la responsabilité sociale en santé et la situation sanitaire mondiale. À propos des nouveaux...

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Santé publique 2007, volume 19, n° 3, pp. 217-227 POLITIQUES Correspondance : E. La Rosa Réception : 16/05/2006 – Acceptation : 30/03/2007 La responsabilité sociale en santé et la situation sanitaire mondiale. À propos des nouveaux indicateurs sanitaires et sociaux Social responsibility in health and the global health situation: Towards new health and social indicators Emilio La Rosa (1) , Gérard Dubois (2) , François Tonnellier (3) Résumé : Il est souhaitable de développer de nouvelles approches de la responsabilité sociale et de la santé pour faire en sorte que les progrès scientifiques et technologiques aillent dans le sens de la justice, de l’équité et de l’intérêt de l’humanité. Or, la situation actuelle de la santé est préoccupante dans plusieurs régions du monde. En utilisant un certain nombre d’indicateurs, nous avons élaboré des indices composites qui procurent des informations socio-sanitaires, démographiques et économiques et qui ont permis d’analyser la situation socio-sanitaire mondiale. La Déclaration Universelle de Bioéthique considère la santé comme un bien social et humain, et recommande un meilleur accès aux soins et aux médicaments en quantité et qualité, ainsi que l’accès à l’eau potable. Afin que ces recommandations ne restent pas lettre morte, il nous semble nécessaire de faire un suivi de l’évolution par le biais de ces indices composites. Mots-clés : Déclaration bioéthique - indice de responsabilité sociale en santé - situation de santé - monde. Summary: New approaches to social responsibility and health must be developed to ensure that scientific and technological progress contribute to justice, equity and the interest of humanity. The current state of health in several regions of the world is a matter of great concern. Using various indicators, composite indices have been developed that provide us with socio-medical, demographic and economic data and make it possible to analyse socio- health conditions worldwide. The Universal Declaration on Bioethics and Human Rights considers health as a social and human good and recommends better access to and improved quantities of quality health care and medicine, as well as access to drinking water. In order to implement these recommendations, we believe that current developments should be monitored utilising composite indices. Key words: Bioethics declaration - social health responsibility index - health situation - world (1) Centre de Recherche et Étude Santé et Société (CRESS), 30 rue Cardinet, 75017 Paris. (2) Service d’Évaluation médicale, CHU Amiens, Hôpital Nord, Place V. Pauchet, 80054, Amiens, cedex 1. (3) IRDES, 10 rue Vauvenargues, 75018, Paris.

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Correspondance : E. La Rosa Réception : 16/05/2006 – Acceptation : 30/03/2007

La responsabilité sociale en santéet la situation sanitaire mondiale.À propos des nouveaux indicateurssanitaires et sociauxSocial responsibility in health and the global health situation:Towards new health and social indicators

Emilio La Rosa (1), Gérard Dubois (2), François Tonnellier (3)

Résumé : Il est souhaitable de développer de nouvelles approches de la responsabilitésociale et de la santé pour faire en sorte que les progrès scientifiques et technologiquesaillent dans le sens de la justice, de l’équité et de l’intérêt de l’humanité. Or, la situationactuelle de la santé est préoccupante dans plusieurs régions du monde. En utilisant uncertain nombre d’indicateurs, nous avons élaboré des indices composites qui procurent desinformations socio-sanitaires, démographiques et économiques et qui ont permis d’analyserla situation socio-sanitaire mondiale. La Déclaration Universelle de Bioéthique considère lasanté comme un bien social et humain, et recommande un meilleur accès aux soins et auxmédicaments en quantité et qualité, ainsi que l’accès à l’eau potable. Afin que cesrecommandations ne restent pas lettre morte, il nous semble nécessaire de faire un suivi del’évolution par le biais de ces indices composites.

Mots-clés : Déclaration bioéthique - indice de responsabilité sociale en santé - situation desanté - monde.

Summary: New approaches to social responsibility and health must be developed to ensurethat scientific and technological progress contribute to justice, equity and the interest ofhumanity. The current state of health in several regions of the world is a matter of greatconcern. Using various indicators, composite indices have been developed that provide uswith socio-medical, demographic and economic data and make it possible to analyse socio-health conditions worldwide. The Universal Declaration on Bioethics and Human Rightsconsiders health as a social and human good and recommends better access to and improvedquantities of quality health care and medicine, as well as access to drinking water. In order toimplement these recommendations, we believe that current developments should bemonitored utilising composite indices.

Key words: Bioethics declaration - social health responsibility index - health situation - world

(1) Centre de Recherche et Étude Santé et Société (CRESS), 30 rue Cardinet, 75017 Paris.(2) Service d’Évaluation médicale, CHU Amiens, Hôpital Nord, Place V. Pauchet, 80054, Amiens, cedex 1.(3) IRDES, 10 rue Vauvenargues, 75018, Paris.

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Introduction

L’état de santé d’une population est déterminé par une série de facteurs(biologiques, démographiques, culturels, socio-économiques, écologiques etsanitaires), agissant généralement de façon multifactorielle. Cet état de santédépasse le cadre strict du médico-sanitaire pour se situer comme un projetsocial, un projet de vie en évolution constante, qui tient compte nonseulement des aspects liés au système de soins, mais aussi et surtout auxconditions d’existence [12]. Il est clair aujourd’hui que l’individu est devenuprogressivement moins dépendant de son « état biologique » pour être deplus en plus dépendant de son « état social », c’est-à-dire de son niveaud’intégration dans la société, de sa position sociale, des conditions de travailet de vie, et des réponses proposées par la société aux situations et besoinsrencontrés. Ces interrelations entre l’homme et son environnement (social,culturel, physique) déterminent l’état de santé individuel et collectif [8].Plusieurs études signalent d’ailleurs le rapport entre l’état de santé, lechômage, le niveau d’éducation et le réseau social [1, 2, 6, 7]. Bienévidemment, les déterminants sociaux ne se substituent pas aux facteursbiologiques dans le processus pathologique de la maladie. Ils agissentnéanmoins de façon imbriquée.

Le développement du social en santé dans le domaine de la bioéthiquen’est que la juste reconnaissance de ce déterminant, qui est inscrit dans ladéfinition de la santé de l’Organisation Mondiale de la Santé et consacrédans l’article 14 de la Déclaration Universelle sur la bioéthique [13]. Dans cecadre, il est souhaitable de développer de nouvelles approches de laresponsabilité sociale et de la santé pour faire en sorte que les progrèsscientifiques et technologiques aillent dans le sens de la justice, de l’équitéet de l’intérêt de l’humanité. Or, des populations entières restent les victimesde maladies transmissibles et de malnutrition, et n’ont toujours pas accès àl’eau potable. Malgré l’amélioration d’un certain nombre d’indicateurssanitaires, le monde est encore en « mauvaise santé » ; il en va de même dela survie des individus et de la viabilité de certains États.

Les considérations exprimées dans l’article 14, jusqu’à maintenantmonopolisées par le discours médical, témoignent de l’engagement de labioéthique dans ce domaine.

Le but de l’étude est d’analyser la situation de la santé dans le monde àl’aide d’un certain nombre d’indices construits à partir des indicateurs socio-sanitaires, économiques et démographiques. Cette analyse se fait à lalumière de l’article 14 de la Déclaration Universelle sur la Bioéthique et lesDroits de l’Homme.

Matériel et méthodes

L’échantillon est composé par la majorité des pays, dont le nombre diffèreselon les variables étudiées (Tableau I). Ces variables sont disponibles surles sites Internet du Fond des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF) et duProgramme de Nations Unies pour le Développement (PNUD).

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Elles ont été choisies pour leur fréquence, c’est-à-dire qu’elles sontprésentes dans le plus grand nombre des pays. Ces indicateurs sont classésen 7 groupes :

– Mortalité et espérance de vie : taux brut de mortalité, taux de mortalitématernelle, taux de mortalité infantile, taux de mortalité infantile demoins de 5 ans.

– Maladies Transmissibles : taux de prévalence du sida, cas detuberculose (× 100 000), cas de malaria (× 100 000).

– Vaccinations (%) : enfants d’un an vaccinés contre BCG, DTC 3 doses,poliomyélites 3 doses, rougeole, hépatite B 3 doses.

– Soins materno-infantiles (%) : accouchements assistés par un personnelqualifié, taux de couverture des soins prénatals.

– Nutrition (%) : nouveau-nés avec insuffisance pondérale à la naissance,enfants de < 5 ans avec insuffisance pondérale modérée et grave,enfants de < 5 ans avec émaciation modérée et grave, enfants de < 5 ansavec retard de la croissance modérée et grave.

– Données socio-économiques et démographiques : dépenses en santé parhabitant (PPP US $), dépenses publiques en éducation (en % PIB),dépenses publiques en santé (en % PIB), population utilisant dessources d’eau potable améliorées (%), population ayant accès à unassainissement adéquat (%).

– Divers : nombre de médecins (× 10 000), utilisation des moyens decontraception (%).

Tableau I : Nombre de pays par indices

Indices Nombrede pays

Moyenne±

Ecart typeValeurs extrêmes

IMMI 165 0,810 ± 0,208 0 - 0,98

IV 183 0,797 ± 0,221 0,09 - 1

ISMI 137 0,750 ± 0,239 0,04 - 1

IN 133 0,664 ± 0,198 0 - 0,93

IAEPA 147 0,674 ± 0,244 0,01 - 1

IDPSE 130 0,383 ± 0,169 0,05 - 0,75

IRSS 164 0,664 ± 0,190 0,22 - 0,95

IRSS Commentaires

Médiane 0,715 La moitié des pays ont un IRSS supérieur à 0,715,l’autre moitié un IRSS inférieur.

Quintile 1 0,46 32 pays ont un IRSS inférieur ou égal à 0,46.

Quintile 5 0,83 32 pays ont un IRSS supérieur ou égal à 0,83.

IMMI = Indice de mortalité materno-infantile.IV = Indice de vaccination.ISMI = Indice d’accès aux soins materno-infantiles.IN = Indice de nutrition.IAEPA = Indice d’accès à l’eau potable et à l’assainissement.IDPSE = Indice de dépenses publiques en santé et éducation.IRSS = Indice de responsabilité sociale en santé.

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Protocole et analyse statistique

Des variables de certains groupes mentionnés ci-dessus ont été utiliséespour la construction des indices selon la méthode employée pour le calcul del’indice du développement humain [11], dont la formule est :

(Valeur du pays – Valeur minimale) / (Valeur Maximale – Valeur minimale)Les indices ainsi calculés ont permis la construction d’indices composites

selon la formule : somme des indices / nombre des indices. Les indicescomposites donnent le même poids à chacun des éléments les constituant etvarient de 0 à 1. L’intérêt des indices composites est de pouvoir agréger desindicateurs d’unités différentes.

Ces indices composites donnent des informations plus étendues sur lamortalité materno-infantile, les vaccinations, la nutrition, l’accès aux soinsmaterno-infantiles, l’accès à l’eau potable et aux assainissements, la dépensepublique en santé et éducation respectivement. Ils sont composés de :

– Indice de mortalité materno-infantile (IMMI). Il est composé de troisindicateurs : mortalité infantile, mortalité des moins de 5 ans, mortalitématernelle déclarée.

– Indice de vaccination (IV). L’IV est calculé à partir de trois indicateurs devaccination chez les enfants d’un an : DTC 3 doses, rougeole etpoliomyélites 3 doses (%).

– Indice de nutrition (IN). Cet indice est composé de deux indicateurs :pourcentage de nouveau-nés avec bas poids à la naissance etpourcentage d’insuffisance pondérale modérée et grave chez les enfantsde moins de 5 ans.

– Indice d’accès aux soins materno-infantiles (ISMI). Il est calculé à partirde deux indicateurs : taux de couverture des soins prénatals et tauxd’accouchements assistés par du personnel soignant qualifié.

– Indice d’accès à l’eau potable et à l’assainissement (IAEPA). Cet indiceest composé de deux indicateurs : population utilisant des sources d’eaupotable améliorées et population ayant accès à un assainissementadéquat.

– Indice de dépenses publiques en santé et éducation (IDPSE). Il estcalculé en tenant compte de deux indicateurs : dépense publique ensanté (en % du PIB) et dépense publique en éducation (en % du PIB).

Le dernier indice composite est l’Indice de responsabilité sociale en santé(IRSS) qui mesure l’évolution d’un pays selon quatre dimensions :

– la mortalité, par le biais du taux de mortalité infantile ;– les actions de prévention, par le biais de l’indice de vaccination ;– l’accès aux soins par le taux d’accouchements assistés par un personnel

de santé qualifié ;– l’engagement public de l’État, mesuré par la dépense publique en santé

(en % du PIB).La distribution de l’IRSS a été classée en quintiles, le quintile 1 regroupant

les pays avec l’IRSS le plus faible et le quintile 5, ceux avec l’IRSS le plusélevé. Les limites de définition des quintiles sont : 0,21892 – 0,46107 –0,66881 – 0,76563 – 0,82636 – 0,95119.

Les moyennes des indices composites ont été comparées selon lescontinents et les régions, et selon les quintiles de l’IRSS, à l’aide du test t de

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Student. Les associations entre les variables quantitatives ont été mesuréesen calculant le coefficient de corrélation r de Pearson. Une distance IRSS parrapport à la valeur maximale (VM = 1) est calculée par continent et région.

Résultats

Le nombre des pays étudiés par indice, les moyennes, l’écart-type et lesvaleurs extrêmes, ainsi que la médiane et les quintiles 1 et 5 de l’IRSS sontdécrits dans le tableau I. Le nombre de pays dépend de l’existence desindicateurs utilisés pour la construction de ces indices.

L’analyse des moyennes des indices socio-sanitaires par continent(Tableau II) montre que l’Afrique possède les moyennes les plus basses pourpratiquement tous les indices – sauf l’IDPSE – suivie de l’Asie et l’Océanie.Les écarts par continent des divers indices sont statistiquement significatifs(p < 0,0001).

La même analyse réalisée au niveau régional met en lumière des situationsmoins favorables dans certaines régions telles que l’Afrique Subsaharienne,l’Asie du Sud-Est et la zone Pacifique (Tableau III). En outre, l’analyse àl’intérieur du continent africain laisse apparaître un écart important entre lesdifférentes régions de ce continent. Les régions les plus défavorisées entermes d’indices socio-sanitaires sont l’Afrique Centrale, l’Afrique de l’Est etde l’Ouest. L’IRSS moyen en Afrique du Nord est 1,5 fois supérieur à celui del’Afrique Centrale.

Le tableau IV précise les moyennes des indices socio-sanitaires selon lesquintiles de l’IRSS. On peut constater que le quintile 1 présente trèslogiquement les moyennes les plus basses et que celles-ci augmentent avecles quintiles.

Tableau II : Les moyennes de l’IRSS et d’autres indices par continent*

IRSS*m ± et

IMMI*m ± et

IV*m ± et

ISMI*m ± et

IN*m ± et

IAEPA*m ± et

IDPSE*m ± et

Afrique 0,49 ± 0,16 0,59 ± 0,21 0,65 ± 0,25 0,63 ± 0,20 0,57 ± 0,15 0,49 ± 0,19 0,31 ± 0,14

Asie 0,66 ± 0,17 0,82 ± 0,18 0,86 ± 0,17 0,73 ± 0,30 0,62 ± 0,25 0,67 ± 0,23 0,27 ± 0,16

Océanie 0,67 ± 0,19 0,87 ± 0,10 0,62 ± 0,28 0,74 ± 0,29 0,63 ± 0,18 0,65 ± 0,26 0,44 ± 0,13

Amérique 0,74 ± 0,11 0,91 ± 0,07 0,86 ± 0,15 0,87 ± 0,14 0,78 ± 0,09 0,84 ± 0,13 0,41 ± 0,16

Europe 0,84 ± 0,07 0,97 ± 0,03 0,93 ± 0,07 0,96 ± 0,06 0,88 ± 0,05 0,92 ± 0,13 0,49 ± 0,14

Total 0,67 ± 0,19 0,81 ± 0,20 0,81 ± 0,20 0,76 ± 0,23 0,66 ± 0,20 0,68 ± 0,24 0,38 ± 0,17

* p < 0,0001IRSS = Indice de responsabilité sociale en santé.IMMI = Indice de mortalité materno-infantile.IV = Indice de vaccination.ISMI = Indice d’accès aux soins materno-infantiles.IN = Indice de nutrition.IAEPA = Indice d’accès à l’eau potable et à l’assainissement.IDPSE = Indice de dépenses publiques en santé et éducation.

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La figure 1 montre la distribution des pays par continent selon les quintilesde l’IRSS. On constate que sur le total des pays du quintile 1, les pays d’Afri-que (65,6 %) et d’Asie (25 %) sont les plus nombreux. Par contre, dans lequintile 5, l’Europe présente le pourcentage le plus élevé (62,5 %) suivie parles Amériques (21,9 %). En outre, parmi les 21 pays africains appartenant auquintile 1, la majorité est de l’Afrique de l’Ouest (38,1 %) et de l’Afrique del’Est et Centrale (23,8 %). Seulement deux pays africains sont au quintile 4.

La figure 2 nous montre la distance existant entre la valeur maximale 1 etl’IRSS moyen par continent et régions africaines : la distance la plus longueà parcourir pour combler le déficit est celle de l’Afrique Centrale et de l’Est(0,59 respectivement) suivie de très près par l’Afrique de l’Ouest (0,58).

Au niveau des continents, on peut dire que le chemin qui reste à parcourirpour l’Afrique (0,34) est plus de trois fois supérieur à celui de l’Europe (0,16)et deux fois supérieur à celui des Amériques (0,26).

Tableau III : Les moyennes de l’IRSS et d’autres indices dans diverses régions

Région IRSS* IMMI* IV* ISMI* IN* IAEPA* IDPSE* Moy.7 indices

Afrique Subsaharienne 0,47 0,58 0,64 0,59 0,50 0,48 0,28 0,51

Pacifique 0,60 0,85 0,57 0,58 0,63 0,61 0,42 0,61

Asie du Sud-Est 0,61 0,84 0,79 0,68 0,56 0,57 0,23 0,61

Am. Latine et Caraïbes 0,73 0,90 0,85 0,87 0,78 0,83 0,40 0,77

Asie de l’Est 0,80 0,91 0,92 0,93 0,77 0,73 0,46 0,79

Europe de l’Est 0,82 0,96 0,98 0,99 0,91 0,89 0,42 0,85

* p < 0,0001IRSS = Indice de responsabilité sociale en santé.IMMI = Indice de mortalité materno-infantile.IV = Indice de vaccination.ISMI = Indice d’accès aux soins materno-infantiles.IN = Indice de nutrition.IAEPA = Indice d’accès à l’eau potable et à l’assainissement.IDPSE = Indice de dépenses publiques en santé et éducation.IDH = Indice de développement humain.

Tableau IV : Les moyennes des indices socio-sanitaires et économiques selon les quintilesde l’IRSS

IRSSquintiles

IDH*m ± et

IMMI*m ± et

IV*m ± et

ISMI*m ± et

IN*m ± et

IAEPA*m ± et

IDPSE*m ± et

1 0,36 ± 0,07 0,51 ± 0,18 0,53 ± 0,21 0,45 ± 0,19 0,43 ± 0,17 0,42 ± 0,16 0,21 ± 0,10

2 0,57 ± 0,06 0,73 ± 0,15 0,74 ± 0,15 0,71 ± 0,11 0,63 ± 0,14 0,59 ± 0,15 0,31 ± 0,17

3 0,72 ± 0,03 0,88 ± 0,08 0,88 ± 0,11 0,89 ± 0,07 0,75 ± 0,13 0,76 ± 0,13 0,35 ± 0,11

4 0,80 ± 0,02 0,94± 0,06 0,95 ± 0,05 0,96 ± 0,05 0,80 ± 0,10 0,88 ± 0,16 0,39 ± 0,12

5 0,88 ± 0,03 0,98 ± 0,01 0,94 ± 0,05 0,96 ± 0,07 0,86 ± 0,04 0,97 ± 0,06 0,56 ± 0,09

Total 0,67 ± 0,19 0,81 ± 0,20 0,81 ± 0,20 0,76 ± 0,23 0,66 ± 0,20 0,68 ± 0,24 0,38 ± 0,17

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Figure 1 : L’indice de responsabilité sociale en santé par quintile et continent.

Figure 2 : Distance entre l’IRSS moyen par rapport à la valeur maximale.

1 2 3 4 5

6,33,1

25,0

65,6

3,03,0

24,2

12,1

57,6

6,1

6,1

27,3

42,4

18,2

33,3

30,3

30,3

6,1

62,5

9,4

21,9

6,3

Quintiles

100 %

90 %

80 %

70 %

60 %

50 %

40 %

30 %

20 %

10 %

0 %

Afrique Asie Amériques Océanie Europe

1

0,9

0,8

0,7

0,6

0,5

0,4

0,3

0,2

0,1

0

0,16 Europe

0,26 Amériques

0,33 Océanie

0,45 Afrique Australe

0,51 Afrique

0,59 Afrique Centrale et de l'Est

0,34 Asie

0,58 Afrique de l'Ouest

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Le tableau V précise les coefficients de corrélation r de Pearson entre l’IRSSet les indicateurs socio-sanitaires et économiques : l’IRSS est fortementcorrélé positivement avec l’espérance de vie (r = 0,82), l’accès à l’assainis-sement (r = 0,81), l’utilisation de contraceptifs (r = 0,78), le taux d’alphabé-tisation (r = 0,78), l’accès à l’eau potable (r = 0,77), le nombre de médecins(r = 0,73), les soins prénatals (r = 0,70), les dépenses de santé par habitant(r = 0,57), le PNB par habitant (r = 0,55) et le BCG (r = 0,50). Il est fortementcorrélé négativement avec la mortalité des enfants de moins 5 ans (r = – 0,88),le retard de la croissance modérée et grave chez les enfants de moins de5 ans (r = – 0,80), l’insuffisance pondérale modérée et grave chez les enfantsde moins de 5 ans (r = – 0,77), les cas de TBC (r = – 0,76), l’insuffisance pon-dérale chez les nouveau-nés (r = – 0,62) et la mortalité générale (r = – 0,52).

DiscussionL’IRSS se veut être un indicateur du développement et de l’engagement

des pays en matière de santé. Cependant, il n’est pas exempt de faiblesses.Il est évident que le concept de responsabilité sociale en santé est plus vasteet ne peut pas être mesuré complètement par l’IRSS. Cependant, ce dernierpropose une alternative fort utile face à un simple indicateur.

Les résultats nous montrent un état de santé déficitaire dans un certainnombre de régions du monde. Cette situation, plusieurs fois soulignée [9], estencore loin d’être corrigée car les causes et les solutions non seulementappartiennent au domaine médico-sanitaire, mais aussi aux domaines social,économique, éducatif et culturel, c’est-à-dire à une vision globale du poli-tique.

La Déclaration Universelle sur la Bioéthique et les Droits de l’Hommereconnaît « que la santé ne dépend pas uniquement des progrès de la recher-che scientifique et technologique, mais également de facteurs psychosociauxet culturels » et considère « qu’il est souhaitable de développer de nouvellesapproches de la responsabilité sociale pour faire en sorte que le progrèsscientifique et technologique aille dans le sens de la justice, de l’équité et del’intérêt de l’humanité ». Elle remarque aussi que la promotion de la santé etle développement social doivent être un objectif fondamental des gouverne-ments.

Il est important de souligner que l’article 14 de cette Déclaration reconnaîtla santé comme un droit fondamental des hommes et propose que l’accès auxsoins de qualité et aux médicaments soit favorisé sans distinction de race, dereligion, de condition sociale ou économique. Or l’accès aux soins mesuré parl’Indice d’accès aux soins materno-infantile (ISMI) est encore loin d’être satis-faisant dans plusieurs régions, surtout en Afrique de l’Est (ISMI = 0,45) et del’Ouest (ISMI = 0,60). Cette difficulté d’accès aux soins de qualité continue àtoucher les populations les plus vulnérables telles que les enfants et lesfemmes pendant la grossesse, comme le montre l’indice de mortalité materno-infantile (IMMI, tableaux II, III). Cette relation entre accès aux soins et morta-lité a été établie par le rapport de l’OMS sur l’efficacité des systèmes de santédes 191 États [10], et a été démontré dans notre travail, où la corrélation entrel’ISMI et l’IMMI est très forte (r = 0,72 p < 0,0001). Dans ce rapport de l’OMS,la quasi-totalité des 50 pays les moins bien classés sont africains.

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Enfin, le problème d’accès aux soins en quantité et qualité est nonseulement lié au système de santé, mais aussi à l’accessibilité géographique,financière et culturelle.

L’incise 2b de l’article 14 de la Déclaration Universelle sur la Bioéthiquenous parle de « l’accès à une alimentation et à une eau adéquates ». Or, dela même façon que pour les autres indicateurs, la malnutrition et l’accès àl’eau sont des problèmes majeurs de santé publique dans le monde. L’indicede nutrition (IN) le plus bas se trouve en Afrique de l’Est (0,46) et de l’Ouest(0,50) et l’indice d’accès à l’eau potable et à l’assainissement est égalementbas en Afrique de l’Est (0,39), et en Afrique Centrale (0,39).

On estime que plus de 800 millions de personnes n’ont pas accès à de lanourriture en quantité suffisante et de bonne qualité et plus de 2 milliards depersonnes souffrent de carences en micro nutriments tels que la vitamine A,l’iode et le fer. Chaque année, près de 11 millions d’enfants de moins de

Tableau V : Coefficients de corrélation r de Pearson entre l’indice de responsabilité socialeen santé et des indicateurs socio-sanitaires et économiques

Indicateurs (r) Nombrede pays

Groupe I. - Mortalité – espérance de vie

Espérance de vie à la naissance 0,82 164

Taux brut de mortalité – 0,52 160

Taux de mortalité infantile de moins de 5 ans – 0,88 160

Groupe II. - Maladies transmissiblesTaux de prévalence du SIDA (15 à 49 ans) – 0,26* 115

Cas de TBC (× 100 000) – 0,76 164

Cas de malaria (× 100 000) 0,10** 91

Groupe III. - Prévention : vaccinationBCG 0,50 141

Hépatite b 3 doses 0,39 124

Groupe IV. - Soins de santé primaires : materno-infantileTaux de couverture de soins prénatals (%) 0,70 130

Groupe V. - NutritionNouveau-nés avec insuffisance pondérale à la naissance – 0,62 160

Enfants de < 5 ans avec insuffisance pondérale modérée et grave – 0,77 129

Enfants de < 5 ans avec émaciation modérée et grave – 0,51 122

Enfants de < 5 ans avec retard de la croissance modérée et grave – 0,80 125

Groupe VI. - Socio-économique et démographiqueDépenses en santé par habitant (PPP US$) 0,57 164

Dépenses publiques en éducation (en % PIB) 0,40 121

Dépenses publiques en santé (en % PIB) 0,55 163

RNB par habitant (US$) 0,77 142

Population utilisant des sources d’eau potable améliorées (%) 0,81 136

Population ayant accès à un assainissement adéquat (%) 0,78 124

Groupe VII. - DiversNombre de médecins pour 100 000 habitants 0,73 159

Utilisation des moyens de contraception (%) 0,78 149

* p < 0,01 ** NS Les données sans astérisque ont une signification p < 0,0001

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5 ans décèdent et la quasi-totalité de ces décès intervient dans des pays endéveloppement, trois quarts d’entre eux en Afrique subsaharienne et en Asiedu Sud, ces deux régions affichant également les taux les plus élevés pourles problèmes de faim et de malnutrition. Ces fléaux constituent les causessous-jacentes de plus de la moitié des décès d’enfants ; ils tuent presque6 millions d’enfants chaque année [5]. Généralement, ces enfants ne meurentpas à cause d’une famine mais plutôt à cause des troubles néonatals etde quelques maladies infectieuses curables, notamment la diarrhée, lapneumonie, le paludisme et la rougeole. La plupart de ces enfants nemourraient pas si leur corps et leurs systèmes immunitaires n’étaient pasaffaiblis par la faim et la malnutrition.

Enfin, la faim et la malnutrition sont les principales causes du dénuementet de la misère.

Première cause de mortalité dans le monde, le manque d’accès à l’eaupotable et à l’assainissement tue 8 millions d’êtres humains chaque année àcause d’une maladie liée à l’eau (choléra, thyroïde, diarrhée…) dont la moitiésont des enfants. Actuellement, 1,4 milliard d’habitants n’ont pas accès àl’eau potable et 2,6 milliards ne bénéficient pas de systèmes d’assainis-sement de base (collecte et traitement des eaux usées), soit 42 % de la popu-lation mondiale. L’ONU estime qu’environ 1,6 million de vies pourraient êtresauvées chaque année si l’on améliorait les conditions d’accès à l’eau pota-ble, les services d’assainissement et l’hygiène [14].

Le Conseil mondial de l’eau (CME) [4] estime qu’il faudrait au minimumdoubler les investissements actuels pour réduire de moitié la population pri-vée d’accès à l’eau d’ici à 2015 et atteindre l’objectif du Millenium. On abesoin d’environ 10 milliards de dollars par an pour fournir un service mini-mal d’accès à l’eau potable et à l’assainissement aux populations démuniesde ces services et de 15 à 20 milliards de dollars supplémentaires pour main-tenir les services existants. Cependant, actuellement l’investissement dansce secteur est de 14 à 16 milliards de dollars par an, maintenance comprise,hors traitement des eaux usées [3].

L’accès aux soins et aux médicaments en quantité et qualité, ainsi quel’accès à l’eau potable et à l’assainissement font défaut dans plusieursrégions du monde, malgré les recommandations des organismes interna-tionaux (OMS, PNUD, UNICEF) et de la récente Déclaration Universelle deBioéthique et Droits de l’Homme. Cette dernière considère la santé comme unbien social et humain, et doit sortir donc d’une logique mercantile ou pure-ment économique. Les considérations exposées dans l’article 14 de cetteDéclaration ne doivent pas rester lettre morte, car il va de la survie des popu-lations, aujourd’hui menacées par les épidémies, la malnutrition… Il noussemble qu’il est important de faire un suivi de cette Déclaration dans ledomaine de la santé. Pour cela, les indices proposés, et plus particulièrementl’IRSS peuvent permettre d’analyser l’évolution de la situation socio-sanitairecar il mesure quatre dimensions du problème et est fortement corrélé avec unbon nombre des indicateurs socio-sanitaires, démographiques et économi-ques (Tableau V).

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2. Bungener M, Pierret J. De l’influence du chômage sur l’état de santé, in Bouchayer (éd.), Trajectoiressociales et inégalités. Paris: MIRE/INSEE, 1994.

3. Camdessus M. Rapport Panel Mondial sur le financement des infrastructures de l’eau. Marseille: CME,2003.

4. Conseil Mondial de l’eau. Rapport Triennal 2000-2003. CME, 2004.

5. FAO. L’Etat de l’insécurité alimentaire dans le monde. FAO, 2005.

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9. Organisation Mondiale de la Santé. Etat de Santé dans le monde. Genève: OMS, 1996.

10. Organisation Mondiale de la Santé. Pour un système de santé plus performant. Genève: OMS, 2000.

11. Programme des Nations Unies pour le Développement, Rapport Mondial sur le Développement Humain.New York: PNUD, 2005.

12. San Martin H. Santé Publique et Médecine Préventive. Paris: Masson, 1983.

13. UNESCO. Déclaration Universelle sur la Bioéthique et les Droits de l’Homme. Paris: UNESCO, 2005.

14. UNESCO. Rapport mondial sur l’eau : l’eau une responsabilité partagée. Paris: UNESCO, 2006.