les gens qui travaillent dans ces jardins et ces vergers connaissent extrêmement bien les heures de la journée. Si lon

était importante au XIIIe siècle mais qu’il ny a plus aujourdhui au-dessus des thermes quune petite mosquée nommée Sidi Salah. Voir aussi Lewicki, Études ibites nord-africaines, p. 57, qui traduit awriyyn par apôtres.

10 Le (pluriel ar) désigne un moulin à bras. Waines, E.I., s.v. n. À lépoque ide, les moulins à eau étaient peu fréquents en Ifrqiya, hormis dans le Sud tunisien; on leur préférait les archaïques moulins à bras et surtout les moulins mûs par les animaux, qui avaient pourtant un très lent débit. Brunschvig, La Berbérie orientale, II, p. 209.

11 Le nom de cette source pourrait peut-être faire allusion à un monastère chrétien situé aux environs de Gafsa.

12 Lewicki, Une langue romane oubliée, p. 444, pense que le terme Bya, toujours utilisé, vise à rendre la forme latino-africaine pai, qui équivaut au « pays » français. Asn, En torno a las orgenes de Castilla, pp. 372-373, juge cette explication inacceptable.

13 Chez les auteurs maghrébins, na est employé à la place de naġ dans le sens de couler. À la quatrième forme, il signifie « entraver, arrêter, mettre obstacle ». Dozy, Supplément, s.v.

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demande au plus ignorant dentre eux de dire lheure quil est, il sarrête, regarde le soleil, puis mesure avec ses pas la longueur / maw de son ombre. Il annonce alors lheure quil est, à dix minutes près. Ces habitants entrent en compétition à cause de leau et le droit dirriguer est vendu très cher. Gafsa possède une grande palmeraie qui lencercle de toutes parts comme une couronne; la circonférence de ce cercle mesure environ dix milles. On y trouve dix-huit manzil qui sont autant de villages. Lensemble de la palmeraie et des agglomérations est entouré par une muraille que les habitants nomment « le mur de la palmeraie »; il est percé de portes imposantes surmontées de tours habitées; ces grandes portes sont appelées les durb.14 »

Cette description si détaillée suggère que lauteur du Kitb al-Istibr a séjourné à Gafsa lors de son périple vers La Mecque et que cette ville la frappé plus que les autres. Gafsa vit alors une période faste sous les Ban l-Rand et lauteur témoigne de la richesse de leur capitale. Tant le système dirrigation que les constructions du centre de la ville sont décrits avec minutie. Hormis les piscines romaines, tout a aujourdhui disparu15. La description du Kitb al-Istibr permet de mieux comprendre la configuration de la ville: le centre, ceint dun rempart protégeant les bâtiments principaux, était entouré de toutes parts par limmense palmeraie. Celle-ci était circonscrite par un mur, qui devait davantage servir de limite que de protection. La palmeraie renfermait dix-huit manzil, qui sont sans doute ceux quévoque Ibn aldn lorsquil dit quIbrhm ibn Qartakn prend Gafsa et ses manzil.16 Il doit sagir de petits villages ou de châteaux, peut-être fortifiés, qui abritent les propriétaires des plantations ainsi que les nombreux agriculteurs qui travaillent dans la palmeraie. Ces manzil sont donc à différencier des Qur Qafa, plus éloignés de la ville17.

Selon le Kitb al-Istibr, Gafsa est une capitale à tous les points de vue et ses habitants vivent dans laisance, jouissent de nombreuses richesses et pratiquent laumône. À loccasion de la fête de la , quils glorifient et quils célèbrent comme les autres grandes fêtes, ils offrent des aumônes et des vêtements aux pauvres gens. La , qui a lieu le dix muarram, est aujourd’hui encore une fête très importante au Maghreb. Elle donne lieu à de grandes manifestations populaires, qui mettent en scène des rites consacrés au feu ou à l’eau, qui semblent être la

14 Kitb al-Istibr, pp. 152-154/71-75. Dozy, Supplément, s.v., donne les différents sens de durb qui, outre les défilés des Pyrénées, peut désigner des barricades, un labyrinthe ou une mesure deau.

15 Voir Mayet, Voyage dans le sud de la Tunisie, pp. 181-182, pour une description de la ville à la fin du XIXe siècle.

16 Voir supra.17 asan, Al-Madna wa-l-bdiya, p. 299, estime que ces dix-huit villages sont tout ce qui reste

des Qur Qafa, qui étaient au nombre de deux cents environ à lépoque dal-Bakr. Cela paraît inexact dautant que, plus loin, le Kitb al-Istibr fait allusion à ces qur.

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survivance de très anciens rites agraires. Le jeûne recommandé à cette occasion est peu souvent observé, mais l’aumône est généralement pratiquée. Cette fête, destinée primitivement chez les juifs à célébrer la victoire de Moïse sur Pharaon, rappelle également une série dévénements intervenus le jour même de la , tels que la fin du déluge, la naissance de Jésus ou la mort de usayn à la bataille de Karbal18. Cette fête est extrêmement prisée dans le Djérid, ce qui pourrait sexpliquer par le fait quau début de la période fimide, les sympathies ites étaient nombreuses dans cette région et surtout à Nefta. Cependant, la fête est à présent consacrée entièrement à la mémoire du Prophète Muammad et de ses compagnons. Le carnaval qui en découle comprend de nombreuses traditions: ainsi, le jour de la , les femmes de Tozeur se coupent les cheveux, ce qui semble être un rite de fécondité. Ensuite, pendant vingt jours, les habitants observent le deuil en souvenir de la mort du Prophète19.

Le Kitb al-Istibr affirme que Gafsa était autrefois la ville dIfrqiya dont le territoire était le plus étendu: on trouvait aux alentours deux cents villages fortifiés peuplés et prospères, riches en palmiers, oliviers, pistachiers et arbres fruitiers de toutes sortes, jouissant de sources, de rivières et de puits, connus sous le nom de Qur Qafa. Le texte indique que awr.q20 est un des qur de Gafsa, situé à mi-chemin sur la route qui mène de Gafsa à Fa al-imr quand on va à Kairouan. À cette époque, cette ville est détruite et plus personne ny vit, depuis que les Arabes ont pénétré en Ifrqiya, ont ruiné la région de Kairouan et une partie du pays, ont dévasté les villages, les cultures et de nombreuses villes dIfrqiya. Pourtant, awr.q était autrefois une grande ville peuplée dotée dune mosquée mi. Quand les caravanes circulaient entre ces villages fortifiés, les caravaniers muselaient leurs chameaux et leurs bêtes de somme afin quils ne broutent pas les feuilles des arbres, tant il y en avait sur cette route21.

Dans lévocation des qur de Gafsa, le Kitb al-Istibr rappelle la description élogieuse qual-Bakr faisait de irq et note la destruction dont la ville a été lobjet. Tout porte à croire que ce constat est celui de lauteur, qui impute la ruine de ce village aux Arabes22. Or, nous avons établi que les tribus nomades ont causé peu de

18 Ph. Marçais, E.I., s.v. sh. Voir aussi Doutté, Magie et religion dans lAfrique du Nord, pp. 525-540.

19 Dakhlia, Loubli de la cité, pp. 84-85. Sur la dans les montagnes du Sud-Est tunisien, voir Zaïed, Le monde des ksours, pp. 187-189. Sur la chez les ibites du Mzab, voir Goichon, La vie féminine au Mzab, pp. 157-158. Ibn aldn, éd. I, pp. 92-93/Al-Muqaddima, trad. Monteil, p. 134, insiste sur le caractère joyeux et léger des habitants du Djérid, qui se justifie par le climat chaud dont ils bénéficient.

20 Un autre manuscrit donne rq / awrq.21 Kitb al-Istibr, pp. 154/75-76.22 Idris, La Berbérie orientale, p. 430, envisage ce passage comme une preuve que toute la région de

Gafsa a été ruinée par les Hilliens.

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dommages dans la région de Gafsa, défendue par les Ban l-Rand et sécurisée par le paiement du tribut. La destruction de irq pourrait résulter de la révolte des Ban Sins, qui ont attaqué cette région vers 1120. On pourrait également envisager que cette remarque soit celle du réviseur: les Arabes correspondraient alors aux troupes des Almoravides. Il paraît cependant étrange que le Kitb al-Istibr, dhabitude si prompt à accabler les Ban Ġniya, ne les accuse pas eux-mêmes de ces méfaits. Par contre, un argument penche en faveur de lhypothèse dune remarque du réviseur: la suite du texte est indubitablement rédigée par ce dernier, puisquil évoque, sans signaler quil intervient dans le récit de lauteur, la mort de Al ibn Isq al-Mayrq à Tozeur23. Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, Ibn al affirme que les qur de Gafsa évoqués par al-Bakr remontent au passé, et quà son époque il nen reste que très peu24.

Le Kitb al-Istibr donne ensuite la description de Tozeur25, une grande ville ancienne protégée par un mur construit en pierres et en briques crues, percé de quatre portes. Elle est entourée de vastes faubourgs et dune grande palmeraie, où les dattes abondent. Selon cet ouvrage, étant donné que Tozeur est située aux confins du désert, on ne sait pas ce quil y a au-delà et personne na jamais pu pénétrer dans le désert qui est au sud de cette cité; on dit quil sy trouve un oued de sable, qui coule et se répand abondamment comme de leau. Le Kitb al-Istibr sintéresse ensuite à lorigine des gens de la région: « les habitants de Tozeur sont les descendants des Rm qui se trouvaient en Ifrqiya avant la conquête; cest le cas de la plupart des habitants de la Qasliya et du bild al-ard, parce quà larrivée des musulmans en Ifrqiya, ils se sont convertis à lislam pour conserver leurs biens. On y trouve aussi des Arabes qui sy sont installés au moment de la conquête musulmane. Il y a également des Berbères qui sy sont établis dans lancien temps, lorsquils ont quitté leur pays, contraints à sexiler. Le pays des Berbères était jadis la Palestine, située en Syrie et dans les contrées voisines. Leur roi était lt / Goliath, linflexible tyran; Goliath était le nom porté par tous les rois berbères, jusquau jour où D’d / David, la paix soit sur lui, la tué, comme la mentionné le Très-Haut dans certains versets de son livre. Les Berbères séparpillèrent alors dans dautres pays; la plupart gagnèrent le Maghreb et certains sinstallèrent aux abords de lÉgypte26. Les Berbères se dispersèrent dans lIfrqiya et le Maghreb, jusquà ce quils atteignent

23 Kitb al-Istibr, pp. 155/76-77.24 Ibn al dans al-Wazr al-Sarr, I, p. 420.25 Sur Tozeur, Kitb al-Istibr, pp. 155-156/77-79.26 La tradition musulmane cherche parfois à rattacher le géant Goliath aux Berbères; il y aurait un

lien avec la légende talmudique qui raconte lémigration de certaines peuplades cananéennes en Afrique au moment de la conquête israélite de la Palestine. Vajda, E.I., s.v. Djlt. Voir aussi Paret, E.I., s.v. Dwd.

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lextrémité de ce pays, à plus de mille milles de Kairouan. Ils sy installèrent et y demeurèrent jusquà nos jours. À cette époque, lIfrqiya appartenait aux chrétiens / ifranğ, que les Berbères chassèrent vers des îles telles que la Sicile. Ensuite, les chrétiens revinrent vers leurs villes et leurs cultures après avoir conclu un traité de paix avec les Berbères. Les Berbères choisirent dhabiter les montagnes, les déserts, les plaines et les confins du pays, les Rm sinstallèrent dans les villes et les terres cultivées. Cela perdura jusquà ce que les musulmans conquièrent lIfrqiya. Les Rm furent à nouveau forcés démigrer vers les îles et ailleurs, à lexception de ceux qui se sont convertis à lislam, qui sont restés dans leurs régions et ont conservé leurs biens, comme les habitants de la Qasliya et dautres régions. »

Le Kitb al-Istibr raconte ensuite, sans aucune moquerie, une pratique qual-Bakr décrivait méchamment à Gabès: « les gens de Tozeur vendent les produits de leurs latrines, ce dont on leur fait le reproche; en effet, ils ne se servent pas deau quand ils vont aux latrines, pour ne pas décomposer leurs excréments. Quand lun deux y a fait ses besoins, il gagne lun des canaux qui traversent leur ville ou la rivière, et il sy lave. Un courtier27 en excréments parcourt la ville, en transportant le produit dans un récipient; il recherche les excréments secs et sabstient de prendre ceux qui sont humides. Les habitants de Tozeur ont établi dans leurs jardins, le long des voies fréquentées, des latrines destinées aux passants pressés par le besoin ou aux étrangers à la région. Quant à lautochtone, il ne ferait ses besoins que dans ses propres latrines, même sil devait se retenir deux jours durant. Cette pratique a pour but de fertiliser leur terre, qui est extrêmement sèche à cause de la proximité du désert. Les régions du Djérid sont plus humides et grasses les unes que les autres; la terre de Tozeur est la plus sèche28. »

Après Tozeur, louvrage aborde les autres villes de la Qasliya. Nefta, séparée de Tozeur par vingt milles, est une ancienne et grande ville, protégée par un mur fortifié construit par les Anciens, qui possède une très grande palmeraie, riche en jardins et en arbres fruitiers de toutes sortes. Cest une contrée extrêmement fertile, où les vergers sont arrosés par une rivière; les habitants, qui sont les descendants des Rm, y vivent dans laisance29. Taqys est composée de quatre villes voisines: chacune est entourée de murs et il sen faut de peu que les habitants dune de ces villes ne puissent parler aux habitants dune autre, tant elles sont proches. Cest

27 Le dalll désigne en général lintermédiaire qui vend à la criée publique, contre une commission, des objets mis en vente par des tiers. Colin, E.I., s.v. Dalll.

28 Fagnan, trad. p. 79, note 3, ajoute que dans une région de la Chine, les agriculteurs édifient également le long de leurs champs de petits « chalets de nécessité ». Gaudefroy-Demombynes signale dans sa trad. dal-Umar, p. 106, note 1, que le fait que les habitants ne procèdent pas à lablution rituelle dans les latrines pose un problème car elle est obligatoire, et que le cabinet, séjour des djinns, nécessite des précautions magico-religieuses.

29 Kitb al-Istibr, pp. 156/79-80.

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Taqys qui jouit du meilleur climat, qui produit le plus grand nombre dolives et qui fournit limpôt le plus élevé. On y trouve de nombreuses sources deau potable et des eaux courantes30.

La Qasliya paraît donc riche et luxuriante, Taqys semble être la ville la plus fertile et la plus comblée. Aujourdhui encore, la région de Dg est constellée de petits villages, très proches les uns des autres, dont Saddda et Awld Mid. Il est difficile de déterminer quels sont les quatre villages qui forment Taqys: asan estime quà cette époque, Taqys comprend Kanma et Saddda31. Au début du XIVe siècle, al-Wa énumère dans le district de Taqys les villages de Saddda, Dg et Kansa, qui est certainement Kanma32. Il y ajoute le village de K.ba, qui est également mentionné par Ibn al, lequel indique que dans ce village, leau pénètre dans la mosquée et dans certaines des maisons33.

Le Kitb al-Istibr évoque ensuite la ville dal-mma, qui sappelle ici mmat Ban Bahll. Cette dénomination apparaît pour la première fois; elle est souvent reprise par la suite sous des formes un peu différentes. Ainsi, al-Ti dit mmat al-Bahll, tandis qual-Dima parle de mmat Bahll; Mawl Amad la nomme mmat al-Hll34. Le Kitb al-Istibr explique que les Ban Bahll sont les seigneurs du bild Qasliya et les plus riches des habitants; ce sont les descendants des Rm qui se sont convertis à lislam pour conserver leurs biens. Ils font preuve dune grande noblesse, de générosité envers leurs invités et dune grande volonté dhospitalité; cest ce qui fait leur réputation dans cette région. Al-mma possède une forteresse que les habitants appellent al-qar, qui est réservée exclusivement aux Ban Bahll et à leur suite. Le peuple habite dans les vastes faubourgs. La ville produit en abondance des dattes, des olives et toutes sortes de fruits; certaines villes du Nafzwa lui ressemblent. Toutes les eaux de cette ville proviennent de sources chaudes35.

Poursuivant sa description du bild al-ard, le Kitb al-Istibr aborde le bild Nafzwa, qui forme un canton / qu comme celui de la Qasliya, bien peuplé, qui comprend des villes, des villages fortifiés et des champs cultivés ininterrompus36.

30 Kitb al-Istibr, p. 156/80.31 asan, Al-Madna wa-l-bdiya, p. 295.32 Al-Wa, trad. Fagnan dans Extraits inédits, p. 53.33 Al-Wa, trad. Fagnan dans Extraits inédits, p. 53, note 7; Ibn al, cité par asan, Al-

Madna wa-l-bdiya, p. 295.34 Al-Ti, p. 134/129; al-Dima, p. 238/337; Mawl Amad, p. 276. Aujourdhui, on trouve

encore au nord-est dal-mma le abal Sd B Hill; ce toponyme est plus récent et entretient le souvenir dAb Hill, un célèbre ay de Saddda dont la zwiya était très fréquentée. Sur ce personnage, al-, pp. 121-122; Mawl Amad, pp. 247-248; Brunschvig, La Berbérie orientale, II, p. 332. Al-, p. 70, ajoute que le al-ard est une partie de la sebkha dAb Hill, la plus vaste de celles quon connaît.

35 Kitb al-Istibr, p. 157/80-81.36 Sur le Nafzwa, Kitb al-Istibr, pp. 157-158/82-83.

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Lénumération des villes du Nafzwa est très particulière, car lauteur décrit deux de ces villes sous des noms différents. La voici dans lordre dans lequel il la livre: « urra est une des villes du Nafzwa; elle est entourée dun rempart fortifié. Elle possède une grande palmeraie riche en oliviers, qui produit toutes sortes de fruits. Une autre ville du Nafzwa est Ba, ville ancienne entourée de murailles, dont la grande palmeraie produit en abondance des dattes, des olives et tous les fruits. Aytimln appartient également aux cités du Nafzwa; cest une jolie ville fortifiée qui possède des faubourgs et une grande plantation de palmiers et doliviers; on y trouve tous les fruits. Certains lettrés ont dit quen dépit de sa faible renommée et de sa petitesse, Aytimln compte sept lettres alors que Mir, malgré son importance et sa supériorité, nen compte que trois. Dans la ville / balad de Nafzwa se trouve une source importante, appelée « Twarġ » en langue berbère, pourvue dune construction antique. Cest la plus considérable de toutes les sources du bild al-ard; on nen atteint pas le fond. Près du (chef-lieu du) Nafzwa se trouve une ville antique connue sous le nom dal-Madna; elle nest pas habitée et renferme de nombreuses ruines antiques. »

On a ici la première citation géographique de urra; cette ville avait déjà été décrite par al-Bakr sous le nom dal-Madna, qui correspondait au site de lancienne Turris Tamalleni. Ici, lauteur différencie urra des ruines de Turris Tamalleni, qui sont inhabitées. Nous avons également déduit du texte dal-Bakr que Madnat Nafzwa, appelée ici balad Nafzwa, est identique à Bar, aux abords de laquelle se trouve ayn Twarġ. Lauteur cite donc dans un premier temps les villes quil a visitées, qui portent alors les noms de urra et de Ba. Plus loin, il rappelle la description que donnait al-Bakr de ces mêmes villes, sous dautres noms. Aytimln apparaît ici pour la première fois. Al-imyar, qui accorde une notice à cette ville en y répétant la description fournie ici, la nomme Tm.lm.n. Son nom pourrait être composé du terme berbère ayt / fils, suivi dun nom apparenté au radical de Turris Tamalleni, se rapprochant du radical m.l.l , qui signifie « être blanc »37. Aytimln, lactuelle Talmn, est située sur le site de lancienne Turris Tamalleni, tout comme urra. Aujourdhui, les ruines de lancien village de urra sont très proches de Talmn38. Aytimln / Talmn est sans doute de fondation récente à lépoque du Kitb al-Istibr. La désertion de urra en 601/1204-1205 a sans doute accéléré son développement. urra, fortement affaiblie, est cependant attestée jusquau XVIIIe siècle39.

37 Al-imyar, s.v. Tm.lm.n; Pellat, E.I., s.v. Nafzwa.38 Bédoucha, « Leau, lamie du puissant », p. 166 et figure 3.39 Ibid., p. 171.

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Le Kitb al-Istibr évoque la traversée de la sebkha, qui permet de se rendre en une étape du Nafzwa à la Qasliya40. La plupart des informations quil donne sont similaires à celles dal-Bakr, mais lauteur enrichit son récit par des anecdotes quil a lui-même vécues lors de sa traversée de la sebkha. Il rappelle dabord que celui qui manque la route indiquée par ces poteaux périt dans la sebkha, comme ont péri des armées et des groupes de voyageurs qui sy sont aventurés en ignorant ses dangers ou qui ont été trahis par les poteaux. On ne sait pas, selon lui, où finit la sebkha, mais elle sétend largement dans ces déserts; on ne sy engage que pour aller à Tozeur ou au bild Qasliya. Il évoque un endroit situé entre Nefta et al-mma, connu sous le nom de Sab Sib / sept sebkhas, que nous ne pouvons identifier. Lauteur est le premier à mentionner quau milieu de la route qui mène de Tozeur au Nafzwa, une petite île renferme une source deau douce, à laquelle sabreuvent ceux qui empruntent cette route. Al-Umar évoque également lespace / fura situé au milieu de la sebkha, où les voyageurs peuvent se reposer41. Cet endroit sappelle aujourdhui « al-Manaf », le milieu. Le Kitb al-Istibr affirme également que les voyageurs qui accomplissent cette traversée en été risquent de mourir à cause de la chaleur qui se dégage du sel; en effet, leau quils transportent dans les outres se charge de sel et devient imbuvable si on ny mélange pas du sucre ou du miel, phénomène dont lauteur a lui-même été le témoin. Al-Ti confirme que leau douce transportée par les voyageurs se charge de sel pendant la traversée42. Al-Umar, quant à lui, explique que le voyageur doit éviter de poser sa gourde à terre ou doit intercaler quelque chose entre la gourde et le sol, sinon son eau devient amère et imbuvable43.

Le Kitb al-Istibr cite ensuite Darn, une ancienne et grande ville située près de Nefta, à lextrémité du bild al-ard44. Lauteur signale que Darn est une ville ancienne; il semble pourtant que la ville décrite ici est Darn al-sufl l-adda, une nouvelle ville reconstruite dans les faubourgs de Nefta après la destruction de Qalat Ban Darn45. On se rappelle que les habitants de la première Darn avaient été massacrés en 440/1048-1049 sur ordre du souverain zde al-Muizz et quils avaient déserté la ville. Le Kitb al-Istibr ajoute que non loin de là se trouve le balad Sf, au-delà duquel on ne connaît ni pays habité ni animaux: ce ne sont que des montagnes de sable où lon chasse le fennec. Selon lauteur, les habitants de cette région racontent que plusieurs personnes ont voulu savoir ce qui se trouvait

40 Kitb al-Istibr, pp. 158/83-84.41 Al-Umar, p. 246/133. 42 Al-Ti, p. 156/142.43 Al-Umar, p. 246/133.44 Kitb al-Istibr, p. 159/85.45 Brunschvig, La Berbérie orientale, I, p. 317; asan, Al-Madna wa-l-bdiya, pp. 294-295.

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par-delà Tozeur et les autres villes du bild Qasliya. Munis deau et de provisions, ces gens sont partis dans ce désert et ces sables pendant des jours, sans y voir aucune trace de civilisation, et beaucoup y ont péri. Après la description de la Qasliya, le réviseur prend la parole pour décrire léquipée de Al dans le désert, ainsi que sa mort.

Selon lauteur du Kitb al-Istibr, les habitants du Djérid mangent les chiens et apprécient leur chair; ils les engraissent en les nourrissant abondamment de dattes et prétendent que le chien devient alors la plus délicieuse des viandes. Dautre part, il affirme que personne ne souffre de la lèpre / um dans le bild al-ard; si une personne atteinte par cette maladie gagne la région, son mal disparaît. Les oasiens disent que ce sont les dattes quils appellent bahr qui accomplissent ce miracle, si elles sont mangées vertes. La personne qui est frappée par la lèpre en guérit en mangeant des dattes bahr en grande quantité, en les faisant bouillir et en buvant leur eau de cuisson46.

On ignore si um fait ici allusion à la lèpre ou à l’éléphantiasis47. Le terme arabe désigne à la fois ces deux maladies et les médecins arabes considéraient l’éléphantiasis comme une sorte de lèpre. Ils savaient que la lèpre était contagieuse et héréditaire mais ne faisaient subir aucune censure morale aux malades; ainsi, l’isolement et la ségrégation des lépreux étaient bien moindres qu’en Europe48. Tant la lèpre que léléphantiasis étaient présents dans le Djérid et, dans les deux cas, les bains sulfureux étaient recommandés aux malades. Jean-Léon lAfricain raconte ainsi qual-mma de Gabès attire de nombreux lépreux qui viennent sinstaller dans des cabanes autour de son lac, dont les eaux sont réputées guérir la lèpre et cicatriser les plaies; il vante leffet de cette eau sur les malades mais déplore le fait que lorsquon la boit, elle a un goût de soufre et ne désaltère pas49. Al-Idrs indique que les habitants du pays des Zaġwa mangent du serpent, ce qui leur permet déviter dêtre atteints de um 50. De même, la chair de tortue est réputée guérir la lèpre51. Al-Bakr signale quà Siilmsa, les habitants ne souffrent pas de um52.

Après avoir minutieusement décrit quantité de villes du Sud tunisien, le Kitb al-Istibr passe brusquement à la description de Ba53. Outre les nombreux détails quil fournit, cet ouvrage confirme, pour Gafsa et lensemble du Djérid

46 Kitb al-Istibr, p. 160/86.47 Ibn Ab Zayd al-Qayrawn, pp. 186-187, distingue clairement léléphantiasis / um de la

lèpre / bara. Ces deux maladies peuvent entraîner le renvoi dune épouse vers sa famille.48 Dols, E.I., s.v. Djudhm.49 Jean-Léon lAfricain, p. 399.50 Al-Idrs, p. 34/40.51 Mauny, Tableau géographique, p. 271.52 Al-Bakr, p. 148/284.53 Plus loin, lauteur répète les propos dal-Bakr au sujet de Qayn-Baya, où commence le balad

Suma; il ajoute que cest là que se termine le Zb. Kitb al-Istibr, p. 175/114.

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du moins, les conclusions auxquelles nous avons abouti pour la période comprise entre larrivée des Ban Hill et celle des Almohades. La région a peu souffert, son système dirrigation et ses cultures sont sauves. Toutefois, la destruction de irq demeure inexpliquée.

2. AL-MARRKU

On trouve dans le Kitb al-Muib f tal abr al-Maġrib, terminé en 1224, une description sommaire de Gabès et du bild al-ard54, évoquée ici à simple titre indicatif. Lauteur compte dix étapes entre Tripoli loccidentale et Gabès, située tout comme Tripoli sur le littoral de la Méditerranée / bar al-rm. Les rivières des quelques montagnes proches de Gabès se répandent dans la ville qui, de ce fait, est la plus fertile de toute lIfrqiya. De Gabès, on joint la petite ville côtière de Sfax55. Il y a trois étapes de Gabès à Gafsa et quatre étapes de Gafsa à Tozeur. Tozeur est la capitale du bild al-ard et sa ville la plus importante. Le bild al-ard comprend deux parties: la première partie sappelle la Qasliya, elle comprend Tozeur et ses districts; lautre partie se nomme le Zb et comprend Biskra et ses districts. Il y a quatre étapes entre Tozeur et Biskra56.

3. YQT

Le Muam al-buldn, dictionnaire géographique, est achevé peu avant 1229, date de la mort de lauteur. Dans cet ouvrage de compilation, Yt cite de nombreux toponymes du Sud tunisien et leur accorde le plus souvent une longue notice. Malheureusement, il sagit dans la plupart des cas de descriptions bien connues. Dans le cas de Djerba par exemple, rien de neuf, si ce nest que lauteur précise quon peut aussi prononcer « Djirba ». Son commentaire est entièrement tiré dal-Bakr et relate principalement la tradition de ana relative à la prise de lîle par Ruwayfa ibn bit al-Anr57. Larticle consacré à Gabès est également emprunté pour sa plus grande part au riche commentaire dal-Bakr. Le début du texte semble cependant écrit par Yt lui-même, mais névoque que la localisation de la ville, sa végétation et ses eaux. On y lit aussi que Gabès a été conquise par les musulmans

54 Al-Marrku, p. 163, évoque le bild al-ard, « cest-à-dire Tozeur, Gafsa, Nefta, al-mma et leurs environs ».

55 Al-Marrku, pp. 254-255.56 Al-Marrku, p. 258.57 Yqt, s.v. arba, daprès al-Bakr, pp. 19/44-45. Voir supra.

304

à lépoque de la prise de Kairouan en 27/647-648. Après cette précision originale, Yt reprend lensemble des propos dal-Bakr et répète donc la légende du talisman et la conduite indigne des femmes de Gabès, qui se soulagent en public58. Il relate également lhistoire de lextraordinaire oiseau amené chez al-Muizz ibn Muammad ibn Walmiya. Il cite ensuite plusieurs savants originaires de Gabès.

Yt ne donne aucun nouveau renseignement sur le Nafzwa, quil prononce « Nifzwa »59. Il dit que la région fait partie des provinces / amal-s dIfrqiya et quelle se trouve aux environs du grand Zb, au Djérid. Le reste de ses commentaires, relatifs à Madnat Nafzwa et à al-Madna, ainsi quà la périlleuse traversée de la sebkha, sont entièrement tirés dal-Bakr60. Il consacre une notice à Bu / Ba, indiquant simplement que c’est le nom d’un village61. Une autre courte notice se rapporte à urra, dans laquelle Yt signale que le nom de cette ville se prononce comme le mot urra, qui désigne le bord dun vêtement62.

Larticle « Qasliya », dans lequel Yt cite Ibn awqal et al-Bakr, ne présente aucun intérêt particulier63; le géographe indique dailleurs que la description de la Qasliya est plus complète à larticle Tozeur. Yt donne effectivement une longue description de Tozeur, qui apprend malheureusement bien peu de choses. Il dit que cest une ville située au fin fond de lIfrqiya, dans les environs du grand Zb. Cette ville peuplée, appartenant au district du Djérid, est séparée de Nefta par dix parasanges64. Son sol est fait de sebkha; elle possède beaucoup de palmiers. Il ajoute que plusieurs personnalités sont originaires de Tozeur. Le reste du texte, consacré principalement au système dirrigation, est entièrement emprunté à al-Bakr65. La notice consacrée à Nefta nest pas plus instructive. Il cite également « al-amma », située dans la province / amal de la Qasliya ainsi que Taqys, quil dit proche de Tozeur. Une notice porte sur Qayn, un village dIfrqiya situé à trois étapes de Gafsa et à une étape de Nefta, qui est bien entendu Qayn-Baya66.

58 Yqt, s.v. Qbis. À la différence dal-Bakr, pp. 17-18/41-43, Yqt parle des Lamta à la place des Lamya et des Zawwa à la place des Zawġa et des Zawra; il nomme erronément les Ban Luqmn al-Kutm les Ban Luqmn al-Kinn.

59 Ibn al-Ar, VI, p. 333, indique également Nifzwa, alors que normalement il ne vocalise pas ce terme. Al-Ti, p. 143/137, confirme quil y a bien deux prononciations.

60 Yt, s.v. Nifzwa, daprès al-Bakr, pp. 47-48/101-102. Al-Qazw, p. 278, donne les mêmes indications sur la sebkha. Pour lui, Nafzwa est une ville qui possède une source étonnante, dont on ne peut atteindre le fond: il sagit donc de Bar.

61 Yt, s.v. Bu.62 Yt, s.v. urra.63 Yt, s.v. Qasliya, daprès Ibn awqal, p. 94/92, et al-Bakr, p. 48/102. Yt cite également

« al-amma » du Djérid dans le Kitb al-Mutarik, p. 146.64 Ce qui ferait un peu moins de 60 km, soit plus de deux fois la distance qui les sépare.65 Yt, s.v. Tawzar. Description similaire à celle dal-Bakr, pp. 48-49/102-104, à une seule

exception: évoquant lendroit où les trois rivières de Tozeur émergent du sable, Yt dit que les habitants lappellent dans leur langue T.b.r.s, alors qual-Bakr dit quils le nomment S.r..

66 Cette ville est évoquée par al-Bakr, pp. 47-48/102 et p. 74/152, par le Kitb al-Istibr, p. 175/114, et par al-imyar, s.v.

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La description la plus intéressante est celle de Gafsa qui, si elle sinspire des géographes antérieurs, offre de nouvelles indications: Gafsa, petite cité située aux confins de lIfrqiya dans le Maghreb, fait partie de la province / amal du grand Zb et se trouve au Djérid. Entre Gafsa et Kairouan, il y a trois jours de marche. Ses murs renferment deux sources: la première sappelle al-arm et lautre al-M al-kabr / la grande eau. En dehors des remparts jaillissent deux autres sources: la première se nomme al-Mawiyya67 et lautre Bayya68. Cette dernière source alimente plusieurs jardins plantés de palmiers, doliviers et darbres fruitiers. Leau de Gafsa est partagée entre les jardins selon des mesures de débit et de temps qui tiennent compte des besoins de la terre à irriguer. Cest une méthode que le simple spectateur ne peut comprendre. La mesure est exacte, jamais de superflu, jamais de manque. Un jardin ne peut être irrigué quune fois tous les quinze jours69. Gafsa a de très hauts remparts en brique cuite / libn; la longueur de chacune de ces briques est de dix empans. Ysuf ibn Abd al-Mumin a démoli ce mur jusquà le faire toucher terre, car les habitants de la ville sétaient maintes fois soulevés contre lui. De Gafsa à Tozeur, il y a un jour et demi.

Yt, copiant à nouveau al-Bakr, ajoute quautour de la ville, on trouve plus de deux cents villages fortifiés prospères et peuplés, où les eaux coulent sans discontinuer; ils sont connus sous le nom de Qur Qafa. Parmi ces villages se trouve celui de arrq, ville fortifiée et défendue par ses propres habitants70. Alors que le géographe dit ici « arrq », il accorde également une notice à « irq » puisée chez al-Bakr71. Il ne fait aucune mention de la destruction de cette ville.

4. LÉVOLUTION DES TOPONYMES DU SUD TUNISIEN

Nous avons vu que les Arabes ont repris le nom commun latin castella pour créer le toponyme Qasliya et que les ibites ont également interprété le terme castella en nommant la région al-Qur72. Le Djérid nest pas le seul endroit du Maghreb oriental à porter ce nom dorigine latine: la citadelle antique de Mesarfelta, entre

67 Al-Mawiyya signifie « dont lintérieur est garni de maçonnerie ». Kazimirski, s.v. Ce nom est aussi celui dun village situé près de Gabès, dont parle al-imyar, s.v. Al-Mawiyya.

68 Le Kitb al-Istibr, p. 152/73, donnait B.69 À Chenini, dans les environs de Gabès, on irrigue une fois tous les quinze jours et parfois chaque

semaine. Orgels, Loasis de Gabès, p. 16. Au Fazzn, on devrait irriguer tous les cinq jours mais en pratique, on irrigue tous les sept jours ou même tous les douze jours; lintensité de lirrigation dépend des saisons. Lethielleux, Le Fezzan, ses jardins, ses palmiers, pp. 109-110, note 213.

70 Yt, s.v. Qafa.71 Yt, s.v. irq; al-Bakr, p. 47/101. Yt dit quelle est sur la route de Fa al-amm alors

qual-Bakr et le Kitb al-Istibr, p. 154/76, donnent Fa al-imr.72 Voir supra et Prevost, La Qasliya médiévale et la toponymie du Djérid tunisien.

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Biskra et ubna, a également été appelée Qasliya73. On trouve aujourdhui un oued Galya et un lieu-dit nommé Hanr Galya dans la région dEnfida, qui rappellent lancienne présence des castella74.

Le terme Qasliya apparaît manifestement pour la première fois chez Ibn Abd al-akam, soit avant 871, sous la forme « Qaliya »; il désigne apparemment la seule Tozeur75. Chez al-Ya, par contre, il désigne bien tout le Djérid actuel, puisque le géographe parle des quatre villes de la Qasliya76. Pendant plusieurs siècles, ce toponyme couvre ainsi lun ou lautre de ces sens. Chez Ibn awqal par exemple, Qasliya est la seule ville de Tozeur, tandis que chez al-Bakr, ce terme recouvre lensemble des oasis du nord de la sebkha77. Pour Ibn aldn, la Qasliya peut également englober Gafsa et le Nafzwa78.

Contrairement à ce que prétend Mohamed Talbi79, « bild al-ard » napparaît pas pour la première fois chez Ibn aldn; le Kitb al-Istibr utilise déjà le terme « bild al-ard dIfrqiya », mais ce toponyme comprend également à cette époque Gabès et Gafsa80. Al-Marrku, en 1224, évoque le bild al-ard, « cest-à-dire Tozeur, Gafsa, Nefta, al-mma et leurs environs »81. Le terme Qasliya disparaît alors progressivement face à la nouvelle appellation de la région. Jean-Léon lAfricain a définitivement oublié la Qasliya au profit du bild al-ard, qui sétend pour lui jusquaux confins de lîle de Djerba82. Qasliya apparaît encore cependant chez deux historiens dorigine tunisienne des XVIIe et XVIIIe siècles, Ibn Ab Dnr et al-Wazr al-Sarr83. Le terme Qasliya est aujourdhui tombé dans loubli dans cette région, à lexception dun puits nommé Bir Qasliya, situé non loin de Tozeur.

73 Stern, Three North-African Topographical Notes (Islamic-Roman), p. 345.74 Ben Jaafar, Les noms de lieux de Tunisie, p. 34 et p. 46; Pellegrin, Essai sur les noms de lieux, p.

139.75 Ibn Abd al-akam, p. 196.76 Al-Ya, pp. 349-350/212.77 Ibn awqal, p. 94/92; al-Bakr, p. 75/153.78 Ibn aldn, VI, p. 118/I, p. 192.79 Talbi, E.I., s.v. asliya.80 Kitb al-Istibr, p. 150/68.81 Al-Marrku, p. 163. 82 Jean-Léon lAfricain, p. 8 et p. 442.83 Ibn Ab Dnr, p. 22; al-Wazr al-Sarr, v. index.

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XI. LÉVOLUTION DE LIBISME

Depuis leur cruelle défaite à Mn et la chute de lÉtat rustumide, les ibites du Sud tunisien ont subi plusieurs graves répressions. À deux reprises, avec Ab Yazd puis avec les instigateurs de la révolte de Bġya, ils ont tenté de recréer un immat, mais leur lutte a été vaine. De ce fait, on situe généralement la décadence de libisme dans cette région vers la fin du Xe siècle. Jean Despois note, par exemple, que le Djérid compte « encore quelques ibites au XIe siècle »1, alors quà cette époque, la région est toujours un des hauts lieux de libisme maghrébin. Sous les ides, la grande majorité de lIfrqiya, tant berbère quarabe, adhère au rite mlikite. Rares sont les régions où des communautés ibites persistent après la conquête almohade. Sous les Ban l-Rand et les Ban mi, les communautés ibites de Gafsa et de Gabès se sont éteintes. Leurs derniers fidèles ont gagné les régions où les ibites sont encore maîtres; ainsi, après larrivée des Ban Hill, les ibites du Djérid accueillent certainement nombre de leurs coreligionnaires fuyant les anciennes métropoles ibites ou les petites communautés telles que celles du Sil. Toutefois, assez rapidement, le Djérid ne constitue plus un refuge idéal et les populations ibites doivent migrer plus loin, dans les oasis de Ouargla ou du wd Rġ, à Djerba, dans le Mzab ou même dans le Sdn. Le abal Nafsa est également un grand centre de ralliement, qui accueille les ibites de Tripolitaine et ceux de la plaine de la affra. Au début du XIIIe siècle, le Sud tunisien compte encore trois régions peuplées dibites: les oasis du Djérid et du Nafzwa, les localités des montagnes du Sud-Est tunisien et de la plaine de la affra, et Djerba. Toutes trois ont subi lassaut du mlikisme à des époques et dans des conditions différentes, et dune certaine façon, Djerba est toujours confrontée à ce processus de mlikisation à lheure actuelle.

1. LES OASIS DU DJÉRID ET DU NAFZWA

Les oasis du Djérid sillustrent pour la dernière fois dans lhistoire des ibites pendant la première moitié du XIe siècle: les wahbites se rassemblent à Taqys autour dAb Abd Allh Muammad ibn Bakr pour gagner le wd Rġ afin dy rédiger le règlement de la alqa. Plus tard, le massacre de Qalat Ban Darn par

1 Despois, E.I., s.v. Djard.

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les troupes dal-Muizz ibn Bdis provoque le départ dune partie des ibites du Djérid vers le Sf et le wd Rġ. Mais cest après la conquête almohade que le déclin de ces communautés saccélère. À cette époque, les petites sectes ont totalement disparu dans la Qasliya, qui ne compte plus que des wahbites et une plus faible proportion de nukkrites, qui vivent sans doute principalement dans la localité de Saddda. Une des grandes étapes de lextinction de libisme dans la région est bien connue: al-Darn explique que les derniers wahbites dal-mma doivent abandonner leur foi sous la pression des mlikites, qui semparent de leur grande mosquée et la lavent à grande eau pour la purifier2. Progressivement, les villes dont la population est majoritairement ibite se raréfient et se transforment en ghettos. À la fin du XIIIe siècle, il ny a sans doute plus dibites dans cette région. Les sources ne mentionnent plus que des ay-s sy rendent pour y propager leur savoir. Le témoignage dal-Ti confirme que la région est entièrement mlikite au tout début du XIVe siècle: si elle avait conservé des ibites, il naurait certainement pas manqué de les signaler et aurait éventuellement raillé leurs coutumes.

Les guerres entre les Almohades et les Ban Ġniya sont à notre sens une première explication du fort déclin de ces communautés: de nombreuses localités sont abandonnées à cette époque, qui pour la plupart étaient des fiefs ibites. Nous avons évoqué la destruction de urra, mais également la probable disparition de Farna, de Qanrra et de Darn. La violence des affrontements pousse certainement une partie des ibites à sexiler. Dautre part, ce long conflit nuit fortement au commerce de la région et il est probable que de nombreux ibites quittent le Djérid pour des raisons économiques: dès le XIIe siècle, la prédominance commerciale des oasis diminue au profit de villes situées plus profondément dans le désert, qui bénéficient de davantage de débouchés. Il est possible que les commerçants ibites du Djérid aient préféré aller sinstaller dans des places commerciales alors mieux situées, comme Ouargla par exemple3.

Robert Brunschvig explique la disparition de Darn, quil situe au milieu du XIIIe siècle, par la guerre entre les wahbites et les nukkrites, qui perpétuent danciennes rancœurs4. La rivalité qui existe entre ces deux clans dans la Qasliya est généralement mise en avant pour expliquer lextinction de libisme. Il est vrai que les sources, qui sont toujours lœuvre de wahbites, rapportent les conflits qui les opposent aux nukkrites et nhésitent pas à accuser ces derniers des pires maux.

2 Al-Darğīnī, pp. 483-484. Ce récit est placé à la fin de la 11e abaqa (500-550/1106-1155). Brunschvig, La Berbérie orientale, I, p. 331, le situe vers 1180.

3 Brett, Ifrqiya as a Market for Saharan Trade, p. 363; Perinbam, Soninke-Ibiyya Interactions, p. 72.

4 Brunschvig, La Berbérie orientale, I, pp. 331-332. Largument est repris par Despois, E.I., s.v. Djard.

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On voit ainsi des ay-s nukkrites prendre le pouvoir en Ifrqiya et organiser des réunions pour boire du vin5. Alamm présente Sulaymn ibn Zarqn comme le défenseur du wahbisme, qui réussit à expulser les nukkrites hors de lIfrqiya6. Cependant, à lépoque du souverain zrde al-Manr, lopposition entre wahbites et nukkrites déchire la Qasliya7. Cette brève guerre, racontée dans les détails par alamm, est plutôt à notre sens un affrontement exceptionnel quune guerre parmi dautres. Nous pensons quil est faux dimaginer la vie des ibites du Djérid comme un long conflit entre ces deux clans. Ils sont bien assez occupés à résister aux réguliers assauts des Fimides, des Zrdes, des Zanta ou dautres agresseurs. On peut supposer quà certaines époques, les deux clans sentraident et échangent leurs idées: on voit ainsi Ab N Sad ibn Zanġl polémiquer avec un savant nukkrite de Tozeur8. Alamm rapporte également sans sen étonner quà R, face à Djerba, les Zawwġa sont partagés entre les quatre tendances de libisme et vivent en bonne intelligence9. La création des différentes alqa-s, qui ont entre autres buts de faciliter les relations entre les nukkrites et les wahbites, a peut-être également amélioré les rapports entre les deux clans. Cette rivalité ne paraît donc pas être une cause majeure de la disparition des communautés ibites dans le Djérid.

Lextinction de libisme dans la Qasliya peut également sexpliquer par lapparition du maraboutisme, qui sillustre particulièrement à Nefta. Vers 1200, en effet, Sd B Al al-Naf aurait achevé de chasser le riisme de cette oasis. Sa zwiya, située dans la palmeraie de Nefta, abrite son tombeau et est le centre de la confrérie des B Aliyya10. La zwiya est le bâtiment dans lequel le marabout / marb déjà célèbre reçoit ses adeptes, les instruit et les loge le cas échéant. Lorganisation matérielle est prise en charge par un proche ou un serviteur du saint, qui ne soccupe quant à lui que de laspect religieux. Contrairement aux personnalités ibites, le marabout nest pas spécialement vénéré pour sa science, mais bien pour sa baraka / puissance spirituelle, sa piété et son ascèse exemplaires qui en font un intercesseur privilégié auprès de Dieu. Encensé pour ses miracles, il a le don de guérir les maux les plus divers, de lire lavenir et dinterpréter les songes. À loccasion, il peut également développer une puissance maléfique mais dans la plupart des cas, il est extrêmement généreux, donne asile aux démunis, nourrit les pauvres et règle les conflits qui opposent ses fidèles. À la mort du saint, sa zwiya

5 Alamm, p. 223.6 Alamm, p. 223.7 Alamm, pp. 326-327. Voir supra.8 Alamm, p. 326.9 Alamm, p. 225.10 Voir planche V.

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renferme généralement son mausolée11. Les écrits hagiographiques prêtent à Sd B Al davoir converti les derniers ibites de Nefta et ce saint fait figure de premier islamisateur dans le Djérid12. Sa légende efface pour les habitants de Nefta la honte de lhétérodoxie passée, assimilée au paganisme: elle raconte que lorsque Sd B Al est arrivé à Nefta, il y a trouvé les ibites, de pauvres gens qui ne savaient rien, qui ignoraient tout de Dieu et vivaient nus comme des bêtes. Grâce au riche enseignement de Sd B Al, ils se sont progressivement civilisés13.

À côté des marabouts, de nombreux juristes sunnites viennent également dans le Djérid pour prêcher le mlikisme. Leur propagande est facilitée par les fortes communautés mlikites, qui encouragent leur action et favorisent la multiplication de joutes verbales visant à démonter les théories hérétiques. Il semble que les savants ibites ne sont alors plus de taille à rivaliser du point de vue théologique avec les savants sunnites14. Cela pourrait sexpliquer par lexil des savants les plus cultivés. Notons que de tout temps, le Djérid a été une région très perméable aux influences extérieures; on se rappelle entre autres du succès précoce du isme à Nefta. Robert Brunschvig pense que la mlikisation du Djérid a peut-être été accentuée par la domination des Ban Ġniya, farouchement orthodoxes, et des Ban Hill, « qui malgré tout étaient sunnites et sen souvinrent peut-être particulièrement une fois confrontés aux hérétiques »15. Nous ne partageons pas cet avis: les ibites ne voulaient avoir avec les Ban Hill aucune relation quelle quelle fût; de plus, si lon imagine malgré tout une confrontation des deux doctrines, les faibles connaissances religieuses des Arabes ne devaient pas faire le poids à côté de la science des savants ibites. Quant aux Ban Ġniya, il est peu probable que leur désastreuse domination dans la région ait pu favoriser un rapprochement religieux. Les ibites ont certainement préféré sexiler plutôt que dêtre, éventuellement, convertis par la force.

La mlikisation du Djérid sexplique également par le fait que les communautés berbères ibites se sont progressivement isolées, tant par la langue que par la religion, et se sont finalement repliées sur elles-mêmes dans de véritables ghettos, privées de la majorité de leurs savants. Elles sont peut-être alors victimes de la

11 Wensinck, E.I.1, s.v. Zwiya; Brett, Arabs, Berbers and Holymen in Southern Ifriqiya, p. 558; Brunschvig, La Berbérie orientale, II, pp. 325-327.

12 Dakhlia, Loubli de la cité, p. 201; Despois, E.I., s.v. Djard, et Brunschvig, La Berbérie orientale, II, p. 321. Sur lévolution du maraboutisme en Ifrqiya, Brunschvig, La Berbérie orientale, II, pp. 330-336. À Gabès, on vénère le tombeau de S Blbba, un compagnon du Prophète qui, selon Mawl Amad, était venu en Ifrqiya pour se punir de ne pas avoir obéi à un ordre du Prophète. Sur S Blbba, al-Abdar, p. 162; al-Ti, pp. 91-92/87-88; al-Ayy, pp. 118-119; Mawl Amad, pp. 252-253 et p. 272.

13 Dakhlia, Le sens des origines, p. 403.14 Brunschvig, La Berbérie orientale, I, p. 332.15 Ibid., pp. 331-332.

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vindicte des nouveaux convertis, qui ont intérêt à leur rendre la vie dure. Il leur est rapidement indispensable de se rallier à la majorité mlikite sils veulent bénéficier dune protection contre les oppresseurs éventuels. À partir de 630/1232, de nombreuses fractions de Ban Hill et Sulaym sinstallent dans les oasis, qui viennent grossir la population mlikite16. Cest par lintermédiaire de la zwiya que les bastions berbérophones sont entamés par larabisation; elle permet aux ibites déchapper au poids des traditions berbères et de sintégrer à la nouvelle majorité17. La zwiya a dabord une fonction religieuse, puis joue un rôle plus important dans la diffusion de la langue arabe, puisquelle est le lieu de rassemblement par excellence. Les marabouts remplacent progressivement les savants ibites, soit en occupant des lieux sacrés qui existent déjà, comme de petites mosquées, soit en créant de nouveaux sites, profitant dun lieu riche en eau pour y fonder de petites colonies agricoles. Leur principal atout est de pouvoir assurer à leurs nouveaux fidèles une protection que nauraient jamais pu leur offrir les sommités ibites18.

Au XIIe siècle, plusieurs savants prestigieux sont originaires de la Qasliya, dont al-Wisy et lauteur anonyme du Siyar al-mayi19. Il y a encore des ibites dans le Sud tunisien au XIIIe siècle: la famille dal-Darn est la plus célèbre. Le grand-père de ce savant, fameux jurisconsulte qui était considéré comme un saint, habitait à Kanma; son père, savant réputé, vivait à Darn al-sufl l-adda. On voit al-Darn lui-même rédiger à Tozeur, en 633/1235-1236, ses travaux historiques20. Vers le milieu du XIIIe siècle, le savant Ab Abd Allh ibn Buhll al-Naf vit dans le Djérid21. Comme il ny a pas de véritable alqa dans cette région, les ibites dépendent dune autre alqa ou, tout au moins, se réfèrent en cas de besoin au jugement de ses membres. Al-Darn, par exemple, appartient pendant deux ans à la alqa de Ouargla, qui comprend de nombreux azzba issus dautres communautés comme celle du Mzab22. Labsence dune alqa propre aux ibites du Djérid est peut-être un des facteurs qui a précipité leur disparition.

À lépoque ide, linfluence de lancienne présence ibite se fait pourtant encore sentir dans le Djérid. À un kilomètre dAwld Mid se trouve la zwiya dun saint de lépoque afide, connu pour ouvrir la voie du mariage aux vieilles filles. Loriginalité de ce mausolée est de présenter, tout comme dans le Mzab, des cippes en forme de pain de sucre aux quatre coins de son enceinte extérieure et aux quatre

16 asan, Al-Madna wa-l-bdiya, p. 289.17 Ben Jaafar, Les noms de lieux de Tunisie, p. 51; Brett, Arabs, Berbers and Holymen, pp. 554-555.18 Brett, Ibn Khaldun and the Arabisation of North Africa, p. 13.19 Lewicki, Études ibites, pp. 11-13. 20 Lewicki, Historiens, biographes et traditionnistes, pp. 23-24 et pp. 84-85.21 Ibid., p. 28.22 Il ny avait visiblement pas encore de alqa dans le Mzab dans la première moitié du XIIIe siècle.

Lewicki, E.I., s.v. ala.

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PLANCHE VI: MINARET DE LA MOSQUÉE D’AWLD MIDZWIYA AFIDE D’INFLUENCE IBITE

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coins de sa terrasse. Ces cippes sont la copie des cippes funéraires caractéristiques des cimetières du Mzab et témoignent de linfluence culturelle ibite qui persiste dans la région23. Il faut dailleurs attendre les XIVe et XVe siècles pour que les marabouts acquièrent une importance capitale dans le Sud tunisien24.

Il est probable que le Nafzwa, plus isolé, est marqué par libisme plus longtemps que le Djérid. Les marabouts préfèrent sans doute dans un premier temps se fixer au nord de la sebkha, dans une région plus fréquentée. Néanmoins, le maraboutisme finit par sy implanter. Al-Ayy raconte que les pèlerins en route vers La Mecque pensent que le nom de Nafzwa, qui serait la contraction de son surnom alf zwiya, vient du fait quil sy trouve mille zwiya-s; le voyageur voit bien que cette étymologie arabe est inexacte, puisque la région portait déjà ce nom avant la conquête musulmane25. Aujourdhui encore, les habitants du Nafzwa nomment le chapelet doasis situées dans la presquîle qui savance entre le a al-ard et le a al-Fi « ez-zw », pluriel dialectal de zwiya, à cause de la profusion de tombeaux, de lieux saints ou de pèlerinage qu’on y trouve26.

2. LES MONTAGNES DU SUD-EST TUNISIEN ET LA PLAINE DE LA AFFRA

Au début du XIVe siècle, plusieurs tribus berbères de la plaine de la affra demeurent ibites. La presquîle de Akra, qui est en relation constante avec Djerba, est également encore peuplée dibites à cette époque; il est probable que les diverses sectes qui y étaient représentées, comme les naffites ou les alafites, se sont éteintes et que seuls restent des wahbites et des nukkrites. Pour al-Ti, cest à al-Zrt27 que commencent les terres occupées par les Berbères riites, qui prédominent dans la région côtière comprise entre Gabès et Tripoli; les musulmans tentent déviter ces contrées car les riites cherchent à les capturer pour les vendre aux bateaux chrétiens. Toujours selon al-Ti, ces riites sont les derniers représentants du groupe dégarés avec lequel Ab Yazd sest soulevé en Ifrqiya28: ce seraient donc des nukkrites. Le voyageur est particulièrement virulent à légard de ces Berbères hérétiques; son animosité est peut-être renforcée par le fait que sa

23 Ifriqiya. Treize siècles dart et darchitecture en Tunisie, pp. 246-247, qui imagine que le personnage reposant dans ce mausolée pourrait être un ibite. Sur les tombes ibites, voir Ravéreau, Le MZab, une leçon darchitecture, pp. 189-192 et p. 259. Voir planche VI.

24 Brett, Arabs, Berbers and Holymen, p. 558.25 Al-Ayy, pp. 72-73, dont le traducteur note Elâfoun-zaouïa.26 Bédoucha, « Leau, lamie du puissant », p. 2.27 Nommée à présent Z, cette ville est située près de la côte, à environ 35 km au sud de Gabès.

Voir carte 4.28 Al-Ti, pp. 119/110-111.

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caravane est lhôte des Ban Dabbb, ennemis de ces populations29. Al-Ti note que les habitants de Zawrat al-uġr30 sont des riites extrémistes, qui persistent dans leurs croyances. À cause de leurs si fréquentes dévotions, ces gens ont le corps très amaigri et le visage jauni; ils rappellent au voyageur leurs coreligionnaires insoumis de Djerba31. Al-Ti voit également des nukkrites à lest de Zawra, qui sont connus pour leur méchanceté32.

Le abal Dammar reste ibite et compte encore des naffites au début du XIVe siècle. Si à lépoque dAb Yazd, cette région a massivement adopté la doctrine nukkrite, les wahbites y sont progressivement redevenus majoritaires après larrivée des Arabes. Al-Ti, qui a longuement séjourné dans les montagnes du sud-est de la Tunisie, décrit les mœurs des populations de Ġumrsin, toponyme qui désigne une ville mais également une région du abal Dammar33. Les gens qui y habitent sont perpétuellement en conflit: les Berbères Warġamma sopposent tant aux Arabes quà leurs voisins berbères, les Muqaddamn34. Ces derniers creusent à lintention de leurs morts de vastes cavités dans lesquelles ils les enterrent en position assise. Cette inhumation particulière assure, pour le défunt qui laisse un fils, que ce fils conservera sa gloire tant que son père restera assis35. Pour al-Ti, les gens de Ġumrsin et des environs ne sont musulmans que par le nom; ils naccomplissent pas la prière et ignorent les lois musulmanes. Il ny a pas non plus chez eux dappel à la prière, bien quune mosquée demeure au sommet de leur qala, dans laquelle seul un étranger originaire de Zawra prie. Ces populations sont des Berbères nukkrites, qui ne lavent pas leurs morts et ne récitent pas de prières pour eux. Les filles nhéritent daucun bien de leurs pères36. Des combats sanglants opposent les populations de Ġumrsin aux naffites mais, malgré leur violence, al-Ti évoque, comme lavait fait al-Idr à propos des gens de Djerba et de Z, lhospitalité et la profonde honnêteté qui caractérisent ces gens37. Si ces ibites nont pas de religion aux yeux dal-Ti, le fait quun villageois serve de

29 Brett, Arabs, Berbers and Holymen, pp. 535-536.30 Localité très proche de lancienne Zawra, actuelle Zuara / Zuwwra sur la côte tripolitaine. Voir

Lewicki, La répartition géographique, pp. 327-328.31 Al-Ti, p. 207/173.32 Al-Ti, p. 211/175. Des ibites demeurent encore dans cette région au milieu du XXe siècle.

Lewicki, La répartition géographique, p. 330.33 Al-Ti, pp. 185/161-162. 34 Al-Ti, p. 187/163. Pour Louis, Tunisie du Sud, p. 81, les Muqaddamn sont les actuels

Meguedmine.35 Al-Ti, pp. 187/163-164. Ce mode de sépulture était utilisé à lépoque préislamique sur toute la

frange septentrionale du Sahara. Brunschvig, La Berbérie orientale, II, p. 313.36 Al-Ti, p. 187/164. 37 Al-Ti, p. 188/165.

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secrétaire à un chef arabe, probablement illettré, indique la présence dune élite de savants riites, invisibles pour le voyageur38.

Lisolement de plus en plus grand de ces savants finit malheureusement par condamner à long terme leur haut niveau de culture; par là même, ils perdent la supériorité dont ils jouissaient auprès des Arabes39. Leur refus daccepter lorthodoxie a longtemps freiné dans ces régions la propagation du maraboutisme et du soufisme, qui prônent le mlikisme. Ab Ġarra est le seul marabout dorigine berbère cité par al-Ti: il a élu domicile près de Zarq40, profitant dune source deau douce et dune petite palmeraie, et y a fondé sa zwiya. Grâce à ses miracles et à son ascèse, il est vénéré par les Ban Dabbb et par de nombreuses tribus arabes, qui le craignent fortement car il peut lancer de redoutables malédictions. Il est chargé dassurer la sécurité des routes et sen prend violemment à ceux qui tentent de sapproprier les biens de ses fidèles41. De ce fait, il tente peut-être de réprimer les atteintes portées aux musulmans quon attribue aux Berbères ibites.

Au début du XIVe siècle, le maraboutisme na pas réellement pris pied dans le sud-est de la Tunisie; on y trouve bien évidemment des ascètes, mais la constitution dun groupe arabo-berbère uni autour dun marabout nest pas encore effective. Les marabouts qui y vivent nont pas encore suscité dengouement populaire et nont pas modifié les habitudes des habitants, peut-être en raison de leur trop petit nombre, qui ne permet pas dinfluer réellement sur les relations entre Arabes et Berbères; les Berbères résistent à la domination des tribus arabes sans penser encore à une assimilation42. Ils parviennent à rester en contact avec leurs coreligionnaires: ainsi, à la fin du XVe siècle, on voit alamm se rendre à Tiwn43. Cest par le maraboutisme que la fusion des derniers bastions ibites et des tribus arabes sopère à partir du XVIe siècle, sous limpulsion de réformateurs venus de la Sqiyat al-amr, qui développent la puissante confédération des Warġamma, unissant des Berbères et des Berbères arabisés44. Ladhésion au maraboutisme permet alors aux Berbères de se trouver sur un pied dégalité avec les tribus arabes, hors du rapport de force qui prévalait généralement45.

Cest à la faveur de lemprise des marabouts que se développe la légende des gens de la caverne dans les montagnes du Sud-Est tunisien46. Au IIIe siècle de notre

38 Brett et Fentress, The Berbers, p. 150; Brett, The Journey of al-Tij, p. 47.39 Brett, Ibn Khaldun and the Arabisation of North Africa, p. 13.40 Il sagirait de lactuelle Zerig el-Barraniya, située à environ 20 km au sud de Gabès, dont la

population était encore ibite aux XIe et XIIe siècles. Lewicki, Les ibites en Tunisie, p. 8.41 Al-Ti, pp. 180-181/155-156.42 Brett, Arabs, Berbers and Holymen, pp. 555-557.43 Alamm, pp. 66-67. 44 Louis, Tunisie du Sud, p. 28; Brett, Arabs, Berbers and Holymen, p. 555.45 Brett, Arabs, Berbers and Holymen, pp. 554-555. 46 Zaïed, Le monde des ksours, p. 180.

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ère, suite à la persécution des chrétiens ordonnée par lempereur romain Dèce (249-251), sept jeunes hommes sétaient réfugiés dans une caverne de la région dÉphèse et y avaient été emmurés vivants. Deux ou trois siècles plus tard, ils se sont réveillés et ont témoigné de lépoque de la persécution et de lattente de leur résurrection47. Cette histoire est évoquée dans le Coran, dans la sourate XVIII, « la caverne », dans laquelle les sept dormants musulmans sont nommés ahl al-kahf / gens de la caverne. Cette légende sest fortement répandue dans le Sud tunisien: on localise la grotte des sept dormants à Midès, à Tozeur, à al-Udyn, à Tallat ou encore à Chenini de Tataouine48. Al-Ayy localise la caverne des sept dormants dans la montagne qui domine Taqys, quil nomme Daqys49.

3. DJERBA

Djerba demeure entièrement ibite à lépoque almohade. Cependant, à loccasion, certains habitants de lîle ont pu être tentés de se convertir au mlikisme. Alamm raconte en effet que dans le courant du XIe siècle, un combat meurtrier a lieu à Djerba entre trois groupes, les Ban Sattan, les Waġlna et les Ynsan. Il ne précise malheureusement pas les tendances doctrinales de ces groupes. Les Ban Sattan déplorent quatre-vingts morts parce quils se sont conduits en traîtres, mais on ignore dans quel contexte. Après la perte de ces nombreux partisans, ils veulent adopter la doctrine des awiyya, cest-à-dire des mlikites, afin de gagner leur indépendance. Un célèbre ay ibite va trouver ces Ban Sattan et réalise que de nombreux points les opposent; il reste auprès deux jusquà ce que ces tensions sapaisent et quils renoncent à devenir mlikites50.

Au début du XIIIe siècle, le mouvement intellectuel ibite de lîle connaît un nouvel essor, grâce aux contacts étroits qui lient les savants à ceux du Umn. De nombreux livres de ce pays arrivent à Djerba et les habitants du Umn prient les savants djerbiens de rédiger à leur intention une histoire de leurs ancêtres et des ay-s qui les ont précédés. Les azzba de Djerba cherchent quel est le savant le

47 Jourdan, La tradition des sept dormants, p. 13; Paret, E.I., s.v. Ab al-kahf. Sur cette légende au Maghreb, Dermenghem, Le culte des saints dans lislam maghrébin, pp. 47-49.

48 Jourdan, La tradition des sept dormants, pp. 147-148. Sur Chenini, Louis, Tunisie du Sud, pp. 47-48; Komorowski, Contribution à létude des traditions culturelles, p. 23.

49 Al-Ayy, pp. 122-124; Mawl Amad, pp. 286-287; Tissot, Géographie comparée, II, pp. 683-684. Dakhlia, Loubli de la cité, pp. 46-47, remarque que lanalogie entre le nom de la cité et celui du roi Daqys, ainsi que la configuration de la grotte qui, comme dans le Coran, est ouverte à louest et à lest, ont suffi à faire naître cette légende à Taqys.

50 Alamm, p. 400.

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plus éminent et se mettent daccord pour confier cette lourde tâche à al-Dar, qui conçoit alors le plan de son Kitb abaqt al-mayi51.

Lîle est partagée entre les wahbites et les nukkrites. Ab Miswar était parvenu à provisoirement régler le conflit qui opposait ces deux clans et à faire régner la paix entre les divers groupes représentés sur lîle; il avait converti la plupart des habitants au wahbisme. Vers 431/1039-1040, à lépoque de lattaque dal-Muizz ibn Bdis, de nouveaux groupes nukkrites arrivent sans doute sur lîle. Il est probable que les conflits sont fréquents entre ces nouveaux venus et les wahbites. Aux dires dal-Ti, les wahbites, qui ont pour chefs les Ban Sammin, occupent louest et le nord-ouest de lîle, tandis que les nukkrites, présidés par les Ban Azn, ont pour territoire lest et le sud-est52. Tout comme lavait décrit al-Idr à propos des habitants de Zz, ils sont obsédés par la pureté, notamment en ce qui concerne leurs habits53. Al-Ti remarque quà lintérieur de la vieille ville abandonnée de Djerba se trouve une mosquée dans laquelle les ibites ne viennent jamais prier à cause de la haine quils ont pour limplantation de lislam officiel dans lîle, et non pas par peur des chrétiens comme ils le prétendent; quant à la prière du vendredi, un de leurs principes est de lavoir abandonnée, car elle exige dêtre prononcée au nom dun imm juste54. À lépoque dIbn aldn, les wahbites occupent louest de lîle, les nukkrites lest, et la ville de Djerba sépare les deux communautés; tout le pouvoir est aux mains des Ban Sammin wahbites55. La guerre civile éclate parfois entre les deux sectes et, lorsque les chrétiens régnaient encore sur lîle, il arrivait que lune delles sallie aux occupants pour contrer son adversaire56. On sait que le sultan Ab Fris (1394-1434) a tenté de convertir les Djerbiens au mlikisme en leur envoyant le docteur kairouanais Ibn N; cependant, les controverses théologiques quil a engagées avec les savants ibites de lîle nont abouti à rien57.

Dans un texte rédigé par un ibite anonyme, il apparaît que les azzba de Djerba sont toujours en relation avec leurs coreligionnaires du abal Nafsa au début du XVIe siècle: en 1510, on les voit demander aux azzba du abal dintercéder auprès de Dieu pour que lîle échappe aux attaques des chrétiens dirigés par Pedro de Navarre58. Il semble que Djerba ne commence à adopter le mlikisme quau XVIIIe siècle59. Nous pensons que le maintien de libisme à Djerba jusquà nos jours est

51 Al-abr, Malmi an al-araka l-ilmiyya inda l-ibiyya bi-arba, p. 28.52 Al-Ti, pp. 123/115-116.53 Al-Ti, pp. 123-124/117-118.54 Al-Ti, p. 127/122. 55 Ibn aldn, VI, p. 475/III, p. 63.56 Ibn aldn, VI, p. 411/II, p. 429.57 Brunschvig, La Berbérie orientale, I, p. 330.58 Motylinski, Expédition de Pedro de Navarre et de Garcia de Tolède, pp. 145-146/135. 59 Brunschvig, La Berbérie orientale, I, p. 330; Despois, E.I., s.v. Djarba.

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fortement lié au système de la alqa et des azzba, qui a permis aux insulaires de rester en étroit contact avec les communautés ibites du Mzab et du abal Nafsa. Dautre part, le maraboutisme a eu beaucoup moins dinfluence sur lîle que dans les oasis du Djérid. Au XXe siècle, les adeptes des zwiya-s y sont tous des mlikites: les wahbites refusent en effet de fréquenter les zwiya-s car certaines pratiques heurtent leurs convictions ou sinspirent dun paganisme condamnable à leurs yeux60.

60 Stablo, Les Djerbiens, p. 53.

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XII. LES MINORITÉS RELIGIEUSES

À lissue de la conquête arabe du VIIe siècle, dimportantes communautés de imm-s, chrétiens et juifs1, subsistent dans lensemble du Sud tunisien. Pendant les premiers siècles de la présence musulmane, la situation des imm-s dIfrqiya se trouve compromise à deux reprises, lorsquau début du VIIIe siècle, Umar II prive les chrétiens de leurs privilèges et lorsquà la fin du IXe siècle, le q Abd Allh ibn Amad ibn lib impose des mesures contraignantes aux juifs et aux chrétiens2. Nous navons aucune trace dune éventuelle application de ces mesures dans la région qui nous occupe. Par contre, deux révoltes ayant pour cible les imm-s sy déroulent, toutes deux provoquées par des riites. Au milieu du VIIIe siècle, des Berbères ufrites se révoltent dans le Nafzwa et mettent en captivité les imm-s de la région, qui sont plus tard libérés par les troupes tripolitaines. À Gabès, dans la seconde moitié du Xe siècle, Ibn awqal rapporte que les hérétiques se sont appropriés les biens des commerçants et des imm-s, après avoir assiégé la ville et incendié son faubourg3. Les Fimides laissent en paix les minorités chrétiennes et juives: leur premier calife Ubayd Allh a tant à faire contre lhostilité des sunnites et des riites quil manifeste la plus grande tolérance à légard des chrétiens; il cherche même à les attirer vers sa cour, où les hommes servent de garde personnelle au calife et où les femmes sont des compagnes fort appréciées. Les juifs tiennent également des rôles importants pendant la période fimide, comme médecins de la cour ou hommes de confiance du calife4. Cette situation favorable aux minorités perdure sous les Zdes5. Il faut attendre le règne des Almohades pour que les sources fassent état de persécutions menées à lencontre des chrétiens et surtout des juifs.

1 Hirschberg, A History of the Jews in North Africa, I, p. 96, estime quau Maghreb, le terme imm désigne les juifs et non les chrétiens.

2 Voir supra.3 Voir supra.4 Mansouri, Juifs et Chrétiens dans le Maghreb fatimide, pp. 605-610.5 Dufourcq, La coexistence des chrétiens et des musulmans, pp. 216-217; Idris, La Berbérie

orientale, p. 763.

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1. LES CHRÉTIENS

Les nombreuses communautés chrétiennes présentes dans le Sud tunisien6 sont mentionnées par les premiers géographes musulmans. Al-Yaqb indique quil y a des Afriqa dans la Qasliya et dans la région située entre Tripoli et Gabès, ainsi que des descendants des Rm et des Afriqa dans le Djérid et dans le Nafzwa. Ibn urradbih signale des Afriqa à Gabès7. Les Afriqa sont pour la plupart demeurés en Afrique, au contraire des am qui ont tenté de migrer en Europe à larrivée des Arabes8. Dès la conquête et dans la période peut-être plus difficile de la fin du IXe siècle, les oasis ont pu représenter une terre d’accueil pour les chrétiens fuyant d’autres régions. À cette époque, tant Gafsa que Qasliya sont encore des évêchés9.

Selon Lewicki, la révolte dAb Yazd, qui contraint les chrétiens « à quitter leurs hameaux dagriculteurs », est la première forte secousse qui ébranle la permanence du christianisme en Ifrqiya10. Comme il a été dit plus haut, Ab Yazd inquiète surtout les populations de la Qasliya pendant la longue période de couvaison de sa révolte et aucun texte n’indique que cette rébellion a eu par la suite des conséquences néfastes sur les communautés chrétiennes du Djérid. Après linsurrection nukkrite, on trouve dailleurs encore de nombreuses traces de christianisme en Ifrqiya. Selon Ibn Ab Dnr, de nombreux villages y sont habités par des chrétiens jusquau début du XIe siècle11. Une communauté chrétienne vit toujours à Kairouan au milieu du XIe siècle12.

Al-Qbis (m. 1012) révèle dans une fatw que certaines églises de Qasliya sont déjà en ruine. Ab Zakariyy al-aqris (m. 1037) linterroge à ce sujet: les musulmans ont utilisé les pierres des églises chrétiennes en ruine pour bâtir une citerne-réservoir destinée à leurs coreligionnaires, surmontée dune mosquée. Le savant de Tozeur veut savoir sil est licite dutiliser cette eau pour les ablutions. Al-Qbis lui répond que si ces églises sont déjà en ruine à larrivée des musulmans et que les chrétiens ne les ont pas utilisées depuis lors, on peut sans souci utiliser leau de la citerne et prier dans la mosquée. Si, par contre, les chrétiens ont continué

6 Pour plus de détails sur ce chapitre, voir Prevost, Les dernières communautés chrétiennes autochtones d’Afrique du Nord.

7 Al-Yaqb, Kitb al-Buldn, pp. 350/212-213; Ibn urradbih, p. 86/62.8 Talbi, Le christianisme maghrébin, p. 316.9 Kmal, Monumenta cartographica, III, fasc. 1, pp. 535-536, donne la « Liste de Léon Le Sage »,

qui cite les évêchés dAfrique entre 883 et 886. Qasliya est reprise sous la forme Castellai dans tous les manuscrits, Gafsa est notée Capsès dans le manuscrit dOxford et Campsês dans les autres manuscrits.

10 Lewicki, Une langue romane oubliée, p. 421. 11 Ibn Ab Dnr, p. 38.12 Courtois, Grégoire VII et lAfrique du Nord, p. 113.

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à employer les églises après la conquête musulmane et que celles-ci sont tombées en ruine plus tard, ces pierres restent leur propriété tant que dure leur statut de imm. Ils peuvent ainsi réclamer des pierres intactes qui auraient été prises entre temps par les musulmans, afin de réparer leurs lieux de culte. Si ces pierres ont été endommagées par les musulmans au cours de leur réemploi, les chrétiens ont le droit de recevoir un dédommagement et daffecter cette somme à la réparation de leurs biens. Ce texte prouve de façon certaine quune communauté chrétienne vit encore dans la Qasliya au début du XIe siècle et montre le respect quaccordent certains juristes musulmans au statut de imm. Notons que si al-Qbis se montre tolérant à légard des chrétiens, un autre juriste déconseille fortement à Ab Zakariyy al-aqris dutiliser leau de la citerne pour les ablutions13.

Il y a sans doute, au Xe siècle tout au moins, une communauté chrétienne organisée et des liens étroits entre les chrétiens de Gafsa, de la Qasliya et du Nafzwa. Grâce au témoignage dIbn al-aġr, la place prédominante quoccupent de nombreux chrétiens à Thart sous les premiers imm-s rustumides est bien connue. Un de ces groupes, des chrétiens originaires de la ville de Mana, se développe particulièrement et tous les chrétiens sont finalement regroupés sous cette appellation. À la chute de Thart, les chrétiens suivent le dernier imm jusquà Ouargla et trouvent dans cette migration un intérêt commercial: pour avoir fréquenté le sq de Ouargla à Thart, ils connaissent limportance stratégique de cette oasis sur la route du Sn14. Les chrétiens « Mana » de Ouargla nouent certainement de fréquentes relations commerciales avec leurs coreligionnaires de la Qasliya, de Gafsa et du Nafzwa. Tadeusz Lewicki avance que ces chrétiens dépendent certainement de lévêché de Qasliya, « dont il est question au Xe siècle »15.

À larrivée des Arabes au XIe siècle, de nombreux chrétiens fuient les campagnes pour les grosses villes; ils quittent également les villes de l’intérieur du pays pour joindre des ports tels Mahdiyya ou Bougie, ou les oasis du sud16. On conserve deux lettres de Léon IX, datées de 1053, où le pape déplore, en pleine crise arabe, laffaiblissement considérable de lÉglise dAfrique; il ny subsiste que cinq évêques et les deux principaux, celui de Carthage et celui de Mahdiyya, se disputent larchevêché. Les trois autres diocèses évoqués par le pape sont sujets à discussion mais il semble que lon puisse avancer les noms de Tlemcen et de

13 Idris, La vie intellectuelle en Ifrqiya méridionale, pp. 105-106.14 t, s.v. Waraln, analysé par Lewicki, Une communauté chrétienne dans loasis de Ouargla

au Xe siècle.15 Lewicki, Une communauté chrétienne, pp. 89-90, daprès Vonderheyden, La Berbérie orientale, p.

67 (qui ne dit pourtant pas un mot de cet évêché). 16 Cuoq, L’Église d’Afrique du Nord du IIe au XIIe siècle, p. 169.

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Gafsa17. En 1076, le pape Grégoire VII déplore que lon ne trouve plus en Afrique les trois évêques nécessaires à lordination dun nouvel évêque: il ne reste plus que lévêque de Carthage et celui de Bougie, ce dernier ayant été nommé à la demande du souverain ammdide al-Nir ibn Alanns18. Il est donc probable que lévêché de Mahdiyya a disparu et, à plus forte raison, celui de Gafsa. Dans le milieu du XIIe siècle cependant, il est certain quune communauté chrétienne subsiste dans cette ville, puisqual-Idrs constate quon y parle encore le latin ifrqiyen. À la même époque, des chrétiens demeurent peut-être encore à Gabès, que ce géographe nomme « la ville des Afriqa »19. Quant à la Qasliya, une fatw dal-Lam (m. 1085) déclare licite la vente des habous chrétiens au profit des habous musulmans; le q de Tozeur en profite pour vendre des habous chrétiens destinés à lentretien des églises en ruine et en offrir le montant aux musulmans nécessiteux20. Jusquà la fin de lépoque zde, des habous chrétiens de Tozeur sont affectés à lentretien des églises21.

Ibn al-Ar et al-Tin, tous deux daprès Ibn al-addd, rapportent que Abd al-Mumin ne laisse dautre choix aux chrétiens et aux juifs de Tunis que la conversion ou la mort22. À partir de cette simple phrase, les auteurs modernes ont attribué aux Almohades et à leur fanatisme religieux la disparition du christianisme maghrébin23. Leur opinion se trouve renforcée par le fait que Abd al-Wid al-Marrku écrit quà son époque, sous Ab Ysuf Yab al-Manr, juifs et chrétiens ne bénéficient plus du statut de la imma et quil ny a plus dans le Maghreb ni synagogue ni église24. Sans vouloir entrer dans ce débat, on admettra avec Mohamed Talbi qu’il ny a pas de trace effective dun massacre de chrétiens par les Almohades et que la religion juive, bien que moins présente que le christianisme, a continué à prospérer25. Les nombreux documents relatifs à la conquête almohade du Sud tunisien que nous avons étudiés, y compris les lettres officielles décrivant ces événements, ne font pas

17 Voir les documents de Mas-Latrie, Traités de paix et de commerce, pp. 1-5; Talbi, Le christianisme maghrébin, pp. 324-325; De Epalza, Notes de sociologie religieuse médiévale, p. 76.

18 Voir les documents de Mas-Latrie, Traités de paix et de commerce, pp. 6-8; Courtois, Grégoire VII et lAfrique du Nord, p. 108; Talbi, Le christianisme maghrébin, p. 325; Lourido Diz et Teissier, El cristianismo en el norte de frica, p. 42. Les lettres de Grégoire VII concernant le Maghreb sont rassemblées dans Pays dIslam et monde latin, pp. 38-44.

19 Al-Idrs, pp. 104-105/122 et p. 121/141.20 Idris, La vie intellectuelle en Ifrqiya méridionale, p. 105; La Berbérie orientale, p. 610.21 Idris, La Berbérie orientale, p. 608.22 Ibn al-Ar, XI, p. 242; al-Tin, p. 347/265.23 Parmi ceux qui attribuent la fin du christianisme aux Almohades, voir entre autres Idris, La Berbérie

orientale, p. 761; Courtois, Grégoire VII et lAfrique du Nord, p. 121; Brunschvig, La Berbérie orientale, I, p. 5; Chouraqui, Histoire des Juifs en Afrique du Nord, pp. 117-118; Dufourcq, LEspagne catalane et le Maghrib, p. 106; Fisher, The Eastern Maghrib and the Central Sudan, p. 246.

24 Al-Marrku, p. 223.25 Talbi, Le christianisme maghrébin, pp. 328-329.

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une seule fois état datteintes portées à lencontre des chrétiens. Les renseignements les plus abondants concernent pourtant la victoire remportée par Abd al-Mumin lors du siège de Gafsa, dans laquelle vit une communauté organisée. Il est presque certain que celle-ci nest pas plus inquiétée que les autres habitants de la ville. Néanmoins, il est très probable que de nombreux chrétiens accompagnent le rapatriement des Normands vers la Sicile; selon certains historiens, les irréductibles se réfugient dans le Sud tunisien26.

À lépoque almohade, les chrétiens dIfrqiya forment en grande partie, selon lexpression de Charles Courtois, « une église immigrée »: arrivés récemment du monde chrétien, ce sont des marchands, des religieux, des esclaves, des soldats au service des musulmans ou encore des captifs. Les nations chrétiennes comptent alors de nombreux comptoirs maghrébins, possédant la plupart du temps un lieu de culte; il en va ainsi pour Gabès et Djerba27. Notre propos nest pas détudier limplantation de cette église immigrée, ce qui sortirait du cadre chronologique fixé, mais danalyser le sort des communautés chrétiennes autochtones. Nous relevons donc ci-dessous les arguments généralement avancés pour attester de la permanence dun christianisme local dans les oasis après la conquête almohade en examinant, dans la mesure du possible, leur pertinence:

– À la fin du XIIe siècle, on aurait la trace dune présence chrétienne à Nefta28. Cette affirmation est tirée du Kitb al-Istibr, qui signale que les habitants de Nefta sont les descendants des Rm29. Ceci ne prouve en aucun cas que ces habitants sont chrétiens: il peut sagir dune population que lon distingue encore par son aspect physique et certaines de ses coutumes, même si elle est convertie à lislam depuis plusieurs siècles. De même, le fait que le Kitb al-Istibr indique que la famille des Ban Bahll, maîtres dal-mma, descend des Rm30, a pu laisser croire à une survivance du christianisme, alors quil paraît évident que les Ban Bahll sont musulmans. Lauteur de cet ouvrage qui, rappelons-le, témoigne de ce quil a lui-même observé dans le Djérid, naurait pas manqué de signaler si une famille de cette importance était chrétienne31. Outre cela, le Kitb al-Istibr dit clairement plus

26 Cuoq, L’Église d’Afrique du Nord, p. 172; Lourido Diz et Teissier, El cristianismo en el norte de frica, p. 43.

27 Teissier, Histoire des chrétiens dAfrique du Nord, p. 68; Courtois, Grégoire VII et lAfrique du Nord, p. 107; Brunschvig, La Berbérie orientale, I, pp. 430-431. Le XIIIe siècle sillustre par « loffensive apostolique » déclenchée dans le Maghreb par les royaumes de Castille et dAragon, stimulés par les succès de la Reconquista. À ce sujet, voir Talbi, Le christianisme maghrébin, pp. 339-340, et Dufourcq, LEspagne catalane et le Maghrib, pp. 106-110.

28 Cuoq, L’Église d’Afrique du Nord, p. 144; repris par Lewicki, Une communauté chrétienne, p. 89, et par Talbi, Le christianisme maghrébin, p. 338.

29 Kitb al-Istibr, p. 156/80. 30 Kitb al-Istibr, p. 157/80.31 Outre cela, ce témoignage date certainement de la première et non de la seconde moitié du XIIe

siècle.

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haut, et ce à deux reprises, que les Rm qui vivaient dans la Qasliya à larrivée des musulmans se sont convertis à lislam pour conserver leurs biens32.

– Vers 1220, les franciscains et les dominicains venus en Ifrqiya auraient été en relation avec des non-musulmans de la région de Gafsa, des Blancs parlant le berbère; ces gens auraient possédé une cloche et des livres du temps de Byzance, nauraient pris quune femme en mariage et auraient mélangé leur vin à du bouillon pour saccommoder au Coran33. Nous navons malheureusement pas pu vérifier cette source34.

– Ibn al-abb de Tozeur (m. 1282), dans son commentaire de la aqrisiyya, pose la question du statut juridique de Gafsa et de la Qasliya: pour lui, le fait qu’il y subsiste à son époque des emplacements déglises chrétiennes en ruine prouve que la région a été conquise ulan; les musulmans ont construit une mosquée en face de chaque église35.

– Au XIVe siècle, des communautés chrétiennes subsisteraient toujours dans le Nafzwa36. Ibn aldn évoque en effet des muhidn / confédérés dorigine franque qui, à lépoque de la conquête musulmane, se sont établis dans le Nafzwa sous le statut de imm et ont payé la izya; leurs descendants y vivent toujours à son époque. Ailleurs, Ibn aldn précise que leurs ancêtres sont venus de Sardaigne37. Ceci paraît probable, puisque les relations entre la Sardaigne et lIfrqiya étaient fréquentes: la Sardaigne avait fait partie de lÉtat vandale et était rattachée au diocèse dAfrique pendant la période byzantine38. Toutefois, nous nous rangeons à lavis de Jean-Pierre Molénat qui, à la différence de la plupart des historiens contemporains, attire lattention sur lambiguïté que présentent ces extraits et estime que leur traducteur, le baron de Slane, « a forcé le sens de ces deux passages » de façon à faire admettre que des chrétiens vivaient encore à cette époque dans le Nafzwa39. Sil est indéniable que des chrétiens ont longtemps payé la izya dans cette région, les termes employés par Ibn aldn nimpliquent pas nécessairement

32 Kitb al-Istibr, pp. 155-156/77-78.33 Arnoulet, LÉglise mozarabe en Tunisie au XIIIe siècle, p. 250. 34 Nous envisageons cette information avec la plus grande prudence car nous avons constaté à

plusieurs reprises des erreurs dans larticle pourtant bref de François Arnoulet. Il est dailleurs critiqué à juste titre par Molénat, Sur le rôle des Almohades dans la fin du christianisme local, p. 406, note 64.

35 Idris, La vie intellectuelle en Ifrqiya méridionale, p. 105. Ce raisonnement est repris par al-Ti, p. 162/147.

36 Hrbek et El-Fasi dans Histoire générale de lAfrique, III, p. 73; Lewicki, Une communauté chrétienne, p. 89; Cuoq, L’Église d’Afrique du Nord, p. 172, qui ajoute que « ce reste de chrétiens dautrefois (…) provenait sans doute de ces communautés chrétiennes pourchassées par les Almohades triomphants ».

37 Ibn aldn, VI, p. 137/I, p. 231 et VI, p. 529/III, p. 156. 38 Courtois, Grégoire VII et lAfrique du Nord, p. 115, note 2.39 Molénat, Sur le rôle des Almohades dans la fin du christianisme local, p. 407.

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que cette situation a perduré à son époque. Il faut donc prendre cette information avec la plus grande prudence.

– À Tozeur, des communautés chrétiennes auraient subsisté jusquau XVIIIe siècle40. Cette affirmation est manifestement basée sur le seul témoignage du voyageur Mawl Amad, qui traverse le Djérid en 1709. Le voyageur, dont nous ne possédons malheureusement quune traduction de louvrage, dit que « les gens de Touzeur sont un reste des chrétiens qui étaient autrefois en Afrikïa, avant que les musulmans en fissent la conquête; la plupart des habitants du Djerid ont cette même origine, parce que, lorsque les Arabes semparèrent du pays, les vaincus se firent musulmans pour sauver leurs familles et leurs biens »41. Ces paroles sont directement tirées du texte dal-Ti, de même que les longs passages qui précèdent et qui suivent cet extrait; Mawl Amad le précise dailleurs clairement à une occasion42. Outre cela, ce renseignement figure déjà dans le Kitb al-Istibr, ce qui le fait remonter au XIIe siècle43. Nous renvoyons dès lors aux observations que nous avons faites plus haut au sujet du Kitb al-Istibr, qui insiste déjà sur le fait que ces anciennes communautés chrétiennes sont converties à lislam depuis lépoque de la conquête. Lexistence de chrétiens autochtones à Tozeur à une époque aussi tardive, justifiée par une interprétation négligente de Mawl Amad, doit donc être totalement remise en question, si dautres sources, cette fois réellement contemporaines, ne viennent pas étayer cette thèse.

Il est difficile de dater précisément la disparition du christianisme local à Gafsa et dans le Djérid. La pénible période passée dans la crainte des Ban Ġniya a sans doute incité les chrétiens à quitter cette région devenue peu hospitalière et à rejoindre les villes où « léglise immigrée » sétait imposée. Al-Ti, en tout cas, névoque à aucun moment la présence de chrétiens dans ces oasis. Il nous semble que le déclin final du christianisme dans le Djérid est sensiblement contemporain de celui de libisme et doit être placé dans la première moitié du XIIIe siècle. Jusquà cette époque, les deux communautés ont vécu côte à côte: les ibites étaient dans la plupart des cas indulgents vis-à-vis des chrétiens, comme en témoigne la coopération exemplaire qui a régné entre les chrétiens et les Rustumides de Thart. Cette tolérance nest cependant pas valable pour les branches les plus extrêmes du isme; on l’a vu par exemple à loccasion de linsurrection des ufrites dans le Nafzwa. Il semble que certains groupes ibites ont intégré les chrétiens

40 Hrbek et El-Fasi dans Histoire générale de lAfrique, III, p. 73; Courtois, Grégoire VII et lAfrique du Nord, p. 111, note 1; Idris, La Berbérie orientale, p. 761; Lewicki, Une communauté chrétienne, p. 89.

41 Mawl Amad, p. 289.42 Mawl Amad, pp. 288-292, reprenant al-Ti, pp. 157-162/143-147.43 Kitb al-Istibr, pp. 155-156/77-78.

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dans leur communauté, si ces derniers acceptaient de prononcer la profession de foi musulmane en ajoutant après lévocation de Muammad, lenvoyé de Dieu, les mots « (envoyé) aux Arabes, mais pas à nous »44. Al note quun grand savant ibite, mort à la bataille de Mn, avait un esclave chrétien. Un autre savant avait une mère chrétienne et, lorsquil était encore nourrisson, il ne tétait pas sa mère quand elle avait bu du vin45!

Georges Marçais a noté à Sadrta que lart riite des Xe et XIe siècles sinspire directement de lart chrétien de lAfrique préislamique; le décor ressemble à celui des basiliques rurales de lAfrique du Nord et on peut donc en déduire que les Berbères ites ont longtemps gardé des influences chrétiennes46. Le christianisme berbère aurait également pu influencer le isme par la large place accordée aux œuvres par rapport à la foi, ainsi que par les notions de pureté morale et de repentir47. Les oasis du Sud tunisien ont conservé jusquà lépoque contemporaine des réminiscences du christianisme. Au début du XXe siècle, des coutumes byzantines relatives au baptême sont encore appliquées lors des cérémonies de circoncision dans la Qasliya48. Lactuel chef-lieu du Nafzwa, Kébili, porte encore un nom chrétien, issu du latin capella / chapelle49.

Les arguments ne manquent pas pour expliquer lextinction du christianisme nord-africain: on en appelle aux divisions internes du christianisme et à la fuite progressive des élites au cours des nombreux exodes qui ont suivi notamment le pillage de Kairouan par les Ban Hill et larrivée des Almohades50. La plupart des historiens contemporains expliquent la disparition du christianisme maghrébin par labsence dun clergé organisé et la méconnaissance progressive de la liturgie. Labsence dépiscopat ne permet pas aux chrétiens de se maintenir comme tels: lindispensable sacrement du baptême ne peut avoir lieu quavec la consécration de lévêque. Les chrétiens doivent donc devenir musulmans pour conserver un statut dans la société51. Charles-Emmanuel Dufourcq propose une explication séduisante de la disparition du christianisme nord-africain: il fait le lien entre la voie du secret / kitmn quont dû adopter la plupart des ibites pour subsister et la discrétion à laquelle ont été également contraints les chrétiens depuis lapparition de lislam. Il suppose quau contact des ibites, les chrétiens ont pris lhabitude de

44 Dufourcq, La coexistence des chrétiens et des musulmans, p. 216. Shinar, Réflexions sur la symbiose judéo-ibite en Afrique du Nord, p. 85, applique également cette formule aux juifs. À propos de linfluence chrétienne sur les ibites, voir Savage, A Gateway to Hell, pp. 101-103.

45 Al, p. 154 et p. 175.46 G. Marçais, Art chrétien dAfrique et art berbère, pp. 136-138.47 Dufourcq, La coexistence des chrétiens et des musulmans, p. 218.48 Asn, En torno a las orgenes de Castilla, p. 370.49 Lewicki, Une langue romane oubliée, pp. 460-461.50 Talbi, Le christianisme maghrébin, p. 330.51 De Epalza, Notes de sociologie religieuse médiévale, p. 71 et p. 74.

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dissimuler leurs croyances et quainsi le christianisme « aurait disparu à la longue, enseveli dans son secret »52. Nous adoptons cette idée pour les oasis du Sud tunisien, dans lesquelles les communautés ibites et chrétiennes séteignent à une époque sensiblement identique. Néanmoins, la majorité des chrétiens des oasis ont sans doute gagné Gabès ou dautres ports, dans lesquels linstallation des comptoirs de « léglise immigrée » leur assure protection et encadrement religieux.

2. LES JUIFS

Les juifs vivaient déjà dans le Sud tunisien à lépoque à laquelle débute cette étude; ils y demeurent bien après sa conclusion. Pendant cette période, leur histoire na pas présenté de faits aussi marquants que celle des chrétiens qui, eux, ont tout simplement disparu. Les juifs se sont surtout distingués par leurs qualités commerciales, proches de celles des ibites, qui seront évoquées plus loin. Nous dirons simplement ici quelques mots au sujet des communautés de Gabès et de Djerba, et de lorigine de ces populations dans la région.

Les premiers Hébreux se sont peut-être installés dans le Maghreb dès la fondation de Carthage, suivant lexpansion des marchands phéniciens53. Les juifs auraient gagné Djerba après la destruction du premier Temple par les Babyloniens en 587 avant J.-C. et auraient fondé al-ra l-kabra, le grand quartier. En lan 70, après la destruction du second Temple par les Romains, des prêtres venus de Jérusalem auraient transporté à Djerba une des portes du Temple de Salomon, qui se trouverait encore dans la synagogue de la Ġarba / Ghriba, lextraordinaire ou lisolée, située au centre de lîle dans le petit quartier, al-ra laġra. On dit aussi que la Ghriba, qui est réputée pour être la plus ancienne synagogue construite par la diaspora juive, serait bâtie sur une pierre provenant du Temple54. Ces traditions, souvent contradictoires, en ont fait jusquà nos jours un lieu de pèlerinage important pour les juifs. À la suite de la prise de Jérusalem par les Romains, de nombreux juifs fuient la Palestine; malgré leur haine des Romains, ils sinstallent principalement en Cyrénaïque, quand ils ne gagnent pas Djerba. Moins dun demi-siècle plus tard sous Trajan, de graves affrontements opposent les communautés grecque et juive de Cyrénaïque: gravement réprimés, les juifs tentent de se réfugier dans des régions moins surveillées par les Romains. Cest à cette époque quils sinstallent dans des

52 Dufourcq, La coexistence des chrétiens et des musulmans, p. 220.53 Camps, Réflexions sur lorigine des Juifs, pp. 59-60; Sebag, Histoire des Juifs de Tunisie, pp.

7-16. 54 The Universal Jewish Encyclopedia, s.v. Djerba; Udovitch et Valensi, Être Juif à Djerba, p. 213;

Tolédano, Les juifs maghrébins, p. 123.

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régions montagneuses ou dans les oasis bordant le nord du Sahara55. La Tozeur romaine compte déjà une concentration de juifs56. Gafsa accueille depuis des temps très reculés une communauté juive, qui est en relation avec les autres communautés de Djerba, de Gabès, du Sf et du Maroc57. Pendant loccupation byzantine, qui aurait été intolérante vis-à-vis des juifs, certains dentre eux ont peut-être migré vers les oasis58.

Les juifs du Djérid et de Djerba ne sont manifestement jamais mentionnés dans les sources arabes. Seuls les juifs de Gabès apparaissent dans le témoignage dIbn awqal. Au Xe siècle et dans la première moitié du XIe siècle, Kairouan est un centre brillant de la vie juive59. Après le pillage de la ville par les Ban Hill, les juifs de Kairouan gagnent notamment Gabès. La communauté de Gabès est la mieux connue, grâce aux nombreux documents retrouvés dans la Geniza du Caire. Vivant en partie du commerce de la soie, elle est assez riche pour financer le fonctionnement de ses institutions: la ville est au XIe siècle un important centre détudes, demeurant en contact étroit avec les académies de Babylone60. Malgré sa prospérité, cette communauté connaît des moments difficiles: la famine des années 1018-1019, par exemple, est particulièrement mal vécue par les juifs de Gabès, qui lévoquent dans une lettre adressée à leurs coreligionnaires égyptiens61.

Comme cétait le cas pour les chrétiens, la conquête almohade est considérée comme un tournant dans lhistoire des juifs de lAfrique du Nord: Abd al-Mumin aurait dit que Muammad avait permis aux juifs de pratiquer librement leur religion pour une période de cinq cents ans; à lissue de ce délai, si le Messie ne sétait pas manifesté, ils devaient se convertir62. Robert Brunschvig soutient que Abd al-Mumin « a fait subir à la plupart des communautés juives les pires persécutions »63. Si le terme « persécution » paraît exagéré, il semble que de nombreux juifs ont effectivement préféré dissimuler momentanément leurs croyances. Maïmonide (m. 1204) a sans doute contribué à multiplier les simulations de conversion chez les juifs, en défendant les apostats et en conseillant à ses coreligionnaires de sincliner face aux musulmans, mais de garder leur foi dans leur cœur et de tenter de sexiler64. Abd al-Wid al-Marrku insiste sur les distinctions vestimentaires imposées par les

55 Sebag, Histoire des Juifs de Tunisie, p. 24.56 Monceaux, Les colonies juives de lAfrique romaine, p. 24. 57 Cornet, Les juifs de Gafsa, p. 277. 58 Sebag, Histoire des Juifs de Tunisie, p. 34.59 Voir ibid., pp. 51-56.60 Ibid., p. 47; Hirschberg, A History of the Jews, I, pp. 341-344. Voir à ce sujet Ben-Sasson, The

Jewish Community of Gabes in the 11th Century.61 Hirschberg, A History of the Jews, I, pp. 112-114.62 Sebag, Histoire des Juifs de Tunisie, p. 65.63 Brunschvig, La Berbérie orientale, I, p. 5.64 Sebag, Histoire des Juifs de Tunisie, p. 66; Hirschberg, A History of the Jews, I, p. 137.

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différents califes almohades aux juifs65. Nous ne savons pas si cette réglementation a été appliquée dans le Sud tunisien. La seule référence explicite concernant la région se trouve dans un supplément tardif à lélégie hébraïque dAbraham ibn Ezr, datée de 1140, qui énumère les villes andalouses et marocaines dans lesquelles les juifs ont été forcés de se convertir. Ce texte a été complété plus tard par un poète anonyme, qui ajoute aux communautés brimées celles de Gabès, Djerba, Gafsa et al-mma. Un autre complément mentionne également la localité de , que les historiens contemporains ne peuvent localiser; il pourrait sagir de urra du Nafzwa66. Les persécutions qui se seraient déroulées dans ces villes semblent sêtre limitées, si elles ont eu réellement lieu, à imposer lourdement les juifs ou à les contraindre à lexil67.

La communauté juive de Djerba est évoquée dans un texte de Maïmonide, qui traverse lIfrqiya vers 1165, alors quil fuit le Maroc almohade pour se réfugier en Égypte68. Dans une lettre destinée à son fils, cet intellectuel déplore le faible niveau culturel des juifs vivant entre Tunis et Alexandrie, ainsi quà Djerba. Bien que ces gens soient fortement croyants, il les estime stupides et critique la cruauté dont ils font preuve à légard des femmes impures. Robert Brunschvig met en doute lauthenticité de cette lettre de Maïmonide69. Il apparaît cependant que les juifs de lIfrqiya avaient apparemment de piètres connaissances religieuses à larrivée des Almohades et que, sils se sont relevés de cette épreuve, ils ont connu dès cette époque un profond déclin culturel70. Ainsi, pour les XIIIe et XIVe siècles, il n’y a aucune mention de rabbins pour Djerba et il semble que la population insulaire juive est devenue pauvre et inculte71.

À lavènement des ides, les juifs peuvent rouvrir leurs synagogues et reprendre une existence sereine en Ifrqiya; en 1239, les juifs de Djerba envoient une colonie à Palerme, celle-ci étant chargée par Frédéric II de Hohenstaufen de cultiver le henné et lindigo, qui y étaient précédemment importés72. Sous les ides, des

65 Al-Marrku, p. 223; al-Zarka, p. 16. Ibn Ab Dnr, p. 135, signale quen 648/1250-1251, les juifs dIfrqiya sont forcés de porter une marque distinctive, la ikla, et subissent dautres avilissements.

66 Brunschvig, La Berbérie orientale, I, p. 397; Idris, La Berbérie orientale, p. 764, note 427; Chouraqui, Histoire des Juifs en Afrique du Nord, pp. 119-120; Hirschberg, A History of the Jews, I, pp. 133-134.

67 Hirschberg, A History of the Jews, I, p. 134.68 Chouraqui, Histoire des Juifs en Afrique du Nord, p. 122; Hirschberg, A History of the Jews, I, p.

165; voir supra. 69 Brunschvig, La Berbérie orientale, I, p. 398.70 Sebag, Histoire des Juifs de Tunisie, pp. 73-74.71 Chouraqui, Histoire des Juifs en Afrique du Nord, p. 122.72 Brunschvig, La Berbérie orientale, I, p. 398; Hirschberg, A History of the Jews, I, p. 374.

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communautés juives habitent certainement encore le abal Mama, le Nafzwa et le Djérid73.

La communauté juive, bien que fort amoindrie, a persisté jusquà nos jours à Djerba, aux côtés de la population ibite74. Les ibites se sont généralement montrés tolérants à légard des juifs et ont vécu avec eux en bonne harmonie75. Al raconte par exemple que des juifs ont rassemblé quarante dr-s pour les offrir au kim du abal Nafsa, Ab Yay Zakariyy al-Ir, à loccasion de la naissance de son fils76. Cependant, les relations entre les deux communautés ont parfois été difficiles; on se rappelle qual- conseillait aux ibites de ne pas saluer les imm-s et déviter de partager leur repas77.

73 Brunschvig, La Berbérie orientale, I, p. 400.74 Sur les juifs du Sud tunisien dans la seconde moitié du XXe siècle, voir sur Djerba, Udovitch et

Valensi, Être Juif à Djerba, et Chouraqui, Histoire des Juifs en Afrique du Nord, pp. 158-159; Cornet, Les juifs de Gafsa, et Saada, Études sur le parler arabe de Tozeur, pp. 107-127, pour le Djérid.

75 Shinar, Réflexions sur la symbiose judéo-ibite, p. 85. Voir cependant, pp. 92-93, la triste condition réservée au juifs du Mzab à la fin du XIXe siècle.

76 Al, p. 171.77 Cuperly, Introduction à l’étude de l’ibisme, p. 144.

SECONDE PARTIE: LE COMMERCE

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INTRODUCTION

Létude approfondie de tous les aspects du commerce du Sud tunisien représenterait à elle seule lobjet de plusieurs volumes. Le commerce maritime de Gabès et de Djerba, particulièrement, demanderait dénormes recherches et réclamerait le dépouillement des sources chrétiennes ainsi que létude détaillée des nombreuses informations que contiennent les documents de la Geniza du Caire. Puisque les sources ibites ny font pas allusion et que les renseignements fournis par les géographes médiévaux ne sont pas suffisants pour dresser un tableau convaincant de ce commerce maritime, il ne sera pas évoqué ici.

Les historiens ibites fournissent de nombreux renseignements qui se rapportent dune part au développement des routes transsahariennes à lépoque rustumide et, dautre part, aux voyages de pieux ibites vers le Sn. Les biographies dans lesquelles figurent ces voyages sont, dans leur grande majorité, celles de négociants vivant pendant le Xe siècle et la première moitié du XIe siècle. À cette époque, libisme triomphe dans le Djérid et y demeure la doctrine la plus répandue, au moins jusquau massacre de Qalat Ban Darn en 440/1048-1049. Cest donc cette période, pour laquelle nous pouvons apporter quelques informations inédites, qui sera abordée. Le commerce transsaharien ayant été maintes fois étudié, nous nallons nous intéresser ici quaux seuls éléments qui concernent directement le Sud tunisien, par un fait notifié dans les sources sunnites ou ibites. Ainsi il sera fait mention de la ville de Ġiyr, dans laquelle sinstalle un commerçant originaire du Djérid, mais pas de Kġa, pour laquelle nous navons aucune information supplémentaire. De même, dans la présentation des itinéraires qui mènent au Sn, nous nous concentrerons sur les tronçons proches du Djérid. De ce fait, par exemple, seules les principales étapes de la voie Siilmsa – Awdaġust seront rappelées, afin de ne pas répéter inutilement les conclusions apportées par les spécialistes de lAfrique occidentale1. Le lecteur trouvera dans leurs ouvrages de nombreuses informations relatives à lorganisation des caravanes, qui ne seront pas reprises ici. Nous ne dirons que quelques mots du commerce transsaharien libyen, qui a été étudié de façon détaillée par Jacques Thiry2. En effet, si les commerçants du Djérid ont profité de ce commerce en constituant un débouché pour les esclaves et les

1 Voir entre autres les travaux de Mauny, Tableau géographique; Cuoq, Recueil des sources arabes; Lewicki, Études maghrébines et soudanaises, vol. I-II. Voir également Histoire générale de lAfrique, vol. III et IV; C.H.A., vol. II et III.

2 Sur ces itinéraires, Thiry, Le Sahara libyen, pp. 433-448.

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autres marchandises, ils nont manifestement pas emprunté eux-mêmes ces routes et nont pas choisi de sinstaller définitivement dans les places commerciales qui les jalonnaient, comme ils lont fréquemment fait à Awdaġust ou à Tdimakka. Il sera donc essentiellement question ici de la voie transsaharienne centrale par Tdimakka et de la voie occidentale par Awdaġust.

Nous présenterons tout dabord un vaste tableau des productions du Sud tunisien, suivi par la description des routes qui lient Tozeur aux importants marchés du Maghreb et du Sn. Nous évoquerons ensuite la mise en place du réseau commercial ibite à lépoque rustumide et son évolution dans le Sud tunisien. Un chapitre sera consacré à létude des deux voies transsahariennes centrale et occidentale, à la lumière des biographies ibites, afin de tenter de déterminer quels avantages ont trouvés les commerçants du Djérid à emprunter lune et lautre de ces routes. Les sources ibites apportent plusieurs informations relatives à la conversion de populations du Sn par les pieux marchands, chez lesquels le prosélytisme paraît intrinsèquement lié au commerce. Cette question sera lobjet du dernier chapitre.

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I. LES RICHESSES DU SUD TUNISIEN

1. DJERBA

Les géographes précédemment étudiés ne donnent presque pas dinformations sur les ressources de lîle. Al-Bakr, qui est le premier à les évoquer, indique que Djerba est toute couverte de jardins et d’oliviers et ajoute quelle est très riche en or1. Cette précision est étonnante et il est probable qual-Bakr fait ici allusion à de lor - sans doute dorigine snaise - qui se trouvait sur lîle plutôt quà des gisements locaux. Deux autres mentions concernent lor à Djerba: dune part, dans la seconde moitié du XIIe siècle (1184-1199), Ab Yay Zakariyy ibn li al-rsan, venant de Siilmsa, arrive à Ouargla avec un groupe qui transporte 250.000 miql-s dor snais, et qui repart en direction du Nafzwa et enfin de Djerba2. Lautre mention est celle dun marchand vénitien du XVe siècle qui ordonne au capitaine d’un de ses navires de se rendre à Djerba et dy acheter le plus dor possible3.

Al-Idr ne donne pas de renseignements économiques sur Djerba mais signale que bien que très petite, lîle de Z possède des palmeraies et des vignes4. Les vignes sont mentionnées plus tard à Djerba et il apparaît quon en utilise surtout les fruits pour produire des raisins secs. Outre le fruit consommé frais ou séché, le raisin sert également à faire du vinaigre et est utilisé en pharmacie; les raisins secs, dont la valeur nutritive est élevée, sont administrés contre les douleurs intestinales5. Après la fermentation du jus de raisin, la lie sert dengrais6. De nombreuses traditions contradictoires concernent le problème du vin et les représentants des différentes écoles musulmanes s’opposent sur les boissons défendues ou autorisées par l’islam. Néanmoins, même s’il s’agit simplement du fruit pressé, le jus serait considéré comme du vin dont le Prophète a réprouvé la consommation7. Les ibites condamnent sévèrement les buveurs de vin et alamm donne plusieurs exemples

1 Al-Bakr, p. 19/44 et p. 85/172. 2 Al-Darğīnī, p. 502. 3 Doumerc, Les relations commerciales entre Djerba et la République de Venise, p. 46.4 Al-Idr, p. 128/152.5 Ibn Buln, pp. 76-77/156-157. Lhote, Les Touaregs du Hoggar, p. 364, affirme que les Touareg

apportent toujours au XXe siècle des raisins secs dans le Sn, où ils sont très appréciés comme médicament. Louis, Nomades, p. 192, fait part dune utilisation inattendue des raisins secs: les nomades sen servent pour ôter les grains de sable coincés dans les yeux: on retire les pépins du raisin sec, on le ramollit et on le place sur lœil irrité entre les cils. Au bout dun quart dheure, le grain de sable est incorporé au raisin!

6 Bolens et Cahen, E.I., s.v. Karm; Miquel, La géographie humaine, III, pp. 459-460.7 Wensinck, E.I., s.v. Khamr. Sur la consommation du vin en Ifrqiya, Idris, La Berbérie orientale,

pp. 590-591; Brunschvig, La Berbérie orientale, II, pp. 274-275.

336

de la colère de ses coreligionnaires face à des réunions de buveurs. On voit ainsi un pieux ibite rendre visite à des gens chez lesquels il sent lodeur du vin; découvrant des jarres pleines de cette boisson, il les brise puis sen va8. Au XIe siècle, un kim du abal Nafsa, Maymn ibn Muammad, apprenant quune réunion de buveurs de vin a lieu à six milles de ars, se précipite sur les lieux, brise les récipients contenant le vin et répand ce dernier sur le sol9. On sait que certains juifs cultivent la vigne, le vin nétant pas frappé dinterdit par le judaïsme10. Il est probable que leur importante communauté produit une grande partie du vin à Djerba et le vend secrètement aux ibites peu scrupuleux évoqués ci-dessus.

Les renseignements sur les richesses de lîle sont moins rares à partir de la seconde moitié du XIIIe siècle. Pour Ibn Sad, Djerba est connue pour son huile, ses raisins secs, ses dattes fraîches / ruab11, ses pommes et ses beaux vêtements12. Al-Abdar dit quelle exporte ses olives renommées vers dautres pays et que, comme la ġba dIfrqiya - cest-à-dire le Sil - est ruinée à cause des dévastations des Arabes, lhuile dolive est importée en Ifrqiya depuis Djerba13. Al-Ti voit à Djerba de nombreux figuiers et pommiers. Selon lui, le pommier abondait jadis sur lîle, mais il sest raréfié parce que les chrétiens donnaient les pommes en présent à leurs rois et à leurs dignitaires sans dédommager leurs propriétaires, qui ont dès lors abattu la plupart des pommiers pour replanter des arbres dont ils pouvaient tirer un plus grand bénéfice14. Le souvenir de la qualité des pommes de Djerba sest conservé jusquau XXe siècle15. Quant au figuier, on en apprécie le fruit, sec ou frais, tant pour ses qualités gustatives que pour ses propriétés laxatives et stimulantes. La figue est administrée comme fortifiant, notamment aux convalescents16. On utilise les figues sèches en grande quantité pour teindre la laine avec de lindigo; elles peuvent

8 Alamm, p. 187.9 Alamm, p. 214.10 Sebag, Histoire des Juifs de Tunisie, p. 49.11 Ruab est le collectif désignant des dattes mûres et fraîches, rapidement consommées après la

cueillette. Sur ce terme, Kazimirski, s.v.; Saada, Études sur le parler arabe de Tozeur, p. 92; Rodinson, Recherches sur les documents arabes, pp. 147-148. Les habitants du Nafzwa consomment toujours ces dattes « rob », molles et humides, à la pulpe onctueuse et dont la peau senlève facilement. Les nomades, eux, préfèrent les dattes sèches. Bédoucha, « Leau, lamie du puissant », p. 108.

12 Ibn Sad, p. 79; Ab l-Fid, p. 193/273.13 Al-Abdar, pp. 162-163. Sur la fabrication de lhuile dolive, Idris, La Berbérie orientale, p. 628;

Brunschvig, La Berbérie orientale, II, pp. 214-215.14 Al-Ti, pp. 122/114-115. Les feuilles de pommier étaient utilisées en combinaison avec le henné

pour teindre la laine en orangé. Coustillac, Note sur la teinture végétale dans le Sud tunisien, pp. 360-361.

15 Un des chants de Takrna évoque les pommes de Djerba, auxquelles on compare les jeunes mariées. Le rapprochement entre les pommes et les épousées est fréquent, tant dans les chansons populaires arabes que dans la poésie berbère. W. Marçais et Guîga, Textes arabes de Takroûna, I, p. 389 et pp. 406-407.

16 Sijelmassi, Les plantes médicinales du Maroc, p. 118.

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cependant être remplacées par des dattes17. Pour les paysans, la figue a la baraka et elle fait parfois partie du cérémonial des noces berbères, car elle symbolise la fécondité18.

Djerba produit les plus belles laines de la région, qui nont pas leur pareil quand elles sont tissées19. Cet élevage insulaire présente deux avantages majeurs pour les gardiens de troupeaux: les animaux ne peuvent fuir hors de lîle et les vols sont beaucoup plus rares que sur le continent. Selon al-Ti, lancienne ville de Djerba renferme un gros arbre, le jujubier / sidr, quon appelle al-sidr al-mi parce quil abonde en Égypte. Son fruit est plus gros et plus parfumé que dans le nord de la Tunisie et son goût est peu sucré; on le trouve également en grande quantité à Tozeur et dans la région qui lentoure20. Ce jujubier sauvage, Zyziphus lotus, est un arbrisseau muni dépines, portant un fruit comestible qui serait le lotus des Lotophages21. Les fruits du genre jujube ont une grande valeur nutritive; ils ont un seul pépin foncé qui est concassé et mangé avec la chair. Les utilisations du jujubier sont multiples: les fruits, dabord concassés entre des pierres, sont consommés crus ou cuits à leau, au lait ou au petit lait sous forme de pâte. Le bois dur du sidr sert à la fabrication dustensiles tels que des louches et est utilisé pour les charpentes. La pâte formée de feuilles écrasées nettoie le corps, les cheveux et le cuir chevelu; elle soigne également les enflures, les inflammations, les plaies et le mal de tête22. On fait des décoctions de feuilles ou de bois de sidr pour se laver la tête et traiter les desquamations23. Les branches de jujubier sont toujours utilisées à notre époque, comme protection: dans le Ss, les habitants mettent les piquants du jujubier à profit pour constituer de grosses haies, qui entourent maisons et villages ou couronnent les murs, car ces arbrisseaux constituent un obstacle infranchissable24. Les nomades du Sud tunisien utilisent le même procédé et entourent leur tente de branchages de jujubier, afin de la protéger contre le vent et les jeunes animaux25.

Al-Wa dit que Djerba est une île qui produit beaucoup de fruits, notamment des pommes, dont le parfum sétend jusquà plusieurs parasanges26. Ibn aldn

17 Coustillac, Note sur la teinture, p. 357 et p. 361.18 Chebel, Dictionnaire des symboles musulmans, pp. 169-170.19 Al-Ti, pp. 122/114-115. Stablo, Les Djerbiens, p. 91, précise que les commerçants djerbiens en

tissus sont surtout de rite wahbite. Sur lélevage insulaire, Lombard, Les textiles, pp. 30-31.20 Al-Ti, p. 127/123. Brunschvig, La Berbérie orientale, II, p. 221, affirme quil sagit de variétés

sauvages et que le jujubier est surtout cultivé dans la plaine de Bône, nommée de ce fait « ville des jujubiers ». Le jujubier est cité dans le Coran, XXXIV, 15 et LVI, 27.

21 Rachet, Rome et les Berbères, p. 40; Brunschvig, La Berbérie orientale, II, p. 221; Dozy, Supplément, s.v. sidr. Voir aussi Louis, Nomades, p. 134, et Duveyrier, Les Touareg du Nord, p. 175.

22 Kruk, E.I., s.v. Sidr.23 Al-Suy, p. 112.24 Jacques-Meunié, Le Maroc saharien des origines à 1670, I, p. 103. 25 Louis, Nomades, p. 169.26 Al-Wa, trad. Fagnan dans Extraits inédits, p. 44; al-Dima, p. 234/330.

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évoque les figues et le raisin et insiste également sur la culture des pommes; lîle exporte des étoffes de laine, des tissus à motifs pour envelopper le corps et des tissus unis servant dhabits, car les habitants dautres régions les recherchent27. Abd al-Bsi ibn all voit en 1463 une terre fertile, plantée de vignes et doliviers, parcourue par de nombreux troupeaux de moutons; les commerçants qui laccompagnent dans son périple y font un gros chargement dhuile et de divers tissus28. Jean-Léon lAfricain ajoute que de nombreux Arabes viennent depuis le continent au marché hebdomadaire de Djerba, pour y vendre de grosses quantités de laine; outre les étoffes de laine quils vendent à Tunis et à Alexandrie, les Djerbiens exportent également des raisins secs29.

Il est frappant de remarquer quaucune des sources évoquées ici ne fait allusion aux produits de la mer. Il convient à notre avis den ajouter trois, qui auraient pu contribuer à la richesse de Djerba pendant le moyen âge. En premier lieu, le commerce florissant des éponges, qui est signalé à lépoque romaine, a sans doute prospéré jusquau début du XVIIIe siècle, où il est à nouveau mentionné30. En second lieu, il est probable que la laine de la mer / f al-bar, faisait lobjet dun commerce à Djerba. Ce textile était produit à partir du byssus, un faisceau de filaments qui permet à un grand mollusque, la pinne marine, de se fixer sur les rochers. Ces filaments, de couleurs variées, étaient filés comme de la soie et absorbaient particulièrement bien les colorants. Ce mollusque était surtout présent dans la région de Sfax et de Djerba31. Al-Ti le signale à Sfax et indique quil sert à fabriquer de précieux vêtements destinés aux princes / mulkiyya32. Al-Muqaddas note que lexportation de ces tissus est interdite par les autorités mais quon la pratique quand même clandestinement33. En dernier lieu, lindustrie de la pourpre, tirée du coquillage nommé murex, était à lépoque romaine lune des richesses de Djerba, où lon colorait les tissus impériaux34. La Tufat al-mul mentionne que la pourpre, dun travail très solide, fait partie des exportations de lIfrqiya35. On voit

27 Ibn aldn, VI, pp. 474-475/III, p. 63.28 Abd al-Bsi ibn all, pp. 36/95-96.29 Jean-Léon lAfricain, p. 400.30 Lebrun, Un voyageur français à Jerba en 1708, p. 120.31 Sur le byssus, Lombard, Les textiles, pp. 113-114; Brunschvig, La Berbérie orientale, II, p. 229 et p.

232; Goitein, The Main Industries of the Mediterranean Area, p. 180; Picard, Locéan Atlantique, p. 375.

32 Al-Ti, p. 68/72. Al-Iar, p. 42, le signale au Portugal. Voir aussi Ibn Sad, trad. Gaudefroy-Demombynes dans sa trad. dal-Umar, p. 126, note 1.

33 Al-Muqaddas, pp. 52-53 (éd. trad. Pellat).34 Sur lindustrie de la pourpre à Djerba, Tmarzizet, Djerba, pp. 110-111.35 Tufat al-mul, trad. Fagnan dans Extraits inédits, p. 155. La Tufat al-mul est un ouvrage

géographique dAmad ibn Al Maall daté de 981. Fagnan appelle également cet auteur Ibn Zenbel.

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également, dans une fatw dal-Mzar (m. 536/1141), un commerçant aller vendre de la pourpre à Tozeur36.

2. GABÈS

Les informations sont bien plus nombreuses sur Gabès que sur Djerba. Al-Ya, déjà, affirme que la prospère Gabès regorge d’arbres, de fruits et de sources intarissables37. La description dIbn awqal insiste sur le florissant commerce et la prospérité de la ville. Il faut dire que lauteur vante tout spécialement les mérites des pays côtiers soumis à l’autorité des Fimides, comme Gabès et surtout Tripoli38. Sa description est très élogieuse: les arbres sont chargés de fruits, qui sont bon marché. Les Berbères y possèdent des champs cultivés et des propriétés dont léquivalent ne se voit pas chez leurs voisins, des oliviers, de l’huile et de bonnes récoltes39. Des marchés se tiennent dans le faubourg de la ville. De nombreux troupeaux sont en train de paître; la plupart du temps la terre y est féconde. La ville senrichit grâce aux nombreux impôts perçus et à la vente des fruits quelle produit en abondance: Gabès approvisionne entièrement la ville de Sfax en fruits40. On retrouve donc ici la prospérité agricole que vantait déjà al-Ya.

Ibn awqal observe que les peaux sont tannées dans cette ville avec le qara, le fruit de lacacia41, puis sont répandues dans la plus grande partie du Maghreb. Il précise que ce cuir offre un parfum délicat et un toucher agréable qui le rendent comparable au cuir de ura, une ville du Yémen connue pour la qualité de son cuir42. Il est probable que les tanneries évoquées par Ibn awqal se trouvent dans les faubourgs de Gabès. En effet, les ateliers de tannerie ou de teinturerie sont la plupart du temps rassemblés à lécart des villes, pour éviter leurs nuisances aux habitants. En Ifrqiya, les peaux sont travaillées dans de grandes jarres et non dans des fosses, comme cest encore le cas au Maroc. Elles sont traitées avec de la chaux, de leau salée puis avec la décoction de lécorce tannante, qui est ici le qara43. Au

36 Idris, La Berbérie orientale, p. 676.37 Al-Ya, Kitāb al-Buldān, pp. 346-347/208.38 Miquel, La géographie humaine, IV, p. 266. Sur son rôle éventuel despion fimide, voir Garcin,

Ibn Hawqal. Sur Gabès, Ibn awqal, pp. 70/66-67.39 Ġallt désigne des récoltes de céréales ou de légumes. Kazimirski, s.v. ġalla.40 Ibn awqal, p. 71/67.41 À lépoque du Prophète déjà, un de ses compagnons faisait le commerce du qara, quAb mid

al-Ġarn signale en Égypte. Beg, E.I., Suppl., s.v. Dabbgh; Ab mid al-Ġarn, Tufat al-albb, p. 111.

42 Le Yémen est spécialisé dans la fabrication et la tannerie du cuir, qui prennent un essor particulier sous la domination persane. Les cuirs du Yémen et ses reliures jouissent alors dun grand renom, dont bénéficie la ville industrielle de ura. Grohmann, E.I.1, s.v. Yaman.

43 Brunschvig, La Berbérie orientale, II, p. 203 et p. 215.

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Proche-Orient, les étapes du tannage font lobjet dune réglementation contrôlée par le mutasib, qui vérifie entre autres que les tanneurs utilisent bien le qara et non la noix de galle44; le cuir de Gabès est donc tanné dans les règles de lart. Comme celui de ventouseur ou de tisserand, le métier de tanneur est discrédité par la pensée musulmane: le mépris va jusquà compromettre le mariage dun de ces artisans avec la fille dun commerçant mieux considéré par lislam. Lécole mlikite traite particulièrement durement les quelques professions dénigrées et met dans certains cas en doute la capacité de ces artisans à témoigner45. Le tannage est une activité prisée par les juifs depuis lépoque préislamique; on peut supposer quà Gabès, qui compte une importante communauté juive, nombre dentre eux l’exercent46. Ibn awqal affirme quon travaille la soie en quantité abondante à Gabès: à nouveau, ce métier est sans doute en grande partie réservé aux juifs, qui entretiennent dans le commerce des soieries de nombreux contacts avec létranger47. Si les documents de la Geniza indiquent que lIfrqiya exporte beaucoup de soie au XIe siècle, on ny trouve aucune mention de la soie de Gabès. Les florissantes industries textiles de lIfrqiya traitent sans doute essentiellement la soie venue dEspagne ou de Sicile48. La soie est travaillée avec les mêmes métiers que ceux utilisés pour la laine ou le lin; une fois la soie tissée et teinte, on la lustre soit au moyen damidon, soit avec une gomme provenant de lacacia gummifera, très répandu dans la région entre Sfax et Gafsa, dans le sud du Maroc et à Awdaġust, qui en fait grand commerce49. Ibn awqal signale à Gabès de nombreux métiers à filer la laine. Il paraît quau XIe siècle, la laine na que peu dimportance dans le commerce doutre-mer, à linverse des peaux, qui constituent lune des principales exportations de lIfrqiya vers lOrient50.

Al-Muqaddas signale que les palmiers, le raisin et les pommes abondent à Gabès51. Al-Bakr confirme que cest cette ville qui approvisionne Kairouan en diverses variétés de fruits, et précise que les bananes y abondent52. Il ajoute quen

44 Beg, E.I., Suppl., s.v. Dabbgh. 45 Brunschvig, Métiers vils en Islam, pp. 160-162. Il semble que les tanneurs eux-mêmes se sentent

particulièrement visés par les djinns, très attirés par leau, les ordures et la pourriture; à Rabat, les ouvriers qui arrivent à la tannerie le matin font beaucoup de bruit pour les chasser. Brunot, Vocabulaire de la tannerie indigène, p. 87.

46 Beg, E.I., Suppl., s.v. Dabbgh; Fattal, Le statut légal des non-musulmans, pp. 157-158. Le Talmud interdit cependant aux tanneurs daccéder à la royauté ou au grand pontificat. Brunschvig, Métiers vils, p. 152. Au début du XXe siècle à Gafsa, les juifs exercent toujours, en bien plus grand nombre que les musulmans, les métiers de tanneur et de teinturier. Cornet, Les juifs de Gafsa, p. 284.

47 Sebag, Histoire des Juifs de Tunisie, p. 47; Hirschberg, A History of the Jews, I, pp. 269-270.48 Goitein, A Mediterranean Society, I, p. 102; The Main Industries, p. 17449 Lombard, Les textiles, p. 150 et p. 231. 50 Goitein, La Tunisie du XIe siècle, p. 572.51 Al-Muqaddas, pp. 12-13 (éd. trad. Pellat); p. 224 (éd. de Goeje).52 Sur Gabès, al-Bakr, pp. 17-18/41-43. Ibn Buln, pp. 76-77/154-155, signale que la banane est

aphrodisiaque; cest le fruit qui rassasie le plus mais qui a la plus faible valeur nutritive.

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mettant bout à bout tous les vergers de Gabès, on obtient une longueur de quatre milles, où les arbres sont continuellement arrosés. On y cultive aussi beaucoup de canne à sucre: al-Bakr est le premier auteur à évoquer cette culture dans le Sud tunisien. Venue dInde, elle est lune des principales cultures en extension dans les pays méditerranéens depuis la conquête arabe. On la signale en Égypte au milieu du VIIIe siècle, doù elle sétend progressivement vers lAfrique du Nord. Elle nest pas connue en Espagne avant le XIe siècle53. La canne à sucre, qui nécessite un climat chaud et humide ainsi que de bonnes techniques dirrigation, semble bien sadapter à Gabès, mais son plus grand centre de production maghrébin est le Ss54. Il semble quà cette époque, elle ne sert pas à produire du sucre mais plutôt sans doute du sirop; on la consomme également en la suçant ou en la mâchant par petits morceaux55. Al-Umar signale quil y a en Ifrqiya très peu de canne à sucre et quelle nest pas pressée56. Jean-Léon, qui signale sa culture à Gamarth, non loin de Tunis, affirme que ceux qui lachètent sans savoir en extraire le sucre se contentent de la sucer57. Pour les pauvres, elle sert avant tout de médicament et entre dans la composition de nombreux remèdes pour en faciliter lingestion, ainsi que de poudres médicinales destinées à conserver la forme58. Outre son action contre la toux, elle est réputée donner de la joie pour toute la journée lorsquelle est consommée en dessert59. Les juifs sont souvent spécialisés dans la production et le commerce du sucre60.

On voit de nombreux mûriers à Gabès et al-Bakr précise quun seul de ces mûriers permet de produire une quantité de soie que ne pourraient fournir cinq mûriers dans dautres conditions; c’est la meilleure et la plus fine des soies et Gabès est le seul endroit où on la travaille en Ifrqiya. Si Ibn awqal faisait déjà état de labondante production de soie à Gabès, al-Bakr est le premier géographe qui évoque lélevage des vers à soie, lié à la culture du mûrier blanc dont les feuilles

53 Waines, E.I., s.v. Sukkar; Canard et Berthier, E.I., s.v. aab al-sukkar. Lewicki, West African Food, pp. 114-116, pense quelle a été introduite au Knim à partir de la Tunisie: il serait donc faux de croire quelle na pas été introduite en Afrique noire avant les Portugais.

54 Al-Bakr, p. 162/306. Jacques-Meunier, Le Maroc saharien, p. 377. Berthier, E.I., s.v. aab al-sukkar, ne parle pas de sa culture à Gabès mais la signale erronément dans la Qasliya et à Tozeur. Sur cette confusion, voir infra.

55 Idris, La Berbérie orientale, p. 590 et p. 630. Selon Arnoulet, Note sur lhistoire de lagriculture en Tunisie, p. 413, elle était consommée en tranches. Al-Suy, p. 113, signale que sucer une trop grande quantité de canne à sucre provoque la gale.

56 Al-Umar, p. 229/103.57 Jean-Léon lAfricain, p. 389.58 Rodinson, E.I., s.v. Ghidh; Waines, E.I., s.v. Sukkar. Al-Mk, II, pp. 181-182, montre un

personnage mlikite de Sousse qui maintient éveillé son domestique chargé dentretenir sa lampe en lui mettant des morceaux de canne à sucre dans la bouche dès quil sassoupit.

59 Al-Suy, pp. 136-137.60 Hirschberg, A History of the Jews, I, pp. 268-269.

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servent de nourriture aux vers61. Ce sont les Arabes qui ont importé en Ifrqiya ces techniques particulièrement difficiles: au VIe siècle, le ver à soie venant de Chine est introduit en Syrie. Après la conquête musulmane, lélevage du ver à soie sétend partout où le permettent les conditions climatiques, pour répondre à la demande énorme du Dr al-Islm. La sériciculture se répand à Chypre et dans le sud de la Tunisie, qui transmet la nouvelle technique à lEspagne. Après la conquête aġlabide de la Sicile, lélevage du ver à soie et la culture du mûrier sont introduits sur lîle depuis Gabès62. La ville a donc une importance toute particulière dans la transmission de ces techniques. Comparée aux grandes manufactures orientales, Gabès représente évidemment un petit centre de production, mais son climat chaud et humide convient parfaitement au ver à soie: les œufs de vers y ont sans doute été introduits directement63. Il faut une main-dœuvre abondante pendant la quarantaine de jours que durent chaque année la récolte des cocons et leur dévidage. On peut supposer quil existe de nombreux rapports entre les éleveurs de vers de Gabès et les marchands de soie de Kairouan, qui ont tout intérêt à travailler de concert avec eux64. Au XIe siècle, les documents de la Geniza établissent que lon fabrique à Gabès une variété verte de killa ou baldaquin, article très recherché et coûteux, qui est sans doute en soie65.

La description de Gabès figurant dans le Kitb al-Istibr ne diffère presque pas de celle dal-Bakr et na certainement pas été modifiée par le réviseur; elle doit être datée de 1135 environ. Par rapport aux productions mentionnées par al-Bakr, lauteur se contente dajouter que Gabès est le seul endroit d’Ifrqiya où lon cultive la banane66. Il précise également que Gabès, qui est le centre principal de toute la région, est maritime et saharienne, puisque le Sahara est tout proche. On raconte selon lui quil ny a quà la table des habitants de Gabès que lon peut rassembler trois choses dont les origines sont incompatibles: du poisson frais, de la tendre viande de gazelle et des dattes fraîchement cueillies / ruab.

Al-Idr donne de nombreuses informations sur les productions de Gabès67. Du point de vue agricole, il mentionne que les environs de la ville sont couverts de

61 Selon Chebel, Dictionnaire des symboles musulmans, p. 392, la soie provoquait de la répugnance chez les musulmans, qui considéraient quelle était de la bave de larve; ainsi, le Prophète aurait défendu que lon se couvre de soie, considérée comme une déjection animale. Cet interdit est sans doute plutôt relatif à lhumilité que devrait manifester le croyant en portant des matières moins luxueuses que la soie.

62 Gharaibeh, E.I., s.v. r; Lombard, Les textiles, p. 100.63 Lombard, Les textiles, p. 94. 64 aya, Malmi an al-ni al-fil f l-mutama al-rf bi-Ifrqiya, p. 47.65 Goitein, La Tunisie du XIe siècle, p. 571. La killa désigne une moustiquaire ou un rideau, qui peut

servir de ciel pour un lit. Dozy, Supplément, s.v.66 Kitb al-Istibr, pp. 112-113/7.67 Al-Idr, pp. 106-107/124-125.

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jardins luxuriants et touffus, de vergers bien ordonnés; ils produisent quantité de fruits bon marché. Il ny a pas dans le pays dendroit où lon trouve des dattes, des cultures ou des propriétés équivalentes à celles de Gabès. On y cultive la vigne et on y produit des olives dont on extrait une grande quantité dhuile que lon exporte dans toute la région. On y trouve également des palmiers luxuriants, qui produisent des dattes / ruab à la saveur inégalée: les Gabésiens les cueillent lorsquelles sont encore toutes fraîches et les entreposent dans des jarres / dn68. Après un certain temps, une substance mielleuse / aliyya émane des dattes et les recouvre entièrement. On ne peut consommer ces dattes que lorsquelles ont complètement dégorgé leur miel69. Le géographe ajoute que dans aucune des régions réputées pour leurs dattes, on ne trouve de dattes semblables à celles produites à Gabès, car leur consistance / alka et leur goût délicieux sont inimitables. Al-Idr note plus loin que Sfax importe les meilleurs fruits depuis Gabès, pour un prix modique70.

Gabès renferme des sq-s, des édifices, des commerces riches en marchandises. Al-Idr rapporte quautrefois, on y fabriquait des étoffes en soie de qualité mais que, à son époque, on y tanne le cuir pour lexportation. Dans la petite ville de Qar Saa, à trois milles de Gabès, on trouve un sq, des ateliers de tannage71 et de nombreuses soieries. Il semble donc que le centre de production de la soie sest déplacé de Gabès à Qar Saa. Maurice Lombard estime que ce changement prouve le déclin de lindustrie de la soie dans le Sud tunisien après larrivée des Ban Hill72. Cest visiblement lindustrie du cuir, qui était déjà louée par Ibn awqal, qui a pris le pas sur celle de la soie.

Selon al-Marrku, au début du XIIIe siècle, Gabès est la ville la plus fertile de toute lIfrqiya et la plus riche en fruits et en raisin73. Pour Ibn Sad, à la fin du même siècle, Gabès est à lIfrqiya ce que Damas est au 74. De toute lIfrqiya, cest Gabès qui est spécialisée dans la culture des bananes et on y trouve en abondance de

68 Dans la première moitié du XXe siècle, les gens du Fazzn achetaient encore au marché de Gabès de grosses jarres de terre cuite, quils ramenaient chez eux pour conserver leurs dattes. Lethielleux, Le Fezzan, ses jardins, ses palmiers, p. 215.

69 Idris, La Berbérie orientale, p. 458, en déduit que Gabès exporterait beaucoup de miel. Pour Jean-Léon lAfricain, p. 398, par contre, les dattes de Gabès ne se conservent pas toute lannée, car elles deviennent amères.

70 Al-Idr, pp. 107/125-126. 71 Léd. Dozy donne ba / des vendeurs, mais il signale dautres termes dans dautres manuscrits.

Nous traduisons ici dibġa, qui apparaît dans léd. Hadj-Sadok, p. 141/129.72 Lombard, Les textiles, p. 95.73 Al-Marrku, pp. 254-255.74 Ibn Sad, p. 78. À la même époque, al-Abdar donne une triste description de la ville, dans

laquelle il a visiblement passé un mauvais séjour: selon lui, tout y est à labandon, lair est malsain, les mosquées sont délaissées et les habitants sont ignorants et avares. Al-Abdar, pp. 129-131. Voir également Abd al-Bsi ibn all, p. 37/97; Jean-Léon lAfricain, p. 398. Selon al-Ti, tout au contraire, Gabès est une belle ville très luxuriante, qui évoque le jardin éternel: cest le jardin du monde et la petite Damas. On y trouve des figuiers, dans la seconde moitié du XIIIe siècle tout au moins. Al-Ti, p. 86/84 et pp. 90/86-87.

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succulentes dattes fraîches / ruab; on y produit également du henné et du souchet / abb azz75. Jean-Léon confirme la culture du souchet, un fruit qui pousse sous terre, de la forme dun radis mais petit comme une fève; lorsquon le suce, il a la douceur dune amande et un goût qui sen rapproche; il est consommé dans toute lIfrqiya76. Le henné / inn est cultivé dans toutes les régions pré-sahariennes dAfrique et, aujourdhui encore, le henné de Gabès est célèbre. Chaque partie de la plante est employée. La fleur de henné, qui était pour le Prophète le plus délectable des parfums, est utilisée pour traiter les gonflements ou les tumeurs aiguës; déposée dans les plis des habits de laine, elle éloigne les mites77. La fleur sert également à faire de lhuile parfumée. Les feuilles, entières ou pulvérisées, sont connues pour leurs propriétés tinctoriales78. On en fait une pâte qui, lorsquelle est appliquée en cataplasme, teint la peau ou les cheveux dune couleur rougeâtre plus ou moins prononcée. Mélangée à dautres ingrédients comme lindigo, cette pâte peut également donner une teinte noire. Outre son usage cosmétique, le henné a une action fortifiante pour la chevelure et diminue fortement la transpiration car il resserre les pores de la peau. La teinture des mains et des pieds a un rôle rituel dans toute lAfrique du Nord, spécialement dans la cérémonie du mariage. Le henné protège contre le mauvais œil, notamment parce quil était très aimé du Prophète; de plus, la valeur prophylactique du rouge est répandue79. Son pouvoir antiseptique est prouvé scientifiquement80. On utilise les feuilles en décoction pour traiter brûlures81, gerçures, aphtes et inflammations de la peau, grâce à leur pouvoir astringent. En Tunisie, on met du henné sur la plante des pieds pour lutter contre la fièvre. Une tradition rapporte que le Prophète conseillait vivement dutiliser le henné, qui raffermit la peau et « anime au coït »; il préconisait également de teindre les pieds douloureux au henné82.

Pour al-Wa, Gabès est entourée par une forêt de noyers et de pistachiers83. Le pistachier / fustuq a un nom dorigine persane; de même que le dattier dIrak, le prunier et le pêcher, il a été introduit en Ifrqiya par les Arabes, sans doute syriens et ursniens84. Quant aux noyers, leurs fruits sont très riches en vitamines et en sels

75 Ibn Sad, p. 78; Ab l-Fid, p. 198/143. 76 Jean-Léon lAfricain, p. 398. Le abb azz désigne les racines du souchet comestible ou amandes

de terre. Dozy, Supplément, s.v. abb. Le rhizome du souchet comestible passe pour aphrodisiaque; voir Jean-Léon lAfricain, p. 398, note 211.

77 Al-Suy, p. 131.78 Coustillac, Note sur la teinture, pp. 360-361; Lombard, Les textiles, pp. 126-127.79 Colin, E.I., s.v. inn; Chebel, Dictionnaire des symboles musulmans, p. 197. La Sra l-hilliyya

rapporte que les nomades teignaient leurs chevaux au henné. Saada, La geste hilalienne, p. 52. Sur lutilisation du henné, voir aussi Bolens, Henné et kol, pp. 63-69.

80 Sijelmassi, Les plantes médicinales du Maroc, p. 135.81 Louis, Nomades, p. 193, a constaté que les nomades mélangeaient la poudre de henné à de lurine

de femme pour soigner les brûlures.82 Al-Suy, p. 48 et p. 51; voir aussi pp. 97-100.83 Al-Wa, trad. Fagnan dans Extraits inédits, p. 44; al-Dima, p. 234/330. 84 Dachraoui, Le califat fatimide, p. 39, note 71.

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minéraux. Les feuilles, utilisées en infusion pour lusage interne ou en décoction pour lusage externe, ont des vertus astringentes et dépuratives85. Lécorce de la racine des noyers permet de teindre la laine en brun foncé86. Dans le Maghreb, cest avec lécorce des tiges du noyer que lon fabrique le siwk, qui est à la fois une brosse à dents et un cure-dents. Une des extrémités de la tige, taillée en forme de pinceau ou de brosse, permet de blanchir et de nettoyer les dents tout en colorant les gencives, formant ainsi un contraste particulièrement apprécié. Le Prophète appréciait déjà le siwk, dont lusage est toujours très répandu au Maghreb87. Traditionnellement, lécorce du noyer permettrait de lutter contre la syphilis, ou au moins de déterminer si cest bien de cette maladie que lon est atteint88.

Quant à mmat Maa, al-mma de Gabès, les renseignements sont dérisoires: le Kitb al-Istibr note que les dattes, les olives et les fruits y viennent en abondance89. Jean-Léon, bien plus tard, prétend que les dattes ny sont pas très bonnes90.

3. LE NAFZWA

Pour la période étudiée, les renseignements sur les productions du Nafzwa sont rares. Al-Bakr signale que Madnat Nafzwa / Ba renferme des sq-s bien achalandés et que les abords de la rivière qui lirrigue sont couverts de palmiers et d’arbres fruitiers. Al-Madna / urra, entourée de sources et de jardins, possède également un sq91. Le Kitb al-Istibr vante la luxuriance du bild Nafzwa, qui comprend des champs cultivés ininterrompus, de nombreux palmiers et des vergers très fertiles. urra possède une grande palmeraie riche en oliviers, qui donne toutes sortes de fruits. Les grandes palmeraies de Ba et dAytimln produisent en abondance des dattes, des olives et tous les fruits92.

Jusquau XIIIe siècle, les géographes ne mentionnent donc que les cultures du Nafzwa, ses vastes plantations de palmiers et doliviers, la diversité de ses arbres

85 Sijelmassi, Les plantes médicinales du Maroc, p. 179.86 Lombard, Les textiles, p. 144.87 Sur le siwk, voir Wensinck, E.I., s.v. Miswk; Brunschvig, La Berbérie orientale, II, p. 221;

Sijelmassi, Les plantes médicinales du Maroc, p. 179. En Orient, on fabrique aussi des cure-dents avec de lécorce de lark, un arbrisseau épineux. Voir al-Suy, p. 40 et pp. 73-74.

88 De Lens, Pratiques des harems marocains, pp. 21-23. Duveyrier, Les Touareg du Nord, pp. 191-192, évoque un arbre très répandu dans le bassin du Niger et dans le pays des Touareg, le siwk / Salvadora persica, dont on tire les cure-dents mais également de délicieuses petites baies à saveur poivrée, et des feuilles qui, réduites en poudre, protègent contre la syphilis.

89 Kitb al-Istibr, p. 150/68.90 Jean-Léon lAfricain, p. 399.91 Al-Bakr, pp. 47/101-102.92 Kitb al-Istibr, pp. 157-158/82-83.

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fruitiers. Ibn al ajoute quon fabrique dans le Nafzwa, dont les deux capitales sont Ba et urra, différentes sortes de beaux vêtements qui sont ardemment convoités93. Pour Ibn Sad, depuis urra, on exporte du verre pur et des pièces détoffe en laine, que lon mène jusquà Alexandrie et dans le bild al-durb / chez les Byzantins94. Al-Ti est le premier à apporter des précisions sur la culture des fruits: on trouve à Ba des coings remarquables par leur bon goût et leur grosseur, ainsi que des poires appétissantes et délicieuses95. Le coing est apprécié pour ses nombreuses propriétés thérapeutiques: lhuile de coing est astringente et le fruit est digestif. On prépare du sirop de coing pour combattre la toux et lenrouement96. Les coings font uriner abondamment et font cesser les vomissements par leur jus et leur odeur; le sirop de coing fortifie lestomac et apaise la soif; le jus de coing se conserve mieux que le jus de pomme97. Les feuilles de cognassier sont utilisées pour la teinture98. La grande palmeraie de urra fournit les meilleures dattes de la région; on y voit la source nommée ayn urra qui forme un bel étang / barka; cest parce quils sont lavés dans cet étang que les tissus teints du Nafzwa acquièrent brillance et douceur99.

4. LA QASLIYA

Si al-Ya signale la culture des oliviers dans la Qasliya100, Ibn awqal101 insiste surtout sur les nombreux palmiers de Tozeur, qui sont plus abondants que dans les environs, et sur lénorme production de dattes, qui sont envoyées en assistance102 en Ifrqiya. Al-Muqaddas précise quune charge de chameau de dattes s’y vend deux dirham-s103. Dans la première moitié du Xe siècle, Ab l-Arab signale que la meilleure variété de dattes produite dans la Qasliya est la variété al-add104. Ibn awqal mentionne la quantité de beaux et délicieux cédrats / utru quon trouve à

93 Ibn al dans al-Wazr al-Sarr, I, p. 370. 94 Ibn Sad, p. 61; Ab l-Fid, p. 147/201. De nombreux juifs exerçaient le métier de verrier; voir à

ce sujet Goitein, The Main Industries, pp. 186-188.95 Al-Ti, pp. 154/138-139.96 Al-Suy, p. 112.97 Ibn Buln, pp. 74-75/152-153 et pp. 110-111/224-225.98 Coustillac, Note sur la teinture, p. 355.99 Al-Ti, p. 142/135.100 Al-Ya, Kitāb al-Buldān, p. 350/212.101 Sur Qasliya, Ibn awqal, p. 94/92.102 Sur maġa, Ibn awqal, Index geographicus, p. 312.103 Al-Muqaddas, pp. 26-27 (éd. trad. Pellat) et p. 230 (éd. de Goeje). Le dirham pèse 2,97 grammes

d’argent. Miles, E.I., s.v. Dirham. 104 aya, Malmi an al-ni al-fil, p. 43; Dozy, Supplément, s.v. add.

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Qasliya, où la plupart des fruits sont de la même qualité105. Lutru est une espèce de citrons issue du cédratier de Médie (Citrus medica Risso variété cederata), dont les dénominations sont nombreuses. Le cédrat servait au moyen âge à faire du sirop et on en tirait également une poudre odoriférante qui entrait dans la composition de nombreuses recettes106. Malheureusement, malgré labondance des dattes et des cédrats, Ibn awqal observe que le prix de la nourriture est toujours cher à Tozeur, car il faut importer des vivres: en effet, on n’y cultive l’orge et le blé qu’en quantité dérisoire107.

Selon ce géographe, aucune ville des environs n’égale l’importance commerciale de Qasliya / Tozeur: ceci est dû à l’ampleur des ventes et des achats qui se font dans les marchés et à l’abondance des négociants qui vont et viennent pour s’y approvisionner et y faire des affaires. De tous côtés on trouve des métiers à filer la laine, des pièces d’étoffe / aqqa-s, des tapis / anbal-s et des vêtements; lensemble de ces productions est ensuite exporté dans toutes les régions. Ibn awqal est le premier à évoquer lintensité du commerce de la laine et donc limportance du cheptel ovin, quil soulignait déjà à Gabès. Lélevage du mouton est une occupation très rentable pour les nomades ou semi-nomades: ils se nourrissent de la viande et des laitages, tandis que le travail du cuir et de la laine permet de faire vivre toute la tribu. Les terres semi-désertiques constellées de chotts du Sud tunisien conviennent particulièrement à lélevage dune race de moutons habitués aux pâturages salés, capables de demeurer quatre jours sans boire et de faire de longues marches108. On note la diversité de la production de laine; aqqa désigne différentes pièces détoffes; ce terme est parfois même utilisé pour des éléments de tente réalisés en poils de chèvre109. anbal est un tapis ou une couverture de grosse laine, portant généralement des raies de couleur, qui peut servir à être posé sur un banc ou sur un marchepied; il peut également être porté comme vêtement110. Quant au kis

105 Al l mutadila: mutadil signifie à la fois « égal, proportionnel » et « tempéré, modéré ». La trad. Kramers-Wiet dit que la plupart des fruits ont une saveur moyenne, mais nous comprenons que ces fruits ont la même qualité que le cédrat. Cela est confirmé par les géographes postérieurs, qui louent la qualité de lensemble des fruits de Tozeur.

106 Viré, E.I., s.v. Ndj; Rodinson, E.I., s.v. Ghidh; Recherches sur les documents arabes, p. 131. Comme la grenade, le cédrat était utilisé dans la liturgie juive des fêtes dautomne. Bolens, Les jardins dal-Andalus, p. 80. Miquel, La géographie humaine, III, pp. 446-447, estime que le terme utru risque fort dêtre souvent « un terme très général recouvrant en même temps lorange et le citron ».

107 Al-Idr, pp. 105/122-123, précise que ce manque de blé affecte également la province de Qammda. Sur les usages du blé et de lorge, Rodinson, E.I., s.v. Ghidh; Waines, E.I., s.v. Sh; Ashtor, E.I., s.v. am; Brunschvig, La Berbérie orientale, II, p. 218. Mauny, Tableau géographique, pp. 236-237, note cependant que dans les oasis sahariennes, la culture du blé et de lorge est généralement liée à celle des dattiers.

108 Lombard, Les textiles, p. 29.109 Dozy, Supplément, s.v.; Ibn awqal, Index geographicus, p. 276.110 Frenkel, E.I., s.v. f; Brunschvig, La Berbérie orientale, II, p. 232 et p. 281; Dozy, Supplément,

s.v. anbal; Poinssot et Revault, Tapis tunisiens, p. 6.

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ou vêtement, cest le principal habit des campagnards, une pièce détoffe en laine rayée, dont un bout est rejeté sur lépaule gauche111.

Il est important de souligner quune erreur a été répétée au sujet de la culture de la canne à sucre112. On lit quIbn awqal affirme quelle était produite en grande quantité à Qasliya113, alors que lauteur névoque à cet endroit du texte que labondance de dattes / al-tamr wa-l-qasb114; il y a confusion entre qasb, une sorte de dattes, et qaab, qui désigne bien la canne à sucre115. Al-Bakr précise dailleurs que seules la canne à sucre et la banane ne s’adaptent pas à Tozeur116. À la fin du XIIIe siècle, Ibn al, dont le témoignage est fiable puisquil habitait Tozeur, insiste sur le fait quon y cultive tous les fruits sauf la canne à sucre117. Pour Ibn Sad, par ses cultures et la rareté de ses pluies, Tozeur est assimilée aux régions égyptiennes, mis à part labsence de sucre118.

Al-Bakr loue les nombreux marchés de Tozeur, ses jardins, ses arbres fruitiers et sa palmeraie considérable119. Il affirme que l’impôt / ibya de la Qasliya s’élève à deux cent mille dr-s. Confirmant le témoignage dIbn awqal, il affirme que Tozeur est la plus grande productrice de dattes d’Ifrqiya et que, presque chaque jour, mille chameaux chargés de dattes quittent la ville. Selon al-Bakr, il ny a qu’à Tozeur que lon voit des cédrats de si belle allure et si doux. Il ajoute quon y trouve la manne, le sébeste et le myrobolan emblic. Turanabn est une sorte de manne que l’on recueille sur certains arbrisseaux des déserts dAsie mineure et dÉgypte. Le terme arabe turanabn provient du persan ter-enebn qui signifie « miel de rosée ». On a longtemps cru que la manne était élaborée dans lair et tombait sur larbre où elle se concrétait. Elle résulte en fait de lexsudation de certains végétaux sous des climats propices, souvent à la suite dune piqûre de cochenille. Elle a des propriétés laxatives et al-Suy observe que cest un des médicaments employés pour les

111 Brunschvig, La Berbérie orientale, II, p. 277. Au Maghreb, kis désigne le plus souvent un manteau. Dozy, Dictionnaire détaillé des noms de vêtement, pp. 383-386.

112 Voir Prevost, Une fausse mention de la canne à sucre, pp. 565-569.113 Idris, La Berbérie orientale, p. 468, note 565; Talbi, E.I., s.v. asliya.114 Ibn awqal, p. 94/92, écrit tamr wa-l-qasb, c’est-à-dire des dattes et des dattes de la sorte qasb.

Tamr désigne les dattes sèches, opposées aux dattes fraîches / ruab. Rodinson, E.I., s.v. Ghidh; Recherches sur les documents arabes, pp. 147-148. Selon Lane, s.v., qasb désigne des dattes dures et sèches, au noyau dur, qui sémiettent dans la bouche, ou de simples dattes sèches. Pour Dozy et de Goeje, Description de lAfrique et de lEspagne (trad. d’al-Idr), p. 144, note 1, qasb désigne des dattes dexcellente qualité.

115 Waines, E.I., s.v. Sukkar; Canard et Berthier, E.I., s.v. aab al-sukkar.116 Al-Bakr, p. 48/102. Saada, Éléments de description du parler arabe de Tozeur, p. 108 et p. 123,

signale que la canne à sucre ne pousse plus à Tozeur, ce qui indique quelle a également mal compris le texte dIbn awqal. La culture des bananes y est aujourdhui réduite; ce sont de petites bananes dune dizaine de centimètres, recourbées en croissant, de très bonne qualité.

117 Ibn al dans al-Wazr al-Sarr, I, pp. 404-405. Ibn al ajoute que Tozeur est une grande ville fortifiée avec une mosquée et des sq-s prospères, entourée complètement par de vastes faubourgs.

118 Ibn Sad, p. 61.119 Sur Tozeur, al-Bakr, pp. 48-49/102-104.

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enfants120. La ma est une sorte de petite prune, fruit du sébestier d’Égypte; on lappellerait en langue vulgaire abb al-mulk, le fruit des rois121. Lamla ou myrobolan emblic est le fruit dun arbre importé dInde qui, selon le Prophète, est un des arbres du paradis et a le pouvoir de guérir soixante-dix maladies122. Les myrobolans, al-hal, sont des fruits très laxatifs, fréquemment utilisés dans la médecine médiévale. On exploite également leurs propriétés tannantes; les myrobolans permettent entre autres de noircir les cheveux et de les rendre plus crépus123. Outre les fruits et les plantes, al-Bakr signale également que le fennec vit au-delà de la Qasliya; cet animal est chassé pour sa fourrure124.

La description économique que fait al-Idr125 de Tozeur napporte presque aucune nouveauté: il répète labondance des dattes qui sont exportées dans toute lIfrqiya, la qualité du cédrat et de la plupart des fruits que produit la ville. Tout comme Ibn awqal, il constate que le prix des grains y est très élevé car il faut les importer. Il ajoute cependant quon trouve à Tozeur un grand nombre de légumes dexcellente qualité. Selon lui, « al-amma » possède de nombreux palmiers et les dattes y abondent. Taqys produit de belles dattes et une série de légumes savoureux. Cette ville prospère vit des récoltes de henné, de cumin et de carvi. Le cumin / kammn est sans doute originaire de lest de lIran; de même que le carvi, cest une plante très recherchée pour ses vertus thérapeutiques et notamment digestives. On utilise énormément le cumin en cuisine et il est censé avoir des effets magiques et bénéfiques126. En Tunisie, le cumin est un des ingrédients essentiels des philtres damour car il symbolise la grâce, le charme et lattirance. Le mot kammn sert aussi à désigner dautres plantes aromatiques et médicinales, telles par exemple le carvi qui est nommé kammn arman ou kammn rm127. On utilise les graines de carvi en infusion pour soigner les problèmes digestifs et elles peuvent être également

120 Al-Suy, p. 83; Tufat al-abb, p. 20/87 et pp. 27/115-116; Miquel, La géographie humaine, III, pp. 422-423; Lewicki, West African Food, pp. 77-78; Kazimirski, s.v. tur.nabn.

121 Tufat al-abb, p. 27/113, qui la nomme muay ou muaya; Kazimirski, s.v.; Dozy, Supplément, s.v., dit que la forme habituelle est muay. Le sébeste et le cédrat étaient utilisés en quantité égale pour confectionner une pâte, appliquée sur les ongles pour lutter contre la gale. Dagorn, Un traité de coquetterie féminine du haut Moyen-Âge, pp. 174-175.

122 Al-Suy, p. 165.123 Lamla (indou malak qui a donné emblic) provient dun arbrisseau indien de la famille

des euphorbiacées, portant des fruits de la grosseur dune cerise. Tufat al-abb, p. 7/21 et p. 14/58; Bolens, Les parfums et la beauté en Andalousie médiévale, pp. 158-159; Miquel, La géographie humaine, III, pp. 448-449. Dietrich, E.I., s.v. Halj, précise que lamla soignait les hémorroïdes.

124 Al-Bakr, pp. 49/104-105. Sur cet animal, Viré, E.I., s.v. Fanak; Lombard, Espaces et réseaux du haut moyen âge, p. 181.

125 Sur la Qasliya, al-Idr, pp. 104/121-122.126 Dans le Mzab, les femmes ibites enduisent les nouveaux-nés dune pâte très liquide faite de

salive et de cumin entièrement mâché, de façon à en éloigner les djinns. Goichon, La vie féminine au Mzab, p. 26.

127 Colin, E.I., s.v. Kammn; W. Marçais et Guîga, Textes arabes de Takroûna, I, p. 405.

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mélangées à la nourriture pour augmenter les sécrétions lactées; ces propriétés sont également celles du cumin128. Administré pilé, le cumin donne des forces et hâte la guérison129.

Al-Idr mentionne que Nefta compte des sq-s, des commerces et des palmeraies; elle produit de bonnes récoltes130. Al-Zuhr constate que dans la région nommée « îles des dattes », qui comprend Gabès, Nefta et Tozeur-la-verte / Tawzar al-ar, on compte plus de dix espèces de dattes qui toutes diffèrent en apparence et en goût. Ces dattes forment la nourriture principale des habitants qui, selon lui, nont quune agriculture limitée à cause des Arabes131. Le géographe lie donc clairement la pauvreté de lagriculture à la présence des Ban Hill. Ce rapprochement peut se justifier dans le cas dautres régions dIfrqiya, mais al-Zuhr a tort de lappliquer aux oasis. Le Djérid semble avoir toujours souffert du manque de grains. Ibn awqal disait déjà clairement que les céréales y étaient importées132. Il est probable que depuis larrivée des Arabes, ce sont eux qui procurent à Tozeur les céréales nécessaires; ils ont en effet la plupart du temps le monopole du commerce des grains, quils acheminent depuis le Tell jusquaux oasis133. Dautre part, al-Zuhr insiste lui-même sur la richesse de la ville, puisque le qualificatif al-ar fait allusion à labondance de la végétation.

Le Kitb al-Istibr vante la fertilité du bild al-ard, aux cultures ininterrompues, où abondent les dattes, les oliviers, les fruits et toutes sortes de richesses134. Nefta se distingue particulièrement par la luxuriance de ses vergers135. Taqys, outre ses palmeraies et ses arbres fruitiers de toute espèce, est la ville qui, de tout le bild Qasliya, fournit la plus grande quantité dolives et limpôt le plus important. Al-mma, nommée mmat Ban Bahll, produit en abondance des dattes, des olives et toutes sortes de fruits136. Les habitants y cultivent une espèce de dattes quils nomment unfus, qui est noire, très douce et de gros calibre. Il nexiste pas dans le bild al-ard de raisin meilleur et plus abondant. La boisson quon en retire est la plus délicieuse et la plus parfumée des boissons; les habitants dal-mma

128 Sijelmassi, Les plantes médicinales du Maroc, p. 86 et p. 108. Un traité de beauté médiéval signale par exemple que le cumin entre dans la composition dun onguent pour les seins, destiné à supprimer le lait des nourrices ou à améliorer le lait sil est abondant. Dagorn, Un traité de coquetterie féminine du haut Moyen-Âge, p. 180.

129 De Lens, Pratiques des harems marocains, p. 23.130 Sur Nefta, al-Idr, p. 105/123.131 Al-Zuhr, § 275.132 Jean-Léon lAfricain, p. 442, confirme que les céréales ne poussent toujours pas dans le Djérid à

son époque.133 G. Marçais, Les Arabes en Berbérie, p. 160; Brunschvig, La Berbérie orientale, II, pp. 162-163.

Dans le cas des oasis à majorité ibite cependant, les Arabes ont dû certainement se heurter à lhostilité des ay-s qui refusaient en général tout échange commercial avec les nouveaux venus.

134 Kitb al-Istibr, p. 150/68.135 Sur Nefta et Taqys, Kitb al-Istibr, p. 156/80.136 Sur al-mma, Kitb al-Istibr, pp. 157/80-81.

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prétendent quon peut lutiliser pour éclairer les lampes tout comme lhuile137. Le Kitb al-Istibr ne précise pas si cette boisson / 138 est alcoolisée ou non. À Darn, on fabrique les vêtements nommés kus darn, qui ressemblent à ceux de Siilmsa au point de vue du tissu / f awbihi et de la couleur mais qui sont de qualité inférieure139. Dans les dunes du balad Sf, on chasse le fennec, dont la peau na aucun équivalent dans le monde140.

Pour Ibn Sad, Tozeur produit du lin141 de qualité supérieure, du henné et de lindigo142. Lindigo est utilisé comme cosmétique, souvent mélangé à du henné, pour colorer la barbe ou les cheveux devenus blancs143. On sen sert également pour teindre la laine. Cette matière tinctoriale, produite dès le XIe siècle dans le Maghreb, est sûrement importée dans le Sn144. Dans les régions sahariennes, il est un symbole de prestige très recherché et les Touareg achètent de lindigo à un prix très élevé pour teindre leurs vêtements. Ils se colorent le visage, les bras et les mains avec de lindigo en poudre, afin de soustraire leur peau aux influences extérieures; le reste de leur corps est teint par la décoloration de leurs vêtements145. Lindigo nest plus cultivé depuis longtemps en Tunisie, mais au début du siècle, on le faisait encore venir du Sf pour lutiliser dans le Nafzwa146.

Al-Ti mentionne de nombreux moulins / ar installés le long de la rivière de Tozeur147. Toutes les eaux de cette ville se divisent et se réunissent dans un endroit nommé Bb al-Manar, situé en dehors de la palmeraie; les dégraisseurs sy réunissent et y étendent de grandes quantités de vêtements colorés et de marchandises

137 Ibn Ab Zayd al-Qayrawn, pp. 158-159, explique que si lon trouve une souris morte dans les corps gras - huile, beurre fondu ou miel - que lon conserve chez soi, ils doivent être considérés comme impurs et doivent être jetés. On peut néanmoins sen servir pour séclairer mais il est fortement déconseillé de les utiliser pour éclairer la mosquée.

138 Pour Kazimirski, s.v., désigne, outre une simple boisson, le vin, leau-de-vie ou toute boisson enivrante. Pour Dozy, Supplément, s.v., il peut désigner soit du vin soit du sirop.

139 Sur Darn, Kitb al-Istibr, p. 159/85.140 Kitb al-Istibr, p. 159/85; al-imyar, s.v. Sf.141 Lombard, Les textiles, p. 50, signale que les régions deaux dormantes et de marais sont

particulièrement favorables à la culture du lin.142 Ibn Sad, p. 61; Ab l-Fid, p. 145/200. Voir Lombard, Les textiles, pp. 139-143. Hirschberg,

A History of the Jews, p. 280, fait état vers 1040 de quelques balles dindigo échangées contre soixante outres dhuile dolive; cette transaction fut contestée par un des marchands et malgré la faible quantité dindigo concernée, laffaire fut portée devant la plus haute académie juive dÉgypte, ce qui prouve la grande valeur de cette marchandise, particulièrement recherchée.

143 Al-Suy, p. 167. 144 Bathily et Meillassoux, dans Histoire générale de lAfrique, III, p. 503.145 Duveyrier, Les Touareg du Nord, p. 431. Lindigo est également utilisé en cure chez les femmes

mauritaniennes, qui prétendent quil apporte nourriture et douceur à la peau. Chebel, Dictionnaire des symboles musulmans, pp. 124-125.

146 Coustillac, Note sur la teinture, pp. 355-356 et pp. 357-358.147 Al-Ti, p. 157/143.

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bigarrées148. Le jujubier / sidr se trouve en grande quantité à Tozeur et dans la région qui lentoure149.

Bien que les géographes ne la mentionnent pas, la chasse à lautruche fournit sans doute aux oasiens, en plus de la viande, de nombreux produits à commercialiser. Les plumes étaient portées comme amulettes et lon se servait des œufs pour lartisanat150. La graisse dautruche, fort convoitée, était vendue comme onguent pour frictionner les membres cassés, foulés et paralysés. Cette graisse, qui vient aujourdhui de Ghadamès, se vend toujours à un prix élevé dans le Sud tunisien, que les autruches ont aujourdhui déserté151. Certains habitants du Djérid vivaient sans doute également de lexploitation du sel de la sebkha, comme cest le cas à notre époque: vers 1980 en effet, lexploitation du sel est libre dans le Djérid et certains vont le ramasser dans les marais salants, dans le but de le vendre152. Avant darriver à Zawrat al-uġr, al-Ti remarque une sebkha que les populations de lendroit creusent pour vendre le sel aux chrétiens, ce qui les enrichit fortement153. Le voyageur affirme que cette sebkha lui rappelle celle du Djérid et lon peut imaginer quil y a également vu des gens récolter le sel. Enfin, à toutes les productions mentionnées par les géographes, on peut peut-être ajouter le safran, qui faisait partie des exportations dIfrqiya au moyen âge154. Étant donné quil pousse à Tozeur à la fin du XXe siècle155, il est possible quil ait été cultivé dans les oasis à lépoque médiévale, puisquil était fort recherché pour ses propriétés tinctoriales.

148 Al-Ti, p. 158/144. Selon le Dr Frank, au tout début du XIXe siècle, les caravanes qui apportent à Tunis les marchandises produites dans le Djérid sont faiblement chargées et ne comportent que des dattes et « des étoffes de laine de lespèce la plus grossière ». Frank et Marcel, Histoire de Tunis, p. 123.

149 Al-Ti, p. 127/123. 150 Oliel, Les Juifs au Sahara, p. 68, qui signale que cest à partir de la fin du XIIe siècle que le

commerce des plumes dautruche se développe de façon extraordinaire, lorsque la France adopte les coiffures ornées de plumes. Fisher, The Eastern Maghreb and the Central Sudan, p. 282, estime que les plumes dautruche du Sn nont pas fait lobjet dun commerce transsaharien avant 1500 environ, car les autruches maghrébines suffisaient à satisfaire les besoins du monde musulman.

151 Louis, Nomades, pp. 110-111, qui rapporte le témoignage dun nomade qui a encore connu la chasse à lautruche. Louis signale également que les os de large diamètre étaient parfois utilisés pour les lustres des mosquées. Les plumes étaient vendues comme marchandises de luxe mais servaient également dans certaines contrées à fabriquer des chapeaux pour les cavaliers; on les conservait également pour parer les enfants.

152 Saada, Éléments de description du parler arabe de Tozeur, p. 120. Brunschvig, La Berbérie orientale, II, p. 230, signale que pendant la croisade de saint Louis en 1270, le souverain afide al-Mustanir a racheté à un particulier une sebkha située dans la région de Kairouan et a permis aux musulmans den extraire librement le sel.

153 Al-Ti, p. 207/172; Mawl Amad, p. 264.154 Al-Muqaddas, pp. 48-49 (éd. trad. Pellat); Goitein, La Tunisie du XIe siècle, p. 571. Il était

principalement cultivé dans le centre et le nord de lIfrqiya, voir Ibn awqal, p. 84/81 et pp. 86-87/84; al-Bakr, p. 53/114.

155 Saada, Éléments de description du parler arabe de Tozeur, p. 136. Sur la teinture au safran, Lombard, Les textiles, pp. 130-134. Le safran symbolise linnocence et la pureté: les jeunes circoncis tunisiens portaient traditionnellement une chemise dont les motifs étaient teints au safran. Chebel, Dictionnaire des symboles musulmans, p. 370. Il est utilisé tant dans la cuisine que dans

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5. GAFSA

Ibn awqal se contente de mentionner que Gafsa possède des jardins, des vignes et des palmeraies156. Al-Bakr, par contre, offre une description flatteuse de la vie économique de Gafsa, qui semble avoir alors atteint une prospérité considérable157. Elle est la plus grosse productrice de pistaches de la région de Kairouan. Elle en envoie partout en Ifrqiya et les exporte vers l’Égypte, al-Andalus et Siilmsa158. Outre les pistaches, Gafsa fournit à Kairouan toutes sortes de fruits et certaines de ses dattes sont grosses comme des œufs de pigeon159. Son impôt / ya s’élève à cinquante mille dnr-s.

Parmi les qur qui environnent Gafsa, la ville de irq160 a un sq bien achalandé et, tout comme Gafsa, regorge de pistaches. On y fabrique les habits irq, qui font partie des marchandises destinées à l’Égypte. Il apparaît ici que irq pratique sans doute lélevage du mouton à grande échelle et quelle est spécialisée dans la confection de tissus de très haute qualité. Ces tissus sont probablement des ik-s et des baniyya-s, couvertures de laine que lÉgypte a continué à importer jusquà la seconde guerre mondiale. Cette région est toujours réputée pour ses gatfa-s, tapis à haute laine161. Dans la première partie du XIIe siècle, cependant, irq est détruite et vidée de ses habitants162.

Al-Idr, qui considère que Gafsa constitue un centre important dans la région, vante ses sq-s pourvus de nombreuses échoppes, théâtre dun commerce florissant; les fabriques y sont très productives163. Les nombreuses palmeraies donnent de magnifiques sortes de dattes. On y trouve quantité de jardins et de potagers dans lesquels on cultive des variétés de henné, de cumin et de coton / qun. Dès la fin du IXe siècle, le Proche-Orient adopte cette nouvelle culture originaire de lInde, qui supplante celle du lin car elle permet de produire une variété de tissus beaucoup

la pharmacopée; il est réputé pour être stimulant, pour ouvrir lappétit et soigner les douleurs des gencives enfantines. Sijelmassi, Les plantes médicinales du Maroc, p. 207.

156 Ibn awqal, p. 94/92.157 Sur Gafsa, al-Bakr, pp. 47/100-101.158 Il est probable que ces pistaches étaient amenées en Égypte en caravane plutôt quen bateau.

Courtois, Remarques sur le commerce maritime, p. 54, note 24.159 Une des variétés de très grosses dattes de Tozeur et du Nafzwa se nomme toujours « œufs de

pigeon » / bay amm; ce sont des dattes lisses, fermes et parfaitement ovales. Bédoucha, « Leau, lamie du puissant », p. 109; Saada, Études sur le parler arabe de Tozeur, p. 91.

160 Sur irq, al-Bakr, p. 47/101.161 Abd al-Wahhb, Les steppes, p. 8 et p. 15. Le ik désigne généralement une grande pièce de

tissu blanc et fin, que les femmes drapent autour delles en la maintenant par des épingles. Ce vêtement est également porté par les hommes et peut servir de couverture et même de sac lorsquil est utilisé par les pauvres. Dozy, Dictionnaire détaillé des noms de vêtement, pp. 147-153. Sur les textiles de Gafsa, voir Vandenbroeck, Azetta. Lart des femmes berbères, pp. 96-100.

162 Kitb al-Istibr, p. 154/76.163 Sur Gafsa, al-Idr, pp. 104-105/122-124.

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plus importante. De grandes quantités de cotonnades sont importées au Maghreb depuis lInde. Le coton atteint également la Méditerranée sous forme de ballots de coton brut, destinés à être travaillés sur place, puis sous forme de graines164. Malgré la volonté de développer une culture intensive du coton au Maghreb, il nest produit quen petite quantité. Le cotonnier nécessite en effet une saison très humide suivie dune saison très sèche et les conditions climatiques maghrébines ne sont pas très appropriées. Si les cultivateurs médiévaux parviennent à le faire pousser dans de nombreux endroits dAfrique du Nord, cest parce quils plantent une variété plus facile à adapter, mais donnant un coton de moindre qualité; seul leur importe de disposer de cette matière première. Le coton planté dans la région des chotts bénéficie au moins dune bonne irrigation et convient visiblement parfaitement pour lexportation vers le Sn165. Malgré sa médiocre qualité, le coton dIfrqiya est importé en Égypte, mais ce commerce ne revêt pas une grande importance166. Seul le coton de Barqa est connu pour sa qualité167. Le coton est réputé pour conserver la chaleur du corps mieux que le lin, dont on fait par contre les vêtements les plus frais168.

Le Kitb al-Istibr donne une description particulièrement laudative et détaillée des productions agricoles et de lartisanat propres à Gafsa169. Sa palmeraie est remplie doliviers et de toutes sortes darbres fruitiers qui nont aucun équivalent dans le pays. On y voit une pomme qui étonne par sa grosseur et son odeur pénétrante; les habitants lappellent s.d. et on ne lui trouve aucun équivalent. De même, la grenade, le cédrat et la banane ne poussent, de cette qualité, quà Gafsa. Le Kitb al-Istibr est le premier ouvrage qui mentionne les grenadiers dans le Sud tunisien. Ces arbres abondent aujourdhui encore dans la région de Gabès et les habitants conservent soigneusement les écorces des fruits quils ont consommés, pour les vendre ou les utiliser. Elles servent, une fois pilées et bouillies, à teindre la laine en brun foncé170. On emploie lécorce des tiges de grenadiers comme vermifuge, particulièrement efficace contre le ténia; lécorce du fruit a des propriétés astringentes171. On prépare une boisson avec des graines de grenades douces qui guérit la toux; mangée après le

164 Lombard, Les textiles, pp. 61-62; Ashtor, E.I., s.v. un.165 Lombard, Les textiles, pp. 71-75. Les Berbères ont introduit les cotonniers maghrébins de lautre

côté du Sahara et les ont croisés avec la variété sauvage du Sn, qui était dépourvue de fibres textiles; ils ont ainsi obtenu une variété africaine, apte au tissage et au filage, qui est signalée par al-Bakr, p. 173/326. Lombard, Les textiles, p. 76; Mauny, Tableau géographique, p. 245.

166 Goitein, The Main Industries, p. 179.167 Al-Idr, p. 131/156.168 Al-Suy, pp. 137-138. 169 Sur Gafsa, Kitb al-Istibr, pp. 152-154/71-75. 170 Coustillac, Note sur la teinture, p. 355 et pp. 359-360.171 Duveyrier, Les Touareg du Nord, p. 171; Sijelmassi, Les plantes médicinales du Maroc, p. 132.

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repas, la grenade évite les problèmes destomac172. Tout comme la datte, elle est un des fruits du paradis; elle symbolise la fécondité173.

Le Kitb al-Istibr mentionne une espèce de dattes nommée al-kasb174, qui ne se trouve de cette qualité quà Gafsa, où elle est la plus répandue des dattes cultivées. Le volume de cette datte peut atteindre celui dun œuf de poule et sa peau peut être comparée à la coquille de lœuf par sa transparence et sa finesse. Les Gafsiens placent ces dattes dans de grandes jarres et lorsquils les en sortent, il reste au fond de la jarre un miel plus doux et plus parfumé que celui des abeilles. Ils utilisent ce miel dans leurs préparations et en font des confiseries175. Gafsa est la plus grande productrice de pistaches du pays, de sorte que lauteur pense quelle est la seule région dIfrqiya qui les cultive; elle les exporte en Ifrqiya, au Maghreb, en Espagne et en Égypte. Les pistaches de Gafsa, qui atteignent presque la taille des amandes, nont rien à voir avec les petites pistaches qui viennent de Syrie. Lorsquil est encore attaché sur le pistachier, si lon en croit le Kitb al-Istibr, ce fruit est le plus beau de la Création; il se présente en grappes comme les grappes de raisin. Son odeur est si suave que personne ne peut le voler, car il serait trahi par son parfum.

On trouve également dans les jardins de Gafsa quantité de plantes odoriférantes, telles que le myrte, le jasmin, lorange amère, le narcisse, le lis, la violette, et dautres encore. Nran, qui désigne lensemble des agrumes, sapplique sans doute primitivement au bigaradier ou oranger amer176. Une boisson produite à base décorce doranger amer lutte contre les piqûres de scorpions ou dinsectes; lécorce bouillie dans de lhuile soigne les écorchures des pieds ou les gerçures. Le jus dorange amère est stomachique et ôte les taches des vêtements177. Le an est liris ou le lis; on utilise les graines, les racines et les feuilles pour faire des huiles et des jus aux multiples vertus thérapeutiques178. Le rhizome sec de liris a des propriétés diurétiques et expectorantes, mais peut entraîner des intoxications; on lutilise en cosmétique et comme poudre dentifrice mélangé avec du charbon végétal179. Le myrte / s est utilisé pour ses bienfaits médicaux: les feuilles, les fleurs et lessence ont des propriétés antiseptiques et astringentes; linfusion et la décoction de feuilles de myrte sont utilisées comme breuvage, comme bains de bouche mais également par inhalation ou en compresses180. Lhuile de myrte noircit les cheveux, leau

172 Al-Suy, p. 107. 173 Coran, L, 68. Sur la grenade, Chebel, Dictionnaire des symboles musulmans, pp. 186-187.174 Al-Bakr, p. 52/111, cite la même espèce de dattes à Biskra, devenue proverbiale par sa supériorité

sur les autres espèces.175 Al-Idr, p. 106/125, évoque le même procédé de conservation des dattes à Gabès.176 Viré, E.I., s.v. Nranj. 177 Al-Suy, p. 162.178 On trouve aussi sn ou sawsan. Johnstone, E.I., s.v. Ssan.179 Sijelmassi, Les plantes médicinales du Maroc, p. 138.180 Sijelmassi, Les plantes médicinales du Maroc, p. 175; Dietrich, E.I., s.v. s.

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de myrte soigne les brûlures; la tisane de myrte lutte contre la toux et contre les diarrhées181. Le jasmin, qui donne une huile réputée qui réchauffe et ranime, entre dans la composition des parfums orientaux les plus précieux182. Lhuile de violette est également un produit de beauté apprécié, qui empêche la chute des cheveux, de la barbe, des ongles et des cils; elle assouplit les nerfs et facilite le mouvement des articulations183. La violette a de nombreuses propriétés thérapeutiques: bue en infusion, elle apaise les douleurs internes, mais on lutilise aussi en cataplasme, en lavement, en décoction ou en pastilles184. On sen sert contre les insomnies grâce à son effet soporifique185. Le narcisse et le lis sont également recherchés pour leur fragrance. Lodeur du narcisse dissipe les embarras ou les pesanteurs du cerveau186. Tant la violette que le jasmin, le narcisse et liris donnent des onguents parfumés très convoités187.

Selon le Kitb al-Istibr, la plupart des roses cultivées à Gafsa sont blanches; leau quon en extrait a le parfum le plus exquis et ressemble au importé dÉgypte. La rose est la fleur la plus prisée à lépoque médiévale et est principalement cultivée en Iran, dans la ville de r, lactuelle F; on y produit le fameux que lauteur attribue à lÉgypte. Cette eau de rose rouge est exportée en grande quantité vers le Maghreb, la Chine ou lInde et jouit dune sorte dappellation contrôlée; lÉtat prélève une taxe sur les entreprises qui la produisent188. Leau de rose est bue pour fortifier lestomac et le cœur, respirée pour faire disparaître la syncope, car elle est tonifiante189. Selon al-Bakr, pour extraire les parfums de la rose, du jasmin ou de la violette, les Kairouanais font macérer ces fleurs dans de lhuile de sésame190. Al-Suy précise quavec les roses cultivées sur des terres salées, on fait de lhuile de rose en ly mélangeant avec de lhuile dolive ou de sésame; lhuile de rose et dolive est plus tonique tandis que lhuile de rose et de sésame calme mieux les

181 Al-Suy, p. 75. Al-Bakr, p. 171/322, signale que dans le désert, la région du Ss et dAġmt, larbre nommé marsn, qui est le myrte / s, ne pousse pas; les habitants de ces régions qui lapprécient fort le font venir depuis les pays qui le produisent.

182 Al-Suy, p. 168. Le jasmin est actuellement un des symboles touristiques de la Tunisie, par lhabitude quont la plupart des hommes, surtout dans le Cap Bon, den porter un petit bouquet à loreille.

183 Ibn Buln, pp. 108-109/220-221; Bolens, Henné et kol, p. 76.184 Al-Suy, p. 82.185 Ibn Buln, pp. 102-103/206-207. Elle symbolise pourtant le deuil, la tristesse et la mort. Chebel,

Dictionnaire des symboles musulmans, p. 172.186 Al-Suy, p. 162.187 Bolens, Henné et kol, p. 76, et Les parfums et la beauté, p. 157; Miquel, La géographie humaine,

III, pp. 426-427. Sur le narcisse, Glünz, E.I., s.v. Nardjis, qui ne traite que de lévocation de cette fleur dans la poésie.

188 Ibn Buln, pp. 102-103/206-207. Miquel, La géographie humaine, III, pp. 427-428; Lockhart, E.I., s.v. F.

189 Ibn Buln, pp. 110-111/222-223.190 Al-Bakr, p. 32/71.

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douleurs191. Outre ses dattes, ses pistaches et ses fruits, Gafsa paraît donc être la capitale ifrqiyenne des produits de beauté et des parfums.

Le Kitb al-Istibr sétend également sur lartisanat: on fabrique à Gafsa des manteaux192, des aylasn-s193 et des turbans de laine extrêmement fine, qui ressemblent aux vêtements destinés aux nobles194. On y fabrique des récipients en poterie, destinés à contenir de leau195, que lon nomme riyya / aériens tant ils sont blancs et fins, au point quon nen connaît nulle part de semblables. On y travaille également du verre de belle qualité; on y façonne dextraordinaires récipients en terre (dont lintérieur est vernissé)196 ainsi que de curieux vases dorés.

Yt vante les figuiers, les dattiers, les pommiers, les oliviers, les pistachiers et les vignes que lon trouve à Gafsa197. Il ajoute que la ville a été construite dans une sebkha, où ne poussent que lalcali / unn et larmoise / . Lalcali est une soude obtenue par la combustion de certaines plantes poussant dans les terrains salins, dont on emploie les cendres pour dégraisser et blanchir les étoffes de laine, ainsi que pour tanner le cuir198. Larmoise est utilisée comme vermifuge dans la médecine traditionnelle, mais son action anthelminthique reste à vérifier199. Les herbes et les bourgeons, ainsi que lhuile quon en extrait, possèdent des propriétés digestives et sont utilisés comme aromate amer200. Al-Idr en donne un exemple: les habitants du désert de Nsar, que lon traverse pour se rendre à Awdaġust, chassent dénormes serpents dont ils coupent la tête et quils mangent préparés avec du sel, de leau et

191 Al-Suy, p. 166.192 Pour Dozy, Dictionnaire détaillé des noms de vêtements, pp. 59-60, note 2, rid désigne un

manteau en général. Pour Kazimirski, s.v., cest un manteau ou un drap dune seule ou de plusieurs pièces, jeté sur les épaules et sur la tête, et par-dessus les autres vêtements.

193 Le aylasn est une sorte de voile posé sur le turban ou sur les épaules, qui retombe sur le dos. Jusquen 676, il nest porté que par les gens de loi, puis est également adopté par les grands d’Égypte. Dozy, Dictionnaire détaillé des noms de vêtements, pp. 254-262 et pp. 278-280. Ce vêtement est réservé en général aux gens remarquables par leur statut, leur science ou leur religion. Miquel, La géographie humaine, IV, pp. 289-294. Al-Muqaddas, pp. 46-49 (éd. trad. Pellat), dit que les Maghrébins shabillent à légyptienne et ne portent que rarement le aylasn; le plus souvent, ils portent le rid tel une cape, les deux pans rejetés au-dessus des épaules. Pour le savant ibite al-, les imm-s nont pas le droit de porter le aylasn. Cuperly, Introduction à l’étude de l’ibisme, p. 143.

194 Notre éd. donne iyb al-urub mais un autre manuscrit donne iyb al-araf. Le terme arb selon Kazimirski, s.v., désigne le lin très fin. Pour Dozy, Supplément, s.v. arb, il sagit dune espèce de soie. Cependant, si iyb avait été suivi par une matière, celle-ci aurait dû être précédée par min ou être indéfinie. Nous adoptons donc iyb al-araf, qui est repris par Fagnan.

195 Notre éd. donne li-l-s. La racine SY signifie « laisser couler le lait » selon Kazimirski, s.v., mais par rapprochement avec al-Bakr, p. 40/88, nous lisons plutôt li-l-m; ce dernier décrit dans ce passage les mêmes gargoulettes riyya à Tunis.

196 Cette précision figure dans un autre manuscrit et est reprise par al-imyar, s.v. Qafa.197 Yt, s.v. Qafa.198 Lombard, Les textiles, p. 147.199 De Lens, Pratiques des harems marocains, p. 18; Sijelmassi, Les plantes médicinales du Maroc, p.

48.200 Sur les très nombreuses espèces que recouvre le terme , voir Dietrich, E.I., s.v. Sh. Voir aussi

Kopf, E.I., s.v. Afsantn.

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de larmoise, affirmant que cest là la meilleure des nourritures201. Henri Duveyrier raconte que lorsque les Touareg viennent en France, ils emmènent avec eux une provision de poudre digestive à base de fleurs darmoise séchées et en font une grande consommation202.

Ibn Sad répète que Gafsa est réputée pour ses palmiers et pour ses pistaches quon ne cultive nulle part ailleurs dans le Maghreb. On y trouve quantité de variétés supérieures de fruits et de fleurs odorantes. De Gafsa, on exporte des peaux de fennec203. On en exporte également de lhuile de violette et du vinaigre de scille204. Le bulbe de la scille / u est un gros oignon, qui pousse dans toute lAfrique du Nord. Si on applique la scille sur la peau, elle provoque une vésication à cet endroit. On la découpe en lanières minces qui sont étuvées ou séchées au soleil, puis préparées en vin ou en teinture; sous forme de poudre, elle est administrée pour ses vertus diurétiques et cardiotoniques205. Ibn Sad semble suggérer que Gafsa est également un centre de production dindigo206. Jean-Léon fait un triste portrait de cette ville, dont lair est malsain, causant des fièvres aux habitants, qui sont méchants et peu accueillants. On y voit de nombreux orangers et on y produit de lhuile dolive de qualité; les dattes, les olives, les toiles et les poteries y sont du premier choix. Jean-Léon raconte que les habitants portent de très larges savates en cuir de cerf, destinées à être ressemelées plusieurs fois207.

Il apparaît donc quen plus de productions locales exceptionnelles comme les pistaches de Gafsa, la production du Sud tunisien se concentre dans deux domaines principaux, le textile et les dattes. Grâce au Kitb al-Istibr essentiellement, nous connaissons la grande variété de dattes produites dans le sud de la Tunisie: al-kasb à Gafsa, unfus à al-mma du Djérid, ruab à Gabès et bahr dans le Djérid, destinées à lutter contre léléphantiasis. Au XIVe siècle, on cultive également à Gafsa les espèces dites .m.rn et b.r.q208. Les dattes, et spécialement les dattes noires, sont utilisées en cure par certains nomades pour améliorer leur santé et traiter notamment les affections hépatiques et lacné; elles sont également considérées comme aphrodisiaques209. Elles représentent la matière sucrante, sans doute plus

201 Al-Idr, pp. 31/37-38.202 Duveyrier, Les Touareg du Nord, p. 178.203 Ibn Sad, trad. Fagnan dans Extraits inédits, p. 9. 204 Ibn Sad, p. 60; Ab l-Fid, p. 143/197. 205 Sijelmassi, Les plantes médicinales du Maroc, p. 215.206 Ibn Sad, trad. Fagnan dans Extraits inédits, p. 9. 207 Jean-Léon lAfricain, p. 445.208 asan, Al-Madna wa-l-bdiya, p. 446. Dozy, Supplément, s.v., donne amr, une espèce de dattes

très rouges. Les dattes b.r.q sont sans doutes nommées ainsi pour faire allusion à leur brillance, baraqa signifiant « briller ».

209 Mac Dougall, The View from Awdaghust, p. 7, note 18.

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encore que le miel210. En cas de famine, les noyaux de dattes pilés donnent de la farine, de même que la nervure des palmes de dattiers séchées211. Les textiles sont également très variés: on trouve des étoffes de laine à Qasliya, à Djerba, à Gabès, et à urra, doù elles sont exportées en Égypte. À Gafsa, on produit des manteaux, des aylasn-s et des turbans de laine fine. On confectionne des vêtements colorés dans le Nafzwa et dans la Qasliya, où les vêtements de Darn sont réputés. Les habits irq sont destinés à l’Égypte. La Qasliya produit également des tapis et Tozeur fabrique des tissus en lin au XIIIe siècle.

6. LES IMPORTATIONS VERS LE SUD TUNISIEN

La nourriture ne manque pas dans le Sud tunisien, où dattes, légumes et fruits viennent à profusion, tandis que les nombreux troupeaux fournissent la viande et le lait. Les seules denrées faisant défaut sont le blé et lorge qui constituent, parmi toutes les sources consultées, la seule mention dune importation régulière. Heureusement, on cultive les grains dans de vastes régions du nord de lIfrqiya et à la fin du IXe siècle, des commerçants de Marmanna viennent échanger des grains contre des dattes à Nefta, y introduisant par la même occasion le isme. La région de Ba en Ifrqiya produit des céréales en quantité212. Plus tard, les céréales importées dans le Djérid proviennent peut-être en partie du Maghreb central des ammdides, qui accordent un intérêt tout particulier à cette production213. Elles peuvent également venir de ars, qui produit de lorge dexcellente qualité, dont on fait un pain sans pareil214. Il est probable que les habitants du Djérid importent également du sucre, même si les dattes peuvent en faire office. La culture de la canne à sucre à Gabès devant être assez limitée, nous pensons que cette ville a peut-être approvisionné Djerba en sucre mais pas lensemble du Sud tunisien, qui a sans doute recours au sucre dexcellente qualité produit en grande quantité dans le Ss215.

Outre ces aliments, les habitants du Djérid, comme ceux de Djerba et de Gabès, importent sans doute de nombreux remèdes ou plantes médicinales. Les problèmes ophtalmiques liés à la réverbération du soleil, à la chaleur, au vent et au sable sont extrêmement fréquents au moyen âge. Les sources ibites le prouvent bien, qui

210 Brunschvig, La Berbérie orientale, II, p. 270.211 Voir notamment Chapelle, Nomades noirs du Sahara, p. 223.212 Al-Bakr, pp. 56/119-120.213 Bourouiba, Les Hammadites, pp. 111-112.214 Al-Idrs, pp. 105/123-124.215 Al-Bakr, p. 161/305, affirme que le sucre du Ss sexporte dans lensemble du Maghreb; Kitb

al-Istibr, p. 212/185 et al-Zuhr, § 314, confirment quon limporte en Ifrqiya.

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citent quantité de savants aveugles. Al-Wisy relate quun ay du abal Nafsa sadresse à un grand savant originaire du Fazzn, qui se trouve alors dans le Sdn, pour lui demander de lui faire parvenir un médicament / daw pour les yeux216. Al-Idr signale dans le Sdn une montagne qui contient des veines de terre douce efficace pour traiter les yeux chassieux / al-ayn al-ramida217. Les habitants de nos oasis importent certainement du kul / khôl, produit recherché dans toutes les oasis sahariennes pour lhygiène et la parure des yeux, qui fait office de collyre. On trouve des mines de sulfure dantimoine, dont on fait le khôl, dans le Sud marocain et dans les oasis du Tuwt et du Gourara218. Plus proches du Djérid, des mines dantimoine existent à Mana219. Lalun est également utilisé dans les soins cosmétiques et en pharmacologie. Pour guérir les ophtalmies, on pulvérise de lalun en le brûlant et on mélange cette poudre avec du blanc dœuf; ensuite, on applique cette pâte sur lœil220. Les nomades du Sud tunisien mélangent le henné à de lalun et du sel pour former la pâte qui servira à teindre la peau221. On le trouve dans les oasis du Sud marocain, du Tuwt et du Gourara222. Cependant, cest lalun du Kawr, qui est de la meilleure qualité et que lon appelle kawr, qui est généralement exporté tant vers lÉgypte que vers le Maghreb al-Aq et vers Ouargla; il y a tellement de mines dans les montagnes du Kawr que ceux qui le vendent peuvent sélectionner la meilleure qualité; malgré lénorme quantité dalun quils exportent, les mines ne sépuisent pas223. Outre le khôl et lalun, qui paraissent indispensables, certaines plantes sont peut-être importées pour soigner des maux répandus dans la région: ainsi, à Qalat Ban ammd, on trouve le fliyn al-arrn, une plante médicinale qui protège, quand on la boit, de la piqûre des scorpions pendant toute une année224; les habitants du Djérid, qui craignent fort les scorpions, se sont peut-être organisés pour la faire venir régulièrement.

216 Al-Wisy, éd. dans Lewicki, Quelques extraits inédits, p. 10; alamm, p. 201. Il est malheureusement frappant de constater quà lheure actuelle, dans le Djérid et surtout dans le Nafzwa, un grand nombre de gens souffre encore dinfections oculaires.

217 Al-Idr, p. 40/47. Duveyrier, Les Touareg du Nord, p. 182, évoque un autre remède contre les ophtalmies, à base de plantes cette fois. Sur les ophtalmies au Sahara, voir ibid., p. 433.

218 Jacques-Meunié, Le Maroc saharien, I, p. 384; Oliel, Les Juifs au Sahara, p. 63, qui ajoute que dans le Tuwt aujourdhui, on utilise comme jadis le khôl pour enduire les poteries avant la cuisson. Au XIe siècle, les documents de la Geniza attestent que de lantimoine était exporté de Tunisie. Goitein, La Tunisie du XIe siècle, p. 571.

219 Al-Ya, p. 349/211.220 Louis, Nomades, p. 192; Goichon, La vie féminine au Mzab, p. 170.221 Louis, Nomades, p. 142.222 Al-Zuhr, § 314, évoque lexportation de lalun du Ss al-Aq. Voir Mauny, Tableau géographique,

pp. 334-336; Oliel, Les Juifs au Sahara, p. 63. 223 Al-Idr, pp. 38-40/45-47; Ibn Sad, p. 48. Sur ce que recouvre le terme abb / alun au moyen âge,

voir Vikr, The Oasis of Salt, pp. 102-105.224 Al-Idr, p. 109/101 (éd. trad. Hadj-Sadok). Selon Hadj-Sadok, trad. p. 101, il sagit de la « menthe

poivrée de arrn ».

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Limportance de lindustrie textile dans le Sud tunisien exige sans aucun doute dimporter nombre de produits nécessaires aux procédés de teinture, parmi lesquels lalun, déjà évoqué pour ses propriétés médicales. Il est en effet le mordant le plus apprécié pour fixer les colorants sur les fibres textiles car, étant incolore, il ne modifie pas la teinte choisie225. Dans le domaine du tannage, qui est une des spécialités de Gabès, de nombreuses importations sont sans doute également nécessaires, dont à nouveau lalun qui rend les peaux imputrescibles. Gabès doit se procurer de fortes quantités de qara, lécorce tannante utilisée dans cette ville. On trouve également dans le Dara un arbre nommé tkawt, dont on se sert à Ghadamès pour y tanner le cuir226. Il y a aussi, dans létape qui précède larrivée à Awdaġust, des arbres qui produisent de la gomme / amġ, que lon exporte vers al-Andalus pour y lustrer les brocards227. Ces diverses marchandises sont peut-être importées à Gabès.

Les documents de la Geniza permettent de dresser une liste des principales importations en Ifrqiya au XIe siècle: en bonne place figurent les épices, les parfums et les plantes tinctoriales, surtout lindigo; la principale importation est le lin égyptien, que les Ifrqiyens tissent et renvoient vers lOrient. Ce commerce est alors si courant que les lettres de la Geniza, qui mentionnent une quinzaine de variétés de lin, parlent de tel nombre de « balles » envoyées, sans préciser leur nature228. Il est certain que les différentes régions du Sud tunisien achètent des épices, au moins de la cannelle et du poivre. On ny importe sans doute pas de parfums, puisque Gafsa en produit de nombreuses variétés appréciées, qui doivent être répandues dans la région. Lindigo constitue peut-être une des importations les plus importantes vers le Sud tunisien, puisque sa culture nest pas signalée à Tozeur avant le XIIIe siècle229. Le lin nest pas non plus mentionné à Tozeur avant le XIIIe siècle; le lin égyptien a peut-être été tissé et teint dans le Sud tunisien, mais aucune source ne le confirme.

Il est possible que les régions de Gabès, de Gafsa, du Djérid et du Nafzwa ont dû importer du bois. Dans son étude consacrée au problème du bois dans la Méditerranée musulmane, Maurice Lombard indique que Gabès manque de bois de construction et que cette ville, produisant beaucoup de canne à sucre, a besoin tant

225 Sur le mordançage à lalun, Coustillac, Note sur la teinture, pp. 358-360; Lombard, Les textiles, pp. 148-149.

226 Al-Bakr, p. 152/291; Kitb al-Istibr, p. 207/176. Sur cette plante, qui serait leuphorbe ou une galle, Dozy, Supplément, s.v. tkawt; Jacques-Meunié, Le Maroc saharien, I, p. 391. Duveyrier, Les Touareg du Nord, p. 173, affirme que la galle des tamarix, nommée takaout, est un des meilleurs tannins connus.

227 Al-Bakr, p. 158/299. Selon Lombard, Les textiles, p. 150, on trouvait la gomme tirée de lacacia gummifera au sud de la Tunisie, entre Sfax et Gafsa.

228 Goitein, La Tunisie du XIe siècle, pp. 572-573.229 Pour al-Zuhr, § 314, lindigo du Dara est exporté dans le Maghreb et lIfrqiya. Al-Idr, p.

43/51, vante la qualité de lindigo cultivé dans les oasis égyptiennes.

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de bois dœuvre pour les presses que de combustible pour les chaudières230. Dans la région de Gafsa et dans le Nafzwa, selon lui, les fours de verriers et de céramistes nécessitent également beaucoup de bois de chauffe231. On ignore si ces régions ont réellement fait venir du bois, puisquelles possèdent deux bons combustibles, le bois dolivier et les palmes sèches232. À une occasion en tout cas, lors du siège de Gafsa par larmée almohade en 1159, de grandes quantités du bois que les chrétiens avaient abandonné sur les côtes d’Ifrqiya ont été acheminées vers Gafsa pour y construire des mangonneaux233.

Quant aux marchandises provenant du commerce transsaharien qui transitent par le Djérid, il est probable que la plupart nintéressent les habitants des oasis que pour les revendre à Kairouan ou à Gabès où elles sont embarquées. Néanmoins, une petite quantité de métaux précieux est certainement travaillée dans les oasis, pour les besoins de la population locale. On se souvient quAb l-Qsim Yazd ibn Malad, particulièrement fortuné, possède une mule dont la selle est décorée dor, ainsi que vingt chameaux portant des bracelets de cheville234. Alors quil séjourne à Qasliya, Sulaymn ibn Zarqn, lancien camarade de lhomme à lâne, est frappé par le nombre de femmes parées de façon voyante que lon voit dans cette ville235. Lor snais est sans doute utilisé pour confectionner des bijoux et des parures pour les riches habitants de la région. Il est probable que les oasiens importent également de largent pour la bijouterie, ainsi que du fer; ces deux métaux proviennent sans doute des mines de la région de Mana236.

230 Lombard, Espaces et réseaux du haut moyen âge, carte 2, carte 4 et p. 170.231 Ibid., pp. 169-170.232 Ibid., p. 165; Goichon, La vie féminine au Mzab, p. 77.233 Voir supra.234 Alamm, p. 312.235 Alamm, p. 224. Sulaymn ibn Zarqn sexclame sur le grand nombre desclaves, nimaginant

pas que ce sont des femmes libres. On lui reproche dexprimer un avis dénigrant et il propose que lon oublie sa remarque. Ensuite, il vante labondance de nourriture que lon voit dans la ville, de façon à se racheter en constatant la prospérité des habitants.

236 Al-Ya, Kitāb al-Buldān, p. 349/211; Ibn awqal, p. 84/81; al-Bakr, p. 145/278.

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II. LES PRINCIPAUX ITINÉRAIRES

1. LES LIAISONS AVEC LEST ET LE NORD DE LIFRQIYA

a. La voie Tripoli - Gabès - Kairouan Gabès est une étape importante sur la voie caravanière qui mène dÉgypte en Ifrqiya et les chameliers sont stimulés lorsquils aperçoivent son phare1. Ibn urradbih et al-Ya comptent cinq étapes entre Tripoli et Gabès, qui séchelonnent sur la grand-route / al-dda l-um2. La route menant de Tripoli à Gabès est souvent dangereuse, infestée de bandits qui capturent les voyageurs et les dépouillent de leurs biens; Ibn awqal met déjà en garde contre ces brigands dans les environs de Gabès3. Dès le début du XIe siècle, comme il a été dit plus haut, la route côtière qui lie Gabès à Tripoli décline à cause du départ des Fimides pour lÉgypte. À certaines époques, le danger est si grand quil vaut mieux faire la route en bateau. On voit ainsi un juif, dans le courant du XIe siècle sans doute, se voir conseiller, alors quil veut se rendre à Mahdiyya depuis Tripoli, de prendre un bateau qui part pour Séville et de gagner ensuite Mahdiyya par la mer! Le voyageur décide malgré tout de suivre la route côtière, rejoignant une petite escorte accordée par le souverain de Gabès à un médecin quil a fait mander. Il apprend par la suite que le navire sur lequel il a failli embarquer a sombré et que peu de gens ont été sauvés en montant dans une petite embarcation4. Malgré ces dangers, les pèlerins se rassemblent à Gabès au XIe siècle5.

Ibn urradbih compte trois étapes entre Gabès et la capitale: on va dabord à Bir al-Zaytna, puis à Katna, puis à al-Y.s.r et enfin à Kairouan6. Al-Ya énumère quatre étapes entre Gabès et Kairouan, soit une étape de plus quIbn urradbih: Ayn al-Zaytna qui n’est pas habitée, puis L.l.s, un château prospère, puis Ġadr al-Arb et enfin une dernière étape, Qalna, qui est une halte pour tous

1 Al-Bakr, p. 17/42.2 Ibn urradbih, p. 86/62; al-Ya, Kitb al-Buldn, p. 347/208. Al-Muqaddas, pp. 64-65 (éd.

trad. Pellat), ne cite que quatre étapes entre Tripoli et Gabès. Le Kitb al-Istibr, p. 112/7, compte huit jours entre les deux villes. Al-Idrs, pp. 121/141-142, compte cinq étapes dans une région qui a été dévastée par les Arabes et propose un autre itinéraire.

3 Ibn awqal, pp. 70/66-67. Voir aussi al-Idrs, p. 107/125.4 Hirschberg, A History of the Jews, p. 261.5 Idris, Contribution à lhistoire de la vie religieuse, p. 345.6 Ibn urradbih, pp. 86-87/62. De même, al-Muqaddas, pp. 64-65 (éd. trad. Pellat), énumère trois

étapes entre Gabès et Kairouan mais il donne al-K.b.s au lieu dal-Y.s.r. Plus loin, pp. 66-67, il sembrouille à plusieurs reprises dans le calcul des étapes: il nen compte que deux entre Kairouan et Gabès ou entre Kairouan et Nefta, puis évoque cinq étapes entre Kairouan et Gabès! Al-Iar, p. 46, compte vingt étapes entre Tripoli et Kairouan!

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ceux qui sortent de Kairouan ou qui y pénètrent7. Ibn awqal compte six journées de marche entre Kairouan et Gabès8. La route importante menant à la capitale emprunte visiblement la voie la plus directe entre les deux villes, qui couvre environ 215 km; les six jours annoncés par Ibn awqal ne sont pas excessifs pour couvrir cette distance. Al-Bakr décrit quant à lui une autre route, qui longe la côte de Gabès jusquà Sfax puis coupe vers Kairouan9. Arrivées à Kairouan, les caravanes gagnent Tunis10.

Gabès est également une escale sur la voie maritime menant à Mahdiyya et à lépoque dal-Bakr, on rencontre dans son port des navires venus de toutes les régions du monde11. Au contraire, al-Idr estime que le port de Gabès est de moindre importance car il nest pas protégé du vent; seuls les bateaux dun gabarit réduit peuvent mouiller dans la petite rivière soumise aux marées12. La mer présente de nombreux risques dans les environs de Gabès: outre les pirates de Djerba, les marins doivent affronter les dangereux bancs de sable de la mer dite al-qar, située entre Djerba et les îles Qarqana; ils peuvent cependant se repérer grâce à la tour qar al-bayt13. Pour aller à Djerba depuis le continent, les voyageurs ont le choix entre deux trajets, tous deux expérimentés par al-Ti. Le premier est sans doute le plus utilisé: de la plage de Djorf, on embarque sur des bateaux qui accostent sur la plage dAm. Lautre trajet relie Djerba à la presquîle de Akra, par le détroit appelé sil al-barr: la traversée peut se faire en bateau, mais il y a moyen à cet endroit de rejoindre le continent avec les chevaux, qui doivent nager à certains endroits plus profonds. Al-Ti ajoute quil faut bien connaître ce trajet pour sy aventurer14.

b. La voie Kairouan - Gafsa - Tozeur - NafzwaAl-Ya signale que de Kairouan, on gagne la région de Qammda, puis Gafsa, puis les quatre villes de la Qasliya; trois étapes sont ensuite nécessaires pour rejoindre les villes du Nafzwa15. Pour aller de Gafsa à Kairouan, on passe par irq et Fa al-imr16. À vol doiseau, environ 200 km séparent Kairouan de

7 Al-Ya, Kitb al-Buldn, p. 347/208. L.l.s équivaut sans doute au toponyme Alsar ou al-Yasar cité par Ibn urradbih, p. 87/62. Al-Bakr, p. 29/65, situe Qalna à 12 milles de Kairouan.

8 Ibn awqal, p. 70/66.9 Al-Bakr, pp. 19-20/45-47.10 Al-Iar, p. 46, et al-Bakr, p. 37/80, comptent trois étapes entre Kairouan et Tunis.11 Al-Bakr, p. 17/42.12 Al-Idr, p. 107/125.13 Al-Bakr, p. 19/44 et p. 20/47.14 Al-Ti, p. 121/113 et pp. 131-132/125-126. 15 Al-Ya, Kitb al-Buldn, pp. 349-350/211-213. 16 Al-Bakr, p. 47/101.

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Gafsa et 85 km séparent Gafsa de Tozeur. Il faut donc au moins sept jours pour aller de Kairouan à Tozeur, si lon marche un peu plus de 40 km par jour17. Al-Idrs est le premier à mentionner une liaison entre Gafsa et Sfax, que lon parcourt en trois jours18.

Il semble que les caravanes arrivées à Tozeur ont le choix entre deux passages pour traverser la sebkha: le premier de ces passages, le arq al-tawzariyya, nest plus utilisé aujourdhui: il liait Tozeur à Fansa puis Kébili19. Le second passage est celui qui est actuellement asphalté, le arq al-malla, qui liait lancienne Taqys à Fansa20. Daprès les informations dal-Umar, il faudrait plus dune demi-journée pour parcourir cette route, tandis que si on contourne la sebkha par les terres cultivées, un jour et une nuit sont nécessaires21. La traversée de la sebkha présente de nombreux dangers22. Al-Bakr est le seul géographe qui note le rôle que jouent les Ban Mlt, nomades de la région qui guident les caravanes qui empruntent cette route. Il est le premier à décrire le système des bâtons fixés dans le sol, qui permettent de ne pas sécarter du chemin23. Al-Umar rapporte à tort que ce sont les Ban Ġniya qui ont installé ces piquets24. Charles Tissot décrit ce système de marques: il sagit à son époque de pierres de quarante à cinquante centimètres de hauteur ou dossements de chameaux, qui sont fichés dans la croûte saline tous les cinq à six cents mètres; par leffet du mirage, on les aperçoit de très loin. Son guide lui explique que les troncs de palmier mentionnés par les auteurs arabes ont été emportés par les grandes eaux25.

Le Kitb al-Istibr précise quau milieu de la sebkha, une petite île renferme une source deau douce, à laquelle les voyageurs peuvent se désaltérer26. Cet endroit est appelé aujourdhui « al-Manaf » / le milieu. Al-Umar évoque également cet espace / fura situé au milieu de la sebkha, où les voyageurs peuvent se reposer27. Charles Tissot indique quil sagit dune plate-forme circulaire, dune vingtaine de

17 Selon al-Bakr, p. 182/340, Qasliya / Tozeur serait en effet séparée de Kairouan par sept jours de marche. Cependant il compte trois jours entre Gafsa et Kairouan et deux étapes entre Tozeur et Gafsa. Il indique également que Madnat Nafzwa, cest-à-dire Ba, serait située à six jours de Kairouan. Al-Bakr, pp. 47/100-101 et pp. 75/153-154. Al-Muqaddas, pp. 64-65 (éd. trad. Pellat), compte sept étapes entre Kairouan et Gafsa, puis trois étapes entre Gafsa et Qasliya.

18 Al-Idrs, p. 107/125. 19 Tissot, Géographie comparée, I, p. 128, signale que ce passage est fort dangereux, surtout lorsque

le vent dest souffle et fait refluer les eaux, qui linondent complètement.20 Lewicki, Études maghrébines et soudanaises, I, p. 29.21 Al-Umar, p. 246/133. 22 Voir Prevost, La traversée du chott el-Djérid, pp. 125-143.23 Al-Bakr, p. 48/102. Sur ces piquets, Kitb al-Istibr, p. 158/83; Ibn aldn, VI, p. 529/III, p.

156. 24 Al-Umar, p. 246/133. De plus, il attribue ce système au père de Al et Yay ibn Ġniya, et non

à ses deux fils.25 Tissot, Géographie comparée, I, p. 125.26 Kitb al-Istibr, p. 158/84.27 Al-Umar, p. 246/133.

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pas de diamètre, qui sélève à deux ou trois pieds au-dessus du niveau de la sebkha. On lappelle parfois « la montagne de sel » et on y trouve plusieurs blocs de pierre grossièrement superposés qui lannoncent aux voyageurs et apparaissent de loin, par leffet du mirage, comme une gigantesque pyramide. Cest à cet endroit que les caravanes font halte et passent éventuellement la nuit; de ce fait, le sol est recouvert dune couche épaisse de noyaux de dattes et de fumier. On y voit toujours lorifice dun puits antique, comblé depuis longtemps28.

Al-Bakr raconte que des armées et des groupes de gens se sont aventurés dans la sebkha et y ont disparu à tout jamais29. Al-Ti livre plusieurs anecdotes quon lui a racontées à loccasion de sa traversée de la sebkha, quil appelle Tkmart30. Ainsi, une caravane comptant mille chameaux est engloutie: un des animaux quitte la route, suivi par tous ses congénères; ils sont tous avalés par le sol, qui redevient tel quil était, comme si les mille chameaux navaient pas existé. Une autre caravane traverse la sebkha alors que les voyageurs sy sont succédé pendant la première moitié de la journée, et que les empreintes de pas et de sabots ont fortement abîmé une partie de la route. À côté du sol ferme, la terre se déchire sur une longueur denviron cent coudées, submergeant une partie de la caravane. Une grande quantité de charges sont définitivement perdues. Les survivants parviennent à égorger certains chameaux qui sont en train de senfoncer et à récupérer quelques membres de ces pauvres bêtes31. Al-Ti remarque de nombreux ossements humains au pied des piquets qui indiquent la route, dont ceux dune femme, morte avec sa petite fille quelle tient serrée contre elle. On raconte que cette femme, qui sest fâchée dans le Nafzwa avec son époux, a juré de passer la nuit à Tozeur; selon une autre version, elle sest disputée avec lui à Tozeur et a juré de passer la nuit dans le Nafzwa; toujours est-il quelle est partie avec sa fille et quelles ont trouvé la mort en chemin32.

Al-Ayy, qui emprunte en 1662 la route du pèlerinage33, raconte son voyage en ces termes: « nous entrâmes dans la grande sebkha, guidés par les étoiles, et nous la traversâmes avec beaucoup de peine. Ce ne fut quaprès plus dune heure de recherches que nous réussîmes à trouver le chemin, lequel nest autre chose quun sentier accidenté, étroit comme un cheveu, et coupant comme le tranchant dune épée. Les bêtes de somme ny pouvaient marcher quune à une, et si quelque chameau

28 Tissot, Géographie comparée, I, p. 126. Notons quon comprend mal comment un îlot dont le diamètre ne mesure quune vingtaine de pas peut accueillir une caravane, si réduite soit-elle.

29 Al-Bakr, p. 48/102. 30 Lappellation « Tkmart » est également utilisée par Mawl Amad, p. 285, qui dit « Takmart ».

Il sagit dun terme berbère qui désigne un passage dangereux, étroit, difficile. Peyras et Trousset, Le lac Tritonis et les noms anciens du chott el Jérid, p. 174.

31 Al-Ti, pp. 155/141-142. 32 Al-Ti, éd. p. 156 (pas de trad.).33 Depuis Siilmsa, la route qui conduit à La Mecque passe par Laghouat / al-Aġw, Tozeur, le

Nafzwa, Gabès puis Tripoli. Voir Trousset, Le franchissement des chotts, p. 46.

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ou mule venait à dévier le moins du monde, il courait le risque de sembourber et de disparaître. »34 Une cinquantaine dannées plus tard, Mawl Amad emprunte le arq al-malla au départ de Saddda pour traverser la sebkha, quil appelle al-saba l-kabra l-hila, la grande et effrayante sebkha35. Il donne également de nombreux détails sur sa seconde traversée, à son retour du Nafzwa vers Tozeur: « le guide précédait la caravane, et nous marchions doucement, avec les plus grandes précautions, sur une ligne donnée, étroite, où les chameaux ne passaient quun à un. Nous trouvâmes le chemin bordé par des broussailles et des palmiers à droite et à gauche, et ne laissant quun étroit passage, et celui qui se hasarde à droite ou à gauche est aussitôt submergé dans la boue. Celui qui ne connaît pas cet endroit ne peut sen tirer. (…) La nuit na pas détoiles en cet endroit; elles se cachent derrière les montagnes. Le vent y souffle à rendre sourd, et souffle à la fois et de droite et de gauche, au point de vous faire sortir de votre chemin; il vous jette le sable à la figure; on ny peut ouvrir les yeux quen prenant de grandes précautions. »36

Au vent, à la chaleur et aux sables mouvants sajoutent des difficultés supplémentaires. Leau transportée dans les outres se charge de sel et nécessite quon y mélange du sucre ou du miel pour être bue37. Al-Ti et al-Umar soulignent également quil est difficile de conserver de leau douce pendant la traversée38. Dautre part, les indications fréquemment fichées en terre pour éviter aux voyageurs de ségarer ne sont pas toujours fiables. Al-Ti explique en effet quil a constaté que nombre des piquets censés indiquer le chemin à suivre ont été déplacés par le vent, indiquant dès lors une mauvaise direction39. Outre cela, il arrive que des bandes de pillards tentent de profiter de lisolement et de la peur des voyageurs pour semparer de leur chargement. Alamm en donne un exemple en racontant la traversée de la sebkha du Djérid par Ab Abd Allh Muammad ibn Bakr et un groupe de azzba. Alors quils se rendent du Nafzwa à Taqys, ils sont arrêtés en plein milieu de la sebkha par des cavaliers qui comptent apparemment les détrousser. Heureusement, apprenant que ce sont des azzba, le chef des cavaliers les laisse passer40.

34 Al-Ayy, p. 71.35 Mawl Amad, p. 248. 36 Mawl Amad, pp. 283-286.37 Kitb al-Istibr, p. 158/84.38 Al-Ti, p. 156/142; al-Umar, p. 246/133.39 Al-Ti, p. 156/142.40 Alamm, pp. 361-362.

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c. La voie Tozeur - Gabès - abal NafsaAprès avoir traversé la sebkha, les caravanes venues de Tozeur rejoignent Kébili et se dirigent vers Gabès: cest la route Tozeur - Bar - urra - Gabès décrite par al-Ti41. On ignore si elles passent au nord ou au sud du abal abga, mais il est certain quelles traversent al-mma de Gabès42. Madnat Nafzwa, cest-à-dire Ba, est située à trois jours de Gabès pour al-Bakr, ce qui paraît un peu court, puisque 150 km environ séparent ces deux villes43. Arrivées à Gabès, les caravanes gagnent al-Zrt, Mareth puis Ġumrsin44. Il est probable quelles se dirigent ensuite vers Tallat, Tin, Déhibat, puis Nlt à la limite occidentale du abal Nafsa et enfin as45. Al-Idrs compte six jours entre le abal Nafsa et Qasliya, trois jours entre le abal Nafsa et le abal Dammar; le trajet abal Nafsa - Tozeur - Ouargla nécessite douze jours de marche46.

d. La voie Kairouan - Thart - Maghreb extrêmeIbn awqal décrit précisément trois itinéraires qui mènent de Kairouan à al-Masla. Dal-Masla, ces itinéraires continuent vers Thart, Tlemcen et finalement Fès47. La première route passe par Kairouan, Sbba, Marmanna, Maskyna, Bġy / Bġya et ubna pour aboutir à al-Masla48. Cest le principal axe ouest-est, qui est issu de la conquête musulmane49. La seconde route relie Kairouan à al-Masla par Laribus, Tf, Qar al-Ifrq et Tis50. Cet itinéraire, qui double le précédent par le nord, a certainement été beaucoup moins emprunté par les commerçants du Sud tunisien. Une troisième route bien plus méridionale relie Kairouan à al-Masla par Gafsa, Qasliya / Tozeur, Nefta, Madla, Bdis, Tah / Taha, Biskra et

41 Al-Ti, pp. 134-156/127-142. Dans la première moitié du XIXe siècle, Carette, Étude des routes suivies par les Arabes, pp. 200-205, établit les trois routes qui mènent de Nefta à Gabès. Le premier itinéraire passe par Chébika et joint donc Gabès par le nord. Les deux autres itinéraires passent par le Nafzwa, par le nord du abal ga puis par al-mma. Un de ces itinéraires présente une variante: depuis Nefta, au lieu de traverser la sebkha, on peut la contourner par louest et rejoindre Kébili.

42 À lépoque afide, on frappait de la monnaie dor à al-mma de Gabès. asan, Al-Madna wa-l-bdiya, p. 272, daprès al-Burzul.

43 Al-Bakr, p. 47/102. Al-Idrs, p. 106/124, compte un peu plus de trois jours entre Nefta et Gabès, ce qui est beaucoup trop peu pour 240 km environ.

44 Al-Ti, pp. 119-120/109-110 et pp. 179-184/154-160.45 Lewicki, Études maghrébines et soudanaises, I, pp. 30-31.46 Al-Idrs, p. 106/124 et pp. 122-123/144. 47 Ibn awqal, pp. 88-90/85-88.48 Ibn awqal, pp. 84-86/80-83. Al-Ya, Kitb al-Buldn, pp. 350-353/213-216 compte dix

étapes entre Kairouan et ubna. Al-Bakr, pp. 49-50/105-108, donne le même itinéraire par ubna lorsquil décrit la route pour Qalat Ban ammd. Voir aussi al-Bakr, pp. 144-146/274-280, dans litinéraire de Fès à Kairouan.

49 Dahmani, Essai détablissement dune carte des voies de circulation, p. 338.50 Ibn awqal, pp. 86-88/83-85; al-Idrs, pp. 120/140-141. Al-Bakr, pp. 53-54/114-115, décrit le

même itinéraire par Qar al-Ifrq lorsquil décrit la route pour Qalat Ban ammd.

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ubna51. Il sagit évidemment de la voie la plus fréquentée par les commerçants du Djérid, puisquelle leur évite le long détour par Kairouan52. Al-Bakr signale également cette voie directe qui mène de Tozeur au Zb, lorsquil décrit la route qui mène en quarante-trois jours dOran à Kairouan en passant par la Qasliya. Il ajoute une étape auparavant ignorée par les sources: de Bs / Bis, on gagne Qayn-Baya, où la route se scinde en trois, vers le bild al-Sdn, Tripoli ou Kairouan. Il reste alors deux jours pour atteindre Nefta53. Ailleurs, al-Bakr affirme quune seule étape sépare Qayn-Baya de Nefta54. À lépoque dal-Bakr, Qayn-Baya forme déjà un important carrefour routier; le Kitb al-Istibr note également quil sagit dun gros village / qarya où se rassemblent les caravanes55. Tadeusz Lewicki identifie Qayn-Baya avec Zarbat al-Wd / Zeribet el-Oued de nos cartes, ville située à 82 km à lest de Biskra56, ce qui paraît peu convaincant: en effet, Zarbat al-Wd est située entre Biskra et Bades, lancienne Bis, ce qui ne correspond pas à litinéraire précis fourni par al-Bakr. Il paraît certain quil faut situer Qayn-Baya à lest de Bis57.

2. LES ITINÉRAIRES VERS LE SDN AU DÉPART DE TOZEUR

a. La voie Tozeur - Ouargla - Tdimakka - KawkawDu Djérid, on gagne la grande oasis du Sf. Les sources ibites parlent du Sf, du w Sf, ou encore dAsf, qui signifie « rivière » en berbère. Cette oasis comprend plusieurs villages: outre le village principal, Sf, les textes ibites mentionnent aussi la localité al-Riml qui en était isolée par des dunes. Le village principal correspond peut-être à lactuelle al-Wd, mais lautre village est impossible à localiser. Les habitants du Sf sont pour la plupart des Zanta; leur population saccroît vers 1050 avec la migration des rescapés de Qalat Ban Darn58. Depuis le Sf, on rejoint les oasis du w Rġ ou d’Arġ, qui comprennent de nombreux qur. Ceux-ci atteignent le nombre de trois cents à lépoque dIbn aldn59. Les textes ibites

51 Ibn awqal, p. 88/85.52 Selon Golvin, Le Marib central, p. 85, une autre voie lie directement Tozeur à Thart, qui passe

par al-Wd dans le Sf et remonte ensuite vers le nord par lactuelle Bou-Saada.53 Al-Bakr, pp. 74-75/152-153. 54 Al-Bakr, pp. 47-48 /101-102.55 Kitb al-Istibr, p. 175/114.56 Lewicki, Études maghrébines et soudanaises, I, p. 20.57 Sur la localisation de Qayn-Baya, voir Prevost, La Qasliya médiévale et la toponymie du

Djérid tunisien.58 Sur le Sf et le w Rġ, Lewicki, Études maghrébines et soudanaises, II, pp. 75-80. Les routes

évoquées ici sont représentées, de façon simplifiée, sur la carte 6.59 Ibn aldn, VI, p. 118/I, p. 192.

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reprennent plusieurs noms de localités mais lactuelle Touggourt napparaît pour la première fois que dans la première moitié du XIIe siècle, sous le nom de Tġrt, à propos de la fondation dune alqa dans cette ville. Tout comme le Sf, le w Rġ est principalement peuplé de Zanta, dont les Rġa, une fraction des Maġrwa, qui ont donné leur nom à ces oasis. Du w Rġ, les caravanes se rendent à Ouargla, une grande oasis qui comprend plusieurs localités. Du Xe au XIIe siècle, Sadrta, située à 14 km au sud de Ouargla, est la capitale de cette oasis et est elle-même connue sous le nom de Ouargla. Selon Ibn aldn, ce sont les Zanta Ban Wrkl qui ont créé Ouargla60. Des Sadrta, une branche des Lawta, y vivent également, ainsi que des Ban Zandk, une fraction des Maġrwa, qui furent les soutiens dAb Yazd. On y trouve également des Tinwata, qui sont aussi représentés à Ghadamès et dans le Nafzwa, et la communauté chrétienne des Mana61. Il apparaît donc que toutes les oasis qui jalonnent le tronçon Tozeur - Ouargla sont dans leur grande majorité peuplées de Zanta.

Selon al-Bakr, Qasliya / Tozeur est séparée de Ouargla par quatorze jours de marche62. Les deux villes étant distantes denviron 400 km, son indication paraît tout à fait exacte. Il signale une route qui joint Tozeur à Ouargla par Nefta et Qayn-Baya63. Cet itinéraire, qui passe certainement par le Sf, est beaucoup plus long que la piste qui relie directement Tozeur à al-Wd, les deux villes étant séparées par 150 km environ. Sachant que Qayn-Baya est un lieu de rassemblement des caravanes, nous supposons que cet itinéraire plus long présente de grands avantages commerciaux et quil est plus fréquenté que la voie directe, qui ne traverse que des sables.

Tdimakka se trouve au nord-est de Kawkaw, dans la région montagneuse de lAdrar des Ifoghas, à lemplacement des ruines dal-Sq64. Al-Bakr est le premier géographe à évoquer la route qui conduit de Tdimakka à Ouargla, après cinquante jours de marche dans le désert65. Étant donné quil compte quatorze étapes pour aller de Ouargla à Tozeur, il faudrait donc soixante-quatre jours pour gagner cette ville depuis Tdimakka. La première localité rencontrée sur la voie Ouargla - Tdimakka est El-Goléa / al-Qulaya, au sud-ouest de Ouargla, qui est décrite par al-Bakr sous le nom dal-Qala66. Après El-Goléa, on rejoint In Salah puis les montagnes du Mouydir, à louest du massif du Hoggar, dans lesquelles se situe la vallée de uġrf.

60 Ibn aldn, VII, pp. 61-62/III, p. 286.61 Sur Ouargla, voir Lewicki, Études maghrébines et soudanaises, II, pp. 83-91.62 Al-Bakr, p. 182/340; Kitb al-Istibr, p. 224/209. Al-Idr, p. 121/141, ne compte que treize

étapes entre Ouargla et Gafsa, ce qui paraît trop peu alors qu’environ 500 km les séparent. 63 Al-Bakr, pp. 74-75/152-153. 64 Mauny, Tableau géographique, pp. 117-118. 65 Al-Bakr, p. 182/340; Kitb al-Istibr, p. 224/207.66 Al-Bakr, pp. 77/156-157.

372

On gagne ensuite Abalessa dans le Hoggar et enfin Tdimakka67. Neuf journées séparent Tdimakka de Kawkaw68. Si lon se fie aux renseignements que fournit al-Bakr, soixante-treize journées de marche sont donc nécessaires pour gagner Kawkaw au départ de Tozeur.

Les caravanes qui suivent litinéraire décrit ci-dessus font étape dans la petite vallée de uġrf, qui leur offre une source thermale et des palmeraies. Au cours du XIe siècle sans doute, parallèlement à laccroissement du commerce transsaharien, les négociants abandonnent la piste traversant le pays de uġrf: le chemin menant à cette vallée paraît déjà oublié lorsquAb Abd Allh Muammad ibn Bakr, mort en 440/1048-1049, tente sans succès de sy rendre. Au lieu de traverser la vallée de uġrf, les caravanes empruntent un nouvel itinéraire entre In Salah et Tdimakka, qui traverse sans doute lactuelle Tessalit dans lAdrar des Ifoghas69. Le souvenir de létape paradisiaque de uġrf se transforme alors en légende pour les ibites: uġrf figure un endroit perdu dans le désert mais riche en eau, où les quelques rares derniers croyants pourront se réfugier à la veille de la fin du monde et séjourner jusquà lapocalypse. Comme ils ont oublié le chemin qui mène à uġrf, les ibites identifient ce lieu paradisiaque au wd Rġ70.

b. La voie Tozeur - Ouargla - Siilmsa - ĠnaPour gagner Ġna, dont la capitale était vraisemblablement située à lemplacement des ruines de Kumbi S, sur la frontière méridionale de la Mauritanie71, litinéraire le plus fréquenté au départ de Tozeur passe par Ouargla, Siilmsa et Awdaġust. Les caravanes joignent dabord El-Goléa qui constitue également une étape sur la voie qui mène à Tdimakka. DEl-Goléa, elles traversent les oasis du Gourara, puis contournent le Grand Erg par le sud, en remontant vers le nord-ouest le long de loued Saoura pour atteindre le Tafillet72.

Al-Muqaddas évalue à trente étapes la distance entre Qasliya et Siilmsa, si on traverse les sables, et cinquante étapes si on traverse les régions habitées, cest-à-dire sans doute en passant par le nord73. Ibn awqal compte deux mois de route entre Siilmsa et Kairouan, lorsque lon passe par le Nafzwa et la Qasliya74. Al-

67 Lewicki, Études maghrébines et soudanaises, I, pp. 35-36.68 Al-Bakr, p. 183/342; Kitb al-Istibr, p. 225/210.69 Sur cette route voir Lewicki, Études maghrébines et soudanaises, I, pp. 36-37. 70 Lewicki, Une croyance des ibites nord-africains, pp. 326-327. Voir supra.71 Mauny, Tableau géographique, pp. 72-74. 72 Lewicki, Études maghrébines et soudanaises, I, p. 17.73 Al-Muqaddas, pp. 64-65 (éd. trad. Pellat).74 Ibn awqal, p. 93/91. Devisse dans Histoire générale de lAfrique, III, p. 287, fig. 14.2, estime que

ces deux mois sont trop longs et supposent détours et arrêts.

373

Bakr note quarante-six ou cinquante-trois journées entre Kairouan et Siilmsa75. Il y a environ 1600 km entre Tozeur et Siilmsa par la route des oasis du Gourara. La durée minimale de ce voyage correspond sans doute à une quarantaine de jours à raison denviron 40 km par jour en passant par Ouargla, et davantage encore en empruntant les routes passant par le nord. Al-Iar, quant à lui, évalue la distance entre Kairouan et Siilmsa à quatre-vingts étapes si on traverse les sables et à cent vingt étapes si on traverse les régions habitées76. Cette indication ne doit pas être prise en compte, puisque les durées quil attribue à ces trajets sont souvent très exagérées, impliquant une cadence beaucoup trop lente.

Les premiers géographes insistent sur la difficulté des routes qui mènent tant à Siilmsa quaux mines dor77. Partant de Siilmsa pour gagner le territoire des Sn, on traverse le désert pendant une cinquantaine de jours et lon rencontre la tribu des Anbiya. Ces territoires sont peuplés par des ha nomades, dont les trois branches principales sont les Massfa au nord et à lest, les Lamtna au centre et au sud, les uddla dans le Sahara atlantique; on ignore si les Anbiya désignent une seule de ces trois branches ou une confédération de celles-ci. On atteint finalement Ġas / Awdaġust78.

Al-Bakr décrit plusieurs itinéraires entre Siilmsa et Awdaġust. Les étapes que lon peut certainement identifier sont Tmadalt / Tmdlt-Wqa et Awdaġust / Tegdaoust; zil serait la Kédia dIdjil79, T.n.d.f.s pourrait être Tindouf80. Al-Bakr cite aussi Ark, qui correspond sans doute à Azuq81. Ibn Sad cite in al-Mil, qui est sans doute égale à Ttantl dal-Bakr, un château bâti en blocs de sel; il ne pourrait sagir que de Taġza82.

Ibn awqal, à juste titre semble-t-il, compte deux mois de route entre Siilmsa et Awdaġust83. Pour al-Muhallab, il y a un peu plus de quarante jours, tandis qual-

75 Al-Bakr, pp. 151-152/289.76 Al-Iar, p. 46.77 Voir par exemple al-Iar, p. 39 et p. 45; al-Muqaddas, pp. 28-29 (éd. trad. Pellat).78 Al-Ya, Kitb al-Buldn, pp. 360/226-227. Sur les Anbiya, voir Devisse et Hrbek dans Histoire

générale de lAfrique, III, p. 267; Lewicki, L’État nord-africain de Thert, pp. 528-529.79 Lewicki dans Histoire générale de lAfrique, III, p. 239. Mauny, Tableau géographique, p. 327, par

contre, estime que lexploitation de la saline dIdjil ne peut être antérieure à 1068.80 Al-Bakr, p. 156/296 et p. 164/310. Sur ces routes, Monteil, Al-Bakrî (Cordoue 1068), Routier

de lAfrique blanche et noire du Nord-Ouest, pp. 90-91 et p. 99; Lewicki, Études maghrébines et soudanaises, I, pp. 45-47; Levtzion, The Sahara and the Sudan, pp. 648-649. Sur Tmadalt, Ibn awqal, p. 92/91.

81 Al-Bakr, p. 167/316. Cuoq, Recueil, p. 90, note 1. Sur Azuq, al-Zuhr, § 364; al-Idrs, p. 60/69; Ibn Sad, p. 46.

82 Al-Bakr, p. 171/322; Ibn Sad, p. 47. Mauny, Tableau géographique, p. 116 et p. 328. Tymowsky, La saline dIdjil, p. 10, estime que in al-Mil pourrait être plutôt Idjil. Pour Mac Dougall, The View from Awdaghust, p. 9, Ttantl pourrait correspondre à Idjil.

83 Ibn awqal, p. 92/90. Devisse dans Histoire générale de lAfrique, III, p. 287, fig. 14.2, est daccord, avec des étapes denviron 30 km par jour.

374

Bakr compte cinquante et un jours84. DAwdaġust, on se rend à Ġna. Ibn awqal compte un peu plus de dix jours entre ces deux villes, si lon voyage seul85. Al-Idrs estime quil faut douze jours86. Al-Bakr évalue à deux mois le trajet Siilmsa - Ġna87. Ailleurs, ces deux mois ne suffisent quà parcourir la route entre Siilmsa et Awdaġust88. Certains auteurs comptent trois mois de Siilmsa à Ġna, mais al-ar insiste sur le fait que le voyage du retour est bien plus rapide, puisque les charges sont beaucoup moins nombreuses: il y aurait moyen de rentrer à Siilmsa en moins dun mois et demi89.

Nous avons estimé quil fallait au moins quarante jours entre Tozeur et Siilmsa. Il faut y ajouter soixante jours entre Siilmsa et Awdaġust, puis dix jours entre Awdaġust et Ġna. Il paraît donc que les commerçants partant de Tozeur ne pouvaient espérer atteindre Ġna avant cent dix jours au moins, ce qui représente un voyage étonnamment long, de près de quatre mois. On peut imaginer la rigoureuse organisation que nécessite un tel périple qui, de plus, ne peut se faire quà certaines époques de lannée: Ibn awqal affirme quon ne peut traverser le désert qui mène au Sn que pendant lhiver90. Al-Idr, quant à lui, établit quil ny a que pendant lautomne que lon traverse le désert de Nsar, qui permet de se rendre à Awdaġust et à Ġna91.

c. La voie Tozeur - Ghadamès - Tdimakka - KawkawAl-Muhallab mentionne que Ghadamès est liée à Gabès par une route que lon parcourt en quatorze étapes92; de Gabès, il est facile de joindre Tozeur. Tozeur était certainement reliée de façon plus directe à Ghadamès, mais nous navons trouvé aucun témoignage relatif à cette voie à lépoque médiévale. La route menant du Djérid au abal Nafsa par Tin comportait certainement un embranchement menant à Ghadamès; nous supposons que cette piste débutait dans les environs de Déhibat ou de Nlt et se dirigeait vers le sud en suivant la limite orientale du Grand Erg. Elle était sans doute dangereuse. Dans la première moitié du XIXe siècle en effet, une route lie Nefta à Ghadamès, sans doute par Tozeur: cette route est déserte et aride, on ny trouve pas deau et elle est parfois attaquée par des Touareg; la route

84 Al-Muhallab dans Yqt, s.v. Awaġast; al-Bakr, pp. 159/302-303, qui ajoute quil y a cent dix jours entre Kairouan et Awdaġust.

85 Ibn awqal, p. 92/90. Devisse dans Histoire générale de lAfrique, III, p. 287, fig. 14.2, confirme ces dix jours. Al-Bakr, p. 168/317, compte quinze jours de route.

86 Al-Idrs, p. 32/38.87 Al-Bakr, p. 149/284; Kitb al-Istibr, pp. 200-201/162.88 Al-Bakr, p. 168/317. 89 Yt, s.v. Tibr; al-ar, trad. Cuoq dans Recueil, p. 188.90 Ibn awqal, p. 103/101; Jean-Léon lAfricain, p. 53.91 Al-Idr, p. 31/38.92 Al-Muhallab dans Ab l-Fid, p. 143/198.

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qui mène de Gabès à Ghadamès, par contre, compte plusieurs puits et les caravanes y sont conduites et protégées par les Warġamma93.

Al-Bakr cite deux itinéraires différents qui mènent de Tdimakka à Ghadamès, aboutissant au abal Nafsa et enfin à Tripoli. Dune part, de Tdimakka, on traverse un désert pendant quarante jours en ne trouvant de leau que tous les deux ou trois jours; ensuite, pendant sept journées, on marche dans le désert de Ghadamès au abal Nafsa; il reste alors trois jours pour Tripoli94. Une seconde route mène de Tdimakka à Ghadamès, mais elle est très rude et offre encore moins deau que la précédente: les voyageurs sont forcés demmener avec eux une grosse provision deau et de bois; néanmoins, elle comporte des mines de grand intérêt95. Il est probable que la première de ces routes passait par les oasis du Tuwt, tandis que la seconde, plus directe, traversait le Hoggar et le Tassili96.

Que ce soit par Ghadamès ou par le abal Nafsa, Tozeur est en contact avec de nombreux grands centres commerciaux libyens. Du abal Nafsa, on gagne d puis Zawla, où les caravanes se rassemblent97. Al-Iar et al-Muqaddas comptent environ un mois de route entre Kairouan et Zawla98, ce qui semble beaucoup trop peu. De Zawla, on atteint le Knim en quarante jours99.

93 Carette, Recherches sur la géographie, p. 89.94 Al-Bakr, p. 182/340. Alamm, p. 216, compte sept ou huit étapes entre Ghadamès et le abal

Nafsa. 95 Al-Bakr, pp. 182-183/341. 96 Thiry, Le Sahara libyen, p. 419.97 Al-Bakr, pp. 10/26-27. 98 Al-Iar, p. 46; al-Muqaddas, pp. 64-65 (éd. trad. Pellat).99 Al-Bakr, p. 11/29.

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III. LA FONDATION ET L’ÉVOLUTION DU COMMERCE IBITE

Les renseignements sur le commerce de lIfrqiya au VIIIe siècle sont très rares. Dès laffermissement de leur autorité en Ifrqiya, les gouverneurs arabes développent le commerce, en reprenant les routes utilisées par les Byzantins et en créant de nouveaux itinéraires autour de Kairouan. La Qasliya et Gabès sont déjà des marchés importants à léchelle régionale et leurs commerçants fréquentent sans aucun doute assidûment la nouvelle capitale, échangeant les dattes qui constituent leur principale production contre dautres marchandises. Les gouverneurs successifs œuvrent à faire de Kairouan une place économique primordiale, un grand centre déchanges spécialisé dans la vente des esclaves. Il faut rappeler que jusque 750 environ, lorsque Abd al-Ramn ibn abb avertit le calife que lIfrqiya est musulmane et quil ne peut plus y faire de captifs, les esclaves sont surtout de race berbère. Ils font partie des caravanes kairouanaises qui gagnent lÉgypte et Damas, où elles amènent également de lhuile, des grains, ou encore des tapis; ces caravanes reviennent chargées de produits de luxe, de tissus, darmes et dépices, entraînant dans leur sillage les intellectuels orientaux. Le commerce transsaharien à partir de lIfrqiya reste du domaine de lhypothèse à lépoque des gouverneurs1. À lautre extrémité du Maghreb, Abd al-Ramn ibn abb, avant dêtre nommé gouverneur dIfrqiya vers 745, aurait largement ouvert la voie vers Awdaġust en faisant creuser trois puits le long de celle-ci2.

1. LE DÉVELOPPEMENT DES ITINÉRAIRES AU DÉPART DE THART

Les premières informations concernant les liens entre le Djérid et le Sn sont liées à lémergence de Thart comme grande métropole commerciale du Maghreb, concurrente de Kairouan. Maintenant vaille que vaille la paix avec ses voisins, Thart développe et diversifie ses ambitions commerciales tout au long de lépoque rustumide. Grâce à son port de Mars Far3, elle entretient des relations suivies

1 Djaït, L’Afrique arabe au VIIIe siècle, pp. 609-610. 2 Al-Bakr, pp. 156-157/296-298. Ibn Abd al-akam, p. 217, mentionne quen 734, abb ibn Ab

Ubayda l-Fihr conduit une expédition vers le Ss et le Sdn et en rapporte une grande quantité dor. Swanson, The Not-Yet-Golden Trade, p. 237, doute fortement quil ramène effectivement de lor sdnais.

3 Al-Ya, Kitb al-Buldn, p. 353/217.

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avec les Umayyades de Cordoue, qui veulent à tout prix contrer une éventuelle progression aside au Maghreb. Elle lie également des contacts avec lOrient: on sait quà la mort de limm Ab l-Yaqqn, vers 894, son fils, le futur imm Ab tim, doit aller protéger des caravanes chargées de riches marchandises venues du Mariq, car celles-ci craignent les attaques de tribus zant4. Cependant, ces relations commerciales avec les États musulmans paraissent secondaires aux yeux de la dynastie rustumide qui, dès son avènement semble-t-il, convoite les richesses du Sdn.

Dès le règne du premier imm, Abd al-Ramn ibn Rustum, Thart se développe considérablement et le commerce y est intense. Un passage bien connu dIbn alaġr décrit la prospérité de la ville et son cosmopolitisme. De nombreux commerçants viennent s’installer dans la capitale rustumide, séduits par son éclat, par la sécurité qui y règne et par lexcellente réputation de son imm, symbole de justice et de bienveillance. On y trouve des gens de Bara, de Kfa ou de Kairouan. Des routes commerciales mènent au bild al-Sdn, ainsi quà tous les pays du Maghreb et du Mariq5. Suivant alamm, le second imm Abd al-Wahhb est un habile commerçant, qui profite de la prospérité croissante de la capitale rustumide pour senrichir durant le règne de son père6. Ibn alaġr affirme que sous le règne du troisième imm, Afla, les affaires se multiplient encore; des caravanes affluent vers Thart depuis toutes les régions, chargées de différentes sortes de marchandises7. Afla souhaite ardemment se rendre à awaw / Kawkaw / Gao, mais son père Abd al-Wahhb le fait renoncer à ce voyage; cet événement a donc lieu avant la mort de ce dernier en 208/823-8248. Plus tard, Afla envoie en ambassade, après lavoir chargé de cadeaux, Muammad ibn Arfa, un proche de la famille rustumide, chez le roi du Sdn9.

Il est bien difficile de savoir quelle est la région du Sdn fréquentée le plus volontiers par les commerçants de Thart: les routes mentionnées par Ibn alaġr menaient-elles à lempire de Ġna ou au royaume de Kawkaw? LÉtat de Ġna est mentionné pour la première fois par al-Faz, qui le nomme « pays de lor »10 / ahab

4 Ibn alaġr, p. 50/115. 5 Ibn alaġr, p. 13/68. Sur les différentes circonstances qui ont favorisé le développement du

commerce transsaharien à lépoque rustumide, voir Swanson, The Not-Yet-Golden Trade, pp. 242-254.

6 Alamm, p. 66.7 Ibn alaġr, p. 26/85.8 Al-Wisy, éd. trad. Lewicki dans L’État nord-africain de Thert, p. 523; al-Dar, p. 320.9 Ibn alaġr, pp. 31/91-92. Pour Haïdara, LEspagne musulmane et lAfrique subsaharienne, p. 15,

ce roi est le chef de la dynastie des Z de Kawkaw.10 Swanson, The Not-Yet-Golden Trade, pp. 210-211, estime que ce qualificatif a été ajouté par al-

Mas.

379

et lui attribue une vaste superficie11. Cet auteur ne fait pas mention de Kawkaw, mais on sait que cette ville constitue dès le début du IXe siècle une place commerciale importante, puisquelle est digne de lintérêt dAfla. Elle est dailleurs mentionnée dans la première moitié du IXe siècle par al-uwrizm12. Al-Ya, pour sa part, accorde une grande attention au royaume de Kawkaw, le plus puissant et le plus important des royaumes des Noirs. Tous les souverains des royaumes environnants font allégeance au roi de Kawkaw, la capitale, bien quils demeurent rois de leurs États. Parmi les huit royaumes sur lesquels règne le roi de Kawkaw, on peut identifier lAïr, ainsi que Maranda, ville située sur la voie Kawkaw - Égypte13, et le royaume berbère de ha / Zenaga, dont la capitale est sans doute Awdaġust14. Ainsi, ce monarque contrôlerait à la fin du IXe siècle les voies commerciales qui lient louest du Sdn tant au Maghreb quà lÉgypte, ce qui justifierait lintérêt que lui portent les Rustumides. Al-Ya décrit également le royaume de Ġna, dont le puissant roi a sous son autorité dautres rois. Il ajoute quil y a de lor dans tous les royaumes du bild al-Sn15.

Il est un fait que la route Ouargla - Tdimakka - Kawkaw présente de nombreux avantages pour les ibites de Thart qui veulent gagner le Sdn. Elle est plus directe et Ouargla comprend l’oasis de Sadrta où les Ban Rustum se réfugieront après la ruine de leur capitale. La route qui lie Thart à Ouargla est sans aucun doute fort fréquentée dès la fondation de limmat rustumide, puisque les ibites ont pour habitude de se déplacer dune région à lautre pour visiter leurs différentes communautés. Sous le règne dAfla, on voit par exemple deux ay-s du abal Nafsa se rendre à Thart en passant par Ouargla16; on a vu que pour gagner Ouargla depuis le abal Nafsa, on traverse le Djérid. Le trajet le plus direct entre Thart et

11 Al-Faz dans al-Mas, IV, p. 39. Suivant les conclusions de Levtzion, Ancient Ghana: a Reassessment of Some Arabic Sources, pp. 429-433, le témoignage dal-Faz, que lon situe habituellement à la fin du VIIIe siècle, doit être placé entre 815 et 828, à une époque où les commerçants de Thart ont déjà noué des liens avec le Sdn. Selon Lewicki, Arabic External Sources for the History of Africa, pp. 13-14, al-Faz, qui attribue à lÉtat de Ġna une superficie de 1000 parasanges sur 80, aurait confondu ici la mesure de la parasange, équivalente à 6 km environ, avec celle du mille arabe, qui couvre environ 2 km. LÉtat de Ġna aurait donc mesuré 1000 milles sur 80, soit 2000 km sur 160, et imposé son autorité à tous les territoires longeant le bord du Sahara, de lest de lactuel Sénégal jusquà lest de Kawkaw et peut-être jusquà Agadez. Selon Perinbam, Soninke-Ibiyya Interactions in the Western Sudan, p. 84, note 1, il est néanmoins probable que le territoire de Ġna devait être beaucoup plus petit que ce que pense Lewicki.

12 Al-uwrizm, trad. Cuoq dans Recueil, p. 44.13 Ibn al-Faqh, éd. de Goeje, p. 68. Mauny, Tableau géographique, p. 139, lidentifie à Marendet, au

sud dAgadez.14 Lewicki, L’État nord-africain de Thert, p. 525. 15 Al-Ya, Tar, I, pp. 219-220. 16 Alamm, p. 119.

380

Ouargla passe par Laghouat / al-Aġw et par le Mzab; cependant, un autre itinéraire est la route passant par al-Masla, ubna et Biskra17, qui se prolonge vers le Djérid.

Lautre voie, Thart - Siilmsa - Awdaġust - Ġna, a linconvénient dêtre moins directe, mais les Rustumides y trouvent sans doute également beaucoup dintérêt grâce à leur alliance avec Siilmsa. Vers 757, les Miknsa ufrites y ont créé un État indépendant, qui devient le centre dun grand royaume et reste prospère jusquau milieu du Xe siècle. Vers lan 800, un mariage scelle lalliance des Ban Midrr de Siilmsa avec les Ban Rustum de Thart: la fille de Abd al-Ramn ibn Rustum épouse le fils de limm ufrite18. Sous le règne dAb l-Yaqqn, à la fin du IXe siècle, les ibites de Siilmsa envoient leur zakt à Thart19, ce qui prouve la persistance de leurs bonnes relations. La voie Thart - Siilmsa est mentionnée par al-Ya, qui compte environ dix journées de marche entre les deux villes20.

Il semble que dès les premiers temps de limmat de Thart, les ibites ont tenté dengager des relations fructueuses avec le roi de Kawkaw dont la puissance saccroissait et que, dans le même temps, ils ont voulu nouer des contacts commerciaux avec Ġna, profitant de leur alliance avec Siilmsa. Il est probable, vu leurs excellents rapports avec Ouargla et la plus grande facilité de la voie transsaharienne passant par cette ville, que, tout au moins dès le règne dAfla, ils ont surtout favorisé létablissement de relations commerciales serrées avec Kawkaw. Ainsi, nous pensons que le roi du Sdn vers lequel Afla envoie une ambassade est sans doute celui de Kawkaw, auquel limm sintéresse tant.

Dès que libisme saffirme dans le Maghreb, de nombreux marchands ibites arrivent dIrak pour sinstaller dans les villes dirigées par leurs coreligionnaires. Au IXe siècle, face au déclin de Bara et à la pression que leur imposent les califes abbsides, cette migration sintensifie21. On en a de nombreux exemples échelonnés dans le temps: outre les négociants orientaux qui affluent à Thart dès le règne de Abd al-Ramn ibn Rustum, al-Yab évoque les marchands originaires de Kfa et de Bara qui vivent à Zawla et Ibn awqal voit de nombreux marchands irakiens à Siilmsa22. Ibn al-ama, le maître de Sulaymn ibn Zarqn al-Nafs et dAb Yazd, vient depuis le Mariq sinstaller à Tozeur pour y faire du commerce; cette

17 Ibn awqal, p. 88/85. Ibn urradbih, p. 88/63, compte un mois de voyage à chameau entre Kairouan et Thart; al-Bakr, p. 90/180, estime quon ne met que dix-neuf journées. Al-Muqaddas, pp. 64-65 (éd. trad. Pellat), compte quinze jours entre Qasliya et Thart, en traversant des étendues de sable et des villages. Isq ibn al-asan ibn Ab l-usayn al-Zayyt, pp. 230-231, dit quentre Qasliya et Thart, il faut marcher dix jours dans des déserts, des sables et des terres totalement arides.

18 Al-Bakr, pp. 150/286-287; Ibn aldn, VI, p. 155/I, pp. 262-263.19 Ibn alaġr, p. 46/111.20 Al-Ya, Kitb al-Buldn, pp. 359/224-225. Al-Iar, p. 46, en compte cinquante!21 Levtzion, The Sahara and the Sudan, p. 641.22 Al-Ya, Kitb al-Buldn, p. 345/205; Ibn awqal, p. 61/58.

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indication se rapporte sans doute au tout début du Xe siècle23. Mais cest dès le milieu du VIIIe siècle, à lépoque des grosses révoltes riites, que les ibites développent leur puissance commerciale: ces marchands orientaux, experts dans le commerce de longue distance, sallient aux tribus berbères récemment converties, qui les font profiter de leur connaissance de la région. Le grand réseau commercial ibite peut alors rapidement croître. Réduits pendant un temps à une réserve desclaves pour les conquérants arabes, les Berbères ibites inversent la tendance et se transforment en marchands desclaves noirs24. Le monopole des ibites sur la traite des Noirs sexerce dabord principalement sur la voie qui lie la Tripolitaine au Knim, en traversant le Fazzn et le Kawr. Les témoignages en sont nombreux: dans le Kitb al-Buldn, al-Ya évoque la traite des Noirs à laquelle se livrent les ibites de Zawla et les musulmans du Kuwwr / Kawr25. Al-Iar indique que cest à Zawla que lon trouve la plupart des esclaves noirs26. Al-Bakr dit que les esclaves de Zawla sont emmenés en Ifrqiya27. Zawla entretient des relations suivies avec le abal Nafsa et alamm affirme que dans la première moitié du IXe siècle, le gouverneur du abal Nafsa, Ab Ubayda Abd al-amd al-anwun, parle, outre larabe et le berbère, la langue du Knim / al-luġa l-knimiyya28.

Le fructueux commerce desclaves de Zawla se développe apparemment dès le milieu du VIIIe siècle, avant la fondation de Thart. En effet, lexpédition punitive envoyée par le gouverneur Muammad ibn al-Aa al-uz vers Zawla en 762-763, alors quil vient de reprendre Kairouan et Tripoli aux ibites, peut être vue comme une tentative de mettre fin au commerce des esclaves noirs dirigé par les ibites dans cette ville29. Mais cette expédition ne décourage en rien les marchands ibites. La fondation de limmat rustumide et lapaisement de la situation politique, à la fin du siècle, contribuent à lépanouissement de leur commerce. Le climat y est particulièrement propice sous la wilya de Yazd ibn tim (772-788), en vertu des accords commerciaux qui unissaient anciennement les ibites à la famille des

23 Ab Zakariyy’, pp. 182-183; alamm, p. 222. 24 Savage, Berbers and Blacks: Ib Slave Traffic in Eighth-Century North Africa, p. 351 et pp.

362-363; Swanson, The Not-Yet-Golden Trade, pp. 253-254. 25 Al-Ya, Kitb al-Buldn, p. 345/205. Swanson, The Not-Yet-Golden Trade, pp. 219-221,

estime quil y a sans doute eu, dès lépoque vandale, un trafic desclaves sahariens entre le Fazzn et le Maghreb, mais dune importance très réduite.

26 Al-Iar, p. 44. 27 Al-Bakr, p. 11/29; Kitb al-Istibr, p. 146/61. 28 Alamm, p. 97. Comme le souligne Lange, Progrès de lIslam et changement politique au

Knem, p. 498, ceci ninduit pas spécialement quil a longuement séjourné au Knim. Il a peut-être appris cette langue, qui correspond à un proto-kanuri, dans une région périphérique comme le Kawr.

29 Ibn al-Ar, V, p. 318; Ibn I, I, p. 73. Voir aussi Savage, Berbers and Blacks, p. 363.

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Muhallabides30. Yazd ibn tim, peu après sa nomination, favorise le commerce de lIfrqiya et construit des marchés à Kairouan31.

2. LA COMPLÉMENTARITÉ DES JUIFS ET DES IBITES

À linstar des négociants ibites, de nombreux marchands juifs arrivent dIrak pour sinstaller dans les futures métropoles du commerce transsaharien, telles Siilmsa ou Zawla; ce serait le cas des juifs du Tuwt et des oasis du Gourara, arrivés en compagnie de marchands arabes au IXe siècle32. Les commerçants juifs autochtones, qui étaient présents depuis lépoque romaine dans les principales villes dIfrqiya, vivent en nombre à Kairouan, Mahdiyya et Gabès, où ils soccupent entre autres du commerce de la soie; limportation et lexportation des textiles est leur principale source de revenus, mais ils sadonnent également au commerce des matières tinctoriales, des épices et de lhuile33. Des juifs vivent dans toutes les oasis importantes du nord du Sahara, dans le Sud tunisien bien sûr mais aussi dans le abal Nafsa, à Ouargla, à Ghadamès, à Touggourt et à Siilmsa, où ils comptent une importante communauté de religieux34.

Contrairement aux ibites qui nhésitent pas à traverser le désert, les juifs demeurent la plupart du temps dans des villes situées sur un axe ouest-est, allant du Ss à lÉgypte. Ils contrôlent le commerce des marchandises snaises depuis la frange septentrionale du Sahara jusquà la côte méditerranéenne; ainsi leurs communautés séchelonnent tant sur la voie Siilmsa - Fès - Almeria que sur la voie Siilmsa - Kairouan - Égypte. De ce fait, le réseau commercial juif couvre le Maghreb tandis que le réseau commercial ibite, qui lui est complémentaire, couvre le Sahara35. Il faut cependant noter, au XIIe siècle tout au moins, la présence de juifs dans le bild al-Sn36.

La grande force des juifs installés le long des voies commerciales est le vaste réseau de relations dont ils bénéficient: sans cesse; ils tiennent leurs parents installés dans les autres localités, et plus largement leurs coreligionnaires, au courant des

30 Muhallabides et ibites, partageant les mêmes ambitions commerciales, se sont associés à la fin du VIIe siècle à Bara et leur alliance a perduré après la révolution abbside. À ce sujet, Savage, A Gateway to Hell, pp. 40-41 et pp. 80-81.

31 Al-Nuwayr, p. 385.32 Levtzion, The Jews of Sijilmasa and the Saharan Trade, p. 259; Abitbol, Juifs maghrébins et

commerce transsaharien, pp. 563-564. 33 Sebag, Histoire des Juifs de Tunisie, pp. 46-47; Hirschberg, A History of the Jews, pp. 268-269.34 Abitbol, Juifs maghrébins et commerce transsaharien, pp. 563-564.35 Levtzion, The Jews of Sijilmasa, pp. 255-257; Savage, Ib-Jewish Parallels, p. 2.36 Al-Zuhr, § 341; al-Idrs, p. 4/4; Ibn Sad, p. 25. Voir cependant la critique de laffirmation dal-

Idrs par Mauny, Tableau géographique, p. 459.

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fluctuations de loffre et de la demande, ce qui leur permet de faire dexcellentes affaires. Il est possible que lexemple de ce commerce familial ait eu un impact sur leurs contemporains ibites, qui se seraient organisés dune façon similaire37. Juifs et ibites partagent plusieurs qualités commerciales: ils sont de la même façon économes et prévoyants, maîtrisant suffisamment les techniques capitalistes pour placer leur argent ou celui de leurs associés dans des entreprises très compétitives38. Ces deux groupes religieux, contraints par la force des choses à saccommoder lun à lautre, de même quils doivent saccommoder aux sunnites ou aux ites, font preuve dune modération qui sert bien leurs intérêts commerciaux. Dans le cas des ibites, il est même probable que cest leur ambition commerciale qui a déterminé leur légendaire modération39. Les juifs - et dans une certaine mesure les ibites - ont lavantage de ne pas devoir se préoccuper de certaines contraintes commerciales imposées par lislam. Dès la première moitié du Xe siècle en effet, Ibn Ab Zayd al-Qayrawn déconseille fortement, dans sa Risla, de commercer avec le bild al-Sn, au même titre quavec les territoires ennemis40. À la même époque, Sann refuse quon construise pour lui un pont permettant aux visiteurs daccéder plus facilement à sa demeure, car la fortune du généreux donateur provient du bild al-Sn41. Les marchands juifs nont évidemment que faire de ces préjugés à lencontre du commerce snais, qui pèsent certainement sur la communauté sunnite kairouanaise. De même, ils profitent des interdits concernant le travail de lor et de largent: les juifs sapproprient ce domaine au détriment des musulmans et contribuent ainsi à combler le vide créé par la loi musulmane42.

Les ibites peuvent eux aussi échapper à certaines contraintes de lislam, en fixant eux-mêmes les règles de leur communauté ou en se maintenant en contact avec les savants qui édictent ces lois43. La confiance et lentraide qui règnent entre les ibites leur permettent certainement, dès la création de ce vaste réseau commercial, détablir un système de crédit solide ou, tout au moins, de permettre aux marchands débutants de se lancer dans le commerce grâce à la fortune de coreligionnaires plus riches. La réussite de ces expéditions est toujours aléatoire: al-Wisy relate ainsi la

37 Savage, Ib-Jewish Parallels, p. 2. Sur lorganisation des juifs, voir aussi Goitein, Letters of Medieval Jewish Traders, pp. 12-13.

38 Shinar, Réflexions sur la symbiose judéo-ibite en Afrique du Nord, pp. 81-82. Les juifs semblent être bien moins impliqués que les ibites dans le commerce des esclaves. Nombre dentre eux participent cependant à ce trafic; ils profitent alors de leur situation pour faire libérer leurs coreligionnaires serviles. Savage, Ib-Jewish Parallels, p. 6; Oliel, Les Juifs au Sahara, pp. 67-68.

39 Levtzion, The Sahara and the Sudan, p. 641; Perinbam, Soninke-Ibiyya Interactions, p. 71.40 Ibn Ab Zayd al-Qayrawn, pp. 318-319. Voir aussi une fatw dal-Qbis, trad. Brett dans Islam

and Trade in the Bilād al-Sūdān, p. 433.41 , trad. Cuoq dans Recueil, p. 473.42 Hirschberg, A History of the Jews, pp. 265-267; Oliel, Les Juifs au Sahara, p. 60.43 Savage, Ib-Jewish Parallels, p. 8.

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détresse dun marchand face à ses esclaves qui samaigrissent, qui ont faim, qui sont malades, qui senfuient ou disparaissent dans les dunes. Dans la même caravane se trouve un autre marchand, qui se destine au commerce de lor; il passe un agréable voyage, sans éprouver la fatigue extrême de son compagnon de route44. Il est bien évident que, même si les marchands convoient des marchandises non-périssables, la traversée du Sahara savère extrêmement risquée. Il est probable que les ibites se réunissent pour financer ces expéditions, de façon à éviter la ruine des investisseurs en cas de perte totale du chargement. Le fait de placer leur argent dans plusieurs caravanes leur permet de compenser les pertes éventuelles par les gains importants provenant des expéditions abouties.

La création des nombreuses alqa-s renforce lintervention des ay-s ibites dans la vie socio-économique de leur communauté; ces derniers édictent des fatw-s qui touchent rapidement lensemble du monde ibite par le biais des caravanes. Les azzba réglementent les marchés grâce à des contrôleurs qui fixent les prix, débusquent les tricheurs, surveillent les abattoirs et les ventes aux enchères. Ils mettent ainsi en place un système parallèle à celui de lÉtat zde. Les ay-s veillent surtout à préserver une certaine moralité dans les transactions commerciales et, luttant contre lusure / rib, sattachent à ce que les marchands ibites ne senrichissent pas excessivement45. Dans certains cas, il arrive aux ay-s ibites de renoncer à de juteux bénéfices. Alamm rapporte ainsi quau XIe siècle, Maymn ibn Muammad, kim du abal Nafsa, va au devant dune caravane venue du Takrr, qui parvient dans un village proche de ars. Le kim vient de sévèrement réprimer une réunion de buveurs de vin et saperçoit que les marchands noirs sont également pris de boisson. Ces caravaniers veulent lui donner quatre cents dnr-s, dans le but certainement de pouvoir commercer à ars, mais le gouverneur refuse de prendre cette somme. Il ordonne de faire fermer les sq-s et de renvoyer la caravane à Takrr, préférant que les marchands aillent faire leurs bénéfices ailleurs46.

Si la situation commerciale des juifs et des ibites présente de nombreux points communs, les juifs doivent faire face à une énorme difficulté, ignorée par les ibites: lobservance du sabbat les oblige en effet à trouver de multiples arrangements pour

44 Al-Wisy, éd. Lewicki dans Quelques extraits inédits, pp. 16-17. Al-Mlik, I, pp. 107-108, décrit une autre sorte de tourments frappant ces marchands desclaves: lun deux, qui escorte de nombreuses jeunes femmes vers le Mariq, est pris de pitié en les entendant pleurer la perte de leurs familles. Il libère soixante-dix de ces esclaves, qui ont laissé derrière elles un père, une mère, un frère ou une sœur.

45 Gouja, Le Kitb al-Siyar, pp. 214-221 et pp. 227-228. Sur les astuces employées par les sunnites pour contourner linterdiction de lusure, voir Talbi, Opérations bancaires en Ifrqiya à lépoque dal-Mzar, pp. 428-435.

46 Alamm, p. 214.

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cesser toute activité pendant les longs périples transsahariens. Certaines caravanes modifient leur emploi du temps de façon à gagner leur lieu de repos avant le début du sabbat, mais ce nest pas toujours le cas. Les juifs doivent donc planifier leur traversée du désert de façon à prévoir les lieux où ils pourront sarrêter47. Les seules caravanes ne comprenant pas de juifs sont celles qui reviennent du pèlerinage à La Mecque, à cause du fanatisme des pèlerins qui ne veulent pas compromettre leur sainteté nouvellement acquise par un contact avec des infidèles48. Nous ne savons pas si cette restriction est également appliquée par les ibites qui accomplissent, bien évidemment autant que les sunnites, le pèlerinage. Alamm précise, en narrant des faits contemporains de la bataille de M, que la plupart des ibites du abal Nafsa font le pèlerinage accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants49.

Les documents découverts dans la Geniza du Caire prouvent le rôle important joué par les juifs ifrqiyens dans le commerce méditerranéen; ils établissent la forte présence de ces commerçants tant dans les grandes villes égyptiennes que dans les localités plus petites où sont produits le lin et lindigo, principaux produits de lexportation de ce pays. Ces documents soulignent limportance commerciale de la famille Qbis, dont les nombreux membres sont actifs tant en Ifrqiya quen Orient50. Selon les sources juives, cest dans la première moitié du XIe siècle que la communauté juive de Gabès sorganise en vue dun commerce méditerranéen de grande envergure. Cependant, de nombreux juifs gabésiens font fi des taxations qui les frappent et de la tentation de senrichir par le commerce: ils demeurent agriculteurs51.

3. LES AĠLABIDES ET LES FIMIDES FACE AU MONOPOLE IBITE

Pendant tout le IXe siècle, la Qasliya et les autres régions du Sud tunisien sont à la fois profondément liées à Thart et au royaume aġlabide. Si cette notion est discutable dun point de vue politique, elle est évidente dun point de vue commercial, puisque ces régions profitent autant des nouveaux itinéraires créés par les ibites que des améliorations économiques apportées par les Aġlabides. Sous cette dynastie, la stabilité politique et la sécurité des routes favorisent le développement du commerce. Les oasis du Djérid profitent directement de limportance quacquiert Kairouan

47 Hirschberg, A History of the Jews, p. 173 et p. 259.48 Ibid., p. 200 et p. 258.49 Alamm, p. 152.50 Goitein, La Tunisie du XIe siècle, pp. 560-561 et p. 567.51 Ben-Sasson, The Jewish Community of Gabes in the 11th Century, p. 273 et pp. 279-281.

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comme grand marché desclaves. Bien des esclaves demeurent dans la capitale pour alimenter la garde noire des émirs, au lieu de gagner lOrient: Ibrhm, le premier émir, sentoure déjà dune garde fidèle formée de 5 000 Noirs52, afin de contrer linfluence du und abbside. Vers 825, des Noirs vivent dans le Djérid, puisque mir ibn Nfi en recrute « mille ». Ibn awqal mentionne des Noirs dans le Cap Bon53. À la fin du IXe siècle, Ibrhm II augmente sa garde personnelle et enrôle de nombreux Noirs dans son armée; à cet effet, selon al-Nuwayr, il aurait fait venir jusquà 100 000 dentre eux54. Au IXe siècle, les commerçants du Djérid vendent sans doute déjà leurs étoffes de laine à Kairouan, qui est devenue un grand marché de produits de luxe. Une part importante de leurs gains provient de ces marchandises, quils choisissent à Kairouan et quils revendent avec un considérable profit à Kawkaw ou à Ġna. Ils y achètent également des produits de luxe destinés aux commerçants installés dans les villes qui séchelonnent sur les voies commerciales, comme Tdimakka ou Awdaġust: ce sont des livres kairouanais, des parfums, des tissus ou encore de la céramique. Limportance commerciale du Djérid allant croissant, une série de nouvelles localités apparaissent, principalement aux abords de Nefta, à lentrée de la route du Sf. Cest le cas de Qanrra, Qalat Ban Darn et Farna, dont Muammad asan situe les fondations dans la première moitié du IXe siècle55. Le Djérid attire sans doute de nombreux commerçants aventureux: on se souvient dIbn al-ama, un commerçant du Mariq qui sinstalle à Tozeur56. Il y a fort à parier que parmi les nombreux colons nafs qui font souche à cette époque à Qanrra notamment, beaucoup sont tentés par la promesse dun enrichissement rapide. Ab Zakariyy précise dailleurs que lorsque le Mahd passe par Tozeur, il y voit surtout des boutiquiers57.

Dans la première partie du IXe siècle, la situation du Djérid paraît donc très enviable: ses liens étroits avec les deux plus grandes forces de limmat rustumide, Thart et le abal Nafsa, le favorisent considérablement. Sa proximité avec Kairouan lui profite tout autant et les Aġlabides ne semblent sopposer en aucune façon à son rapide essor économique: au contraire, la pression fiscale paraît faible et les ibites conservent sans doute la plus grande partie de leurs bénéfices. Il est probable que les souverains respectent ainsi les accords qui ont été signés à la mort dIbrhm Ier entre son fils Abd Allh et limm Abd al-Wahhb. En 224/838-839

52 Talbi, LÉmirat aghlabide, pp. 136-137.53 Ibn awqal, pp. 73/69-70.54 Al-Nuwayr, p. 428. Brett, Ifrqiya as a Market for Saharan Trade, pp. 354-355, signale quaprès la

défaite des Zdes à aydarn, le recrutement desclaves noirs pour larmée dIfrqiya, provenant en grande majorité de Zawla, semble sêtre interrompu pour des raisons économiques.

55 asan, Al-Madna wa-l-bdiya, pp. 294-295.56 Ab Zakariyy, pp. 182-183; alamm, p. 222. 57 Ab Zakariyy, p. 158.

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cependant, les Aġlabides simposent dans le Djérid, rompant ainsi lunité du grand immat ibite. De ce fait, ils empêchent les marchands du abal Nafsa de joindre Thart en passant par le Djérid: les caravanes en provenance du Kawr et de Zawla sont sans doute contraintes dacheminer leurs marchandises, principalement humaines, jusquà Tripoli, qui est aġlabide. Cependant, nous pensons que les liaisons commerciales se rétablissent rapidement entre les différentes régions de limmat rustumide et que les souverains aġlabides sont forcés d’accepter le monopole ibite sur les routes du Sn. Étant bien incapables de mener eux-mêmes ce commerce à bien, ils doivent sattirer les bonnes grâces des ibites, afin de pouvoir tirer profit de lor, des esclaves et des autres marchandises snaises58. Il est probable que les marchands ibites du Djérid ne nouent que peu de relations avec les négociants sunnites. En effet, il demeure au IXe siècle de nombreuses communautés ibites, tant sur la côte que dans le centre de lIfrqiya, et une communauté ibite vit à Kairouan; ces différents groupes sentraident certainement pour tenter de constituer un circuit commercial entièrement ibite, au sud comme au nord. Quant aux Aġlabides, maintenus à lécart de ce circuit, ils ont à cœur de garantir la sécurité des routes et déviter un affrontement avec le Djérid. Il apparaît donc quen dehors de toute considération politique ou religieuse, un compromis lie les marchands ibites aux Aġlabides59; il est probable quil sagit davantages financiers consentis aux marchands. Dès 224/838-839, les souverains lèvent limpôt - à Tozeur tout au moins - mais se montrent sans doute peu exigeants. À la fin du siècle, à lissue de la bataille de Mn, les Aġlabides massacrent les ibites du abal Nafsa et pénètrent dans le Djérid; ils obtiennent dès lors le contrôle des voies commerciales traversant le Fazzn. À nouveau, même si ce coup de force gêne momentanément lexpansion ibite vers le Sn, il est probable que le commerce reprend rapidement et que les Aġlabides, trop occupés alors à tenter de se défendre contre les menaces ites, reprennent le modus vivendi avec les ibites.

En conquérant Thart et Siilmsa, les Fimides tentent d’obtenir le contrôle des voies commerciales occidentales60 et relèguent Thart, qui jouissait auparavant du monopole du commerce vers le Sn, au rôle de simple étape. On se souvient que dès son arrivée en Ifrqiya, le Mahd Ubayd Allh passe par Tozeur où il ne

58 À lépoque aġlabide, il y a des arrivées dor en Ifrqiya, venant certainement du Sn, et cela dès le règne du premier émir, qui envoie un tribut de pièces dor en Orient. Les Aġlabides possèdent un atelier de frappe de lor à Kairouan. Cahen, Lor du Soudan avant les Almoravides, p. 541; Devisse dans Histoire générale de lAfrique, III, p. 297.

59 Devisse, L’arrière-plan africain, p. 163.60 Il faut se montrer extrêmement prudent face aux études qui affirment que les Fimides ont contrôlé

la voie transsaharienne occidentale. Comme le souligne Brett, The Rise of the Fatimids, p. 255, les Fimides n’ont occupé Siilmsa que pendant une très courte période, de 347/958 jusqu’au retour des Ban Midrr en 352/963.

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voit que des commerçants, puis gagne Ouargla où les habitants le rejettent. Il est dès lors bien au courant de limportance commerciale de ces deux villes. Dès le début de son règne, selon Ab Zakariyy, le Mahd envoie une expédition vers Ouargla61, dont le but est certainement de contrôler la voie menant à Tdimakka, ce qui montre limportance quelle a déjà acquise. Après léchec de cette expédition fimide, la voie directe qui mène au Sn depuis Tozeur reste exclusivement aux mains des ibites. Le Djérid monopolise alors tant la route de Tdimakka que celle du Fazzn, en accord avec les ibites de Zawla, et devient, selon lopinion de Michael Brett, le principal centre des commerçants ibites62. Les ibites qui fuient Thart se dirigent essentiellement vers Sadrta, mais il est très probable que nombre dentre eux se répartissent entre les grands marchés de lépoque, dans le Djérid, le Sf, le w Rġ, mais aussi à Zawla, et enrichissent ces villes par lexpérience quils ont acquise dans la capitale rustumide. Il est probable que, tout comme à lépoque aġlabide, des compromis sont signés entre marchands ibites et Fimides, qui assurent les intérêts des deux parties. Pendant la révolte dAb Yazd, le commerce du Djérid nest sans doute pas mis à mal: il est certain que ces longs troubles ne réchauffent pas les relations entre ibites et Fimides, mais les événements ne se déroulent pas dans le Djérid et le trafic commercial ny est certainement pas interrompu. À lépoque dal-Muizz, comme il a été dit plus haut, les relations sont parfois même cordiales entre les ibites et le pouvoir fimide. Il paraît donc que le Xe siècle est une période faste pour le développement du commerce dans le Sud tunisien.

4. LÉVOLUTION DU COMMERCE DANS LE DJÉRID

Le début du XIe siècle est nettement moins prospère: pendant une quinzaine dannées, les oasis sont tantôt occupées, tantôt pillées par les Zanta. Vers 1049, le massacre de Qalat Ban Darn frappe cruellement les ibites du Djérid, qui partent en grand nombre vers le Sf et le w Rġ. Ces événements propres au seul Sud tunisien vont de pair avec le déclin généralisé de lOccident musulman à la fin de la première moitié du XIe siècle, avant larrivée des Ban Hill: les documents de la Geniza notamment, qui vantent létat florissant des Kairouanais au début

61 Ab Zakariyy, pp. 164-165. Idris, La Berbérie orientale, p. 675, estime que les Fimides contrôlent la voie qui mène de Ouargla au Sn, ce qui est inexact puisque le premier calife na pas réussi dans sa tentative de soumettre Ouargla.

62 Brett, Ifrqiya as a Market for Saharan Trade, pp. 356-357. À Zawla, dès 306/918-919, les Hawwra ibites fondent la dynastie indépendante des Ban l-ab. Al-Idr, pp. 37-38/44, attribue à tort à cette dynastie la fondation de Zawla.

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de ce siècle, attestent que vers 1040, certains juifs tentent de quitter le Maghreb pour sinstaller en Égypte63. Les nombreuses famines et épidémies qui endeuillent lIfrqiya à cette époque ont été évoquées plus haut. Comme le souligne Michael Brett, le départ des Fimides vers lÉgypte provoque sans doute une diminution de la demande pour les marchandises de luxe venues du Sn et la dynastie zde, moins ambitieuse, ne comble pas ce manque; dautre part, le déplacement de la cour des Fimides et la prise de pouvoir almoravide à louest créent de nouveaux marchés, plus diversifiés, et lIfrqiya perd alors la place centrale qui la favorisait tant au Xe siècle64.

Larrivée des Ban Hill nentraîne pas de gros bouleversements dans le Sud tunisien65. Cependant, il est bien évident que le net déclin de Kairouan représente une difficulté pour les négociants du Djérid, qui y achetaient auparavant une part importante des marchandises de luxe quils revendaient dans le Sn et les villes sahariennes peuplées de riches Maghrébins. Ces marchands doivent désormais chercher plus loin ces marchandises et doivent également revendre plus loin, à Mahdiyya par exemple ou plus tard à Bougie, les produits snais destinés aux classes aisées. La voie qui mène de Tozeur à Kairouan est sans doute désertée à cette époque, dautant que les campagnes situées au sud de Kairouan, qui alimentaient autrefois la capitale, sont tombées aux mains des Ban Hill. Cependant, dans le Sud tunisien, grâce aux deux dynasties florissantes des Ban mi66 et des Ban l-Rand, les commerçants ne souffrent sans doute pas trop de ces bouleversements. On ignore comment les Ban l-Rand sarrangent avec les ibites à propos du commerce transsaharien et il est possible que la question du partage des bénéfices crée un conflit entre les marchands et les nouveaux maîtres de Gafsa et du Djérid. Au XIIe siècle, limportance commerciale du Djérid tend à diminuer au profit de villes situées plus profondément dans le désert, comme Ouargla, qui profitent davantage de débouchés. Cette période correspond à la disparition progressive des communautés ibites du Djérid, dont une partie a certainement rejoint dautres grands marchés67.

63 Goitein, La Tunisie du XIe siècle, p. 569. Sur ce déclin, voir Talbi, Droit et économie en Ifrqiya, pp. 204-211; Poncet, Le mythe de la catastrophe hilalienne, pp. 1105-1113. Avant 1050, les caravanes sont fréquemment mentionnées dans les lettres de la Geniza, tandis quaprès cette date, le trafic semble principalement maritime; selon Goitein, La Tunisie du XIe siècle, pp. 574-575, larrivée des Ban Hill aurait rendu le commerce terrestre presque impraticable.

64 Brett, Ifrqiya as a Market for Saharan Trade, p. 360.65 Sur linfluence des Ban Hill, qui auraient coupé les routes qui approvisionnaient lIfrqiya en or

snais, voir la confrontation entre Idris et Poncet, notamment Poncet, Le mythe de la catastrophe hilalienne, pp. 1110-1111 et Idris, Linvasion hillienne et ses conséquences, p. 366. Mise au point de Brett, Ifrqiya as a Market for Saharan Trade, pp. 350-351.

66 Rappelons que lon frappe monnaie à Gabès sous Ruayd ibn Kmil. Ibn aldn, VI, p. 197/II, p. 36.

67 Brett, Ifrqiya as a Market for Saharan Trade, p. 363, estime que ce déclin commercial a pu être une des causes de la disparition progressive des ibites du Djérid, qui ont gagné des oasis plus méridionales, où ils pouvaient faire de plus grands bénéfices.

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À la fin du siècle, les combats opposant les Almohades et les Ban Ġniya nuisent cruellement à la région, et les rebelles almoravides sont à lorigine de la disparition de plusieurs petites bourgades proches de Nefta, qui séchelonnaient sur la route menant au Sf.

Jusque vers 1050 environ, les commerçants ibites du Djérid sont donc impliqués dans les trois grands itinéraires transsahariens, par Ouargla vers Tdimakka et Kawkaw, par Siilmsa vers Ġna et par Zawla vers le Kawr. En ce qui concerne cette dernière voie cependant, aucune source n’indique quelle a été fréquentée par les marchands du Sud tunisien: elle devait être aux seules mains des populations locales. Le Djérid ne constituait sans doute quun débouché pour les marchandises, essentiellement humaines, ramenées du Kawr. Les pages suivantes vont de ce fait porter uniquement sur les deux routes principales effectivement contrôlées par les marchands du Sud tunisien et tenter de déterminer les avantages et les désavantages de chacune dentre elles.

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IV. PAR AWDAĠUST OU PAR TDIMAKKA?

1. LA VOIE TOZEUR - OUARGLA - TDIMAKKA - KAWKAW

On a généralement tendance à considérer que litinéraire passant par Siilmsa et Ġna est le trajet principal pour gagner le Sn. Cette idée préconçue provient sans doute de limportance quaccorde Ibn awqal à la voie Siilmsa - Ġna, alors quil névoque même pas litinéraire passant par Tdimakka: cet « oubli » pourrait être dû à sa fidélité vis-à-vis des Fimides, qui lui ferait mettre en valeur la route quils privilégient et négliger la seconde, contrôlée par les ibites1. Ainsi, le fait que la voie Ouargla - Tdimakka ne soit pas évoquée avant al-Bakr semble indiquer quelle sest développée postérieurement à celle passant par Siilmsa. Tout porte à croire cependant que cette route a été le premier itinéraire vers le Sn utilisé de façon régulière. Michael Brett estime que la voie Tozeur - Ouargla - Tdimakka, qui nétait dabord spécialisée ni dans lor ni dans les esclaves, a inauguré le commerce transsaharien dans lAfrique occidentale. Dans un premier temps, on y transportait des marchandises de moindre importance, comme les dattes et les vêtements du Djérid, de proche en proche entre les communautés; ces échanges ont permis aux commerçants de shabituer à la traversée totale du Sahara2.

Le tronçon Tozeur - Ouargla est sans doute extrêmement fréquenté dès la fin du VIIIe siècle, à lépoque où Ouargla se développe grâce à ses contacts avec Thart. Litinéraire précis entre Tozeur et Ouargla est mentionné très exactement dans la biographie dAb N Sad ibn Zanġl, originaire dal-mma du Djérid et acteur de la révolte de Bġya en 358/968-969. Alamm précise que depuis Tozeur, Ab N gagne le Sf, puis Arġ / w Rġ, pour atteindre Ouargla3. Mais Ouargla nest quune étape vers Tdimakka. Les sources disponibles ne mentionnent malheureusement pas quels sont les premiers commerçants ibites originaires du Sud tunisien qui se rendent dans cette ville. Il est probable que le père dAb Yazd, un marchand originaire de Taqys qui fréquentait assidûment le Sn / kna

1 Devisse dans Histoire générale de lAfrique, III, p. 289.2 Brett, Ifrqiya as a Market for Saharan Trade, p. 358. Limplantation de la culture du dattier est

certainement liée à lexpansion des Berbères et de lislam au sud du Sahara; les dattes ont été un des seuls apports alimentaires du nord vers le sud. Devisse, Approximatives, quantitatives, qualitatives, p. 181 et p. 187. Cependant, suivant de nombreuses traditions, ce sont des juifs, les Br, qui ont introduit dans lactuelle Mauritanie le creusement des puits et la culture du palmier. Abitbol, Juifs maghrébins et commerce transsaharien, p. 565; Mac Dougall, The View from Awdaghust, p. 5.

3 Alamm, pp. 327-328.

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yatalifu il bild al-Sn, est l’un d’entre eux4. Ab Yazd, si lon en croit Ibn ammd, est lui-même né dans le Sn dune esclave achetée à Tdimakka; plus tard, son père lemmène à Kawkaw. Pour Ibn aldn, cest à Kawkaw que naît Ab Yazd5. Quel que soit le lieu de naissance du futur rebelle, il est certain que vers 885, époque présumée de sa naissance, la route conduisant du Djérid vers Tdimakka est déjà bien connue.

Les sources ibites mentionnent plusieurs voyages vers Tdimakka au Xe siècle. Cest le cas du pieux savant Ab li annn ibn mriyn, qui va de Ouargla à Tdimakka6, pour des raisons malheureusement inconnues. Ab Zakariyy fournit davantage de détails sur le périple dAb li al-Yrn dans la seconde moitié du Xe siècle7: ce marchand va dabord à Ouargla, qui est vraisemblablement sa ville natale, pour y vendre des chameaux. Un habitant de Ouargla lui en achète un mais ne prétend le payer quà Tdimakka, où Ab li se rend également. Il accepte demporter avec lui une charge de vêtements / iml iyb que lui confie un autre marchand de Ouargla pour la vendre à une somme convenue. Cependant, arrivé à Tdimakka, il ne parvient pas à vendre le colis, à trois-quarts de q près, et le ramène dès lors à Ouargla. Le narrateur affirme que cest bien la seule fois quil a entendu quune charge est revenue de Tdimakka à Ouargla. Malgré la rareté de ce fait, cette anecdote montre bien la fréquence des échanges commerciaux entre les deux villes et la confiance qui règne entre les commerçants ibites. On voit que lon échange à cette époque des vêtements contre de lor pur pesé sur une balance, au poids du q, qui équivaut en général au poids de quatre grains de blé8; les trois-quarts de q qui font ici la différence ne doivent donc représenter que le poids de trois de ces grains. Ab li préfère pourtant ramener le colis plutôt que de le vendre à une somme inférieure à celle souhaitée par son propriétaire. Alamm donne quelques précisions sur cette affaire: alors quAb Zakariyy annonçait quAb li al-Yrn venait du sud à Ouargla pour y vendre ses chameaux, il apparaît chez alamm quil venait sans doute de Dar, une oasis située à lest de Ghadamès. Sil ne précise pas la nature de la charge, l’historien sétonne encore

4 Ibn al-Ar, VIII, p. 422. 5 Ibn ammd, pp. 18/33-34; Ibn aldn, VII, p. 16/III, p. 201 (l’éd. donne Karkaw).6 Alamm, p. 332. Il aurait vécu dans la première moitié du Xe siècle selon Lewicki, Études

maghrébines et soudanaises, I, p. 34, note 136. Ab Zakariyy, p. 264, évoque également ibn Yab qui part du Djérid pour Tdimakka du vivant d’Ab Abd Allh Muammad ibn Bakr, soit avant 440/1048-1049.

7 Ab Zakariyy, éd. Lewicki dans Quelques extraits inédits, p. 4. Voir aussi une version un peu différente dans Ab Zakariyy, p. 313.

8 Le q vaudrait 0,212 grammes. Cuoq, Recueil, p. 124, note 1. Ce système de pesée de la poudre dor nest plus mentionné par al-Bakr, p. 181/339, à lépoque duquel on utilise à Tdimakka des dr-s dor pur qui ne sont pas marqués.

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davantage de laller-retour effectué par ce colis, tant les deux villes sont distantes lune de lautre et le trajet dune grande difficulté9.

Dans la seconde moitié du Xe siècle, Ab N Sad ibn Yalaf al-Mazt, originaire du Sud tunisien ou du Zb10, va à cheval à Tdimakka. Il possède quarante chevaux dont un excellent animal, dune valeur de cent cinquante dr-s, avec lequel il fait le pèlerinage et se rend à Tdimakka11. Alamm renchérit sur les qualités de ce cheval, auquel Ab N tient particulièrement: alors quil pourrait sen défaire contre une somme considérable, il ne se sépare jamais de sa monture et lépargne12. Le cœur que met alamm à évoquer cet étonnant animal montre bien que des voyages dune telle longueur entrepris avec une seule monture devaient être bien rares13.

Dans la seconde moitié du Xe siècle, Taml al-Wisyn, originaire des Qu, cest-à-dire du Djérid (Qasliya et Nafzwa), commence sa vie dans la pauvreté. Pourvu dun seul sac de dattes, il suit une caravane de commerçants vers le Sn. En chemin, il croise un pauvre affamé, dont les commerçants ne font aucun cas; Taml le rassasie et le malheureux lui conseille de ne point sarrêter avant de rencontrer un groupe de gens tiraillés par la faim. Lorsquil est en présence de ces gens, ces derniers lui échangent chaque de dattes contre un de dirhams, ce qui lui permet de charger un chameau dargent14. Il rejoint alors Tdimakka et y fait fortune: il envoie désormais chaque année seize bourses contenant chacune cinq cents dnr-s à l’intention d’Abū Imrn Ms ibn Sudrn al-Wisyn, qui les partage ensuite entre les nécessiteux de sa région / wilya. Plus tard, Ab Imrn Ms lui écrit de ne plus envoyer ces sommes, car les pauvres sont désormais peu nombreux et peuvent se passer de sa générosité; Taml l’invite à continuer de distribuer ces richesses, à tous ceux dont le ay est persuadé quils ne commettent pas de grand

9 Alamm, p. 353.10 Lewicki, The Ibites in Arabia and Africa, p. 126. Dans Les historiens, biographes et

traditionnistes, p. 62, il estime que comme Ab N a passé sa jeunesse dans le Zb, cest sans doute depuis cette région quil sest rendu à Tdimakka.

11 Siyar al-mayi, éd. Lewicki dans Quelques extraits inédits, p. 19. 12 Alamm, pp. 345-346. Lhistorien donne de nombreux détails sur Ab N. Lorsquil recevait

des invités, les quatre tentes de ses quatre femmes étaient recouvertes de peaux de mouton déployées, à cause du grand nombre de bêtes quil faisait égorger pour ses convives. Ab N était extrêmement pieux: même lorsquil voyageait, il navait jamais recours au tayammum en guise dablutions avant de prier, il ne portait les vêtements destinés à la prière quà cette seule occasion et ne ratait jamais ni la prière du / milieu de la matinée ni la sieste. Même lorsquil faisait partie dune caravane, il sarrêtait à lheure de la sieste et dormait. Lorsquil se réveillait, il priait, montait sur son cheval et rattrapait la caravane. Il faisait de même pour chacune des prières.

13 Vikr, The Oasis of Salt, p. 171, note que les recherches climatologiques ont suggéré que le Sahara aurait pu connaître, vers les XIe et XIIe siècles, une période légèrement plus humide, ce qui pourrait expliquer cette traversée du Sahara à cheval. À propos des montures, il faut noter que Gafsa est la seule région dAfrique du Nord où le bœuf est toujours utilisé comme monture au XXe siècle. De Planhol, Le bœuf porteur, pp. 302-305.

14 Alamm, pp. 393-394. Sur le , mesure de capacité destinée aux grains dont la valeur est variable, voir Bel, E.I., s.v. .

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péché / kabra15. Il est extrêmement riche: Ab N Sad ibn Yalaf lui rend visite à Tdimakka et Taml lui fait visiter les pièces / bayt-s contenant son argent. De retour dans sa région, Ab N raconte avoir vu un amoncellement de bourses estampillées, toutes remplies dor, portant chacune la mention: « ceci est le bien de Dieu, louanges au Maître de toutes les choses créées »16. Alamm donne une version un peu différente de cette histoire: ce sont dix bourses de cinq cents dnr-s que Taml envoie annuellement dans sa région des Qu17.

Cette anecdote montre bien la prodigieuse richesse que peuvent acquérir les ibites du Sud tunisien assez courageux pour se lancer dans laventure du commerce transsaharien, et confirme les liens serrés qui existent entre Tdimakka et les grands centres de lor. La réussite de Taml, décrite aux habitants du Djérid par Ab N Sad ibn Yalaf, na sans doute pas manqué dattirer dautres commerçants venus tenter leur chance à Tdimakka. Ce visiteur, Ab N, est le propriétaire de létonnant cheval évoqué plus haut. On ne sait sil rend visite à Taml lorsquil gagne Tdimakka à cheval ou à loccasion dun autre voyage. Il apparaît en tout cas que depuis la fin du IXe siècle au moins, époque à laquelle le père dAb Yazd fait du commerce entre le Djérid et Tdimakka, cette ville est devenue un centre important pour les ibites du Sud tunisien. Linstallation à Tdimakka paraît bien attrayante: outre la promesse dun rapide enrichissement, la vie y semble plutôt agréable. Pour al-Bakr, Tdimakka, entourée de montagnes et de ravins, est la ville qui ressemble le plus à La Mecque18 et est mieux construite que Ġna et que Kawkaw. Elle est peuplée de Berbères musulmans qui se voilent le visage; les femmes tentent dattirer les marchands chez elles car la fornication est permise dans cette ville. On y utilise des dr-s dor pur quon appelle ul / chauves car ils ne sont pas marqués19. Selon Ibn awqal, les princes de Tdimakka sont les Ban Tnmk, qui feraient partie des anha20. Yt, citant probablement al-Muhallab, affirme que le chef-lieu / qaba du royaume de Tdimakka est la ville de Zakrm, dont les habitants sont des Zanta21. Cela semble signifier que, tout comme à Awdaġust, il y a une population sédentaire ibite dorigine zanat qui vit dans

15 Siyar al-mayi, éd. Lewicki dans Quelques extraits inédits, p. 18; alamm, p. 394. 16 Siyar al-mayi, éd. Lewicki dans Quelques extraits inédits, p. 19.17 Alamm, p. 394.18 Ibn awqal, p. 92/90, trouve que cest Awdaġust qui ressemble le plus à La Mecque.19 Al-Bakr, pp. 181-182/339-340. Selon Devisse dans Histoire générale de lAfrique, III, p. 303, il

sagit sans doute de flans préparés dans le but de recevoir une empreinte dans les ateliers du nord. Jean-Léon lAfricain, p. 469, signale quà Tombouctou, on utilise des morceaux dor pur au lieu de monnaie frappée.

20 Ibn awqal, p. 105/103.21 Yt, s.v. Zakrm. Selon Lewicki, Les origines et lislamisation de la ville de Tdmakka, pp.

441-442, Yt se base pour cette notice sur al-Muhallab et cette information se rapporte donc à la seconde moitié du Xe siècle. Il propose de corriger Zakrm en Akrm, qui serait la transcription arabe du berbère aġram / château.

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la capitale du royaume de Tdimakka, tandis que les réels maîtres de ce royaume, des anha, nomadisent aux alentours de la ville. Quils se rendent fréquemment à Tdimakka pour y faire des affaires ou quils sy installent définitivement, les liens sont étroits entre les expatriés et les ibites qui restent dans le Djérid; on le voit bien dans le cas de Taml, qui considère comme un devoir le fait de pourvoir aux besoins de ses coreligionnaires demeurés au pays. Il paraît donc que la place commerciale de Tdimakka est devenue pendant le Xe siècle une sorte de relais du Djérid, une seconde résidence pour ses habitants principalement issus des Zanta. Cette situation pourrait être comparée à limplantation, dès la fin du VIIIe siècle, de nombreuses familles venues du abal Nafsa dans les oasis de la Qasliya, où elles fondent de petites colonies qui sintègrent parfaitement dans la région, tout en conservant des liens très forts avec leur pays dorigine.

Le trafic des esclaves par la voie Tozeur - Tdimakka nest pas évoqué par les géographes avant le XIIe siècle: al-Zuhr affirme que les habitants de Tdimakka attaquent le territoire des Barbara et y font des prisonniers22. Il ajoute que cest par Ouargla quon pénètre dans le Sdn et que cest par cette ville que transitent les esclaves23. Ibn Sad confirme que Ouargla est un pays desclaves et que ceux qui sont destinés à lIfrqiya transitent par cette ville24. Cependant, il est certain que des esclaves arrivent depuis Kawkaw à Kairouan dès que la route est régulièrement fréquentée, même si la mère dAb Yazd, achetée à Tdimakka, est la seule preuve de la vente desclaves sur cette route. La plupart des esclaves qui approvisionnent le grand marché de Kairouan viennent sans aucun doute à cette époque par la route de Zawla. Outre la mention des esclaves, les sources du XIIe siècle insistent sur le rôle de Ouargla comme centre de frappe de monnaie dor. Pour al-Idrs, la ville est peuplée de riches négociants wahbites, qui vont faire du commerce dans les régions de Ġna et de Wanqra; ils en ramènent de lor / tibr qui est frappé à Ouargla25. Selon le Kitb al-Istibr, on y frappe des dnr-s almoravides qui sont réputés26. Sous les Zdes, jusquau milieu du XIe siècle, lor du Sn semble arriver en Ifrqiya sans passer par le Maroc soumis aux Umayyades27.

22 Al-Zuhr, § 338-339.23 Al-Zuhr, § 318.24 Ibn Sad, p. 60.25 Al-Idrs, pp. 120-121/141. Ailleurs, p. 8/9, il ajoute que la plus grande partie de lor que lon

trouve à Ġna est achetée chaque année par les habitants de Ouargla et du Maghreb al-Aq, qui le font frapper dans leur région en dr-s quils échangent contre des marchandises.

26 Kitb al-Istibr, pp. 224/208-209, qui ajoute au sujet de ces dr-s nzila f, que Fagnan traduit par dr-s « de mauvais aloi ». Nzila désignant entre autres un accident, un fléau, une calamité, une mauvaise affaire ou un événement, il est difficile de saisir le sens de cette formule, qui semble contredire la bonne réputation dont jouissent ces dr-s.

27 Cahen, Lor du Soudan avant les Almoravides, p. 543.

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Depuis Tdimakka, deux routes mènent à Ghadamès. La seconde, qui est sans doute la voie directe par le Hoggar et le Tassili, est très rude et offre très peu deau: les voyageurs sont forcés demmener avec eux une grosse provision deau et de bois. Cette route permet daccéder à une mine de pierres appelées ts l-n.s.m.t28, qui ressemblent à des agates et peuvent être dans le même temps rouges, jaunes et blanches. Elles sont achetées très cher par les habitants de Ġna. Plus loin se trouve une mine dalun, produit que lon peut revendre avec grand profit dans les autres régions29. Cette route est la plus courte et, malgré sa difficulté, elle présente dindéniables avantages commerciaux. Une fois arrivés à Ghadamès, pourvus de ces nouvelles marchandises, les commerçants peuvent gagner Gabès par une route que lon parcourt en quatorze étapes30. La route passant par Ghadamès devait être également empruntée au départ du Sud tunisien mais cependant, il semble que les commerçants du Djérid ne pouvaient pas vendre leurs dattes dans les localités traversées par cette voie, qui étaient déjà approvisionnées en dattes du Hoggar; ils avaient plutôt intérêt à commercialiser dautres produits, comme la soie ou les tapis en provenance de Kairouan31. Néanmoins, ils pouvaient y acheter les pierres et lalun et revendre le tout dans le Sdn.

Les sources ibites consultées ne citent pas dexemple de marchands originaires du Djérid à Kawkaw. Le seul témoignage sur le commerce des marchands ibites du Sud tunisien dans cette ville semble être celui relatif au père dAb Yazd, qui emmène son fils de Tdimakka à Kawkaw. Selon al-Bakr, Kawkaw est formée de deux villes, celle du roi et celle des musulmans; le roi est musulman et le pouvoir nest confié quà des musulmans. La monnaie employée à Kawkaw est le sel, qui est extrait dans les mines souterraines de Tt.k, éloignée de six journées de Tdimakka

28 Mauny, Tableau géographique, pp. 319-320, estime que cest lagate. Selon Lewicki, Les écrivains arabes au sujet des mines de pierres précieuses, pp. 53-55, il sagit de cornaline, dont les perles étaient la parure favorite des femmes snaises au moyen âge; ces mines seraient situées au sud-ouest du Hoggar. Devisse dans Histoire générale de lAfrique, III, p. 311, et Routes de commerce, pp. 69-70, tranche en établissant quil sagit de la calcédoine, une roche dont lagate et la cornaline sont des variétés et dont on a trouvé de nombreux échantillons dans les fouilles dAwdaġust. La calcédoine était très appréciée en Afrique occidentale pendant les Xe et XIe siècles; elle était utilisée en bijouterie, associée à dautres pierres, à des métaux ou des coquillages. Voir aussi Delafosse, Haut-Sénégal – Niger, II, pp. 69-70 et, sur les différentes transcriptions de ce terme, Dozy, Supplément, s.v. ts l-s.m.t.

29 Al-Bakr, pp. 182-183/341; Kitb al-Istibr, pp. 224-225/209-210. 30 Al-Muhallab dans Ab l-Fid, p. 143/198.31 Gouja, Le Kitb al-Siyar, p. 222. Selon le Dr Frank, qui écrit en 1816, les marchands de Tozeur qui

vont dans le Sdn y échangent leurs dattes contre des Noirs, un Noir valant généralement cent ou cent cinquante kilos de dattes. Sur le marché des esclaves de Tunis, certaines femmes goûtent la sueur des jeunes esclaves, « persuadées quelles reconnaîtront dans lappréciation de cette saveur les bonnes ou mauvaises qualités de leur acquisition future ». Frank et Marcel, Histoire de Tunis, p. 45 et p. 116.

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par laquelle il transite32. Al-Muhallab affirme que le roi de Kawkaw possède de grands entrepôts, renfermant principalement des réserves de sel33.

Dans la seconde moitié du IXe siècle, Kawkaw paraît contrôler les routes qui mènent en Égypte, à Ġna et au Maghreb: Ibn al-Faqh évoque en effet une route qui relie Ġna à Mir, en passant par Kawkaw34. À lépoque dIbn awqal, cette route est abandonnée depuis quAb l-Abbs Amad ibn ln (m. 884) a interdit de lemprunter, à la suite de violentes tempêtes de sable qui ont entraîné la perte de plusieurs caravanes. Ailleurs, il ajoute que cette route qui, outre ces tempêtes, était à la merci des attaques des brigands, a été délaissée au profit de la route passant par Siilmsa, dans laquelle se sont installés de nombreux commerçants venus des métropoles du Mariq35. Malgré limportance croissante de la voie occidentale, les témoignages ibites montrent bien que la voie Ouargla - Tdimakka est toujours florissante dans la seconde moitié du Xe siècle. Plus tard, al-Zuhr affirme que les caravanes venues dÉgypte et de Ouargla se rendent à Kawkaw; par contre, on y voit peu de caravanes venues par la route de Siilmsa. Il dit aussi que les commerçants venus dÉgypte et du Maghreb importent à Kawkaw des dattes, des raisins secs, de la soie et des vêtements en coton; d’al-Andalus et dIfrqiya arrivent entre autres du safran et de la soie36.

Jean Devisse suggère que, dès le départ des Fimides pour l’Égypte, litinéraire Tozeur - Tdimakka - Kawkaw décline fortement et tend même à disparaître! Selon lui, les efforts des ibites pour ne pas laisser disparaître cette voie commerciale se concentreraient surtout dans la vive recherche de fret à échanger contre lor sur cet axe37. Dune part, nous avons montré ici quil nest pas question dun déclin de la voie Tdimakka - Kawkaw à la fin du Xe siècle, ni dans les deux siècles qui suivent; nous avons vu le rôle important de cette route au XIIe siècle dans le trafic des esclaves et le développement de Ouargla en tant que centre de frappe de monnaie dor. Dautre part, lopinion selon laquelle les ibites du Sud tunisien auraient des difficultés à trouver des marchandises à échanger sur cette voie contre lor et les esclaves ne paraît pas convaincante: cette idée provient sans doute du fait que sur la route occidentale, la monnaie déchange est en grande partie le sel, fourni par les importantes salines de la région. Sil est vrai que la route centrale ne dispose pas de cette manne, on y trouve néanmoins les mines souterraines de Tt.k, qui ne sont éloignées que de six journées de Tdimakka, et dont le sel, si lon en croit al-Bakr,

32 Al-Bakr, pp. 183/342-343.33 Al-Muhallab dans Yqt, s.v. Kawkaw.34 Ibn al-Faqh, éd. de Goeje, p. 68. 35 Ibn awqal, p. 61/58 et p. 153/151.36 Al-Zuhr, § 333.37 Devisse, Routes de commerce, p. 53; L’arrière-plan africain, p. 149.

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sert de monnaie à Kawkaw. Outre ce sel, les marchands du Djérid peuvent vendre sur cette voie leurs propres productions et celles du Maghreb, ce qui apparaît clairement chez al-Zuhr qui affirme quon importe à Kawkaw de la soie, des vêtements de coton, des raisins secs, du safran et des dattes. Ils peuvent éventuellement y vendre aussi le produit des mines qui se trouvent sur la route Tdimakka - Ghadamès. Dautres produits sont certainement commercialisés à Kawkaw, comme des perles, des objets en métal et des chevaux38. On peut supposer quils y revendaient aussi la boissellerie provenant de la Méditerranée musulmane39.

2. LA VOIE TOZEUR - OUARGLA - SIILMSA - ĠNA

La voie qui mène de Tozeur à Siilmsa nest pas attestée à notre connaissance avant le tout début du Xe siècle. Elle est empruntée par le Mahd Ubayd Allh vers 905: Ab Zakariyy précise que, de Tozeur, le Mahd se rend à Ouargla où les habitants laccablent doutrages; il gagne alors Siilmsa40. De même, Sulaymn ibn Zarqn al-Nafs va de Tozeur à Siilmsa pour y étudier en compagnie dAb Yazd: Ab Zakariyy raconte quil reste pendant deux ans dans cette ville et quil regagne ensuite la Qasliya41. Il est fort probable que les deux étudiants passent par Ouargla. Ce voyage a sans doute lieu avant la prise de pouvoir des imides, à partir de laquelle Ab Yazd se fixe dans la Qasliya pour y enseigner.

Dès la seconde moitié du VIIIe siècle, Siilmsa est gouvernée par des Miknsa, les Ban Midrr ufrites; alliée à Thart, la ville se développe rapidement. Ce sont sans doute ces ufrites qui découvrent et accaparent le trafic du sel depuis Awll, qui faisait auparavant la prospérité des anha dAwdaġust42. Pendant tout le IXe siècle, ufrites et ibites organisent les échanges avec Ġna, qui atteignent leur plein développement au Xe siècle. Ibn awqal témoigne de ce que des caravanes partent sans cesse de Siilmsa vers le Sn ou vers dautres régions, réalisant de multiples profits43. Lémir midrride al-Mutazz impose les caravanes en partance pour le Sn, prélève la dîme, le ar ainsi que des droits anciens sur la vente des animaux et sur les marchandises qui transitent par sa ville; ces taxes représentent annuellement un montant de 400.000 dnr-s pour la province de Siilmsa, alors

38 Hunwick dans La géographie du Soudan daprès al-Bakr, p. 423.39 Lombard, Espaces et réseaux du haut moyen âge, p. 168 et carte 3.40 Ab Zakariyy, pp. 158-159.41 Ab Zakariyy, p. 182; alamm, pp. 221-222. 42 Devisse, Routes de commerce, p. 51.43 Ibn awqal, p. 99/97.

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que le revenu de lensemble du Maghreb avoisine les 800.000 dnr-s44! Al-Mas affirme que cest à Siilmsa que lon frappe les dnr-s issus de lor exporté du Sn45.

Mais la fortune de Siilmsa nest pas seulement due à son rôle de terminus des voies transsahariennes: cest également une grande productrice de céréales, de raisins et de dattes de grande qualité46. Yt y mentionne seize variétés de dattes, dont les daqal, qui correspondent peut-être à la variété qui est aujourdhui la plus appréciée dans le Sud tunisien, connue sous le nom de daglat al-nr / doigts de lumière47. Al-Idr vante les dattes ruab de Siilmsa et dit que la ville produit également du coton, du cumin, du carvi et du henné, tout cela étant importé dans le restant du Maghreb48. Dans la proche région du Dara, on cultive également le henné, le cumin, le carvi et lindigo; ce dernier, de qualité médiocre, est vendu dans le Maghreb parce quil nest pas cher ou est vendu mélangé à de lindigo de meilleure qualité49. Il apparaît donc que les productions de la région de Siilmsa sont souvent les mêmes que les productions du Djérid et que cette ville présente une forte concurrence pour les marchands du Sud tunisien. Le Kitb al-Istibr signale dailleurs que les vêtements fabriqués à Darn ressemblent à ceux de Siilmsa mais sont de qualité inférieure50.

Jean Devisse suggère que linstallation du Mahd Ubayd Allh à Siilmsa est peut-être motivée par le fait quil sait que de lor arrive déjà en quantité importante dans cette ville au tout début du Xe siècle; tout au long de son règne, le Mahd vise à protéger la route Siilmsa - Ġna contre les ambitions des Umayyades dal-Andalus et de leurs alliés les Zanta. Les Fimides deviennent alors, par lintermédiaire des Berbères ibites, les maîtres incontestés du commerce de lor du Sdn, qui est frappé pour eux à Siilmsa puis accumulé pour servir leurs conquêtes orientales51. Il paraît certain que ce nest quau Xe siècle que lor de lAfrique occidentale fait lobjet dun véritable trafic, rendu possible par la circulation régulière vers Ġna52. Les Fimides sont les premiers souverains occidentaux qui frappent des pièces califales en or, alors que les Umayyades dal-Andalus et les Idrsides frappent une

44 Ibn awqal, pp. 99-100/98. Pour al-Bakr, p. 151/288, al-Mutazz meurt en 321/933.45 Al-Mas, trad. Cuoq dans Recueil, p. 61. 46 Ibn awqal, p. 91/89; al-Bakr, p. 148/283 et p. 151/289.47 Yt, s.v. Siilmsa. Cependant, Kazimirski, s.v. daqal, dit quil sagit de dattes de qualité

inférieure.48 Al-Idr, pp. 60-61/70. 49 Al-Idr, p. 61/71.50 Kitb al-Istibr, p. 159/85.51 Devisse, L’arrière-plan africain, pp. 148-149. Brett, Ifrqiya as a Market for Saharan Trade, p.

359, va jusquà considérer les marchands ibites comme des agents des Fimides.52 Miquel, La géographie humaine du monde musulman, II, p. 133; Swanson, The Not-Yet-Golden

Trade, pp. 213-214; Devisse, Approximatives, p. 186.

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monnaie dargent; cette politique de lor témoigne de leur puissance et leur assure une crédibilité internationale53.

Les routes qui mènent de Siilmsa à Awdaġust sont aux mains des Ban Masf / Massfa, une tribu très nombreuse dirigée par un roi qui est vénéré par les anha; ces Berbères voilés perçoivent des droits / lawzim sur chaque charge ou chameau des caravanes qui traversent leur territoire, revenant du bild al-Sdn chargées dor54. La description dAwdaġust est donnée par Ibn awqal, qui prétend sy être rendu55: cest une belle ville, qui ressemble à La Mecque car elle est également située entre deux montagnes, non loin de ravins56. Le roi dAwdaġust fréquente celui de Ġna, qui est le plus riche roi du monde grâce à la provision de poudre dor dont bénéficie son royaume depuis une époque reculée. Cependant, tout comme le roi de Kġa, il se doit doffrir des présents au roi dAwdaġust, de lor certainement, de façon à obtenir le sel venu des régions musulmanes qui leur est indispensable; une charge de ce sel peut valoir entre 200 et 300 dnr-s57. À cette époque, le sel provient de la mine de sel dAwll, qui serait éloignée dAwdaġust par un mois de marche58. Al-Bakr signale également la mine de Tt.n.tl / Taġza, dominée par sa forteresse faite en pierres de sel, qui fournit le sel pour Siilmsa, Ġna et le Sdn; le commerce y est ininterrompu59. À Awdaġust, les marchandises se paient avec de la poudre dor / tibr, car on ny trouve pas dargent60. Dans le Sdn, selon un ouvrage anonyme, le sel serait échangé au poids de lor61! Al-Bakr ne mentionne pas que lon importe du sel à Awdaġust, mais bien, depuis les pays musulmans lointains, du blé, des dattes et des raisins secs, que lon vend au prix de six miql-s le qinr62. Outre lor, qui est le meilleur et le plus pur du monde, on

53 Devisse dans Histoire générale de lAfrique, III, p. 297. Garrard, Myth and Metrology: the Early Trans-Saharan Gold Trade, pp. 451-453, dit quà partir de 698 environ, les Arabes frappent à Kairouan des dr-s dor. Il nie lopinion de Jean Devisse selon laquelle le peu dor qui arrivait de Ġna dans la seconde moitié du VIIIe siècle ne servait que pour la bijouterie ou les lingots. Il estime que les monnaies byzantines et musulmanes des VIe, VIIe et VIIIe siècles indiquent un commerce florissant de lor, important avant même la conquête arabe. En se basant sur des travaux de Nehemia Levtzion, il affirme que dès 804, lor des dr-s aġlabides est dorigine snaise. Dans Approximatives, pp. 185-187, Devisse revient sur les arguments de Garrard.

54 Ibn awqal, pp. 101-102/99-100. Al-Bakr, p. 149/284, les situe entre Siilmsa et Ġna. 55 Ibn awqal a vu, sans doute lorsquil se trouvait à Siilmsa en 340/951, une reconnaissance de

dettes dun négociant dAwdaġust originaire de Siilmsa, Muammad ibn Ab Sadn, en faveur dun habitant de Siilmsa; ce chèque, attesté par les témoins instrumentaires, représentait 42.000 dnr-s. Ibn awqal, p. 61/58, pp. 99/97-98 et p. 100/98. Levtzion explique de façon convaincante dans son article Ibn-awqal, the Cheque, and Awdaghost, que le géographe ne sest certainement pas rendu à Awdaġust et quil a sans doute vu cette reconnaissance de dettes à Siilmsa.

56 Ibn awqal, p. 92/90; al-Idrs, p. 32/38. 57 Ibn awqal, p. 101/99.58 Ibn awqal, pp. 92/90-91; al-Idrs, p. 32/38; Yqt, s.v. Awll.59 Al-Bakr, pp. 171/322-323.60 Al-Bakr, p. 158/300.61 udd al-lam, p. 165.62 Al-Bakr, p. 158/300. Dans le manuscrit utilisé par Monteil, Al-Bakrî (Cordoue 1068), p. 93, il est

question de dattes et non de fruits comme dans le manuscrit édité par de Slane.

401

exporte dAwdaġust de lambre / anbar venu de locéan, qui est dune excellente qualité63.

De 350/961 à 360/971, si lon en croit al-Bakr, le roi dAwdaġust est un h, Tn Yartn, auquel plus de vingt rois noirs paient limpôt / izya64. Cest sans doute le même roi qui est évoqué par Ibn awqal, sous le nom très similaire de Tanbartn, et qui règne visiblement déjà à lépoque où le géographe se trouve à Siilmsa, en 951. Ibn awqal ajoute que les anha dAwdaġust vivent isolés dans les déserts65. Vers 970 cependant, il paraît que les Zanta ibites, alliés aux Umayyades, se rendent maîtres de la ville et évincent les anha66. Al-Bakr affirme quavant sa prise par les Almoravides, Awdaġust était peuplée dArabes et de Zanta qui se détestaient; ils étaient très riches et possédaient parfois plus dun millier desclaves67. Il est probable que cette animosité était causée par la différence religieuse qui opposait les Arabes sunnites aux Zanta ibites. En effet, à lépoque à laquelle écrit al-Bakr, la population dAwdaġust est composée dIfrqiyens, dont des Nafsa et des Zanta, les Nafzwa étant les plus nombreux68. On peut donc en conclure que les groupements ibites dAwdaġust comptent de nombreux commerçants du Sud tunisien. Il est également question chez al-Bakr dAb Rustum al-Nafs, originaire de la tribu des Nafsa, qui fait partie des commerçants dAwdaġust 69. Cependant, les sources ibites ne livrent à notre connaissance quun seul témoignage sur le voyage dun ibite du Djérid à Awdaġust et, de plus, il est possible que cette personne soit originaire du Zb: au XIe siècle, ce marchand ibite, dont le fils vit à Awdaġust, décède dans sa région natale; son débiteur va jusquà Awdaġust pour rembourser au fils les dettes quil avait vis-à-vis de son père70.

Les travaux de Jean Devisse établissent que les ibites dIfrqiya affluent à Awdaġust dès que cette ville acquiert une importance capitale au Xe siècle. Ces Berbères développent la ville pendant le Xe siècle et le début du XIe siècle: on y a trouvé de nombreux jetons de verre fimides et marchandises de luxe datant de cette époque, qui prouvent que le commerce transsaharien y est très intense71. Linstallation des Maghrébins dans cette ville a pour conséquence une urbanisation

63 Al-Bakr, p. 159/301.64 Al-Bakr, pp. 159/301-302. 65 Ibn awqal, p. 100/98.66 Lagardère, Les Almoravides, p. 88; Malowist, Quelques aspects du commerce de lor soudanais, p.

24.67 Al-Bakr, p. 168/317.68 Al-Bakr, p. 158/300.69 Al-Bakr, p. 159/301.70 Lewicki, Traits dhistoire du commerce transsaharien, p. 306.71 Devisse, L’arrière-plan africain, p. 146, pp. 150-151 et p. 157, note 8. Cependant, on a retrouvé

à Awdaġust des fragments de céramique provenant dIfrqiya, dans des strates sans aucun doute antérieures à 900. Devisse dans Histoire générale de lAfrique, III, p. 295.

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en pierres, mais cette évolution a peu dimpact sur lartisanat local, qui reste dans la continuité de ce quil était auparavant72. Les caravanes apportent des produits destinés à satisfaire le confort des commerçants maghrébins installés dans le sud: les fouilles dAwdaġust ont montré le nombre de ces marchandises de luxe, coupes en verre, céramiques et autres lampes. Un peu plus de dix pour cent de ces marchandises proviennent dIfrqiya, alors que cinquante pour cent au moins viennent de Siilmsa et que le reste est originaire dautres régions du Maroc ou dEspagne73. Les soies de Gabès et les laines du Sud tunisien font sans doute partie de ces articles de luxe. Il est probable en effet que les marchands ibites installés au sud du Sahara vivent de façon plus luxueuse que ceux restés dans le Djérid: comme leurs moyens le leur permettent, ils tentent peut-être ainsi de compenser le mal du pays et les inconvénients de leur nouvelle vie: al-Bakr affirme que les habitants dAwdaġust ont le teint jaunâtre, sont la proie de fièvres et souffrent de la rate74.

Une fois installés en Égypte, les Fimides se désintéressent de Siilmsa et les Umayyades en profitent pour assurer leur suprématie sur la ville: dès 976 environ, Siilmsa est gouvernée par une dynastie de Zanta alliée aux Umayyades, dont le premier souverain est azrn al-Maġrw75. Les Umayyades continuent ensuite à soutenir leurs alliés les Zanta contre les Zdes et, à la fin du Xe siècle, ils installent de petites dynasties de Zanta dans plusieurs villes de lactuel Maroc, dont Aġmt76. Le contrôle de ces villes par les Zanta est rapidement menacé par le développement du mouvement almoravide. Ces ha nomades, les Massfa, les Lamtna et les uddla vivant dans le Sahara occidental, ont clairement pour but de reprendre le contrôle des voies transsahariennes et dimposer le mlikisme aux Zanta, souvent ibites, qui sont leurs ennemis jurés. En 446/1054-1055, les Almoravides prennent Siilmsa, renversent lémirat des Ban azrn, puis semparent dAwdaġust. Aux dires dal-Bakr, les Almoravides accaparent les richesses dAwdaġust, violent les femmes et maltraitent la population, parce que la ville sétait soumise auparavant au souverain de Ġna77. Nous ne savons pas quel est le sort des Zanta maîtres de la ville. On lit chez Jean Devisse que les Almoravides ont massacré sans pitié les

72 À la lumière des fouilles, Awdaġust paraît avoir été du IXe au XIe siècle non seulement un important marché de sel et dor mais également un centre de productions artisanales propres quelle échangeait avec les autres villes. Mac Dougall, The View from Awdaghust, p. 11, note 34, et p. 24.

73 Devisse, Approximatives, p. 174. Il sagit dun commerce « de type colonial », comme celui qui a cours aujourdhui pour les Européens installés dans les villes dAfrique. Devisse, Routes de commerce, p. 61.

74 Al-Bakr, p. 158/300.75 Il sagit de azrn ibn Fulful ibn azar; voir supra. Terrasse, E.I., s.v. Sidjilmsa. Sur les

Umayyades dans le Maghreb occidental à cette époque, voir Guichard, Omeyyades et Fatimides, pp. 65-67.

76 Levtzion, The Sahara and the Sudan, p. 663.77 Al-Bakr, p. 168/317.

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Zanta78; dautre part, selon cet historien, les archéologues ont noté une cassure dans lexistence de la ville au milieu du XIe siècle, mais Awdaġust sest rapidement remise de cette catastrophe79. Il apparaîtrait en fait, à lissue des fouilles du site de Tegdaoust, quil ny a aucun indice que des destructions de grande ampleur aient ruiné la ville ou quune population y ait été décimée80. Selon Vincent Lagardère, les ibites sont chassés dAwdaġust et se réfugient à Ġna, ce qui aurait motivé la conquête de cette ville par les Almoravides81. Cependant, la prise de Ġna en 1076 na sans doute pas eu lieu: très peu dhistoriens arabes y font allusion et, qui plus est, de façon extrêmement imprécise. Il est probable que cette ville sest convertie au mlikisme par sa propre volonté82. Après sa conquête par les Almoravides, Awdaġust décline progressivement, mais son déclin ne paraît pas être dû à cette conquête: une des causes principales de la décadence dAwdaġust serait louverture de la saline de Taġza, qui saffirme au détriment dAwll vers 1030-1040, causant le déplacement des routes vers lest83. Al-Idrs estime dailleurs quAwdaġust nest pas très prospère et que le commerce y est peu important84.

Al-Bakr donne de nombreux renseignements sur Ġna, qui est composée de deux villes; la première est réservée au roi tandis que la seconde, plus grande, est peuplée de musulmans qui y possèdent douze mosquées, dont une dans laquelle se fait la prière du vendredi85. Le roi lève une taxe dun dr sur tout âne chargé de sel qui pénètre dans le royaume, une taxe de deux dr-s sur chaque charge de sel qui en sort86. La population du royaume na accès quà la seule poudre dor; le roi sattribue en effet lor en morceaux, de peur quun excès dor sur le marché ne fasse chuter les prix87. Ġna est la métropole de lor du Sn parce quelle permet daccéder au pays aurifère de Wangara / Wanqra, qui comprend les territoires du Bouré et du Galam-Bambouk; ces derniers sont le bild al-tibr / le pays de la poudre dor des géographes arabes88. Les commerçants y trouvent également une grande

78 Devisse et Hrbek dans Histoire générale de lAfrique, III, p. 272.79 Devisse dans Histoire générale de lAfrique, III, p. 308.80 Mac Dougall, The View from Awdaghust, pp. 26-27.81 Lagardère, Les Almoravides, p. 88.82 Voir Fisher, Early Arabic Sources and the Almoravid Conquest of Ghana, pp. 551-560.83 Devisse, Routes de commerce, p. 56 et p. 60. Oliel, Les Juifs au Sahara, pp. 63-65 et p. 167 (qui

date louverture de Taġza tantôt vers 1060-1070, tantôt vers 1030). Dans Approximatives, p. 167, Devisse suggère que lenfoncement inexorable de la nappe aquifère dAwdaġust est une autre cause importante du déclin de la ville. À ce sujet, voir Mac Dougall, The View from Awdaghust, pp. 24-25.

84 Al-Idrs, p. 32/38. Le Kitb al-Istibr, p. 215/192, évoque lampleur du commerce mais en copiant al-Bakr.

85 Al-Bakr, p. 175/328.86 Al-Bakr, pp. 176/330-331.87 Al-Bakr, pp. 176-177/331.88 Sur Wangara, voir Perinbam, Soninke-Ibiyya Interactions, pp. 77-78. Al-Hamdn estime que la

mine dor de Ġna est la plus productive du monde. Dunlop, Sources of Gold and Silver in Islam, p. 39.

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quantité desclaves noirs, qui sont capturés pour leur majorité chez les Amma et les Barbara89.

Contrairement à ce qui concerne Awdaġust, plusieurs témoignages demeurent sur lactivité des marchands ibites à Ġna. Faln ibn Isq, issu des Ban Wisyn qui vivent principalement près de Tozeur, choisit au cours du Xe siècle de passer par Siilmsa pour gagner le Sdn; il meurt dans la région de Ġna90. Son décès est peut-être dû au climat malsain: al-Bakr signale quà lépoque où les grains montent en épi, peu détrangers échappent à la maladie et que, lorsque lon procède à la moisson, certains en meurent91. Dans la première moitié du XIe siècle, un autre commerçant ibite originaire du Djérid va à Ġna et en revient. Al-Wisyn précise quil est dorigine naf et quil vit à Qanrra; il est lépoux dune jeune fille née dans une grande famille ibite du « Nafzwa de Tinwata », cest-à-dire la partie du Nafzwa habitée par la tribu des Tinwata92.

Le marchand ibite Isml ibn Al al-Nafzw, originaire de Tn Bmr93 de Tinwata, cest-à-dire de la région du Nafzwa précédemment évoquée, se rend à Ġna dans la seconde moitié du XIe siècle. Nous ne savons pas sil emprunte, depuis le Nafzwa, litinéraire Siilmsa - Awdaġust, mais il est certain quil passe par Ouargla: il passe en effet une nuit à Tamwa, une des oasis de Ouargla, avant de gagner Ġna. Jusquà son retour de cette ville, il dispose de suffisamment deau pour chacune de ses prières94. Joseph Cuoq interprète cette précision de deux façons, soit que le commerçant ait emporté avec lui une énorme provision deau en vue de ses ablutions, soit quil ait exceptionnellement pu trouver de leau tout au long de son voyage95. Il nous semble que lauteur ibite qui a rapporté cette anecdote a voulu lui donner un autre sens: cest grâce au soutien de Dieu quIsml ibn Al al-Nafzw a pu mener à bien ce voyage et accomplir ses cinq prières quotidiennes et leurs ablutions rituelles à labri de toute préoccupation. Les biographies des saints personnages ibites regorgent en effet de ce genre de miracles96.

Certains marchands ibites vont également sinstaller dans la ville de Ġiyr, probablement située non loin du fleuve Sénégal, à moins de cinq kilomètres au sud

89 Al-Zuhr, § 337.90 Siyar al-mayi, éd. Lewicki dans Quelques extraits inédits, pp. 20-21. 91 Al-Bakr, p. 177/331.92 Al-Wisyn, éd. Lewicki dans Quelques extraits inédits, pp. 10-11. 93 Bmr serait la forme berbère du nom Ab Amr qui donne en arabe parlé B Amr. Lewicki,

Quelques extraits inédits, p. 14. 94 Siyar al-mayi, éd. Lewicki dans Quelques extraits inédits, p. 21. 95 Cuoq, Recueil, p. 175, note 2.96 Nombre de ces miracles sont relatifs à leau. Alamm, p. 267, évoque par exemple une famille

très pieuse tourmentée par la sécheresse. Tant la mère que le fils souhaitent ardemment quil pleuve. Confiant dans la clémence divine, le père fait sa prière au milieu de son champ puis met à labri sa vache et son matériel agricole. Répondant à ses suppliques, Dieu ouvre les portes du ciel et le champ familial est inondé de pluie, contrairement aux champs des voisins.

405

de Kayes97. Selon al-Bakr, depuis Ġna, il faut parcourir dix-huit jours de marche dans une région peuplée de façon continue par les Noirs; Ġiyr contient le meilleur or de la région98. Al-Idr ne compte quonze jours entre ces deux villes, mais précise quon trouve peu deau sur la route99. Cet or convoité provient certainement des gisements aurifères du Galam-Bambouk et est entreposé à Ġiyr100: plus proche que Ġna, lor y est évidemment vendu moins cher. Ġiyr présente également dautres avantages: al-Idr explique que les habitants de cette ville capturent des Noirs dans le bild Lamlam, à treize jours de là, et les vendent comme esclaves aux négociants de Ġna101. De ce fait, les ibites peuvent y acheter les esclaves au meilleur des prix et, de façon générale, échapper à la concurrence des trop nombreux marchands déjà installés à Ġna. Ainsi, un commerçant se rend à Ġna puis à Ġiyr: dans la seconde moitié du Xe siècle, Ab Imrn Ms ibn Sudrn al-Wisyn, originaire dal-mma du Djérid, décide de partir à Ġna. On l’a vu précédemment chargé par Taml de partager les richesses quil envoyait aux nécessiteux de sa ville natale. Ab Abd Allh Muammad ibn Bakr tente de le faire renoncer à ce voyage, lui rappelant la mort de Faln ibn Isq dans cette région, mais le ay sobstine. Malgré cette mise en garde, il se rend à Ouargla afin de gagner Ġna; il atteint la ville de Ġiyr, dans laquelle il trouve les gens nus, et y habite jusquà sa mort102.

Les sources ibites indiquent que la voie occidentale est toujours utilisée par les commerçants du Sud tunisien dans la seconde moitié du XIIe siècle. À cette époque, Ab Yay Zakariyy ibn li al-rsan se présente à Ouargla avec un groupe de vingt ou vingt-cinq voyageurs qui arrivent de Siilmsa. Ils transportent 250 000 miql-s dor et repartent ensuite en direction du Nafzwa puis de Djerba103. Il y a également à Siilmsa une colonie de marchands wahbites dans la seconde moitié du XIIe siècle, qui viennent de Tozeur ou de Ouargla104.

97 Sur les différentes possibilités de localisation de cette ville, voir Mauny, Tableau géographique, pp. 124-125, qui suggère quil a pu y avoir plusieurs Ġiyr. De même, il a pu y avoir plusieurs Ġna: dans certains passages dal-Bakr, Ġna ne devrait pas être vue comme un centre fixe mais comme la zone centrale du royaume, dune superficie inconnue. Triaud, La géographie du Soudan daprès al-Bakr, p. 409.

98 Al-Bakr, pp. 176-177/331-332; Kitb al-Istibr, p. 221/202, qui compte une vingtaine de jours entre les deux villes. Pour Hunwick, La géographie du Soudan daprès al-Bakr, p. 420, les 18 jours dal-Bakr correspondraient à deux jours de halte et 16 étapes de 25 km, soit 400 km; Ġiyr se situerait donc bien dans la région de Kayes. Dans le même article, Meillassoux, p. 405, et Triaud, pp. 410-411, proposent des localisations différentes.

99 Al-Idr, p. 9/11.100 Mauny, Tableau géographique, p. 296; Delafosse, Haut-Sénégal – Niger, II, p. 49.101 Al-Idr, p. 9/11. Sur les esclaves du pays des Lamlam, voir aussi al-Idr, p. 4/4 et p. 6/7, qui

précise que ces esclaves sont destinés au Maghreb al-Aq. 102 Siyar al-mayi, éd. Lewicki dans Quelques extraits inédits, pp. 19-20. 103 Al-Dar, p. 502. 104 Al-T (m. vers 1230), trad. Lewicki dans Études maghrébines et soudanaises, I, p. 17.

406

3. LA RÉUNION DES DEUX ROUTES

Il reste à se demander si certains marchands nont pas pu profiter dans le même temps de ces deux grandes voies transsahariennes. Depuis Ġna, on peut en effet joindre Kawkaw: Ibn awqal dit que de Ġna, on gagne Kawkaw, puis Maranda, puis Zawla et enfin Adbiya105. Al-Zuhr compte trente jours entre Ġna et Kawkaw, tandis qual-Idrs estime quil faut un mois et demi106. Dautre part, une route importante relie Ġna à Tdimakka, longue de cinquante jours de marche selon al-Bakr, qui passe par Traqq puis traverse le désert jusquà Tdimakka107. Traqq, sans doute située dans les environs de Tombouctou, est le lieu de rassemblement dune foule de négociants de Ġna et de Tdimakka108. Il apparaît donc que, sauf mention explicite du passage du commerçant à Siilmsa, les marchands ibites de Ġna ont pu y parvenir depuis le Sud tunisien en empruntant soit la voie Tdimakka - Kawkaw - Ġna, soit la voie Tdimakka - Traqq - Ġna. Ainsi, de Ouargla, Isml ibn Al al-Nafzw a très bien pu gagner Tdimakka et non Siilmsa. Cest également valable pour le marchand originaire de Qanrra et pour Ab Imrn Ms ibn Sudrn al-Wisyn.

Il paraît évident que les marchands du Djérid qui ne veulent se rendre quà Kawkaw passent par Tdimakka, car le détour par Siilmsa est trop important. Le choix de la route est plus difficile pour les marchands établis à Siilmsa qui souhaitent se rendre directement à Kawkaw; nous pensons quils ont intérêt à passer par El-Goléa et à rejoindre la route Ouargla - Tdimakka, plutôt que de passer par Awdaġust109. Al-Zuhr confirme dailleurs quà Kawkaw, on voit peu de caravanes venues par la route de Siilmsa110.

Jean Devisse estime que cest par Kawkaw et Ġna que les Zanta du Djérid se sont infiltrés vers Awdaġust111. Cela paraît improbable puisque dès sa création, la route passant par Siilmsa paraît bien connue des ibites du Sud tunisien et leur offre lavantage de traverser plusieurs localités tenues par leurs coreligionnaires ou alliés. On ne voit pas pour quelle raison ils auraient négligé cette route et auraient

105 Ibn awqal, p. 92/90.106 Al-Zuhr, § 364; al-Idrs, p. 12/14.107 Al-Bakr, pp. 181/338-339; Kitb al-Istibr, p. 223/207. Pour Meillassoux, La géographie du

Soudan daprès al-Bakr, p. 406, il ne faudrait que 35 jours environ entre Ġna et Tdimakka. Al-Zuhr, § 338, ne compte que 15 jours entre ces deux villes!

108 Al-Bakr, p. 180/337. Sur la localisation de Traqq, Mauny, Tableau géographique, p. 125; Lewicki, Études maghrébines et soudanaises, I, p. 48.

109 Brett, Ifrqiya as a Market for Saharan Trade, p. 359, note 74, critiquant lopinion de Lewicki, L’État nord-africain de Thert, p. 531, estime que les commerçants ne se rendaient à Kawkaw que par la voie passant par Tdimakka.

110 Al-Zuhr, § 333. 111 Devisse, Routes de commerce, p. 52.

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préféré se rendre dabord à Tdimakka, doù ils devaient saventurer profondément dans le Sn et traverser des déserts hostiles jusquà Ġna. Par la suite, cependant, il paraît probable que certains marchands ont pu tirer profit de la jonction entre Tdimakka et Ġna par Traqq. On voit dailleurs, dans une fatw dal-Qbis, un commerçant séjourner à Tdimakka et, au lieu de retourner en Ifrqiya, se rendre à Ġna puis à Awdaġust, dans laquelle il fonde une famille112. Ainsi, selon les marchandises que les commerçants comptaient vendre dans le Sn et en ramener, certains ont combiné la voie centrale et la voie occidentale et, partant de Tozeur vers Tdimakka, sont rentrés chez eux par Siilmsa, ou inversement.

4. CONCLUSION

Litinéraire Tdimakka - Kawkaw est sans doute parcouru de façon régulière avant celui passant par Siilmsa et Awdaġust. Les esclaves et lor ne représentent vraisemblablement à cette époque quune petite part des marchandises qui transitent par cette route. Vers 885, à lépoque de la naissance de lhomme à lâne, cet itinéraire est couramment emprunté et des ibites du Sud tunisien, des Zanta pour la plupart, vont progressivement sinstaller à Tdimakka. Sous les Fimides, pour concurrencer la voie de plus en plus fréquentée par Awdaġust et pour répondre aux besoins de léconomie ifrqiyenne, la voie de Tdimakka se spécialise dans lor et les esclaves. Les esclaves ne sont pas mentionnés au Xe siècle mais plusieurs commerçants ibites échangent à Tdimakka de lor contre dautres marchandises. L’un d’eux y possède dimmenses réserves dor dans la seconde moitié du Xe siècle. Dans le même temps, des marchands du Djérid vont sinstaller à Siilmsa, Awdaġust ou Ġna. La plupart des commerçants qui se rendent à Ġna passent certainement par Siilmsa, bien que les sources ibites nen donnent quun seul exemple explicite. Étant donné que les productions de Siilmsa et de sa région concurrencent fortement les productions du Djérid, ils se spécialisent dans la vente des articles de luxe quils achètent à Kairouan et sans doute, comme les autres marchands, dans le commerce du sel.

On peut se demander pourquoi ces marchands du Djérid sintéressent tant à la voie occidentale, alors quils ont à leur disposition un itinéraire bien tracé et visiblement très rentable. Nous avons estimé que les marchands de Tozeur mettent environ cent dix jours pour gagner Ġna par Siilmsa, alors quils ne voyagent que soixante-treize jours environ pour gagner Kawkaw. Nos calculs supposent évidemment une

112 Fatw dal-Qbis, trad. Brett dans Islam and Trade in the Bilād al-Sūdān, p. 433.

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marge derreur importante, mais il est évident que le fait de passer par Siilmsa rallonge le voyage dun tiers au moins. Ce trajet entraîne également un grand surcroît de péages: lourdes taxes perçues à Siilmsa, puis perçues par les Ban Massfa sur la route qui mène à Awdaġust, et enfin perçues à Ġna, où le roi lève une taxe sur chaque charge de sel qui entre dans la ville ou qui en sort. Pourquoi dès lors les commerçants du Sud tunisien ont-ils choisi d’emprunter cette route beaucoup plus longue? La première raison qui vient à lesprit est que les gens du Djérid auraient pu préférer se rendre à Ġna plutôt quà Tdimakka, car cet itinéraire était plus fréquenté et donc plus sûr. Rien cependant ne vient confirmer cette hypothèse, de même quaucun indice ne donne à penser que la voie de Tdimakka présentait des dangers supplémentaires à ceux que comporte nimporte quelle traversée du Sahara. De plus, la voie passant par Siilmsa pouvait à loccasion, malgré sa fréquentation, être la proie de bandits: al-Saras, au début du XIIIe siècle, rapporte que de nombreux brigands, qui coupaient la route des voyageurs allant de Siilmsa à Ġna, ont été arrêtés et se sont fait couper la tête113.

Il nous semble que la différence principale entre les deux grands axes empruntés par ces commerçants réside dans la proximité des villes quils habitent par rapport aux mines dor. Les récits ibites montrent qu’au long de la route centrale, les marchands se sont surtout rassemblés dans la ville de Tdimakka, dans une position somme toute intermédiaire par rapport au Sn. Cette ville semble avoir constitué pour eux une sorte de colonie qui, comme on l’a dit, peut être comparée à la colonisation de certaines villes du Djérid par les Nafsa à une époque sans doute un peu antérieure. Les marchands qui ont emprunté la route occidentale, par contre, se sont aventurés beaucoup plus profondément dans le Sn et ont vécu dans des villes proches des sources de lor, comme Ġiyr. Cette proximité, qui entraîne une diminution des prix, est peut-être une des raisons de lengouement des marchands du Djérid pour la voie occidentale.

Nous pensons quà lépoque où la voie occidentale sest développée sous limpulsion des Fimides et où lacheminement de lor et des esclaves sest organisé à grande échelle, certains ibites du Djérid se sont rendus à Siilmsa puis à Awdaġust de façon à observer la mise en place de ce trafic et à en adapter le fonctionnement sur la voie centrale, quils maîtrisaient déjà. Finalement, nombre dentre eux se sont définitivement établis dans les villes qui jalonnaient cette voie. Les commerçants du Djérid ont certainement voulu se diversifier et être présents dans tous les grands marchés; ainsi, ils ont pu revendre dans les meilleures conditions

113 Al-Saras, trad. Cuoq dans Recueil, p. 179.

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les marchandises quils amenaient dans le Sn et acheter aux endroits les plus avantageux tout ce quils rapportaient en Ifrqiya.

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V. LA CONVERSION DES SDNAIS PAR LES IBITES

Louvrage dalamm offre plusieurs informations nouvelles relatives à la conversion des Noirs, tant dans le Sdn que dans le Maghreb. Ces récits ne permettent malheureusement pas dapporter une véritable contribution à lhistoire de lislamisation de lAfrique occidentale, ni même de proposer des hypothèses nouvelles: en effet, lorigine des nouveaux convertis nest pas clairement précisée et leur conversion est très difficile à dater. Cependant, étant donné la rareté de tels témoignages, il nous a paru indispensable de les présenter ici, bien quils ne concernent pas directement le Sud tunisien. Afin de ne pas les livrer hors de tout contexte, les autres témoignages de la conversion des Noirs par les ibites, tant écrits quarchitecturaux, seront brièvement évoqués. Malgré la rareté des informations dont disposent les historiens, il est en effet bien établi que ce sont les ibites qui ont été les premiers musulmans à convertir les populations sdnaises1.

Les marchands ibites qui voyagent dans le Sdn nont pas uniquement un but commercial et paraissent, plus encore que leurs coreligionnaires restés au pays, marqués par une profonde piété. Dieu joue en effet un rôle déterminant pour ces commerçants, qui affrontent de multiples dangers et risquent dêtre victimes des cataclysmes naturels, des brigands ou des maladies quils rencontrent sur leur route. Si leur entreprise aboutit, cest grâce à laide de Dieu2, et il leur tient dès lors à cœur de convertir les populations païennes avec lesquelles ils sont en contact. Nous ne pouvons pas dater les premières conversions, mais si certaines ont déjà eu lieu à lépoque rustumide, elles ont eu également un but politique, puisquelles ont permis aux imm-s daccroître le rayonnement de leur royaume et détendre considérablement leur zone dinfluence3. On ignore à quelle tendance religieuse appartenaient les missionnaires: à lépoque du développement des routes, les nukkrites étaient très puissants et certaines conversions ont pu être faites par ce groupe plutôt que par les wahbites. Dans tous les cas, ces conversions ont permis

1 Voir notamment Hrbek et El Fasi dans Histoire générale de l’Afrique, III, pp. 79-82; Perinbam, Soninke-Ibiyya Interactions; Schacht, Sur la diffusion des formes d’architecture; Meunier, Les routes de lIslam.

2 Voir supra, le voyage dIsml ibn Al al-Nafzw, qui au cours de son aller-retour du Nafzwa à Ġna dispose de suffisamment deau pour chacune de ses prières. Sur limportance de Dieu pour les commerçants juifs, voir Goitein, Letters of Medieval Jewish Traders, pp. 8-9.

3 Lange, Progrès de lIslam et changement politique au Knem, p. 505, estime que les Berbères marchands desclaves navaient pas intérêt à propager lislam, qui interdit de réduire en esclavage les musulmans libres.

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aux ibites de renforcer leurs réseaux commerciaux dans le Sdn en sunissant à des groupes soninké, malinké ou hawsa pour construire avec eux une société basée sur lislam, qui ne nécessite pas la fondation dun État4.

Les conversions ne touchent bien évidemment pas lensemble de la population snaise et deux groupes de gens semblent spécialement concernés: dune part les dirigeants dÉtats snais liés avec le Maghreb et leur entourage, qui ont intérêt à safficher comme de bons musulmans; dautre part, les commerçants ambulants qui doivent être musulmans pour voyager en sécurité et bénéficier de laide de la communauté islamique, puisquun marchand animiste allant en terre musulmane peut être mis en esclavage5. Il nest à aucun moment question dans les sources ibites de conversions obtenues par la force. Bien au contraire, cest par leur propre volonté que les Snais adoptent lislam, parfois même sans y avoir été invités. Ainsi, alamm raconte comment une esclave noire devient une pieuse musulmane: cette jeune femme est achetée dans le Sdn et placée dans une chaîne desclaves, de peur quelle ne senfuie. Pendant la traversée du désert, chaque fois quelle entend la lecture du Coran, elle sagenouille et écoute attentivement. Arrivée au terme du voyage, elle devient musulmane. Elle est achetée par un homme de Wġ6, quelle sert pendant la journée. Chaque nuit, lorsquil dort, elle quitte la maison et va assister à une réunion de lecture du Coran / malis al-ikr, qui se déroule dans un village situé à plus de vingt milles de chez elle; elle doit parcourir pour sy rendre un long trajet semé dobstacles dans les montagnes. À lissue de chaque réunion, elle se rend dans un muall situé dans une caverne et y prie. Avant le lever du jour, elle parcourt le pénible trajet en sens inverse et, arrivée chez son maître, elle réveille la maisonnée pour la prière. Un jour, son maître se rend compte de la façon dont elle occupe ses nuits et laffranchit aussitôt7.

1. LES TÉMOIGNAGES ÉCRITS

a. La conversion de rois ou de peuples sdnaisAlamm raconte quAb Yay ibn Ab l-Qsim al-Fursa, originaire du abal Nafsa, voyage dans le bild al-Sdn. Il rencontre le roi / malik des Sdn, qui se

4 Ceci soppose aux conversions opérées par les mlikites, qui ont mis en place des États impérialistes visant à dominer militairement, économiquement, politiquement et religieusement les populations converties. Meunier, Les routes de lIslam, pp. 19-20 et p. 64.

5 Mauny, Tableau géographique, p. 521. 6 Les ruines de cette ville sont encore visibles dans le abal Nafsa, à quelques kilomètres au sud-est

de lancienne ars. Lewicki, Études ibites nord-africaines, p. 47.7 Alamm, pp. 138-139.

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trouve très affaibli. Ab Yay lui demande ce quil a et le roi lui répond quil craint la mort. Le missionnaire lui parle alors de Dieu et des attributs divins, du paradis, de lenfer, du jugement dernier et du sort que Dieu réserve aux personnes soumises et insoumises. Le roi na dabord pas foi en ces paroles et lui dit: « Si tu dis la vérité, pourquoi es-tu venu parmi nous quérir des richesses? » Le missionnaire continue à lui enseigner sans relâche les largesses et les bienfaits de Dieu, jusquà ce que le roi se convertisse à lislam et quil devienne un bon musulman. Il recouvre alors toutes ses forces, à tel point que lon raconte que lorsquil bêchait, sept bœufs étaient nécessaires pour porter la terre quil laissait derrière lui8! Ces faits se déroulent vraisemblablement à la fin du IXe ou dans la première moitié du Xe siècle, puisque le père de ce pieux ibite est le compagnon de Sad ibn Ab Ynus, avant que ce dernier naille gouverner Qanrra9.

Alamm rapporte quau XIe siècle, dans les environs de ars, le kim du abal Nafsa, Maymn ibn Muammad, convertit à lislam des caravaniers venus du Takrr. Le kim, constatant que les marchands noirs sont étourdis par le vin, ordonne de faire fermer les sq-s et de renvoyer la caravane à Takrr. Mais ces commerçants, qui connaissent de réputation la justice du gouverneur, souhaitent le rencontrer et se convertissent à lislam. Maymn ibn Muammad leur inculque alors science et culture10. Sil ne sagit ici que de simples caravaniers du Takrr, al-Bakr, quant à lui, évoque la conversion du roi de cette région. Il affirme que le roi Wrb de Takrr, qui est mort en 432/1040-1041, sest converti à lislam et a converti ensuite la ville de Sill11. Cette conversion, antérieure à la prise de pouvoir des Almoravides, pourrait être également le fait des ibites.

Les ibites semblent avoir été à lorigine de la conversion du roi de Kawkaw. Selon le Tar al-Sn, le premier roi de Kawkaw converti à lislam est Z Kosoy, le quinzième chef de la dynastie des Z, vers 400/1009-101012. Cependant, il faut reculer la date de cette conversion puisqual-Muhallab déclare déjà que le roi de Kawkaw saffirme musulman, comme nombre de ses sujets13. Selon al-Bakr, le roi de Kawkaw est musulman et le pouvoir nest confié quà des musulmans; chaque

8 Alamm, p. 263. Il y a une confusion dans ce texte: alamm affirme que cest Ab Yay qui voyage dans le Sdn, mais dit que cest son père Ab l-Qsim qui enseigne la religion au roi. Ensuite, il continue à évoquer Ab Yay.

9 Alamm, p. 134.10 Alamm, pp. 214-215. 11 Al-Bakr, p. 172/324. On voit, pp. 167-168/316, le fils du roi Wrb soutenir le combat des

Almoravides en 448/1056-1057.12 Al-Sa, trad. Hunwick dans Timbuktu and the Songhay Empire, p. 3. Hunwick parle de la dynastie

des Zuw et du roi Zuw Kusoy. Nous avons retenu la forme Z Kosoy, qui apparaît notamment chez Hrbek et El Fasi dans Histoire générale de l’Afrique, III, p. 81; Triaud, E.I., s.v. Sdn. Sur les Z / Zuw / Dia / Dy, Delafosse, Haut-Sénégal – Niger, II, pp. 60-66. Sur les hypothèses relatives à leurs origines, Haïdara, LEspagne musulmane et lAfrique subsaharienne, pp. 10-11.

13 Al-Muhallab dans Yqt, s.v. Kawkaw.

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nouveau souverain montant sur le trône reçoit un sceau, une épée et un Coran, qui seraient des cadeaux de lémir des croyants / amr al-muminn14. Il apparaît donc que cette conversion a déjà eu lieu dans la seconde moitié du Xe siècle. Un chercheur malien, Ismaël Diadié Haïdara, estime que lamr al-muminn dal-Bakr, qui cite ici al-Warrq, est le calife umayyade de Cordoue. Selon lui, lorsque les Zanta ibites reconnaissent lautorité du calife de Cordoue à loccasion des ambassades dAb Yazd15, les marches méridionales quils tiennent, Tdimakka et Kawkaw, font de même. Dans les années qui suivent la mort dAb Yazd, le roi de Kawkaw est converti par les Zanta ibites et reçoit naturellement les insignes de pouvoir de Cordoue16. Cette hypothèse audacieuse est confirmée par larchéologie, mais pour une période bien postérieure à celle qui est évoquée par Haïdara. Dès 494/1100, en pleine époque almoravide, des épitaphes à inscription arabe apparaissent dans le cimetière de Gao, dédiées à des notables ou à des rois. Deux de ces stèles au moins, qui sont en marbre, ont été importées depuis Almeria17.

Un des témoignages les plus probants sur la conversion de peuples snais par les ibites apparaît chez le géographe sunnite al-Zuhr. Ce dernier affirme que les Murbin, qui sont pour lui les nomades du Sahara, sont devenus musulmans en même temps que les habitants de Ouargla au temps de Him ibn Abd al-Malik (724-743), mais ont adopté une école qui les a fait sortir de la loi; ensuite leur religion sest rectifiée au moment où se sont islamisées Ġna, Tdimakka et Qarfn / Zfn18. Il paraît donc que ce seraient les ibites de Ouargla qui auraient converti les nomades sahariens et les habitants de Ġna, Tdimakka et Zfn, dans la première moitié du VIIIe siècle, et que ceux-ci seraient passés au sunnisme trois siècles plus tard grâce aux Almoravides.

14 Al-Bakr, p. 183/342. 15 Lorsque les Umayyades décident de soutenir le combat dAb Yazd, leur but est évidemment

de repousser les menaces fimides en favorisant la révolte des Zanta. Haïdara, LEspagne musulmane, p. 39, estime que le calife acquiert également, par cette alliance avec les Zanta, le contrôle du commerce transsaharien de lor. Il évoque une coalition des sunnites de Cordoue avec les ibites de Kawkaw, de Tdimakka et de Ouargla.

16 Haïdara, LEspagne musulmane, pp. 12-17. Selon Delafosse, Haut-Sénégal – Niger, II, p. 68, cest du calife de Bagdad quil reçoit ce témoignage dinvestiture, ce qui est peu probable puisque lon trouve majoritairement des ibites à Kawkaw à cette époque. Ibn aldn, éd. I, p. 89, affirme que les gens de Kawkaw, ainsi que ceux du M et du Takrr, ont été islamisés au VIIe/XIIIe siècle.

17 Sur ces stèles, voir Cuoq, Recueil, pp. 111-114; Haïdara, LEspagne musulmane, pp. 89-101. Triaud, E.I., s.v. Sdn, évoque une épitaphe datée de 481/1088, qui serait la plus ancienne inscription islamique de toute lAfrique noire.

18 Al-Zuhr, § 340. Le pays de Zn et sa capitale du même nom correspondraient à lactuel canton de Diafounou, situé à lest de Kayes. Voir Lewicki, Un État soudanais médiéval inconnu: le royaume de Zn(u), p. 516.

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b. La fameuse conversion du roi de MlAl-Darn raconte que son arrière-grand-père, Ab l-asan Al ibn Yalaf al-Naf, commerçant dans le pays de Ġna, se rend dans la ville de Ml en 575/1179-1180. Il y rencontre le roi, un homme très riche régnant sur douze mines dor et un vaste royaume entièrement polythéiste. Une longue sécheresse survient et, face à linefficacité des sacrifices que fait la population, le roi demande à Al ibn Yalaf de supplier son propre Dieu. Le commerçant linitie à lislam et après les prières du roi, la pluie tombe pendant sept jours. Le roi incite alors la population à se convertir: les habitants de la ville acceptent mais les gens qui vivent dans les environs le prient de pouvoir conserver leur religion, ce qui leur est accordé. Plus tard, le roi fait interdire lentrée de la ville aux non-musulmans et fait mettre à mort tous les infidèles qui sy aventurent. Al enseigne le Coran aux gens de Ml, jusquà ce quil regagne le Maghreb à la demande de son père, au désespoir du roi19.

Bien que l’activité missionnaire des commerçants ibites dans le Sn ne fasse pas de doute, il apparaît qual-Darn a attribué à son arrière-grand-père une conversion dont al-Bakr fait déjà état deux siècles plus tôt. Le géographe raconte en effet, avec de nombreux détails identiques, la conversion du roi du pays de Malal / Ml par un musulman. Il ajoute quaprès la tombée de la pluie, le roi fait casser les idoles / dakr et fait fuir les sorciers. Ce souverain, que lon appelle désormais al-muslim, demeure musulman et ses proches se convertissent à sa suite; contrairement à ce que rapportent les historiens ibites, chez al-Bakr, le peuple de Malal demeure dans sa grande majorité polythéiste20. Le géographe ne précise pas que le missionnaire musulman est un ibite: le géographe a pu ignorer cette appartenance religieuse ou, comme le pense alamm, prendre soin de la taire.

Il est probable qual-Darn a lu cette anecdote chez al-Bakr ou que cette histoire, sans doute bien connue des marchands qui traversaient le Sahara, est parvenue jusquà lui. Le fait que lhistorien ibite la récupère au profit de sa famille doit sans doute être mis en rapport avec le déclin de libisme dans le Sud tunisien à cette époque. Il apparaît en effet que la conversion à lislam de ce roi snais, qui est datée par al-Darn en 575/1179-1180, se déroule à une époque pendant laquelle les ibites disparaissent au profit des mlikites à al-mma21. Al-Darn a probablement voulu atténuer le fait que libisme déclinait dans sa région natale

19 Al-Darn, pp. 517-518; trad. Cuoq dans Recueil, pp. 470-472. 20 Al-Bakr, pp. 178/333-334. Cuoq présente les trois textes relatifs à cette conversion dans Notes de

lecture, pp. 135-140. Voir aussi Lewicki, The Ibites in Arabia and Africa, pp. 115-117; Schacht, Sur la diffusion, pp. 21-22; Delafosse, Haut-Sénégal – Niger, II, pp. 174-175; Meunier, Les routes de lIslam, pp. 48-49.

21 Al-Darn, pp. 483-484. Voir Brunschvig, La Berbérie orientale, I, p. 331.

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en soulignant son implantation massive dans le Sn. Cela étant dit, il est possible que son ancêtre, qui était connu pour sa piété, ait effectivement été lartisan de plusieurs conversions.

Alamm est le troisième auteur qui évoque cette histoire22: dans une courte introduction, il explique quil va raconter un des prodiges attribués à Al ibn Yalaf, qual-Bakr a déjà rapporté dans son ouvrage, mais sans nommer le thaumaturge et en attribuant cette conversion à quelquun dautre. Alamm sous-entend donc qual-Bakr a voulu dissimuler le fait quelle était lœuvre dun ibite. Il reprend ensuite le texte dal-Darn et le rend vraisemblable en taisant la date de 575/1179-1180, qui est bien postérieure à louvrage dal-Bakr. Alamm ajoute que cest ainsi que lislam a pénétré dans le pays de Ġna; il déplore que, par la suite, les adversaires des ibites aient amené les gens de Ġna à suivre leur propre doctrine23.

2. LES TÉMOIGNAGES ARCHITECTURAUX

Le rôle important joué par les ibites dans lislamisation de lAfrique occidentale apparaît au travers de plusieurs traditions architecturales conservées jusquà nos jours, particulièrement chez les Peuls24. Joseph Schacht a constaté que les mosquées des Peuls ne comportent jamais de minbar, alors quils saffirment comme mlikites et suivent les traités mlikites qui codifient notamment le rôle du minbar dans la prière du vendredi. Ils reproduisent en cela la tradition des ibites qui, en labsence dun imm indépendant depuis la chute des Rustumides, ne font plus la prière du vendredi25. Les Peuls ont également adopté le « minaret-escalier », qui est très fréquent à Djerba, tant dans les mosquées ibites que mlikites26. Ce « minaret-escalier » na conservé sa forme primitive quà Djerba et chez les Peuls. Enfin, leurs mosquées ont un mib à plan rectangulaire, une particularité qui vient du Mzab27. Une autre caractéristique architecturale propre au Mzab, le minaret de type

22 Alamm, trad. Cuoq dans Recueil, pp. 194-196; éd. partielle dans asan, Al-Madna wa-l-bdiya, p. 292.

23 Le premier roi musulman de Ml est également évoqué par Ibn aldn, VI, p. 237/II, pp. 110-111, qui le nomme Barmandna et lui attribue un pèlerinage à La Mecque.

24 Pour une comparaison entre les mosquées ibites de Djerba, du Mzab et du abal Nafsa, voir Prevost, Les mosquées ibadites du Maghreb. Sur l’architecture ibite en général, voir Prevost, L’urbanisme des ibites maghrébins médiévaux, pp. 5-16.

25 Schacht, Sur la diffusion, pp. 15-16. Voir supra les critiques d’al-Bakrī à propos de la région de Šarūs qui ne compte aucune mosquée ğāmi.

26 Voir planche VII.27 Schacht, Sur la diffusion, pp. 18-21. On trouverait également le mib à plan rectangulaire dans

les ruines du palais de Sadrta. Lethielleux, Ouargla, p. 69. Voir Prevost, Les particularités du mihrab chez les ibadites maghrébins.

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PLANCHE VII: LE MINARET-ESCALIER DES MOSQUÉES DJERBIENNES

1: mosquée al-yya, près de Guellala2: mosquée al-adriyya à abra

3: mosquée Blaymn à abra 4: mosquée al-Malis à Guellala

1

2

3 4

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saharien, sest répandue chez certains peuples du Sdn, à lexception toutefois des Peuls28.

3. LE DÉCLIN DE LINFLUENCE IBITE

Libisme implanté dans le Sn est en grande partie balayé par les Almoravides, qui somment les peuples quils soumettent à adopter le mlikisme. Lorsque les Almoravides prennent Awdaġust en 446/1054-1055, une partie de la population est ibite mais il est possible que cette ville, qui comptait à la fin du Xe siècle une forte présence ite, ait été également marquée par cette doctrine et que les marchands noirs qui se rendaient à Awdaġust aient pu dans certains cas être convertis au isme29.

Selon al-Zuhr, lislamisation de la ville de Ġna a lieu en 469/1076-107730; sept ans plus tard, avec laide des Almoravides, les gens de Ġna convertissent au sunnisme les anha, maîtres du royaume de Tdimakka31. Nous avons vu quil est probable que Ġna na pas été conquise par les Almoravides et que lislamisation de ses habitants a résulté de leur propre volonté et non dune conversion par la force. La population est sans doute passée de libisme au mlikisme, tandis que le roi et sa cour sont devenus musulmans par le seul fait des Almoravides32. Les fouilles de Ġna ont confirmé après 469/1076-1077 une forte influence arabe et musulmane, qui persiste jusquà la destruction de la ville vers 124033.

Néanmoins, les Almoravides ne parviennent pas à éradiquer linfluence ibite dans le Sn. Ibn Baa voit encore des ibites en 753/1352-1353 à Zaġ dans lancien pays de Ġna; ils font partie des Blancs, cest-à-dire sans doute

28 Schacht, Sur la diffusion, p. 19. Devisse dans Histoire générale de l’Afrique, III, p. 317, suggère que certaines techniques architecturales ont pu également traverser le Sahara du sud au nord: les fouilles du palais almoravide de Marrakech ont mis à jour un mur étonnant, dont les deux parties construites étaient séparées par un blocage en terre. Comme les fouilles dAwdaġust ont révélé des murs qui faisaient penser au mur dégagé dans ce palais, on peut envisager que les Almoravides ont fait appliquer dans leur nouvelle capitale une technique saharienne ou sahélienne.

29 Perinbam, Soninke-Ibiyya Interactions, p. 80; Devisse, L’arrière-plan africain, pp. 150-151. Selon al-Muhallab dans Yqt, s.v. Awaġast, les habitants dAwdaġust se sont convertis à lislam à lépoque du Mahd Ubayd Allh.

30 Cuoq, Recueil, p. 119, note 3, souligne que la date de 496/1102-1103 présente dans cette édition est sans doute une erreur de copiste à la place de 469/1076-1077, date donnée par plusieurs autres manuscrits. La date de 469/1076-1077 est retenue entre autres par Triaud, E.I., s.v. Sdn. Par contre, Lewicki dans Histoire générale de lAfrique, III, pp. 242-243, adopte la date de 496/1102-1103 et estime donc que les gens de Tdimakka ont été islamisés en 503/1109-1110 et non en 476/1083-1084.

31 Al-Zuhr, § 336 et § 338. Ce passage est analysé par Fisher, Early Arabic Sources and the Almoravid Conquest of Ghana, pp. 551-552, qui estime que les deux dates sont plausibles.

32 Hrbek et El Fasi dans Histoire générale de l’Afrique, III, p. 82. 33 Mauny, Tableau géographique, p. 524.

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des Berbères34. Il est probable que la dynastie des Sonni qui succède aux rois Z de Kawkaw est ite, et surtout son dernier et plus célèbre représentant, le roi songhay Sonni 35.

34 Ibn Baa, III, p. 408. Selon Triaud, E.I., s.v. Sdn, leur nom de famille, Saġanuġ, est malinké. Zaġ doit être placée non loin du Niger, à louest de lactuelle Massina. Lewicki, Arabic External Sources, p. 27.

35 Al-Sa, trad. Hunwick dans Timbuktu and the Songhay Empire, p. 8. Selon Hunwick, note 4, Sonni al- était un roi mlikite, le qualificatif ite faisant ici référence à sa conduite cruelle et impitoyable. Voir Schacht, Sur la diffusion, pp. 23-24; Perinbam, Soninke-Ibiyya Interactions, pp. 80-81; Meunier, Les routes de lIslam, pp. 74-77. Sur la dynastie des Sonni (1335-1493), Delafosse, Haut-Sénégal – Niger, II, pp. 72-84. Lewicki, Arabic External Sources, p. 27, dit quon ne sait pas si Sonni était ibite ou suivait une autre doctrine ite. Sur libisme dans le Sn après le XVe siècle, voir Perinbam, Soninke-Ibiyya Interactions, p. 81; Meunier, Les routes de lIslam, pp. 93-95.

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CONCLUSION GÉNÉRALE

Les géographes et historiens arabes ne donnent du Sud tunisien quune description lacunaire et dans plusieurs cas, seuls les ouvrages ibites permettent daborder certaines régions quasiment inconnues, en donnant au moins les noms des villes importantes qui s’y trouvent. Sans le témoignage dalamm, la presquîle de Akra naurait sans doute pas été évoquée dans cette étude, ni le abal Dammar qui nest cité par les sources arabes quà de très rares occasions. Djerba est certainement la région qui apparaît sous le jour le plus neuf. Les géographes arabes ne disent presque rien de lîle, qui leur est étrangère par son hérésie. Seul al-Idr manifeste de lintérêt pour les coutumes des Djerbiens et des habitants de Zz. Les historiens se contentent de brièvement relater les diverses prises de lîle par les musulmans ou les chrétiens et dinsister sur les troubles fomentés sans cesse par les habitants. Ce sont les sources ibites qui permettent d’entrevoir la richesse culturelle de lîle et ses liens très forts avec le continent. Dépositaire du savoir du abal Nafsa après le massacre des ibites à Mn, le mouvement intellectuel djerbien se développe grâce à la forte personnalité dAb Miswar. Djerba devient alors un refuge pour les ibites de toutes tendances et un grand centre denseignement, dont la renommée sétend jusquau . Le caractère tout particulier de Djerba - à la fois enjeu des grandes puissances et camp retranché de libisme - et son histoire si mouvementée justifieraient amplement de lui consacrer une monographie.

Lhistoire des deux grandes cités, Gafsa et Gabès, ne présente désormais plus que de rares zones dombre. Il est toutefois regrettable de n’avoir pu déterminer précisément lépoque de la disparition de leurs communautés ibites. Il est probable quelles ont été précocement contraintes de vivre dans le kitmn. Les ibites les plus pieux ont choisi démigrer vers des villes plus favorables à lépanouissement de leur foi et les autres, restés minoritaires, ont progressivement adopté le mlikisme, comme cela sest passé plus tard dans le Djérid. Alamm, dailleurs, n’a laissé que de rares informations sur ces villes, qui se rapportent essentiellement à lépoque rustumide. Les sources sunnites, en revanche, sont riches denseignement. Gabès est fréquemment présentée comme une ville peu engageante, au climat malsain, où les habitants sont déplaisants. Cette mauvaise réputation sétend aux environs de la ville, tristement célèbres pour les bandes de brigands qui les infestent. Gafsa est sans doute la ville pour laquelle les descriptions sont les plus riches, qui évoquent longuement la diversité des productions, les différents bâtiments ou encore le

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système d’irrigation. Une question reste en suspens: il est bien difficile lorsquon séjourne dans les environs de Gafsa, aujourdhui désertiques, dimaginer cette steppe aride couverte de qur, hameaux bien arrosés et verdoyants. Lexistence de ces nombreux qur, qui sont attestés tant par les géographes que par les historiens qui y situent plusieurs événements historiques, ne fait pourtant aucun doute, bien qual-Bakr exagère certainement en affirmant quils sont au nombre de deux cents. Il est probable que depuis lépoque romaine, cette région était constellée de petits villages ou de châteaux fortifiés, de sorte que la palmeraie de Gafsa sétendait jusquaux rares oasis qui lentourent désormais. La ruine de irq, florissante aux dires dal-Bakr, vide dhabitants lors du passage de lauteur du Kitb al-Istibr, demeure malheureusement inexpliquée, bien qu’il paraisse probable que la disparition énigmatique des qur ait un lien avec les affrontements entre les Almohades et les Ban Ġniya.

Le Nafzwa, qui a vraisemblablement vécu dans lombre permanente du Djérid, a été somme toute peu évoqué. Cette région a certainement pâti dêtre située derrière la barrière de la sebkha, dont la traversée décourageait les voyageurs. Elle était pourtant le passage obligé pour quiconque voulait gagner Gabès ou le abal Nafsa depuis Tozeur et, en ce sens, les renseignements que donnent les géographes sont bien décevants. Nous avons pourtant pu retracer l’évolution de ses deux capitales, Bar et urra. Si limportance de Bar, déjà citée par al-Ya, ne fait aucun doute pendant tout le moyen âge, lhistoire de urra, bâtie sur les ruines de la romaine Turris Tamalleni, est plus difficile à cerner. Bien connue des sources ibites, elle est évoquée par al-Bakr sous le nom dal-Madna puis décrite par le Kitb al-Istibr. Ravagée au début du XIIIe siècle par Yay ibn Ġniya, elle connaît alors un long déclin, tandis que saffirme sa voisine Talmn. Citée pour la première fois par le Kitb al-Istibr sous le nom dAytimln, cette dernière naît sans doute dans la première moitié du XIIe siècle, bâtie également sur le vaste site de Turris Tamalleni. La présence de nombreux vestiges de lépoque romaine, encore souvent visibles au XIXe siècle, caractérise d’ailleurs lensemble du Sud tunisien. Certains sites anciens ont été occupés par les ibites, même dans les lieux plus reculés comme le abal Dammar, où ils ont certainement utilisé les ruines de Talalati pour bâtir une nouvelle ville, Tallat, fréquentée par de nombreuses alqa-s.

Les géographes ont brossé un portrait très détaillé du Djérid au moyen âge. Les villes décrites sont toujours de grands marchés à lheure actuelle, seule Tozeur sest un peu éloignée de son centre médiéval, Bild al-aar. Taqys désigne tantôt une seule ville, très certainement située sur le site de lactuelle Dg, tantôt un ensemble de villes proches lune de lautre, extrêmement voisines aux dires du Kitb al-

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Istibr. Les abords du passage de la sebkha étaient donc certainement constellés de villages. Il ny a presque aucune correspondance entre les villes de la Qasliya citées par les sources arabes et celles des sources ibites. Ainsi, il a été bien difficile de localiser Qanra, les deux successives Darn et Farna. Ces centres ibites étaient certainement situés pour la plupart dans les proches environs de Nefta, le long de la voie menant vers le Sn. Mais les environs de Tozeur étaient sans doute également beaucoup plus riches en localités. Certes, la région de Tozeur et dal-mma comporte encore plusieurs oasis mais les abords en sont désertiques et Nefta est aujourdhui isolée. Tout comme dans le cas de Gafsa, la prolifération de hameaux et de palmeraies dans le Djérid médiéval est sans doute l’un des aspects les plus frappants de cette étude, pour qui connaît laridité qui y règne désormais.

Nous avons voulu montrer quil ny a pas que les communautés ibites qui excellent à cette époque dans le Sud tunisien. Gafsa et Gabès se distinguent comme foyers de culture sunnites, surtout après larrivée des Arabes sous les Ban l-Rand et les Ban mi. À cette époque, une cour brillante se tient à Gabès, qui influence la poésie ifrqiyenne; la ville est également un centre important de culture juive. Tozeur compte de nombreux intellectuels sunnites, tandis que Nefta sillustre particulièrement dans la propagation du isme en Ifrqiya et quune de ses familles porte cette doctrine dans le Ss marocain. Les oasis du Djérid développent également un style architectural adapté à leurs besoins et lié au style mudéjar aragonais. Mais la région qui paraît la plus créative dans le domaine artistique est lîle de Djerba, parsemée de ces petites mosquées fortifiées construites à lidentique depuis des siècles et qui ont influencé larchitecture religieuse du Sn. Si l’on s’éloigne des circuits touristiques, Djerba est aujourd’hui le lieu qui évoque le mieux les grandes heures de l’ibisme.

La confrontation des sources sunnites et des sources ibites a permis de formuler de nouvelles hypothèses sur la situation du Sud tunisien à lépoque où il est soumis à la fois à limmat rustumide et à lÉtat aġlabide. Certains événements auxquels on navait pas encore accordé toute leur importance ont été soulignés: les deux exemples les plus frappants sont la révolte de Baġya et le massacre de Qalat Ban Darn, qui influencent fortement le destin de la région. Dautres événements, auxquels de nombreux historiens avaient jusque-là donné trop de poids, ont été relativisés. Ainsi, lexamen minutieux des sources arabes a montré qu’il fallait fortement minimiser limportance de la migration des Ban Hill dans le Sud tunisien. Cela trouve une confirmation implicite chez les historiens ibites, qui ne font que rarement allusion à des frictions avec les Arabes. Ces deux types de sources laissent penser que le Sud tunisien a somme toute assez peu souffert de cette migration et

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a pu souvent, grâce aux petites dynasties installées à cette époque, connaître un sort bien meilleur que celui quil subissait auparavant. En effet, la première partie du XIe siècle apparaît comme une époque dramatique pour le Djérid: dune part, comme le reste de lIfrqiya, il affronte le déclin économique et la succession de famines et dépidémies, dautre part, il subit une série de graves attaques menées dabord par les Zanta puis par le souverain zde al-Muizz, dont lacharnement finit par épuiser la région. La période qui suit, inaugurée par la soumission de Gabès et de Gafsa aux Arabes et le paiement dun tribut, est bien plus prospère. Ainsi, cette région ne connaît pas les deux phases que lon distingue généralement dans lhistoire de lIfrqiya, une période prospère avant l’arrivée des Ban Hill, suivie par une période de déclin. Les nombreux méfaits communément attribués aux Ban Hill, qui auraient littéralement envahi lIfrqiya et commis dans tout le pays des destructions acharnées, ont bien frappé le Djérid, mais plus d’un siècle plus tard, lorsque Qarq et les Ban Ġniya, « les Ban Hill du Sud tunisien », sinstallent dans la région et y entraînent de nombreuses tribus arabes.

Un autre tournant majeur marque lhistoire du Sud tunisien, qui concerne cette fois les seuls ibites: leur histoire se divise en deux périodes bien distinctes, séparées par la révolte de Baġya. La première est celle du combat, la seconde est une période de kitmn au cours de laquelle les ibites apparaissent comme les victimes des diverses agressions qui les frappent. La période de combat commence bien avant larrivée des missionnaires ibites: les grandes confédérations de tribus de lépoque byzantine sengagent massivement dans la lutte menée par Kusayla puis par la Khina. Elles sont à cette époque opposées à la population sédentaire des oasis, qui tient avant tout à préserver ses biens. Ces mêmes tribus rejoignent ensuite les rangs des ufrites et des ibites pour attaquer loccupant. Léchec cuisant de la révolte de Baġya influence profondément lavenir des communautés ibites, qui abandonnent la lutte pour se résoudre à la clandestinité. Avant la défaite de Baġya, les ibites apparaissent le plus souvent comme des tribus semi-nomades, qui participent en groupe à telle ou telle attaque, et interviennent parfois là où l’on ne les attend pas, à l’exemple de ce qui se passe dans le Djérid en 224/838-839. Après la défaite, la lutte tribale semble moins prédominante et ils apparaissent dans la plupart des cas sous les traits de calmes sédentaires. Dune certaine façon, ils semblent avoir adopté le mode de vie des Afriqa, sans doute très minoritaires à cette époque. Tout comme eux, ils vivent discrètement et tentent simplement de préserver leurs acquis. Ils se concentrent sur létude, sur le commerce avec le Sn et fuient toute confrontation avec les pouvoirs en place. Face aux Ban Hill, ils adoptent la même réserve et essaient dans la mesure de leurs moyens de les éviter. Bien sûr,

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cela ne signifie pas que le Sud tunisien ne se rebelle plus du tout. Les ibites de Djerba, eux, sont fréquemment obligés de repousser les nombreux envahisseurs et doivent notamment affronter les nukkrites. Mais dans le reste de la région - et surtout à Gafsa qui sillustre à lépoque almohade - si les habitants prennent parfois les armes, aucune de ces révoltes contre le pouvoir nest le fait des ibites. Ces derniers ont définitivement abandonné le combat.

Nous avons souligné tout au long de cette étude lextraordinaire solidarité des ibites, mais il ne faut pas oublier les schismes successifs qui ont affaibli limmat rustumide et se sont prolongés après sa chute. Si la plupart de ces mouvements - naffite, alafite ou sakkkite - séteignent rapidement, les nukkrites subsistent longtemps et sopposent à plusieurs reprises aux wahbites. En règle générale, cependant, les différentes tendances font le choix de sunir lorsque le besoin sen fait sentir. Les ibites parviennent également à vivre la plupart du temps en bonne entente avec leurs voisins sunnites, ites, chrétiens et juifs, et font tout au long de leur histoire preuve dune grande facilité dadaptation. Si le rassemblement des Berbères sous les bannières ibite et ufrite a pour but premier de renvoyer chez lui lenvahisseur arabe, cest pourtant à des Arabes quils confient d’abord leur sort. Ukka, le premier chef qui gagne totalement la confiance des Berbères, en est le meilleur exemple. Il est suivi par Ab l-ab al-Mafir, le premier imm élu par les ibites de Tripolitaine. Plus tard, cest un Persan qui fonde la dynastie rustumide. À certaines époques, les savants wahbites établissent, par leur verve et leur diplomatie, des relations amicales et empreintes de respect avec des souverains ifrqiyens. Alamm présente plusieurs exemples significatifs de lorganisation de leurs communautés. Ainsi, lorsque les nukkrites et les wahbites djerbiens se rassemblent sous légide dAb Miswar, dautres groupes ibites font valoir leur opinion dans des lettres lues à cette assemblée. Pendant la préparation de la révolte de Baġya, un émissaire va solliciter le concours des différentes régions. À lépoque de la constitution de la alqa, les Djerbiens viennent à Taqys où se réunissent les ibites, qui partent tous ensemble pour le w ġ. Cette institution leur permet de préserver leur haut niveau de culture et de le partager avec des régions parfois fort éloignées. Malgré dinnombrables obstacles et leur dispersion géographique, les ibites parviennent donc à maintenir pendant plusieurs siècles lunité du royaume rustumide. Mieux encore, en établissant de grandes voies transsahariennes, ils portent leur doctrine au sud du Sahara et sapproprient certaines villes du Sn, dans lesquelles ils reproduisent le mode de vie maghrébin. Le Djérid, dont les vêtements et les dattes sont parmi les premières marchandises à traverser régulièrement le désert par Tdimakka, contribue fortement à lorganisation du commerce transsaharien

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dont il acquiert le monopole, ce qui permet aux ibites de la région de pouvoir composer avec les puissances aġlabide et fimide.

Les ibites se distinguent par leur piété, leur haut niveau denseignement, la place privilégiée quils accordent à leurs savants. Le Kitb al-Siyar regorge de multiples anecdotes relatives à la foi quont les ibites en leur Dieu et à lassurance quils ont quIl les soutiendra. Dieu est le personnage principal de cette œuvre, un Dieu justicier et malicieux qui fait pleuvoir sur un champ mais pas sur celui des voisins, qui foudroie un malveillant, qui remplit des pièces entières de dattes pour sauver ses fidèles de la famine. Alamm fait allusion à de nombreux aspects de la piété des ibites et à certaines de leurs coutumes particulières, comme cette étonnante habitude de se réunir dans des cavernes. Les sources sunnites ont souligné dautres coutumes attribuées aux ibites, qui leur attirent à loccasion les sarcasmes des géographes. Nous avons montré que la cynophagie et lutilisation dengrais humain, qui sont étroitement associées au moyen âge aux territoires peuplés dibites, ont été pratiquées bien longtemps après la disparition de ces communautés et ne présentent aucun lien avec leur doctrine. On se souvient des femmes de Gabès qui se soulagent en public, au dire moqueur dal-Bakr. Gageons qualamm qui nappréciait visiblement pas al-Bakr auquel il reprochait davoir dissimulé que la conversion du roi de M était lœuvre dun ibite, sindignait également de cette méprisante description des Gabésiennes. Son ouvrage est en effet remarquable par la grande place quil accorde aux femmes, quil sagisse de saintes, de femmes savantes ou de simples esclaves. À de multiples reprises, il évoque les relations des femmes avec leurs maris, la place quelles tiennent auprès des prestigieux savants, faisant apparaître leur rôle primordial dans la société ibite médiévale. Lapport dalamm, qui offre une peinture vivante des communautés ibites, est considérable. Son Kitb al-Siyar brille par sa diversité, abordant quantité de sujets rarement traités dans les sources sunnites. Il donne accès à la somme des connaissances quavaient les ibites du XVIe siècle sur l’histoire de leur communauté, si fière, originale et jalouse de sa liberté, dont les Mozabites et de nombreux Djerbiens défendent toujours les valeurs.

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ANNEXE I: LES BANŪ ŪN

FulfulReprend la charge de gouverneur de ubna. Sempare de Tripoli en

391/1001. Meurt vers1010.

WarrÀ la mort de Fulful, devient émir des Zanta et reçoit de Bds le

gouvernement du Nafzwa. Tente de conquérir Tripoli jusquà sa mort en

1015.

azrn

En 402/1011-1012, reçoit le Nafzwa aux dépens de Warr et le fuit deux ans plus tard pour assiéger Tripoli.

Sad ibn azrn

Rejoint al-Manr et est nommé

gouverneur de ubna. Meurt vers 992.

azrn ibn Fulful ibn azar

Investi à Siilmsa par Cordoue vers 976. Mis à

mort par Buluggn en 369/979-980.

alfa

Devient chef des Zanta à la mort de Warr. Rétablit la

domination des Ban azrn sur Tripoli.

ammd

Attaque la région de Gabès jusqu’en 413/1022-1023.

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ANNEXE II: LES BANŪ L-RAND DE GAFSA

TammNe règne pas.

Al-Muizz Existence hypothétique

Ab Umar al-MutazzRègne à partir de 465/1072-1073. Il agrandit

fortement son État.Devenu aveugle, il cède à une date inconnue

le pouvoir à son petit-fils Ya.

Abd Allh ibn Muammad ibn al-RandFondateur de la dynastie, il règne de 445/1053-

1054 à 465/1072-1073.

ANNEXE II: LES BAN L-RAND DE GAFSA

ibn al-Muizz (?) ibn al-Mutazz

Prend le pouvoir à Gafsa à la demande du peuple avant 563/1167-1168. Le calife

Ysuf lenvoie au Maroc en 576/1180.

Ya ibn Tamm ibn al-Mutazz

Gouverne à la place de son grand-père jusquà

la prise de Gafsa par lesAlmohades en 1159.

jusqu’en 413/1022-1023.

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ANNEXE III: LES BANŪ MI DE GBÈ

Ruayd ibn KmilSuccède à Rfi (on ignore leur lien de parenté).

(? - vers 540/1145-1146)

Rfi ibn Maggan ibn miSallie à Roger II pour contrer vers

511/1117-1118.

Maggan ibn Kmil ibn mi al-Dahm(vers 491/1097-1098 - ?)Fondateur de la dynastie.

ANNEXE III: LES BAN DE GA B È S

Muammad ibn RuaydRègne très brièvement sur

Gabès à la mort de son père mais est destitué par Ysuf, qui

offre la ville à Roger II. Ce dernier replace Muammad au

pouvoir dès 543/1148.

Muammar ibn RuaydPlacé au pouvoir par al-asan en 542/1147-1148

et destitué lannée suivantepar les Normands.

Mudfi ibn Ruayd(?-554/1159)

Gouverne Gabès jusquà sa prise par les Almohades.

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ANNEXE IV: CHRONOLOGIE DES SOURCES

IBN ABD AL-AKAM avant 871 IBN URRADBIH avant 885AL-YAQB avant 891AL-BALUR avant 892 IBN AAM AL-K IXe - début Xe

IBN AL-FAQH AL-HAMAN ≈ 903IBN AL-AĠR ≈ 903IBN AB ZAYD AL-QAYRAWN 938 AB L-ARAB avant 945AL-IAR avant 951AL-MASD avant 956IBN AWQAL 2e moitié Xe

Q AL-NUMN avant 974RIB IBN SAD vers 975AL-MUQADDAS vers 985Srat afar al-ib entre 975 et 996udd al-lam fin Xe

ISQ IBN AL-ASAN AL-ZAYYT fin Xe - début XIe Kitb al-Uyn fin Xe - début XIe

AL-RAQQ 1re moitié XIe IBN BULN avant 1066AL-BAKR 1068AL-M XIe AB ZAKARIYY’ fin XIe - début XIIe

AL-AHRASTN 521/1127-1128 IBN MS AL-Q avant 1149AL-WISYN XIIe AL-ZUHR milieu XIIe AL-IDR 1154AB MID AL-ĠARN avant 1169Siyar al-mayi 2e moitié XIIe

AL-BAYAQ 2e moitié XIIe Kitb al-Istibr 1191 IBN AL-AWWM fin XIIe - début XIIIe

IBN AMMD 1220AL-MARRKU 1224YQT avant 1229IBN AL-AR vers 1231AL-DAR après 1253 IBN ALLIKN 1274AL-QAZW 674/1275-1276IBN ALBB avant 1282IBN SAD AL-MAĠRIB avant 1286AL-ABDAR 1289AL-TI 1306-1309IBN IR début XIVe AL-WAW avant 1318AB L-FID 1321AL-DIMAQ avant 1327 IBN AB ZAR 1re moitié XIVe

UBAYD ALLH IBN 1re moitié XIVe

AL-NUWAYR avant 1333

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AL-UMAR avant 1349IBN BAA 1355-1356 IBN AL-AB avant 1375 IBN ALDN avant 1406AL-MAQRZ avant 1442AL-ZARKA XVe AL-IMYAR 1461ABD AL-BSI IBN ALL 1464AL-SUY avant 1505 AL-WANAR avant 1508ALAMM avant 1522JEAN-LÉON LAFRICAIN 1526AL- 1653-1654AL-SAD XVIIe

IBN AB DNR AL-QAYRAWN 1681 ou 1698AL- avant 1688MAWL MAD 1710AL-WAZR AL-SARR 1724-1725Tufat al-abb XVIIe-XVIIIe

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ANNEXE V: CHRONOLOGIE DES FAITS HISTORIQUES

27/647-648 Victoire des Arabes à Sbeitla. Gafsa et ses environs sont pillés puis reçoivent l’amn; Gabès est épargnée.

47/667 Ruwayfa Ibn bit al-An prend Djerba.±49/669 Uqba prend Gafsa et la Qasliya.±79/698-699 Gabès, Gafsa, la Qasliya et le Nafzwa sont conquis sulan par assn.±124/742 Ukka sempare de Gabès.132/749-750 Isml ibn Ziyd al-Nafs prend Gabès, Abd al-Ramn ibn abb massacre les

ibites.137/754 abb reçoit Gafsa, la Qasliya et le Nafzwa, Abd al-Wri se réfugie chez les

Warfama ufrites.±140/757 Retour des amalat al-ilm.141/758 Limm Ab l-ab reprend Kairouan aux Warfama.144/761 Ab l-ab et les ibites sont massacrés à Twarġa; Abd al-Ramn ibn Rustum

fuit vers Thart en passant par Sf... Muammad ibn al-Aa reprend Gabès.154/770-771 Mort de Umar ibn af; siège de Kairouan; lIfrqiya est à nouveau riite. 155/771-772 Yazd al-Muhallab massacre les ibites dans le abal Nafsa et conquiert lIfrqiya.157/773-774 Révolte des Warfama (Ab Zarna). 168/784-785 Schisme des nukkrites.171/787-788 Révolte des Nafzwa au Kef (li ibn Nuayr). Traité de paix entre Thart et Raw ibn tim. ±196/811-812 Salma ibn Qaafa assiège Gabès. Nomination des mil-s rustumides dans le Sud

tunisien.±210/825-826 Les Berbères du Nafzwa sallient à Ziydat Allh. Déprédations de mir ibn Nfi à Qasliya.224/838-839 Les habitants de Qasliya tuent leur gouverneur aġlabide; les Lawta, Miknsa et

Zawwġa sont massacrés entre Gafsa et Qasliya.±234/849 Interdiction de l’ibisme par Sa.283/896-897 Bataille de M. Soumission définitive de lensemble du Sud tunisien.292/905 Ubayd Allh passe par Qasliya pour rejoindre Siilmsa.296/908-909 Le d ravage la Qasliya; Tozeur et Gafsa reçoivent lamn.297/909-910 Prise de Tozeur par le marchand daubergines. Al ibn Luqmn al-Kutm à Gabès. 325/936-937 Ibn Farqn dénonce Ab Yazd à Tozeur; Ab Ammār le délivre et ils fuient à Ouargla

ou Ab Yazd se réfugie dans lAurès.331/942-943 Ab Yazd se réfugie dans lAurès avec Ab Ammār et tous les azzba; il devient

imm des nukkrites.333/944-945 Siège de Tozeur par Ab Yazd.336/947-948 Mort dAb Yazd. Son fils Fal et Mabad ibn azar menacent Gafsa; al-Manr bat

les nukkrites au nord-est de la Qasliya.358/968-969 Assassinat dAb l-Qsim par le gouverneur fimide dal-mma; révolte dAb

azar et dAb N Sad ibn Zanġl à Bġya.±361/971-972 Éventuelle révolte ibite à Gabès.391/1000-1001 Fulful sallie les Zanta de la région de Gabès et de Tripoli.393/1003 Siège manqué de Gabès par les maîtres de Tripoli. ±400/1009-1010 Warr reçoit le gouvernement du Nafzwa et al-Nuaym ibn Kannn celui de la

Qasliya.

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402/1011-1012 azrn ibn Sad reçoit le gouvernement du Nafzwa à la place de Warr. Les Ban Maliya, fidèles de azrn ibn Sad, reçoivent le gouvernement de Gafsa.

404/1013-1014 Les Zanta doivent fuir le Sud tunisien pour rejoindre Warr à Tripoli.407/1016-1017 Al-Muizz ibn Bds désigne des gouverneurs pour lensemble du Sud tunisien.409/1018-1019 Ab Abd Allh Muammad ibn Bakr crée sa alqa dans le wd Rġ. 413/1022-1023 Fin des attaques portées contre Gabès par les Zanta.415/1024-1025 Al-Muizz fait massacrer les Zanta qui ont ravagé la Qasliya et le Nafzwa.±420/1029-1030 Construction de la mosquée de Bild al-aar.423/1031-1032 Al-Muizz fait massacrer les ites qui ont pris un des villages de la région de Nefta.431/1039-1040 Révolte dal-Nukkr à Djerba; soumission de lîle à al-Muizz.440/1048-1049 Massacre des habitants de Qalat Ban Darn par al-Muizz.443/1052 Bataille de aydarn.445/1053-1054 La Qasliya est pillée par les Riy. Abd Allh ibn Muammad ibn al-Rand fonde

la dynastie des Ban l-Rand de Gafsa et reçoit la soumission dune partie de la Qasliya.

445/1053-1054 Al-Muizz ibn Muammad Ibn Walmiya prend le pouvoir à Gabès sous la tutelle des Riy.

453/1061-1062 Massacre des Arabes à Taqys.465/1072-1073 Mort de Abd Allh ibn al-Rand, règne dAb Umar al-Mutazz qui sallie le pays de

Qammda, le abal Hawwra et le reste de la Qasliya.474/1081-1082 Tamm ravage la ġba de Gabès.479/1086-1087 Tamm assiège Gabès.486/1093-1094 Tamm conquiert le faubourg de Gabès.489/1095-1096 Tamm sempare de Gabès; chute des Ban Walmiya; la région est occupée par les

Zuġba puis par les Riy.±491/1097-1098 Maggan ibn Kmil fonde à Gabès la dynastie des Ban mi.491/1097-1098 Tamm sempare de Djerba.499/1105-1106 Tamm tente sans succès de reprendre Djerba.510/1116-1117 Al reprend Djerba; les muqaddam-s lui promettent la sécurité.511/1117-1118 Rfi ibn Maggan propose une alliance à Roger II pour contrer Al.514/1120-1121 Djerba se soumet aux ammdides. Gafsa est attaquée par les Ban Sins puis défendue par Al.529/1135 Georges dAntioche occupe Djerba.±541/1146-1147 Ysuf livre Gabès aux Normands.542/1147-1148 Al-asan reprend Gabès et met au pouvoir Muammar ibn Ruayd. Mort de Ysuf; éventuel siège de Gabès par Roger II.543/1148-1149 Roger II prend Gabès et y place Muammad ibn Ruayd.548/1153-1154 Révolte de Djerba, matée par les Normands.±551/1156-1157 Djerba se libère du joug normand.±553/1158-1159 Muammad ibn Ruayd chasse les Normands hors de Gabès.554/1159 Gabès, Gafsa et le Djérid sont conquis par les Almohades.563/1167-1168 Les Gafsiens tuent le mil almohade et installent Al ibn al-Rand à sa place. Ysuf

fait détruire les dattiers de la ville.572/1177 Al ibn al-Rand proclame lindépendance de Gafsa.575/1179-1180 Ysuf mène pendant trois mois le siège de Gafsa et abat tous les palmiers.576/1180 Ysuf prend Gafsa et y installe une garnison. Al ibn al-Rand est envoyé à Salé.±581/1185-1186 Les Gafsiens ouvrent la ville à Al ibn Ġniya qui y laisse une troupe de Ġuzz. Al

fait sans succès le siège de Tozeur.581/1185-1186 Al ibn Ġniya sallie avec Qarq à Tripoli. 582/1186-1187 Al et Yay semparent du Djérid et mettent en vente les hommes de Tozeur.±582/1186-1187 Qarq fait le siège de Gabès, dont il sempare; il y fait transporter ses richesses.

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583/juin 1187 Victoire de Al ibn Ġniya et de Qarq à al-Umra contre al-Manr. Éventuel massacre des Almohades à Gafsa.583/octobre 1187 Victoire des Almohades à al-mma de Gabès. Al-Manr reprend Gabès, sempare

des biens de Qarq et envoie ses Ġuzz au Maroc. Al et Qarq se réfugient dans le désert.583/janvier 1188 Al-Manr sempare de Tozeur; il assiège Gafsa pendant trois mois, détruit sa palmeraie

et son rempart. Les Riy et les um sont déportés dans le Maġrib al-Aq.584/1188 Mort de Al ibn Ġniya.586/1190 Qarq reprend Gabès, sétant faussement soumis aux Almohades. Il fait massacrer les ay-s des Ban Dabbb et des Kub. Yay sempare de urra, qui est gouvernée par Yqt, le lieutenant de Qarq. Il

conquiert le bild al-ard.590/1193-1194 Ajout dun somptueux mib dans la mosquée de Bild al-aar.591/1195 Yay sempare de Tripoli puis prend Gabès et fait détruire sa ġba. Les Gabésiens payent un tribut de soixante mille dr-s. Yay fait de Gabès sa

capitale. Qarq est mis en fuite.599/1202-1203 Yay conquiert Tunis; il est maître de toute lIfrqiya.601/1204-1205 Yay détruit complètement urra, que ses habitants désertent. Al-Nir reprend Gabès à Yay.602/1205-1206 Lourde défaite de Yay dans le abal Tr.606/1209-1210 Défaite de Yay dans le abal Nafsa face à Ab Muammad Abd al-Wid.609/1212 Yay assassine Qarq à Waddn, puis prend sa place.623/1226 Ab Muammad Abd Allh est nommé gouverneur dIfrqiya par le calife almohade.

Il confie la Qasliya et Gabès à ses frères.

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BIBLIOGRAPHIE

ABRÉVIATIONS

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456

INDEX GÉNÉRAL

b. = ibnB. = Ban, Bū. = abals. = saba . = w. = wLes toponymes sont en gras.

Abalessa, 372.Al-siyya, 78.Abd Allh b. Abd al-Mumin, 256, 257, 259.Abd Allh b. Amad b. lib, 110, 319.Abd Allh b. Ġnim, 78.Abd Allh b. Ib, 52, 160.Abd Allh b. Ibrhm b. al-Aġlab, 79-80, 97, 101, 386.Abd Allh b. Masd al-T, 60.Abd Allh b. Muammad b. Mufarri, 105.Abd Allh b. Muammad b. al-Rand, 217-218, 222, 223, 250. Abd Allh b. b. r, 32-35, 44, 45.Abd Allh b. Sahl al-Qibriyn, 104, 106.Abd Allh b. al-’iġ, 122. Abd Allh al-aqris, 252.Abd Allh b. Umm Abn, 197. Abd Allh b. Wahb al-Rsib, 160.Abd Allh b. al-Zubayr, 139. Abd al-Azz b. Marwn, 47. Abd al-abbr b. Qays al-Mur, 60, 206.Abd al-Malik b. Ab l-a‘d, 62, 63.Abd al-Malik b. Marwn, 39, 45, 52, 160.Abd al-Mumin, 234, 255-261, 262, 263, 264, 322, 323, 328.Abd al-Ramn b. abb, 34, 59-61, 74, 377.Abd al-Ramn, rustumide, 63, 64, 66, 67-68, 69, 72, 75, 378, 380.Abd al-Ramn b. Uqba al-Ġifr, 55, 56-57.Abd al-Wahhb, rustumide, 67, 72, 80-84, 87, 89, 92-93, 97, 101, 102, 107, 126, 127, 142, 378, 386.Abd al-Wid b. Yazd, 57.Abd al-Wri b. abb, 61, 62, 64, 74.Al-Abr, 193.Ab l-Abbs Amad b. ln, 77, 397.Ab l-Abbs, frère du dā‘ī, 119, 121, 124.Ab Abd Allh b. Ab Amr b. Ab Manr Ilys, 149, 152.Ab Abd Allh b. Buhll al-Naf, 311.Ab Abd Allh Muammad b. Bakr, 131, 152, 205-206, 208, 209, 236, 237, 307, 367, 372, 392, 405.Ab Abd Allh al-, 107, 114, 115, 117-119, 121-123, 124, 125.Ab Ammr Abd al-Kf, 208, 238.Ab Ammr al-Am, 127, 137, 138, 140, 142, 152, 204.Ab Amr al-Numayl, 196.Ab Bakr b. Ysuf al-Nafs, 100, 103.Ab Baa: v. Ab Yay Zakariyy’ al-Ir.Ab D’d al-Qibill, 63, 65, 75.Ab l-Fal afar b. Ysuf al-Kalb, 168.Ab Fris, ide, 317.Ab afar al-Manr, 61, 62.Ab Ġarra, 315. Ab af Umar al-Hintt, 276.Ab Hrn al-Hawwr, 132.Ab l-asan al-Fihr, 226.Ab l-asan b. Isml al-Farn, 104.Ab tim al-Malzz, 68-69, 71, 72, 75.

457

Ab tim, rustumide, 132, 378.Ab l-ab Abd al-Sallm al-Mazt, 208.Ab l-ab al-Mafir, 63-64, 66, 71, 72, 75, 89, 425.Ab azar Yaġlā b. Zaltf, 147, 149-154, 160-161, 204, 205, 237. Ab Hill, 299.Ab Imrn Ms b. Sudrn al-Wisyn, 393, 405, 406.Ab Imrn Ms b. Zakariyy, 207.Ab Iql, aġlabide, 90.Ab Isq Ibrhm al-Qaf, 253.Ab Kurayb aml b. Kurayb, 62.Ab Manr Ilys, 97, 107.Ab Miswar, 128-131, 181, 195, 205, 206, 244, 317, 421, 425.Ab Muammar Abd b. Abd al-amad, 50, 74.Ab -Muhir Dr, 37-38. Ab Muammad Abd Allh, 278.Ab Muammad Abd al-Wid b. Ab af, 276-277, 278.Ab Muammad b. , 268.Ab Muammad aml, 150.Ab Muammad al-Qanrr, 101.Ab Muammad b. al-arrq, 174.Ab Muammad Wsln, 205, 207, 236.Ab Muslim Manr b. Isml, 121, 122.Ab N Sad b. Yalaf al-Mazt, 149, 393, 394.Ab N Sad b. Zanġl, 147, 149, 151, 152-154, 184-185, 205-206, 208, 209, 309, 391.Ab l-Qsim al-Warfa, 117.Ab l-Qsim Yazd b. Malad, 147-149, 150, 151, 152, 204, 205, 237, 362. Ab Qurra, 67, 69.Ab l-Rab Sulaymn b. Yalaf al-Mazt, 127, 205, 236-237, 238.Ab Rustum al-Nafs, 401.Ab Sahl al-Fris, 94, 197.Ab li annn b. mriyn, 125, 154, 202, 392.Ab li al-Yrn, 208, 392.Ab Sufyn, d fimide, 113, 117.Ab Sulaymn D’d b. Ab D’d, 277.Ab l-hir al-Salf, 45.Ab Ubayda Abd al-amd al-anwun, 381.Ab Ubayda Muslim al-Tam, 52, 54, 60, 63, 65, 131, 160.Ab Ubayda Waaq, 209.Ab Umar al-Mutazz b. al-Rand, 223, 228, 251, 258, 263.Ab Yay b. Ab l-Qsim al-Fursa, 412-413.Ab Yay b. Fns al-Hawwr, 70.Ab Yay Zakariyy’ al-Ir, 126, 132, 181, 330.Ab Yay Zakariyy b. li al-rsan, 335, 405.Ab Yaqb, savant ibite, 197-198.Ab Yaqb Ysuf b. Naff, 153, 185.Ab l-Yaqqn, rustumide, 78, 97, 378, 380.Ab Yazd, 124, 127, 128, 133, 134-146, 147, 150, 151, 155, 159-160, 194, 201, 203, 204, 207, 222, 236, 237,

249, 283, 307, 313, 314, 320, 362, 371, 380, 388, 391-392, 394, 395, 396, 398, 407, 414.A Ynus Wasm al-Nafs, 92-93, 94, 95.Ab Zakariyy’ b. Ab Abd Allh b. Ab Amr b. Ab Manr Ilys, 152, 153.Ab Zakariyy Fal b. Ab Miswar, 131, 195, 205, 206, 207. Ab Zakariyy al-aqris, 201, 252, 320-321.Ab Zakariyy Yay, ide, 278.Ab Zarna, 70, 71, 75.Ab Zayd Abd al-Ramn b. al-Mal, 208.Ab Zayd al-Kinn, 104.acacia, 339, 340, 361., 217, 223, 250.Aethiopes, 87-88.Afriqa, 29, 43, 108, 109, 111, 145, 161, 169, 242, 243, 320, 322, 424.Afla b. al-s, 98, 100.Afla, rustumide, 58, 84, 86-87, 88-89, 91, 92, 93, 94, 95, 102, 111, 155, 378, 379, 380.

458

Agadez, 379.Aam, 104, 108, 109, 111, 145, 320. Adbiya, 125, 183, 406.Am, 18, 131, 364. Al-Aġlab b. Slim al-Tam, 67.Aġmt, 356, 402.Amad b. a, 213-214.Amad le Sicilien, 268.Amad b. Yall, 104.Akra (presquîle de), 18, 97, 107, 126, 128, 143, 236, 246, 247, 313, 364, 421.B. Akra, 246.Al- b. Sad b. Marwn, 70.alcali, 357.Alexandrie, 32, 124, 125, 169, 329, 338, 346.Alger, 183, 235, 263, 284.Al b. Ab lib, 99, 116, 137, 148, 160.Al b. aar, 116.Al b. amdn, 118. Al b. al-usayn b. Warand al-Baal, 114-115.Al b. Isq b. Ġniya, 262-263, 265-270, 273, 274, 275, 278, 282, 284-285, 297, 302, 365. Al b. Luqmn al-Kutm, 126, 132.Al b. al-Muizz b. al-Mutazz b. al-Rand, 263-264, 265, 272, 293.Al b. al-Muntair, 264.Al b. Salmn al-D, 132.Al b. Yalaf al-Naf, 415-416.Al b. Ya, zīrīde, 226, 227, 229-230. B. Aliyya, 309.Almeria, 382, 414.alun, 23, 360, 361, 396. ambre, 401.Amma, 404.Amn al-Dawla asan b. Al b. Mulhim, 220.B. mir, 184, 188.mir b. mi, 256-257.mir b. al-Muammir b. Sinn al-Taym, 73.mir b. Nfi, 85-86, 87, 386.Amisnn / Ams(a)nnn, 128.Ammaedara, 20.Amr b. al-, 31, 32, 45, 44.Amrs b. Fat, 98.Anbiya, 373. Al-Andalus, 55, 149, 168, 170, 259, 261, 262, 264, 353, 361, 397, 399.Antalas, 26.Antn, 245.architecture du Djérid, 278-282, 323.argent, 40, 216, 346, 362, 383, 393, 400.Arġ: v. Rġ.armoise, 357-358.Arzosei, 19.im b. aml, 62, 63, 64, 65-66, 72, 74. im al-Sadr, 63, 64, 69. Ar, 183.Al-Anm, 57., 295-296.Aba, 214, 217, 223, 224, 250, 263.Aiyya b. afar, 187.Auguste, 20, 24.Aurès, 28, 39, 41, 42, 62, 64, 71, 79, 91, 121, 127, 137, 138, 140, 141, 142, 144, 145, 146, 150, 222.autruches, 19, 352.avant-mur, 259, 269.B. Aw, 222.

459

Awdaġust, 333, 334, 340, 357, 361, 372, 373-374, 377, 379, 380, 386, 391, 394, 396, 398, 400, 404, 406, 407, 408, 418.

Awf, 256.Awld Mid, 280, 299, 311.Awll, 398, 400, 403. Awraba, 37.Aws, 84.Ayn al-Zaytna, 155, 363.Aytimln, 300, 345, 422.Ayyb al-Haww, 70.Azriqa, 51, 255.Al-Azz, ammadde, 226.B. Azn, 317.Azuq, 373.Azzba, 138, 203-209, 236-237, 311, 316, 317-318, 367, 384.Bb al-Manar (Tozeur), 351.Bdis, 155, 179, 368, 370.Bds, zde, 183, 186, 187-191, 192, 194, 199. Ba, 71, 139, 194, 216, 302, 359.Baaliyyn, 114-116.Bġya, 43, 121, 122, 134, 138, 141, 145, 146-152, 161, 184, 186, 203, 204, 205, 237, 239, 250, 307, 368,

391, 423, 424, 425.Bagdad, 61, 77, 96, 111, 283, 414.B. Bahll, 299, 323, 350.Balazma, 118.Baléares, 262, 276, 281, 284.bananes, 340, 342, 343, 348, 354.Banara, 241.Baniys, 160, 241.Bars, 37.Barbara, 395, 404.Barmandna, 416.Barqa, 45, 77, 107, 111, 125, 161, 183, 213, 214, 354.w. Barqq, 176.Bara, 50, 51, 52, 54, 63, 64, 70, 83, 160, 162, 378, 380, 382.Ba, 17, 48, 74, 106, 109, 127, 158-159, 160, 174, 175, 300, 304, 345, 346, 365, 368, 422.w. Bya, 294, 305.Bélisaire, 25, 26. Bild al-Farn, 21. Bild al-ar, 27, 177, 278, 280, 281, 422.Bir Qasliya, 282, 306.B. Birzl, 133, 137, 140. Bir al-Zaytna, 363. Biskra, 38, 41, 140, 155, 162, 241, 303, 306, 355, 368, 370, 380.Biaa / Bia: v. Ba.blé, 163, 230, 231, 347, 359, 400.Boniface VIII, 247.Bougie, 167, 176, 221, 226, 228, 235, 251, 255, 258, 263, 264, 265, 266, 283, 321, 322, 389.Bouré, 403.Buayrat al-Bbn, 245, 246.Buluggn b. Zr, 146, 147, 158, 183-184, 222.Bur ibn Zaw (Gafsa), 269, 270, 293.Bur Umm Al, 22.Butr, 29, 39, 61.Byzantins: v. Rm.Le Caire, 158, 186, 213, 214, 220, 262, 328, 333, 385.canne à sucre, 220, 341, 348, 359, 361.Carthage, 19, 25, 27, 28, 32, 39, 40, 44, 165, 242, 321, 322, 327.carvi, 239, 349, 399.Castille, 282, 323.cavernes, 43, 68, 206, 207, 208, 209, 315-316, 412, 426. cédrats, 239, 346-347, 348, 349, 354.

460

céréales, 20, 21, 164, 191, 209, 241, 339, 349, 350, 359, 377, 399, 404.Chébika / Speculum, 17, 22, 144, 368.Chenini de Tataouine, 286, 316.Chrétiens, 6, 27, 28, 32, 35, 37, 40, 44, 45, 49, 50, 58, 73, 74, 77, 87, 108, 109-110, 117, 123, 145, 158, 174,

198, 200, 229, 230-235, 242, 243, 244, 245, 249, 255, 257, 258, 262, 268, 287, 294, 298, 313, 316, 317, 319-327, 328, 336, 352, 362, 371, 421, 425.

Civitas Nybgeniorum, 21. coings, 346.Constantine, 91, 119, 139, 176, 191, 217, 263.Cordoue, 133, 184, 187, 258, 378, 414.Cornélius Balbus, 23. coton, 241, 353-354, 397, 398, 399.cuir, 23, 238, 339-340, 343, 347, 357, 358, 361.cumin, 239, 241, 349-350, 353, 399.cynophagie, 69, 120, 162-167, 178-179, 302, 426.B. Dabbb, 262, 274, 277, 284, 314, 315. Dahmn, 225, 230.Damas, 28, 37, 39, 41, 47, 256, 343, 377. B. Dammar, 81, 130, 131, 202, 277.. Dammar, 5, 18, 79, 82, 83, 87, 102, 126, 189, 199, 236, 244, 276, 286, 314, 368, 421, 422.Dara, 115, 361, 399.Dar, 208, 392.B. Darn, 87, 127-128, 137, 142, 188, 197.Darn, 8, 92, 94, 127, 153, 184, 185, 191, 195, 197-198, 203, 208, 214, 237, 253, 286, 301, 307, 308, 333,

351, 359, 370, 386, 388, 399, 423.Darn al-sufl l-adda, 92, 198-199, 286, 301, 311.Darius, 164.dattes, 16, 17, 23, 99, 101, 113, 120, 134, 154, 162, 165, 178, 202, 224, 239, 241, 243, 250, 263, 275, 281, 292,

297, 299, 300, 302, 336, 337, 342, 343, 344, 345, 346, 347, 348, 349, 350, 352, 353, 355, 357, 358-359, 366, 377, 391, 393, 396, 397, 398, 399, 400, 425, 426.

David, 110, 296.D’d b. Yazd al-Muhallab, 71, 72.Dèce, 316.Déhibat, 286, 368, 374.Dg, 16, 22, 85, 239, 280, 299, 422.disettes: v. famines.El-Djem / Thysdrus, 41. Djerba, 5, 18, 23, 25, 36, 44, 53, 60, 64, 75, 81, 82, 89, 97, 102, 103, 126, 128-131, 132, 141, 142, 143, 145,

146, 149, 152, 165, 166, 167, 172-173, 181, 194-196, 197, 199, 202, 203, 204-207, 211, 213, 215, 216, 217, 225-227, 230-231, 233-235, 236, 244-249, 250, 251, 252, 257, 262, 268, 291, 303, 306, 307, 313, 314, 316-318, 323, 327, 328, 329, 330, 333, 335-339, 359, 364, 405, 416, 421, 423, 425.

Djorf, 18, 244, 364.Dz, 17, 19, 92.Èbre, 281, 282.engrais humain, 169-171, 298, 426.éponges, 23, 338. esclaves, 23, 34, 41, 45, 47, 48, 55, 61, 67, 78, 88, 134, 173, 216, 323, 326, 333, 362, 377, 381, 383, 384, 386,

387, 391, 395, 396, 397, 401, 404, 405, 407, 408, 411, 412, 426.Fal b. Ab Yazd, 136, 141, 142, 145, 160.Al-Fal b. Raw al-Muhallab, 73. Fa al-imr, 141, 160, 174, 296, 305, 364. Faln b. Isq, 404, 405.famines, 63, 130, 139, 166, 191, 201-203, 209, 223, 226, 232, 249, 328, 359, 389, 424, 426.B. Farqn, 222, 235, 260.Farna, 92, 104, 285-286, 308, 386, 423. Fansa, 17, 127, 236, 365. Fansa, 127.Fat b. Al, 186-187.Al-Fawwra, 249.Fazzn, 23, 26, 37, 155, 170, 280, 305, 343, 360, 381, 387, 388.femmes, 26, 34, 48, 51, 55, 57, 63, 98, 100, 139, 140, 165, 166, 167, 169, 171, 213, 231, 232, 239, 242, 248,

268, 270, 294, 296, 304, 319, 329, 349, 351, 353, 362, 366, 384, 385, 393, 394, 396, 402, 412, 426.

461

fennecs, 179, 301, 349, 351, 358.fer, 23, 26, 85, 98, 362. Fès, 162, 184, 193, 256, 368, 382.š. al-Fiğāğ, 15, 16, 17, 20, 21, 22, 25, 68, 313.figues, 202, 336-337, 338, 343, 357.fossés, 157, 168, 178, 220, 243, 259, 269, 271, 282, 292.Frédéric II de Hohenstaufen (Frédéric Ier de Sicile), 329.Frédéric II de Sicile, 247.Fulful b. Sad b. azrn al-Zant, 184, 186-187, 188.funduq-s, 168, 174, 203, 220, 292.Funduq ibn Luqman, 155.Gabès / Tacape, 17, 18, 19, 20, 22, 23, 25, 28, 33, 34, 35, 37, 38, 39-40, 41, 42, 43, 44, 45, 48, 56, 57, 59,

60, 61, 62, 63, 66, 67, 69, 70, 73, 74, 75, 80, 81-82, 84, 85, 86, 87, 89, 98, 101-102, 103, 107-108, 111, 112, 125, 126, 127, 132, 139, 141, 153, 155, 157-158, 159, 161, 162, 165, 167, 168-172, 175, 178, 184, 186-187, 188, 192, 199, 201, 202, 211, 213, 215, 216, 219-221, 223, 224-225, 228-230, 232-233, 234, 235-236, 237, 241, 243, 249-252, 253, 256-257, 258, 260, 266, 268, 269, 273, 274, 275, 276, 277, 278, 282-283, 285, 291-292, 298, 303-304, 305, 306, 307, 310, 313, 315, 319, 320, 322, 323, 327, 328, 329, 333, 339-345, 347, 350, 354, 355, 358, 359, 361-362, 363-364, 366, 368, 374, 375, 377, 382, 385, 389, 396, 402, 421, 422, 423, 424, 426.

Ġadr al-A, 363.d, 155, 181, 375.B. afar, 134.afar b. abb, 186, 187.afar le ib, 120, 123.affra (plaine de la), 18, 22, 34, 37, 40, 60, 81, 91, 126, 187, 215, 262, 286, 307, 313.Gafsa / Capsa, 17, 19, 20, 21, 22, 23, 25, 28, 33-34, 37, 38, 40, 42, 44-45, 48, 61, 74, 78, 79, 80-81, 82, 84,

89, 102, 103, 104, 106, 108-109, 111, 112, 116, 121-122, 125, 126, 141, 142, 145, 155, 158, 159-160, 161, 162, 173-174, 175, 179, 184, 189, 190, 192, 199, 201, 211, 213-214, 217, 219, 222, 223, 227-228, 235, 237, 239, 241-243, 249-251, 253, 257-260, 261, 263-267, 269-273, 274, 275, 276, 281, 282, 283, 284-285, 291, 292-297, 302, 303, 304, 305, 306, 307, 320, 321, 322, 323, 324, 325, 328, 329, 340, 353-359, 361-362, 364-365, 368, 371, 389, 393, 421-422, 423, 424, 425.

Galam-Bambouk, 403, 405.w. al-aml, 176-177.B. mi, 228-230, 233, 235, 236, 243, 251-252, 253, 256-257, 268, 283, 291, 307, 389, 423.amnis aln, 141, 159, 193. Ġna, 372, 374, 378, 379, 380, 382, 386, 390, 391, 394, 395, 396, 397, 398-400, 402, 403-408, 411, 414,

415, 416, 418.B. Ġniya, 239, 254, 261, 262-287, 293, 297, 308, 310, 325, 365, 390, 422, 424.Gao: v. Kawkaw.Garamantes, 21, 23, 26. wa, 39, 42.arba, 128. . al-Ġarsa, 16, 22. Galya, 306.Al-Gar (Gafsa), 174.awhar al-R, 147. Al-azra (. Nafsa), 132.Gens de la caverne / sept dormants, 164, 315-316.Georges dAntioche, 231, 233, 291.Gétules, 88.Ghadamès, 19, 23, 26, 37, 43, 63, 111, 167, 176, 272, 278, 352, 361, 371, 374-375, 382, 392, 396, 398.Ghriba (Djerba), 327.Gightis, 23. Al-, 248, 330, 357.Ġiyr, 333, 404-405, 408.Ġ.lm.s.siyyn, 134. El-Goléa, 371, 372, 406.Goliath, 297.gomme, 340, 361.Gourara, 170, 360, 372, 373, 382.Grégoire, patrice, 32, 33, 34.Grégoire VII, 322.

462

grenades, 213, 347, 354-355.grottes: v. cavernes. uddla, 373, 402.uġrf, 198, 203, 371, 372.Guillaume Ier de Sicile, 234.Ġumrsin, 236, 314, 368. ura, 339.uam, 263, 271. Al-sn, 218.Ġuzz, 262, 265, 268, 269, 270-271, 275. abb b. Abd al-Ramn b. abb, 61, 62, 63, 64.abb b. Ab Ubayda al-Fihr, 377.abs b. umayd, 213.Al-a, 241.Hadrien, 21-22, 158. Al-fiq, fimide, 231.Al-, 52, 54. Al-akam II, umayyade, 146, 168.Al-kim, fimide, 186.alaf b. Amad, 130-131.Halaf b. al-Sam, 89, 97, 102, 107.alafites, 89, 91, 96, 97, 126, 128, 131, 144, 205, 236, 313, 425.Hlid b. Nar, 104.Hlid b. Tbit al-Fahm, 37. Halfa b. Warr, 190, 192, 193, 199.alqa, 152, 181, 203-209, 236, 237-238, 307, 309, 311, 318, 371, 384, 422, 425.amalat al-ilm, 52, 63, 64, 74, 75, 131, 160.Al-mma / Aquae, 16, 22, 37, 92, 104, 109, 128, 147, 148, 149, 155, 158, 160, 176, 218, 237, 239, 260, 268,

269, 281, 299, 301, 303, 304, 306, 308, 323, 329, 349, 350, 358, 391, 405, 415, 423.Al-mma de Gabès / Aquae Tacapitanae, 16, 18, 20, 22, 56, 81, 268, 273, 276, 277, 278, 292, 302, 345,

368.ammd b. Buluggn, 183, 186, 190, 191, 194.ammd b. Warr, 192.ammm-s, 168, 175, 180. b. Malll, 229. ana b. Abd Allh, 36, 303.anqala b. afwn, 56, 57, 58, 59.Al-ri b. Tald al-aram, 60, 206.Harama b. Ayan, 73.ar Nafa, 79, 158.Hārn al-Rad, 73, 77.Al-asan b. Al, zīrīde, 230-233, 252, 255.Al-asan b. Al b. Warand al-Baal, 115.asan b. al-Bann, 104-105.n b. al-Nun al-Ġass, 39-45, 47.B. l-ab de Zawla, 388.awnt al-awka, 174.Hawsa, 412.Hawwra, 28, 47, 57, 60, 63, 66, 70, 74, 79-80, 81, 82, 84, 91, 93, 113, 132, 134, 137, 138, 139, 140, 146,

155, 238, 272, 293, 388.. Hawwra, 223, 251. aybar, 36.aydarn, 168, 191, 215, 216, 217, 220, 221, 250, 251, 386.B. azar, 133, 150, 183, 193.B. azrn, 133, 183, 184, 186, 187, 190, 192, 193, 402.Hazrn b. Fulful b. Hazar, 150, 184, 402.Hazrn b. Sad, 189, 190, 199.henné, 239, 241, 329, 336, 344, 349, 351, 353, 360, 399.Héraclius, l’exarque et l’empereur, 27, 28.B. Hill, 168, 187, 188, 199, 201, 211-215, 217, 219, 223, 225, 226, 229, 237, 238, 239, 249, 250, 252,

253-254, 261, 265, 287, 291, 296, 303, 307, 310, 311, 326, 328, 343, 350, 388, 389, 423, 424.Him b. Abd al-Malik, 58, 414.

463

n al-Mil, 373.Houmt-Souk, 131, 244.Hraba, 213.ubsa b. Ysuf, 124-125. . al-una, 23, 137.Al-ulwn, d fimide, 113, 117, 118.Ibites, 51, 52-54, 59, 60-61, 63-76, 78-84, 87, 88-103, 105, 107, 110, 119, 122, 123-124, 125-136, 141,

142-144, 146-154, 157-158, 159, 160-161, 165, 167, 169-170, 172, 178, 180-181, 184-185, 187, 188, 190-191, 193, 194, 195-200, 201, 202-209, 215-216, 227-228, 235-239, 244, 246-249, 253, 255, 268, 286, 296, 307-318, 319, 325-327, 333, 334, 335-336, 349, 350, 357, 359-360, 370, 372, 377-390, 391-409, 411-419, 421-426.

Ibn Abd al-Karm, 275-276.Ibn Ab l-Ġay, 217.Ibn Ab Zayd al-Qayrawn, 164, 200-201, 383.Ibn Farqn (Xe siècle), 137, 138, 144, 222.Ibn Farqn (XIIe siècle), 235, 251.Ibn al-ama, 135, 136, 380, 386.Ibn urn, 223.Ibn Kaldn, 142, 195, 196. Ibn Maza’a al-Muhallab, 70, 71. Ibn N, 317.Ibn al-Na al-Tawzar, 252.Ibn al, 7, 49, 173, 174, 177, 252, 280-281, 297, 299, 324.Ibn T, 275.Ibn Tmart, 255, 257, 259, 270, 276.Ibn Wanamm: v. al-Muizz b. Muammad b. Walmiya.Ibn Waym, 195.Ibrhm b. Abd Allh, 226.Ibrhm Ier, aġlabide, 73, 77, 78, 79, 80, 81, 386.Ibrhm II, aġlabide, 78, 98-100, 104-105, 107, 116, 118, 122, 386.Ibrhm, frère de Bds, 188.Ibrhm b. Muammad b. Walmiya, 219, 224, 251.Ibrhm b. Qartakn, 271-273, 295. B. fran, 87, 127, 133, 134, 142, 147, 237. Ikn, 118, 119, 121, 122.Ikrima, 54, 59, 73.Imrn b. Ms al-anh, 263, 284.indigo, 329, 336, 344, 351, 358, 361, 385, 399.In Salah, 371, 372.B. rsan, 128, 195, 205.iris, 355, 356.irrigation, 15, 16, 17, 19, 43, 49, 88, 173, 176-178, 213, 282, 292, 294-295, 303, 304, 305, 341, 354, 422., frère du mawlā des B. mi Ysuf, 232-233.s b. Miskn, 104.s b. Rayn al-Azd, 89.Isq b. Ġniya, 262, 365.Isml b. Al al-Nafzw, 404, 406, 411.Isml b. Darrr al-Ġadmis, 63.Isml b. Ubayd Allh b. Ab l-Muhir, 50. Isml b. Ziyd al-Nafs, 60, 74.Ismliens: v. ites.isti, 51, 138, 143.B. zamratan, 127, 217, 218. zil / Kédia dIdjil, 373.jasmin, 355, 356.Jugurtha, 19, 146. Juifs, 36, 39, 49, 58, 110, 145, 157, 158, 170, 200, 229, 248-249, 286, 296, 319, 322, 326, 327-330, 336, 340,

341, 346, 347, 351, 363, 382-385, 389, 391, 411, 423, 425.jujubiers, 337, 352.Justinien, 25, 26, 27, 173. Al-Khina, 31, 39-44, 45, 48, 144, 146, 424.

464

Kairouan, 26, 36, 37, 38, 41, 42, 44, 45, 47, 50, 54, 55, 56, 57, 59, 62, 63-64, 65, 66, 67, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 77, 78, 82, 85, 90, 91-92, 93, 98, 100, 102, 104, 105, 107, 108, 109, 110, 111, 116, 117, 119, 120, 122, 123, 124, 139, 140, 141, 143, 147, 148, 155, 157, 161, 162, 168, 173, 174, 179, 186, 190, 191, 193, 194, 201, 206, 212, 214-215, 216, 217, 219, 220, 221, 223, 224, 230, 241, 244, 252, 253, 296, 298, 304, 305, 320, 326, 328, 340, 342, 352, 353, 356, 362, 363-364, 365, 368, 370, 372, 373, 374, 375, 377, 378, 380, 381, 382, 383, 385, 386, 387, 388, 389, 395, 396, 400, 407.

B. Kamln, 138, 139, 140.Knim, 341, 375, 381.Kanma, 128, 206, 208, 299, 311.Katna, 363.Kawr, 37, 280, 360, 381, 387, 390. Kawkaw, 134, 370, 371, 372, 374, 378, 379, 380, 386, 390, 391, 392, 394, 395, 396, 398, 406, 407, 413-414,

419.Kaydd, père d’Abū Yazīd, 134, 394. Kayes, 405, 414.Kazna, 128.Kébili, 17, 88, 127, 326, 365, 368.Le Kef / al-Kf, 71, 72, 75.khôl, 360.s. al-Kilb, 245.kitmn, 52, 103, 110, 126, 143, 152, 181, 187, 191, 197, 199, 204, 326, 421, 424.Kiyna, 140.Kfa, 115, 116, 117, 160, 180.Kġa, 333, 400.Kulm b. , 55, 56.Kusayla, 31, 37-38, 39, 44, 45, 424. Kutma, 47, 71, 107, 113, 114, 117-119, 122, 126, 128, 132, 133, 138, 139, 176, 183, 217, 219.Kub, 274.Laghouat, 366, 380.Al-Lam, 322.laine, 23, 336, 337, 338, 340, 344, 345, 346, 347-348, 351, 352, 353, 354, 357, 359, 386, 402.laine de la mer, 338.Lla / Qu Lla, 174, 275.B. Lams, 114.Lamya, 67, 126, 128, 132, 169, 236, 304.Lamlam, 405.Lama, 165.Lamtna, 373, 402.Laribus / al-Urbus, 113, 122-123, 139, 368.Lawta, 26, 28, 37, 41, 61, 67, 79, 88, 89, 91, 94, 127, 128, 142, 155, 169, 272, 371.Léon IX, 321.lèpre, 302.Leptis Magna, 23, 26, 247.lin, 340, 351, 353, 354, 357, 359, 361, 385.lis, 355, 356.Lotophages, 337. lotus, 337.B. Luqmn, 126, 157, 219, 304. Mabad b. azar, 133, 138, 141, 160.Al-M al-kabr, 305.B. Mabdl, 237.Madla, 368.Al-Madna (Nafzwa), 175, 300, 304, 345, 422.Madnat Nafzwa, 174-175, 300, 304, 345, 365, 368.Madnat al-Qu, 158, 161, 162.Makra, 108, 159.B. Madnn, 126.Man al-Fa: v. Fa al-imr.Maggan b. Kmil b. mi, 225, 229, 252.Mana, 321, 371.Mana, 155, 321, 360, 362.B. Maliya, 189, 190, 199, 228.

465

Maġmads, 69.Ma (Djerba), 207. Maġrwa, 80, 133, 137, 138, 140, 183, 184, 185, 189, 217-218, 223, 227, 371. Mahd al-Nafs, 96, 180.Mahdiyya, 5, 41, 124, 138, 139-140, 141, 143, 155, 200, 211, 216, 217, 221, 223, 224, 225, 226, 229, 230,

231, 233, 234, 243, 244, 252, 255, 256, 257, 259, 266, 275, 276, 321-322, 363, 364, 382, 389.Maïmonide, 248, 328, 329.Majorque, 262, 269, 275.B. Makk, 229.Al-Maknasa, 56, 57.M, 166, 414, 415.s. al-Mli, 245.Mlik b. Al.wn alar, 224.Mlikites, 59, 91, 103-105, 113, 114, 115, 116, 123, 139, 143, 192, 200-201, 203, 205, 237, 238, 249, 253,

255, 283, 307, 308, 310-311, 316, 318, 340, 341, 412, 415, 416, 419.Malinké, 412, 419.Mlia, 195.Al-Manra, 169.mangonneaux, 258, 259, 264, 265, 269, 270, 275, 362.manne / turanabn, 348. Al-Manaf, 301, 365.Al-Manr, almohade, 263, 265, 267-273, 280, 283, 285, 291, 322.Al-Manr, fimide, 124, 137, 140-141, 142, 155.Al-Manr, zde, 154, 183, 184-185, 309. Al-Manr b. Bs, 191.Manr b. Mws, 188.Manr b. Nar al-unbu, 84, 86.Al-Manriyya, 124, 141, 183, 188, 193, 217.M, 80, 96, 97-101, 103, 105, 106, 107, 110, 119, 127, 130, 131, 142, 149, 197, 203, 307, 326, 385, 387,

421.Maranda, 379, 406.Marzg, 19. Mareth, 18, 98, 368.B. Mrida, 222. Marmanna, 33, 113, 117, 139, 359, 368.Marrakech, 255, 264, 265, 268, 271, 418.Mars Far, 78-79, 377.B. Masla, 84, 88.Mala b. abs, 133.M(a)s(a)nnn: v. Amisnn.Al-Masla, 118, 133, 137, 138, 140, 368, 380. Maskyna, 368.Maslama b. Sawda, 55, 56, 57.Mamda, 242, 255, 258, 263.Massfa, 55, 373, 400, 402, 408. Maa, 28, 81, 88, 167, 277, 292.Maa, 126, 161, 212.. Maa, 18, 25, 28, 81, 167, 330.Al-Mawiyya, 305.Maures, 26-27. Maurice, 27. Maymn b. An al-anfs, 263.Maymn b. Muammad, 336, 384, 413.Maysara, 55. Mazta, 37, 84, 127, 128, 132, 136, 148, 149, 150, 153, 160, 169, 195, 202, 208, 236.Maztat Qbis, 126, 158, 160.La Mecque, 39, 80, 117, 124, 137, 144, 148, 208, 291, 295, 313, 366, 385, 394, 400, 416.Médéa / Al-Madya, 183.Médenine, 18, 276.Mesarfelta, 305. Midès, 17, 141, 316. Midrr, 82.

466

B. Midrr, 380, 387, 398.miel, 301, 343, 351, 355, 359, 367.Miknsa, 89, 91, 380, 398.Mla, 118. Milyna, 183, 241.minbar, 95, 180-181, 416.B. Mirds, 168, 214, 219, 250.Mir, 32, 35, 300, 397. Mistwa, 83, 136, 185.Miyyl b. Ysuf al-Lawt, 89, 95.Mosquée de Bild al-aar, 27, 176, 278-281.Mosquées de Djerba, 131, 181, 195, 204-205, 207, 248-249, 317, 416, 423.. Mouydir, 198, 371.Muammar b. Ruayd, 232, 252.Mu b. Ab Sufyn, 36, 45.Mu b. , 36, 37, 44, 45.B. Mudfi, 110.Mudfi b. Ruayd b. mi, 253, 256.Al-Muhallab b. Yazd, 70.Muammad (le Prophète), 7, 31, 33, 36, 39, 50, 62, 66, 114, 115, 131, 148, 151, 162, 163, 164, 202, 252, 286,

296, 310, 326, 328, 335, 339, 342, 344, 345, 349.Muammad b. Ab l-Arab, 227.Muammad b. Ab Sadn, 400.Muammad b. Arfa, 378.Muammad b. al-Aa al-uz, 66-67, 75, 381.Muammad b. Aws al-An, 38.Muammad b. Ġniya, 262.Muammad b. amdn, 117, 118. Muammad b. al-asan, 189, 190, 192.Muammad b. al-ayr b. Muammad b. azar, 146, 150. Muammad b. azar, 133, 138, 140, 141, 146.Muammad b. Imrn al-Naf, 116.Muammad b. Isq al-azar, 80.Muammad b. Muqtil al-Akk, 73.Muammad b. Raman, 118. Muammad b. Ruayd, 230, 232, 233, 234, 243, 252, 253, 256.Muammad b. Tamm al-Qaal, 104.Muammad al-Tf, 257-258.Muammad b. Warand al-Baal, 114-115, 117.Al-Muriq b. Ġafr, 70.Al-Muizz, fimide, 113, 124, 141, 146, 147, 148, 149-150, 151, 152-153, 158, 183, 185, 388. Al-Muizz, zde, 142, 168, 183, 187, 190, 191-200, 203, 207, 208, 213-215, 216-217, 218, 219, 220, 221,

225, 235, 250, 252, 253, 301, 308, 317, 424.Al-Muizz b. Muammad b. Walmiya, 168, 219-221, 251, 304.B. Mlt, 175, 176, 365.Munqaa, 225.Al-Munastr, 31. ayn al-Munastr, 293, 294.Munis b. Ya al-innabar al-Mird, 168, 214, 216, 219, 220, 221.Muqaddamn, 314. Murcie, 262, 282.mûriers, 341-342.M b. Nuayr, 36, 45, 47.B. Muab, 206-207.Al-Mustanir, fimide, 214, 215, 220.Al-Mustanir, ide, 171, 352.Musulames, 20. Muann b. Tamm, 229.Muarrif b. Al b. amdn, 235.Al-Mutawakkil, 110.Mutazilites, 83-84, 91, 157, 160-161, 207.Al-Mutazz, émir de Siilmsa, 398, 399.

467

myrobolan emblic / amla, 348, 349.myrte, 355-356.Mzab, 53, 84, 167, 181, 204, 206-207, 296, 307, 311, 313, 318, 330, 349, 380, 416.Nafya, 159.Naff b. Nar, 94, 95-96, 102-103, 136, 180, 236.Naffites, 95-97, 103, 126, 128, 136, 142, 144, 180-181, 236, 313, 314, 425.Nafa, 155.Nafsa, 32, 60, 63, 65, 74, 75, 77, 79, 82, 83, 92-94, 97-101, 102, 107, 110, 128, 130, 131, 132, 135, 142, 147,

153, 155, 169, 186, 187, 197, 386, 401, 404, 408.. Nafsa, 18, 32, 35, 44, 60, 64, 69, 79, 80, 82, 84, 87, 93, 94, 95, 96, 97-98, 100-101, 126, 127, 130, 132,

136, 139, 142, 145, 148, 149, 152, 153, 155, 160, 176, 180-181, 186, 193, 196, 200, 202, 207, 208, 215, 226, 248, 262, 276, 277, 307, 317, 318, 330, 336, 360, 368, 374, 375, 379, 381, 382, 384, 385, 386, 387, 395, 412, 413, 416, 421, 422.

Nafsat Amisnn, 128. Nafsat Qanr, 93.Nafza, 61, 62, 111.Nafzwa, 28, 47, 61, 62, 67, 71, 72, 75, 76, 84, 91, 113, 127, 273, 285, 401.Nafzwa, 16, 17, 19, 21, 22, 34, 35, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 47, 48, 58, 59, 61, 63, 64, 65, 66, 74, 75, 76, 79,

80, 84-88, 89, 95, 99, 100, 101, 102, 104, 105-107, 108, 109, 110, 111, 114, 125, 127, 146, 155, 158-159, 161, 162, 164, 174-175, 176, 183, 188, 189, 191, 192, 193, 199, 200, 208, 212, 218, 224, 236, 238, 243, 253, 268, 269, 276, 282, 285, 299-300, 301, 304, 306, 307, 313, 319, 320, 321, 324, 325, 326, 329, 330, 335, 336, 345-346, 351, 353, 359, 360, 361-362, 364, 366, 367, 368, 371, 372, 393, 404, 405, 411, 422.

Nat, 51.Nahrawn, 160.Nlt, 368, 374.Namrd / Nemrod, 173. narcisses, 355, 356.Nasamons, 26. Al-Nir, almohade, 261, 276-277, 283, 285, 286.Al-Nir b. Alanns, ammdide, 221, 222, 223, 322.Al-Nawlt, 138. Nefta / Nepte, 8, 16, 22, 25, 37, 41, 42, 79, 92, 104, 109, 113, 114-117, 118, 127, 128, 145, 146, 155, 158,

159, 160, 161, 162, 175, 176, 177, 179-180, 192, 193-194, 197, 199, 203, 213-214, 218, 235, 241, 243, 252, 253, 260, 269, 281, 285, 286, 296, 298, 301, 303, 304, 306, 309-310, 323, 350, 359, 363, 368, 370, 371, 374, 386, 390, 423.

Nīsar (désert de), 357, 374.Nizr b. al-Muizz, 197.Noirs / Sn, 10, 77, 78, 85, 87-88, 107, 216, 373, 379, 381, 386, 396, 404, 405, 411-415, 418.noix, 344-345.Normands, 211, 229-235, 239, 243, 244, 250, 251, 252, 255, 257, 261, 323.Al-Nuaym b. Kannn, 188, 189-190, 191, 199.Nukkra, 185.Al-Nukk, 142, 194, 196, 252.Nukkrites, 83, 94, 102, 103, 126, 127, 128, 130-131, 133, 134-146, 147, 150, 151, 152, 154, 184-185, 194,

196, 199, 204, 205, 207, 227, 236, 237, 247, 283, 308-309, 313-314, 317, 320, 411, 425.Numn b. Abd al-aqq al-Hintt, 258-263.Nybgenii, 19, 21.oliviers / olives, 17, 19, 109, 172, 200, 243, 265, 285, 292, 296, 299, 300, 305, 335, 336, 338, 339, 343, 345,

346, 350, 351, 354, 356, 357, 358, 362. or, 23, 34, 107, 139, 147, 177, 216, 335, 362, 368, 377, 378, 379, 383, 384, 387, 389, 391, 392, 394, 395, 397,

399-400, 402, 403, 405, 407, 408, 414, 415. Oran, 41, 84, 160, 179, 241, 370.oranges et oranges amères, 347, 355, 358.orge,149, 202, 347, 359.Ouargla, 8, 58, 63, 64, 65, 68, 78, 120, 124, 125, 126, 137, 144, 148, 149, 150, 152, 154, 167, 170, 197, 202,

203, 206, 207, 208, 235, 238, 239, 307, 308, 311, 321, 335, 360, 368, 370, 371, 372-373, 379-380, 382, 388, 389, 390, 391, 392, 395, 397, 398, 404, 405, 406, 414.

Palerme, 244, 329.Pedro de Navarre, 317.peste, 171, 191, 201, 203, 223, 232, 249.Peuls, 416, 418.phares, 169, 220, 363.

468

piraterie, 225-226, 230, 231, 262, 269, 364.piscines romaines (Gafsa), 19, 173, 174, 242, 295.pistaches, 296, 344, 353, 355, 357, 358.poires, 346.pommes, 336, 337-338, 340, 346, 354, 357.pourpre, 23, 338-339. Al-Qbis, 201, 320-321, 407.Q b. Muammad b. Walmiya, 220, 224, 225, 251.Al-Q’im, fimide, 93, 124, 125, 132, 133, 137, 138, 139, 140, 144.Al-Qala / Qal‘at Banī ammād, 140, 191, 223, 263, 360, 368, 371.Qalat Al, 238.Qalat Ban Darn: v. Darn.Qalna, 155, 363, 364.Qammda, 108, 141, 159, 223, 244, 251, 347, 364.Qanrra, 79, 92, 97, 98, 99, 101, 102-103, 106, 128, 153, 158, 180, 185, 197, 237, 285-286, 308, 386, 404,

406, 413, 423.Qar, 239, 254, 260, 261, 262, 264, 265-267, 268, 271, 272, 273, 274-275, 276, 277, 280, 282-285, 286,

291, 424.qara, fruit de l’acacia, 339-340, 361.Qarmaes, 150, 214.Al-Qarn, 36, 37, 57, 74, 261.Qarqana, 173, 226, 232, 234, 247, 364.qaba, 228-229, 276, 285, 293.Qira, 155, 159.Qar al-bayt, 173, 364.Al-Qar (Gafsa), 174.Qar al-Arsayni (Gabès), 228-229, 268, 274, 278.Qar Ban ab, 245.Qar al-Ifrq, 368.Qar Saa, 243, 343.Qar amm, 245.Qar Tarsn, 92.Qar Wun, 286.Qar Zanta, 286.Qasliya, 5, 22, 34, 35, 36, 37, 40, 41, 42, 43, 44-45, 48, 49, 50, 59, 61, 73, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 84, 85,

86, 87, 89-90, 92, 95, 96, 99, 101, 102, 103, 104-105, 106, 108, 109, 110, 111, 112, 113, 114, 116, 117, 119-123, 124, 125, 127-128, 133, 134, 135, 137, 138-139, 141, 142, 144, 145, 154, 155, 158, 159, 160, 161, 162, 167, 175, 176, 179, 180, 183, 184, 188, 191, 192, 193, 199, 205, 206, 207, 213, 217, 218, 222, 223, 238, 239, 241, 250-251, 253, 269, 278, 282, 297-299, 301, 302, 303, 304, 305-306, 308-309, 311, 320-321, 322, 324, 326, 341, 346-352, 359, 362, 364, 365, 368, 370, 371, 372, 377, 380, 385, 393, 395, 398, 423.

Qan b. Salma: v. Salma b. Qaafa. Qayn-Baya, 134, 179, 302, 304, 370, 371.Qayn-Zanta (Djérid), 134, 135. Qayn-Zanta (Tripolitaine), 190, 193.Qir, 197. Quray, 37, 62. Ban Qurra, 232.qur (et v. Qur Qafa), 10, 18, 37, 97, 128, 158, 260, 286, 370, 422.Al-Qu, 79, 155, 158, 305, 393, 394.Qu n, 40.Qur Qafa, 33-34, 35, 41, 44, 141, 158, 160, 161, 174, 201, 253, 295, 296, 297, 305, 353, 422.Al-Qu al-Tala, 158, 161.Rfiites, 114, 116, 120.Rfi b. Maggan b. Kmil b. mi, 228-230, 252.Rahna, 244.raisins, 50, 136, 166, 213, 243, 245, 309, 335-336, 338, 340, 343, 350-351, 353, 355, 357, 384, 397, 398, 399,

400, 413. B. l-Rand, 217, 218, 222, 223, 227-228, 235, 241, 250, 251, 253, 257, 258, 259-260, 263, 265, 271, 272, 273,

285, 291, 295, 297, 307, 389, 423.Raqqda, 64, 78, 118, 122, 123, 139.Ras al-ayn (Gafsa), 293.

469

Ras al-Ayn (. Dammar), 126.Ras Karn, 244.Ras al-Mabaz, 245.Raw b. tim al-Muhallab, 72, 78.R: v. Z.w. Rġ, 78, 101, 126, 150, 152, 167, 185, 197, 198, 203, 206, 208, 235, 237, 238, 307, 308, 370, 371, 372,

388, 391, 425.Rġa, 371.Al-Riml, 370. Ra / R: v. Za.Riy, 168, 214, 215, 216, 217, 218, 220, 221, 223, 224, 225, 250, 251, 261, 262, 263, 264, 271.Roger de Lauria, 247.Roger II de Sicile, 229-233, 234, 239, 243, 244, 249, 252.Romains, 19-24, 25, 35, 108, 126, 164, 174, 327.roses, 356.Rm, 25-28, 32, 33, 34, 38, 39, 40, 43, 44, 49, 108, 109, 111, 173, 257, 297, 298, 299, 320, 323-324, 327-328,

346, 377. Ruayd b. Kmil, 228, 229, 232, 389.Ruwayfa b. Tbit al-An, 36, 303. abb b. Ab l-rim, 121, 122. Sab Sib, 301.abra / Sabratha, 23, 32, 56, 98, 189.abra-Manriyya: v. Al-Manriyya.w. Sab, 55, 56, 59, 73. Sad b. Ab Ynus, 94, 95-96, 98, 99-100, 413. Saddda, 16, 127, 134, 142, 237, 299, 308, 367.B. adġiyn, 128, 217, 218, 268. Sadrta, 64-65, 137, 140, 326, 371, 379, 388, 416. Sadrta, 371.B. Sadwka, 128, 176.safran, 352-353, 397, 398.Sil, 82, 84, 86, 93, 237, 307, 336.h Mlik, 229. Sann, 59, 91, 104, 105, 106, 160, 383.Sad b. azrn, 184.Sakkk, 97, 102.Sakkkites, 97, 126, 128, 142, 237.Saladin 262, 266, 274.Salama, 111.Salma b. Sad, 54, 59, 73.Salamiya (Syrie), 113, 119.Salamiyya (Maghreb), 111.Salaqa, 41. Salé, 263, 265, 272.li b. Nuayr, 71, 72, 75, 87. Sallm b. Farn, 256.Salma b. Qaafa, 81-82.m, 59, 343. Smarr’, 111.B. Sammin, 317.an, 36.anha, 114, 117, 133, 140, 146, 151, 158, 183, 186, 191, 192, 197, 199, 213, 214, 217, 219, 222, 223, 227,

229, 257, 262, 284, 394, 395, 398, 400, 401, 418.antiyn, 173.Sqiyat al-amr, 315.aqris, 201.Saragosse, 167, 282.Sardaigne, 324.ars, 155, 180, 336, 359, 368, 384, 412, 413.B. Sattan, 316.Sbeitla / Sufetula, 32, 33, 34, 44, 108, 244.Sbba, 56, 84, 86, 223, 226, 368.

470

scille, 358.sébeste / ma, 348, 349.sel, 15, 301, 352, 357, 360, 366, 367, 373, 396, 397-398, 400, 402, 403, 407, 408.Sétif, 118, 255.Sfax, 212, 222, 223, 224, 229, 233, 234, 255, 303, 338, 339, 340, 343, 361, 364, 365.Sicile, 27, 77, 86, 124, 183, 211, 229-234, 241, 247, 268, 298, 323, 340, 342.Sd B Al al-Naf, 309-310.S Blbba, 172, 310.Sd amm, 247.iffn, 160.Siilmsa, 54, 65, 78, 119, 120, 121, 123, 124, 135-136, 159, 165, 166, 184, 277, 302, 333, 335, 351, 353,

366, 372-374, 380, 382, 387, 390, 391, 397, 398-400, 401, 402, 404, 405, 406, 407-408.ites, 107, 113-125, 133, 135, 145, 146, 148, 168, 180, 187, 191-194, 199, 200, 203, 214, 253, 296, 310,

359, 383, 387, 418, 423, 425.Sill, 413.B. Sins, 126, 227, 228, 251, 297. innabar, 214.soie, 139, 220, 328, 338, 340, 341-342, 343, 357, 382, 396, 397, 398, 402.Soninké, 412.Sonni Al, 419.souchet, 344.Sousse, 139, 140, 141, 216, 233, 341.S.r. (Tozeur), 176, 304.Sdn, 10, 65, 79, 88, 107, 111, 134, 167, 179, 233, 307, 321, 333, 334, 335, 351, 352, 354, 360, 370, 374,

377-380, 382, 383, 387, 388, 389, 391-393, 395, 396, 398, 399, 400, 403, 404, 407, 408, 409, 411-412, 413, 415-419, 423, 424, 425.

Sf, 68, 92, 126, 167, 185, 197, 198, 199, 238, 301, 308, 328, 351, 370, 371, 386, 388, 390, 391. Sf.., 67-68, 75. ufrites, 51, 54, 55, 56-58, 61-66, 67, 68-69, 71, 73-75, 84, 91, 284, 319, 325, 380, 398, 424, 425.Sufyn b. Sawda, 84-85, 87.Sur, 113, 117.B. Sulaym, 114, 214, 262, 264, 265, 268, 274, 277, 284, 286, 311.Sulaymn b. al-amma, 71.Sulaymn b. Zarqn, 135-136, 143, 147, 309, 362, 380, 398. ulb al-imr, 245.Sumta, 113-114, 117.Suma, 179.Sua, 117-118, 120, 127, 134, 137, 155, 159, 160, 179, 302.Sq al-ams, 244.Surt, 66, 125, 183.Ss, 38, 47, 55, 114, 115-116, 128, 161, 162, 337, 341, 356, 359, 360, 377, 382, 423.Al-Suy, 238.. abga, 16, 17, 368.Tacfarinas, 21. Tdimakka, 134, 154, 198, 208, 334, 370-372, 374, 375, 379, 386, 388, 390, 391-398, 406, 407, 408, 414,

418, 425. Tadyt, 135.Taġza, 373, 400, 403.. T, 276.Thart, 58, 65, 67-68, 72, 75, 76, 78-84, 86, 89, 90, 91, 92-96, 100, 101-103, 107, 111, 121, 124, 125, 127,

128, 132, 133, 135, 140, 142, 146, 149, 181, 204, 277, 321, 325, 368, 370, 377-381, 385, 386, 387, 388, 391, 398.

Taha, 41, 56, 69, 155, 368.Tkirwn, 37-38. s. Tkmart, 366.Takrr, 384, 413, 414.Tallat / Tlalet / Talalati, 83, 126, 316, 368, 422.Talmn, 21, 161, 175, 300, 422.Tmadalt, 373.Tamwa, 404.Tamerza / Ad Turres, 17, 22. B. Tmestwut, 128.

471

Tamm b. al-Muizz, zīrīde, 216, 217, 220, 221, 223, 224-226, 229, 231, 249, 251, 292.Taml al-Wisyn, 393-394, 395, 405.Tamm b. Tamm al-Tamm, 73.Tamlat b. Bakkr, 183, 186.Tamlast, 127, 236, 238.Tanger, 40, 42, 47, 55.B. Tnmk, 394.Tan, 222. Taq al-Dn, 262, 271.Taqys / Thiges, 22, 37, 85, 86, 109, 128, 134, 135, 137, 144, 158, 161, 176, 185, 206, 208, 218-219, 222,

237, 239, 241, 251, 268, 269, 271, 298-299, 304, 307, 316, 349, 350, 365, 367, 391, 422, 425. al-Farn, 21, 22.arq lamal, 18, 364.arq lmaalla, 22, 365, 367.riq b. Ziyd, 47.Al-arm / alarmd, 242-243, 293, 305. Tdant, 115-116.ts l-n.s.m.t, 396.Ttantl, 373, 400.Tataouine: v. Tiwn.Twarġ, 60, 64, 66, 75. ayn Twarġ, 174, 175, 300.aylasn, 357, 359.Tzrt, 118.T.b.r.s (Tozeur), 176, 304.Tébessa, 139, 171.Ténès, 155.Thélepte, 25. T, 368.T, 94, 101.Tis, 368. B. Tinwata, 127, 208, 371, 404.Tn Bkr, 132.Tn Bmr, 404.Tindouf, 373.Tnml, 255.Tn Yartn / Tanbartn, 401.Tn Z, 101.Tirakt, 132.irq, 174, 296-297, 303, 305, 353, 364, 422.Traqq, 406, 407.Tiwn, 18, 19, 82, 126, 127, 286, 315, 316, 368, 374.Tlemcen, 37, 67, 133, 278, 321, 368.Tombouctou, 394, 406.Touareg, 335, 345, 351, 358, 374.Touggourt, 371, 382.tours de siège, 264-265, 269-270, 271.Tozeur / Thusuros, 5, 16, 22, 25, 37, 41, 45, 48, 50, 73, 74, 77, 85, 89-90, 95, 102, 103, 104, 105, 106, 108,

109, 110, 119-121, 124-125, 127, 128, 134, 135, 137, 138, 143, 144, 145, 158, 159, 163, 166, 167, 170, 175, 176-179, 184-185, 188, 201, 213, 218, 221-222, 223, 235, 237, 239, 241, 249, 251, 252-253, 260, 265-267, 268-269, 273, 277, 278-282, 283, 284-285, 296, 297-298, 301, 302, 303, 304, 305, 306, 309, 311, 316, 320, 322, 324, 325, 328, 334, 337, 339, 341, 346-352, 353, 359, 361, 364, 365, 366, 367, 368, 370-375, 380, 386, 387, 388, 389, 391, 395, 396, 397, 398, 404, 405, 407, 422, 423.

Trajan, 21, 293, 327.traversée de la sebkha, 22, 42, 85, 175-176, 208, 268-269, 301, 304, 365-367, 422.tribunal des eaux, 282.Tripoli, 18, 32, 33, 35, 36, 40, 42, 56, 58, 60, 61, 63, 67, 68, 70, 74, 75, 79-80, 84, 86, 87, 98, 101, 107, 108,

116, 117, 119, 120, 125, 132, 137, 139, 149, 155, 159, 161, 162, 165, 179, 183, 186-187, 188, 189-190, 192-193, 194, 195, 199, 206, 208, 215, 216, 232, 233, 234, 243, 245, 250, 253, 255, 256, 260, 262, 264, 265, 266, 274, 275, 280, 282, 287, 303, 313, 320, 339, 363, 366, 370, 375, 381, 387.

Tripolitaine, 18, 23, 28, 47, 56, 60, 63, 66, 68, 75, 79, 83, 86, 89, 97, 124, 132, 152, 165, 167, 190, 192, 196, 199, 215, 238, 245, 264, 274, 275, 287, 307, 314, 381, 425.

472

Tritonis (lac), 246.ubna, 44, 47, 68, 69, 70, 71, 75, 109, 119, 121, 184, 186, 306, 368, 370, 380.Tn, 126, 236, 238. Tunis, 39, 47, 59, 73, 78, 100, 165, 171, 194, 212, 216, 222, 223, 226, 244, 255, 266, 268, 274, 276, 278, 285,

287, 322, 329, 338, 341, 352, 357, 364, 396.urra, 127, 159, 161, 175, 236-237, 274, 275, 276, 280, 283, 285, 286, 300, 304, 308, 329, 345-346, 359,

368, 422. Turris Tamalleni, 21, 22, 161, 175, 300, 422.Tt.k, 396, 397.Tuwt, 360, 375, 382.Ubayd Allh b. al-abb, 55, 59.Ubayd Allh al-Mahd, 105, 113, 116, 117, 118, 119-121, 123-125, 126, 132, 133, 137, 159, 319, 386,

387-388, 398, 399, 418.Al-Udyn, 16, 22, 85, 316.Ukka b. Ayyb al-Faz, 56-59, 66, 73-74, 284, 425.Umn, 316, 421.Umar b. Abd Allh al-Murd, 55.Umar II b. Abd al-Azz, 41, 50, 73, 109, 319.Umar b. af, 68, 69, 70, 71.Umar b. al-ab, 31-32, 33, 35, 116, 131.Umar b. al-Muizz b. Bds, 225.Umm Ysuf, zde, 203.Al-Umra, 267, 268.Uqba b. N al-Fihr, 37-38, 44, 45, 47, 59.mn b. Affn, 32-33, 34.utru: v. cédrat.Valence, 262, 282.Vandales, 20, 25, 26, 324, 381.verre, 23, 346, 357, 362, 401, 402.vin / vignes: v. raisins.violette, 355, 356, 358.Al-Wd, 370, 371.Waddn, 67, 244, 275, 277-278.Wahbites: v. Ibites.Wakl b. Darr al-Nafs, 81. B. Walmiya, 235, 236, 251, 252, 257.Wanqra, 395, 403.B. l-Ward, 257.Warfama, 47, 54, 61-66, 69, 70-71, 74, 75, 91, 111, 139, 140, 155.W, 413.Warġamma, 314, 315, 375.Warġlna, 316.B. Wrkl, 137, 371.Warr b. Sad, 183, 184, 188, 189-190, 199.Wil b. A’, 83, 84, 160. Wilites, 83-84, 160, 207.B. Wasn / Wāsīn: v. B. Wisyān. B. Ws, 222, 235.B. Wt.rt.n, 196.W b. W.rġl, 184, 185.Wġ, 412.B. Wisyn, 8, 87, 128, 133, 134, 138, 143, 144, 147, 188, 237, 404.B. W.r.mz, 206.B. Yalaf, 81.Yay b. Al b. amdn al-Andalus, 186-187.Yay al-Ara al-Nukkr, 184-185.Yay b. al-Azz, ammdide, 231, 235.Yay b. Ġniya, 262.Ya b. Isq b. Ġniya, 41, 261, 263, 265, 266, 273, 274-278, 280, 283, 284, 285, 286, 365, 422.Ya b. Mlt al-Darf, 176.Ya b. Tamm, zīrīde, 226, 228, 229, 257.Ya b. Tamm b. al-Mutazz, 228, 257, 258, 260.

473

Ya b. Ws, 222.Yak.ms al-Mazt, 139, 140. B. Yamll, 110, 222.Ysan, 316.Ynis, gouverneur de Tripoli, 186.Yt, lieutenant de Qarq, 274-275, 276.Al-Ys b. abb, 61, 62.Yazd II b. Abd al-Malik, 52. Yazd b. Ab Muslim, 38, 51, 73.Yazd b. Ab Yazd, 137.Yazd b. Hlid, 104.Yazd b. tim al-Azd l-Muhallab, 69-70, 71, 75, 381.Al-Yzr, 214, 215, 220. Al-Y.s.r, 363.Ynus b. Ab Zakariyy Fal, 206, 207.Ysuf, almohade, 261, 262, 263, 264-265, 270, 284, 304.Ysuf b. mir, 186, 188.Ysuf b. alf, 222. Ysuf, mawl des Ban mi, 232, 252.Z, 378, 413, 419.Zaafrn, 17.Zaafrna, 92.Zb, 38, 47, 68-69, 70, 71, 72, 73, 77, 78, 79, 119, 133, 138, 141, 142, 150, 152, 206, 217, 227, 238, 250, 278,

302, 303, 304, 305, 370, 393, 401.Zfn, 414.Zaġr, 418, 419.Zaġwa, 302.Zaġwn, 47, 93.Zakariyy b. Ab Zakariyy Fal, 195, 206, 207.Z Kosoy, 413.Zakrm, 394.Zanta, 47, 56, 60, 63, 66, 74, 80, 81, 83-84, 85, 87, 88, 108, 117, 127, 128, 132, 133, 134, 137, 138, 140, 146,

150, 151, 160, 176, 183, 184, 186-194, 196, 197, 199, 200, 211, 212, 216, 217, 223, 227, 242, 250, 253, 255, 277, 284, 309, 370, 371, 378, 388, 394-395, 399, 401, 402-403, 406, 407, 414, 424.

B. Zandk, 137, 371.Zanzafa, 81, 127, 236, 238.. Zanzafa, 238.Zaqqn b. Umayr, 80, 101.Zaraï, 23.Al-Zrt, 313, 368. Zarbat al-Wd, 370.Zarq, 275, 315.Zarzis, 245, 246, 247. Zawra, 169, 304.Zawra, 314.Zawrat al-uġr, 314, 352.Zawla, 67, 196, 375, 380, 381, 382, 386, 387, 388, 390, 395, 406.zwiya, 299, 309-310, 311, 313, 315, 318.Zawwġa, 81, 89, 91, 97, 126, 128, 130, 131, 143, 246, 304, 309.Zr b. Mand, 140, 147, 151.Za, 97, 143, 246-247, 309.Zitha / Pons Zitha, 247.Ziydat Allh Ier, aġlabide, 84-87, 90, 102, 105.Ziydat Allh III, aġlabide, 105, 107, 119, 121, 122, 123.Zz, 172, 245-247, 314, 317, 335, 421.Zuġba, 214, 215, 216, 220, 221, 223, 225, 251, 263.Zuhayr b. Qays al-Balaw, 38, 45.

475

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5REMARQUES SUR LA TRANSCRIPTION DE LARABE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10REMARQUES SUR LES NOTES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

PREMIÈRE PARTIE: L’HISTOIREI. ÉLÉMENTS DE GÉOGRAPHIE ET D’HISTOIRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 1. GÉOGRAPHIE DU SUD TUNISIEN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 2. LA DOMINATION ROMAINE (146 AVANT J.-C. - 429) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 3. L’INTERMÈDE VANDALE (429-533) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 4. LA DOMINATION BYZANTINE (533 - FIN DU VIIe s.) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

II. LA CONQUÊTE DU SUD TUNISIEN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 1. LES PREMIERS RAIDS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 2. LES EXPÉDITIONS DE MUWIYA IBN UDAY. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 3. LA CONQUÊTE DE UQBA IBN NFI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 4. ASSN IBN AL-NUMN ET LA KHINA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 5. SYNTHÈSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44

III. LES EMPOIGNADES DU VIIIe SIÈCLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 1. LA CONVERSION DES BERBÈRES IFRQIYENS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 2. LAPPARITION DU RIISME EN IFRQIYA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 a. Les ibites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 b. Les ufrites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 3. LES PREMIÈRES VICTOIRES RIITES DANS LE MAGHREB OCCIDENTAL . . . . . . . . . . 55 4. LA RÉVOLTE DU UFRITE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 a. Ses défaites militaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 b. Ses succès populaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 5. LA WILYA DE ABD AL-RAMN IBN ABB . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 6. LA PRISE DE POUVOIR DES WARFAMA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 7. LES IBITES REPRENNENT KAIROUAN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 8. LA FONDATION DE LIMMAT DE THART . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 9. LA RÉVOLTE DAB TIM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68 10. LES MUHALLABIDES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 11. SYNTHÈSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73

IV. LE IXe SIÈCLE AĠLABIDE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77 1. REMARQUES SUR L’ÉMIRAT AĠLABIDE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77 2. LES LIENS ENTRE LE SUD TUNISIEN, THART ET LÉMIRAT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78 3. LA RÉVOLTE DES HAWWRA ET LE COMPROMIS QUI SENSUIT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 4. LES GOUVERNEURS RUSTUMIDES À LÉPOQUE DE ABD AL-WAHHB (784-823) . . . . . . 80 5. LES DISSIDENCES RELIGIEUSES SOUS ABD AL-WAHHB . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 6. ZIYDAT ALLH ET LE NAFZWA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84 7. LÉVOLUTION DES IBITES SOUS AFLA (823-871) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88 8. LA RÉBELLION DE LA QASLIYA CONTRE LÉMIRAT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 9. LINTERDICTION DE LIBISME PAR SANN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 10. LE DÉVELOPPEMENT DE QANRA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 a. La colonisation de la ville par les Nafsa . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 b. La naissance du schisme naffite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 11. LE DÉSASTRE DE M. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 a. Le massacre des savants nafs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 b. La soumission des oasis au pouvoir aġlabide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 12. SYNTHÈSE DE LÉVOLUTION DES COMMUNAUTÉS IBITES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101 13. LE MLIKISME DANS LE SUD TUNISIEN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103 14. LE STATUT DU NAFZWA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105

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15. LE SUD TUNISIEN AĠLABIDE VU PAR LES GÉOGRAPHES ORIENTAUX . . . . . . . . . . . . . 107 a. Al-Ya . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107 b. Ibn urradābih . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111

V. LE Xe SIÈCLE FIMIDE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 1. LES DÉBUTS DE LA PRÉDICATION ISMLIENNE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 2. LA PRÉDICATION DU D AB ABD ALLH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117 3. LE SÉJOUR DU MAHD À QASLIYA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 4. LA DÉVASTATION DE LA QASLIYA ET LA VICTOIRE DU D . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121 5. LAVÈNEMENT DU MAHD UBAYD ALLH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123 6. LA RÉORGANISATION DES COMMUNAUTÉS IBITES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125 a. Gabès, Gafsa et le abal Dammar. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126 b. Le Nafzwa et la Qasliya . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 c. Ab Miswar à Djerba . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128 7. LES PREMIERS AFFRONTEMENTS AVEC LES FIMIDES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132 8. AB YAZD . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134 a. Les relations dAb Yazd avec Sulaymn ibn Zarqn. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135 b. La couvaison de la révolte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137 c. La révolte dAb Yazd . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138 d. Les conséquences de la révolte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141 9. LA RÉVOLTE DE BĠYA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146 10. LES RELATIONS DES DEUX REBELLES AVEC AL-MUIZZ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152

VI. LES GÉOGRAPHES DES Xe ET XIe SIÈCLES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155 1. IBN AWQAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155 2. AL-MUQADDAS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161 3. ISQ IBN AL-ASAN IBN AB L-USAYN AL-ZAYYT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 4. AL-BAKR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168

VII. LIFRQIYA ZRDE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183 1. LES RÈGNES DE BULUGGN ET DAL-MANR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184 2. LA PREMIÈRE VICTOIRE DE FULFUL À TRIPOLI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186 3. LES ZANTA DANS LE SUD TUNISIEN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187 4. LES AFFRONTEMENTS AVEC LES ZANTA ET LES ITES

SOUS AL-MUIZZ (1016-1062) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191 5. LATTAQUE DE DJERBA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194 6. LE MASSACRE DE QALAT BAN DARN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197 7. SYNTHÈSE ET NOTES SUR LINTOLÉRANCE DAL-MUIZZ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199 8. LE RÔLE DU SUD TUNISIEN DANS LA PROPAGATION DU MLIKISME . . . . . . . . . . . . . . 200 9. QUELQUES MOTS SUR LES DISETTES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201 10. LA CRÉATION DE LA ALQA IBITE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203

VIII. DE LARRIVÉE DES BAN HILL À CELLE DES ALMOHADES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211 1. LARRIVÉE DES ARABES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213 2. LA DÉFAITE DES ZRDES À AYDARN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216 3. LES CONFRONTATIONS ENTRE BAN HILL ET BERBÈRES DANS LE DJÉRID . . . . . . . . 217 4. LA SOUMISSION DE GABÈS AUX ARABES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219 5. LA SOUMISSION DE TOZEUR AUX AMMDIDES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221 6. LEXTENSION DE LA PRINCIPAUTÉ DES BAN L-RAND . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223 7. LE DÉCLIN DE GABÈS SOUS TAMM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224 8. LA LUTTE DE CONTRE LES PIRATES DJERBIENS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225 9. LATTAQUE DE GAFSA PAR LES BAN SINS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227 10. LAFFIRMATION DES BAN MI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 228 11. LA CONQUÊTE NORMANDE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230 12. LÉVOLUTION DES COMMUNAUTÉS IBITES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235 13. LE TÉMOIGNAGE DAL-IDRS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239 14. POUR RELATIVISER LA CATASTROPHE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 249

IX. LES ALMOHADES ET LES BAN ĠNIYA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255 1. LA CONQUÊTE ALMOHADE DU SUD TUNISIEN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 256 2. LINSTALLATION DES BAN ĠNIYA ET DE QARQ DANS LE SUD TUNISIEN . . . . . 262 3. LES ALMOHADES REPRENNENT LE SUD TUNISIEN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267

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4. LES NOUVEAUX SUCCÈS DES ALMORAVIDES ET DE QAR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 274 5. LES DERNIÈRES VICTOIRES ET LA MORT DE YA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 277 6. LINFLUENCE CULTURELLE DES BAN ĠNIYA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 278 7. LIMPLICATION DE LA RÉVOLTE DES BANŪ ĠĀNIYA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 282

X. LES DERNIÈRES DESCRIPTIONS GÉOGRAPHIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 291 1. LE KITB AL-ISTIBR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 291 2. AL-MARRKU . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 303 3. YQT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 303 4. LÉVOLUTION DES TOPONYMES DU SUD TUNISIEN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305

XI. LÉVOLUTION DE LIBISME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 307 1. LES OASIS DU DJÉRID ET DU NAFZWA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 307 2. LES MONTAGNES DU SUD-EST TUNISIEN ET LA PLAINE DE LA AFFRA . . . . . . . . . . . 313 3. DJERBA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 316

XII. LES MINORITÉS RELIGIEUSES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 319 1. LES CHRÉTIENS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 320 2. LES JUIFS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 327

SECONDE PARTIE: LE COMMERCEINTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 333

I. LES RICHESSES DU SUD TUNISIEN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 335 1. DJERBA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 335 2. GABÈS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 339 3. LE NAFZWA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 345 4. LA QASLIYA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 346 5. GAFSA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 353 6. LES IMPORTATIONS VERS LE SUD TUNISIEN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 359

II. LES PRINCIPAUX ITINÉRAIRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 363 1. LES LIAISONS AVEC LEST ET LE NORD DE LIFRQIYA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 363 a. La voie Tripoli - Gabès - Kairouan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 363 b. La voie Kairouan - Gafsa - Tozeur - Nafzwa . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 364 c. La voie Tozeur - Gabès - abal Nafsa. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 368 d. La voie Kairouan - Thart - Maghreb extrême . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 368 2. LES ITINÉRAIRES VERS LE SDN AU DÉPART DE TOZEUR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 370 a. La voie Tozeur - Ouargla - Tdimakka - Kawkaw . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 370 b. La voie Tozeur - Ouargla - Siilmsa - Ġna . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 372 c. La voie Tozeur - Ghadamès - Tdimakka - Kawkaw . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 374

III. LA FONDATION ET L’ÉVOLUTION DU COMMERCE IBITE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 377 1. LE DÉVELOPPEMENT DES ITINÉRAIRES AU DÉPART DE THART . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 377 2. LA COMPLÉMENTARITÉ DES JUIFS ET DES IBITES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 382 3. LES AĠLABIDES ET LES FIMIDES FACE AU MONOPOLE IBITE . . . . . . . . . . . . . . . . 385 4. LÉVOLUTION DU COMMERCE DANS LE DJÉRID . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 388

IV. PAR AWDAĠUST OU PAR TDIMAKKA? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 391 1. LA VOIE TOZEUR - OUARGLA - TDIMAKKA - KAWKAW . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 391 2. LA VOIE TOZEUR - OUARGLA - SIILMSA - ĠNA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 398 3. LA RÉUNION DES DEUX ROUTES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 406 4. CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 407

V. LA CONVERSION DES SDNAIS PAR LES IBITES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 411 1. LES TÉMOIGNAGES ÉCRITS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 412 a. La conversion de rois ou de peuples sdnais . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 412 b. La fameuse conversion du roi de Ml . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 415 2. LES TÉMOIGNAGES ARCHITECTURAUX. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 416

478

3. LE DÉCLIN DE LINFLUENCE IBITE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 418

CONCLUSION GÉNÉRALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 421

ANNEXESANNEXE I: LES BANŪ ŪN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 427

ANNEXE II: LES BANŪ L-RAND DE GAFSA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 428

ANNEXE III: LES BANŪ MI DE GBÈ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 429

ANNEXE IV: CHRONOLOGIE DES SOURCES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 430

ANNEXE V: CHRONOLOGIE DES FAITS HISTORIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 432

BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 435

ABRÉVIATIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 435

SOURCES ANCIENNES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 436

BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 439 AJOUTS À LA BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 453

INDEX GÉNÉRAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 456

479

TABLE DES PLANCHES (AS « INDEX GÉNÉRAL »)

Photographies de Virginie Prevost.

I: AL-ĀMI AL-KABĪR À DJERBA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129II: LES MOSQUÉES FORTIFIÉES DE DJERBA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182III: BILĀD AL-AAR: MOSQUÉE, MINARET ET DÉCOR DU MIRĀB . . . . . . . . . . . . . . . . . 279IV: ARCHITECTURE DE TOZEUR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288V: ARCHITECTURE DE NEFTA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 289VI: MINARET DE LA MOSQUÉE D’AWLĀD MĀĞID ET ZĀWIYA AFIDE DINFLUENCE IBĀITE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 312VII: LE MINARET-ESCALIER DES MOSQUÉES DJERBIENNES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 417

TABLE DES CARTES (AS « INDEX GÉNÉRAL »)

Les cartes du Sud tunisien sont réalisées d’après la carte Michelin 958 (Algérie - Tunisie), la carte du Sahara d’après la carte Michelin 953.

1. LE SUD TUNISIEN ACTUEL. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142. LES PRINCIPALES ROUTES À LA FIN DE LÉPOQUE ROMAINE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 303. LA CARTE D’IBN AWQAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156 4. LES PRINCIPAUX CENTRES IBĀITES DU SUD TUNISIEN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..210 5. LA CARTE D’AL-IDRĪSĪ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2406. LES ITINÉRAIRES TRANSSAHARIENS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 369

480