la famille multicolore des bovins dans l'uruk archaïque

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La famille dans le Proche-Orient ancien: réalités, symbolismes, et images Proceedings of the 55th Rencontre Assyriologique Internationale at Paris 6–9 July 2009 edited by LIONEL MARTI Winona Lake, Indiana EISENBRAUNS 2014 Offprint From:

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La famille dans le Proche-Orient ancien:

réalités, symbolismes, et imagesProceedings of the 55th Rencontre Assyriologique Internationale

at Paris 6–9 July 2009

edited byLioneL Marti

Winona Lake, Indiana eisenbrauns

2014

Offprint From:

© 2014 by Eisenbrauns Inc. All rights reserved

Printed in the United States of America

www.eisenbrauns.com

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Library of Congress Cataloging-in-Publication Data

Rencontre assyriologique internationale (55th : 2009 : Paris, France)La famille dans le Proche-Orient ancien : réalités, symbolismes, et images :

proceedings of the 55th Rencontre assyriologique internationale at Paris, 6–9 July 2009 / edited by Lionel Marti.

pages cmIncludes bibliographical references.ISBN 978-1-57506-254-9 (hardback : alkaline paper)1. Middle East—Antiquities—Congresses. 2. Middle East—Civilization—

To 622—Congresses. 3. Families—Middle East—History—To 1500—Congresses. 4. Middle East—Social life and customs—Congresses. 5. Social archaeology—Middle East—Congresses. I. Marti, Lionel. II. Title.

DS56.R46 2009306.850935--dc23 2014014916

v

Contents

Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ixProgramme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . xi

Conception de la famille, réalités humaines et divines :

les mots et les chosesFamille élargie ou famille nucléaire? Problèmes de démographie antique . . . . 3

Laura battini

Belief in Family Reunion in the Afterlife in the Ancient Near East and Mediterranean . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .27

nikita arteMov

The Old-Babylonian Family Cult and Its Projection on the Ground: A Cross-Disciplinary Investigation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .43

sara tricoLi

The Social Family Unit in the Light of Bronze Age Burial Customs in the Near East: An Intertextual Approach. . . . . . . . . . . . . . . . .69

Monica bouso

Les termes sémitiques de parenté dans les sources cunéiformes : L’apport de l’étymologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .87

Leonid kogan

Les Relations Parents – Enfants dans la Mythologie Mésopotamienne . . . . . 113auréLien Le MaiLLot

Fathers and Sons in Syro-Mesopotamian Pantheons: Problems of Identity and Succession in Cuneiform Traditions . . . . . 133

Maria grazia Masetti-rouauLt

Die Familie des Gottes Aššur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141Wiebke MeinhoLd

The Astral Family in Kassite Kudurrus Reliefs: Iconographical and Iconological Study of Sîn, Šamaš and Ištar Astral Representations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151

sara PizziMenti

“Semence ignée”: pahhursis et warwalan en hittite . . . . . . . . . . . . . . . 163Jaan PuhveL

IIIe millénaireCherchez la femme: The SAL Sign in Proto-Cuneiform Writing . . . . . . . . . 169

Petr charvát

Contentsvi

Urnanshe’s Family and the Evolution of Its Inside Relationships as Shown by Images . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183

Licia roMano

The Ebla Families . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193rita doLce

Muliebris imago : reines, princesses et prêtresses à Ebla . . . . . . . . . . . . 207PaoLo Matthiae

Family Portraits: Some Considerations on the Iconographical Motif of the “Woman with Child” in the art of the Third Millennium b.c.e. . . . 227

davide nadaLi

Ier moitié du IIe millenaireFamily Daily Life at Tell Mardikh-Ebla (Syria) during the

Middle Bronze Age: A Functional Analysis of Three Houses in the Southern Lower Town (Area B East) . . . . . . . . . . . . . . . 243

enrico ascaLone, Luca PeyroneL, giLberta sPreafico

To Dedicate or Marry a Nadîtu-Woman of Marduk in Old Babylonian Society . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267

LuciLe barberon

Why Are Two Royal Female Members Given to the Same Man? . . . . . . . . . 275danieL bodi

Awīlum and Muškēnum in the Age of Hammurabi . . . . . . . . . . . . . . . . 291eva von dassoW

Les activités de Gimillum, frère de Balmunamḫe. Une gestion familiale des ressources agricoles et animales à Larsa au temps de Rīm-Sîn . . . . . 309

MichèLe Maggio

Famille et transmission du patrimoine à Larsa : Une approche anthropologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317

MarceLo rede

Families of Old Assyrian Traders . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 341kLaas r. veenhof

Deuxième moitié du IIe millenaireThe Scribes of Amarna: A Family Affair? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 375

Jana Mynářová

Family in Crisis in Late Bronze Age Syria: Protection of Family Ties in the Legal Texts from Emar . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 383

Lena fiJałkoWska

Modèle familial et solidarités sociales à Émar . . . . . . . . . . . . . . . . . . 397soPhie déMare-Lafont

La famille hittite : ce que les lois nous apprennent . . . . . . . . . . . . . . . . . 413isabeLLe kLock-fontaniLLe

La naissance d’après la documentation archéologique d’Ougarit . . . . . . . . 429vaLérie Matoïan

Contents vii

The Families in the Middle Assyrian Administrative Texts from the “Big Silos” of Assur (Assur M 8) . . . . . . . . . . . . . . . . 443

JauMe LLoP

nam-dub-sar-ra a-na mu-e-pad3-da-zu . . . De l’apprentissage et l’éducation des scribes médio-assyriens . . . . . . . . . . . . . . . . 457

kLaus Wagensonner

Astuwatamanzas 0 and the Family of Suhis in Karkemiš . . . . . . . . . . . . 481frederico giusfredi

Des néo-assyriens aux parthesSammu-Ramat: Regent or Queen Mother? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 497

Luis robert siddaLL

Family Affairs in the Neo-Assyrian Court . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 505frances Pinnock

La notion de famille royale à l’époque néo-assyrienne . . . . . . . . . . . . . . 515Pierre viLLard

The Multifunctional Israelite Family . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 525baruch a. Levine

Apprenticeship in the Neo-Babylonian Period: A Study of Bargaining Power . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 537

sivan kedar

Eine ungewöhnliche Adoption und ein fataler Totschlag – Babylonische Familiengeschichten aus dem frühen 1. Jt. v. Chr. . . . . 547

susanne PauLus

The Case of Fubartu: On Inheriting Family Debts in Late 6th-Century Uruk . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 563

Małgorzata sandoWicz

Tappaššar and Her Relations with Iddin-Nabû, the Adopted Son of Her Husband in the Light of a New Document . . . . . . . . . . . . 573

stefan zaWadzki

Le rôle de la famille de Nusku-gabbē au sein de la communauté de Neirab . . . 591gauthier toLini

Von der gelehrten Schreibung zum anerkannten Standard . . . . . . . . . . . 599Juergen Lorenz

Images of Parthian Queens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 605Joost huiJs

Parenté réelle et symbolique au sein de la communauté du temple en Babylonie tardive : l’exemple de l’archive des brasseurs de Borsippa . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 643

JuLien Monerie

Communications hors thèmeUne question de rythme au pays d’Apum : Les quatre agglomérations

de Tell Mohammed Diyab durant la période Khabour . . . . . . . . . . 665christoPhe nicoLLe

Contentsviii

The Wall Slabs of the Old Palace in the City of Ashur . . . . . . . . . . . . . . 683steven LundströM

L’évolution d’une colonie néo-assyrienne dans le bas Moyen-Euphrate syrien (9 e–8 e siècle av. J.-C.) : recherches archéologiques et historiques récentes à Tell Masaikh . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 689

Maria grazia Masetti-rouauLt

“In Order to Make Him Completely Dead”: Annihilation of the Power of Images in Mesopotamia . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 701

nataLie n. May

Art Assyrien et Cubisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 727nicoLas giLLMan

Nonfinite Clauses in Gudea Cylinder B, Revisited . . . . . . . . . . . . . . . . 743fuMi karahashi

Remarques sur la Datation des Campagnes Néo-Babyloniennes en Cilicie . . . 753andré LeMaire

On Abbreviated Personal Names in Texts from Ugarit . . . . . . . . . . . . . . 761WiLfred van soLdt

La famille multicolore des bovins dans l’Uruk archaïque . . . . . . . . . . . . 769roseL Pientka-hinz

769

La famille multicolore des bovins dans l’Uruk archaïque

Rosel Pientka-hinzMarburg/bochuM

Depuis toujours l’homme est fasciné par la lumière, la couleur, les formes et les propriétés de la surface des objets et des êtres vivants. Les alternances de lumi-nosité et de coloration qui se produisaient dans l’environnement naturel, le ciel, la végétation etc., pouvaient exercer sur l’homme une attraction esthétique ou au contraire l’angoisser. Inspiré par ces changements, l’homme mit toutes ses compé-tences au service de la reproduction des couleurs ou du lustre sur des objets parti-culiers. Chemin faisant, il développa une grande maîtrise technique et artistique. Par la fabrication d’objets extraordinaires, il ne créait pas uniquement des identi-tés visuelles nouvelles ou améliorées, mais il augmentait également ses possibili-tés d’établir des liens métaphoriques entre objets d’une même forme ou couleur. Il intégrait alors dans son propre monde des réalités numineuses et éloignées, comme le monde des dieux ou des morts. Des objets extraordinairement précieux, intro-duits dans un environnement religieux, devenaient partie intégrante d’actes rituels. Forme, luminosité et couleur étaient susceptibles de transmettre des messages sym-boliques, d’établir des liens ou au contraire de fixer des limites. Ces techniques spé-cifiques ainsi que les usages sociaux de ces objets entraînèrent une catégorisation des couleurs. C’est à partir du moment où les habitants de la ville d’Uruk protohis-torique notèrent pour la première fois par écrit la terminologie des couleurs qu’ils nous permirent de comparer des mots d’un champ visuel spécifique avec les vestiges matériels.

La terminologie des couleurs est attestée dès la première mise par écrit du sa-voir, c’est-à-dire à partir de la fin du 4e millénaire. C’est à cette époque que le travail de catégorisation de différents champs de la civilisation du Proche-Orient ancien fut opéré sous forme de listes lexicales. Nous avons des listes de bovins, porcs, poissons, oiseaux, plantes, céréales, métaux, vases et textiles — toutes sortes de champs sé-mantiques dans lesquels une catégorisation sans recours à la distinction des couleurs semble quasiment impossible. Ma présente contribution traite de l’énumération des

Author’s note: Présentation faite lors de la 55e Rencontre Assyriologique Internationale à Paris des résul-tats d’une recherche plus exhaustive sur la nomenclature, l’appréciation et le symbolisme des couleurs dans les textes archaïques d’Uruk ; voir Pientka-Hinz 2011. Cette étude a particulièrement bénéficié d’un fellowship d’un an (d’avril 2009 à mars 2010) dans le cadre du Internationales Kolleg für geisteswissen-schaftliche Forschung (Käte-Hamburger-Kolleg) « Dynamiken der Religionsgeschichte zwischen Asien und Europa » sous la direction du Prof. Dr. Volkard Krech, Ruhr-Universität Bochum. Mes remercie-ments les plus chaleureux vont à Nele Ziegler et Dominique Charpin qui l’ont fait « rayonner » dans la langue française.

O�print from:Marti Lionel ed., La famille dans le Proche-Orient ancien: réalités, symbolismes, et images: RAI 55 Paris© Copyright 2014 Eisenbrauns. All rights reserved.

roseL Pientka-hinz770

bovins (ATU 3, 89–93 : liste « Animals »), une section relativement élaborée de ces listes lexicales, même si elle est lacunaire. Elle permet de démontrer de manière pertinente les mécanismes à l’œuvre dans la genèse des familles de couleurs. Dans aucune autre énumération on ne peut retrouver des différenciations chromatiques aussi développées. Datant de l’époque Uruk-III, elle énumère les différentes races de bovins ou leurs croisements avec leurs caractéristiques. Malgré sa tradition per-pétuée par des manuscrits protodynastiques et une version syllabique d’Ebla, cette section n’a pas encore trouvé une interprétation valable 1. Passer par la terminologie des couleurs me semble fournir la meilleure clé pour une compréhension du texte.

Commençons par examiner ces listes.Dans quatre sections parallèles nous trouvons les vaches domestiques (áb), les

bœufs (gu4), les veaux (aMar) ainsi que des veaux de taureau sauvage (aMar.gunû) — c’est-à-dire la progéniture issue de l’aurochs (Bos primigenius), une espèce au-jourd’hui disparue, qui est à l’origine de l’espèce domestique actuelle (Bos taurus). Les animaux sont énumérés avec des épithètes souvent identiques. En incluant les copies protodynastiques, on peut faire les remarques suivantes concernant la des-cription de ces animaux 2.

Résumé de la liste des épithètes s’ajoutant à la description des animaux (voir Tableau 1):

Au § 3 les animaux sont déterminés grâce au qualificatif « blanc » ou « très clair » (u4, sum. babbar). Des bœufs blancs, qui dans des cas extrêmes pouvaient avoir été réellement blancs (albinos), sont également mentionnés dans des textes littéraires sumériens et symbolisent la plus grande pureté et perfection. Dans la ligne suivante (§ 4) nous trouvons en contraste avec « blanc » le qualificatif « noir » ou « très foncé » (gi6, sum. kukku5, syll. Ebla ki-ki) qui doit avoir été appliqué plus fréquemment concernant les aurochs mâles. Puisque des animaux noirs sont fréquemment asso-ciés dans la littérature sumérienne à l’enfer, lieu sombre, ou à des rites magiques, il est possible que la présence de « taureaux noirs » à Uruk ait eu la même connotation.

Au §  11 nous pouvons identifier un autre terme de couleur, à savoir «  brun-rouge » ([si4], sum. si4/su4, syll. Ebla su), une qualification à laquelle nous pouvions nous attendre en ce qui concerne les bovins protohistoriques. La coloration « vert-jaune », qui est notée dans des textes plus récents par le signe sig7

3, est rendue dans

des textes archaïques et dans les copies protodynastiques par le signe gi (sig17) 4. Une liste de vocabulaire d’Ebla attribue au signe gi une lecture šu-gu /sugu/, 5 qui se rapproche donc clairement du signe plus tardif sig7/sig17. Le bœuf jaune ou aubère

se retrouve donc au § 8.Au § 9, qui lui fait suite, le signe bar est apposé à la qualification « jaune » et

nous remarquons alors que ce même signe est également employé aux §§ 7 et 10. Si on accepte un léger glissement sémantique du terme sumérien bar « moitié » vers « moitié supérieure » à savoir « dos » ou « peau de dos » on peut établir un lien avec

1. On dispose de copies de Fāra, Abū Ṣalābīḫ et Ebla (SF 81 ; OIP 99, Nr. 25–27 ; MEE 3, 47–50 : Nr. 12–17 « Lista die animali A ») ; d’une version syllabique d’Ebla (MEE 3, 251–252 : 62) ; voir les éditions de Krispijn 1981–1982 et Krecher 1983. Ces listes ont des parallèles dans les textes administratifs d’Uruk ; voir Green 1980 ; Englund 1995.

2. En raison de l’argumentaire développé ci-dessous, les entrées ne suivent pas l’ordre qu’elles ont dans les textes.

3. Cf. Landsberger 1967 : 140 sq. et n. 14.4. Voir Englund 1998 : 98 ( « yellow ») ; Steinkeller 1995 : 60 (sig17[gi] « yellow, tan »).5. En écriture phonétique, éventuellement avec des voyelles infléchies.

La famille multicolore des bovins dans l’Uruk archaïque 771

la description des bovins. Lorsque tête, jambes, ventre et queue avaient une autre couleur que le reste du corps, ou lorsque l’animal avait une raie pâle sur le dos, cette différence chromatique était notée par le terme sumérien bar « moitié supérieure, peau du dos » 6. La description des bovins n’aurait donc pas seulement tenu compte des animaux monochromes mais également rendu compte des animaux avec des dos particulièrement contrastés en jaune (gi bar, sum. sig17 bar(/aš), syll. Ebla ga!-bar

6. Ce terme est également employé pour les « crêtes (dos) des montagnes », « les campements fait avec des peaux d’animaux » ou les « peaux » dans les textes administratifs d’Uruk ; voir pour plus de détail Pientka-Hinz 2011 : 336 n. 42. La graphie syllabique d’Ebla ga!-bar est pour l’instant incompréhensible.

Tableau 1

archaïque protodynastique syllabique Ebla 1. é ùr ùr 2. ne šarx ša-ḫar

3. u4 babbar babbar 4. gi6 kukku5 ki-ki 5. [eš16] eš má-uš 6. šu surx surx(ḫixMaš) 7. šu bar surx bar (/aš) a ga!-bar šu-ur 8. gi sig17 šu-gu 9. gi bar sig17 bar (/aš)a ga!-bar šu-gu10. bar MuL barumx (MuL bar/aš)a ba4-ru12-um11. [si4] si4/su4 su12. dara4 dara4 da-ra13. dara4 šà dara4 šà u8?.saL da-ra14. dara4 ti dara4 ti ti da-ra15. sig7 síg úĝur an-gal-si16. sig7 síg gi6 úĝur kukku5 an-gal-si ki-ki17. aL al al du-kuM-ne

18. [u4 kun] babbar kun kum bù-ru12-um19. Munsub ga ušx-ga uš-ga20. šáḫ šáḫ/dun šáḫ/dun21. eš16 zag eš/eš16 zà / zà eš zu uš22. eš16 dara4 zag eš zà da-ra / zà dara4 eš / zu uš da-ra

dara4 eš16 zà23. ḫi sag saĝ sa-ki-n[a]24. dara4 ḫi sag dara4 saĝ / saĝ dara4 dar sa-ki-na25. áb áb áb-áb a-zu-ub26. [gur8] gur8 / LAK-50 gú-ur

a. Pour l’alternance des signes bar et aš dans les textes de Fāra, voir Krecher 1983, 184.

roseL Pientka-hinz772

šu-gu) (voir l’ill. no1). Des animaux avec des dos particulièrement colorés, comme les marcassins ou les jeunes des porcs-épics (voir ill. nos2 et 3) sont encore décrits dans des listes du IIe millénaire avec des termes très proches 7.

Deux autres entrées de la liste des animaux mentionnent le dos particulière-ment marquant –šu bar (§ 7) et bar MuL (§ 10). Dans les documents de l’époque de la IIIe dynastie d’Ur, les vaches, taureaux et ânes sont marqués encore par ce qualifi-catif šu, qui n’a jusqu’à présent pas trouvé d’explication plausible 8. Il est possible que la copie syllabique d’Ebla fournisse la clé pour la compréhension car nous y trouvons la valeur surx (ḫi×Maš / šu-ur), équivalent du verbe sumérien sur « faire des gouttes » ou « tirer un trait ». Elle pourrait désigner la tacheture noir-et-blanc qui est caractéristique de certaines espèces de bovins et ânes 9. Quand les poils noirs et blancs sont disposés de manière rapprochée et selon la distance de l’observateur, il y a des chances qu’une telle coloration apparaisse comme « gris » homogène (désigné plus tard en sumérien par šu-gi(4)). À côté du bœuf avec un dos tacheté noir et blanc (gris), nous trouvons dans la ligne antérieure un bovin qualifié de cette manière, cette fois-ci pour son pelage entier.

À côté de cela, les animaux portant au dos des taches en forme d’étoiles ou de fleurs (bar MuL, sum. barumx (MuL bar/aš), syll. Ebla ba4-ru12-um, §  10) 10 me semblent être une espèce particulièrement appréciée, si l’on tient compte du grand

7. Cf. Cavigneaux 2006 : 18 et 22 avec n. 42 : Ḫḫ XIV šáḫ bar gùn-nu, šáḫ zé-da bar-sur-ra ( « cochon multicolore  ») = burmāmu «  porc-épic  »  ; zé-da-šáḫ / šáḫ-zé-da «  marcassin  », l’association vient des rayures de la peau.

8. Voir les renvois bibliographiques chez Pientka-Hinz 2011 : 335 n. 36.9. À propos d’un tel marquage de la peau du porc-épic, voir ci-dessus n. 8 et ill. n°3.10. Si on suit Krecher 1983, 184, qui voit dans l’équivalence de Ḫḫ XIII : 316 gu4-bar-mul = [x-x(-

x)]-ma-nu un indice pour un mot dérivé du sumérien /barum/ avec terminaison –/ānu/, alors on peut supposer un équivalent akkadien tardif barmānu « tacheté » (cf. burmāmu « porc-épic », cf. ci-dessus n. 8). Pour le mot sumérien mul pour décrire des petites unités se subdivisant dans la végétation ( « fleur », « branche fleurie ») autant que dans le ciel ( « astre ») ainsi qu’une tache de forme extraordinaire sur la peau (des vaches ou poissons) voir Pientka-Hinz 2011 : 337 sq.

Fig. 1. Croisement moderne afin de recréer l’aurochs (Skånes Djurpark Höör, Suède, août 2008).

La famille multicolore des bovins dans l’Uruk archaïque 773

nombre de leurs représentations à l’époque archaïque 11. Pour la description de cette réalité multicolore s’est imposé plus tard le terme sumérien gùn(-a) 12, et les termes pour « tacheté plus ou moins finement » devinrent un seul mot (voir ci-dessus n. 8).

Nous prenons comme hypothèse que cette liste peut être interprétée aussi dans les lignes restantes par des descriptions pour des colorations du pelage des animaux et nous allons voir que cette interprétation s’avère fructueuse. Regardons l’entrée § 5. Puisque le signe eš16 — trois lignes parallèles — est particulièrement marquant, il semble probable qu’il ait servi à la description précise d’un dessin du pelage. Il paraît probable que ce terme ait désigné la raie plus pâle et marquante sur le dos de l’aurochs ([eš16] 13, sum. eš, syll. Ebla má-uš). C’est d’autant plus vraisemblable que ce terme suit directement le bovin « blanc » ou « noir », et qu’il est particuliè-rement visible chez des animaux par ailleurs monochromes (voir ill. n°4). Il me pa-raît vraisemblable que la graphie syllabique d’Ebla, má-uš, puisse être interprétée comme une variante pour muš « (ligne en forme de) serpent » 14 et cela pourrait être confirmé par des figurines d’animaux trouvées à Suse. Ces petites figurines de bou-quetins, moutons, bovins ou ânes ont une décoration remarquable : elles portent une raie élaborée qui ressemble à un serpent. Cette façon de faire pourrait trouver sa justification dans le symbolisme du serpent, cher à cette civilisation (voir ill. n°5) 15.

11. À propos des différentes formes des fleurs sur des conteneurs en forme de bovin de l’époque Uruk-archaïque voir Kawami 2008. La diffusion du motif des trèfles (« the trefoil motif ») s’étend jusque dans la vallée de l’Indus, voir Parpola 1994, 211 sq.

12. Cf. e.a. Steinkeller 1995 : 60 (gùn-a « spotted, mottled »). L’équation plus récente bar-gùn-gùn-nu (var. : bar-mušen-na)-kur-ra = a-a-ar(ia-ar) ili « dos tacheté/dos d’oiseau d’une montagne » = « fleur du dieu » souligne encore une fois l’association entre le dos tacheté avec les « fleurs » ; cf. AHw. I 24 ajjaru(m) « Blüte ; Rosette ; 3) ajjar ili ‘Blume Gottes’ = Chamäleon? ».

13. Cette entrée n’est pas conservée dans les listes archaïques d’Uruk ; pour la forme du signe, voir ci-dessous à propos de eš16 zag « avec un troisième épaule ».

14. Voir Pientka-Hinz 2011 : 334 n. 34.15. Voir Toscanne 1911, 206–208 Fig. 393–401 ; « Il y a là certainement un principe général qui nous

échappe, ces représentations étant sûrement symboliques » (207).

Fig. 2. Marcassin (Skånes Djurpark Höör, Suède, août 2008).

roseL Pientka-hinz774

Avec des bœufs blancs, noirs, mouchetés/gris, jaune-aubères ou rouge-bruns ainsi que les taches diverses, la série des termes pour les colorations du pelage semble épuisée. Une identification du terme suivant dara4 (sum. dara4, syll. Ebla da-ra) § 12 avec la qualité « chevelu, bouclé » permet de supposer une transition vers une nouvelle catégorie descriptive : la structure 16. Selon la conception méso-potamienne, les caractéristiques de pilosité passent bien dans une énumération de couleurs et taches 17. Le pictogramme dara4 avec ses traits marquants est associé dans des textes administratifs à des moutons ou à la laine et sert dans les listes

16. Sur la base d’une équivalence tardive avec l’akk. da’mum « sombre » on avait discuté d’autres termes de couleur ( « gris foncé » ; « rouge foncé » ; « mat ») mais il semble que ce furent notamment les états sombres diffus ou opaques de l’eau ou de la lumière qui étaient mentionnés  ; voir Pientka-Hinz 2011 : 340 n. 58 sqq.

17. Cf. Parpola 1994, 214 : « Clouds and stars are thus placed in a relationship which is difficult for us to appreciate and to grasp, which, however, on a different level of artistic expression, is patently paralleled by the comparative ease with which stars and rosettes are seen in hair whirls. (Oppenheim 1949 : 187, n. 25) ».

Fig. 3. Les épines du porc-épic (jardin zoologique à Nordhorn, Basse-Saxe, juillet 2006).

Fig. 4. Croisement moderne afin de recréer l’aurochs (Skånes Djurpark Höör, Suède, août 2008).

La famille multicolore des bovins dans l’Uruk archaïque 775

« Vessels » (ATU 3, 132 : 105) pour décrire des procédures de tissage de tissus 18. Il peut être mis en relation avec le signe très ancien servant au veau du taureau sauvage (aMar.gunû), qui ajoute au pictogramme habituel « veau » des traits supplé-mentaires pour indiquer sa fourrure plus bouclée. Le jeune veau de la frise incrustée d’Uruk est représenté ainsi de manière très réaliste  ; les encoches rondes repré-sentent certainement des boucles (ill. n°6).

Ainsi nous trouvons dans les lignes suivantes des bovins « avec un ventre bouclé » (dara4 šà, sum. dara4 šà, syll. Ebla u8

?.saL da-ra, § 13) ainsi que des animaux « avec des côtes bouclées » (dara4 ti, sum. dara4 ti, syll. Ebla ti da-ra, § 14). Les boucles du front, fréquemment d’une autre couleur, étaient particulièrement visibles. Nous en trouvons au § 24 qui note des vaches « avec front bouclé » (dara4 ḫi sag, sum. dara4 saĝ / saĝ dara4, syll. Ebla dar sa-ki-na). Les croisements modernes afin de recréer l’aurochs ont les boucles du front plus claires, et des contours des yeux bouclés. Ceux-ci sont mentionnés dans les listes lexicales § 15 « sourcils abondants » (sig7 síg, sum. úĝur, syll. Ebla an-gal-si) 19. Les contours des yeux plus foncés (sig7 síg gi6, sum. úĝur kukku5, syll. Ebla an-gal-si ki-ki), étaient marqués plus bas dans la liste. Des vaches avec des « sourcils » abondants, ainsi que des boucles sur le front sont repré-sentées de nombreuses fois au IIIe millénaire. Les contours des yeux sont souvent particulièrement élaborés, soit par incision, soit par incrustation (ill. n°7).

D’autres entrées, parfois d’interprétation difficile, comme le § 17, ont rapport aux sabots ou mollets (aL, sum. al, syll. Ebla al du-kuM-ne) 20 des bovins. Ces parties inférieures des jambes, de couleur différente du reste du pelage sont représentées de manière impressionnante dans une figurine de taureau d’Uruk d’époque archaïque (ill. n° 8).

18. Cf. Englund 1998, 153 et n. 350 sq.19. Pour une union archaïque des termes « sourcil » (sig7) et « poil » (síg), qui se retrouve dans la

graphie archaïque an-gal-si = /aĝal-si/ < /uĝur-sig/, voir Pientka-Hinz 2011 : 342 n. 69 .20. Pour l’interprétation al du-gamx(kuM) « sabot (et) mollet ou genou » voir Pientka-Hinz 2011 :

343 n. 73.

Fig. 5. Figurine en argile d’un âne portant une raie dorsale élaborée sous la forme d’un serpent, de Suse (d’après Toscanne 1911, 208 fig. 401).

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La queue d’une autre couleur se trouve dans l’entrée § 18 lors de l’énumération des bovins « à queue blanche » ([u4 kun], sum. babbar kun, syll. Ebla kum bù-ru12-um) 21. De même la marque caractéristique sur le chanfrein (ḫi sag, sum. saĝ, syll. Ebla sa-ki-n[a], § 23) a bien souvent suscité l’intérêt ; car ce fut notamment le front de l’animal qui était dans les civilisations antiques l’endroit de choix pour arborer des signes symboliques (ill. n°9) 22.

Les particularités physiques sont mentionnés chez le bœuf « aux trois épaules » (eš16 zag, sum. eš/eš16 zà / zà eš, syll. Ebla zu uš, § 21). Si cela peut paraître de prime abord étrange, on identifie cette espèce aisément avec le zébu (Bos primigenius tau-rus, B. indicus), en allemand « Buckelrind », voir l’ill. n°10. Selon un hymne paléo-babylonien au dieu-Lune, les zébus (áb-zà-è-zà-eš5-bi « vaches avec une troisième épaule proéminente ») étaient parmi les animaux les plus précieux 23. Si un zébu avait une fourrure plus longue, il est selon le § 22 un « zébu à poil long » (eš16 dara4 zag, sum. eš zà da-ra / zà dara4 eš / dara4 eš16 zà, syll. Ebla zu uš da-ra).

Les deux dernières entrées de la liste (§§ 25–26) prennent en compte l’apparence physique générale des animaux. Le redoublement du signe (áb áb, sum. áb-áb, syll. Ebla a-zu-ub, §  25) peut désigner un animal particulièrement grand ou costaud. Une figure massive, avec éventuellement des jambes courtes peut avoir évoqué la charge d’un bateau de fret (má-gur8) et avoir donné son nom à un bœuf au ventre pendant (gur8 / LAK-50, syll. Ebla gú-ur, § 26) 24. Des bœufs qui partageaient une particularité avec le porc (šáḫ, sum. šáḫ/dun, syll. Ebla šáḫ/dun, § 20) 25 et peut-être avec l’oiseau-ušx-ga (Munsub ga, sum. ušx-ga, syll. Ebla uš-ga, § 19) 26 sont également énumérés.

21. Selon Krecher 1983 : 185 il s’agirait très probablement d’une variation vocalique /bur/ au bar6 non redoublée. Voir ci-dessous si ba[r]?-ru12-um « avec des cornes blanches ».

22. Voir les références bibliographiques dans Pientka-Hinz 2011 : 345 n. 87. Parpola 1994, 269, réunit les données pour l’Inde ancienne (troisième œil sur le front).

23. Voir Hall 1986, 156 : 27 et 162 à propos de 27 ; pour d’autres références voir Pientka-Hinz, 2011 : 345 n. 84.

24. La bibliographie est réunie chez Pientka-Hinz 2011 : 347 n. 94 sq.25. On pourrait penser que cette caractéristique était le fait que les deux animaux aiment se vau-

trer dans la boue (allem. « suhlen », sum. dun (šáḫ)), éventuellement nous aurions la description du buffle d’eau (Bubalus bubalus) qui aime les marais ; cf. Pientka-Hinz 2011 : 344 n. 80 sq.

26. L’interprétation n’est pas sûre, il pourrait également s’agir de la description du pis de la vache ; cf. Pientka-Hinz 2011 : 342 n. 76 sq.

Fig. 6. Jeune veau et mouton de la frise incrustée d’Uruk (d’après Jakob-Rost et al. 1992, 56 : 8).

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Fig. 7. Conteneur en pierre à chaux grise en forme de vache d’Uruk (d’après Jakob-Rost et al. 1992, 67 : 20).

Fig. 8. Figurine de taureau composée de matériaux divers (pierre à chaux, argent, lapis-lazuli) d’Uruk (d’après Hrouda 1991, 190).

Il nous reste à examiner les deux premières lignes de ces listes, qui permettent la compréhension du texte et de son contexte (Sitz im Leben). En tête de liste, on classifie les bovins énumérés ensuite comme « animaux de la maison/du temple ». De même, dans les copies plus récentes, on peut constater la préférence pour la dési-gnation « animaux (avec) toit » (ùr). Dans les deux cas, on exprime par le choix d’un terme architectonique le lien entre l’animal et l’homme/le dieu, sous la protection duquel l’animal était placé. Puisque dans les lignes suivantes les bovins des espèces

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les plus variées sont énumérés, il paraît probable d’associer à cette description la mise à l’écart des animaux sélection-nés pour l’élevage et le soin adapté à la race. L’élevage à Uruk était affaire d’un « domaine institutionnel » (é) 27. Dans les copies protodynastiques ce terme a été remplacé par ùr « toit », ou « protec-tion  ». Au IIe millénaire, ces animaux sont désignés comme « vaches d’enclos » (áb é-tùr) ou «  vaches de pâture  » (áb lu-a) 28. Au contraire des bovins men-tionnés à la ligne suivante, ces animaux particuliers, élevés dans des conditions particulières étaient très probablement catégorisés déjà à cette époque comme étant « de race pure ».

Pour identifier le terme suivant, NE § 2, un mot rarement attesté et jusqu’à ce jour dépourvu d’explication, on peut se servir prioritairement de deux indices : tout d’abord de la lecture inconnue par ailleurs šarx(ne) de la liste syllabique d’Ebla 29 et ensuite de l’origine du signe connue grâce au pictogramme archaïque, une « torche », donc « feu » des listes archaïques. On peut supposer que le terme ne couplé dans ce texte et d’autres au terme des « pures races » (é/ùr) représente un générique. La so-lution pour ce terme se trouve dans le verbe homonyme de šarx(ne), à savoir šár(šár/ḫi) 30, qui a la signification « mélanger, fondre ». Cela permet d’établir un lien irré-futable avec le pictogramme archaïque « feu », à savoir « fondre en une masse par le feu », vers quelque chose de « nouveau » (gibil4(ne)) 31.

Si les bovins « domestiques », à savoir « de race », se caractérisent par une pro-création contrôlée et une progéniture programmée, qu’il fallait perpétuer, et si, en même temps, les animaux sauvages sont différenciés des animaux domestiques par une terminologie propre, alors on peut poser la question de savoir comment on clas-sifiait des « croisements » entre animaux des deux entités. L’histoire proche-orien-tale montre à des nombreuses occasions un intérêt accru pour ceux qui traversent les limites, notamment entre nature et culture et donc entre danger et sécurité 32. Les croisements entre animaux de race et bêtes sauvages, ainsi que des hybrides vé-ritables, comme on pouvait en réaliser entre les différents membres de la famille des bovinae devaient donc être distingués par un terme particulier distinct des autres groupes d’animaux. Avec les « bovins mélangés » ou bâtards, ce terme semble être trouvé.

27. Voir à propos de l’architecture sacrée dans l’Uruk archaïque le vocabulaire (gi) èš «  temple d’Inana », ĝiparx([gi] kisaL) « Ĝipar (du en) », tùr « enclos », cf. Steinkeller 1999 : 109 sqq.

28. Références dans Pientka-Hinz 2011 : 329 n. 12 sq.29. Voir Krebernik 1984 ; Civil 1988. Voir aussi les graphies syllabiques dans PSD A/3, 162 : 3.6.3

(ab2-ur2 ab2-ša-ra).30. Pour l’alternance des deux signes assez proches šár/ḫi et la proximité sémantique des verbes ḫi

« mélanger » et šár « rendre nombreux » cf. Pientka-Hinz 2011 : 330 n. 16 sq.31. Références dans Pientka-Hinz 2011 : 330 n. 17 .32. Références dans Pientka-Hinz 2011 : 331 n. 18 ; ajouts ead. 2009 et 2010.

Fig. 9. Tête taurine en diorite avec des incrustations coquille de l’époque protodynastique (d’après Aruz / Wallenfels 2003, 156 : 95)

La famille multicolore des bovins dans l’Uruk archaïque 779

Un accouplement d’animaux de race et d’animaux croisés est évoqué dans les incantations plus récentes ou des textes mythiques. Ces animaux étaient alors asso-ciés notamment avec un accroissement fertile et une beauté éclatante. Ainsi, la ville d’Uruk est décrite dans un texte comme « resplendissante » et « sortant en abon-dance comme les vaches de race et animaux croisés » (áb ùr áb šarx-gin7 ḫe-nun-ta è-a) 33. Des bovins croisés sont comptabilisés dans des textes administratifs d’Uruk archaïque, de même dans des textes d’époque néosumérienne ils se retrouvent lors des festivités à Ĝirsu 34.

Une telle interprétation permet de comprendre que le début des listes men-tionne un élément essentiel de l’élevage antique des bovins. En haut de l’échelle se trouvait donc, sous protection humaine, un troupeau exclusif de bovins, servant à la reproduction d’animaux de pure race, suivi d’autres groupes de bovins constitués de croisements. Il paraît probable que ces deux ensembles témoignent de l’accrois-sement fertile d’animaux, qui servaient d’une part à un usage économique 35, mais certainement aussi cultuel.

On peut souligner que les listes archaïques d’Uruk utilisent exclusivement des caractéristiques physiques pour décrire les bovins : les colorations du pelage, les caractéristiques du poil ou de l’anatomie. La procédure de description est soigneuse et exhaustive. Nous pouvons en déduire l’importance qu’on attribuait à ce sujet. Une classification par catégorie d’âge, ou usage dans l’agriculture, ou selon l’alimen-tation, comme cela apparaît dans des listes plus récentes 36, ne se trouve pas dans notre première énumération des races d’animaux. De même, aucune attention ne semble prêtée aux cornes des animaux.

33. « Enmerkar et Ensuḫgir-ana » (l. 10) ; voir pour plus de détails Pientka-Hinz 2011 : 331 sq. et n. 24.

34. Cf. Green 1980, 6 (áb[-áb]-ne). Pour des rites impliquant des vaches à l’époque d’Ur III, cf. Sal-laberger 1993 : 296 sq. et n. 1378 (áb-šarx(ne)-ra).

35. Pour l’essor de l’économie laitière à l’époque d’Uruk III selon les textes économiques archaïques, cf. Englund 1995.

36. Voir la présentation chez Waetzoldt 2007, 375–380.

Fig. 10. Zébu (http://bromberghof.de [2011]).

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Un parallèle remarquable à cette classification de bovins par leur pelage se trouve dans le culte égyptien des morts, dans lequel les sept vaches célestes jouaient aux côtés d’un taureau un rôle particulier 37. Selon un usage attesté à partir du Moyen Empire on croyait que seule la réussite de divers examens, parmi lesquels la connaissance des noms des divinités de la voûte céleste, nord et sud, ainsi que des noms des sept vaches et du taureau, qui servaient de guide dans la nécropole permettaient une montée aux cieux sans danger et assuraient la subsistance des morts. Ces animaux, qui étaient des protecteurs du mort, ont été représentés en peinture, — l’exemple ill. n°11 38 provient du tombeau de Nefertari –, et on voit leur différenciation par les couleurs. C’est notamment le taureau sacré Apis, symbole du soleil levant, qui était soumis à un code de couleurs particulier : il devait disposer, selon les sources variées disponibles, d’un triangle clair sur son front, d’un croissant de lune sur le dos, d’une queue au poil particulier et d’une tache ressemblant à un scarabée sur sa langue 39.

Tout porte à croire que les habitants d’Uruk de la fin du 4e millénaire décidaient déjà par une sélection et une reproduction contrôlée, quels bovins devaient s’accou-pler afin qu’ils produisent une progéniture qui corresponde à leurs souhaits. Il est probable que des bêtes extraordinaires — notamment des animaux très blancs ou parfaitement noirs, ou des animaux tachetés ou avec des marques particulières sur le front — avaient les faveurs des éleveurs. Le croisement choisi avec des animaux sauvages entraînait d’une part un élargissement du capital génétique ou, d’autre part, le maintien de certaines caractéristiques des animaux sauvages, comme leur poil bouclé ou leur taille supérieure et améliorait les résultats de l’élevage. Pour cette raison, on capturait des veaux de taureau sauvage qui étaient facilement do-mesticables, et on les intégrait aux troupeaux des bovins domestiqués. C’était sans doute de cette manière que des animaux désignés comme croisés étaient créés 40.

Un tel ensemble, composé de deux vaches croisées (ne áb), d’une vache blanche (u4 áb), de deux vaches tachetées ou grises (šu áb), de deux vaches noires (gi6 áb), d’un veau sauvage mâle (kur.aM) 41 et d’un taureau croisé ([n]e gu4), se trouve dans un texte administratif contemporain d’Uruk (W 14275). Ce texte documente les tenta-tives d’élevage d’animaux en notant des particularités chromatiques de leur peau (voir ill. n°12) 42.

37. S. El Sayed 1980 et Pientka-Hinz 2011.38. L’ensemble tout en couleurs peut être admiré dans Germond 2001 : 152 sq. : 191.39. Cf. Houlihan 1996, 19 sq. et fig. 15.40. Pour des croisements mentionnés parfois dans des textes sumériens (áb/gu4-a-am « Kuh/Bulle

aus Samen des Urs ») cf. Waetzoldt 2007 : 377. Pour la mention commune de bovins sauvages et do-mestiqués dans des textes économiques, littéraires ou lexicaux voir Pientka-Hinz 2011 : 352 n. 110. — Habituellement les animaux domestiqués ne sont pas mentionnés avec les animaux sauvages dans les listes lexicales, qui font peu état des critères de la taxonomie zoologique (cf. Veldhuis 2006, 25), mais dans le cas des listes archaïques d’Uruk, les taureaux sauvages, animaux croisés ou bovins domestiqués sont mentionnés ensemble. L’énumération des races suit dans ce cas le principe culturel, à savoir, la domestication de bêtes sauvages dans le but d’un élevage d’animaux domestiques « semi-sauvages », donc d’animaux croisés. Pour cette raison les taureaux sauvages sont mentionnés à l’intérieur des groupes d’animaux domestiques — ce ne sont pas des représentants de la faune sauvage. Pour le problème de la mention commune de porcs et sangliers dans les listes lexicales paléobabyloniennes, cf. Veldhuis 2006.

41. Le veau sauvage mâle (aM = aMar.gunû) qui est marqué comme tel par le signe kur ne présente pas une concurrence pour le taureau d’élevage et pouvait donc être intégré sans danger dans le troupeau. Adulte, il pouvait servir ensuite à l’élevage.

42. Cf. Englund 1995 : 35 et 37 fig. 2. D’autres références à des projets d’élevage dans des contrats se trouvent chez Pientka-Hinz 2011 : 353 n. 112.

La famille multicolore des bovins dans l’Uruk archaïque 781

Il est difficile de connaître l’imaginaire religieux et son influence sur l’élevage des bovins ou d’établir un éventuel culte des bovins au début de l’époque d’Uruk. Nous n’en savons pas plus sur les détails des rites cultuels, et l’inclusion ou l’exclu-sion d’animaux à cause de leur apparence physique. Or, de nombreux objets ayant un rapport direct avec des bovins sont attestés en lien avec le culte urukéen 43. On a trouvé des conteneurs en pierre en forme de vache ou de taureau, d’où des liquides se déversaient par la bouche de l’animal ; des sceaux ; des figurines ou pendentifs ; et même des sculptures plus grandes en forme de bovins. Ce qui est intéressant, c’est que ces objets illustrent les mêmes contrastes de couleurs que les listes de bovins énumérés ci-dessus. Deux groupes d’objets utilisant une technique composite polychrome sautent aux yeux : d’un côté des statuettes de taureaux noirs ou blancs se tenant debout, avec des yeux, oreilles, cornes, boucles au front et des jambes incrustés en d’autres matières ainsi que parfois de taches floriformes (voir ill. n°8) et d’autre part, il y a des statuettes de vaches, à peau sombre ou claire, allongées avec leurs veaux, souvent avec des incrustations de rosettes ou trèfles ainsi que le marquage d’autres parties du corps par contraste coloré (voir ill. nos7 et 13). Une partie de ces objets nous est parvenue de manière groupée. Il est possible qu’un autre conteneur en forme de bison ait également appartenu à ce groupe d’objets de

43. Cf. Kawami 2001 et ead. 2008.

Fig. 11. Les sept vaches célestes avec leur taureau de la tombe de Nefertari, 19ème dynastie (extrait d’après El Sayed 1980, 363).

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culte particuliers ; mais peut-être s’agissait-il d’une représentation d’un bovin à poil long, voire bouclé (voir ill. n°14).

Il est probable que des taureaux ou des aurochs étaient le symbole d’une force particulière, et que les vaches avec leurs veaux représentaient la fertilité et la force vitale 44. Des représentations de bovins et d’enclos, d’où sortaient de jeunes animaux (voir ill. n°15), ainsi que des représentations particulièrement réalistes de veaux (voir ill. n°13) font penser à des rituels de naissance. Des représentations du prêtre-en qui distribue des branches fleuries en nourriture à des moutons ou à des bovins évoquent la protection par le souverain. La thématique évoquait peut-être le souve-rain qui était le bon berger de son peuple 45.

Dans l’iconographie urukéenne, nous avons plusieurs représentations remar-quables qui lient Inana, la divinité tutélaire d’Uruk et un «  troupeau (sacré) de bovins ou ovins » 46. Un sceau archaïque avec une inscription sous forme de rébus — une combinaison de signes pictographiques et des images — semble particulière-ment important (voir ill. n°16) : au dessus du dos d’un beau bovin sont représentés trois astres (MuL) ainsi qu’une série de symboles, qui peuvent être lus ezen an inana u4 sig. Cela établirait un lien indiscutable entre le « bovin avec taches floriformes (áb bar MuL) 47 et la « fête d’Inana du matin ou du soir » (sum. ezen dInana ḫúd sig), soit des deux manifestations de la déesse comme étoile du matin ou du soir 48. Nous ne pouvons pas savoir avec certitude quel était le rôle du bovin dans le cadre de cette fête. Mais on peut supposer que les taches floriformes attribuaient à l’animal le sta-

44. Références bibliographiques chez Pientka-Hinz 2011 : 354 sq. n. 117.45. Cf. Breniquet 2002, 160, et généralement Selz 2001.46. Voir Szarsyńska 2000, 67.47. La représentation du bovin et l’emplacement du signe MuL directement au dessus du dos (bar)

de l’animal pourraient être « lu » comme graphèmes de la séquence áb bar MuL (cf. ci-dessus) connue des listes lexicales. Dans ce cas, la ligne ondulée du dos serait une représentation figurée du signe bar et pourrait entrer en tant que telle dans le répertoire de signes.

48. Cf. Szarzyńska 2000 : 64 sq. et n. 8 ( « Morning Inana », « Evening Inana ») ainsi que Nissen / Damerow / Englund 1991 : 44 (nom d’une fête). Puisque l’appellatif divin n’est pas obligatoirement mentionné à cette époque (cf. Szarzyńska 2000 : 64 et n. 4), il pourrait éventuellement s’agir de la fête de deux divinités, à savoir « An (et) Inanna ». Par ailleurs, la mention des deux manifestations d’Inana pour le même moment est inhabituelle. Dans les documents archaïques de la comptabilité de la bière et des céréales se trouvent des entrées analogues ; cf. Nissen / Damerow / Englund 1991 : 16 sq. et 74 ill. 9g texte 4.11 et 81 ill. 10d texte 10.8 ( « [Fest des] Abendsterns [der Göttin] Inanna [Stadtgöttin von Uruk] ») ; Green 1980 : 8 avec n. 34 ( « either ‚evening festival of Inanna’ or ‚the evening of the festival of Inanna’ », « daytime/morning [of the] festival of Inanna ») ; et plus récemment Steinkeller 1999 : 109 et n. 19 ( « the festival of the ‚Inanna of the west (= evening)’ (Inanna sig) »).

Fig. 12. Texte administratif de l’époque Uruk-III (d’après Englund 1995, 37 fig. 2 : W 14275).

La famille multicolore des bovins dans l’Uruk archaïque 783

tut d’un participant privilégier. La particularité de ces bovins est également repré-sentée par la vaisselle cultuelle, conteneurs en forme de bovin incrustés de rosettes.

Si l’élevage des bovins était étroitement lié au culte du dieu An et de son épouse Inana, donc des divinités tutélaires d’Uruk, on peut poser la question du rôle de la coloration des vaches et taureaux dans l’imaginaire des habitants d’Uruk. Il nous faut tout d’abord abandonner nos propres catégories, prétendument communes, et partir de l’hypothèse que des notions culturelles propres sont à l’origine de la catégo-risation et fonctionnent sur le principe d’un catalyseur, notamment dans le domaine des termes de couleur 49. Quelles étaient donc les raisons qui entraînèrent les habi-tants de l’ancienne Uruk à décrire les bovins grâce à des attributs que nous identi-fions aujourd’hui comme relevant de la couleur, la structure ou la forme ?

Des indices pour connaître la genèse des concepts descriptifs sont d’abord four-nis par les pictogrammes à l’origine des signes cunéiformes. Rappelons qu’au début des listes archaïques nous trouvons les bovins appartenant à deux catégories : l’une étant celle des animaux de race, scil. « de la maison » (é § 1) et l’autre, identifiée comme « animaux croisés » (ne § 2), ayant comme parent un animal sauvage. Ces catégories impliquent éventuellement l’apparence physique, mais elles distinguent de prime abord le champ sémantique de la « culture », et l’opposent à la « nature ». Car il me semble que même les animaux « croisés » doivent être interprétés comme étant des produits de la « culture ». Le signe employé « feu », prototype des avancées culturelles, souligne cette transition de la nature vers la culture.

Les deux qualificatifs suivants « blanc » (u4 § 3) et « noir » (gi6 § 4) ouvrent une sé-rie que nous sommes tentés de faire entrer dans la catégorie des « couleurs ». Or, ils sont rendus par deux pictogrammes qui représentent l’un le soleil levant et l’autre, le ciel étoilé — ou éventuellement un nuage d’orage. Ces pictogrammes décrivent donc plutôt des phénomènes de luminosité que de couleur, et sont directement liés au ciel. Ils ont, de prime abord, peu de rapport avec des bovins.

De la même façon, le pictogramme à l’origine du signe gi (§ 8), le roseau, nous permet de comprendre l’idée générale qui se cache derrière ce terme pour nous ac-tuellement problématique, puisque nous l’identifions à deux couleurs différentes, « vert » et « jaune ».

49. Pour le problème du transfert de nos critères de catégorisation et du processus d’hiérarchisation de la civilisation mésopotamienne voir Selz 2008.

Fig. 13. Figurine d’un petit veau composée de pierre à chaux et de lapis-lazuli de l’époque Uruk (d’après Aruz / Wallenfels 2003, 17 : 2b).

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En fait il s’agit d’une description du cycle végétal entier de la plante «  à l’image de la végétation  », verte lorsqu’elle est une jeune pousse et jaune lorsqu’elle est desséchée.

Selon la conception des habitants de la Mésopotamie ancienne, on cherchait à décrire l’état qui correspondait à un phénomène transitoire présent dans la nature, et non la catégorie des couleurs « allant du jaune au vert  ». De même, les tâches floriformes ou stelliformes (MuL) utilisées pour la description des bovins se faisaient d’après l’observation des plantes dans la nature.

Le pictogramme à l’origine de notre terme de couleur «  rouge-brun  » (si4 § 11) pourrait avoir un lien plus direct

avec les bovins, si on l’interprète comme représentant une corne de bœuf marqué, notamment à son sommet, par des égratignures (voir ATU 2, 270 : 450) 50. La corne de l’animal peut être rouge après un combat sanglant, lorsqu’un animal en a blessé un autre 51. Si donc le pictogramme pour la couleur « rouge » avait un lien avec le « sang », comme c’est le cas dans nombreuses cultures, — il ne pouvait pas trouver meilleure place dans le symbolisme religieux 52. La palette de couleurs « entre rouge et brun » entre également dans le cadre des descriptions d’un état — comme nous l’avons déjà vu pour « clair et obscur » ou « à l’image de la végétation ». Car le sang représente mieux que tout « le vivant » (lorsqu’il s’agit du sang rouge et frais) mais il évoque aussi la mort, représentée par le sang séché, rouge foncé ou brun.

Aux descriptions par des termes de « couleur » suivent celles de la « qualité du poil », notamment les bovins aux poils longs voire bouclés (dara4 § 12) avant de s’in-téresser aux plis marquant autour des yeux (sig7 síg § 15). Aucun attribut de la liste n’est employé aussi fréquemment, notamment en rapport avec le « ventre » (šà), les « flancs » (ti) ou le « front » (sag) (§§ 12–14, 22, 24) ce qui tend à prouver qu’on prêtait une attention particulière à cette qualité. De même, le fait que « clair », « sombre », « rouge-brun » ou « à poil long, bouclé » sont toujours opposés, même dans d’autres genres de textes 53, montre que ce n’était chaque fois qu’une seule caractéristique qui était épithète, — celle qui était la plus remarquable.

Pour résumer, il faut souligner que les termes de couleur qui sont, selon notre conception, des « couleurs de base » (« basic colour terms »), relèvent de critères très différents en ce qui concerne la liste archaïque des bovins. Des termes identifiés dans un premier temps comme ayant un rapport avec la « couleur » (« blanc », « noir »,

50. Gong 1993, 134 tab. VI.12, par contre identifie ce signe comme « Teil eines Schiffes ».51. Une autre situation où du sang coulait : on pratiquait la coupe du bout des cornes trop longues

dans les troupeaux pour éviter des blessures. Cf. PSD A/3, 161 : 3.1.3 : áb-maḫ-bi si-mùš-bi ba-ra-an-dab5-bé-eš si-bi ba-ra-an-ku5 « its mighty cows with shining horns were captured, their horns were cut off » (Lamentation over Sumer and Ur 411).

52. Des réflexions concernant le choix du « sang de bœuf » (et non de l’homme) se trouvent dans Pientka-Hinz 2011 : 360 n. 136.

53. Cf. Pientka-Hinz 2011 : 341 n. 65.

Fig. 14. Conteneur en forme de bison en mastic de l’époque Uruk (d’après Kawami 2008, 307 fig. 13).

La famille multicolore des bovins dans l’Uruk archaïque 785

« jaune  », « rouge  ») sont représentés par des pictogrammes qui décrivent des états instables, comme «  lumière  » ou « obscurité », la « végétation nouvelle et desséchée » ou le « sang », symbolisant la «  vie  » et la «  mort  ». Les réactions à ces états étaient intenses, comme pourraient le démontrer les gémina-tions emphatiques qui sont à l’origine des termes sumériens babbar «  clair, blanc » ; kukku5(-g) « sombre, obscur », sig17/sig7 /suggu(-g)?/ « à l’image du vé-gétal  ; jaune-vert » et si4/su4 /su(-su)?/ « vivant ; rouge-brun ». Toutes ces qua-lifications peuvent être appliquées à la description de bovins mais ne repré-sentent pas principalement des carac-téristiques de ces animaux — comme le sont la raie dorsale, la peau du dos ou la bosse.

Qu’est-ce qui a incité l’homme à utiliser les descriptions des différents états du monde lors de la description de bovins? On peut supposer qu’en faisant cela, des liens métaphoriques étaient établis entre des champs ressentis comme proches et qui se produisaient dans le ciel (clair/obscur) ou de la fertilité (végétation, « créa-tures de chair et de sang », donc les hommes et les animaux) et qu’on croyait recon-naître sur la peau des bovins 54. Un bovin « clair » pourrait avoir représenté le ciel du jour, un bovin « sombre » la nuit et l’obscurité 55, un bovin «  tacheté ou gris  » représentait peut-être le ciel étoilé ou un orage, un bovin  jaune comme la plante desséchée ou « arborant des taches floriformes », la végétation et un bovin « rouge-

54. Des observations proches ont été faites par Parpola 1994, 211 sqq., concernant la civilisation indienne. Des vaches, servant de support à la représentation de phénomènes célestes jouent par ailleurs un rôle important dans la civilisation égyptienne (cf. ci-dessus).

55. Des forces antithétiques trouvent leur analogie dans la civilisation proto-élamite dans la paire opposée « lion (doré) » et « taureau (sombre) ». Des céramiques de la vallée du Bannu au Pakistan place le buffle d’eau sombre, symbolisant l’eau, la nuit et la mort, à côté du zébu clair, symbole du jour et de la vie ; cf. Parpola 1994, 247 et 251.

Fig. 15. Empreinte de sceau-cylindre de l’époque Uruk : d’après Moortgat 1935 : fig. 28.2).

Fig. 16. Empreinte de sceau-cylindre de l’époque Uruk : bovin avec des symboles associés à Inana (d’après Nissen / Damerow / Englund 1991 : 45 : fig. 5a).

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sang » la force vitale des êtres vivants. Si le pelage du dos se détachait du reste de la peau, on le prenait peut-être selon la forme comme un nuage (« dos tacheté ») ou une pâture (« dos jaune », « dos avec des taches floriformes ») 56. L’animal « au poil long ou bouclé » pourrait avoir joui d’une position particulière, supposément doté d’une force supérieure 57 puisque cette qualité (dara4) est la plus fréquemment mention-née dans les listes des bovins. Les bovins étaient alors une projection du ciel et de la terre, donc de l’univers entier. En intégrant des animaux « croisés », on avait par ailleurs aboli la frontière avec la nature sauvage, – le monde tout entier se trouvait donc représenté par ces bovins 58. Se référant au monde et toutes les aspects de la déesse Inana 59 les animaux devenaient « le troupeau sacré » d’Uruk 60.

56. Voir les vaches égyptiennes avec leurs désignations très proches chez El Sayed 1980.57. Pour la chevelure comme représentation de la force cf. Scheyhing 2003. Pour l’aspect astral

du bison, doté d’un poil particulièrement long qui pourrait être décrit par la qualité dara4, voir Behm-Blancke 1979, 51.

58. Cf. Westenholz 1996 : « (...) that the earliest lexical compilations may have been more than a utilitarian convenience for the scribes who wrote them ; that they contained a systematization of the world order ; and that at least one was considered as containing ‚secret lore’ (451) (. . .)‚ Knowledge’ of the words, the names of objects, in the lexical lists gave insight into the nature of things, a basis for power and control on various levels as well as the control and manipulation of information. On the religious level, knowing the names of the deities confers magic power à la Rumpelstiltskin (. . .) On the intellectual level, knowing the organization of the world made it possible to affect the universe by magical means (452 sq.). »

59. Y compris le taureau céleste ; cf. la figurine néosumérienne d’un taureau avec incrustation de soleil, lune et étoiles apud Parpola 1994, 213.

60. Voir le point de vue d’histoire de l’art chez Breniquet 2002, 157–161 : « (. . .) artistic conventions do not refer simply to animals themselves, or to the human prevailing over natural order, or even to natu-ral values carried by animals that could be taken over by man. They seem to refer to general concepts as well, such as the opposition between nature and culture, or untamed and civilized. (. . .) What animal art probably expresses in Mesopotamia from the Neolithic through at least the end of the Sumerian period is a symbolic perception of the world, a perception whose traces are visible throughout Mesopotamian history. The very meaning of these early representations is debatable and controversies are numerous (. . .). For some scholars, these animal depictions should be considered the first appearance of divinities. It is easy to imagine that prehistoric man might have wanted to take over the skills personified by the animals depicted in the art through magical practices, but there is no evidence that we are dealing with the beginnings of a theriomorphic religion. (...) it seems that Mesopotamian archaic art is wholly metaphoric and refers to general notions like order, fertility, prosperity, abundance, and birth, which are central to the interests of all prehistoric societies. (...) The general background and the basis of inter-pretation given above (hierarchical organization of the natural world, association between animals and concepts) nevertheless make a complete reading possible. Bovines depicted in Mesopotamian art could be young calves or pregnant cows, that is to say pacific animals. Or they could be terrifying aurochs with impressive horns that fight the king himself (. . .), thus evoking two aspects, the unsubjugated world and the tamed one belonging to man. With the exception of calves, these depictions are identical from an artistic point of view : nothing helps us separate wild and domestic animals. The sense is given by the other protagonists in the scene. »

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